LE LIVRE D'or DE POULIDOR (Nouvelle Édition)
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Georges Pagnoud LE LIVRE D'OR DE POULIDOR (nouvelle édition) SOLAR @ Solar, 1977. INTRODUCTION Commencée en 1960, la carrière professionnelle de Raymond Poulidor a souvent été brillante. Mais jamais, elle n'a été aussi étincelante. Jamais aussi, notre prodigieux champion limousin n'avait atteint un pareil sommet de célébrité. A l'âge où il pourrait savourer les joies de l'existence, en rangeant ses bicyclettes, Raymond Poulidor continue de se forger un palmarès de plus en plus fourni, de plus en plus exceptionnel. Ce n'est jamais après tout qu'un enchaînement, à la fois rationnel et exaltant, de faits d'armes répétés. Selon un sondage de l'I.F.O.P., pour le Secrétariat d'Etat à la Jeunesse et aux Sports, Raymond Poulidor est le plus célèbre de tous les champions français de notre époque. Son indice de popularité atteint 48 0/0, un record pour un sportif, un chiffre révélateur qui lui vaut de précéder Jacques Anquetil, Jean-Claude Killy, Marcel Cerdan, Michel Jazy, Jean-Claude Bouttier, Christine Caron, Jean-Pierre Beltoise, Louison Bobet, Walter Spanghero, etc., entre autres champions. Ce pourcentage traduit une vérité profonde : Poulidor n'est pas seulement un phénomène de longévité et on ne l'admire pas unique- ment pour ce qu'il réussit à son âge. On ne saurait réduire l'attachement des foules à Poulidor à une simple affectivité admirative et épidermique. Poulidor représente plus : il est devenu le symbole de la vertu faite homme et épanouie dans le champion. La leçon qui se dégage des exploits de Raymond Poulidor est celle de la sérénité, de la simplicité et de l'honnêteté. Poulidor se bat à visage découvert. De toutes ses forces. C'est tout et c'est énorme. Ce « LIVRE D'OR DE POULIDOR » retrace les heures chaudes et glorieuses de sa carrière exactement comme nous tous, qui le suivons avec le cœur battant, souhaitons les vivre et les partager. Cet ouvrage de Georges Pagnoud vient donc à son heure. Il rend hommage enfin à ce que Poulidor reflète de plus authen- tique et de plus exemplaire : la santé physique, l'équilibre psycholo- gique et l'aptitude à se dépasser. Ce « LIVRE D'OR DE POULIDOR » a été écrit pour lire à cœur ouvert le récit des exploits de Poulidor. En toute simplicité. Les sportifs belges, Eddy Merckx en tête, avaient célébré ses quarante ans à l'hôtel de ville de Verviers. PREMIÈRE PARTIE UNE SOMBRE PROPHÉTIE À OUBLIER... Installé devant le micro de TF 1 où il n'aura tancé, en définitive, qu'un seul été, Roger Pingeon, promu commentateur de fraîche date, tentait de tirer les conclu- sions du Tour de France 1975, remporté par Bernard Thévenet. Il se penchait particulièrement sur le cas de trois grands anciens. Sentencieu- sement, il déclarait : « Merckx se trouve sur la pente déclinante. Gimondi approche de la retraite. Quant à Poulidor, je ne pense pas qu'il renouvelle jamais l'expérience de 1975. On le reverra sans doute dans le Tour comme suiveur ou commentateur. Mais plus jamais comme coureur ! Ce jour-là — c'était le 19 juillet 1975 — le vainqueur du Tour de France 1967 se montrait mal inspiré. Et surtout mal informé. Ignorant, entre autres, que la discrétion dont l'idole du cyclisme français, des semaines durant, venait de faire preuve, relevait d'un état de santé déficient. Oublieux lui-même des conséquences d'un organisme défaillant sur un athlète. Dieu sait pourtant si « Pinpin » en avait connu lui-même des accidents au cours de sa brève carrière !... On ne saurait l'accabler. D'autant qu'à quelque chose malheur est bon... et que ses propos ne pouvaient qu'inciter le Limousin à démentir la sombre prophétie énoncée par son ancien compagnon de peloton. Mû, vraisemblablement, par le désir de prouver « qu'il n'était pas fini » à celui à qui il avait tout sacrifié, y compris sa chance personnelle dans la descente du Galibier, en 1967, Raymond Poulidor n'allait pas mettre fin à sa carrière. Au contraire... Il se refuserait à céder à la tentation de ramasser les millions qu'on lui proposait pour imiter Jacques Anquetil, son prestigieux rival des Tours des années 1960 avant de devenir son ami. Non, il ne participerait pas au Tour de France 1976 en tant que suiveur ou radio- reporter, mais bel et bien comme coureur. Qu'importe ! Si on devait lui indiquer par la suite, qu'il s'agissait là d'un projet suicidaire ! Que le « Tour de trop » dans lequel il comptait s'engager ne contri- buerait pas à redorer son blason, bien terni dans ce terrible mois de juillet 1975. Au point qu'on avait vu « Poupou » arriver certain matin devant le stand de ravitaillement de Thonon sans soulever la moindre acclamation. Sous son sourire figé, le champion avait ressenti cette marque de versatilité d'un public ingrat. Décidé à laver pareille injure à la première occasion. Une première, encore bien timide, se présentait six semaines plus tard en Belgique où se déroulaient les championnats du monde. Responsable de la sélection, le commandant Richard Marillier, directeur national du Cyclisme, avait maintenu pleinement sa confiance à « Poupou ». Celui-ci n'allait pas le décevoir. Et cependant, à Yvoir, pour ce champion de la loyauté, il ne pouvait être question pour Poulidor de faire passer sa propre réhabilitation avant les impératifs de la course d'équipe. Aussi dut-il se contenter finalement d'une 18" place. Mais quand on sait que la vingt et unième revenait à Freddy Maertens qui se produisait pourtant « sur son terrain » — mais devant un public dans l'ensemble très « merckxiste », donc assez mal disposé à son endroit — il est aisé d'en déduire que Raymond, contrairement aux sombres prédictions de son ancien « collègue » Roger Pingeon restait encore « dans l'allure ». Les sportifs belges ne s'y trompaient d'ailleurs pas. Ils le prouvaient, le 15 avril suivant, en célébrant ses quarante ans à l'hôtel de ville de Verviers. Les innombrables cadeaux qu'ils lui offraient à cette occasion, à commencer par un chien labrador, relevaient d'un évident désir de justice. On l'avait définitivement admis : si Poulidor n'avait pas brillé dans le Tour 1975 c'était en raison du virus qui avait décimé son équipe Gan-Mercier. Certes, grâce à sa robuste constitution, il avait mieux supporté le choc que Genet et Périn, mis K.O., et que Zoetemelk et Hézard déficients. Rien de comparable, toutefois, dans son comportement à celui du Tour précédent qui l'avait vu, derrière Eddy Merckx, souffler la deuxième place à l'Espagnol Lopez-Carril à l'issue de la fameuse course contre la montre, autour d'Orléans... Entre cette deuxième place de 1975 et la 18" de 1976, l'écart était trop impor- tant pour ne pas relever de circonstances exceptionnelles extra-sportives ! Raymond Poulidor savait que « ses deux fois vingt ans - ne pouvaient être incriminés. Il entendait apporter la preuve que sa défaillance provisoire ne devait être attribuée qu'à la malchance. Encore fallait-il faire preuve de patience... La saison 1976 se profilait seulement à l'horizon. A Ostuni. le champion de la loyauté ne pouvait pas songer à sa propre réhabilitation avant les impératifs de la course d'équipe. SES DEUX FOIS VINGT ANS Il n'y eut pas, cette année-là, de morte saison pour Raymond Poulidor. Il fut sollicité tout autant, sinon plus que naguère. En 1974, il avait partagé le super-titre de «Champion des Champions» avec Guy Drut, alors champion d'Europe du 110 mètres haies. Voir le glorieux vétéran faire jeu égal avec un jeune prodige dont il pouvait être le père ajoutait à l'émerveillement de la grande famille cycliste. D'autant que l'élément sentimental n'avait pas joué dans le choix des lecteurs de « l'Equipe », organisateur de ce référendum. Ils n'entendaient retenir que les seuls critères sportifs. Pour eux, il s'agissait de tenir compte des deux plus belles « deuxième place » du « Livre d'Or » de Raymond : celles du Tour de France et du Championnat du Monde à Montréal. Deux batailles dans lesquelles, seul, Merckx, le phénomène de son époque, avait dominé cet autre phénomène de longévité et de popularité. La longévité de Raymond, Richard Mari llier, directeur national du Cyclisme, devait en traiter, précisément dans un éditorial de « La France Cycliste », organe officiel de la F.F.C. paru sous le titre : « Raymond et le Venezuela », à l'occasion des quarante ans du champion limousin. « Ce ne sont pas les quarante ans de Poulidor qui m'impressionnent, écrivait le commandant. D'abord parce que j'en ai cinquante-deux, ensuite parce que nous vivons à une époque où les alertes quadragénaires s'exprimant sur le plan sportif, sans être légion, n'en sont pas moins relativement nombreux et, enfin, parce que d'autres « anciens » avant lui ont également réalisé d'étonnants exploits (n'est-ce pas Pino Cerami ?). » Non. Ce qui m'impressionne, c'est la courbe de sa longévité. » Il m'apparaît extraordinaire, en effet, que, mis à part l'année dernière où des ennuis de santé l'ont rejeté à l'arrière des pelotons, ce soit à trente-sept et trente- huit ans qu'il ait réalisé les « sommets » de sa carrière. » Je me demande même, encore mal remis de mes émotions de dimanche, si ça n'est pas dans cet infernal Paris-Roubaix, victime de quatre crevaisons et d'une chute, c'est-à-dire auteur de cinq « retours » époustouflants sur le maigre peloton de tête, que Raymond Poulidor a laissé la plus forte impression de force, de maîtrise de soi et de supercondition, en un mot, d'allure de vainqueur possible.