Madeleine Landry Beaupré

1896 . 1904

LIEU D’INSPIRATION D’UNE PEINTURE IDENTITAIRE

Avant-proposSEPTENTRION1 2 Beaupré

1896 . 1904 LIEU D’INSPIRATION D’UNE PEINTURE IDENTITAIRE

Avant-propos 3 4 Beaupré

1896 . 1904 LIEU D’INSPIRATION D’UNE PEINTURE IDENTITAIRE

Madeleine Landry

SEPTENTRION

Avant-propos 5 Pour effectuer une recherche libre par mot-clé à l’intérieur de cet ouvrage, rendez-vous sur notre site Internet au www.septentrion.qc.ca

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6 Préface

’ Histoire, pour peu qu’on se donne la peine de s’y intéresser et de l’interroger, se révèle L riche d’informations et se prête à de multiples lectures et interprétations. L’histoire de l’art n’échappe pas à cette règle et elle recèle encore de nombreux secrets qu’elle dévoile aux chercheurs curieux et patients.

L’art au Québec, au tournant du xxe siècle, est assez bien étudié et l’on est au fait des principales figures, de leurs œuvres et de leur parcours. Ce que l’on connaît moins cependant, c’est de quelle manière ces créateurs formaient société et comment leurs relations et leurs amitiés nourrissaient leur désir de produire de nouvelles images. Quelles sont les conditions qui rendaient possible la création ? Ce chantier sur les ateliers et les réseaux de sociabilité entre les différents protagonistes est une tâche à remplir.

Depuis le xixe siècle se multiplient en Europe les associations d’artistes basées sur des affinités électives et le partage d’esthétiques communes. Ces démarches définissent d’ailleurs plusieurs mouvements artistiques, de l’impressionnisme aux surréalistes, mouvements parfois définis par un manifeste. Souvent, c’est un lieu qui est au centre de ces rassemblements. L’on pense à la forêt de Fontainebleau, à Pont-Aven, par exemple, points de rencontre de peintres venus de divers horizons.

La géographie, dans un contexte socioculturel spécifique, est un vecteur qui définit et oriente une conception artistique, lui procure assise et inspiration. La topographie du Québec a stimulé de nombreux artistes qui ont, tour à tour, célébré les beautés des Cantons de l’Est, de Charlevoix, des Laurentides ou de la Gaspésie. Dans un bref, mais exceptionnel épisode, entre 1896 et 1904, loin de la métropole canadienne, des artistes d’origine anglo-saxonne se passionnent pour un coin de pays, la Côte-de-Beaupré et l’Île d’Orléans.

C’est à Beaupré qu’un premier regroupement d’artistes se produit, conjoncture unique par son intensité et la qualité de la communauté qui la constitue. Les meilleurs paysagistes se donnent rendez-vous dans un environnement structuré par l’escarpement des Laurentides qui rejoint les rives le Saint-Laurent, territoire qui regroupe histoire et traditions. Cullen, Brymner, Dyonnet, Morris, auxquels se joignent à l’occasion Morrice, Clapp, Gagnon et d’autres émules s’y retrouvent à la belle saison — et même l’hiver — afin de peindre en plein air. Leur art met l’accent sur les moyens formels de la peinture au détriment du dessin. Les traits du pinceau, la matière picturale et la couleur saturée traduisent les effets atmosphériques et révèlent la poésie du lieu.

Madeleine Landry nous guide dans sa découverte de ce phénomène jusqu’alors méconnu. Une riche iconographie inédite et l’étude des sources lui permettent de faire revivre ce fertile microcosme. Même si les artistes ne sont pas enracinés dans cet espace, ils ont su en défricher et en exploiter les principales caractéristiques. En reprenant les hypothèses et conclusions de théoriciens du paysage, l’auteure propose les résultats de son enquête où Beaupré, s’accordant à une idéologie contemporaine, s’offre comme le lieu des origines d’une nation en devenir.

Laurier Lacroix

Avant-propos 7 Fresque réalisée par Maurice Cullen pour la Maison Porteous . La Côte-de-Beaupré vue de l’île d’Orléans 8 Avant-propos

Avant-propos 9 1 La trahison 1895 MMHC

10 2 William Brymner Force 1893 MMHC

Tournant de siècle

Au xixe siècle, l’Occident connaît un boulversement majeur, alors que la révolution industrielle entraîne un profond changement dans les idées du temps. Si l’éducation inculque toujours l’idéal classique hérité de l’antiquité gréco-romaine (fig. 2) et du rationalisme des Lumières, une telle vision utopique du monde, obéissant à la primauté de l’ordre et de la raison1, ne reflète plus la réalité contemporaine. À la recherche d’un nouveau modèle, l’Europe se tourne vers ses racines barbares (fig. 1) pour faire contrepoids au rationalisme et à l’hégé- monie de l’héritage méditerranéen. Une nouvelle théorie de la culture apparaît et pose le « national » comme principe fondateur de la modernité2. Un changement esthétique radical accompagne cette nouvelle conception du monde. Tel est le portrait de la situation en Occident qui sert de toile de fond au présent ouvrage.

Avant-propos 11 Premier ministre du Canada au tournant du xxe siècle, Wilfrid Laurier annonce que ce siècle sera celui du Canada ; un tel optimisme appartient à un autre âge. Avant 1890, les Canadiens de l’époque victorienne construisent le pays comme un prolongement de l’Empire britannique et rêvent de s’approprier les immenses territoires de l’Ouest canadien par le biais du chemin de fer. Le mythe de la terre (The Land) est alors le thème fondamental d’un art national3.

Les Canadiens de la grande époque victorien- ne perçoivent le Canada comme l’avenir. Son immensité à peine ébauchée, déjà ils y voient toutes ses promesses, sa grandeur, sa force et sa richesse. Ils y décèlent même un empire. Durant les années 1880, l’empire tant pour l’artiste, l’homme politique ou l’entrepreneur de chemin de fer devient obsédant […]. Dans leur quête du paysage, ils [les peintres] sont conquis par cette vague de nationalisme qu’à leur tour, ils traduisent dans leurs œuvres… (Reid 1979, page couverture).

Cependant, à partir des années 1890, le scep- ticisme gagne l’Amérique. En peinture, les paysages romantiques font place à des toiles sombres aux accents plaintifs et à la facture inachevée. Ce n’est plus la célébration de la grande nature sauvage qui retient l’attention des Canadiens mais la nostalgie d’un passé perdu où l’homme cultivait la terre de ses mains. C’est dans ce contexte très particulier, lors de l’exposition de l’Art Association of Montreal de 1897, qu’apparaissent les premiers tableaux portant sur la région de Beaupré.

3 William McFarlane Notman Sur une dizaine d’années, un nombre important d’œuvres seront produites par des artistes Une partie de la voie ferrée près de Glacier, C.-B. anglophones provenant de Montréal et de Toronto, deux milieux urbains qui contrastent fort avec 1887 MMHC l’environnement d’une petite communauté rurale. Les peintres appartiennent à cette génération d’artistes ayant étudié en , d’où l’expression French period of Canadian Art utilisée pour désigner cet épisode4.

12 4 James Wilson Morrice Paysage d’hiver avec cheval tirant un traîneau 1897 MBAM

Avant-propos 13 Pourquoi Beaupré

La question qui se pose de prime abord est la suivante : pourquoi des artistes liés à la bourgeoisie anglo-saxonne ont-ils choisi de venir peindre à Beaupré, cette minuscule localité située en bordure du Saint-Laurent, à 40 km en aval de Québec ? Cette interro- 5 gation en appelle plusieurs autres portant sur les motivations des peintres. Au-delà de Maurice Cullen La croix de chemin la facilité d’accès de l’endroit par train, le choix de Beaupré pourrait-il aussi s’expliquer Date inconnue Collection particulière par la géographie du lieu qui inspire une peinture de paysage réalisée en plein air ? Beaupré pourrait également évoquer la notion de terroir et la perspective de la peinture régionaliste,

très répandue en Europe et aux États-Unis en cette fin du xixe siècle. De plus, le choix de peindre le milieu rural canadien-français, plutôt que celui des Anglo-Saxons, pourrait bien être relié au concept de l’identité canadienne fondée sur l’histoire, introduisant ainsi une conception du nationalisme liée aux origines du pays.

L’observation d’une production artistique cohérente à Beaupré suggère deux explications plausi- bles : d’une part, celle d’une approche formelle qui met l’accent sur l’expressivité et le traitement, d’autre part, celle d’une approche s’intéressant plutôt au sujet peint. Sans négliger la première, il semble plus pertinent d’explorer le rapport entre la peinture de Beaupré et les valeurs com- munément associées à la peinture régionaliste. Tournée vers le passé et exprimant un mode de vie archaïque, cette peinture apparaît généralement comme une dénonciation de la modernité. La crainte des méfaits de l’industrialisation est courante en Europe et explique l’énorme sympathie pour le mouvement régionaliste.

À partir de 1890, sur la lancée des développements socio-économiques, on assiste au Canada à une montée de la fierté nationale, tout comme au désir de s’émanciper des attaches européennes5. L’art cherche à s’affranchir de son statut colonial et à affirmer son originalité et sa maturité6. À la recherche d’une identité qui lui soit propre, l’artiste explore différentes avenues. Pour certains, l’attention se porte sur les origines du pays.

14 Dès 1886, des membres de la Toronto Art Students League se rendent travailler sur le motif, dans les petits villages des environs de Toronto mais aussi dans la région de Québec, en des endroits qui évoquent les débuts du pays.

[…] les membres de la Toronto Art Students League puisent leur inspiration dans les livres d’histoire et en viendront, même bien souvent, à la fin du siècle, à interpréter le paysage en fonction de l’histoire. Les villages de campagne évoquent également l’établissement des premiers colons européens, montrant ainsi aux artistes leur propre racine dans ce pays. […] les artistes illustrent le passage du temps et les transformations sociales en représentant les lieux, les modes de vie, les coutumes et les événements de leur propre histoire (Hill 1975, p. 22).

6 William Walker Alexander Calendier de The Toronto Art League 1901 MBAC

Avant-propos 15 Se peut-il qu’une conscience historique ait conduit un groupe de peintres anglophones de Montréal à se rendre sur la Côte-de-Beaupré, dans la région la plus ancienne au Québec, sur le site de l’une des premières seigneuries ? Cherchant à produire une peinture qui soit originale et canadienne dans son essence, ces peintres ont pu chercher dans l‘histoire du pays des clés identitaires.

Un discours nationaliste, basé sur les origines du pays plutôt que sur les visées expansion- nistes associées à la conquête de l’Ouest, correspond tout à fait à la formule européenne

de création des identités nationales au xixe siècle, selon un modèle mis au point par Anne-Marie Thiesse, une sociologue française de la littérature7. Bien qu’il soit un pays jeune, le Canada a vrai- semblablement suivi le même parcours que

les pays européens qui, au xixe siècle, ont tenté d’édifier leur identité nationale sur la base d’un passé mythique.

Les raisons de la présence de peintres anglo- phones à Beaupré n’ont pas souvent été abor- dées sous cet aspect particulier. Comme les tableaux peints à Beaupré présentent des scènes à caractère rural et un mode de vie qui semble figé dans le temps depuis les débuts de la colonie française, se pourrait-il que le contenu de cette peinture exprime le mythe fondateur du temps de l’innocence ? 7 Horatio Walker La récolte des patates On a toujours parlé de nationalisme au Canada en termes binaires, soit d’une part, celui des deux 1890 MNBAQ peuples fondateurs et d’autre part, celui de l’impérialisme anglo-saxon8 *. Or, il est d’autres interpréta- tions possibles du nationalisme, davantage universelles et appartenant au domaine de l’inconscient. L’historien de l’art David Karel a bien saisi cette dimension quand il écrivait sur Horatio Walker : « il s’enracine au nombril de la colonisation pour traduire un vécu immémorial9 » (fig. 7).

* Un paradoxe existe dans le choix du territoire québécois, avec ses habitants et leur mode de vie archaïque, comme représen- tation d’un Canada en plein essor économique. Aujourd’hui, on se demande bien pourquoi les collectionneurs de l’époque ont manifesté un tel intérêt pour ce type de représentation. Historien de l’art, François-Marc Gagnon répond que c’est l’idéal de travail, d’endurance et de stabilité, valeurs typiques du capitalisme et de l’éthique anglo-saxonne, qui explique la popularité de cet art (Linteau 1979, p. 348).

16 8 Clarence Gagnon Éclaircie à Beaupré Entre 1900 et 1903 Collection particulière

C’est dans cette perspective que le présent ouvrage explore les raisons subconscientes d’une présence à Beaupré entre 1896 et 1904 et cherche à entrer dans l’univers mental des peintres, à cer- ner leur vision et à dégager le discours dominant de leurs œuvres. Par une approche pluridisci- plinaire impliquant des notions empruntées à la sociologie, à l’anthropologie, à la psychologie et à la philosophie, il comble le vide que leur silence a laissé.

Avant-propos 17 Une colonie d’artistes à Beaupré

La plus intense période d’activité artistique à Beaupré s’échelonne sur une dizaine d’années, alors que défilent une vingtaine d’artistes, dont William Brymner (1855-1925), William Henry Clapp (1879-1954)10, Frederick Simpson Coburn (1891-1960)11, Arthur G. Collins (1866-)12, William Cruikshank (1848-1922), Maurice Galbraith Cullen (1866-1934), Edmond Dyonnet (1859-1954), Clarence Gagnon (1881-1942)13, Charles William Jefferys (1869-1951)14, James Wilson Morrice (1865-1924), Edmund Montague Morris (1871-1913), John Henry Stanford Szewlinski15 et Charles W.P. Way (1835-1919). À cette liste, s’ajoutent quelques femmes peintres, dont Henrietta Hancock Britton (1873-1963), Gertrude Spurr Cutts (1858-1941), Marie H. Holmstead (1857-1911), Martha Alexander Logan (1863-1937) et Etta Fullerton Watts (1867-1930).

Parmi eux, plusieurs se connaissent très bien, pour avoir étudié ensemble en Europe, pour faire partie des mêmes associations d’artistes, pour enseigner aux mêmes écoles, pour avoir fait les mêmes voyages ou pour graviter dans les mêmes cercles d’amis. Certains d’entre eux font également partie du Pen & Pencil Club of Montreal, un lieu d’échanges et de création qui réunit aux deux semaines un groupe sélect d’artistes du domaine des arts et des lettres. De ces peintres qui ont aussi développé des liens d’amitié, six noms retiennent l’attention et constituent « la petite bande de Beaupré », ce noyau dur de la colonie d’artistes qui fré- quentera la région d’une façon assidue, entre 1896 et 1904, pour produire ce qui s’y fera de meilleur et de plus substantiel en peinture. 9 William Henry Clapp, John Henry Stanford L’appellation « bande » est tout à fait adéquate pour désigner le regroupement à Beaupré de ces et Clarence Gagnon à Baie-Saint-Paul peintres qui partagent des goûts et des intérêts communs, de préférence à la désignation « École », 1902 Robert McLaughlin Gallery qui suppose des adhérents à un maître et à une pratique artistique, et au mot « Groupe », avec un G majuscule, pour éviter la confusion avec le Groupe des Sept, un épisode artistique d’un tout autre ordre. Le mot « bande », quant à lui, évoque bien l’étroite union et la complicité du groupe dans l’activité artistique, comme autrefois on a pu parler de « La Petite Bande » pour décrire le groupe de musiciens fondé par Lully, ensemble dont la production avait une facture unique, reconnaissable entre toutes.

18 Ainsi définie en fonction d’une affinité de pensée et de moti- vation, de l’habitude de travailler sur le motif, de l’asssiduité aux réunions du Pen & Pencil Club et de l’importance des œuvres produites, la petite bande de Beaupré comprenait William Brymner, William Cruikshank, Maurice Cullen, Edmond Dyonnet, James Wilson Morrice et Edmund Morris*.

L’existence de ce petit groupe, qui faisait bande à part dans la colonie d’artistes à Beaupré, est attestée de différentes façons, dont les notes de voyage d’Edmund Morris, la correspondance de James Wilson Morrice et les écrits de William Brymner et d’Edmond Dyonnet.

D’une façon générale, les historiens d’art anglo-canadiens sont muets sur l’existence d’une colonie d’artistes à Beaupré. Ni Donald Buchanan dans The Growth of Canadian Painting (1950), ni Robert Hubbard dans An Anthology of Canadian Art (1960), ni John Russell Harper dans Painting in Canada (1966), n’en font mention. Il faut attendre 1973 pour que Dennis Reid, dans A Concise History of Canadian Painting, lui accorde une brève mention, sans toutefois en développer le concept. Il fait allu- sion à la possibilité d’une colonie d’artistes en soulignant que Beaupré était l’équivalent de Pont-Aven pour les Impression- nistes, « Canada’s answer to the painter’s spot of Brittany16 ». Il fait ressortir clairement la présence simultanée de James Wilson Morrice, Maurice Cullen, William Brymner et Edmund Morris dans ce village en bordure du Saint-Laurent17.

10 Des ouvrages rédigés peu de temps après la mort des peintres, comme la biographie de Donald James Wilson Morrice tenant une flûte Buchanan sur James Wilson Morrice (1936), la monographie de John Lyman, aussi sur Morrice (1945), 1897 MBAM celle de Romain Gour sur Cullen (1952) et le catalogue de Robert Pilot, également sur Cullen (1956), permettent de reconstituer à grands traits la vie à Beaupré.

En se concentrant sur les années de formation de James Wilson Morrice, les travaux de Lucie Dorais, parus en 1980, sont les premiers à étudier en profondeur la période de Beaupré et la conversion de l’artiste à l’impressionnisme, sous l’influence de Cullen.

* Clarence Gagnon, William Henry Clapp et Frederick Simpson Coburn ont chacun effectué trois séjours à Beaupré mais ils ont été exclus de l’étude à cause de leur jeune âge, de leur statut d’étudiant et de leur entrée tardive au Pen & Pencil Club of Montreal (soit en 1937, 1913 et 1933). Charles Jones Way est membre du Pen & Pencil Club of Montreal et il a séjourné à Beaupré en 1899 et 1901. Il a aussi été exclu mais par manque d’information sur implication avec les membres du groupe. Henrietta Hancock Britton, Gertrude Spurr Cutts, Marie H. Holmstead, Martha Alexander Logan et Etta Fullerton Watts ont elles aussi été exclues de l’étude parce que les femmes n’étaient pas admises au Pen & Pencil Club of Montreal.

Avant-propos 19 Publié en 1982, le catalogue de Sylvia Antoniou confirme la présence de Cullen à Beaupré en de nombreuses occasions, mais ne s’attarde pas au phénomène de la vie communautaire. Cependant, elle signale l’existence de grandes amitiés et certaines influences mutuelles.

La monographie de Janet Braide (1979) a longtemps constitué la principale source de connaissance sur William Brymner. L’ouvrage qui rend vraiment justice à l’artiste est paru en 2010 sous le titre William Brymner, Artist, Teacher, Colleague. Lydia Bouchard y traite des courants artistiques qui l’ont influencé, des expérimentations faites et des transformations vécues à différents stades de son existence, incluant Beaupré. Revisitant les épisodes majeurs de la vie de Brymner au sein de plusieurs associations d’artistes, Hélène Sicotte y approfondit les mentalités et les idées du temps. Pour sa part, Paul Maréchal se concentre sur la réception des œuvres de l’artiste par le public et par les galeries d’art. Enfin, Alicia Boutilier y aborde la longue carrière de Brymner comme enseignant, tout comme son influence durable auprès de plusieurs générations de peintres.

Quant à Edmund Morris, il a fait l’objet de deux monographies, dont celle de Jean S. McGill (1984) et celle de Geoffrey Simmins et Michael Parke-Taylor (1984) qui tente de le comparer à Cullen (fig. 11 et 12). Cet exercice de comparaison de leurs influences mutuelles en peinture donne tout son sens à la pratique en groupe.

This lack of securely-dated works from the period 1896 to c. 1903 means that it has not proved possible to compare Morris’ paintings executed during these years to those painted by his -based artist friends Cullen, Brymner and Dyonnet. Such a comparison would be highly desirable, given that these artists painted together so often in the late 1890s. However, it is possible to compare a slightly later Morris to a painting by Cullen. In 1905 Morris executed a pastel of L’Anse-des-Mères which is remar- kably similar to a 1904 Cullen painting of the same subject. Since both works are securely dated, the Cullen a year earlier than the Morris, this demonstrates clearly that as late as 1905 Cullen and Morris were painting in a very similar manner. This makes it seem likely that they were painting in a similar vein in earlier years (Simmins et al. 1984, p. 15).

La mention la plus précise concernant la présence assidue d’un petit groupe de peintres à Beaupré revient à David Karel, dans André Biéler ou le choc des cultures (2003), où, sans parler explicitement d’une colonie d’artistes, il souligne les intentions de « ces jeunes loups […] qui pratiquent les paysa- ges et les villages de la région de Beaupré », pour réaliser une peinture régionaliste-nationaliste. Toutefois, il déplore que l’histoire de leur contribution n’ait pas encore été racontée18.

Le présent ouvrage a donc été entrepris dès 2005, dans la perspective de pallier cette omission. Cependant, depuis 2006, les parutions intitulées Clarence Gagnon, 1881-1942, Rêver le paysage (2006), Cullen et son cercle (2009), Les paysages québécois de William Brymner : expérience de la nature comme lieu identitaire canadien au tournant du xxe siècle (2009), La thématique hivernale dans les œuvres de Maurice Cullen (2010) et William Brymner, Artist, Teacher, Colleague (2010) ont aussi permis de faire progresser les connaissances sur l’épisode de Beaupré.

20 Table des matières

PRÉFACE 7

AVANT-PROPOS 9

Tournant de siècle 11 Pourquoi Beaupré 14 Une colonie d’artistes à Beaupré 18 Des œuvres peintes et des textes 22

Chapitre 1 LES PEINTRES ET LEUR ENTOURAGE 25

QUI SONT CES ARTISTES ? 26 William Brymner, le pilier du groupe 28 Maurice Cullen, le peintre de la neige 30 James Wilson Morrice, le peintre à l’œil délicat 32 Edmund Morris, le diplomate 34 William Cruikshank, le superbe dessinateur 36 Edmond Dyonnet, le chroniqueur 38 Paul Lafleur, l’écrivain 40

LES LIENS D’AMITIÉ TISSÉS AU FIL DU TEMPS 44 Le Pen & Pencil Club of Montreal 47 Un vaste réseau de relations sociales 51 Beaupré, un lieu de convergence 54 Les lieux de séjour des peintres 58 Les notes de voyage d’Edmund Morris 64 Autres écrits des peintres 68 La fin du groupe de Beaupré 70

Chapitre 2 LA PRODUCTION DE BEAUPRÉ 73

LA SINGULARITÉ DE LA RÉGION DE BEAUPRÉ 74 Entre fleuve et montagnes 76 Un établissement français dans un lieu du Nord 80 Le lieu de la mémoire enfouie 82 Les travaux et les jours 88 Un environnement villageois 98 Les gens d’ici 107 Des paysages encore et encore 112

PEINDRE AUTREMENT 121 Apprivoiser la lumière 125 Revendiquer une esthétique personnelle 128 La griffe de la production de Beaupré 135

204 Chapitre 3 L’ÉCRIVAIN, AMI DES PEINTRES 137

L’ESPRIT DU TEMPS ÉVOQUÉ DANS LES ÉCRITS DE PAUL LAFLEUR 138 La réalité ou son apparence 140 Des luttes fratricides 151 Le paradoxe de l’Autre 154 Deux discours, une vérité 156

Chapitre 4 D’UN TERRITOIRE SINGULIER À L’IDÉE DE NATION 159

L’ACCÈS À L’UNIVERSEL PAR LA CULTURE LOCALE 160 Beaupré, un choix délibéré 160 Beaupré, un lieu de mémoire 165

LA FILIATION DE LA PEINTURE DE BEAUPRÉ 166 Question de forme ou de contenu 166 D’une vision romantique à une vision réaliste 167 De Barbizon à Beaupré 168

COMMENT COMPRENDRE LE RÉGIONALISME 172 Une question d’altérité 172

LA FABRICATION D’UNE REPRÉSENTATION NATIONALE 176 Contre l’idéologie dominante 176 L’habitant, le dépositaire de la culture première 178

AU-DELÀ DU NATIONAL, LE SENS DE L’HISTOIRE 180 Le mythe des origines 180 Regards vers l’Est 181

CONCLUSION 184

FIGURES 186 BIBLIOGRAPHIE 193 NOTES 197 INDEX 199 TABLE DES MATIÈRES 204 REMERCIEMENTS 206

Table des matières 205 Remerciements

a profonde gratitude va d’abord à David Karel, professeur en histoire de l’art à l’Université Laval, M qui a dirigé les premières réflexions du mémoire de maîtrise qui est à l’origine du présent ouvrage. Maître à penser, disparu prématurément en août 2007, il a illuminé cette recherche de toute son érudition et de son savoir, en particulier en matière de régionalisme, de culture et de société.

Je suis aussi infiniment reconnaissante à Laurier Lacroix, professeur en histoire de l’art à l’UQAM. pour avoir pris le relais et mis à ma disposition l’ampleur de ses connaissances de l’art canadien. Il a enrichi la question d’un regard différent, notamment par son expertise dans l’analyse de l’aspect formel des œuvres. Merci aussi à Denis Saint-Jacques, professeur en littérature à l’Université Laval, pour sa direction dans l’analyse littéraire des textes de Paul Lafleur.

Quant à Lucie Dorais, historienne de l’art et spécialiste de l’œuvre de James Wilson Morrice, elle a toujours fait preuve d’une grande générosité dans les échanges concernant l’épisode de Beaupré, une époque charnière dans la production de l’artiste.

Un remerciement particulier s’adresse à Éric Klinkhoff, pour m’avoir donné accès à sa documentation sur Maurice Cullen et m’avoir mise en contact avec les descendants de la famille de Paul Lafleur. Son soutien a été constant, des débuts du projet jusqu’à la publication de l’ouvrage pour lequel il s’est impliqué de manière exceptionnelle.

Des personnes m’ont accordé un temps précieux, dont Richard Lougheed, professeur à l’Université Acadia, qui m’a aidé à reconstituer le parcours du révérend Théodore Lafleur, Jocelyn Beausoleil, professeur à l’UQAM, qui m’a éclairée sur la philosophie de Kant et de Schopenhauer, et Yvan Lamonde, professeur à McGill et spécialiste de l’histoire sociale des idées au Québec, qui m’a instruite sur l’Institut canadien de Montréal, où un libéralisme républicain anticlérical se manifestait chez les francophones.

Au Musée McCord, l’initiative de soutien aux chercheurs, dont l’aide de Nora Hague, s’est avérée particulièrement appréciable. De plus, les travaux de classification des documents du fonds du Pen & Pencil Club of Montreal, par Catherine Lambert, m’ont été fort utiles. Dans les musées, le personnel responsable de la gestion des collections & droits d’auteurs et des documents photo- graphiques s’est montré très efficace et j’en remercie Felicia Cukier, Heather Mcnabb, Jennifer Nicoll, Kristin Rothschild, Marie-Claude Saïa et Phyllis Smith.

Quelques collaborateurs en région, dont le notaire Guy Beauregard et monsieur Jean Rousseau, m’ont fourni de précieuses informations sur les lieux de séjour des peintres à Beaupré. À Saint-François de l’île d’Orléans, messieurs Robert Fillion et Jean Rompré m’ont renseignée sur les Sanschagrin, dont la maison servait de lieu de rendez-vous aux artistes.

À la rédaction et à la révision des textes, la contribution de Michel Barry a été inestimable et ne peut se comprendre que comme un geste d’amour. Son apport ne s’est pas limité à la relecture du texte mais à une critique constructive qui a enrichi énormément le propos. Son esprit de géographe a parfaitement saisi la singularité du lieu que les artistes se sont efforcés d’exprimer. Ce projet n’aurait jamais vu le jour sans sa rigueur, sa ténacité et sa générosité. Aussi, grand merci à François Gagnon pour la lecture finale du manuscrit et pour l’attention rigoureuse portée au sens des mots.

Enfin, le travail intelligent, créatif et tout en finesse de Louise Méthé, graphiste, a bien su rendre la grandeur des chefs-d’œuvre de la production de Beaupré.

Et puisque que toute recherche à caractère patrimonial s’inscrit dans une perspective de continuité, mes deux petites-filles, Flavie et Aimée, ont été une vive source d’inspiration.

206 Table des matières 207 cet ouvrage est composé en palatino corps 10 selon une maquette réalisée par louise méthé et achevé d’imprimer en septembre 2014 sur les presses de l’imprimerie marquis à montmagny pour le compte de gilles herman éditeur à l’enseigne du septentrion

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