- 1 - Hommage à Maurice Schumann Au cours de sa réunion du 15 juin 2011, la commission a rendu hommage à son ancien président, M. Maurice Schumann, à l’occasion du centième anniversaire de sa naissance. Intervention du Professeur David Bellamy, maître de conférences en histoire contemporaine à l’université de Picardie-Jules Verne à Amiens A bien des égards, l’automne de l’année 1944 constitue dans la vie de Maurice Schumann un apogée. Il est probable qu’il dut le ressentir ainsi. La cause qu’il avait embrassée avec ferveur, auprès du général de Gaulle en juin 1940, la libération du territoire national, était en cours. Bien plus et comme il l’avait souhaité dès la signature de son engagement dans la France libre, il participait à cette libération, sur le terrain, comme combattant. Dans la matinée du 6 juin 1944, intégré au corps expéditionnaire britannique, il avait posé, enfin !, le pied sur le sol de la patrie, à Asnelles, s’emparant d’une poignée se sable qu’il avait embrassée. Ce moment de sa vie fut d’une telle intensité qu’il décida de faire de cette petite commune normande le lieu de son inhumation et c’est là qu’il repose aujourd’hui. Une semaine après son propre débarquement, il avait accueilli, sur la plage de Courseulles, son chef, le général de Gaulle, puis l’avait annoncé aux populations de Bayeux, sur la grand’ place de cette ville, avec les mots célèbres qu’il avait tant de fois répétés au micro de la BBC : « Honneur et Patrie, vous allez entendre le général de Gaulle ». Avec les hommes de la 2e DB, Maurice Schumann avait ensuite vécu les moments inouïs et historiques de la Libération de Paris, sa ville natale. Officier en même temps que correspondant de guerre, il avait et allait continuer de participer aux combats de l’hiver 1944-1945 en même temps qu’il en poursuivait le récit pour les Français. La popularité de Maurice Schumann est alors immense. L’historien en trouve de nombreux témoignages. Tel celui d’André Diligent qui l’accueille à Lille le 30 septembre 1944, au moment du voyage qu’y effectue le général de Gaulle. Il raconte l’enthousiasme et la ferveur des Lillois lorsqu’il leur apprend que cet homme est celui que, pendant quatre ans, ils ont entendu à la radio. Ce que représente la voix de Maurice Schumann, nul mieux que Georges Duhamel, ne l’a exprimé : « Nous n’oublierons certes pas la voix familière de Maurice Schumann qui, si nous ressuscitons dans mille ans, nous rappellera encore nos espérances et nos angoisses des saisons amères ». - 2 - Cet apogée se manifeste également par l’extraordinaire activité de Maurice Schumann en cet automne 1944. En novembre, il devient membre de l’Assemblée consultative provisoire et, à l’initiative de Georges Bidault, est choisi pour présider le Mouvement Républicain Populaire, lors du congrès constitutif de ce nouveau parti. S’y ajoute son travail de journaliste et de directeur de L’Aube. Enfin, le bonheur personnel vient couronner cette période faste de la vie de Maurice Schumann. Le 13 novembre 1944, chez les dominicains du boulevard Latour-Maubourg, il épouse Lucie Schumann, qu’il a rencontrée à Londres, en 1940, alors qu’elle venait se mettre au service de l’administration de la France libre. Le lieu choisi pour ce mariage marque lui-même un aboutissement. Les dominicains de ce couvent l’avaient accompagné dans son cheminement vers le christianisme avant la guerre. Fils d’un juif libéral et d’une mère agnostique, Maurice Schumann s’était reconnu catholique au tournant des années 1920 et 1930 mais avait refusé, en raison du développement de l’antisémitisme, de demander le baptême. Il ne reçut celui-ci qu’en mai 1942, à Birmingham, en la chapelle personnelle du cardinal Newman. A 33 ans, Maurice Schumann pouvait donc, à juste titre, vivre cette période des mois de la Libération comme un sommet et un accomplissement. C’était aussi un commencement. L’historien, cet « homme d’après » comme le dit si bien Henri-Irénée Marrou, le constate. En devenant membre de l’Assemblée consultative provisoire, Maurice Schumann entamait alors une carrière parlementaire de plus d’un demi-siècle. Il appartient en effet au groupe des hommes politiques français qui ont illustré le phénomène de la longévité parlementaire, et, dans son cas, comme dans quelques autres, de manière exceptionnelle. Pour ne citer que quelques noms, bien connus évidemment, dans cette noble maison, j’évoquerai Charles Freycinet (sénateur de 1876 à 1920) ou Amédée Bouquerel (sénateur de 1948 à 1992), qui siégèrent plus de quarante ans en ce palais du Luxembourg ; le président Alain Poher, sénateur de 1946 à 1995, avec une interruption de 1948 à 1952 ; ou encore Max Lejeune, député de 1936 à 1977 puis sénateur de 1977 à 1995, soit une carrière parlementaire de cinquante- quatre ans. Enfin, comment ne pas citer ici, un homme auquel j’ai consacré ma thèse de doctorat en histoire, député de la Seine-Inférieure en 1936, élu au Conseil de la République à la Libération et qui siégea dans votre hémicycle jusqu’à sa disparition en 1993, le doyen Geoffroy de Montalembert. Pour Maurice Schumann, comme pour tous ces élus, la longévité parlementaire est a posteriori une évidence. Cette évidence n’est qu’une reconstruction de l’historien. Vous êtes, Mesdames et Messieurs, les mieux placés pour savoir que la longévité parlementaire est un travail voire un combat de chaque jour et qu’elle se heurte à des obstacles que cette lecture a posteriori ne doit pas sous-estimés. C’est dans cet esprit qu’à l’invitation du - 3 - Président Legendre, que je remercie de sa confiance, je tracerai les grandes lignes de la carrière politique et surtout parlementaire de Maurice Schumann. Pour ce faire, l’historien dispose des archives des deux Chambres de notre Parlement, de travaux historiques nombreux maintenant sur l’histoire de la démocratie chrétienne et du gaullisme, de quelques ouvrages, - certes assez peu nombreux - consacrés à Maurice Schumann. Il dispose encore de ses archives personnelles, déposées après sa disparition par Madame Lucie Schumann, à la Fondation Charles de Gaulle. C’est l’occasion, si vous le permettez, à l’historien du Parlement, d’insister auprès de vous, Mesdames et Messieurs les Parlementaires, sur l’importance que représentent vos archives pour le chercheur. Je vous prie de mesurer combien il est décisif pour la recherche à venir que vous pensiez à ce que deviendront vos archives, et ce quelque soit le nombre d’années que vous avez déjà passées sur les bancs du Parlement. Tant de fois, nous rencontrons des proches d’anciens parlementaires qui nous disent avoir perdu voire détruit leurs papiers, parfois simplement par ignorance de leur intérêt. Il y a maintenant assez d’institutions susceptibles de les recueillir, à commencer, je crois, par les services d’archives de nos deux Chambre, mais également les Archives nationales ou des départements dont vous êtes les élus, voire les organismes de recherche spécialisés dans l’histoire politique comme le Centre d’histoire de Sciences Po, ou les Fondations diverses qui se consacrent à l’étude de tel ou tel courant, comme la Fondation Charles de Gaulle, par exemple. Et précisément, les nombreux cartons de Maurice Schumann déposés rue de Solferino, permettent, en ce moment, à un historien, mon collègue Christian Hocq, que je salue ici, de préparer une thèse de doctorat sur sa carrière. Je lui suis très redevable, ainsi qu’à Christiane Rimbaud, auteur d’une biographie de Maurice Schumann, ainsi qu’à Bruno Béthouard, Francis Delannoy et Thibault Tellier qui lui ont consacré un colloque en 2007 dans le Nord puis en ont publié les actes en 2009. Enfin, je veux signaler tout l’intérêt du numéro spécial de la revue Espoir que la Fondation Charles de Gaulle a publié en 2001 pour le 90e anniversaire de la naissance de Maurice Schumann. Le président Legendre nous apportera dans un instant un éclairage en même temps que son témoignage précieux qui sera surtout consacré à la période sénatoriale de Maurice Schumann, aussi, sans oublier les dernières années de sa carrière, je me concentrerai sur les temps les plus anciens. Cinquante-quatre années séparent le début de la carrière parlementaire de Maurice Schumann de sa fin, par son décès le 10 février 1998 alors qu’il était encore sénateur du Nord. Cette carrière ne fut pas interrompue par ses fonctions gouvernementales sous la Quatrième République, puisque le cumul en était constitutionnellement permis, ni même en 1962 lorsqu’il entra dans le premier gouvernement de Georges Pompidou puisque, comme nous le verrons, il en démissionna avant un mois et put donc garder son siège de député. Par contre, à partir d’avril 1967, Maurice - 4 - Schumann siégea continument au gouvernement jusqu’en mars 1973, puis fut vaincu aux élections législatives de cette même année. Il retrouva une fonction parlementaire en entrant au Sénat un an après. Il ne le quitta plus. Député de novembre 1944 à avril 1967 puis sénateur de septembre 1974 à février 1998, la carrière parlementaire de Maurice Schumann s’étale donc de manière équilibrée sur 23 ans au Palais-Bourbon puis sur 23 ans au Palais du Luxembourg. Il fut constamment l’élu du département du Nord. Son implantation dans cette région ne résulte aucunement de racines familiales fortes mais de l’initiative du grand résistant Jean Catrice, leader du MRP naissant et frère de l’abbé Paul Catrice, directeur avant la guerre de l’agence de presse Univers, et connu de Maurice Schumann. On comprend bien que la popularité de Schumann ait poussé Catrice à lui demander de prendre la tête de la liste MRP du Nord aux législatives de l’automne 1945.
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