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taveberrtrannd ier Débat animé par Yves Alion après la projection du film L.627, à l’École Supérieure de Réalisation Audiovisuelle de Paris le 12 janvier 2006 Bertrand Tavernier est de toute évidence l’un des représentants les plus passionnants de cette fameuse « exception culturelle » française, quel que soit par ailleurs son amour affiché pour le cinéma américain classique. Cinéphile fervent (il a beaucoup écrit sur le cinéma), Tavernier possède une dimension hugolienne, s’intéressant tout autant au cinéma de la politique qu’à la politique du cinéma. Après plusieurs années passées comme attaché de presse (ce qui lui permet d’alimenter sa boulimie de films), il entre dans la carrière par la grande porte, adaptant Simenon avec finesse (L’Horloger de Saint-Paul ) avant de redonner des lettres de noblesse au cinéma historique ( Que la fête commence... et Le Juge et l’Assassin sont les éclaireurs d’une veine qui ne semble pas tarie). Depuis lors sa carrière est ponctuée de coups de maîtres et de films sans doute moins saillants, mais qui dénotent à chaque fois une empathie réelle pour le genre humain, doublée en l’occurrence d’une saine colère à l’égard de ceux qui mènent le monde et des systèmes sociaux bancals mis en place. Ce besoin de ruer dans les brancards s’exerce d’ailleurs tout aussi bien par L.627 l’intermédiaire de la fiction que par le biais du documentaire, chose rare dans le monde actuel du 7ème Art, chacun ayant d’ordinaire choisi son camp. Mais il existe également une dimension plus épicurienne, plus intime aussi dans son cinéma, montrant au passage (et notamment) son goût de la bonne chère et du jazz, qui d’ Une semaine de vacances à Un dimanche à la campagne apporte un éclairage renoirien (père et fils confondus) à une œuvre bouillonnante qui n’a pas fini de nous passionner. I Mais je tiens à dire que je ne me sens pas du reprises avec Claude Chabrol ! Et quand tout en porte-à-faux par rapport à la Nou - j’ai quitté Georges de Beauregard et que je velle vague. suis devenu indépendant, j’ai pu choisir les films que j’aimais. Ceux d’Agnès Varda, C’est pourtant une assertion que l’on retro - de Jacques Demy, de Jacques Rozier... uve régulièrement dans la presse... J’ai pris Aurenche et Bost parce que je me B.T. : C’est absurde. Je n’ai pas travaillé suis dit que ces hommes qui étaient sur la avec Aurenche et Bost pour m’opposer à touche seraient facilement disponibles. Je ne la Nouvelle vague. Ceux qui l’affirment font voulais pas travailler avec des scénaristes preuve d’un curieux syllogisme : « Auren - dans l’air du temps. Je cherchais des gens che et Bost ont été attaqués à une époque qui aient un sens moderne du dialogue et par Truffaut. Si Tavernier travaille avec eux, qui ne soient pas prisonniers d’un certain Entretien c’est qu’il est contre Truffaut ». Idem concer - style d’écriture... J’ai revu des dizaines de Votre nom est au générique de L a 317ème section , en tant qu’attaché de presse. Êtes-vous devenu réalisateur par hasard ? Bertrand Tavernier : Non, je voulais être réalisateur depuis que j’avais treize ans. Bien sûr à cet âge-là, le terme était encore assez vague pour moi, puis il s’est précisé peu à peu. Avant d’être attaché de presse, j’avais été stagiaire à la réalisation sur un film de Jean-Pierre Melville. Même si un film de Melville “Il faut reconnaître que n’est pas ce que l’on fait de plus facile pour com - j’étais un très mauvais mencer dans le métier, il faut reconnaître que j’étais assistant réalisateur. un très mauvais assistant réalisateur. J’étais téta - J’étais tétanisé.” nisé. Un jour, Melville m’a dit : « Tu es nul comme assistant, je te conseille d’arrêter. En revanche, si tu veux continuer à faire du cinéma, il existe une manière d’apprendre tout en gagnant ta vie... » Je n’avais pas le choix, mes parents ne voulant pas me donner un centime si je ne faisais pas Sciences Po... Melville m’a recommandé à son producteur, Georges L’Horloger de Saint-Paul (1974). de Beauregard, dont je suis devenu l’attaché de presse. J’ai alors tra - vaillé sur un grand nombre de films, notamment La 317 ème section . Je nant le portrait que j’ai fait de Aurenche films en écoutant attentivement les dialo - suis devenu à cette occasion très ami avec Pierre Schoendoerffer, et j’ai dans Laissez-passer , qui indique que cet gues. Se détachaient Aurenche et Bost d’une suivi le tournage. À cette époque, un attaché de presse suivait les films homme s’est comporté de façon très digne part, Maurice Aubergé de l’autre. Mais je de A à Z. J’avais le scénario en main, et de temps à autre, j’allais voir pendant la guerre. Certains n’ont pas n’ai jamais pu le trouver. Alors que la piste les rushes, je suivais le montage. Avant de m’occuper de la sortie et de regardé le film, mais ont conclu que je per - qui menait à Aurenche et Bost était facile à gérer les rapports avec la presse. J’ai également fait la sistais à m’opposer à la Nouvelle vague. suivre. Si j’ai travaillé avec eux, c’est parce bande-annonce de La 317 ème section, sans doute mon C’est du moins ce que « Le Monde » et que j’avais revu Douce , de Claude Autant- premier travail de cinéma. Pour cela j’ai écrit le com - « Les Cahiers » ont publié. La Nouvelle Lara. Et que j’avais été frappé par une scène. mentaire, j’ai cherché les plans, je les ai montés en colla - vague n’existait pas à l’époque dont parle À un moment l’un des personnages de ce boration avec le monteur du film, Armand Psenny. Je crois Laissez-passer ! En fait, j’étais d’autant moins film, tourné en 1942, interprété par Mar - d’ailleurs que c’est lui qui dit le texte que j’avais écrit. l’adversaire de la Nouvelle vague que j’étais guerite Moreno, une comtesse, va rendre Cela faisait partie de l’apprentissage, un apprentissage l’attaché de presse passionné d’un bon visite à des pauvres. Quand elle les quitte, somme toute assez traditionnel, différent de celui des nombre de metteurs en scène de cette mou - elle leur dit : « Je vous souhaite la patience La 317 e section, de Les Carabiniers et la résignation Pierre Schoendoerffer cinéastes de la Nouvelle vague. C’est sans doute pour cela, outre le fait vance. J’ai travaillé sur , ». En 1942, c’est à cela (1965). que j’ai travaillé avec Aurenche et Bost, deux scénaristes dénoncés sur Pierrot le fou , sur Made in USA , trois que l’on invitait les Français dans les mes - par « Les Cahiers du cinéma », que l’on m’a opposé à ce mouvement. films de Godard. Et j’ai dû travailler à onze sages du Maréchal Pétain. Arrive alors 2 3 Madeleine Robinson, la pauvresse. La com - Nouvelle vague, j’aurais fait un article, pas tous deux écrits par Dalton Trumbo, etc. Travailler avec des gloires tesse demande : « À la petite demoiselle, un film. L’Horloger de Saint-Paul m’a déchues apporte également des avantages très basiques. Je me sou - que doit-on lui souhaiter ? » Et Roger Pigaut, demandé trois ans de ma vie. On ne base venais des tournages de certains films de Claude qui joue Fabien, répond : « Souhaitez-lui pas trois ans de sa vie sur quelque chose Sautet ou de Pierre Granier-Deferre. J’avais pu voir l’impatience et la révolte ». En entendant d’aussi futile qu’un désaccord artistique. les difficultés qu’ils rencontraient avec des scéna - cela je me suis dit que j’avais envie de ristes à la mode, qui travaillent sur deux, trois ou “Il faut essayer de trouver connaître ceux qui étaient capables d’é - Ce qui ne vous a pas empêché de vous quatre films en même temps. J’ai vu Granier-Deferre des collaborateurs qui crire cela, en 1942, alors que le pays était inscrire dans une nouvelle mouvance esthé - se battre pour obtenir des cor rections de la part de vont pouvoir se donner occupé, alors que certains des grands noms tique, qui se démarquait de la précédente... Pascal Jardin, qui était déjà plongé dans d’aut res corps et âme au film.” de la littérature française étaient en train B. T. : Peut-être. Mais j’aimais les films de la projets. Idem avec Jean-Loup Dabadie ou Jean- d’écrire des textes dont j’ai encore honte, se période précédente. J’ai essayé de prendre Claude Carrière. Ces gens-là travaillaient beau - coup, ils n’étaient pas disponibles très longtemps, et c’était difficile de faire des retouches. Aurenche et Bost, je les ai eus sous la main pendant deux ans, et ils n’ont rien fait d’autre. Ils avaient envie de prouver qu’ils étaient encore capables d’écrire de belles choses. C’était un calcul que l’on peut également faire pour ce qui est du chef opérateur. Il faut essayer de trouver des collaborateurs qui vont pouvoir se donner corps et âme au film. Dans les films qui ont suivi, êtes-vous parvenu à conserver une qualité aussi grande dans vos relations avec les scénaristes ? B. T. : Oui. J’ai été chercher des scénaristes très différents les uns des autres.