Les Entourages Des Chefs De L'etat Sous Les Iiie Et Ive Républiques La
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Gilles Le Béguec, « Les entourages des chefs de l’Etat sous les IIIe et IVe Républiques », Histoire@Politique. Politique, culture, société, N°8, mai-août 2009. www.histoire-politique.fr Les entourages des chefs de l’Etat sous les IIIe et IVe Républiques Gilles Le Béguec La difficile émergence du secrétariat général civil de la présidence de la République : d’Emmanuel d’Harcourt à Abel Combarieu Le secrétariat général civil de la présidence de la République est apparu avec la IIIe République elle-même, même si la formule devait être provisoirement abandonnée au cours de l’hiver 1878-1879. Cette phase que l’on peut qualifier de protohistoire d’une institution s’est déroulée en deux épisodes, de nature d’ailleurs passablement différents. Le premier épisode est celui de la présidence d’Adolphe Thiers (1871-1873) et de la présence à ses côtés de Jules Barthélémy Saint-Hilaire (1805-1895), présenté tantôt comme secrétaire général, tantôt comme « chef du Secrétariat de la Présidence », tantôt comme secrétaire tout court. Professeur au Collège de France, membre de l’Académie des sciences morales et politiques, représentant républicain conservateur du département de la Seine-et-Oise à l’Assemblée nationale, Barthélémy Saint-Hilaire était entré dans le cercle des familiers du chef de l’Etat depuis le début des années soixante et avait naguère exercé – détail qui a sa petite importance – les fonctions de secrétaire général du Gouvernement provisoire en 18481. En dépit de ses éminentes qualités intellectuelles, le plus proche des collaborateurs de Thiers ne semble pas avoir joui d’un grand crédit politique et Rémusat, toujours un peu malveillant, pointera dans ses mémoires ses « sottises », en ajoutant qu’il était « d’une fidélité et d’un dévouement admirables, mais sans aucun esprit2 ». Pour faire vite, on dira qu’on reste ici dans le domaine des relations purement personnelles, de l’improvisation et d’une forme évidente de bricolage institutionnel. Le second épisode fondateur est celui du passage du vicomte Emmanuel d’Harcourt à la tête de ce que les contemporains ont très vite pris l’habitude d’appeler le secrétariat de la Présidence durant le gros des années du mandat confié au maréchal de Mac- 1 On peut se reporter à la notice que lui a consacrée Jean El Gammal dans l’ouvrage collectif publié en 1995, aux Publications de la Sorbonne, sous la direction de Jean-Marie Mayeur et Alain Corbin, Les Immortels du Sénat, 1875-1918, les cent-seize inamovibles de la Troisième République. Voir les p. 217- 219, nombreuses références bibliographiques. 2 Cf. Charles de Rémusat, Mémoires de ma vie, tome 5, Paris, Plon, 1967, p. 470. - 1 - Gilles Le Béguec, « Les entourages des chefs de l’Etat sous les IIIe et IVe Républiques », Histoire@Politique. Politique, culture, société, N°8, mai-août 2009. www.histoire-politique.fr Mahon en 18733. En fait, tout relève de l’exception dans cet aspect des années décisives 1873-1878 : l’âge de l’intéressé (Emmanuel d’Harcourt a une petite trentaine d’années au moment de sa prise de fonctions) et la minceur de ses titres, son absence quasi totale d’expérience des affaires de l’Etat, le caractère plus officieux que vraiment officiel des missions qui lui ont été assignées4, la révélation, quasi immédiate, de ses qualités politiques et l’incontestable autorité qu’il n’a pas tardé à acquérir, le complet effacement enfin de la scène politique à compter de l’hiver 1878-1879, les longues années qui lui restaient après son départ de l’Elysée ayant été consacrées à des activités mondaines (au sein notamment du Jockey-Club) et charitables. Tous ces traits atypiques interdisent de parler de précédent, au sens ordinaire de ce terme en tout cas. Mais ce bref essai de fonctionnement d’un secrétariat général indépendant, de facto, de la maison militaire n’en a pas moins fait date dans l’histoire tâtonnante de l’émergence de l’institution. Tout ce qui vient d’être dit invite à s’attarder beaucoup plus longuement sur l’étonnante personnalité du vicomte Emmanuel d’Harcourt et sur la place qu’il a occupée au sein de l’entourage de Mac-Mahon. Louis-Emmanuel d’Harcourt (1844-1928) était le fils cadet du marquis Georges d’Harcourt (1808-1883), chef de la branche dit d’Olonde de la famille d’Harcourt, membre de la Chambre des Pairs durant les dernières années de la Monarchie censitaire, ambassadeur successivement en poste à Vienne (1873-1875) et à Londres (1875-1879). Son frère aîné, Bernard d’Harcourt, marié à une Gontaut-Biron, avait été élu représentant du Loiret lors des élections partielles de 1871 et siégeait au centre droit. Sa sœur Pauline était l’épouse du vicomte Othenin d’Haussonville, représentant du département de Seine-et-Marne à l’Assemblée nationale, un temps secrétaire de la « réunion » du centre droit, et surtout neveu très affectionné du duc Albert de Broglie. Emmanuel d’Harcourt appartenait donc au monde de l’ancienne noblesse, une noblesse d’inclination plutôt libérale (par sa mère, née Sainte-Aulaire, il était d’ailleurs proche parent du duc Decazes, ministre des Affaires étrangères durant la majeure partie du mandat de Mac-Mahon). Ses affinités politiques étaient donc situées du côté « orléaniste », avec toutes les réserves d’usage qu’il convient d’adjoindre à cet épithète un peu trop connoté sur le plan dynastique5. En fait, les relations privilégiées entretenues alors par le secrétaire général de la présidence et ses préférences intimes semblent bien avoir été plus proches du milieu gravitant autour 3 Sur l’entourage de Mac-Mahon, le travail de référence demeure la communication présentée par François Roth lors du colloque consacré en 1996 aux « Militaires en République ». Cf. François Roth, « Mac-Mahon, le maréchal-président, 24 mai 1873-30 janvier 1879 », dans Eric Duhamel, Olivier Forcade, Philippe Vial (dir.), Militaires en République, 1870-1962, les officiers, le pouvoir et la vie publique en France, Paris, Publications de la Sorbonne, 1999, p. 111-122. 4 On notera que le vicomte Emmanuel d’Harcourt ne figure pas dans la liste des officiers de la maison militaire. 5 Il faut préciser cependant que sa mère, la marquise Georges d’Harcourt, avait publié une biographie très remarquée de la duchesse d’Orléans, mère du comte de Paris. Mais on sait que le milieu gravitant autour du duc de Broglie était soucieux de garder une certaine réserve à l’égard des princes d’Orléans, contrairement à d’autres éminentes personnalités du centre droit, le duc d’Audiffret-Pasquier ou le duc Decazes, par exemple. Après 1879, Emmanuel d’Harcourt semble avoir gardé des sympathies monarchistes, sans participer toutefois aux activités politiques du « parti » soutenant la cause du Prétendant. Il y a là une nette différence avec l’attitude de son beau-frère, Othenin d’Haussonville. - 2 - Gilles Le Béguec, « Les entourages des chefs de l’Etat sous les IIIe et IVe Républiques », Histoire@Politique. Politique, culture, société, N°8, mai-août 2009. www.histoire-politique.fr du duc Albert de Broglie que des cercles liés aux princes d’Orléans. Le vieux Rémusat, fin connaisseur de ces réseaux, devait d’ailleurs noter dans ses mémoires que le marquis Georges d’Harcourt était de la « coterie Broglie ». Emmanuel d’Harcourt avait fait ses premiers apprentissages dans la diplomatie à la fin du Second Empire en occupant des postes de médiocre importance à Rome puis dans le grand duché de Bade. La guerre de 1870-1871 l’avait par la suite conduit à servir au sein de l’état-major du maréchal de Mac-Mahon, auquel il devait toujours rester fidèle. Quand Mac-Mahon est élu à la présidence de la République, le jeune vicomte le suit à l’Elysée, à l’instar d’autres officiers de l’entourage, beaucoup plus élevés en grade que lui-même. Même si certains de ces officiers – le colonel de Vaulgrenant et le colonel Robert, chef du cabinet militaire, notamment – ont pu s’acquitter le cas échéant de tâches de caractère politique, Emmanuel d’Harcourt a très vite été installé dans le rôle de principal conseiller en ces matières ; dans un livre de souvenirs publié en 1912, c’est-à-dire du vivant même de l’intéressé, le journaliste Arthur Meyer, directeur du Gaulois écrira à son sujet qu’il était « le secrétaire, le confident et peut-être l’inspirateur du maréchal », en ajoutant : « Depuis la chute du maréchal, il s’est condamné au silence et à une retraite prématurée. C’est une des grandes forces perdues de notre époque. » Toujours en 1912, mais dans un autre livre portant le titre Ce que je peux dire, le même Arthur Meyer parlera du secrétaire général de l’Elysée en ces termes : « placé dans un poste de confiance », il « y déploya une distinction et une tenue d’esprit que son âge ne pouvait faire prévoir ». Les récits laissés par la plupart des autres témoins concordent pour faire l’éloge de ses qualités de jugement et de sa capacité à nouer des contacts, y compris du côté des adversaires6. Légitimiste modéré proche du duc de Broglie, ministre à deux reprises au cours du septennat, le vicomte Camille de Meaux fait allusion à ses « informations éclairées » et à ses « avis sûrs et sagaces7 ». Cette opinion est partagée par un homme qui au moment des faits, notamment lors de la crise politique et constitutionnelle de l’année 1877, était situé de l’autre côté de la barricade : le républicain conservateur Edouard de Marcère, l’un des chefs du centre gauche, ministre de l’Intérieur dans les cabinets Dufaure de 1876 et de 1877-1879. Brossant un tableau de l’Elysée et de l’entourage de Mac-Mahon, entourage, dit-il, qui « était, à l’égard de la république, comme une sorte de camp ennemi », Edouard de Marcère consacre quelques lignes élogieuses à Emmanuel d’Harcourt.