Corruption: Le Testament Judiciaire D'un Ancien Patron D'elf

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Corruption: Le Testament Judiciaire D'un Ancien Patron D'elf Directeur de la publication : Edwy Plenel www.mediapart.fr 1 Il y a, sur fond de Françafrique, une parenté Corruption: le testament judiciaire d’un évidente entre les deux dossiers, et c’est tout l’enjeu de l’instruction actuellement menée par le juge ancien patron d’Elf Dominique Blanc d’en établir objectivement le lien PAR FABRICE ARFI ARTICLE PUBLIÉ LE MERCREDI 30 SEPTEMBRE 2020 pour les besoins de la démonstration judiciaire. Loïk Le Floch-Prigent, ancien dirigeant d’Elf, en août 2012. © FRED TANNEAU / AFP Loïk Le Floch-Prigent, ancien dirigeant d’Elf, en août 2012. © FRED TANNEAU / AFP Condamné dans l’affaire Elf, dont il fut le PDG, Loïk L’affaire des « biens mal acquis » porte sur le Le Floch-Prigent a récemment été entendu comme patrimoine vertigineux (hôtels particuliers, villas, témoin par un juge dans le scandale des biens mal œuvres d’art, voitures de luxe, bijoux…) acquis en acquis. Il a confirmé que l’argent du pétrole a permis France par les familles dirigeantes de deux pays de financer personnellement des présidents africains, africains amis de la France, le Gabon et le Congo- notamment au Gabon et au Congo-Brazzaville. Et Brazzaville, présidés par deux clans eux-mêmes unis assuré que le système perdure aujourd’hui, sous par des liens familiaux : respectivement les Bongo et d’autres formes. les Sassou-Nguesso. D’un dossier l’autre. Reconnu coupable et condamné Omar Bongo a dirigé le Gabon de 1967 jusqu’à sa en 2003 dans l’un des plus retentissants scandales mort en 2009 ; sa succession est depuis assurée par financiers de ces dernières décennies – l’affaire Elf son fils Ali. Denis Sassou-Nguesso préside quant à –, Loïk Le Floch-Prigent, ancien dirigeant du groupe lui le Congo-Brazzaville depuis 1979, avec une brève pétrolier français (Total aujourd’hui), a récemment interruption de cinq ans entre 1992 et 1997. été entendu comme témoin dans un autre scandale Onze personnes sont actuellement mises en examen d’ampleur : l’affaire des « biens mal acquis », dite dans l’affaire des BMA. Et aucun des émoluments BMA. officiels des deux familles régnantes au Gabon ou au Congo, pas même ceux des présidents des pays concernés, ne peut, selon l’enquête, justifier les dizaines de millions d’euros qui ont été nécessaires à l’acquisition d’un tel patrimoine à Paris ou dans le sud de la France. Il faut donc, pour la justice, déterminer l’origine probable, si ce n’est certaine, des fonds occultes. En somme : d’où vient l’argent ? La réponse à cette question, qui plane, obsédante, depuis des années au-dessus des investigations menées pour « blanchiment », « détournements de fonds publics » et « recel » (entre autres délits présumés), a peut-être été apportée sur procès-verbal, le 15 novembre 2019, par Loïk Le Floch-Prigent. 1/3 Directeur de la publication : Edwy Plenel www.mediapart.fr 2 PDG de 1989 à 1993 du géant pétrolier français Elf, son directeur de cabinet [Omar Bongo – ndlr] au ce dernier avait été reconnu coupable du détournement général de Gaulle en lui disant que c’était lui de plusieurs centaines de millions d’euros des caisses qu’il fallait au pouvoir pour être tranquille. À du groupe, et condamné le 12 novembre 2003 à cinq l’époque, tous les dirigeants deviennent marxistes ans de prison ferme et 375 000 euros d’amende. et on voit arriver des révolutionnaires. Le directeur d’Elf dans ce pays change de rôle et prend un rôle d’ambassadeur, l’ambassadeur de France devenant presque un employé d’Elf. » Le soutien français va loin, jusque dans la mise en scène d’une opposition Potemkine, selon Le Floch- Prigent : « Au Gabon, Omar Bongo considérait qu’il fallait toujours qu’il existe une opposition formelle, Omar Bongo, ancien président du Gabon décédé en 2009. © Reuters et cette opposition devait être incarnée par des Inédit jusqu’à aujourd’hui, le témoignage qu’il a livré personnes qu’il adoubait. Ces personnes étaient prises dans le cabinet du juge Blanc peut se lire comme une par les effectifs d’Elf Gabon, qui les rémunérait. » sorte de testament judiciaire. Celui-ci offre une lucarne Le témoin n’a semblé rien éluder devant le juge. Est- sans concession sur l’histoire d’un État corrupteur (la ce que l’argent de la corruption du groupe Elf profitait France) et d’États corrompus (le Gabon et Congo- directement aux familles Bongo et Sassou-Nguesso, Brazzaville), qui ont pactisé au mépris de populations toujours au pouvoir aujourd’hui ? Oui, a-t-il répondu : privées du produit de leurs propres richesses – et « Ces frais partaient sur des comptes qui avaient accessoirement de démocratie. été ouverts par MM. Tarallo et Sirven [deux anciens « J’ai voulu aider le juge à comprendre pourquoi la dirigeants d’Elf en Afrique – ndlr] pour le compte situation que nous avons créée a toujours un présent d’Omar Bongo, Denis Sassou-Nguesso et ceux qu’ils et pourquoi celui-ci est détestable. Quand on voit le nous désignaient. » “french bashing” dans certains pays d’Afrique, j’ai Loïk Le Floch-Prigent appelait cela, dit-il, la peur que nous soyons au début d’un drame dont on ne « cuisine ». mesure pas les conséquences. Nous sommes arrivés à la cote d’alerte dans ces pays », confie l’ancien patron Il a aussi rappelé que le groupe Elf prenait en charge d’Elf à Mediapart pour expliquer sa démarche. toutes les commodités des chefs d’État africains en question lorsqu’ils effectuaient des déplacements en Dans son témoignage au juge, Le Floch-Prigent, France. « C’était en liquide », a insisté à plusieurs 77 ans, a d’abord raconté l’origine de la corruption, qui reprises l’ancien patron d’Elf devant le juge. prend racine dans une raison d’État française sur fond de besoin énergétique. D’après l’enquête Elf, le total des fonds occultes versés aux dignitaires africains grâce à des comptes « Les premiers présidents d’Elf […] ont eu pour ouverts en Suisse et au Luxembourg et par première tâche d’augmenter le pétrole disponible l’intermédiaire d’une myriade de sociétés domiciliées du pays, a-t-il détaillé. Leur opinion, c’est au Liechtenstein – que des paradis fiscaux – se chiffrait que l’instabilité gouvernementale conduit à des chaque année en centaines de millions de francs. soubresauts trop importants. On a demandé aux présidents successifs d’Elf de veiller à la stabilité de ces États, stabilité institutionnelle et juridique. Le premier pays qu’on voulait stabiliser était le Gabon. À la mort du président gabonais, Pierre Guillaumat [premier président d’Elf – ndlr] présente 2/3 Directeur de la publication : Edwy Plenel www.mediapart.fr 3 À la question du juge de savoir si le pouvoir politique À Mediapart, Loïk Le Floch-Prigent indique que français était informé du système de corruption mis en Nicolas Sarkozy lui avait paru « affolé quand il a vu place par le groupe Elf, des sommes en jeu comme les chiffres. Il n’imaginait pas que cela puisse exister de leurs destinataires finaux, Loïk Le Floch-Prigent a comme ça ». L’ancien patron d’Elf assure par ailleurs répondu sans barguigner : « Absolument. » qu’il n’a appris que tardivement que l’intermédiaire Alexandre Djouhri, aujourd’hui mis en examen avec Nicolas Sarkozy dans l’affaire des financements libyens, avait fait ses armes à l’ombre de son ancien « Monsieur Afrique », André Tarallo (décédé en 2018). Dans le cabinet du juge Blanc, Loïk Le Floch-Prigent a affirmé que le système qui l’a emmené devant les Nicolas Sarkozy et Ali Bongo, en septembre 2010 à l'Élysée. © Reuters tribunaux « continue d’exister », mais sous d’autres « Sous la cohabitation, j’ai demandé au président formes, avec d’autres sociétés sur la piste desquelles [François Mitterrand – ndlr] ce que je devais faire. sont aujourd’hui les enquêteurs. Il m’a demandé d’aller voir le premier ministre de l’époque [Edouard Balladur – ndlr], qui a refusé Ses derniers mots devant le juge sont désabusés : de me voir. Le président m’a alors dit d’aller voir « D’un système régulé considéré comme opaque et directement le ministre du budget [Nicolas Sarkozy – puni, on est arrivé à un système complètement fou ndlr]. Je lui ai donc remis copie de la feuille que je qui conduit globalement les États et les peuples donnais au président », a-t-il témoigné. en question à ne plus être rétribués vraiment de l’exploitation pétrolière. La transparence demandée Sollicité, Nicolas Sarkozy n’a pas donné suite pour a conduit à un système encore plus opaque et encore réagir. plus désastreux pour les pays. C’est ce que j’ai constaté et qui me rend malheureux. » Directeur de la publication : Edwy Plenel Rédaction et administration : 8 passage Brulon 75012 Paris Direction éditoriale : Carine Fouteau et Stéphane Alliès Courriel : [email protected] Le journal MEDIAPART est édité par la Société Editrice de Mediapart (SAS). Téléphone : + 33 (0) 1 44 68 99 08 Durée de la société : quatre-vingt-dix-neuf ans à compter du 24 octobre 2007. Télécopie : + 33 (0) 1 44 68 01 90 Capital social : 24 864,88€. Propriétaire, éditeur, imprimeur : la Société Editrice de Mediapart, Société par actions Immatriculée sous le numéro 500 631 932 RCS PARIS. Numéro de Commission paritaire des simplifiée au capital de 24 864,88€, immatriculée sous le numéro 500 631 932 RCS PARIS, publications et agences de presse : 1214Y90071 et 1219Y90071. dont le siège social est situé au 8 passage Brulon, 75012 Paris. Conseil d'administration : François Bonnet, Michel Broué, Laurent Mauduit, Edwy Plenel Abonnement : pour toute information, question ou conseil, le service abonné de Mediapart (Président), Sébastien Sassolas, Marie-Hélène Smiéjan, François Vitrani.
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