STENDHAL ET LE THÉÂTRE DE 1802 À 1806 Ill STENDHAL ET LE THEATRE

DE 1802 A' 1806

by

GECEWICZ, Gertrude E~ B.A.

A thesis submitted to the Faculty of Graduate Studies and Research McGill University, in partial fulfilment of the requirements for the degree of Master of Arts

Department of French Language April 1966. and Literature. TABLE DES MATIERES-

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INTRODUCTION • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • 1

CHAPITRE I - Le Théâtre h au début du dix-neuvième sibcle 8

CHAPITRE II - Stendhal et la Comédie • • • • • • • • • • • • • • 30

CHAPITRE III - Stendhal et la Tragédie • • • • • • • . • • • • • 54

CONCLUSION 75

1 } REFERENCES ...... 79

APPENDICE A ...... 89

APPENDICE B ...... 93

APPENDICE C ...... 99

BIBLIOGRAPHIE 102 I N T R 0 D U C T I 0 N

Je me vois prenant médecine seul et délaissé dans une chambre économique que j'avais louée sur le quinconce des Invalides au bout ••• l

Je n'avais confiance en personne ••• 2

En un mot, je n'étais point habile aux choses de la vie et par conséquent je ne pouvais @tre appré­ cié.3

Je vivais solitaire et fou comme un Espagnol, h mille lieues de la vie réelle.4

Ce portrait de Stendhal tracé par lui-même dans La Vie de Henri

Brulard, offre, probablement, le cadre le plus exact ob placer le futur

écrivain h son arrivée h Paris. Henri Beyle a 16 ans et demi lorsqu'il part, le 30 octobre 1799, de son Grenoble natal. Préparé par une forte

éducation mathématique, enhardi par les résultats brillants qu'il a ob- tenus aux examens de l'Ecole Centrale de Grenoble, il arrive dans la capitale sous le prétexte de se présenter au concours d'entrée à l'Ecole

Polytechnique. Nous savons que l'Ecole Polytechnique ne le verra point; en 1836, se remémorant cette période de sa vie, il écrit:

Quant aux mathématiques, elles n'avaient été qu'un moyen. Je les ha!ssais même un peu en novembre 1799 car je les craignais. J'étais résolu à ne pas me faire examiner h Paris, ••• Or si mon p~re avait pris quelque soin il m'ent forcé h cet examen, je serais entré à l'école, et je ne pouvais plus vivre à Paris en faisant des comédies.S

L'idée de faire carri~re au théatre, comme nous l'allons voir dans l'étude qui suit, hante donc le jeune Stendhal d~s sa jeunesse greno- blaise, voire, le pousse à "monter" à Paris. Dans Brulard encore, Stendhal décrit son amour de littérature. Jeune homme passionné de lecture, plongé - 2 -

par La Nouvelle Hélo~se dans des transports de bonheur impossibles ~

décrire, Stendhal arrive ~ Paris, disciple de Jeàn-Jacques Rousseau:

Cet amour pour Shakespeare, l'Arioste, et La Nouvelle Hélo!se en second rang, qui étaient les maîtres de mon coeur mon arrivée~ Paris vers la fin de 1799 ••• 6

Cet état "rousseauiste11 de son âme va figurer, lui aussi, dans le

développement intellectuel et l'orientation de son esprit et de son am- bition juvénile vers une carrière dramatique.

Il serait faux de limiter la formation de Stendhal écrivain aux ma-

thématiques et aux lectures. Car lui-même, dès sa jeunesse, se reconnaî-

tra encore un 11 précepteur", qui lui a fourni certaines des idées qui le

suivront pendant toute l'époque parisienne qui nous intéresse: son oncle

Gagnon sera, pour le jeune Beyle, son premier maître dans l'art de vivre

et réussir en société. Romain Gagnon, homme charmant, plaisant, délicat,

et dont la conversation élégante étaient délicieuse pour les femmes "a eu

exactement toutes les jolies femmes qui, vers 1788, faisaient de Grenoble

l'une des plus agréables villes de province".7

C'est le même Romain Gagnon qui met son jeune neveu dans le courrier

de Lyon, le 30 octobre 1799. Trente-trois ans plus tard, dans ses Souvenirs

d'égotisme, Stendhal citera encore les conseils et les encouragements que

lui donne son oncle ~ ce moment:

Mon ami, me dit-il, tu te crois une bonne tête, tu es rempli d'un orgueil insupportable ~ cause de tes succès dans les écoles de mathématiques, mais tout cela n'est rien. On n'avance dans le monde que par les femmes. Or tu es laid, mais on ne te reprochera jamais ta laideur parce que tu as de la physionomie ••• 8

Ajoutons à ces dernières paroles de l'oncle Romain l'influence forma-

triee de son grand'père, le Dr. Henri Gagnon, qui a communiqué à son petit- - 3 -

fils son culte pour la "belle littérature", et nous aurons les influences majeures gouvernant le développement de l'esprit de Stendhal dans les années qui suivent.

Au début du mois de novembre 1799 Henri Beyle arrive donc h Paris:

"un solitaire sans ressort, une épave dans une chambre misérable". Restée h Grenoble, sa soeur cadette Pauline recevra des nouvelles de lui tr~s réguli~rement; il partage avec elle ses expériences et ses impressions; mais surtout illui fait part de sa mis~re. Les lettres que Pauline reçoit de son fr~re en 1799 et 1800 témoignent des difficultés matérielles que le jeune Beyle affronte dans la capitale:

Prie-le (son p~re] de m'envoyer au moins .de quoi avoir du bois; car mes bottes trouées me font en­ rhumer d~s que je sors, et je souffre comme un diable dans ma chambre sans feu.10

Je dois h la pension oh je mange et oh je ne suis guère connu; je dois h mon portier; je dois h mon tailleur ••• il y a longtemps que ma montre est enga­ gée. Je ne vais nulle part depuis quinze Iours, faute d'avoir douze sous dans ma poche ••• l

Dis h mon papa que je suis altéré d'argent, que je suis obligé d'emprunter à gros intérêt, et qu'il me fera bien plaisir de me retirer des mains des prêteurs.l2

Comme le temps et un peu de succès peuvent faire oublier les malheurs passés~ En 1835, Stendhal peint de cette même période un tableau très différent dans La Vie de Henri Brulard:

Il me semble que mon p~re me donnait alors cent f(rancs) par mois, ou cent cinquante f(rancs). C'était un trésor; je ne songeais nullement à manquer d'argent, par conséquent je ne songeais nullement à l'argent.13

Heureusement la Correspondance remet les choses au point, car les sou- - 4 -

venirs du Consul de 52 ans ne refl~tent pas du tout la réalité de ses 18 ans. La mémoire s'est embuée d'attendrissement par une jeunesse qui, de loin, parait heureuse ••• Le seul souvenir exact dont l'exactitude est confirmée par des documents authentiques apparait dans la phrase: "Ce qui me manquait, c'était un coeur aimant, c'était une femme".

Mais la mis~re de Stendhal en 1799 ne se manifeste pas seulement dans ses affaires financi~res et sentimentales. Il est seul, il est sans le sou et, par dessus le marché, le voil~ qui tombe gravement malade. Dans ces circonstances tragiques, sa bonne étoile conduit ~ sa mansarde ses cousins Daru qui le recueillent dans leur h8tel confortable. Pour la premi~re fois depuis son arrivée ~Paris, le petit provincial malheureux sera entouré de sa famille, soigné, guéri et introduit dans le "grand monde". C'est encore dans sa correspondance avec Pauline que l'on trouve ses impressions et ses jugements de cette société que les Daru lui font connaître. La réaction n'est gu~re favorable:

Il faut toujours être en sc~ne, avoir toujours de l'esprit, être toujours agréable: la bonne et franche simplicité n'ose plus se montrer .•• lS

Albert Thibaudet, dans son chapitre sur Stendhal, donne la raison de cette premi~re réaction:

Les maths, contraire absolu et pur de l'hypocrisie sociale, un monde de signes, de rapports et de véri­ tés abstraites qui ne tol~re aucune concession h l'opinion, c'est-~-dire l'hypocrisie.l6

Dans la na~veté de sa jeunesse provinciale, Stendhal continue ~ re- chercher la franchise, la simplicité; il remarque que le premier rang h

Paris est occupé par le "Tartuffe de sentiments tendres" qui a les femmes pour lui, que la société n'est qu'une sc~ne où il faut savo{r jouer et - 5 -

faire jouer. Et il en conclut que pour arriver h la gloire et à la réussite dans cette société hypocrite, il est indispensable d'entrer dans le jeu, de rire et de faire rire, donc d'écrire les comédies qui refl~tent la comédie continuelle de la vie mondaine et plaisent à ceux qui la jouent.

Le 7 mai 1800, Stendhal quitte Paris pour l'Italie, oh commenceront les études dramatiques qu'il poursuivra pendant les six années suivantes.

Son caract~re dauphinois ainsi que son esprit scientifique exige~que ses

études soient conduites de façon à lui donner, bien précisément, la "for- mule" mathématique dont 1' application aboutit à la création de comédies.

Il lit voracement; il fréquente le théâtre autant que ses obligations bu- reaucratique~ puis militaire~ le lui permettent. Son Journal pour l'année

1801 rapporte, entre autres, qu'il y a deux théâtres à Bergame, et Stendhal va, chaque soir, à celui qui se trouve sur la place de la Cité. Stendhal note aussi, dans le Journal, les pi~ces et opéras auxquels il assiste, en ajoutant ses commentaires sur les représentations:

11 mai 1801 L'Avventuriere notturno de Federici. 17 mai ~ Prevenzione paternella. 18 mai Epicharide ~ Nerone, assez bonne tragédie. 19 mai Zelinda ~ Lindoro, excellente comédie de Goldoni, on pourrait en tirer une bonne pi~ce française. 21 mai 1l podesth di Chioggia, opéra vu à . 12 juin "On a joué une excellente drame de Kotzebue intitulé ~ Deux frères jumeaux ~ le Médecin conciliateur: moeurs douces, morale pure, sentiments pr~s de la nature ••• " 18 juin Le Songe de Mercier 4 juillet La Donna contraria al consiglio, comédie de Carlo Gozzi, "dont on pourrait faire un jo li opéra-comique". 12 juillet Il sagio amico, d' Albergati, "qui, traduite telle qu'elle est, réussirait en ." Ariodant: "il me semble qu 1 on pourrait faire une belle 11 tragédie sur ce sujet • 13 aoUt Pirro, opera seria, e Solitari di Scozia, ballo mezzo serio. - 6 -

30 août Ciao Mario, musica del M. Cimarosa, le ballet de Lucrezia. 2 septembre Les Due giornati et le Ballet de La Mort de Cléopâtre. 10 septembre !l Demofoonte, musique de Tarchi et paroles de Metastasio. 20 septembre !l Mercato di Monfregoso, opéra de Zingarelli.

A la fin de décembre 1801, le sous-lieutenant Beyle obtient un congé de

convalescence et retourne ~ Grenoble. Il a passé vingt mois en Italie: sa

carrière mi li taire est terminée. Mais son ambition de devenir 11 grand

11 homme , d'obtenir de la société française la gloire qu'il estime être son

droit, continue de la tourmenter. Il lui faut, pour atteindre cette 11 fame"

la fréquentation de l'élite, la fréquentation de la société qui le couvrira

un jour d'éloges et qui attend de lui son chef-d'oeuvre dramatique. Le 5

avril 1802, donc, nous retrouvons Stendhal repartant pour Paris, déterminé

h parvenir dans "le monde" par la voie du théâtre.

Dans les chapitres qui suivent, nous allons examiner le Journal et la

Correspondance du jeune Stendhal pour tenter d'en dégager ses rapports

avec le théâtre pendant la période 1802-1806. Notre premier chapitre sera

consacré hune étude historique du théâtre h l'époque qui nous occupe:

oeuvres, auteurs, conditions matérielles - tout ce qui peut avoir influencé

la décision d'Henri Beyle de faire carrière de dramaturge.

Viendront ensuite deux chapitres sur Stendhal critique du théâtre,

toujours d'après les notations du Journal et de la Correspondance. Cette

partie critique - tragédie et comédie - comprendra le programme d'études

de Stendhal: ses lectures, son assistance au théâtre, ses jugements sur les auteurs et les oeuvres. Ce ne sera donc pas une étude des essais dramatiques

de Stendhal, mais plut6t un examen de ses préparatifs h les écrire. Cette période d'immaturité, d'enthousiasme, d'indiscipline, de paresse, d'hésita-

tions et de tâtonnements est celle 11 des enfances littéraires" de Stendhal. - 7 -

Quatre ans pour se frotter au monde, acquérir une culture, se former le goût,ne sont pas un apprentissage excessif, même s'il ne doit aboutir~ rien.

Sans la fausse orientation dramatique au départ de sa carrière littéraire,

Stendhal serait-il devenu romancier? CHAPITRE PREMIER

)rtl\ 1 - - LE THEÂTRE A PARIS AU DEBUT DU DIX-NEUVIEME SIECLE

Un coup d'oeil sur le théâtre à Paris aux premi~res années du dix- neuvi~e siècle rév~le une époque o~ n'apparaît aucun chef-d'oeuvre nouveau, et oh la scène s'alimente de chefs-d'oeuvre anciens et de mé- diocrités contemporaines. En 1802, année du retour de Stendhal ~ Paris, le théâtre se trouve toutefois dans des conditions extr~ement favorables

~ son épanouissement. Il est alors l'élément principal du divertissement quotidien de toutes les classes de la société: il offre, en effet, aux

Parisiens riches et pauvres, nobles et roturiers, un "medium" répondant

à leurs aspirations culturelles et sociales au cours de la période de ré- organisation qui suit les grandes convulsions de la Révolution. Le théâtre est donc intimement lié à la vie quotidienne de tout le Paris de 1802.

Les documents de l'époque nous apprennent que le goat de l'art drama- tique a gagné tous les niveaux sociaux:

Il faut que l'art du comédien soit bien puissant, bien attractif, puisqu'il a trouvé et puisqu'il trouve encore tant de gens pour s'y livrer. C'est une passion qui a gagné toutes les classes de la société, les rois, les princes, les grands seigneurs, les bourgeois, les marchands, les artisans, et les ouvriers.l

Le dramaturge Nicolas Brazier compte plus de deux cents "théâtres hour- geois" (c'est-à-dire d'amateurs) dans le Paris d'apr~s la Terreur~ Il y en avait dans tous les quartiers, dans toutes les rues, dans toutes les - 9 -

maisons •••

La fureur du théatre s'était emparée de toutes les petites classes de la société, cela se gagnait, c'était épidémique, une 'influenza, 'une grippe, un choléra dramatique~ 2

L'enthousiasme populaire pour le théâtre éclate dans la prolifération

de ces théatres, qui caractérise la vie du temps.

Cette 11 fureur du théâtre" dont parle Brazier apparatt encore dans

les salons des particuliers, oh la lecture de pi~ces de théâtre fait par-

tie du programme de divertissements offert aux invités. Ainsi, dans son

Journal du 8 juin 1803, Stendhal note: "Lorsque j'entrai dans cette société

[chez Mme de Néry], j'y trouvai l'usage de lire de temps en temps des tra­

gédies et des comédies" 3. Toutes les notations de Stendhal pour ce mois

de juin témoignent, d'ailleurs, de l'intérêt que la société oh il évoluait

alors avait pour l'art dramatique.

Toutefois, l'enthousiasme des mondains pour le théâtre amateur n'exclut nullement la popularité des théâtres professionnels. D~s que fut proclamée

la liberté des théatres (par l'Assemblée Nationale, en 1791), quarante- cinq salles de spectacle furent ouvertes h Paris. La liste des théâtres ouverts en 1807 comprend vingt-huit salles, parmi lesquelles le jeune Henri

Beyle n 1 a eu que l'embarras du choix quand il a voulu se familiariser avec

le monde du théâtre. (Voir Appendice ~

Les circonstances politiques vont influer également sur la prospérité

théatrale. L'av~nement de l'Empire crée des conditions particuli~rement

favorablesh sa mise en relief, car Napoléon - qui veut avoir partout des oreilles et des yeux - prend un intér@t personnel à la sc~ne. Son pro-

gramme de réorganisation pour la France ne se borne pas aux affaires mili- - 10 -

taires, politiques, économiques et sociales, mais comporte, comme nous

l'allons voir, des réformes affectant le thé!tre. Dans cette "fureur du

thé!tre", qui, sans contr8le, tendrait au désordre eth l'anarchie, Napoléon

introduit l'ordre et une échelle de valeurs proprement impériales.

Il n'a pas personnellement un goût très vif du théâtre, mais il y voit

un moyen de célébrer la gloire de la France (ainsi que la sienne), et il

l'encourage par son assistance régulière aux représentations. Si sa pré-

sence accrott le "standing" du théâtre, le théâtre, h son tour, lui four-

nit l'occasion de s'offrir aux regards admiratifs et respectueux d'un

public considérable et choisi. Le chef de l'Etat utilise le moyen le plus

efficace pour être vu du plus grand nombe de ses sujets: il se rend au

théâtre. Louis XIV dînait en public, le Président de Gaulle s'offre gêné-

reusement au "petit écran", Napoléon ira au Thé!tre Français.

Il semble pourtant, h en croire le témoignage d'un des contemporains,

que l'assistance de Napoléon au thé!tre se réduit h un acte de présence:

••• la Comédie-Française venait h Saint Cloud, et y représentait des tragédies ou des comédies, sur un très joli théâtre qu'on y avait construit. Ce fut alors que commencèrent les embarras de M. de Rémusat, pour amuser celui que M. de Talleyrand appelait rl'inamusable'. En vain, on choisissait dans notre répertoire théâtral quelques-uns de nos chefs-d'oeuvre; en vain, nos meilleurs comédiens s'évertuaient h lui plaire; le plus souvent, il appor­ tait h ces représentations un esprit préoccupé et dis­ trait par la gravité de ses r~veries. Il s'en prenait h son premier chambellan, h Corneille, h Racine, aux acteurs, du peu d'attention qu'il avait donné au spec­ tacle.s

La venue de Napoléon au thé!tre est donc surtout un moyen de satisfaire les convenances et d'~tre le point de mire de l'assistance. Mais elle

l'oblige au moins h montrer sa préférence pour la tragédie, et surtout pour - 11 -

Corneille, dont le théâtre est, h ses yeux, une école de viriles et pa-

triotiques vertus. A Boulogne, en 1803, il confie ~ Madame de Rémusat,

une des dames d'honneur de sa femme:

Quant aux po~tes français, je ne comprends bien que votre Corneille. Celui-1~ avait deviné la politique, et, formé aux affaires, eût fait un homme d'Etat. Je crois l'apprécier mieux que qui que ce soit, parce que, en le jugeant, j'exclus tous les sentiments dramatiques.

La préférence de Napoléon tombe sur Cinna, pour ses évocations mili-

taires; sur Horace, pour sonpatriotisme; sur Polyeucte, repris en 1803 h

sa demande.

Le répertoire même des théâtres se ressent des goûts personnels de

Napoléon. Puisque le futur Empereur préf~re la tragédie, ses courtisans

et ses achnirateurs ne se permettent gu~re de "descendre" au niveau vulgaire

de la comédie. Aussi, comme écrit Geoffroy dans le Journal des Débats du

27 juillet 1802, ce dédain de la comédie atteint-il toutes les classes:

Il n'y a pas de spectateurs qui affectent plus de dédain pour la comédie que les gens du peuple ••• Ils ont entendu dire que les farces sont pour le peuple, et personne ne veut être peuple.7

Des auteurs comiques tels que Regnard, Lesage, Piron et Dancourt sont assez réguli~rement joués, mais devant un public tr~s clairsemé. Le par-

terre du Consulat et de l'Empire ne comprend plus les intrigues et situa-

tions des comédies de l'Ancien Régime. Il faut donc présumer que le public des comédies vient pour applaudir les acteurs et non les pi~ces. Pour ce

qui touche le peu d'estime de Bonaparte de la comédie, Madame de Rémusat cite les confidences suivantes du Premier Consul en 1803:

Pour la comédie, elle est pour moi comme si l'on voulait me forcer à m'intéresser aux commérages de - 12 -

vos salons; J'accepte vos admirations pour Moli~re, mais je ne les partage pas; il a placé ses person­ nages dans des cadres où je ne me suis jamais avisé d'aller les regarder agir.8

Le goût de Napoléon pour la tragédie se fait remarquer encore en

1806, lorsqu'il exige le rétablissement du rôle de Livie dans Cinna (le

29 mai) et de celui de l'Infante dans Le Cid (le 1er juin), aux représen­

'tations données ~ Saint-Cloud. 9

Nous disons bien: aux représentations données ~ Saint-Cloud. Car ce même Napoléon, "médiocre auditeur" de pi~ces auxquelles il s'intéresse, sauf

exception, fort médiocrement, fait ouvrir, le 12 juin 1803, une salle de

spectacle au Palais de Saint-Cloud. Cette initiative a évidemment un but

essentiellement politique. Il crée un ordre nouveau, tne nouvelle aristo- cratie militaire et bureaucratique, efficace, dévouée, mais peu rompue aux usages du monde. Il essaye, en même temps, de rallier la vieille noblesse,

les émigrés de retour en France, les grandes familles aux noms historiques

et aux titres nobiliaires respectés. Le thé~tre de Saint-Cloud est destiné

~ faciliter le rapprochement des anciens et des nouveauxnaîtres de la France.

Sur le terrain neutre d'une salle de spectacle ils peuvent se rencontter sans

trop de gêne, se connaître, s'enseigner mutuellement la politique des cours et la loyauté au régime impérial. Cette salle permet également ~ Napoléon de lancer des invitations qui sont des ordres, d'inspecter ses fid~les ~ l'en- tracte, et de se faire présenter les nouveaux-venus dans un cadre dont la richesse et l'éclat flattent son immense amour-propre. Le spectacle est donc dans la salle autant que sur la sc~ne. Mais la sc~ne ne pouvait man- quer de profiter, moralement et matériellement, de bien servir les grands desseins de l'Empereur. - 13 -

Quant aux théâtres de Paris, ils sont l'objet de soins gouvernemen-

taux fort empressés. Dès avant 1803, la direction des théâtres relève

du gouvernement. Le 8 mars 1802, Napoléon signe deux arrêtés par les-

quels un conseiller d'Etat devra être adjoint au Ministre de l'Intérieur

pour assurer, entre autres, la surveillance des théâtres. Le 12 mars,

lorsque Roederer est nommé ~ ce nouveau poste, il donne le conseil ~

Napoléon de revenir aux habitudes de la Monarchie; pour se rapprocher de

la tradition de Louis XVI (tous les théâtres d'alors étant des dépendan-

ces de la Cour), Napoléon fait régir les théâtres par ses quatre Préfets

du Palais. Le 27 novembre 1802 un arrêté proclame que "Les Préfets du

Palais auront désormais la surveillance et direction principale des thé­

âtres de la République (Le Théâtre Français) et des Arts ~Opéra)." Cinq

jours plus tard, la réforme est étendue aux théâtres Louvois, Feydeau

(Opéra-comique), et 1' Opéra-Buffa [Italiens) .10

Le soin de l'ordre public cher à Napoléon se manifeste encore dans

l'établissement de la censure théâtrale, dont sont responsables les

Préfets du Palais. Dès 1800, l'autorisation gouvernementale devient in- dispensable pour la reprise d'une pièce ancienne comme pour la création d'une nouvelle. Ce règlement restera en vigueur sous l'Empire; en juillet

1805, par exemple, le Mérope de Voltaire n'a pas la permission d'être mon- té. Par ailleurs, il devient habituel ~ un acteur de faire des coupures et des retouches ~ son rôle au cours d'une représentation. En 1803, pen- dant qu'il joue le rôle de Maxime dans Cinna, un acteur du Théâtre Français coupe les quatre vers qui préconisent le rare et singulier mérite de l'abdi­ cation: Napoléon est présent dans la salle~ll - 14 -

A partir de 1805 seulement (année de la représentation d'Athalie h

Saint-Cloud) les tragédies classiques seront réadmises au répertoire du

Théâtre Français et soustraites h l'autorisation gouvernementale. Madame

de Rémusat, dont le mari est chargé de l'administration de ce théâtre,

rapporte dans ses Mémoires:

Ce ne fut pas, cependant, sans en retrancher quelques vers dont on craignait les applications. Luce de Lancival, l'auteur d'Hector et d'Achille ! Scyros, et peu apr~s, Esménard, auteur du po~e de La Navigation, furent chargés de corriger Corneille, Racine et Voltaire. Mais, n'en déplaise h cette précaution d'une police trop minutieuse, les vers retranchés, comme les statues de Brutus et de Cassius, étaient d'autant plus marquants qu'on les avait fait disparaître.l2

De nouveau en 1806, lors des f@tes organisées pour le retour de

Napoléon d'Austerlitz, le Théâtre Français devra remplacer, dans Gaston et

Bayard, le vers "Et suivre les Bourbons, c'est marcher h la gloire" par

"Et suivre les Français, c'est marcher à la gloire".l3

L'intrusion de Napoléon dans le domaine de l'art dramatique ne se borne point au rôle "policier" que nous venons de décrire. Car si

l'Empereur veut profiter de la popularité dont jouit le théâtre au début

du dix-neuvi~me si~cle, il lui faut non seulement régir son organisation

et ses activités, mais également encourager les personnes qui s'y consa- crent. Sous l'Ancien Régime, la subvention du Théâtre Français était de

12.000 francs; Napoléon lui en rétablit une de 100.000 francs. Certains acteurs renommés sont particuli~rement distingués par l'Empereur; Talma, pour n'en citer qu'un, est le favori de Napoléon, qui le comble de cadeaux.

D~s 1804, Talma reçoit une pension supplémentaire de 1.000 francs par mois, en plus de ce qu'il gagne au théâtre et des gratifications reçues par la - 15 -

troupe pour ses représentations ~ la cour. L'Empereur veille m~e ~ ce

que soient payées les dettes de ce préféré. En 1804, lorsque Bonaparte

distribue les premières croix de la Légion d'Honneur, le directeur du

Vaudeville (dont le thé~tre aborde les sujets politiques) et l'élite de sa

troupe sont invités ~ participer ~ la cérémonie. Trois des acteurs, Barré,

Radet et Desfontaines, seront dotés par l'Empereur d'une pension annuelle

de 3.000 francs.14 Les Mémoires de Madame de Rémusat pour l'année suivante

rapportent:

Pendant le séjour de l'empereur en Italie (1805) il y eut~ la Comédie Française ••• le Tartuffe de moeurs ••• par M. Chéron ••• un homme d'esprit qui-avait été député~ l'Assemblée Législative; ••• Au retour de ce voyage le Tartuffe de moeurs fut joué devant Bona­ parte; il s'en amusa tellement, qu'après s'~tre infor­ mé près de M. de Rémusat de ce qu'était l'auteur, et avoir appris de lui qu'il méritait qu'on l'employat, dans un moment de facilité et de bienveillance, il l'envoya préfet ~ Poitiers.l5

Un peu plus tard, se trouvant ~ Strasbourg, l'Empereur se ressouvient d'envoyer au comédien Fleury une gratification, parce que, "deux jours avant son départ, il avait joué devant lui Le Menteur de Corneille qui l'avait amusé".l6 Le 26 mai 1806, un ordre impérial alloue des gratifi- cations de 6.000 et de 3.000 francs ~ douze des sociétaires de la Comédie

Française.

A en croire les mémoires et les correspondances de l'époque, les acteurs sous Napoléon participent honorablement ~ la vie sociale de leur temps. Dans une lettre datée du 18 mars 1803, et adressée ~ Edouard

Mounier, Stendhal raconte qu'il va le mardi "1~ oh vient M:ne Récamier", le vendredi "au Marais, dans une société de 1 'Ancien Régime", et,

Le samedi, la plus jolie de mes soirées, nous allons chez M. Dupuy, où se trouvent - 16 -

des savants de toutes les couleurs, de toutes les langues et de tous les pays. Mlle Duchesnois (comédienne au Théâtre Français) y vient, souvent avec son mattre Legouvé!l7

Et, le 16 avril 1804, Stendhal écrit dans son Journal:

c(rozeij me présentera incessamment ~ Mlle Duches~ois; celle-ci va beaucoup chez Mme Montesson, la femme du duc d'Orléans, p~re d'Egalité, qui a soixante ans, cent cinquante mille livres de rente et qui réunit la meil­ leure sœi.été de Paris; Mme Bon (apartï\ y va, tous les petits littérateurs y vont.

De ces témoignages, il appert que, sous Napoléon, l'estime dont jouit le théatre aux yeux de la société parisienne s'étend aux comédiens.

Nous avons essayé de montrer Napoléon jusqu'ici dans les différents r61es qu'il assume vis-à-vis du théâtre parisien: chef de l'Etat, qui se montre ~ son public en allant au théâtre; Empereur, qui veille sur la stabilité de son pays par le rétablissement de l'ordre jusque dans le domaine théâtral; protecteur des arts, encourageant les acteurs et direc- teurs par des distinctions et des pensions. A cet aperçu du théâtre du début du dix-neuvi~me si~cle, il nous paraît opportun, dans ce mémoire, d'ajouter quelques renseignements sur le plus grand théâtre de l'époque; car il faudra que l'influence de Napoléon dans le domaine de l'art drama- tique aboutisse ~ l'établissement d'un théâtre "officiel" de l'Etat. Ce théâtre officiel, dont Napoléon dit, en 1806, "Il fait partie de la gloire nationale11 ,19 est le Théâtre Français, connu, depuis 1689, sous le nom officiel de "Comédie Française". (Dans les pages qui suivent, nous nous servirons de l'un ou l'autre de ces deux noms pour désigner le théâtre préféré de Napoléon).

Sous le Consulat et l'Empire appartiennent encore~ la Comédie Française un grand nombre d'acteurs de l'ancienne troupe royale: Dazincourt, Fleury, - 17 -

Saint-Prix, Saint-Fal, Talma, Mme Thénard, Mlle Raucourt. Pour les r61es tragiques, il y a Lafon, Mlle George, Mlle Duchesnois, Mlle Mars; pour les rôles comiques: Michot, Baptiste, Firmin, Monrose. Nous avons cité les noms des interpr~tes de la Comédie Française, car si 1 1 intér~t du public pour le théâtre est grand h l'époque, cet intér~t tient autant h la re- nommée des acteurs qu'aux pi~ces jouées. Le 8 décembre 1789 le Théâtre de Monsieur inscrit pour la premi~re fois les noms de ses acteurs sur ses affiches; en février 1790, la Comédie Française suit son exemple.20

Ces affiches multicolores, placardées aux coins des rues, occupent un to- tal de 167 emplacements h Paris.21 Rien d'étonnant, alors, h ce que le public fasse la queue de longues heures pour pouvoir applaudir ses acteurs préférés, comme en témoigne cette lettre h propos de la pi~ce, Le Roi et le Laboureur, présentée le 5 juin 1802:

Arnault avait dit partout qu'elle était de lui. Talma et Lafon y jouaient, il n'en fallait pas tant pour attirer tout Paris; aussi h cinq heures la queue s'étendait jusque dans le jardin du Palais-Royal. On a commencé h sept heures.22

(D'apr~s une vieille tradition le lever du rideau avait lieu h six heures, h sept heures h la Comédie Française. Le rideau devait être baissé h neuf heures et demie dans les grands théâtres, h neuf heures dans les autres, ceci pour éviter le risque des rentrées par les rues sombres de

Paris).

En 1803, un arrêté de Napoléon, Premier Consul, ordonne la réorgani- sation de la Comédie Française. Les acteurs sont divisés en deux catégo- ries: les pensionnaires, qui sont des débutants, engagés h la Comédie moyennant une rétribution déterminée, et les sociétaires, co-propriétaires - 18 -

responsables de la régie, soit directement, soit par un comité de quel­

ques sociétaires élus qui représentent leurs coll~gues. Six semaines

apr~s la fondation de l'Empire, Napoléon "autorise" les sociétaires ~

~~ s'intituler sur leurs affiches: "Comédiens ordinaires de l'Empereur".

Les sociétaires touchent des "feux" pour chaque représentation dans

laquelle ils figurent et une "part", fraction des bénéfices nets, déterminée

par le comité de régie selon le degré d'ancienneté, de notoriété, ou de

z~le des acteurs. Sous Napoléon, la part de sociétaire atteint 20.000

francs par an. En 1802, un arrêté consulaire met 300.000 francs ~ la dis­

position du Ministre de l'Intérieur pour les pensions des anciens comé­

diens. A partir de cette année, les pensions des anciens artistes seront

prélevées sur la recette de la Comédie Française.

Les "feux" et les "parts" des acteurs sont payés sur la recette du

théâtre. (En plus de ces "feux", les comédiens reçoivent 1.600 francs

par représentation~ Saint-Cloud). Or, les salaires des comédiens ne sont

pas les seuls ~ grever la recette. A la fin du Directoire, un huiti~e de

la recette pour une pi~ce de quatre ou cinq actes revient ~ son auteur;

pour trois actes, un douzi~me; et pour un ou deux actes, un seizi~e. Dix

ans apr~s la mort de l'auteur, les pi~ces deviennent la propriété du

théâtre.

Le théâtre doit aussi se charger de chauffer la salle et de fournir

les bougies et les quinquets nécessaires pour éclairer salle et sc~ne.

Les acteurs, par contre, doivent se procurer leurs propres costumes.

Toutes ces dépenses incombant au théâtre sont imputées sur sa recette.

Le 14 juillet 1804, Stendhal note que "la recette de l'Opéra, quand tout

est plein, va~ 12.000 francs"; celle de la Comédie Française, ~ 6.000

francs. 24 Or, les spectateurs (et surtout ceux du dimanche) ne sont pas - 19 -

toujours de riches amateurs de thé~tre, mais surtout des écoliers, des commis, des boutiquiers, des ouvriers. Dans l'intérêt de ce public popu­ laire, Napdéon réduit ~ vingt sous le prix des places de parterre ~ la

Comédie le dimanche. Stendhal, qui va au spectacle presque chaque soir, note dans son Journal que le prix d'un billet de parterre ~ la Comédie

Française monte ~ quarante-quatre sous. Le 22 mars 1805, pour la repré­ sentation de Nicomède, Stendhal dit qu'il se trouve ~ la deuxième galerie, mais, pour quatre livre huit sous, il aurait pu être ~ l'orchestre. Les fauteuils ~ la Comédie ~ cette époque coûtent environ sept francs, somme considérable pour la modeste bourse de Stendhal.25

Outre la réduction du dimanche, les billets de faveur, en 1802, font perdre~ peu près 100.000 francs par mois ~ l'ensemble des thé~tres pari­ siens. En 1802, l'arrêté suivant vient de Napoléon: "A compter du 1er ven­ démaire an XI, le prix des loges, par quelques personnes qu'elles soient occupées, sera versé dans la caisse du thé~tre". 26 En septembre 1802 déj~ le nombre de billets gratuits donnés par les comédiens est réduit de moi­ tié et en mars 1804, ces billets seront totalement supprimés. Dans les petits thé~tres, cependant, des billets gratuits ou ~ prix réduit conti­ nueront h circuler.

Mais, pour Napoléon, la Comédie Française est son théatre ~ lui, un théâtre d'Etat où il peut régir organisation, répertoire, et jusqu'au prix des billets. Par ailleurs, dès l'année 1805, un autre thé~tre acquiert le patronage direct du gouvernement: le Théâtre Louvois, un des "grands théâtres" de Paris, qui, sous la direction des Préfets du Palais, prend le nom, en 1805, de "Thé~tre de l'Impératrice11 .27 Car si Napoléon ne s'inté­ resse pas h l'art dramatique proprement dit, il montre un vif intérêt aux - 20 -

activités des théâtres, où il sait que son influence va atteindre tout

le Paris de son r~gne. La position du théâtre h Paris au début du dix-

neuvième si~cle, le succ~s ou la défaite d'une pi~ce, d'un auteur, des

comédiens, sont tous déterminés par les goûts de l'Empereur même. Il

serait intéressant de voir le répertoire de la Comédie Française sous le

r~gne de Napoléon; l'année 1804, par exemple, année du couronnement de

l'Empereur, offrirait le tableau suivant:

AUTEURS TITRES DES PIECES- NOMBRE DE REPRESENTATIONSJ -EN--- 1804 Aignan Polyx~ne 4

Alainval(d') L'Ecole des bourgeois 6

Andrieux Les Etourdis 5 MOli~re avec ses amis 13

Baron L'Homme h bonnes fortunes 7

Barthe Les Fausses infidélités 6

Beaumarchais Le Barbier de Séville 8

Belloy (P.L.de) Ga-brielle de Vergy 4

Bi~vre Le Séducteur 4

Boissy Le Babillard 7 Les Dehors trompeurs 3

Bouilly L'Abbé de l'Epée 4

Brueys L'Avocat Patelin 1

Brueys et Palaprat Le Grondeur 2 Le bluet 2

Bursay et Mme Mole Misanthropie et repentir 7

Campistron Le Jaloux désabusé 4

Carrion-Nisas Pierre le Grand 2

Chamfort Le Marchand de Smyrne 5 - 21 -

/ AUTEURS NOMBRE DE REPRESENTATIONS -EN--- 1804 Chénier (M.J .) Cyrus 1

Collé Dupuis et Desronais 2

Collin d'Harleville L'Inconstant 2 M. de Crac dans son petit castel 7 JJ Optimiste 3 Le Vieux célibataire 9

Corneille (P.) Le Cid 11 Cinna 7 Horace 6 Le Menteur 2 La Mort de Pompée 2 Rodogune 5 Sertorius 3

Corneille (T .) Ariane 7 Le Festin de Pierre 3

Crébillon Rhadamiste et Zénobie 1

Demoustier Le Conciliateur 2 Les Fermnes 5

Désaudras Minuit 4

Desfaucherets Le Mariage secret 3

Desforges (P.J.B.) La Femme jalouse 1

Destouches Le Dissipateur 6 La Fausse Agnès 10 Le Glorieux 5 L'Homme singulier 2 Le Philosophe marié 4

Dieulafoy Défiance et malice 11

Dorat La Feinte par amour 6

Ducis Macbeth 3

DuFresny Le Dédit 1 Le Mariage fait et rompu 6

Duval Guillaume le Conquérant 1 Les Héritiers 4 Les Projets de mariage 6 Shakespeare amoureux 10 - 22 -

1 AUTEURS TITRES DES PIÈCES NOMBRE DE REPRESENTATIONS -EN--- 1804 Fabre d'Eglantine L'Intrigue épistolaire 4 Le Philinte de Molière 4

Fagan Les Originaux 2 La Pupille 1

Favart Les Trois sultanes 11

Fénouillot de Falbaire L'Honn~te criminel 2

Flins des Oliviers La Jeune h8tesse 5

Forgeot Les Epreuves 1 Les Rivaux amis 1

Gresset Le Méchant 3

Guimond de la Touche Iphigénie en Tauride 2

Guyot de Merville Le Consentement forcé 7

Hauteroche Crispin médecin 1

Hoffman 1.! Original 2

Imbert La Jaloux sans amour 2

La Chaussée La Gouvernante 4 Mêlanide 7 Le Préjugé ~ la mode 3

La Font (de) Les Trois frères rivaux

La Fontaine Le Florentin 12

La Harpe Mélanie 2

La Noue La Coquette corrigée 4

Lantier L'Impatient 6

Le Franc de Pompignan Didon 8

Le Grand (M.A.) L'Aveugle clairvoyant 8

Lemercier Agamemnon 7

Le Sage Turcaret 1 - 23 -

AUTEURS TITRES DES PIÈCES NOMBRE DE REPRiSENTATIONS -EN--- 1804 Longchamps La Fausse honte 3 Le Séducteur amoureux 3

Longepierre Médée 4

Manteufel Auguste et Théodore 5

Marivaux L'Epreuve 6 Les Fausses confidences 3 Le Jeu de l'amour et du hasard 1 Le Legs 3 La Seconde surprise de l'amour 2

Mercier La Maison de Moli~re 9

Moli~re Amphitryon 4 L'Avare 3 L'Ecole des femmes 2 L'Ecole des maris 4 L'Etourdi 1 Les Femmes savantes 3 Les Fourberies de Scapin 1 Le Malade imaginaire 5 Le Médecin malgré lui 7 Le Misanthrope 3 Sganarelle 3 Tartuffe 9

Mont fleury La Femmes juge et partie 7

Monvel L 1 Amant bourru 7

Pigault-Lebrun Les Rivaux d'eux-m8mes 12

Pilhes Le Bienfait anonyme 6

Piron La Métromanie 5

Poinsinet (A.A.H.) Le Cercle 2

Poinsinet de Sivry (L.) Briséis 1

Pujoulx Les Dangers de l'absence 12

Racine Andromaque 10 Bajazet 4 Britannicus 2 - 24 -

... AUTEURS TITRES DES PIECES NOMBRE DE REPRtSENTATIONS EN 1804

Iphigénie 16 Mithridate 4 Phèdre 15

Regnard Le Distrait 8 Le Joueur 3 Le Retour imprévu 1

Richaud-Marte1ly Les Deux Figaro 7

Roger Caroline 3

Rousseau (J.-J.) Pyg1llalion 2

Sedaine La Gageure imprévue 5

Sewrin et Chazet La Leçon conjugale 11

Simons-Candeille (Mme) Cathérine 6

Vigée L'Entrevue 3

Voltaire Adéla!de du Guesclin 4 Alzi re 2 L'Enfant prodigue 5 Mahomet 1 Oedipe 7 L'Orphelin de la Chine 3 Nanine 6 Sémiramis 3 Tancrède 4 Za!re 4

Weiss, Jauffret et Les Deux frères 11 Patrat

(Les sources du tableau ci-dessus sont données h la note 28)

Une lecture attentive de ce tableau démontre un fait qui paraît con- tredire nos conclusions sur la préférence de la tragédie h l'époque. Une simple addition révélerait, en effet, que la Comédie Française de 1804 a

joué des tragédies 186 fois et des comédies 475. Considérons donc le

tableau de plus près pour essayer d'y trouver une solution à cette contra- - 25 -

diction et voir si cette liste de pi~ces ne se prête pas ~ des interpréta­ tions trompeuses.

Notre tableau indique le nombre de fois oh chaque pi~ce a été jouée.

Nous voyons que certaines pi~ces comiques n'ont été représentées qu'une seule fois pendant toute l'année. Beaucoup d'entre elles - les deux pi~ces de Forgeot, par exemple, Les Epreuves et Rivaux amis, ou Crispin médecin de Hauteroche -ont certainement dO servir de "levers de rideau", petites pièces en un acte dont l'intérêt et le mérite étaient négligeables, mais qui servaient ~ occuper la sc~ne, sinon les spectateurs, avant le commence­ ment de la représentation principale. Un assez grand nombre des comédies pourrait donc être ainsi éliminé du répertoire "sérieux" de la Comédie

Française.

Le tableau nous montre ensuite la préférence du public pour les oeuvres de certains auteurs. Sur les 475 représentations de comédies, il y en a cinquante-et-une de Moli~re, vingt-sept de Destouches, vingt et une de

Collin d'Harleville; dans le genre tragique, trente-six représentations de

Corneille, cinquante et une de Racine, trente-neuf de Voltaire. Or, parmi les oeuvres de Corneille n'apparaissent ni L'Illusion comique, ni La Place

Royale; Les Plaideurs de Racine manque également. Nous savons que 1' Empe­ reur préf~re la tragédie; les comédies des maîtres dramatiques tels que

Corneille et Racine ne sont donc pas incluses dans le répertoire du théâtre officiel de l'Etat.

Par ailleurs, des comédies classiques par excellence brillent par leur absence, par exemple, le Dom Juan de Moli~re. Sous un régime qui vient d'é­ tablir l'union du tr8ne et de l'autel (par le Concordat de 1801), dans une - 26 -

période où l'établissement de l'ordre est une condition sine qua~ de la réussite du programme de Napoléon, la régie de la Comédie Française ne saurait donner son approbation à la représentation d'une pièce telle que le Dom Juan. Il en va de même pour Les Précieuses ridicules: on est encore trop pris, en 1804, dans la réorganisation sociale que l'Empereur essaye d'effectuer parmi l'ancienne et la nouvelle aristocratie pour qu'une telle pièce plaise au gouvernement. Et si Napoléon espère rétablir la dignité de l'ancienne noblesse, il est facile à comprendre qu'une pièce telle que Le Mariage de Figaro soit proscrite. Nous avons, d'ailleurs, un témoignage du peu d'intérêt du public parisien pour cette pièce dès 1802.

Le 6 juin, Stendhal écrit à Edouard Mounier qu'elle a été donnée dans la salle de l'Opéra, au profit de Mlle Contat:

••• j!ai trouvé le spectacle des loges beaucoup plus intéressant que celui qui nous avait rassemblés ••• Mlles Mars et Contat ont achevé le tableau par leur jeu charmant à la fois et profond. Tout le reste de la pièce a été très faiblement goOté. Les pirouettes de;Vestris, les grâces de Mme Coulomb et les cris de Mmes Maillard et Branchu n'ont pu étouffer l'ennui qui devait naturellement résulter de quatre heures de spectacle sans intérêt. Le souvenir de.:- l'ancien succès de Figaro a seul empêché les spectateurs de témoigner leur mécontentement.29

La Comédie Française n'osera plus offense~par la représentation de Figaro, les deux noblesses qui s'amalgament à partir de 1804.

Or, il n'y a pas que des comédies qui soient omises du répertoire.

Nous remarquons également l'absence de certaines tragédies qui risqueraient de nuire à l'atmosphère que Napoléon est en train de créer autour de son régime et de lui-même. Nous avons dit que Polyeucte a été repris en 1803

à la demande du Premier Consul; pourtant, cette pièce est absente du ré- pertoire de 1804. Pourquoi? Parce que Polyeucte, héros dont le zèle reli- - 27 -

gieux et politique le pousse à briser les idôles mêmeJ de ses maîtres, est un héros dangereux, un mauvais exemple pour la jeunesse, un .auteur de

troubles, un opposant au conformisme nécessaire au succès de tous les régimes,

et en particulier du régime impérial.

Bien qu'il n'existe pas de preuves formelles d'interventions personnelles de Napoléon dans la sélection du répertoire du Théâtre Français, les socié­

taires aspirant à sa faveur ont éliminé les pièces qui risquaient de lui déplaire. C'est du moins l'hypothèse que nous formulons, car elle nous semble plausible.

Le rôle du théâtre donc, s'étend jusque dans les affaires gouvernemen­ tales. Son importance, comme nous avons essayé de le montrer, se manifeste dans les domaines sociaux, culturels et politiques. La population parisienne, en ce début du dix-neuvième siècle, est prise d'enthousiasme pour toute activité théâtrale.

Pour le jeune Beyle, qui a dix-neuf ans lorsqu'il revient ~Paris en

1802, et qui cherche la voie qui le mènera le plus directement à cette gloire

~ laquelle il se croit destiné, la tentation de faire carrière au théâtre est trop forte pour qu'il y résiste. Son imagination lui persuade que c'est au théâtre qu'il réussira du jour au lendemain, c'est par le théâtre qu'il gagnera l'estime du monde oh il désire tant se faire une place au soleil.

Les auteurs dramatiques acquièrent une gloire quasi-instantanée, il ne con­ naissent point de soucis d'argent, leur place dans la bonne société est assu­ rée. La recette de l'Opéra va ~ 12.000 francs, avons-nous dit; celle du

Théâtre Français, 6.000 francs. La part de l'auteur peut donc atteindre jusqu'~ 1.500 francs dans la soirée. Quoi de plus naturel, alors, que de voir

Stendhal, avec ses 2.400 francs --par an! choisir le métier d'auteur dra- - 28 -

matique, qui fera de lui un riche et célèbre personnage, lui fera oublier -- et ses complexes et les échecs militaires, économiques et amoureux qu'il a éprouvés jusqu'ici?

Stendhal, son esprit mathé~atique et logique déjà formé par ses pre­

mières études, est assez intelligent pour voir la nécessité d'acquérir une

culture avant de se lancer dans la composition dramatique. Les années

qu'il passe à Paris et à Marseille entre 1802 et 1806 seront donc consacrées

à des études destinées à lui fournir le bagage indispensable à la profession

qu'il a élue, c'est-à-dire, à l'acquisition d'une culture et d'une philoso­

phie lui permettant de connaître les hommes et les passions qu'il désire

peindre. Nous n'avons qu'à ouvrir le Journal que tient Stendhal pendant

ces quatre années pour voir avec quelle détermination le jeune homme sui­

vra son plan d'études. Lui, qui a à peine assez d'argent pour subsister

d'un jour à l'autre, qui écrit incessament à sa soeur pour quémander de

l'argent de son père, ce même Stendhal trouve néanmoins le moyen d'assister

presque chaque soir au théâtre. (Voir Appendice ~)

De plus, il lit voracement; il pique ici et là des idées qui pourront un

jour lui servir dans la peinture de ses personnages, et il glane des rensei­

gnements sur tout ce qu'il estime pouvoir incorporer aux chefs-d'oeuvre dra­

matiques qui sortiront un jour de sa plume. Son travail n'est point orga­

nisé, ses lectures ne sont point suivies, mais tout ce que Stendhal apprend

pendant cette époque de formation aidera, par son désordre même, à former

l'esprit critique de Stendhal amateur, sinon auteur, de théâtre.

Par son programme de lectures et par son assistance presque quotidienne

au spectacle, Stendhal parvient à amasser les idées qui serviront à ses cré­

ations dramatiques. Ces réflexions sur le théâtre seront scrupuleusement - 29 -

inscrites dans le Journal. Dans les chapitres qui suivent, nous allons essayer de suivre le chemin de Stendhal spectateur, lecteur et critique de thé~tre pendant les années de préparation~ une carri~re d'auteur dramati­ que. Ce qui nous intéresse, dans le présent mémoire, est le programme que

Stendhal se trace pour atteindre son but, programme qu'il suivra pour par­ venir ~ se faire une carri~re au thé~tre. Les divisions que nous nous pro­ posons pour faire ce travail sont forcément arbitraires, mais nous jugeons que, même artificielles, elles sont nécessaires pour mettre un peu d'ordre dans le chaos du Journal et de la Correspondance.

Au moment où Stendhal est témoin de l'activité théâtrale~ Paris, le

Romantisme n'est pas né, et il existe encore une distinction tr~s marquée entre les genres tragique et comique. Nous adopterons donc cette division des genres. Le chapitre suivant est consacré au travail de Stendhal sur le comique et les auteurs de comédies. Il est suivi d'un chapitre sur le tra­ gique, les auteurs et les théories dramatiques. Nous laisserons délibéré­ ment de.côté Stendhal dramaturge. Seul Stendhal étudiant et critique du thé~tre intéresse notre étude. CHAPITRE DEUXIEME

1 STENDHAL ET LA COMEDIE

Le jeune Stendhal revient d'Italie ~ Paris en 1802. Sans emploi, sans position sociale, il peut ~ loisir faire un retour sur lui-m@me et chercher les raisons 1' empêchant de forcer la porte du "grand monde" pa- risien. Dans les trois années qui ont suivi son départ de Grenoble en

1799, il n'a rencontré partout que des échecs: échec dans sa br~ve carri~re militaire, échec dans ses tentatives amoureuses, échec dans la vie mondaine.

Il est cependant toujours convaincu, en 1802, qu'avec de l'argent on peut tout avoir. Comme son p~re continue ~ faire la sourde oreille A ses demandes d'argent, Stendhal devra faire face ~ la réalité et trouver par lui-même les moyens de subsistance compatibles avec la vie à laquelle il aspire. Cet argent nécessaire A sa réussite, Stendhal décide de le gagner par le moyen le plus rapide, sinon le plus sûr; il écrira une comédie.

Dans les notes réunies apr~s sa mort en un recueil intitulé Pensées, il

éai.t:

Il est doux d'avoir de la gloire et un peu d'aisance. Il est doux d'avoir de jolies femmes et d'entrer dans le monde par le ciel. Voil~ mes raisons pour faire les Deux Hommes, comment puis-je y résister?l

Or, les Deux Hommes n'est point la seule comédie A figurer dans les projets du jeune Beyle, car il se prépare non seulement une place établie et stable dans la bonne société de son temps mais, en même temps, une gloire impérissable dans le monde des lettres. Ainsi, son Journal pour le début de l'année 1803 cite les sujets des ouvrages qu'il projette: - 31 -

Comédies

Le Philosphe amoureux, comédie en 5 actes et en vers (Emile, mer, s(ujet) des Précepteurs). Pamela, Comédie en 5 actes et en vers. La Coquette corrigée, comédie en 5 actes et en vers. Le Séducteur, comédie en 5 actes et en vers (Lovelace).

Le 29 mai 1803, il ajoute à cette liste:

Je vais faire les Deux Hommes, le sujet du Philosophe agrandi. Apr~s cela, Hamlet-.--- Ensuite, trois ans de repos. Peut-@tre apr~s: Le Courtisan, grand et beau sujet. Le Séducteur et Le Séducteur amoureux, beaux sujets que je laisserai comme~ pouvant durer que deux cents ans au plus.2

Viennent ensuite, à la m@me date, les sujets de quatre tragédies, cinq oeuvres poétiques, trois ouvrages en prose, tous notés de façon chronolo- gique et systématique.

Stendhal, dont l'esprit analytique et logique s'est affirmé depuis l'~ge de seize ans, croit qu'il découvrira bientôt une formule quasi- scientifique qu'il lui suffira d'appliquer pour créer un chef-d'oeuvre comique. Il écrit dans ses Pensé "Si je veux jamais réussir dans la société, il faut analyser tout ce qui s'y fait".3 Et il ajoute: "Cher- cher une méthode d'analyse par laquelle je puisse tirer d'un caract~re ou d'une intrigue tout ce qu'il peut donner".4 Il n'aura qu'à faire un résumé, pense-t-il, des connaissances qu'il poss~de déjà, les ajouter aux nouvelles idées qu'il aura acquises par ses lectures et par son observa- tion de l'homme, et ensuite les amalgamer dansune oeuvre qui plaise aux auditeurs de son temps. Convaincu que tout l'art comique peut être ainsi réduit à des schémas mathématiques, et que la gloire l'attend, Stendhal se met au travail. - 32 -

Dès son adolescence ~ Grenoble, Stendhal avait déj~ commencé ~

satisfaire son goût de lecture dans la bibliothèque de son grand-père

Gagnon. Dans une lettre ~ Pauline, le 29 janvier 1803, il se rappelle cette période de sa jeunesse:

Deux causes m'ont fait étudier: la crainte de l'ennui et l'amour de la gloire. C'est l'envie de m'amuser ou la crainte de l'ennui qui m'ont fait aimer la lecture dès l'âge de douze ans. La maison était fort triste; je me mis~ lire et je fus heureux ••• s

Dans cette bibliothèque du docteur Gagnon figuraient les comédies de

MOlière, et Stendhal les découvrit très tôt. En 1802, décidé de tenter sa chance dans la comédie, il aura de nouveau recours ~ Molière, pour au moins une partie de ses études. Or, le 23 février 1804, dans le catalo- gue de tous les livres qu'il possède, il inclut les volumes des oeuvres 6 de Molière parmi ceux laissés~ Claix. A Paris donc, il lui faudra lire

Molière~ la Bibliothèque, il ne pourra l'avoir sous la main pour y faire des études suivies, il ne pourra s'en inspirer entièrement dans le courant de ses activités journalières. Mais c'est néanmoins le talent d'un

Molière qu'il veut atteindre, le talentde ce même génie qui a été son premier précepteur d'art dramatique. Il en parle sans cesse dans La Vie de Brulard: " ••• dès l'~ge de sept ans j'avais résolu de faire des comédies comme Molière". 7 "Dès ce moment [1794] ma vocation fut décidée: vivre~ Paris en faisant des comédies comme MOlière".8 "J'étais gai et actif comme un jeune poulain, ••• je me regardais comme un curieux détaché

à 1' armée pour voir, mais destiné à faire des comédies comme Molière". 9

Il se donne même 1 1 appellation de "successeur de Molière" •10 Stendhal fait constamment allusion ~ cet idôle dans les pages de son Journal: le

7 juillet 1804, il 1' appelle le "divin Molière" .11 Le 14 de ce mois, il - 33 -

11 12 écrit: "Ces gens-Ul. ~ l'Académi~ ont bien besoin d'un Molière • Le

25 février 1805, il exprime son admiration pour Molière auteur et acteur. 13

Le 25 novembre 1804, Stendhal s'accuse de manquer de sensibilité aux traits comiques. Il voudra donc se "dérousseauiser", pour parvenir~ regarder la société avec plus de détachement. Car Stendhal a connu, très jeune, l'influence de La Nouvelle Hélo~se, et il ne pourra pas facilement se détacher de la sensibilité, de la passion, de la morale qu'il y a trou- vées. Pour pouvoir mettre en scène des hommes dont se dévoilera le carac- tère, il lui faudra s'efforcer de voir l'homme avec beaucoup plus de froi- deur et de détachement qu'il ne l'a fait jusqu'ici. Il se fera donc la règle de "lire sans cesse Molière et Goldoni" .14 Le 7 juin de cette année

1804, il a écrit~ son ami Louis Crozet, ~propos du Faux Mêtromane qu'il comptait commencer ~ ce moment-1~: "Je cherche ~ me dépassionner pour rede- venir froid philosophe et faire mon plan".lS

Si,pour se "dépassionner", Stendhal va aux anciens maîtres de la comédie, Molière et Goldoni, l'étude de ces mêmes auteurs lui donnera aussi une préparation "technique" pour le théâtre. La période de 1802

~ 1806 sera très féconde en lectures, d'ailleurs,- lectures destinées~ le préparer à écrire des comédies. (Voir Appendice 2)

Si Molière a été l'influence première, Goldoni occupe également une place importante dans la formation du futur auteur. En Italie, en effet,

Goldoni avait été l'une des découvertes de Stendhal. Le 19 mai 1801, il assiste à une représentation de Zelinda ~ Lindoro, "excellente comédie de

Goldoni;' 16 Huit jours plus tard, il emprunte ~ un cabinet de lecture le premier volume de ses comédies. 17 Cette pase de contact avec Goldoni le pousse, le 2 juillet, ~prendre un maître d'italien, pour pouvoir lire avec - 34 -

profit l'auteur vénitien. Revenu h Paris, Stendhal continue à étudier l'oeu-

vre du Moli~re italien pour y trouver un mod~le pour ses propres essais dra-

matiques. Le 17 juin 1804, il note dans son Journal:

Quand on vient de lire Goldoni, on s'étonne comment nos auteurs ont le génie si peu dra­ matique. Toutes les figures de cet aimable peintre tournent, elles vivent, ••• il est tou­ jours gai, parfaitement nature1 .Acheter ses ouvrages, y étudier le naturel. 18

La liste de ses lectures prouve l'étude poussée que va faire Stendhal

de l'oeuvre de Goldoni pendant cette période. Il avoue le lire pour se

défaire de son sentimentalisme, pour, en fait, se sensibiliser au comique.

Or, ni l'admiration pour Moli~re, ni celle qu'il porte h Goldoni

ne réussiront h étouffer longtemps l'esprit critique de Stendhal. Pour

autant qu'il se fie h ces premiers maîtres h Grenoble et en Italie, il va

commencer, lors de son retour h Paris en 1802, h passer au crible les oeu-

vres et les théories des deux génies du comique.

Moli~re, le premier à avoir enseigné à Stendhal les principes de la

comédie, sera l'objet, entre les années 1802 et 1806, d'une critique tr~s

exigeante. Beyle vise, en effet, plus haut que son mattre: "Ne pourrait­

on pas rendre la comédie plus intéressante que le divin Moli~re?"l9

Stendhal trouve que les oeuvres déjà existantes sont ipso facto démodées

et ne répondent plus aux goûts du jour. La société du dix-neuvi~e si~cle

a donc besoin d'une comédie nouvelle que Stendhal esp~re créer. Son étude

critique des oeuvres de Moli~re essayera d'en dégager les points faibles

qui les emp~chent de satisfaire pleinement le public de 1802.

Le premier reproche que Stendhal adresse à Moli~re est d'ordre général:

son théâtre a vieilli. Une pi~ce comme Les Précieuses ridicules fait encore

------~·····--·~·-- - 35 -

rire en 1804, mais elle devait avoir beaucoup plus de force dans son temps, alors que tout "portait". Et Stendhal prend cette même pi~ce en exemple de ce qu'il faut faire~ sa propre époque, en disant:

Voil~ le vis comica qu'il faut acquérir, et sans laquelle il n'y a point de comédie ••• Etudier bien les moeurs de mes contemporains, c'est-~-dire, ce qui leur paraît juste, injuste, honorable, déshono­ rable, de bon ton, de mauvais, ridicule, agréable etc. Voil~ ce qui change tous les demi-si~cles.2 0

Le 7 juillet 1804, Stendhal écrit dans son Journal qu'on "peut sur­ passer le divin MOli~re du côté de l 1 intérêt".21 La réflexion est logique, puisqu'il esp~re lui-m~e écrire la comédie qui réflétera les moeurs de son dix-neuvi~e si~cle et non pas celles de l'époque de Moli~re. Il critique aussi Le Misanthrope, mais il admet que la pi~ce est "la deuxi~e ou la troisi~me comédie du monde, si elle n'est pas la premi~re", qu'il y a "un exemple d'excellente conversation", que l'apparition de DuBois "dé­ ride et fait beaucoup de plaisir" • 22 Il persiste toutefois dans son idée que la pi~ce est démodée, et note que Moli~re est faible en ce qu'il ne

"peint pas assez son caract~re par des actions".23 Il a la m~e critique

~ faire, d'ailleurs, le 21 février 1805, au retour d'une représentation du Bourgeois gentilhomme: 11 m~e jugement qu'~ la lecture: les traits vrais, mais les plus grossiers, des caract~res sans développements11 .24 Il faudra attendre la publication de Racine et Shakespeare pour voir Stendhal s'expli- quer sur ce qu'il attend des pi~ces de Moli~re; ce qu'il reproche~ ces pi~ces, c'est le manque de vraie comédie, l'absence du "rire gai", comme il 1 1 appellera:

Seulement le comique est comme la musique; c'est une chose dont la beauté~ dure pas. La comédie de Moli~re~st trop imbibée de satire, pour me donner souvent la sensation - 36 -

du rire gai, s~ Je puis parler ainsi. J'aime ~ trouver, quand je vais me délasser au thé~tre, une imagination folle qui me fasse rire comme un enfant.25

Il semble donc que Stendhal ne soit pas réceptif sans réserve aux comédies de Moli~re. Pourtant, dans une lettre h Pauline, datée du 16 no- vembre 1804, il avoue avoir mal compris son premier maître. Il écrit:

Moli~re a cherché le rire et pour cela a peint des originaux tels qu'ils peuvent exister. C'est l'hom(me) qui fait le mieux connaître le coeur humain, mais il faut en avoir la clef. Je comprends tous les jours, par ce que je vois, des traits sur lesquels je glissais en lisant ce grand peintre.26

Et dans une lettre antérieure h sa soeur (le 6 juillet 1804) il dit:

Lis beaucoup Moli~re; voil~ le monde où tu vivras un jour; on y parlera un français un peu différent, et voilA toute la différence.27

Il faut évidemment tenir compte de ces deux lettres en parlant de la critique que fait Stendhal des oeuvres de Moli~re, car elles semblent toutes deux contredire les réflexions que nous avons citées dans les pages précé- dentes. Stendhal a consacré des pages enti~res de son Journal et de sa

Correspondance à accuser le thé~tre de Moli~re d'atre démodé, de ne pas peindre ses personnages de façon réaliste et "humaine". Or, dans ses deux lettres de 1804, il offre à sa jeune soeur l'occasion de glaner, dans le thé~tre de ce m~e MOli~re, des connaissances de la société qu'elle connaî- tra plus tard. Dans leurs contradictions mêmes, ces deux extraits de la

Correspondance sont typiques des jugements de notre jeune critique, typiques de la critique d'humeur -bonne ou mauvaise- qu'il est porté à faire. C'est ce m~e Stendhal qui écrit, le 28 août 1804:

••• la pi~ce [Le Misanthrope) est froide, elle n'a ni la chaleur de la tragédie, ••• ni la chaleur de la comédie ••• chaleur qui vient de ce que l'esprit - 37 -

est sans cesse amusé par quelque chose de nouveau.28

Et c'est encore Stendhal qui trouve Les Femmes savantes une pi~ce qui risquerait d'enseigner aux femmes h se méfier des idées; ainsi il

écrit h Pauline:

Songe qu'en employant ce temps h étudier la belle littérature tu acquerras un moyen de te faire dix mille amis dans le monde. D~s qu'un homme voit qu'une femme le comprend, il brûle d'avoir son suf­ frage; vous souriez, il est aux anges. Mais lh comme ailleurs le sublime en bien est pr~s du sublime en mal. Un peu d'indiscrétion et tu deviens Philaminte des Femmes savantes.29

Si telles sont les exigences de Stendhal dans ses jugements des comédies de Moli~re, l'oeuvre de Goldoni devra subir, elle aussi, cette même critique sévère. Si Stendhal trouve du bon dans les pi~ces de

Goldoni, c'est surtout h cause de leur naturel. Par contre, le ridicule de Goldoni lui déplait, et il critique le manque de "politesse" dans les pi~ces (Journal, 5 juillet 1804). Il trouve, en plus, que la sensibilité française est plus raffinée que la sensibilité italienne; le 7 juin 1804, il écrit:

Je pourrai refaire h la française beaucoup de sujets {que] Goldoni a traités h l'italienne. Si je suivais ce projet mes pièces n'auraient absolument rien de commun avec les siennes que l'objet. Ses intrigues ne sont point assez fortes pour moi, et ses plaisanteries ne sont pas assez délicates pour nous.30

Il est intéressant de remarquer que toute la critique des comédies de Goldoni repose sur un point majeur, h savoir, le désir de Stendhal de plaire h ses auditeurs, de ne pas offenser ses lecteurs, d'être bien reçu dans la société parisienne. Aussi note-t-il dans ses Pensées: "h(enri).

--Pour réussir, flatter mes contemporains ••• n31 Stendhal étudie donc l'oeuvre de Goldoni pour en tirer sa technique, mais les sujets et les - 38 -

intrigues du Vénitien resteront étrangers ~l'idéal du futur auteur co- mique.

Dès 1802 donc Stendhal trouve que le programme qu'il s'est établi, programme qui devait le conduire ~ un chef-d'oeuvre comique, est plein de lacunes. Il pensait pouvoir compter sur ses deux mattres de jeunesse pour arriver ~ une conception du comique. Il est déçu, car il découvre

~ Goldoni et ~ Molière des défauts capitaux qui les emp~chent de servir de mattres absolus, voire qui les éliminent presque entièrement de son plan d'études. Par conséquent, il ne sera possible~ Stendhal d'imiter servilement ni Goldoni, ni Molière; il lui faudra faire tout un travail de recherche pour pouvoir connaître ~ fond le comique. Il devra donc re- partir ~ zéro et chercher en lui-même et dans la société qui l'entoure la nature et les ressorts du rire.

Pour Stendhal, la connaissance de l'homme et de la société autour de lui se trouve dans les livres. Comme tout peut ~tre réduit ~ des formules mathématiques, toutes les connaissances nécessaires ~ son éducation comique pourront se retrouver dans ses lectures. La découverte de la nature du rire, donc, attend Stendhal sur les rayons de la bibliothèque. Il commence par une étude de l'Art de la comédie de Cailhava, auteur comique contemporain.

Stendhal rapporte ainsi cet épisode:

••• j'osai aller chez M. Cailhava pour acheter un exemplaire de son Art de la comédie que je ne trou­ vais chez aucun libraire. Je déterrai ce vieux garçon dans une chambre du Louvre, je crois. Il me dit que son livre était mal écrit, ce que je niai bravement. Il dut me prendre pour un fou. Je n'ai jamais trouvé qu'une idée dans ce diable de livre et encore elle n'était pas de Cailhava mais bien de Bacon ••• Il s'agit de la définition du rire. - 39 -

Ma cohabitation passionnée avec les mathématiques m'a laissé un amour fou pour les bonnes définitions, sans lesquelles il n'y a que des ~ peu pr~s.32

Or, la "bonne définition" du rire qu'attend Stendhal ne viendra pas fol'( de la lecture de Cailhava. Le 25 avril 1804, il consigne dans Journal, l

propos de son ami Mante: "il a découvert tout ce que Hobbes a dit du rire".33

Le 16 juin, Stendhal note qu'il lit lui-même "l'excellent ouvrage de Hobbes,

intitulé De la Nature humaine, 11 34 et il essaye d'y trouver les causes du

rire. Toujours soucieux de sa réussite en société, il note l'importance

de la puissance que peut exercer le rire, mais en ne faisant aucune distinc-

tion entre le et le comique:

Le comique, le rire, est le dernier pouvoir qui reste l un homme sur ~utre ••• La mani~re la plus sOre d'humilier celui dont vous riez est que votre rire ait l'air le plus possible indépendant de la volonté et que les bases de ce rire aient l'air d'être les plus claires possibles ~ nos yeux.35

Briller en société, selon Stendhal, c'est avoir l'avantage sur les

autres; nous retombons encore ici sur le th~e monotone de Beyle - l'immen-

se effort du petit provincial pour s'assurer une place en société.

Il est parfois difficile, dans un travail comme le nôtre, de déterminèr

les vraies raisons de certaines des notations de Stendhal, de savoir où

il veut en venir par ses réflexions. Il nous paratt, toutefois, que

Stendhal n'a pas réussi ~ séparer le comique du rire (comme le montre la

citation ci-dessus) parce qu'il essaye justement d'appliquer son étude de

Hobbes non seulement l sa réussite sociale personnelle, mais aussi l la

création de son chef-d'oeuvre comique. Hobbes l'assure que le rire ne

peut exister sans vanité, vanité qui se nourrit de flatterie, et dépend

donc de la politesse d'autrui. Par ailleurs, un certain ordre social, bien - 40 -

défini et bien établi, est indispensable pour fournir les standards auxquels la politesse se conforme. Tout écart de ces standards crée une situation risible. Partisan du régime de Napoléon - dont nous avons vu l'ordre rigoureux au premier chapitre - Stendhal s'inspire de sa lecture de Hobbes pour écrire ~ sa soeur le 20 juin 1804:

L'extrême politesse est celle de Paris actuellement, oh se trouvent les gens les plus polis qui aient ja­ mais existé, c'est-~-dire ceux qui ont le plus de va­ nité et qui savent mieux plaire ~ celle des autres. Avoir une plus grande vanité, c'est être susceptible sur des choses plus petites ••• l'extrême politesse, dis-je, est une suite nécessaire de l'extrême égo!sme ••• l'égo!sme vient du gouvernement monarchique; mais la comédie ne peut régner que dans l'extrême politesse; donc, il n'y a point de bonne comédie sans monarchie.36

Ses Pensées du 16 juin 1804 contiennent les remarques suivantes:

••• la politesse est un fruit nécessaire de l'égo~sme, qui lui-même vient du gouvernement monarchique; mais l'extrême politesse est le seul pays oh il puisse exister un excellent comique, donc la comédie est une fille de la monarchie.37

Ayant constaté que ces conditions "monarchiques" existent sous le régime de Napoléon, Stendhal se met ~ formuler des r~gles pour la création de sa comédie. Il estime tout d'abord que son oeuvre devra répondre aux désirs raffinés de la société de son temps. Le vrai comique, à son avis, doit faire rire, mais sans jamais oublier de suivre la voie de la délica- tesse. La sensibilité des auditeurs et la politesse qui r~gne dans la société sont deux considérations majeures pour la réussite "bnnête" d'une comédie. Le 5 juillet 1804, il dit que Tencin lui fournit la r~gle sui- vante:

••• être celui de tous les écrivains qui aura le moins offensé la vanité de mes lectures, et cela avec l'air le plus naturel à leurs - 41 -

yeux, sans qu'ils s'en aperçoivent; car une sourde vous sait mauvais gré de parler haut si elle s'en aperçoit.38

Cette règle pour Stendhal s'appliquera surtout h la comédie: "L'art

de faire rire le public des objets qui me semblent odieux me tourmente

toujours beaucoupn.39

Les études de Stendhal h cette époque le conduiront donc, espère-t-il,

à l'art de "faire rire le public". Il continue h chercher, dans ses lee-

tures surtout, mais aussi dans les réactions du public théâtral qu'il ob-

serve, les ressorts du rire, c'est-à-dire, les recettes du succès au

théâtre comique. Son travail semble avorté et décousu, mais on peut re-

trouver, dans les pages de son Journal, plusieurs allusions à l'effort

qu'il fait pour découvrir les éléments essentiels de la comédie.

Par ses propres réflexions, il se rend compte d'une des conditions

nécessaires au comique: pour bien écrire la comédie, il faut savoir peindre

les caractères. Là où il trouve faibles les comédies de MOlière, il faudra

que Stendhal mette tout son talent. Le 6 juin 1804, il écrit: "La comédie

a un grand avantage sur la tragédie, c'est de peindre les caractères; la

11 40 tragédie ne peint que les passions • Quatre jours après, il ajoute:

C'est presque sans y penser et en écrivant au courant de la plume, que j'ai découvert cette vérité que je crois capitale; que la tragédie est le développement d'une action la comédie d'un-caractère.41

A en croire son Journal, Stendhal a toujours fait une étude fort soignée

de l'art de bien peindre les personnages. Il dit avoir été jeté dans l'art

dramatique par la lecture du Préjugé ! la mode, faite avant son départ de

Grenoble. En se rappelant cette expérience, il écrit dans son Journal du

22 novembre 1804: - 42 -

Grand objet ~ considérer, ne pas peindre ce qui cessera d'exister, approfondir ce sujet, chercher les caract~res les plus durables possibles.42

Or, toutes ces études de l'homme et des moyens de le représenter sur

la sc~ne n'aboutiront pas ~ fournir ~ Stendhal la connaissance de la nature humaine nécessaire ~ la rédaction d'une comédie. Car l'homme qu'il essaye d'étudier (et qu'il essayera ensuite de faire vivre sur une sc~ne) n'existe· que dans l'esprit de Stendhal. Cet homme existe, de façon livresque, dans un ordre social mécanique que Stendhal se crée autour de lui. Il se rend compte lui-même, d'ailleurs, des limitations de l'étude de l'homme qu'il a

faite:

L'état de réflexion qui m'est habituel est contraire ~celui d'expérience, sans lequel je ne serai jamais a true Bard. Il ne s'agit pas de savoir ce que ceux qui ont fait cette expérience ••• sont, mais de ce que serait une âme comme la mienne qui l'aurait faite.~!

Mais les études livresques de Stendhal ne sont pas seules ~ lui impo- ser des limitations; l'état rousseauiste de son esprit crée aussi des attitudes typiquement stendhaliennes en face du probl~e de la nature de l'homme. Au mois d'avril 1804, il lit Lancelin (po~te médiocre du XVIIIe si~cle), et y trouve l'explication de la division des facultés de l'homme en deux catégories, le coeur et la tête. Son Journal rapporte qu'il comp- te sur cette découverte pour l'aider~ continuer le travail sur sa comédie

(Les Deux Hommes): "La division de l'âme et de l'esprit m'éclaire de plus en plus".44 C'est ici, en somme, la continuation de son grand effort phi- losophique de dérousseauisation. Il y aura des moments de progr~s, comme celui que nous venons de citer, où il se sentira tout près de se dégager de sa vue "passionnée" de l'homme. Le 29 avril 1805, il dira qu'il a eu 11 le - 43 -

sang froid comique" en lisant "Figaro" huit jours auparavant.45 Et le 30 avril, il se conseille: "più di tenerezza alla R(ousseau)" (Finie, la ten- dresse h la Rousseau~).46

Mais il y aura aussi, et bien plus souvent, des moments où Sten~hal ne saura plus échapper h l'influence de sa formation rousseauiste. Le 16 no- vembre 1804, par exemple, il écrit: "Je commence à m'apercevoir qu'un coeur trop passionné ne sent pas bien des choses: le comique, le naif, les fines sensations du style".47 Le 25 novembre, il dira que lui-même ne sent pas le comique. Stendhal, donc, à l'époque où il fait ses études de comédie, se sent par moments trop engagé dans la vie pour en faire une peinture ob- jective des caract~res,trop absorbé par l'idée de sa réussite sociale pour atteindre une vue "froide" de l'homme et de la société.

Nous n'avons traité jusqu'ici que les lectures de Stendhal. Or, il se rend compte que lire des comédies ne lui suffit pas pour acquérir une con- naissance approfondie des ressorts du théâtre comique: il faut observer l'homme en chair et en os. Lors de son séjour à Claix, au cours de l'été de 1803, il écrit dans ses Pensées: "Je cherche à voir ici les vérités don- nées par la théorie".48 Et, en repartant pour Paris, en octobre, il note

"J'ai vu l'homme dans l'homme et non plus uniquement dans les livres".49

Cette attitude d'observateur, Stendhal va désormais l'adopter en parall~le avec celle de liseur. A Paris, il ira au théâtre étudier les réactions du public. En tête d'un nouveau cahier pour les mois d 1 octobre et novembre 1804, se trouve cet aveu:

On ne compose pas bien the comedy in the too continuelle solitude, les détails ridicules s'effacent~ on ne voit plus que les principes généraux. Su - 44 -

Stendhal compte tirer les conséquences de cette pensée non seulement dans la composition de ses comédies, mais aussi pendant la période d'étude qui préc~de. Dans la critique des comédies auxquelles il assiste, il va inclure et cataloguer les réactionsdu public théâtral. Il va essayer d'y trouver les raisons et les ressorts du rire, les "recettes" du théâtre co- mique. Dans ses Pensées du 29 juillet 1804, nous trouvons les remarques suivantes:

Tout l'effet du poète est dans le coeur de ses auditeurs. Ce n'est que 1~ que sont ses véritables victoires. Il doit y voir l'effet que les passions qu'il peint chez ses protagonistes produisent dans le coeur des spectateurs. Etudier ce qui s'y passe, cela vaut mieux que d'étudier Aristote. Le parterre des Français m'est doublement utile: j'étudie la pi~ce et lesspectateurs, je vois d'abord ce qu'ils sont, ensuite leurs rapports.Sl

Le 10 aoOt 1804, il ajoute:

Les autres trouvent des émotions au théâtre, je n'y trouve que des instructions et toutes celles que j'y éprouve sont presque en fonction de ma gloire. 52

Stendhal, jeune critique exigeant, acceptera peu du thé~tre français.

La partie constructrice de sa critique sera limitée; elle ne portera que sur un tr~s petit nombre des représentations auxquelles il assiste. La satire, que Stendhal a critiquée dans les pi~ces de Moli~re, devient pour lui d'un emploi très délicat dans la bonne comédie. Le 9 mai 1804, il assiste ~ une représentation de La Parisienne de Dancourt, et il écrit en- suite dans son Journal:

On pourrait refaire la pièce de Dancourt en vers, en ne lui prenant que l'idée principale. C'est un charmant exemple de la manière dont on peut mettre la satire en comédie. Et quelle différence!53 - 45 -

Si l'idée de la satire vient de Moli~re, l'importance d'un autre élé- ment essentiel de la comédie, le naturel, est née de Goldoni. Car Stendhal,

ayant une fois choisi Goldoni comme mod~le à cause du naturel de ses pi~ces, va exiger ce même naturel dans les comédies de ses compatriotes. La Maison

de Moli~re, présentée le 19 avril 1804, méritera les louanges de Stendhal à

11 cause de son "naturel exquis • Le naturel de goldoni est encore cité en

exemple dans la critique de cette même pi~ce, le 10 juin:

C'est une esp~ce de dialogue entre les acteurs et le public. Les acteurs parlent, le public rit ou applaudit. Cette pi~ce est charmante de naturel. Goldoni est peut-~tre le po~te le plus naturel qui existe, et le naturel est une des principales parties de l'art. 54

Ce sera encore le naturel de Fanchon-la-Vièlleuse qui en fera une corné-

die réussie. Stendhal écrit, le 28 avril 1805:

.•• du naturel, de la variété dans les sc~nes, de l'intér~t ••• le comique, le bon ton, le spi­ rituel, le sentimental ••• Voilà l'esprit qui est à la portée de tous dans le monde, qui, par con­ séquent, réussit généralement.SS

Dans sa critique de cette représentation du vaudeville, Stendhal semble

avoir mentionné toutes les qualités qui lui paraissent indispensables à une comédie. Parmi ces qualités nous trouvons de nouveau la contemporanéité, qualité

qui manque, de l'avis de Stendhal, aux pi~ces de Moli~re. Dans les pi~ces

auxquelles le jeune critique assiste, cependant, il trouve tr~s peu de bons

exemples de cette contemporanéité. Le Philinte de Moli~re de Fabre d'Eglan- tine serait sans doute une exception:

••• une pi~ce excellente, un chef-d1 oeuvre .•• ce style-là sent l'étude de Corneille ••• Depuis le Tartuffe, il n'y a pas eu de pi~ce aussi fortement conçue que celle-là, et il y a plus d 1 intér~t que dans le Tartuffe. Il me semble dans mon enthousiasme que c'est là la g6us belle ordonnance de comédie qui soit au théâtre. - 46 -

Le 31 décembre, Stendhal assiste de nouveau h une représentation de

cette pièce de Fabre, et il continue ses éloges, en la comparant toujours

aux comédies de Molière:

Je la crois susceptible de faire (ayant une plus haute morale) une plus forte impression que Le Misanthrope, une aussi forte et plus élevée, par la généralité des idées, que le Tartuffe; donc, elle est un chef-d'oeuvre, faisant le plus d'effet possible à las:ène.57

Le 7 avril 1805, Stendhal appelle Fabre le plus grand génie qu'ait pro-

duit le dix-huitième siècle en littérature. Et Le Philinte de Molière

semble ~tre une des rares pièces auxquelles il est uniformément réceptif.

Car, comme nous l'avons dit, l'uniformité de goGt représente un élément

étranger au caractère et à l'esprit critique de Stendhal. Citons ses pro-

pres remarques qu'il fera le 30 avril 1805:

Il faut convenir que je sors d'un étrange état de folie; les moments d'exaltation de Rousseau étaient devenus ma manière d'@tre habituelle. Je prenais çà pour du génie, je cultivais avec complaisance et regardais en pitié ceux qui ne l'avaient pas.58

Or, ces remarques sont de 1805; Stendhal aura eu le temps, à cette

époque, de réfléchir un peu sur ses activités et sur lui-m~e. Les réflé-

xions sont faites juste avant sondépart pour Marseille (8 mai) oh il s'est

décidé à suivre Louason. Pour abandonner Paris et tous ses projets, il se

doit des raison~ valables, il lui faut trouver des excuses plausibles. Il

essaye de se convaincre alors que le séjour marseillais va être pour lui une période de rétablissement intellectuel, et, en m~e temps, une occasion

de rétablir ses affaires financières. Sa décision de partir, une fois prise,

Stendhal consacre quelques lignes de son Journal du 30 avril aux projets

qu'il compte poursuivre à Marseille ainsi qu'à une critique de sa manière - 47 -

de se conduire en société.

Cette auto-critique de derni~re heure concerne non seulement le compor-

tement de Stendhal, mais toute son échelle des valeurs, y compris les va-

leurs littéraires. Car il est impossible, dans le fouillis d'observations

et de remarques qui constitue la majeure partie du Journal de dissocier

Stendhal-écrivain et Stendhal-critique de Stendhal-arriviste. Dans la con-

fusion de son esprit - "un chaos d 1 idées claires" semble s 1 y plaire - les

vertus et les vices de la société qui l'entoure, les ridicules qu'elle sus-

cite, les travers dont elle se moque sont inséparables du 11 miroir" que

l'auteur de comédie lui tend. D'autre part, le comique, vu sous un angle

plus large et plus philosophique, a des aspects qui transcendent une épo-

que et une société. Crit~res contingents et crit~res éternels du comique

se trouvent embrouillés. Si bien qu'il faut, pour clarifier le probl~e, rapprocher les rèflexions de Stendhal éparpillées sur plusieurs centaines de

pages si l'on veut définir, une fois pour toutes, les qualités que doit, se-

lon lui, offrir l'oeuvre comique idéale. Nous avons tenté ces rapprochements

et nous sommes arrivés ~ la conclusion suivante.

Une comédie réussie doit:

1. comporter une peinture de caract~res exacte et approfondie: 11 le premier

talent est toujours de peindre les caract~res ••• n59

2. se conformer au "bon ton", ~ la délicatesse (cf. les jugements de Stendhal

sur Goldoni)

3. être écrite dans un style nerveux et bien frappé, qui ne répugne pas aux

termes propres et aux formules caractéristiques:

Je ne dois jamais sacrifier l'énergie de l'expression~ je ne sais quel bon ton. Chaque caract~re a un mot pour son idée; - 48 -

tout autre mot, tout autre tour, est un contresens.60

4. toucher les contemporains (cf. la critique de Moli~re).

S. respirer le naturel: "le naturel est une des principales parties de

l'art". 61

Stendhal blame ou loue les comédies auxquelles il assiste d'apr~s l'absence ou la présence de ces 5 qualités. La méthode est défendable, mais il semble qu'aucune des pi~ces vues ne satisfasse les exigences et soit.·.·: conforme aux théories du jeune critique.

Nous avons déj~ fait mention des principaux reproches qu'adressait

Stendhal aux oeuvres de Moli~re et de Goldoni. Ces mêmes défauts, il les trouvera dans la plupart des comédies qu'il juge. Nous ne pourrons, tou- tefois, aborder les jugements de Stendhal sans faire remarquer les con- tradictions qui se trouvent déj~ dans la tentative de synth~se que nous venons de tenter. Comme en témoignent la deuxi~me et la troisi~e des

11 r~gles 11 citées, la critique des comédies qui suit sera teintée par la nature même du jeune Beyle, et sera, en fait, le produit de son humeur.

D' apr~s Stendhal, La Métromanie de Piron est 11 froide", ~ cause de la pauvre peinture de ses caract~res.62 L'Intrigue épistolaire est soumise

~la même critique: "••• elle ne peint point de caract~res. C'est une pi~ce d'intrigue et l'intrigue n'en est ni amusante, ni intéressante, ni spirituelle11 .63 Beaumarchais, parce qu'il n'a pas su peindre les carac- t~res, est réduit au rang de po~te de second ordre. (Journal du 23 juillet 1804)

Nous avons déj~ vu que Stendhal n'acceptait pas les principes de Goldoni sur la délicatesse. Cette même question entrera souvent dans la critique qu'il fait des comédies de ses compatriotes. Les Fausses confidences de - 49 -

Marivaux auront "des grossi~retés ••• maladie du goût sous la Monarchie". 64

(Remarque curieuse, pour quelqu'un qui a écrit de longs paragraphes sur la politesse de la Monarchie, l'égo~sme, et la bonne comédie qui en résulte,

à peine six semaines auparavant ••• ) Les moeurs italiennes, responsables du manque de délicatesse chez Goldoni, ne sauraient être la cause du mau- vais ton de La Gageure. Stendhal écrit que, dans cette pi~ce de Contat et

Fleury, il n'y a "point de bon ton; on expose le caract~re des valets. Les personnages, M. et Mme de Clainville, sont toujours mystifiés par des gens

était noté comme étant un de ses principaux mérites; Les Fausses confiden- ces et La Gageure ne plaisent pas à cause de l'absence de cette délicatesse exigée par la société où se trouve Stendhal.

Selon Stendhal, l'énergie de l'expression doit aussi avoir une place dans les bonnes comédies. Si une certaine vigueur d'esprit n'entre pas dans la pi~ce, la comédie est sans valeur. L'Optimiste de Collin d'Harleville même, que l'on dirait une des comédies préférées de Stendhal, n'échappe pas à sa critique:

••• c'est une comédie bien faible. Il semble que ce pauvre Collin ait juré de fuir l'énergie; son talent semble fait pour peindre l'amour doux et pastoral ••• Il doit y avoir quelque chose de commun entre son âme et celle de La Fontaine, et rien avec Voltaire. Si son âme ressemble à ses écrits, il ne doit pas goûter du tout la joie âcre de celui-ci.66

Dans une notice sur l'auteur, parue dans un journal de Paris vers cette même époque, les remarques suivantes sont faites par un critique contempo- rain sur cette pi~ce de Collin d'Harleville: "une action faible; cela n'a point de corps, point de soutien; c'est une pelure d'oignon brodée en pail- lettes d'or et d'argent".67 - 50 -

Stendhal exigera, lui aussi, une action vivante et rapide. Le 11 avril 1804, il assiste~ La Fausse honte, qui "se traîne jusqu'~ la fin;"68 le 5 juillet, Moli~re ~~amis d'Andrieux "n'a nulle verve, elle est

froide11 ;69 le 14 novembre, Le Séducteur l'ennuie tellement par son peu d'action et par son bavardage qu'on lui "donnerait (ses] entrées toutes les fois qu'on la joue", c 1 est-~-dire, qu'il n'irait pas.7° Aux yeux de

Stendhal, le d'un vide terrible: 11 le ridicule non seulement n'est pas bien amené, mais même n'est pas creusé11 .71 Et le 2 mai 1805, Le Tyran domestique mérite l'appellation de "pi~ce ennuyeuse ••• quelques·petits traits qui feraient effet dans La Bruy~re, mais de trop peu d'intér~t pour le théâtr~•.72 Pour

Stendhal, même le comique de Regnard manque parfois de vigueur; le 3 novem- bre 1804, il dit que dans Les Ménechmes, Regnard "ne peint vigoureusement ni les ridicules, ni les passions".73

Stendhal exige donc une vigueur d'action dans la comédie; il ne sera pas moins sév~re dans son attaque contre le peu d'intér~t que présentent les pi~ces aux yeux des spectateurs contemporains. L'Homme du jour de Boissy inspire le commentaire suivant: "a une intrigue qui devait plaire beaucoup dans le temps où avoir une femme était un grand bonheur; mais il dégoûte

11 par une infinité de sentiments faux què débitent les personnages • 74 (Ne serait-ce pas ici - au.m:::>ins en partie - de la critique de mauvaise humeur?

Où est-ce que Stendhal voudrait nous faire croire qu'il n'est pas partisan de l'idée exploitée dans la pi~ce de Boissy?) Le Procureur arbitre subit la même critique, le 2 mai 1805:

Je dors pendant la pi~ce qui est de l'ancien comique. Point de drame et de grands sentiments, - 51 -

ce qui est un grand bien, mais des plaisanteries pesantes, trop préparées, qui d'ailleurs ne mordent plus.75

La nécessité de la contemporanéité donc, vient rejoindre les autres qualités requises par Stendhal. Il juge les comédies sur leur peinture des caractères, sur leur délicatesse, leur satire, leur naturel; les goûts de Stendhal sont difficiles ~ satisfaire, car, en 1802, c'est un épicurien de la lecture et du monde théâtral. Citons peut-~tre une dernière critique du jeune Stendhal pour montrer ~ quel point il se laisse emporter par ses goûts personnels et impulsifs en faisant ce qu'il voudrait appeler uné critique sérieuse du théâtre comique. Le 8 mai 1804, il écrit dans son Journal:

Toutes les fois qu'on revient du Louvois il faut se rincer la bouche. Tout y est mauvais, pièces, acteurs et spectateurs.76

C'est un étrange jugement sur ce théâtre qui deviendra, l'année sui- vante, le 11 Théâtre de 1 1 Impératrice!" Mais cette boutade est typique de celles que Stendhal est porté ~ lancer; sans en faire un compte-rendu sé- rieux, sans en donner des raisons bien étudiées, il réprouve tout ce qu'il voit au théâtre, ~très peu d'exceptions près. Il est jeune (il a dix-neuf ans en 1802), impulsif, révolutionnaire comme peut l'~tre tout garçon de son

âge. Il se fait presque un devoir de juger mauvaises les comédies auxquelles

Paris est habitué pour pouvoir lui-même juSifier son entrée dans le monde du théâtre. La société a besoin d'une nouvelle comédie, dit-il, et il veut la lui offrir. Nous devrons attendre l'avènement du Romantisme pour entendre

Victor Hugo insister sur le fait que le poète est le médiateur entre l'homme et la nature, entre l'homme et son Créateur. Stendhal, ~ un niveau moins

élevé peut-~tre, se rend compte, lui aussi, de sa "mission" d'écrivain comi- que. Il va offrir~ la société de son temps le chef-d'oeuvre comique qu'at- - 52 -

tendent les sc?=nes parisiennes de la plume de ce "successeur de Moli?=re".

Stendhal juge mauvaises les comédies de son époque, mais on ne saurait arriver à connaître la marche de son raisonnement. Il manque de suite dans

les idées; il se laisse emporter par tout ce que le hasard met sur sa route et qui chatouille son inspiration. Si les commentaires que nous avons ci­

tés avec tant de détails ne prouvent pas la justesse de sa critique théà• trale, ils servent au moins de pi?=ca:> justificatives à notre enquête sur

Stendhal étudiant et critique de la comédie.

Or, la détermination de réussir par la voie du théâtre comique, et toute la bonne volonté pour le faire, ne sauraient suffire au succ?=s de

Stendhal. Il pense que ses études sont logiques et suivies, et il s'y applique de la meilleure façon possible, étant donnés son caract?=re prime­ sautier et sa volonté vacillante. Mais il ne réussira pas dans le théâtre comique. Son trop intellectuel esprit d'analyse lui interdit une juste / appréciation de la nature même du rire. Dans ses réflexions sur les comédies, son esprit critique trop développé n'arrive pas à saisir la différence entre des goûts passagers et une norme de jugement bien stabilisée. Etrange nature que celle de Stendhal en 1802: d'une part, trop imbibée de formules logiques et mathématiques, de l'autre, trop éprise de sentiments passionnés à la

Rousseau.

Cet échec en comédie, Stendhal saura au moins s'en consoler. Car il oscille toujours entre les deux genres dramatiques, entre la comédie et la tragédie. Si ses études de la comédie ont été détaillées et minutieuses, il se tournera maintenant avec la même application vers le genre tragique, en décrivant la comédie par rapport à la tragédie. Nous insistons toujours sur le fait que cette division que nous établissons n'est point absolue, et - 53 -

n'aspire pas ~ ~tre chronologique. Le goût de Stendhal de 1802 ~ 1806 en­ globe les deux genres dramatiques; dans le chapitre suivant, nous allons suivre notre lecteur, critique et futur auteur, dans cette deuxième voie théâtrale, celle de la tragédie. CHAPITRE TROISIEME

J STENDHAL ET LA TRAGEDIE

Nous avons essayé de montrer dans le chapitre précédent que le théâtre comique ne procurera pas ~ Stendhal l'échelle permettant son ascension

dans "le monde". Mais le théâtre tentera toujours le jeune provincial ambitieux, et semblera toujours offrir ~ Henri Beyle, le succ~s, la gloire,

la fortune qu'il souhaite si ardemment. Puisque la porte de la comédie paraît définitivement interdite, pourquoi ne pas essayer celle de la tra- gédie? D'où le travail préparatoire auquel se livre Stendhal en vue de la création d'une oeuvre tragique.

Cette autre période d'études ne différera pas sensiblement de celle qui devait produire le chef-d'oeuvre comique avorté. Beyle étudie, en effet, la tragédie - française et étrang~re - d'une mani~re aussi assidue, aussi détaillée, et, il faut le dire, avec une impétuosité aussi désordon- née que la comédie.

Nous n'avons pas l'intention, dans le présent chapitre, de reprendre le plan que nous avons suivi pour retracer l'échec de Stendhal dans le thé-

âtre comique. Contentons-nous de remarquer que, pour son étude de la tra- gédie, Stendhal s'embarque dans un plan de travail semblable et parall~le

~celui qu'il avait suivi pour la comédie. Il étudiera d'abord dans des livres, mais des livres qui n'auront pas de rapports directs avec le théâ- tre proprement dit (par exemple les oeuvres de Chateaubriand et de Tracy).

Puis, il lira les tragédies des anciens mattres et des contemporains. Fina- - 55 -

lement, il notera les réactions du public au théâtre. Ce programme, esp~re- t-il, le mettra~ même- d~s qu'il aura écrit sa premi~re oeuvre- d'ajouter son nom au palmar~s des grands de la tragédie française.

Ne désirant pas suivre ici le plan du Chapitre II, nous nous proposons d'examiner les préparatifs de Stendhal sous trois rubriques: a) étude de la théorie tragique, b) appréciation du drame anglais et italien, c) criti- que de la tragédie française. Les notations du Journal et de la Correspon- dance refl~tent le désordre présidant au travail du jeune Stendhal. Il se- rait impossible de suivre pas ~pas les réactions de l'impétueux Henri dans l'espoir d'aboutir~ un plan ordonné de ses études désordonnées. Pour donner ~ notre exposé concision et clarté, nous devons regrouper les réac- tions de Stendhal, de façon synthétique, d'apr~s les sous-titres indiqués ci-dessus.

Le retour de Stendhal ~ Paris date de 1802. Le Génie du christianisme paraît au mois d'avril de cette année. D 1 apr~s le travail d 1 un des commen- tateurs les plus avertis de Stendhal, Victor del Litto, le futur écrivain aurait lu et étudié l 1 ouvrage de Chateaubriand, au moins en partie, pour son

étude des caract~res et des passions. Et del Litto ajoute:

Mais l'essentiel de ce qu'elle fl'oeuvre de Chateaubrian~ lui apporte, l'id~e m~re, comme il l'appellera un peu plus tard, c'est la déter­ mination d'étudier d'une mani~re systématique les caract~re et les passions, leur combination devra lui permettre, pense-t-il, de disposer d'un nombre incalculable de situations pathétiques.l

Il est certainement possible que Stendhal ait lu Chateaubriand en 1802, comme l'assure del Litto. Mais comme nous n'avons pas de renseignements

4 novembre 1804) ni dans la Correspondance, il nous semble tout aussi possible - 56 -

que Stendhal ait eu, de lui-m~e, les idées que del Litto attribue h l'in-

fluence de Chateaubriand. Nous sommes tentés de le croire par les raisons

suivantes: Stendhal, en 1802, n'est pas une personne irrésistiblement atti-

rée par un titre comme le Génie du Christianisme. Le christianisme est

opposé au sensualisme qui est le credo du jeune Beyle. La publication du

Génie a, de plus, été entourée de circonstances politiques qui lui ont fait

jouer un rôle suspect dans l'ascension du Premier Consul vers l'Empire. La protection dont Bonaparte, par l'intermédiaire de Fontanes, entoure

Chateaubriand, indique clairement que l'ancien émigré a servi le dessein du

futur Empereur de "réconcilier le trône et l'autel". Trône, autel - deux mots qui, dans la tête d'un Beyle encore républicain, évoquent tout ce qu'il y a de plus ha~ssable et de contraire au bonheur du genre humain.

Raison de plus pour ne pas se précipiter sur un livre nouveau qui a eu de si favorables critiques dans la presse vendue au Gouvernement~

Nous proposons donc l'hypoth~se que Stendhal n'a pas nécessairement lu l'oeuvre de Chateaubriand pendant l'année 1802. Ce qui est intéressant, c'est de savoir qu'il aurait pu la lire, et aurait pu trouver, dans les deux cents pages qui traitent des caract~res et des passions, l'exposé du travail que lui-même essayait de faire pour se préparer h sa carri~re dramatique.

Stendhal note, le 3 mai 1803 (Pensées): "Appliquer les mathématiques au coeur humain ••• Suivre cette idée avec la méthode d'invention et de langage des passions. C'est tout l'art. Sic itur ad astra".2 Et del Litto ajoute l'explication suivante du travail auquel Stendhal se livre alors:

Le classement minutieux des passions, des oppositions des caract~res et des passions, commencé sous l'influence de Chateaubriand ••• est destiné tout simplement à rendre la tragédie impossible apr~s lui~3 - 57 -

Ainsi que le prouve l'Appendice~' les études de Stendhal ~ cette épo- que, c'est-~-dire ses lectures, sont dues ~ son désir de trouver des théories définitives, dont l'application doit produire, scientifiquement et en bonne logique, des chefs-d'oeuvre tragiques. Il devient alors él~ve de Chateaubriand,

de la Harpe, de Fénelon~ tour de rôle, comprenant mal les idées qu'il trouve chez ces auteurs et les interprétant selon ses tendances. Mais il lui reste encore~ entreprendre une étude de l'homme en soi, de la nature humaine. Or,

le 31 décembre 1804, il ach~te l'Idéologie de Destutt de Tracy. Sa lecture de cet ouvrage sera le tournant de ses études et de la formation de sa pensée.

Nous savons déj~ que Stendhal,,~ cette époque de sa vie, entre dans une période oh il veut se "dérousseauiser". Il a quitté Grenoble, en 1799, homme passionné 11 ~ la Rousseau". Arrivé ~ Paris et décidé de faire carri~re au théitre, il se rend compte que tout son weltanschauung devra subir des réformes profondes. Pour arriver ~ présenter sur la sc~ne toutes les corn- plexités de la nature humaine, une étude approfondie de l'homme lui sera indispensable. Il espère parvenir ~une vue objective de l'homme d'abord, de la société ensuite, par la lecture de Tracy.

En étudiant l'Idéologie, Stendhal essaye d'arriver ~ la définition d'un grand caractère, la définition de soi. Il note dans son Journal du 7 janvier

1805: "Qu'est-ce qu'un grand caractère? L'idée de cette question, premier fruit de la lecture de l'Idéologie de Tracy11 .4 Picavet, dans Les Idéologues, expose ainsi le but des recherches de Tracy:

Comme s'il s'agissait de la chute de la fumée dans le vide et de son ascension dans l'air, l'idéologiste doit examiner les différentes façons dont les choses se passent, y découvrir quelques 'lois générales', c'est-à-dire quelques manières constantes d'agir.S - 58 -

Et Picavet d'ajouter à propos des difficultés que rencontre cette étude:

••• l'énergie des sentiments, des inclinations, des opinions ne pouvant jamais, m~e dans les circonstances les plus favorables, être appréciée exactement que par les effets qui les suivent, les recherches sont plus difficiles, les résultats moins rigoureux dans les sciences morales et politiques.6

Que les études de Tracy aboutissent ou non, elles fournissent à

Stendhal, qui les lit scrupuleusement, une méthode d'analyse de la formation des idées qu'il suivra toujours. Victor del Litto (dans La Vie intellec- tuelle de Stendhal) conclut que la lecture de la première partie de l'Idéologie offre à Stendhal "une explication simple, claire et convain- cante de la marche du raisonnement".7 Dès cette époque Stendhal se met donc sérieusement à une étude "logique" de l' honune et de son développement intel- lectuel.

D'après son Journal, la deuxième des inspirations que lui fournit Tracy est celle qui touche la sensibilité poétique, selon laquelle le poète doit avoir ressenti toutes les émotions qu'il essaye de peindre dans ses persan- nages. Là-dessus Stendhal essaie d'expliquer ce qu'il a compris chez Tracy:

Il faut avant tout que le poète ait senti un nombre inunense d'émotions, depuis les plus fortes, la terreur de voir un revenant, jusqu'aux plus douces, le bruit d'un vent léger dans le feuillage.8

Même avant la lecture de Destutt de Tracy, d'ailleurs, Stendhal avait compris la nécessité de connattre les hommes et d'éprouver leurs émotions, car ses Pensées du 8 aoOt 1804 contiennent la réflexion suivante:

Je ne crois pas que je fasse jamais de grandes découvertes dans l'analyse des sentiments ordinaires de l'homme. Ce n'est pas mon génie, mais je puis décrire les sentiments que j'ai éprouvés, analyse qui sera neuve~9 - 59 -

Or, dans son étude de Tracy, Stendhal se trouve de nouveau en face d'une contradiction, et, de nouveau, il ne saura la reconnaître. Stendhal voudrait analyser les passions, de façon détachée, en philosophe, et, en même temps il sent le besoin d'éprouver les passions, en poète. D'un côté nous voyons le jeune Beyle qui se pose en étudiant sérieux de la nature humaine; de l'autre, le garçon frivole et sensuel qui ne saurait mieux demander que de suivre la deuxième partie de l'avis de Tracy- tout connaître par lui-même-. Stendhal, pour qui la seule véritable passion est l'amour, s'empare donc les conclusions de Tracy et eeaaie de les appliquer non seulement ~ la préparation de sa car- rière mais aussi ~ sa vie sentimentale.

Pourtant, les études théoriques ne suffisent point. Pour étudier le co- mique, Stendhal était allé aux oeuvres des anciens maîtres de la comédie,

Molière et Goldoni. Il appliquera la même méthode ~ la tragédie. Il se plon- gera dans la lecture du théâtre français et étranger pour glaner, dans les tragédies italiennes, anglaises et françaises, les éléments nécessaires ~ la composition des siennes. L'apprentissage de Stendhal dramaturge, ayant com- mencé par uneétude de l'homme et des passions se poursuivra par une étude de la technique du théâtre proprement dite, étude du style et de langue. Ces recherches se feront de façon bien stendhalienne - dans des livres. Pierre

Martino, dans sa "Préface" ~Racine et Shakespeare, résume le travail de

Stendhal:

Avant d'écrire pour le théâtre, il lut et pratiqua les livres qui prétendaient enseigner le secret des anciens succès et la possibilité de renouveler perpétuellement le miracle.lO

Dans son Journal, Stendhal avoue lui-même qu'il a les raisons suivantes d'étudier les auteurs classiques: - 60 -

Je veux que, dans trois cents ans, l'on me croie contemporain de Corneille et de Racine. C'est dans nos vieux auteurs que je trouverai le génie de la langue.ll

C'est en Italie, grâce~ la rencontre de Goldoni, que Stendhal s'est senti pour la première fois véritablement appelé~ un destin d'auteur co- mique. Pour fortifier son second destin, celui d'auteur tragique, c'est encore~ un Italien qu'il s'adresse. Il étudiera maintenant les théories et les oeuvres du dramaturge Alfieri. Il lit minutieusement les pièces du grand Alfieri, ainsi que les commentaires de l'auteur sur ses pièces. Le système dramatique d'Alfieri est d'une nouveauté incontestable, aux anti- podes de la tragédie française, et l'esprit non-conformiste de Stendhal s'ouvrira vite aux influences de son nouveau précepteur. Pour le jeune apprenti Beyle, Alfieri personnifie l'opposition au système dramatique fran-

çais. En 1802, travaillant au Hamlet qu'il écrit~ ce moment-1~, il note sur le plan de la pièce: "point de confidents", et il se propose de mettre

~la place de ces confidents (bannis des oeuvres d'Alfieri), six monologues.l2

En dix-huit jours, du 22 avril au 10 mai 1803, Stendhal lit les ouvrages politiques et les dix-neuf tragédies d'Alfieri, ainsi que les commentaires de l'auteur, Parere dell'Autore. Cette lecture entre dans son plan de tra- vail, qui est de méditer 11 profondément" Alfieri. En 1803, dans une lettre

~ Pauline, Stendhal communique ~ sa soeur son admiration pour cette nouvelle idole: nvoici des vers italiens de Vittorio Alfieri, un des plus grands poètes du XVIIIe siècle; ils me font beaucoup de plaisir •.• 11 13 Pendant l'été

1804, d'après son Journal, Stendhal est encore épris du théâtre de son mattre.

Le 29 juillet, en parlant de L'Intrigue épistolaire, il dit qu'elle "se rap­ proche du système d'Alfieri". 14 Et le 28 août il critique le Misanthrope - 61 -

dans les tenues suivants: "La partie où je sens que je pourrais faire mieux est la sceneaf.atura où je suis élève du grand Alfieri11 .15

Les idées d'Alfieri sur l'originalité des sujets n'échappent certaine- ment pas ~ Stendhal. Dans les Parere dell'Autore, Alfieri fait les remar- ques suivantes:

Se la parola invenzione in tragedia si restringe al trattare soltanto soggetti non prima trattati, nessuno autore ha mena inventato di me, poi ché di queste diciannove tragedie, sei appena ve ne sono che non fossero finora state fatte da altri, per quanto io 1 1 sappia.l6

Peu après la lecture de ces commentaires d'Alfieri, Stendhal note, dans ses Pensées, qu'il se propose de "voir les sujets tragiques ou comiques que l'on peut refaire". 17 (Le Journal du 19 mars 1808 nous apprend que Stendhal croit encore à cette possibilité quatre ans après cette première prise de contact).l8

L'influence d'Alfieri sur le jeune apprenti-auteur ne se borne point à la technique de la création dramatique. Car Stendhal éprouve toujours le besoin d'encouragement et de confirmation que la voie qu'il a choisie le conduira à la gloire. C'est ce que nous trouvons dans sa lettre du 6 juil- let 1804, adressée à sa soeur, où, en guise de conseil ~ Pauline, il cite l'exemple d'Alfieri. N'essaie-t-il pas, avec fatuité, de se convaincre que cette gloire qu'il attend avec tant d'impatience lui viendra comme elle est venue au maître italien?

Cette conception d'un meilleur état, ce regret d'un bonheur que tu t'étais figuré, sont au commencement de la vie de tous les vrais grands hommes. Ils nous l'ont appris eux-mêmes: Shakespeare, Corneille, Molière, J.-J. Rousseau commencent ainsi. Alfieri dit expressé­ ment: 'Ce fut l'ennui de toute chose qui me porta~ faire des tragédies ••• ' - 62 -

On a su, par les amis d'Alfieri, que, l'année 1775, où il écrivit Cléopâtre, sa première tragédie, il avait envie de se tuer ••• Il était jeune, beau> riche, plein d'esprit, et rien ne l'attachait: c'est que cette âme grande était faite pour un amour plus relevé.l9

Stendhal, qui désire être placé au même rang que les auteurs qu'il cite - et même les dépasser - semble avoir pris Alfieri en exemple pour se donner le courage de poursuivre sa carrière dramatique.

C'est encore dans la correspondance avec Pauline que nous trouvons cité l'exemple d'Alfieri~ propos de l'étude que Stendhal fait des passions. Il souligne le fait que les passions humaines, identiques ~ travers les siècles et les civilisations, sont l'élément fondamental de la tragédie:

Les passions ne changent pas, les tragédies ne peuvent vieillir (lorsqu'elles ont peint les passions les plus fortes possibles, dans les coeurs dont les têtes savaient le plus de vérités possibles); l'Oreste d'Alfieri sera aussi sublime dans cinq mille ans, s'il existe, qu'aujourd'hui.2°

En ce qui concerne l'oeuvre p~que d'Alfieri, nous n'avons plus,après

1804, qu'une mention de la lecture d 1 un des sonnets du poète italien (Journal du 25 février 1805). Stendhal, après avoir entendu ce sonnet, écrit: "J 1 ai laissé éclater mon sentiment, c'était l'expression de la plus vive admiratiorr•.21

A Marseille (1805-1806), Stendhal ne mentionne plus le nom d'Alfieri, sauf dans son Journal du 2 février 1806, où il indique qu'il se propose de relire l'Alceste.22

Il semble, en effet, que la période marseillaise ait eu très peu de résultats positifs sur la carrière dramatique de Stendhal. On dirait que l'étude de la littérature l'intéresse très peu~ ce moment, si on se fiait aux lectures qu'il note dans le Journal. Un seul poète dramatique semble - 63 -

mériter mention, ~ plusieurs reprises, dans le Journal des années 1805-1806, et c'est Shakespeare. Le 8 août 1805, il l'appelle le "divin naturel;"23 le 19 mars 1806, "grand po~te";24 le 26 février, "po~te de la nature";25 le 15 mai, il écrit "je sens que j'aime de plus en plus Shakespeare, pour moi c'est le plus grand des po~tes".26

Cet enthousiasme pour l'oeuvre du po~te anglais est déj~ né, évidemment, bien avant le séjour de Stendhal~ Marsalle. Son Journal est plein d 1 allu- sions, d~s l'année 1804, aux effets de l'étude de Shakespeare sur sa forma- tion. Et m~me La Vie de Henri Brulard comprend la citation suivante: "J'es- timais sinc~rement Pierre Corneille, l'Arioste, Shakespeare, Cervantes ••• n27

La Harpe a déj~ fait connaître ~ Stendhal les mérites du naturel.

Shakespeare renforcera cette opinion. Car l'admiration pour Shakespeare semble venir, tout d'abord, du naturel du po~te anglais. Le 15 avril 1804,

Stendhal assiste ~ la représentation de Didon, de Le Franc de Pompignan; au sortir de cette représentation, il écrit dans son Journal:

Je vois tous les défauts de la pi~ce qui me paraît sans cesse ~ côté de la nature. Je dois peut-~tre le sentiment vif d'une belle nature aux lectures que j'ai faites du naturel Shakespeare.28

Dans ses Pensées, il écrit: "Nous sourions de plaisir de voir dans

Shakespeare la nature humaine telle que nous la sentons au-dedans de nous.

( ••• ) Imiter Shakespeare ou plutôt la nature".29 Au mois de juillet 1804,

Stendhal critique le thé~tre français parce que les personnages survolent le réel. Appelant ceci de la 11 fausse délicatesse", il dit:

Nous ne sommes jamais serrés de terreur, comme dans les pi~ces de Shakespeare. Ils n'osent pas nommer leur chambre, ils ne parlent pas assez de ce qui les entoure.30 - 64 -

Le 20 novembre, il fait de nouveau allusion au naturel de Shakespeare, cette fois en critiquant Iphigénie en Tauride, de Guimond de la Touche:

Shakespeare aurait bien fait sur ce sujet une autre pi~ce que celle-lh, et cependant je suis sGr que tous les grands littérateurs du temps, et peut-~tre de celui-ci, préf~rent cette pi~ce h tout ce qu'a fait le naturel et sublime Shakespeare.31

Le naturel de Shakespeare sera donc h la base de l'admiration de

Stendhal, d'autant plus que le génie du Bard n'est même pas apprécié par ses compatriotes. Pour notre jeune auteur h cette époque il semble que le mo- d~le h imiter soit son mattre anglais, et les allusions h l'oeuvre de

Shakespeare sont nombreuses parmi les notations du Journal. Le 5 février

1805, il le porte au pinacle: 11 0 divin Shakespeare, oui, thou art the greatest Bard in world! oui, tu es le plus grand po~te qui existe~ 11 32

Dans Shakespeare, il trouve ce qui manque au thé~tre français: l'action, la profusion et la vérité des détails - la 11 luxuriancy11 de vérité, comme il l'appellera lui-même (Journal du 11 mars 1805) .33 Et, le 18 mars, en se donnant des conseils pour 1' étude du thé~tre, il ajoute: "m'exercer h me rappeler mes sentiments naturels, voilh l'étude qui peut me donner le ta- lent de Shakespeare".34

Mais l'apprentissage de Stendhal dramaturge pendant les années 1802-

1806 ne se réduit pas h des lectures eth l'étude d'auteurs étrangers.

S'il se livre hune étude livresque des théories dramatiques, de l'homme et des passions, il est aussi bien spectateur avide des représentations montées sur les sc~nes parisiennes. Nous avons vu que Stendhal fréquente le thé~tre presque tous les jours, ce qui lui permet de se poser en criti- que averti. Il est tr~s sensible aux défauts de la tragédie française clas- - 65 -

sique. Son éducation théâtrale ayant été faite par ses maîtres italiens et anglais, tr~s peu d'aspects du drame français échappent à sa critique.

Dans toutes les tragédies, les actes me semblent longs.35

Je retrouve en moi les traces de ce sentiment ancien et primitif que j'avais il y a cinq ans, et qui me faisait trouver des longueurs dans toutes les tragédies, à l'exception du Cid, je crois.36 ----

••• là où il fallait deux mots, il y a dix vers.37

Ducis semble avoir oublié qu'il n'y a point de sensibilité sans détails. Cet oubli est l'un des défauts capitaux du théâtre français.38

La Correspondance de Stendhal rév~le, d~s l'année 1801, sa critique de certains auteurs tragiques français. Le 6 décembre, parlant de Voltaire, il écrit à Pauline: 11 tu sentiras bient$t combien son vers coulant, mais vide, est inférieur au vers plein de choses du tendre Racine et du majes­ tueux Corneille11 .39 En 1802, son choix tombe encore sur Racine et Corneille,

Voltaire étant relégué au deuxi~me rang: "Si ton goOt est juste, tu place- ras Corneille et Racine au premier rang des tragiques français, Voltaire et

Crébillon au deuxi~me". 40

La raison principale pour laquelle les tragédies de Voltaire ne plaisent pas à Stendhal semble être leur manque de naturel. Ce qui a rendu l'oeuvre de Shakespeare ch~re à Stendhal sera justement ce que notre critique juge faible dans les pi~ces de Voltaire. Dans son Journal du 17 janvier 1803, il écrit: "Le grand défaut des héros de Voltaire est qu'il semble qu'ils se disent: 'Allons, je vais dire une belle parole, je vais faire une belle ac- tion' •11 41 Adéla!de du Guesclin est sujette à la même critique:

••• rien de naturel ••• Le style est, comme les sentiments, hors de la belle nature et même de la nature ••• Cette pi~ce a le mérite de n'avoir - 66 -

point de subalterne, mais du reste rien de naturel; voil~ ce qui la recule au troisième rang. 42

Oedipe lui déplaît, car cette pièce ne le touche pas, et il ne la voit que deux fois pendant son séjour A Paris de 1802 A 1806. Il déclare, d'ail- leurs, la deuxième fois qu'il assiste~ la représentation d'Oedipe, croire que les beautés de la pièce sont le fait du "poète grec", et non de Voltaire.

Il ajoute que l'entrevue entre Philoctète et Jocaste ne parle "ni A l'ante, ni aux esprits relevés; elle ne peut plaire qu'aux esprits vulgaires ••• "43

Si Stendhal critique le manque de naturel et le manque de talent de

Voltaire dans Oedipe, il fera de même dans son jugement d'Iphigénie en

Tauride de Guimond de la Touche

Je crains bien qu'elle ne soit comme Oedipe, que tout ce qu'il y a du bon ne soit du poète grec ••• Exagération dans les sentiments et le style, ce qui vient, je crois de ce que l'auteur ne connaissait ni ne sentait la vraie grandeur ••• jamais de ton naturet.44

Stendhal semble obsédé de naturel. Cette obsession le poursuit dans son jugement des comédies de Voltaire ~ui paraîtra dans Racine et Shakespeare).

Dans cette oeuvre importante (et postérieure~ la période qui nous occupe),

Stendhal reproche de nouveau ~ Voltaire de ne pas connaître les personnages qu'il cherche~ faire parler, et, pour cette raison, de ne pas réussir A créer des personnages ou des situations vraisemblables. Pour Stendhal critique, les pièces de Voltaire occupent donc le deuxième rang, le premier

étant réservé aux oeuvres de Corneille et de Racine. Mais ni Corneille ni

Racine ne commandent une admiration sans réserve. Tous deux sont, comme nous l'allons voir, en butte ~ l'humeur critique du bouillant petit Beyle.

La première mention des tragédies de Corneille dans le Journal date du - 67 -

10 juin 1804. Songeant toujours h la tragédie qu'il compte écrire, Stendhal

découvre de nombreuses corrections h faire dans Le Cid:

Les stances de la fin du premier acte ne sont que l'expression du jugement de la tête d'un homme sur les mouvements de son coeur, cela montre qu'il n'est pas enti~rement troublé. Chim~ne tutoie trop h tenant le Cid, ce qui fait qu'il n'y a pas ce mélange enchanteur des tu et des vous. Le rétablir.45

En plus de cette absence de tendresse naturelle, Stendhal ajoute, le

5 novembre, qu'il n'a pas trouvé Corneille "assez sentimental".46

Quelques jours apr~s, toutefois, dans le Journal du 22 novembre 1804,

Stendhal rappelle les impressions que lui laissaient les tragédies classi-

ques alors qu'il était collégien à Grenoble:

Racine m'ennuyait h mourir. Je sentais davantage Corneille. J'avais de l'antipathie pour les tragé­ dies et pour le style tragique. Je trouvais dans toutes les tragédies, excepté Le Cid les morceaux ennuyeux et, en arrivant à Paris en 'an VII, ces morceaux ennuyeux me glaçaient toujours.47

Dans La Vie de Henri Brulard, il écrit: "Racine, sans cesse loué par mes parents, me faisait l'effet d'un plat hypocrite ••• Corneille me déplai­

sait moins".48

Toujours est-il que le Journal tenu par le jeune Beyle pour l'époque

qui nous intéresse rapporte maints reproches adressés aux oeuvres de

Corneille. Le 26 juillet 1804, en sortant d'une représentation de Rodogune,

Stendhal note dans son Journal: "Cette politique est superbe, mais hors de

sa place; elle refroidit la pi~ce".49 Et, le 6 janvier 1805, notant des observations sur Nicom~de, il écrit:

Il manque à cette pi~ce de l'anxiété dans le coeur du spectateur; Corneille aurait atteint cet effet en faisant de Laodice une femme excessivement tendre, - 68 -

adorant Nicom~de, et sans cesse excessivement inqui~te sur lui, une femme du caract~re d'Andromaque et de Nonime.SO

Pourtant, la critique négative de Corneille est plutôt l'exception chez Stendhal; il rép~te, à plusieurs reprises dans le Journal son admi- ration de jeunesse pour l'oeuvre de l'auteur tragique, en l'appelant "le seul po~te tragique". Ce qui ne fait pas la moindre valeur de Corneille, aux yeux de Stendhal, est la grandeur de l'homme lui-même. A la suite d'une représentation de Cinna, Stendhal écrit: "Corneille avait une tête sublime par la grandeur des vérités qu'elle contenait; voilà, ce me sem- ble, la cause du caract~re original de ses écrits". 51 Le 6 janvier 1805, il assiste à une représentation de Nicom~de, et continue son éloge de la grandeur de Corneille:

C'est peut-iâtre le comble de la noblesse de faire une tragédie où l'on excite tour à tour le sentiment du sublime (terreur commencée) et les ris. Il n'y a parmi nos po~tes que Corneille qui eût assez de noblesse dans l'âme pour faire cela.52

La critique majeure des oeuvres de Corneille repose sur leur manque de tendresse et d'amour. Avec Tracy, le programme de la dérousseauisation de Stendhal ne fait que commencer; sa critique de Corneille est encore fon- dée, à cette époque, sur ses vieux principes rousseauistes.

Le po~te qui partage le premier rang avec l'auteur du Cid remplira la lacune de ce dernier. Racine, de l'avis de Stendhal, a excellé dans sa peinture de l'amour: "l'amour porté à son extrême, éperdu".S3 Beyle doit certainement une partie de son admiration pour Racine au mattre de ses jeunes années, La Harpe. Car c'est La Harpe, dans Le Lycée, qui qua- lifie ainsi l'amour dans l'oeuvre de Racine: - 69 -

Racine, en étalant sur la sc~ne des peintures si savantes et si expressives de cette inépuisable passion de l'amour, ouvrit une source nouvelle et abondante pour la tragédie française. Cet art que Corneille avait principalement établi sur l'étonnement et l'admiration et sur une nature quelquefois trop idéale, Racine le fonda sur une nature toujours vraie, et sur la connaissance du coeur humain.54

La critique que fait Stendhal des tragédies de Racine est également

influencée par sa lecture de Fénelon. Dans son Journal du 23 août 1804, il note sa critique d'Andromaque: "Toutes ces histoires de chaînes, de

feux, de pouvoir de vos yeux, etc., sentent les romans de La Calpren~de et en sont tirées11 .55 Fénelon, passant en revue les po~tes tragiques

français, leur reprochait de rendre les spectacles "languissants, fades et doucereux comme les romains ( ••• ), on n'y parle que de feux, de chaînes, de tourments. Tous les termes sont outrés, et rien ne montre une vraie passion11 .56 En 1802, pourtant, dans une lettre~ Pauline écrite avant sa lecture de Fénelon, Stendhal avait appelé cette même Andromaque une "bonne tragédie", en louant surtout le rôle d'Hermione: "elle sent et montre son coeur. J'appelle 'coeur' le centre des sentiments (désirs, peines, plaisirs, etc., etc.) et 'tête' ou 'cerveau' le centre des idées11 .57 (La découverte de l'Idéologie n'avait pas encore été faite en 1802). Stendhal assiste~ quatre représentations d'Andromaque en 1804, et ~ une cinqui~e en mars

1805. C'est le 5 mars qu'il critique "le bavardage" de la pi~ce: "En général, j'ai trouvé ••• cette tragédie bavarde. Ce défaut est surtout choquant dans les confidents11 .58 Nourri donc de Fénelon, et d'Alfieri, Stendhal se lance dans son attaque contre Racine. Britannicus subit la même accusation de bavardage le 29 mars, lorsque Stendhal traite la pi~ce de "bavardage éternel et élégant". - 70 -

Britannicus ••• m'a fait au théâtre la même impression qu'~ la lecture; bavardage éternel et élégant ••• C'est, je crois, la premi~re fois que j'ai vu Britannicus; cette pi~ce m'a fatigué, ennuyé, pesé.S

Dans Ph~dre, Stendhal juge que "Racine manque absolument du talent de

la scene~tura, mais comme il a bien peint le délire des passions! Nous

trouvons cette peinture gâtée sans cesse par des vers descriptifs dans

Ph~dre". 60 Iphigénie, pour ces mêmes raisons, est une mauvaise pi~ce: "Je crois que cela peut venir en partie du bavardage éternel des pi~ces de

Racine et de Voltaire. L~ oh il fallait deux mots, il y a dix vers". 61

Dans les Pensées, Stendhal ajoute:

Je trouve qu'Iphigénie est le type du génie de la monarchie. Voil~ la tragédie qui plaisait au si~cle de Louis XIV. De toutes celles de Racine, c'est celle qui me plaît le moins ( ••• ), tout le monde bavarde et personne n 1 agit.62

Le 11 mai 1804 Stendhal résume les plus grands défauts de l'oeuvre de

Racine:

C'est que Racine n'a pas les qualités propres~ produire le plus grand effort possible ~ la sc~ne, je crois que ces qualités se réduisent ~ la concision et au dialogue vif et serré quand la passion l'ordonne.63

Si Racine dépasse Corneille dans la peinture de l'amour, il lui c~de le pas pour la grandeur des sujets. Insistant toujours qu'Iphigénie en

Aulide est une mauvaise pi~ce, Stendhal inscrit ·dans son Journal, le 1er mai 1804:

Aucun vers de cette tragédie n'est allé à mon âme ••• cette tragédie doit plaire infiniment au vulgaire, tous les personnages en sont médiocres ••• En tout, cette pi~ce, traduite en italien ou en anglais, doit faire un triste effet. Il n'y a de bien que: 'Triste destin des rois ••• •64 - 71 -

Et, le 22 février 1805, il ajoute:

••• la pi~ce du monde, apr~s les mauvais drames, qui m'ennuie le plus. Les personnages n'ont que de la vanité, sentiment avec lequel on compte et avec lequel on ne sympathise pas.65

Mithridate sera aussi comparée aux pi~ces de Corneille et restera, elle aussi, bien au-dessous:

L'intrigue de Mithridate ne cause ni terreur, ni pitié, ni admiration, elle est plate. Tous les caract~res, excepté celui de Monime, sont communs et insignifiants ••• Racine a voulu lutter avec Corneille et est resté bien au-dessous de ce grand homme.66

L'oeuvre de Racine, jugéepar Stendhal, comporte force défauts: absence de naturel, bavardage, petitesse des sujets et des caract~res. Or, cette oeuvre, au jugement des contemporains de Stendhal, est la perfection même.

Citons, en exemple, quelques remarques de Julien-Louis Geoffroy, critique tr~s écouté du Consulat et de l'Empire. Le 16 juin 1804, il écrit dans le Journal des Débats:

L'Iphigénie de Racine, âgée de cent trente ans, a une fratcheur de coloris, un éclat, une élégance que le temps ne peut qu'augmenter encore; on n'a point fait d'aussi beaux vers, tracé d'aussi beaux caract~res; on n'a point fait parler les passions d'un style aussi naturel, aussi vrai, aussi juste ••• 67

L'antipathie de Stendhal pour Racine~ cette époque serait, du reste, surtout une réaction contre les critiques de son temps, et Geoffroy en particulier. Dans une lettre du 7 juin 1804 ~Louis Crozet, Stendhal ex- pose son projet d'écrire Le Faux Métromane, qui lui donnera

1) l'occasion de tomber sur les critiques sans sentiments qui s'avisent de juger les grands hommes et que je déteste tant, La Harpe, Geoffroy, ••• car cette race ne finit pas.68

En aoGt, il écrit ~ sa soeur: "Le Tartuffe de Moli~re existe encore sous - 72 -

les traits de Geoffroy ••• "69 Le 1er octobre 1805, il lui écrit de nouveau de Marseille:

J'ai lu hier par hasard les cahiers que j'écrivais à Paris au messidor an 12, sur la tête et le coeur et la div(isi)on des passions que je faisais à cette époque. J'ai trouvé ce principe vrai, mais tout le reste gisquet, orgueilleux, vide, peu réfléchi, ressemblant à un article de Geoffroy, surtout par la présomption de l 1 ignorance.70

Cette haine pour Geoffroy vient, évidemment, du fait que ce dernier proclame que personne ne pourra plus jamais atteindre la hauteur de Racine.

Pour Stendhal, qui veut lui-même parvenir par la voie de la tragédie, l'avis de Geoffroy est plus que décourageant. Dans l'article du 16 juin 1804 cité plus haut, le critique continue son éloge de Racine:

Chaque tragédie que l'on fait est un nouveau trait de lumi~re sur le mérite de Racine: cet homme écrase l'art en l'élevant trop haut, et l'habitude de voir ses chefs-d'oeuvre est la mort de toutes les nouveautés.71

Geoffroy, le critique du journal le plus puissant, le Journal des Débats, porte l'oeuvre racinienne aux nues; le public de Paris l'applaudit. Stendhal se fait donc un devoir de contrarier et la critique populaire et les goûts du 11 grand public". Il persiste dans son idée que la tragédie racinienne est démodée et pleine de défauts. Le 12 décembre 1804, il écrit:

Il faudra que j'aie le courage de mettre beaucoup de détails sur la sc~ne et de faire dire par exemple: 'Le roi dort dans sa chambre'. Et puis, je ferai une tragédie absolument nouvelle, en y faisant entrer la peinture des caract~res.72

Racine est donc critiqué parce qu'il n'est plus du temps de Stendhal.

La société de 1804, d'apr~s lui, attend la tragédie qu'il va lui-même créer.

Il faudra attendre la publication de Racine et Shakespeare en 1823, lorsque

Stendhal sera pr~s de renoncer à l'idée de trouver sa gloire au théatre, pour - 73 -

que le juste mérite de Racine soit reconnu:

••• sa gloire est impérissable. Ce sera toujours l'un des plus grands génies qui aient été livrés à l'étonnement et à l'admiration des hommes.73

Mais, en 1804, Stendhal n'en est pas encore là. Apprenti auteur, il

étudie non seulement les théories et les oeuvres des vieux auteurs, mais s'engage également dans la critique des tragédies qu'il voit montées sur les sc~nes parisiennes. S'il trouve les classiques démodés, c'est parce qu'il juge que leurs oeuvres ne répondent plus à la société perfectionnée du dix-neuvi~me si~cle, qui réclame maintenant d'autres émotions au théâtre.

Le 21 janvier 1805, il écrit dans son Journal:

Il me semble que depuis Racine la tendresse proprement dite s'est perfectionnée et que nous pouvons mettre en sc~ne une mélancolie plus touchante que la sienne.74

Dans les Pensées aussi, nous trouvons:

Ce n'est plus au Français de Louis XIV que nous voulons plaire, mais à celui de 1803 ( ••• ). Le Français a acquis une tête plus forte, il s'est rapproché du caract~re républicain, la preuve, c'est qu'il sent plus profondément les caract~res forts du théâtre, beaucoup moins tout ce qui tient à la galanterie ••• 75

Il y a certes, des idées justes qu'il faut reconnaître parmi la foule de jugements et de réflexions irréfléchis qui se trouvent dans les cahiers et dans les lettres de Stendhal. Malheureusement, ces idées, qui pourrai- ent -- qui vont, en fait -- servir au développement intellectuel du futur auteur, aboutissent toutes, du moins pendant la période que nous étudions,

à des conclusions puériles et illogiques. Les théories que Stendhal formu- le pour servir à la création de son théâtre tragique sont, pour la plupart, fondées sur des études sérieuses et consciencieuses qu'il a faites. Mais, - 74 -

comme le jeune Beyle n'a pas de talent dramatique, ses efforts en tragédie aboutiront au même échec qu'en comédie.

Tout l'oeuvre tragique français, ~peu d'exceptions pr~s, sera condamné par Stendhal comme n'ayant aucune valeur artistique. Seules les oeuvres

étrang~res (de Shakespeare et d'Alfieri) mériteront ses louanges. N'ayant pas à faire concurrence aux étrangers, Stendhal trouvera de grandes qualités dans les oeuvres anglaises et italiennes, alors qu'aucun de ses compatriotes, classique ou contemporain, n'a réussi à en mettre dans l'oeuvre dramatique française.

Stendhal, ~ cette période de sa vie, n'a pas encore atteint la maturité d'esprit et l'objectivité nécessaires aux jugements qu'il essaye de formu­ ler. Il s'est convaincu que sa gloire dépend de la création de son chef­ d'oeuvre tragique, et sa critique des tragédies françaises repose donc sur son idée que tout y est mauvais, que tout y est ~reprendre. C'est une critique qui n'est point ordonnée, qui ne suit aucune r~gle logique, une critique de mauvaise humeur. Stendhal se pose en critique, mais, en vérité,

~1 n'en est pas un.

Stendhal romancier fera preuve d'une intelligence et d'une connaissance de l'homme remarquables. Stendhal critique de la tragédie française n'est qu'un nteen-ager" en révolte contre les goüts de son temps, contre tout ce qui représente l'opinion conformiste de la société ob il se trouve. L'atti­ tude négative du jeune Beyle, ses tentatives pour démolir une tradition

établie pour reconstruire lui-même un ordre nouveau, l'absence presque tota­ le de toute compréhension de l'homme -voilà qui caractérise la période

1802-1806, période qui achemine Stendhal vers la compréhension que son destin, somme toute, ne se jouera pas sur la sc~ne. CONCLUSION

En conclusion de notre examen discursif (par la force des choses) de

la période préparatoire de Stendhal pour le théâtre, nous devons recon­ naître que l'apprenti-auteur, en 1806, se trouve en face d'un échec. Au mois d'octobre, devenu fonctionnaire impérial, grâce ~ la protection de

son cousin Pierre Daru, il quitte Paris pour l'Allemagne. Les circonstan­ ces qui entourent le retour de Stendhal ~ la vie militaire sont, en somme,

semblables~ celles qui l'y avaient poussé en 1800: solitude, médiocres perspectives d'avenir, arrivisme. Mais il r€ve toujours d'écrire des chefs­ d'oeuvre dramatiques, et, sous l'uniforme de Commissaire des guerres ou d'Intendant, ce n'est pas la gloire militaire, mais la gloire littéraire, dont le souci le tenaille.

Il serait injuste toutefois de conclure que le travail des années 1802-

1806 que nous avons esquissé ici a abouti ~ un échec complet. Car il n'y a jamais d'échec dans la vie qui n'ait ses côtés positifs, et il faut dire tout de suite que les efforts fournis par Stendhal pendant ses jeunes années n'ont pas été perdus pour son développement intellectuel.

Nous avons dit que Stendhal n'avait pas atteint la maturité d'esprit nécessaire h la connaissance de la nature humaine, qu'il n'était donc pas parvenu à avoirune vue objective de l'homme ou des représentations qui fai­ saient vivre cet homme sur les scènes de Paris. Del Litto donne la conclu­ sion suivante aux études théâtrales de Stendhal: - 76 -

L'attitude de Stendhal à son entrée dans la carri~re des lettres comporte une curieuse contra­ diction. Il se propose d'une part d'apprendre les principes de l'art dramatique auquel il se destine - et rien n'était plus logique et plus légitime - ; il prétend d'autre part créer sur-le-champ des chefs­ d'oeuvre impérissables - et en cela il faisait preuve d'une incroyable na~veté. Des conséquences aisément prévisibles découlent de cette attitude: son esprit s'enrichit mais pas un seul de ses chefs-d1 oeuvre,ne sortira des limbes.l

Qu'est-ce donc que Stendhal a retiré de positif de cette premi~re pério- de d'apprentissage à la carri~re des lettres? Un enrichissement de l'esprit, sans aucun douœ, comme l'indique del Litto. Ses études sérieuses des au- teurs dramatiques, des philosophes, de la littérature française et étrang~re, seront une étape majeure de sa formation intellectuelle. Elles n'ont point de suite peut-@tre, mais elles servent toutes à stimuler l'esprit déjà cu- rieux du jeune Stendhal et le poussent à élargir- sinon approfondir - le champ de ses connaissances.

Cette période sert encore à éveiller le jeune provincial au monde pari- sien où il devra conquérir sa place. Il apprend, par ses lectures et par ses soirées au théâtre, à connaître la société parisienne - d'une façon superficielle, il est vrai - mais peu à peu sa na~veté provinciale cède à une vue plus objective de la place qu'il peut espâer y tenir un jour. A son arrivée dans la capitale en 1799, il était convaincu que le théâtre le porterait à la gloire illico. Il part pour l'Allemagne sept ans plus tard, croyant toujours aussi fermement à son destin théâtral, mais désabusé de l'idée que la gloire est pour demain et résigné à attendre un peu plus cal- mement désormais le moment de sa réussite.

Il reporte de quelques années cette entrée triomphale qu'il s'était pro- mise à 18 ans. Conscient de son génie, mais n'ayant pas encore saisi à quel - 77 -

point il est différent de ses contemporains et incapable de leur plaire, il esp~re le succ~s sous peu. Seule la maturité lui apprendra qu'il était né pour être lu en 1880.

L'échec des années 1802-1806 a-t-il été utile ~ Stendhal? A la dis- tance où nous considérons aujourd'hui son oeuvre, nous sommes tentés de ré­ pondre: oui. Mais qu'aurait-il répondu à la question? Nous croyons que, pour lui, elle n'aurait pas eu de sens. Il l'aurait refusée, l'échec n'appar­ tenant pas à son vocabulaire. Les Grenoblois ont la tête dure, et Stendhal l'avait particulièrement. S'étant mis dans cette tête, à 15 ans, l'illusion qu'il était destiné au théâtre, il s'y accroc~era jusqu'au moment où il aura trouvé sa voie dans le roman: en 1830, il travaillait encore à Letellier.

On peut y voir, au choix, une admirable persistance, ou une obstination aveugle.

Les longuetheures que nous avons passées à considérer de très près l'apprentissage de Stendhal nous font pencher vers la seconde alternative.

Si les études préparatoires offrent un grand intérêt, les oeuvres dramati­ ques de Stendhal sont, littérairement, nulles. Il est surprenant que cet impitoyable et scrupuleux observateur de lui-même n'ait pas vu plus t8t qu'il faisait fausse route. Il a vu bien des pailles dans l'oeil de Corneille,

Racine et Moli~re, mais non la poutre dans le sien.

Ses préparatifs à une carrière dramatique ont été utiles à Stendhal, mais indirectement. Ils lui ont fait lire et relire les grands dramaturges de tous les temps et de tous les pays. Ils lui ont, par contraste, fait com­ prendre la médiocrité du théâtre de son temps et ont permis le développement d'un jugement critique dont nattra le romantisme. Dans une société où le théâtre joue un rôle de premier plan, la lente germination des idées qui - 78 -

aboutissent, vingt ans plus tard, ~ la publication de Racine et Shakespeare, premier manifeste romantique, ne mérite pas le nom d'échec. Les réflexions et remarques de 1802-1806 font partie d'un ensemble qui aboutira ~ un re­ nouvellement du thé~tre français. REFERENCESJ 1

INTRODUCTION

1. Stendhal, Oeuvres intimes,(Paris, 1955) p.315. 2. Il Il " p.317. 3. " tl Il p.310. 4. " Il Il p.lO. s. Il " Il p.315.

6. Il Il Il p.350.

7. Il Il Il p.l478.

8. ibid.

9. Albert Thibaudet, Stendhal,(Paris, 1931) p. 31.

10. Stendhal, Lettres intimes,(Paris, 1892) p. 13. 11. " Il tl p. 56. 12. " Il Il p. 87-88.

13. Stendhal, Oeuvres intimes, p. 320 0

14. ibid.

15. Stendhal, Lettres intimes, p. 46-47.

16. Thibaudet, cit., p. 40. ~·

CHAPITRE PREMIER

1. Nicolas Brazier, Chroniques des petits théatres de Paris, II (Paris, 1883) p.290.

2. Brazier, ~· cit., p.301 - 80 -

3. Stendhal, Oeuvres intimes, p. 437.

4. Léon de Lanzac de Laborie, Le Thé~tre français (Paris, 1911), p. 278.

S. Madame de Rémusat, Mémoires, II (Paris, 1881), p. 171-72.

6. Rémusat, ~.cit., p. 279.

7. Lanzac de Laborie, ~.cit., p. 150.

8. Madame de Rémusat, Mémoires, I (Paris, 1881)' p. 280.

9. Lanzac de Laborie, ~.cit., p. 284.

10. Lanzac de Labo rie, ~.cit., p. 13.

11. Lanzac de Laborie, ~.cit., p. 143.

12. Rémusat, ~.cit., II, p. 131.

13. ibid.

14. Rémusat, ~.cit., II, p. 258.

15. Brazier, ~.cit., p. 108.

16. Rémusat, ~.cit., II, p. 162.

17. Stendhal, Correspondance (Paris, 1962)' p. 60.

18. Stendhal, Oeuvres intimes, p. 451.

19. Lanzac de Laborie, ~.cit., p. 9.

20. Charles Maurice, Histoire anecdotique du théâtre (Paris, 1856), p. 88.

21. Jean Robiquet, La Vie quotidienne au temps de Napoléon (Paris, 1942), p. 128.

22. Stendhal, Correspondance, p. 32.

23. Lanzac de Laborie, ~.cit., p. 34.

24. Stendhal, Oeuvres intimes, p. 483.

25. Stendhal, Oeuvres intimes, p. 659.

26. Lanzac de Laborie, ~.cit., p. 31.

27. Larousse, ~rand Dictionnaire Universel, X, p. 740.

28. A Joannid~s, La Comédie Française de 1680 ~ 1900 (Paris, 1901), "Table chronologique des pi~ces, 1804". - 81 -

29. Stendhal, Correspondance, p. 31-32.

CHAPITRE DEUXIÈME

1. Stendhal, Pensées, I, 136, cité dans Victor del Litto, La Vie intellectuelle de Stendhal, Gen~se et de ~ idées (1802-1821) (Paris, 19591 p.ll8.

2. Stendhal, Oeuvres intimes, p. 435.

3. Stendhal, Pensées, I, p. 106, cité dans del Litto, ~.cit., p. 49.

4. Stendhal, Pensées, I, p. 145, cité dans del Litto, ~.cit., p. 49.

5. Stendhal, Correspondance, p. 46-47.

6. Stendhal, Oeuvres intimes, p. 442. 7. Stendhal, Il " p. 81. 8. Stendhal, Il Il p. 151. 9. Stendhal, Il " p. 375. 10. Stendhal, Oeuvres intimes, p. 376. 11. Stendhal, Il " p. 480. 12. Stendhal, Il Il p. 483.

13. Stendhal, Il Il p. 622.

14. Stendhal, Il Il p. 527.

15. Stendhal, Correspondance, p. 99.

16. Stendhal, Oeuvres intimes, p. 405.

17. Stendhal, Il Il p. 407.

18. Stendhal Il Il p. 469.

19. Stendhal, Pensées, I, 24, cité dans del Litto, ~.cit., p. 74.

20. Stendhal, Oeuvres intimes, p. 470.

21. Stendhal, Il Il p. 480. 22. Stendhal, " " p. 505. - 82 -

23. Stendhal, Oeuvres intimes, p. 504.

24. Stendhal Il Il p. 608.

25. Stendhal, Rac ~ Shakespeare, I (Paris, 1925), p. 32.

26. Stendhal, Correspondance, p. 163.

27. Stendhal, Correspondance, p. 123.

28. Stendhal, Oeuvres intimes, p. 504.

29. Stendhal, Correspondance, p. 150.

30. Stendhal, Oeuvres intimes, p. 468-69.

31. Stendhal, I. p. 237, cité dans del Litto, ~.cit., p. 234.

32. Stendhal, Oeuvres intimes, p. 325.

33. Stendhal, Il Il p. 456.

34. Stendhal, Il Il p. 472.

35. Stendhal, Il Il p. 564-65.

36. Stendhal, Correspondance, p. 109.

37. Stendhal, Pensées, I, p. 272, cité dans del Litto, .2.J2..cit., p. 234.

38. Stendhal, Oeuvres intimes, p. 477.

39. Stendhal, Il Il p. sos.

40. Stendhal, Il Il p. 467.

41. Stendhal, Il Il p. 470.

42. Stendhal, Il tt p. 526.

43. Stendhal, Il Il p. 696-97.

44. Stendhal, Il Il p. 455.

45. Stendhal, Il tt p. 693.

46. Stendhal, Il Il p. 695.

47. Stendhal, Il Il p. 521.

48. Stendhal, Pensées, I, p. 131, cité dans del Litto, ~.cit., p. 120.

49. Stendhal, Pensées, I, p. 187, cité dans del Litto, .2.J2..Cit., p. 120.

50. Stendhal, Oeuvres intimes, p. 511. - 83 -

51. Stendhal, Pensées, II, p. 196, cité dans del Litto, ~.cit., p. 229.

52. Stendhal, Pensées, II, p. 246, cité dans del Litto, ~.cit., p. 224.

53. Stendhal, Oeuvres intimes, p. 461. 54. Stendhal, " " p. 470. ss. Stendhal, Il " p. 692. 56. Stendhal, Il Il p. 480. 57. Stendhal, Il " p. 541. 58. Stendhal, Oeuvres intimes, p. 694. 59. Stendhal, " " p. 499. 60. Stendhal, " " p. 449. 61. Stendhal, Il Il p. 470.

62. Stendhal, Il Il p. 499.

63. Stendhal, Oeuvres intimes, p. 492. 64. Stendhal, " Il p. 495-96. 65. Stendhal, Il " p. 475. 66. Stendhal, Il Il p. 467.

67. Eleanor F Jourdain, Dramatic Theory and Practice in France 1690-1808 (London, 1921)' p. 28. --

68. Stendhal, Oeuvres intimes, p. 449.

69. Stendhal, Il Il p. 478. 70. Stendhal, " " p. 520. 71. Stendhal, Il " p. 695. 72. Stendhal, Il Il p. 697.

73. Stendhal, Oeuvres intimes, p. 516. 74. Stendhal, Il " p. 475. 75. Stendhal, " Il p. 697-98. 76. Stendhal, Il Il p. 461. - 84 -

CHAPITRE TROISIEME'

1. del Litto, ~.cit., p. 37.

2. Stendhal, Pensées, I, p. 119, cité dans del Litto, ~.cit., p. 46

3. del Litto, ~.cit., p. 46

4. Stendhal, Oeuvres intimes, p. 553.

5. F~ Picavet, Les Idéologues (Paris, 1891), p. 338.

6. Picavet, ~.cit., p. 339.

7. del Litto, ~.cit., p. 165.

8. Stendhal, Oeuvres intimes, p. 550.

9. Stendhal, Pensées, II, p. 243, cité dans del Litto, ~.cit., p. 139-40.

10. Stendhal, Racine et Shakespeare, I, p. V.

11. Stendhal, Journal, édition Stryienski, p. 28, cité dans Racine et Shakespeare, ~Préface," p. XII.

12. del Litto, ~· cit., p. 55.

13. Stendhal, Correspondance, p. 72.

14. Stendhal, Oeuvres p. 492.

15. Stendhal, Il Il p. 503.

16. del Litto, ~.cit., p. 59.

17. Stendhal, Pensées, I, p. 93, cité dans del Litto, ~.cit., p. 59-60.

18. Stendhal, Oeuvres intimes, p. 853.

19. Stendhal, Correspondance, p. 119-20.

20. Stendhal, Correspondance, p. 142-43.

21. Stendhal, Oeuvres intimes, p. 619.

22. Stendhal, Il Il p. 7 52.

23. Stendhal, Il Il p. 710.

24. Stendhal, Il Il p. 770. - 85 -

25. Stendhal, Oeuvres intimes, p. 764.

26. Stendhal, Il Il p. 797.

27. Stendhal, Il Il p. 260.

28. Stendhal, Il Il p. 451.

29. Stendhal, Pensées, I, p. 189-90, cité dans del Litto, ~.cit., p. 130

30. Stendhal, Oeuvres intimes, p. 490.

31. Stendhal, Il Il p. 524.

32. Stendhal, Il Il p. 580.

33. Stendhal, Il Il p. 639.

34. Stendhal, Il Il p. 643.

35. Stendhal, Oeuvres intimes, p. 471.

36. Stendhal, Il Il p. 512.

37. Stendhal, Il Il p. 484.

38. Stendhal, Il Il p. 534.

39. Stendhal, Correspondance, p. 30.

40. Stendhal, Correspondance, p. 39.

41. cité dans Lanzac de Laborie.

42. Stendhal, Oeuvres intimes, p. 491.

43. Stendhal, Il Il p. 466.

44. Stendhal, Il Il p. 523.

45. Stendhal, Il Il p. 471.

46. Stendhal, Oeuvres intimes, p. 517.

47. Stendhal, Il Il p. 526.

48. Stendhal, Il Il p. 226.

49. Stendhal, Il Il p. 490.

50. Stendhal, Il Il p. 552. - 86 -

51. Stendhal, Oeuvres intimes, p. 494. 52. Stendhal, " Il p. 551-52. 53. Stendhal, Il Il p. 563.

54. La Harpe, ~ Lycée, deuxième partie, liv. I, chap. III, sect. I, cité dans del Litto, ~.cit., p. 231.

55. Stendhal, Oeuvres intimes, p. 500.

56. del Litto, ~.cit., p. 215.

57. Stendhal, Correspondance, p. 95.

58. cité dans del Litto, ~.cit., p. 232.

59. Stendhal, Oeuvres intimes, p. 678.

60. Stendhal, Il Il p. 690.

61. Stendhal, Il Il p. 484.

62. Stendhal, Pensées, I, p. 163, cité dans del Litto, ~.cit., p. 62.

63. Stendhal, Oeuvres intimes, p. 463.

64. Stendhal, Il Il p. 459.

65. Stendhal, Il 11 p. 611.

66. Stendhal, Il n p. 567.

67. del Litto, ~.cit., p. 236.

68. Stendhal, Corres12ondance, p. 99.

69. Stendhal, Il p. 143.

70. Stendhal, Il p. 230-31.

del Litto, cit., p. 236. 71. ~· 72. Stendhal, Oeuvres intimes, p. 534.

73. Stendhal, Racine et Shakespeare, I, p. 20.

74. Stendhal, Oeuvres intimes, p. 570.

75. Stendhal, Pensées, I, p. 150-51, cité dans del Litto, ~.cit., p.69. - 87 -

CONCLUSION

1. del Litto, ~.cit., p. 115. A P P E N D I C E S

(A, B, C) APPENDICE A

Liste des thé~tres ~Paris apr~s le décret de l'Assemblée Nationale, 1791:

Concert spirituel et Thé~tre de Monsieur, ~ue Feydeau.

Thé~tre de l'Opéra, boulevard~ côté de la porte Saint-Martin.

Thé~tre-Italien, entre les rues de Savoie et Marivaux.

Thé~tre de Louvois, rue de Louvois,

Théâtre Comique et Lyrique, rue de Bondy.

Thé~tre Montausier, au Palais-Royal.

Thé~tre de la Nation, faubourg Saint-Germain.

Thé~tre des Variétés, rue de Richelieu.

Thé~tre du Marais, rue Culture-Sainte-Catherine.

Thé~tre de Moli~re, rue Saint-Martin.

Thé~tre d'Emulation, rue Notre-Dame-de-Nazareth.

Thé~tre de la Concorde, rue du Renard-Saint-Méry.

Théâtre des Muses ou de l'Estrapade, pr~s du Panthéon.

Théâtre du Mont-Parnasse, sur le boulevard neuf.

Théâtre du Vaudeville, rue de Chartres.

Thé~tre de Henri IV, vis-~-vis le Palais de Justice.

Thé~tre d'Audinot ou de l'Ambigu-Comique, boulevard du Temple.

Théâtre des Délassements, idem.

Théâtre Patriotique, idem.

Théâtre des él~ves de Thalie, idem.

Thé~tre de Nicolet, grand danseur du roi, idem. - 90 -

Théâtre des Petits Comédiens français, idem.

Théâtre du Lycée-Dramatique, idem.

Théâtre du café Yon, idem.

Théâtre du café Godet, idem.

Théâtre de Liberté, ~ la Foire St.-Germain.

Théâtre du Vauxhall, boulevard St.-Martin.

Théâtre du Cirque, au Palais-Royal.

Théâtre des Variétés comiques et lyriques, ~ la Foire St.-Germain.

Théâtre des Ombres chinoises, ~ais-Royal.

Théâtre du sieur Moreau, idem.

Théâtre de Thalie ou théâtre Mareux ou de Saint-Antoine, rue Saint-Antoine.

Deux théâtres en bois, place Louis XV.

Théâtre du café Guillaume.

Théâtre de la rue des Martyrs.

Cirque d'Astley, faubourg du Temple.

Théâtre des Amis de la Patrie.

Théâtre de la Gatté (Ce devait être celui de Nicolet qui avait pris ce nom ~l'époque de la Révolution).

Théâtre de la Cité, (Le même que celui de Henri IV).

Théâtre du Lycée des Arts. (Le même que celui du Cirque, au Palais-Royal).

Théâtre des Sans-Culottes. (Rue Saint-Martin, le même que celui de Moli~re).

Théâtre de la rue Antoine.

Théâtre de Mareux.

Théâtre des Jeunes Artistes. (Le même que celui de la rue de Lancry).

Théâtre des Jeunes El~ves, rue de Thoinville.

Théâtre de la rue du Bac. - 91 -

Théâtre des Troubadours et des Victoires nationales, rue Chantereine.

Théâtre de Doyen, alors rue Notre-Dame-de-Nazareth.

Théâtre de la rue Nazareth. (Sans doute le même).

Théâtre de la rue du Renard-Saint-Méry.

L'époque révolutionnaire est, pour les théâtres, une époque d'anarchie.

L'Assemblée Législative, par le décret du 19 janvier 1791, avait donné la liberté totale aux entrepreneurs de spectacles. Tout citoyen pouvait

"élever un théâtre public et y faire représenter des pièces de tous les genres en faisant préalablement sa déclaration~ la municipalité". Le premier effet du décret fut de multiplier les théâtres. Mais, bien vite devenus trop nombreux pour une saine exploitation, incapables de maintenir la qualité du répertoire ou des interprètes, ébranlés par les contre-coups de la vie politique, la plupart de ces nouveaux venus eurent une existence

éphémère. Source: Revue d'histoire du théâtre, 3, 1960, p.l95.

Liste des théâtres existant~ Paris en 1807, avant le décret impérial:

L'Opéra.

Le Théâtre-Français.

Feydeau.

Favart. (fermé)

Louvois.

Odéon. (fermé)

Le Vaudeville.

Le Théâtre de la Porte Saint-Martin.

Montausier, au boulevard Montmartre.

L'Ambigu. - 92 -

Liste des théâtres existant à Paris en 1807, avant le décret impérial: (suite)

La Gaîté.

Théâtre Sans-Prétention.

Molière.

La Cité.

Le Boudoir des Muses.

Le Marais.

Les Jeunes Elèves.

Les Jeunes Artistes.

Les Nouveaux Troubadours, au boulevard du Temple.

Les Jeunes Comédiens, au Jardin des Capucines.

Le Cirque;Olympique.

Le Théâtre de la Victoire, rue Chantereine.

Théâtre de la rue du Bac.

Théâtre Mareux, rue Saint-Antoine.

Théâtre du Panthéon, à l'Estrapade.

Théâtre de l'H8tel des Fermes, rue de Grenelle-Saint-Honoré.

Théâtre de la Jeune Malaga, boulevard du Temple.

Ombres chinoises. APPENDICE B

Pièces vues par Stendhal, notées dans son Journal, du 1er mai 1801 au 17 octobre 1806

(N.B. Les noms d'auteurs, quand Stendhal les indique, sont mis entre parenthèses)

1801 (en Italie)

1er mai Le Légataire universel, (Regnard) (à Bergame). 11 mai L'Avventuriere notturno, (Federici). 17 mai La Prevenzione paternella. Epicharide e Nerone. 19 mai Zelinda e Lindoro, (Goldoni). 12 juin Les Deux frères jumeaux ou le Médecin conciliateur, (Kotzebue). 18 juin Le Songe,(Mercier} 4 juillet La Donna contraria al consiglio, (Carlo Gozzi). 12 juillet Il sagio amico, (Albergati). 30 août Caro Mario, (Cimarosa) (à Bergame) • 2 septembre Due Giornati, opera (à Milano). La Mort de Cléopâtre. 10 septembre il Demofoonte, Tarchi, (Metastasio) (à Brescia). 20 septembre il Mercato de Monfregoso, (opera di Zingarelli) (à Milano).

1804 (à Paris)

8 avril Le Vieux célibataire, (Collin d'Harleville). Le Mariage secret, (Collé). 9 avril Agamemnon, (Lemercier). Sganarelle. 10 avril L'Homme à bonnes fortunes, (Regnard). Le Barbier de Séville. 11 avril La Fausse honte, (Ch. de Longchamps). Les Fausses infidélités, (Barthe). 13 avril Médiocre et rampant, (Picard). Le Voyage interrompu, (Picard). 14 avril Jaloux sans amour, (Imbert). La Gageure imprévue. 16 avril Il Bugiardo, (Goldoni). Didon, (Lefranc de Pompignan). Les Trois sultanes, (Favart). 19 avril La Maison de Molière, (L. S. Mercier). La Fausse Agnès, (Destouches). - 94 -

1804 (~ Paris) (suite)

20 avril Gabrielle de Vergy, (du Belloy). La Mariage fait et rompu, (Dufresny). 22 avril L'Habit de Grammont, (Vaudeville), (Barret, Radet, Des fontaines) • Les Confidences, (Jars, Isonard). Le Mariage d'une heure, (Etienne, Dalayrac). 23 avril del Re Teodor (opéra-bouffe), (casti, Paesiello). 24 avril Agamemnon, (Lemercier). 26 avril Oedipe, (Voltaire). L'Amant bourru, (Monvel). 29 avril Bajazet. Les Deux frères ou la Prévention vaincue, (Moissy). 1er mai Iphigénie en Aulide. L'Impatient, (Lantier). 8 mai Le Trésor, (Andrieux). Les Questionneurs, (J.J. de laTresne). La Parisienne, (Dancourt). 9 mai Tartuffe. Les Femmes, (Demonstier). 11 mai La Métromanie. Le Mariage fait et rompu, (Dufresny). 11 ~ 21 mai Phèdre,-deux fois. 19 mai Pierre-le-Grand, (Carrion). 23 mai Oedipe. Le Babillard, (Boissy). 24 mai Les Pointus, (Guillemain). Andromaque. Sganarelle. 6 juin L'Optimiste, (Collin). Le Retour imprévu, (Regnard). 10 juin Le Cid. La Maison de "Holière. 16 juin La Femme juge et partie, (Montfleury). Minuit, (Désandras). 27 juin Le Cloison, (Bellin de Liborlière). Les Tracasseries, (Picard). La Ceinture magique, (J.B. Rousseau). 30 juin L'Homme du jour, (Boissy). La Gageure, (contat et Fleury). 5 juillet Tartuffe. Molière avec ses amis, (Andrieux). 7 juillet Molière avec ses amis, (Andrieux). Le Philinte de Molière, (Fabre d'Eglantine). 13 juillet Iphigénie. 19 juillet Iphigénie. Molière, (Andrieux). 21 juillet L'Eté des Coquettes, (Dancourt). Les Bourgeoises~ la mode, (Dancourt). Les précieuses ridicules. 22 juillet Un quart d'heure de silence (opéra-comique), (Quillet). - 95 -

1804 (~ Paris) (suite)

22 juillet Montano et Stéphanie (opéra-comique), (Dejaure). 23 juillet L'Homme~ bonnes fortunes, (Baron). Le Barbier de Séville. 26 juillet Rodogune. Le Florentin, (La Fontaine). 28 juillet Adéla~de du Guesclin, (Voltaire). Le Médecin malgré lui. 29 juillet L'Intrigue épistolaire, (Fabre). Le Souper de famille, (J.B. Pujoulx). 31 juillet Le Joueur, (Fleury). 4 août Cinna. Moli~re avec ses amis. 7 août Cinna. L'Entrevue, (Vigée). 8 août Le Conciliateur, (Demonstier). Les Fausses confidences, (Marivaux). 11 août Les Deux Figaro, (Martelly). L'Ecole des maris. 12 août Cinna. 13 août Griselda, (opéra). 20 août Matrimonio segreto. 21 août La Métromanie. Le Médecin malgré lui. 23 août Andromaque. La Feinte par amour, (Dorat). 28 août Le Misanthrope. 14 septembre Le Dissipateur, (Destouches). Les Projets de mariage, (Duval). 21 septembre Le Locataire. Lucile. La Fausse magie. 22 octobre Le Vieux célibataire, (Collin d'Harleville). Les Fausses confidences. 22 ~ 25 oct. Cinna. L'Epreuve nouvelle, (Marivaux). 26 octobre La ~re coquette, (Quinault). La Jeune femme col~re, (Etienne). La Maison de campagne, (Dancourt). 3 novembre Le P~re d'occasion, (J. Pain et Vieillard). L'Amant soupçonneux, (Chazet et LaFortelle). Les Ménechmes, (Regnard). 4 novembre L'Avocat Patelin, (Brueys). 5 novembre Le Cid. La Leçon conjugale, (Chazet et Sewrin). 14 novembre Le Séducteur, (Bi~vre). La Gageure imprévue, (Sedaine). 17 novembre L'Auberge pleine, (Desforges). La Pupille, (Fagan). Les Etourdis, (Andrieux). - 96 -

1804 (~ Paris( (suite) - 18 novembre Le Philosophe marié, (Destouches). 20 novembre Le Tyran domestique, (Duval). Iphigénie en Tauride, (Guimond de la Touche). La Leçon conjugale. 22 novembre Le Préjugé~ la mode, (La Chaussée). Les Deux pages, (Ernest de Mauteniel). 7 décembre La Surprise de l'amour, (Marivaux). Les Femmes, (Demonstier). 10 décembre Le Muet, (Brueys et Palaprat). L'Amant bourru, (Monvel). 12 décembre Macbeth, (Ducis). 17 décembre Ariane, (Th. Corneille). L'Avis aux maris, (Chazet et Sewrin). 18 décembre Misanthropie et repentir, adaptation de l'allemand par Kotzebue. Les Héritiers, (Duval). 19 décembre Les Deux pages. Le Préjugé à la mode. 30 décembre Cinna. Les Originaux, (La Mothe). 31 décembre Le Philinte de Moli~re.

1805 (à Paris)

3 janvier Camilla, (Paer). 6 janvier Nicom~de. Molière avec ses amis. 11 janvier Les Horaces. La Mère jalouse, (Barthe). 17 janvier Mithridate. Minuit, (Desandras). 22 janvier Turcaret, (LeSage). Le Médecin malgré lui. 24 janvier Matrimonio segreto. 8 février L'Orphelin de la Chine. Le Confident par hasard, (Faur). 9 février Les Folies amoureuses. 13 février Le Cid. 16 février Le Tyran domestique, (Duval). 21 février Le Bourgeois gentilhomme. 22 février Iphigénie. La Pupille, (Fagan). 24 février Tartuffe. 1er mars Les Folies amoureuses. Zaire. 4 mars Le Bourgeois gentilhomme. 5 mars Les Horaces. Caroline. 10 mars Othello. Les Visitandines (opéra-comique), (Picard). 22 mars Nicom~de. - 97 -

1805 (à Paris) (suite)

23 mars Le Légataire universel. La Mère jalouse. 29 mars Britannicus. 2 avril Les Horaces. Le Confident par hasard. 20 avril Phèdre. 22 avril Sémiramis. L'Aveugle clairvoyant, (LeGrand). 24 avril Le Philosophe marié, (Destouches). La Gageure, (Procope). 25 avril Le Chapitre second (opéra-comique), (Dupaty). Les Confidences (opéra-comique), (Hoffman). Le Calife de Bagdad (opéra-comique), (Saint-Juste). 26 avril Esther. Nanine. 28 avril Le Bon ménage (Vaudeville), (Florian). Fanchon-la-Vielleuse (Vaudeville), (Bouilly et Pain) 29 avril Esther Dupuis et Desronais, (Collé). 30 avril Le Tartuffe de Moeurs, (Chéron). Le Barbier de Séville. 2 mai Le Tyran domestique. Le Procureur arbitre, (Poisson).

1805 (à Marseille)

25 juillet Aline, reine de Golconde (opéra-comique), (Vial et Favières). 16 octobre Cinna. 26 octobre Phèdre (jouée par Mélanie Guilbert). 9 décembre Samson, (.Romagnosi). Aucassin et Nicolette, (Sedaine). 19 décembre Claudine de Florian, (Pigault-Lebrun). 31 décembre Deux petits Savoyards (opéra-comique), (Marsollier).

1806 (à Marseille)

6 janvier Les Deux billets (Vaudeville), (Florian). Arlequin afficheur, Radin, Desfontaines, (Barré). 18 mars La Mère coupable. 16 mai Tartuffe. 17 mai Le Retour de Terpsichore (ballet), (Philippe Brulo).

1806 (à Paris)

16 août L'Intrigue épistolaire, (Fabre d'Eglantine). La Jeunesse de Henri V, (Alexandre Duval). - 98 -

1806 (à ParisXsuite)

10 juillet Henri IV (deux fois). au L'Opéra comique, (Ségur et Dupaty). 16 août La Mélomanie, (Garnier). Saint-Foix, (A. Duval). La Petite Ville. Le Revenant. Ph~dre. Le Chevalier à la mode. Jeunesse de Henri V. Tartuffe. L'Intrigue épistolaire. Les Deux frères. Le Philinte de Molière. Gaston et Bayard, (du Belloy). Il Matrimonio segreto (opéra-bouffe). Cantatrici villane. Oedipe à Colonne (opéra), (Sacchini). L'Hymen de Zéphire (opéra). Heureusement. 23 août Il Matrimonio segreto. 2 septembre L'Ecole des femmes. 5 septembre Une soirée de deux Prisonniers (Vaudeville), (Desprès et Deschamps). Les quatre Henry, (Dieulafoy). Les Amours d'été, (Piis et Barré). 18 septembre Omasis, ou Joseph et Egypte, (Baour-Lormian). 27 septembre Il Matrimonio segreto. 17 octobre Athalie. Bajazet. APPENDICE C

Lectures de Stendhal, notées dans son Journal, du 1er mai 1801 au 26 aoat 1806.

1801

1er mai La Harpe, Le Lycée, Tomes I h VIII inclus. Selmours. Beyle. 9 mai 7e volume de Voltaire. Bachaumont: Mémoires secrets pour servir h l'histoire de la République des Lettres. Mercier ou Mayeur de Saint-Paul: Description du Palais-Royal. 27 mai Goldoni: Gli amori di Zelinda e Lindoro. Il Teatro comico: la Pamela nubile, la Pamela mari tata. 6 juin la traduction des Amours de Zelinde et Lindore. 12 juin finit la traduction des Amours de Zelinde et Lindore. 21-22 juin Discours d'Albon (3 volumes, 1779) 9 décembre la fin de l'Odyssée traduite par Bitaubé.

1804

14 avril Vauvenargues. 17 avril La Harpe, 13e et 14e vol. de son Cours. 20 avril Souvenirs de Mme de Genlis. 23 avril Goldoni: La Vedova scaltra. 24 avril Fénelon, Beccaria (sur le style). 10 mai Vauvenargues. 4 juin extrait du Métromane, Geoffroy. 7 juin 3e volume des Mémoires de Goldoni (en français). Goldoni: Il cavaliere de huon gusto. 8 juin Goldoni: il Poeta fanatico, il Moliere. 10 juin Palissot et le jugement de Moreau. 11 juin l'Andrienne de Térence (traduction de Lemonier). la Finta Amalata. 13 juin Machiavel: La Mandragora, La Clizia, il Frate, l'Andria tradotta di Terenzio. 16 juin Hobbes: De la nature humaine. 4 juillet Hume: Traités philosophiques. Alfieri: l'Oreste. 3 juillet Vauvenargues: Pensées. 5 juillet Goldoni: Menagiana ed il Cavaliere e la Dama. 7 juillet Brissot-Warville: De la Vérité, qui l'engage h lire Descartes: Méthode de conduire à la raison. Bussot: De l'ame et de ses passions. - 100 -

1804 (suite)

19 juillet ach~te le Opere varie del divino Alfieri. 23 juillet P. Chaussard: L'esprit de Mirabeau. 29 juillet Shakespeare. 11 août "Ce mois s'est passé à l'étude de la grande philosophie pour trouver les bases des meilleures comédies possibles, et, en général, des meilleurs poèmes, et celles de la meilleure route que j'ai ~ suivre pour trouver dans la société tout le bonheur qu 1 elle peut me donner". 19 septembre Shakespeare: Timon d'Ath~nes. 4 novembre Chateaubriand: Génie du christianisme. 8 novembre The Taming of the Shrew. 16 novembre Lettres autographes de Voltaire ~ Maupertius. Lettres autographes de Henri IV à la marquise de Vermeuil (pour étudier la na!veté). 28 novembre Marmontel: Mémoires. 31 décembre Tracy: L'Idéologie, 60 premi~res pages.

1805

1er janvier Tracy. Voltaire: Correspondance. 15 ~ 17 janv. Diderot: La Vie de Sén~que. Lettres d'Hélo!se et d 1Abélard. Lettres d'une religieuse portugaise. 21 janvier Werther, traduction de Sevelinges. 24 janvier Pinel: L'Aliénation mentale. Cabanis: Premier Discours. 3 février Mme de Stael: Delphine. 4 février Cabanis: Mort de Mirabeau. Hobbes. 5 février Mme de Stael: Delphine. 15 février Clàiron. 17 février Madame Roland. Tacite. 17 mars Tracy. Collin, quarante pages. 19 mars Helvétius. Smith. Andromaque, de Racine. 20 mars Tracy. Helvétius. 19 avril Chamfort: Pensées. 8 août Abufar ou la famille arabe. (à Marseille) 12 septembre "Je n'ai lu depuis mon arrivée vingt vers de Racine, Corneille, Moli~re". 27 octobre Shiller: La Guerre de trente ans. 10 décembre Tracy. Montesquieu: Grandeur des Romains, Dialogue de Sylla et d'Eucrate. - 101 -

1805 (suite)

15 décembre Marmontel: Mémoires. 24 décembre Tracy: Logique. 31 décembre Jacques le Fataliste, 3e volume.

1806

9 janvier Saint-Simon. 20 janvier Pierre Clément: Cinq années littéraires. 23 janvier Dumarsais: L'Essai sur les préjugés. Mme de Stael: De la Littérature. 2 février Alceste d'Euripide. 4 mars Lettres de Sophie Grouchy, femme de Condorcet. 11 mars Mémoires de Miss Bellamy. Smith. 14 mars Mirabeau: Lettres sur Berlin. 16 mars Le Paysan perverti. 19 mars Mme de Stael: L1Influence des passions. 1er avril Machiavel: il Principe. 11 mai Hume: Histoire d'Angleterre. 15 mai "Il y a trois mois que je n'ai pas ouvert Racine ni Corneille, j'ai lu il y a huit jours mille ou quinze cents vers du Tasse ••• " 16 août L'Esprit des Lois. 23 août Tracy: L1Esprit des Lois. Hobbes: De la nature humaine. 26 août Virgile. BIBLIOGRAPHIE

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Oeuvres intimes. Paris, 1955.

Pensées ~réflexions. Paris, 1955.

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