Lettre de l'Editeur

Pour une vive mémoire

AMMAR KHELIFA [email protected]

es nations se hissent par le savoir et se maintiennent par la mémoire. C’est cet ensemble d’évé- nements qui se créent successivement aujourd’hui pour qu’un jour on ait à le nommer : Histoire. Sans cette mémoire, imbue de pédagogie et de ressourcement, l’espèce humaine serait tel un atome libre dans le tourbillon temporel et cosmique. L’homme a eu de tout temps ce pertinent besoin de vouloir s’amarrer à des référentiels et de se coller sans équivoque à son histoire. Se confondre à un passé, à une ancestralité. Cette pertinence va se confiner dans une résistance dépassionnée et continue contre l’amnésie et les affres de l’oubli. Se contenir dans un souvenir, c’est renaître un peu. L’intérioriser, c’est le revivre ; d’où cette ardeur permanente de redécouvrir, des instants durant, ses gloires et ses notoriétés. En tant que mouvement dynamique qui ne s’arrête pas à un fait, l’Histoire se perpétue bien au-delà. Elle est éga- lement un espace pour s’affirmer et un fondement essentiel dans les domaines de prééminence et de luttes. Trans- mettant le plus souvent une charge identitaire, elle est aussi et souvent la proie pitoyable à une éventualité faussaire ou à un oubli prédateur. Seule la mémoire collective, comme un fait vital et impératif, peut soutenir la vivacité des lueurs d’antan et se projeter dans un avenir stimulant et inspirateur. Elle doit assurer chez nous le maintien et la perpétuation des liens avec les valeurs nationales et le legs éternel de la glorieuse révolution de Novembre. Il est grand temps, cinquante ans après le recouvrement de l’indépendance nationale, de percevoir les fruits de l’interaction et de la complémentarité entre les générations. Dans ce contexte particulier et délicat, les moudjahi- date et moudjahidine se doivent davantage de réaffirmer leur mobilisation et leur engagement dans le soutien du processus national tendant à éterniser et à sacraliser l’esprit chevaleresque de Novembre. Ceci n’est qu’un noble devoir envers les générations montantes, qui, en toute légitimité, se doivent aussi de le réclamer. A chaque dispari- tion d’un acteur, l’on assiste à un effacement d’un pan de notre histoire. A chaque enterrement, l’on y ensevelit avec une source testimoniale. Le salut de la postérité passe donc par la nécessité impérieuse d’immortaliser le témoi- gnage, le récit et le vécu. Une telle déposition de conscience serait, outre une initiative volontaire de conviction, un hommage à la mémoire de ceux et de celles qui ont eu à acter le fait ou l’événement. Le témoignage devrait être mobilisé par une approche productive d’enseignement et de fierté. Raviver la mémoire, la conserver n’est qu’une détermination citoyenne et nationaliste. Toute structure dépouillée d’histoire est une structure sans soubassement et toute Nation dépourvue de conscience historique est une nation dépourvue de potentiel de créativité et d’inté- gration dans le processus de développement. C’est dans cette optique de rendre accessibles l’information historique, son extraction et sa mise en valeur que l'idée de la création de cette nouvelle tribune au titre si approprié : Memoria, a germé. Instrument supplémentaire dédié au renforcement des capacités de collecte et d’études historiques, je l’exhorte, en termes de mémoire objec- tive, à plus de recherche, d’authenticité et de constance.

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LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE ( 3 ) www.memoria.dz Supplément N°73 Octobre 2019 P.7 P.15 Fondateur Président du Groupe AMMAR KHELIFA

Direction de la rédaction Zoubir KHELAIFIA

Coordinatrices Meriem Khelifa

Reporter - Photographe Abdessamed KHELIFA Les communistes dans la révolution le pca dans la lutte armée Ghazi NACEF

Rédaction Adel Fathi Les communistes dans la révolution Aissa KASMI P.7 Histoire Boualem TOUARIGT Boudjemaâ HAICHOUR Les communistes dans la Révolution Hassina AMROUNI une histoire parallèle Salah Derradji dit Rostom P.11 Histoire Zoubir Khélaifia aux origines du parti commuiste algérien

Direction Artistique P.15 Histoire Halim BOUZID l’engagement du pca dans la lutte armée Salim KASMI Histoire Impression P.19 SARL imprimerie Ed Diwan l’épopée des combatants de la révolution P.23 Histoire Contacts : SARL COMESTA MEDIA Maurice Audin N° 181 Bois des Cars 3 un communiste algérien qui hante la Dely-Ibrahim - Alger - Algérie mémoire française Tél. : 00 213 (0) 661 929 726 + 213 (23) 304 652 Fax : + 213 (23) 304 653 guerre de libération amar ouzeggane E-mail : [email protected] [email protected] P.27 Témoignage Le commandant Abderrahmane Bensalem le lion des frontières

P.45 Portrait Lakhdar Rebbah L’homme qui portait la lumière sur son visage Mémoria abdelhamid benzine @Mmoria2

n lgérie A resse et icatio Edité par : par Edité ELDJAZAIR.COM SSN : 1112-8860 ISSN n ommu Dépôt légal : 235-2008 C roupe de P SOMMAIRE Supplémentmagazine du de e G Consacré à l’histoire de l' L aille d’el merdja fadila dziria fadila t a B les crimes coloniaux chadli P. 34 lakhdar rebbah

ion ion P.45 t t éra p uled naïl e o amara bouglez t E VILLE P. 30 hazaoue N ale des O t i p a maurice audin ...moudjahida , la, C OIRE D'U t érance » ST our sur la sanglan p t s e istoire istoire istoire e mardi G de noir HI DJELFA H R « E Fadila Dziria Dziria Fadila diva e H 1958 Avril 22 L H P.23 abderrahmane bensalem P.57 P.53 P.49 P.27 P.69

Adel Fathi Guerre de libération Histoire

L’histoire du mouvement communiste algérien est étroitement liée à celle du mouvement national, depuis sa naissance, mais leur cheminement et leur destin ont souvent divergé. Pour des raisons idéologiques ou de pouvoir, cette histoire n’a pas eu droit au traitement qu’elle mérite, au vu de sa profondeur et de la contribution apportée par les communistes algériens, au cours de différentes étapes, à la lutte pour l’indépendance du pays.

Abane Ramdane Henri Maillot

ous prétexte que le rangs des nationalistes et de les FLN, alors que la règle, au départ, Parti communiste gagner à la cause. Cette adhésion était d’admettre les adhésions algérien (PCA) n’a fut obtenue, alors que les dirigeants individuellement, comme c’était le pas adhéré en tant nationalistes étaient encore choqués cas avec toutes les autres formations qu’organisation au mot par la position peu flatteuse du Parti du mouvement national (UDMA, Sd’ordre de l’insurrection armée, communiste français (PCF) – avec ouléma…). Son argument, rejeté sous la bannière du Front et de lequel le PCA gardaient encore des ensuite par les autres dirigeants de l’Armée de libération nationale, liens forts – qui venait de voter, à la Révolution, est que si les pays l’historiographie officielle ne s’est l’Assemblée nationale, les pouvoirs communistes voulaient fournir des penchée sur ce parcours singulier spéciaux qui allaient lancer la armes aux combattants algériens, que superficiellement. répression de la guérilla à Alger dès il était plus judicieux d’accepter le Pourtant, les communistes 1957. Parti communiste algérien en tant furent nombreux à rejoindre le Lui-même proche de certains que parti au sein du FLN. maquis dès les premières années militants communistes qui avaient, En réalité, les membres du PCA de la Révolution, et plus nombreux à l’époque, pignon sur rue en n’ont pas attendu l’ouverture de encore à partir de 1956, grâce aux Kabylie, Abane Ramdane réussit négociations avec la direction du efforts ininterrompus d’Abane la prouesse de parvenir à un FLN pour s’engager pleinement Ramdane, qui, dans le sillage du accord avec les dirigeants du PCA, dans la lutte armée contre l’armée congrès de la Soummam du 20 acceptant même l’entrée de ce parti d’occupation. Dès avril 1956, août 1956, entreprit d’unir les en tant que structure au sein du le militant communiste Henri

Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA. ( 8 ) Supplément N°73 Octobre 2019 Le chef d'Etat-major, le colonel Houari Boumediene, en compagnie de ses 3 adjoints en 1961. Guerre de libération Histoire

Maillot a réussi, avec un groupe de «Combattants de la libération» affilié au PCA, à s’emparer d’un camion d’armement des troupes coloniales au profit de la résistance algérienne dans la région de l’Ouarsensis. Cette initiative changea complètement la donne et ébranla les états-majors de l’armée française qui redoutaient l’existence de complicités au sein de leurs unités militaires. Jaloux de son autonomie, mais en même temps très engagé dans le combat anticolonial, le PCA était, pour ainsi dire, le seul parti algérien, en dehors

du FLN, à créer son propre maquis de parvenir rapidement à un Sadek Hadjerès et à combattre par les armes. Il se accord politique. D’entrée, les trouve que certains chefs du FLN émissaires du FLN ont expliqué à n’avaient pas totalement assimilé ce leurs interlocuteurs que l’efficacité fait. de l’action nécessitait, selon eux, La direction du PCA de de transcender définitivement les l’époque, conduite notamment par clivages entre différents partis et, Bachir Hadj Ali et Sadek Hadjerès, pour cela, le seul moyen était que les futur fondateurs du Parti de partis s’effacent. Sans aller jusqu’à l’avant-garde socialiste (PAGS) qui exiger la dissolution du PCA, les succéda au PCA à partir de 1965, responsables du FLN mettaient négocia avec le FLN, représentée en avant le principe selon lequel le par Abane Ramdane et Benyoucef Front de libération se proposait de Benkhedda, les prédispositions du drainer les forces patriotiques en un PCF et de son maquis à collaborer seul mouvement et seulement sur la Bachir Hadj Ali avec les maquis de l’ALN, avant base des adhésions individuelles.

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Benyoucef Benkhedda Amar Ouzeggane Abdelhamid Benzine

Les dirigeants communistes se dans la création de l’Union générale Mekki, Larbi Bouhali, Abdelhamid sont vite montrés enthousiastes et ne des travailleurs algériens (UGTA). Benzine et tant d’autres. voyaient aucune contradiction avec Les communistes vont jouer un le rôle de noyau dirigeant auquel le rôle au congrès de la Soummam, Adel Fathi FLN aspirait, tant que l’autonomie à travers notamment Amar politique des individus qui décidaient Ouzeggane, ancien militant et d’y adhérer était respectée. Au premier secrétaire du PCA dans les cours de cette discussion, les deux années 1940, qui rédigera la fameuse parties ont évoqué la question plateforme du congrès. syndicale qui tenait tant à cœur L’histoire du mouvement les militants communistes et dans national regorge de noms de laquelle ils avaient tant investi. Les communistes qui ont porté haut communistes n’avaient pas vu d’un et fort la cause nationaliste en bon œil l’unilatéralisme du FLN Algérie et à l’étranger : Chebbah El-

L’amicale des algériens en en mars 1965 à Paris Chebbah el Mekki

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Le mouvement communiste algérien est aussi vieux que le mouvement national. Les deux ont eu des itinéraires parallèles, mais, à des moments cruciaux de l’histoire, ils se rejoignent et se renforcent mutuellement.

é au début des an- nées 1920, comme une extension du Parti communiste français (PCF), le NParti communiste algérien (PCA) dut batailler longtemps pour acqué- rir son autonomie organique et poli- tique. Cela se réalisa en 1936. Com- posées principalement d’ouvriers algériens expatriés et d’Européens engagés, les premières structures du parti se sont rapidement élargies à d’autres catégories de la société, notamment les élites. Son premier secrétaire, issu du congrès constitutif tenu en octobre 1936, était Ben Ali Boukort, un intellectuel de Relizane plus connu sous son pseudonyme El Djazairi avec lequel il signait ses articles dans la presse. Trois ans plus tard, il quitte le PCA et cède sa place à

Kaddour Belkaïm, de son vrai nom Kaddour Boussahba Ben Ali Boukort

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Ahmed Akkache Bachir Hadj Ali Amar Ouzeggane

Kaddour Belkaïm, de son vrai Amar Ouzeggane sera donc pour la plupart de jeunes intellec- nom Kaddour Boussahba. Celui- remplacé, en 1947, par Larbi Bou- tuels, lesquelles figures vont mar- ci sera, quelques mois plus tard, hali qui va garder le poste de pre- quer l’histoire du communisme déporté dans la région d’Aïn Sefra, mier secrétaire jusqu’en septembre algérien durant des décennies. à la suite de l’interdiction du PCA 1955 avant l’interdiction du parti On citera notamment Bachir par le gouvernement de Vichy. Il y par les autorités françaises. Il Hadj Ali qui, à l’âge de 27 ans, mourra une année plus tard. continuera à occuper ce poste devient rédacteur en chef de l’heb- Après une période de vacance, dans la clandestinité jusqu’à l’indé- domadaire Liberté, organe central le poste de premier secrétaire sera pendance de l’Algérie, en 1962. du PCA, dès 1947. Il y avait aussi occupé par Amar Ouzeggane de A la sortie de la Seconde Ahmed Akkache, secrétaire géné- 1943 à 1947. Ce dernier entre en Guerre mondiale, et à la faveur ral des Jeunesses communistes en conflit avec le Comité central du des décantations qui ont eu lieu au 1946, qui entre au comité central parti au sujet de la stratégie poli- sein de la mouvance communiste du PCA dès l’année suivante, alors tique à adopter aussi bien avec le en général, le PCA s’algérianise qu’il n’a que 21 ans, puis au bu- mouvement national indépendan- avec une vague d’adhésions, dont reau politique en 1949. Tout aussi tiste qu’avec le PCF. Il est rétro- 80 % d’Algériens. Le parti réussit jeune (25 ans en 1948), Boualem gradé au rang de troisième secré- même à s’implanter dans certaines Khalfa devient rédacteur en chef taire avant d’être évincé du bureau zones rurales pauvres et dans des d’Alger républicain, porte-voix politique du PCA, pour être fina- bidonvilles urbains. historique des communistes algé- lement exclu du parti par sa cel- Cette tendance ne tardera pas riens jusqu’au début des années lule. Amar Ouzeggane capitalisera à s’étendre aux instances diri- 2000. C’est, d’ailleurs, à travers par la suite sa riche expérience geantes du parti. Contrairement ce journal, qui est aussi celui des politique au sein du PPA-MTLD à ce qui se faisait dans le passé, ouvriers et des paysans, que les puis du FLN où il se distingue où le PCF formatait des militants communistes algériens réussissent par son dynamisme et son apport «musulmans» selon des critères à consolider leur attachement à précieux à l’action révolutionnaire. bien définis, une nouvelle prise de l’idée de libération et d’indépen- Il est surtout connu pour être le conscience se cristallise dans les dance de l’Algérie. rédacteur de la célèbre plateforme rangs des autochtones, permettant Arrivé plus tard au PCA (1950), du congrès de la Soummam. l’émergence des figures nouvelles, Sadek Hadjeres y connaît une

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Défilé de l’équipe d’Alger Républicain à Alger, le 1er mai 1963. Boualem Khalfa en médaillon Boualem Khalfa

ascension rapide : membre du co- Rachid Ali-Yahia, cet ancien na- jusqu’à 1992, date de son départ mité central en 1952, du bureau tionaliste se reconvertit au com- en exil. politique en 1954, numéro deux munisme et n’est plus revenu au Il faut savoir que le comité cen- du parti, aux côtés de Bachir Hadj mouvement nationaliste qui a suc- tral du PCA, élu par le IVe congrès Ali, durant toute la guerre de Li- cédé au PPA-MTLD. En 1965, il tenu en avril 1947, était composé de 25 Européens et de 23 Algé- bération nationale. Mêlé à la crise crée avec Bachir Hadj Ali le Parti riens dits « Arabo-Berbères ». Son dite berbériste de 1949, aux côtés d’avant-garde socialiste (PAGS), bureau politique comptait neuf notamment de Ouali Bennaï et héritier du PCA qu’il présidera Européens (Paul Caballero, Hen- riette Neveu, Pierre Fayet, Alice Sportisse, Yvonne Kouch, Roger Rouzeau, Elie Angonin, Nicolas Zannetacci, André Moine) et huit « Arabo-Berbères » (Larbi Bouha- li, Amar Ouzeggane, Rachid Dali- bey, Ahmed Mahmoudi, Cherif Djemad, Ahmed Khalef, Bouali Taleb, Abdelhamid Boudiaf), son secrétariat, un Européen (Paul Caballero) et trois Algériens de souche (Amar Ouzeggane, Larbi Bouhali et Rachid Dalibey)

Henri Alleg en médaillon et l’équipe d’Alger Républicain en 1963 Adel Fathi

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Pris dans le tourbillon de ses crises organiques et idéologiques propres, le PCA qui se détachait péniblement de la matrice mère qu’était le PCF, n’en était pas moins attentif aux décantations salutaires qui s’opéraient au sein du mouvement national et des décisions majeures qui allaient être prises par ses dirigeants.

Henri Maillot

u déclenchement de l’insurrection ar- Il faut dire que, jusque-là, les nationalistes du FLN mée le 1er Novembre 1954, la direc- ne montraient aucune sympathie pour les commu- tion du PCA, à l’instar des réformistes nistes, au vu de la position peu flatteuse du PCF – dont de l’UDMA ou des ouléma, n’était pas le PCA était encore proche – qui venait de voter, à totalement acquise à cette brusque l’Assemblée nationale française, les pouvoirs spéciaux ruptureA osée par les radicaux du mouvement natio- qui autorisaient l’armée coloniale à réprimer sauvage- nal. Mais, dès 1956, les choses évoluent rapidement. ment la guérilla, notamment à Alger. Mais soucieux de C’est ainsi que l’adhésion des communistes au mot l’unité des rangs et conscient des enjeux politiques de d’ordre de la lutte armée, sous la bannière du Front et l’heure, Abane a tout fait pour parvenir à un accord de l’Armée de libération nationale, fut un grand mo- avec tous les partis algériens encore réticents, dont ment dans l’histoire de la guerre de Libération natio- particulièrement le PCA. Considérant l’importance nale. C’est surtout grâce au volontarisme et à la force politique et organique de ce parti historique, il était de conviction d’un Abane Ramdane, unificateur du même prêt à consentir une exception pour accepter nationalisme algérien, que cela put se réaliser. l’entrée de ce parti en tant que structure au sein du

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FLN, alors que la règle, en principe, était d’autoriser les adhésions à titre individuel, comme c’est le cas avec tous les autres partis du mouve- ment national (UDMA, ouléma…). Cherchant à convaincre ses pairs, Abane Ramdane écrit dans un mes- sage adressé aux dirigeants FLN basés au Caire et daté du 15 mars 1956 : « (…) Si les communistes (entendre les pays socialistes, ndlr) veulent nous fournir des armes, il est dans nos intentions d’accepter le parti communiste algérien en tant que parti au sein du FLN si les communistes sont en mesure de nous armer… » Avant d’entamer les discussions avec les chefs de la Révolution, le PCA avait déjà prouvé sur le terrain son engagement révolutionnaire et son esprit combatif sur le terrain. Il faut rappeler, à ce titre, que dès avril 1956, le militant communiste d’origine française, Henri Mail- lot, avait réussi, avec un groupe de «Combattants de la libération» affiliés au PCA, à s’emparer d’un camion d’armement des troupes coloniales au profit de la résistance algérienne. L’action avait bousculé les esprits. Les médias colonia- listes s’en sont fait largement échos, alors que les états-majors de l’armée Abane Ramdane, toujours à un accord politique, les représen- d’occupation, ébranlés, pointaient des complicités au sein de leurs uni- accompagné de Benyoucef Ben- tants du FLN cherchèrent d’abord tés militaires. Le PCA était, pour khedda, eut ses premiers contacts à sonder les prédispositions du ainsi dire, le seul parti algérien, en avec les dirigeants communistes en PCA et de son maquis à collaborer dehors du FLN, à assumer l’action printemps 1956 à Alger. Ses pre- avec les maquis de l’ALN. armée contre l’occupant et à avoir miers interlocuteurs s’appelaient Dans un témoignage sur cet ses propres forces armées. C’est Bachir Hadj Ali et Sadek Hadje- épisode, Sadek Hadjerès, écrit : « pourquoi, les négociateurs du FLN rès, futurs leaders du parti et fon- Nous en avions fini provisoirement devaient tenir compte de cette par- dateurs du PAGS. Avant de voir la avec les échanges concernant nos ticularité que présentait le PCA. possibilité de parvenir rapidement groupes armés et avions précisé

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Saddek Hadjerès

objectif démocratique et social et sur la lutte armée et de masse comme moyen d’y parvenir. » Au cours de cette discussion, les deux parties ont évoqué la ques- tion syndicale qui intéressait tant les militants communistes. Là, les certaines modalités des prochains nisation et d’une discipline monolithiques avis divergeaient fondamentale- ment. Alors que le FLN se targuait contacts pour les poursuivre après pour tout ce qui concernait le combat et les d’avoir sous sa coupe les militants consultation de nos instances res- structurations militaires. Nous estimions syndicalistes, à travers l’UGTA qui pectives. Benkhedda, sans doute cependant qu’en ce qui concernait la mo- venait d’être créé de façon «unila- pris par un autre rendez-vous, sort bilisation politique, la propagande, l’édu- le premier. La discussion se pour- térale», les représentants du PCA cation etc., gagnerait plutôt à réaliser la suit alors avec Abane. Il est dé- y voyaient une volonté d’impo- cohésion dans des formes de coordination tendu et visiblement satisfait de la ser une forme d’hégémonie sur plus souples, plus rassembleuses et par là franchise de nos discussions, avec l’ensemble du mouvement de lutte même plus efficaces. On ferait ainsi de dans le regard une pointe d’affabi- contre l’occupation. Hadjerès rele- l’autonomie d’opinion et d’expression des lité souriante. » vait ainsi le «caractère politicien» Au sujet de la proposition de organisations qui le souhaitent, un facteur de la décision prise par le FLN de voir les communistes intégrer la supplémentaire de large rassemblement. créer une centrale syndicale sans se Révolution sur la base d’adhésions A condition bien sûr que cette structura- soucier du besoin d’avoir un large individuelles, Saddek Hadjerès tion plus souple s’accompagne d’un solide mouvement syndical. raconte : « Nous avons dit que nous consensus et d’une plate-forme d’action re- comprenions bien l’importance d’une orga- posant à la fois sur l’indépendance comme Adel Fathi

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Dès 1955, le PCA opte définitivement pour sa participation à la lutte armée d’indépendance. Il décide ainsi de mettre à contribution sa propre organisation militaire, les « Combattants de la libération (CDL) », tout en gardant son autonomie politique et organique.

ne structure a été mise en place dès le 20 juin de la même année, avec comme objectif l’organisation d’opérations militaires. A sa tête se trouvaient déjà Bachir Hadj Ali, SadekU Hadjerès et Jacques Salort. Le groupe qui sera commandé par Abdelkader Guerroudj, était com- posé aussi d’Abdelhamid Benzine, Fernand Iveton, Georges Acampora, Yahia Briki, Jean Farrugia, An- dré Castel, Nour Eddine Rebah et plus d’une cen- taine de militants de la seule ville d’Alger. A Constantine, une structure similaire a été créée par Sadek Hadjerès. Celle-ci sera conduite par Ab- delkader Babou, avec comme adjoint Odet Voirin. Puis, d’autres cellules verront le jour successivement à Blida, Oran et Cherchell. Le premier maquis sera constitué au début de 1956 dans l’Ouarsenis. A partir de cette date, tous les dirigeants du PCA étaient entrés en clandestinité. Recherché, Hadjerès sera condamné par contumace, en mars 1957, par le tribunal militaire d’Alger, à vingt ans de travaux for- cés pour « association de malfaiteurs et atteinte à la sûreté extérieure de l’Etat ».

Abdelkader Guerroudj Abdelhamid Benzine Fernand Iveton

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Avant le début des discussions avec les dirigeants du FLN, Sadek Hadjerès et Bachir Hadj Ali prirent l’initiative, le 4 avril 1956, de mener une opération de détournement d’armes de l’armée française au profit de l’ALN et des CDL. Prépa- rée depuis le mois de janvier, l’opé- ration reposait sur la participation d’Henri Maillot, membre du PCA à Alger, alors rappelé à l’armée et af- fecté à une compagnie du train, qui, Jacques Salort au milieu de ses frères de combat à Alger Républicain avec le GMC rempli d’armes qu’il une trentaine de militants étaient forêt de Baïnem ». Dans les jours était chargé de convoyer, a rejoint mobilisés pour dissimuler les car- qui suivent, le tandem du PCA l’endroit où l’équipe de militants gaisons d’armes et de munitions rencontre une délégation du FLN du PCA/CDL devait l’intercepter. (132 mitraillettes, 140 revolvers, conduite par Abane Ramdane et Bachir Hadj Ali et Sadek Hadjerès , pour orga- avaient repéré le lieu indiqué dans 57 fusils, un lot de grenades) dans niser la participation des commu- la forêt de Baïnem. Hadjerès avait différents lieux, dont la villa louée nistes algériens à la lutte armée notamment procuré à Maillot le par Georges Hadjadj. Le 8 avril, du FLN/ALN. C’était la première chloroforme destiné à endormir le un communiqué du PCA/CDL, a annoncé la réussite de l’opération rencontre « officielle » entre les direc- militaire qui se trouvait avec lui à tions des deux entités politiques. et qu’Henri Maillot avait rejoint la l’avant du camion. Lors de cette rencontre, il a été résistance armée. En plus du commando armé convenu qu’une partie des armes Le lendemain matin, le journal chargé de l’embuscade et du trans- saisies sera remise au FLN. Le colonialiste L’Echo d’Alger, titrait port des armes, composé de Jean reste est réparti entre les CDL, un en Une : « Un important charge- Farrugia, Joseph Grau, Clément lot important étant acheminé vers Oculi et trois autres hommes, ment d’armes disparait dans la l’Ouarsenis. Cette opération sen- sible fut confiée à des militants et militantes aguerris tels que Marie- Lise Benhaïm et Tayeb Boura. Dès mars 1956, en effet, avait commencé à se constituer le maquis des CDL dans la vallée du Chlef, dans l’Ouarsenis. Les habitants ap- pelaient les membres de ce groupe révolutionnaire « les communistes FLN ». Le 22 mai, Henri Maillot, condamné à mort par contumace, a rejoint le maquis des CDL dans l’Ouarsenis, tout comme Maurice Georges Acampora Nour Eddine Rebah Laban.

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Le 7 juin 1956, les dépouilles de l’anticolonialiste et déserteur Henri Maillot et des personnes appartenant à son groupe dont l’instituteur anticolonialiste français Laban, sont placés dans une camionnette, sous le regard de plusieurs personnes

Maurice Laban

Le 4 juin, les maquisards com- armes à la main ; Henri Maillot CDL d’Alger, parmi lesquelles on munistes entreprennent leur pre- et Abdelkader Zelmat sont faits peut citer notamment l’incendie mière action armée. Il s’agit de prisonniers puis froidement assas- spectaculaire en 1956 des Bou- l’exécution de quatre collabora- sinés. Plusieurs dizaines de survi- chonneries internationales de teurs de l’armée française. Mais, vants de ce maquis des CDL de liège à Hussein-Dey ainsi que le le 5 juin, plusieurs membres des l’Ouarsenis, dont Mohamed (Ab- sabotage de wagons sur le port CLD tombent, dans une embus- delhamid) Gherab, parviendront d’Alger. Il y a eu aussi un atten- cade, les armes à la main. Ainsi, à échapper à l’armée française et tat, en juillet, contre le général les premiers martyrs commu- rejoindront l’ALN. Massu. L’opération a échoué car nistes s’appelaient Maurice Laban, Les CDL étendent ensuite leur l’arme, provenant du stock de Belkacem Hannoun et Djillali action à Alger, où ils réalisent plu- l’opération Maillot, s’était enrayée. Moussaoui, ils sont tombés les sieurs coups d’éclat. Cependant, Le chef du groupe, Briki, sera ar- rêté en décembre et condamné à toutes ces prouesses ne suffisent mort. Aussi, le 14 novembre 1956, pas pour approfondir la commu- un groupe CDL d’Alger, conduit nion avec le FLN. Celui-ci exi- par le militant du PCA Fernand geait la dissolution du PCA, ce Iveton, dépose une bombe dans que les communistes refusaient l’usine de gaz du Hamma où il avec pugnacité. Mais vite une solu- travaille, réglée pour exploser à tion est trouvée. Le CDL d’Alger, une heure où elle ne pourrait pas dirigé par Abdelkader Guerroudj, faire de victimes. Mais la bombe est placé dans l’organigramme de sera désamorcée. Iveton est arrêté la Zone autonome d’Alger sous la et torturé. Jugé devant le tribunal responsabilité de Yacef Saadi, et militaire d’Alger, il est condamné n’a de ce fait plus aucun lien orga- à mort le 24 novembre et guilloti- nique avec le PCA. né le 11 février 1957 dans la prison C’est ainsi que plusieurs actions de Barberousse. sont exécutées par des groupes du Adel Fathi

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Après des décennies d’amnésie institutionnalisée, les autorités françaises ont enfin consenti d’ouvrir les archives liées à l’enlèvement, suivi de l’assassinat du militant communiste Maurice Audin, et avant cela de reconnaitre, par la voix du président Emmanuel Macron, la responsabilité de l’Etat français dans sa disparition et son élimination, et dans celles de tant d’autres militants, dont la liste est loin d’être exhaustive.

Maurice Audin

ette annonce, faite en septembre 2018, a redonné espoir aux nombreux amis, outre-mer, de l’indé- pendanceC algérienne et replacé le débat concernant l’histoire de la colonisation sur des bases plus pro- metteuses. D’aucuns ont estimé sur le coup que la reconnaissance offi- cielle de la responsabilité de l’Etat français dans cette affaire était «la fin de l’affaire Audin et le début d’une histoire apaisée» et que le mo- ment était venu pour passer à une par exemple de savoir comment à les faire connaître. Les choses ont autre étape dans les relations entre Maurice Audin a été véritablement bien commencé, mais le débat a vite la France et son ancienne colonie. assassiné et par qui. Il manque sur- réveillé les vieux démons colonia- La décision prise par Emmanuel tout de connaitre le sort des autres listes en France. N’ayant pas accepté Macron était venue, en fait, com- disparus de la guerre d’Algérie, algé- cette «concession» des autorités bler la distance qui existait entre riens ou Français. politiques de leur pays, les nostal- la vérité, connue déjà depuis 1957 Quelques mois plus tard, le gou- giques de l’Algérie française qui grâce aux révélations d’historiens et vernement français a annoncé l’ou- se recrutent notamment dans les de militants anticolonialistes coura- verture des archives et appelé les milieux de l’extrême-droite et des geux, et la version officielle qui évo- personnes détenant des documents courants identitaires se sont aussitôt quait son évasion. Mais il manque ou des témoignages sur cette affaire mobilisés.

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A cette époque, Maurice Audin où dormait l’un de mes enfants, et très enseignait les mathématiques à la vite ils sont partis avec mon mari en me faculté des sciences d’Alger où il disant de ne pas bouger. J’ai demandé au préparait une thèse. Celle-ci était capitaine où il l’emmenait, et quand il presque finalisée, lorsqu’il est ar- allait revenir, et il m’a répondu : «S’il est rêté dans la nuit du 11 juin 1957. raisonnable, vous le reverrez très vite». Josette poursuit la narration : «Les Donc, apparemment, il n’a pas été rai- parachutistes sont venus chez nous à 11h sonnable puisque je ne l’ai jamais revu.» du soir, et ils ont emmené mon mari. La veuve du martyr restera Ils ont laissé un certain nombre d’entre quatre jours coincée chez elle, sur- eux chez moi pour me garder avec mes veillée par des parachutistes et des enfants. C’est à ce moment-là que je l’ai policiers : « A cette époque, on savait vu pour la dernière fois. Nous étions que les gens qui étaient arrêtés étaient Maurice et Josette Audin couchés, on est allés ouvrir, ils sont en- automatiquement torturés, donc forcé- trés, m’ont bloquée dans la pièce voisine ment, je ne pensais qu’à ça, qu’il était Le témoignage de la veuve de Maurice Audin

Josette Audin et son mari Mau- rice vivaient à Alger lorsqu’il y eut l’enlèvement de ce dernier par des parachutistes dans la nuit du 11 juin 1957. Agés respectivement de 26 et 25 ans, ils étaient tous deux membres du Parti communiste algérien qui, à cette époque, était engagé dans la lutte pour l’indé- pendance de l’Algérie, après avoir signé un accord avec le FLN. Dans un témoignage diffusé en 2001 sur radio France Culture, Josette Audin raconte : «Depuis le début de l’année 1957, les parachutistes font ré- gner la terreur, ils se promènent dans les villes, arrêtent les passants, ceux natu- rellement qui sont suspects, c’est-à-dire les Algériens, pas les Européens, et tout le monde sait que le jour, ils paradent auprès des filles et que la nuit ils font leur sale boulot».

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de nouvelles. A ce moment-là j’ai déposé une plainte au tribunal d’Alger qui a été instruite plus ou moins, avec plus ou moins de diligence disons… » Josette Audin est décédée le 2 février 2019. Elle était âgée de 87 ans.

Adel Fathi

certainement torturé. » Le lendemain, le célèbre journaliste communiste Henri Alleg, ami de Maurice Au- din et infatigable pourfendeur de la torture, venu à leur domicile, sera arrêté sur place : « Il s’était présenté chez nous. Il a essayé de faire croire qu’il était là pour re- nouveler l’assurance de mon mari, mais les parachutistes n’ont pas été dupes. Ils ont téléphoné au lieu- tenant Charbonnier qui est venu très vite le chercher. » Elle raconte que deux des para- chutistes présents au moment de l’arrestation de son mari étaient revenus chez elle peu de temps après, affirmant vouloir vérifier que le prétendu fugitif n’était pas revenu : « Leur attitude était inquié- tante. Ils sont venus comme ça, ils n’ont rien cherché, ils sont repartis pratique- ment tout de suite. Les seules choses qu’ils aient faites en entrant chez moi c’était de dire, en regardant une photo : “Ah ah, votre mari… mais il était jeune ce type-là ! Vous croyez que vous allez le revoir ?’’ Des réflexions de ce genre… et puis ils sont partis et je n’ai plus eu

Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA. ( 26 ) Supplément N°73 Octobre 2019 Témoignages sur le parcours du Commandant Abderrahmane Bensalem, l’un des glorieux baroudeurs de la Révolution algérienne.

Le commandant Abderrahmane Bensalem Le Lion des frontières

Derradji Salah dit Rostom Guerre de libération Histoire

Il était l’un des chefs de la Base de l’Est. Compagnon de Amara Bouglez, colonel Aouachria et Chadli Bendjedid, le commandant Bensalem était pratiquement dans tous les coups dans cette région connue pour être l’une des plus combattantes de l’Algérie. Il a connu toutes les péripéties de la guerre ainsi que celles de l’Indépendance.

lusieurs surnoms ont été donnés au mou- djahid Abderrahmane Bensalem. Ainsi, le journaliste yougoslave, Zdravko Pe- car, l’appelait « le Jugurtha d’Algérie », en le comparant au grand Jugurtha, qui fut Pun exemple de bravoure, de triomphe, de dévoue- ment et d’honneur, alors que ses frères moudjahidine aimaient le surnommer « Khalid Ibn El-Walid », du nom du célèbre général musulman. Les dirigeants, eux, l’appelaient « l’Homme brun ». Enfin, l’officier de l’ALN, le moudjahid Brahim Lahrèche, l’affublait du surnom de « l’Orage éclatant ».

Sa naissance

Abderrahmane Bensalem est né en 1923 au douar

Abderrahmane Bensalem. Chebabna, situé entre Aïn Kerma et Bouhedjar (anciennement Lamy), d’une famille composé du père, Mohamed, fils de M’hamed, de la mère, Kha- dra, fille de Zayed, et de cinq frères : Hachemi, Salah, Zayed, Messaoud, Boubekeur, et d’une sœur: M’bar- ka dite Mabrouka. Tous étaient membres de l’ALN, à l’exception de Boubekeur, décédé en 1948. Il était marié à deux femmes : la regrettée Bensalem Rbah, fille de M’hamed, qui était, comme lui, mou- djahida et membre de l’ALN. Il l’a, d’ailleurs, épousée pendant la Révolution. Il y a eu aussi la regrettée Ya- kouta Ben Haouis, fille de Mohamed, qu’il a épousée après l’Indépendance. Il n’a pas eu d’enfants, mais il a pris en charge la famille de son frère Messaoud, le cadet de la famille, et s’est chargé de l’éducation de ses enfants. Ses conditions sociales ne lui ont pas permis d’aller à l’école. Il a grandi dans une famille pauvre qui vivait de l’agriculture traditionnelle et de l’élevage, à l’instar des milliers de jeunes algériens, notamment ceux qui Avec Krim à sa main gauche ... Soraya et Ameldine Boulanouar vivaient dans les campagnes.

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Son engagement dans l’armée française

Faute de travail dans la région rurale où il a grandi et voulant aider sa famille, composées de huit membres, à subvenir à ses besoins, il n’a d’autre issue que de s’enga- ger dans les rangs de l’armée française. Il est admis en 1942 et enrôlé à Annaba, alors qu’il a à peine 20 ans. Sur cet épisode, son ami et compagnon de la Révo- lution algérienne, le journaliste yougoslave Pecar, écrit : « Il avait à peine 20 ans quand il est entré dans l’unité et est resté 14 années entières dans l’armée française se battant sur les champs de bataille les plus exposés. Sous le commandement du général Giraudoux, il a pris part à la bataille contre Rommel jusqu’au moment où son unité, le troisième Régiment des tirail- leurs algériens, fut battue et lui-même fut fait prisonnier. Il resta en captivité jusqu’à la victoire des Alliés en Afrique du Nord. Après le débarquement des alliés en Italie, il participa aux com- bats les plus durs à Monte-Cassino pour s’arrêter à Sienne d’où De g. à d. Boulanouar Younes, ses enfants Ameldine et Soraya il partit pour prendre part au débarquement de Saint-Tropez près avec Bensalem de Marseille. La guerre l’a conduit jusqu’au Rhin, puis avec les les Algériens ont eu 400 morts et 400 se sont rendus, et troupes d’occupation à Stuttgart et dans les autres villes de la d’autres sont tombés prisonniers, c’est ainsi que Abder- zone française… il était connu comme un bon tireur au fusil- rahmane est de nouveau mis en captivité ». mitrailleur. Les « tirailleurs algériens » sont partis à Mada- Si Abderrahmane Bensalem raconte au journaliste gascar, au Sénégal et en Indochine. Au milieu de 1945, yougoslave Pecar sa captivité au Viêt-Nam: « … ces il est arrivé en Indochine où il est resté après une brève commissaires politiques de chez eux, ils vous parlent tellement interruption jusqu’en 1954, c’est-à-dire jusqu’à la fin de du colonialisme et de l’exploitation et ensuite questionnent et de la guerre. nouveau parlent et de nouveau questionnent, qu’a la fin dans ma En Indochine, en 1953, il est sous-officier (sergent- tête de sous-officier de l’empire français, quelque chose a jailli. Je chef) et commande une unité de 38 soldats qui est dois avouer que souvent j’avais mal à la tête, tout était embrouillé transférée de Hanoï à Diên-Biên-Phu et cela tout au en moi, mais eux ils étaient obstinés. Même les blessés, ils les début quand les Français ont commencé à construire apportaient aux conférences et aux cours politiques qui avaient leur forteresse. lieu deux fois par jour, le soir. C’était pour moi une école dure et En Indochine, étaient massés 8000 Algériens, un difficile, mais au président Hô Chi Minh et à ses officiers je dois grand nombre de Marocains, Tunisiens et Sénégalais et beaucoup. Quand finira cette guerre si je suis encore en vie, j’irai des soldats de la légion étrangère. Le premier jour de d’abord chez eux pour les remercier de tout puis j’irai visiter ton la grande attaque des Vietnamiens, le bataillon voisin pays, car j’ai la plus grande estime pour Tito, grand guerrier et de la légion étrangère a été exterminé, le deuxième jour combattant pour la paix »

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Son adhésion à la Révolution

Abderrahmane Bensalem fait partie du troisième Régiment des tirailleurs algériens (3e RTA). Apprécié comme soldat français avec ses douze médaillons, il est pressenti pour recevoir la Légion d’honneur et promu au grade d’ad- judant. Lorsque la Révolution algé- rienne éclate, les autorités fran- çaises décident de rapatrier ce régiment en Algérie dès 1956. Celui-ci s’installera à Annaba, avec un champ d’action qui s’étendra jusqu’aux Aurès et Souk-Ahras. Abderrahmane Bensalem est affecté dans l’une des compagnies qui a son QG dans la région d’El- Bettiha (actuellement commune Lehnancha, wilaya de Souk-Ahras). 2 C’est dans ce centre que com- 1 mencent son histoire et celle de la désertion collective des soldats al- gériens, qui prélude à son adhésion 1- Abderrahmane Bensalem. 2- Amara Bouglez à l’ALN. Une décision qu’il prend pé par des patients civils, il y a une tionaliste imprégné des idées de la après s’être imprégné des idéaux du salle réservée aux prisonniers qui révolution. patriotisme et après avoir constaté sont sous surveillance militaire. C’est ainsi que lui vient l’idée personnellement les souffrances Bensalem se déplace de temps en de rejoindre la révolution et de qu’endure le peuple algérien avec temps entre les couloirs de cet hô- réaliser enfin le rêve qu’il caresse les bourreaux français et les crimes qu’ils commettent. Aussi, les leçons pital et préfère souvent monter au depuis déjà longtemps. Il voit que politiques qu’il a reçues lors de sa premier étage pour converser avec cela ne peut se réaliser que par l’in- détention en Indochine et tout les gardes. Un patient algérien se termédiaire de ce militant, nommé ce qu’il a appris de la bouche des trouve dans la pièce adjacente à la El-Hadi Ben Messaoud Douaissia. commissaires politiques l’aident-ils salle des gardes. Il sort de son lit un Il lui fait part de son projet. Ce à franchir le pas. Coran pour lire quelques versets. dernier entreprend aussitôt d’éta- C’est ainsi qu’un jour, Abderrah- C’est là qu’il attire son attention. blir des contacts avec les dirigeants mane Bensalem, malade, est admis Il se lie vite d’amitié avec lui, et au de l’ALN dans cette région, par le à l’hôpital de Souk-Ahras où il reste cours des discussions, ils évoquent truchement de l’un de ses cousins, plusieurs jours. Le rez-de-chaussée l’oppression qu’exerce l’armée colo- Mohammed Tahar Douaissia. de l’hôpital est réservé aux patients niale sur la population. Bensalem Il faut savoir qu’Abderrahmane militaires. Au premier étage, occu- découvre que ce patient est un na- Bensalem a de bonnes relations

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avec la tribu des Douaissia, qui a donné beaucoup d’hommes à la révolution, dont on cite notam- ment Mohamed-Taher Douïssia, qui connaissait très bien la région et qui est tombé en martyr lors de la célèbre bataille de Souk-Ahras, qui s’est déroulée du 26 avril au 3 mai 1958. En tant que responsable dans cette zone, dont l’état-major avait été installé par le commande- ment de la Wilaya I, il a participé activement à l’implantation et à l’organisation des maquis de l’ALN dans cette région stratégique, com- posée principalement de cheikh Lazhari Drid, chef de région, Mah-

moud Guennez, Ahmed Tamse- Le Moudjahid Abdelhamid Douaissia et sa mère Hadja Hadria veuve du chahid rar Tifourghi, dit Ahmed Lou- Douaissia El-Hadi décédée le 08 Fevrier 2004. rassi (originaire d’Ouled Tifourgh sation de la garde et de la relève et dans la wilaya de Khenchela) et L’enlèvement de la l’heure de l’attaque. De l’extérieur, enfin d’Abdallah Nouaouria, chef caserne de Bettiha dans les assaillants se seraient scindés de section de Hammam Nebaïel. la nuit du 7 au 8 mars L’opération de désertion d’Abder- en trois petits groupes. Le premier 1956 rahmane Bensalem est menée en groupe, dirigée par Saïd Ftaimiya coordination parfaite avec tous les dit «l’Indochine» et composé de 12 Le centre militaire français est dirigeants susmentionnés. combattants, avait pour mission de situé dans la région de Bettiha Cette opération de désertion pénétrer dans la caserne pour éli- est connue dans le glossaire de la (Gaston Dégoul), à environ 16 km miner les officiers et sous-officiers révolution algérienne sous le nom de Souk-Ahras sur la route reliant français. Le deuxième, conduit de «l’opération El-Batiha », consi- Souk-Ahras à la ville antique de par Ahmed Lourassi, devait bou- dérée comme la plus grande déser- Khemissa. Ce centre regroupait la cler la caserne, couvrir le premier tion de soldats algériens. Il y a eu, grande majorité des recrues algé- groupe et protéger les assaillants à la même époque et plus exacte- riennes appartenant au 3e Régi- d’un éventuel envoi de renforts de ment le 20 février 1956, une opé- ment des tirailleurs algériens. troupes françaises au centre. Le ration similaire qui fut organisée Selon l’accord conclu entre le troisième groupe, enfin, dirigé par dans la caserne de Sbabna, dans commandement de la région et Si Mohamed-Taher Douaissia, com- l’actuelle wilaya de Tlemcen, sous Abderrahmane Bensalem, à travers prenait 15 moudjahidine, appuyés la conduite de Tahar Hamaïdia, dit les contacts et les échanges de mes- par des moussebline avec des mu- plus tard capitaine Si Zoubir, où 58 sages assurés par l’agent de liaison lets ramenés pour transporter les recrues algériennes avaient déserté le moudjahid El-Hadi Douaissia, armes et munitions qui auront été après avoir neutralisé un certain l’attaque était prévue dans la nuit récupérés de la caserne militaire. nombre de soldats français et em- du 7 au 8 mars 1956, conformé- Selon le témoignage du colonel porté avec eux des lots importants ment au plan élaboré par Si Bensa- moudjahid Ali Boukhdir, à leur de différents types d’armes. lem, celui-ci comprenant l’organi- arrivée sur les lieux de l’opération,

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djounoud d’Abderrahmane Bensa- lem. C’est ainsi que Bigeard et Ben- salem s’affrontèrent dans leur pre- mière bataille après avoir combattu ensemble sous la même bannière. Les soldats français ont utilisé des avions de chasses et de l’artil- lerie, faisant de nombreuses vic- times dans les rangs de l’ALN ; mais l’ennemi a également subi de lourdes pertes en vies humaines et des dégâts matériels. Les hommes de Bensalem ont réussi à briser le siège et à s’infiltrer jusqu’à des endroits sûrs, inaccessibles aux troupes françaises, pour s’assurer que les armes saisies ne retombent pas entre les mains de l’armée. Cependant, l’armée française, comme au lendemain de chaque défaite, tente de se venger sur la po- pulation. Elle rassemble ainsi tous Les architectes de l’évasion de LABTIHA. de g. à dr en haut : Bensalem, Aouachria Mohamed, Ali Boukhedir. En bas : Youcef Latreche et Kadi Kaddour les habitants des mechtas environ- nants, dont la plupart se rendaient ils trotuven Abderrahmane Bensa- une planification parfaite et sans ce jour-là au marché hebdomadaire lem, Mohamed Aouachria (devenu aucune perte parmi les moudja- de Hamam N’bayel. C’était le jeudi par la suite colonel de la Base de hidine. Ainsi, plus de 105 recrues 8 mars 1956. Les soldats, animés l’Est, condamné à mort par le CCE algériennes réussissent à s’échapper d’une haine destructric, vident dans le complot dit des colonels), et d’innombrables armes perfec- leurs chargeurs sur les pauvres Ali Boukhdir (qui a joué un rôle tionnées de différents calibres sont paysans, puis regroupent les corps important dans l’engagement des récupérées. avant de verser de l’essence dessus soldats algériens dans la révolu- Il convient de noter ici qu’après et de les brûler. Bilan de ce géno- tion, et a pris le commandement l’évasion collective, l’armée fran- cide : 365 martyrs, dont 8 femmes, du 12e bataillon dans la région çaise a déclenché dès l’aube une 8 enfants et 4 bébés. Des maisons nord. Il est colonel à la retraite vaste opération de ratissage dans et des enclos sont également brûlés de l’Armée nationale populaire), les environs à la recherche des éva- et pillés. En hommage à ces mar- Youssef Latreche (il conduira la dés. Arrivées à la lisière du village tyrs, et en souvenir de ce tragique grande bataille de Souk-Ahras, des Aoualmia, Belkacem et Abdes- événement, l’école primaire de Bes- avant de tomber au champ d’hon- lam, au lieu dit Hamam N’bayel, bassa a été baptisée « Ecole des 365 neur le 3 mai 1958), Kadi Kaddour, la soldatesque française, dirigée martyrs ». Nous y reviendrons dans dit Abdelkader (lieutenant-colonel par le colonel sanguinaire Marcel nos prochaines éditions. à la retraite de l’Armée populaire Bigeard, commandant du 9e Régi- Voilà donc comment, dans la nationale, décédé le 30 novembre ment des chasseurs parachutistes, nuit du 8 mars 1956, Abderrah- 2005). L’opération se déroule selon s’est accrochée violemment avec les mane Bensalem, fort d’une expé-

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rience de 14 ans sur les champs de de Aïn Snour, où il connaitra les lutions du Congrès de la Soum- bataille, a rejoint l’Armée de libéra- affres de la torture qu’on lui fera mam, qui en faisait une zone auto- tion nationale. subir toutes les nuits, d’après le nome chargée d’approvisionner Pour revenir à El Hadi Douais- témoignage d’un de ses proches, les wilayas de l’intérieur en armes sia, on sait qu’il est né à Souk-Ah- Roukab Abdallah, qui était aussi à partir de la Tunisie et de sécu- ras le 1er juillet 1924. Il milite dès un des notables de la ville de Souk- riser les convois d’acheminement son jeune âge au sein du Parti du Ahras. Le médecin rendit l’âme le d’armes, elle fut divisée, vers la peuple algérien/Mouvement pour 9 mars 1956 au matin et son corps fin octobre-début novembre 1956, en trois zones, dont chacune était le triomphe des libertés démocra- fut jeté des hauteurs d’Ain Snour. tiques (PPA/MTLD). Au déclen- dotée d’un bataillon. Le premier et le troisième étaient confiés res- chement de la guerre de Libération Les responsabilités pectivement à Chouichi Aissani nationale, il est recruté par cheikh qu’il occupa pendant et Taher Zbiri, secondés par trois Drid Lazhari début 1955 et affec- la Révolution adjoints chargés des questions mi- té au douar de Lemhaya (actuelle litaires, politiques et des renseigne- commune de Lahnancha). Après la décision prise par les ments. Selon le témoignage de son combattants des Aurès de quitter Le deuxième bataillon a été fils, le moudjahid Abdelhamid la région de Souk-Ahras en juin confié au capitaine Abderrahmane Douaissia, né le 1er octobre 1943, 1956, la Base de l’Est était, avant de Bensalem, assisté de trois adjoints son père, El-Hadi, n’était pas en prendre cette appellation, compo- avec le grade de lieutenant. Il s’agit réalité malade, mais avait été admis sée de sections et de groupes, dotés du lieutenant Lakhdar Ouartsi, à l’hôpital de Souk-Ahras grâce chacune d’une unité d’élite. Elle premier adjoint chargé des affaires à une intervention du directeur était dirigée par le regretté Amara militaires, du lieutenant Ramdha- de cet hôpital, le docteur Kassabi Laskri dit Amara Bouglez. C’est nia Hafnaoui, deuxième adjoint Ramdhan. Celui-ci, imprégné des ainsi que Abderrahmane Bensalem chargé des affaires politiques, et du idées nationalistes, cherchait par là fut désigné à la tête d’une de ces lieutenant Tayeb Djebar, chargé des à soulager quelque peu El-Hadi des unités. renseignements, des liaisons et de poursuites engagées contre lui par Après la création de la Base l’approvisionnement. Il sera rem- les services de renseignement fran- de l’Est, conformément aux réso- placé plus tard par Ali Boukhdir. çais, qui utilisaient certains de leurs agents bien connus dans la région, comme Chekchaki, Baairia ou Haj Kamel. Le directeur de l’établis- sement fabriqua ainsi un dossier médical à partir de documents antidatés, attestant que le concerné séjournais à l’hôpital depuis déjà un certain temps et qu’il y était tou- jours. 2 Après le succès de l’opération 1 d’évasion, il sera arrêté et enlevé le 8 mars 1956 devant l’hôpital au moment il s’apprêtait à sortir. Vic- time d’un acte de délation, il sera conduit au centre de gendarmerie 1- Abderrahmane Bensalem. 2- Mohamed Attailia

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De dr. à g. : Abderrahmane Bensalem, Moussa Merad, Salah Soufi, Azzedine Zerrari, Houari Boumediene, Ali Mendjeli, à Mellag en 1961

Cette configuration sera main- Ben Ahmed Abdelghani. Cette • l’opération d’El-Battiha dans tenue jusqu’après la création, en zone comprenait 14 bataillons la nuit du 8 mars 1956 déjà 1958, de l’état-major de l’Est, ap- et quatre compagnies d’arme- évoquée ; pelé Commandement des opéra- ment lourd. Cette organisation et tions militaires (COM). A la créa- cette division ont été maintenues • la bataille de Djebel El-Koudia tion au début 1960 de l’Etat-major jusqu’à l’Indépendance. à Béni Saleh en février 1957 ; général (EMG), sous la direction • la bataille de Boukhendef à du colonel Houari Boumediene, la Les principales batailles Base de l’Est était répartie en deux et actions auxquelles Béni Saleh, le 9 octobre 1958 ; zones : il a participé • la bataille de Groune Aïcha, le - La zone Sud, dirigée par le 3 mars 1959 ; commandant Salah Bendidi dit Le parcours du commandant Salah Es-Soufi. Elle comptait au Abderrahmane Bensalem est • l’attaque du centre de Bouhedjar départ quatre bataillons. riche en opérations militaires au en août 1959 ; - La zone Nord, dirigée par le cours desquelles l’ennemi français commandant Abderrahmane Ben- a subi de lourdes pertes en vies • l’attaque du centre d’Ain Zana salem, secondé par les capitaines humaines et en équipements. On dans la nuit du 13 au 14 juillet Chadli Bendjedid, Abdelkader peut notamment citer les actions 1959. Moulay, dit Chabou, et Mohamed suivantes :

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De dr. à g. : Abdelkader Chabou, Si Tahar, Chadli Bendjedid, Houari Boumediene, Abderrahmane Bensalem, Ben Ahmed Abdelghani, Said Abid, Ali Mendjeli

a réuni son état-major élargi aux nous étions procuré. L’attaque a dé- L’attaque du centre différents chefs de formations qui buté dans la nuit du 14 juillet 1959 militaire et de la levée du sont sous sa houlette, pour élaborer vers 23 heures. Nous avons atta- drapeau algérien lors de un plan d’attaque contre ce centre. qué de tous les côtés les bâtiments la fête nationale française À la fin de la réunion, il a été déci- contenant des obus d’artillerie et de le 14 juillet 1959 dé que l’attaque aurait lieu la nuit mortier. Nous avons aussi bombar- du 14 juillet 1959. Cette date a été dé les barbelés qui cernaient les bâ- Situé près de la frontière tuni- choisie parce qu’elle correspondait timents pour ouvrir d’autres points sienne et de Souk-Ahras, le centre au jour d’anniversaire de la victoire d’accès, et nous avons pu abattre militaire d’Ain Zana regroupait des nationale française et était un jour un grand nombre de soldats fran- bataillons du 153e Régiment d’in- de repos où le niveau de garde était çais surpris dans leurs lits. Certains fanterie motorisée, tout en proté- généralement en baisse, les soldats d’entre eux se sont barricadés dans geant les autres centres avoisinants étant occupés par les cérémonies et les tranchées pour échapper au feu grâce à ses batteries d’artillerie. les banquets qui y sont servis. de nos mitrailleuses. » Ce centre constituait un obstacle Le moudjahid Mbarek Zeghdoud Mbarek poursuit : majeur pour les combattants de Zeghdoud Sebti dit « Kibo » et le «Le chef de groupe, El-Hadi Has- l’ALN lors des opérations d’ache- moudjahid Bougueffa Athamen naoui Ben Messaoud, m’a demandé minement d’armes. C’est pourquoi, Dhif témoignent de cette action de baisser le drapeau français et de il fallait étudier cette situation et héroïque : «Ce plan d’attaque a été hisser, à sa place, le drapeau algé- y trouver une solution. Bensalem étudié selon le plan de site que nous rien. Je l’ai fait. Notre emblème flot-

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tait au milieu de la caserne jusqu’au à constater les résultats de l’opéra- lendemain matin à 10 heures, à tion. Les postes qu’il a l’arrivée des renforts de l’armée Le commandant Abderrah- occupés après coloniales. Abderrahmane Bensa- mane Bensalem a été félicité pour l’Indépendance lem a participé à cette opération ce grand exploit par le COM, qui avec plusieurs officiers, dont Ab- était à l’époque sous la direction du - Immédiatement après la pro- delkader Chabou, chef du bataillon colonel Mohammedi Saïd dit colo- clamation de l’Indépendance, le autonome, Hafnaoui Ramdhania, 5 juillet 1962, Si Abderrahmane, nel Si Nasser. Abdallah Boutaraa, Noureddine ancien responsable de la zone Nord De leurs côtés, les autorités Sahraoui, dit Zoughlami, Moha- de l’armée frontalière de l’Etat-ma- militaires françaises, et pour évi- med Alaak, et d’autres. jor général, dirigée par le colonel Après l’attaque, le GPRA a ren- ter une démoralisation de leurs Houari Boumediene, eut à jouer un du publique une déclaration dans troupes, se sont empressées de res- rôle prépondérant dans l’achemi- laquelle il annonçait la destruction taurer et de rééquiper ce centre en nement et la sécurisation de l’arri- totale du centre d’Ain Zana, et la un temps record et ont fait, ensuite, vée de Houari Boumediene dans la récupération de diverses armes, appel à des journalistes pour visiter capitale, dans un contexte marqué tout en invitant les médias interna- les lieux, dans le dessein de démen- par l’exacerbation du conflit entre tionaux à se rendre sur les lieux et tir la déclaration du GPRA. l’EMG et le GPRA.

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1- Chadli Benjedid. 2- Mohamed Abdelghani. 3- Benyoucef Benkhedda 4- Abderrahmane Bensalem. 5- Djelloul Khatib

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1- Bensalem. 2- DjelloulKhatib, devant la ligne Morice face à proximité de l’Ouenza

- Après le rétablissement de ce qui était appelé « la guerre des derrahmane Bensalem. Le minis- l’ordre suite aux escarmouches qui sables », Bensalem rejoint le front tère public était représenté par le ont eu lieu pendant l’été 1962 et l’en- et est chargé de diriger la zone de commandant Ahmed Draia. C’était trée de l’armée des frontières à Al- confrontation dans la région de le célèbre procès du colonel Moha- ger, le commandant Abderrahmane Béni Ouennif, dans la wilaya de med Chaabani. Bensalem fut nommé responsable Bechar. Grâce à sa perspicacité et - Il fait également partie du du quartier général de la caserne à son expérience militaire, il réalise groupe qui a arrêté le président Ah- Ali-Khodja, siège du ministère de la de grands exploits pour lesquels le med Ben Bella le 19 juin 1965 à sa Défense nationale. ministre de la Défense, le colonel résidence dans la villa Joly, accom- - Nommé quatrième membre Boumediene, lui a rendu un vibrant pagné de Tahar Zbiri, du colonel de l’Etat-major général, dirigé par hommage lors d’une visite qu’il avait Abbas, de Saïd Abid, d’Abdelkader le colonel Tahar Zbiri, puis respon- effectuée dans la région. sable de la Garde républicaine à sa - Il a été membre de la Cour mar- Chabou et d’Ahmed Draia. création. tiale créée par le Président Ahmed - Il a été membre du Conseil ré- - Nommé membre à l’Assemblé Ben Bella en 1964, conformément volutionnaire mis en place le 20 juin constituante à l’issue des élections aux décrets d’août 1964. Celle-ci 1965 suite à l’éviction d’Ahmed Ben du 20 septembre 1962, représentant était présidée par Mahmoud Zar- Bella. Il sera ensuite nommé com- la wilaya d’Annaba. tal et composée du colonel Ahmed mandant de l’Académie interarmes - En 1963, lors du conflit fronta- Bencherif et des commandants de Cherchell. Ce fut le dernier poste lier avec le Royaume du Maroc ou Chadli Bendjedid, Saïd Abid et Ab- qu’il occupa au sein de l’État.

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Debout de dr. à g. : Saâd Castel, Ali Bouhadja, Moussa Merad, Abdelkader Abdellaoui, Chadli Bendjedid, Amar Zeghlami, Abdelkader Chabou, Mohamed Boutella, Redouane, Hamma Loulou, Azzedine Zerrari, Said Abid. Assis de dr. à g. : Ibrahim Debili, Mohamed Alleg, Abdellah Bouteraâ, Salah Soufi, Salim Saâdi, Slimane Hoffman, Abderrahmane Bensalem, Amar Chekkai, Amar Bensemra.

Officiers et cadres des zones opérationnelles Nord et Sud, en juin 1960

En 1967, lors de la tentative de ler la terre et faire de l’élevage pour sant lui-même son tracteur. Selon le coup d’Etat du colonel Tahar Zbiri, subvenir aux besoins de sa famille, témoignage de certains habitants de toutes les sources affirment qu’il jusqu’à l’élection de Chadli Bendje- Bouhedjar qui lui rendaient visite, à était loin de cet événement et qu’il did à la présidence de la République. l’image de Abdallah Nouri, Nacer- n’y avait joué aucun rôle. Mais ses Celui-ci lui aurait proposé, selon le Eddine Maaloum ou Tayeb Bensa- rapports avec Tahar Zbiri, qui était témoignage de certains membres de lem, Si Abderrahmane transportait l’un de ses compagnons d’armes du- sa famille, des postes importants, des enfants à l’école dans son propre rant la Révolution, étaient l’une des mais il aurait décliné toutes les pro- tracteur et parfois dans sa Peugeot raisons ayant envenimé ses relations positions, préférant la vie civile et le 504 que l’Etat avait mise à sa dispo- avec le Président Houari Boume- repos après une vie faite de guerres, sition, surtout en hiver, et prenait diene. d’épreuves difficiles et de sacrifices. En août 1968, son différend avec C’est ainsi que le président Bendje- toujours dans sa poche des bonbons Houari Boumediene sur des ques- did ordonna que sa situation admi- pour en donner aux élèves. Les tions politiques le poussa à démis- nistrative soit régularisée, pour qu’il mêmes personnes affirment qu’il sionner, mais Boumediene ne l’ac- soit mis à la retraite de façon effec- gérait aussi un café qui était ouvert cepta pas. Alors il décida de rentrer tive à partir de 1979. à tout le monde, même ceux ne qui chez lui à Bouhedjar, et fit ses adieux Si Abderrahmane continua à pouvaient pas payer leurs consom- à la politique. Resté sans salaire, ni mener une vie normale dans sa ville mations. Ainsi, a-t-il vécu, aimé de retraite, il a été contraint de travail- natale, cultivant sa terre et condui- tous, enfants, jeunes et vieux.

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auxquels il faut ajouter l’émotion tion dans la zone Nord, et compo- Sa disparition qu’il dut ressentir en se rappelant le sée de cadres supérieurs du Parti, souvenir de tous ces hommes qui dont Abdellah Belhouchet, Bachir En octobre 1980, au cours de étaient un jour à ses côtés, il eut un Khaldoune, Mohamed Attaïlia, certains travaux menés dans la fo- malaise cardiaque et fut transporté Mohamed-Chérif Messaadia et rêt de Boukhendef, où avait eu lieu d’urgence à l’hôpital. Son cœur ne d’autres. la célèbre bataille de Boukhendef pouvait supporter ; il rendit l’âme Selon certains témoignages, qu’il avait dirigée lui-même le 9 le 9 octobre 1980. l’absence du Président Chadli aux octobre 1958, et où de nombreux Il sera enterré le vendredi 10 obsèques de l’un de ses respon- moudjahidine tombèrent au champ octobre 1980 dans le cimetière sables durant la guerre de Libéra- d’honneur, dont son cher ami des martyrs de Bouhedjar. Le Pré- tion nationale serait due au souci Djebar Tayeb, les travailleurs des sident Chadli a demandé à de hauts de Chadli de ne pas paraître publi- forêts découvrirent des ossements responsables du parti et de l’Etat quement, sous l’effet de l’émotion, de martyrs. On fit alors appel à Si d’assister aux obsèques du Lion dans une posture qui risquait de Abderrahmane Bensalem comme des djebels de Béni Salah et de la froisser son image de chef d’Etat. témoin clé de cette bataille. Mais, Base de l’Est, avec une importante Cependant, lors d’une visite fami- étant donné son âge avancé et le délégation conduite par le colonel liale privée, le président Chadli s’est caractère escarpé de la région mon- Ahmed Abdelghani, qui était un rendu au cimetière des martyrs en tagneuse qu’il lui fallut escalader, de ses adjoints pendant la révolu- compagnie de son frère Abdel-

Bensalem Abderrahmane en haut au milieu avec son état major

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De g. à d. : El Hachemi Hadjeres, Houari Boumediene, Ali Mendjeli, Yazid Ben Yezzar et Abderrahmane Bensalem

malek, et s’est recueilli devant la Abdelaziz Bouteflika en 1999, qui raid d’une opération de ratissage tombe de son frère d’arme. lui décerna la médaille El-Athir dans les environs de Souk-Ah- Il convient de noter qu’après à titre posthume en hommage à ras, un adjudant français nommé la création de la Médaille du mé- son combat révolutionnaire et en Bayot, d’origine juive, menaçait rite national, qui est la plus haute reconnaissance de ses services ren- une femme portant un bébé dans distinction de la République, la dus à la nation avec dévouement et ses bras, en lui pointant son pisto- plupart des dirigeants de la Ré- abnégation. let sur le visage, tout en titillant le volution, qu’ils soient morts ou bébé sur le nez avec le canon de vivants, ont été honorés, mais le Faits saillants son arme et en s’adressant à lui en nom d’Abderrahmane Bensalem ces termes : « Petit Fellaga ! » Ce est resté absent de la liste, oublié - Nous devons rectifier un point geste m’exacerba, et je décidai, le par les frères d’armes qui étaient, important évoqué dans plusieurs doigt sur la gâchette, que si le mi- pour la majorité, sous sa houlette. récits, et sur lequel nous nous réfé- litaire venait à tirer sur un d’entre Cette médaille ne lui a été décerné rons à la source, tel que raconté par eux, je lui tirerai dessus. Mais, à ce qu’après l’avènement du Président le colonel Ali Boukhdir : « Lors du moment-là, un autre soldat l’inter-

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Bensalem au mégaphone à Lagouared, à Souk Ahras. Derriere lui les dirigeants du FLN avant leur départ vers Tripoli au congrés 1962

rompit pour lui dire de ne pas faire dans les environs de Toaura. A la missions dans la caserne, qui était cela « devant un Arabe ». Personne question de savoir où était le père une recrue algérienne et non pas n’a été, heureusement, blessé, mais des deux gamins, elle lui répondit un officier français comme cela a cette scène m’a touché au plus : « Mon mari est au maquis pour été rapporté, a été éliminé. Il était profond de moi-même. J’avais une libérer le pays et te libérer ! » Ces le frère du colonel Mohamed Zer- telle rancune contre cet homme paroles l’ébranlèrent au plus pro- guini. qu’un jour, lors de notre évasion fond de lui-même. - Le moujahid Abdelhamid du centre de Bettiha, je suis venu - Dans la nuit de son évasion, Douaissia raconte qu’au cours le réveiller en pleine nuit pour ven- lui et ses camarades de la caserne d’une visite qu’il avait rendue à ger la bonne femme et son enfant. d’El-Battiha, Abderrahmane Ben- son père à l’hôpital, il y trouva Si - Selon le témoignage du mou- salem donna ordre de ne pas tuer Abderrahmane assis à ses côtés. djahid Cherif Maatlia, son ami, l’aumônier militaire du centre C’était avant son départ au maquis. Abderrahmane Bensalem, s’est par respect pour les croyances Celui-ci l’informa des conditions toujours rappelé alors qu’il était religieuses, et parce que le moine de vie des habitants du Aarch des dans l’armée française ce que lui n’était pas impliqué dans les opé- Douaissia et lui raconta comment avait dit la femme qu’il avait trou- rations. les harkis les avaient agressés, vé avec ses deux petits enfants, au - Refusant de rejoindre la Ré- avaient pillé leur épicerie et dé- cours d’une opération de contrôle volution, le responsable des trans- truit le moulin qui les faisait vivre.

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De g. à dr. : Rostom, Bougueffa Athmane Deif et Zeghdoud Mebarek Sebti

Très affecté par cette histoire, il propos, ébahis devant la force du sur la conquête de peuples avides sortit de sa poche 10 000 francs tonnerre et la clarté de l’éclair. Le de liberté et le pillage de leurs ri- et le donna au jeune Abdelhamid, vieil homme enchainera : « Oui, chesses. lui demandant d’utiliser cet argent je le sais, Abderrahmane Bensalem est - A l’indépendance, le mou- pour reprendre son commerce, et aussi le tonnerre et l’éclair ! » jahid El-Hadi Belhocine, ancien lui remit également une montre - Deux prisonniers de Diên- de marque Lip extraplate, en lui Biên-Phu ayant combattu sous le officier de l’ALN et premier maire disant qu’il l’avait achetée chez même drapeau : le lieutenant co- de Bouhedjar, décida de charger Mohamed-Salah Hamada qui avait lonel sanguinaire Marcel Bigeard les citoyens qui n’avaient pas pris une horlogerie sur la route Tébes- et le sergent-chef, Abderrahmane part à la Révolution de retirer les sa dans la ville de Souk-Ahras et Bensalem. Ils se sont rencontrés à mines plantées autour des barbe- que si elle était en panne, elle était nouveau face à face dans les envi- lés sous prétexte que c’étaient eux toujours sous garantie. rons de Dahouara et de Bouhedjar qui les y auraient plantées. Grâce - On raconte qu’un jour, un ; mais cette fois-ci, l’un, Abder- à l’intervention d’Abderrahmane vieil homme a entendu le tonnerre rahmane Bensalem, défend sa et dit à ses enfants : « Ecoutez patrie usurpée et lutte pour son Bensalem, le maire renonça à son bien, c’est Bensalem qui donne indépendance et sa liberté, tan- funeste projet, en venant annon- des leçons aux Français !» Les en- dis que, l’autre, Bigeard, défend cer enfin que le jeune Etat s’en fants firent mine d’approuver ses une politique coloniale fondée chargerait.

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- Selon certains témoignages, le le jeune frère prit son arme et Président Ben Bella lui aurait pro- quitta le groupe pour se diriger posé un jour le commandement vers les barbelés en fredonnant : des forces navales, mais il lui au- « Chérifa ! Chérifa ! » Averti par ses rait répondu par cette métaphore hommes, Abderrahmane courut : « Je ne sais pas nager dans les rivières, rejoindre Salah et le somma de comment le pourrais-je dans les mers et revenir, en brandissant son arme les océans ? » vers lui. Têtu, son frère se mon- - Tous les dirigeants qui étaient tra indifférent. Alors, Abderrah- sous sa responsabilité ont été pro- mane tira deux coups en l’air en mus à de hautes responsabilités, guise d’avertissement, mais Salah tels que Chadli Bendjedid, Djel- continua à marcher, l’air toujours loul Khatib, Abdelkader Chabou, indifférent. A ce moment-là, Ab- Mohamed Ben Ahmed Abdelgha- derrahmane demanda à ses com- ni, Mohamed Attailia, Saddek Ref- pagnons de lui satisfaire son désir fas, Ali Boukhdir, Khaled Nezzar, pour en finir. Cette histoire a été Abdelmalek Guenaizia, Makhlouf confirmée par Tayeb Bensalem, le Dhib, Abdallah Boutaraa, Abder- fils aîné de Salah et de Chérifa, qui razak Bouhara, Fadhel Bouterfa, dit la tenir de plusieurs moudjahi- Abdelkader Abdellaoui, etc. dine. - Les habitants de Bouhedjar - Il aimait tant le savoir et incitait toujours les enfants à et des régions environnantes se Abderrahmane Bensalem rappellent que le mérite de la apprendre. Grâce à lui, de nom- construction de l’hôpital de cette breux jeunes ont été envoyés dans ville revient au commandant Ben- les écoles des cadets de la Révo- Sources

salem, grâce à son intervention lution, qui sont ensuite devenus - Ouvrages : Zdravko Pécar, Algérie, ENL , auprès du ministre de la Santé de des cadres, notamment dans le 1987. l’époque, Abderrazak Bouhara domaine de l’éducation. - Abdelhamid Aouadi, Base de l’est, éd Dar El-Houda , 1993. (commandant du 39e bataillon de En conclusion, le comman- - Yasser Ferkous deux moudjahids et deux héros, zone Nord). Chaque jour, des inci- dant Abderrahmane Bensalem est éd El Maaref, 2018. dents tragiques dus à l’explosion immortalisé par l’Histoire, et son - Brahim El-Askri ,naissance de la Base de l’est des mines étaient enregistrés et les nom est écrit en lettres d’or. C’était par la voie du Colonel Amara Bouglez - Tablit Omar, Base de l’est ,sans maison d’éd, citoyens avaient d’énormes diffi- un grand héros de la Révolution et 2010. cultés à se rendre à Souk-Ahras ou un homme qui n’a jamais été tenté - Mémoires : Chadli Bendjedid, Tahar Zebiri , à Annaba. par les postes de responsabilité, ni Tahar Saidani . - Témoignages de Moudjahidines : Ali - On raconte qu’un jour, alors par les privilèges à l’indépendance Boukhedir, Hamza Aoufi, Salem Djilliano, qu’Abderrahmane était en réu- du pays. Il était dévoué et fidèle à Dib Makhlouf, Salah Maaloum, Zeghdoud nion importante avec ses collabo- sa patrie. Mébarek Sebti, Bougueffa Eutamene Deif, rateurs, son frère émit le vœu de Les autorités prendront-elles Ahmed Kadri, Salah Mahfoudia et Douaissia Abdelhamid . voir sa fiancée (la défunte mou- un jour l’initiative de baptiser une - Témoignages de la famille de Bensalem : djahida Chérifa Bensalem qu’il institution d’envergure nationale Yassine, Karim, Tayeb, Ameldine épousera plus tard et eut avec lui en son nom ? Boulanouar, Nacer Maaloum et Abdellah Nouri . Tayeb et Nacer). Comme Abder- Que Dieu ait son âme et - Plusieurs documentations. rahmane n’y prêta pas attention, l’accueille en son vaste paradis.

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Bensalem est qualifié par ses pairs de « l’infatigable guerrier »

Le célèbre chanteur du bédoui feu Messadia Ahmed Ben Mohamed dit Hadj Bourogaa a immortalisé le commandant Abderrahmane Bensalem, Sebti Maarfia dit Si Sebti Boumaraaf, Nourddine Sahraou dit Zoughlami et Djellalia Mohamed dit Hadj Lakhdar dans l’une de ses meilleures chansons. L’attaque du poste de Ain Zana et Abderrahmane Bensalem ont été aussi le sujet d’une autre chanson intitulée França mellet (La France en a marre) du même chanteur. Parmi les tactiques employées par Bensalem contre l’ennemi, il y a lieu d’en citer deux : 1- Lors de l’attaque d’un poste frontalier français, il charge des katibate de provoquer des tirs sur les autres postes limitrophes à la même date et à la même heure sans les attaquer, et cela dans le but de mettre l’ennemi en état d’alerte extrême et lui faire croire à une attaque réelle, ce qui le laisse dans une situation de défense et dans l’incapacité de prêter assistance au poste réellement attaqué. 2- Parfois, il ordonne aux chefs de bataillon, chacun dans son secteur, d’organiser et de charger des groupes de trois ou quatre éléments pour une mission de harcèlement des lignes de barrage en plusieurs points, afin de provoquer une panique générale et de faire subir à l’ennemi d’importants dégâts matériels surtout par l’emploi des batteries et des mortiers de gros calibres.

De g. à dr. Hakim Rassem chercheur en histoire, Colonel Boukhedir Ali et Rostom

Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA. ( 44 ) Supplément N°73 Octobre 2019 Il y a 30 ans disparaissait le moudjahid Lakhdar Rebbah

L’homme qui portait la lumière sur son visage Hassina Amrouni Guerre de libération Histoire

Le 6 février 1989, un grand homme s’en allait rejoindre ses compagnons d’armes, morts pour la patrie : le moudjahid Lakhdar Rebbah. Lakhdar Rebbah est décédé à l’âge de 72 ans, des suites des longues séances de torture subies durant ses années d’incarcération.

Vue panoramique de la ville de Sour El Ghozlane et le mont de Dira Photo Djaâfar Mokhtari Djaâfar Photo

e fervent militant de sein de l’AS Saint-Eugène puis de ler municipal du MTLD en 1947 la cause nationale, l’ASTA où il joue au poste d’ailier et délégué au congrès du PPA, il moudjahid racé droit, ceci avant de devenir diri- anime, en même temps, la sec- qui a eu à côtoyer geant au sein du Mouloudia d’Al- tion d’athlétisme du Mouloudia. Abane Ramdane, ger (Section athlétisme). En 1948, il se porte candidat à CHocine Aït Ahmed ou encore Entre 1936 et 1937, il rejoint le l’Assemblée algérienne mais il est Krim Belkacem, était natif de Parti du peuple algérien (PPA), à arrêté en avril de la même année Sour El Ghozlane. la kasma des Tramways d’Alger et incarcéré à la prison de Serkadji C’est, précisément, au douar (TA) où il gravit rapidement les (ex-Barberousse). A sa libération, Ouled Djenane, sur le flanc nord échelons de la hiérarchie, en deve- il reprend son militantisme et son de djebel Dira, dans la commune nant cadre du parti à Belouizdad. domicile devient très vite le lieu mixte d’Aumale (aujourd’hui Sour Appelé sous les drapeaux, il ac- de rassemblement des partisans el Ghozlane), qu’il voit le jour le complit son service militaire entre nationalistes. De nombreuses réu- 26 février 1917. Deux ans plus 1943-1945 dans le génie/sapeur- nions secrètes s’y tiennent comme, tard, ses parents s’installent dans pompier. notamment, celle commémorant le quartier de Belcourt, à Alger. De retour à la vie civile, il re- la disparition de Kehal Arezki ou Après l’obtention de son certi- prend le travail – dans les années Mohamed Douar. Il y reçoit égale- ficat d’études, il devient receveur 40, il a ouvert un café puis un ment les membres de l’OS recher- de tramway à Alger. En parallèle, magasin de postes-radio – et ses chés par les services de police. il mène une carrière sportive au activités partisanes. Elu conseil- Lorsque s’ouvre la crise entre les

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Lakhdar Rebbah Lakhdar Rebbah messalistes et les centralistes, il choisit de se tenir à en 1955, il l’héberge chez lui, rue Hélène-Boucher, l’écart du conflit et, dès le 1er novembre 1954, décide au Ruisseau, à la demande de Krim Belkacem. Ce de rallier les rangs du Front de libération nationale. dernier lui demande, par ailleurs, de l’assister dans Là encore, son domicile devient une cache d’armes du toutes les tâches dont il avait la charge. Lakhdar Reb- FLN et lorsque Abane Ramdane est libéré de prison bah demande alors à Abane Ramdane de le mettre

Abane Ramdane Krim Belkacem Hocine Ait Ahmed

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en contact avec les formations et du café L’Express, à la rue d’Isly aurait exigé aux Algérois de boy- personnalités politiques. (actuelle rue, Larbi Ben M’hidi), cotter les commerces gérés par la Au cours d’une réunion tenue Moufdi Zakaria. Il lui fait part de communauté mozabite. Et donc, de chez lui et à laquelle prennent la proposition des dirigeants du ce fait, il avait refusé la demande, part Abane Ramdane, Benyoucef FLN et lui explique que l’hymne en réfutant les accusations attri- Benkhedda, R. Amara et Hanafi, devra mettre en valeur le combat buées à sa communauté. Mais la décision est prise de composer du peuple algérien pour le recou- réaction des dirigeants de la Révo- un hymne national. Benkhedda vrement de sa liberté. lution, n’a pas tardé, en apportant charge alors Lakhdar Rebbah de La requête faite à Moufdi Zaka- prospecter les milieux littéraires ria sera refusée car elle intervenait un démenti formel à la manœuvre et artistiques afin de trouver un dans un contexte particulier. Selon de l’Administration coloniale, dont auteur qui accepterait de mettre sa l’historien M. Zeghidi, cette propo- l’objectif était de diviser le peuple plume au service de la cause natio- sition intervenait « au moment où algérien et de semer le doute quant nale. Le lendemain, Lakhdar Reb- la France coloniale faisait circuler à la justesse de la lutte armée menée bah croise par hasard, au niveau une rumeur, selon laquelle, le FLN par le FLN ».

Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA. ( 48 ) Supplément N°73 Octobre 2019 Guerre de libération Histoire

Le 24 avril 1955, Moufdi Zaka- texte fut soumis à Abane Ramdane fois d’atroces séances de torture. Il ria s’attelle à l’écriture du célèbre qui l’approuva. sera successivement emprisonné à poème au 2, rue Blandon, près de Lakhdar Rebbah poursuivra Serkadji (ex-Barberousse), El-Har- la place Chartres. Il lui aura fallu ses activités partisanes, en deve- rach (ex-Maison Carrée), Tazoult une nuit pour rédiger l’hymne qui nant l’un des fondateurs et ani- (ex-Lambèse), avant d’être trans- sera remis, dès le lendemain aux mateurs de l’Union générale des féré à Loos-Lez-Lille en France. dirigeants du FLN. A noter que commerçants algériens en 1956, d’autres sources affirment que sous l’égide du FLN. Au lendemain de l’indépen- Moufdi Zakaria a écrit le poème Le 11 avril 1956, il est arrêté à dance, il est élu député le 20 sep- à la prison de Barberousse, le 25 Kouba. Transféré d’un commissa- tembre 1964, mais finit par se reti- avril 1955. Quoi qu’il en soit, le riat à un autre, il subit à chaque rer de toute vie politique.

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Lakhdar Rebbah à droite de la photo

Dans une étude consacrée à la vie d’Abane Ramdane, l’historien Khalfa Mameri écrira à propos de Lakhdar Rebbah : « Ce témoin ne laisse pas insensible. Il porte la lumière et la joie de l’homme utile sur son propre visage. » Ses amis le surnommaient El Ghazal.

Hassina Amrouni

Sources : https://www.huffpostmaghreb.com/mohamed-re- bah/il-y-a-27-ans-partait-lakhdar-rebbah-lhomme-de- confiance-de-abane-ramdane-_b_9174748.html http://sebbar.kazeo.com/rebbah-lakhdar- a127880658 https://www.elwatan.com/pages-hebdo/histoire/ hommage-a-lakhdar-rebah-04-02-2016 http://www.elmoudjahid.com/fr/actualites/58376

Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA. ( 50 ) Supplément N°73 Octobre 2019 Retour sur la sanglante opération « Espérance »

Hassina Amrouni Guerre de libération Histoire

Juin 1956. La guerre d’Algérie est à son paroxysme. Sur le terrain des combats, les moudjahidine de l’ALN dament le pion à la soldatesque française. Cette dernière, malgré ses moyens humains et matériels nettement supérieurs, ne cesse de perdre les batailles. Pour les officiers supérieurs français, il fallait réagir au plus vite pour reprendre la main sur l’échiquier des combats.

l’instar d’autres restre, ils étaient appuyés par des régions du pays, la centaines d’hélicoptères «bananes», Kabylie donnait du des avions bombardiers B26 et fil à retordre aux B29 et plusieurs modèles d’armes colons, aussi, il fut lourdes. décidéA d’y mener ce qui sera appelé Dans les monts et villages, l’effet l’opération « Espérance » pour dé- de surprise a très vite laissé place à loger les moudjahidine tapis dans la terreur. Les pauvres villageois, les maquis et obliger les popula- violemment sortis de leur som- tions autochtones à se soumettre à meil, par les tirs de roquettes et les l’autorité coloniale. effroyables explosions de bombes Le 27 mai 1956, le général Du- larguées par les avions militaires, fourt fait débarquer ses hommes couraient dans tous les sens pour sur toute la Petite Kabylie, d’Aït s’abriter de ce déluge de feu. Abbas à Il Mayen, en passant par Visés par ces tirs acharnés de Maurice Papon Aït Idel, Tamokra (Guergour), Beni l’armée française, les moudjahi- Maouche, Beni Chebana, Guenzet dine quittent rapidement leurs crêtes mais très vite ils changent de ou Beni Ouartilane. refuges pour épargner des pertes position car trop exposés. Ils dé- En tout, plus de 10 000 soldats innocentes parmi la population. Ils cident alors de se disperser en pe- lourdement armés envahirent la rejoignent les maquis, se position- tits groupes afin de briser les lignes région par les airs et par voie ter- nant dans un premier temps sur les ennemies. Ils savaient cette tac- tique périlleuse mais ils n’avaient pas d’autre choix pour sortir de cet engrenage meurtrier.

Les villageois tentent de fuir la mort

Face à ces semeurs de morts qui avaient investi leurs villages, les femmes, dans un sursaut de lucidité, entreprirent d’abord d’effacer toute trace du passage des combattants de l’ALN dans les refuges, ceci avant

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de se réunir dans une seule maison. Les viols commis par les soldats étaient une menace réelle à laquelle elles devaient faire face toutes en- semble, chacune puisant sa force et son courage auprès des autres femmes de la tribu. Beaucoup ne purent réchap- per à la mort. Les soldats français, ne gâchant pas leur plaisir, firent preuve de la plus grande sauvage- rie pour faire sortir les habitants de leurs maisons. Ils n’hésitèrent pas à frapper les femmes ou les vieillards, Guenzet, Béni Yala, Aït Abbas, culaires seront menées à travers la à traumatiser les pauvres enfants, Béni Maouche, Béni Ourtilane…, région faisant ainsi vaciller les certi- à saccager les taudis et à brûler les de détruire les villages refuges de tudes ennemies quant à leur supré- terres avec leurs modestes récoltes. l’ALN, d’instaurer des zones inter- matie sur le terrain des combats. C’était l’apocalypse. Une journée en dites, d’implanter des postes mili- enfer. taires supplémentaires au niveau des Bilan des affrontements Face à la détermination et au points stratégiques, de déployer 10 courage des habitants qui refusaient 000 hommes supplémentaires pour Sous prétexte que le Parti com- de parler, des équipes de torture, faire une démonstration de force, muniste algérien (PCA) n’a pas placées sous la direction d’officiers d’inaugurer des bombardements adhéré en tant qu’organisation au du renseignement, interpellèrent des des villages au napalm ». mot d’ordre de l’insurrection ar- habitants au hasard, pour les sou- Cette opération génocidaire du- mée, sous la bannière du Front et mettre ensuite à d’interminables et rera une semaine durant laquelle nul de l’Armée de libération nationale, atroces séances de torture, tout cela, parmi les pauvres habitants ne sera l’historiographie officielle ne s’est dans le but de leur soutirer une in- épargné. Les membres de l’ALN penchée sur ce parcours singulier formation qui pourrait les conduire résisteront avec courage mais les que superficiellement. jusqu’aux moudjahidine. habitants, pris en étau vont subir de Pourtant, les communistes Au même moment et au milieu grandes pertes. Près de 200 morts furent nombreux à rejoindre le de ce chaos, un groupe de soldats parmi les civils seront dénombrés, maquis dès les premières années escalada le mont du Guergour pour des pertes qui feront réagir les com- de la Révolution, et plus nom- y planter le drapeau français, sym- mandants de sections Mokrane breux encore à partir de 1956, bole de la victoire et signe de recon- Harani, Hamou Hmiti «Amilikchi», grâce aux efforts ininterrompus quête de cette région jadis rebelle et qui appuyés par d’autres éléments d’Abane Ramdane, qui, dans le sil- insoumise. apporteront leur aide aux moudja- lage du congrès de la Soummam Le lendemain, le général Du- hidine déjà présents sur place. Ils du 20 août 1956, entreprit d’unir fourt, accompagné du sinistre tendent ainsi une embuscade à un les rangs des nationalistes et de les Maurice Papon, alors préfet de convoi militaire français qui traver- gagner à la cause. Cette adhésion Constantine, arrive dans la région sait le pont reliant Béni Maouche à fut obtenue, alors que les diri- pour superviser le déroulement de Béni Ouartilane, occasionnant près geants nationalistes étaient encore l’opération. Ils décident de concert d’une vingtaine de morts au camp choqués par la position peu flat- de « ratisser toute la région de ennemi. D’autres actions specta- teuse du Parti communiste fran-

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çais (PCF) – avec lequel le PCA de la résistance algérienne dans la proposait de drainer les forces pa- gardaient encore des liens forts – région de l’Ouarsensis. Cette ini- triotiques en un seul mouvement qui venait de voter, à l’Assemblée tiative changea complètement la et seulement sur la base des adhé- nationale, les pouvoirs spéciaux donne et ébranla les états-majors sions individuelles. qui allaient lancer la répression de de l’armée française qui redou- Les dirigeants communistes se la guérilla à Alger dès 1957. taient l’existence de complicités sont vite montrés enthousiastes et Lui-même proche de cer- au sein de leurs unités militaires. ne voyaient aucune contradiction tains militants communistes qui Jaloux de son autonomie, mais en avec le rôle de noyau dirigeant avaient, à l’époque, pignon sur même temps très engagé dans le auquel le FLN aspirait, tant que rue en Kabylie, Abane Ramdane combat anticolonial, le PCA était, l’autonomie politique des indi- réussit la prouesse de parvenir à pour ainsi dire, le seul parti algé- vidus qui décidaient d’y adhérer un accord avec les dirigeants du rien, en dehors du FLN, à créer était respectée. Au cours de cette PCA, acceptant même l’entrée de son propre maquis et à combattre discussion, les deux parties ont ce parti en tant que structure au par les armes. Il se trouve que cer- évoqué la question syndicale qui sein du FLN, alors que la règle, au tains chefs du FLN n’avaient pas tenait tant à cœur les militants départ, était d’admettre les adhé- totalement assimilé ce fait. communistes et dans laquelle ils sions individuellement, comme La direction du PCA de avaient tant investi. Les commu- c’était le cas avec toutes les autres l’époque, conduite notamment par nistes n’avaient pas vu d’un bon formations du mouvement natio- Bachir Hadj Ali et Sadek Hadje- œil l’unilatéralisme du FLN dans nal (UDMA, ouléma…). Son rès, futur fondateurs du Parti de la création de l’Union générale des argument, rejeté ensuite par les l’avant-garde socialiste (PAGS) qui travailleurs algériens (UGTA). autres dirigeants de la Révolution, succéda au PCA à partir de 1965, Les communistes vont jouer un est que si les pays communistes négocia avec le FLN, représentée rôle au congrès de la Soummam, à voulaient fournir des armes aux par Abane Ramdane et Benyoucef travers notamment Amar Ouzeg- combattants algériens, il était Benkhedda, les prédispositions gane, ancien militant et premier plus judicieux d’accepter le Parti du PCF et de son maquis à col- secrétaire du PCA dans les années communiste algérien en tant que laborer avec les maquis de l’ALN, 1940, qui rédigera la fameuse pla- parti au sein du FLN. avant de parvenir rapidement à teforme du congrès. En réalité, les membres du un accord politique. D’entrée, les L’histoire du mouvement na- PCA n’ont pas attendu l’ouver- émissaires du FLN ont expliqué tional regorge de noms de com- ture de négociations avec la di- à leurs interlocuteurs que l’effica- munistes qui ont porté haut et fort rection du FLN pour s’engager cité de l’action nécessitait, selon la cause nationaliste en Algérie et pleinement dans la lutte armée eux, de transcender définitive- à l’étranger : Chebbah El-Mekki, contre l’armée d’occupation. Dès ment les clivages entre différents Larbi Bouhali, Abdelhamid Ben- avril 1956, le militant commu- partis et, pour cela, le seul moyen zine et tant d’autres. niste Henri Maillot a réussi, avec était que les partis s’effacent. Sans un groupe de «Combattants de la aller jusqu’à exiger la dissolution Hassina Amrouni libération» affilié au PCA, à s’em- du PCA, les responsables du FLN Source : parer d’un camion d’armement mettaient en avant le principe se- Quotidien « L’Expression » 29 mai 2016 des troupes coloniales au profit lon lequel le Front de libération se

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Durant la guerre d’Algérie, la population algérienne a été de nombreuses fois la cible de crimes gratuits perpétrés par l’armée coloniale. Retour sur l’une de ces dates sanglantes.

hazaouet, 1958. Au matin de ce mardi 22 avril, les habitants sont réveillés par un bruitG de bottes. Dehors, les soldats français ont entièrement encer- clé la ville, fermant tous les accès. Un barrage est dressé sur la route menant au quartier de Sidi Amar, à hauteur du Château Lablador, du nom de l’ancienne demeure de George Llabador, frère de l’ancien maire de la ville, Octave Llabador. Le commandant du barrage qui avait en sa possession une liste de militants FLN à abattre filtrait toutes les allées et venues, aidé dans sa sinistre besogne par des traîtres à la révolution. Connaissant tous les habitants de la région, ces har- kis n’hésitaient pas à dénoncer les personnes dont le nom figurait sur cette « liste noire ».

Si Abdelkader Baouch « le père des fellagas »

Ce jour-là, l’un des habitants de Ghazaouet, Si Abdelkader Abdelkader Baouch Baouch, commerçant dans le tex- Gambetta, il remarque quelque dont deux se trouvaient au maquis, tile, venait de fermer son maga- chose d’inhabituel. Marquant un tandis que le troisième était empri- sin comme à son accoutumée. En moment d’hésitation, il s’apprête à sonné en France. rentrant chez lui, il fait un détour faire demi-tour, quand il est encer- Ligoté, bâillonné et cagoulé, Si par le marché couvert de la ville pour quelques achats avant de re- clé par des soldats. Leur officier lui Abdelkader Baouch est conduit, prendre son chemin, direction son dit alors : « Bienvenue, père de fel- en compagnie, de plusieurs autres domicile, situé, dans le quartier de lagas », allusion faite à ses trois fils, prisonniers vers le Château Labla- Sidi Amar. En empruntant la rue engagés dans les rangs de l’ALN et dor, quartier général de la DBFM

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(Demi-Brigade de Fusiliers-Ma- Quartier général de la DBFM (Demi-Brigade de Fusiliers-Marins). rins). A l’aube, les habitants voient ar- river plusieurs camions militaires destinés au transfert des prison- niers vers la ville de Takka, patelin isolé, à l’entrée de Ghazaouet. C’est là qu’ils devaient être exécutés. Une fois arrivées à destination, les victimes innocentes condam- nées à mort, sans aucune forme de procès, sont brutalement débar- quées des camions et alignées côte à côte. Si Abdelkader, arrêté avec ses deux cousins, Amar et Mostefa ainsi que d’autres amis, voisins et compagnons, regarde ses cama- rades. Il leur adresse quelques mots quinze autres prisonniers seront viennent se mêler les youyous des d’encouragement, leur demandant froidement et lâchement exécutés. femmes et les « Allah Ou Akbar » de partir avec dignité et honneur. Le rescapé de cette tuerie arrive des hommes, en hommage au sa- Alors que les seize prisonniers au lever du jour à Sidi Amar où il crifice de ces valeureux chouhada sont alignés en deux pelotons qui fait part aux villageois de l’abo- de Ghazaouet. se font face, l’un des prisonniers, minable crime qui venait d’être Les habitants se dirigent alors en l’occurrence Bachir Ould Si Ben commis à l’encontre des quinze vers le lieu de l’exécution pour ramener leurs morts au village. Kaddour, est retiré du groupe puis villageois désormais martyrs. Une fois sur place, l’armée les en relâché, sur ordre du comman- Aux cris d’effroi et de douleurs empêche et les corps des victimes dant de l’opération, après quoi, les qui déchirent le silence de l’aube resteront ainsi étalés sur le sol jusqu’au coucher du soleil. Il aura fallu l’intervention d’un certain Slimane Ghrissi, qui avait des re- lations d’amitié avec les autorités françaises, pour qu’on autorise en- fin les familles à emporter les dé- pouilles de leurs proches. Slimane Ghrissi met à leur disposition un tracteur avec benne. Les victimes seront ainsi transportées jusqu’au cimetière de Sidi Amar où elles seront enterrées dans un climat de recueillement et de tristesse.

Hassina Amrouni Source : Reflexiondz.net

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Liste des mar tyrs

• Abdi Mostefa : né le 22/12/1914 • Arbane Mohamed : né en 1891 • Larbi Mohamed El Hadj : né le 28/06/1904 • Baouche Abdelkader : né le 03/06/1895 • Moulay Hadj Ahmed : né le 02/10/1909 • Baouch Amar : né en 1905 • Moussaoui Ahmed : né le 02/02/1906 • Bahri Benamar Belkacem : né le • Nemich Mohamed : né le 18/10/1929 28/12/1920 • Chetti Abdelkader : né en 1936 • El Bachir Ali : né le 04/04/1920 • El Bachir Mohamed : né le 28/05/1932 •Hammou Khatir : né en 1936 • Khiar Abdelkader : né le 15/04/1925

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Beaucoup connaissent le parcours artistique de la diva de l’algérois, Fadila Dziria, mais peu connaissent son parcours de moudjahida. Retour sur une vie trépidante.

Photo vers 1953. De g. à dr. : Mamed Benchaouch, Madani Fadila dite « Fadila Dziria», Ahmed Seri, Goussem (la soeur de Fadila), Debbah Ali dit « Allilou »

ative d’Alger, Fa- tournaient en boucle sur la ghenaya dila Madani voit le familiale, le tourne-disque à mani- jour le 25 juin 1917, velle, en vogue dans les années 1920. à Djenan Beït El La voix de Maâlma Yamna et Mel, sur les hau- de ses autres idoles a un pouvoir Nteurs de Notre-Dame d’Afrique, au hypnotique sur Fadila qui dit en les sein d’une famille algéroise conser- écoutant : « Elles chantent comme vatrice. Toutefois, cela ne l’empêche- je pleure.» ra de nourrir secrètement le rêve de Il faut dire que la vie de la jeune devenir un jour artiste. N’allant pas à adolescente n’est pas des plus heu- l’école, elle égrène ses journées entre reuses. Mariée à l’âge de 13 ans, les tâches domestiques et les après- Fadila donne naissance à une mort- midis assise à écouter les 78 tours de née. L’union finit par un divorce et Mâalma Yamna Bent El Mehdi qui un retour dans le giron familial. Cet

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épisode de sa vie, la jeune femme le portera comme une douloureuse écharde. Malgré une tristesse visible dans son regard, elle trouve une échappatoire dans la musique. Au début des années 1930, elle anime ses premières scènes, lors des soirées ramadhanesques algéroises. Le Café des Sports, près de Djamaâ Ketchaoua, accueille régulièrement la jeune artiste en herbe qui séduit de plus en plus le public, attiré par sa voix éraillée et ses interprétations en arabe et en kabyle des qçaid les plus en vogue à cette époque. Face à ce succès naissant, sa fa- mille l’aide à quitter le pays pour aller tenter sa chance en France. A Paris, où elle débarque en 1935, elle fait l’heureuse rencontre d’un monstre en la matière, le grand auteur-com- positeur Abdelhamid Ababsa. Dé- celant la pépite qui se cache derrière cette jeune femme timide, au regard triste, il décide de la prendre sous son aile. Il lui apprend plusieurs mélodies en vogue à l’époque et lui fait chanter presque tous les genres Face à ce succès, elle décide grande Meriem Fekkaï. Pour Fadila, musicaux puisés dans le large réper- de rentrer au pays où elle jouit du côtoyer cette grande Maâlma est toire algérien, allant de l’algérois, même engouement populaire. plus qu’un honneur et cette der- au kabyle, en passant par le chaoui, Elle retrouve deux grands noms nière ne tarde pas à l’encourager, l’oranais, le sahraoui et on en oublie de la scène artistique algérienne, en en lui confiant les istikhbars (pré- encore. l’occurrence Mustapha Skandrani et ludes chantés) au cours desquels elle La jeune artiste qui travaille Mustapha Kechkoul qui joueront donne libre cours à toute sa volupté assidûment pour perfectionner sa un rôle considérable dans la suite vocale. En peu de temps, le nom technique est très vite récompensée de sa carrière, en l’aidant, dans un de Fadila Dziria devient l’une des pour son sérieux face au public qui premier temps à enregistrer son pre- références de la scène musicale algé- l’applaudit partout où elle se produit mier disque chez Pacific, Ma l’hbibi rienne, aux côtés de celui d’autres ; la communauté algérienne en fait malou, une qçida signée Abdallah grandes divas comme Meriem Fek- très vite l’une de ses idoles. C’est là Mohamed Ibn Ahmed Ibn Msaib. kaï, cheikha Tetma, Reinette l’Ora- qu’elle aurait adopté son nom de Pour Fadila Dziria, c’est le début naise ou encore Alice Fitoussi. scène « Fadila Dziria » qui, selon d’un parcours auréolé de réussite. Peu après, elle est engagée par certaines sources, lui aurait été don- Kechkoul l’introduit dans l’or- Mahieddine Bachetarzi pour ani- né par Ababsa. chestre de la radio, dirigé par la mer la partie concert de ses fa-

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meuses tournées théâtrales à travers Cette action vaudra à Fadila et l’Algérie. Côtoyant des comédiens Une artiste en lutte à quelques-unes de ses compagnes de renoms tels que Mohamed Tou- l’arrestation et l’incarcération à la prison de Serkadji (ex-Barberousse). ri, Keltoum, Farida Saboundji, Djel- Au lendemain du déclenchement de la Guerre de libération natio- Selon certains témoignages, Fa- loul Bachdjerrah et d’autres encore, nale, à l’instar de nombreux artistes dila Dziria chantait souvent dans elle s’essaye, elle aussi, à la comédie, algériens de l’époque, elle continue sa cellule Ya men qalbak h’zine (Ô interprétant quelques rôles bien ins- à faire son métier d’artiste mais toi dont le cœur est triste…) afin pirés dans des pièces théâtrales dont cela ne l’empêche pas de se sentir d’encourager ses codétenus, surtout les condamnés à mort à résister à la on citera : Ma yanfaâ ghir es sah, concernée par la lutte et de chercher peur. Ce chant agissait tel un baume le moyen idoine pour participer à Dawlet ensa, Othmane en Chine, au cœur et galvanisait hommes et cette révolution qui allait libérer le Mouni Radjel… femmes qui y puisaient la force de pays de 130 ans de joug colonial. Malgré un talent de comédienne rester debout et dignes pour l’amour Aussi, avec une trentaine d’ar- évident, son cœur reste accroché à de la patrie. tistes femmes, elle contribue à la Après sa libération, elle crée son la chanson qui lui procure toutes les préparation de la « grève des six ensemble musical féminin avec no- joies et satisfactions possibles. jours », déclenchée par le FLN entre tamment sa sœur Goucem à la der- Elle enchaîne les succès, en in- le 28 janvier et le 4 février 1957. bouka, Reinette Daoud au violon et terprétant des titres qui deviennent Engagées pleinement dans cette sa nièce Assia au piano. des intemporels comme Ya qalbi mission qui leur était dévolue, Fadila Au lendemain de l’indépen- et ses amies artistes dont Aouichet, dance, elle participe à de nombreux khali el hal, Ya Rabi sehel li zoura Djamila, Farida Saboundji, Nouria, concerts et manifestations cultu- de Amar Lachab, Saadi rit el bareh Latifa, Cherifa, et d’autres encore relles. Sur scène, elle est souvent de Kaddour Benachour, Ana touiri vont approcher la population pour accompagnée de l’orchestre dirigé de Habib Hachelaf... diffuser le message révolutionnaire, par le maestro Mustapha Skandrani. Fadila est souvent invitée à se contribuant ainsi à une prise de Elle continue ainsi à réjouir le produire sur les ondes de la radio, conscience massive. Par ailleurs, cœur des mélomanes de sa voix si elles recensent les besoins des plus particulière jusqu’à sa disparition entrant ainsi dans les foyers algé- démunis pour leur apporter aide et le 6 octobre 1970, à l’âge de 53 ans. riens. Au mois de décembre de l’an- assistance. Cela n’était pas sans dan- Elle est enterrée au cimetière d’El née 1956, elle est invitée à une émis- ger, mais elles agissaient avec abné- Kettar, à Alger. sion au cours de laquelle se produit Hassina Amrouni gation et dévouement pour la cause Sources : aussi le chanteur H’ssissen. . nationale. Fazilet Diff, El Watan le 25 - 11 - 2017

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En 1958, l’Ouest du pays a connu l’une des plus âpres et plus sanglantes batailles de la guerre de libération nationale : la bataille d’El-Merdja.

ous sommes à la fin du mois d’octobre, le général Gilles engage une Nvaste opération de ratissage dans la région entre Saïda et Berthelot (aujourd’hui Youb). Pas moins de 20 000 soldats envahissent la région. Progressant pendant plusieurs jours au cœur de cette région boisée, le corps d’armée d’Oran (CAO) parvient à boucler tout le périmètre allant de djebel Tafident à l’est aux djebels Abdelkrim et Tenfels au sud. Après avoir installé son PC près du village de Doui Thabet, situé à la lisière des monts de Dhaya et de Saïda, à la limite des zones 5 et 6 de l’ALN, le général français ordonne à ses hommes de ratisser secteur par secteur, ce qu’ils font durant Général Gilles à gauche plusieurs jours, passant au peigne fin toute la région. Les forces coloniales recourent Or, deux katibate s’y trouvaient Changement de à l’artillerie lourde, à savoir déjà ainsi que le PC de la zone tactique bombardiers B6 et T6, sans 5, commandé par le capitaine Si oublier ce que l’on appelait par Abdelhadi et qui se trouvait à Les troupes ennemies qui euphémisme les « bidons spéciaux proximité du lieu de ratissage. essaimaient les environs changent » (bombardements au napalm). Sentant l’imminence du subitement de tactique. Le général Les hélicoptères larguent par danger, la katiba, commandée par Gilles, agissant sans doute sur la ailleurs des centaines d’hommes l’officier Nadji Kouider, décide de base de renseignements, ordonne appartenant au Régiment étranger se replier sur les hauteurs d’El- à ses hommes d’encercler le parachutiste, venant ainsi en Merdja, jusqu’au départ des troupes lieu où étaient repliés les deux renfort aux troupes au sol. coloniales, ignorant qu’elle venait katibate et le PC de la zone 5. Le combat est inégal à tous de s’établir non loin du PC de la Immédiatement, un déluge de points de vue, mais les troupes zone 5. feu s’abat sur les moudjahidine. de l’ALN résistent vaillamment.

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Le lieutenant Si Kheireddine Gueroudji réitère l’ordre à ses hommes de ne tirer qu’à bout portant pour économiser les munitions. Pour cela, les moudjahidine se positionnent sur les crêtes afin de dominer la région et d’anticiper les attaques ennemies. Ces affrontements vont durer plusieurs jours consécutifs durant lesquels ni les combattants

de l’ALN ni les pauvres villageois Moudjahidine de Saida ne seront épargnés par la hargne et l’horreur des attaques coloniales. A la fin du deuxième jour, les katibate sont pratiquement à cours de munitions aussi, pour continuer à résister, les membres des katibate livrent bataille au corps à corps. C’est l’une des nuits noires de la Révolution où les moudjahidine au péril de leur vie et dans un sursaut de courage vont résister jusqu’aux ultimes instants. Tard dans la nuit du 23 octobre, quelques grappes d’hommes parviennent à s’extraire de la nasse de feu. Ils sont 52 maquisards à réchapper à la mort, laissant derrière eux plus de 90 martyrs

entre combattants et villageois. Soldat français bléssé L’une des deux katibate a Le capitaine zonal, Si plusieurs centaines de soldats, perdu, au cours de cette bataille, Abdelhadi, tombera lui aussi au d’officiers et de sous-officiers (on plus de la moitié de ses effectifs champ d’honneur, ce 23 octobre avance le chiffre de 500 hommes dont le lieutenant Kheireddine 1958, après un combat inégal tués et blessés, parmi les troupes Gueroudji tandis que l’autre katiba contre l’ennemi. Ce dernier, malgré françaises). Les pertes en armes qui a consenti autant de sacrifices une supériorité en hommes et en seront, elles aussi, considérables a déploré également les pertes de armes, ne sortira pas indemne (un avion T6 et deux hélicoptères l’aspirant Si Ameur et Ba Ali. de cette bataille où il perdra abattus).

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blanche tous les prisonniers. Seul l’un d’eux, en l’occurrence Zaoui dit l’intendant, car il était chargé du ravitaillement de l’ALN dans la région, parviendra à échapper à ses bourreaux, traversant l’Oued El-Merdja pour arriver enfin en lieu sûr. C’est lui qui témoignera de ces faits abjects et donnera des détails sur la mort en martyrs des autres prisonniers. Après l’indépendance, les habitants de la région retireront d’un puits situé non loin du lieu de ce massacre collectif, les restes de 54 cadavres, certains portant des treillis militaires et d’autres des tenues traditionnelles.

Hassina Amrouni

Sources : Gilles, sans aucun remords et https://www.vitaminedz.com/bataille-d-el-merdja/ Articles_249_297750_20_1.html Des prisonniers torturés dans un esprit de vengeance http://saidabiida.canalblog.com/ puis massacrés bestial, fait exécuter à l’arme archives/2015/03/03/31635840.html

Au cours de cette bataille, les troupes armées françaises parviennent à capturer une vingtaine de personnes, entre moudjahidine et villageois. Conduits au PC, ces derniers sont parqués dans un coin et attachés avec du fil de fer. C’est alors que le général Gilles reçoit un message qui va le faire entrer dans une rage folle. Il apprend en effet que son fils, lieutenant de l’armée coloniale, vient d’être tué par les troupes de l’ALN au cours d’un accrochage qui a eu lieu au sud, entre El- Bayadh et Boualem. Le général

Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA. ( 66 ) Supplément N°73 Octobre 2019 Par Hassina Amrouni Histoire d'une Ville

Nichée au pied de l’Atlas saharien mais culminant tout de même à 1140 m d’altitude, Djelfa, la capitale des monts des Ouled Naïl, est considérée comme l’une des portes du vaste Sahara algérien. Djelfa istante d’Alger d’environ contrôler les tribus nomades (Gétules) 300 km, elle est limitée remontant du sud. Mais afin de mieux au nord par Médéa, au asseoir leur présence dans la région, sud par Laghouat, Ghar- ils érigent aux portes du désert la daïa et Ouargla, à l’est citadelle de Castellum Dimmidi (Mes- Dpar M’sila, Biskra et El-Oued et, enfin, sad) et le poste fortifié de Djelfa. à l’ouest par Tiaret. Les siècles s’étrennent et l’empire ro- Depuis les temps les plus reculés, main dans toute sa puissance finit par voire depuis la préhistoire, la région s’effondrer. La région sombre dans a connu la présence de l’Homme. La l’oubli jusqu’à la période du Moyen- preuve de l’existence d’une vie hu- Age lorsqu’elle est parcourue par de maine dans cette partie du pays, à nombreuses tribus berbères nomades cette époque de notre Histoire, a été (les Zénètes) et de grandes familles apportée par les divers outils de pierre comme les Ghomra ou les Maghraoua. mais aussi par les gravures rupestres découvertes par des chercheurs ou de Arrivée des Arabes manière fortuite. A partir du IIe siècle de notre ère, la Au cours de la conquête de l’Afrique présence romaine sera marquée dans du Nord par les Arabes qui a eu lieu la région. Attirés par les étendues de entre 647 et 720, les Berbères de la terres fertiles, les Romains vont ve- région n’hésitent pas à adopter l’is- nir en chasser les autochtones (tribus lam comme religion. A partir de 1052, berbères) et s’y établir. Ils exploitent l’arrivée des tribus nomades des Beni les riches terres à céréales du Tell et, Hilal (tribus Raih, Athbedj et Zoghbas) pour protéger leurs exploitations agri- vont modifier la structure sociétale de coles, vont établir une ligne fortifiée. la région en obligeant les Ghomra et Le « limes » passe alors par Aumale, Maghraoua à se soumettre aux tri- Boghar, Tiaret… Ils construisent éga- bus Zoghbas de la branche des Ouled lement des postes de garde afin de Oroua ibn Zoghbas ibn Feragh ibn Naïl.

Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . ( 68 ) Supplément N°73 Octobre 2019 Histoire d'une Ville Un peu plus d’un siècle plus tard, plus exactement entre 1184 et 1235, les tribus berbères et arabes vont se rapprocher et fusionner, fai- sant ainsi triompher le nomadisme. L’arrivée de l’empire ottoman ne va pas changer grand-chose au rythme quotidien des habitants de la région. En effet, les Turcs ne viennent dans cette partie du pays qu’une fois par un pour prélever l’impôt, toutefois, bien souvent les

Ouled Naïl battent en retraite dans Djelfa

LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE ( 69 ) www.memoria.dz Histoire d'une Ville Djelfa

les vastes étendues désertiques pour éviter le fisc.

Les Ouled Naïl alliés de l’

Après le débarquement des troupes fran- çaises sur les côtes de Sidi-Fredj et leur oc- cupation progressive des autres parties du pays, la région des Ouled Naïl figurera parmi les plus fidèles à l’Emir Abdelkader lors de son insurrection contre la soldatesque colo- niale. Après la reddition du chef militaire al- gérien, survenue le 24 décembre 1847, les tribus du sud continueront à manifester leur hostilité envers les Français, en s’insurgeant à plusieurs reprises. C’est alors que le général Randon décide d’occuper Laghouat, considé- rée comme le centre d’agitation des tribus. Le général Joseph Vantini dit Youssouf parvient à prendre Laghouat le 4 décembre 1852. Il fait construire le poste militaire de Djelfa afin de

Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . ( 70 ) Supplément N°73 Octobre 2019 Histoire d'une Ville habitations en eau abon- dante. L’administration coloniale va alors décider de créer un centre de co- lonisation. Ce dernier ver- ra le jour par le décret du 20 février 1861 de l’Em- pereur Napoléon III et il portera le nom de Djelfa. Entourée d’un mur d’enceinte, la ville d’une superficie de 1775 ha, va

être construite en l’es- Djelfa pace de 40 jours. Elle accueille dans un premier surveiller les tribus locales. Un village temps un regroupement de populations de 55 feux (foyers). va alors voir le jour à proximité de ce Après la construction d’une église poste. Outre le caïd des Ouled Naïl, en 1862, une mosquée verra le jour des Européens (commerçants, arti- deux ans plus tard, portant le nom sans, agriculteurs) vont également de Si Belgacem Benlahrech, frère de s’y installer progressivement. Si Cherfi Benlahrech, qui combattit Le village se développe notam- aux côtés de l’Emir Abdelkader et qui ment après l’édification d’un barrage fut assassiné en cette même année sur l’Oued Mekhelkhel qui dessert les (1864).

Si Cherfi Benlahrech, qui combattit aux côtés de l’Emir Abdelkader Photo ancienne de Djelfa

LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE ( 71 ) www.memoria.dz Histoire d'une Ville Djelfa

Vue panoramique de l’ancienne ville de Djelfa

Progressivement, la ville va Les habitants continueront ainsi s’agrandir et se moderniser. Mais à vivre tranquillement de l’élevage paradoxalement, les Européens vont de mouton, de la culture céréalière la déserter au profit d’autres régions et de la production de crin végétal, du pays. Ainsi, sur les 2824 habitants de cordes et de tapis à base d’alfa, recensés à Djelfa en 1930, il ne reste notamment après la construction en aucun colon. 1931 d’une petite usine électrique qui permet l’implantation de petites fa- briques locales. Au lendemain du déclenchement de la guerre de libération nationale, la population se soulèvera contre l’occu- pant français, comme leurs aînés par le passé et consentira des sacrifices pour la libération du pays du joug co- lonial.

Hassina Amrouni

Sources : http://weldjelfa.freewebspace.com/ https://jeanyvesthorrignac.fr/wa_files/ info_271_20Djelfa.pdf https://fr.geneawiki.com/index.php/Algérie_-_ Djelfa

Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . ( 72 ) Supplément N°73 Octobre 2019 Par Hassina Amrouni Histoire d'une Ville

En 1914, des gravures rupestres remontant à l’ère préhistorique étaient découvertes, attestant de la présence de l’Homme dans cette région depuis ces temps immémoriaux. Djelfa

Gravures rupestres de la région de Djelfa

elon les chercheurs qui de stations recelant plus de 1162 ont fait cette grande dé- gravures dans toute la région dont couverte, les gravures certaines seront plus célèbres que de la région de Djelfa re- d’autres. C’est le cas notamment de montent au néolithique. la station de Daïet es Stel. SBien évidemment, cette découverte Outre les visites sur le terrain, les ne fut pas la première du genre dans stations de la région de Djelfa, voire cette partie du pays puisque la sta- de tout le sud oranais susciteront tion d’El Idrissia était découverte également l’intérêt des archéolo- plusieurs décennies auparavant, plus gues qui publieront des études fort précisément, en 1850. L’intérêt pour intéressantes qui permettent d’ap- ces gravures et peintures rupestres porter des informations sur la vie va s’accroître au fil du temps et on à cette période mais aussi de les finira par recenser une quarantaine dater. Ainsi, dans son ouvrage Les

Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . ( 74 ) Supplément N°73 Octobre 2019 Histoire d'une Ville Gravures rupestres du Sud-oranais, supposer que ces gravures rupestres publié dans les années 1970 dans ont été réalisées à proximité d’habi- la série des Mémoires du Centre de tats. Selon P. Huard et L. Allard, outre recherches anthropologiques préhis- le fait qu’elles soient « semblables toriques et ethnographiques (CRAPE) à celles du Sud-Oranais par les su- dirigée par Mouloud Mammeri, Henri jets et les techniques », elles ont « Lhote explique que ces gravures ne en propre un riche contenu culturel peuvent pas « être séparées archéo- que révèlent notamment des buffles logiquement de celles du Sud-ora- antiques porteurs d’attributs cépha- nais, car elles présentent à quelques liques et le fait que presque tous variantes près le même style, les les ovins sont dotés de sphéroïdes mêmes formules de technique, les classiques ou des cornages fermés mêmes patines, la même faune » (p. en anneau qui en sont une stylisa- Djelfa 194). Le même chercheur ajoute que tion postérieure » (p. 67) et d’ajouter ces gravures lui apparaissent comme que « l’admission dans l’étage le plus « des œuvres émigrées, qui sont un ancien du Sud-Oranais des béliers démarquage, de qualité toujours infé- à sphéroïde ne peut guère convenir rieure, de celles du Sud-oranais » (p. dans le Sud-Algérois, où leurs figura- 193), région constituant pour lui « le tions les plus achevées sont souvent centre principal de l’art rupestre des associées à des hommes au vête- régions présahariennes ». ment évolué, tandis que d’autres, liés Dans une autre publication (Les fi- gurations rupestres de la région de Djelfa, Sud Algérois, Lybica (CRAPE, Alger, 1976), Lhote, P. Huard et L. Al- lard exprimeront leur regret quant à « la méconnaissance de l’importance des rupestres du sud algérois ». Les auteurs de cette contribution scien- tifique y recensent en les numéro- tant quarante-trois stations qui sont à quelques exceptions près situées à l’intérieur ou sur les bords d’un triangle formé au nord par la ville de Djelfa, au sud-ouest par le village de Sidi Makhlouf et au sud-est par la ville de Messaad. Il faut savoir que la découverte de si- lex taillés et d’éclats « échelonnés à divers niveaux ou au pied de falaises de grès rougeâtre dont la patine peut atteindre le noir, qui longent des dje- bels ou bordent des oueds » laisse

LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE ( 75 ) www.memoria.dz Histoire d'une Ville des chasseurs sont attestés dans la région de Djelfa, sauf le lasso et la spirale, qui sont en revanche forte- ment représentés au Tassili dans le secteur d’Oued Djerat » (p. 93). A noter qu’outre les gravures, trois sites de peintures rupestres ont été découverts du côté de Djebel Doum. En 1980, deux autres sites ont été mis au jour, le premier au lieu-dit Regoubat Hariz et le second au lieu- dit Dir El Hadj Tayeb. Sur les parois

Djelfa étaient peints un animal cornu, une autruche, des bubales, des béliers et une antilope. Il faut savoir que le site a été classé patrimoine national en 1979. à des bœufs, sont d’époque claire- ment pastorale » (p.71). Hassina Amrouni Les murs des montagnes de la ré- gion de Djelfa gravées ou peintes de toutes sortes d’animaux constituant la faune sauvage de l’époque (buffles antiques ou bubales, éléphants, rhi- nocéros, lions, autruches, antilopes, sangliers) sont autant de représen- tations de la faune sauvage vivant dans cette région à l’ère préhisto- rique. Mais il y a également lieu de noter aussi ces figurations humaines retrouvées notamment à Oued el Hesbaïa, El Gour, Theniet bou Me- diouna II, Aïn Naga, Daïet es Stel, Oued Remeilia, Safiet bou Khenan, Hadjra Mokhotma sud, Ben Hadid. Lesdites figures – des chasseurs –, vêtus de peaux de bêtes, portent également des armes (des arcs, des armes longues et courbes, des massues, une hache et un bouclier). P. Huard et L. Allard expliquent en- core que « tous les traits culturels

Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . ( 76 ) Supplément N°73 Octobre 2019 Par Hassina Amrouni Histoire d'une Ville

Bien qu’il ait été rasé en 1943, le camp d’internement de Djelfa demeure par le souvenir un lieu de triste mémoire.

n 2009, l’écrivain Bernard Sicot, spécialiste de litté- rature espagnole de l’exil et des camps, publiait une version bilingue du Diario Ede Djelfa/ Journal de Djelfa, de Max Aub. A travers cette fenêtre ouverte sur

Djelfa le passé, l’auteur faisait revivre un chapitre douloureux de notre Grande Histoire, mettant en évidence toute l’abjection qui entourait la politique de fonctionnement des camps d’in- ternement, désignés sous le nom de « Centre de séjour surveillé » (CSS). Situé à 300 km d’Alger, le camp de Djelfa a, durant ses deux années d’existence (de mars 1941 à juin 1943), accueilli quelque mille prison- niers. Ces derniers ont été retenus dans ce lieu où ils ont vu s’égrener les jours, les mois, voire les années dans des conditions de réclusion in- C’est, notamment, à Max Aub, au- humaines (famine, absence de soins, teur dramatique, écrivain et critique maltraitance…). littéraire, également pensionnaire

Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . ( 78 ) Supplément N°73 Octobre 2019 Histoire d'une Ville Djelfa

des lieux, que l’on doit la découverte deux ans et dont le témoignage fut des arcanes de cet endroit sinistre. tout aussi saisissant. A travers un texte versifié écrit pour Dans le camp de Djelfa, les Es- le théâtre, il relate son séjour et ce- pagnols étaient les plus nombreux lui de ses compagnons de détention. (476) contre 667 hommes de 26 D’ailleurs, Max Aub n’était pas le seul personnage connu à « séjourner » autres nationalités (surtout des au camp de Djelfa, il y avait aussi Russes et des Polonais) parmi les- Roger Garaudy qui y passa presque quels beaucoup d’ex-brigadistes.

LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE ( 79 ) www.memoria.dz Histoire d'une Ville Djelfa

Ainsi, et comme le précise Plusieurs témoignages poi- l’auteur Bernard Sicot, le camp gnants dont celui de Max Aub de Djelfa est un camp de la troi- dénoncent « les souffrances phy- sième génération. Il accueillait, siques et morales infligées gratui- en effet, des hommes que le gou- tement aux internés ». Les récits vernement de Vichy considérait de pensionnaires révèlent notam- comme « indésirables dangereux ment « les cruautés du comman- dant du camp, Jules Caboche et ». Plusieurs camps d’internement de l’adjudant Jean Gravelle, qui, créés par le colonialisme français entre autres brutalités et humi- étaient connus pour leurs condi- liations, frappaient les internés au tions inhumaines et celui de Djelfa visage à coups de cravache ». en faisait partie. Le régime au sein du camp Constitué d’abord de « tentes était des plus drastiques. « Avec marabout dressées sur un quadri- 1 200 à 1 500 calories par jour, latère de 300 mètres sur 100, puis les rations alimentaires (soupes de baraquements insalubres et claires, pas de viande ni de non chauffés en hiver », le camp fruits) étaient très insuffisantes, de Djelfa culminait à 1200 mètres l’hygiène inexistante, les soins d’altitude sur une steppe exposée, médicaux tout autant. Les inter- en hiver au vents glacials et en nés qui en avaient les moyens se été aux rayons brûlants du soleil. procuraient un peu de nourriture

Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . ( 80 ) Supplément N°73 Octobre 2019 Histoire d'une Ville en pratiquant le troc avec leurs gar- 20 francs de salaire quotidien qui diens algériens, mais c’était souvent leur revenait de droit. au prix de très lourdes sanctions, Les internés fabriquaient aussi en particulier l’incarcération au fort du plâtre, de la chaux et tissaient le Caffarelli ou, tout aussi terrible, dans sparte pour confectionner des espa- le camp spécial, périmètre réduit, drilles et des couffins. Le produit de interne au camp [avec] une dizaine leur travail était vendu au seul béné- de tentes entourées de barbelés. Les fice du commandant et de quelques- reclus y vivaient vêtus de haillons, uns de ses complices. A noter que sans hygiène et ne comptaient que les juifs et les ex-brigadistes étaient sur la solidarité de leurs camarades exclus de ces travaux. pour ne pas mourir d’inanition ». L’auteur explique, par ailleurs, que Ceux qui voulait en avoir plus (100 trois internés, en l’occurrence Paul Djelfa à 150 g de pain supplémentaire par Zolberg, Antonio Atarés et Max Aub jour) devaient, en échange, travail- se sont livrés à cet acte « de résis- ler à l’intérieur ou à l’extérieur du tance » qu’est l’écriture au sein du camp dans un des nombreux ateliers camp. En cachette de leurs geôliers, (briqueterie, tuilerie, tannerie, forge, ils ont consigné durant leurs années menuiserie…). Bien évidemment, le de détention tout ce qui pouvait, plus commandant Caboche qui supervi- tard, servir de témoignage pour mé- sait les travaux gardait pour lui les moire. D’ailleurs, Zolberg qui intitule

LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE ( 81 ) www.memoria.dz Histoire d'une Ville son cahier Aide-mémoire précise qu’il : « Ces inconditionnels de Dieu nous écrit « pour ne pas oublier ». Ainsi, ont fait vivre : il est contraire à l’hon- rapporte-t-il, à propos des Arabes neur des guerriers musulmans du détenus qu’ils sont « presque à poil et sud qu’un homme armé tire sur un nu-pieds ». Dénonçant avec colère les homme désarmé. Ils avaient avant méfaits d’un siècle de colonisation, il nous l’expérience de la transcen- ajoute : « Ils sont presque sauvages dance vécue. » encore, et vivent comme des bêtes En 1943, le camp de Djelfa est dis- et des animaux ! Se laissent mener sout. Après l’installation d’un tribunal et conduire comme sous le temps de militaire à Alger en 1944, Caboche et servage et exploiter à outrance par certains de ses collaborateurs sont colons et Européens en général » (p. jugés pour maltraitance, suite à plu- 207). sieurs plaintes déposées contre eux. Djelfa De son côté, Roger Garaudy rap- Il s’en tire à bon compte puisqu’il pelle dans Mon tour du siècle en soli- écope de 16 mois de prison ferme taire comment les gardiens algériens qu’il passe, en se faisant hospitaliser. du camp ont sauvé la vie des détenus, en refusant d’exécuter les ordres du Hassina Amrouni commandant. « Bravant l’interdiction,

les prisonniers français, en partance Sources : pour Bossuet saluent les nouveaux https://journals.openedition.org/ccec/6070 https://journals.openedition.org/bulletinhispa- arrivants espagnols et ex-brigadistes nique/4450 en sifflant « Allons au-devant de la https://www.persee.fr/doc/ emixx_1245-2300_2009_num_3_3_862 vie », encourant ainsi de graves re- présailles : le commandant éculant de rage nous ordonne de nous taire et nous prévient qu’à la troisième sommation il fera tirer sur quiconque n’est pas rentré se coucher sous les tentes. Personne ne bronche et notre chant prend une ampleur triomphale. Cravache en main, l’officier donne l’ordre de tirer (…) Malgré les menaces et les coups que le commandant porte à nos gar- diens arabes, les mitrailleuses se taisent toujours. Tous les hommes sont restés debout. Pas un n’a ac- cepté de se coucher pour échapper à la rafale. Ce temps, long comme des dizaines de vies, s’éteint dans le silence (…). » Garaudy saluera alors le courage des gardiens musulmans

Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . ( 82 ) Supplément N°73 Octobre 2019 Histoire d'une Ville Djelfa

LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE Par (Hassina 83 ) Amrouni www.memoria.dz Histoire d'une Ville

Commune de la wilaya de Djelfa, El-Idrissia était jadis connue sous le nom de Zenina. Un nom entouré d’une vieille et belle légende. Djelfa

ituée à une centaine de kilomètres du chef-lieu de wilaya, Zenina a été érigée il y a plus de 15 siècles. SDans son ouvrage Siècles de steppe : jalons pour l’histoire de Djelfa, le père François Devillaret revient sur la légende entourant la naissance de ce hameau, attribuant son nom originel à une femme issue d’une riche et grande famille. Pri- vée de son époux, elle ne peut se résoudre à un remariage ; aussi, se consacre-t-elle, à son unique enfant, fruit de son union avec son amour Le père François Devillaret perdu.

Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . ( 84 ) Supplément N°73 Octobre 2019 Histoire d'une Ville justifiées puisqu’un jour, il est griè- vement blessé au cours d’un combat, tandis que ses compagnons de lutte sont pour la plupart décimés. C’est alors que la maman se jette au mi- lieu de l’arène pour supplier les vain- queurs de ne pas achever son fils et de lui laisser la vie sauve. Les larmes de cette maman éplorée trouveront bon écho auprès des adversaires qui accèderont à la requête peu com- Devenu un valeureux guerrier, son

mune de cette mère-courage. Djelfa fils était souvent engagé dans les dif- Son fils inanimé sur les épaules, férentes batailles qui se déroulaient Zenina va se lancer dans un long dans la région. Comme toute mère périple à travers le désert, en quête adorant son enfant, Zenina avait peur d’une terre clémente où se poser pour lui. Peur qu’il lui revienne blessé pour panser les blessures de son ou, pire, mort. Ses craintes étaient fils. Après une marche qui lui semble

Djebel el Kahla-Zenina à Djelfa

LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE ( 85 ) www.memoria.dz Histoire d'une Ville interminable, elle aperçoit enfin une belle source où elle décide de s’ins- taller. C’est sur une butte rocheuse qu’elle choisit de construire un petit abri pour soigner son fils agonisant qui, malheureusement succombera à ses blessures. Mais Zenina ne demeurera pas longtemps seule puisque d’autres rescapés de la sanglante bataille ainsi que de pauvres autochtones, fuyant une mort certaines, viennent se réfu- Djelfa gier dans cet endroit qui semble clé- ment. Peu à peu, un modeste hameau va se créer et, les habitants, pour se prémunir contre les attaques enne- Zenina en 1960 mies vont ériger un rempart tout au- tour de ce qui deviendra le village de la reine Zenina. Peu après, les Romains arrivent dans la région. C’est alors que l’un des officiers, un dénommé Serdoun, demande la reine Zenina pour épouse qui accepte. Son nom est resté et dé- signe aujourd’hui la montagne voisine : Djebel Serdoun. Depuis l’indépendance, la ville de Zenina porte désormais le nom d’El- Idrissia, en hommage au chahid Omar Driss.

Hassina Amrouni

Sources : https://www.liberte-algerie.com/editorial/si- zenina-metait-contee-1152/print/1 http://www.djelfa.org/histoire/zenina_djelfa. htm

Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . ( 86 ) Supplément N°73 Octobre 2019 Par Hassina Amrouni Histoire d'une Ville

Natif des environs de Hassi Bahbah, Sidi Mohammed Ben Belkacem Ben Rebih Ben Mohammed Ben Abderrehim Ach’Charif Al-Hassani est l’un des saints patrons de la ville de Djelfa et une figure respectée et louée par l’ensemble de la population.

’est en 1823 qu’il voit le jour au sein d’une grande et noble famille de la région. Très attaché aux préceptes et aux valeurs de la religion Cmusulmane, son père le confiera à ses Djelfa oncles paternels d’Al-Hamidia qui se chargeront de l’initier précocement à la récitation du Coran. Les premières connaissances ainsi acquises, l’enfant rejoint ensuite la zaouïa de Sidi Ahmed At’Tayar, dans les Bibans où, durant deux années il apprendra à lire et à écrire tout en perfectionnant ses acquis en théologie. Assoiffé de savoir Sidi Mohammed Ben Belkacem Ben Rebih et désirant toujours accéder à un connaissances en fiqh aux habitants niveau supérieur, il intègre la célèbre de la région d’El Hamel comme il le zaouïa de Sidi Saïd Ben Abi Daoud à précise dans son autobiographie : « Zazoua, non loin d’Akbou. Il y reçoit …après cinq années, je suis revenu des cours de théologie et de chari’a à mon pays ; le village d’El-Hamel, auprès des maîtres de la zaouïa. Un en 1261 de l’Hégire. J’y suis resté enseignement qu’il partage avec le huit années à enseigner aux gens le petit-fils du fondateur de cette zaouïa, fiqh et autres (sciences), dans son Sidi Ahmed. école coranique connu sous le nom En l’an 1261 de l’Hégire, il quitte ce de Djama’a Al-Fouqani. Je n’ai point haut lieu du savoir et s’en va mettre quitté la mosquée ni le jour ni la nuit en pratique ce qu’il y a appris durant jusqu’à la fin de 1272 H ». de longues années. Ses pas le menant Aujourd’hui, la zaouïa continue à à El Hamel, dans la région de Bou- être un haut lieu de piété et de pratique Saâda, il s’y installe à la demande religieuse. Elle fut également durant la d’un groupe de notables du village guerre de libération nationale un lieu qui lui proposent de prodiguer son de résistance. enseignement au sein de la mosquée Al-Atiq. Il accepte mais demande à Hassina Amrouni occuper ce poste avec son maître Source : Sidi Ahmed Ben Bou Daoud. Durant http://el-hamel.atspace.com/fr/zaouia/ plusieurs années, il dispense ses fondation.htm

Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . ( 88 ) Supplément N°73 Octobre 2019 Par Hassina Amrouni Histoire d'une Ville

Originaire de la petite commune de Aïn El-Ibel, dans la wilaya de Djelfa, Bayzid Jakal, fils de Lougani Jakal et Fatna Bouchemal, est né présumé en 1920. Djelfa

l’âge de la scolarité, son contre l’occupant français. Affecté à père l’envoie dans une la caserne de Bordj Bou Arreridj, il ne zaouïa située dans la peut que constater la généralisation commune d’Aïn Chouhada de la lutte à tout le territoire national. (Djelfa). Là, il est initié Pour le jeune soldat, nul doute que Aà la récitation du Coran, en plus l’heure a sonné pour changer de d’apprendre à lire et à écrire. De camp et rallier les siens au sein de la retour dans sa famille, il mènera vaillante Armée de libération nationale une vie dans la pure tradition agro- (ALN). pastorale jusqu’au jour où, las des Bénéficiant d’une permission de dures conditions de vie de sa famille, longue durée, le brigadier Bayzid Jakal il décide, en 1945, de s’engager à titre avec la collaboration du sergent-chef volontaire dans l’armée coloniale. Hocine Yousfi fomentent une opération En 1950, et à l’instar de nombreux d’envergure, visant le détournement Algériens, il est envoyé pour combattre d’un important lot d’armes de la en Indochine. Il y effectue deux caserne où ils sont stationnés. Le séjours, avant de revenir à l’été 1955, 19 janvier 1956, donc, le plan ourdi dans son pays, alors en pleine guerre est mis à exécution, les armes étant

Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . ( 90 ) Supplément N°73 Octobre 2019 Histoire d'une Ville l’Akfadou, siège du PC de la Wilaya III. Arrivés dans la région d’Amizour, ils décident de faire une halte pour reprendre un peu de forces, éreintés par cette longue marche, accomplie à travers les maquis, les bras chargés du butin de guerre, rapporté par les deux déserteurs. Le lendemain, ils reprennent leur périple mais arrivés sur la rive ouest de oued Soummam, ils se retrouvent au cœur de la bataille d’Amacine, livrée en ce 20 janvier 1956 par les hommes du lieutenant Arezki Baïri, Djelfa plus connu sous le nom de guerre Arezki Lourassi contre les troupes françaises. Bayzid Jakal, Hocine Yousfi et les moudjahidine qui les accompagnaient entrent eux aussi dans l’arène des combats, utilisant Bayzid Jakal pour cela les armes et munitions qui étaient en leur possession pour transportées à bord d’un camion asséner une cuisante défaite à Renault, également détourné pour l’ennemi. la circonstance. Ce butin de guerre Reprenant leur chemin, ils arrivent est destiné à renforcer l’armement enfin au siège du PC de la Wilaya III des maquis du nord du pays. où ils sont chaleureusement accueillis Originaire de Kabylie et ayant une par le colonel Amirouche. Fort de parfaite connaissance de la région, son expérience de combattant en le sergent Yousfi pouvait sans coup Indochine et affichant une dextérité férir rallier cette partie du pays au au tir et dans le maniement du volant du véhicule ainsi chargé de FM24/29, Bayzid Jakal, est affecté munitions. Après avoir roulé quelque à la région 4, zone 2 où il s’intègre temps, ils décident de stopper le immédiatement au groupe. Mieux, véhicule, de décharger les armes son dévouement et son courage ne et munitions qu’ils dissimulent passent pas inaperçus, ce qui amène dans les buissons et de brûler le ses responsables à lui confier la tête camion. Quelques mètres plus loin, d’un groupe de moudjahidine. Sur ils rencontrent fortuitement un le terrain des combats, Jakal est groupe de moudjahidine auxquels ils un maquisard qui ne recule devant font part de leur intention de rallier aucun danger et ses hommes leurs rangs, tout en leur dévoilant trouvent en lui un meneur et un tout l’arsenal qu’ils avaient en leur chef d’une grande assurance. Ces possession. Cette nouvelle est qualités et d’autres encore lui accueillie avec joie. Bayzid Jakal permettent d’accéder au rang de et Hocine Yousfi, accompagnés chef de section, mission qui lui et des maquisards, se rendent dans sconfiée par le colonel Amirouche.

LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE ( 91 ) www.memoria.dz Histoire d'une Ville Ainsi, il aura à servir sous les ordres succès, contribuant ainsi à la réussite de grands responsables de l’ALN. de ce conclave auquel ont pris part Bayzid Jakal et sa section feront les plus grands chefs politiques et parler d’eux à chaque opération de militaires de la révolution algérienne. laquelle ils sortent victorieux. Il en Alors qu’il est au faîte de sa gloire est ainsi de la grande opération de et de son courage, Bayzid Jakal dit ratissage dénommée « L’espoir et Makhlouf El Djelfaoui va tomber, le fusil », lancée par les autorités vers la fin de l’année 1957, dans une coloniales et qui se soldera par un embuscade tendue par des troupes échec grâce au courage des hommes de l’armée française au lieu-dit de Jakal, lui, à leur tête. Assama, à une dizaine de kilomètres de la ville de Bejaia. Après avoir Sécuriser le Congrès tenu en haleine ses adversaires, Djelfa de la Soummam en ripostant par les armes à leurs coups de feu nourris, Jakal tombera A l’été 1956 et alors que le en héros, les armes à la main. Congrès de la Soummam est

en pleine préparation, plusieurs sections de l’ALN dont celle de Jakal Hassina Amrouni sont instruites pour assurer le lieu

de réunion, prévu à Ifri-Ouzellaguen. Source : Mission dont tous s’acquitteront avec http://djelfa.info/fr/historique/92.html

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