Introduction de la culture chinoise dans le cursus de français destiné aux étudiants de niveau avancé : Exemple d’une réflexion sur deux titres de civilité ambigus dans la société chinoise d’aujourd’hui Keyong Institut des Langues étrangères du Sichuan, Chongqing

Résumé : L’époque de la «révolution culturelle » a créé une rupture dans le système des appellatifs chinois, ce qui provoque des lacunes lorsque la Chine ouvre sa porte. Dans un pays en pleine mutation, l’appellation «tongzhi» (camarade), universalisée pendant un demi-siècle, perd sa place et se dote d’une nouvelle connotation spécifique ; quant à celle de « xiaojie »(mademoiselle) , à peine réapparaît-elle qu’elle prend un sens péjoratif pour devenir le synonyme de « fille » (de mauvaise vie), au point que l’on se trouve à court de formule d’adresse lorsqu’on doit s’adresser à une jeune femme inconnue. Ces lacunes dans les appellatifs chinois sont l’objet de notre étude et il nous a semblé nécessaire d’intégrer les fruits de cette étude dans l’enseignement du /en français destiné aux étudiants de niveaux avancés.

Préliminaire Désireux de se spécialiser dans l’étude du français, nos étudiants apprennent cette langue tout au long d’un cycle d’enseignement de quatre ans. Durant les deux premières années (étape de base correspondant aux niveaux débutant et intermédiaire), en plus des cours en tronc commun, le français est enseigné de façon intensive à raison de 14 ou 16 heures par semaine ; pour les deux dernières années (niveau avancé : étape d’orientation et de spécialisation), les étudiants ont 8 à 10 heures hebdomadaires de cours de /en français. Cette seconde étape couvre principalement la littérature française, la grammaire française analytique et le français de spécialité : de l’hôtellerie et du tourisme, ou commercial et économique, etc. Or nous avons constaté que nos étudiants arrivant au niveau avancé maîtrisent assez aisément le français quand on aborde des sujets concernant la France, alors qu’ils éprouvent bien des difficultés quand il s’agit de sujets relatifs à la Chine, notamment la culture chinoise. Une lacune à combler donc, d’autant plus que nos étudiants, pour la plupart, travailleront comme traducteurs ou interprètes dans des secteurs en rapport avec les pays francophones, un métier qui demande non seulement des compétences linguistiques en chinois et en français, mais également celles relatives aux cultures francophones et chinoises. D’où la nécessité d’intégrer un cours de culture chinoise (dispensé en langue française bien entendu). Un vieux dicton chinois dit : C’est se connaissant soi-même et en connaissant l’autre que l’on réussira à coup sûr. Voici, à titre d’exemple, un des thèmes de ce cours, thème consacré au système des appellatifs chinois, à partir de deux titres de civilité ambigus dans une société chinoise

- 163 - en pleine mutation.

Introduction En France, c’est avec principalement trois titres de civilité que l’on entame le contact humain, à savoir Monsieur, Madame, Mademoiselle. Mais en Chine, c’est tout un système d’appellation qui régit le contact et les rapports sociaux, système dû aux retombées de l’héritage plusieurs fois millénaires du Confucianisme. Celui-ci préconisa la restauration des rites de la dynastie des Zhou, insistant sur le principe de distinction hiérarchique à observer « entre roi et ministres, entre père et fils, entre mari et femme, entre personnes âgées et jeunes … ». Mais ce système d’appellation chinois a été partiellement aboli à partir de la fondation de la Chine nouvelle en 1949. L’appellation «tongzhi»1, (camarade) a été sur-généralisée, voire universalisée pendant plus de trois décennies. Quand « le camarade Deng Xiaoping » (comme on l’appelait de son vivant) a lancé la réforme et l’ouverture de la Chine en 1978, le retour des « vieilles » appellations l’a emporté de plus en plus sur le « tongzhi ». Aujourd’hui, le titre de civilité «xiaojie» (mademoiselle) risque de disparaître de nouveau à cause de la nouvelle connotation péjorative qu’il a acquise.

1. Le déclin du « tongzhi » Le mot «tongzhi» qui signifie littéralement « même volonté » est traduit en français par « camarade ». Pourtant, à l’origine, ce mot ne s’employait pas comme un appellatif. C’était un nom commun qui signifiait «même intention, même vertu, et même volonté »2. C’est vers la fin de la dynastie des Qing qu’il a été utilisé comme appellatif par des associations ou groupes clandestins, politiquement opposés à la Cour impériale. Les Chinois connaissent par cœur la fameuse citation du Dr. SUN Zhongshan3 : « Camarad es : la révolution ne fait que commencer, il nous faut faire encore des efforts ! ». Après le mouvement du 4 mai 1921,4 le Guomindang et le parti communiste ont adopté le mot « tongzhi » comme l’appellation qui marque à la fois respect et les idéaux communs. Les définitions du dictionnaire encyclopédique chinois le plus prestigieux, le « Ci Hai » (littéralement la « mer des mots »), sont révélatrices. Elles témoignent de l’évolution sémantique de ce terme sur le plan dénotatif et connotatif : a. « Appellation entre personnes ayant les mêmes idéaux » (Edition 1936); b. « Appellation entre personnes ayant les mêmes idéaux politiques, ou entre membres d’un parti politique» (Edition 1965); c. « Appellation courante entre les citoyens de notre pays. »(Edition 1979); d. « Appellation courante entre les citoyens des pays socialistes. »(Edition 1989); e. « Appellation entre personnes ayant les mêmes idéaux politiques, ou entre membres d’un parti politique» (Edition 1999). On voit ainsi que l’appellatif «tongzhi» a atteint son apogée durant les années 70. Ce fut un mot passe-partout. Tout le monde s’appelait ainsi. Le terme était précédé d’un nom de famille ou du prénom, selon le degré de familiarité quand il s’agissait de connaissance. Les personnes âgées se laissaient appeler « laotongzhi »(vieux camarade) et les écoliers étaient appelés « xiaotongzhi »(petit camarade », les soldats « jiefangjuntongzhi » (camarade de l’armée de libération), les ouvriers « gongrentongzhi » (camarade ouvrier), ainsi de suite. Pendant la révolution culturelle (1966-1976), le mot « tongzhi » devint l’antonyme de l’ennemi politique. Ce fut une époque de terreur. Souvent, du jour au lendemain, une personne se voyait privée du titre de « tongzhi » à cause de son attitude ou tendance politique, ou de son origine. On lui attribuait, à la place de « tongzhi », un titre de « réactionnaire », ou « fils du capitaliste » ou d’autres titres politiquement péjoratifs, en lui mettant souvent sur la tête un haut chapeau en papier portant une étiquette de sa

- 164 - nouvelle « nomination ». Cependant, un apogée marque souvent le début du déclin. Peu après la Révolution culturelle, la Chine a ouvert sa porte dans l’espoir de communiquer avec le monde extérieur et dans le but de redresser une Chine qui se trouvait au bord de l’abîme économique. C’est dans ce contexte qu’est née la politique d’ouverture et de réforme à la fin des années 1970. A la fin de l’année 1978, il y eut un grand événement : un nombre considérable de Hongkongais ont enfin pu se rendre sur le continent pour passer le Nouvel An chinois (Fête du Printemps) avec leurs parents. C’était la première fois que bon nombre de parents se retrouvaient après 30 ans de séparation ! Evidemment, l’appellation « tongzhi » ne convenait pas pour désigner nos compatriotes de Hongkong. Alors, les médias prirent initiative d’utiliser des termes « anciens » dans leurs reportages ou interviews consacrés à des personnalités de Hongkong. C’est ainsi que les Chinois du continent ré-entendirent les titres de civilité attribués pendant longtemps à la bourgeoisie de l’ancienne Chine : « xiansheng » (Monsieur), « nüshi » (Madame), « xiaojie » (Mademoiselle). Aujourd’hui, de nouveaux rapports sociaux, qui ne sont plus ceux de la simple camaraderie, ont besoin d’une appellation adéquate : entre employés et employeur, entre acheteurs et vendeur, entre patients et médecin…Heureusement, la mémoire lexicale, interrompue pendant des décennies sur le continent chinois, a perduré dans des zones sinophones comme Hongkong, Macao et Taiwan. Ces zones sont devenues un véritable trésor de vocabulaire dont le continent chinois a besoin. Dès lors, la réapparition de titres de civilité a amené d’autres appellations hiérarchiques telles que « laoban » (patron), « jingli » (directeur ou gérant), « dongshizhang »(président du conseil d’administration ), etc. Ce qui a entraîné la généralisation de l’appellation par fonction hiérarchique ou par titre de profession.

2. Les aventures de « xiaojie » Si « xiansheng » (monsieur) et « nüshi » (madame) retrouvent leur terre natale et se réacclimatent sans poser de problème, « xiaojie » a connu toutes les vicissitudes possibles. Les premières apparitions du mot « xiaojie » datent de la dynastie des Song5. A l’époque, ce mot désignait une «femme sans statut social, serveuse chez les riches, concubine et prostituée. »6 Durant la dynastie des Yuan7, le mot a complètement changé de signification et s’est coloré d’une connotation positive : il désigne alors les enfants de sexe féminin chez les nobles ou chez les dignitaires. Voici l’extrait d’une pièce de théâtre intitulée « L’histoire du Pavillon Ouest » de WANG Shipu : « Le lettré épris de xiaojie, n’arrive plus à dormir ni à manger et se trouve ainsi dans un état inquiétant. »(Histoire d’amour entre un lettré et la fille d’un dignitaire.) Sous la dynastie des Ming8, ce mot désigne également une femme mariée. Comme en témoigne cet extrait de la pièce de théâtre « Jin’anshou », Acte 1 : « Ma xiaojie est originaire de Xiagu, de la famille Tong. Son diminutif est Jiaolan (orchidée mignonne). Voilà dix ans que je l’ai épousée. Et nous menons une vie bien aisée. » Le mot « xiaojie » désigne donc à cette époque à la fois les « enfants de sexe féminin chez les nobles ou chez les dignitaires »et les femmes mariées. Cette définition est confirmée par le « Dictionnaire du Lexique du Roman ‘Le Rêve dans le Pavillon rouge’ »9. Cet usage est demeuré jusqu’à la veille de la Libération en 1949. Puis le mot a disparu du lexique chinois durant 30 ans pour les raisons que nous avons détaillées au début de

- 165 - cet article. Il est intéressant de voir que l’évolution du sens de « xiaojie » se répète ces dernières décennies, mais en sens inverse. C’est à dire que pendant dix siècles, il est allé du péjoratif au mélioratif, puis en 30 ans sa signification s’est inversée négativement. Examinons d’abord les deux définitions chronologiques du « Dictionnaire du Chinois Contemporain » (1983), un des outils les plus utilisés : « Xiaojie désignait autrefois les femmes avant le mariage ; appellation pour une femme mariée employée par les proches du côté de sa mère. » En 1996, un nouveau sème s’ajoute : « appellation marquant un signe de respect vis-à-vis des jeunes femmes ». Dans le «Manuel des Fonctionnaires »10, l’usage du titre de « xiaojie » est recommandé aux fonctionnaires afin qu’ils fassent preuve de civilité et de politesse vis-à-vis du public. Après sa réintroduction, le mot « xiaojie » a comporté des connotations de jeunesse, beauté et modernité. Les femmes étaient ravies de se voir attribuer ce titre honorifique. Cependant, la société chinoise, à force d’utiliser ce titre, tend désormais à en abuser. Dans les secteurs des services, toutes les clientes sont appelées « xiaojie », sans aucune distinction. A partir de cet usage très généralisé, le terme est même devenu un élément suffixal pour désigner des nouveaux métiers féminins. En voici quelques exemples : - kongzhongxiaojie : hôtesse de l’air (« kongzhong » signifie « l’air ») - gongguanxiaojie : personne s’occupant de relations publiques(gongguan : « relations publique» ; mais homonymie de « attaquer pour prendre une passe » ) - daogouxiaojie : personne qui renseigne les clients dans un magasin (« daogou » : guider l’achat ) - yingbingxiaojie : personne qui accueille les clients dans un restaurant (« yingbing » : accueillir un hôte) Mais, ces dernières années, ce titre honorifique est devenu de plus en plus ambigu. Plus d’une fois la presse parle d’embarras, de quiproquos, voire de scènes d’échange d’injures à cause justement de l’appellation « xiaojie ». Aujourd’hui, dans beaucoup de villes chinoises, notamment dans le Sud, le terme n’est plus à l’honneur. Au restaurant, si vous demandez : « xiaojie, l’addition, s’il vous plaît ! », soit la personne ne vous répondra pas ou fera semblant de ne pas vous entendre, soit vous recevrez des injures en réponse. En effet, l’usage abusif a déshonoré cette appellation jusqu’à l’associer au « plus vieux métier du monde ». C’est que dans le secteur des services, notamment dans des hôtels, discothèques, boîtes de nuit, salons de coiffure, salles de sauna, de jeunes femmes se livrent à des «services spéciaux », jeune femmes que l’on appelle habituellement « sanpeixiaojie »(fille de triple accompagnement : accompagner le client pour chanter au Karaoké, pour danser et pour boire) ou « zuotaixiaojie » (fille assise près du comptoir). Ce sont en fait tous des euphémismes pour désigner des prostituées. Le pire est que, en peu de temps, les déterminants sont tombés pour laisser seul le suffixe « xiaojie », mais le signifié reste le même et l’usage s’est affirmée. Aujourd’hui, dans certains hôtels, existe une prostitution clandestine. Souvent, à peine les clients sont-ils installés, que le téléphone sonne pour leur proposer : « Monsieur, nous avons de très belles xiaojie. Voulez-vous qu’on en envoie une ? » C’est ainsi que le mot «xiaojie » est devenu ambigu. Il existe d’ailleurs depuis quelque temps une nouvelle expression « zuoxiaojie » (« zuo » signifie « faire » ou « servir de… ») qui veut dire « faire le métier de prostituée »ou « être prostituée ». Il est intéressant de comparer le mot « xiaojie » avec celui du français « fille ». A part le rôle d’appellatif, le mot chinois couvre à peu près le champ sémantique du mot

- 166 - français qui comprend le sème de « femme de mauvaise vie ». En chinois, il est désormais déconseillé d’utiliser le mot seul pour éviter des équivoques, comme les français qui mettent toujours un déterminant ou un complément pour dire : « jeune fille », « fille et garçon », « la fille de monsieur Dupont »…

3. Les Lacunes à combler L’usage de l’appellation « camarade » s’est réduit et celui de «mademoiselle» est déshonorant. Quant aux mots « xiansheng» et « nüshi », ils n’ont pas les mêmes champs d’usage que « monsieur » et « madame » en français puisque « xiansheng» veut dire littéralement « personne née avant le sujet parlant », il s’agit donc, au sens figuré, de quelqu’un de plus âgé, plus instruit ; alors que« nüshi » est une des trois variables qui se partagent la valeur de la formule française « madame », à savoir « nüshi », « furen », « taitai ». Le choix de ces trois termes dépend de l’âge, du statut social, ainsi que de la situation familiale de la femme dont l’on parle ou à laquelle l’on s’adresse. Il y a donc des manques dans l’actuel système des appellatifs chinois. La société chinoise a tellement changé que ce système s’avère aujourd’hui imparfait et ne parvient plus à s’adopter. A l’heure actuelle, on recourt à une sorte de «système D». Dans le Sud, on appelle les serveuses de restaurant « xiaomei »11 (petite sœur), tandis que dans le nord, on les appellent « dajie » (grande sœur , littéralement opposé à « xiaojie »), mais les deux appellations ont toutes deux une dénotation trop familières voire rustique. Et dans beaucoup de circonstances, ce sont « shifu » (maître) et « laoshi » (professeur), qui jouent le rôle de « tongzhi » et de « xiansheng ». Il est évident que ces pratiques ne sont pas pertinentes et les solutions ne semblent pas immédiates. Mais cela donne à réfléchir aux sociologues et aux linguistiques.

4. Le recours à la politique ? Il est désormais courant que des cadres du parti et des fonctionnaires du gouvernement se laissent appeler par le titre de leur fonction. Certains mêmes se laissent appeler « patron ». La télévision centrale chinoise, où l’on était habitué à entendre « camarades spectateurs », a changé de tournure depuis longtemps. C’est aujourd’hui «Cher amis spectateurs » qui marque le début de chaque émission tandis que les radios et les télévisons locales ne font que suivre l’exemple de leur grand (con-) frère. Dans ce contexte, les personnes nostalgiques du passé se sentent mal à l’aise. Certains ont réagi en proposant à l’Assemblée populaire, en mars 2003, de légiférer sur l’usage de l’appellatif « tongzhi » au sein du gouvernement et du parti. La proposition n’a pas pu aboutir à un projet de loi, mais elle a déjà fait l’objet de l’attention des autorités à tous les échelons. La ville de Shanghai a été la première à réagir. Elle a émis, au mois d’avril 2003, une circulaire intitulée « Avis relatif au rétablissement de la bonne tradition de l’appellation « tongzhi » au sein du parti dans le but de faire rayonner la glorieuse tradition». Cette circulaire insiste sur l’effet négatif des appellations par fonction hiérarchique ou par titre professionnel. Elle est d’ailleurs devenue un objet focalisation de la part de tous les médias. Et d’autres villes ou provinces la suivent à la lettre, comme la Province du et la ville de Harbin. Mais les choses ne sont pas si simples. Le retour de l’appellation par fonction est ancré dans la vie sociale des Chinois depuis plus de 20 ans sans parler d’une tradition plusieurs fois millénaire. Un exemple souvent cité, de contradiction : , qui préconisait l’usage de « tongzhi » mais se laissait appeler « zhuxi »(président). Aujourd’hui, n’entendons-nous pas tous les jours dans les médias ou dans les discours officiels l’utilisation du titre « zongshuji »( secrétaire général )? Il est donc compréhensible que les secrétaire du Parti à tous échelons se fassent appeler « XX shuji » (secrétaire XX) ou « laoban »(patron), appellation flatteuse. Par ailleurs, après la 16e Congrès du PCC, les vrais patrons d’entreprises privées, considérés auparavant comme des capitalistes font partie désormais «des constructeurs du socialisme à la chinoise ». Est-il facile pour ces patrons de se laisser appeler « tongzhi » alors qu’ils

- 167 - sont habitués à tant d’appellations respectueuses et flatteuses, ce qui n’est pas le cas avec « tongzhi »? Il est à noter que ce même terme «tongzhi » signifie « partenaire » dans le jargon des homosexuels de Taiwan et de Hongkong. Il a désormais été adopté par les homosexuels du continent et aujourd’hui, dès que l’on introduit ce mot dans un moteur de recherche en langue chinoise sur Internet, la première réponse concerne des sites homosexuels. La question est donc de savoir si une politique ou une loi qui chercherait à rétablir l’appellation de « tongzhi » serait réaliste et applicable. Il en est de même pour l’application du « Manuel des fonctionnaires » et de l’usage du titre « xiaojie » qu’il voudrait imposer.

5. En guise de conclusion Dans une Chine en pleine mutation, les choses évoluent à grande vitesse. Le système des appellatifs a du mal à s’y adapter. Certaines formules d’adresse sont en voie de disparition, d’autres réapparaissent malgré l’intervention des autorités. Sous l’effet du slogan de «se mettre au rail international », les titres de civilité en usage dans le monde occidental s’installent en Chine et coexistent avec certaines appellations traditionnelles chinoises. L’aventure de « tongzhi » et de « xiaojie » en est le témoignage. Ce phénomène sociolinguistique mérite nos observations et études et nous permet de prendre en compte les différences socioculturelles dans l’enseignement du français au niveau avancé. Le public que nous avons n’est pas celui qui suit une formation intensive linguistique, mais bien des étudiants que nous formons pendant au moins 4 ans dans un cadre institutionnel. Ils travailleront en quelque sorte comme passeurs de deux cultures. Il ne suffit pas que nous leur apprenions la langue et la culture françaises. Il nous faut, au moment pertinent, intégrer la culture chinoise dans leur cursus. Nous avons constaté que nos étudiants ne connaissent pas vraiment (pour ne pas dire qu’ils ignorent) leur propre culture, bien qu’ils la vivent quotidiennement. Comme dit le proverbe chinois : « Si l’on ne connaît pas le vrai visage du mont Lushan, c’est parce que l’on est dedans. » Il est donc normal que l’on ne se poser pas de questions sur sa propre langue ni sa propre culture si l’on ne travaille sur ces objets. Mais le profil de notre public exige une formation à double objectif : faire acquérir des compétences linguistiques et socioculturelles non seulement dans le cadre français mais également dans le cadre chinois au bon moment. Le sujet que nous venons d’aborder n’est qu’un exemple parmi d’autres. Les expériences tirées des pratiques d’enseignement montrent qu’un tel cours doit intervenir à partir de la 3e année du français. Car, au bout de deux ans d’apprentissage du français, nos étudiants possèdent déjà une base assez solide en compréhension (orale et écrite) et expression (orale et écrite).

Bibliographie • Alise Lehmann et Françoise Martin-Berthet, Introduction à la lexicologie –sémantique et morphologie, Natan Université : 2000. • Christian Baylon, Sociolinguistique, Société, langue et discours, Paris : Nathan, 1996. • Françoise Gadet, La variation sociale en français, Paris : Ophrys, 2003. • Jin Xuqndui, Formes d’adresse et euphémisme, : Maison Taihai, 2002, • Li Xifan, Feng Qiyong, Dictionnaire du lexique du roman « Le Rêve dans le Pavillon rouge », Beijing : Edition Art et Culture, 1990. • Tian Huigang, les systèmes appellatifs sino-occidentaux, Beijing : Enseignement et recherche des Langues, 1998. • Xu Shiyi, la chute de « xiaojie », Yuwen Jianshe , N°11, 1994.

- 168 - • Langues nationales-Langues des Jin, livre IV, Shanghai : Edition Livres Anciens, 1959. ∗Les noms d’ouvrages publiés en Chine sont traduits de la langue chinoise

Notes 1. Dans le présent article, nous gardons le plus souvent la transcription romanisée « » pour les appellations chinoises afin de mieux montrer les connotations qu’elles contiennent par rapport aux termes français. C’est-à-dire, « tongzhi » traduction de « camarade » et « xiaojie» , celle de « mademoiselle » n’ont pas tout à fait les mêmes connotations dans les deux langues. 2. “Langues nationales-Langues des Jin, livre IV”(1959) 3. Sun Zhongshan (en français : Sun Yat-sen ) , fondateur du Guomindang (parti nationaliste de Chine) , en renversant la dernière dynastie de la Chine, a créé la République de Chine , ( à distinguer de « la République populaire de Chine » fondée par le Parti communiste chinois en 1949). 4. Mouvement à l’origine des manifestations des étudiants de l’Université de Pékin contre le Traité de Versailles qui attribuait au Japon les possessions de l’Allemagne en Chine. Ce mouvement cristallise une authentique révolution culturelle contre la tradition confucéenne, synonyme d’anémie, il exalta la science et la démocratie, présentées comme les conditions du renouveau national. 5. Dynastie qui suit celle des Tang, elle est divisée entre les Song du Nord et les Song du Sud, de 960 à 1279. 6. XU Shiyi(1994) 7. Domination des Mongols entre 1271et 1368. 8. Entre 1368 et 1644. 9. LI Xifan, FENG Qiyong (1990) 10. Il s’agit d’un guide qui propose des normes pour régler les comportements verbal et physique des employés des services publics. 11. « mei » en chinois signifie «sœur cadette », «jie »signifie «sœur aînée », donc, « xiaojie » veut littéralement dire « petit sœur aînée» ; le mot « xiao » correspond ici à peu près au mot français « petit » qui sert à créer des diminutifs.

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