Notre Fin De Siècle
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CINÉMA ET SOCIÉTÉ EN ESPAGNE L'HOMMAGE À FERNANDO FERNA.N GOMEZ À LA FIN D'UN SIÈCLE DE CINÉMA (1896-1996) EMMANUEL LARRAZ Université de Bourgogne La célèbration du centenaire de l'apparition du cinéma, fêtée officiellement en 1996 en Espagne, en souvenir de la première projection à Madrid, en mai 1896, lors des fêtes de la San Isidro, a suscité comme partout dans le monde, le désir d'établir un bilan de l'existence hasardeuse du septième art. Une enquête parmi les membres de la profession a permis de sélectionner quarante-deux films considérés comme des œuvres fondamentales par l'ensemble des personnes interrogées. Les résultats de tels sondages sont toujours discutables, et ils n'ont pas manqué de faire naître des polémiques dans la presse à propos de certains titres dont l'absence peut surprendre et même choquer. Il faut bien reconnaître cependant que tous les films retenus (dont la liste est donnée en annexe) sont importants. Comme l'écrivait fort justement le prestigieux critique du Pafs, Angel Fernandez Santos : "No es tan todos los que son, pero son todos los que estan". Si Luis Garda Berlanga est toujours le cinéaste le plus admiré par ses pairs, Ana Mariscal la seule réalisatrice reconnue, Rafael Azcona le meilleur scénariste, Luis Alcaine le photographe le plus prestigieux et Francisco Rabal l'acteur le plus populaire, Fernando Fernan G6mez est Je seul dont le nom apparaisse à plusieurs reprises, à la fois comme acteur exceptionnel et comme metteur en scène de très grand talent. HISP. XX - 13 - 1995 93 Emmanuel LARRAZ UN ACTEUR CHEVRONNÉ ET "NATUREL" Considéré comme un "comédien extraordinaire" par les membres du Jury qui lui ont décerné en 1995 Je Prix Prîncipe de Asturias de las Artes, Fernando Fernan G6mez a toujours vécu dans le monde du spectacle. Fils d'une actrice madrilène, Carola Fernan G6mez, il est né en 1921 au Pérou par les hasards d'une tournée théâtrale, et a été déclaré quelques jours plus tard à Buenos Aires. Ce n'est qu'en1984 , à l'âge de 63 ans qu'il a demandé à retrouver sa nationalité espagnole. Il avait vécu jusqu'alors avec un passeport argentin. Ayant appris le métier d'acteur de théâtre pendant la guerre civile dans une école dirigée par les anarchistes de la CNT, il a fait ses débuts au cinéma en 1943 , à vingt-deux ans, dans Cristina Guzman , un film de Gonzalo Delgras qui, comme le rappelait la romancière Carmen Martfn Gaite dans El cuarto de atras, marqua toute une génération de jeunes filles qui s'identifiaient à l'héroïne, la courageuse Cristina Guzman,"professeur de langues étrangères". A partir de cette date, Fernando Fernan G6mez, qui va épouser en1954 la chanteuse Maria Dolores Pradera, tourna sans interruption avec tous les grands metteurs en scène de cette époque : José Luis Saenz de Heredia (El destina se disculpa (1945), Bambu (1945), La mies es mucha (1948), Los ojos dejan huella (1952), Los gallos de la madrugada (1971) ), Edgar Neville (Domingo de Carnaval (1945), El ultimo caballo (1948), La ironîa del dinera (1955) ), Carlos Serrano de Osma (Embrujo (1946), La sirena negra (1947)), Rafael Gil (La noche del sabado (1950), La otra vida del capitan Contreras (1954), Un adulterio decente (1969) ), José Antonio Nieves Conde (Balarrasa (1950), Rebeldîa (1953), El inquilino (1957)) Issu d'une famille modeste, élevé par sa grand-mère et sa mère célibataire, Fernando Fernan G6mez qui aspire à une certaine aisance matérielle, fait preuve pendant de longues années d'une véritable boulimie de travail. Il lui arrive de mener de front une carrière théâtrale et le tournage de films. Il passe alors ses matinées dans les studios et joue au théâtre le soir, deux fois par jour, à19 heures et22 heures. Au cinéma il se considère au départ desservi par un physique fort éloigné des canons de la beauté masculine de l'époque. Il est roux et il se trouve laid, ce qui l'amène à se spécialiser, dans un premier temps, dans les rôles corniques. Il rêve alors d'égaler le succès du grand acteur cornique Miguel Ligero, partenaire d'Imperio Argentina dans les premiers films parlants espagnols, une sorte de Mickey Roney espagnol. N'ayant ni l'allure martiale ni l'air mystique, il craint de ne pouvoir s'imposer à une 94 HISP. XX - 13 - 1995 L'hommage à Fernando Fernan G6mez à la find'un siècle de cinéma époque où les plus gros budgets vont aux films d'exaltation patriotique et de propagande religieuse. Il va cependant obtenir ses deux premiers grands succès avec une comédie militaire d'abord: Bot6n de ancla (1947) de Ramon Torrado et un mélodrame clérical : Balarrasa ( 1950) de José Antonio Nieves Conde où il joue le rôle d'un légionnaire qui se convertit et devient prêtre. Ce dernier film qui connut un très grand succès commercial en Espagne fut même présenté au Festival de Cannes en 1951 et diffusé en France en 1955 sous le titre de Dom Xavier le légionnaire . Il pâtit sans nul doute du succès à la même époque de Mort d'un cycliste de Juan Antonio Bardem qui montrait que la société espagnole était en train de changer et qui avait impressionné le public français. Les quelques critiques que suscita Balarrasaen France ne s'attachèrent guère à la qualité de l'interprétation, se contentant le plus souvent de condamner le caractère "puérilement moralisateur du film". La revue Radio-Cinéma-Télévision se contenta par exemple de publier un synopsis à l'appui de cette affirmation et dans le but de se moquer de ce cinéma de propagande religieuse : Un légionnaire bagarreur et courageux comme il se doit, menant - nous dit-on - une vie de plaisirs faciles, est un soir touché par la grâce : ayant joué avec un camarade son tour de garde, ce dernier meurt d'une balle égarée. Deux ans après, notre légionnaire entre au séminaire. Quelques années passent, mais avant de lui conférer les premiers ordres, ses supérieurs le renvoient dans sa famille. Or cette famille, du genre "bonne famille", est en train de fort mal tourner ... Notre séminariste s'empresse donc de ramener dans le droit chemin le frère qui fait du trafic de devises, la petite sœur qui délaisse le bon fiancé pour un garçon plus séduisant et la grande sœur qui paiera néanmoins de sa vie une imprudence plus grave 1 Mal connu à l'étranger, Fernando Fernan G6mez apparaît très vite dans le monde des acteurs espagnols comme un personnage singulier. Comédien avant tout, il a tourné, comme nous l'avons vu, avec tous les metteurs en scène de l'époque qui s'étaient mis au service du régime, et il a toujours exprimé son admiration pour J.L. Saenz de Heredia, cousin de José Antonio Primo de Rivera, le metteur en scène de Raza sur un I Radio-Cinéma-Télévision, n°300, octobre 1955. HJSP. XX - 13 - 1995 95 Emmanuel LARRAZ scénario du général Franco et l'un des plus fervents défenseurs de la mémoire du Caudillo. Mais c'est ce même acteur qui accepte, alors que le succès prodigieux de Balarrasa l'a déjà transformé en grande vedette, de tourner dans Esa parejafeliz (1951) le premier film de deux débutants: Juan Antonio Bardem et Luis Garcia Berlanga, qui est un véritable manifeste contre le cinéma pompeux et grandiloquent qu'encourageaient alors les dirigeants du Département National de Cinématographie. Fernando Fernan G6mez est déjà considéré, à cette époque, comme un acteur "intellectuel" du fait qu'il fréquente assidûment le café Gij6n de Madrid où il passe de longues heures à discuter avec des écrivains tels que les poètes José Garcia Nieto et Gerardo Diego ou le romancier Camilo José Cela. Il s'agissait "d'une île de liberté" selon la belle définition de Francisco Umbral, d'une sorte <l'Université parallèle où Fernando Fernan G6mez qui avait dû se lancer dans la vie active dès l'âge de dix-sept ans a beaucoup écouté, énormément appris et a reçu des encouragements à se lancer à son tour dans l'aventure de l'écriture. Cet acteur qui manifeste ainsi son goût du débat intellectuel semble avoir pris très tôt ses distances avec la société née du franquisme triomphant qui tentait d'imposer l'ordre moral. Epris de liberté, il prend par exemple la parole aux célèbres Conversations de Salamanque , organisées en 1955 dans l'Université de cette ville pour tenter de faire le point sur la situation du cinéma espagnol, afin de réclamer davantage de respect pour les acteurs, un peu plus de "prestige social". En termes soigneusement choisis pour raisons de censure, il dénonce alors le rejet, de la part d'une société frileuse et guindée, des comédiens qui vivent selon d'autres critères moraux Il est évident qu'aujourd'hui en Espagne il existe entre la morale traditionnelle du comédien et la morale de la société moyenne, une divergence plus accentuée que dans d'autres pays 1• Cet acteur "intellectuel", plus cultivé que la plupart de ses pairs réfléchissait également à la pratique de son métier. C'est ainsi qu'il écrivit, en 1946, un article sur le naturel, dans lequel il dénonçait la confusion qui s'était installée selon lui en Espagne chez les acteurs de cinéma qui ° 1 Cinema Universitario, n 2, 1955 cité par Jesûs Angulo et Francisco LLinâs in Fernando Fenui.11 G6mez. El hombre que quiso ser Jackie Cooper, San Sebastian.Ed. Manicomio-Libros de cine. Patronato Municipal de Cultura. Republica Argentina. 2 -20004. 96 HISP. XX - /3 - 1995 L'hommage à Fernando Feman G6mez à la fin d'un siècle de cinéma confondaient le naturel et l'impassibilité : "L'acteur qui prétend être moderne évite les expressions et J"es mouvements violents, forts et marqués ; il en arrive dans de nombreux cas à stéréotyper sur son visage une expression unique, à la façon du comique Buster Keaton et il parle 1 avec une voix artificielle et monotone • Contre ce faux naturel, Fernando Fernan G6mez préconise l'observation de la vie même, dans le but d'essayer de la transposer à l'écran dans toutes ses nuances.