EchoGéo

31 | 2015 Glocal

Édition électronique URL : https://journals.openedition.org/echogeo/14112 DOI : 10.4000/echogeo.14112 ISSN : 1963-1197

Éditeur Pôle de recherche pour l'organisation et la diffusion de l'information géographique (CNRS UMR 8586)

Référence électronique EchoGéo, 31 | 2015, « Glocal Ethiopia » [En ligne], mis en ligne le 10 avril 2015, consulté le 31 juillet 2021. URL : https://journals.openedition.org/echogeo/14112 ; DOI : https://doi.org/10.4000/echogeo. 14112

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SOMMAIRE

Editorial

Au-delà du singulier Jean-Louis Chaléard

Sur le Métier

Le café d’Éthiopie et ses territoires : de la géographie au commerce Entretien avec Jacques Chambrillon, importateur de café vert Marie Bridonneau

Sur le Champ

Glocal Ethiopia

Glocal Ethiopia Échelles et repositionnements des pouvoirs Introduction Sabine Planel et Marie Bridonneau

Glocal Ethiopia: Scales and Power Shifts Introduction Sabine Planel et Marie Bridonneau

Thermidor in Ethiopia? Agrarian Transformations between Economic Liberalization and the Developmental State Davide Chinigò et Emanuele Fantini

Perspectives locales et globales pour la gestion des terres des régions montagneuses du Nord de l'Éthiopie Jan Nyssen, Amaury Frankl, Jean Poesen, Amanuel Zenebe et Jozef Deckers

Armanya : l’oignon, le masho, la bonne, le « koulak » et le prolétaire René Lefort

Le bétail des Somali d'Éthiopie : la mondialisation sur les marges Géraldine Pinauldt

« Peurs » et pratiques répressives : mobilisations musulmanes et pouvoir éthiopien (2011-2014) Jean-Nicolas Bach

Conseiller, expert et consultant en patrimoine : la construction d’une figure de l’Éthiopie contemporaine Guillaume Blanc et Marie Bridonneau

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Le musée Konso au cœur de l'arène : quand les courtiers en développement (re)dessinent les contours du champ politique éthiopien Chloé Josse-Durand

Sur l'Ecrit

Ethnies et espace dans le Sud éthiopien Regards croisés sur A History of the Hadiyya in Southern Ethiopia (Braukämper, 2012) Sabine Planel et Thomas Osmond

Sur l'Image

Cartographier le site de (Éthiopie)Usages et enjeux d’un outil scientifique Rencontre avec Marie-Laure Derat et Claire Bosc-Tiessé Marie Bridonneau

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Editorial

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Au-delà du singulier

Jean-Louis Chaléard

1 La nouvelle livraison d’ÉchoGéo est consacrée en grande partie à l’Éthiopie. Des dossiers de notre revue ont déjà été centrés sur un pays (Belgique, Turquie…). L’intérêt d’une telle approche est bien sûr de permettre d’entrer en profondeur dans la réalité d’un territoire et d’en analyser les différentes facettes. En même temps, la thématique du dossier Sur le champ, les réflexions issues des autres rubriques, nous amènent à dépasser le cas singulier pour élargir notre pensée.

2 Le dossier de la rubrique Sur le champ, « Glocal-Ethiopia – Échelles et positionnement des pouvoirs » est à la croisée de plusieurs questions générales, touchant aux relations du global et du local et aux méthodes d’approche d’une question qui concerne la plupart des disciplines de sciences sociales. Dans leur introduction au dossier, M. Bridonneau et S. Planel insistent sur l’analyse des relations entre local et global pour comprendre l’articulation des différentes échelles et les pouvoirs en Éthiopie. En effet, le pays s’est lancé depuis quelques années dans une ouverture sur l’extérieur qui l’insère dans la mondialisation. Outre la libéralisation des marchés, des réformes diverses (qui souvent l’accompagnent) ont été mises en place, comme la décentralisation. Le dossier permet de s’interroger sur les évolutions les plus récentes, à partir d’études fines de terrain, localisées dans différentes régions du pays. Partout le poids du pouvoir central, malgré la décentralisation, est pesant. C’est dans le jeu entre la mondialisation, le pouvoir d’État, les nouvelles perspectives offertes par la décentralisation que se produisent les dynamiques locales.

3 Chaque texte aborde un volet significatif de la nouvelle réalité éthiopienne. D. Chinigo et E. Fantini en s’intéressant aux politiques foncières récentes mises en place par le gouvernement éthiopien pour promouvoir la commercialisation agricole, relèvent les contradictions entre la recherche d’une consolidation de leur pouvoir par les élites et la libéralisation économique et politique à travers l’étude des réformes dans la zone West Arsi. J. Nyssen et al. proposent, à partir d’une analyse dans le nord montagneux, une réflexion sur les facteurs du changement écologique du pays, à la fois endogènes et exogènes. Toujours dans le nord, R. Lefort met en évidence les recompositions sociales associées au développement de nouvelles cultures commerciales dans un bourg de la région Amhara, insistant sur les différenciations sociales croissantes entre des

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agriculteurs qui réussissent (les nouveaux « koulaks ») et des phénomènes de prolétarisation. G. Pinault étudie le commerce du bétail des Somali et souligne que la mondialisation donne à l’État une occasion de mieux maîtriser un territoire périphérique et ses ressources, même s’il se heurte à la résistance d’un système pluriséculaire pour lequel le bétail demeure une ressourcé inaliénable. J.-N. Bach analyse la façon dont l’islam radical est utilisé par le pouvoir en place pour contrôler les musulmans éthiopiens et maîtriser les résistances qui sont apparues depuis 2011, contribuant au décryptage des modes de gouvernement actuels en Éthiopie. G. Blanc et M. Bridonneau montrent comment la mise en patrimoine (ici, l’inscription sur la Liste du patrimoine mondial de l’Humanité de la ville de Lalibela et des montagnes du Semèn) fait émerger une élite de « consultants », qui participe à l’ancrage du local dans la sphère internationale, à l’ouverture du pays et à la consolidation du pouvoir éthiopien. Poursuivant la réflexion dans le champ culturel, C. Josse-Durand décrit, à partir du musée Konso, premier musée ethnographique au sud de l’Éthiopie, les détournements et récupérations, par le gouvernement et des « courtiers en développement » locaux, d’un projet né de la coopération culturelle.

4 L’unité du dossier vient largement de l’approche, insistant sur le jeu entre les échelles comme méthode d’appréhension des dynamiques. Les cas étudiés, avec les sensibilités disciplinaires différentes des auteurs, permettent d’appréhender la complexité des situations et d’approfondir les réflexions sur le glocal. La variété des thèmes abordés montre que les changements affectent toutes les composantes sociales et régionales du pays. Émergent de nouvelles arènes politiques, de nouvelles figures dynamiques (entrepreneurs, courtiers, consultants, etc.) et apparaissent des groupes marginalisés (musulmans contestataires, nouveaux prolétaires…). Mais sur le fond, c’est la redéfinition du pouvoir d’État dans son rapport d’une part à la société et au territoire éthiopiens, d’autre part au monde qui nous est surtout révélée tout au long de ce dossier.

5 L’article de la rubrique Sur l’image, nous propose un retour à Lalibela. La rencontre de M. Bridonneau avec M.-L. Derat et C. Bosc-Tiessé, historiennes, permet de faire ressortir le grand intérêt d’une cartographie du site. La carte, entre autres, rend compte de manière synthétique des informations collectées. Elle est un outil indispensable à la compréhension. Bien plus, face aux transformations liées à l’extension urbaine, elle participe à la conservation d’une mémoire des lieux et révèle des enjeux spatiaux et historiques, allant à l’encontre d’une lecture essentialiste du site. Instrument privilégié du géographe, la carte peut être aussi un élément d’analyse essentiel pour des chercheurs d’autres disciplines.

6 La rubrique Sur l’écrit propose une lecture croisée de l’ouvrage d’U. Braukämper : A History of the Hadiyya in Sutherne Ethiopia publié en 2012 dans sa version anglaise. Cet ouvrage est l’occasion pour une géographe (S. Planel) et un anthropologue (T. Osmond) de confronter leur lecture des apports de l’œuvre et leur approche de l’ethnie. Au-delà, il permet une réflexion sur les concepts utilisés en sciences sociales et l’intérêt de la confrontation de regards disciplinaires différents.

7 L’entretien de M. Bridonneau avec J. Chambrillon dans la rubrique Sur le métier complète le dossier sur l’Éthiopie. Il relate l’itinéraire d’un géographe passé au commerce du café sur les hautes terres éthiopiennes. Reliant son métier à sa formation, l’interviewé souligne l’intérêt de la démarche et des savoir-faire des géographes dans la recherche des cafés et l’identification des terroirs.

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8 Deux textes nouveaux viennent enrichir la rubrique Sur le vif. Si aucun n’aborde l’Éthiopie, ils portent sur l’Afrique et sur des questions qui touchent au local et au mondial. L’un est centré sur l’épidémie d’Ebola en Guinée, l’autre sur les évènements récents liés à la montée du radicalisme islamique au Niger. L’ampleur de l’épidémie actuelle de la maladie à virus Ebola a inquiété par sa soudaineté et sa virulence. H. Simon-Lorière et B. Lysaniuk font le point sur la diffusion de l’épidémie et, partant d’une analyse qui prend en compte le complexe pathogène d’Ebola, l’histoire récente et les organisations sociales, ils émettent des hypothèses crédibles pour expliquer la maladie. Au-delà, ils montrent l’intérêt d’une démarche géographique dans la compréhension de la diffusion de cette épidémie. L’article d’E. Grégoire illustre un des aspects de la montée de l’intégrisme islamiste en Afrique qui touche de nombreux pays. Le Niger est à la fois sous la menace des groupes djihadistes installés à ses frontières et en proie à une série de problèmes intérieurs. Pris entre la crise malienne, le désordre qui règne en Lybie, le conflit armé qui a débuté contre Boko Haram dans le sud, il demeure dans un équilibre fragile. Les manifestations de janvier 2015, qui ont permis de prendre conscience de la progression de l’islam radical dans le pays, soulignent la conjonction des dangers extérieurs et intérieurs.

9 La question du sous-développement se retrouve en toile de fond dans l’ensemble des textes présentés dans ce numéro d’EchoGéo. Sous-développement qui ne permet guère d’offrir de perspectives d’avenir à la jeunesse nombreuse du Niger, qui favorise l’expansion des maladies et rend plus aléatoire leur traitement en Afrique de l’Ouest, et dont essaie de sortir l’Éthiopie avec difficulté. Voici un autre thème de réflexion finalement abordé dans ce numéro.

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Sur le Métier

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Le café d’Éthiopie et ses territoires : de la géographie au commerce Entretien avec Jacques Chambrillon, importateur de café vert

Marie Bridonneau

Nous tenons à remercier Delphine Ayerbe, doctorante en géographie établie à Addis Abeba, pour son aide précieuse et indispensable à la réalisation de cet entretien réalisé par Marie Bridonneau.

1 Depuis quelques années, Jacques Chambrillon a développé une activité d’importation de café vert du Wallaga, un territoire situé à l’Ouest de l’Éthiopie connue comme pour être un des berceaux mondiaux du café arabica. Après avoir créé sa propre société en 2007, Anbassa1, ce jeune chef d’entreprise a décidé de s’installer en Éthiopie à l’automne 2014. Le premier contact de Jacques avec les plantations du Wallaga remonte à ses études de géographie, lorsqu’il entreprit d’étudier les filières du café et leur impact sur le développement des villes de l’ouest de l’Éthiopie…

2 - Marie Bridonneau (MB). Vous avez une formation de géographe et avez décidé de vous spécialiser en master sur l’Afrique de l’Est. Pouvez-vous revenir sur les apports de vos premiers terrains éthiopiens, et plus particulièrement sur la filière du café ?

3 - Jacques Chambrillon (JC). J’ai réalisé un master de géographie « Pays émergents et en développement » à l’Université Paris 1 – Panthéon-Sorbonne en 2005-2006, en travaillant sous la direction des Professeurs Roland Pourtier et Alain Gascon. À l’occasion de la maîtrise, j’avais effectué un premier terrain de trois mois à Ambo2. En master 2, je me suis spécialisé sur les filières de café dans le Wallaga, dans l’État-région . J’ai interrogé l’impact de ces filières sur le développement des villes de l’ouest de l’Éthiopie, en me concentrant sur trois wereda3 (Gimbo, Anfiiloo et Gidaamii). L’étude devait permettre d’analyser l’impact d’une culture de rente, inscrite dans un marché mondialisé, sur les communautés et territoires locaux. Le terrain réalisé pendant trois mois a été l’occasion d’identifier et de rencontrer les principaux acteurs en présence : fermiers, collecteurs, exportateurs.

4 À l’issue de cette recherche, j’ai pu mettre en évidence un déficit de traçabilité sur les cafés exportés originaires de cette région. J’ai aussi conclu à un grand manque de mise en valeur du potentiel de ces terroirs. En effet, il s’agit d’une vieille zone de culture du

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café riche de savoir-faire qui se sont développés sur trente générations et de caféiers de forêts sauvages renfermant des variétés endémiques. Rien de tout cela n’était valorisé sur le marché international alors même que cela pouvait accroître la valeur ajoutée des productions exportées, et donc les revenus des producteurs locaux.

5 - MB. Vous avez alors décidé de vous lancer dans l’import de café d’Éthiopie. Comment avez-vous fait ? Quels étaient vos objectifs ?

6 - JC. À la fin de l’année de master 2, j’ai créé ma société Anbassa, avec un associé, afin de pouvoir importer en Europe du café originaire de la région du Wallaga et surtout pour traduire en action les conclusions précédemment évoquées. Nous avons ainsi envisagé d’élaborer des dispositifs pointus de traçabilité et de travailler à l’amélioration de la qualité des produits, avec pour objectif leur montée en gamme. Nous avons réalisé un important travail sur les terroirs d’Anfiillo et de Gidaamii, en commercialisant pour la première fois ces cafés sous leur propre appellation de terroir. Pour ce faire, je me suis rendu chaque année à deux reprises en Éthiopie, dans le Wallagga afin de rencontrer fermiers et producteurs. Il s’agissait avec eux d’affiner les terroirs, de définir des zones de production selon certains critères : localisation, variété cultivée, altitude, système de culture. Ces critères ont ensuite permis de valoriser le produit sur le marché européen (d’abord en France puis, progressivement, en Allemagne, au Luxembourg et en Angleterre) en proposant aux clients une traçabilité fine du produit et de ses qualités gustatives. Parallèlement, j’ai repris une brûlerie en région parisienne, à Melun.

7 - MB. Comment votre activité a-t-elle évolué ? Comment mobilisez-vous aujourd’hui votre parcours de géographe ?

8 - JC. Depuis mon installation permanente en Éthiopie en septembre 2014, je développe une activité de sourcing. Il s’agit d’étendre la méthodologie mise en œuvre dans le wallaga à l’ensemble du pays afin d’identifier des cafés à valoriser selon ces mêmes critères : identification d’un terroir à partir de recherches sur la localisation et l’historique des cultures, d’une analyse de l’environnement, des variétés et des techniques de culture. Les cafés identifiés sont ensuite vendus en France par la société Belco4. Le travail de terrain occupe une place fondamentale dans mon activité. Je mobilise ainsi ma formation de géographe, et l’expérience du terrain qu’elle m’a permis d’acquérir. Mes études m’ont également familiarisé avec les approches en termes de traçabilité et d’identification des acteurs et des jeux d’acteurs. J’ajouterai que mes collaborateurs et clients sont très sensibles à mes pratiques de géographe : mon ancrage et ma connaissance des territoires et des acteurs locaux a favorisé mon positionnement parmi les acheteurs de café, qu’il s’agisse de particuliers ou de commerçants. Je me trouvais justement en mesure de répondre à cette recherche du local tellement présente sur le marché du café aujourd’hui !

9 - MB. Pour finir, quel regard portez-vous sur la filière du café en Éthiopie aujourd’hui ? Sur les évolutions récentes de l’investissement privé et de l’encadrement public des cultures de rente ?

10 - JC. Depuis 2008, c’est la création de l’Ethiopia Commodity Exchange (ECX)5 qui a bouleversé l’organisation du marché du café en Éthiopie. Il nous a fallu nous adapter à ce nouvel encadrement des échanges, qui a rendu plus difficile la traçabilité. En effet, les régions les plus intéressantes en terme de terroirs, et notamment les forêts caféières, sont exclusivement réservées aux petits paysans éthiopiens qui ne peuvent pas exporter leur café en dehors des coopératives. L’objectif de cette législation est de préserver les systèmes agro-forestiers et de maintenir de petites exploitations en place,

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soit la petite paysannerie éthiopienne. Les investisseurs privés, éthiopiens ou étrangers, n’ont pas accès à ces zones : ils peuvent y collecter le café mais pas l’exploiter, ni le planter. Tout cela conduit à un parcellaire très éclaté.

11 Plus généralement, la venue des investisseurs étrangers pose dans certaines régions des problèmes de concentration des terres et de standardisation dans le choix des variétés et des techniques de cultures, ce qui peut à terme mettre en péril ce qui fait l’avantage comparatif des cafés éthiopiens : la diversité. En effet, un investisseur étranger ne peut s’établir en Éthiopie qu’à partir de 200 000 USD d’investissements et d’une main d’œuvre de cinquante employés minimum. Ne peuvent donc investir que les grandes multinationales ou les puissantes holdings.

12 L’Éthiopie a aujourd’hui deux défis : la montée en gamme et l’augmentation des rendements. Disons que le potentiel concernant les cafés hauts-de-gammes est gigantesque mais sous exploité, et ce pour deux raisons essentielles. Tout d’abord, un encadrement public de la production, et surtout de la commercialisation, qui passe notamment par une législation extrêmement contraignante, et qui entrave tout particulièrement le travail de traçabilité. Ensuite, le profil des investisseurs éthiopiens dans les fermes exportatrices pose problème : ceux-ci rencontrent à la fois des difficultés de financement mais sont surtout rarement compétents pour la culture du café. De fait, il faut aujourd’hui posséder au moins 30 hectares de terres pour avoir le droit d’exporter, c’est-à-dire qu’il est nécessaire d’être riche, ce qui exclut l’écrasante majorité des planteurs pourtant les plus à même de favoriser la montée en gamme et l’innovation par leur grande connaissance du café et des terroirs. De ce point de vue, le contraste est saisissant avec l’Amérique latine.

13 Le parcours de Jacques Chambrillon révèle la pertinence des outils et concepts de la géographie dans la recherche de valorisation d’une culture d’exportation telle que le café. Il montre à quel point le rapport au territoire et au terroir compte, mais aussi comment les pratiques de terrain favorisent l’implication et l’intégration de l’importateur dans les milieux de production. Jacques Chambrillon nous livre aussi une analyse à la fois située et originale de la Glocal Ethiopia que ce numéro d’Échogéo questionne.

NOTES

1. Cf. Le site internet d’Anbassa : http://www.cafe-vert-anbassa.com/. 2. Ambo est une petite ville située dans le Shoa, à l’Ouest d’Addis Abeba. La ville est principalement connue pour son eau minérale, commercialisée et très populaire en Éthiopie. 3. Le wereda est un échelon de l’administration éthiopienne, correspond au niveau du district. 4. Belco est une société implantée dans la région bordelaise qui importe et distribue du café en vert en Europe. Ses principaux clients sont des artisans torréfacteurs. 5. Selon son site officiel, l’ECX « is an organized marketplace, where buyers and sellers come together to trade, assured of quality, quantity, payment, and delivery. The Exchange is jointly governed by private- public Board of Directors » (http://www.ecx.com.et/).

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AUTEUR

MARIE BRIDONNEAU Marie Bridonneau, [email protected], est Maitre de conférences à l’Université Paris Ouest Nanterre La Défense et membre de l’UMR Lavue-Mosaïques.

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Sur le Champ

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Sur le Champ

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Glocal Ethiopia Échelles et repositionnements des pouvoirs Introduction

Sabine Planel et Marie Bridonneau

Nos remerciements à René Lefort pour sa relecture pertinente et pour ses commentaires éclairés repris dans ce texte.

1 Jamais véritablement fermée au monde mais soucieuse de contrôler son ouverture à l’international, l’Éthiopie se convertit aujourd’hui à l’extraversion et engage une profonde refonte politique, économique et sociale. Sous la pression du global, les échelons inférieurs se transforment. Afin de répondre à la volonté du gouvernement fédéral, les échelles infranationales tentent de capter au mieux des opportunités de développement longtemps attendues. L’Éthiopie se glocalise, le local entre en contact direct avec le global, parfois sous injonction de l’État fédéral.

2 Comme partout, mais plus encore au sein de la complexe architecture ethno-fédérale éthiopienne (Turton, 2006 ; Vaughan, 2003), les jeux d’échelles sont des jeux de pouvoirs. Ceux de la glocalisation sont récents et potentiellement refondateurs du fait politique par un possible effacement de l’échelon national. Ce dossier cherche à renseigner les jeux d’échelles et à les analyser afin de comprendre leurs possibles répercussions sur la transformation des sociétés éthiopiennes, l’essor de l’économie nationale et surtout l’inflexion des pratiques politiques. Ancré dans des analyses locales nourries par une fine compréhension des jeux d’acteurs, il cherche à observer l’articulation au monde par le bas. L’objectif est donc double : il s’agit à la fois de décrire l’émergence d’une Éthiopie nouvelle, qui se transforme entre autres par la structuration de son interface avec le monde, laquelle est souvent localisée. Il s’agit également de saisir la qualité des repositionnements scalaires et d’une nouvelle répartition des pouvoirs au sein de l’espace éthiopien qui engagent profondément et durablement le devenir du pays, et ce quel que soit l’avenir de ses relations au monde. Autrement dit, il ne s’agit pas de dépeindre dans tous ses détails les transformations

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socio-spatiales de l’Éthiopie contemporaine mais d’en proposer une lecture scalaire permettant sa mise en cohérence.

3 Les enjeux d’une telle lecture sont pluriels. Ce dossier permet avant tout d’associer l’analyse du pouvoir à celle des transformations spatiales, et d’ainsi restituer au jeu politique toute sa matérialité, son historicité. Il permet également de poser la question du rôle de l’État, aujourd’hui au cœur des débats sur le développement éthiopien ; de comprendre en quoi elle s’inscrit dans une transition idéologique majeure pour l’Éthiopie, caractérisée par l’abandon de l’égalitarisme territorial et social au profit d’actions publiques plus différenciées. Enfin, il engage à lire la réalité éthiopienne au prisme d’un processus de structuration scalaire très commun (celui de la globalisation) et appelle les contributions à se détacher du paradigme de l’exception culturelle, très prégnant dans les études éthiopiennes (Tronvoll, Vaughan, 2003).

Les bienfaits du marché au service de l’Éthiopie

4 Dès 1991, le nouveau régime annonce une libéralisation politique et économique (Hagmann, Abbink, 2011 ; Lefort, 2012 ; De Waal, 2013). Mais celle-ci a tardé à se réaliser, en dépit d’une réorientation progressive et sectorielle de l’interventionnisme public, comme l’incarnent l’abandon puis la réintroduction des politiques de contrôle des prix (Vaughan, Gebremichael, 2011). Ce n’est qu’à partir du début des années 2000 que les effets du changement de régime commencent à se faire sentir. Les raisons de ce changement sont plurielles. La libéralisation est l’œuvre d’une vision politique novatrice, originale et capable de répondre aux attentes du marché, le projet de l’ancien Premier ministre Meles Zenawi, « a truly original thinker » (De Waal, 2013). Elle est également l’effet d’un nouveau rapport de force au sein du cabinet politique aux commandes du gouvernement éthiopien (Lefort, 2013) et de l’échec des politiques de développement précédemment conduites révélé lors de la grande crise alimentaire de 2000/2002 ou de la déroute électorale du parti au pouvoir en 2005. Quoi qu’il en soit, le « structural change » pensé par Meles Zenawi (2012) et annoncé à grand renfort de communication (Gascon, 2008 ; Bach, 2011) constitue un levier important du régime en place et participe de son maintien à la tête du pays.

5 L’articulation de l’Éthiopie à l’économie de marché n’est véritablement tangible que depuis la fin des années 2000. Jusque-là, le modèle de développement était autocentré et endogène. L’ouverture à l’économie de marché a été relativement rapide et s’est accélérée après la défaite électorale de 2005, elle s’est alors associée à une volonté de reprise en main du politique et plus spécifiquement du Parti. Elle a abouti en 2009 à une réforme de l’appareil d’État, le Business Process Reengineering (Kassahun, 2012) et en 2010 au lancement d’un nouveau plan de développement, le Growth and Transformation Plan (2010/2011-2014/2015). Il suppose que l’État guide et participe massivement à la construction d’infrastructures1, mais également à l’éducation ou à la santé afin de favoriser la croissance et réduire la pauvreté (FDRE, 2010). S’il affirme le primat de la tutelle publique en matière de croissance économique, il promeut aussi une articulation au marché, absente des précédentes politiques de développement (dites pro-poor policies) davantage focalisées sur la lutte contre la pauvreté, la sécurité alimentaire et les politiques de protections sociales2 (Dessalegn Rahmato et al., 2013). L’autosuffisance alimentaire alors envisagée d’un point de vue individuel était fondée sur la capacité propre de chaque exploitant, elle est dorénavant envisagée au niveau

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national et repose sur les capacités des meilleurs exploitants, dits Model Farmers (Lefort, 2012). Le Growth and Transformation Plan a deux objectifs majeurs : favoriser les conditions d’une croissance durable de l’ensemble des secteurs économiques afin de propulser l’Éthiopie au sein des pays émergents à l’horizon 2025, et assurer la transition d’une économie fondée sur le secteur agricole (small scale farming)3 vers une croissance permise par les effets d’entraînement des secteurs industriels et de services (Meheret Ayenew, 2014).

6 Progressivement, bonne gouvernance, lutte contre la corruption, lutte contre les « rent seekers », mais aussi métropolisation et redéveloppement urbain deviennent les maîtres mots de l’économie éthiopienne et révolutionnent une grammaire développementale forgée dans les théories marxistes-léninistes (FDRE, 2010 ; Meles Zenawi, 2012). Ce renouveau n’a pas consisté en une « thérapie de choc », il a été séquencé, régionalisé et sectorialisé. La libéralisation s’est principalement traduite par une refondation des politiques publiques. L’État a conservé un rôle déterminant dans la planification, dans la structuration du tissu économique encore largement organisé autour des entreprises publiques ou parapubliques (Vaughan, Gebremichael, 2011), et surtout dans le financement de son économie. L’Éthiopie se situe au troisième rang mondial pour la proportion de l’investissement public par rapport au PIB, l’investissement privé étant très faible. La libéralisation s’est ainsi accompagnée de la création d’un système bancaire moderne, censé encourager l’investissement privé, notamment en facilitant l’emprunt. Notons qu’en dépit de la croissance rapide du poids des banques privées, celui des banques commerciales d’État reste prééminent (Admassu Bezabeh et Asayehgn Desta, 2014). L’institutionnalisation du micro-crédit s’est également rapidement développée, là encore sous contrôle public, via des structures régionales telles qu’ACSI (Amhara Credit and Saving Institution), qui comptait en 2009 plus d’1,4 millions de clients dans l’État-région amhara (Siyoum et al., 2012).

7 Ces réformes économiques supposent que l’Éthiopie entre pleinement dans une économie globalisée et soit capable d’attirer les investisseurs étrangers, tout en conservant le soutien des bailleurs (World Bank, 2013). Le recours aux investissements étrangers, jusque-là très mesuré et limité à certains secteurs bien spécifiques (horticulture notamment), se voit généralisé par la libéralisation, et par exemple par la création ex nihilo de la filière sucrière. Les Éthiopiens de la diaspora bénéficient de conditions d’investissement privilégiées (Chacko, Gebre, 2012) ; les procédures d’appel d’offres à destination de maîtres d’œuvre étrangers (principalement chinois et indiens dans le secteur agricole) se multiplient ; l’articulation de l’Éthiopie au monde s’améliore, Addis Abeba se constituant comme hub régional aérien. Cette volonté s’inscrit aussi dans la transformation des espaces urbains centraux et l’érection rapide de quartiers d’affaires, tout particulièrement dans la capitale qui donne à voir ses ambitions d’insertion métropolitaine, son rôle de vitrine et la place nouvelle faite aux investisseurs privés (Bosredon et al., 2012 ; Pedrazzini et al., 2014)

8 Les fruits de cette réorientation économique se font sentir. En 2011/2012, le revenu par habitant atteindrait 513 USD et aurait significativement augmenté depuis l’instauration du GTP. Selon le gouvernement, la croissance aurait progressé de plus de 10 % par an pendant les deux premières années de mise en œuvre du GTP, chiffres alors repris par les bailleurs de fond internationaux (World Bank, 2013) qui depuis ont revu leurs estimations à la baisse, autour de 6 %. En 2010, Meles Zenawi annonçait publiquement un taux de croissance à 12,5 %. Divers indicateurs émis par des agences nationales

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mesurent ainsi un véritable essor économique du pays. Le pourcentage de personnes vivant en dessous du seuil de pauvreté serait ainsi passé de 38,7 % en 2003/2004, à 29,6 % en 2010/2011 et le pourcentage de l’épargne nationale dans le PIB (GDP) aurait progressé de 5,2 % en 2009/2010 à 1,8 % en seulement un an ! Meheret Ayenew (2014) s’interroge toutefois sur la paternité du GTP dans cette amélioration économique et souligne les failles de l’économie éthiopienne. Relevons, entre autres, les problèmes de balance des paiements déficitaires principalement dus à la faiblesse structurelle des exportations, en dépit d’une nette amélioration4 ; le manque de recouvrement de l’impôt et une forte inflation (34,3 % en 2011/2012) ne permettant guère à l’ensemble des Éthiopiens de bénéficier des fruits de cette croissance.

9 De même, les effets sur l’emploi ne semblent aujourd’hui pas au rendez-vous et la transition d’une main-d’œuvre agricole vers un salariat urbain reste pour l’instant cantonnée à de petits secteurs d’activités, particulièrement aux fermes floricoles (Yukichi Mano et al., 2011), ou de manière encore plus marginale aux espaces touristiques (Bridonneau, 2014a). L’employabilité des jeunes en général et des jeunes diplômés en particulier pose problème (Broussard et al., 2014). 2 à 2,5 millions de jeunes Éthiopiens arrivent chaque année sur le marché de l’emploi et ne trouvent de débouché ni dans l’agriculture familiale saturée, ni dans des secteurs industriel ou de services balbutiant. Le PNUD évalue le chômage urbain à 17,5 % de la population tandis que l’agriculture demeure l’activité principale de 80 % de la population éthiopienne (UNDP, 2014). Le chômage des jeunes articulé au maintien de la pauvreté rurale comme urbaine constitue un facteur de développement des migrations, tout particulièrement féminines, vers les pays du Golfe. La main-d’œuvre éthiopienne, peu coûteuse, y est recherchée tandis que, côté éthiopien, les remises des migrants constituent une contribution importante et indispensable à la croissance économique (Fernandez, 2011).

10 Enfin, les effets réels ou symboliques de cette transformation économique produisent et renforcent une transformation sociale à l’œuvre. De nouvelles catégories d’acteurs apparaissent et introduisent dans la société égalitariste héritée du des distinctions nouvelles. Classes moyennes urbaines (Nallet, 2012), nouveaux entrepreneurs en ville comme à la campagne, experts formés à l’international (Bridonneau, 2014a), pentecôtistes (Haustein et Fantini, 2013), ou jeunes urbains (Di Nunzio, 2015), tous redessinent les contours de la société éthiopienne et participent de son ouverture vers l’international.

11 Toutefois, cette réorientation repose sur un pari ambitieux : le secteur privé doit, tout en se structurant, être capable de prendre le relais de l’investissement public (World Bank, 2013). À l’heure actuelle, ce pari semble hypothéqué par deux principaux facteurs. En effet, le maintien d’une forte tutelle publique d’une part et les faibles ressources de l’État éthiopien d’autre part constituent un environnement national peu attractif. L’accès aux licences, les lourdeurs bureaucratiques, ou encore la récente réforme de la fiscalité contraignent le développement du secteur privé et l’installation des investisseurs étrangers. De même, l’autofinancement du développement national - par des investissements publics ou le recours aux ‘contributions volontaires’ des Éthiopiens, et tout particulièrement des fonctionnaires – semble compromis par des finances publiques déficitaires.

12 La transformation du modèle économique n’est pas sans provoquer de nombreuses tensions qui se révèlent particulièrement dans la gestion du foncier. En Éthiopie,

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tenure et pouvoir ont toujours été liés (Dessalegn Rahmato, 2009 ; Emmenegger, 2013). Aujourd’hui, plus que jamais, l’accès au foncier témoigne des contradictions du système public entre nécessité du recours au secteur privé et volonté toujours aussi grande de conserver la mainmise sur les ressources foncières. La gestion foncière illustre la capacité de l’État éthiopien à promouvoir un modèle endogène qui cherche au maximum à s’autofinancer. Les réformes relatives au titrement foncier comme la politique de land grab résultent bien d’une stratégie nationale et non de la simple adoption d’un agenda développemental imposé par les bailleurs internationaux (Lavers, 2012). Promue et gérée par le gouvernement, cette nouvelle politique agricole détourne l’attention portée au développement de la petite agriculture (Dessalegn Rahmato, 2011 ; Lefort, 2011). Cependant, comme ailleurs en Afrique subsaharienne, le land grab se révéla un échec, très peu de terres étant finalement cédées aux investisseurs étrangers (quelques dizaines de milliers d’hectares jusqu’à présent au lieu des 3 à 4 millions prévus) (Dessalegn Rahmato, 2014). Dans les espaces urbains, et dorénavant dans les espaces périurbains, la généralisation du bail public (lease) est un outil de la réorientation économique. Si l’ensemble du sol, urbain comme rural, reste propriété de l’État, et ce depuis la réforme du Derg de 1975, les législations successives sur le lease urbain conduisent à la constitution d’un marché foncier contrôlé par l’État (Berhanu Adenew, Fayera Abdi, 2005). Dans les espaces périurbains, la transition d’une qualification rurale vers une qualification urbaine et l’attribution de terres via le système du lease signifient l’expropriation de populations rurales au profit, essentiellement, de programmes publics de logement urbain et de promoteurs immobiliers qui urbanisent les marges des villes en pleine expansion (Achamyeleh Gashu Adam, 2014).

13 La forte croissance économique qu’expérimente aujourd’hui l’Éthiopie masque des faiblesses structurelles, celle de l’investissement privé étant cachée par de très importants investissements publics qui grèvent les ressources de l’État, plus que jamais dépendant de l’aide internationale et des remises de la diaspora. Deux-tiers de l’économie, hors l’agriculture traditionnelle, sont aux mains de l’État. Le contrôle persistant du pouvoir économique par l’élite politique freine la libéralisation de l’économie et contraint tout investissement privé, investissement paradoxalement appelé de ses vœux par le régime (Lefort, 2013). À quelques exceptions individuelles près, élites économiques et élites du Parti-État sont confondues. En général et nous serions tentées de dire à l’exception du partenariat avec la Chine, l’articulation du pays aux marchés internationaux se caractérise aujourd’hui par un grand déséquilibre, financier certes, mais surtout institutionnel.

A Non-Democratic Developmental State

14 L’ensemble de ces réorientations économiques s’inscrit dans un modèle de développement hybride emprunté aux États d’Asie du Sud-est et réapproprié pour être adapté à la situation éthiopienne. Ce modèle du « Developmental State » associe les bienfaits du marché à une forte tutelle publique (Bayart, 2008 ; Meheret Ayenew, 2014). Il laisse entendre que le développement d’une économie de marché, considéré comme prioritaire, pourrait produire une libéralisation politique (Assefa Fiseha, 2014). À l’image d’autres modèles plus classiquement libéraux, il exploite le lien entre croissance économique et démocratisation, lien que Meles Zenawi affiche en

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définissant pour l’Éthiopie le modèle du « Democratic Developpmental State ». En comprenant la démocratie comme la participation des masses au développement, il ne rompt guère avec les approches antérieures de la « Revolutionary Democracy » (Bach, 2011) mais promeut un modèle beaucoup plus séduisant pour les bailleurs. Si les effets de réalité de cette libéralisation politique font débat au sein de la communauté académique, ils sont bien moins discutés dans un espace public éthiopien fortement réduit par l’absence d’opposition politique structurée et par le renforcement de la censure. En termes de démocratisation du politique, le cas éthiopien est très ambigu. Nous observons davantage une tendance au renforcement de la contrainte qu’au développement de pratiques plus démocratiques (Abbink, Hagmann, 2013). Ce constat se fonde sur une fine analyse des situations locales, plutôt que sur celle des formes du régime politique (bien que ces dernières témoignent tout autant de l’autoritarisme): quasi-absence de figures d’opposition au parlement, maintien au pouvoir d’un parti quasi-unique, l’EPRDF (Ethiopian People's Revolutionary Democratic Front), depuis plus de vingt ans, personnalisation du pouvoir par l’ancien Premier ministre, etc. : « In the Ethiopian case, the State has narrowed the space for the engagement of civil society, opposition parties and, to some extent, the private sector, and hence one may say the autonomy of the state is preserved – albeit under an authoritarian political order » (Meheret Ayenew, 2014, p. 8).

15 Les signes d’ouverture politique adressés à la communauté internationale comme à la société civile éthiopienne, y compris - et surtout - en diaspora, se multiplient mais demeurent très formels. Nous traitons ici plus spécifiquement de la décentralisation. Initiée en 1991 avec la constitution de neuf États-régionaux, elle s’est déroulée en plusieurs étapes et a abouti au milieu des années 2000 à la refonte des administrations et des gouvernements locaux, du wereda au kebele5. Ces derniers ont été renforcés par l’adjonction de personnels de gestion plus qualifiés et étendus à de nouveaux échelons infra-communaux (les sub kebele). Le niveau local constitue aujourd’hui un échelon de gouvernement particulièrement composite, doté de très nombreuses institutions descendantes ou issues de la société civile. Il renforce un encadrement des sociétés locales très poussé et fortement politisé, qui se compose de différents comités ou cellules emboités, parmi lesquels les « groupes de développement » sont les plus hybrides (Lefort, 2010). De même, parce qu’elle a été engagée dans un dans un cadre ethno-fédéral tentant de fonder les nouvelles structures administratives sur la base d’appartenances ethno-linguistiques, la mise en œuvre de la décentralisation a été d’autant plus difficile à opérer que la territorialisation, et plus particulièrement la délimitation de ces administrations, a pu faire débat (Asnake Kefale, 2010). Les appartenances ethniques sont en effet sujettes à des mobilisations, réécritures et recompositions, au nord mais surtout au sud du pays (Aalen, 2011 ; Osmond, 2014). Au final, si le mouvement de décentralisation, et notamment le renforcement des administrations locales, permet aux populations un meilleur accès aux ressources de l’État (Emmenegger et al., 2011)6, il contribue aussi à limiter le processus de libéralisation politique (Teferi Abate Adem, 2004). À la fois parce qu’il génère un plus grand niveau de déconcentration des administrations publiques (notamment concernant la mise aux normes/mise sous tutelle de ces gouvernements locaux par la nomination récente d’un gestionnaire déconcentré, le manager de kebele) mais surtout parce qu’il renforce les collusions État/Parti. Dans un cas, la décentralisation est considérée comme conservatrice (Planel, 2007), dans l’autre, comme fausse (Bjerkli, 2013).

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16 Comme ailleurs en Afrique, la décentralisation doit favoriser l’avènement d’un nouvel esprit de gestion publique, qui se traduit en Éthiopie par la promotion de politiques participatives ainsi que par une forte structuration de la société civile. Les politiques participatives depuis le milieu des années 1990 engagent leurs bénéficiaires dans un nouveau rapport à l’État, plus contractuel, individualisé et financier mais toujours plus ou moins autoritaire (Planel, 2014). La création de nouvelles institutions, notamment au niveau local, ainsi que les mesures de structuration de la société civile inspirées des pratiques de bonne gouvernance, doivent conduire au renouveau du jeu politique local (Poluah, 2008). Cette volonté de structuration de la société civile entre pourtant en conflit avec des techniques d’encadrement plus proprement éthiopiennes.

17 D’un point de vue pragmatique, les conséquences de ces mesures sont variables, tant les pratiques du pouvoir ne traduisent guère ce renouveau institutionnel. Si certains auteurs observent une réelle adaptation des communautés locales aux nouvelles injonctions (Lefort, 2012), voire un détournement allant jusqu’à capture du pouvoir (Emmenegger et al., 2011 ; Segers, 2008 ; Pausewang, 2002b), d’autres observent au contraire le maintien si ce n’est le renforcement de pratiques autoritaires qui prolongent des pratiques de pouvoir ou des représentations culturelles organisées autour de rapports de domination (Abbink, 2011), notamment concernant les relations entre l’État et la paysannerie (Dessalegn Rahmato, 2009 ; Lefort, 2010 ; Aspen, 2002, Pausewang, 2002a). L’encadrement public des espaces locaux est tel qu’il produit davantage de contrôle qu’il ne favorise le développement en raison de la forte politisation des enjeux de ce dernier (Planel, 2014).

18 Ce phénomène provient principalement de la confusion entre État et Parti qui demeure le principal facteur de dévoiement des politiques publiques. Le parti au pouvoir compose un système très centralisé et bien implanté sur la base de la classe moyenne urbaine et surtout rurale. S’il peine à mettre en œuvre une mue entamée au début des années 2000 (à l’occasion d’un changement de rapport politique au sein du cabinet politique dirigeant) et que sa légitimité a été massivement remise en cause lors des élections législatives de 2005 violemment contestées par le pouvoir en place (Lefort, 2010 ; Bach, 2012), il demeure puissant et opère aujourd’hui une importante reprise en main de son électorat. Il cherche à accroitre le nombre de ses adhérents afin d’être toujours plus proche du peuple, et passe ainsi de 760 000 adhérents en 2005 à 4 millions en 2010 (Vaughan, 2011). À mesure que l’évaluation des politiques publiques s’opère sur la réalisation d’objectifs chiffrés - les quotas - (Enten, 2010) et à mesure que les fonctionnaires locaux sont soumis à des injonctions diverses (Labzaé, à paraitre) les réalisations étatiques servent indistinctement des objectifs de développement et de renforcement du Parti. De même, les collusions entre l’État et le Parti sont renforcées par le choix du « Developmental State ». La sélection de nouveaux acteurs économiques issus de la classe moyenne fait écho au changement d’assise politique du Parti, les stratégies politiques et économiques étant intimement liées. Ainsi l’État renforce ses liens avec la société et ses différents acteurs économiques (les investisseurs, les jeunes, les femmes, les fermiers et les coopératives) afin de les inciter à participer au développement.

19 L’importante politisation des structures d’encadrement mises en place par l’État, nouvelles comme anciennes - et ce quel que soit le calendrier électoral - (Assefa Fiseha, 2014), produit ainsi des effets multiples. La corruption et les stratégies de « rent seeking » condamnées par le gouvernement représentent pourtant des opportunités

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d’accès aux ressources de l’État pour les petits responsables locaux. De même, l’élargissement de la zone de contact entre l’appareil d’État et la société locale permet une démultiplication des relais politiques, qui constituent autant d’opportunités financières ou proprement politiques pour les populations locales (Emmenegger et al, 2011). Toutefois, les procédures ambivalentes d’élection/désignation des responsables locaux (Lefort, 2012 ; Assefa Fiseha, 2014) contraignent fortement l’accès à ces petites responsabilités publiques. Tout cela participe d’un dévoiement relatif des politiques publiques de développement qui achoppent à atteindre équitablement leurs objectifs. Zenebe Uraguchi (2011) observe ainsi que les transferts financiers permis par les filets sociaux en milieu rural (Productive Safety Net Program, ou autres Food-For-Work programs) échouent à soutenir le développement à moyen terme des paysanneries, les transferts étant massivement utilisés pour gérer la période de soudure. De même, Camilla Louise Bjerkli (2013) observe que la décentralisation des systèmes de gestion des déchets à Addis Abeba provoque une floraison institutionnelle mise au service d’enjeux partisans et non au service de la transformation urbaine. Si ces structures d’encadrement favorisent une véritable reproduction du pouvoir, elles peuvent représenter, surtout pour les jeunes urbains, un lieu - toutefois fermé - de libération de la parole (Di Nunzio, 2014).

20 Co-produites par des administrations hybrides largement financées par des bailleurs et des programmes de développement étrangers, ces mesures reflètent parfois les tendances néolibérales à considérer le développement comme une simple technique (Ferguson, 1994) et renforcent par leurs présupposés apolitiques les pratiques autoritaires ayant cours en Éthiopie. Ceci est d’autant plus vrai que la captation de l’aide internationale par les différentes administrations éthiopiennes engage un rapport de force complexe qui ne conduit toutefois pas l’État à revoir ses modes de gouvernement (Dereje Feyissa, 2011), lesquels demeurent autoritaires. Les politiques de cadastrage ou de titrement foncier témoignent particulièrement de cette subversion (Chinigo, 2014 ; Labzaé, 2014). Elles demeurent donc largement descendantes et obéissent à l’ordre bureaucratique et au « centralisme démocratique » qui prévaut à la conception comme à la mise en œuvre des politiques publiques. Ce dernier renforce la distance symbolique entre l’État et ses administrés – à mesure par ailleurs que la distance physique se réduit - et impose aux populations des normes, nouvelles ou simplement réinventées. Il participe ainsi à entretenir la domination des populations les plus vulnérables (Planel, 2014).

21 Cette réforme de l’État génère de fortes tensions. Une articulation ancienne de la dépendance économique à la domination politique produit un renforcement de l’autoritarisme. À l’inverse, l’émergence et la captation de nouvelles opportunités permettent l’avènement de nouvelles élites. L’essentiel du changement reste toutefois caractérisé par une dynamique d’entre-deux : le sentiment assez répandu que la servitude volontaire pourrait un jour se transformer en win-win situation. Entre espoir de changement et écueils de la vie quotidienne, autoritarisme et économie de marché, les jeux d’acteurs exploitent de plus en plus les possibilités d’un jeu d’échelles démultiplié.

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Une glocalisation éthiopienne ?

22 La notion d’échelle est dotée d’une riche économie de sens et a alimenté à cet égard diverses interprétations. À l’instar des chercheurs engagés dans la Theory of Scale7 nous la considérons comme un « construit social » (Brenner, 2001) correspondant à l’ordonnancement hiérarchisé des réalités sociales dans l’espace (Collinge, 1999 ; Herod, Wright, 2002). Elle relève davantage d’un processus dynamique de structuration organisant un même espace en différents niveaux de pouvoir (dit processus de structuration scalaire), que de l’emboitement proprement dit de diverses aires d’influences. Outre que cette acception permet de mieux saisir la finesse des « jeux d’échelles » (des relations entre les différents niveaux), la notion nous intéresse particulièrement dans la mesure où les analyses en termes de dynamique et de structuration scalaire (Brenner, 2001, 2004 ; Swyngedouw, 1997) permettent d’appréhender de manière fine les repositionnements politiques et économiques liées à globalisation et aux transformations néolibérales contemporaines (Harvey, 2006 ; Jessop, 2002). La structuration globale des échanges, les recompositions des espaces de l’État, ou encore d’une économie globalisée, donnent aujourd’hui lieu à des processus de re-structuration scalaire telle que la glocalisation. Le phénomène de glocalisation engage un double repositionnement scalaire, en direction des deux « extrémités de l’échelle »8, le global et le local. Il suppose une restructuration institutionnelle depuis l’échelle nationale vers, à la fois, les échelles supranationales, ou globales et les échelles infranationales, régionales, métropolitaines et locales (Swyngedouw, 2004).

23 Appréhender l’espace à travers ses dynamiques scalaires permet alors de souligner les rapports de pouvoir qui sous-tendent aujourd’hui les processus de production spatiale (Swyngedouw, 1997). Particulièrement adaptée au jeu politique contemporain, l’échelle permet ainsi d’envisager la démultiplication des pouvoirs et leur circulation. Elle aide ainsi à saisir la matérialité du politique (Elden, 2013). Le décentrement et la fragmentation des pouvoirs de l’État sont des phénomènes scalaires qui exigent de s’intéresser à d’autre formes de pouvoirs, et notamment à d’autres institutions (Planel, Jaglin, 2014). L’échelle recouvre en effet une dimension politique évidente. Le political rescaling (réétalonnage) a été un outil particulièrement mobilisé par les acteurs politiques, et notamment par les États, acteurs de leur transformation néolibérale à travers la promotion d’échelles, locale, régionale ou urbaine, au détriment d’une unique échelle nationale de régulation (Brenner, 2004), voire du redécoupage des circonscriptions électorales (Jonas, 1994). Les dimensions politiques de l’échelle sont ainsi aisément perceptibles dans la manipulation des échelles à visée politico- administrative, mais existent également sous des formes moins institutionnalisées, plus diffuses, chaque fois que le contrôle de l’espace est compris comme une source de pouvoir. Entrant en concurrence avec d’autres sources de légitimité mais aussi d’autres processus de territorialisation, la dimension conflictuelle et politique d’une structuration spatiale donnée met en exergue celle de l’organisation scalaire dont elle procède. « Cette transformation interne de la sphère publique, par redistribution des pouvoirs d’initiative, de décision et de régulation vers des échelles spatiales inférieures ou des combinaisons complexes d’échelles emboîtées et articulées (gouvernance multi-niveaux) est une des formes majeures de la réorganisation spatiale des sociétés contemporaines […] Il faut toutefois souligner que cette logique spécifique de réétalonnage, propre à la sphère publique et désormais bien

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identifiée, n’en a nullement évincé d’autres, avec lesquelles elle se combine » (Planel, Jaglin, 2014, p. 38-39 )

24 Cette coexistence, ou hybridation, des dynamiques du politique est particulièrement avérée dans des contextes autoritaires, davantage marqués par des formes de territorialités et de rationalités politiques d’une autre nature, du moins sans grande similarité avec les situations démocratiques occidentales - à partir desquelles ont été largement pensés les repositionnements scalaires du pouvoir. Elle est en outre particulièrement apte à saisir les repositionnements opérés, à la faveur de transformations économiques dans des systèmes politiques ayant institutionnalisé la hiérarchie des pouvoirs et des normes, telle l’ethno-fédération éthiopienne.

25 Dans le vaste spectre des repositionnements scalaires, pourquoi s’intéresser à celui de la glocalisation ? Sans doute parce qu’il témoigne pleinement des transformations de l’Éthiopie contemporaine, mais de façon originale. Le mouvement de restructuration scalaire ne s’accompagne en effet pas d’un effacement de l’échelle nationale mais, bien au contraire, il favorise le renforcement du contrôle de l’État sur l’espace éthiopien. Le phénomène de glocalisation est donc une conséquence de la globalisation. Il engage un rapport direct du global au local et un rapport indirect avec les échelons intermédiaires, c’est-à-dire régional et surtout, dans le cas éthiopien, national. Si cette mise en contact des deux extrémités de l’échelle ne semble pas modifier le global – du moins pour ce que nous en savons –, elle participe en revanche d’une transformation profonde des espaces locaux et contribue à faire du local tantôt une véritable échelle de négociation politique, tantôt un simple échelon gestionnaire.

26 L’ampleur récemment prise par l’interface entre le bas de l’appareil d’État et les sociétés locales résulte certes de la volonté du Parti de renforcer son assise locale mais elle est également un produit de la glocalisation. De nouvelles institutions, de nouveaux acteurs, mais aussi de nouvelles valeurs se déploient dans les espaces locaux et construisent, dans les limites de la tolérance étatique, des arènes politiques inédites. Les politiques inspirées de la bonne gouvernance, la défense des cultures et savoirs indigènes conduites par les principaux bailleurs - faisant écho au projet d’ethno- fédération, ou encore le processus de démocratisation, recomposent les institutions locales. Coopératives, edir9, associations de quartier mais aussi tribunaux populaires, milices, bureaux politiques et autres cellules politiques quadrillent aujourd’hui les espaces locaux. Quel que soit le groupe auquel ces associations appartiennent, elles présentent des fonctionnements très variés qui témoignent des différences de structurations et de cultures politiques locales, notamment entre le centre et ses périphéries (Markakis, 2014). Elles sont soit organisées par une chaîne de commandement top-down au sein de laquelle les membres n’ont pas la possibilité de choisir leurs représentants (et surtout pas le président ou le trésorier dans le cas des coopératives) soit, dans les espaces de culture de rente, comme des institutions davantage bottom-up (Cramer et al., 2014). Ces différences de fonctionnement traduisent bien l’absence de téléologie politique de ces repositionnements scalaires, capables de renforcer les structurations politiques locales sans pour autant affaiblir la capacité de capture politique par les échelons supérieurs.

27 En Éthiopie, la transformation des deux extrémités de l’échelle se caractérise par un « élargissement » du local ainsi que par le renforcement de l’échelon fédéral. La redéfinition du local actuellement en cours en Éthiopie n’est encore que partiellement documentée et ce numéro entend bien contribuer à la tâche. Elle se caractérise par

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deux dynamiques principales. La réforme du kebele étudiée par R. Emmenegger et al. (2011) désigne un développement institutionnel de l’échelon local, entendu comme gouvernement (extension du conseil de kebele) et comme administration (nomination des managers de kebele dans le cadre de la déconcentration administrative). Dans quelle mesure engage-t-elle une transformation de l’espace local et donc de l’échelle locale à proprement parler ? Les études sur le sujet sont encore à venir. En conséquence de cette promotion institutionnelle (ou simple reconnaissance), on observe également un léger repositionnement du local vers des niveaux supérieurs, quelque part entre les niveaux communaux et municipaux – alors même que les récentes refontes administratives ont développé les niveaux infra-communaux (les sub kebele). Ainsi, à mesure que les pouvoirs municipaux prennent en charge la gestion des affaires publiques (Tegegne Gebre-Egziabher, 2014), le kebele semble confiné à des opérations de surveillance politique (Di Nunzio, 2014) et à un certain « enfermement scalaire » (Planel, 2015).

28 On constate également le maintien – si ce n’est le renforcement – de l’échelon fédéral, échelon auquel opère la petite élite dirigeante. Les signes de cette capture politique sont nombreux et particulièrement probants dans la gestion foncière (Chinigo, 2014). À l’inverse de ce qu’avance Tom Lavers (2012), nous ne pensons pas qu’il s’agisse là d’une recentralisation du pouvoir, la délégation de compétences opérée aux échelons inférieurs n’ayant jamais été aboutie et la gestion du foncier ayant longtemps constitué en Éthiopie une pratique très centralisée (Crummey, 2000). Si les Kellel (Régions-États) se voient reconnaitre par la Constitution des compétences sur la gestion de leur sol, l’ingérence de l’État central dans l’ensemble des affaires régionales ne laisse guère de marge de manœuvre aux gouvernements décentralisés. Alors que la gestion quotidienne du sol engage tous les échelons de l’administration éthiopienne, et notamment les plus locaux qui trouvent dans cette gestion monopolistique de la tenure un formidable fondement de leur autorité, l’octroi des concessions de terre est réservé aux échelons les plus élevés. Le Ministère fédéral de l’Agriculture sélectionne les investisseurs, délimite les concessions, négocie et signe les contrats, et dispose en retour d’un revenu foncier qui échoue normalement et légalement - par voie fiscale - aux États régionaux (Dessalegn Rahmato, 2011 ; Labzae, 2014).

29 Le gouvernement fédéral a officiellement repris la tutelle de la gestion foncière à travers la constitution en 2009 d’une Banque foncière fédérale (Federal Land Bank) et d’une agence en charge de sa gestion au sein du Ministère de l’Agriculture (AISD10). Les Régions-États alimentent directement la Banque foncière en fonction de leurs « réserves », réserves qui sont établies sur la base d’un inventaire effectué par le Ministère fédéral de l’Agriculture. Ces inventaires liés au cadastrage des terres rurales sont inégalement réalisés selon les régions. De même, les registres fonciers sont constitués à un double niveau (fédéral et régional) et les États régionaux ignorent parfois l’étendue et la destination exacte de leurs « ressources foncières » étant donné qu’ils sont surtout responsables des procédures d’enregistrement du sol au niveau local. La procédure de vérification/validation de la disponibilité foncière auprès des États-régionaux témoigne particulièrement de cette situation. Elle sert davantage à légitimer la préemption foncière opérée par l’État fédéral sur les espaces régionaux qu’à opérer un état des lieux réaliste des réserves foncières. Ce court-circuit scalaire produit une préemption du niveau fédéral sur le niveau régional dans la mesure où les instances fédérales s’arrogent non seulement les compétences légales des niveaux

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inférieurs, mais également les ressources fiscales qui leur sont destinées et les divers ‘avantages’ associés à des transactions de cette ampleur.

30 La confrontation directe entre, d’un côté, des échelons supérieurs associés à leurs élites politiques à la fois très restreintes et très puissantes et, d’un autre côté, des échelles locales en cours de structuration, produit dans la majorité des cas un rapport de force en défaveur du local. Cette centralisation du pouvoir contribue plutôt au renforcement du fait autoritaire et ce d’autant plus que la structuration des niveaux locaux, présupposés plus démocratiques, masque un renforcement de la contrainte. Une véritable pression financière descendante s’opère ainsi des niveaux supérieurs vers les échelons inférieurs. Les kellel interviennent dans la gestion des budgets municipaux 11 comme dans la planification locale. La réalisation des plans de développement urbains, constitutionnellement reconnue aux municipalités, n’est que rarement conduite à cette échelle. En effet, faute de budget suffisant, les municipalités s’adressent à l’Agence Urbaine, établie au niveau du kellel. Il arrive également que ces mêmes agences urbaines régionales confient la réalisation des plans à des consultants, établis au sein de bureaux d’études indépendants des structures étatiques. Le plus souvent installés à Addis Abeba, ces architectes et urbanistes limitent rarement leur activité à celles liées au bureau d’études. Certains participent à la formation des professionnels dans les établissements d’enseignement supérieur de la capitale. Il arrive aussi que d’autres aient assumé ou assument encore des responsabilités politico-administratives (Bridonneau, 2014a). Cette palette de compétences favorise la circulation de ces élites au sein de l’architecture scalaire éthiopienne, d’autant plus facilement que ces bureaux d’études peuvent être également très liés à l’échelon fédéral. La capacité des autres acteurs à se mouvoir dans la construction fédérale, à jouer des différents niveaux de pouvoir, semblerait plus restreinte.

31 Toutefois, les apports de la glocalisation sont réels et le contact avec le global fournit aux acteurs locaux de nouvelles ressources. Ressources financières, normes et valeurs de références sont mobilisées dans de nouvelles formes de résistance, parfois plus passives, souvent sans effet (Di Nunzio, 2014). Elles sont plus souvent mobilisées par des catégories sociales en transformation, comme les classes moyennes des villes, les jeunes éduqués, les pentecôtistes, les riches fermiers ou encore les nouveaux entrepreneurs du tourisme. Dans les petites villes patrimoniales, le développement de l’activité touristique a favorisé un intense contact glocal. Une nouvelle classe d’entrepreneurs captant directement les revenus du tourisme, notamment via de complexes stratégies de parrainages (Bridonneau, 2013), a émergé. Très souvent, ces jeunes entrepreneurs investissent localement dans l’hôtellerie et mettent en œuvre des stratégies foncières ambitieuses. Ils établissent bien souvent des partenariats avec des investisseurs étrangers, avec lesquels ils entretiennent généralement des relations personnelles. La plupart disposent d’un capital reposant sur l’accaparement de terres et la construction immobilière. Leur pouvoir économique et les réseaux finalement encore assez réduits qu’ils peuvent mobiliser ne permettent pas à la majorité de développer une activité en dehors du secteur touristique. Cependant, leur relation au global favorise leur appropriation mais aussi leur mobilisation de nouvelles normes et valeurs de références. Si certains se lient ouvertement au Parti afin de contribuer au « développement » mais aussi pour un meilleur accès aux ressources de l’État, ils expriment parallèlement leur lassitude à l’égard de la faiblesse des autorités locales. À Lalibela, dans le cadre d’un conflit qui les oppose à l’administration ecclésiastique, les entrepreneurs tendent à se tourner vers les échelons supérieurs (régional et fédéral),

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pour faire entendre leurs revendications et solliciter un arbitrage. Il apparaît ici que les échelons supérieurs, gérés par des personnalités politiques souvent admirées, incarnent bien davantage l’État et le développement que des administrations locales perçues comme faibles et incompétentes12.

32 L’analyse récente de certains programmes de resettlement va dans le même sens. Pratique éthiopienne d’aménagement et de contrôle des territoires depuis la seconde moitié du XXe siècle (Pankhurst, 1992 ; Dessalegn Rahmato, 2003 ; Pankurst, Piguet, 2009), la mise en œuvre des programmes de déplacement et de réinstallation de population se transforme avec l’intervention croissante de nouveaux acteurs non étatiques, en milieu rural comme urbain (Labzaé, 2014 ; Bridonneau, 2014b). Lorsque des bailleurs internationaux, des acteurs de la coopération bilatérale ou encore des ONG participent à des programmes intégrant un déplacement de populations, ils contraignent l’exercice du pouvoir de l’État. Ils conditionnent le versement des subsides au respect de certaines normes et règles fixées dans des manuels opérationnels élaborés au niveau global (World Bank, 2001). Complexifiant les rapports de force, ils peuvent perturber ponctuellement, temporairement, l’exercice du pouvoir de l’État en offrant parfois aux administrés des marges de négociation, voire de contestation. Cependant, l’intervention du bailleur transite généralement par des administrations ad hoc placées sous l’autorité du gouvernement fédéral. Créées pour la mise en œuvre du projet et chargées de favoriser les pratiques de bonne gouvernance, elles poussent à la formation de comités rassemblant des représentants de la société civile, organisent des réunions de consultation publique devant favoriser la démocratisation locale. Ainsi, si la collusion entre les experts de ces administrations hybrides et les autorités locales régulières est très forte, ces dernières demeurant les principaux interlocuteurs des populations, les lignes des arbitrages bougent et réaffirment le pouvoir de l’échelon fédéral, interlocuteur des bailleurs.

L’échelle comme « méthode de déchiffrement »13

33 Ces situations concrètes attestent de l’intérêt de l’échelle comme méthode d’appréhension du changement éthiopien, comme outil de déchiffrement des transformations politiques et sociales. La structuration scalaire permet de lire dans des études de cas localisées les recompositions du pouvoir et des rapports de force. Les contributions réunies dans ce dossier interrogent ainsi la « Glocal Ethiopia » en ancrant leur réflexion dans des espaces locaux et/ou des objets particuliers qui donnent à voir une transition développementale en intégrant à la fois son antériorité et sa brutalité, ses différenciations régionales, ses acteurs, ses dimensions politiques et économiques, mais aussi sociales.

34 Ce numéro fait une part belle aux jeunes chercheurs (cinq des sept contributions ont été écrites par des chercheurs dont les thèses sont soit en cours, soit soutenues entre 2009 et 2014). L’apport de travaux européens (Chinigo et Fantini, Nyssen et al.) est d’autant plus important que les recherches sur l’Éthiopie contemporaine sont largement conduites dans des cercles académiques internationaux, et particulièrement anglophones. Pour répondre aux exigences d’une approche scalaire, ce dossier est nécessairement pluridisciplinaire. Politologues, historiens, géographes et environnementalistes regardent différemment les changements éthiopiens, certains privilégiant une approche ancrée dans l’espace local (Chinigo et Fantini ; Lefort) ou

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régional (Pinauldt), d’autres analysant des processus de structuration scalaire à travers le fait religieux (Bach), le fait patrimonial (Josse-Durand ; Blanc et Bridonneau), ou environnemental (Nyssen et al). Le dossier est riche de travaux qui mettent pour la plupart en œuvre des terrains ethnographiques, s’étalant sur de plus ou moins longues périodes, et qui sont particulièrement attentifs aux manifestations du changement dans les espaces locaux. Soulignons un souci commun de s’intéresser à la profondeur du changement et à le mettre en perspective des périodes antérieures, plus ou moins éloignées du temps présent. La pratique de terrains sur plusieurs années, voire décennies, permet de saisir très finement les mutations socio-politiques et économiques qui parcourent les espaces locaux d’Éthiopie, ce que révèle fort bien l’article de René Lefort. Ce dossier rend également compte de la grande variété des situations régionales, certaines contributions s’ancrant dans les centres historiques du pouvoir éthiopien, dans les hautes terres amharo-tigréennes du nord (Lefort, Nyssen et al., Blanc et Bridonneau), d’autre dans la périphérie somalie (Pinauldt) ou dans les territoires plus méridionaux, en région Oromo (Chinogo et Fantini) et jusqu’en territoire konso (Josse-Durand).

35 Ces différents points de vue et ancrages donnent ensemble à voir une Éthiopie en pleine refondation. À partir d’une étude de cas localisée dans la région Oromia, Davide Chinigo et Emanuele Fantini mettent très clairement en évidence comment la situation thermidorienne se traduit de façon originale en Éthiopie. Ils analysent les réformes de modernisation agricole (et tout particulièrement la transformation des structures d’encadrement à travers les coopératives, les institutions de micro-crédit ou les petites entreprises) dans la zone de West Arsi pour expliquer comment se combine libéralisation économique et renforcement du pouvoir de l’État dans l’Éthiopie contemporaine.

36 Dans les espaces montagneux du nord de l’Éthiopie, Jan Nyssen et al. proposent une analyse synthétique des facteurs endogènes et exogènes du changement écologique en Éthiopie, et plus particulièrement de l’état des sols. Ils offrent un point de vue nuancé sur les évolutions de la gestion des sols et notamment des politiques de conservation, permettant une augmentation de la production agricole sans pour autant que la situation ne tende à une réduction de la pauvreté. Toujours dans le nord du pays, mais par une lecture beaucoup plus sociale des repositionnements scalaires, René Lefort propose un point de vue critique sur le développement rapide des cultures de rente. Il met en évidence les recompositions sociales associées à ce développement dans un bourg de la région amhara. En articulant la présentation des nouvelles cultures de rente à celle de nouvelles figures de la société locale, il renseigne un processus de structuration rapide de la société en classes sociales et interroge ses possibles répercussions politiques.

37 Dans la région Somali, Géraldine Pinauldt montre comment l’échelon fédéral s’empare des normes sanitaires contraignant les exportations (vers les pays du Golfe) pour tenter d’affirmer un contrôle nouveau sur la ressource d’exportation que constitue le bétail somali, ressource qui lui a longtemps échappé. L’auteure montre alors quels sont les freins à cette tentative et comment les rapports de force se complexifient plus qu’ils ne donnent lieu à une mainmise de l’État fédéral sur la ressource. Jean-Nicolas Bach démontre de quelle manière les débats globaux et contemporains sur l’islam, et plus précisément sur l’islam radical, sont mobilisés par l’État pour contrôler les musulmans éthiopiens et maîtriser les résistances et manifestations. Ce faisant, il nous rappelle

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combien le fait religieux peut être dans certaines sociétés un puissant processus de structuration scalaire.

38 Deux textes ancrent leurs analyses dans des espaces patrimonialisés, à la fois dans les vieux espaces du patrimoine naturel et culturel du Nord et dans un nouveau « paysage culturel » du Sud (Guillaume Blanc et Marie Bridonneau, Chloé Josse-Durand). Dans les sites du Nord, Guillaume Blanc et Marie Bridonneau rappellent l’antériorité d’un contact glocal largement à la défaveur du local, longtemps écrasé par des institutions descendantes. En territoire konso, Chloé Josse-Durand montre comment l’État a saisi une opportunité de redéfinition des patrimoines mondiaux pour soutenir son discours sur le fédéralisme ethnique. Les deux contributions tendent à montrer comment le patrimoine appuie et renforce les recompositions du jeu politique impacté par la globalisation.

39 Pris ensemble, les articles de ce dossier éclairent le jeu des repositionnements scalaires. Ils mettent en évidence l’émergence de nouvelles arènes politiques et la renégociation des pouvoirs locaux. Dans une perspective davantage sociale, ils montrent l’émergence de nouvelles figures, et notamment celles d’entrepreneurs ancrés dans les espaces locaux et régionaux (Pinauldt), de courtiers et de consultants (Josse-Durand, Blanc et Bridonneau) ou encore de riches paysans (Lefort) révélant l’étirement et la différenciation accélérée des groupes sociaux. Tous contribuent à souligner une interface de plus en plus structurée entre l’Éthiopie et le monde, interface générant à la fois des opportunités d’enrichissement et d’élévation sociale, mais aussi un renforcement du pouvoir autoritaire de l’État (Chinigo et Fantini) pouvant être contrebalancé par d’autres pouvoirs centrifuges, notamment sur les marges orientales (Pinauldt). Les groupes marginalisés par les effets de la « Glocal Ethiopia » inquiètent cependant le régime, qu’il s’agisse des nouveaux prolétaires (Lefort) ou de groupes religieux contestataires (Bach). De nouveaux acteurs, de nouvelles valeurs et références structurent ainsi les espaces locaux ; ils participent aussi à une diversification du corps social dont les effets promettent des changements tout aussi radicaux.

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NOTES

1. Routes, barrages hydro-électriques mais également grandes industries sucrières, par exemple. 2. SDPRP Sustainable Development and Poverty Reduction Program, finalisé en 2002 ; PASDEP Plan for Accelerated and Sustainable Development to End Poverty (2005/2006-2010/2011). 3. Programme intitulé Agricultural-Development Led Industrialisation ADLI. 4. Laquelle devrait être palliée par l’exportation de biens industriels mais plus certainement par les productions agricoles cultivées sur les terres du land grab. 5. Échelons inférieurs de l’administration éthiopienne, le wereda correspond au district (canton) et le qebele à la commune. 6. Voir les analyses de Rony Emmenegger sur le « kebele reformé ». 7. cf. Planel, Jaglin, 2014 ; Herod, Wright, 2002. 8. Pour reprendre la formulation très éclairante développée par Michel Foucault (2004). 9. Association d’entraide traditionnellement destinée à une prise en charge collective du coût des cérémonies sociales. 10. Agricultural Investment Support Directorate 11. Observations de terrains, Planel S., Wolayta, février 2015. 12. Observations de terrain, Bridonneau M., Lalibela, août 2014. 13. Foucault (2004, p. 192). Dans le texte, la formule ne désigne pas l’échelle à proprement parler mais l’analyse des micro-pouvoirs, elle illustre cependant très bien l’usage que nous faisons de la structuration scalaire dans ce dossier.

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AUTEURS

SABINE PLANEL Sabine Planel, [email protected], est Chargée de recherche IRD et membre de l’UMR Prodig.

MARIE BRIDONNEAU Marie Bridonneau, [email protected], est Maitre de conférences à l’Université Paris Ouest Nanterre La Défense et membre de l’UMR Lavue-Mosaïques.

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Glocal Ethiopia: Scales and Power Shifts Introduction

Sabine Planel et Marie Bridonneau

With special thanks to René Lefort for his attentive reading and precious comments, which we integrated into this text.

1 Never quite isolated from the world but nonetheless always keen to control its international relations, Ethiopia is a recent convert to extraversion: the country has engaged into in-depth political, economic and social reform. The lower scales are transforming under the pressure of the global. To respond to the federal government’s commands, infra-national scales are attempting to seize long-awaited development opportunities. Ethiopia is becoming glocal: the local is coming into direct contact with the global, sometimes under the incentive of the federal State.

2 As is the case everywhere else, but even more so within Ethiopia’s complex ethno- federal structure (Turton, 2006; Vaughan, 2003), scale relations reflect power relations. The powers of globalization are recent and have the potential to deeply reshape politics by outweighing the national scale. With this special issue, we aim to document and analyse scale relations in order to understand their consequences on the transformation of Ethiopian societies, on national economic growth and on the evolution of political practices. The articles focus on local analyses, drawing from a detailed understanding of the interaction between local stakeholders and looking at global integration from a bottom-up perspective. Our objective is twofold: first of all, to describe the emergence of a new Ethiopia, transformed by the restructuring of its interaction with the world, which mostly occurs on a local scale. Secondly, to capture the qualitative aspects of these shifts in scale and of the redistribution of powers over space, as those changes are having a deep and lasting impact on the country’s future, regardless of its relations with the rest of the world. In other words, our purpose is not to draw a detailed picture of all the socio-spatial transformations currently affecting contemporary Ethiopia, but to deliver a scale-based reading of these transformations in order to understand them more comprehensively.

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3 Our analysis has multiple objectives. First and foremost, this special issue analyses power along with spatial transformation, in order to understand politics in all its materiality and historicity. It also questions the role played by the State, which is currently at the core of all discussions on Ethiopian development. This question is connected to the major ideological transition currently in progress in Ethiopia, where territorial and social equalitarianism are being replaced by more differentiated policies. Finally, this issue is an invitation to read Ethiopia’s reality through the prism of a very common process of scale structuration (i.e. globalization) in an attempt to move away from the paradigm of cultural exception, often predominant in Ethiopian studies (Tronvoll, Vaughan, 2003).

The market economy and its benefits

4 From 1991, the new regime announced political and economical liberalisation (Hagmann, Abbink, 2011; Lefort, 2012; De Waal, 2013). However in spite of a gradual, sector-by-sector reorientation of public interventionism, this process was delayed, as illustrated by the abandonment and reinstatement of price control policies (Vaughan, Gebremichael, 2011). It was only from the early 00s that the effects of the regime change began to be felt. This change was caused by several factors. First of all, liberalisation was the product of a truly original and innovative political vision championed by former Prime Minister Meles Zenawi, “a truly original thinker” (De Waal, 2013), aimed at answering the needs of the market economy. It was brought about by the new ratio of power within the Ethiopian government’s political leadership (Lefort, 2013) and by the failure of previous development policies, which became apparent with the huge food crisis of 2000/02 or with the electoral defeat of the ruling party in 2005. Whatever the reason, this highly publicised « structural change » (Gascon, 2008; Bach, 2011) orchestrated by Meles Zenawi (2012) acted as a crucial lever for the regime and contributed to its remaining in power.

5 Ethiopia’s engagement with the market economy only became tangible from the end of the 00s. Until then, the country’s development model had been both autocentric and endogenic. Its opening to the market economy was then relatively fast, and accelerated after the 2005 electoral defeat. It became associated with the politicians’ – and in particular, the Communist party’s – ambition to regain control of the country. This led to the 2009 government reform or Business Process Reengineering (Kassahun, 2012), and to the 2010 launch of a new plan for development, the Growth and Transformation Plan (2010/2011 - 2014/2015). The plan implied for the State to take the lead and deliver on the construction of large-scale infrastructure1 but also on education and healthcare, in order to foster growth and reduce poverty (FDRE, 2010). While asserting the key leadership role played by the State in terms of economic growth, the plan also promoted an engagement with the market which had been inexistent in the country’s past development policies (also known as pro-poor policies), which focused on poverty, food safety and social welfare2 (Dessalegn Rahmato et al., 2013). Food self-sufficiency was at the time seen from an individual perspective and understood as a product of each farmer’s own capacity: it became a national issue that relied upon the capacities of the best food producers, or model farmers (Lefort, 2012). The Growth and Transformation Plan had two key objectives: to foster sustainable growth across all of the country’s economic sectors, bringing Ethiopia up to the level of other emerging countries by

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2025, and to ensure the transition from an economy based on small-scale farming3 towards industry and service-led growth (Meheret Ayenew, 2014).

6 Gradually, good governance, anti-corruption measures and the fight against “rent sekers”, together with metropolisation and urban redevelopment, are working their way into Ethiopia’s economy, revolutionising a developmental grammar directly derived from Marxist-leninist theories (FDRE, 2010; Meles Zenawi, 2012). This renewal didn’t amount to a “shock therapy”: on the contrary it was sequenced, regionalised and sectorised. Liberalisation mostly translated into a reorganisation of public policies. The State carried on playing an essential part in planning and in the structuring of the economic fabric which remained for the most part structured around public or para- public organizations (Vaughan, Gebremichael, 2011), and it continued playing a key part in funding the country’s economy. Ethiopia has the third highest ratio in the world of public investment to GDP, because there is very limited private investment in the country. Along with liberalisation came the creation of a modern banking system designed to stimulate private investment, in particular by facilitating borrowing. It has to be noted that in spite of the rapid growth of private banks, State commercial banks remain predominant (Admassu Bezabeh et Asayehgn Desta, 2014). Micro-credit has also become institutional – once again under the public sector’s umbrella – via regional structures such as the ACSI (Amhara Credit and Saving Institution) that reported over 1.4 million clients in the State-region of Amhara in 2009 (Siyoum et al., 2012).

7 This economic reform requires Ethiopia to fully enter the global economy and attract foreign investors, while retaining the support of donors (World Bank, 2013). Foreign investment had so far been strictly controlled and restricted to specific sectors such as horticulture, but globalisation has made it commonplace – with for instance the ex- nihilo creation of the country’s sugar industry. The of the diaspora benefit from favourable investment conditions (Chacko, Gebre, 2012); calls for public tenders are increasingly directed at foreign providers (mostly Chinese and Indian, in the agricultural sector). Ethiopia’s connections with the world have improved, with Addis Abeba becoming a regional airline hub. This ambition also appears in the transformation of city centres: business districts are shooting up in the capital, revealing its aspirations to metropolitan status, its role as a showcase for the commercial sector and the new role it is offering to private investors (Bosredon et al., 2012; Pedrazzini et al., 2014).

8 This economic reorientation is starting to bear its fruits. In 2011/12, per capita income was reported to be in the region of 513USD and to have significantly increased since the launch of the GTP. According to the government, growth increased by over 10% per year in the first two years that followed the implementation of the GTP. These figures were quoted by international donors (World Bank, 2013) who have since revised them down to around 6%. In 2010, Meles Zenawi publicly announced a growth rate of 12.5%. The various indicators produced by national agencies reflect an impressive growth. The percentage of people living under the poverty line is reported to have gone down from 38.7% in 2003/04 to 29,6% in 2010/11, while gross national savings as a percent of GDP are reported to have reduced from 5.2% in 2009/10 to 1.8% in just a year! Meheret Ayenet does however discuss the part played by the GDP in this economic improvement, and points at the weaknesses of the Ethiopian economy: amongst other issues, problems with balance of payments deficits due to the structural weakness of exports, although there has been a clear improvement on this front4; a deficit in tax

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collection and a high inflation rate (34,3 % in 2011/12) preventing most Ethiopians from reaping the benefits of growth.

9 Similarly, no clear effects have been felt in terms of employment, and the transition from agricultural labour to urban employment is for now restricted to small sectors of activity, in particular flower farms (Yukichi Mano et al., 2011) or even more marginally, tourist areas (Bridonneau, 2014a). The employability of young people in general and young graduates in particular remains an issue (Broussard et al., 2014). 2 to 2.5 million young Ethiopians arrive on the job market every year and are unable to find any employment perspectives, neither in saturated family farming nor in underdeveloped industrial and service sectors. UNDP estimates urban unemployment at 17.5% of the population while agriculture remains the main activity for 80% of Ethiopia’s population (UNDP, 2014). Youth unemployment and its correlation with the perpetuation of rural and urban poverty contribute to the development of migration, especially female, to Gulf countries. Cheap Ethiopian labour is in demand there while on the Ethiopian side, income from migrants provides a sizeable and essential contribution to economic growth (Fernandez, 2011)

10 Finally, the real or symbolic effects of this economic transformation trigger and reinforce social transformations. New categories of population are appearing, bringing new distinctions into the equalitarian society the country had inherited from the Derg. Urban middle-classes (Nallet, 2012), new entrepreneurs in cities and rural areas, foreign-trained experts (Bridonneau, 2014a), Pentecostal evangelists (Haustein and Fantini, 2013) or young urbans (Di Nunzio, 2015) are all shaping up a new Ethiopian society and contributing to its opening up to the world.

11 However, this reorientation relies on an ambitious challenge: while structuring itself, the private sector needs to be in a position to take over from public investment (World Bank, 2013). This challenge currently seems compromised by two main factors. The public sector’s strong influence on the one hand, and the Ethiopian State’s lack of resources on the other hand hardly make for an attractive environment. Access to licences, the weight of bureaucratic red tape and the recent tax reforms are slowing down the development of the private sector and the penetration of foreign investors. Similarly, the self-funding of national development – through public investment or recourse to “voluntary contributions” from the Ethiopians and civil servants in particular – appears compromised by public deficit.

12 The transformation of the economic model does cause numerous tensions, which appear in particular in land management. In Ethiopia, power and land ownership have always been closely linked (Dessalegn Rahmato, 2009; Emmenegger, 2013). Today more than ever, access to property reflects the public sector’s contradictions – between a need for private sector intervention and the public sector’s unwavering tendency to keep its grasp on financial resources. Land management reflects the Ethiopian State’s ability to promote an endogenous model geared towards the highest possible degree of self-financing. Land titling reforms and land grabbing policies are indeed the products of a national strategy, rather than markers of a development agenda dictated by international donors (Lavers, 2012). This new agricultural policy, promoted and managed by the government, detracts attention from the development of small-scale agriculture (Dessalegn Rahmato, 2011; Lefort, 2011). However, as was the case elsewhere in Sub-Saharan Africa, land grab turned out to be a failure as only a very small amount of land was eventually handed over to foreign investors (a few tens of

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thousands acres so far instead of the planned 3 to 4 millions) (Dessalegn Rahmato, 2014). In urban spaces, and now in peri-urban spaces, public leases provide a widespread economic reorientation tool. Although the totality of the land, whether urban or rural, remains State property (and has been since the Derg-led reforms of 1975), a series of laws on urban leases have created a State-controlled land market (Berhanu Adenew, Fayera Abdi, 2005). In peri-urban spaces, the transition from rural to urban usage and the attribution of land through the leasing system led to the expropriation of rural populations, essentially for the benefit of urban public housing programs and property developers who are urbanising sprawling urban margins (Achamyeleh Gashu Adam, 2014).

13 Ethiopia’s strong economic growth hides structural weaknesses. The lack of private investment is concealed behind significant levels of public investment that drain the State’s resources, making the country more dependent than ever on international aid and diaspora money. Two thirds of the economy, outside of traditional agriculture, are State-controlled. The political elite’s permanent control over the economy is an obstacle to the economy’s liberalisation, repelling the very same private investments that the regime is paradoxically so keen to attract (Lefort, 2013). Save for a few exceptions, the economic elite is the same as the State Party’s elite. In general, except perhaps for its partnership with China, Ethiopia’s engagement with international markets is currently characterized by a great unbalance – both financial and institutional.

A Non-Democratic Developmental State

14 The country’s economic reorientation follows a hybrid development model borrowed from South-East Asian countries, which has been adapted to Ethiopia’s situation. This model of the “Developmental State” associates the benefits of the market economy with strong public sector control (Bayart, 2008; Meheret Ayenew, 2014). It implies that the development of a market economy, which is seen as a priority, can bring about political liberalisation (Assefa Fiseha, 2014). Like other more typically liberal models, it is based upon the link between economic growth and democratisation: a link highlighted by Meles Zenawi when he defined the “Democratic Developmental State”. Zenawi sees democracy as the masses’ contribution to development, which makes him the heir of the Revolutionary Democracy of the past (Bach, 2011). However, the model he is promoting is much more attractive to donors. Although the effectiveness of political liberalisation is widely debated in academic circles, it is much less so in Ethiopia’s public arena where political opposition parties are almost inexistent and censorship has been reinforced. In terms of political democratisation, Ethiopia’s case is highly ambiguous. What we are witnessing is more akin to a consolidation of constraints than to a development of democratic practices (Abbink, Hagmann, 2013). This observation is based on a detailed analysis of local situations rather than on that of government models (although the latter do also reflect the regime’s authoritarianism): the near absence of any political opponents at Parliament, the uninterrupted rule for almost twenty years of a quasi-unique party, the EPRDF (Ethiopian People's Revolutionary Democratic Front), the personalization of power in the person of the former Prime Minister, etc.:

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« In the Ethiopian case, the State has narrowed the space for the engagement of civil society, opposition parties and, to some extent, the private sector, and hence one may say the autonomy of the state is preserved – albeit under an authoritarian political order » (Meheret Ayenew, 2014, p. 8).

15 Signs of political openness displayed for the attention of the international community and Ethiopian civil society including – and particularly – diaspora-led organizations, are increasingly frequent but they remain tokenistic. This is reflected by the case of regional decentralisation. Initiated in 1991 with the creation of nine regional states, it was implemented over several stages and resulted in an overhaul of local administrations and governments, from the wereda through to the kebele5. The latter were consolidated by the introduction of more qualified management staff, and their remit was extended to cover new sub-districts (the sub-kebele). Local government is now particularly mixed, with many institutions stemming from the civil society. The reform has consolidated a very strict and highly politicized system of social control, enforced through various interlocked committees and cells, the most hybridated of which are the “development groups” (Lefort, 2010). Similarly, because decentralisation has followed an ethno-federal model where new administrative structures were based upon ethno-linguistic delineations, this policy was made harder to implement by the fact that territorialisation, and in particular the delineation of each administration’s remit, were highly controversial issues (Asnake Kefale, 2010). Indeed, ethnic belonging is constantly being re-appropriated, rewritten and reallocated, in the North and particularly in the South of the country (Aalen, 2011; Osmond, 2014). Consequently, although decentralisation, and in particular the consolidation of local administrations, granted the populations better access to public services (Emmenegger et al., 2011)6, it also contributed to curbing political liberalisation (Teferi Abate Adem, 2004) – because it created a higher level of de-concentration in public administrations (for instance when the nomination of a devolved manager, the kebele manager, brings about increased standardisation and supervision of local government) but more crucially because it reinforced State/Party collusion. In the former case, decentralisation is seen as a conservative force (Planel, 2007), while in the second it is seen as deceptive (Bjerkli, 2013).

16 As is the case in other African countries, decentralisation is designed to foster a new style of public management: in Ethiopia this translates into the promotion of participatory policies, and in the civil society becoming more structured. Since the mid-90s, participatory policies have created a new relationship between the State and their beneficiaries: a relationship of an increasingly contractual, individual and financial nature, but one that nonetheless remains more or less authoritarian (Planel, 2014). The creation of new institutions, in particular local ones, combined with good practice-inspired measures aimed at structuring the civil society, are intended to contribute to a renewal of local politics (Poluah, 2008). However, this ambition to structure the civil society clashes with more typically Ethiopian control methods.

17 From a pragmatic point of view, these measures have had diverse consequences – although governance practices do not really reflect the intended institutional renewal. Some authors observed a genuine adaptation of local communities to the new commands (Lefort, 2012), or even an appropriation of these commands that can lead to the capture of power (Emmenegger et al., 2011; Segers, 2008; Pausewang, 2002b). Others on the contrary report the persistence, and even the consolidation, of authoritarian practices, perpetuating ruling practices or cultural representations that revolve around

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relations of domination (Abbink, 2011), especially in the relation between the State and the farming community (Dessalegn Rahmato, 2009; Lefort, 2010; Aspen, 2002, Pausewang, 2002a). State supervision of local spaces is so intense that it increases control rather than fostering development, because of the high political stakes attached to development (Planel, 2014).

18 This phenomenon is mostly due to the confusion between the State and the Party, which remains the main cause of political grabbing. The ruling party has created a highly centralized system, with a solid footing in the urban and rural middle classes. It is taking longer than expected to implement the mutations that started in the early 2000s (when the political ratio of power changed in the ruling cabinet), and its legitimacy was widely challenged at the general election of 2005, whose outcomes were fiercely disputed (Lefort, 2010; Bach, 2012). However, the Party remains powerful and has now undertaken to regain control over its electorate. The Party is trying to recruit more members in order to remain as close as possible to the people: its membership went from 760,000 in 2005 to 4 million in 2010 (Vaughan, 2011). The evaluation of public policies is increasingly based on measurable outcomes or “quotas” (Enten, 2010), and civil servants are subjected to diverse performance targets (Labzaé, to appear): this means that the State’s achievements are used indistinctively to serve developmental objectives and to reinforce the Party. Similarly, collusions between the State and the Party are reinforced by the “Developmental State” model. The emergence of new economic players from the middle class echoes changes in the Party’s membership, reflecting an intimate connection between political and economic strategies. The State has thus reinforced its links with the civil society and its diverse players (investors, young people, women, farmers and cooperatives) in order to encourage them to get involved in the development process.

19 The intense politicisation of the State’s supervision structures, whether old or new – and regardless of the electoral agenda – (Assefa Fiseha, 2014) has had multiple effects. The same corruption and rent-seeking strategies condemned by the government are still seen as opportunities for local officials to access the State’s resources. Similarly, the expansion of the interface between the State apparel and local society has increased the number of political intermediaries, creating so many financial or political opportunities for the local population (Emmenegger et al, 2011). However, the ambivalence of the processes followed for the election/designation of local officials (Lefort, 2012; Assefa Fiseha, 2014) is making it very difficult for the population to access these posts. These various factors contribute to skewing public development policies and stopping them from reaching their objectives in a fair manner. Zenebe Uraguchi (2011) observes that the financial transfers made possible by safety net programmes in rural areas (Productive Safety Net Program, or Food-For-Work programs) are failing to support the development of farming in the medium term because the funds are mostly used to sustain the farmers through the lean season. Camilla Louise Bjerkli (2013) also observes that the regional decentralisation of Addis Abeba’s waste management systems has created a multitude of institutions that serve party politics rather than urban development. Although these hierarchical structures do favour the reproduction of power, they can also provide young urbans with a space, however confined, for expression (Di Nunzio, 2014).

20 These measures are co-produced by hybrid administrations that are widely funded by foreign donors and development programmes: for this reason, they tend to reflect the

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neoliberal tendency to consider development as a purely technical process (Ferguson, 1994) – and precisely because of this apolitical preconception, they tend to reinforce authoritarian practices. This is aggravated by the fact that the collection of international aid by the various Ethiopian administrations creates complex power relations – which do not in any way alter the State’s authoritarian government practices (Dereje Feyissa, 2011). Land registration or titling policies provide a particularly clear example of this distortion (Chinigo, 2014; Labzaé, 2014). They remain top-down policies, subjected to the same bureaucratic order and “democratic centralism” that presides over the design and implementation of public policies. This order reinforces the symbolic distance between the State and the citizens – a distance that becomes greater, the more the actual physical distance is shrinking – and imposes new or reinvented standards on the population. This contributes to perpetuating the domination of vulnerable populations (Planel, 2014).

21 The reform of the State has created strong tensions. The age-old correlation between economic dependency and political domination has reinforced authoritarianism. Reversely, the availability of new opportunities has allowed for a new elite to emerge. However, change remains partial at best and the general feeling is that voluntary servitude might one day turn into a win-win situation. Between the people’s hope for change and the hardships of their everyday lives, between authoritarianism and the market economy, different players are taking advantage of the opportunities arising from the emergence of multiple scales of action.

Ethiopian glocalisation?

22 The notion of scale carries a rich palette of meaning, with the potential to generate diverse interpretations. Along with the supporters of the theory of scale7, we see it as a “social construct” (Brenner, 2001) that reflects the hierarchical organisation of social facts in space (Collinge, 1999; Herod, Wright, 2002). Scale can be seen as a dynamic structuring process that organises a given space into different levels of power (or scale structuration process) – rather than as an interlocking of different areas of influence. This conception can help us better grasp the subtlety of scale relations. Furthermore, analyses that factor in scale dynamics and structuration (Brenner, 2001, 2004; Swyngedouw, 1997) can help us gain a detailed understanding of the political and economic shifts that have arisen from globalisation and neoliberal transformations (Harvey, 2006; Jessop, 2002). The organisation of global exchanges, the rearrangement of national spaces and the economy’s globalisation are reworking scale according to new models, such as glocalisation. The glocalisation phenomenon involves a double repositioning of space, looking at the two opposite “ends of the scale”8: the global and the local. It also implies an institutional restructuring from the national to the supranational and global scales on the one hand, and to the infra-national, regional, metropolitan or local scales on the other (Swyngedouw, 2004).

23 Considering space through the prism of scale dynamics can help reveal the power relations that underpin the production of space (Swyngedouw, 1997). As well as being perfectly adapted to today’s political game, scale can also help us grasp the demultiplication and circulation of powers, and understand the materiality of politics (Elden, 2013). The de-centering and fragmentation of the State’s powers are scale mechanisms that require us to investigate other types of powers, and in particular

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other institutions (Planel, Jaglin, 2014). Scale carries an obvious political dimension. Political rescaling has been frequently used as a tool by politicians or States, who promoted neoliberal change by favouring certain scales (local, regional or urban) to the detriment of single-scale national regulations (Brenner, 2004), or even by remapping electoral constituencies (Jonas, 1994). This political dimension is exemplified by the manipulation of scale for politico-administrative purposes, but it is also present in less institutional, more diffuse forms, whenever the control of space is perceived as a source of power. A given model of spatial organisation might come into competition with other sources of legitimacy but also with other territorial processes: this potential for conflict and political debate reflects that carried by scale organisation. “This internal transformation of the public sphere – where initiative, decision- making and regulation powers are being handed over to the inferior spatial scales, and where complex combinations of interlocked and articulated scales are emerging (multi-level governance) – is a major force of spatial reorganisation in contemporary societies […]. It is however important to stress that the specific type of re-calibration encountered in the public sphere, which has been thoroughly described, has not in any way evicted the others but has instead merged with them.” (Planel, Jaglin, 2014, p. 38-39)

24 The coexistence, or hybridisation, of diverse dynamics in the political sphere is particularly acute in authoritarian contexts, where original forms of territoriality and political rationality prevail – or at least forms that present few similarities with Western democratic situations, where these shifts in the scales of power were initially designed. Furthermore, due to this coexistence in a political system such as the Ethiopian ethno-federation where a hierarchy between powers and standards has become part of the institutions, changes have mostly benefitted the economic sector.

25 Within the vast spectrum of scale shifts, why did we choose to look at glocalisation? Certainly because this process provides an original perspective on Ethiopia’s current transformations. Indeed, the restructuring of scale does not spell the end of the national: on the contrary, it has reinforced the State’s control over the Ethiopian space. The glocalisation phenomenon is therefore a consequence of globalisation. It involves a direct interaction between the global and the local, and an indirect relation with the intermediary echelons – the regional level and particularly, in the case of Ethiopia, the national level. This encounter between the two opposite ends of the scale does not appear, as far as we know, to have an influence on the global echelon. It has however contributed to an in-depth transformation of local spaces, and has turned the local alternatively into the grounds of a genuine political negotiation or a simple management echelon.

26 The interface between the lower echelons of the State and local societies has recently gained more importance: this is the result of the Party’s ambition to reinforce its local foothold, but also a product of glocalisation. New institutions, new players and new values are emerging in local spaces and revealing – within the boundaries of the State’s tolerance – new political arenas. Local institutions are being consolidated by good governance policies, by aid programs that defend indigenous cultures and know-hows and champion the ethno-federation project, and by the democratisation process. Local spaces are now criss-crossed by a network of co-operatives, edir9 and community groups, as well as popular tribunals, militias, political bureaus and other political cells. Regardless of the group they belong to, these associations follow very diverse models of organisation that reflect local differences in organisation and political culture, for

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instance between the centre and its peripheries (Markakis, 2014). These groups are either organised according to a top-down chain of command, where the members are not given the opportunity to choose their representatives (and especially not their President or Treasurer, in the case of a cooperative), or according to a more bottom-up model in areas where cash crops are predominant (Cramer et al., 2014). These models reflect a lack of political purpose in these scale shifts, which reinforce local political structures without addressing the confiscation of political power by the upper echelons.

27 In Ethiopia, the transformations occurring at the opposite ends of the scale are characterised by an “expansion” of the local and by a consolidation of the federal echelon. The current reorganisation of the local scale in Ethiopia is only partially documented, and this issue aims to supplement this gap. This process follows two main paths. The reform of the kebele investigated by R. Emmeneger et al. (2011) involves the development of local institutions, which serve both a governmental function (development of the kebele council) and an administrative one (nomination of kebele managers as part of the administrative decentralisation process). To which extent did this reform transform local spaces, and therefore the local scale itself? Scholarship is still sparse on this question. As a consequence of this institutional promotion (or simply of this increased recognition), local issues have shifted up slightly towards the higher echelons, somewhere between the village and the municipality – while at the same time, the infra-communal level (the sub-kebele) was being developed by administrative reforms. As a consequence, while municipal authorities are increasingly taking control of public affairs (Tegegne Gebre-Egziabher, 2014), the role of the kebele seems confined to political surveillance operations (Di Nunzio, 2014) and locked in a form of “scalar imprisonment” (Planel, 2015).

28 Meanwhile, the federal echelon where the small ruling elite operates has remained intact, and possibly become stronger. The symptoms of this political grabbing are manifold, especially in land management (Chinigo, 2014). Contrary to Tom Lavers (2012) we do not believe that this fact can be explained by the recentralisation of power, as the powers have never actually been delegated down to the lower echelons and land management has always remained a highly centralised process (Crummey, 2000). Although the Constitution recognises the kellel’s (regional State’s) competences in terms of land management, the central State’s interference with regional affairs leaves decentralised government with a very limited margin of action. While everyday land management involves every echelon of the Ethiopian administration – including the lowest and most local ones, which gain a great deal of authority from their monopolistic management of land tenure – the attribution of concessions remains the privilege of the upper echelons. The Federal Department of Agriculture selects investors, delineates the plots, negotiates and signs the contracts, and raises income that should normally be collected (via taxes) by the regional States (Dessalegn Rahmato, 2011; Labzae, 2014).

29 The federal government has officially taken over the control of land management through the creation in 2009 of the Federal Land Bank, with an agency within the Department of Agriculture (AISD10) responsible for its management. The Land Bank is directly funded by the regional States on the basis of their “reserves”, which are determined by an inventory carried out by the Federal Department of Agriculture. These inventories, which look at the amount of rural land registered, are inconsistently

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executed depending on the regions. Additionally, land registries are created on a double level (federal and regional), and regional States sometimes ignore the exact extent and allocation of their own “land resources”, given that they are mostly responsible for local registration procedures. The procedure for the verification/ validation of land availability by regional States provides a clear picture of this situation: its role is more to legitimate the pre-emption of land operated by the federal State in the regions than to deliver a realistic assessment of land reserves. This short- circuiting of scale means that the regional level is pre-empted by the federal: federal authorities are not just confiscating the lower echelons’ legal powers but also diverting the tax income that they were meant to receive, along with the various privileges attached to this type of transactions.

30 The relation of power arising from the direct confrontation between on the one hand a small and powerful political elite and on the other hand the redesigned local scales usually plays out to the detriment of the local. This centralisation of power contributes consolidating authoritarianism – all the more that the structuration of the supposedly more democratic local level conceals a reinforcement of constraints. For instance, the lower echelons are affected by strong financial pressure from the upper levels. The kellel do have their say in the management of municipal budgets11 and in local planning, but the delivery of urban development plans, although originally allocated to the municipalities by the Constitution, is rarely conducted on a local scale: for lack of sufficient funds, the local authorities hand over the delivery to the kellel-level Urban Agency. In turn, these regional Urban Agencies themselves often hand over the delivery of the plans to consultants from independent agencies. Most of these architecture and urban planning agencies are based in Addis Abeba, and in most do not only operate in the field of consultancy: they also train professionals in the capital’s higher education institutions, or hold (or have held) diverse administrative or political responsibilities (Bridonneau, 2014a). This combination of roles facilitates the circulation of these elites across Ethiopia’s various scales, all the more easily that these consultancies usually have strong links with the federal scale. The other stakeholders have a more limited ability to contribute to the federal construction and interact with different levels of power.

31 However, glocalisation does have a real impact as this contact with the global provides local players with new resources. These financial resources, standards and values are feeding into new forms of resistance – some of which have become more passive, and most of which are ineffective (Di Nunzio, 2014). More frequently, these resources are appropriated by new social categories like the urban middle classes, the educated youth, Pentecostal evangelists, rich farmers and new entrepreneurs. In small heritage towns, the development of tourism has facilitated intense glocal contact. A new class of entrepreneurs has harnessed new income streams from tourism, for instance via complex sponsorship strategies (Bridonneau, 2013). These young entrepreneurs often invest locally in the hotel trade, developing ambitious real estate strategies, and building partnerships with foreign investors, with whom they usually have personal links. Most of them have built their capital from land grabbing and real estate development. Their economic power and the limited networks they can draw upon are insufficient for most of them to develop activities outside of the tourist sector. However, due to their relation with the global, these players are discovering and incorporating new standards and values. Although some of them openly build links with the Party in order to contribute to the country’s “development” but also to gain

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better access to State resources, these players are also expressing their dissatisfaction with the local authorities’ weaknesses. In Lalibela, where entrepreneurs have entered a conflict with the Church administration, they tend to turn to the upper echelons (regional and federal) to get their voices heard and seek mediation. It appears that the upper echelons, often led by admired political personalities, are more frequently seen as an incarnation of the State than local administrations, perceived as weak and incompetent12.

32 The recent analysis of resettlement programmes reaches the same conclusions. Since the first half of the 20th century, displacing and resettling populations has been a key instrument of territorial planning and control (Pankhurst, 1992; Dessalegn Rahmato, 2003; Pankurst, Piguet, 2009). This practice has been transformed by the growing intervention of non-State stakeholders, in both rural and urban areas (Labzaé, 2014; Bridonneau, 2014b). When international donors, bilateral cooperation stakeholders or NGOs are involved in population displacement programmes, they create constraints that curb the State’s power – for instance, by tying aid payment to the State meeting certain standards and rules set out in international operational manuals (World Bank, 2001). By complicating relations of power, these programmes can punctually and momentarily disrupt the exercise of power by providing the citizens with a margin for negotiation, or even for protest. However, the donors’ interventions are usually channelled through ad hoc administrations created under the authority of the Federal government. Built on purpose for the delivery of the projects to facilitate good governance, these administrations create committees of civil society representatives and organise public consultation meetings to stimulate local democracy. Consequently, although the collusion between the experts from hybrid administrations and the local authorities remains very strong, the latter remain the populations’ main point of contact. The decision-making lines are moving to reaffirm the power of the federal echelon, which remains the donors’ main interlocutor.

Scale as a “deciphering method”13

33 These concrete situations reflect the interest of scale as a method through which to understand the changes undergone by Ethiopia, and as a tool through which to decipher political and social transformation. The structuration of scale can help us analyse local case studies as examples of the rearrangement of power and power relations. The contributions compiled in this issue all question the notion of a “glocal Ethiopia” by rooting their analyses in specific local spaces and/or objects that reflect the developmental transition – taking in its background, its suddenness, its regional differentiation and its stakeholders, as well as its political, economic and social dimensions.

34 This issue gives pride of place to young researchers (five out of seven contributions have been written by researchers whose PhD theses are either in development or have been defended between 2009 and 2014). The contribution brought by European research projects (Chinigo and Fantini, Nyssen et al.) is all the more essential that most scholarship on contemporary Ethiopia currently comes from international – and in particular, English-speaking – academic circles. In order to meet the demands of a scale-based approach, this issue necessarily cuts across disciplines. Political scientists, historians, geographers and environment scientists are bringing a diverse outlook on

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the changes undergone by Ethiopia: some by focussing on a local (Chiningo and Fantini; Lefort) or a regional approach (Pinauldt); others by analysing scale structuration processes through religious phenomena (Bach), heritage (Josse-Durand; Blanc et Bridonneau) or the environment (Nyssen et al). This issue features articles that are for the most part based on ethnographic fieldwork projects spanning over diverse periods of time, that pay a particular attention to the markers of change in local spaces. All share a concern with developing an in-depth understanding of change and putting it into perspective with earlier, more or less remote periods. Years or even decades of fieldwork have allowed the authors to gain a very precise understanding of the socio- political and economical mutations at work in Ethiopia’s local spaces, as illustrated by René Lefort’s article. This issue also documents a great diversity of regional situations: from Ethiopia’s historical centres of power to the Amhara and Tigray highlands in the North (Lefort, Nyssen et al., Blanc and Bridonneau), the Somali border (Pinauldt) or further South, the Omoro region (Chinogo and Fantini) and the Konso territory (Josse- Durand).

35 These different viewpoints and areas of focus depict Ethiopia in the midst of a reorganisation process. Starting from a case study located in the Oromia region, Davide Chinigo and Emanuele Fantini show very clearly how a “Thermidorian situation” can translate into a very original situation in Ethiopia. The authors analyse agrarian modernisation reforms (and in particular the transformation of structures such as cooperatives, micro-credit institutions or small businesses) in the West Arsi area to illustrate the combination of economic liberalisation and State reinforcement in contemporary Ethiopia.

36 Concerning Ethiopia’s northern mountains, Jan Nyssen et al. present a synthetic analysis of the endogenous and exogenous factors of environmental change in Ethiopia, in particular in terms of soil condition. They deliver an assessment of the evolution of soil management and in particular conservation policies, which have increased agricultural production without reducing poverty. Always in the North, but with a much more social reading of scale repositioning, René Lefort presents a critical perspective on the fast development of cash crops. Lefort highlights the social reorganisation associated with this development in a village of the Amhara region. By articulating his presentation of the new cash crops with that of new figures that have emerged in local society, his article illustrates society’s fast structuration into social classes and questions the potential political consequences brought along by this process.

37 In the , Géraldine Pinauldt shows how the federal echelon has taken control of health and environment standards, placing constraints on exports (towards the Gulf countries) in an attempt to assert its power over export resources such as Somali cattle, which had long escaped its control. The author shows the obstacles encountered by this attempt, and how it resulting in relations of power becoming more complex rather than increasing the federal State’s control over this resource. Jean- Nicolas Bach demonstrates how global and contemporary debates on Islam, and in particular radical Islam, are being instrumentalized by the State in an attempt to keep Ethiopian Muslims in check and control resistance and protest. In doing this, Bach reminds us that religion can act as a powerful scale structuring factor in some societies.

38 Two articles look at heritage, in the North’s traditional natural and cultural heritage sites, and in the South’s new “cultural landscape” (Guillaume Blanc and Marie

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Bridonneau, Chloé Josse-Durand). In the northern sites, Guillaume Blanc and Marie Bridonneau remind us how glocal contact has long happened at the detriment of the local, which has been crushed by top-down institutions. On the Konso territory, Chloé Josse-Durand shows how the State has seized an opportunity to redefine global heritage in order to support its stances on ethnic federalism. Both contributions tend to highlight how heritage has been supporting and reinforcing the reorganisation of politics caused by globalisation.

39 Considered together, the articles in this issue shed a new light on shifts in scale. They highlight the emergence of new political arenas and the renegotiation of local powers. From a social perspective, they show the emergence of new figures – in particular, those of entrepreneurs with a foothold in local and regional spaces (Pinauldt), brokers and consultants (Josse-Durand, Blanc and Bridonneau) or rich farmers (Lefort), revealing an increased stretch and differentiation of social groups. All contributions depict an increasingly structured interface between Ethiopia and the world, generating both money making and social climbing opportunities, and a toughening of the State’s authoritarian power (Chinigo and Fantini), counterbalanced in some cases by other anti-centric powers, in particular in the eastern margins (Pinauldt). The regime is however concerned that some groups might be marginalised by the effects of “Glocal Ethiopia” – whether those are new proletarians (Lefort) or antagonistic religious groups (Bach). New players, new values and new references are thus structuring local spaces, all the while contributing to a diversification of the social body which promises to bring about a new wave of equally radical change.

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NOTES

1. For instance, roads, hydro-electric dams but also large-scale sugar industry. 2. SDPRP (Sustainable Development and Poverty Reduction Program), finalised in 2002; PASDEP (Plan for Accelerated and Sustainable Development to End Poverty), 2005/2006-2010/2011. 3. ADLI programme (Agricultural-Development Led Industrialisation). 4. Laquelle devrait être palliée par l’exportation de biens industriels mais plus certainement par les productions agricoles cultivées sur les terres du land grab. 5. A lower echelon of the Ethiopian administration, the wereda is the equivalent of a district and the kebele that of a town. 6. See Rony Emmenegger’s analyses on the « reformed kebele ». 7. See Planel, Jaglin, 2014; Herod, Wright, 2002. 8. To quote Michel Foucault’s extremely relevant terms (2004). 9. A mutual help association designed to mutualise the cost of social events and ceremonies. 10. Agricultural Investment Support Directorate. 11. Field observations, Planel S., Wolayta, February 2015. 12. Field observations, Bridonneau M., Lalibela, août 2014. 13. Foucault (2004, p. 192). The expression in this text doesn’t strictly refer to scale, but Foucault’s analysis of micro-power does illustrate perfectly this issue’s usage of scale structuration.

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AUTEURS

SABINE PLANEL Sabine Planel, [email protected], est Chargée de recherche IRD et membre de l’UMR Prodig.

MARIE BRIDONNEAU Marie Bridonneau, [email protected], est Maitre de conférences à l’Université Paris Ouest Nanterre La Défense et membre de l’UMR Lavue-Mosaïques.

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Thermidor in Ethiopia? Agrarian Transformations between Economic Liberalization and the Developmental State

Davide Chinigò et Emanuele Fantini

We would like to acknowledge Catherine Dom and two anonymous reviewers for their insightful comments to the first draft of this manuscript. Usual disclaimers apply.

1 In the last years, by virtue of its record of “double digit” GDP growth, Ethiopia has been celebrated among the “African lions” and the “emerging African countries” (McKinsey, 2010; Radelet, 2010). Official statistics set the country on track to meet the ambitious “Growth and Transformation Plan” (GTP), which aims to reach the middle-income status by 2025 (FDRE, 2010). The peculiarity of the Ethiopian case lies in the fact that, unlike other emerging African countries with similar post-revolutionary trajectories, the process of economic growth is not driven by natural resources extraction. On the contrary, the rise of Ethiopian GDP in the last years results from public capital investments in infrastructures and from the improvement of the productivity in the agriculture and manufacturing sectors. These processes have been upheld by emulating the Asian model of the developmental state (Clapham, 2006), implying a key role for the central government in driving and stimulating the national economy, as explicitly theorised by the former PM Meles Zenawi (Zenawi, 2012).

2 One of the pillars of such development strategy consists in agricultural commercialisation implying significant processes of rescaling and glocalisation (Swyngedouw, 2004). In the GTP the Ethiopian government operated a radical shift in its development strategies: the traditional focus on household agriculture to achieve national food security has become a secondary, although not marginal, objective. This is to embrace market liberalisation strategies to create wealth and employment through the attraction of foreign investments on land, the promotion of micro and small enterprises, as well as of market led agricultural production.

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3 The article addresses the consequences of agrarian transformations in terms of (re)configuration and (re)negotiation of spaces and power in the process of state formation in contemporary Ethiopia. In doing so, we adopt the notion of “Thermidorian situation”, developed by Jean-François Bayart as a paradigm to analyse the historical trajectories of post-revolutionary elites consolidating their power in the context of the neoliberal global economy through selective and original strategies of political and economic liberalisation (Bayart, 2008).

4 This perspective elucidates the main argument of the article, i.e. the inherent contradiction of the agrarian policies in contemporary Ethiopia. On the one side, the economic liberalisation and the adoption of market oriented strategies entails processes of rescaling that open up spaces for international flows, for the private sector and for local economic actors. On the other side, the revolutionary ideology and ethos that still animate the Ethiopian ruling class push for a proactive role by the central government in promoting, driving and controlling such processes, with the goals of ensuring compliance to its development vision and of avoiding the emergence of political and economic competitors in gaining legitimacy and support among the population through economic and development initiatives. This contradiction results in ambiguous dynamics of reconfiguration of state intervention in the economy and in the rural spaces, as well as in the on-going negotiation and mediation between the expanding state apparatus and farmers’ strategies and aspirations in terms of development and economic success.

5 In order to develop such analysis, the first section of the article applies the Thermidorian paradigm to the analysis of historical and contemporary Ethiopia. The second section analyses the transformation introduced by the new strategy of agricultural commercialization: the reforms of agricultural extensions, the emphasis on agricultural cooperatives, micro-finance institutions (MFIs), and agricultural micro and small enterprises (MSEs). The third section discusses the main tensions of the project for rural transformation by tracing its political, historical and ideological roots back to the 1975 land reform. Particular attention is paid to the post-2001 conjuncture in which the tensions of the contemporary project of rural transformation became much more apparent.1 The conclusion analyses the main tensions between the developmental state and economic liberalization within agrarian transformations, highlighting patterns of (re)configuration and (re)negotiation of spaces and power and that apply to the broader process of state formation in contemporary “glocal” Ethiopia.

Thermidor in Ethiopia

6 In the historical experience of the French Revolution, Thermidor marks the attempt by the revolutionary elite “to get out from the Terror” (Baczko, 2013), transforming itself into ruling class through the institutionalisation of the revolutionary achievements under the Republic, without abandoning their used revolutionary imaginary and vocabulary. This experience inspires the Thermidorian paradigm developed by Jean- François Bayart to analyse the historical trajectory of post-revolutionary elites with Marxist or socialist background, professionalising into ruling classes at the time of neoliberal globalisation, upholding their power and accumulating resources through selective and original strategies of economic liberalisation (Bayart, 2008).

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7 This paradigm seems particularly meaningful to grasp the very nature of the process of state formation in contemporary Ethiopia. We refer to the notion of state formation as developed by Bruce Berman and John Lonsdale namely “the historical process, mainly unconscious and contradictory, of conflicts, negotiation and compromises between different groups” (Berman and Lonsdale, 1992, p. 5) that occurs within - and ultimately shapes - the explicit institutional strategies of state building promoted by governments’ elites.

8 The Thermidorian paradigm shares with other analysis of post-revolutionary regimes two elements. First, the understanding of these regimes through the analysis of the concatenation of their historical trajectories - the longue durée - with the intimate and personal experience of the former fighters (Clapham, 2012). Second, the attention devoted to the political, cultural and practical factors influencing the processes of institutionalisation of former guerrilla movement into political parties and their legitimacy (De Zeeuw, 2007; Podder, 2014).

9 However, in respect to these other approaches we just referred to, we retain two elements that in our view constitute the added value of the Thermidorian paradigm in understanding the Ethiopian case. First, the Thermidorian paradigm does not assess the post-revolutionary regimes against the normative approach of “the transition to democracy”; on the contrary it allows highlighting the peculiarity of “a political economy not reducible to the neo-liberal cadre” (Bayart, 2008, p. 53, our translation) and the persistence of the “veil of ideology” (ibid, p. 7). Second, the Thermidorian paradigm situates the analysis of the post-revolutionary political institutions by emphasising their broader relationship with the society. In this respect, combining the Thermidorian paradigm with the notions of “state rescaling” and “glocalisation” (Swyngedouw 2004) allows situating the post-revolutionary political institutions also at different scales – a focus developed in the analysis of case studies such as Cambodia (Bayart, 2008) but not explicitly addressed in the theoretical paradigm.

10 The process of state building in contemporary Ethiopia has been shaped by the generation of fighters of the Tigray People Liberation Front (TPLF) that since 1991, following the overthrown of the military regime of the Derg, has become the oligarchy leading the ruling coalition of the Ethiopian People Revolutionary Democratic Front (EPRDF). The TPLF revolutionary experience has been institutionalised in the 1995 Constitution, restructuring Ethiopia in a federal and decentralised republic in the name of the right to self-determination of the “nations, nationalities and peoples” of the country (Turton, 2006).

11 The insertion of post-revolutionary Ethiopia in the neoliberal globalisation has been shaped by a selective adhesion to the model of the liberal democracy and free market. The EPRDF distanced itself from liberal democracy, by recalling the revolutionary myth through the official adoption of the “ambiguous doctrine” (Bach, 2011, p. 641) of “revolutionary - abyotawi in Amharic - democracy”, hybridising the liberal reforms such us multi-party elections with the political repertoire of the revolutionary front inspired by Marxism, Leninism and Maoism, as well as by ethno-regional ideology. In the field of economic policy, while dismantling the Derg’s system of soviet style planned economy, the EPRDF openly rejected the structural adjustments programmes and the macroeconomic policies promoted by the International Financial Institutions, adopting alternative “largely self-determined policies”, as described by Joseph Stigltiz, at the time involved in the negotiation on behalf of the World Bank (Stiglitz, 2003, p. 30). Thus

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the Ethiopian government holds a main role or a monopolistic position in key economic sectors like finance, telecommunication and energy, and retains control of the agricultural inputs (land, fertilisers, credit). In this context, the Thermidorian elite consolidates its power by strategies of resources accumulation and control through the straddling of positions within the State administration, the party structure, the NGOs or enterprises affiliated to the EPRDF, and the microfinance and other development institutions controlled by the government.

12 Three peculiarities of the Ethiopian Thermidor stem from the specificities of the country’s historical trajectory. First, the Ethiopian Thermidor results from the overlapping of two different revolutionary moments: the one initiated by the Derg, and the one led by the TPLF and the Eritrean People’s Liberation Front (EPLF).2 These two revolutions ignited in reaction to the same contradictions of Imperial Ethiopia: on one side the social question related to the issue of land ownership; on the other side the national question, namely the asymmetrical relations between Ethiopia’s different ethnic groups. These two questions are strictly correlated. The Derg and the TPLF offered similar answers to the former but diverging to the latter, with TPLF opting for a more radical deconcentration of State institutions at the local level. This entails both elements of rupture and continuity between the two regimes.

13 Second, the TPLF revolution has been achieved trough a military conquest of power deeply influencing the EPRDF political repertoire. During the fourteen years long armed struggle, the TPLF successfully tested strategies of peasants mobilisation inspired by Leninist and Maoist doctrines. The TPLF acted as vanguard of the rural masses, matching military and political encadrement with the provision of basic social services in the liberated areas of Tigray, thus guaranteeing the political legitimacy and the material support to its struggle. In the Ethiopian Thermidor, these strategies have been hybridised with the technical register of the good governance and the fight against poverty promoted by the international development apparatus, and they have been reproduced through the “capacity building” of the hierarchical state machinery and bureaucratic structures inherited from the previous regimes. This process translates in a political project matching hegemony and coercion, the provision of basic social services and the authoritarian exercise of political power. The EPRDF revolutionary ethos inspire the encadrement of women, youth, and peasants in “development armies” or in the selection of “model villages” and “model farmers” in order to ensure the rigorous implementation of its development policies throughout the country (Lefort, 2012; Seegers et al., 2009).

14 Third, the polymorphic nature of the revolution contributes to the heterogeneity and internal plurality within the Thermidorian ruling class. While Tigray experienced a real mass revolution—with the whole population involved in the armed struggle (Young, 2006)—in the rest of the country, particularly in its southern marches and peripheral areas, the liberation from the Derg was featured by a rather passive revolution, in Gramsci’s terms (Gramsci, 1975), with the TPLF co-opting existing local elites or creating new ones at the end of the war (Vaughan, 2006). Consequently, the reference to the liberation struggles allows various degrees of political legitimation in different Ethiopian regions and peripheries, where the revolutionary myth does not enjoy the same level of cultural significance as it does in Tigray and partially in Amhara. Thus, at local level post-revolutionary development policies mentioned above are shaped by

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processes of negotiation, selected adhesion, or resistance by local elites and ordinary people.

15 These features contribute to one of the main contradiction of the Ethiopian Thermidor. On one side, the Thermidorian elite sets as its main mission transforming of the country into a mature capitalist system, opening up the economy and the society and implicitly acknowledging the potentialities of economic liberalisation and the role of the private sector. On the other side, the EPRDF—particularly the TPLF oligarchy leading the party coalition—does not fully dismiss the revolutionary ethos and ideology of the political vanguard. Consequently, while in principle acknowledging “society’s independence and inertia” (Bayart, 2008)—for instance through ethnic federalism and decentralisation—they seek to control, orient and transform the society according to their ideology and revolutionary plan, preventing the emergence of potential political and economic competitors. These contradictions can be best seen by looking in particular at the processes of rescaling and glocalisation engendered by EPRDF policies of land reform, agricultural commercialisation and market liberalisation in rural areas.

Commercialisation of Smallholder Agriculture in West Arsi: Cooperatives, Micro-Finance Institutions, and Enterprises

16 Observations are conducted during several fieldwork visits since 2009 in the West Arsi Zone of Oromiya Region. While some degree of generalisation might apply, different Regions—sometimes even different Districts—have quite diverse policies especially when it comes to implementation. Some of the details presented here have therefore to be considered as contextual and not directly applicable to other Ethiopian contexts.

17 In recent years, agricultural commercialisation has become one of the most important facets of the government strategy for rural transformation (GTP, 2010), and has entailed the promotion of large-scale investments by public and private actors, as well as commercialised smallholders. While the former has received much international attention, the support to commercialised smallholders is by far central to the notion of Thermidorian situation, as it characterises the processes through which the elite attempt to institutionalize its role of dominant class in the rural areas by means of a selective and partial process of economic liberalization. Thus, support to commercial smallholders is remarkable for at least two additional reasons. First, as noted by Lefort (2012, p. 682), detaching farmers from commercialisation in order to prevent the accumulation of rents was an overriding political priority of the EPRDF-led government since it first came to power in the 1990s. Support to commercial smallholders constitutes by far the most remarkable shift in the government land policy since the 1970s, and has entailed the reformulation of agricultural extensions towards the objectives of economic efficiency and the creation of an environment suitable for market expansion. Second, the support to better-off farmers by means of a strong state intervention is associated with an intense process of institution building at the grassroots level, as well as with the reconfiguration of institutions previously engaged in the support of the smallholder sector as a “homogenous entity” towards a business model. These transformations reflect interventions in the field of microfinance, the cooperative system, and the establishment of micro and small enterprises.

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18 Microfinance has become one of the main government’s political priorities to promote fast commercialisation.3 Through the Micro-Financing Business Proclamation No. 626/2009, the federal and regional governments have intensified efforts to increase financial services for smallholder farmers and micro and small enterprises (IFAD, 2009). MFIs are closely associated with the regional governments, which are majority shareholders, as well as the ruling party, and they are a central aspect of the government strategy to mobilize the rural population.4 The reformulation of credit and financial services to the farmers is also evident in some recent trends characterizing the cooperative system.5 Agricultural cooperatives in Ethiopia are formally autonomous, but the local administrative structure/party system complex normally exercises power in cooperatives’ formation and their day-to-day activities (Rahmato, 2002). While this interference is not uniform across the country, farmers in West Arsi normally identify cooperatives and MFIs directly with the government.

19 While until recently the mobilization of the smallholders and endowment of agricultural inputs were the two main functions of agricultural cooperatives, the Agricultural Cooperatives Sector Development Strategy 2012-2016 places agricultural commercialisation at the centre of the cooperative system. Under the new strategy, the cooperatives’ “primary purpose is increasing member producers’ production and incomes by helping better link with finance, agricultural inputs, information, and output markets” (FDRE, 2012, p. 9). In remarking the limited involvement in output marketing, the long-term strategic direction for sustaining agricultural commercialisation is enabling the cooperatives to provide two types of marketing services: “selling output on behalf of farmers using robust market information, and having systematic marketing relationships with reliable demand sources” (FDRE, 2012, p. 24). Yet, in order to provide more efficient services to the farmers, strengthening input distribution and marketed output, access to finance is to develop the capacity of the cooperative sector (FDRE, 2012, p. 51). The document expresses the government’s commitment to expand the mandate of MFIs and Rural Saving and Credit Cooperatives (RUSACCOs), “to serve the role of a semi-dedicated financing institution for the cooperatives sector” (FDRE, 2012, p. 53). In West Arsi, the new vision on the cooperative sector and the emphasis on MFIs generated two important transformations.

20 The first transformation concerns the function of MFIs and agricultural cooperatives. Local officials explain that until 2010-11 MFIs and agricultural cooperatives’ main task was providing credit for modern agricultural inputs (fertilisers and improved seeds) through credit lines guaranteed by the budget of the regional government. This generated dysfunctions both in terms of mismanagement and non-recovery. More recently, side by side with the diversification of the lines of credit provision, agricultural inputs are no longer given 100% credit and farmers are required to pay cash for seeds and fertilisers. While many farmers in West Arsi complain about this new system, another recent phenomenon is that the needs assessment, and distribution of inputs and fertilisers, is channelled through the recently established “1 to 5 networks” (shanee in Oromiya). These are networks of 6 farmers where one is the “model farmer”, in charge of assisting the other five with input provisions, introduction to new agricultural techniques. Model farmers are linked to the ruling party structure (Lefort, 2012). Also in West Arsi the majority of the model farmers are party members, and their appointment is approved by the Development Agent of the district agricultural office (ARDO). While no formal document discusses their functions in details, it seems

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that one is channelling credit from MFIs and agricultural cooperatives to the individual farmers, as a way to improve the structural efficiency of input delivery and, at the same time, allowing the local administrative structures, and ultimately the ruling party, to control such process.

21 The second transformation can be described as a new emphasis with “saving first”. Assisting and providing farmers with incentives to form savings groups is among the top priorities behind the strategy of smallholders’ commercialisation. In West Arsi this entailed the reformulation and extension of RUSACCOs throughout the countryside. As explained by the Cooperative Desk of the Zone, the new priority is creating stronger linkages between agricultural cooperatives and RUSACCOs, as a way to assist the former “to store post-harvest income for input purchasing the following season”. This is aimed to fill the gap in poor areas where access to financial institutions is limited and, in the long run, developing tools to “incentivise savings and scale up innovative instruments such as weather insurance” (FDRE, 2012, p. 20). Extension of RUSACCOs in West Arsi was accompanied by the delocalisation of stores for agricultural inputs (seeds and fertilisers), which since 2012 were established with the ratio of one in every four kebeles. Agricultural cooperatives are required to save at least 30 % of their net income in the Commercial Bank of Ethiopia.

22 The relationship between “saving first” and commercialisation of smallholder agriculture becomes even more significant when it comes to some recent trends seeing the promotion of micro and small enterprises (MSEs) in the field of agriculture. This sector has been a priority of the government since the Issuance of National Micro and Small Enterprises Strategy in 1997 and the establishment of the Federal Micro and Small Enterprises Development Agency. Their development is seen as an important instrument to create a productive and dynamic private sector, creating long-term jobs, and providing the basis for medium and large export-oriented enterprises. MSEs are supported through infrastructural and financial facilities, trainings, and supply of raw materials (Ageba and Ameha, 2004).

23 However, more recently MSEs have been actively promoted in the agricultural sector. Their emergence must therefore be contextualised with the new priority of agricultural commercialisation,6 and today MSEs offices have been established at regional, zone, and wereda levels. The zone MSEs officer for West Arsi explains that enterprises are meant to create new jobs in the rural areas, particularly among landless youth and women. They are aimed at reducing poverty through the creation of businesses both in and out agriculture. Start-ups can be established with no capital and by presenting business plans to MFIs, most notably the OCSSCO. The enterprise can be formed if the promotion office considers the business of the start-up “successful”. At this stage members of the “micro” enterprise have to provide for 20 % of the initial capital, while are allowed to demand for up to 80 % credit from MFIs. “Micro” enterprises possess a capital of up to 50000 ETB and employ between 5 and 30 workers; beyond that they “graduate” and achieve the status of “small enterprise”. MSEs are required to save in a bank account 20 % of their profit, whose re-investment has then to be negotiated with the promotion office and the MFI providing the initial loan. Agricultural MSEs in West Arsi have to fit one of the sub-sector priorities identified by the zone promotion office. These include horticulture, cattle fattening, animal feedstock production, irrigated agriculture, bee keeping, and afforestation. One important aspect of the current development of MSEs is that they can demand the allocation of land when this is required to discharge their

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activities. Requests are submitted to the wereda MSEs office that, in collaboration with the ARDO, is in charge of allocating plots from the wereda “Land Bank”. In Siraro wereda this for instance entailed the redistribution of previously communal land in Damine kebele to several MSEs for irrigated horticulture. This kebele is located on the bank of Bilate River and is particularly suitable for irrigated crop production. While the kebele leader received complaints from herders previously using this communal land for pasture, he noted that this is the only way for landless youth to access to land and starting new businesses that can leverage the local economy.

24 It is still too early to assess the impacts of these reforms, however it seems clear enough that they are likely to entail profound transformations in rural Ethiopia. While some farmers will benefit from increased commercialisation—by getting land through rental arrangements or support from MFIs, and by their relative position vis-à-vis local power—social stratification is normally associated to increased inequalities reproducing marginality and ultimately poverty. In the final part of this article, our purpose is reconstructing the background to the current relationship between agrarian transformation and state formation, and contextualising the current Thermidorian situation in the longer view.

Agrarian Transformation and State formation in Ethiopia

25 The question of land has always been central to the Ethiopian project of state formation (Markakis, 2011). During the Imperial period (up to 1974) the provision of land grants to the military was the main mechanism through which the Abyssinian empire secured the control over the southern, western and eastern peripheries of the country. While this gave rise to a deeply exploitative system of landlord-tenant relations, the legacy of this controversial history of domination culminating in the subjugation of the societies over time incorporated into the Empire is still today one of the main facets of what the historiography defines as the Ethiopian “national question” (Turton, 2006). In the Imperial period this was reflected in a hierarchical system of distribution of political power along the lines of centre/periphery relations, at the heart of which lay the question of land redistribution. This question was partly fulfilled by the 1974 revolution, when the military junta known as Derg went to power through the political slogans “land to the tiller” and “Ethiopia First”. In 1975 the Derg regime implemented a radical project of land nationalisation that phased out the Imperial landed classes, and provided for the redistribution of the land through the newly established Peasant Associations. While for a few years the redistribution satisfied the needs of a land hungry peasantry, particularly in the lowland periphery of the country, the adoption of a rigid socialist economic model generated a new set of problems soon after (Clapham, 1988). The 1975 land reform had far-reaching consequences on the political and socio- economic relations in Ethiopian rural areas. Beside the socialisation of agricultural practices, it mandated that producer and service cooperatives to be set-up, the suppression of free market and private trade, and made space for Agricultural Marketing Corporations (Jemma, 2001). Whereas the economic impacts of the reform were disastrous, with declining productivity and increasing food shortages, from a political point of view the territorialisation of state rule in the rural milieu reached levels never experimented before. Since then, the Peasant Associations—later on

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known as kebele—became intimately tied to the party structure and a comprehensive system of political and socio-economic control of the rural areas was established throughout the country.

26 In the 1980s and 1990s land redistribution was a main aspect of the territorialisation of state rule through the ethno-nationalist revolutionary movements—most notably the TPLF—in the liberated areas of Ethiopia from the Derg. The TPLF implemented land redistribution in the areas that progressively went under its control, replacing Derg’s cadres with new officials loyal to the liberation movement.

27 In post-revolutionary Ethiopia, land policies have been reshaped according to the deconcentrated architecture of the Federal Republic. The 1994 Ethiopian Constitution, and the 1997 Land Law, empowers the National Regional States with the bulk of land administration prerogatives. In the 1990s the policy document guiding the government approach to rural development was the Agriculture Development-Led Industrialization Strategy (ADLI). Under ADLI, state support to smallholder agriculture is aimed at achieving the objective of national food self-sufficiency, which in the long run would also create the conditions for other sectors of the economy, particularly industry, to develop. Land policy is also a central aspect of the programme of decentralization implemented by the EPRDF since the 1990s. In the 1990s the implementation of decentralization entailed the territorialisation of state rule towards ethnically defined entities, reflecting the government priority of establishing or “giving a shape” to Ethnic Federalism. In the 2000s decentralization focused on the deconcentration of prerogatives and resources to the local administrative structures, through the so-called wereda-level decentralization. It is in this context—and after a turbulent political phase that saw in 2001 the purge of the TPLF’s “left-wing” and in 2005 the most controversial elections in the history of the country (Lefort, 2007)—that the 2005 Land Law provides for further deconcentration of prerogatives on land administration to the local administrative structures of the wereda and kebele, and establishes the conditions for a strategy of agricultural commercialisation that in the 1990s the EPRDF saw with scepticism.

28 The policy document outlining the new strategy for agricultural commercialisation is the 2010 GTP. In covering the years between 2010 and 2014, the GTP is the third poverty reduction strategy paper adopted by the after the Sustainable Development and Poverty Reduction Program (2002-2005) and the Plan for Accelerated and Sustained Development to End Poverty (2005-2010). Under the GTP the “agricultural strategy will direct on placing major effort to support the intensification of marketable farm products -both for domestic and export markets, and by small and large farmers” (GTP, 2010, p. 8). Large-scale commercial agriculture and commercialization of smallholder farming are equally supported, as the latter “will continue to be the major source of agricultural growth” (GTP, 2010, p. 8). Agricultural commercialisation is the main political priority for fast rural transformation, and towards making Ethiopia a middle-income country by 2025. Achieving food security through the direct support of the smallholder sector becomes a secondary, although not marginal, priority. Since the end of the 1990s another important pillar of the strategy for commercialisation is the Rural Land Registration Programme.

29 These reforms reflect a land policy framed around three main priorities. The first is commercialised agriculture by successful smallholders, some of whom manage to actually accumulate land through sharecropping, renting, and/or direct support.

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Second, large-scale commercial agriculture by means of involving the private sector is promoted on what the government defines as “unused land”. While the notion of “unused land” is largely constructed, “Land Banks” have been established at both Federal and Regional levels. Districts are required to provide a list of the “unused” land suitable for large-scale commercial agriculture, and then the Regional and Federal governments are in charge for allocation to private (foreign and domestic) investors and stipulate leases accordingly. The third priority is constituted by less successful farmers, whom are mainly targeted through food security initiatives. Agricultural extensions to these areas are provided through the Food Security Programme (FSP), which is composed of four main components: the Productive Safety-Net Programme (PSNP); the Household Asset Building Programme (HABP); the Complementary Community Investment (CCI); and the Resettlement component.

30 The strategy for agricultural commercialisation is nonetheless framed differently in different regions, revealing the tensions and contradictions inherent to the ongoing process of state formation. In the country’s “highland centre” and to some extent “highland periphery”, where smallholders constitute the main power base of the ruling party – and where the post-revolutionary narrative remains a meaningful legitimating discourse - the land policy is mainly driven by the first and third priorities.7 In the “lowland periphery”, where the state apparatus is less consolidated and often actively challenged – these regions having being incorporated in the ethnic federal structure mainly through a “passive revolution” - the government priority is mainly encouraging large-scale commercial agriculture by means of involving foreign and local private investors (Makki, 2012).

31 Contemporary agrarian transformations in Ethiopia reflect a dynamic of “glocalisation” to the extent that agricultural commercialisation is implemented by means of rescaling normative arrangements at supra-national level—through the selective involvement of global capital in large-scale commercialisation—as well as downwards to regions, wereda, and kebele—through the support to commercialised smallholders. The peculiarity of the Ethiopian case is that the land policy—and in the context of this article the agenda for commercialisation—is intimately connected to the project of state building, as it reflects the attempt of the ruling elite to institutionalise its power by means of the territorialisation of state rule in the rural milieu, and by an increasing involvement of global capital. In this paper we characterise this sequence as a Thermidorian situation, whereby in the eyes of the ruling elite sustaining fast agricultural growth through commercialisation is the only viable solution to sustain the country’s transformation in the long run. This reflects a fluid dynamic of post- socialist transition. Yet, the changing agenda for rural development from national food self-sufficiency to commercialisation shows that in the Ethiopian Thermidor, the ruling elite has not only an exclusive interest in preserving the power acquired during the revolution. Rather, political and historical conditions make the elite active in designing radical projects of rural transformation in order to fulfil the expectations raised by the revolutionary process. This is not without tensions and contradictions. The most important one, in the context of this paper, is the ambiguity of the project of rural transformation vis-à-vis the question of land. While maintaining a system of state ownership that guarantees the ruling party with greater leverage over land allocation, resource distribution and control of the countryside, agricultural commercialisation is underpinned by a project of social engineering with clear political objectives. This reflects an on-going dynamic of state formation to the extent that the negotiation of

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land and local resources becomes central to the constitution of citizenship in the rural areas. Yet, the rural space is fluid and constantly re-constructed by means of opposing, and often contradictory, normative frameworks. Liberal concerns about strengthening tenure security and sustaining market development by means of involving the private sector, intervene into a context where the state, and particularly the local administrative structures, has increasing powers over land and resources allocation. People negotiate the rural space by trying to validate their claims to land and natural resources through these overlapping, although sometimes incompatible, normative systems and, depending on their relative position vis-à-vis the local power, elaborate, challenge or contest the political project behind it.

Conclusion

32 The Thermidorian paradigm points at the need to understand the significance of contemporary processes of rescaling and glocalisation linked to agrarian transformations and the shift towards agriculture commercialization in light of the specificities of Ethiopia’s post-revolutionary historical trajectory. On the other side, the notion of glocalisation recalls the need to situate the analysis of the Thermidorian situation within the specificities of different Ethiopian regions and peripheries, where the post-revolutionary narrative enjoys different degree of political legitimacy and popular support. Taking into account both historical and geographical specificities allows to highlight the central role that agrarian transformations and land issues play in the process of state formation in Ethopia, influencing the asymmetrical power relationships between different scales, social and ethnic groups in the country.

33 The Ethiopian Thermidor results from the overlapping of two different revolutions, the one of the Derg and the one of TPLF, both addressing these issues with similar and diverging answers. Thus, this overlapping entails both elements of continuity and rupture between the two regimes in the reconfiguration of the rural space, through land management, agricultural policies and institutions like farmers’ cooperatives.

34 In contemporary post-revolutionary Ethiopia, the solutions offered by the Thermidorian elite to these issues are marked by a shift towards economic liberalisation and agricultural commercialisation. In theory, these policies imply a process of glocalisation in two directions: i) by opening for foreign investments in land and agriculture, especially in the country’s periphery, where the reach of the state is less comprehensive and smallholders do not constitute EPRDF main constituency; ii) by encouraging at local level farmers cooperatives and Micro and small enterprises, oriented towards agricultural commercialization. However, in the practice, these processes of glocalisation do not entail the loosing of influence and power by the central state in favor of global or local actors. On the contrary, in the name of the developmental state, these policies involve a reconfiguration of the government intervention in rural areas and the agricultural sector, resulting in an even stronger influence of the state. This is achieved trough the reactivation of rural institutions inherited from the previous regimes like cooperatives, the control of allegedly neutral and technical ones like MFIs or the promotion of new “neoliberal” ones, such as micro and small enterprises.

35 The tension between these two aspects of the same agrarian policy stems from the inherent contradiction featuring the economic liberalisation under the Ethiopian

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Thermidor. On one side, the Thermidorian elite aspires at transforming Ethiopia into a “mature capitalist system”, promoting economic liberalisation, adopting market oriented logics and acknowledging the role of the private sector. The material results of these endeavours are tangible in terms of structural economic transformation and social diversification. On the other side, the impact of these changes does not seem fully acknowledged by the oligarchy leading the EPRDF. The revolutionary ethos that still inspires them fails to fully recognize “the independecy and inertia of society” (Bayart, 2008), impling a role for the ruling party and the developmental state as political vanguard that should orient, lead and encadre the population and control the country resources towards the achievement of the desired developmental outcomes. Economic endeavours by private “glocal” actors are therefore accepted and supported as long as they fit in this schema and do not emerge as potential competitors to the government.

36 In the fast growing and “emerging” Ethiopia, economic considerations seem therefore subordinated to political and ideology imperatives. Thus, economic liberalisation under the Ethiopian Thermidor nurtures increasing aspirations on development, wealth and upgrade mobility by the population. At the same time, it compels citizens to comply with the decisions taken by an expanding state apparatus in order to see their claims to resources validated. This schizophrenia casts shadows on the effectiveness and sustainability of EPRDF economic policies, and ultimately on the political legitimacy of this development project, if we acknowledge its main ideologue, the late PM Meles: “I am convinced that we will cease to exist as a nation unless we grow fast and share our growth”.8

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NOTES

1. In 2001 an internal and rather obscure conflict between the oligarchy of former fighters leading the TPLF led to the purge of the most radical and left-wing component and to the consolidation of power within the inner circle of the Prime Minister and TPLF chairman Meles Zenawi (Taddesse and Young, 2003). In the political “renewal” that followed that event, EPRDF officially inspired its economic policies to the emulation of the Asian “developmental state” model, with an increased orientation towards market economy and the transformation of the country in a mature capitalist system. 2. The TPLF and the EPLF were allied in the armed struggle against the Derg, in the name of the autonomy of the bordering regions of Tigray and Eritrea. At the time, the latter was a province of Ethiopia and seceded at the end of the civil war, becoming an independent state in 1993. The EPLF became Eritrea’s ruling party, following a “thermidorian” trajectory parallel to the one of the TPLF (Pool, 2001). The legacy of the ambiguous relations between the two fronts during the armed struggle, and their unsolved ideological and personal disputes, were among the factors fuelling the Ethio-Eritrean war of 1999-2001 (Negash and Tronvoll, 2000). 3. Microfinance was first regulated by the Proclamation No. 40/1996, which provided microfinance institutions to be regulated by the National Bank of Ethiopia and to be owned by Ethiopian nationals only. The proclamation led to the establishment of the Association of Ethiopian Microfinance Institutions (AEMFI) in 1999. 4. The three main MFIs are the Amhara Credit and Saving Institution (ACSI), the Dedebit Credit and Saving Institution (DECSI) [Tigray], and the Oromia Credit and Savings Share Company (OCSSCO), altogether accounting for 74 % of the market share in terms of loan provision (Deribie et al., 2013). 5. Cooperatives in Ethiopia were first introduced in the 1960s during the Imperial period through two consecutive decrees, the Farm Workers’ Cooperative Decree No. 44/1960, and the “Cooperative Societies Proclamation No. 241/1966”. However, their function as a political instrument to mobilize the peasantry has to be contextualised in the reform of the local administrative structures during the Derg (Proclamation No. 138/1978), when the forced formation of producer cooperatives was implemented side by side with the establishment of Peasant Associations. In 1998 the EPRDF-led government enacted the Cooperative Society Proclamation No. 147/1998, which is the framework legislation ruling the cooperative system

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today, and providing for four cooperative levels: primary cooperatives, unions, federations, and a national cooperative league. While the organization of primary cooperatives varies from region to region, they normally serve one or several kebeles, whereas unions serve multiple weredas or an agricultural zone. 6. In West Arsi there is no evidence of agricultural MSEs until 2010. 7. Markakis (2011, p. 12-15) categorises centre-periphery relations by distinguishing between 'highland centre', 'highland periphery', and 'lowland periphery'. 8. Quoted in De Waal (2013).

RÉSUMÉS

L’article analyse les récentes politiques foncières mises en place par le gouvernement Éthiopien pour promouvoir la commercialisation agricole, dans la perspective de la trajectoire historique de formation de l’État Éthiopien et à partir du paradigme des « situations thermidoriennes » développé par Jean-François Bayart. L’idée d’un Thermidor Éthiopien éclaircit les stratégies originales et sélectives de libéralisation politique et économique adoptées par une élite postrévolutionnaire qui cherche à consolider son pouvoir à l’époque de la globalisation néolibérale. Les contradictions de ces stratégies pour ce qui concerne le foncier sont approfondies à travers l’étude des réformes de modernisation agricole, des coopératives agricoles, des institutions des micro-finances et des micro et petites entreprises agricoles dans la zone de West Arsi (région Oromia). Ces transformations agricoles sont caractérisées par une dynamiques sélective et incomplète de libéralisation, au nom du developmental state, et demeurent au cœur du processus de formation de l’État Éthiopien contemporain, à travers des processus de (re)configuration et (re)négociation des espaces et du pouvoir.

The article contributes to the debate about the historical trajectory of state formation in Ethiopia and, by employing the notion of Thermidorian Situation as developed by Bayart, discusses some recent shifts in the land policy towards agricultural commercialization. The Ethiopian Thermidor sheds light on the extent to which post-revolutionary elites since the 1990s have adopted selective and original strategies of political and economic liberalization to consolidate their power in the context of neoliberal globalization. The article’s main argument—that contemporary agrarian policies in Ethiopia are inherently contradictory—is elucidated through empirical details on recent reforms of agricultural extensions, cooperatives, micro-finance institutions (MFIs), and agricultural micro and small enterprises (MSEs) in the case study of West Arsi Zone (Oromia Region). The article concludes that the current agrarian transformation in Ethiopia, characterized by selective and incomplete dynamics of liberalization under the developmental state, remains by far central to the overall process of state formation and can be best described through unfolding patterns of (re)configuration and (re)negotiation of spaces and power.

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INDEX

Mots-clés : Éthiopie, formation de l’État, agriculture, terre, élites postrévolutionnaires Keywords : Ethiopia, state formation, agriculture, land, post-revolutionary elites

AUTEURS

DAVIDE CHINIGÒ Davide Chinigò, [email protected], is Research Fellow in “State, Plurality, Change in Africa", Centre for Historical and Political Studies on Africa and the Middle East Department of Political and Social Sciences Alma Mater Studiorum, University of Bologna, Italy

EMANUELE FANTINI Emanuele Fantini, [email protected], is Research fellow, University of Turin, Department of Cultures, Politics and Society. She published: - Fantini E., Puddu L., 2015, in press. Ethiopia and international aid: a history of high modernism, donors’ plurality, and exceptional measures. In Hagmann T., Reinters P. (eds.), Development without democracy. How foreign aid contributes to authoritarian regimes in Africa. Zed Books. - Fantini E., 2015, forthcoming. Crafting Ethiopia’s glorious destiny. Pentecostal and economic transformation under a developmental state. North East African Studies. - Fantini E., 2013. Transgression and acquiescence: the moral conflict of Pentecostals in their relationship with the Ethiopian State. PentecoStudies, Vol. 12, n. 2.

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Perspectives locales et globales pour la gestion des terres des régions montagneuses du Nord de l'Éthiopie

Jan Nyssen, Amaury Frankl, Jean Poesen, Amanuel Zenebe et Jozef Deckers

Les auteurs remercient les agriculteurs éthiopiens, les universités et administrations pour leur intérêt et pour leur coopération à la recherche, tout comme les collègues suivants pour les discussions fructueuses et contributions scientifiques (ordre alphabétique) : Alemtsehay Tsegay, Bart Muys, Biadgilgn Demissie, Dereje Teklemariam, Elise Monsieurs, Ellen Meire, Enyew Adgo, Etefa Guyassa, Gebeyehu Taye, Gebreyohannes Girmay, Hanne Govaers, Hanne Hendrickx, Hans Bauer, Henok Kassa, Ine Vandecasteele, Jan Moeyersons, Johan Van de Wauw, Jozef Naudts, Karen De Geyndt, Karen Vancampenhout, Kassa Amare, Kassa Teka, Katrien Descheemaeker, Kindeya Gebrehiwot, Kristine Martens, Kristine Walraevens, Liën Romeyns, Ludwin Poppe, Lys Moulaert, Mathias Vanmaercke, Mekete Dessie, Miro Jacob, Mitiku Haile, Neil Munro, Nigussie Haregeweyn, Paolo Billi, Raf Aerts, Romha Assefa, Sil Lanckriet, Silke Broidioi, Stefaan Dondeyne, Stéphanie de Mûelenaere, Tesfaalem Gebreyohannes, Tesfamichael Gebreyohannes, Tesfay Araya, Wim Clymans et Wim Cornelis. VLIR-UOS, FWO Flandres-Belgique, CIUF et le Fonds de Recherche Spécial de l’Université de Gand (Belgique) et NUFFIC (Pays-Bas) ont mis des ressources financières à la disposition des chercheurs.

Introduction

1 Depuis au moins trois millénaires, les paysages tourmentés du Nord de l'Éthiopie (illustration 1) ont été dégradés par l'agriculture. Comme les sols ne sont pas limoneux, et portent souvent une couverture pierreuse dense (Virgo et Munro, 1978 ; Nyssen et al., 2002), les profils du sol n'ont pas encore été entièrement tronqués par l'érosion généralement associée aux labours agricoles. Les pratiques agricoles sont bien adaptées à l'environnement : l'outil de labourage, l’araire ou mashrasha, a été développé pendant la période de haute technologie Axoumite ; les systèmes de culture s'adaptent harmonieusement aux chaînes (catena) de sols (Nyssen et al., 2008a), et les systèmes

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agricoles sont bien adaptés aux variations interannuelles des conditions pluviométriques (Frankl et al., 2013 ; Pietsch et Machado, 2014). Alors que, d'un point de vue technique et dans les conditions traditionnelles, l'adaptation agricole à la variabilité des sols et du climat est pratiquement optimale, la gestion des terres a depuis longtemps été entravée par l'inégalité d'accès aux terres (Lanckriet et al., 2015) et par un pâturage le plus souvent libre, y compris la vaine pâture. Dans cette synthèse, nous aborderons le passé et le futur de la gestion des terres dans le Nord de l'Éthiopie. Comment l'état des sols et des forêts a-t-il changé au cours du siècle dernier ? Quelles stratégies de gestion des terres pourraient être adoptées afin d'améliorer la production durable des ressources des sols, des eaux et des forêts ? Les agriculteurs éthiopiens ont démontré leurs qualités de bons gestionnaires individuels des terres, mais sont-ils à même d'être de bons planificateurs de l'utilisation des terres ? Quelle incidence cela a- t-il sur les moyens de subsistance de la population ? Les perspectives globales (changement climatique, mondialisation) seront également prises en compte.

Illustration 1- . Carte orohydrographique de l’Éthiopie du Nord avec indication des lieux cités dans le texte

Méthodologies de recherche

2 Au cours des trois dernières décennies, toute une gamme de méthodologies de recherche environnementale a été déployée dans les régions montagneuses du Nord de l'Éthiopie afin d'acquérir une meilleure compréhension des transformations du paysage, en mettant l'accent sur les processus, leurs vitesses et leur variabilité spatiale. Des prises de vue multi-spectrales par satellites, y compris des estimations de pluviométrie déterminées par la NOAA (Frankl et al., 2013), ont également été utilisées. Récemment, l'interprétation de plus de 350 photographies historiques de paysages éthiopiens, ainsi que de clichés représentant les mêmes paysages à l’heure actuelle ont permis de cartographier l'utilisation et le couvert des terres depuis la fin du XIXe siècle, et de développer des évolutions chronologiques décrivant le couvert végétal et la

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conservation des sols et de l'eau (Nyssen et al., 2014). La récupération des photographies aériennes italiennes de l'Ethiopie, réalisées en 1935-41, la reconstruction de la photogrammétrie utilisée à cette époque, et la fusion de ces résultats avec les images obtenues par télédétection, afin d'obtenir une analyse géomorphologique rétrospective (Frankl et al., 2015) ont constitué les dernières étapes de recherche.

La dégradation historique des terres en Éthiopie

3 Des études chronologiques menées dans le sud de l'Éthiopie, à l'origine densément couvert de forêts (Gobeze et al., 2009), mais où actuellement la déforestation se poursuit encore (Wood, 1993), montrent une très importante augmentation des pertes de sol au cours des dernières décennies. Certains résultats d'études paléo-environnementales indiquent que, dans les montagnes du Nord, le défrichement et la régénération de la forêt constituent un processus cyclique qui se produit depuis 3 000 ans (illustration 2 ; Eshetu et Högberg, 2000 ; Darbyshire et al., 2003 ; Lamb et al., 2007). Ces conclusions basées sur des études palynologiques sont en contradiction avec un paradigme encore largement accepté qui veut qu’« en 1900 (ou 1930, ou 1965, …), 40 % (ou 45%, ou 30%, …) de la superficie de l’Éthiopie (ou de l’Éthiopie du Nord, ou du Tigré, ou de l’Érythrée, …) était sous forêt. Suite à la démographie galopante (ou l’agriculture archaïque, ou l’ignorance des populations, …), il ne reste que 1 % (ou 0,5 %, ou 3 %, …) de ce couvert forestier ». Différents auteurs ont cherché la source de telles affirmations sans jamais en trouver la trace (Pankhurst, 1995 ; Wøien, 1995 ; Gascon, 1998 ; McCann, 1998 ; Ritler, 2003 ; Nyssen et al., 2004 ; Boerma, 2006 pour l’Érythrée). Au contraire, déjà en 1946, Logan estimait qu’au maximum 5 % des hauts plateaux éthiopiens étaient boisés. Prenant en compte le potentiel climatique et édaphique du couvert forestier en Éthiopie, 40 % correspondrait approximativement au couvert forestier au moment de l’introduction de l’agriculture (Von Breitenbach, 1961).

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Illustration 2 - Forêt de Juniperus âgée de 100 à 200 ans, à Kuskuam, près de Debre Tabor

Des marques de charrue sur de gros blocs rocheux, qui sont souvent en position de piédestal, indiquent que cette forêt de Juniperus âgée de 100 à 200 ans, à Kuskuam, près de Debre Tabor, s'est développée sur une terre agricole fortement érodée. La repousse forestière est également mise en évidence par l'arbre plus ancien et bien ramifié au centre de la photographie, qui autrefois poussait dans une zone ouverte. Auteur : J. Nyssen, juillet 2011.

4 Depuis les premières études réalisées par Hurni (1975, 1978, 1983) et Virgo et Munro (1978), de nombreuses études sur l'érosion en Éthiopie ont été menées. Les études sur des parcelles expérimentales par Herweg et Ludi (1999), SCRP (2000), Nyssen et al. (2009c) et Gebeyehu Taye et al. (2013) montrent des taux d’érosion très variables (0-200 t/ha/an) en lien avec la topographie et l’affectation des sols. Dans les zones caractérisées par une faible densité de structures de conservation du sol et de l'eau (SWC), les taux de pertes de sol sont de l'ordre de 10 t/ha/an à l'échelle du bassin versant et ont pour origine essentiellement (pour les 2/3) l'érosion en nappe et en rigoles (Nyssen et al., 2009a) (illustration 3). Concernant les bassins versants, Herweg et Stillhardt (1999), SCRP (2000), Nigussie Haregeweyn et al., (2008), Nyssen et al. (2009a), ou encore Vanmaercke et al. (2010) ont établi que le coefficient d’écoulement comme le transport de sédiments (exprimé en t/km/an) diminue avec la taille grandissante des bassins. Ceci est à relier au fait que dans des bassins plus larges, il existe de plus vastes plaines alluviales dans lesquelles beaucoup de sédiments sont déposés.

5 Les ravines de ruissellement étudiées par Nyssen et al. (2006) ; Daba et al. (2003) et Frankl et al. (2012) ont connu une expansion rapide. Des reconstructions environnementales nous montrent que depuis la fin du XIXe siècle, des ravines d'érosion étaient présentes, bien qu'elles apparaissent stabilisées sur des photos datant de 1935 ; une phase accentuée de ravinement a ensuite recommencé dans les années 1960 (Frankl et al., 2011). Des études de mouvements de masse par Moeyersons et al. (2008), et Van Den Eeckhaut et al. (2009) indiquent qu’il s’agit généralement de

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réactivations de glissements de terrain plus anciens, qui étaient bien plus larges et qui sont supposés dater d’une période présentant moins d’écoulement superficiel, comme avant l’introduction de l’agriculture il y a environ 3000 ans.

Illustration 3 - Erosion en rigoles (voir flèches) dans un champ à Wanzaye non loin du Lac Tana, au milieu de la saison de pluies de 2013

L’exploitant tente d’empêcher cette forme d’érosion en guidant l’eau de ruissellement vers un ravin, qui subira une expansion à son tour. Auteur : Elise Monsieurs.

6 En fonction du climat et de la topographie du lieu, la profondeur de la nappe phréatique saisonnière et les conditions hydrologiques, et par conséquent le ruissellement et la réponse en termes d'érosion du sol, peuvent varier (Tebebu et al., 2010 ; Monsieurs et al., 2015).

Conservation physique et biologique du sol

7 Les vitesses de ravinement et la densité de drainage décroissent depuis environ les années 2000, du fait de la croissance des actions de conservation du sol et de l'eau, et de l'amélioration du couvert végétal (Frankl et al., 2011). La fertilité du sol reste un enjeu, d’autant que les apports organiques sont systématiquement éliminés des terres agricoles du fait de la vaine pâture et de l'utilisation du fumier comme carburant (Kraaijvanger et Veldkamp, 2015). L'un des inconvénients des structures de conservation physique est par ailleurs leur contribution à la prolifération de certaines espèces de rongeurs (Nyssen et al., 2007 ; Meheretu Yonas et al., 2014).

8 En ce qui concerne le couvert forestier, même si le mythe d'un couvert forestier de 40 % vers 1900 a été démenti depuis dix ans (voir ci-dessus), la photographie répétitive a

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montré que vers la fin du XIXe siècle, les paysages étaient déjà au moins aussi arides qu'aujourd'hui (Nyssen et al., 2009b). Depuis 1975, le couvert arboré s'est cependant amélioré sur 90 % des paysages analysés (Nyssen et al., 2008b ; de Mûelenaere et al., 2014). Des terres anciennement communales ont été mises en défens (Aerts et al., 2009), à des fins de restauration de la forêt et de conservation des terres. La mise en place de ces « exclos » a été rendue possible par l'introduction d'une importante réforme de la propriété foncière au cours des années 1980. Il en résulte que d'importantes terres agricoles féodales situées aux fonds des vallées et dans d'autres zones planes ont été partagées avec les agriculteurs locaux, réduisant ainsi le besoin ressenti par les paysans pauvres d'établir des terres agricoles marginales sur les flancs des collines. En ces lieux, les « exclos » ont alors pu être établis après la réforme agraire (Dessalegn Rahmato, 1994 ; Lanckriet et al., 2015). Bien qu'elle ait été imposée par le pouvoir central, l'entrée en vigueur des mises en défens se fait plutôt de manière ascendante. La localisation, les surfaces, les règlements municipaux relatifs aux restrictions et à la gestion, ainsi que l'installation et le paiement de gardiens, sont généralement décidés au niveau de la communauté locale (Bedru Babulo et al., 2012). Globalement, les villageois participent de manière convaincante à la reforestation et à d'autres activités de conservation (Kumasi et Asenso-Okyere, 2011). La diffusion de l'eucalyptus reste un goulot d'étranglement pour la biodiversité : les bénéfices de la plantation de ces arbres se retrouvent essentiellement au niveau des agriculteurs individuels, alors que les effets environnementaux néfastes de cet arbre très consommateur d'eau sont supportés par les communautés (Selamyihun Kidanu et al. , 2005 ; Zenebe Mekonnen et al. , 2007 ; Tilashwork Chanie et al., 2013).

9 Les preuves de changements environnementaux, mises en évidence par 361 photographies jumelées, montrent que les conditions de la végétation boisée, du sol et des structures de conservation de l'eau et de la gestion de la terre, font apparaître une situation plus dégradée dès la fin du XIXe siècle qu'actuellement (illustrations 4a et 4b). Le couvert formé par les arbres indigènes est une exception notable : il a atteint un pic au cours des années 1930 (illustrations 5a et 5b), a ensuite diminué, puis a atteint un deuxième pic au début du XXIe siècle (Nyssen et al., 2014).

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Illustrations 4a et 4b – Vues au pied de l’Amba Fekada au nord d’Adigrat en 1868 et en 2008

Lorsque l’armée britannique, en campagne contre l’empereur Tewodros, établissait son camp au pied de l’Amba Fekada au nord d’Adigrat en 1868, il n’y avait pas d’arbres dans le paysage et le village de Fekada était déjà présent sur la basse colline à droite sur la photo. Depuis, le village s’est fortement étendu et des eucalyptus ont été plantés autour des maisons. Sur le piedmont de gauche des terrasses agricoles ont été établies. Nyssen et al. (2009b) présentent le contexte de ces photos historiques et une analyse semi-quantitative. Auteurs : Photographie historique © Kings Own Museum à Lancaster, Angleterre ; photographie de 2008 par J. Nyssen.

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Illustrations 5a et 5b – Vues autour de la falaise basaltique de Debar près de Maychew en 1936 et 2009

D’importants changements en affectation du sol et en couvert végétal ont eu lieu autour de la falaise basaltique de Debar près de Maychew. En 1936, des genévriers (Juniperus procera) éparpillés et rabougris étaient les témoins de la déforestation qui avait eu lieu. Dans la période après 1936, tous les arbres restants sur les terrains ondulants de l’avant-plan ont dû faire place à des terrains agricoles où des rideaux indiquent les limites parcellaires. Le couvert forestier a fort peu changé sur les pentes au pied de la falaise ; par contre les sommets ont été reboisés dans les années 1980 avec une forêt mixte Juniperus-Eucalyptus. Auteurs : Photographie historique Merla et Minucci, 1936 ; photographie de 2009 par J. Nyssen.

Les efforts de conservation et leurs effets sur la disponibilité de l'eau

10 La récupération de l'eau in situ et la construction de petits réservoirs ont fortement contribué à réduire les apports en sédiments (Nigussie Haregeweyn et al., 2008, 2013) et les coefficients de ruissellement (CR) à l'échelle du bassin versant, à faire croître les niveaux des nappes phréatiques (Nyssen et al., 2010; Gebremedhin Berhane et al., 2013), et à améliorer les conditions de vie, comme cela a également été signalé ailleurs en

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Afrique (Wildemeersch et al., 2015). Or, d'importantes différences de CR n'ont pas pu être mises en évidence entre les sous-bassins versants du bassin de Geba de 5000 km2, en raison vraisemblablement de la mise en place d'activités de conservation des sols et des eaux (CSE) dans tous les bassins (Amanuel Zenebe et al., 2013). Dans les cas de grandes reconversions forestières en particulier, telles que celle de la zone située en amont d'Alamata, ces effets apparaissent très nettement, surtout en termes de réduction des inondations en aval et des évolutions de la morphologie des chenaux fluviaux (i.e. profondeur et largeur) (Tesfaalem Gebreyohannes et al. , 2015). Des expériences d'agriculture de conservation en exploitation se sont révélées prometteuses, notamment en termes de diminution de la réponse en pertes de sols et en ruissellement (McHugh et al., 2007; Tesfay Araya et al., 2012). Il s'agit maintenant de trouver les moyens les plus adaptés pour intensifier l'agriculture de conservation à l'échelle de régions plus étendues. Cela nécessiterait de mener des travaux de recherche sur le partage des connaissances et la prise en charge entre agriculteurs. Hormis ces activités de conservation, l'Éthiopie a fortement investi dans les intrants agricoles, notamment en ce qui concerne les engrais et des semences de meilleure qualité. En conséquence, la production alimentaire totale est maintenant plus élevée qu'elle ne l'a jamais été. De plus, entre 2005 et 2010 la production céréalière par habitant était de 60 % supérieure à celle réalisée entre 1985 et 1990 (illustration 6).

Illustration 6 – Intensification agricole en Éthiopie

L'intensification agricole en Ethiopie est mise en évidence par les évolutions de la production céréalière (données recueillis depuis http://faostat.fao.org).

Mondialisation économique et gestion des terres

11 L'agriculture éthiopienne est partiellement intégrée au marché mondial. Le café est le principal produit d'exportation, et jusqu'au milieu des années 1970 la jouissance des terres, fréquemment basée sur le métayage, a permis l'accumulation et l'exportation de grands volumes de céréales (Holmberg, 1977 ; Koehn, 1979). Les tendances actuelles sont celles d'une forte croissance de l'exportation des fleurs et légumes, ainsi qu'une

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exportation en plein essor du khat (Al-Hebshi et Skaug, 2005), un narcotique léger dont la culture est très consommatrice d'eau (Almas et Scholz, 2006). L'acquisition des terres à grande échelle, en particulier en dehors des hauts plateaux (illustration 7), est actuellement le fait principalement de sociétés indiennes, chinoises, allemandes, et de la diaspora éthiopienne établie dans des pays riches (Dereje Teklemariam et al., 2015). Ce processus est-il semblable à celui de l'accaparement des terres qui se produisait jusqu'en 1975 sur les hauts plateaux, les deux tiers des terres étant alors entre les mains de l'Église et des propriétaires féodaux ? Malgré l'engagement du gouvernement à fournir des terres agricoles étendues, des études récentes indiquent que sur les 11,5 millions d'hectares de terres, à peine 2,5 millions ont été transférés à des investisseurs internationaux (MoA, 2012). Des observations in situ, par exemple dans la région de Benishangul-Gumuz, indiquent un faible niveau d'investissement dans ces terres qui sont encore souvent occupées par la forêt et utilisées par des communautés locales. Dans la plupart des projets, l'étude d'impact sur l'environnement, obligatoire, n'a pas été effectuée. Les investisseurs sont en concurrence avec les communautés locales non seulement pour les terres, mais aussi pour l'eau, et les communautés locales perçoivent peu d'avantages en termes d'emplois, de sécurité alimentaire ou d'infrastructure (Lavers, 2012 ; Dereje Teklemariam et al., 2015).

Illustration 7 - Ferme à capitaux étrangers, établie récemment près de Gublak dans le Benishangul- Gumuz

La savane arborée, traditionnellement soumise au brûlis annuel, a été remplacée par des champs de coton. Ici, l’exploitant a bien respecté une des clauses du contrat qui est de laisser 50 m de végétation naturelle le long du thalweg. Les travailleurs de la ferme viennent cependant de brûler ces bandes forestières dans le but de pouvoir récolter le miel des abeilles sauvages. Auteur : J. Nyssen, janvier 2015.

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Changement climatique mondial

12 Le chapitre concernant l’Afrique du récent rapport du GIEC (Niang et al., 2014) précise que la température de l’air a augmenté sur tout le continent africain durant le XXe siècle et qu’elle augmentera d’au moins 2 °C vers la fin du siècle (Funk et al., 2012 ; Conway et Schipper, 2011). Les changements anticipés en précipitations sur le continent sont variables, mais les hauts plateaux éthiopiens sont explicitement mentionnés dans le rapport du GIEC comme une région pour laquelle les projections indiquent une augmentation probable des précipitations et des précipitations extrêmes vers la fin du XXIe siècle (de Wit et Stankiewicz, 2006 ; Moise et Hudson, 2008 ; Shongwe et al., 2011 ; Lanckriet et al., 2012). Des observations ponctuelles sur les flancs du Ferrah Amba (12.86 °N, 39.489 °E) indiquent que ce phénomène conduit déjà à un déplacement en amont de la frontière agro-climatique pour le blé. L'impact du réchauffement climatique sur la limite forestière supérieure devra être distingué de l'influence de l'occupation humaine près des zones afro-alpines (Jacob et al., 2015). Le rapport du GIEC insiste beaucoup sur les conséquences des changements anticipés pour les systèmes de production agricoles en Éthiopie et cite à plusieurs reprises en exemple les programmes d’adaptation mis en place dans ce pays (Zerihun Berhane et Prowse, 2013 ; Heltberg et al., 2009 ; Belay Simane et al., 2012). Une augmentation importante de la réponse en ruissellement (et par conséquent la densité de drainage et de l'érosion des sols) est attendue dans les zones d’openfield du Nord de l'Éthiopie (de Wit et Stankiewicz, 2006 ; Lanckriet et al., 2012). L’hydrologie sera fortement affectée dans le bassin du Nil (Tazebe Beyene et al., 2010 ; McCartney et Michael Menker, 2012). En outre, le volume plus important des eaux de ruissellement pourrait être plus favorable aux cultures irriguées sur les terres basses, notamment dans les grabens marginaux de la vallée du Rift.

Illustration 8 – Changements environnementaux

Entre 1995 et 2011 la végétation secondaire a fortement repoussé sur ce terrain calcaire près de May Makden. Il s’agit ici d’un « enclos » saisonnier où la coupe du bois est interdite, mais la pâture autorisée pour les bœufs dans les mois précédant les labours. De tels changements environnementaux sont, au Tigré, plutôt la règle que l’exception. Auteurs : photographie 1995, F. Dramis ; photographie 2011, A. Frankl.

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Conclusions et perspectives

13 L'Éthiopie du Nord est bien visible sur la carte mondiale lorsqu'il s'agit des recherches portant sur les ressources environnementales et la mise en œuvre d'une gestion durable des terres (GDT – Mitiku Haile et al., 2006). Les piliers de la GDT se basent sur la bonne connaissance que les agriculteurs ont de leur environnement biophysique, et incluent le développement forestier dans les zones critiques (Descheemaeker et al., 2006, 2009) (illustration 8) sur des surfaces suffisamment grandes, comme cela a été mis en évidence par des modifications spectaculaires de l'utilisation des terres qui se sont produites sur l'escarpement de la vallée du Rift. Les activités de conservation des sols et de l'eau augmentent également les infiltrations lors d'orages brefs mais intenses, et améliorent la situation en ce qui concerne les inondations, l'érosion des sols et les eaux souterraines. Le régime foncier actuel, qui cherche à établir une meilleure équité au niveau de la propriété foncière, privilégie la solidarité entre agriculteurs pour ce qui concerne les activités de gestion des bassins versants communaux (Kumasi et Asenso- Okyere, 2011). Toutes ces mesures font partie d’une approche globale qui a permis de fortement augmenter les récoltes.

14 D'un point de vue conceptuel, il est important d'avoir une bonne compréhension du bilan hydrologique. Par ailleurs, pour les processus relatifs aux nutriments, aux sédiments et aux eaux, il est important de comprendre quelles en sont les sources et les puits à diverses échelles spatiales. Ces principes sont à la base d'une mise en œuvre réussie des activités de gestion des bassins versants au Nord de l'Éthiopie. À cet égard, l'impact de la gestion du bassin versant de May Zeg-zeg à Hagere Selam a pu être suivi de près (Nyssen et al., 2009a; Walraevens et al., 2009; Nyssen et al., 2010) (illustration 9) et des scénarios de développement futur ont pu être élaborés (Lanckriet et al., 2012), comprenant notamment le développement de mesures de conservation in situ, telles que l’agriculture de conservation.

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Illustration 9 - Aménagement du bassin versant subhumide de May Zeg-zeg (Tigré)

Les tranchées cloisonnées présentes à l'arrière des murets de pierre augmentent les infiltrations et diminuent le ruissellement dans le bassin versant. Auteur : K. Herweg, mai 2005.

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RÉSUMÉS

Cet article de synthèse s'intéresse au passé et au futur de la gestion des terres en Éthiopie, mettant l'accent sur la partie Nord du pays. Comment l'état des sols et des forêts s'est-il modifié au cours du siècle dernier ? Comment ces modifications affectent-elles les moyens de subsistance de la population ? A la fin du XIXe siècle, il existait déjà des ravines de ruissellement au Nord de l'Éthiopie, bien que celles-ci se soient stabilisées vers 1935. Dans les années 1960, une recrudescence de ravinements s’est manifestée. Depuis environ 2000, les vitesses d'érosion décroissent de nouveau, en liaison avec une augmentation des activités de conservation et une couverture végétale améliorée. Par conséquent, la production totale de céréales en Éthiopie est désormais plus élevée que jamais, et la production par habitant entre 2005 et 2010 s'est élevée de 60 % par rapport à celle observée entre 1985 et 1990. On assiste actuellement à l’augmentation des exportations de fleurs et de légumes, ainsi qu'à l’essor de l’exportation d'un narcotique doux, le khat, qui nécessite de grandes quantités d'eau. Les transactions foncières internationales, qui par ailleurs stagnent bien en deçà des objectifs initiaux, n'ont pas apporté d'amélioration aux moyens de subsistance des populations locales.

This article considers past and future of land management in Ethiopia, focusing on the northern part of the country. How did soils and forests change over the last century? How do these changes affect the means of subsistence of the population? At the end of the 19th century, there were already gullies in northern Ethiopia, although these had been stabilized around 1935. In the 1960s a reactivation of gullies has occurred. Since about 2000, erosion rates decrease again, in conjunction with an increase in conservation activities and improved vegetation cover. As a result, the total production of cereals in Ethiopia is now higher than ever, and production per capita for 2005-2010 rose by 60% as compared to 1985-1990. Currently there is an increase of exportations of flowers and vegetables, as well as a strong increase in the export of the mild narcotic khat, which requires large amounts of water for growing. International land transactions, which stagnate well below the initial objectives, have not brought improvement to the livelihood of local populations.

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INDEX

Mots-clés : érosion des sols, transactions foncières internationales, production céréalière, dégradation des terres Keywords : soil erosion, international land transactions, cereal production, land degradation

AUTEURS

JAN NYSSEN Jan Nyssen, [email protected], est Professeur au Département de Géographie de l’Université de Gand, Belgique. Il a publié récemment : - Jacob M., Frankl, A., Beeckman H., Gebrekidan Mesfin, Hendrickx M., Etefa Guyassa, Nyssen J., 2015. North Ethiopian afro-alpine treeline dynamics and forest cover change since the early 20th century. Land Degrad. Develop., online early view. - Lanckriet S., Derudder B., Naudts J., Bauer H., Deckers J., Mitiku Haile, Nyssen J., 2015. A political ecology perspective of land degradation in the North Ethiopian Highlands. Land Degradation and Development, online early view. - Nyssen J., Frankl A., Mitiku Haile, Hurni H., Descheemaeker K., Crummey D., Ritler A., Portner B., Nievergelt B., Moeyersons, J., Munro R.N., Deckers J., Billi P., Poesen J., 2014. Environmental conditions and human drivers for changes to north Ethiopian mountain landscapes over 145 years. Science of the Total Environment, 485–486 (164-179).

AMAURY FRANKL Amaury Frankl, [email protected], est Docteur-Assistant au Département de Géographie, Université de Gand, Belgique. Il a publié récemment : - Frankl A., Deckers J., Moulaert L., Van Damme A., Mitiku Haile, Poesen J., Nyssen J., 2015. Integrated solutions for combating gully erosion in areas prone to soil piping: innovations from the drylands of Northern Ethiopia. Land Degradation & Development, online early view. - Frankl A., Seghers V, Stal C., De Maeyer Ph., Petrie G., Nyssen J., 2015. Using image-based modelling (SfM-MVS) to produce a 1935 ortho-mosaic of the Ethiopian Highlands. International Journal of the Digital Earth, online early view. - Frankl A., Nyssen J., De Dapper M., Mitiku Haile, Billi P., Munro R.N., Deckers J., Poesen J., 2011. Linking long-term gully and river channel dynamics to environmental change using repeat photography (North Ethiopia). Geomorphology, 129 (3-4), p. 238-251.

JEAN POESEN Jean Poesen, [email protected], est Professeur au Département des Sciences de la Terre et de l'Environnement, KU Leuven, Belgique. Il a publié récemment : - Monsieurs E., Poesen J., Mekete Dessie, Enyew Adgo, Verhoest N., Deckers J., Nyssen J., 2015. Effects of drainage ditches and stone bunds on topographical thresholds for gully head development in North Ethiopia. Geomorphology, 234, p. 193-203. - Vanmaercke M., Poesen J., Broeckx J., Nyssen J., 2014. Sediment Yield in Africa. Earth Science Reviews, 136, p. 350-368. - Getahun K., Van Rompaey A., Van Turnhout P., Poesen J., 2013. Factors controlling patterns of deforestation in moist evergreen Afromontane forests of Southwest Ethiopia. Forest Ecology and Management, 304, p. 171-181.

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AMANUEL ZENEBE Amanuel Zenebe, [email protected], est Chargé de Cours au Département de la Protection des Ressources Terrestres et de l'Environnement à l’Université de Mekelle, Ethiopie. Il a publié récemment : - Amanuel Zenebe, Vanmaercke M., Poesen J., Verstraeten G., Nigussie Haregeweyn, Mitiku Haile, Kassa Amare, Deckers J., Nyssen J., 2013. Spatial and temporal variability of river flows in the degraded semi-arid tropical mountains of northern Ethiopia. Zeitschrift für Geomorphologie, 57(2), p. 143-169. - Habtamu Temesgen, Nyssen, J., Amanuel Zenebe, Nigussie Haregeweyn, Mengistie Kindu, Mulugeta Lemenih, Mitiku Haile, 2013. Ecological succession and land use changes in a lake retreat area (Main Ethiopian Rift Valley). Journal of Arid Environments, 91, p. 53-60. - Vanmaercke, M., Amanuel Zenebe, Poesen, J., Nyssen, J., Verstraeten, G., Deckers, J., 2010. Sediment dynamics and the role of flash floods in sediment export from medium-sized catchments: a case study from the semi-arid tropical highlands in northern Ethiopia. Journal of Soils and Sediments, 10(4), p. 611-627.

JOZEF DECKERS Jozef Deckers, [email protected], est Professeur au Département des Sciences de la Terre et de l'Environnement, KU Leuven, Belgique. Il a publié récemment : - Mekonen Teferi, Declerck S., De Bie T., Lemmens P., Abraha Gebrekidan, Tsehaye Asmelash, Tadesse Dejenie, Kindeya Gebrehiwot, BauerH., Deckers J., Snoeks J., De Meester L., 2014. Strong effects of occasional drying on subsequent water clarity and cyanobacterial blooms in cool tropical reservoirs. Freshwater Biology, 59, p. 870-877. - Lenaerts L., Breusers M., Dondeyne S., Bauer H., Mitiku Haile, Deckers J., 2014. 'This pasture is ours since ancient times': An ethnographic analysis of the reduction in conflicts along the post-1991 Afar-Tigray regional boundary. Journal of Modern African Studies, 52, p. 25-44. - Meheretu Yonas, Sluydts V., Kiros Welegerima, Bauer H., Mekonen Teferi, Gidey Yirga, Mulungu L., Mitiku Haile, Nyssen J., Deckers J., Makundi R., Leirs H., 2014. Rodent abundance, stone bund density and its effects on crop damage in the Tigray highlands, Ethiopia. Crop Protection, 55, p. 61-67.

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Armanya : l’oignon, le masho, la bonne, le « koulak » et le prolétaire

René Lefort

Du « poor farmer » au « model farmer »

1 À première vue, c’est un village – désormais un bourg avec ses 2 000 habitants environ – comme tous ceux qui peuplent le haut plateau amhara1. À quelque deux cents kilomètres au nord-est d’Addis-Abeba, le kebele2 dont il est le chef-lieu s’étage au long de la cassure qui mène des hautes terres du plateau abyssin à la dépression afar. Plutôt moins pauvre que la moyenne : il n’est pas, et il n’était pas, éligible à l’un des programmes d’assistance, dont le fameux Productive Safety Net Programme3. Il abrite une école primaire récemment agrandie, un impressionnant centre de santé tout neuf et une nouvelle gendarmerie : le « Developmental state » éthiopien prouve une fois de plus son efficacité à construire des infrastructures, notamment pour l’éducation et la santé4. La coopérative, dont la principale fonction est d’approvisionner les paysans en engrais, est toute proche du bureau des trois inévitables « agents de développement » (culture, bétail, environnement). Mais Armanya5 a une particularité : une grande route le traverse, celle qui va d’Addis-Abeba aux régions nord-est du Wollo puis du Tigray. L’ouverture qu’elle offre sur l’Éthiopie et, au-delà, sur le monde, a révolutionné l’économie, la société, la structure politique, à plus forte raison après que le régime a décidé de changer radicalement de cap, au tout début des années 20006.

2 Voilà seulement une douzaine d’années, Armanya continuait sur la lancée de la réforme agraire de 1975, mise en place par le régime précédent – la junte « socialiste » du Derg -. Dès ses débuts, elle avait matérialisé le mot d’ordre « land to the tiller » et donc décapité la noblesse terrienne et annulé l’emprise foncière de l’Église. En 1997, six ans après leur prise de pouvoir7, les nouvelles autorités décidaient une autre redistribution des terres en région amhara, dans un double but, économique et politique. Ceux qui étaient trop jeunes pour avoir bénéficié de la précédente, désormais adultes, recevaient ainsi leur juste part de terre. En contrepartie, le pouvoir misait sur eux pour bâtir une nouvelle assise rurale. À l’opposé, l’élite traditionnelle était subrepticement dépossédée,

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ouvertement vilipendée et constamment ostracisée au motif qu’elle avait monopolisé les fonctions officielles au temps du Derg8. D’où son surnom de birokrasi.

3 Quoi qu’il en soit, l’homogénéité et l’isolement étaient les traits majeurs de ce monde rural. Peu ou prou, tous cultivaient des superficies du même ordre de grandeur – un hectare environ9-, les mêmes produits essentiellement auto-consommés, avec les mêmes méthodes, mis à part une poignée de commerçant en grains, également prêteurs, et une douzaine de fonctionnaires, dont les instituteurs. On vendait au marché hebdomadaire quelques surplus locaux pour acheter du sel, du pétrole pour la lampe, des allumettes, un short ou une chemise. La seule télévision trônait dans la gargote la plus fréquentée. Le mot d’ordre national était l’autosuffisance alimentaire de chaque foyer, la cible le « poor farmer », que l’accroissement de sa productivité devait conduire dans un pays de Cocagne. « In the villages, the houses will be chic and modern. Each dwelling will have electric power, telephone and running water… modern beds, chairs, tables and other household utensils. They will all have radio, television and modern electronic instruments »10.

4 Peine perdue : la productivité stagnait, les urgences alimentaires se perpétuaient. En même temps, le pays affrontait successivement deux profondes crises politiques. En 2001, une partie de la direction historique était expulsée du TPLF, suivie par une cohorte de responsables et militants, accusées de « gauchisme ». En 2005, le régime prenait une retentissante claque électorale, totalement inattendue, pour laquelle la birokrasi avait joué un rôle décisif en région amhara. Il ne s’en sortait que par la fraude et la répression. La combinaison de ces deux chocs allait conduire à un virage économique à 180 degrés complètement imbriqué dans une refondation politique. La survie de l’Éthiopie ne pourrait passer que par l’économie de marché et l’insertion dans la compétition mondiale. Pour l’agriculture en particulier – un peu moins de la moitié du PIB et les 4/5èmes de la population active -, la stratégie « pro-poor », qui revenait à « détacher les paysans de la commercialisation » aurait été erronée. Il fallait désormais « se concentrer sur l’économie de marché en tant que centre des activités rurales ». Le moteur de la croissance agricole ne serait plus le « semi-subsistance small farmer » mais « l’initiative privée » de celui capable de « to intensify marketable farm products ». Ce segment supérieur, promu « fermier modèle », était enrôlé, de gré ou de force, dans le parti quasi unique pour devenir la nouvelle base politique du régime dans les campagnes. En échange, il recevrait toute l’attention et tout le soutien de la puissance publique. La masse des agriculteurs était, de fait, plus ou moins abandonnée à son sort, en clair aux lois du marché11.

La « révolution de l’oignon »

5 Dire que les « model farmers » ne voyaient aucun intérêt à cette promotion serait un euphémisme. Ils étaient viscéralement opposés à un régime qui les avait spoliés en 1997 et passait son temps à les clouer au pilori. Ils jugeaient que la structure mise en place pour le développement agricole n’était qu’une lourde entrave, tout comme leur appartenance forcée au quasi parti unique, avec comme corollaires de l’une et de l’autre des réunions aussi inutiles qu’interminables et fréquentes. Bref, ils adhéraient au credo du paysan éthiopien depuis des lustres : plus on se tient à distance du pouvoir, plus on échappe à son oppression et à sa prédation.

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6 Ce n’est d’ailleurs pas par son intermédiaire qu’Armanya a connu sa première révolution agricole depuis l’introduction des engrais. À quelques dizaines de kilomètres en contrebas, au bord de la rivière, existait une forte tradition de maraîchage, et en particulier de la culture intensive de l’oignon. Un premier paysan a essayé, ses voisins l’ont observé, ils se sont lancés à leur tour, en bref le bouche à oreille et l’observation directe ont conduit cette culture à se répandre comme une traînée de poudre. Mais dans une enquête effectuée alors, tous les paysans qui s’y adonnaient affirmaient ne pas avoir reçu la moindre aide ou conseil des agents de développement en ce domaine12.

7 Cette première culture de rente était hautement profitable, même si sa multiplication en a fait baisser les revenus. Compte tenu de la forte intensité de main d’œuvre nécessaire, un foyer en cultive en général entre 1/16ème et 1/8ème d’hectare. À la vente, le rapport pour cette surface se situe entre deux cents et quatre cents dollars. Soit, à superficie égale, quatre fois plus que pour la céréale la plus chère.

8 Les effets de ce boom sautent aux yeux. Au temps de la récolte, tous les jours en fin d’après-midi, des groupes de dromadaires affluent devant les marchands - ils ne sont désormais pas loin d’une trentaine - avec leur charge de 200 à 250 kilos contre 50 kilos au maximum pour un âne. On n’en voyait jamais auparavant. Les paysans des basses terres ont saisi l’opportunité de s’employer comme transporteurs grâce à leurs animaux de bât. Une dizaine, parfois une vingtaine de camions attendent leur chargement. La nuit tombée, ils partiront jusqu’à Addis-Abeba ou tout au Nord, Mekelle, la capitale du Tigray.

Le masho, « l’or vert »

9 La deuxième révolution dans les cultures de rente est toute récente : elle date de quatre ans. Le président du kebele, aussi énergique que redouté, a appris l’existence du masho, le haricot mungo, et comment le cultiver, lors d’un stage de formation. Ils sont réservés en général aux agriculteurs les plus performants et organisés par les services publics de développement agricole. Cette plante, qui ressemble à une petite lentille vert clair, n’était ni connue, ni cultivée, ni consommée en Éthiopie. Elle avait fait son apparition dans le Wollega, le Wollo, le Tigray. Son principal marché se situe en Asie occidentale et, un peu, dans la Péninsule arabe. En faisant visiter son champ expérimental, le président était aux anges, criant à qui voulait l’entendre : « c’est de l’or vert » !

10 La suite lui a donné raison. Le masho présente tous les avantages. Il se cultive à la petite saison des pluies, à cheval sur la fin de l’hiver et le début printemps, quand auparavant les paysans ne tiraient de cette récolte qu’environ le dixième de leur production annuelle. Il n’exige qu’un seul passage d’araire, contre jusqu’à six ou sept pour la céréale locale la plus appréciée, le teff. Il n’est pas gourmand en engrais, apporte du fourrage et nourrit le sol en azote. Avec un rendement de 4 à 6 quintaux à l’hectare et un prix de vente, au printemps 2014, autour de 125 dollars le quintal, la petite récolte peut ainsi rapporter environ 600 dollars par an et par hectare. À supposer qu’un paysan sème pour la grande récolte la même surface uniquement de teff, la céréale la plus rentable – ce qu’il ne fera jamais, pour minimiser les risques -, la valeur de celle-ci serait d’environ 700 dollars. En clair, le masho permet un quasi doublement de la valeur de la production paysanne.

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11 Il s’est répandu à une vitesse foudroyante. Au mois de mars 2014, pratiquement tous les champs en étaient couverts. Les paysans aiment à dire : « quand on a vendu son masho, on est tellement content qu’on a envie d’offrir une bière à son âne ! ».

Les « Américains »

12 Ils sont les enfants de ces deux révolutions. Ils paradent, casquette à l’envers, tee-shirt flashy, lunettes de soleil genre Ray Ban. Ils fument, ce qu’aucun paysan ne fait. Ils sont les piliers des gargotes du village, où ils boivent et mangent à satiété presque quotidiennement, ce que même un paysan « riche »13 ne se permet pas.

13 Ils étaient, au départ, totalement désœuvrés. Enfants de fermiers pauvres, sans terre, ou de femmes chefs de foyer, originaires en général des confins du kebele et même de kebele assez éloignés, peu ou pas du tout éduqués, ils faisaient partie de ces masses de jeunes qui, comme on le dit en Algérie, passaient leur journée à « tenir les murs » (voir plus loin la partie sur les prolétaires).

14 La formation de ce groupe est venue de l’initiative du chef de la police du village. Comme toutes les autorités locales, sa hantise est – et reste - que des jeunes, chômeurs et/ou sans terre ne créent des « troubles ». L’embauche pour le chargement de chaque camion dégénérait en bagarres. Le chef décida donc d’y mettre de l’ordre. La sélection s’est faite informellement, parmi ceux qui étaient les plus débrouillards et savaient le mieux jouer des coudes. Ils sont désormais 43, pas un de plus, pas un de moins, à en avoir le monopole. Ils ont nécessairement dû devenir membres du Parti même si, pour dire le moins, ils ne manifestent pas un militantisme acharné. Ils se sont cooptés, et s’auto organisent pour se répartir le travail, payés à la tâche : 0,15 dollars par sac transporté. En complément, ils vont de temps à autre donner un coup de main dans l’exploitation familiale – quand elle existe -, ou s’emploient comme journalier. Si les villageois ne les situent pas bien haut dans l’échelle sociale, les « Américains » - leur surnom – tiennent, au sens littéral, le haut du pavé. Leurs revenus sont certes irréguliers mais bien peu les égalent, hormis les marchands et les paysans les plus « riches ». Ils forment une sorte d’aristocratie des travailleurs occasionnels ; ils sont les rois du « petit boulot ».

Les « housemaids »

15 Les « Américains » ont leur pendant féminin. Elles aussi remontent et descendent la grande route, mais bras dessus bras dessous, regardant à la dérobée si elles font bien leur effet. Elles sont devenues plus qu’à l’aise, et le montrent : des vêtements neufs et chatoyants, loin des robes longues et ternes de la plupart des femmes, des bijoux en or – ou qui y ressemblent -, un maquillage prononcé, des coiffures apprêtées…

16 Ce mouvement de migration féminine temporaire a commencé voilà une dizaine d’années, essentiellement vers les pays du Golfe, un peu vers le Liban. Presque toujours légal, il touche essentiellement la tranche d’âge des 20-35 ans. Les contrats sont habituellement de deux ans, après lesquels ces femmes retournent quelques semaines au bourg puis repartent. L’élasticité de la structure familiale permet qu’elles n’aient aucune difficulté à confier leurs enfants à des parents, proches ou lointains. Les salaires mensuels, autour de 200 dollars, sont mirobolants à l’aulne locale : seul un paysan très

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« riche » peut prétendre à un revenu équivalent. Elles n’ont donc aucune peine à faire des émules.

17 Combien d’entre elles sont hors du bourg à un moment donné ? Les autorités locales parlent de 50 à 100, sur une population totale qu’elles estiment à 6 00014. Et lorsqu’on interroge une douzaine de ces femmes sur la dureté de leur emploi – en général douze heures par jour, six jours par semaine, le plus souvent sans pouvoir sortir de la maison pendant des mois -, toutes répondent avec une teinte de stupéfaction : « parce que vous ne voyez pas que c’est pire ici ? Et en plus on ne gagne rien ! ». Volonté de faire bonne figure ? Ou réponse sincère, tant les multiples tâches des femmes sont exténuantes ?

Les « koulaks »

18 La «birokrasi » a pris sa revanche. Plus éduquée, souvent plus innovatrice et entreprenante, elle a joué à plein de son capital social, à peine entamé, et de la survalorisation des « fermiers modèles » par les autorités, pour tirer le meilleur parti de ces révolutions agricoles.

19 Forte de sa réputation de « strong farmer», c’est vers elle que se sont tournés en priorité les personnes âgées, les veuves, les malades, les femmes dont le mari était parti tenter sa chance en ville, pour tirer le profit maximal d’un lopin de terre qu’ils ne pouvaient cultiver. Ils l’ont loué ou mis en métayage. Ces « strong farmers » ont ainsi obtenu un premier agrandissement de leurs exploitations et, du même coup, quelques économies en liquide. Parallèlement, la décision des autorités de ne plus procéder à une redistribution des terres, la croissance démographique, les divisions par héritage, conjuguées à l’absence totale de nouvelles terres à défricher, ont multiplié le nombre des paysans potentiels mais sans terre ou de paysans possédant une parcelle beaucoup trop petite pour en vivre : ceux qui avaient moins de dix-huit ans en 1997 ont été exclus de la dernière redistribution agraire ; ils sont désormais adultes. Soit ils ont mis ces parcelles en métayage ou en location, soit ils ont tenté de les exploiter mais, souvent, pour finir par sombrer dans la spirale de l’endettement. Pris à la gorge, ils ne pouvaient se tourner que vers ces « cumulards », les seuls dotés des moyens de payer comptant la location de leur lopin ou de leur permettre de rembourser leur dette. De 1997 à aujourd’hui, certains de ces nouveaux « koulaks » ont ainsi multiplié par quatre à cinq la superficie de leur exploitation.

20 À première vue, rien ne les distingue d’un paysan ordinaire. Sauf le téléphone portable, le symbole de leur réussite, qu’ils exhibent en le tenant à la main même s’ils ne peuvent guère l’utiliser à cause de la faible couverture du réseau. Ils ne partagent ce signe ostentatoire qu’avec les fonctionnaires et les marchands. Mais fortune faite grâce à l’agriculture – à l’échelle du bourg –, ils s’en détournent pour investir dans un secteur beaucoup plus rentable, moins risqué et infiniment moins pénible : le tertiaire. Leurs investissements ne vont plus à l’extension de leur exploitation, mais au petit commerce, l’ouverture d’un moulin, l’achat d’un minibus de passagers, et surtout l’immobilier. Ils agrandissent leur maison de deux ou trois chambres qu’ils louent soit à des fonctionnaires, soit, surtout, à des jeunes. Ceux-ci s’y entassent à trois ou quatre, venus tenter leur chance au bourg et/ou fuyant le foyer familial, survivant d’un « petit boulot »15.

21 Cet enrichissement conduit à la formation de ce qui s’apparente à une classe moyenne supérieure rurale, bien plus nombreuse que son équivalent urbain et pourtant

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largement ignorée. Son succès économique réaffirme son ascendant social, d’autant que les autorités locales ne cessent de monter celui-là en épingle auprès de la masse de ceux qui restent très loin en arrière. Elle a aussi repris pied dans le pouvoir politique local – formellement du moins – puisqu’elle monopolise les postes subalternes de direction du parti, jusqu’au plus bas niveau de l’encadrement de la population, l’unité de cinq foyers, et ceux du conseil municipal, même s’il ne se réunit jamais. Les autorités sont en passe de réussir leur pari. La connivence entre ces nouveaux koulaks et les autorités locales est de plus en plus étroite. Entre autres, elle pèsera décisivement lors des élections à venir, car ils sont plus que jamais les « faiseurs d’opinion ».

Les prolétaires

22 En période de grands travaux agricole, au lever de jour, une centaine de femmes et d’hommes sont rassemblées au bord de la grande route, dans l’espoir d’une embauche pour la journée. « On nous choisit comme des bêtes », disent-ils. Cette massification du travail précaire était inimaginable voilà quelques années. Le travailleur journalier existait, bien sûr, mais s’employait via des liens de parenté ou de voisinage, soit dans le cas le plus fréquent d’une entraide réciproque, soit de bouche-à-oreille, entre un fermier « riche » et un paysan voisin « pauvre » ou sans terre. Ceux qui s’y adonnent sont rarement jeunes – n’importe quoi plutôt qu’un travail agricole, le plus déconsidéré -, et souvent des femmes, en majorité des mères célibataires ou des veuves. Cependant, dans les périodes où beaucoup de bras sont requis pour travailler en urgence, les salaires peuvent être très élevés à l’échelle du pays, jusqu’à 5 dollars par jour lors de la moisson d’automne de 2013. Les femmes perçoivent moins.

23 L’auteur a tenté de mesurer ce phénomène en cherchant à évaluer en 2013 la proportion de « chômeurs » parmi les jeunes hommes (de 16 à 30 ans). Il est parti de leur propre définition de cette situation : celui qui ne peut pas vivre de façon autonome et à plus forte raison fonder un foyer parce qu’il n’a pas de travail, ou un travail trop précaire, ou qu’il n’a pas de terre, ou trop peu. Par trois voies différentes, l’auteur est arrivé au même ordre de grandeur : les trois quarts de cette tranche d’âge sont « chômeurs ». Mieux : l’officiel responsable des jeunes au niveau du woreda a confirmé cette proportion, mesurée par sa propre enquête.

24 Les autorités locales sont littéralement terrorisées parce qu’elles n’ont pas de prise sur eux : c’est le seul groupe social qui échappe à leur appareil de contrôle. En nombre croissant, souvent frondeurs, de plus en plus fréquemment en rupture familiale, ils forment une sorte de lumpen prolétariat rural dont les autorités redoutent qu’il ne soit une bombe à retardement.

25 Les efforts pour les faire rentrer dans le rang sont aussi infructueux que, parfois, dérisoires. Elles ont été jusqu’à leur proposer de créer un « donkey parking » où, au prix de 0,25 dollars, les paysans venant au marché du dimanche seraient obligés de « parquer » leurs ânes. Les fermiers ont hurlé de fureur et de rire. L’action principale des autorités en direction de ces « chômeurs » n’aboutit pas : un petit prêt pour monter une « petite affaire », comme une boutique ou un atelier de réparation de mobiles. L’argent public est trop parcimonieux, les jeunes insuffisamment formés. En général, ces micro affaires périclitent puis disparaissent.

26 L’association des jeunes est moribonde, même si chaque participant s’y voit offrir une boisson et un petit quelque chose à manger quand il participe à l’une de ses rares

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réunions. Sa seule réalisation est la plantation collective d’eucalyptus sur un seizième d’hectare, qui ne poussent même pas tant la terre est mauvaise. On leur met systématiquement en main un donnant-donnant : organisez-vous – sous-entendu dans les structures d’encadrement de la population – et les autorités vous aideront. Ces jeunes ne veulent pas en entendre parler. On pourrait reprendre ce qu’ils disaient déjà en 2005 pour justifier leur refus de s’inscrire sur les listes électorales : « l’État ne fait rien pour nous, nous ne ferons rien pour l’État ». Il est entendu ici comme le pouvoir au sens large, c’est-à-dire toutes les institutions comme toutes les personnes qui le détiennent, ce qu’on appelle le « mengist ».

27 On peut dresser un parallèle intéressant entre cette situation et les observations de Marco di Nunzio sur les « street youths » à Addis Abeba16. À Armanya aussi le pouvoir craint intensément les « troubles » que ces jeunes pourraient provoquer, depuis les délits ordinaires qui sont source d’insécurité pour les habitants, qui en rendraient les autorités responsables, jusqu’à une jonction avec l’opposition lorsqu’elle descend dans la rue, comme ce fut le cas pendant la Terreur rouge et après les élections de 2005. Là aussi, le pouvoir corrèle chômage et trouble, et cherche donc une issue à un problème pour lui essentiellement politique en poussant à la création d’emplois. Là aussi, on retrouve un processus identique à celui observé à Armanya pour les « Américains », quand les autorités d’Addis Abeba ont intégré des jeunes travaillant de façon jusque-là informelle dans des coopératives reprenant leurs fonctions antérieures, comme gardien de parking et « minibus touts », en échange d’un salaire mensuel. Il est d’ailleurs cocasse de rapprocher la structuration des « parking guys » d’Addis Abeba et la tentative de créer le « donkey parking » à Armanya. En bref, on observe dans les deux lieux le même processus de « formalisation and politization of street life » mené par les autorités, en vue de « further expand the reservoir of individuals directly and indirectly linked to the party ». On relève cependant trois différences essentielles. À Armanya, ce processus ne touche pas la majorité des jeunes désœuvrés, celle qui vit dans la campagne même. La menace qu’ils représenteraient est jugée mineure, tout simplement parce qu’ils ne sont pas structurés en bandes comme dans le bourg ou à Addis Ababa : ils sont atomisés, le plus souvent dispersés dans les foyers respectifs de leurs parents, donc considérés comme relativement inoffensifs, donc relégués hors du champ de préoccupations majeures des autorités. Ensuite, ce processus ne touche même pas la majorité des jeunes « chômeurs » du bourg. Peu d’activités économiques s’y prêtent, et les autorités manquent cruellement de moyens pour en créer. Les jeunes peuvent plus facilement résister à la répression des autorités. Par exemple, le Vagrancy Proclamation Act (2004) qui fait tomber sous le coup de la loi le vagabondage, défini de façon aussi large que flou, et qui potentiellement frapperait la plupart des jeunes chômeurs d’Armanya, n’y est d’aucun effet. Enfin, Marco di Nunzio estime aussi que ce processus permet de « to increase the number of people who were dependent on local government bureaucracy for their survival and thus were expected to support the ruling party when needed ». Il est douteux que cette causalité soit aussi marquée à Armanya. Le rapport de force y est plus équilibré. Chacun y trouve son compte : les jeunes, du travail ; les autorités, un certain calme. Il n’est pas sûr qu’elles puissent leur demander plus, soit un appui effectif au Parti.

28 Les jeunes d’Armanya adoptent trois attitudes face à ce « chômage », étroitement corrélées à leur position géographique par rapport au bourg, qui à son tour détermine largement leur niveau éducatif. Ceux qui y vivent déjà, parce qu’ils y sont nés ou sont venus s’y installer après avoir quitté le foyer familial, envisagent, comme ils le disent, de créer un « small business » dans une ville voisine plus grande. Le deuxième cercle,

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hors du bourg mais pas trop loin, estime que ses chances de réussir en ville sont bloquées par une éducation insuffisante. Il envisage lui aussi de créer une « petite affaire », mais sur place. Dans les deux cas, ils butent sur le manque de capital, qu’ils estiment au minimum à un petit millier de dollars, et, ce qu’ils négligent trop souvent, un manque de formation professionnelle. Le troisième cercle enfin vit aux confins du kebele, et n’a en général jamais fréquenté l’école. Lui n’envisage d’autre échappatoire que l’émigration clandestine vers les pays du Golfe car il estime que la concurrence des jeunes plus instruits lui ferme la porte de tout emploi urbain en Éthiopie.

29 Les passeurs demandent environ 500 dollars. Famille et amis s’emploient à les réunir, souvent en vendant une partie de leur bétail. Depuis peu, quelques passeurs acceptent d’avancer la somme. Même si les autorités locales affirment tout faire pour dissuader les futurs partants, le système est si rôdé qu’à tout le moins elles ferment les yeux. Certains arrivent à destination et trouvent du travail, certains échouent et reviennent, certains n’arrivent jamais parce qu’ils décèdent en route. Tous ceux qui ont tenté sans réussir affirment avoir vu des compagnons de voyage mourir d’épuisement. Mais ils n’ont qu’un objectif : repartir. « Nous n’avons pas le choix », répètent-ils.

30 Pourtant, réussir cette émigration clandestine est de plus en plus problématique. À la fin de 2013, les autorités d’Arabie Saoudite ont brutalement expulsé les immigrants clandestins. Addis Abeba en attendait une vingtaine de milliers. Il a fallu mettre en place un pont aérien pour en rapatrier entre 150 000 et 200 000. Un budget de 2,6 millions de dollars était prévu pour leur réintégration (soit au mieux 15 dollars par rapatrié). À Armanya, ceux-ci affirment avoir reçu à leur arrivée à Addis-Abeba un billet de bus pour rentrer chez eux, un petit pécule, et surtout une promesse d’aide lors d’une réunion au chef-lieu du woreda. Ils disent toujours attendre qu’elle se concrétise…

31 Les négociations restent en cours entre les pays concernés pour la reprise de cette émigration dans un cadre légal et mutuellement agréé. Mais la misère n’attend pas. L’immigration illégale, au moins celle des hommes, a repris à Armanya, toutefois à une échelle moindre qu’auparavant.

Conclusion

32 Armanya constitue-t-il une exception, ou son cas est-il généralisable ? Oui et non. L’Éthiopie est trop diverse, les ensembles écologiques trop nombreux pour que l’idée d’un « village moyen » puisse faire sens. Mais la plupart des tendances lourdes qui ont bouleversé ce kebele pendant la dernière décennie sont perceptibles ailleurs, notamment pour ceux d’entre eux qui, sur le plateau abyssin, le kebessa, sont au bord d’une voie de communication ou pas trop loin. Or ils sont de plus en plus nombreux avec la croissance fulgurante du réseau routier17.

33 Entre ces sous-prolétaires ruraux et les paysans « riches », à plus forte raison les marchands dont les affaires sont florissantes, un monde s’est creusé en un temps incroyablement bref : une douzaine d’années. Pendant ce court délai, Armanya a basculé d’une relative homogénéité à une hétérogénéité flagrante. La foule des travailleurs journaliers se réunit devant des maisons désormais en parpaings, au sol en ciment, meublées de tables et de fauteuils, et surmontées d’antennes paraboliques. Les araki bet, ces bistrots où l’on boit un alcool local, l’araki, ont essaimé. Le dimanche en fin d’après-midi, après le marché, des files de paysans ivres, cramponnés à leur bâton pour ne pas tomber, s’étirent sur les chemins partant du bourg18. Les petites boutiques se

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multiplient : même un marchand de CD s’est installé. L’arrivée de la première voiture a fait sensation. Son propriétaire tient à la laisser garée devant chez lui, au vu et au su de tous…

34 Incontestablement, le processus de formation de classes est très avancé. Beaucoup de ceux qui se situaient un peu au-dessus de la moyenne sont devenus « riches ». La majorité a vu son sort s’améliorer. Mais même les autorités locales le reconnaissent : la pauvreté gagne du terrain, sans qu’il soit possible à ce stade d’estimer si, dans ce kebele, cette paupérisation est absolue ou relative. Pour la première fois, semble-t-il, une institution officielle a reconnu ce fait, qui pourtant sautait aux yeux depuis une dizaine d’années. « The very poorest have not seen improvements—to the contrary, even a worsening— of consumption since 2005 », admet – enfin – la Banque mondiale19. L’inflation a été particulièrement forte ces dernières années. La hausse des prix alimentaires a été de 22 % en moyenne annuelle de 2005 à 2011, et atteignait 39 % cette dernière année20. Elle frappe particulièrement les paysans pauvres, qui produisent moins qu’ils ne consomment.

35 Ainsi un sentiment de classes, et leur antagonisme, commencent à émerger. D’un côté, on entend : « si je suis riche, ce n’est que grâce à mon travail ; les pauvres n’ont qu’à s’en prendre à eux-mêmes ». De l’autre : « les riches et les autorités se sont ligués pour nous déposséder ». La montée de ce sentiment dans les campagnes est totalement absente des analyses officielles, dont le parti au pouvoir est pourtant prolixe. Peut-être parce qu’elle révèlerait la face cachée du mode de développement rural que les autorités ont choisi, et peut être aussi parce que, depuis toujours, le régime considère que la société éthiopienne est d’abord structurée en nations/ethnies, les frontières de classes étant supposées moins prégnantes.

36 Par ailleurs, si l’agriculture a bien été le moteur d’un enrichissement catégoriel, celui-ci ne doit pratiquement rien à l’un des deux axes d’action du Developmental State : les cultures traditionnelles. De l’avis de tous les paysans et commerçants en grain, leur rendement stagne, la hausse de la consommation d’engrais ne faisant que compenser l’épuisement et l’érosion des sols. En revanche, les cultures de rente ont révolutionné le paysage agricole d’Armanya, notamment grâce au développement des infrastructures – l’une des actions prioritaires du Developmental State -, à la croissance urbaine, en particulier d’une classe moyenne citadine, et aux efforts des autorités pour prendre pied dans le marché mondial.

37 Il faut insister aussi sur une révolution mentale. Depuis des siècles, le pouvoir reposait sur la possession de la terre. Dans un pays où l’activité quasi-unique était l’agriculture, l’étendue de la terre possédée déterminait le niveau de richesse, et donc l’accès au pouvoir. Réciproquement, le pouvoir donnait accès à la terre, attribuée par la couronne pour les services qui lui étaient rendus. Aujourd’hui, un paysan « riche » ne verra pas nécessairement d’un mauvais œil qu’aucun de ses enfants ne reprenne son métier trop dur, trop risqué, trop peu profitable et choisisse de devenir fonctionnaire ou « businessman ». Bien sûr, il leur transmettra ses droits fonciers, et ils mettront la terre en location ou métayage, pour arrondir leur fin de mois. Il a développé son exploitation comme un tremplin pour atteindre le seuil qui lui permet de s’enrichir ensuite dans les services. Le paysan « pauvre », lui, est absolument convaincu que s’il a un avenir, c’est ailleurs. « Même si j’arrivais à m’en sortir, mes enfants ne le pourraient pas », dit-il. « Donc autant que je supporte aujourd’hui les aléas et les sacrifices du départ plutôt que de les reporter demain sur toute ma famille ». Mais pour aller où ? Deux à deux millions et demi de jeunes

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arrivent chaque année sur le marché du travail. Le principal gisement des futurs emplois, le secteur manufacturier, ne décolle pas. Il représente la même proportion du PIB que voilà un demi-siècle, à la fin du règne de Hailé Sélassié. Pour que le « miracle » éthiopien se poursuive, officiellement une croissance de 10 % pendant les huit dernières années, en réalité autour de 6 % à 7 %, l’économie devra se restructurer et le Developmental State re-cibler son mode et son périmètre d’intervention.

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NOTES

1. L’Éthiopie est une république fédérale, composée de neuf régions, dont la région amhara, la deuxième par sa population, et de deux villes. 2. Le kebele est la plus petite unité administrative, correspondant grosso modo à ce qu’était la paroisse. L’unité supérieure est le district (woreda). 3. Le programme devrait toucher 10 millions d’Éthiopiens dans 411 woreda (sur un total d’un peu plus de 700), pour un budget de 3,6 milliards de dollars sur les cinq prochaines années. Ethiopian Radio and Television Agency, 02/10/2014. 4. Pour un débat sur le Developmental State, on peut se tourner vers De Waal A., 2013. The theory and practice of Meles Zenawi. African Affairs, 112/446, p. 148-155; Lefort R., 2014, puis A response to Alex de Waal. African Affairs et De Waal A. 2014, A response to René Lefort. African Affairs, 112/448, p. 460-470. 5. Armanya tient son nom d’un groupe de marchands arméniens qui s’y étaient installés, et dont aucune trace ne demeure. 6. Depuis 2003, l’auteur se rend en moyenne deux fois par an dans ce kebele pour y étudier principalement les rapports entre le pouvoir local et les paysans, y compris lors de périodes critiques, comme les élections de 2005. Voir en particulier Lefort R. 2007. Powers – mengist – and peasants in rural Ethiopia: the May 2005 elections. The Journal of Modern African Studies, Volume 45, Issue 02, p. 253-276. 7. En 1991, le Derg était militairement défait par une coalition de quatre mouvements à base ethnique, l’Ethiopian People’s Revolutionary Democratic Front (EPRDF), dont le Tigray People’s Liberation Front (TPLF) reste jusqu’à nos jours le pilier. 8. Ege S., 1999. The promised land: The Amhara land redistribution of 1997. Working Papers on Ethiopian Development, Trondheim, Centre for Environment and Development, University of Trondheim, 153 p. 9. Les statistiques éthiopiennes, à plus forte raison locales, sont au mieux fantaisistes, au pire, délirantes. Par exemple, en 2004, le kebele abritait officiellement un tout petit peu plus de 1 000 ha cultivés, et, aux dires de tous, il ne restait pas la moindre parcelle exploitable. Quelques années plus tard, cette superficie devenait 1 200 ha, sans aucune explication sur l’origine des 200 ha supplémentaires. En 2012 enfin, elle était portée à 1 500 ha, “sur instruction des services officiels de statistiques”, selon les autorités locales. 10. Meles Zenawi, Gimgema Paper, 2001, cité par Paulos Milkias, 2003. Ethiopia, the TPLF, and the Roots of the 2001 Political Tremor, Northeast African Studies Vol. 10, No. 2 (New Series), p. 13-66. 11. Tout ce processus est détaillé en particulier dans Lefort R. 2012. Ethiopia: Free Market Economy, ‘Developmental State’ and party-state hegemony: the case of the ‘model farmers’. The Journal of Modern African Studies, Volume 50, Issue 04, p. 681-706. 12. Idem. 13. « Riche » est à mettre entre guillemets parce que cette richesse est toute relative. Lorsqu’on l’interroge à ce sujet, un paysan « riche » répond en général : « je suis riche parce que je peux donner à ma famille trois repas par jour, toute l’année, et même envoyer mes enfants au collège (highschool) ».

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14. En un an, de juillet 2012 à juillet 2013, 170 000 Éthiopiennes ont légalement émigré vers la seule Arabie Saoudite, essentiellement comme bonne. Ethiopian Migrant Workers Return From Saudi With Tales of Abuse, Bloomberg, 13/12/2013. 15. Un paysan “riche” détaillait ainsi le budget d’un magasin de stockage qu’il venait d’achever : 100 dollars de matériaux divers, le bois de l’armature gratuit car coupé sur ses terres, son travail et le coup de main de quelques voisins. Il le loue 25 dollars par mois. L’investissement en capital est remboursé en quatre mois, le revenu annuel équivalent à celui d’une petite exploitation agricole… 16. di Nunzio M., 2014. Thugs, Spies and Vigilantes: Community Policing and Street Politics in Inner City Addis Ababa. Africa, 84/03, p. 444-465. 17. Ces observations rejoignent, mais pas toujours, les conclusions d’une recherche commencée en 1995 sur « change and continuity in rural Ethiopia », plus précisément sur « the long-term impact of development interventions in 20 rural Ethiopian communities ». C’est le programme WIDE (Wellbeing and Illbeing Dynamics in Ethiopia). Pour en savoir plus, voir http://www.mokoro.co.uk/files/13/ file/CD_July2014.pdf 18. Sur les ravages de cet alcool, voir Yeraswork Admassie & Ezana Amdework, 2010. The Araqe dilemma. The socioeconomics of traditional distillet alcohol production, marketing and consumption in Ethiopia. Forum for Social Studies, Addis Abeba. 19. Idem p. XVI. 20. World Bank Group 2015. Ethiopia – Poverty Assessment 2014. Report No. AUS6744, January 2015, p. 61.

AUTEUR

RENÉ LEFORT René Lefort, [email protected], est chercheur indépendant. Il a publié récemment : - Un débat sur le "democratic developmental state" avec Alex de Waal, dans deux numéros successifs de African Affairs : De Waal A., 2013. The theory and practice of Meles Zenawi. African Affairs, 112/446, p. 148-155; Lefort R., 2014. A response to Alex de Waal - De Waal A. 2014. A response to René Lefort. African Affairs, 112/448, p. 460-470. - Lefort R., 2014. Ethiopia, a leadership in disarray. OpenDemocracy, 4 juillet 2014, https:// www.opendemocracy.net/ren%C3%A9-lefort/ethiopia-leadership-in-disarray - Lefort R., 2010. Power – mengist – and peasants in rural Ethiopia: the post 2005 interlude. Journal of Modern African Studies 48, 3, p. 435-460.

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Le bétail des Somali d'Éthiopie : la mondialisation sur les marges

Géraldine Pinauldt

Introduction

1 S'étendant sur un quart du territoire éthiopien, l'État Régional Somali d'Éthiopie (ERSE), abrite une population transfrontalière dont le territoire s'étend sur plusieurs autres États voisins de l’Éthiopie (Somaliland, Kenya, Djibouti et Somalie). Longtemps cible consentante de l'irrédentisme somalien, les Somali d’Éthiopie disposent aujourd'hui officiellement, à l'instar des autres communautés ethnolinguistiques éthiopiennes, d'une forme d'autonomie de gestion au sein de l’Éthiopie fédérale. L’ambiguïté de l'allégeance des Somali-éthiopiens est pourtant entretenue au niveau éthiopien comme au niveau somali. Ce rapport compliqué du pouvoir éthiopien aux ressources, à l'espace et à la population de l'ERSE se révèle particulièrement par l'étude de sa principale ressource: le bétail.

2 Le bétail de la région somali d’Éthiopie constitue une part non négligeable1 du bétail exporté vers la péninsule arabique depuis les ports somali et ce depuis l'installation des Britanniques à Aden en 18392. Ce système commercial régional (qui organise la production et les réseaux d'exportations convergeant vers Berbera au Somaliland) se consolide dans les années 1950 avec l'augmentation des pèlerins à la Mecque, elle- même corrélée à l'envolée des revenus pétroliers de l'Arabie saoudite. Mobile et transfrontalier, le bétail des Somali est exporté via un système souple et réticulaire qui longtemps a totalement échappé au contrôle de l'État éthiopien. Le succès de ce système fondé sur la libre entreprise dans le contexte d'une forte solidarité collective constitue un paradoxe au sein de cet État éthiopien longtemps très centralisé et à l'économie planifiée. Inversement, les investissements éthiopiens dans le secteur animal n'ont jamais dépassé quelques pourcents des dépenses agricoles du pays.

3 L'ERSE peut être considéré comme un État régional périphérique, en raison de la perception réciproque d'une distance culturelle entre Somali-éthiopiens et autres Éthiopiens : musulmans, nomades, éleveurs dans les basses terres de l'est ; chrétiens,

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sédentaires et agriculteurs dans les hautes terres. Cette opposition, si elle essentialise le réel, organise cependant de manière très forte l'espace de l'altérité. Cette distance se traduit politiquement : le parti somali au pouvoir, le SPDP (Somali People Democratic Parti), comme pour d'autres régions périphérique, n'est associé que de manière externe au parti fédéral coalisé l'EPRDF (Ethiopian People's Revolutionay Democratic Front), mais n'en est pas partie intégrante, freinant ainsi les possibilités de lobby pastoral au sein du système fédéral. Pourtant dans le cas des exportations de bétail vivant vers l'Arabie, c'est l'État éthiopien qui est périphérique : contrôlées, elles se placeraient en troisième position des exportations éthiopiennes, contre la 7e place aujourd'hui et la 19e il y a 15 ans. L'évolution de la part du bétail vivant dans l'export éthiopien témoigne néanmoins de sa progressive et partielle intégration aux recettes nationales.

4 Les tentatives de contrôle et de punition des exportations informelles de bétail ont eu des résultats mitigés pour l'est éthiopien malgré leur renforcement. C'est l'élaboration de normes pour le commerce international qui va donner à l'échelon national les moyens d'un contrôle étatique, d'abord via les services vétérinaires puis par des tentatives de contrôle du commerce en favorisant l'introduction de nouveaux acteurs privés.

5 La mondialisation normative peut être définie par une phase de la mondialisation qui tend à fluidifier le commerce international par l'introduction de normes universelles. Elle est mise en œuvre parallèlement à la création de l'OMC et a pour particularité de réintroduire des barrières non tarifaires au commerce international. Dans le cas du commerce d'exportation de bétail en Éthiopie, sa mise en place se traduit dans les années 2000 par l'apparition de l'échelle nationale (État fédéral) dans la filière animale d'exportation de l'ERSE. On ne peut parler dans ce cas de renforcement de l'État central qui on l'a vu était absent du secteur ; il n'y a pas plus de renforcement du pouvoir administratif local. Plus que des jeux d'échelles administratives de pouvoir, c'est le passage d'une économie informelle à une économie formelle qui est en jeu via l'aménagement par des infrastructures de l'espace commercial, dans une région où la population et les acteurs de l'économie ne se sentent pas éthiopiens, alors que les recettes des exportations légales sont collectées au niveau fédéral. Avec l'apparition de contraintes sanitaires fortes à l'exportation, depuis l'embargo sanitaire imposé par les pays de la péninsule arabique au bétail de la Corne de l'Afrique entre 1998 et 2009, l'État éthiopien va avoir une opportunité d'intervenir dans un secteur qui jusqu'alors lui échappait. Au-delà de la résistance populaire à l'insertion dans l'économie formelle, un autre élément vient modérer les efforts éthiopiens d'intégration de l'économie somali. L'État éthiopien est le plus structuré de la région, pourtant sa situation d'enclavement rend vains les efforts éthiopiens d'alignement sur les normes, puisque ce sont les certificats produits dans les ports d'exportation, par d'autres autorités sanitaires3, qui sont reconnus outre-golfe d'Aden, outre Mer rouge. Aussi peut-on se demander dans quelle mesure la tentative éthiopienne de rétablir un contrôle sur le territoire et les ressources de l'ERSE aboutit, et dans quelle mesure il n'existe pas après la crise deux formes de commerce associées à deux formes de perception et d'aménagement du territoire. Ces deux formes définissent deux utilisations de l'espace : l'une encore en structuration par l'État par délégation à des collectivités territoriales dans un mouvement de déconcentration plus que de décentralisation4, les organisations internationales et les acteurs choisis par les deux premiers, l'autre, survivance encore puissante du commerce qui s'organise selon des faisceaux relationnels réticulaires. Quelle va être la relation, notamment spatiale, entre ces deux

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formes de commerce ? L'alignement sur des normes mondiales du commerce d'exportation de bétail en l'Éthiopie se traduit-il par l'intégration de la région somali ou au contraire par son plus grand isolement du monde éthiopien avec le renforcement d'une frontière intérieure?

6 On verra dans un premier temps comment s'est effectuée la mise en mondialisation de ce secteur pour l’Éthiopie, en montrant le rôle qu'ont joué les organisations internationales normatives ou de développement, et autres agences d'aide. Dans un second temps, on rappellera le caractère opérationnel d'une frontière culturelle entre le monde somali et les hautes terres éthiopiennes, particulièrement pertinente dans le cas du commerce de bétail et que matérialisent les politiques sectorielles éthiopiennes. L'exemple de la filiale animale du groupe MIDROC dans l'est-éthiopien illustrera les rouages de la mise en mondialisation du secteur animal éthiopien et ses conséquences sur le territoire éthiopien.

La "mise en mondialisation" du commerce de bétail en Éthiopie

Les exportations de bétail : une filière de contrebande selon l’Éthiopie, un commerce mondialisé selon les Somali

7 En quadruplant ses importations entre 1976 et 1980, l'Arabie Saoudite, premier importateur mondial d'ovins vivants, entre dans un commerce mondialisé jetant ainsi, sans transition, son partenaire traditionnel somalien (dont les exportations comprennent le bétail des Somali-éthiopiens) dans la concurrence internationale. Aux fournisseurs habituels du mouton sacrificiel que sont la Somalie (drainant le bétail de l'ensemble de la péninsule Somali) et dans une moindre mesure le Soudan, la Syrie et la Turquie, s'ajoutent à partir des années 1980 l'Australie, la Nouvelle Zélande et l'Uruguay pour ne citer que les principaux. L’Éthiopie, bien qu'elle abrite l'un des plus gros cheptels du continent, n'a jamais été comptabilisée comme un exportateur important de bétail. On observe en effet en Éthiopie d'une part le marché local, à destination des grandes villes et alimenté par le bétail des hautes terres (ovin ou bovin), et d'autre part le marché international, qui exporte le bétail des régions frontalières, en premier lieu le bétail élevé dans la région somali d’Éthiopie. En raison du caractère transfrontalier des populations qui contrôlent le marché, les exportations échappent au secteur formel et à la comptabilité nationale. Marché domestique et marché d'exportation n'entrent donc pas en concurrence directe jusqu'à une période récente, dans la mesure où à un marché correspondent des zones de production et des cultures commerciales distinctes.

8 Jusqu'à la fin des années 1990, les exportateurs de bétail dans la Corne sont principalement privés et somali. Les politiques et investissements publics éthiopiens n'ont jusqu'alors que peu concerné le secteur animal. De plus, les politiques sectorielles concernent très peu l’Éthiopie orientale, à l'exception du TLDP (Third Livestock Development Project, 1975-1986). Son volet oriental JIRDU (Jijiga Rangeland Development Unit) est destiné à créer une circulation intérieure à l’Éthiopie du bétail afin de le détourner des filières somaliennes. Ce projet est considérablement freiné par la guerre éthio-somalienne de 1977. L'embargo de 1998 donne l'occasion à une série de nouveaux acteurs (privés, étatiques et supra-étatiques) de découvrir l'importance des échanges et

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d'y prendre place. À partir de cette date, les restructurations sont multiples en termes d'échelles et d'acteurs. L'embargo est l'occasion d'une mise aux normes du secteur animal en vue de son ouverture aux marchés internationaux. Aussi cet alignement sur des normes sanitaires et commerciales internationales bénéficie-il potentiellement à chaque acteur si l'on considère qu'il peut permettre de rattraper le retard du secteur. L’État éthiopien capte des financements, et les acteurs privés auparavant coupés du bassin de production le plus important - la région somali d’Éthiopie, voient dans la mise aux normes du marché mondial de viande et d'animaux vivants une occasion de concurrencer les grands négociants somali sur leurs terres.

9 De ce point de vue, avec son entrée tardive dans la mondialisation, l'État éthiopien présente un retard d'adaptation important par rapport aux filières organisées de l'exportation de bétail, aux acteurs anciens dont les pratiques commerciales sont libérales au point d'être informelles.

1998, une année charnière dans la mise en mondialisation normative du secteur animal

10 Au cours de l'année 1998 on observe une conjonction d’événements à l'échelle mondiale, dans la péninsule arabique et en Éthiopie, qui favorisent la mise en mondialisation de l’Éthiopie et placent l'État dans un rôle décisionnel et actif nouveau dans le secteur animal. En effet, de nouvelles normes internationales se mettent en place qui modifient les règles sanitaires et commerciales des exportations. Leurs conséquences trouvent une traduction à l'échelle de l'espace commercial régional (Corne de l'Afrique/Moyen-Orient), et aux échelles nationales. Ces évolutions, pour l’Éthiopie, sont rythmées par la temporalité de la construction politique et économique de l’espace éthiopien post-Derg et plus particulièrement par la libéralisation progressive de l'économie.

Accord sanitaire et phytosanitaire (Accord SPS) OIE-OMC de 1998

11 Dans le domaine de la santé animale, l'Organisation internationale de la santé animale (OIE) est le producteur de normes. Ces normes prennent une consistance nouvelle avec la signature, en 1998, d'un premier accord entre l'OIE et l'Organisation mondiale du commerce (OMC). L'Accord SPS de l'OMC établit le nouveau rôle de l'OIE qui doit, à des fins d'harmonisation, produire normes, directives et recommandations internationales sur la base desquelles les membres de l'OMC établiront leurs mesures sanitaires. En 2004, un accord de coopération entre l'OIE et la FAO s'appuie sur l'accord SPS de 1998. Cette nouvelle coopération des organisations spécifie le rôle de l'OIE comme producteur de normes et celui de la FAO comme maître d’œuvre de ces normes par l'intermédiaire de ses programmes.

Processus d’intégration de l'Arabie saoudite à l'OMC (1995-2005) et réorganisation des importations pour le Hajj de 1998

12 En 1995, l'Arabie saoudite entame sa procédure d'adhésion à l'OMC dont elle devient membre en 2005. Son processus d'intégration à l'OMC induit des réformes visant à aligner le fonctionnement de son commerce sur les standards internationaux. Dans ce cadre, les importations de bétail sacrificiel pour le Hajj sont confiées en 1998 à la

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Banque islamique de développement (BID), chargée de sélectionner un nombre restreint d'importateurs sur un appel d'offres annuel. Ces importations étaient jusqu'alors le fait d'un grand nombre d'entrepreneurs aux techniques commerciales moins encadrées. Ce bouleversement se répercute sur l'ensemble de la filière commerciale, notamment dans la Corne de l'Afrique dépendante de ce marché. Cette réorganisation en aval est l'occasion pour des investisseurs saoudiens de pénétrer plus en amont le territoire de production en coupant la chaîne de négociants, intermédiaires et agents somali afin de tenter de contrôler leur approvisionnement et de proposer ainsi un tarif plus compétitif lors de l'appel d'offre de la BID.

Corne de l'Afrique : embargo sanitaire en 1998

13 Les exportations vers l'Arabie saoudite du bétail élevé dans les régions somali connaissent une envolée avec la réouverture du port de Berbera et la stabilisation du Somaliland et de la région somali d’Éthiopie au début des années 1990. C'est dans un libéralisme total que s'organise la filière à cette époque : le marché d'animaux vivants en région somali d’Éthiopie est libéral de fait dans la mesure où l'économie pastorale échappe au contrôle étatique. Au Somaliland, la liberté d'entreprendre est au centre de la construction de ce petit État et sera inscrite en 1997 au préambule de son projet de Constitution. Un embargo sanitaire imposé par l'Arabie Saoudite arrête brutalement cette envolée économique en 1998. Il est suivi d'un deuxième embargo de l'ensemble des États de la péninsule arabique en 2000 et qui dure jusqu'en 2009. Ces embargos et l'obligation de certification sanitaire des animaux exportés imposés par les pays du Golfe permettent à l’Éthiopie de capter des financements internationaux importants afin de structurer son secteur animal à la fois en termes vétérinaires et commerciaux. La normalisation du secteur provoque une crise diplomatico-économique entre le Somaliland et Djibouti qui se disputent l'ouverture d'une station de quarantaine d'exportation de portée régionale reconnue par l'Arabie Saoudite (Pinauldt, 2009).

Éthiopie : création de la Livestock Marketing Authority en 1998

14 En Éthiopie, le nouveau régime prend conscience de la singularité des régions pastorales et semble envisager une très progessive intégration du secteur animal de ces espaces. En 1998, la Livestock Marketing Authority (LMA) est créée sous l'égide du Ministère du Commerce afin de promouvoir les exportations. Dans l'Ethiopian Herald cette année-là, des articles très réguliers insistent sur le fait que le bétail est une ressource encore non exploitée, un potentiel important, que les éleveurs et toute la filière n'ont aucune conscience des exigences des importateurs et que la région somali d’Éthiopie est un espace vierge5. Parallèlement, le service vétérinaire du Ministère de l'Agriculture et du développement rural (MoArd) est mandaté pour contrôler les maladies animales transfrontalières (Transboundary animal diseases - TAD) et délivrer les certificats vétérinaires nécessaires lors de l'exportation. Pour cela, un certain nombre de stations de quarantaine animale seront planifiées, dont seule celle de Dire Dawa fonctionne à partir de 2004, sur des financements USAID. Le bétail de la région somali constitue la ressource locale la plus importante pour la population. C'est pourtant l'administration fédérale qui plannifie les infrastructures d'exportations et collecte les taxes, ce qui contribue à accroître la défiance populaire envers l'État

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éthiopien et n'encourage pas les exportateurs à intégrer leur commerce à l'économie formelle.

15 S'il est manifeste que les tentatives de captation du commerce de bétail par l'État éthiopien évoluent au rythme des étapes de la stabilisation du nouveau régime depuis les années 1990, c'est en 1998 que convergent les éléments permettant la mise en mondialisation de ce secteur en Éthiopie. L'embargo saoudien donne une occasion unique au régime d'intervenir dans les filières : l'apparition de contraintes sanitaires fortes à l'exportation bénéficie tout naturellement à l'Éthiopie. Malgré le handicap de l'enclavement, elle est naturellement en meilleure position que ses voisins, avec l'administration la plus structurée de la région, la réception d'une aide importante dans le développement de services vétérinaires depuis les années 1980 (Faye, 1990), une position de leader politique régional, et la population humaine et animale la plus importante de cet ensemble.

La rencontre des investissements sectoriels américains et des intérêts éthiopiens

16 Les principaux agents de cette phase normative de la mondialisation sont ceux qui mettent en œuvre les nouvelles contraintes réglementaires – au risque de paraître paradoxal – et assistent les États dans leur application. On peut isoler un triptyque planificateur : organisation internationale et/ou État/bailleur; gouvernement occidental et/ou organisation internationale/opérateur; ONG et/ou entreprise privée. Les modalités d'articulation des trois parties et la part de pouvoir de l'une ou l'autre créent les paysages multiples de cette nouvelle étape de la mondialisation. En Éthiopie, le principal bailleur et opérateur de cette mise aux normes sanitaires animales est l'USAID, qui a investi de manière croissante (dans l'absolu et relativement à ses aides globales à l’Éthiopie) dans le secteur animal.

17 Au sein de la ligne « Trade capacity building Assistance » de l'aide américaine en Éthiopie, la part destinée au développement pastoral et à l'accès du bétail aux marchés connaît une envolée entre 2002 et 20116. Ainsi, cette part est négligeable en 2002, soit 18 243 $ sur une aide totale d'un demi-million de $. Elle passe à 10 % en 2003 avec la mise en place, en partenariat avec la Livestock Marketing Authority éthiopienne, de deux programmes. Le premier, PARIMA (Pastoral Risk Management), est initialement destiné à l'amélioration des conditions de vie des éleveurs de la région Borana en Oromia. On verra plus bas comment ce programme fait système avec l'arrivée cooptée par l'État d'investisseurs arabes ayant échoué en région somali (ERSE). Le second, LMIS (Livestock Marketing Information System), crée un réseau de relevée des prix sur une cinquantaine de marchés dans tout le pays. En 2005, sur 21 millions de dollars d'accompagnement au renforcement des échanges, 20 % sont destinés aux projets visant directement le bétail, notamment avec l'introduction du programme Pastoral Livelihood Initiative (PLI), qui englobe désormais le LMIS. Le reste est consacré à la mise aux normes en vue d'une entrée à l'OMC. En 2006, le PLI et un nouveau programme, Sanitary and Phytosanitary Standard and Livestock and Meat Marketing Program (SPS/LMM) totalisent près de 50 % de l'assistance financière au commerce. En 2011, c'est 90 % de cette aide qui est consacrée au commerce de bétail, uniquement via le programme SPS/LMM. Ainsi, non seulement l’Éthiopie réussit à capter des aides importantes sur ce secteur, mais cela semble également intéresser les États-Unis d'investir dans les régions pastorales, en

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accompagnement de leur implantation militaire dans la région (à Djibouti et en Éthiopie).

18 Cette nouvelle normativité sanitaire mondiale permet à l’Éthiopie de réinvestir le secteur animal en sautant les étapes, l'État étant le seul acteur habilité à certifier la santé des animaux exportés. En ERSE, cette aide américaine va principalement se traduire par la construction d'infrastructures telles que des marchés, des programmes de compensation des sécheresses. Créant ainsi les bases d'une structure parallèle inutile à la vieille garde négociante somali, ces actions visent à faciliter l'introduction de nouveaux acteurs dans la filière.

19 Les aides internationales et la signature d'accords bilatéraux avec Djibouti et le Soudan pour les échanges transfrontaliers et avec l’Égypte pour le commerce de bétail offrent à l’Éthiopie son entrée dans ce secteur économique. Ces mesures permettent l'intégration du commerce transfrontalier de bétail sur les frontières éthio-soudanaise (Metema et Humera) et éthio-djiboutienne (dans une moindre mesure) et un début de maillage du territoire avec des infrastructures d'exportation (construction de marchés aux bestiaux destinés à l'exportation, planification de la construction de quarantaines animales et de check-points sanitaires aux frontières orientales - même si ces derniers ne sont pas effectifs-. L'accord avec l’Égypte permet à l’Éthiopie (ici indissociable du parti et de l'État) de coopter des négociants des hautes terres vers les nouveaux marchés. Les statistiques des exportations légales en sont améliorées : la part du bétail vivant dans les exportations éthiopiennes est multipliée par 6 entre 2003 et 2006 et le bétail vivant passe du 19e au 7e poste des exportations.

20 Ce volontarisme ne sera pas suffisant pourtant pour « récupérer » le bétail et les marchés les plus lucratifs des mains des grands commerçants somali. Si c'était le cas, une expertise réalisée pour l'IGAD affirme que les seules exportations de bétail vivant participeraient à hauteur de 17% des revenus des exportations contre 3,6% aujourd'hui (Behnke, 2011).

21 Les voies du désenclavement économique éthiopien, à l'image de la politique menée dans les régions somali intérieure ou limitrophes sont guidées par la contradiction permanente entre géopolitique intérieure et nécessité économique nationale. À cet égard, les récentes évolutions du secteur animal révèlent la force de la frontière cognitive entre hautes-terres et basses-terres orientales de l’Éthiopie.

Le bétail mondialisé et le renforcement de la frontière cognitive entre les hautes-terres et les basses-terres orientales

22 Alors que la filière d'exportation de bétail vivant est dominée par les producteurs et les négociants somali transfrontaliers qui structurent l'espace oriental de la Corne de l'Afrique et de l’Éthiopie depuis plusieurs centaines d'années et alors qu'il existe une frontière culturelle forte divisant l’Éthiopie entre les hautes-terres et les basses-terres pastorales, quel peut être l'impact de la mise aux normes de ce secteur économique sur l'organisation pré-existante?

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Un système somali dans un système Corne.

23 Dans le système qui lie les hautes-terres aux côtes via les basses-terres, qu'elles soient ou non situées dans le territoire éthiopien, «Éthiopiens»7 et Somali sont dépendants les uns des autres : sans l’Éthiopie, pas de commerce de transit pour les Somali dont les ports seraient sous-utilisés ; sans la coopération des populations côtières et des marges pastorales, l'Éthiopie n'a pas d'accès à la mer. Cette complémentarité géographique, immuable, semble exacerber les différences entre les populations des hautes-terres et celles des basses-terres connectées au littoral de la Corne de l'Afrique. Plus récemment, le développement des corridors de désenclavement en forme de tunnels accroît l'éloignement des régions périphériques qu'ils traversent. S'ils accélèrent le transit des produits arrivés légalement, ils favorisent également l'informalité des acteurs extérieurs au corridor.

24 Le bétail est la seule ressource qui permet aux Somali quel que soit leur État (aujourd'hui Éthiopie, Somalie, Somaliland, Djibouti, Kenya) de former un système géo- économique indépendant des hautes terres éthiopiennes, seul à permettre de s'affranchir d'une dépendance politique. Ils ne le vendent pas à «l'Éthiopie», ils ne l'achètent pas à «l'Éthiopie», ils n'ont pas besoin de «l'Éthiopie» pour le faire transiter dans la mesure où le bétail vivant est exporté par voie maritime à partir des ports somali de Berbera, Djibouti ou Bosaaso, ou encore traversent les espaces somali éthiopiens et kenyans avant d'arriver sur les marchés kenyans. Il y a donc deux manières de présenter l'espace du commerce de bétail : celle des grands négociants somali qui le perçoivent dans sa dimension ethnique et transfrontalière selon une carte mentale où la frontière étatique est une discontinuité spatiale mineure; l'autre approche cantonne l'analyse à des territoires nationaux administratifs. On ne peut interpréter la situation relative du bétail de l'ERSE en Éthiopie sans prendre en compte sa situation relative dans l'espace somali.

25 Ainsi, l'ombre des « autres Somalies » plane sur l'étude d'une ERSE territorialement circonscrite à l’Éthiopie. Cette vision superposée de deux systèmes de représentation permet d'appréhender à la fois l'interconnexion des échelles et la bataille de ces deux mondes pour être arrimés aux marchés arabes, échelle supérieure des échanges.

26 Par ailleurs, le bétail est la propriété des familles et des clans somali. Mobile, il échappe facilement au contrôle, aux statistiques et à l'impôt et s'insère dans un système de pensée étranger à celui des hautes-terres comme en témoigne le recensement du bétail dans l'ERSE, où ne sont recensés que les animaux des ménages sédentaires, dans la poignée de woreda agro-pastoraux que compte l'État régional somali d’Éthiopie (ERSE).

27 Les pratiques des exportateurs formels et informels offrent une traduction spatiale à ces propos. Les exportateurs cooptés par l’Éthiopie sont les principaux utilisateurs des nouvelles infrastructures : quarantaine de Dire Dawa, ports secs de chargement du bétail sur des camions, abattoirs d'exportation et routes, points nodaux et lignes qui vont dessiner sur le territoire éthiopien la frontière entre les deux systèmes. Cette ligne cantonne de fait le bétail et les commerçants de l'ERSE dans un système d'échange trans-somali, plus simple et surtout plus court. En effet, la carte indique que les points de chargement du bétail sont tous situés sur les contours extérieurs de l'ERSE, le long des routes développées en priorité, afin d'en capter le bétail sans retombées économiques directes pour la région. Ce sont deux systèmes parallèles qui se confrontent, l'un anciennement mondialisé dans le sens où il est confronté depuis

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longtemps aux concurrents internationaux et a montré sa résilience, mais qui, côté éthiopien, fonctionne en utilisant a minima des infrastructures qui ne lui sont pas destinées. L'autre système bénéficie de la mise aux normes du secteur, enfant d'une autre forme de mondialisation, normative, cette fois. Ses acteurs sont intégrés au triptyque décrit plus haut mais n'ont pas l'ancienneté des réseaux, notamment d'approvisionnement.

Illustration 1 – Exportations officielles de bétail en Éthiopie : une frontière intérieure matérialisée par les infrastructures

Sources : Behranu Gebeernedlhin, Hoekstra et Samson Jermaneh, 2007 pour les abattoirs ; Mohammad Jabbar, Asfaw Negassa & Taye Gidyelew, 2007, pour le fond de carte (densité) ; entretiens de l’auteur. G. Pinauldt, 2014.

Le "propriétaire de l’Éthiopie" et le bétail des Somali

28 L'ensemble de ce paragraphe est une reconstitution effectuée par l'auteur entre 2008 et 2010 à partir de différentes sources, principalement orales (grands commerçants de bétail, vétérinaires d’État éthiopiens, intermédiaires). D'autres sources écrites citées plus loin complètent l'analyse.

29 L'exemple de la filière bétail Elfora du groupe MIDROC du milliardaire éthio-saoudien Mohamed Al Amoudi, révèle la difficulté à créer Un réseau d’approvisionnement alors même que la ressource est abondante, que les infrastructures existent, que le marché d'exportation existe. Dans le cadre du commerce de bétail, le pouvoir n'est plus du même côté de la frontière cognitive.

30 Intérêts publics et intérêts privés s’enchevêtrent sans qu’il soit toujours aisé de les distinguer. Difficile, d'abord, de séparer les stratégies économiques ou patriotiques du milliardaire, qui participe personnellement à la levée de l'embargo pour l’Éthiopie, de

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celles de sa filière Elfora, qui devient le principal bénéficiaire de la levée de l'embargo. Difficile ensuite de dissocier les objectifs de l'État éthiopien qui a pour double dessein en cherchant à capter les filières somali d'augmenter ses exportations de viande tout en accédant à un territoire de production qui lui échappe, tant sur des bases économiques que sécuritaires. Enfin, le groupe MIDROC est le plus grand groupe privé éthiopien et Al Amoudi lui-même est connu pour entretenir des relations privilégiées avec le pouvoir éthiopien.

31 L’Éthiopie entre relativement tard sur le marché international de bétail, et bénéficie pour cela de l'entremise de Mohamed Al Amoudi qui a connaissance à la fois des bénéfices réalisables sur le marché saoudien, de l'importance du cheptel éthiopien et de sa très faible valorisation par l'exportation.

32 La difficulté consiste à capter le bétail dans les régions de production (notamment les régions ayant connaissance de la "qualité export"). Or de ce point de vue, le bétail le plus lucratif du territoire est élevé en région somali, dont, on l'a vu, les réseaux sont anciens et fonctionnels. Les plus grands négociants de bétail de la région sont Somalilandais, parfois binationaux ou utilisant des réseaux d'intermédiaires binationaux ou locaux.

33 En 1997, dans le cadre de la politique éthiopienne de privatisation, le groupe MIDROC d'Al Amoudi rachète les sept entreprises nationales de transformation et d'exportation de bétail qui font alors partie de l'Ethiopian Meat Agency. Les exportations éthiopiennes sont cependant bloquées l'année suivante par les embargos sanitaires de 1998 et 2000 qui touchent l'ensemble des pays de la Corne de l'Afrique.

34 Le personnage d'Al Amoudi s'investit personnellement dans la négociation saoudo- éthiopienne. En 2002, l'embargo est levé pour les exportations éthiopiennes de bétail et de viande. Le magnat binational y est vraisemblablement associé : il fait partie, aux côtés d'un autre investisseur saoudien, d'une délégation saoudienne qui visite les infrastructures éthiopiennes de transformation du bétail, d'exportation de viande et accorde une levée de l'embargo pour l’Éthiopie. La délégation saoudienne promet d'investir largement dans le secteur du bétail, via une coopération vétérinaire et l'investissement dans des infrastructures d'exportation.

35 La coopération saoudienne et la levée de l'embargo donne une belle occasion à l'État éthiopien d'établir une concurrence avec les commerçants Somalilandais "nés en Éthiopie"8. Cette entrée sur le marché saoudien pourrait permettre d'inverser enfin le flux du bétail de la région somali, dont le mouton à tête noire produit une viande particulièrement appréciée en Arabie saoudite. Dans cet élan, l'État tente des incitations à l'installation de commerçants originaires d'autres régions éthiopiennes en ERSE. Cette compétition doit permettre des exportations légales (donc taxées) du bétail et conjointement l'approvisionnement des usines de viande rachetées par la filiale agroalimentaire du groupe MIDROC, Elfora. Le gouvernement fédéral, avec l'appui d'une partie du gouvernement régional somali, y voit aussi une occasion d'éliminer totalement l'usage du Shilling somali (et somalilandais), alors encore majoritairement utilisé dans l’ERSE, au profit du Birr éthiopien et ainsi franchir un pas dans l'intégration nationale de la région. Cette annonce suscite de vifs débats dans la région somali9. Finalement, l'incitation à l'installation de commerçants non-somali se révèle moins forte que la structuration des réseaux existants et seuls quelques acheteurs "éthiopiens-non-somali" commencent à pénétrer cet espace, en restant toutefois contenus dans les marchés-lieux (construits en durs dans le cadre d'un programme de

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maillage financé par l'USAID). L'ouverture du marché égyptien pour l'Éthiopie est une occasion d'introduire de nouveaux acteurs. En effet les réseaux somali y sont moins solides que pour la péninsule arabique et c'est au départ par l’intermédiaire de l'État éthiopien que les négociants vont entrer en contact avec les importateurs égyptiens10.

36 Parallèlement, la même année, Al Amoudi participe, au sein d'une délégation éthiopienne, à des négociations avec le Somaliland11 en vue d'un contrat permettant l'exportation du bétail "éthiopien" par le port de Berbera, en échange de la promesse de lever l'embargo pour le Somaliland. Les négociations n'aboutiront pas : le risque est trop grand pour le Somaliland, avec une levée de l'embargo conditionnée par l'Ethiopie, de perdre ses revenus vitaux tirés de l'exportation de bétail - même en période d'embargo12 -. De plus les exportateurs somalilandais risquent de se voir coupés du marché saoudien au profit du groupe d'Al Amoudi et de grands commerçants éthiopiens, dont ils soupçonnent qu'ils pourraient être favorisés. Pour les Somalilandais, et finalement les Somali d’Éthiopie13, ce projet reviendrait à faire acheter le bétail somali par l'Éthiopie pour le revendre à l'Arabie saoudite via le Somaliland.

37 Ne parvenant finalement à accéder ni au port de Berbera, ni en suffisance au bétail de la région somali d'Éthiopie, l’Éthiopie et l'entreprise Elfora, dont les objectifs convergent, se détournent des exportations de bétail vivant pour se concentrer sur les complexes de viande (abattoirs et usines de conditionnement). En effet, l’Éthiopie étant enclavée, les exportateurs éthiopiens ne peuvent pas exporter de bétail vivant vers la péninsule arabique dans la mesure où les ports d'exportation se situent dans des États encore sous embargo.

38 Tous les abattoirs d'exportation se situent à l'ouest de la frontière culturelle entre les mondes "somali" et "éthiopien" et loin des filières du fameux mouton à tête noire. Deux choix sont possibles : soit descendre ses usines vers les basses terres de l'est (au risque de ne pas réussir à pénétrer les filières), soit "se contenter" des vaches des hautes- terres, d'un moindre potentiel pour l'exportation vivante, alors que vraisemblablement le bétail somali était l’atout premier de filiale animale. Elfora possède bien une filiale à Dire Dawa, à l'entrée de l'ERSE mais peine autant que les autres abattoirs à trouver les animaux nécessaires à son fonctionnement.

39 En 2004, le groupe MIDROC crée TransNation Airways, une compagnie aérienne de transport de fret et accessoirement de passagers, dont l'objectif premier est le transport de la viande produite par Elfora. (Addis Tribune, 23 juin 2004). Le groupe entier est engagé dans la structuration du secteur d'exportation de produits animaux. Afin d'accéder au bétail de qualité export, Elfora collabore finalement au programme de développement PARIMA (Pastoral Risk Management on East Africa's Rangeland), financé par l'USAID, destiné à intégrer le bétail des éleveurs Borana en Oromiya au marché d'exportation. En effet, à partir de 2003, ce programme, qui existe depuis 1997, est membre d'un comité dirigé par l'association éthiopienne des exportateurs de bétail et de viande et dont le secrétariat est assuré par le Livestock and Fisheries Marketing Department du ministère éthiopien de l'Agriculture. Une évaluation mise en place par le Comité et PARIMA montre que l'ensemble des abattoirs d'exportation fonctionnent en sous-capacité. La région Borana (au sud du pays, en Oromiya), au cœur du projet PARIMA, et ne bénéficiant vraisemblablement pas des réseaux anciens des pasteurs somali pour accéder au marché international devient le centre d'un système liant l'État,

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les ONG et les grands industriels de la viande, dont le leader est Elfora (Solomon Desta, 2006).

40 Ce programme devient la principale source d'approvisionnement de son abattoir de Debre Zeit, montrant ainsi la convergence des "nouveaux acteurs " d'une "mise en mondialisation sectorielle" de l’Éthiopie et entérinant le fonctionnement parallèle de deux marchés animaux.

41 Selon les acteurs considérés, la réussite du projet est à relativiser. En effet, à l'échelle de l’Éthiopie, les exportations de viande ont été multipliées depuis sa mise en place et leur part dans les exportations est de plus en plus importante. En revanche, pour les industriels, dont le leader est sans conteste Elfora, le succès est plus relatif : les abattoirs d'exportation fonctionnent toujours en sous-capacité et le programme n'a pas suffi à construire des relations de confiances entre les éleveurs et les courtiers nommés par les industriels.

42 Cette coopération entre des acteurs de nature et d'échelle d'intervention différentes obtient un succès relatif, mais permet néanmoins l'entrée de l’Éthiopie sur le marché international du bétail. Cependant, l'un des objectifs de départ, à savoir les réseaux orientaux du commerce, n'est pas atteint, et on assiste, après une forme d'engouement pour ces espaces et leurs ressources, à une relégation dans l'oubli (dans l'inconscient national?). Aussi est-il intéressant de constater que l'articulation d'un secteur de l'économie au commerce mondial et mondialisé va, dans ce cas précis, renforcer un déséquilibre. Bien que les statistiques du groupe soient difficiles d'accès, la non- existence d'Elfora dans le discours des grands négociants de bétail en ERSE souligne tout de même un échec conséquent au regard de la puissance économique du groupe et de la taille du cheptel de la région somali.

43 L'action conjuguée des acteurs de la mise en mondialisation par les normes (programmes de l'USAID, organisations internationales ou ONG qui en sont les opérateurs), d'un grand acteur économique et de l'État éthiopien contribue à renforcer les différentiels de développement et de perception de part et d'autre de la frontière cognitive à l'échelle du territoire éthiopien.

Conclusion

44 Entre 1998 et le début des années 2010, le global formalisé accède à l'ERSE via Addis Abeba, sans réelle émancipation d'une administration locale. Les acteurs des projets connectés au monde normalisé sont des acteurs choisis, dans une double volonté éthiopienne de développement économique et de contrôle politique par le marché. Ces volontés contradictoires vouent ces projets à un développement limité alors que les acteurs sectoriels traditionnels sont déjà organisés, déjà mondialisés et que la certification se traite dans les villes portuaires. Aussi, la question d'un stock grabbing coopté par Addis-Abeba hors de contrôle des acteurs locaux n'est pas encore posée pour le bétail de la région somali d’Éthiopie. Toutefois, les territoires somali même organisés par les réseaux informels pré-existants, s'ils s'affranchissent d'Addis Abeba, restent dans une relation de dépendance aux importations saoudiennes. Cette asymétrie a été perturbée par l'entrée de l'Arabie Saoudite dans une mondialisation normative contraignante.

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45 Depuis 2010, une nouvelle administration régionale offrant en gage à Addis Abeba la sécurisation de l'ERSE a pu négocier une autonomisation régionale, conformément au statut des États régionaux dans la Constitution. La décentralisation se fait plus réelle et touche depuis récemment des pans important de l'économie locale dont les portées socio-spatiales sont à venir. Avec une administration perçue comme affranchie du pouvoir fédéral, les acteurs locaux s'autorisent, encore timidement, à investir dans leur région. Dans le cas du bétail, un premier projet d’abattoir d'exportation porté par un entrepreneur somali de la diaspora est en cours de réalisation à proximité de Jijiga, là où de grands projets d'industrie intégrée de ranch et de transformation du bétail sont annoncés par Addis-Abeba depuis dix ans mais n'ont jamais pu être réalisés. Alors que les précédents projets étaient jusqu'alors imposés à l'État régional depuis Addis Abeba, on assiste, depuis une période très contemporaine à un embryon d'inversement de la hiérarchie scalaire avec des propositions venues de la région acceptées par l'administration fédérale, la région jouant un nouveau rôle d'intermédiation entre les porteurs de projets (déjà mondialisés, venant de la diaspora et/ou ayant des réseaux importants dans les pays du golfe) et l'État fédéral. Ces derniers développements sont trop neufs pour que des conséquences spatiales puissent en être tirées à long terme, mais ils indiquent une direction nouvelle.

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Pinauldt G., 2014. L'or vivant des Somali. Des frontières, des troupeaux et des hommes face à la mondialisation des normes : un regard géopolitique sur les exportations de bétail de la Corne de l'Afrique. Thèse de doctorat non publiée, Saint-Denis, Université Paris 8, 352 p.

Planel, S., 2007. Du centralisme à l'éthnofédéralisme. La décentralisation conservatrice de l’Éthiopie. Afrique contemporaine, 221, p. 87-107.

Solomon Desta, Getachew Gebru & all, 2006. Linking pastoralists and exporters in a livestock marketing chain: recent experiences from Ethiopia. In McPeak J. et Little P. D., Pastoral Livestock Marketing in Eastern Africa. Warwickshire, Intermediate Technology Publication, Schumacher Centre for Technology and Development, p. 109-127.

NOTES

1. Entre 25 % et 75 % selon les sources et selon les années. 2. Dès lors, le bétail de la Corne de l'Afrique a été utilisé pour l'approvisionnement en viande des garnisons britanniques établies à Aden. 3. Si les États importateurs considèrent, suivant les recommandations de l'OIE, que pour accéder aux ports d'exportation le bétail séjourne trop longtemps dans une zone endémique, le certificat n'est pas valide. De plus, entre 2006 et 2009, la quarantaine animale de Djibouti était la seule à avoir obtenu la reconnaissance du Ministère saoudien de l'Agriculture. À cette période, l’Égypte est le seul État qui reconnaît les certificats issus par la quarantaine animale de Dire-Dawa dans le cadre d'un accord bilatéral encadrant les échanges entre les deux États. Voir pour cela Pinauldt, 2009. 4. Voir Planel, 2007. 5. Le discours public éthiopien sur l'ERSE oscille entre la virginité supposée des terres somali, considérées comme un front pionnier pour l'agriculture et la menace intérieure que représente sa population, les terres somali font alors figure de front guerrier. C'est d'ailleurs cette dualité du discours qui va longtemps freiner l'engagement éthiopien dans le développement de cette région, sans pour autant souhaiter son détachement de l’Éthiopie. 6. USG Trade Capacity Building Database, http://qesdb.cdie.org/tcb/index.html , USAID Development Information Services, consulté le 5 juillet 2013. 7. Lorsqu'ils sont utilisés entre guillemets, le terme «Éthiopie» et ses déclinaisons font référence non à l'État éthiopien ou à la nationalité éthiopienne, mais à la représentation répandue (et notamment dans une vision somali) qu'est éthiopien un éthiopien des hautes-terres (et dont on sous-entend qu'il est chrétien, agriculteur et sédentaire), par opposition aux peuples périphériques, notamment pastoraux, et particulièrement somali : musulman, éleveur et nomade. Si cette vision semble pour le moins essentialiste, elle correspond néanmoins à des représentations opérationnelles sur le terrain. 8. Ré-utilisant ainsi une rhétorique employée aux cours de la première moitié du XXe siècle dans les négociations avec le protectorat britannique du Somaliland, qui consistait à qualifier de sujets britanniques les Somali issus du clan majoritaire au Somaliland (mais dont les territoires s'étendent au-delà de la frontière, en Éthiopie). Cette rhétorique rappelle néanmoins la difficulté pour l’Éthiopie à distinguer parmi cette population nomade et transfrontalière qui est Éthiopien et qui ne l'est pas. Les mêmes questions se posent d'ailleurs quant à la nationalité du bétail. 9. Haatuf, n° 120, 22 juillet 2002. "Etoobiya oo bilaabaysa dhoofinta xoolaha nool" (L'Éthiopie commence l'exportation du bétail vivant) http://www.haatuf.net/ Archive2002/00012000.htm, consulté le 15 mars 2013. Haatuf est un quotidien de la presse papier du Somaliland. Il s'agit du journal qui possède les plus anciennes archives

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en ligne de ses articles. Les actualités de l’État régional somali d'Éthiopie sont d'une manière générale très peu relatées dans les media éthiopiens. 10. Entretiens réalisés en 2009 et 2010 avec plusieurs négociants non-somali de bétail achetant du bétail originaire d'ERSE. 11. Entretiens réalisés entre 2008 et 2009 avec l'un des membres de la délégation éthiopienne au Somaliland. 12. Le bétail continue d'être exporté depuis Berbera - de manière moins lucrative - vers le Yémen qui a levé l'embargo sur le Somaliland en 2002, et les Émirats arabes unis. 13. Le double échec de l'introduction de commerçants non-somali en ERSE et des négociations avec le Somaliland fait apparaître que malgré une lourde histoire de conflits intra-Somali opposant particulièrement des clans présents en ERSE et au Somaliland, la solidarité somali prime lorsqu'il s'agit de bétail dans un rapport aux "Ethiopiens" (pouvoir éthiopien).

RÉSUMÉS

Le commerce de bétail en Éthiopie est marqué par une frontière intérieure que dessine la vallée de l'Awash/vallée du Rift et qui matérialise une frontière cognitive entre les basses-terres Somali et les hautes-terres de l'Éthiopie. À l'ouest de cette ligne, le bétail nourrit principalement la consommation éthiopienne et à l'est, largement informel et dominé par les grands commerçants somali, il est exporté vers la péninsule arabique via le Somaliland. Profitant d'une conjonction de facteurs accélérant la "mise en mondialisation" du commerce de bétail, l'État éthiopien conjugue la captation des aides internationales pour des programmes d'accès aux marchés et de mise aux normes commerciales et vétérinaires avec une ouverture nouvelle à des investisseurs saoudiens. Mais ces projets se heurtent à la résistance d'un système géoéconomique pluri-centenaire dans une région Somali d'Éthiopie pas encore tout à fait acquise à la cause éthiopienne, pour lequel le bétail demeure une richesse non aliénable par l'État. Ici, la mise en mondialisation de l’Éthiopie, sous la forme d'une normalisation des échanges internationaux, donne à une occasion l'État éthiopien de mieux maîtriser un territoire périphérique et sa ressource. Cette utilisation des outils normatifs permet-elle d'intégrer l'économie de la région Somali d’Éthiopie et ainsi de rééquilibrer le territoire national, ou ce processus renforce-t-il cette frontière culturelle intérieure ?

INDEX

Mots-clés : commerce de bétail, frontière cognitive, mondialisation des normes, Arabie Saoudite, Somali, État régional Somali d’Éthiopie

AUTEUR

GÉRALDINE PINAULDT Géraldine Pinauldt, [email protected], est Docteur en Géographie.

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« Peurs » et pratiques répressives : mobilisations musulmanes et pouvoir éthiopien (2011-2014)

Jean-Nicolas Bach

Je remercie Marie Bridonneau et Sabine Planel pour leur invitation à contribuer à ce numéro d’Echogéo consacré à l’Éthiopie. Je tiens également à remercier tout particulièrement les deux évaluateurs anonymes qui m’ont permis de revenir sur plusieurs imprécisions et d’améliorer ainsi le texte par rapport à sa version originale.

Introduction

1 La vie politique éthiopienne semble frappée depuis 2011 par ce qui fut baptisé (sans doute à la hâte) les « printemps arabes1 ». De fortes tensions sont en effet apparues entre un gouvernement tout à coup ouvertement intrusif dans les affaires musulmanes d’une part, et des musulmans « renégociant leur marginalité2 » au sein de l’État d’autre part. Ceux-ci ont depuis manifesté à de nombreuses reprises leur mécontentement au cours de rassemblements publics d’importance inédite depuis l’instauration du régime du Front Démocratique Révolutionnaire du Peuple Éthiopien (FDRPE) en 1991 (Abbink, 2014). Inédite en effet pour ce régime laïc qui a prôné la tolérance religieuse et reconnu constitutionnellement la séparation des Églises et de l’État en 1995. Mais à travers ces événements récents, cet article examine les tensions politico-religieuses des dernières années au croisement de ces influences conjoncturelles et de la longue durée (la formation de l’État éthiopien et ses historiographies) afin de répondre à la question suivante : que nous enseignent ces événements récents sur les modes de gouvernement du FDRPE ?

2 Répondre à cette interrogation nécessite l’articulation de différents niveaux d’analyse, depuis les multiples influences exogènes jusqu’aux échelles locales du politique. Les influences extérieures ne relèvent pas seulement des « printemps arabes » mais également d’une menace terroriste croissante dans la Corne de l’Afrique depuis les

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années 1990. Quant aux échelles infra-étatiques, elles renverront ici aux implications politiques locales de cette menace, elles-mêmes à saisir dans un contexte sociohistorique particulier. Ce numéro d’Echogéo a été pensé autour de l’idée de « glocal », c’est-à-dire de l’influence mutuelle entre ces dimensions exogènes et endogènes. Dès la décennie 1990, de nombreuses études ont en effet montré comment la globalisation restait marquée par les contextes locaux spécifiques3. En Éthiopie aussi les influences (matérielles et symboliques) forgeant les pratiques du pouvoir et les mobilisations sont multiples, mouvantes et protéiformes, allant du local (le FDRPE promeut un islam qu’il qualifie de « local » ou « traditionnel ») au global (lutte contre le terrorisme, salafisme assimilé au « radicalisme » étranger), en passant par le national (régime autoritaire et État développementaliste éthiopien), ou le transnational (mouvements armés).

3 Quelles que soient les échelles, il faut également interroger les enjeux politiques dissimulés dans ces catégories usitées par le pouvoir – telle que l’opposition entre un soi-disant islam « radical » et un islam « tolérant ». Il s’agit plus précisément de la perception des menaces par le FDRPE, pour lequel l’islam « radical » est synonyme de « terrorisme », de « wahhabisme », ou de « salafisme », tous assimilés à l’ « étranger » (Feyissa & Lawrence, 2014). L’idée de menace ne peut donc se limiter à une dimension qui paraîtrait objective (les attentats par exemple). Or, pour saisir les logiques à travers lesquelles ces représentations sont constamment reconstruites et usitées, il faut impérativement donner à ces jeux d’échelles conjoncturels complexes une perspective de long terme.

4 Ce temps long est celui de la formation d’un État éthiopien moderne, profondément marqué par son rapport à la « chrétienté » (Erlich, 2010, p. 11). Haggai Erlich a décrit le rapport entre l’islam et « l’État éthiopien chrétien » comme marqué par l’ambivalence héritée d’une historiographie problématique : cette histoire est celle, d’un côté, de la confiance et de la tolérance dues à l’accueil des réfugiées envoyés par le prophète Mohamed auprès du roi (najashi) éthiopien chrétien au VIe siècle et, de l’autre, celle d’une méfiance voire d’une « diabolisation de l’islam » découlant de la mémoire de la destruction du royaume chrétien par l’Imam Ahmed Gragn au XVIe siècle, ce que l’auteur qualifie de « dichotomous conceptual mutuality » (Erlich 2010, chap. 1 et 2). C’est bien l’ambivalence de cette mémoire, de ce rapport religieux à l’État qui, après l’apaisement politico-religieux du régime laïc instauré par le FDRPE, a récemment refait surface. Car en dépit des changements de régime, ces mémoires en tension demeurent, tout comme les cadres de pensée et les pratiques qui y sont associés. Le temps de l’islam et de son rapport à l’État éthiopien n’est donc pas linéaire mais « enchâssé »4, alimenté à la fois par l’histoire longue et l’histoire immédiate. Ces temporalités multiples et enchevêtrées doivent être articulées aux échelles d’analyse mentionnées plus haut pour tenter de comprendre les tensions récentes entre islam et politique en Éthiopie.

5 Cet article n’a nullement vocation à apporter une connaissance renouvelée sur l’histoire de l’islam en Éthiopie. Nous renverrons en ce domaine à quelques travaux faisant autorité5. Nous ne prétendons pas non plus à l’exhaustivité dans l’espace qui nous est imparti ici. Il s’agit ici, plutôt, de s’interroger sur les pratiques concrètes du pouvoir, reflets d’enchâssements temporels et scalaires complexes. En effet, cette contribution propose une explication des violences physiques et discursives récentes du FDRPE à l’égard des musulmans à partir du point d’articulation entre les

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permanences historiographiques (le rapport ambivalent de l’État éthiopien chrétien à l’islam) et les ambitions politiques pragmatiques du FDRPE (État développementaliste, volonté de contrôle quasi-totalisant de la société). Nous défendrons l’argument selon lequel la peur de l’islam « radical », sans doute réelle de la part du FDRPE, ne fait que se superposer et alimenter une autre peur des élites au pouvoir : celle d’une perte du pouvoir. Nous fonderons ici notre argument sur nos derniers séjours de recherche en 2014 (février, juin, novembre) au cours desquels nous avons pu nous entretenir avec de nombreux acteurs politiques ou académiques.

6 Exposer et interpréter les enchâssements du temps et des échelles n’est pas chose aisée. Nous n’optons donc pas ici pour une présentation chronologique qui pourrait laisser croire à un temps linéaire. Une première partie reviendra plutôt sur les tensions politico-religieuses croissantes entre ce que le FDRPE perçoit comme une « menace islamique » d’un côté et un « bon islam » de l’autre. Nous proposerons dans une seconde partie de replacer ces violences protéiformes dans une perspective de long terme d’une part (celle de la formation de l’État éthiopien et son rapport à l’Église orthodoxe et à l’islam) et conjoncturelle d’autre part (enjeux politiques et économiques contemporains). Nous pourrons ainsi croiser dans cette seconde partie les pratiques contemporaines du pouvoir à la permanence des débats historiographies.

Le FDRPE et la faveur du « bon » islam (1991-2014)

7 Fait marquant de ces dernières années, les questions religieuses en général6 et de l’islam en particulier ont fait une entrée inédite sur la scène politique éthiopienne. Néanmoins, les tensions politico-religieuses n’ont cessé de croître durant les deux dernières décennies. Cette évolution s’explique notamment (mais pas seulement) par une méfiance croissante à l’égard de certains courants réformistes islamiques « importés », décrits comme Salafistes, ou Wahhabites7, même si l’islamisme au sens d’un islam politique (comme les Frères musulmans égyptiens ou Ennahda en Tunisie) semble encore très minoritaire en Éthiopie où les courants réformistes ne réclament nullement l’instauration d’un État islamique (Østebø, 2013). L’un des principaux enjeux politiques se situe ainsi dans le contrôle des instances représentatives des musulmans, intermédiaires entre les fidèles et l’État, à savoir les conseils islamiques institutionnalisés (majlis). C’est précisément les modes de sélection de ces représentants qui ont été l’objet de vives tensions ces dernières années à Addis-Abeba et dans certaines provinces.

L’islam en Ethiopie après 1991 : libéralisation, politisation et montée des tensions

8 Après son arrivée au pouvoir en 1991, le FDRPE bénéficiait d’un accueil favorable de la part de la communauté musulmane. La liberté de culte, la séparation des Églises et de l’État et l’interdiction d’interférer dans les affaires de l’une et l’autre se trouvaient désormais garanties par la Constitution de 1995 en son article 11. Un nouveau cadre constitutionnel qui générait chez les musulmans jusque-là marginalisés des attentes en termes de participation à la vie politique et d’accès à l’administration (promesses de « démocratie » et d’ « autonomie régionale », redistribution régionale du pouvoir) (Carmichael, 1996, p. 184). La question religieuse ne peut par conséquent être perçue de

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façon séparée des pratiques politiques et ce, dès la mise en forme du régime au début des années 1990.

9 La libéralisation annoncée semble d’ailleurs se réaliser avec l’arrivée au pouvoir du FDRPE. Les horaires de la fonction publique sont aménagés pour permettre aux pratiquants musulmans d’assister à la prière du vendredi et aux fêtes musulmanes. Les Tribunaux islamiques qui avaient vu le jour sous le règne d’Hailé Sélassié voient quant à eux leurs prérogatives renforcées. Les enseignements islamiques se développent, de même que les constructions de mosquées financées localement ou depuis l’étranger. Les sorties pour le pèlerinage du hajj augmentent substantiellement et la littérature religieuse en provenance de l’étranger ne fait plus l’objet de restrictions (Østebø, 2013 ; Abbink, 2011).

10 Ces mesures ont deux effets importants. Elles permettent tout d’abord de renforcer le soutien d’une large part des musulmans au nouveau régime dit « ethno-fédéral ». Un autre effet notable produit par ces initiatives institutionnelles concerne l’importante libéralisation des discours religieux islamiques, chrétiens, et pentecôtistes. La pratique des cultes étant désormais perçue comme un nouveau « droit démocratique », on assiste à la diffusion d’idées « réformistes » allant « des plus accommodantes aux plus radicales » (Abbink, 2011, p. 256). Deux tendances majeures, très prosélytes, se développent alors : la première (Salafisme, Tabligh) est fondée sur la nécessité d’un retour à un islam « pur » et sur une critique de l’islam traditionnellement soufi dominant en Éthiopie, jugé idolâtre et déviant des principes « originaux » de l’islam. La seconde tendance est quant à elle animée par les mouvements évangéliques/ pentecôtistes critiques à l’égard de l’Église orthodoxe (Abbink 2011, p. 256).

11 Les craintes du FDRPE à l’égard de l’islam vont être alimentées dans les années 1990-2000 par un contexte local et international propice à la « peur de l’islam ». En février 1995, des incidents font au moins neuf morts et plus d’une centaine de blessés à la mosquée Al-Anwar dans la capitale (Abbink 1998, p. 118). Un événement qui s’agrège à la tentative d’assassinat (supposée soutenue par le régime de Khartoum) du président égyptien Hosni Moubarak lors de sa visite à Addis-Abeba en juin 1995 et à une série d’attentats perpétrés entre mai 1995 et avril 1996 dans le pays. Les ancrages étrangers supposés de ces mouvements hétéroclites (et plus ou moins violents) alimentent l’idée au sein du leadership éthiopien d’un danger fondamentaliste s’infiltrant dans le pays via une « cinquième colonne » (les musulmans éthiopiens) (Feyissa & Lawrence, 2014).

12 Parallèlement, la montée des polémiques intra- et interconfessionnelles pénètre la sphère publique et aurait pris une telle envergure qu’elle poserait désormais un véritable défi à l’État éthiopien (Abbink, 2011). Ces tensions religieuses peuvent être lues comme la remise en cause d’un État dont le cœur et les racines étaient jusque-là considérés comme chrétiens. Une crainte de la part des orthodoxes d’ailleurs attisée par les chiffres du dernier recensement de 2007, selon lequel les orthodoxes représenteraient 43,5 % de la population face à 33,9 % de musulmans et 18,6% de pentecôtistes (National Census, 2007, p. 96). La cohabitation demeure généralement pacifique, mais on est frappé par les constructions presque en vis-à-vis de nouveaux édifices religieux dans la capitale ou dans les autres villes du pays8. Les querelles ont d’ailleurs pu prendre des formes plus violentes, comme à l’occasion de processions passant à proximité d’édifices religieux. Mais les violences physiques demeurent sporadiques et ne semblent pas faire l’objet d’une coordination à l’échelle nationale.

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13 Des incidents opposant des chrétiens (orthodoxes ou protestants) et des musulmans ont été enregistrés depuis le début des années 2000 : dans la capitale, à Harar et à Kemise en 2001, à Arrago et Alaba en 2005, à , Jimma et Beghi en 2006, à Wolenkomi en 2010 (Østebø, 2013). Les incidents de Jimma et de Beghi (dans le Wollega) en 2006 sont révélateurs du caractère inédit de ces événements. Une branche radicale de jeunes salafistes, nommée Takfir wal Hijra, critique à la fois à l’égard des salafistes plus anciens et des musulmans soufi, s’était implantée à Jimma afin d’y recruter au sein de la jeunesse locale9. Le Takfir aurait joué un rôle déterminant dans les incidents durant lesquels des églises et des mosquées ont été brûlées, faisant plusieurs morts en 2006, au nom de l’instauration de la « loi islamique » (Abbink, 2011, p. 265). Le mouvement atteint un autre degré de politisation lorsque ses membres refusent de se munir de cartes d’identité et de verser leurs taxes. Le gouvernement d’Addis-Abeba réagit alors par l’envoi des forces de sécurité afin de rétablir l’ordre, chose faite après de violents affrontements et quelques 1 500 arrestations (Østebø 2010, p. 31-32).

La montée de l’intrusion du FDRPE dans les affaires musulmanes et la question d’Al-Ahbash

14 Le gouvernement éthiopien réagit dès le milieu des années 1990 en refermant l’espace ouvert quatre ans plus tôt aux musulmans éthiopiens. Suite aux incidents de la mosquée Al-Anwar, l’Ethiopian Youth Muslim Association, l’un des principaux organisateurs de la manifestation, est fermée et la plupart de ses membres arrêtée. Entre 1994 et 1996, de nombreuses organisations islamiques et de nombreux journaux sont également fermés. La seule organisation désormais tolérée et chargée de représenter les communautés musulmanes dans le pays est l’Ethiopian Islamic Affairs Supreme Council (EIASC) hérité du därg. Le FDRPE dispose ainsi d’une institution relais - dont les membres font déjà l’objet de vives critiques au début des années 1990 de la part des communautés musulmanes (Abbink 1998, p. 118). Une telle centralisation permettrait ainsi un contrôle politique et financier plus aisé pour le pouvoir séculaire. La présence d’un représentant du ministère des Affaires étrangères éthiopien lors de l’élection des nouveaux représentants musulmans en 2004 laisse peu de doute sur l’influence jouée par le FDRPE dans l’institution musulmane (Østebø 2010, p. 40). Des membres réputés anti-salafistes sont élus et les représentants sortant se trouvent expulsés – certains seront poursuivis pour corruption et pour leurs prétendus liens avec les réseaux salafistes.

15 Les actions menées depuis par le FDRPE, en Éthiopie et en dehors d’Éthiopie, visent d’une part à marginaliser ceux qu’il considère comme des groupes salafistes (ou wahhabites), assimilés à un « islam radical », « dangereux » et « étranger », et d’autre part à favoriser les musulmans jugés « tolérants », ancrés localement et défendant un islam « traditionnel » soufi. On peut lire ainsi le soutien apporté par le gouvernement éthiopien au groupe islamiste Ahlu Sunnah Wal Jama’a (ASWJ) en Somalie. Il s’agissait alors de former une alliance s’opposant aux éléments radicaux des Tribunaux islamiques déchus, notamment les Shabaab (ICG, 2010). Selon la même logique appliquée en Éthiopie, une version locale d’ASWJ aurait été créée en Région Oromo en juin 2012 afin de « combattre l’extrémisme » en collaboration avec le gouvernement (Østebø, 2013, p. 1043).

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16 Ces initiatives du FDRPE prennent une nouvelle dimension à partir de juin 2011. Poursuivant son entreprise consistant à exclure les éléments jugés « radicaux » des institutions islamiques éthiopiennes, le FDRPE entreprend au sein de l’EIASC de nommer les nouveaux membres qui doivent être renouvelés en 2012. Le processus est engagé une année auparavant suite à l’invitation par le gouvernement de Meles Zenawi et l’EIASC, en juin 2011, d’une délégation de quinze théologiens libanais de l’Association des Projets Charitables Islamiques, plus connu sous le nom d’Al-Ahbash10. Un séminaire est initialement organisé à Harar, auquel participent le vice-président de l’organisation libanaise, le docteur Samir Qadi, et le ministre éthiopien des Affaires fédérales, Shiferaw Teklemariam. Devant 1 300 participants, le ministre des Affaires fédérales présente un exposé sur le thème de l’ « extrémisme religieux » suivi de sessions de travail intitulées « Is Wahhabism a threat to Ethiopia ? » et dirigées par les représentants d’Al-Ahbash (Østebø, 2013 ; Ramos, 2013). Le mois suivant, le docteur Qadi donne une conférence à Addis-Abeba sur le même thème. Retranscrit par Østebø (2013), le discours tenu par le vice-président d’Al-Ahbash est alors très virulent à l’égard de Frères musulmans, des salafistes et des wahhabites tous qualifiés de « menace imminente », de « violents extrémistes » déterminés à exterminer physiquement toutes les autres formes d’islam. Salafistes, wahhabites et terroristes assimilés à Al-Qaida sont condamnés alors que les partisans d’un islam dit « modéré, institutionnalisé et traditionnel » sont encouragés. Les formations (trainings) se poursuivent dans l’ensemble du pays en 2012, notamment au sein des universités (9 campus en septembre 2012). Les éléments réticents auraient effectué des séjours en prison (200 auraient été emprisonnés à Adama pour avoir quitté le training). L’Imam de la mosquée Awolia (affiliée à la Muslim World League saoudienne jusqu’à ce que le gouvernement en transfère récemment la direction à l’EIASC) aurait quant à lui été renvoyé pour avoir refusé d’assister à ces trainings. Ceux qui protestent, les enseignants et nombre d’étudiants, sont également accusés de terrorisme et arrêtés (Østebø, 2013).

17 En réaction à l’intrusion politique dans les affaires islamiques, de nombreuses manifestations s’organisent alors dans le pays. Les manifestations à Addis-Abeba, pourtant massives, n’ont fait aucune victime à notre connaissance, malgré une répression parfois violente et de nombreuses intimidations (Ramos, 2013). Des victimes mortellement blessées ont en revanche été signalées dans les villes d’Asasa en mai 2012 et de Gerba en octobre 2012 (Zeleke, 2013, p. 6-9). Un comité d’arbitrage constitué de 17 représentants musulmans (elders) est mis en place afin de négocier avec le gouvernement. Ils réclament le respect de l’indépendance de l’EIASC, la réouverture des écoles et des mosquées fermées, la fin de la tentative d’imposer un islam d’État via Al-Ahbash, et la réélection des conseils musulmans - majlis – au sein des mosquées et non au sein des kebele11. En octobre 2012, le gouvernement met en prison 29 activistes musulmans suspectés de terrorisme dont une douzaine y demeure encore (en décembre 2014) sous le coup de la loi antiterroriste de 2009.

Permanences historiques et pratiques répressives du FDRPE

18 Les mobilisations musulmanes récentes ont montré l’enchâssement des échelles. Celui du temps est également décisif. Ce temps se réfère à l’histoire de l’islam au sein de l’État éthiopien et à ses historiographies toujours en tension (Erlich, 2010). Mais pas

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seulement. Les répressions récentes relèvent selon nous tout autant de pratiques de pouvoir visant de façon indiscriminée toutes les catégories sociales et religieuses du pays, en vue de contrôler les acteurs et les ressources. En effet, les représentations religieuses des dirigeants ne se traduisent de façon violente que parce que le FDRPE ne tolère aucune contestation, fusse-t-elle musulmane, laïque ou orthodoxe (comme le montrent les répressions à l’égard de partis d’oppositions dont les discours sont pourtant émaillés de références à l’Église orthodoxe d’Éthiopie, comme l’All-Ethiopia Unity Party). La fermeture politique est déterminante et doit aujourd’hui être saisie dans un contexte particulier, celui d’une transition de la « démocratie révolutionnaire » laïque vers un État dit développementaliste.

L’islam et l’historiographie chrétienne de l’État éthiopien

19 Avec officiellement 33,9 % d’une population avoisinant aujourd’hui les 94 millions selon la Banque mondiale (74 millions en 2007, National Census, 2007, p. 96) l’Éthiopie concentre l’une des plus importantes populations musulmanes du continent, ici minoritaire. Le premier contact entre l’islam et l’Éthiopie, ou plus exactement le Royaume d’Axoum (le nord de l’Éthiopie actuelle) se situerait en 615, date à laquelle les compagnons du Prophète Mohamed, persécutés à la Mecque, s’exilèrent (hijra) auprès du roi chrétien d’Axoum, le nejashi (le roi). Que cette histoire soit avérée ou mythique, durant les siècles qui suivent, l’islam se développera progressivement dans les plaines et sur les plateaux de ce qui deviendra le « cœur historique » de l’État éthiopien. Néanmoins, l’Empire puis l’État moderne éthiopien se construiront sur une historiographie chrétienne orthodoxe (Erlich, 2010). Retraçons très schématiquement cette construction politico-religieuse.

20 Les fondements de l’État éthiopien ont été façonnés par une mythologie chrétienne. Au Nord, dans la région du Lasta, la chute de l’empire d’Axoum fait place à la dynastie Zagwé fondée au XIIe siècle. Son roi, Lalibäla, ambitionnait de fonder la seconde Jérusalem par la construction d’une série d’églises excavées à Roha, dans le célèbre lieu qui porte aujourd’hui son nom. En 1270, cette dynastie Zagwé était renversée par Yekuno Amlak (1270-1285) qui fondait une nouvelle dynastie, la dynastie salomonienne, s’affirmant ainsi l’héritier de l’union du roi hébreu Salomon et de la reine de Saba. Un texte, le Käbrä Nägäst (Gloire des rois), sera rédigé au début du XIVe siècle pour « retracer » la filiation salomonienne de la nouvelle dynastie (Crummey 1988, p. 13-43 ; Gascon, 2009). La chrétienté est bien au cœur du pouvoir politique et de sa légitimation.

21 Le XVIe siècle marque un tournant à la fois historique et historiographique dans l’histoire des rapports entre l’islam et l’État éthiopien. L’Imam Ahmad Ibn Ibrahim, dit Gragn (le gaucher), parvient alors à fédérer les musulmans des basses terres à partir du sultanat d’Adal (à l’Est). Il s’agissait de contrôler les terres fertiles des plateaux qui seront en grande partie occupés par les troupes de Gragn qui pillent, brûlent les églises, les manuscrits et (re)convertissent à l’islam (dans le Balé, Hadya, Amhara, Lasta, Tigraï). Le roi Gälawdewos (1540-1559), appuyé par un contingent portugais venu en aide à l’allié chrétien, repousse finalement les musulmans en 1543 (Gragn est tué dans la bataille). Affaiblis, les sultanats des basses terres ne peuvent résister aux conquêtes oromo initiées depuis le sud-ouest12.

22 Cet épisode marquera durablement l’historiographie dominante qui ne cessera de présenter l’Éthiopie comme une île chrétienne au milieu d’un océan de musulmans

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menaçant l’unité d’une « Grande Éthiopie » orthodoxe (Trimingham, 1952 ; Erlich, 2010 ; Ramos, 2013). Cette historiographie a été largement alimentée par les chroniques royales des rois des rois éthiopiens. Parmi ceux-ci, Théodoros II (1855-1868) se déclarait d’élection divine et entendait « restaurer l’unité » de l’Éthiopie orthodoxe et la grandeur du roi des rois13, menant pour cela de violentes campagnes de conversions forcées envers les musulmans dans le Wollo et le Gouragé notamment. En 1878, sous le règne de Yohannes IV (1872-1889) confronté à la menace mahdiste venue d’Égypte et du Soudan, un édit rend obligatoire les conversions des musulmans à la religion orthodoxe, et les campagnes de conversions forcées, « aussi inhabituelles qu’inefficaces » (Abbink, 2011, p. 258) ont notamment lieu au Wollo, en région Gouragé et au Choa. Des églises sont construites, des mosquées détruites et les résistances également violentes.

23 Le règne de Ménélik II (1889-1913) est celui de l’expansion de l’Éthiopie au-delà des hauts plateaux. Par la force et par la négociation, Ménélik parvient à étendre son empire et à contrôler les routes commerciales, dont la cité stratégique musulmane d’Harar et les sultanats afar (aussi musulmans) à la fin du XIXe siècle. L’Empire éthiopien doit s’accommoder des différences religieuses, mais son identité officielle demeure orthodoxe et sa légitimité légale divine salomonienne, si bien que les populations souhaitant s’y intégrer sont souvent contraintes de se convertir14. De Théodoros à Ménélik, le rapport entre la formation de l’État moderne éthiopien et l’islam demeure donc marqué par l’ambiguïté du double héritage historiographique : la tolérance mutuelle liée à la mémoire du nejashi accueillant les envoyés du prophète Mohammed face à la méfiance héritée des conquêtes de Gragn (Erlich, 2010). Sous le règne d’Hailé Sélassié (1930-1974), dernier roi des rois de la dynastie salomonienne, la religion orthodoxe demeure la religion d’État, et l’empereur le représentant de Dieu sur terre. Après la Seconde Guerre mondiale, Hailé Sélassié prend le contrôle politique de l’Église éthiopienne devenue autocéphale en 1959, désormais indépendante de l’Église copte d’Alexandrie (Ancel, 2009, p. 925-952). Il se méfie en revanche des musulmans en partie favorisés par les politiques italiennes durant l’occupation (1936-1941) et parfois considérés comme collaborateurs (banda). L’islam fait donc partie intégrante de l’histoire éthiopienne mais a longtemps été exclue de son historiographie officielle et du pouvoir.

24 La nature des relations entre chrétiens et musulmans au niveau des localités et les interdépendances commerciales ont sans aucun doute produit des situations très diverses en fonction des régions et des époques. On peut cependant penser à la suite d’Østebø que la cohabitation pacifique entre chrétiens et musulmans s’est faite au prix d’une domination chrétienne (Østebø, 2008, p. 73). Dans les royaumes des rois des rois Éthiopiens, dans l’empire de Ménélik, d’Hailé Sélassié et du därg, les musulmans sont restés des citoyens de seconde zone. Les bâtisseurs de l’État éthiopien ont en effet construit leur légitimité et leur domination à partir d’une « constellation de mythes » (Girardet, 1986) ancrés dans un répertoire chrétien orthodoxe, qui plus est dans une Église au caractère profondément national. Comme l’écrit Donham, « Abyssinians, that is, those who spoke Semitic languages and who were Orthodox Christians, lived in a certain territory – what I have called the core. (…) The people who happened to reside in the far peripheries were not Abyssinians, but they were reserved for Abyssinian domination » (Donham 1986, p. 43). Cette vision de l’espace politique en termes de centre et de périphéries, largement adoptée et reproduite dans la littérature

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académique aujourd’hui encore, a également participé à entretenir le mythe d’un centre chrétien entouré par ses périphéries musulmanes menaçantes15.

25 Le régime du därg représente un tournant dans les rapports officiels de l’islam à l’État. En avril 1974, environ 100 000 musulmans manifestent dans les rues d’Addis-Abeba pour revendiquer une identité de « musulmans éthiopiens »16. Ces derniers demandent la reconnaissance des fêtes musulmanes comme chômées, le financement de constructions de mosquées, l’établissement d’un conseil islamique national et plus largement la fin de la discrimination religieuse. L’Église orthodoxe rejette ces revendications qui « menaceraient » l’identité de l’État et l’unité du pays (Hussein, 1994, cité dans Østebø, 2008, p. 79). Mais après son imposition au pouvoir, le därg (1974-1991) proclame dans un premier temps la fin des discriminations religieuses via son projet constitutionnel (été 1974) qui met un terme à la religion d’État. Le nouveau régime crée l’Ethiopian Islamic Affairs Supreme Council (EIASC), première institution représentant les musulmans éthiopiens auprès de l’État. Mais toutes les religions se trouvent ensuite placées sous contrôle du régime « marxiste » et du « socialisme scientifique17 ».

26 Après la chute du därg en 1991 et l’ouverture politique et religieuse instaurée par le FDRPE, c’est l’identité même de l’État qu’il s’agissait de redéfinir. Pour les musulmans éthiopiens, deux postures pouvaient alors être prises : renverser l’historiographie nationale dominante en faisant cette fois des régions musulmanes des « forteresses » soumises aux attaques des chrétiens venus des plateaux (Ramos, 2013), ou intégrer l’histoire complexe de l’État éthiopien pour se situer en son cœur depuis l’arrivée des premiers musulmans au VIIe siècle et revendiquer ainsi une identité « musulmane éthiopienne » vieille de quatorze siècles. L’étude de Carmichael de textes diffusés en arabe et en amharique au début des années 1990 révèle cette double tendance (Carmichael, 1996)18. Il s’agissait bien pour les musulmans au début des années 1990 de (re)trouver une place dans l’État éthiopien à un moment où le FDRPE entreprenait de le refaçonner.

Pratiques répressives indiscriminées en régime autoritaire

27 Le projet politico-économique du FDRPE a nécessité depuis son instauration un contrôle quasi-totalisant de la société. Ce projet et les pratiques qui y sont associées se reflètent en premier lieu dans l’idéologie officielle du régime, la « démocratie révolutionnaire » (Abyotawi dimokrassi en amharique). Conçu dès les années 1980 par le Front Populaire de Libération du Tigraï (le parti dominant au sein du FDRPE) comme un redoutable instrument de contrôle à la fois politique, économique et social19, la démocratie révolutionnaire laisse bien peu d’espace aux contestataires du régime systématiquement relégués au rang d’ « ennemis » plutôt que d’opposants (Bach, 2011 b). Le régime éthiopien fonctionne ainsi depuis le début des années 1990 via le contrôle direct ou indirect des institutions de l’État (les associations de masse, comme les Associations de Jeunes ou de Femmes en sont des illustrations), de sorte que le contrôle de l’EIASC par le FDRPE, l’utilisation des campus universitaires pour diffuser la ligne officielle du parti et « éduquer les masses20 », ou encore le recours à la force et aux arrestations font partie d’un système de gouvernance élaboré depuis le début des années 1990 et marqué par la lutte armée contre le därg. Le « vanguard party » doit

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éclairer le peuple comme un seul homme, et tous les citoyens doivent être prêts au « sacrifice » au nom du bien commun21.

28 Ce contrôle n’est bien sûr pas indépendant de considérations sécuritaires dans une région marquée par les conflits armés (Somalie, Soudan, Soudan du Sud notamment). Un fait qui peut être illustré par la collaboration dans la lutte internationale contre le terrorisme depuis les années 1990, dont l’effet d’aubaine en politique interne est une problématique bien connue dans de nombreux pays. La multiplication des attaques sanglantes dans les pays voisins (Somalie, Kenya, Ouganda) ne laisse planer aucun doute sur la réalité de la menace terroriste. Il faut néanmoins noter l’habileté diplomatique du gouvernement éthiopien qui a su tirer profit de la conjoncture post-11 septembre, non seulement sur la scène régionale (en marginalisant le gouvernement érythréen) mais aussi en politique interne en adoptant, quelques mois avant les élections générales de 2010, une loi anti-terrorisme redoutable22. Cette loi ne relève bien sûr pas seulement de la lutte contre le terrorisme, mais constitue aussi une mise en garde à l’égard des opposants et des activistes. Il s’agit en effet pour le gouvernement éthiopien de ne pas répéter les « dérapages » des élections de 2005 à l’issue desquelles le FDRPE fut mis en difficulté (Abbink, 2006 ; Hagmann & Tronvoll, 2012). En attestent les arrestations régulières de responsables politiques d’opposition accusés d’être entrés en contact avec le mouvement « terroriste » Ginbot 7 de Berhanu Nega ou d’avoir collaboré avec les « islamistes radicaux ». Ces arrestations se multiplient notamment depuis l’été 2014, parmi lesquelles on peut relever celle de Habtamu Hayalew, porte-parole du Unity, Democracy and Justice Party, accusé d’avoir établi des liens avec Ginbot 7, ou encore celle de Weynshet Molla du Blue Party, détenue près d’un mois durant l’été 2014 pour avoir participé à une manifestation de musulmans à Addis-Abeba.

29 Depuis environ une décennie, la démocratie révolutionnaire éthiopienne a évolué pour s’articuler de façon inédite à un modèle importé des « dragons asiatiques » : le developmental state, ou plus précisément, le democratic developmental state. Meles Zenawi avait imposé avant sa mort en 2012 la nécessité de s’insérer sur la scène économique internationale afin de devenir un middle income country à l’horizon 2025. Plus qu’une nécessité, cet objectif était présenté comme une question de survie. On peut lire dans les programmes et booklets internes au parti, dont la rédaction est souvent attribuée à Meles Zenawi lui-même (Premier ministre de 1995 à 2012) : • « Ethiopia had no choice except employing free market economy in the time of globalization23 ». • « The option provided here is to be good actor and competitor or to be an observer of such drama. There is no place to hide in this time of globalization, since the world is becoming a clear and plain field24 »; • « There is no midway25 ».

30 La coexistence de la démocratie révolutionnaire avec l’État développementaliste n’est pas si surprenante dans la mesure où les deux modèles nécessitent un interventionnisme très fort de l’État dans l’ensemble des secteurs économiques et sociaux. Cette politique vise à mobiliser l’ensemble de la population en vue d’une restructuration profonde de l’économie (faisant d’ailleurs écho au projet défini dès le début des années 1990, comme l’indiquaient les programmes du FDRPE mentionnés plus haut). De plus, cette tendance correspond à l’affirmation du discours développementaliste du FDRPE au tournant des années 2000 dans lequel la démocratie

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est progressivement passée du statut de précondition indispensable au développement économique à celui d’objectif ne pouvant être atteint qu’à partir d’une politique donnant toute priorité au développement économique (Bach, 2011 b). Et cela même si le democratic developmental state se définit officiellement par opposition au néolibéralisme26.

31 Souvent présenté comme un tournant radical, nous considérerons donc plutôt ce projet comme la concrétisation des visées du FDRPE depuis son arrivée au pouvoir au début des années 1990. Il s’agit de mobiliser l’ensemble des « classes socio-économiques », afin qu’elles servent le projet économique, politique et idéologique du parti au pouvoir. La réalisation du democratic developmental state dépendra également du contrôle des flux financiers (dont les flux charriés par la communauté musulmane, qu’il s’agit de centraliser via une institution unique, d’où l’enjeu de l’EIASC) et de la restructuration économique (l’accent portant prioritairement sur l’industrialisation, le développement des infrastructures, l’attraction des investissements directs étrangers et les exportations). Les sphères politique, économique et sociale sont soumises à ce projet dont la compréhension est essentielle pour qui souhaite comprendre les difficultés de toute contestation à s’organiser et à mobiliser.

32 Cette politique de contrôle a franchi un seuil inquiétant ces dernières années, notamment à travers la politique appelée And lä Amist (« 1 pour 5 ») mise en place à la campagne, chez les ouvriers, dans les universités et dans l’ensemble de la fonction publique. Le système est relativement simple : les travailleurs sont contraints de s’organiser par groupe de cinq personnes parmi lesquelles un responsable est « désigné » pour rendre compte des performances de ses camarades lors de réunions régulières. On peut y voir un système de contrôle au plus bas niveau de la société, à condition que ce contrôle soit efficace – il y aurait ici des études passionnantes à mener sur les détournements et résistances invisibles à l’égard de cette politique au sein des administrations et sur ses répercussions au sein des groupes de travailleurs ou des familles. Enfin, notons que dans le cadre du projet politico-économique du « developmental state » et dans une perspective électorale, la politique de contrôle, enclenchée à la veille des élections de 2010, passe également par la transformation du FDRPE en parti massif. Le parti autour duquel graviteraient environ six millions de membres (Tronvoll, 2010) serait devenu un passage obligé pour qui souhaite entretenir de bonnes relations avec l’administration, obtenir les pesticides nécessaires à sa production agricole, un travail relativement bien rémunéré, un crédit, ou encore bénéficier de formations gouvernementales.

33 Il n’est donc pas surprenant, dans ce contexte, que les mouvements religieux réformistes se trouvent accusés par le gouvernement d’être « anticonstitutionnels » et « antidéveloppementaux »27. Ces accusations renseignent non seulement sur la priorité donnée aux enjeux économiques, mais aussi sur la violence avec laquelle ce qui pourrait mettre en danger la réalisation de ce projet est combattu par le gouvernement. L’attitude du FDRPE à l’égard des mouvements religieux réformistes est donc à comprendre dans une politique plus large de reprise en main de la société dans son ensemble. Les enjeux sont donc moins religieux que politiques.

34 Quant à l’utilisation du spectre terroriste, il est loin d’être original et ne se limite pas aux mouvements musulmans. Les manifestants ayant contesté les résultats des élections de 2005 furent également accusés de terrorisme et de menace à la sûreté de l’État. Les partis politiques d’opposition dans leur ensemble sont régulièrement

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assimilés soit à la menace Shabiya (c’est-à-dire au gouvernement érythréen) soit aux mouvements armés somalis depuis le début des années 2000. À l’occasion d’une conférence de presse donnée en octobre 2013, suite à des manifestations organisées par Semayawi Parti, le Premier ministre éthiopien Hailémariam Dessalegn a réitéré l’assimilation entre terroristes, extrémistes religieux influencés depuis l’étranger, et groupes d’opposition. Ceux qui franchiront la ligne rouge seront « stopés » : « This by itself is a manifestation of democracy, and the question has already been addressed by the government (…). However, the question that is being raised by the opposition is not theirs but of outside forces, so if similar questions continue then we will ban any form of protests organized by the opposition 28 ». Shimeles Kemal, le porte-parole du FDRPE, a également qualifié à plusieurs reprises les manifestations menées par le même parti en 2013 d’essentiellement musulmanes. Il faut voir dans la manifestation organisée par le gouvernement contre l’extrémisme religieux, le jour même de la marche prévue par le Blue Party contre la politique gouvernementale début septembre 2013, une mise en garde supplémentaire.

Conclusion

35 Ces brefs développements illustrent le caractère multiscalaire et complexe de la question de l’islam politique en Éthiopie. L’ouverture offerte par le régime au début des années 1990 a permis de connecter l’islam éthiopien à un « islam global », que ce soit par les circulations littéraires ou les échanges universitaires. Mais la politisation de l’islam a attisé les méfiances historiques des responsables politiques vis-à-vis des mouvements réformistes (salafisme, wahhabisme). Une peur alimentée par des facteurs à la fois historiques et conjoncturels : la représentation historique persistante d’une menace extérieure associée aux musulmans (menaçant l’unité et la stabilité du pays) s’est trouvée exacerbée par le déclenchement dans les années 1990 de la lutte contre le terrorisme, accentuée à la suite du 11 septembre 2001 et de la multiplication des attentats dans la région.

36 Les dynamiques conjoncturelles et de long terme doivent donc être croisées si l’on veut saisir les confrontations entre une partie des musulmans et le FDRPE. Les influences des « printemps arabes » ou des menaces terroristes ne peuvent être comprises que dans la continuité des débats historiographiques autour du rôle et de la place des musulmans au sein de l’État éthiopien depuis le septième siècle. Ces débats ont désormais lieu dans un contexte où la parole religieuse est ouverte, mais où, a contrario, le gouvernement entend contrôler l’ensemble de la vie sociale, politique, et économique (et également religieuse bien entendu) en vue de mettre en œuvre son projet quasi-totalisant et de s’assurer le contrôle des ressources.

37 Cette fermeture de la scène politique ferait de l’adhésion à des courants réformistes un moyen d’atteindre des objectifs politiques et sociaux, bien plus qu’une fin en soi (Abbink 2011, p. 265), dans un pays où le système partisan et associatif est pratiquement entièrement contrôlé par le FDRPE. Les groupes réformistes dans lesquels les jeunes s’engagent ne leur fourniront peut-être pas de travail et ne règleront pas leur situation de pauvreté, mais ils leur offriraient un « modèle alternatif universel d’appartenance et d’action sociale dans lequel la dignité remplace la désillusion et le sens remplace la marginalisation » (Østebø , 2012, p. 6). Ainsi, la question de l’islam politique en Éthiopie consiste moins à s’interroger sur l’infiltration

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d’un éventuel islam « radical », que sur l’opportunité paradoxalement offerte par le gouvernement à ces courants islamistes de devenir, comme dans d’autres pays, une structure de mobilisation pour les mécontents du régime. De même, la capacité des partis d’opposition à attirer un tel électorat musulman devra faire l’objet d’une attention particulière autour des élections de 2015 – le Blue Party s’est notamment positionné en ce sens.

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NOTES

1. Voir J.F. Bayart, 20 mai 2014. Retour sur les printemps arabes. Politique africaine, Le carnet de la revue, http://polaf.hypotheses.org/702, consulté le 12 décembre 2014. 2. Dereje Feyissa & Bruce B. Lawrence, 2014. Muslims Renegotciating Marginality in Contemporary Ethiopia. Hartford Seminary, p. 281-305. 3. Voir R. Robertson, 1994. Globalisation or glocalisation? Journal of International Communication, 1(1), p. 33-53 ; ou encore J. Nederveen Pieterse, 1995. Globalization as Hybridization. In M. Featherstone, S. Lash and R. Robertson (ed.), Global Modernities, Theory, Culture & Society. London, SAGE Publications Ltd., p. 45-69, cités dans K. Lam, 2014. L’inévitable « localisation » : les entreprises publiques chinoises de la construction au Ghana. Politique africaine, n° 134, juin 2014, p. 21-44. Voir également J.F. Bayart, P. Geschiere, F. Nyamnjoh, 2001. Autochtonie, démocratie et citoyenneté en Afrique. Critique internationale, 10, janvier 2001, p. 177-194. 4. J’emprunte ce terme à L. Fourchard qui l’utilisait récemment en référence aux travaux de Michel Foucault et Paul Veyne. L. Fourchard, 2014. Conjuguer histoire et science politique.

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Analyse comparée de l’économie locale de protection. Séminaire Les Afriques dans le Monde, Bordeaux, 11 décembre 2014. Voir également J.A. Mbembe E, 2005. De la Postcolonie, Essai sur l’imagination politique dans l’Afrique contemporaine. Paris, Karthala. 5. Pour une histoire de l’islam en Éthiopie, voir également J.S. Trimingham, 1952. Islam in Ethiopia. Oxford University Press, London, New York, Toronto ; H. Erlich, 1994. Ethiopia and the Middle East. Boulder, Lynne Rienner, CO and London ; et du même auteur, 2007. Saudi Arabia and Ethiopia: Islam, Christianity, and Politics Entwined, Boulder, Lynne Rienner. CO and London. Voir également les contributions de J. Abbink, 1998. An historical-anthropological approach to Islam in Ethiopia : issues of identity and politics. Journal of African Cultural Studies, vol. 11, n° 2, December 1998, p. 109-124 ; J. Abbink , 2011. Religion in public spaces: Emerging Muslim-Christian Polemics in Ethiopia. African Affairs, vol. 110/439, p. 253-274. Pour une étude globale et récente sur l’islam en Ethiopie, voir l’ouvrage dirigé par P. Desplat et T. Østebø (dir.), 2012. Muslim Ethiopia: The Christian Legacy, Identity Politics, and Islamic Reformism. New York, Palgrave Macmillan. 6. Sur les mouvements pentecôtistes voir notamment le dossier dirigé par E. Fantini et J. Haustein dans PentecoStudies, vol. 12, n° 2, 2013. 7. Ces deux courants, bien que distincts, sont usités comme synonymes par le FDRPE. 8. Les sites choisis pour les constructions des édifices religieux font souvent débat. C’est le cas au sujet de constructions de mosquées dans les villes symboles du christianisme comme à Axoum, mais également dans la capitale Addis-Abeba. 9. Ce groupe serait caractéristique des jeunes salafistes radicaux zélés plaidant pour le port de la barbe longue et de pantalons raccourcis au-dessus des chevilles pour les hommes, du voile pour les femmes, ou encore prohibant la consommation d’alcool (Østebø, 2010, p. 49). 10. Al-Ahbash est fondée dans les années 1960 au Liban par le cheikh Abdullah al-Harari (1910-2008). Ce dernier est un leader soufi originaire de Harar, centre musulman historique d’Éthiopie - les polémiques religieuses l’opposent à un autre cheikh également originaire de Harar mais exilé et formé en Arabie saoudite, d’obédience salafiste, le cheikh Yusuf ‘Abd al- Rahman. L’Association ouvre un bureau à Addis-Abeba en 1996. Al-Ahbash est un fervent opposant au salafisme et aux Frères musulmans. L’Association a des racines diverses, sunnites, shi’a, et soufies. Elle a développé des liens étroits avec de nombreuses confréries soufies. Cela explique sa défense de la vénération et des pèlerinages des lieux saints (auxquels les salafistes s’opposent notamment). Al-Ahbash se présente comme une force modérée défendant un islam tolérant, pluriel, la stabilité, la collaboration avec l’Occident. Voir A. Nizar Hamzeh and R. Hrair Dekmejian, 1996. A Sufi Response to Political Islamism: Al-Ahbash of Lebanon. International Journal of Middle East Studies, vol. 28, n° 2, May, 1996, p. 217-229 ; M. Kabha and H. Erlich, 2006. Al- Ahbash and Wahhabiyya: Interpretations of Islam. International Journal of Middle East Studies, vol. 38, n° 4, November 2006, p. 519-538. 11. Le kebele est l’échelon administratif au niveau des quartiers. 12. La question des « migrations » Oromo est aujourd’hui très débattue. Voir T. Osmond, 2014. Knowledge, Identity and Epistemological Choices. Competing Theoretical Trends in Oromo Studies. In S. Epple, Creating and Crossing Boundaries in Ethiopia, Dynamics of social categorization and differentiation, Lit Verlag, p. 189-212. 13. Les communautés musulmanes s’étaient entre temps déplacées vers le Wollo au Nord de la capitale actuelle, la région Gouragé, et vers le Sud-ouest et la région du Gibé (formant les sultanats de Limmu, Enarya, de Jimma, de Gomma, de Gera ou encore de Gumma) (Ahmed Hassen, 2007). 14. Pour une présentation des politiques de conversion de Théodoros II à ledj Yassou, voir notamment Ficquet E., 2006. Flesh soaked in faith: Meat as a marker of the boundary between Christians and Muslims in Ethiopia. In B. F. SOARES (dir.), Muslim-Christian Encounters in Africa, Brill, Leiden-Boston, p. 39-56. Sur les politiques de négociation impériales à Jimma ou en Afar, voir respectivement Lewis H., 1965. A Galla Monarchy : Jimma Abba Jifar, Ethiopia, 1830-1932.

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University of Wisconsin Press (republié en 2001 comme An Oromo Monarchy : Jimma Abba Jifar, Ethiopia, 1830-1932, Lawrenceville, NJ., Red Sea Press) ; Aramis Houmed Soulé, 2011. Deux Vies dans l’Histoire de la Corne de l’Afrique, Mahamad Hanfare (1961-2002) et Ali Mirah Hanfare (1944-) Sultans afar, Centre Français des Études Ethiopiennes, Addis-Abeba. 15. Pour une critique du paradigme centre-périphérie dans les études éthiopiennes, voir Bach J.- N., 2011. Centre, périphérie, conflit et formation de l’État depuis Ménélik II : Les crises de et dans l’État éthiopien (XIXe-XXIe siècles). Doctorat de Science politique, Les Afriques dans le Monde, Sciences Po Bordeaux, 2011. 16. J’emprunte cette expression à Hussein Ahmed, 1995. Islam and Islamic Discourse in Ethiopia (1973-1993). In New Trends in Ethiopian Studies, Papers of the 12th International Conference of Ethiopian Studies 1994, Harold G. Marcus & Grover Hudson (dir.), Lawrenceville, Red Sea Press, p. 775–801. 17. Le därg crée un organe équivalent pour l’Église orthodoxe éthiopienne, ce qui montre son ambition à contrôler toutes les institutions religieuses (Ancel, 2009, 2011). 18. Carmichael commente un texte circulant à Harar, écrit en arabe, qui décrit l’expansion chrétienne à partir des Amhara du Nord, descendus vers le Sud et soumettant les populations musulmanes. État-ethnicité-religion sont ici superposés. L’assaillant n’est plus le musulman (Grañ) venu des basses-terres, mais le chrétien descendu des hautes terres. 19. Voir l’un des textes fondateurs du regime, daté de 1993, traduit et publié dans l’Ethiopian Register : Our Revolutionary Democratic Goals and the Next Step (June 1993), Ethiopian Register, juin 1996, p. 20-29. 20. La série de « trainings » organisée dans les universités à la rentrée 2014 (septembre-octobre) par le gouvernement offre une illustration récente de ces pratiques consistant à regrouper étudiants et enseignants pour les « informer » sur le projet développementaliste du pouvoir, ou les élections à venir (mai 2015). 21. Pour une description de la structure de contrôle telle qu’ambitionnée par le FDRPE dès le début des années 1990, voir le Guideline for Organizational Structure and Operation, (circa 1995) traduction réalisée et publiée par The Ethiopian Register, September 1997. 22. A Proclamation on Anti-Terrorism. Federal Negarit Gazeta of the Federal Democratic Republic of Ethiopia, Proclamation no. 652/2009, 15th Year, n° 57, Addis Ababa, August 28, 2009. 23. EPRDF, Development, Democracy and Revolutionary Democracy. Adopted in the 4th General Assembly of the EPRDF. August 2006, p. 54. 24. Ibid. p. 6. 25. Ibid. p. 9. 26. Voir notamment Meles Zenawi, Dead-end Neoliberalism Paradigm in the African Renaissance, The Ethiopian Herald, 15 February 2008. 27. Une accusation qui fait écho à celles du därg envers les musulmans et les chrétiens qualifiés alors d’« anti-développement » et d’« arriérés ». Østebø T., 2013. Islam and State Relations in Ethiopia…, op. cit., p. 1049. 28. Yohannes Anberbir, 2013. PM draws red line. The Ethiopian Reporter, October 5.

RÉSUMÉS

Depuis 2011, la vie politique éthiopienne est marquée par des manifestations récurrentes et inédites de musulmans contestant l’intrusion du Front Démocratique Révolutionnaire du Peuple

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Éthiopien dans les affaires religieuses. Cet article s’appuie sur ces événements pour ce qu’ils nous apprennent non pas sur l’islam en Éthiopie, mais sur les modes de gouvernement du FDRPE aujourd’hui. Certes, la politique des dirigeants actuels doit être envisagée à partir de représentations héritées et forgées dans la construction de l’empire éthiopien puis de l’État moderne (où les musulmans en dépit de certaines avancées sont demeurés politiquement marginaux). Mais cet héritage doit être croisé à une conjoncture sécuritaire favorisant la peur de l’islam politique, et surtout à la mise en place d’un régime dont les modes de gouvernement demeurent autoritaires.

Since 2011, Muslim demonstrations contesting Ethiopian People’s Revolutionary Democratic Front’s involvement in Islamic affairs have marked Ethiopian politics. Starting from these unprecedented events, this article doesn’t focus primarily on Islam in Ethiopia but rather on what these recent events tell us about the way EPRDF has been governing the country. The influence of historical trajectories should not be underestimated, when Muslims have been politically marginalized since their first contact with Ethiopia in the seventh century. But conjunctures should be taken into account in a region marked by real security threats. Above all, recent religious tensions are deriving from concrete political authoritative practices of the regime’s leadership.

INDEX

Mots-clés : Éthiopie, formation de l’État, islam, violence politique Keywords : Ethiopia, State formation, Islam, political violence

AUTEUR

JEAN-NICOLAS BACH Jean-Nicolas Bach, [email protected], est Chercheur associé au LAM Les Afriques dans le Monde UMR 515 CNRS Sciences Po et enseigne à l’Institut d’Etudes Politiques de Bordeaux.

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Conseiller, expert et consultant en patrimoine : la construction d’une figure de l’Éthiopie contemporaine

Guillaume Blanc et Marie Bridonneau

Introduction

I deeply share [the residents] concerns, frustrations and uncertainties surrounding resettlement projects. I sincerely hope the new settlement, with its improved layout and services will compensate the loss in proximity to the churches by providing decent and honorable spaces in lieu of the crowded and privacy- less environs of the old Core Zone. Wubshet Berhanu, General Manager de Wub Consult, 2011. Resettlement Action Plan de Lalibela, preface, p. 5 In a meeting with park staff and local district representatives, the mission team was also informed that a win-win solution had finally been found to be problem of the Arkwasiye village. […] The villagers had agreed to a relocation of their village […] to a level lowland area with sufficient water supply […]. There it would no longer block the critical wildlife corridor and in particular the movements of Walia ibex and Ethiopian wolf. Guy Debonnet (Unesco), Lota Melamari (WCST) et Bastian Bomhard (UICN), 2006. Reactive Monitoring Mission to Simien Mountains National Park Ethiopia, 10-17 May 2006, p. 11.

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1 Dans la ville sacrée et patrimoniale de Lalibela comme dans le parc national des montagnes du Semèn1, les consultants énoncent et argumentent en faveur de solutions radicales d’aménagement : les procédures de resettlement2. Dans un cas comme dans l’autre, le consultant, qu’il soit éthiopien, européen ou nord-américain, construit son action en articulant les échelles qu’il contribue à faire, défaire et refaire. Après de plus ou moins rapides passages par Addis-Abeba et par Bahir Dar pour rencontrer les responsables fédéraux et régionaux de l’État Amhara, il se rend dans les espaces locaux, écoute les revendications des populations et des gouvernements locaux. Il organise parfois des réunions publiques et des rencontres avec les différents acteurs en jeu. Dans son rapport final, il rendra des comptes à ses commanditaires, bailleur de fonds ou organisation internationale.

2 Les échelles sont ici entendues comme des construits sociaux (Smith, 1992 ; Delaney, Leitner, 1997 ; Marston, 2000 ; Brenner, 2001) qui, résultant de luttes de pouvoir entre les acteurs sociaux, participent à la structuration hiérarchisée de l’espace et correspondent à l’ordonnancement vertical des réalités sociales (Collinge, 1999). Le consultant participe ainsi aux processus de rescaling, c’est-à-dire à la réorganisation d’échelles spatiales qui ne sont « never fixed, but are perpetually redefined, contested and restructured » (Swingedouw, 2004, p. 33). Les consultants s’organisent et se réorganisent « from one spatial résolution to another » (Herod, Wright, 2002, p. 10), contribuant de cette manière à la « production » d’échelles (Harvey, 2010).

3 Vecteur privilégié de la « circulation », c’est-à-dire de la manière dont les « powerful institutions and ideas spread geographically and come to have an influence in distant places » (Tsing, 2000, p. 336), le consultant utilise la rhétorique des bailleurs et mobilise les paradigmes en vigueur dans le monde du développement (Olivier de Sardan, 2011, p. 516). Il recourt notamment à la démarche dite participative, particulièrement prégnante dans les projets de mise en patrimoine depuis les années 1980 et signe, depuis les années 1990, d’un « nouvel esprit du développement » (Demeulenaere, Bonneuil, 2007, p. 6). La « participation » est ici entendue comme un mécanisme de consultation des populations locales qui, formulé en terme de partenariat et de transparence, crée de nouveaux jeux de pouvoirs et d’échelles. Dans ses rapports d’évaluation et dans les prescriptions qui s’ensuivent, le consultant prend systématiquement en compte les acteurs et savoirs locaux, offrant des opportunités aux groupes locaux autant que des moyens de contrôle aux autorités en place (Muller, 2012, p. 16). Les territoires patrimonialisés deviennent ainsi les réceptacles et les produits d’une forme inédite d’interconnexion des échelles.

4 Les secteurs du patrimoine et du tourisme, envisagés par les États du Sud comme une « manne » favorable au développement (Cazes, Courade, 2004, p. 258), mobilisent massivement la consultance, à l’instar d’autres secteurs tels que le développement agricole ou l’ingénierie des transports. Omniprésents, les consultants font pourtant l’objet d’assez peu d’analyses dans le contexte éthiopien. Dans le cadre des études patrimoniales, ils sont plutôt appréhendés en tant qu’élément d’un système d’acteurs au sein duquel on éprouve des difficultés à les positionner (Blanc, 2013 ; Bridonneau, 2013). Pourtant, le recours aux consultants incarne aujourd’hui le souci d’un État éthiopien autoritaire de mettre en œuvre des pratiques de « bonne gouvernance » (Fantini, 2008). En analysant les pratiques des consultants et leur dimension normative, à partir de deux terrains, la petite ville de Lalibela et le parc national du Simien, nous

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pouvons interroger la fabrique d’une Glocal Ethiopia au sein de laquelle l’État ne s’efface pas.

5 Dans le Semèn mis en parc national en 1969, les autorités éthiopiennes proscrivent légalement l’agro-pastoralisme, la chasse et l’habitation permanente. Il s’agit pour l’État d’accorder la matérialité de l’espace-parc avec les représentations que s’en font les experts internationaux de la nature. C’est en effet sur les recommandations de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) et du World Wildlife Fund (WWF) que l’État éthiopien a créé le parc, dans la perspective d’une inscription sur la Liste du patrimoine mondial de l’Humanité. L’entreprise aboutit en 1978 lorsque l’Unesco reconnaît le Semèn pour sa faune (dont le bouquetin endémique walya ibex), sa flore et ses paysages exceptionnels. À Lalibela aussi, les politiques patrimoniales énoncent autant le pouvoir de l’État que la pénétration des organisations internationales. La petite ville renferme un complexe d’églises rupestres, haut lieu de pèlerinage et site inscrit sur la Liste du patrimoine mondial de l’Unesco depuis 1978. Placée sous les projecteurs des acteurs internationaux du patrimoine, Lalibela est également une ville d’environ 20 000 habitants qui accueille chaque année près de 40 000 visiteurs internationaux. De fait, le patrimoine de Lalibela est devenu multiscalaire. Il n’est plus seulement un lieu de pèlerinage pour les chrétiens orthodoxes d’Éthiopie, ni uniquement un lieu de culte local et quotidien ou le haut lieu d’une nation cherchant à s’ancrer dans une histoire longue et chrétienne. Mais il n’est pas non plus seulement un site du patrimoine mondial, destination privilégiée par des voyageurs occidentaux en quête d’altérité et de lointain. Il est tout à la fois.

Illustration 1 - Lalibela et le Semèn, patrimoines d’Éthiopie et de l’Humanité

Situées dans l’actuel État-Région Amhara, les églises de Lalibela, dans le Lasta, et les montagnes du Semèn, dans le Begèmder, ont été classées au patrimoine mondial de l’Humanité par l’Unesco lors de la seconde session du Comité du patrimoine mondial en 1978, à Washington. Sources : CSA 2007, Atlas of Ethipia, G. Blanc, M. Bridonneau, 2014.

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Du conseiller au consultant : l’élaboration multiscalaire des espaces patrimonialisés

6 Par définition, « les patrimonialisations impliquent le transfert du bien dans une nouvelle sphère de la société » (Bondaz, Isnart, Leblon, 2012, p. 10). Depuis la seconde moitié du vingtième siècle, en Éthiopie, ce transfert implique des conseillers, experts puis consultants en patrimoine, Européens dans les années 1970 puis Africains et Éthiopiens dans les décennies suivantes. Tantôt leurs employés permanents, tantôt leurs mandataires temporaires, ils sont systématiquement les interlocuteurs privilégiés d’organisations internationales diverses mais toutes intégrées à ces « circuits de pouvoir où des cadres normatifs sont produits et diffusés, des ressources distribuées et des savoirs véhiculés […], et ce de l’international au local » (Muller, 2012, p. 10). Au cœur de « processus intrinsèquement associés de localisation et de mondialisation » (Rodary, 2007, p. 68), les conseillers, experts puis consultants en patrimoine mobilisent et mettent en scène les échelles locales, nationales, régionales et internationales. Ils participent ainsi à l’élaboration multiscalaire de l’espace patrimonialisé

7 Au cours des années 1960 et 1970, le phénomène patrimonial s’inscrit dans le temps post-colonial du conseiller ou, plus précisément, de l’« advisor ». Le cas du Simien Mountains est à cet égard emblématique. En 1965, après une mission de reconnaissance dans le Semèn diligentée par l’Unesco à la demande de l’Éthiopie, suite à laquelle l’institution y recommande la création du premier parc du pays, Hailé Sélassié engage John Blower, un Britannique ayant fait ses classes dans les parcs tanzaniens. « Conseiller officiel de l'Empereur pour la protection de la faune sauvage » et interlocuteur privilégié de l’Unesco jusqu’en 1974, Blower oriente la mise en parc et en forme de la nature éthiopienne. Cela se traduit notamment par le recrutement d’un personnel expatrié. Sous sa supervision, Laurence Guth et Clive Nicol, venus du Service des parcs nationaux états-unien et canadien, puis J. Muller, P. Stahli et H. Hurni, biologiste et géographes suisses, sont les premiers gardiens – Chief Warden – du Simien. Ils s’installent pour de longues périodes dans le parc.

8 Dix années durant, ils conduisent des patrouilles pour stopper la chasse devenue braconnage et limiter l’extension illicite des terres de pâture. Ils inventorient les écosystèmes, délimitent l’espace-parc, organisent la construction d'une piste pédestre et grâce à leur travail, l’UICN recommande à l’Unesco l’inscription du parc sur la Liste du patrimoine mondial de l’Humanité (Unesco, 1978, p. 7). La nature éthiopienne naît sur le registre du patrimoine menacé de disparition par des occupants « backward and primitive » (Blower, 1965), « utterly feckless and without any regards for the future » (Brown (WWF), 1963). Quant au conseiller qui orchestre cette rencontre d’une « géographie morale occidentale » (Neumann, 2004) avec la détermination d’un État impérial décidé à se faire reconnaître sur la scène internationale, sa légitimité repose sur son expérience transnationale du terrain et son appartenance à des réseaux institutionnels transnationaux.

9 Temps de la « coopération » internationale, les années 1980 et 1990 signent l’effacement du conseiller au profit de l’expert. La figure de l’expert est à la charnière entre le conseiller qui connaît le terrain local – parce qu’il y reste – et le consultant qui connaît le monde – parce qu’il le parcourt. Le rôle que joue Hans Hurni dans le Simien éclaire ce processus. Gardien du parc de 1975 à 1977, diplômé d’un doctorat de

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géographie puis membre du Center for Development and Environment (CDE) de l’Université de Berne, il est engagé en 1981 par le Centre du patrimoine mondial afin de produire le premier management plan du parc national. H. Hurni y stipule que « les objectifs [...] sont d’introduire les concepts de développement et de conservation intégrés ». Il précise que « l’élément le plus problématique dans le Simien est l’homme » et préconise, à ce titre, le déplacement des populations résidentes (Ministry of Agriculture et al., 1986, p. 49). Les experts internationaux rédigent désormais des documents prescriptifs. Ils les soumettent aux autorités éthiopiennes après un séjour qui se fait de plus en plus en bref mais dont résulte un « discours sémantique » qui gagne en légitimité au fur et à mesure que s’amplifie la « mondialisation de l’expertise » (Kalaora, 1999, p. 514).

10 Présidant depuis au bon usage de la nature dans le Semèn, ces directives s’inscrivent là encore dans un double contexte. À l’échelle nationale, luttant contre les adversaires de sa révolution et enfermant la nation dans l’espace exclusif du discours (Donham, 1999, p. 13), les dirigeants du Därg3 s’emparent de la reconnaissance extérieure là où ils la trouvent. Le Semèn tombé entre les mains des rebelles du Nord, ils laissent les experts employés ou partenaires de l’Unesco et de l’UICN rédiger leur propre management plan. Toutefois, à l’échelle internationale, ceux-ci sont loin de se percevoir comme les instruments d’un État autoritaire. Suivant la redécouverte des savoirs locaux dans le monde du développement et le tournant participatif qui s’ensuit dans le monde de la conservation, ils font des préceptes de « community participation », de « stakeholders’ involvement » puis de « sustainable development » les fers de lance de leur action. Ils articulent ainsi les échelles de l’action patrimoniale. Légitimés par leur maîtrise de l’information locale, leurs expériences (multi)nationales et le degré de respectabilité internationale conférée à l’éducation spécialisée de haut niveau, les experts sont tout à la fois, à ces trois échelles et entre elles, les représentants, les intermédiaires et les piliers du « système Unesco » (Martens, 2001).

11 Dans un processus davantage marqué par la continuité que par la rupture débute, au milieu des années 1990, le temps de la « bonne gouvernance » et de la consultance. Soutenu autant par le parti au pouvoir, l’Ethiopian People Revolutionary Democratic Front (EPRDF), que par les institutions et bailleurs de fonds internationaux, le consultant contribue à détacher les hyper-lieux du patrimoine mondial de leur espace local. À Lalibela, depuis 2009, la Banque mondiale est présente via un projet de « développement durable du tourisme ». L’éclaircissement des alentours du site et le resettlement associé sont envisagés comme un « ajustement » nécessaire pour « maximiser le potentiel de Lalibela en tant que centre économique reposant sur le tourisme » (World Bank, 2009). Afin de mettre en œuvre ce programme, la Banque mondiale exige la présentation d’un Resettlement Action Plan (RAP) avant que les populations ne soient déplacées. Les règles qui encadrent la réalisation de tout RAP à soumettre à la Banque mondiale participent d’un souci, de la part du bailleur, de diffusion de « bonnes pratiques », c’est-à-dire de codification des objectifs d’un développement (Navez-Bouchanine, 2007) reposant idéalement sur l’éthique et la responsabilité. Le bureau d’études Wub Consult, établi à Addis-Abeba, obtient la charge de réaliser ce document. À sa tête, Wubshet Berhanu, ingénieur et docteur en urbanisme qui a obtenu sa thèse de doctorat en Norvège, a été par le passé City Manager d’Addis-Abeba et enseignant à l’Université de la capitale. Avant de réaliser le RAP, Wub Consult avait d’ores et déjà préparé pour l’État régional amhara le Lalibela Structure Plan (LSP), en 2010. L’année suivante, suite à des enquêtes réalisées à Lalibela auprès des

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habitants et des autorités locales, il a donc proposé au Ministère de la Culture et du Tourisme le Resettlement Action Plan de Lalibela pour une soumission et demande d’approbation à la Banque mondiale. Tout en déplorant la souffrance occasionnée à ceux-ci, Wubshet Berhanu rappelle que la sauvegarde patrimoniale et la dimension sacrée des environs des églises nécessitent une pareille mesure (Wub Consult, 2011).

12 Les consultants tels que Wubshet Berhanu ne décident pas des modalités de la patrimonialisation, ni de ses effets sur la ville. De par sa formation, sa trajectoire professionnelle, sa maîtrise de la rhétorique internationale et son affiliation à une institution prestigieuse, le consultant est d’autant plus légitime pour prescrire les normes à imposer qu’il se tient précisément à l’écart des sphères décisionnelles. Au cœur « de l’ultime mondialisation » emmenée par une « méga-machine » de managers et de spécialistes persuadés d’« œuvrer pour le bien général » (Morin, 2001, p. 221-222), le consultant n’en participe pas moins à la transmission, l’adaptation et la transformation des modèles patrimoniaux et, ainsi, à la construction de la Glocal Ethiopia.

Le consultant et sa mission : rencontre des espaces et des temps

13 Trouvant son origine et son aboutissement dans la localité des lieux sélectionnés, la circulation des normes et valeurs patrimoniales renvoie au rôle croissant des spécialistes en tous genres dans la « sujétion [d’une culture] à l’expertise scientifique » (Restier-Melleray, 1990, p. 546 ; Druet, Kemp, Thill, 1980, p. 55). La mission est l’une des pratiques constitutives de ce processus. Voici l’emploi du temps de celle organisée dans le Semèn, en 2006, dans le cadre de l’évaluation de l’espace-parc. Mandatés par le Centre du patrimoine mondial, Guy Debonnet, Programme Specialist à l’Unesco, Lota Melamari, Chief Executive Officer de la Wildlife Conservation Society of Tanzania et Bastian Bomhard, stagiaire à l’UICN, arrivent à Addis-Abeba le mercredi 10 mai au matin. Après avoir parcouru 850 km en avion et 360 km de route asphaltée, sillonné deux jours durant 22 km de piste routière à l’intérieur et aux alentours du parc, visité sept villages et organisé 13 « meetings » avec des acteurs identifiés comme internationaux, nationaux, régionaux et locaux, ils quittent l’Éthiopie le mercredi suivant, en début de soirée. En juillet, ils recommandent dans leur rapport final le maintien du parc sur la Liste du patrimoine mondial en péril (Debonnet et al., 2006, p. 13).

14 Caractéristique des pratiques de la consultance, la mission favorise la pénétration de modèles patrimoniaux à prétention universelle. Elle se déroule généralement en trois temps. D’abord, le temps de l’observation contribue à construire la norme patrimoniale. Dans le Simien Mountains, à la suite d’une mission conduite pour l’Unesco en 1994, Hans Hurni et Bernhard Nievergelt, biologiste de la faune à l’Université de Zurich, signalent une surexploitation des sols menaçant la survie et des espèces animales, et des hommes. Ils préconisent à l’Unesco l’inscription du parc sur la Liste du patrimoine en péril et à l’Éthiopie, l’exclusion des villages situés aux frontières Nord et Sud du parc, l’extension de ses frontières aux massifs de l’Ouest et de l’Est, le resettlement des populations et une conservation effective des milieux (World Heritage Center, Unesco, 1996). Depuis, les autorités éthiopiennes ont redessiné les frontières et accru la surveillance des écosystèmes. Néanmoins, les professionnels de la nature

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restent unanimes : l’échec des autorités à déplacer les populations continue de faire du Simien un site en péril (Edroma, Smith, 2001, p. 4 ; Debonnet et al., 2006, p. 22). Leur mode de vie devenu illégal, les populations ont alors le choix de la résistance, ou du départ.

15 Ce choix dépend notamment du degré de circulation des valeurs diffusées lors du second temps de la mission : la réunion publique, instrument phare de la « bonne gouvernance », cette manière dont doit s’exercer le pouvoir dans un pays du Sud (Atlani-Duault, 2005, p. 3). Pendant et entre chacune de leurs missions, les gestionnaires de la nature multiplient « workshops » et « meetings » au cours desquels, bien souvent, ils réunissent les habitants du Semèn. Dans cette perspective, depuis 2006, plus de 8 000 d’entre eux assistent aux « environmental awareness days » organisés par l’Ethiopian Wildlife Conservation Organization (EWCO) afin de promouvoir leur déplacement. Signes de l’impact d’une éducation nationale du regard, certains villageois dénoncent à présent ceux qui chassent le walya ou défrichent la forêt et d’autres, comme à Arkwaziye, acceptent de détruire leur village et de le déplacer hors du parc (EWCO, 2012, p. 2).

16 Ces informations proviennent des rapports rédigés à la fin des missions. Empreint de représentations héritées de la colonisation européenne du continent africain, ainsi le « mythe » de la déforestation (McCann, 1997) et la vision néo-malthusienne d’une nature irrémédiablement dégradée par ses occupants (Hoben, 1997), le rapport constitue l’étape finale de la mission. Livrés sur le registre du « culturellement correct » (Nielson, 2013) et légitimés par leur accumulation et similarité, les rapports pérennisent ce discours qui, parce qu’il « prétend dire l’Universel par la bouche d’un Énonciateur universel peut se croire en droit d’excéder les limites du politique » (Maingueneau, 2002, p. 130).

17 Éphémères mais continues, ces pratiques de consultance finissent par devenir l’une des forces profondes des territoires patrimonialisés. Le cas de Lalibela illustre la façon dont cet enchevêtrement des temps et des espaces des uns et des autres ancrent ces territoires dans la mondialisation.

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Illustration 2 - Les abris financés par l’Union Européenne à Lalibela

Aménagements critiqués par de nombreux habitants mais aussi par les experts de l’Unesco, ces abris ont fait l’objet de nombreuses missions d’évaluation, réalisées par différents consultants internationaux. Autour de l’abri visible au centre de cette photographie, les espaces récemment détruits et faisant aujourd’hui l’objet d’un travail de reconstruction paysagère. Auteur : M. Bridonneau, 2014.

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Illustration 3 - Le centre culturel de Lalibela, une construction financée par l’UE

Inutilisées pendant plusieurs années, les constructions de ce qui devait à l’origine être un community centre ont également fait l’objet de plusieurs rapports de consultance, en vue d’une aide de l’Union Européenne à la mise en fonction du centre culturel. Auteur : M. Bridonneau, 2011.

18 Au cours des années 2000, diverses politiques initiées par l’Union Européenne (UE) participent à une production singulière de l’espace urbain de Lalibela. Parmi celles-ci, en 2006 et 2007, on peut retenir l’apposition d’abris au-dessus de certaines églises et la construction du centre culturel par une entreprise italienne sélectionnée suite à un appel d’offres international. Outre le niveau de technicité inédit des abris, les matériaux et le mobilier du centre culturel, largement importés d’Italie, sont aussi uniques à Lalibela. Pourtant, le centre culturel reste inoccupé jusqu’en 2011 (Jeretic, 2011). C’est pourquoi, cette année-là, la Délégation de l’UE à Addis-Abeba diligente des missions d’évaluation afin de poursuivre, ou non, l’activité du centre.

19 Si l’on revient sur la mission d’un de ses consultants, à l’été 2011, on voit que ce dernier organise le 13 juillet une réunion avec des représentants du clergé, des pouvoirs publics locaux et de la « société civile » : des prêtres, des employés de la Lalibela Town Administration, des guides, des yä ager shimagele4 ou encore des représentants d’edder5 ou de l’association des hôteliers sont présents. Le consultant se présente ici comme une personnalité indépendante, missionnée par l’UE pour émettre des recommandations en vue d’un vaste projet européen consacré à la culture en Éthiopie. Il consigne les doléances de chacun, doléances qui lui sont traduites de l’amharique à l’anglais par le directeur intérimaire du centre culturel, rattaché au Bureau de la Culture et du Tourisme. Face aux critiques émises sur des abris qui « ont l’apparence d’une station essence » et qui ne protègent pas correctement les églises, voire les endommagent, le consultant rappelle les responsabilités du gouvernement éthiopien en matière de conservation et se félicite d’organiser une réunion qui permet

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à chacun de s’exprimer. « Le centre culturel n’est pas fonctionnel », « les entrepreneurs n’ont eu aucun respect pour les églises » : face à ces récriminations répétées, le consultant répète qu’il n’est personnellement en charge d’aucun projet mais que l’UE écoutera ses recommandations. Les doléances et critiques apparaissent peu dans son rapport final. Il y est en revanche spécifié que la consultation a été organisée.

20 Souvent polyglotte, multipliant missions et « workshops » dans les Suds, le consultant met ici en œuvre une méthodologie générique de la mission : rencontre avec les « acteurs locaux », diagnostic technique, collecte de documents, tentative de mise en œuvre d’une démarche participative puis rapport présentant la mission et ses objectifs, l’analyse effectuée et ses résultats, les conclusions et recommandations. Les mécanismes de la répétitivité sémantique et de la stéréotypisation sont ici mobilisés et rassemblés dans « une langue de coton » qui, sous apparence de neutralité, rend la contradiction impossible (Steiner, 2002). La contradiction est pourtant de mise. À l’instar des autres spécialistes en culture et développement, le consultant évoque les transferts de compétences Nord-Sud et la valorisation des savoir-faire locaux. Selon les usages de la « rhétorique globale » (Tsing, 2000), le patrimoine culturel pourrait « devenir un facteur de développement économique, social et humain endogène » tout en demeurant « authentique » (Jeretic, 2011, p. 13). En associant l’authenticité – par définition immobile – d’un objet avec le développement des sociétés humaines – par définition moteur de changements – ces pratiques et discours continuent de faire du développement une « croyance » (Rist, 2007). L’internationalisation du patrimoine recompose ainsi l’espace local sous l’effet de la circulation de normes et de valeurs dites globales.

Le consultant face à l’État : composer avec le pouvoir

21 À Lalibela, que l’on analyse un projet de resettlement, les pèlerinages annuels, la construction d’une route desservant les églises ou l’organisation de festivités culturelles, on est inévitablement confronté au poids des pouvoirs publics qui structurent les relations de pouvoir auxquelles les citadins font face au quotidien (Bridonneau, 2013). Lorsque le consultant arrive dans la petite ville, il n’échappe pas à l’omniprésence du mängist, cette entité qui réunit l’État, le parti et le gouvernement (Tronvoll, Vaughan, 2003) dans ses formes centrales, décentralisées et déconcentrées (Planel, 2007). Il n’en a cependant pas toujours conscience. Missionné pour évaluer un projet, designer un paysage, proposer un plan d’aménagement, le consultant est au cœur de la production de l’espace urbain, comme au cœur de l’espace-parc.

22 Éthiopien ou étranger connaissant le contexte national, le consultant peut tour à tour utiliser sa connaissance des rouages du politique, du fonctionnement de l’administration éthiopienne et sa capacité à naviguer entre les échelons du pouvoir pour tenter de peser sur les décisions, de jouer des conflits et des jalousies et ainsi faire valoir l’intérêt du bailleur ou de l’organisation qui le missionne, ou l’intérêt des populations. Il peut aussi utiliser son statut de consultant afin de privilégier ses intérêts personnels, économiques, sociaux ou politiques, en s’appuyant sur ses réseaux multiscalaires. Toutefois, aussi versé soit-il dans le contexte local, ce consultant interfère difficilement dans les relations de pouvoir qui lient les populations à l’État. Quant aux consultants internationaux, c’est-à-dire ces consultants non éthiopiens organisant leur activité à l’échelle mondiale, qui parcourent le monde sans donner la

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priorité à la connaissance des contextes nationaux et locaux, ils apparaissent encore plus fragiles face à l’État. Quelle que soit l’organisation qui les diligente, ils ne sont pas à l’abri d’une manipulation, manipulation dont la prise de conscience générera frustration, si ce n’est colère.

23 Lors de la préparation du programme de resettlement dans le cadre de l’Ethiopian Sustainable Tourism Development Project financé par la Banque mondiale, les consultants de Wub Consult ont joué un rôle fondamental de médiation entre les populations à déplacer, les autorités éthiopiennes, les experts de l’ESTDP et les représentants de la Banque mondiale. La proximité de ces consultants avec l’espace local est grande. En plus d’y avoir réalisé le Lalibela Structure Plan de 2010, Wub Consult avait déjà pris en charge la réalisation du premier master plan de Lalibela, dans les années 1990. Ainsi, les premières réunions de présentation du projet à la population ont rassemblé l’ensemble des acteurs en présence. Informés au préalable par les autorités locales de la destruction prochaine de leur quartier et de leur réinstallation en périphérie, certains habitants racontent que suite à ces réunions, ils faisaient confiance aux présentations du consultant, à ses engagements et à son association avec la Banque mondiale. Celui-ci leur offrait l’occasion de défier temporairement l’exercice très autoritaire du pouvoir par le gouvernement local. Bien qu’ils reprochèrent par la suite au consultant ses promesses non tenues, ils eurent alors l’occasion d’entendre quelqu’un leur expliquer, dans leur langue, que contrairement aux injonctions de la Lalibela Town Administration et des administrateurs des qäbäle6, ils choisiraient leur espace de réinstallation, seraient accompagnés tout au long du processus, ne partiraient que s’ils étaient volontaires, etc.

24 Si l’analyse de la réalisation du projet révéla par la suite que le déplacement fut bel et bien contraint et les compensations distribuées de manière irrégulière par les autorités locales, la perception de l’intervention du consultant par les habitants met en évidence la capacité de ce dernier à entrer en discussion et en résonnance avec toute une série d’acteurs, depuis les habitants jusqu’à la Banque mondiale. Nous avons ici affaire à un consultant doté d’une profonde connaissance de l’espace local, comprenant l’ordonnancement des relations de pouvoir et les marges de manœuvre dont il dispose. Il est volontairement intégré à un système d’acteurs et de pouvoir auquel il participe activement. Fin connaisseur des intérêts de chacun, maîtrisant les codes des uns et des autres, affirmant et renforçant sa légitimité au fur et à mesure qu’il navigue entre les différentes échelles d’acteurs et de pouvoir, ce consultant a pu contribuer à perturber, à un moment donné, la domination très forte du pouvoir local sur les habitants. Cependant, la présence de son équipe à Lalibela n’est que ponctuelle. Elle s’inscrit dans le cadre de réunions publiques, de « meetings » avec d’autres consultants, avec les autorités locales, et elle laisse derrière elle des discours, des plans, des idées auxquels les autres acteurs, au quotidien, se réfèrent, ou non. Car une fois la procédure de réinstallation enclenchée, ce n’est pas au consultant que les populations ont affaire pour recevoir leurs parcelles et indemnités de réinstallation mais uniquement au gouvernement local qui, tout au contraire des consultants qui ne font qu’y passer, encadre le territoire au quotidien, et dans la durée.

25 À l’inverse, d’autres consultants arrivent dans le cadre d’une mission, à Lalibela ou dans les montagnes du Simien, avec peu de connaissances relatives au contexte politico-social local et national. Un tel se présentant comme expert « international » des relations entre développement et culture, un tel comme spécialiste des politiques patrimoniales et muséales en Afrique, encore un autre comme paysagiste, tous se

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succèdent au sein des sites du patrimoine mondial. L’un est diligenté par l’Unesco, l’autre par le World Monuments Fund, l’Union Européenne ou la coopération finlandaise, sans qu’une continuité n’existe entre leurs missions respectives, l’une se juxtapose à la précédente, l’autre à la suivante. Le consultant s’inscrit alors dans la temporalité d’une mission, voire dans le temps d’un projet, mais pas dans celui des mutations spatiales et sociales. Dans ce contexte, certaines « bonnes pratiques » semblent inappropriées. La convocation des représentants de la société civile pour recueillir les opinions des uns et des autres sur tel ou tel projet, acceptée comme la pratique démocratique par excellence, peut être dépourvue de sens lorsque les individus invités à la réunion sont soigneusement sélectionnés par les autorités locales de la Culture et du Tourisme, et que les administrateurs des qäbäle, premier outil d’encadrement social et politique du mängist, sont présents. Cette pratique apparaît d’autant moins pertinente quand le consultant ne sait pas ce qu’est un qäbäle en Éthiopie et demande à se faire expliquer le rôle de ces individus alors que la réunion a d’ores et déjà commencé.

26 Depuis que les quartiers entourant les églises ont été détruits à Lalibela, les responsables de l’ESTDP ont chargé des consultants européens de réaliser le « landscape designing » du site. Après plusieurs semaines de mission, des consultants s’étonnèrent d’apprendre que la « core zone » du site n’était pas seulement utilisée par les touristes et les fidèles se rendant aux églises. Malgré l’élimination de l’habitat permanent, les alentours du site restent en effet, chaque année, au moment de Noël, l’espace de campement de dizaines de milliers de pèlerins venus des campagnes du Nord de l’Éthiopie. Non informés mais également non renseignés, les consultants ne peuvent prendre en considération cette dimension de l’espace dans leur projet paysager. Le paysage touristique qu’ils dessineront, avec des itinéraires de promenade, des panneaux explicatifs ou encore des éclairages publics et lieux de repos, paraît difficilement compatible avec ces usages sacrés. Ce paysage semble en revanche correspondre au souhait de certains responsables politiques locaux, souhait évoqué au détour d’une réunion ou d’une conversation informelle, d’éloigner le campement des pèlerins et de renforcer la dimension touristique du site. Que leurs bévues soient par la suite ignorées ou corrigées par d’autres, consultants ou pouvoirs publics, le travail de nombreux consultants démontre à quel point la pénétration internationale dans les espaces locaux d’Éthiopie peut être brutale et entrer en friction avec l’épaisseur sociale et culturelle du territoire. C’est précisément cette friction qui est utilisée par les pouvoirs publics pour dire au consultant et lui faire dire, dans une certaine mesure, ce que veut l’État.

27 Qu’il soit profondément intégré, voire activement impliqué dans la sphère publique ou, au contraire, ignorant des pratiques politiques éthiopiennes, le consultant s’associe au pouvoir de l’État, il tend à se positionner par rapport à lui dans une illusion d’indépendance, illusion que les uns et les autres peuvent entretenir et manipuler à souhait.

Conclusion

28 Les missions des consultants sèment espoirs, frustrations et incompréhensions dans les territoires qui les accueillent. Un consultant a le pouvoir de lancer des idées : envisager un resettlement, évoquer la possibilité de transformer des pratiques de pèlerinage, mais

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aussi indiquer que des fonds seront bientôt débloqués pour tel ou tel projet. Souvent bardé de diplômes et d’expériences « internationales », le consultant est alors perçu comme celui qui, détenteur de la connaissance, a le pouvoir d’influer sur les organes décisionnaires, via les recommandations qui figurent à la fin de son rapport.

29 Pourtant, dans le contexte éthiopien, on se rend bien compte que le consultant n’a jamais le dernier mot. Comme tous les autres acteurs, il est soumis au poids des organisations et bailleurs internationaux d’une part, et des pouvoirs publics d’autre part. Le consultant semble davantage être un outil au service de la Glocal Ethiopia et de ses acteurs dominants, qu’un de ses maîtres d’œuvre. Qu’il connaisse trop ou pas assez les rouages politiques du mängist, le consultant ne parvient guère qu’à émousser temporairement l’ordre et la hiérarchie qui structurent les relations de pouvoir. D’autres acteurs, à l’instar des élites économiques locales qui émergent dans les espaces patrimoniaux et touristiques de l’Éthiopie contemporaine, font bien davantage trembler les relations de pouvoir existantes. Mais le consultant est aujourd’hui un outil indispensable du mängist. Faire-valoir, il permet à la nation éthiopienne de s’inscrire durablement dans l’arène patrimoniale encore exclusivement fabriquée dans les Nords. Incarnation des « bonnes pratiques » et de la « bonne gouvernance », il facilite plus généralement l’ouverture de l’Ethiopie à la mondialisation. Caution démocratique, il légitime enfin les pratiques autoritaires, telles que le resettlement, auxquelles le pouvoir éthiopien continue aujourd’hui de recourir.

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NOTES

1. Dans la documentation anglophone et francophone produite par les acteurs internationaux du patrimoine et du tourisme, le parc est désigné comme le « Simien Mountains [National Park] ». Nous nous conformerons également à la transcription éthiopienne pour désigner les montagnes du Semèn. 2. Resettlement est un terme utilisé par les chercheurs et, de manière plus générale, par la communauté internationale pour caractériser les programmes de déplacement et de réinstallation entrepris en Éthiopie dans les années 1980. Les géographes français ont fait des choix de traduction divers : Alain Gascon évoque les programmes de réinstallation tandis que Jean Gallais ou Sabine Planel conservent le terme anglais de resettlement. Si nous choisissons également de ne pas utiliser « réinstallation », c’est parce que ce dernier efface l’ambiguïté de resettlement que traduit le dictionnaire Robert & Collins : « resettlement : […] [of people] : déplacement, relocalisation ». Le terme anglais signifie donc à la fois le déplacement et la réinstallation, ce qui correspond davantage à la réalité des processus étudiés. 3. « Comité » en amharique, le Därg désigne le régime marxiste-léniniste en place de 1974 à 1991. Formé le 28 juin 1974 par des soldats de l’armée nationale, le Därg dépose l’Empereur le 12 septembre. 4. Représentants civils de la communauté, littéralement « anciens du pays ». 5. Association de solidarité funéraire. 6. « Voisinage » en amharique, le qäbälè désigne une association de quartiers en zone urbaine, un village ou un groupement de hameaux en zone rurale.

RÉSUMÉS

Depuis 1978 et leur inscription sur la Liste du patrimoine mondial de l’Humanité, la petite ville de Lalibela et les montagnes du Semèn se recomposent au fur et à mesure que se transforme l’État éthiopien et que se renforce la mondialisation du patrimoine animée, entre autres, par une élite de « consultants ». Articulateur d’échelles instrumentalisé, manipulant, ou encore négociant avec les autorités publiques, le consultant participe tout à la fois à l’ancrage des espaces locaux dans la sphère des normes internationales, à l’ouverture du pays à la mondialisation et à la consolidation du pouvoir de l’État éthiopien. À travers l’histoire et la géographie du Semèn et de Lalibela, cet article retrace et interroge la construction de cette figure incontournable de la Glocal Ethiopia.

Since their inclusion in the World Heritage List in 1978, the small town of Lalibela and the Semèn mountains are moving in step with the transformation of the contemporaneous Ethiopian State and the reinforcement of the globalization of heritage led by, among others, an elite of “consultants”. Articulator of scales manipulating or manipulated by public authorities, the consultant contributes at the same time to anchor the local spaces in the inconsistency of the so- called international norms, to open the country to the neoliberal globalization and to strengthen the power of the mängist. Through the history and the geography of Semèn and Lalibela, this article sketches the portrait of this key figure of the Glocal Ethiopia.

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INDEX

Mots-clés : consultant, patrimoine mondial, État éthiopien, Lalibela, Simien Keywords : consultant, world heritage, Ethiopian State, Lalibela, Simien

AUTEURS

GUILLAUME BLANC Guillaume Blanc, [email protected] est Post-doctorant au Musée du quai Branly, Chercheur associé à l'Institut d’Études des Mondes Africains (IMAF - UMR 8171), responsable éditorial du Portail des humanités environnementales

MARIE BRIDONNEAU Marie Bridonneau, [email protected], est Maître de conférences à l’Université Paris Ouest Nanterre La Défense et membre de l’UMR LAVUE, équipe Mosaïques.

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Le musée Konso au cœur de l'arène : quand les courtiers en développement (re)dessinent les contours du champ politique éthiopien

Chloé Josse-Durand

Je tiens à remercier le Centre Français des Études Éthiopiennes d’Addis-Abeba pour son soutien tant logistique que financier qui m’aura permis de réaliser plusieurs missions de recherche en Éthiopie entre 2008 et 2012, ainsi que Jean-Nicolas Bach pour les précieuses discussions autour du lien ténu qui existe entre la création du musée Konso et l’activation des catégories officielles de l’Éthiopie fédérale.

Introduction

1 Depuis le milieu des années 2000, les politiques publiques du gouvernement éthiopien se concentrent sur la préservation du patrimoine culturel, matériel et immatériel, ce qui s'est traduit par une multiplication des musées dans le pays1. Cette tendance a tout particulièrement touché la Southern Nations, Nationalities and Peoples’ Region (SNNPR), l'État souvent considéré comme le « laboratoire ethnique » de l'Éthiopie fédérale, où un musée ethnographique a été ouvert au public dans la petite ville de Konso-karat en 2009, devançant l'inauguration prochaine d'un musée national du café à Bonga, dans la région Kaffa.

2 Ces projets muséaux ne peuvent être analysés uniquement comme le signe d'un intérêt ou une sensibilisation croissante pour la conservation : le patrimoine fonctionne comme un outil au service d'un projet politique de reconstruction de l'identité éthiopienne du parti au pouvoir, l’Ethiopian Party Revolutionnary Democratic Front (EPRDF). Les acteurs tant locaux, nationaux et internationaux qui prennent part aux

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processus de conservation, d'expertise et à la mise en place de projets contribuent à répondre aux objectifs bien souvent politiques à l'origine des politiques publiques du patrimoine. Les acteurs internationaux participent activement à ce phénomène : sollicités à la fois en tant que bailleurs de fonds et experts, ils jouent un rôle décisif dans la mise en œuvre des politiques publiques du gouvernement et s'inscrivent dans une nouvelle échelle, celle du glocal. Comment comprendre les jeux de pouvoir cristallisés par ces projets de développement alors qu'ils semblent échapper à l'État en créant un lien direct entre le local et l'international ? Ce type de rapport implique-t-il une moindre emprise de l'État éthiopien ou au contraire, renforce-t-il son caractère autoritaire ? Dans quelle mesure cette nouvelle donne permet-elle à des acteurs locaux –guides touristiques, personnels du wereda2, chefs de projets, autorités traditionnelles– de développer des stratégies spécifiques de contournement de l'autoritarisme d'État ?

3 En partant de l'hypothèse que les projets culturels mis en place au niveau local correspondent à une décompression autoritaire plus qu'à une libéralisation effective3, cet article se propose d'interroger les volontés d'emprise ou de ré-emprise de l'État éthiopien autour de la question de la mise en valeur d'un patrimoine national. Dans un premier temps, on cherchera à mettre en évidence les modalités selon lesquelles la problématique patrimoniale nous amène à penser les acteurs des institutions muséales comme parties prenantes d'enjeux plus larges. Le nouveau paradigme qui a accompagné la campagne du Millénium, renouveler les bases du vivre-ensemble en redéfinissant la rhétorique de l' « éthiopianité » héritée de l'ère impériale (Bureau, 1987 ; Gascon, 1995), a donné naissance à des politiques publiques du patrimoine ancrées dans un vaste programme de reconstruction nationale (Bach, 2013b). Dans cette perspective, le musée Konso, présenté par la conservatrice du Musée National d'Addis-Abeba comme le premier « single-ethnic Museum » d’Éthiopie, nous permettra de mieux comprendre les priorités du Developmental State éthiopien. Issu d'une recherche entre des partenaires scientifiques français et éthiopiens mais également d'une entreprise exogène de la coopération française soutenue par le musée du Quai Branly et l'UNESCO, il fonctionne aujourd'hui comme la vitrine d'un fédéralisme ethnique efficace, symbole de la démocratisation progressive du pays entreprise sous la houlette de l'EPRDF. Dans le même temps, l'usage stratégique des normes internationales par le gouvernement et la course au classement UNESCO consolident les canaux de contrôle du parti au pouvoir tout en diversifiant les modalités de diffusion de l'image positive d'un État développementaliste démocratique. Néanmoins, des acteurs particuliers émergent de ce type de projet de développement. Dotés de stratégies propres et d'un potentiel d'action, les « courtiers en développement » restructurent les rapports de pouvoir entre le local et le national en traitant directement avec des acteurs internationaux (Bierschenk & Sardan, 2000). Ils jouent pourtant un rôle ambivalent : en participant à la valorisation du patrimoine culturel éthiopien, ils sont également les acteurs de la légitimation tant nationale qu'internationale de l'idéologie développementaliste et des directives mises en place par le gouvernement.

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De l' « Éthiopie sans monuments » à la « Shining Ethiopia » (A. Gascon)

L'âge d'or du patrimoine culturel

4 Tantôt qualifiée par le gouvernement de musée à ciel ouvert ou désignée comme le « berceau de l'humanité » en raison de nombreuses découvertes archéologiques (parmi lesquelles le squelette de Lucy dans la basse vallée de l'Awash), l'Éthiopie est souvent présentée comme un musée des peuples par les autorités éthiopiennes. Cette image fait pourtant écho à un héritage controversé : Carlo Conti Rossini, ancien administrateur colonial italien, est le premier à avoir fait le portrait de l'Abyssinie comme un « museo dei popoli ». Les médias et notamment la presse, le journal gouvernemental The Ethiopian Herald en tête, égrènent aujourd'hui cette idée, qui est devenue un véritable slogan touristique se déclinant selon les États régions. Le Bureau du tourisme du Tigré fait campagne sur le thème « Tigray, the open-air museum », mélangeant sur quelques cartes postales scènes de la vie quotidienne, coiffures traditionnelles, églises et peintures chrétiennes (illustrations 1a et 1b). De la même façon, on retrouve l'idée d'une « Éthiopie, mosaïque des peuples » sur les brochures du Bureau régional du Tourisme de la SNNPR. Elle est également reprise lors de discours politiques et donne naissance à une célébration, le Nations, Nationalities and People's Day, au cours de laquelle le premier Ministre Méles Zénawi confie aux peuples d'Éthiopie la lourde et symbolique tâche de représenter la Renaissance4 éthiopienne (Bach, 2013b). L’unité du pays se fera dans la diversité des Nations, Nationalities and Peoples selon le mot d’ordre de l’EPRD : « Our diversity is our beauty, and our beauty is our unity ».

Illustrations 1a et 1b - Cartes postales du Bureau de la Culture du Tigray présentant l’Éthiopie comme un « musée à ciel ouvert »

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Montages réalisés par C. Josse-Durand.

5 La mise en place de ce nouveau paradigme s'explique, selon Jean-Nicolas Bach, par la double crise que traverse l’État éthiopien : une crise « de » l’État, qui se traduit par une remise en cause de l’État éthiopien, et une crise « dans » l’État, c'est à dire une remise en cause du régime et du gouvernement éthiopien mais pas de l’État en lui-même (Bach, 2011). Les critiques et le scepticisme qui ont accompagné la mise en place du régime ethnofédéral en 1994 participent activement à cette double remise en question de l'État (Assefa Fiseha, 2006 ; Abbink & Hagmann, 2013). Les manifestations inédites qui font suite aux élections de 2005, au cours desquelles la population se prononce en faveur de l'opposition et remettent en cause les fondements du fédéralisme ethnique, obligent le gouvernement à explorer de nouvelles façons de gérer les communautés infra-nationales : des politiques culturelles spécifiques voient le jour, ayant pour délicate mission de gommer l'image communément admise d'un État éthiopien administré par des cadres tigréens et dirigé par une élite Amhara (Abbink, 2006). Cette politique culturelle s'accompagne d'un ensemble de réformes et d’événements symbolisant un changement d’ère, alors que le parti au pouvoir depuis plus de vingt ans, ses cadres dirigeants et son premier ministre Méles Zenawi, contrôlent les institutions du pays, musellent la société civile et intimident l’opposition.

6 Le Millénium, la campagne de célébration du passage à l’an 20005, a été l’occasion pour l'EPRDF de rendre visible ce discours de la Renaissance par une succession d’événements, de commémorations, de présentations de projets de long terme et de promesses politiques qui ont rythmé la vie de la Nation de septembre 2007 à septembre 2008 (Bach, 2009). Depuis le Millénium, le slogan « unis dans la diversité » tend à s'affirmer jusqu'à devenir une sorte de mot d'ordre des politiques publiques du patrimoine en Éthiopie. Soudainement reconnue comme une région riche d'une culture encore peu exploitée, le Sud de l'Éthiopie, jusqu'alors considéré comme le grenier à

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grain de l'époque impériale, habité par des tribus sans fondement chrétien qui parlaient un amharique sommaire, ne mangeaient pas d'injera et n'attiraient que les anthropologues et les touristes en quête d'aventure suscite un intérêt sans précédent (Gascon, 1995 ; Planel, 2008). En faisant la publicité de cette « Éthiopie sans monuments » évoquée en 1995 par le géographe Alain Gascon, la valorisation du patrimoine culturel s'est révélée être un outil efficace afin de dépasser l'opposition traditionnelle qui existe entre l'Éthiopie du Nord, celle des hauts plateaux chrétiens et des sites UNESCO mondialement connus comme Lalibela, Gondar, Yeha ou Aksum, et les communautés marginalisées du Sud (Gascon, 1995 ; Bridonneau, 2013). L'effacement progressif, en surface, de ce clivage historique sur lequel s'est construite la « Grande Éthiopie » semble être, aux yeux de l'EPRDF, l'une des conditions de l'émergence d'une « Shining Ethiopia » qui ne serait plus rurale mais urbaine (Gascon, 2008), d'un Middle Income Country au sens de la Banque Mondiale qui s’appuierait sur ses « classes moyennes » afin d'assurer croissance et stabilité à l'horizon 2025 (Lefort, 2013 ; Nallet, 2014)6.

« Ethiopia leading in Africa » : construire l’image d’un État développeur

7 Si le patrimoine est pensé comme un nouvel outil politique par le parti au pouvoir, il est également pensé comme un levier économique. Afin de pallier le manque d'investissements directs à l'étranger, le gouvernement cherche à développer son offre touristique pour attirer de plus en plus de visiteurs internationaux mais également domestiques (Mengistu Gobezie, 2008). Un certain nombre d'initiatives en témoignent : des manifestations culturelles, mais également l'affichage public ainsi que le message véhiculé par ce dernier. En affichant sa volonté d'associer le peuple éthiopien aux grands projets d’État, le parti au pouvoir renforce par la même occasion la portée de l'Abyotawi democracy ou la « démocratie révolutionnaire », une idéologie marxiste à l'éthiopienne qui s'oppose au néo-libéralisme et à l'impérialisme (Vestal, 1999 ; Abbink & Hagmann, 2013 ; Bach, 2013a) illustrée par les affiches jalonnant les rues d'Addis- Abeba présentant Meles Zenawi guidant les peuples d’Éthiopie vers le développement et un avenir radieux. C'est également pour cette raison que le Millénium, en tant que vaste mise en scène de la Renaissance tant identitaire qu’économique du pays, s'est accompagné d'investissements importants du gouvernement dans des projets culturels dont participe la création, en décembre 2009, d’un premier musée ethnographique dans la SNNPR. Ces politiques du patrimoine contribuent à donner un nouveau visage à la nation éthiopienne forte de sa diversité et unie autour de certaines valeurs, dans une tentative de refaçonner le visage du parti au pouvoir et de la classe politique7.

8 Le gouvernement utilise également le patrimoine culturel éthiopien afin de répondre à une autre de ses priorités : promouvoir une nouvelle image de l'Éthiopie à l'international et la propulser au-devant de la scène comme l'une des cinq premières destinations touristiques d'Afrique (illustration 2).

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Illustration 2- Première et dernière de couverture d'une brochure officielle du gouvernement associant le classement au patrimoine mondial de Konso à l'idée d'une « Ethiopia leading in Africa »

Auteur : C. Josse-Durand.

9 Le développement du tourisme culturel dans l'ensemble des régions, où l'on retrouve des campagnes publicitaires similaires, se couple d'un usage stratégique des normes internationales. Les définitions de l'UNESCO sont reprises comme cadres de référence par les responsables du Musée National d'Addis-Abeba mais aussi par les acteurs locaux de ces politiques8. Dans cette perspective, le classement de Konso en tant que paysage culturel en juin 2011 est un exemple parmi d'autres de la « course au classement UNESCO » que mène l'Éthiopie. Entre 1977, l'année où elle signe la Convention concernant la protection du patrimoine mondial culturel et naturel avec l'UNESCO, et 2006, elle a en effet classé 9 sites au patrimoine mondial, ce qui la propulse au premier rang des États-partie d'Afrique (Chaudron, 2008). Cette logique de classement et l'ouverture du pays à la manne financière du tourisme culturel révèlent une nette stratégie d'intégration de l'Éthiopie au circuit international.

10 Il s'agit donc de redorer l'image du pays à l'international tout en répondant aux objectifs internes du Growth and Transformation Plan pour 2015, un plan quinquennal ambitieux visant à augmenter fortement la croissance économique annuelle de l’Éthiopie en favorisant son industrialisation, l'essor du secteur des services et la mise en place de grands projets d'infrastructures représentés par le barrage du Nil ou Grand Ethiopian Renaissance Dam (Nallet, 2014 ; illustration 2). Ainsi, le développementalisme devient une idéologie plus qu'une politique économique, visant à légitimer le contrôle de l'État et ses actions de répression contre l'opposition et la société civile, présentant les auteurs de tout acte de réprobation comme les ennemis du développement (Aalen, 2006). Or, l'État éthiopien n'a pas les moyens de mener tous ces objectifs de front. Il s'appuie donc sur des acteurs de la coopération internationale comme l'UNESCO « pour briller à l'international » mais également sur des partenariats bilatéraux diplomatiques

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(Ambassade de France), scientifiques (Centre Français des Études Éthiopiennes – CFEE) ou institutionnels (Musée du Quai Branly).

Quand le local reconfigure le national : le musée Konso, « vitrine » du fédéralisme ethnique

Un projet culturel qui se fait le miroir d’une démocratisation bien réelle

11 L'origine du musée Konso n'est pas directement liée aux priorités gouvernementales du Millénium : c'est avant tout le fruit d’une collaboration entre différentes institutions de la coopération internationale (UNESCO, Musée du Quai Branly, Ambassade de France, CFEE) qui sera récupérée par la suite à des fins politiques. Le projet naît dans les années 1990, d'un intérêt scientifique partagé par des chercheurs français et éthiopiens de l'Authority for Research and Conservation of the Cultural Heritage (ARCCH), pour la préservation des statues funéraires Konso, les Wakka, d'une détérioration rapide et d'un commerce illégal. Ces derniers déposent un premier projet de classement au patrimoine mondial de l'humanité auprès de l'UNESCO. En 2005, Stéphane Gompertz, alors Ambassadeur de France en Éthiopie, se passionne pour le patrimoine Konso lors d'une visite dans la région. Des fonds sont débloqués par le Service de Coopération et d'Action Culturelle, qui se tourne vers le CFEE et le Musée du Quai Branly à Paris pour une mission d'expertise (Bosc-Tiessé, 2009). Alors qu'il existe une volonté évidente de valoriser la culture Konso de la part du Bureau de la Culture du Konso Special wereda et de quelques personnalités locales, ce n'est que plus tardivement que les autorités éthiopiennes régionales s'intéressent à l'établissement d'un musée ethnographique au sein de la SNNPR (Roig, 2010). Le musée émerge finalement d'une coopération complexe et segmentaire, avec pour objectif de donner naissance à une « community based organization », c'est-à-dire à une structure ancrée au niveau local et à terme indépendante financièrement dont la mission serait de préserver et de présenter les différents aspects de la culture Konso et son patrimoine en danger.

12 En réalité, le musée ne remplit pas complètement ses objectifs initiaux : il joue un rôle clé dans une stratégie politique plus large ayant pour objet de mettre en scène un fédéralisme efficace. La muséographie, finalisée par Raphaël Roig alors stagiaire en coopération culturelle au CFEE, se divise en 2 espaces principaux : la galerie des wakka qui présente les pratiques funéraires, le système clanique et les classes d'âge Konso, et le grand tukul9 qui sert principalement de point d'accueil pour les visiteurs. L'équipe locale a ensuite réarrangé les panels explicatifs en fonction des objets (calebasses, outils agricoles, instruments de musique, bijoux, armes, jeux, etc.) qu'ils ont ajouté au parcours muséal sans qu'ils ne fassent l'objet d'une explication précise. Une coopérative artisanale a également été installée par la suite dans l'enceinte du musée, soulignant la vocation touristique du lieu. En réalité, le musée ne joue pas son double rôle d'institution locale et touristique. Cet échec se justifie sur la base de plusieurs constats : si la composition des panels exposés dans la galerie principale pose clairement la question du public auquel s'adresse le musée (une ligne seulement est écrite en konsigna tandis que l'anglais, le français puis l'amharique occupent graduellement les panels), les Éthiopiens ne représentent qu'un tiers des visiteurs accueillis par le musée en 2012, sans qu'aucun tarif préférentiel n'ait été mis en place

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pour les habitants de la région Konso10. La construction du Kanta lodge en face du musée, un hôtel de luxe copiant l'architecture des villages fortifiés voisins, n'est que l'un des éléments d'un projet touristique plus large qui génère de nombreux conflits : il n'est pas rare que les habitants des villages identifiés comme des étapes clés des visites touristiques au départ de Konso-Karat barricadent les entrées, malgré les négociations entamées par les guides locaux11. Enfin, le Konso Cultural Center financé par l'organisation non-gouvernementale (ONG) italienne Cooperazione Internationale Sud Sud (CISS) et l'Union Européenne attire de plus en plus de résidents depuis son ouverture en 2010, et notamment les jeunes générations qui ont à leur disposition une bibliothèque ainsi qu'un espace audio-visuel.

13 Rapidement, le musée a échappé à la maîtrise de ses initiateurs extérieurs que sont l'Ambassade de France, le CFEE et le Musée du Quai Branly : force est de constater que le projet en lui-même participe de la « mise en scène » 12 de la République fédérale et démocratique d'Éthiopie. S'il revient à la charge du wereda d'un point de vue financier, sa muséographie est mise sous tutelle du Musée National d'Addis-Abeba, qui apporte un soutien logistique en transférant une dizaine de bureaux depuis la capitale jusqu'au musée, sans pourtant y amener des objets susceptibles de compléter la collection existante. Avant même son inauguration, le journal éthiopien Capital présentait déjà le projet comme une étape clé du processus fédéral : « This project is hoped to provide an answer to some of the questions concerning cultural and identity needs of the contemporary Konso people, who are one of the many peoples in Southern Ethiopia participating in the building of national identity within a federalist framework ». Cette mainmise des acteurs d'État que sont le Musée National d'Addis Abeba, le Special wereda de Konso et le Bureau de la Culture régional d'Awasa s'explique par deux phénomènes : l'autoritarisme d'État et le contrôle que le gouvernement central maintient sur ses périphéries par le biais des différents échelons composant le système fédéral, ce qui rejoint la thèse affirmant que l'ethno-fédéralisme constitue un système politique de contrôle efficace (Planel & De Poix, 2009 ; Assefa Fisseha, 2006 ; Abbink & Hagmann, 2013). Ce projet de musée a donc permis à l'État éthiopien de matérialiser ses politiques publiques internes en périphérie avec l'aide d'acteurs de la coopération internationale (illustration 3).

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Illustration 3 - Les acteurs du musée Konso

Le Secrétaire d’État pour la Culture et le Tourisme éthiopien, le directeur et l'équipe du CFEE, les experts du musée du Quai Branly, Stéphane Gompertz alors Ambassadeur de France en Éthiopie, le Directeur du Bureau Afrique du Ministère des Affaires Étrangères français, les représentants du Bureau de la Culture de la SNNPR et de Konso, les représentants des autorités patrimoniales éthiopiennes (l'ARCCH et le musée d'Addis-Abeba) et le Kalla Gesahegn, au centre de la photo - réunis devant le grand tukul du musée lors de son inauguration le 18 décembre 2009. Auteur : M.-L. Derat.

14 Dans le même temps, cette coopération avec des autorités internationales de renom qui ont apporté un soutien financier, matériel et scientifique au projet (notamment l'UNESCO et le musée du Quai Branly) valide en quelque sorte l’hypothèse d’une démocratisation réelle du régime, alors que la censure persiste sur d’autres revendications, telles que l'association des autorités claniques au processus décisionnel, la redistribution des ressources aux communautés villageoises qui dressent de fait des barricades pour empêcher les visites, ou les aspirations de transparence et de bonne gouvernance (Asefa Fiseha, 2012 ; Planel, 2007 ; Asnake Kefale, 2009). En levant d'une certaine façon le contrôle strict d’État sur les projets de développement étrangers en général13, ce musée est devenu la bannière mobilisée par le gouvernement pour justifier de l'avancée des processus de décentralisation et de démocratisation.

Catégoriser pour mieux contrôler : donner vie aux Nations, Nationalities and Peoples

15 Au cœur des enjeux de gouvernance, le musée communautaire Konso fonctionne comme un projet politique national expérimenté à l'échelle locale et souligne la tension de longue date qui existe entre les objectifs nationaux et politiques de l'EPRDF (développement national, la stabilité, l'augmentation de la croissance économique du pays) et les demandes des minorités éthiopiennes en termes de droits constitutionnels,

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de reconnaissance culturelle et de développement local (Aalen, Pausewang & Tronvoll, 2002).

16 En effet, la création du musée Konso s'inscrit dans des luttes de pouvoir latentes. Comme nous l'avons précisé auparavant, le gouvernement a imposé l'ethnie comme cadre pertinent de compréhension de la nation éthiopienne avec l'apparition d'une nouvelle rhétorique identitaire inclusive mise en avant par la campagne du Millénium. Pendant des siècles, les populations du Sud n'étaient pas partie prenante de la nation éthiopienne. Les Konso étaient de ceux-là : ils avaient alors le statut de gäbar 14 et connurent de nombreuses disettes (Otto Shako, 2005 ; Merera Gudine, 2006). Annexée en 1890 par Ménélik II, la région n'a été intégrée que tardivement à l’Éthiopie impériale. À cette époque, il se dit que certains s'engagèrent volontairement dans l'armée italienne pour combattre l'Empereur (Vaughan, 2006). En ce sens, il faut questionner les rapports de pouvoir qui existent au sein de l'Éthiopie contemporaine en prenant en compte les tensions découlant des cadres ethno-fédéraux de la Constitution de 1994. Dans cette perspective, le musée Konso est pensé par le gouvernement comme un projet venant transcender les cadres d'appartenances primaires (la famille, le clan, l'ethnie) pour se constituer comme un espace d'affirmation de l'identité nationale. En établissant les catégories prédéterminées que sont les Nations, Nationalities and People, la Constitution fédérale a également été un moyen pour le gouvernement de catégoriser pour mieux contrôler. Néanmoins, ces catégories établies « par le haut », centrales dans la définition officielle de l’ethno-fédéralisme éthiopien, restent floues et participent de la perte de confiance dans les institutions, alimentant les critiques faites au système ethno-fédéral. En ce sens, le musée Konso fonctionne comme un véritable outil afin de donner vie aux catégories nationales et d'affirmer leur pertinence.

17 Ce musée assume une fonction symbolique primordiale en rappelant aux éthiopiens qu'être citoyen de la fédération implique d'être conscient des multiples appartenances de tout un chacun. L'exposition du patrimoine Konso légitime ainsi les cadres imposés par la Constitution et met en scène ce que les Nations, Nationalities and Peoples devraient être, bien plus qu'il ne reconnaît la singularité d'une communauté infra-nationale éthiopienne. Le musée n'est rien d'autre que la mise en scène plus large d'une possible réunification nationale par la culture. Amhara, Oromo, Somali, Konso, font partie d'une communauté politique unie : la fédération éthiopienne. Cela souligne le contrôle permanent de l'État éthiopien qui autorise sa population à s'exprimer ou à se définir uniquement selon les catégories imposées par la Constitution fédérale. En même temps que le gouvernement entretient l’illusion d’une démocratisation progressive, en pratique, une réforme territoriale organise la « recentralisation » des groupes définis en termes ethnolinguistiques. Dans le cours de l'année 2011, plusieurs Special wereda15 seront transformés en simples wereda pour se fondre dans des zones regroupant plusieurs groupes, remaniement récurrent visant au contrôle territorial de la SNNPR (Vaughan, 2006). Le Special wereda de Konso a disparu, il s’agit maintenant d'un wereda parmi d'autres, rattaché à la Segen Area People's Zone, nouveau centre administratif et politique de la région (illustration 4).

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Illustration 4 - : Sur la route de Konso-karat, un panneau signalant la nouvelle Segen Zone issue de la réforme territoriale des Special wereda

Auteur : C. Josse-Durand.

18 Cette réforme souligne bien que le musée Konso n'est pas la pierre de touche d'une décentralisation réelle ou encore un assouplissement des modalités de contrôle inhérentes au système ethno-fédéral en place, mais bien la vitrine d'une « démocratisation de façade » voulue par le parti au pouvoir (Planel, 2007). C'est en ce sens qu'on peut plutôt parler d'une décompression autoritaire que d'une réelle démocratisation du pays (Bayart, 1990 ; Médard, 1990 ; Camau & Geisser, 2003).

Le musée Konso ou la glocalité en pratique

Le Kalla Gesahegn et Dinoté Kusia : portraits de « courtiers en développement »

19 Le glocal, cette relation ambivalente entre le local et l'international, modifie sensiblement l'articulation des réseaux autoritaires traditionnels en Éthiopie. Cette nouvelle dialectique du pouvoir se révèle dans les entretiens menés avec certaines personnalités de Konso qui s'imposent à travers la mise en place du musée. En effet, le projet de musée Konso, comme tout projet de développement, fonctionne comme une zone tampon entre l'État et ses périphéries, perçue comme un champ d'opportunité dont certains acteurs n'hésitent pas à s'emparer (Bierschenk & Olivier de Sardan, 1998). Ces acteurs sont multiples et n'ont pas les mêmes trajectoires, profils ou objectifs : les histoires de personnes révèlent par exemple des enjeux de pouvoir entre les administrateurs du Special wereda de Konso et les représentants du pouvoir clanique (Poqalla16). On cherchera ici à questionner plus particulièrement le rôle d'une catégorie

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d’acteurs qui s'affirme avec la mise en place du musée : les « courtiers en développement ».

20 Ces « courtiers en développement », au sens des anthropologues T. Bierschenk et J.-P. Olivier de Sardan, sont des acteurs sociaux implantés dans une « arène locale » au sein de laquelle ils obtiennent une importance politique en jouant de leurs ressources propres - être lettré, savoir parler anglais, avoir été guide touristique ou membre de l'administration locale. En contribuant à la préservation et la mise en valeur du patrimoine Konso, ils se constituent comme des intermédiaires nécessaires, drainant vers l'espace local des ressources relevant de l'aide au développement. Les stratégies mises en place par deux membres du comité scientifique informel du musée Konso, Dinoté Kusia et le Kalla Gesahegn17, sont particulièrement intéressantes en ce qu'elles révèlent les véritables enjeux de pouvoir qui accompagnent la création du musée. Dinoté Kusia se présente délibérément comme un personnage éminemment politique : en tant qu'administrateur du musée pendant les 6 premiers mois de son fonctionnement, il était en contact étroit avec les visiteurs et a utilisé son statut pour faire passer des messages politiques auprès des touristes mais aussi des médias internationaux. Le Kalla Gesahegn, chef de l'un des 9 clans structurant la société Konso, se présente au contraire comme le représentant spirituel de sa communauté. Il utilise le musée afin d'orienter la demande touristique vers son village et expliquer les conflits qui l'opposent au Special wereda de Konso, qui lui reproche de menacer l'autorité d'État en renforçant ses propres réseaux d'influence.

21 Dinoté Kusia, âgé d'une soixantaine d'années, est le premier administrateur du musée Konso et une personnalité bien connue localement pour avoir été instituteur, guide touristique et membre du wereda durant quelques années. Il intervient à tous les niveaux du projet, souhaitant s'affirmer comme un intermédiaire indispensable entre le Special wereda de Konso et les acteurs de la coopération française. Pour cela, il joue sur deux plans, se positionnant comme un acteur clé, mobilisant un discours appuyant sa légitimité à la fois « traditionnelle » en mettant avant ses liens de parenté avec le Kalla Gesahegn dont il affirme être le « grand oncle », et « moderne », évoquant son ancienne fonction d’instituteur ainsi que son rôle pionnier au sein du Bureau de la culture de Konso18. C’est en partie cette fonction qui lui a permis d’accéder au statut de d'administrateur temporaire du musée Konso, avant qu'un directeur officiel ne soit nommé par le Special wereda. Pourtant, lors d’une de nos premières entrevues à Konso, il nous révèle que plusieurs membres du wereda ne soutiennent pas sa candidature à la direction du musée : « They want to push me from being director: they don’t want a politic but a cultural director ». Selon lui, le musée serait investi d'enjeux politiques cristallisant les rapports complexes qu'entretiennent les autorités traditionnelles et les autorités administratives du Special wereda, et plus largement l'opposition qui persiste en Éthiopie entre centre et périphéries (Asnake Kefale, 2009 ; Bach, 2011). Durant l’inauguration du musée en décembre 2009, il a été sollicité à de nombreuses reprises par les médias. Il aurait alors tenu un discours politique similaire, clamant que le gouvernement central écrase les volontés du peuple : « If the opposition would know that, they would change everything ». Bien que selon lui aucun officiel ou membre du wereda n’ait pu l’entendre à ce moment précis, il précise avec un soupçon de fierté : « They knew what I was saying ». Au-delà du fait qu'il mentionne la culture comme un outil politique, il s'intéresse plus particulièrement à la rente générée par la mise en place d'un circuit touristique à Konso. Il fait régulièrement allusion à l’argent du tourisme,

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promis par le gouvernement aux communautés de chacun des villages Konso et qui n’a jamais été redistribué aux populations : « I’m not a politician but I’m mobilizing the people, I tell them the good things, that’s all: ask the officials, the governement, the wereda your money! ». Son discours dénonciateur est essentiellement centré sur les intentions politiques et économiques du gouvernement éthiopien qui accompagnent ce projet culturel. Bien que sa stratégie soit paradoxale - il se comporte comme un acteur politique sans se présenter comme tel - il dénonce la spoliation des populations locales, espérant ainsi s’attirer la sympathie et la confiance des observateurs étrangers malgré les suspicions quant à sa motivation première : récupérer une part de la rente patrimoniale auprès des touristes, des institutions et des chercheurs investis dans le projet19.

22 Si l’on reprend le présupposé de Jeremy Boissevain, le courtier est partie prenante d’un système d’intermédiation où il joue habilement et activement avec un réseau de personnes reliées à un ensemble d’informations (Boissevain, 1979). Dinoté Kusia est donc un « entrepreneur » dont le capital serait constitué de relations personnelles assez développées pour lui permettre de s’instituer comme un « homme de réseau ». En échange de son aide aux experts, aux chercheurs sur le terrain ou encore aux autorités françaises, il attend et reçoit une « commission » qui prend le plus souvent la forme d'un don matériel : des vêtements pour sa femme et son jeune fils, un appareil photo numérique, de nouvelles lunettes, un téléphone portable, une mobylette pour gravir la côte qui mène au musée, etc. Il se fait le receleur d’informations stratégiques qu'il protège comme l'on gère un capital financier. Les analyses de Boissevain révèlent également que « le courtier peut toujours essayer, à un moment donné, de transformer ses ressources relationnelles de deuxième degré en ressources matérielles de premier degré : un poste dans l'administration, un terrain, de l'influence politique... » (Bierschenk T., Chauveau J.-P. & Olivier de Sardan J.-P., 2000, p. 12). À terme, Dinoté Kusia brigue le poste de directeur du musée Konso : malgré les stratégies qu'il a mis en place pour l'obtenir, il sera finalement évincé pour des raisons politiques, mais surtout en raison des nombreuses histoires de personnes suscitées par sa nomination.

23 Le Kalla Gesahegn, quant à lui, dispose de pouvoirs religieux qui s'ajoutent à son pouvoir décisionnel qu'il n'hésite pas à mettre en avant : « My family is at the top of the clan, people do what I say, the others Poqalla follow me ». Il se trouve que le clan du Kalla Gesahegn occupe une place spéciale au sein de la société Konso et dispose de pouvoirs religieux qui se transmettent de père en fils aîné. En réalité, son importance est plus nuancée et varie dans le temps en fonction des événements historiques et de la capacité des Poqalla à accroître leur charisme (Demeulenaere, 2005, chapitre 9). Ainsi, cette position prestigieuse ne fait pas pour autant du Kalla Gesahegn le « roi » des Konso 20: les 9 Poqalla ont un statut égal et prennent leurs décisions de façon collégiale (Hallpike, 1972). Bien que le Kalla Gesahegn ne se présente pas comme un personnage politique, mais plutôt comme le détenteur d'un pouvoir spirituel, arguant qu'il y existe une nette différence entre son pouvoir naturel, « a power given by nature », et un pouvoir politique, il se plaint du manque de considération dont ferait preuve le Special wereda de Konso à son égard, relatant les conflits permanents qui les opposent concernant des affaires courantes aussi bien que des problèmes touchant à la représentation politique et à son pouvoir décisionnel. Selon lui, ils se méprennent sur son rôle au sein de la société Konso : le wereda l’exclut injustement et entretient une peur absurde quant à ses aspirations politiques21. Il explique que le wereda ne souhaitait pas sa présence à l’inauguration du musée, notamment en raison des conflits fonciers qui les opposent

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depuis des années22, et qu'il a fallu qu’une personnalité du Ministère des Affaires Fédérales éthiopien téléphone au Special wereda de Konso en intimant de l'écouter : « Listen to him ». Alors qu'il était étudiant à Addis-Abeba, il a pourtant été proche du parti. Lorsqu’il rentrait à Konso pour rendre visite à sa famille, il faisait des remarques au wereda sur les défaillances de sa politique en citant la nouvelle Constitution, notamment les droits culturels garantis aux minorités par le système ethno-fédéral. En 2005, il décide de quitter Addis-Abeba où il travaillait comme ingénieur civil pour devenir Poqalla suite au décès de son père. C'est son père justement qui l'aurait encouragé à faire des études, alors qu'il avait lui-même quitté les bancs de l’école avant même d'entrer au collège. Il est alors perçu comme un espion du gouvernement central, revenu de la ville afin de surveiller sa campagne natale. Selon lui, le fait qu'il revendique une légitimité à s'exprimer en raison d’une éducation nettement supérieure à la plupart des personnalités locales gêne le Special wereda, qui interpréterait cet état de fait comme une insulte aux fonctionnaires de l'administration éthiopienne. Cela lui aura surtout permis de travailler de façon rapprochée avec les équipes scientifiques du CFEE et du musée du Quai Branly et de s'affirmer comme un intermédiaire indispensable, puisqu'il est le seul chef de clan à maîtriser parfaitement l'anglais. Dans ce contexte, le musée l’a aidé à se repositionner par rapport au milieu politique local en contribuant à le définir comme l'entité naturelle qu’il prétend être et non comme une personnalité politique. La duplicité dont il fait preuve se traduit par ses stratégies multiples pour que le lignage Kalla se trouve en position hégémonique par rapport aux autres : l'omniprésence de l’histoire de sa famille et de son clan dans les panels incite en effet le public à visiter son village ou à y passer la nuit, ce qui a amené Enrico Castelli, le directeur local de l’ONG CISS, à le présenter comme « l’invention même du tourisme » dans la région Konso. La muséographie lui a ainsi permis d'acquérir une légitimité exogène tout en évitant un conflit frontal avec le Special wereda. Au cours des années, il a donc développé un certain nombre de ressources lui permettant de s’instituer comme personne référente, bien que son objectif ne soit pas en premier lieu de se confronter aux autorités gouvernementales mais plutôt de s'octroyer un avantage symbolique en amenant les visiteurs à le considérer comme le porte-parole de la culture Konso (Geertz, 1983).

24 Si les conflits de pouvoirs locaux que véhiculent le musée prennent différentes formes - revendications violentes, provocations dans le cas de Dinoté Kusia ou processus d'infiltration de la muséographie et stratégies d'évitement du Kalla Gesahegn - ils nourrissent les débats de légitimité à l'échelle locale. Dans le même temps, ces acteurs sont parvenus à créer un discours identitaire structuré et figé faisant de la culture Konso une sorte de vérité anthropologique. Ainsi, le politique ou l'identité ne sont que des ressources parmi d'autres mobilisées par les acteurs de la vie locale pour peser sur le projet de musée. Raphaël Roig, qui a activement participé à l'établissement du musée à Konso, dresse une analyse plus large des motivations de ceux qu'on qualifie tantôt de courtiers, tantôt d' « entrepreneurs d'identité » (Martin, 2010) : « ces deux personnages sont au cœur du processus de cristallisation de la tradition et de la folklorisation d'une culture en voie d'extinction. Motivés par des intérêts personnels, ils défendent un retour aux mœurs traditionnelles Konso, une conservation et une mise en valeur d'un héritage culturel presque oublié. Dans un contexte local de transformations sociales profondes, ils prônent un retour en arrière vers une culture originelle, un nouveau paradis folklorique dont ils seront maîtres et gagnants. La création du musée Konso leur offrait un outil non négligeable pour arriver à leurs fins » (Roig, 2010, p. 295). Ainsi, il apparaît clairement que le musée Konso

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s'inscrit dans des enjeux de pouvoirs qui préexistaient à sa création : son apparition a créé un nouvel espace d'expression de critiques décomplexées, parfois virulentes, de la politique gouvernementale et des autorités locales.

Le musée Konso, une « arène politique » locale à part entière

25 En raison de la centralité des conflits au sein de ce projet, le musée Konso s'affirme comme une « arène politique » locale23 : comme le souligne les anthropologues du développement, « un projet de développement est une arène », c'est-à-dire un « lieu de confrontations concrètes d'acteurs sociaux en interaction autours d'enjeux commun » (Bierschenk & Olivier de Sardan, 1998, p. 262). Les conflits qui ont lieu dans cette arène mettent en relief des « groupes stratégiques » (mouvements religieux, agences de développement, chefs traditionnels, élus locaux) qui participent à la restructuration des relations de pouvoir en puisant des ressources à l’extérieur pour provoquer les reconfigurations locales dont ils ont besoin. Cette situation n'est pas nouvelle : auparavant, la coopération entre les autorités traditionnelles Konso et le wereda se faisait par le biais d’intermédiaires, comme l'ONG italienne CISS ou l'association PARKA pour la protection de l'environnement et de la culture Konso, qui participa à la rédaction du premier projet de classement UNESCO et dont le Kalla Gesahegn est membre. Ces structures tampons, qui font l'objet d'un contrôle strict par le régime éthiopien (cf. la loi sur les ONG de 2008), ne suffisent pas à absorber les chocs provoqués par les chevauchements de pouvoir entre les autorités administratives et claniques. Ainsi, l' « arène politique » locale constituée par le musée Konso a peut-être émergé en ce qu'elle pallie à ce manque : marquée par un trait principal qui est la polycéphalie du pouvoir, elle permet la confrontation directe de différentes autorités qui voient leur légitimité respective entrer en concurrence. C'est cette polycéphalie qui permet un contournement du centralisme et de l'autoritarisme d'État en favorisant l’« institution shopping » (Bierschenk & Olivier de Sardan, 1998, p. 38), processus au cours duquel les différents acteurs de l'arène ont la possibilité de choisir parmi les organisations et les acteurs auxquels ils s'adressent en fonction de priorités et de stratégies qui leurs sont propres, ce que les entretiens avec Dinoté Kusia et le Kalla Gesahegn nous révèlent clairement. Ainsi, la politique s'effectue dans les « arènes politiques » locales sur un mode de « sédimentation » et de « chevauchement » entre des strates de pouvoir accumulées par une multitude d'acteurs dans le temps qui échappent au contrôle de l’État (Bierschenk & Olivier de Sardan, 1998, p. 49). Ce que l'on pourrait nommer le « champ politique »24 éthiopien au sens de Pierre Bourdieu, c'est à dire l'espace autonome plus large créé par les compétitions que se livrent les agents sociaux afin d'y occuper des positions dominantes, se trouve modifié par l'apparition du musée Konso qui, en tant qu'arène, instaure de nouvelles personnalités « notables » cherchant à se (re)positionner autour du projet de musée.

26 Si l'« arène politique » locale, investie par les acteurs du développement et de la coopération internationale, a pour spécificité de provoquer un recul progressif du contrôle de l'appareil d’État (Bierschenk& Olivier de Sardan, 1998), alors il est possible de percevoir les effets réels du glocal sur les articulations du pouvoir en Éthiopie. Ce constat rejoint des approches récentes en science politique qui utilisent le concept d' « arène » comme une variable afin de décrire l'influence sur le processus décisionnel

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ou l'action publique des dispositifs mis en place par les courtiers pour se saisir d'une nouvelle « ressource » (Faure, 1997 ; Gourges, 2010). En ce sens, les intermédiaires nécessaires que sont les « courtiers en développement » pourraient avant tout être compris comme des « entrepreneurs politiques » puisqu'au-delà de leurs discours, ils sont les acteurs d'une « prise de pouvoir sur les affaires publiques du village » (Lavigne- Delville, 2008, p. 166).

27 En se faisant le catalyseur de nouveaux gains liés au développement (apparition de bénéfices financiers, d'emplois et de ressources diverses, etc.), le musée Konso constitue donc une arène à part entière. Loin du lieu commun qui décrit une situation dans laquelle l'accès au pouvoir et aux ressources économiques dépend étroitement de l'accès aux circuits de l'aide internationale et du contrôle de sa répartition, ce sont les stratégies de mobilisation ou de captation de cette rente provenant de l’aide au développement25 qui s'affirment comme des enjeux essentiels au niveau local, redessinant les contours du champ politique éthiopien dans son ensemble (Olivier De Sardan, 1993).

Conclusion

28 L'étude du musée Konso apporte une nouvelle lecture des enjeux de pouvoir en Éthiopie. Ses manquements tiennent à ce qu'il est investi d'intentions qui dépassent de loin les seuls problèmes structurels que peut poser la mise en place d'un projet culturel. Son statut d'« arène politique » locale le met au centre de luttes interpersonnelles servant des intérêts individuels, mais aussi de luttes plus larges que sont la volonté de rayonnement d'institutions occidentales ou de contrôle de l'État central. L’offre patrimoniale, et plus particulièrement le musée Konso, fonctionne comme une « vitrine » colorée au service du gouvernement, exposant aux yeux de tous une Éthiopie forte de sa diversité, temporisant ainsi (ou tout du moins masquant partiellement) la « double crise » dont est victime l’État éthiopien depuis la mort du premier ministre Meles Zenawi en août 2012.

29 L'usage qui est ici fait de la culture s'apparente aux pratiques totalitaires analysées par Hannah Arendt, engageant un phénomène de disparition de l'individu dans une communauté essentialisante dont le musée pourrait être l'un des vecteurs. La synergie, non dénuée de contradictions, qui existe entre politiques gouvernementales, luttes locales et interventions extérieures souligne l'impact de l'idéologie développementaliste sur les représentations de la culture dans l’Éthiopie contemporaine. La nature de l'État éthiopien s'en trouve questionnée : État autoritaire, démocratie révolutionnaire, un « État néo-patrimonial » compris dans un sens nouveau, qui userait du patrimoine comme une nouvelle façon de construire sa légitimité, son rapport à la société et au monde extérieur ? (Médard, 1991) Si la fonction assignée aux musées dans la réinvention d’un imaginaire national (Anderson, 1991) et dans la construction d’une mémoire collective réutilisée à des fins politiques a été largement étudiée en Europe (Nora, 1986 ; Lavabre, 2000), ces questions ne peuvent trouver leurs réponses qu'au sein d'une analyse sur le temps long du rôle joué par ces derniers au sein de l’État développementaliste éthiopien.

30 Enfin, la forte intrication qui existe entre les entreprises de contrôle gouvernementales et les luttes locales pour le pouvoir et l’influence a permis l'émergence d'une catégorie d'acteur au rôle ambivalent : plus que d'être de simples

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intermédiaires entre des donateurs et des bénéficiaires potentiels de la coopération internationale, les « courtiers en développement » sont les porteurs sociaux et politiques des projets de développement locaux. En assurant l'interface entre les destinataires du projet et les institutions de développement, ils s'affirment comme des intermédiaires incontournables en développant des stratégies complexes afin de représenter la population locale ou d'exprimer ses besoins vis-à-vis des structures d'appui et de financement. Loin d'être les opérateurs passifs d'une logique d'assistanat, ils sont les personnages clés de l'articulation de pouvoir entre le local, le national et l'international. Sans poser sur des acteurs comme Dinoté Kusia ou le Kalla Gesahegn de présupposés normatifs, tant positifs - les courtiers comme émanation d'une société civile se dressant face à l'adversité - que négatifs - les courtiers comme profiteurs d'une aide mal maîtrisée - la question de la « toute puissance » des courtiers en développement sur la mise en place de projets culturels, et donc, sur la représentation d’une identité, reste posée.

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NOTES

1. Au-delà du musée Konso lui-même, cet engouement s'est traduit en Éthiopie par plusieurs projets similaires : l'ouverture en 2010 du Red Terror Martyr's Memorial Museum dédié à la période du Derg, la restructuration des bâtiments du Musée National d'Addis-Abeba et la création d'un parcours historique dans ses jardins au cours de l'année 2012, ainsi que l'ouverture prochaine d'un musée historique à Gondar. À ce sujet, voir également l'étude menée par Anne Gaugue sur les musées africains et la mise en scène de la nation (Gaugue, 1997). 2. Le wereda est une subdivision administrative regroupant un ensemble de qébélé (unité de voisinage proche du quartier). Si l'on tentait d'établir une comparaison avec le système français, le wereda serait plus ou moins équivalent à une communauté de communes ou à un district selon le système anglo-saxon. 3. J.-F Médard et J.-F Bayart utilisent le terme de « décompression autoritaire » afin de relativiser la libéralisation des régimes autoritaires africains supposés entamer leur transition démocratique dans les années 1990, qui s'adaptent alors aux revendications de la société civile sans mettre en place une réelle libéralisation du système politique. Ces derniers font effet preuve d'une capacité d'adaptation largement décrite par les analyses de Camau et Geisser sur la Tunisie (Camau & Geisser, 2003). 4. Le terme « Renaissance » est employé lors des discours officiels pour désigner à la fois une nouvelle ère politique, économique et sociale à laquelle s'ouvre l’Éthiopie contemporaine. 5. Il faut noter que le Millénium éthiopien s'est déroulé au cours de l’année 2007 du calendrier européen. En effet, 7 ou 8 ans séparent le calendrier européen du calendrier éthiopien, construit sur le modèle copte qui varie selon le nombre de jours épagomènes par année. 6. René Lefort considère la classe moyenne éthiopienne comme la nouvelle « darling child of the regime », tandis que Clélie Nallet montre dans sa thèse que les groupes sociaux intermédiaires constituent un nouvel enjeu privilégié par le gouvernement (Lefort, 2013 ; Nallet, thèse de doctorat en Science politique, en cours). 7. Le successeur de Meles Zenawi à la position de Premier Ministre et souvent considéré comme le « dauphin » de ce dernier, Hailé Mariam Dessalegn, originaire du Sud, est un bon exemple de cette politique. 8. Marie Bridonneau analyse par exemple comment la promotion de l'écotourisme, notion importée mais centrale dans le discours de certains acteurs locaux, participe de l'internationalisation de la ville de Lalibela en Éthiopie (Bridonneau, 2013, p. 269). 9. Un tukul est le terme amharique qui désigne une hutte ronde construite en bois et en terre et couverte d'un toit de paille. 10. Selon la comptabilité établie par le Bureau de la Culture du Special wereda consultée par l’auteur en novembre 2012, le musée Konso a accueilli 2 192 visiteurs de décembre 2011 à novembre 2012, parmi lesquels 1 372 touristes étrangers et 820 touristes éthiopiens. Ces visites représentent un chiffre d'affaire de 28 068 birr (monnaie éthiopienne) pour 2012, soit environ 1 220 euros. Le tarif de base est de 20 birr pour les visiteurs étrangers et éthiopiens, et de 50 birr par personne lorsqu'il s'agit d'une visite de groupe.

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11. Suite à la création du musée à Konso-karat, une association de guides locaux, pour la plupart de jeunes hommes originaires de la région, a été formée. Atta (qui signifie « culture » en konsigna), dispose d'un petit bureau d'où partent les visites et fonctionne en corrélation étroite avec le Bureau de la culture, qui délivre les tickets autorisant les visites des villages fortifiés Konso classés au patrimoine mondial de l'UNESCO. 12. L’argument d’une « mise en scène » se justifie par un certain nombre de dysfonctionnements du musée Konso évoqués ci-dessus, qui révèlent avant tout que ce musée n’a pas pour vocation d’être une institution locale comme il avait pourtant prétention à l'être. Cette idée se retrouve dans la proclamation n° 141/2011 du journal officiel de la SNNPR, le Debub Negarit Gazeta, dont l'article 15.3 stipule que plus largement, le patrimoine culturel Konso « shall be promoted, visited and used for building the image of the country ». 13. En 2003, l'Éthiopie hébergeait 419 ONG, alors qu'elle en accueillait seulement 47 en 1989. Face à ce développement effréné qui ne permettait plus au gouvernement de les contrôler sur le sol éthiopien, une loi restreignant leur capacité d’action a été votée en 2008. Elles sont dorénavant soumises à des réglementations comptables et administratives qui peuvent condamner leurs dirigeants à de lourdes peines (jusqu’à 15 ans de prison) en cas de non-respect des procédures. Les ONG dites « étrangères » (financement étranger supérieur à 10 %) voient leur champ d’intervention réduit puisqu’il leur est désormais interdit d’agir dans les secteurs tels que le droit des femmes, des enfants et des handicapés, le fonctionnement de la justice ou la résolution des conflits. 14. Le terme gäbar (qui signifie « tributaire » en amharique) désigne les tenanciers précaires ou « paysans sans terre » du Sud de l’Éthiopie qui étaient dans l'obligation de verser des redevances matérielles ou financières à un seigneur (goult) selon un rapport de force proche de celui mis en place par le système féodal européen. 15. Un Special wereda est un échelon administratif accordé à un groupe ethnique sur les bases de son importance démographique dans une région donnée. En théorie, le Special wereda se voit attribuer la même autonomie administrative qu'une zone au sein du système fédéral. 16. Rappelons ici que Poqalla est un terme konsigna désignant un chef de clan Konso, quand le terme de Kalla désigne un linage de Poqalla. Ces statuts sont décrits avec précision par le documentaire réalisé par Pierre Lamarque et Élise Demeulenaere, « Le roi ne meurt jamais », 2010, Lussas, DocNet Films, DVD 73 min. 17. Les propos rapportés ici sont issus de plusieurs entretiens semi-directifs menés par l’auteur à différents moments de mon enquête. Elle a pu interroger par deux fois le Kalla Gesahegn : à Konso-Karat tout d'abord, à la terrasse du café principal du village en présence de Dinoté Kusia et du responsable de la culture du Special wereda. C'est lors de ce premier entretien qu'il cherche à naturaliser sa fonction pour assoir sa légitimité et ne pas attiser les conflits avec le Special wereda. Le deuxième entretien se déroule à Addis-Abeba alors qu'il était venu participer à une conférence sur le thème de la santé : accompagné de son jeune frère, il parle alors plus en détail de son pouvoir décisionnel et se confie sur les relations difficiles qu'il entretient avec le Special wereda. Plusieurs entretiens avec Dinoté Kusia ont eu lieu au cours de la recherche sur le site du musée Konso, chez lui et au café principal de Konso-Karat. Ces entretiens se déroulent toujours sur le mode de la « confidence », ce qui correspond à une stratégie de Dinoté Kusia afin de mettre en scène son importance et sa dissidence vis-à-vis du Special wereda et de solliciter l’aide de l’auteur après chaque discussion. 18. Dinoté Kusia fut il y a dix années de cela l’un des premiers guides associés au Bureau de la Culture de Konso-Karat. 19. Il est important de préciser que l’auteur a toujours appartenu à la catégorie des chercheurs, tout d'abord en tant que membre de l'équipe du CFEE en charge du projet de musée puisque qu’elle y effectuait un stage de 11 mois (septembre 2008-juillet 2009), en tant qu'étudiante de master ensuite (février 2010) puis en tant que doctorante (novembre 2012). Elle était donc à la

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fois proche de ses interlocuteurs en raison de ses visites régulières à Konso-Karat, et en même temps considérée comme un acteur du projet à part entière, ce qui a pu parfois orienter les discours que ces derniers tenaient en sa présence lors des situations observées comme lors des entretiens individuels. 20. S'il n’utilise jamais le terme de « roi » lors de cérémonies officielles, il laisse les touristes l’utiliser à son égard. Stéphane Gompertz, alors Ambassadeur de France en Éthiopie, le présente en tant que tel lors de l'inauguration du musée Konso en décembre 2009, provoquant de vives réactions dans l'assemblée (Roig, 2010, p. 295). 21. Ces tensions datent en fait de l'époque où son père Woldedawit officiait en tant que Kalla : on raconte qu'il avait obtenu un titre de noblesse de la part de l'Empereur Hailé Sellassié, qui serait venu lui rendre visite par hélicoptère dans la forêt. C’est précisément ces stratégies multiples, sur deux générations, qui font que le lignage Kalla se retrouve actuellement en position hégémonique par rapport aux autres lignages de Poqalla. Par ailleurs, le Kalla Gesahegn affirme lors d'un entretien qu'en réalité, les membres officiels du wereda ont peur de représailles de la part des autorités claniques en raison des mauvais traitements que le gouvernement central leur aurait fait subir par le passé. 22. Le Kalla est un propriétaire terrien par définition, il est tout particulièrement responsable de la forêt sacrée, de la gestion des ressources de la communauté, alors que le wereda, selon la loi, est le détenteur légal de ces terres (Demeulenaere, 2005). À ce sujet, voir les analyses de Bierschenk et Olivier de Sardan sur l'influence des chefs « traditionnels » sur le foncier (Bierschenk & Olivier De Sardan, 1998, p. 34). 23. Le concept d'« arène politique » locale s'inscrit dans le champ de l'anthropologie dynamique développée par G. Balandier et des approches d'A. Giddens du changement social dites « orientées vers les acteurs ». Ce concept sera privilégié à la notion de « champ politique » parce qu'il est plus approprié au contexte du musée Konso au sein duquel les différents acteurs en interaction permanente soulignent précisément une absence de cloisonnement entre politique et culture contraire à l'autonomie des champs culturel et politique telle qu'elle est définie par Bourdieu. 24. Pierre Bourdieu comprend le monde social comme divisé en ce qu’il nomme des « champs ». Il lui semble, en effet, que la différenciation des activités sociales a conduit à la constitution de sous-espaces sociaux, comme le champ artistique ou encore le champ politique, spécialisés dans l’accomplissement d’une activité sociale donnée. Ces champs, dotés d’une autonomie relative les uns par rapport aux autres, se forment grâce aux luttes, aux compétitions que se livrent les agents sociaux afin d'y occuper des positions dominantes (Bourdieu, 1993). 25. Par « aide au développement » on entend toutes les formes d’aides qui aujourd’hui constituent une réalité massive pour beaucoup de pays africains : aide au développement « publique et, de plus en plus, décentralisée, non gouvernementale ou privée ; don, prêt bonifié ou emprunt sur le marché privé international ; aide bilatérale ou multilatérale » (Le Hugon, 2009).

RÉSUMÉS

À partir de l'exemple du musée Konso, premier musée ethnographique au Sud de l’Éthiopie, cet article décrit les usages, détournements et récupérations par le gouvernement éthiopien et par diverses figures locales - ou « courtiers en développement » - d'un projet né de la coopération

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culturelle. La reconfiguration des échelles et des rapports de pouvoir en périphérie de l'Éthiopie fédérale amène une réflexion nécessaire sur l'aspect patrimonial des politiques publiques éthiopiennes ainsi que sur les acteurs de la légitimation de l'idéologie développementaliste du parti au pouvoir.

This paper aims to enlighten the current powergames and scales at stake within the Federal Democratic Republic of Ethiopia from a local perspective. The role of heritage policies and specific actors of the development field in legitimating the ideology of the Developmental State is questionned in relation to the Konso Museum, the first Ethiopian single-Museum dedicated to an ethnic group of the Southern Ethiopia. This case-study underlines the multiple use of an international cooperation project in showcasing the liberalization of the Regime.

INDEX

Keywords : heritage, international cooperation, Developmental State, Konso museum, ethnic- federalism, Southern Nations, Nationalities and Peoples’ Region Mots-clés : patrimoine, coopération internationale, État développementaliste, musée Konso, fédéralisme ethnique, Southern Nations, Nationalities and Peoples’ Region

AUTEUR

CHLOÉ JOSSE-DURAND Chloé Josse-Durand, [email protected], Doctorante en Science Politique au laboratoire Les Afriques dans le Monde, Institut d'Etudes Politiques de Bordeaux.

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Sur l'Ecrit

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Ethnies et espace dans le Sud éthiopien Regards croisés sur A History of the Hadiyya in Southern Ethiopia (Braukämper, 2012)

Sabine Planel et Thomas Osmond

1 Paru en 2012, A History of the Hadiyya in Southern Ethiopia1 réédite dans une traduction anglaise très attendue un ouvrage majeur de l’historiographie du Sud éthiopien publié en allemand en 1980 par Ulrich Braukämper. L’auteur est un anthropologue allemand né en1944, qui travailla dans différents contextes africains la question des influences islamiques (Burkina Faso, Cameroun, Nigéria, Soudan, Éthiopie et Somalie). Il enseigna entre autres à la London School of Economics et à l’Université de Göttingen.

2 Cette nouvelle version s'inscrit dans la même intention d'étudier l'histoire – dans la longue durée et à travers des enquêtes de terrain détaillées – des cultures sans écriture comme les Hadiyya, dont l'actuel territoire au sein du régime ethno-fédéral éthiopien se situe dans la partie nord-est de la Southern Nations, Nationalities and Peoples' Region. L’ouvrage délivre avec rigueur et méthode des connaissances toujours éclairantes sur le bouillonnement identitaire de cette région d’Éthiopie. Le choix d’un prisme analytique hadiyya au sein de la diversité ethnique de l’Éthiopie s’avère alors particulièrement judicieux tant il représente« une modélisation d’une réalité beaucoup plus complexe »2» et d’autres auteurs sauront par la suite exploiter la nébuleuse identitaire des peuples du Sud (Freeman, 2002 ; Vaughan, 2003 ; Burstof, 2011). Il permet de comprendre en quoi les distinctions ethniques se fondent sur des constructions historiques et des projections culturelles.

3 L’ouvrage renseigne avec précision sur une région d’Éthiopie trop souvent considérée comme sans histoire ou dont l’histoire débuterait avec son intégration dans l’empire éthiopien. Par-delà cet apport évident, la capacité de cette analyse à retranscrire l’imbrication spatiale et temporelle de dynamiques sociales, identitaires et territoriales compose un ouvrage particulièrement riche et propre à susciter différentes lectures. Nous présenterons ainsi deux regards complémentaires portés sur l’œuvre par deux chercheurs familiers de ce type de travaux. L’un géographique est proposé par Sabine

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Planel ayant développé une approche similaire, mais en s’appuyant sur le territoire d’un peuple voisin, les Wolayta (Planel, 2007). L’autre, anthropologique, est porté par Thomas Osmond spécialiste de ces jeux identitaires mais qui travaille plus généralement sur un groupe considéré comme majeur de l’architecture sociale éthiopienne, les Oromo (Osmond, 2014).

Une lecture dynamique du Sud éthiopien

4 Bien au-delà du simple cas éthiopien, l’ouvrage analyse une dynamique de construction ethnique qui mobilise de nombreux facteurs. À travers les migrations de groupes humains, les déplacements de structures politiques, mais aussi les généalogies et les symboles transmis cette construction se nourrit de l’espace dans lequel elle s’intègre, ou s’est intégrée.

5 La manière dont Ulrich Braukämper se saisit de l’identité hadiyya pose la question du degré de connexions entre différentes entités sociales, territoriales ou culturelles, et l’auteur nous livre ici une véritable enquête permettant de recomposer la toile hadiyya. Depuis un groupe proto-hadyyia que l’auteur identifie à travers différentes pistes3, il cherche à analyser la convergence identitaire qui fait la singularité hadiyya et ce faisant contribue à l’histoire éthiopienne dans l’une de ses pages les plus méconnues, celle des peuples du Sud. Les arguments qui nourrissent cette démonstration sont nombreux, variés et participent de l’exhaustivité de l’analyse ; leur maîtrise, la finesse de l’analyse déployée et les choix méthodologiques engagés en font la qualité.

6 Avec rigueur et sans faux semblant, l’auteur ne cache pas les difficultés liées à cette entreprise qui suppose une continuité historique entre les porteurs actuels du nom et les hadiyya de l’époque médiévale. Son travail repose sur une méthodologie exigeante disposant de maigres sources et alliant l’enquête historique à l’observation anthropologique. L’auteur a mis en place entre mars 1970 et 1974 une véritable enquête faisant fi des difficultés d’accès aux terrains ; de la rareté des sources (bien que l’auteur dispose d’un matériau non négligeable et très rigoureusement présenté) ; de l’extrême confusion des désignations (ethnonymes ou toponymes) employés par les différents groupes de la sous-région, par des auteurs étrangers utilisant des transcriptions inexactes ou n’ayant jamais visité les contrées décrites ; et enfin de la nécessité pour un chercheur travaillant seul de se fier à une observation indirecte. L’analyse se fonde ainsi sur plus de 300 généalogies ! L’exposé des méthodes d’enquêtes, particulièrement bien présenté, participe largement de la pérennité d’un tel travail, et le lecteur saura apprécier les détails concernant les conditions d’enquêtes, notamment la peur des enquêtés de voir l’étude promouvoir un nouveau plan de resettlement ou une nouvelle confiscation/redistribution des terres.

7 Quelles que soient ces qualités, le principal atout de l’ouvrage demeure le traitement de la question spatiale. Au même titre que d’autres déterminants plus convenus dans les analyses anthropologiques, l’espace participe ici pleinement de la construction identitaire. De par ses structurations locales, ses recompositions et les jeux migratoires complexes qu’il contribue à organiser, l’espace constitue un acteur à part entière de l’histoire hadiyya. En conséquence, l’ouvrage s’adresse à un lectorat pluridisciplinaire - ce qui n’est pas la moindre de ses qualités.

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Ethnie et espace

8 Au géographe, l’ouvrage confirme que le lien entre ethnie et territoire est d’autant plus complexe que l’inscription territoriale des Hadiyya est mouvante et qu’elle ne coïncide pas nécessairement avec l’actuel territoire. Leur aire de présence s’est étendue du versant oriental de la vallée du Rift jusqu’aux rives occidentales de l’Omo. L’histoire hadiyya commence ainsi par l’histoire d’un groupe et se termine sur celle de territoires habités par les peuples de l’ensemble hadiyya. L’auteur observe ainsi des migrations complexes, analysant notamment de quelle manière l’expansion oromo engage un déplacement des descendants des anciens Hadiyya de part et d’autre de la vallée du Rift, via des vecteurs variés de l’ethnicité (généalogies, mythes, pratiques religieuses ou culturelles, etc.)

9 En conséquence de quoi, les parentés sont nombreuses entre les groupes occupant ou ayant occupé la sous-région, l’auteur convoque ainsi la question des parentés linguistiques ; les proximités multiples avec la nébuleuse guragé ; l’origine migratoire arsi ou sidama. L’auteur observe des croisements identitaires, qui se sont largement construits dans un rapport de domination, de mépris voire de rejet lié à la rencontre de l’autre groupe, comme l’auteur le montre dans la convergence Arsi/Oromo/Hadiyya. L’auteur mobilise ainsi l’ensemble des matériaux à sa disposition, y compris ceux qui font le plus polémique, lorsque les individus enquêtés désignent l’autre avec mépris, en utilisant des ethnonymes très connotés. De façon surprenante, l’on lit peu de développements sur les croyances et pratiques religieuses, alors même que l’influence musulmane distingue l’identité hadiyya.

10 Les spécificités du système politique participent également de cette distinction ethnique et l’auteur nous explique en quoi le groupe hadiyya échappe à la distinction classique des systèmes politiques déterminés par les appartenances linguistiques. Il ne relève ni d’un système royal considéré comme omotique, ni d’un système gadaa considéré comme couchitique. « L’existence d’un puissant État hadiyya contrôlant un vaste territoire entre le XIIIe et le XVIe siècle, autant que les sources historiques nous permettent de le reconstituer, suggère que des pouvoirs centraux étaient plus ou moins fermement établis, capable notamment d’organiser un commerce de longue distance entre la côte et l’intérieur de l’Afrique du nord-est. Toutefois, il n’est pas possible de reconstituer dans le détail, sur quoi se fondaient l’autorité et le pouvoir des responsables politiques, les gärad (garaad). » (p. 21-22).

Dynamiques de l’ethnie

11 Le regard anthropologique porté sur l’œuvre est par nature plus pointu, ne serait-ce que parce qu’il permet de resituer l’œuvre dans son corpus disciplinaire. L’anthropologue observe ainsi que le lecteur familier des travaux de Braukämper retrouvera dans cet ouvrage l'empreinte des multiples articles que l'anthropologue allemand a consacrés aux populations hadiyya et à leurs voisins, allaba ou oromo-arsi, durant quatre décennies. Dans cette histoire plurielle et compréhensive des « unités » et « sous-divisions ethniques » hadiyya, l'auteur de l'Histoire des Hadiyya rejette les distinctions de la tradition académique régionale entre les royaumes chrétiens « civilisés » du nord de l'Éthiopie et les « barbares » habitant ses périphéries au sud, tout comme les perspectives synchroniques des modèles fonctionnalistes. Ancrées dans

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l'analyse et l'interprétation des traditions mémorielles définies par Vansina (The Use of Oral Tradition in African Cultural History, 1967), l'étude de Braukämper ne se focalise cependant pas sur les dynamiques conflictuelles de l'histoire politique hadiyya – comme celles décrites par E. Leach dans la société kachin en Birmanie (1954). Plus proche des articles tardifs d'E. Evans-Pritchard (Anthropology and History, 1961), critiquant la rigidité des typologies trop statiques de l'État segmentaire africain, l’auteur s'intéresse davantage à la singularité des dynamiques « ethniques » dans l'histoire culturelle des Hadiyya.

12 Si l'anthropologue allemand explore les différents récits sur les périodes majeures du « développement historique » des Hadiyya – des origines au XXe siècle, ses interprétations tendent à promouvoir la primauté de leurs traditions « ethniques africaines », fondatrices du vaste ensemble politique hadiyya, qu'Ulrich Braukämper présente comme l'un des plus significatifs blocs territoriaux politiques d'Éthiopie jusqu'au XVIe siècle. Comme l'illustrent les titres des sections du premier chapitre de l'ouvrage sur les « classifications ethniques et linguistiques », ou les « caractéristiques de la culture traditionnelle hadiyya », l'étude historique d'Ulrich Braukämper semble privilégier les « véritables unités ethniques hadiyya », qu'il nomme « Hadiyya Proper ». Dans cette hiérarchie « ethnique » des traditions historiques hadiyya, l'auteur place souvent au second plan les récits mémoriels locaux mettant en scène des « pedigrees » – dont l'articulation avec l’« unité ethnique » n'est jamais vraiment discutée – pour désigner les coalitions mixtes hadiyya-sidaama, hadiyya-oromo arsi, ou encore des légitimités missionnaires musulmanes, associées au Hararghe ou au Moyen Orient.

13 Malgré la richesse et la qualité des enquêtes historiques présentées dans cette seconde édition de l'Histoire des Hadiyya, on peut regretter qu'Ulrich Braukämper n'insiste pas davantage sur la nature politique des « clans » et « sous-divisions » des « unités ethniques » hadiyya, au fil de l'histoire régionale. Derrière les catégories académiques de la parenté employées par l'auteur, les dénominations locales de ces « clans » et « lignages patrilinéaires » décrivent davantage des fédérations économiques, des coalitions militaires, des alliances politiques ou encore des réseaux musulmans anciens. Au-delà de ces « unités ethniques » et de leurs « migrations » régionales, les différentes traditions historiques hadiyya semblent davantage refléter les logiques conflictuelles des divers projets politiques qui façonnent l'histoire régionale. De l'ethnicité aux dynamiques politiques théorisées par G. Balandier (1967), les logiques conflictuelles de la trame historique hadiyya retracent les confrontations successives entre (1) des élites musulmanes réformistes, entretenant leurs alliances avec les centres urbains orientaux tels Harar, (2) des noblesses amhara/amoora proches des royaumes chrétiens, ou encore (3) des ordres agro-pastoraux locaux, plus enracinés dans les anciennes exégèses naturalistes soufis et les revendications autochtones – dans les mêmes registres que les soulèvements « indigènes » boraana oromo du XVIe siècle.

14 L'Histoire des Hadiyya reste sans doute trop prisonnière des interprétations ethniques classiques, limitant sa capacité à saisir l'imbrication diachronique de statuts sociaux et de légitimités politiques mouvants, fondés sur les déclinaisons religieuses, territoriales et guerrières de l'aînesse. De fait, l’auteur semble avoir moins mesuré l'impact des revendications ethno-régionalistes hadiyya naissantes – nourries par les élites locales formées auprès des missionnaires catholiques et protestants – durant ses séjours sur le terrain à partir des années 1970.

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Conclusion

15 À ceux qui ignorent les réalités du sud éthiopien, cet ouvrage dévoile un pan méconnu de l’histoire et de la société éthiopienne. Pour certaines périodes, l’ouvrage propose une lecture assez critique de l’histoire officielle éthiopienne. Le chapitre sur la conquête impériale est de ce point de vue particulièrement délicieux.

16 Et à tous ceux qui se pensent familiers de cette région, la lecture de cet ouvrage permet de saisir avec justesse la tension permanente si caractéristique du Centre/Sud éthiopien, entre morcellement identitaire et cohésion régionale. Il analyse la forte diversification ethnique de ce sous-ensemble régional, et laisse entendre qu’en dépit de la forte politisation de l’ethnie encouragée par l’actuel régime ethno-fédéral, le bouillonnement identitaire régional n’est pas qu’une simple stratégie politique, qu’il fait écho à des dynamiques beaucoup plus anciennes et surtout beaucoup plus complexes. L’actualisation de ces analyses est donc particulièrement attendue.

BIBLIOGRAPHIE

Balandier G., 1967. Anthropologie politique, Paris, PUF.

Burstof D., 2011. Lebendige Überlieferung: Geschichte und Erinnerung der muslimischen Silt’e Äthiopiens. With an English Summary. Wiesbaden, Harrassowitz (Aethiopistische Forschungen, n° 74, Living Tradition. History and Memory of the Muslim Silt’e of Ethiopia).

Evans-Pritchard E. E., 1961. Anthropology and History. Manchester University Press.

Freeman D., 2002. Initiating Change in Highland Ethiopia : Causes and Consequences of Cultural Transformation. Cambridge, Cambridge University Press.

Osmond T., 2014. Competing Muslim Legacies along city/countryside dichotomies: another political history of Harar town and its Oromo rural neighbours in Eeastern Ethiopia. Journal of Modern African Studies, vol. 52, n° 1, p. 1-23.

Planel S., 2008. La chute d’un Eden éthiopien. Le Wolaita, une campagne en recomposition. Paris, IRD, collection À travers champs.

Vansina J., 1967. The Use of Oral Tradition in African Cultural History. In C. Gabel, N. R. Bennett, (dir.), Reconstructing African Culture History, Boston, Boston University Press, p. 55-82.

Vaughan S., 2003. Ethnicity and Power in Ethiopia. Thèse de doctorat, Edimbourg, Université d’Edimbourg.

NOTES

1. Ulrich Braukämper, 2012. A history of the Hadiyya in Southern Ethiopia . Aethiopistiche Forschungen 77, Harrassowitz Verlag. 2. “an exemplary abstraction of a much larger reality”, p. 35

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3. Mythes fondateurs, lignages et descendances, toponymes et ethnonymes, migrations, rôle de l’Islam, pratiques pastorales.

RÉSUMÉS

Ce texte propose une lecture croisée de l’ouvrage d’Ulrich Braukämper, publié dans une version anglaise remaniée de 2012. L’ouvrage constitue une référence majeure des études sur le sud éthiopien et revendique une approche historique de la dynamique ethnique. En cela il s’adresse à un lectorat pluridisciplinaire, ici représenté par une géographe et un anthropologue.

AUTEURS

SABINE PLANEL Sabine Planel, [email protected], est Chargée de recherche IRD et membre de l’UMR Prodig.

THOMAS OSMOND Thomas Osmond, [email protected], est Professeur associé à l’université d’Addis-Abeba (département de sociologie) et chercheur Associé au Centre Français des Etudes Ethiopiennes (CFEE).

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Sur l'Image

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Cartographier le site de Lalibela (Éthiopie) Usages et enjeux d’un outil scientifique Rencontre avec Marie-Laure Derat et Claire Bosc-Tiessé

Marie Bridonneau

1 Marie-Laure Derat et Claire Bosc-Tiessé sont les coordinatrices du projet « Lalibela : archéologie d’un site rupestre ». Marie-Laure Derat est historienne, directrice de recherches au CNRS (Institut des mondes africains, UMR 8171). Claire Bosc-Tiessé est historienne de l’art, chargée de recherches au CNRS (Institut des mondes africains, UMR 8171).

2 Lalibela est une petite ville du nord de l’Éthiopie, située à 2 600 m d’altitude, haut-lieu de pèlerinage et principale destination touristique du pays. Elle renferme un site d’églises rupestres, taillées dans le roc, en-dessous du niveau du sol, inscrit sur la liste du Patrimoine mondial de l’Unesco depuis 1978. Lorsque Marie-Laure Derat et Claire Bosc-Tiessé lancent leur programme de recherche historique et archéologique à Lalibela, en 2009, peu de choses sont connues sur l’histoire d’un site qui n’a jamais été véritablement fouillé. On ne sait notamment pas si les églises ont toutes été creusées en même temps, pendant le règne du roi qui a donné son nom à la ville, ou bien si leur creusement s’est étalé sur plusieurs siècles, ni même si les douze églises étaient toutes des bâtiments à vocation religieuse dès leur origine. L’équipe de la mission Lalibela, composée d’une quinzaine d’archéologues, géomorphologues et historiens français et éthiopiens, poursuit depuis ses investigations et propose aujourd’hui ses premiers résultats. En 2011, une des premières réalisations de l’équipe a été la production d’un document combinant les plans du site archéologique et une carte topographique de Lalibela1. Lors d’un entretien réalisé le 12 mars 2015, Marie-Laure Derat et Claire Bosc-Tiessé reviennent avec nous sur cette réalisation, et sur les enseignements qu’elles en ont tirées. Nous proposons ici de livrer leur réflexion sur la production mais

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aussi sur les usages et enjeux d’un tel outil dans le contexte de l’Éthiopie contemporaine.

Illustration 1 - Les églises de Lalibela,des églises creusées dans la roche. L’église de Beta Giyorgis

Auteur : Aurélie Boisselet, 2014.

Une réalisation inédite : le souci de l’espace

3 L’objectif est alors de donner à voir, sur une seule feuille, la totalité du site, chose qui n’avait jamais été faite jusqu’alors. En effet, les relevés effectués dans les années 1930 et 1960 n’avaient pas donné lieu à une cartographie exhaustive. L’équipe cherche aussi à comprendre comment l’espace peut jouer un rôle dans le devenir de l’ensemble archéologique, comment les configurations spatiales peuvent orienter l’usage qu’en ont eu les riverains et autres acteurs de ce lieu. Il s’agit notamment de saisir l’organisation des trois groupes d’églises et les articulations entre ces groupes. Les chercheurs cherchent aussi à intégrer les tranchées, les cavités, les galeries et les aménagements périphériques. Étape essentielle pour la compréhension de l’histoire du site, cette cartographie révèle le souci de l’équipe d’envisager un site dans son ensemble et non simplement des monuments juxtaposés. Marie-Laure Derat et Claire Bosc-Tiessé soulignent en effet l’importance de l’élément topographique dans tout travail d’archéologie et affirment avoir « toujours travaillé avec une réflexion sur l’espace ». Le site est d’abord envisagé comme un ensemble spatial organisé et comme une construction historique remodelée au cours des siècles, notamment du fait des fortes contraintes liées à l’écoulement des eaux.

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Illustration 2 - Le site des églises rupestres de Lalibela, un site dans la ville

La construction de la carte : un outil d’analyse

4 Marie-Laure Derat insiste sur la double fonction du document produit. Bien sûr, la carte rend compte de manière synthétique des informations collectées, mais elle est aussi un outil indispensable de compréhension, ne serait-ce que parce qu’elle définit et délimite le site. Le processus même de fabrication de la carte a permis de progresser dans la compréhension de Lalibela. Sa construction a été facilitée par l’accès à différentes sources : les informations de base proviennent d’un système d’information géographique (GIS of Lalibela) réalisé sous l’égide du World Monuments Fund (WMF) par l’Université de Cape Town, sous la direction du Professeur Heinz Rüther. Des compléments ont été apportés par l’utilisation d’images issues d’un relevé tridimensionnel du site et par les plans réalisés par l’équipe de l’architecte Alessandro Angelini dans les années 1960. Enfin, ces matériaux ont été réinterprétés à la lumière des résultats des campagnes de fouilles archéologiques conduites par Marie-Laure Derat et Claire Bosc-Tiessé.

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Illustrations 3a et 3b – Les relevés de terrain à Lalibela

Auteur : Marie-Laure Derat, 2009.

Auteur : Marie-Laure Derat, 2010.

5 Deux années ont été nécessaires pour parvenir à la publication de la carte et des plans. Le document est en effet hybride : il rassemble à la fois une carte topographique du site,

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les plans des différentes églises et groupes mais aussi des dessins des églises. La combinaison de ces différents éléments permet ainsi de restituer la complexité du site, établi sur plusieurs niveaux (chapelle souterraine située sous une église, elle-même creusée sous le niveau du sol, etc.). Les choix techniques retenus pour la réalisation traduisent le souci de s’affranchir de normes cartographiques trop contraignantes pour la mise en forme du site. Ces choix résultent également du caractère pluridisciplinaire de l’équipe en charge de sa réalisation. À ce titre, la contribution de l’architecte Patrick Tiessé a été déterminante. Les choix de représentation, et notamment des nuances de gris, conduisent à une carte très lisible et facilement compréhensible par son lecteur. Au rang des limites, les deux chercheuses regrettent l’absence de l’information géologique sur la carte. Le document final mobilise différents procédés tels que la carte topographique (1/2000) mais aussi des coupes des différents groupes d’églises, des dessins : en multipliant les choix de représentation, les auteures ont cherché à rendre compte au mieux de la grande complexité du site.

Illustrations 4a et 4b - La diversité des choix de représentation pour rendre compte de la complexité du site

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Les usages de la carte

6 À l’origine, la production d’un tel document répondait à une demande de l’ARCCH (Authority for Research and Conservation of Cultural Heritage) : l’autorité fédérale éthiopienne en charge de la conservation du patrimoine culturel cherchait ainsi à identifier les éléments du site et de ses alentours à protéger du développement urbain. Rappelons ici que les abords du site de Lalibela ont connu une restructuration profonde depuis 2009, restructuration correspondant à la destruction de tous les quartiers d’habitation et au déplacement des habitants établis à proximité des églises. En 2014, la carte topographique a d’ailleurs été utilisée par les consultants chargés de proposer un plan de réhabilitation paysagère des alentours du site dans le cadre de l’Ethiopian Sustainable Tourism Development Project, financé par la Banque mondiale (2009-2014). Dans ce contexte, la carte constitue un témoin important de l’état du site et de ses abords immédiats, à un moment donné. Elle rend en effet compte de la situation telle qu’elle était en 2010, c’est-à-dire au moment où les destructions étaient en cours. L’essentiel des habitations représentées sur la carte ont aujourd’hui été détruites.

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Illustration 5 – Cartographier un site en pleine transformation

Auteur : Marie-Laure Derat, 2009.

7 La carte participe de ce fait à la conservation d’une mémoire des lieux, mémoire dont peu semblent se soucier aujourd’hui. Elle soulève des enjeux spatiaux et historiques, voire politiques : elle rend compte d’un site qui se transforme au cours du temps, de paysages construits et sans cesse redessinés. Elle va à l’encontre d’une lecture essentialiste du site, disqualifie la recherche vaine du retour à un site authentique, originel. La carte et les autres productions de l’équipe de recherche rappellent ainsi que les références à un site originel relèvent d’une réécriture politique de l’histoire éthiopienne. Elles sont sans fondement du point de vue archéologique. Les chercheuses ajoutent par ailleurs que ce souci, notamment de l’Unesco, de rétablir le site tel qu’il était « à l’origine » est problématique pour la conservation-même du site : le nettoyage des tranchées, afin de leur rendre leur fonction première, a conduit l’eau au pied de certaines églises du second groupe.

8 La carte et les plans constituent avant tout un instrument de travail, sur le terrain, pour l’équipe de la mission « Lalibela : archéologie d’un site rupestre ». Ils accompagnent chaque membre de l’équipe lors des temps de fouille. Corrigés, complétés au quotidien, ils sont un outil de discussion et de confrontation des observations. Cependant, Marie-Laure Derat et Claire Bosc-Tiessé regrettent aujourd’hui la faible diffusion du document, tout particulièrement en Éthiopie.

La diffusion de la carte de Lalibela : un révélateur des enjeux de la production cartographique en Éthiopie

9 L’absence de carte, jusqu’au début des années 2010, d’un site aussi célèbre et aussi important pour l’Éthiopie que Lalibela trahit une très faible production cartographique en Éthiopie. Peu de cartes topographiques sont disponibles et uniquement à l’échelle 1/50 000, échelle peu utile pour des études très localisées et souvent établies à partir de

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relevés anciens. Éditée par le Centre Français des Études Éthiopiennes et financée par l’Agence Nationale de la Recherche, disposant d’un ISBN éthiopien, la diffusion de la carte est compliquée en raison du monopole étatique pour la production cartographique propre à l’Éthiopie. Ce monopole rend impossible la commercialisation de la carte de Lalibela sur place. Pourtant, les chercheuses sont convaincues qu’elle pourrait intéresser le public de visiteurs qui se rend à Lalibela, bien plus qu’un public local, peu habitué à manipuler l’instrument cartographique.

NOTES

1. Derat M.-L., Bosc-Tiessé C. (coord.), 2011. Lalibela – Ethiopia. Plans and site topographic map (1/2000). Addis Ababa, CFEE, 2011.

AUTEUR

MARIE BRIDONNEAU Marie Bridonneau, [email protected], géographe, est Maître de conférences à l’Université Paris Ouest Nanterre la Défense.

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