Gustav Mahler Symphonie N° 6 « Tragique »
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MARDI 27 AVRIL – 20H Ludwig van Beethoven Concerto pour piano n° 5 « L’Empereur » entracte Gustav Mahler Symphonie n° 6 « Tragique » Orchestre Symphonique de la Radio Suédoise Daniel Harding, direction Nicholas Angelich, piano Fin du concert vers 22h20. 2704 ANGELICH A5.indd 1 27/04/10 14:42 Ludwig van Beethoven (1770-1827) Concerto pour piano et orchestre n° 5 en mi bémol majeur op. 73 « L’Empereur » Allegro Adagio un poco mosso Rondo. Allegro ma non troppo Composition : 1809. Création : le 28 novembre 1811 à Leipzig par Johann Schneider. Effectif : 1 flûte, 2 hautbois, 2 clarinettes, 2 bassons – 2 cors, 2 trompettes – timbales – cordes – piano solo. Durée : environ 40 minutes. Le dernier et le plus célèbre des concertos beethovéniens pour piano a été surnommé L’Empereur, sans doute par J. B. Cramer, et après la mort du compositeur ; probablement a-t-il voulu souligner la grandeur de l’ouvrage. En réalité, on sait que Beethoven n’aimait pas trop les têtes couronnées, et ce n’est certainement pas à Napoléon qu’il adressait son concerto : il a même dû en interrompre l’écriture à cause des bombardements français qui pleuvaient sur Vienne. Tapi au fond d’une cave avec des coussins sur la tête, le maître maugréait contre l’envahisseur : « Dommage que je ne sois pas aussi fort en stratégie qu’en musique : je le battrais ! » Bien que sur ses esquisses le compositeur ait noté : « Chant de triomphe pour le combat ! Attaque ! Victoire ! », ce concerto ne présente pratiquement aucun trait militaire ; il brille plutôt par son autorité naturelle, qui en fait le chef de file des concertos romantiques à venir. Celui qui possède une allure impériale à coup sûr, c’est le piano ; mais il joue un rôle différent selon les mouvements. Dans le premier, il amplifie et multiplie les motifs que l’orchestre lui propose ; dans le deuxième, il noue avec son partenaire orchestral un dialogue très égalitaire et humble ; enfin, dans le dernier mouvement, c’est le piano qui mène allègrement son monde. Le premier mouvement est de dimensions monumentales : vingt minutes, plus que les deux autres mouvements réunis. Il commence, contre toute attente, par un somptueux solo ; aucune cadence n’est prévue dans le concerto, mais dans cette entrée en la matière, le pianiste balaye d’emblée tout le clavier avec bravoure. L’exposition orchestrale présente ensuite un premier thème très décidé, d’allure simple, qui permettra d’intéressants développements : en particulier son début, et son rythme pointé conclusif, serviront par la suite de base à de fougueuses modulations. De son côté, le deuxième thème, balancé, promet des trésors de délicatesse. Le solo, qui vient énoncer son exposition à lui, entre en montant sur une gamme chromatique ; il traite notamment le deuxième thème comme un petit carillon et le prolonge avec une figure d’une grâce perlée tout simplement exquise. Le développement, introduit par une autre gamme chromatique du soliste, commence dans un alliage de bois et de piano plein de mystère, qui prend progressivement de l’ampleur ; il culmine dans une brève et vigoureuse dispute entre orchestre et solo, mais l’apaisement intervient avec une nouvelle idée, aérienne et tendre, sous laquelle les altos viennent accumuler les forces de la 2 2704 ANGELICH A5.indd 2 27/04/10 14:42 réexposition. L’importante coda, un feu d’artifice de jaillissements pianistiques, est introduite par une dernière gamme chromatique du piano ; mais elle n’oublie pas pour autant, comme une petite boîte à musique, le ravissant deuxième thème. L’Adagio un poco mosso commence par une sorte d’hymne calme, aux cordes seules, à peine relevées de quelques vents. Quand vient son tour, le piano prononce un autre thème, dans le même ton de si majeur et dans le même esprit retenu : chaque note, d’une lenteur mystique, est déposée avec précaution. Après un escalier de trilles, le premier thème revient pour être varié dans une collaboration intime du soliste et de l’orchestre ; d’abord il est au piano, très cantabile et légèrement ornementé ; puis une deuxième variation, aux bois, où le piano se contente de répandre un doux accompagnement, est de toute beauté. Ce volet s’enchaîne avec le suivant en une transition rêveuse où s’ébauche le thème du finale : partira, partira pas ? Soudain, le thème du Rondo bondit comme propulsé par un ressort. Cette superbe envolée n’apparaît pas moins de onze fois dans le mouvement, dont neuf présentées par le piano : celui-ci relance le refrain sous toutes les couleurs, en mi bémol, en do, en la bémol, en mi – majeur, toujours –, et l’orchestre, ravi, acquiesce à chaque tonalité d’un commentaire cadentiel. Ces différentes versions du refrain, souvent légères et teintées d’humour, mettent la virtuosité au service de la joie, pas tellement une joie populaire, mais une essence de la joie faite de ruissellements, d’expansions, substance cristalline qui, en se matérialisant sur les quatre-vingt huit touches du clavier, paraît inépuisable et infinie. Isabelle Werck Gustav Mahler (1860-1911) Symphonie n° 6 en la mineur « Tragique » Allegro energico ma non troppo Scherzo Andante moderato Finale : Allegro moderato – Allegro energico Composition : été 1903-été 1904. Création : 27 mai 1906 à Essen sous la direction du compositeur. Composition de l’orchestre : 4 flûtes et piccolo, 4 hautbois et cors anglais, 5 clarinettes et clarinette basse, 2 clarinettes en mi bémol, 4 bassons et contrebasson – 8 cors, 6 trompettes, 4 trombones, tuba – 2 harpes, percussion (dont xylophone, célesta, glockenspiel, cloches de vache, marteau) – cordes. Durée : environ 1 heure 25 (avec les reprises). « La Sixième Symphonie est sous presse et sortira dans le courant de l’année ; elle est très difficile et très complexe », écrit Gustav Mahler à Ferruccio Busoni au mois de septembre 1905. Quelques semaines plus tard, il confie au musicologue Richard Specht : « Ma Sixième Symphonie va proposer 3 2704 ANGELICH A5.indd 3 27/04/10 14:42 au public des énigmes auxquelles seule pourra s’attaquer une génération qui aura digéré et assimilé les cinq premières ». Ces énigmes peuvent être interprétées à différents niveaux et regarder aussi bien la forme que le traitement symphonique, le sens à conférer aux notes ou le climat général. La Sixième Symphonie occupe en effet une place singulière au sein du corpus mahlérien. Si la Troisième se voulait un hymne à la création, la Quatrième une projection de la vie après la mort et la Cinquième une évolution de la souffrance vers la plénitude, la Sixième est entièrement définie par une atmosphère désespérée où alternent moments de haute poésie et épisodes dépressifs. L’œuvre semble marquer par ailleurs un retour au classicisme, avec son plan en quatre mouvements et ses formes classées : elle s’en éloigne en réalité définitivement par ses proportions monumentales, son climat résolument tragique et son instrumentation chargée. Elle est de fait l’une des partitions les plus dramatiques et les plus désolées de l’auteur. Entreprise au cours de l’année 1903 et achevée durant l’été suivant, elle est définie par un ton pathétique et violent, un caractère tendu, une anxiété sans cesse croissante qui culmine dans le Finale. Pour la première fois chez Mahler, le mouvement terminal n’est conçu ni comme une apothéose, à l’image de la fin victorieuse des Première, Deuxième et Cinquième Symphonies, ni comme un moment de transcendance, à l’instar du lied qui couronne la Quatrième. La Sixième est la seule symphonie qui se referme tragiquement, le caractère funèbre des dernières mesures définissant, a posteriori, sa couleur générale. Selon Alma Mahler, la propre épouse du compositeur, ce dernier aurait investi la partition d’éléments hautement personnels, insufflant à l’œuvre une tension émotionnelle rarement atteinte jusque-là. « Ayant esquissé le premier mouvement, raconte Alma, Mahler était descendu, prétendant : “J’ai essayé de te fixer dans un thème – je ne sais si j’ai réussi. Il ne te reste qu’à l’accepter tel qu’il est !”. Il s’agit du grand thème lyrique du premier mouvement. Dans le Scherzo, Mahler dépeint les jeux arythmiques des enfants, leurs voix dont l’accent, chose horrible, se révèle toujours plus tragique. Dans le dernier mouvement, toujours, il se décrit lui-même, ainsi que sa disparition ou (comme il le disait plus tard) celle de son héros. Le héros frappé de trois coups du destin dont le dernier l’abat comme un arbre. Ce sont les propres paroles de Mahler. Aucune œuvre ne lui est sortie du cœur aussi directement que celle-là. Nous avons beaucoup pleuré. La Sixième, son œuvre la plus personnelle, est tout aussi prophétique. Lui aussi a reçu trois coups du destin, et le troisième l’a abattu. Mais il était alors tout joyeux, sûr de son œuvre qu’il voyait comme un arbre en pleine floraison ». Trois coups du destin : ceux reçus au cours de la même année 1907 et liés à la mort de la fille aînée, à la démission de l’Opéra de Vienne sous la pression des attaques antisémites, et aux premiers troubles cardiaques qui commencent à se manifester de façon violente. À l’approche de la création, Mahler va et vient dans sa loge, nerveux, tourmenté, au bord des larmes. Après avoir répété l’Allegro final, il sort de scène bouleversé, « incapable de se maîtriser, sanglotant et se tordant les mains » (Alma). Le soir de la création, il joue « presque mal, parce qu’il a honte de son émotion et craint qu’elle ne le submerge pendant l’exécution. » Si les souvenirs d’Alma Mahler ne sont pas toujours fiables sur le plan musicologique, en raison des erreurs de date, de cohérence chronologique et d’un sentimentalisme parfois outré, il n’en demeure pas moins que l’œuvre représente, pour son auteur, un investissement affectif important et singulier.