Jacques Tribout Chef du Département Rocades ferrées développement en Île-de-France : SNCF l’évolution d’un concept

De l’étoile initiale à un réseau maillé

Les infrastructures de transports (routières ou Legrand, trace les plans du premier réseau de ferroviaires) acquièrent une efficacité socio- chemin de fer centré sur , connu sous le économique par leur maillage, et des deux nom d’« Étoile de Legrand ». Il a été officialisé types de maillages les plus classiques, qui sont par la loi du 15 juillet 1842. le réticulaire (typiquement les rues des villes du Nouveau Monde et les routes du Middle Le réseau ferroviaire d’Île-de-France a ainsi West) et le radioconcentrique, c’est ce dernier été réalisé sur la base de neuf faisceaux qui est très clairement le plus adapté à la radiaux aboutissant à un nombre égal de gares desserte de territoires fortement polarisés parisiennes (, gare de la Bastille, comme le sont notamment, chacune à son gare de l’Est, , gare Saint-Lazare, échelle, la France et l’Île-de-France. gare des Invalides, , gare du Luxembourg, gare d’Orsay), maillés quelques Dans les années 1830, le directeur général des décennies plus tard par deux premières Ponts et Chaussées, Baptiste Alexis Victor rocades, la Petite et la Grande Ceinture (1). Le SDRIF de 1994 avait La Grande Ceinture, et les premiers validé le concept de tangentielle ferroviaire « trains-tramways » lourde, hérité du projet LUTECE de la SNCF, Créée par la loi de concession du 4 août 1875, est ouvert, le 15 mai 1878, entre Noisy-le-Sec avec quatre axes à la Grande Ceinture, concédée au « Syndicat du et Juvisy. réaliser. Mais la mise en chemin de fer de Grande Ceinture », connaît œuvre de ce projet son premier service voyageurs partiel dès le 16 novateur et ambitieux, juillet 1877 avec la liaison Paris-Est - Noisy- 1) Voir notamment à ce sujet Carrière (Bruno), Les trains de qui tranchait avec la le-Sec… (grande ceinture)… Juvisy - Paris- banlieue (2 tomes), Éditions La Vie du Rail, 1998 et Carriè- Orléans. Dix mois après l’ouverture aux re (Bruno) et Collardey (Bernard), L’aventure de la Grande logique radiale qui avait voyageurs, un premier service marchandises ceinture, Éditions La Vie du Rail, 1992. prévalu jusqu’alors, s’est réduite à peu de réalisations. Une relance est actuellement en cours, en tenant compte d’évolutions non négligeables dans la doctrine de desserte: des trains légers assureront des dessertes de type métro sur une rocade plus proche du centre que ne l’étaient la plupart des tangentielles de 1994. Cet article vise à expliquer les changements intervenus.

 Figure 1 : La Grande Ceinture (document SNCF)

Transports Urbains N°110 (juillet 2007) 3 Le 1er mai 1883, la boucle de la Grande Cein- décidé et la Grande Ceinture Complémentaire, ture est bouclée et les premiers trains circu- passant plus à l’ouest de la GC historique, est laires effectuent le parcours Paris-Est - mise en service le 7 septembre 1928. Noisy-le-Sec - Juvisy - Massy-Palaiseau-GC - Versailles-Chantiers - Achères - Épinay-GC - En 1939, dans le cadre des mesures dites de Le Bourget – GC - Noisy-le-Sec en desservant « coordination », consistant à reporter sur 33 gares et haltes sur une distance totale de mode routier le trafic voyageurs des petites 91,5 km. lignes, les sections de Grande Ceinture ferment et il ne reste plus que la desserte Juvi- À la demande du Ministère de la Guerre, insa- sy - Massy-Palaiseau - Versailles. tisfait du tracé de la Grande Ceinture Sud qui, entre Massy et Villeneuve-Saint-Georges, Avec la création du Réseau Express Régional, effectue un détour par Épinay-sur-Orge, un la Grande Ceinture a été très partiellement doublement de la GC, appelé Grande Ceinture intégrée dans diverses branches du RER. Stratégique, et reliant directement Massy à Villeneuve en passant par Wissous et Orly, fut C’est d’abord, le 14 décembre 1969, la mise en ouvert en 1886. service de la ligne A entre Nation et Boissy- Saint-Léger, utilisant la section rénovée Le 10 août 1888 est mis entrains-tramways service, « à titre - Sucy-Bonneuil de la ligne de la d’expérience », un service de Bastille, laquelle était entre Champigny et exploité par la Compagnie du Nord entre la Sucy-Bonneuil en tronc commun avec la Plaine-Saint-Denis et Pantin. Ce service dure Grande Ceinture. jusqu’au 1er août 1914. S’inspirant de ces trains-tramways, le Syndicat de la Grande C’est ensuite, le 28 mai 1972, la mise en servi- Ceinture met en service,trains légers à partir du 28 ce de la liaison « Orly-Rail » entre Paris-Quai- novembre 1889, des , sur quatre d’Orsay et Pont-de-Rungis, préfigurant une sections: Juvisy - Versailles - Achères avec des missions de la future ligne C du RER. prolongement de certains trains jusqu’à Cette dernière naît le 30 septembre 1979 avec Épinay, Achères - Noisy-le-Sec, Noisy-le-Sec la création de la « Transversale Rive- - Sucy-Bonneuil et Sucy-Bonneuil - Juvisy. Gauche », et intègre, outre la ligne Orly-Rail Sur certaines sections, le train léger n’était partiellement prolongée jusqu’à Massy sur la autre que le train-tramway. GC stratégique, les sections Juvisy - Savigny- sur-Orge - Massy - Versailles-Chantiers sur la Avec la création du À l’est, la Grande Ceinture utilise deux tron- GC historique. RER, la Grande çons appartenant à des lignes radiales: le tron- Ceinture a été très çon entre Noisy-le-Sec et la bifurcation de Et c’est enfin, en août 1999, la mise en service Nogent, qui appartient à la ligne de , de la branche Villiers sur Marne de la ligne E partiellement intégrée et le tronçon entre Champigny et Sucy- du RER (EOLE) qui utilise la section Noisy- dans les diverses Bonneuil, qui appartient à la ligne de La le-Sec - bifurcation de Nogent, commune à la branches de ce réseau. Bastille. Un doublement de la Grande Ceinture Grande Ceinture historique et à la ligne de entre Noisy-le-Sec et Sucy-Bonneuil est donc Mulhouse. Du réseau LUTECE aux tangentielles du SDRIF de 1994

Dans les années 1980, la SNCF avait étudié (SDRIF) de 1994, également appelé « Schéma une réouverture partielle de la GC nord: le Directeur 2015 ». Il prévoyait « une organisa- projet de liaison Sartrouville - Val-de-Fonte- tion urbaine polycentrique » et « une organisa- nay, qui avait l’objet en octobre 2004 d’un tion des transports confortant les priorités de schéma de principe. l’aménagement régional ». Il prônait donc, tant pour les transports routiers que pour les Dans les années 1990, l’IAURIF et la SNCF, transports ferrés, le développement d’un soucieuses de relier les grands pôles écono- réseau structurant, hiérarchisé et maillé selon miques d’Île-de-France, avaient imaginé un principe radioconcentrique. Ce principe quatre tangentielles: avait déjà été en grande partie mis en œuvre — la tangentielle Nord reliant Roissy à pour le réseau routier express, avec les auto- Cergy-Pontoise, routes radiales, et les trois rocades que sont le — la tangentielle Ouest reliant Cergy- Boulevard périphérique, la A 86 et la Franci- Pontoise à Versailles et Massy, lienne. — la tangentielle Sud reliant Saint-Quen- tin-en-Yvelines à Versailles, Massy, Évry, En ce qui concerne le réseau ferroviaire, le Sénart et Melun, schéma directeur d’Île-de-France prévoyait — la tangentielle Est reliant Melun et d’une part des lignes radiales reliant Paris aux Sénart à Marne-la-Vallée et Roissy. pôles secondaires d’Île-de-France (les villes nouvelles, le pôle de Roissy, le pôle d’Orly- Le schéma du réseau LUTECE (figure 2) Rungis), et d’autre part des tangentielles présente ces quatre projets, la tangentielle reliant les pôles entre eux et maillant ainsi les Nord étant dotée d’une deuxième branche côté radiales. Ces « tangentielles ferrées à grand Ouest, entre Épinay et Sartrouville. gabarit » étaient: Ce réseau LUTECE a été repris dans le Sché- • une tangentielle Nord: Pontoise - Roissy - ma Directeur de la Région Île-de-France Marne-la-Vallée (Val d’Europe), réutilisant le

4 Transports Urbains N°110 (juillet 2007) tronçon Épinay – Stains de la Grande importants d’Île-de-France. Elle permet aussi  Figure 2 : Le réseau LUTECE Ceinture; un maillage des radiales, mais en des points (source : SNCF) • une tangentielle Sud: Saint-Quentin - non optimisés. Massy - Évry - Sénart - Melun; • une tangentielle Ouest: Cergy - Versailles - Les derniers Contrats de plan État-Région Massy; • liaison de roca- (CPER), principaux instruments de mise en deen moyenne couronne, une œuvre de ce schéma, n’ont pas permis de Roissy - Marne-la-Vallée (Porte de Paris) - déboucher sur un nombre significatif de réali- Orly - Massy doublant en grande partie la sations, malgré des textes ambitieux. Grande Ceinture Est; • une tangentielle Est Roissy - Marne-la- Si l’on excepte le fait que certaines sections de Vallée (Val Maubuée) - Sénart; la Grande Ceinture ont été intégrées à des • une liaison Roissy – Creil; • lignes de RER et que l’ancienne ligne ferro- une liaison Mantes – Cergy – Pontoise – viaire reliant Issy-Plaine à Puteaux a été trans- Creil. formée en ligne de tramway entre Issy-Val-de-Seine à La Défense sous exploita- Il est intéressant de noter la présence, dans le tion RATP, on n’a vu se réaliser au titre du texte du SDRIF, d’une distinction entre CPER 1994-1999 qu’une seule opération La distinction entre tangentielle et rocade. Cette distinction, non significative. Il s’agit de la réouverture à la explicitée dans le SDRIF, est importante, car rocade et tangentielle elle recouvre en Île-de-France deux concepts circulation le 11 décembre 2004, après 66 ans recouvre deux concepts distincts. de fermeture au trafic voyageur, de la ligne distincts. dite de Grande Ceinture Ouest, entre Saint- La rocade ferroviaire est une ligne en forme Germain-en-Laye-GC et Noisy-le-Roi, d’arc de cercle, par exemple située sur l’em- première étape de la future tangentielle Ouest. prise de la Grande Ceinture. Elle est située en zone dense, dans la moyenne couronne. Sa Concernant les lignes de rocade et tangen- principale fonction est de mailler les lignes tielles, le XIIe Contrat de Plan 2000 – 2006 a radiales entre elles. Elle permet aussi bien sûr inscrit d’une part la transformation de la ligne de relier les pôles d’Île-de-France entre eux, des Coquetiers Aulnay - Bondy, en ligne de soit directement, soit par correspondance tram-train, maillant les lignes B et E du RER, (trajet en L, en U, en baïonnette). d’autre part l’amélioration de la liaison Massy La tangentielle - Valenton, qui connaît actuellement des est une ligne très approximati- conflits de circulation entre les TGV et les vement droite (en tout cas non concentrique), trains du RER C, et enfin les quatre tangen- et tangentant la zone dense. Sa principale tielles Nord, Ouest, Sud et Est, inspirées du fonction est de relier entre eux des pôles SDRIF.

Transports Urbains N°110 (juillet 2007) 5 Les évolutions du projet de tangentielle Nord, vers un « train léger » sur voies dédiées

La tangentielle Nord a connu plusieurs évolu- get) et une tangentielle (avec les branches tions successives: Pontoise et Roissy), la fonction de rocade étant prioritaire. Avec le CPER 2000-2006, la tangentielle Nord gagne deux branches supplémentaires, l’une Le 28 septembre 2004, le Conseil du STIF vers Sartrouville, déjà présente dans le projet décide que le projet de tangentielle Nord se LUTECE, et l’autre vers Noisy-le-Sec. Elles fera, non pas sur les voies de Grande Ceinture, sont toutes deux situées sur la ligne de Grande mais sur desTransilien voies nouvelles dédiées aux Ceinture. La branche de Roissy, au lieu de circulations , longeant la Grande- démarrer de Stains (ce qui supposait un tron- Ceinture. Il s’agit là d’une évolution majeure, çon de ligne nouvelle pour aller à Roissy), car le projet antérieur de tangentielle Nord ne démarre du Bourget, sur la ligne existante du prévoyait de voies nouvelles que sur la section RER B. Villetaneuse-UniversitéTransilien - Noisy-le-Sec, utili- sées le jour par et disponibles la nuit Le CPER précise que les deux branches de pour d’éventuels besoins du fret. Cette déci- Sartrouville et Noisy-le-Sec constituent la sion, faisant suite à des études de faisabilité première tranche de réalisation du projet, les menées par RFF, a été prise de manière branches de Pontoise et de Roissy devant faire consensuelle entre le STIF, autorité organisa- l’objet de tranches ultérieures non encore trice, RFF, maître d’ouvrage et gestionnaire  Figure 3 : Les rocades et les tangentielles dans le SDRIF de programmées. Ainsi, en reprenant la séman- des infrastructures, la SNCF, maître d’ouvrage 1994 tique rocade - tangentielle exprimée plus haut, des gares, de l’atelier et du matériel roulant et la tangentielle Nord devient à la fois une roca- futur exploitant, et les financeurs (l’État et la de (avec les branches Sartrouville et Le Bour- région Île-de-France). Elle permet de résoudre la problématiqueTransilien de la mixité des circulations de fret et sur une même ligne ferro- viaire saturée. En effet la mixité, dans une situation de saturation, se révèle source de conflits, générant de l’irrégularité, et empêche tout développement ultérieur d’une des deux activités. Le transport de voyageurs notam- ment ne pouvait espérer une fréquence supé- rieure à 4 trains par heure, ce qui est peu en zone agglomérée d’Île-de-France. On note la forte similitude entre cette évolu- tion de la Tangentielle Nord et la description dans le SDRIF de 1994 du projet de la ligne Roissy - Marne-la-Vallée (Porte de Paris) - Orly - Massy: « en moyenne couronne une liaison de rocade doublant en grande partie la Grande Ceinture Est en utilisant ses emprises souvent largement dimensionnées et sans compromettre le trafic de fret ». L’évolution de la tangentielle Nord, consistant à créer de nouvelles voies à côté de celles de la Grande Ceinture, risquait d’augmenter le coût du projet. Pour pouvoir travailler à coût d’in- frastructure constant, RFF, la SNCF et le STIF convinrent de changer radicalement de type de matériel roulant, chose que précisément permettait le fait de disposer de voies dédiées. Il fut donc décidé de réduire le gabarit (largeur de 2,65 m au lieu de 2,90 à 3,06 m pour les trains usuels), la masse à l’essieu (12,5 tonnes au lieu d’une vingtaine pour les matériels usuels) et la longueur du matériel roulant (40 m en unité simple, soit 80 m en unité double, voire à terme 120 m en unité triple en cas de Transilienbesoin, contre 180 à 260 m pour les trains ), et d’augmenter les rampes admis- sibles (jusqu’à 65 pour mille, au lieu de 35 à 40 pour mille pour les automotrices électriques). Ces mesures permettent: — une moindre occupation foncière de la ligne, et donc une insertion urbaine plus aisée;

6 Transports Urbains N°110 (juillet 2007)  Figure 4 : Contrat de plan État — des rampes (pour les sauts de mouton ou concepts de train léger et de tram-train. En – Région Île-de-France 2000 – les terriers) plus courtes; effet le tram-train a vocation à pouvoir circuler 2006 (document SNCF - RFF) — des quais plus courts, plus faciles à insé- en marche à vue sur des rails de tramway rer; urbain avec une alimentation en 750 V courant — un dimensionnement moindre des continu, en complément de l’alimentation ouvrages d’art. ferroviaire classique en 25000 V alternatif ou 1500 V continu. En revanche, à aucun Pour exprimer cette évolution, les partenaires moment le train léger de la tangentielle Nord convinrent de renommer le projet « tangentiel- n’est destiné à rouler en mode tram sur voirie le légère nord », ou « TLN ». urbaine. Roulant avec le système de signalisa- tion ferroviaire, il circule à une vitesse de 100 Grâce à la disposition de voies dédiées, la km/h, ce qui permet une vitesse commerciale fréquence n’est plus limitée à 4 trains par d’environ 50 à 55 km/h compte tenu des heure. Pour assurer le trafic de voyageurs avec nombreux arrêts (un tous les deux kilomètres). des trains plus courts et plus étroits, le projet Le choix de voies prévoit 12 trains par heure (en heure de poin- C’est un curieux clin d’œil de l’histoire de dédiées permet de porter te), voire à terme 18 si le besoin apparaît. Il est constater que, plus d’un siècle après l’inven- la fréquence de 4 à 12 intéressant de noter que cette augmentation de tion du concept de train léger s’appliquant à la trains par heure, voire à fréquence de 4 à 12 trains par heure génère, Grande Ceinture Nord et utilisant notamment toutes choses étant égales par ailleurs, une comme matériel roulant le train-tramway, on terme 18 si nécessaire. augmentation d’environ 30% du trafic de réinvente un train léger, qui présente avec le voyageurs. précédent certaines similitudes de localisation, de type de matériel, et de terminologie. Un tel concept de train léger se fonde sur un matériel roulant dont les caractéristiques Le marché du matériel tram-train correspond à s’avèrent très proches de celles du tram-train une gamme de matériel à plancher bas. Pour ne (par exemple celui qui circule sur la ligne T4 pas avoir à inventer un matériel qui ne servirait entre Aulnay et Bondy). L’achat du matériel qu’à la tangentielle Nord (ce qui augmenterait roulant de la tangentielle Nord, en étant considérablement son coût), il a donc été déci- mutualisé avec celui des divers projets de dé de construire les gares de la TLN avec des trams-trains qui existent en France, se fera quais bas adaptés. Quant aux branches Pontoi- donc à un coût intéressant. se et Roissy, munies de gares à quais hauts, elles cessent de pouvoir accueillir les trains de Si les deux matériels roulants ont les mêmes la TLN (sauf à aménager des parties de quai caractéristiques principales, il importe néan- spécifiques de hauteur différente), et la TLN moins de faire une distinction entre les deux devient une pure rocade. Cette décision a été

Transports Urbains N°110 (juillet 2007) 7 prise en cohérence avec une autre décision, — Création de 6 nouvelles gares, et reconfi- celle de s’orienter vers une exploitation de guration de 8 gares existantes type métro, qui va être exposée un peu plus — Maillage avec les lignes A, B, C, D et E loin. du RER, avec les lignes J (du réseau Paris Saint-Lazare) et H (du réseau Paris Nord), Le schéma de principe du nouveau projet et avec le tramway T1 et le futur tramway « TLN » a été approuvé le 28 septembre 2004 Saint-Denis – Épinay - Villetaneuse. par le Conseil du Syndicat des Transports — Trafic: 146000 voyageurs - jour (2), d’Île-de-France, et a été soumis à enquête — Suppression de 14 passages à niveau, publique en décembre 2006. Les principales — Vitesse de pointe: 100 km/h; vitesse caractéristiques de la rocade nord « TLN » commerciale: 50 km/h, sont les suivantes: — Fréquence: 12 trains par heure, — Longueur: 28 km — Mise en service: fin 2014.

Ne roulent sur des Le concept « d’exploitation de type métro » lignes données que des trains ayant des missions et un matériel La saturation extrême des circulations en Île- Cette complexité a son origine dans le souci identiques, afin de de-France, l’ancienneté des infrastructures, d’adapter l’offre au plus près de la demande. rendre l’exploitation l’existence d’une multitude d’« incidents Par exemple la desserte par zone, consistant origines » (incidents matériels, incidents d’in- pour un train à être d’abord semi-direct, puis plus robuste. frastructures, incivilités, etc.) concourent à omnibus dans sa zone finale, permet de réduire fragiliser la régularité en Île-de-France. le temps de trajet entre Paris et la zone consi- dérée. Par exemple aussi, la création de La fragilité de l’exploitation tient notamment plusieurs branches pour une ligne donnée au fait que: permet de multiplier le nombre de dessertes — les voies servent à plusieurs types de Paris - banlieue sans rupture de charge. trafic (sur la GC Sud entre MassyTransilien et Valen- ton roulent à la fois des trains , Néanmoins, dans la situation de saturation où des trains de Fret et des TGV), l’on est arrivé, cette complexité fragilise l’ex- — les lignes comportent de nombreuses ploitation,Transilien car le moindre retard d’un train branches, et la multiplication des conver- ( ou autre) se répercute par effet gences et des terminus constitue une fragili- domino sur tous les trains qui empruntent la té d’exploitation (la ligne C comporte 6 ligne. De plus, la lisibilité des dessertes est convergences, et de nombreux terminus), difficile. Enfin, la desserte par zone est — sur un tronçon donné d’une ligne passe souvent inadaptée au cabotage banlieue- une multiplicité de missions, se différen- banlieue, alors qu’il est en forte augmentation. ciant par les gares intermédiaires desser- Ce dernier, par rapport au trafic Paris - vies. banlieue, a augmenté de 66% entre 1976 et 2001 (cf. tableau)! La croissance du cabotage de banlieue à banlieue entre 1976 et 2001 Pour ces raisons,Transilien une nouvelle conception des dessertes a commencé à voir le jour, Évolution plus simple, plus uniforme, et donc plus robus- Ratio selon le type de Ratios Banlieue-Banlieue / Paris-Banlieue trajet entre te. Elle privilégie en zone dense des dessertes (tous modes motorisés 1976 et omnibus sur des voies dédiées; elle cherche à confondus) 2001 éviter une multiplicité de branches, et une 1976 1983 1991 2001 (base 100 en 1976) multiplicité de missions. Dans un tel schéma de desserte ne roulent sur une ligne donnée B-B Radial / Paris- que des trains qui tous ont la même mission, Banlieue 0,54 0,64 0,79 0,86 159 utilisent le même matériel, s’arrêtent aux mêmes gares, ont la même vitesse. B-B Transversal / Paris- Banlieue 0,06 0,08 0,10 0,12 185 Et en complément de cette desserte omnibus, des trains semi-directs, roulant sur les voies B-B Rocade PC / Paris- rapides (empruntées aussi par les TER et les Banlieue 0,47 0,53 0,54 0,64 137 trains grande ligne) doivent permettre d’assu- rer des acheminements rapides entre les B-B Rocade PC-GC / grands pôles de la région Île-de-France (cf. les Paris-Banlieue 0,08 0,09 0,12 0,12 151 dessertes de « niveau 1 » dans le schéma ci- contre). B-B Rocade GC / Paris- Banlieue 0,52 0,64 0,79 1,04 201 Ce type d’exploitation omnibus en zone dense décrit ci-dessus est tout à fait caractéristique Total Cabotage B-B / du métro parisien, et c’est celui qui a été retenu Paris-Banlieue 1,68 1,99 2,34 2,79 166 (intracommunal exclu) 2) Cette estimation va être revue à la hausse car la simula- tion a été réalisée sans prendre en compte l’effet inducteur Source: “Répartition géographique des déplacements en IdF”, IAURIF, selon EGT de trafic du projet RER B Nord +, ni les évolutions de 1976, 1983, 1991 et 2001. desserte déjà effectives sur le RER C, qui passe de 4 à 8 trains/h en HPM sur la section entre Porte de Clichy et Épinay/Seine inclus.

8 Transports Urbains N°110 (juillet 2007)  Figure 5 (à gauche) : Schéma cible de dessertes, privilégiant pour la rocade nord « TLN », conçue comme RER B Nord +, avec correspondance en gare les dessertes omnibus en zone un système fermé (sans interconnexion). du Bourget, constituent un archétypeTransilien d’exploi- dense, et les dessertes de pôle à tation de type métro appliquée à . pôle De la même façon, le projet RER B Nord +, Contrairement à ce qui était prévu dans le dont le schéma de principe modificatif a été projet initial de tangentielle Nord, qui compre-  Figure 6 (à droite) : RER B approuvé par le Conseil du STIF du 20 nait une branche se détachant au Bourget pour Nord+ et TLN, deux projets avec septembre 2006, met également en application aller à Roissy, un voyageur de la TLN qui veut circulations sur voies dédiées et le principe d’exploitation de type métro: se rendre à Roissy doit effectuer une corres- à fréquences élevées (document Transilien— en dédiant deux voies aux circulations pondance en gare du Bourget. Les études SNCF - RFF) (à côté des voies utilisées par les socio-économiques montrent que la clientèle TER et les trains de fret), est gagnante, car le haut niveau de fréquence — en rendant tous les trains omnibus, des trains (5 minutes sur la TLN, et 3 minutes — en faisant évoluer les règles d’exploita- sur le tronc commun de la ligne B, 6 minutes tion: accélération et freinage plus élevés, sur chacune des branches Roissy et Mitry) temps de stationnement réduits grâce à des compense le désagrément de la rupture de quais mis au niveau des planchers des charge. De plus, on l’a vu, ce mode d’exploita- trains. tion, plus robuste, est moins sensible aux Ces deux projets, la rocade nord « TLN » et le perturbations. Vers une rocade de moyenne couronne

Le SDRIF de 1994 avait prévu une rocade — pouvoir être réalisée à coût relativement réutilisant la plate-forme de Grande Ceinture, bas, grâce à l’utilisation de la plate-forme contournant Paris par l’Est et le Sud, et allant ferroviaire existante. jusqu’à Massy. Une telle rocade s’inscrit tout naturellement dans le prolongement physique Concernant le coût, il est intéressant d’avoir à et conceptuel de la rocade nord « TLN ». l’esprit celui de la ligne de tram-train T4 dite « des coquetiers », reliant Aulnay à Bondy, qui Cette rocade pourrait Ce projet, qui a fait l’objet d’une proposition a été mise en service en novembre 2006. Cette€ comporter deux arcs: de la part de la SNCF et de RFF aux décideurs ligne,€ d’une longueur de 8 km, a coûté 54 M Massy - Sucy-Bonneuil politiques du futur Contrat de Projet État- (en de 2003). Région 2007-2013 et de la future révision du et Sucy-Bonneuil - Schéma Directeur d’Île-de-France, pourrait On note bien, dans la figure 7, la distinction, Noisy-le-Sec. comporter deux arcs: Massy - Sucy-Bonneuil abordée plus haut, entre rocade (en orange) et et Sucy-Bonneuil - Noisy-le-Sec. tangentielle (en bleu ciel). Située en moyenne couronne, cette rocade La tangentielle Sud Versailles - Massy - Évry répond aux objectifs suivants: remplit une fonction de liaison de pôle à pôle. — être un outil d’aménagement du territoi- Prévue au CPER 2000 - 2006, son programme re, et notamment accompagner les objectifs a évolué vers un mode tram-train. de densification définis par le futur SDRIF, — mailler toutes les radiales, À l’est et au Sud, la rocade ferrée de moyenne — permettre grâce à ce maillage de couronne permet de relier aux cinq lignes de nombreuses combinaisons de déplacements RER, et relier entre eux, les trois grands pôles en L, en U, en baïonnette, de façon à économiques existants (Orly-Rungis, Créteil permettre des liaisons banlieue - banlieue et Marne-la-Vallée), et les deux opérations rapides, et générer ainsi du report du mode d’intérêt national Seine Amont et Massy – VP vers le mode ferroviaire, en intéressant Palaiseau – Saclay – Versailles – Saint-Quen- les populations de l’ensemble de l’Île-de- tin-en-Yvelines. France, — soulager certainesintra lignes muros radiales en Au-delà de cette présentation assez générale, proche couronne et , les caractéristiques plus précises d’insertion et

Transports Urbains N°110 (juillet 2007) 9 Zoom sur la rocade Sud

L’actuelle branche Massy - Les Saules - Choisy-le-Roi de la ligne C du RER dessert le très important pôle d’activité d’Orly–Rungis, qui connaît actuellement un développement considé- rable. La desserte actuelle par la ligne C du RER se situe très en deçà des besoins, puisqu’elle a une fréquence de seulement 4 trains à l’heure sur la section Choisy - Pont-de-Rungis, et même 2 trains à l’heure sur la section Pont-de-Rungis - Massy-Palaiseau. Évidemment, la création d’une rocade avec voies dédiées permettrait une augmentation considérable de la fréquence, par exemple 12 trains à l’heure, voire davantage si le besoin s’en faisait sentir. La ligne ainsi créée mettrait en relation directe, rapide et fréquente le pôle d’Orly-Rungis avec les lignes B, C, D et A du RER. Le projet de rocade Sud apporte un élément de réponse à la question de la nécessité de simpli- fier l’actuel RER C, pieuvre aux 8 branches. La branche Les Saules - Massy-Palaiseau devien- drait une portion de la rocade, tandis que la branche Massy-Palaiseau - Épinay rejoindrait la future tangentielle Sud, laquelle pourrait être réalisée sous la modalité d’un tram-train Massy- Palaiseau - Évry. Quant à la branche Versailles-Chantiers - Massy-Palaiseau, elle pourrait appartenir soit à la rocade, soit à la tangentielle Sud. Le projet de rocade Sud s’articule avec celui, examiné par le Comité Interministériel à l’Amé- nagement du Territoire (CIADT) du 18 décembre 2003, de barreau Sud d’interconnexion des TGV, destiné à relier la LGV Atlantique à la LGV Sud-Est. Il est notamment prévu une ligne nouvelle, en partie souterraine, qui pourrait desservir l’aéroport d’Orly. En déchargeant la Grande Ceinture des circulations de TGV, cette ligne nouvelle laisserait la GC, peu utilisée par le fret dans cette zone, disponible pour constituer la rocade Sud. Mais la rocade Sud pourrait également se concevoir sans réalisation préalable du barreau Sud d’interconnexion des TGV. Les trains légers ou trams-trains de la rocade Sud pourraient circuler sur des voies nouvelles longeant la Grande Ceinture comme le fait la rocade nord « TLN », lais- sant ainsi les TGV circuler sur la Grande Ceinture Sud. Au besoin, grâce au mode tram-train, la rocade Sud pourrait même localement s’écarter de la plateforme de la Grande Ceinture pour traverser des secteurs dont la desserte par ce mode présenterait un intérêt socio-économique. de desserte et les priorités de réalisation (celle- toutes les 5 minutes aux heures de pointe, ci ne pouvant s’envisager que progressive- Vitesse commerciale: 50 à 60 km/h, ment, par arcs successifs), nécessitent des Trafic: 200000 à 270000 voyageurs suivant études plus approfondies à mener en très étroi- les variantes de tracé. te collaboration avec les élus territoriaux et les acteurs socio-économiques. La rocade ferrée en moyenne couronne permet des gains de temps considérables sur les trajets Dans ses sections Est et Sud, de Noisy-le-Sec à banlieue - banlieue: 20 minutes sont gagnées Massy, la rocade présente les caractéristiques sur les trajets Marne-la-Vallée - Orly, 18 sur  Figure 7 : Schéma représen- suivantes: Créteil - Orly, etc. tant le maillage des lignes par la Longueur: 40 à 50 km, future rocade (Document SNCF - RFF) Nombre d’arrêts: 20 à 25 gares, Interstation moyenne: 2 km, Un projet désormais Fréquence: 12 trains par heure, soit un train global et cohérent

On est aujourd’hui loin, conceptuellement, du projet initial LUTECE. Plusieurs avancées et évolutions ont permis d’aboutir à la vision actuelle du réseau ferro- viaire: un réseau maillé constitué de radiales, rocades et tangentielles; un réseau qui accom- pagne la politique d’aménagement du territoi- re, et notamment de densification; un réseau mieux adapté, par son type d’exploitation « métro », à la forte densité des circulations; des lignes de rocades et tangentielles mieux intégrées, grâce au mode « train léger » ou « tram-train » à l’environnement urbain. Le contrat de plan 2000-2006 constitue donc une transition: c’est au cours de cette période qu’a été construit le premier tram-train d’Île- de-France (et de France) avec le T4 Aulnay- Bondy, que le projet de tangentielle Nord est devenu la rocade « TLN », et que les règles d’exploitation ferroviaires en zone dense ont commencé à être revues pour être mieux adap- tées à la réalité de l’Île-de-France.

10 Transports Urbains N°110 (juillet 2007) Jean-Marie BEAUVAIS économiste des transports (Beauvais Le tramway de Tours: Consultants) peut-on comparer celui de Nadine POLOMBO maître de conférences (Université de Tours) 2013 avec celui de 1913 ?

Pourquoi 2013? C’est l’année de la mise en éventuelles spécificités tourangelles qui service de la première ligne de tramway, tout traverseraient les époques. au moins du nouveau réseau car il y eut, en 1877, la mise en service de la première ligne Comme toute comparaison, celle-ci a ses de l’ancien réseau. limites. En effet, d’autres moyens de trans- port motorisés sont apparus entre ces deux Pourquoi 1913? Parce que cet ancien réseau a dates: l’autobus qui est arrivé à Tours en connu son apogée en 1913, la première guerre 1931 et la voiture particulière qui existait mondiale ayant mis fin à sa dynamique d’ex- déjà (en nombre très limité, puisque le parc pansion (extension vers Esvres, création d’une d’Indre-et-Loire ne comptait que 425 auto- ligne circulaire pour les marchandises). mobiles en 1913) mais qui a bénéficié, avec la société de consommation, d’une large Il ne s’agit pas de retracer l’histoire du tram- diffusion pour atteindre 300 000 unités de nos way de 1913 à 2013 mais de confronter deux jours. moments d’histoire. Entre ces deux photos, juste un siècle soit environ trois générations. La source la plus utilisée pour le volet histo- rique est sans conteste le numéro Pourquoi une comparaison? Pour mettre en spécial consacré aux tramways de Tours que la évidence les éventuelles avancées en matière revue de la Fédération des amis des chemins de réponses techniques aux besoins de mobili- de fer secondaires (F.A.C.S.) a publié en 1970 té des habitants. Pour mettre en évidence les (1). Le réseau En 1913, le réseau comprenait 54 km de lignes ❏Au sud de la Loire: Azay-sur-Cher, (voir Figure 1): Veretz, Larcay, St-Avertin et Joué-lès- Tours. ❏4 lignes urbaines (les lignes A, B, C, D) totalisant 18 km; Au recensement de 1911, la population de ❏4 lignes suburbaines (la ligne de l’ensemble de ces 14 communes atteignait Vouvray, la ligne de Fondettes et de 94811 habitants. En 2011, la population de ces Luynes, la ligne d’Azay-sur-Cher et la communes (devenues 12 à la suite du rattache- ligne de la Tranchée) totalisant 36 km. ment à Tours de Ste-Radegonde et de St- Symphorien en 1964) totalise 248 641 Aujourd’hui, la ligne qui va de Joué-lès-Tours habitants. Le nombre d’habitants a donc été à Tours-Nord est longue de 15 km (voir figure multiplié par 2,6 en 100 ans. Cet article original vise à 2). comparer l’ancien et le Un réseau qui était 3,6 fois plus étendu alors nouveau réseau à un Le réseau était ainsi 3,6 fois plus étendu hier que la population était 2,6 fois moindre, cela qu’aujourd’hui. Pourtant la population était siècle d’intervalle, dans veut dire que l’offre en nombre de kilomètres moindre. En effet, en 1913, le réseau desser- de ligne par habitant a été divisée par 9,5. De de nombreux domaines: vait 14 communes: tracés des lignes, choix ce point de vue, nos anciens étaient donc en techniques, volume ❏Au nord de la Loire: Vouvray, Roche- avance. d’offre, vitesse corbon, Ste-Radegonde, St-Sympho- rien, St-Cyr-sur-Loire, Fondettes et Durant le siècle dernier l’urbanisation a gagné commerciale, Luynes; du terrain: le bâti continu a maintenant franchi tarification, le Cher. C’est ce qui apparaît clairement lors- fréquentation et design. ❏Entre la Loire et le Cher: St-Pierre-des- qu’on compare la tache urbaine actuelle avec Permanences et ruptures Corps et Tours celle de 1913. peuvent être ainsi mises en évidence. 1913 2013 Population des communes desservies par le tramway (habitants) 94811 248641 1) Et notamment l’article de J. Metz qui lui-même s’appuie sur un article Longueur des lignes de tramway (en kilomètres) 54 15 de J.C. Vaudois publié en 1960 dans la même revue et sur des cartes dressées par M. Laederich. Nombre de kilomètres de ligne par centaine de milliers d’habitants 57 6

8 Transports Urbains N°124 (septembre 2014) Méthodologie de représentation Les taches urbaines ont été reconstituées par Nadine Polombo du laboratoire CITERES (Université de Tours) à partir de fichiers cadastraux localisés fournis par la Direction Départementale des Territoires d’Indre-et-Loire et de données de l’Institut National de l’Information Géographique et Forestière (IGN). Connaissant la date de construction du bâti, on relie entre eux les bâtiments construits avant 1913 ou après 1913 par des zones tampons agrégées, la tache globale obtenue est ensuite lissée. Le résultat comporte des biais et des incertitudes liés à la fois à la méthode et aux données. Le choix des types de bâtiments à prendre en compte, de l’entité de base : bâtiment ou parcelle, le choix des tailles des zones tampons successives, influencent la forme de la tache urbaine. Les données de dates du cadastre sont parfois incomplètes, la même géométrie du parcellaire de 2009 a été utilisée pour 2013 et pour 1913, les n Figure 1 : Carte du réseau en bâtiments construits depuis 2008 sont extraits de la BD TOPO 2012 peu détaillée sur le bâti. 1913 sur la tache urbaine de l’époque

Lorsqu’on projette le tracé du réseau de 1913 sur la carte de la tache urbaine de l’époque, on note que le tramway ne dessert pas que des zones denses. En direction de Vouvray comme en direction de Luynes, l’urbanisation était généralement limitée à une bande le long de la voie. En direction, d’Azay-sur-Cher, la densité était encore plus faible. Inversement, lorsqu’on projette le tracé de la ligne de 2013 sur la carte de la tache urbaine de notre époque, on voit que certaines zones denses ne sont pas desservies. C’est le cas de Rochecorbon, de Saint-Pierre-des-Corps, de Saint-Cyr, de La Riche, de Ballan, de St-Aver- tin, et de Chambray-lès-Tours. Des extensions du nouveau tramway ne pourraient-elles pas être envisagées en direction de ces communes? La technique La voie, l’alimentation, les stations

En 1913, les sites propres n’existaient pas (sauf un petit tronçon à proximité de Luynes); le tramway partageait la chaussée avec les voitures à chevaux, les vélos, les piétons et quelques rares automobiles. n Figure 2 : Carte de la ligne en Les tramways circulaient sur des voies 2013 sur la tache urbaine uniques (sauf sur l’axe rue Nationale / avenue actuelle de Grammont, qui est à double voie). L’écarte- ment est passé du normal au métrique de façon à permettre la liaison avec les chemins de fer départementaux. La traction vapeur a disparu en 1912 et toutes les lignes sont maintenant électrifiées. La captation de l’énergie se faisait à l’aide d’une perche qui relie la motrice à la ligne aérienne. Il existait des kiosques où l’on pouvait acheter des billets à Tours, Vouvray et Rochecorbon mais pour les voyageurs montés en cours de route, c’est le receveur à bord du tramway qui assurait la vente des billets en plus du contrôle de tous les voyageurs. En 2013, la ligne est en site propre de façon à assurer une bonne vitesse commerciale et une bonne régularité. Deux exceptions toutefois: un tronçon avenue de Grammont à l’approche de la place Jean-Jaurès où le tramway partage sa plate-forme avec les autobus et un tronçon avenue Maginot où les voitures empruntent la chaussée du tramway. La voie est double tout au long du parcours et l’écartement de 1,435 m.

Transports Urbains N°124 (septembre 2014) 9 L’alimentation électrique s’effectue sur 88% jours de fête à la belle saison pour se rendre à du parcours par une ligne aérienne. Elle s’ef- Vouvray, à Saint-Avertin ou à Luynes. fectue par le sol sur 1800 m dans la partie historique c’est-à-dire de la gare à la place L’exploitation au quotidien nécessitait 30 Choiseul. La plate-forme est végétalisée sur motrices et 15 remorques. Le parc des 6,5 km (sur un total de 15 km). motrices était affecté comme suit: 8 sur la ligne A, 6 sur la B, 4 sur la C, 4 sur la D, 2 sur Les stations, au nombre de 29, sont équipées Vouvray, 2 sur Luynes-Fondettes, 1 sur la d’automates de vente des billets. Il n’est pas Tranchée, 2 sur St-Avertin / Azay-sur-Cher, 1 possible d’acheter son billet à bord. sur Pont-Cher. Il parcourait 1,8 million de kilomètres par an soit à raison d’un parc, réser- Le matériel roulant ve comprise, de 36 motrices, une moyenne de 50000 km. En 1913, le parc était constitué de 36 motrices Ajoutons que les motrices étaient éclairées à raison de 20 motrices Thomson affectées aux mais pas chauffées (même l’hiver). lignes urbaines et de 16 unités La Buire affec- tées aux lignes suburbaines. Les premières En 2013, le réseau dispose de 21 rames. sont généralement équipées de deux moteurs Chacune se compose de 7 éléments et a une de 25 CV et font 7,60 m de long et les secondes longueur totale de 43,7 m. Elles peuvent de deux moteurs de 44 CV et font 8,85 m de emporter 300 voyageurs. Ces rames sont long. Toutes sont à deux essieux. La capacité climatisées et peuvent rouler à 50 km/h. À est de 36 places dont 20 assises. Aux motrices bord, un conducteur mais plus de receveur. Les s’ajoutaient des remorques, fermées ou rames assurent 1,3 million de km par an, soit ouvertes. Les premières sont souvent d’an- environ 62000 km par an et par rame ce qui est ciennes motrices transformées en remorques. à peine supérieur au chiffre atteint il y a un Les dernières qui sont dites « baladeuses » siècle. offrent 7 bancs de 4 places chacun et 8 à 10 places debout par plate-forme à chaque extré- Par ailleurs, les nuisances sonores imputables Tours a toujours eu un mité. Tours a toujours eu un parc important de au tramway ont été drastiquement réduites, parc important de baladeuses, très employées les dimanches et sans parler de l’effet absorbant du gazon. baladeuses, très employées les dimanches Le service et jours de fête à la belle saison pour desservir L’intensité de l’offre Dans le cas de la ligne A, la plus chargée du Vouvray, Saint-Avertin réseau (près de 2 millions de passagers par an) qui reliait la barrière de Vouvray au carrefour ou Luynes. En 1913, sur le réseau urbain, le service de Verdun (4,5 km) et qui transportait près de 2 commencçait à 7 h 30 et finissait à 21 h ou 21 h millions de passagers par an, l’amplitude était 30 selon la saison. La fréquence était de 7,5 de 14 heures par jour, la fréquence de 8 minutes sur les lignes A et B, et de 11 minutes passages par heure, et la capacité d’une rame sur les lignes C et D. Sur le réseau suburbain, avec remorque de 80 places environ. Le on relevait 6 allers et retours par jour vers nombre de places offertes par km de ligne était Luynes, 6 vers Fondettes, 12 vers Vouvray, 26 donc de 112 passages x 80 places = 12544 vers Saint-Avertin. places.km.

n Vue d’une rame à la station Anatole-France depuis la grande roue (photo : Jean-Marie Beau- vais).

10 Transports Urbains N°124 (septembre 2014) Aujourd’hui, pour un jour de semaine hors tation des salaires des employés du réseau. Il vacances scolaires, le nombre de passages est n’y avait pas non plus de tarif unique: les de 135 par jour. En effet, entre 7 h et 20 h, il tickets valaient entre 15 centimes (cas d’un passe une rame toutes les 7 minutes environ petit trajet) et 85 centimes (cas de Tours - mais la fréquence diminue un peu en début et Azay-sur-Cher). Cette année-là, un kg de pain en fin de journée, sachant que le premier valait 42 centimes et une heure de travail était départ a lieu à 4 h 41 et la dernière arrivée à payée 34,5 centimes (cas d’un manœuvre sans 0h28. En places offertes par km de ligne, on qualification professionnelle). Il fallait donc obtient 135 passages x 300 places = 40500 49 minutes de travail pour acheter un kg de places.km. pain et entre 26 et 148 minutes de travail pour acheter un billet de tramway. Au niveau quantitatif, l’offre par km de ligne (2) est donc 3,2 fois plus importante en 2013 Au 1er juillet 2013, le voyage à l’unité était qu’en 1913: la différence tient essentiellement vendu 1,40 € (pour une heure avec possibilité à l’augmentation de la capacité d’emport des de correspondance). Compte tenu des rames. nombreuses réductions offertes aux voyageurs occasionnels et des abonnements proposés aux voyageurs fréquents, le voyage moyen revient La durée des parcours plutôt à 0,74 €. Selon l’INSEE, le pain vaut 3,47 € par kg et le SMIC atteint 9,43 € par En 1913, le trajet entre Tours et Vouvray, soit heure. Il faut donc 22 minutes de travail pour 10,5 km, durait 45 minutes. La vitesse acheter un kg de pain, 9 minutes de travail commerciale était donc sur cette ligne subur- pour pouvoir faire un voyage en tram. baine de 14 km/h et on peut penser qu’elle était sensiblement inférieure sur les lignes urbaines Le voyage en tramway coûtait donc au moins en raison du nombre plus important d’arrêts trois fois plus cher il y a un siècle, compte tenu par kilomètre. du pouvoir d’achat de l’époque. Cela devrait se retrouver dans la structure de la clientèle et Aujourd’hui, le temps de parcours de bout en son volume. bout est, selon l’heure, de 47, 48 ou 49 minutes; il est peu sensible aux encombre- Rappelons qu’à l’époque, la compagnie Le voyage en tramway ments. S’il faut 48 minutes pour parcourir 15 versait une redevance à la ville alors qu’au- coûtait au moins trois km, la vitesse commerciale est donc de 19 jourd’hui, c’est la communauté d’aggloméra- fois plus cher il y a un km/h. tion et les entreprises qui financent la différence entre les produits et les charges de siècle en se référant au La vitesse commerciale s’est donc sensible- l’exploitant des transports urbains, Fil Bleu. pouvoir d’achat. ment améliorée en 100 ans.

La tarification

Avant guerre, les billets étaient vendus unique- 2) La comparaison porte sur deux lignes (la principale en ment à l’unité (il n’y avait pas d’abonne- 1913 et la seule en 2013) et non pas sur l’ensemble du réseau: aujourd’hui les parcours en tram représentent 1,3 ments). En 1910, le tarif urbain était passé de million de km et ceux en autobus, inexistants à l’époque, 10 à 15 centimes pour permettre une augmen- représentent 9,0 millions de km.

n Une clientèle plus jeune qu’en 1913 : fréquentation de la sta- tion Gare à l’aube (photo J.-M. Beauvais).

Transports Urbains N°124 (septembre 2014) 11 La fréquentation

Nombre de voyages par an la clientèle de Fil Bleu. Les étudiants/ lycéens/collégiens/écoliers comptent pour En 1913, le réseau transportait environ 6 52% de la clientèle. millions de voyageurs dont les trois quarts sur les 4 lignes urbaines. La ligne la plus fréquen- Mais qu’en était-il à la veille de la première tée, la ligne A, comptant à elle seule pour 2 guerre mondiale? Il est très difficile de millions de voyages. répondre à cette question. On peut néanmoins avancer qu’une partie de la clientèle était fémi- Les lignes suburbaines étaient moins fréquen- nine mais qu’elle était très probablement tées mais voyaient leur activité renforcée le minoritaire. De même que les scolaires et les dimanche à la belle saison. Les Tourangeaux étudiants étaient encore rares. allaient prendre l’air à la campagne ou danser dans les guinguettes comme à Vouvray. La À la lecture des photos et des cartes postales de principale ligne suburbaine, celle de Vouvray, l’époque, il semble que la clientèle soit n’acheminait pas plus de 600000 voyageurs presque toujours endimanchée. Effectivement, par an. on s’habillait, on se coiffait pour sortir. Et notamment à Tours qui était une ville bour- Aujourd’hui, le réseau (autobus compris) geoise. Mais l’échantillon peut être biaisé: assure 24 millions de voyages par an, soit 4 photos prises lors d’un jour férié, voire à l’oc- fois plus. Sur ce total, la ligne de tramway casion d’une inauguration. Quant aux lycéens, compte pour 40% environ c’est-à-dire qu’à ils étaient encore peu nombreux dans les trans- elle seule, elle transporte plus de passagers que ports publics car une très faible partie de la tout le réseau en 1913. Un jour hors vacances population poursuivait des études. Et puis, le scolaires, elle transporte près de 55000 voya- prix du billet, on l’a vu, n’était pas si abor- geurs. dable; les abonnements n’existaient pas enco- re.

Typologie de la clientèle Finalement, en un siècle, la clientèle s’est démocratisée. C’est vrai de l’automobile mais Aujourd’hui, les femmes représentent 62% de c’est aussi vrai du transport collectif. La ligne de tramway actuelle transporte plus de passagers que tout le Le design réseau en 1913! Ici le design est entendu au sens large c’est-à- tous les niveaux de développement pour dire qu’il n’est pas limité aux préoccupations répondre aux attentes en termes d’usage, de esthétiques mais se situe au niveau de la fonctionnalité, d’ergonomie, de sécurité, d’ac- conception du système dans son ensemble. cessibilité, de respect de l’environnement, d’esthétique et de rentabilité. La conception C’est non seulement un moyen de transport mais aussi un outil d’urbanisme, de reconquête En 1877, année de la mise en service de la de l’espace public, de lien social. Là où le tram première ligne (à traction hippomobile) de passe, la ville repousse! Il accentue le senti- tram entre la barrière de Grammont (carrefour ment d’appartenance. Il véhicule l’identité de de Verdun) et la barrière de Vouvray (quai l’agglomération tourangelle au même titre que Paul-Bert), il s’agissait avant tout d’une opéra- la Loire, les jardins, le patrimoine bâti et Rabe- tion financière. La compagnie qui reçoit la lais, Ronsard, Balzac, Léonard de Vinci. concession apporte le capital nécessaire pour D’ailleurs des citations de ces auteurs figurent l’investissement, encaisse les recettes et sur les stations du tram. ristourne un pourcentage des bénéfices à la ville. Les compagnies rivalisaient entre elles Enfin, le principe d’une intervention de façade (Compagnie générale française de tramways, à façade a favorisé la mutation de l’image de la Société des tramways à vapeur, Compagnies ville. des tramways de Tours) jusqu’à ce que la guer- re de 1914-1918 marque l’arrêt des conces- « Changer de point de vue sur le projet et le sions. penser comme un territoire nouveau de la ville, non plus sur 15 km de long mais sur 15 Aujourd’hui, la Collectivité s’implique davan- km² intégrant ses zones d’influence de part et tage, notamment financièrement, et, plus d’autre de la ligne. Et sur ce territoire généralement, la coordination entre les acteurs nouveau, donner le meilleur de l’expression l’emporte désormais sur la concurrence. urbaine, faire de la ligne une seule et même œuvre urbaine inédite, à habiter, totalement Le tramway de Tours, qui est un tramway « à accessible par tous et en dialogue permanent la française », est le fruit d’une remarquable avec la ville. Lui donner la meilleure part de union entre l’excellence des métiers créatifs et son identité en faisant parler la culture et techniques, le savoir-faire des industriels et l’art ». Régine Charvet-Pello (Manifeste d’en- des opérateurs de transport public. Le design semble(s)), la ligne pour le tramway de Tours, est intégré dès le stade de l’idée et intervient à RCP, août 2013

12 Transports Urbains N°124 (septembre 2014) L’esthétique citera, par exemple, la rame elle-même avec ses allures de fermeture éclair ou de smartpho- Au début du XXe siècle, sur près de 5 km, ne géant, sa livrée qui reflète la couleur sable l’alimentation se faisait à l’aide de plots dits des bâtiments en tuffeau, son aménagement Diatto (du nom de l’inventeur, un ingénieur intérieur avec les bourgeons qui ponctuent le turinois) situés au milieu de la voie. Il s’agis- creux de barres de préhension et qui ont été sait d’éviter les nuisances visuelles liées aux réalisés par les élèves des lycées techniques de fils à proximité des lieux remarquables comme l’agglomération tourangelle, le pont sur le Cher qui s’illumine lorsqu’il fait nuit au passa- la cathédrale St-Gatien, la gare de Tours, la ge du tram… place Anatole-France ou bien le grand théâtre. Ce système deux fois plus coûteux en investis- Bien sûr, le beau peut aussi être très fonction- sement que le fil trolley, s’est révélé catastro- nel. C’est le cas des raies de Daniel Buren. phique en coûts de fonctionnement et en Elles figurent sur les quatre faces du totem qui termes de sécurité (électrocution de piétons permet de repérer les stations de loin. Elles À la veille de la première ayant des souliers ferrés ou des chevaux dotés sont aussi dessinées au sol à l’endroit où les de fers). Si bien qu’il était presque complète- portes de la rame vont s’ouvrir (si le conduc- guerre mondiale, le ment démonté en 1913. Mais cela montre que teur est habile), ce qui permet de savoir où se réseau était 3,6 fois plus les préoccupations esthétiques qui ont conduit placer pour ne pas gêner la descente des voya- étendu alors que la le maire Jean Germain à attendre que le systè- geurs. population était 2,6 fois me d’alimentation par le sol expérimenté à moindre. Bordeaux soit complètement au point, ne Finalement, l’importance accordée au design datent pas d’aujourd’hui. constitue une différence par rapport au siècle dernier et aussi une spécificité par rapport aux Aujourd’hui le souci de beauté ne se limite pas autres réseaux qui n’ont pas été aussi loin que à la question de l’alimentation électrique. On Tours dans cette direction. Conclusion Le tramway d’aujourd’hui n’est pas compa- de circulation, moins de pollution atmosphé- rable à celui d’il y a un siècle en ce sens que rique, moins de bruit, moins de gaz à effet de l’offre est plus intense grâce à la grande capa- serre? Souvenons-nous des années 1980, cité des rames, la vitesse commerciale supé- quand la rue Nationale était encombrée de rieure grâce au site propre, les prix plus voitures à un point tel que les véhicules de abordables grâce aux abonnements, sans secours ne pouvaient pas avancer. parler de l’amélioration du confort (moins de bruit, une température intérieure agréable, des Au début du XXe siècle, le tramway apportait sièges plus confortables…). à Tours une forme de révolution dans le trans- n Les raies Buren au sol et sur port urbain. En 2013, après un hiatus de 64 les portes : un repère d’aligne- Ce qui démarque le nouveau tram de Tours ans, il a en outre transformé la ville. Pourquoi ment haut de gamme (photo tant par rapport à l’ancien tram que par rapport ne pas continuer dans cette voie du renou- Jean-Marie Beauvais). aux tramways contemporains de beaucoup veau? d’autres villes de par le monde, c’est la place centrale accordée au desi- gn. Un design qui a permis au tram d’être accepté dans cette ville sans véritable culture industrielle. À ce jour, mais cela peut changer, le point faible reste que le tram de Tours demeure limité à une seule ligne. À la veille de la première guerre mondiale, le réseau était 3,6 fois plus étendu alors que la popula- tion était 2,6 fois moindre. Une ligne B et une ligne C voire une ligne D pour- raient être tracées vers St- Pierre-des Corps, La Riche, St-Avertin, Cham- bray, Rochecorbon, St- Cyr-sur-Loire et Fondettes. Pourquoi ces communes devraient-elles renoncer aux avantages apportés par le tramway: capacité de transport, absence de place de stationnement à recher- cher, temps de parcours garanti, moins d’accidents

Transports Urbains N°124 (septembre 2014) 13 BÉATRICE MARIOLLE Faire rimer densité ANTOINE BRÈS et accessibilité avec proximité spatiale La facilité d’accès aux Une approche concrète de gares à pied, en vélo ou en transports collectifs l’accessibilité à partir des gares est un enjeu majeur de l’alternative à la voiture particulière. Or les De façon habituelle, l’accessibilité à un terri- la proximité spatiale? cheminements des toire par les transports en commun est concré- piétons et des cyclistes et tisée sous forme de cercles tracés à partir des C’est pourquoi les réflexions ici présentées les trajets des autobus stations ou des gares. Leur rayon varie en cherchentpérimètre à préciser d’accessibilité et à approfondir la notion sont bien différents, le fonction du mode de déplacement concerné de de manière à l’an- (train régional, métro, tramway, autobus) et crer dans une réalité physique et urbaine et à plus souvent, d’une parfois du contexte urbain dans lequel il s’in- fournir ainsi des arguments à une politique de vision théorique par sère, sans d’ailleurs que soit définie une norme densification en rapport avec les exigences de rayons concentriques de distance précise (1). la ville durable: en donnant forme à l’accessi- tracés autour des bilité aux transports collectifs, on peut justifier stations. Ils dépendent Cependant, si l’objectif est bien d’encourager la l’objectif de densité par une proximité avérée à densification autour des gares, de façon à opti- une offre de transport en commun lourd. La du réseau des voies et miser les effets locaux de l’accessibilité aux démarche adoptée permet également d’asso- aussi de la morphologie transports collectifs, il faut aller au-delà de cette cier des notions quantitatives (population et urbaine. Cette représentation « théorique » et se poser des emplois desservis) à des notions morpholo- différence, mesurée à questions concrètes: comment accède-t-on à la giques comme le maillage des voies et la partir d’exemples dans le « ville » depuis la gare ou la station, sans utiliser densité bâtie… bien entendu l’automobile? Les cheminements présent article, conduit à et les itinéraires empruntés par les modes de Ces réflexions et l’iconographie qui les illustre des interrogations sur la déplacement alternatifs à l’automobile sont-ils sont issues pour une bonne part de deux études concordance, le plus efficaces et confortables? En d’autres termes, menées en 2007 et 2008 pour la Direction souvent admise avant est-ce que la ville accessible rime vraiment avec Régionale de l’Équipement d’Île de France et inventaire, entre ville la ville de la courte distance? Est-ce que la pour l’Établissement Public d’Aménagement densité et l’accessibilité riment vraiment avec de l’OIN Orly- Rungis-Seine-Amont-(2). des courtes distances et ville réellement accessible. Cette Une représentation concrète de l’accessibilité différence révèle des gisements exploitables alternative à l’automobile au profit d’une accessibilité alternative à la voiture plus En réponse à l’exigence d’une approche Le tableau (page 4) décrit les vitesses et donc attractive pour les concrète de l’accessibilité depuis les gares ou les distances retenues qui ont servi de support citadins, ainsi que des stations, le choix a été fait de déterminer les à l’élaboration des périmètres d’accessibilité opportunités d’action périmètresa priori non plus à partir d’une distance pour chacun des temps de parcours et des fixée , mais à partir de parcours réels modes de transport pris en compte. sur le bâti lui-même. calculés en distance-temps qui prennent en Mais elle fait aussi compte, d’une part, deux temps de parcours de Sur la base de la BDTopo de l’IGN, l’outil surgir la question de 5 et 15 minutes, et d’autre part, trois modes de SIG, associé à une observation fine sur le l’aménagement des déplacement « légers » alternatifs à l’automo- terrain des parcours piétonniers (qu’aucune bile qui se combinent aux modes lourds (train interstices entre ou métro) dans une logique intermodale: la « corridors 1) Ainsi, suivant les études et pour les seuls modes d’accessibilité » pour les marche à pied, le vélo et l’autobus. lourds (train ou tramway), les périmètres couram- ment utilisés varient de 700 m à 1000 m à environ- distances moyennes et La notion de temps de parcours renvoie direc- nement urbain équivalent. longues, celles de tement à celle de la vitesse des modes de 2) DREIF: « Densification autour des pôles et axes l’autobus. déplacement pris en compte. En l’absence de de transport en commun », étude coordonnée par J. normes sur lesquelles s’appuyer, on s’est Deval et C. Anselin (Division de l’urbanisme et du inspiré de références suisses pour la marche à schéma directeur) et réalisée par l’agence BRES + MARIOLLE pied (3) et pour le vélo (4), de références BRES+MARIOLLE, GERAU Conseil et le labora- et associés émanant d’associations. Concernant les toire PRODIG. ARCHITECTURE parcours en autobus, on a retenu une moyenne EPA ORSA: « vers la ville polycentrique » étude URBANISME IPRAUS associant l’ENSA Paris Belleville, le PROGRAMMATION entre les vitesses commerciales que l’on peut Magistère d’Urbanisme Paris1-Panthéon-Sorbonne 15-17 rue de Chabrol recueillir auprès des opérateurs de transport en et l’agence BRES+MARIOLLE. 75010 PARIS commun (10 km/h), avec toute l’approxima- 3) Référence suisse: Ville de Genève, notamment, [email protected] tion que cela représente compte tenu de la dans le cadre du programme Pedibus. diversité urbaine des secteurs étudiés. 4) Association d’usagers du vélo: Fubicy.

Transports Urbains N°115 (septembre 2009) 3  Trois façons de se déplacer, trois vitesses, et trois portées géographiques pour de mêmes durées de déplacement : 5 et 15 minutes. Que peut-on atteindre en 5 ou 15 minutes de marche à pied, de vélo, d’autobus, par rapport à la voiture particulière (porte à porte) ? Une question, mais aussi une façon de conce- voir l’espace urbain : morpholo- gies, trames viaires, distribution des ressources…

carte ne recense de manière exhaustive), a l’interface entre la ville et le système permis de dessiner de façon précise les péri- de déplacement et cadre la perception mètres d’accessibilité que nous avons quali- - lede « sortie périmètre de gare de et référence d’entrée » de ville; fiés d’ « observés » (par opposition aux , à partir périmètres « théoriques » issus de l’applica- d’un parcours de 15 minutes à pied ou tion d’une distance donnée), correspondant de 5 minutes à vélo à une vitesse aux deux temps de parcours (5 et 15 minutes) comprise entre 10 et 14 km/h, soit un et aux deux des modes de déplacement pris en kilomètre de distance parcourue. Il compte (marche à pied et vélo). formalise le secteur ou « quartier » de  Ces deux figures illustrent, à partir de l’exemple de la station la gare et permet d’aborder la densifi- du métro parisien Villejuif-Louis Deux premiers types de périmètres sont ainsi cation dans une logique aréolaire. Aragon, le périmètre de proximi- dessinés: té (en rouge), le périmètre de - le « périmètre de proximité » Concernant l’accessibilité en autobus, et référence (en rosé) et, à droite, , à partir compte tenu de la difficulté à repérer les arrêts à une échelle différente, le péri- d’un parcours de 5 minutes à pied à une dont l’implantation n’est pas figée, on a retenu mètre étendu (voir le texte). vitesse de 4 km/h, soit une distance le principe d’un fuseau d’accessibilité de 2,5 réelle parcourue de 300 m. Il formalise km de long (15 minutes de trajet à une vitesse

4 Transports Urbains N°115 (septembre 2009) moyenne de 10 km/h) et de 300 m de large (5 caractéristiques de morphologie et d’occupa- minutes à pied) de part et d’autre de la généra- tion des secteurs urbains « sous influence » de trice quele représente « périmètre la ligne étendu d’autobus, » et qui la gare et de comparer différentes gares ou dessine . Il formalise stations considérées comme autant de pôles pour sa part l’aire d’attraction intercommunale dans l’espace urbain. de la gare, qui établit des relations dynamiques avec des centralités ou des polarités situées à Ces nouvelles représentations des périmètres distance. d’accessibilité aident à appréhender claire- ment l’articulation entre l’offre de desserte en À la suite, certaines données cartographiques transport collectif et les caractéristiques des et quantitatives extraites du MOS/IAU RIF territoires desservies. De plus, cette approche (simplifié par nos soins) ou des BDCarto et de la notion d’accessibilité permet de situer BDTopo de l’IGN ont été associées à ces péri- concrètement les objectifs de densification en mètres. Les figures et graphes qui en sont issus intégrant la réalité morphologique des secteurs ont permis de donner à voir et d’analyser les urbains situés dans les alentours des gares. Périmètres d’accessibilité et situation urbaine des gares

Une grande diversité de situations urbaines proximité) varie considérablement vis-à-vis de l’accessibilité (franchissement plus ou moins aisé, effet de coupure…); - les caractéristiques du maillage viaire: La mise en parallèle des différents types de  Il n’est pas suffisant de des- la densité viaire et la présence notam- siner un disque « muet » autour périmètre correspondant à certaines des gares ment de cheminements piétonniers en analysées révèle une grande diversité de confi- des stations selon le temps de connexion directe avec la gare et/ou trajet pour s’y rabattre. Outre la gurations qui illustre les spécificités de leurs quantification des habitants, situations urbaines. De nombreux facteurs avec les franchissements des voies favorisent la diffusion spatiale de l’ac- des emplois, qui est toujours expliquent cette diversité: effectuée, la morphologie de cessibilité à l’intérieur du périmètre de l’espace urbain et le tracé des - le mode d’insertion de l’infrastructure référence; voies est nécessaire à un dia- de transport collectif elle-même: -la proximité d’un axe structurant: gnostic d’accessibilité. À gau- suivant que les voies sont implantées empruntée de façon courante par une che, l’occupation du sol, à droi- en tranchée, au niveau du sol, en ligne d'autobus, la voie nationale ou te les formes urbaines et la remblai ou en viaduc, leur impact sur départementale représente un vecteur voirie superposées à l’occupa- l’accessibilité de part et d’autre de leur puissant de relations intercommunales tion du sol (Villejuif). emprise (et donc dans le périmètre de que formalise le périmètre étendu.

Transports Urbains N°115 (septembre 2009) 5  Périmètres étendus (en haut); différences entre le disque théorique et l’accessibi- lité réelle (en bas) dans trois cas franciliens : Villejuif, Choisy- le-Roi et Roissy-en-Brie.

Un écart important entre périmètres environnement et d’optimiser ainsi la diffu- théoriques et observés sion de l’accessibilité à partir des gares.

De manière plus générale, on a pu constater La gare, partie prenante d’un que la diffusion de l’accessibilité à partir du « réseau urbain » pôle de transport collectif, c’est-à-dire son impact sur le secteur urbain, est surestimée par les périmètres « théoriques » habituellement Il ressort enfin de la formalisation de ces diffé- pris en compte (rayons de 300 m et 1000 m). rents périmètres que la densification est un processus qui doit associer étroitement Zones d’influence des L’étude a en effet révélé un écart très impor- logique de site logique(la de proximité territoire immédiate de la stations: il existe un tant entre les surfaces des périmètres théo- gare) et (un ensemble de riques et observés. Ainsi, concernant les quartiers). La densification autour d’un pôle écart important entre périmètres de référence (15 minutes à pied et 5 les aires théoriques et ou d’un axe de transport en commun ne se minutes en vélo, soit 1000 m de parcours), 40 à limite pas à son environnement restreint, mais les périmètres 50% du périmètre théorique se trouvent en fait concerne en fait l’ensemble d’un « réseau observés. à plus de 1000 m de la gare en raison notam- urbain » que configure le périmètre des 15 ment de la discontinuité et/ou de la faible minutes en autobus. densité du réseau viaire qui la dessert. Définir un projet d’aménagement à partir Ce qui signifie, en prenant ce constat de d’une gare, c’est donc en réalité définir un manière positive, que la zone d’influence de la projet d’échelle territoriale que ce soit à gare peut être optimisée, c’est-à-dire qu’un travers la programmation (densité et mixité de important potentiel de foncier accessible exis- logements, d’équipements, d’activités) ou te, à condition de renforcer les liaisons piéton- l’aménagement (des espaces publics en parti- nières et cyclistes entre la gare et son culier). Contribution à l’élaboration d’un territoire polycentrique

Cette réflexion portant sur la diffusion locale accueillent: simple nœud de transport en de l’accessibilité à partir des gares recoupe les commun, pôle spécifique, centre multifonc- grandes thématiques du renouvellement tionnel, ou tout cela à la fois? urbain: mixité, densité. Elle ouvre en même temps des pistes pour l’élaboration d’un projet Suivant l’échelle à laquelle la polycentralité et de territoire polycentrique dont la géométrie la mixité sont projetées, les objectifs d’aména- peut être esquissée en combinant les péri- gement des secteurs de gare diffèrent: mètres d’accessibilité des différentes gares qui le desservent, comme l’illustre le travail mené -l’objectif de mixité à l’échelle d’un sur le territoire de l’opération d’intérêt natio- grand territoire impose de travailler à nal (OIN) « ORSA » (Orly-Seine Amont). réseau urbain conforter le , c’est-à-dire Elle pose en premier lieu la question de à rechercher la complémentarité entre l’échelle pertinente d’une forme de polycen- les différents secteurs de gare, et d’in- tralité territoriale qui renvoie notamment à tensifier en même temps leurs relations celle de la vocation des secteurs de gare et à partir des grands axes structurants et donc à la mixité des fonctions qu’ils des lignes de transport collectif;

6 Transports Urbains N°115 (septembre 2009)  Ci-contre, en haut et en bas. Villejuif au sein du territoire de l’Opération d’Intérêt national (OIN) d’Orly-Seine Amont (« ORSA »). En haut, dans un secteur composé de plusieurs centres d’intensité variable et de plusieurs stations, le péri- mètre étendu (à gauche) et, à une échelle plus large, les corri- dors d’accessibilité (à droite). En bas, figuration des « délais- sés » de l’accessibilité, en dehors des corridors (avec, à droite, l’occupation du sol).

-l’objectif de mixité à l’échelle des quel(s) mode(s) de déplacement assurer leur gares implique de fairecentre évoluer urbain chacun desserte en répondant aux exigences de la ville de leur secteur en , avec durable, incompatibles avec la « dépendance un dosage spécifique entre habitat, automobile »? activités et équipement suivant la posi- tion de la gare dans le réseau urbain; Ou bien faut-il plutôt envisager leur mutation? Et sous quelle(s) forme(s): héritées et/ou - l’objectif de mixité à une échelle inter- « génériques » (le lotissement, la cité-jardin ou En dehors des médiaire ou par combinaison des l’éco-quartier), ou encore spécifiques (restant périmètres de échelles suppose que chaque secteur à inventer)? référence des stations de gare a vocation à constituer à la fois et des corridors un pôle d’intensité urbaine et un nœud Ces pistes d’élaboration d’un projet de territoi- d’accessibilité, que de transport en commun qui le met en re polycentrique associentville ainsi deles approchesla courte relation avec les secteurs de gare les aréolaire et réticulaire, faire des « délaissés » distance ville en termes plus accessibles: la complémentarité accessibleà développer autour des gares, et est alors recherchée de proche en , à concevoir à l’échelle d’un grand d’aménagement proche par l’intermédiaire des territoire ouvert sur des réseaux de portées urbain? Un problème vecteurs de mobilité que constituent multiples. qui soulève la les lignes de transport collectif. Elles ouvrent à des combinaisons sans doute question des échelles En négatif, ce travail sur les périmètres met inédites de pôles, de centres et de nœuds dans du polycentrisme. également en évidence les « délaissés » de la trame des réseaux de transports en commun. l’accessibilité par les transports collectifs et renvoie également aux enjeux de leur aména- Cette association « durable » compaci- gement. té/densité/accessibilité alternative à la seule voiture (l’accessibilité donnant accès à la plus Faut-il les maintenir sous forme d’« écarts » à grande diversité) est la condition pour que le dominante résidentielle, hors des grands resserrement de la forme urbaine ne conduise secteurs de circulation? Mais à partir de pas au repli de la vie urbaine.

Transports Urbains N°115 (septembre 2009) 7 JEAN-PIERRE WOLFF Université Toulouse II Le tramway : Jean Jaurès otage des élections LISST-CIEU municipales de 2014

Contrairement aux échéances de 2008 ou de grosso modo consensus, voire même enthou- 2001, le tramway, lors des dernières élec- siasmé de nombreux élus. tions municipales de 2014, s’est retrouvé dans plusieurs villes sous les feux de On ne rappellera pas ici les diverses phases et nombreuses critiques. Celles-ci visaient non péripéties de la réintroduction du tramway en seulement les projets de réalisation ou d’ex- France, bien connues et ayant fait l’objet de tension de tramway de la municipalité nombreuses publications. La figure 1 donne un sortante, mais aussi plus généralement, ce état des réseaux de tramway sur fer fin 2015, avec mode de transport qui jusqu’alors avait fait les dates de mise en place de la première ligne. Un surprenant engouement français pour le tramway Pour mesurer le rythme du retour du tramway Bordeaux de 1947 à 1996 et qui s’est toujours en France, il faut avoir toujours à l’esprit qu’il opposé au retour du tramway, lui préférant de ne restait que 3 lignes, lors de sa renaissance à loin le VAL. Ce projet de VAL à Bordeaux Nantes en 1985 et que de nombreux élus qui avait été combattu dès son apparition par une avaient accompagné le démantèlement des association TransCub, qui a soutenu le retour réseaux de tramways, étaient toujours en place du tramway et qui depuis 2014, s’oppose aussi comme Chaban-Delmas qui régna sur bien au train-tram en construction qu’à la pour- Les élections municipales de 2014 ont opposé des listes politiques pro- et anti- tramways et elles ont profondément remis en cause l’engouement pour ce mode de transports urbains. Derrière une lecture trop rapide et dichotomique de ces enjeux électoraux autour du développement du tramway, d’autres éléments importants (crise des finances publiques, coût des projets, concurrence de nouveaux modes de transports urbains) sont à retenir. Cependant, le tramway a été pris en otage plus ou moins violemment dans plusieurs villes et l’issue des élections municipales a eu des répercussions sur plusieurs projets. ■ Figure 1: Les réseaux de tramway conventionnel en Fran- ce en 2015.

Transports Urbains N°128 (mars 2016) 3 suite du développement du tramway! Les dates décennie 1990. Donc c’est essentiellement à de réintroduction du tramway dans les villes partir de 2000 que ce mode de transport se françaises (tableau 1) montrent un développe- réinscrit dans nos cités, soit 17 sur les 25 ment lent, Nantes (1985), Grenoble (1987), actuellement en fonctionnement. Le retour a Paris (1992), Rouen et Strasbourg (1994). été lent et hésitant, avant de connaître une forte Ensuite, nous passons au siècle suivant avec accélération et qui aurait été encore plus massi- Lyon, Montpellier et Orléans (2000), Bordeaux ve si le VAL n’avait pas été mis en fonction. (2003), Mulhouse et Valenciennes (2006), Marseille et Nice (2007), Toulouse (2010), À partir des années 2000, en sachant qu’avant Angers et Reims (2011), Brest, Dijon et Le la mise en service d’une première ligne, 5 à 10 Havre (2012), Tours (2013) et enfin Aubagne ans peuvent s’écouler depuis le lancement du et Besançon (2014). À côté de ces dates, projet, nous observons l’engouement pour ce d’autres pourraient être mentionnées comme mode de transport et surtout cet outil de requa- celles relatives à la mise en place de tram-train lification urbanistique. En observant les situa- et de la poursuite du développement des tions des différentes villes françaises, réseaux de tramways. Depuis 2010, 9 villes se globalement celles qui se sont dotées d’un sont dotées d’un tramway, contrastant avec les tramway traversant leur centre, ont connu des deux seules qui avaient inauguré le leur dans la réhabilitations imposées de l’espace public par

Tableau 1: Les réseaux de tramways en France en 2015

Population Population Villes unité urbaine commune-centre Année retour Nombre lignes Longueur Projets Trams 2012 2012 tram (2015) lignes (2014/2015) Amiens 162141 136000 1 Angers 219000 153500 2011 1 12,3 1 Annemasse 165963 34000 2016 3 1 Aubagne 103000 46000 2014 1 7 1 Avignon 450000 91000 2016 16 1 Besançon 135000 121000 2014 1+ 1branche 14,5 Bordeaux 864000 245000 2003 3 43,9 1+ extensions Brest 199000 144000 2012 1 14,5 Caen 197000 111500 1+ extensions Dijon 239000 156000 2012 2 20 Grenoble 504000 161000 1987 4 34,2 extensions LeHavre 238000 176000 2012 2 13 LeMans 210000 148000 2007 1+ 1branche 15,4 1 Lille 1024000 235000 1909 2 22 Lyon 1584000 505000 2000 4 48,3 extensions Lyon 1584000 505000 2010 1 23 Marseille 1565000 862000 2007 2 11,6 Montpellier 407000 272500 2000 4 61 1+ extensions Mulhouse 246000 113000 2006 2 16,2 extensions Mulhouse 246000 113000 2010 TT1 29 Nantes 606000 300000 1985 3 43,5 extensions Nice 943000 348000 2007 1 8,7 1+ extensions Nîmes 180000 150000 2017 12 1 Orléans 272000 118000 2000 2 29,1 1 Paris 10543000 2266000 1992 3 31,4 3+ extensions Paris 10543000 2266000 2006 TT 7,9 Reims 210000 186000 2011 2 11,2 Rouen 465000 114000 1994 2 18,2 Saint-Étienne 372000 175000 1881 1+ 1branche 11,7 1 Strasbourg 460000 279000 1994 6 55,5 1+ extensions Toulouse 906000 461000 2010 1 10,9 2+ extensions Tours 350000 138000 2013 1 15,5 Valenciennes 335000 44000 2006 1 18,3 1 Sources:Servicestransportsdesvillesconcernées,GART,CERTUetINSEE Conceptionetréalisation:WolffJ-P.

4 Transports Urbains N°128 (mars 2016) la mise en place de ce transport de surface Dans l’ordre des réussites les plus spectacu- (Laisney, 2011). Cela ne signifie pas que les laires, il serait vain de vouloir tenter de les villes ayant opté pour un métro n’ont pas classer, mais quelques villes peuvent être entrepris des aménagements de leur espace citées : Bordeaux, Montpellier et Tours. Dans public, mais ils sont beaucoup plus limités que cette dernière ville, après bien des hésitations dans les autres villes. À Toulouse, dont la tant de la municipalité que des commerçants, première ligne de tramway a enfin atteint la et grâce à la pédagogie sans relâche de l’As- limite du centre en 2013, les espaces emprun- sociation pour le Développement du Trans- tés (Pont Saint-Michel, allées Paul Feuga et port collectif en Touraine (ADTT), le tram a allées Jules Guesde) se détachent totalement enfin trouvé sa place, ce d’autant plus qu’il des autres voies sous lesquelles circule le sert à mettre en valeur la cité ligérienne au VAL. Le tram met en scène l’espace urbain et patrimoine très riche (Troin, 2014). En s’ap- il devient ainsi un facteur irremplaçable et puyant sur Buren, la municipalité a offert un inégalé de marketing urbain avec dans toutes véritable bijou, aussi bien au niveau de la les villes des réussites qu’aucun programme carrosserie du véhicule au design remar- volontariste de requalification urbanistique quable qu’aux aménagements des stations et n’aurait pu atteindre. Il s’agit non seulement de l’espace public. Face à ces réussites, de d’une mutation de l’espace urbain mais d’une nombreuses villes, que leur le poids démo- métamorphose qui tient au rêve et à l’idéel, du graphique semblait condamner aux bus, se moins dans les discours. Cette « sanctifica- sont lancées dans réalisations de tramways. tion » de l’espace urbain, après la réintroduc- C’est ainsi qu’après les grandes aggloméra- tion du tram, conduit à des dérives sémantique tions, des villes plus petites se sont dotées du et symbolique pour les villes qui n’ont pas les tramway, notons dans cet ordre des choses, moyens et/ou la volonté d’en réaliser un. La Angers, Brest, Dijon, Le Mans, Le Havre ou fascination du tramway est telle, que des villes Mulhouse. Puis des agglomérations encore tentent de récupérer ce mode de transport en plus petites s’y sont mises (Aubagne, Besan- proposant du trambus, du bustram et/ou de çon) ou comptaient s’en doter (Annemasse, l’aérotram, véhicules qui n’ont rien à voir de Avignon ou Nîmes), avant les élections de près ou de loin avec le tramway! 2014. Le tramway à la croisée des chemins Le tramway, plus que Les échéances électorales municipales sont projets, par son histoire récente attise et cris- d’autres projets, par son toujours l’occasion de duels entre l’équipe tallise les passions. Rappelons la joute électo- histoire récente attise et sortante et les différentes listes en présence. rale entre Hubert Dubedout, le maire socialiste Les clivages entre la municipalité et les outsi- de Grenoble appelant de tous ses vœux le cristallise les passions. ders reposent souvent sur des projets dont la retour du tram et Alain Carignon, le chef de valeur symbolique permet de mobiliser pour file de la droite grenobloise s’y opposant, mais ou contre une grande partie des électeurs. Le promettant d’organiser un référendum local à grand stade, le nouvel opéra, le bouclage d’une ce sujet, s’il était élu en 1983. C’est ce qu’il fit, rocade ou la réalisation d’une ligne de tram- réintroduisant ainsi le tram à Grenoble après way, donnent souvent l’occasion localement à un large plébiscite des votants (76%) en faveur des débats, à des empoignades voire à des frac- de son retour. Les élections de 2014 se dérou- tures. Le tramway, plus encore que d’autres lèrent dans un contexte très particulier et,

■ Fig. 2 : Le Mans fait partie des agglomérations de taille moyen- ne qui se sont lancées dans l’aventure du tramway (photo Pierre Zembri).

Transports Urbains N°128 (mars 2016) 5 ■ Fig. 3 : Un exemple de change- ment de direction préjudiciable à la tenue d’une vitesse commer- ciale compétitive sur la ligne A du tramway de Bordeaux (photo Pierre Zembri).

malgré les implications et les résultats des le, le bus est appelé à la rescousse pour municipalités socialistes sortantes, le décro- remplacer le tramway. Nous retrouvons un chage continu du PS sur le plan national et poncif des politiques publiques qui est d’es- local et l’aggravation de la crise économique sayer de faire mieux avec moins! Pour l’État fragilisaient essentiellement les maires de et le gouvernement socialiste, le renoncement gauche. Plusieurs d’entre eux portaient des à l’écotaxe en octobre 2014 après deux ans de projets de tramway qui dans un contexte cacophonie et contrairement aux engagements budgétaire difficile aussi bien des collectivités des Présidents de région et aux élus des De cette campagne locales que de l’État, s’exposaient à une forte grandes métropoles de même couleur poli- électorale, il ressort un contestation. Au-delà de la phase des élections tique, visiblement les transports publics ne positionnement binaire municipales, la période économique délicate constituent plus une priorité par rapport aux en matière de politique traversée et la concurrence d’autres modes de décennies précédentes et leurs financements de transports, à transports moins chers à l’acquisition (bus sont revus à la baisse. Par la force des choses, articulés, bus à haut niveau de service — les agglomérations optent pour des mesures à l’exception de quelques BHNS —, ...), remettent en question plusieurs courte vue comme l’adoption du BHNS à la cas. projets de tramways et c’est ainsi que le place du tramway. bouquet d’inaugurations de 2012 cache la remise en cause du développement des Mais ces questionnements du devenir du tram- réseaux de tramways (Razemon, 2012). way reposent aussi sur les limites de la réintro- duction du tramway dans les villes en France. Les restrictions budgétaires, la stagnation du Nous pouvons nous demander si le modèle versement transport (1) (qui avait fortement français ne compte pas quelques défauts liés à augmenté depuis le début des années 2000), le son succès (Zembri, 2012). Les profils de ligne, retard et la diminution des concours financiers la volonté de desservir un maximum de pôles de de l’état à travers le Troisième appel à projet clientèle, l’insertion dans des voies commer- qui a glissé de janvier 2013 à janvier 2015 et ciales de centre-ville et des règles de circulation une sous-tarification des transports collectifs, peu souples se traduisent par des vitesses ont conduit de nombreuses autorités organisa- commerciales trop basses par rapport à celles trices des transports urbains à revoir certains des lignes de métro ou à l’usage de la bicyclette projets. Dans ce contexte économique diffici- dans certaines sections urbaines (fig. 3). Le tramway dans le discours électoral de 2014

Lorsque nous analysons les discours des élec- cités étaient dirigées avant 2014 par des maires tions municipales de 2014 et les décisions qui socialistes (Amiens, Angers, Caen et Toulou- peuvent s’en suivre, cet arrière-plan doit se) qui défendaient des projets de tramways et toujours être bien présent, car comme nous l’opposition de droite les refusait, à l’excep- venons de le voir, il a joué un rôle important tion d’Angers, ville dans laquelle l’unanimité pour de nombreuses villes et en particuliers celles détenues par les socialistes. De cette campagne électorale, il ressort un positionne- 1) Le versement transport a augmenté entre 2000 et 2012 de ment binaire en matière de politique de trans- 50% en moyenne dans les agglomérations françaises et la quote-part des entreprises au financement des transports est ports à l’exception de quelques cas sur souvent de 50%, le reste se partage entre les subventions des lesquels nous reviendrons. Beaucoup de ces collectivités et la part des usagers.

6 Transports Urbains N°128 (mars 2016) ■ Fig. 4 : Le tramway d’Angers fait consensus, avec un projet avancé de seconde ligne que l’al- ternance politique de 2014 n’a pas remis en cause (photo Pierre Zembri).

s’était faite pour réaliser une deuxième ligne autour de lui, la ville devient l’otage du tram- de tram. Lors de ces élections, le débat s’est way pour le meilleur avant tout. Avignon et essentiellement centré autour du tramway et Saint-Étienne constituent deux chassés croisés de la voiture individuelle. La droite était pour sur le plan politique et quant au choix du tram- laisser plus de place à la voiture, au nom des way. Ces derniers exemples soulignent le concepts de liberté, mais aussi pour une baisse risque d’une lecture trop rapide de l’opposi- des investissements en faveur des transports tion ou du soutien au tramway, même s’il n’en collectifs, dénoncés comme trop coûteux. demeure pas moins que le clivage politique Les exemples d’Avignon Dans une logique politicienne, ces listes de classique est présent à ces élections de 2014, et de Saint-Étienne droite tiraient à boulets rouges sur les munici- comme il l’avait été dans les années 1980 et palités socialistes sortantes, d’autant plus que 1990. constituent deux le gouvernement avait annoncé une baisse chassés-croisés qui significative des dotations financières et des Dans plusieurs villes passant de gauche à droi- doivent nous alerter sur subventions aux collectivités territoriales. te, l’abandon du tramway prôné par l’opposi- le risque d’une lecture tion de droite est acté sans hésitation, et les trop rapide des uns et Dans quelques villes, la situation se différen- décisions s’enchaînent pour que les projets cie nettement par rapport au schéma que nous soient arrêtés le plus rapidement possible. à des autres. venons d’évoquer. Dans le cas d’Avignon, Amiens, Nîmes et Toulouse, les nouvelles nous observons une situation contraire, à municipalités de droite s’empressèrent de savoir que le projet des deux lignes de tram- confirmer leur promesse de campagne électo- way, fort engagé à travers la passation de rale. Dans les deux capitales régionales, les marchés avec des entreprises, était défendu par études étaient engagées pour construire à la mairesse de droite battue par une candidate Amiens la première ligne et à Toulouse déve- socialiste qui avait dénoncé durant toute la lopper un réseau de plusieurs lignes. À Nîmes, campagne ce projet de tramway, et qui conti- ce sont de grosses difficultés financières et nua à s’y opposer contre l’avis de la commu- économiques et la mise en place dès 2012 d’un nauté d’agglomération, avant d’être mise en bus rapide, dénommé trambus qui ont minorité au niveau de l’agglomération et de condamné le tramway. devoir s’y rallier in fine. Saint-Étienne, comme on le verra plus loin, constitue un autre C’est sans doute à Toulouse que les positions cas de figure. À Angers, nous sommes face à des deux listes principales étaient les plus une situation de consensus. Le projet d’une 2e opposées sur la priorité à donner aux trans- ligne de tram dans la campagne des élections ports. Cette question des transports, plus que municipales, était aussi bien porté par l’équipe les autres, constitua le principal enjeu pour ces municipale que par la principale liste d’oppo- élections municipales. Sans partager totale- sition. S’il y a eu des discussions, celles-ci ment le titre suivant La guerre de trente ans portaient sur quelques points du tracé comme entre métro et tramway, Le vieux débat resur- la desserte ou non de la gare par cette nouvelle git à la veille des municipales, comme une ligne, en renforçant l’intermodalité. Dans cette lointaine réminiscence de l’ère Baudis ville, le tramway, au lieu de diviser, a fait (Thépot, 2014), car c’est justement Jean-Luc consensus. Officieusement pour le moment, la Moudenc, maire UMP, lors de son premier nouvelle équipe municipale évoque même une mandat qui a réintroduit avec le maire de troisième ligne après la mise en fonctionne- Blagnac le tramway dans l’agglomération, on ment de la seconde en 2019. Le tramway apai- peut estimer que les positionnements pour et se la ville et dépassionne le débat politique contre ce mode de transports renvoient aux

Transports Urbains N°128 (mars 2016) 7 nouvelle municipalité, une fois élue en 2014, a répété maintes fois depuis que tout s’arrêtait pour le tramway. À Amiens, l’abandon du projet de tramway lancé par la municipalité socialiste en 2013, s’inscrit dans le programme de la liste d’oppo- sition. Là aussi, ce projet pour le maire sortant, Gilles Demailly constituait un élément indis- pensable pour améliorer les transports et parti- cipait à une politique de marketing de la capitale régionale qui se devait de disposer d’un mode de transports collectifs moderne. Le PDU de 2002, approuvé par Brigitte Fouré, alors maire d’Amiens avant de perdre la ville en 2008 au profit des socialistes, retenait une première ligne de TCSP. Le PDU de 2013 mettait en avant le tramway par rapport au BHNS. L’opposition se saisissait de ce projet qu’elle considérait inadéquat pour Amiens et années 1980. Le maire sortant, Pierre Cohen, les élections se jouèrent pour ou contre le ■ Figure 5 : La station Palais de socialiste, avait lancé quelques semaines après tramway. En 2014, Brigitte Fouré retrouvant Justice, terminus désormais défi- son élection en 2008, des Assises de la Mobili- son siège de maire décidait très rapidement nitif de la ligne T1 de Toulouse té qui affichaient la volonté de rattraper un d’enterrer ce projet, au nom de ses engage- (photo Pierre Zembri). retard en matière de transports collectifs avec ments. en particulier la poursuite du réseau de tram- way (ligne Canal), les lignes de BHNS, le télé- Nîmes, n’avait pas définitivement abandonné porté Oncopole/CHU de Rangueil, appelé le tramway après les élections de 2014, après aérotram, l’allongement de la ligne de VAL B un débat politique pour ou contre le tramway, vers Labège. la situation économique désastreuse de la ville et le lancement antérieur d’une ligne de tram- La liste de son principal opposant défendait la bus qui n’est rien d’autre qu’un BHNS, ont construction d’une 3e ligne de métro, évaluée scellé le sort du tramway. Les résultats des à 1,7 milliard €, la réalisation d’une nouvelle élections de 2014, qui ont vu Jean-Paul Four- rocade, le retour de la voiture dans la ville, nier, le maire sortant, réélu pour un troisième l’abandon de tous les projets de lignes de tram mandat, ont permis néanmoins de défaire le ainsi que de la ligne BHNS Lardenne - Tourne- cordon ombilical imaginaire qui reliait le feuille - Plaisance-du-Touch. En mars 2011, il retour du tramway et la renaissance de Nîmes. dénonçait la poursuite de la ligne T1 vers le Décision prise par le Président de Nîmes centre-ville. Une association de commerçants, Métropole et non par le maire, obnubilé par la l’APAT (Association pour un autre tracé du poursuite du trambus. Le nouveau Président Tram) dont le Président est très proche de lui, de Nîmes Métropole Yvan Lachaud donne au point d’avoir été élu sur sa liste en 2014, comme arguments que le projet de tram aurait saisissait le Tribunal administratif qui annulait pris plusieurs décennies et que le trambus fera le prolongement de la ligne T1. Le Conseil économiser 80 M € à la collectivité. Face à ces d’état cassait en octobre 2011 la décision du arguments et même si la gauche déplore Tribunal administratif, permettant de l’abandon du tramway, Nîmes Métropole a reprendre les travaux et d’amener le tram en donc choisi le trambus. Avec 8000 2013 à son nouveau terminus au Palais de usagers/jour sur la première ligne, l’agglomé- Justice, à la limite du centre-ville, terminus qui ration se contentera du BHNS, pour essayer de était considéré comme provisoire (fig. 5). La développer l’usage des transports publics.

Tableau 2: La valse-hésitation en matière de tramways en France 2014/2015

Population Population Année de Nombre Projets Devenir Villes unité urbaine commune- retour du lignes Longueur trams des 2012 centre 2012 tram (2011) lignes 2013 projets Angers 219000 153500 2011 1 12,3 1 1/2 Amiens 163000 136000 2019 0 10,9 1 0 Annemasse 34000 2016 1 3 1 Aubagne 103000 46000 2014 1 7 1 1 Avignon 450000 91000 2016 2 16 2 1 Caen 197000 111500 2018 0 23,4 2 1 Nîmes 180000 150000 2017 1 12 1 0 Saint-Étienne 372000 175000 1881 1+1branche 11,7 0 1 Toulouse 906000 461000 2010 1 10,9 2+ extensions 0 Sources:Servicestransportsdesvillesconcernées,GART,CERTUetINSEE Conceptionetréalisation:WolffJ-P.

8 Transports Urbains N°128 (mars 2016) Le tramway après le « coup de tabac » de 2014 À côté de ces postures qui se veulent inscrites 24,5 mètres de long pouvant transporter dans le marbre, d’autres villes qui ont changé 200 personnes, soit tout simplement comme de majorité politique et dans lesquelles une une alternative au tramway. À l’issue du réfé- partie des enjeux locaux tournait aussi autour rendum de 1996, 65,9 % des suffrages expri- de la réintroduction du tramway, ont opté pour més, représentant le quart des électeurs plus de pondération dans leur décision finale inscrits, rejetèrent le TVR. À Caen, la consulta- ce qui correspond au vœu de Louis Nègre pour tion apparut comme le troisième tour des élec- qui « les politiques de mobilité durable ne sont tions municipales de 1995. Des dissensions se plus - et ne doivent plus être - un enjeu politi- manifestèrent dans la municipalité et le maire cien, mais bien un sujet d’intérêt général. » (2) décida de passer outre et c’est ainsi que Caen Dans ce groupe, nous trouvons par ordre retint ce TVR comme d’ailleurs Nancy. Les alphabétique Aubagne, Avignon, Caen et ennuis commencèrent: difficultés dans la mise Saint-Étienne. au point du prototype, usure prématurée des galets de guidage, orniérage de la chaussée, Chaque cas est particulier et Caen l’illustre sorties intempestives du rail de guidage…, qui encore plus que les autres villes. Avant de s’ar- entraînèrent des immobilisations et surtout des rêter sur le débat lors des élections de 2014, il surcoûts qui firent que le TVR est devenu faut rappeler que l’idée d’implanter un tram- beaucoup plus cher qu’un tramway classique way remonte au début des années 1990. Lors de même capacité (figure 7). des élections de 1995, la liste de Gauche conduite par Louis Mexandeau et celle du La municipalité de gauche élue en 2008 décide maire sortant de Droite Jean-Marie Girault, de remplacer le TVR par un véritable tram- s’opposèrent sur le type de matériel à retenir. way. À l’issue des études et de la phase de Après la réélection de Jean-Marie Girault, ce concertation, la municipalité, l’agglomération dernier convoqua un référendum local pour (2010) et le comité syndical Viacités (2011) que les électeurs soutiennent son choix d’un transport sur voie réservée — TVR —, conçu par la Brugeoise et Nivelles du groupe Enjeu politicien ou sujet Bombardier. Ce véhicule hybride fut présenté d’intérêt général? soit comme un tramway innovant sur pneu de 2) Négre L., 2015, Rapport annuel du Gart, Paris, 54 p. Certaines municipalités nouvellement élues ont opté pour plus de pondération que lors de la campagne électorale.

■ Figure 6 : La situation contro- versée des tramways post-élec- tions.

Transports Urbains N°128 (mars 2016) 9 ■ Figure 7 : L’orniérage de la plate-forme du TVR de Caen (vu ici à la Pierre Heuzé) nécessite des travaux réguliers de rechar- gement, que trahit ici la diffé- rence de couleur du revêtement (photo Pierre Zembri).

choisissent le tramway par rapport au BHNS et ce projet fait double emploi avec la ligne T2 et au translohr. Le TVR inauguré en 2002 devait n’a donc pas lieu d’être. laisser sa place en 2018 au tramway qui circu- lerait alors sur deux lignes complètes. C’était L’augmentation de la fréquentation des deux sans compter les résultats des élections de lignes de tramway de 74000 à 85500 usagers 2014, où la municipalité socialiste a été battue entre 2010 et 2014, la rénovation d’une partie par l’opposition de droite qui durant la du parc et l’achat de nouveaux tramways CAF, campagne avait prôné la remise à plat et/ou plaident en faveur du choix du maire UMP de l’abandon du tramway. Joël Bruneau, le Saint-Étienne qui, à travers cette réalisation, Avignon se singularise nouveau maire de droite, suspend en avril le accompagne le renouveau de cette aggloméra- en devenant la première projet, en s’appuyant sur 3 arguments finan- tion trop longtemps frappée par l’accumula- agglomération à se doter ciers principaux: le décalage du 3e appel à tion concomitante de crises avec la fermeture d’une ligne de tramway projets par l’État du fait de l’abandon de l’éco- des mines de charbon, des usines métallur- taxe, l’annulation de la commande groupée de giques, de GIAT Industrie (armement) et de contre la volonté de la tramways suite au rejet de ce mode par Manufrance. L’opposition à cette 3e ligne est nouvelle municipalité de Amiens et enfin l’incertitude sur les subven- relayée par le FN qui demande un référendum la ville-centre. tions européennes et régionales. Mais après de local à son sujet. Le PS, tout en étant le fer de nouvelles études, le maire de Caen annonce en lance de ce rejet, ne souhaite pas la tenue d’un novembre 2014, la reprise du projet de l’an- référendum pour éviter toutes polémiques cienne municipalité, en le décalant d’une populistes remettant en cause l’expression année pour l’achèvement de la première ligne politique issue des élections municipales. en 2019 et pour la seconde en 2024. Une année Avec cette épée de Damoclès retirée, nous est perdue mais le tramway semble sauvé dans pouvons envisager l’ouverture de cette 3e cette agglomération qui supportera quelque ligne en 2019, pour la fin de la mandature du temps encore stoïquement les dysfonctionne- maire actuel. ments de son TVR! Le tramway stéphanois, créé à partir de 1881, À Saint-Étienne, une nouvelle municipalité de rescapé du démantèlement des différents droite, à l’issue des élections de 2014, a réseaux français et qui a su se moderniser tout renvoyé la gauche dans l’opposition et Gaël en gardant l’écartement métrique et des véhi- Perdriau, le nouveau maire UMP, qui dans cules monodirectionnels, les seuls en circula- l’opposition avait porté un projet de tramway, tion en France, est un atout pour les mobilités dont Maurice Vincent, l’ancien maire ne quotidiennes, mais constitue aussi un élément voulait pas et qu’il dénonce toujours comme de patrimonialisation tout comme les anciens étant un projet pharaonique, coûteux et inutile, bâtiments de Manufrance réhabilités et abri- espère pouvoir inaugurer en 2019 une nouvel- tant en particulier l’école de design. Le pari le ligne de tramway (3,5 à 4,5 km). Cette 3e fait par la nouvelle municipalité, même si elle ligne joindra la gare de Saint-Étienne- n’intègre pas cette valeur symbolique et patri- Chateaucreux au quartier périphérique de La moniale, est sans risque en proposant cette 3e Terrasse, qui est déjà desservi directement par ligne, qui signe aussi ce nouveau dynamisme la ligne de tramway T2, mais au prix d’un et cette confiance en l’avenir qui renaît petit à détour par le centre-ville (fig. 8). Cette troisiè- petit dans cet ancien bastion ouvrier. me ligne desservirait le stade Geoffroy- Guichard, le Zénith, le Technopole et les À Avignon, le projet de tramway démarre sous quartiers du nord-est, en réduisant la durée du la municipalité de droite de Marie-Josée Roig trajet d’un quart. Pour l’opposition socialiste, qui, pour améliorer les déplacements et chan-

10 Transports Urbains N°128 (mars 2016) ger l’image poussiéreuse des transports publics, opte pour le tram. Le projet prévoit la mise en service en 2016 de deux lignes, sur lesquelles circulerait un tramway compact (170 à 230 places), pour tenir compte de la taille de l’agglomération. La gauche question- ne ce projet, un collectif anti-tram se constitue, qui regroupe l’Union des commerçants et arti- sans de Vaucluse (UCAV), la Fédération des commerçants d’Avignon, Terra Nova, Atelier 2014, Non au tramway au Pontet, Altravi et des élus socialistes. Le collectif dénonce ce projet, désigné « un tramway nommé délire » comme étant trop cher, incohérent et inutile pour Avignon et propose en échange le BHNS qui coûterait moins cher en oubliant d’évoquer le coût par personne transportée et la question de la pollution atmosphérique. Mais pour soutenir ce projet, l’association AtoutsTram va monter au créneau devant le risque d’abandon avec l’arrivée de Cécile Helle qui a toujours dénoncé le projet de tramway. En 2014, contrairement à la vague bleue qui a permis à la droite de reconquérir de nombreuses communes, Avignon glisse de la droite à la gauche et Cécile Helle applique son program- me en arrêtant les travaux qui étaient sur le point de commencer, les 24 rames étant déjà commandées. Le nouveau maire FN du Pontet où devait arriver la ligne A dénonce également ce projet. Un bras de fer s’engage entre la mairesse d’Avignon et Jean-Marc Roubaud, ancien député UMP et maire de Villeneuve- lez-Avignon, candidat victorieux à la Prési- dence du Grand Avignon, devançant largement Cécile Helle. Il lance des études pour déminer ce dossier explosif sur le plan financier et politique. En janvier 2015, le Grand Avignon, malgré l’opposition farouche de la mairesse d’Avignon, par un vote sans appel (51 pour, 18 contre et 3 abstentions) décide de construire une seule ligne de tram de 6 km au lieu des deux (15 km) prévues au départ. La révision à la baisse du projet divise par deux la facture finale (250 à 135 M € hors taxe). À l’issue de ces élections, Avignon se singularise en devenant la première agglomé- ration à se doter d’une ligne de tram contre la volonté de la ville centre dont la mairesse n’a de cesse de dénoncer ce projet. Le dernier cas, Aubagne, illustre cette prise en otage du tram par des acteurs politiques et économiques qui campent sur une posture radicale anti-tramway au moment où se termi- 2019. Le 1er septembre 2014, quelques mois nent les travaux de la première phase de réin- après l’élection d’une nouvelle municipalité ■ Figure 8 : Le quartier de la troduction de ce moyen de transports. En effet, opposée au tramway, est pourtant mise en Terrasse, au Nord de Saint-Étien- quatre organisations patronales avec en tête le service la première section longue de 2,8 km. ne, est déjà desservi en direct MEDEF local, une association des professions depuis la gare de Châteaucreux La poursuite du projet est abandonnée dans un par l’actuelle ligne T2 (photo libérales, deux de commerçants, ont dénoncé Pierre Zembri). le tramway comme un projet coûteux et dépo- premier temps conformément aux engage- sé en 2013 un recours au tribunal sur le fond et ments de la campagne électorale. Mais un ■ Figure 9 : Le tramway d’Au- la forme, mais qui a été très vite rejeté. S’ap- nouveau projet Val’Tram voit le jour, il bagne circule pour l’instant sur puyant sur une fréquentation ne dépassant pas emprunterait l’ancienne ligne ferroviaire de la plus courte ligne de France, 20000 usagers quotidiens, ces associations Valdonne à voie unique qui, si elle était menée en attendant un prolongement jugent le projet inadapté aux besoins de la à terme, devrait voir le jour en 2020, avec sur l’ancienne ligne de Valdonne population de la communauté d’aggloméra- possibilités de croisement dans les stations (photo : Aubagne Agglo). tion du pays d’Aubagne et de l’Étoile qui intermédiaires. Néanmoins, il reste suspendu à regroupe douze communes et un peu plus de la phase de concertation et à l’avis des 100000 habitants. Le projet de l’ancienne commissaires enquêteurs. Cependant, dans ce municipalité de gauche, portait sur deux lignes cas, si la réalisation se concrétise, Aubagne parcourues par un tramway « compact » ou de aura perdu quelques années avant d’être dotée petite dimension (22 mètres de long) qui d’une véritable ligne de tramway, suite à cet auraient dû être mises en service en 2014 et en enjeu politicien autour du projet initial.

Transports Urbains N°128 (mars 2016) 11 Conclusion Le lobby pro-voiture revient en force sur le ne le sont plus un quart de siècle plus tard. Le devant de la scène médiatique urbaine. Le titre montant des investissements, même s’ils ont de Transports publics du mois de mai 2015 tendance à baisser pour le tramway, apparaît « La voiture réinventée, de retour en ville? », encore trop élevé par rapport à ceux d’un bus qui peut paraître iconoclaste après plusieurs amélioré ou d’un téléporté. Le tramway aupa- décennies de politiques limitant l’accès de vant objet de convoitise est dénoncé comme l’auto dans les cœurs des agglomérations, trop coûteux et inadapté aux enjeux de mobili- soulève des questions que nous ne pouvons té actuels. pas ignorer. Le développement de l’autoparta- ge, encore très marginal et la montée en puis- Mais ajoutons à ces éléments, un autre, sance du covoiturage qui sont considérés pour certes plus délicat à évaluer mais qui a sans certains comme des alternatives à l’autosolis- doute, aussi joué un rôle dans la défaite des me mais aussi aux transports collectifs, sont municipalités sortantes portant le projet de des éléments de ce retour en grâce de la voiture réintroduire le tramway. Il s’agit d’un monta- en ville. Ces nouvelles pratiques de la voiture ge et d’un portage trop léger d’une telle bénéficient des difficultés, des hésitations et opération complexe, délicate et lourde à des renoncements des collectivités locales porter. Par contre, dans les agglomérations face à des investissements de plus en plus qui avaient déjà réalisé ce retour du tramway, lourds en matière d’infrastructure et de maté- ce manque de « professionnalisme » n’était riels de transports collectifs. Le tramway, pas en cause dans la défaite des équipes en cheval de Troie de la lutte contre la voiture en place. En revanche, dans le cas, de villes ville, devient subitement un obstacle dans comme Amiens, Avignon et Nîmes, qui ne cette politique moins ambitieuse et sa remise possédaient pas de retour d’expérience, la en question monte en gamme dans les discours conduite des projets par des élus peu ou mal électoraux avant sans doute de s’étendre au impliqués a donné des arguments à l’opposi- nom des vieilles chimères telles qu’une vitesse tion. Même si ces derniers n’étaient pas des Dans le cas de villes commerciale insuffisante ou l’utilisation plus fondés, ils surent déstabiliser les comme Amiens, Avignon exclusive à son profit d’une partie de la voirie équipes sortantes. et Nîmes, la conduite des pour son usage exclusif. Derrière cette lecture trop manichéenne des projets par des élus peu Le lobby pro-voiture et, sans doute encore élections municipales de 2014, c’est cette ou mal impliqués a plus, les autorités locales qui doivent faire face quasi-unanimité qui a porté le retour du tram- donné des arguments à à une situation financière de plus en plus way qui est en train de se fendiller pour des l’opposition qui a pu contraignante avec en particulier le recul des questions politiciennes, mais plus encore pour ainsi déstabiliser les subventions de l’État à celles-ci, se lancent des chimères idéologiques, des difficultés dans une chasse aux dépenses publiques. financières et l’absence d’une véritable poli- équipes sortantes. Parmi celles-ci, les aménagements urbanis- tique de complémentarité des modes de dépla- tiques par la vertu du tram, qui passaient pour cement dans la recherche d’une cohérence indispensables dans les années 1990 et 2000, urbanisme/transports. Bibliographie

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12 Transports Urbains N°128 (mars 2016) XAVIER DESJARDINS Maître de conférences à l’université Paris 1 Quand le tramway sort Panthéon-Sorbonne, directeur du CRIA, de la ville. Réflexion sur la équipe de recherche de l’UMR Géographie- pertinence territoriale des Cités. tramways régionaux à partir de l’exemple de Kassel La desserte des espaces peu denses apparaît (Hesse, Allemagne) comme le nouvel horizon du développement des réseaux de tramway. Que faire pour desservir les espaces périur- notamment autour de Kassel. La ville de Kassel, en Hesse, bains peu denses? Le retour du tramway à Kassel compte 195000 habitants, au centre présente un modèle partir des années 1980 a été concomitant d’une d’une agglomération d’environ 260000 habi- particulièrement réorientation des politiques urbaines autour tants (1). C’est le chef-lieu d’une autorité orga- prometteur grâce à la des maîtres mots « densité, diversité, proximi- nisatrice de transports dont la compétence té ». Mais, dans le même temps, le développe- s’étend sur un territoire de près de 7000 km2 présence d’un réseau de ment périurbain s’est révélé de plus en plus qui réunit un peu plus d’un million d’habi- tramway régional à émietté et largement déconnecté des axes de tants. Il s’agit donc d’une région à densité quatre branches, transports collectifs (Beaucire, Desjardins, moyenne (143 habitants par km²), équivalente interconnecté au réseau Séguret, à paraître). Comment remédier à cette à celle d’un département français de dimen- urbain, dans un contexte situation? Après l’inauguration du tram-train sion comparable, l’Ille-et-Vilaine (970000 de Mulhouse et avant celui de Nantes, se habitants pour 6775 km²). Dix kilomètres de territorial proche de répand l’idée que le tram-train (ou tramway voies nouvelles, à l’intérieur de Kassel, ont celui de nombreuses régional) pourrait offrir, pour de nombreux permis d’interconnecter différentes lignes villes moyennes habitants des espaces périurbains une alterna- ferroviaires régionales et de constituer un françaises. tive réaliste à l’automobile. réseau de tramway régional long de 122 kilo- L’agglomération de mètres. Karlsruhe, territoire pionnier du tram-train en 250000 habitants est au 1992, apparaît comme un exemple enviable, Dans cet article, nous nous proposons de cœur d’une région de mais difficile à imiter compte tenu du semis présenter l’origine du projet de tram-train de 7000 km² avec environ 1 particulièrement dense de villes importantes Kassel, puis les réflexions actuelles sur le million d’habitants, soit dans l’Allemagne rhénane (Beaucire, Eman- fonctionnement du système et les améliora- une densité moyenne. La gard, 2000). Pourtant, en Allemagne même, le tions qui peuvent y être apportées. Enfin, nous développement de tramways régionaux a été nous interrogerons sur la possibilité de repro- comparaison montre envisagé dans d’autres contextes territoriaux, duire cette expérience. toutefois qu’au-delà de la densité, c’est une forme d’agencement territorial favorable qui Pourquoi un tramway régional à Kassel? a été exploité grâce à la présence d’entités Autour de Kassel, les périphéries sont desser- viaire régional aux autorités organisatrices périurbaines souvent vies par un réseau de tramway régional en locales. assez importantes, bien étoile à cinq branches (fig. 1). Vers le Nord- Ouest, une ligne de 49 kilomètres part en Tout d’abord, pas de tramway d’intercon- localisées par rapport au direction de Warburg; vers l’Ouest, une ligne nexion… sans réseau préalable de tramway! réseau ferroviaire. La de 30 kilomètres rejoint Wolfhagen; vers le La ville de Kassel a conservé son tramway, comparaison avec des Sud, les villes de Schwalmstadt et de Melsun- alors que beaucoup de villes du Nord de l’Al- villes françaises montre gen sont reliées par respectivement 55 et 31 lemagne l’ont abandonné au cours des années que leur configuration kilomètres de voies ferrées; enfin, une ligne 1960. Son réseau urbain de tramway compte de 26 kilomètres rejoint Hessich Lichtenau aujourd’hui 7 lignes à voie normale et est long géographique est moins vers l’est. Ce réseau de tramway régional est de 52 kilomètres. Dans les années 1980, le favorable: une relié directement au centre-ville, où quelques constat a été fait que si la desserte par transport planification à l’échelle tronçons sont exploités en section commune collectif présentait une certaine qualité dans des agglomérations et de avec le réseau de tramway urbain. Comment l’agglomération, les périphéries étaient pour leurs pourtours expliquer la densité d’un tel réseau et le leur part fort mal reliées. Des extensions du recours au tramway régional ? Plusieurs réseau de tramway sont alors envisagées. périurbains et ruraux éléments ont joué: un héritage ferroviaire apparaît un préalable favorable, une nouvelle gare pour les trains à indispensable au retour grande vitesse, une première expérience concluante sur une ligne rouverte au trafic de 1) Pour déterminer la population de l’agglomération, sont du tramway hors des additionnés les chiffres de population de la Gemeinde de villes. voyageurs et enfin la décentralisation qui a Kassel ainsi que des cinq Gemeinden dont tout ou partie de transféré les compétences en matière de ferro- la tache urbaine sont contigus à celle de Kassel.

16 Transports Urbains N°119 (novembre 2011) L’idée est d’utiliser les lignes ferroviaires clas- siques pour faire circuler des tramways, puis de connecter ces lignes aux réseaux urbains. La première extension périurbaine du réseau de tramway s’est réalisée grâce à la réouvertu- re au trafic de voyageurs de la ligne ferroviaire Lossetalbahn, au sud-est de la ville. Cette ligne avait été fermée au trafic des voyageurs en 1985. Un faible trafic de fret subsistait. En 1992, l’autorité organisatrice des transports achète pour un Deutsche Mark symbolique la plateforme. En 1998, une première section est ouverte jusqu’à Kaufungen, est prolongée en 2001 jusqu’à Helsa et enfin jusqu’à Hessich- Lichtenau en 2006. La ligne est exploitée par la compagnie de transport urbain Kasseler Verkehrs Gesellschaft AG (KVG) (ligne 4), puis également, à partir de février 2006 par un service de train régional. Cette première ligne compte de nombreuses astuces techniques. La plus frappante est celle des nouvelles stations créées sur la section à voie unique de la ligne qui présente six rails parallèles: il s’agit de permettre aux tramways, étroits et pourvus de portes sur un seul côté, de s’approcher des quais, tout en rendant possible le passage de trains régionaux et de trains de fret. À partir de cette première expérience, il a semblé intéres- sant de proposer une exploitation par le tram- way de lignes ferroviaires ouvertes au trafic de voyageurs régional et interrégional. Le second facteur qui a facilité l’extension du réseau de tramway est la décentralisation qui transfère aux Länder l’organisation du trafic ferroviaire régional en 1993. Cette même Source : NVV réforme permet aux Länder de recourir à des appels d’offres pour attribuer l’exploitation de leurs lignes régionales. Certains d’entre eux de Karlsruhe, décide de mettre en œuvre un incitent à la création de communauté de projet d’intégration des réseaux. Dès 2001, à collectivités associant aux Länder les diffé- l’issue d’un délai très réduit de réalisation rentes municipalités en charge des transports permis par la très faible importance des urbains. En Hesse, à côté du Rhein-Main travaux nécessaires, les premiers tramways Verkehrsverbund autour de Francfort, se met régionaux circulent entre Hofgeismar et en place le Nordhessischer Verkehrsverbund Kassel Hauptbahnhof, avec du matériel loué à qui comprend, outre le Land, les différentes Sarrebruck. Toutefois, si les premiers tram- municipalités de la région de Kassel. Le ways régionaux ont circulé dès la fin des n Tramways urbains et trams- trains cohabitent harmonieuse- Verkehrsverbund de Kassel réunit ainsi, nous années 1990 vers le sud-est, et dès 2001 vers ment sur les artères principales l’avons vu, un million d’habitants sur une Hofgeismar, c’est au cours de la décennie du centre piétonnisé (photo X. superficie de près de 7000 km². Cette réorgani- suivante que va être réalisée l’interconnexion Desjardins) sation institutionnelle et la possibilité de des réseaux. mettre en concurrence les exploitants ont permis de vaincre les réticences de la Deutsche Bahn (DB AG), peu intéressée par une telle circulation de tramways régionaux sur les voies ferrées du réseau national. Un troisième élément va modifier la donne: l’arrivée de la grande vitesse ferroviaire. La ville de Kassel a obtenu dans les années 1980, le passage de la ligne à grande vitesse nord- sud. Comme la gare historique est une gare terminus, une nouvelle gare est construite à Wilhemshöhe, à quatre kilomètres à l’ouest du centre-ville, pour les trains à grande vitesse (ICE). La gare historique se spécialise dans le trafic régional: elle est l’endroit clé pour inter- connecter les réseaux ferroviaires urbains et régionaux. Dans ces conditions, un groupe de travail associant les collectivités locales, l’ex- ploitant du réseau de Kassel (KVG) et des représentants de la DB, assisté par le bureau d’études TTK, qui a œuvré pour le tram-train

Transports Urbains N°119 (novembre 2011) 17 Interconnexion et mise en œuvre du réseau de tramway régional

La mise en œuvre du service a nécessité de voies, 140 tramways régionaux, 40 trains mobiliser 180 millions d’euros. Environ 95 régionaux, 6 trains à grande vitesse (ICE) et millions d’euros dans l’infrastructure, dont une moyenne de 15 trains de fret circulent 90% ont été pris en charge par l’État fédéral et chaque jour. Il est prévu de réaliser une troisiè- le Land de Hesse. L’investissement dans le me voie pour résoudre les difficultés de circu- matériel roulant, soit 28 véhicules, représente lation et permettre une augmentation des près de 85 millions à la charge du Nordhessi- fréquences des tramways régionaux. Par cher VerkehrsVerbund. ailleurs, différentes gares ont été rénovées, et surtout de nouvelles stations ont été créées en zone suburbaine, pour tenir compte des déve- Des investissements d’infrastructure réduits loppements nouveaux: Kassel-Kirchditmold, Kassel-Jungfernkopf et Vellmar-Osterberg. Depuis 2007, le nombre Pour relier les réseaux, un tunnel a été réalisé. de passagers du réseau Une solution aérienne n’était pas envisageable La mise en œuvre du service a conduit à inves- régional a augmenté de compte tenu des protections dont bénéficie la tir dans un nouveau matériel. L’opportunité gare en tant que monument historique. Par d’électrifier la ligne en direction de Wolfhagen près de 40% ailleurs, un court tunnel, construit dans les a été étudiée. Le gabarit du tunnel de Zieren- années 1960 à proximité de la gare, avait été berg, conçu pour les trains à vapeur, rendait réalisé pour créer une station souterraine de compliquée l’électrification. En raison du coût tramway. Il a donc été décidé de poursuivre le très élevé de l’électrification totale de la ligne, tunnel existant pour rejoindre les voies de la il a été décidé d’utiliser des tramways bi- gare ferroviaire. Aussi, dans la gare, reconfi- modes diesel et électriques, ce qui constitue gurée de manière élégante, les réseaux sont-ils une première pour un matériel tram-train. interconnectés. Au sortir de ce tunnel, les tramways régionaux passent la place Scheide- L’objectif est d’obtenir une fréquence de mann, puis parcourent une boucle qui dessert desserte de 30 minutes sur les trois lignes (soit les principales activités du centre-ville : un intervalle d’une heure sur chacune des centres commerciaux, mairie, musées, etc. branches terminales de la ligne RT5). Cette Cette boucle emprunte quelques rues piéton- solution offre une desserte tous les quarts nières. d’heure dans la partie suburbaine dense du nord de Kassel jusqu’à Obervellmar, puisque Si cette interconnexion est l’élément essentiel les lignes RT3 et RT4 sont en tronc commun qui a permis de réaliser le réseau, d’autres sur cette section. Pour certaines stations, la investissements ont été nécessaires ou sont desserte est même meilleure, puisque l’exploi- prévus. La création d’une troisième voie sur le tation est double: des trains régionaux semi- tronçon d’Obervellmar apparaît nécessaire. En directs s’y arrêtent également, avec des effet, entre Kassel et Obervellmar, sur les deux terminus plus éloignés de Kassel. n À gauche. Rampe d’accès au tunnel sous la gare de Kassel, qui permet de relier les réseaux Premiers résultats et premières interrogations ferroviaires urbain et régional (photo X. Desjardins) L’augmentation du trafic sur le réseau est Le réseau va être reconfiguré pour tenir comp- n Au centre. Sortie du tunnel visible. Depuis 2007, le nombre de passagers te des premiers résultats d’exploitation. Il reliant à la gare : le tramway sur le réseau régional a augmenté de près de apparaît qu’au-delà de trente kilomètres de régional rejoint le réseau de 40%. Toutefois, il est encore trop tôt pour tirer Kassel, l’attractivité du réseau décline forte- tramway urbain (photo X. Des- un bilan complet de l’opération. ment. Plusieurs raisons expliquent cela. Les jardins) temps de transport deviennent longs, et le Tout d’abord, le cadencement à la demi-heure tramway est relativement inconfortable par n À droite. Le tramway bi-mode ne va intervenir qu’à partir de la fin de l’année rapport au train, doté par exemple de toilettes. électrique et diesel, ici en exploitation diesel, en direction 2011 pour l’ensemble des lignes de tramway De plus, les densités d’emplois et d’habitants de Wolfhagen (photo X. Desjar- régional. Cette augmentation de la fréquence déclinent à mesure que l’on s’éloigne de dins) va avoir un impact notable sur l’attractivité du Kassel, tout comme le nombre d’usagers réseau. quotidiens en direction de Kassel. Enfin,

18 Transports Urbains N°119 (novembre 2011) notons que les terminus des lignes sont des villes relativement petites. Hofgeismar comp- te 15846 habitants, Wolfhagen 12849 habi- tants, Melsungen 13400 et enfin, près de 13000 personnes résident à Hessich Lichte- nau. Dans ces conditions, une des pistes rete- nues est de limiter le périmètre d’action du tramway. Vers le nord, en 2012, le terminus ne sera plus Warburg, mais la ville plus proche de Hofgeismar. La mise en place du cadencement à la demi-heure s’accompagnera d’une offre ferroviaire améliorée pour Warburg. Cette ville ne sera plus reliée par tram-train, mais elle bénéficie déjà de relations plus nombreuses grâce à deux ICE et neuf trains régionaux par jour, et l’offre sera complétée par deux trains régionaux supplémentaires. Vers le sud, en direction de Treysa, la desserte en tramway régional est aujourd’hui temporai- re, parce qu’il s’agit d’utiliser les rames déjà achetées, mais non encore utilisées sur d’autres lignes, en attendant le cadencement à la demi-heure. Le terminus sera ramené à pas reliée à Kassel par le tramway régional, Melsungen. alors que seuls cinquante kilomètres les sépa- n Chiffres de fréquentation du rent. Une relation en tramway régional entre réseau. L’augmentation de la fréquentation est manifeste sur De nombreuses petites rectifications sont à deux agglomérations de moyenne importance toutes les lignes, toutefois, elle prévoir pour augmenter l’attractivité du réseau est pourtant relativement favorable dans la est surtout notable pour les dans les espaces périurbains et ruraux. À Wolf- mesure où le « serpent de charge » de la ligne relations vers le nord, Warburg hagen, 600 mètres supplémentaires de voies bénéficie de l’attractivité des deux terminus. (RT3) et Wolfhagen (RT4) Sour- vont être créés pour desservir le cœur de ville; Le seul segment de l’étoile ferroviaire de ce : NVV à Melsungen, la ligne va être complétée pour Kassel qui n’est pas exploité par le tramway desservir, par une nouvelle voie d’un kilo- régional est pourtant celui-là. La raison est mètre, une usine Volkswagen; vers le sud-est directement institutionnelle et politique. une nouvelle extension est prévue en direction Göttingen est dans un Land voisin, la Basse- du quartier périphérique de Waldau, quartier Saxe, et les collectivités locales ne se sont pas non desservi par le tramway de Kassel. Au mises d’accord sur un tel projet. final, si l’interconnexion est réalisée et de nouveaux arrêts créés, quelques rectifications Le réseau de tramway régional est-il un de tracé sont à prévoir pour adapter de manière support des développements urbains? La ponctuelle le réseau à la géographie des grands question ne se pose pas en ces termes dans le centres d’emploi et des nouveaux quartiers contexte démographique du nord de la Hesse. résidentiels. En effet, les projections démographiques prévoient, après une vingtaine d’années de Pour être complet sur les perspectives du relative stabilité, une diminution de la popula- réseau de tramway régional, notons qu’il est tion. Dans ces conditions, le réseau de tram- handicapé par l’absence d’interconnexion way est vu par les communes comme un avec la ligne orientale en direction de Göttin- moyen de ne pas perdre d’habitants… Le gen. La ville de Göttingen (Gemeinde d’un tramway sera-t-il un instrument efficace peu plus de 120000 habitants en 2008) n’est contre le déclin démographique? Dans un contexte de décroissance Une expérience transposable? démographique, le réseau de tram-train est L’expérience de Kassel apparaît un exemple comparaisons entre la France, aux communes vu par les communes intéressant à suivre pour des villes françaises de très petite dimension, et ses voisins comme comme un moyen de ne dont la population, au sein de l’agglomération l’Allemagne, dont les Gemeinde ont été forte- pas perdre d'habitants... et de ses périphéries, est assez proche. Toute- ment regroupés au cours des années 1970. fois, la distribution des populations dans les Pour comparer les formes d’urbanisation, sont espaces périurbains et ruraux se révèle-t-elle étudiés deux types de surface distingués dans aussi favorable qu’à Kassel pour une desserte la base de données CORINE Land Cover: les ferroviaire? N’y a-t-il pas à Kassel un agence- zones urbanisées ainsi et les zones indus- ment territorial particulier qui facilite le trielles, commerciales et logistiques. Cette déploiement du tramway régional? base de données a une précision de l’ordre de 25 hectares. La caractérisation des formes Pour observer les configurations territoriales d’urbanisation peut en souffrir, notamment propices au développement du tramway régio- dans les zones d’habitat très dispersé. Toute- nal, nous avons utilisé la base de données fois, pour comparer l’adéquation des formes CORINE Land Cover et les données issues de d’urbanisation aux réseaux ferroviaires, le l’exploitation 2006. Cette base de données biais est peu dommageable, puisque c’est prin- fournit pour l’ensemble des pays de l’Union cipalement le « haut » de la distribution qui européenne et quelques autres pays voisins intéresse, à savoir la présence d’entités urbani- une analyse des différents types d’occupation sées suffisamment importantes pour justifier du sol. Elle permet de s’abstraire des limites une desserte par fer. Dans notre analyse, les administratives qui compliquent souvent les taches urbaines dont les différents éléments

Transports Urbains N°119 (novembre 2011) 19 Tableau 1. Nombre de stations et offre ferroviaire dans un rayon de 25 kilomètres autour des agglomérations de Kassel, de Rennes, de Tours un jour ouvrable banal en septembre 2011

Kassel Rennes Tours Nombre de stations 57 23 31 Nombre d’arrêts 2706 294 304

Source: NVV et SNCF, traitement XD

sont disjoints en raison de fleuves ou rivières 9 entre les périphéries de Kassel et d’agglomé- ont été reconstituées en une seule unité. rations françaises de taille comparable. Rappelons enfin, que les éléments présentés ci-dessous font apparaître les surfaces urbani- Ainsi, si les surfaces urbanisées sont à peu près L'emprise au sol de sées et non le nombre d’habitants ou d’em- comparables et la desserte ferroviaire si diffé- l'urbanisation est assez plois, éléments essentiels pour évaluer le rente, trois éléments doivent être dis- similaire entre Kassel et potentiel linéaire de desserte d’une ligne et tingués pour analyser le potentiel de desserte d’un réseau. Il s’agit donc d’une première des urbanisations périphériques par le chemin ses cinq homologues exploration des types de morphologie périur- de fer: leur localisation par rapport au réseau françaises étudiées. baine. ferroviaire (ou leur « adhérence » au réseau); L'adhérence du leur distribution selon la taille des entités urba- territoire au réseau est Nous avons comparé Kassel aux configura- nisées (ou leur « granulométrie ») et enfin leur en revanche plus tions de différentes agglomérations françaises densité. de taille comparable, entre 200000 et 350000 contrastée habitants, et dotées également d’étoiles ferro- La distribution des entités urbanisées selon viaires (mais non toujours de réseau de tram- leur taille est un élément majeur pour l’effica- way). Les agglomérations comparées sont cité du système ferroviaire: un trop fort épar- celles d’Angers, Dijon, Le Mans, Rennes et pillement de l’urbanisation est un handicap Tours. La comparaison porte sur les agglomé- pour la desserte ferroviaire. On distingue rations et l’ensemble des entités urbanisées nettement deux types d’urbanisation périphé- situées dans un rayon de 25 kilomètres autour rique: une urbanisation diffuse et émiettée, des limites de ces agglomérations. Ce rayon dans les cas de Dijon, du Mans et d’Angers et correspond à celui de l’efficacité maximale du une urbanisation plus concentrée dans les réseau de tramway régional de Kassel. autres cas. On ne compte que 7 entités de plus de 200 hectares autour de Dijon et du Mans; 9 L’urbanisation périphérique, saisie à travers autour d’Angers. La part des surfaces urbani- son emprise au sol, est assez similaire entre les sées hors agglomération comprise dans des différentes villes comparées (fig. 2 et tableau entités supérieures à 200 hectares est de près 2). Elle est comprise entre 10000 et 12000 de 27% à Angers et de seulement 23% et 16% hectares à Angers, Dijon et au Mans. À Kassel, à Dijon et au Mans. Les couronnes périur- un peu plus de 15000 hectares sont urbanisés baines de Kassel, Rennes et Tours ont une dans un rayon de 25 kilomètres autour de l’ag- urbanisation plus concentrée, avec plus d’un n Formes de l’urbanisation glomération, contre environ 13800 à Tours et tiers des surfaces urbanisées comprises dans périphérique et adhérence au un peu plus de 16000 à Rennes. des entités de plus de 200 hectares. réseau ferroviaire autour dans un rayon de 25 kilomètres L’offre ferroviaire périurbaine est beaucoup Un autre élément important pour caractériser autour de Kassel, Angers, Dijon, Le Mans, Rennes et Tours. plus faible en France qu’à Kassel. Dans un l’urbanisation autour des agglomérations est rayon de 25 kilomètres autour de Tours et de celui de l’adhérence de l’urbanisation au Agglomération centrale Rennes, le nombre de stations ferroviaires est, réseau ferroviaire. La part des entités urbani- respectivement, de 31 et de 23, contre 57 sées situées, pour tout ou partie, à moins d’un Entités urbanisées situées, autour de Kassel (tableau 1). Mais surtout, kilomètre du réseau ferroviaire est très pour tout ou partie, à moins c’est le nombre d’arrêts quotidiens qui est sans variable selon les agglomérations: elle est d’un kilomètre du réseau ferro- commune mesure: 2706 arrêts autour de proche de 60% à Kassel, Dijon ou Tours, infé- viaire Kassel pour un jour ouvrable banal en rieur à 50% dans les cas d’Angers, Rennes et septembre 2011 contre seulement 304 et 294 Le Mans. Cette faible adhérence de l’urbanisa- Autres entités urbanisées autour de Tours et Rennes. Bref, à la différence tion au réseau a été renforcée au cours des Source: Corine Land Cover, qualitative qu’apporte l’interconnexion, il faut dernières décennies, en raison d’urbanisation NVV. Traitement XD ajouter la différence quantitative de l’offre souvent indifférente au réseau ferroviaire ferroviaire périurbaine qui est de l’ordre de 1 à (Desjardins, et alii, 2011).

Kassel Angers Dijon

20 Transports Urbains N°119 (novembre 2011) Tableau n°2: Tableau de synthèse sur les formes d’urbanisation dans un rayon de 25 kilomètres autour de quelques agglomérations moyennes françaises et de Kassel

Kassel Angers Dijon Le Mans Rennes Tours

Nombre d’habitants dans l’agglomération 260000 219570 237924 203283 304729 344739

Population hors agglomération 351000 227935 131522 186358 303371 149258

Population totale 611000 447505 369446 389641 608100 493997

Surface urbanisée de l’agglomération 6627 5494 4829 4358 5274 7772

Total des surfaces urbanisées 21773 18036 15117 15315 21372 21586

Total des surfaces urbanisées hors agglomération 15146 12542 10288 10957 16098 13814

Nombre d’entités de plus de 500 hectares hors agglomération 1 0 1 0 1 0

Nombre d’entités entre 200 et 500 hectares hors agglomération 12 9 6 7 17 14

Nombre d’entités entre 25 et 200 hectares hors agglomération 171 150 178 158 154 172

Total des surfaces des entités de plus de 200 hectares hors agglomération 5266 3355 2335 1831 6098 4594

Pourcentage des surfaces hors agglomération avec des entités de plus de 200 hectares 35% 27% 23% 17% 38% 33%

Total des surfaces hors agglomération tangentées à moins d’1 kilomètre par le réseau ferroviaire 8661 4050 5792 4963 6609 8299

Pourcentage des surfaces hors agglomération tangentées par le réseau ferroviaire (moins d’un km) 57,2% 33,3% 56,3% 45,3% 41,1% 60,1%

Densité d’habitants par hectare urbanisé hors agglomération 23,2 18,2 12,8 17 18,8 10,8

NB: Pour l’évaluation du nombre d’habitants, les données sont celles de l’INSEE pour 2008 en France, et de l’office statistique fédéral en 2010 pour l’Allemagne. Le chiffre de population est la somme des populations des différentes communes et Gemein- den dont les entités urbanisées les plus importantes sont comprises dans le périmètre. Ce calcul conduit à une légère surestima- tion de la population autour de Kassel, compte tenu de la taille plus importante des Gemeiden, et donc de la probabilité plus gran- de qu’une partie de la population des Gemeinden réside hors du périmètre.

Pour le calcul des densités, le chiffre indique une approximation, compte tenu des aléas liés au calcul de la population, mais aussi de la non-prise en compte, par Corine Land Cover, des entités de moins de 25 hectares, plus nombreux en Bretagne qu’en Hesse. Par ailleurs, la densité de population est rapportée à l’ensemble des formes d’urbanisation, aussi bien à destination d’habitation, qu’industrielle, commerciale ou autre.

Source: INSEE, Office fédéral des statistiques d’Allemagne, Corine Land Cover, RFF, NVV

Le Mans Rennes Tours

Transports Urbains N°119 (novembre 2011) 21 Le troisième élément pour caractériser l’urba- se trouvent donc dans une situation souvent nisation est celui de la densité. La densité rési- relativement défavorable, aucune n’a une dentielle a été calculée en rapportant la situation aussi favorable que Kassel sur les population à la surface urbanisée pour les seuls trois critères de la densité, de l’adhérence et de espaces périurbains (hors agglomération la granulométrie. L’urbanisation périphérique centrale). Tout en tenant compte des impréci- est parfois faible et émiettée (à Angers, Dijon sions d’un tel calcul, il apparaît que l’urbanisa- ou au Mans) ou assez largement indifférente tion autour de Kassel est plus dense: on au réseau ferroviaire (Rennes). Par leur granu- mesure 23 habitants par hectare urbanisé dans lométrie et leur faible adhérence au réseau le périmètre de 25 kilomètres autour de l’ag- ferroviaire, les périphéries des agglomérations glomération à Kassel, contre environ 18 autour françaises étudiées offrent un faible potentiel d’Angers, Le Mans et Rennes. À Tours ou à de desserte ferroviaire, quand bien même la Dijon, les densités sont beaucoup plus faibles: densité est relativement comparable, comme environ 10,8 habitants par hectare autour de le montre l’exemple de Rennes. La densité ne Tours, 12,8 habitants à Dijon. peut, à elle seule, « rattraper le retard », en termes de potentiel de desserte créée par Pour le développement d’une desserte ferro- l’agencement spatial des urbanisations péri- Kassel l'emporte viaire périurbaine intense, les villes françaises phériques. largement sur ses homologues françaises sur les trois critères de la Conclusion densité, de l'adhérence et de la granulométrie L’exemple de Kassel présente des pistes tion, mais par une articulation particulière- nombreuses pour l’amélioration de la desser- ment favorable entre une urbanisation assez te ferroviaire des périphéries des grandes concentrée en quelques gros bourgs et petites agglomérations. Avec une relative économie villes et le réseau ferroviaire. Bref, à la fatalité de moyens, l’interconnexion permet une des faibles densités, qui condamneraient les amélioration substantielle de l’efficacité des périphéries des agglomérations à une desserte réseaux ferroviaires régionaux. Les réti- ferroviaire médiocre, ne faut-il pas opposer ce cences culturelles, institutionnelles et poli- modèle réussi d’articulation entre une poli- tiques au développement de telles solutions tique d’aménagement du territoire de long ont été franchies à Mulhouse (voir l’article terme et un investissement soutenu, mais non dans ce même numéro) et ce cas semble faire démesuré, dans les réseaux ferroviaires? Le école, mais avec un retard d’un peu plus retour du tramway a été marqué et facilité par d’une décennie par rapport à l’Allemagne, et un renforcement des coopérations intercom- pour réaliser des lignes, plus souvent que des munales pour l’urbanisme à l’échelle des réseaux. agglomérations, le développement du tram- way régional autour des agglomérations Pour le développement du tramway régional, moyennes ne pourra qu’être concomitant les périphéries de Kassel ne se singularisent d’une relance d’une planification rigoureuse à pas par l’intensité et la densité de l’urbanisa- l’échelle des aires urbaines. n Les périphéries de Kassel desservies par le tram-train ne se caractérisent pas forcément Bibliographie par l'intensité et la densité de l'urbanisation, ainsi qu'en attes- BEAUCIRE FRANCIS, EMANGARD PIERRE-HENRI DESJARDINS XAVIER, SÉGURET SyLVAIN, BEAU- te cette vue d'une gare de la branche de Wolfhagen (RT 4) « Un réseau et ses territoires: le tram-train CIRE FRANCIS, « Urbanisation et corridors (photo X. Desjardins) d’interconnexion de Karlsruhe », Flux, ferroviaires: quelle adhérence entre le 2000, Vol. 16, n°41, pp. 41-45 territoire et le réseau? », in Denise Pumain, Marie-Flore Mattei, Données Urbaines n°6, Économica, 2011, pp. 75-80

QUIDORT, MICHEL, BUDDRUSS, ECKHARD, « Réforme du statut des chemins de fer allemands et régionalisation », Transports urbains, n°89, oct-déc 1995, pp. 25-28

Remerciements Pour la réalisation de cet article, je tiens à remercier Peter Roβkothen, du Nordhessi- scher Verkehrsverbund, pour son accueil et son temps, Sylvain Zalkind, pour les nom- breux documents transmis, et Matthieu Drevelle pour son initiation aux arcanes des systèmes d’information géographique.

22 Transports Urbains N°119 (novembre 2011) Pierre-Henri ÉMANGARD Les tramways en Europe : une vision diachronique

Si l’histoire du tramway en France est bien l’Angleterre et une forte densité dans le Nord connue et a fait l’objet de nombreuses mono- industriel et urbain. La répartition des réseaux graphies de la part d’amateurs ou d’érudits dans la péninsule ibérique reflète grosso modo passionnés et éclairés (1) et d’études de la part les contrastes de peuplement et d’urbanisation. L’auteur a produit une de chercheurs et d’universitaires (2), il n’en va analyse géo-historique pas de même à l’échelle européenne. inventoriant la présence, Situation en 1975 la disparition et la Il semble bien que rares, pour ne pas dire réapparition du tramway inexistantes, sont les analyses publiées en Trente ans après, en 1975, il ne reste plus que français et consacrées à l’histoire du tramway 180 réseaux de tramway dans les pays euro- dans les villes de la dans l’ensemble des pays européens. C’est péens. 320 réseaux ont disparu, soit près de 2 trentaine d’états du pour remédier partiellement à cette lacune que réseaux sur 3 (carte 2)! Outre l’Albanie, six continent européen, le présent article a été rédigé afin de donner autres pays sont totalement dépourvus de indépendamment de la une vue d’ensemble de l’évolution des réseaux réseaux de tramway (Danemark, Grèce, Irlan- longueur du réseau, du de tramway européens depuis 1945 jusqu’à de, Lituanie, Luxembourg et Slovénie (5)). aujourd’hui (3). Dans quatre pays, les réseaux de tramway ont parc en exploitation et quasiment disparu: Royaume-Uni, Espagne, du niveau d’offre. Portugal et France. L’année 1945, qui Situation en 1945 marque la fin de la Le cas du Royaume-Uni retient tout d’abord Seconde Guerre À l’issue de la Seconde Guerre mondiale en l’attention. Plus d’une trentaine de réseaux ont 1945, le tramway est présent dans environ (4) disparu et il ne reste plus qu’un seul réseau mondiale, a été choisie 500 villes européennes (cf. carte 1945). À dans la station balnéaire de Blackpool. Autant comme point de départ, l’exception de l’Albanie, aucun pays européen dire qu’avec le tramway saisonnier de l’île de en attendant de n’en est dépourvu, même si sa présence se Man et la curiosité que constitue l’unique ligne compléter cette analyse limite à un seul réseau dans trois pays (Bulga- de Brighton (6), il ne reste plus que des exploi- par un inventaire rie, Estonie, Lituanie). Dans le cadre de ses tations touristiques de tramway au Royaume- nouvelles frontières, l’Allemagne dispose Uni. portant sur les années d’environ 170 réseaux de tramway, soit à elle 1920 et 1930 puisque le seule le tiers des réseaux européens. La carte 1 La situation espagnole est quasiment iden- mouvement des met en évidence l’extraordinaire densité des tique. Sur les 26 villes espagnoles dotées de fermetures et réseaux dans la Ruhr et dans l’Allemagne tramway en 1945, il n’en reste plus en 1975 disparitions des réseaux rhénane, ainsi que le semis dense et régulier que trois où le tramway est encore présent: à des réseaux dans la Saxe et la Bavière. Barcelone et à Soller (Baléares) il s’agit d’ex- de tramway urbain a ploitations touristiques. Quant à Saragosse, le commencé dans Plusieurs pays européens disposent également réseau disparaît en janvier 1976! plusieurs pays dès cette de plusieurs dizaines de réseaux, au premier période (France, Italie, rang desquels l’Italie et la France (environ 50 Royaume-Uni…). Un réseaux chacune) suivies du Royaume-Uni (une trentaine de réseaux), de l’Espagne (26 point intermédiaire est 1) Par exemple: Jean Robert, Histoire des transports dans fait en 1975, avant d’en réseaux), de la Belgique et de la Pologne (une les villes de France, Neuilly-sur-Seine, 1974. vingtaine de réseaux chacune). La carte 1 page 2) Par exemple, le chapitre 3 « Naissance et disparition des arriver à la période suivante fait apparaître la densité élevée des tramways parisiens » dans l’ouvrage collectif Paris et ses actuelle. réseaux en Belgique, en Suisse, aux Pays-Bas, transports XIXe-XXe siècles (D. Larroque, M. Margairaz, P. Zembri), Éditions Recherches, 2002. pays densément peuplés et très urbanisés. Le 3) Pays européens inventoriés: Albanie, Allemagne, semis des réseaux de tramway paraît assez Autriche, Belgique, Bosnie, Bulgarie, Croatie, Danemark, dense et régulier dans plusieurs autres pays: Espagne, Estonie, France, Finlande, Grèce, Hongrie, Italie, Lettonie, Lituanie, Luxembourg, Norvège, Pays-Bas, France, Autriche, Hongrie. Il existe des Pologne, Portugal, République Tchèque, Roumanie, Royau- contrastes à l’intérieur de plusieurs autres me-Uni, Serbie, Slovaquie, Slovénie, Suède, Suisse. pays: entre Italie du Nord et du Sud, entre 4) Il s’agit d’un ordre de grandeur entaché d’une marge d’incertitude en raison de deux facteurs: d’une part la partie tchèque et slovaque de la Tchécoslova- distinction entre tramway urbain et tramway suburbain ou quie, ainsi qu’à l’intérieur des nouvelles fron- rural (« départemental, vicinal ») n’est ni claire ni cohéren- tières de la Pologne, entre les anciens te d’un pays à l’autre, d’autre part dans certaines régions territoires allemands (Prusse orientale et Silé- très urbanisées, comme la Ruhr, il est parfois difficile de faire la différence entre multiples exploitants ou multiples sie) et la nouvelle moitié orientale du pays. Au réseaux d’un ensemble urbain multipolaire. Royaume-Uni, le mouvement de fermetures 5) La Slovénie fait partie en 1975 de la fédération yougosla- des réseaux de tramway a, comme en France, ve où subsistent encore en 1975 quatre réseaux de tramways contre 11 en 1945. commencé précocement dès la fin des années 6) Il s’agit d’une courte ligne le long de la plage en exploita- 1920 et la répartition des réseaux et fort tion saisonnière avec alimentation électrique par troisième contrastée: peu de réseaux dans le sud de rail à faible voltage, constituant pratiquement un manège.

Transports Urbains N°120 (juin 2012) 3 En France, le tramway n’est plus présent en pays. On peut souligner l’omniprésence du n Carte 1 (à gauche) : Villes 1975 que dans 3 villes au lieu d’une cinquan- tramway en Allemagne, partout dans le pays, européennes ayant un tramway taine en 1945. Il subsiste à titre symbolique à jusque dans les plus petites villes ainsi qu’avec en 1945 (cartographie de l’au- teur) Marseille, avec la courte ligne 68 de 3 km qu’il de très nombreux réseaux dans la conurbation a été impossible de fermer en raison de son de la Ruhr. Le rapprochement entre les cartes n Carte 2 (à droite): Villes trafic et de son tracé partiellement en tunnel. À de 1945 et 1975 montre que le mouvement des européennes disposant d’un Saint-Étienne, il subsiste aussi une ligne fermetures de réseaux n’a pas épargné l’Alle- réseau de tramways en 1975 unique mais qui joue le rôle de colonne verté- magne, y compris dans la R.D.A., même si la (cartographie de l’auteur) brale du réseau dans cette ville étirée en proportion des réseaux supprimés a été bien longueur. Dans la conurbation Lille - Roubaix moindre qu’en R.F.A. (6 fermetures sur 32 - Tourcoing, le Mongy a échappé de peu à la réseaux). Au total, on aboutit au paradoxe que fermeture dans la foulée de la disparition du c’est en Allemagne, pays où le nombre de réseau purement lillois en 1966. réseaux de tramway à avoir subsisté est le plus important (90 réseaux sur les 190 réseaux Au Portugal la situation paraît différente, mais européens existant en 1975) que le nombre de les apparences sont trompeuses: le tramway disparitions a été aussi le plus important: envi- est encore présent dans quatre villes en 1975 ron 80 disparitions sur les 180 disparitions contre cinq en 1945. Mais sur ce total, d’une décomptées entre 1945 et 1975. Certes, ce sont part, il ne s’agit plus que d’une exploitation surtout les réseaux desservant des aggloméra- touristique à Sintra (à proximité de Lisbonne), tions relativement petites qui ont disparu, mais d’autre part le réseau de Coïmbra disparaît en un autre fait mérite d’être souligné: le mouve- 1980. Au total, seule la capitale Lisbonne a ment des disparitions ne s’interrompt pas en conservé une exploitation véritablement urbai- 1975 et cinq réseaux disparaissent entre 1978 ne de tramway. Le réseau de Porto, autrefois et 1982. important, a subsisté au-delà de 1975 avant de C’est en Allemagne, se réduire à une ligne-musée le long du Douro. pays où le nombre de Évolution 1945-1975 réseaux à avoir subsisté Le cas de l’Italie est assez singulier: les dispa- ritions de réseaux sont nombreuses en valeur À l’instar de l’Allemagne, un recul sensible du est le plus important, absolue (42 villes perdent leur tramway) et en tramway s’est produit dans une douzaine que le nombre de valeur relative (90 % de disparitions), mais les d’autres pays au cours des trente glorieuses. disparitions a été aussi le quatre réseaux subsistant en 1975 desservent En valeur relative, les seuils s’échelonnent du plus important. les principales agglomérations du pays : tiers ou du quart (Autriche, Pologne) aux deux Rome, Milan, Naples et Turin. Il faut y ajouter tiers ou aux trois quarts (Belgique, Finlande, une ligne rescapée du réseau de Trieste. Norvège, Pays-Bas, Serbie, Slovénie, Suisse) en passant par la moitié (Croatie, Hongrie, Contrairement à l’impression que pouvait République Tchèque) (cf. tableau ci- donner l’examen de la seule carte 2, le nombre après). Ces régressions suscitent plusieurs de réseaux de tramway a considérablement commentaires. En Autriche, trois des neuf varié dans la plupart des pays européens où il réseaux existant en 1945 disparaissent, il s’agit est présent de façon notable en 1975, au surtout de villes de taille petite ou moyenne. premier rang desquels l’Allemagne. Il y avait plus de 170 réseaux de tramway en Allemagne Dans les pays de l’Europe centrale et orientale (définition territoriale de 2012) en 1945; en passés dans l’orbite soviétique ou dans une 1975 il n’en restait plus qu’environ 90, soit économie collectiviste, le tramway a connu seulement un peu plus de la moitié. Le nombre également un net recul relatif notamment en des disparitions durant cette période est très Yougoslavie: disparition des deux réseaux élevé, en rapport avec le nombre extraordinai- slovènes (Ljubljana et Piren), de 3 des 4 re de réseaux de tramway construit dans ce réseaux serbes (Nis, Novi-Sad, Subotica), de 2

4 Transports Urbains N°120 (juin 2012) n Nombre de réseaux en exploi- tation par pays entre 1945 et 2011

des 4 réseaux croates (Dubrovnik et Rijeka). Il tions de réseaux affectent également la en va de même en Hongrie: disparition de trois Belgique et la Suisse, comme nous le verrons des sept réseaux existant en 1945. plus en détail. En Pologne et dans la partie tchèque de la L’analyse de la chronologie des fermetures Tchécoslovaquie, le recul du tramway est montre l’importance des années 1950: en plutôt à mettre en relation avec les modifica- moyenne une quinzaine de réseaux européens tions frontalières et les déplacements de popu- disparaissent chaque année durant cette décen- lation qui se produisent à la fin de la guerre. nie, en deux vagues culminant au début et à la Comme on l’observe sur la carte 1, la densité fin de cette décennie. À partir de 1960, le L’analyse de la des réseaux de tramway est forte dans les nombre annuel de disparitions diminue pour chronologie des Sudètes, la Silésie et la Prusse orientale, tomber en dessous de cinq fermetures fermetures montre régions peuplées d’Allemands ou appartenant annuelles au début des années 1970. 1975 l’importance des années à l’Allemagne jusqu’en 1945. En 1945, les marque bien la fin de la période des fermetures 1950. quatre villes nouvellement frontalières le long massives de réseaux. Par la suite, si le mouve- de l’Oder et de la Neisse perdent leur desserte ment n’est pas totalement tari, les fermetures tramway sur la rive devenue polonaise: sont limitées et cessent pratiquement après Küstrin, Francfort, Güben et Görlitz. Nombre 1990. Les deux dernières disparitions en 2006 de petites villes tchèques ou polonaises fronta- et 2008 concernent la Roumanie où l’histoire lières dans les Monts Métallifères et les du tramway a été particulièrement chaotique. Sudètes jusqu’au sud-ouest de Cracovie vont voir leur réseau de tramway disparaître dans Par rapport à cette chronologie qui s’applique les années 1950 et 1960. Ces fermetures à de nombreux pays comme par exemple l’Ita- peuvent donc être considérées comme consé- lie et la France, l’Allemagne se singularise par cutives aux séquelles de la Seconde Guerre un mouvement de fermetures moins intense au mondiale. Par contre, dans les grandes villes début mais qui se prolonge jusqu’en 1990. aussi bien tchèques que polonaises, le tram- way se maintient et se développe au fur et à mesure de l’industrialisation et de l’urbanisa- Situation en 2011 tion de ces deux pays. On signalera juste, à contre-courant du mouvement général de En 2011, le nombre de réseaux de tramway est recentrage évoqué précédemment, la création remonté à pratiquement 220 (cf. carte 3), ce du réseau de Czestochowa, destiné à desservir qui représente un bilan net de 38 réseaux un nouveau complexe industriel, en 1959. supplémentaires. Le retour du tramway se fait Dans le reste de l’Europe orientale, en Slova- dans les pays qui l’avaient le plus supprimé au quie, en Bulgarie et en Roumanie, le nombre cours des trois décennies précédentes, à l’ex- de réseaux de tramway reste stable. ception du Danemark. Dans les Pays-Bas, six des neuf réseaux Le retour du tramway est particulièrement présents en 1945 disparaissent. En Suède, le spectaculaire en France et en Espagne. En nombre de réseaux qui disparaissent est encore France, une vingtaine d’agglomérations ont plus important qu’aux Pays-Bas. Il faut souli- reconstruit une ou plusieurs lignes de tram- gner que le passage d’un régime de circulation way. En Espagne, c’est le cas également pour automobile de gauche à droite n’arrange pas une quinzaine d’agglomérations dont notam- les choses et accélère la disparition des tram- ment Madrid, Alicante, Barcelone, Bilbao, ways, notamment à Stockholm. Les dispari- Saragosse, Séville et Valence.

Transports Urbains N°120 (juin 2012) 5 Grèce (Athènes, 2004) et en Irlande (Dublin, 2004). Au Portugal, le tramway historique de Porto a été complété par une ligne de métro léger mise en service fin 2002. Au sud de Lisbonne la ville d’Almada dispose d’un métro léger depuis 2007. En revanche, le projet de Coïmbra a été reporté à des jours meilleurs du fait de la récente crise. En Norvège, le tramway est réapparu à Bergen, toujours sous forme de métro léger. À Trondheim, le réseau s’est transformé en 1990 avec une extension suburbaine. Dans les Pays-Bas, deux agglomérations devaient connaître le retour du tramway: Utrecht d’une part (1983) et Leyde sous forme de tram-train. Le dernier cité est pour l’instant bloqué du fait de querelles politiques locales. En Europe centrale et orientale ainsi que dans les pays scandinaves, les réseaux de tramway sont restés stables à l’exception de la Rouma- nie. Dans ce dernier pays, l’histoire du tram- way est tout à fait singulière et présente un côté relativement chaotique, mélangeant ouvertures et fermetures. Sur les huit réseaux existant en 1945, sept étaient en exploitation en 1975, le réseau de Brasov ayant fermé en 1960. Par contre la ville d’Arad disposait d’un tramway depuis 1946. Pas moins de cinq En Grande-Bretagne, malgré un contexte de réseaux ont été mis en service dans ce pays n Carte 3 : Villes européennes déréglementation et de privatisation totales, entre 1984 et 1991 dont à nouveau Brasov; disposant d’un réseau de tram- des lignes de tramway ont été remises en servi- mais ce dernier a de nouveau disparu en 2006 way en 2011 (cartographie de tout comme celui de Constanta, ville côtière au l’auteur) ce dans cinq agglomérations : Londres, Birmingham, Manchester, Nottingham et bord de la Mer Noire. Au total, en 2011, il Sheffield. Il s’agit dans un certain nombre de existe 10 réseaux roumains. cas de la réutilisation en mode tramway d’une ancienne voie ferrée abandonnée par les En Allemagne, la période 1975-2011 est British Railways. marquée par la poursuite du mouvement de fermetures jusqu’à la fin des années quatre- En Italie, le tramway est réapparu dans huit vingt avec notamment la disparition de agglomérations. Cinq sont situées dans l’Italie plusieurs réseaux dans la Ruhr ainsi que dans du nord: Bergame, Florence, Gênes, Padoue et le nord de l’Allemagne (Hambourg 1978, Venise. Dans ces deux dernières aggloméra- Bremerhaven 1982, Kiel 1985). Depuis le tions, il s’agit d’un tramway sur pneus Trans- début des années quatre-vingt-dix, la tendance lohr. À Gênes, il s’agit d’un véritable métro s’est inversée: les réseaux existants connais- léger réutilisant un ancien tunnel du tramway sent des prolongements de lignes et deux urbain. À Bergame, le nouveau tramway réuti- agglomérations ont renoué avec le tramway: lise une ancienne ligne de chemin de fer. La Oberhausen en 1996 et Sarrebruck en 1997, Sardaigne dispose de deux réseaux de tram- cette dernière avec un tram-train allant jusqu’à way, l’un à Cagliari et à Sassari. En Sicile, le Sarreguemines en France. À noter en ex-Alle- Les pays d’Europe tramway est de retour à Messine, et devrait magne de l’Est la disparition du réseau d’Eise- centrale et orientale l’être à Palerme très prochainement. En nach en 1975; depuis la chute du mur, le Calabre, à Catanzaro, une partie de l’ancienne nombre de réseaux dans les länder de l’Est ainsi que la Scandinavie ligne de tramway a été réactivée comme funi- reste stable même si la dépopulation de se caractérisent par la culaire. certaines villes suscite des craintes quant à leur stabilité du nombre de Le tramway a fait également son retour en pérennité. réseaux. Histoire du tramway en Belgique et en Suisse

L’histoire du tramway en Belgique et en Suis- Peter De Baere (7). En 1945, la Belgique se mérite un examen approfondi en raison dispose d’une quinzaine de réseaux de tram- d’une trajectoire relativement complexe qui way purement urbains. Il est en effet assez renvoie aux clivages linguistiques qui existent difficile de faire un inventaire exact dans la dans chacun de ces deux pays. mesure où, si les principales villes disposent La carte 4 présente l’évolution des réseaux de tramway en Belgique de 1945 à 2010, laquelle 7) Peter De Baere. « Les transports publics urbains belges a pu être établie à partir d’un article sur les des origines à 1990 », Bulletin du Crédit Communal, 1995, transports publics urbains belges rédigé par n°4.

6 Transports Urbains N°120 (juin 2012) d’un réseau propre, toutes les villes sont aussi desservies par des lignes mélangeant dessertes urbaine et suburbaine qui sont exploitées par la Société Nationale des Chemins de Fer Vici- naux. On peut considérer qu’il existe six réseaux majeurs par leur longueur: Bruxelles, Anvers, Charleroi, Gand, Liège et Ostende. Comme dans les autres pays européens, un large mouvement de fermetures affecte les réseaux belges. En 30 ans, 13 réseaux vont disparaître et il ne reste plus en 1975 que quatre agglomérations qui ont encore des tramways: Bruxelles, Anvers, Gand et Osten- de. Pour cette dernière ville, le réseau pure- ment urbain a disparu en 1958 mais une ligne de tramway allant de la frontière française à la frontière néerlandaise dessert le littoral de part et d’autre d’Ostende. Le mouvement des fermetures démarre dès 1952 avec la dispari- tion du réseau de Louvain. Neuf réseaux disparaissent au cours des années cinquante et au début des années soixante. Les réseaux de Mons et de Charleroi sont les derniers à dispa- raître respectivement en 1973 et 1974. La carte montre que pratiquement tous les petits réseaux ont disparu au cours de cette période. On remarque qu’en 1975, il ne reste plus de réseaux de tramway qu’à Bruxelles et dans les Flandres. En Wallonie, tous les réseaux ont disparu même les deux plus importants de Charleroi (1974) et de Liège (1969). Dans cette dernière agglomération, le trolleybus est venu progressivement remplacer le tramway, mais comme en France, il ne va pas tarder à disparaître à son tour (1971).

Certes, aussi bien à Bruxelles qu’en Flandres sont en Suisse alémanique et sont pratique- les réseaux de tramway sont sur la sellette: à ment intacts: Berne, Bâle et Zurich. Les deux n Carte 4: Évolution des Bruxelles, un plan à long terme est présenté en autres sont en Suisse romande mais ne sont réseaux de tramway en Belgique 1965 prévoyant la transformation progressive de 1945 à 2010 (cartographie plus que l’ombre de ce qu’ils étaient dans le de l’auteur) du réseau de tramway en réseau de métro avec passé: à Genève, d’un réseau de 120 km, il ne la construction de tunnels permettant de passer subsiste plus qu’une seule ligne; à Neuchâtel à une exploitation en pré-métro. À Anvers, il le réseau urbain disparaît en 1976 et il ne en va de même et un premier tunnel de pré- subsiste qu’une ligne suburbaine de 9 km le métro est mis en service en 1975. À Gand, le long du lac. réseau de 11 lignes se développant sur 57 kilo- mètres est réduit à quatre lignes développant La carte montre que le mouvement des dispari- 25 kilomètres. Mais parallèlement, à Anvers tions présente des disparités régionales spéci- comme à Gand, à la fin des années soixante ou fiques. En Suisse romande, la disparition des au début des années soixante-dix les parcs sont tramways est quasi totale, y compris à Lausan- rénovés avec des tramways PCC. Très vite le ne qui disposait d’un réseau de 66 km, plus mouvement va cependant s’inverser: les important que celui de Bâle. tunnels de pré-métro ne voient pas le jour et les réseaux de tramway se stabilisent, voire même En Suisse italienne, les petits réseaux de Luga- s’étendent à nouveau. À Gand, le trolleybus no et de Locarno disparaissent respectivement En Belgique, le pré- complète le réseau de tramway en 1989, mais en 1959 et 1960. À Lugano, le trolleybus métro n’a pas réussi à ne parvient pas à se maintenir par la suite. remplace le tramway, mais il disparaîtra à son prendre un ascendant tour en 2001. En Suisse alémanique, six définitif sur le tramway Le mouvement de balancier se produit égale- réseaux disparaissent: Winthertur (1951), ment, mais de façon limitée en Wallonie: Saint-Gall (1955), Lucerne (1961), Schwyz classique. Charleroi renoue avec le tramway en 1983 (1963), Fribourg (1965) et Schaffhouse mais dans le cadre d’une ligne de métro léger (1966). Deux constats sont à faire: d’une part, réutilisant pour partie une plate-forme des il s’agit de petits réseaux, d’une longueur chemins de fer vicinaux. comprise entre 7 et 12 km; d’autre part toutes ces villes s’équipent en trolleybus. En Suisse, l’histoire du tramway est assez étonnante (cf. carte 5). Il existait 16 réseaux de De 1975 à aujourd’hui, l’évolution est, en tramway urbain, du plus petit à Martigny (2 Suisse romande, conforme à celle observée en km) au plus important à Genève (120 km). En France : retour du tramway à Lausanne 1945, ces 16 réseaux existent encore mais, (TSOL) sous la forme d’un métro léger (une dans les vingt ans qui suivent, 11 vont dispa- ligne plus conventionnelle a fait l’objet d’une raître. Sur les cinq réseaux subsistants, trois concession du Conseil fédéral en 2011), et

Transports Urbains N°120 (juin 2012) 7 l’espace européen entre une zone anglo- saxonne et latine d’une part, et une zone germanique d’autre part. Pour aussi net qu’il soit, il peut faire l’objet d’une analyse nuan- cée: - Contrairement à une vision superficielle, la zone germanique ne se caractérise pas par une stabilité et une omniprésence du tramway. Comme dans les autres pays européens, il y a eu des fermetures, parfois nombreuses, dans les zones germanophones jusqu’en 1975 et même parfois après (contrairement sur ce point à la zone latine et anglo-saxonne où les réseaux avaient pratiquement tous disparu en 1975). Il y a eu aussi une remise en cause, des réductions de réseau et des projets de substitu- tion de métros au tramway dans les principales agglomérations allemandes (Münich, …). - Dans chaque zone, on observe des disparités et des exceptions, par exemple si l’Espagne, la France et la Grande-Bretagne ferment prati- quement tous leurs réseaux, il en va autrement en Italie où le tramway demeure présent dans les 4 principales agglomérations des pays; si l’Allemagne conserve un grand nombre de ses réseaux, cela n’est pas le cas dans les Pays-Bas et en Suède. - En Allemagne, le déclin est plus prononcé dans la partie septentrionale du pays alors que dans la partie rhénane le tramway s’est forte- ment maintenu, en France on observe aussi des disparités régionales dans les rythmes de disparition et de renouveau du tramway. Il existe une trajectoire générale commune sur l’ensemble du continent européen et les deux renouveau du tramway à Genève. Le réseau n Carte 5: Évolution des zones s’individualisent par la différence d’in- connaît de nouveaux développements à partir tensité du double mouvement de déclin et de réseaux de tramway en Suisse de 1995. Aujourd’hui, trois lignes parcourent de 1945 à 2010 (cartographie renouveau du tramway. Durant la première de l’auteur) un réseau en extension sur plus d’une vingtai- période, la tendance générale est à la remise en ne de kilomètres. cause du tramway. Cette remise en cause peut aller jusqu’à sa disparition complète. Même En Suisse alémanique, le réseau de Berne est dans les pays où il se maintient le mieux, il y a resté relativement stable jusqu’en 2010 avant un mouvement doctrinal de contestation de de s’enrichir de deux nouvelles lignes. Selon l’intérêt du tramway (8) et des disparitions se un schéma d’évolution proche de celui obser- produisent, y compris dans les pays qui parais- vé en Allemagne, les réseaux de Bâle et de sent les plus attachés au tramway au vu du Zurich ont connu un développement plus nombre de réseaux subsistants en 1975, constant au cours de cette période. Il est à notamment en Allemagne. noter qu’à Zurich, ce développement se produit après le rejet d’un projet de mise en La question de l’interprétation théorique de souterrain sous forme de pré-métro. l’existence de ces deux zones ne sera pas abor- Contrairement à une dée dans cet article qui se contente d’essayer Il est tout à fait remarquable de constater que de mettre en évidence les disparités géogra- vision superficielle, la parallèlement, les réseaux de trolleybus se sont zone germanique ne se phiques qui ont existé dans l’histoire euro- maintenus aussi bien en Suisse alémanique péenne du tramway. On se contentera en caratérise pas par une qu’en Suisse romande, y compris dans des conclusion de suggérer que leur explication stabilité et une agglomérations de taille relativement petite renvoie à des problèmes de géographie cultu- omniprésence du (Fribourg, Neufchâtel, Schaffhouse…). On relle relativement fondamentaux, et que cela observe cependant des suppressions: Lugano tramway. concerne simultanément les politiques de limi- et La Chaux-de-Fonds par exemple. tation de l’automobile, de gestion de la voirie publique et d’aménagement urbain et périur- Au total, l’analyse des trajectoires du tramway bain, enfin de la place de l’habitat individuel et dans les deux pays partagés en zones linguis- du régime de propriété dans les parcs natio- tiques francophone et germanophone montre naux de logements (9). des disparités corrélées avec leur localisation dans chacune de ces zones et présente des similitudes avec les trajectoires observables respectivement en France et en Allemagne. 8) Se reporter à l’article de Barbara Schmucki, « Fashion and technological change: tramways in Germany after 1945 », The Journal of Transport History. Il semble donc que, vis-à-vis de l’histoire du 9) Cf. l’ouvrage de Rémy Allain, Morphologie urbaine, A. tramway, un clivage assez net se dessine dans Colin, 2004.

8 Transports Urbains N°120 (juin 2012) ANDREAS WETTIG KCW GmbH Transports et Urbanisme ROBERT HÄNSCH ISR, Technische à Berlin Universität Berlin

Berlin a déjà fait l’objet d’un article détaillé dans Berlin métropole cette revue: en 1993 Frédéric Dufaux Berlin, capitale de 3,46 millions d’habitants, Presque 80% des habitants métropolitains présentait des réseaux de se situe au cœur d’une agglomération de 4,33 habitent dans la commune-centre. Seulement transport de Berlin en millions d’habitants. En raison de la structure 8,5% des déplacements dépassent ses limites recomposition (1). Les décentralisée de l’Allemagne et de la division (7). La périurbanisation, subventionnée entre est et ouest qui l’a profondément pendant longtemps par le gouvernement problèmes majeurs de marquée entre 1945 et 1990, seulement un ouest-allemand, a été politiquement impos- l’époque, surtout la allemand sur 19 habite dans la région berlinoi- sible pour la partie ouest et restreinte dans la reconstruction des se tandis qu’un Français sur 5,6 habite en Île- partie Est dans les conditions de l’économie réseaux, sont de-France. Les communes en Allemagne sont planifiée et d’une motorisation faible. Néan- aujourd’hui plus ou souvent plus étendues qu’en France, et la moins depuis les années soixante à l’ouest puis plupart des zones périphériques appartiennent dix ans plus tard aussi dans la partie Est, on moins résolus. La à la ville de Berlin. Le territoire du grand constate une migration des populations actives croissance rapide de la Berlin a été créé en 1920 en absorbant des vers la périphérie proche avec pour consé- ville et de la circulation villes et villages limitrophes. Il est resté quasi- quence un allongement sensible des déplace- automobile jadis ment inchangé depuis. ments quotidiens. Contrairement aux villes pronostiquée n’a pas eu françaises, les quartiers centraux ont concentré Berlin s’est principalement développée à une proportion croissante de populations lieu. Soutenue par la partir du 19e siècle. Une grande partie du pauvres, et l’attention politique pour ces quar- tendance générale et centre-ville a été développée après 1862 de tiers a diminué pendant les décennies d’après- malgré bien des manière coordonnée avec le Hobrechtplan, qui guerre. problèmes de détail, prévoyait un réseau viaire relativement espacé Berlin s’est mise sur une avec des rues et des trottoirs larges ainsi que Berlin n’a pas d’hypercentre mais une structu- des espaces verts étendus. Cette structure re urbaine polycentrique dans laquelle une voie de développement plutôt généreuse et vaste fait encore aujour- zone étendue remplit les fonctions centrales. relativement durable. d’hui le caractère de la ville. En périphérie, les La Ringbahn, ligne circulaire de S Bahn, sépa- Après une phase de anciens centres des villages absorbés sont re les zones centrales de la périphérie et de stagnation encore visibles dans la trame viaire. Le réseau façon sommaire définit le centre-ville (et la démographique et des chemins de fer a très tôt joué un rôle Zone tarifaire A des transports publics). La important dans le développement. Déjà en séparation est beaucoup moins nette que celle économique, la ville a 1882 Berlin avait modernisé ce réseau en opérée par le périphérique parisien car les depuis 2004 repris une créant la Stadtbahn, une ligne transversale est- territoires appartiennent à la ville de Berlin de croissance faible mais ouest. Avec la division de l’Allemagne le trafic part et d’autre. Avec 88 km², la surface à l’inté- régulière. ferroviaire a beaucoup diminué et les grandes rieur de la Ringbahn est comparable à celle de gares terminus ont été désaffectées. la ville de Paris. Au centre-ville vit 1,19 million d’habitants, soit une densité de 13520 Tableau 1: Chiffres clés de la mobilité à Berlin 2010 hab./km². En comparaison, 2,21 millions de source Parisiens vivent intra muros avec une densité beaucoup plus élevée de 20980 hab./km². habitants 3,46 millions (2) ville surface 892 km2 (1) densité 3880 hab/km2 (1) définition Berlin + Umland (3) 1) Frédéric Dufaux, « Berlin: les réseaux d’une métropole habitants 4,34 millions (2) zone urbaine en recomposition », Transports Urbains, n°79, 1993. surface 2 (2) 2) Ville de Berlin, Statistisches Landesamt, 2011, 3743 km www.statistik-berlin.de/ densité 1159 hab/km2 (2) 3) Gemeinsame Landesplanung Berlin-Brandenburg, 2011, http://gl.berlin-brandenburg.de/hauptstadtregion/index.ht réseaux ferrés 806,2 km (4) ml dont Regionalzug (trains régionaux) 213,2 km (3) 4) Ville de Berlin, Senatsverwaltung für Stadtentwicklung, Mobilität der Stadt - Berliner Verkehr in Zahlen, édition dont S Bahn (RER) 257,0 km (3) 2010, www.stadtentwicklung.berlin.de/verkehr/politik_pl dont U-Bahn (métro) 146,3 km (3) anung/zahlen_fakten/download/Mobilitaet_dt_komplett.pdf 5) Mobilität in Städten - SrV 2008, dont tramway 189,7 km (3) www.stadtentwiclung.berlin.de/verkehr/politik_planung/za offre transports publics (millions de véhicules.km) 162,3 (3) hlen_fakten/mobilitaet/index.shtml 6) Ville de Berlin, Senatsverwaltung für Stadtentwicklung, voyages en transport public, par hab. 335 (5) Mobilität der Stadt - Berliner Verkehr in Zahlen, édition voitures particulières, par 1000 hab. 324 (4) 2010 7) Ville de Berlin, Senatsverwaltung für Stadtentwicklung, part modale transports publics / tous modes 26% (4) Nahverkehrsplan 2006-2009 (PDU), www.stadtentwick- lung.berlin.de/verkehr/politik_planung/oepnv/nahverkehrs- part modale transports publics / modes motorisés 45% (4) plan/download/analyse_nahverkehrsplan2006-2009.pdf

26 Transports Urbains N°120 (juin 2012) La situation géopolitique – à l’ouest l’exode mais elles ne permettent des populations après la construction du mur, à pas de grands investis- l’Est la politique de négligence de la ville sements. historique – a laissé beaucoup de terrains non construits, même en centre-ville. En matière d’infrastruc- tures de transport, Berlin Héritage de sa partition, Berlin dispose dispose d’un des aujourd’hui d’une faible base industrielle. La meilleurs équipements plupart des industries ont quitté Berlin après au monde. Les réseaux 1945. À Berlin-Est, les industries souffraient ferrés (train, RER, d’un sous-investissement trop marqué pour métro, tram) ont une permettre aux entreprises de résister à la longueur cumulée de 904 concurrence après l’unification. Après des m par km² de surface ou années difficiles, les indices économiques 234 m par 1000 habi- sont aujourd’hui plus favorables que la tants. En comparaison, moyenne nationale mais le chômage reste l’Île-de-France dispose toujours très élevé et les revenus plus faibles de 149 m par km² de que la moyenne nationale. Les finances surface ou 157 m par publiques se sont redressées depuis 2002, 1000 habitants (8).

n Figure 1 : Répartition modale Les évolutions postérieures à la chute du mur des déplacements à Berlin en 2010 (6)

Planification et développement urbain Avec la reconquête de l’espace urbain au centre-ville, la ville de Berlin poursuit le Après la chute du mur, on pronostiquait une modèle du développement intérieur. La ville a croissance rapide de la ville jusqu’à 5 millions adopté en 1999 le Planwerk Innenstadt, basé d’habitants. En réalité la population est restée sur les principes de la reconstruction de la quasiment stable. La périurbanisation s’est trame urbaine historique, le retour à l’îlot développée, avec un maximum en 1997. comme forme urbaine de base, la densifica- Actuellement, le solde migratoire est négatif tion, la mixité des fonctions et un réseau viaire de 5000 personnes par an entre Berlin et sa homogène et perméable à la circulation. Cela En matière implique aussi un gel des mesures d’apaise- banlieue (9). À l’intérieur de Berlin, les grands d’infrastructures de ensembles situés à l’est perdent des popula- ment de la circulation et des zones piéton- tions, ce qui profite aux périphéries. nières. La politique très favorable à transport, Berlin dispose l’automobile des années 1940 à 1970 est aban- d’un des meilleurs Les projets principaux de développement donnée, au moins pour le centre-ville. équipements au monde. urbain de l’après 1990 se situent dans le centre-ville de Berlin: Potsdamer Platz, le district gouvernemental et la nouvelle gare Le développement des infrastructures de centrale. Mis à part des développements enco- transport re en cours aux alentours de la gare, ces projets sont maintenant bien intégrés dans le tissu Les projets d’infrastructure des années 1990, urbain et ne sont pas traités dans cet article. développés dans l’attente d’une croissance Les chiffres de la prévision de 2002 ci-dessus ont été corrigés pour tenir compte des évolu- 8) STIF 2009, www.stif.info/IMG/pdf/TCC_2000- 2009_Bd.pdf tions récentes. Berlin gagne de nouveau des 9) Ville de Berlin, Senatsverwaltung für Stadtentwicklung, habitants et se situe en 2010 à 1,5% au-dessus Mobilität der Stadt - Berliner Verkehr in Zahlen, édition n Figure 2: Évolution de la de ce qui était prévu. 2010 population 1991-2010, par 10) Ville de Berlin, Senatsverwaltung für Stadtentwicklung, catégorie urbaine, calculée en www.stadtentwicklung.berlin.de/planen/bevoelkerungsprog 2002 (10) Depuis 2000, on constate un retour des nose/de/metropolregion/ergebnisse_tr.shtml couches moyennes au centre-ville: les quar- tiers centraux ont gagné en attractivité et sont devenus plus chers. Cette tendance s’appuie sur l’amélioration de la qualité de l’environ- nement urbain (normes européennes contre la pollution, remplacement des chauffages au charbon etc.). La présence de populations diplômées au centre-ville renforce le poids politique de ce dernier dans des conflits d’in- térêt entre les défenseurs de la « qualité de vie locale » et ceux qui souhaitent le renforce- ment des capacités routières pour les pendu- laires. Les terrains non ou peu utilisés constituent une ressource importante de la ville. Ils permettent des utilisations expérimentales ou temporaires un peu en dehors de toute pression écono- mique. Ces terrains font l’attractivité énorme de la ville pour les jeunes Européens. Cepen- dant la fin de cette liberté s’annonce déjà.

Transports Urbains N°120 (juin 2012) 27 Tableau 2: pronostic et réalité de l’évolution forte de la ville, En réalité le taux aujourd’hui est de 327, légè- des parts modales entre 1993 et 2010 sont largement rement plus bas que les 336 mesurés à Berlin- dimensionnés, Ouest dans les années 1980. Les parts modales surtout dans le ont évolué de façon contraire aux prévisions Mode / part Berlin Prognostic 2010 Berlin ferroviaire. (tableau 2). en % des 1993 (SenStadt 1993 2010 (13) déplacements (12)) Les lacunes Berlin, ville relativement jeune, profite aussi dans les réseaux d’une tendance générale au moindre attache- Transports en 27,1% 22,2% 26% de métro et de S ment émotionnel et symbolique à l’automobi- commun Bahn (RER) ont le. L’étude représentative récente Mobilität in été résorbées Deutschland (14) montre que la jeune généra- Voiture 43% 50,2% 32% assez rapide- tion est aujourd’hui beaucoup plus flexible individuelle ment durant les dans son choix modal. Dans les villes, la part années 1990 et de la voiture individuelle baisse de façon Vélo 7,2% 6,7% 13% les remises en significative parmi les 18-29 ans, tandis qu’el- état sont globa- le progresse autant parmi la « génération Marche à pied 22,7% 20,9% 29% lement ache- voiture » des 65-74 ans. vées. Il y a aujourd’hui quelques projets d’extension dans Berlin dispose néanmoins d’un réseau routier le périurbain et le projet de raccordement nord généreusement dimensionné avec peu de de la gare centrale. Depuis deux ans le réseau restrictions pour la circulation automobile: les de S Bahn est affecté par de nombreuses embouteillages sont limités, l’utilisation de suppressions de trains, suite aux défaillances toutes les routes est gratuite. Dans beaucoup de la DB dans la maintenance de ses trains. de zones jusqu’en centre-ville, les places de Concernant le métro, hormis la construction stationnement sont abondantes et gratuites. La d’un tronçon de la ligne U5 dans le centre est, gestion des places de stationnement sur la voie le réseau (voir figure 3) semble plus ou moins publique s’étend sur 3% de la surface de la achevé. ville, le plus souvent sous forme de zone de stationnement prioritaire pour les riverains Le tramway avait retrouvé un rôle important à (Anwohnerparken), qui progresse dans les Berlin-Est dans les années 1970 alors même zones résidentielles centrales. Les contrôles du qu’il avait disparu de Berlin-Ouest dix ans trafic routier sont rares et un PV pour station- auparavant. En 1990, l’objectif à court terme nement gênant est peu coûteux, ce qui perturbe était donc de prolonger les lignes jusqu’aux la circulation des autobus. premières gares de métro ou de RER à l’ouest. On en est encore loin aujourd’hui: Berlin a L’offre de transport public est assez dense: construit seulement 6 km de tram par décen- métro, S Bahn (RER) et grands axes du tram nie. Les correspondances entre Est et Ouest ont une fréquence comprise entre 5 et 10 sont donc toujours compliquées, la production minutes. Le réseau dans la zone centrale est de l’offre est plus chère compte tenu de l’ab- cependant moins dense qu’à Lyon où la sence de lignes traversantes et le centre-ville longueur cumulée des lignes est supérieure de est encombré par de nombreux terminus. 20% (15). La fréquence minimale des autobus Pendant que beaucoup de villes françaises et est de 20 minutes, mais beaucoup de lignes Berlin dispose d’un européennes ont fait du tramway leur instru- bénéficient de fréquences plus soutenues. Le réseau routier ment de reconquête de l’espace urbain, le tram service de nuit est exceptionnel: tous les quar- généreusement stagne à Berlin. Depuis de longues années on tiers sont desservis toutes les nuits avec une dimensionné avec peu discute d’extensions centrales (Potsdamer fréquence de 30, parfois 15 minutes. Les Platz – Steglitz, à Moabit et Kreuzberg) sans lignes de S Bahn en banlieue sont desservies de restrictions pour la résultat concret jusqu’ici. aux 20 minutes, voire aux 10 minutes sur circulation automobile. quelques lignes. Les projets routiers sont presque toujours très contestés à Berlin et soutenus aussi fermement L’ensemble des transports publics coûte envi- par le personnel politique et administratif, ron 1 milliard d’€ par an dont 50% sont malgré le discours officiel en faveur des couverts par les recettes directes. S’y ajoutent modes actifs (marche à pied et vélo). Dans les des subventions pour la production de l’offre, années 1990, la critique s’est enflammée sur le des tarifs sociaux ainsi que la maintenance et la Tiergartentunnel, un tunnel routier nord-sud construction des infrastructures. L’entreprise de 390 M€ sous la zone verte centrale, achevé publique BVG reste, 20 ans après l’unification, en 2006. Récemment, un projet de prolonge- assez peu efficace. Le plan de redressement a ment de la rocade autoroutière A100 vers conduit à des réductions de l’offre jusqu’en l’Est, voulu par le maire mais qui divise son 2008. Depuis 2008 il existe un contrat de servi- parti SPD, a été un point d’achoppement pour la constitution d’une coalition avec les Verts, alliance pourtant largement préférée par le 11) Deutsches Institut für Wirtschaftsforschung, „BVG Konzept für die Region Berlin. Langfristige Gestaltungsmö- SPD et la population. Les transports prennent glichkeiten für öffentlichen nah und Regionalverkehr im toutefois rarement de l’importance dans les Raum Berlin“, Berlin 1991 campagnes électorales. 12) Ville de Berlin, Senatsverwaltung für Stadtentwicklung, “Datengrundlagen für die Verkehrsplanung, Berlin, Februar 1993 L’offre de transport et les conditions 13) Ville de Berlin, Senatsverwaltung für Stadtentwicklung, Mobilität der Stadt - Berliner Verkehr in Zahlen, édition de fonctionnement des réseaux 2010 14) Bundesministeriums für Verkehr, Bau und Stadtentwicklung , 2010, www.mobilitaet-in- Après la chute du mur on pronostiquait une deutschland.de/pdf/MiD2008_Abschlussbericht_I.pdf croissance rapide de la motorisation: 440 à 15) Mesuré sur un carrée de 5 x 5 km par l’auteur, réseaux 494 véhicules par 1000 habitants en 2010 (11). 2011

28 Transports Urbains N°120 (juin 2012) n Figure 3 : Localisation des zones décrites (graphique : R. Hänsch)

ce entre la ville et son entreprise et l’offre reste tramway, des sites réservés aux autobus, ainsi stable depuis. Le coût élevé de la BVG rend que des priorités systématiques aux feux pour impossible toute extension de l’offre. les transports collectifs. Dans ces conditions, les solutions souterraines sont souvent envisa- 13% des déplacements à Berlin se font en vélo, gées, mais la ville n’en a plus les moyens. Par cette part a doublé en 15 ans. L’objectif de la conséquent, Berlin n’est plus aujourd’hui un ville est d’atteindre une part modale de 20% modèle en Allemagne pour le développement pour 2020. La topographie et le relief de la des transports publics. ville sont favorables au vélo. Depuis quelques années, la ville matérialise de façon assez En somme, malgré un investissement considé- Berlin n’est plus systématique des bandes cyclables le long des rable dans les infrastructures du transport aujourd’hui le modèle axes principaux. Les conditions de la marche à public, la part modale des transports publics de qu’elle a été pour le pied sont améliorées ponctuellement en rédui- 26% (tous modes), ou 45% des modes motori- développement des sant les effets de coupure des routes princi- sés, reste relativement modeste. En comparai- transports publics. pales et par l’amélioration des signalisations son avec d’autres grandes villes européennes aux feux. (modes motorisés), Berlin se situe plutôt en dessous de la moyenne pour la part des trans- Le discours officiel de la politique et de l’ad- ports publics dans les déplacements motori- ministration est clairement en faveur des sés: Paris intra muros 74%, Varsovie 69%, modes actifs. Cependant une certaine timidité Vienne 54%, Barcelone 53%, Lisbonne 53%, s’observe face aux groupes de pression en Munich 50%, Madrid 47%, Greater London faveur de l’automobile. Cet immobilisme est 46%, Berlin 45%, Lyon 42%, Ile-de-France un des obstacles majeurs au développement du 31% et Rome 26% (16). Les zones actuelles de développement urbain

En quoi l’urbanisme berlinois facilite-t-il pas avoir été assez forte pour la réalisation de l’usage des transports publics? L’urbanisme ces tours. détermine la demande mais aussi l’efficacité de la production de l’offre et donc le coût des Les principes du Planwerk sont visibles de transports publics. façon exemplaire dans le plan d’urbanisme de Molkenmarkt. Cette place historique dans La re-densification du Centre-ville l’ancien centre médiéval n’existe plus aujour- d’hui et une grande artère traverse le site. La par le Planwerk Innenstadt mise en œuvre va commencer en 2013 avec la reconstruction de la rue suivant le tracé de Le Planwerk Innenstadt, décidé en 1999, l’ancienne voie, avec une largeur réduite. détermine les principes urbanistiques pour Après, un quartier dense et mixte – bureaux, toute la zone centrale de Berlin. Son principe habitations, hôtels, culture – va être construit directeur est la reconstitution de la densité sur l’emprise libérée. Le plan ancien ne sera urbaine, des îlots et une mixité des fonctions sur la base de la trame viaire historique qui avait disparu à beaucoup d’endroits. Ponctuel- 16) Wikipedia, http://en.wikipedia.org/wiki/Modal_share; lement, la construction des tours est autorisée. Lyon : www.sytral.fr/164-bilan-du-pdu-fin-2010.htm; Jusqu’à présent, la pression foncière ne semble Barcelone: www.sytral.fr/164-bilan-du-pdu-fin-2010.htm

Transports Urbains N°120 (juin 2012) 29 pas repris à l’iden- L’urbanisation de la zone autour de la gare est tique et permettra un projet majeur des années à venir. Pour la la construction partie nord le Masterplan Europacity a été d’un tramway en élaboré sur 40 hectares dans le cadre d’une site propre. Les procédure de partenariat public-privé. Le but piétons profiteront est ici aussi de construire un quartier mixte d’une rue traver- avec des bureaux, des ateliers et des habita- sable et remise à tions. l’échelle urbaine. À grande échelle la desserte de la zone proche Dans l’optique de de la gare centrale est excellente, mais la l’intégration entre desserte du site d’une longueur de 1,3 km par urbanisme et autobus sera difficilement faisable, car la transports, le Plan- voirie près de la gare n’y est pas adaptée. werk est globale- ment une réussite. De nouveaux hôtels particuliers La re-densifica- tion des zones à Friedrichswerder centrales déjà très bien desservies par Le projet de développement urbain à Frie- les transports drichswerder dans le centre médiéval est une publics permet de réalisation intéressante à partir du Planwerk mieux utiliser les Innenstadt. Au lieu de choisir un promoteur transports exis- unique, le terrain d’environ 2,5 ha a été décou- tants sans devoir investir dans des nouveaux pé en parcelles d’une largeur comprise entre n Figure 4 : Planwerk Innens- services. Une ville dense favorise aussi des 4,50 et 9,75 m, et vendu à des particuliers. Le tadt (extrait) ; propositions du trajets plus courts et encourage le vélo et la plan d’occupation des sols autorisait 5 étages plan en rouge, autres projets en marche, porteurs d’une bonne qualité de vie. pour créer des maisons mitoyennes privées. orange Malgré le prix élevé, tout a été vendu en quelques semaines. Ce développement montre L’intégration urbaine de la gare centrale de façon exemplaire qu’avec une offre adéquate, des particuliers aisés peuvent de La nouvelle gare centrale (Hauptbahnhof) a été nouveau habiter au centre-ville. inaugurée en 2006 en même temps que la nouvelle ligne souterraine nord-sud. Un arrêt du Du point de vue transports, le résultat est posi- RER est-ouest existait auparavant, mais les tif: la re-densification d’une zone centrale dessertes prévues par une autre ligne de RER, profite aux transports publics, car l’offre exis- une ligne de métro et un tramway ne sont tante est utilisée de façon plus efficace. toujours pas en service. Comme la gare est centrale mais dans une zone peu urbanisée, la desserte se fait alors essentiellement par autobus. Les sites de l’université Humboldt, Wista Adlershof Il y a deux places de la gare: l’une piétonnière au sud et l’autre dotée d’un pôle d’échanges au Sur les terrains d’un ancien aérodrome, fermé nord. La station de taxi et le dépose-minute en 1945 et partiellement utilisé depuis par la sont placés directement devant la gare tandis télévision de la RDA, la ville a développé un que de nombreux usagers des transports campus et un centre technologique. La zone de La re-densification publics doivent marcher, notamment traverser développement Wista est économiquement un d’une zone centrale une grande route pour arriver aux arrêts d’au- succès: aujourd’hui y étudient et travaillent profite aux transports tobus. Un arrêt provisoire a dû être ajouté, une 14000 personnes qui réalisent un chiffre d’af- publics, car l’offre boucle de retournement a été oubliée dans le faires de 2 milliards d’€ annuels (17). existante est utilisée de plan avec pour conséquence des bus-km inutiles et coûteux. Le projet urbain a claire- façon plus efficace. ment favorisé la forme urbaine par rapport à la 17) Die wirtschaftliche Bedeutung Adlershofs, Studie des DIW, 2011, fonctionnalité, avec cependant un résultat www.adlershof.de/uploads/tx_psdokugalerie/DIW_Studie_ architectural assez médiocre. adlershof.pdf

n Figure 5: Molkenmarkt – situations actuelle et projetée (graphique : R. Hänsch)

30 Transports Urbains N°120 (juin 2012) Malgré la distance de 18 km qui la sépare du site central de l’université, la zone est bien située, car les deux sites sont liés par une ligne RER. Wista est aussi bien accessible par la route que par les transports publics et n’est guère éloignée du futur aéroport unique de Berlin. Dans la réalisation du projet, la zone proche de la gare S Bahn est restée presque vide, ce qui met le centre de Wista à 1 km de la gare. Les trajets à pied ou le changement supplémentaire imposé à la descente du S Bahn rallongent sensiblement les temps de porte-à-porte. Un prolongement du tram de 1,2 km a été finale- ment mis en service en 2011. Comme il ne remplace aucune des quatre lignes d’autobus préexistantes, le volume de l’offre a dû être augmenté sans engendrer de recettes supplé- mentaires. Ce volume n’est pas dramatique mais constitue une contribution non négli- geable à la dégradation de l’économie des transports publics. Le campus de l’université HTW à Schöneweide – s’étend sur 130 ha de friches industrielles le long de la Spree, à 7 km du centre et à 1,5 km n Figure 6 : Friedrichswerder (photo : A. Wettig) Le campus de Schöneweide a été créé en 2009 du quartier existant de Friedrichshain. La pour regrouper des composantes de l’universi- densité est moyenne (entre 100 et 200 té HTW en expansion, dispersées sur plusieurs hab./ha). À l’heure actuelle, les deux tiers des sites. Le nouveau campus héberge des salles 4200 logements prévus ont été réalisés. pour 6000 étudiants sur un ancien site indus- triel en reconversion. Il est relié au deuxième La zone au nord de la Rummelsburger Bucht site de la HTW par la tangentielle Est du tram- est très bien desservie par une station de S way. Bahn et une ligne de tramway. Le projet contribue à mieux utiliser l’offre de transports Ici aussi le campus est éloigné de la ligne de existante, l’investissement encore nécessaire tramway, ce qui a nécessité la construction pour une voie terminus du tram permettant d’une boucle de retournement (figure 8) et la d’offrir un intervalle de 10 minutes semble mise en œuvre d’un volume d’offre supplé- raisonnable. mentaire. Une localisation plus proche du tracé de la ligne ou de la gare de S Bahn aurait Par contre la presqu’île de Stralau est problé- durablement évité ces coûts supplémentaires à matique au point de vue transports: deux la collectivité. lignes de bus sont nécessaires pour desservir la presqu’île, car l’habitat dense a été construit à l’écart de l’axe principal. Seule une ligne La zone de développement urbain rejoint la station de S Bahn, distante de 1,5 km, de Rummelsburger Bucht toutes les 20 minutes. Pour accéder à la gare à pied ou en vélo le chemin est peu attractif, n Figure 7 (à gauche) : La des- En prévision d’une croissance rapide de la surtout la nuit. Au final, malgré un coût impor- serte en transports publics de ville, Berlin avait créé plusieurs zones de tant, l’offre de transport reste peu dense et peu Wista (graphisme : R. Hänsch) développement urbain (Stadtentwicklungsge- attractive sur chaque ligne. Apparemment, la n Figure 8 (à droite) : La des- biet) dans les années 1990 pour créer des loge- desserte en transport public n’a pas été pensée serte du campus HTW en trans- ments. Situé à la limite est du centre-ville, à l’échelle locale, alors même que le réseau ports (cartographie : R. Hänsch) Rummelsburger Bucht – un site assez plaisant viaire avait été complètement reconfiguré.

Transports Urbains N°120 (juin 2012) 31 n Figure 9 : Aperçu de la zone de développement de Rummels- burger Bucht. Au fond l’habitat dense de Stralau. L’axe d’auto- bus se trouve de l’autre côté de la presqu’île (photo : A. Wettig)

Dans le but de maintenir des populations en ville, Berlin a essayé de concurrencer ses propres La zone de développement urbain de La desserte d’un quartier d’habitat périphéries en Wasserstadt Oberhavel individuel au nord de Pankow développant des zones Wasserstadt Oberhavel – un site également Parallèlement au développement des zones d’habitat individuel sur plaisant – est situé dans l’arrondissement de d’habitat, et dans le but de maintenir des popu- son territoire. Spandau, à la limite ouest de la ville. Il s’étend lations en ville, Berlin a essayé de concurren- sur 200 ha de friches industrielles le long de la cer ses propres périphéries en développant des Havel, à 15 km du centre-ville et à 4,5 km du zones d’habitat individuel sur son territoire. centre de Spandau. Il n’y a pas de desserte en Malgré un effort financier important de la TCSP, ce sont des autobus classiques qui collectivité (subventionnement du prix des desservent la zone. La densité est assez élevée terrains pendant une période), le résultat est (jusqu’à 500 hab./ha) et la moitié des 7500 mitigé. logements prévus sont actuellement réalisés. Un exemple important en est le quartier de La ville a développé ici une zone avec une Französisch-Buchholz, au nord de l’arrondis- densité de centre-ville, loin des réseaux perfor- sement de Pankow. Le lotissement avec au mants de transport. Ce secteur était en outre, total 4000 habitations a été créé sur 150 ha de jusqu’en 2012, affecté massivement par le champs à proximité de l’ancien village de bruit de l’aéroport de Tegel. On a cumulé les Buchholz, déjà desservi par un tramway. Le désavantages d’un centre-ville (bruit, densité) tram a été prolongé de 1,7 km ce qui semble avec ceux de la périphérie (trajets longs, offre une solution de transports adéquate pour cette insuffisante en matière de transport public). Le zone. Au final, le quartier fonctionne bien du développement de la zone traîne logiquement, point de vue des transports collectifs. n Figure 10 : Exemple d’évolu- tion de la population résidentiel- et a produit un coût élevé pour la collectivité. le 1996-2000 à Mahlsdorf Seule la desserte locale du centre de Spandau La densification non planifiée de l’habitat peut être qualifiée de correcte. Il reste un potentiel significatif dans la densifi- cation « spontanée » des quartiers résidentiels peu denses et (parfois illégalement) des jardins ouvriers dans l’Est de la ville. Comme les zones proches des gares du S Bahn ont souvent été urbanisées de façon plus dense dans les années 1920, ce sont surtout les zones mal desservies qui sont concernées. Le secteur de Mahlsdorf en constitue un exemple représentatif. Dans une zone éloignée du S Bahn, par division de parcelles aupara- vant d’assez grande taille, de nombreuses habitations ont été construites au fil des ans. Une ligne de tramway traverse bien secteur, mais la distance jusqu’au tram peut dépasser le kilomètre. La voie unique ne permet pas d’of- frir une cadence inférieure à 20 minutes. La voirie dans cette zone n’est pas appropriée pour une desserte par autobus et celle-ci serait économiquement peu justifiée du fait de densi- tés toujours assez faibles. Une situation semblable se rencontre à Karower Kreuz, où

32 Transports Urbains N°120 (juin 2012) malgré l’effort commun de tous les acteurs, on La densification de ces zones crée de l’habitat n’a pas trouvé de solution pour l’établissement mal desservi et affaiblit la position des trans- d’une navette d’autobus. ports publics. Conclusions Le principe directeur de la politique urbaine de desservie. Mais à petite échelle, l’intégration la ville de Berlin est le développement du des besoins en transport public se révèle centre de l’agglomération, où des réserves souvent insuffisante. Des longs trajets pour foncières sont disponibles. Cette politique est arriver à l’arrêt et des réseaux viaires ne favorable aux transports publics, car la capaci- permettant pas une desserte efficace en témoi- té actuelle des infrastructures de transport est gnent, avec au final des effets négatifs sur la largement excédentaire par rapport à l’usage compétitivité des transports publics et donc actuel, et beaucoup de stations ont encore une sur leur part modale. utilisation locale faible (18). La re-densifica- tion du centre-ville est complexe mais elle Il y a aussi le problème des délais: les lignes avance de façon continue. de S Bahn, métro et tramway desservant la gare centrale (inaugurée en 2006) ne sont L’évolution des parts modales est ambiguë. La toujours pas construites. Même constat pour le baisse sensible de la voiture individuelle tramway qui doit desservir la Wista, dix ans depuis 1998 et l’augmentation des trajets en après les constructions. En revanche, dans vélo ou à pied contribuent à améliorer le cadre l’euphorie du métro des décennies d’après- de vie. Cette évolution est conforme aux guerre, certains tronçons de tunnel ont été De longs trajets pour objectifs de la ville: 70% des trajets par modes construits par avance pour d’éventuelles doux en 2020 dans la ville, 80% dans le centre- extensions futures (20) qui ne sont d’aucune accéder aux arrêts et des ville défini par le RER circulaire. utilité à l’heure actuelle. réseaux viaires ne permettant pas une Cependant une baisse parallèle de la part Dans la période de forte croissance de la ville desserte efficace nuisent modale des transports publics est à constater jusque dans les années 1920 l’urbanisation à la compétitivité des (figure 11). Elle a été massive dans les années suivait naturellement les voies de transport. La 1990, dans un le contexte d’un rattrapage de la ligne de métro U3 a ainsi été construite par les transports publics. motorisation dans la partie Est, mais aussi en sociétés immobilières pour mieux vendre les raison de la réduction et de la concentration maisons dans le secteur. Encore dans les continues de l’offre par la BVG jusqu’en années 1980 les ouvriers des grands ensembles 2008. Cette dégradation de l’offre a favorisé le de Berlin-Est pouvaient se rendre au travail en vélo pour les trajets courts. Il faut y ajouter les utilisant des lignes de métro ou de tramway effets structurants des défauts à petite échelle, qui avaient précédé les constructions dans un décrits précédemment, qu’il est difficile d’es- contexte d’économie planifiée. timer. Malgré une administration unique, Senatsver- Une baisse supplémentaire de la part modale waltung für Stadtentwicklung, qui réunit urba- des transports publics déclencherait un cercle nisme et transports, les deux domaines restent vicieux car, pour faire des économies substan- assez séparés avec des responsables différents. tielles, une réduction consécutive de l’offre Dans une grande ville, cette intégration est par serait nécessaire, ce qui réduirait encore la principe plus difficile que dans une petite ville, clientèle. Il est donc essentiel de stabiliser puis où il suffit parfois que deux personnes d’augmenter la part des transports publics travaillent bien ensemble pour arriver à des pour atteindre l’objectif politique des 70% à bons résultats. À Berlin, le partage des tâches 80% de modes doux. avec les arrondissements, responsables des petits développements urbains et des travaux Pour renforcer l’attractivité des transports de voirie, complique encore les choses. Si publics, la volonté de construire encore des l’administration centrale est responsable de la tunnels ne peut aboutir par manque de planification générale, c’est souvent le détail ressources financières. Il reste donc les qui fait la différence. Actuellement, l’usage mesures les moins coûteuses: priorité effecti- des instruments de communication sophisti- ve des trams et autobus aux feux, développe- qués, nécessaires dans une métropole, semble n Figure 11 : Évolution de la ment des sites propres, extensions du tramway. insuffisant à Berlin. Pour une meilleure inté- part modale des modes de Pour l’instant ces mesures sont ajournées pour gration entre urbanisme et transports, un effort transport, en % (19) vert = éviter un conflit potentiel avec le lobby de marche à pied, bleu = vélo, sur ces instruments semble nécessaire. jaune = transports publics, l’automobile. C’est surprenant dans une ville rouge = voiture individuelle où relativement peu d’habitants possèdent une voiture. Il faut ajouter des mesures d’effet immédiat du ressort des entreprises: améliora- tion de la qualité de service, marketing et bais- se des coûts. 18) En centre-ville: Westkreuz, Schöneberg, Südkreuz, L’intégration entre urbanisme et transports Tempelhof, Sonnenallee, Ostkreuz, Landsberger Allee, dans la planification semble insuffisante. Greifswalder Straße, Westhafen, Jungfernheide, Parades- trasse, Humboldthain. Source: Dieter Hoffmann-Axthelm, Comme nous avons pu le voir dans la troisiè- Berlin im Jahre 2010 – Planungsdefizite und Strategiebe- me partie, la desserte par les transports publics darf, dans: ARCH+ 201/202, 2011 est en principe intégrée aux projets urbains, 19) Ville de Berlin, Senatsverwaltung für Stadtentwicklung, Mobilität der Stadt - Berliner Verkehr in Zahlen, édition avec des bons résultats à grande échelle. De 2010 plus, la plupart des sites à développer se trou- 20) voir: http://berliner-unterwelten.de/die-blinden-tunnel- vent en zone urbanisée a priori déjà bien berlins.323.0.html

Transports Urbains N°120 (juin 2012) 33 Sylvanie GODILLON Nicolas LOUVET L’autopartage, déclencheur 6T-Bureau de recherche d’une mobilité alternative à la voiture particulière

Les récentes enquêtes de mobilité de type en s’appuyant sur une enquête quantitative Enquêtes Ménage-Déplacements montrent auprès de plus de 2000 adhérents d’un service une baisse de l’usage de la voiture depuis le d’autopartage, réalisée à l’échelle nationale. milieu des années 2000. La part modale de la Cette recherche est soutenue par l’ADEME voiture particulière baisse de 4 % dans des dans le cadre d’un appel à projets du PREDIT villes comme Lille, Lyon ou Rennes et elle (Groupe opérationnel n°3: « Mobilités dans passe sous la barre des 50 % dans des villes- les régions urbaines »). pilotes en matière de mobilité alternative comme Strasbourg ou Grenoble (6T-Bureau L’objectif de cet article est de comprendre de recherche, 2010). Si les automobilistes dans quelles mesures le développement Les différentes formules utilisent moins la voiture, un découplage entre d’une offre d’autopartage incite au report de l’autopartage la possession et l’usage est également observé modal. Au regard de la profusion de nouvelles (Rocci, 2007; Vincent, 2008), qui est favo- suscitent un intérêt rable au développement de nouveaux usages offres d’autopartage et des évolutions du légitime, mais il est plus contexte global (augmentation des prix du plus collectifs et partagés comme l’autoparta- rare d’étudier les ge (Rocci, Louvet, 2011). pétrole, politiques de limitation de la voiture particulière dans les villes…), l’autopartage mutations des pratiques Alors que de nombreuses offres de voiture est amené à se développer d’ici 2030. Après de mobilité engendrées partagée voient le jour en France depuis le avoir montré les lacunes des recherches sur ce par cette nouvelle façon début des années 2000, 6T-Bureau de sujet, nous proposons d’analyser les effets de d’utiliser la voiture. recherche, en partenariat avec le réseau France l’autopartage sur la possession et les usages de C’est ce que propose Autopartage, propose de mesurer les consé- la voiture particulière, ainsi que sur l’évolution l’article consacré à des pratiques multimodales de déplacement. quences de l’autopartage sur le report modal l’autopartage, issu d’une enquête auprès de 2000 adhérents dans le cadre L’enjeu du report modal induit d’une recherche financée par le PREDIT. par l’autopartage Il en ressort que la pratique de l’autopartage entraîne L’autopartage permet également de stimuler Ces recherches, réalisées à Paris et en Suisse, une réduction de l’usage l’évolution des changements de comportement ne sont pas nécessairement représentatives des de la voiture, voire une de mobilité. L’expérience de Mobility CarSha- situations dans les autres villes françaises. En baisse de la propriété ring en Suisse montre que le kilométrage effet, Paris se caractérise par une forte densité d’un véhicule, et une annuel en voiture particulière de ses adhérents de population, une efficacité incomparable des diminue de 33 % à 50 %. Cette tendance forte transports en commun, un faible taux de moto- baisse du nombre de a été confirmée par l’étude que 6T-Bureau de risation et un faible usage de la voiture particu- kilomètres parcourus en recherche a réalisée en 2007 pour la Ville de lière. En Suisse, Mickaël Flamm a montré le voiture, grâce à la Paris sur le potentiel de développement de rôle décisif du respect commun de la propriété rationalisation des l’autopartage. Avant l’autopartage, les d’autrui et du faible niveau de criminalité déplacements. ménages motorisés (41 % de l’échantillon organisée sur le développement de l’autoparta- possédaient au moins une voiture dans le ge (Flamm, 2008). L’autopartage offre ménage) parcouraient en moyenne 1040 km en également aux automobile par mois et par ménage. Après L’enjeu actuel est ainsi de comprendre le personnes n’ayant pas de l’autopartage, 9 % de l’échantillon (avec au report modal rendu possible par l’autopartage voiture la possibilité moins une voiture dans le ménage) ne réalisait dans des contextes territoriaux où les offres d’effectuer des plus que 425 km par mois en automobile, de mobilité alternative à la voiture particuliè- auxquels s’ajoutaient en moyenne 126 km par re ne sont pas toujours aussi importantes qu’à déplacements mois en autopartage. Donc, pour les ménages Paris et où les cultures de la mobilité peuvent occasionnels par ce qui restent motorisés après le passage à l’auto- s’avérer différentes de ce que l’on peut obser- mode. partage, la baisse du nombre de kilomètres ver en Suisse. Si des recherches existent sur atteint presque 50 %. En prenant 100 % de l’autopartage, aucune ne quantifie les change- 6-t Bureau de l’échantillon, la baisse est encore plus forte, ments de pratiques de mobilité liées au passa- puisque le nombre de kilomètres est divisé par ge de la possession de la voiture individuelle recherche: trois. La moyenne de 590 km/mois tombe à à l’usage d’un véhicule partagé. Les enjeux 58, rue Corvisart 200 km/mois, soit 72 km/mois en automobile sont ainsi d’analyser les évolutions des 75013 Paris particulière et 128 km/mois en autopartage pratiques de déplacements tant en quantité www.6-t.fr (6T-Bureau de recherche, 2007). (nombre de kilomètres parcourus) qu’en

Transports Urbains N°122 (octobre 2013) 3 Source: 6T-Bureau de recherche, 2012

qualité (par mode de transport, motifs de lieu via Internet. En effet, pour l’essentiel des n Figure 1 : Services d’autopar- déplacement, fréquence de déplacements…). abonnés, l’organisation de l’autopartage s’ef- tage concernés par l’enquête et Quelles sont les conséquences, pour ce qui fectue par Internet: il est donc relativement taux de retours concerne les pratiques modales (tous modes aisé de toucher le public concerné en passant confondus), du passage de la possession par le Web. d’une automobile à l’usage? Il s’agira égale- ment de replacer le passage à l’autopartage Au total, 2090 abonnés ont répondu à l’enquê- dans le parcours de vie : comment le parcours te. Le nombre de réponses le plus important a de vie (arrivée d’un enfant, déménagement, été enregistré pour les abonnés d’Auto’tre- changement d’emploi…) exerce-t-il une ment en Alsace où il atteint 385 réponses. Les influence sur la fréquence d’utilisation des adhérents de CitéLib (Grenoble, Chambéry, différents modes? Annecy, Saint-Étienne), Autolib (Lyon), Lilas Autopartage (Lille) et Autobleue (Nice) ont Cet article s’appuie sur les résultats d’une également fortement répondu (entre 200 et enquête quantitative réalisée entre juillet et 300 réponses). Enfin, les adhérents d’Auto- 2090 adhérents octobre 2012 auprès des adhérents d’un servi- Cool (Bordeaux), d’Autopartage Provence ce d’autopartage. La diffusion de cette enquê- Marseille (Marseille, Avignon) et de Mobilib décrivent leurs nouvelles te a reçu le soutien de France Autopartage et (Toulouse) se sont un peu moins mobilisés pratiques de mobilité. de Veolia-Transdev. Elle s’est effectuée à (entre 100 et 200 réponses). travers les réseaux sociaux (Facebook, Twit- ter, forums des différents opérateurs). La À partir de cette vaste enquête quantitative, les méthodologie proposée est une enquête quan- principaux objectifs étaient d’identifier et de titative sur un échantillon de plus de comprendre la baisse induite des usages de la 2000 usagers d’un service d’autopartage voiture particulière, ainsi que les phénomènes répartis sur une vingtaine d’opérateurs en de report modal en lien avec un abonnement à France. L’administration de l’enquête a eu un service d’autopartage. La voiture: moins possédée et moins utilisée

Une baisse de la motorisation de voiture après adhésion. Cette baisse est L’autopartage réduit fortement les taux de également constatable pour les ménages motorisation des ménages adhérents. Avant possédant une voiture (50% avant contre 18% d’être abonnés, 39% ne possédaient pas de après) et deux voitures et plus (11% avant voiture alors qu’ils sont 78% à ne pas posséder contre 4% après).

4 Transports Urbains N°122 (octobre 2013) Plus précisément, l’abandon de l’unique voitu- Cette baisse de re du ménage est fréquent, puisque 76% des la motorisation répondants se sont séparés de leur voiture des ménages se après avoir adhéré à un service d’autopartage. traduit-elle par 95 % des ménages non-motorisés avant d’ad- un usage moins hérer à l’autopartage sont restés non-motorisés important de la et 25 % des ménages qui possédaient 2 voiture, qu’elle voitures ou plus ne sont plus motorisés après soit particulière leur adhésion à l’autopartage. La baisse de la ou partagée, ou motorisation est donc importante. les ménages se sont-ils séparés S’abonner à un service d’autopartage a permis d’un véhicule aux ménages de renoncer à l’achat d’une qu’ils utili- voiture (28 % des réponses) ou à se séparer saient peu sans d’une voiture (24 %). Au total, plus de la que leur non- moitié des réponses se traduisent par une bais- ou dé-motorisa- se de la motorisation. tion influence leurs usages de la voiture? n Figure 2 : Taux de motorisa- tion des ménages avant et après APRÈS l’adhésion à l’autopartage Motorisation aucune VP 1 VP 2VP ou plus Total aucune VP 96% 4% 0% 100% 1 VP 76% 24% 0% 100% n Figure 3 : Évolution de la 2 VP ou plus 25% 44% 31% 100% motorisation des ménages avant

AVANT /après l’adhésion à un service Total 78% 18% 4% 100% d’autopartage

n Figure 4 : « L’abonnement à l’autopartage vous a-t-il amené à : » (plusieurs réponses pos- sibles) Une diminution des kilomètres parcourus en voiture particulière et partagée Après l’adhésion à un service d’autopartage, le tion des kilomètres parcourus par mois en nombre de kilomètres parcourus en voiture voiture particulière et en voiture partagée. (particulière et louée en autopartage) diminue de 178 kilomètres par mois pour l’ensemble Les kilomètres parcourus en voiture (voiture des répondants, soit une baisse de 41%. Il particulière et voiture en autopartage) sont en s’agit cependant de faire le parallèle avec la baisse pour les ménages qui ont abandonné n Figure 5 : Évolution des kilo- motorisation pour affiner ce résultat global. Le leur unique voiture (moins 646 kilomètres par mètres parcourus par mois en tableau ci-dessous met en relation l’évolution mois) ou leur 2e voiture (207 kilomètres). La automobile selon la motorisation de la motorisation des ménages avec l’évolu- baisse de la motorisation se traduit donc systé-

APRÈS Aucune VP 1 VP 2 VP ou plus

Moyenne Moyenne Moyenne Moyenne Moyenne Moyenne km VP Moyenne km VP km VP Moyenne km VP km VP Moyenne km VP avant km AP après avant km AP après avant km AP après

Aucune VP 0 89 0053 318 0 19 960 1 VP 646 148 0 796 154 630 183 88 483 2 VP ou plus 816 172 0 723 112 404 1261 154 1070 AVANT Les chiffres en gris signalent de très faibles effectifs (moins de 5 répondants).

Transports Urbains N°122 (octobre 2013) 5 matiquement par une baisse des kilomètres sion à l’autopartage, l’utilisation de la voiture L’autopartage peut parcourus. est rationalisée. entraîner l’abandon du véhicule personnel et Pour les ménages qui n’ont pas changé leur Pour les ménages non-motorisés, l’autoparta- faire baisser le nombre niveau de motorisation, l’adhésion à un servi- ge leur permet d’effectuer 89 kilomètres par ce d’autopartage se traduit également par une mois. Pour ces ménages, l’autopartage est une de km parcourus. baisse du nombre de kilomètres parcourus. Si possibilité de réaliser des déplacements qu’ils ces ménages diminuent le nombre de kilo- ne réalisaient pas auparavant. mètres parcourus avec leur(s) propre(s) véhi- cule(s), ils ne reportent pas l’intégralité de Par rapport aux baisses enregistrées en Suisse cette baisse sur l’autopartage: les ménages par Mobility CarSharing (de 33% à 50%) et à possédant une voiture parcourent en moyenne Paris par 6T-Bureau de recherche (50%), la 12 kilomètres en moins par mois et les baisse du nombre de kilomètres parcourus se ménages possédant au moins deux véhicules situe dans la même tendance: nos résultats parcourent en moyenne 37 kilomètres en enregistrent une baisse de 41% pour l’en- moins par mois. Ainsi, même si le niveau de semble des répondants. motorisation reste identique après une adhé- Une baisse des usages de la voiture Les trois quarts des répondants n’ont pas davantage louer des voitures (15%), utiliser le conservé leur véhicule personnel. Parmi ceux taxi (8%) et partager un même véhicule pour qui l’ont conservé, 12% des répondants l’utili- un même trajet (le covoiturage est davantage sent moins depuis leur adhésion à l’autoparta- utilisé par 13% des répondants). Le report ge et moins de 1% l’utilisent davantage. modal ne s’effectue donc pas exclusivement vers les transports en commun urbains. À la Les modes profitant le plus d’une adhésion à différence d’autres politiques ou actions favo- l’autopartage sont la marche à pied (31% des rables à la diminution du trafic automobile, répondants utilisent davantage ce mode), le l’autopartage permet de limiter la saturation vélo (30%), les transports collectifs (25%) et du réseau de transports collectifs en incitant à le train (25%). Partager l’automobile dans le la « découverte » et à l’usage d’autres modes cadre de l’autopartage conduit également à alternatifs.

n Figure 6 : Évolution de l’utili- sation des modes de transport

n Figure 7 : Près d’un tiers des ménages déclare moins utiliser la voiture suite à leur adhésion à un service d’autopartage. Les changements se font surtout sentir pour les déplacements de loisirs et d’achats : plus de la moitié des répondants déclarent utiliser moins la voiture particu- lière pour ces motifs de dépla- cement.

6 Transports Urbains N°122 (octobre 2013) Les répondants estiment donc moins utiliser la une baisse quantitative et qualitative des voiture particulière. La diminution des usages usages de la voiture particulière. Cette tendan- de la voiture particulière est manifeste pour les ce s’accompagne d’un changement des déplacements de loisirs et d’achats. S’abonner pratiques de déplacements tous modes confon- à un service d’autopartage se traduit donc par dus. Un changement des pratiques de déplacements Répartition modale: diminue fortement (76 %). Inversement, les usages des transports en commun, du vélo et une plus forte multimodalité de la marche à pied sont en hausse. Comme pour les usages de la voiture en tant que Après l’adhésion à un service d’autopartage, le conducteur, les usages du deux-roues motorisé nombre d’usagers utilisant la voiture particu- sont en baisse, mais le nombre d’usagers est lière quotidiennement en tant que conducteur faible (moins de 100 usagers par jour). AVANT APRÈS n Figure 8 : Évolution des fré- quences d’usage quotidien des ÉVOLUTION modes de transport (tous les Nombre Part des Nombre Part des jours ou presque) d’usagers usagers d’usagers usagers

Conducteur de voiture 293 15% 69 4% -76% Transport en commun 768 40% 864 45% 13% Vélo 547 28% 661 34% 21% Marche à pied 681 35% 719 37% 6% Deux-roues motorisé 87 5% 77 4% -11%

L’adhésion à l’autopartage se traduit donc par sont liés à leur abonnement à Autolib, alors une baisse des usages quotidiens de la voiture que pour les autres services d’autopartage, la en tant que conducteur au profit des modes de moyenne se situe autour de 40%. Posséder une transports alternatifs à la voiture particulière voiture à Paris est en effet compliqué, l’arrivée (transports en commun, vélo, marche à pied). d’un service de location de voitures à l’heure De plus, les utilisations plus occasionnelles modifie les pratiques de déplacement de des différents modes sont fréquentes. En effet, ménages qui utilisaient peu la voiture avant au cours d’une semaine, les répondants utili- d’adhérer à Autolib. n Figure 9 : Évolution du nom- sent davantage la marche à pied (hausse de bre d’usagers hebdomadaires 13%), le vélo (hausse de 8%) et les transports Lorsque les changements de comportement des modes de transport avant et collectifs (hausse de 6%), alors que leur utili- sont principalement dus à l’abonnement à un après l’adhésion à l’autopartage sation occasionnelle de la voiture diminue service d’autopartage, 80% des ménages ne fortement (baisse de 57%). Offre de service d’autopartage, mais aussi hausse des prix de l’essence, volonté de chan- ger de modes de vie, déménagement en centre- ville, départ à la retraite… Quels sont les facteurs explicatifs de tels changements de pratiques de mobilité?

Les déclencheurs de changement: adhésion à l’autopartage et parcours de vie

Adhérer à un service d’autopartage pour changer de mobilité

41% des répondants estiment que les change- ments de comportement de mobilité sont dus à leur adhésion à un service d’autopartage. Les changements de comportement de mobili- té à Paris des adhérents d’Autolib à Paris sont fortement impulsés par leur abonnement au service d’autopartage: près des trois quarts déclarent que les changements d’habitudes

Transports Urbains N°122 (octobre 2013) 7 n Figure 10 : « Diriez-vous que vos changements d’habitude en matière de moyens de transport sont principalement dus : »

sont plus motorisés (contre 73 % pour l’en- dus à leur adhésion à un service d’autopartage, semble des répondants). Cette non-motorisa- 60% considèrent que ces changements s’expli- tion se traduit par une baisse des fréquences quent par d’autres événements du parcours de d’usage de la voiture particulière puisque les vie. Les événements principaux sont un chan- deux tiers des répondants ayant changé de gement professionnel (départ à la retraite, comportement en raison de l’abonnement au changement d’emploi, chômage, premier service n’utilisent jamais la voiture particuliè- emploi…), un déménagement ou une évolu- re en tant que conducteur (contre un peu plus tion de la composition du ménage (naissance de la moitié de l’ensemble des répondants). d’un enfant, séparation, divorce…). Les hommes sont surreprésentés dans les Les motivations varient significativement La pratique de répondants ayant cité l’autopartage comme un selon les événements du parcours de vie. Les l’autopartage déclencheur de changement de leur mobilité. répondants qui estiment que les changements accompagne souvent L’âge ne permet pas d’expliquer les réponses professionnels expliquent leurs changements l’évolution du parcours dans la mesure où les événements du parcours de pratiques de mobilité choisissent l’autopar- de vie surviennent à tout âge (déménagement, tage pour utiliser une voiture ponctuellement. de vie. divorce, naissance d’un enfant, changement Les répondants ayant déménagé se sont abon- d’emploi, perte de l’emploi, etc.). La proximi- nés à l’autopartage car ce système est plus té entre lieu de travail et lieu de résidence est pratique qu’une voiture personnelle. Les en revanche primordiale: les deux tiers des répondants dont la structure familiale a évolué répondants ayant modifié leurs comporte- estiment que l’autopartage leur revient moins ments de mobilité suite à leur abonnement à un cher qu’une voiture personnelle. service d’autopartage travaillent dans leur commune de résidence (contre 60% de l’en- Les changements de pratiques de mobilité ne semble des répondants). sont donc pas seulement dus au passage à l’au- topartage mais bien à des évolutions dans le La démarche des répondants ayant changé parcours de vie (déménagement, changement leurs comportements suite à leur abonnement de modes de vie, départ à la retraire, divor- semble plutôt volontaire: ils ont tendance à ce…). Le contexte territorial semble égale- parler de l’autopartage autour d’eux et accep- ment jouer un rôle important. tent d’être recontacté pour parler de leur comportement de mobilité, contrairement à ceux qui estiment que leurs changements de Un usage urbain où l’utilisation comportement sont dus à des événements de de la voiture est difficile leur parcours de vie. La proximité de l’emploi ou du lieu d’étude Figure 11 : « Si vos change- facilite l’usage des modes alternatifs à la ments d’habitude en matière de Une baisse des usages de la voiture moyens de transports sont prin- voiture particulière et ainsi à l’autopartage. En cipalement dus à d’autres évé- en lien avec le parcours de vie effet, plus de 60 % des répondants habitent nements, lesquels ? » (plusieurs dans leur commune d’emploi ou d’étude. La réponses possibles) Si 40 % des répondants estiment que les chan- majorité des répondants habitent en centre- gements de comportement de mobilité sont ville: la proximité du lieu d’emploi facilite les

8 Transports Urbains N°122 (octobre 2013) déplacements en transports collectifs ou en La réalisation d’une enquête auprès de plus de « modes actifs » (marche, vélo). Avant de 2000 adhérents d’un service d’autopartage au Figure 12 : L’impact de l’auto- partage sur le report modal s’abonner à l’autopartage, seuls 16% des niveau national a permis de quantifier et de n’est possible que pour les répondants utilisaient la voiture particulière qualifier l’impact de l’autopartage sur le report ménages des espaces centraux tous les jours ou presque. modal. S’abonner à l’autopartage se traduit par qui ont le choix des modes de une forte baisse de la motorisation des transports utilisés et qui ont des Résider en centre-ville facilite donc, assez ménages et une baisse des kilomètres parcou- difficultés d’utilisation de la voi- logiquement, l’usage des modes alternatifs à rus en voiture particulière. La diminution des ture particulière (comme les la voiture particulière automobile. Résider en usages de la voiture particulière se fait surtout phénomènes de congestion ou centre-ville se traduit également par des diffi- sentir pour les déplacements d’achat ou de les difficultés de stationnement) cultés d’utilisation de la voiture particulière loisirs. En effet, les « autopartageurs » utili- (congestion, stationnement…). Ces difficul- saient déjà peu la voiture pour des déplace- tés incitent les ménages à abandonner leur ments domicile-travail avant d’être abonné à unique voiture, puisque 70% des ménages l’autopartage en raison d’une localisation rési- stationnant leur voiture sur voirie n’ont plus dentielle en centre-ville et d’une proximité au de voiture après s’être abonné à un service lieu d’emploi facilitant les usages des modes d’autopartage. alternatifs à la voiture particulière.

Les « autopartageurs » sont généralement des habitants des centres- villes, où les contraintes pesant sur l’usage de la Références voiture sont plus lourdes qu’ailleurs. 6T-Bureau de recherche, 2010, Et si les Fran- VINCENT, S., 2008, Les « altermobilités »: çais n’avaient plus seulement une voiture analyse sociologique d’usages de déplace- dans la tête? Évolution de l’image des ments alternatifs à la voiture individuelle. modes de transport (à partir de l’analyse Des pratiques en émergence?, thèse de de 19 Enquêtes Ménages Déplacements), doctorat en Sociologie, Université Paris V. Publications du CERTU. Ville de Paris-ADEME, 2007, Étude sur l’au- FLAMM, M., 2008, « L’industrialisation de topartage à Paris Analyse des comporte- l’auto-partage en Suisse », Flux, n°72-73, ments et des représentations qui lui sont pp. 152-160. associés, rapport réalisé par 6T-Bureau de recherche ROCCI, A., 2007, De l’automobilité à la multimodalité? Analyse sociologique des Rapports d’activité et de durabilité publiés par freins et leviers au changement de compor- Mobility CarSharing Suisse, téléchar- tements vers une réduction de l’usage de la geables sous: http://www.mobility.ch voiture. Le cas de la région parisienne et perspective internationale, thèse de docto- rat en Sociologie, Université Paris V. ROCCI, A., LOUVET, N., 2011, « Autoparta- Pour des renseignements complémentaires sur ge, un levier pour l’organisation de l’offre les enseignements de cette enquête vous transport », Ville, rail et transport, n°519, pouvez contacter le cabinet 6T-Bureau de pp. 71-74. recherche: [email protected]

Transports Urbains N°122 (octobre 2013) 9 Yoann RISPAL Chef du projet Téléval Conseil général Le téléphérique urbain, une du Val-de-Marne solution pour l’Île-de-France

Le téléphérique a fait ses Depuis plusieurs années, le téléphérique public le perçoit de moins en moins comme preuves pour racheter urbain convainc de nombreuses aggloméra- réservé à la montagne. Le téléphérique présen- d’importantes tions à travers le monde: Barcelone, New te pourtant des qualités intrinsèques qui susci- dénivellations, mais son York, Rio de Janeiro ou encore Londres ont tent un véritable engouement, certains parlent usage en agglomération choisi ce mode de transport. La trentaine de téléphériques urbains réalisés depuis dix ans a d’effet de mode, pour nombre de collectivités et dans des conditions conforté leur pleine aptitude à répondre au françaises. En Île-de-France, une dizaine topographiques haut niveau de sécurité et de service qu’exige d’entre elles propose de mettre en place cette relativement le transport urbain de voyageurs. S’il brille par solution: le Val-de-Marne, Bagnolet, Charen- horizontales a été sa quasi-absence des réseaux de transport fran- ton-le-Pont, Romainville, Les Mureaux, etc. jusqu’à présent plutôt çais, le téléphérique est pourtant promu par la Les architectes de l’Atelier International du Loi qui l’identifie comme un mode vertueux et rare. C’est pourtant un Grand Paris, à l’image d’Antoine Grumbach, mode de déplacement économique. Il semble que ce mode de trans- port doit gagner la bataille de la crédibilité promeuvent aussi ce mode. Le téléphérique qui présente des auprès des autorités organisatrices et des urbain s’apprêterait-il à s’asseoir durablement avantages, dans la professionnels du transport alors que le grand dans le paysage francilien? mesure où son emprise au sol est réduite aux pylônes et aux stations, Une solution sûre, véritablement durable et qu’il peut franchir des obstacles difficilement économique… réductibles par une La loi Grenelle I le stipule: le transport par d’euros par kilomètre, le nombre de stations emprise au sol sauf câble est le mode existant le plus sûr. Fruit ayant un impact sensible sur le coût global de viaduc ou tunnel. d’un savoir-faire ancien et d’une extrême la ligne, plus encore que le débit. Plusieurs projets sont en rigueur technique, ce constat apaise les train de naître pour premières inquiétudes que peut susciter cette L’estimation des coûts reste en effet un exerci- installation en ville. Organe vital des téléphé- ce délicat: d’une part, les téléphériques renfer- proposer cette riques, le câble offre les principaux avantages ment des systèmes variés qui épousent un site technologie fiable, dont et les limites de ce mode. Actionné par un unique (longueur, nombre de stations, dimen- la capacité peut être moteur électrique en station, le câble dispense sionnement). D’autre part, en milieu urbain, le adaptée aux besoins. Le les véhicules de motorisation embarquée et coût de l’insertion paysagère et architecturale département francilien garantit de facto l’absence totale d’émissions est une variable d’ajustement non-négligeable. de gaz polluants ainsi qu’un silence en ligne De plus, le recours aux téléphériques est géné- du Val-de-Marne appréciable. ralement dicté par les contraintes de site qui développe un projet, mettent à contribution leurs importantes capa- appelé Téléval, dont la Durables à plus d’un titre, les téléphériques cités de franchissement. Ils peuvent effective- mise en service est ont une faible consommation énergétique, ment s’affranchir des coupures sans en prévue pour 2018. d’autant plus qu’elle peut être diminuée aux engendrer de nouvelles et sans ouvrages d’art. heures de faible fréquentation, sans diminu- Ce sont ces coupures, dès lors qu’elles empê- tion équivalente de l’offre. Son caractère chent à tout autre système de transport de Yoann Rispal: économique réside aussi dans sa mise en répondre à un besoin de desserte à un coût [email protected] œuvre rapide à des coûts d’infrastructure bas, supportable pour la collectivité, qui rendent le notamment au regard du débit offert. En effet, câble pertinent. Cette pertinence n’est en rien s’ils peuvent atteindre des débits supérieurs affaiblie par les coûts d’exploitation compéti- aux BHNS et équivalents aux tramways sur tifs des téléphériques. Toutefois, en l’absence fer, les téléphériques demeurent bien moins d’alternative technique acceptable, le coût coûteux que ces systèmes traditionnels. d’un téléphérique urbain (déjà limité) reste-t-il Certaines associations avancent un coût d’in- central? Dès lors, la bonne justification de ce frastructure de 5 millions d’euros par kilo- recours au câble demeure primordiale. Son mètre… Néanmoins, l’utilisation d’un tel ratio acceptabilité dépend très largement de cette global s’avère peu représentative. Les projets justification, l’exemple du projet avorté d’Is- actuellement conduits en France offrent des sy-les-Moulineaux est riche d’enseignements ratios plus réalistes, de l’ordre de 15 millions sur ce point.

18 Transports Urbains N°122 (octobre 2013) …mais un choix justifié par le territoire

Le choix d’un téléphérique ne peut résulter est beaucoup plus vaste, car il affranchit de d’une simple volonté politique ou d’une l’ensemble des coupures qui morcellent les revendication associative. Il doit être justifié territoires: dénivelés et dépressions mais aussi par les caractéristiques physiques du site et par cours d’eau, emprises routières, ferroviaires, les besoins. Contrairement aux idées reçues, logistiques… En milieu urbain, ces obstacles l’unique vocation du téléphérique n’est pas de foisonnent et les avantages de ce mode de remédier à un relief tourmenté. Son créneau transport s’avèrent très attrayants. Quels freins au développement des téléphériques urbains? Capables de transporter sur plusieurs kilo- sont progressivement levées, comme celles mètres jusqu’à 3500 personnes par heure et par qu’impose la législation. Malgré l’adoption de sens, accessibles par tous et non polluants, les textes incitateurs par le législateur tel l’article téléphériques peinent pourtant à s’installer premier de la loi LOTI et de la loi Grenelle I, le dans les villes françaises. Comment expliquer téléphérique ne jouit pas d’un régime favo- ce paradoxe? Quelques pistes peuvent être rable en milieu urbain. Grâce à la mobilisation avancées. Parmi elles, la méconnaissance des des collectivités porteuses de projet, du Grou- téléphériques en tant que mode urbain par pement des Autorités Responsables de Trans- nombre d’élus, d’autorités organisatrices et de ports et du Ministère des Transports, un projet bureaux d’études constitue un frein important. de loi est d’ores et déjà rédigé et sera soumis Il n’est pas à écarter d’ailleurs que des élus ou avant la fin de l’année 2013 au Parlement. Ce bureaux d’études se censurent lorsqu’ils projet et son décret d’application doteront le songent sérieusement au téléphérique urbain téléphérique d’un cadre réglementaire de droit tant, parfois, le rejet peut être vif, le projet commun en milieu urbain, plus précisément en paraître utopique. Par ailleurs, les limites du milieu non touristique. Ainsi, les procédures mode sont connues: tracé rectiligne entre deux d’urbanisme réglementaire seront simplifiées, stations, survols, impacts paysagers principa- ouvrant la voie par exemple aux servitudes lement. Le sentiment NIMBY est-il plus craint d’urbanisme ou aux conventionnements afin Le téléphérique peut pour ce type d’infrastructures? Une corréla- d’assurer la réalisation d’une ligne en ville. transporter jusqu’à tion existe probablement entre acceptabilité Avant cette loi, l’expropriation était le princi- urbaine du téléphérique et attente de desserte pal outil pour asseoir un projet: on devine les 3500 personnes/ efficace par la population. D’autres limites conséquences en milieu bâti… heure/sens. Le Téléval, le téléphérique du Val-de-Marne, premier d’Île-de-France Fin 2006, le téléphérique d’Issy-les-Mouli- Ile-de-France, notamment sur l’accueil réser- neaux était voué à relier le métro au fort d’Issy. vé des projets qui ont suivi. Pourtant, plusieurs Défendu en concertation préalable, ce projet collectivités franciliennes s’intéressent au fut abandonné à l’approche des élections câble. Parmi elles, le Conseil général du Val- municipales… Cet échec laisse des traces en de-Marne qui soutient depuis 2008 un projet

n Vue d'architecte d'une station du Téléval (source : Agence Grumbach)

Transports Urbains N°122 (octobre 2013) 19 de télécabine urbaine entre Créteil, Limeil- la population sont très positifs. Loin des Brévannes, Valenton et Villeneuve-Saint- clichés ou des questions sur les peurs, les 300 Georges. participants des réunions publiques tenues se sont intéressés de près à la technologie, au Ce projet, baptisé Téléval, est appelé à relier niveau de service, à l’accessibilité, à la régula- dès 2018 plusieurs quartiers populaires et rité. Malgré le caractère atypique du mode, enclavés de Villeneuve-Saint-Georges, c’est avec bienveillance et sans crainte que la Limeil-Brévannes et Valenton à Créteil et la population a validé le choix du téléphérique. ligne 8 du métro. Si le téléphérique s’est impo- L’intrusion visuelle, tant attendue par les orga- sé dans ce territoire densément bâti et peuplé, nisateurs, n’a pas été au rendez-vous. Il faut c’est parce que les solutions plus « tradition- dire que l’insertion du projet aide et que les nelles » ont montré leurs limites comme leurs 55000 habitants du secteur subissent depuis capacités restreintes face aux franchissements. plusieurs années la congestion routière, l’irré- En effet, Créteil est séparée des communes de gularité des horaires de passage des autobus, Valenton, Limeil-Brévannes et Villeneuve- etc. Le Téléval propose de diviser par trois les Saint-Georges par de nombreuses coupures temps de parcours par rapport au réseau de urbaines: le faisceau fret de Valenton, une transport actuel. Une petite révolution pour les autoroute urbaine, un chantier combiné, des usagers actuels du réseau d’autobus. Aussi, sa lignes à haute tension, la ligne à grande vitesse fiabilité a convaincu, ce mode étant par princi- Paris-Lyon-Marseille, des entrepôts logis- pe en site propre et offrant des taux de disponi- tiques, etc. Pour identifier le mode le plus bilité très élevés. Cette première présentation à adéquat pour répondre aux besoins du secteur la population est très encourageante, et elle à moyen et long termes, une étude comparati- confirme la nécessité du travail préalable à ve a été conduite par le Syndicat des Trans- ports d’Île-de-France. Les résultats, dévoilés conduire sur l’acceptabilité, la justification le 26 septembre 2013, sont sans appel: le télé- modale, la pédagogie; un travail probablement phérique urbain est la solution pour ce territoi- plus poussé que sur les projets de BHNS ou de re particulier. En effet, au regard des études de tramway. Le téléphérique urbain appelle une conduite de projet plus fine, qui doit intégrer Le Téléval sera long de trafic, de la géographie du secteur, des oppor- tunités foncières et des possibilités technolo- les spécificités du mode tout en tendant vers 4,5 km, avec cinq giques, le téléphérique urbain a été validé. Il les autres modes car il s’agit bien d’un mode stations, il transportera s’agit plus précisément d’une télécabine, urbain, d’un TCSP appelé à répondre, dans un 13000 personnes/jour. longue de 4,5 kilomètres, composée de 5 contexte bien précis, aux besoins de certains stations et devant transporter, à sa mise en territoires. service, 13000 voyageurs par jour. Le Téléval présente aussi une particularité déterminante: Le Téléval sera le premier téléphérique urbain plus de 75% de son tracé est aussi constitué d’Île-de-France. Préalablement, au niveau d’emprises publiques, simplifiant considéra- national, Brest et Toulouse auront inauguré les blement les acquisitions foncières, les conven- premiers téléphériques urbains modernes du tionnements mais aussi l’insertion urbaine, ses pays. Toutefois, l’avenir du téléphérique emprises étant à proximité immédiate des urbain se limite probablement à quelques sites poches d’habitats mais vides d’habitants. en France: 5, 10, 20? Il ne s’agit pas pour ce mode de répondre à tous les maux des villes. Convaincu de la pertinence de ce projet, le Sa redécouverte et son retour ont été maintes Conseil général du Val-de-Marne et les fois annoncés. Grâce aux échecs passés, le communes concernées ont présenté le projet à téléphérique urbain a peut-être atteint son âge la population en octobre 2013. Les retours de de raison.

n Istanbul, Pyer Loti Teleferik (Sept. 12, Y. Rispal). L’intégra- tion urbaine des téléphériques doit être une préoccupation des collectivités porteuses de pro- jet. Un appareil de montagne ne peut pas être transposé en ville. Une réflexion paysagère et architecturale sur le triptyque stations-appuis-cabines est nécessaire en ville.

20 Transports Urbains N°122 (octobre 2013) MICHEL VRAC Laboratoire ThéMA Déclin et réorganisation UMR-6049, Université de des lignes transversales Franche-Comté en France

Les lignes transversales ont toujours été des Pour accompagner cette évolution de la SNCF, liaisons secondaires de l’organisation centrali- l’État a commencé à changer de politique. À sée du réseau ferré français à partir de Paris. Le l’initiative de Dominique Bussereau (1) et de développement du TGV a amplifié ce phéno- Guillaume Pépy (2), les liaisons intercités (23 mène en reportant les relations entre les métro- lignes de jour et 10 de nuit) ont été inscrites poles sur les lignes à grande vitesse. En dans le cadre de la convention TET « Trains parallèle, la régionalisation a renforcé le frac- d’équilibre du territoire » passée entre l’État et tionnement de ces lignes déjà constituées de la SNCF pour une durée de trois ans (2010- tronçons mis bout à bout. Les transversales 2013) et qui a été prolongée jusqu’en sont ainsi devenues des axes interrégionaux marqués par l’abandon progressif de leur décembre 2014. L’État est ainsi devenu une caractère national. autorité organisatrice des transports dans l’ob- jectif de maintenir ces liaisons classées d’amé- Délaissées par la SNCF, ces lignes posent la nagement du territoire. question de la politique de l’État vis-à-vis du réseau ferré classique. En 2005, l’État et la Cette convention TET arrivant à échéance, SNCF ont voulu transférer ces liaisons structu- quel bilan peut-on faire de ces politiques vis-à- rellement déficitaires aux régions. Face à leur vis des transversales alors que le contexte refus et sous la pression de l’État, la SNCF a ferroviaire devient paradoxal? En effet, si le regroupé les relations transversales et radiales transfert des relations transversales vers le parcourues en matériel corail sous le terme de TGV continue, la modernisation du réseau « corail intercités ». Seule la liaison majeure classique et les limites du tout TGV devien- Bordeaux-Marseille a bénéficié d’un matériel nent des enjeux majeurs comme l’ont montré modernisé sous l’appellation Teoz comme les conclusions du rapport « Mobilité 21 » Cet article réactualise pour les radiales vers Strasbourg, Toulouse et paru en juin 2013 et les conséquences de l’ac- un premier constat Clermont-Ferrand. Quant aux relations de cident de Brétigny (12 juillet 2013). nuit, elles ont été renommées « Lunéa ». De réalisé il y a dix ans (Transports Urbains fait, ce classement a été envisagé selon une De plus, l’engagement croissant des régions approche technicienne liée au type de matériel. dans les liaisons interrégionales pose la ques- n°105). Les lignes En janvier 2012, le terme d’« intercités » a été tion de l’interrelation entre intercités et TER transversales à long choisi pour regrouper ces relations qui ne rele- parcours font partie des vaient ni du TGV, ni des TER. Cette dénomi- sur les axes transversaux. Cette « interrégiona- nation reprend la terminologie courante des lisation » entraîne de profondes recomposi- liaisons TET dont la autres réseaux européens qui se fonde sur la tions qui amènent à s’interroger sur convention logique d’une desserte plus équilibrée du l’évolution de l’accessibilité des villes petites d’exploitation signée en réseau urbain national par le réseau de trans- et moyennes qui caractérisent ces lignes. 2010 arrivera à échéance port (Chauvin F., 2012). Si ce terme témoigne Enfin, le devenir menacé des transversales fin 2015. Leur desserte d’un nouvel intérêt pour le réseau ferré clas- ferroviaires doit être comparé avec les dyna- s’est considérablement sique, il reste imprécis et correspond d’abord à miques des autres modes de transports qui sont une opération de marketing. beaucoup plus attractifs sur ces liaisons. dégradée, tandis que la concurrence aérienne s’est intensifiée et que Le déclin des transversales, victimes de la d’autres modes concurrents se font faiblesse des intercités face au TGV menaçants (covoiturages, autocar Le transfert des relations métropolitaines faible part des transversales a été amplifiée depuis les années 1990-2000 par le transfert express). Le risque transversales vers le TGV majeur est que, dans un contexte budgétaire Le trafic intercités ne représente que « 10% sur le réseau ferroviaire national en 2011, près délicat, l’AO État jette l’éponge alors que le de quatre fois moins que le trafic des trains 1) Secrétaire d’État aux transports de 2007 à 2010. express régionaux » (3) selon le GART. Ce 2) Président de la SNCF depuis 2008. développement d’autres trafic se répartit entre 80% pour les relations 3) GART, 2013, “Les trains d’équilibre du territoi- offres semble montrer vers Paris (radiales) tandis que les transver- re”, Cahiers du GART, n°8, p.VII qu’un marché existe. sales n’en représentent que 20% (4). Cette 4) ibid p. VII

Transports Urbains N°125 (décembre 2014) 3 d’une partie de ce trafic vers le réseau TGV, ce Gannat pour travaux de rénovation a limité la ■ Fig. 1 - Évolution des lignes qui a renforcé la fragilité de ces axes. L’essen- liaison intercités de Bordeaux à Limoges transversales 1984-2014 tiel des flux à longue distance entre métropoles depuis décembre 2012. Cette décision a susci- a été capté par le TGV. té la crainte des élus et des utilisateurs qui ont lancé une pétition bien suivie sur internet Comme le montre la figure 1, le transfert via (8533 personnes en juillet 2014) pour que les l’Île-de-France des liaisons Nantes-Lyon en trains circulent de nouveau sur tout le parcours 1993 puis le même report des relations Nantes- après les travaux. Marseille lors de l’ouverture de la LGV Médi- terranée en 2001 ont réduit considérablement Comme pour les autres transversales, l’ouver- les relations entre les métropoles sur ces ture de la LGV Tours-Bordeaux en 2017 lignes. Le transfert des liaisons Lyon-Stras- risque d’entraîner le transfert des liaisons bourg via la LGV Rhin-Rhône en 2011 a Nantes-Bordeaux vers le TGV. On peut s’in- renforcé cette logique. Dès lors, Nantes-Lyon terroger sur la pertinence de cette logique car se réduit en semaine à la liaison Tours-Lyon le gain de temps sera limité et la ligne clas- tandis que Lyon-Strasbourg est devenu une sique, en perdant son caractère national, sera liaison TER Lyon-Besançon-Belfort. Enfin, fragmentée entre les régions traversées. l’axe Bordeaux-Lyon, déjà fortement affaibli depuis les années 1980, a actuellement dispa- Plus généralement, les liaisons TGV intersec- ru. La fermeture de la voie entre Guéret et teurs (celles qui ne partent pas des gares pari-

4 Transports Urbains N°125 (décembre 2014) Tableau 1: Nombre d’allers - retours en semaine intercités sur les transversales (hors trains de nuit) Nombre d’allers-retours intercités Liaisons transversales TET en semaine, service 2014

Bordeaux - Marseille 6

Bordeaux - (La Rochelle)- Nantes (1)-3

Tours - Caen 2

Tours - Lyon 2

Bayonne - Toulouse 1

Dijon - Reims 0

Bordeaux-Limoges/Lyon 1/0

Charleville-Mézières - Metz 2 siennes) représentent 40% du trafic TGV avec un très bas niveau pour ensuite la réduire (- une croissance supérieure à l’ensemble du 10% pour les intercités selon la FNAUT). trafic TGV de 1999 à 2009 (8% contre 4%). En 2009, 80% du trafic intersecteurs (17.6 Sur l’axe Bordeaux-Toulouse-Marseille qui millions de voyageurs) passent par les gares relie pourtant 3 aires urbaines millionnaires, la TGV franciliennes tandis que les 20% restants desserte de bout en bout est inférieure à celle (4.3 millions) regroupent les liaisons ne de Paris-Clermont-Ferrand (6 allers-retours passant pas par l’Île-de-France, qui se concen- contre 8). La comparaison de cette transversa- trent surtout autour du nœud lyonnais (fig. 9). le majeure avec celles des autres réseaux euro- La desserte des gares franciliennes qui repré- péens renforce ce décalage. En Grande- sente 40% du trafic intersecteurs demeure Bretagne, la grande transversale qui va de Lors de la signature de essentielle comme le souligne RFF: « Cet Plymouth à l’Écosse a une desserte beaucoup la convention en 2010, apport de clientèle est fondamental pour assu- plus élevée. Entre Bristol et Édimbourg la SNCF a fixé la rer l’équilibre économique actuel de la (distance équivalente à Bordeaux-Marseille), desserte à un très bas plupart des liaisons TGV intersecteurs. Sans il y a un total de 20 relations cadencées à l’heu- niveau pour ensuite la arrêt dans les gares d’Île-de-France, le trafic re de 6h30 à 16h30 pour un parcours de plus de province-province ne nécessiterait que la 6h. Plus que la vitesse, c’est la fréquence qui réduire. moitié des trains circulant actuellement » (5). est mise en avant en privilégiant l’effet réseau Cette part qui correspond au trafic transversal par des arrêts intermédiaires. Cette ligne est longue distance reste donc limitée bien qu’elle l’axe majeur de la compagnie privée Cross soit en croissance. Country qui regroupe l’essentiel des transver- sales du réseau ferré britannique. Ce décalage Ces évolutions révèlent un double problème: est similaire dans le cas du réseau centralisé d’une part, le trafic TGV intersecteurs reste espagnol. Exploitée par la RENFE, la liaison modeste malgré le transfert croissant de la Valence-Barcelone compte 12 relations quoti- totalité des liaisons directes entre les métro- diennes (350 km) contre 6 de Toulouse à poles françaises et, d’autre part, les lignes clas- Marseille (400 km) pour des bassins de popu- siques ont été démantelées en perdant ce trafic. lations équivalents. Ainsi, l’autonomisation croissante des rela- tions TGV (Zembri P., 2011) n’alimente pas Ce déficit de l’offre est lié à des raisons finan- assez le trafic des deux réseaux alors que les cières. Trois transversales figurent parmi les coûts d’exploitation augmentent (péage, sept liaisons qui concentrent les trois quarts du renouvellement de l’infrastructure et du maté- déficit des intercités. Bordeaux-Lyon, riel). Les deux systèmes risquent donc de se Hendaye-Toulouse et Nantes-Bordeaux ont condamner mutuellement. chacune un déficit d’environ 10 millions d’eu- ros selon le rapport de 2005 sur les trains inter- régionaux. Ces déficits, déjà mentionnés La faiblesse des intercités sur les relations dans un rapport similaire en 1995 (rapport transversales Barel), ont permis de justifier la dégradation du service depuis vingt ans. Cette politique de marginalisation est dénoncée par les usagers Le bilan des relations intercités transversales comme le signalent les enquêtes effectuées par est très modeste. Leur création a surtout la FNAUT sur Nantes-Bordeaux en 2013, où permis d’éviter que les liaisons les plus mena- 89% des usagers sont mécontents. Ces lignes cées ne disparaissent. Alors que les régions ont sont volontairement mises à l’écart alors augmenté la fréquence des relations TER, qu’elles peuvent être source de trafic. l’État est la seule autorité organisatrice qui ne soit pas intervenue dans la mise en place des horaires car ces liaisons étaient jugées trop coûteuses. Lors de la signature de la conven- 5) RFF, Rapport sur le projet de la LGV d’intercon- tion en 2010, la SNCF a donc fixé la desserte à nexion sud Île-de-France, 2010

Transports Urbains N°125 (décembre 2014) 5 « L’interrégionalisation » des transversales: desservir les villes moyennes et les métropoles

Face à de telles évolutions, les régions se sont lait vers les gares TGV périphériques. Cette progressivement substituées aux acteurs natio- relation a aussi une visée politique face aux naux. Elles ont réintégré ces axes transversaux critiques à l’encontre de cette LGV qui tend à dans la logique du développement de leur marginaliser la partie jurassienne du territoire réseau TER, ce qui correspondait à la réalité franc-comtois. du trafic de ces lignes, dominé aux deux tiers par des liaisons à courte et moyenne distances. Au-delà de l’aspect politique et territorial, l’enjeu est aussi social. En effet, entre Besan- çon et Lyon, l’offre de dix relations (6 TGV+4 Une « mise en TER » des liaisons TER) est l’une des plus élevées de France pour transversales TET une desserte transversale. Or, le différentiel de prix entre le TGV et le TER dissocie sociale- ment la clientèle. Le TGV, malgré les offres Le différentiel de prix Compenser la capture des promotionnelles, est d’un coût élevé pour des entre TGV et TER sur relations vers le réseau TGV populations à faible revenus. À l’inverse, l’offre TER, couplée à des abonnements, est une liaison commune L’abandon des relations à longue distance ou leur transfert vers le TGV est vécu par les moins chère avec un écart de 20 euros par dissocie socialement la acteurs locaux comme un déclassement, trajet. Ces relations entrent ainsi en concurren- clientèle. symbole de cette France périphérique margi- ce, d’autant que les temps de parcours centre à nalisé par celle des métropoles. Ce déclin est centre ne diffèrent guère pour la Franche- d’autant plus vivement ressenti qu’il contraste Comté. Elles révèlent ainsi les fragmentations avec la politique d’amélioration des liaisons sociales entre services ferroviaires. transversales des années 1970 au bénéfice des villes moyennes. Cet essor des relations TGV Autre cas de région intermédiaire, la région a obligé les régions à élaborer un système de Centre a créé, en collaboration avec Rhône- compensation pour maintenir des liaisons Alpes et Auvergne, un TER entre Tours et entre les villes moyennes et en direction des Lyon (1 AR par jour) en parallèle des deux métropoles limitrophes. Les régions sont liaisons intercités pour compenser en partie le devenues des opérateurs interrégionaux transfert de la relation Nantes-Lyon via l’Île de comme l’illustre le cas de la Franche-Comté. France en 1994. Cette relation a été doublée par une seconde offre Orléans-Lyon suppri- En 2011, le transfert des relations Lyon-Stras- mée actuellement. La ligne a aussi bénéficié bourg via la LGV Rhin-Rhône a obligé la de l’électrification du parcours Tours-Vierzon- région a créé des relations TER entre Belfort, Bourges-Saincaize (220 km) qui représente Besançon, Lons-le-Saunier et Lyon afin de l’investissement régional le plus important sur maintenir la desserte des villes petites et un axe transversal. Étalée de 2000 à 2011, moyennes le long de cet axe essentiel pour la cette modernisation vise à créer une voie alter- région. Ceci permettait également de conser- native au fret face à la saturation du nœud pari- ver une liaison vers Lyon au départ des gares sien et à élargir l’hinterland du port de Nantes centrales de Belfort, Montbéliard et Besançon tout en améliorant les liaisons voyageurs au moment où la desserte transversale bascu- régionales et interrégionales. Le projet de Voie Ferrée Centre Europe Atlantique (VFCEA) de Tableau 2: Importance des régions dans la gestion la région Bourgogne qui prévoit l’électrifica- des liaisons intercités transversales tion de la ligne Nevers-Chagny prolonge cette logique. Cependant, en l’état actuel, cette Type de gestion entre intercités et modernisation n’a pas réduit les temps de TER axes transversaux parcours ni accrue l’offre à l’échelon interré- gional. Bordeaux-Marseille 1 Liaisons totalement assurées en Bayonne-Toulouse intercités de bout en bout Nantes-Bordeaux Une politique de compensation des TER face aux faiblesses des liaisons Liaison mixte entre intercités et transversales intercités 2 TER interrégionaux à longue ou Tours-Lyon (ex Nantes-Lyon) Cette politique de compensation concerne moyenne distance Tours-Caen aussi les intercités sur les transversales. Une partie de ces relations est gérée conjointement avec les régions (tableau 2). Cette évolution a 3 Liaison intercités assurée en TER Dijon-Reims d’ailleurs été accélérée par la mise en place du en semaine et en TET le samedi cadencement initié en 2007 en Rhône-Alpes et nationalement en 2012 en amenant les opéra- Liaison intercités supprimée sur la teurs régionaux à penser leur réseau à un autre totalité du parcours et fragmentée Bordeaux-Lyon (intercités Limoges- niveau d’échelle. 4 en liaisons interrégionales à courte Bordeaux) ou moyenne distance assurées en Charleville-Mézières - Metz (ex Lille- Cette gestion complexe des intercités relève TER et/ou en intercités Metz-Strasbourg) d’un processus d’interrégionalisation, de « mise en TER » croissante d’une partie des

6 Transports Urbains N°125 (décembre 2014) relations transversales. Ce processus concerne surtout les liaisons entre régions limitrophes, soit sous la forme de collaboration entre régions (Caen-Tours), soit sous la forme d’une régionalisation élargie, où une seule région gère la liaison, comme Champagne-Ardenne sur l’axe Reims-Dijon. Cette mise en TER s’applique plus difficilement aux relations à grande distance comme le montre le cas de Bordeaux-Lyon (fig. 2). Sur cet axe, les quatre régions traversées (Aquitaine, Limousin, Auvergne et Rhône- Alpes), l’État et RFF ont signé le 29 avril 2002 une convention pour maintenir cette relation structurellement déficitaire. Ce protocole d’accord prévoyait le financement par les régions de la rénovation du matériel arrivé en fin de carrière (turbotrain) et la réouverture d’une seconde relation. Faute de trouver un matériel équivalent aux turbotrains, les régions ont dû prêter des rames TER X72500 en ne maintenant qu’un seul aller-retour. L’État et RFF s’engageaient à rénover l’infra- structure et garantir la desserte des villes moyennes. Les travaux ont été engagés entre Bordeaux et Limoges et, plus récemment, entre Saint-Germain-des-Fossés et Lavau- franche, ce qui a entraîné la fermeture de cette section. Si l’État a financé avec les régions et RFF la rénovation a minima de la ligne, l’ave- nir de la desserte n’est pas assuré. Cet abandon de l’État montre les limites du transfert vers les régions des relations longues distances, car ces acteurs ne privilégient pas les mêmes axes au-delà de leur territoire régional. Ainsi, la section centrale de l’itinéraire Bordeaux-Lyon via Ussel a été fermée car l’Auvergne ne veut pas financer sa modernisation, contrairement à la région Limousin (fig. 3 page suivante). naise, ce qui entraîne la fragmentation de cet axe. À l’ouest, les relations TER Bordeaux- ■ Fig. 2 - L’interrégionalisation Limoges ont permis de compenser la faiblesse des liaisons intercités transver- Cette double gestion entraîne aussi des confu- sales (2014) sions sur les missions de ces relations à des intercités (3 TER pour 1 intercités). À longues distances. Le TER interrégional a partir de Lyon, les relations sont surtout souvent un nombre d’arrêts bien plus élevé réorientées vers Clermont-Ferrand (7 allers- que celui des intercités. Par exemple, le TER retours), notamment depuis la suppression du Tours-Lyon via Paray-le-Monial a 22 arrêts rebroussement des trains à Saint-Germain- (6h) contre 8 pour l’intercités (5h20) car il des-Fossés qui a permis de gagner du temps correspond à une juxtaposition de dessertes face à la concurrence de l’A89. À l’inverse, le régionales (Centre-Auvergne-Rhône-Alpes). tronçon central entre le Limousin et l’Au- À l’inverse, des intercités ont de nombreux vergne se marginalise. arrêts comme sur Nantes-Bordeaux. L’échelle des relations TER et intercités est donc à Ce lien entre « interrégionalité », TER et repenser car, entre le régional, l’interrégional métropolisation se retrouve dans la plupart des de proximité et les liaisons longues distances, systèmes radiaux de relations autour des les missions ne sont pas clairement définies. métropoles. Les grandes villes du Bassin pari- Néanmoins, l’interrégionalisation des trans- sien bénéficient également de systèmes interré- L’échelle des relations versales a permis le maintien voire le renforce- gionaux similaires car elles sont d’anciens TER et Intercités est à nœuds ferroviaires majeurs comme Dijon. ment de la desserte des villes moyennes et des repenser car les missions métropoles. Parmi ces villes, Tours dispose de l’étoile inter- régionale la plus développée grâce à l’action ne sont pas clairement volontariste de la région Centre. La liaison définies pour chaque Interrégionalisation des transversales: Interloire (Nantes-Orléans) lancée conjointe- catégorie. ment par les régions Centre et Pays-de-la-Loire métropolisation et rôle des villes petites et en 1994 a été ainsi la première véritable liaison moyennes interrégionale pour relier les principales villes de l’axe ligérien entre Nantes et Orléans. En dehors des liaisons vers Paris, les autres rela- Interrégionalisation des transversales tions se dirigent vers les principales villes du et métropolisation Bassin parisien (Le Mans, Caen, Poitiers, Le lien entre interrégionalisation et métropoli- Nevers et Dijon) et vont même jusqu’à Lyon. sation est manifeste sur les transversales. Si Si les fréquences sont modestes (2 à 6 AR par l’on reprend l’exemple de Bordeaux-Lyon, les axe), elles témoignent d’un certain volontaris- relations interrégionales sont surtout organi- me pour maintenir la desserte des villes de cette sées vers les métropoles bordelaise ou lyon- France périphérique délaissée par les acteurs

Transports Urbains N°125 (décembre 2014) 7 sion de liaisons TER au-delà des limites régio- nales par captation de villes situées en périphé- rie des territoires régionaux. L’essor de relations venant de régions limitrophes souligne l’attraction que ces villes frontalières peuvent exercer sur le territoire régional voisin, que ce soit Nevers vers la région Centre ou Périgueux sur le sud-ouest du limousin. Dans le cas de Nevers, la région Bourgogne a développé les relations de cette préfecture excentrée vers la capitale régionale qu’est Dijon (9) à un niveau équivalent à celui de l’axe Nevers-Clermont-Ferrand (10) pourtant bénéficiaire de la desserte venant de Paris. Pour autant, c’est vers Bourges, située en région Centre, que les liaisons sont les plus nombreuses (11) témoignant du lien ancien entre ces villes de l’axe Nantes-Lyon et de l’extension du réseau TER Centre par-delà les limites régionales. L’exemple de Belfort est encore plus caricatural car il y a plus de liai- sons vers Mulhouse (20) que vers Besançon, la capitale régionale (18). Ces exemples témoi- gnent de l’influence de l’organisation des systèmes urbains sur l’évolution de l’offre TER régionale et interrégionale au-delà des limites régionales. Ce phénomène est d’autant plus visible sur les transversales que ce type de trafic est dominant étant donné le déficit des relations intercités.

Recomposition des pôles ferroviaires sur les transversales L’exemple des transversales témoigne ainsi de la mise en place progressive de systèmes radiaux TER interrégionaux autour des capi- tales régionales relayés par des systèmes radiaux organisés à partir de villes moyennes ou plus petites. Ces villes sont soit d’anciens nœuds ferroviaires qui déclinaient depuis les années 1980 comme Nevers ou Saintes, soit des villes préfectures dont le rôle ferroviaire secondaire a été renforcé par la régionalisation afin de relier les préfectures du réseau régional entre elles, comme en témoigne le renouveau du pôle ferroviaire de Bourges en région Centre. À l’inverse, certains nœuds du réseau ferré nationaux. Cette extension de l’interrégionalité deviennent des « gares mémoires » (fig. 3). ■ Fig.3 - L’interrégionalisation a un coût pour la collectivité régionale qui en Saincaize a ainsi perdu sa fonction de gare de des transversales : dynamiques montre ses limites. correspondance vers Nevers depuis le transfert différenciées des villes petites et de la liaison Nantes-Lyon vers le TGV. Les moyennes trains desservent désormais Nevers même si Interrégionalisation et desserte des villes l’arrêt à Saincaize est maintenu. Cette gare petites et moyennes sur les transversales devient ainsi la mémoire d’une logique ferro- Cette substitution des régions à l’État et à la viaire héritée. Située aussi sur cet axe, Saint- SNCF révèle l’absence de politiques sur la Germain-des-Fossés connaît la même question de l’accessibilité nationale des villes évolution. moyennes depuis les années 1970. La publica- tion du rapport de la DIACT a relancé en 2007 les réflexions menées sur ce sujet. Cette étude souligne le rôle essentiel des régions dans L’interrégionalisation des transversales: l’amélioration de l’accessibilité ferroviaire de limites et enjeux ces villes, notamment sur les transversales où le trafic dépend étroitement de ces relations Si la desserte des villes moyennes a été main- interurbaines. Ce volontarisme a fait émerger tenue voire renforcée par l’interrégionalisa- d’anciens ou de nouveaux pôles ferroviaires tion, la desserte nationale transversale s’est marginalisés par la politique nationale de la dégradée car l’offre de relations interrégio- SNCF. Il a permis aussi aux régions d’affirmer nales TER à longue distance et intercités leur contrôle sur un territoire. présente un faible niveau de fréquence. Par exemple, le nombre d’aller-retour direct de En effet, l’essentiel des relations interrégio- Limoges à Bordeaux a été réduit de 5 à 3 entre nales sur les transversales concerne l’exten- 2003 et 2014 tandis que les relations TER de

8 Transports Urbains N°125 (décembre 2014) part et d’autre de Périgueux se sont accrues Le devenir de cette section a fait cependant (14 à 15 vers Bordeaux et 8 vers Limoges). l’objet de plusieurs études menées dans le ■ Fig. 4 - Le transfert aux Ces gares frontières sont donc bien desservies cadre du contrat de projet État-Région Pays- régions des intercités: le cas pour les voyageurs locaux mais la fonction de de-la-Loire (2007-2013) et par le département des transversales de la réalité à l’avant-projet de décentralisa- transit s’atténue, bien que des correspon- de la Vendée. Plusieurs scénarios ont été tion (février 2013) dances soient proposées ce qui n’est pas proposés: la fermeture, la régénération des toujours le cas. L’interrégionalisation est frac- deux voies ou la mise à voie unique qui tionnée. permettait de réduire les coûts. Parallèlement, en Poitou-Charentes, la communauté d’agglo- mération de La Rochelle soutenue par le Le maintien de discontinuités conseil régional voudrait créer des relations L’organisation des transversales reste liée aux TER au nord de l’aire urbaine rochelaise vers stratégies territoriales des acteurs régionaux, Marans et le sud-Vendée. Si la périurbanisa- de la SNCF et de RFF. Les limites régionales tion participe au renouveau de l’intérêt pour continuent d’avoir un rôle important malgré cet axe, elle risque d’entraîner une nouvelle l’essor des relations TER interrégionales (fig. fragmentation car la modernisation pourrait 2). Sur l’axe Nantes-Bordeaux, la section La s’arrêter à Marans en limite de région. Finale- Rochelle - La Roche-sur-Yon, aux limites de ment en novembre 2013, le Comité de Pilotage régions SNCF et RFF, relie les Pays-de-la- (Copil) a décidé à l’unanimité des collectivités Loire et Poitou-Charentes. Elle n’a que trois concernées de moderniser les deux voies exis- intercités quotidiens et qu’une seule circula- tantes comme le demandaient depuis long- tion TER. De plus, la dégradation de voies très temps les associations d’usagers et les anciennes oblige à multiplier les réductions de syndicats cheminots. Le nouveau contrat de vitesse. Cette discontinuité est d’autant plus plan État-région (CPER) Poitou-Charentes flagrante que la région Pays-de-la-Loire a 2015-2020 prévoit de financer en partie cette beaucoup investi sur cet axe. La ligne est élec- modernisation mais l’inscription de cet axe trifiée de Nantes à La Roche-sur-Yon puis vers dans le grand plan de modernisation du réseau Les Sables-d’Olonne, ce qui a permis de ferré de RFF sera indispensable pour assurer la mettre en place des relations TGV vers Paris. pérennité du financement. À travers cet Les fréquences TER ont été également renfor- exemple, se pose la question du rapport entre cées de La Roche vers Nantes (plus de vingt régions et État afin d’assurer le devenir des AR) et, à l’échelle périurbaine, un tram-train a transversales. été aménagé de Nantes à Clisson en 2011. Cette modernisation témoigne de la capture métropolitaine nantaise de ce tronçon nord de Une interrégionalisation renforcée? la transversale. En revanche, aucun investisse- Une nouvelle convention des TET avait été ment n’a été fait entre La Roche-sur-Yon et La inscrite dans le projet de loi de décentralisation Rochelle. Ces villes sont devenues des gares coupures alors que le trafic augmente malgré la réduction de l’offre (+40% de 2005 à 2012 6) Conseil général de Vendée, Modernisation de la (6)) et que ces régions littorales sont attrac- transversale Nantes-Bordeaux, MESTRANS, tives. novembre 2013, p.15.

Transports Urbains N°125 (décembre 2014) 9 de février 2013. Elle prévoyait que l’État se régions limitrophes »! Ce critère est d’autant désengage de sa fonction d’AOT aux dépens plus surprenant que les relations TER entre des régions. Selon le GART, cette redéfinition Limousin et Auvergne sont des plus réduites. des TET aurait concerné « des trains desservant des agglomérations (de plus de 100000 habi- La perspective de ce transfert a été rejetée par tants) au sein de régions non contiguës en l’ab- les régions, car elles font face à des difficultés sence de liaison existante » (7) (fig. 4). La croissantes pour financer les TER alors que le compétence de l’État se serait réduite à neuf trafic continue de croître. Ces contraintes sont liaisons dont deux transversales incluant en partie liées à l’étalement des échelles du Bordeaux-Marseille, la seule rentable. Huit trafic TER: relations interurbaines régionales autres relations auraient été gérées conjointe- renforcées, essor du trafic périurbain et déve- ment entre État et régions. Enfin, les huit liai- loppement du trafic interrégional. Il leur est sons limitées à des dessertes entre régions donc difficile d’absorber cette charge supplé- limitrophes auraient été transférées aux régions. mentaire dans un contexte de restrictions Finalement, les régions auraient eu la charge budgétaires et de recomposition du rôle et de totale ou partielle de 16 liaisons TET sur 23. la taille des régions. Ce classement semblait peu cohérent car la Bien que ce classement ait été abandonné relation Caen-Le Mans-Tours, exemple type selon Jacques Auxiette, président de l’Asso- de liaison entre régions limitrophes, a été ciation des régions de France (ARF), l’État considérée comme relevant de l’État. À l’in- continue à privilégier le transfert aux régions verse, Bordeaux-Lyon, liaison par définition à d’une partie de la gestion des transversales. Ce longue distance, avait été présentée comme désintérêt contraste avec le renouveau des relevant des régions car « se limitant à deux axes routiers et aériens transversaux. Le développement de la route et de l’aérien sur les liaisons transversales:

L’État continue à un encouragement pour le ferroviaire? privilégier le transfert aux régions d’une partie Le développement des autoroutes déplacements transversaux (80% contre 10% à 15% en moyenne pour le rail), le trafic autocar de la gestion des transversales interurbain reste très faible: 100000 voya- transversales. Ce geurs/an en France alors que les intercités ont désintérêt contraste La période 1990-2013 a été marquée par la un trafic journalier total de 100000 voyageurs. construction d’autoroutes transversales qui a Rennes-Rouen est la seule transversale figu- avec le renouveau des connu un âge d’or entre 1990 et 2014 (doc 7). axes routiers et aériens rant parmi les dix premières liaisons routières Tous les axes ferrés transversaux délaissés car la concurrence ferroviaire y est inexistante parallèles. sont désormais doublés par des autoroutes (8). La volonté de développer cette offre est composées de sections mises bout à bout entre souvent évoquée mais elle est perçue comme les grandes radiales parisiennes. Des étoiles un simple transfert rail/route risquant d’ac- autoroutières se sont ainsi formées autour de croître la concurrence avec les TET déjà affai- chaque métropole, soulignant la métropolisa- blis. Elle doit être complémentaire dans des tion du réseau autoroutier comme pour le zones où les liaisons ferrées font défaut. TGV. Des tangentielles relient également les grandes villes du Bassin parisien afin de À l’inverse, le covoiturage ne cesse de détourner les trafics de transit de Paris. progresser, même si son niveau d’utilisation reste modeste. Ainsi, de Nantes à Bordeaux L’impact pour les villes petites et moyennes sur le site BlaBlacar (racheté par la SNCF), il y est plus nuancé. L’essor de ce réseau a permis a plus d’une vingtaine de départs quotidiens en de faire apparaître de nouveaux nœuds margi- semaine pour un prix moyen de 20 € contre nalisés par le réseau ferré comme Montluçon, seulement trois relations en train pour 50 €. Le Langres, La Roche-sur-Yon tandis que faible coût, l’adaptabilité de l’offre, surtout au d’autres nœuds se sont progressivement déve- dernier moment, et la mise en place de sites loppés autour de Vierzon, Brive, Dole, internet spécialisés performants expliquent Châlons-en-Champagne voire Niort. Ce déve- l’attrait pour le covoiturage sur ces liaisons où loppement rapide des autoroutes contraste l’offre ferroviaire est insuffisante. Le dévelop- avec la réalisation très lente de la RCEA pement du réseau autoroutier a amplifié la (Bordeaux/Poitiers-Limoges-Montluçon- croissance du transport individuel collectif en Moulins-Mâcon/Chalon) uniquement financée permettant de réduire les temps de parcours. par des crédits publics. Soutenue par la commission Duron, elle demeure une priorité Pour les relations de plus de 500 kilomètres, nationale étant donné l’importance du transit c’est davantage la concurrence aérienne qui routier international, mais le projet d’une mise est en jeu d’autant que ce marché n’a cessé de en concession autoroutière des tronçons dans croître. l’Allier témoigne des difficultés du finance- ment public. 7) Gart p.xvi L’impact de ces nouvelles autoroutes sur 8) Autorité de la concurrence, Quel avenir pour le l’évolution du transport voyageur est contras- transport longue distance par autocar en France? té. Si la part de la route est écrasante sur les 2013, p.31-32.

10 Transports Urbains N°125 (décembre 2014) L’essor du trafic transversal aérien

Le trafic aérien transversal a connu une progression relativement continue depuis les années 1990. La part de ce trafic correspond à presque la moitié du trafic radial. Cet écart ne cesse d’ailleurs de se réduire depuis les années 1990 car la part du trafic au départ de Paris recule face à la concurrence du TGV (tableau 3). Le trafic des transversales augmente donc régulièrement: Bordeaux-Lyon (+80% entre 2000 et 2012), Toulouse-Lyon (+50%), Nantes-Marseille (+127%). Les deux premières relations transversales aériennes françaises sont Bordeaux-Lyon (10 vols quoti- diens, 447340 passagers en 2013) et Toulouse- Lyon (357095 passagers, 7 vols quotidiens). Ce développement bénéficie aussi aux villes moyennes comme La Rochelle ou Poitiers (2 AR quotidiens vers Lyon). Si la part du trafic transversal (33% en 2012) a diminué au profit du trafic européen (34%), elle demeure importante pour les aéroports régionaux, d’autant que ce trafic continue de croître. Les aéroports les plus dépendants des transversales sont surtout situés au nord de l’axe La Rochelle-Lyon: Nantes (38%), Stras- bourg (45%) voire Lyon (38%), hub du groupe Air France pour les liaisons transversales (doc 9). Cet essor s’explique par l’accroissement de l’offre renforcé par l’arrivée des compagnies low-cost (Easyjet, Ryanair) qui y voient un trafic de niche où la concurrence du TGV est Face à la crise des transversales: ■ Fig. 5 - Le réseau autoroutier faible comme sur Bordeaux-Lyon. À de nouveaux projets ferroviaires? et routier transversal en France Marseille-Marignane, le trafic transversal (2014) aérien occupe ainsi le premier rang depuis L’intérêt pour les transversales semble renaître l’ouverture de la LGV Méditerranée et la créa- soit parce que la situation est tellement dégra- tion de la base de Ryanair a permis de créer des dée que des solutions d’urgence s’imposent liaisons transversales concurrentes de celles comme sur Nantes-Bordeaux, soit parce que d’Air France. La mise en place en 2013 de la des acteurs locaux soutiennent des projets compagnie Hop, qui regroupe d’anciennes ambitieux comme pour Nantes-Lyon. La région compagnies régionales du groupe Air France, Centre a ainsi électrifié la section Tours-Sain- vise à concurrencer ces low-costs notamment caize tandis que la région Bourgogne projette sur le marché des transversales en pleine muta- d’électrifier celle de Nevers à Chagny. Plus tion. La stratégie d’Air France pour dévelop- récemment, le parti Europe-Écologie-les Verts per une offre pertinente face à l’essor des propose de développer le principe du THNS compagnies low-cost sur ces relations contras- (train à haut niveau de service) sur cet axe en te avec l’atonie de la SNCF. En sera-t-il de réorganisant le projet de LGV Grand-Centre- même pour la SNCF si l’ouverture au privé Auvergne (GCA). En reprenant une terminolo- des liaisons ferroviaires intérieures de voya- gie en vogue pour les transports urbains, ce geurs est adoptée? THNS allierait nouveau matériel, vitesse et La stratégie d’Air Tableau 3: Évolution du trafic aérien transversal en France métropolitaine France pour développer une offre pertinente face à l’essor des compagnies Part du trafic Part du trafic transversal dans le low-cost sur ces Trafic radial Trafic transversal transversal par trafic des relations contraste avec passagers* passagers* rapport au trafic aéroports l’atonie de la SNCF. radial en métropole régionaux en métropole

1986 25851 5132 19,9% 42% 1990 34617 7146 20,6% 42% 2000 42348 11652 29,3% 39% 2006 35733 10919 31,5% 34% 2012 32912 14709 44,7% 33%

*(en milliers) - DGAC Trafic aéroportuaire 1986-2012

Transports Urbains N°125 (décembre 2014) 11 années 1990 ou celui de LGV GCA. Cepen- dant, elle s’inscrit dans une perspective plus large de modernisation des liaisons nationales ferrées classiques. La FNAUT a ainsi proposé en 2009 et en 2013 d’établir des schémas direc- teurs pour les lignes intercités en intégrant les TER voire les TGV et l’autocar. Le principe vise à mieux répartir l’offre en fonction de la distance et de la taille des villes en rétablissant une articulation coordonnée entre des relations directes (intercités), semi-directes (intercités et TER) et le maintien d’une offre interrégionale de proximité relevant du TER. Ce maillage permettrait de recréer un effet réseau sur ces axes qui bénéficierait autant aux métropoles qu’aux villes petites et moyennes. Conclusion La politique actuelle de l’État envers les trans- versales concerne d’abord le renouvellement du matériel corail en fin de vie. Le choix s’est porté à nouveau sur une solution régionale en adaptant des rames TER de type Regiolis pour les intercités, ce qui permet de favoriser l’in- dustrie ferroviaire en France en attendant un nouveau matériel. L’avenir repose aussi sur la question du financement des TET qui dépend actuellement à 89% de la taxation d’entre- prises ferroviaires, alors que la part versée en compensation par les sociétés d’autoroutes se limite à 11%. Or la création éventuelle de péages de transit poids lourds pour financer les infrastructures ne sera pas suffisante pour moderniser le réseau classique. Le principe d’un schéma national des services de transport élaboré par l’État a été inscrit dans la réforme ferroviaire de juillet 2014 pour garantir la desserte de ces axes mais l’État assurera-t-il réellement son rôle d’AOT? La pression risque aussi de s’exercer sur les régions alors qu’elles sont en pleine réforme territoriale. Ce redécoupage pourrait reposer la question de l’interrégionalisation des transver- sales et créer de nouvelles discontinuités. fréquence grâce aux lignes modernisées ou ■ Fig. 6 - Liaisons aériennes, nouvelles (de Paris à Orléans et de Roanne à Les projets de la FNAUT ou de THNS tracent TGV et intercités sur les trans- Lyon sans gares périphériques). Ce projet béné- des pistes de réflexion pour mieux coordonner versales partant de Nantes et de ficierait aux liaisons radiales et à celle de l’échelle de ces relations sur ces axes. Le tout Lyon Nantes à Lyon en desservant avec des temps de TGV ayant montré ces limites, les transver- parcours réduits les villes intermédiaires via les sales offrent, en effet, des opportunités de gares centrales pour connecter ces relations au trafic comme le montrent des réseaux euro- réseau TER. Cette volonté d’améliorer les liai- péens similaires, l’attrait des acteurs privés ou sons est-ouest n’est pas nouvelle comme le la multiplication de projets. Pour autant, les rappellent le projet de l’association ALTRO de fortes restrictions budgétaires laissent craindre LGV par le centre de la France lancé dans les une politique a minima dans ce domaine. Bibliographie Autorité de la concurrence, 2013, Quel avenir pour GART, 2013, Les trains d’équilibre du territoire, le transport longue distance par autocar en Cahiers du GART, n°8, 18 p. France?, 76 p. Esparre Sylvie (dir.), 2007, Les villes moyennes Carrouet Guillaume, 2013, Du TGV Rhin-Rhône au françaises, enjeux et perspectives, DIACT, 59 « Territoire » Rhin-Rhône: réticularité, mobili- p. té et territorialité dans un espace intermédiaire. FNAUT (Jean Lenoir coord.), 2013, Les trains Thèse de doctorat: géographie-aménagement, intercités de longue distance, l’analyse de la Université de Bourgogne, Théma, 524 p. FNAUT, 157 p. Chauvin Droz des Vilars Florent, 2013, L’insertion Zembri Pierre, 2011, « La grande vitesse ferroviaire des trains intercités dans une desserte interré- vainqueur de la libéralisation du ciel français? gionale de qualité. Le cas de la ligne Bordeaux- La stratégie singulière et payante de la SNCF de Marseille (transversale sud). Mémoire de conquête de la clientèle aérienne domestique », Master: géographie-aménagement, Université communication au colloque de l’AHICF Le rail de Cergy-Pontoise, 106 p. à toute vitesse Deux siècles de vitesse sur rail, Europe-Écologie les Verts, 2014, Le THNS un train trente ans de grandes vitesses, Paris, décembre qui n’oublie personne, dossier de presse, 18 p. 2011, 19 p.

12 Transports Urbains N°125 (décembre 2014) FRANÇOIS DE FLEURIAN urbaniste et La densité urbaine nette des ingénieur transports francois.de-fleurian villes de province de 100 000 @orange.fr à 500 000 habitants et les facteurs favorables à la réalisation de réseaux de transport en commun en site propre

Si les résultats de la première phase des études préalables du TCSP d’Amiens avaient nettement mis en évidence un corridor privilégié et tendaient au choix du tramway comme mode de transport préférentiel, de nombreux éléments comparatifs ont été rassemblés en termes de densité urbaine nette, de rendement du versement transport et de densité aux abords des corridors des TCSP de surface. Ces éléments ont permis aux élus de l’époque de faire le choix d’une première ligne de tramway amiénoise alors que les arguments habituels de la trop petite taille de l’agglomération (163000 habitants pour l’unité urbaine) et de la trop forte importance de l’investissement à consentir – 200 millions d’euros HT environ – étaient avancés avec vigueur. L’inter- ruption du projet n’a pas eu pour cause les éléments ici rassemblés mais bien plus un déficit de communication préalable sur le projet et le partage de l’es- pace public qu’il entraînait. Densité urbaine nette et Essayer de mesurer si la transports en commun urbains population des Autorités La densité urbaine (1) est un facteur favorable teurs (qui fonctionnent selon des rythmes tem- Organisatrices des aux transports puisqu’elle limite l’importance porels bien différents) rapporté à la surface transports publics est un des programmes d’investissement, celle des construite de l’unité urbaine. paramètre significatif de coûts de fonctionnement des réseaux et la faisabilité des engendre des clientèles plus élevées car un Les densités calculées par l’INSEE par simple nombre plus important d’usagers bénéficie de division du nombre d’habitants par la surface opérations de TCSP est meilleurs temps de transport. administrative à l’échelle de la commune ou après tout une bonne de l’unité urbaine ne peuvent convenir car le idée, cela méritait On sait que d’autres facteurs jouent également, pourcentage de surface construite est très vérification. Tel est le comme la concentration de l’emploi et la variable d’une ville à l’autre. but de cet article, qui disposition des générateurs sur les lignes fortes de transport en commun, mais leur rôle Le CERTU (devenu le CEREMA) a toutefois rapporte à la population paraît moindre. réalisé un très intéressant tableau statistique les principaux (2) sur les densités nettes des villes centres paramètres d’équilibre Dans des systèmes urbains où l’on sait que le françaises en 1999, qui en montre l’extrême du compte transport, financement des transports publics sera variété. que sont la densité toujours difficile à assurer, la densité est un facteur favorable à la mise en place de réseaux Leurs valeurs y varient en effet d’un facteur de urbaine nette, le efficaces. En effet, à population et à niveau de 1 à 3,5. Dans cette cohorte, la surface urbani- rendement du versement service égal, l’offre kilométrique à mettre en sée des communes varie de 10 à 85%, la popu- transport, les recettes ligne est inversement proportionnelle à la lation de la ville-centre dans l’unité urbaine de commerciales et la densité urbaine. 7 à 90% et l’on y distingue plusieurs familles contribution de la de villes plus denses que ne le laisserait suppo- La question de la mesure de cette densité est ser leur importance démographique. Il en est collectivité au transport un sujet délicat. Dans l’idéal, il faudrait dispo- ainsi de villes de la façade méditerranéenne et en tenant compte de la ser d’un indicateur composite associant habi- des vallées alpines mais également d’une série productivité. tants, emplois et usagers des grands généra- de villes du nord de la France, comportant un

Transports Urbains N°125 (décembre 2014) 19 Quand on s’intéresse aux seules aggloméra- tions françaises de 100000 à 500000 habi- tants, on remarque que les densités nettes y varient dans une plage de 1 à 4,7 et que l’ordre des agglomérations a changé. Amiens devient ainsi la cinquième agglomération de 100000 à 500000 habitants par ordre de densité nette, ce qui est un peu inattendu mais peut s’expliquer par plusieurs facteurs pour la période d’après-guerre: la reconstruction qui s’est étendue sur un certain nombre d’années, l’importance du tissu urbain des amiénoises (maisons individuelles étroites accolées en bande), une politique de maîtrise foncière, une stagnation démographique et un faible développement du réseau routier d’agglomé- ration. Sans que cela soit concluant ni automatique, car les valeurs ne sont pas établies à la même date et que toutes les villes n’agissent pas aussi résolument en matière de transports, les agglomérations les plus denses ont tendance important tissu urbain de maisons indivi- à être celles qui ont la meilleure offre de ■ Tissu d’amiénoises. duelles accolées comme Tourcoing, Calais, transport, la meilleure réponse en clientèle et Le tissu urbain de la première Roubaix et Amiens. la meilleure part modale des transports couronne d’Amiens s‘est consti- tué entre 1830 et 1920. Il est collectifs (3). essentiellement constitué de À l’échelle des unités urbaines, une base de maisons individuelles accolées données mondiale est en voie de constitution, En son temps (4), la Fédération Nationale des en bande, généralement assez qui a pour ambition de rassembler les données Agences d’Urbanisme et Pierre-Henri Eman- étroites, avec des variantes pour toutes les agglomérations de plus de gard avaient mis en évidence le mouvement selon les quartiers ; les « amié- 10000 habitants, à partir de 1800 et par pas de d’étalement urbain démarré après la seconde noises » peuvent ainsi revêtir un dix ans. Cette base, dénommée Géopolis, a été guerre mondiale. caractère bourgeois. Les cœurs développée par François Moriconi-Ébrard, d’îlots sont occupés par des géographe et directeur de recherche au CNRS. Il serait intéressant de mener aujourd’hui une cours ou des jardins mais aussi Nous avons utilisé les données de l’année rétrospective sur l’évolution respective des assez fréquemment pour le stationnement. 2010, où toutes les agglomérations ont fait taches urbaines, des réseaux de transport et de Les quartiers d’amiénoises l’objet d’une délimitation de la tache urbaine. leurs besoins en financement pour la période couvrent une part importante de L’intérêt de cette base, quand elle deviendra récente, d’autant que les situations les plus la ville et y hébergent une part librement disponible, sera de permettre des difficiles sont celles d’agglomérations à faible importante de la population, comparaisons internationales et temporelles. densité et en fort développement urbain. expliquant ainsi la forte propor- tion de maisons individuelles d’Amiens et sa forte densité. Ce type de tissu urbain se retrouve dans plusieurs villes du nord de Les facteurs d’équilibre du compte transports la France mais aussi en Belgique. Si l’on s’intéresse à l’équilibre du compte Le rendement du versement transport ramené analytique et synthétique des transports d’une au taux de 1% varie entre 31 et 116 € par an et collectivité, qui consolide les sections d’inves- par habitant pour les autorités organisatrices tissement et de fonctionnement de l’exploitant de plus de 100000 habitants, soit dans un et de l’autorité organisatrice, les flux princi- rapport de 1 à 3,7 (6). Amiens perçoit 106 paux qui l’alimentent sont en définitive peu €/an/hab. car l’agglomération concentre forte- nombreux. ment l’emploi d’un très vaste bassin de vie et qu’Amiens est capitale régionale. Les charges comprennent l’exploitation, les investissements courants et l’amortissement Pour être homogène, nous sélectionnons un des investissements exceptionnels; le princi- ratio de recette par an et par habitant, qui Les principaux postes pal poste de dépenses demeure l’exploitation, compose en définitive le nombre de voyages des comptes de très liée au kilométrage accompli par les véhi- par an et par habitant et la recette unitaire au transport public des cules de transport public. voyage. Pour les PTU de plus de 250000 habi- tants, ce ratio varie entre 24,50 € et 141,60 €, agglomérations varient À population et à niveau d’offre équivalents, le soit un rapport de 1 à 5,8. dans des proportions kilométrage à fournir est inversement propor- considérables quand on tionnel à la densité urbaine nette (dans un Le tableau 1 met en relation les principaux les rapporte à rapport de 1 à 4,7). Toutefois, la productivité éléments du compte transport et les éléments l’habitant… du réseau en amende ou en amplifie le coût physiques qui peuvent leur être rattachés. (dans un rapport de 1 à 2,9 (5)). Les grandeurs qui ont en définitive le plus Les recettes proviennent en règle générale d’influence sur l’équilibre du compte trans- pour plus de 50% du versement transport (et ports étant la densité urbaine nette et le rende- quelquefois beaucoup plus, 75% dans le cas ment du versement transport, nous avons d’Amiens) et pour une part moindre, mais dressé un graphique présentant les valeurs assez variable selon les réseaux, des recettes prises par ces données pour l’essentiel des de clientèle. agglomérations françaises comprises entre

20 Transports Urbains N°125 (décembre 2014) Tableau 1: principales variables du compte transport

Paramètres physico-financiers du compte transport

Charges/caractéristiques Qualité de du territoire l’offre Recettes/politiques urbaines et de déplacement

Dépend du niveau salarial Densité nette de 1 à 4,7 Versement 60-230 et de la Facteur positif transport au €/hab/an l’unité urbaine sur… taux effectif concentration …fréquence et de l’emploi finesse de la dans le PTU desserte Dépendent de la Offre Recettes 25-142 fréquentation et importante hors Facteur négatif commerciales €/hab/an de la unité urbaine tarification

■ Fig. 1 : Les agglomérations … la vitesse Participation du de 100 000 à 500 000 habitants 1 à 2,9 commerciale et budget général 0-160 (métropole) et leurs TCSP selon Productivité Facteur positif la régularité au compte €/hab/an leur densité urbaine nette et le sur… (site propre, priorité transport rendement de leur versement aux feux) transport.

Légende : Les losanges rouges correspondent à des tramways, oranges à des BHNS, le carré brun foncé à un métro ; lorsque les symboles sont cernés et de grand module, les lignes étaient en service commercial au 1/9/2013 ; on a alors précisé à côté du symbole la longueur actuellement exploitée.

Les villes sans projets bien identifiés ou partiels sont représentées par des losanges bleus.

Les agglomérations dont la trame de fond est verte ont plus de 10 km de lignes de TCSP tous modes en service par 100 000 habitants, celles dont la trame de fond est jaune en ont entre 6 et 10 kilomètres, les autres n’atteignent pas 6 km. On voit bien apparaître les agglomérations qui ont eu une politique ancienne et soutenue en faveur des TCSP ainsi que le cas particulier d’Orléans, qui a été rendu possible par une remarquable productivité.

NOTA : le lecteur attentif aura remarqué que l’on croise des données relatives au périmètre de transports urbains (PTU) et à celui de l’aire urbaine, qui sont loin d’être identiques. Toutefois, nous ne pouvons établir des informations de densité nette que pour quatre objets géographiques, le centre-ville, la commune centre, l’unité urbaine et l’aire urbaine et, sauf cas particu- lier comme celui de Valenciennes qui a été éliminé de l’analyse, l’essentiel des services de transport dessert l’aire urbaine et est donc financé par le versement transport.

Transports Urbains N°125 (décembre 2014) 21 Tableau 2: densités au kilomètre de ligne en On voit nettement apparaître sur ce graphique habitants, emplois, scolaires du second degré la facilité qu’ont les agglomérations les plus et étudiants à 500 m de quelques lignes de denses et celles dont le rendement du verse- tramway françaises ment transport est le plus élevé à mettre en œuvre une politique de déplacements s’ap- Montpellier ligne 1 15600 puyant sur un réseau de TCSP bien développé. Amiens 13000 De plus, les agglomérations les plus denses pourront à terme développer un réseau lourd Brest 8600 maillé plutôt que radial, à l’image de Stras- bourg, Grenoble et Montpellier, ce qui est Montpellier ligne 2 8400 évidemment favorable à l’usage des transports en commun. A contrario, des villes, par Dijon 8300 exemple Le Mans, ont développé de fortes politiques de transport en commun sans dispo- Tours 8200 ser de conditions financières et de densité Metz 8100 favorables; cela se traduit par un appel assez significatif au budget général de la collectivité Avignon 7800 et un équilibre plus fragile du compte trans- port. Source: Egis-Rail, valeurs de dossiers d’enquête publique Le graphique dressé en employant la densité humaine nette (c’est-à-dire cumulant habitants 100000 et 500000 habitants. Le graphique a et emplois au lieu de travail) présente la même été complété par l’indication du mode de allure générale. transport en site propre principal retenu par les agglomérations et du kilométrage d’infrastruc- Du point de vue de la recherche de tracés de tures de TCSP en service. lignes de tramway, on a de plus fortes chances

Tableau 3: Apport annuel moyen des collectivités au compte transports de quelques autorités organisatrices (AO) … ce qui conduit les agglomérations à taille PTU Contribution annuelle AO Agglomération x 1000 hab Structure AO financer de manière PTU, 2011. en M € en €/habitant plus ou moins élevée Tours 305 SM 0,0 0,0 leurs réseaux, avec des niveaux de qualité de Amiens 179 CA 4,0 22,3 service assez différents Angers 270 CA 6,4 23,7 et pourrait conduire à une impasse financière Clermont-Ferrand 289 SM 11,0 38,1 pour les métropoles en Brest 214 CU 9,9 46,3 développement sur de Caen 222 SM 12,9 58,1 vastes territoires. Nîmes 236 CA 14,0 59,3 Le Havre 245 CA 15,0 61,2 Avignon 179 CA 11,3 63,1 Besançon 182 CA 12,5 68,7 Le Mans 188 CU 14,0 74,5 Reims 213 CA 17,0 79,8 Bordeaux 722 CU 64,0 88,6 Lille 1126 CU 100,0 88,8 Dijon 251 CA 25,0 99,6 Orléans 280 CA 29,0 103,6 Toulouse 863 SM 92,0 106,6 Lyon 1289 SM 145,6 113,0 Strasbourg 476 CU 55,0 115,5 Nantes 598 CU 85,0 142,1 Grenoble 404 SM 64,0 158,4 Montpellier 419 CA 66,4 158,5 CU: Communauté Urbaine, CA: Communauté d’Agglomération, SM: Syndicat Mixte Sont pochés les syndicats mixtes qui ont historiquement associé des départements ayant significativement contribué au financement des réseaux de transport urbain Valeurs 2008-2012 communiquées par les Autorités Organisatrices

22 Transports Urbains N°125 (décembre 2014) de trouver des corridors présentant des bonnes C’est ainsi que Nantes (10) a vu s’accroître caractéristiques de densité dans une agglomé- considérablement la charge des transports ration dense. C’est ainsi qu’à Amiens, le corri- dans son PTU et que la collectivité envisage dor de la première ligne de tramway présente désormais, de concert avec la région, de struc- des caractéristiques de densité sensiblement turer la desserte de l’aire urbaine en modes plus élevées que des lignes réalisées, y lourds et de réduire la finesse de desserte du compris dans des villes nettement plus réseau d’autobus. La Communauté Urbaine peuplées. compte aussi sur le développement des modes actifs (vélo, marche) pour limiter la part de la Lorsque les recettes n’arrivent pas à équilibrer voiture particulière plus qu’en développant le les charges, il est fait alors appel au budget réseau de transports urbains, ce qui lui paraît général de la ou des collectivités concernées. financièrement inatteignable. Cette donnée n’est pas aisément accessible, sauf dans le cas de syndicats mixtes de trans- C’est ainsi également que Toulouse, où le port (SMTC) où elle apparaît dans les comptes Syndicat Mixte des Transports en Commun annuels. Toutefois, dans un certain nombre de (11) SMTC est lourdement endetté à la suite de cas, il a été possible d’obtenir la valeur moyen- la réalisation des deux lignes de métro, envisa- ne annuelle de ce transfert, qui, là aussi, est ge dans son PDU de forts développements de très variable selon les collectivités. Le tableau lignes de TCSP et de son offre. Dans sa répon- 3 rassemble ces données. se au rapport particulier de la Chambre Régio- nale des Comptes concernant le SMTC, le Le financement des transports urbains, par président de la communauté urbaine de l’impact qu’il a sur le budget des collectivités Toulouse s’engage à un fort accroissement territoriales, est un sujet important pour ces régulier de sa participation annuelle (12) à dernières et pour le GART. Il a fait l’objet de l’équilibre du syndicat. La métropole de nombreux rapports, suggérant de nouvelles Marseille, dans sa nouvelle organisation insti- pistes de financement et insistant souvent sur tutionnelle, va se trouver face à des problèmes la dérive financière du système. Il en est ainsi du même ordre. d’un rapport thématique de la Cour des Au terme de ce chapitre sur l’équilibre des Comptes de 2005 (7), qui concluait de la façon « L’offre de transport, si elle s’est comptes transport, on constate que la popula- suivante. tion des autorités organisatrices n’est certaine- modernisée, notamment par le développement ment pas le principal facteur facilitant une des transports en commun en site propre, a politique de transports publics et la réalisation Une bonne densité progressé de façon limitée et la fréquentation d’infrastructures lourdes. Par contre, une stagne. La part des transports publics de voya- urbaine nette de bonne densité urbaine nette de l’aggloméra- l’agglomération et geurs dans le total des déplacements au sein tion et une bonne rentabilité du versement des aires urbaines continue de baisser. Dans le transport sont des facteurs favorables. Dans un une bonne rentabilité même temps, le coût de ces transports collec- contexte de rareté de l’argent public, si la du versement tifs augmente et le déséquilibre structurel de tendance d’ensemble est bien identifiée, ce transport sont des son financement s’accroît. » sont les autorités organisatrices qui doivent facteurs favorables. réaliser un important programme d’infrastruc- Un rapport (8) confié par le Predit à une équipe tures de transport dans un contexte de fort de recherche dirigée par Bruno Faivre d’Ar- développement urbain pour lesquelles la situa- cier ne dit pas autre chose. tion est la plus critique. Dans les deux cas, l’effet de l’étalement urbain Dans un rapport récent (13) qui abordait à la fois sur l’affaiblissement de la demande et l’équilibre financier des collectivités territo- sur la nécessité d’augmenter l’offre n’est pas riales du bloc communal, la Cour des Comptes évalué. Par ailleurs, les différences considé- faisait la remarque que seuls les secteurs des rables dans la situation d’une collectivité à transports urbains et de l’énergie font appel à l’autre, comme nous l’avons vu au paragraphe des méthodes d’analyse socio-économique précédent, créent des cas de figure bien diffé- élaborées permettant de comparer les investis- rents (9) entre des collectivités disposant de sements entre eux et d’assurer l’efficience des marges de manœuvre importantes et des politiques concernées. Dans le nouveau collectivités qui doivent fortement accroître contexte financier des administrations leur offre dans un contexte de développement publiques qui se dessine, la Cour insiste pour ou de structuration urbaine sans disposer que soient mieux sélectionnés les investisse- nécessairement des moyens nécessaires. ments et qu’ils soient rentables au sens large. Une comparaison entre Amiens et Besançon Nous avons jusqu’à présent assimilé périmètre les nouveaux membres des communautés est de transports urbains et agglomération au sens la desserte en transport en commun. géographique (l’unité urbaine). Dans la réali- té, ces périmètres coïncident rarement (14) et L’agglomération de Besançon est vraisembla- on observe une extension nette des territoires blement celle qui a le plus de traits communs des intercommunalités, qui couvrent un large avec celle d’Amiens. Les deux communautés espace périurbain. Cette remarque est d’autant d’agglomération ont la même population et les plus importante que ces nouveaux territoires deux villes sont capitales régionales. Mais sont difficiles à desservir en transport en l’unité urbaine de Besançon est plus petite commun à un coût raisonnable et que précisé- (135000 habitants contre 160000 à Amiens), ment, le service public demandé en priorité par est nettement moins dense et la communauté

Transports Urbains N°125 (décembre 2014) 23 d’agglomération dispose d’un versement rieure à celle des villages d’Amiens Métropo- ■ Fig. 2 : Les taches urbaines transport moins élevé. le, ce qui implique pour l’autorité organisatri- d’Amiens (à gauche) et de Besançon (à droite), à la même ce de Besançon d’assurer une desserte de échelle. Traitement d’après Pour autant, poussée par un contexte urbain bonne qualité sur l’ensemble de son territoi- Urban Atlas. très défavorable (un centre historique très re; on compte ainsi sept allers-retours quoti- étroit, en forte pente et pris dans une boucle du diens entre la ville-centre et chacun de ces Doubs), la ville a dû développer très tôt un écarts. système de transport collectif efficace. Il n’est pas étonnant dans ces conditions que Bien que disposant d’assez peu de sites l’offre de Besançon soit largement supérieure propres, ce qui se traduit en termes de à celle d’Amiens. productivité, le réseau de bus de Besançon est arrivé à de très belles performances en Les efforts faits par Besançon, qui termes de demande (135 voyages par an et coûtaient 7 millions d’euros au budget par habitant, beaucoup plus dans l’unité général avant la mise en service du tram- urbaine). way, se sont traduits dans la part modale des transports en commun mesurée dans la L’agglomération comporte donc un centre dernière enquête ménages. Pour autant, urbain assez restreint et de nombreux l’essor de la périurbanisation, les difficul- villages, de taille moyenne nettement supé- tés à maintenir la vitesse commerciale du

Tableau 4: Comparaison entre Amiens et Besançon (15) Amiens Besançon Population de l’unité urbaine 160000 135000 Densité nette en habitants/km2 3048 2202 Population du PTU 179000 182000 Versement-transport en M d’euros/an 30,4 29,9 Versement-transport en euros/an/hab. rapporté au taux de 1% 106 91 Participation du budget général en M d’euros/an 4 7 Recettes en M d’euros 5,1 9,0 Recettes en euros/voyage 0,44 0,38 Productivité en km/agent roulant 15092 18505 R/D 16,5% 29,3% Offre en km/hab./an 32,7 37,1 Demande en voyages/hab/an 65 131 Part modale des transports collectifs urbains 6% (2010) 9% (2004)

24 Transports Urbains N°125 (décembre 2014) réseau d’autobus, la stagnation de sa clien- prenant en compte l’effet du tramway, permet- tèle et l’accroissement de son coût d’ex- tra l’agglomération de contenir le coût de son ■ À gauche. Le tracé du tram- ploitation ont amené la communauté système de transport tout en accroissant sa way dans le centre-ville de d’agglomération de Besançon à décider de clientèle. Besançon. Photo F. de Fleurian. réaliser une première ligne de tramway à ■ À droite. Le tramway au coût optimisé. Ce nouvel investissement permettra à l’agglo- centre de Montpellier. Photo F. mération de Besançon d’accroître significati- Beaucire. La négociation de la délégation de service vement sa part modale transport et de maîtriser public de l’exploitation du réseau de bus, l’évolution de son rapport R/D. Les efforts des agglomérations intermédiaires en faveur des tramways

Lorsqu’on compare la situation de l’agglomé- la demande tels qu’ils étaient quelques années ration d’Amiens avec certaines aggloméra- avant la mise en service, on obtient le tions de taille voisine, qui viennent ou qui vont graphique présenté par la figure 3. livrer leur première(s) ligne(s) de tramway et que l’on présente en indice les grands para- Toutes ces villes ont un versement transport mètres du financement du compte transport dont le rendement est inférieur à celui (Amiens étant à l’indice 100), de l’offre et de d’Amiens (hormis Dijon) et elles l’ont mobili-

Légende : Le graphique indique pour chaque ville la population de l’autorité organisatrice et l’investissement consenti pour leurs lignes de tramways. Les barres indiquent respecti- vement le financement du compte transport en millions d’euros, apporté par le Versement Transport et le budget général, l’offre de transport en millions de kilomètres par an et la demande de transport en millions de voyages par an. Pour le cas d’Amiens, où le Verse- ■ Fig. 3 : Financement, offre et ment Transport était à la date du graphique calé au taux de 1,60%, on a indiqué le surcroît demande dans six réseaux. de ressources apportées par un passage à 1,80%.

Transports Urbains N°125 (décembre 2014) 25 sé au taux maximum de 1,80% à la date d’éta- tions se sont lancées dans la réalisation de blissement du graphique; à part Tours, elles lignes de tramways d’un coût compris entre sont conduites à financer significativement 232 et 400 millions d’euros (Orléans, agglo- leurs comptes transports depuis le budget mération de 279000 habitants, aura quant à général (16). elle investi quelque 590 millions d’euros pour la réalisation de deux lignes). Elles en obtien- Ces villes proposaient généralement une offre dront forcément en retour un accroissement de de transport supérieure à celle d’Amiens mais la fréquentation de leurs réseaux. assez voisine en ordre de grandeur et en obte- naient une réponse de la clientèle bien meilleu- Amiens, bénéficiant d’une excellente densité re. Cela se traduisait dans de bons (voire très urbaine nette et pouvant donc collecter une bons pour Besançon, Reims et Dijon) nombre belle clientèle sur une ligne d’une longueur de voyages annuels par habitant et impliquait réduite (17) – 10 km, disposait donc d’un déjà un effort financier significatif de la part de excellent contexte financier pour réaliser sa l’agglomération. Malgré cela, ces aggloméra- première ligne de tramway. Conclusion Le présent article utilise deux sources de métropole de Marseille par intégration de données originales, la densité urbaine nette des plusieurs communautés d’agglomération) agglomérations françaises et, pour certaines vont, plus que d’autres, devoir trouver des d’entre elles, les apports du budget général des financements nouveaux pour développer un collectivités aux comptes transport. En les réseau à la hauteur du partage modal souhaité, croisant avec les données statistiques dispo- confirmant ainsi le lien entre part du PIB (18) nibles, on met en évidence des situations très consacré au transport et densité. contrastées. La mesure de la densité nette des aggloméra- Plus que sa population, c’est la densité urbaine tions et leur évolution prennent donc tout son nette de l’unité urbaine au premier chef – mais intérêt dans le nouveau contexte financier des Le souci de gestion plus également le rendement du versement trans- collectivités territoriales tout comme le port, la productivité du réseau et l’importance contrôle de la consommation d’espace à efficace des deniers des recettes commerciales – qui définit la faci- travers les SCOT. publics devrait conduire lité d’une agglomération à développer un à mieux juxtaposer réseau de TCSP et à l’exploiter à un coût Si plus que d’autres activités des collectivi- développement des acceptable à niveau de service comparable. tés territoriales, le transport dispose d’un bon transports en commun appareil statistique (19) et fait l’objet de D’autres facteurs peuvent jouer un rôle positif pratiques de sélection des investissements au et développement dans la performance des systèmes – hormis vu de leur rentabilité socio-économique, il urbain, ainsi que de évidemment la vigueur des restrictions appor- n’en est pas de même dans d’autres poursuivre des efforts tées à l’usage des véhicules particuliers –, à domaines des déplacements comme le d’amélioration de savoir la bonne répartition des générateurs de stationnement, où il semble que les services productivité des réseaux trafic (Rennes), la forte proportion de courts publics soient financés majoritairement par trajets (Marseille), la bonne utilisation des l’impôt, à quelques contre-exemples près de transport. transports en commun aux heures creuses (Nantes ?). (Nice), l’usage équilibré des lignes dans les deux sens aux heures de pointe (Bordeaux). Dans un contexte où il faudrait accroître les Nous ne disposons pas de ces éléments pour parts modales des modes alternatifs (20) et l’ensemble des réseaux français, pas plus que mieux canaliser l’essor urbain en l’orientant nous ne disposons des fréquences offertes sur sur les corridors principaux de transport, l’éta- les meilleures lignes de chaque réseau, ce qui blissement de méthodes robustes d’analyse du serait de nature à affiner et améliorer l’analyse. développement des infrastructures et des réseaux de transport à l’échelle de l’agglomé- Les agglomérations en forte expansion ration est de nature à faciliter la maîtrise finan- (Toulouse, Nantes…) ou en constitution (la cière de ces politiques. Notes 1) En sciences humaines et, plus encore en urbanisme, la densité est une notion délicate à manier car elle n’a aucun caractère absolu, ni dans le temps, ni dans l’espace (les valeurs prises par l’indicateur varient selon la finesse d’ob- servation, de l’îlot à la ville au grand territoire). En fait, il convient de sélectionner un indicateur construit en fonc- tion du sujet à évaluer. 2) Voir CERTU: « La densité, exemples, concept, mesures », rapport d’études, juillet 2002, 92 pages, téléchar- geable. Voir le tableau de la page 31, concernant 57 villes centre d’agglomération de plus de 100000 habitants hors Paris, établi en éliminant les vides et les zones industrielles de plus de 25 ha. 3) Offre exprimée en kilomètres par an et par habitant, demande exprimée en voyages par an et par habitant, part modale extraite de la dernière enquête ménage réalisée. 4) Voir le numéro spécial N°1 d’Urbanisme, « La ville prend ses aises », février 1993. 5) Selon le ratio de nombre de kilomètres annuels produits par personnel roulant dans les réseaux de plus de 100000 habitants, selon les statistiques rassemblées par l’UTP pour l’année 2011. 6) Statistiques sur la perception du versement transport en 2011 établies par le GART, octobre 2012. 7) « Les transports publics urbains », rapport public de la Cour des Comptes, avril 2005. 8) « Prospective pour un financement durable des transports publics urbains (horizon 2015) », Bruno Faivre d’Ar- cier, LET, septembre 2008, recherche conduite pour le Prédit et synthétisée dans « La situation financière des transports publics urbains est-elle « durable » ? », Cahiers Scientifiques du Transport, 58/2010 9) Des monographies des politiques de transport des agglomérations mettraient en évidence des autorités organisa- trices (AO) volontaristes dans un contexte défavorable de densité et de ressources, des AO gérant leurs comptes

26 Transports Urbains N°125 (décembre 2014) transport de manière exclusivement financière et avec de mauvais résultats de fréquentation et des situations diffi- ciles en l’absence de maîtrise du développement urbain. 10) L’offre kilométrique s’est accrue de 50% entre 1991 et 2010 alors que la surface urbanisée de Nantes Métropo- le était multipliée par 3,4 et la population seulement par 1,6 de 1960 à 2008. Ces derniers chiffres émanent d’un rapport de l’agence d’urbanisme de Nantes, intitulé « Évolution du territoire urbanisé et du territoire des déplace- ments de 1960 à 2008 ». La Communauté urbaine de Nantes a connu une forte progression de l’offre transport, la mise en place de trois lignes de tramway et d’une ligne de BHNS et a conduit une politique cohérente en matière de modes actifs et de stationnement. Pour autant les parts modales de l’agglomération nantaise n’ont pas évolué de manière satisfai- sante entre 1980 et 2008 (voir « l’évaluation du PDU 2000-2010 », AURAN, novembre 2009, p.16) en raison d’un fort étalement de l’agglomération: chute de la pratique des deux roues et de la marche, fort accroissement de la voiture qui ne commence qu’aujourd’hui à décroître, part des transports en commun en très légère hausse. Mode de transport 1980 1990 1997 2002 2008 ■ Évolution des parts modales dans l’agglomération nantaise Voiture particulière 45,4% 59,5% 58,6% 61,6% 57% depuis 1980. Marche à pied 28% 21,8% 22,8% 20,6% 24% Transports en commun 14,2% 14% 14,4% 13,9% 15% Deux roues 12,4% 4,7% 4,2% 3,9% 4%

11) Les Cours des Comptes critiquent régulièrement les Syndicats Mixtes de Transport associant départements et Autorités Organisatrices au motif qu’il n’est pas de la compétence des départements de financer le transport en commun urbain. Toutefois, il convient de remarquer que ce complément de financement n’a pas été sans consé- quence favorable sur le développement des réseaux de Lyon, Grenoble, Toulouse ou Caen. En effet, que cela soit grâce à la création d’un district urbain comme à Nantes, par l’association de départements au financement par le biais de SMTC ou par un montant élevé de subventions de la région Languedoc-Roussillon comme dans le cas de Montpellier, force est de constater que les plus beaux développements d’infrastructures de réseaux de transport ont bénéficié de l’aide d’autres partenaires que l’État. 12) Voir le rapport d’observations définitives de la chambre régionale des comptes de Midi-Pyrénées (avril 2012) et la page 20 de la réponse de M. Pierre Cohen, président du SMTC, annonçant une augmentation de 10 millions d’euros par an de la participation de la communauté urbaine au SMTC, la portant ainsi de 42 millions en 2008 à 195 millions en 2020. 13) Voir le rapport de la Cour des Comptes sur « la situation et les perspectives des finances publiques », juillet 2012. Voir en particulier les pages 153 et 156 sur la sélection des investissements des collectivités territoriales. 14) Dans l’ensemble des agglomérations de 100000 à 500000 habitants retenues pour notre analyse, le rapport de la population du PTU à celle de l’unité urbaine varie entre 0,45 et 1,40. Les valeurs fortes de cet indicateur corres- pondent dans certains cas (Rennes ou Lorient par exemple) à des agglomérations en archipel ou multipolaires. 15) Données Géopolis & INSEE 2010, GART 2011 (VT), UTP 2011 sauf productivité kilométrique 2010. 16) Certaines d’entre elles pratiquent désormais le taux de 2% autorisé pour les villes touristiques. Depuis la mise en service de deux lignes de tramway, Dijon a très significativement accru le versement du budget général au compte transport et l’a porté à 25 millions d’euros par an alors que Besançon a vu augmenter sa participation, l’ex- ploitation du réseau dépassant déjà l’apport du VT au taux de 1%. 17) Cette ligne, courte au regard de ce qui a pu se faire dans d’autres agglomérations, dessert environ 44% des habitants, des emplois, des scolaires du second degré et des étudiants. 18) Kenworthy et Laube (1999) le démontrent pour un certain nombre de grandes villes mondiales. Cette relation est confirmée pour des villes de la base IUTP pour le coût de transport dans sa totalité. Coût des Dépense en ■ Relations entre densité nette, Densité nette (en % marche, part des modes alternatifs à la Villes hab/ha) vélo & TC transports énergie voiture et dépense énergétique (en % PIB) (en MJ/hab) dans quelques grandes villes du Houston 9 5% 14,1% 86000 monde. Sydney 19 25% 11% 30000 Londres 59 51% 7,1% 14500 Paris 48 56% 6,7% 15500 Münich 56 60% 5,8% 17500 Tokyo 88 68% 5% 11500 Hong Kong 320 82% 5% 6500 Tableau présenté lors du colloque UITP de Nantes (10-12 mars 2013) par M.Gunnar Heipp, de la MVG (Münich). Lorsqu’une agglomération s’étend par expansion urbaine ou bien par fusion de plusieurs autorités organisatrices, la densité nette de l’ensemble résultant est forcément moins élevée et l’offre à mettre en place plus importante. Les ■ TCSP pour autobus : deux facteurs tendent bien à accroître fortement le besoin de financement du système de transports sans pour le BusWay à Nantes. Photo F. de autant améliorer l’efficacité de desserte mesurée par la part modale des transports publics. Cela rejoint à la fois les Fleurian. analyses de la Cour des Comptes et de Bruno Faivre d’Arcier, mais également celles de Kenworthy et Laube (1999). Il serait intéressant de le mesurer quantitativement. 19) Cet appareil statistique mériterait d’être complété, de manière à pouvoir mener des comparaisons internatio- nales, mais devrait surtout comporter: densité nette des unités urbaines et leur évolution, apport des budgets généraux aux comptes transport (valeur de l’année et moyennes glissantes), indicateurs de niveau de service des principales lignes, densité urbaine à 500 m le long des lignes de TCSP, éléments physico-financiers principaux des politiques de stationnement et de voirie. 20) Parmi les modes alternatifs, les transports publics sont ceux qui coûtent le plus cher en investissement mais surtout en fonctionnement. La décision d’augmenter leur part modale implique donc d’accroître significativement le financement qui lui est réservé mais également de le gérer avec plus d’attention et très certainement de mettre en œuvre des modes de transport plus capacitaires, donc plus économes en coût de fonctionnement au siège.

Transports Urbains N°125 (décembre 2014) 27 FRÉDÉRIC HÉRAN maître de conférences en économie à l’Université Pourquoi tant de cyclistes de Lille 1 chercheur au CLERSE aux Pays-Bas ? (Centre lillois d’études et de recherches sociologiques et économiques), UMR 8019 du CNRS

Les Pays-Bas, tout le monde le sait, est le bien traitée (Schuyt et Taverne, 2004). Ensui- « pays du vélo ». La part modale de la bicyclet- te, la pratique de la bicyclette s’est effondrée te en pourcentage du nombre de déplacements au cours des années 1950 et 1960, divisée y est de 27%, loin devant le Danemark (18%), globalement par 2,7 entre 1950 et 1978 l’Allemagne (10%), la France (3%) ou le (Pucher et Buehler, 2008), avec une chute Royaume-Uni (2%) (1). Dans certaines villes, encore plus forte dans certaines villes, comme la part modale dépasse même les 30%, comme Amsterdam où elle a été divisée par 3,5 à Delft, Leyde ou Groningue. Comment expli- (Albert de la Bruheze et Veraart, 1999). Enfin, quer un tel engouement pour la bicyclette? si le pays est certes plat, il est également Telle est la question que nous voudrions traiter venteux et affronter un vent de face est aussi dans cet article. Les réponses habituelles sont pénible pour un cycliste que de gravir une connues: la bicyclette ferait partie de la cultu- côte, surtout sur un vélo hollandais où la re néerlandaise; les Bataves auraient toujours posture très droite offre beaucoup de prise au fait massivement du vélo; dans un pays plat, vent. rien ne serait plus facile… Si l’on tient à traiter sérieusement la question, Hélas, toutes ces réponses sont fausses ou à il va falloir revenir aux origines du vélo aux nuancer fortement. Dans un ouvrage monu - Pays-Bas, puis repérer les principales étapes mental sur la culture néerlandaise en 5 tomes, qui émaillent l’histoire du rapport des Néer- dont le 4e de 580 pages traite du XXe siècle, landais à ce mode de déplacement. Concrète- l’usage du vélo utilitaire est totalement ignoré, ment, nous proposerons une synthèse de divers bien que la question du transport y soit bel et travaux méconnus, relativement récents. Fin du XIXe siècle: le vélo comme retour aux valeurs de l’Âge d’or Le vélo moderne est techniquement au point les courses cyclistes (Ebert, 2004). Face à une en 1891, avec la dernière invention majeure, Allemagne unifiée par Bismarck depuis 1870, celle du pneu et de la chambre à air. Dès lors, il puis au pangermanisme, les Néerlandais connaît un extraordinaire essor limité seule- inquiets cherchent à promouvoir leur nation et ment par les difficultés de son apprentissage, trouvent dans le vélo à la fois un moyen de par son coût encore élevé mais qui ne cesse de découverte du pays accessible à tous et un décroître et par le mauvais revêtement des retour aux valeurs de l’Âge d’or, quand les Cet article tente routes. Provinces-Unies dominaient le monde écono- mique, culturel et artistique européen au XVIIe d’expliquer l’exception En France et en Allemagne, le « véloce » siècle: force, équilibre, maîtrise de soi, liberté cycliste néerlandaise qui représente avant tout la vitesse. Les courses se et indépendance. Le vélo est assimilé au pati- tient à une succession multiplient jusqu’au premier Tour de France nage, une pratique ancestrale dans ce pays. originale d’évolutions en 1903 qui consacre, dans ce pays, le vélo sociétales et de décisions comme un mode de déplacement à la fois rapi- En utilisant la bicyclette, la famille royale, de et capable de parcourir tout le territoire. En pourtant richissime, trouve très tôt dans ce politiques qui vont 1881, l’Union vélocipédique de France (UVF) mode de déplacement, le moyen de s’afficher presque toujours dans le est créée pour regrouper les nombreux clubs comme étant « proche du peuple ». Comme sens du développement existants un peu partout. Mais elle s’occupe une bonne partie de l’aristocratie de l’époque, de la “petite reine”. surtout d’organiser les courses. En 1890, les la reine Wilhelmine s’entiche du vélo dès son Aujourd’hui, les Pays- cyclistes qui préfèrent les voyages lancent le adolescence (elle est née en 1880 et régna de Touring club de France (TCF) dont le but est 1898 à 1848). Lors de son passage à Paris en Bas exportent leur de diffuser la culture du vélo et de faciliter les avril 1998, la jeune future reine est surnom- savoir-faire tout en voyages à bicyclette. mée par les gazettes « la petite reine », repre- développant de nouvelles nant une expression parue pour la première innovations au bénéfice Aux Pays-Bas, le vélo-découverte est d’emblée fois dans le livre à succès du journaliste fran- des cyclistes et de leur plébiscité. Créée en 1883, l’Association géné- rale néerlandaise des cyclistes (ANWB) est sécurité. 1) European Commission, EU Energy & Transport in aux mains des libéraux progressistes et préfère Figures, Statistical Pocketbook, 2000 et 2002. Cette statis- promouvoir le tourisme à bicyclette plutôt que tique un peu ancienne n’a pas été renouvelée à ce jour.

10 Transports Urbains N°126 (mai 2015) çais Pierre Giffard La Reine bicyclette, paru en Béatrix n’hésite pas non plus à enfourcher une 1891 (l’expression a connu depuis lors le bicyclette (elle régna de 1980 à 2013). Cet succès que l’on sait). Sa fille Juliana, lors de affichage contribue à donner au vélo une son mariage en 1936, effectue, à l’issue de la image « civilisée et respectable » conforme à cérémonie, un tour à vélo avec son mari dans « la tendance à l’égalitarisme dans la vie poli- La Haye (elle régna de 1948 à 1980). On parle tique et la société néerlandaises » (Stoffers, même alors de « monarchie à vélo ». Sa fille 2012, p. 107). L’investissement précoce dans les aménagements cyclables Dès la fin du XIXe siècle, à la demande des tion de pistes cyclables le long des grandes associations de cyclistes, les pays les plus voiries soulage la circulation d’un élément riches d’Europe construisent les premiers extrêmement ennuyeux: le cycliste » (Welle- aménagements cyclables, pour favoriser avant man, 1999, p. 22). tout le tourisme. En France, le revêtement des chaussées est souvent constitué de gros pavés En 1924, une autre circonstance contribue à disjoints, arrondis ou brisés, très inconfor- accélérer la réalisation d’aménagements tables, alors qu’aux Pays-Bas, il est surtout fait cyclables. Pour combler un fort déficit public de gravier ou de briques nettement plus et financer le réseau routier, la taxe sur les agréables pour les cyclistes. Tous réclament vélos, qui avait été supprimée en 1919, est cependant du macadam beaucoup plus roulant réintroduite au taux de 3 guilders par bicyclet- (Mom, 2004, p. 77). te (sachant qu’un vélo ordinaire coûte environ 60 guilders). Face aux protestations de Pendant la Première Guerre mondiale, les l’ANWB, qui considère que cette taxe frappe Pays-Bas restent neutres et se retrouvent isolés surtout les plus pauvres, le gouvernement fait au milieu des belligérants, soumis au blocus de quelques concessions et finit par admettre que l’Allemagne par les Anglais. Privées d’essen- les routes nouvelles ou refaites doivent être ce, les automobiles restent au garage et les flanquées de pistes cyclables, dans l’intérêt élites redécouvrent l’intérêt du vélo. L’influen- bien compris des cyclistes comme des auto- te ANWB – l’association des cyclistes néer- mobilistes. Au total, en 1938, le pays compte landais –, encore dirigée par des « membres 2675 km de pistes cyclables, dont 37% hors Loin d’être une simple supérieurs de la classe moyenne », obtient la des principales routes et 63% le long des prin- question technique à réalisation accélérée de pistes cyclables touris - cipales routes (le réseau routier comptant traiter, la création tiques, en utilisant « le symbole du vélo pour 6120 km) (Stoffers, 2012, p. 130). d’aménagements réaffirmer l’identité néerlandaise neutre, équi- li brée et pondérée » (Stoffers, 2012, p. 120). L’Allemagne, quant à elle, n’en possède que cyclables comporte une 11000 km (soit presque deux fois moins par forte dimension Autre conséquence, le pays, qui importait habitant) et la France 1200 km (soit presque politique. avant guerre la plupart de ses bicyclettes, se dix fois moins) car elle bénéficie d’un immen- retrouve contraint de développer sa propre se réseau de petites routes secondaires qu’elle industrie du cycle. Celle-ci s’organise en cartel a cependant bien du mal à entretenir. C’est et met au point un type de vélo à usage utilitai- pourquoi, le TCF n’a jamais réussi à re: le fameux modèle hollandais noir, à col-de- convaincre les autorités d’utiliser la taxe sur cygne, doté d’accessoires solides et les vélocipèdes pour la construction de pistes fonctionnels, fabriqué notamment par la cyclables. Loin d’être une simple question marque Batavus, du nom de la tribu qui serait à technique à traiter, la création d’aménage- l’origine de la nation néerlandaise (ibid., ments cyclables comporte une forte dimension p. 109). politique (Ebert, 2012). Au départ, les cyclistes réclamaient partout en En 1928, une statistique sur le taux de posses- Europe des aménagements cyclables pour sion des vélos dans divers pays développés éviter les mauvais revêtements et disposer de indique que les Pays-Bas sont désormais en surfaces bien plus roulantes. Dès l’essor de tête (avec 308 vélos pour 1000 habitants) l’automobile, ses promoteurs, eux aussi, vont suivis de la Suède (256), du Danemark (211) et en exiger, mais pour une tout autre raison: de la Belgique (196), puis, plus loin, de l’Alle- dégager la chaussée des cyclistes qui l’encom- magne (172), de la France (167) et de l’Angle- brent. L’idée est avancée dès le premier terre (141) (Welleman, 1999, p. 19). En tenant Congrès international de la route qui se tient à compte du relief, les écarts sont finalement Paris en 1908. En 1920, l’équivalent néerlan- encore assez minimes, bien moindres en tout dais de ce congrès constate que « la construc- cas qu’aujourd’hui. Le retard de motorisation des années 1930-1950

Alors que la France est le berceau de l’auto- 1958 où le constructeur néerlandais de mobile, les Pays-Bas (comme le Danemark et camions et d’autocars Daf se lance dans la d’autres petits pays par la population) n’ont production de petites voitures. Après la Secon- pas d’industrie automobile, du moins jusqu’en de Guerre mondiale, quand l’Europe s’engage

Transports Urbains N°126 (mai 2015) 11 enfin dans une motorisation massive, cette mique – avec notamment l’exploitation du particularité du marché automobile va suffire à gaz de Groningue – et comble son retard retarder l’effondrement de la pratique du vélo, d’équipement automobile et routier (Schuyt et comparativement à la France ou à l’Alle- Taverne, 2004, p. 256). Si Rotterdam est magne, sans pour autant l’empêcher. La forte encore aujourd’hui la ville la moins cycliste densité du pays a aussi contribué à rendre des Pays-Bas, c’est parce ce qu’elle est la moins urgente l’adaptation des villes et du première ville du pays à avoir été adaptée à pays à l’automobile (Mom, 2007). l’automobile, premier port d’Europe oblige (ibid., p. 151). Résultat, en une génération, entre 1950 et le milieu des années 1970, la pratique de la bicy- Au moins deux autres facteurs ont joué un clette est certes divisée par 2,7 au Pays-Bas, important rôle dans la moindre chute du vélo avons-nous vu en introduction, mais par 6 au qu’ailleurs. Les Pays-Bas ne disposent pas de Royaume-Uni (selon les données du ministère réseaux de transports publics aussi développés des Transports britannique), sans doute tout que la France ou surtout l’Allemagne, aussi la autant en France et un peu moins en Alle- population la plus pauvre continue plus magne (mais on ne dispose pas dans ces deux qu’ailleurs à se déplacer à vélo. Comme l’Al- pays de statistiques pour l’affirmer avec certi- lemagne cette fois, mais au contraire de la tude). Au Royaume-Uni, la pratique est en France, ils encadrent également beaucoup plus chute libre dès 1952, mais aux Pays-Bas ce strictement l’usage des cyclomoteurs qui ne n’est vraiment le cas qu’à partir de 1965, au sont autorisés qu’à partir de 16 ans et dont la moment où le pays est en plein boom écono- vitesse est vraiment bridée. Les années 1970 et la révolte contre le tout-automobile

Face à l’envahissement brutal de l’automobile, Dans ce contexte, les cyclistes s’organisent et la population se réveille. Dans l’efferves cence créent l’ENWB (littéralement « la seule, Dès le départ, les des années 1960 en pleine mutation écono- unique et réelle association néerlandaise des mique, sociale et culturelle, divers mouve - cyclistes ») pour parodier l’ANWB devenue revendications des ments de contestation de la société de trop pro automobile (2). Les manifestations associations de cyclistes consommation apparaissent. À Amsterdam, en de cyclistes se multiplient. Le 4 juin 1977, vont bien au-delà de la 1965, les activistes contestataires et libertaires dans le cadre d’une journée mondiale du simple demande du mouvement « Provo » défraient la chro- vélo, 9000 cyclistes défilent dans Amsterdam d’aménagements nique. Parmi leurs nombreux « plans blancs » (gros succès aussi à Berlin et à Copenhague). souvent farfelus et ludiques, ils imaginent de Les participants demandent « l’interruption cyclables. supprimer la circulation automobile et de four- immédiate de la cons truction de parkings en nir à tous gratuitement des bicyclettes ville et l’obligation de garer les autos en péri- blanches publiques, des sortes de Vélib’ avant phérie, plus d’importance accordée aux trans- l’heure. Les quelques vélos distribués dispa- ports publics, une meilleure infrastructure raissent vite, mais l’idée d’oser limiter la cycliste » et « le comité exige la vitesse limi- circulation automobile germe dans les tée à 20 km/h en zone urbaine » (Duizer, consciences (Pas, 2005). À la fin des années 2005). Dès le départ, les revendications ne 1960, le mouvement du flower power, né en sont pas limitées aux aménagements Californie, atteint les Pays-Bas: des habitants cyclables. Deux ans plus tard, le mouvement décident de reconquérir les rues en installant s’allie à d’autres associations pour lancer une des bacs à fleurs, des bancs et des aires de jeu campagne de réduction des limites de vitesse sur la chaussée. En 1970, la première cour de circulation en ville (« 50 c’est trop ») et urbaine (woonerf) est expérimentée à Delft par obtenir la généralisation des premières de jeunes urbanistes, à la demande des habi- « zones 30 ». tants. La même année, face à la montée des accidents de la circulation, l’association Stop Partout en Europe de l’Ouest, la pratique de de Kindermoord (halte au meurtre des enfants) la bicyclette remonte de 10 à 30%, y compris est créée, en reprenant le titre d’un article au en France. Après 25 ans de déclin rapide, vitriol du célèbre journaliste Vic Langenhoff c’est un événement. Dans certains pays, et dont le fils vient d’être tué. Ses manifestations tout particulièrement aux Pays-Bas, les auto- connaissent un grand retentisse ment (Cave- rités accèdent aux demandes de la popula- nett, 2011). tion: se lancent dans la modération de la circulation automobile et relancent les Fin 1973, la crise de l’énergie aboutit au aménagements cyclables. Dès 1974, le quadruplement des prix du pétrole et fait gouvernement décide, de financer à 100% soudain prendre conscience à l’opinion de la deux « villes pilotes » – Tilburg et La Haye – nécessité de développer les modes alternatifs à pour démontrer la faisabilité de villes plus l’automo bile. Les Pays-Bas, ami fidèle d’Is- accueillantes aux vélos, avec création d’axes raël, sont mis sous embargo pétrolier par les prioritaires permettant aux cyclistes d’accé- pays arabes. Comme dans quelques autres der à la ville et de la traverser en toute sécuri- pays – la Belgique, la Suisse, l’Allemagne mais pas la France – des dimanches sans voitures sont organisés à la hâte et font la joie 2) Suite à un procès, elle est contrainte de changer de nom et des cyclistes. s’appelle depuis le Fietsersbond.

12 Transports Urbains N°126 (mai 2015) té (Lambert et Tachet, 1977). À Tilburg (170000 habitants), les résultats sont très encourageants, plus mitigés à La Haye, gran- de ville de 500000 habitants où la situation est plus complexe. Dans les villes nouvelles d’Almere et de Lelystad, les pouvoirs publics mettent au point un nouvel équilibre entre « ségrégation » et « intégration » des cyclistes dans le trafic. Sur les grands axes, la ségrégation est de rigueur avec l’aménagement de pistes ou bandes cyclables, alors qu’au cœur des quartiers l’in- tégration – la cohabitation dit-on plutôt aujourd’hui – est jugée suffisante à condition de limiter la vitesse des véhicules à 30 km/h par des aménage ments de voirie, ce qui permet d’éviter la construction d’aménagements cyclables. Tous les 500 mètres, des passerelles passent au-dessus des voies rapides (Millé- rioux, 1977). Source: Netherlands Ministry of Transport, 2007, cité par Pucher et Buehler, 2008. NB: pour pouvoir Dès cette époque, d’autres innovations voient comparer les deux courbes, l’échelle de gauche ne commence pas à zéro. le jour. Les « contresens cyclables » dans les rues à sens unique se révèlent très sûrs parce L’autorisation du tourne-à-droite au feu rouge que cyclistes et automobilistes se voient en se est obtenue plus tard, en 1991. ■ Figure 1. Évolution de la croisant, aussi sont-ils généralisés à tout le pratique de la bicyclette et du Toutes ces initiatives portent leurs fruits. La risque d’être tué à vélo, depuis pays dès la fin des années 1970. De même, 1950, aux Pays-Bas. l’ouverture des couloirs de bus aux vélos ne pratique de la bicyclette est globalement pose guère de difficultés aux conducteurs de confortée dans le pays, en remontant de 35% bus tout en sécurisant fort bien les cyclistes. entre 1978 et 2005 (figure 1). Dans une ville Les sas aux carrefours sont eux aussi simples à comme Amsterdam, la pratique passe de 2% réaliser et rendent plus visibles les cyclistes, de part modale en 1988 à 28% en 2006, soit + surtout ceux qui veulent tourner à gauche. 33% en 18 ans (Ligtermoet, 2009, p. 73). Les facteurs expliquant le rôle pionnier joué par les Pays-Bas Les contraintes géographiques et la densité la maison. Les habitants se sont depuis long- urbaine limitent d’abord fortement l’étalement temps approprié les espaces publics qui sont, urbain et compliquent la réalisation des routes. en fait, semi-privés: woonerf signifie d’ail- La nature sableuse et tourbeuse des terrains leurs littéralement « cour d’habitation ». Ils oblige à refaire régulièrement les chaussées considèrent que les enfants doivent pouvoir qui s’affaissent, ce qui permet une évolution jouer dans la rue et l’absence de rideaux aux plus rapide des aménagements. Pour faciliter fenêtres permet de les surveiller (figure 2). Ils cette réfection, les rues sont le plus souvent ont le droit de cultiver au bord de leur maison, pavées de briques, avec un traitement différen- sur le trottoir, une étroite bande de terre pour De nombreuses villes cié selon les vitesses autorisées. Par exemple à des fleurs ou quelques plantes grimpantes. On sont de taille moyenne, Utrecht, les voies limitées à 30 km/h ou moins comprend mieux pourquoi les réactions sont si peu équipées en sont en briques rouges et les chaussées limi- vives, lorsque l’automobile menace cet art de tées à 50 km/h ou plus sont asphaltées. L’espa- vivre et la sécurité des enfants (Loiseau, transports publics, avec ce devient très lisible. 2005). des distances propices au vélo. Autre facteur clé: l’ancienneté de l’urbanisa- Enfin, de nombreuses villes sont de taille tion. En 1650, la moitié des deux millions moyenne, peu équipées en transports publics, d’habitants des Provinces Unies vivait déjà avec des distances propices au vélo. Les dans les villes. Cette culture urbaine imprègne distances domicile-travail sont, en particulier, toute la société. Les maisons basses sont acco- assez réduites et, quand ce n’est pas le cas, la lées et donnent de plain-pied dans la rue. Le densité du réseau ferroviaire facilite la pas-de-porte (le stoep) fait quasiment partie de complémen tarité « vélo + train ». Les années 1990-2000 et la prise de conscience de la spécificité néerlandaise

Ce n’est finalement qu’à partir des années tieux en matière de développement de l’usage 1990 que les Néerlandais prennent peu à peu de la bicyclette, d’intermodalité vélo-trans- conscience de leur spécificité de « pays du ports collectifs, de réduction de l’insécurité vélo ». En 1990, le premier Masterplan Fiets routière et de diminution du risque de vol. Un (plan national vélo) fixe des objectifs ambi- guide des aménagements cyclables est réalisé

Transports Urbains N°126 (mai 2015) 13 En 1972, à gauche, aucune plantation, pas de vélos et que des voitures dans les rues. Aujourd’hui, à droite, des bâtiments rénovés, des arbres, des jardinières, de nombreux parkings vélos, un stationnement et une circulation automobile limités. Sources: pour 1972, image extraite du film « De Pijp, Amsterdam 1972 » (http://www.youtube.com/watch?v=YY6PQAI4TZE) 54e seconde, et pour aujourd’hui, Google Street View. (CROW, 1993), puis un guide du stationne- parcourir les aménagements. Dans le même ■ Figure 2. La rue Gerard Dous- ment notamment près des gares (CROW, ordre d’idées, une première « autoroute pour traat dans le quartier populaire De Pijp à Amsterdam. 1997). Un système de taxe très élaboré, adopté vélo » de 7 km est construite entre Breda et en 1995, permet de rembourser les déplace- Etten-Leur, en 1998 (Fietsberaad, 2009). Le ments professionnels réalisés à vélo et une succès aidant, d’autres aménagements du partie des frais des déplacements domicile- même type sont réalisés ici ou là. Puis, en travail à vélo ou d’achat d’une bicyclette utili- 2009, le gouvernement néerlandais débloque sée à cette fin. Un bilan rigoureux est effectué un budget de 25 millions d’euros pour la en 1998 et un deuxième plan suit. construction d’un réseau de fietssnelwegen (pistes cyclables rapides) destiné à rejoindre Dès le début des années 1990, les exigences les principales villes (figure 3). des cyclistes urbains ne portent plus sur la modération de la circulation ou sur la création En 2011, toute l’expertise du pays dans le de nouveaux aménagements cyclables déjà domaine du vélo (consultants, ingénieurs, largement acquises, mais sur la réduction du chercheurs, industriels, décideurs et associa- nombre d’arrêts imposés aux cyclistes tions) fonde un unique réseau – la Dutch (suppres sion des carrefours à feux, création de Cycling Embassy – qui vend désormais son passages dénivelés, rectification du profil en savoir-faire à l’étranger, comme une marque à long…) et sur la qualité de roulement des l’export (Carstensen et Ebert, 2012). chaussées (amélioration du revêtement, meilleur éclairage, nettoyage régulier, traite- Si les Pays-Bas sont devenus le pays le plus ment de la neige et du verglas…). Pour évaluer cycliste d’Europe, ils le doivent, non pas à Depuis les années 1990, tous ces aspects et les progrès accomplis, l’As- quelque déterminisme géographique ou cultu- sociation néerlandaise des cyclistes urbains, le rel, mais à un savant mélange de circonstances les exigences des Fietsersbond, met au point, en 2000, une fortuites et variées que les autorités comme les cyclistes portent méthode – appelée Fietsbalans – qu’il techniciens et les associations ont su saisir au davantage sur la applique à 150 municipalités, en la renouve- bon moment, non sans quelques revers liés à la réduction du nombre lant depuis lors sur une quarantaine. Il utilise à concurrence des autres modes de déplacement d’arrêts imposés et sur la cette fin un vélo bardé de capteurs pour et principalement de l’automobile. qualité de roulement des chaussées.

■ Figure 3. Le projet de réseau En rouge: pistes existantes. de pistes cyclables rapides aux En bleu: pistes en construction. Pays-Bas. En vert: pistes en projet. Source: http://www.fietssnelwegen.nl

14 Transports Urbains N°126 (mai 2015) Références

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Transports Urbains N°126 (mai 2015) 15 Pierre ZEMBRI LVMT (UMR T 9403) Université Paris-Est Un état de l’offre d’autocars Marne-la-Vallée au début de l’année 2016 : un soupçon de surcapacité ?

Les autocars « Macron » circulent depuis que des situations de surcapacité ne vont pas juillet 2015 et l’offre n’a cessé de s’étoffer tarder à amener les entreprises à réduire la depuis. Le Ministère de l’économie en a voilure assez rapidement. rendu compte début décembre 2015 en produisant une carte globale des services Nous avons pris le parti de nous positionner du montrant un maillage assez fin du territoire point de vue du voyageur avec une série de (fig. 1), et l’originalité de certaines dessertes requêtes effectuées le même jour pour des par rapport à l’offre ferroviaire convention- départs le lendemain, sept jours plus tard et nelle qui constitue la référence des utilisa- plus d’un mois à l’avance. Nous avons sélec- teurs potentiels. La desserte directe des tionné 28 liaisons radiales et 27 liaisons trans- aéroports, des campus universitaires et des versales permettant d’avoir un aperçu aussi parcs d’attraction est ainsi proposée, ce qui large que possible de l’état du marché (fig. 2). peut apporter un plus indéniable. Mais Il s’agit évidemment d’une photographie de lorsque l’on entre dans le détail des offres des l’offre à un instant précis, qui aurait pu être six principaux acteurs du marché, force est de légèrement différente si nous avions choisi constater que les dessertes radiales (au départ d’autres dates de référence, mais l’échantillon de l’Île-de-France) constituent une grande est suffisamment important pour que les résul- majorité de l’offre et que l’abondance de tats soient significatifs et donnent une idée de l’offre sur certaines liaisons donne à penser l’état du marché et des tendances à l’œuvre. Méthodologie de l’étude Toutes les requêtes (offre et prix) ont été effectuées le 28 décembre 2015 pour un départ le 29/12/2015, le 05/01/2016 et le 02/02/2016. Nous n’avons retenu que les services qui circulent au moins les mardis et jeudis non fériés (jours ouvrables de base) ce qui exclut les offres exclusivement focalisées sur les fins de semaine.

Les informations relatives à l’offre routière ont été recherchées sur le comparateur goEuro (qui est loin d’être exhaustif, notamment pour ce qui concerne l’offre Isilines) ainsi que sur le site Internet des entre- prises. Le passage systématique par ces derniers a permis de détecter les services complets (et donc non proposés) la veille du départ. Les informations relatives à l’offre ferroviaire ont été recueillies sur le site Cet article rend compte voyages-.com ainsi que sur celui de Thello pour la liaison Marseille – Nice. de l’état du marché des autocars « Macron » six Lorsqu’une liaison est offerte au départ de plusieurs points au sein de la même agglomération (cas de mois après le lancement l’Île-de-France), nous n’avons retenu que les liens directs à partir du dernier point desservi (La Défense – Rouen ou Orly – Le Mans par exemple) pour éviter les doubles comptes et des temps de parcours pénali- effectif des premiers sants (Ouibus compte par exemple 50 minutes forfaitaires entre Bercy et La Défense) que les utilisateurs services. Sont savent très bien éviter en prenant les transports collectifs. notamment étudiés L’analyse de la consistance de l’offre (figures 3, 4 et 5) s’est effectuée sur la base du service du 2 février l’état de la concurrence 2016, tel que proposé par les transporteurs le 28 décembre 2015. Certaines liaisons Starshipper intramodale, les n’étaient pas ouvertes à la réservation à cette date (elles ne l’ont été que le 6 janvier 2016), ce qui ne stratégies de nous a pas permis d’intégrer les prix à J-30. Nous avons choisi de dissocier les offres d’Isilines et d’Euro- lines, même si elles sont commercialisées en commun, du fait de positionnements prix distincts et du déploiement, les caractère particulier des liaisons Eurolines, qui sont des segments intérieurs de lignes internationales. positionnements tarifaires ainsi que les Les distances routières ont été calculées de centre à centre au moyen d’un distancier couplé à Google écarts de performance et Maps. Les parcours autoroutiers ont été privilégiés, sauf s’ils occasionnaient des détours trop importants de prix avec l’offre (cas de Paris – Nancy par exemple). ferroviaire. L’offre routière a été d’emblée abondante, mais on Acteurs du marché et commence à percevoir des effets concurrence intramodale d’essoufflement avec des Six entreprises ou groupements d’entreprises Le premier constat est que rares sont les lignes offres qui se redéploient se partagent actuellement l’essentiel du où une entreprise se trouve en situation d’ex- partiellement et des prix marché: Ouibus, Eurolines, Isilines, Megabus, clusivité: six seulement dont trois radiales qui ne « décollent » pas Flixbus et Starshipper. Nous avons donc foca- (Paris – Boulogne-sur-Mer, Paris – Montpel- du plancher sur d’autres lisé nos investigations sur leurs services, et lier et Paris – Caen). 12 liaisons ont attiré deux tenté de mesurer dans un premier temps l’in- compétiteurs, 17 voient trois entreprises s’af- liaisons. tensité de la concurrence entre ces transpor- fronter (dont 12 transversales). On trouve un teurs (fig. 3). niveau de compétition plus élevé (quatre voire

16 Transports Urbains N°127 (décembre 2015) Fig. 1

Transports Urbains N°127 (décembre 2015) 17 cinq compétiteurs) sans grande surprise sur les exploite un maximum de lignes, à la fois ■ Figure 1 (page 17) : La carte publiée par le MINEFI en principales lignes radiales, les plus disputées radiales et transversales. Flixbus et Ouibus décembre 2015 : un écheveau de étant Paris – Lille, Paris – Lyon, Paris – exploitent un peu moins de liaisons, avec une dessertes qui ne préjuge pas de Rennes, Paris – Strasbourg (1), Paris – Le préférence marquée du second pour les liai- la fréquence ni de l’intensité de Mans et Paris – Bordeaux. Seules les liaisons sons radiales. Megabus est plus sélectif, avec la concurrence. transversales Lyon – Strasbourg, Lyon – un réseau encore plus focalisé sur les grands Marseille et Strasbourg – Reims comptent axes au départ de la capitale. Starshipper enfin, quatre concurrents et plus. groupement de transporteurs indépendants, n’exploite qu’une poignée de lignes, sa Le positionnement des acteurs du marché n’est prudence s’expliquant par ses moindres pas homogène: l’un d’entre eux, Isilines, marges de manœuvre financières. Positionnement des acteurs du marché par catégorie de liaison au 02/02/2016 Ouibus Isilines Eurolines Megabus Flixbus Starshipper La longueur des lignes Lignes radiales (sur 28) 23 24 8 17 21 3 n’est pas un facteur Lignes transversales (sur 27) 15 25 6 5 19 6 explicatif des Total (sur 55) 38 49 14 22 40 9 différentiels de fréquence. Intensité de l’offre routière La fréquence proposée par l’ensemble des (315-340 km), Nancy ne bénéficie en tout et entreprises permet d’avoir une idée des liai- pour tout que de trois services quotidiens assu- sons sur lesquelles elles investissent forte- rés par deux entreprises distinctes, alors que ment. Elle n’est pas forcément corrélée au Dijon et Poitiers accueillent 7 AR et Metz 9 nombre d’acteurs présents sur une liaison AR. Enfin, la liaison directe Paris-Montpellier donnée car ils peuvent n’avoir qu’une présen- n’a inspiré qu’Isilines, avec un aller-retour ce symbolique avec un seul aller-retour quoti- quotidien tandis que Paris – Marseille, dien (cas de plusieurs liaisons transversales) et parcours de longueur comparable, a attiré a contrario un petit nombre d’acteurs n’exclut quatre transporteurs totalisant sept dessertes pas une offre abondante (fig. 4). quotidiennes. Sans surprise, ce sont des liaisons radiales ou Certaines liaisons transversales sont desser- des parties de liaisons radiales que nous avons vies à raison de 8 AR quotidiens: Toulouse – individualisées sur un segment provincial Bordeaux, Rennes – Nantes, Strasbourg – ■ Figure 2 : Les liaisons étu- (Reims – Strasbourg ou Lyon – Marseille par Metz et Lyon – Bordeaux. Cependant, avec 13 diées pour ce bilan. exemple) qui font l’objet de l’offre la plus AR quotidiens, c’est Clermont-Ferrand – Lyon intense. Paris – Lille (28 AR) et Paris – Lyon qui est la mieux desservie par quatre compéti- ■ Figure 3: Intensité de la (25 AR) se détachent nettement. Malgré le teurs. concurrence intermodale sur les nombre identique d’acteurs du marché liaisons étudiées (état au 2 présents, Paris – Strasbourg, Paris – Rennes et février 2016, requêtes effec- 1) Il existe une sixième entreprise (allemande) sur Paris – Paris – Bordeaux se situent un cran en dessous Strasbourg, Postbus, mais qui n’offre qu’un service quoti- tuées le 28 décembre 2015 et dien, toujours proposé au même prix assez peu attractif complétées le 6 janvier 2016 avec 14 à 17 AR quotidiens. La longueur des (30 €). Comme elle n’est pas présente par ailleurs sur le pour 4 liaisons Starshipper). lignes n’est pas un facteur explicatif des diffé- marché français, nous ne l’avons pas prise en compte dans rentiels de fréquence. À distance comparable la suite de nos investigations.

Fig. 2 Fig. 3

18 Transports Urbains N°127 (décembre 2015) La compétitivité-temps des services autocars La figure 5 représente le différentiel de temps logues ferroviaires. C’est le cas sur Caen – de parcours moyens entre autocars et trains sur Rennes (le parcours autoroutier est plus direct les liaisons étudiées. La grande vitesse ferro- que le tracé ferroviaire) et depuis le 15 viaire, très largement concurrencée, provoque décembre 2015 sur Nantes – La Rochelle du fait des différences importantes: jusqu’à 9 heures du ralentissement imposé par SNCF Réseau sur sur Paris – Marseille et Paris – Montpellier, 103 km de voie entre ces deux villes. On relève mais aussi quatre à cinq heures sur Paris – des temps globalement équivalents sur Bordeaux, Paris – Grenoble ou Paris – Toulou- Bordeaux – Nantes, Lyon – Clermont-Ferrand se. Sur les distances inférieures à 300 km, les et sur Marseille – Nice. Enfin, sur neuf liaisons, écarts demeurent importants si la grande vites- les temps routiers n’excèdent pas d’une heure se ferroviaire est présente: Paris – Le Mans les temps ferroviaires, ce qui ne découragera s’effectue en 55 minutes par train, 3h05 par pas a priori la clientèle potentielle. Il faut aller sur des autocar! Il en est de même pour Paris – Lille liaisons transversales (3 heures d’autocar contre une heure de TGV). On reste cependant surpris de l’importance de relativement courtes Quand l’autocar se confronte aux Intercités, certains temps de parcours routiers. Il faut par pour trouver des temps les écarts se réduisent mais demeurent impor- exemple 5h50 en moyenne pour effectuer les tants: il faut 2,3 fois le temps de parcours 316 km séparant Paris de Nancy, contre 4h35 de trajet par autocar ferroviaire pour effectuer Paris – Orléans par pour Paris – Metz (331 km). Sur une même légèrement meilleurs que autocar, ce qui est assez inexplicable. En liaison, les temps affichés par les transporteurs leurs homologues revanche, l’autocar réalise des écarts moins peuvent varier dans des proportions impor- ferroviaires. importants sur des liaisons comme Paris – tantes. Cela s’explique par la politique d’arrêts Rouen, Paris – Le Havre ou Paris – Caen. Sur intermédiaires, mais aussi par des estimations des liaisons plus longues comme Paris – Cler- optimistes des temps de parcours. Ainsi, sur mont-Ferrand ou Paris – Limoges, l’écart se Toulouse – Montpellier (242 km), Flixbus situe dans une fourchette entre deux et trois affiche un aller simple en 2h45, tandis que ses heures. concurrents effectuent le parcours dans des temps compris entre 3h30 et 4h30. Or, le Il faut aller sur des liaisons transversales relati- calcul effectué par ViaMichelin pour un dépla- vement courtes pour trouver des temps de trajet cement en voiture donne 2h33 ce qui rend peu autocar légèrement meilleurs que leurs homo- réaliste la durée affichée par Flixbus. Des politiques tarifaires variées

■ Figure 4: Fréquence des et hétérogènes services étudiés (au 2 février L’autocar n’est pas cher, c’est un fait, mais le Si on effectue sa réservation à J – 30, les tarifs 2016). positionnement tarifaire des entreprises peut planchers s’établissent généralement à 5,00 € ■ Figure 5: Différentiels de être très différent sur une même ligne où elles pour les lignes courtes et 29,00 € pour les temps de parcours moyens sont en concurrence, et il varie en outre d’une lignes les plus longues. Eurolines se singularise entre offre routière et offre ligne à l’autre. La distance joue un rôle plutôt par des tarifs d’emblée plus élevés (entre 12,00 ferroviaire (au 2 février 2016). faible, et la progressivité peut être importante. et 39,00 €) qui s’expliquent par le fait que l’en-

Fig. 4 Fig. 5

Transports Urbains N°127 (décembre 2015) 19 Fig. 6 Fig. 7

treprise, dont ver des billets à 5,00 € sur huit liaisons (dont la vocation Paris – Lille et Paris – Nantes) et entre 5,48 € première est et 10,00 € sur 18 liaisons (dont Paris – Lyon). d’assurer des L’hétérogénéité des tarifications s’accentue services inter- sur certaines lignes: il faut débourser entre nationaux, ne 19,50 € (Flixbus) et 68,52 € (Megabus) pour privilégie pas effectuer Paris – Brive. Sur d’autres en le cabotage. A revanche, on reste au prix plancher chez l’en- c o n t r a r i o , semble des transporteurs, ce qui laisse augurer M e g a b u s d’une situation de surcapacité de l’offre. C’est casse littéralement les prix en offrant des notamment le cas de Paris – Rouen, Paris – Le ■ Figure 6 : Liaisons où des prix places à 0,50 € sur 20 de ses 22 liaisons. Seules Havre, Rouen – Caen, Montpellier – planchers sont encore dispo- les liaisons Paris – Brive et Paris – Toulouse Marseille, Caen – Rennes, Reims – Lille, Lille nibles la veille du départ (requêtes effectuées le 28 sont commercialisées d’emblée un peu plus – Metz et Lyon – Besançon. décembre 2015 pour un départ cher (respectivement 5,48 € et 6,85 €). le lendemain). Il existe des liaisons où les autocars d’un trans- Sur une même liaison, les différences tarifaires porteur sont complets la veille: ce cas de figu- ■ Figure 7 : Courbe de progres- sont sensibles: Paris – Lille est commerciali- re a été rencontré sur Paris – Limoges – sion des prix des six principaux sée entre 0,50 € (Megabus) et 9,00 € (Flix- Toulouse (Isilines), Paris – Brive (Ouibus et transporteurs entre J – 30 et J – bus), soit un rapport de 1 à 18! Le meilleur Isilines), Bordeaux – Toulouse, Montpellier – 1 (requêtes effectuées le 28 tarif d’Isilines s’établit à 4,00 € et celui de Lyon (Ouibus dans les deux cas), Clermont- décembre 2015). Ouibus à 5,00 €. Ferrand – Bordeaux (Isilines). Mais leurs concurrents directs ne sont pas pour autant À J-7, la fourchette des prix des trois princi- saturés et peuvent encore proposer des tarifs paux transporteurs demeure comparable, entre attractifs. Si Ouibus est complet sur Montpel- 5,00 € et 25,00 €. Eurolines demeure dans la lier – Marseille, on peut toujours voyager pour fourchette 12,00 € - 39,00 €. Les prix proposés 5,48 € avec Megabus. Cela donne à penser par Megabus s’établissent désormais entre que certaines offres sont moins connues que 1,37 € (sur 15 liaisons) et 10,96 € (Paris – d’autres, que des horaires ne conviennent pas Brive). forcément ou que des transporteurs ont une « cote d’amour » ou une notoriété supérieure à Sur Paris – Lille, l’écart s’est légèrement d’autres. Mais il nous sera difficile d’aller plus resserré entre entreprises avec 1,37 € pour loin faute d’une enquête approfondie. Megabus, 4,00 € pour Isilines, 5,00 € pour Ouibus et 9,00 € pour Flixbus. Sur Paris – La figure 7 donne une idée de la progression Strasbourg, la gamme de tarifs est plus large: des prix moyens par transporteur entre J – 30 entre 1,37 € (Megabus) et 19,00 € (Flixbus) et J – 1. On peut constater que Megabus part de Les écarts de prix entre soit un rapport de 1 à presque 14. très bas mais peut aboutir à des prix plutôt autocar et train ne sont élevés à l’approche du départ. Nous avons Les prix s’emballent à l’approche de la date de également effectué des calculs par tranche de pas insupportables au circulation, mais pas de façon identique selon distance (moins de 250 km, entre 250 et point de passer deux à les liaisons ce qui permet d’avoir une idée du 500 km, au-delà de 500 km), mais ils ne quatre fois plus de temps remplissage final des véhicules. La veille du montrent pas de variation sensible des par la route. départ (fig. 6), il est toujours possible de trou- moyennes. Le train résiste mieux que prévu sur le front des prix Nos investigations ont enfin porté sur le diffé- avons donc tenté de vérifier si cette différence rentiel de prix entre autocar et train aux trois était aussi dissuasive qu’annoncé. horizons temporels retenus pour cette étude. L’un des reproches principaux formulés à la Globalement, l’autocar est moins cher que le SNCF est la forte progressivité de ses prix qui train. Mais les écarts ne sont pas insuppor- rend inabordable un voyage décidé à la derniè- tables au point de passer deux à quatre fois re minute. Un écart trop important impose le plus de temps en route. Il faut dire que la recours à l’autocar, même si les temps de SNCF a réagi en multipliant les possibilités parcours sont nettement plus élevés. Nous de voyager moins cher. Au désormais clas-

20 Transports Urbains N°127 (décembre 2015) sique Prem’s visant les voyageurs réservant les prix de l’autocar n’ayant pas encore beau- 2) Sur Paris – Toulouse, les cars enco- longtemps à l’avance s’ajoutent les offres coup progressé à la hausse comme nous avons re accessibles sont proposés entre IdTGV et Ouigo sur certaines lignes radiales. pu précédemment le constater. Mais il reste 39,00 € (Flixbus) et 55,00 € (Ouibus) Enfin de petits prix Intercités sont dispo- l’offre Intercités (entre 16,50 € et 31,00 €), pour un parcours de 8h45 alors que des places sont encore disponibles sur nibles jusqu’à la veille du départ, ce qui les IdTGV (entre 24,00 € et 39,00 € sur les des Intercités (6h20 de temps de n’était pas le cas auparavant. Seuls les liaisons les plus longues) et les Ouigo (neuf trajet) pour 43,00 €. services assurés par TER, soumis au barème liaisons entre 10,00 € et 30,00 €). Sur les liai- kilométrique, et certaines liaisons TGV ne sons transversales, la situation est plus touchant pas Paris, ne font l’objet d’aucune contrastée selon la volonté de la SNCF d’être promotion et se retrouvent hors jeu par compétitive ou non: le TGV fait jeu égal avec rapport à l’autocar. deux offres routières sur trois sur Lyon-Besan- çon (19,00 €) mais est presque trois fois plus À J-30, les prix de la SNCF s’étagent entre cher que l’autocar sur Toulouse – Marseille ou 10,00 € et 30,00 € sur l’ensemble des liaisons Strasbourg – Reims. radiales, ce qui est tout à fait compétitif, et entre 10,00 € et 49,00 € sur les liaisons trans- Enfin, la veille du départ, la situation se Le fait que la versales. C’est sur ces dernières lignes que les rééquilibre partiellement du fait de la progres- progressivité des prix écarts avec l’autocar sont les plus élevés. Les sion des prix de l’autocar et du maintien de soit faible voire nulle sur TER Nantes – Rennes, facturés à 25,40 € quoi prix ferroviaires bas (Intercités, Ouigo et qu’il advienne, rivalisent difficilement avec IdTGV) sur les lignes radiales (fig. 8). Les liai- certaines lignes montre les cars dont les tarifs un mois à l’avance sont sons les plus longues, celles où le train arrive que le taux de compris entre 0,50 € et 5,00 €. Il en est de malgré tout à faire le plein, ne sont pas remplissage n’y est pas même sur Caen – Rennes avec des parcours bradées: il faut débourser 77,00 € au mini- satisfaisant. TER à 38,30 € contre 9,00 € par la route. Sur mum pour un Paris – Strasbourg, 65,00 € pour Marseille – Nice, seul Thello parvient à propo- Paris – Marseille, 60,00 € pour Paris – Mont- ser des allers simples à 15,00 €, mais une fois pellier. En revanche, les prix du train ne sont par jour seulement! Les prix TGV sont déjà à pas éloignés de ceux du car sur les OD Interci- 28,50 € alors que le voyage par autocar, avec tés du Bassin Parisien (Paris – Rouen, Paris – des temps de parcours peu différents, ne coûte Orléans, Paris – Bourges, Paris – Boulogne, qu’entre 9,00 et 13,00 €. etc.). Quand Intercités coexiste avec la grande vitesse comme c’est le cas sur Paris – Tours ou À J-7, l’offre TGV classique est désormais Paris – Toulouse, il reste des petits prix par hors marché sur les axes radiaux avec des prix train classique équivalents voire inférieurs à ■ Figure 8 : Représentation des compris entre 17,00 € (sur la seule liaison ceux de l’autocar (2), avec des gains de temps écarts de prix entre l’offre SNCF et celle des transporteurs Paris – Reims) et 62,00 € (Paris – Strasbourg), qui demeurent sensibles. routiers la veille du départ (requêtes effectuées le 28 Que conclure? décembre 2015). Sans prétendre à l’exhaustivité, ce tour d’hori- zon nous a permis de constater que, si l’offre Fig. 8 autocar s’est développée de façon explosive ainsi que nous pouvions nous y attendre, l’en- semble des services proposés sont loin de rencontrer le succès attendu. La concurrence intramodale est très intense, y compris sur des liaisons a priori peu achalandées, les prix routiers sont donc plutôt faibles, et la résistance de la SNCF sur les lignes les plus fréquentées et sur celles où les temps de parcours sont les plus proches (les lignes du Bassin Parisien par exemple) ne facilite pas la tâche des autoca- ristes, qui ont intérêt à ce que le marché se stabi- lise au plus vite et à ce que les prix remontent. Les premiers signes de faiblesse proviennent du groupement Starshipper qui a réduit la fréquence de ses services sur l’axe Bretagne – Aquitaine dès la fin 2015 en ne proposant plus qu’un aller-retour quotidien entre le vendredi et le lundi inclus. Il a fallu attendre le 6 janvier 2016 pour savoir ce qui se passerait à partir du 18 janvier sur Lyon – Montpellier et à partir du 31 janvier sur Lyon – Clermont-Ferrand – Bordeaux, et les horaires ont été décalés à cette occasion. Le fait que la progressivité des prix soit faible voire nulle sur certaines lignes, cette fois-ci quel que soit l’opérateur, montre que le taux de remplissage n’y est pas satisfaisant. Les services complets la veille du départ sont rares, même lorsqu’il n’y a qu’un nombre de départs très limités. Bref, l’offre routière se cherche et risque de connaître des ajustements parfois importants, qui ne devraient pas être à la hausse.

Transports Urbains N°127 (décembre 2015) 21 Claude SOULAS IFSTTAR-GRETTIA Quelles innovations et quelles perspectives pour le trolleybus ?

Un article paru il y a déjà près de quarante ans envisageables sont de nature à donner une dans Transports Urbains se posait la question nouvelle impulsion décisive ou au contraire de l’avenir du trolleybus (Malterre, 1976). favoriser plus fortement les solutions Cette interrogation a été depuis souvent repri- « concurrentes » au trolleybus. La réponse se, y compris récemment dans la revue alle- n’est pas aisée. Les évolutions et innovations mande consacrée aux transports collectifs se font sur des durées relativement longues. Il urbains Der Nahverkehr (Fritsch, 2012), qui apparaît donc judicieux de commencer par consacre par ailleurs dans le même numéro un une rétrospective des « nouvelles » solutions article au domaine de pertinence économique apparues ces dernières décennies pour le trol- du bus hybride (Ruhl et al., 2012). On peut leybus en les replaçant dans le contexte de maintenant se demander de manière plus l’évolution des idées en matière de transport large dans quelle mesure les innovations collectif urbain.

Depuis l’abandon de l’idée de « modes Des innovations de natures diverses, nouveaux de transport » apparue vers 1970, deux dans différents contextes tendances importantes caractérisent l’évolution Nous distinguerons quatre grands domaines satisfaction dans le passé. Nous nous intéres- des matériels de potentiels d’innovation applicables au trolley- serons plus particulièrement à trois périodes transport collectif bus sans pour autant être spécifiques de ce successives, caractéristiques de la situation en urbain: la diversification mode de transport: la conception d’ensemble France et d’une certaine mesure dans d’autres du véhicule routier, la motorisation (chaînes pays d’Europe occidentale. Autour de 1980 la progressive des solutions de traction), l’alimentation en énergie, les problématique du trolleybus et de ses innova- et l’apparition de dispositifs de guidage ponctuels ou continus. tions a été très focalisée autour de la notion de composants nouveaux « trolleybus bimode ». De nombreux travaux applicables à différents Les innovations peuvent être développées de recherche et développement ont été effec- systèmes. Ceci va de pair pour satisfaire aux objectifs suivants: tués, en particulier en France et en Allemagne, – accroissement et/ou modulation de la capaci- et des prototypes industriels ont été construits avec la suppression des té du véhicule, dans les limites autorisées par également dans d’autres pays. Au niveau euro- frontières le Code de la route (24,5 m de longueur par péen un fait marquant est la création du groupe traditionnelles qui exemple), d’experts COST 303 (COopération Scienti- délimitaient de manière – amélioration de l’accessibilité aux fique et Technique) qui a travaillé pendant nette les systèmes. Le Personnes à Mobilité Réduite (planchers quelques années sur l’« Évaluation technique bas, aménagement intérieur, accostage à et économique des programmes nationaux de trolleybus n’échappe pas quai,…), trolleybus bi-mode ». Dans les années 1990 est à ces deux tendances et – suppression des fils d’alimentation en éner- apparue en France l’idée de systèmes dits son positionnement gie sur des distances plus ou moins longues « intermédiaires » entre bus et tramway devient particulièrement (une suppression totale des fils est envisa- (Soulas 2003) qui a inclus des recherches sur délicat par rapport aux geable en théorie mais est plus délicate, et il des concepts dérivés du trolleybus. Enfin la ne s’agit plus alors à proprement parler de décennie 2000 a été marquée par une grande systèmes tramway et trolleybus), focalisation sur le concept de « Bus à Haut surtout par rapport aux – optimisation énergétique et économique, Niveau de Service » où le terme bus est transports collectifs – amélioration de l’insertion urbaine. compris de manière suffisamment large pour routiers qui se déclinent englober le trolleybus. Les travaux effectués en de multiples Les processus d’innovation sont relativement en France ont été élargis au niveau européen complexes et s’inscrivent dans la durée, avec dans le cadre du groupe COST TU 603 sur le variantes, de telle sorte parfois des tentatives de remise au goût du jour « Bus with High Level of Service » qui s’est qu’il n’est plus possible d’anciennes solutions qui n’ont pas donné réuni de 2008 à 2011. de distinguer aussi clairement d’un côté l’autobus thermique Les trolleybus bimodes (majoritairement diesel) et de l’autre le trolleybus La notion de bimodalité, au sens de deux bimodalité énergie, il s’agit parfois aussi de la modes de fonctionnement, peut s’appliquer de bimodalité de guidage (en remarquant des électrique. diverses manières aux différents systèmes. imbrications entre les concepts de bus guidés Pour le trolleybus il s’agit le plus souvent de la et trolleybus guidés).

24 Transports Urbains N°127 (décembre 2015) Le trolleybus bimode au sens de trolleybus guidé

En France la solution du trolleybus bimode avec guidage a été envisagée vers 1975: à l’époque elle constituait l’une des filières des « modes nouveaux de transport collectif » au même titre que les systèmes automatiques guidés tels que le VAL, le POMA 2000 ou ARAMIS. Une application était prévue pour la desserte de la ville nouvelle d’Évry. Finale- ment après essais vraie grandeur à Dreux et études de cas le guidage a été abandonné. La bimodalité de guidage réapparaîtra dans les années 1990 mais dans un autre contexte (voir plus loin p. 26). En conséquence le terme trol- leybus bimode deviendra alors synonyme de bimode en énergie. En revanche en Allemagne la solution du trolleybus bimode avec guidage est devenue opérationnelle au début des années 1980 avec la mise en service du O-Bahn à Essen. Ceci a été masqué au sein de la problématique plus vaste du « bus guidé » qui, malgré de forts espoirs et une abondante littérature, n’a finalement débouché au niveau mondial que dans un très petit nombre de villes dont Essen où il y a eu à la fois trolley- bus guidé (O-Bahn) et bus guidé classique (avec moteur diesel). La motivation initiale pour la mise en œuvre d’un trolleybus guidé sur une partie du trajet à Essen était la limita- tion d’emprise dans une section en tunnel.

Le trolleybus bimode au sens bimodalité énergie

Nous distinguerons deux familles de systèmes: – les trolleybus bimodes thermiques-élec- triques, où l’autonomie est réalisée avec un moteur thermique, par exemple diesel; – les trolleybus bimodes tout électrique, où l’autonomie est réalisée par un dispositif de stockage d’énergie: batterie, volant d’inertie ou supercondensateurs. C’est la famille des trolleybus bimodes ther- miques-électriques qui a donné lieu au plus grand nombre de prototypes industriels, et à quelques mises en œuvre opérationnelles, véhicule prototype ER 180 équipé d’une batte- comme le (alors) nouveau réseau de Nancy rie cadmium-nickel de 2,8 t, qui a été testé ■ Figure 1: Prototype de O- créé au début des années 1980 avec 48 véhi- pendant deux mois en simulation d’exploita- Bahn développé par Mercedes- cules PER 180. On parle de « bimode » dès tion sur le réseau de Lyon. Il n’y a ensuite pas Benz sur la piste d'essais de eu de débouchés industriels pour des raisons Rastatt en 1982 (coll. Daimler l’instant où le moteur thermique n’est pas un PublicArchive). simple petit moteur auxiliaire mais a une puis- économiques. La démonstration était faite de sance suffisante pour permettre une exploita- la faisabilité de la bimodalité captation/batte- ■ Figure 2 : Trolleybus bimode tion avec des performances assez proches de rie avec le couple électrochimique cadmium- ER 180 en essais sur le réseau celles réalisées en mode électrique. En contre- nickel, qui était alors une solution efficace (un de Lyon en 1980 (Coll. Archives partie d’une « souplesse » d’exploitation cette nombre considérable de cycles de charge- municipales de Villeurbanne). solution présente donc le double inconvénient décharge lorsque la profondeur de décharge d’être plus lourde et plus complexe, sans est faible) mais relativement chère. Les simu- garder en permanence les avantages de la trac- lations de l’époque (vers 1980) montraient que tion électrique. des tronçons en autonomie de l’ordre de 4 à 5 km étaient envisageables pour des lignes de La solution du bimode tout électrique apparaît trolleybus bimodes. ainsi plus séduisante mais pose la question des performances du dispositif de stockage D’autres solutions ont été ultérieurement d’énergie embarquée. Un important program- expérimentées dans d’autres contextes. Une me de recherche et développement de trolley- dizaine de trolleybus ont fonctionné à Bâle bus bimode tout électrique a été réalisé en jusqu’au début des années 2000 avec des France sur une durée de huit ans (Dupont volants d’inertie de première génération tour- 1983), il a débouché sur la mise au point du nant à 12000 tours/min.

Transports Urbains N°127 (décembre 2015) 25 Trolleybus et systèmes dits « intermédiaires » entre autobus et tramways La famille des systèmes intermédiaires étudiés difficultés rencontrées les ambitions ont dû dans les années 1990 regroupait en réalité trois être revues à la baisse. Nous ne nous attarde- filières différentes de matériels (Soulas 2003) rons pas sur le Philéas à guidage électronique que nous évoquerons ici vis-à-vis de leur posi- et recalage par transpondeurs qui a été réalisé tionnement par rapport au trolleybus: sur la base d’un véhicule hybride à Eindhoven – l’une concerne l’amélioration des bus et trol- et à Douai (Eveole); le cumul de plusieurs leybus et se trouve maintenant incluse dans innovations de natures diverses a rendu la le concept de BHNS « Bus à Haut Niveau de mise en œuvre compliquée. Nous insisterons Service »; un peu plus sur le CIVIS à guidage optique, – une autre, le Translohr, a évolué en devenant car son développement a été lancé de manière un véritable « tramway sur pneus ». Il ne imbriquée avec celui d’un trolleybus à s’agit pas (ou plus) d’un trolleybus guidé; moteurs roues (le CRISTALIS en service à – la troisième, le TVR, est la seule à être vrai- Lyon). La même innovation en matière de ment « intermédiaire » entre bus/trolley et chaîne de traction, qui permet dans un véhicu- tramway, et c’est aussi la seule qui a connu le à plancher bas d’élargir le passage au de gros problèmes. niveau des roues arrières, a été appliquée à la ■ Figure 3 : CIVIS en version fois à un projet de nouveau système et à un électrique pour le réseau de trolleybus plus classique, tout en étant égale- Bologne, en essais chez le ment envisageable pour des bus diesel-élec- constructeur en 2005 (photo P. Nouvelles solutions de transport routier et Prisci). guidage immatériel trique. ■ Figure 4 : TVR de Nancy, sur L’objectif initial de cette filière était de mettre Le TVR, une tentative de solution « intermé- voirie banale dans la traversée au point un nouveau système de transport sur de la commune de Saint-Max diaire » entre trolleybus et tramway (photo Pierre Zembri). pneumatiques bénéficiant d‘un guidage immatériel sur l’ensemble de la ligne. Vu les Le TVR avait la grande ambition de fonction- ner aussi bien en mode guidé comme un tram- way qu’en mode routier comme un bus ou trolleybus. Suite aux difficultés rencontrées à Caen et surtout à Nancy, le TVR n’a pas réussi à s’implanter sur d’autres sites. Nous nous limiterons ici à constater que le TVR de Nancy utilisait la bimodalité de guidage en exploita- tion normale et était alimenté par une captation type trolley alors que le TVR de Caen n’utili- sait la bimodalité de guidage que de manière exceptionnelle (ou pour se rendre au dépôt) et était alimenté par une caténaire de type tram- way.

Le tramway léger sur pneumatiques, un concurrent potentiel (de plus) du trolleybus?

Au départ (vers 1995) le premier prototype de Translohr était bimode en guidage avec des fonctionnalités comparables à celles du TVR mais un dispositif de guidage différent (roulettes de guidage obliques « en V »). Une version trolleybus du véhicule pouvait être envisagée. Depuis le système a évolué, il a abandonné la bimodalité de guidage et est devenu un véritable « tramway sur pneus ». Ses fonctionnalités sont alors comparables à celles d’un tramway classique sur fer (guida- ge permanent, modularité en longueur, possible réversibilité). Contrairement au CIVIS et au TVR le Translohr a connu plusieurs cas d’application en France et à l’étranger. Le créneau d’application du Translohr recoupe celui du tramway léger sur fer, mais il pourrait éventuellement devenir aussi un concurrent potentiel de trolleybus, en particulier dans les cas où un critère de choix est l’adhérence du pneumatique pour des pentes de l’ordre de 10 à 12%. Le système est plus cher qu’un trolleybus mais avec une

26 Transports Urbains N°127 (décembre 2015) capacité et une modularité supérieures: les emprise au sol. La dernière version du Trans- comparaisons doivent se faire de manière lohr présentée en 2014 cherche à réduire les globale sur une longue période (voir plus loin coûts, notamment avec un véhicule unidirec- p. 28). Le critère insertion peut être détermi- tionnel, tout en conservant le guidage conti- nant sur certains sites du fait d’une moindre nu. Perspectives En première approche le contexte actuel pour- sement et exploitation) d’un véhicule bi-arti- rait être favorable au trolleybus par la conjonc- culé 24 m à traction Diesel peuvent dans tion de plusieurs facteurs: certaines conditions être plus faibles que ceux – le regain d’intérêt pour les TC routiers avec du tram, lorsque celui-ci a une capacité unitai- la mode du BHNS (au sens large…); re équivalente (par exemple 64% des coûts du – la priorité politique accordée à l’électromo- tram en fonction d’hypothèses de valeurs bilité; numériques). En revanche, si on compare les – les innovations technologiques. coûts globaux d’un véhicule routier bi-articulé à traction électrique (type trolleybus) avec un Nous verrons toutefois que ces trois facteurs tram de plus grande capacité unitaire (circu- sont susceptibles de favoriser plus fortement lant à une fréquence moins élevée donc avec d’autres solutions que le trolleybus. une meilleure régularité), il n’y a pratiquement pas de différence de coûts globaux. Ceci ■ Figure 5 : Translohr circulant monte que le choix du mode de transport sur la ligne T5 francilienne Le trolleybus au sein du concept BHNS collectif peut aussi être replacé dans le contex- (photo Pierre Zembri). te de la mobilité électrique. Ces dernières années le BHNS a pris une gran- ■ Figure 6 : Trolleybus à haut de importance dans le discours sur les trans- niveau de service, les Cristalis ports collectifs urbains, et d’une certaine 1) Par autres systèmes nous entendons d’une part les diffé- articulés sont utilisés à Lyon sur manière dans les réalisations (CERTU 2005 et rents systèmes de transport guidé urbain (tramways et trois des lignes « majeures » autres), d’autre part les autres formes de réalisation de indicées C1 à C3 (photo Pierre COST 2011). réseaux de bus non hiérarchisés, avec des améliorations Zembri). réparties sur plusieurs lignes Il convient de relativiser d’une part l’intérêt réel du BHNS par rapport aux autres systèmes de transport collectif (1), d’autre part le créneau potentiel du trolleybus au sein des transports collectifs routiers. L’enjeu du BHNS est de mettre en œuvre une approche système pour améliorer toutes les compo- santes du mode de transport bus ou trolley, y compris l’infrastructure souvent réalisée en site propre. C’est a priori un facteur de progrès pour un certain nombre de lignes, mais il convient de ne pas surestimer les potentialités de ce concept présenté comme nouveau tout en remettant au goût du jour d’anciennes solu- tions de transport en site propre. Cela ne concerne qu’un nombre réduit de lignes de bus, celles considérées comme les plus impor- tantes. Pour les lignes où le débit est le plus important (ou susceptible d’augmenter signifi- cativement dans les années à venir) le trolley- bus est en concurrence avec le tramway léger sur fer ou sur pneumatiques. Pour les lignes où les décideurs choisissent le BHNS pour des raisons d’économie (parfois économies réelles, parfois économies de court terme au détriment du long terme) le trolleybus apparaît plus cher que les bus hybrides ou diesel améliorés. Une comparaison technico-économique du BHNS par rapport au tramway a été réalisée en 2007 par un groupe de travail de la société allemande de recherche pour la route et les transports animé par l’Université de Wupper- tal. Elle n’est valable que dans le domaine de recouvrement des deux systèmes, avec des débits en heure de pointe inférieurs à 2500 voyageurs/h/sens. Cette comparaison a été effectuée pour des bus à grande capacité (24 m) qui ont fait leur apparition sur une première ligne à Hambourg. De manière simplificatrice, les estimations faites sur la base d’une ligne type montrent que sur une période de 30 ans les coûts globaux (investis-

Transports Urbains N°127 (décembre 2015) 27 Le trolleybus au sein covoiturage dynamique,… (Soulas, 2013). Dans une moindre mesure des espoirs sont de l’électromobilté… placés dans l’innovation technologique pour les transports collectifs notamment élec- Le concept d’électromobilité est apparu ces triques, et notamment routiers. C’est dans ce dernières années pour désigner l’usage de contexte que se situent les perspectives d’évo- l’électricité dans les transports. En principe il lution technologique des trolleybus. peut s’appliquer à différents domaines: trans- ports collectifs électriques, utilitaires et véhi- Les différents composants technologiques cules de livraison urbaine, transport individuel connaissent des améliorations, plus souvent de motorisé (voiture et deux roues motorisés manière lente et progressive que par des notamment scooter), voiture en autopartage, ruptures fortes. C’est le cas des batteries vélo à assistance électrique. En réalité c’est actuelles et futures qui permettent d’envisager actuellement surtout la voiture électrique qui une réalisation plus aisée de trolleybus est sur le devant de la scène. On peut douter de bimodes tout électriques mais aussi de bus la pertinence de ce créneau (2) mais des incita- électriques à batteries (sans captation) pour tions de plus en plus fortes, de nature financiè- des lignes où les cahiers des charges ne sont re ou autres, sont accordées pour essayer pas trop exigeants, ou bien des bus hybrides malgré tout d’en accroître la diffusion. Pour- plus performants. Depuis une période plus tant des analyses déjà anciennes (Soulas, 1993) récente c’est aussi le cas d’un autre composant mettaient en perspective le développement des de stockage, les super-condensateurs, qui se transports collectifs électriques et celui du différencient des batteries par une énergie véhicule électrique routier (livraisons). massique plus faible mais une plus forte puis- sance massique, ils se distinguent aussi par une durée de vie relativement longue calculée Innovations technologiques en nombre de cycles de charge-décharge. Cette technologie pourrait être de nature à Ces dernières décennies l’innovation a améliorer deux solutions concurrentes du trol- souvent été considérée comme l’un des leybus: le bus hybride (en lieu et place des La recharge en station et moyens de faciliter le développement du trol- batteries ou en complément de celles-ci) et les leybus, que celle-ci soit purement technolo- bus électriques alimentés par « biberonnage » la transmission d’énergie gique (nouveaux composants de traction, en station. Il existe en effet deux solutions par induction emperchages automatiques,…) ou conceptuel- pour réaliser des bus ou transports collectifs constituent davantage le (différents types de bimodes thermi- routiers sans captation aérienne: la recharge des alternatives au ques électriques ou tout électrique avec en station avec des composants de puissance, trolleybus qu’une stockage embarqué, voire bimodalité de et la transmission d’énergie par induction guidage mécanique ou immatériel). Avec le entre la voie et le véhicule. Il s’agit là d’alter- version « sans fil ». recul on peut se rendre compte que des espoirs natives au trolleybus, plutôt que de « trolley- trop forts ont été placés dans les impacts bus sans fil » qui serait une appellation potentiels de ces innovations, mais le phéno- impropre, mais de toute façon ces diverses mène n’est spécifique ni au trolleybus ni aux solutions technologiques permettent de réali- transports collectifs. Actuellement des espoirs ser des systèmes de transport avec des fonc- excessifs sont placés avant tout dans l’apport tionnalités voisines. des nouvelles technologies pour résoudre les problèmes de transport urbain en améliorant le transport individuel motorisé: motorisation électrique, automatisation, NTIC pour le 2) cf. Éditorial du n°119 de Transports Urbains (2011).

■ Figure 7 : Autobus électrique utilisant une solution de rechar- ge par induction développée par Bombardier Transport sur le réseau allemand de Braunsch- weig.

28 Transports Urbains N°127 (décembre 2015) Conclusion La question de l’avenir du trolleybus est à la sent entre modes routiers et modes élec- fois complexe et à différencier selon les triques (systèmes bimodes, systèmes contextes : pays de l’Europe de l’Ouest, d’Eu- hybrides, captation aérienne ou captation au rope de l’Est ou pays en développement, sol). villes déjà équipées d’infrastructures d’ali- mentation électrique ou non, nature du systè- L’innovation technologique est souvent mise me trolleybus ou bimode, etc. Cette question sur le devant de scène. C’est effectivement un perd aussi de sa pertinence si l’on considère facteur parmi d’autres qui peut faciliter le que les principaux enjeux se situent à d’autres succès de telle ou telle solution. Cela ne niveaux : devrait toutefois pas masquer les aspects – la place respective du transport individuel fondamentaux qui conditionnent l’efficacité motorisé en ville et du transport des transports collectifs et leur bilan écono- collectif envisagé en synergie avec les mique et énergétique: affectation d’espace, modes non motorisés (rabattements et priorités aux feux, rationalité des réseaux. Il L’innovation complémentarités) et l’évolution de l’urba- apparaît actuellement de « fausses bonnes technologique ne devrait nisme dans les zones périphériques; idées » qui pourraient à terme remettre en – la manière de diffuser la traction électrique cause la qualité des dessertes par bus et trol- pas masquer les aspects dans l’ensemble des transports urbains et leybus quelle que soit par ailleurs leur excel- fondamentaux qui périurbains; lence technologique: l’ouverture des couloirs conditionnent – l’évolution des systèmes de transport collec- réservés aux co-voitureurs et aux voitures l’efficacité des tif où les frontières traditionnelles disparais- électriques. transports collectifs et Bibliographie leur bilan économique et énergétique. AVEROUS C., GODARD X., NAESSANy S., automobile face au défi du développement « Effets sur l’industrie et l’emploi de la durable, Les Annales des Mines, novembre limitation de l’usage de l’automobile dans 2003 les villes », Transports Urbains, avril-juin 1976 SOULAS C. (2000), « Bimodalité énergie appli- quée aux transports collectifs urbains: DEUTSCH V., BALkE M., EBERWEIN B., SOULAS captation/énergie embarquée ». REE C. et al. (2008) Hinweise zu Systemkosten (Revue de l’électricité et de l’électro- von Busbahn und Strassenbahn bei nique). Juin 2000. Neueinführung, Publication de la Société allemande de recherche pour la route et les SOULAS C. (1993), « Problématiques compa- transports « Forschungsgesellschaft für rées du véhicule électrique routier à batte- Strassen- und Verkehrswesen », Cologne, ries, et des transports collectifs urbains Allemagne électriques ». Actes du symposium VP/CV SEE « Réalités et perspectives du véhicule DUPONT B. (1983), Le trolleybus bimode, électrique ». La Rochelle, novembre 1993. synthèse des travaux et perspectives, Rapport de synthèse, Institut de Recherche SOULAS C., Des visions contrastées pour la ■ Figure 8 : De nouvelles géné- des Transports, avril 1983 ville économe et ses équipements, basées rations de trolleybus classiques continuent à être produites à sur une approche multimodale, pluridisci- l'instar de cet articulé Van Hool FRITSCH R. (2012), « Der O-Bus in Deut- plinaire et multihorizons », Colloque Inter- des Transports Publics Genevois schland », der Nahverkehr, 10/2012 national du Labex Futurs urbains, janvier (photo Pierre Zembri). 2013 MALTERRE P. (1976), « Un nouvel avenir pour le trolleybus? », Transports Urbains, avril- juin 1976

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SOULAS C., PAPON F. (2003). « Les conditions d’une mobilité alternative à l’automobi- le », dans le numéro spécial La civilisation

Transports Urbains N°127 (décembre 2015) 29 MARC LE TOURNEUR La constitution des réseaux maillés de tramway de Grenoble, Strasbourg et Montpellier : un témoignage d’acteur Lorsqu’on tente d’expliquer l’apparition des poraines – d’Antigone à Port Marianne, a créé réseaux maillés dans le cadre du « tramway à un grand espace à desservir où le maillage la française », il apparaît clairement que deux devient une nécessité. raisons principales expliquent ce maillage: – la première raison, souvent la plus Le deuxième point qui frappe quand on a vécu importante, est la saturation des circulations l’évolution des projets de tramway en France des tramways dans l’hypercentre. On depuis leur début dans les années 1970, c’est commence par construire une première ligne. que les bureaux d’ingénierie tramway les plus La clientèle dépasse les prévisions. On ajoute importants que sont SYSTRA et Egis-Rail, des rames et les tramways finissent par se étaient tous les deux très réticents aux gêner entre eux. maillages et en particulier très réticents aux – la deuxième raison est en général une troncs communs, qui sont souvent la clé d’un question d’urbanisme. La taille et la configura- maillage réussi. tion de l’espace central déterminent le besoin de créer un maillage. Cela s’explique assez facilement par le fait que ces deux bureaux d’études sont issus, l’un des On peut plutôt rattacher les cas de Grenoble et études du métro de Paris et des RER de la de Strasbourg à la première raison, avec des région parisienne, l’autre des études des problèmes de saturation à résoudre. En métros de Lyon et Marseille. Ils sont marqués revanche, le cas de Montpellier relève essen- par leur expérience métro où le principe de tiellement de la deuxième raison. La configu- base consiste à faire circuler une seule ligne ration du centre-ville, avec la juxtaposition du par infrastructure et d’éviter évidemment les centre historique et de ses extensions contem- croisements à niveau. Grenoble Marc Le Tourneur a eu des responsabilités dans Un projet initial à deux lignes Très vite, une phase de réflexion s’engage les trois villes ayant pour savoir s’il est possible se contenter d’une constitué en premier lieu Grenoble est sans doute le premier réseau à seule ligne. À partir du moment où on veut développer les transports en commun, ne un réseau maillé. Il a été s’être posé la question puisqu’avec Nantes, Grenoble partage l’initiative de faire renaître faudrait-il pas plutôt parler d’un réseau de tour à tour coordinateur le tramway en France. Le projet initial de transport en commun en site propre avec de la réalisation du Grenoble était constitué de deux lignes en T, à plusieurs lignes se croisant dans le cœur de tramway pour le Ville de réaliser quasi simultanément. Ce ne fut pas le l’agglomération? Grenoble, Directeur du cas à Nantes ou plus tard à Strasbourg. Cette réflexion, antérieure au concours projet Tramway à la On a donc bien un projet à deux lignes, élaboré Cavaillé, se fait alors en prenant pour référen- Communauté urbaine de dans l’étude de faisabilité commune à l’agence ce le Poma 2000, petites cabines tractées par Strasbourg puis d’urbanisme et à la SEMALY (devenue Egis- câble et roulant en viaduc sur des rails à l’ima- directeur de l’exploitant Rail) et réalisée dans les années 1978-80. Mais ge des télécabines de montagne. Si on (CTS), directeur des pourquoi deux lignes en T? recherche les rares témoignages encore exis- tants du Poma 2000 dans l’espace grenoblois, grands projets du groupe On retrouve là la structure des vallées greno- on verra que la dernière trace visible n’est Transdev puis enfin bloises, qui amène à privilégier les axes les justement pas sur l’itinéraire de la première Directeur général des plus denses de part et d’autre des vallées du ligne du SDAU mais sur celui d’une ligne Transports de Drac et de l’Isère. Mais il faut revenir à la allant vers La Tronche au niveau du quartier de l’agglomération de réflexion topologique à l’origine des études du la Mutualité, avec un grand percement dans un immeuble construit à l’époque (Fig 2). Montpellier. tramway grenoblois. Son témoignage permet Cette réflexion démarre à la fin des années Cette approche réseau va se matérialiser de mieux saisir les 1960 avec l’élaboration du « Livre Blanc (1) » dans quelques documents mais va rester fina- logiques à l’œuvre dans suivi au début des années 70 par l’un des la constitution de ces premiers SDAU français, lequel comprenait 1) Le « livre blanc » vendu à plusieurs milliers d’exem- réseaux maillés, et de une ligne de TCSP réunissant les quartiers plaires est sans doute un des premiers documents d’urbanis- anciens, de Fontaine au centre-ville, avec les me conçu pour être largement diffusé dans le public faire un bilan raisonné grenoblois. La nouvelle équipe municipale élue en 1965 quartiers nouveaux du Village Olympique et de autour d’Hubert Dubedout avait la volonté de faire partici- de leur conception. la Villeneuve de Grenoble-Echirolles (Fig1). per les habitants à l’aménagement urbain.

10 Transports Urbains N°129 (novembre 2016) lement assez légère, elle sera le propre de est immédiat et le nombre de rames de la l’agence d’urbanisme. Je ne suis pas certain seule ligne A circulant sur l’axe central entre ■ Fig. 1 : Extrait du Livre Blanc qu’elle ait donné lieu à une approbation par la gare et la place de Verdun est élevé, pour de 1969. le Syndicat Mixte des Transports en répondre aux heures de pointe à la demande Le Livre Blanc pour l’aménage- Commun, ni même qu’elle ait été présentée à d’une clientèle supérieure à celle qui était ment de la région grenobloise (1969), largement diffusé dans ce Syndicat Mixte. Mais lorsqu’on regarde prévue. le grand public, a précédé le les documents de cette étude, on aperçoit en premier document d’urbanisme filigrane la quasi-totalité des lignes en cours La livraison de la deuxième ligne en 1990 stratégique de l’agglomération, de réalisation ou déjà réalisées (Fig. 3 page montre que les tramways, faute d’une priorité le SDAU de 1973. La carte ci- suivante). aux feux suffisante, – on est encore dans les dessus est la seule qui traite du balbutiements des priorités aux feux, ont sujet des transports. Elle Suite à l’étude de faisabilité réalisée entre tendance à se gêner mutuellement et à créer montre des projets d’infrastruc- 1979 et 1981 par l’Agence d’Urbanisme et la des « trains » de tramways. On fait très vite le tures routières, réalisées par- SEMALY, le projet à deux lignes prend corps constat qu’on a atteint le maximum de ce tiellement, d’un RER qui n’exis- tera pas et d’un réseau de TCSP au début des années 1980. Il est en forme de T qu’on peut mettre sur l’itinéraire commun et bien moins important que ce qui avec un long tronc commun reliant la gare à la qu’il faudra dorénavant éviter le passage des se fera en réalité. place de Verdun sur 1,5 km. lignes suivantes sur cet axe. Cela reste pour- tant l’espace de transit le plus demandé par la Cette longueur se justifie d’abord par le fait clientèle. que la gare de Grenoble est particulièrement excentrée – elle se trouve à un kilomètre de La priorité aux feux, compte tenu de la l’hypercentre, chose rare pour cette taille de fréquence des tramways, était trop contrainte ville, ensuite parce que, tout naturellement, il par des carrefours très rapprochés avec de reprend le « tronc commun » des lignes de bus grands axes de circulation, pour que son qui avait défrayé la chronique dans les années amélioration suffise à augmenter la capacité 1970. Les nuisances importantes causées par du tronc commun. le passage dans les deux sens de près de 200 bus à l’heure avaient provoqué un débat poli- ■ Fig. 2: L’immeuble de la Mutualité, conçu pour être tique qui a pesé en faveur du choix du tram- traversé par le Poma 2000. way. La très grande échelle des immeubles construits à Gre- Le projet des 2 lignes en T visait à résoudre noble vers 1970 en bordure du l’ensemble des problèmes de surcharge du centre et à la Villeneuve suppo- réseau bus-trolley de l’époque, notamment la sait que l’on prévoie les réserva- desserte des trois points forts les plus difficiles tions nécessaires pour les qui étaient, en dehors bien sûr de l’hyper- emprises de transports en com- centre, la gare, le CHU de La Tronche et le mun. Ce qui a été fait pour l’im- meuble de la Mutualité, qui n’a campus de Saint-Martin d’Hères. en définitive pas été traversé par le système de transport par Lorsque l’on met en service la première ligne câble initialement imaginé. en septembre 1987, son succès commercial

Transports Urbains N°129 (novembre 2016) 11 La solution n’aurait-elle pas consisté à augmenter la longueur des rames?

La saturation perçue dès la fin des années 1980, accentuée par les difficultés de remplissage de rames dépourvues de portes à leurs extrémités, semblait relativement sans issue (2). à l’époque, les tramways de 30 m à plancher bas partiel fabriqués par Alsthom pour Grenoble ne pouvaient pas être allongés. Il n’existait pas non plus de rames plus longues, même à l’étranger.

Les tramways allemands étaient tous plus courts, 24 m maximum, 50 m en rames doubles. Certes, on avait bien envisagé à Grenoble comme à Nantes l’hypothèse de rames doubles. Mais pour des raisons liées au financement du projet, à l’étroitesse des rues empruntées et à la difficulté de loger des stations de 70 m de long en centre-ville ou dans les faubourgs, on avait renoncé dès l’avant-projet à faire des quais à la nantaise, capables d’absorber deux rames. Il n’était pas possible d’augmenter facilement la capacité du tronc commun.

■ Fig. 3 : le réseau TCSP 1973. Le réseau de tramway à terme tel que le voyait l’Agence d’Ur- banisme de Grenoble, en 1973 (source : AURG).

Les nuisances importantes causées par le passage dans les deux sens de près de 200 bus à l’heure avaient provoqué un débat politique qui a pesé en faveur du choix du tramway.

Les lignes C et E: passer ou ne pas passer au-delà de la Villeneuve et la B vers la pres- qu’île technologique, et création d’un maillage par le centre? potentiel avec une ligne ultérieure sur le cours Jean Jaurès à hauteur de la limite Echirolles- Les études de réseau, qui vont s’engager à la Pont de Claix. suite de la livraison de la deuxième ligne, vont faire apparaître un certain nombre de besoins topologiques d’extension du réseau de tram- 2) La capacité théorique de 180 personnes à 4 places debout au m2 n’a presque jamais été atteinte en situation de pointe. ways: Les comptages réalisés atteignaient 170 pers./rame en poin- 1 – Extension des deux premières lignes, la A te, pas davantage.

12 Transports Urbains N°129 (novembre 2016) 2 – Création d’une ligne C entre Seyssinet- France dans les années 30. Ils sont bordés sur Seyssins et le campus de Saint-Martin d’Hères leurs 2,3 kilomètres de long par des ■ Fig. 4 : les Grands Boulevards via les Grands Boulevards, ligne C qui servira immeubles d’habitation de dimension monu- (avant/après). aussi à désaturer la ligne B (3). mentale à l’image de certains axes de Barcelo- Les grands boulevards de Gre- 3 – Desserte de la vallée de l’Isère vers Saint- ne. Plusieurs milliers d’habitants ont leurs noble (boulevards du Maréchal Joffre, du Maréchal Foch et Égrève au Nord et de l’axe historique des fenêtres directement exposées à une intense Joseph Vallier) ont été cons- Cours Jean Jaurès-Libération vers le sud. circulation automobile. truits et urbanisés entre 1938 Cette liaison Nord-Sud va se traduire par la et 1960, sur la ceinture des for- ligne E, sans savoir à ce stade si cette future Les 60000 véhicules/jour qui les empruntent tifications de 1879. Grenoble ligne fera ou non un détour par le centre-ville roulent à une vitesse élevée du fait de la étant une des rares villes fran- et la place Victor Hugo, dans son long trajet présence d’un viaduc routier de plusieurs çaises dont le tissu urbain cen- rectiligne entre Isère et Drac. centaines de mètres construit pour les Jeux tral a été constitué au XXe Olympiques de 1968, et rendent cet axe urbain siècle, elle est un témoignage Les études montrent rapidement que la ligne C monumental de 45 m de large entre façades de de l’évolution des conceptions moins en moins vivable. Réverbération du urbaines de cette période. s’impose comme celle ligne à réaliser ensuite Le tramway a été l’outil d’une dans le dispositif grenoblois. Sauf que, et c’est bruit et mauvaise isolation de ces R+10 de profonde transformation des toute l’interrogation, tout le monde hésite à standing construits majoritairement dans les grands boulevards, qui a été l’idée que la C ne passe que sur les boulevards années 1950 focalisent les mouvements des complétée par une réhabilita- en Est-Ouest, donc sans passer dans le cœur de associations d’habitants contre cette circula- tion thermique massive des ville comme c’était le cas auparavant de l’en- tion. Ils trouvent alors dans l’idée d’y faire copropriétés qui le longent semble du réseau. On avait certes une ligne de passer les tramways un point d’appui majeur. (source : AURG). bus qui empruntait les boulevards mais on arri- vait difficilement à imaginer qu’une ligne de Les Grands Boulevards ont connu avec l’opé- tramway ne passe pas en cœur de ville. ration de la ligne C une réflexion intense sur le type d’aménagement. Cette réflexion va L’exploitabilité du tronc commun et l’opportu- déboucher sur une opération emblématique, la nité d’offrir des destinations différentes des destruction de l’autopont. De la même façon dessertes classiques par le centre font pencher qu’à Strasbourg, le tramway et son maillage la balance vers un tracé direct par les Boule- ont conduit plus récemment à la destruction vards. Mais deux autres éléments vont faire la d’un autopont de grande dimension caractéris- décision. tique des années 1960, cette réflexion à Grenoble a débouché sur l’élimination de l’au- 1 – Les extensions du centre-ville le long des topont traversant le cours Jean-Jaurès et long Boulevards.Nous sommes à l’époque de la de plusieurs centaines de mètres. Cette inci- libération des grandes casernes du centre de dente urbaine montre qu’avec le tramway, on Grenoble, la caserne Hoche d’abord dans les voit arriver des préoccupations environnemen- années 1980, la caserne de Bonne ensuite dans tales, des préoccupations de qualité d’aména- les années 2000. Ces opérations embléma- gement qui, sans doute, ne se seraient pas tiques de grande dimension tendent à ouvrir le produites sans le passage de 2 x 3 voies à 2 × 2 centre-ville en direction des boulevards. Elles voies autour du tramway. rendent naturelle une desserte de cet espace par une ligne forte de TCSP. La plate-forme engazonnée a radicalement transformé l’image des grands boulevards sur toute sa longueur avec une division par deux 2 – Les conditions d’existence dans les du nombre de voitures les empruntant, alors milliers de logements qui entourent les boule- qu’il s’agit pourtant du principal axe Est Ouest vards sont de plus en plus difficilement vécues de l’agglomération avec l’autoroute de par les habitants. Les Grands Boulevards de Grenoble, principa- 3) La ligne B est sans doute la seule ligne de tramway à le liaison Est-Ouest de la ville, constituent une avoir été doublée par des bus dès son ouverture pour faire des grandes opérations urbaines lancée en face à la saturation des rames.

Transports Urbains N°129 (novembre 2016) 13 contournement au sud. On est passé de deux maillé à Grenoble, on s’aperçoit que 60% des ■ Fig. 5 : Cours Jean Jaurès. grands axes de circulation Est Ouest à raisons sont des raisons d’exploitabilité (la Le cours de Saint-André a été Grenoble à un axe et demi avec l’opération de traversée du centre-ville par le tramway) et réalisé vers 1775, sur une digue du Drac. Boulevard rectiligne la ligne C. 40% des raisons sont des raisons d’aménage- planté sur 7,8 km et large d’en- ment et de qualité de vie: extension du centre- viron 45 m, il appartient à la De façon similaire, la réflexion sur la ligne E ville dans le sud et qualité de vie sur les grands famille des grands tracés est aussi guidée par cette question un peu axes urbains. royaux, comme à Marseille ou obsédante de savoir s’il faut passer par le Tours. Itinéraire d’accès aux centre-ville. La E en fait, c’est un peu l’itiné- Le constat initial est en effet le même pour le Alpes du sud, il a été aménagé raire historique que les amateurs de ski cours Jean Jaurès que pour les grands boule- avec des contre-allées et bordé connaissent – ou connaissaient – puisqu’il vards, certes en un peu moins intense. Le cours d’immeubles hauts sur l’essen- s’agit de la Nationale 75 venant du nord et se Jean Jaurès mesure quelque 40 m entre tiel de sa longueur. De nos jours, il s’appelle cours Jean- dirigeant vers le sud de Grenoble par ce grand façades. Avant la requalification liée à la E, il Jaurès à Grenoble et à Échi- axe rectiligne de 10 km constitué par les cours comportait deux fois deux voies de circulation rolles, de la Libération à Gre- Jean Jaurès et de la Libération jusqu’à la générale auxquelles se rajoutaient couloirs bus noble et Saint-André à fourche de Pont de Claix. et contre allées. On y observait comme sur les Pont-de-Claix (source : AURG). Boulevards un niveau de bruit excessif, accep- Comme la gare, cet axe-là, implanté sur la té pendant des années car on ne pouvait pas première digue du Drac construite au XVIe faire autrement, mais qui aujourd’hui est siècle, est décentré par rapport à l’hypercentre. considéré comme de plus en plus insuppor- Faut-il alors que cette ligne se débranche? table par les milliers de riverains de ce type Mais comment faire un détour du côté de la d’axe routier urbain. Le choix d’aménagement place Victor Hugo avant de revenir sur le cours sera de faire un 2 x 1 voie autour de la plate- Jean-Jaurès? De nouveau, ce qui va pencher forme tramway. en faveur d’une ligne toute droite ne passant pas par le cœur de ville, c’est justement cette À partir de là, ces choix et ces réflexions des réflexion sur la saturation du tronc commun années 1990 sur la topologie du réseau ne des lignes A et B. seront plus remis en cause et à Grenoble, le maillage apparaît comme effectivement une Autrement dit quand on reprend tous les donnée d’évidence sur lequel les bilans tirés éléments qui conduisent à avoir un réseau sont considérés comme bons.

Autre incidence du maillage, le fonctionnement des points de rencontre

La station Chavant, station commune aux lignes A et C, à hauteur du grand carrefour proche de la mairie et de l’axe de pénétration dans l’hypercentre, le boulevard Agutte Sembat, a donné lieu à une réflexion pointue sur : faut-il deux stations ou une seule ? et à quel endroit ? Et pour des raisons liées à la qualité de correspondance entre les lignes, donc pour des raisons privilégiant la fréquentation du tramway plutôt que la circulation automobile, on a préféré déplacer la station Chavant de telle façon qu’elle puisse servir aux deux lignes, non sans tâtonner sur le mode d’exploitation de la circulation et des tramways autour de cette station, compte tenu de la difficulté d’insertion d’une grande station de transport public au cœur d’un système circulatoire emprunté chaque jour par des dizaines de milliers de véhicules. Les premières années furent difficiles en raison de la conjonction des pertes de temps liées à la double signalisation routière et ferroviaire. La disparition de la signalisation ferroviaire et le fait que tout le monde suive la signalisation routière, tram et voitures, va permettre de résoudre à peu près le problème.

14 Transports Urbains N°129 (novembre 2016) Strasbourg

Un retour du tramway en quatre actes Le X ainsi étudié c o m p r e n a i t Le tramway de Strasbourg a connu une histoi- c o m m e à re particulièrement mouvementée que l’on Grenoble un peut résumer en quelques lignes: tronc commun transversal nord- Premier acte: suite au concours Cavaillé de sud à travers le 1975, Pierre Pflimlin, maire de Strasbourg, centre-ville faisait étudier un projet de tramway, ou plutôt allant du centre de retour du tramway, 15 ans après avoir prési- com-mercial des dé la grande fête de clôture d’un des plus Halles, qui avait grands réseaux de tramways de France. Il riait remplacé l’an- lui-même d’avoir été le même maire à décider cienne gare sa clôture puis sa réintroduction, et en parlait terminus fran- comme d’une des grandes erreurs urbaines çaise, jusqu’à la d’après guerre. place de l’Étoile. Deuxième acte: Marcel Rudloff son succes- En 1990 donc, le seur abandonne le projet de deux lignes de projet est repris, tramway en X issu du concours Cavaillé au il conduit à la réalisation de la première ligne, profit du Val. La modernité Strasbourgeoise ne celle qui relie la ZUP de Hautepierre à Bager- ■ Fig. 6 : Tramway dans le quar- peut chasser les voitures de la place Kléber et see au sud avant de rejoindre ultérieurement tier Européen (photo P. Zembri). reconstruire un transport du passé. Illkirch-Grafenstaden au-delà. Elle est mise en service en 1994. Il faut attendre l’inauguration Troisième acte: 1989, les Strasbourgeois rejet- de cette ligne pour que Strasbourg relance la tent le Val, et le maire (4) qui va avec, au profit réflexion sur le réseau long terme. Entre- d’une jeune femme dont le programme muni- temps, on a failli installer dans l’espace urbain cipal est centré autour du projet de tramway les appareils de voie permettant d’amorcer les abandonné en 1982. deux branches nord et sud du X initial. Heureusement la tentation a été évitée et les Quatrième acte: les Strasbourgeois (sans réflexions ont pu recommencer sur un terrain doute pas les mêmes) se mobilisent massive- vierge. ment contre le tramway de Catherine Traut- mann et Roland Ries, livre noir du tram vendu À la différence du réseau en X des années à 10000 exemplaires, pétition de 30000 signa- 1980, la réflexion sur ce réseau à long terme tures (sans aide d’Internet!) contre l’abattage s’appuie sur une problématique liée au projet des arbres préalable au chantier du tram. Mais urbain et aussi au succès fulgurant de la ligne Catherine Trautmann tient bon et inaugurera A. En effet, encore plus qu’à Grenoble, la l’éviction des voitures de la place Kléber en ligne A dépasse dès les premiers mois la clien- février 1992 et la première ligne du nouveau tèle attendue de 60000 voyageurs pour atteindre rapidement les 90000 voyageurs par tramway le 25 novembre 1994 dans la liesse Pierre Pflimlin riait générale. jour, posant comme à Grenoble la question clé de la saturation de la première ligne dans l’es- lui-même d’avoir été Mais revenons au projet. Ces deux lignes en X pace central. le même maire à visent classiquement à répondre à la plus forte décider de la clôture demande potentielle existant sur le réseau de la Quatre points vont expliciter les données de base de ce futur réseau à horizon de 15 ans: puis de la CTS. Une des branches du X est rigoureuse- réintroduction du ment similaire à la ligne historique la plus 1– Le campus universitaire de l’Esplanade chargée, la ligne tramway n°4 avant de devenir était à l’écart du réseau en X et sa fréquenta- tramway. la ligne bus n°4, permettant de relier les tion de l’époque nécessitait une desserte en communes de Hœnheim, Bischheim et Schilti- tramway, élargissant par là même l’espace gheim au nord, via la place de Haguenau, au central. Ce qui était tabou dans les années centre-ville et au quartier de Neudorf et de 1980 devient une évidence dans les années Neuhof à Strasbourg. L’autre branche du X 1990; correspond là aussi classiquement à une 2– La restructuration complète de l’ancien desserte nouvelle, celle de la ZUP de Haute- glacis sud autour de la route du Rhin, glacis pierre, ZUP des années 1960, et à la reprise de qui jusqu’à présent avait été occupé par des la branche sud de la deuxième ligne historique installations portuaires, va donner lieu à une la plus chargée de l’ancien réseau de tramway grande opération urbaine, justifiant par là et du réseau de bus, la ligne n°6 entre le Parc même une desserte en tramway; des expositions du Wacken au Nord et la ville industrielle de Graffenstaden au Sud. Ainsi plus des trois quarts des deux lignes projetées reprenaient presque rue par rue le tracé du 4) Marcel Rudloff, décédé en 1996, était également Prési- dent de la Région Alsace. C’était un homme politique de réseau historique de tramway détruit dans les qualité qui, malgré sa défaite à la mairie, s’entendit très années 1960. Ce dernier fut un des plus impor- bien avec Catherine Trautmann pour défendre les grands tants réseaux de tramway intra-muros des dossiers alsaciens. villes françaises avec 80 km de lignes dans les 5) On sait peu que ce quartier abrite de nombreuses ambas- sades des 47 pays membres du Conseil de l’Europe. Et on années 1930, auxquels se rajoutaient plus de sait encore moins que Strasbourg abrite la seule ambassade 200 km de lignes de tramway périurbain. de France située sur le territoire national!

Transports Urbains N°129 (novembre 2016) 15 3– La surcharge polygone entre les points d’échange du grand d u t r o n ç o n centre. Un point de maillage dominant, avec central de la quatre lignes se croisant à la station Homme de ligne A depuis la Fer au point nodal du centre-ville et trois gare jusqu’à la autres points de maillage à deux lignes, place place de l’Étoile de la République dans la Neustadt (6), au rend indispen- carrefour Landsberg sur la route du Rhin au sable la mise en Sud Est, et place de l’Étoile; p l a c e d ’ u n doublement du 3– La possibilité de créer de nouvelles lignes n o m b r e d e évitant le nœud de l’Homme de Fer, via l’Es- passages de planade. Cette possibilité paraît tout à fait t r a m w a y s . essentielle pour l’avenir du fonctionnement du Autrement dit, réseau compte tenu du risque de saturation du dès 1995-96, les nœud de l’Homme de Fer. tramways ont beaucoup de Mais, une fois de plus, avec l’ouverture en mal à écouler le septembre 2000 des premières phases des trafic des TER, quatre lignes A, B, C et D, le succès qui déversent commercial va dépasser les espérances. Ce chaque matin et récupèrent chaque soir de très succès repose la question de la saturation du ■ Fig. 7 : Nœud de l’Homme de nombreux voyageurs, handicapant ainsi le carrefour de l’Homme de Fer avec ses quatre Fer, où se croisent désormais fonctionnement de la ligne A; lignes qui se croisent. Il devient rapidement cinq lignes (photo P. Zembri). 4– Le quartier Européen (5) installé autour de un sujet de préoccupation du fait de la noria l’Orangerie et du Wacken, et en particulier le des tramways qui se gênent entre eux. Près projet de nouveau parlement européen, de 100 rames s’y croisent en effet aux heures demande à l’évidence à être rattaché au réseau de pointe. Mais il soulève aussi le sujet de de tramway. On n’imagine plus à cette l’importance de la foule déversée par les époque-là qu’un quartier aussi emblématique quatre lignes de tramway au cœur du princi- de l’image du Strasbourg d’aujourd’hui soit à pal flux piéton du centre-ville entre le centre l’écart de son réseau phare. des Halles et la place Kléber. De ce fait, les réflexions sur le bouclage de la ligne de l’Es- planade avec la ligne D puis la ligne A au sud Vers un réseau maillé évitant la surcharge du en évitant l’hypercentre, sont accélérées. Les travaux de prolongement des lignes C et D centre ancien vont donc s’engager plus vite que prévu. Ils vont permettre de créer une ligne E de C’est ainsi que le projet de deuxième ligne en desserte de l’Esplanade, sans passer par X fondée sur le remplacement par le tramway l’Homme de Fer, entre Baggersee au Sud et des deux lignes de bus les plus fréquentées se le quartier Européen dès le mois de transforme en un projet de réseau à quatre septembre 2007. lignes sur des tracés totalement différents. On peut le décrire en trois points: En novembre 2010, compte tenu de l’augmen- tation ininterrompue de la fréquentation de la 1– D’une part, doubler la capacité des tron- gare centrale (7) avec à la fois le TGV et le çons de la zone centrale par le passage de développement des services TER, il est décidé deux lignes cadencées entre elles sur chacun de raccourcir la ligne C en la faisant partir des tronçons. Ainsi, cette zone centrale sera d’une nouvelle infrastructure en surface desservie en croix par deux fois deux lignes, depuis la gare. permettant de résoudre la question de la satu- ration des parties les plus chargées du ■ Fig. 8 : Tramway de la ligne F à Cette infrastructure se raccorde à l’itinéraire la station Montagne Verte réseau ; des lignes B et C, à hauteur de l’Homme de Fer (photo : Pierre Zembri). et permet de compléter le réseau par une ligne 2– Quatre points de maillage dessineront un F qui remplace la C dans son tronc commun Elsau/centre-ville et la double entre l’Homme de Fer et Esplanade. Il est à noter que cette amélioration fait pour la première fois une entorse au principe édicté par la CTS, consis- tant à ne pas mettre plus de deux lignes de tramway en tronc commun sur une même infrastructure. Aujourd’hui la conception très maillée du réseau de Strasbourg ainsi que la résolution des problèmes de saturation des tronçons les plus chargés par le doublement des lignes les empruntant, est un vrai succès et confirme la place de ce réseau en tête des réseaux de tram- way de France les plus fréquentés.

6) La Neustadt (Ville Neuve) est le magnifique quartier Wilhelminien construit par l’Empire Allemand entre 1870 et 1914. 7 La dénomination de Gare Centrale peu usitée en France n’est que la traduction du « Hauptbahnhof » Allemand.

16 Transports Urbains N°129 (novembre 2016) Montpellier À la différence de Grenoble et de Strasbourg, strictement le réseau de Montpellier, élaboré plus tardive- montpelliéraine, ment, ne part pas d’une ligne comme à autant la deuxiè- Grenoble (étude SOFRETU 1975) ni de deux me ligne permet lignes comme à Strasbourg (étude SOFRETU de desservir les puis GETAS 1982) mais directement d’un communes du réseau à trois lignes. nord-est et du sud-ouest, qui Rappelons qu’à Montpellier, l’origine du figurent parmi projet n’est pas un Poma 2000 mais c’est aussi les plus impor- un système de transport futuriste (des petites tantes de la cabines circulant sur des infrastructures en couronne mont- viaduc, pouvant se débrancher automatique- pelliéraine. ment et aller, comme un ascenseur, déposer Cette deuxième chaque passager à la station demandée, systè- ligne reprend les me baptisé Aramis par Matra). Le projet tracés histo- Aramis, pour des raisons assez faciles à r i q u e s d e s comprendre, n’a jamais pu voir le jour. Et anciennes voies devant les difficultés de construire un réseau romaines (Via de bus suffisamment dimensionné pour Domitia), puis répondre à la croissance exponentielle de la ferroviaire puis nationale (RN 113), parallèles ville, son Président Maire, Georges Frêche, à la mer qui forment l’ossature de la voirie de ■ Fig. 9 : Station Halles de La décide de se lancer dans la construction d’un cette région. Paillade sur la ligne 1 (photo réseau de tramways. Pierre Zembri). Enfin la troisième ligne répond à un double Mais, comme toujours avec Georges Frêche, souci: un souci de capacité de transport car il l’ambition est immédiatement très élevée existe une ligne historique du réseau très char- puisque ce réseau aura trois lignes, ainsi en a-t- gée, la ligne n°15, qui méritait un passage en il décidé, et ces trois lignes correspondent tramway entre de nouveau la ZUP de la effectivement à une logique de desserte qui Mosson et le centre-ville mais d’autre part, le mérite une explication. vieux rêve d’avoir un tramway jusqu’à la mer faisait partie de son cahier des charges. Un réseau à trois lignes concourantes Au départ, ce réseau à trois lignes n’est, Premier facteur d’étonnement: on est dans une comme ailleurs, pas maillé. Les trois lignes se agglomération de taille nettement plus petite croisent à la gare. Il faut savoir qu’à Montpel- que Grenoble et Strasbourg. Lorsqu’on étudie lier la gare située dans l’hypercentre à 300 ce réseau à trois lignes ou lorsqu’on en lance mètres de la place de la Comédie est depuis l’idée, l’agglomération ne compte que 300000 toujours le lieu des terminus du réseau de bus habitants alors qu’il y avait longtemps que et le nœud central du réseau. Grenoble et Strasbourg avaient dépassé les 400000 habitants. Mais la croissance urbaine exceptionnelle à l’époque (8) pour une agglo- La réflexion sur le maillage mération de cette taille en explique les ambi- La croissance urbaine tions. Ces trois lignes correspondent à des La réflexion sur le maillage commence par les logiques recoupant en général des données études de la ligne 2. À la fin des années 1990 exceptionnelle de d’aménagement mais aussi certaines données alors que l’attention des Montpelliérains est l’époque pour une de transport. encore focalisée sur la construction de la agglomération de cette première ligne mise en service en juillet 2000, taille explique les La première ligne, qui relie la ZUP de la Montpellier, qui va toujours vite dans ses réali- ambitions initiales du Paillade, rebaptisée Mosson, aux hôpitaux, sations, se pose des questions et lance les aux universités et au centre-ville, traverse études de la ligne 2. projet. ensuite la voie ferrée pour desservir Antigone et se termine dans le futur quartier d’Odys- Plus encore que pour la ligne 1, la voirie à séum, encore dans l’imagination des princi- emprunter est étroite et les déviations de circu- paux élus. Cette ligne de 15 km correspond lation sont limitées – elles sont même souvent trait pour trait au projet urbain imaginé par presque impossibles. Le tronc commun entre Raymond Dugrand, l’emblématique adjoint à les lignes 1 et 2, qui serait assez naturel l’urbanisme de Georges Frêche pour donner puisque la ligne 1 reprend justement le tracé de une colonne vertébrale à une ville qui en l’ancienne route nationale 113 dans sa traver- manquait cruellement, colonne vertébrale sée de l’hypercentre, est exclu d’emblée. permettant de relier cette ZUP située très loin de l’urbanisation (elle était à l’époque à 5 km Les responsables montpelliérains et en parti- de la zone urbanisée), permettre une desserte culier Georges Frêche, considèrent comme un des grands équipements en cours de création gaspillage, dans une ville mal desservie par un ou déjà créés mais mal desservis et amorcer réseau de bus au développement tardif, d’utili- cette liaison à la mer, dont Montpellier rêvait.

À cette première ligne, se rajoutait une deuxiè- 8) Dans les années 1990 et 2000, l’agglomération a me ligne en croix destinée à sortir de Montpel- accueilli de 5000 à 10000 habitants supplémentaires lier car, autant la première ligne était chaque année!

Transports Urbains N°129 (novembre 2016) 17 ser un tronc leur premier souhait avec cette ligne, c’est de commun pour rejoindre le plus vite possible la ligne 1, « la desservir l’espa- ligne des facs (9) ». Ils pensaient que leurs ce central. Deux enfants étudiants en seraient les premiers lignes sur des clients, ayant du mal à imaginer qu’ils puissent itinéraires eux-mêmes prendre le tram. distincts vont élargir la desser- En conséquence, à partir du rond-point des te de l’espace. Près d’Arène, l’idée a très vite émergé de Georges Frêche remonter vers Port-Marianne et son nouveau a par ailleurs la quartier pour y retrouver la ligne 1, et desservir ferme volonté ainsi par une deuxième ligne de tramway, les de promouvoir quartiers de l’autre côté du Lez en train d’être la desserte en construits. Ainsi, la ligne 3, elle aussi, tramway des rencontre la ligne 1 trois fois. Le nouveau nouveaux quar- terminus de la Mosson à l’ouest est commun t i e r s e n aux deux lignes 1 et 3, les deux lignes passent construction, en à la gare, point de passage historique obligé et particulier Anti- enfin les stations de Port-Marianne et de la gone. Il en veut nouvelle mairie sont desservis par les deux beaucoup aux commerçants du centre histo- lignes 1 et 3. ■ Fig. 10 : tramway de la ligne 2 rique qui l’ont empêché de faire passer le dans Saint-Jean-de-Védas tramway par le boulevard du Jeu de Paume. (photo P. Zembri). La ligne 4, clé de voûte du Alors même que la ligne 1 irrigue déjà large- maillage montpelliérain ment l’axe de composition d’Antigone, Frêche décide de compléter cette desserte avec la L’enquête publique de la ligne 3 se fait donc ligne 2, en lui faisant faire le tour de la plupart sur un réseau comportant un maillage impor- des nouveaux quartiers réalisés ou en tant du grand espace central montpelliérain construction. La conjonction de tous ces ainsi que des nouveaux quartiers centraux en éléments aboutit à tracer une ligne 2, qui cours de construction. Mais il est indéniable contourne le nouveau quartier d’Antigone et que ce réseau présente quelques défauts. Si on croise trois fois le tracé de la première ligne additionne le détour important fait par la 2 dans trois stations de correspondance impor- autour d’Antigone et le détour important fait tantes: par la 3 jusqu’à Près d’Arènes, il paraît clair –tout d’abord le Corum, lieu des festivals que les trajets transversaux à l’intérieur du emblématiques de musique et de danse de grand centre vont être difficiles et que l’attrac- Montpellier; tivité de la ligne 3 pour les habitants non- –ensuite la place de l’Europe le long de la étudiants de Lattes et Pérols va en souffrir. piscine et de la médiathèque construites Une réflexion se fait jour au sein de l’équipe respectivement par Ricardo Bofill et Paul de direction de TAM. Pourquoi ne pas utiliser Chemetov; ce dispositif pour créer une ligne circulaire –enfin la gare bien sûr, au cœur de l’hyper- Les troncs communs autour du centre-ville? Cela permettrait de centre, point de passage obligé de toute ligne redonner un tracé direct de traversée de la ville dans la traversée de forte de TC, du moins jusqu’à saturation. pour les lignes 1, 2, et 3 et de reprendre les l’hypercentre ont été tracés complémentaires de desserte autour des exclus d’emblée: ils Même si les critiques sont vives contre ce tracé fort peu rectiligne qui divise la ligne 2 en trois nouveaux quartiers et du quartier Près étaient considérés tronçons, le tronçon Castelnau-le-Lez/Corum, d’Arènes comme éléments de cette ligne comme un gaspillage, le tronçon Corum/gares faisant le tour d’Anti- circulaire. tandis que deux lignes gone et le tronçon Antigone/Saint-Jean-de- Lors des travaux de la ligne 2 au début des sur des itinéraires Védas, la réponse de la clientèle est bonne. Le années 2000, la direction de TAM avait distincts élargissent le choix finalement s’avère intéressant, même si demandé et obtenu de Georges Frêche que les la logique de transport paraît un peu étrange. champ de la desserte. points de maillage de la 2 et de la 1 soient équi- pés d’appareils de voie permettant l’interver- sion des lignes 1 et 2 en exploitation La ligne 3 et la poursuite commerciale. Ainsi cela rendait possible des des réflexions sur le maillage missions « directes » de la 2 à travers le centre, shuntant le contournement d’Antigone, ou à Les études sur la ligne 3 vont très vite buter sur l’inverse des missions de la 1 contournant le la question du tracé direct vers le sud et les centre ancien via la 2 lors des nombreuses plages, qui étaient prévues initialement. Le manifestations perturbant le bon fonctionne- petit train de Palavas, bien connu des adeptes ment de ce cordon ombilical qu’est la 1. Il de Dubout, sortait de la ville par Près d’Arène suffisait de compléter les appareils de voie pour rejoindre en directissime à travers Lattes, prévus pour les points d’échange à réaliser la plage de Palavas. entre les lignes 1 et 3 pour permettre la circula- tion de la ligne 4. Tout naturellement les Montpelliérains pensaient intéressant de retrouver – sinon l’iti- néraire précis car cela aurait été difficile – au moins l’esprit de la ligne chère à Dubout. Mais 9) La ligne 1 doit ce surnom au fait que la quasi-totalité des les élus de Lattes et de Pérols vont poser un 80000 étudiants montpelliérains sont répartis dans des problème de maillage du réseau en disant que campus desservis directement ou en rabattement par la 1.

18 Transports Urbains N°129 (novembre 2016) C’est ainsi que le projet de ligne 4 voit le jour. a n c i e n n e puisque la DUP C’est un projet d’autant plus logique qu’entre- de la ligne 3, temps, une ligne supplémentaire était en cours prise pour une de réflexion pour combler les « trous » de l’es- seule ligne, sera pace urbain non desservis par les trois dès son obten- premières lignes. Cette future ligne (baptisée tion utilisée par aujourd’hui ligne 5 mais à l’époque, on l’appe- deux lignes, la 3 lait encore ligne 4) devait contourner le cœur et la 4. de ville par le boulevard du Jeu de Paume dans le centre ancien. Elle permettait opportuné- Ceci a été rendu ment de compléter le cercle autour du grand possible par le centre. fait que, dans les n o m b r e u x La conjonction de tous ces éléments conduit points de mail- Georges Frêche et les élus Montpelliérains à lage décrits pour accepter la proposition de TAM et à décider de les lignes 1, 2 et compléter la ligne 3 par une ligne 4, qui sera 3, chaque fois, inaugurée en même temps en avril 2012. la volonté de Remarquons que cette ligne détient sans doute Montpellier le record absolu de vitesse entre décision de aura été de faire que tous les mouvements de création et inauguration puisque la réflexion tramway soient possibles à tous les points de ■ Fig. 11 : Tramway de la ligne 3 de la direction de TAM démarra en 2009, et maillage. L’idée a toujours été présente que en station Celleneuve (photo : P. que la décision ne fut prise que début 2010, un l’exploitation commerciale pouvait évoluer de Zembri). an après le début des travaux de la ligne 3! façon distincte des infrastructures créées. On en a une application assez étonnante dans l’ap- On assiste ainsi à un découplage intéressant parition météorique de cette ligne 4 dans le entre gestions des infrastructures nouvelle et dispositif montpelliérain. Adaptabilité et exploitabilité des réseaux maillés À travers les exemples de Grenoble, de Stras- communs et des points de maillage qu’elle doit bourg et maintenant de Montpellier, on voit franchir. Pour ces deux raisons, ces lignes sont apparaître tout l’intérêt de la multiplication plus complexes et le fait de pouvoir être des points de maillage autour du centre et de la remises à l’heure en shuntant certaines parties souplesse donnée à leur évolution dans le de leur itinéraire est évidemment un atout temps. considérable.

Multiplier les échanges potentiels entre Rendre plus fluide le fonctionnement des La volonté de lignes aux points de maillage points de maillage Montpellier aura été Il est important sur ces points de maillage de La mise en place de troncs communs et de de faire en sorte que prévoir des mouvements de tramways qui ne croisements fluides entre les lignes est une tous les mouvements sont pas forcément mentionnés dans le cahier technique complexe. En particulier à Montpel- de tramway soient des charges initial. Réintervenir sur ces lieux lier, le nœud difficile de la place de la gare, possibles à tous les en pleine exploitation commerciale pour créer seul lieu de France où s’échangent quatre points de maillage. de but en blanc des nouveaux mouvements de lignes de tramway, a donné lieu à toute une tramway est infiniment plus difficile techni- réflexion spécifique durant la construction des quement et financièrement que de le prévoir lignes 3 et 4. dès le départ. Sur chacune des quatre branches en arrivée à La ligne 1 et la ligne 4 du réseau montpellié- la gare, on a deux lignes de tramway diffé- rain sont les seules lignes de tramway exis- rentes et à la sortie, sur chacune des deux tantes en France, capables de se remettre à autres branches, la combinaison n’est jamais la l’heure en utilisant une autre infrastructure. même. Autrement dit les quatre lignes Autrement dit, ces deux lignes possèdent des s’échangent et la conception même du carre- shunts potentiels permettant aux tramways four de la gare était donc une conception très de se doubler entre eux pour se remettre à complexe, qui a demandé de faire avec le l’heure. Ainsi remettre en place rapidement, SRMTG une expérimentation audacieuse. suite à un incident, un carrousel (10) complet est d’une grande facilité. Compte tenu de l’absence de circulation routière dans cette place, on pouvait se passer Et il se trouve que ce sont justement ces deux de feux de circulation de type routier, mais la lignes-là, qui sont les plus compliquées à règle aurait voulu, compte tenu du risque de exploiter, l’une, la ligne 1 parce que c’est la plus chargée – et de très loin – du réseau 10) Dans la profession, on appelle carrousel la disposition (120000 voyageurs par jour, 16 km de long), quasi circulaire des rames sur une ligne de tramway. La l’autre, la ligne 4 parce qu’elle est par nature position des rames obtenue lors de leur mise en ligne est en handicapée par la multiplicité des troncs effet très difficile à modifier en exploitation contrairement aux bus d’une ligne régulière.

Transports Urbains N°129 (novembre 2016) 19 collision entre tramways, de mettre en place Le personnel suit complètement, mais le ■ Fig. 12 : Rame de la ligne 4 à des feux ferroviaires comme cela se fait à dispositif de formation a été particulièrement la station Hôtel de Ville – chaque croisement ou rencontre de tramways. lourd. Il a fallu mettre au point un simulateur Georges Frêche (photo : P. Il a été décidé de ne pas les mettre et d’exploi- avant le lancement commercial des nouvelles Zembri). ter ces carrefours multiples sur le principe de lignes sur lequel les 300 conducteurs de tram- ■ Fig. 13 : Tramway de la ligne 4 la priorité à droite. Pour cela, on a édicté deux way ont été formés, permettant de simuler tous sortant du tronçon de bouclage règles: les mouvements et toutes les situations place ouvert en 2016 à Albert 1er. de la gare, y compris le brouillard ou les acci- (Photo : Luc Charensonney). Chaque tramway entrant dans la zone du carre- dents. four doit marquer l’arrêt avant d’y rentrer comme une voiture à un stop. Le personnel s’est très vite adapté et réclame maintenant l’application de ce principe à tous Après son redémarrage à la vitesse maximum les points de maillage, ce qui n’est pas toujours de 10 km/h, chaque tramway doit respecter facile. strictement la priorité à droite entre tramways. Autrement dit, chaque tramway doit laisser le passage à la rame qui arrive sur sa droite sur Le maillage crée de la souplesse pour chacune des voies croisées, et il y en a l’aménagement urbain plusieurs. Le maillage généralisé de Montpellier se Moyennant quoi, la fluidité du système est tout caractérise par l’importance des motivations à fait étonnante. On peut avoir près d’une d’aménagement et d’urbanisme. En cela, il est centaine de mouvements de tramways par différent des autres, ce qui s’explique assez heure sur ce carrefour sans incident, et surtout facilement par la question de la croissance sans retard particulier. urbaine. Autrement dit, dans une aggloméra- Le maillage généralisé de tion en croissance rapide et en particulier avec Montpellier se Ce système a été rendu possible aussi par le une zone centrale non terminée, les motiva- fait que les deux stations, fréquentées chacune tions d’aménagement sont souvent les motiva- caractérise par tions dominantes et ce maillage en est l’importance des par deux des quatre lignes ont eu des quais directement issu. motivations doublés en sortie de dispositif. Ainsi la sortie du carrefour est toujours libre et on évite qu’un On trouve finalement à Montpellier, un d’aménagement urbain: tramway ne bloque le carrefour en attendant l’agglomération est en nombre assez faible de troncs communs par que le quai de sa station soit disponible. Dans comparaison à ce qui s’est fait à Grenoble et à croissance rapide avec ces stations doubles, si un tramway se présente Strasbourg, du fait de la volonté de Georges une zone centrale non alors qu’un autre stationne, il s’arrête une Frêche et des élus montpelliérains de dissémi- terminée. première fois en fin de quai et une deuxième ner l’impact du tramway sur un maximum fois en tête de quai une fois le premier tram- d’espace. way parti. Les troncs communs à Montpellier découlent Cela évite que les 80 m de quai soient à plus de la multiplication des lignes que d’une parcourir rapidement par les usagers, dont les volonté de doubler la fréquence sur certains personnes âgées ou PMR. De plus, on n’a pas tronçons comme à Strasbourg. intérêt à faire partir les tramways en même temps car, à la station suivante, le quai est Enfin, la règle, importante pour un réseau de simple et le second tramway devrait attendre. tramway moderne géré comme un métro de On crée ainsi l’intervalle permettant le fonc- surface, de ne pas mettre plus de deux lignes tionnement du tronc commun. Cette avancée, sur le même tronc commun lorsque celui-ci car c’est une avancée technique, fera sûrement comprend des stations, ne connaît qu’une école. Elle fera en tout cas déjà école à Mont- seule entorse à Strasbourg. Lorsqu’on atteint pellier puisque d’autres points de maillage un degré de complexité tel que celui de Mont- seront aménagés de la même manière, compte pellier, ce refus de multiplier les lignes sur les tenu de son bilan extrêmement positif. troncs communs est un sage refus.

20 Transports Urbains N°129 (novembre 2016) JEAN-BAPTISTE BONNEVILLE MATHIAS LENGYEL Laboratoire Ville Digital et mobilité : Quelles Mobilité Transport (ENPC-UPEM- réalités pour les Français ? IFSTTAR) Quels impacts sur l’offre de services ?

En 2015, Keolis s’est associé au cabinet Retour sur les premiers enseignements Netexplo pour réaliser une grande enquête de l’Observatoire des mobilités digitales visant à mettre en Keolis et Netexplo lumière la place et l’impact du digital sur la mobilité des Français. Après un an de collecte L’observatoire des mobilités digitales: enjeux, de données et près de 3000 entretiens réalisés, méthodologie et premiers enseignements les premiers résultats de l’Observatoire des Un observatoire pour mettre en lumière le smartphone avec la généralisation d’un usage mobilités digitales ont intense et agile d’applications en situation de été présentés à la presse rapport des Français au digital en situation mobilité. Mais que savons-nous au juste du le 4 octobre dernier. de mobilité et produire une offre en phase rapport des Français au digital? Comment Dans la première partie avec leurs besoins et attentes juger des impacts que peut avoir le digital sur de cet article, nous l’organisation et l’activité des opérateurs de Les baromètres annuels du CREDOC et de transport? Plus généralement, quelle est la analysons les enjeux, la nature et l’ampleur des mutations à l’œuvre méthode et les résultats l’INSEE le montrent, le taux d’équipement de la population française en smartphones a dans le secteur de la mobilité sous l’impulsion marquants de cette connu une forte accélération ces dernières du numérique? grande enquête. années. En 2015, plus d’un Français sur deux Pour aller plus loin, en possédait un, ce taux grimpant même à 90% C’est pour répondre à ces questions que Keolis chez les 12-17 ans (voir figure 1). Une aubaine s’est associé en 2015 à la société Netexplo, Transports Urbains a créant ainsi l’Observatoire des mobilités digi- interviewé le directeur pour les opérateurs de transport qui voient dans ces outils digitaux mobiles un formidable tales. Ce partenariat visait à apporter un éclai- de la prospective de la gisement de compétitivité à exploiter sur rage nouveau sur la réalité des pratiques filiale du groupe SNCF. plusieurs plans. digitales liées à la mobilité. Dans la seconde partie de cet article, Éric En s’affirmant d’abord comme une interface La remise en question des représentations Chareyron revient sur de dialogue permanente entre usagers des services des transports et opérateurs, le smart- du lien entre digital et mobilité, clef de voûte les enseignements à phone est considéré comme un levier inédit retirer d’une telle étude. pour réaliser un appairage dynamique et effi- de l’enquête Il nous livre également cace entre offre et demande. En transformant ensuite l’individu en capteur-émetteur d’infor- Devant la presse rassemblée au siège du grou- son point de vue pe Keolis, le directeur exécutif du groupe personnel sur les mations, le smartphone est perçu par les opéra- teurs comme un puissant moyen pour Keolis, Fréderic Baverez, énonce les motiva- impacts que renouveler leur connaissance de la mobilité tions de ce travail: « Dans un monde dans l’appropriation de tels individuelle. Si les impacts de l’usage du lequel nous avons trop souvent tendance à résultats pourrait avoir smartphone sur la mobilité des individus sont décider sur la base de certitudes et d’idées sur le secteur des encore mal connus par la recherche acadé- reçues » explique-t-il, « nous ne regardons pas assez la réalité. Or nous avions la conviction transports et de la mique, ils interrogent néanmoins déjà forte- ment les opérateurs de transport. Les plans que la réalité du rapport des Français au digi- mobilité au sens large. stratégiques digitaux fleurissent dans les tal méritait d’être regardée ». C’est à un nécessaire grands groupes pour qui l’avènement du changement de cultures numérique est également synonyme de C’est fort de ce questionnement que Keolis a des opérateurs et de nouvelles concurrences. créé en 2009 son Observatoire des mobilités et perception de la mobilité des modes de vie des Français. Baptisé L’important potentiel d’évolution de l’offre et Keoscopie, ce cycle d’études a pour objectif qu’en appelle celui qui se de maîtrise de la demande sur lequel misent les premier l’élaboration de préconisations en définit lui-même comme opérateurs repose néanmoins sur un présuppo- phase avec les attentes des voyageurs. Il un prospectiviste du sé largement répandu dans le monde profes- constitue également un puissant outil pédago- temps présent sionnel des transports. Celui-ci consiste à gique à destination des autorités organisa- assimiler le taux de pénétration important du trices.

26 Transports Urbains N°130 (février 2017) L’objectif poursuivi par Keolis derrière la création de l’Observatoire des mobilités digi- tales paraît transparent: « nous souhaitons arriver à développer pour les mobinautes, des solutions digitales nouvelles en rupture avec les solutions existantes » explique Frédéric Baverez, « pour pouvoir ensuite apporter aux autorités organisatrices [clientes de l’opéra- teur] une pierre à l’édification […] des terri- toires intelligents ».

Une méthodologie d’enquête inclusive mettant en lumière les usages, le vécu et les attentes des Français vis-à-vis de la mobilité digitale. La méthodologie d’enquête imaginée par Keolis et Netexplo vise à sortir d’une analyse experte qu’Éric Chareyron juge « trop souvent empreinte de nombreux biais de représenta- sentent la frange de l’échantillon la plus à l’ai- tion ». L’Observatoire s’est attaché à donner la se avec les outils digitaux. Bien équipés et ■ Figure 1 : Évolution récente utilisateurs réguliers du numérique dans leur des taux d’équipement en appa- parole aux Français pour mieux les laisser reils mobiles dans la population s’exprimer sur leurs propres usages, pratiques mobilité, ils se répartissent en deux sous- groupes. Celui des autonomes (représentant française (exprimée en % de la et attentes en matière de digital. Une telle population française). approche est à souligner car elle n’est pas 20% de l’échantillon) est majoritairement forcément la norme dans l’ingénierie des composé de cadres dynamiques qui se caracté- transports. risent par une préférence nette pour la voiture. Celui des hyperactifs (10% des individus Pour arriver à ses fins, l’Observatoire a eu interrogés) est quant à lui majoritairement recours à un panel important de Français, composé d’utilisateurs réguliers des transports composé de 2783 individus. Cet échantillon, publics, très multimodaux, et habitant pour la voulu le plus représentatif possible de la popu- plupart au cœur de l’Île-de-France et dans les lation, regroupe des Français de toutes catégo- grandes métropoles de l’Hexagone. ries sociales, actifs ou inactifs, âgés de 13 à 85 ans et résidant dans tous les types de terri- Suivent les connectés qui représentent le plus toires, urbains comme ruraux. En procédant de grand groupe de l’échantillon avec quelque la sorte, l’étude évite le biais d’une étude foca- 39% des sondés. Malgré une dénomination un lisée sur les seuls usagers existants des réseaux peu ambiguë, les connectés ne sont pas accros de transport. Pour ne pas exclure de l’enquête au digital. Ce groupe est composé des suiveurs certaines populations en difficulté avec le (14%) et des web-assis (25%). Les premiers numérique, l’Observatoire des mobilités digi- ont une appétence pour le numérique mais éprouvent des difficultés dans son utilisation. ■ Figure 2 : Ventilation des diffé- tales a également pris le parti d’interroger l’en- rents sociotypes au sein de semble des panélistes sous la forme Ils expriment une réelle crainte d’être dépassés l’échantillon analysé par Keolis d’entretiens physiques (soit 1h30 par person- par la vague numérique. Les seconds privilé- et Nexteplo. ne). gient l’ordinateur au smartphone dans la

Des résultats mettant en évidence l’existence de différences importantes dans le rapport des Français au digital et à la mobilité. L’analyse de l’échantillon s’est faite selon deux objectifs: comprendre les attentes des usagers en termes de qualité de service dans les transports en commun et identifier les attentes des usagers en matière de nouvelles technologies. Les individus ont été classés par catégories en fonction des usages et pratiques déclarées en termes de mobilité et de digital. Finalement, les enquêtés se répartissent à peu près équita- blement en trois grands groupes: les digimo- biles (30%), les connectés (39%) et les offlines (31%). Chaque groupe étant composé de deux sociotypes que nous détaillons dans la suite de l’article (voir figure 2). Décrits par l’Observatoire comme des ambas- sadeurs du numérique, les digimobiles repré-

Transports Urbains N°130 (février 2017) 27 préparation de leurs déplacements et attendent Il s’agit d’un groupe plutôt jeune, majoritaire- d’un opérateur le développement de solutions ment composé d’inactifs, étudiants ou en simples d’utilisation. recherche d’emploi. Composé pour près de 40% de jeunes âgés de 13 à 24 ans, le groupe Les offlines constituent le troisième et dernier des hyperactifs compte 54% de moins de 35 groupe du panel. Il est composé des popula- ans dans ses rangs. Plus de la moitié des hyper- tions les plus fragiles vis-à-vis du digital. Iden- actifs vivent en Île-de-France et près du tiers à tifié par Keolis comme un public spécifique Paris et en petite couronne. Ce groupe rappelle pour qui il convient de développer des solu- fortement la creative class (1) de l’économiste tions adaptées, les offlines se révèlent plus américain Richard Florida qui regroupe ceux nombreux qu’on pourrait le penser. Ils regrou- qui tirent les plus grands bénéfices dans leur pent d’une part les isolés (10%), plutôt locali- mobilité du développement des services digi- sés dans les petites villes et les territoires taux. ruraux et très peu utilisateurs des transports publics et d’autre part, les fragiles (21%), majoritairement des seniors très peu équipés Deuxième résultat marquant: le digital ne en appareil numériques. suffit pas à faire préférer les transports Les résultats qu’apporte l’enquête menée publics. conjointement par Keolis et Netexplo viennent a minima battre en brèche quelques idées Un autre groupe se révèle fortement dépendant reçues sur le rapport des Français au numé- des outils digitaux dans sa mobilité: les auto- rique. En premier lieu, les digimobiles, nomes. Les individus qui le composent n’utili- suréquipés en numérique et grands utilisateurs sent pas ou très peu les transports en commun. du web mobile ne représentent pas la majorité De ce fait, ils sont moins bien connus des de la population. Ils sont même à peine plus opérateurs de transports publics. Mais avec nombreux que la population en grande diffi- près 20% des individus du panel étudié, ils se culté vis-à-vis du digital. révèlent deux fois plus nombreux que les hyperactifs. Premier résultat marquant: le cliché du Décrits dans les résultats de l’étude comme des grands mobiles « vivant à deux cent à smart-user connecté et utilisateur des l’heure », les autonomes sont surreprésentés Les digimobiles, transports collectifs ne représente qu’une en milieu périurbain ou rural. Leur smartphone suréquipés en et le guidage GPS se sont imposés en très peu numérique et grands petite minorité de Français de temps comme des outils indispensables dans leur mobilité quotidienne. Leurs utilisateurs du web Dans une jungle d’offres numériques de mobi- mobile, sont à peine plus exigences en termes d’efficacité des services lité, les individus qui se disent à l’aise avec les digitaux sont très élevées. nombreux que la outils digitaux et qui ont le sentiment d’en tirer population actuellement pleinement parti ne représenteraient qu’un L’étude des caractéristiques sociologiques des exclue du digital petit tiers de l’échantillon interrogé. La fluidité autonomes montre une forte surreprésentation et l’agilité dans l’usage des technologies digi- des catégories socioprofessionnelles supé- tales en lien avec la mobilité ne seraient donc rieures (CSP+). Avec 47% de CSP+, ce groupe une réalité que pour une minorité majoritaire- se démarque franchement de celui des hyper- ment constituée de jeunes urbains. Un résultat actifs qui n’en compte que 28%. Il ne faut qui vient directement questionner les straté- cependant pas assimiler le groupe des auto- gies des acteurs du transport tentés de privilé- nomes aux seules CSP+ puisque les autres gier les nouvelles technologies pour améliorer catégories socioprofessionnelles (CSP- et l’efficacité et l’attractivité de leur offre. Si Inactifs) n’y sont pas sous-représentées. Ainsi, l’enquête ne remet pas en cause l’existence la part des ouvriers chez les autonomes est d’une frange de la population parfaitement à dans la moyenne nationale. l’aise avec le tournant du digital, elle rappelle néanmoins que si les opérateurs développent des services numériques complexes d’utilisa- Troisième résultat marquant: très loin d’un tion, ils ne risquent de s’adresser qu’à seule- ment 10% de la population que Keolis monde du tout digital, 30% de la population regroupe sous la dénomination d’hypermo- se trouve exclue du digital biles. Ces dernières années, le développement d’ou- Ces derniers se révèlent nomades et usagers tils numériques à destination des usagers a réguliers des transports collectifs. Ils possè- monopolisé l’attention des acteurs du trans- dent un ou plusieurs appareils mobiles dernier port et de la mobilité. Calculateurs d’itiné- cri. Curieux par essence et ouverts à l’expéri- raires, outils d’optimisation en temps réel des mentation de nouvelles solutions, ils se reven- déplacements, guichets virtuels pour la vente diquent « flexibles » et passent facilement de titres de transport, outils de cartographie et d’une solution de mobilité à une autre au sein de guidage, outils de visualisation en temps d’un même itinéraire, même nouveau. La réel du trafic… les applications mobiles et possession d’une voiture est davantage perçue comme une contrainte que comme un marqueur social valorisant. Les hyperactifs se savent accros à leur smartphone, aux applica- tions qui y sont installées et plus générale- 1) Richard Florida, 2002, The Rise of the Creative Class: ment, aux technologies de l’information et de And how it’s transforming work, leisure, community and la communication. everyday life, Perseus Book Group, New-York.

28 Transports Urbains N°130 (février 2017) autres sites internet constituent désormais un que mal l’avancement technologique digital. écosystème de services digitaux touffu de plus Oscillant entre appétences vis-à-vis du digital en plus difficile à maîtriser dans son ensemble. et craintes quant aux transformations sociales À l’image d’une jungle virtuelle, cet environ- et humaines que la révolution numérique occa- nement très évolutif n’est pas accessible à sionne, ces individus sont identifiés dans l’en- tous. quête comme des connectés. Le groupe des offlines rassemble les éloignés La peur d’être dépassés par l’accélération de la du monde numérique. Parmi eux, les fragiles digitalisation de la société se révèle très sont principalement des retraités vivants seuls marquée tant chez les suiveurs que chez les ou à deux, sans enfant dans leur foyer. Éloi- web-assis, les deux sociotypes qui forment le gnés de toute personne pouvant suivre pour groupe des connectés. Qualifié par Éric eux les avancées numériques et les y initier, les Chareyron de « transverse », ce groupe se trois quarts d’entre eux sont peu ou mal équi- compose d’individus équitablement répartis pés en appareils digitaux. Un tiers d’entre eux sur tous les types de territoires et dans chaque n’en posséderait même aucun. Comme pour tranche d’âge. les autres sociotypes identifiés, Keolis et Netexplo se sont intéressés à l’entourage des Cette peur semble peser particulièrement sur individus interrogés. Celui des individus les suiveurs qui craignent une perte de statut fragiles leur ressemble étrangement, du moins social en cas de non-maîtrise du numérique. Ils en termes de rapport au digital. s’efforcent donc de suivre les évolutions digi- tales mais ne parviennent pas à le faire avec la Le groupe des isolés éprouve également des même rapidité que les digimobiles. Ainsi, difficultés avec le numérique mais se distingue même si une large part d’entre eux utilise des des fragiles par son « conservatisme » et par sa réseaux sociaux ou des services de consomma- « faible ouverture aux nouvelles technolo- tion collaborative, leur première utilisation de gies ». Même si 60% d’entre eux sont équipés ces services intervient plusieurs mois voire en appareils digitaux, ils en seraient pour la plusieurs années après leur apparition sur le plupart restés à l’internet 1.0 et à la téléphonie marché du numérique. Pour l’opérateur, l’en- mobile sans internet (plus de 40%). Très forte- jeu est donc de les accompagner dans leur ment représentés chez les CSP-, les individus cheminement. isolés sont plutôt des actifs aux revenus modestes. Ils vivent majoritairement en milieu Avec 25% des individus interrogés par Keolis rural et semi-rural, ce qui ne signifie pas qu’il et Netexplo, le groupe des web-assis s’impose, Le sociotype le plus n’y en ait pas dans les grandes métropoles. Ils loin des clichés sur le digital, comme le socio- important de n’ont donc pas accès à une offre dense de type le plus important de l’échantillon analysé. l’échantillon interrogé transports collectifs, et privilégient l’utilisa- Les web-assis se distinguent des suiveurs par (25%) a épousé le tion de la voiture particulière pour leurs princi- une certaine méfiance à l’égard des impacts tournant numérique paux déplacements. potentiels du digital sur la société. Ils sont en demande d’un digital pour tous, simple et low- sans pour autant tech. À l’image des suiveurs, les web-assis ont adopter les usages Quatrième résultat marquant: une large part épousé le tournant numérique. Si le taux de mobiles connexion au réseau internet de leur domicile de la population a un usage modéré du (92%) est plus élevé que la moyenne des numérique en lien avec la mobilité ménages, les web-assis utilisent en revanche très peu internet depuis leur téléphone mobile. Chiffres à l’appui, le directeur de la prospecti- La difficulté que les web-assis perçoivent de ve du groupe Keolis braque le projecteur sur l’usage du web en situation de mobilité se pare les 39% de Français qui, à mi-chemin entre les en plus d’une défiance à l’égard d’un numé- franges les plus connectées de la population et rique qu’il juge trop souvent « gadget » et le groupe des déconnectés, suivent tant bien « intrusif ». Un nécessaire changement de culture et de positionnement des opérateurs de transport public? L’étude menée par l’Observatoire des mobili- semble de l’écosystème du transport. C’est tés digitales est riche d’enseignements sur la donc non seulement l’adaptation du position- réalité des usages des technologies digitales en nement des opérateurs de transport dans cet lien avec la mobilité et permet de dépasser les environnement instable mais aussi l’évolution clichés sur le voyageur hyperconnecté et même de leur métier vers celui d’opérateur de hyperagile. Au-delà d’une simple réflexion sur mobilité qui est en jeu. les nouveaux services, la connaissance fine de l’évolution des pratiques de mobilité peut alimenter la réflexion stratégique des opéra- Vers l’abandon d’une offre construite autour teurs de transport. Sous l’effet de la digitalisa- du concept d’usager moyen tion, de la globalisation et de la libéralisation, de nouvelles offres de mobilité apparaissent à Le principal intérêt de l’enquête réside sans un rythme effréné. Elles sont portées par des doute dans la mise en lumière des nombreuses acteurs variés qui viennent déstabiliser l’en- différences au sein de la population Française

Transports Urbains N°130 (février 2017) 29 un voyageur qui souhaiterait se rendre d’un ■ Figure 3 : Analyse de la point A à un point B a la possibilité d’utiliser fréquentation par les flux ou par consécutivement différents moyens de trans- les individus. port pour réaliser son déplacement. Dans ce cas, on peut tout à fait décrire le trajet comme un enchaînement de séquences. Du point de vue d’un opérateur, on a tendance à considérer ces séquences comme indépendantes les unes des autres. Or, elles sont en réalité liées entre elles par un programme global d’activités dans lequel s’inscrit le déplacement. Ce programme doit être pris en compte pour espérer comprendre les déterminants des pratiques individuelles de mobilité. Que se passe-t-il par exemple lorsqu’un individu ne trouve pas de en termes d’usages et d’appétence au digital. solution de transport pour réaliser le Entre les individus ayant épousé le tournant du retour d’un déplacement? Pour Éric Charey- digital et ceux qui pour de multiples raisons ne ron, il faut en tout cas, « raisonner en cycles l’ont pas fait, le fossé semble difficile à d’individus », c’est-à-dire par allers-retours et combler. Certains sont de véritables partisans sur plusieurs jours de suite. Il invite donc les du numérique poussant à l’accélération de la opérateurs et leurs donneurs d’ordres à bien digitalisation de la mobilité. D’autres expri- comprendre que « la construction des offres de ment de fortes réticences vis-à-vis de l’intru- mobilité vis-à-vis du citoyen doit correspondre sion toujours plus grande des nouvelles à des déplacements qui ne sont plus réguliers technologies. Entre ces deux rapports d’un jour sur l’autre ». Pour Éric Chareyron, « extrêmes » se déploie toute une palette de l’évolution des représentations associées à la sentiments face à cette montée en puissance du mobilité passe par la correction d’une série numérique. Faits d’espérances, de craintes, « d’erreurs » souvent constatées chez les d’attentes et de doutes, ces vécus divers plai- acteurs de la mobilité. La première d'entre dent pour la mise au ban de stratégies visant à elles consiste comme nous venons de le voir à développer des solutions moyennes pour des confondre flux et individus. La seconde erreur individus prétendument moyens. consiste à confondre régularité d’usage d’un mode et régularité des déplacements indivi- La correction des duels. À bien y regarder, les abonnés qui sont approximations dans Pour une évolution des représentations des clients réguliers du transport public réali- l’observation de la de la mobilité individuelle sent en fait chacun une grande diversité de mobilité des individus trajets. La régularité dans l’usage d’un mode doit être complétée de transport cache donc une irrégularité Pour Éric Chareyron, la personnalisation de temporelle et spatiale. Dans le même ordre d’une correction des l’offre constitue un enjeu fort: il est important d’idée, Éric Chareyron note que, l’analyse par représentations de leur de sortir de la logique de massification. Pour les flux conduit souvent à surestimer le poids usage du digital cela, il est nécessaire de modifier le cadre des abonnés sur un réseau. À Lyon par habituel d’analyse et de se rappeler que les exemple, même si les abonnés assurent 75% flux sont avant tout composés d’individus. du trafic (en nombre de voyages), ils ne repré- L’analyse des premiers ne permet pas de voir sentent en fait que 40% des clients du réseau. la complexité des pratiques de mobilité. C’est Il y a donc moins d’abonnés que d’utilisateurs l’un des enseignements principaux des précé- occasionnels des réseaux (dont de nombreux dentes enquêtes Keoscopie sur lequel Éric touristes étrangers), et ces derniers pèsent le Chareyron insiste particulièrement: « Il est double en recette par voyage (voir figure 4). important de se rappeler que le trafic enregis- tré à l’heure de pointe n’est pas seulement le fait de clients pendulaires réguliers ». Il y a en Pour une prise en compte des fragilités fait une grande diversité de voyageurs aux profils différents au sein d’une même journée. de certaines populations Cette observation se vérifie également d’un jour sur l’autre: derrière un flux apparemment La correction des approximations dans l’ob- identique, ce ne sont pas les mêmes personnes servation de la mobilité des individus doit être qui se déplacent. L’enquête Keoscopie 2016 complétée d’une correction des représenta- révèle ainsi qu’en heures creuses, sur 1000 tions de leur usage du digital. Éric Chareyron personnes se déplaçant sur un itinéraire donné, reconnaît que l’idée que les opérateurs se font seul un tiers effectue le même itinéraire le jour du niveau de compétence de la population suivant. Ainsi, même si l’on mesure sur ce française en matière de nouvelles technologies même itinéraire une fréquentation moyenne de est parfois biaisée. Il parle à ce propos d’un 1000 personnes sur deux jours, ce sont en fait « syndrome de la myopie »: l’image que l’on environ 1700 individus différents qui sont se fait d’une réalité est déformée par notre concernés. Sur un mois, le nombre d’individus environnement direct et dans le cas du trans- ayant réellement voyagé sur cet itinéraire est port, les cadres dirigeants auraient tendance à 12 fois plus important que la fréquentation penser que tout le monde possède un smart- quotidienne moyenne enregistrée. On ne phone récent, que son usage ne pose de problè- regarde donc pas la même chose en examinant me à personne, et que chacun est prêt à les flux ou les individualités qui les composent l’utiliser pour réaliser son déplacement, si tant (voir figure 3). est qu’une connexion au réseau internet soit disponible. Cette tendance à « enjoliver la Au niveau individuel, on peut prolonger cette situation » serait pour Éric Chareyron accen- démarche en élargissant le champ de vision; tuée par l’impératif de performance de notre

30 Transports Urbains N°130 (février 2017) société qui rend problématique à chacun la reconnaissance de ses ■ Figure 4 : Poids de la clientèle propres difficultés en particulier occasionnelle sur les réseaux vis-à-vis des outils digitaux et de Keolis (en % de la clientèle tota- la maîtrise de sa mobilité. Alors, le). explique Éric Chareyon, « tout le monde se tait et fait semblant ». Ce qui pousse chacun à suresti- mer les compétences de son voisin en matière de digital. De fil en aiguille, c’est toute une représentation de la place du digital dans la vie des Français qui en pâtit. Pourtant, Éric Chareyron ajoute que par expé- rience, le tabou tombe bien vite dès lors que l’on aborde la ques- tion sous l’angle de la bien- veillance. Une piste à creuser pour résorber la fracture numérique? Sur cette question, d’aucuns pensent qu’avec l’arrivée de générations digital natives, les fossés qui existent dans les pratiques et usages des NTIC sont voués à se ment du titre et sa validation sur smartphone combler d’eux-mêmes. Pourtant, pour Éric constituent désormais un prérequis de l’offre Chareyron, il y a un risque à considérer que le aux usagers. remplacement générationnel de la population française s’accompagnera mécaniquement Éric Chareyron ne nie pas que cette tendance d’une diminution massive du nombre d’of- ait pu contribuer à privilégier la recherche de flines et de connectés au profit du groupe des solutions pour la partie dite « digimobile » de digimobiles. Pour étayer cette intuition, il la population. Il insiste cependant sur le fait que les opérateurs doivent désormais dévelop- Il semble délicat de rappelle que la moitié des digital natives inter- conclure que la rogée n’entre pas dans la catégorie des digimo- per une offre de services s’adressant à tout le biles hyperactifs et qu’une part importante des monde, aussi bien à ceux qui sont à l’aise avec résorption de la fracture jeunes âgés de 20 à 30 ans perçoivent déjà de la mobilité et avec le digital qu’aux autres. Il digitale n’est qu’une fortes différences entre leurs usages du digital faut donc segmenter, c’est-à-dire « analyser question de temps. Il et ceux de générations plus jeunes. Un fait qui les différentes formes de compétences et de fragilités » pour trouver des réponses aux faut donc offrir des lui laisse penser que les différences intergéné- solutions différenciées rationnelles observées aujourd’hui pourraient différents problèmes posés. Mais cette diffé- perdurer dans l’avenir. En outre, sur la totalité renciation doit s’appuyer sur « un fil conduc- des séniors interrogés pour les besoins de l’en- teur qui fédère tout le monde ». Pour Éric quête, seule une moitié se trouve réellement Chareyron, la simplicité semble en être un. Il y écartée des avancées digitales, il semble dès aura donc des réponses différenciées, et il y a lors délicat de conclure que la résorption de la maintenant un enjeu fort à répondre à ceux qui fracture digitale n’est qu’une question de sont moins à l’aise avec les outils digitaux. temps. Face aux évolutions extrêmement Pour Keolis, cela pourrait notamment passer rapides des technologies numériques, il y aura par des solutions lowtech comme du mobilier toujours dans la population un groupe de pion- « bavard » capable de fournir des informa- niers, un groupe de suiveurs et une partie de la tions. Éric Chareyron souligne d’ailleurs que population en décrochage. C’est donc à proposer une multitude de solutions aux indi- chacun de ces segments qu’il faut désormais vidus ne va pas les transformer en clients offrir des solutions différenciées. hyperagiles pour autant. L’impression de robustesse des solutions proposées et les habi- tudes restent des facteurs déterminants dans la construction des choix d’itinéraires et de Accompagner l’accélération de la modes de transports réalisés par les individus. digitalisation de la société en ne laissant personne de côté: le double défi adressé Trouver sa place dans un écosystème aux acteurs de la mobilité d’acteurs bouleversé par le digital: Les résultats de l’enquête menée par l’Obser- un enjeu pour les opérateurs de transport vatoire des mobilités digitales de Keolis et Netexplo donnent corps à l’intuition que tout Plus que jamais, les voyageurs ont aujourd’hui le monde n’est pas, pour reprendre sa termino- accès à une très grande variété d’offres de logie, « digimobile ». Une majorité de mobilité. À côté des offres publiques coexis- personnes n’est pas parfaitement à l’aise avec tent de nombreuses offres privées ou entre les nouvelles technologies en lien avec la particuliers, qui peuvent répondre à leurs mobilité, ou simplement n’en a pas un usage besoins (autocars, véhicules mutualisés sous intense. Il peut donc sembler surprenant que toutes leurs formes, vélos en location courte l’une des premières conclusions tirées de l’en- ou longue durée, VTC, locations entre particu- quête soit que l’information transport, le paie- liers, véhicules en libre-service, covoiturage,

Transports Urbains N°130 (février 2017) 31 etc.). Ces offres peuvent être concurrentes ou devaient jouer le rôle de guichet unique de la complémentaires de celles du transport public. mobilité, cela supposerait qu’ils proposent Pour Éric Chareyron, si on se place dans une des offres qui leur sont extérieures et qu’ils logique de délégation de service public, tout ce ne maîtrisent pas et inversement, que leur qui peut permettre que les individus aient à offre propre puisse être proposée par des disposition un bouquet de solutions de mobili- tiers. C’est d’ailleurs, en ce qui concerne tés pour mieux se passer de sa voiture indivi- l’information sur les transports, le sens du duelle doit être considéré comme bénéfique partenariat qui unit Keolis à l’application pour l’ensemble des acteurs et pour la collecti- Moovit, disponible dans différentes villes vité. du monde indépendamment de l’opérateur de transport. Plus généralement, interfacer Cependant, la question qui reste à débattre des offres de transport hétérogènes suppose aujourd’hui est celle du guichet unique pour le d’adopter une stratégie d’ouverture vis-à-vis client: qui, sur un territoire donné, peut ou doit des autres acteurs. Ceci concerne évidem- jouer ce rôle? De par sa présence sur un terri- ment les données de transport mais devra toire, l’opérateur de transport public est-il légi- aussi, comme nous le montrent les attentes time pour être la porte d’entrée de toutes les des usagers mises en évidence par Keolis et mobilités ? Les autorités organisatrices Netexplo, concerner la possibilité de réaliser semblent également désireuses de jouer ce rôle les transactions monétaires correspon- puisque la loi NOTRE leur confère le statut dantes. d’autorités organisatrices de mobilité. Loin d’être tranchée, cette question pourrait se voir Un modèle économique ouvert semble donc apporter une réponse par des grands acteurs du inéluctable, sauf à croire qu’un certain acteur numérique récemment arrivés dans le secteur soit le guichet naturel unique de tous les des transports et de la mobilité. Ces évolutions clients du fait de sa position dominante. Ce s’inscrivent dans des évolutions décrites rôle d’intermédiaire entre les transporteurs et comme le passage du paradigme du transport à les individus est aujourd’hui l’objet de toutes celui de la mobilité. Il faut donc se demander les convoitises. Le discours dominant vise en comment un tel changement peut être mis en effet à dire que c’est dans l’intermédiation œuvre chez les opérateurs de transport. Pour que réside la valeur. Les secteurs de la Éric Chareyron, il est clair que des études musique et de l’hôtellerie ont été profondé- comme celle menée par Keolis et Netexplo ment déstabilisés par des acteurs du numé- Un modèle économique sont nécessaires pour bousculer les idées rique qui ont su s’imposer comme des ouvert semble reçues et commencer le changement d’une intermédiaires incontournables. Ces offre restreinte au transport vers une offre plus exemples constituent des précédents pour les inéluctable, sauf à ouverte sur la mobilité des individus. Le direc- secteurs du transport et de la mobilité. Les croire qu’un acteur soit teur de la prospective du groupe Keolis recon- avancées d’Uber ou de Google en direction le guichet naturel naît cependant qu’un tel changement de du véhicule autonome suggèrent que malgré unique de tous les culture demande du temps. tout, la maîtrise des actifs demeure une clients du fait de sa nécessité et que de tels acteurs pourraient à position dominante l’avenir devenir des exploitants de réseaux de L’adaptation du métier d’opérateur de véhicules autonomes pour les territoires. transport passe par un questionnement sur Uber, dont le modèle économique n’est à ce jour pas encore clairement établi, deviendrait la valeur de l’intermédiation entre le client ainsi opérateur de transport au même titre que et le fournisseur de services Keolis! Démêler ces questions pour bâtir un modèle économique soutenable dans un envi- Aujourd’hui, les opérateurs comme Keolis ronnement fortement instable risque de commencent à intégrer la marche à pied et le s’avérer vital pour les opérateurs de trans- vélo dans leurs offres de transport. S’ils port. Conclusion

Au travers d’une enquête originale, Keolis et répondre à toutes les questions. Et enfin, tout Netexplo dessinent le panorama d’une popu- le monde ne nage pas comme un poisson dans lation française fragmentée dans son rapport l’eau dans l’océan du numérique ! au numérique. Les six sociotypes mis en évidence mettent en lumière des disparités Dans un écosystème d’acteurs de la mobilité importantes entre les Français tant dans la déstabilisé par l’arrivée du numérique, de maîtrise des outils digitaux que dans le vécu nombreux défis s’imposent aux opérateurs de la digitalisation de la mobilité. Dans un historiques à commencer par celui de leur contexte où les individus réclament de plus en positionnement et leur rôle au sein d’une offre plus d’offres de services personnalisées, le de services devenue pléthorique. La question digital constitue une opportunité pour les de la valeur, de sa place et de sa captation est opérateurs, mais à condition qu’ils se dépar- plus que jamais sur la table. tissent de certaines représentations de la mobilité et de l’usage des nouvelles technolo- Nous laissons à Éric Chareyron le mot de la gies qui semblent alternativement désuètes ou fin: « Dans un avenir aussi incertain, l’impor- trop optimistes: une offre « moyenne » cali- tant n’est pas de formuler des prévisions à brée sur un usager moyen ne suffit plus à long terme mais bel et bien de comprendre la contenter les clients des réseaux. Étudier la situation présente pour mieux imaginer notre mobilité par les flux ne permet pas de futur immédiat ».

32 Transports Urbains N°130 (février 2017) FRANÇOIS DE FLEURIAN urbaniste et ingénieur transports À propos de la tarification et francois.de- [email protected] de la stratégie d’implantation des parcs relais

L’origine et la doctrine des parcs relais en France En France, les premiers parcs-relais ont été métro, tramway, BHNS) qui permet d’offrir réalisés à l’occasion des lignes de tramway de une alternative intéressante à un trajet totale- Strasbourg et de Nantes et, pendant long- ment effectué en voiture particulière, soit de temps, ils ont été conçus comme un accessoire manière régulière pour les pendulaires, soit de des politiques en faveur des transports publics. manière occasionnelle pour les visiteurs du Si l’argument de l’intermodalité a été forte- centre-ville (usagers des commerces, ment avancé pour les justifier, les maîtres touristes). d’ouvrage des opérations et les exploitants y trouvaient un intérêt. De fait, la création de Ces équipements fonctionnent bien si un parcs relais permet de justifier de la compensa- certain nombre de conditions sont réunies: tion de la nécessaire suppression de places de —ils sont confortables et bien stationnement en centre-ville, d’une certaine surveillés, l’échange entre modes est limitation de la circulation en aval du point très aisé; d’échange (point de vue du maître d’ouvrage) — leur tarification est avantageuse; et d’un accroissement des clientèles des TCSP, — ils sont reliés au centre-ville par une toujours bon à prendre (point de vue de l’ex- desserte en transports publics rapide ploitant). et fréquente; Les parcs relais sont — ils sont placés à proximité des princi- désormais très répandus Les pratiques de tarification découlent de cette pales pénétrantes de la ville, faciles dans les agglomérations, origine des parcs-relais, les parcs de province d’accès et localisés de préférence de première génération appartenant générale- avant le point de congestion et le notamment celles qui ment à l’Autorité Organisatrice des transports. temps d’accès au centre-ville est ont développé des TSCP. compétitif par rapport au temps d’ac- Pour autant, la diversité Selon la doctrine dominante en France, un cès VP; des situations est grande parc relais est un parc de stationnement relié à — le stationnement est difficile ou d’un tant d’un pays à l’autre une infrastructure lourde de transport (train, coût dissuasif en centre-ville. qu’entre villes d’un même pays. Les Les pratiques de tarification politiques de tarification confèrent un plus ou des parcs relais en France moins grand niveau d’attractivité aux parcs. Trois types de tarification ont été mis en place une redevance de stationnement aux origines des parcs relais: établie à la journée ; ce type de tarifi- Enfin, leur localisation à — le paiement du stationnement, en cation est une tarification de proximité immédiate de complément du paiement du trans- dumping par rapport aux usagers qui lignes efficaces de port. Cette tarification n’a jamais été achètent un ticket à l’unité depuis transport public peut admise par les usagers, pas plus n’importe quel point d’arrêt du “stériliser” de vastes qu’elle ne l’est aux abords des gares réseau. périurbaines, ni même de certaines surfaces et empêcher gares TGV (Avignon TGV) Dans tous les cas, le stationnement est interdit l’implantaion de lieux — la gratuité, pourvu que l’usager soit la nuit aux heures où le réseau de transport ne d’emploi et muni d’un titre de transport ou d’un fonctionne plus, de manière à éviter les véhi- d’équipement abonnement cules ventouses. commerciaux à distance — la remise d’un titre de transport permettant à l’ensemble des passa- Ces tarifications ont été conçues pour favori- pédeste des gares. gers du véhicule d’effectuer un aller- ser l’échange entre la voiture et le réseau de retour vers le centre-ville moyennant transport public.

28 Transports Urbains N°126 (mai 2015) Le lien entre tarifications et politique de mobilité

Les politiques menées en Suisse ou en Alle- tantes et bien placées, en compétition avec magne sont bien différentes et étayées sur un d’autres usages plus importants du point de raisonnement environnemental et de politique vue urbain, tels des locaux d’activité tertiaire générale des déplacements. Des analyses, ou des logements, à placer de préférence à menées par exemple par les agences d’urba- distance de marche à pied des gares ou pôles nisme de Lyon et de Strasbourg, démontrent intermodaux. que les effets observés en milieu urbain sont relativement limités, contrairement aux gares Cette politique revient à privilégier la voiture périurbaines. Enfin, à Toulouse, les parcs comme mode d’accès dominant aux gares ou relais construits au terminus du métro de la aux pôles principaux de transport, alors que ligne B du métro étaient remplis dès l’ouvertu- bien souvent la marche à pied et surtout le vélo re au détriment de la fréquentation des lignes – dont le rayon d’influence est d’environ 5 km périurbaines de rabattement sur ledit terminus. – pourraient être favorisés à des coûts et à des Si, évidemment, des gains de temps de trans- consommations d’espace moindres. Cette port l’expliquent, cela interroge sur l’organisa- remarque est d’autant plus significative que tion générale des transports mise en place. Ce les enquêtes réalisées, par exemple à Lyon, résultat n’est pas spécifique à Toulouse. montrent que la clientèle des parcs relais est très locale. D’assez nombreux parcs relais n’ont pas atteint leurs objectifs de remplissage, dans des Compte tenu de l’impact assez réduit des parcs villes moyennes où la contrainte de stationne- relais en termes de décongestion ou d’accrois- ment est faible en centre-ville, sur des lignes sement de la fréquentation des lignes fortes de d’autobus (Grenoble) plus que sur des lignes transport – quelques pour cent dans les deux de tramway ou de métro, mais alors dans cas –, ces investissements peuvent paraître quelques cas sur des ouvrages bien situés, coûteux, surtout s’il s’agit de parcs en éléva- parfaitement fonctionnels et reliés à une ligne tion. de métro comme à Lyon. Une partie plus ou Dans certains contextes toutefois, comme à moins significative des D’autres critiques peuvent être formulés à Bordeaux, la situation du stationnement est usagers des parcs relais l’égard de la politique des parcs relais prati- tellement tendue en centre-ville que la réalisa- faisait auparavant son quée en France. tion des parcs relais placés aux extrémités de ligne du tramway est certainement justifiée du trajet intégralement en Les ouvrages de stationnement intermodaux point de vue de la politique générale des dépla- transports publics, ce viennent utiliser des surfaces foncières impor- cements. qui relativise leur intérêt du point de vue L’équilibre financier des parcs relais environnemental. Les pratiques de tarification observées en ter les recettes obtenues par ses France ne permettent évidemment pas d’at- clients à l’exploitation et à la mainte- teindre l’équilibre de gestion, ni même le petit nance du parc relais; équilibre. — dans ces conditions, si le parc est normalement rempli, un équilibre Toutefois les raisonnements mis en place d’exploitation est généralement obte- ressemblent à ceci: nu; — la clientèle des parcs relais étant — cela revient à accroître le périmètre marginale pour une ligne de transport d’investissement du système de urbain (3% à Lyon), ne suppose pas transport, sans en augmenter les de renforcer la fréquence et le parc de recettes de fonctionnement. matériel roulant; on peut donc affec- Les politiques de parcs relais en Suisse

En Allemagne et en Suisse, le principe le plus important dispositif desservant les gares de S- couramment appliqué est d’implanter des Bahn, au niveau de service nettement plus parcs relais hors du domaine d’influence et de intéressant qu’en France. pertinence de transports urbains, de manière à limiter la concurrence entre modes. Les À Berne, les places de P+R étant autant enquêtes disponibles montrent toutefois subventionnées que celle de B+R (pour vélo et qu’une partie plus ou moins significative des TC), les pôles d’échanges disposés sur le usagers des parcs relais faisait auparavant son réseau ferroviaire comportent essentiellement trajet intégralement en transports publics, ce des places réservées aux vélos. qui relativise évidemment leur intérêt du point de vue environnemental. On notera qu’aux Pays-Bas, en Allemagne et en Belgique, de très importants ouvrages de À Bâle, il n’existe pas de parc relais reliés au stationnement pour les vélos sont réalisés à réseau de tramway mais en revanche un proximité immédiate des gares, permettant des

Transports Urbains N°126 (mai 2015) 29 déplacements multimodaux vélo/train/vélo ou pour les transports et le stationnement en parc ■ Extrait de : Eurodistrict Trina- marche/train/vélo ou encore vélo/train/TC et relais, le complément d’abonnement dédié au tional de Bâle, Un avenir à trois : d’autres combinaisons encore. stationnement étant inférieur en valeur aux Stratégie de développement tarifs pratiqués pour les résidents et pour le 2020, tome 1, page 72 À Genève, le stationnement public gratuit de grand public (1). longue durée sur voirie est désormais totale- ment impossible sur l’ensemble du territoire Il est vraisemblable que cette solution ne pour- de la ville de Genève et ce depuis 2002. Une rait pas être calquée en France, essentiellement offre alternative pour les pendulaires a donc pour des raisons juridiques. été élaborée, à partir d’un certain nombre de parcs relais. Il ressort d’une étude menée sur Lausanne qu’en s’intéressant à l’aspect énergétique et L’offre P+R est limitée à ce public cible: elle environnemental du sujet, des auteurs suisses n’est accessible que sur abonnement et estiment que ce n’est qu’à partir du moment où moyennant le respect de conditions précises les distances en transport en commun sont sur les lieux d’habitat et de travail des abon- trois fois plus importantes que les distances en nés, qui doivent habiter à plus de 300 m d’un transport individuel motorisé que la probabili- Il est souhaitable de arrêt de transports publics, pour que l’offre té devient grande pour que les parcs relais P+R ne leur fasse pas concurrence, habiter et présentent un bilan énergétique positif en positionner les parcs travailler à plus de 2 km du P+R auquel elles tenant compte de leur influence sur les choix relais au plus près des souhaitent s’abonner, pour éviter que l’offre modaux. lieux d’origine de la P+R soit détournée de sa cible, utiliser le P+R clientèle-cible pour se trouvant sur le chemin le plus naturel entre Il apparaît donc souhaitable de favoriser des améliorer leur efficience domicile et travail. parcs relais les plus proches possibles des lieux d’origine de la clientèle-cible pour énergétique. L’abonnement annuel varie entre 1160 et 1600 améliorer leur efficience énergétique. francs suisses selon les parkings et comporte un abonnement à la communauté tarifaire de Ainsi plus le parc est petit, plus il aura voca- l’ensemble des réseaux de transports publics tion à répondre à un usage local. C’est du canton et des communes avoisinantes. Par d’ailleurs pour cela que certains plaident pour comparaison, l’abonnement annuel en trans- la réalisation de petits équipements disséminés ports publics qui permet de circuler sur l’en- le long des axes lourds de transports collectifs semble du canton de Genève vaut 500 francs suisses. 1) Voir les sites Internet de la Fondation des Parkings et d’Unireso: https://www.ge.ch/parkings/parkings/parkings- La tarification mise en place est donc, contrai- parc-relais.asp & http://www.unireso.com/pages/titres-de- rement à la France, une tarification séparée transport.htm

30 Transports Urbains N°126 (mai 2015) ■ Gare de Groningue (Pays- Bas): parc à vélo de 4000 places aménagé sous le parvis de la gare et desservi par une artère dédiée. Photo F. de Fleurian

périurbains. Ils voient dans cette option le gares périurbaines; dans le cas de gares assu- meilleur moyen de se rapprocher des lieux rant des liaisons à grande distance, il est d’origine de la clientèle visée et de limiter au souhaitable de prévoir des capacités de maximum les trajets en voiture. stationnement significatives, même pour des usagers ayant déjà fait un cheminement d’ap- Ces considérations ne valent que pour les proche assez long. En conclusion… La manière de tarifer les parcs relais renvoie s’interrogent sur le bilan coût/avantages de aux stratégies de déplacements définis par l’au- telles politiques. torité organisatrice et devrait, en toute rigueur, contribuer effectivement aux objectifs de limi- De la même manière qu’une tarification soli- tation de l’usage de la voiture particulière. Ce daire a été mise en place dans certaines villes d’autant plus qu’en France un avantage écono- par souci d’équité sociale et pour garantir l’ac- mique est consenti aux usagers des P+R. cès de tous aux transports publics, la tarifica- tion des parcs-relais devrait être environne- On perçoit bien que les collectivités qui mentale pour favoriser les usages les plus pendant une longue période ont mené une poli- légitimes. tique volontariste en faveur des parcs relais

Bibliographie sommaire

Parmi la très importante production écrite sur AGENCE D’URBANISME DE LyON, « parcs-relais le sujet: et politique de rabattement », décembre Luc MILTGEN, « Les parcs relais: les condi- 2007 tions de la réussite », Technicités, n°254, SETRA, « parcs relais pour l’intermodalité septembre 2013 voiture + train, revue bibliographique et « Des parcs relais pour simplifier la ville », études de cas de gares à vocation interur- Technicités, n°238, novembre 2012 baine », août 2012, 105 pages AGENCE D’URBANISME DE STRASBOURG, « quel EFFICIENCE éNERGéTIqUE DES P+R, Transitec avenir pour les parcs relais? », août 2006 2004 pour OFEN

Transports Urbains N°126 (mai 2015) 31 Bibliographie express LA DESSERTE FERROVIAIRE DES TERRITOIRES PÉRIURBAINS Construire la ville autour des gares Bruxelles/Milan/Paris/Washington Dirigé par Anne Grillet-Aubert Éditions Recherches, 2015

Cet ouvrage de 352 pages réunit les contributions d’une équipe de huit auteurs (B. Gros- jean, G. Leloutre, P. Pucci, A. Grillet-Aubert, C. Bazaud, K. Bowie, B. Laurencin, G. Gua- gnano), issues de recherches consacrées à quatre territoires urbains majeurs dans des contextes géographiques, politiques, culturels différents. Ces travaux ont été financés en 2011 par le PREDIT dans le cadre de l’un de ses appels à proposition de recherche. Le livre présente une abondante cartographie à toutes les échelles, parfaitement maîtrisée, de très nombreux croquis de situation et des plans et projets locaux d’aménagement qui permet- tent de comparer terme à terme les quatre territoires étudiés. Ces monographies normali- sées, en quelque sorte, grâce à un cadre d’analyse élaboré en commun au profit de la com- paraison internationale et par extension de la réflexion sur des façons de faire différentes pour un même objectif et même de transferts possibles d’une situation à une autre, ne montrent pas que les avantages et les acquis de politiques de resserrement de l’urbanisation à proximité des axes lourds de transport collectif: elles montrent aussi les contraintes, les impossibilités, les déficits de détermination politique et les com- portements sociaux qui contrecarrent la recherche de la réduction et de la concentration spatiale de l’étalement urbain. Les auteurs ont laissé au lecteur le soin de construire sa propre synthèse (ce que propose d’ailleurs l’article publié dans ce numéro 130 de la revue Transports Urbains sous la plume de Anne Grillet-Aubert et de Karen Bowie): travail utile autant pour la construction de la connaissance que pour le projet dans le domaine de l’aménagement, dans un contexte où les vœux pieux paraissent le plus souvent suffire à satisfaire l’ambition du politique.

ATLAS DE LA FRANCE PÉRIURBAINE Morphologie et desservabilité Par Mathieu Drevelle et Pierre-Henri Emangard (préface de Francis Beaucire) Éditions Économica, 2015, 15,5 x 24

L’Atlas de la France périurbaine présente la morphologie des territoires des aires urbaines (hors pôles) et une typologie des réseaux les plus efficaces pour en assurer la desserte. L’atlas comprend 70 aires urbaines, dont les 50 plus importantes (à l’exception toutefois de l’Île-de-France, de Lyon et de Marseille). Cet atlas a été constitué à partir de robustes analyses morphologiques conduites sur la base BD-Carto de l’IGN et du tracé de lignes d’autocars assurant la desserte des secteurs habités. On y trouve la part des résidents et des emplois périurbains, leur densité, la cartographie des morphologies périurbaines (satellitaire, réticulaire ou dispersée, ainsi que leurs com- binaisons), la taille des îlots élémentaires et leur densité… Saute aux yeux la grande diversité des espaces périurbains des aires urbaines françaises, ce qui n’est pas sans explications géographiques (parties 3 et 4). Ce sont les aggloméra- tions du sud-ouest qui apparaissent le plus difficiles à desservir et, sans surprise, la den- sité du périurbain limite l’offre nécessaire. Les auteurs envisagent les tracés de réseaux de desserte périurbaine par autocars pour chacune des aires urbaines – ce qui suppose résolu le sujet de la couverture de l’aire urbaine par les ex-PTU ou par des accords entre autorités organisatrices de transport – et selon quatre architectures, qui optimisent le potentiel de desserte et donnent des résultats contrastés en termes d’offre (évaluée en kilomètres de ligne par 1000 habitants, à la fréquence nominale mais également en nombre de lignes) selon les aires urbaines; les architectures de réseau se rangent souvent dans l’ordre de performance suivant: réseau bimodal (transport collectif et rabattement vélo/modes actifs), réseau à grandes radiales, réseau « hydrographique » (c’est-à-dire par rabattements sur les lignes principales), réseau capillaire (desserte de l’ensemble du territoire par des lignes directes). Leurs coûts intrinsèques varient beaucoup selon le pourcentage de la population périurbaine desservie. Certaines aires périurbaines, trop dispersées, ne peuvent escompter une desserte fine de leur territoire à un coût admissible. On mesure donc à quel point la morphologie du périurbain a une forte incidence sur l’offre de transport à aligner et que l’ob- jectif de desserte d’une forte part de la population peut conduire à des offres fort coûteuses. L’ouvrage, très nouveau par l’ensemble des données rassemblées et par les possibilités de comparaison (parangonnage), devrait permettre aux universitaires mais aussi aux collectivités de mieux apprécier les dessertes possibles des couronnes urbaines et de mesurer quelle part des déplacements périurbains pourrait être captée par le transport public routier. Il n’échappera toutefois pas au lecteur attentif que l’évaluation de l’offre (ou sa reconstitution en sommant offre urbaine et partie des offres départementale et régionale) à l’échelle de l’aire urbaine pourra être délicate, les périmètres institutionnels ne couvrant pas, tant s’en faut, les bassins de déplacements, même s’ils s’étendent régulièrement. Il en sera de même de la connaissance de l’offre et de la répartition modale. François de Fleurian

Transports Urbains N°130 (février 2017) 17 Bibliographie Cette livraison de la revue Esprit consacre un dossier aux changements intervenus au cours de la dernière décennie (et même un peu plus) dans ce que l’on peut appeler, pour les regrouper d’un mot, les temporalités de la vie quotidienne. Changement dans le temps du travail, dans la précipi- tation généralisée de la vie contemporaine, dans le rapport que les sociétés entretiennent avec la durée, la fréquence, la vitesse. Les débats entre vitesse et lenteur, entre vitesse et territoire, entre vitesse et soi- même, pourrait-on dire, sont abordés par Thierry Paquot, philosophe (auteur notamment d’un Art de la sieste en 1998, mais aussi un Essai sur le temps des villes en 2001), par Sandra Mallet, qui enseigne l’aménage- ment et l’urbanisme en Université et qui développe la relation entre le ESPRIT temps et la ville, par Michel Lussault, géographe, qui étend cette relation à l’espace tout entier ou encore Luc Gwiazdzinski, géographe également, qui aborde l’effacement de la distinction entre jour et nuit. Rappelons sur CHANGER le thème, parmi tant d’autres, l’ouvrage de Paul Virilio et, plus récent, celui DE RYTHME de Hartmut Rosa: La vitesse de libération, Galilée, 1995 pour le premier cité, et pour le second: Accélération, une critique sociale du temps, La n°410 Découverte, 2010 (première version allemande en 2005)… Sans oublier décembre 2014 Du bon usage de la lenteur, de Pierre Sansot (Payot, 1998)! FB

Cet ouvrage collectif réunit les contributions d’une quinzaine de cher- cheurs, unis par une même thématique: entrer dans le domaine de la mobilité par le politique, et plus précisément éclairer divers aspects des LES TRANSPORTS relations entre démocratie et mobilité. Il s’agit d’une partie des actes DE LA d’un séminaire consacré à l’histoire de la mobilité. L’introduction géné- DÉMOCRATIE rale de l’ouvrage, sous les plumes de M. Flonneau, L. Labrie et A. Pas- Approche historique salacqua, replace la mobilité dans le contexte de la démocratie, c’est-à- des enjeux politiques dire dans le domaine du politique, ce qui, pour les auteurs, est un signe de la mobilité de la maturité de la recherche et des études sur la mobilité. Dans ce livre, de nombreux angles de réflexion sont proposés au lecteur, sous la direction de comme ceux qui impliquent les notions de changement, d’innovation, Mathieu Flonneau, de participation, de conflit, de vitesse, mais on y trouve aussi une série Léonard Laborie et d’approches par les modes de transport eux-mêmes. Et, comme le rap- Arnaud Passalacqua pellent en conclusion les trois éditeurs de l’ouvrage, « tout ordre socio- politique se construit autour de la régulation de la mobilité des Presses universitaires hommes, des biens, mais aussi du capital et de l’information. » FB de Rennes, 2014

Les auteurs, bons connaisseurs de la question, proposent à la finir avec les petites réformes successives qui n’atteignent fois une histoire des découpages territoriaux et bien sûr de leur jamais véritablement leur but, transformer en profondeur évolution, et un programme de sept propositions destiné à en certes le découpage de l’espace français mais aussi la réparti- tion des missions et des compétences entre les différents niveaux de l’administration territoriale. On peut évidemment rechercher avidement les conditions tout à fait exceptionnelles qui devraient être réunies pour réussir cette transformation radicale et demeurer sceptique sur les chances réelles de les réunir. Mais les questions soulevées tant par l’histoire des découpages et de leurs réformes que par les propositions de réforme, qui occupent pour l’essentiel un bon tiers de l’ouvra- ge, sont nombreuses et permettent d’approfondir sérieuse- ment ce que la presse quotidienne livre avec le degré d’ap- proximation qu’on lui connaît. Comme on pouvait s’y attendre, la question de l’espace géographique débouche sur des ques- tions plus larges et assez cruciales dans les démocraties: la POUR EN FINIR refonte des impôts locaux et le renouvellement du système électoral. Dans le domaine des transports et de la mobilité, VRAIMENT AVEC LE l’évolution des compétences, même sous la forme réelle qu’el- MILLEFEUILLE le s’apprête à prendre, ne sera pas sans conséquences sur TERRITORIAL l’offre de transport et probablement sur son coût pour la col- lectivité. La question n’est pas abordée dans le livre, mais ce Éric Giuily et Olivier Régis, dernier constitue un point de départ alimentant le débat dans L’Archipel, 2015 le champ de l’organisation des déplacements. FB

34 Transports Urbains N°126 (mai 2015) Bonnes feuilles DU FAR WEST À LA VILLE, L’URBANISME COMMERCIAL EN QUESTIONS Sous la direction de Christina Garcez et David Mangin Éditions Parenthèses, 2014, 16,5 x 24

Présentation par François de Fleurian

Après les livres de David Mangin, La Ville Franchisée et de la distribution ou propriétaires de centres commerciaux, Babel, qui nous avaient beaucoup expliqué avec leurs mer- avec des complexités comptables et des contradictions veilleux petits croquis sur les développements de l’urbanisme internes entre services financiers, services de projets commercial, ce nouvel ouvrage approfondit les moteurs des immobiliers et services gestionnaires des sites. développements commerciaux de périphérie et leur soutena- — Un écart énorme entre la valeur intrinsèque des bâtiments bilité. Écrit par des auteurs de professions très diverses, mais et la valeur comptable des sites, attachée à leurs chiffres tous impliqués dans ces réalisations, il évoque les sujets de d’affaires réels ou théoriques. Entre propriétés foncières, l’adaptation permanente des formats commerciaux, la bulle murs, baux et fonds de commerce, les valeurs immobilières commerciale, la mutabilité des tissus commerciaux, la faibles- sont très complexes avec des particularités à la française se de la gouvernance publique… (cf. définition française de la propriété commerciale issue Du Far West à la ville relate aussi huit ateliers pluridiscipli- du décret de 1953). naires, associant élus, services de l’État, grands opérateurs — Aucun opérateur n’a intérêt à investir pour moderniser un commerciaux et urbanistes sur le devenir d’opérations exis- actif amorti et affecter son fonctionnement le temps des tra- tantes. Animés par David Mangin et François Leclercq, les vaux s’il ne crée pas une valeur économiquement suffisan- conclusions des ateliers ont permis de proposer des pistes te à l’issue du projet. d’action, y compris sur le sujet des déplacements (p.181) et — L’ensemble de ces paramètres rend les mutations économi- du retour au centre-ville. quement difficiles. Du point de vue des nombreux déplacements pour le motif achats (19% selon l’ENTD 2008), les lieux du commerce se Pascal Madry: le commerce distinguent par une part modale des modes alternatifs émi- moderne, dynamique et prospectif nemment variable selon leur position dans la ville, leur taille et leur zone de chalandise, tout comme les Une bulle immobilière. En premier lieu, formats commerciaux se différentient le commerce moderne est confronté à nettement par leurs émissions de gaz à une crise de régime de croissance. effet de serre, tous déplacements consi- Cette crise s’observe à travers le décou- dérés. Il est donc important de mieux plage croissant entre l’évolution du parc connaître les déterminants de la localisa- des surfaces de vente du commerce de tion du commerce pour mieux composer détail et l’évolution de la consommation. la ville plus sobre et de meilleur équilibre Ce parc a progressé de 44%, passant de modal, ce en quoi nous aide Du Far 48 à 70 millions de m2 entre 1992 et West à la ville. 2004, alors que dans le même temps la On peut regretter qu’il ne traite que consommation n’a progressé que de superficiellement des différences entre 14%. L’hypothèse communément admi- les montages et formats possibles sur se pour expliquer ce découplage se foca- les formes urbaines résultantes et leur lise sur le comportement des groupes de pérennité, ni du rôle que peuvent s’arro- distribution. Ceux-ci seraient engagés ger les opérateurs commerciaux en s’as- dans une « course aux surfaces de vente surant très souvent de la maîtrise fonciè- […], visant à occuper les derniers re de très grands tènements sans mesu- emplacements les plus rentables ou rer le déséquilibre créé. potentiellement rentables, quitte à L’ouvrage est à ranger à côté du bon livre devancer les mouvements de popula- de R.P. Desse « Le nouveau commerce tion » (étude Crédoc 2008). Or, le déve- urbain » aux Presses Universitaires de loppement du parc de surfaces de vente Rennes (2001). du commerce de détail relève d’un systè- me d’acteurs complexe, au sein duquel David Mangin: une idée reçue parmi interviennent bien évidemment les stra- dix sur l’urbanisme commercial: « la tégies d’implantation des distributeurs, rentabilité des zones commerciales serait principalement mais où interfèrent également: liée aux échanges commerciaux » — les stratégies des investisseurs et des promoteurs dans le financement et la conception des opérations d’immobilier Derrière l’apparence se cachent d’autres dynamiques et une commercial; véritable disparité des sources de revenu entre les taux de ren- — les politiques mises en œuvre par les pouvoirs publics, tabilité par types d’activités, les niveaux des baux immobiliers, notamment les collectivités locales, en matière d’urbanisme et les propriétaires fonciers. et d’urbanisme commercial. — Une disparité des rentabilités selon les activités (équipe- Le fonctionnement de ce système peut être rapproché de celui ment, alimentation…) et les situations (routes, galerie ou d’une filière de production, dans la mesure où l’activité de cha- zone…) pour des valeurs locatives allant de 60 € du m2 cun de ces acteurs participe à l’élaboration d’un même produit pour une grande surface d’ameublement en périphérie à final: celui de surfaces de vente. Ainsi, les collectivités locales plus de 20000 € du m2 pour certaines activités sur les produisent le foncier (sinon les droits d’usage de ce foncier), Champs-Élysées. sur lequel les investisseurs promeuvent des murs commer- — Une financiarisation de la plupart des grands groupes issus ciaux, à l’intérieur desquels les distributeurs exploitent des sur-

Transports Urbains N°125 (mai 2015) 35 Bonnes feuilles faces de vente. En outre, les flux financiers générés par cette cation des points de vente permet aux distributeurs de gagner filière apparaissent également interdépendants, bien que des parts de marché sur la concurrence, voire de dominer un situés à l’articulation des différents marchés: immobilier, marché de consommation. De fait, plusieurs marchés du financier et foncier. Ainsi, une partie du chiffre d’affaires des commerce de détail tendent vers une structure oligopolis- distributeurs (leur revenu d’exploitation des surfaces de tique. Par exemple, dans le sport, les trois premières vente) revient aux investisseurs — sous forme de recettes enseignes de distribution chefs de file du secteur (Décathlon, locatives (leur revenu des capitaux investis dans les murs Intersport et Go Sport) cumulent 54% des parts de marché. commerciaux) —, et une partie de ces recettes locatives Dans le bricolage (Leroy Merlin, Castorama et Bricomarché), revient à son tour aux collectivités, sous forme de charges 65%. Dans le meuble (Ikea, Conforama et But), 40%. Enfin, la foncières. multiplication des points de vente permet à certains distribu- Dans ce cadre, l’offre et la demande des différents acteurs est, teurs d’afficher une croissance de leur chiffre d’affaires glo- par hypothèse, régulée par les prix. Cette régulation concerne bal, quand bien même celui de chacun de leur magasin stag- en particulier: ‘ ne. C’est le cas par exemple des grandes chaînes mondiales — la valeur locative des surfaces commerciales; de l’habillement, telles que H&M et Zara. La confiance de l’ac- — la valeur d’actif des murs commerciaux; tionnariat ou des banques, malgré la baisse de performance — la valeur foncière des terrains. des points de vente, est ainsi assurée. Or, depuis une dizaine d’années, ce mécanisme d’ajustement fonctionne de moins en moins. Cette dérégulation de la filière Du côté des investisseurs. Le second paradoxe concerne de production des surfaces de vente s’illustre à travers trois l’évolution de la valeur des murs commerciaux, autrement dit paradoxes. du prix des locaux commerciaux considérés comme des actifs immobiliers. Là encore, la valeur des murs commer- Du côté des distributeurs. Le premier paradoxe concerne ciaux augmente alors que leur rendement, mesuré en termes l’évolution des valeurs locatives, autrement dit du prix de de chiffre d’affaires moyen généré par chaque m2, diminue. location des locaux commerciaux. On remarquera d’abord Ce paradoxe trouve cette fois son origine dans la financiarisa- que ces valeurs locatives progressent fortement, en lien avec tion croissante du secteur de l’immobilier. Durant ces deux le coût de la construction. Ce dernier, sur lequel sont indexées dernières décennies. Importée en Europe· sur le modèle nord- les augmentations de la plupart des baux commerciaux en américain, la financiarisation recouvre toutes les formes de France, a connu une augmentation de 39% en dix ans. Dans transformations d’actifs ou de dettes immobilières en valeurs le même temps, le rendement des surfaces de vente — mesu- mobilières cotées ou non cotées. Elle a conduit à une modifi- ré par le chiffre d’affaires moyen généré par un m2 de surface cation profonde des modes de valorisation et de financement de vente — stagne, à hauteur de 4400 €/m2 pour l’ensemble des actifs immobiliers. du commerce de détail. Les distributeurs exploitent donc tou- Jusqu’alors, les investisseurs en immobilier commercial sui- jours plus de surfaces de vente, alors que celles-ci sont para- vaient une démarche de type patrimoniale, consistant à valo- doxalement de plus en plus chères et de moins en moins per- riser leurs murs à partir de leurs qualités intrinsèques formantes. (construction, surface, etc.) et de leurs facteurs locaux de Ce paradoxe découle de la conjonction de plusieurs facteurs. commercialité (localisation, accessibilité, visibilité, etc.). En D’abord, le commerce est un secteur d’activités de plus en outre, ceux-ci finançaient leur investissement principalement plus intégré verticalement. 45% de l’activité du commerce de sur fonds propres et par recours à la dette bancaire. […] détail en France sont désormais réalisés par des succursa- listes, soit des entreprises qui développent à la fois la fonction Mutations et perspectives. Le commerce de détail a connu de commerce de détail et celle de commerce de gros (à entre 1920 et 1960 une phase de mutation profonde, corres- l’exemple de Darty, But ou Conforama), voire celle de produc- pondant au passage d’un mode de croissance de type artisa- tion des biens qu’elles commercialisent (à l’exemple de Car- nal (auquel sont associés le petit commerce, les boutiques, la refour, Ikea, Décathlon, Zara et H&M). Et cette proportion est vente traditionnelle) à un mode de croissance de type indus- en augmentation constante. Pour ces entreprises, les coûts triel (auquel sont associées la grande distribution, les grandes de commercialisation des produits — dont les loyers des sur- surfaces et la vente en discount). Durant cette période, mar- faces de vente font partie — ne constituent qu’une part des quée par une intense concentration capitalistique du secteur, coûts de distribution plus globaux, qui comprennent égale- la France a perdu la moitié de ses commerces. ment les coûts logistiques et parfois même les coûts de pro- Une mutation de même ampleur est aujourd’hui de nouveau à duction des produits. l’œuvre, correspondant cette fois au passage d’un mode de Ensuite, le commerce est, comme nous l’avons évoqué plus croissance de type industriel à un autre de type information- haut, un secteur d’activités de plus en plus concentré. Inci- nel (auquel sont associées des marques, de nouvelles inter- demment, les distributeurs, et a fortiori les succursalistes, faces marchandes digitales, et la vente à distance). Une muta- cherchent à bénéficier d’effets de taille. tion qui pourrait rendre obsolètes quelque 40 millions de m2 D’une part, la multiplication des points de vente leur permet de surfaces commerciales (soit 25% du parc) dès 2020. de bénéficier d’économies d’échelle sur l’ensemble de leur Il serait urgent que les pouvoirs publics se saisissent de cette activité. En vertu de la théorie des coûts, les surcoûts générés mutation, qui aura des répercussions en termes d’aménage- en aval, dans la commercialisation, par l’ouverture d’un éniè- ment du territoire. Les politiques d’urbanisme commercial me point de vente (loyer plus cher, baisse de rendement des s’appuient sur une analyse obsolète du développement du surfaces de vente, etc.) sont compensés, en amont, dans la commerce, sensé encore obéir à un mode de croissance distribution, par les gains obtenus, en particulier en matière extensif. Seul l’immobilier de commerce s’inscrit encore dans d’approvisionnement (massification des achats permettant de cette logique de croissance, mais pour des motifs déconnec- bénéficier de diminutions de prix auprès des fournisseurs) et tés des besoins de consommation réels des territoires. de logistique (rationalisation des opérations d’allotissement, Le rapport du commerce au territoire doit être refondé, de de stockage, de transport et de livraison). même que les objectifs des politiques d’urbanisme commer- Au comble de cette logique, certains distributeurs en difficul- cial doivent être repensés. Déjà, une question nouvelle devrait té réagissent à la chute de leurs ventes en accélérant le ryth- interpeller les pouvoirs publics: que faire des futures friches me d’ouverture de leurs magasins! D’autre part, la multipli- commerciales?

36 Transports Urbains N°126 (mai 2015) Les chiffres de … la baisse tendancielle de la recette par voyage Stéphanie Lopes d’Azevedo Chargée de mission à l’UTP

En ces temps de crise économique et de contraintes finan- • les titres « commerciaux » à tarifs préférentiels, destinés cières, le transport public urbain se porte plutôt bien. En à des populations que l’autorité organisatrice des trans- première analyse, depuis plusieurs années, on observe une ports, en lien avec son opérateur, cherche à orienter vers le hausse des indicateurs d’offre et de trafic du transport transport public et à fidéliser (la gamme commerciale); public. Le secteur vit cependant une situation paradoxale, • les titres qui répondent à un objectif de solidarité entre les qu’il convient d’analyser « cliniquement » pour mettre en générations et/ou les catégories sociales, soumis à condi- œuvre des politiques locales qui encouragent le report tion de statut et/ou de revenu et dont les tarifs sont réduits, modal tout en améliorant l’équilibre économique des voire gratuits (la gamme sociale). réseaux. Si la part des titres toutes clientèles dans le trafic des réseaux n’a pas beaucoup évolué au cours de la décennie Depuis 10 ans, l’offre kilométrique (nombre de kilomètres 2000 (elle correspond à environ 40 % des voyages), la part produits par habitant desservi) croit au rythme annuel des titres gratuits s’est nettement contractée (passant de moyen de +1,4 % (1) alors que la recette par voyage se 16,7 % en 1999 à 11,4 % en 2011), au profit notamment des contracte de -0,9 % en moyenne par an. Le paradoxe est de titres réduits (4). C’est donc bien le tarif des titres payants taille: les voyageurs se voient donc offrir des prestations de (plein tarif ou réduit) qui tire les recettes vers le bas, et non plus en plus importantes, que ce soit quantitativement ou une politique orientée vers davantage de gratuité. qualitativement, tandis qu’ils s’acquittent d’un prix de moins en moins élevé. Le transport public se distingue en Ce constat amène naturellement à considérer le niveau des ce sens des autres services publics marchands, dont les prix tarifs. Du côté de la gamme sociale, la mise en place de ont tous augmenté au cours de la dernière décennie (entre niveaux de prix différents selon les niveaux de revenus +22 % et +60 %) alors que le transport public affiche une (tarification au quotient familial ou selon l’assujettissement baisse de son prix moyen à la consommation de 3,5 % sur ou non à l’impôt sur le revenu) rend le calcul d’un prix la même période (2). La situation est d’autant plus singu- moyen complexe. Les diverses enquêtes auprès des réseaux lière que les tarifs des transports publics ont longtemps été conduites par l’UTP et le GART (5) ont cependant démon- encadrés (augmentation plafonnée par le Ministère des tré que de moins en moins de réseaux offraient exclusive- Finances) mais que, depuis la fin de ce dispositif en 2003 ment des titres gratuits aux personnes âgées (19,7 % des (3), loin de s’envoler, ils confortent leur baisse d’année en réseaux en 1999, 14,5 % en 2011) et aux précaires finan- année. Dès lors, il s’agit de s’interroger sur les raisons de ciers (33,3 % en 1999, 19,7 % en 2011). Pour autant, les cette tendance que rien ne semble venir enrayer. réductions accordées à ces ayants droit peuvent atteindre Il convient en premier lieu d’analyser la structure de la 90 % du prix des titres. gamme tarifaire. Elle se compose de trois grandes catégo- ries de titres (hors titres intermodaux): La gamme commerciale est plus lisible, car moins soumise • les titres proposés à tous les publics sans conditions (la à une dégressivité selon les revenus. Ainsi, il est possible gamme toutes clientèles); d’établir le prix moyen sur la décennie 2000 de l’un des

Indice des prix à la consommation des services publics marchands

Unité: indice des prix à la consommation base 100 en 2001, Source: INSEE

28 Transports Urbains N°121 (avril 2013) titres phares de la gamme: l’abonnement mensuel pour les Cette tendance à la baisse de la contribution des voyageurs jeunes. Autrefois réservé aux seuls étudiants, il est désor- dans le fonctionnement des réseaux de transport ne pourra mais proposé à toute une classe d’âge, allant parfois jusqu’à pas se poursuivre longtemps. Alors que les recettes com- 28 ans. L’évolution de son prix est linéaire: il se contracte merciales couvrent à ce jour moins de 35 % des coûts d’ex- de -4,3 % en moyenne par an depuis 1999 en euros ploitation (soit plus de 10 points de moins en 10 ans), c’est constants. Le titre mensuel scolaire s’inscrit dans la même la fiscalité locale, via les impôts locaux et le versement tendance, avec un recul de son prix de 11 % sur 12 ans et transport, qui est de plus en plus mise à contribution pour un élargissement de son usage. Auparavant limité à un assurer un service de plus en plus large (géographiquement aller-retour par jour scolaire pour se rendre à l’établisse- comme qualitativement). Or, les budgets des collectivités ment, le titre destiné aux scolaires donne désormais accès à locales sont de plus en plus contraints tandis que l’urgence la circulation illimitée sur le réseau. environnementale, la congestion des villes et donc le report modal attendu de la voiture particulière vers les modes L’observation de la gamme classique ou « toutes clien- alternatifs imposent une montée en puissance de l’offre de tèles » sur cette période est, elle aussi, riche d’enseigne- transport public. ments. Il y apparaît que, parmi les titres proposés dans la majorité des réseaux (ticket unitaire, carnet de tickets, tic- Il a été maintes fois démontré que la fréquence de passage ket journée, abonnements mensuel et annuel), seul le prix des véhicules et l’information voyageurs étaient des leviers du ticket issu du carnet a progressé depuis 1999 en euros d’attractivité du transport public bien plus puissants que constants. La hausse est néanmoins anecdotique: +0,3 %, des prix bas. Les enquêtes d’opinions auprès des citadins, tandis que les tarifs des autres titres de cette gamme bais- utilisateurs ou non des transports publics, vont également saient de -4 % (ticket unitaire) à -18 % (abonnement dans ce sens (6). La montée en gamme des services, quand annuel). Ainsi, le ticket unitaire, proposé dans l’ensemble elle correspond aux attentes des clientèles, leur fait des réseaux au prix moyen de 1,17 euro en 2011, ne fait pas admettre une hausse des prix, d’autant que les gammes tari- régulièrement l’objet de révision de son tarif, de sorte que faires telles qu’elles sont proposées actuellement, offrent à ce dernier n’évolue pas au même rythme que l’inflation. Il chacun la possibilité de voyager selon ses besoins et ses en résulte qu’il s’établit aujourd’hui à un niveau inférieur moyens… de 4 centimes à celui de 1999. Il est, en ce sens, victime de sa forte visibilité: c’est celui dont le prix est le plus facile- ment mémorisable. Ce qui lui vaut d’être maintenu, dans une dizaine de réseaux, à 1 euro depuis le passage à la mon- naie unique! Le handicap majeur des recettes du transport public ne tien- drait-il pas finalement à la visibilité du prix des principaux titres? Leur affichage lisible dans l’espace public et leur SOURCES ET RÉFÉRENCES mise en avant périodique dans les médias n’incitent-ils pas les élus des autorités organisatrices de transports, qui sont (1) UTP, Les chiffres clés du transport public urbain, édition annuelle d’après la Base Transports Collectifs Urbains, DGITM-CERTU-GART-UTP décisionnaires des niveaux de prix, à la prudence dans les (2) INSEE, Indice des prix à la consommation, séries annuelles. revalorisations? Tout comme leur paiement majoritaire- (3) Décret n°2005-917 du 29 juillet 2005 abrogeant le décret n°87-538 du 16 juillet ment aux guichets ou auprès des conducteurs (respective- 1987 relatif aux tarifs des transports publics urbains de voyageurs hors de la région Ile-de-France ment 35,3 % et 32,4 % en 2011), contrairement aux autres (4) GART-UTP, Une décennie de tarification dans les réseaux de transport urbain, services publics marchands, n’entraîne-t-il pas un maintien juin 2012. (5) GART-UTP, Annuaires de la Tarification des réseaux de transport urbain, 1999, des tarifs sur une longue période pour conserver des prix 2003, 2006, 2009 et 2011. ronds? (6) UTP, Observatoire de la mobilité, 2008, 2009 et 2010.

Recette par voyage (en euros constants)

Unité: recette par voyage en euros 2011 / (p) résultats provisoires. Source: Base TCU DGITM-CERTU-GART-UTP, traitement UTP

Transports Urbains N°121 (avril 2013) 29 Images L’intermodalité, avec ou sans couture ?

Photo 1 : Parvis en pente séparant la gare Champagne-Ardenne TGV du terminus tramway (photo Pierre-Henri Emangard) Le tramway de Reims a été inauguré en avril 2011. C’est donc l’un des plus récents de France, qui est censé tirer le meilleur des expériences antérieures. Il est d’ailleurs le premier à relier en direct une gare TGV périphérique, Champagne-Ardenne TGV, à la gare centrale de Reims. Mais l’intermodalité tram – TGV est tout sauf aisée. Les rames termi- nent leur course à 200 mètres de l’entrée de la gare, avec une rampe non négligeable à gravir (photo 1). À quelques centaines de kilomètres de là, à Freiburg-im-Brisgau (Allemagne), les tram- ways donnent directement correspondance aux trains au prix d’une simple volée d’esca- liers (photo 2). Il en est de même à Angers, dont le tramway est contemporain de celui de Reims.

Photo 2 : Correspondance tramway – train en gare de Freiburg-im-Brigau (photo : Jean-Pierre Wolff)