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Hommage à

Au cours de sa réunion du 15 juin 2011, la commission a rendu hommage à son ancien président, M. Maurice Schumann, à l’occasion du centième anniversaire de sa naissance.

Intervention du Professeur David Bellamy, maître de conférences en histoire contemporaine à l’université de Picardie-Jules Verne à Amiens

A bien des égards, l’automne de l’année 1944 constitue dans la vie de Maurice Schumann un apogée. Il est probable qu’il dut le ressentir ainsi. La cause qu’il avait embrassée avec ferveur, auprès du général de Gaulle en juin 1940, la libération du territoire national, était en cours. Bien plus et comme il l’avait souhaité dès la signature de son engagement dans la libre, il participait à cette libération, sur le terrain, comme combattant. Dans la matinée du 6 juin 1944, intégré au corps expéditionnaire britannique, il avait posé, enfin !, le pied sur le sol de la patrie, à Asnelles, s’emparant d’une poignée se sable qu’il avait embrassée. Ce moment de sa vie fut d’une telle intensité qu’il décida de faire de cette petite commune normande le lieu de son inhumation et c’est là qu’il repose aujourd’hui. Une semaine après son propre débarquement, il avait accueilli, sur la plage de Courseulles, son chef, le général de Gaulle, puis l’avait annoncé aux populations de Bayeux, sur la grand’ place de cette ville, avec les mots célèbres qu’il avait tant de fois répétés au micro de la BBC : « Honneur et Patrie, vous allez entendre le général de Gaulle ». Avec les hommes de la 2e DB, Maurice Schumann avait ensuite vécu les moments inouïs et historiques de la Libération de , sa ville natale. Officier en même temps que correspondant de guerre, il avait et allait continuer de participer aux combats de l’hiver 1944-1945 en même temps qu’il en poursuivait le récit pour les Français. La popularité de Maurice Schumann est alors immense. L’historien en trouve de nombreux témoignages. Tel celui d’André Diligent qui l’accueille à Lille le 30 septembre 1944, au moment du voyage qu’y effectue le général de Gaulle. Il raconte l’enthousiasme et la ferveur des Lillois lorsqu’il leur apprend que cet homme est celui que, pendant quatre ans, ils ont entendu à la radio. Ce que représente la voix de Maurice Schumann, nul mieux que Georges Duhamel, ne l’a exprimé : « Nous n’oublierons certes pas la voix familière de Maurice Schumann qui, si nous ressuscitons dans mille ans, nous rappellera encore nos espérances et nos angoisses des saisons amères ». - 2 -

Cet apogée se manifeste également par l’extraordinaire activité de Maurice Schumann en cet automne 1944. En novembre, il devient membre de l’Assemblée consultative provisoire et, à l’initiative de , est choisi pour présider le Mouvement Républicain Populaire, lors du congrès constitutif de ce nouveau parti. S’y ajoute son travail de journaliste et de directeur de L’Aube. Enfin, le bonheur personnel vient couronner cette période faste de la vie de Maurice Schumann. Le 13 novembre 1944, chez les dominicains du boulevard Latour-Maubourg, il épouse Lucie Schumann, qu’il a rencontrée à Londres, en 1940, alors qu’elle venait se mettre au service de l’administration de la France libre. Le lieu choisi pour ce mariage marque lui-même un aboutissement. Les dominicains de ce couvent l’avaient accompagné dans son cheminement vers le christianisme avant la guerre. Fils d’un juif libéral et d’une mère agnostique, Maurice Schumann s’était reconnu catholique au tournant des années 1920 et 1930 mais avait refusé, en raison du développement de l’antisémitisme, de demander le baptême. Il ne reçut celui-ci qu’en mai 1942, à Birmingham, en la chapelle personnelle du cardinal Newman. A 33 ans, Maurice Schumann pouvait donc, à juste titre, vivre cette période des mois de la Libération comme un sommet et un accomplissement. C’était aussi un commencement. L’historien, cet « homme d’après » comme le dit si bien Henri-Irénée Marrou, le constate. En devenant membre de l’Assemblée consultative provisoire, Maurice Schumann entamait alors une carrière parlementaire de plus d’un demi-siècle. Il appartient en effet au groupe des hommes politiques français qui ont illustré le phénomène de la longévité parlementaire, et, dans son cas, comme dans quelques autres, de manière exceptionnelle. Pour ne citer que quelques noms, bien connus évidemment, dans cette noble maison, j’évoquerai Charles Freycinet (sénateur de 1876 à 1920) ou Amédée Bouquerel (sénateur de 1948 à 1992), qui siégèrent plus de quarante ans en ce palais du ; le président , sénateur de 1946 à 1995, avec une interruption de 1948 à 1952 ; ou encore Max Lejeune, député de 1936 à 1977 puis sénateur de 1977 à 1995, soit une carrière parlementaire de cinquante- quatre ans. Enfin, comment ne pas citer ici, un homme auquel j’ai consacré ma thèse de doctorat en histoire, député de la Seine-Inférieure en 1936, élu au Conseil de la République à la Libération et qui siégea dans votre hémicycle jusqu’à sa disparition en 1993, le doyen Geoffroy de Montalembert. Pour Maurice Schumann, comme pour tous ces élus, la longévité parlementaire est a posteriori une évidence. Cette évidence n’est qu’une reconstruction de l’historien. Vous êtes, Mesdames et Messieurs, les mieux placés pour savoir que la longévité parlementaire est un travail voire un combat de chaque jour et qu’elle se heurte à des obstacles que cette lecture a posteriori ne doit pas sous-estimés. C’est dans cet esprit qu’à l’invitation du - 3 -

Président Legendre, que je remercie de sa confiance, je tracerai les grandes lignes de la carrière politique et surtout parlementaire de Maurice Schumann. Pour ce faire, l’historien dispose des archives des deux Chambres de notre Parlement, de travaux historiques nombreux maintenant sur l’histoire de la démocratie chrétienne et du gaullisme, de quelques ouvrages, - certes assez peu nombreux - consacrés à Maurice Schumann. Il dispose encore de ses archives personnelles, déposées après sa disparition par Madame Lucie Schumann, à la Fondation . C’est l’occasion, si vous le permettez, à l’historien du Parlement, d’insister auprès de vous, Mesdames et Messieurs les Parlementaires, sur l’importance que représentent vos archives pour le chercheur. Je vous prie de mesurer combien il est décisif pour la recherche à venir que vous pensiez à ce que deviendront vos archives, et ce quelque soit le nombre d’années que vous avez déjà passées sur les bancs du Parlement. Tant de fois, nous rencontrons des proches d’anciens parlementaires qui nous disent avoir perdu voire détruit leurs papiers, parfois simplement par ignorance de leur intérêt. Il y a maintenant assez d’institutions susceptibles de les recueillir, à commencer, je crois, par les services d’archives de nos deux Chambre, mais également les Archives nationales ou des départements dont vous êtes les élus, voire les organismes de recherche spécialisés dans l’histoire politique comme le Centre d’histoire de Sciences Po, ou les Fondations diverses qui se consacrent à l’étude de tel ou tel courant, comme la Fondation Charles de Gaulle, par exemple. Et précisément, les nombreux cartons de Maurice Schumann déposés rue de Solferino, permettent, en ce moment, à un historien, mon collègue Christian Hocq, que je salue ici, de préparer une thèse de doctorat sur sa carrière. Je lui suis très redevable, ainsi qu’à Christiane Rimbaud, auteur d’une biographie de Maurice Schumann, ainsi qu’à Bruno Béthouard, Francis Delannoy et Thibault Tellier qui lui ont consacré un colloque en 2007 dans le Nord puis en ont publié les actes en 2009. Enfin, je veux signaler tout l’intérêt du numéro spécial de la revue Espoir que la Fondation Charles de Gaulle a publié en 2001 pour le 90e anniversaire de la naissance de Maurice Schumann. Le président Legendre nous apportera dans un instant un éclairage en même temps que son témoignage précieux qui sera surtout consacré à la période sénatoriale de Maurice Schumann, aussi, sans oublier les dernières années de sa carrière, je me concentrerai sur les temps les plus anciens. Cinquante-quatre années séparent le début de la carrière parlementaire de Maurice Schumann de sa fin, par son décès le 10 février 1998 alors qu’il était encore sénateur du Nord. Cette carrière ne fut pas interrompue par ses fonctions gouvernementales sous la Quatrième République, puisque le cumul en était constitutionnellement permis, ni même en 1962 lorsqu’il entra dans le premier gouvernement de puisque, comme nous le verrons, il en démissionna avant un mois et put donc garder son siège de député. Par contre, à partir d’avril 1967, Maurice - 4 -

Schumann siégea continument au gouvernement jusqu’en mars 1973, puis fut vaincu aux élections législatives de cette même année. Il retrouva une fonction parlementaire en entrant au Sénat un an après. Il ne le quitta plus. Député de novembre 1944 à avril 1967 puis sénateur de septembre 1974 à février 1998, la carrière parlementaire de Maurice Schumann s’étale donc de manière équilibrée sur 23 ans au Palais-Bourbon puis sur 23 ans au Palais du Luxembourg. Il fut constamment l’élu du département du Nord. Son implantation dans cette région ne résulte aucunement de racines familiales fortes mais de l’initiative du grand résistant Jean Catrice, leader du MRP naissant et frère de l’abbé Paul Catrice, directeur avant la guerre de l’agence de presse Univers, et connu de Maurice Schumann. On comprend bien que la popularité de Schumann ait poussé Catrice à lui demander de prendre la tête de la liste MRP du Nord aux législatives de l’automne 1945. Pourquoi celui-ci accepta-t-il ? Christian Hocq parle justement d’un « mariage et non d’un parachutage ». Maurice Schumann choisit en effet, librement, de s’implanter ici. Sans doute, l’existence d’une authentique tradition démocrate-chrétienne dans le Nord le convainquit de trouver là non seulement un terrain électoral favorable mais encore un milieu humain attirant pour le chrétien social qu’il était, et une population dont le fort patriotisme ne pouvait que répondre au sien. Là, Maurice Schumann pouvait également bénéficier de l’aide du journal La Voix du Nord et d’hommes précieux comme Mgr Liénart ou le commissaire de la République François-Louis Closon. Enfin, que le compagnon du général de Gaulle s’installe dans la ville natale de celui-ci et dans le département voisin de celle de Madame de Gaulle ne pouvait que renforcer la ferveur gaulliste du Nord ! La liste de Maurice Schumann obtint ainsi un score inégalé et fut la mieux élue de toute la France. Avec plus de 43 % des suffrages, elle distança, de beaucoup, toutes les autres listes, rassemblant les suffrages des femmes et des hommes qui partageaient la culture politique de la démocratie-chrétienne, mais, bien au-delà, les gaullistes et la plus grande part des modérés. Cette grande victoire, qui suit de quelques mois l’attribution à Maurice Schumann, du titre très éminent de Compagnon de la Libération, manifeste qu’après l’apogée de la Libération s’ouvre devant lui une prometteuse carrière. Maurice Schumann est réélu député du Nord dans la deuxième assemblée constituante de juin 1946 puis dans la première Assemblée nationale de la Quatrième République en novembre. Il l’est à nouveau, dans un contexte politique bien différent, aux élections législatives de juin 1951 puis de janvier 1956. L’entrée dans la Cinquième République, qui s’accompagne de l’établissement du scrutin uninominal, oblige Maurice Schumann à choisir une des 23 circonscriptions du Nord. Ce fut la 10e qui s’étire le long de La Lys de Tourcoing à Armentières. Il est élu, au second tour, en novembre 1958, avec - 5 -

43,6 %, dans une triangulaire qui l’oppose à un gaulliste1 soutenu par les amis de Léon Delbecque et à un communiste. Il conserve son poste en 1962 en l’emportant au second tour avec 58 % des suffrages devant le maire socialiste d’Armentières Gérard Haesebroeck. Aux élections législatives de 1967 puis de 1968, il est réélu dès le premier tour avec, à chaque fois, environ 53 % des voix. Après ses deux élections aisées, sa défaite au scrutin législatif de mars 1973 constitue un puissant choc personnel. Son adversaire socialiste d’Armentières le bat de 358 voix. La présence d’un autre candidat de la majorité pompidolienne2 et l’éloignement de sa région en raison de ses fonctions ministérielles provoquent un échec qui met fin à trente ans de présence parmi les députés. Thibault Tellier parle de « séisme » pour Maurice Schumann, Christian Hoc de « coup de massue ». Non seulement, il perd son siège mais il doit quitter la charge qu’il a tant aimée de ministre des Affaires Étrangères. Schumann s’isole plusieurs semaines. A 65 ans va-t-il entrer dans une longue « traversée du désert » voire abandonner l’activité politique ? Ceux qui le connaissent l’imaginent mal et l’année qui suit lui offre deux succès qui peuvent sonner somme une revanche. En mars 1974, il est élu à l’Académie française, au siège de Wladimir d’Ormesson ; en septembre, il entre au Sénat, toujours comme représentant du Nord. Liot ne souhaitant pas poursuivre son mandat, la place ainsi libérée est proposée par Pierre Carous à Maurice Schumann. L’un et l’autre sont élus. La présence de Schumann dans votre Haute Assemblée eut pu être de courte durée. Christian Hocq a trouvé dans ses archives un courrier d’André Diligent qui atteste que de nombreux gaullistes poussèrent le nouveau sénateur du Nord à être candidat aux élections législatives de 1978. Il préféra rester au Sénat, où les grands électeurs du Nord lui confirmèrent leur confiance aux scrutins de 1983 puis de 1992. Élu national du Nord, Maurice Schumann exerça dans son département peu de fonctions locales. Dans le témoignage qu’il délivra à Christiane Rambaud, il dit avoir refusé le cumul des mandats. Le président Legendre pourra sans doute nous dire si cela est exact ou si ce sont les circonstances qui entrainèrent cet état de fait. Reste que Maurice Schumann ne montra jamais par exemple, une ardente volonté à prendre la mairie de Lille. Il n’y fut pas candidat en 1947, date à laquelle elle tomba dans l’escarcelle du RPF avec René Gaifié. Par contre, en 1953, il y mena la liste MRP, mais sans illusion. Effectivement, il n’obtint pas 10% des voix. Sollicité, en 1965, par l’entourage de De Gaulle pour tenter de reprendre la ville à , Maurice Schumann refusa en raison du fait que des conseillers municipaux MRP appartenaient à la majorité municipale. En 1977, symboliquement, il

1 Paul Theeten. Le communiste est Minneker. MS bénéficie du désistement d’un socialiste au second tour. 2 Jacques Houssin. - 6 -

accepta d’être sur la liste de Norbert Segard contre mais ne fut pas élu. Il avait par contre siégé de 1971 à 1977 au conseil municipal de Comines. La seule fonction locale qu’il exerça durablement fut celle de conseiller régional1. Il siégea dans l’Assemblée régionale avant 1974 comme parlementaire mais, en 1986 puis en 1992, fut élu et réélu au suffrage universel sur la liste RPR-UDF. Vous nous direz sans doute M. le président si cette absence du terrain de la gestion locale du Nord, en particulier, si le fait de ne pas « détenir » une grande mairie a pu handicaper Maurice Schumann, singulièrement en 1973, et si cela explique, en partie, qu’il n’ait pas réellement existé de courant « schumanniste » dans votre région, en dépit de cette longévité parlementaire. Au Parlement, Maurice Schumann fut, tout au long de sa carrière, un élu extrêmement actif. Dès le 13 novembre 1945, il déposa, avec Jacques Duclos, Louis Marin, Édouard Herriot, , Jules Ramarony, Paul Antier, Antoine Avinin et Maurice Lacroix, c’est-à-dire des représentants de toutes les forces politiques, la célèbre proposition de résolution adoptée le même jour par acclamations par l’Assemblée constituante : « Les combattants du front, ceux qui ont lutté et souffert pour la Résistance, les armées de la libération, le général de Gaulle ont bien mérité de la patrie. » Ce ne fut pas la seule fois où Maurice Schumann proposa à ses pairs que leur Assemblée exprimât, à l’occasion d’un événement fort, une position publique et solennelle. En janvier 1948, il déposa ainsi une autre proposition de résolution à l’occasion de la mort du Mahatma Gandhi, cet autre « sculpteur de l’Histoire » comme il aimait à appeler ces individualités exceptionnelles qui éclairent les nations et plus largement l’ensemble de l’humanité. Au Palais-Bourbon puis dans votre maison, Maurice Schumann exerça sous les deux républiques de hautes fonctions. Chacun se souvient ici qu’il fut de 1977 à 1983 vice-président du Sénat. Il n’est pas possible ce matin de dresser dans le détail la liste des sujets vers lesquels se porta son attention, mais on signalera les plus importants. Dès avant le conflit, les questions internationales passionnèrent Maurice Schumann. Entré à l’agence Havas en 1932, envoyé bientôt comme correspondant à Londres, puis désigné chef-adjoint du grand reportage, il devint, très rapidement, un spécialiste reconnu des affaires diplomatiques. Aussi, il n’est pas étonnant qu’il ait siégé à la commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale, sans discontinuer de 1945 à son entrée -définitive- au gouvernement en 1967. Il en devint même le président en octobre 1957, fut réélu à cette haute fonction dans la première puis la deuxième législature de la Cinquième République, soit, au total pendant 10 ans. C’est son collègue du département du Pas-de-Calais Jacques Vendroux qui lui succéda. A ce poste, Schumann, également président du MRP jusqu’en 1949, prit évidemment souvent la parole dans l’hémicycle sur les questions internationales ainsi que sur le sujet de la construction européenne, si essentiel

1 Il fut conseiller général de Tourcoing-Nord entre 1965 et 1967. - 7 -

à ses yeux et pour sa formation politique. Au début de la deuxième législature de la Quatrième République, en août 1951, il fit son entrée dans le 2e gouvernement Pleven comme secrétaire d’État auprès du ministre des Affaires étrangères, son presque homonyme, et garda ce poste pendant trois ans, dans les quatre gouvernements suivants, ceux d’, d’, de René Mayer et enfin de , aux côtés de Robert Schuman jusqu’en janvier 1953, puis avec Georges Bidault jusqu’à la chute du cabinet Laniel consécutive à la tragédie de Dien Bien Phu. Maurice Schumann garda toujours un attachement profond à , dont il aimait à répéter qu’il avait été son unique secrétaire d’État. Après cette expérience gouvernementale, qui illustre une des réalités de la mal-aimée Quatrième République, savoir la relative stabilité du personnel ministériel cachée par l’instabilité gouvernementale, Maurice Schumann retrouva la commission des affaires étrangères, avec une interruption à l’automne 1956, puisque rappelé comme officier de liaison entre les commandements français et anglais, il participa, au grade de chef de bataillon, à l’opération de Suez. C’est au retour de cette nouvelle expérience militaire qu’il accéda à la présidence de la commission des affaires étrangères. Sous la Cinquième République, cette fonction l’amène à prendre régulièrement et longuement la parole dans les grands débats de politique extérieure, soutenant les principaux axes de la diplomatie gaullienne, y compris la politique européenne du Général. Nous en reparlerons dans un instant. Ainsi, lorsque Georges Pompidou appelle Maurice Schumann à exercer la fonction de ministre des Affaires étrangères en juin 1969, c’est tout autant l’ancien compagnon du général de Gaulle que l’analyste confirmé des questions internationales qui s’impose au nouveau chef de l’État. Jacques Chaban-Delmas ne lui confie-t-il pas : « Il nous faut à la fois assurer la continuité du gaullisme et donner un nouveau départ à l’Europe. Tu es notre homme. » Au Quai d’Orsay, Maurice Schumann est l’artisan fidèle de la politique décidée par le président de la République, et marquée par les orientations que l’on sait : ouverture de la CEE à la Grande-Bretagne, relance d’une politique arabe et européenne de la France, maintien de l’indépendance du pays entre les deux Grands. Dans deux affaires, Maurice Schumann exerce une influence personnelle reconnue : dans le processus qui aboutit au rétablissement de la paix dans le Sud-Est asiatique par les accords de Paris de 1973 ; dans les relations franco-allemandes, secouées par l’Ostpolitik du chancelier Willy Brandt. Après son arrivée au Sénat, Maurice Schumann ne délaissa pas les questions internationales et européennes, mais son attention d’homme de Lettres et de nouvel académicien fut plus attirée par les questions culturelles. Dès avril 1975, la commission des finances le chargea ainsi de contrôler l’emploi des crédits inscrits au budget du Centre national d’art et de culture Georges Pompidou ; en 1984 puis en 1985, il fut désigné rapporteur du budget de la Culture. En octobre 1986, ses pairs l’élurent président de la commission des affaires culturelles, fonction qu’il exerça avec passion jusqu’en octobre - 8 -

1995. Le président Legendre saura mieux que quiconque l’évoquer dans un instant. Témoin d’heures dramatiques en même temps qu’héroïques de notre histoire nationale, homme d’expérience, intellectuel salué par tous, Maurice Schumann accéda alors, grâce à sa longévité parlementaire à un nouveau statut au sein du monde politique ; celui du Sage à l’autorité reconnue. En octobre 1995, il présida, comme doyen d’âge, la séance de rentrée du Sénat, succédant à Geoffroy de Montalembert. Au terme de ce rappel de la longue carrière parlementaire de Maurice Schumann, je ne veux pas manquer d’ajouter deux points. Député puis sénateur, il fut un infatigable défenseur des intérêts de la région qu’il représentait au Parlement, et en particulier de son industrie textile, en un temps où la conjoncture économique lui était gravement dommageable. 41 fois, il déposa des questions sur le bureau de son assemblée à ce sujet, 21 fois il intervînt en séance ou interrogea les ministres sur ce sujet. Celui pour qui le chômage n’était jamais un simple fait mais toujours un scandale fut ainsi désigné, en 1987, président du groupe d’étude sur les problèmes relatifs à l’industrie du textile et de l’habillement constituée à l’initiative du président de la commission des finances, Christian Poncelet. Député puis sénateur, Maurice Schumann fut enfin un authentique orateur. Sans doute, eut-il été plus utile et plus agréable à chacun de nous, ce matin, que fût substituée à mon exposé une lecture d’extraits de ses discours. A ce sujet, l’historien souhaiterait suggérer, humblement, que cette haute maison, ou peut-être votre commission, M. le président, prît l’initiative de rassembler en un beau volume les grandes interventions parlementaires de celui qui commençait ainsi, en 1995, son allocution de président d’âge : « Les mérites ne rendent point ce que le temps efface ; la gloire ne rajeunit que notre nom. » Mes chers collègues, ces deux phrases, orgueilleuses et désabusée, sont l’œuvre d’un homme de génie dont la voix s’est élevée sous les voûtes du Palais qui nous accueille. Les mots assemblés par Chateaubriand ne sonneront jamais plus justes que lorsqu’ils s’appliquent à une gloire d’un jour ou d’une heure dont les rayons n’éclairent au demeurant qu’un privilège : le plus redoutable et le moins souhaité. Cependant, puisque la rigueur de l’état civil me ramène - fugitivement mais exactement un demi-siècle après mon entrée dans la vie parlementaire - vers les hauteurs où les suffrages du Sénat m’avaient deux fois porté, me permettez-vous d’utiliser ce caprice du destin pour vous épargner les phrases rituelles ? ». Et qui terminait ainsi : « Mesdames, messieurs, en souhaitant la bienvenue à nos soixante-huit nouveaux collègues, sur quelque banc qu’ils siègent, je me plais à leur donner l’assurance qu’un appel à la vigilance républicaine de la Haute Assemblée ne reste jamais sans écho. C’est à l’accomplissement de ce devoir - 9 -

que je souhaite, pour ma modeste part, consacrer les restes d’une voix qui ne tombe pas encore et d’une ardeur qui ne s’éteint pas ». Une voix et une ardeur que Maurice Schumann avait mises au service de deux fidélités, qui tantôt purent être liées, tantôt provoquèrent des choix et des déchirures, mais qui, jamais, ne furent abandonnées par lui : sa foi démocrate-chrétienne et son attachement au général de Gaulle et au gaullisme. C’est par ce dernier sujet que j’achèverai mon propos. La carrière politique de Maurice Schumann manifeste en effet les singularités et les points communs de ces deux cultures politiques, les moments où elles purent travailler ensemble, voire s’identifier, comme à la Libération lorsque le MRP sembla bien être la formation la plus proche de De Gaulle, mais également quand elles luttèrent l’une contre l’autre, comme au temps du RPF, ou encore en 1965. Au sein de ces deux familles politiques, la position de Maurice Schumann ne fut jamais facile, du moins après l’été 1946, moment de la première rupture entre la MRP et De Gaulle lorsque le MRP adopta le second projet de constitution. Maurice Schumann paraissait trop républicain populaire aux partisans de De Gaulle, et trop gaulliste aux démocrates-chrétiens. A partir de 1946-1947 puis sous la Quatrième République, il choisit la fidélité au MRP. Le point extrême des divergences entre le Général et l’ancien porte-parole de la France libre fut atteint au moment du débat sur la Communauté Européenne de Défense. Néanmoins, jamais, le lien ne fut rompu entre les deux hommes. Une page du sixième tome des Lettres, notes et carnets du général de Gaulle en témoigne. On y trouve la lettre que le Général adressa le 1e octobre 1946 à son beau-frère Jacques Vendroux, qu’il autorisa à rendre publique quelques jours après, dans laquelle il le félicitait de ne pas avoir voté le projet de constitution soutenu par le MRP et d’avoir quitté ce parti. On y lit, en creux, les reproches très durs de De Gaulle à l’encontre du MRP et de son président, qui venait de publier un article dans lequel il écrivait qu’en votant cette constitution condamnée par de Gaulle on ne lui était pas infidèle: « Vous avez montré de la clairvoyance, du courage et de la loyauté, d’une part en ne donnant pas votre voix à une Constitution foncièrement mauvaise, d’autre part en refusant de vous prêter à la mensongère équivoque que d’autres cherchent à répandre et qui tend à faire croire qu’en disant Oui, quand je dis Non, on est au fond d’accord avec moi ! »1. Les mots sont rudes à l’encontre de Schumann. Mais, au bas de cette page, se trouve une autre lettre, datée du 26 octobre 1946, adressée par le général de Gaulle à Schumann. Certes, elle n’est pas tendre et de Gaulle lui rappelle que la constitution est « une catastrophe pour la France », mais le but de cette lettre est de rassurer Schumann dont le colonel Passy vient de dénoncer dans un article le manque de courage au combat, en faisant allusion à un saut en parachute que Schumann aurait refusé de faire pendant une opération en Bretagne durant l’été de la Libération. De Gaulle écrit : « Vous savez bien ce que je pense de

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vos services proprement militaires. Si j’avais considéré qu’ils sont nuls ou médiocres, vous ne seriez pas Compagnon de la Libération » et il conclut en lui adressant ses « meilleurs souvenirs et sentiments ». En 1958, Maurice Schumann fut de ceux qui accueillirent avec bonheur le retour au pouvoir du général de Gaulle. Jusqu’en 1962, le MRP participa à l’action gouvernementale et Schumann fut même plusieurs fois sollicité par de Gaulle ou Debré pour entrer au gouvernement. Il refusa, craignant la réaction des militants démocrates-chrétiens du Nord, qui trouvaient que depuis 1958 le gaullisme l’emportait de plus en plus chez leur leader. C’est alors qu’intervint la seconde rupture entre le MRP et de Gaulle. Georges Pompidou avait proposé au MRP de renforcer sa présence au gouvernement, en passant de trois postes à cinq. Avec , et Joseph Fontanet, déjà ministres, Maurice Schumann et entraient, le 15 avril 1962, au gouvernement. Le contexte était alors très marqué par l’échec du plan dit Fouchet d’Union politique confédérale, repoussé par la Belgique et les Pays-Bas. Le 15 mai, dans une conférence de presse, le président de la République abordait longuement la politique européenne. Le lendemain, les cinq ministres MRP démissionnaient. Ce ne furent pas tant les célèbres propos du général de Gaulle affirmant que , Goethe et Chateaubriand « n’auraient pas beaucoup servi l’Europe s’ils avaient été des apatrides et s’ils avaient pensé, écrit, en quelque esperanto ou volapük intégrés… » qui scandalisèrent les démissionnaires. Maurice Schumann expliqua en effet que Pflimlin fut surtout meurtri de l’allusion faite par de Gaulle à l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe « qui, me dit-on, se meurt aux bords où elle fut laissée » ; allusion à la ville de dont Pflimlin était maire. Après l’entrée collective de 5 ministres MRP au gouvernement, Pierre Pflimlin exigea de chacun d’eux un départ collectif. A nouveau Maurice Schumann choisit la fidélité au MRP, même si son choix fut inverse à l’automne lorsqu’il refusa de censurer le gouvernement Pompidou, avec 6 autres seulement des 57 députés MRP, et soutint le Oui au référendum concernant l’élection du président de la République au suffrage universel. Ce choix faillit lui coûter l’investiture du MRP dans sa circonscription pour les législatives qui suivirent la dissolution. Il paraît clair, dès 1962, que Maurice Schumann s’éloignait de plus en plus d’un parti qui passait à l’antigaullisme, même si, tant qu’exista le MRP il refusa de franchir le pas de le quitter. Sur les questions internationales, le président de la commission des affaires étrangères de l’Assemblée soutenait de plus en plus nettement la politique gaullienne, au détriment de l’atlantisme des centristes. En 1965, il soutint de Gaulle dès le premier tour, refusant de suivre l’entreprise de . Lorsque ce dernier créa, en février 1966, le Centre démocrate, Maurice Schumann se considéra délié de tout engagement. Aux élections législatives de 1967, il se présenta avec l’investiture du mouvement gaulliste ; élu, il s’apparenta au groupe gaulliste de l’Assemblée puis revint au gouvernement comme ministre d’État chargé de la recherche - 11 -

scientifique et des questions atomiques et spatiales. On peut dès lors considérer que Maurice Schumann avait rejoint la famille parlementaire gaulliste. Certes, il restait encore en dehors du parti gaulliste. Signe de cette recherche d’un positionnement à la fois gaulliste mais également inspiré de la démocratie chrétienne, il créa, en dehors de l’UDVe puis de l’UDR, un petit parti les « Démocrates pour la Ve République ». Élu sénateur en 1974, il n’entra pas encore au groupe de l’UDR, mais ne fit que s’y apparenter. Schumann entra pleinement dans le gaullisme de parti avec la création du Rassemblement pour la République en 1976. L’année suivante, il était membre à part entière du groupe parlementaire du RPR au Sénat, et y resta fidèle jusqu’à sa disparition. A de nombreuses reprises, quand il revint sur son cheminement politique et alors qu’on lui reprochait des fidélités successives, il expliqua qu’à ses yeux une réelle unité avait marqué sa carrière politique et qu’il n’avait jamais cessé d’être gaulliste et démocrate-chrétien. En affirmant ceci, Schumann ajoutait qu’il reconnaissait, a posteriori, s’être trompé en 1946 sur la constitution de la Quatrième République et dans les années 1950 sur la C.E.D. Pour le reste, l’historien veut bien reconnaître la bonne foi de Maurice Schumann, tant il est vrai qu’il exista au sein du gaullisme, et sans doute encore plus au sein de la démocratie chrétienne, plusieurs sensibilités. Le professeur Jean-Marie Mayeur en distingue au moins deux : le christianisme libéral qui regroupa des hommes assez souvent hostiles à de Gaulle parce qu’ils étaient attachés au libéralisme parlementaire, se défiaient de la souveraineté populaire et des héros charismatique et le christianisme social finalement assez indifférent à la forme des institutions mais soucieux de réformes sociales, courant auquel on peut rattacher Maurice Schumann. Il était profondément un homme du consensus qui rêvait d’unir la démocratie chrétienne et le gaullisme. Or, le gaullisme est un courant politique qui n’appelle pas au consensus mais au rassemblement autour d’un homme et de quelques idées forces. L’unité de son chemin politique, Maurice Schumann la voyait encore dans ses convictions européennes : « je suis et je reste d’autant plus gaulliste que j’ai toujours été profondément européen. L’Europe ne peut devenir une entité véritable que si elle affirme son indépendance. Elle ne peut affirmer son indépendance que si la France l’y convie. La France ne peut l’y convier que dans la mesure où elle garde et retrouve le sens et les moyens de la grandeur. »1 Quand il tient ses propos, Maurice Schumann préside le Comité national de soutien à la liste de Défense des intérêts de la France en Europe qu’emmènent et Michel Debré aux premières élections européennes, en 1979. L’Europe, il la rêve indépendante et démocratique. Et il voit une authentique continuité entre l’Europe voulue par de Gaulle, dont il ne cessa jamais de rappeler qu’il voulut et permit la naissance le 1e janvier 1959 alors que les derniers chefs de gouvernement de la Quatrième République ne pensaient pas possible que la France intégrât la CEE à cette date, voulue par

1 Tribune libre de Maurice Schumann dans L’ du 1e juin 1979. - 12 -

Pompidou et l’Europe qu’il défend à la fin de sa carrière en s’opposant au traité de Maastricht. Maurice Schumann accepte l’abandon d’une partie de la souveraineté nationale mais au bénéfice d’institutions qui émanent du suffrage universel et non pas de structures technocratiques irresponsables. Quelques mois avant de mourir, au Sénat, il demande ainsi à Jacques Chirac d’organiser un référendum sur l’ : « Je reconnais que cette consultation nationale pourrait avoir pour conséquence l’ouverture d’une crise européenne très grave que je suis le dernier à souhaiter. Mais si nous voulons l’éviter, alors il est indispensable que l’on écoute la voix de la Nation, qu’en son nom on prenne une grande initiative de caractère politique et qu’on la consulte sur un projet français d’Europe unie qui pourrait réconcilier la majorité de l’opinion publique française avec l’union monétaire ». Et il ajoute de manière prophétique qu’il est « convaincu que si on passe une camisole de force à la majorité des Français, alors il y aura un réveil très préjudiciable à la cause de l’Europe elle-même »1. Finalement, l’ensemble de la carrière de Maurice Schumann montre que si gaullisme et démocratie chrétienne ne purent travailler longtemps ensemble c’est qu’il y eut des occasions manquées mais également des antagonismes profonds entre ces deux courants qu’un certain nombre d’éléments rapprochaient pourtant. Ce fut sans doute sa grande douleur, même s’il ne s’y abandonna pas. Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs, c’est peu dire que Maurice Schumann fut un homme à la hauteur de son temps. Rendant un hommage à Robert Schumann, il expliquait qu’à ses yeux il existe deux types de « sculpteurs de l’histoire ». « Ceux qui se sachant dès l’enfance appelés à un destin hors séries, prennent d’emblée et gardent pour toujours une attitude ferme et décidée ». Il pensait évidemment à l’Homme du 18 juin qu’il admirait et aimait profondément, dont il disait qu’il lui avait appris à combattre, et dont le compagnonnage fut la gloire de sa vie. « Ceux qui, poussés au premier rang par l’événement ou par la providence, s’élèvent jusqu’à cette grandeur authentique qu’ils n’avaient pas souhaité, mais laissent à la postérité le soin d’écrire ou de poursuivre leur message. » Il pensait au ministre des Affaires étrangères qu’il avait servi, au « Père de l’Europe ». Mais comment pourrions-nous ne pas penser ce matin à Maurice Schumann lui-même « poussé au premier rang par l’événement ou la providence » et qui laisse à la postérité de poursuivre son message ? Un message profondément enraciné dans une foi chrétienne qui fut le moteur de tous ses engagements publics.

1 Séance du 27 novembre 1996. - 13 -

Un message d’épanouissement par la culture et la pensée, par les idées et les Lettres qui formèrent dès sa jeunesse le monde de Maurice Schumann. Le message de la justice sociale qui fut continument le sien depuis son adhésion à la SFIO à la fin des années 1920 jusqu’à sa dernière intervention au Sénat, quelques semaines avant sa mort, consacrée aux ouvriers du textile du Nord. Le message de la dignité imprescriptible de chaque être humain et de la lutte contre les racismes et les discriminations. Depuis les années 1930, où Maurice Schumann fut un des premiers intellectuels et un des rares à avoir compris le danger du nazisme et à le dénoncer, jusqu’au terme de son existence comme membre de la LICRA et pourfendeur de toute alliance entre le parti gaulliste et le Front national. Le message, enfin, de la liberté pour laquelle il avait combattu avec sa plume, avec sa voix et les armes à la main et dont il estimait que dans le monde la France devait être le principal héraut. En avril 1998, quelques semaines après sa disparition, le Sénat rendait un hommage public à Maurice Schumann. A cette occasion, le président Monory qualifiait Maurice Schumann de « sénateur infiniment aimé » et assurait : « Ses paroles résonneront encore longtemps sur les bancs de notre assemblée parce qu’elles avaient parfois un parfum d’éternité. » Après le président du Sénat, le premier ministre, , s’associait à cet hommage, attestant la place occupée par Maurice Schumann dans la vie politique de notre pays : « Il fut, dans l’exercice de ses responsabilités, un très grand serviteur de cette France qu’il aimait et dont il avait une si haute idée. Cette exigence a guidé tous ses engagements d’homme libre […] Par sa personnalité, par son intransigeance lorsque étaient en cause les principes et les valeurs de notre République, Maurice Schumann a conquis le respect de tous, quelles que fussent leurs opinions politiques. »

Intervention de M. Jacques Legendre, président de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication

Cette intervention sera disponible en ligne prochainement. - 14 -

Intervention de M. Gérard Larcher, Président du Sénat

Chère Madame Lucie Schumann, Monsieur le Président de la Commission de la culture, de l’éducation et de la communication, cher Jacques Legendre, Monsieur le Président Yves Guéna, Mesdames et Messieurs les Sénatrices et Sénateurs, chers Collègues, Chers anciens Collègues, Mesdames et Messieurs,

Vous avez choisi, cher Jacques Legendre, de faire vivre ce matin la mémoire de Maurice Schumann, à l’occasion du centième anniversaire de sa naissance. La Commission de la culture, de l’éducation et de la communication que vous présidez a tenu à marquer par cette réunion, à la fois symbolique et amicale, cet événement. Et ce n’est que justice. Au long de cette matinée, je sais que c’est un beau portrait de Maurice Schumann qui a été tracé, par David Bellamy, historien et spécialiste du Gaullisme, l’un des auteurs du Dictionnaire des parlementaires du Sénat. Cher Jacques Legendre, vous venez d’évoquer aussi le grand homme, l’homme du Nord, ce département que vous connaissez si bien et dont Maurice Schumann fut l’élu pendant un demi-siècle. Durant 24 ans, Maurice Schumann exerça de nombreuses responsabilités au sein de notre Assemblée. Il marqua de son empreinte particulière les travaux de la Commission des Affaires Culturelles. Je serais tenté de dire qu’il l’anima - dans le sens le plus noble du terme - pendant neuf ans, de 1986 à 1995. Après Adrien Gouteyron et Jacques Valade, vous en êtes, cher Jacques Legendre, un très fidèle successeur. Mais, pour beaucoup d’entre nous, Maurice Schumann fut bien plus qu’un collègue Sénateur. Fin législateur, orateur au verbe ciselé, esprit d’une culture exceptionnelle et toujours en mouvement, la voix et les principes fermes, il demeure une référence pour nombre d’entre nous. « Il fut l’un des premiers, l’un des meilleurs, l’un des plus efficaces ». Voilà les termes que le Général de Gaulle utilisa pour parler de Maurice Schumann. Et pourtant, il y eut des moments où ils s’opposèrent. Oui, Maurice Schumann fut l’un des premiers. Premier parmi les résistants, puisqu’il fit partie de ces trop rares Français, au temps de la débâcle de nos armées, à ne pas se résoudre à l’abattement. Soldat à Niort, il entend l’Appel du 18 juin et embarque à Saint-Jean de Luz sur un navire polonais, pour se retrouver en Angleterre, parmi « ces Trop Peu ». - 15 -

Quelques jours plus tard, il est au micro de Radio Londres qui, en effet, rendit son Honneur à notre Patrie. Il y galvanise sans relâche, au cours de plus de mille interventions l’esprit de Résistance. Il fut l’un des premiers à comprendre le rôle et l’importance de ce que l’on nommait alors « propagande ». « Schumann a été un véritable soldat » Ainsi écrivait Lucie Aubrac dans ses souvenirs. Premier dans l’engagement, premier dans la fidélité à ses idéaux, Maurice Schumann fut aussi un homme d’une étonnante modernité. Son ardeur et son travail au Sénat en témoignent. Même, j’allais dire, au sommet de son âge, il fut souvent parmi les premiers d’entre nous à comprendre l’importance des évolutions scientifiques et technologiques. A titre personnel, je me souviens avec quelle joie il accueillit, à 80 ans passés, Bill Gates, venu présenter au Sénat le codex de Léonard de Vinci. Il avait d’ailleurs mis la même passion presque juvénile, lui l’homme de lettres, lauréat du Concours général de philosophie, à exercer les fonctions de ministre de la Recherche et des questions atomiques pendant quelques mois dans un gouvernement de Georges Pompidou. Maurice Schumann fut aussi l’un des meilleurs et des plus efficaces. De sa prime jeunesse d’étudiant au soir de sa vie, son destin fut en effet jalonné de nombre de succès. Il ne les dut qu’à lui-même, à cette formidable intelligence et à cette force de travail, lui qui confessait dans le fameux questionnaire de Proust ignorer ce qu’étaient les vacances, qu’il n’en avait jamais pris et ne comptait du reste pas en prendre l’âge venu. Mais en même temps, il était attentif aux Petits, aux Sans-emploi, aux licenciés du textile ou de la Métallurgie. Hommes de lettres, - il fut élu à l’Académie Française en 1974 -, grand ministre, grand musicien, il était membre du Prix Honneger-, éclectique donc mais toujours avec la même ardeur et la même réussite -il commit même un roman policier à la fin de sa vie - Meurtre en ut majeur -! Il fut aussi - et cette enceinte nous le rappelle -, un très grand législateur. Maurice Schumann était un fin connaisseur des rouages de notre Assemblée, un défenseur de ses prérogatives, telles qu’elles ont été définies dans notre Constitution. Il était pour le jeune Sénateur que j’étais alors, de ces aînés que l’on consulte. La porte de son bureau où il avait fait placer le buste de Chateaubriand, était toujours ouverte et à tous, quel que soit leur horizon politique. La bienveillance et l’attention, mais aussi le caractère et l’exigence étaient la marque de Maurice Schumann. Les plus anciens d’entre nous ont aussi en mémoire la qualité des séances, le ton et la courtoisie qu’il induisait aux débats lorsqu’il fut - 16 -

vice-président du Sénat, entre 1977 et 1983, et naturellement la hauteur de ses interventions. Nous savons tous aussi la force de l’engagement qui était la sienne, la puissance de sa volonté dès lors qu’il estimait que le combat, même difficile, était juste. Si, en septembre 1981, le Sénat vota l’abolition de la peine de mort, c’est aussi grâce à la force discrète de persuasion du chrétien, de l’humaniste qu’était Maurice Schumann, qui avait au fond, fondé sa vie sur deux principes « croire et aimer » Car là est peut-être la trace la plus profonde qu’a laissée Maurice Schumann. Il nous a laissé, avec la générosité des êtres rares, une leçon de vie. Où les principes et les convictions ne souffrent pas de compromis. Où le respect de l’engagement pour les valeurs est un combat quotidien. Maurice Schumann aura traversé les soubresauts d’un XXe siècle terrible, sans jamais abdiquer, sans jamais renoncer. Fidèle à son histoire, le Sénat honore les plus illustres des siens. Il y a deux ans, mes collègues Sénatrices et Sénateurs du Nord et du Pas-de-Calais, ainsi que le Président du groupe Henri de Raincourt, m’avaient suggéré d’apposer dans notre salle des séances une plaque commémorative à l’effigie de notre collègue. Je suis heureux que le Bureau du Sénat unanime ait approuvé cette initiative. Le dévoilement de cette plaque eut lieu le 10 juin 2009. Le temps n’altère pas notre souvenir. Sa voix forte et chaleureuse, demeure présente pour beaucoup d’entre nous. Je vous remercie