CSU UMR CNRS 7112 59/61 rue Pouchet 75017 France

Soixante-quatre mots de la ville

Le Trésor des mots de la ville : une maquette au 1/5e

février 2005

Le Trésor des mots de la ville : une maquette au 1/5e

Sommaire

Avertissement 3 Les notices 4 Dictionnaires de langue et encyclopédies 238 Index des entrées par langue 251 Index des auteurs 253 Liste alphabétique des entrées 255

2 Le Trésor des mots de la ville : une maquette au 1/5e

Avertissement

Cette simulation ou modèle réduit du Trésor des mots de la ville comprend huits entrées sur 40 (environ) pour chacune des huits langues étudiées. C’est donc une maquette au 1/5e. Les notices sont données par ordre alphabétique général (après translittération de l’entrée pour l’arabe et le russe), comme ce sera le cas dans l’ouvrage. Aucun critère thématique n’a présidé au choix des notices présentées ici. > Dans cette maquette, les translittérations qui font appel à des signes diacritiques inhabituels n’apparaissent pas correctement. Il en est de même du nom de l’entrée donné en caractères arabes ou cyrilliques. Chaque notice est précédée – D’une spécification géographique. Il s’agit de l’aire pour laquelle le mot est traité dans la notice, non d’une aire où il serait exclusivement en usage. – D’une ou plusieurs citations de document donnant des solutions de traduction du mot vers le français (exceptionnellement vers l’anglais). – D’une ou plusieurs citations de documents donnant des définitions du mot dans la langue originale (et ici traduites en français). > Dans cette maquette, certains de ces éléments manquent parfois. En outre, les normes de présentation des traductions et définitions liminaires ne sont pas appliquées. Chaque notice est suivie – De renvois à d’autres entrées du Trésor, d’abord pour la même langue, ensuite pour les autres langues. > Dans cette maquette, ces renvois font défaut ou sont donnés pour mémoire, mais ils restent à mettre au point. – Des références des sources de la notice. Lorsque l’appel dans le texte est précédé d’un astérisque : (*Littré 1863), cela signifie que la source est un dictionnaire de langue ou une encyclopédie (à l’exclusion des dictionnaires spécialisés) : ses références bibliographiques sont données en fin de volume. > Dans cette maquette, les références des sources sont complètes, mais elles ne sont pas encore mises aux normes. La liste finale de dictionnaires de langue et encyclopédies n’est basée ici que sur les notices figurant dans le présent document. Les références ne sont ni vérifiées, ni mises aux normes. Le volume s’achève par un index des entrées par langue, un index des auteurs et un index alphabétique général des entrées. > Les autres index font encore défaut.

3 Le Trésor des mots de la ville : une maquette au 1/5e

______balad, bilâd (pl. buldân, bilâd) arabe (littéral et dialectal) Proche-Orient, Maghreb, Mauritanie, Tchad, nom masc.

“ balad, pl. bilâd et buldân 1. Pays proprement plat, cultivé ou inculte. 2. Ville, cité. al- balad, ou al- balad al- amîn, ou al- balad al- harâm , la ville par excellence, la ville sûre, la ville sacrée, c.- à - d . La Mecque. 3. Terre, sol, terrain. 4. plu. ablâd Creux dans lequel l’autruche dépose ses œufs, cimetière, maison, cavité du gosier, espace entre les sourcils.” (*Kazimirski 1860) “ bilâd sing. Pays habité, contrée.” (*Kazimirski 1860) “ balda 1. Ville, cité.- al- balda La Mecque.” (*Kazimirski 1860) “bulayda dimin . Petite ville. ” (*Kazimirski 1860) “ balad, pl. bilâd, buldân : pays ; contrée ; ville ; village ; bourg ; cité” (*Reig 1983)

Définitions “ balad : balda et balad : tout lieu [mawdi’] ou parcelle appropriée [qit‘a mustah îza], qui est construite (‘âmiratan) ou non […] vide ou habité [maskûn]”. (*Ibn Manzûr 1998 [XIIIe s.]) “ al- balad : portion de terre [ard ] peuplée, habitée ou vide, terre, sépulcre, cimetière, terre où se trouvent des bêtes ou des constructions. Ex. la ville de La M ecque.” (*al- Bustânî, 1927) “ al- balad pl. bilâd et buldân. 1- La capitale [misr], le pays [balad ]. 2- L’espace vaste. 3- Le lieu délimité par l’implantation de communautés particulières. 4 - Maison (dâr). 5. Ruines d’une maison. 6 - Terre. 7 - Tombeau. 8 - Cimetière. 9 - Une sourate du coran.” (*Jubrân 1986) “ al- balda pl. bilâd et buldân. 1 vaste terrain. 2 - Espace délimité par l’implantation de communautés particulières. “3 - portion d’un pays. 4 - Petite ville. 5 - Poitrine (le cœur au sens fig.)” (*Jubrân 1986)

Balad ou bilâd est un mot très ancien. Sa racine trilitère BLD ne renvoie pas à une filiation parfaitement déterminée et son étymologie reste incertaine, venant peut-être de l’ougaritique et du couchoulique (*Blachère, Chouémi, Denizeau 1970 : 791). On sait par ailleurs que balad, nom tiré du verbe balada yabludu exprime l’arrêt, le fait de faire une halte, de séjourner dans un lieu et de s’y maintenir par tous ses efforts (*Kazimirsiki 1860 : 158), de le cultiver et le bâtir pour y faire prospérer la civilisation. C’est pourquoi de ce verbe dérive un nom prononcé différemment selon les régions balad/bilâd/bled, dont l’usage est tantôt masculin, tantôt féminin ou même pluriel, pour exprimer une chose au singulier ou un générique désignant le pays, le territoire, la ville (*al-Munjid 1986). Il a par conséquent plusieurs acceptions en rapport avec le verbe dont il tire sa forme. La première, “pays”, renvoie à la notion de s’installer quelque part dans un espace, cultivé ou pas (*Ibn Manzûr 1998 [XIIIe s.] : 340). Cet emploi remonte au moins à l’époque du Coran puisqu’on peut y lire, par exemple bilâd al-sûdân : le Soudan ou “les pays du Soudan” (C. VII, 58, XVI, 7). Le mot bilâd contient en soi, y compris dans son sens de ville, la notion de sédentarité, et désigne en premier lieu l’établissement humain pérenne. La seconde acception introduit l’idée d’organisation sociale urbaine : on la retrouve également dans le Coran. Elle exprime l’idée d’un lieu délimité par l’implantation de communautés particulières (*Jubrân1986) et renvoie à la notion de “cité”. Pour cette raison, la notion de citadinité est souvent exprimée à partir de cette racine. Pour parler de la ville sainte, La Mecque, on trouve dans le Coran : al-bilâd, qui se distingue de qariya [village] et de misr [grande ville, capitale] (C. II, 126, XIV, 35 ; *Blachère, Chouémi, Denizeau 1970 : 791). On parle de “al-balad al-amîn ou al-balad al-harâm, la ville par excellence, la ville sûre, la ville sacrée” (*Kazimirski 1860). Bilâd désigne aussi la ville en général et, dans ce sens, est à rapprocher de madîna. Désignant la ville, les deux termes s’opposent à la campagne, mais avec certaines nuances. Pour exprimer que la ville est

4 Le Trésor des mots de la ville : une maquette au 1/5e assiégée, on choisit plutôt bilâd, hazzamât al-bilâd, rendant plus nette l’opposition entre intérieur et extérieur [barra] (Hasan al-Faqih XVIIIe/XIXe s. : 238). Les deux mots bilâd et madîna, souvent considérés comme synonymes, font plutôt référence à des qualités différentes de l’objet désigné. La nuance se situe dans la représentation qu’a le locuteur de la ville. D’après le dictionnaire arabe-français des dialectes de Syrie, pour Alep, Damas ou Jérusalem, bâlad pl. blâd : ville, s’oppose au terme de madîna, prononcé lmdîne, qui est “la partie de la ville où est concentrée l’activité commerciale, le quartier des affaires” alors que balad, prononcé lbâlad, désigne la ville tout entière (*Barthélemy 1954). Wast al-bilâd désigne généralement le centre-ville. Quant à l’expression nazal al-bilâd, elle peut se traduire par “aller [litt. descendre] en ville”. Balad/bilâd désignerait par rapport à madîna un espace social urbain avec une dimension civique. L’évolution sémantique corrobore cette hypothèse. L’usage du terme baladiyya – qui a longtemps été considéré comme un néologisme (Lewis 1991 : 1002) mais que l’on trouve en fait dès l’époque moderne, par exemple pour désigner le quartier de Tripoli dans lequel siégeaient les institutions citadines (Hasan al-Faqih XVIII/XIXe s.) -, qui se généralise dans l’empire ottoman dès le début des réformes urbaines du milieu du XIXe siècle pour désigner une municipalité, le montre également. Diverses institutions citadines ont à partir de cette époque pour nom un dérivé de balad. Le terme est désormais lié à toute institution en rapport de près ou de loin à une appartenance au corps de ville, devenu municipalité. Les institutions municipales, au Moyen-Orient comme au Maghreb, sont généralement désignées par des dérivés de bilâd : “amîn sijillât al-baladiyya (muwazzaf kabîr) : town clerk, dâr al- baladiyya : town hall” (*Doniach 1972) ; al-baladiyya : conseil composé de représentants de la balda ou de la madîna, élus ou nommés, s’occupant de la vie et des services publics tels l’adduction d’eau, l’électricité, les routes, le nettoyage etc. (*Jubrân 1986). Alors que, dans les premières phases de la réforme, à Istanbul dans les années 1850, c’est l’expression shehir medjlissi, formée d’un mot turc shehir (la ville) et d’un mot arabe majlis (le conseil) qui a été adoptée, la généralisation de l’institution municipale dans l’Empire se fait sous une désignation tirée de bilâd : majlis al-baladiyya (le conseil municipal à Tripoli, Beyrouth, Damas, Tunis, etc.) (Lafi 2002). Ce changement administratif augmente sans doute la diffusion des termes de balad [ville] et baladiyya [municipalité], qui existaient déjà largement auparavant. Bilâd avait dès avant les réformes ottomanes un large usage dans le champ de l’organisation sociale urbaine, que l’on retrouvait dans les noms d’institutions anciennes, ainsi qu’autour de la notion de baldî. A Tunis, ce terme est l’expression même d’une appartenance intrinsèquement lié à la citadinité, à l’appartenance au corps social de la ville et à ses instances représentatives : “baladî native, indigenous, home (as opposed to foreign, alien) ; (fellow) citizen, compatriot, countryman ; a native; communal, municipal / majlis baldî council, local council. baladîya pl. –ât township, community, rural community ; ward, district (of a city) ; municipality, municipal council, local authority” (*Wehr 1961). Le baldî est en quelque sorte le bourgeois de la ville d’Ancien Régime, citadin de souche ayant accès aux charges urbaines et incarnant l’esprit citadin. L’adjectif al-baldî désigne celui qui est de la ville et “al-baladiyya ou al-majlis al-baladî est le conseil des notables de la balda” (*al- Munjid 1986). Pour le chroniqueur tunisien du XIXe siècle Ben Diaf, les beldî sont les citadins de souche vivant dans la ville intra-muros (Chater 1992 : 117-127), une classe sociale de notables définis à la fois par leur origine, leur lieu de résidence, et repérable comme catégorie à part entière dans les registres fiscaux à Tunis. K. Chater note par ailleurs qu’après l’époque coloniale le beldî a une définition plus sociale que géographique, au fur et à mesure du déclin des élites traditionnelles (Chater 1992 :122). Au Tchad, baladi s’emploie en opposition à madani qui désigne le citadin à la mode (*Jullien de Pommerol 1999 : 238). Au Maroc on utilise blâdi pour désigner ce qui est local, pour dire

5 Le Trésor des mots de la ville : une maquette au 1/5e

“mon pays”, “ma ville natale” (*Prémare1993 : 294). En Algérie de même. Cela a donné son nom à une ville : Blida, “la petite ville”. En Egypte, dans la langue vernaculaire balad pl. bilad, qui veut dire à la fois le pays, la ville, le village, exprime la notion de local par opposition à étranger “‘ibni balad (1) native, not a foreigner” (*Badawi & Hinds 1986 : 96). Ibn al-balad ou bent al-bilad , “fils, fille du pays”, réfère à l’authenticité des valeurs locales ou populaires. Les autres acceptions de balad et bilâd renvoient à un espace plus réduit, plus privé et de plus en plus intime, comme la maison [dâr], le tombeau ou le cimetière (*Jubrân 1986 : 335). D’où peut-être le sens de “cité” pour parler du cœur de la ville comme entité sociale par opposition au terme madîna qui exprimerait alors la ville en insistant plus sur l’aspect et le caractère physique et urbain. Chez de nombreux chroniqueurs, l’emploi de bilâd dénote la conception de la ville comme un chez-soi, et exprime une intimité avec l’espace physique et social. Dans la langue arabe contemporaine, le mot est souvent chargé d’un fort sens patriotique, et cristallise un sentiment d’appartenance. On le retrouve dans les poèmes de Sayyed Darwish (1892-1923), à l’origine de l’hymne national égyptien, et dans de nombreuses expressions du sentiment national palestinien. Les hymnes nationaux de la plupart des pays arabes ont pour refrain une déclinaison de “Bilâdi bilâdi” [mon bilâd, mon bilâd]. Dans son sens urbain, bilâd désigne aussi souvent la ville où l’on se trouve, avec une insistance sur la proximité et l’évidence. En français, bilâd a donné, par le détour de l’argot militaire colonial, le mot bled, qui désigne un lieu, village ou petite ville offrant peu de ressources. “On s’ennuie dans ce bled” (Le Petit Robert 1988). Nora Lafi

Voir madîna (arabe) Voir cité (français), città (italien) city (anglais), town (anglais), ville (français)

Sources primaires Hasan al- Faqih Hasan. XVIII/XIXe s. xxla référence bibliographique, SVP Lewis, Bernard. 1991. “b aladiyya”, Encyclopédie de l’islam , Leyde, Brill, Paris, Maisonneuve et Larose, p. 1002- 1012. Sources secondaires Chater, Khalifa. 1992. “ Les notables citadins et en Tunisie au cours de l’ère coloniale : le concept du beldi et ses mutations ” , Cahiers de la Méditerranée n°45 (“ Bourgeoisies et notables dans le monde arabe (XIXe et XXe siècles) ”), p. 117- 127. Lafi, Nora. 2002. Une ville du Maghreb entre Ancien régime et réformes ottomanes : Tripoli de Barbarie (1795- 1911). Paris, L’Harmattan. ______banlieue (pl. banlieues) français, nom féminin

Définitions “Banlieue [...] Environs d’une ville qui sont dans l’étendue d’une lieue. Ces publications ont été faites dans Paris et sa banlieue. Il a été banni de la ville et de sa banlieue, c’est- à - dire des environs.” (*Furetière 1690) “Banlieue [...] Terme de jurisprudence. Est une lieue à l'entour de la ville, au- dedans de laquelle se peut faire le ban, c'est- à - dire les proclamations de la ville et jusq u'où s'étend l'échevinage et justice d'icelle.” (*Diderot et d'Alembert 1751- 1780, 2 : 59) “Banlieue [...] Territoire dans le voisinage et sous la dépendance d’une ville.” (*Littré 1863) “'Rouiller' ou 's'arracher' du béton sont des verbes empreints de bru talité. Le mot 'banlieue' lui aussi est cruel à prononcer.” (Begag et Delorme 1994 : 187)

6 Le Trésor des mots de la ville : une maquette au 1/5e

La racine de ce mot, attesté dès le XIIIe siècle est ban, terme féodal désignant le territoire sous la juridiction d'un seigneur, là où ses décisions étaient l'objet de proclamations. S'appliquant à une ville, le terme de banlieue se mit à désigner l'étendue de pays, d'une lieue ou de plusieurs lieues – et la lieue variait d'une région à l'autre – soumise à la municipalité. D'étendue fort variable d'une ville à l'autre, parfois inexistante, selon les cas concédée par le roi ou un suzerain ou bien conquise par empiètement progressif, la banlieue était, dit Michel Bochaca, un “îlot de droit urbain” installé dans les campagnes environnantes (Bochaca 1997 : 170). Notons au passage, pour faire un sort à une étymologie en vogue mais fautive, que banlieue et bannissement étaient deux notions différentes. Le bannissement est un autre dérivé du mot ban – songeons à être au ban de – , et l'on pouvait être banni de la banlieue d'une ville, ainsi que le prouve la citation du Furetière en tête de cette notice. Du fait des intérêts qu'elle y avait et en vue du bon fonctionnement des échanges, la ville exerçait un contrôle sur cet arrière-pays tombé dans son orbite. Les règlements municipaux comme les règlements royaux ne manquaient pas d'inclure la banlieue dans leurs dispositions. Évoquons ainsi un édit royal de 1772 qui réglementait “les contraintes par corps pour dettes civiles dans la ville, fauxbourgs & banlieue de Paris” (Edit du roi... 1772). Cependant ces échanges et ces liens pouvaient faire que la banlieue existe déjà comme conscience locale, ou plutôt que des groupes d'habitants aux intérêts communs s'approprient le mot pour se définir face à la ville et revendiquer leurs droits. Ainsi en 1789, dans les cahiers de doléances rédigés dans les paroisses autour de Paris, les “habitants de la banlieue” ne manquaient pas d'exposer leurs plaintes, que l'on retrouve développées à l'époque dans le célèbre mémoire de Darigant (1889 [1789], 4 ). Ces “malheureux cultivateurs” accusaient la ville de les mal traiter, et de n'être pour elle et ses autorités que des auxiliaires sans qualité. Vision assez clairvoyante : quand en 1790 l'Assemblée nationale décida du tracé des départements, il fut décidé de faire de Paris un département à lui seul, mais “accompagné d'une banlieue assez étendue pour renfermer tous les établissements nécessaires aux besoins journaliers de cette ville, tels que ses boucheries, ses voiries, ses cimetières, ses carrières, une partie de ses jardins, etc.” (cité par Bournon 1897). Le plus clair de nos exemples concerne Paris, il est vrai, mais il est probable qu'un peu partout, la banlieue avait alors le statut d'une arrière-ville à la fois sanitaire et nourricière. Jusque vers 1850 au moins, c'est le côté à la fois grenier et poumon de la ville qui, à Paris, l'emporta dans la façon de voir la banlieue et d'en parler. De multiples textes évoquent les “communes rurales” autour de la capitale, ou encore les deux “arrondissements ruraux du département de la Seine”. Le préfet de la Seine écrivait en 1830 que “la classe ouvrière de Paris […] va se délasser de ses travaux dans les campagnes environnantes” (cité par Girod 1994 : 117). A l'époque, l'essayiste Hippolyte Meynadier parlait des “petites maisonnettes” qui, à ses yeux, déparait de plus en plus les paysages, et créait une “banlieue anti-champêtre” (Meynadier 1843 : 198-199). Pour désigner cette banlieue à portée du promeneur, on parlait alors de la petite banlieue, surtout après la construction des fortifications, en 1841, qui donna en quelque sorte une frontière au proche et au lointain de la ville. L'expression est beaucoup moins courante que les historiens de Paris l'ont cru jusqu'ici, et là où on l'attend – par exemple en 1859-1860 dans le flot des discours sur l'annexion à Paris de ladite petite banlieue –, elle brille par son absence. Le qualificatif suburbain était finalement plus courant. On lit ainsi dans un rapport signé du préfet Haussmann : “Des commissionnaires craignent le ralentissement de l'activité commerciale sur tel point donné de la banlieue suburbaine” (Haussmann 1859 : 44). Mais, précisément, le fort peuplement et l'industrialisation de la zone allaient en changer l'image. D'où parfois des transitions curieuses dans les dires, comme cette phrase de journal La Banlieue en 1846 : “On ne peut nier l'importance commerciale et

7 Le Trésor des mots de la ville : une maquette au 1/5e industrielle des deux arrondissements ruraux du département de la Seine”… Le langage avait du mal à suivre un espace en plein mutation. Pendant toute une époque encore – et c'était n'importe comment une partie de la réalité – banlieue continua à évoquer la promenade au grand air et la villégiature heureuse. Ce goût des Parisiens était exploité par les vendeurs de terrains à construire : “Le souci de l'hygiène et de l'économie commande […] à tout chef de famille […] de quitter Paris et d'installer son foyer à la campagne, c'est-à-dire dans la banlieue” (Tranchant s.d. : 5) Mais banlieue égalait aussi pour d'autres un coin plein “d'usines malodorantes”, “de “misérables habitations” et composé de “villes industrielles fort laides.” Ces qualificatifs, rencontrés dans un Guide du cycliste paru en 1912 (Bertot 1912 cité par Borgé & Viasnoff 1994 : 126), se retrouvent dans toute une littérature méprisante ou déplorative développée à l'époque au sujet de la banlieue industrielle et ouvrière. Les élus et les notables de banlieue avaient déjà réagi contre cette image et surtout réclamé d'être mieux entendu dans les affaires du département où, disaient-ils , Paris en prenait trop à son aise vis-à-vis d'eux. Pour cela, ils avaient fait leur un mot méprisant surgi dans la bouche d'élus de Paris à l'occasion d'une querelle électorale en 1889 : banlieusard, avec le sens de rustres campant aux portes de la ville civilisée… “Hardi, les banlieusards, puisque banlieusards il y a”, dit un journal de Levallois (cité par Waraschitz 1989 et Muller 1988), et une feuille locale, ayant encore pour titre La Banlieue, avait pour slogan : “Banlieusards, venez à nous !” Le mot, il est vrai, allait perdre ce contenu, un peu forcé d'ailleurs, d'indignité retournée en dignité pour désigner dans la langue celui qui habite la banlieue mais qui n'y travaille pas, et prend les transports, matin et soir, victime des villes tentaculaires aux rythmes inhumains. “Le train était bondé de banlieusards, épuisés par leur journée de travail”, écrivait la sénatrice Brigitte Gros en 1970 (Gros 1970 : 11). Peut-être aussi garde-t-il de ses origines quelque chose de grossier et de méprisant qui fait que, manifestement, même encore aujourd’hui, on en évite l'usage. Mais depuis quand le mot banlieue sert-il à donner un nom à certaines peurs ? Au XIXe siècle, on voyait la banlieue comme plutôt du côté de l'ordre : “La garde nationale de la banlieue était vaillante contre les insurrections” écrit Victor Hugo à propos de l'émeute de 1832 (Hugo 1951 [1862] : 1232). L'inquiétude naît véritablement avec les succès électoraux du Parti communiste dans plusieurs communes de banlieue parisienne au début des années 1920 : la banlieue rouge prend alors le relais des faubourgs. A l'époque, une expression concurrente, celle de ceinture rouge, exprimait à la perfection l'image fausse mais terriblement efficace d'un Paris vidé de ses usines et de ses prolétaires, vivant sous la menace de “cités satellites industrialisées” (Blanc 1927 : 135-136)). Une série d'ouvrages à grande diffusion – dont celui du père Lhande (1927 : 3, 12-13) – installent alors dans les consciences l'image de la banlieue comme lieu où “la population ouvrière, chassée du centre”, risque de sombrer dans la barbarie, à moins que ne soit mise en place “ce qu'on pourrait appeler, dit l’essayiste E. Blanc, une politique de la banlieue parisienne [souligné dans le texte]” (Blanc 1927 : 24). Les crises s'envolent, les mots demeurent. Avant les débordements langagiers d'aujourd'hui, la période qui suit 1945, période marquée, dans la banlieue de Paris et d'autres villes, par le formidable développement de la construction, en particulier du logement social, trouva des mots pour traduire l'inquiétude née de cette croissance. On parlait “des cités champignons de banlieue” (France-Soir 1965) ou encore des “cités-dortoirs” (Bosquet 1970). Une idée reçue de l'époque est bien celle du grand ensemble qui rend fou : un médecin évoque sans rire la “névrose des ménagères de banlieue” (Le Guillant 1960). Mais la modernité et le confort associés à ces nouveaux lieux ne les condamnaient pas toujours : Sarcelles, symbole de ce nouvel urbanisme, fut souvent décrit comme lieu d'un bonheur normalisé et sans grâce, mais au fond possible, comme chez

8 Le Trésor des mots de la ville : une maquette au 1/5e la romancière Christiane Rochefort en 1961. Le Sarcelles qui clôt Les petits enfants du siècle est une promesse (Rochefort 1961 : 160-167, 206). Cette ambiguïté positive a aujourd'hui complètement disparu, puisque le mot banlieue , à partir de 1985 à peu près, va servir à désigner tout à la fois les lieux, les maux et les peurs associés à la crise sociale et politique née du chômage et du racisme actuels, et cela au mépris de l' infinie variété du peuplement réel de la banlieue des grandes villes. C'est la presse écrite ou audio-visuelle qui a engendré l'extraordinaire prolifération du mot, décliné de toutes sortes de manières. “L'agglomération lyonnaise est malade de ses banlieues”, ce titre du Monde en 1986 est une formule passe-partout, où il suffit de changer le nom de la ville pour chapeauter un article (voir les documents cités par Ficot 1997 et Roland 1996). Somme toute, le mot sert d'accroche, de simple annonce, et il est bien rare qu'une définition en soit donnée par les auteurs, quel que soit le type d'écrit, ce qui est encore plus vrai dans le langage parlé. Qui dit banlieue ne parle pas vraiment d'espace, mais désigne simplement par là une certaine population évoluant dans le cadre d'un certain habitat, la plupart du temps les enfants pauvres de migrants peuplant les grands ensembles. Dans le passé, le mot faubourg avait connu le même avatar, mais aujourd'hui, dans le cas de banlieue, le lien entre le contenu donné au mot et le territoire réel qu'il désigne est encore plus lointain. Un équivalent comme le mot cité(s) colle infiniment mieux à la réalité. Cette fortune médiatique n'est-elle pas, au moment même où nous écrivons, quelque peu tarie ? Le mot, dirait-on, a trop servi et n'est plus qu'une coquille vide. Sous l'influence de la terminologie officielle qui, depuis déjà longtemps, parle du “développement social des quartiers”, des “quartiers sensibles”, etc…, l’expression les quartiers, tout court, semble aujourd'hui devenue l'équivalent, au moins médiatique, sinon même dans l'usage, de banlieue. Ce mot est-il donc appelé à rejoindre faubourg dans le magasin d'antiquités des mots de la ville ? Alain Faure

Voir cité, faubourg, quartier, zone Voir

Sources primaires Banlieue (La), organe des intérêts généraux de la Petite et Grande banlieue, 1908 et 1909. Banlieue (La), revue mensuelle , n° 1, octobre 1846. Begag, Azouz et Christian Delorme. 1994. Quartiers sensibles, Paris, Seuil. Bertot, J. 1912. Guides du cycliste. L es plus belles excursions des environs de Paris , Paris, C. Mendel. Blanc, Édouard. 1927. La ceinture rouge, Paris, Spès. Bosquet, Michel. 1970. “La colère des mal- transportés”, Le Nouvel Observateur, 28 septembre. [Darigrand]. 1889 [1789]. Mémoire pour servir à la confection du cahier de doléances des habitants de la banlieue de Paris, rédigé par Darigrand et signé des syndics de 20 paroisses, cité par Ch. L. Chassin, Les élections et les cahiers de Paris en 1789, t. IV, Paris hors - les- murs , Paris, Jouaust et Sigaux, 1889, p. 189- 219. Édit du roi, portant création de dix officiers - gardes du commerce, & règlement pour les contraintes par corps pour dettes civiles dans la ville, fauxbourgs & banlieue de Paris. Donné à Fontainebleau au mois de novembre 1772 [… ] 1772. Paris, chez P. G. Simon, 1773, 7 p. France- Soir, 21 décembre 1965. Gros, Brigitte. 1970. Quatre heures de transport par jour, Paris, Denoël. [Haussmann, Georges]. 1859. Commission départementale faisant fonction de Conseil général de la Seine. Session extraordinaire de 1859 sur l'annexion. Hugo, Victor. 1951 [1862]. Les Misérables, Paris, Gallimard (La Pléiade). Landhe, Pierre. 1927. Le Christ dans la banlieue. Enquête sur la vie religieuse dans les milieux ouvriers de la banlieue de Paris , Paris , Plon.

9 Le Trésor des mots de la ville : une maquette au 1/5e

Le Guillant, L. 1960. médecin - chef des hôpitaux psychiatriques de la Seine, “Psychopathologie de la transplantation”, Le Courrier médical, 2 juillet, p. 3436. Meynadier, Hippolyte. 1843. Paris sous le point de vue pittoresque et monumental ou éléments d'un plan d'ensemble de ses travaux d'art et d'utilité publique, Paris, Dauvin et Fontaine. Monde (Le), 23 mars 1986. Rochefort, Christiane. 1961. Les petits enfants du siècle, Paris, Grasset. Tranchant, Marius. s.d. L’habitation du Parisien en banlieue. Après le travail à Paris, le repos à la campagne, Paris, 23 boulevard du Montparnasse. Sources secondaires Borgé, Jacques et Viasnoff, Nicolas. 1994. Archives de la banlieue parisienne, Paris, Trinckvel. Bournon, Fernand. 1897. La création du département de la Seine et son étendue (1789- 1790), Paris, Honoré Champion. Ficot, Élodie. 1997. L'image de la banlieue dans le journal “Le Monde” de décembre 1980 à juillet 1984. Mémoire de maîtrise, Université de Paris I. Girod, Marc. 1994. “L'urbanité des faubourgs : les théâtres de la banlieue parisienne (1817- 1932)”, Recherches contemporaines, n° 2, , pp. 113- 130. Muller, Aline. 1988. Les relations Paris - banlieue ouest de 1884 à 1900 (canton de Neuilly) d’après la presse locale. Mémoire de maîtrise, Université de Paris X - Nanterre, 2 vol. Roland, Patrick. 1996. L'image de la banlieue dans le quotidien “Libération” de 1981 à 1991. Mémoire de maîtrise, Université de Paris I. Waraschitz, Bruno. 1989. Les élections sénatoriales dans le département de la Seine de 1876 à 1914. De la volonté d’hégémonie politique de Paris à la primauté électorale de la banlieue. Mémoire de maîtrise, Université de Paris IV. Autres références Bochaca, Michel. 1997. La banlieue de Bordeaux. Formation d'une juridiction municipale suburbaine (vers 1250- vers 1550). Paris, L'Harmattan, , p. 170. ______Bannmeile (pl. Bannmeilen) allemand, nom commun, f.

Traductions “ Bannmeile f banlieue; limits (or dependencies) pl. of a town or a city; liberty of a city” (*Sanders 1899 : 250) “ Bannmeile f. hist. banlieue f ; Bannkreis m hist jur juridiction; fig (sphère d’)influence f “ (*Weis & Mattutat II 1976 : 121) “ Bannmeile precinct of parliament; innerhalb der ~meile des Parlaments within the verge of parliament” (*von Eichborn 1994 : 231)

Définitions “BANNMEILE, f. lat. moyen. banleuca, franç. banlieue, allem. moyen. Banmîle. [...]” (*Grimm & Grimm 1854 : 1118) “ Bannrecht (Zwangs- et Bannrecht, Banngerechtigkeit), le droit, en général lié à la propriété d’un terrain, d’exiger que les habitants d’un secteur (Bannbezirk, Bannmeile) satisfassent certains besoins uniquement en passant par les ayants- droit [Bannberechtigten], notamment le droit de moulin [...] le droit de brassage de la bière [...] le droit de pressoir [...] le droit de ferronnerie, le droit de fournil et d’autres encore, tous liés au commerce. […]”(*Meyers Lexikon 1924 : 1454) “Bannmeile, Bannkreis, Banlieue, 1) ancien droit: au Moyen Age, zone large d’une lieue [Meile ] autour d’une ville dans laquelle aucun commerce ni aucun artisan étranger n’avait le droit d’exercer. [...] 2) droit de l’Etat allemand: zone protégée (>befriedeter Bannkreis<) pour les institutions législatives (Bundestag, Bundesrat) et le tribunal constitutionnel de la République fédérale, à l’intérieur de laquelle les rassemblements et les processions sont interdits afin d’éviter toute gêne. [...]” (*Brockhaus 1996 : 585).

Dans le langage courant actuel, Bannmeile ne signifie plus le droit de ban médiéval défini ci- dessus, mais renvoie aux restrictions du droit de rassemblement en certains lieux. Le mot n’existe aujourd’hui que dans ce contexte juridique. En général, une Bannmeile n’est pas

10 Le Trésor des mots de la ville : une maquette au 1/5e marquée visuellement (à l’exception du quartier gouvernemental à Berlin), c’est à la police que revient la tâche de rendre visible les limites du Bannkreis [litt. cercle du ban]. Dans les années 1990, une manifestation de néo-nazis à la porte de Brandebourg à Berlin conduisit à ouvrir un débat sur la création de Bannmeilen dans les sites renommés de Berlin (devenue capitale de l’Etat fédéral), tel que la porte de Brandebourg ou le monument aux victimes de la Shoah. La loi sur les Bannmeilen, promulguée le 6 août 1955, introduisit dans le code pénal allemand la disposition suivante: “Quiconque prend part à un rassemblement public à l’intérieur du befriedeter Bannkreis [secteur (litt. cercle du ban) délimité] défini autour de l’organe législatif de la Fédération ou d’un Land, ou autour du Tribunal constitutionnel, manque au règlement attaché au Bannkreis, et se rend passible de sanction.” (Strafgesetzbuch §106a, Abs. 1 dans Lackner, Kuehl & Dreher 2001 : 19). Les institutions de la Fédération pouvaient établir des Bannmeilen sans restriction: “Le befriedete Bannkreis défini pour l’organe législatif de la Fédération englobe un secteur de Bonn et de Beuel, qui est limité par [suit la liste des rues qui forment la limite]. Si ces rues et ces places délimitent le Bannkreis, elles ne font pas partie du Bannkreis.” (Bundesminister der Justiz 1999, 1 : 504) A Bonn le principe de la Bannmeile fut appliqué avec une certaine rigidité, ce qui eut pour effet de réintroduire le terme d’origine médiévale dans le langage courant contemporain, notamment lors des affrontements entre manifestants et policiers. Après une manifestation d’étudiants protestant contre des mesures de restriction financière touchant les universités, on pouvait lire : “Avec des matraques, les policiers empêchaient environ 400 autonomes de pénétrer dans la Bannmeile du quartier du gouvernement [Regierungsviertel].” (Deutsche Presse-Agentur 1997). La loi de 1955 fut abolie en 2000 et remplacée par la “loi sur les befriedete Bezirke [secteurs délimités] pour les institutions constitutionnelles de la fédération” (Bundesminister der Justiz 1999, 1 : 1818). L’établissement d’une Bannmeile autour d’une ville médiévale pour protéger les intérêts économiques des propriétaires du ban [Bannerherren] montre la tension qui existait entre l’aristocratie terrienne et les autorités urbaines. Les droits de ban [Bannrechte] n’étaient pas accordés par une commission mais établis par le Banner ou Panier [bannière] des propriétaires du ban. Les villes, domaine des corporations et des commerçants, étaient placées sous la protection d’un propriétaire de ban [Bannerherrn] ou de leur propre armée. Elles constituèrent les bases sociales pour une croissance des forces productives dont on essayait de contrôler les conséquences économiques en promulgant une Bannmeile. En effet, la ville incitait les serfs à quitter les campagnes, d’où une augmentation de la pression sur la structure sociale urbaine: la concurrence entre les corps de métier s’aiguisait avec l’augmentation du nombre des travailleurs (Marx 1958 [1845-1846] : 51). Avec la Bannmeile, les différentes activités de production ne pouvaient être exercées que par les ayant-droit du ban [Bannberechtigten] ou par ceux qui en avaient reçu l’autorisation (en échange d’une contribution, etc.). Les membres d’une corporation assuraient ainsi leur monopole et la ville avait la garantie de percevoir les taxes. Ce processus accéléra la séparation entre les propriétaires des moyens de production et la force de travail. En Prusse, en continuité avec la réforme Stein-Hardenberg (à partir de 1807), on commença à abolir le droit de ban en introduisant l’“indépendance administrative communale” (1808) et en supprimant les corporations (1810) selon le modèle de la réforme française de 1791. Après l’établissement de l’empire germanique (1871), les corporations furent régies par un droit établi selon le modèle prussien et l’on retrouve les formulations de 1873 dans le droit allemand actuel de l’artisanat (Bundesminister der Justiz 1999, 1 : 385). Ces transformations ont donné lieu à l’opinion répandue chez les juristes selon laquelle le Bannmeilenrecht historique n’a rien de commun avec “la Bannmeile établie par l’état constitutionnel démocratique autour du Parlement” (Breitbach 1994 : 33).

11 Le Trésor des mots de la ville : une maquette au 1/5e

Il faut cependant relever que Bann signifie aussi un sortilège par lequel on crée un espace qui, dès lors, est réservé à des pratiques particulières. “ Bann, m. edictum, interdictum, proscriptio” (*Grimm & Grimm 1854 : 1114). C’est ici qu’apparaît la connotation inhérente à Bann, qui renvoie à quelque chose de magique, de sacré, de tabou. Une des traductions de Bannmeile en anglais est precincts (*Langenscheidt 1977 : 83), terme qui peut comporter la même connotation: “within the sacred precincts” (*Hornby 1988 : 655). De plus, il y a concordance entre les usages du mot Bann et les ban anglais et français (*Weis & Mattutat I: 80): Verbannung, Acht, Verbot, Untersagung [bannissement, respect, interdit, prohibition]. L’usage actuel du mot Bannmeile tend à réaliser le dépassement conceptuel et pratique du caractère sacré par un contenu séculier, juridique et normatif, mais ce changement ne signifie pas la disparition du sens magique. La signification étymologique de Bann est “parler”, le préfixe indo-européen hypothétique bha- ayant eu pour dérivés à la fois sprechen [parler] et, par le germain hypothétique bannan, gebieten [ordonner] ou interdire sous peine comminatoire (*Wahrig 1968 : 567), ou bien encore “enclore le tribunal”, “déclarer quelque chose d’inviolable, le soustraire à sa fonction habituelle” (*Grimm & Grimm 1854 : 1117), proférer un sortilège, tracer le cercle dans lequel le sortilège prend effet. Qui peut bannen peut, par la force des mots, charger des objets, des êtres et des lieux d’un sens qui leur donne une autorité sociale et oblige au respect, à l’effacement ou à un comportement particulier. Ceci vaut également pour le pouvoir qui essaie de sauvegarder son autorité à l’aide de sa puissance, car “il acquiert son droit uniquement dans la réitération incessante de sa force originelle” (Benjamin 1988 [1955] : 52). Le Bann équivaut à un geste pour se défendre contre le dehors, le profane, tel un geste associé à un sortilège consacré par la parole. A l’intérieur d’un Bannkreis, on protège quelque chose de sacré, de puissant et si quelqu’un ne respecte pas ce cercle, il “tombe sous le ban” du pouvoir. Qui s’approche trop près du sacré sera comme possédé et perdra le contrôle de lui-même – ce qui correspond à l’ambivalence du latin sacer, à la fois “sacré” et “damné”. La Bannmeile définit donc un cercle [Kreis] à l’intérieur duquel certaines actions ont des conséquences particulières. Cela apparaît dans les controverses concernant les Bannmeilen autour du parlement ou d’autres bâtiments publics, de même que dans les tentatives faites par les manifestants pour franchir les limites de ces secteurs. Le principal argument avancé en faveur des Bannmeilen est basé sur des événements de la République de Weimar (les suites de la révolution de novembre 1918, la tentative d’entrer dans l’assemblée nationale par les groupements de travailleurs en janvier 1920, le prétendu “corps franc” Kapp-Putsch): “L’indépendance du pouvoir de décision des représentants du peuple vis-à-vis de circonstances extérieures correspond aux objectifs de protection du règlement de la Bannmeile.” (Hörster : 1999) Dans le camp opposé, on avance l’argument d’une normalisation qui résulte de la stabilité des convictions démocratiques. Dans la mesure ou, de nos jours, prendre d’assaut le Parlement ne fait plus partie du répertoire utilisé par les citoyens pour se faire entendre, “une démocratie allemande adulte […] n’a pas besoin de protéger les représentants du peuple des manifestants” (Ströbele 1999). En fait, la Bannmeile, en tant que secteur de protection autour du Parlement, est un règlement étrange et paradoxal dans une démocratie dont le principe de base est la liberté de mouvement et de rassemblement. Les représentants de la puissance de l’Etat – qui, selon la loi fondamentale allemande de 1949 (article 20, §.2), doit venir du peuple – établissent une zone tampon qui (fort-)bannt [bannit, éloigne] le souverain du cœur de cette puissance. Dans la Bannmeile, les citoyens ne jouissent pas du droit de rassemblement dont ils disposent partout ailleurs: c’est pourquoi les lieux situés dans les limites (la plupart du temps invisibles) de la Bannmeile incitent à l’irrespect envers ce qui est le plus sacré. La Bannmeile fait clairement apparaître “la base mythique de l’autorité de tout pouvoir juridique” (Derrida 1996 : 25).

12 Le Trésor des mots de la ville : une maquette au 1/5e

Cependant, la conception, en général restrictive, du droit au rassemblement de la République fédérale d’Allemagne rend la Bannmeile superflue: il est interdit de manifester sans autorisation des autorités. Notons ici que le terme nouvellement choisi befriedeter Bezirk est, depuis longtemps, employé dans le domaine de la forêt et de la chasse – il désigne un territoire dans lequel la chasse est interdite. Par conséquent, le Parlement est au moins certain d’être à l’abri des armes des chasseurs qui, de toutes façons, ne le menacent pas... Harald Strauß

Voir Bezirk, Kreis, Straße Voir banlieue (fr)

Sources primaires Breitbach, Michael. 1994. Die Bannmeile als Ort von Versammlungen: Gesetzgebungsgeschichte, verfassungsrechtliche Voraussetzungen und ihre verfahrens- und materialrechtlichen Folgen. Baden- Baden, Nomos- Verlagsgesellschaft. Bundesminister der Justiz (éd.). 1999. Bundesgesetzblatt I. Bonn, Bundesanzeiger Verlagsgesellschaft. Deutsche Presse- Agentur GmbH. 1997. “Ausschreitungen am Rande der Bonner Studentendemo”. Dépèche du 18 décembre 1997, 15 h 48 dpa 18.12.1997/15:48] Hörster, Joachim. 1999. “Die Abgeordneten müssen vor dem Druck der Straße geschützt sein”, Deutsches Allgemeines Sonntagsblatt. 34/99, 20. August 1999. Lackner, Karl; Kuehl, Christian; Dreher, Eduard. 2001. Strafgesetzbuch. Mit Erläuterungen. München, Beck. Autres références Benjamin, Walter. 1988 [1955]. “Angelus Novus”, in Ausgewählte Schriften, vol. 2. Frankfurt am Main, Suhrkamp Verlag. Derrida, Jacques. 1996. “Der mystische Grund der Autorität”, in Gesetzeskraft. Frankfurt am Main, Suhrkamp Verlag. Marx, Karl et Engels, Friedrich. 1958 [1845- 1846]. Die Deutsche Ideologie . (= MEW 3) Berlin (Ost). Institut für Marxismus- Leninismus beim ZK der SED. Ströbele, Hans Christian. 1999. “Eine erwachsene Demokratie braucht keinen Sonderschutz der Volksvertreter”, Deutsches Allgemeines Sonntagsblatt. 34/99, 20. August 1999. ______basso (pl. bassi) italien, nom masc.

Traductions “ bassi ou rez- de- chaussée ” (Pellet 1894 : 8) “ basso. […] “b asso” (habitation pauvre dont l’entrée se trouve à même la rue, caractéristique de Naples) ” (*Boch 1979)

Définitions “ basso […] se dit de pièces au niveau du sol ” (*Scarabelli 1878) “ Pièce, habitation au niveau de la rue (à Naples) où l’entrée fait office de fenêtre, signe de pauvreté et de promiscuité ” (*Battaglia 1962) “ Tout terraneo [local en rez- de- chaussée] utilisé comme habitation, indépendamment de son emplacement (sur la rue, dans des cours intérieures ou des entrées) du moment qu’il ne pré sente pas les caractéristiques d’un véritable appartement en rez- de- chaussée ” (Mazzacane 1978 : 14) “ À Naples habitation misérable constituée d’une seule pièce qui donne sur la rue ” (*Grande dizionario della lingua italiana 1987)

Entendu en italien comme un substantif qui désigne un type d’habitation, basso dérive du dialecte napolitain vascio. Ce terme dialectal “ se rapporte clairement à l’emplacement de la

13 Le Trésor des mots de la ville : une maquette au 1/5e pièce, désormais entré dans la langue italienne sous la forme ‘basso’, il fait référence au logement qu’il désigne à Naples ” (*Cortellazzo, Marcato 2000). Il est défini comme une “ […] pièce ou chambre située au niveau le plus bas de la maison ” (*Puoti 1841) et l’équivalent dans la langue italienne, basso, renvoie précisément à ce sens d’une “ pièce au niveau du sol, en bas ” (*Altamura 1956). Le terme italien est toujours resté lié à Naples et à son type d’habitat quelque soit le registre de langue dans lequel il est utilisé. Basso est donc un terme fortement connoté socialement et il fait réfèrence à un espace urbain spécifique. Le mot fut d’abord utilisé dans le registre de la littérature vernaculaire, qui recourait souvent à des termes et des usages de provenance orale. Dans la littérature dialectale napolitaine, la référence réaliste au vascio et aux conditions de vie de ceux qui vivaient dans ces habitations du rez-de-chaussée remonte au XVIIe siècle et propose déjà une caractérisation sociale très accusée. Ainsi, au XVIIe siècle, Giulio Cesare Cortese utilise le diminutif vascetiello, pour désigner un petit vascio : “ sa maison est un vascetiello / qui lui sert de chambre et de cave / […] les latrines à la tête du lit / […] : mieux vaudrait la prison ” (cité par Pironti 1997 [1974] : 10-11). Bien que dès le XVIIe siècle le terme soit porteur d’une forte connotation sociale, les dictionnaires napolitains ne proposent pas une définition péjorative de vascio (*Puoti 1841; *D’Ambra 1873). En revanche, à partir du XIXe siècle, ces mêmes dictionnaires signalent un dérivé du terme et lui attribuent un sens fortement dépréciatif. Il s’agit du mot vasciaiola, terme stigmatisant, qui encore aujourd’hui désigne dans la langue parlée une femme du peuple (habitante des vasci) au comportement vulgaire : “ Femme de basse condition. Donnicciuola. Femminella, femminetta, femminuccia ” (*Puoti 1841). En italien, basso semble faire son apparition à la fin du XVIIe siècle en tant que traduction de vascio, et il est en usage, localement, dans le langage notarié : “ sur la partie gauche de ladite cour au niveau inférieur doivent être détruits deux anciens bassi [...] ” (acte du 21 janvier 1673, cité par Labrot 1993 : 235). On le rencontre encore, au XVIIIe siècle, dans les registres sanitaires tenus par le Corps de Ville concernant l’épidémie de fièvres de 1764, pour dénoncer les mauvaises conditions hygiéniques urbaines. Dans une délibération de la Deputazione di Sanità (organe municipal en charge des affaires sanitaires) du 3 juillet 1764, on peut lire que “ des gens encore sains demeurant en compagnie de personnes malades qui vivent dans des habitations extrêmement étroites dénommées bassi sont immanquablement attaquées par le même mal ”. L’emploi du mot est également attesté dans les relations imprimées de l’épidémie que rédigent alors plusieurs médecins comme par exemple Michele Sarcone, en 1765 (Sarcone 1838 [1765] : 169-171). À la même époque, le terme basso était aussi utilisé dans le langage judiciaire des procès civils (Marin 1991). L’absence du terme dans les nombreuses descriptions de Naples produites entre le XVIIe et le XIXe siècle indique que leurs auteurs, comme Di Falco, Capaccio, Celano, Summonte, mais aussi les chroniques pittoresques de Bideri, De Bourcard, etc., n’ont pas abordé la question des conditions de logement des classes populaires (Pironti 1997 [1974] : 37). Avec l’entrée de Naples dans le Royaume d’Italie (1860) et la vague d’écrits dénonçant les conditions sociales des classes populaires napolitaines, le mot se diffusa, en italien, au-delà de la ville. Le terme basso, comme traduction de vascio, fit son apparition, au niveau national, au milieu du XIXe siècle, à la fois dans les registres des techniciens chargés de l’assainissement urbain, dans les rapports des commissions d’hygiène et dans les journaux. D’un terme dépréciatif utilisé dans le dialecte de la ville pour désigner une condition sociale, il est peu à peu associé, à l’échelle nationale, à la dénonciation de cette condition. Dans ces registres, trois termes récurrents forment la terminologie de l’habitat napolitain dégradé : fondaco, grotta et basso. Parmi eux, basso devint progressivement le plus utilisé en raison de la présence, encore importante aujourd’hui, de cette forme d’habitat dans le territoire urbain

14 Le Trésor des mots de la ville : une maquette au 1/5e napolitain. En 1829, le médecin Salvatore De Renzi notait dans ses Osservazioni sulla topografia medica del Regno di Napoli que “ la construction des ruelles [vicoli] influe puissamment sur la dégénérescence de la santé de la population, et particulièrement pour le petit peuple qui habite dans les bassi, en général humides […] ” (De Renzi 1829, 2 : 32). Entre 1861 et 1867 Marino Turchi, en charge de l’Ufficio d’Igiene del Comune, et Raffaele Velieri rédigent des rapports techniques sur l’état des habitations pour en planifier l’assainissement. Dans leurs travaux, pour se référer aux habitations du rez-de-chaussée, ils utilisent fréquemment le terme basso (Turchi 1861, 1863). Entre 1865 et 1866, Velieri, en charge de commission d’hygiène du quartier Pendino, recense les nombreux bassi qui tout comme les fondaci, grotte, stalle, vanelle et supportici caractérisent l’habitat des pauvres napolitains : “ les bassi se trouvent dans les petites rues [viuzze] tortueuses et étroites, dans les venelles [vinelle], les ruelles [chiassuoli], sous les porches qui ouvrent sur des cours [supportici, androni] ” (Velieri 1867 : 52). Dans ses Lettere Meridionali Pasquale Villari, auteur méridionaliste, écrit : “ Ici même les moins pauvres habitent dans les bassi, qui non seulement manquent d’air et de lumière, mais pour y entrer il faut souvent descendre quelques marches, d’où une humidité malsaine ” (Villari 1979 [1875] : 46). En 1878 avec La miseria in Napoli la journaliste Jessie White Mario lui fait écho : “ Ce basso souterrain, auquel on accède après cinq marches, est fermé par une énorme porte munie de grands verrous, il n’a aucune autre ouverture et je ne comprends pas comment l’on n’y meurt pas la nuit ” (White Mario 1978 [1878] : 33). Après son emploi dans le domaine technique et dans les ouvrages dénonçant les conditions sociales napolitaines, le terme fut utilisé en littérature à partir des années 1880 par des écrivains, qu’ils soient ou non napolitains. Les premiers d’entre eux furent Francesco Mastriani et Matilde Serao. Après l’épidémie de choléra qui frappa la ville en 1884, celle-ci dans Il ventre di Napoli écrivit : “ le basso est une boutique rudimentaire, un terraneo, sans fenêtre, sans toilettes, sans autre ouverture qu’une porte, parfois étroite, qui doit être fermée en hiver et ne peut rester ouverte la nuit ” (Serao 1988 [1884] : 135). Dix ans plus tard, le terme appartenait pleinement au registre littéraire et journalistique sur la ville en Italie et en Europe. Il fut d’ailleurs utilisé en 1894 par le journaliste Marcellin Pellet dans un texte en français ; dans son Naples contemporaine, il intitule un chapitre Les quartiers pauvres – ‘bassi’ et ‘fondaci’ – la misère, la salubrité : “ dans Naples, les bassi [souligné par l’auteur] ne sont éclairés autrement que par la porte, et huit ou dix personnes y vivent, mangent et dorment dans un espace confiné de 70 à 80 mètres cubes en moyenne ” (Pellet 1894 : 8). En 1928 Benedetto Croce mentionne les bassi dans sa Storia d’Italia dal 1871 al 1915 (Croce 1959 [1928] : 85). En 1945, on lit encore dans Cristo s’è fermato a Eboli de Carlo Levi : “ Naples est véritablement la capitale de la misère. Dans les visages pâles, dans les yeux fébriles de ses habitants, dans les bassi dont la porte reste ouverte à cause de la chaleur ” (Levi 1956 [1945]: 3). L’entrée du terme dans les dictionnaires italiens a lieu après la Seconde Guerre mondiale, au début des années 1950. Dans le Dizionario moderno delle parole che non si trovano nei dizionari comuni, il est donné avec un sens moderne de dénonciation sociale encore inusité dans les autres dictionnaires : “ On appelle ainsi les misérables chambres d’habitation [stanze d’abitazione] [souligné par l’auteur] en rez-de-chaussée, insalubres et donc supprimées par le régime fasciste (1934) ” (*Panzini 1950). Depuis lors, le terme de basso s’est répandu et il est utilisé couramment dans les journaux et la production littéraire, ainsi que dans le domaine des sciences sociales et en histoire (Russo 1966). En 1978 une enquête socio-anthropologique a tenté d’élaborer une définition du basso qui soit fondée sur les caractéristiques structurelles de ces habitations et pas uniquement sur une exigence de dénonciation sociale (Mazzacane 1978). Toutefois, subsiste un usage littéraire et journalistique pittoresque du mot, synonyme de la Naples folklorique représentée dans la chanson et le théâtre : “notre rue [via] du Pallonetto est en escalier, elle monte […]

15 Le Trésor des mots de la ville : une maquette au 1/5e d’un ‘basso’ à un petit palais [palazzetto] et d’un petit palais à un ‘basso’ […] ” (Marotta 1964 : 7). Cet usage est encore très répandu aujourd’hui mais il transcende désormais le territoire dont il est issu et dépasse un type d’habitat spécifique pour qualifier un style de vie communautaire particulier correspondant à des stéréotypes napolitains bien ancrés. Ainsi, après sa victoire aux élections de 2001, le maire de Rome, Walter Veltroni, a défini l’atmosphère des célébrations qui ont suivi en disant “ on avait l’impression d’être dans les bassi napolitains ” (Il Messaggero 2001). Cependant, les dictionnaires italiens n’ont pas encore adopté l’usage pittoresque de ce terme et privilégient toujours un sens social lié aux conditions d’hygiène de cet habitat et au niveau de vie de leurs habitants. En outre, il faut noter que basso n’est jamais entré dans le vocabulaire technique et statistique du recensement puisque la distinction entre les habitations est seulement fondée sur le nombre de pièces qu’elles comportent. Les usages sociaux du terme basso, qui se stabilisent entre le XIXe et le XXe siècle, ne se vérifient pas en dialecte. Durant tout le XXe siècle, vascio reste utilisé au théâtre et dans les chansons dans une veine comique et ironique, liée aux dynamiques sociales de la ville. C’est le cas dans la chanson napolitaine O vascio composée en 1947 : “ Non ce vascio n’est pas un vascio / c’est un palais royal, c’est le plus beau des palais royaux ! ”. Le substantif terraneo est synonyme de basso mais il a été utilisé avec des nuances différentes dans le langage technique et législatif. Absent des dictionnaires, il est resté en usage jusqu’à la fin du XIXe siècle en particulier en matière législative et institutionnelle, mais avec un sens plus technique que basso. Ainsi, lorsqu’en 1934 le régime fasciste tenta, sans succès, d’interdire l’utilisation des bassi comme logement, c’est le mot terraneo qui fut choisi. Des plaques, encore visibles aujourd’hui, portant “ terraneo impropre à l’habitation ” furent apposées sur le seuil de nombreux bassi du centre historique de la ville, ceux-là même qui abritent de nos jours des familles du sous-prolétariat napolitain. Aujourd’hui, dans de rares cas, le mot terraneo est employé dans le langage législatif et technique ; il est alors préféré à basso car il est plus neutre, moins chargé de connotations sociales et folkloriques. Basso, en revanche, est très lié à une vision pittoresque des Napolitains et de leur style de vie. Alessandra Broccolini

Voir fondaco Voir beco (portugais), chabola (espagnol), slum (anglais), taudis (français)

Sources primaires Croce, Benedetto, 1959 [1928]. Storia d’Italia dal 1871 al 1915, Bari : Laterz a. De Renzi, Salvatore, 1829. Osservazioni sulla topografia medica del Regno di Napoli, Napoli. Il Messaggero , 29 mai 2001. Interview de C. Marincola et A. Spinelli. Levi Carlo, 1956 [1945]. Cristo s’è fermato a Eboli, Torino : Einaudi Mazzacane, Lello, 1978. I bassi a Napoli, Napoli : Guida. Marotta, Giuseppe, 1960. Gli alunni del tempo, Milano : Bompiani. Pellet, Marcellin, 1894. Naples contemporaine, Paris : Bibliothèque Charpentier. Russo, Giuseppe, 1966. Napoli come città , Napoli : Ed. Scientifiche Italiane. Sarcone, Michele, 1838 [1765]. Istoria ragionata de’ mali osservati in Napoli nell’intero corso dell’anno 1764, Napoli : Mosca Serao, Matilde, 1988 [1884], Il ventre di Napoli, Napoli : Gallina. Turchi, Marino, 1861. Sulla igiene pubblica della città di Napoli. Osservazioni e proposte, Napoli : tip. della vedova Migliaccio. Turchi, Marino, 1863. Notizie e documenti riguardanti le condizioni igieniche della città di Napoli raccolte nelle dodici sezioni, Napoli : tip. del Municipio.

16 Le Trésor des mots de la ville : une maquette au 1/5e

Velieri, Raffaele, 1867. Storia della Commissione Igienica della Sezione Pendino, Napoli. Villari, Pasquale, 1979 [1875]. Le lettere meridionali, Napoli : Guida. White Mario, Jessie, 1978 [1878]. La miseria in Napoli, Napoli : Quarto Potere. Sources secondaires Labrot, Gérard, 1993. Palazzi napoletani. Storie di nobili e cortegiani 1520- 1750, Napoli : Electa. Marin, Brigitte, 1991. Réformes et espace urbain à Naples à l’époque des Lumières (1734- 1799), thèse de doctorat dactylographiée, Université de Paris I. Pironti, Pasquale, 1997 [1974], Breve storia del “basso”, Napoli : Ed. Libreria Dante & Descartes. ______Bezirk (pl. Bezirke) allemand, nom commun masc.

Traductions “ Bezirk [...] m. (s,e) rayon m.; district m ; circonscription f.; arrondissement m.; canton m.//JUR. ressort m.//FIG. sphère f.; domaine m.” (*Larousse 1994) “ Bezirk 1.(clearly defined) region, district, particular locality, 2. pol. a) (Verwaltungsbezirk) division, district, region b) (Stadtbezirk) borough c) (Wahlbezirk) borough, (electoral) district [...] 3. jur. (eines Richters) circuit b) (Gerichtsstand) venue 4. heiliger Bezirk sacred precinct 5. hist. Township 6. fig. cf. Bereich 7. Colloq. For Bezirksbehörde (district authority)” (*Der Große M uret- Sanders 1999)

Définitions “ Bezirk , m. circuitus, tractus, umkreis [cercle] , strecke [distance, parcours] “ (*Grimm 1854) “ Bezirk , une certaine partie d’un pays, renvoyant plus précisément aux territoires étatiques, régis par une administration (une administration des pouvoirs publics); en particulier, une juridiction [Amtsbezirk] (appelée également Kreis).” (*Meyers 1925) “ Bezirk, 1) au sens général : le territoire de compétence d’une administration ou d’une juridiction (Amts - B.), au sens étroit : le district de l’administration gouvernementale [Regierungs- B], c’est à dire un territoire intermédiaire sous l’égide du ministère de l’Intérieur […] 2) en Rép. Démo. All., l’unité territoriale d’Etat créée par la loi du 23 juillet 1952 pour remplacer l’organisation en Länder […] 3) en Autriche, le territoire sous la juridiction d’un capitaine de distict [B.- Hauptmannschaft]; également une union de plusieurs communes ayant leur propre identité juridique [...] 4) en Suisse, le territoire placé sous la juridiction d’un tribunal ou d’une administration intermédiaire ou locale (hiérarchiquement en dessous du canton).” (*Brockhaus, 1987)

Bezirk est un terme incontournable du langage administratif allemand. On entend souvent ce mot dans les villes-Etats de Hambourg et de Berlin, où Bezirk désigne les divisions administratives – sept à Hambourg, douze à Berlin – juste inférieures à la ville elle-même [Stadt], unités qui ont des limites et compétences précises connues de tous. “Demander l’autorisation du Bezirk ” ou “accompagner au Bezirk” sont des expressions courantes. Le terme Bezirk sous-entend qu’on associe un secteur précis de la ville et l’administration qui en a la charge. On dit, par exemple: “j’habite dans le Bezirk Eimsbüttel”. Le terme désigne également l’administration elle-même – les Bezirksorgane [services du Bezirk], le Bezirksamt [administration du Bezirk] – et évoque la bureaucratie allemande. Quand on parle d’une “affaire bezirkliche [de Bezirk]”, c’est qu’elle relève des instances du Bezirk, qui ont des compétences étendues en matière de finances et d’aménagement urbain. De nombreuse autres expressions témoignent de la connotation administrative de Bezirk : les personnes élues à la tête des Bezirke sont, à Berlin, des BezirksbürgermeisterIn [maires de Bezirk], à Hambourg, des BezirksamtsleiterIn [directeurs de l’administration du Bezirk]); il y a une Bezirks(verordneten)versammlung [assemblée des élus du Bezirk] et la Bezirksverwaltungsreform [réforme de l’administration des Bezirke] vise à la simplification des Bezirksbehörden [administrations du Bezirk], devenus chaotiques et déconcertants.

17 Le Trésor des mots de la ville : une maquette au 1/5e

Dans les villes, un Bezirk est toujours plus vaste qu’un Viertel [quartier], mais le mot est souvent utilisé comme synonyme de Stadtteil [partie de ville] et peut être associé aux inégalités sociales : ainsi distingue-t-on un wohlhabenden Stadtbezirk [riche] d’un Arbeiterbezirk [ouvrier]. Le sens bureaucratique passe alors au second plan par rapport aux caractéristiques sociales du quartier. Dans une étude réalisée en 1968 à Hambourg, on attribuait la plus grande centralité urbaine [Zentralität] à la City [centre-ville], puis au Bezirkszentrum [centre du Bezirk], puis au Bezirksentlastungszentrum [centre secondaire du Bezirk] (Deutscher Städtebau 1968 : 45). Dans les villes, en effet, le Bezirk est généralement associé à un pôle central qui lui donne son nom. Celui-ci s’est souvent développé autour d’un ancien village ou d’une grosse ferme et comporte des équipements centraux fournissant aux habitants les services nécessaires à leurs besoins. On retrouve cette notion de centre dans l’étymologie du mot Bezirk, qui vient du grec kírkos ou kríkos (anneau), en latin circus (cercle) (*Kluge 1989 : 82). Le mot a d’abord signifié Umkreis [cercle, circonférence] – l’étendue d’une région étant définie à l’aide d’un compas à partir d’un centre. Si la notion de Kreis [cercle] est absente de la signification actuelle du mot Bezirk, l’existence d’un centre civique et commercial, par contre, en fait partie. Quand Bezirk est utilisé pour des secteurs urbains on dit aussi Stadtbezirk [de ville, urbain] mais il peut l’être également pour des secteurs agricoles, par exemple quand un Randbezirk comprend des terres agricoles et des fermes situées à la limite de la ville [Stadtrand]. En outre, dans les grands Länder, il y a des ländliche Bezirke [ruraux] qui ne comprennent aucune grande ville et qui constituent un intermédiaire entre l’administration du Land et les administrations locales. Ici, Bezirk est utilisé dans le sens de Region [région] et, s’il n’y a pas de centre marquant, c’est le nom de la région que l’on attribuera au Bezirk, par exemple Bezirk Franken. La division du territoire en Bezirke étant du ressort des Länder, le terme Bezirk prend un sens différent selon les parties de l’Allemagne. Ainsi, bien qu’en Rhénanie du Nord-Westphalie le code communal de 1974 oblige les grandes villes à diviser les zones urbaines en Bezirke, le terme est peu usité dans le langage courant. On parle ici de Behörde [administration] ou de Ortsamt [administration locale]. De façon générale, dans le langage courant, on utilise le plus souvent Bezirk à propos d’institutions précises : Gerichtsbezirk [judiciaire] ou Steuerbezirk [fiscal]. Les grandes paroisses [Kirchengemeinden] sont souvent découpées en Gemeindebezirke [paroissiaux]. Lors des élections, la RFA est divisée en Wahlbezirke [électoraux]. Dans ces contextes, l’emploi de Bezirk implique que l’on parle d’une administration d’Etat. Ce sont d’autres termes – Kreis [cercle, canton] et Gemeinde [commune] – qui désignent les administrations locales autonomes, établies par la loi (GG 1949 : article 28) comme selbständige Kommunen [communes indépendantes] (Beutling 2002 : 46) Après la Deuxième Guerre mondiale, l’usage du mot Bezirk évolua différemment dans les deux Etats allemands, les changements étant plus importants en RDA qu’en RFA. En 1952, dans la RDA en train de se constituer, les Bezirke remplacèrent les Länder et devinrent ainsi les plus grandes divisions territoriales de la République. On leur donna les noms des villes principales, par exemple Bezirk Karl-Marx-Stadt. Le mot Bezirk devint l’un des plus usités dans toutes les conversations concernant l’Etat et le Parti. La plupart du temps, les décisions revenaient aux autorités du Bezirk, par exemple au Bezirksgericht [tribunal de Bezirk] pour les affaires de l’Etat ou au Bezirkssekretär [secrétariat de Bezirk] pour les affaires du Parti. Tous les quatre ans, avait lieu un Bezirkstag [jour du Bezirk] où l’on élisait les membres du Bezirksorgane [organisme de Bezirk] qui était responsable de l’exécution du plan économique. Depuis la réforme des années 1960, la planification de la construction des immeubles d’habitation était du ressort des Bezirksräten [conseils de Bezirk] (Hoffmann 1972 : 96). En RDA, le terme administratif Wohnbezirk [Bezirk d’habitation] était utilisé comme

18 Le Trésor des mots de la ville : une maquette au 1/5e synonyme de Wohngebiet [secteur d’habitation]. Les organisations populaires du Parti avaient pour base les Wohnbezirke, comme par exemple le Wohnbezirksausschuß [comité de Wohnbezirk]. En RFA, Bezirk est également utilisé pour désigner les instances territoriales d’organisations non étatiques. Les partis politiques et les syndicats ont réparti la RFA en Bezirke, unités juste inférieures aux Landesverbände [fédérations de Land] – qui, elles, correspondent aux Länder –, par exemple le Bezirk Niederrhein [du Rhin inférieur]. Les campagnes électorales sont souvent menées au niveau des Bezirke, aussi différencie-t-on des Bezirke de droite et des Bezirke de gauche. La Poste et d’autres entreprises emploient aussi le mot Bezirk pour désigner les divisions territoriales de leur organisation interne, ce qui donne au terme une connotation commerciale. Quand un responsable est recherché pour un certain Bezirk, le mot apparaît également dans les offres d’emploi paraissant dans les journaux. Historiquement, le mot, qui renvoie à “définir un périmètre”, désigne un découpage territorial fonctionnel au service de l’exercice du pouvoir. Au Moyen Age, cette opération concernait notamment la séparation de la propriété communale et de la propriété privée, et la détermination des domaines de compétence liés aux privilèges octroyés par le souverain. Un Bezirk de forêts giboyeuses était sous la responsabilité d’un garde forestier qui devait, en particulier, “ramener le gibier dans le Bezirk” (Grimm & Grimm 1854). Les Gerichtsbezirke [de tribunal] étaient placés sous le contrôle des souverains (Buff 1971 : 23). Avec le développement des villes, Bezirk fut de plus en plus utilisé pour séparer villes et campagnes. Stadtbezirk [de ville] fut utilisé exclusivement pour le Stadtbereich [ressort de la ville] ou Stadtgebiet [territoire de la ville] et désignait un partie de la ville située à l’intérieur des murs. A l’opposé, on trouvait les Landbezirke [de campagne]. Quand les villes s’étendirent au delà des murs, une distinction apparut entre äußerer Stadtbezirk [extérieur] et innerer Stadtbezirk [intérieur]. Au XVIIIe siècle, Bezirk était encore utilisé dans le sens de Umkreis [cercle], car le territoire de droit urbain était souvent déterminé par un tracé au compas. A Münster, les produits des artisans de la campagne furent interdits “dans le Bereich [ressort] et Bezirk à une demie-heure de la ville” (cité par Deter 1990 : 24). Ce sens de “cercle” se retrouve chez Schiller : “dans les Bezirken du savoir” (Schiller 1795, cité par *Trübners 1939 : 326). Si le verbe bezirken (déterminer un périmètre) a disparu, le sens en reste présent dans le substantif Bezirk. Avec la consolidation des Etats, Bezirk fut de plus en plus utilisé pour désigner une certaine partie d’un pays, en particulier un territoire étatique relevant d’une autorité administrative (*Meyers 1925). Les limites et les fonctions des Bezirke furent de plus en plus souvent déterminées juridiquement. De nombreuses instances administratives hiérarchisées furent alors constituées, surtout en Prusse, Etat strictement organisé par l’autorité supérieure. Les provinces furent divisées en Regierungsbezirke [de gouvernement] avec des présidents à leur tête, assistés par des Bezirksregierungen [directions de Bezirk] et des Bezirksausschüsse [conseils de Bezirk]. Après la défaite face aux troupes napoléoniennes, le code prussien des villes [Städteordnung] de 1808 prévoyait que l’Etat devait être renforcé par une décentralisation de l’administration, en particulier en faveur des communes [Gemeinden], des villes [Städten] et des bourgs [Bürgern]. Les villes furent divisées en Ortsbezirke [locaux], à la tête desquels furent placés des Bezirksvorsteher [responsables de Bezirk] qui relevaient de l’autorité du roi. En Bavière également, notamment à Baden, on employait le mot Bezirk pour désigner une administration décentralisée. Depuis le code prussien de 1808, la police relève de l’Etat et elle est organisée, aujourd’hui encore, en Polizeibezirke [de police]. Dans l’Empire wilheimien (1871-1919), Bezirk acquit une connotation militaire: le Bezirkskommando était la direction militaire d’un Landwehrbezirk [de l’Armée territoriale]. Entre 1939 et 1945, cette autorité porta le nom de Wehrbezirkskommando [commandement de Bezirk de l’Armée] (*Meyers 1972 : 98). Par la suite, Bezirk reçut d’autres significations,

19 Le Trésor des mots de la ville : une maquette au 1/5e comme dans Sperrbezirk [interdit], qui implique une interdiction d’entrer pour certaines personnes : dans un contexte militaire, c’est un secteur auquel la population civile n’a pas accès, dans un contexte urbain, un secteur où la prostitution est interdite (comme à proximité d’une école) ou un secteur mis en quarantaine (comme dans les cas de fièvre aphteuse). Enfin, Heiliger Bezirk [sacré] désigne, comme dans la cité grecque, un secteur comprenant des lieux et des bâtiments sacrés, auquels sont associés vénération, subordination et accès strictement réglementé. Ainsi, religion et pouvoir se trouvent-ils, dans cette expression, réunis. Björn Oellers

Voir Bannmeile, Gebiet, Viertel Voir

Sources primaires Beutling, Alexander, 2002, Die Ergänzungs- und Ausgleichsaufgaben der Kreise – Im Spannungsfeld gemeindlicher und kreislicher Eigenverantwortlichkeit , Aachen. Deutscher Städtebau 1968. Die Städtebauliche Entwicklung von 70 deutschen Städten, Deutsche Akademie für Städtebau und Landesplanung. GG, Grundgesetz für die Bundesrepublik Deutschland, 1949, (in) Menschenrechte Bürgerfreiheit Staatsverfassung, 1990, Bochum, Der Kultusminister des Landes Nordrhein - Westfalen. Hoffmann, Manfred, 1972, Wohnungspolitik der DDR, - das Leistungs- und Interessenproblem , Düsseldorf. Schiller, Friedrich, 1795, “Würde der Frauen”, (in) Trübners Deutsches Wörterbuch, 1939, Bd 1, Berlin, Alfred Göße. Sources secondaires Deter, Gerhard, 1990, Rechtsgeschichte des westfälischen Handwerks im 18.Jhdt: Das Recht der Meister, Münster. Autres références Buff, Albert, 1971, Bauordnung im Wandel, Historisch- politische, soziologische und technische Aspekte , München.

20 Le Trésor des mots de la ville : une maquette au 1/5e

______bidonville (pl. bidonvilles) français France et Maghreb, nom masculin

Définitions “Bidonville désigne une cité de fer blanc. Les immigrés à la recherche de travail habitaient auparavant dans des camps sous la tente […] Là s'amoncelaient les ordures de la ville. Les autorités parèrent au danger en faisant évacuer de force ces locaux et en y portant le feu. Aux habitants fut affecté un champ dans la banlieue, où se trouvait de l'eau. De vieilles plaques de tôle ondulée, surtout de caisses et de bidons hors usage, furent édifiés de nouveaux abris, qui bientôt firent une vraie ville. Aujourd'hui, Bidonville s'étend comme un bourg monstrueux, où lentement commencent à se tracer des places et des rues.” (Sieburg 1938) “ Bidonville […] en Afrique du Nord, et par extens. dans d’autres contrées, quartiers urbains ou suburbains, parfois importants, constitués de cabanes faites de matériaux de récupération, en particulier de métaux provenant de vieux bidons (Dans ces agglomérations s’entassent les populations rurales qui, chassées des campagnes par le chaumage et la faim, ne trouvent pas de travail régulier dans les villes).” (* Grand Larousse Encyclopédique 1960). “ Bidonville […] V. 1950; de bidon […] et de ville; d’abord en parlant de l’Afrique du Nord. Agglomération d’abris de fortune, de baraques sans hygiène, située en général à la périphérie des grandes villes, et ou vit la population la plus misérable. […] REM. Le mot chargé d’une signification sociologique et politique dense, a produit les dérivés bidonvillien (n. m.), bidonvillisé (adj.) […]et bidonvillisation (v. 1970). ” (*Robert 1985)

Bidonville fut à l’origine un toponyme : le nom d'un quartier surgi à Casablanca au cours des années 1920 sur le site d’un campement appelé Gadoueville (Adam 1968 : 85-86, Cohen & Eleb 1998 : 221). “Bidonville, […] capitale de la ‘mouise’, construite en bidons de pétrole et en tôle ondulée” (Mac Orlan 1989 [1934] : 65) regroupait des baraques érigées par les migrants ruraux avec des déchets industriels. Le terme devint bientôt un nom générique et, dès les années 1930, bidonville fut utilisé pour désigner - par antonomase - d’autres baraquements surgis dans l’agglomération de Casablanca, qui étaient dénommés en arabe dialectal marocain karyan (adaptation du mot français carrière), derb (quartier) ou dwar (cercle, village, en référence à l’origine rurale des habitants). Des bidonvilles apparurent ensuite dans d’autres villes, au Maroc (Fès, Rabat, Salé), en Tunisie (souvent sous le nom de gourbiville) et en Algérie (Alger, Constantine, Oran). Ainsi, en Afrique du Nord, le bidonville devint le troisième élément de base de la morphologie urbaine, avec la médina et la villeneuve (Berque 1958). La première attestation de Bidonville en tant que toponyme remonte, d’après Cohen et Eleb, à un article dans L’Exportateur français (Marc 1930 : 54) et l’on trouve une vue d'ensemble du lieu sur une carte postale de 1932 (Cohen & Eleb 1998 : 221). Une origine tunisoise plus récente est envisagée par d’autres auteurs (Miossec 1985, Stambouli 1977 : 252), mais le mot était déjà courant en 1936 “dans les pages du Bulletin économique du Maroc” (Berque 1978 [1962] : 201). Il perdit sa majuscule à l’écrit et fut utilisé au pluriel, initialement entre guillemets, voire en italique : un “véritable danger pour la cité européenne [...] gît dans ces ‘bidonvilles’.” (Vaillat 1934 : 91). À partir des années 1950, il fut adopté en France métropolitaine, se généralisa progressivement et, finalement, entra dans les dictionnaires généraux en 1960 (*Grand Larousse Encyclopédique). Il donna lieu à plusieurs mots dérivés : bidonvillois ou bidonvilliers (Rachdi 1967 : 32), des auteurs décriront la bidonvillisation ou les banlieues bidonvillisées, des bidonvilles en paillote, sur pilotis, d’altitude... Bairoch (1985 : 605) observe qu’il a “pénétré d'autres langues, […] l'allemand, l'italien et le russe.” Ainsi, le mot bidonville (au féminin) est devenu courant en italien: il est mentionné dans les dictionnaires (*Treccani 1974) et employé dans la presse (Sannino 1994). Une filiation pour une part européenne et “prolétaire” du bidonville (Rabinow 1989 : 308) est attestée : “comme il y eut autour de Paris, entre les deux guerres, la ‘Zone’, il exista à Casablanca, à certains époques, des bidonvilles d’européens” (Adam 1968 : 87). Pour Nachoui (1998 : 45) : “les premiers bidonvilles [...] étaient construits et habités par des

21 Le Trésor des mots de la ville : une maquette au 1/5e européens […] Les Marocains n'avaient donc construit leurs bidonvilles qu'après les avoir imités”. En France, en tous cas, les bidonvilles n’abritèrent pas que des populations immigrées d’Afrique du Nord (dites “arabes” ou “musulmanes” et composées de “célibataires”), mais aussi des familles portugaises, espagnoles, yougoslaves et même françaises (20% des 75 000 bidonvillois recensés en 1966 par le ministère de l’Intérieur) (Lallaoui 1993 : 44), ainsi que des “gitans rapatriés” du Maghreb (Brun 1964). En français, “peu à peu le terme ‘bidonville’ a désigné des formes diverses d'habitat urbain qui présentent, sans être toutefois constituées par des matériaux de récupération, les mêmes problèmes économiques et sociaux, à savoir la pauvreté des habitants et la grande précarité de leurs conditions d'habitat” (Lacoste 1980 [1968] : 258), notamment dans le Tiers Monde, mais également dans de grandes villes européennes (Paris, Madrid, Barcelone, Naples, Lisbonne). Ainsi les savants français érigèrent bidonville en catégorie universelle : sont emblématiques à cet égard les ouvrages de Cannat (1985) et de Granotier (La planète des bidonvilles, 1980). Un seul mot permettait donc de réunir les favelas de Rio, les invasões de Salvador de Bahia, les gecekondu d'Ankara, les bastees de Calcutta, les ranchitos de Caracas, les mussequés de Luanda, les townships de Johannesburg, les kébé de Nouakchott, les barrios piratas de Bogota (Cattedra & Memoli 1995, Agier 1999). Certains milieux universitaires restèrent cependant réticents à adopter le mot bidonville “pris dans un sens de plus en plus extensif et confusionniste” (Lacoste 1980 : 6-7): ainsi, le géographe M. Naciri (1980) a avancé la notion d’habitat sous-intégré. Le mot bidonville fut adopté dès les années 1930 dans le registre technico-administratif. En témoigne précocement l’intitulé d’un Rapport municipal général sur l’assainissement de Casablanca. Bidonvilles et derbs (Bon 1939). Pour les jeunes administrateurs d’alors “la question des bidonvilles appartient à un domaine strictement administratif” (Girardière 1939 :1). En France, leur “existence […] est reconnue officiellement dès le début des années 50” (Lallaoui 1993 : 44-71) et la loi Debré (1964) fut dite “de suppression des bidonvilles”. Bairoch (1985 : 605), constate qu’au cours des années 1980 “même les Nations Unies reviennent aux ‘bidonvilles’”, alors que les enquêtes menées précédemment sur l’habitat urbain étaient tenues de recenser - d’après les recommandations de la commission statistique de l’ONU - des “unités d’habitations improvisées”. Un rapport des Nations unies (1997) avertit explicitement : “on a employé les expressions ‘zones de peuplement non réglementées’, ‘de transition’, et ‘marginales’ pour tenter d’échapper à la connotation péjorative de termes tel que ‘taudis’ ou ‘bidonville’” (cité par Bairoch 1985). Dans l’après-guerre, des enquêtes sur les bidonvilles furent menées en Afrique du Nord par des jeunes administrateurs français en vue de l’obtention de leur diplôme (Ratier 1949, Manneville 1950, Mas 1950) et ceux-ci comparaient lesmédinas ruralisées et les bidonvilles sous-prolétaires. Ils découvraient des “bidonvilles à l'état d'archipel” aussi bien que des “bidonvilles à l'état de continent”, des “agglomérations sordides” (Adam 1949-50). L’action de l’administration coloniale fut déterminante dans la formation de ce type d’habitat (Benzakour 1978 : 94), car “ces bidonvilles ont été à plusieurs reprises, refoulés, déplacés, alignés, découpés en blocs pour des raisons d'hygiène et de bon ordre” (Montaigne 1951 : 138). Ainsi virent le jour, à côté des “bidonvilles sauvages” et “ privés”, des “bidonvilles municipaux” où une taxe était perçue par l'administration (Adam 1949-50; 1968). Les grands bidonvilles d'Alger, de Casablanca et de Tunis, accueillaient dans la période 1950-1970 jusqu’au tiers de la population. En France, la “carte des bidonvilles” établie en 1966 par le ministère de l’Intérieur en repérait 255, concentrés dans une centaine de localités. Huit villes, la plupart localisées en région parisienne (Champigny, Nanterre, La Courneuve, etc.), accueillaient avec Marseille, Lille et Toulon les deux tiers de la population bidonvilloise (Lallaoui 1993 : 44-45). La presse a probablement contribué à la diffusion du mot, car la présence des bidonvilles a été niée en

22 Le Trésor des mots de la ville : une maquette au 1/5e

France jusqu’aux années 1950 (Gastaut, 2000). À Saint –Denis, “les îlots les baraquements auto-construits [furent] appelés ‘bidonvilles’ à partir de la fin des années 1950” (David 2002). Un tract de la Ligue du coin de terre diffusé en 1958 mettait en garde contre l’assimilation du jardin ouvrier à un bidonville, défini comme une “sorte de degré zéro, misérable et non équipé, du lotissement pavillonnaire” (cité par Weber 1998). Il y avait encore à ce moment des expressions concurrentes : Maroc était une “appellation générique des lotissements pauvres” (Fourcaut 2000 : 150), signalée en région parisienne (Champigny) vers la moitié des années 1950 (Wender 2001 : 47). Les méthodes de “lutte dite ‘antibidonville’” (Hervo & Charras 1971 : 403) furent très variables : laisser-faire ou simple contrôle, amélioration (viabilisation, fontaines, latrines) – up-grading dans le jargon de la Banque mondiale –, déguerpissement ou dégourbification (campagne lancée en Tunise dès 1950), résorption comportant le relogement via l’auto- construction ou des projets dits de sites & services, dont l’origine remonte à la trame sanitaire de l’urbaniste Ecochard (1951). En France, le passage “du bidonville aux HLM” (Lallaoui 1993) a signifié pour les populations concernées plusieurs années d’attente dans les cités de transit (1960) ou les cités d’urgence (1973). Dès les années 1950 une controverse s’ouvrit sur la fonction sociale du bidonville. Pour les uns, il est le lieu de la marginalité, du danger social et politique : les “révoltes des bidonvilles” ont hanté les autorités coloniales et préoccupé celles des Etats indépendants. En mai 2003, au Maroc, on assurait que “les auteurs des attentats suicides qui ont fait 43 morts ont grandi dans les bidonvilles de Casablanca” (Iraqi 2003). Pour d’autres auteurs, “certains travaux sur les bidonvilles qualifient trop hâtivement ces populations de marginales” (Stambouli 1977 : 249) et le bidonville est envisagé comme une étape dans l’acculturation urbaine. “Il y a aussi des riches en bidonville” affirmait Ecochard (1955 : 27), Berque (1958 : 35) avait repéré un “bidonville chic” à Alger et des spécialistes français soulignent encore que “les pires bidonvilles” d’Amérique Latine sont pourvus d’électricité et d’antennes de télévision (Guglielmo 1996 : 121), voire d’antennes paraboliques ! Bidonville, qui désigne dans l’usage courant et scientifique français un type d’habitat urbain spontané et marginal, conserve une connotation de stigmatisation. Néanmoins, le mot a commencé récemment à être employé dans d’autres contextes avec d’autres significations. Sur le Web, plusieurs sites renvoient actuellement à l’action d’ONG, de milieux associatifs et altermondialistes, qui évoquent les bidonvilles comme une manifestation de la diversité culturelle de la planète et de la richesse d’invention des populations. La tendance à l’euphémisation du mot bidonville, présente dans l’usage italien, semble se diffuser : lorsqu’on recherche bidonville sur tout le Web, dans toutes les langues européennes disponibles (sauf le français), avec le moteur de recherche Google, le site de Bidonville (www.bidonville.com) - une association écologiste de Naples qui anime des initiatives de récupération et recyclage d’objets, des marchés au puces et expositions - apparaît en première position sur plus de 18 000 résultats. Raffaele Cattedra

Voir banlieue, baraquement, faubourg, hlm, métropole, quartier, taudis, zone. Voir barrio (espagnol Méxique), barriada (espagnol), derb (arabe, Maghreb), favela (portugais Brésil), ghetto (italien), madîna (arabe, Maghreb), mocambo (portugais Brésil), shanty town (anglais Etats-Unis), slum (anglais Etats-Unis), squatter settlement (anglais), suburb (anglais), suburbio (espagnol Amérique latine), township, tugurio (espagnol).

Sources primaires Adam, André, 1949- 1950. “Le bidonville de Ben M'sik à Casablanca”. Annales de l'Institut d'Études orientales de la Faculté des Lettres d’Alger, vol. 8 : 61- 199.

23 Le Trésor des mots de la ville : une maquette au 1/5e

Berque, Jacques. 1958. “Médinas, villeneuves et bidonvilles”. Les cahiers de Tunisie , 1er et 2ème trimestre, t. VI, n° 21- 22 : 5 - 42. Berque, Jacques. 1978. Le Maghreb entre deux guerres. Paris, Seuil, 2ème éd. (1ère éd. 1962). Bon, M . 1939. Rapport général sur l'assainissement de la Ville de Casablanca. Bidonvilles et derbs, exercice 1938- 39. Secrétariat Général du Protectorat. Cannat, N. 1985. Sous les bidons la ville…, de Manille à Mexico à travers le bidonvilles de l'espoir. Paris, L'Harmattan. Ecochard, Michel. 1951, “Problèmes d'urbanisme au Maroc”, Bulletin Economique et Social du Maroc, n° 52 : 3 - 10. Ecochard, Michel. s.d. [1955]. Casablanca. Le roman d'une ville . Paris, Éditions de Paris. Granotier, Bernard. 1980, La planète des bidonvilles. Perspectives de l'explosion urbaine dans le ties monde. Paris, Seuil. Guglielmo R., 1996, Les Grandes métropoles dans le monde. Paris, Colin. Hervo, Monique; Charras, Marie - Ange. 1971, Bidonvilles, l’enlisement. Paris, Maspero. Iraqi, Fadh. 2003. “A Sidi Moumen, d’où viennent les kamikazes”, Le Journal Hebdomadaire (in : Courrier International, n° 658, 12- 15 juin). Lacoste, Yves. 1968. “Bidonville”, Encyclopaedia Universalis , Paris (re - édition 1980. Vol. 3 : 258- 261). Girardière, M. 1939. La lutte contre les bidonvilles. Centre de préparation au brevet des Hautes études d’administration musulmane, CHEAM (mémoire de stage). Mac Orlan, Pierre. 1934, "Bousbir", in : Rues Secrètes, Paris, Gallimard, 1934. Rééd. 1989, Paris, Arcéa : 46- 65. Manneville, Roger. 1950. Prolétariat et Bidonvilles, Archives du Centre des Hautes Etudes d’Administration Musulmane (2 fasc. ronéo). Marc, Jean. 1930. “L'oeuvre française au Maroc : Casablanca la nouvelle”, L'exportateur Français , 9 octobre. Mas, Pierre. 1950. Les phénomènes d'urbanisation et les bidonvilles du Maroc, Mémoire de l'Institut d'Urbanisme de Paris. Montagne, Robert. 1951. Naissance du prolétariat marocain. Enquête collective. Cahiers de l'Afrique et de l'Asie , n. III, Paris, Peyronnet. Naciri, Mohammed. 1980. “Les formes d’habitat sous- intégré”, Hérodote, septembre - octobre, n° 19, 13- 70 (n° monographique : L’habitat sous- intégré ). Nations Unies. 1977. Enquête sur la s ituation du logement dans les monde, 1974. New York. Ratier Jean. 1949. Les problèmes du Bidonville des Carrières Centrales. Paris, Ecole Nationale d’Administration (mémoire de stage). Sannino, Concita. 1994. “Battaglia per la bidonville. Forzato dai camion il sit - in dei baraccati”, La Repubblica (édition de Campanie), 20 janvier. Sieburg, Friedrich. 1938. “Le rôle économique de Casablanca vu par un écrivain allemand”, Bulletin économique et social du Maroc, juillet : 205- 207 Vaillat, Léandre. 1934. Le périple marocain . Paris, Flammarion. Sources secondaires Adam, André. 1968. Casablanca. Essai sur la transformation de la société marocaine au contact de l'Occident. Paris, CNRS, 2 vol. Bairoch, Paul. 1985. De Jericho à Mexico. Villes et économie dans l'histoire . Paris, Gallimard. Cohen Jean- Louis; Eleb Monique. 1998, Casablanca. Mythes et figures d'une aventure urbaine. Paris, Hazan. David, Cedric. 2002. La résorption des bidonvilles de Saint- Denis. Un noeud dans l’histoire d’une ville et “ses” immigrés (de la fin des années 1950 à la fin des années 1970, Mémoire de maîtrise (résumé par l’auteur in : Association Histoire et Mémoire Ouvrière en Seine- Saint- Denis, octobre 2003 www.bisonc.univ - paris1.fr/ahmo). Fourcaut, Annie. 2000. La banlieue en morceaux. La c rise des lotissements défectueux en France dans l’entre - deux- guerres. Crâne, Creaphis. Miossec, Jean- Marie. 1985. “Citadins, néocitadins et organisation spatiale”, in : Troin Jean.- François (dir.). Le Maghreb. Hommes et espaces. Paris, Colin : 256- 278. Rachdi, Omar. 1967. “Casa bidons”. Lamalif, n° 13, juillet, pp. 30- 33. Stambouli, Fredj. 1977. “Urbanisation difforme et émergence d'une nouvelle société urbaine au Magherb”, Les Temps Modernes, octobre, n° 375 : 249- 272.

24 Le Trésor des mots de la ville : une maquette au 1/5e

Weber, Florence. 1998. L'honneur des jardiniers. Les potagers dans la France du XXe siècle . Paris, Belin. Wender, Philippe. 2001. “Le mouvement Castor en France dans les années cinquante. Construction coopérative de dix pavillons de Castors des transports parisiens à Champigny- sur- Marne en 1 954- 55”. Mémoire de l’EHESS. Autres références Agier, Michel. 1999. L’invention de la ville. Banlieues, townships, invasions et favelas. , OPA - Editions des archives contemporaines. Benzakour, Saad. 1978. Essai sur la politique urbaine au Maroc, 1 912- 1975. Casablanca, Editions Maghrébines. Brun, Françoise. 1964. “Un bidonville de gitans rapatriés : la Campagne Fenouil”, Méditerranée, juillet- septembre, Année 5, n° 3 : 243- 255. Cattedra, Raffaele; Memoli, Maurizio (eds). 1995. La città ineguale. Pra tiche culturali e organizzazione della marginalità in Africa e in America Latina. Milano, Unicopli. Gastaut. Yves. 2000. “Visites au bidonville : habitat des migrants primo- arrivants (1955- 75)”, in : Lévy- Vroleant C., Logements de passage. Formes, normes, expériences. Paris, L’Harmattan Lacoste, Yves.1980. “Editorial. Le colloque de Vincennes”, Hérodote, septembre - octobre, n° 19 : 3- 12 (n° monographique : L’habitat sous- intégré ) Lallaoui, Mehdi. 1993. Du bidonville aux HLM . Paris, Syros. Nachoui, Mohammed. 1998. “Les bidonvilles et les cités de recasement", in : Nachoui M ., Casablanca. Espace et société. Casablanca, Publication de la revue Espace Géographique et Société Marocaine : 45- 50.

Rabinow, Paul. 1989. French Modern : Norms and Formes of the Social Environment. Cambridge, Mass., MIT Press. ______boulevard (pl. boulevards) français, nom masc.

Définitions “ Boulevart [...] Gros bastion. On ne se sert plus de ce mot en termes de guerre. On dit encore à Paris, aller sur le boulevart de la porte Saint- Antoine qui est un des plus gros bastions de France.” (*Furetière 1690) “ Boulevard [...] Ouvrage de fortification extérieure ; c’est ce que nous entendons aujourd’hui par gros bastion. Ce mot n’est plus d’usage.” (*Diderot & d'Alembert 1751) “ Boulevard [...] Promenade plantée d’arbres qui fait le tour d’une ville [...] Aujourd’hui, par extension et par abus, on donne le nom de boulevard à toute rue large, plantée d’arbres, qui traverse la ville, mêm e dans son centre.” (*Littré 1863) “ Boulevard [...] 1. Large voie faisant le tour d’une ville (sur l’emplacement des anciens remparts) [...] 2. Rue très large, généralement plantée d’arbres.” (*Nouveau Petit Robert 1993)

Au XVIIe siècle, boulevard était un terme de fortification (Demangeon 1990). Selon Le Robert, ce mot est probablement emprunté au moyen néerlandais bolwerc : il s’agit d’un composé dont le premier terme signifie “planche” et le second “ouvrage” (*Rey 1993). Le mot était utilisé en français au XIVe siècle et désignait alors “un ouvrage de défense consistant en un rempart fait de terre et de madriers”. Par la suite, il devint un terme de voirie désignant des formes urbaines assez variées. Le début de ce changement sémantique s’effectua probablement à Paris. Dans les années 1670, cette ville remania et remplaça les fortifications de sa rive droite par une “nouvelle enceinte” (plan dressé par Nicolas de Fer en 1697), une promenade longtemps boudée par les Parisiens. Mais vers 1740 sa partie orientale devint un lieu bien fréquenté, son succès se répandant ensuite sur le reste du parcours. La pression immobilière, résultant du désir de vivre en bordure de cet endroit à la mode, s’accrut considérablement ; peu à peu, de dérogation en dérogation, la promenade, censée au départ être indépendante de constructions, se transforma dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle en une voie urbaine de type nouveau (Châtelin, Darin & Monod 2000). Comment nommait-on cette rue-promenade – terme utilisé vers la fin du XVIIIe siècle et qui soulignait l’aspect composite de cette forme urbaine ?

25 Le Trésor des mots de la ville : une maquette au 1/5e

Pendant un siècle, le mot boulevard coexista avec deux autres : cours et rempart. Tous les trois étaient employés au singulier. C’était l’usage dans les divers documents écrits et graphiques, et même celui des procès-verbaux émanant d’une même instance, le Bureau de la Ville, chargé de la gestion de ce lieu (archives 1). Dans le premier rapport (1713) du Bureau de la Ville conservé aux Archives nationales, on employait aussi bien le mot cours que rempart. Le mot boulevard apparut pour la première fois dans ces documents en 1738. Pendant quasiment tout le XVIIIe siècle, c’était le mot rempart qui était utilisé le plus fréquemment. Mais vers la fin du siècle, boulevard prit le pas sur les deux autres, cette fois-ci au pluriel. En 1787, toujours dans les documents du Bureau de la Ville, un tronçon était désigné pour la première fois par un “nom propre” : le boulevard de la Comédie des Italiens. En 1788, d’autres tronçons suivirent : boulevard du Temple, boulevard Saint-Antoine, boulevard de Choiseul, boulevard d’Antin, boulevard Poissonnière... Dès lors, le mot boulevard régna sans partage, même si cours était encore utilisé quelques fois. Les divers boulevards figuraient, par exemple, sur le plan dressé par Verniquet (1797). Le choix des noms qui désignaient les différents boulevards se fit selon l’usage ancien en se référant au nom de lieux (portes ou faubourgs) et non selon le nouveau système démonstratif (utilisé alors notamment autour des théâtres) qui devint pratique courante pendant la Révolution (Milo 1986). Le fractionnement sémantique (division de l’ensemble en série de boulevards, chacun avec un nom à caractère local) de ce qui avait été perçu jusqu’alors comme une forme urbaine unitaire soulignait la coloration sociale et architecturale des tronçons qui longeaient en effet des quartiers très variés. Mais quelques décennies plus tard l’unité prima à nouveau sur le particulier : la forme sémantique globale réapparut, cette fois-ci sous le vocable “les Grands Boulevards” qui se trouve dans un guide de Paris de 1804 (Paris et ses curiosités), alors que Le Grand Robert de la langue française (*1991) signale son apparition en 1842. Notons que ce même dictionnaire date de 1803 l’usage du mot boulevard dans le sens de “promenade, large rue plantée d’arbres faisant le tour d’une ville (sur l’emplacement des anciens remparts)”. Un usage qui se répandit à travers la France au cours du XIXe siècle : les villes françaises, impressionnées par le succès des boulevards parisiens, donnèrent, toutes, le nom de boulevard aux nouvelles voies remplaçant une ancienne enceinte. Ce fut le cas d’Angers (en 1811) et d’un grand nombre d’autres villes. L’attrait du mot boulevard était tel qu’il se substitua parfois – chose rare (normalement, ce n’est que le nom propre qui change) - aux anciennes désignations de voies. Ainsi à Nîmes, en 1809, les Grand et Petit Cours, existant depuis 1680, devinrent un boulevard (aujourd’hui Gambetta). Tours troqua en 1843 ses Petit et Grand Mails pour des boulevards (aujourd’hui Béranger et Heurteloup) (Darin 1998). A Marmande, les allées qui existaient encore en 1845 se changèrent en boulevards par la suite (Clemens 1985). En Avignon, le boulevard remplaça en 1836 plusieurs promenades, cours et quais. Il arrivait néanmoins que l’appellation de la forme urbaine perdurât, selon la règle habituelle. Cette pratique conjuguée à la volonté de nommer les nouvelles voies boulevard aboutit à une cohabitation révélatrice. A Toulouse, des allées, existant depuis 1751 (autour de l’Oval) et 1770 (du côté ouest de la Garonne) furent incorporées dans un anneau de voies conçu en 1815 encerclant la partie ancienne de la ville. Dans cette nouvelle figure, les voies préexistantes gardèrent leur dénomination d’allée, quand les nouvelles furent nommées boulevard. La ville de Sens présente un cas analogue, avec cette différence que l’ancien tronçon porte le nom de cours. Ces anneaux – nombreux dans ce genre - sont des figures composites qui portent aujourd’hui encore des traces sémantiques de leur formation. La ville nouvelle de La Roche-sur-Yon, fondée dans la première décennie du XIXe siècle, était aussi encerclée d’un anneau (en forme de pentagone) de boulevards. Mais ici, il ne s’agissait plus du remplacement d’une ancienne enceinte, mais de la création ex nihilo d’une

26 Le Trésor des mots de la ville : une maquette au 1/5e ceinture sans référence concrète à une fortification quelconque. Ce genre de nouveauté se manifestait aussi à Nantes et à Bordeaux vers la moitié du XIXe siècle. Ces deux villes, dotées déjà de cours établis à la place d’une enceinte, décidèrent alors de s’envelopper d’un énorme arc de cercle, bien au-delà du noyau urbain dense. Cette fois-ci, les deux villes désignèrent les nouvelles voies par le mot boulevard. La forme de ceinture était là, mais ne résultait pas de la substitution d’une fortification, et ne séparait même pas parties intérieures et extérieures de la ville. Le mot s’émancipait de plus en plus de ses origines militaires. A Paris, à la même époque, on alla même plus loin. On y appliqua le mot boulevard à quatre voies – de Latour-Maubourg (1827), Malesherbes (1829), Mazas (1845) et Morland (1847) – qui ne ceinturaient aucunement la ville. Toutefois, elles n’étaient pas totalement étrangères aux boulevards originels : le boulevard Malesherbes, par exemple, créait avec la rue Royale et le boulevard de la Madeleine une figure en “Y” autour de l’église de la Madeleine, la nouvelle voie ayant un tracé symétrique à celui du boulevard de la Madeleine, extrémité occidentale des Grands Boulevards. Dans tous ces cas, on sent poindre la dénomination métaphorique, une façon de nommer une forme urbaine par un mot qui ne correspondait pas forcément à ce qu’elle était mais à ce qu’on voulait qu’elle devînt (et qu’on espérait l’aider à devenir par l’appellation en question). Cette dénomination particulière est évidente dans l’épisode crucial qui suit. Dans les années 1840, une question taraudait les esprits qui s’intéressaient aux affaires urbaines de la capitale : comment sauver le centre de Paris contre la concurrence que lui faisaient les Grands Boulevards et les quartiers situés au nord-ouest de cette ligne ? Parmi les personnes qui esquissaient toutes sortes de solutions pour renforcer le centre, un dénommé Rabusson proposait d’y ouvrir deux voies ayant “la largeur d’un boulevard” (Rabusson 1839 : 7). Il s’inspirait de la forme urbaine en vogue pour la combattre. L’idée de percer le centre de la ville n’était pas si singulière – d’autres personnes s’exprimaient dans ce sens – mais envisager une percée ayant une largeur de 36 mètres était absolument inouï. Cependant, le coup ne partit pas du centre, mais de la périphérie. En 1850, quelques propriétaires du faubourg Saint-Denis proposèrent d’ouvrir une rue sur leurs terrains reliant la gare (actuelle) de l’Est et les Grands Boulevards. Petit à petit, dans une comédie à plusieurs actes qui se déroula sur deux ans, les autorités - contre le vœu des propriétaires – transformèrent l’idée d’ouvrir une rue relativement modeste en une voie de 30 mètres de largeur bordée de deux rangées d’arbres ; une voie nommée “boulevard de Strasbourg” et qui fit partie d’une longue artère (4,4 km) traversant Paris du nord au sud, le “boulevard du Centre” (aujourd’hui les boulevards de Strasbourg, Sébastopol, du Palais et Saint-Michel). Il s’agissait là d’une figure urbaine totalement neuve. Une rue-promenade plantée dont la largeur était presque deux fois supérieure à une percée normale. Cette figure révolutionnaire ne semblait choquer personne, au point que ’oxymoronl Boulevard du Centre s’imposa à tous : le mot désignant une voie courbée limitant la ville dense était employé désormais pour nommer une artère centrale qui scindait cette dernière (Darin 2000). Ce couplage a priori bizarre entre figure de ceinture et figure de traverse était, en fait, fonction d’une mutation préalable : la transformation réelle et imaginaire des Grands Boulevards en “artère” principale de la rive droite, “autour de laquelle se concentrent presque toute l’activité commerciale, industrielle et intellectuelle de Paris, la vie de luxe et de plaisirs, comme la vie des affaires” au dire d’un auteur de l’époque (Husson 1865 : 5). Du moment que le mot boulevard ne couvrait plus seulement les voies dissymétriques (limite et jonction entre les parties intra-muros et extra-muros de la ville) mais également des voies symétriques (les deux bordures étant de caractère égal), la tentation était grande de l’employer pour toutes les grandes voies. C’est contre cet usage relâché que s’élevait Littré en 1863 : “Aujourd’hui, par extension et par abus, on donne le nom de boulevard à toute rue large, plantée d’arbres, qui traverse la ville, même dans son centre”. Cette critique reflétait une

27 Le Trésor des mots de la ville : une maquette au 1/5e décision prise en 1860 par une commission municipale chargée de la nomenclature des rues de Paris, selon laquelle le mot boulevard serait réservé à la seule désignation “de grandes voies concentriques de Paris” (Passion 2000). Dans la capitale, cette décision fut mise en application, plusieurs grandes voies projetées étant désignées par le mot avenue plutôt que boulevard, comme cela avait été préconisé auparavant. Ce fut le cas de l’avenue de l’Opéra, des avenues autour de l’arc de Triomphe et de la place d’Italie (une autre figure en étoile). Cette fois, le reste de la France ne suivit pas la capitale. La pudeur sémantique de Paris fut rejetée, ou passa inaperçue. Des boulevards s’ouvrirent un peu partout et dans tous les sens, tout comme les avenues qui à leur tour avaient perdu leur sens topologique originel de voies qui amènent vers un édifice, vers un lieu. Les deux vocables devinrent interchangeables. Antibes, par exemple, se composait de boulevards rayonnants, quand, à Cabourg, les rayons étaient des avenues. Dans ces deux villes, des arcs de cercle étaient nommés aussi bien boulevard qu’avenue (Guide rouge France 1989). Les dictionnaires ne se trompaient donc pas qui commencaient à désigner ces deux mots comme des synonymes. Toutefois, il est à noter que si les deux mots étaient équivalents, ils n’étaient pas égaux. Pour les professionnels de la ville, l’un primait sur l’autre. Dans les années 1920, avenue était le terme général pour les grandes voies urbaines. C’est ainsi que le concevait Joyant qui, dans son Traité d’urbanisme (1923), groupait sous la catégorie avenues plusieurs boulevards. Un autre signe qui ne trompe pas : l’énorme voie qui relie Lille, Roubaix et Tourcoing abandonnait vers 1955 le nom de boulevard pour prendre celui d’avenue (aujourd’hui avenues de la République, de la Marne...). Mais dans les dernières décennies, le courant s’est inversé. Dans le contexte de l’avènement de nouvelles valeurs urbanistiques dans les années 1960-1970 et plus particulièrement suite à la critique des aménagements routiers brutaux dans les périphéries des villes, de nouveaux désirs urbanistiques ont vu le jour, et avec eux de nouvelles formes urbaines nommées boulevards urbains. Dans un livre qui porte justement ce titre, l’auteur, Geneviève Dubois- Taine (1990), explique ce terme en se référant aux avenues de Paris et de Versailles et aux boulevards dits haussmanniens. Cette dernière référence explique le sens de l’inversion avenue/boulevard : pendant les années 1980, le Paris de la fin du XIXe siècle est devenu, en quelque sorte, la ville de rêve des milieux urbanistiques, qui en ont extrait plusieurs enseignements ainsi qu’un mot. Enfin, le triomphe absolu de boulevard sur avenue se fait actuellement sur un autre terrain, celui du football. Quand un attaquant a la voie libre vers le but adverse, les commentateurs s’exclament : “il a un boulevard !”. C’est ainsi qu’une mauvaise défense brésilienne a ouvert “de larges boulevards aux attaquants boliviens” (Le Monde 9/11/2001) et, par extension, M. Madelin – un homme politique de droite – a pu estimer que “la course au centre de M. Chirac et M. Jospin lui ouvre un boulevard” (Le Monde 28/2/2002). Sur le terrain de football, reflet de l’évolution en ville, le boulevard prend la signification originelle de l’avenue : “Chemin par lequel on arrive en quelque lieu”. Le temps est révolu où boulevard servait de métaphore synonyme de rempart : il y a cent-cinquante ans encore, Proudhon pouvait écrire que les ateliers nationaux, dans l’esprit de la réaction “étaient le boulevard du socialisme” (Proudhon 1849 : 159 cité par *Imbs 1975, 4). Du rempart à l’avenue, quel chemin ! Michaël Darin

Sources primaires archives 1 : Archives nationales, série H2 (liasses 2127- 2141). Dubois - Taine, Geneviève. 1990. Les boulevards urbains : contribution à une politique de la ville . Paris : Presses de l’Ecole nationales des ponts et chaussées. Fer, Nicolas de. 1697. Le nouveau plan de Paris . Paris. Guide rouge France. 1989. Paris : Pneu Michelin.

28 Le Trésor des mots de la ville : une maquette au 1/5e

Husson, A. 1865. De la régénération de la rive gauche de la Seine. Paris. Joyant, Edouard. 1923. Traité d’urbanisme. Paris : Eyrolles. Paris et ses curiosités. 1804. Paris : Marchand. Proudhon, Pierre - Joseph. 1849. Les confessions d’un révolutionnaire . Rabusson, A. 1839. Eclaircissemens historiques sur la ville de Paris à propos du vote du Conseil Municipal qui prescrit l’étude du mouvement de déplacement qui se fait dans sa population. Paris. Verniquet, Edme. 1797. Atlas du plan général de la ville de Paris . Paris. Sources secondaires Clemens, Jacques. 1985. Marmande, in Higounet, Charles (s.l.d.) Atlas historique des villes de France. Paris : C.N.R.S, 1982- 1985. Darin, Michael (s.l.d.). 1998. Les boulevards circulaires. Versailles : Ville Recherche Diffusion. Demangeon, Alain. 1990. A propos du mot boulevard . Versailles : Ville Recherche Diffusion. Passion, Luc. 2000. “Le mot et la chose”, in Landau B. et Monod C. Les Grands Boulevards. Paris : Action artistique de la ville de Paris, pp. 207- 209. Autres références Châtelet, Anne- Marie ; Darin, Michaël ; Monod, Claire. 2000. “Formation et transformations des G rands Boulevards”, in Landau, B. et Monod, C. Les Grands Boulevards. Paris : Action artistique de la ville de Paris, pp. 42- 51. Darin, Michaël. 2000. “ L’avènement d’un modèle urbanistique ”, in Landau, B. et Monod, C. Les Grands Boulevards. Paris : Action artistique de la ville de Paris, pp. 57- 58. Milo, Daniel. 1986. “Le nom des rues”, in P. Nora (s.l.d.), Les lieux de mémoire . La nation, vol. 3. Paris : Gallimard, pp. 283- 315. ______casa (pl. casas) espagnol Espagne, nom fém.

Traductions casa : “ Maison demeure logis, édifice.” (*Oudin 1675) casa : “casa, subst.f. “Maison, logis + Maison, famille + Maison, nombre de domestiques qu’on a à son service + Maison, race + Maison, monastère + Tanière de bête sauvage, trou de serpent + Case d’échiquier ou de tric - trac. Casa fuerte, maison puissante, riche.” (*Cormon 1803) casa : “Maison, logis. // Maison, famille. // Maison, nombre de domestiques. // Maison race. // Maison, monastère. // Case d’échiquier. // Casa á la malicia o de malicia , maison qui n’a que le rez- de- chaussée. // - de campo, de solaz, maison de campagne ou de plaisance. // de locos, petites maisons. Fam. Maison où il n’y a point d’ordre. // casa de moneda, hôtel des Monnaies. // - de posada, o de posadas, auberge. Hôtel, maison garnie […]. // - pajiza chaumière. // - pública lieu public, bordel. // - real, maison royale, palais […]. // - solariega, maison noble et ancienne […]. // Fig. No tener casa ni hogar, n’avoir ni feu ni lieu. / / Poner casa, se mettre en ménage [...]. // tener casa y tinelo , tenir table ouverte.” (*Salvá 1882) casa : “casa, f “maison ; casa amueblada, maison meublée, garnie // immeuble m., maison (edificio) ; una casa de ocho plantas un immeuble de huit étages // maison (familia) ; la casa de los Borbones, la maison des Bourbons // maison, maisonnée (habitantes) […] // poner casa monter son ménage // maison (establecimiento comercial) ; casa editorial maison d’édition […] // casa adosada maison mitoyenne[…] // casa consistorial hôtel de ville […] // casa de huespedes pension de famille[…] // casa de vecindad ou de vecinos ou de alquiler immeuble o maison de rapport […] // casa solariega manoir gentilhommière […] // levantar casa déménager […] // no tener casa ni hogar n’avoir ni feu ni lieu […] // poner casa s’installer.” (*Larousse- Bordas 1999) Définitions casa “Logement [habitación] rustique, humble, pauvre, sans fondations ni solidité, qui s’écroule facilement; et pour cela, certains pensent qu’on dit casa, a casu , parce qu’au premier coup de vent elle menace de ruine. [...] 3. Aujourd’hui en Castillan, on entend par casa demeure et habitation [morada y habitación], fabriquée avec solidité et splendeur.” (*Covarrubias 1611) casa “Bâtiment fait pour être habité et défendre des intempéries, qui est constitué de murs, d’un plafond et d’un toit et est divisé en salles et appartements [apartamientos] pour le confort de ceux qui y demeurent. C’est le même mot latin casa qui, bien qu’il signifie cabane ou chaumière, a vu son sens étendu à tous les types de casas […].” (*Real Academia Española 1729)

29 Le Trésor des mots de la ville : une maquette au 1/5e

casa “1. Bâtiment destiné à être un logement [vivienda] [...] 2. Domicile. Logement [vivienda]. Appartement [piso ] ou local qui, même s’il ne constitue pas un bâtiment entier, comprend les dépendances nécessaires pour qu’une famille y vive de manière indépendante. […] En référence à ceux qui l’occupent, n’importe quel lieu fermé et couvert qu’on utilise comme logement [vivienda], même s’il n’est pas en maçonnerie; comme une cabane ou une grotte.” (*Moliner 1966) casa “Bâtiment fait pour être habité. 2. Bâtiment d’un ou plusieurs étages destiné à être un logement individuel [ vivienda unifamiliar], par opposition à piso [appartement]. 3. Appartement (logement) [piso (vivienda)].” (*Real Academia Española 2001)

Casa désigne en castillan un bâtiment ou un ensemble de bâtiments destiné à l’habitation. Les divers usages de ce mot déclinent un éventail de sens possibles autour de l’objet, le bâtiment, ou de sa fonction, l’habitation. Casa vient du latin casa, à l’époque classique, cabane, chaumière, mais dont on trouve de nombreuses occurrences, à partir du IXe siècle, généralement au pluriel, casas, pour désigner l’ensemble des bâtiments d’une même propriété, à la ville comme à la campagne. En castillan, le terme casa fut très tôt lié à la fonction d’habitation, c’est le bâtiment destiné à l’habitation humaine. Ainsi les lois sur les Indes consacrées à la fondation de villes et villages distinguaient les edificios des casas et indiquaient que les colons, après avoir tracé le plan de la ville, réparti entre eux les parcelles et organisé l’agriculture et l’élevage qui nourriront les habitants, “devront commencer, avec beaucoup de soin et de diligence, à fonder et édifier leurs casas avec des fondations et murs solides” (Recopilación de leyes... 1987 [1681] : 262). La loi statuait également sur la forme des casas à construire : il faudra, si possible, que “dans toutes les casas, on puisse avoir ses chevaux et ses animaux de service, avec des patios et des cours, les plus vastes possibles, de manière à ce qu’elles soient saines et propres.” (1542, 1995, p.80) Par métonymie, casa désigne la famille qui l’habite. Pour exprimer la faible consommation des Indiens, et par conséquent l’absurde quantité de biens qu’exigent d’eux les Chrétiens, Bartolomé de las Casas écrivait que “ce qui suffit pour trois casas de dix personnes chacune pour un mois, un Chrétien le mange et le détruit en un jour” (Las Casas 1995 [1542] : 80). Dans le cas des grandes familles, casa désignait alors le lignage, telle la casa de Osuna. Les lignages nobles étaient en effet liés et fondés sur un terroir, une propriété foncière, la casa- solar ou solariega. Casa désignait également le domaine, l’ensemble des propriétés et dépendances de la famille. Cet usage perdure dans le cas de la famille royale, puisqu’on parle toujours en Espagne de la Casa Real pour désigner l’institution ou le domaine royal. Dans son acception strictement matérielle, casa est le terme générique pour désigner les bâtiments d’habitation, à la ville comme à la campagne. Une même casa peut donc contenir plusieurs logements. Les recensements municipaux comptabilisent presque tous en Espagne, depuis l’époque moderne, des casas. Le caserio désigne dans la langue courante l’ensemble des maisons d’une ville, son “habitat”. L’hygiéniste Cesar Chicote constatait ainsi que “les 600 000 Madrilènes sont logés dans moins de 15 000 casas. Ce nombre regroupe de la modeste baraque au somptueux palais; de celle qui est occupée par une seule famille à celle qui ressemble au rayon d’une ruche avec ses nombreuses alvéoles” (Chicote 1914 : 29). L’ingénieur des Ponts et chaussées et urbaniste Ildefonso Cerdà, dans son étude statistique sur Barcelone en 1855, proposait un chapitre sur “l’état du nombre de casas”, classées selon “le nombre d’étages [pisos], les foyers [hogares] entre lesquelles, elles se trouvent divisées”, leur surface, le nombre d’habitants, l’aération, etc. Comme chez les hygiénistes français, la question du nombre d’habitants rapporté à l’espace était déterminante. En revanche, la notion de “pièce”, que s’attachaient à définir les Français n’apparaissait pas. Remarquons, également que Cerdà préférait la notion de foyer à celle de logement et ne reconnaissait pas d’autre unité spatiale à l’intérieur de la casa que les étages. Ce qui est sans doute significatif du caractère

30 Le Trésor des mots de la ville : une maquette au 1/5e fluctuant de la division en appartements de nombreux immeubles à cette date : le logement n’est pas une unité spatiale, mais sociale. En 1968, le Registro de la propiedad de Madrid, qui établit la liste des biens immobiliers et de leurs propriétaires, inscrit les nouveaux bâtiments en utilisant toujours le terme casa (archive 1). Mais il retient comme élément descriptif essentiel, outre les étages, le nombre des logements : “Propriété urbaine. Casa dans Madrid […]. Elle est composée de sous-sols, rez- de-chaussée et cinq étages [plantas altas]. […] Les cinq étages sont distribués en quatre viviendas [logements] chacun.” Le développement de l’habitat collectif urbain a donc conduit casa à désigner l’immeuble collectif. On trouve de même en Espagne l’expression casa de pisos [à étages, à appartements]. Il est remarquable que dans ce pays où l’habitat collectif domine largement en ville, aucun terme spécifique tel qu’immeuble en français n’ait été introduit au XIXe siècle. Cette évolution a également concerné l’Amérique de langue espagnole. Un personnage d’une nouvelle de l’argentin Roberto Arlt se trouve ainsi “soudain devant l’entrée obscure d’une casa de departamentos [d’appartements], elle monte dans la guérite éclairée d’un ascenseur en acier […]”. Toutefois, pour désigner un immeuble, le terme casa est aujourd’hui fortement concurrencé par le mot edificio, moins précis puisqu’il ne dit rien de la fonction du bâtiment. Il s’applique du reste aussi et avec une nuance emphatique, aux immeubles de prestige d’ remarquable. Casa, dans un certain nombre de ses acceptions, se détache de la référence à l’objet matériel qu’est le bâtiment, pour ne plus retenir qu’une fonction, celle de l’habitat. Casa désigne alors le logement, même s’il est réduit à une partie d’un édifice, comme un appartement [piso]. Ainsi, les premières lois élaborant un cadre juridique pour l’habitat social, en 1911, 1921 et 1924, furent nommées “sur les casas baratas [à bon marché]”. Le terme habitación en espagnol n’a pas ce sens général de logement, il désigne une pièce à l’intérieur d’un logement. Le logement c’est la vivienda, parfois l’alojamiento et, au XIXe siècle dans le langage courant, le cuarto pour les logements populaires, mot qui pouvait aussi désigner une pièce. En ce sens, casa a une connotation affective forte. Tout logement est, en effet, la casa de celui qui l’habite. Dès lors, casa, comme maison en français ou home en anglais, désigne l’espace intime de la vie privée, le chez-soi. Rentrer chez soi, c’est aller a casa, être chez soi, c’est être en casa. L’association entre le mot casa et l’idée de foyer et de famille est manifeste dans le verbe casarse [se marier] et l’expression poner casa [fonder une famille]. Dans la plupart des sens où l’on peut employer casa, le mot garde cette connotation affective et familiale. Casa est donc le terme le plus couramment utilisé pour désigner le logement du point de vue de ceux qui l’habitent. C’est en ce sens qu’on peut affirmer que casa est, “en référence à ceux qui l’occupent, n’importe quel lieu fermé et couvert qu’on utilise comme logement, même s’il n’est pas en maçonnerie, comme une cabane ou une grotte” (*Moliner). Ainsi la baraque du chiffonnier du célèbre roman de Pio Baroja La Busca est-elle bien sa casa : “On distinguait dans la construction de la casa les phases de sa croissance. De même que la carapace d’une tortue grandit à la mesure du développement de l’animal, la cahute [casucha] du chiffonnier avait dû grandir petit à petit. Au début, cela avait dû être une choza [cabane] pour un homme seul, comme celle d’un berger; puis on l’étendit, on l’élargit, on la divisa en pièces; plus tard on y agrégea des dépendances, un toit et une petite cour.” (Baroja 1904 : 253). Le mot casa voit donc son sens osciller entre l’unité logement, quelle qu’en soit la forme, et le bâtiment d’habitation. Dans cette deuxième acception, l’évolution de l’architecture a progressivement relégué le sens de casa à un type d’habitation particulier : le logement individuel. Casa, en ce sens, ne perd jamais sa connotation rurale. La casa en ville, c’est la casa baja [basse] ouvrière de la fin du XIXe et du début du XXe siècle, casa molinera en Castille. Elle était associée aux faubourgs d’urbanisation spontanée et à l’autoconstruction. Dans l’esprit de

31 Le Trésor des mots de la ville : une maquette au 1/5e la bourgeoisie urbaine, la casa baja était donc à la fois marquée par les stigmates de la ruralité et par ceux de la pauvreté, l’absence de confort, voire l’insalubrité. Inversement, du point de vue de ses habitants, la casa baja était une vraie casa. Maison à un seul niveau, souvent de très petite taille, elle était assortie d’un patio, où on peut élever des poules et des lapins, et souvent d’un potager. La population ouvrière espagnole de la fin du XIXe et du début du XXe siècle était souvent fraîchement immigrée de la campagne et attachée à la casa baja, qui reproduisait un modèle d’habitat rural. Enfin, souvent autoconstruite par son propriétaire- occupant – ce qui explique qu’on s’y sentait plus en casa [chez soi] que dans un cuarto ou piso [appartement] locatif – la casa baja signifiait une certaine indépendance économique et la constitution d’un patrimoine familial. Elle s’agrandissait d’ailleurs avec la famille : si un enfant se mariait, on ajoutait une pièce ou on construisait une deuxième casa sur le terrain. Tout opposait donc, du point de vue de ses habitants, la casa baja à son alternative en matière de logement populaire à l’époque, la casa de vecinos ou de vecindad, immeuble d’habitat collectif et locatif – c’était une casa de alquiler – dont les appartements étaient souvent très exigus et obscurs. Au sein de ce type, on distinguait en Espagne la casa de corredor dont on trouve une description célèbre dans le roman réaliste La Busca de Pío Baroja, équivalente par exemple aux casas chorizo en Argentine, où les logements donnaient sur un patio central à coursives. L’une de ces casas de vecindad, la casa de Tócame Roque, qui se trouvait dans la rue Barquillo à Madrid, a donné l’expression, aujourd’hui désuète “ser ou parecerse [être ou paraître]la casa de Tócame Roque”pour désigner un lieu désordonné où chacun entre, sort et mène ses activités sans se soucier des autres. A l’indépendance économique et la relative intimité que représente la casa baja, véritable foyer, s’opposait la promiscuité et l’aliénation de la casa de vecinos. Celle-ci incarnait l’insalubrité, la misère et les maux sociaux et moraux qui les accompagnaient dans les propos de l’élite réformatrice. Les descriptions sont significatives : “La promiscuité dans les casas dites de vecindad ou de corredor, est véritablement épouvantable”, affirme l’hygiéniste Cesar Chicote, qui, à Madrid, propose des données statistiques sur “les types de casas les plus insalubres qui ne disposent que d’une seule fontaine pour toute la casa et d’un seul cabinet d’aisance pour tous les appartements [pisos]” (Chicote 1914 : 29). Selon le locuteur et l’idéologie du moment en matière de logement, toutes les connotations de casa peuvent se confondre. Ainsi le slogan de la société qui portait le projet de Cité linéaire d’Arturo Soria dans les années 1890 était-il “pour chaque famille une casa et dans chaque casa, un potager et un jardin” (Ciudad Lineal 1912). Ici la casa était à la fois le logement et l’habitat individuel. L’espace pour l’agriculture domestique, outre la relative indépendance alimentaire qu’elle procurait, imitait le mode de vie rural et constituait une version populaire du domaine d’une famille noble. Ainsi chaque famille devait avoir cet attachement lignager à une terre, un solar, propriété foncière héréditaire, patrimoine foncier à transmettre, qui fonde la continuité des générations. Enfin, la connotation affective était très nette, il s’agissait pour les sociétaires d’avoir un endroit à eux, un espace privé digne et agréable pour accueillir la famille nucléaire et la vie privée. Le terme générique de casa pour désigner le bâtiment d’habitation individuelle, s’il reste le plus courant à la campagne, est toutefois concurrencé, en ville, par une série de mots plus spécialisés, qui se réfèrent à des types architecturaux. Il fallait, en effet, que l’habitat individuel urbain, confortable, moderne et destiné à accueillir des citadins, se distingue, dans le langage, de la maison rurale. Le recensement municipal de Barcelone de 1930 différenciait ainsi les bajos, qui sont des maisons individuelles pauvres, des torres de la bourgeoisie. De même à Madrid, le pavillon individuel en milieu urbain de la première moitié du XXe siècle était nommé hotel. Celui qui est apparu dans les années 1980 et qu’on construit massivement aujourd’hui - lui aussi en cœur de parcelle contrairement à la casa baja généralement alignée sur la rue - est un chalé. Ceux-ci ou les casas peuvent être aislados [sans mur mitoyen],

32 Le Trésor des mots de la ville : une maquette au 1/5e pareados [avec un mur mitoyen], ou adosados [avec deux murs mitoyens]. Le développement des adosados poussent les promoteurs à proposer de poétiques casas de cuatro vientos [des quatre vents] lorsqu’elles sont aisladas et des casas unifamiliares [unifamiliales, individuelles] pour contourner l’image négative aujourd’hui attachée aux adosadas, banalisées. Enfin, aujourd’hui, le développement du tourisme rural a conduit à l’invention de la casa rural, maison transformée pour héberger les touristes. Il semble donc que le terme casa pour désigner l’habitat individuel, devenu véritable produit immobilier, apparaisse comme trop général et ne suffise plus à caractériser ce type de logement, il requiert une qualification. Par ailleurs, il existe un type d’usages de casa où le mot désigne un bâtiment qui n’est pas destiné à l’habitation. Dans de nombreuses expressions consacrées, casa désigne le siège de grandes institutions publiques ou privées, comme la Casa de la Moneda [de la Monnaie] ou la Casa Consistorial [du Conseil municipal] ou encore les casas comerciales [de commerce]. Plus couramment, les établissements publics ou privés destinés à l’accueil de particuliers pour des services divers sont généralement des casas. Ainsi les bains publics sont-ils des casas de baños, la casa de locos un asile “de fous”, la casa de citas ou de tías une maison close, la casa de comidas un restaurant-cantine. Nombreux petits commerces, bars et restaurants ont pour raison sociale le nom ou prénom de leur propriétaire précédé du terme casa, c’est la Casa Pepa, la Casa Mingo. Ces usages réactivent intentionnellement les connotations affectives et familiales du mot. Ainsi la Casa del Pueblo, établissement du Parti socialiste qui offrait à ses adhérents, particulièrement dans les années 1930, divers services et activités, notamment d’enseignement et de loisir, rappelait au peuple qu’il formait une famille. Aujourd’hui, les acceptions qui découlent de la connotation affective de casa semblent avoir triomphé, en ville, de la spécialisation et de la dispersion du vocabulaire de l’habitat urbain qui tendait à reléguer son usage, pour désigner un bâtiment, à l’habitat rural. Charlotte Vorms

Voir chalé, piso, edificio, chabola, maison, house, Haus, casa Voir

archive 1. Registro de la Propiedad de Madrid, xxprécisez la localisation du fonds SVP. Arlt, Roberto. xxannée SVP. La pista de los dientes de oro , Buenos Aires, xx éditeur SVP. Baroja, Pio. 1904. La Busca, Madrid, x x éditeur SVP. Cerdà, Ildefonso. 1867. Teoria General de la urbanización, livre 2 La urbanización considerada como un hecho concreto. Estadística urbana de Barcelona, Madrid, xx éditeur SVP. Chicote, César. 1914. La vivienda insalubre en Madrid , Madrid, xx éditeur SVP. Ciudad Lineal, Revista de Urbanización, 1912 (xxmerci de clarifier et préciser cette référence). Las Casas, Bartolomé de. 1995 [1542]. Brevísima relación de las destruición de las Indias. Madrid, Ed. Catedrá. Recopilación de leyes de los rein os indios, 4 vol., Madrid, 1681, livre IV, titre 7 : “De la población de las ciudades, villas y pueblos”. xxville et éditeur (et volume) de l’édition de 1987 consultée SVP. ______centr (pl. centra) öåíò? (pl. Öåíò?à) russe Russie et ex-URSS, nom masc.

Traductions “CENTR (lat. centrum , du grec kentron, point), […] centre, point au milieu d’un cercle. Centrovyj, aâ, oe, adj. Du centre. Central’nyj, aâ, oe, adj. Central, qui est au centre. Centrovat’ […] centrer, rendre un verre plus épais au centre.” (*Reiff 1836)

33 Le Trésor des mots de la ville : une maquette au 1/5e

“ centr : l’administration centrale, le pouvoir central, la capitale (par opposition aux entreprises, aux collectivités locales en CEI). centr meûdunarodnoj torgovli centre de commerce in ternational ; centr pribyli centre de profit ; administrativnyj centr chef- lieu […] ; promyölennyj centr [centre industriel] ; […] centralizovannye fondy – dotations centralisées ; central’nyj bank banque centrale.” (*Giraud 1994)

Définitions

“ CENTR, tra. […] sredoto èie [centre, point crucial]. Le centre d’un cercle [ Centr kruga] . ” (*Académie Russe 1794) “ CENTR m. lat. sredotoèie, […]. Centre d’un cercle, d’une sphère [ Centr kruga, öara ] […]. || Milieu approximatif d’une surface. Une ville de province se situe au centre de la province [ v centre gubernii]. [par extension] Centre du commerce [ Centr torgovli], où il est concentré. […]” (*Dal’ 1866) “ CENTR, a, m. [grec kentron, litt. pointe]. 1. Point centralisant des relations dans une figure (math., mécan.). C. d’une circonférence ou d’une sphère […] 2. Uniquement au sing. Milieu, partie moyenne de quelque chose. Vivre au centre de la ville [ûit’ v centre goroda]. Au centre même de la foule […] || De même – extension (au sujet de quelque chose de principal, d’important). Cette question est au centre de l’attention des organisations sociales. […] 3. Lieu où est concentrée n’importe quelle activité, point important de quelque chose. […] L’Union Soviétique est le c. du mouvement révolutionnaire mondial. […] C. géo graphique. C. administratif. C. commercial. C. industriel. C. nerveux. 4. Grosse localité, grande ville. 5. Uniquement au sing. Institution ou institutions gouvernementale (ou sociale) supérieure, à l’opposé de la périphérie (cf. periferiâ dans la 4e défin ition). […] Une directive du centre . Au centre et dans les localités [V centre i na mestah]. 6. Dénomination d’organes de direction de quelques organisations, comparer à [centro] et [glav] (langue parlée). 7. Dans le parlement bourgeois – parti politique ou groupe de partis, habituellement proches de la droite (polit.). Partii centra. […]” (*Volin & Uöakov 1940) “ centr, - a, m. 1. Lieu de rassemblement des hippies.” (*Elistratov 1994) [argot Moscou]

Centr est emprunté au latin centrum, sur la base du grec ancien kentron qui signifiait “pointe [du compas]”, ou “point crucial” (*Sovremennyj slovar’ inostrannyh slov 1993 : 678). Ce terme apparaît dans la langue russe au XVIIe siècle sous la forme kentr, qui provient directement du grec (*Èernyh 1993 : 366). A. Sobolevski l’observe dans un atlas réalisé dans les premières années du règne de Pierre le Grand (1682-1725), plus précisément dans le chapitre consacré à la cosmographie. La langue est le slavon mais l’auteur “était expert en langue grecque : kentr […]” (Sobolevski 1903-1908 : 61). N. Smirnov, auteur d’une étude sur “L’influence occidentale sur la langue russe à l’époque de Pierre” (1910), relève quant à lui le terme kentr [d’un cercle], dans un ouvrage de 1710 sur “La description de l’artillerie” (*Èernyh 1993 : 366). Centr, dans sa forme actuelle, est attesté en 1731(*Èernyh 1993 : 366). La modification de la première lettre “k” en “c” est due au fait que la notion “s’est manifestée dans la langue scientifique du XVIIe siècle d’abord avec le grec kentron, puis avec le latin centrum.” (Vinogradov 1994 : 654). Kentr disparaît ainsi au début du XVIIIe siècle au profit de centr. Le recours aux langues étrangères n’est pas anodin : aucun terme russe n’existe encore ; seule l’expression srednaâ toèka permet de désigner un point moyen. Ce n’est “qu’aux alentours du milieu du XVIIIe siècle” que le terme sredotoèie “apparaît, semble-t-il dans le grand style scientifique slavisant, pour traduire le grec kentron et le lat. centrum. […] Il faut noter que les savants-patriotes russes de la seconde moitié du XVIIIe siècle proposaient de remplacer les termes étrangers par des termes russes dans la langue des mathématiques.” (Vinogradov 1994 : 653-654) Ainsi, en 1794, centr aura pour définition unique sredotoèie et sera illustré par “centr d’un cercle” (*Académie russe 1794 : 624). Mais l’introduction du vocable russe ne nuira pas à centr, qui est toujours employé pour désigner un point géométrique, un “centr de circonférence” (*Académie des sciences 1984 : 640). Elle révèle par contre l’existence d’une notion littéraire, car sredotoèie est apparu “partiellement dans la langue littéraire russe du XIXe siècle, comme un synonyme du mot centr (dans le sens de ‘lieu où se concentre n’importe quelle activité’, ‘point important de quelque chose’) […].” (Vinogradov 1994 : 654). Vladimir Dal’ y fait référence dans son dictionnaire de 1866: “centr torgovli [centre du commerce], lieu où il est concentré.” (*Dal’

34 Le Trésor des mots de la ville : une maquette au 1/5e

1866 : 523). Ce n’est pas attesté plus tôt, bien que Pouchkine (1799-1837) écrive que “Moscou jusqu’à présent est le centr de notre ” (cité par *Académie des Sciences 1961 : 868). La notification académique de ce sens s’avère donc tardive. Il semble que le transfert de la notion mathématique dans la langue littéraire ait eu pour effet, dans un premier temps, de faire de centr “le milieu approximatif d’un plan. Une ville de province [gubernskij gorod] se situe au centre [v centre] de la province [souligné dans l’original]” (*Dal’ 1866 : 523). Cette acception n’est relevée que par Dal’. Une signification analogue apparaît toutefois dans une définition en français de 1798, “le centre d’un bastion, centr bastiona […]”, mais l’expression “Paris est le centre des Beaux-Arts” est uniquement traduite par sbori`se, attroupement (*Imprimerie impériale 1798 : 241). On peut donc supposer que centr, en tant que “milieu”, existe au début XIXe siècle tandis que centr comme “concentration d’éléments importants” serait plus tardif. Pour Dal’, il s’agit d’ailleurs d’une extension de sens. Cette extension est pourtant essentielle. Centr ne souligne pas seulement que “Moscou était le centre [centrom] de l’activité journalistique” (Belinski 1843-1846 cité par *Académie des Sciences 1984). Centr désigne aussi un pôle d’activités, peut-être une ville : “La population ouvrière [s’entasse] dans les immenses centres industriels [v gromadnyh fabriènyh centrah]” (Gradovskij 1880 cité par Mihel’son 1994 : 484). Un dictionnaire de 1961 relève un autre emploi en se référant à Dostoïevski et aux Frères Karamazov (1880) : “La maison de Fiodor Pavlovitch Karamazov était loin, pas au centre même de la ville [ne v samom centre goroda] mais pas non plus tout à fait dans les faubourgs [na okraine] ”. Pour les auteurs, centr ne définit pas ici un point moyen mais “la partie de ville, habituellement localisée en son milieu, où se situent les bâtiments administratifs, les principaux commerces, les institutions bancaires, etc.” (*Kutina & Zamkova 1961 : 877). C’est cette idée d’un lieu central qui aurait permis, au XIXe siècle, de distinguer le centr de l’okraina et de désigner par centr le centre-ville. Ce sens n’est pas attesté à l’époque, mais Kutina et Zamkova soulignent qu’il appartient au langage parlé. Ce pourrait être le cas de toutes ces acceptions littéraires qui ne sont jamais certifiées alors, sauf par Dal’ en 1866 pour deux d’entre elles. Car, plus généralement, centr est utilisé pour le centr vnimaniâ, le centre d’attention : “Elle est le centr de tout… tout ce qui était beau au monde, tout était pour elle […]” (L. Tolstoï 1899 cité par Mihel’son 1994 : 484) Il est certain que “le terme est rapidement passé de la géométrie dans la sphère de la géographie, de la physiologie, de la politique et de l’économie ” (Danilenko 2000 : 932) et qu’il se diffuse dans la seconde moitié du XIXe siècle. Centr compose des dérivés, tant dans le domaine technique avec la force centripète (centrostremitel’naâ sila) ou centrifuge (centrobeûnaâ sila) (*Dal’ 1866 : 523), que dans le domaine politique : le verbe centralizirovat’, qui signifie “réunir, concentrer, accumuler, en une main, en un lieu / la gestion, les forces armées”, accompagne la centralisation (centralizaciâ) (*Dal’ 1882 : 573). L’adjectif central’nyj attesté en 1806 (*Èernyh 1993 : 366), ne réfère plus seulement à “ce qui se situe au centre [v centre]” mais aussi à tout ce qui a un caractère central, “faisant fonction de centre [sredotoèie] ou de lieu d’union. Central’nyj komitet [comité central].” (*Académie des Sciences 1868 : 879). Néanmoins, alors que la quatrième édition du dictionnaire de Dal’ (*1912) n’ajoute rien à celle de 1882, les bouleversements du XXe siècle influent profondément sur l’emploi de centr. La révolution de 1917 “a popularisé” le central’nyj komitet (Mazon 1920 : 40) et puisque “la révolution de 1905 avait donné droit de cité dans la langue russe au jargon politique ramené de l’étranger par les émigrés” (Mazon 1920 : 2), centr désigne aussi un “parti politique ou groupe de partis, habituellement proches de la droite” (*Volin & Uöakov 1940 : 1215). Les mots composés se développent, “avec l’élément initial centro-, auxquels la révolution de février d’abord, puis les tentatives d’organisation économique des bolcheviks ont donné une importance toute spéciale […] : centroflot’, centrobalt’, centrokasnyj,

35 Le Trésor des mots de la ville : une maquette au 1/5e organisations politiques centrales ‘de la Flotte’, ‘de la flotte de la Baltique’ et ‘de la flotte de la Caspienne’, sous Kerenskij, - et, après la révolution d’octobre, […] centrokniga [comité central au livre], centrokraska [comité général à l’industrie de la teinture] […]” (Mazon 1920 : 40). Centr s’applique aussi à la ville : on s’intéresse aux starye centra [centres anciens] et aux novye centra [nouveaux centres] (Plenum CK VKP (b) 1931), les composés avec l’élément initial staro- signifiant “de l’ancien régime”, novo- renvoyant à la nouvelle ère (Mazon 1920 : 39-40). Les novye centra doivent permettre de répartir les biens et moyens de production en de nouveaux lieux, même si les starye centra, qui sont déjà des centres industriels [promyölennyj centr] et culturels [kul’turnyj centr], sont devenus les proletarskie centry du pays [les centres prolétariens] (*Volin & Uöakov 1940 : 1215) et sont appelés, à ce titre, à accueillir des fonctions supplémentaires, administratives et politiques. Moscou devient ainsi en 1922 la capitale, le “centre administratif [administrativnyj centr]” du pays (*Giraud 1994 : 451). Le recours à centr se fait donc systématique et il donne lieu à une définition claire : le mot désigne une grande ville [bol’öoj gorod], un gros point de peuplement [krupnyj naselënnyj punkt] (*Volin & Uöakov 1940 :1215). Des adjectifs lui sont appliqués pour plus de précision. Central’nyj a pour synonyme glavnyj, principal. La distinction du centr et de l’okraina se clarifie aussi au XXe siècle. Les administrateurs n’emploient d’ailleurs plus okraina mais periferiâ pour décrire, à Moscou, “l’inégale construction du centre et de la périphérie [neravnomernaâ zastrojka centra i periferii], l’encombrement du centre par des entrepôts et des petites entreprises […] ” (Postanovlennie SNK SSSR i CK VKP (b) 1935). “Les quartiers centraux de la ville” [central’nye kvartaly goroda] (Plenum CK VKP (b) : 1931) se distinguent définitivement de la periferiâ par leur localisation, mais aussi par les activités qu’ils accueillent. On peut “vivre v centre goroda [au centre de la ville]” (*Volin & Uöakov 1940 :1215) et il est dit que “le centr de toute la vie populaire était sur la Place Rouge – là s’étendait le marché, là affluait le peuple au temps des révoltes et des troubles.” (A. Tolstoï 1941 cité par *Académie des Sciences 1984) Centr s’applique toutefois aussi à des espaces non centraux depuis que les urbanistes ont dénommé torgovyj centr “un grand magasin ou un complexe de magasins […] où se concentre le commerce d’un arrondissement ou d’une ville” (*Kotelovaâ 1984 : 724). Terme apparu dans la presse en 1970, torgovyj centr se distingue de centr torgovli [centre marchand], signalé au XIXe siècle, dans la mesure où il désigne un bâtiment (un “centre commercial”), mais il intègre toujours l’idée de “lieu qui concentre”. Il en est de même de biznes centr, terme apparu après la disparition de l’URSS (1991) pour signifier un type de bâtiment accueillant des services, un “centre d’affaires” (*Giraud 1994 : 242) possédant “des bureaux bien équipés, des salles de conférence […]” (Haudressy 1992 : 27-28). Néanmoins il réfère aussi à “une activité économique” jugée primordiale par ses promoteurs. Car le biznes centr doit induire des “recettes […], un revenu, source d’enrichissement” pour les biznesmen (Sovremennyj slovar’ inostrannyh slov 1993 : 95). Cet aspect est à l’origine de l’anglicisme biznes, qui associe une image élitiste aux services offerts. Il n’en reste pas moins que le langage argotique des années 1980 soulignait déjà l’usage courant du terme centr. Pour les “hippies et les post-hippies” (*Nikitina 1998 : 506), centr désigne le lieu où ils se rassemblent, leur point de ralliement. Il définit également “la veine dans laquelle les toxicomanes se font une piqûre”, point crucial s’il en est (*Elistratov 1994 : 536). Les personnalités importantes sont quant à elles appelées centrâk. Un directeur, un leader qui “jouit de la plus haute autorité” est un centrâk, un centrovoj lider (*Elistratov 1994 : 535-536). Dans ces contextes, le terme centr finit par se décliner de façon plus ou moins péjorative. Isabelle Amestoy

36 Le Trésor des mots de la ville : une maquette au 1/5e

Voir gorod, kvartal, kreml’, naselënnyj punkt, prigorod, rajon Voir Voir casco (espagnol), centre (français), centro (espagnol), centro (italien), centro (portugais), city centre (anglais), downtown (anglais), médina (français), wust (arabe), Zentrum (allemand)

Sources primaires Belinski V.G.1843- 1846. Peterburgskaâ literatura [Littérature pétersbourgeoise] article cité par Académie des Sciences. 1984. Sovar’ russkogo âzyka v èetyrëh tomah [Dictionnaire de la langue russe en quatre tomes]. Moskva : Russkij Âzyk, tome IV, II éd. revue et aug. Gradovskij A.D.1880. Trudnie gody (1876- 1880)[Les années difficiles], cité par Mihel’son M.I. 1994. Russkaâ mysl’ i re è’ [La pensée russe et le discours]. Moskva : Terra, tome II.

Plenum CK VKP (b). 1931. “O necelesoobraznosti sozdaniâ gorodov – gigantov s nagromoûdeniem bol’öogo kolièestva predpriâtiâ v g. Moskve [De l’inopportunité de créer des villes- géantes avec entassement d’une grande quantité d’entreprises dans la ville de Moscou]”, in : Institut Marksizma – Leninizma pri C.K. KPSS. 1984. Kommunistièeskaâ partiâ sovetskogo soûza v rezolûciâh i reöeniâh s’’ezdov konferencij i plenumov C.K. [Le parti communiste de l’Union soviétique en résolutions et décisions de congrès, conférences et plénums du Comité central]. Moskva : Izdatel’stvo politièeskoj literatury, tome 5 : 1929- 1932. Postanovlenie SNK SSSR i CK VKP (b). 1935. “O general’nom plane rekonstrukcii goroda M oskvy [Du plan général de reconstruction de la ville de Moscou]”, in : Institut Marksizma – Leninizma pri C.K. KPSS. 1985. Kommunistièeskaâ partiâ sovetskogo soûza v rezolûciâh i reöeniâh s’’ezdov konferencij i plenumov C.K. Moskva : Izdatel’stvo politièeskoj literatury, tome 6 : 1933- 1937. Tolstoï Alexis N. 1941. Rodina [Patrie] article cité par Académie des Sciences. 1984. Sovar’ russkogo âzyka v èetyrëh tomah [Dictionnaire de la langue russe en quatre tomes]. Moskva : Russkij Âzyk, tome IV, II éd. revue et aug. Tolstoï Lev [Léon] N. 1899. Voskresenie [Résurrection] cité par Mihel’son M.I. 1994. Russkaâ mysl’ i re è’ [La pensée russe et le discours]. Moskva : Terra, tome II. Sources secondaires Mihel’son M.I. 1994. Russkaâ mysl’ i re è’ [La pensée russe et le discours]. Moskva : Terra, tome II. Autres références Danilenko V.I. 2000. Sovremennyj politièeskij slovar’ [Dictionnaire politique contemporain]. Moskva : Nota Bene. Haudressy Dola. 1992. Les mutations de la langue russe. Ces mots qui disent l’actualité[Novye slova otraûaût sobytiâ 1991 goda]. Paris : Institut d’Etudes Slaves. Mazon A. 1920. Lexique de la guerre et de la révolution en Russie (1914- 1918). Paris : Librairie ancienne Honoré Champion, Edouard Champion. Sobolevski A.I. 1903- 1908. Perevodnaâ literatura moskovskoj Rusi XIV - XVII vekov [Littérature traduite de la Russie Moscovite des XIV - XVII siècles]. Köln : Böhlau Verl., rééd. 1989. Vinogradov V.V. 1994. Istoriâ slov [Histoire des mots]. Moskva : Tolk. ______centro (pl. centros) espagnol Amérique, nom masc.

Traductions centro : “Centre , le point du milieu de quelque chose que ce soit .” (*Oudin 1675) centro : “Centre, point du milieu d’un cercle, d’une sphère [… ]. // Cœur, milieu d’une ville, d’une cité, etc. // […].” (*Salvá 1882) centro : “1. [gen] centre m. me voy al centro [de ciudad] : je vais en ville.” (*Bibliorom Larousse 1996). centro : “centre (medio ) ; el centro de un círculo ; comprar algo en el centro acheter quelque chose dans le centre [...] // milieu ; en el centro de la calle au milieu de la rue [...] // el centro de la rebelión le foyer de la rébellion […].” (*Larousse- Bordas, 1998) Définitions “centro. [...] 10. fig. Le point ou les rues les plus courus [concurridos] d’une agglomération [población].” (*Real Academia Española 1925).

37 Le Trésor des mots de la ville : une maquette au 1/5e

“centro. [...] 13. fig. Partie centrale d’une ville ou d’un quartier. //14. Point ou rues les plus courus d’une agglomération ou dans lesquels se trouve le plus d’activité commerciale ou adm inistrative [burocrática]. // [...] 16. Lieu où se déroule le plus intensément une activité déterminée. commercial, CENTRO industriel. //17. Lieu où se réunissent, se rendent ou se concentrent des personnes ou des groupes pour un motif ou une finalité. CENTRO de mobilisation, CENTRO de résistance. //18. Lieu où on réunit quelque chose en quantités importantes. CENTRO industriel, CENTRO éditorial.” (*Real Academia Española 1992) “centro. [...] II.1. Région ou zone d’une agglomération, où il y a le plu s d’activité sociale, politique, économique, etc.; généralement, son centre géographique : centro urbano [centre - ville], el centro de la Ciudad de México [de la ville de Mexico], el centro de León [de (la ville de) León], “voy al centro de compras” [je vais faire des courses au centre]. [...] 3 . Point ou lieu d’où l’on se dirige ou où se réunissent des personnes ou des ressources pour réaliser différentes activités : centro commercial.” (*Diccionario del español usual en México 1996)

En Amérique, le terme centro est utilisé à partir du XVIIIe siècle dans les descriptions des voyageurs pour identifier une partie de la ville. “Le plan de la ville a de nombreuses irrégularités, à l’exception du centro [...]. Le centro, occupé par les Espagnols et la plèbe sans distinction, préférence ni ordre, est tiré au cordeau, avec des divisions en carrés [de cuadros].” (Velasco 1789). Cet usage semble apparaître au moment où commença à perdre son sens l’opposition entre la ville espagnole, la cité des conquérants tracée selon des normes urbanistiques et des canons géométriques (le casco, la traza), et les faubourgs indigènes caractérisés par leur marginalité socio-politique et économique et leur informalité matérielle. En effet, le “chorotype colonial hispano-américain” de la cité-territoire (Deler 1988) reposait sur une dichotomie sémantique entre ce qui était supposé espagnol (la ville, l’unité, l’ordre géométrique, les constructions en dur : ce qu’on retrouve dans le terme casco) et ce qui était naturalisé comme rural (les indigènes, la dispersion, le désordre, la précarité, symbolisés par ce qui était désigné au pluriel comme les arrabales). Jusqu’au début du XXe siècle, perdura la vision politique et symbolique d’une ville-cité à l’intérieur de laquelle s’opposait l’espace du casco bâti en dur à l’espace moins bâti, qu’il soit banlieusard ou campagnard, des alrededores ou afueras (environs) : “la ville [ciudad] de La Grita est une des plus anciennes de la Province de Maracaibo. Il y a 500 citoyens [vecinos] dans le casco de la ville, mais il y en a plus de 2000 dans la campagne [campo].” (Relaciones topográficas de Venezuela 1815-1819). Le couple centro/periferia, qui permet de décrire la ville comme un ensemble géographique, continu mais composite, opposé à tout ce qui n’est pas urbain, n’apparut que dans la première moitié du XXe siècle, quand s’imposa une représentation plus fonctionnaliste de l’espace. En Europe comme en Amérique, le centro fut donc identifié à partir de la fin du XVIIIe siècle comme le lieu le plus “couru” pour des raisons tant esthétiques que sociales et économiques : “Il y a beaucoup de places à Venise, et quelques unes d’entre elles assez spacieuses, mais aucune n’est comparable, ni par sa grandeur ni par sa forme, ni par ses édifices ni par le concours de gens, à celle de San Marcos, seule promenade de la ville, centro du commerce, des plaisirs et de la fréquentation [concurrencia].” (Fernández de Moratín 1793-1797) La ville devenait une collection de quartiers, dont certains se caractérisaient par ces qualités sociales liées à la consommation, aux loisirs et aux rassemblements. Au XXe siècle, l’adjectif céntrico en vint à qualifier essentiellement ces quartiers particuliers du centro : “barrios céntricos, quartiers centraux” (*Larousse moderno 1989), “un piso céntrico, un appartement situé en plein centre-ville” (*Bibliorom Larousse 1996), “zona céntrica, una calle céntrica, céntrico hotel” (*Diccionario del español usual en México 1996). Depuis les débuts de la colonisation espagnole au XVIe siècle jusqu’à la consolidation des États indépendants à la fin du XIXe siècle, les pouvoirs publics ont porté un soin particulier à l’aménagement, d’abord du casco (la ville-centre de la cité-territoire hispano-américaine) puis au centro (le centre-ville dans l’agglomération). Cette attention a abouti à une monumentalisation systématique des espaces et des perspectives : érection d’églises, de palais et d’administrations, création ou dégagement de places et de rues, embellissement des lieux publics et des façades. D’où une continuité remarquable dans la différenciation entre le

38 Le Trésor des mots de la ville : une maquette au 1/5e centro, qui bénéficiait des plans d’urbanisme et où étaient concentrés les monuments légués par différentes époques stylistiques, et le reste des espaces urbains. “La place se trouve devant l’église. C’est la place espagnole. Corazón y centro [cœur et centre] de la ville. Au milieu se dresse un monument provincial, bien humble pour la classe de vertus qu’il exalte.” (Asturias 1931). Au tournant du XIXe au XXe siècles, l’urbanisme changea progressivement d’objet : l’époque était celle des lotissements planifiés dans les zones péricentrales ou dans les banlieues, ensanches et autres fraccionamientos (colonias au Mexique) et, jusque dans les années 1970, le centro fut progressivement marginalisé. Il cessa d’être le premier choix résidentiel, d’abord pour les catégories aisées puis pour les classes moyennes, qui furent remplacées par des activités commerciales ou administratives dans sa partie la plus valorisée, ce qui s’est traduit par une baisse constante du nombre de ses habitants durant la deuxième moitié du XXe siècle et par la paupérisation des quartiers les moins prisés : la concentration relative croissante de populations défavorisées accompagne la diminution de la rentabilité des investissements et donc la dégradation progressive du bâti, de moins en moins entretenu par les propriétaires. C’est ainsi que dès les années 1930 on parlait de taudis, “tugurios” (Sáenz 1934), dans le centro de Mexico. Pour remédier à ce problème, les politiques urbaines prévoyaient des relogements dans des habitats collectifs hors du centre. Les grands magasins, les banques, les administrations publiques s’implantèrent également en dehors du centro, et constituèrent progressivement un deuxième pôle d’activités, qui présente nombre des caractères d’un centre-ville mais n’est pas toujours désigné comme tel : on parle plutôt de barrio de negocios (quartier d’affaires) pour Miraflores à Lima, Mariscal Sucre à Quito, Zona Norte à Bogota, Reforma-Zona Rosa à Mexico, etc. Certains auteurs ont voulu voir dans ce phénomène de translation de la centralité l’équivalent de la constitution du Central Business District (C.B.D.) à la même époque aux États-Unis, qui accompagne la “ ghettoïsation ” de l’inner city. Le processus qui affecte les villes hispano-américaines est cependant bien différent : le centro entretient de nombreuses fonctions qui entretiennent sa centralité, notamment du point de vue de la concentration commerciale et de l’organisation des transports intra-urbains. En effet, dans le même temps que les grands équipements commerciaux furent déplacés du centro vers des quartiers péricentraux (grands magasins) ou périphériques (marchés de gros), la zone de chalandise du centro a été réinvestie par des petits commerces et des micro- entreprises, formelles et informelles. Au fur et à mesure de l’extension des métropoles et de l’accroissement de leur population, le centro s’est spécialisé dans les commerces destinés aux catégories les moins aisées ou dans des niches très étroites (robes de mariées, pièces détachées pour machines à coudre, etc.). Cette réactualisation permanente du caractère commercial du centro a été accompagnée par la dualisation des modes de transports. Les transports publics, initialement établis en fonction de l’accessibilité au centro, continuent de privilégier sa desserte à cause de la relative inertie de leur structure, alors que les citadins bénéficiant d’une automobile résident en périphérie, travaillent dans les quartiers d’affaires et font leurs achats dans un “centro comercial” (Espagne, Colombie), “shopping” (Chili, Argentine, Costa Rica, etc.) ou “plaza comercial” (Mexique). À partir des années 1970, on observe un regain d’intérêt pour le centro de la part des pouvoirs publics, du monde académique et des médias. Cela se traduisit par une identification plus précise de la part de ces acteurs sociaux, qui tendent de plus en plus à opposer le centro histórico au centro de negocios (Monnet 1994) : le premier, qui correspond à ce que la vox populi continue d’appeler le centro tout court, est dès lors caractérisé par son caractère patrimonial et monumental, et non plus par ses fonctions commerciales, résidentielles et sociales. C’est alors que le centro devint l’objet de politiques de protection du patrimoine, qui prétendent lutter contre sa “taudification” [tugurización] en le revalorisant. “Le Colloque [de

39 Le Trésor des mots de la ville : une maquette au 1/5e

Quito] définit comme centros históricos tous ces établissements humains [asentamientos humanos] vivants, fortement conditionnés par une structure physique provenant du passé et reconnaissables comme représentatifs de l’évolution d’un peuple.” (El País 1977) Les pays hispano-américains disposent désormais d’administrations et de réglementations spécifiques pour gérer leurs centros históricos, qu’on aime à désigner parfois de l’ancien terme de casco (Espagne, Cuba, Honduras, Venezuela, Argentine). Ces politiques se traduisent le plus souvent par un réinvestissement des gouvernements nationaux et locaux et des entreprises (banques, chaînes hôtelières, associations de commerçants, etc.) dans le patrimoine foncier pour le convertir en musées, salles d’expositions, galeries, librairies, hôtels et restaurants gastronomiques. Elles impliquent toujours une incitation, plus ou moins assumée, au relogement hors du centro des populations les plus pauvres et une lutte acharnée contre le commerce ambulant et les activités artisanales informelles. “Il est important d’attirer l’attention sur la problématique de notre chef-lieu municipal, dont nous souffrons tous quotidiennement : nous avons un Centro Histórico dans les rues duquel il est difficile de circuler et dans de mauvaises conditions de propreté, à cause de l’activité du commerce ambulant. Pour cette raison, nous avons pris l’engagement de mettre en oeuvre un projet de Sauvegarde du Centro Histórico de Texcoco, dans lequel nous prévoyons le délogement du commerce ambulant, l’entretien et la remise à neuf d’édifices historiques, la réglementation de l’espace et le nettoyage.” (Ayuntamiento de Texcoco 2001) Ces processus sont plus ou moins développés selon les pays, mais la tendance est générale. L’enjeu est de faire perdre au centro sa centralité sociale de lieu le plus “couru” pour le convertir en ressource symbolique et touristique. Cependant, la valorisation de la dimension patrimoniale et monumentale réaffirme le pouvoir politique du centro et la scène qu’il offre aux revendications et contestations, à l’heure où elles se multiplient grâce à la démocratisation à l’œuvre dans tous les pays hispano-américains. Les manifestations, depuis les rondes des “folles de la Place de Mai” à Buenos Aires jusqu’aux marches des néo-zapatistes sur Mexico, trouvent leur aboutissement, et souvent leur répression, dans l’occupation du centro. “Les policiers seront répartis dans toutes ces rues – en disant ceci, avec sa baguette il indiqua sur le plan un vaste périmètre autour du parc de l’Alameda -. Dès que les provocateurs [porros] auront brisé les vitrines, ils se retireront. Alors les policiers commenceront à attaquer. D’abord ils couvriront les manifestants de gaz lacrymogène puis ils attaqueront en masse, frappant tous les ingénus qui croyaient pouvoir arriver facilement à la Grand-Place [Zócalo] pour insulter le gouvernement. Bien sûr – conclut-il d’un ton sombre -, dans le cas, qui j’en suis sûr ne se produira pas, où quelques uns arriveraient à traverser le barrage des policiers, ils trouveraient alors une infranchissable barrière d’agents de la Sécurité fédérale, et ceux-ci ne se contenteraient pas de petits matraquages, mais auront plutôt l’ordre de tirer sur chaque révolté qui tenterait d’arriver à la Grand-Place. Jamais nous ne permettrons que le centro histórico de la Nation, siège de la plus haute autorité du pays, puisse être utilisé pour des fins qui ne soient pas strictement officielles. Le Président Echeverría avait achevé son exposé.” (Velasco Piña 1987). Dans le langage courant, le terme centro reste donc en usage pour désigner cette partie de l’espace urbain “où tout se passe”, l’endroit le plus fréquenté (dont la réputation peut être sulfureuse dans les catégories de population qui le trouvent “mal” fréquenté), là où grouillent les gens, les activités, où la congestion signale l’intensité des échanges de tous ordres, où s’expriment les affrontements politiques et les compétitions d’intérêts. L’objet socio-spatial ainsi désigné a des limites qui peuvent être floues, car changeantes au fil du temps ou au gré des usages, et qui coïncident mal avec les zonages des règlements urbanistiques, mais cela n’ôte rien à la pertinence du terme. Jérôme Monnet

40 Le Trésor des mots de la ville : une maquette au 1/5e

Voir casco, traza, barrio, arrabal, suburbio Voir centre-ville (français), central business district (anglais), downtown (anglais), inner city (anglais), Stadtmitte (allemand), Zentrum (allemand)

Sources primaires Asturias, Miguel Ángel. 1931. Ávila. Real Academia Española : Banco de datos del español, Corpus diacrónico del Español (www.rae.es) (12/2000). Ayuntamiento de Texcoco, 2001. Informe de gobierno. (http://www.texcoco.gob.mx/informe/cap4_1.html) (12/2002). El País , 28/08/1977 : “Primacía del centro histórico”. Real Academia Española : Banco de datos del español, Corpus diacrónico del Español (www.rae.es) (12/2000). Fernández de Moratín, Leandro. 1793- 1797. Viaje a Italia . Real Academia Española : Banco de datos del Español (http://cronos.rae.es/cgi- bin/crpsrv/crpsrv.dll) (12/2000). Relaciones topográficas de Venezuela , 1815- 1819. Real Academia Española : Banco de datos del español, Corpus diacrónico del Español (www.rae.es) (12/2000). Sáenz, Aarón. 1934. Informe presidencial y memoria del Departamento del Distrito Federal 1933- 1934. México D.F. Velasco, Juan de. 1789. Historia del Reino de Quito en la América meridional. Real Academia Española : Banco de datos del Español (http://cronos.rae.es/cgi- bin/crpsrv/crpsrv.dll) (12/2000). Velasco Piña, Antonio. 1987. Regina (novela). México D.F. Real Academia Española : Banco de datos del español, Corpus diacrónico del Español (www.rae.es) (12/2002). Sources secondaires Monnet, Jérôme. 1994. “Centres historiques et centres des affaires: la centralité urbaine en Amérique latine”. Problèmes d’Amérique latine n°14, juillet- septembre 1994, p.83- 101. Autres références Deler, Jean Paul. 1988. "La cité- territoire, un chorotype colonial hispano- américain", Mappemonde 88/4 : 9 - 13. ______centro (pl. centros) portugais, Brésil, nom masc.

Traductions “CENTRO, s.m. Centre, le milieu, le point du milieu d'un cercle, ou d'une sphere .§ Centre, milieu, coeur.” (*Sà 1794) “ Centro , s.m. (G éom.) Centre. (Fig.) Milieu; lieu principal où converge une population, un mouvement quelconque; but principal.” (*Valdez ca 1905) “CENTRO, s.m. Coeur, milieu d'une ville, d'une cité, etc.” (*Roquette 1921) “ centro , n.m. Coeur, milieu d'une ville, etc. // No centro da cidade, au coeur de la ville.” (*Azevedo 1953)

Définitions “CENTRO, s. m. terme de géométrie. Le point également distant de tous les autres points de la superficie d’une figure géométrique […] Fig. Le milieu: par ex. au centro de la ville [cidade], du coeur [...].” (*Silva 1813: 373). “ CENTRO, s. m. […] Le point par lequel les choses mises en mouvement par une certaine force s’unissent et arrivent à leur plus grande action, d’où elles émanent, répandent et exercent leur influence, etc. [...] au centro de la corruption, des plaisirs. [...] Lieu où se concentrent et se développent de nombreuses activités sociales […] Les grands centros, les grandes villes [ cidades].” (*Vieira 1873: 169). “ Centro […] (Fig.) Les lieux où se font et où l’on trouve habituellement certaines choses, où se pratiquent certaines activités: le bâtiment des postes est éloigné du centro des affaires […] Chose ou personne à laquelle beaucoup d’autres se réfèrent ou sont subordonnées. La capitale est le centro de l’action gouvernementale.” (*Aulete ca 1880: 310). “ centro […] 6. Le secteur le plus actif de la ville où se trouvent les activités commerciales et financières.” (*Ferreira 1986: 381).

41 Le Trésor des mots de la ville : une maquette au 1/5e

Le terme centro vient du latin centrum ou du grec kéntron. Pointe effilée, aiguille, le mot désignait la pointe sèche du compas, puis le centre d’une circonférence et, par extension, d’autres figures géométriques. Sa première acception en portugais rend compte de cette origine: “C’est le point qui se trouve parfaitement au milieu d’un cercle, d’une sphère ou d’un globe” (*Bluteau 1712). Les premiers auteurs brésiliens emploient le mot dans ce sens géométrique et cosmographique (Teixeira 1927 [1601]: IX, XLII), mais ils en font également un usage plus large pour désigner la partie centrale d’autres objets (Matos 1684, 1694). Aux XVIIe et XVIIIe siècles, la signification du terme s’étendit à la zone voisine du centre géométrique d’un espace déterminé: milieu, intérieur, noyau, etc. Par ailleurs, le mot se mit à désigner le cœur, l’essence, la référence principale d’une entité donnée. Au XVIIIe siècle, la notion de centro comme point de convergence et, par analogie, comme endroit où se rencontrent des traits déterminés est consacrée: “Dans ces lieux où habite la gloire / Centro du bon goût, séjour du plaisir.” (Costa ca 1760-1770). Chacune des acceptions du terme trouva son application dans l’univers urbain. Les villes furent de plus en plus perçues, surtout à partir des Lumières, comme les centres de la civilisation, du commerce, des usages, qu’ils soient bons ou mauvais. Mais elles possédaient aussi un centre géométrique et, par extension, un trecho central – l’adjectif, d’origine latine, est également répertorié par Bluteau (*1712) –, partie centrale qui se confondait souvent avec le lieu où se concentraient les principaux bâtiments et services: marché, église paroissiale, bâtiments administratifs, résidences d’importance. Tous ces lieux symbolisaient le caractère de pôle des noyaux urbains. Malgré cela, pendant la période coloniale, on ne parlait pas de centro pour décrire les villes [cidades e vilas] brésiliennes. Dans une description détaillée de Salvador, en 1730, la capitale de l’époque est simplement divisée en quartiers [bairros] d’importance égale: “La ville se divise en six quartiers […] outre ceux qui se trouvent extra-muros.” (Pita 1976 [1730]: 46). Cette délimitation suffisait à hiérarchiser les secteurs urbains. Ainsi, à Rio de Janeiro – devenue capitale en 1763 – il y avait un noyau urbain bien délimité et divisé en paroisses [freguesias ou paróquias]. Finalement, les deux acceptions de base du terme centro en portugais – centre géométrique et pôle de concentration – s’unirent pour désigner un lieu spécifique au sein de la ville. La première est à l’origine de l’expression centro da cidade relevée par le lexicographe portugais Morais Silva au début du XIXe siècle (*Silva 1813) et l’on retrouve la seconde dans les expressions centro comercial, centro do comércio, centro dos negócios [du commerce, des affaires] et d’autres similaires, souvent préférées au XIXe siècle pour nommer cette zone urbaine à dominante économique. Le phénomène coïncide avec la nécessité de délimiter des périmètres centraux dans la législation d’urbanisme. Dans le cas du Brésil, les réglements promulgués à Recife en 1831 n’employaient pas l’expression centro da cidade – également absente du roman picaresque urbain Memórias de um sargento de milícias (Almeida1853) – mais plutôt Praça qui, dans ce cas, ne désignait pas un espace ouvert et public mais une zone consacrée aux échanges commerciaux (Lira 2001: 189, 197). En interdisant certaines pratiques dans le territoire situé dentro da Praça, la législation désignait un espace central en empruntant un terme au langage du commerce – terme utilisé, jusqu’à aujourd’hui, dans le lexique de la banque. Cette vocation commerciale des zones centrales de la ville fut cruciale pour favoriser le glissement de la seconde acception du mot centro, d’une concentration d’activités à une région urbaine. Les villes peuvent être considérées comme des centros par elles-mêmes. Une capitale [capital] importante peut être décrite comme un grand centro (Guimarães 1875: 18) et des localités [povoações] distantes comme des centros afastados [éloignés] (Olímpio 1903: VI). Centro politico, centro intellectual, centro industrial, centro commercial, centro de

42 Le Trésor des mots de la ville : une maquette au 1/5e consummo, de producção font partie des expressions répertoriées par Vieira en 1873. Ces activités se regroupaient de plus en plus dans un même secteur de la ville, ordinairement son centre. Centro do comércio – comme expression désignant la zone centrale de Rio de Janeiro autour de la Rua do Ouvidor – apparaît dans des romans de la seconde moitié du XIXe siècle (Alencar 1870) et centro da cidade s’observe dans la littérature quelque vingt années plus tard (Azevedo1890, Assis 1891) en opposition au mot bairro [quartier]: avec l’expansion urbaine, la ville cessait d’être un simple agglomérat de paroisses [freguesias], elle était organisée hiérarchiquement avec un noyau central auquel étaient subordonnés des quartiers plus ou moins distants. Au cours du XIXe siècle, les noyaux des villes hérités de l’époque coloniale devinrent des centres gouvernant des zones urbaines en perpétuelle expansion. Il y avait auparavant une définition claire des lieux dominants: le largo da Matriz ou Sé [place de la cathédrale, de l’église principale], le largo do Paço [place du palais] et la Rua Direita [principale rue commerçante], ainsi que la zone portuaire polarisaient traditionnellement les pouvoirs religieux, politique et commercial. Cela changea avec l’expansion urbaine accélérée du XIXe siècle. À Rio de Janeiro, la première extension fut baptisée Cidade Nova et, à São Paulo, une cidade nova était signalée en 1821 (Barros 1967: 224). Les documents des années 1870 hésitent encore à trouver un terme approprié pour désigner la zone centrale de Rio. Une description du port en faisait la “zone la plus peuplée de la ville” (Castro 1877: 18-19). Le rapport de 1875 de la Commission d’amélioration préférait “la partie la plus ancienne de la ville” (“Melhoramentos...” 1875: 2-6), mais un autre rapport, adressé à l’administration impériale en 1877, dénonçait “l’agglomération d’individus dans le centro de la ville, dans des logements dépourvus de conditions hygiéniques normales” (cité par Benchimol 1992: 141-142, 152). A la même époque, les réglements municipaux interdirent la construction d’habitations locatives populaires [cortiços] au sein d’un périmètre défini autour de la zone centrale (Vaz 2002: 32). L’expression centro da cidade se généralisa alors rapidement, sans toutefois se substituer à d’autres. Ainsi, on peut lire dans un article de 1903: “La communication entre les quais et la zona commercial de la ville [imposait] une nouvelle artère qui desservît le bairro do commercio [quartier commerçant] le plus dense” (Jornal do Commercio [Rio de Janeiro] cité par Brenna 1985: 57). On trouvait d’autres expressions synonymes comme centro commercial (O Paiz [Rio de Janeiro] 1905 cité par Brenna 1985: 301), zona de movimento (“Os melhoramentos...” 1911: 40), coração da cidade et nucleo central (Cintra & Maia 1925: 121- 128). A la fin du XIXe siècle, nous rencontrons pour la première fois, avec la même acception, le mot centro sans autre spécification. Segawa en a relevé l’usage journalistique en 1890: “le centro” présentait “le même mouvement de la construction” que celui des quartiers nouveaux (cité in Segawa 2000: 26). Nous retrouvons ce terme dans la littérature quelques année plus tard (Barreto 1909). Il faut néanmoins souligner les acceptions différentes de centro da cidade et centro. La première expression renvoie encore à un lieu géométrique dont la particularité principale est son emplacement, la seconde se rapproche de la signification abstraite du mot dans le sens de concentration. Plus qu’une contraction verbale, il s’agit d’un terme reconnaissant à cette zone des caractéristiques qui vont au-delà de sa position géographique, donnant ainsi naissance à un nouveau personnage dans le paysage de la ville, avec sa problématique et sa trajectoire propres. Cette autonomisation de centro sans qualificatif s’opéra toutefois de manière très graduelle: l’usage de ce mot pour désigner la zone centrale de la ville ne fut consacré par les lexicographes que dans les années 1960 (*Ferreira 1965). L’évolution de l’usage du mot accompagnait le processus de différentiation des zones centrales des villes brésiliennes. À la fin du XIXe siècle, les noyaux anciens continuaient à

43 Le Trésor des mots de la ville : une maquette au 1/5e rassembler les activités administratives, commerciales et religieuses, tandis que les couches privilégiés abandonnaient leurs anciennes maisons qui, divisées en meublés [cortiços], étaient occupées par une population plus pauvre. Différenciation et détérioration caractérisèrent désormais l’évolution des zones centrales des villes brésiliennes. Une nouvelle utilisation de ces zones résulta du développement des activités tertiaires liées au succès du secteur agro- exportateur basé sur le café. Sièges d’entreprise, bâtiments administratifs, commerces de luxe, transports ferroviaires et maritimes, tout cela exigeait un remodelage du modeste cadre urbain hérité du passé afin de créer un centre moderne. Envisagés à partir de 1870, ces projets se réalisèrent après la proclamation de la République en 1889, à Rio de Janeiro et dans d’autres villes comme São Paulo, Salvador, Recife et Belém. La priorité de ces politiques urbaines était claire: “réformer le centro” (Telles 1907 cité par Simões 1995: 80). La nouvelle configuration des espaces centraux s’inspirait, dans ses aspects les plus visibles, du modèle haussmannien: élégants bulevars “à la parisienne” (“Os melhoramentos...” 1911: 38) bordés d’édifices au style éclectique ou Beaux-Arts, places et monuments civiques, etc. La généralisation de l’usage de centro en lieu et place de centro da cidade correspondit à l’établissement de ces espaces clairement définis par leurs fonctions administrative, symbolique ou publique. Ce premier cycle de transformations connut son apogée entre 1905 et 1925. Dans les années 1920, l’usage du mot centro était déjà fréquent dans la littérature (Barreto 1922), dans la presse, voire dans le domaine de l’urbanisme (Cintra 1924: 331). Mais les textes légaux préféraient encore des expressions comme zona central ou perímetro central (Lei Municipal n° 1874, 12/05/1915, São Paulo). Désormais, dans le vocabulaire de l’aménagement, se multiplièrent les expressions contenant le mot centro, soit pour désigner des zones de la ville – centrales ou non – spécialisées dans telle ou telle activité: centro civico, centro administrativo, soit pour caractériser la position relative de la ville elle-même: centro regional, centros secundários (Bouvard 1911: 42, Maia 1953: 13-14, 49, 56). Le modèle de centre qui prévalut jusqu’aux années 1920 s’épuisa rapidement en raison de l’expansion des plus grandes villes brésiliennes qui commençaient à dépasser le million d’habitants. À partir de 1930, un développement urbain accéléré s´imposa, inspiré cette fois de l’Amérique du Nord, avec des voies automobiles [rodovias] et une verticalisation intensive (Campos 2002). Entre les années 1930 et les années 1950, on ouvrit, souvent à proximité des centres existants, de grandes avenues bordées de hauts immeubles de style moderne et monumental, offrant des zones d’expansion pour les activités centrales: le Centro Novo à São Paulo, le Castelo et l’avenue Presidente Vargas à Rio de Janeiro et le quartier de Santo Antonio à Recife. La notion de centre comme entité urbaine fut consacré par la publication des premières études sur ces régions, notamment celles de Lecocq-Müller sur São Paulo (1958) et de Milton Santos sur Salvador (1959). Mais la crise des centres s´imposait en vertu du succès même des interventions centralisatrices, qui accentuèrent leur congestion et obsolescence précoce. Dès 1920 le mot décentralisation [descentralização] entra dans le vocabulaire urbain. Opposé au mot centralisation [centralização], qui avait jusque-là un sens essentiellement politique et administratif (*Silva 1858: 439), ce terme emprunté au vocabulaire de l’urbanisme européen justifiait l’extension des interventions publiques au-delà des zones centrales déjà existantes. “L’agrandissement du centro commercial ou sa descentralização” impose “un certain élargissement du périmètre central [et] de la zone commerçante” (Cintra & Maia1926: 228- 231). On dénonçait la centralisation excessive des activités urbaines et la congestion des zones commerçantes traditionnelles. Entre les années 1950 et 1970, les urbanistes furent obnubilés par la construction de sub-centros [centres secondaires] (SAGMACS 1957, PUB São Paulo 1969, Doxiadis 1967, PUB Rio de Janeiro 1977). Les projets mis en oeuvre, toutefois – comme à São Paulo – ne conduisaient qu’à un élargissement du centre principal,

44 Le Trésor des mots de la ville : une maquette au 1/5e une hypertrophie de la zone consacrée aux activités tertiaires, une occupation verticale des sols et ainsi à la formation, à partir des années 1960, d’un énorme “centre étendu, dilaté [centro expandido]” (Villaça 1998: 265). Plus qu’une décentralisation effective (Scherer 1987), le trait marquant de l’évolution des centres-villes au Brésil est le départ progressif des lieux de pouvoirs – économique, politique et symbolique – vers les quartiers occupés par les couches sociales dominantes. Ce processus fait perdre leur pouvoir d’attraction et leur prestige aux centres historiques: à São Paulo (Centro Velho) et à Recife (zone portuaire) dès les années 1940; par la suite, dans d’autres capitales. Dans les villes du littoral, les classes privilégiées se déplacèrent le long des plages: la Zona Sul à Rio de Janeiro, la bordure de l’océan à Salvador ou Boa Viagem à Recife. Dans les métropoles de l’intérieur, comme Belo Horizonte et São Paulo, les activités centrales les plus valorisées se déplacèrent vers les quartiers résidentiels aisés, progressivement atteints par la verticalisation, les grands ouvrages routiers et les usages commerciaux. L’appauvrissement du centre historique, la ségrégation d’îlots de richesse et le développement de l’automobile conduisirent, à partir des années 1980, au développement de shopping centers, de centros empresariais [centres d’entreprise] et de condomínios fechados [copropriétés fermées] (Caldeira 2000: 257-284). Le terme shopping center, importé en 1965, fut immédiatement incorporé à la langue dans la mesure où ces grands malls de style nord- américain se multiplièrent dans toutes les métropoles brésiliennes, concentrant les commerces haut de gamme et contribuant à la crise des centres historiques. Les notions de centralidade (Santos 1959, Frugoli Jr. 2000) et, plus spécifiquement, de novas centralidades apparurent pour rendre compte du phénomène et affranchir les activités centrales de la fixation géographique qu’exprimait la notion localisée de centro. Toutefois, la tendance actuelle est à la valorisation du lieu et du terme. Depuis les années 1990 la dégradation des zones centrales traditionnelles devint un grand sujet de discussion et d’intervention au Brésil. Il devint clair que le centro était irremplaçable en tant que pôle d’attraction et de référence de l’identité d’une ville prise comme un tout. La démocratisation au sein de la cité passe nécessairement par la restauration des qualités urbaines de cet espace accessible à tous. C’est ainsi que le mot devint la devise d’une série de programmes d’urbanisme: “Morar no Centro [Habiter au centre]”,“Reconstruir o Centro [Reconstruire le centre]”, “Viva o Centro [Vive le centre]” (Urbs 1998-2003), et, plus largement, d’un mouvement de revalorisation du patrimoine historique et culturel présent dans les zones centrales. Candido Malta Campos

Voir Voir centr, centro, city centre, downtown

Sources primaires Alencar, José de. 1870. A pata da gazela. (1ère édition: Rio de Janeiro, 1870) São Paulo, Ática, 1998. Almeida, Manuel Antonio de. 1853. Memórias de um sargento de milícias.. São Paulo, Ática, 1996 (1ère édition: Rio de Janeiro, 1853). Assis, Joaquim Maria Machado de. 1891. Quincas Borba. Rio de Janeiro, Garnier. Azevedo, Aluizio. 1997 [1890]. O cortiço. São Paulo, Ática, 1997 (1ère édition: Rio de Janeiro, 1890). Barreto, Lima. 1909. Recordações do escrivão Isaías Caminha. Rio de Janeiro, Ediouro, 2002 (1ère édition: 1909). Barreto, Lima. 1922. Clara dos Anjos. São Paulo, Ática, 1998 (1ère édition: revue O Mundo Litterario , 1922). Bouvard, Joseph- Antoine. 1911. “Relatorio apresentado ao Sr. Pre feito Raymundo Duprat”. Revista de Engenharia , vol. 1, n° 2, juillet.

45 Le Trésor des mots de la ville : une maquette au 1/5e

Castro, Borja. 1877. Descrição do porto do Rio de Janeiro e das obras da Doca d´Alfandega. Rio de Janeiro, Imperial Instituto Artístico. Cintra, João Florence de Ulhôa & Maia, Francisco Prestes. 1925. “Um problema actual: Os grandes melhoramentos de São Paulo”. Boletim do Instituto de Engenharia , vol. 6, n° 29, juillet- août. Cintra, João Florence de Ulhôa & Maia, Francisco Prestes. 1926. “Um problema actual: Os grandes melhoramentos de São Paulo”. Boletim do Instituto de Engenharia , vol. 6, n° 31, mars - juin. Cintra, João Florence de Ulhôa. 1924. “Projecto de uma avenida circular constituindo perimetro de irradiação.” Boletim do Instituto de Engenharia , vol. V, n° 24, janvier- mars. Costa, C láudio Manoel da. ca 1760- 1770. “Epicédio II - A morte de Salício”. In: Poemas. São Paulo, Cultrix, 1966. Doxiadis Associates: Guanabara, um plano para desenvolvimento urbano. Rio de Janeiro, Secretaria de Governo, 1967. Guimarães, Bernardo. 1875. A escrava Isaura . Belo Horizonte, Itatiaia, 1977 (1ère édition: Rio de Janeiro, 1875). Lecocq- Müller, Nice. 1958. “A área central da cidade.” In: Azevedo, Aroldo de (org.). A cidade de São Paulo: Estudos de geografia urbana. São Paulo, Companhia Editora Nacional, vol. 2. “Lei Municipal n° 1874, 12/05/1915”. In : Leis e Atos do Municipio de São Paulo do ano de 1915. São Paulo, Imprensa Oficial do Estado, 1934. Maia, Francisco Prestes. 1953. “Os grandes problemas urbanísticos de São Paulo”, Digesto Econômico , vol. 9, n° 99, février et n° 102, mai. Matos, Gregório de. ca 1684. “Descrição, entrada, e procedimento do Braço de Prata Antonio de Souza de Menezes Governador deste Estado”. In: Obra poética. Rio de Janeiro, Record, 1992. Matos, Gregório de. ca 1694. “Ao mesm o assumpto. Mote”. In: Obra poética. Rio de Janeiro, Record, 1992. “Melhoramentos da Cidade - Primeiro relatorio da Comissão de Melhoramentos da Cidade do Rio de Janeiro.” 1875. Rio de Janeiro, Arquivo Geral da Cidade. “Os melhoramentos de São Paulo”. 1911. Revista de Engenharia , vol. 1, n° 2, juillet. Olímpio, Domingos. 1903. Luzia - Homem. São Paulo , Ática, 1983 (1ère édition: Rio de Janeiro, 1903). Pita, Sebastião da Rocha. 1976 [1730]. História da América Portuguesa. São Paulo, Itatiaia / Edusp (1ère édition: Lisbonne, 1730). PUB – Plano Urbanístico Básico da cidade do Rio de Janeiro . 1977. Rio de Janeiro, PCRJ. PUB – Plano Urbanístico Básico de São Paulo . 1969. São Paulo, PMSP. SAGMACS (Sociedade para Analise Mecanográfica e Gráfica dos Complexos Sociais). 1957. Estrutura urbana da aglomeração paulista: Estruturas atuais e estruturas racionais . São Paulo, PMSP. Santos, Milton. 1959. O centro da cidade do Salvador: Estudo de geografia urbana. Salvador, Progresso. Teixeira, Bento. 1927 [1601]. “Prosopopéia ”. Revista de História de Pernambuco , vol. 1, n° 1, 1927, Recife (1ère édition: Lisbonne, 1601). Telles, Augusto Carlos da Silva. 1907. Melhoramentos de São Paulo . São Paulo, Escolas Profissionaes Salesianas.

Sources secondaires Barros, Gilberto Leite de. 1967. A cidade e o planalto. São Paulo, Martins, tome I. Benchimol, Jaime Larry. 1992. Pereira Passos: Um Haussmann tropical. Rio de Janeiro, Prefeitura da Cidade do Rio de Janeiro. Brenna, Giovanna Rosso del (org.). 1985. O Rio de Janeiro de Pereira Passos. Rio de Janeiro, Index. Frugoli Jr., Heitor: Centralidade em São Paulo. São Paulo, Cortez / Edusp, 2000. Lira, José Tavares de. 2001. “Freguesias morais e geometria d o espaço urbano. O léxico das divisões e a história da cidade do Recife.” In: Bresciani, Maria Stella (org.), Palavras da cidade. Porto Alegre, Editora da UFRGS. Segawa, Hugo. 2000. Prelúdio da metrópole . São Paulo, Ateliê Editorial. Simões Jr., José Geraldo. 1995. “Anhangabaú: História e urbanismo.” Thèse de doctorat, São Paulo, FAU / USP. Urbs Revista da Associação Viva o Centro. São Paulo,1998- 2003. Vaz, Lilian Fessler. 2002. Modernidade e moradia: Habitação coletiva no Rio de Janeiro, séculos XIX e XX. Rio de Janeiro, 7 Letras / Faperj. Villaça, Flávio. 1998. Espaço intra - urbano no Brasil. São Paulo, Studio Nobel / Fapesp.

46 Le Trésor des mots de la ville : une maquette au 1/5e

Autres références Caldeira, Teresa Pires do Rio. 2000. Cidade de muros: Crime, segregação e cidadania em São Paulo. São Paulo, Editora 34. Campos, Candido Malta. 2002. Os rumos da cidade: Urbanismo e modernização em São Paulo. São Paulo, Senac. Scherer, Rebeca. 1987. “Descentralização e planejamento urbano no m unicípio de São Paulo.” Thèse de doctorat, FAU / USP, São Paulo. ______cidade (pl. cidades) portugais, Portugal et Brésil, nom fém.

Traductions “CIDADE, s.f. Multidão de casas, divididas em ruas. Ville, cité, la multitude des citoyens, la bourgeoisie .” (*Sà 1794) “CIDADE, s.f. cité, ville; les habitants d’une cité. Corps des officiers municipaux dans une v ille.” (*Roquette 1921) “ cidade, n.f. Ville, cité, assemblage d’un grand nombre de maisons disposées par rues; les habitants d’une ville.” (*Azevedo 1953)

Définitions “Aujourd’hui on appelle Cidade une multitude de maisons, distribuées en rues et places, et habitées par des gens qui vivent en société et en subordination aux lois générales du Royaume ou de la Province; c’est d’ordinaire un siège épiscopal, qui fut, au moins dans le passé, entouré de murs et protégé par des fortifications [...].” (*Viterbo 1 798) “ Cidade (cité) est une ville qui jouit de ce titre par concession du roi, qui a une camara (municipalité), un nombre plus ou moins grand de magistrats pour la gouverner, qui jouit de certains privilèges, et qui est ou a été le siège d’un archevêque ou d’un évêque.” (Balbi 1822, 2 : 163- 166) “ Cidade; agglomération supérieure en nombre et en grade à celle d’une villa , qui parfois est encerclée par des murailles; peuple, gens qui habitent une cidade; réunion de citoyens; gens de la cidade, s’opposent à celles de la campagne et à celles de la Cour, les courtisans.” (*Lacerda 1858) “ cidade. Nom commun donné aux agglomérations plus grandes et plus importantes.” (Valente 1881) “ cidade. Complexe démographique constitué, du point de vue social et économique, par une importante concentration de population non- agricole, i. e., qui se consacre à des activités du secteur commercial, industriel, financier et culturel; urbe. 2. Les habitants de la cidade, dans son ensemble. 3. La partie la plus ancienne ou la plus centrale d’une cidade. 4. Le centre commercial. 5. Au Brésil, le siège d’un município , indépendamment du nombre de ses habitants.” (*Ferreira 1986) [dictionnaire publié au Brésil]

Dans un long article consacré au mot cidade, en 1798, Joaquim de Santa Rosa Viterbo répertoriait les sens anciens du terme au Portugal : cidade, ou plus proprement civitas, avait désigné, chez les Romains, “la capitale d’une nation [...] ainsi que toute sa campagne”, ou une “collection de plusieurs lieux ouverts qui possédaient le même gouvernement politique et militaire” (*Viterbo 1798). Le terme désignait ainsi tantôt un territoire, tantôt le chef-lieu de ce territoire (Azevedo 1916). La politique de reconquête et de repeuplement du territoire portugais mise en place par les rois chrétiens (XIe-XIIIe siècles) comporta l’institution d’évêchés dans les povoações [localités, agglomérations] les plus importantes, qui furent appelées civitas ou cidade. Ainsi, dans cette première phase de l’organisation de l’espace portugais, le terme constituait “une distinction politique à base religieuse” (Serrão 1973). Au Moyen Age, ce titre honorifique n’était donc concédé qu’aux sièges d’évêchés. C’est à l’Epoque Moderne qu’il commença à être attribué également pour des raisons d’ordre politique. Pendant les XVIe et XVIIe siècles, la plupart des créations de cidades s’insérait dans la politique coloniale portugaise. Sur la côte sud de la péninsule, les villas de Lagos, Faro et Tavira reçurent le privilège en rétribution de l’appui donné à l’établissement des conquérants portugais dans le nord de l’Afrique. Dans des archipels de Madère et des Açores,

47 Le Trésor des mots de la ville : une maquette au 1/5e certaines villas devinrent des sièges d’évêché, d’autres reçurent le titre de cidade comme récompense de services rendus à la couronne. Au Brésil, les fondations de cidades pendant cette période se trouvèrent liées surtout à la question de la défense de l’immense colonie, alors très convoitée par les étrangers. Ainsi, jusqu’à la fin du XVIIe siècle, toutes les cidades créées par les Portugais en Amérique se situaient sur le littoral – ainsi que la plupart des villas. Certaines étaient soumises directement à l’autorité royale: Salvador de Bahia (1549) et Rio de Janeiro (1565), les deux premières cidades reais [royales] fondées dans la colonie, ont plus tard exercé à la fois les fonctions prestigieuses de siège d’évêché (d’archevêché, dans le cas de Salvador) et de capitale du Vice- Reinado. Les cidades fondées pendant l’Union Ibérique (1580-1640) furent érigées à côté de forteresses, dans des endroits stratégiques auparavant occupés par les Français et les Hollandais. À l’article cidade de certains dictionnaires du XVIIIe siècle on trouve de nombreuses expressions qui montrent la place importante que le colonisateur portugais accordait à la fonction militaire des localités qui portaient ce titre. On y trouve notamment la référence aux agglomérations qui constituent les “ clefs d’un royaume” : à l’article chave [clef] du dictionnaire de Raphael Bluteau on découvre qu’il s’agit de “certaines cidades, ou places frontalières, par où les ennemis ne peuvent pas entrer, ou qui, après avoir été prises, ouvrent le chemin pour des conquêtes plus importantes [...]. Toutes les cidades maritimes sont des clés de notre Empire” (*Bluteau 1712). Pourtant, avant l’expansion portugaise outre-atlantique, les gens ne distinguaient pas forcément la villa de la cidade, toutes deux chefs-lieux de concelhos. Certains lexicographes observent que “de la fin du XIIe jusqu’à la fin du XVe siècle on trouve quelquefois Villa comme un synonyme de Cidade” (*Viterbo 1798), et citent des occurrences telles que “Villa de Lisboa”, “Villa de Coimbra” et “Villa de Lamego”, qui désignent des localités qui avaient pourtant le titre de cidade. L’idée de cidade comme “povoação de grade supérieur à celui des villas” (*Silva 1789) est apparue plus tard : c’est au début du XVIe siècle qu’il y eut une prise de conscience de l’importance du titre et que les habitants commencèrent à solliciter la promotion de leurs villas au rang de cidades. Mais cette supériorité hiérarchique était surtout d’ordre symbolique, car la concession du titre de cidade n’avait aucune implication sur le plan institutionnel. Au milieu du XVIIIe siècle, la Couronne revint à la tradition d’attribuer le titre de cidade aux sièges des nouveaux diocèses – rappelons, au Portugal, le cas de Pinhel (1770), de Castelo Branco (1771) et de Portimão (1773) et, en Amérique, de Mariana, siège de l’évêché de Minas Gerais (1745). Cependant, une bonne partie des concessions de la période étaient liées à des raisons politiques (Serrão 1973). C’est le cas, au Portugal, des cidades de Aveiro (1759) et Penafiel (1770). Dans la colonie sud-américaine, citons l’exemple de São Paulo, modeste villa habitée par des chasseurs d’Indiens et des chercheurs d’or, qui fut promue au rang de cidade en 1711, et celui de Oeiras, qui ne dut apparemment son titre en 1761 qu’à la vanité du puissant ministre du roi José Ier – le comte d’Oeiras, plus tard Marquis de Pombal. Parmi les localités promues pendant l’Ancien Régime, certaines étaient prospères et bien peuplées. Mais la concession du titre de cidade – comme celui de villa – ne reflétait pas toujours le degré de développement atteint par les agglomérations, ni même leur importance politique. Il semble d’ailleurs que c’était aussi le cas des classifications espagnoles: dans un article de son dictionnaire, Bluteau fait remarquer que Madrid n’était qu’une villa, “en dépit de son statut de cour de Castille” (*Bluteau 1712). La Villa de Santarém, l’une des principales agglomérations portugaises depuis le Moyen Age, ne fut élevée à la catégorie de cidade qu’en 1868; Villa Rica, l’un des plus grands établissements urbains de l’Amérique portugaise et capitale du Minas Gerais - alors la plus riche des capitaineries - n’acquit le titre de cidade qu’en 1823, après l’indépendance du Brésil (Damasceno Fonseca 2003 : xx). Inversement, on

48 Le Trésor des mots de la ville : une maquette au 1/5e connaît des exemples de cidades qui étaient des localités très peu développées du point de vue démographique et économique: c’était le cas de la ville côtière de Cabo Frio qui, selon un observateur du début du XIXe siècle, était un lieu tellement insignifiant que ses propres habitants oubliaient de l’appeler cidade: “ils l’appellent toujours Cabo Frio, mots auxquels ils ne joignent aucune sorte de qualification” (Saint-Hilaire 1830, 2 : 408-409). Au Portugal comme au Brésil, le titre de cidade a été concédé avec beaucoup plus de parcimonie que celui de villa. Dans le premier pays on comptait, au début du XIXe siècle, 22 cidades et plus de 500 vilas (Castro 1815); dans le second, 12 cidades et 225 villas (Azevedo 1957). Cependant, des réformes administratives entreprises dans les deux aires géographiques à partir des années 1820-1830 changèrent radicalement ce tableau.

Au Portugal, les réformes eurent pour conséquence la suppression de plusieurs concelhos peu développés et, pendant le XIXe siècle le titre de cidade fut attribué à huit localités seulement. Ce furent parfois les critères de l’Ancien Régime qui furent privilégiés : ancienneté de l’agglomération, résidence d’autorités, commodités du site, qualité des édifices et monuments (Serrão 1973). Dans d’autres cas, ce furent des arguments liés à un nouveau concept de “ville” : nombre d’habitants, importance des activités industrielles et commerciales. D’où la définition de cidade que l’on trouve dans un dictionnaire portugais du milieu du XIXe siècle : “agglomération supérieure en nombre et en grade à celle d’une villa, qui parfois est encerclée par des murailles” (*Lacerda 1858). Ici coexistent les critères anciens et modernes de définition de l’urbain, alors que les définitions de la fin du siècle étaient déjà dépouillées des images traditionnelles : “cidade, nom commun donné aux povoações plus importantes et plus grandes” (*Valente 1881). Au début du XXe siècle le Código Administrativo classifia les municípios en “ruraux” et “urbains” et le décret du 31 décembre 1936 essaya de restreindre l’usage du nom cidade qui, depuis quelque temps, était attribué sans critère bien défini. De fait, en 1916 la Chambre des députés avait promu la Villa de Abrantes à la catégorie de cidade, compte tenu des “titres civiques et républicains qui la magnifient”, de sa population et de son commerce - qui n’étaient pas “inférieurs à ceux d’autres petites cidades du pays” -, et aussi de son importance touristique; la mesure était censée mettre en valeur la ville et “pousser au plus haut la bonne réputation dont elle jouit déjà parmi les nationaux et les étrangers qui la visitent” (Azevedo 1916). En 1924, ce fut grâce à la volonté de l’un de ses fils les plus illustres - Manuel Teixeira Gomes, alors Président de la République - que la Villa de Portimão avait récupéré le titre de cidade reçu en 1773 mais vite perdu ensuite (Serrão 1973). Avec la réforme de 1936, la catégorie de cidade ne pouvait plus être attribuée qu’aux villas de plus de 20 000 habitants présentant un développement industriel et commercial remarquable, possédant des installations urbaines d’eau, d’électricité et d’égoûts et desservies par de grandes voies de communication. Toutefois, selon ces critères, seulement six localités portugaises pouvaient être appelées cidades dans les années 1930-1940 et, finalement, le décret n’a pas été appliqué (*Grande Enciclopédia… ca 1945 : 748). Au début des années 1970 le Portugal était encore un “pays sans cidades”: Lisbonne et Porto étaient les seules villes de plus de 100 000 habitants, et la majorité de la population vivait dans des agglomérations de moins de 5 000 habitants (Silva 1972). Après les événements du 25 Avril 1974 (la Révolution des Œillets), l’ouverture du régime politique rendit possible un changement considérable des hiérarchies urbaines. Entre 1979 et 1988, plusieurs vilas ont revendiqué et obtenu leur promotion au rang supérieur, ce qui fit quasiment doubler le nombre de cidades : de 34 on est passé à 72 unités. Une grande partie de ces revendications se sont appuyées sur la loi 11/82 du 2 juin 1982, qui reprenait le décret du Codigo Administrativo de 1936 et redéfinissait les critères de “nomination et de détermination de la catégorie des povoações” (Salgueiro 1992).

49 Le Trésor des mots de la ville : une maquette au 1/5e

De nos jours, le nombre de cidades continue de s’accroître : 88 en 1991, 134 en 2001 (Instituto Nacional de Estatística 2002). De fait, l’attribution officielle du titre à des agglomérations qui constituent déjà des chefs-lieux de municípios est un enjeu qui mobilise toujours les populations locales - qui le revendiquent, certainement, comme symbole de reconnaissance de la valeur “urbaine” des localités – c’est-à-dire de leur importance démographique, économique, culturelle.

Au Brésil les réformes administratives du XIXe siècle ont suivi une tendance inverse de celles du Portugal: le nombre de concelhos (que l’on commençait alors à appeler plutôt municípios) - et par conséquent de villas et cidades - présenta une hausse considérable pendant ce siècle : dans la seule province de Minas Gerais on comptait, en 1892, environ 115 cidades (Carvalho 1922). L’augmentation du nombre de cidades fut encore plus importante au XXe siècle : en 1938 un décret-loi statua que tout chef-lieu de município “aura la catégorie de cidade et lui donnera son nom” (cité par Azevedo 1957). En 1950, il n’existait dans le pays pas moins de 1890 cidades, nombre que ne cessa de croître par la suite. Le terme cidade désigne désormais le siège d’un município, “indépendamment du nombre de ses habitants” (*Ferreira 1986). Aujourd’hui au Brésil, la catégorie cidade regroupe des agglomérations d’échelles très diverses : des capitais [capitales] d’états fédérés de plusieurs millions d’habitants comme São Paulo, des cidades do interior (celles qui ne sont pas capitales) de taille variable, des sièges de municípios ruraux dont la population ne dépasse pas quelques centaines d’habitants – et qui autrefois étaient plutôt nommées vilas. Surtout quand il est employé au diminutif : cidadezinha, le terme peut aussi désigner des localités qui ne sont pas chefs-lieux de municípios, et qui se situent à la limite même de l’urbain ; dans ce cas il est utilisé dans un sens proche des mots povoação, lugar, lugarejo, vilório, et peut être également mis en rapport avec le mot aldeia tel qu’on l’entend au Portugal.

Au Brésil comme au Portugal, le mot cidade peut désigner également des parties d’une ville. Le terme renvoie au “centre commercial [centro comercial]” (*Ferreira 1986), ou à “la partie plus ancienne ou plus centrale” d’une agglomération, “où se trouvent généralement les établissements commerciaux les plus importants” (*Machado 1991). Rappelons aussi les expressions séculaires cidade alta [haute] et cidade baixa [basse], utilisées dans des villes de relief accidenté comme Salvador - alors qu’à Lisbonne et Porto les gens préfèrent désigner ces différentes parties simplement par les mots “Alta” et “Baixa”. Dans les grandes agglomérations urbaines brésiliennes, d’autres expressions qui contiennent le mot cidade désignent des secteurs urbains plus ou moins éloignés du centre ville et qui ont, en général, une spécialisation fonctionnelle: c’est le cas de cidade universitária [universitaire] et de cidade industrial [industrielle]. L’expression cidade nova [nouvelle], qui apparaît dès le milieu du XIXe siècle dans des villes comme São Paulo et Rio de Janeiro (Pereira 2002 : 262), est devenue un toponyme fréquemment utilisé pour nommer de nombreux nouveaux quartiers résidentiels. D’autres expressions désignent non pas des parties d’une même cidade, mais des villes qui se situent dans les environs d’une agglomération plus importante et dont la fonction principale est de loger les personnes qui y travaillent : ce sont les cidades-dormitório [dortoir] mais aussi les cidades-satélite [satellite] de Brasília. Dans un tout autre registre, les expressions cidade histórica et cidade colonial désignent au Brésil les villes classées “patrimoine historique”, en tout ou en partie, et en particulier les cidades mineiras (les anciennes villes minières dans l’état du Minas Gerais). Il convient de rappeler également le sens de cidade comme “l’ensemble de ses habitants” : les premières occurrences de cet usage personnifié du mot dans les dictionnaires de langue portugaise datent du milieu du XIXe siècle. Enfin, évoquons l’usage métaphorique du mot cidade, qui est aujourd’hui fréquent dans des clichés et des images journalistiques de villes

50 Le Trésor des mots de la ville : une maquette au 1/5e comme São Paulo - la “cidade qui travaille”, la “cidade violente” (Pereira 2001) – et Rio de Janeiro – la “cidade maravilhosa [merveilleuse]”. Cláudia Damasceno Fonseca

Voir município, vila, povoação, centro, bairro Voir ville (français), cité (français), ciudad (espagnol), city (anglais)

Sourc es primaires Balbi, Adrien. 1822. Essai Statistique sur le Royaume de Portugal et d’Algarve, comparé aux autres Etats de l’Europe. Paris: Rey et Gravier, 2 vol. Saint- Hilaire, Auguste de. 1830. Voyages dans l’intérieur du Brésil, Première Partie: Voyage dans les Provinces de Rio de Janeiro et Minas Gerais. Paris: Grimbert et Dorez Librairies, 2 vol. Sources secondaires Azevedo, Aroldo de. 1957. “Vilas e cidades no Brasil colonial (ensaio de geografia urbana retrospectiva)” in Anais da Associação de Geógrafo s Brasileiros, São Paulo, vol. IX, t. I, Azevedo, Pedro de. 1916. “As cartas de criação de cidades concedidas a povoações portuguesas” in Boletim da Segunda Classe da Academia das Sciencias de Lisboa, vol. X (1915- 1916) : p. 930- 971. Carvalho, Theophilo Feu de. 1922. Comarcas e Termos - Creações, suppressões, restaurações, encorporações e desmembramentos de comarcas e termos em Minas Geraes (1709- 1915). Belo Horizonte: Imprensa Oficial, Castro, Lourenço de M. P. Sotto - Maior e. 1815. Mappa Chronologico do Reino de Portugal e seus dominios. Lisboa : Impressão de J.B. Morando. Damasceno Fonseca, Cláudia. 2003. Des terres aux villes de l’or. Pouvoirs et territoires urbains au Minas Gerais (Brésil, XVIIIe siècle). Paris : Publications du Centre culturel Calouste Gulbenkian. Pereira, Margareth da Silva. 2002. “Le temps des mots: le lexique de la ségrégation à São Paulo dans les discours de ses réformateurs (1890- 1930) in Christian Topalov (dir) Les divisions de la Ville, Paris, Editions de la Maison des Sciences de l’Homme, p. 255- 290. Salgueiro, Teresa Barata. 1992. A Cidade em Portugal: Uma Geografia Urbana, Lisbonne, Afrontamento. Serrão, Joaquim Veríssimo. 1973. “A concessão do foro de cidade em portugal dos séculos XII a XIX” in Portugaliae Historica, vol. I, p . 13- 80. Autres références Instituto Nacional de Estatística. 2002. Anuário das Cidades. Lisbonne, INE. Pereira, Paulo César Xavier. 2001. “Cidade: sobre a importância de novos meios de falar e de pensar as cidades” in Maria Stella Bresciani (org.), Palavras da Cidade,Porto Alegre, Editora da Universidade/UFRGS, p. 261- 284. Silva, José Gentil da. 1972. “Vida urbana e desenvolvimento : Portugal, país sem cidades” in Arquivos do Centro Cultural Português, Paris, Fundação Calouste Gulbenkian, vol. V, tomo II : 734- 746) ______circoscrizione (pl. circoscrizioni) italien, nom fém.

Traductions “ circoscrizione s.f., circonscription” (*D’Alberti de Villeneuve 1835) “ circoscrizione s.f. [suddivisione territoriale a fini amministrativi], circonscription. Circoscrizione amministrativa / giudiziaria / finanziaria / militare ecc.” (*Robert & Signorelli 1981)

Définitions “circonscrizione : l’action de circonscrire [Circonscrivimento, il circonscrivere ]. Lat. circumscriptio . […]” (*Crusca 1697) “ circoscrizione : l’action de circonscrire § Division du territoire par des frontières déterminées. Circoscrizione administrative, communale. Mettre, renouveler les circoscrizioni” (*Petrocchi 1931)

51 Le Trésor des mots de la ville : une maquette au 1/5e

“ circoscrizione 1. L’a ction de circonscrire ou le fait d’être circonscrit. 2. […] Espace, territoire compris dans les limites établies, et plus particulièrement le cadre territorial dans lequel agit et pour lequel est compétent un organe déterminé (administratif, juridictionnel, etc.) : circoscrizione politica, giudiziaria , etc. […] c. amministrativa, division du territoire national en parties plus ou moins étendues dans lesquelles est circonscrite la compétence des administrations locales (en Italie les circoscrizioni amministrative fondamentales sont la provincia , la comune et la regione) ; c. comunale , chacune des zones, comprenant un ou plusieurs quartiers ou territoires contigus, dans lesquels les comuni peuvent être découpés afin de réaliser une large décentralisation admin istrative et de favoriser une participation plus importante à l’administration du comune […] ; c. ecclesiastica […] elettorale […]” (*Vocabolario della lingua italiana 1985)

Le terme circoscrizione appartient au vocabulaire des divisions et limites de la ville. L’étymologie latine (circumscriptio–onis : la marque tracée autour) évoque une démarcation sur le plan, mais le mot est longtemps demeuré absent du vocabulaire du découpage urbain. C’est dans la langue administrante de l’époque contemporaine que l’on parle de circoscrizioni. La notion de “ cadre territorial dans lequel agit et pour lequel est compétent un organe déterminé ” (*Vocabolario della lingua italiana 1985), fut exprimée pendant l’Ancien Régime par plusieurs autres mots : quartiere, mais aussi rione, contrada, parrocchia... (Marin 2002), des cas comme ceux de Rome et Naples s’avérant exemplaires à cet égard (Boiteux 2003, Marin 2003). L’emploi du mot circoscrizione ne se répandit qu’au cours du XIXe siècle, sans toutefois concerner, dans un premier temps, les divisions urbaines. En 1831, F. D’Alberti de Villeneuve, dans son dictionnaire, définissait circoscrizione comme “ ce qui borne & limite la circonférence des corps ”. À cette époque, la signification géométrique du mot (l’acte de circonscrire une figure par un cercle) était toujours dominante et circoscrizione exprimait l’action de “ donner des limites, mettre des bornes à l’entour ”. En 1881, le dictionnaire historique et administratif de Giulio Rezasco ne donnait encore aucune définition de circoscrizione, tandis que circondario – terme qui est utilisé aujourd’hui encore à une échelle plus large que la ville (loi n° 142/1990) – désignait un découpage du territoire autour des villes. Rezasco relevait les mots cerchio, contorno, distretto [cercle, contour, district], anciens synonymes de circondario qui désignaient des espaces situés à l’extérieur du centre urbain – parfois aussi, sous l’Ancien Régime, le cercle des portes [cerchio delle porte], comme des sources juridiques l’attestent pour le cas de Pise en 1577. Dans le dernier quart du XVIIIe siècle, le terme circondario apparaissait intégré au lexique des découpages urbains, en tant que territoire dépendant de chaque porte [porta]. C’est ainsi qu’un plan anonyme de Milan, édité vers 1786, découpait la ville en six porzioni [portions], qui correspondaient aux circondari de Porta Vercellina, Comasina, Nuova, Orientale, Romana et Ticinese (Gambi & Gozzoli 1982). Vingt ans après, dans le cadre politique du Royaume d’Italie, le même terme s’insérait dans une dialectique entre centre et périphérie, car il désignait alors l’ensemble des territoires situés à l’extérieur de l’enceinte urbaine (circondario esterno) mais liés à la commune centrale – comme à Bologne ou Imola (Zani 1990a et 1990b). Rezasco définissait plus généralement le mot circondario comme “ n’importe quelle subdivision ou espace de terrain soumis à une administration ” (*Rezasco 1881). À la même époque, le terme circoscrizione allait permettre de désigner, de façon générique, tout le répertoire historique des divisions urbaines : Bartolommeo Capasso, président de la Commission créée en 1890 pour traiter de la question des toponymes à Naples, commença par étudier la circoscrizione civile ed ecclesiastica dans cette ville, de la fin du XIIIe siècle jusqu’en 1809 (Capasso 1883). Dans la première moitié du XXe siècle le terme fut utilisé dans un contexte éloigné du vocabulaire administratif. L’usage que Ugo Giusti en fit dans le champ des sciences statistiques et démographiques en témoigne (Casini 2002). Cet auteur appelait circoscrizioni des unités territoriales homogènes dont la signification était indépendante des découpages

52 Le Trésor des mots de la ville : une maquette au 1/5e administratifs. Son étude sur La circoscrizione territoriale nello studio dei fenomeni demografici (1940) prend ses origines dans ses premiers travaux de démographe, appliqués au cas particulier de la ville de Florence, dont il avait été directeur du bureau communal de statistique de 1903 à 1922 (Casini & Corsani 2003). Il avait alors fait un premier essai de découpage du territoire urbain en 18 circoscrizioni qui remplaçaient les quatre anciens quartieri de la ville (1907). Plus tard, dans le cadre de ses études sur les Caratteristiche ambientali italiane : agrarie, sociali, demografiche de 1815 à 1942 (1943), Giusti imagina une division du territoire italien en 178 circoscrizioni, selon des critères géographiques, sociaux et économiques, et indépendante des découpages en provinces et régions. Dès la veille de la Première Guerre mondiale, la réflexion de Giusti sur la définition des limites de l’agglomération urbaine [agglomerazione urbana] dans le cadre du débat sur ce terme tenu en 1911 par l’Institut international de statistique, était venue nourrir sa proposition de remplacer par de nouvelles circoscrizioni les découpages administratifs existants (Meuriot 1912). La circoscrizione était alors, d’après lui, une “ délimitation arbitraire mais appliquée de manière uniforme aux centres d’une certaine importance, c’est-à-dire une délimitation géométrique ”, ce qui n’excluait pas qu’elle “ soit basée sur des études et des observations préliminaires antérieures ” (Giusti 1913). Cependant, le mot circoscrizione ne fut pas utilisé au cours du processus d’élargissement des limites administratives des grandes villes italiennes dans l’entre-deux-guerres – par exemple lors de l’annexion par Gênes de 19 communes en 1926 (Poleggi & Cevini 1981) ou de l’agrandissement de la commune de Rome avec la création de 12 suburbi par le plan régulateur de 1931 (Seronde-Babonaux 1980). Il fallut attendre la loi nationale de décentralisation administrative n° 278 du 8 avril 1976 pour que le mot circoscrizione entrât dans le lexique officiel des découpages de la ville. Le terme y exprimait la territorialisation des institutions, mais permettait aussi une lecture socio- statistique du territoire. La circoscrizione regroupait des unités de l’espace urbain d’échelles variées jusqu’au niveau de l’îlot comme, dans le cas de Gênes, l’unità statistica, la plus petite des subdivisions des circoscrizioni (Marazzi 2003 : 90). Cette division constituait un outil pour mesurer et restituer par des tableaux tantôt la répartition de la population, tantôt celle des services d’hygiène, ou de la voirie et de l’énergie, ce qui apparaît aussi dans le cas de la ville de Rome, découpée dès 1972 en 20 circoscrizioni, sanctionnées par le Conseil municipal en 1977 (Roma Comune 1978). Mais la circoscrizione, qui pouvait comprendre un ou plusieurs quartieri ainsi que des frazioni (faubourgs annexés à l’agglomération), était aussi conçue par la loi de 1976 comme lieu de participation des citoyens à la gestion politique du territoire urbain. Dès son titre, Norme sul decentramento e sulla partecipazione dei cittadini nell’amministrazione del Comune [Règles concernant la décentralisation et la participation des citoyens à l’administration de la commune], la loi exprimait la volonté de réorganiser les organes consultatifs au niveau local, engageant le rôle actif de toute communauté inscrite dans le territoire urbain. Le consiglio circoscrizionale [conseil de circoscrizione], avec son président, y était institutionnalisé ; ses compétences concernait la gestion des services et des travaux publics dans la circoscrizione (Falcon 1978, Bellomia 1988). Par la loi nationale n° 142 du 8 juin 1990 concernant les autonomies locales, les circoscrizioni di decentramento comunale réapparaissent en tant qu’“ organismes de participation, de consultation et de gestion des services de base, ainsi que d’exercice des fonctions déléguées de la commune ”. Le réajustement des divisions administratives à l’échelle de la ville toute entière qui s’en suivit a parfois facilité l’appropriation des espaces urbains par les habitants. Ce fut le cas à Gênes où, depuis 1997, les 25 circoscrizioni créées en application de la loi de 1976, divisées en 71 unità urbanistiche et regroupées en 5 grandi aree, furent remplacées par une nouvelle division en 9 circoscrizioni. La taille des circoscrizioni génoises a donc augmenté et, dans ce cadre, des espaces urbains socialement très liés, comme Cornigliano et Sestri, qui étaient séparés par l’ancien découpage, ont été réunis dans la nouvelle

53 Le Trésor des mots de la ville : une maquette au 1/5e circoscrizione du Medio Ponente (Cau 2003 : 96, Marazzi 2003 : 90). Par ailleurs à Rome, par la délibération du Conseil municipal du 19 janvier 2001, les 20 circoscrizioni ont été appelées municipi, nouveau système institutionnel qui conférait à ces unités territoriales une plus grande autonomie administrative, financière et gestionnaire vis-à-vis de la commune. Ainsi, l’usage du terme circoscrizione pour désigner un découpage du territoire urbain reste limité aujourd’hui au langage technique de l’administration, tandis que dans l’usage commun, il désigne l’ensemble des bureaux, ou le bâtiment, où les circoscrizioni ont leur siège et où leurs conseils se réunissent (*Vocabolario della lingua italiana 1985). C’est là que la communauté locale exprime son intégration à la vie urbaine, comme l’atteste, dans le cas de Rome, la récente évolution lexicale et administrative. Antonio Brucculeri

Voir comune, contrada, porta, quartiere, rione, sezione Voir barrio (espagnol), district (anglais), hâra (arabe), quartier (français)

Sources primaires Capasso, Bartolommeo, 1883. “Sulla circoscrizione civile ed ecclesiastica e sulla popolazione della città di Napoli dalla fine del secolo XIII al 1809”, in Atti dell’Accademia Pontaniana, vol. 15, p. 99-225. Giusti, Ugo, 1940. “La circoscrizione territoriale nello studio dei fenomeni demografici”, in Società italiana di demografia e statistica. Atti della IV riunione. Roma 27-28 Maggio 1939- XVIII. Città di Castello : Tip. “Unione arti grafiche”, p. 97-104. Giusti, Ugo, 1943. Caratteristiche ambientali italiane: agrarie, sociali, demografiche, 1815- 1942. Roma : Failli Giusti, Ugo, 1913. L’addensamento e l’affollamento nei centri urbani Italiani al 10 Giugno 1911, con diagrammi e cartogrammi. Firenze : Alfani e Venturi Roma Comune. Mensile d’informazione del consiglio comunale e delle circoscrizioni, mai 1978 Sources secondaires Bellomia, Salvatore, 1988. “Circoscrizioni infracomunali”, in Enciclopedia giuridica. Roma : Istituto della Enciclopedia italiana fondata da Giovanni Treccani, t. VI. Casini, Filippo et Corsani, Gabriele, 2003. “La “circoscrizione” nell’opera di Ugo Giusti”, in Storia urbana, 102, p. 81-94. Cau, Tiziana, 2003. “Le parole di Cornigliano”, in Les mots de la ville. Cahier n. 5, juillet, p. 95-100. Gambi, Lucio et Gozzoli, Maria Cristina, 1982. Milano. Roma-Bari : Laterza. Marazzi, Andrea, 2003. “Il tessuto sociale della città di Genova”, in Les mots de la ville. Cahier n. 5, juillet, p. 89-93. Zani, Maurizio, 1990a. “Le circoscrizioni comunali in età napoleonica. La legislazione della Repubblica italiana e del Regno d’Italia”, in Storia urbana, 50, p. 33-75. Zani, Maurizio, 1990b. “Le circoscrizioni comunali in età napoleonica. Il riordino dei dipartimenti del Reno e del Panaro tra 1802 e 1814”, in Storia urbana, 51, p. 43-97. Autres références Boiteux, Martine, 2003. “Aventures de mots : les quartiers romains”, in Les mots de la ville. Cahier n. 5, juillet, p. 9-19. Casini, Filippo, 2002. Una statistica per la città. L’opera di Ugo Giusti (1873-1953). Firenze : Polistampa Falcon, Giandomenico, 1978. “Unità del Comune e articolazioni circoscrizionali: aspetti problematici nell’interpretazione della legge”, in L’amministrazione locale: strutture, compiti,

54 Le Trésor des mots de la ville : une maquette au 1/5e servizi. Atti del convegno di studio tenuto a Napoli dal 19 al 21 maggio 1977. Napoli : Formez, p. 195-214. Marin, Brigitte, 2003. “Lexique et divisions territoriales à Naples (XVIe-XIXe siècle)”, in Les mots de la ville. Cahier n. 5, juillet, p. 21-32. Marin, Brigitte, 2002. “Lexiques et découpages territoriaux dans quelques villes italiennes (XVIe-XIXe siècles)”, in Christian Topalov (dir.), Les divisions de la ville. Paris : Unesco- MSH, p. 9-45. Meuriot, Paul, 1912. “De la mesure des agglomérations urbaines”, in Institut international de statistique, "Compte-rendu de la 13e session de l'Institut international de statistique tenue à La Haye du 4 au 8 septembre 1911". Bulletin de l'Institut international de statistique, t. XIX, La Haye : W. P. Van Stockum & fils, 1ère livraison, p. 157-161. Poleggi, Ennio et Cevini, Paolo, 1981. Genova. Roma-Bari : Laterza. Seronde-Babonaux, Anne-Marie, 1983. De l’urbs à la ville : Rome. Croissance d’une capitale. Aix-en-Provence : Edisud ; trad. it. : Roma : Editori Riuniti. ______cité (pl. cités) français, nom fém.

Définitions : “ Cité […] Ville fermée de murs. Il y a plusieurs grandes cités en ce Royaume. Jerusalem a esté appellé la Sainte Cité. Le Paradis est la Cité celeste. Ce mot ne se dit proprement que des villes Épiscopales. Il vient du latin civitas. ” (*Furetière 1690) “ Cité […] Quand une ville s’est aggrandie avec le tems, on donne le nom de cité à l’espace qu’elle occupoit primitivement ; ainsi il y a à Paris la cité & l’université ; à Londres, la cité & les fauxbourgs ; & à Prague & à Cracovie, où la ville est divisée en trois parties, la plus ancienne s’appelle cité. Le nom de cité n’est guere d’usage parmi nous qu’en ce dernier sens ; on dit en toute autre occasion, ou ville , ou fauxbourg , ou bourg , ou village. ” (*L’Encyclopédie 1753, 3 : 485- 487). “ Cité […] 2. Ville. Les grandes cités d’un pays […]. Lyon est une cité industrielle. 3. La p artie la plus ancienne d’une ville ; celle où se trouve la cathédrale […] 4. Ensemble de maisons qui, dans une grande ville, se tiennent et ont quelques règles spéciales et une sorte d’association ” (*Littré 1863, 1 : 630). “ CITÉ […] Ensemble d’édifices [et] agglomération de pavillons ou d’immeubles à destination particulière ” (*Trésor de la langue française 1977, 5 : 8512)

Le mot cité dérive du latin civitas, circonscription politique du monde romain avant de servir de cadre à l’administration ecclésiale. De cette origine, cité prit le sens de ville épiscopale, selon l’emploi latin donné par Du Cange : la civitas est d’abord l’Urbs Episcopalis (Du Cange 1842, 2 : 370). Dans le français médiéval, cité resta profondément marquée par cette fonction religieuse. Certes, l’exemple de la cité céleste de Saint Augustin fut répété à l’envi pour définir la cité terrestre mais, surtout, la cité ne se distinguait de la bonne ville et de la “ platte ville ”, selon La Curne de Sainte Palaye, que comme siège d’évêché (La Curne de Sainte Palaye 1877, 4 : 33). Toutefois cité désignait déjà, aussi, une partie de la ville, ce qu’illustre, au XIVe siècle, la remarque du chroniqueur Froissart : “ Tharbes est une belle ville et grande, séant en plein pays et en bel vignobles, et y a ville, cité et chastel, et tout fermez de portes, de murs et de tours, et séparés l’un de l’autre ” (cité par Le Goff 1980 : 200). À l’époque classique, cité pouvait désigner l’emplacement originel d’une ville, notamment en ce qu’il “ se dit particulièrement du cœur de la ville, & du lieu où est la Cathédrale ”. Ainsi, il ne pouvait se dire “ ordinairement que des places où il y a deux villes, l’une vieille, & l’autre bâtie depuis, & que c’est la vieille qui porte le nom de cité ” (*Furetière 1690). Cité conservait la marque de ses origines puisque “ ce mot ne se dit proprement que des villes Épiscopales ” bien qu’il puisse aussi désigner au sens large toute “ ville fermée de murs ” selon Furetière et, parce qu’il le recopie souvent, le Dictionnaire de Trévoux de 1752. Pourtant, pour ce dernier, “ il ne se dit guere qu’en Poësie, ou en certaines phrases

55 Le Trésor des mots de la ville : une maquette au 1/5e consacrées ” (*Dictionnaire de Trévoux 1752, 2 : 862). Le mot semble ainsi, dans le sens le plus général de ville saisie dans son ensemble, être relativement rare dans le langage courant de l’époque. Les éditions du dictionnaire de l’Académie française ne font que sanctionner ces divers usages, à la nuance près que l’édition de 1694 associe au mot cité les notions de civilité et d’incivilité, appréhendant ainsi l’objet urbain comme un véritable fait culturel de civilisation. En revanche, l’Encyclopédie de Diderot, qui réinvestit les termes d’un contenu politique, voire polémique, développe d’abord longuement la signification de cité comme entité politique puis celle du droit de cité, avant de renvoyer à l’acception matérielle du terme, marquant par là une rupture profonde dans les définitions du mot. Car si la cité politique pouvait être définie en référence à la cité antique, l’auteur de la définition renvoie résolument le lecteur à la théorie du contrat : la cité y est dite “ la première des grandes sociétés de plusieurs familles, où les actes de la volonté & l’usage des forces sont résignés à une personne physique ou à un être moral, pour la sûreté, la tranquillité intérieure & extérieure, & tous les autres avantages de la vie ” (*Encyclopédie 1753, 3 : 485). Après cette première définition, l’auteur s’approche davantage de la réalité urbaine contemporaine en ce qu’il conçoit le droit de cité en termes juridiques comme “ la qualité de citoyen ou bourgeois d’une ville, & le droit de participer aux privilèges qui sont communs à tous les citoyens d’une ville ” (*Encyclopédie 1753, 3 : 486). Ce n’est que dans les dernières lignes de la définition que sont précisés les contours physiques de cette agglomération d’hommes. Dans un siècle de forte croissance urbaine, cité aurait cessé de désigner la ville épiscopale pour qualifier l’espace occupé “ primitivement ” par une ville, quelle qu’elle soit. Ce glissement de sens portait en soi une laïcisation. En balayant les privilèges, notamment ceux des villes, et en remodelant la carte des diocèses, la Révolution mit fin aux droits de cité comme droits de bourgeoisie et bouleversa la carte des villes épiscopales. Elle dépouillait ainsi partiellement cité de ses références médiévales et modernes. Ce n’est, cependant, qu’en 1798 que le Dictionnaire de l’Académie française accepte de suivre l’Encyclopédie en définissant la cité comme “ la collection des citoyens d’un État libre ” (t. 1 : p. 242), mais en prenant garde de citer Sparte en exemple plutôt qu’une référence d’une trop brûlante actualité. Sauf lorsque le mot devient toponyme et désigne un quartier, comme à Paris, cité aurait ainsi tendance à perdre son caractère de nom commun désignant une chose vue pour prendre une acception politique abstraite. Émile Littré évoque en 1863 la synonymie entre ville et cité en précisant que “ ville, plus général que cité, exprime seulement une agglomération considérable de maisons et d’habitants. Cité, même en éliminant le sens antique, ajoute à cette idée et représente la ville comme une personne politique qui a des droits, des devoirs, des fonctions ” (*Littré 1863, 1 : 630). Dans les années 1840, le mot prit un sens tout à fait nouveau, celui d’un habitat groupé au sein de l’organisme urbain, comme dans le cas des cités ouvrières : “ nom qu’on a donné à de grands bâtiments conçus récemment et destinés à loger les ouvriers, qui y seraient soumis à quelques arrangements économiques communs ” (*Littré 1863, 1 : 630). La croissance urbaine au XIXe siècle, jointe au développement de la révolution industrielle, conduisit à la multiplication de ces lotissements qualifiés de cités, ou de corons dans les régions minières. En 1864, Paris en aurait compté quarante-deux (Quadrio à paraître). Le mot cité, si chargé de sens forgés par le passé, fut appelé pour longtemps à désigner ces créations nouvelles, parfois à vocation de modèle. Tandis que l’on rééditait en 1849 un texte de Charles Fourier sous le titre Les cités ouvrières, l’année suivante le docteur Villermé écrivait Sur les cités ouvrières pour y promouvoir des mesures hygiénistes et morales progressistes. Pour sa part, Henri Dameth, disciple de Fourier, voulait qu’une telle cité soit “ grande, riche et complète, c’est-à- dire le résumé de toute la société humaine ” (cité par Quadrio à paraître). Le terme s’effaça

56 Le Trésor des mots de la ville : une maquette au 1/5e ensuite quelque peu à partir des années 1870 derrière l’emploi d’autres expressions comme “ habitations ouvrières ” ou “ habitations à bon marché ”. L’essor des sciences humaines à partir de la fin du XIXe siècle permit de revisiter les emplois du terme dans son sens de ville. La foi dans le progrès rechargea le mot cité de son sens de civilisation. Le géographe Élisée Reclus écrit en 1895 que “ là où grandissent les cités, l’humanité progresse ; là où elles dépérissent, la civilisation elle-même est en danger ” (cité par Roncayolo 1992 : 158). Des utopies sociales du temps et de la crise des logements défectueux naquirent de nouveaux projets à l’orée du XXe siècle. La voie était ouverte à l’acclimatation en France du modèle britannique de la garden city d’Ebenezer Howard, dont les réalisations avaient été visitées par Georges Benoît-Lévy, auteur de La cité-jardin (1904), ouvrage censé traduire la pensée du créateur de la garden city de Letchworth. Dans l’expérience originelle, city a le sens de ville, “ non le sens français de quartier loti ” (Brunet 1992 : 108). En outre, le terme de cité restait fortement lié à l’idée de civilisation puisque ces cités-jardins, définies comme un ensemble de “ pavillons […] entourés d’espaces verts (pelouses, parcs et jardins cultivés) pour loger dans un air salubre des ouvriers ou des agriculteurs ” (*Trésor de la langue française 1977, 5 : 852) étaient censées apporter des remèdes aux maux de la ville. Avec un même souci de penser l’avenir, Tony Garnier, architecte en chef de la ville de Lyon, imagine une cité industrielle, dont le projet fut exposé dès 1901 avant de faire l’objet d’une publication sous ce titre en 1917. L’expression de cité-jardin fut popularisée avec un détournement de sens et Léon Jaussely déplorait en 1922 “ que le moindre lotisseur de banlieue, spéculateur sans vergogne, ose qualifier son opération de création de cité-jardin, parce que ce nom est pour le public, que dans ce cas il trompe, idéalement évocateur ” (cité par Topalov 1999 : 21). En effet, le modèle britannique se répandit en France, largement dévoyé, notamment par l’action d’Henri Sellier, maire de Suresnes. Ce dernier adapta le concept après-guerre à la banlieue parisienne sous l’égide de l’Office d’habitations à bon marché du département de la Seine, l’un des offices publics de HBM créés à la suite de la loi de 1912 (Sellier 1998 [1919]). De nombreuses cités-jardins virent alors le jour dans la couronne parisienne, dont celles du Plessis-Robinson et de Châtenay, qui illustraient l’abandon de la cité de lotissement pavillonnaire au profit de l’habitat collectif : “ en France, la cité-jardin n’est le plus souvent qu’un lotissement concerté d’habitat social ” (Gauthiez, 2003 : 80). Conçue elle aussi comme cité-jardin, la Cité internationale universitaire de Paris fut créée juste après la Première Guerre mondiale sur l’emplacement des anciennes fortifications de la ville. Ces opérations de rénovation urbaine firent l’objet d’expériences nouvelles, sous le crayon de Le Corbusier, auteur du pavillon suisse de la Cité universitaire de Paris (1932), modèle des cités radieuses, dont celle achevée à Marseille en 1952, qualifiée par son auteur de “ cité-jardin verticale ” (cité par Février 1974). Après la Seconde Guerre mondiale, le terme de cité devait allier le charme ancien de son étymologie à la modernité des formes architecturales pour qualifier les grands ensembles, introduits dans les années 1920 et multipliés entre 1954 et 1973 dans un contexte de résolution de la crise du logement et de rejet des formes urbaines classiques. Les cités loties sont devenues une composante de la banlieue : “ amalgame de cités ouvrières et de villages ruraux, de vieilles localités de résidence ou de lotissements récents, la banlieue investit la ville de toutes parts ” (Clozier 1945 : 49). Les cités devinrent synonymes de vastes ensembles résidentiels et l’un des symboles de la grande mutation sociale des Trente Glorieuses ; seul l’esprit du temps permettait de trouver quelque poésie au nom de Cité des Quatre-Mille donné à un grand ensemble de La Courneuve en région parisienne. Le terme de cité s’est chargé de connotations très négatives : espace socialement défavorisé et lieu d’insécurité, chancre symptomatique de cette maladie de l’urbanisme baptisée “ sarcellite ”, du nom de cette commune de la banlieue parisienne où un grand ensemble

57 Le Trésor des mots de la ville : une maquette au 1/5e dépasse les dix mille logements (Lacoste 1963). La cité est devenue l’archétype péjoratif de la banlieue, notamment avec le développement d’un malaise urbain dès les années 1980. Le mot cité commence à être inévitablement accompagné d’un cortège d’images médiatiques tenaces, celles d’une certaine délinquance juvénile, entre trafic de stupéfiants et voitures brûlées. Toutefois, prenant le contre-pied de ce récent héritage négatif, le terme a été réemployé pour désigner des aménagements urbains sans vocation d’habitation mais destinés à des activités spécialisées à partir des années 1980. À la Cité des Sciences et de l’Industrie, créée à Paris, a succédé non loin de là une Cité de la Musique, puis une Cité de l’espace à Toulouse, et même une Cité des insectes en pleine campagne aveyronnaise, autant d’espaces ludiques fort éloignés de la cité politique de l’Encyclopédie si ce n’est par leur vocation à être ouverts - par souci d’édification nationale - à l’ensemble des citoyens. Le succès de ces opérations illustre peut-être l’extension de l’usage du mot, qui servait déjà à désigner en certains lieux des regroupements d’activités publiques comme les cités universitaires, cités administratives, cités judiciaires et cités scolaires, se rapprochant dans ces cas d’une nouvelle acception citoyenne de la cité. Au cours des XIXe et XXe siècles, la cité est ainsi passée de l’isolat originel intégré à la ville, avec prééminence de prestige, à l’isolat neuf mais exclu, avant de revenir dans la ville comme un lieu de vie, lieu spécialisé sans habitat. Enfin, le terme n’a jamais perdu sa synonymie avec ville. Le Littré en fournit plusieurs exemples (*Littré 1863, 1 : 630). On emploie alors cité pour ville “ surtout quand on veut en faire ressortir l’importance ” (*Dictionnaire de l’Académie Française 1932, 1 : 242). L’inflation urbaine a conduit à l’emphase et, dans la taxonomie des agglomérations qu’il adopte, Paul-Henry Chombart de Lauwe réserve le nom de cité aux villes de 50 à 100 000 habitants (Chombart de Lauwe 1952). Au-delà de ce seuil commence le monde des grandes cités, des eurocités et autres agglomérations millionnaires du globe, au cœur desquelles le centre d’affaires peut être qualifié de cité, nouvelle adaptation tardive du terme anglais city. Stéphane Durand

Voir banlieue, bourg, HLM, ville, ZUP. Voir cidade (portugais), città (italien), city (anglais), ciudad (espagnol), madîna (arabe), stadt (allemand)

Sources primaires Chombart de Lauwe, Paul- Henry. 1952. Paris et l’agglomération parisienne, Paris, PUF. Clozier, René. 1945. “ Essai sur la banlieue ”, La Pensée, n°4, p. 49- 57. Benoît - Lévy, Georges. 1904. La Cité- jardin , Paris, H. Jouvel. Sellier, Henri. 1998 [1919]. Intervention devant le Conseil Général de la Seine du 31 décembre 1919, in Une cité pour tous, présentation de Bernard Marrey, Paris, éd. du Linteau, p. 82- 93. Sources secondaires Le Goff, Jacques. 1980. dir., La ville médiévale des Carolingiens à la Renaissance, Paris, Le Seuil. Roncayolo, Marcel. 1985. dir., La ville aujourd’hui, croissance urbaine et crise du citadin , Paris, Le Seuil. Roncayolo, Marcel. 1992. dir., Villes & civilisation urbaine, XVIIIe - XXe siècle , Paris, Larousse. Topalov, Christian. 1999. dir., Laboratoires du nouveau siècle. La nébuleuse réformatrice et ses réseaux en France, 1880- 1914, Paris, EHESS. Quadrio, Stéphane. A paraître. “ Un mot et des choses. Les aventures de cité dans les notices du catalogue de la Bibliothèque nationale ”, dans B. Marin (dir.), Les catégories de l’urbain , collection “ Les Mots de la ville ”, Paris, MSH, UNESCO. Autres références Brunet, Roger. 1992. Les mots de la géographie. Dictionnaire critique, Paris, Reclus- La Découverte.

58 Le Trésor des mots de la ville : une maquette au 1/5e

Février, Michel. 1974. “ L’évolution du peuplement de la Cité Radieuse à Marseille ”, Provence historique, t. XXIV, fasc. 96, p.194- 201. Lacoste, Yves. 1963. “ Un problème complexe et d ébattu : les grands ensembles ”, Bulletin de l’Association des Géographes français , n° 318- 319, p. 37- 46. Gauthiez, Bernard. 2003. Espace urbain. Vocabulaire et morphologie . Paris, Monum, Éditions du Patrimoine. ______città (pl. città) italien, nom fém.

Traductions “ CITTA, CITTADE, CITTATE, s. f. […] Ville , cité ” (*D’Alberti de Villeneuve 1835) “ città s. f. 1 ville [...] 2. (Centre historique ou quartier particulier) cité , cité universitaire [...] ” (*Boch 1979) “ Città f. 1 town [...] ( grande ville, ville importante) city [...] 2 (les habitants) town [...] ” (*Sansoni 1988)

Définitions “ […] en Allemagne, en France et dans les autres pays d’outre - monts, on tient pour città les terres murées ; elles ont la grandeur et les privilèges des città quoique dépourvues d’évêque, à la différence de l’Italie, où aucun lieu (pour grand qu’il soit) n’est tenu pour città s’il n’a son évêque ” (Ortelius 1593, cité par Ricci 1993 : 8) “ À proprement parler Città est l’assemblée des citoyens vivant en bonne entente mais désigne également des lieux importants habités par des personnes illustres et respectées ” (Doglioni 1623 : 48). “ Città […] vaste rassemblement d’édifices publics, d’églises, de maisons habitées par une population plus ou moins importante, divisé en rues, en places, en quartiers et en général ceint de murs et de fossés. ” (*Fanfani 1922 : 954). “ Città […] centre de vie sociale ayant une importance économique, politique et culturelle considérable, sur lequel convergent les intérêts du territoire alentour, caractérisé par la concentration de constructions variées, avec des espaces libres […], organisé de façon à permettre le déroulement de nombreuses activités humaines et l’exercice des services propres à une collectivité numériquement importante. ” (*Grande dizionario della lingua italiana 1987).

Pour résumer brièvement une histoire complexe, on peut dire que dans la langue et la culture italienne le mot città est passé au cours des siècles d’une acception extrêmement spécifique – le terme ne désignait qu’une catégorie urbaine bien déterminée –, à un sens beaucoup plus général. Tant et si bien qu’il est désormais d’usage d’accompagner le mot città de qualificatifs afin d’en préciser le sens : città storica [historique], città diffusa [diffuse], città metropolitana [métropolitaine], città-regione [ville-région]. La “ crise ”, la “ paralysie ”, les “ difficultés ” de la città sont des expressions récurrentes et presque obligées dans la littérature actuelle sur la ville. La perception de la gravité des problèmes urbains dans le monde contemporain y coexiste avec une prise de distance par rapport à une catégorie analytique jugée vieillie, dépassée par le rythme des changements de la société. Città apparaît désormais comme un concept opaque : en témoigne la définition du Grande dizionario della lingua italiana qui souligne l’hétérogénéité des indicateurs de ce qui est urbain. Par contraste, la définition univoque et incisive du chroniqueur génois Iacopo da Varagine qui, à la fin du XIIIe siècle, identifiait dans la présence de l’évêque le seul critère permettant d’attribuer le titre de città à un centre habité (Monleone 1941), apparaît alors dans toute son originalité. Cette condition – être siège d’évêché – est immanquablement rappelée par les voyageurs, les géographes, les juristes et les lettrés jusqu’à la fin du XVIe siècle (Biondo 1559 ; Alberti 1581 ; Ortelius 1593). Comme le souligne le célèbre jurisconsulte Bartolo da Sassoferrato, il s’agit d’un principe à forte valeur politique puisque, comme il le rappelle, les sièges diocésains, selon les anciennes lois canoniques, étaient généralement situés dans les chefs-lieux provinciaux de l’empire romain : la résidence de l’évêque n’était donc que la manifestation d’une condition durable et ancienne de prééminence juridictionnelle (Bartolo da Sassoferrato 1570). La notion de città, intrinsèquement politique, ne dépendait ni de l’aspect ni de la taille des agglomérations mais était plutôt liée au rapport que l’assemblée

59 Le Trésor des mots de la ville : une maquette au 1/5e juridique des habitants entretenait avec le territoire. Transmise par des lexicographes médiévaux comme Isidore de Séville, cette idée était clairement d’origine classique ; elle fut reprise avec emphase par la plupart des traités de la Renaissance qui se réclamaient de l’autorité d’Aristote et Cicéron pour affirmer que la città consistait moins en “murs et maisons” qu’en un “ groupe et ordre de citoyens ” (Contarini 1544 : 13). La conscience de l’extrême variété de formes, de typologies, d’ordres de grandeur qui caractérisaient les centres urbains italiens n’en était pas pour autant moins vive. C’est précisément la conscience de cette irréductible hétérogénéité qui a alimenté un lexique organisé autour de familles de mots sémantiquement bien distinctes. Seul un nombre réduit de centres habités répondait au nom de città. D’autres implantations urbaines, ne disposant pas d’une autonomie juridictionnelle, étaient désignés par des termes radicalement différents qui ne relevaient pas de la tradition classique mais qui avaient une origine, une histoire et des consonances différentes. “ […] les Latins, par le mot civitas entendaient la réunion des cittadini, d’où la Città tira son nom […].Terra est un mot général, qui désigne n’importe quel lieu habité de personnes civiles : cependant, selon l’usage de ce pays, on parle désormais de Terra pour ce qui est plus petit qu’une Città et plus grand qu’un Castello : c’est parce qu’elle n’a pas d’évêque que la Terra n’est pas appelée Città. On appelle Castello un lieu fortifié plus petit qu’une Terra […]. La villa proprement dite tire son nom de la casa di villa [ferme] […] et ce que les Latins appelaient pagus est pour nous la villa [village] ” (Bonifaccio 1624 : 240- 45). Terra (habitat ceint de murs, doté d’une claire physionomie urbaine mais sans dignité épiscopale), castello (centre mineur fortifié), villa (implantation rurale dépourvue de murs d’enceinte) : avec quelques variantes, cette taxinomie était récurrente dans le langage administratif du Moyen Âge tardif jusqu’au XVIIIe siècle (Chittolini 1996 ; Chittolini, 2001 ; Folin 2000 ; Folin 2003). Dans ce contexte culturel, le terme de cittadino faisait moins référence à qui résidait à l’intérieur des murs qu’à qui pouvait se dire membre de cette communauté politique à laquelle chaque ville devait son identité urbaine particulière. Il s’agissait d’une appartenance régie par des règles juridiques précises, codifiées dans les statuts municipaux. Elles se traduisaient par un régime fiscal aménagé, et surtout par le droit de prendre part aux honneurs et aux charges du gouvernement citadin avec toutes leurs conséquences en termes de prestige, de privilèges et de possibilités d’enrichissement. Dans l’Italie d’Ancien Régime, la possibilité de faire état d’un titre nobiliaire était étroitement liée à la résidence dans une città et à l’appartenance à la classe gouvernante citadine. Ces titres revenaient à ceux qui pouvaient se dire dépositaires des droits de souveraineté sur le territoire sujet de la città (Kirshner 1973; Quaglioni 1993). Sur ces bases, au milieu du XVIIe siècle, le lettré florentin Gregorio Leti notait “ toutes les città en Italie sont royales car toutes sont habitées par la fleur de la noblesse ” (Leti 1675, II : 544). Le titre de città joua ainsi un rôle central dans les processus de construction de l’identité des élites municipales : il marquait la limite entre ceux qui pouvaient se présenter comme appartenant à la noblesse occupant des charges urbaines et ceux qui n’appartenaient qu’à la noblesse rurale ; entre ceux qui pouvaient se réclamer d’une généalogie remontant peut-être à l’époque romaine et ceux qui devaient à chaque instant cacher leurs origines. Au sommet de la hiérarchie, se trouvaient les città qui tiraient toute leur noblesse de leur ancienneté. Puis on passait des terre aux castelli et de ceux-ci aux ville. Qu’elles soient petites ou grandes, belles ou laides, riches ou pauvres, ces localités étaient de toute façon moins honorables que les città qui pouvaient s’appuyer sur une longue et orgueilleuse tradition d’autonomie municipale (Doglioni 1623). A la fin du XVe siècle, une certaine réticence commença à émerger parmi les chroniqueurs, les géographes, les voyageurs quant au critère épiscopal en vigueur : beaucoup observaient en effet que de nombreuses localités qui se paraient du titre de città ne conservaient plus aucune trace de leur grandeur passée, alors que de nombreux castelli ou villages fortifiés pouvaient

60 Le Trésor des mots de la ville : une maquette au 1/5e

être considérés comme des “ quasi città ” (Chittolini 1996). Dans les pages des auteurs des XVIIe et XVIIIe siècles, apparaissent des critères de définition des villes différents de ceux inspirés par Iacopo da Varagine ou Bartolo da Sassoferrato. On y trouve notamment l’importance démographique, l’extension de la zone bâtie, la beauté des édifices, l’importance de l’activité économique et commerciale, la présence d’infrastructures civiles, commerciales et religieuses. C’est ainsi que, dans un texte anonyme du XVIIe siècle, Carpi est présentée comme une “ très noble et très importante terra de Lombardie, et si communément elle n’a pas le titre de città car n’ayant pas d’évêque, elle est pourtant città impériale et mérite ce titre si l’on se rapporte au circuit de ses murailles, à la beauté de ses habitations, au nombre, à la richesse et à la noblesse de ses habitants ainsi qu’à la fertilité et à l’étendue de son territoire ”. (Zacché 1987 : 48). L’ouvrage de Giovanni Botero, Tre libri sulle cause della grandezza delle città, a joué un rôle capital dans la diffusion de cette nouvelle vision de la ville, en identifiant, comme critères de développement urbain, la commodité du site et la fécondité du terrain, l’agriculture, le négoce et les arts, la présence du prince et de sa cour et surtout “ l’artisanat […] par lequel arrive quantité d’argent et de travailleurs ” (Botero, 1948 [1588] : 246-47). Ces facteurs ne renvoient plus uniquement à des critères institutionnels mais aussi géographiques, sociaux, économiques et politiques. Les hiérarchies urbaines qui semblaient acquises se virent ainsi modifiées. Aux modalités de définition des divers types d’implantations urbaines par des noms distincts se substitua un nouvel usage, celui de les appeler toutes par le même nom – città – et de les considérer comme autant de manifestations d’un même et unique phénomène, variant selon des paramètres essentiellement matériels, physiques et économiques. Dans son recueil des cartes de la péninsule, le cartographe Giovanni Antonio Magini procédait de cette manière, en distribuant les centres urbains en différentes classes : les capitales des anciens Etats italiens appartenaient à la première, les principales città de la péninsule “ ainsi qu’un grand nombre de terre fortifiées et de castelli opulents et fort peuplés qui semblent autant de città ” (Magini 1620 : 5) à la seconde. L’abandon de la taxinomie traditionnelle révélait la crise de tout le contexte idéologique sur lequel elle reposait. On assistait à l’effritement des privilèges de l’aristocratie et à l’avancée de nouvelles suprématies sociales, distribuées sur le territoire selon des hiérarchies plus flexibles que par le passé. Ces positions opposées, et les usages lexicaux qui les reflétaient, continuèrent à s’affronter jusqu’à la veille de la période révolutionnaire. Ainsi, à la fin du XVIIIe siècle, dans sa description des Etats du Duc de Modène, Lodovico Ricci classait les centres habités de façon systématique en ville, castelli et terre en fonction de leurs dimensions et selon leur degré d’autonomie politique, mais réservait le titre de città aux seuls chefs-lieux diocésains et aux anciennes capitales des Etats souverains (Ricci 1788). Le processus de transformation était toutefois entamé et ne devait plus s’arrêter. Dans la première constitution de la République cisalpine tous les établissements humains du nouvel Etat révolutionnaire étaient dénommés comune ; ils furent subdivisés en différentes classes selon leur consistance démographique, dont dépendaient les différentes formes d’administrations municipales mises en oeuvre (Aquarone, D’Addio, Negri 1958 : 93, 104-105). S’effaçait ainsi la distinction entre città, ville et castelli. La signification du terme cittadino se transformait également : de membre du corps politique d’une ville donnée et jouissant des prérogatives attachées à cette condition, le cittadino devenait le simple résident de quelque lieu que ce soit du territoire de l’Etat, bénéficiant donc pleinement des droits civiques. Bartolomeo Benincasa a relevé le caractère inédit de la notion. Dans le Monitore cisalpino de mai 1798, il incluait le mot cittadino dans son inventaire des mots “ nouvellement arrivés en Italie, avec une nouvelle signification ou un sens modifié et déformé ” (Migliorini 1987 : 571). Il ne s’agissait pas d’un changement anodin et les résistances durent être nombreuses si l’on en juge par la réaction de Vincenzo Cuoco qui déclara ne pas “ aimer cette citoyenneté [cittadinanza] chimérique qui fait qu’un

61 Le Trésor des mots de la ville : une maquette au 1/5e homme appartient à une nation entière sans appartenir à aucune de ses parties ” (Cuoco 1806). Du reste, aujourd’hui encore des termes comme villano [rustre] ou campagnolo [campagnard] revêtent un sens péjoratif, tandis que le titre de città demeure une reconnaissance qui ne va pas de soi, et qui reste convoité par d’importants centres urbains. Carpi (60 000 habitants) l’a obtenu en 1964, Capri (8 000 habitants) en 2000 et, à Mirandola (25 000 habitants), une plaque en marbre a récemment été apposée sur l’hôtel de ville, où l’on peut lire “ 1596-1996. Mirandola depuis 400 ans/ città par édit de l’empereur/ de nouveau revêtue du titre/ par décret du Président de la République/ Le conseil municipal ”. Marco Folín

Voir comune, capitale Voir cidade (portugais), ciudad (espagnol), city (anglais), cité (français), madîna (arabe), stadt (allemand), town (anglais), ville (français)

Sources primaires Alberti, Leandro, 1581. Descrittione di tutta l’Italia et isole pertinenti ad essa, Venezia : Porta Aquarone, A., D’Addio, M., Negri G. (dir.), 1958. Le costituzioni italiane, Milano : Edizioni di Comunità Bartolo da Sassoferrato, 1570. In tre Codicis libros, Venezia : Giunti Biondo, Flavio, 1559. Italia illustrata, Basel : Froben Bonifaccio, Giovanni, 1624. Commentario sopra la legge dell’eccellentissimo senato veneto fatta l’anno MDLXXXVI a XV di decembre... opera a prencipi, a feudatarii et a tutti gli studiosi di questa materia utilissima, Rovigo : Bissuccio Botero, Giovanni, 1948 [1588]. Della ragion di Stato con tre libri della cause della grandezza delle città, Torino : Utet Contarini, Gaspare, 1544. De magistratibus et republica Venetorum , Basel :Froben Cuoco, Vincenzo, 1806. Saggio storico sulla rivoluzione francese di Napoli, Milano : Sonzogno Doglioni, Giovanni Nicolò, 1623. Anfiteatro di Europa, Venezia : Sarzina Leti, Gregorio, 1675- 1676. Italia regnante overo nova descritione dello Stato presente di tutti Prencipati e Republiche d’Italia dedicata al re christianissimo [...] Opera veramente utilissima e nicessaria a tutti quelli che desiderano farvi il viaggio, opure che vogliono instruirsi della qualità del paese e prencipati d’Italia , Genova : Pietra Magini, Giovanni Antonio, 1620. Italia… data in luce da Fabio suo figliolo , Bologna : Bonomi Monleone, Giovanni (éd.), 1941. Iacopo da Varagine a la sua cronaca di Genova, Roma : Tipografia del Senato Ortelius, Abraham, 1593. Theatro d’Abrahamo Ortelio ridotto in forma piccola… tradotto in lingua italiana da Giovanni Paulet, Antwerp : Plantiniana Sources secondaires Chittolini, Giorgio. 1996. Città, comunità e feudi negli stati dell'Italia centro - settentrionale (secoli XIV - X VI) , Milano : Unicopli Folin, Marco, 2000. “Sui criteri di classificazione degli insediamenti urbani nell’Italia centro - settentrionale (secoli XIV - XVIII)”, in Storia urbana, n° 92, p. 5 - 23 Folin, Marco (2003).“Hiérarchies urbaines/hiérarchies sociales : le s noms de ville dans l’Italie moderne (XIVe- XVIIIe siècles)“, in Genèses. Sciences sociales et histoire , 51, juin, p. 4 - 25. Migliorini, Bruno, 1987. Storia della lingua italiana, Firenze : Sansoni Ricci, Giovanni. 1993. “Sulla classificazione delle città n ell'Italia del Rinascimento”, in Storia Urbana, n° 64, p. 5 - 17 Zacché, Gilberto (dir.), 1987. Carpi immagine e immaginario. Viaggiatori, storici, letterati, osservatori, Casalecchio di Reno : Grafis Autres références Kirshner, Julius, 1973. “Civitas sibi faciat civem : Bartolus of Sassoferrato’s Doctrine on the Making of a Citizen”, in Speculum , XVLIII, p. 427- 52 Quaglioni, Diego, 1993. ““Civitas” appunti per una riflessione sull'idea di città nel pensiero politico dei giuristi medievali”, in Conti, V. ( dir.), Le ideologie della città dall’umanesimo al romanticismo, Firenze : Olschki, p. 59- 76

62 Le Trésor des mots de la ville : une maquette au 1/5e

Chittolini, Giorgio, 2001. “Il nome di “ città ”. La denominazione dei centri urbani d’Oltralpe in alcune scritture italiane del primo Cinquecento“, in Italia e Germania. Liber Amicorum Arnold Esch, Tübingen : Max Niemeyer Verlag, p. 489- 501. ______city (pl. ) anglais Grande-Bretagne et Etatis-Unis, nom et adj.

Traductions “city s. ville, cité, ville épiscopale , f. The freedom of the city, le droit de bourgeoisie . City life, vie qui se passe dans l’embarras des affaires, f. To love a city life, se plaire dans les grandes villes.” (*Boyer 1762) “city s. ville, cité, f. ville épiscopale. A chief city, ville capitale. Mother city, métropole, f. The freedom of the city, le droit de bourgeoisie. A city feast, une fête de ville. City life , la vie que l’on mène à la ville. To love a city life, aimer la vie des grandes villes. City- court, tribunal municipal.” (*Clifton 1846) “city cité f., ville f . The City (in ), la Cité, à Londres. // adj. bourgeois, de bourgeois, de citoyen.” (*Clifton & Mac Laughlin 1904) “ city s. 1. (a) grande ville; US: ville; (in Engl.) ville épiscopale ; Poet : cité f. The c. dwelle rs , la population urbaine. (b) cité, agglomération f. Garden- c. cité- jardin f, cité ouvrière. 2. The City, la cité de Londres. F : he’s in the C., il est dans les affaires. ‘ city- bred, a. élevé en ville. A c.- b. child , un(e) enfant de la ville. ‘City’Hall, s. Hôtel m de ville. ‘city ’state, s. Hist : état- cité m, pl. états- cités. ” (*Harrap’s 1986)

Définitions

“ C ITY. n.s. [cité, français; civitas, latin]. 1. Un vaste groupement de maisons et d’habitants. 2. [en droit anglais] Une town dotée de personnalité morale [corporate] qui a un évêque. 3. Les habitants d’une certaine city [...].” (*Johnson 1755)

“ CIT ’ Y , n. [...] 1. Au sens général [souligné par l’auteur], une grande town [...]. 2. En un sens plus exact, une town dotée de la personnalité morale [corporate]; une town ou collectivité d’habitants dotée de la personnalité morale [ incorporated ] et administrée par ses propres officiers, comme un maire et des conseillers. [...].” (*Webster 1838) [dictionnaire publié aux Etats - Unis] “La City est un monde en soi qui a pour centre le coeur de la metropolis [métropole].” (Evans 1852 : 1) “City. Au Royaume- Uni, ‘city’ est, au sens strict, un titre honorifique, que l’on utilise officiellement à propos de towns qui, en vertu de quelque prééminence (par ex. sièges épis copaux ou grands centres industriels) ont acquis le droit d’être ainsi désignées, par usage traditionnel ou par charte royale. Dans l’usage commun, toutefois, le mot n’implique rien de plus qu’une assez vague idée de taille et de dignité, et est appliqué d e façon imprécise à tout grand centre de population.” (*Encyclopaedia Britannica 1911) “city. Une town grande et importante; toute grande town qui a une position importante dans l’Etat où elle est située.” (*Whitney 1914) [dictionnaire publié aux Etats- Unis] “ city n. [...] Grande town; // (au sens strict) town faite city par une charte, en particulier parce qu’elle contient une cathédrale [...]” ( The Concise Oxford Dictionary 1976) “ city [...] I.1 origin. Une town ou un autre lieu habité. Non un terme indig ène, mais apparemment d’abord un titre quelque peu grandiose [...] 2. plus particul. un titre placé au dessus de celui de ‘town’ [...] 4. La communauté des habitants d’une city [...] 5.a. the City : abrégé de the City of London [...] b. plus particulièrement, la partie de celle - ci dédiée aux affaires, [...] le centre de l’activité financière et commerciale. D’où la communauté financière et commerciale qui y est localisée [...]” (*Oxford English Dictionary 1989) “Aux Etats- Unis, une city est, dans le vocabula ire juridique, un type ou catégorie particulière de municipal corporation [personne morale municipale]. Dans l’usage commun, cependant, city signifie presque partout simplement une agglomeration of population [concentration de population] relativement dense et de taille importante, où les conditions de vie peuvent être considérées comme urbaines par opposition à la vie rurale de la campagne.” (*Encyclopedia Americana 1995) [encyclopédie publiée aux Etats - Unis]

Une des difficultés pour déterminer le sens du mot city est que ses définitions légales et ses usages de tous les jours ne coïncident pas, dualité de sens consolidée par les dictionnaires de la langue anglaise depuis le XVIIIe siècle. Un autre problème est que les critères pour classer une localité comme city, et, bien sûr, les villes elles-mêmes, ont changé au cours des siècles. City, en anglais britannique, a donc été utilisé pour désigner des genres très différents

63 Le Trésor des mots de la ville : une maquette au 1/5e d’établissements [settlements], depuis de relativement petites villes ayant une cathédrale [cathedral towns] comme St Davids ou Ely, jusqu’à de vastes centres urbains, jadis villes industrielles, comme Manchester ou Birmigham. Le mot vient du latin civitas, qui vient lui-même de civis, citoyen (Pearsall 1988). Jusqu’au XIIIe siècle, civitas était utilisé dans des ouvrages historiques comme l’Historia de Bede (années 730) ou dans des documents juridiques et fiscaux comme le Domesday Book (1086). Les mots utilisés par Bede pour les localités inférieures à la metropolis [métropole] étaient civitas et urbs, qui correspondaient à peu près aux mots de l’ancien anglais caester et burh (Campbell 1988). Civitas était utilisé pour des localités qui étaient des sièges d’évêque ou d’archevêque, tandis que caester désignait généralement des établissements d’origine romaine dont la muraille tenait encore debout, mais, comme une civitas était aussi fréquememnt un caester (comme Winchester), les deux mots devinrent synonymes – c’est pourquoi caester est traduit par city dans un dictionnaire de l’anglo-saxon (*Bosworth & Northcote Toller 1898). À cette époque, toutefois, la façon de désigner les localités était très fluide, et le Domesday Book suggère de ne pas être trop précis en matière de catégories d’établissements urbains. Ainsi le rapport sur la county town [chef-lieu de comté] de Stafford utilise pour désigner celle-ci trois mots latins: burgus, villa et civitas, grossièrement les équivalents de burh (borough), town et city (cité par Clarke & Simms 1985: 547, 676-677). Toutefois, à la fin du XIIe siècle, civitas était désormais clairement employé pour marquer un statut urbain supérieur, comme dans la description de Londres par William FitzStephen “descriptio nobilissimae civitatis Londonia.” (cité par Lethbridge Kingsford 1908: 219). Par ailleurs, à la fin de la période anglo-saxonne, plusieurs localités nommés caester étaient devenues d’importants centres urbains qui devaient devenir plus tard des cathedral cities. Ce fut seulement après la conquète normande (1066) que le mot city fut couramment utilisé en anglais, sans doute du fait de l’utilisation plus large du français (ancien). Selon l’Oxford English Dictionary, le vieux français cite “est attesté au tout début du XIIIe siècle: il s’appliquait à des villes étrangères, tout particulièrement aux villes antiques, et à des boroughs anglais importants, comme Londres et Lincoln” (*Oxford English Dictionary 1989). L’usage du français par l’aristocratie et les voyageurs, ainsi que le prestige alors attaché cet usage (Keen 1990 : 223-227), peuvent avoir contribué à faire de cite une appellation plus désirable que le vieil anglais burh (borough) ou tún (town) pour désigner une localité importante du point de vue économique ou administratif. On trouve plusieurs formes du mot (comme citee, site, city, citty, sity, cete et sete) en anglais moyen, la langue vernaculaire du bas Moyen Age (*Kurath 1959 : 282). À partir des XIVe et XVe siècles, l’usage de city s’étendit. Chaucer, vers 1386, évoque “la gloire des citees” chez Boèce et “une centaine de citees fortes et grandes” dans la Legend of Good Women (cité par Benson 1987: 418, 620). Au XVIe siècle, le mot était désormais utilisé par opposition à country [campagne], comme par exemple chez Tindale en 1526: “raconte-le on the cyte and in the countre” (cité par Williams 1973: 307). Au cours du XVe siècle, des documents officiels commencèrent à faire une différence entre les localités nommées city et celles nommées town. Dans les transcriptions d’actes contemporains faites vers 1432 par Nicholas Bishop, on parle des “Citees of london, of salebury [Salisbury]” et de “townys Couentre [Coventry], Marleburgh” (cité par Meech 1934: 457). En 1474, un passage du Rotuli Parliamentorum mentionne “the Cite of London […] the Cite of York […] the Cite of Bath” mais “the Toune of Suthampton […] the Toune of Oxonford […] the Burgh of Suthwerk [Southwark, un faubourg de Londres]” (cité par *Kurath 1989 : 283). Ce qui faisait de York une city et d’Oxford une town tenait à leurs rôles respectifs de centres administratifs et économiques, mais aussi avec la perception que les gens avaient de leur importance relative.

64 Le Trésor des mots de la ville : une maquette au 1/5e

À la même époque, le mot city acquit aussi un sens constitutionnel spécifique, dont le trait principal fut d’être un titre conféré aux sièges d’évêque et d’archevêque. Comme le souligne l’Oxford English Dictionary, “sous les rois normands, les sièges épiscopaux furent déplacés vers le ‘chief borough’ ou ‘city’ du diocèse, comme en France; étant donné que les évêques s’installèrent dans les cities, il y eut une identification croissante entre ‘city’ et ‘cathedral town’” (*Oxford English Dictionary 1989). Cela fut confirmé au XVIe siècle, quand Henry VIII créa de nouveaux évéchés et accorda aux boroughs qui en furent les sièges le titre de city. Cette raison ecclésiastique n’était pas la seule qui pût constituer une city. Cela résultait aussi de ce qu’aux XIVe et XVe siècles, un nombre croissant de towns obtint la personnalité morale [incorporation], ce qui confirmait des arrangements antérieurs, mais représentait aussi un mouvement vers l’autonomie de gouvernement et le “statut de comté” pour les villes (Weinbaum 1937). Certaines des plus grandes et prospères capitales provinciales – comme Bristol (1373), Coventry (1345) et Norwich (1404) – avaient déjà commencé à s’appeler elles-mêmes city et leurs chartes confirmèrent ce statut, d’où l’usage du terme hybride cite- toun, par exemple vers 1330 (*Kurath 1989: 283-284). Au XVIe siècle, il y avait désormais l’ idée claire d’une hiérarchie des localités urbaines, comme cela apparaît dans Fardle Facions (1555) où le rang supérieur de city est exprimé dans la phrase: “de tounes, ils firent des cities, et de villages, des Tounes” (cité par *Oxford English Dictionary 1989). La marque du statut de city, la possession d’une charte, devint une question conflictuelle au début du XVIIe siècle, car elle était liée à l’idée de gouvernement indépendant. Ainsi un grand juriste civil affirmait que “toute citty possède une juridiction particulière s’appliquant à elle-même” (Wilson 1936 [1600] : 20-21). Au XVIIIe siècle, une autorité de premier plan en matière de lois anglaises renforça le statut supérieur de la city en formalisant la différence entre “cities, boroughs et common towns” (Blackstone 1765-1769 : 111). À partir du XVIIIe siècle, avec l’expansion de l’industrie et du commerce, la croissance des grands centres urbains, Londres en particulier, entraîna un usage plus intensif du mot city par les écrivains et les commentateurs sociaux, qui cherchaient à exprimer leurs sentiments à propos de ce qu’on appelait aussi “les great towns”. En 1812, le poête Wordsworth, dans le Prelude, évoquait Londres comme une city qui était un centre de la civilisation au sens ancien (cité dans Williams 1973: 149-150), et cette relation entre city et civilisation fut fréquemment invoquée au XIXe siècle, comme dans le célèbre panégyrique Age of Great Cities (Vaughan 1843). En même temps, le mot city acquit des connotations pathologiques parmi les commentateurs sociaux, la city étant souvent comparée à un organisme malade (Davidson 1983). Le mot city en vint à symboliser le meilleur et le pire de la condition urbaine (Kingsley 1880). Au milieu du XIXe siècle, ce qui faisait une city avait depuis longtemps cessé d’être clair. Dans le cas de Londres, par exemple, le mot était utilisé à la fois pour désigner la City of London dotée d’une personnalité morale et la métropole dans son ensemble, comme dans l’expression “la city d’un million d’habitants” (Garwood 1853). En outre, à partir du milieu du XIXe siècle, on commença à utiliser le terme City pour désigner les activités commerciales de Londres, puis principalement ses activités financières, en évoquant le mile carré dans lequel elles étaient concentrées. Au XXe siècle, cet usage s’étendit pour s’appliquer aux institutions financières du pays, où qu’elles soient localisées (Michie 1996). D’autres sens spécialisés furent introduits par les premiers urbanistes, qui utilisaient souvent city en combinaison, comme dans Garden city, terme inventé du début du XXe siècle pour désigner le projet d’une nouvelle ville satellite dune Central city (Howard 1902). City centre, cependant, n’entra en usage que plus tard, bien que le district spécialisé que l’expression désignait existât déjà depuis longtemps. Quant à l’usage commun de city, il n’impliquait “rien

65 Le Trésor des mots de la ville : une maquette au 1/5e de plus qu’une assez vague idée de taille et de dignité”, ce qui “empêch[ait] toute définition claire et compréhensive” (Encyclopaedia Britannica 1911 : 400). D’un autre côté, l’acception constitutionnelle se maintenait et fut étendue à un groupe plus large de villes [towns]. Au XIXe siècle, des centres industriels et commerciaux en pleine croissance, comme Manchester, Glasgow et Birmingham obtirent officiellement le titre de city par charte royale, sans considération de leur statut du point de vue épiscopal. Un historien de l’époque notait qu’“il y a peu de temps [...] Birmingham et Dundee, jusque là simples boroughs, furent élevés au rang de cities”, bien qu’il relevât aussi qu’“une city ne semble n’avoir en tant que telle aucun droit ou pouvoir que n’aie aussi n’importe quelle corporate town” (Freeman 1889: 29-30). Il y avait aussi fréquemment un important délai entre l’attribution de la personnalité morale [incorporation] et celle d’une charte de city, comme dans le cas de Liverpool, qui n’obtint ce titre qu’en 1880, malgré son importance comme centre portuaire et commercial. Le statut de city continua d’être attribué par charte royale tout au long du XXe siècle, le Millenium (2000) et le jubilé d’or de la reine (2002) donnant des occasions de le faire pour de nombreuses villes [towns]. Des concours furent organisés pour décider de celles qui deviendraient cities et les choix furent parfois critiqués pour leur politisation. En 2000, Brighton and Hove, Wolverhampton et Inverness l’emportèrent, par exemple, sur Luton, Milton Keynes et Warrington (Ward 2000), ce qui aboutit à un total de 49 cities au Royaume- Uni, six nouvelles s’y ajoutant en 2002. Les critères mis en oeuvre furent déterminés par Sa Majesté la reine, à savoir “des traits remarquables, dont une importance régionale ou nationale; des traits historiques (y compris en ce qui regarde la royauté); et une attitude positive par rapport à l’avenir” (Government Press Release 2002). Avec de tels attributs, le titre de city est encore capable de doter une town d’un statut supérieur, recherché pour des raisons plus économiques que politiques. Aujourd’hui comme au Moyen Age, être nommée city donne à une localité une visibilité qui en fait un endroit différent des autres, quelque chose de plus qu’une simple common town. Keith Lilley et David A. Reeder

Samuel Johnson définissait city à la fois comme un vaste groupement de maisons et d’habitants et comme un organisme municipal [municipal corporation] avec un évêque et une cathédrale (*Johnson 1755). Sa définition exprimait la dualité du terme tel qu’il est utilisé aux Etats-Unis – à l’importante différence près qu’il n’y existe pas d’Eglise officielle. H.L. Mencken considérait city comme l’un des nombreux “mots de l’anglais courant [auxquels] les colons anglais d’Amérique donnèrent de nouvelles significations”. Citant l’Anglo-American Interpreter de Herbert William Horwill (1939), il expliquait: “En Angleterre city désigne seulement [...] ‘une town grande et importante, ou qui contient une cathédrale’; en Amérique, le mot a été utilisé dès le début du XVIIIe siècle pour désigner des localités beaucoup plus petites” (Mencken 1945, 1: 217, 222). On peut faire remonter l’acception nord-américaine de city comme organisme municipal à sa racine latine civitas, qui désignait un groupe de citoyens régis par un système politique organisé – alors que urbs, la racine de urban [urbain], aurait plutôt désigné le lieu, le cadre physique dans lequel cette culture civique prenait place (Stilgoe 1983). La signification de city aux Etats-Unis a conservé la trace de ses origines à un degré surprenant. Les premiers lexicographes différenciaient les usages nord-américain et britannique en se référant au système de gouvernement. Ainsi Francis Lieber (*Lieber 1829-33, 12: 312) et Noah Webster, qui définissait city en Grande-Bretagne comme “une town dotée de personnalité morale [corporate] qui a un évêque et une cathédrale” (*Webster 1838). Chauncey Goodrich, qui révisa et augmenta l’American Dictionary de Webster dans les années 1850, reprit la déinition de la première édition, soit “une corporate town” dirigée par un maire et des conseillers élus,

66 Le Trésor des mots de la ville : une maquette au 1/5e mais ajouta l’importante précision que c’était là l’usage du mot aux Etats-Unis (*Webster 1853). De même, le recensement des Etats-Unis de 1880, notable pour le volume sur les “Social Statistics of Cities” compilé par George E. Waring, Jr., définissait une city par son statut de personnalité morale: “Tous les corps de population dense de quelque importance ont des chartes municipales” (Census Office 1883, xxviii-xix). Le juge John F. Dillon codifia le statut légal des cities aux Etats-Unis dans son ouvrage Law of Municipal Corporations, qui définissait city comme un organisme de gouvernement local créé par la chambre législative de l’Etat – celle-ci disposant du pouvoir qui, en Angleterre, appartenait roi, de créer, modifier ou supprimer le statut municipal des cities (Dillon 1873). Ces chartes législatives fixaient aussi les pouvoirs et responsabilités des municipal corporations – mais les assemblées législative des Etats n’étaient pas toujours désintéressées et, tout au long du XIXe siècle, la capacité d’auto-gouvernement de , par exemple, fut limitée par des révisions de sa charte prises par des législateurs élus dans les zones rurales de l’Etat. L’autre élément de la définition de Samuel Johnson, la taille, fut retenu ensuite en Angleterre et aux Etats-Unis par la plupart des dictionnaires et encyclopédies. Les définitions courantes de city aux Etats-Unis commencent généralement par une mention de la taille: pour Noah Webster, une city était “une grande town” (*Webster 1838). Le bureau du recensement aussi tenait compte de la taille, mais ce qu’il entendait par là a changé au cours du temps. Dans les premiers recensements décennaux – organisés par les Etats et les comtés – cities et towns n’étaient jamais définies et les deux termes étaient souvent utilisés de façon interchangeable. Le recensement de 1840, par exemple, donnait une liste des “principales towns” de l’Etat de New York où New York City (312 710 habitants) était précédée de Newburgh (8 933) et suivie de Poughkeepsie (10 006) (Sixth Census 1841 : 22). Le surintendant du recensement de 1850, James D. B. DeBow, critiquait ce dernier pour ne pas “fournir les informations nécessaires à la séparation de la population urbaine et rurale [urban and rural] des Etats-Unis” (DeBow 1854 : 192). Le recensement de 1880 retint le seuil de 8 000 habitants pour différencier les localités urbaines des rurales, mais il ne définissait pas ce qu’il fallait entendre par city ou town. Le recensement de 1920 conserva le seuil de 8 000 pour les urban areas [aires urbaines], qu’elles soient ou non constituées en municipalité [incorporated], mais il ajouta un second seuil qui incluait toutes les personnes “résidant dans des cities et autres incorporated places [localités] ayant 2 500 habitanst ou plus, et dans des towns de cette taille du Massachusetts, New Hampshire et Rhode Island” – les habitants de ces towns étant considérés comme faisant partie de la population urbaine parce que le township constituait l’unité primaire de gouvernement local dans le sud de la Nouvelle Angleterre. Les résultats publiés utilisèrent le seuil de 2 500 pour montrer que plus de la moitié des habitants des Etats-Unis vivaient dans des cities – ce qui a conduit beaucoup d’historiens à affirmer que le pays est devenu urbain en 1920. En fait, presque la moitié des localités qui constituaient la catégorie urban territory [territoire urbain] avaient une population comprise entre 2 500 et 5 000 habitants et, en outre, 8,5 % de la population urbaine habitait des municipalités de moins de 2 500 habitants. Au total, presque un tiers de la population urbaine vivait dans des localités de 25 000 habitants ou moins (Bureau of the Census 1921 : 43, 50). Le bureau du recensement ajouta en 1950 la catégorie urbanized area [aire urbanisée], définie comme une city d’au moins 50 000 habitants et “les localités avoisinantes densément peuplées et constituées en municipalité [incorporated]”, ainsi que les aires contigües qui ne le sont pas mais sont “en relation fonctionnelle avec la central city” (Bureau of the Census 1952 : xxvii). Pour permettre des comparaisons, ce même recensement créa les standard metropolitan areas – plus connues aujourd’hui sous le nom de metropolitan statistical areas.

67 Le Trésor des mots de la ville : une maquette au 1/5e

Ainsi, la plupart des définitions de city s’accordent sur le fait que la taille est un élément déterminant, mais il n’y a pas de nombre d’habitants universellement – ou même largement – accepté comme critère. En combinaison avec un adjectif, city connut de nouveaux et importants usages aux XIXe et XXe siècles. Un magnat new-yorkais des grands magasins, Alexander Turney Stewart donna le nom de Garden City à une opération immobilière résidentielle qu’il entreprit en 1869 dans la partie rurale de Long Island. La evil city [mauvaise] est un thème très répandu de la littérature nord-américaine et la culture populaire. Depuis “My Kinsman, Major Molyneux” de Nathaniel Hawthorne (1832) ou Pierre; Or, the Ambiguities de Herman Melville(1852) jusqu’aux romans à trois sous, à un livre comme Sister Carrie de Theodore Dreiser(1900) ou au cinéma, un courant anti-urbain a constamment marqué la culture nord-américaine. Au début du XXe siècle, big city est devenu le terme communément en usage pour distinguer les plus grands centres métropolitains [metropolitan centers] des localités plus petites. Après la Seconde Guerre mondiale, spread city [étalée] est entré dans le vocabulaire pour évoquer l’expansion indéfinie du paysage métropolitain. Comme adjectif, city a de nombreux usages. Parmi les plus communs, City Hall [hôtel de ville] désigne des bâtiments et City Treasurer [directeur du budget] ou City Manager [administrateur faisant office de maire] des fonctions occupées par élection ou nomination. Le mot est aussi utilisé dans le nom de mouvements urbanistes comme, au début du XXe siècle, City Beautiful [belle] ou City Efficient [efficace]. Les historiens ont beaucoup écrit sur la spécificité de la city culture [culture] par rapport à celle des towns et villages, et pourtant un petit centre commercial [shopping mall] à Lancaster, en Pennsylvanie, porte de nom de Park City (1971). Aujourd’hui, il ne fait pas de doute que la plupart de nord-américains utilisent city pour désigner “un centre de population, de commerce et de culture” et pensent rarement à sa définition légale comme “un organisme municipal [incorporated municipality], dont les limites et les pouvoirs légaux sont fixés par une charte accordée par l’Etat” (*American Heritage Dictionary 1980 : 245). David Schuyler

Voir borough, downtown, city centre, metropolis, town Voir cidade (po), città (it), ciudad (es), ville (fr), Stadt (de)

Sources Dictionnaires de langue et encyclopédies Sources primaires Blackstone, William. 1765- 69. Commentaries on the Laws of England. 4 vols. Oxford: Clarendon Pres, vol 1. Bureau of the Census. 1921. Fourteenth Census of the United States Taken in the Year 1920. Volume I. Population 1920. Washington, DC : GPO. Bureau of the Census. 1952- 1957. Census of Population : 1950. Washington, DC : GPO, 4 vol. Census Office. 1883. Statistics of the Population of the United States at the Tenth Census (June 1, 1880). Washington, D.C. : GPO. DeBow, J.D.B. 1854. Statistical View of the United States [...] Being a Compendium of the Seventh Census [...] . Washington, DC : A.O.P. Nicholson. Dillon, John F. 1873. The Law of Municipal Corporations. 2 vols. 2nd ed. New York: James Cockcroft & Co.. Domesday Book. 1086. Liber censualis vocatus Domesday- book. London : Record Commissioners, 1783- 1816, 4 vol. Evans, David Morier. 1852. The City, or, the Physiology of London Business. London: Groombridge & Sons. Freeman, E A. 1889. “City and borough”. MacMillans Magazine, vol 60:29- 37. Garwood, John. 1853. The million- peopled city. London: Wertheim and Macintosh.

68 Le Trésor des mots de la ville : une maquette au 1/5e

Government Press Release. 2002. “Golden Jubilee city status competition launched”. Http//www.gov.uk/textonly/page 3244.asp. Howard, Ebenezer. 1902. Garden Cities of Tomorrow. London: Faber and Faber. Kingsley, Charles. 1880. “Great Cities and Their Influence for Good or Evil”, in : Kingsley, Charles (ed.). Sanitary and Social Lectures and Essays. London, Macmillan : 187- 222. Mencken, H. L. 1945. The American Language: An Inquiry into the Development of English in the United States. Supplements 1 and 2. New York: Alfred A. Knopf. Sixth Census or Enumeration of the Inhabitants of the United States. 1841. As corrected at the Department of State in 1840. Washington, D.C. : printed by Blair and Rives. Vaughan, Robert. 1843. The Age of Great Cities, or Modern Society Viewed in its Relation to Intelligence, Morals and Religion. London: Jackson and Walford. Wilson, Thomas. 1936 [1600]. The State of England, 1600. In Fisher, Frederick Jack (ed.) Camden Miscellany, vol xvi, London: Camden Society 3rd Series, 1936. Sources secondaires Benson, Larry D. 1987. The Riverside Chaucer. 3rd ed. Oxford: Oxford University Press. Campbell, J. 1979. “Bede’s words for places”, in Sawyer, Peter Hayes (ed). Names, Words and Graves: Early Medieval Settlement. Leeds: The University of Leeds.:34- 51. Clarke, Howard Brian and Simms, Anngret. 1985. “Towards a comparative history of urban origins”, in: Clarke, Howard Brian and Simms, Anngret (eds). The Comparative History of Urb an Origins in Non – Roman Europe. Oxford: British Archaeological Reports International Series, vol 1. Lethbridge, Kingsford C. 1908. A Survey of London by John Stow reprinted from the text of 1603. 2 vols. Oxford: Clarendon Press, vol 1. Meech, Sanford Brow n. 1934. “Nicholas Bishop, an exemplar of the Oxford dialect of the fifteenth century”. Publications of the Modern Language Association of America, vol 49 : 443- 460. Michie, Ranald. 1996. “The City of London: functional and spatial unity in the nineteenth century”, in Diederiks, Herman and Reeder, David. (eds.) Cities of Finance. Amsterdam: Royal Netherlands Academy of Arts and Sciences.: 189- 207. Ward, David. 2000. “District towns win city status”, The Guardian, 19 December. Williams, Raymond.1973. The C ountry and the City. London: Chatto and Windus. Autres réferences Weinbaum, Martin. 1937. The Incorporation of Boroughs. Manchester : Manchester University Press. Davison, Graeme. 1983. “The City as a Natural System”, in Fraser, Derek and Sutcliffe, Anthony (eds). The Pursuit of Urban History. London: Edward Arnold: 349- 370. Keen, Maurice. 1990. English Society in the Later Middle Ages, 1348- 1500. London: Allen Lane. Stilgoe, John R. 1983. “Small Town and Urban Edges.” UD Review 6 (Spring/Summer): 5 - 7.

69 Le Trésor des mots de la ville : une maquette au 1/5e

______colonia (pl. colonias) espagnol Mexique, nom fém.

Traductions colonia : “colonie de peuple // une sorte de ruban de soie, bandelette.” (*Oudin 1675) colonia : “Colonie, troupe de gens envoyée pour peupler un pays . // Ruban de soie, de trois doigts ou plus de large ” . (*Salvá 1882) colonia : “colonie (país, reunión de personas, de animales, etc.// eau de cologne // ruban m de soie (cinta) // - colonia obrera cité ouvrière // colonia de v acaciones, penitenciara , colonie de vacances, pénitentiaire.” (*Larousse- Bordas 1999) Définitions colonia : “1. Nombre plus ou moins considérable de personnes qui vont d’un pays à l’autre [...]; pays ou lieu où s’établissent ces personnes. [...]” (*Zerolo 1895) colonia : “Au Mexique, extension [ensanche] ou nouveau quartier [barrio nuevo] dans les localités périphériques [ poblaciones], principalement dans la capitale de la République.” (* Diccionario general de americanismos 1942) colonia : “On donne aujourd’hui à ce nom au Mexique, un sens nouveau et entièrement local . Les colonias sont les extensions [ ensanches] de la ville à une époque récente, les quartiers nouveaux [barrios nuevos]; ainsi avons- nous la Colonia de Santa Maria, de los Arquitectos, de Guerrero, etc.” (*Santamaria 1959)

Colonia comme expression d’une nouvelle division de la ville apparue à la fin du XIXe siècle, n’existe qu’au Mexique. Ce fut le terme choisi par les urbanistes et les élites cultivées pour désigner les nouveaux espaces résidentiels issus d’une pensée réformiste et hygiéniste. Il s’agit donc, selon les dictionnaires, d’un mexicanisme, même si colonia possède également au Mexique les autres sens que contient ce mot en langue espagnole. Signalons toutefois qu'à Madrid, dans les années 1950, le terme de colonia a été utilisé pour nommer certaines extensions urbaines d'un standing bourgeois et, même s'il figure encore – associé à un nom faisant souvent référence à une corporation – sur quelques plans de la ville vendus dans les kiosques, il est tombé très vite en désuétude et ne s'emploie plus. Au Mexique, l’urbanisme de l’époque coloniale était très réglementaire et avait donné lieu à une division corporatiste et ethnique de la ville (Lira 1983). La deuxième moitié du XIXe siècle connut la mise en cause de ce modèle et Mexico, tout comme Guadalajara, vécurent alors une croissance spatiale désordonnée qu’expliquaient les nouvelles différenciations sociales, le développement du marché et les troubles politiques (Gruzinski 1996). Le mot arrabal désignait alors l’extension de ce désordre, mais celui de barrio n’échappait pas, lui non plus, aux représentations négatives de l’époque. C’est pendant la dernière décennie du XIXe siècle qu’apparurent les colonias, qui se prétendaient un projet urbanistique à l’opposé de l’arrabal. La colonia rompait délibérément avec le centre de la ville auquel elle était reliée par des avenues éventuellement disposées en rayons et non plus selon le plan colonial en damier (Lopez Moreno & Ibarra Ibarra, 1997). Surtout, elle se voulait le cadre d’un nouveau mode de vie urbain lié à la modernité. Quels en étaient les traits principaux ? D’abord, la colonia était résidentielle et donc monofonctionnelle. Ensuite, elle rompait avec les formes architecturales des maisons coloniales : on s’inspirait plutôt du sud des Etats-Unis et de l’Europe. Elle était l’œuvre de promoteurs privés auxquels les municipalités confiaient toutes les opérations d’urbanisation. Elle s’adressait en priorité à une bourgeoisie urbaine naissante, souvent commerçante et parfois d’origine étrangère, ce qui explique colonia alemana, española, etc. On diffusait pour la rendre attrayante une image hygiénique et l’homogénéité sociale des résidents en était la règle implicite. Progressivement, et malgré les désordres urbains que provoqua la Révolution (1910-1922), la colonia devint l’essence même de l’urbanisme ordonné et du retour à la marque corporatiste, mais cette fois moderne et post-révolutionnaire. C’est ainsi qu’apparurent les colonias

70 Le Trésor des mots de la ville : une maquette au 1/5e obreras [ouvrières] qui dépendaient de telle ou telle organisation corporatiste comme la Central de los Trabajadores Mexicanos (CTM), ou la Confederacion Revolucionaria Obrera Campesina (CROC), ou, selon les villes, telle ou telle organisation politique locale alliée au Partido Revolucionario Institucional (PRI) et représentant des intérêts corporatistes ou clientélistes, étroitement liés au demeurant. Citons l’émergence des colonias du Comité de Defensa Popular (CDP), à Ciudad Juarez, par exemple, pendant les dernières décennies 1980- 2000, au cours desquelles la ville a connu une croissance extrêmement rapide. Vers 1940, colonia faisait référence à tout agrandissement spatial de la ville, signalent les dictionnaires, notamment les dictionnaires de mexicanismes et d’américanismes. En 1960, tous les quartiers au sens générique du terme construits avant 1950, étaient qualifiés de colonia. À Mexico, c’est une subdivision des grandes divisions administratives : cuarteles puis (1970) delegaciones. À Guadalajara, colonia continue de désigner les nouveaux quartiers de classe moyenne ou populaire qui se construisent au-delà d’une limite implicitement connue par tous, mais qui ne coïncide pas rigoureusement avec celle des sectores, grandes divisions administratives de la ville créées en 1915 (Lopez Moreno & Ibarra Ibarra, 1997). Ainsi, le nom de la colonia apparaît-il dans les adresses postales. Vers 1950, la colonia bourgeoise ou de classe moyenne n’a plus besoin de qualificatif. Elle existe, accolée à son toponyme et cela suffit pour que sa qualité soit reconnue : colonia Roma, colonia Condesa, etc. à Mexico, colonia Chapalita à Guadalajaraja. En revanche, depuis la même époque, aux colonias populaires qui s’étendent à perte de vue pour abriter plus ou moins légalement les immigrés de la campagne, sont toujours associés des qualificatifs qui rappellent la condition des habitants au sein de la structure sociale corporatiste et dans celle du travail. Dans les années 1960, en pleine croissance capitaliste, se multiplièrent les colonias proletarias, souvent loties par des promoteurs clandestins mais qui copiaient le processus légal. Puis, la crise économique (1994) qui rompit la croyance dans l’expansion linéaire du salariat, vit apparaître cette expression éminemment paradoxale de colonia irregular. Elle s’explique par le désir d’intégration qui anime les personnes, souvent immigrées récentes, qui envahissent les périphéries des villes. Elles savent qu’elles s’engagent dans un long processus, dit de régularisation, qui aboutira à la reconnaissance de leur statut de propriétaire. Leur désir d’intégration trouve un artifice lorsque les habitants anticipent sur la légalisation de leur territoire : l’occupation crée la colonia, les autorités municipales sauront qu’elle est irregular, mais si on lui attribue un toponyme, on peut alors revendiquer d’en être colono (ou vecino, c’est-à-dire voisin), en quelque sorte citoyen. Etre reconnu comme colonia, pour un territoire urbain périphérique, populaire et partiellement auto-construit, c’est renvoyer à la mémoire d’une longue histoire réglementaire de l’urbanisme hispanique qui marque les comportements et les représentations collectives : on imite la légalité. Mais c’est aussi – et c’est encore en l’an 2000 – la représentation de l’ordre et de la dignité. Quand les habitants voient leur espace de vie se dégrader, surtout du point de vue de sa sécurité, ils disent “ici, ce n’est plus une colonia, c’est un barrio [quartier, terme ici extrêmement péjoratif]” (Rivière d’Arc & Ibarra Ibarra, 2001). Pour se distinguer des extensions populaires qui occupent de vastes espaces dans les grandes villes, les promoteurs des nouvelles constructions destinées aux classes moyennes essaient de trouver de nouveaux mots : fraccionamientos, condominios horizontales, etc. La colonia populaire est devenue trop présente et disqualifie à la fois la ville dans son ensemble et la colonia comme espace résidentiel moderne – plus d’ailleurs à Guadalajara qu’à Mexico où l’urbanisme des premières colonias bourgeoises des années 1930 garde un prestige un peu nostalgique. Hélène Rivière d’Arc

Voir arrabal (espagnol), barrio (espagnol), loteamiento (espagnol), suburbio (espagnol)

71 Le Trésor des mots de la ville : une maquette au 1/5e

Voir banlieue (français), colony (anglais), estate (anglais), lotissement (français), suburb (anglais), suburbio (italien)

Sources secondaires Rivière d’Arc, Hélène et Xochitl Ibarra Ibarra, De Guadalajara à Recife et Salvador, du vocabulaire de l’action à celui de la légitimité urbaine, in : Hélène Rivière d’Arc (ed.), Nommer les nouveaux territo ires urbains, Paris, Editions de la Maison des Sciences de l’Homme, Editions Unesco (Les mots de la ville), 2001, pp. 235- 249 Autres références Gruzinski, Serge. 1996. Histoire de Mexico. Paris, Fayard Lira, Andrés. 2000. Comunidades indígenas frente a la ciudad de México. Tenochtitlan y Tlatelolco, sus pueblos y barrios, 1812- 1919, México, Segunda Edicion, El Colegio de Mexico Lopez Moreno, Eduardo ; Ibarra Ibarra, Xochitl,. Octobre 1997, Barrios, colonias y fraccionamientos, Cahiers Les Mots de la Ville , n°2, Paris, Most- Unesco, Pir- Villes, CNRS ______comune (pl. comuni) italien, nom masc.

Traductions “ COMUNE, s. m. […] Le commun, la commune ” (*D’Alberti de Villeneuve 1835) “ comune s. m . 1. commune [...] 2. hôtel de ville, mairie [...] 3. municipalité [...] ” (*Boch 1979) “ comune m. 1. […] commune, municipality [...] 2. (hist.) commune, Italian city- state [...] ” (*Sansoni 1992)

Définitions “ Nom donné au corps des citoyens de toute città ou terra qui se gouvernait selon ses propres statuts, tout en étant parfois sujette d'autres villes ou de l'Empire [...]. De nos jours rassemblement de cittadini [citoyens], appartenant à un lieu géographiquement circonscrit, doté de ses propres adm inistrateurs élus par ceux en ayant le droit ” (*Vocabolario della Crusca 1878, III : 295). “ comune [...] Dans sa signification actuelle comune ne correspond pas à République mais à Municipalité. […] Liberté des comuni est un terme historique du Moyen Age, mais malheureusement on discutait encore jusqu'à hier des privilèges de certains comuni […] ” (*Tommaseo - Bellini 1916). “ comune [...] circonscription administrative qui représente, au sein de l'Etat, la division territoriale élémentaire avec des pouvoirs particuliers sur un territoire déterminé et sur sa population ” (*Devoto - Oli 1990). “ comune […]. Forme de communauté politique médiévale, typique des villes mais présente également dans les campagnes (comune rurale ), apparue après l'an Mille comme association corporatiste de certaines classes sociales [...] ; elle se développa ensuite en incluant dans son organisation toute la population de son territoire et en acquérant une grande autonomie, et en Italie une indépendance effective par rapport au pouvoir politique supérieur (roi, empereur) […] La plus petite des collectivités territoriales (comprenant généralement le territoire d’une ville [ città ] ou d’un village) qui, sous le contrôle de l’Etat (ou de la Région) administre de façon autonome les intérê ts locaux de sa population ” (*Battaglia, 1964).

Dans le vocabulaire administratif actuel, le terme comune a une signification précise et unique prévue par la constitution (“ entité autonome dans le cadre des principes fixés par les lois générales de la République qui en déterminent les fonctions ”), détaillée ensuite par des lois et des textes réglementaires (Costituzione della Repubblica italiana, art. 128; d.l. 267/18 août 2000, Testo unico sugli Enti locali). Il s'agit de la circonscription administrative de base de l’Etat (le comune pouvant aussi être subdivisé en frazioni), une entité autonome capable d'accomplir un ensemble d'activités administratives et juridictionnelles, mais aussi subordonnée à l'Etat avec une série de devoirs et d'obligations définis par les textes. Si l’on passe des textes aux regroupements de population qui constituent la base de l'organisation administrative italienne, une image extraordinairement variée s'offre à nous. Elle va du comune de Rome qui compte 2 600 000 habitants et 150 000 hectares à des comuni de quelques dizaines d'hectares peuplés de quelques centaines d'habitants seulement. Il pourrait

72 Le Trésor des mots de la ville : une maquette au 1/5e difficilement en être autrement étant donné, d'une part, la configuration hétérogène du territoire italien et les circonstances variées dans lesquelles s'est développé le phénomène communal au cours de l'histoire et, d'autre part, le processus superficiel d'unification administrative de la péninsule. En effet les gouvernements post-unitaires se sont généralement limités à reproduire l'organisation des précédents Etats régionaux en unifiant les termes et les institutions sans jamais modifier en profondeur la géographie des circonscriptions (Legge provinciale e comunale 1865 ; Melis 1996). Le thème des origines médiévales du comune, et des différents sens que revêtait le terme dans la culture politique de l'époque, constitue une des vexatae questiones de l'historiographie italienne. Il a fait l'objet de débats à forte connotation idéologique jusqu'à nos jours (Bobbio- Matteucci-Pasquino 1992). Au-delà des diverses interprétations proposées – continuité ou rupture par rapport aux expériences du Haut Moyen Age ou même romaines – , il semble acquis que les premières attestations du terme dans le vocabulaire politique italien se rencontrent entre le XIe et le Xlle siècle – encore en latin (commune) même si les textes disponibles entretiennent un lien assez étroit avec l'italien vulgaire en formation. Commune apparut d'abord sous forme d'adjectif (commune consilium civitatis, commune colloquium civitatis) et indiquait l'assemblée de la population citadine (Banti 1972). Dans cette première phase, importante pour comprendre les développements ultérieurs du phénomène, le terme commune ne désignait pas les institutions de la ville (on utilisait plutôt pour cela le terme de civitas), mais une émanation plus informelle, résultant d'une situation d’inefficacité des pouvoirs traditionnels. Le sens du mot connut une évolution progressive. Le terme était alors souvent accolé au nom de la ville à laquelle il se référait (commune civitatis lanue, commune populi Placentini) et désignait de plus en plus fréquemment ce qui était en commun et concernait tous les cives [citoyens], devenant ainsi synonyme de res publica. C'est dans cette acception qu'il est utilisé, au milieu du XllIe siècle, dans le Trésor de Brunetto Latini. On peut y lire la célèbre définition selon laquelle “ la ville est un rassemblement de gens fait pour vivre en bonne entente, d'où il ressort qu’ils ne sont pas dits cittadini [citoyens] d'un même comune parce qu'ils sont rassemblés à l'intérieur des mêmes murs, mais parce qu'ils vivent ensemble en bonne harmonie ” (Latini 1948 : 391). La tonalité classique du discours ne doit pas voiler la nouveauté du concept, surtout si on le rapporte au paysage politique de l'époque : les références de Brunetto Latini n’étaient pas les incarnations traditionnelles de l'Etat en Italie (l'Empire, les royaumes) mais ce nouveau mode de gouvernement qui s'affirmait alors depuis peu avec une grande force subversive dans les villes de l'Italie centrale et septentrionale. Ces mêmes villes, ou justement comuni, qu'un siècle plus tard Bartolo da Sassoferrato définirait superiorem non recognoscen[te]s, donnant ainsi un fondement théorique à leur ambition de souveraineté territoriale (Quaglioni 1983). Par la suite le terme entra rapidement en usage pour définir une forme particulière de gouvernement municipal de matrice corporatiste et républicaine dont les villes du nord et du centre de l'Italie offraient le modèle le plus visible sans être pour autant unique. Ainsi, au milieu du XVIe siècle, Nuremberg était décrite comme un lieu “ où l'on gouverne en assemblée mais qui doit obéissance à l'empereur” (Ramusio 1980 [1550-59]). Dans la péninsule, la plupart de ces comuni “ politiques ”, comme les a définis l'historiographie récente, entrèrent en crise entre le XIVe et le XVe siècle, progressivement dominés par des dynastie seigneuriales qui en limitèrent peu à peu les espaces d'autonomie (Pini 1981). Peu de comuni (Venise, Lucques, San Marino…) réussirent à conserver leur indépendance et leur souveraineté jusqu'à la fin de l'Ancien Régime. Bien que gouvernés par des oligarchies héréditaires, sur le plan idéologique les comuni continuèrent à représenter le modèle de l'Etat républicain par excellence pendant toute l'époque moderne : “ainsi on ne pourra jamais considérer à juste raison comme comune cette ville où une partie des citoyens commande et où les autres obéissent tels des serfs, ou partie

73 Le Trésor des mots de la ville : une maquette au 1/5e d'entre eux ont tous les honneurs et l'autre toutes les charges et tous les devoirs ” (Ammirato 1600, l : 376). Même si en Italie le gouvernement comunale concerna essentiellement l'espace urbain, il ne s'y limita pas : parallèlement à la naissance des principaux comuni citadins, on observe dans les campagnes un même processus de développement et de diffusion des institutions communales autour des églises, des paroisses, des châteaux, etc. A partir du Xlle siècle, y compris dans les campagnes, le terme comune (avec quelques variantes comme comunità pour l'Italie du centre et du nord et università au sud) était fréquemment utilisé pour désigner l'organisation institutionnelle des localités rurales, et leurs différents organes de gouvernement, juridiquement reconnus et parfois mis en place par le pouvoir souverain. Dans cette acception, le comune ne coïncidait pas nécessairement avec un seul habitat qu'il soit aggloméré ou dispersé. Au contraire, et en particulier dans les zones de montagne, le comune pouvait englober des habitats distincts et relativement éloignés qui avaient choisi de se regrouper pour gérer collectivement des affaires communes et la redistribution des ressources locales. Les comuni ou università des Alpes et des Apennins en sont un exemple classique (Mor 1958 ; Santini 1960). Sur le territoire de Modène, c'est notamment le cas du comune de Frignano qui regroupait presque une centaine de centres habités, divisés par des rivalités endémiques et par des conflits de frontière mais tout aussi déterminés à se fédérer en comune pour s'opposer efficacement aux exigences de la ville dominante et de son prince (Statuta et ordinamenta 1337-1338). Ainsi, derrière une acception principalement institutionnelle, le terme comune recouvrait des réalités sociales hétérogènes : des villes souveraines dotées d’un vaste territoire et de petits villages ruraux, des bourgs de plaine très peuplés et quelques pauvres maisons à flanc de montagne, des centres urbains fortifiés et de petits habitats dispersés sur de vastes superficies, des centres dont le territoire recoupait celui d'une paroisse et d'autres qui en comprenaient plusieurs... Toutefois, les institutions communales jouèrent localement un rôle crucial, pour les villes capitales comme pour de modestes villages ruraux. Elles incarnaient l'orgueil municipal voire l'esprit de clocher des élites locales et c'est vers elles que confluaient toutes les pulsions autonomistes qui recherchaient une légitimation dans la défense des traditions anciennes. Elément constant de l'organisation politico-administrative d’Ancien Régime, le terme comune fut en revanche quasiment absent des premiers projets constitutionnels élaborés après l'arrivée des armées napoléoniennes en Italie. Ainsi, en 1796, la constitution de la république de Bologne institua la paroisse comme cellule de base territoriale, regroupées en regioni pour les paroisses urbaines et en cantoni pour les paroisses de campagne. Pour leur part, les rédacteurs de la constitution de la république cispadane de 1797 prévoyaient la division du territoire en dipartimenti, cantoni et sezioni substituant aux termes de comune et de comunità ceux, plus actuels, de municipalità et de circondario, importés directement du lexique révolutionnaire (Grande dizionario della lingua italiana). C’est seulement lors de la promulgation des constitutions ultérieures de la République Cisalpine (1797-1800) que comune réintègra le vocabulaire administratif italien, dans un sens très conservateur. Alors que les divisions territoriales supérieures étaient partiellement redessinées, dans l'esprit des législateurs les comunità devaient respecter les limites préexistantes (Aquarone-D'Addio-Negri 1958). Par rapport aux ambitieux projets de rationalisation administrative imaginés seulement deux ans auparavant, il s'agissait d'une solution de repli qui créait une différence durable entre la géographie administrative italienne et celle d'Etats comme la France où, à la même période, on réalisait un important travail d'uniformisation des administrations locales (Caldo 1972). Dans la première moitié du XIXe siècle le mot comune prit une tonalité conservatrice d'arrière-garde comme le montrent les usages du terme dans la littérature contemporaine. Comune évoque souvent un passé irrémédiablement perdu : “ le sort des pauvres comuni n'était guère riant, au milieu des juridictions seigneuriales qui les étouffaient ” (Nievo 1964

74 Le Trésor des mots de la ville : une maquette au 1/5e

[1867]). Le mot s'insère dans la description de contextes ruraux arriérés : “ dans tous les plus petits comuni du royaume de Lombardie-Vénétie, des écoles pour l'instruction des fils d'artisans pauvres ont été construites depuis de nombreuses années, financées grâce aux dons des propriétaires du comune ” (Pellico, 1965 [1818]). Ou bien il figure dans les reconstructions historiques de contextes linguistiques archaïques : “ je ne fais point de ces choses, moi, et demandez donc à tout mon comune, et vous verrez que je n'ai jamais eu d'affaires avec la justice ” (Manzoni 1827). Le fait est que même après l'Unité d'Italie et la promulgation des premières lois d'unification administrative, le comune confirma son rôle hybride et ambigu : d'un coté cellule de base de l'Etat, sa première manifestation au niveau local, de l'autre un centre indiscipliné de vie municipale, orgueilleux de ses traditions d'autonomie. C'est ainsi qu'entre le XIXe et le XXe siècle l'Associazione Nazionale Comuni d'Italia devint l'un des bastions du mouvement d'opposition aux projets de centralisation des appareils bureaucratiques de la péninsule (Gaspari 1988). Dans les années 1920, le comune fut l'une des premières cibles de la politique de fascisation des institutions périphériques de l'Etat national (Rotelli 1978). Il est tout à fait significatif qu’un mouvement comme celui qu’Adriano Olivetti fonda dans les années Cinquante, qui détonnait dans le paysage culturel italien, ait justement choisi comme mot d'ordre le terme de comunità, indissolublement lié à la tradition politique italienne, et quelque peu à contre-courant dans le contexte d'un pays au développement capitaliste avancé (OImo 2001). Marco Folín

Voir Voir

Sources primaires Ammirato, Scipione, 1600. Dell’istorie fiorentine libri venti, Firenze : Giunti. Aquarone, A., D’Addio, M., Negri, G. (dir.), 1958. Le costituzioni italiane, Milano : Edizioni di Comunità. Latini, Brunetto, 1948. Le livre du tresor, éd. par Francis J. Carmody, , Berkeley. Legge provinciale e comunale . 1865. Le sei leggi di unificazione amministrativa che entrano in vigore il 1° luglio 1865. Napoli : Perrotti, p. 3 - 43. Manzoni, Alessandro, 1827. I promessi sposi. Storia milanese del secolo XVII, Torino : Pomba. Nievo, Ippolito, 1964 [1867]. Le confessioni di un Italiano , Torino : Einaudi. Pellico, Silvio, 1965 [1818]. “Il “Pilgrimage” di Byron”, in Branca, Vittore (dir.), Il Conciliatore , Firenze : Le Monnier. Ramusio , Giovanni Battista, 1980 [1550- 1559], “Viaggio di Ambrosio Contarini”, in Milanesi, Marica (dir.) Navigazioni e viaggi, III, Torino : Einaudi Statuta et ordinamenta communis et populi Frignani, 1337- 1338. Biblioteca Estense, Modena, MS Lat 610 (alpha.J.4.3) Sources secondaires Banti, Ottavio, 1972. ““Civitas” e “Commune” nelle fonti italiane dei secoli XI e XII”, in Critica storica, IX, n° 4, p. 568- 84. Caldo, Costantino, 1972. Il comune italiano. Studio di geografia amministrativa, Milano : Cisalpino Goliardica. Santini, Giovanni, 1960. I comuni di valle nel Medioevo. La costituzione federale del Frignano (dalle origini all’autonomia politica), Milano : Giuffrè. Autres références Gaspari, Oscar, 1998. L’Italia dei municipi. Il movimento comunale in età liberale (1879- 1906), Roma : Donzelli Melis, Guido, 1996. Storia dell’amministrazione italiana 1861- 1993, Bologna : il Mulino Mor, Carlo Giulio, 1958. ““Universitas vallis” : un problema da studiare relativo alla storia del Comune rurale”, in Miscellanea in onore di Roberto Cessi. Roma : Edizioni di Storia e Letteratura, p. 103- 09.

75 Le Trésor des mots de la ville : une maquette au 1/5e

Olmo, Carlo (dir.), 2001. Costruire la città dell'uomo. Adriano Olivetti e l'urbanistica, Ivrea : Edizioni di Comunità. Pini, Antonio Ivan, 1981. “Dal comune città- Stato al comune ente amministrativo”, in Galasso, Giuseppe (dir.), Storia d’Italia , Torino : Utet ; IV, p. 451- 587. Quaglioni, Diego, 1983. Politica e diritto nel Trecento italiano. Il “De Tyranno” di Bartolo da Sassoferrato (1314- 1457). Con l'edizione critica dei trattati “De Guelphis et Gebellinis”, “De regimine civitatis” e “De tyranno”, Firenze : Olschki. Rotelli, Ettore, 1978. L'alternativa delle autonomie. Istituzioni locali e tendenze politiche dell'Italia moderna, Milano : Feltrinelli.

76 Le Trésor des mots de la ville : une maquette au 1/5e

______condominio (pl. condominios) espagnol, Mexique, nom masc.

Traduction “ condominio m condominium (de un territorio).” (Larousse- Bordas 1998)

Définitions “ condominio . Possession d’un bien en commun par plusieurs personnes, ou d’un territoire par plusieurs pays. Territoire ainsi possédé.” (*Moliner 1966) [dictionnaire publié en Espagne] “ condominio . […] C’est un type particulier de propriété qui donne à son titulaire un droit exclusif d’usage, de jouissance et de profit de son unité privative et en même temps un droit de copropriété [derecho de copropiedad ] sur les biens d’usage commun.” (“Ley de régimen en propriedad en condominio del Estado de Nuevo Leon” 1993 : ch. I, art. 2, al. A) “ condominio . [...] Groupe d’appartements, de logements, de maisons [departamentos, viviendas, casas], de locaux ou de corps de bâtiment d’un immeuble, construits verticalement ou horizontalement ou combinant les deux, susceptibles d’un usage indépendant grâce à une issue propre donnant sur un élément commun de celui- ci ou sur la voie publique, et qui appartient à différents propriétaires, qui auront un droit singulier et exclusif de propriété sur une unité de propriété exclusive et, en outre, un droit de copropriété sur les éléments et parties de l’immeuble nécessaires à un usage et une jouissance adéquats.” (“Ley de propiedad en condominio de inmuebles para el Distrito Federal” 2000 : ch. II, art. 3)

L’origine juridique du mot, au Mexique, a marqué son développement d’une façon déterminante. Encore aujourd’hui, condominio fait essentiellement référence à une notion juridique très spécifique, que l’on rencontre seulement dans les villes les plus importantes. Même si le régime de propriété en condominio a toujours été une modalité de la propriété privée, il combine les formes traditionnelles de la propriété individuelle et de la propriété collective : l’appartement est en propriété exclusive, tandis que les autres parties, étant indivises (le terrain bien sûr, mais également les paliers, les murs mitoyens, les escaliers, les halls d’entrée, les cours, les jardins, les citernes, les réservoirs, les canalisations, etc.), sont en copropriété ou en propriété commune [copropiedad o propiedad común]. La notion de condominio est liée à la cohabitation, à une coexistence étroite et quotidienne : elle constitue un élément fondamental de la vie urbaine moderne. D’autres termes ont servi et servent encore parfois à la désigner, comme propiedad horizontal [propriété horizontale], propiedad por pisos ou por planos [propriété par étage], parcelacion cubica de la propiedad [division en volume de la propriété] (Gonzalez y Martinez 1928, Bandera Olavarria 1954, Battle Vazquez 1954, Borja Martinez 1957). C’est au cours du XXe siècle, qu’apparut la nécessité, dans un grand nombre de pays d’Europe et d’Amérique latine, de régulariser d’une façon plus large et plus explicite les implications complexes de ce régime de propriété. Pour l’Europe, ce fut le cas en France (1938) et en Espagne (1939). Pour l’Amérique latine, au Brésil (1928), au Chili (1937), en Uruguay (1946), en Colombie (1949), à Cuba (1950), au Panama (1952) et au Mexique (1954). Dans le cas du Mexique – qui perpétue dans une large mesure la tradition romaine et française inscrite dans le Code Napoléon de 1804 – c’est en 1870 que le terme apparut pour la première fois dans le code civil fédéral (Código Civil para el Distrito Federal... 1870 : art. 1120), inspiré par le Code Napoléon (art. 664) et par le projet de Code civil espagnol de 1851 (art. 521). Le texte remanié de 1884 (art. 1120) le maintint tel quel et le nouveau code de 1928 (art. 951) en élargit légèrement l’application. Dans les années 1920, vivre en appartement [departamento] – désormais synonyme de condominio – était considéré, dans les classes moyennes et élevées, comme un signe d’accession à la modernité, d’appartenance à une avant-garde culturelle qui avait rompu avec la tradition de la maison unifamiliale.

77 Le Trésor des mots de la ville : une maquette au 1/5e

En 1954, fut promulguée la “Loi sur le régime de propriété et de copropriété [régimen de propiedad y condominio] des immeubles divisés par étages, appartements, logements ou locaux”, qui avait pour but de régulariser la formidable expansion urbaine de la ville de Mexico, d’autres grandes villes et des villes touristiques, Acapulco en particulier. L’aura initiale de distinction qui avait entouré les premiers appartements des grandes villes mexicaines s’estompa, dans la mesure où se construisaient de plus en plus massivement des viviendas de interés social [logements d’intérêt social], terme qui désignait un ensemble [conjunto] d’immeubles divisés en appartements et comprenant en outre des places, des parcs et des commerces – dont l’exemple emblématique était l’impressionnant ensemble de Nonoalco-Tlatelolco, construit dans le District fédéral au cours des années 1960. La “Loi sur le régime de copropriété [régimen de propiedad en condominio] d’immeubles dans le District fédéral” fut promulguée la 26 décembre 1972, qui élargissait les applications du condominio : la construction de logements dans les zones métropolitaines du pays se densifiait – en particulier avec la construction d’immeubles en hauteur – tandis que commençait à se développer, sous l’influence nord-américaine, celle de centres commerciaux [centros comerciales] dans les zones urbaines et périphériques – le premier du pays fut inauguré à Guadalajara en 1970. On utilisa alors le régime du condominio pour inclure dans une opération immobilière unique un grand nombre de commerces. Enfin, le 10 février 2000, entra en vigueur la “Loi sur la copropriété d’immeubles dans le District fédéral”, qui résolvait un des problèmes les plus difficiles des condominios en permettant à ceux-ci de recouvrer leurs créances de façon accélérée. Cette loi permettait aussi aux lotissements privés en condominio de ne pas céder les terrains destinés aux équipements publics et, ainsi, de privatiser l’espace urbain. Depuis 1985, en effet, un certain nombre de nouveaux lotissements – notamment ceux destinés aux classes aisées – tiraient profit du climat d’insécurité et de l’incapacité des municipalités à mettre en place les services publics pour créer des quartiers fermés, espaces privés à forte plus-value. Dans les Etats mexicains de l’intérieur, des législations semblables furent adoptées au cours des dernières années, dans certains cas en anticipant la loi fédérale : les états de Nuevo Leon et de Jalisco – où se trouvent les régions métropolitaines de Monterrey et de Guadalajara – légiférèrent respectivement en 1993 et 1994. Au delà de sa signification juridique, le terme condominio a une acception courante, qui a connu une diffusion de plus en plus large dans les principales villes du Mexique, plus récemmment dans des villes moyennes, tandis qu’il est absent des agglomérations plus petites. Dans ce contexte, il désigne des immeubles ou espaces d’habitation denses, des espaces de vie qui caractérisent fortement les expériences de la vie quotidienne. Dans les environnements commerciaux et industriels, en revanche, l’usage de condominio reste cantonné à son acception juridique et n’entre donc pas dans le vocabulaire courant. C’est dans la zone métropolitaine de la ville de Mexico et dans les villes voisines de la capitale ou liées à celle-ci (Cuernavaca, Toluca, Queretaro, Acapulco, etc.) que l’on observe cette intégration du mot au langage quotidien pour désigner, loin de références légales, un lieu familier doté de significations sociales. Ce processus a lentement gagné d’autres villes importantes du pays (Guadalajara, Monterrey, Puebla, Puerto Vallarta, Cancun, etc.). Au départ, aux environs de 1920, le terme s’appliquait à certains immeubles destinés aux classes moyennes progressistes de la ville de México. Puis il s’élargit peu à peu et désigna des appartements, aussi bien dans diverses grandes villes que dans des destinations touristiques ayant connu un développement important à partir des années 1950. Actuellement – surtout depuis 1985 – le terme condominio désigne aussi de grandes opérations immobilières de luxe. Un grand nombre de ces nouveaux lotissements – principalement ceux destinés aux classes aisées – ont adopté le régime du condominio et on utilise le mot pour désigner ces espaces. La privatisation de l’espace public aboutit ainsi à la formation de condominios cerrados [fermés] appelés cotos

78 Le Trésor des mots de la ville : une maquette au 1/5e dans certaines villes (Guadalajara) ou condominios horizontales dans le District fédéral. Les nouveaux habitants de ces condominios, qui ont en commun le niveau social, la classe d’âge et des intérêts partagés, construisent des réseaux d’amitié et apprécient l’efficacité d’une sécurité débattue sans cesse au cours des assemblées de condominio. À propos d’un habitant d’un condominio situé dans le District fédéral, on peut lire : “Il s’entoure de grilles de tous les côtés, il pense que l’on va l’agresser. Cette obsession explique son souci de réunir continuellement des assemblées de condominio.” (Safa 2002). Du fait de la multiplication de ce type de lotissement, le terme s’intègre chaque jour un peu plus au vocabulaire courant des habitants des grandes villes. Jesus Rabago Anaya

Voir Voir condominium (français), condominio ( italien), condominium, subdivided land, subdivision (anglais), Condominium, Mitbefitz (allemand)

Sources primaires Bandera Olavarria, José Jr. 1954. La propiedad horizontal o propiedad por pisos. México D.F. Battle Vazquez, Manuel. 1954. La propiedad de casas por pisos. Alcoy. Borja Martinez, Manuel. 1957. La propiedad de pisos o departamentos en derecho mexicano. Porrua, México D.F. Código Civil para el Distrito Federal en asuntos de orden común, y para toda la República en asuntos federales. 1870. xxBibliographical details, please. Gonzalez y Martinez, Jeronimo. 1928. Propiedad sobre pisos y habitaciones in Estudios de Derecho hipotecario y Derecho civil, II, Madrid. Ley de propiedad en condominio d e inmuebles para el Distrito Federal [10 de Febrero del 2000]. 2000. México D.F. xxBibliographical details, please. Ley de régimen en propiedad en condominio del Estado de Jalisco. 1995. Guadalajara. xxBibliographical details, please. Ley de régimen en propiedad en condominio del Estado de Nuevo Leon. 1993. Monterrey. xxBibliographical details, please. Ley sobre el régimen de propiedad en condominio de inmuebles para el Distrito Federal [26 de diciembre de 1972]. 1972. xxBibliographical details, please. L ey sobre Régimen de Propiedad y Condominio de los Edificios Divididos en Pisos, Departamentos, Viviendas o Locales. 1954. xxBibliographical details, please. Sources secondaires Safa, Patricia. 2002. Construir mundos, levantar muros y preservar patrimonios : condominios y fraccionamientos cerrados en la Ciudad de México in Luis Felipe Cabrales Barajas (coord.), Latinoamérica : paises abiertos, ciudades cerradas. Universidad de Guadalajara - UNESCO, Guadalajara, 145- 177. ______country, country club (pl. countries, country clubs) espagnol, Argentine et divers pays d’Amérique, nom et nom composé masc.

Traduction “ Country club, s.m. Club campestre.” (Collins/Grijalbo 1992) [de l’anglais vers l’espagnol]

Définitions Country Club. “s. Expression employée dans le langage commun, qui fait référence à un club fermé, situé dans des zones limitrophes de la ville, qui combine des installations sportives et des résidences de week- end.” (Mansilla Moreno & Tivoli 1935) [Argentine] Club de Campo “(traduction en espagnol du terme Country Club), s.m. On doit entendre par Club de Campo un espace limité qui ne constitue pas un noyau urbain ; qui est situé dans une zone non urbaine ; qui est aménagé et possède un secteur consacré à la pratique d’activités sportives, sociales et culturelles en contact avec la nature, et

79 Le Trésor des mots de la ville : une maquette au 1/5e

un autre destiné à la construction de logements d’usage intermittent et où la zone d’activités sportives, culturelles et sociales a un rapport fonctionnel et juridique qui fait du club de campo un tout indivisible.” (Ley 8912/77 de Ordenamiento Territorial... 1977 : art. 64) [Province de Buenos Aires, Argentine]

L’origine du terme country club est britannique, même si sa diffusion la plus large s’est produite à la périphérie de certaines villes des Etats-Unis et du Canada : , New York, Boston ou Montréal. En anglais, country club renvoie à un club situé dans les environs d’une ville, consacré à la pratique de sports de plein air, comme le golf, la natation ou le tennis. En Amérique latine, on rencontre le terme country club dès la première moitié du XXe siècle, pour désigner deux types de clubs différents. Dans certains pays, comme le Venezuela, le Mexique ou Porto Rico il s’agit simplement de clubs de golf pour l’élite, destinés à la pratique sportive et situés dans des zones proches des villes : quelques exemples en sont, le Caracas Country Club au Venezuela, le Santo Domingo Country Club en République Dominicaine, le Guadalajara Country Club au Mexique. Dans d’autres villes, par exemple São Paulo, Lima ou Buenos Aires, l’expression country club apparaît dans des revues d’architecture des années 1930 et évoque à une typologie différente, qui inclut à la fois des installations sportives et résidentielles (Mansilla Moreno & Tivoli 1935). Dans ces derniers cas, le mot country est utilisé par les professionnels de l’architecture pour désigner des clubs situés dans des zones contigües à la ville, où la pratique de certains sports de prestige – polo, équitation, golf, tennis et natation – est associée à deux types de constructions destinées à des résidences temporaires de week-end : d’une part le club house ou gran pabellón [pavillon central], doté de services généraux et constitué de chambres réparties de chaque côté d’un couloir à la manière d’un hotel ; d’autre part le barrio parque [quartier parc], rattaché au country club et communiquant avec celui-ci, où sont construites des “maisons individuelles [casas individuales] de week-end” appartenant à des particuliers. Il faut souligner que les formes juridiques de la propriété dans ces premiers country clubs du début du XXe siècle oscillaient entre deux possibilités : tantôt propriété du club et usufruit, pour les membres, des chambres du club house ou des résidences du barrio parque, tantôt propriété de forme coopérative de chaque membre sur sa maison ou son appartement (Mansilla Moreno & Tivoli 1935). En Argentine, l’utilisation du mot country se maintint sans modification significative jusqu’au milieu des années 1970, moment où le mot fut traduit en espagnol dans les premières réglementations qui le définirent et en régirent le développement. La loi n° 8912/77 officialisait l’expression club de campo qui, en Argentine, ne sera cependant utilisée que dans le langage juridique, les règlements d’urbanisme et le langage institutionnel de la circulation routière. Elle n’apparaît que très rarement dans les articles de presse et fait encore moins partie du vocabulaire courant des usagers qui, eux, continuent à se définir comme habitants d’un country. Le recours au terme espagnol est cependant fréquent dans d’autres pays d’Amérique latine, par exemple en Colombie, où il se réfère à des opérations d’habitat temporaire avec équipements sportifs. Actuellement, c’est seulement en Argentine et en Uruguay que l’on emploie aussi le terme country ou country club pour désigner certains nouveaux lieux de résidence urbaine permanente, situés à proximité de la ville, fermés et d’accès contrôlé, bénéficiant d’un niveau élevé d’équipements et de services. Dans le reste de l’Amérique latine, ce phénomène des ciudades cerradas [quartiers fermés] s’est également généralisé, mais sous d’autres dénominations : au Chili on parle de condominios, au Brésil de condominios horizontais ou condominios fechados, au Venezuela d’urbanizaciones, au Mexique de fraccionamientos cerrados ou de condominios horizontales. Dans l’aire métropolitaine de Buenos Aires, les premiers countries adoptèrent le modèle du club sportif avec résidence de week-end et se développèrent à partir de clubs de golf existants. On peut citer, notamment, parmi les plus anciens, le Tortugas Country Club (années 1930),

80 Le Trésor des mots de la ville : une maquette au 1/5e l’Hindu Country Club (1944), le Highland Park et le Olivos Golf Club (tous deux des années 1950) (Malbranche 1930, Estrada & Cuenca 1944). Au cours des années 1970, se produisit un début de diversification du phénomène des country clubs. L’image sociale élitiste des espaces de loisirs des années antérieures évolua, car les promoteurs immobiliers élargirent le marché aux secteurs élevés des classes moyennes, en profitant de l’ouverture de nouvelles autoroutes reliant la ville centre [ciudad central] aux communes de la province et, d’autre part, de la promulgation de la Loi d’aménagement du territoire et d’usage du sol 8.912 de la province de Buenos Aires (1977). Cette deuxième génération de country clubs, qui réduisit les exigences sociales pour l’admission de nouveaux propriétaires, présente des caractéristiques inédites : les espaces sont équipés de puissants systèmes de sécurité de jour et de nuit – il s’agit généralement de murs de clôture – qui garantissent la vie privée des membres et protègent les biens et les équipements. La sécurité, les loisirs et l’image de la vie dans la nature sont ainsi les valeurs mises en avant dans la création de ces nouvelles opérations . Au milieu des années 1980, eut lieu un changement radical dans l’usage traditionnel du country club : les résidences destinées au week-end se muèrent peu à peu en résidences permanentes, où vienrent s’installer principalement de jeunes ménages avec enfants en bas âge. C’est alors que l’on vit se consolider le country actuel : une communauté fermée, centrée sur elle-même et qui cherche à réduire au minimum les liens avec l’extérieur. Les causes du boom des country clubs de la troisième génération, avec leurs nouveaux modes de construction, de cohabitation et d’organisation sociale sont à rechercher principalement dans la sécurité. Cependant des aspects économiques (répartition des dépenses entre les membres) et culturels (changements dans les pratiques récréatives d’une population à moyens et hauts revenus, mise à profit maximum des week-ends, diminution des temps de déplacement et des dépenses, association de la vie privée et de la vie sociale, organisation du temps libre pour les plus petits, participation à des groupes réunis par affinités) viennent s’ajouter et rendent ainsi possible le développement de cette troisième génération (“Con propiedad” 3/1990). Voilà qui conduit à la situation actuelle : le phénomène country ne se pose plus comme un supplément à la vie urbaine mais comme une autre solution face à une ville où la montée de la contestation, de la violence et de la pollution est ressentie comme une menace. Face à ces nouveaux problèmes urbains, l’isolement et l’auto-ségrégation apparaissent comme des solutions possibles pour ces secteurs qui, bénéficiant de ressources économiques suffisantes, choisissent de vivre à part pour mener une vie “en communion avec la nature”. L’apparition de revues spécialisées destinées à leurs habitants et de suppléments hebdomadaires dans les quotidiens, où l’on trouve à côté des offres de logements et de la publicité pour des opérations immobilières, des informations sur le sport, la cuisine et sur la “vie country”, reflètent l’ampleur du phénomène. Dans les années 1990, retrouve les caractéristiques des country clubs dans trois nouvelles typologies : les chacras de campo [fermes], les barrios cerrados [quartiers fermés] et les torres countries [bâtiments en hauteur avec services], expressions qui commencent à apparaître sous la plume des promoteurs immobiliers, dans des revues ou des suppléments consacrés à la publicité de ces opérations. Les chacras sont caractérisées par la grande dimension des terrains et sont donc situées dans les communes de l’aire métropolitaine les plus éloignées. Les barrios cerrados se différencient des countries du fait que les équipements communs sont réduits au minimum, afin d’abaisser les coûts d’entretien. Les propriétaires privilégient la sécurité, l’accessibilité au centre ville et la vie au grand air, dans des ensembles qui se réduisent à des lots individuels situés le long d’un dédale de rues. Les torres countries, quant à elles, sont des opérations immobilières implantées à l’intérieur du tissu urbain. On les vit apparaître à Buenos Aires dans le contexte de la réactivation du

81 Le Trésor des mots de la ville : une maquette au 1/5e marché immobilier des années 1990 mais, à cette même époque, on en trouvait déjà fréquemment dans d’autres villes d’Amérique latine, par exemple à Rio de Janeiro et São Paulo. Il s’agit de bâtiments en hauteur relevant du régime de la co-propriété [propiedad horizontal], où sont réunis des espaces communs et où sont privilégiés les espaces verts, des activités de loisirs (piscines, solariums, terrains de tennis, de paddle, salles de réception) et la sécurité. Dans les premiers temps, il s’est agi d’opérations de haut standing, par la suite elles se sont diversifiées en unités plus réduites. L’origine de ces nouveaux types de lotissements varie selon les pays ; mais, quelle que soit leur dénomination, il est certain que tous font référence à ce nouveau phénomène de la ciudad cerrada, qui se répand, semble-t-il, en Amérique latine. Veronica Paiva et Federico Collado

Voir Voir

Sources primaires “Con propiedad”. 1990. El Cronista Comercial [Buenos Aires], 3/1990 Estrada y Cuenca Arqs. 1944. “El Hindu Country Club”. Nuestra Arquitectura , 8. Buenos Aires, Sociedad Central de Arquitectos : pp. 257- 279. Ley 8.912/77 de Ordenamiento Territorial y Uso del Suelo, art. 64. Provincia de Buenos Aires Malbranche, Carlos Arq. “Lo que sera el Tortugas Country Club”. 1930. Nuestra Arquitectura , 17. Buenos Aires, Sociedad Central de Arquitectos :pp. 655- 662. Mansilla Moreno y Tivoli Arqs. 1935. “El Country Club”. Nuestra Arquitectura , 72. Buenos Aires, Sociedad Central de Arquitectos : pp. 429- 434. ______da_a (pl. da_i) russe, Russie et ex-URSS, nom fém.

Traduction “ da_a II z. datcha f , maison f de campagne; zimnjaja ~ datcha que l’on peut chauffer; zit’ na~e vivre à la datcha, être en villégiature; exat’ na~y aller à la datcha.” (*S_erba & Matoussevitch 1990) Définitions “DA_A […] 3) Une étendue délimitée de terrain à bâtir située en dehors de la ville, donnée en propriété à quelqu’un par le Tzar ou le gouvernement ou bien achetée. Construire une da_a. Partir dans sa da_a. Vivre dans sa da_a. 4) Biens et terres, appartenant à un propriétaire foncier ou aux paysans assujetis à l’Etat. Dans mes da_i il y beaucoup de bois de co nstruction. Dans les da_i des autres, il est interdit de pêcher.” (* Slovar’ Akademii Rossijskoj... 1809) “DA_A […] 3) Un espace quelconque d’une terre en dehors de la ville avec une maison, un jardin et autres biens.” (*Slovar’ _erkovno- slavjanskogo... 1834) “ DA_A_, nom, fém. Une maison en dehors de la ville pour l’habitation et le repos d’été des habitants de la ville . Louer une da_a. Etre à la da_a – être en repos d’été en dehors de la ville. Habiter à la da_a. Aller à la da_a – aller se reposer en dehors de la ville . Aller à la da_a.” (*Tolkovyj slovar’... 1935) “ 2. DA_A, - nom, fém. 1) Une maison suburbaine pour le repos d’été. Louer une da_a. Acquérir une da_a. 2) Un lieu de villégiature avec une da_a (des da_i). Habiter à la da_a. Aller à la da_a.” (*B ol’soj tolkovyj slovar’... 1998)

Les premières mentions de da_a remontent aux ouvrages littéraires et juridiques russes des XVIe et XVIIe siècles. Issu du verbe “donner” [dat’] et signifiant “don”, “donation”, da_a désignait les “terres données” ainsi que le “document attestant du droit de possession des terres” (*Etimologi_eskij slovar’ 1973). A l’origine, il s’agissait en particulier du “don de terres” avec tous les biens dépendants, attribués par les tsars “à leurs plus fidèles boyards pour services rendus. Ces récompenses ou cadeaux se nommaient ‘LES DA_I’ : elles se situaient aussi bien en dehors de Moscou, qu’à l’intérieur même du Kremlin” (Ljubeckoj 1877 : 2).

82 Le Trésor des mots de la ville : une maquette au 1/5e

Au XVIIe siècle, Pierre le Grand imposa un nouveau sens au mot daca, désormais associé à un lieu de loisir et de divertissement. L’empereur qui fonda Saint-Pétersbourg en 1703 rêvait de paradiz – ensembles résidentiels selon le modèle de Versailles – autour de la nouvelle capitale. L’écrivain Basuckij publia au XIXe siècle un essai intitulé le Dacnik en s’appuyant sur les documents de l’époque : “Dès 1708, [soit] cinq ans après la fondation de Petersbourg, Pierre le Grand se met à distribuer des terres aux alentours de la capitale ; en premier il [les] a offertes à son épouse [...] ; [puis] au tsarévitch Aleksej [...] [et] à Men’sikov [...]. Ce fut ensuite au tour des dignitaires et des petits bourgeois de recevoir en don d’importantes parcelles de terres généralement situées sur le chemin de Petergoff [...]. Cependant, sur les lieux donnés - ou daca - des grands seigneurs, des citoyens riches et des marchands se mirent activement à construire des maisons et à cultiver des jardins qu’ils ont appelé les daci [...]” (Basuckij 1845 : 33-34). En même temps il faut noter que l’acception originale de “terme légal désignant une attribution de terre [...]” (*Brokgauz & Efron 1893 : 163) a perduré jusqu’à la fin du XIXe siècle. Avec le succès croissant que connut la da_a au cours de la première moitié du XIXe siècle, elle évolua vers plus de simplicité et moins d’apparat. Le terme da_a désignait désormais une parcelle de terre nantie d’une maison et d’un jardin. “Aller à la da_a” en été signifiait “aller en villégiature” et était devenu une mode pour les urbains :”P.[éters] B.[ourg] est vide, tout le monde est à la da_a” (Pouchkine 1948 [1834] : 157). De 1834 à 1867 les dictionnaires donnent des définitions similaires du mot. Il faut noter que le vocabulaire s’enrichit de deux nouveaux termes dans un dictionnaire de 1847 : le terme da_ka est un diminutif de da_a qui signifie “la petite daca” et le “Da_nik […] est l’habitant [saisonnier] de la daca suburbaine” (*Slovar’ _erkovno-slavjanskogo... 1847 : 308). La révolution industrielle et l’abolition du servage en 1861 modifièrent le concept de da_a. Appauvrie par ces bouleversements, la noblesse foncière se vit obligée de lotir ses terres pour les vendre à la bourgeoisie naissante. “Voici mon projet. Je réclame toute votre attention ! Votre propriété est située à vingt verstes seulement de la ville, le chemin repassait tout près, et si [vous] lotissez en parcelles pour les daci la Cerisaie et le terrain qui longe la rivière, et les louez pour les daci, c’est pour vous, au bas mot, vingt-cinq mille roubles de revenu annuel.” (Tchekov 1979 [1904] : 623) Propriétaires terriens et promoteurs immobiliers cherchèrent alors à rentabiliser ces terrains nouvellement acquis en instaurant une nouvelle forme d’organisation territoriale des da_i : le lotissement de da_i [da_nyj posëlok], d’abord autour des grandes villes (fin XVIIIe-début XIXe siècle), puis le long du réseau ferré (à partir du milieu du XIXe). La da_a devint un phénomène populaire de masse qui s’amplifiait sans cesse jusqu’à atteindre les couches les moins favorisées. Considérée comme lieu de villégiature, la da_a était largement présente dans la littérature russe du XIXe siècle et servit de modèle durant les périodes postérieures, notamment soviétique. Dès lors, le mot da_a s’appliqua d’une part à la propriété des terres : “les biens et les terres qui constituent la propriété de quelqu’un” et, d’autre part, à la parcelle qui comprend la maison d’été : “la maison en dehors de la ville pour les séjours d’été avec une parcelle de terre” (*Slovar’ russkogo jazyka 1895 : 967). La première acception s’effaça assez rapidement au profit de la seconde, qui reste toujours valable aujourd’hui. Si la forme architecturale de la da_a était relativement instable jusqu’au milieu du XIXe siècle, on assista ensuite à la cristallisation d’un modèle comprenant des espaces semi-ouverts (terrasse, véranda, balcon, galerie…) qui persiste encore de nos jours. Dans cette maison entre ville et campagne, la véranda constitue un lieu de sociabilité privilégié : “En s'approchant de sa daca avec Rogojine, le prince remarqua à son extrême surprise qu'une société nombreuse et bruyante se trouvait rassemblée sur la véranda brillamment éclairée. Cette joyeuse compagnie riait aux éclats, vociférait et semblait discuter, haussant le ton jusqu'aux cris [...].” (Dostoïevski 1920 [1868-1869] : 64)

83 Le Trésor des mots de la ville : une maquette au 1/5e

Avec la crise du logement du début du XXe siècle, la da_a tendit à devenir une résidence principale : “À quoi bon payer éternellement le loyer de l’appartement, quand on peut acheter à crédit une grande daca d’hiver” (Posëlok 1911 : 13). Apparut alors l’expression zimnjaja da_a [da_a d’hiver], c'est-à-dire “la da_a que l’on peut chauffer” (*S_erba & Matoussevitch 1990 : 137), mais ce phénomène s’arrêta brutalement avec la la Révolution de 1917. C’est au cours de la période soviétique que la da_a connut sa plus forte expansion sous sa modeste forme d’habitation d’été. Avec les premières mesures d’abolition de la propriété privée des terres et des biens immobiliers en ville à la fin de 1920, on assista au retour de la construction des da_i. Officiellement, la da_a était considérée à cette époque comme “un logement de construction légère situé dans les environs des grandes villes” (*Bol’saja Sovetskaja Enciklopedija 1930 : 519-520). La presse soutenait également ce point de vue en affirmant que “les da_i ne doivent pas être considérées comme un produit de luxe, mais comme un produit de première nécessité pour les travailleurs” (Anisimov 1928 : 15). L’usage du terme da_a franchit une nouvelle étape avec l’arrivée au pouvoir de Khrouchtchev en 1954, qui initia une nouvelle forme d’exploitation agricole destinée aux citadins – la “camaraderie de jardinage” [sadovodceskoe tovariscestvo]. Si ces jardins pouvaient être équipés d’une cabane à outils, la construction d’un logement n’était pas autorisée. Malgré cela, les “camaraderies de jardinage” ont toujours étaient considérés comme des da_i par les citadins. Les textes officiels évitaient effectivement l’utilisation de da_a pour lui préférer budka [cabane], storozka [guérite] ou vremjanka [construction provisoire], mais ces constructions demeuraient toujours des da_i dans l’imaginaire collectif et dans le langage courant. Au début des années 1980, le terme da_a s'immisça dans la presse officielle : “La présence d’une da_a sur la parcelle du jardin […] soulage dans une certaine mesure les problèmes du logement.” (Spiridonov, 1982 : 3) Sous Brejnev, les autorités légalisèrent la construction de la “maisonnette d’été de jardin” [letnij sadovyj domik], mais elles évitèrent le terme daca, qui évoquait la propriété privée. De 1970 à 1986, malgré quelques limitations réglementaires, la “maisonnette de jardin” se rapprocha peu à peu de la da_a classique. De guerre lasse, les pouvoirs publics finirent par accepter cet état de fait et en vinrent d’abord à autoriser l’utilisation partielle de matériaux en dur et l’installation de l’électricité et de canalisations d’eau (1966), puis la construction d’un étage et le doublement de la surface constructible au sol (1978), enfin abandonnèrent le projet-type au profit des projets individuels (1986), ce qui paracheva le retour aux origines. La surface du bâti passa de 6 m2 en 1955 à environ 50 m2 avec une véranda en 1986. Même si les documents légaux conservaient le terme “maisonnette du jardin”, tout le monde – même la presse officielle - comprenait qu’il s’agissait d’une da_a. Après l’arrivée au pouvoir de Gorbatchev (1985) la propriété privée des biens immobiliers et du sol fut autorisé dans la zone suburbaine et, dès 1990, la possibilité de construire dans celle-ci une maison particulière comme lieu d’habitation permanente. Dans la mesure où, durant soixante-dix ans, la da_a a été considérée officiellement comme une maison d’été modeste et d’un confort rudimentaire, les nouveaux propriétaires issus de milieux aisés cherchent à s’en distinguer en ayant recours au terme kottedz, qui désigne généralement une maison construite en dur pour l’habitation permanente. Depuis les années 1990 da_i et kottedzs coexistent dans le paysage suburbain des grandes villes : “depuis le jour où sont apparues de toutes nouvelles constructions en brique rouge, à deux étages, auprès desquelles [...] les vielles daci ont l’air aussi minables les unes que les autres.” (Chevelev 1996) Dans le langage contemporain, le terme da_a peut être utilisé de diverses façons. Il peut désigner le lieu où les citadins passent la période d’été et les week-ends. Même un “nouveau riche” partant passer le week-end dans son kottedz dira : “je vais à la daca”. Le mot da_a est aussi utilisé pour indiquer le type de la maison : “Mais, avant tout, les daci – ce sont des

84 Le Trésor des mots de la ville : une maquette au 1/5e habitations d'été, [plus] rarement d'hiver [situées] dans les banlieues [prigorod] proches. En règle générale, [l’habitation] est en bois et sans les commodités courantes dont on dispose en ville – électricité, égouts, canalisation d’eau courante et téléphone.” (Alekseev, 2002 : 37) Les dictionnaires contemporains offrent de nombreux exemples d’usage du mot da_a en combinaison, comme da_evladelez [propriétaire de daca] ou da_nyj sezon [la saison de la da_a, la période estivale] (*Slovar’ sovremennogo russkogo jazyka 1991 : 48-49). “Au printemps, lorsque s’ouvrait le dacnyj sezon [la période estivale], toute la famille de Gancuk partait à Brouskovo, pour ce qu’on appelle le dimanche communiste dacnyj [de daca] : tout le monde travaille dans le jardin, à la maison et dans le potager.” (Trifonov 1978 : 428) Le mot daca a été assimilé par différentes langues étrangères. L’image de la daca est devenue familière auprès d’un large public occidental, d’abord grâce à la traduction d’ouvrages de la littérature russe prérévolutionnaire (Pouchkine, Dostoïevski, Bounine, Tchekov), ensuite avec les critiques adressées à la nomenklatura soviétique dans la presse et le cinéma (Voslensky 1980). Vlada Filhon

Voir posëlok (russe), da_nyj posëlok (russe), naselënnyj punkt (russe), kottedz (russe) Voir suburb (Etats-Unis), bungalow (angl.), maison de campagne (français), lieu de villégiature (français).

Sources primaires Alekseev, Nikita. 2002. “Platforma Otdyx”, in Ezenedel’nyj Zurnal, N°14, Moskva. Anisimov, V. 1928. “Da_noe stroitel’stvo”, in Zilis_naja kooperacija , N°8, Moskva. Dostoïevski, Fedor. 1920 [1868- 1869]. Idiot. Berlin : Izdatel’stvo I.P. Ladyznikova, tom 2. Posëlok : illjustrirovannyj zurnal po voprosam obsestvenno- èkonomiceskoj zizni posëlkov i prigorodov Peterburga, 1911, n°1. Pouchkin, Alexandr. 1948 [1834]. “N.N. Pouchkinoj. 8 ijunja 1834”, in Polnoe sobranie so_inenij, tome 15, Leningrad : Izdatel'stvo Akademii nauk SSSR, pp. 156- 157. Spiridonov, E. 1982. “Sad i ogorod”, in Izvestija , 2 3 janv. Tchekov, Anton. 1979 [1904]. “Visnevyj sad”, in Sobranie socinenij v dvenadcati tomah. Moskva : Pravda, tom 10. Trifonov, Ju. “Dom na nabereznoj”, in Povesti, Moskva : Sovetskij pisatel’, 1978. Autres références Basuckij, A. 1845. “Dacnik. Fiziologiceskij ocerk”, in Finskij vestnik. Ucebno- literaturnyj zurnal izdavaemyj O. Dersay, tom 1, Sank- Petersbourg : v tipografii K. Zernakova. Chevelev, Mikhaïl. 1996. “Touche pas à ma datcha !”, Le Courrier International, n°18. Ljubeckoj, Sergej. 1877. Okrestnosti Moskvy v istori_eskom otnosenii i v sovremennom ix vide [...] . Moskva. Voslensky, Michael. 1980. La nomenklatura : les privilégiés en URSS. [Paris] : Pierre Belfond.

______downtown (pl. downtowns) anglais Etats-Unis, nom, adjectif et adverbe

Traductions “Les maisons de cette partie de New York qu’on nomme la ville basse [...] ménagent à l’oeil l’espace d’une vaste esplanade en demi- lune.” (Morand 2001 [1930] : 220) “downtown [...] US 1 - a. & s. D. (sector), centre, quartier, commercial (d’une ville). The d. church, l’église au centre (de la ville). 2 - adv. I’m going d., je vais en ville.” (*Harrap’s 1986)

Définitions

85 Le Trésor des mots de la ville : une maquette au 1/5e

“ downtown. The business portion of a city [la partie d’une ville dédiée aux affaires].” (*Farmer 1889) “ downtown. Etats - Unis, Canada et Nouvelle - Zélande. Nom 1. La partie centrale ou basse d’une ville [city], spécialement le main commercial area [principal secteur commercial]. Adverbe. 2. En direction de, vers ou qui entre dans ce secteur. Adjectif. 3. Qui appartient, est en relation avec ou situé dans le downtown area” (* Collins Dictionary... 1979) “ downtown. nom 1. City Center [centre ville], the center of a city [le centre d’une ville], spécialement son business center [centre des affaires]. nom 2. Lower Manhattan à New York, l’extrémité basse ou méridionale de Manhattan. Adjectif et adverbe. Dans ou vers le town’s center [centre de la ville] dans ou vers the center of a city [le centre d’une ville], spécialement son business center.” (*Soukhanov 1999) “ downtown. 1 adverbe. Vers, en direction de ou dans la partie basse ou le business center [centre des affaires] d’une ville [a city or town]. 2 nom. La partie basse ou le business center d’une ville [a city or town]. 3 adjectif. Qui appartient à, est en relation avec ou situé downtown.” (* American Heritage Dictionary 2000)

Downtown est un mot nord-américain qui désigne un lieu nord-américain concret: le centre des affaires. On l’utilise souvent en anglais nord-américain, pour désigner le centre de villes d’autres parties du monde: downtown Paris, downtown Madrid. L’équivalent de downtown en anglais britannique est city centre, en espagnol et en italien centro, en allemand Zentrum, en français centre ville. Il faut chercher l’origine du terme à New York, où l’on pouvait facilement distinguer deux parties dans la longue île de Manhattan: le Nord ou partie du haut (Uptown) et le Sud ou partie du bas (Downtown). En 1844, le New York Evening Mirror relevait: “‘Up-Town’ et ‘Down-Town’ – Nous pouvons voir que ces noms des deux moitiés de la ville sont en train de devenir le vocabulaire habituel des réclames, des notices, etc.” (cité par *Craigie & Hulbert 1939) On trouve les premières attestations de down town – en deux mots et sous forme adverbiale – en 1835 dans des lettres d’Asa Gray, un notable new-yorkais (cité par *Oxford English Dictionary 1989, 4 : 1001) et dans une revue, le Southern Literary Messenger (cité par *Craigie & Hulbert 1939) – bien qu’il y ait à Philadelphie en 1830 une attestation, entre guillemets, de downtowner (Watson 1830 : 244 cité par *Oxford English Dictionary 1989, 4 : 1002), défini par la suite comme: “celui qui habite ou fréquente la down-town part of a city” (*Mathews 1951 : 515). C’est cependant le journal de Philip Hone, homme d’affaires, maire de New York et excellent chroniqueur de cette ville dans les années 1830 et 1840, qui offre les usages les plus significatifs du mot, qui avait alors un sens purement topographique. Hone écrivait en 1836: “Presque tout le monde downtown est soumis à la même épreuve, car toutes les maisons d’habitation [dwelling houses] vont être converties en commerces. Nous sommes tentés par des prix si exorbitants que nul ne peut résister.” (Hone 1927 [1828-1851] : 202) L’immigration multiplia en effet par six la population de New York entre 1830 et 1870, ce qui entraîna l’occupation du sud de Manhattan par des boutiques, bureaux, ateliers et entrepôts. Downtown concentra les fonctions productives de la ville et expulsa les résidences qui existaient encore au milieu du XIXe siècle – comme en témoigne l’usage du mot downtowner, aujourd’hui désuet. Si downtown était couramment utilisé dès les années 1830, il tarda à faire son apparition dans les dictionnaires. Il est encore absent de l’édition de 1870 du nord-américain Webster’s et de celle de 1886 du britannique Worcester’s, pour apparaître seulement en 1889 dans le dictionnaire d’américanismes compilé par John S. Farmer, qui le définissait comme “the business portion of a city”, définition que l’on retrouve à l’identique une dizaine d’années plus tard dans un autre dictionnaire du même type (*New Dictionary of Americanisms 1902). Ce mot purement nord-américain a retenu l’attention des lexicographes intéressés aux particularités de l’anglais des Etats-Unis avant d’entrer dans les dictionnaires généraux. Uptown apparut dans les dictionnaires bien avant downtown. En 1860, le Worcester’s définissait uptown comme adverbe: “Dans ou en direction de the upper part of a town [la partie haute d’une ville]”, et comme adjectif: “Qui appartient à ou est dans a partie haute d’une ville” – le Webster’s introduisant le mot avec les mêmes définitions en 1881. En

86 Le Trésor des mots de la ville : une maquette au 1/5e principe, uptown avait un sens purement topographique, mais dans l’usage courant, il désignait la partie résidentielle et élégante de la ville. On relève dans un manuel de savoir- vivre britannique de 1859: “L’insolence est tellement universelle en Amérique [...] même dans ce que l’on appelle la bonne société – the ‘up-town’ sets [cercles].” (The Habits of Good Society 1859 : 192 cité par *Oxford English Dictionary 1989, 19 : 324) C’est le sens topographique que mentionnent les dictionnaires jusqu’à aujourd’hui, bien que l’Oxford English Dictionary (*1989, 19 : 324) relève aussi son usage aux Etats-Unis comme substantif désignant “la partie résidentielle [residential] ou la plus aisée” d’une ville. À la fin du XIXe siècle, le sens du mot downtown n’était plus topographique – la partie basse d’une ville – mais fonctionnel – son district d’affaires, où étaient concentrés services, commerces, fabriques, banques et restaurants. Déjà en 1873, un guide illustré de New York destiné principalement aux voyageurs britanniques précisait que “les expressions ‘down town’ et ‘up town’ sont employées pour désigner le quartier des affaires et celui de la bonne société de la ville [the business and social quarters of the city]” (Wood’s Illustrated Hand-Book... 1873 : 23). L’usage de downtown s’était répandu dans tous les Etats-Unis et le mot ne pouvait plus conserver le sens de partie basse ou sud d’une ville, car le downtown n’était “en bas” qu’à New York et dans quelques autres villes comme ou Cincinnati, tandis qu’ il était au nord – c’est-à-dire “en haut” – à San Francisco, New Orleans ou Cleveland, à l’est à St. Louis, à l’ouest à Pittsburgh et, à Boston, au centre de la ville. Downtown ne fut pas seulement un mot, mais aussi un lieu uniquement nord-américain. Sa définition spatiale était incertaine, car il ne coïncidait avec aucune division administrative, mais il était facile à identifier par la concentration des bâtiments – le gratte-ciel [skyscraper] en était le symbole le plus puissant –, les activités – un vaste secteur de services, mais aussi des ateliers, entrepôts, édifices publics, culturels et de divertissement –, l’accessibilité par les transports – le tramway à chevaux, puis le chemin de fer en hauteur [el, pour elevated railroad], puis parfois le métro [subway] – et le flux quotidien des personnes – un jour ouvrable ordinaire de 1927, 825 000 personnes fréquentaient le downtown de Boston et probablement trois millions celui de New York (Fogelson 2001 : 188-189). Downtown était un lieu de travail, d’affaires et de distraction, mais pas un lieu pour vivre: dans le rève américain d’harmonie spatiale s’opposait un downtown bruyant, sale, sordide même, à des lieux de résidence salubres, lumineux, calmes et, surtout, éloignés de la foule. En 1923, une habitante d’une petite ville relevait: “Notre ‘down-town’ est exactement identique au reste des ‘down-towns’ des Etats-Unis !” (Watts 1923 : 166 cité par *Mathews 1951 : 515). Certains enthousiastes imaginèrent que toutes les villes, grandes ou petites, avaient besoin d’un downtown. Ce coeur vivant de la ville nord-américaine commença cependant à diminuer en importance dès les années 1920 et ne se remit jamais complètement de la dépression des années 1930. Le phénomène appelé decentralization [décentralisation] avait commencé et, notamment avec le téléphone et l’automobile, de nouveaux districts commerciaux apparurent en périphérie. C’est précisément dans les années 1920 qu’apparut, pour désigner downtown, le terme central business district ou CBD. Les sociologues de Chicago, par exemple, l’utilisaient: “les moyens de transport tendent à amener de plus en plus de gens vers le central business district” (Park 1926 : 6), concurremment à d’autres, cependant, comme business center (Park 1926 : 6) ou central business section (McKenzie 1921 : 149). Par la suite, ce fut central business district que préférèrent les géographes et urbanistes européens qui, dans l’ensemble, ignorèrent downtown. Dans la Géographie générale de P. Gourou et L. Papy, une illustration de downtown New York a pour légende “le quartier des affaires” (Gourou & Papy 1966 : 280), et ni G. Chabot et J. Beaujeu-Garnier n’utilisent downtown dans un important traités de géographie urbaine (1964), pas plus que P. Merlin et F. Choay dans leur Dictionnaire de l’urbanisme et de l’aménagement (1988). Il y a cependant

87 Le Trésor des mots de la ville : une maquette au 1/5e des exceptions, comme chez P. Laborde (1989) ou dans une Géographie générale (Lacoste & Ghirardi 1983). C’est sans doute la forte influence de la géographie française qui a conduit les géographes espagnols à ignorer eux aussi downtown, pour lui préférer CBD. En revanche, on trouve downtown dans des ouvrages allemands de géographie élémentaire (par ex. Hofmeister 1969) ou même des manuels scolaires (Die Geographie 1978), ce qui suggère une influence culturelle plus grande des Etats-Unis sur les géographes de ce pays. On pourrait s’attendre à un usage courant de downtown au Royaume-Uni, mais le terme n’apparaît habituellement pas dans les ouvrages de géographie urbaine. On le rencontre toutefois dans Urban Geography de J. Johnson – un auteur irlandais formé aux Etats-Unis – qui relève en passant: “Dans le langage courant [...] the centre [le centre] est souvent appelé ‘downtown’, terme qui désigne habituellement la partie du centre qui est occupée par les équipements de loisir et les grands magasins les plus importants.” (Johnson 1967 : 105) À en juger par les usages des géographes, la plupart des Européens qui écoutaient la très populaire chanson de l’anglaise Petula Clark “Down Town” (1964) ne pouvaient savoir ce que signifiait ce mot, mais seulement qu’il s’agissait de l’endroit où “tu peux oublier tous tes ennnuis / oublier tous tes soucis / [...] tout est là, qui t’attend.” Depuis le milieu du XIXe siècle, downtown a donc connu une importante évolution: “Il y eut une époque où downtown était le district des affaires, extrêment compact, concentré et largement dépeuplé, et pas seulement le central business district qu’il devint dans les années 1920 ou un business district parmi d’autres, ce qu’il devint après la Seconde Guerre mondiale.” (Fogelson 2001 : 2). Dans les Etats-Unis du début du XXe siècle, on pensait que toute ville, grande ou petite, devait avoir son downtown. À la fin du même siècle, malgré les efforts pour revitaliser cet espace – il y a une International Downtown Association qui réunit des hommes d’affaires de villes surtout nord-américaines, mais aussi de Melbourne, Sidney, Londres, Tokyo, Tianjin et Johannesbourg – downtown subit la concurrence d’autres districts d’affaires apparus dans d’autres parties de la ville ou aux alentours de celle-ci. Downtown n’est plus qu’un centre d’affaires qui vit le jour et se vide la nuit, et ce changement a mis en question l’idée d’une harmonie spatiale particulière à la ville nord-américaine. María Jesús Fuente

Voir Voir

Sources primaires Beaujeu- Garnier, Jacqueline et Chabot, Georges. 1964. Traité de g éographie urbaine. Paris, A. Colin. Die Geographie . 1978. Serie Schüler- Duden. Mannheim - Viena- Zurich. Gourou, Pierre et Louis Papy. 1966. Géographie genérale . Paris, Hachette. Hofmeister, Burkard. 1969. Stadtgeographie . Braunsghweig, Westermann. Hone, Philip. 1927 [1828- 1851]. The Diary of Philip Hone 1828- 1851. A. Nevins, ed. New York, Dodd Mead and Co. Johnson, J. 1967. Urban Geography : An Introductory Analysis . Oxford, Pergamon Press. Laborde, Pierre. 1989. Les espaces urbaines dans le monde. Paris, Nathan. Lacoste, Y. et R. Ghirardi. 1983. Géographie générale, physique et humaine, Paris, F. Nathan. McKenzie, Roderick D. 1921. “The Neighborhood : A Study of Local Life in the City of Columbus, Ohio”, American Journal of Sociology, vol. 27, n° 2, September : 145- 168. Merlin, Pierre et Françoise Choay (dir.). 1988. Dictionnaire de l'urbanisme et de l'aménagement. Paris, PUF. Morand, Paul. 2001 [1930]. New York . Paris, Flammarion. In Paul Morand, Voyages, Paris, Robert Laffont (Bouquins), 2001, pp. 209- 325. P ark, Robert E. 1926. “The Urban Community as a Spacial [sic ] Pattern and a Moral Order”. In : Ernest W. Burgess, The Urban Community, Chicago, University of Chicago Press : 3 - 18.

88 Le Trésor des mots de la ville : une maquette au 1/5e

The Habits of Good Society : A Handbook of Etiquette for Ladies and Gentlemen. 1859. London, J. Hogg and Sons. Watson, John Fanning. 1830. Annals of Philadelphia . Philadelphia, E.L. Carey & A. Hart. Watts, Mary Stanbery. 1923. Luther Nichols . New York, Macmillan. Wood's Illustrated Hand - Book to New York and Environs : A Guide for the Traveller or Resident. 1873. New York, G.W. Carleton. Autres références Fogelson, Robert M. 2001. Downtown : Its Rise and Fall, 1880- 1950. New Haven, Yale University Press.

89 Le Trésor des mots de la ville : une maquette au 1/5e

______extrarradio (pl. extrarradios) espagnol Espagne, nom masc.

Traduction extrarradio “zone f suburbaine, petite banlieue f , banlieue f proche.” (*Larousse- Bordas 1999)

Définitions extrarradio “Circonscription administrative en périphérie d’une agglomération [población].” (*Alonso 1960) extrarradio “Périphérie, alentours. Zone d’une agglomération éloignée du centro [centre].” (*Moliner 1967- 68) extrarradio “Partie ou zone la plus extérieure du territoire municipal [término municipal], qui entoure le casco [centre] et le radio [couronne urbaine] d’une agglomération.” (* Diccionario Marín 1982)

Extrarradio est un mot d’apparition récente en Espagne et longtemps lié au contexte madrilène. Très tôt, on observe un décalage durable entre un usage courant et un usage administratif et urbanistique du mot. Le mot apparut à Madrid, dans les années 1860-1870 pour désigner une réalité territoriale et administrative très spécifique de la capitale espagnole. En 1860 celle-ci adopta le plan de l’ingénieur Castro d’agrandissement programmé, la future extension étant appelée ensanche (Castro 1860). Le mot extrarradio se substitua alors, dans ce contexte, à ceux d’extramuros, alrededores, cercanias, et surtout afueras, pour désigner l’espace hors les murs, hors les limites de la ville officielle. Le plan Castro prévoyait une nouvelle limite pour la ville étendue, en deçà de la frontière de la commune de Madrid. Celle-ci était matérialisée par un chemin de ronde [paseo de circunvalación], par endroit renforcé d’un fossé. Le plan délimitait ainsi trois espaces dans la commune : la vieille ville [casco] qui devint l’interior, l’extension [ensanche], et un troisième espace dont le sol était toujours qualifié de rural, mais qui fut immédiatement le terrain d’une urbanisation spontanée le long des voies de communication. Ce fut l’extrarradio et l’on appella ces nouveaux faubourgs arrabales, barriadas ou, beaucoup plus rarement, suburbios de l’extrarradio. Tant que ce troisième espace restait rural, il n’était pas différencié du reste du territoire extérieur à la ville, et, comme dans le texte du projet d’extension de Madrid, dit Plan Castro, on le désignait par le terme alors en usage pour signifier l’espace hors la ville : afueras. Il n’en était, du reste, presque jamais question. C’est quand l’urbanisation de cet espace - en dehors de toute prévision - fut manifeste, qu’il devint objet de discours et qu’apparurent des termes spécifiques pour le désigner. Les premiers habitants de ce troisième espace le décrivirent d’abord comme afueras de la puerta de tal [hors de telle porte] ou fuera del circuito, fuera de la línea de cerramento del ensanche, fuera de la zona de ensanche ou encore en las afueras del ensanche, reprenant ainsi le terme usuel de fuera ou d’afueras tout en signifiant la nouvelle limite (archive 1). Quant à l’administration municipale, qui assistait passivement à l’urbanisation de ces afueras, sa commision d’ensanche le désigna en 1863, pour répondre aux demandes de permis de construire, par des périphrases : fuera de la línea de cerramiento del nuevo circuito, ou fuera de la línea exterior del ensanche. En 1863, dans une demande de permis de construire, le pétitionnaire décrivait ainsi la localisation de son terrain : il est “sur le chemin d’Hortaleza, hors du radio de la población [rayon de l’agglomération]” (archive 2). En 1872, les habitants de la Prosperidad, un des noyaux d’urbanisation de ces nouvelles afueras, dans une pétition collective à la mairie, décrivirent leur faubourg comme “Barrio de la Prosperidad, commune de Madrid, fuera del radio de l’Ensanche” (archive 3). Ils utilisaient ainsi le terme radio, bande de terrain immédiatement contiguë à une frontière et objet d’une réglementation particulière, à la manière de la “zone” parisienne. Ce terme était généralement utilisé dans le contexte militaire

90 Le Trésor des mots de la ville : une maquette au 1/5e ou fiscal, il fut reconduit dans un contexte d’extension urbaine. C’est celui-ci que retint l’administration municipale, quand elle créa un nouveau mot pour désigner les nouvelles afueras : extra-radio, puis extrarradio. Ainsi en 1881, le nouveau guide officiel des rues de Madrid, rédigé par la commission de statistiques de la mairie, s’intitulait Guía Oficial de las Vías Públicas de Madrid, su Ensanche y Extra-radio (l’orthographe du mot n’était pas encore stabilisée). La mairie prit acte de l’apparition d’un troisième espace urbain et le Real Orden du 31 août 1888 invita le conseil municipal à étudier “le tracé des rues pour l’extrarradio, ainsi que ses alignements et pentes, pour qu’en harmonie avec ceux adoptés pour l’ensanche, qui lui sont contigus, elles donnent à ces suburbios, non seulement des conditions d’urbanisation bonnes et hygiéniques, mais aussi la possibilité d’être, un jour, l’agrandissement de l’ensanche adopté”. Dès lors extrarradio devint le mot officiel pour désigner une réalité strictement territorialisée : l’espace au-delà de l’ensanche et compris à l’intérieur du territoire municipal. Le mot fut plus lent à s’imposer dans le langage courant, qui préféra longtemps afueras. Il ne faisait pas non plus l’unanimité dans les textes techniques et administratifs. S’il est normal qu’Angel Fernández de los Ríos ne l’utilisât jamais, étant donné la date de publication de ses deux ouvrages sur Madrid (1868 et 1876), remarquons que Núñez Granés en critiquait l’usage ouvertement : “Extrarradio. Mot impropre dans le cas présent, parce qu’il vient de la législation de l’octroi, qui institue le casco, le radio et l’extrarradio et parce qu’il signifie quelque chose de distinct du territoire municipal, mais que l’on utilise de manière impropre pour désigner la campagne de Madrid jusqu’aux limites de son territoire municipal.” (Núñez Granés 1906) En effet extrarradio serait ce qu’il y a au-delà du radio, or le radio est cette bande de terrain, zone, généralement militaire ou fiscale autour d’une limite qui sépare deux territoires relevant de juridictions distinctes. On a trouvé, cependant, une seule occurrence du mot dans ce sens fiscal évoqué par Núñez Granés : la ville de Valladolid publia en 1870 un “Règlement pour l’imposition et la taxe de l’octroi municipal dans la capitale, son radio et extraradio” (Ayuntamiento de Valladolid 1870). Au XIXe siècle, l’usage du mot hors de Madrid était très rare - nous n’en avons trouvé qu’une occurrence -, mais il n’était pas limité aux villes qui avaient un plan d’extension, comme l’atteste le cas cité de Valladolid. Le choix d’un mot composé à partir de radio, lié à l’idée de frontière, de barrière, renvoie, sans doute, à une certaine vision de la ville, héritée de l’époque moderne, que le plan d’extension de Madrid de 1860 semble reconduire en l’adaptant à l’époque contemporaine : celle-ci est un espace fermé avec des limites nettes. A l'extramuros d'avant les destructions de murailles, correspond donc l'extrarradio d'au-delà des ensanches. Le relatif succès du mot extrarradio est directement lié à l’émergence du problème social et urbain des périphéries pauvres, dont l’extrarradio est l’expression madrilène. Si extrarradio était d’abord un mot technique, qui désignait une réalité administrative et réglementaire, il prit vite un sens urbanistique, voire social. En effet, la division administrative de Madrid en trois espaces distincts qui perdura officiellement jusqu’en 1955, épousait une division morphologique et sociale fortement ressentie par les habitants de la capitale. C’est pourquoi en 1961, dans un article important, le géographe Manuel de Terán, identifiait cette tripartition spatiale du territoire municipal comme clé d’analyse de la géographie de l’agglomération urbaine (Terán 1961). L’extrarradio devint vite, en effet, un anti-ensanche ; à la rationalité de la ville programmée, s’opposaient le désordre et l’insalubrité de la ville spontanée : l’extrarradio devint un “problème”. En 1929, le résultat de la vaste enquête de la mairie sur la ville de Madrid, reprenait cette division en trois espaces et le chapitre “extrarradio” commençait ainsi : “une ceinture formée de noyaux dans lesquels les voies sont étroites, avec des tracés incompréhensibles et sans les indispensables services de pavement, d’écoulement, ni d’éclairage, avec des constructions pauvres, parmi lesquelles alternent les immeubles, à la hauteur disproportionnée par rapport à la largeur des rues et passages, et des maisons d’un ou

91 Le Trésor des mots de la ville : une maquette au 1/5e deux niveaux seulement. [...] D’autre part, l’habitat est mêlé à l’industrie, qui entraîne pour les habitants des nuisances, l’incommodité, le danger et l’insalubrité. Les puisards abondent dans l’Extrarradio, de même que les flaques, dues à l’absence d’étude d’inclinaison [...].” (Ayuntamiento de Madrid 1929 : 28) Symbole madrilène de la mauvaise urbanisation dès le début du XXe siècle, par opposition à l’ensanche, le mot est donc tôt marqué d’une connotation négative. Le terme est associé à une forme d’urbanisation marginale, dégradée, à des lieux de vie à mi-chemin entre la ville et la campagne, mais qui n’ont les vertus ni de l’une ni de l’autre. Ainsi les habitants du Puente de Segovia, faubourg de l’extrarradio, dans un article de leur journal local, consacré aux récents projets municipaux d’amélioration de l’extrarradio, rejettent en 1923 cette appellation : “À propos du quartier [barriada] du Puente de Segovia, […] c’est une absurdité de l’appeler extrarradio. Extrarradio de quoi et pour quoi ? Une zone habitée, comme l’est le Puente de Segovia, d’où, en dix minutes de tramway, on peut arriver de la Puerta del Sol, peut-elle et doit-elle être extrarradio ? Peut-on nommer et considérer extrarradio un morceau de ville (población), qui, durant ces dix dernières années, a pris des proportions gigantesques et qui compte aujourd’hui plus de vingt mille âmes et une industrie et un commerce véritablement extraordinaires ? […] Le quartier du Puente de Segovia, sinon extrarradio, […] que doit-il être ? La solution est unique et simple, qu’on en fasse (et s’il semble bon, en union avec le quartier voisin du Puente de Toledo) la quatrième zone de l’ensanche et en agrandissant comme on doit le faire, le territoire municipal de Madrid, qu’on appelle extrarradio les champs et les friches qu’il y a à partir de ce qui est aujourd’hui l’actuelle limite municipale.” (La Voz... 1923) Dans les années 1950 et 1960 les discours sur les chabolas [bidonvilles] et barrios marginales [quartiers marginaux] relaya celui sur l’extrarradio. Nouveau problème, l’extrarradio suscita une nouvelle génération de projets urbanistiques. Aux plans d’ensanches, succédèrent les plans d’urbanisation de l’extrarradio de Madrid. Ceux-ci développaient une nouvelle conception de la ville et de la planification urbaine : à la vision du plan Castro, strictement intra-urbaine d’une ville limitée et traitée isolément, succèda une vision régionale de l’agglomération urbaine. Les divers plans d’aménagement de l’extrarradio madrilène virent éclore l’idée d’aménagement régional. Dans le langage courant, le mot perdit vite sa spécificité madrilène, pour signifier la périphérie d’une ville, la banlieue. Dès les années 1920, à Madrid le journal Defensor del Extrarradio, entendait par ce mot les communes immédiatement voisines de la capitale qui participaient de l’agglomération (El Defensor 1927). Quand la division administrative de Madrid en trois espaces fut supprimée, en 1955, le mot disparut du vocabulaire administratif et urbanistique. En revanche, il continua d’exister dans le langage courant avec cette même signification de banlieue, périphérie urbaine. Aujourd’hui, c’est un mot assez neutre – moins connoté négativement que celui de suburbio. Ainsi l’utilise-t-on dans les divers annuaires professionnels et touristiques ou dans la classification des transports en commun pour distinguer la ville centre de sa périphérie – l’idée dominante étant ici celle de la distance. Dans la langue parlée, on préfère souvent le terme plus ancien d’afueras. Il semble cependant, que dans certaines grandes villes, le mot commence à être utilisé, pour désigner un mode de vie, une culture, voire un type social, celui des habitants des banlieues populaires des grosses agglomérations, à l’instar du français banlieue. Un journaliste du quotidien ABC, présente ainsi les musiciens du groupe de rock barcelonais Estopa : “L’histoire de ces deux frères de Cornellà (Barcelone) est plus ou moins connue : une jeunesse parallèle à celle de nombreux jeunes de l’extrarradio de n’importe quelle grande ville, des goûts communs, encore enfermés chez leurs parents, études ratées au désespoir de la famille, boulot aux pièces dans une usine d’approvisionnement de la Seat […].” (Gubern 2000). Le journaliste Carlos Toro du Mundo évoque comme un type aisément identifiable par ses lecteurs “les musiciens de rumba, rappeurs et autre faune musicale de l’extrarradio” (Toro 2002). Quant au groupe de rock

92 Le Trésor des mots de la ville : une maquette au 1/5e

Chucho, il a intitulé une chanson récente, qui parle de “pauvreté” et de “destruction morale des familles par le marché des drogues et de la chair” : “Extrarradio” (Chucho 2001). Charlotte Vorms

Voir afueras, suburbio, barriada, barrio, arrabal, ensanche, casco, chabola Voir suburb, Standtrand, banlieue, zone, slum

Sources primaires archive 1. Divers dossiers de permis de construire Archivo Histórico de Villa, fonds Secretaria, cotes : 4 - 261- 66, 10- 79- 6, 4 - 261- 6, 4 - 261- 173, 4 - 318- 10, 5 - 68- 76. archive 2. Archivo Histórico de Villa, Secretaria 4 - 261- 66. archive 3. Archivo Histórico de Villa, Secretaria 5 - 66- 82. Ayuntamiento de Madrid. 1929. Información sobre la ciudad , Madrid. Ayuntamiento de Valladolid. 1870. Reglamento para la imposición y escacción de arbitrios municipales, en la capital, su radio y extraradio , Valladolid. Castro, Carlos María de. 1860. Memoria descriptiva del ante- proyecto de ensanche de Madrid , Madrid. Chucho. 2001. “Extrarradio”, chanson de l’album Los diarios de petróleo, Virgin Records España. Defensor del Extrarradio (El) , Madrid, 1927. Fernández de los Ríos, A. 1868. El Futuro Madrid, Madrid. Fernández de los Ríos, A. 1876. Guía de M adrid. Manual del Madrileño y del Forastero , Madrid. Gubern, Alex . 2000. ABC, 17/08/2000. Guía Oficial de las Vías Públicas de Madrid, su Ensanche y Extra - radio con expresión de los distritos y barrios a que corresponden y de las campanadas de aviso para anunciar los casos de incendio, formada por la comisión de Estadística del Excmo Ayto, Imprenta y litografía Municipal, Madrid, 1881, 87 p. Núñez Granés, P. 1906. Vías Públicas del Interior, Ensanche y Extrarradio. Memoria relativa á los trabajos efectuados en dichas vías en los años de 1904 y 1905, Madrid. Real Orden du 31/08/1888. Toro, Cárlos. 2002. El Mundo, 4/02/2002. Voz del Puente de Segovia (La), año IV, n°32, Madrid, février 1923. Autres références Terán, M. de. 1961. “ El desarrollo espacial de Madrid a partir de 1868 ”, Estudios Geográficos, XXII, n° 84- 85, Madrid, pp. 599- 615.

______faubourg (pl. faubourgs) français, nom masc.

Définitions “ Fausbourg […] La partie d’une ville qui est au- delà de ses portes et de son enceinte ou les bâtimens qui sont sur les avenues de la ville. On a déjà plusieurs fois enfermé les fausbourgs de Paris dans la ville. ” (*Furetière 1690) “ Faubourg […] Partie d’une ville située en dehors de l’enceinte […] Nom que l’on donne dans certaines villes, et notamment à Paris, à des quartiers depuis longtemps réunis à la ville, mais qui ont conservé leur nom primitif.” (*Larousse 1865- 1876 [1866]) “ Faubourgs. Terribles dans les révolutions.” (Flaubert 1952 [s.d.] : 1009) “Faubourg […] Partie d’une ville située en dehors de l’enceinte […] – Par extension. Les faubourgs, la population ouvrière de Paris.” (*Larousse du XXe siècle 1928- 1933 [1930])

Ce mot, attesté dès le XIIe siècle, a longtemps servi à désigner le ou les territoires qui se développaient aux portes des villes. Un faubourg, c’était la zone habitée “fors le bourg”,

93 Le Trésor des mots de la ville : une maquette au 1/5e c’est-à-dire hors la ville, et qui par sa proximité était exposée, un jour ou l’autre, à être réunie à la ville par une quelconque décision d’annexion ou de réunion. Le mot était donc associé à l’idée d’une expansion linéaire de la ville, par opposition à sa densification. Les autorités pouvaient d’ailleurs craindre que la ville en pâtisse. A Paris, les opérations de bornage, décrétées par le roi aux XVIIe et XVIIIe siècles, étaient présentées – celle de 1724 , par exemple – comme devant empêcher les départs “de gens qui multiplieraient les maisons des Fauxbourgs, pendant que le milieu de la ville se trouverait à la fin désert et abandonné” (Perrot 1782 : 168). Il est fréquent qu’une fois la réunion à la ville consommée, les territoires intéressés, devenus de simples quartiers, gardent le mot faubourg dans leur appellation courante, s’ils le portaient à l’origine. On parle encore aujourd’hui à Paris du faubourg Saint-Honoré, du faubourg Saint- Antoine, etc. ; à Chambéry, tout le monde connaît le faubourg Montmélian. Mais c’est loin d’être la règle : à Lille, le faubourg de Béthune a gardé son nom complet après l’annexion de 1859, mais le faubourg Saint-Maurice, lui, ne fut plus appelé que Saint-Maurice, tout court. La responsable de tels effacements est peut-être l’administration pour qui – c’était l’opinion de Merruau, un collaborateur du préfet Haussmann –, “le terme de faubourg” devrait mis “hors d’usage”, puisque, l’annexion faite, il n’a plus “en lui-même qu’une valeur historique de peu d’importance” (Merruau s.d. [1860] : 35-36). Dans beaucoup de villes, aux XVIIe et XVIIIe siècles, les faubourgs, même mal délimités du côté du plat pays, étaient perçus comme un territoire spécifique, à part, mais faisaient en même temps partie de l’ensemble urbain. Les habitants avaient les mêmes charges que ceux de la ville (droits d’entrée, octrois), parfois les mêmes droits ou privilèges (dispense de la taille ou du logement des gens de guerre), et, en tout cas, relevaient des mêmes juridictions. D’où, dans les textes officiels de cette époque, la fréquence de la locution, “la ville et ses faubourgs”. Pour Paris, de multiples déclarations royales usent de l’expression, par exemple celle du 16 juin 1693 “portant règlement pour les fonctions et droits des officiers de la voirie en la ville et faubourgs de Paris” (cité par Alphand et Jourdan 1890 : 15). Il s’agissait aussi d’une expression toute faite pour signifier, comme on peut le lire dans le Trévoux, “une grande multitude, un grand concours de monde” (*Dictionnaire universel... 1771, 2). L’idée d’une communauté est bien là. Pourtant faubourg allait prendre le sens de quartier périphérique mal bâti et mal habité. De quand date cet avatar sémantique ? Il est tentant de penser qu’au XVIIIe siècle, faubourg n’avait encore qu’une simple valeur de désignation topographique, comme dans le dictionnaire de de Hesseln où il est dit à l’article “Bordeaux” que “le fauxbourg des Chartreux [auj. Chartrons] […] est un des plus magnifiques qu’il y ait en Europe, tant pour l’étendue que pour la somptuosité des bâtimens [sic]” (*Hesseln 1771, 1 : 480). Puis, l’industrialisation et le peuplement ouvrier de la périphérie des villes auraient donné au mot son contenu péjoratif et lourd de menace. En témoignerait la célèbre phrase du journaliste Saint-Marc Girardin écrite en 1831 au lendemain de l’insurrection lyonnaise partie de la Croix-Rousse : “Les barbares qui menacent la société ne sont pas dans le Caucase […], ils sont dans les faubourgs de nos villes manufacturières” (Saint-Marc Girardin 1831, cité par Rude 1969 : 663). Mais au XVIIIe siècle, et probablement même avant, le mot était déjà ambigu : il y avait d’une part le faubourg nommé, tel qu’en lui-même, et d’autre part le faubourg tout court, ou les faubourgs, façons de désigner les lieux où, hors du centre, vivait le bas peuple. Les deux usages coexistent souvent chez le même auteur, l’écrivain Sébastien Mercier par exemple, qui, dans le Tableau de Paris, évoque les faubourgs de la capitale dans leur diversité (voir cette phrase : “Il y a plus d’argent dans une maison du faubourg Saint-Honoré que dans tout le faubourg Saint-Marceau”), mais il use aussi de l’expression “cabarets (ou gargotes) de (ou des) faubourg(s)”. Un jour, “curieux de voir ce monde”, écrit-t-il , “je me couvris […] d’une

94 Le Trésor des mots de la ville : une maquette au 1/5e redingote brune, et je m’enfonçai dans un faubourg.” (Mercier 1783-1788, 1 : 17, 254, 3 : 211, 7 : 204-205) Les barbares étaient déjà là. La Révolution passée, le mot garda son double sens, mais une décantation s’opéra. Il continuait à être utilisé comme un simple terme de topographie. Le faubourg Saint-Jacques, écrit Lavallée, “forme la transition entre le faubourg Saint-Marceau et le faubourg Saint- Germain, c’est-à-dire entre les quartiers pauvres et les quartiers riches” (Lavallée 1857 : 316). Certains faubourgs remarquables par tel ou tel trait pouvaient recevoir une sorte de surnom connu de tous, comme “le noble faubourg” pour désigner le faubourg Saint-Germain, lieu de résidence des familles titrées (par exemple Halbwachs 1909 : 66, 77). Balzac use couramment de la locution. Il n’empêche qu’en continuité avec le siècle précédent, faubourg, entre 1800 et 1850, était couramment utilisé aussi comme un terme général à contenu péjoratif ou dévalorisant. Balzac, comme Mercier, parle de “gargotes de faubourgs”, évoquant par ailleurs “l’origine faubourienne” d’un personnage pour dire sa basse extraction (Balzac 1977 [1834], 5 : 960; 1978 [1845], 9 : 82, 273). Le qualificatif faubourien, terme vulgaire à l’origine – était en effet devenu usuel. Le mot resta longtemps cantonné dans les dictionnaires d’argot, où il avait le sens non pas du tout d’habitant quelconque d’un faubourg quelconque, mais carrément, comme l’écrit un philologue, d’individu “mal élevé”, de “voyou” (Francisque-Michel 1856 : 421). La charge péjorative du mot allait l’emporter dans l’usage lorsqu’il s’imposa pour désigner les nouveaux quartiers apparus dans la périphérie des villes, souvent des régions pauvres et usinières, annexées à la ville après 1850, comme à Lille, Lyon, Saint-Étienne, Le Havre, Toulon ou encore Paris en 1860. En 1856, Haussmann affirme que les communes limitrophes de Paris représentent ses “véritables faubourgs extérieurs” (Haussmann 1856 : 7). L’annexion accomplie, on parla désormais, pour nommer ce territoire entourant le Paris central, aussi bien du “nouveau Paris”, de la périphérie, des arrondissements excentriques que des faubourgs, avec toujours l’idée, implicite ou explicite, de zone ouvrière ou populaire, marquée par le labeur et la misère, et où s’observent des comportements différents du reste de la ville. Les faubourgs, c’est la ville des taudis : citons, entre mille exemples, Pierre Baudin en 1908 qui évoquait les jeunes filles “vouées aux appartements sans soleil et sans air des faubourgs” (Baudin 1908 : 45-59). Les faubourgs, c’est aussi le terrain de chasse des souteneurs et des voleurs : “Le récidiviste opère dans la rue […], non pas dans la rue heureuse où vous passez, mais dans la rue des faubourgs”, dit Waldeck-Rousseau, ministre de l’Intérieur en 1884 (Waldeck-Rousseau 1906, 1 : 239). En ces sens, le mot faubourg est l’exacte préfiguration de nos actuelles banlieues. Naturellement, le mot passa aussi dans le langage de tous ceux que leur engagement ou leur sympathie portait du côté des ouvriers. “Le peuple, écrit le socialiste Jules Vallès en 1883 s’est, par force, porté […] à l’extrémité des faubourgs” (Vallès 1971 [1883] : 375). Mais surtout il s’intégra au vocabulaire de la dénonciation sociale et, comme il arrive souvent dans l’histoire de ces mots de la déqualification, les déqualifiés s’emparèrent du mot pour en faire le drapeau de leur cause. Dès 1848, un journal démocrate-socialiste avait pris pour titre L’Aimable faubourien. Un journal socialiste de la fin du Second Empire (intitulé précisément Le Faubourg) dit de Rochefort, leader alors adulé : “On l’aime au faubourg, celui-là, et il en est !” (Le Faubourg 1870). Chez les socialistes de sensibilité ouvriériste, les faubourgs de Paris (ou le Paris des faubourgs) devinrent l’image à la fois symbolique et concrète de la classe ouvrière consciente et révolutionnaire. Plus tard, un article de L’Humanité saluant les succès communistes aux élections de 1924 en banlieue parisienne contenait cette formule : “Paris a retrouvé ses faubourgs !” (cité par Fourcaut 1986 : 30). Puis le mot se teinta progressivement d’un certain populisme, au service d’une image édulcorée du peuple. La peur de la “banlieue rouge” ne fera qu’accélérer cette évolution du mot vers une sorte d’image pittoresque et rassurante du peuple, comme dans cette phrase d’un

95 Le Trésor des mots de la ville : une maquette au 1/5e journal de 1941 : “Fréhel chante […] les meilleurs morceaux de son répertoire 'faubourg' avec réverbère à l’appui.” (L’Œuvre cité par *Trésor de la langue française 1980, 8 : 682). De nos jours, le terme faubourg a un caractère nettement désuet. Son usage, en-dehors de la nomination des quartiers qui ont conservé ce titre, se limite à celui d’un synonyme édulcoré du mot banlieue. Dans le même paragraphe d’un article récent du journal Le Monde étaient évoquées “les banlieues difficiles” de Strasbourg et le dialogue délicat avec les “jeunes des quartiers”, c’est-à-dire les habitants de ces banlieues, et cette phrase suivait : “Chacun sait que, dans ces faubourgs, la main-d’œuvre qualifiée recherchée par les entreprises […] est une denrée rare.” (Scotto 2001) Le mot peut donc à l’occasion retrouver son sens ancien d’espace étrange livré aux barbares. Alain Faure

Voir banlieue, quartier, taudis, zone Voir suburb (en), suburbio (po), Vorstadt (de)

Sources primaires Aimable faubourien (L’). Journal de la canaille . Reproduit dans Les Révolutions du XIXe siècle. 1848, La révolution démocratique et sociale, Paris , EDHIS, t. 8, non pag. (5 numéros en juin 1848). Balzac, Honoré de. 1977 [1834]. La Comédie humaine. La duchesse de Langeais , Gallimard (La Pléiade), t. 5. Balzac, Honoré de. 1978 [1845]. Les paysans, Gallimard (La Pléiade), t. 9. Baudin, Pierre. 1908. La vie dans la cit é , Paris, Librairie universelle. Faubourg (Le) (rédacteur en chef : Gustave Maroteau), n° 1, 26 février 1870. Flaubert, Gustave. 1952 [s.d.]. Dictionnaire des idées reçues, Gallimard (La Pléiade), t. 2. Francisque- Michel. 1856. Études de philologie comparée de l’argot… , Paris, Firmin Didot. Halbwachs, Maurice. 1909. Les expropriations et le prix des terrains à Paris (1860- 1900). Paris, Société nouvelle de Librairie et d’Édition. Lavallée, Théophile. 1857. Histoire de Paris depuis les Gaulois jusqu’à nos jours , Paris, Michel Lévy frères, 2e partie. Mercier, Louis - Sébastien. 1783- 1788. Tableau de Paris , éd. Amsterdam. Merruau, Charles. s.d. [1860]. Rapport sur la nomenclature des rues et le numérotage des maisons fait à M. le sénateur, préfet de la Seine, au nom d’une commission spéciale . Paris, Charles de Mourgues. Perrot. 1782. Dictionnaire de voierie , Paris, chez Prault, Onfroy et Belin. Saint- Marc Girardin. 1831. Article paru dans le Journal des Débats du 8 décembre. Scotto, Michel. 2001. “Strasbourg ne sait pas comment faire face au rituel des voitures brûlées”, Le Monde, 1er février. Vallès, Jules. 1971 [1883]. Le tableau de Paris , Paris, éd. EFR (article du journal La France, 8 juin 1883). Waldeck- Rousseau. 1906 [1884]. L’État et la liberté, t. 1, P aris, Bibliothèque- Charpentier. [Haussmann, Georges]. 1856. Commission départementale faisant fonction de Conseil général de la Seine Mémoire présenté par M. le préfet de la Seine à la Commission départementale (session ordinaire de 1856), p. 7. Sources secondaires Alphand et Jourdan. 1890. Recueil des règlements concernant le service des alignements et des logements insalubres dans la ville de Paris , Paris, Chaix. Fourcaut, Annie. 1986. Bobigny, banlieue rouge, Paris, Éditions ouvrières et Presses de la FNSP, p. 30. Rude, Fernand. 1969. L’insurrection lyonnaise de novembre 1831, Paris, Anthropos, 2e éd. ______favela (pl. favelas) portugais Brésil, nom féminin

Traductions “ favela s.f. ( aprox.) bidonville.” (*Rónai 1989)

96 Le Trésor des mots de la ville : une maquette au 1/5e

“Favela n. f. – mil. XX ; port. du Brésil favela ou favella. Au Brésil, ensemble d’habitations populaires de construction sommaire et dépourvues de confort. Les favelas de Rio (voir aussi bidonville).” (*Nouveau Petit Robert 2000) “In Brazil, a shack, shanty ; a slum : usu in pl. favelas, a collection of improvised huts, a shanty town. Hence favelado, a person dwelling in a favela.” (*Oxford English Dictionary 2000)

Définitions “Les Favellas, encore anonymes dans les registres scientifiques – ignorées des savants, trop connues des rustres - , peut- être un futur genre cauterium des légumineuses, ont, dans leurs feuilles aux stomates allongés en villosités, de remarquables outils de condensation, d’absorption et de défense.” (Cunha 1997 [1902] : 42) “Le morro da Favella [morne, colline] est abrupt et escarpé, s’y incrustent pourtant de petites baraques [casebres] sans hygiène, sans lumière, sans rien. Que l'on imagine des maisons (!) pas plus hautes que la stature d'un homme, avec u n sol de terre battue, des parois faites de lattes en treillage comblées par un crépi d'argile, des bidons vides de kérosène voisinant avec des planches provenant de caisses. [...] Cela donne une petite idée de ce que sont ces antres où le plus complet désintérêt pour les notions minimales d'hygiène se combine à un manque presque total d'eau, même pour boire et faire la cuisine.” (Backheuser 1906 : 111) “La ‘favella ’ est aussi une sorte de ville - satellite [cidade- satellite] de formation spontanée, installée de préférence sur les hauteurs des collines et composée d’une population semi- nomade, rebelle à toute règle d’hygiène. [...] On désigne ainsi, l’ensemble des constructions précaires qui se sont développées sur les mornes de Rio de Janeiro.” (Agache 1930 : 188, 189) “Art. 349- Il sera formellement interdit de former des favelas, c’est- à - dire de constituer des conglomérats de deux casebres ou plus, disposées ou non selon un ordre, construites en matériaux de fortune et dans le non- respect de ce décret.” (Código de Obras 1937 :107) “ Favela s.f. 1.Plante des caatingas de Bahia. 2. Ensemble de choupanas ou casebres, construits sur un morne et dépourvus de conditions hygiéniques.” (*Freire 1939- 1944) “favela 1 BOT arbuste ou arbre [...] 3 B[résil] ensemble d’habitations populaires [ conjunto de habitações populares] construites avec des matériaux improvisés, où habitent des personnes à bas revenus 4 par extension B[résil] péjoratif lieu de mauvais aspect ; situation considérée comme désagréable ou désorganisée. ETYM fava+ela ; […] le nom s’est généralisé pour désigner un ‘conjunto de habitações populares’. Syn[onymes]/var[iantes] bairro de lata (Portugal), caniço (Mozambique), musseque (Angola).” (*Houaiss & Villar 2001) “A la fin du XXème siècle, le Brésil compte 3 905 favelas, réparties sur l’ensemble du territoire national.” (Folha de São Paulo 07/01/2001) “Les habitants de la favela de la Rocinha pourront dorénavant entrer en contact avec le monde virtuel. L’ONG Viva Rio a lancé, ce mardi, la Station Avenir, un e space avec 22 ordinateurs grâce auxquels les habitants pourront s’initier à l’informatique et accéder à l’Internet.” (www.vivafavela.com.br, 03/07/2001)

Avant de devenir un mot de la ville, favela désignait un arbuste du sertão découvert à la fin du XIXe siècle par l’écrivain brésilien Euclides da Cunha et répertorié par les spécialistes comme jatropha phyllacantha de la famille des euforbiacea. Du registre de la botanique, le mot est passé à celui de la toponymie – Morro da Favella, dans l’Etat de Bahia, puis Morro da Favella, au centre-ville de Rio de Janeiro –, pour devenir un nom commun caractérisant un type d’habitat précaire de Rio de Janeiro, un phénomène propre à l’urbanisation brésilienne, une catégorie du recensement, une catégorie des sciences sociales brésiliennes et finalement une catégorie internationale (Valladares 2001). Cent ans furent nécessaires à cette évolution, les dictionnaires les plus récents ne retenant qu’une seule acception de favela : “ensemble d’habitations populaires”, parfois avec ses dérivés favelado : habitant de la favela, favelização : processus de transformation d’une zone urbaine en favela, favelizar-se : acquérir l’aspect ou la condition de favela. Cette longue métamorphose fut ponctuée, dès ses débuts, d’enjeux politiques et symboliques. À la fin de la guerre civile de Canudos (1897), les soldats victorieux, mais dont la solde n’avait pas été versée, obtinrent l’autorisation de s’installer provisoirement au cœur de la ville de Rio, sur les pentes du Morro da Providência, en face du ministère de la guerre. Ce morro fut alors rebaptisé par l’usage populaire Morro da Favella, du fait de la similitude de végétation sur les deux collines, mais aussi parce que la colline bahianaise de ce nom avait

97 Le Trésor des mots de la ville : une maquette au 1/5e joué un rôle décisif dans la victoire finale de l’armée de la République. L’installation provisoire des soldats se pérennisa, consacrant la dimension symbolique de la dénomination. Ce Morro da Providência avait connu, dès la fin du XIXe siècle, l’arrivée de populations démunies, originaires des taudis [cortiços] du centre ville et victimes de réformes urbaines successives (Benchimol 1990). Décrit pour la première fois par l’ingénieur Backheuser (1906), il devint rapidement, sous sa nouvelle appellation, un cas d’espèce. Des journalistes, des réformateurs sociaux, d’illustres étrangers s’y rendirent (Zylberberg 1992), participant ainsi à la production d’un discours qui s’inscrivait dans la continuité de celui qu’avaient déjà tenu les hygiénistes sur les cortiços. Le Morro da Favella devint alors “la Favella”, référence première qui permit de définir d’autres ensembles d’habitations du même type. Dans les années 1920, le terme perdit sa majuscule et devint un substantif du langage courant, régulièrement utilisé dans la presse carioca (Abreu 1996). L’usage se répandit, les cas se multiplièrent, mais le Morro da Favella restait un archétype. Le mot favella renvoyait à un type de localisation – les pentes des mornes - mais également, de façon péjorative, à un habitat de construction précaire qui se distinguait par sa morphologie, son manque d’équipements publics et son implantation illégale. Ses habitants, d’abord nommés favellanos (Mendonça 1931 :139), étaient accusés d’oisiveté et assimilés au crime et au désordre. L’image de Rio – “la ville merveilleuse” – était menacée par la “lèpre de l’esthétique” que constituaient les favellas (Mattos Pimenta 1926 : 7). Cette représentation dominait la vision et le diagnostic des réformateurs brésiliens ou étrangers. Ainsi, l’urbaniste français Alfred Agache, dans son projet d’aménagement de la ville de Rio de 1930, présentait la favella comme une maladie contagieuse et insistait sur la nécessité de reloger ses habitants dans des maisons ouvrières (Agache 1930 :190). En même temps, le nouveau mode de vie qui s’organisait dans ces espaces devenait une source de la culture populaire. L’exotisme de ces lieux habités par des “nègres [negros]” était mis en relief par tous ceux qui le valorisaient – des peintres (Tarsila do Amaral, Portinari), des écrivains (Costallat, Lucio Cardoso) et des compositeurs de samba : “Les malandrins de la favella n’ont plus où habiter / [...] Pauvres malandrins/ [...] Ils auront la nostalgie de la favella / Ils vont tous pleurer [...] (cité par Oliveira et Mercier 1998 :66). De cette double lecture émerge l’idée d’une opposition entre cidade [ville] et favella, que les textes de l’époque rendent manifeste. Ce type d’habitat, qui se développait rapidement dans la capitale, se vit reconnaître une existence juridique par le Code de la construction de 1937, dont l’article 349 proposait des éléments d’identification des favellas (Código de Obras 1937). Cette reconnaissance administrative de la favella s’accompagnait de la volonté de la faire disparaître (article 347), mais eut pour conséquence que le mot s’implanta dans le lexique technique de l’urbanisme. En 1939, lors de la publication du Grande e Novíssimo Dicionário da Língua Portuguesa (*Freire 1939-1944), le mot fut enfin répertorié avec un sens autre que botanique. Au cours des années 1940, le débat politico-administratif condamnait fermement les favelas de Rio (la réforme de l’orthographe de 1942 supprima un ‘l’), le phénomène étant associé à une pathologie spatiale mais aussi sociale. La stigmatisation de ses habitants – pour la première fois appelés favelados par les assistantes sociales du gouvernement Vargas (Silva 1942 :43) – se renforça, les reproches qui leur étaient adressés l’étant aussi à tous les pauvres de l’époque (Valladares 1991). En 1948, le premier recensement des favelas de Rio de Janeiro effectué par la mairie du District fédéral s’avéra de nature fondamentalement politique : il manipulait les données pour prouver le caractère nuisible des favelas. Le recensement général du Brésil de 1950 proposa une définition plus objective prenant en compte une taille minimale (50 logements), un type de construction (précaire), une condition juridique de l’occupation (illégale), l’absence d’équipements publics (Guimarães 1953). Ces critères rompaient définitivement avec une définition purement géographique et la plupart étaient encore utilisés dans le recensement général de 2000 (IBGE 2000). L’expression aglomerado sub-normal fut

98 Le Trésor des mots de la ville : une maquette au 1/5e créée pour tenir compte des terminologies locales et mettre en relief un fait propre à l’urbanisation brésilienne. Quant au terme favela, promu au rang de catégorie statistique, il servait désormais à désigner, pour les non-statisticiens, des agglomérats urbains comparables qu’on appelait diversement dans d’autres villes du pays : à Belém baixadas, à Belo Horizonte vilas favelas, à Brasilia favelas ou invasões, à Porto Alegre malocas ou vilas, à Recife mocambos ou invasões, à Salvador invasões, à São Paulo favelas. À partir des années 1960, les sciences sociales entrèrent en scène. Les travaux se réclamant de la théorie de la marginalité sociale firent des favelas un terrain d’études privilégié (Valladares 2001) et le mot devint rapidement synonyme de marginalité (Perlman 1977). Bien que, quelques années auparavant, l’anthropologue nord-américain Anthony Leeds mettait déjà en garde de ne pas définir la favela comme un phénomène particulier et isolé (Leeds 1969), elle était construite par la plupart des spécialistes comme une catégorie savante désignant un espace singulier, une autre ville dans la ville, la ville illégale ou la ville informelle. Elle était aussi souvent présentée comme une réponse à la crise du logement des catégories pauvres, l’accent étant alors mis sur le caractère collectif de l’invasion qui avait présidé à sa création. Les débats s’intéressèrent ensuite davantage à l’informalité, aux mouvements sociaux, à l’exclusion sociale et ne firent que renforcer les images de ce lieu comme espace socialement différencié. La favela en vint alors à symboliser le lieu par excellence de la pauvreté et des problèmes sociaux – au premier plan desquels la violence urbaine. Se conforta ainsi la théorie de la dualisation urbaine, celle d’une ville partagée, où la favela représente l’autre moitié. Symbole de la ségrégation sociale, l’image de violence qui lui est désormais associée renforce la stigmatisation de ses habitants - les classes dangereuses d’aujourd’hui. Pourtant, la réalité des favelas et les connotations du mot sont devenues plus complexes. La reconnaissance, dans la Constitution de 1988, d’une certaine légitimité de leur existence par l’extension du principe d’usocapião – droit de maintien dans les lieux au-delà d’une certaine durée – rend plus difficile le recours à l’éradication comme solution politique, comme dans les années 1960 et 1970 (Valladares 1978). Par ailleurs, le terme de communauté (communidade), très présent dans le champ de l’action politique et sociale, entend valoriser la favela et les favelados en mettant en lumière leur identité territoriale mais aussi sociale et culturelle. Il souligne les valeurs d’union, de solidarité, de cohésion et de volonté d’appartenance à la société urbaine. En parallèle, avec la diffusion médiatique du paysage et des modes de vie des favelados, le terme s’est internationalisé. Le film Orfeu Negro, réalisé par le Français Marcel Camus en 1959, tout comme les traductions en plusieurs langues du livre de la religieuse Carolina Maria de Jesus (Jesus 1960) furent sans doute à l’origine du phénomène. Les médias contribuèrent également à la diffusion mondiale d’une image exotique de la favela susceptible d’alimenter l’industrie touristique, au point que plusieurs agences y organisent aujourd’hui des visites guidées. Cent ans après l’apparition des premières favelas cariocas, la “favela virtuelle” commence à se développer, signe d’un temps nouveau. Les sites se multiplient, en portugais mais aussi en anglais, et ceux des résidents qui ont accès à l’internet y diffusent l’information des ONG locales et exposent au monde extérieur la nouvelle réalité des favelas comme espaces participant à la modernité. L’évolution récente des favelas, surtout les plus anciennes, laisse penser qu’elles ne sont plus exclusivement le lieu de la pauvreté mais que d’autres catégories, moyennes ou plus qualifiées, voire universitaires - les doutores da favela – y résident et y sont actives. Bien que les dictionnaires continuent à donner au mot favela le sens de bidonville ou de slum, l’espace des favelas tend aussi à se transformer du point de vue urbanistique : consolidation des constructions, apparition de plusieurs étages, aménagement d’infrastructures de base, développement d’un marché immobilier et de marchés de biens et services, installation de certains services publics.

99 Le Trésor des mots de la ville : une maquette au 1/5e

Toutefois, derrière ce brouillage des images, le succès du mot – qui en fait aujourd’hui une catégorie utilisée dans d’autres régions du monde – tient à l’opposition toujours énoncée au Brésil entre les favelas et les autres quartiers, dualité qui s’exprime par exemple sous la forme favela et asfalto [asphalte], ce dernier mot désignant les quartiers “normalement” urbanisés. Le trafic de drogue, qui utilise certaines favelas comme quartier général et lieu de vente, renforce cet antagonisme et contribue à réactiver la vision de la favela comme une menace contre la ville. Licia Valladares

Voir Voir

Sources primaires Agache, Alfred. (sous la direction) 1930. Cidade do Rio de Janeiro : extensão – remodelação- embellezamento . Rio de Janeiro : Prefeitura do Distrito Federal/Paris : Foyer Brésilien. Backheuser, Everardo. 1906. Habitações Populares. Relatório apresentado ao Exm. Sr. Dr. J.J. Seabra, Ministro da Justiça e Negocios Interiores. Rio de Janeiro : Imprensa Nacional. Código de Obras e Legislação Complementar ; decreto 6.000 de 1 - 7 - 1937 . 1964, 4ème éd.. Rio de Janeiro : Editor A. Coelho Branco.

Cunha, Eyclides da. 1903. Os Sertões . Rio de Janeiro : Laemmert et C. Editores. Trduction française: Hautes terres. La guerre des Canudos, Paris, Métaillé, 1997. Folha de São Paulo, 07/01/2001, “Censo 2000 : Brasil ganha 717 fa velas em nove anos”. Guimaraes, Alberto Passos. 1953 . “As favelas do Distrito Federal”. Revista Brasileira de Estatistica, année XIV, n°55, Julho/Setembro : 250- 273. IBGE (Instituto Brasileiro de Geografia e Estatistica). 2000. Instruções para revisão do trabalho da base operacional geográfica . Rio de Janeiro : IBGE. Jesus, Carolina Maria de. 1960. Quarto de despejo . Rio de Janeiro : Francisco Alves. Leeds, Anthony. 1969. “ The significant variables determining the character of squatter settlements”. América Latina, vol. 12, n° 3, Julho/Setembro : 44- 86. Mattos Pimenta, José Augusto. 1926. “ Para a remodelação do Rio de Janeiro”. Discursos pronunciados no Rotary Club do Rio de Janeiro. Rio de Janeiro : multigr. Mendonça, Marcello Taylor Carneiro de. 1931. “Casas Populares- Cidades Jardins”. Annaes do 1° Congresso de Habitação . São Paulo : Publicação Official. Perlman, Janice. 1977 . O Mito da Marginalidade ; favelas e política no Rio de Janeiro . Rio de Janeiro : Paz e Terra. Silva, Maria Hortensia do Nascimento. 1942. Impressões de uma assistente sobre o trabalho na favela . Rio de Janeiro : Gráfica Sauer, Prefeitura do Distrito Federal, Secretaria Geral de Saude e Assistência. www.vivafavela.com.br, 03/07/2001, “Comunidade da Favela da Rocinha ganha acesso à Internet” Sources secondaires Abreu, Mauricio de Almeida. 1994. “Reconstruire une histoire oubliée : origine et expansion initial des favelas de Rio de Janeiro. Genèses, n°16, Juin : 45- 68. Oliveira, Jane Souto de et Marcier, Maria Hortense. 1998. “A palavra é favela”, in Zaluar, Alba et Alvito, Marcos ( orgs.). Um século de Favela . Rio de Janeiro : Editora Fundação Getulio Vargas.

Autres références Benchimol, Jaime Larry. 1990. Pereira Passos :um Haussmann Tropical ; a renovação urbana da cidade do Rio de Janeiro no inicio do século XX. Rio de Janeiro : Secretaria Municipal de Cultura, Turismo e Esportes, Departamento Geral de Documentação e Informação Cultural. Valladares, Licia do Prado. 1978 . Passa- se uma casa ; análise do Programa de Remoção de Favela s do Rio de Janeiro . Rio de Janeiro : Zahar Editores.

100 Le Trésor des mots de la ville : une maquette au 1/5e

Valladares, Licia do Prado. 1991. “Cem anos pensando a pobreza(urbana) no Brasil” in : Boschi, Renato (org.) Corporativismo e Desigualdade ; a construção do espaço público no Brasil. Rio de Janeiro : Rio Fundo Editora et IUPERJ. Valladares, Licia do Prado. 2001. L’Invention de la Favela . Habilitation à diriger des recherches. Université Lumière - Lyon II : Faculté d’Anthropologie et de Sociologie. Zylberberg, Sonia (org.). 1992. Morro da Providência. Memórias da “Favella”. Rio de Janeiro : Secretaria Municipal de Cultura, Turismo e Esportes, Departamento Geral de Documentação e Informação Cultural. ______fondaco (pl. fondachi, fondaci) italien, nom masc.

Traductions “ fondaco 1. Draper’s shop, 2. Warehouse, store(house) ” (*Hazon 1971) “ fondaco/chi, 1. Magasin, entrepôt, 2. Comptoir ” (*Robert & Signorelli 1981)

Définitions “ Fondaco […] 1. Douane, entrepôt [“Fondaco qui dans de nombreux endroits est également appelé Douane”] (Boccaccio, G., Decamerone, 1348- 54, nov. 80)] 2. […] magasin de plain - pied […] appartenant à un propriétaire privé, qui […] à Pise le louait à des marchands pisans ou étrangers. 3. Gabella del Fondaco ou simplement Fondaco. Plus particulièrement en Sicile et dans les Pouilles taxe imposée par l’empereur Frédéric II sur les marchandises […] entreposées dans le Fondaco della Dogana. 4. Grande bâtisse […] où […] les marchands étrangers se réunissaient et conservaient leurs marchandises, leurs écriture et leur argent sous le contrôle de l’autorité publique et exerçaient leur activité. ” (*Rezasco 1881). “ Fondaco 1. Bâtiment ou ensemble de bâtiments où, au Moyen Age et au cours des siècles suivants, les marchands étrangers [… ] entreposaient leurs marchandises, exerçaient leur activité et souvent, demeuraient. […] 2. a) lieu (plus connu sous le nom de dogana) où étaient perçus les droits d’entrée sur les marchandises, ainsi que le magasin annexe où les marchands entreposaient et vendaient leurs marchandises [Naples, Pise, Fermo] ; b) Entrepôt, magasin où étaient conservés le blé et la farine de la ville (Vénétie, Istrie) ; c) à Lucques, curia ou corte del fondaco, nom d’une magistrature de la fin du Moyen Age […] 3. […] entrepôt ou magasins et boutiques pour la vente d’étoffes au détail ou en gros mais aussi locaux en rez- de- chaussée utilisés comme habitations misérables. Auparavant, le terme désignait des auberges et relais de poste ” (* Vocabolario della Lingua Italiana 1987).

Largement diffusé en Méditerranée, le terme fondaco est aussi présent dans l’aire linguistique italienne dès le Moyen Age. Des variantes se développèrent dans les dialectes avec des significations différentes de celles de l’italien. Dès l’époque médiévale le mot, qui appartenait au langage des marchands, prit des sens variés et fit l’objet d’usages divers. Dans sa forme latine ou dans ses usages dialectaux (comme le fontego à Venise), les dictionnaires lui ont attribué le sens historique d’un lieu de commerce situé dans la patrie d’origine des marchands ou à l’étranger. Cette définition générique peut indiquer soit un magasin privé où le marchand fait commerce de ses marchandises, soit le grand bâtiment commercial public ou privé, destiné aux marchands étrangers, qu’il s’agisse des marchands italiens à l'étranger (Vénitiens, Pisans, Génois) ou des étrangers dans les villes marchandes italiennes (Turcs, Allemands, etc.) (*Rezasco 1881 : 426-427 ; * Vocabolario della Lingua Italiana 1987 ; Concina 1997 : 115). A la même période , le terme prit des significations différentes qui entraînèrent une extension sémantique et des changements de registre. Il revêtit ainsi un sens fiscal et devint synonyme de dogana [douane], le lieu où étaient perçus les impôts liés aux activités marchandes (*Rezasco 1881 : 426; *Vocabolario della Lingua Italiana 1987). En Sicile, au XIIIe siècle, il devint un véritable terme fiscal synonyme de gabelle (impôt sur des marchandises précises) (*Rezasco 1881 : 426). Dans d’autres cas, il prit un sens juridique en désignant une magistrature préposée au contrôle de certains types de commerce (comme à Lucques par exemple (*Vocabolario della Lingua Italiana 1987).

101 Le Trésor des mots de la ville : une maquette au 1/5e

Dans sa version latine, fundacum, le terme sortit du registre commercial dès le Moyen Age. En Sicile, à partir du XIIIe siècle, le fundacum désignait un logement rural éloigné qui pouvait accueillir les voyageurs. Dans différentes concessions de fundaci faites par l’archevêché de Monreale, on repère qu’une distinction était faite selon qu’il s’agissait d’un simple fundacum ou d’un fundacum cum taberna – avec boutique – (La donazione di Guglielmo II all'Arcivescovado di Monreale, 1182). Au début du XVIe siècle, fondaco était synonyme de osteria [auberge]. A la fin du XIXe siècle on retrouve encore ce sens dans les dictionnaires siciliens, où le funnacu est défini comme “ une maison qui accueille et loge des voyageurs pour de l’argent, mais de catégorie ordinaire ” (*Traina 1868 : 414). Les principaux changements de sens ont eu lieu plus récemment quand le terme n'a plus été cantonné à un registre exclusivement commercial, et qu'il a commencé à revêtir une connotation sociale liée à un type d'habitat. C'est dans la Naples des XVIIIe-XIXe siècles que fondaco d'abord dans sa forme vernaculaire de funneco, puis en italien, subit ses transformations les plus significatives. Il fit alors l’objet d'une révolution sémantique qui s'étendit ensuite à tout le territoire national. Alors qu’au XVIe siècle, le mot était utilisé, à Naples, dans son sens commercial, (fondaco comme lieu de négoce) (Summonte 1675, I : 242), au XVIIe siècle les fundachi apparaissaient déjà, aux yeux des voyageurs, comme des espaces urbains caractérisés par des habitations pauvres et populaires (“ ces sortes de rues là que nous appellons en France cu[l]s de sac, se nomment à Naples fundachi […] ce ne sont en ces ruelles là que petites maisons borgnes et habitées de petites gens [Bouchard 1977 [1632] : 243). Plus d'un siècle plus tard, en napolitain, funneco avait acquis une connotation sociale durable en tant qu’habitation du petit peuple. Dans son Vocabolario delle parole del dialetto napoletano publié en 1789, l'abbé Galiani définissait le funneco comme “ une maison sans ouvertures, propre au bas peuple et aux putains ” (*Galiani 1789 : 159). Dans d'autres dictionnaires dialectaux du XIXe siècle, funneco recouvre un sens analogue : “ une sorte de cour habitée par de pauvres gens, ainsi nommée car elle abritait précédemment des artisans et des commerçants exerçant la même activité ” (*Andreoli 1966 [1887] : 175) ; “ impasse ”; “ lieu de vice et de corruption ” (*Salzano 1979 : 109 ; *D’Ascoli 1993 : 249). Le terme se rencontre également dans la poésie et dans le théâtre local. En 1886 le poète napolitain Salvatore Di Giacomo intitule son recueil de poésies ‘O funneco verde ; il décrit un type de vie sociale et de culture populaire que l’on pouvait observer dans les fondaci napolitains à la fin du XIXe siècle. Funnachera est un intéressant dérivé napolitain de fondaco : péjoratif, il désigne une femme du peuple au comportement vulgaire. Funnachera “ se dit avec mépris d'une femme du peuple, braillarde, poissarde ” (*Andreoli, 1966 [1887] : 175); ou bien d’une “ femme du petit peuple habitant les fondachi ” (*Salzano 1979 : 109) ; ou encore d’une “ femme vulgaire, de basse extraction habitant les fondachi ” (*D’Ascoli 1993 : 249). Ainsi, c'est tout d'abord en napolitain puis, dans un second temps, en italien que le fondaco s'est mis à désigner un type d'habitat populaire. Il faut attendre la seconde moitié du XIXe siècle pour voir le terme perdre définitivement, à Naples, son acception commerciale. Il commença alors à figurer dans le vocabulaire des architectes et des fonctionnaires chargés de l’assainissement de la ville et désigna des habitations populaires insalubres à réhabiliter : un lieu fermé caractérisé par une cour centrale sans lumière, sans ouverture sur la rue, entourée d’immeubles à plusieurs étages. Des centaines de familles y cohabitaient souvent au milieu d’artisans qui, aux étages inférieurs des immeubles, travaillaient des matériaux toxiques et dangereux pour la santé (De Renzi 1830 ; Turchi 1866 ; Velieri 1867 ; Commissione per la bonifica dei fondaci 1877 ; Folinea 1884). “ Et si tu veux compléter le tableau, […] entre dans les maisons des pauvres pour examiner ce qui se passe dans ces misérables pièces. Entre dans les habitations de ces fondachi, proches des fosses de l’enfer. Le quartier Porto en abrite quantité, c’est à peine croyable ; dans une zone peu étendue où le choléra de 1837 fit des

102 Le Trésor des mots de la ville : une maquette au 1/5e ravages infinis, j’en ai compté jusqu’à 29 ” (Turchi 1862 : 81-82). A la même période, le terme faisait son apparition dans la littérature dénonçant la pauvreté du peuple (Giustino Fortunato, Matilde Serao, Jessie White Mario, etc.), pour devenir, au XXe siècle un terme doté d’un fort pouvoir d’évocation littéraire, synonyme d’un style de vie lié à la pauvreté par opposition à un genre de vie bourgeois. Dans ces ouvrages, tant ceux techniques des réformateurs que dans la production littéraire, le fondaco est toujours décrit comme un lieu complexe, une sorte d’habitat collectif auquel on accède par des entrées obscures et cachées, invisibles au regard de l’extérieur. Naples est donc la ville où le terme a connu le glissement sémantique et les changement d’emploi les plus accentués. De nos jours le terme n’est pas utilisé de façon univoque au niveau national et il existe des différences de sens marquées entre le nord et le sud. Dans tout le centre et le sud du pays le mot indique encore une habitation pauvre et malsaine, alors que dans quelques régions du nord le terme n’a jamais revêtu de connotations sociales. Demeuré dans le registre de la langue commerciale, il appartient désormais aussi à celui du patrimoine, comme à Venise, où la valeur architecturale de ces édifices commerciaux (comme le Fondaco dei Tedeschi ou le Fondaco dei Turchi) les a transformés en véritables monuments historiques et en symboles de l’identité urbaine de Venise en Méditerranée : “ Fondaco est un mot […] évocateur, lié aux commerciales du Moyen Age, qui a voyagé à travers la Méditerranée, un mot qui évoque richesse, abondance, draps, tissus et marchandises de toutes sortes ” (Concina 1997 : 9). De ce fait dans le Nord il a été réutilisé à des fins touristiques pour relancer des restaurants ou des bâtiments du centre historique présentés comme de typiques fondaci du Moyen Age. Cet usage serait inconcevable dans d’autres villes comme à Naples, étant donné la connotation résolument négative et stigmatisante que le terme fondaco y conserve encore aujourd’hui. Le rapport avec les variantes dialectales du terme est en revanche plus complexe à saisir. Il semble que dans quelques cas le dialecte ait fonctionné comme une niche où le sens médiéval du mot a été conservé alors que dans d’autres cas, comme à Naples, il a été à l’origine de changements de sens importants qui se sont ensuite diffusés en italien. Ainsi, en calabrais, funnicu revêt encore de nos jours le sens commercial de magasin où l’on entrepose des marchandises ; il désigne aussi, et seulement en calabrais, une “ boutique pour la revente du sel et des tabacs ” (*Rohlfs 1932-39 : 322 ; Pellegrini 1972 : 131). On note le même phénomène dans le dialecte ligure où le fondego est un “ lieu de vente ” où l’on ne détaille cependant que le vin (*Casaccia 1876 : 381; *Gismondi 1955 : 168; Pellegrini 1972 : 345). Il en va de même pour d’autres dialectes du nord de l’Italie où malgré les variantes locales, fondaco reste lié à son sens commercial primitif. Alessandra Broccolini

Voir basso, mercato, vicolo Voir beco (portugais), chabola (espagnol), funduq (arabe), slum (anglais), taudis (français)

Sources primaires Bouchard, Jean- Jacques, 1977 [1632]. Journal. II : Voyage dans le royaume de Naples, Voyage dans la campagne de Rome, éd. par E. Kanceff, Torino : Giappichelli editore. Commissione per la bonifica dei fondaci, 1877. Progetto di bonifica dei fondaci della città di Napoli, Napoli : F. Giannini. Concina, Ennio, 1997. Fondaci: architettura, arte e m ercatura, tra Levante, Venezia e Alemagna, Venezia : Marsilio. De Renzi, Salvatore, 1830. Topografia e statistica medica della città di Napoli. Napoli : Filiatre. Di Giacomo, Salvatore, 1997 [1886]. “O’ funneco verde”, in Tutte le poesie , Roma : Newton Compton Editore. Folinea, Errico, 1884. Per la bonifica dei fondaci e quartieri bassi della città. Napoli : Giannini.

103 Le Trésor des mots de la ville : une maquette au 1/5e

Summonte, Giovanni Antonio, 1675. Historia della città e Regno di Napoli, Napoli : a spese di Antonio Bulifon libraro all’insegna della Sire na. Turchi, Marino, 1862. Sulla igiene pubblica della città di Napoli: osservazioni e proposte, Napoli : F.lli Morano. Turchi, Marino, 1866. Notizie e documenti riguardanti le condizioni igieniche della città di Napoli raccolte in dodici sezioni, Napoli : Tip. Del Municipio. Velieri, Raffaele, 1867. Storia della Commissione Igienica della Sezione Pendino dal 30 giugno 1865 al 31 dicembre 1866, Napoli. Sources secondaires Pellegrini, Giovanni Battista. 1972. Gli arabismi nelle lingue neolatine con speciale riguardo all’Italia , Brescia : Paidea. ______fraccionamiento (pl. fraccionamientos) espagnol Mexique, nom masc.

Traductions fraccionamiento : “Fractionnement, action de fractionner, en petites parties.” (*Salvá 1882) fraccionamiento : “housing estate (mex.constr.)” (*Grijalbo & Harper Collins 1992) fraccionamiento : “Fractionnement.” (*Larousse- Bordas 1999)

Définitions fraccionamiento : “Au Mexique, parcelle ou lot de terrain destiné à la construction.” (*Diccionario enciclopédico UTEHA 1953) fraccionamiento : “Action et effet de fractionner. Est utilisé spécialement lorsqu’on parle de propriété rurale.” (*Santamaria 1959) fraccionamiento : “1) Action et effet de fractionner; 2) Mex. Grand terrain urbanisé et divisé en lots pour la construction de maisons; 3) Mex. Zone résidentielle construite sur un terrain de ce type. Ils vivent dans un fraccionamiento dans les alentours [ afueras] de la ville.” (*Pequeño Larousse 2003)

Voilà un mot, fraccionamiento, qui renvoie au souci particulièrement marqué au Mexique de découper l’espace urbain de façon ordonnée. Chacun se retrouvera chez soi grâce à l’action de celui qui aura procédé au découpage : le fraccionador [celui qui fractionne, le lotisseur]. La plupart des nouveaux espaces résidentiels apparus dans les périphéries des villes mexicaines au cours des années 1950-2000 sont des fraccionamientos, autrement dit l’œuvre de fraccionadores, personnages intermédiaires entre les pouvoirs publics, les vendeurs de terrains et les éventuels candidats à la propriété du sol urbain, capables de donner une apparence de légalité à des opérations immobilières qui étaient en dehors ou à la limite de celle-là. Le mot fait aussi bien partie du langage savant que populaire. Sa connotation technique rend compte de la prégnance exercée sur les responsables locaux de l’urbanisme aussi bien que sur les aspirants à la ville, par l’idée de planification et les représentations des modèles qu’elle est supposée suggérer (Hiernaux 1999). Dans les années 1950, le mot fraccionamiento désignait toute parcelle de terrain destinée à la construction. Son usage semblait plus fréquent à la campagne qu’à la ville et dans certaines régions, disent les dictionnaires (*Diccionario general de Americanismos 1942), la fracción correspondait même à une mesure de superficie de un à deux hectares. S’il apparut dans le langage commun en milieu urbain dans les années 1950, c’est parce qu’il accompagnait le rythme intense de migration de la campagne vers les périphéries des villes. Mais, jusqu’aux années 1980, il ne désignait que la première phase de l’installation des nouveaux venus : celle du découpage du terrain et de sa répartition en lots – légaux, illégaux ou pastiches de la légalité (Rivière d’Arc 1991). Dès que cela leur était possible, les nouveaux occupants du

104 Le Trésor des mots de la ville : une maquette au 1/5e terrain le désignaient par le terme de colonia, qui évoque l’accès au statut de citoyen sinon de citadin. Les années 1980 marquèrent une nette dérive dans ces désignations. Fraccionamiento renvoyait jusqu’à cette date et depuis les années1960, au pouvoir du fraccionador dont il fallait être client. Mais le rôle de ce dernier était parfois risqué et certaines conjonctures politiques locales, invoquant des prétextes moraux, s’en sont pris aux fraccionadores jusqu’à provoquer l’emprisonnement de certains d’entre eux. La profession était ainsi dévalorisée et dans les années 1980, le personnage devint alors promotor [promoteur], position assez prestigieuse, parce qu’il s’occupait plutôt des riches et des classes moyennes que des couches populaires et pauvres. Mais curieusement, le résultat de son projet d’urbanisation, qu’il concernât les résidences des riches, des pauvres ou des classes moyennes, portait uniformément le nom de fraccionamiento, en général associé à un qualificatif comme “de primera” [de luxe] ou “populaire”, étant par ailleurs bien entendu que le terme était désormais très largement utilisé par tout les types de locuteur. Une des principale raisons de l’ample diffusion sociale du mot, si consensuel par ailleurs, est tout simplement qu’il désigne des espaces dissociés de la ville, du quartier, du faubourg, de la banlieue, de la périphérie, etc. Fraccionamiento renvoie donc à une diversité (sociale) d’espaces résidentiels qui ne sont ni ville, ni campagne et dont il est intéressant de comprendre pourquoi il tend aujourd’hui à supplanter le mot colonia (Lopez Moreno et Ibarra Ibarra 1997). La loi sur les fraccionamientos urbanos fut promulguée en 1953 au Mexique et chaque Etat a introduit par la suite des spécificités locales en élaborant ses propres lois (Lopez Moreno et Ibarra Ibarra 1997). Fraccionamiento était un processus juridique qui fit donc partie du langage administratif. Mais, on l’a dit, les fraccionadores populaires découpèrent l’espace dans les années 1970-1990 selon un procédé pastiche du procédé légal; ils omettaient seulement d’installer et de répartir les infrastructures en principe nécessaires et imposées à tout projet immobilier et achetaient, pour les revendre, leurs terrains aux ejidatarios [propriétaires collectifs bénéficiaires de la réforme agraire] qui, en principe, n’avaient pas le droit de les vendre. Ce procédé a donné naissance aux colonias populares, colonias irregulares et fraccionamientos populares, notions distinctes du simple assentamiento. Ce concept spatial, calque de l’anglais settlement introduit par la Conférence des Nations unies sur l’habitat tenue à Vancouver en 1976, s’était largement diffusé au Mexique et faisait plutôt référence à une occupation pure et simple. Depuis la décennie 1990, le fraccionamiento se distingue de la colonia par le fait qu’il est seulement résidentiel. Il n’est pas perturbé par l’urbanisation sauvage qui guette et déforme l’image de la colonia popular. Le fait qu’il soit même dépourvu de tout espace public – supposé dangereux car susceptible d’être arpenté par tout un chacun – rassure. A l’autre extrême de la hiérarchie sociale, fraccionamiento est un terme en quelque sorte générique qui sert à désigner cette nouvelle forme d’habitat qui se multiplie dans les zones péri-urbaines et qu’on appelle fraccionamientos cerrados ou cotos [fermés, clos] au Mexique, country ou club campestre en Argentine, etc. (Cabrales 2002), où sont mis en valeur la qualité de l’air campagnard, le régime de condominio [copropriété] et une série de services sophistiqués concernant surtout la sécurité et l’assurance d’un voisinage qui vous ressemble en âge et porteur des mêmes valeurs (Ickx 2002). Ce dernier trait qui unit les habitants, les conduit à constituer des comités de vigilance et d’entretien qui apportent le sentiment d’une vie communautaire à ceux qui vivent dans les fraccionamientos de primera. Qu’il soit populaire ou de primera, le terme fraccionamiento renvoie au passage du découpage ordonné à la garantie de sécurité dans ces années 2000, par opposition à l’insécurité qui a envahi les représentations des centres villes en Amérique latine. “Le fraccionamiento est plus sûr que la colonia”, dit cette habitante d’une ancienne colonia

105 Le Trésor des mots de la ville : une maquette au 1/5e irregular urbanisée de Guadalajara, la Colonia Polanco. “Comment appelez-vous cet ensemble résidentiel chic d’immeubles (ou maisons) intelligents avec gardien, portail et interphone ? Est-ce une colonia ? – Non ce n’est pas une colonia, c’est un fraccionamiento de primera” affirme le chauffeur de taxi qui vous conduit vers ces lieux (Rivière d’Arc 2000). Pour désigner l’espace alternatif aux espaces dangereux, qui suppose la fuite loin du centre, seul le langage mexicain a recours au mot fraccionamiento, un découpage égalitaire en lots, sous-entendant cependant l’appartenance de classe, les différences de revenus entre habitants, etc. L’intégration d’un fonctionnalisme revisité en quelque sorte. Les autres parlers d’Amérique latine ont recours à d’innombrables inventions pour désigner ces espaces résidentiels apparus dans la deuxième moitié du XXe siècle, dont la liste serait trop longue à donner. Hélène Rivière d’Arc

Voir loteamento, conjunto fechado (port.), lotissement, résidence (fr.), allotment (angl.am.), subdivision of land (angl.) Voir condominio horizontal (esp.mx), parcelamiento, country, club campestre (esp.ar.)

Sources primaires Rivière d’Arc, Hélène. 2000. Enquêtes de terrain à Guadalajara (2000). Sources secondaires Cabrales Bara jas, Luis Felipe (coord.). 2002. Latinoamérica : paises abiertos, ciudades cerradas, Guadalajara, Universidad de Guadalajara Unesco. Lopez Moreno, Eduardo et Xochitl Ibarra Ibarra, 1997. “Barrios, colonias y fraccionamientos”, Les Mots de la Ville, Most U nesco, Pir Villes, CNRS, Cahier n°2 : 23 p. Rivière d’Arc, Hélène 1991.”L’état de Mexico malade du District fédéral: Chalco”. L’Ordinaire Mexique Amérique Centrale , novembre - décembre, n°136: 13- 20. Autres références Hiernaux, Daniel. 1999. “Les mots de la planification du territoire au Mexique”. Unesco, Gestion des Transformations Sociales, MOST, textes réunis par Hélène Rivière d’Arc, Documents de travail n°37 : 55- 62. Ickx, Wonne.2002.”Los fraccionamientos cerrados en la Zona Metropolitana de Guadalajara”, in : Luis Felipe Cabrales Barajas, Latinoamérica : paises abiertos, ciudades cerradas, Guadalajara, Universidad de Guadalajara Unesco: 117- 145.

______freguesia (anc. freguezia, frèguesia, pl. freguesias) portugais Portugal, nom fém.

Traductions “FREGUEZIA, s.f. A Igreja Parochial. Paroisse, l'Eglise Paroissiale. § O uso de ir comprar a certa parte. Chalandise, l'usage d'acheter d'ordinaire du même marchand. § As pessoas afreguezadas, concurso de freguezes. Chalandise, concours de chalands.” (*Sà 1794) “FREGUESIA , s.f. paroisse : territoire d'une cure; ses habitants; son église. (fig .) Concours de chalands; clientèle.” (Roquette 1921) Définitions freguezia “L’Église paroissiale. L’endroit de la ville, ou de la campagne, où vivent les paroissiens.” (*Bluteau 1712- 1721). parrôchia (ou parroquia ) “Freguezia , église paroissiale administrée par un Parroco .” (*Bluteau 1712- 1721). freguez “Celui qui habite dans une freguezia ou qui est d’une freguezia […] celui qui achète toujours, ou presque toujours, chez le même marchand.” (*Bluteau 1712- 1721). freguezia (ou parochia ) “Association de familles, où est honoré le même Dieu, auquel est rendu un seul culte, érigé un seul temple, construit un seul autel, et où sont enterrés les cadavres des défunts.” (Universidade de Coimbra

106 Le Trésor des mots de la ville : une maquette au 1/5e

1872 : 42). frèguesia “ paróquia ; église paroissiale; ensemble de paroissiens; habitude d’acheter à la même personne ou dans le même établissement; affluence d’acheteurs dans un établissement ou chez un vendeur; clientèle (de freguês).” (*Figueiredo 1899).

L’histoire du mot freguesia peut être retracée à travers le jeu subtil d’oppositions qui le lie au mot paróquia. Jusqu’au début du XXe siècle, ces deux termes sont donnés comme grossièrement équivalents. À la fin du XIXe siècle, dans les textes officiels ou dans les études à caractère juridique ou historique, on trouve parfois l’expression “freguesia ou paróquia”, comme pour bien marquer qu’il s’agit là de la même unité territoriale. Le mot paróquia [paroisse] est plus ancien. Son usage remonte aux premiers temps du christianisme. Les dérivés du mot latin parochu se retrouvent d’ailleurs dans la plupart des langues européennes. D’après Miguel de Oliveira, les premiers documents mentionnant le terme freguesia datent du XIIIe siècle (Oliveira 1950 : 121). Freguês [paroissien] serait antérieur. On retrouve une forme voisine en castillan : feligrés. Le christianisme naquit et s’organisa d’abord dans les villes mais, à la fin du Moyen âge, les mots freguesia et paróquia n’appartenaient plus depuis longtemps au vocabulaire spécifique du monde urbain (Sampaio 1923 : 175-189). Dès son apparition, le mot freguesia renvoyait pourtant davantage à l’idée d’un habitat regroupé. C’est là le premier point d’opposition entre les deux termes. Paróquia est issu du langage de l’administration ecclésiastique : c’est le territoire, et par extension la population, placé sous l’autorité d’un prêtre [pároco]. Le terme freguesia évoque en premier lieu la communauté des fidèles, c’est-à-dire la “congrégation des habitants d’un village, ou d’un groupe de villages, autour de l’Eglise matrice” (Oliveira 1950 : 121). Au début du XVIIIe siècle, les définitions de Bluteau marquaient bien cette distinction. Les dictionnaires de langue portugaise des XIXe et XXe siècles conservèrent, de manière plus ou moins accentuée, cette opposition entre une entité territoriale définie par un lien de pouvoir et une communauté locale. À la fin du XIXe siècle, les dictionnaires enregistrèrent un autre sens pour freguesia : ce mot désigne aussi l’habitude d’acheter dans une même boutique ou dans un même magasin. La freguesia peut alors signifier la clientèle. Ainsi, on raconte que vers 1900 une brasserie de Lisbonne était réputée pour ses beignets de morue qui étaient un régal “selon l’opinion de la freguesia” (Costa 1965 : 300). Dans la première édition du dictionnaire de António de Morais Silva, cette acception est même citée en premier (*Silva 1949-1959). Le freguês [paroissien] est le client habituel ou le chaland. Cet usage est plus ancien. Il est resté très présent dans le langage courant. On en trouve des traces chez Gil Vicente, écrivain de l’époque de la Renaissance célèbre pour ses pièces satiriques: “lui aussi est bon freguês” (Vicente 1990 [1523] : 21). Bluteau attribuait déjà ce sens à freguês mais pas à freguesia. En janvier 1922, une affiche placardée au fond de l’établissement lisboète “A Brasileira” informait les “chers Fregueses” que le prix de la tasse de café allait de nouveau augmenter (cité par Costa 1965 : 206). Encore aujourd’hui, sur les marchés de Lisbonne ou de Porto, les marchandes interpellent les fregueses. Selon cet usage, le mot freguesia renvoie à l’image de la petite communauté de quartier, unie par de multiples liens et des échanges quotidiens et dont le territoire reste imprécis. Durant la seconde moitié du XIXe siècle, un autre niveau de distinction entre les termes freguesia et paróquia émergea peu à peu. Les oppositions d’usage s’élaboraient désormais dans le champ sémantique des catégories territoriales séculières ou laïques. De nos jours, la freguesia correspond à l’unité administrative de base du territoire portugais. Depuis le XIXe siècle, le pays est divisé en distritos qui sont composés de concelhos, eux-mêmes divisés en freguesias. Quand on souhaite faire référence à l’unité administrative actuelle, le mot freguesia est habituellement traduit en français par l’expression “paroisse civile”. Cette option est sans doute un peu maladroite, mais elle a le mérite de marquer clairement la distinction

107 Le Trésor des mots de la ville : une maquette au 1/5e entre circonscriptions administratives civiles – les “paroisses civiles” – et ecclésiastiques – les “paroisses”. La notion de “paroisse civile” fut forgée dans les années 1830 à la suite des grandes réformes libérales initiées par Mouzinho da Silveira, ministre du Roi D. Pedro IV. Ces entités territoriales étaient organisées en fonction de “l’intérêt général et immédiat de tous les citoyens qui les constituent” (Tavares 1896 : 14). Tout au long de la seconde moitié du XIXe, les textes de loi ou les discours officiels étaient marqués par une grande instabilité sémantique. Dans un premier temps, l’usage du terme paróquia était dominant et la forme adjective unique était paroquial, employée notamment dans l’expression registo paroquial [registre paroissial de l’état civil]. Le principe d’une administration civile des territoires constitués par les paroisses ecclésiastiques fut établi par le décret du 26 novembre 1830, qui prévoyait la création d’un nouvel organe administratif à l’échelle du voisinage : “dans chaque paróquia une Junta sera nommée par les voisins [vizinhos]” (Université de Coimbra 1872 : 22). La reconnaissance officielle de cette nouvelle division administrative intervint dans le code administratif de 1836 qui stipulait que “les Concelhos se composent d’une ou de plusieurs Freguesias”. Le même texte précisait que les freguesias étaient administrées par un regedor de paróquia [officier de paroisse] et que tous les citoyens résidents dans la paróquia avaient le droit de vote aux élections des Juntas de Paróquia [assemblées paroissiales] (Código administrativo português 1836). Le code administratif de 1842, qui supprimait cette division territoriale, confiait la gestion de l’administration paroissiale [administração paroquial], c’est-à-dire des affaires religieuses et des biens de l’Église, à des fonctionnaires paroissiaux [funcionários paroquiais] et à une assemblée de paroisse [Junta de Paróquia] (Código administrativo 1842). Dans les codes de 1886 et 1896, cet échelon administratif territorial réapparut sous le nom de paróquia. Ces mêmes textes précisaient toutefois que la junta de paróquia se compose de trois membres dans les freguesias de moins de mille habitants (Código administrativo 1886, Novo Código Administrativo 1896). Le premier code administratif républicain publié en 1913 faisait, quant à lui, référence à la paróquia civil et à la junta de paróquia (Código administrativo 1913). Durant toute cette période, dans les débats parlementaires, les députés utilisaient aussi bien le mot paróquia que freguesia pour désigner la “paroisse civile”. Dans les années 1880, on vit apparaître l’expression paróquia civil. La loi finit par imposer l’usage du terme freguesia. En 1916, le parlement décida que “les paróquias civis auront désormais pour dénomination officielle freguesias, le corps administratif appelé jusqu’ici junta de paróquia sera nommé junta de freguesias” (Lei n° 621... 1916). La concurrence qui s’observe durant la seconde moitié du XIXe siècle entre les termes freguesia et paróquia peut être perçue comme une traduction sémantique du processus de sécularisation et de laïcisation de la société portugaise (Neto 1998 : 219-264). L’instabilité du vocabulaire était elle-même une conséquence de la difficulté à dissocier circonscriptions religieuses et civiles. La Monarchie parlementaire introduisit peu à peu des éléments de distinction, comme l’interdiction des réunions des juntas de paróquia à l’intérieur des églises (Código administrativo 1886 : art. 185º). La Première République, plus radicale, chercha à laïciser les noms des “paroisses civiles”, évolution qui a laissé des traces dans la toponymie locale des grandes villes. À Lisbonne, de nombreuses “paroisses civiles” furent ainsi rebaptisées : São Pedro de Alcântara, Caroções de Jesus ou São Jorge de Arroios, par exemple, devinrent Alcântara, Camões et Arroios (Silva 1943 : 26-27). Au XXe siècle, l’usage du mot freguesia s’imposa, paróquia tombant en désuétude, sauf lorsqu’il s’agit de faire expressément référence à la circonscription ecclésiastique (Silva 1997 : 1-3). Mais, en dehors du langage administratif, le terme freguesia a-t-il une existence propre, notamment en ville ? À l’échelle de l’individu, la freguesia peut posséder une forte valeur symbolique : c’est le lieu officiel de naissance ou de résidence, inscrit sur les cartes d’identité. Néanmoins, l’idée la plus répandue est que les freguesias sont avant tout des réalités du monde rural. Dans un contexte urbain, ces découpages anciens ne correspondraient à aucune

108 Le Trésor des mots de la ville : une maquette au 1/5e construction sociale facilement repérable dans l’espace (Santos 1995 : 94-95) et sont d’ailleurs régulièrement remis en question. Ces affirmations doivent être nuancées. En ville, le mot freguesia n’est pas uniquement réservé au langage administratif. Il peut être un des moyens de désigner un espace clairement identifié dans les découpages communs. Autrement dit, freguesia peut aussi s’employer pour bairro [quartier], quand ce terme renvoie aux formes d’identification des espaces urbains qui se basent sur des sentiments de partage d’expériences, de situations ou d’intérêts. Cette acception du mot freguesia est toutefois plus rare et dépend étroitement de la nature de l’espace en question. Une étude plus fine des manières de nommer les espaces lisboètes, par exemple, pourrait sans doute mettre en évidence une opposition entre les quartiers du centre ancien – Alfama, Bica, Bairro Alto, etc. – et ceux situés plus en périphérie – Benfica, Carnide, Olivais, etc. Cette opposition se cristallisa au cours de la seconde moitié du XIXe siècle, moment de forte expansion de la ville, quand les découpages communs [bairros], les délimitations administratives [freguesias] et la fixation de la toponymie locale procédaient d'un même mouvement d'appropriation d'un nouvel espace urbain encore en formation. Une pluralité des logiques des découpages de l’espace qui pourrait expliquer dans quelle mesure, encore aujourd’hui pour les habitants des villes, le mot freguesia peut être associé à un sentiment identitaire : “Certains souhaitent une réforme profonde de la division administrative de [Lisbonne]. Mais la freguesia comme identité est encore importante.” (Ribeiro 2004 : 55). Frédéric Vidal

Voir paróquia, bairro Voir

Sources primaires Código administrativo português. 1836. Lisbonne, Imp. Nacional Código administrativo. 1842. Lisbonne, Imp. Nacional Código administrativo. 1886. Coimbra, Imp. das Universidades Código administrativo. 1913. Lisbonne, Imp. Nacional “Lei n° 621 de 23 de Junho de 1916”, Diário do Governo, 23 juin1916. Novo Código Administrativo (Carta de lei de 4 de Maio de 1896). 1896. Coimbra, Imp. das Universidades Ribeiro, Fernanda. 2004. “Como devem ser as novas freguesias de Lisboa?”, Público, 6 mai. Universidade de Coimbra. 1872. “Juntas de Paróquia . Relatório apresentado por uma das comissões do curso do 3º ano Jurídico da Universidade de Coimbra”. Coimbra, Universidade de Coimbra. Vicente, Gil. 1990 [1523]. Pastoril Português. Lisbonne, Quimera. Sources secondaires Costa, Mário. 1965. O Chiado pitoresco e elegante. Lisbonne, Município de Lisboa. Oliveira, Miguel de. 1950. As paróquias rurais portuguesas: sua origem e formação . Lisbonne, União Gráfica. Silva, Augusto Vieira da. 1943. As freguesias de Lisboa. Lisbonne, CML. Autres références Neto, Vítor. 1998. O Estado, A Igreja e a Sociedade em Portugal (1832- 1911). Lisbonne, INCM Sampaio, Alberto. 1923. “ As vilas do norte de Portugal ”. Estudos Históricos e Económicos, 1e volume, Porto, pp. 3 - 254. Santos, José António. 1995. As Freguesias. História e actualidade. Lisbonne, Celta. Silva, Isabel (dir.). 1997. Dicionário Enciclopédico das Freguesias. Matosinhos, Minhaterra, 4 vol. Tavares, José. 1896. A Freguesia ou Paróchia como Divisão Administrativa. Coimbra, Imp. da Universidade.

______

109 Le Trésor des mots de la ville : une maquette au 1/5e funduq (pl. fanâdiq) arabe (littéral et dialectal) Maghreb et Proche-Orient, nom masc.

Traductions “ funduq, (du grec pandocheion) Khan ou okel, hôtel dans lequel les marchands ont leur magasin et où ils s e tiennent pour vendre leurs marchandises.” (*Kazimirski 1860) “ funduq pl fanâdiq hotel, inn.” (*Wehr 1976) “ funduq/n pl fanaadiq / hotel.” (*Badawi et Hinds 1986) [Egypte, dialectal]

Définitions “ Funduq le khân, qui est persan; c'est ce que relata Sibawayh [...], dans la langue du peuple de Syrie un de ces khân- s où les gens descendent, qui se trouve sur les routes et dans les villes” (*Ibn Manzûr 1994 [XIIIe s.]) “ Funduq le khân” (*al- Bustânî 1880)

Funduq, qui aujourd'hui tend à signifier “hôtel“ en arabe standard (écrit), fait partie d'un ensemble de termes, souvent synonymes, qui au cours des siècles ont désigné des types architecturaux formant une famille de bâtiments connus en français sous le terme générique, d'origine turque, “caravansérail”. Outre funduq, vraisemblablement du grec pondakon, “pontique” - via le turc ? (Ahrweiler 1994 : 195) -, ces mots d’un usage fréquent et durable sont khân d'origine persane, wakâla (ou wikâla) et qaysariyya, d’origine grecque. Ils désignent des édifices, situés à l'extérieur ou à l'intérieur des agglomérations, qui présentent en effet des homologies spatiales - organisation de cellules disposées généralement sur deux niveaux, quelquefois davantage, autour d'une cour - et des similitudes fonctionnelles - activités commerciales, voire artisanales, dépôt, et hébergement temporaire pour les négociants en voyage. Pas plus que ses équivalents, funduq, dans son acception ancienne, n'est tout à fait tombé en désuétude : non seulement il survit dans des toponymes et fait partie du lexique actuel des historiens ou des archéologues, mais il est encore familier aux utilisateurs ou voisins de caravansérails qui continuent d'exister, en remplissant ou non une ou plusieurs de leurs fonctions d'origine. Le destin de funduq semble avoir été plus maghrébin qu'oriental, au moins à partir de la période ottomane, (et maritime ?). C'est le résultat d'une évolution : selon les régions un des mots susceptibles de désigner un caravansérail est devenu dominant aux dépens des autres. Sur la base de comptages effectués à partir de chroniques et d'ouvrages de topographie historique, André Raymond a retracé les grands traits de tels mouvements : “Au Caire, on employa successivement les mots funduq, qaysariyya, khân et finalement wakâla (qui était presque seul utilisé à l'époque ottomane). Les dénominations habituelles étaient, en Afrique du Nord, funduq (et wakâla en Tunisie, sous la forme de "oukâla"), et en Syrie et en Iraq, khân (la qaysiriyya d'Alep étant [...] un établissement plutôt industriel).” (Raymond 1985 : 248) Au Yémen, succédant à khân, attesté au IXe siècle, samsara, “qui réfère à la notion de courtage ; commission” (Mermier 1997 : 229), a prévalu, “but the word may be no more than a few centuries old” (Serjeant & Lewcock 1983 : 277). Doit-on en conclure que ces termes sont, au moins à certaines périodes, interchangeables ? Le géographe du Xe siècle Al-Muqaddasî, par exemple, relève pour un même référent des variations régionales : funduq, khân, dâr at-tigâr [maison des marchands]... (al-Muqaddasî 1963 [Xe s.] : 71). En tout cas la localisation, à l'extérieur de la ville ou à l'intérieur, ne semble pas induire de distinctions lexicales. Pourtant, comme le note Antoine Abdel Nour à propos de la Syrie ottomane, entre établissements citadins et établissements ruraux, plus spécialement voués à recevoir des caravanes de plusieurs dizaines de chameaux, ce qui a pour conséquence une cour plus vaste, des granges et des écuries, des différences existaient “aussi bien au niveau du plan, de la fonction que de l'emplacement” (Abdel Nour 1982 : 283). En

110 Le Trésor des mots de la ville : une maquette au 1/5e revanche wakâla en Egypte et khân en Syrie désignent des édifices plus grands et architecturalement plus élaborés que les funduq du Maghreb et les wakâla tunisoises (Zouari 1994, Raymond 1985 : 253 et sq.). Si le mot wakâla évoque l'idée de dépôt (l'acte de confier un bien à un agent), funduq, pour sa part, a pu être davantage associé à la fonction hôtelière, que l'on retrouve dans l'acception actuelle. Ainsi la définition d'Ibn Manzûr (*XIIIe siècle), “un de ces khân-s où les gens descendent”, met l'accent sur ce trait différentiel, dans l'usage syrien, par rapport à la catégorie plus générale du khân à laquelle il est assimilé. Pour la période classique, c'est-à-dire au XIe siècle, sous les Abbassides, le terme a une importante dimension fiscale, si l'on en croit Claude Cahen qui parle d'un “système” du funduq, où étaient déposées les marchandises pour que soient prélevées ou fixées les taxes douanières ou commerciales (Cahen 1970 : 138). Jean-Claude Garcin, quant à lui, ne réserve pas ce rôle douanier à la seule catégorie du funduq, il l'étend aux khân-s et aux wikâla-s (Garcin 2000 : 149) - mais peut-être Claude Cahen utilisait-il en fait le terme dans une acception générique. A la dénomination commune pouvait être associée la mention d'une fonction, d'une activité économique, d'un produit ou d'un métier comme le funduq al-Zayt [de l'huile] à Alger et à Tunis, ou le funduq al-Najjarîn [des menuisiers] à Fès... Et, également, le nom d'une origine régionale, comme le funduq al-Jarâba [des Djerbiens] à Alger, ou d'une “nation”, à partir du XIIIe siècle, avec le progrès du commerce européen dans le monde musulman (Garcin 2000 : 149). Les Marseillais établissent des comptoirs florissants, nommés funduq-s, dans des ports du Levant et d’Afrique du Nord, à Acre, à Tunis, à Bougie et à Ceuta (Baratier1973 : 74). Comme le khân des Vénitiens à Alep, à Tunis le funduq des Français est resté fameux. Relevant la présence dans ses murs d'un consul, d'un chancelier et d'un notaire, Peysonnel écrivait à son propos en 1724 : “Les marchands français, qui peuvent être au nombre de douze, sont logés dans un fondou ou grande maison comme serait un cloître de religieux. Ils y ont chacun leurs appartements particuliers” (1987 [1838] : 84). Khan ; okel, okelle ou oquelle, pour wakâla ; caisserie pour qaysariyya ; et, pour funduq, fondou (Peysonnel 1987 [1838] : 84), fonde, fondic, fondique, fondouc, fonduc... (Lammens 1890 : 118) : les documents commerciaux et les relations de voyage attestent de nombreuses adaptations en français des mots arabes servant à désigner un caravansérail, dont certains, comme c’est le cas pour funduq, étaient eux-mêmes à l’origine des termes d’emprunt. Ce phénomène que l’on observe également dans d’autres langues, témoigne de l’importance des échanges commerciaux et linguistiques au sein du monde méditeranéen et, assurément, de celle que revêtaient, dans les pratiques et les représentations occidentales, les lieux dévolus au transit des biens et des hommes. Pour nommer “l'hôtel de voyageurs”, importé d'Occident à partir du XIXe siècle et fréquenté d'abord par une clientèle européenne, on employa des mots étrangers (en français hôtel, pension ; en anglais hotel ; en italien locanda). Le cheikh Muhammad Bayram, lettré tunisien, et grand voyageur, note vers 1880 l'absence d'un terme arabe pour désigner cet équipement que l'on trouve alors “dans les quartiers des Européens” et qui “est rarement fréquenté par un musulman”. Pour l'évoquer il recourt à des périphrases : manzil al-musâfirîn [lieu où descendent les voyageurs], mahalla li-l musâfirîn [endroit pour les voyageurs]. Il emploie aussi nazl al-musâfirîn [accueil des voyageurs], avec la même idée de “descente” . C'est le mot nazl qui sera d'ailleurs retenu par l'usage tunisien. Et Bayram explique la carence du mot et de la chose par la tradition musulmane de l'hospitalité qui les ont longtemps rendus inutiles, tout en signalant une évolution des mœurs (Magnin 1961 : 37). Avec l’apparition, puis le développement de pratiques autochtones nouvelles, touristiques notamment, on assiste à une lente revitalisation de funduq. Parmi les signifiés caractérisant l'institution que funduq avait désignée au cours des siècles, on n’a retenu à l’époque contemporaine que la fonction d'hébergement temporaire, un hébergement réservé à des

111 Le Trésor des mots de la ville : une maquette au 1/5e commerçants, des voyageurs, mais aussi des soldats, des étudiants des ouvriers migrants et autres célibataires. Cette modernisation du terme, l'adoption de sa signification nouvelle, du moins, est récente. A la fin du XIXe siècle, l'important dictionnaire de Bustâni (*al-Bustâni 1880) continue d'indiquer, et seulement, comme ses ancêtres médiévaux, la synonymie de funduq avec khân. Et à la lumière de divers lexiques, dictionnaires et guides touristiques publiés depuis, il est permis de penser que funduq, au sens d'hôtel, n’a été assimilé qu’à partir de la seconde moitié du XXe siècle, et par la langue standard, celle qu’on lit dans la presse, que l’on entend à la radio, qui est utilisée dans les dépliants publicitaires, les plans de ville et les enseignes. Funduq tend à se substiuer, après avoir coexisté avec eux, à lokanda (mot d'origine italienne, toujours en usage au sens de pension de famille au Caire, tandis qu'au Yémen le mot est réservé à un hébergement très rudimentaire et exclusivement masculin) et nazl, pl. nuzûl. Les hésitations et les évolutions terminologiques sont décelables, à Rabat comme à Beyrouth, dans les enseignes successives, que les annuaires et les photographies prises à différentes époques ont enregistrées, et dans les traces qu’elles ont laissées sur les murs. Quant aux dialectes, partout ils disposaient et continuent de disposer d’ûtîl et hûtîl, transcrits du français hôtel ou de l'anglais hotel, qui ont fait preuve d'une grande viscosité. Plus récemment encore que dans la langue écrite - à partir des années 1970 ? - funduq a commencé de passer dans la langue parlée, son usage très peu répandu étant considéré jusqu’ici comme excessivement soutenu, voire affecté ou pédant. Si funduq tend donc aujourd'hui à devenir, en arabe standard du moins, l'équivalent d'hôtel, il y a des exceptions qui sont l'indice d'obstacles rencontrés. A Tunis, on lui a préféré un mot moderne, nazl : le type d'édifice que funduq désignait traditionnellement apparaissait, ainsi que le notait le cheikh Muhammad Bayram à la fin du XIXe siècle, comme malpropre et inconfortable en regard des établissements à l'occidentale (Magnin 1961 : 37), et, devenu vétuste, il était d'autant plus déprécié que sa clientèle était jugée pauvre, rurale, voire débauchée (Callens 1955, Kerrou & M'halla 1993). Au Maroc, il semble qu’une disjonction existe aujourd’hui entre le mot de la langue écrite, funduq, et le terme dialectal, fendaq. Fendaq, dans son acception courante, désigne un lieu d’hébergement pour des ruraux et leurs animaux, et par extension une écurie. On dit à quelqu’un qui entre quelque part “comme dans un moulin” : “Tu n’entres pas dans un fendaq !” (mâ dakhalch l-fendaq). Mais cette connotation très négative ne semble pas rejaillir sur funduq, perçu comme un mot différent. Et elle ne joue pas comme un frein à l’adoption du sens moderne de celui-ci. On peut se demander si l’action réformatrice à laquelle on assiste visant à une réactualisation de funduq n'a pas d'autant plus de chances de succès que, comme au Caire ou à Damas, les continuités sémantiques ne sont plus manifestes et que les habitants ne sont pas confrontés sur le terrain à la réalité, dégradée ou non, du référent historique du mot. Ou que, comme à Rabat, celui-ci est comme déconnecté du terme dialectal et, du même coup, de sa signification. Jean-Charles Depaule

Voir Voir

Sources primaires Al- Muqaddasî. 1963 [Xe s.]. Ahsan at- taqâsîm fî ma‘rifat al- aqâlîm [La meilleure répartition pour la connaissance des provinces]. Trad. et annot. Miquel, André. Damas, IFEAD. Sources secondaires Lammens, Henri. 1890. Remarques sur les mots français dérivés de l'arabe, Beyrouth, Imprimerie catholique. Magnin, J. M. 1961. "Urbanisme, constructions et hôtellerie à Tunis vers 1880", IBLA n°93 (23- 37).

112 Le Trésor des mots de la ville : une maquette au 1/5e

Mermier, Frank. 1997. Le cheikh de la nuit. Sanaa : organisation des souks et société citadine. Arles, Sindbad - Actes Sud. Peyssonnel, Jean- André. 1987 [1838]. Voyage dans les régences de Tunis et d'Alger. Nlle éd., Paris, La Découverte, 1987 Raymond, André. 1985. Grandes villes arabes à l'époque ottomane. Paris, Sindbad. Serjeant, R.B. & Lewcock, Ronald (ed.). 1983. San‘â' an Arabian Islamic City, Londres, The World of Islam Festival Trust. Autres références Abdel Nour, Antoine. 1982. Introduction à l'histoire urbaine de la Syrie ottomane. Beyrouth, Université Libanaise. Ahrweiler, Hélène. 1994. “Encore à propos du funduq”. Res orientales vol. VI (”Itinéraires d’Orient / Hommages à Claude Cahen”), 195- 196. Baratier, E douard (dir.). 1973. Histoire de Marseille . Toulouse, Privat. Cahen, Claude. 1970. L'islam des origines au début de l'Empire ottoman. Paris, P. Bordas. Callens, M.. 1955. “L’hébergement à Tunis. Fondouks et oukalas”. IBLA , n° 70, . Garcin, Jean- Claude. 2000. “Les villes”, in Garcin, Jean- Claude (dir.) Etats, sociétés et du Monde musulman médiéval Xe- XVe siècles, T. 2 Sociétés et cultures. Paris, PUF, 129- 171. Kerrou, Mohamed. & M'halla, Moncef. 1993. “La prostitution dans la médina de Tunis au X IXe et au XXe siècles”, in F.Colonna, et Z. Daoud (dir), Etre marginal au Maghreb. Paris, CNRS Editions, 135- 153. e Z ouari, Ali. 1994. ”Un établissement économique du XVIII siècle à Sfax : le fondouk des forgerons”, in Panzac, Daniel (dir), Les villes dans l'Empire ottoman activité et sociétés, T II. Paris, CNRS Editions, 237- 279.

______ghetto (pl. ghettos ou ghettoes) anglais Etats-Unis, nom

Traduction “ ghetto s. ghetto m . ” (*Harrap’s 1986)

Définitions “ ghetto . Le quartier [ quarter] juif dans une ville [ town or city] italienne.” (*Webster 1890) “ ghetto . 1. Le quartier d’une ville [town or city] où les juifs étaient contraints de résider, spécialement en Italie; une Jewry [juiverie], obsolète ou historique. 2. Un quartier d’une ville [city] où les juifs habitent en grand nombre.” (*Webster 1920) “ ghetto . 1. Le quartier d’une ville [town or city] où les juifs étaient contraints de résider, spécialement en Italie; une Jewry , surtout historique. 2. Un quartier d’une ville [city] où les membres d’un groupe racial sont ségrégés.” (*Webster 1960) “ ghetto . 1a: Un quartier d’une ville [city] où (comme en Italie) les juifs étaient jadis contraints d’habiter b: un quartier d’une ville où les résidents sont principalement juifs [...] 2: un quartier d’une ville où les membres d’un groupe racial ou culturel minoritaire habitent, spécialement à cause d’une pression sociale, légale ou économique [...] 3: un groupe isolé ou ségrégé.” (*Webster 1976)

Aux Etats-Unis aujourd’hui, ghetto désigne les districts urbains appauvris qui comprennent une forte concentration de populations minoritaires, particulièrement des Américains- africains. Le terme est souvent évité à l’aide d’euphémismes comme inner city [centre ville] ou (housing) projects [ensembles de logements publics]. Bien que ghetto désigne généralement un lieu, ce mot évoque aussi ce que les gens ressentent à propos de ce lieu. Le psychologue social Kenneth Clark observait avec justesse : “les données factuelles du ghetto ne sont pas nécessairement synonymes de la vérité du ghetto.” (Clark 1965 : xxiii) Le ghetto peut être compris de façon différente selon l’identité raciale ou ethnique de l’observateur, selon qu’il parle de l’intérieur ou de l’extérieur, et selon que la concentration est vue comme

113 Le Trésor des mots de la ville : une maquette au 1/5e

“volontaire” ou “contrainte”. Dans tous les cas, ghetto parle de relations de statut social et de pouvoir. Au début du XXe siècle, le terme désignait des slums, districts d’immeubles locatifs [tenements] caractérisés par une forte densité de population, le délabrement et le surpeuplement des logements. C’est en ce sens que l’écrivain et journaliste Jack London évoquait “le ghetto ouvrier [working class] au sud de Market Street” à San Francisco, qu’il décrivait comme “un ghetto ouvrier [labor]”, “un ghetto surpeuplé”, “une ghetto grouillant” (London 1986 [1909]: 258, 262, 274, 291). Ce genre de définition fut bientôt spécifiquement associé aux quartiers [neighborhoods] d’immigrants, comme chez le sociologue de Chicago Robert Park: “Les Chinatowns, les Littel Sicilies, et les autres ainsi-nommés ‘ghettos’ [so- called ‘ghettos’] dont sont familiers ceux qui étudient la vie urbaine [...]” (Park 1926 : 9). Bien que ghetto ait été utilisé à propos de diverses minorités, au début du XXe siècle, il désignait principalement les vastes quartiers juifs de New York et Chicago (Hapgood 1902, Zeublin 1895). Pour les juifs, le mot avait le poids historique de ses origines à Venise au XVIe siècle. Aux Etats-Unis, toutefois, si les juifs étaient contraints par l’anti-sémitisme et les difficultés économiques, ils se rassemblaient aussi pour maintenir leurs traditions culturelles et religieuses. Louis Wirth, un sociologue de Chicago qui considérait le ghetto comme une formation sociale naturelle et bénigne, rapporte la conversation entre un père et son fils qui lui demandait avec insistance de quitter le ghetto: “Quel ghetto ?” répliqua le père, qui ne pouvait imaginer qu’il pût exister un autre monde que celui de sa communauté (Wirth 1928: 242). Le journaliste Hutchins Hapgood, qui écrivait au tournant du XXe siècle, était lui aussi optimiste sur la vie du ghetto de New York et son intelligentsia: “Quelles que soient les conditions matérielles du Lower East Side, [le quartier] est trop passionné et combatif en ce qui concerne la politique, la littérature et la vie [...] pour qu’on le considère comme un abîme de misère.” (Hapgood 1967 [1902]: xxiii). Le réformateur Jacob Riis, dans ses articles réunis dans le classique How the Other Half Lives (1901), brossait un portrait moins sympathique de ce qu’il appelait “Jewtown”, redoublant son zèle de croisé par de grossiers stéréotypes antisémites. Là où Hutchins trouvait “une vraie community [communauté]”, Riis voyait pauvreté, maladie et criminalité. Qu’un quartier [neighborhood] soit appelé ghetto dépend étroitement de qui l’habite. Harlem, à New York, ne fut pas considéré comme un ghetto avant que ses premiers résidents juifs ne fussent peu à peu remplacés par des noirs au cours des trois premières décennies du XXe siècle (Osofsky 1963, Gurock 1979). Cette évolution sémantique se répéta une génération plus tard à Newark, dans le New Jersey. Comme le notait un résident américain-africain: “Ils l’appellent un ghetto maintenant, mon vieux quartier de Newark. C’est drôle, il a reçu ce nom seulement après que la population juive qui prédominait est partie, peu après la Seconde Guerre mondiale.” (cité dans Vergara 1995: 4) Les premiers quartiers noirs des villes du Nord tendaient à être racialement ségrégés, mais économiquement diversifiés, ce qui peut expliquer qu’ils n’étaient généralement pas appelés ghettos dans les années 1920 et 1930. Une étude sur Chicago parle de la “Black Belt” et de “la communauté noire [Negro community]”, mais n’utilise pas le terme ghetto, malgré le délabrement de beaucoup de logements (Chicago Commission 1922, 8, 108, 139). L’économiste suédois Gunnar Myrdal, dans son étude exhausitive de 1944 sur “le problème noir [Negro]” aux Etats-Unis n’utilise pas non plus ghetto pour décrire la ségrégation résidentielle (Myrdal 1944). L’usage de ghetto pour désigner les quartiers noirs pauvres ne prit racine qu’après la Seconde Guerre mondiale. Robert C. Weaver, qui devait par la suite être le premier noir à être ministre, utilisait le terme The Negro Ghetto pour exprimer son inquiétude devant “la formation accélérée de quartiers [neighborhoods] habités par une seule classe et une seule race, et la possibilité qu’ils deviennent des obstacles durables à la solution des problèmes du logement et

114 Le Trésor des mots de la ville : une maquette au 1/5e de l’harmonie raciale” (Weaver 1948: viii). Dark Ghetto, de Kenneth Clark, publié en 1965, liait étroitement le ghetto aux problèmes de race et de pouvoir: “La contribution de l’Amérique au concept de ghetto a été de confiner des personnes dans des zones spéciales et de limiter leur liberté de choix sur la base de la couleur de leur peau.” (Clark 1965: 11) Mais il fallut le mouvement des droits civiques et les révoltes urbaines de la fin des années 1960 pour que la commission sur les “désordres civils” mise en place par le président Johnson prononce cette mise en accusation officielle: “Ce que les Américains blancs n’ont jamais vraiment compris – mais que le Noir [the Negro] ne peut jamais oublier – est que la société blanche est profondément impliquée dans le ghetto. Les institutions blanches l’ont créé, les institutions blanches l’entretiennent, et la société blanche lui présente ses regrets.” (National Advisory Commission 1968: 2) Le mécontentement vis-à-vis des conditions de vie dans le ghetto noir trouva à s’exprimer dans la littérature et la musique populaires. L’écrivain Claude Brown a raconté son enfance à Harlem, où les noirs venus du Sud découvrirent que la “terre promise” était en réalité “un slum ghetto [...] trop de gens pleins d’amertume et de haine s’entassant dans un coin d’une superbe grande ville, un coin sale, puant, mal tenu et de la taille d’un placard” (Brown 1965: 8). “In the Ghetto”, la chanson de Mac Davis enregistrée par Elvis Presley en 1969, exprime bien le pathos de la pauvreté du ghetto: “Alors que la neige vole / Dans un matin froid et gris de Chicago / Un pauvre petit bébé est né / Dans le ghetto / Et sa maman pleure / Parce qu’y a une chose qui lui faut pas / C’est une autre bouche à nourrir / Dans le ghetto”. Au milieu des années 1970, une nouvelle fierté et une nouvelle révolte s’exprimèrent, comme dans la ballade de Stevie Wonder, “Village Ghettoland”: “Et y en a qui disent que nous devrions / Nous contenter de ce que nous avons / Dis-moi, tu serais heureux, toi / Dans Village Ghetto Land”. Plus tard, les paroles de la musique rap, née dans le South Bronx de New York, exprimèrent résistance et réactivité, aussi bien que la tristesse et le caractère hostile du paysage mental et physique du ghetto: Dans “Ghetto Bastard” (1991), le groupe Naughty By Nature mettait en garde de façon provocante : “Si t’as jamais été dans le ghetto / Ne vas jamais dans le ghetto / Vu qu’tu comprendras jamais le ghetto / Alors garde ton cul hors du ghetto / Pourquoi moi, pourquoi moi”. L’aggravation de la pauvreté et de l’isolement du ghetto noir depuis les années 1970 a inspiré un nouveau vocabulaire savant: “hypersegregation” (Massey & Denton 1993: 10; Vergara 1995: xiii), “underclass” (Wilson 1987: 8), “hyperghetto” (Wacquant, 1989). Plus d’un analyste évoque la métaphore de l’apartheid (Massey & Denton 1993; Bullard et. al. 1996) ou celle de la prison, qui remonte au début du XXe siècle. Un auteur écrivait alors que le Lower East Side “était une forteresse autant qu’une prison” (Eric Hoffer cité dans Hapgood 1966 [1902]: xiii). Kenneth Clark, qui habitait Harlem, reconnaissait qu’il avait été “prisonnier du ghetto bien longtemps avant qu’[il ne se] rende compte qu’[il était] vraiment un prisonnier” (Clark 1965: xv). À la fin du XXe siècle, avec une proportion croissante des jeunes noirs sous les verrous, la relation entre ghetto et prison n’est plus une simple métaphore, comme l’ont relevé à la fois des universitaires (Wacquant 2001) et des artistes populaires. Les musiciens hip-hop Dead Prez ont donné le sous-titre explicite “Conversations dans un pénitentier” à leur chanson “Behind Enemy Lines” (2000): “T’as pas besoin d’être bouclé pour être en prison / Regarde comment on vit là-dedans / 30 000 nègres par jour, en tôle, chaque jour pareil / Ils nous mettent dans une boîte, c’est comme notre vie dans le block [îlot urbain] / Derrière les lignes ennemies”. Bien que le ghetto classique soit densément peuplé, de nouvelles formes spatiales sont apparues plus récemment. Le ghetto de South Central Los Angeles, mis en scène dans le film de John Singleton Boyz N the Hood (1991) est un quartier de maison individuelles de faible densité. Les photographies prises par Camilo Vergara de la lente destruction des anciens quartiers centraux dans tous les Etats-Unis, montre que “le ‘nouveau’ ghetto américain” est

115 Le Trésor des mots de la ville : une maquette au 1/5e une décharge clairsemée faite de “lieux délaissés et dangereux [...] respirant l’abandon et la ruine” (Vergara 1995: 2). On utilise ghetto dans un sens plus général pour désigner des communautés volontairement isolées ou enclaves. Détaché de son association avec la détresse sociale urbaine, peut-être par ironie, le mot peut aussi évoquer des isolats privilégiés. L’historien des villes Lewis Mumford définit le suburb [banlieue] comme “une communauté ségrégée, séparée de la ville [city] non seulement par l’espace mais aussi par la stratification de classe: une sorte de ghetto vert consacré à l’élite” (Mumford 1961: 493). D’autres usages d’aujourd’hui concernent les “ghettos universitaires” ou “intellectuels” – les campus des universités – ou les “ghettos dorés” – les communautés résidentielles fermées [gated residential communities]. De jeunes blancs, pour s’identifier avec une culture exotique et interdite désormais débarrassée de ses dangers, ont adopté des postures et un style vestimentaire du ghetto et, plus récemment, le mot lui-même: des étudiants d’une université du Middle West appellent “le ghetto” leur quartier de centre ville pour prendre leurs distances avec la culture de leurs parents et des campus ordinaires (Bell 2003); d’autres reviennent aux stéréotypes raciaux en organisant des ghetto parties [fêtes] où l’on porte des vêtements du ghetto. Dans l’expression populaire: “C’est tellement ghetto !”, le mot peut connoter un torrent de traits contradictoires, comme pauvre et bon marché ou créatif et de qualité (www.urbandictionary.com 2003). Mais, quoi qu’il en soit des utilisations plus larges du mot, ghetto désigne bien aujourd’hui essentiellement les quartiers pauvres des Américains africains. Placé à l’intersection de la ségrégation raciale et de l’extrême pauvreté, le ghetto témoigne de la difficulté qu’ont les Etats-Unis de faire face aux schismes sociaux fondés sur la couleur de la peau. Tony Schuman

Voir project, slum Voir condominio (po), favela (po), ghetto (it)

Sources primaires Bell, Robert Jr. “Miami’s Ghetto”. Paper presented at Annual Meeting, Association of Collegiate Schools of Architecture, Louisville, KY, March 16, 2003. Brown, Claude. Manchild in the Promised Land [1965]. New York: Touchstone, 1993. Bullard, Robert, Eugene Grigsby III, and Charles Lee, eds. Residential Apartheid: The American Legacy. Los Angeles: UCLA CAAS Urban Policy Series, 1996. Chicago Commission on Race Relations. The Negro in Chicago : A Study of Race Relations and a Race Riot. Chicago, IL: Univ. of Chicago Press, 1922. Clark, Kenneth B. Dark Ghetto, Dilemmas of Social Power. Middletown, CT: Wesleyan University Press, 1965. Davis, Mac. “In the Ghetto.” On album From Elvis in Memphis. RCA Records, 1969. Dead Prez. “Behind Enemy Lines.” On album Let’s Get Free. Loud records, 2000. Hapgood, Hutchins. The Spirit of the Ghetto, Studies of the Jewish Quarter in New York [1902]. Cambridge, MA: Belknap Press. Moses Rischin, editor, 1967. London, Jack. Martin Eden [1909]. New York: Bantam Classic, 1986. Massey, Douglas S. and Nancy A. Denton. American Apartheid: Segregation and the Making of the Underclass. Cambridge, MA: Harvard University Press, 1993. Mumford, Lewis. The City in History . New York: Harcourt Brace and World, 1961. Myrdal, Gunnar. An American Dilemma, The Negro Problem and Modern Democracy. New York: Harper & Row, 1944. National Advisory Commission on Civil Disorders (Kerner Commission). Report of… New York: Bantam, 1968. Naughty By Nature. “Ghetto Bastard.” On album Naughty By Nature . Tommy Boy, 1991. Park, Robert E. 1926. “The Urban Community as a Spacial [sic ] Pattern and a Moral Order”. In : Ernest W. Burgess, The Urban Community, Chicago, University of Chicago Press : 3 - 18. Riis, Jacob. How the Other Half L ives [1901]. New York: Dover, 1971.

116 Le Trésor des mots de la ville : une maquette au 1/5e

Singleton, John. Boys N the Hood. Columbia Pictures, 1991. Vergara, Camilo José. The New American Ghetto . New Brunswick, NJ: Rutgers University Press, 1995. Wacquant, Loïc. “The Ghetto, the State, and the New Capitalis t Economy.” Dissent. (Fall, 1989): 508- 520. Weaver, Robert C. The Negro Ghetto . New York: Harcourt, Brace and Company, 1948. Wilson, William Julius. The Truly Disadvantaged: The Inner City, the Underclass, and Public Policy. Chicago: University of Chicag o Press, 1987. Wirth, Louis. The Ghetto . Chicago: University of Chicago Press. University of Chicago Sociological Series: Robert E. Park, Ernest W. Burgess, Ellsworth Farris, editors, 1928. Wonder, Stevie. “Village Ghettoland.” On album “Songs in the Key o f Life.” Jobete Music, 1976. www.urbandictionary.com, "ghetto", downloaded 26/9/2003. Zeublin, Charles. 1895. “The Chicago Ghetto.” In Jane Addams, editor, Hull House Maps and Papers . New York: Thomas Y. Crowell: 91- 111. Autres références Gurock, Jeffrey S. When Harlem Was Jewish 1870- 1930. New York: Columbia University Press, 1979. Osofksy, Gilbert. Harlem: The Making of a Ghetto, Negro New York, 1890- 1930. New York: Harper & Row, 1963. Wacquant, Loïc. “Deadly Symbiosis: When Ghetto and Prison Meet and M esh.” Punishment & Society Vol. 3, No. 1, (January 2001): 95- 134. ______Großstadt (pl. Großstädte) allemand, nom composé fém.

Traductions à faire

Définitions Großstadt “Une grande ville avec b eaucoup d’habitants ayant une vie très animée. (officiel: une ville avec plus de 100 000 habitants).” (*Duden 1989) “Les großen Städte doivent disparaître de la terre.” (Bismarck cité par Hegemann 1930 : 317).

On ne trouve pas d’entrée pour Großstadt dans les dictionnaires et encyclopédies en Allemagne avant les années 1880 où le mot apparaît simplement sous la rubrique Stadt. Ces définitions insistent sur le seul aspect quantitatif, au sens d’une “grande ville”, et reprennent en général le seuil établi par l’Institut international de statistique en 1887 (100 000 habitants). Les définitions traduisent littéralement la juxtaposition de l’adjectif groß à Stadt- une Großstadt se distingue d’une Stadt uniquement par sa taille et sa population plus importante. Cependant, depuis le milieu du XIXe siècle, les usages du mot Großstadt ne se résumaient pas à une question d’échelle. Großstadt, contrairement à große Stadt, impliquait un changement de nature de la vie en société, associé à la croissance exponentielle des centres urbains qui transformait radicalement l’environnement sensoriel de la ville. De manière intéressante, ce saut qualitatif se produisit bien avant la forte poussée industrielle et urbaine en Allemagne, qui ne prit son véritable essor qu’à partir des années 1860 (4,8% de la population dans les villes de plus de 100 000 habitants en 1871, 21,3% en 1914). La notion de Großstadt commença à acquérir sa consistance sémantique dès les années 1840, décennie marquée par l’accélération de l’exode rural, les épidémies de choléra, le grand incendie de Hambourg et les révolutions de 1848. Au milieu du siècle, les images associées à la Großstadt reflétaient moins le présent qu’un avenir inquiétant, préfiguré au Royaume-Uni dans les œuvres de Charles Dickens, les essais du publiciste George Godwin (1854, 1859) ou le livre de Friedrich Engels, Die Lage der arbeitenden Klasse in England (1845). Manchester et Londres devinrent ainsi les lieux de pélérinage des réformateurs et publicistes allemands tels

117 Le Trésor des mots de la ville : une maquette au 1/5e que Victor-Aimé Huber, Johann Wichern et Wilhelm Heinrich Riehl. Manchester était perçue comme le prototype de la ville industrielle et Londres, “monstre surdimensionné sur la Tamise” (Huber 1855 : 1), fascinait et inquiétait par sa dimension et sa capacité à engendrer à la fois la richesse et la misère. “Plus une ville est grande, peuplée et riche, plus on y trouve de la misère.” (Huber 1845 : 153) En même temps, la richesse et le rayonnement de cette ville, capitale économique du monde, et la modernité de ses infrastructures techniques représentèrent en Allemagne tout au long du XIXe siècle un modèle de maîtrise scientifique de la croissance urbaine. Cette dualité structurait les usages et les représentations de la Großstadt. D’un coté, une fascination qui la reconnaît comme un démultiplicateur de la création de richesses économiques et culturelles, ou comme un vecteur du rayonnement de la nation : “Une nation sans une große Stadt ne peut pas être une grande puissance [Großmacht].” (Heinrich von Treitschke 1874 cité par Hegemann 1930 : 13) De l’autre coté, on trouve le versant pessimiste, plutôt dominant, qui cristallisait une critique conservatrice, voire réactionnaire de l’industrialisation, de la modernité et de la civilisation urbaine et qui fonctionnait comme une prophétie autoréalisatrice : “L’Europe est malade de la taille de ses Großstädte. Le caractère sain de la vieille Angleterre est enterré à Londres.” (Riehl 1861 : 95) La Großstadt était ainsi construite dans son opposition à un monde rural idéalisé en empruntant au registre métaphorique de la biologie et l’expansion urbaine était associée à la pathologie : croissance “cancéreuse” ou bubon [Pestbeule]. S’établit ainsi une équivalence et un lien de causalité entre les différentes manifestations de pathologie humaine et la nature particulière de la Großstadt, centrée jusqu’aux années 1890 sur des questions d’hygiène et de valeurs morales des classes populaires urbaines. En effet, depuis la fin du XVIIIe siècle, la statistique médicale avait construit les grandes villes comme des lieux “peu avantageux pour l’organisme humain” (Pfeil 1972 : 29), et les études épidémiologiques fournissaient une base scientifique au caractère mortifère de la Großstadt, raisonnement qui fut étendu à l’ensemble des fléaux sociaux (alcoolisme, prostitution, maladies vénériennes, criminalité) et politiques (montée de la social-démocratie et de la lutte des classes) (Schmoller 1887). Vers la fin du XIXe siècle, on assista à une diversification du regard porté sur la Großstadt qui aboutit à la déclinaison du mot en plusieurs registres sémantiques. A côté des hygiénistes et réformateurs conservateurs, les représentants des administrations communales en voie de professionnalisation et les sciences sociales rattachaient l’avènement de la Großstadt à des problématiques nouvelles. Les eugénistes, s’appuyant sur la natalité et l’aptitude militaire, associaient le développement de la Großstadt au déclin de la qualité raciale de la nation (Ammon 1906). La Großstadt devint ainsi un “moloch qui dévore les peuples” (Fritsch, 1896), qui aspire les populations saines des campagnes vers la ville. La décadence de Rome agissait comme référence historique constante, en parallèle avec Berlin. Pour les sociologues, la Großstadt était un laboratoire de la société moderne (Toennies 1897). Georg Simmel thématisa la nouvelle qualité des rapports humains, où la vitesse, l’anonymat et l’argent produisaient une individualisation fondée sur la liberté subjective et une distanciation réflexive (Simmel 1908). De leur côté, les statisticiens produisirent une typologie plus diversifiée de la Großstadt, du point de vue de la taille (introduction de nouveaux seuils de 250 000, 500 000 et villes de plus d’un million d’habitants au Congrès international d’hygiène et de démographie de Budapest en 1895) comme de l’économie, avec, par exemple, l’influente typologie fonctionnaliste de Georg von Mayr : ville industrielle, ville commerciale, ville administrative (von Mayr 1903). Les artistes n’étaient pas en reste. Des peintres comme Kirchner et Grosz, ou des poètes expressionnistes comme Georg Heym ou Gottfried Benn thématisèrent l’aliénation de l’individu dans la Großstadt , tandis que Meidner ou le poète Jakob van Hoddis produisait des visions apocalyptiques de la civilisation incarnée par la Großstadt.

118 Le Trésor des mots de la ville : une maquette au 1/5e

La césure de la Première Guerre mondiale légitima des formes d’intervention publiques plus musclées pour rationaliser, ordonner, et canaliser la croissance de la Großstadt. Les idées de Howard et Unwin se diffusèrent massivement parmi les urbanistes allemands dans les années 1920. La Gartenstadt [ville-jardin], opposée au “désert de pierres” [Steinwüste] de la Großstadt (Hegemann 1930) répondait à la volonté de faire pénétrer la nature dans la ville et de dédensifier le bâti afin de retrouver une échelle urbaine moins anonyme, moins aliénante. Des projets visèrent à reconfigurer la Großstadt héritée du XIXe siècle en rasant l’ensemble des zones construites entre 1860 et 1914 (Walter 1936). La volonté de maîtriser la Großstadt conduisit à la décomposer en zones, quartiers et îlots afin d’identifier, d’isoler et de transformer les parties qui cristallisaient ces problèmes. Ces projets furent repris et radicalisés après 1933 par les nazis, dont l’hostilité à la Großstadt, lieu cosmopolite et “berceau du communisme” constituait le fondement idéologique des tentatives de repeuplement des campagnes. Après 1942, des projets furent élaborés pour reconstruire les grandes villes détruites par les bombardements, alliant une monumentalité démesurée au centre et une dédensification du bâti dans le reste de la ville. Le mot Großstadt subit ainsi une transformation paradoxale au cours de la première moitié du XXe siècle. D’un côté, sa puissance évocatrice se confondait indissociablement avec Berlin, dans les productions artistiques comme dans les discours savants ou politiques. De l’autre côté, le mot perdait son quasi-monopole sur la désignation de la grande ville. Si Berlin fut la Großstadt allemande par excellence, elle fut aussi Hauptstadt [capitale] du Reich et de la Prusse, la ville “rouge” emblématique [das Rote Berlin] et, lorsque le cadre géographique de référence s’élargit, notamment pendant les deux guerres mondiales, les termes Weltstadt [ville-monde, mondiale] et Metropolis furent utilisés pour la comparer à Paris, Londres ou New York. Pour les statisticiens, Berlin était une Millionenstadt, à la fois une Verwaltungsstadt [ville administrative] et une Industriestadt [ville industirelle] tandis que l’économiste Walter Christaller avançait, pour désigner la grande ville, la notion dépouillée de ses connotations normatives de zentraler Ort höhrer Ordnung [lieux centraux d‘ordre supérieur] (Christaller 1933). Après 1945, Großstadt fut associé aux horreurs des bombardements et à Berlin, capitale du Troisième Reich, puis symbole de la nation divisée. Les projets de reconstruction misèrent sur une décentralisation des villes et une réduction de leur densité [Auflockerung]. Berlin, incarnation de la Großstadt de la première moitié du siècle était occupée et coupée en deux. Avec la guerre froide, Berlin-Ouest devint une enclave, un avant-poste de l’Occident dont l’économie et la démographie stagnaient. Pendant la reconstruction, la grande ville n’était plus pensée comme un tout au sens de Großstadt, elle était pensée soit à travers les unités fonctionnelles de planification urbaine : Gebiet [zone] ou territoriales :Siedlung [ensemble, lotissement]ou Nachbarschaft [voisinage], soit dans sa dimension régionale : Ballungsgebiet [aire agglomérée] ou zentraler Ort [place centrale]. Sans perdre sa charge normative, Großstadt fut remplacée par des mots techniques afin de contourner son association à Berlin. La RDA assuma avec moins de complexes l’héritage de la Großstadt, en faisant de Berlin sa capitale. Si les bâtisseurs de Berlin-Est la pensèrent comme une Großstadt et une vitrine du socialisme, ils ne parvinrent pas à hisser la ville au rang de grande capitale ou de Weltstadt. Depuis l’unification allemande, le choix de Berlin comme capitale reflète un certain retour du mot accompagné par une connotation plus positive. Mais sous l’emprise du “global” comme cadre géographique de référence, on utilise aujourd’hui plutôt Weltstadt ou Internationale Stadt [ville internationale] pour désigner Berlin, Francfort, Munich ou Hambourg. En d’autres termes, les connotations positives contenues dans le mot Großstadt tel qu’il s’est construit au XIXe siècle sont aujourd’hui plutôt incarnées dans d’autres notions, tandis que ses connotations négatives se sont déplacées géographiquement vers les villes du tiers monde et sont rattachées à des termes comme Megapole ou Riesenstadt [lit. ville énorme].

119 Le Trésor des mots de la ville : une maquette au 1/5e

Jay Rowell

Voir Hauptstadt, Mietskaserne Voir

Sources primaires Ammon, Otto, 1906. Die Bedeutung des Bauernstandes für den Staat und die G esellschaft, Jena, G. Fischer. Christaller, Walter, 1933. Die zentralen Orte in Süddeutschland , Jena, Fischer. Engels, Friedrich. 1845. Die Lage der arbeitenden Klasse in England. Nach eigner Anschauung und authentischen Quellen [La condition de la classe ouvrière en Angleterre]. Leipzig : Druck und Verlag von Otto Wigan. Fritsch, Theodor, 1896. Die Stadt der Zukunft, Leipzig, Fritsch. Hegemann,Werner, 1930. Das steinerne Berlin , Berlin, Verl. Gustav Kiepenheuer. Huber, Victor- Aimé, 1845. „Eindrücke und Betrachtungen eines Reisenden. Manchester“. In Huber (V.A), Jahrbücher deutscher Gesinnung, Bildung und That, Vol. 2. Huber, Victor- Aimé, 1855. Reisebriefe aus England im Sommer 1854, Hambourg, Agentur des rauhen Hauses. Riehl, Wilhelm Heinrich, 1861. Land und Leute, Stuttgart, Cotta. Schmoller, Gustav. 1887. “Ein Mahnruf in der Wohnungsfrage”, p.425- 444, in Gustav Schmoller, dir., Schmollers Jahrbuch, Leipzig, Duncker & Humblot. Simmel, Georg, 1908. Soziologie. Untersuchungen über die Formen der Vergesellschaftung, Leipzig, Duncker und Humblot. Toennies, Ferdinand, 1897. „Hafenarbeiter und Seeleute in Hamburg vor dem Streik 1896- 1897“, Archiv für soziale Gesetzgebung und Statistik , vol. 10. Von Mayr, Georg, 1903. Die Großstadt, Dresde, Gehe- Stiftung zu Dresden. Walter, Andreas, 1936. Neue Wege zur Großstadtsanierung, Stuttgart, Kohlhammer. Autres références Godwin, George. 1854. London Shadows : A Glance at the Homes of the Thousands, London : G. Routledge. Godwin, George. 1859. Town Swamps and Social Bridges : A Sequel of A Glance at the Homes of the Thousands, London, n.p. Pfeil, Elizabeth, 1972. Großstadtforschung, Hannovre, Jänecke Verlag. ______hadîqa (pl. hadâ’iq) arabe (littéral et dialectal), Maghreb et Proche-Orient, nom fém.

Traductions “ hadîqa, pl. hadâ’iq , 1. Verger ou jardin entouré de murs ou d’édifices . 2. Verger de palmiers.” (*Kazimirski 1860) “ hadîqa, pl. hadâ’iq , verger ; jardin entouré de murs.” (*Belot 1971) “ hadîqa, pl. hadâ’iq , jardin, parc / ~ atfâl jardin d’enfants / ~ ‘âmma, hayawânât jardin public, zoologique / ~ zîna , nabâtât jardin d’agrément, botanique.” (*Reig 1986)

Définitions “ hadîqa [...] tout terrain qui est encerclé, entouré (ahdaqa bi- ha) [...] Tout terrain p lanté d’arbres fruitiers et de palmiers, [...] le bustân et le mur”. (*Ibn Manzûr XIIIe siècle) “ hadîqa Tout bustân entouré d’un mur ; ce qui n’est pas entouré d’un mur n’est pas désigné par le terme hadîqa”. (*al- Bustânî 1927)

Hadîqa est présent dans plusieurs versets du Coran : “N’est-ce pas Lui qui a créé les cieux et la terre et qui vous a fait descendre du ciel une eau avec laquelle nous avons fait pousser des hadâ’iq pleins de beauté” (27, 60) ; “C’est nous qui versons l’eau abondante, puis nous fendons la terre par fissures et y faisons pousser grains, vignobles et légumes, oliviers et

120 Le Trésor des mots de la ville : une maquette au 1/5e palmiers, jardins (hadâ’iq) touffus, fruits et herbages, pour votre jouissance, vous et vos bestiaux” (80, 25-32). La beauté des hadâ’iq est souvent évoquée dans la littérature classique. Cette dimension esthétique est particulièrement forte dans la littérature andalouse, notamment chez Ibn Khafâja (Ibn Khafâja s. d. : 120). Au début du XVIIIe siècle, le chroniqueur Ibn Kannân évoque certains de ces espaces situés au bords des cours d’eau de Damas : “La hadîqa ‘Ajamiyya [...] est un lieu salubre où l’eau est abondante et les fontaines nombreuses” (Ibn Kannân 1994 : 508). Ce mot, que l’on rattache au radical verbal HDQ, “entourer”, désigne aujourd’hui un jardin public, un parc. On précise éventuellement “public”, ‘âmma : hadîqa ‘âmma. Il se distingue d’une part de junayna, pl. junaynât (prononcé au Maghreb jnina), diminutif de janna (pl. janân, jinân, jannât), “paradis céleste” - dans le Coran, il s’agit du jardin d’Eden et du paradis de la félicité [janna al-na‘îm]. C’est également le mot qui est utilisé dans la version arabe de la Bible. Janna, outre son sens religieux, désigne dans la culture classique tout espace vert agréable, comme dans les vers du poète Ibn Khafâja sur l’Andalousie (Ibn Khafâja s. d. : 117). Junayna appartient actuellement, dans la langue écrite, du moins, au vocabulaire domestique, en désignant un jardin directement lié à une habitation, qu’il s’agisse d’une partie d’une cour intérieure dans l’architecture traditionnelle ou de l’espace planté autour d’une maison (dans la langue écrite, on emploie plutôt à ce propos hadîqa). Hadîqa diffère d’autre part de bustân (pl. basâtîn), mot d’origine persane, qui, au Maghreb comme au Proche-Orient, s’applique à un terrain, généralement situé hors des zones bâties, où sont cultivés arbres fruitiers et légumes. On spécifie bustân par la mention de la nature de ses arbres fruitiers. On notera qu’au Machreq les terres plantées de vignes et d’oliviers sont appelées karm ; on y trouve aussi des figuiers. Au Maghreb, les terres plantées d’oliviers et de légumes sont nommées sanî‘a. Bustân peut y désigner un lieu de promenade (dans ce cas, on emploie aussi l’expression dialectale jarda, du français jardin). Dans l’Orient arabe, au contraire, il a perdu cette signification qu’il avait jadis. Hadîqa en tant que catégorie générique [espace vert ] est couramment le synonyme de rawda (pl. riyâd, rawdât), qui, de nos jours, s’emploie surtout dans un contexte littéraire. Rawda suppose, à l’origine, la présence ou la proximité de l’eau. Le mot a pu, par le passé, ainsi qu’en témoignent quelques occurrences anciennes désigner un cimetière - par exemple le cimetière de ‘Alî ibn Abî Tâlib à Najaf, en Irak (Ibn Battûta : 119) ; celui de Qasr Hamrâ’ en Andalousie... Il continue, d’ailleurs à avoir ce sens au Maroc (Reig, 1986). Dans l’usage contemporain rawda est généralement combiné avec un complément, comme dans l’expression très répandue rawdat al-atfâl [jardin d’enfants]. Le fait que hadîqa, qui ne semble pas avoir été le terme le plus utilisé au cours de l’histoire, ait aujourdhui une acception exclusivement urbaine et publique est selon toute vraisemblance à référer au développement, à partir de la fin du XIXe siècle, de la notion d’équipement, en l’occurrence un lieu dévolu à la détente et à la promenade (il arrive d’ailleurs que les mots signifiant cette fonction, nuzha, mutanazzah, muntazzah, servent également à désigner un parc, au Maghreb comme au Machreq). Le témoignage d’un voyageur égyptien visitant Damas en 1890, qui consacre un chapitre à ses mutanazzahât (lieux de détente, de promenade) est à cet égard significatif : “Dès que l’on passe les portes de la ville, on trouve des basâtîn des riyâd pendant des heures. On peut ainsi dire que Damas toute entière n’est que mutanazzahât. Les gens se rendent surtout à Sâlihiyya, Nayrab, Marja et dans les environs de Bâb Tûmâ où l’on trouve des hadâ’iq ‘umûmiyya [jardins publics], propres à la détente et non à la culture, comme le junayna de l’Efendi, du Manâkh, de Sûfâniyya et autres” (Sâmî 1981 : 105). L’usage actuel apparaît comme le résultat d’une différenciation, correspondant à une redéfinition des territoires de la ville. Opérée dans une visée réformatrice, cette différenciation a porté sur la constellation formée principalement par les termes bustân, rawda, junayna, hadîqa, qui avaient pu, par le passé, être synonymes, ou présenter seulement

121 Le Trésor des mots de la ville : une maquette au 1/5e de légères variations, régionales et/ou historiques, ou encore désigner des réalités complémentaires s’emboîtant les unes les autres (des traces de tels états antérieurs sont encore vivaces, en particulier dans la langue parlée). Les exemples anciens de synonymie sont en effet nombreux : ainsi, pour signifier “ paradis ”, tous les dictionnaires citent ces versets du Coran : “Ceux qui auront cru et accompli de bonnes actions se réjouiront dans un rawda” (30, 15) ; “Et ceux qui croient et accomplissent les bonnes œuvres seront dans les sites fleuris des rawda” (42, 22). Dans sa description de Damas, Ibn Jubayr (XIIe siècle) mentionne bustân, riyâd et janna. Ibn Battûta (XIVe siècle) note que la ville de Hama, en Syrie, est entourée de bustân et de janna ; de Damas, il dit : “Les habitants de Damas ne travaillent pas le samedi ; ils se rendent dans les lieux de promenade, au bord des cours d’eau, parmi les arbres élevés, au milieu des denses bustân et des eaux courantes ; ils y passent toute leur journée jusqu’à la nuit” (Ibn Battûta : 63). Dans le conte des Mille et une nuits consigné au XVe siècle, “Nûr al-Dîn” (et Anîs al- jalîs), Hârûn al-Rashîd possède un bustân dédié à la promenade [bustân al-nuzha] comprenant un pavillon pour admirer le paysage (Mille et une nuits 1888 : 245 ; Mille et une nuits 1990, 170). Dans la première moitié du XVIIIe siècle, le chroniqueur damascène Ibn Kannân note qu’il s’est rendu 34 fois dans un bustân, 4 fois dans une hadîqa et 4 fois dans une junayna ; le bustân constitue pour lui un lieu de détente : “Nous étions avec un groupe d’amis dans le bustân de Dawwâsât au bord de la rivière Yazîd” (Ibn Kannân 1994 : 222). Les termes karm, janna et firdaws sont parfois équivalents (al-Bustânî 1870), de même que les termes bustân et hadîqa (Mawsû‘a 1965). Dans les actes juridiques du XIXe siècle consignés dans les archives des tribunaux de Damas, bustân désigne un terrain cultivé pouvant inclure une ou plusieurs junayna elles-mêmes cultivées et irriguées. Il est planté d’oliviers et autres arbres fruitiers mais aussi de peupliers, de saules, de mûriers et parfois même de céréales et de légumes. Les termes bustân et junayna sont parfois interchangeables : un bustân situé dans le faubourg de Shâghûr, à Damas, est connu sous le nom de Junayna al-Sawdâ. Des junayna sont présents dans la cour de certaines maisons damascènes (Reilly 1990 : 96-98). Au milieu du XVIIIe siècle, Ibn Kannân décrit ainsi la junayna d’un notable de Damas : “ Nous étions installés dans sa junayna située sous le minaret de la Qalânisiyya [...] ; il y avait construit une banquette confortable et une salle agréable ; il y avait ajouté de belles choses et planté de nombreuses fleurs ” (Ibn Kannân 1994 : 261). Cette acception est liée à la notion de sayrân, terme que les Damascènes emploient pour évoquer leurs promenades, au printemps et en été, dans tous les lieux verdoyants (Budayrî 1959 : 129). Ces lieux de promenade changent en fonction du moment de l’année et du climat, et sont différents en fonction des milieux sociaux et des confessions (Nu‘aysa 1986 : 118). A Damas, certains cafés de Bâb Tûmâ sont désignés par le terme janâ’in, lieux fleuris évoqués dans certains toponymes comme janâ’in al-ward [les jardins de fleurs] qui est le nom d’une rue du quartier de Qassâ‘. Dans la langue parlée, à la place de la dénomination officielle hadîqa ‘âmma [jardin public], on emploie le terme jnêne, variante syrienne dialectale de junayna ; l’adjectif junaynâtî, relativement nouveau, désignant quant à lui des lieux cultivés et irrigués propices à la promenade. Il est d’ailleurs à noter que hadîqa n’apparaît pas dans le dictionnaire de référence des dialectes parlés à Alep, Damas, Jérusalem et au Liban, dans les années trente (Barthélémy 1935). Dans le parler urbain, junayna désigne non seulement le jardin domestique, mais aussi tout espace vert à vocation publique situé en ville, au lieu de hadîqa ‘âmma. Ainsi, à Damas, Hadîqa Zanûbiya, aménagé dans la première moitié du XXe siècle, est appelé par les habitants junayna Subkî, du nom du quartier dans lequel il se trouve (Samû’îl 1994 : 25). Junayna peut également désigner l’aire de jeux des enfants dans un hadîqa ‘âmma. On observe un phénomène semblable au Caire, où, dans l’arabe parlé, on utilise ordinairement ginêna (variante égyptienne de junayna - pl. ganâyen), comme générique, pour nommer aussi bien un

122 Le Trésor des mots de la ville : une maquette au 1/5e verger qu’un parc urbain, y compris dans des expressions comme ginênet el-hayawanât [jardin zoologique] (Badawi et Hind 1986). L’expression hadîqa ‘âmma désigne désormais, dans la langue standard (écrite), un élément des grandes villes modernes. La langue technique emploie des expressions telles que tasmîm hadâ’iq [agencement de jardins], ta‘mîr hadâ’iq [aménagement de jardins] en classant les jardins (européens, japonais...). A partir du milieu du XXe siècle, les dictionnaires mentionnent hadîqa al-hayawân [jardin zoologique, litt. “ des bêtes sauvages ”] ou hadîqa al- nabâtât [jardin des plantes]. Au Maghreb, hadîqa al-tajârib est la traduction de l’expression française “ jardin d’essais ”. Des expressions sont apparues, telles al-madîna al-hadâ’iqiyya, [la ville-jardin] (al-Shihâbî, 1893-1968). C’est à ce champ sémantique que font vraisemblablement écho les noms de quartiers résidentiels périphériques du Caire, développés à partir de la fin du XIXe siècle, Hadâ’iq al-Qubba ou Hadâ’iq al-Ma‘adi [Les jardins de Qubba, de Ma‘adi]. La présence dans la toponymie urbaine du mot bustân, utilisé au pluriel comme pour le quartier périphérique d’El-Basâtîn, connu pour son cimetière, ou au singulier dans l’actuel centre ville - notamment sur l’enseigne d’un café célèbre dans les années quatre- vingt, Zahret el-Bustân [La fleur du bustân] - y évoque en revanche l’existence, dans le passé, de terrains cultivés. Le mot park est quant à lui un nouveau terme administratif pour désigner de grands espaces verts à l’extérieur des villes. Bassâm Sâbbûr

Voir Voir jardim (portugais), jardin public (français), parc (français), park (allemand), park (anglais), parque (espagnol), sad (russe), square (anglais)

Sources primaires Abd al- Rahmân Beyk Sâmî, Al- qawl al- haqq fî Bayrût wa Dimashq, Beyrouth, Dâr al- râ’id al- ‘arabi, 1981 Alf layla wa layla . XVe siècle. Beyrouth, al- Matba‘a al- Kâthûlikiyya, 1888. Alf layla wa layla . XVe siècle. Baghdad, Dâr al- tarbiyya li- l - tibâ‘a wa- l - nashr wa- l - tawzî‘, vers 1990. Ibn Battûta. XIVe siècle. Rihla , Liban, (maison d’édition ? date ?). Ibn Jubayr. XIIe siècle. Rihla (lieu ? maison d’édition ? date ?). Ibn Kannân, Muhammad. XVIIIe siècle. Yawmiyyât shâmiyya, 1699- 1740. Akram al- ‘Ulabî, éd., Damas, 1994. Ibn Khafâja al- Andalûsî, (1058- 1137). s. d., Dîwân. Beyrouth, Dâr Sâdir. Le Saint Coran et la traduction en langue française du sens de ses versets, Médine, Complexe du Roi Fahd destiné à l’impression du Saint Coran, 1989- 1990. Nu‘aysa, Yûsuf. 1986. Mujtama‘ madînat Dimashq, 1772- 1840. Damas, Dâr Talâs li- al- dirâsât wa- l - tarjama wa- l - nashr, deuxième édition 1994. Samû’îl, Ibrâhîm. 1994. Al- war al- azraq (nouvelles). Damas, Dâr al- Jundî. Autres références Kitâb al- muqaddas al. vers XVIIIe siècle. Beyrouth, Jam‘iyya al- kitâb al- muqaddas, 1962. Munjid fî al- lugha wa al- a‘lâm al- . début XXe siècle, Beyrouth, 27e édition 1984. Reilly, James. 1990. “ Properties around Damascus in the Nineteenth Century ”, Arabica, XXXVII, p. 91- 114. ______house (pl. houses) anglais Grande-Bretagne, nom et verbe

Traductions “house [...] s. maison, f. logis , m. A great nobleman’s house, un hôtel, m. * House (family) maison, famille, fém. * House (kindred), maison, famille, race, f. [...]” (*Boyer 1808)

123 Le Trésor des mots de la ville : une maquette au 1/5e

“house [...] n. 1 maison f. : to keep - , tenir le ménage ; - - breaker, cambrioleur m. ; - hold , maisonnée f. ; - holder chef de famille m. ; [...] - wife , maîtresse de maison. 2 auberge f. 3 (parlement.) (H - ) chambre f. 4 famille f.” (*Mac Laughlin & Bell 1954)

D éfinitions “ House n.s. 1. Un lieu où les hommes vivent; un lieu où les humains s’abritent 2 Tout lieu servant d’abri [abode] Houseless adj. (de house) Sans abri; sans habitation [ habitation] Dwelling house n.s. (de dwell et house) La maison [ house] où l’on habite. Le lieu de résidence.” (*Johnson 1755) “tout l’espace compris entre les murs extérieurs ou mitoyens d’un bâtiment” (Census of England and Wales 1913 : iv) “ House n., pl. houses 1. a. Un bâtiment servant de logement [dwelling] à une ou plusieurs familles b. Un lieu servant d’abri; une résidence c. Quelque chose servant d’abri. [...]” (* Universal Dictionary 1987)

Selon un médiéviste: “[Dès la fin du XIe siècle], la forme la plus haute de propriété urbaine, qu’elle fût appelée mansura, haga (ou haw [haie]), ou simplement domus (ou house) était clairement dans la plupart des cas une tenure libre assortie d’un loyer en argent.” (Holt 2000 : 85) Après la Conquête (1066), le mot house semble avoir été surtout utilisé en référence aux propriétés construites sur des terrains possédés par des bourgeois (burgage plots). On le trouve dans des dénombrements d’époque avec l’orthographe du vieil anglais: hus, hous ou howse, et cela jusqu’au XVIIe siècle, quand entrèrent en usage l’orthographe moderne et le nom composé dwelling house, généralement au pluriel. En outre, des réglementations officielles et des proclamations royales utilisaient le terme collectif dwellings (et, occasionnellement, habitations). Dans la société médiévale, les termes qui désignaient des types spécifiques de dwellings avaient la fonction d’indicateurs de statut social. Le mot anglo-saxon haga (maison d’un noble) fut remplacé par hall (maison principale d’un domaine foncier) et manor house (maison du seigneur du manoir). Hall et mansion furent adoptés dans les villes pour désigner les riches propriétés libres. Les sources urbaines médiévales utilisaient aussi le vocabulaire des tenures paysannes. Ainsi bordellum – traduit par shack [baraque] par l’éditeur moderne du relevé de Winchester de 1311 (Biddle 1976 : 48-49) – et cottagium. S’agissant des immeubles urbains en location, le mot anglais cottage – qui dérivait de cot [berceau] – s’appliquait aux dwellings de un ou deux niveaux (Langton 1977) et fut communément utilisé par la suite pour référer aux logements des manouvriers urbains. Le vocabulaire anglo-français était aussi utilisé. Ainsi messuage (ou capital messuage) désignait une parcelle sur laquelle étaient construits un dwelling et des bâtiments annexes, et tenement la tenure d’une parcelle ou de bâtiments (ou d’une partie d’un bâtiment divisé en différents tenements). Différentes formes d’habitation avaient aussi des noms distincts, deux des plus anciens étant hall house (ou aula) et courtyard house pour les habitations paysannes, mais les bâtiments à structure de bois construits dans les villes n’avaient d’autre nom que house. Ils avaient une taille très variable selon le nombre de pièces et d’étages, jusqu’à cinq et demi à Londres à la fin du Moyen Age (Schofield 1987). Ceux qui avaient une façade sur rue combinaient espace domestique et ateliers [workshops], magasins [storehouses], comptoirs [counting houses] et boutiques [shops]. On utilisait les matériaux locaux pour construire ce que les historiens de l’architecture définissent comme les “maisons vernaculaires”, caractérisées par des “paramètres architecturaux implicites” (Lawrence 1992). À partir du XVIIe siècle, de nouveaux matériaux – particulièrement la brique – permirent “une approche radicalement nouvelle de l’architecture domestique”, caractérisée par la possibilité d’imiter à des degrés divers des styles architecturaux connus (Borsay 2000 : 102). En outre, les nouvelles maisons étaient de plus en plus souvent construites sur des housing estates [domaines immobiliers] aménagés selon un plan d’ensemble, la construction sur

124 Le Trésor des mots de la ville : une maquette au 1/5e commande des particuliers reculant massivement au profit de la construction par des spéculateurs en vue de la vente. Au XIXe siècle, le constructeur spéculatif fut souvent critiqué pour produire ce qu’on appelait des jerry built houses [maisons de carton-pâte, litt. pot de chambre]. La principale forme nouvelle de construction était la rangée de maisons en bande – row ou terrace. À partir du XVIIIe siècle, la terraced house de cinq ou six étages avec des chambres sous les combles pour les domestiques et des étables à l’arrière dans les mews, devint la façon élégante de résider en ville, mais “l’omniprésence de la terraced house victorienne” résultait de son adaptabilité à une grande diversité de revenus (Muthesius 1982). À partir de 1774, les terraced houses correspondirent à l’une des catégories d’assiette des impôts locaux fixées par les Building Acts. Les contemporains continuaient toutefois à appeler cottages celles qui étaient construites pour les artisans et ouvriers d’usine (Rimmer 1961). Comprenant généralement quatre pièces – on les appelait two up and two down –, celles-ci étaient construites en bordure de rue ou sur des cours arrière accessibles par un corridor et, souvent, dans les villes industrielles du Nord, en deux rangées adossées l’une à l’autre – d’où leur nom de back-to-back ou blind-back (Beresford 1971). À partir des années 1840, les officiers de santé publique condamnèrent les conditions sanitaires des back-to-backs, des cellar dwellings [cave utilisée comme logement] et des court dwellings [logements sur cour]. Ces préoccupations s’exprimaient dans des brochures sur les dwellings of the poor [logements des pauvres] et une législation sur les artisans and labourer’s dwellings [logements pour ouvriers et maneuvres]. Dans les années 1880, les réformateurs adoptèrent une phraséologie plus abstraite dans leurs écrits sur la housing question [question du logement] et le housing of the working classes [logement des classes laborieuses], cette dernière expression acquèrant un statut officiel dans le titre d’une enquête parlementaire (Royal Commission... 1884-1885). Dès lors, housing devint le terme collectif usuel, tandis que dwelling continuait à être utilisé dans les statistiques des housing units. La terraced house avec sa cour ou son jardin à l’arrière devint la forme générale de la town house anglaise au XIXe et au début du XXe siècle, et l’est restée depuis. Par contraste, la suburban house était associée avec villa, mansion et cottage ornee ce dernier terme (dérivé du français “orné”) anticipant sur la tendance plus récente à utiliser le mot cottage pour désigner les maisons suburbaines. C’est principalement la villa qui permit d’établir la préférence des classes moyennes pour la maison indépendante avec jardin d’agrément (Olsen 1980). Villa, qui avait pour origine la villa aristocratique à la campagne, était utilisé, vers 1800-1810, pour désigner la modeste maison bourgeoise suburbaine (Summerson 1995 : 3-11, 11-15, 27-29). “Des Villas et des Résidences respectables combinant les avantages de la ville et de la campagne” (Proposals for Building 1829, cité par Summerson 1995 : 29): le terme était devenu commun pour toute maison indépendante, y compris lorsque deux maisons mitoyennes formaient ensemble une villa. Ajoutant à la confusion, les promoteurs attribuaient des prétentions sociales à de petites terraced houses en les appelant villas jusqu’à ce que le terme fût passé de mode au XXe siècle. Les changements de forme de la maison étaient associés avec la tendance à des plans plus variés et avec une séparation des activités économiques qui donna naissance à la maison autonome ou “encapsulée” (Daunton 1983 : 215). L’idéologie qui sous-tendait ce modèle était exprimée par le chef du recensement qui notait en 1852: “Tout Anglais désire fortement posséder une house entière, car elle dessine un cercle nettement défini autour de sa famille et de son foyer [hearth] – une châsse sacrée pour ses peines, ses joies et ses méditations.” (Census of Great Britain 1852 : xxxv) En réalité, la maison familiale victorienne était partagée avec des logeurs, des visiteurs et des domestiques à demeure, qui formaient avec les membres de la parentèle un plus vaste household [ménage]. En outre, dans les districts

125 Le Trésor des mots de la ville : une maquette au 1/5e industriels plus pauvres, les houses étaient divisées entre plusieurs familles et désignées par le mot tenement. Cette signification de tenement n’avait pas cours en Ecosse, du fait de traditions en matière de logement plus proches de celles de l’Europe continentale. Là, tenement block ou tenement désignait un bâtiment construit pour loger une famille par étage, l’étage étant appelé flat. Cet usage ne fut adopté en Angleterre qu’à partir des années 1840, seulement pour les flats ouvriers des model dwellings [logements modèles] des philanthropes, que tout le monde appelait tenements (Tarn 1976), tandis que les flats pour les riches étaient nommés apartments. Ce ne fut pas avant 1911 que house fut redéfini dans le recensement de l’Angleterre et du pays de Galles pour tenir compte des flats: auparavant les agents recenseurs comptaient un block of flats comme une seule house (Census of England and Wales 1911). Les flats étaient néanmoins très minoritaires an Angleterre au début du XXe siècle. Comme le soulignait un admirateur allemand de l’architecture domestique anglaise: “L’Angleterre est le seul pays avancé dans lequel la majorité de la population vit encore dans des Häuser [traduit par houses].” (Muthesius 1979 [1908-1911] : 1) La valeur symbolique de la maison unifamiliale comme “château de l’Anglais” (Loane 1909) s’affirma encore dans l’entre-deux-guerres. Y contribuèrent l’expansion des suburbs [banlieues], la diffusion de la propriété d’occupation, la réduction de la taille des ménages et la prédominance du modèle du garden suburb [banlieue-jardin] parmi les planificateurs urbains. Des maisons unifamiliales subventionnées furent construites par les autorités locales dans des cottage estates, le terme cottage ayant été adopté par des architectes de premier plan pour désigner des maisons modestes de deux niveaux, avec ou sans parlour [pièce de réception sur rue] (Unwin 1908). Tandis que la plupart des autres houses étaient appelées detached [indépendantes] ou semi-detached [jumelles], des innovations dans la construction enrichirent encore le vocabulaire avec bungalow – défini en 1888 comme une maison à un seul niveau (*Murray 1888) –, son dérivé chalet bungalow – qui comprenait des pièces sous les combles – et maisonette – une maison à deux niveaux logeant chacun une famille. Terme d’origine indienne, bungalow fut introduit en Angleterre dans la seconde moitié du XIXe siècle pour désigner “une petite country house” et désigna ensuite des maisons “utilisées de façon temporaire pour les loisirs ou les vacances ou de façon permanente pour l’habitation suburbaine” (King 1984). L’usage en Grande-Bretagne du péjoratif bungaloid (dont on dit qu’il fut inventé par le doyen de la cathédrale Saint Paul) date de 1927, époque à laquelle le bungalow préparait en Ecosse la transition vers la house unifamiliale (Rodger 1996). David A. Reeder

Voir apartment house, flat, mansion, terrace, villa Voir casa (es), casa (it), casa (po), Haus (de), maison (fr)

Sources primaires Census of Great Britain, 1851. 1852. General Report, vol.1. Parliamentary Paper, London: HMSO. Census of England and Wales, 1911. 1913. Buildings of Various Kinds, vol vi. Parliamentary Paper, London: HMSO. Royal Commission on Housing of the Working Classes. 1884- 1885. Report, Parliamentary Paper, C.4409. London: HMSO. Loane, M.E.1909. An Englishman’s Castle . London: Edward Arnold. Unwin, Raymond. 1908. Cottage Plans and Commonsense. London: Fabian Society Tract N° 109. Muthesius, Hermann. 1979 [1908- 1911]. The English House.1979. London: Crosby Lockwood Staples (traduction de Das Englische Haus. Berlin: Wasmuth). Sources secondaires Schofield, John. (ed.). 1987. The London Surveys of Ralph Treswell. London: London Topographical Society, No 13 : 11- 17.

126 Le Trésor des mots de la ville : une maquette au 1/5e

Langton, Jack. 1977. “Late medieval Gloucester; some data from a rental of 1455”, Transactions of the Institute of British Geographers , new ser., 2. : 259- 277. Biddle, Martin. (ed.). 1976. Winchester in the Early Middle Ages. Oxford: Oxford University Press. Holt, Richard. 2000. “Society and Population”, in The Cambridge Urban History of Britain , vol 1 600- 1540 (ed.). Palliser, David M. Cambridge: Cambridge University Press. : 79- 104. Rimmer, William G. 1961. “Working men’s cottages in Leeds, 1770- 1840”, Transactions Thoresby Society, vol xlvi.: 165- 199. Beresford, Maurice W.1971. “The Back- to Back House in Leeds, 1787- 1937”, in Chapman, Stanley D. (ed.). The History of Working- Class Housing. Newton Abbot: David and Charles. : 93- 132. Summerson, Sir John. 1995. “The Beginnings of an Early Victorian Suburb”, London Topographical Record , vol. xxvii. London: London Topographical Society No 149. : 1 - 48. Olsen, Donald J. “The Villa and the New Suburb”, in Olsen, Donald J. The Growth of Victorian London. London: Batsford. : 187- 264. Tarn, John N. (1974). “French Flats for the English in Nineteenth- Century London” in Sutcliffe, Anthony (ed.). Multi- Storey Living. The British Working- class Experience. London: Croom Helm. : 19- 40. King, Anthony D. 1984. The Bungalow. The production of a global culture. London: Routledge and Kegan Paul. : 2. Autres références Lawrence, Roderick J. 1992. “Integrating architectural social and housing history”, Urban History, vol 19, part 1. : 39- 63. Borsay, Peter. 2000. “Early Modern Urban Landscapes 1540- 1800” in: Waller, Philip (ed.). The English Urban Landscape. Oxford: Oxford University Press : 99- 124. Muthesius, Stefan. 1982. The English Terraced House. New Haven and London: Yale University Press. Daunton, Martin. 1983. “Public Place and Private Space. The Victorian City and the Working – Class Household” in: Fraser, Derek and Sutcliffe, Anthony. The Pursuit of Urban History . London: Edward Arnold. : 212- 233. Rodger, Richard. 1996. “Urbanisation in the Twentieth – Century Scotland”, in Devine, Thomas M. and Finlay, Richard J. (eds.). Scotland in the 20th Century . Edinburgh, Edinburgh University Press :141- 2. ______hru_oba (pl. hru_oby) russe Russie et ex-URSS, nom fém.

Traductions à faire

Définitions “ khrushchoba […]. De Khrouchtchev et trushchoba, taudis [slum] ; jeu de mots désignant une habitation sordide [a slummy dwelling]. Le terme fait référence aux immeubles d’habitation édifiés à Moscou, Leningrad et dans les autres grandes villes à la fin des années 1950 et au début des années 1960, sous Khrushchev.” (*Corten 1992)

“ hru _oba […] Immeuble préfabriqué de cinq étages, construit sous Khrouchtchev ; Le quartier de ces immeubles ; L’appartement dans un tel immeuble.” (*Elistratov 1994)

“ hru _oba […] Immeuble préfabriqué de cinq étages avec de petits appartements (de tels immeubles ont été construits en URSS à la fin des années 1950- 1960).” (*Leva_ov 1997)

L’existence du terme hru_oba est attestée par la presse soviétique en 1989. Un article de la Leningradskaâ pravda daté du 18 juin en explique l’origine : “Khrouchtchev porta à la connaissance de tous cette forme médiocre et grossière [qui] couvre le pays d’immeubles exigus de cinq étages (“les hru_oby”)” (cité par *Leva_ov 1997 : 869). Ils sont ainsi décrits aujourd’hui dans un quotidien de Saint-Petersbourg publié en anglais : “Construits il y a quarante ans et destinés à être des bâtiments ‘temporaires’, ces immeubles de cinq étages ont été la réponse […] de l’Union soviétique à la construction de masse. Bien qu’ils ne fussent pas communautaires, les appartements étaient loin d’être confortables,

127 Le Trésor des mots de la ville : une maquette au 1/5e offrant de minuscules pièces, de minuscules cuisines et presque pas d’espaces de rangement. Il n’a pas fallu longtemps pour qu’on [les] surnomme […] khrushchyovki – d’après le secrétaire général Nikita Khrouchtchev – puis krushchyoby, jeu de mots basé sur le vocable russe signifiant ‘slum’ [taudis].” (Katz 1996 : 21). Une première étape doit cependant être distinguée. Au cours des années 1970, le langage parlé enrichit une terminologie officielle qui distinguait les hru_ëvskie doma [immeubles khrouchtchéviens] des stalinskie doma [staliniens] bâtis précédemment et des bre_nevskie doma [brejnéviens] en cours d’édification. Pour l’homme de la rue, les immeubles construits sous Khrouchtchev devinrent des pâtiêta_nie doma, littéralement immeubles de cinq étages – il s’agit de barres de quatre étages, le rez-de-chaussée étant considéré comme un premier étage. Plus simplement encore, on disait pâtiêta_ki : “Pavlik a habité dans une pâtiêta_ka type, en panneaux” (*Kotelovaâ 1995 : 599), dans un petit immeuble de cinq étages. C’était en fait le vocabulaire des architectes et des chefs de projets qui se diffusait dans le langage courant. L’époque était à la construction d’immeubles préfabriqués et standardisés de plus grande hauteur, et les immeubles khrouchtchéviens devinrent ainsi des pâtiêta_ki, par opposition aux devâtiêta_ki ou aux dvenadcatiêta_ki, ces bâtiments de neuf ou de douze étages édifiés depuis l’avènement de Brejnev. Bientôt, de nombreuses plaisanteries apparurent sur la qualité du logement khrouchtchévien. La surface habitable étant la plus faible de toutes les parties du parc immobilier, on relève que “Khrouchtchev est le premier a avoir relié le sol au plafond et les toilettes au salon” (entretien 1997). Dans le même ordre d’idées : “Un touriste soviétique inspecte la maison d’un travailleur américain : deux chambres, un salon, une salle à manger… ‘Eh bien’, soupire-t-il, ‘vous pourriez dire que mon appartement présente tout cela aussi, mais sans les cloisons’” (rapporté par *Corten 1992 : 78-79). La critique porte en premier lieu sur le logement, sa taille, son degré de confort, ce qui conduit à la formation d’un nouveau terme : la hru_ëvka. Ce vocable courant définit “l’immeuble standard de cinq étages [qui abrite] des appartements de petit gabarit” (*O_egov & _vedova 1992 : 902). Composé du nom de Khrouchtchev [Hru_ëv] et du diminutif –ka, hru_ëvka a un sens péjoratif et se distingue de la sorte de pâtiêta_ka. On ne fait plus simplement référence à la hauteur de l’immeuble par rapport aux autres édifices urbains : c’est la construction khrouchtchévienne qui est mise en exergue, c’est-à-dire la faible ambition technique du programme lancé au milieu des années 1950, la petite qualité des immeubles comme celle des logements. Dès lors, évoquer cette phase de production s’impose lorsqu’il s’agit de constater que “dans un trois pièces, et même dans un cinq pièces, [la cuisine] est toujours de 6,5 [mètres carrés] ! Est-il possible qu’en 25 ans, depuis la construction des célèbres ‘hru_ëvki’, les projeteurs n’aient pas compris que pour une famille de plusieurs personnes de telles cuisines sont petites !” (cité par *Leva_ov 1997 : 868). A la fin des années 1980, un pas est encore franchi avec l’émergence d’un nouveau jeu de mots : hru_oba, issu de l’association du nom de Khrouchtchev au terme tru_oba, désigne le taudis khrouchtchévien. A l’origine, “le mot tru_oba est un dialecte populaire. Il signifie creux, cavité ; un lieu étroit impénétrable (une forêt épaisse avec des abattis, un profond ravin broussailleux, etc…). Il fut utilisé dans ce sens dans […] la langue littéraire russe du XVIIIe et du début du XIXe siècles. Le dictionnaire de l’Académie de 1847 reconnaît seulement cette signification” (*Vinogradov 1994 : 811-812). Tru_oba désigne également “un coin perdu de province, un trou perdu […]. Il a construit une masure quelque part dans un coin perdu [gde- to v tru_obe]” (*Dal’ 1882 : 438). Enfin, tru_oba acquit un nouveau sens à compter des années 1850 et 1860, surtout après 1864, date de la publication du roman de V. Krestovskij, Peterburgskie tru_oby [Les taudis pétersbourgeois] (*Vinogradov 1994 : 811-812). Il se réfère alors à un “bouge [priton] d’éléments criminels, situé dans une zone pauvre, sale, densément construite de la ville” et permet de désigner aussi une “zone sale, périphérique [et]

128 Le Trésor des mots de la ville : une maquette au 1/5e pauvre de la ville, voire même, plus largement, du pays” (*Vinogradov 1994 : 811-812). Tru_oba ne désigne donc plus seulement un lieu impénétrable ou un coin perdu. Au singulier, il peut caractériser “un logement vétuste, sale et étroit” (*Lopatin & Lopatina 1994 : 720). Au pluriel, il renvoie à “une partie de ville densément construite et mal équipée, le plus souvent située en périphérie, où vivent les gens pauvres” (*Lopatin & Lopatina 1994 : 720) ; l’exemple majeur est celui des “tru_oby du ghetto noir” nord-américain (*O_egov & _vedova 1992 : 843). Or, à la fin des années 1980, la construction de masse menée sous Khrouchtchev semble satisfaire la comparaison : elle offre en effet des appartements aux qualités contestées ; elle forme également de vastes quartiers, bâtis sur des terrains périphériques ; enfin, elle peut être perçue depuis peu comme une zone de pauvreté ou, du moins, défavorisée, car le programme de privatisation des logements lancé par Mikhaïl Gorbatchev, qui prévoit la mise en vente de la propriété publique, place le parc khrouchtchévien au plus bas de l’échelle des prix immobiliers. Dès lors, hru_oba s’impose dans le langage parlé pour dénigrer les hru_ëvki, ces “immeubles se caractérisant par une faible qualité, un mauvais agencement, la petite surface des appartements [et] ces appartements” eux-mêmes (*Sklârevskaâ 2001 : 834). Le pluriel hru_oby est quant à lui appelé à désigner les “quartiers urbains bâtis de hru_ëvki” (O_egov & _vedova 1992 : 902), même si, le plus souvent, le singulier hru_oba prévaut encore. Ce jeu de mots condamne ainsi sans détour l’habitat construit dans toutes les grandes villes soviétiques au cours des années 1950 et 1960, à tel point que la population logée dans ces immeubles l’emploie rarement. De même, les hommes politiques ou les responsables des questions urbaines gèrent ce qu’ils appellent hru_ëvskie doma [immeubles khrouchtchéviens], ou les pâtiêta_ki [petits immeubles de cinq étages]. Ils font parfois référence aux hru_ëvki, à l’image du Comité chargé de l’entretien du parc de logements de Saint-Pétersbourg, qui note dans un rapport à la ville que “chaque année, le problème des immeubles d’habitation de cinq étages […] (ainsi nommés ‘hru_ëvki’) devient de plus en plus aigu” (Komitet po soder_aniû _ili_nogo fonda Sankt-Peterburga 1998). Mais le terme hru_oba est évité. L’état de ce parc n’est cependant pas nié. A Saint-Pétersbourg, un vaste programme a été adopté en 2000, afin de réhabiliter les immeubles et d’améliorer les indicateurs socio- économiques des cent quartiers d’habitation khrouchtchéviens. Le renforcement de l’isolation thermique, la modernisation de l’infrastructure et la modification du plan des logements doivent s’accompagner de travaux visant à renouveler le peuplement, comme la surélévation du bâti et la construction de mansardes, ou l’édification de nouveaux immeubles d’habitation. Le terme de cette intervention est fixé à 2020. Moscou a quant à elle opté pour la destruction pure et simple des logements khrouchtchéviens. Le terme hru_oba fait donc référence à une situation critique connue de tous, mais son usage est plutôt le fait de la population qui ne vit pas dans ces quartiers et qui ne voudrait pas y vivre. On ignore encore dans quelle mesure les aménagements opérés, et en particulier les projets de réhabilitation, modifieront sensiblement l’habitat khrouchtchévien et son image. C’est seulement à cette condition que le terme hru_oba pourrait tomber en désuétude, si disparaissent les situations où il faut “vivre à trois dans un petit appartement d’une pièce, presque hru_obnyj [taudifié]” (*Sklârevskaâ 2001 : 834), où le canapé, une fois déployé, occupe la moitié du logement (*Sklârevskaâ 2001 : 834) et où Ivanov, emménagé récent, peut plaisanter ainsi : “Oh ! J’ai oublié de te montrer ma nouvelle horloge parlante !” et taper sur le mur du voisin pour s’entendre dire : “Silence, il est deux heure du matin !” (rapporté par *Corten 1992 : 64). Isabelle Amestoy

129 Le Trésor des mots de la ville : une maquette au 1/5e

Voir pâtiêta_ka, barak, kotted_. Voir slum (anglais), bidonville (français)

Sources primaires Entretien. 1997. Entretien individuel centré sur la perception des différents segments d’habitat de Saint- Pétersbourg. Saint- Pétersbourg, 27 novembre . Katz Rachel. 1996. “Krushchev’s Answer to Mass Housing Gets Facelift”, The St Petersburg Times, August 23, p. 21.

Komitet po soder_aniû _ili_nogo fonda Sankt- Peterburga [Comité à l’entretien du parc de logements de Saint- Pétersbourg]. 1998. “Rapport à la ville”. Saint- Pétersbourg : sans éditeur. ______invasão, (pl. invasões) portugais Brésil, nom fém.

Traductions “INVASÃO, s.f. [...] Invasion; irruption; l’action d’envahir, de s’emparer par force d’une Ville; &c.” (*Sà 1794) “ invasão, n.f. Invasion, action d’entrer à main armée dans un pays, pour le saccager ou s’en emparer.” (*Azevedo 1953)

Définitions “ invasão. Invasion des barbares. Invasion hollandaise au Brésil” (* Dicionário enciclopédico brasileiro ilustrado 1947) “invadir. Entrer par force” (*Pequeno Dicionário Brasileiro da Língua Portuguesa 1949) “invadir. S’approprier violemment de” (*Novo Dicionário Aurelio 1975) “ invasão. Acte ou effet d’envahir” (* Larousse culturel Brasil A/Z 1988)

Quand le mot désigne un espace occupé illégalement dans le périmètre urbain, l’invasão est contemporaine de l’urbanisation accélérée des années 1950-1985 (Gordilho Souza 1990). Elle est typiquement brésilienne, sinon nordestine. Les dictionnaires ne citent ce mot que pour évoquer l’action violente d’appropriation à laquelle renvoie son contenu. Le Brésil n’a connu que deux invasões , l’invasion française entre 1555 et 1612 et surtout l’invasion hollandaise de 1624-1632, référence obligée de tous les dictionnaires (*Diccionario enciclopédico brasileiro ilustrado 1947, *Larousse culturel, Brasil A/Z 1988). L’acte collectif d’envahir un terrain urbain fait certes partie de l’histoire brésilienne depuis la fin du XIXe siècle, lorsque les esclaves libérés quittèrent les résidences de leurs maîtres et construisirent leurs maisons là où les espaces paraissaient vagues (Ribeiro & Pechman 1985). La tension entre les différents modes d’accès à la terre – usage, occupation et achat – était vieille de 150 ans lorsque fut édictée la Lei de Terras (1850) et elle est encore d’actualité (Lacerda & Leitão 2000). Cette loi, en effet, établissait que la propriété sur la terre, urbaine et rurale, relevait d’une tractation monétaire. Le régime colonial des terres, en revanche, connaissait le statut de posse (plutôt appelé usucapião dans certaines régions) – que l’on pourrait traduire par “possession” pour le distinguer nettement de “propriété” et qui était acquis par occupação ou par uso, grâce au paiement d’une taxe aux enfiteutas (bénéficiaires de terras devolutas). Cette pratique, très connue à Bahia, par exemple, selon de nombreux témoignages, restait ambigüe et le restera jusqu’à la Constitution de 1988 (Gordilho Souza 1993). Cette tension s’est tellement accentuée avec l’urbanisation exceptionnellement rapide de la deuxième moitié du XXe siècle, que chaque ville a vu se multiplier les termes spécifiques pour désigner les groupements d’habitat précaire érigés sur des zones incertaines du point de vue de leur statut : de la favela de Rio au mocambo de Recife et à la vila de Porto

130 Le Trésor des mots de la ville : une maquette au 1/5e

Alegre, l’extension urbaine en dehors de tout code d’urbanisme s’est ainsi généralisée, sorte de non-ville puisqu’il n’existait pas de terme générique pour l’évoquer. C’est alors qu’apparurent les mots occupação et invasão pour désigner les tentatives organisées, le plus souvent par des groupes de nouveaux venus, pour s’approprier par l’imposition les espaces de non-ville (terrains vagues, terrains non construits, terrains de plus ou moins grande proximité avec les services qui créent la ville) ou, du moins, pour rendre leur présence irréversible. Occupação est un terme mesuré qui renvoie aux définitions énoncées par la Lei de Terras. Il fait allusion à un long savoir faire populaire que raconte l’histoire des villes brésiliennes. Invasão a une connotation nettement plus violente : il inclut l’affrontement et rend compte du degré de tension qui a marqué l’urbanisation récente. L’invasão a appartenu, comme élément central, aux luttes urbaines de la deuxième moitié du XXe siècle. Elle est contemporaine de la revendication des droits d’habiter et d’accéder à la propriété qu’énonça le Congrès des évêques d’Amérique latine à Medellin en 1968, elle est associée au désir d’intégration que les CEB (communautés ecclésiales de base) ont soutenu, mais aussi aux répressions brutales qui se sont exercées pendant la période autoritaire (1964-1985) comme dans un bras de fer entre les pouvoirs locaux et les groupes organisés pour “envahir”. Jusqu’aux années 1980, les villes du Sud comme São Paulo et Curitiba, ou encore Porto Alegre et Florianopolis, à la réputation d’ordre et de prospérité, ont semblé échapper à ces formes d’extension. Elles absorbaient les migrants et leur propre croissance naturelle en multipliant les logements populaires. Il fut un moment où cela n’a plus suffi : occupação à Curitiba, favela à São Paulo et vila à Porto Alegre, sont alors devenues, comme partout, des éléments du paysage. Mais le mot invasão n’y fut guère prononcé pour désigner à la fois les actes fondateurs des nouveaux territoires urbains et leurs effets : “ici, on parle d’occupação, invasão, s’utilise seulement dans le Nordeste” affirmaient en 1994 les habitants d’une vaste zone précaire située à Curitiba (Rivière d’Arc 2000). On réservait ce mot à des réalités nordestines où le désordre, l’incivilité, la pauvreté et le clientélisme étaient censés marquer la vie quotidienne. Invasão, pour les habitants des villes du Sud du Brésil, est donc un terme qui désigne un acte non civilisé, et par voie de conséquence, un lieu stigmatisé. Il n’en est pas de même dans les villes du Nordeste où les mêmes actes fondateurs, issus de ce savoir faire mélé d’exaspération et de revendication des années 1970 et 1980, étaient compris comme des victoires populaires collectives et valorisées chez ceux qui tentaient ainsi de s’intégrer à la ville. Les luttes qui ont présidé à la naissance d’une nouvelle zone urbaine, plus ou moins réprimées selon les circonstances locales, sont respectées et les habitants reconnaissent non seulement qu’ils habitent une invasão mais encore que c’est à partir de cette geste et grâce à elle, qu’ils sont devenus des citoyens. La victoire dans le contexte d’un affrontement - beaucoup d’invasões portent des noms assez belliqueux évoquant des événements mondiaux contemporains, comme Malvinas ou Iran-Irak - leur apparaît finalement comme le procédé normal d’accès et d’intégration à la ville. Même si un jour, dans une sorte de consensus et de pacification générale, autorités locales et habitants finissent par accepter de se retrouver dans un nouveau bairro ou une nouvelle comunidade. L’invasão das Malvinas à Salvador de Bahia où, en 1985, 20 000 personnes se sont emparées en une nuit des terrains qui longent la mer et la route de l’aéroport, est emblématique de cette évolution : l’Invasão das Malvinas, dix ans après, était devenue sur recommandation de la mairie, le Bairro da Paz, mais la plupart des habitants la désignaient encore sous son nom d’origine. Ainsi, l’invasão est-elle valorisée aujourd’hui encore, mais on ne sait pas au bout de combien de temps la mémoire de l’acte fondateur se perd. Il n’en reste pas grand chose, par exemple, à Brasilia Teimosa, très ancienne invasão qui eut lieu le 15 février 1958 à Recife, cas emblématique de l’intégration à la ville, en partie grâce à son excellente situation géographique à quelques minutes à pied du centre ville. Mais dans ce quartier largement

131 Le Trésor des mots de la ville : une maquette au 1/5e urbanisé (Vidal 1994), les habitants affirmaient encore trente ans après, avec un certain orgueil, “ici, ça a été une invasão …” (Rivière d’Arc 2000, 2001). Le mot garde donc sa place dans les villes du Nordeste, dans la hiérarchie interne de leurs espaces que construisent les habitants : si l’invasão est digne et communautaire lorsqu’elle revendique un statut face aux autorités locales, si elle est imprégnée d’une dynamique sociale positive et libertaire dans le contexte d’un accès au sol par le biais d’un marché urbain parallèle (Rivière d’Arc 2001, Bitoun 1999), la favela du Nordeste désigne, contrairement à celle de Rio, la stagnation et la délinquance sans issue (Bitoun 1999). Et pourtant, les mots n’ont pas tout à fait le même sens pour tous : la multiplicité des désignations des espaces populaires, pauvres, irréguliers, fait que les techniciens locaux qui sont chargés d’intervenir sur ceux-ci, se perdent quelque peu dans les tentatives de synonymie entre leurs propres désignations et les désignations populaires : zone sous-normale (zona subnormal), zone spéciale d’intérêt social (zona especial de interes social), etc. ne correspondent exactement ni à invasão, péjoratif pour les légalistes, ni à occupação préféré par les humanistes parce que moins connoté. Favela, terme devenu presque générique, a alors tendance à résoudre le problème de vocabulaire dans le milieu des urbanistes, tandis que comunidade est devenu le mot du consensus entre les habitants et les pouvoirs locaux. Hélène Rivière d’Arc

Voir favela (portugais du Brésil), mocambo (portugais du Brésil), vila (portugais du Brésil) Voir barriada (espagnol du Pérou), colonia irregular (espagnol du Mexique), población (espagnol du Chili), shanty town (anglais), bidonville (français)

Sources secondaires Bitoun, Jan, 1999, Les territoires du dialogue : Mots de la ville et enjeux de la gestion participative à Recife, UNESCO, Gestion des transformations sociales MOST, Document de travail n°37, pp. 63- 70 Rivière d’Arc, Hélène, 2000, De Guadalajara à Recife et Salvador, anticiper et agir sur la légitimité urbaine par les mots. In : François Crouzet et Denis Rolland (dir.), Pour l’histoire du Brésil, mélanges offerts à K. de Queiros Mattoso, L’Harmattan, 2000, pp. 550- 560. Rivière d’Arc, Hélène et Xochitl Ibarra Ibarra, De Guadalajara à Recife et Salvador, du vocabulaire de l’action à celui de la légitim ité urbaine, in : Hélène Rivière d’Arc (ed.), Nommer les nouveaux territoires urbains, Paris, Editions de la Maison des Sciences de l’Homme, Editions Unesco (Les mots de la ville), 2001, pp. 235- 249

Autres références Vidal, Dominique, La politique au quartier , Rapports sociaux et citoyenneté à Recife , Editions de la Maison des Sciences de l’Homme, Collection Brasilia, Paris, 1998 Gordilho Souza, Angela Maria, Novas formas de habitar, velhas estruturas, Anuario e Dados, Salvador, CEI, v.3, n°2, pp. 94- 105, septembre 1993. Gordilho Souza, Angela Maria, Invasões e intervenções públicas : uma política de atribuição espacial em Salvador, 1946- 1989, Rio de Janeiro, IPPUR- UFRJ, 1990 Lacerda, Norma et Lucia Leitão, “A função urbanística do usucapião”, 2000, non publié Ribeiro, Luiz Cesar et Roberto Pechman, O que e a questão da moradia , 1985, São Paulo, Editora Nova Cultura Brasiliense ______kottedz (pl. kottedza) russe, Russie et ex-URSS, nom masc.

T raduction “ kottedz – cottage m.” (*S_erba & Matoussevitch 1990 : 262)

132 Le Trésor des mots de la ville : une maquette au 1/5e

Définitions “ kottèdz, un système de kottèdza (de l'ang. cottage – “propriété, maison [dom ]”). – On appelle ainsi le système de fourniture de locaux d’habitation par le patron d’usine à ses ouvriers, le loyer étant prélevé sur le salaire. A l’opposé du mode de vie kazarmennomu [en caserne], le K[ottedz] signifie la vie de famille dans les domah- osobnjakax [maisons individuelles, hôtels particuliers] [...]. Grâce à ce système, chaque famille possède une domik [maison], si possible dotée d’un jardin, et peut espérer en devenir finalement propriétaire.” (*Brokgauz & Efron 1895) “ kottedz, nom anglais, désigne une domik villageoise, une da_a, une domik en général, qui a un caractère d’osobnjak. Habituellement le K[ottedz] est entouré d’un jardin.” (* Bol’saja Sovetskaja Enciklopedija 1937) “ kottedz (angl. cottage – maison [dom ] de paysan) – odnokvartirnyj ziloj dom [maison d’habitation à appartement unique], avec une parcelle de terre. Habituelle ment les pièces du K[ottedz] sont disposées sur deux niveaux reliés par un escalier intérieur. Le plus souvent, la grande pièce de séjour de toute la famille, la cuisine et les locaux de services sont au rez- de- chaussée; les chambres sont au premier étage.” (* Malaja Sovetskaja Enciklopedija 1959) “ kottedz , m. Castnyj ziloj dom [maison privée] de deux ou trois niveaux avec un niveau de confort élevé, située habituellement en banlieue [prigorod] et destinée aux urbains.” (* Tolkovyj slovar’ russkogo jazyka 2001)

Emprunté à l’anglais britannique, le terme kottedz apparut dans le langage architectural russe à la fin du XIXe siècle, avec l’arrivée de différents modèles étrangers de maisons individuelles destinées la bourgeoisie. Plusieurs appellations : vila [villa], sale [chalet], zamok [château], kottedz, étaient alors regroupés sous le terme générique osobnjak [masion individuelle, hôtel particulier]. Dans les années 1910 et 1920, on a parfois utilisé l’orthographe kottèdz (pl. kottèdza). Le terme est entré dans le langage commun avec le modèle de la cité-jardin [gorod-sad]. L’ouvrage de Ebenezer Howard, Garden Cities of Tomorrow [Les cités-jardins de demain] (1902), fut publié en Russie en 1911 et suivi de publications illustrées d’auteurs russes (Semënov 1912, Karpovic 1913). En 1912, avec le lancement de la cité-jardin Prozorovka située à proximité de Moscou, commença la construction des premiers kottedza russes. Après les évènements révolutionnaires de 1917, le pays fut marqué par la recherche de nouveaux modes de vie et systèmes immobiliers, dans un cadre socialiste comprenant l’abolition de la propriété privée. Le courant en faveur des cités-jardins resta très populaire dans les années 1920, ce qui conduisit à une nette évolution du terme kottez et à un usage de celui-ci plus fréquent que celui des autres termes. Cette période connut des divergences entre “urbanistes” et “désurbanistes”. Les premiers voulaient maîtriser le développement urbain en construisant des bâtiments de grand volume, capables de créer une certaine concentration du bâti. À l’inverse, les “désurbanistes” reprenaient les idées de Marx et Engels sur la suppression de la différence entre ville et campagne. Ils préconisaient un développement linéaire de la ville, constitué d’espaces verts et de maisons ouvrières : ils avaient donc adopté le modèle de la cité-jardin et leur idéal était le kottedz. Le leader des désurbanistes observait : “En ville, l’habitat est concentré en une masse d’appartements et d’étages. En dehors de la ville, c’est l’inverse : le capitaliste habite une vila, le petit bourgeois, l’employé [et] l’ouvrier - un kottedz” (Oxitovic 1929 : 337). Quelques réalisations dans l’esprit des “désurbanistes” virent le jour, dont Sokol, une cité-jardin située en banlieue de Moscou. “Le kottedz avec appartement unique ou la maison à deux appartements furent choisis comme principal type d’habitat.” (Saxarov 1924 : 43) Dans les années 1920, kottedz désignait donc un nouveau type de maison d’habitation destiné aux travailleurs soviétiques. En 1930, la politique de Staline exigea la construction de nouvelles villes socialistes et la reconstruction des villes existantes. Ce tournant politique mit fin au débat entre “urbanistes” et “désurbanistes” et fit de kottedz un terme péjoratif. On affirmait désormais que “les constructions isolées, les kottedza correspondent entièrement à un objectif de reproduction de l’individualisme, des habitudes et des relations petit-bourgeoises. Nous n’avons pas l’intention de les développer.” (Cernja 1930 : 15) Les kottedza construits dans les années 1920 en Union soviétique furent brutalement “oubliés” et le mot disparut du langage courant. Toutes les définitions de kottedz renvoyèrent désormais à l’Occident, particulièrement à

133 Le Trésor des mots de la ville : une maquette au 1/5e l’Angleterre : “Les kottedza caractérisent l’Angleterre avec sa bourgeoisie de classe moyenne, bien connue alors par les romans de Dickens” (*Bol’saja Sovetskaja Enciklopedija 1937 : 488). A la fin des années 1950, les notices de l’Encyclopédie soviétique expliquent les principes de distribution de l’espace intérieur du kottedz anglais, sans faire référence aux usages du terme en Russie (Malaja Sovetskaja Enciklopedija 1959 : 11). Il fallut attendre les années 1970 pour que les dictionnaires officiels affichent le “retour” du kottedz sur le sol russe : “Apparu en Angleterre à la fin du XVIe-début du XVIIe siècle, le K[ottedz] est devenu un type d'habitation anglaise traditionnel. Les K[ottedza] sont largement répandus dans les autres pays européens (davantage dans les pays scandinaves) et aux Etats- Unis. En URSS les K[ottedza] ont été construits surtout dans les années 1920 principalement dans les zavodskix posëlkax [lotissemenst d’usine].” (*Bol'saja Sovetskaja Enciklopedija 1973 : 292) Le terme signifie donc alors : maison individuelle d’origine anglaise, destinée aux ouvriers, diffusée en Europe, aux Etats-Unis et en Russie dans les années 1920. Mais le mot kottedz reçut un sens nouveau à partir des années 1990. Pendant la période soviétique, en effet, la seule forme d’habitation urbaine possible à l’extérieur de la ville, était la da_a ou résidence secondaire. Lorsque fut rétablie la propriété privée des biens immobiliers et fonciers dans la périphérie urbaine, la da_a perdit son monopole et kottedz désigna les nouvelles maisons d’habitation principale apparues dans la zone suburbaine. Le terme plus autochtone osobnjak, qui aurait pu désigner ce type d’habitation, fut, semble-t-il, oublié. En 1992, pour ralentir la construction de maisons individuelles, le gouvernement lança un vaste “Programme de construction de maloètaznoe [maisons peu élevées] et de kottedza”, résidences permanentes à proximité de Moscou (“O xode realizacii...” 1992). Le terme kottedz fut ainsi largement utilisé dans les médias et repris dans le langage courant. Il se référait désormais à un nouveau type d’habitation lié à l’émergence d’une nouvelle bourgeoisie : les “nouveaux riches”. Ces kottedza construits en briques rouges, entourés des hautes clôtures, sont caractérisés par une architecture d’apparat, avec tourelle, arche, galerie et autres éléments éclectiques. Peu à peu, de nouvelles connotations s’ajoutèrent : la présence d’infrastructures, le haut niveau d’équipement, la sécurité du lieu, l’écologie, le confort et la valeur du cadre environnemental. Dans la seconde moitié des années 1990, on a pu constater une certaine “démocratisation” de ce type d’habitation, des membres de la classe moyenne faisant construire leur kottedz ou reconvertissant leur da_a en kottedz. Des kottedza construits en masse furent regroupés en kottedznyj posëlok [lotissements de kottedza]. Il arrive aussi que le kottedz tienne lieu de résidence secondaire, généralement à proximité d’une grande ville. Il s’agit alors de vastes maisons de 200 à 300 m2 dotées du même confort qu’en ville. L’aménagement paysager de la parcelle fait partie intégrante de la notion de kottedz : “Pour nous, cette définition [de kottedz] sous-entend le plus souvent une maison individuelle avec une parcelle de terre, conçue pour le séjour confortable d’une famille […] les traits les plus caractéristiques du ‘kottedz’ est son architecture bien réfléchie et un paysage soigneusement conçu […]” (Aleksandrov 1999 : 22). La construction massive de kottedza a créé, vers 1990, un “cliché imaginaire”, associé à l’image d’une maison en brique rouge et d’architecture “prestigieuse”. Les nouveaux riches cherchent désormais à s’en différencier et, de nos jours, il existe une tendance à un type de maison suburbaine personnalisée par différentes couleurs et matériaux de construction : “les kottedza ‘de première vague’ – les zamki [châteaux] de brique rouge – ne sont plus à la mode. On veut s’en distinguer.” (Goldxoorn 1998 : 25) Pour désigner ce nouveau type de maison, on utilise l’appellation castnyj dom [maison particulière], zagorodnyj dom [maison suburbaine] ou, tout simplement, dom [maison]. Le terme kottedz aurait ainsi atteint son apogée vers la deuxième moitié des années 1990 et se démoderait aujourd’hui. Il reste largement utilisé dans la presse, dans le vocabulaire immobilier ainsi que dans la langue populaire, mais avec une connotation péjorative et souvent ironique : “le lotissement [posëlok] compte plus de cent

134 Le Trésor des mots de la ville : une maquette au 1/5e kottedza, et chacun des ces kottedza, c’est Disney Land - on voit partout des toits pointus multicolores et des créneaux de tourelle.” (Vlasova 2002 : 12) D’ailleurs les propriétaires des kottedza n’utilisent jamais ce terme à propos de leur propre maison. Une des dernières tendances dans la langue contemporaine est le retour du terme osobnjak, qui véhicule des connotations plus générales et nobles. Parallèlement aux vicissitudes de kottedz, notons l’apparition d’un nouvel anglicisme : taunxauz, calque de townhouse [maison de ville] qui, retranscrit de diverses manières : taun- xauz, taunxauz, tanxauz, n’a pas encore reçu une orthographe arrêtée. Utilisé plutôt dans le domaine immobilier et architectural, il est assez rare dans le langage courant. Il tend à signifier la même chose que les termes russes pour maisons jumelles [sparennye doma] ou maisons en bande [sblokirovannaja zastrojka]. “Un des moyens de réduction du prix de l'habitat suburbain consiste en la construction de maisons jumelles, taunxauz.” (S_ukin 1998 : p. 26) Mais une autre variété de taunxauz est “une maison étendue où chaque famille a un blok [parcelle] indépendant avec une entrée individuelle.” (Il'ina 2000 : 1) Le dictionnaire russe officiel contemporain ajoute une autre connotation “Taun-xauz, taunxauz, a, m. [angl. town house] […] complexe de kottedza situé en dehors du centre ville” (*Tolkovyj slovar’ sovremennogo russkogo jazyka 2001 : 772). Contrairement au kottedz qui évoque une maison isolée sur son propre terrain, le taunxauz implique la notion de regroupement de maisons individuelles. Signalons l’arrivée dans le vocabulaire russe du terme pentxauz , calque de l’anglais penthouse. D’usage courant, ce mot n’a pas encore trouvé sa définition dans les dictionnaires. “[...] le pentxauz est un appartement à plusieurs niveaux situé aux derniers étages, mais qui n'est pas ordinaire. Les ingrédients nécessaires sont : un immeuble de haut standing, un quartier de prestige, un appartement de grande surface, une vue attractive depuis ses fenêtres. Signe de haute qualité, la sortie sur le toit ou la terrasse ouverte, son propre espace ouverte sous les nuages. Cumulons toutes ces composantes et nous obtenons la quintessence de l’habitation de luxe, le rêve de tout parvenu. Penxauz en un mot.” (Rymov 2001 : 1) Vlada Filhon

Voir da_a (russe), gorod-sad (russe), osobnjak (russe) Voir cottage (anglais), garden cities (anglais), lotissement (français), pavillon (français), suburb (anglais), town house (anglais)

Sources primaires Aleksandrov A. 1999. “Kottedz – ne dekoracija”, in Novyj dom , N°3. Cernja I. 1930. “Goroda socialisma”, in Revoljucija i kul’tura , N°1, pp. 14- 16. Goldxoorn B. 1998. “Ot redakcii”, in Proekt Rossija , N°9, Moskva, p. 25. Howard E. 1911. Goroda budusvego. Traduction A. Blox, Saint- Pétersbourg, s.e. Il’ina O. 2000. “Koe- cto o dome za gorodom”, in Kvartira, daca, ofis , N°145, Moskva (http://www.babylon- realty.ru/info/k2d145_1.htm). Karpovic V.S. 1913. Osobnjaki v gorode i derevne, Sankt- Peterbourg : Gorodskoe delo. Oxitovic M. 1929. “Socialisticeskij sposob rasselenija i socialisticeskij tip zil’ja”, in Vestnik Komakademii, N°35- 36, pp. 334- 344. “O xode realizacii programmy maloètagnogo i kottedznogo stroitel’stva”. Postanovlenie pravitel’stva Moskvy ot 1992 g. N°536, in Kuranty, 5 sept. 1992, p. 6. Rymov S. 2001 “Penthaus – èto roskos’, bogatstvo i uspe”, in Kvartira, daca, ofis , N°199, Moskva (http://www.babylon- realty.ru/info/k3d199_1.htm). Saxarov V. 1924. “Kooperativnyj posëlok “Sokol”, in Ziliscnaja kooperacija , N°1. Scukin A. 1998. “Dolgij put’ k srednemu klassu : kottedzi v Podmoskov’e”, in Proekt Rossija , N°9, pp. 26- 29. Semënov V. 1912. Bla goustrojstvo gorodov, Moskva : Tipografija P. P. Rjabusinskogo.

135 Le Trésor des mots de la ville : une maquette au 1/5e

Vlasova O. 2002. “Dom, kotoryj postroil lox”, in Moskovskij komsomolec, N°12. ______maskan, pl masâkin arabe littéral et dialectal, nom masc.

Traductions “ maskan et maskin , pl. masâkin 1 . Demeure, habitation, domicile [...] 2. Maison, logement. 3. Tombeau.” [arabe littéraire] (*Kazimirski 1860) “maskan, maskin , pl. masâkin dwelling, abode, habitation ; house ; home, residence, domicile”. [arabe littéraire] (*Wehr 1976) “ maskan, maskin , pl. masâkin appartement ; demeure ; domicile ; foyer ; habitacle ; habitation ; logement ; logis [ litt.] ; résidence”. [arabe littéraire] (*Reig 1983) “ Habitation, maskan (masâken). - s populaires, H.L.M ., masâken sha‘beyya”. [dialecte égyptien] (*Jomier 1976) “ maskan /n pl masaakin/ house, residence. masaakin sha‘abiyya (government subsidized) low - income housing developments”. [dialecte égyptien] (*Hinds & Badawi 1986)

Définition “ maskan al- manzil [la demeure], al- bayt [la maison]”. (*Bustâni 1992)

Maskan, “habitation”, est un mot de la langue classique et de l’arabe parlé. D’une chambre à un immeuble, il a pu s’appliquer à des réalités de taille diverse. Formé à partir du verbe SKN [être tranquille, être en repos, habiter], par ajout du préfixe ma, selon le schème très courant en arabe du “nom de lieu”, il fait partie d’un ensemble important de mots dérivés de ce même radical appartenant au même champ sémantique de l’habitat) : notamment les trois termes souvent considérés comme ses synonymes, sakna, sakan, d’où est tiré l’adjectif de raltion sakani (fém. sakaniyya), et iskân, présent dans l’intitulé des ministères du Logement de la majorité des pays arabes, wizarat al-iskân (en Algérie on lui a préféré wizarat al-sakan) ainsi que sâkin, pl.sûkkân [habitant]. Maskan semble avoir une signification plus proprement spatiale, fonctionnelle que sakna, sakan ou iskân , qui renvoient davantage à l’idée moins concrète de retraite, de demeure ou de résidence ou celle plus générale d’habitat. Dans son acception contemporaine, employé le plus souvent au pluriel [masâkin], il désigne des ensembles plutôt que des unités dénombrables d’habitations ou des types architecturaux isolés, voire des objets individualisés, pour lesquels on emploie des termes génériques tels que bayt, manzil [maison, demeure], ‘imara [construction, immeuble], mabnâ ou binâya [bâtiment, immeuble] et l’on peut aussi recourir à ‘imara sakaniyya [immeuble d’habitation], ou wahda sakaniyya [unité résidentielle] qui ressortit à un vocabulaire technique. Associé à un qualificatif, maskân ou son pluriel, masâkin, sert à catégoriser des habitats et à nommer des catégories d’habitation. Ainsi, à propos de la situation du Liban au sortir de la guerre civile, caractérisée par une crise du logement [al-mushkila al-sakaniyya : litt. “le problème du logement”], on évoque les masâkin al-mudamara [les logements détruits] et l’on oppose al-maskan al-lâ’iq [l’habitat adapté] aux masâkin gâyr dâ’ima wa ghayr sâlha [logements précaires] (Abou Mrad 1995 : 218-223). Une expression largement usitée, qui n’est pas réservée à la langue “administrante”, masâkin sha‘abiyya, littéralement “habitations populaires” [sha‘abiyya], désigne au Moyen Orient, et en Egypte en particulier, un type d’habitat construit dans les années soixante par l’Etat pour les classes modestes ou moyennes. Cette dénomination est liée aux plans de développement urbain, que ce soit en Egypte (Master Plan de 1956) ou en Syrie (1960). Il s’agit le plus souvent d’ensembles regroupant plusieurs grands immeubles. L’expression s’est imposée en Egypte dans les années 1940-1950 avec la création de la Maslâhat al-masâkin al-sha‘abiyya

136 Le Trésor des mots de la ville : une maquette au 1/5e

[Département des habitations populaires] en mars 1950 et la création de la Sharikat al-ta’mîr wa-l-masâkin al-sha‘abiyya [Société de l’urbanisme et des habitations populaires] en 1954 (Volait 1995). Ces départements avaient pour objectif de construire des cités qui permettaient aux membres des classes populaires et moyennes d’accéder à un logement en location ou en accession à la propriété [tamlîk] : “al-masâkin al-sha‘abiyya, dont le loyer est subventionné (soutenu) par l’Etat” (Hanna 1996 : 59). Désigné également par une formule plus générale et abstraite, dérivée de la même racine SKN, al-iskân al-sha‘abî [l’habitat populaire], le concept d’habitat populaire ou social était l’héritier de concepts ou réalisations antérieurs datant du début du XXe siècle, période où certaines grandes sociétés construisirent des cités pour leurs employés, à Alexandrie, ou à la périphérie du Caire, à Héliopolis ou à Imbaba. Elles étaient alors appelées sakan iqtisâdi [logement économique], masâkin ijtima‘iyya [logements sociaux], masâkin al-‘ummâl ou madînat al-‘ummâl [logements, cité des travailleurs], ces deux expressions pouvant se combiner : on lit par exemple, en légende d’un projet d’architecte proposé en 1947, deux indications complémentaires, suggérant des niveaux de spécification différents : “ Projet de masâkin al-‘ummâl à Imbaba”, et en sous-titre, “ Plan de la cité [al-madîna] (Volait 1988 : 69). Cette “cité” est connue aujourd’hui sous le nom de Madînat al-‘ummâl. Deux éléments jouent vraisemblablement un rôle qui n’est pas négligeable dans cette élaboration terminologique : d’une part les congrès réunis périodiquement, à partir de 1945 dans les capitales du Machrek, où se rencontrent des architectes et ingénieurs arabes et qui traitent notamment de logement social (Volait 1988 : 72-76) ; d’autre part, la formation en Angleterre d’architectes et d’urbanistes égyptiens réformateurs qui, dès les années quarante, interviennent de façon significative dans la conception de projets d’habitat populaire et dans la réflexion sur le “problème de l’habitat” [mushkilat al-masâkin] et l’habitat salubre [al- maskan al-sahî] (Volait 1995 : 401-402). Actuellement l’expression masâkin sha‘abiyya au Caire renvoie plus particulièrement aux grandes cités construites à l’époque nassérienne comme celles de ‘Ain Sira, d’Helwan ou d’Al-Amariyya. Elle est souvent associée à une idée de dégradation : “Al-masâkin al- sha'abiyya, [...] leurs alentours se dégradent et leurs façades s'écroulent, bien que l’Etat en ait donné la propriété aux habitants en 1977” (Hanna 1996 : 59). Au Liban une distinction est établie dans les dictionnaires français-arabe entre sakan sha‘abi ou masâkin sha‘abiyya [habitat à bon marché] et masâkin mu‘tadila al-‘ijâr [habitations à loyer modéré]. (Abdel Nour & Idriss 1972 : 419 ; Al-Mounged 1972 : 438 ; Reda 1996 : 572). Ce calque du français, que l’on retrouve également dans le dictionnaire d’arabe moderne de Reig (1983 : réf. 2612), à côté d’une expression similaire formée avec le terme binâya [bâtiment, immeuble] (Reig 1983: réf. 599), reste limité à l’usage écrit. Il s’agit selon toute vraisemblance de donner à un lecteur arabe un équivalent des dénominations françaises. L’expression masâkin sha‘abiyya n’est pas courante au Maghreb. On note en Algérie l’expression masâkin ijtima‘iyya [habitations sociales] pour désigner l’habitat social en général, sans terme spécifique pour l’habitat “HLM” à destination populaire. Il semble que l’absence d’appellation précise renvoie au fait qu’il n’y avait pas dans l’Algérie indépendante (et jusqu’en 1999) de modèles architecturaux et urbains explicitement destinés aux couches pauvres ou populaires (Madani Safar Zitoun). L’expression française HLM désignent les cités construites avant l’indépendance. Les autres cités sont appeléesbatimât, du français “bâtiment”. Si l’expression masâkin sha‘abiyya renvoie presque toujours à l’idée d’une urbanisation volontariste et planifiée, l’expression hayy sha‘abi [quartier populaire] a une toute autre connotation et qualifie les quartiers populaires, anciens ou nouveaux, planifiés ou non planifiés. Ainsi en Algérie hayy sha‘abi désigne les quartiers d’habitat spontané, le plus souvent créés à partir d’anciens bidonvilles. Au Caire, cette expression désigne plus

137 Le Trésor des mots de la ville : une maquette au 1/5e particulièrement les quartiers populaires anciens tandis que les quartiers spontanés récents sont appelés hayy ‘ashwâ’i ou ‘ashwâ’iyyât (adjectif féminin pluriel, employé comme substantif, sans être associé au terme masâkin), de l’adjectif ‘ashwâ’i [désordonné] de la racine‘ ShA, dont l’un des nombreux sens est “être indulgent avec quelqu’un, tolérer tout de sa part comme si on n’y voyait rien” (Kazimirski 1860 : 265). Les premières habitations précaires appelés ‘ishesh (sg. ‘ishsha), “huttes”, souvent de taille réduite, se sont peu à peu transformées en habitat en dur construit sans autorisation officielle et le terme hayy ‘ashwâ’i désigne actuellement tout quartier spontané quel que soit son type de construction. Les “zones [manâtiq]‘ashwâ'iyya”peuvent être définies comme des “zones d’habitat [iskân] non légal [ghayr rasmî]” (‘Alâm al-binâ’ 1994). Au Maghreb, où le mot dialectal qurbî, devenu en français “gourbi”, qui par le biais du lexique technocratique, notamment sous la forme de gourbiville, a retraversé la mer, le terme équivalent est fawdawî [anarchique]. L’expansion des termes‘ashwâ’i et‘ashwâ’iyyât a donc accompagné le développement de l’habitat spontané qui entoure la plupart des grandes villes du Machrek, en particulier en Egypte. Alors même que les programmes de masâkin sha‘abiyya ralentissaient ou s’arrêtaient pour cause de libéralisation économique dans les années 1970-1980, leur pendant, les ‘ashwâ’iyyât, devenaient de plus en plus répandus dans les années 1980-1990 et étaient considérés par les urbanistes et les gouvernants comme l’un des grands défis de l’urbanisme de la fin du XXe siècle : “Les zones ‘ashwâ'iyya ceinturent les villes et vont peut-être les étouffer” (Hanna 1996 : 113). Souvent associé au terrorisme, le terme, pour certains, n’a pas qu’une connotation négative : “Les ‘ashwâiyyât sont en réalité des masâkin naturels et propres à l'habitat (litt. : “à vivre”) bien qu'ils ne soient pas planifiés” (Hanna 1996 : 183). Aujourd’hui en Egypte le terme ‘ashwâ’iyyât a tendance à englober une réalité plus vaste que l’habitat illégal, puisqu’il est couramment utilisé dans la presse pour caractériser également les masâkin sha‘abiyya qui sont, non seulement dégradés, mais souvent transformés par leurs habitants. Pourtant, s’il figure régulièrement à la une des journaux égyptiens (Denis : 1994) ou soudanais, il n’est pas encore entré dans les dictionnaires d’usage. Catherine Miller

Voir bayt, dâr Voir sozialer Wohnungbau (allemand), bidonville, HLM (français)

Sources primaires ‘Alâm al- binâ’ (“Le monde du bâtiment”), mars 1994. Hanna, Milad. 1996. Al- iskân w - al siyâsa (“L'habitat et la politique”). Le Caire, Organisation générale du Livre Abou Mrad, Hadi, “Al- mushkila al- sakaniyya fî lubnân wa mashrû‘ binâ’ 6OOO wahda sakanyya”, in Beyhoum, Nabil, Salam, Assem, et Tabet, Jad, (dir).Beyrouth, construre l’avenir, reconstruire le passé ? Beyrouth. Urban Research Institute, 1995. Madani Safar Zitoun. Communication personnelle. Sources secondaires Volait, Mercedes. 1988. L’architecture moderne en Egypte et la revue Al- ‘Imara . 1935- 1959, Le Caire Cedej.

Autres références Denis, Eric. 1994. “La mis e en scène des ‘Ashwaiyyât”, Egypte Monde arabe 20, 117- 132. Volait, Mercedes. 1995. “Réformes sociales et habitat populaire”, in Roussillon, Alain (dir.) Entre réforme sociale et mouvement national, le Caire, Cedej. ______

138 Le Trésor des mots de la ville : une maquette au 1/5e mîdân (pl. mayâdîn) arabe (littéral et dialectal) Maghreb et Proche-Orient, nom masc.

Traductions “ maydân, mîdân, pl. mayâdîn , hippodrome, cirque, place vaste destinée aux courses, à la lutte, aux joutes ; arène” (*Kazimirski 1860) “ maydân, pl. mayâdîn, arène, champ, esplanade, forum, lice, piste ; fig . cercle, domaine, plan ; égypt. place publique” (*Reig 1986)

Définitions “ maydân vaste espace [fusha muttasi‘a ] destiné aux courses et aux jeux équestres. Pl. mayâdîn ” (*Bustânî 1930) “ maydân vaste espace [fusha muttasi‘a ] destiné aux courses de chevaux et à leurs jeux ; place dans certaines villes ; champ de bataille; champ et domaine, domaine d’activité. Pl. mayâdîn .” (*al- Munjid al- Abjadî 1968)

Maydân désigne, dans les sources arabes médiévales, une “grande aire dégagée, délimitée, bien plane, et, en général, quadrangulaire destinée à tous les exercices équestres”. Les différents avis émis par les philologues et les lexicographes arabes sur la racine à laquelle se rattache ce terme font d’ailleurs référence aux chevaux, soit à travers l’idée de cravache, soit à travers celle de tournoiement, soit à travers celle de limite atteinte (Viré 1991 : 904). L’existence de ces espaces spécifiques est attestée dans plusieurs grandes villes arabes du Machreq comme le Caire (dès le IXe siècle), Damas ou Alep (dès le XIIe siècle). Leur rôle dans la croissance de ces villes a notamment été mis en évidence pour Le Caire (Ayalon 1961 : 37-44) et il existe aussi à Damas où, au milieu du XIIIe siècle, sont signalées “des maisons à coupoles appartenant à des Turcomans au bout du Maydân al-Hasâ” (Nuwayrî 1990 : XXX, 130). Au cours du XVe siècle, les nombreux maydân du Caire voient leurs activités équestres décliner (Ayalon 1961 : 37-44) et cela est aussi probablement le cas, à Damas, du Maydân al- Hasâ, beaucoup moins souvent cité dans les sources mameloukes que l’autre maydân de la ville, le Maydân al-Akhdar (Marino 1997 : 66) ; mais à la fin du XVe siècle (1497) des personnages officiels se rendent encore parfois au “Maydân al-Hasâ pour y assister au passage en revue des cavaliers” (Ibn Tûlûn 1962-1964 : 185). Si, en 1660, le gouverneur de Damas emmène des cavaliers “au Maydân al-Wâdî al-Akhdar et leur ordonne de se livrer à une course” (Muhibbî 1970 : III, 428), le terme maydân commence toutefois à perdre sa connotation militaire à partir du XVe siècle ; les lieux qu’il désigne servent de plus en plus fréquemment de campement pour des populations de passage, comme les pèlerins maghrébins au Caire (Ayalon 1961 : 41), fonction qu’ils exercent aussi à Alep pour des populations récemment installées en ville comme les Turcomans (Sauvaget 1941 : 119) ou à Damas pour “les cortèges des souverains et des ambassadeurs, les détachements de troupes, et même, à l’occasion, les caravanes importantes. Ils sont aussi un des lieux de promenade favoris de la population, qui y vient contempler les évolutions des cavaliers” (Sauvaget 1934 : 460). Actuellement, le terme de maydân n’évoque plus uniquement un lieu où se déroule une activité équestre et il ne désigne plus les mêmes réalités dans chacune de ces villes : deux types d’évolution - le passage d’un nom commun à un terme générique et le passage d’un nom commun à un toponyme - doivent être notées quant à son utilisation. Au Caire, cette évolution est perceptible dès l’époque ottomane où le mîdân al-ghalla désigne alors la place aux grains (Raymond 1985 : 190). Mais la véritable mutation de ce terme semble “résulter d’une action réformatrice menée dans la seconde moitié du XIXe siècle au cours de laquelle la modernisation de la capitale a impliqué une redéfinition de la nomenclature urbaine” : si maydân n’apparaît pas dans la liste des termes génériques donnée

139 Le Trésor des mots de la ville : une maquette au 1/5e par Jommard dans la Description de l’Egypte établie à la fin du XVIIIe siècle (Depaule 2001 : 232), il est en revanche utilisé par Rifâ‘a al-Tahtawî qui, dans la relation du voyage qu’il effectue en France dans les années 1826-1831, l’emploie pour expliquer au lecteur égyptien ce que sont les places publiques parisiennes : “dans cette ville, il y a de nombreuses grandes places nommées mawâdi‘, c’est-à-dire mayâdîn, comme la Place Rumayla au Caire” (Tahtâwî 1993 : 140) ; ce terme figure par ailleurs, au sens de place, dans un inventaire établi par les services des Postes en 1893 (Depaule 2001 : 232). Aujourd’hui en Egypte, pour nommer toute sorte de place on n’utilise aucun des termes en usage ailleurs comme saha, rahba, batha ou sarha mais maydân qui désigne “un endroit spacieux”, un carrefour, un point de contact où l’animation est intense (Jibrîl 2000 : 256). Cet usage a été importé au Yémen depuis l’Egypte dans les années soixante de façon ponctuelle : mîdân désigne à Sanaa la grande esplanade moderne aménagée à l’emplacement d’une des portes de la ville intra muros, tandis que la dénomination traditionnelle, sarha, est par ailleurs toujours en vigueur. Au Tchad, ce terme désigne également une place publique, mais aussi un terrain d’entraînement ou un champ de bataille (*Jullien de Pommerol 1999 : 857). Au Liban, où la dénomination le plus courante pour une place publique est saha, mîdân est également en usage dans des villages, en particulier, où, associé à l’idée de “grand-place”, le terme a valeur de quasi toponyme. Au Maghreb, le terme maydân désigne également un espace, mais semble être beaucoup moins lié à la topographie urbaine : ainsi, au Maroc, il véhicule essentiellement la notion de champ de bataille [mîdân al-harb], “l’espace qui sépare les deux lignes ennemies et dans lequel s’affronte les champions” (*Prémare 1999 : 283 ; *Sinaceur s.d. : VII, 1873) ; dans le sud tunisien, il désigne le lieu de combat mais aussi le combat lui-même (*Boris 1958 : 594). Cette notion de champ de bataille [mîdân al-harb] est également présente en Syrie (*Barthélémy 1935 : 809) mais le terme maydân est surtout employé, dans cette région, comme un toponyme. Ainsi, à Alep, dans les années trente, c’est le nom d’un pré situé au nord de la ville (*Barthélémy 1935 : 809) et qui, sous l’effet de l’urbanisation, s’est progressivement transformé en un quartier ayant conservé le nom de Mîdân. Ce type d’évolution s’observe également à Damas où le terme maydân s’est seulement maintenu dans le toponyme d’un faubourg situé au sud de la ville, le Mîdân, auquel le Maydân al-Hasa [l’Hippodrome aux Cailloux] a donné son nom. Dans les chroniques médiévales, le Maydân commence à apparaître comme un nom de quartier : il y est en effet question du “quartier du Maydân al-Hasâ” (Ibn Tûlûn 1962 : I, 270) et plus tard, dans les documents juridiques consignés dans les registres des tribunaux ottomans, il est généralement question du mahallat du Mîdân [quartier du Mîdân] pour localiser une maison ou un habitant. Dans ce cas, le toponyme utilisé actuellement est le résultat d’une double ellipse : le [faubourg du] Maydân [al-Hasa] (Depaule 2001 : 233-234). Il désigne un espace qui, sous l’effet de la croissance urbaine, s’est progressivement constitué en une entité englobant différents secteurs dont les toponymes sont peu à peu tombés en désuétude ; ainsi, “un seul toponyme, Mîdân, tend peu à peu à désigner un espace dont le fractionnement s’exprimait jadis à travers l’utilisation de noms de quartiers différents (Mîdân/ Qubaybât). Un document officiel daté de 1259-1260/1843-1844 confirme cette évolution : le toponyme Qubaybât y est en effet abandonné au profit de celui de Mîdân Sultânî (Mîdân Fawqânî aujourd’hui). La distinction entre ces deux espaces (Mîdân Tahtânî/Mîdân Fawqânî) est maintenue, vraisemblablement en raison de la nécessité de découper administrativement un espace très étendu ; toutefois, la référence, dans les deux cas, au Mîdân, montre que l’on se représente désormais le faubourg comme une seule entité spatiale“ (Marino 1997 : 123). Ainsi, si maydân désigne à l’origine le lieu où se pratiquent des exercices équestres ou des combats, il a donc connu, au fil du temps, des évolutions différentes selon les pays,

140 Le Trésor des mots de la ville : une maquette au 1/5e notamment au Machreq où sa connotation urbaine est très claire, mais différente en Egypte, où il s’est transformé en terme générique, et en Syrie, où il s’est transformé en toponyme. Brigitte Marino

Voir : saha, rahba Voir : campo (italien), feira, mercado (portugais), place (français), platz (allemand), plaza (anglais USA) ploshachad’ (russe), praça (portugais), square (anglais),

Sources primaires Jibrîl, Muhammad. 2000. Misr al-makân. Le Caire, al-Majlis al-a‘lâ li-al-thaqâfa. Tahtâwî, Rifâ‘at. 1993 [1831]. Takhlîs al-Ibrîz fî talkhîs Bârîs, Le Caire, al-Hay’a al-misriyya al-‘amma li-al-kitâb. Sources secondaires Depaule, Jean-Charles. 2001 “Passages aux toponymes“, in Bouvier, J.-C. et Guillon, J.-M. (dir.), La toponymie urbaine. Significations et enjeux, Paris, L’Harmattan, 229-237. Ibn Tûlûn Muhammad. 1962-1964. Mufâkahat al-khillân fî hawâdith al-zamân, Le Caire, Wizârat al-thaqâtha wa al-irshâd al-qawmî. Marino, Brigitte. 1997. Le faubourg du Mîdân à Damas à l’époque ottomane. Espace urbain, société et habitat (1742-1830), Damas, IFEAD. Muhibbî, Muhammad al-. 1970. Khulâsat al-athar fî a‘yân al-qarn al-hâdî ‘ashar, Beyrouth. Raymond, André. 1985. Grandes villes arabes à l’époque ottomane, Paris, Sindbad. Autres références Ayalon, David. 1961. “Notes on the furûsiyya exercises and games in the mamluk sultanate”, Scripta Hierosolymitana, IX, 31-62. Nuwayrî, Ahmad al-. 1990. Nihâyat al-arab fî funûn al-adab, XXX, Le Caire. Sauvaget, Jean. 1934. “Esquisse d’une histoire de la ville de Damas“, Revue des Etudes Islamiques, IV, 421-480. Sauvaget, Jean. 1941. Alep. Essai sur le développement d’une grande ville syrienne des origines jusqu’au milieu du XIXe siècle, Paris. Viré, F. 1991. “Maydân”, Encyclopédie de l’Islam, Paris-Leyde, Brill-Maisonneuve et Larose, p. 904.

141 Le Trésor des mots de la ville : une maquette au 1/5e

______Mietskaserne (pl. Mietskasernen) allemand, nom fém.

Traductions à compléter

Définitions “ Mietskaserne. Terme péjoratif pour un grand immeuble de rapport [großes Miethaus], dans lequel de nombreuses familles habitent côte à côte, dans des logements standardisés et peu amènes. Les M. existaient déjà dans l’antiquité (Rome) et ont été particulièrement présents en Allemagne pendant l’Empire wilhelmien, notamment après la guerre de 1870- 1871.” (*Das Große Brockhaus 1932) “ Mietskaserne. Désigne un type de grand immeuble de rapport, construit en masse pendant la révolution industrielle dans des quartiers ouvriers ou dans des villes industrielles sans égards pour les conditions hygiéniques ou sociales, et qui rappelle, par son uniformité, sa construction massive et sa taille, les casernes de l’époque.” (*Brockhaus, Die Enzyklopädie 1996)

Le mot apparut au début des années 1860 dans la littérature sur la réforme du logement urbain. Forgée dans un contexte où les réformateurs, après avoir visité le Royaume-Uni à la fin des années 1840, tentaient d’imposer le modèle anglais des cottages – le terme était repris en allemand – et la propriété privée pour loger les classes populaires, la notion de Mietskaserne (litt. caserne à loyers, de rapport) comportait une dimension descriptive et une dimension normative et polémique, qui fonctionne de son origine à aujourd’hui comme une dénonciation de l’urbanisation fulgurante de l’Allemagne de la deuxième moitié du XIXe siècle, et tout particulièrement de la ville de Berlin. Pour le réformateur conservateur le plus connu du milieu du siècle, Victor-Aimé Huber, le développement des Mietskasernen était au cœur “de la soi-disant question sociale […] et la principale cause de la dégénérescence morale et physique qui est source de tant de problèmes, et à terme un danger pour toute la société. La réforme du logement urbain la plus complète constitue le moyen le plus sûr pour briser et pour corriger les valeurs, les humeurs et la moralité douteuse des petites gens. Et si l’on doit se résoudre à briser des mouvements dangereux par la surveillance policière ou l’intervention des forces armées, la réforme ne peut que rendre la tâche plus facile.” (Huber 1857 : 20 et 39) La notion unifie un champ sémantique peu stabilisé qui n’a cessé d’évoluer depuis la fin du XVIIIe siècle. A cette époque on utilisait Kaserne pour désigner des maisons en milieu rural (notamment en Autriche et en Prusse orientale) construites en longueur et logeant entre 60 et 70 personnes, avec des chambres distribuées le long d’un couloir central et dotées d’une cuisine collective (Sandgruber 1979). Une variante du terme, kasernenmäßiges Hauß (litt. maison sur le modèle de la caserne), apparut à la même époque en milieu urbain et en particulier à Berlin, pour désigner les casernes transformées en logements, ainsi que les 400 immeubles relativement standardisés construits entre 1770 et 1788 par la Couronne pour loger prioritairement les officiers de l’armée au long du boulevard Unter den Linden. Ainsi, jusqu’aux années 1830, l’idée de caserne renvoyait surtout à la grande taille de l’immeuble et à la standardisation de l’architecture et on parlait de kasernenartige Gebäude (litt. bâtiments ressemblant à une caserne) ou du kasernen System (Geist & Kürvers 1980 : 220). Entre 1830 et 1860 s’opéra un double glissement dans la signification sociale du mot et dans le régime de propriété de ce genre d’immeuble. Le terme intermédiaire de Familienhäußer (litt. maisons familiales) désignait ainsi, selon Ernst von Zedlich, auteur d’un dictionnaire du dialecte berlinois, “deux anciennes casernes, occupées par des artisans pour un loyer très modéré. Plus récemment, ce terme désigne des immeubles dans lesquels on trouve plusieurs centaines de logements, ayant un loyer très modeste, occupés par des personnes très pauvres des couches les plus basses du peuple.” (von Zedlich 1834 cité par Geist & Kürvers 1980 :

142 Le Trésor des mots de la ville : une maquette au 1/5e

83) La notion se diffusa dans un genre romanesque inspiré par Eugène Sue qui se développa à partir des années 1840 et plongeait le lecteur dans le monde des Familienhäußer, ces “grands immeubles [diese großen Gebäude] construits comme des casernes où des milliers de personnes cohabitent” (Die Geheimniße von Berlin 1844 cité par Geist & Kürvers 1980 : 250) et qui cristallisaient les peurs urbaines : criminalité, maladies contagieuses, pauvreté, immoralité. D’autre part, à partir du milieu du siècle, la production de ce type d’habitat devint plus spéculative et les logements se conformèrent au modèle de l’appartement bourgeois, s’inspirant à la fois des immeubles haussmanniens à Paris et des immeubles de la fondation Peabody à Londres (Schubert 1997 : 99). Cette transformation mit la question de la rentabilité et de la propriété au coeur des discours sur la crise du logement. Les Mietskasernen, construites par des investisseurs sur les grandes parcelles, se caractérisaient par une succession de petites cours intérieures, une densité du bâti visant à rentabiliser les terrains, la standardisation de l’architecture et une importante densité de population. La standardisation et la densité conduisirent au maintien du terme de caserne, même si ces immeubles avaient peu de choses à voir, du point de vue sanitaire et dans la distribution des logements, avec les Familienhäußer ou des kasernenmäßige Häußer de la première moitié du siècle. Si, dans les années 1870, on trouvait encore des défenseurs du modèle de l’immeuble de rapport à étages, susceptible de favoriser la mixité sociale et donc d’œuvrer pour “l’anoblissement” des classes populaires (Schmoller 1887, Hobrecht 1868), les processus ségrégatifs à l’œuvre à la fin du siècle et les enquêtes sur les conditions de vie, opérèrent une identification entre les Mietskasernen, les fléaux sociaux, classes dangereuses et la montée du socialisme. La Mietskaserne fut ainsi associée aux logements en sous-sol où vivait jusqu’à 10% de la population berlinoise, au surpeuplement et aux pratiques de sous-location, génératrices d’une crise sanitaire et morale qui mettait l’ensemble du corps social en péril (Sombart 1906). Mietskasernenviertel (quartier de Mietskasernen) désignait de manière interchangeable les Arbeiterviertel (ouvriers), Proletenviertel (prolétaires) ou Rote Viertel (rouges), tandis que les expressions telles que Elendsviertel (quartier de la misère) étaient réservées aux quartiers concentrant des logements populaires plus anciens et sans aucun équipement sanitaire, comme le Scheunenviertel à Berlin ou le Gängeviertel à Hambourg, quartiers ciblés par les premières mesures d’“assainissement” à grande échelle à partir des années 1890. La Mietskaserne devint ainsi la pierre angulaire des discours et des projets de réforme de tous bords tout au long du XXe siècle. Après la Première Guerre mondiale, les courants conservateurs prônant un retour à la terre et la construction de pavillons aux périphéries des villes, stigmatisèrent la Mietskaserne comme le symbole du déracinement spirituel, physique et moral du peuple. Ils s’appuyaient sur l’exemple du logement patronal et interprétaient la formation des Laubenkolonien (Laub : feuillage, renvoie aux emplacements dans des zones boisées, mais aussi à la nature des constructions, Laubhütte : cabane) construites à la périphérie des villes ou dans les jardins ouvriers par les plus démunis dans le contexte des pénuries alimentaires et de logement d’après 1918, comme l’expression d’un désir d’un retour à la terre, désir qui devait être domestiqué et encouragé par la création de Heimstädte (décalque de l’anglais homestead) au sein de petits lotissements pavillonnaires (Eigenheimsiedlungen) en zone rurale construits par et pour les soldats démobilisés et les classes ouvrières urbaines. Pour la social-démocratie et les mouvements d’architectes et urbanistes progressistes prônant le développement des Gartenstädte (décalque de l’anglais garden city) et le logement coopératif ou municipal, la Mietskaserne symbolisait l’Empire wilhelmien et la spéculation capitaliste, l’éclectisme et le culte des façades, ainsi que l’enfermement des classes populaires dans des logements malsains et sombres. Dans les deux cas, le champ sémantique se cristallisa autour d’une série d’oppositions : lumière/ombre, épanouissement individuel/aliénation des masses,

143 Le Trésor des mots de la ville : une maquette au 1/5e santé/maladie, enracinement/déracinement, nature/désert de pierre (Steinwüste) (Hegemann 1930, Behne 1927). Selon le dictionnaire publié par l’Association allemande de la réforme du logement, la Mietskaserne serait responsable “de conditions de vie extrêmement nuisibles pour l’hygiène et le moral du peuple et constitue à ce titre un danger pour la société.” (Deutscher Verein für Wohnungsreform 1930 : 547) Sous le national-socialisme, l’urbanisme des Mietskasernen fut désigné comme une cause de “la chute de la natalité” et de “l’affaiblissement de la race allemande” (Feder, 1934 : 185). Les Mietskasernen étaient perçues (non sans raison) comme des bastions du parti communiste (KPD), et la succession de cours intérieures, la densité et la solidarité de la population rendaient la surveillance et le contrôle des habitants difficiles (von Saldern 1995 : 233). Ces quartiers, désignés par Andreas Walter, sociologue national-socialiste formé à l’école de Chicago, de gemeinschädige Quartieren (quartiers nuisibles à l’ensemble de la société) (Walter 1936), furent les cibles d’ambitieux projets de restructuration urbaine visant à dédensifier (auflockern), assainir (gesündung) et ordonner (gliedern) les grandes villes – projets qui ne purent être réalisés que très partiellement avant le début de la guerre mais guidèrent la reconstruction des villes allemandes après 1945. Les bombardements alliés avaient détruit une grande partie des quartiers construits pendant la période wilhelmienne. Ces destructions des quartiers de Mietskasernen furent vues comme une occasion unique pour modifier le rapport hérité entre la population, le logement et la ville. En RDA, la Mietskaserne fut relue comme le symbole du capitalisme, contrastant avec les Arbeiterpaläste (palais pour les ouvriers) construits jusqu’au milieu des années 1950, et les Sozialistische Wohnkomplexe (complexes socialistes d’habitation) construits par la suite (Rieken 1954). En RFA, les Mietskasernen furent utilisées comme repoussoir pour légitimer les projets de réforme variés. Pour le parti social-démocrate (SPD), le logement social ou coopératif devait assurer des conditions de vie saines et modernes pour la classe ouvrière, en contraste avec l’héritage de la spéculation et les conditions de vie indignes du passé. Pour l’union chrétienne-démocrate (CDU), la disparition des Mietskasernen devait faciliter la promotion de la propriété privée et donc la constitution d’une société sans antagonismes de classes où serait favorisée la construction de maisons individuelles ou de petits immeubles “à taille humaine” organisés en Kleinsiedlungen (petits établissements, lotissements), susceptibles de favoriser l’éclosion des relations de voisinage – notion reprise du nord- américain Clarence A. Perry, mais largement indexée dans les formes urbaines sur les Ortsgruppen (unités territoriale de base du parti nazi NSDAP) développées entre 1933 et 1945 – et le réenracinement d’une population traumatisée par la guerre. Les Mietskasernen, stigmatisées comme “cancers urbains” (Krebsgeschwüre) ou “avortements urbains” (Mißgeburten) ou disqualifiées avec des termes repris de l’anglais américain comme slum ou ghetto (Orb 1957), furent vouées à être remplacées par des Neubausiedlungen (litt. lotissement de constructions neuves) ou Trabantenstadt (litt. ville satellite), termes volontairement descriptifs et neutres, où la mise en opposition entre le “désert de pierre” des Mietskasernen et le “paysage urbain” (Stadtlandschaft) eut tendance à masquer leurs similitudes : financement par la promotion spéculative, standardisation radicale des logements et, finalement, monotonie. Depuis les années 1970 les immeubles construits pendant l’empire (1871-1918), devenus rares après les restructurations urbaines des années 1960 et 1970 (parfois appelées “la deuxième destruction des villes allemandes”) et profitant de leur centralité, ont été au cœur d’un processus de gentrification. Le mot a perdu sa charge polémique et les quartiers et immeubles autrefois qualifiés de Mietskaserne sont aujourd’hui prisés et désignés comme des logements du Gründerzeit (litt. époque de fondation [de l’Empire]). Jay Rowell

144 Le Trésor des mots de la ville : une maquette au 1/5e

Voir Voir

Sources primaires Behne, Adolf, 1927. Neues Wohnen, Neues Bauen, Leipzig, Hesse und Becker. Deutscher Verein für Wohnungsreform, 1930. Handwörterbuch des Wohnungswesens, Jena, Gustav Fischer. Die Geheimniße von Berlin. Aus den Papieren eines Berliner Kriminalbeamten 1844. Berlin, Berlin, Verlag vo n Meyer und Hofmann. Feder, Gottfried, 1934. “Das deutsche Siedlungswerk”, Siedlung und Wirtschaft, n°5. Hegemann, Werner, 1930. Das Steinerne Berlin , Berlin, Verlag Gustav Kiepenheuer. Hobrecht, James, 1868, Über öffentliche Gesundheitspflege, Stettin, Nahmer. Huber, Victor- Aimé, 1857. Die Wohnungsnot der kleinen Leute in den großen Städten, Leipzig, G.H. Friedlein. Orb, Hans, 1957. Auf halben Weg, Berlin, Der Senator für Bau- und Wohnungswesen Berlin. Riecke, Herbert, 1954. Mietskasernen im Kapitalismus- Wohnpaläste im Sozialismus, Berlin - Est, Verlag Kultur und Fortschritt. Schmoller, Gustav, 1887. “ Ein Mahnruf in der Wohnungsfrage ”, p.425- 444, dans Schmoller, Gustav (dir.), Schmollers Jahrbuch, Bad Feilnbach, Duncker und Humblot. Sombart, Werner, 1906. Das Proletariat. Bilder und Studien, Francfort - sur- le - Main. Walther Andreas, 1936. Neue Wege zur Großstadtsanierung, Stuttgart, Kohlhammer. Zedlich, Ernst von, 1834. Conversationsbuch für Berlin , Berlin.

Sources secondaires Geist, Johann; Kürvers, Klaus, 1980 et 1984. Das Berliner Mietshaus, Munich, Prestel Verlag, 2 tomes. Autres références Schubert, Dirk, 1997. Stadterneuerung in London und Hamburg, Braunschweig, Vieweg Verlag. Sandgruber, Roman, 1979. “ Gesindsstuben, Kleinhäußer und Arbeiterkasernen. L andliche Wohnverhältniße im XVIIIe und XIXe Jahrhundert in Österreich ”, p.107- 131, dans Lutz Niethammer, Wohnen im Wandel, Wuppertal, Peter Hammer Verlag. Saldern, Adelheid von, 1995. Häuserleben: Zur Geschichte städtischen Arbeiterwohnens vom Kaiserreich bis Heute, Bonn, Dietz Verlag. ______mobile home (pl. mobile homes) anglais Etats-Unis, nom composé

Définition en français québécois “ Maison mobile . Caravane de grande dimension installée à dem eure : mobile home (n. masc., anglic.[isme]); mobile - home (n. masc., anglic.); grande caravane (n. fém.); résidence mobile (n. fém., recomm.[andé] off.[iciellement], peu cour.[ant]).” (*Meney 1999 : 1083) Définition en anglais américain “ Mobile home. Un grand trailer, équipé d’éléments permettant la connexion aux services publics, qui peut être installé dans une localisation relativement permanente et utilisé comme résidence. Appelé aussi manufactured home.” (*American Heritage Dictionary 1992 : 1160).

Mobile home est une expression récente introduite au début des années 1950 aux États-Unis pour distinguer ce type d’habitation de son prédécesseur, le trailer ou house trailer tiré par un véhicule. À l’inverse de la trailer house, la mobile home est conçue comme une maison ordinaire – et non pas comme une remorque –, bien qu’il soit possible de la déplacer sans en

145 Le Trésor des mots de la ville : une maquette au 1/5e affecter les éléments structuraux. L’expression fut adoptée en 1953 par la Trailer Coach Manufacturers Association (fondée aux États-Unis en 1936) lorsqu’elle changea de nom pour celui de Mobile Home Manufacturers Association. C’est au cours des années 1950 que mobile home a pris la signification que nous lui accordons aujourd’hui, à savoir une demeure habitable à longueur d’année, construite sur un châssis remorquable et destinée à être raccordée aux services publics. En dépit de la nouvelle dénomination qui mettait l’accent sur les notions de demeure et de mobilité, house trailer subsista pendant plusieurs années comme expression consacrée pour qualifier ce type d’habitation. Mobile home est une invention lexicale qui combine deux mots dont le sens est tout simplement une maison qu’on peut déplacer. D’histoire récente, l’expression n’a pas connu de changement de sens. Par ailleurs, mobile home constitue un exemple intéressant d’expression qui fut employée après le développement de la forme d’habitation qu’elle désignait. Dans les années 1930 et 1940, en effet, mobile home ou mobile house ne furent utilisées qu’à quelques occasions, pour nommer des prototypes de maisons transportables ou encore pour caractériser le mode de vie des ménages qui habitent des house trailers. L’évolution de l’expression traduit bien les transformations qu’a connues l’objet aux États- Unis. Dans les années 1920, les termes house trailers ou trailers étaient utilisés pour désigner les caravanes tirées par une automobile et installées sur les terrains de camping ou les trailer parks. Au cours de cette décennie, la démocratisation de l’automobile a rendu accessibles le voyage et le tourisme. Permettant aux gens de se loger à peu de frais, le trailer participait à ce mouvement (Cowgill 1941 : 11). Le house trailer devint une forme d’habitation permanente dans les années 1930 lorsque de nombreux ménages se déplacèrent pour améliorer leurs conditions économiques. Le nombre de ménages qui habitaient dans des trailers était alors tel que l’homme d’affaires et statisticien Roger W. Babson déclara : “Nous vivrons bientôt sur roues” (Babson 1936). À la fin des années 1930, la prolifération des trailer houses dans les villes incita les autorités municipales à réglementer leur implantation (Foster 1980 : 277). Selon leurs contempteurs, la promiscuité qui y régnait avait des effets néfastes sur la vie familiale (“The American City” 1939 : 113). Quant aux défenseurs de la trailer house, ils soutenaient que celui qui choisit le mode de vie nomade est libre et rend service à sa nation : “Sa maison et son foyer [home] le suivent [...] Il résoud les problèmes de main-d’oeuvre et la pénurie de logements de la nation. Il est indépendant, entièrement démocratique.” (“The Trailerite...” 1945 : 5). Dans un article paru dans la revue Architectural Record en juillet 1936, l’ingénieur industriel Corwin Willson présenta son concept de mobile house tirée par une voiture et offerte aux travailleurs itinérants désireux de déménager leur famille et leur demeure. L’inventeur souligne, en faisant référence à un manuscrit non publié et intitulé Living on Wheels, que la conjoncture économique et la nature des emplois industriels sont à l’origine du phénomène des travailleurs migrants : “Par conséquent, le problème du logement en vient à inclure l’adaptation à une mobilité forcée croissante. La mobile house [...] rend la propriété du logement possible sans impliquer la perte de la liberté économique.” (“2-Story Mobile House...” 1936 : 65). En 1938, deux architectes présentèrent une autre version de la mobile home, le Durham Portable House (Wallis 1991 : 65). Ces maisons se différenciaient des caravanes existantes et du prototype de Willson en ce qu’elles “n’étaient pas conçues pour être généralement remorquée à travers le pays. En revanche, elles sont construites comme des maisons [homes] ordinaires avec une structure brevetée conçue pour être déplacée sans dommage ou ébranlement à l’aide de grands camions.” (Pebworth 1938 : 14). Le concept maintient néanmoins la spécificité de la mobile home, à savoir la possibilité de la déplacer sans en affecter les éléments structuraux. En 1941, le sociologue Cowgill utilisa l’expression mobile homes dans le titre de sa thèse de doctorat portant sur les gens qui habitaient des house trailers, dont il considérait le mode de

146 Le Trésor des mots de la ville : une maquette au 1/5e vie nomade comme caractéristique: “le trailerite est quelque chose de nouveau – une sorte d’hybride. Il se déplace constamment dans l’espace géographique et il est donc typique de la tendance à l’accroissement de la mobilité, mais il emporte sa résidence avec lui.” (Cowgill 1941 : 11). Conçu comme un logement temporaire pour héberger les travailleurs des industries de guerre ou des grands chantiers de construction (autoroutes, barrages hydro-électriques), ce type d’habitation se caractérisait par la standardisation et la fabrication en série. Durant la Seconde Guerre mondiale, le gouvernement des Etats-Unis eut largement recours à ces logements temporaires à titre de “logements de dépannage bon marché.” (Meloan 1954 : 16). Au début des années 1950, l’introduction de modèles plus longs et larges contribua à conférer une nouvelle identité à la mobile home. Les manufacturiers ne fabriquaient plus des caravanes qui servaient de logement temporaire mais des habitations permanentes qui pouvaient être déplacées. Ce nouvel usage exigeait un changement de nom: “Pourquoi ne pas l’appeler exactement ce qu’elle est – une maison [home] qui est mobile – donc une MOBILE HOME.” (Trailer Dealer Magazine 1953, cité par Wallis 1991 : 134). Cette évolution se produisit lorsque les fabricants prirent conscience que leurs clients recherchent avant toute chose un toit permanent – non des caravanes (trailers) pouvant servir d’habitation, mais de véritables maisons, quoique mobiles. Cette opération sémantique menée par les manufacturiers visait à donner une nouvelle identité basée sur la dimension affective du mot home (Wallis 1991 : 134). Selon ses promoteurs, la mobile home ne représentait plus une solution temporaire à un problème de logement, mais un choix individuel et social : “Le temps n’est plus depuis longtemps où les gens habitaient des mobile homes seulement en attendant de pouvoir avoir ‘quelque chose de mieux’. Il y a 4 millions d’Américains en mobile homes, et la plupart d’entre eux par choix et non par nécessité.” (Borgeson 1966 : 7). Il fallut toutefois attendre quelques années pour voir le mot se répandre dans le vocabulaire populaire, trailer demeurant plus couramment utilisé (Hart, Rhodes & Morgan 2002 : 20). La véritable poussée des mobile homes eut lieu à partir du milieu des années 1950 aux États- Unis, alors que la demande en logement était très forte – avec une accélération à la fin des années 1960. Malgré le nom choisi par ses fabricants en 1953, la mobile home était en fait très peu déplacée, car son attrait était surtout de permettre la réalisation du rêve de devenir propriétaire à peu de frais (French & Hadden 1965). Le sommet de la vague de popularité fut atteint en 1974, quand 37% des maisons unifamiliales construites cette année-là étaient des mobile homes (Wright 1981 : 266). En raison de leur piètre qualité, le Congrès adopta en 1974 la Mobile Home and Construction and Safety Standard Act qui autorisait la mise en vigueur de normes minimales de durabilité et de sûreté. Promulgué en 1976, le code fédéral rendit les mobile homes plus attrayantes auprès des institutions financières qui hésitèrent moins à consentir des prêts à leurs acheteurs (Hart, Rhodes & Morgan 2002 : 23). Au Canada, c’est en 1978 que les organismes réglementaires adoptèrent des normes minimales de qualité (“Meilleure qualité...” 1978 : 13) qui rendaient désormais les maisons mobiles éligibles aux programmes fédéraux d’aide à l’accès à la propriété. Un représentant de l’industrie se réjouit de cette consécration : “Les maisons mobiles […] sont maintenant considérées comme partie intégrante du logement dans ce pays. Notre slogan : des maisons à la portée du plus grand nombre de Canadiens.” (“La SCHL...” 1978 : 26). Aux États-Unis, les mobile homes sont concentrées dans des régions qui ont connu une forte croissance démographique depuis les années 1970, notamment le Texas, la Floride, l’Arizona et la Californie. Chargées péjorativement en raison de leur aspect nomade et de leur architecture quelconque, on les retrouve surtout en périphérie des villes, souvent à proximité des espaces industriels et commerciaux, de même que dans des parcs spécifiquement aménagés – qu’on nomme indistinctement trailer parks ou mobile home parks. Les premiers trailer parks qui ont pris forme d’une manière spontanée dans les années 1930 étaient

147 Le Trésor des mots de la ville : une maquette au 1/5e considérés par les administrations locales comme des taudis, “une nouvelle sorte de slum […] présentant tous les traits négatifs des ‘aires urbaines dégradées’ [blight areas] et aucun des aventures de vacances pour lesquelles les trailers avaient été construits.” (Wellington 1951 : 418). Par la suite, les règlements municipaux de nombreuses villes proscrivirent l’implantation des mobile homes dans les quartiers résidentiels car elles étaient considérées comme indésirables et néfastes pour les valeurs foncières (Wright 1981 : 265-266), d’autant plus que, dans plusieurs Etats américains, les mobile homes étaient exemptées de taxes foncières – et dénoncées par leur adversaires comme une forme d’évasion fiscale. Pour mieux refléter le caractère permanent de cette forme d’habitation et les transformations dont elle a été l’objet en termes de procédés de fabrication, la Mobile Home Manufacturers Association a procédé à un autre changement de nom en 1975 pour devenir le Manufactured Housing Institute. Aux Etats-Unis, les institutions publiques endossèrent le nouveau terme lorsqu’en 1980 le Housing Act décréta que mobile home devait être remplacé par manufactured housing dans tous les documents légaux et techniques fédéraux (Hart, Rhodes & Morgan 2002 : 25). Il s’agit là de l’étape la plus récente de la brève histoire d’une forme d’habitation urbaine et suburbaine marquée simultanément du sceau de la marginalité et de la popularité. Mais le nouveau terme n’a pas véritablement remplacé son prédécesseur dans le langage populaire et l’expression mobile home demeure, de nos jours, encore largement utilisée. Claire Poitras

Voir house Voir maison (fr)

Sources primaires “The American City”. 1939. Cady v. City of Detroit, 289 Mich. 499, 286 N.W. 805 (1939), in Zoning and Planning Notes, vol. 54, octobre, p. 113. Babson, Roger W. 1936. “We’ll Soon Be Living on W heels”, Trailer Travel, vol. 1, no 1, p. 10. Borgeson, Lillian. 1966. Mobiles Homes and Travel Trailers , Louisville, Ky., Fawcett Publications. Cowgill, Donald O. 1941. Mobile Homes: A Study of Trailer Life , Philadelphie, University of Pennsylvania. “Meilleure qualité des maisons mobiles”. 1978. Le Devoir, 20 juin, p. 13. Pebworth, R. C. 1938. “Trailers Grow Up Into Houses Without Wheels”, Automobile and Trailer Travel, vol. 3, no 6, p. 14. “La SCHL étend ses programmes d’aide aux maisons mobiles”. 1978. Le Devoir, 2 mai, p. 26. “The Trailerite Is a Typical American”. 1945. Automobile and Trailer Travel, juillet, p. 5. “2 - Story Mobile House by Corwin Willson”. 1936. The Architectural Record , vol. 80, no 1, p. 64- 65. Wellington, Alexander. 1951. “Trailer Camp Slums”, Survey, vol. 77, no 10, p. 418- 421. Sources secondaires Wallis, Allen D. 1991. Wheel Estate. The Rise and Decline of Mobile Homes, New York, Oxford, Oxford University Press. Autres références Foster, Richard H. 1980. “Wartime Trailer Housing in the San Francisco Bay Area”, Geographical Review , vol. 70, no 3, p. 276- 290. French, Richard M. et Jeffrey K. Hadden. 1965. “An Analysis of the Distribution and Characteristics of Mobile Homes in America”, Land Economics, May. Hart, John F., Michelle J. Rhodes et John T. Morgan. 2002. Wheel Estate. The Unknown World of the Mobile Home, Baltimore, Johns Hopkins University Press. Meloan, Taylor W. 1954. Mobile Homes. The Growth and Business Practices of the Industry , Indiana University School of Business Study No. 37, Homewood, Illinois, Richard D. Irwin, Inc. Wright, Gwendolyn. 1981. Building the Dream. A Social History of Housing in America, Cambridge, The MIT Press.

148 Le Trésor des mots de la ville : une maquette au 1/5e

______mukhayyam (pl. mukhayyamât) arabe (littéral et dialectal) Moyen-Orient, nom fém.

Traductions “ mukhayyam , pl. - ât, Camp, / - askari : camp militaire/ - kachchâfa : camp ou campement de scouts/ - ghajar, badû : camp de bohémiens, de bédouins/ - ât laji’în : baraquements de réfugiés.” ( *Hajjar 1980) “ mukhayyam , pl. - ât, Place for pitching a tent. Encampment. Cobwebbed.” (*Hava 1950) “ mukhayyam , pl. - ât, camping ground, camp, encampment.” (*Wehr 1976)

Définitions khayma : “trois ou quatre poteaux [a’wâd] sur lesquels on dresse une toile [ thoumâm ], pour s’abriter de la chaleur.” (*Ibn Manzûr 1994 [XIIIe s.] : 193) “ mukhayyam , pl. - ât. Le lieu [makân] où l’on dresse les tentes [khiyam ]. Camp de scouts [kachchâf]. Colonie de vacances pour les jeunes [mukhayyam al- chabâb].” (*Massoud 1981) “ m ukhayyam , pl. - ât. Le lieu où l’on dresse des tentes dans le but d’y résider provisoirement [iqâma muwaqata]/ - de bédouins [badû]/ - de scouts [kachchâfa ]/ - de réfugiés [mukhayamât laji’în ].” (*Al- Mounjid fi al- lugha al- ’arabiya al- mu’âsira 2000)

Mukhayyam est une expression assez récente utilisée au Proche-Orient pour désigner les camps des réfugiés palestiniens installés après 1948, date de la création de l’Etat d’Israël et de la fuite de quelque 700 000 Palestiniens vers les pays frontaliers (Sayigh 1994). Une autre signification du terme mukhayyam est la colonie de vacances ou les campements de scouts. Enfin, l’utilisation au figuré de ce terme renvoie au verbe KhYM, “couvrir” dans le sens de dominer, parfumer, embaumer, exhaler (*Ibn Manzûr 1994 [XIIIe s.]). Dans sa signification de camp de réfugiés palestiniens [mukhayyam laj’în falastiniyyîn], mukhayyam est utilisé dans les pays qui ont accueilli ces réfugiés en 1948 : la Jordanie, la Syrie et le Liban. Il est également employé à Gaza et en Cisjordanie mais sans la spécification falastiniyyîn, qui renvoie à l’appartenance palestinienne des réfugiés. Les camps de Palestine ont une signification différente car ils hébergent une population déplacée dans le même pays et non réfugiée sur une terre d’exil. A l’origine de ce terme, il y a le mot khayma qui désigne la tente et évoque par là les habitations traditionnelles des bédouins (*Ibn Manzûr 1994 [XIIIe s.] : 193). Khayma renvoie aussi à la naissance des mukhayyamât. Avant la construction en dur des camps palestiniens, le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) distribua aux réfugiés des tentes en toile pour s’abriter pour une période provisoire, en attendant le réglement de leur sort. Mais au fur et à mesure que l’exil s’éternisait, les camps se construisirent, se structurèrent et formèrent des entités urbaines non négligeables à la lisière des grandes villes libanaises, syriennes et jordaniennes (Kodmani-Darwish 1997). Une définition plus large du camp renvoie à “un espace désigné pour un temps provisoire, pour y accueillir certaines catégories de personnes différenciées par leur statut, leur fonction, leur origine” (Destremeau 1996 : 529). Une telle définition s’appliquant aux mukhayyamât palestiniens dans les pays d’accueil prête à équivoque aujourd’hui. En effet, le provisoire dure depuis plus de cinquante ans, les habitants de ces camps en Jordanie sont pour la plupart des citoyens jordaniens. Les camps peuvent abriter des populations d’origine diverses et les espaces délimités pour les former, initialement situés en marge des villes, sont aujourd’hui intégrés dans le tissu urbain de ces dernières. Pour United Nations Relief and Working Agency (UNRWA), le mukhayyam se définit comme “une parcelle de terrain mise à [sa] disposition par le gouvernement [du pays] d’accueil dans le but de loger les réfugiés palestiniens” (Destremeau 1994 : 84). En Jordanie,

149 Le Trésor des mots de la ville : une maquette au 1/5e les camps sont co-gérés par l’UNRWA et la Direction des affaires palestiniennes (DAP) du gouvernement jordanien (Jaber 1997 : 239). En Syrie, l’Organisme public des réfugiés arabes palestiniens, chargé des affaires civiles et sociales des réfugiés, coordonne ses efforts avec l’UNRWA pour administrer les camps (Khaled 1998 : 10). Enfin au Liban, c’est l’UNRWA et les comités palestiniens locaux qui gèrent les mukhayyamât, le gouvernement libanais n’occupant qu’un rôle secondaire qui se limite au règlement des affaires civiles des réfugiés (Sfeir-Khayat 2000). Mukhayyam désigne donc une réalité qui change de statut et de nature d’un pays à un autre. En Jordanie, la présence des réfugiés palestiniens a été à la source, dès les années 1950, de la dynamique du processus de croissance démographique et, plus particulièrement d’urbanisation (Destremeau 1994 : 20). Le développement de la capitale jordanienne a amplement contribué à diluer les camps dans un paysage urbain plus large, en les enchâssant dans la ville au point d’en faire des quartiers (Jaber 1997 : 239). Cependant, la définition institutionnelle de mukhayyam garde sa spécificité en Jordanie, car elle se trouve à la convergence de trois paramètres : le statut juridique et foncier, l’UNRWA et la DAP. Le camp n’est pas un quartier comme les autres, dans la mesure où sa gestion ne ressort pas des pouvoirs administratifs locaux mais d’instances nationales jordaniennes et internationales onusiennes. Ces classifications juridiques et institutionnelles définissent le camp, mais l’appellation “mukhayyam” peut s’étendre à d’autres quartiers de la capitale jordanienne, à cause du caractère tassé des habitations et de la pauvreté (Jaber 1997 : 239). En Syrie, mukhayam s’applique à dix camps, parmi lesquels celui de Yarmouk se distingue car, regroupant plus de 70% des réfugiés palestiniens du pays, il constitue une véritable agglomération à lui tout seul (Khaled, 1998 : 12). C’est une banlieue de Damas qui s’est développée depuis 1948 avec l’arrivée des Palestiniens sur des terres distribuées par le gouvernement syrien. Le mukhayyam déborde vers la ville et fait partie intégrante de son tissu urbain. Il s’agit de la zone de concentration palestinienne la plus développée, dotée d’infrastructures et jouissant de services comparables à ceux des zones urbaines syriennes (Kodamni-Darwich 1997). Au Liban, où il existe douze camps situés pour la plupart à proximité des grandes villes (Sayda, Tyr, Beyrouth, Tripoli), la dénomination mukhayyam s’identifie de très près aux réfugiés palestiniens. En effet lorsque les Arméniens, suite au génocide de 1924, arrivèrent en masse au Liban, les autorités mandataires françaises les installèrent dans des camps destinés à les accueillir pour une longue période. Si l’appellation de ces camps de réfugiés a conservé sa terminologie française : Camp Khorchid, Camp Trad..., au fil des années, ils se sont dilués dans l’espace libanais. Le statut des camps palestiniens est tout différent. Alors que la Syrie et la Jordanie ont, dès le départ, donné une définition et un statut aux réfugiés palestiniens établis sur leur territoire, le gouvernement libanais ne leur a pas octroyé de statut clair et les considère comme des résidents étrangers (Tackenberg 1997 : 264), ce qui a permis aux autorités libanaises de ne pas se considérer comme responsables des affaires sociales des Palestiniens établis sur leur territoire. Le rôle de l’Etat libanais se limitant au contrôle de ces espaces dangereux pour son équilibre, ce sont les seules instances de l’UNRWA qui s’occupent de gérer l’espace et la population des mukhayyamât (Sfeir-Khayat 2000). Mukhayyam, dans ce pays, s’est chargé au fil du temps de connotations très diverses. Si le mot désignait originellement un espace provisoire pour des réfugiés en attente de retour, il symbolisa pendant les années 1970 la résistance et la lutte palestiniennes, pour incarner ensuite incarner un lieu martyr avec la chute de Jisr el Bacha et Tell el Zaatar et les massacres de Sabra et Chatila (Sayigh 1994). Aujourd’hui, mukhayyam est synonyme de bidonville, évoque un espace en marge qui dérange le Liban en reconstruction. La situation des mukhayyamât au Liban donna lieu à une abondante littérature portant sur la lutte, la résistance et le martyre des réfugiés. Après la chute du camp de Tell el Zaatar en 1976, l’écrivain

150 Le Trésor des mots de la ville : une maquette au 1/5e

Mahmoud Darwich, à travers le personnage de Ahmad Zaatar, fait revivre ce mukhayyam, image de la résistance palestinienne et de la lutte de la gauche arabe. “Le camp était le corps d’Ahmad, Damas était ses paupières, le Hijaz était l’ombre d’Ahmad.” (Darwich 1976 : 5) Plus tard, Darwich identifia la ville de Beyrouth à un camp : “Pareils à nos ancêtres nous venons à Beyrouth pour venir à Beyrouth... Beyrouth est notre tente Beyrouth est notre étoile.” (Darwich 1983) Avec le personnage de Oum Saad, Ghassan Kanafani raconta le camp comme espace d’humiliation et makhzan [dépôt] de la révolte et de la revendication palestiniennes (Kanafani 1969). Pour les réfugiés palestiniens, mukhayyam est décrit comme le “visage de la nation”, il évoque “un abri qui procure la sécurité et reproduit l’identité en exil” (Farah 1997 : 282). Souvent mukhayyam, pour les gouvernements, signifie un lieu dangereux, un refuge pour les criminels et les voleurs (Sayigh 1979). Dans l’usage quotidien, bien que la définition de mukhayyam diffère d’un pays à un autre, une chose reste commune : le terme disparaît au profit de l’appellation toponymique : on ne dit pas mukhayyam Ayn el Héloué ou mukhayyam Wihdât, mais plutôt Ayn el Héloué ou Wihdât. Jihane Sfeir-Khayat

Voir Voir bidonville (Fr.), cortiço, favela, mocambo (portug. Brésil), slum (Grande-Bretagne, Etats-Unis), taudis (Fr.), tugurio (Esp), vecindad (esp. Mexique).

Sources primaires Darwich, Mahmoud. 1976. Ahmad Zaatar. Rééd. Beyrouth, General Union of Palestinian Writers and Journalists, 1977. Darwich, Mahmoud. 1983. “Le poème de Beyrouth” , Rien qu’une autre année; Anthologie poétique 1966- 1 982, Trad. fr. de Abdellatif Laabi, Paris, Editions de Minuit. Kanafâni, Ghassan. 1969. Oum Saad. Beyrouth, Dâr al- ’aouda. Sources secondaires Destremeau, Blandine. 1994, “L’espace du camp et la reproduction du provisoire : les camps de réfugiés palestinie ns de Wihdat et de Jabal Hussein à Amman”, in Bocco R. et Djallili M.- R. (dir.), Moyen- Orient : migrations, démocratisation, médiatisations, Paris, PUF, 83- 99. Autres références Destremeau, Blandine. 1996, “Les camps entre enclaves et quartiers”, in Hannoyer J. et Shami S. (dir.), Amman, ville et société, Beyrouth, Cermoc, 527- 552. Farah, Randa. 1997. “Crossing Boundaries: Reconstruction of Palesitnian Identities in al- Baq’q Refugee Camp, Jordan”, in Bocco R., Destremeau B. et Hannoyer J. (dir.), Palestine, Palestiniens: territoire national, espaces communautaires, Beyrouth, Cermoc, 259- 298. Jaber, Hana. 1997. “Le camp de Wihdat à la croisée des territoires”, in Bocco R., Destremeau B. et Hannoyer J. (dir.), Palestine, Palestiniens: territoire national, espaces communautaires, Beyrouth, Cermoc, 237- 258. Khaled, Ghassan. 1998. Le camp de réfugiés palestiniens du Yarmouk à Damas: précarité atténuée dans l’attente de l’application du droit au retour. Mémoire de DEA, Tours, université François - Rabelais, faculté d e Droit, d’Economie et des Sciences Sociales. Kodmani- Darwish, Basma. 1997. La diaspora palestinienne, Paris, PUF. Sayigh, Rosemary. 1979, Palestinians: from Peasants to Revolutionaries. London, Zed Press. Sayigh, Rosemary. 1994, Too many enemies: The Pale stinian Experience in Lebanon. London and New Jersey, Zed Books, Sfeir- Khayat, Jihane. 2000, Defining Palestinian Refugees 1948- 1952: Humanitarian Aid and the Beginning of Palestinian Exile , in http://web.mit.edu/cis/www/mitejmes Tackenberg, A. 1997, The Status of Palestinian Refugees in International Law . Pays- Bas, Reeks Recht in Samen Leving. ______município (pl. municípios)

151 Le Trésor des mots de la ville : une maquette au 1/5e portugais, Portugal, nom masc.

Traductions “MUNICÍPIO, s.m. Cidade, que lograva as isenções, e fóros dos Cidadãos Romanos. Ville municipale, qui jouissoit du droit de bourgeoisie Romaine.” (*Sà 1794) “ Município , s.m. Municipe, ville municipale; conseil municipal.” (*Valdez 1905) “ município , n.m. Municipalité, le territoire administré par des magistrats municipaux; ses habitants.” (*Azevedo 1953)

Définitions município “Ville municipale [cidade municipal]. Du temps des anciens romains, on appelait municípios les villes qui jouissaient des privilèges réservées aux citoyens ro mains, comme par exemple les villes du Latium, la province où a été fondée Rome. On appelait aussi municípios les villes de Castille et du Portugal qui jouissaient des mêmes privilèges. Municipium [...].” (*Bluteau 1716) município “Chacune des circonscriptions territoriales où s’exerce la juridiction d’un conseil municipal (vereação). Commune (concelho). Habitants du concelho (du latin Municipium).” (*Figueiredo 1973).

Dans l’article 249 de la constitution portugaise de 1976, le mot município est considéré comme équivalent à concelho et désigne par conséquent la circonscription territoriale élémentaire dans laquelle l’ensemble du territoire du Portugal est divisé. “Les concelhos existants sont les municípios prévus dans la Constitution, la loi pouvant en créer d’autres ou abolir ceux qui serianet manifestement non viables.” (Constituições Portuguesas 1992 : 438) Il n’en a pas toujours été ainsi. Les ordonnances Alfonsines (XVe-XVIe siècles) et Philippines (1603) n’employaient pas le mot município dans les titres qui concernent l’administration des concelhos (Ordenações Afonsinas : títulos XXVII et XVIII, Ordenações Filipinas : títulos LXXV à LXXIII). Le mot était pourtant utilisé, sous forme d’adjectif ou de substantif, au moins depuis le XVIIe siècle. Raphael Bluteau (*1716), citant O Portugal Restaurado de D. Manuel da Cunha (1645), expliquait que le mot município désignait les villes qui avaient obtenu ce titre durant la période romaine. On retrouve la même définition dans l’édition de 1831 du dictionnaire de Moraes et Velho. Autrement dit, le terme município ne se référait pas à l’ensemble des 816 concelhos existant en 1826, ni aux 351 conservés après leur réorganisation de 1836, mais exclusivement aux villes portugaises dont les habitants avaient eu accès à la citoyenneté à l’époque romaine. Município se situait donc dans un lexique qui, sous l’Ancien Régime, exprimait une hiérarchie de dignité entre cidades, vilas et lugares [localités] – différences dont on trouve la trace dans leurs chartes respectives. Le mot utilisé dans les codes administratifs de l’époque libérale était celui hérité du Moyen Age : concelho (Coelho & Magalhães,1986 : 91-96), version portugaise du mot roman conciliu (Mattoso 1992, 1 : 467-468). Concelho était utilisé en 1820 (Constituição de 1820 in Constituições... 1992) et, à nouveau, dans le code administratif de 1836, qui faisait cependant référence à l’existence des câmaras municipais (conseils municipaux) (Código Administrativo... 1837). Ce terme était alors réservé aux dispositions spéciales qui concernaient les deux villes les plus importantes du pays, les municípios de Lisbonne et Porto. En 1839, cependant, à la Chambre des Députés, Passos Manuel, le ministre qui avait contresigné le code, utilisait déjà le mot município dans un sens général se référant à tout le pays (Diário da Câmara dos Deputados 1839, 2 : 459-462). Le glissement du sens du mot s’accéléra avec la réflexion érudite sur les institutions municipales, auxquelles l’historien Alexandre Herculano, dans son História de Portugal publiée à partir de 1846, faisait jouer un rôle fondamental dans l’histoire du pays. La publication en 1856 du livre du publiciste républicain fédéraliste, José Felix Henriques de Nogueira, O Município em Portugal, peut être considérée comme marquant une étape. On

152 Le Trésor des mots de la ville : une maquette au 1/5e peut y lire : “Dans notre pays, le Município est né [...] sous l’influence des traditions romaines. Il s’est développé grâce à l’instinct de liberté de nos ancêtres et s’est affaibli sous la contrainte de l’absolutisme.” (Nogueira 1856 : 91) Libertés médiévales, régression dûe à l’absolutisme et à la domination de la religion sur la société, importation du modèle centralisateur français par le libéralisme triomphant dans le décret du 16 mars 1832, sont les différents éléments d’une réflexion sur l’histoire du Portugal où le município occupe une place centrale. Nogueira prévoyait un futur socialiste où les municípios associés à l’échelle nationale acquerraient de nouvelles fonctions culturelles, et de contrôle de l’économie et de l’assistance publique. En 1863 existait à Lisbonne un journal O Município avec pour sous- titre “Journal des intérêts matériels du Pays”. Le nouveau sens du mot a ainsi été fixé à un moment où les municípios, qui occupaient pourtant une place centrale dans le débat politique, avaient une vie très peu active (Silveira 1997). Un sondage dans la presse nationale pour le printemps de l’année 1868 nous montre que le mot município était très peu, ou pas du tout utilisé. Les nouvelles de province utilisaient le mot concelho, ou bien continuaient à parler de vilas et cidades. Même les conseils municipaux étaient souvent simplement appelés câmara. Les gardes municipales [gardas municipais] et les administradores de concelho, administrateurs délégués par le gouvernement, étaient les fonctionnaires locaux les plus cités, généralement pour en critiquer l’intervention pendant des élections ou des tumultes. Les premiers étaient à Lisbonne connus comme os municipais (A Revolução de Setembro et O Popular 1868). Après 1879, un nouveau code décentralisateur répondit aux critiques constantes adressées au centralisme que représentaient ces fonctionnaires. En 1886, a été introduite la représentation des minorités dans les conseils municipaux [câmaras municipais]. Mais peu après, en 1892, l’endettement des municipalités amena le gouvernement à leur retirer tout pouvoir en matière d’exécution des travaux publics. Un nouveau code, publié le 4 mai 1896, jugé très centralisateur, resta en vigueur jusqu’à l’instauration de la République en 1910. À cette époque la presse locale continuait à très peu utiliser le substantif município (O Provinciano 1897-1904). Tout au long de cette période, concelho restait d’un usage plus fréquent que município et les habitants des vilas et des cidades étaient toujours convaincus de leur supériorité sur les paysans affublés de sobriquets dépréciatifs, comme ceux de la région de Lisbonne appelés saloios. Au catalogue de la Bibliothèque nationale de Lisbonne, il n’y a que 42 titres de monographies publiées jusqu’en 1900 où figure le mot município. La République restaura le code de 1878. Le 15 août 1911, un nouveau code fut présenté au parlement, mais il fut promulgué seulement de façon partielle en 1913. Il ne modifiait guère l’organisation municipale monarchiste. Seule la possibilité du référendum apparaissait comme une innovation. Les municípios ne pouvaient espérer exercer le rôle qui leur était attribué dans l’utopie républicaine fédéraliste. Néanmoins, la vie politique locale s’anima. Les campagnes pour les élections locales montrent que les services municipaux étaient devenus un enjeu majeur : lumière, eau, égouts, abattoirs étaient maintenant qualifiés de municipais [municipaux] (A Pátria 1921-1922). En 1927, il existait à Lisbonne un journal du personnel des services municipaux dont le titre était O Município. Après le coup d’État du 28 mai 1926, eut lieu une rupture frontale avec la tradition libérale. Les concelhos furent considérés comme des unités organiques, au même titre que la famille et la nation et, dans un premier temps, ils furent gouvernés par des commissions administratives nommées. En 1933, la Constitution n’utilisait pas le substantif município, mais considérait les conseils municipaux [câmaras municipais] comme des corps administratifs. En 1936, un système électoral fut établi pour les assemblées paroissiales [juntas de freguesia] mais, les élections aux conseils municipaux se tenaient en partie par l’intermédiaire des corps constitués. Le maire [presidente da câmara] était directement

153 Le Trésor des mots de la ville : une maquette au 1/5e nommé par le gouvernement, qui pouvait dissoudre les conseils municipaux (Oliveira 1996). La vie locale devint exsangue. Avec la Révolution de 1974, les câmaras municipais gagnèrent en autonomie avec un statut dont les moyens étaient garantis par la loi des finances locales. L’élection des conseillers [vereadores] et du maire assurèrent la participation démocratique des citoyens aux institutions municipales. La torpeur de la vie locale semble avoir laissé place au dynamisme. Il existe un nombre important de publications sur ce thème, certaines placées sous l’égide des institutions municipales et l’histoire des municípios est devenue un thème fréquent des études locales. Magda Pinheiro

Voir Município, Concelho. Voir Commune ( Français),

Sources primaires Código Administrativo Portuguez. 1837. Lisboa, Imprensa Rua S. João. Constituições Portuguesas. 1992. Lisboa, Assembleia da República. Diário da Câmara dos Deputados, sessão de 11 de Maio de 1839, vol. 2. Lisboa, Imprensa Nacional. Herculano, Alexandre. 1846- 1853. História de Portugal . Lisboa, Casa Viúva Bertrand e Filhos, 4 vol. Município (O). Jornal dos Interesses materiais do país.. Lisboa, 1863. Município (O). Lisboa, 1927. Nogueira, José Felix Henriques de. 1856. O Município em Portugal no Século XIX . Lisboa, Typographía de Francisco Luíz Gonçalves. Ordenações Afonsinas, livro 1, Lisboa, F. C. Gulbenkian, 1984 (facsimile de l’éd. de 1792), avant propos de Mário Júlio de Almeida Costa. Ordenações Filipinas, livro 1, Lisboa, F. C. Gulbenkian, 1985 (facsimile de l’ed. Rio de Janeiro, Cândido Mendes, 1870). Pátria (A). Lisboa, série dépouillée : 1921- 1922. Popular (O). Lisboa, série dépouillée : mars - mai 1868. Provinciano (O). Lisboa, série dépouillée : 1897- 1904. Revolução de Setembro (A). Lisboa, série dépouillé e : mars - mai 1868. Autres références Coelho, Maria Helena & Magalhães, Joaquim Romero. 1986. O poder Concelhio das origens à Cortes Constituintes. Coimbra. Mattoso, José. 1992. História de Portugal. Lisboa, Círculo de Leitores, xxnombre de vols SVP. Oliveira, César ed. 1996. História dos Municípios e do Poder Local. Lisboa, Círculo dos Leitores. Silveira, Luís Nuno, Espinha, “Estado Liberal, Centralismo e Atonia da vida Local”, dans Actas dos IV Cursos Internacionais de Verão de Cascais, 1997, vol. 2, pp.127 a 145. ______Nachbarschaft (pl. Nachbarschaften) allemand, nom commun féminin

Traductions ” Nachbar(in) ( - n/- s, - n) m (f) neighbour[...] Nachbarschaft f neighbourhood” (*Pons 1982 : 311). ” die lieben Nachbarn (iron.) our dear neighbours” (*Langenscheidt 1984) “ Nachbarschaft < - , - en> f 1. (nähere Umgebung) _ in der ~ dans le voisinage; in jds ~ près [o pas loin] de chez qn 2. (die Nachbarn) voisins mpl” (*Pons 1996)

Définitions

154 Le Trésor des mots de la ville : une maquette au 1/5e

Nachbarschaft “l ’ensemble des voisins [Nachbarn] d’un même village ou des environs, ainsi que les habitants d’un même endroit, à proximité” (*Grimm & Grimm 1889 : 27) “Une Nachbarschaft est un groupe social, dont les membres interagissent principalement en raison de leur partage d’un [même] lieu d’habitation.” (Hamm 1982 : 142).

Avec Nachbarschaft, dans la langue allemande actuelle, on désigne deux choses. D’une part, l’ensemble des Nachbarn [voisins], des gens qui habitent le même immeuble, que l’on croise dans l’escalier ou dans la rue et dont on peut rarement dire combien ils sont ou qui ils sont. Pris dans un sens plus étroit, le Nachbar est l’habitant du logement le plus proche, c’est à dire, la plupart du temps dans le contexte urbain, de l’appartement situé au même étage ou, plus rarement, de la maison voisine. Dans un sens plus large, les Nachbarn sont également les habitants des maisons environnantes, bien qu’on les connaisse encore moins. On désigne, d’autre part, par Nachbarschaft les rues, les maisons et les magasins situés autour de sa propre maison. La Nachbarschaft s’arrête quelque part à la prochaine grande rue, mais on ne sait guère définir précisément l’endroit où elle commence. Cependant, qu’on l’observe de l’intérieur ou de l’extérieur, toute Nachbarschaft a des caractéristiques architecturales et socio-culturelles qui lui sont propres. Ainsi, l’emploi du mot Nachbarschaft présuppose une connaissance, même limitée, des hommes et des lieux que l’on désigne par ce terme, et l’identification d’une certaine entité spatiale. Dans le cas contraire, on emploierait plutôt l’expression “tout près de chez moi [bei mir in der Nähe]” ou “tout près de mon habitation [in der Nähe meiner Wohnung]”. Nachbarschaft désigne autant une chose que l’on apprécie qu’une chose qu’on voudrait éviter. On évoque ainsi les échanges sympathiques de la rue, mais aussi les commérages, ou les disputes et conflits juridiques à propos du jardinage – qui sont régis par le Nachbar(schafts)recht [droit du voisin(age)], une partie du droit de la construction. Quand on fait quelque chose d’inhabituel, ou que l’on s’habille bizarrement, on dit à ses proches - parfois en plaisantant et parfois sérieusement : “mais que vont penser les Nachbarn ?”. En fait il est rare que quelqu’un dise quoi que ce soit (sauf quand la musique est trop forte), mais chacun croit deviner les pensées des Nachbarn - parce qu’on croit que l’on pense de façon similaire : Nachbarshaft implique des obligations sociales, par bien des aspects quelque chose de virtuel et de latent. Mais le mot peut également évoquer quelque chose d’extrêmement pratique: on nomme Nachbarschaftshilfe [aide de voisinage] les petits services rendus (donner un produit alimentaire, relever la boîte à lettres, arroser les plantes quand on part en vacances, etc.) ou l’aide en cas d’urgence. Historiquement, le Nachbar est “celui qui habite à proximité (dans le même lieu, tout près)” (*Kluge 1989 : 496), un “Nahe-bei-Wohnender [habitant tout près]” (Bertels 1990 : 59-73). La deuxième syllabe (bar) réfère à Bauer (petite maison, cabane, plus tard cage à oiseau) et bauen (synonyme de wohnen [habiter]) (*Kluge 2002 : 642). Le mot actuel est une simplification du mot haut-allemand moyen n_chgeb_r(e), du haut-allemand ancien n_higib_r(o) et du gothique *næhwa-gebur(on). On reconnaît ici la proximité du vieil anglais n_ahgeb_r, n_h(h)eb_r, ainsi que du hollandais actuel nabuur (*Kluge 1989 : 496). Jusqu’au XIXe siècle, le Nachbar est quelqu’un “dont la maison ou l’appartement est mitoyen ou à proximité de l’autre, souvent le plus proche” et, de façon plus générale, quelqu’un qui “fait partie de la commune [Gemeinde]”. C’est aussi “celui qui est debout, assis ou couché à côté de soi” – par exemple le Tischnachbar [le voisin de table] ou la Sitznachbarin [la voisine de chaise]. Dans le Faust de Goethe, Gretchen s’exclame, juste avant de s’évanouir parce qu’elle est enceinte: “Nachbarin! Vos éventails!”. Nachbar peut aussi entrer en composition avec des mots désignant des personnes situées à proximité (Nachbar[s]frau, -kind, -leute, - volk [la femme, l’enfant du Nachbar, les gens, le peuple nachbar]) ou des lieux plus ou moins vastes (Nachbarhaus, -hof, -dorf, -stadt, -land, -staat [maison, cour, village, ville, région,

155 Le Trésor des mots de la ville : une maquette au 1/5e pays]) (Grimm & Grimm 1889 : 22-23), ou enfin des objets abtraits (wissenschaftliche Nachbardisziplin [disciplines scientifiques voisines]). Composé avec la syllabe -schaft, qui transforme la personne en objet, “celui qui habite à proximité” prend la double signification exposée plus haut. Ainsi, Nachbarschaft désigne tout autant “l’ensemble des Nachbarn d’un même village ou des environs” que “la région proche habitée par les même [gens]” (Grimm & Grimm 1889 : 27). Donc, jusqu’à nos jours, Nachbarschaft désigne tout autant un groupe social informel qu’un secteur urbain approximativement défini. De plus, Nachbarschaft(-lichkeit) [le fait de voisiner] désigne “le rapport des Nachbarn entre eux et les devoirs qui leur sont, de ce fait, associés” (Grimm & Grimm 1889 : 27). Quand on parle de “bonne Nachbarschaft”, on évoque des relations cordiales, des interactions nachbar(schaft)liche [de voisinage] entre les habitants. Dans les villes et les villages préindustriels, ces devoirs étaient souvent institutionnalisés et en partie inscrits dans les Nachbarschaftsbüchern [livres de Nachbarschaft]. Il comprenaient par exemple des devoirs concernant le ravitaillement en cas de maladie ou de décès (ce qu’on appelait Notnober dans la région du Rhin) (*Müller 1944 : 9), l’hygiène (entretien des puits) et la sécurité (protection contre le feu). Dans les année 1910 et 1920, en particulier dans le contexte des débats critiques sur les grandes villes, la Nachbarschaft devint l’objet de discussions sociologiques – en partie nostalgiques (Hamm 1995 : 224). Aujourd’hui, selon certain sociologues, les fonctions les plus importantes de la Nachbarschaft sont l’aide en cas d’urgence, le contrôle social, la communication et la socialisation. Ces fonctions sont rarement formalisées, mais les Nachbarn seraient souvent prêts à les remplir. L’intensité du degré de Nachbarschaft(- lichkeit) varierait en fonction de la classe sociale, de la classe d’âge et des particularités ethniques et culturelles des habitants. Dans les grandes villes, la Nachbarschaft aurait aujourd’hui encore une grande importance dans l’explication des comportements (Gold 1980 : 187) et la Nachbarschaftlichkeit ne serait pas moins intense que dans les petites villes (Friedrichs 1995 : 157, 162). Dans la ville moderne, on évalue que six à huit foyers tout au plus forment réellement une Nachbarschaft (Hamm 1989 : 463), dont les limites spatiales varient en fonction du type d’habitat mais qui est, dans tous les cas, un secteur que l’on peut parcourir à pied. En ville, cela n’aurait pas de sens d’appeler Nachbarn des gens qui habitent à plusieurs kilomètres (Gold 1980 : 110). Dans le langage parlé de la région du Rhin, l’habitant qui n’était pas “juste à côté” – le Nachbar éloigné – était nommé autrefois Winober (Müller 1944 : 9). Si d’autres termes d’urbanisme, comme par exemple Gemeinde [communauté], ont cessé d’avoir une signification uniquement spatiale, cela n’est pas le cas pour Nachbarschaft. Quoiqu’il en soit, il est toujours plus facile d’identifier une Nachbarschaft que de savoir dans quelle mesure les habitants s’identifient à elle. Dans l’histoire de l’urbanisme allemand, des idées déterminées sur la Nachbarschaft ont conduit plusieurs fois à des aménagements concrets, comme le kommunalen Wohnungsbau [habitat communautaire] des années 1910 et 1920 à Francfort et Berlin. Le régime national- socialiste voyait dans la Siedlungszelle [cellule de quartier] un instrument de contrôle social et politique (Krysmanski 1970 : 2025), mais le terme Nachbarschaft n’était pas utilisé alors – sans doute parce que trop libéral et ne s’accompagnant pas d’obligations. On trouvait, en revanche, dans le vocabulaire idéologique de l’époque : Blut-, Volks-, Stadt-, Dorfgemeinschaft [communauté de sang, nationale, urbaine, villageoise] ou Block(- wartschaft) [chefs d’îlot]. C’est seulement après la Deuxième Guerre mondiale et seulement en République fédérale (RFA) que le terme Nachbarschaft fut utilisé en Allemagne dans le langage technique de l’urbanisme. C’est en effet après 1945 que le neighborhood-unit plan nord-américain de

156 Le Trésor des mots de la ville : une maquette au 1/5e

Clarence A. Perry (1929) fut largement approuvé par l’urbanisme allemand, et ce fut dans le langage des Alliés occidentaux que réapparut Nachbarschaft (Durth 1989 : 111). Le mot était alors employé comme synonyme de quartier d’habitation exemplaire planifié sous la tutelle du ministère de l’urbanisme et de la construction. Nachbarschaft désignait alors et jusque dans les années 1960 un quartier [Orsteil] entier comprenant entre 5000 et 10 000 habitants (Jobst 1959 : 1115). En République démocratique (RDA) également on se référait aux architectes modernes d’avant-guerre et à leurs revendications sociales, mais Nachbarschaft n’était pas d’usage, les termes employés étant Sozialistischer Wohnkomplex [complexe d’habitation socialiste], Wohngebiet [quartier d’habitation], Wohngruppe [groupe d’habitation], Hausgemeinschaft [communauté d’habitation]. Aujourd’hui également, certains concepts socio-politiques et pédagogiques reposent sur l’étroite relation entre espace et identité comme, par exemple, la Kommunalpädagogik [pédagogie communale] de B. Richter (2001) et la kommunale Jugendbildung [formation communale pour la jeunesse] de T. Coelen (2002). Cependant, dans l’urbanisme actuel, l’idée de Nachbarschaft, si elle est isolée, peut également conduire à à surestimer sa capacité de socialisation et, alors, à la mettre en scène – par exemple dans les projets urbains de Freiburg- Rieselfeld et de Dorfanger Boberg à Hamburg-Bergedorf. Angelika Andres et Thomas Coelen

Voir Block, Gebiet, Gegend, Gemeinde, Siedlungszelle, Viertel Voir

Sourc es primaires Bertels/Herlyn (Hg.). 1990. Lebenslauf und Raum erfahrung, Opladen : Leske + Budrich. Hamm, Bernd 1982. Einführung in die Siedlungssoziologie . München. Autres références Coelen, Thomas 2002. Kommunale Jugendbildung. Raumbezogene Identitätsbild ung zwischen Schule und Jugendarbeit. Frankfurt a. M. : Lang. Durth, Werner 1989. Phasen der Stadtentwicklung und des Wandels städtebaulicher Leitbilder. In: Wildenmann, R. (Hg.): Stadt, Kultur, Natur. Chancen zukünftiger Lebensgestaltung. Schriftenreihe z ur gesellschaftlichen Entwicklung, Bd. 4, Baden- Baden : 101- 117. Friedrichs, Jürgen 1995. Stadtsoziologie . Opladen : Leske + Budrich. Gold, John R. 1980. An Introduction to Behavioural Geography. Oxford. Hamm, Bernd 1989. Nachbarschaft. In: Wörterbuch der Soziologie (hrsg. v. Günther Endruweit u. Gisela Trommsdorff). Stuttgart : Enke : 463. Hamm, Bernd 1995. Nachbarschaft. In: Schäfers, Bernhard: Grundbegriffe der Soziologie (4. verbesserte und erweiterte Aufl.). Opladen : Leske + Budrich : 224- 225. Jobst, Gerhard 1959. Nachbarschaft. In: Wandersleb, Hermann: Handwörterbuch des Städtebaues, Wohnungs- und Siedlungswesens (zweiter Band F - P). Kohlhammer : Stuttgart : 1115. Krysmanski, Renate 1970. Nachbarschaft. In: Handwörterbuch der Raumforschung und Raumord nung (hrsg. v. d. Akademie für Raumforschung und Landesplanung). Hannover : Jänecke : 1970. Richter, Helmut 2001. Kommunalpädagogik. Studien zur interkulturellen Bildung. Frankfurt a. M. u. a. : Lang. ______parc (pl. parcs) français, nom masc.

Définitions “ PARC : (architecture moderne) c’est un grand clos ceint de murs, où l’on enferme du gibier et des bêtes fauves, comme sangliers, cerfs, chevreuils etc. On comprend dans le parc tel nombre, telle quantité et qualité de terre que l’on veut, labourables ou pâturages, avec des bois taillis et des futaies […]” (*Diderot & d’Alembert 1751- 1780).

157 Le Trésor des mots de la ville : une maquette au 1/5e

“ Parc (Sylvic. & Hortic.) Le parc ne diffère guère d’un bois que parce qu’il est percé d’un plus grand nombre d’allées, dont les principales aboutissent à la maison d’habitation ; de plus les parcs contiennent des bosquets, des parterres remplis de fleurs, des fontaines, des ruisseaux, des grottes, produits par l’industrie humaine en imitation de la nature. […]” (*Larousse 1874). “ Parc , n.m. Grande étendue de terre entourée de murs, ou de fossés, ou de pieux, ou de haies, pour conserver les bois dont elle est plantée, et pour réserver au propriétaire le plaisir de la chasse, ou la liberté de la promenade” (*Dictionnaire de l’Académie française 1878) “ PARC, n. m. […] Grand jardin public. Le parc de la Tête d’Or, à Lyon” (*Petit Larousse 2002)

Le mot parc est attesté en français depuis le XIIe siècle. Il désignait alors une “grande étendue de terres et de bois clôturée, où l’on garde et élève en liberté des animaux pour la chasse” (Wace cité par *Robert 1998). Au XIIIe siècle, le terme désignait aussi “un espace clôturé planté d’arbres fruitiers” (*Robert 1998). La première définition du mot, donnée par Furetière à la fin du XVIIe siècle, est celle de palissade mobile qui enclôt les moutons, le mot désignant également les “grandes enceintes de murailles qu’on fait pour enfermer les bestes fauves” (*Furetière 1690). Cette signification est attestée un demi-siècle plus tard par l’Encyclopédie. Les deux acceptions complémentaires (la clôture et l’espace enclos lui-même) furent longtemps indissociables. Ainsi en 1664 la désignation parc impliquait non seulement la fermeture, mais le boisement, une taille importante et un lien avec un château, une grande habitation ou une maison de maître : “grande étendue de terre et de bois clôturée et aménagée pour la décoration d’un château, ou l’agrément, ou la promenade. Petit parc de Versailles” (Rommel cité par *Trésor de la langue française 1986). La réalité, rurale ou urbaine, que le terme désignait n’était pas, dans un premier temps, indépendante des bâtiments, dont le parc représentait en quelque sorte l’écrin. S’il réfère à une réserve de chasse, parc cependant ne s’appliquait pas à un espace de production, sauf fruitière, le verger étant considéré comme un élément esthétique. A partir du XVIIe siècle, pour être appelée parc l’étendue de terre doit être aménagée, “paysagée”, avec des parterres, des pelouses, des espaces jardinés plus soignés (appelés jardins), des pièces d’eau, qui rendent la promenade attractive. À partir du début du XVIIIe siècle, une évolution du sens du mot se dessina, avec l’ouverture au public des parcs et jardins les plus prestigieux. Représentation de la puissance, de la gloire du roi et de sa bienveillance à l’égard de ses sujets, ils étaient dotés d’un mobilier destiné à l’accueil des visiteurs : bancs, chaises, kiosques à musique et manèges. Sous Louis XIII à Paris, la fréquentation du jardin des Tuileries, lieu de promenade des élégantes, du jardin du Luxembourg et du Jardin royal des plantes médicinales (ancêtre du Jardin des Plantes) était très restreinte et réglementée. A partir de 1750, Louis XV transforma le bois de Vincennes – qui était une chasse royale – en promenade publique et ouvrit le jardin des Champs Elysées à tous sans restriction. Très lié à l’instauration du dimanche chômé et au développement de la promenade, l’aménagement des parcs était considéré comme un facteur de paix sociale et familiale, une école de moralité. Depuis le milieu du XVIIe siècle se développait une confiance dans le pouvoir des sciences et des techniques face aux problèmes les plus divers. Mais c’est au XIXe siècle qu’hygiénistes et responsables de l’aménagement mirent fortement l’accent sur une action volontariste produisant un cadre de vie susceptible de créer un individu nouveau. Les parcs paysagers (l’adjectif paysager fit son apparition vers 1845 -*Robert 1998), s’offraient désormais aux citadins comme des substituts et une alternative morale à ce que l’on appelait, juste avant leur introduction, jardins de plaisir, mis en place entre 1800 et 1840. Inspirée de l’Angleterre, l’expérience de l’ouverture des parcs fut largement prolongée avec les travaux d’Haussmann qui, sur le modèle de Londres, chargea Alphand de l’aménagement des jardins à Paris en 1854. Parc acquit désormais un nouveau sens : parc public ou parc municipal - cette dernière expression n’apparut cependant dans les dictionnaires qu’en 1945 (*Robert 1998). La distinction entre parc et jardin devint souvent floue : elle repose

158 Le Trésor des mots de la ville : une maquette au 1/5e

éventuellement sur la superficie, l’étendue, ou le lien à un bâtiment, sans que semblent exister des critères plus précis. En 1880 à Paris, parc entra officiellement dans le vocabulaire technique de la gestion urbaine : la “Direction des Parcs et Jardins” (dont le rôle était la réalisation et la gestion de ce qui existait) remplaça désormais le “Service des Promenades et Plantations” (dont le rôle était essentiellement la création de ces espaces de verdure) qu’avait créé et que dirigeait Alphand depuis 1855. Ces parcs (publics) étaient élaborés, réalisés, gérés et entretenus par des administrations créées à cet effet selon un “système de parcs” qui repose sur le principe de la répartition d’un grand “poumon” à chaque point cardinal de la cité (pour permettre une bonne aération), relayé par un réseau de squares et de parcs ou jardins, plus ou moins vastes selon la densité de l’habitat. Les grands parcs nouveaux (Buttes Chaumont, Monceau, Montsouris) constituaient une synthèse du parc paysager et des idéologies hygiénistes et moralisatrices, sans que fusse abandonnée l’idée d’embellissement urbain, elle-même liée à celle d’œuvre d’art. Edouard André, spécialiste de l’art des jardins écrivait : “Le parc des buttes Chaumont est un spécimen remarquable d’un jardin créé de toutes pièces sur un terrain montagneux et absolument nu et infertile. On y a utilisé des grottes tapissées de stalactites, hautes de 20 mètres et donnant passage à des cascades qui se déversent dans le lac. De gros blocs de rochers naturels émergent comme une île gigantesque découpée à pic, dépassant le niveau du lac de près de 50 mètres. C’est à ce point élevé que se dresse un monument inspiré par le joli temple de la Sibylle, que les touristes admirent à Tivoli, près de Rome.” (André 1879) À la même époque, dans l’article “Parc” de son Grand Dictionnaire universel (*1874), Pierre Larousse, critiquait le bois de Boulogne (“qui est un parc”), énonçant, négativement, quelques principes de plantation indissociables, selon lui, de la notion de parc : “Les vallonnements ne sont pas assez accentués ; la plantation est un fouillis ; les arbres sont jetés au hasard et mélangés en dépit des lois naturelles.” Désormais, dans les désignations urbaines, parc pouvait être synonyme de jardin public. Dans le même texte Pierre Larousse mettait sur un même plan les dénominations jardin public et parc. L’usage pratiquait aussi cet amalgame terminologique dont témoigne la littérature : “Errant à travers Paris […], gagnant le parc du Luxembourg, il y restait à parcourir des journaux, à regarder les passants” (Arland 1929 :119). Mais, bien qu’elle puisse sembler assez floue, une distinction s’est maintenue dans le vocabulaire technique jusqu’à aujourd’hui, comme en témoigne à Paris l’existence d’un “Service des parcs, jardins et espaces verts”. Elle semble reposer sur des critères de superficie ainsi que sur la fonction que l’espace remplit : parc (et square) renvoyant à l’idée d’agrément, alors que jardin serait davantage lié à l’idée de connaissance ou à une thématique (jardin des plantes, jardin botanique, jardin d’acclimatation, jardin zoologique, jardin japonais). En même temps, dans le lexique réglementaire, parc semble pouvoir avoir une valeur générique, englobante, du moins si l’on en juge par le “Règlement d’usage des Parcs et promenades de la ville de Paris” affiché à l’entrée de tout jardin public parisien. Par ailleurs, des expressions dans lesquelles parc est associé à un spécificatif ont été forgées pour nommer de nouvelles entités, urbaines ou non, dont la caractéristique commune est leur vaste superficie. C’est ainsi que parc national apparut à la fin du XIXe siècle en France, traduction de l’anglais national park qui désigna d’abord une réserve nationale aux Etats-Unis depuis 1872, et qualifia le statut juridique du site naturel protégé de Yellowstone à partir de 1878. Employée en France à partir de 1902, cette dénomination correspond à une catégorie administrative à partir de 1963, avec la création du Parc national de la Vanoise. Les syntagmes parc de loisirs, ou parc d’attractions, apparus au XXe siècle, désignent un “vaste lieu public d’attractions foraines” (*Trésor de la langue française 1986), qui se distingue d’un parc destiné à la promenade par des équipement particuliers et leur entrée payante. Héritier des jardins de plaisir du XVIIIe siècle, profondément urbains, ce type

159 Le Trésor des mots de la ville : une maquette au 1/5e symbolisé par Disneyland (Los Angeles, 1955), désigné en anglais comme amusement park, a entraîné un développement de la formule partout dans le monde et leur fréquentation s’est imposée comme une activité courante de loisir et de tourisme : Disneyland Paris est aujourd’hui le site touristique payant le plus fréquenté en France. Le mot parc, entendu un comme quasi-synonyme de jardin public, ne figure que rarement dans les lexiques spécialisés, notamment dans les dictionnaires de géographie. Si Pierre Georges dans son Dictionnaire de la géographie (1970), lui consacre une entrée, il considère le terme sous l’angle de la biogéographie (synonyme de savane), ou dans les syntagmes parc national, parc régional, considérés comme synonymes de parc par René Oizon (1979). Dans leur Dictionnaire de l’urbanisme (1988), Françoise Choay et Pierre Merlin proposent un historique, puis distinguent trois catégories de parc selon leur superficie : parc de voisinage, parc de quartier, parc périphérique, avant de traiter des éléments qui structurent leur composition, et de renvoyer aux termes espace vert, jardin public et parc de loisirs. Dans la langue des urbanistes et, pour une part, dans l’usage commun parc a eu tendance, dans les années 1960, à se diluer dans la catégorie générique espace vert qui, largement utilisée, désignait toute zone dont la dominante était d’être verte. À partir du milieu des années 1970, une tendance inverse s’est dessinée au profit de dénominations plus précises : on assiste à un retour du terme parc, comme en témoigne la création dans la Région parisienne du parc André-Citroën, du parc de la Villette, de celui de Bercy, ou de la Courneuve. De ces nouveaux aménagements, dont la conception renoue avec l’idée haussmannienne d’une répartition proportionnée de ce type d’équipement dans l’espace urbain, les planificateurs attendent qu’ils favorisent la mixité fonctionnelle et sociale. Gaëlle Gillot

Voir jardin public Voir hadîqa (arabe), jardim (portugais), park (allemand), park (anglais), parque (espagnol), sad (russe), square (anglais)

Sources primaires Arland, Marcel. 1929. L’Ordre . Paris, Gallimard . André, Edouard. 1879. Art des jardins. Traité général de la composition du paysage, Paris, G. Masson. Georges, Pierre. 1970. Dictionnaire de la géographie . Paris, PUF. Merlin, Pierre, Choay, Françoise. 1988. Dictionnaire de l’urbanisme et de l’aménagement, Paris, PUF. Oizon, René.1979. Dictionnaire géographique de la France. Paris, Larousse. ______park (pl. parks) anglais Grande-Bretagne et Etats-Unis, nom, adjectif et verbe

Traductions “park s. un parc .” (*Boyer 1762) “ Park . Terrain clos pour la chasse ou autre but; endroit clos et planté dans les villes pour l’agrément du public” (*Clifton & Grimaux 1876 : 698) “ park [...] 1 n (public) jardin m public, parc m; [country house] parc = car park , national park , safari park etc.” (*Robert 1995)

Définitions “ A Parke; un enclos, terre ou lieu entouré d’une palissade; aussi un enclos à moutons; aussi un enclos à poissons.” (*Cotgrave 1611)

160 Le Trésor des mots de la ville : une maquette au 1/5e

“ Park . Un terrain enclos et pourvu de gibier sauvage, que l’o n peut recevoir par ordonnance ou privilège royal.” (*Johnson 1755, 2)

“ P‘ARK, n. [...] Un vaste terrain enclos et doté d’un privilège pour le gibier sauvage, en Angleterre, par donation du roi ou par prescription. [...]” (*Webster 1828) [dictionnaire publié aux Etats - Unis] “PARK, n [. . .] Un lieu clos dans les villes [cities] pour l’exercice physique ou l’amusement.” (*Webster 1853) [dictionnaire publié aux Etats - Unis] “ Park . Un terrain, habituellement d’étendue considérable, réservé et entretenu pour l’u sage public, et aménagé de façon à procurer le plaisir des yeux et des possibilités de récréation en plein air: comme Central Park à New York ou Hyde Park à Londres.” (*Whitney 1889) “park, Une étendue de terre réservée à l’usage public, comme: a. Une étendue de terrain enclos pour un usage récréatif dans une ville [town] ou à proximité. b. Un city square paysagé. c. Une étendue de terre conservée dans son état naturel.” (*American Heritage Dictionary... 1980) [dictionnaire publié aux Etats - Unis]

Les origines du mot park, celtiques, germaniques ou même latines, sont incertaines. L’étymologiste Walter Skeat relève que l’orthographe française parc est attestée dès le XIIe siècle, et ajoute que le mot a pour origine une contraction de l’anglais moyen parrok – origine aussi du moderne paddock [enclos à chevaux]) qui dérive de l’anglo-saxon pearruc (*Skeat 1879). Le mot peut aussi venir du latin parricus ou parcus, un enclos, l’un et l’autre provenant d’une origine plus ancienne: parr ou sparr, qui est peut être germain. Whitney, dans son dictionnaire, évoque la possibilité d’une origine celtique, mais retient une origine probablement germanique, par ou sparr , une barre ou poutre (Whitney 1889). Quelles que soient ses origines, le mot lui-même n’a pas changé depuis la Conquête (1066) et désigne un large enclos de terrain protégé de toute construction et dont l’usage et l’accès sont déterminés par la loi, celle-ci ayant bien entendu changé au cours du temps. Au début du Moyen Age, park était distingué de forest. Il s’agissait dans les deux cas d’un terrain de chasse défini par privilège royal, mais le premier était une terre accordée par le roi à un vassal, tandis que la seconde était toujours propriété royale et relevait d’une juridiction spéciale. Il y avait aussi cependant les royal parks qui appartenaient et, pour beaucoup, appartiennent encore, à la Couronne. Une chase – dont il reste par exemple aujourd’hui Enfield Chase, dans le Middlesex – était aussi une chasse royale mais, à la différence d’un park ou d’une forest, n’était pas enclose. Au début du XVIIIe siècle apparut un nouvel usage de park pour désigner une vaste aire paysagée attachée à une maison de campagne [country house], comprenant des bois et des pâtures, utilisée pour la récréation et, parfois, comme réserve de gibier ou pour les moutons (*New Shorter Oxford... 1993, 2). Cette acception, qui implique ornementation, récréation et autorité politique, contient les éléments essentiels de la notion de public park de la fin du XIXe siècle. En Grande-Bretagne, les royal parks, souvents proches de Westminster – le siège du pouvoir –, furent parmi les premiers grands espaces libres [open spaces] accessibles au public. À partir de la Restauration (1680), les royal parks ont peu à peu été ouverts à la population, comme St. James’ Park et Green Park dans le centre de Londres. Il en fut de même, dans une large mesure, avec les royal forests qui survivaient à la périphérie des grandes agglomérations, comme Epping Forest, qui passa sous le contrôle de la Corporation of London, la municipalité de la City, dans les années 1860. Du point de vue de leur statut juridique originel, parks et forests se distinguent des commons et greens. Tandis que l’accès aux premiers était strictement réglementé et limité – de sévères punitions étant infligées aux intrus – les seconds étaient définis par des droits collectifs d’accès, de pâture et de glanage. Greens et commons étaient des terres publiques non encloses, mais green tendait à désigner une pâture située au centre d’une petite ville [town] ou d’un village [village] – d’où village green –, tandis que common suggérait une plus vaste étendue de pâturage ou de lande (*Oxford English Dictionary 1989). Après la Restauration et tout au long du XVIIIe siècle, la propriété foncière privée tendit à prévaloir sur les droits

161 Le Trésor des mots de la ville : une maquette au 1/5e manoriaux et de nombreux commons et greens furent enclos – certains survivant toutefois, comme Stoke Newington Green ou Clapham Common à Londres. Dans la seconde moitié du XIXe siècle, parks et forests, commons et greens subirent la pression de l’urbanisation, nombre d’entre eux furent construits et ne subsistent plus que dans des toponymes, comme Wembley Park à Londres. Au même moment, le mot park commença être utilisé pour nommer des districts associés à un un ancien parc, ou pour donner du prestige à une opération immobilière spéculative urbaine ou suburbaine, comme Highbury New Park, construit à Londres dans les années 1860. Depuis le début du XXe siècle, park est aussi utilisé pour donner une connotation prestigieuse à une concentration planifiée et paysagée d’activités particulières – comme dans science park – ou, reprenant un sens plus ancien, pour suggérer le fait d’enclore certaines activités ou objets – comme dans industrial park, ou même car park. Durant les dernières décennies du XIXe siècle, une série de textes et réglements protégèrent commons et greens et permirent leur transfert à la propriété publique, de même que des propriétés ecclésiastiques ou privées – parks, gardens [jardins] et churchyards [jardins d’église]. La législation ultérieure sur la protection des open spaces publics urbains – commençant avec le Town Planning Act de 1909 et comprenant le Town Planning Act de 1947– fournit la définition juridique de base d’un urban public park, à savoir un terrain non bâti paysager ou ornemental utilisé à des fins de récréation et assorti d’un droit inaliénable de libre accès (Conway 2001). Le style d’aménagement des urban public parks fut notamment influencé par celui du landscape garden [jardin paysager] du XVIIIe siècle et par les styles picturesque et gardenesque promus au début du XIXe siècle respectivement par les dessinateurs de jardins Humphrey Repton et J.C. Loudon. Mais la pupart des réalisations résultèrent des mouvements de réforme sociale et municipale de la seconde moitié du XIXe et du début du XXe siècles. La plupart des urban public parks furent créées entre 1840 et 1870, comme Birkenhead Park à Liverpool, Peel Park à Salford, Victoria Park et Southwark Park à Londres – bien que quelques uns eussent été aménagés dès les années 1830, comme Victoria Park à Bath ou Preston Moor Park à Preston. Les précurseurs des public parks étaient les public walks – lieux où les habitants des premières villes industrielles se rendaient de façon informelle pour se promener – ou les promenades des terrains communaux en bordure des villes [towns], activités qui firent l’objet d’une enquête parlementaire réalisée par un Committee of Public Walks (1833). Le mot allemand Volksgarten fut emprunté vers 1835 par J.C. Loudon pour désigner un lieu à la fois instructif et récréatif ouvert au public (Jellicoe et al. 1991), mais si le terme était lié en Allemagne à des idéaux nationalistes en matière d’art et d’histoire, il semble avoir eu en Angleterre un sens proche de celui d’un autre terme utilisé par Loudon – qui fut le créateur du Deby Arboretum –: scientific public garden ou botanic garden. Si Volkskgarten et scientific public garden ne sont plus en usage, public garden l’est encore. Proche du public park, quoique tendant à être d’une taille plus petite et destiné à des activités plus calmes, le public garden, qui s’oppose au square privé, fut notamment aménagé de façon planifiée dès le XVIIIe siècle dans les villes d’eau comme Bath. Le public garden urbain a aussi pour origine les pleasure gardens, lieux de distraction publique possédés privativement, qui existèrent de la fin du XVIIe au milieu du XIXe siècles, comme Ranelagh Gardens et Vauxhall Gardens à Londres. Au XXe siècle, les open spaces urbains ont été associés aux idéaux de la planification publique rationnelle, comme dans le cas des parkways – réseaux de parcs urbains –, ou aux activités culturelles dans les périphéries urbaines, comme dans celui des sculpture parks, ou à la récupération des friches industrielles comme Dertwenthall Park, à Gateshead, ou plus récemment aux projets en partenariat public-privé, comme dans le secteur de Elephant and Castle, à Londres, basé sur le Parc atlantique de Paris. Elisabeth Lebas

162 Le Trésor des mots de la ville : une maquette au 1/5e

Les premières définitions nord-américaines de park, comme celle de Noah Webster (*1828), reprenaient l’usage britannique et associaient uniquement le mot à royal park, terrain de chasse enclos, bien que de tels parks n’eussent existé ni dans les colonies américaines, ni dans la nouvelle République. L’édition de 1853 du dictionnaire de Webster par Chauncey Goodrich reprenait cet usage ancien, mais ajoutait une seconde acception: lieu clos réservé à l’exercice physique ou à l’amusement (*Webster 1853). William D. Whitney mentionnait un autre usage britannique du terme, celui de terrain paysagé entourant un manoir ou une maison de campagne [country house] (*Whitney 1914), comme l’avait fait auparavant le paysagiste Frederick L. Olmsted dans son article “Park” de la New American Cyclopedia: “Les parks en vinrent à être considérés comme de luxueuses annexes des demeures des riches et à être créés et plantés dans ce but.” (Olmsted 1861 : 768) Les premiers parcs étaient des terrains de pâture communaux qui furent ensuite utilisés dans un but récréatif. Boston Common a son histoire inscrite dans son nom, mais des espaces semblables existaient dans toutes les villes: le commons de New York devint le site de l’hôtel de ville, City Hall (1803-1812), et l’espace qui entoure celui-ci fut paysagé et nommé “the Park” jusqu’à la fin des années 1850, quand l’ouverture de Central Park conduisit à préciser “City Hall Park”. La rue qui borde ce dernier du côté Ouest s’appelait Park Row (*Craigie 1944). Le nom de plusieurs squares new-yorkais créés dans la première moitié du XIXe siècle comprenait aussi le mot park, comme St. John’s Park – originellement appelé Hudson Square (1807) – et Gramercy Park (1831), ce dernier étant un parc résidentiel privé aménagé par le promoteur Samuel Ruggles pour mettre en valeur les terrains avoisinants. La conception moderne de park comme vaste terrain situé dans une ville ou à proximité de celle-ci et aménagé comme une oeuvre d’art paysager fut une réponse créative à l’urbanisation du XIXe siècle, qui faisait disparaître les paysages familiers et l’accès à la campagne avoisinante. Andrew J. Downing, le plus influent parmi les premiers avocats des parcs urbains, regardait les squares qui existaient à New York comme de “petits jardins de devant [door-yards], de simples parterres d’herbe et de verdure” et militait pour la création d’un park d’au moins 500 acres [20 ha] dans le centre de l’île de Manhattan. Seul ce vaste espace pouvait procurer aux habitants “un large accès à des terrains de park et d’agrément [park and pleasure grounds], avec un véritable sentiment de l’ampleur et de la beauté des vertes pâtures [green fields], de la beauté et de la fraîcheur de la nature” (Downing 1851 : 345). L’aménagement de Central Park à New York est généralement considéré comme le point de départ du park movement [mouvement pour les parks urbains] aux Etats-Unis. Dessiné par Frederick L. Olmsted et Calvert Vaux en 1858 comme oeuvre de l’art du paysage et institution sociale républicaine expérimentale, Central Park “est surtout remarquable comme effort pour rendre compatibles les nécessités d’un park destiné à devenir le centre d’une métropole [metropolis] très peuplée avec celles de la beauté du paysage [scenery], dont la note principale sera rurale et même, à certains endroits, violemment pittoresque [picturesque]” (Olmsted 1861 : 772). Bien que situé à grande distance des parties de la ville les plus peuplées, Central Park devint bientôt le lieu de récréation [resort] favori des new- yorkais et son succès conduisit d’autres villes nord-américaines à l’imiter. “Presque toutes les grandes villes [large towns] du monde civilisé ont maintenant, sous une forme ou sous une autre, des public pleasure grounds [terrains publics d’agrément].” (Olmsted 1861 : 768). Olmsted devint l’architecte paysagiste le plus réputé des Etats-Unis dans la seconde moitié du XIXe siècle, et ses conceptions modelèrent le développement des parks dans tout le pays. La version de 1861 de son article “Park” commençait par une référence aux fonctions historiques d’un park, notamment aux royal parks réservés à la chasse. Dans la version révisée de 1875, il fournit une définition moderne du terme: “une étendue de terrain utilisée pour la récréation

163 Le Trésor des mots de la ville : une maquette au 1/5e publique ou privée, qui diffère d’un garden [jardin] par son étendue et le caractère ample, simple et naturel de son paysage [scenery], et d’un ‘wood’ [bois] par la plus grande dispersion de ses arbres et la plus grande étendue de ses clairières, donc de ses paysages [landscapes].” (Olmsted 1875 : 95). Le gouvernement fédéral céda Yosemite Valley et Mariposa Big Tree Grove à l’Etat de Californie en 1864 en déclarant ces aires “inaliénables à jamais” et dédiées “à l’usage public pour resort et récréation”. Huit ans plus tard, le Congrès créa Yellowstone National Park, une vaste étendue de 3300 miles carrés [85 ha] remarquable pour ses geysers et autres merveilles naturelles. Au cours de la fin du XIXe et au XXe siècles, les Etats-Unis étendirent leur système de national parks dans toutes les parties du pays. La création de state parks suivit rapidement. Inquiet de l’exploitation commerciale des chutes du Niagara, l’Etat de New York y créa un parc public en 1885. Appelé New York State Reservation at Niagara, ce premier state park représentait une innovation importante: les terrains furent achetés aux propriétaires privées, les bâtiments et les usines furent détruits, et une apparence plus naturelle du paysage fut restaurée. Ce qui était auparavant propriété privée fut réservé à l’usage public. Au tournant du XXe siècle, les travailleurs sociaux des maisons sociales [settlements] firent campagne pour l’aménagement de playgrounds [terrains de jeu] et de small parks [petits parcs] dans les quartiers surpeupés des grandes villes, comme Columbus Park (1892), construit sur l’emplacement d’un célèbre quartier de taudis, Mulberry Bend, dans le Lower East Side de Manhattan. L’accent fut mis sur les loisirs actifs, notamment par Robert Moses, le légendaire Park Commissioner de la ville de New York. Pendant la trentaine d’années où il eut cette fonction (1934-1960), Moses fit plus que doubler la surface du park system, fit construire des centaines de playgrounds, piscines, terrains de golf et courts de tennis publics, et transforma en plages des dunes de sable désolées. Le même modèle fut suivi dans d’autres villes où des parks du XIXe siècle furent réaménagés pour les loisirs du XXe siècle. Sous la forme d’adjectif, le mot park a été utlisé pour nommer des voisinages, comme dans Park Slope (adjacent à Prospect Park à Brooklyn) ou Parksite (adjacent à Delaware Park à Buffalo). En combinaison, park est utilisé pour désigner une grande variété d’endroits et notamment des zoos (zoological park), des lieux de distraction populaire (amusement park), des stades de baseball (ball park), des communautés suburbaines (Llewellyn Park dans le New Jersey, ou Tuxedo Park dans l’Etat de New York), des regroupements de caravanes [mobile homes] (trailer park), d’usines suburbaines (industrial park) ou de bâtiments de bureaux entourés d’asphalte (office park), et même un centre commercial [shopping center] suburbain de Lancaster, en Pennsylvanie: Park City. David Schuyler

Voir Voir

Sources primaires Downing, Andrew Jackson. 1851. “The New - York Park,” Horticulturist 6 (August). Sources secondaires Jellicoe, Geoffrey, Susan Jellicoe, Patrick Goode & Michael Lancaster. 1991.”Public Parks” in The Oxford Companion to Gardens . Oxford and New York: Oxford University Press, pp. 456- 461. Autres références Conway, Hazel. 1991. People’s Parks: the Design and Development of Victorian Parks in Britain . Cambridge: Cambridge University Press. ______park (pl. parki) russe, nom fém.

164 Le Trésor des mots de la ville : une maquette au 1/5e

Traduction “park m. parc m. ; kul’tury i otdyxa parc de Culture et de Repos” (* Russko - francuzskij slovar’ 1969).

Définitions “park, ro__a [bois] dégagée avec des cheminements pour servir de promenade et parfois pour garder le gibier, est habituellement entourée d’une clôture.” (*Dal’ 1882) “park [...] ro__a [bois] dégagée avec des sentiers, leso_ek [petite forêt]” (*Preobra_enskij 1910) “park grand sad [jardin] ou ro__a [bois] plantée avec des allées, des parterres de fleurs etc.” (*O_egov & Svedova 1949) “park, a. m. 1. Grand sad [jardin] pour la promenade, souvent pourvu d’un équipement varié destiné au repos des visiteurs.” (* Slovar’ sovremennogo russkogo literaturnogo jazyka 1959) “Park – vaste territoire rendu vert, aménagé et décoré artistiquement pour le repos à ciel ouvert. Dans un park les éléments du paysage, les constructions et les plantations s’organisent dans un système spatial particulier conformément aux principes de composition.” (*glossarij.ru 2004)

Une des premières mentions du mot park dans la langue russe apparaît en 1705-1706 dans une description de Versailles par le diplomate A. Matveev (cité par Sxarkova & Ljublinskaja 1972 : 230-231). C’est à l’occasion de la construction de Petergofskij dvorec, la résidence suburbaine de Pierre le Grand aux environs de Saint-Petersbourg, et de l’aménagement dans cet ensemble d’un parc selon le modèle de Versailles, que le mot park se généralisa et passa dans la langue courante. Pour désigner les principaux modèles d’aménagement des parcs et jardins, deux ensembles de termes furent utilisés. Un premier couple, qui souligne l’origine des modèles : anglijskij ou francuzskij [anglais, français], était presque toujours associé au terme sad [jardin]. Un second ensemble, qui renvoie à la forme : reguljarnyj [régulier], ou pèiza_nyj [paysager], ou encore land_aftnyj [paysager], était employé avec le terme park. Celui-ci se diffusa rapidement au XVIIIe siècle pour désigner les terrains plantés et aménagés des grandes usad’by [propriétés seigneuriales] suburbaines. Dans les limites de la ville, les terrains plantés continuèrent, jusqu’aux années 1930, à s’appeler sady quels que fussent leur usage, dimension ou type d’aménagement, exception faite des parki des anciennes résidences suburbaines successivement annexées à la ville ou des bul’vary, aménagés sur l’emplacement des anciennes fortifications et des terrains vagues [pustyri]. La différence d’utilisation des termes sad et park n’est pas toujours facile à établir. Dal’ (*1882) et Preobrazenskij (*1910) insistaient sur le fait que les parki ont pour origine une nature sauvage maîtrisée, en les définissant comme des anciens ro__i [bois] ou lesa [forêts] nettoyés ou aménagés. Le dictionnaire encyclopédique de l’Institut Granat (*RBI Granat 1913) ne traitait le terme park qu’à la notice sadovodstvo [jardinage] où, sans être défini, il apparaît dans un paragraphe consacré au dekorativnoe sadovodstvo [jardinage décoratif]. Les définitions plus tardives, comme celles de O_egov et Svedova (*1949) et les suivantes, distinguent les parki et les sady par leur dimension : park est ainsi défini comme un grand sad. Il fallut attendre les années 1930 pour que le park fasse véritablement objet d’un projet d’aménagement urbain. C’est dans le contexte du Plan général de la reconstruction de Moscou de 1935 (General’nyj plan... 1936) que le terme acquit réellement une dimension urbaine à travers l’élaboration de systema zelennyx nasa_denij [système de plantations vertes] ou encore de parkovaja systema [système de parcs], qui fut ensuite appliqué aux différentes villes de l’URSS. Ce système, inspiré du modèle nord-américain, prévoyait la création d’anneaux de gorodskie parki [parcs urbains] et de zagorodnye parki [parcs suburbains] reliés par des voies radiales plantées. Un élément plus petit, le skver [square], venait compléter le

165 Le Trésor des mots de la ville : une maquette au 1/5e système. Introduit en russe au XIXe siècle, skver acquit alors un nouvel usage lié à la création d’un nouveau type de kvartal [quartier, îlot], bâti autour d’un espace central aménagé de plantations et d’équipements de proximité, notamment de jardins d’enfants [detskie sady]. L’adjonction de vnutrikvartal’nogo pol’zovanija [d’usage interne au quartier, îlot] au mot skver devint désormais courante dans le vocabulaire de l’aménagement. En revanche, dans le langage courant, le mot skver restait et reste encore aujourd’hui, comme au XIXe siècle, le terme générique pour désigner un petit espace public planté, entouré d’une clôture et situé sur une place ou au croisement de rues. Il n’est en effet guère utilisé pour désigner les espaces des cœurs d’îlot, toujours dénommés dvory [cours] quelle que soit leur facture, minérale ou végétale. Par ailleurs, skver est très rarement accompagné d’un nom propre. La création de gorodskie parki [parcs urbains] en URSS fit passer l’usage du terme sad au second plan, ce terme ne s’appliquant plus qu’aux espaces verts publics qui existaient déjà et étant toujours accompagné d’un nom propre. Le zoologi_eskij sad [jardin zoologique] se transforme par ailleurs en zoopark. Deux types de parcs urbains furent créés à partir des années 1930 : les Parki Kul’tury i Otdyxa [Parcs de Culture et de Repos] dont le nom apparaît aussi sous les acronymes PKiO ou CPKiO [Parc Central de Culture et de Repos] et les lesoparki : mot formé par la réunion des mots les [bois, forêt] et park. Destinés à une population de différents âges, les PKiO étaient appelés à remplir quatre fonctions principales : promenade d’agrément, avec le traitement paysager correspondant (arbres, parterres de fleurs, bancs, fontaines, sculptures, etc.), divertissement (espaces de jeux, attractions, théâtres, cirques, etc.), éducation physique (terrains de sport, lacs ou étangs qui, en hiver, se transforment en patinoires) et, enfin, la culture et la formation politique (bibliothèques, salles de lecture et espaces collectifs où se tenaient des réunions de propagande). C’est sur ce dernier point qu’insistaient ses concepteurs pour mettre en avant la nouveauté de cette forme de park par opposition aux lunaparki américains. Une autre différence mise en avant était la gratuité d’accès et le destinataire visé, le peuple : “à l’étranger, de tels parki sont utilisés par des capitalistes. Dans les conditions soviétiques, ce sera le park pour les forgerons, les tourneurs, les tisserands, les machinistes et les cordonniers.” (Kaganovic 1931 cité par Lunc 1933 : 208) Les PKiO et les CPKiO présentaient un certain nombre de différences. Parmi les premiers, certains étaient aménagés sur l’emplacement de parki existants, tandis que les seconds, situés dans les centres des villes, étaient presque exclusivement des créations nouvelles. Les PKiO remplissaient surtout les fonctions de promenade, divertissement et loisirs sportifs, comme en témoigne cette phrase extraite d’un roman : “Cela faisait longtemps que le soviet municipal avait l’intention d’installer ici des terrains de jeux, de tracer des parterres de fleurs, de conduire la canalisation pour les fontaines, en un mot d’aménager un Park Kul’tury i Otdyxa” (Gladkov 1941 cité par *Slovar’ sovremennogo... 1959, 9 : 195). Les CPKiO, en revanche, conservèrent, du moins durant la période soviétique, un certain nombre de fonctions culturelles : “À l’époque soviétique il y avait là-bas une izba-cital’nja [izba-salle de lecture] auprès du CPKiO du nom de Gorki” (anekdot.ru 2004)); “Dans un des établissements du CPKiO du nom de Kirov sur l’île Elagin s’est déroulée une soirée traditionnelle de billard et de bière” (Istoriya Fendoma 2004). Une autre différence est la gratuité d’entrée et d’accès aux différents loisirs, progressivement supprimée sur la totalité du territoire dans les CPKiO et partiellement maintenue dans les PKiO. Une dernière distinction porte sur le passage de l’acronyme CPKiO dans le langage courant, alors que PKiO est resté uniquement un usage administratif, ces parki étant le plus souvent nommés soit par le terme générique park kul’tury, soit par leur nom propre. On utilisera ainsi “Izmajlovskij park” dans le langage courant, tandis qu’on trouvera “PKiO Izmajlovskij” sur un plan. Trois citations contemporaines, extraites d’une lettre, d’une pièce de théâtre et d’une chanson, permettent d’observer à la fois l’usage de CPKiO pour désigner un lieu de loisirs payants et

166 Le Trésor des mots de la ville : une maquette au 1/5e contrôlés, et le passage de l’acronyme dans le langage courant : “Je me disais : je l’inviterai au CPKiO, lui ferai faire un tour de manège, lui offrirai du ‘Pepsi’” (“Pis’mo Natashe Gusevo” 1992, lettre qui évoque l’année 1985). “Et sans arrêt il y avait contre moi toutes sortes d’indices. Soit c’est un billet pour le CPKiO, soit un billet pour […] le bateau-mouche” (Muxina 1996 : acte II, scène 2). “Où sommes nous ? Au CPKiO. O-uo-uo-uo-uo-uo-uo. Il fait chaud et calme, la patrouille de nuit conduit des chiens […] On entend la musique […] Maman ! C’est le bal au CPKiO.” (Kortnev 1994) Un autre élément du système instauré dans les années 1930 est le lesopark, qui se distingue du gorodskoj park [parc urbain] par sa situation territoriale, ses dimensions et la nature de son aménagement. Les lesoparki, situés aux périphéries des villes, sont de vastes espaces boisés aménagés sur l’emplacement des anciens lesa [forêts] et destinés “au repos de courte durée […] dans les conditions de la nature”. (*glossarij.ru 2004). Le sociologue A. Bikbov distingue les formes et usages des espaces verts urbains russes et français par leur valeur plus ou moins publique et leur rôle de représentation. Il oppose d’abord la conception de la nature sauvage des lesa russes par rapport à la notion de la nature maîtrisée des bois français: “À Paris, presque tous les parki […] ont une structure régulière […] Même le les [bois] de Boulogne, qui est perçu par les Parisiens comme naturel, est en réalité un vaste anglijskij park […] Il n’y a pas ici de coins abandonnés, de constructions en ruines, d’herbes folles, qui auraient permis une appropriation privée, qui échapperait au contrôle. […] À Moscou, à côté de kompaktnye parki [parcs compacts], qui atteignent rarement le niveau d’aménagement des parki français, il y a […] des lesnye massivy [massifs boisés] avec une structure irrégulière”. Il montre ensuite une opposition entre deux types d’espaces verts urbains : les parki parisiens et les dvory [cours] moscovites ou encore les dvorovye ploscadki [terrains aménagés dans les cours], “où se côtoient des plantations faiblement géométrisées, des bancs avec des petites tables, un terrain pour enfants avec nécessairement un bac à sable et des balançoires, enfin, des installations sportives […] À la différence du park parisien, le dvor moscovite n’est pas conçu pour une promenade le long de cheminements clairement tracés. De plus, son organisation n’est pas basée sur la contemplation mais, avant tout, sur un contact physique localisé dans l’espace : veillées autour d’une bière, gymnastique dvorovaja [appropriée à la cour], lavage de l’automobile, isolement dans les ‘coins éloignés’, fumerie en cachette en compagnie de congénères.” (Bikbov 2002) Cette complémentarité des trois formes : lesoparki, parki et dvory , de trois degrés d’échelonnement entre la sphère du public et du privé, entre la nature sauvage et la nature maîtrisée et aménagée, constitue une des particularités de la ville russe de l’époque soviétique, qui se maintient encore aujourd’hui. Elisabeth Essaïan

Voir gorod - sad, bul’var, dvor, dvorec, kvaratal, ploscad, sad, ulica, usad’ba Voir

Sources primaires General’nyj plan rekonstrukcii Moskvy [Plan général de la reconstruction de Moscou]. 1936. Moskva : izd. Moskovskij rabo_ij. Istoriya Fendoma. 2004. www- lat.fandom.ru (01/10/2004). Kortnev, Aleksej. 1994. “CPKiO”. mirrors.smtn.stavropol.ru (01/10/2004). Muhina, Olya. 1996.Yu. www.theatre.ru (01/10/2004). “Pis’mo Natashe Gusevo” [Lettre à Natasha Gusevo, auteur anonyme]. 1992. www- lat.mielofon.rusf.ru (01/10/2004). Sources secondaires

167 Le Trésor des mots de la ville : une maquette au 1/5e

Lunc, L. 1933. “Organizacija i ispol’zovanie zelenyx massivov v gorodax [xxtraduction]”, in Rekonstrukcija gorodov SSSR 1933- 1937 [xxtraduction]. Moskva : iz d. Standardizacija i racionalizacija, pp. xx- xx (pages de l’article/chapitre). Sxarkova, I.S. et A.D. Ljublinskaja. 1972. A.A. Matveev, Russkij diplomat vo Francii (Zapiski Andreja Matveeva) [A.A. Matveev, un diplomate russe en France]. Leningrad : xxéditeur. Autres références Bikbov, Aleksandr. 2002. “Moskva- Pariz : prostranstvennye struktury goroda i telesnye sxemy” [Moscou- Paris, les structures spatiales de la ville et les schémas corporels]. Logos, n° 3/4. magazines.russ.ru/logos/3/bikbov (01/10/2004). ______quartier (pl. quartiers) français France et Québec, nom masc.

Définitions “Hist. Moderne: se prend pour un canton ou une division d’une ville qui consiste en différentes rangées de bâtiments, séparées les unes des autres par une rivière, ou par une grande rue ou par une autre séparation arbitraire.” (*Diderot et d'Alembert 1765) “ Quartier. [...] Chacune des régions administratives dans lesquelles une ville est divisée. La ville de Paris est divisée en 80 quartiers. Il y a, à Paris, un commissaire de police par quartier. Région d’une ville vaguement déterminée.” (*Larousse 1875) “ Quartier. [...] Partie d’une ville ayant une physionomie propre, une certaine unité.” (*Trésor de la langue française 1990)

C’est un mot très ancien aux sens très étendus. Il a d’abord signifié un partage en quatre parties, des animaux notamment. Il s’est appliqué aussi à de nombreux objets, en particulier ceux qui relèvent de la vie militaire et, secondairement seulement, aux villes. Ni Godefroy (*1902), ni Huguet (*1965) ne citent d’emploi du mot avec cette acception au Moyen Age ou au XVIe siècle; selon le Trésor de la langue française (*1990), il se rencontre, pour la première fois, en 1480 dans l’ouvrage juridique de G. Coquillard. Chez Furetière (*1690) il n’apparaît qu’au vingt-et-unième rang des définitions, au douzième dans le dictionnaire de Littré (*1863-1869). Le bâti urbain ancien a pourtant toujours été ressenti comme fractionné même dans les plus petites villes où la topographie crée des hautes et des basses villes, où le bourgeonnement des enceintes successives fait naître des vieilles villes et des villes neuves. Ces fragments de villes ont reçu des noms régionaux très variés: penons à Lyon, gâches dans le midi languedocien, sixtains à Montpellier, sizains à Marseille, cantons à Strasbourg, etc. Mais quartier, le terme le plus usité, apparaît assez tôt dans l’histoire parisienne, il est magnifié par la référence à l’Antiquité et à Rome notamment, avec l’association aux mots regione dans l'Encyclopédie de Diderot et d'Alembert (*1765) ou rion dans le dictionnaire de Trévoux (*Dictionnaire universel... 1776). Les historiens de Paris, au XVIIIe siècle (comme Félibien 1725), font état d’une ville anciennement partagée, comme il se doit, en quatre, qui aurait gagné quatre autres quartiers avec Philippe Auguste puis huit autres lors de l’édification des enceintes de Charles V et Charles VI, ce qui donna à Paris quatre fois quatre quartiers. Sur ces divisions de la ville s’appuient les autorités, notamment militaires, la milice bourgeoise et ses colonels, tant pour la défense de la ville que la lutte contre le feu. C’est encore dans le quartier que s’inscrivent les nouveaux bourgeois. L’histoire des quartiers parisiens est marquée par l’épisode de la révolte armée, lorsque les Seize [quarteniers] dressèrent la ville contre le roi Henri IV au nom de la Ligue (Descimon 1993). Le souverain conserva néanmoins les quartiers parisiens, actifs à nouveau sous la Fronde, et son petit-fils Louis XIV, pour des motifs financiers, les étendit au royaume entier en créant des offices de colonels de quartiers dans toutes les villes en 1694.

168 Le Trésor des mots de la ville : une maquette au 1/5e

Dès cette époque quartier prend les deux traits qu’il ne perdra plus: il est d’abord une circonscription de police, sinon militaire. Aujourd’hui encore chacun des arrondissements parisiens est divisé en quatre quartiers dotés de commissariats de police, mais cette fonction n'a pas une importance suffisante pour épuiser les significations possibles du mot. De plus, la Révolution apporte une rupture en créant de nouvelles divisions pour les villes, les sections qui eurent une existence brève mais active de circonscriptions électorales et les électeurs, en s'assemblant régulièrement, créèrent le mouvement sectionnaire. Les arrondissements, réservés à Paris, puis à Lyon et Marseille, leur seront substitués sous l'Empire, mais du fait de leur rareté ils ne pouvaient désigner couramment un phénomène de division urbaine. Dès l’époque classique, quartier est surtout une zone floue (un canton, une division, selon les termes explicatifs de dictionnaires contemporains), il est générateur d’une sociabilité intense et reconnue. “Je veux que la scène de mon roman soit mobile, c'est à dire tantôt en un quartier et tantôt en un autre de la ville; et je commencerai par celui qui est le plus bourgeois, qu'on appelle communément la place Maubert.” (Furetière 1666) Dans les locutions usuelles citées, il est déjà question de “femme qui est la gazette du quartier” ou au contraire de “femme qui ne voit point son quartier” – on pourrait faire remarquer que chez les lexicographes les femmes sont les piliers de la sociabilité de quartier. En dehors d’elles, ce sont les commerces, les marchés, les médecins qui sont de quartier. Dans cette acception qui s’enrichit de plus en plus, quartier se rapproche de voisinage ou du neighbourhood anglais, alimentant les ambitions de nombre d’urbanistes. Ce second aspect devient progressivement dominant dans les dictionnaires plus récents que ceux cités plus haut. Le Grand Larousse du XIXe siècle (*Larousse 1875) contient une page entière sur le “Quartier Latin”. Une fois encore, les quartiers parisiens furent les plus célébrés de tous – le catalogue de la Bibliothèque nationale contient quatre-vingt titres de périodiques se rapportant à des quartiers – mais nombre de villes ont aussi leurs quartiers bien avérés: Marseille le Vieux Port, Lyon La Croix Rousse, etc. La notion de quartier fut reconnue, discutée par les géographes, les sociologues et les urbanistes contemporains de la reconstruction du second après-guerre, de la planification du développement urbain et de la grande explosion urbaine des années 1960. Leurs jugements furent divers mais, pour beaucoup, le quartier est lié à la nostalgie de la ville ancienne qui disparaît inexorablement et il renvoie à une sorte de vie idéale, patriarcale voire religieuse (Bardet 1950) ou, au moins, festive (Auzelle 1953), recréant pratiquement, dans la grande et effrayante cité, la vie des villages vus comme des cadres de vie chaleureux: “le quartier doit être un microcosme qui permette à la vie de la femme et de l'enfant de s'épanouir aisément dans les fonctions de protection, de reproduction et d'éducation.” (Bardet 1950 : 478) Pessimistes devant l’avenir de ces quartiers pétris d’histoire, de traditions de métiers, conservatoires des folklores et des parlers, le géographe Pierre George (1964 : 353) peut écrire: “L’accélération du développement urbain, l’adoption de nouveaux dispositifs dans le réseau de circulation et l’implantation de bâtiments, en particulier des ensembles locatifs, contribuent à faire disparaître la réalité et la connaissance du quartier.” Un nouvel intérêt pour le quartier s’observe à partir des années 1970. Ignorant les critiques du sociologue Manuel Castells (1972) selon lequel il s’agit d’une “notion imaginaire”, beaucoup d’experts regardent le quartier comme le cadre de “l’investissement psychologique de l’habitat par l’habitant” (Noshis 1984), tandis que d’autres s’efforcent de lui donner une définition plus rigoureuse comme l’économiste Pierre-Henri Derycke (1979) qui énonce de nouveaux critères fondés pour l'essentiel sur les caractères démographiques et sociaux des populations, leurs activités, les caractéristiques des logements ; ces éléments, corrélés, permettent de distinguer jusqu'à vingt-cinq types de quartiers. Ces recherches prolongeaient les qualifications préexistantes des quartiers fondées sur la nationalité de la majorité de leurs habitants. Un des premiers observés fut, à Paris, celui de la Goutte d'Or, depuis on parle des

169 Le Trésor des mots de la ville : une maquette au 1/5e quartiers chinois, arabes, etc. et, plus généralement, des quartiers ethniques, terme décalqué de l'anglo-américain ethnic neighborhood. Au même moment quartier sert d’emblème à la création d’associations, suscite la naissance de comités de quartier souvent crées par les habitants et de conseils de quartier plutôt proposés par les municipalités, renouant avec les expériences des syndicats de quartier nés à Bordeaux au début du XXe siècle ou des comités de quartier des années 1920 à Grenoble et à Marseille. Devant ce succès est fondée, à Grenoble en 1976, l'association nationale des comités de quartier qui tient des congrès annuels depuis cette date. Des expériences de démocratie locale (enveloppes de quartier, projets de quartier) les prennent pour cadre. L'initiative publique s'est emparée de quartier à la suite du rapport Dubedout (maire de Grenoble) Ensemble, refaire le ville (1983) et a fait naître une politique de développement social des quartiers, dite aussi DSQ (voir Commissariat général du Plan 1988). Celle-ci prend pour cible les quartiers populaires des périphéries urbaines qui concentrent habitat social, chômage et populations issues de l’émigration. Au moment même où l'INSEE abandonne en 1999 tout calcul de population par quartier, l’importance du mot dans les textes officiels ne cesse de grandir, souvent sous la forme des euphémismes quartier difficile ou sensible. A partir du début des années 1980 dans le discours politique et la presse d’abord, dans les usages ordinaires aussi, il arrive souvent que ces adjectifs tombent pour laisser place à quartier qui suffit désormais à désigner les espaces urbains de la nouvelle question sociale, ouvrant au mot une nouvelle signification. Christine Lamarre

Au Québec, le mot quartier a acquis, à l’époque contemporaine, les mêmes significations nouvelles qu’en France, mais il conserve celle de circonscription, à la fois administrative et électorale, des villes. Lorsque furent créées les premières institutions municipales en 1833, le mot quartier traduisait le mot anglais ward, et, depuis, chaque conseiller municipal représente un quartier spécifique et il est élu par les seuls électeurs de ce quartier. Paul-André Linteau

Voir bourg (français), cité (français), faubourg (français), lotissement (français), village (français), zup (français) Voir borough/boro (anglais), bairro (portugais), barrio (espagnol), circoscrizione (italien), estate (anglais), hawma/hâra (arabe), isola (italien), neighbourhood (anglais), quartiere (italien), sezione (italien).

Sources primaires Auzelle, Robert. 1953. Techniques de l'urbanisme: l'aménagement des agglomérations urbaines. Paris, Presses universitaires de France. Bardet, Gaston. 1950. Mission de l'urbanisme. Paris, Ed itions ouvrières/Economie et humanisme. Castells, Manuel. 1972. La question urbaine. Paris, François Maspero. Commissariat général du Plan. 1988. Bilan et perspective des contrats de plan de développement social des quartiers . Paris, La Documentation française. Derycke, Pierre - Henri. 1979. Economie et planification urbaines. Paris, Presses universitaires de France. Dubedout, Hubert. 1983. Ensemble, refaire la ville . Rapport au Premier ministre du président de la Commission nationale pour le développement social des quartiers. Paris, La Documentation française. Felibien, Dom Michel. 1725. Histoire de la ville de Paris [...] . Paris, G. Desprez. Furetière, Antoine. 1666. Le roman bourgeois, ouvrage comique. Paris, L. Billaine, T. Jolly, D. Thierry. George, Pierre. 1964. Précis de géographie urbaine. Paris, Presses universitaires de France, 2e éd. (1ère éd. 1961). Noshis, Kaj. 1984. Signification affective du quartier. Paris, Librairie du méridien. Autres références

170 Le Trésor des mots de la ville : une maquette au 1/5e

Descimon, Robert. 1993. “Milice bourgeoise et identité citadine à Paris au temps de la Ligue”, Annales ESC, t. XX, n° 4 : 885- 906. ______quartiere (pl. quartieri) italien, nom masc.

Traductions “ QUARTIERE, QUARTIERI […] Quartier, quart […] Quartier de ville ” (*D’Alberti de Villeneuve 1835, II) “ quartiere s.m. 1 quartier : quartiere popolare , residenziale , commerciale quartier populaire, résidentiel, commercial ; il quartiere latino le quartier latin ; i quartieri alti les beaux quartiers. ” (*Robert & Signorelli 1981)

Définitions “ Quartiere : Le quart. […] G.V. 3. [Giovanni Villani, auteur florentin, début XIVe siècle] La dite ville natale était en quartiers [era a quartieri] ” (*Crusca 1686) “ Quartiere , s.m. Chacune des quatre parties [quatro parti] dans lesquelles étaient divisées, pour raison d’administration, certaines grandes villes ” (*Melzi 1880) “ QUARTIERE, QUARTIERO [...] II. Au sens strict, le quart de la ville ; mais l’usage ne correspondait plus au mot qui se référait aussi à d’autres types de partition ” (*Rezasco 1884) “ Quartiere 1. [...] Chacune des quatre parties dans lesquelles étaient divisées certaines villes au Moyen Âge, et dans lesquelles le sont encore les centres historiques de certaines d’entre elles [...] 2. N oyau [nucleo] ou secteur [ settore ] qui, dans une ville, s’individualise par rapport au reste de l’agglomération urbaine par des caractéristiques particulières géographiques et topographiques […], fonctionnelles […], historiques […], et aussi ethniques […]. Consiglio di quartiere , organe administratif constitué dans chaque quartier [quartiere ] d’une grande ville avec fonctions consultatives […] en ce qui concerne l’administration du quartier. Dans les usages plus familiers, se réfère surtout à la zone urbain e [zona urbana] dans laquelle on habite ” (*Vocabolario della lingua italiana 1991)

Comme le précisent les dictionnaires contemporains, quartiere dans les usages communs comme dans le lexique technique des urbanistes, désigne toute portion de ville présentant des caractères distinctifs qui la rendent reconnaissable par rapport au reste de l'agglomération. Ces caractéristiques peuvent être très diverses : situation géographique, dates de construction et spécificités architecturales qui en découlent (quartiere medievale, quartiere barocco), fonction dominante (quartieri commerciali, quartiere dormitorio), groupes sociaux ou ethniques y résidant. Ainsi, “ à Rome, on appelle quartieri alti les quartiers "riches", c'est-à- dire habités par les classes les plus aisées, construits à l'origine sur les collines. D'autres quartieri sont caractérisés par les groupes ethniques qui y résident […] comme les ghetti des communautés hébraïques ” (*Lessico universale italiano 1977). Cependant, la première signification historique de quartiere est bien plus précise, et renvoie à son étymologie : le quart d'une chose. Ainsi, dès l'époque médiévale, certaines villes, comme Florence, Bologne, Pise ou Mantoue, furent divisées en quatre quartieri pour leurs besoins administratifs et politiques. Florence, par exemple, connut, dès le XIe siècle, une partition en quartieri qui prirent leur nom des quatre portes principales de la ville : San Piero, del Vescovo, San Pancrazio et Santa Maria. Sa croissance donna lieu à un nouveau découpage en 1343, selon les quartieri de S. Giovanni, S. Croce, S. Maria Novella et S. Spirito Oltrarno, chaque quartiere étant lui-même divisé en quatre gonfaloni. La Pianta della città di Firenze de Ferdinando Ruggieri (1731) indique les limites de ces quatre quartieri et un cartouche inventorie, pour chacun d'eux, les édifices les plus importants (Fanelli 1980). Le découpage en quatre parties était lié à la structure de l'ancien castrum romain où cardo et decumanus débouchaient sur quatre portes perçant l'enceinte : les quartieri correspondaient non pas, comme on le lit parfois, aux parties délimitées par l'intersection de ces deux axes nord-sud et est-ouest, mais à des aires triangulaires, dont la pointe se situait sur la place civique centrale tandis que la base était formée par une portion d'enceinte percée de la porte éponyme. Ce

171 Le Trésor des mots de la ville : une maquette au 1/5e découpage traditionnel des villes médiévales per portas illustre la fonction militaire première de ces circonscriptions (surveillance des portes, de l'enceinte, levée des milices). À Milan, le mot porta devint même synonyme de quartiere : “ chaque Porta de la Ville forme une compagnie de la milice ” (Serviliano Latuada 1737 : V, 163). Le mot quartiere prit rapidement une autonomie par rapport à la division en quatre parties qu'il évoquait dans son sens premier. Ainsi, lorsque l'enceinte de Milan fut reconstruite après le siège de 1162, six portes en commandèrent dès lors l'accès et la ville fut divisée en six unités (Porta Comacina, Porta Nuova, Porta Orientale, Porta Romana, Porta Ticinese et Porta Vercellina) appelées quartieri. Palerme était divisée au XIVe siècle en cinq grandes circonscriptions appelées quarterii ; les magistrats urbains étaient élus dans ce cadre territorial. Toutes les villes italiennes ne connurent cependant pas cette division en quartieri et des mots très variés, selon les régions et les cités, désignaient les circonscriptions politico- administratives anciennes qui permettaient la désignation des divers magistrats et officiers urbains (administration, fiscalité, défense, représentation politique) : Lecce, pour son administration fiscale, était découpée en pictagi ou portagi ; et à Naples, “ les nobles de cette cité se plaisent à appeler leurs parties de la ville Piazze, du nom le plus noble que l'on puisse leur donner tout comme les autres villes sont divisées en Regioni, Sestieri, Quartieri, Portaggi, ou d'autres façons encore, qui sont dites leurs parties ” (Summonte 1748 [1601] : I, 152). Certaines villes étaient divisées en trois terzi ou terzieri comme Sienne ou Montalcino (Carle 1993), ou en six sesti ou sestieri comme Venise ; les contrade en étaient des subdivisions (Crouzet-Pavan 1993). Par rapport à sestiere ou terziere, seul quartiere s'est écarté du sens spécifique de la division en un nombre précis de portions. Rome était divisée en rioni, qui se voulaient l’héritage des regiones antiques ; Gênes en compagne et conastegie puis, à partir du XVIe siècle, en sestieri ; Naples, jusqu'en 1799, en cinq seggi ou piazze nobiliaires, et vingt-neuf ottine populaires (Capasso 1883). Si certains de ces mots ont cessé d'être utilisés avec l'abolition des institutions dont ils servaient de cadres territoriaux, les contrade de Sienne, les rioni de Rome ou les sestieri de Venise expriment aujourd'hui encore l'étonnante longévité d’une partition spatiale remontant au Moyen Âge (Marin 2002). Au sein de ce riche lexique, qui traduit à la fois la multiplicité et le profond enracinement territorial des institutions locales du gouvernement des villes d'Ancien Régime, qu'elles soient politiques, administratives, fiscales, militaires ou religieuses, et les spécificités historiques régionales des cités, du nord au sud de la péninsule, quartiere est le seul mot, avec rione, ayant acquis, à côté de son sens spécifique, un sens générique. Dans la terminologie administrative d'abord, quartiere prit précocement le sens générique de circonscription puisqu'il servit de traduction universelle pour des appellations locales, peu compréhensibles pour des habitants d'autres cités ou régions italiennes : “ Étant répartie notre Ville [Naples] et ses faubourgs en vingt-neuf Ottine à savoir Quartieri... ” (De officio deputationis pro sanitate tuenda… Prammatica seconda, 30 mai 1656). Ce mot de la langue administrante pouvait exprimer, dans les usages communs, un certain sentiment d'appartenance, ou du moins un esprit de corps. En effet, plus qu'un simple découpage géométrique de l'espace urbain, il pouvait correspondre, comme le montre l'équivalence, pour certains auteurs des XVIe et XVIIe siècles, des termes quartieri, tribus ou lignées, à des formes d'agrégation sociales et familiales. Les clans familiaux s'imposaient alors comme cadres de la vie politique, formant des territoires reconnus par les autorités urbaines dans leurs découpages spatiaux (Heers 1974) : “ dès 1088 la ville [Bologne] fut divisée en quatre Quartieri, et Tribu, appelés du nom des quatre portes ” (Alidosi 1621 : 157). Dans les cités italiennes d'Ancien Régime, l'élection de magistrats ou de conseillers s'effectuait toujours sur une base topographique, la circonscription territoriale. Or, l'appartenance à une de ces circonscriptions n'était jamais une simple formalité administrative ; elle tissait des liens sociaux, formait des unions de voisinage (administration, police, défense

172 Le Trésor des mots de la ville : une maquette au 1/5e du quartier, gestion communautaire de l'espace, assistance et entretien des lieux de culte, assemblées et délibérations) ; elle alimentait à des degrés très divers selon les villes l'attachement des citadins à leur quartier, comme en témoignent les contrade de Sienne et leur rivalité lors du Palio (Savelli 2003). Quartiere conserva le sens générique de division administrative pendant toute la période moderne. Au XIXe siècle, cet emploi dominait encore : “ Partie de ville […] à laquelle préside un magistrat pour le gouvernement municipal ” (*Vocabolario universale italiano 1835). Le sens s'en est ensuite élargi pour désigner toute portion de ville caractérisée par une histoire, une architecture, ou un degré de cohésion sociale particuliers. Hors de toute connotation administrative, l'emploi de quartiere semble se diffuser en premier lieu dans le lexique technique. Il peut parfois être synonyme d'îlot : “ La ville [Turin] est divisée en 145 isole, ou encore quartieri ” (Craveri, 1753 : 148). À Naples, pendant la période moderne, quartiere appartenait surtout au vocabulaire des arpenteurs, architectes et topographes (Ventura 2003 : 41). Vincenzo Ruffo, dans son plan d’embellissement de la ville (1789), l'emploie pour désigner, génériquement, une portion du tissu urbain. Le plan de Naples (1775) de Giovanni Carafa, duc de Noja, indique une dizaine de quartieri. L’homogénéité sociale et productive semble alors dicter le choix lexical : quartiere de’ramari, quartiere degli argentieri, quartiere de’spadari, quartiere de’dipintori de’quadri ordinari, quartiere de’Genovesi. Lorsque, pour les besoins de la nouvelle police royale, la ville fit l'objet, à partir de 1780, d'un nouveau découpage rationnel et modernisateur en rupture avec les anciennes circonscriptions politico-administratives du Corps de Ville, elle fut divisée en douze quartieri. Le mot indique un découpage géométrique et équilibré, aux limites précisément fixées par des rues principales, et réalisé grâce à la science des topographes et cartographes (Marin 1993 ; Marin 2003). D'autres branches de l'administration adoptèrent par la suite ces divisions de police en quartieri, comme par exemple, en 1782, la députation municipale de contrôle sanitaire dans son plan contre la phtisie pulmonaire. Rapidement, l’usage de quartiere sortit des registres de langue administratifs, puisque c’est selon cette grille d’ordonnancement urbain que Giuseppe Maria Galanti, réformateur éclairé, choisit de décrire la métropole et ses principaux édifices dans son guide intitulé Breve descrizione della città di Napoli (Galanti 1792). Ce découpage urbain en douze quartieri devint, au début du XIXe siècle, le cadre de toutes les branches de l’administration. Dans certaines villes, la diffusion de l'emploi du mot quartiere, dans un sens générique non administratif, conduisit progressivement à le remplacer par des mots plus modernes et moins polysémiques pour désigner les circonscriptions urbaines : sezione, circondario. Ainsi, après l'Unité italienne, les douze quartieri de Naples devinrent douze sezioni aux mêmes déterminants toponymiques : “ dans la sezione Mercato, aucune rue n'est propre ” (Serao 1995 [1884] : 10). Le mot quartiere se trouvait ainsi écarté du lexique administratif tandis qu’il était couramment employé pour désigner une portion de la ville ayant des caractéristiques morphologiques ou sociales particulières : “ ils vous auront fait voir une, deux, trois rues des quartieri bassi [bas quartiers], et vous en aurez eu horreur ” (Serao 1995 [1884] : 12). Dans les années de la Reconstruction, quartiere prit le sens d’une unité à la fois urbaine et sociale, une communauté de citoyens autant qu’un élément d’organisation de la croissance urbaine, dans le cadre du programme de construction publique de logements à bon marché de l’INA- casa (1949-1963) (Di Biagi, 2003). Ces nouveaux quartieri residenziali, comme par exemple les 200 logements du quartiere Tuscolano à Rome, dessinés par Adalberto Libera, ont alors profondément marqué la physionomie des villes italiennes (Libera, 1952). Le quartiere est défini, par les architectes appelés à en faire les projets, comme une unité de voisinage qui, par ses services, ses jardins et ses habitations, doit permettre à ses habitants de tisser des liens sociaux et associatifs (Astengo, 1951 ; Quaroni, 1957). Enfin, le sens administratif originel du terme a été réactivé de nos jours. Quartiere, selon le Grande dizionario della lingua italiana,

173 Le Trésor des mots de la ville : une maquette au 1/5e désigne en effet “ dans le langage commun et politique, chacune des entités, appelées circoscrizioni par la loi n° 278 du 8 avril 1976, d'après laquelle une Municipalité peut subdiviser son territoire pour permettre une expression plus directe des exigences des citadins et décentraliser certaines activités administratives ”. Brigitte Marin

Voir contrada, ghetto, rione, sezione Voir barrio (espagnol), hâra (arabe), hawma (arabe), quartier (français), nachbarschaft (allemand), neighbourhood (anglais), siedlung (allemand), viertel (allemand)

Sources primaires Alidosi, Giovanni Nicol Pasquale, 1621. Instruzione delle cose notabili della città di Bologna, Bologna : Nicolò Tebaldini. Astengo, Giovanni, 1951. “ Nuovi quartieri in Italia ”, in Urbanistica, 7, p. 20- 21. Craveri, Giovanni Gaspare, 1753. Guida de'Forestieri per la Real Città di Torino, Torino : Giovan Domenico Rameletti. Galanti, Giuseppe Maria, 1792. Breve descrizione della città di Napoli e del suo contorno, Napoli : Gabinetto letterario. Latuada, Serviliano, 1737. Descrizione di Milano, ornata con molti disegni in Rame delle Fabbriche più cospicue che si trovano in questa Metropoli, Milano. Libera, Adalberto, 1952. “ La scala del quartiere residenziale ”, in Istituto nazionale di urbanistica, Esperienze urbanistiche in Italia , Roma. Quaroni, Ludovico, 1957. “ La politica del quartiere ”, in Urbanistica, 22, p. 4 - 17. Ruffo, Vincenzo, 1789. Saggio sull'abbellimento di cui è capace la città di Napoli, Napoli : Michele Morelli. Serao, Matilde, 1995 [1884]. Il ventre di Napoli, Firenze : ETS. Summonte, Giovanni Antonio, 1748 [1601]. Historia della città e Regno di Napoli, ove si trattano le cose più notabili accadute dalla sua Edificazione fin'a tempi nostri, Napoli : a spesa di R. Gessari, nella stamperia di D. Vivenzio. Sources secondaires Capasso, Bartolommeo, 1883. “ Sulla circoscrizione civile ed ecclesiastica e sulla popolazione della città di Napoli dalla fine del secolo XIII fino al 1809 ”, in Atti dell'Accademia Pontaniana, vol. 15, p. 99- 225. Crouzet- Pavan, Elisabeth, 1993. “ Le peuple des quartiers ”, in Braustein, Philippe (dir.), Venise 1500. La puissance, la novation et la concorde : le triomphe du mythe. Paris : Ed. Autrement, p. 200- 213. Carle, Lucia, 1993. “ Terzi, paroisses, quartiers : caractéristiques et évolution du tissu social et urbain de Montalcino du XVIIIe au XXe siècle ”, in Mélanges de l'Ecole française de Rome. Italie et Méditeranée, tome 105, 2, p. 413- 440. Fanelli, Giovanni, 1980. Firenze, Rome- Bari : Laterza Marin, Brigitte, 2002. “ Lexiques et découpages territoriaux dans quelques villes italiennes (XVIe - XIXe siècle) ”, in Christian Topalov (dir.), Les divisions de la ville , Paris : Maison des Sciences de l'Homme, Collection "Les mots de la ville", p. 8 - 45. Marin, Brigitte, 2003. “ Lexiques et divisions territoriales à Naples (XVIe - XIXe siècle) ”, in Cahier “ Les mots de la ville ” , n° 5, p. 21- 32. Ventura, Piero, 2003. “ Le parole del quartiere a Napoli tra XVI e XVII secolo ”, in Cahier “ Les mots de la ville ” , n° 5, p. 33- 44. Autres références Di Biagi, Paola, 2003. “ Quartieri e città nell’Italia degli anni cinquanta. Il piano Ina Casa, 1949- 1963 ”, in Mélanges de l’Ecole française de Rome. Italie et Méditerranée, tome 115, 2, p. 511- 524. Heers, Jacques, 1974. Le clan familial au Moyen ge : études sur les structures politiques et sociales des milieux urbains. Paris : PUF. M arin, Brigitte, 1993. “ Découpage de l’espace et contrôle du territoire urbain : les quartiers de police à Naples (1779- 1815) ”, in Mélanges de l’Ecole française de Rome. Italie et Méditerranée, tome 105, 2, p. 349- 374. Savelli, Aurora, 2003, “ Sentire i confini, costruire i confini. Le contrade di Siena tra fine XVII e inizio secolo XVIII ”, in Mélanges de l’Ecole française de Rome. Italie et Méditerranée, tome 115, 2, p. 183- 210.

174 Le Trésor des mots de la ville : une maquette au 1/5e

______rab‘ (pl rubû‘, ribâ‘, arbâ‘, arbû‘) arabe (littéral et dialectal), Maghreb et Proche-Orient, nom masc.

Traductions “rab‘ pl. ribâ‘, rubû‘, arbu‘, arbâ‘ 1. Campement de printemps. 2. Habitations, village. 3. Logement ; en Eg., cabinet. 4. Logement d’un petit ménage au- dessus des boutiques ou des magasins.” [arabe littéraire] (*Kazimirski 1860) “rab‘ pl. rubû‘, ribâ‘, arbâ‘, arbû‘ home, residence, quarters ; pl. rubû‘ region, area, territory, lands” [arabe littéraire] (*Wehr 1976) “ ribâ‘ n. plur. Propriété immobilière (spéc. celles qui appartiennent aux biens domaniaux et aux Habous.” [dialecte marocain] (*Iraqui- Sinaceur 1993) “ raba‘ /n pl ‘urbu‘: [obsol] building divided into private apartments with a common courtyard for cooking etc || zayy ir- raba‘ old and shabby (of a building)” [dialecte égyptien] (*Badawi & Hinds 1986)

Définition “[...] le rab‘ : le domaine [manzil] et la maison [dâr] qui est au centre, le lieu où l’on vit [watan] [...]. Le domaine [ manzil] et la résidence [ dâr al- iqâma]. Le rab‘ du groupe, de la tribu : son campement [mahalla ]. [....] Un groupe de gens. Les rab‘ [rubû‘ï sont les habitants des domaines [manâzil] également ; [...] le rab‘ est le manzil [domaine] et les gens du manzil. ”[...]. (*Ibn Manzûr XIVe siècle)

En dehors de son usage littéraire et juridique, on rencontre aujourd’hui le mot rab‘ dans deux situations, d’une part (prononcé rba‘) en Tunisie et à Tripoli (Lybie) dans le parler commun où il désigne la partie couverte des souks, d’autre part au Caire, où il est prononcé raba‘, dans le langage des historiens et des habitants, pour désigner un type spécifiquement cairote d’habitat locatif et collectif hérité du passé. Dans cette ville, le mot reste donc attaché à une forme ancienne, mais toujours existante, d’habitat, même s’il a perdu sa signification originaire (du radical verbal RB‘ “séjourner”) de campement d’un groupe, d’une tribu, ou le sens générique de “lieu où l’on réside” qu’il a pu avoir jadis. Il n’est donc pas trop difficile de se représenter le lien que l’usage égyptien de rab‘ entretient avec le sens premier du terme. En revanche, non seulement son emploi tunisien est passé de la langue classique et littéraire à un registre administratif et fiscal, pour se confiner ensuite dans le jargon notarial jusqu’au XIXe siècle, avant de finir dans la langue parlée, mais il a connu diverses re-sémantisations. Pour la période classique (du Ve au Xe siècles) la source principale est le dictionnaire de Ibn Manzûr (1232-1311), le Lisân al-‘arab qui donne pour chaque mot d’abord le sens courant à son époque, puis celui qui a eu cours dans le passé. Il est ainsi possible de déceler quatre étapes dans l’évolution de rab‘ jusqu’à l'époque de Ibn Manzûr. Aux premiers temps de l’Islam, d’après les textes de la tradition prophétique, hadith, rab‘ a pu, comme on l’a vu, signifier le lieu de campement [mahalla] d'un groupe ; est également proposé comme synonyme watan , “lieu où l'on vit” (le mot signifie “patrie”, dans le langage contemporain). A la lecture de Ibn Manzûr, une première évolution sémantique est décelable : rab‘ tend à désigner le manzil, grand domaine latifundiaire englobant des populations vivant dans des bourgs (Talbi 1982 : 189-191). “Le rab est le manzil et les gens [ahl] du manzil”. Le rab‘ peut être l’objet d’une appropriation individuelle : Aïcha, la première épouse du Prophète, précise l’auteur, “ a voulu vendre ses rab‘, c’est-à-dire ses manzil”. Dans une étape suivante, rab‘ s’applique à la combinaison de deux éléments : le manzil [domaine] et la dâr al-iqâma [résidence] ou encore “le manzil et la dâr [demeure] qui se trouve en son centre” [bi-‘aynihâ], l’élément nouveau consistant, à ce stade, dans l’émergence de la notion d’une résidence seigneuriale située au milieu du domaine [manzil]. Un recueil de textes hagiographiques établi au cours de la première moitié du XIe siècle indique à propos de l’Ifriqiyya du IXe siècle (grosso modo, l’aire correspondant à la Tunisie) que rab‘ ne désigne plus le manzil, mais s’applique “aux résidences confortables”, présentées

175 Le Trésor des mots de la ville : une maquette au 1/5e comme faisant partie de celui-ci A propos de leur possesseur il indique qu’il disposait “de nombreux grands domaines [manâzil], dont celui de Jabanyâna et d’autres encore, qui s’ornaient de merveilleuses résidences [ribâ‘] (Al-Labîdî 1953 : 3). A Sfax même, il avait de nombreuses résidences [riba‘] du même genre ”. Au début du XIe siècle, rab‘ n’est donc plus synonyme de manzil, mais y reste toujours lié, tandis que manzil semble de plus en plus réservé au domaine latifundiaire associé à un bourg. Le phénomène a d’ailleurs laissé des traces dans la toponymie, y compris récente (comme Manzil Bourguiba) : la dénomination de plusieurs villes tunisiennes contient manzil. Plus tard, ce dernier mot sera également, en Tunisie comme ailleurs dans le monde arabe, synonyme de dâr [maison]. Dans une liste fiscale relative à la ville de Tunis de la fin du XIIe siècle, le mot rab‘ s’applique aux biens-fonds urbains à caractère économique, principalement les boutiques [hânût], et accessoirement les fondouks, fours à pain, bains publics, etc. Les maisons d’habitation et leurs annexes, comme les entrepôts [makhzan] et les écuries [ruwâ’] ainsi que les constructions à usage religieux ou utilitaire, notamment les fontaines et les hôpitaux, ne sont pas concernés par cette liste qui témoigne donc d’un nouveau glissement de sens. N'étant pas considérées, à Tunis, par les agents du fisc, au cours de cette période, comme bien de rapport, les maisons d'habitation et leurs annexes, n’ont pas la qualité de rab‘. Dans une chronique de la seconde moitié du XVIIe siècle, l’historien Ibn Abî Dînâr parle des “gens du rab” [ahl al-rab‘] à propos des commerçants et des artisans qui occupent les boutiques des souks de Tunis (Ibn Abî Dînâr 1967 : 164). Au Caire, le mot désigne, au moins depuis le XIIIe siècle et jusqu'à nos jours, un immeuble d'habitation collectif destiné à la location, s’élevant sur deux ou trois étages, exceptionnellement quatre, et consistant en appartements [tabaqa] généralement conçus en duplex, souvent au-dessus d’un rez-de-chaussée comprenant des locaux commerciaux ou artisanaux (Raymond 1984 : 541). Par extension il désigne aussi des habitations situées autour d’une cour, à l’étage d’une wakâla [caravansérail] dont le rez-de-chaussée est dévolu à des activités de stockage, de production, ou de commerce. On notera qu’Ibn Manzûr, qui acheva la rédaction de son Lisân al-’arab en 1291 et vécut au Caire, n’a pas fait état d’une telle acception. Serait-ce parce que celle-ci relève d’un registre langagier totalement différent de celui, littéraire, auquel il s’attachait ? Comme à Tunis, au Caire le mot en est donc venu à s'identifier à des établissements susceptibles de rapporter une rente, à cette nuance près que, dans cette ville, “les rab’ de rapport étaient construits par des membres de la classe dirigeante et autres riches investisseurs qui les constituaient en waqfs, c’est-à-dire qu’il en affectaient le revenu soit à la dotation de fondations philanthropiques et religieuses, soit à leurs sociétés familiales privées” (Behrens- Abouseif 1995 : 358). Au Caire, “le recours à un type d'habitat collectif très original, le rab‘” offrait, “près des marchés centraux, un logement à prix abordable” à une population composée “principalement d'artisans et des commerçants moyens tenant boutique” (Raymond 1985 : 317). Cet habitat locatif, situé en plein centre de la ville, constituait l’établissement de rapport par excellence. Aussi est-il tentant de voir dans ce phénomène la raison principale pour laquelle rab‘ n’y désigne plus que ce type d'immeuble. Tunis, à l'époque hafside (XIIIe-XVIe siècles), connut une expansion et une prospérité dues au commerce caravanier et méditerranéen, décisif dans le développement de l’artisanat et du commerce intérieur. On comprend pourquoi ce type de bien-fonds à caractère économique y devient le bien de rapport, rab‘, par excellence pour les catégories sociales dominantes qui le louent à des artisans et des commerçants. A Tunis, au XVIIIe siècle et dans la première moitié du XIXe, dans les actes notariés, rab‘ désigne de façon générique le biens-fonds urbain, par opposition à ‘aqâr, bien-fonds rural (ailleurs en Tunisie, on trouve d’autres couples comparables : jidâr, bien rural, et ‘aqâr, urbain, dans le Jérid, ou rab‘, bien urbain, et milk, rural, pour la région de Gafsa). Cette

176 Le Trésor des mots de la ville : une maquette au 1/5e

évolution est sans doute à mettre en relation avec le fait que, sous l’effet de la densification de la ville, les habitations et leurs annexes y acquièrent à cette époque une valeur locative. Ainsi, elles accèdent à la catégorie de rab‘. Le mot désigne désormais toutes sortes d'habitation, dâr [maison], ‘uluw [étage de maison], bayt [chambre, pièce] et srâya [demeure luxueuse], ainsi que leurs annexes et les autres biens urbains à caractère économique. Et la taxe locative s’étend aux immeubles d’habitation et à leurs annexes faisant l’objet de contrats de location. Au moment où, à Tunis à l’époque moderne, la nature des sources de revenus de la classe dirigeante change progressivement, rab’ et ‘aqâr classent les biens-fonds, rab‘ servant à singulariser ce qui a le plus de valeur pour les acteurs sociaux : jusqu’au premier tiers du XIXe siècle, avant que la pénétration européenne ne devienne traumatisante et que les activités artisanales et commerciales ne périclitent sous l’effet de la concurrence occidentale, la propriété urbaine [rab‘] continue d’être la plus prisée par les citadins tunisois. Dans un document littéraire du XVIIe siècle très proche du parler commun, il est dit : “voulant partir en pélerinage, il vend ses ribâ‘ et ses meubles [athâth]” (Al-Munt‘açar : 55b et 56a). Il convient d’entendre ici rab‘ et athâth comme une métaphore, à travers l’opposition biens immeubles/ biens meubles, de degrés de valeur. Des documents relatifs à la taxe locative témoignent de l’évolution du mot à Tunis du milieu du XIXe siècle à nos jours : il va désigner les souks centraux et couverts de la médina. L’administration fiscale considère tous les biens urbains comme biens de rapport potentiels. On ne valorise plus particulièrement les boutiques. Les revenus procurés par les activités commerciales et artisanales s’amenuisent, suite à l’expansion de la concurrence européenne. D’un autre côté, dans le langage notarial et juridique ‘aqâr tend, lui, à englober les biens- fonds urbains et ruraux. De nos jours, dans cette terminologie ‘aqâr se présente comme une notion abstraite englobant tout bien-fonds, sans doute sous l'influence du droit européen. Le discours dominant a eu tendance à valoriser la propriété des terres agricoles, la colonisation et l’arrivée massive des Européens attisant davantage la demande dans ce secteur. En désignant, sur le plan juridique, l’ensemble des biens-fonds (urbains et ruraux), le mot ‘aqâr fait perdre à rab‘ le sens qui lui était attribué jusque-là, pour se confiner dans celui que le parler courant lui attribue aujourd’hui : un espace particulier dans la médina de Tunis. Si l’association du mot rab‘ aux souks couverts y a pris corps à partir de la seconde moitié du XIXe siècle, elle n’avait pas moins commencé à germer dans les représentations sociales depuis l’époque où la boutique symbolisait la rente urbaine par excellence. Il rappelle aujourd’hui pour les citadins un moment prospère. Cantonné à un registre langagier populaire, le mot rba’ s’applique aujourd’hui aux souks centraux couverts vers lesquels on essaie d’attirer les touristes et où se concentre la vente des produits de l’artisanat local, dans la médina qui focalise le discours patrimonialiste. Rab‘ depuis l’époque où il désignait la grande propriété latifundiaire semble donc, au moins en Tunisie, avoir constitué à travers l’histoire une catégorie classificatoire valorisante. Abdelhamid Henia

Voir : bayt, binayâ, dâr, funduq, maskan, sûq Voir : casa (portugais), dvor (russe) haus, hof (allemand), immeuble (français), housing estate (anglais), osobnjak (russe)

Sources primaires Abî l- Ghayth al- Qashshâsh, manuscrit de la Bibliothèque Nationale de Tunis, n°16408. Archives des Domaines de l'Etat de Tunisie, fonds de l'ancienne direction des Habous. Archives Nationales de Tunisie, dossier 700/3, carton 62, armoire 6. Archives Nationales de Tunisie, registres n° 2287 et 2288. Autres sources (deuxième main)

177 Le Trésor des mots de la ville : une maquette au 1/5e

Raymond, André. 1984. “Le rab‘, un habitat collectif au Caire à l'époque ottomane”, in Mélanges de l'Université Saint- Joseph, Tome L (vol. I & II), Dar el- Machreq SARL - Beyrouth p. 533- 551+2 planches hors - texte. Talbi, Mohamed. 1982. “Droit et économie en Ifriqiya au IIIe/IXe siècle : le paysage agricole et le rôle des esclaves dans l’économie du pays. Etudes d’histoire ifriqiyenne et de la civilisation musulmane médiévale. Tunis. Pub. de l’Université de Tunis (185- 229). Autres références Behrens Abouseif, Doris. 1995. “Rab‘”, Encyclopédie de l'Islam. Paris - Leyde, Brill- Maisonneuve et Larose (356- 359). Raymond, André. 1985. Grandes villes arabes à l'Èpoque ottomane. Paris, Sindbad. ______rajon (pl. rajona) ?‡ÈÓÌ (pl. ?‡ÈÓ̇) russe Russie Ex-URSS, nom masc.

Traductions “ rajon m. 1. (mestnost’ [lo calité, lieu], okruga [alentours]) contrée f, région f ; zone f (zona) ; […] 2. (administrativnyj) district m ; arrondissement m ( v gorode). ” (*_erba & MatuseviË 1983) “ rajon (division administrative russe) : district (à la campagne) ; arrondissement (dans les villes). Rajon (au sens large) : région ” (*Giraud 1994)

Définitions “ Rajon aménagé pour la défense [ukruplennyj] – groupe de forteresses, se défendant l’une l’autre, situées à moins de 20- 30 verstes l’une de l’autre. ” (*Brokgauz’ & Efron’ 1899) “ Rajon – lieu [mestnost’] possédant, dans des limites données, une particularité déterminée (lieu d’horticulture, de production de blé etc.) [(rajon sadovodstva, proizvodstva p_enicy i t.d.).] (*Pavlenkov 1900) “ Dans le rajon de quelque chose […], à côté, près, dans les alentours […]. Il vit à côté du métro [v rajone metro] ”. (*O_egov, _vedova 1992) “ RAJON, a, m. 1. Unité de division administrative territoriale en URSS à l’intérieur de certaines Républiques, Régions [oblast’], districts [okrug]. 2. Ville – centre administratif de rajon, là où se situent les organes de direction. 3. Unité administrative territoriale dans les grandes villes. Rajon Gagarine (Moscou). […] * Quartier dortoir [ *Spal’nyj rajon. *Rajon- spal’nâ.] (*Mokienko & Nikitina 1998).

Rajon apparaît dans la langue russe dans la seconde moitié du XIXe siècle. Les dictionnaires le notifient pour la première fois en 1899, mais il semble que ce terme ait été “ introduit dans la langue géographique en 1879 par A.S. Ermolov, qui élaborait un réseau de ‘ rajona ’ agricoles pour la Russie ” (*Alaev 1977 : 49). C’est à la terminologie militaire qu’Ermolov aurait emprunté rajon : l’ukruplennyj rajon, le rajon aménagé pour la défense, désignait un “ groupe de forteresses se défendant mutuellement, situées à moins de 20-30 verstes l’une de l’autre ” (*Brokgauz’ & Efron’ 1899). Jusqu’alors, en géographie, “ les termes ‘ prostranstvo ’ [espace], […], ‘ poâs ’ [zone], […] ‘ estestvennye oblasti ’ [régions naturelles], […] étaient utilisés pour désigner des idées analogues ”. Mais le recours à rajon aurait permis d’aborder précisément “ un territoire spécifique, caractérisé par l’existence d’un phénomène (ou de quelques phénomènes), son intensité et son unité ” (*Alaev 1977 : 49). En outre, rajon délimite une unité territoriale très précise et quasi-élémentaire : “ Rajon se présente comme une petite partie d’un autre territoire beaucoup plus grand.[…] Le mot rajon peut aussi désigner un territoriâ [territoire] ” mais “ avec des limites tracées suffisamment précises. ” (*Apresân 1997 : 325). Le caractère délimité du rajon paraît avoir influencé les linguistes qui se sont intéressés à l’origine de ce terme. En effet, “ on explique souvent que le mot russe ‘ rajon ’ provient du français ‘ rayon ’ - luË, radius ” (*Alaev 1977 : 49). L’emprunt au français est effectivement notifié par l’édition de 1907 du dictionnaire de Dal’ et l’est toujours en 1989, dans le dictionnaire étymologique de Cyganenko. Rajon serait donc une “ localité, un territoire avec

178 Le Trésor des mots de la ville : une maquette au 1/5e un radius [un rayon] déterminé. ” (*Cyganenko 1989 : 350). Alaev objecte toutefois que “ dans le dictionnaire raisonné de la langue française, parmi les huit définitions de ce mot [rayon], pas une seule ne se rapproche du sens de ‘ territoriâ ’ ”, et il considère qu’“ il est plus facile de proposer que le mot s’est déplacé vers nous depuis la langue espagnole, où il se prononce de la même façon qu’en russe et possède une nuance ‘ territoriale ’ (par exemple, la toponymie du Mexique) ” (*Alaev 1977 : 49). De fait, si rajon possède des contours, rien ne permet d’affirmer que ceux-ci correspondent à un rayon géométrique. “ Un rajon se distingue habituellement par rapport à un certain point de repère. […] Un objet urbain (rue, place), une localité ou un objet géographique ” et, de ce fait, “ les dimensions du rajon […] sont comparables aux dimensions de l’objet ” qui a servi de point de repère lors de sa détermination. (*Apresân 1997 : 324, 325). Rajon peut être aussi bien une “ partie donnée d’une ville ou d’un pays ” (*Dal’ 1907 : 1583). C’est “ un lieu possédant, dans des limites données, une particularité déterminée […] ” (*Pavlenkov 1900 : 477). Ce terme d’origine militaire commence donc à être employé dans la littérature géographique et économique à partir des années 1890, mais il intègre rapidement la sphère politique, sous l’influence de Lénine et de son ouvrage de 1899, Le développement du capitalisme en Russie (*Alaev 1977 : 49). La problématique de la division du travail y est abordée sous son aspect territorial : elle “ s’exprime […] par la spécialisation de ‘ rajona ’ particuliers dans la production d’un produit, parfois d’une sorte de produit et même d’une partie déterminée de produit ”. La division du travail demande donc “ l’isolement de rajona économiques et le renforcement de la coopération me_rajonnaâ [inter-rajon], l’échange de la production spécialisée, avec les services ” (*Alaev 1977 : 87). Dès lors, rajon est appelé à devenir une unité territoriale administrative. Après 1917 en Russie, en 1929 en URSS, le rajon remplace l’uezd, créé en 1775 par Catherine II pour subdiviser les 51 gouvernements [goubernia] qui partageaient alors l’Empire (*Kuznecov 2001 : 861 ; Conte 1991 : 89-90). Ainsi, en Russie, “ toutes les républiques et régions administratives sont divisées en raïon (district), équivalent de nos cantons, incluant chacun un certain nombre de villes (gorod), bourgs (poselenie gorodskogo tipa) et communautés rurales (selsoviet ou Volost). [souligné dans l’original]”, selon les équivalences proposées par un auteur français (Radvanyi 2000 : 247). Parallèlement, le rajon devient l’unité administrative territoriale élémentaire de la ville, un arrondissement urbain. Jusqu’en 1917, l’espace urbain était administré par ”ast’, c’est-à–dire par partie ou section territoriale placée sous la responsabilité “ d’un commandant, d’un état- major ou d’un officier de garde ” (Darinskij 1996 : 3). En 1799, la ville de Saint-Pétersbourg était divisée en onze ”asti gérées par l’administration policière. Il y avait également douze zagorodnye mesta – localités [mesta] extérieures à la ville [zagorodnye] – qui furent intégrées dans les Ëasti en 1840 (Darinskij 1996 : 3). Après 1917, une nouvelle organisation s’imposa : à Saint-Pétersbourg, “ les Ëasti sont liquidées et sur leur base, sont créés 18 rajona administratifs ” (Darinskij 1996 : 3). La rajonirovanie – division du territoire en rajona – engagée au lendemain de la Révolution d’Octobre 1917 crée de ce fait deux entités administratives : l’une interne à la ville, l’autre d’échelle régionale. C’est un adjectif qui permet de distinguer précisément le rajon urbain, le gorodskoj rajon, du rajon régional, que l’anglais rendrait par district (*Aleksandrov 1923 : 528). Le programme de construction de logements lancé par Nikita Khrouchtchev à la fin des années 1950 combina cependant le sens géographique au sens administratif de rajon, dans un nouveau découpage de la ville. La construction s’opérait en effet au niveau d’une “ unité fonctionnelle élémentaire de la ville ” (Burgel & Burgel 1998 : 221), le microrajon. Cet espace de 20 à 30 hectares, libéré de toute ligne de transport ou de voie de communication routière, devait accueillir de 6 à 12 000 habitants, des services de proximité ou d’utilisation

179 Le Trésor des mots de la ville : une maquette au 1/5e quotidienne : écoles, jardins d’enfants, magasins de première nécessité ou bibliothèques. Six à dix microrajon formaient le _iloj rajon [rajon résidentiel] qui bénéficiait des services d’utilisation périodique (théâtres, clubs, maison de la culture, polycliniques, infrastructures sportives) nécessaires aux 25 à 50 000 habitants qui le composaient (Kamenskij 1972 : 96). Le rajon, l’arrondissement urbain, était ainsi destiné à accueillir la population de quatre à huit _iloj rajon (Kamenskij 1972). L’unité administrative territoriale définie après 1917 servit donc de référence à la planification urbaine, mais se divisait en unités fonctionnelles de diverses dimensions. Or, “ la délimitation du territoire de la ville en _iloj rajon [rajon résidentiel] a entraîné la création de l’expression rajon-‘ spal’nâ ’, [rajon-dortoir] par les habitants qui étaient amenés à perdre beaucoup trop de temps pour aller de la maison au travail et inversement. ” (Lisovskij 1982 : 66). Rajon ne relève donc pas uniquement de la sphère administrative ou du langage scientifique, géographique ou économique. Certes, l’accès aux services administratifs nécessite toujours de se référer au rajonnyj sovet [soviet de rajon, arrondissement], au rajonnyj ispolnitel’nyj komitet [comité exécutif] ou au rajonnyj _ili_nyi otdel [service du logement], en ayant souvent recours à la contraction raj, introduite par le pouvoir politique, lorsqu’on se rend au rajsoviet. De même, on distingue toujours dans le pays un ugol’nyj rajon [rajon houiller], un raboËij rajon [rajon ouvrier] ou un promy_lennyj rajon [rajon industriel] (*_erba & MatuseviË 1983 : 557 ; *Kuznecov 2001 : 679). Mais “ le terme a connu une large diffusion [...], aussi bien dans la langue scientifique que dans le langage parlé […] ” (*Alaev 1977 : 49). Rajon sert ainsi à définir une ville entière, lorsque celle-ci constitue un “ centre administratif de rajon, là où se situent les organes de direction. ” (*Mokienko & Nikitina 1998 : 509). Ce sens est notifié dans la littérature de la seconde moitié du XXe siècle : “ Il devrait adresser un colis demain matin au rajon […] ” (Platonov 1965 : 213) ; “ Cinq roubles, le trajet vers le rajon : aller–retour. ” (_uk_in 1975 : 146). Cette acception est aujourd’hui référencée comme relevant du langage parlé (*Kuznecov 2001 : 679) et elle se décline encore à une autre échelle : dans une grande ville, il est possible d’employer rajon pour désigner le lieu où l’on vit, le lieu où l’on se situe à un moment donné, et à qui l’on attribue la qualité de centre : “ Tu seras dans notre rajon, passe ; […] ; Dites, s’il vous plaît, vous connaissez bien ce rajon ? ” (*Apresân 1997 : 325). L’emploi de rajon comme partie de ville est fréquent et il ne s’applique pas uniquement aux divisions administratives. Dans ce dernier cas, rajon disparaît souvent dans le langage parlé au profit du seul nom de l’arrondissement dont il s’agit : on vit officiellement dans le Central’nyj rajon, mais on dira couramment que l’on vit dans Central’nyj, le mot rajon étant sous-entendu. On utilise donc plutôt rajon de façon générique, ce qui nécessite qu’il soit caractérisé : on obtient, par exemple, un logement dans un novyj rajon, un rajon nouveau, récemment construit (Kostomarov 1977 : 264). Rajon est entré “ dans la sphère privée de la personne qui y vit ” et se définit à l’aide d’indicateurs des conditions de vie : un rajon est “ bon, mauvais, éloigné, vert, confortable, silencieux, bruyant, pauvre, riche ” (*Apresân 1997 : 326). Rajon peut donc être utilisé “ sans lien avec un quelconque point de repère : ils rêvaient d’un appartement dans un rajon vert et silencieux ” (*Apresân 1997 : 325). Cela témoigne d’une évolution certaine par rapport à la définition originelle du terme. La référence à une caractéristique générale, et non à un point de repère précis, peut ainsi conférer à rajon le sens d’un toponyme : “ Dans un rajon ainsi construit, mener un combat n’est vraiment pas facile ; Dans ce rajon, le terrain est très marécageux. ” (*Apresân 1997 : 325). Bien sûr, il apparaît encore que “ rajon se distingue par rapport à un objet que le locuteur choisit comme étant un point de repère connu de lui et de son interlocuteur ” (*Apresân 1997 : 324) : on vit “ v rajone metro [dans le rajon du métro] ”, dans la partie de ville proche de cet équipement (*O_egov & _vedova 1992 : 677). Mais l’usage de rajon s’est diversifié, tant et si bien que

180 Le Trésor des mots de la ville : une maquette au 1/5e

“ dans la langue parlée actuelle, le mot rajon s’utilise aussi dans un sens temporel : Téléphonons-nous dans le rajon de trois heures. ” (*Apresân 1997 : 325). Isabelle Amestoy

Voir gorod, kvartal, hru_oba Voir quartier (français), quartiere (italien)

Sources primaires Kamenskij, V.A.. 1972. Leningrad, general’nyj plan razvitiâ goroda. [Leningrad, plan général de développement de la ville]. Leningrad : Lenizdat. Kostomarov, V. 1977. Russkij âzyk dlâ vseh. [La langue russe pour tous]. Moskva : Russkij âzyk. Lisovskij, V.G..1982. Leningrad : rajony novostroek.[Leningrad : rajony de nouvelle construction].Leningrad : Lenizdat. Platonov, A.V..1965. V prekrasnom i ârostnom mire. Povesti i rasskazy.[Dans un monde parfait et violent. Nouvelles et récits]. Moskva : Hudo_estvennaâ Literatura. _u_kin, V.M..1975. Brat moj. Rasskazy, povesti.[Mon frère. Récits, nouvelles]. Moskva : Sovremennik. Autres références Burgel, Guy ; Burgel, Galia. 1998. “ La ville soviétique avant la perestroïka ”. Villes en parallèle , n°26- 27. Conte, Francis.1991. Les grandes dates de la Russie et de l’U.R.S.S. Paris : Larousse. Darinskij, A.V. 1996. Rajony goroda Sankt- Peterburga. [Les arrondissements de la ville de Saint- Pétersbourg]. Sankt- Peterburg : EKAM. Radvanyi, Jean. 2000. La Nouvelle Russie. Paris : Armand Colin. ______sad (pl. sad_) russe, nom masc.

Traduction “ sad, m . jardin m ., fruktovyj ~ jardin fruitier, verger m ; botani_eskij ~ jardin botanique, jardin des plantes ; zoologi_eskij ~ sm . zoopark ; gorodskoj ~ jardin municipal ; razbit’ ~ tracer un jardin ; ? detskij ~ jardin d’enfants ; garderie f d’enfants.” (*Russko- francuzskij slovar’ 1969)

Définitions “ sa_at’ […] sad’’ m. terrain, planté par le soin de l’homme d’arbres, arbustes, fleurs avec des sentiers frayés et toutes sortes et formes de divertissements et décorations. Le sad’’ peut être fruitier ou de divertissement, pour les promenades, tandis que le ogorod [potager] […] pour cultiver les plantes plus utiles et comestibles.” (*Dal’ 1882, 4 : 128) “ sad_ – On appelle S. un terrain, habituellement entouré par une clôture et planté de végétaux de type divers destinés à l’utilité ou le plaisir de l’homme. Un attribut indispensable d’un S. aménagé sont les chemins ou sentiers commodes.” (*Brokxauz- Efron 1900, 28 : 60) “ sad_ gorodskie [urbains] – terrains de plantations vertes destinés au repos de la population urbaine.” (*Bol’_aja Sovetskaja Enciklopedija 1955, 37 : 592) “ Sad – territoire d’une surface de 5 - 10 ha, occupé par des plantations d’arbres, des pelouses, des parterres de fleurs, réunis en une composition particulière. Les sady sont destinés au repos de courte durée de la population qui habite dans un périmètre d’accès piéton.” (*glossarij.ru 2004)

Couramment utilisé pour désigner le jardin dans ses différentes formes, le mot sad ne fit pas l’objet d’une entrée dans les dictionnaires avant le milieu du XXe siècle. Dans les dictionnaires encyclopédiques, il était traité dans la notice sadovodstvo [jardinage] au XIXe et au début du XXe siècles, et dans la notice sadovo-parkovoe isskustvo [l’art des parcs et jardins] ou sadovo-parkovoe stroitel’stvo [construction, aménagement des parcs et jardins]

181 Le Trésor des mots de la ville : une maquette au 1/5e durant la période soviétique. Dans les dictionnaires de langue, il y avait parfois un renvoi vers la notice sa_at’, planter (Dal’ 1882), ou alors la définition de sad n’apparaissait que sous sa forme plurielle: sady, parfois gorodskie sady [jardins urbains] (*Brokhauz-Efron 1900, *Bol’_aja Sovetskaja Enciklopedija 1955). Le dictionnaire raisonné de O_egov (*O_egov & Svedova 1949) semble être le premier à consacrer une entrée au mot sad. Jusqu’au XVIIIe siècle, deux mots, ogorod et sad’’, servaient à désigner des espaces très semblables, sans limite franche entre les deux termes. Formé à partir de ograda [clôture], ogorod désignait, jusqu’au XVIIe siècle, aussi bien la clôture elle-même que le terrain qu’elle entourait. Cet espace n’était pas seulement un potager, comme ce fut le cas par la suite, mais avait une double fonction de production et d’agrément, étendue, à la fin du XVIIe siècle, à celle de promenade. Bien que la fonction utilitaire semble avoir prévalu dans les ogorody monastiques (XIIe-XVIIe siècles), qui contenaient arbres fruitiers, étangs à poissons, légumes et plantes médicinales dans les aptekar’skie ogorody [jardins pharmaceutiques], ils présentaient dès l’origine un souci ornemental avec l’utilisation d’arbustes décoratifs et de fleurs. Cette dimension décorative trouva sa traduction dans l’adjonction du mot krasnye [beaux, en russe ancien] au terme ogorody ou sady, lorsque la cour commença à reproduire et diffuser le modèle du jardin monastique à la fin du XVIe siècle. L’hésitation entre sad’’ et ogorod perdura au moins jusqu’au début du XVIIIe siècle, si l’on se rapporte aux descriptions de parcs et jardins faites par les voyageurs russes. En 1697-1699, un diplomate, P.A. Tolstoj, décrivait ainsi les jardins du Vatican : “j’ai vu dans ce dom [maison, ici palais] de pape un magnifique ogorod dans lequel il y a beaucoup de superbes arbres fruitiers et de fleurs de différentes sortes” et, plus loin : “dans le même sad’’ il y a une multitude de très célèbres fontaines qui déversent des eaux merveilleuses et pures” (cité par Pute_estvie... 1992 : 195). Bien qu’hésitante, une opposition semble ici se dessiner entre le verger [ogorod] et le jardin aménagé [sad’’]. En 1701-1703, dans une comparaison entre le mont Athos et le monastère Solovki, le protodiacre Dama_kin conférait à ces mots une autre nuance : sacrée pour le mot sad’’ (sad’’ de la Sainte Vierge au mont Athos, composé d’arbres fruitiers) et plus terrestre pour le mot ogorod qui, à Solovki, désignait un potager (cité par “Afinskaja gora... 1883 : 92). Une autre coloration était apportée en 1705-1706 par A. Matveev, ambassadeur de Russie en France, qui décrivait ainsi les jardins de Tuileries: “Auprès du dom [palais] du roi [...] il y a un ogorod extrêmement bien aménagé” et : “le bâtiment est posé sur un grand soubassement qui descend en terrasses vers le sad’’, qui se nomme également Tjuleri” (cité par Sxarkova & Ljublinskaja 1972 : 67, 65). Pour les jardins de Versailles, il employait également le mot park, probablement une des premières attestations de celui-ci : “ Cette grande galerie est implantée dans sa longueur dans le ogorod du roi en face du canal et offre une grande perspective [prospekt , ici vue] depuis trois endroits. La première depuis le canal et le ogorod […] l’autre et la troisième également depuis le ogorod et le park.” (cité par Sxarkova & Ljublinskaja 1972 : 230-231) Il semblerait que ogorod s’appliquait ici à la partie la plus aménagée du jardin, située à proximité du palais, et le terme park à la partie la plus éloignée et la moins aménagée. Ces hésitations entre les termes disparaissaient lorsqu’il s’agissait de jardins intégrés à l’architecture, qui étaient exclusivement désignés par le mot sad’’. Ainsi les jardins créés au Kremlin au XVIe siècle sur des terrasses et toitures de bâtiments et entourés de murs percés d’ouvertures, étaient nommés verhovye [en hauteur] et, plus tard, visjacie sady [jardins suspendus]. Ces installations portèrent également le nom de ranjerejnye palaty [salles d’orangerie] lorsqu’y furent cultivées des plantes de serre, appellation qui précéda les zimnii sady [jardins d’hiver] des palais et propriétés seigneuriales des XVIIIe-XIXe siècles. Enfin, un autre mot, vertograd, synonyme de sad’’ et ogorod, fut utilisé jusqu’au XVIIIe siècle dans les textes sacrés. Il renvoyait exclusivement au jardin d’Eden ou, du moins, en était la métaphore. Ainsi les parcs et jardins des résidences de Pierre le Grand étaient nommés

182 Le Trésor des mots de la ville : une maquette au 1/5e vertograd dans les sermons de Thophane Prokopovic. Devenu un archaïsme, ce mot était utilisé dans le langage littéraire pour sa dimension métaphorique : “Vertograd de ma sœur […] j’ai des fruits qui brillent, remplis de sève et dorés” (Pu_kin 1825 cité par A.S. Pu_kin 1935 : 441). Au XIXe siècle, la distinction entre sad’’ et ogorod fut définitivement établie, ogorod désignant désormais exclusivement le potager – acception fixée dans le dictionnaire de Dal’ en 1882 : “Le sad’’ peut être fruitier ou de divertissement, pour les promenades, tandis que le ogorod […] pour cultiver les plantes plus utiles et comestibles.” (*Dal’ 1882 128) Appliquée aux sady russes, la fonction de promenade ne fit réellement son apparition qu’avec le règne de Pierre le Grand et l’aménagement de dvorcovo-parkovyx ansmablej [ensembles de palais et de parcs]. L’acception du terme sad’’ s’élargissait aux espaces plantés de grande étendue aménagés sur l’emplacement d’anciens bois et forêts, et conçus spécifiquement pour la promenade et le divertissement. Ce glissement sémantique fut relevé en 1781 par A. Bolotov qui s’interrogeait sur la pertinence de nommer ces nouveaux espaces par le terme sad’’ en dehors du fait “qu’ils sont plantés d’arbres” et suggérait, dans la mesure où ils étaient composés “d’arbres et arbustes sauvages”, de les appeler “ro__icy [bosquets] ou leso_ki [petites forêts] de divertissement, plutôt que sady” (Bolotov 1781 : 131-132). Il soulignait ainsi clairement la différence entre la nature maîtrisée et productive des sady et la nature sauvage et destinée à la promenade des ro__i [bois] et lesa [forêts]. Apparurent à cette époque anglijskij sad [jardin à l’anglaise], initialement orthographié aglinskij, et francuzskij sad [à la française]. Ce dernier modèle fut peu suivi en Russie, le sad russe du XVIIIe siècle s’inspirant du jardin paysager anglais tout en conservant l’aspect utilitaire, productif de l’ancien sad par la présence d’arbres fruitiers et étangs à poissons. Ce nouvel espace paysager, s’il était lié à l’aménagement des propriétés impériales, était également, à plus petite échelle, une composante indispensable des usad’bay [propriétés seigneuriales], dont le dom [maison] était entouré d’un sad ou d’un park. L’hésitation dans l’emploi des termes park ou sad était visible, elle aussi, au XVIIIe siècle. Petergofskij park, Letnij sad et Nesku_nyj sad (Saint-Petersbourg), park Lefortovo et park Kuskovo (Moscou) sont tous des ensembles paysagers aménagés autour de palais ou propriétés seigneuriales. Les dictionnaires récents soulignent encore l’impossibilité, dans certains cas, de tracer une limite franche entre les deux termes et invoquent la différence de dimensions : les parki seraient plus étendus que les sady. Certains auteurs donnent des chiffres : les parki seraient de 10-15 ha et les sady de 5-10 ha (Vergunov & Goroxov 1988), mais ces chiffres correspondent seulement au tableau actuel, qui résulte de l’annexion de territoires suburbains aux XIXe et XXe siècles, puis de la création de parcs urbains durant la période soviétique. L’observation de l’emplacement des parki et sady montre que la différence de désignation tient surtout à ce que, au XVIIIe siècle, les sady étaient dans la ville et les parki dans la zone suburbaine. Cette répartition territoriale fut encore renforcée, dans la deuxième moitié du XIXe siècle, par la notion de gorodskie sady [jardins urbains], exclusivement destinés à la promenade et au repos, toujours clôturés et comportant une série de petits aménagements : fontaines, pavillons, etc. S’ouvraient également au public des jardins spécialisés : botani_eskij ou zoologi_esjij sady [jardins botaniques ou zoologiques]. Le mot sad’’ se retrouvait également à Moscou dans le toponyme d’un nouveau lieu de promenade public, les bul’vary [boulevards plantés] sur l’emplacement des anciennes fortifications, que l’on appelait aussi Sadovoe kolco [anneau de jardins]. Au début du XXe siècle le terme sad’’, fut utilisé pour former gorod-sad [ville-jardin], décalque de l’anglais garden city, et detskij sad, décalque de l’allemand et anglais Kindergarten ou du français jardin d’enfant. Le premier terme fut surtout utilisé jusqu’aux années 1930, notamment dans le contexte du projet de réaménagement de Moscou et de la

183 Le Trésor des mots de la ville : une maquette au 1/5e construction du gorod-sad Sokol en 1923. Le second, comme dans ses équivalents occidentaux, s’appliquait avant tout à l’institution, même s’il trouvait sa traduction spatiale, les établissements accueillant les enfants comportant nécessairement un sadik [jardinet]. A partir des années 1930, le terme sad s’effaça du vocabulaire des aménageurs en tant qu’objet à créer, même s’il continuait à être employé dans les appellations nouvelles de sadovo-parkovoe stroitel’stvo [construction/aménagement de jardins et de parcs] ou sadovo- parkovaja systema [système de jardins et de parcs]. On utilisa désormais des notions plus abstraites, comme systema zelenyx nasa_denij [système de plantations vertes] et la forme qui prédominait dans l’espace urbain était le park et ses spécialisations en park kul’tur yi otdyxa [parc de culture et de repos] et skver [square]. N’étaient plus nommés sad que des espaces verts déjà existants, le mot acquérant ainsi une dimension toponymique, puisqu’il était toujours accompagné d’un nom propre. Parallèlement au développement, au XIXe siècle, des gorodskie sady [jardins urbains, publics], à la disparition progressive des usad’by [propriétés seigneuriales] urbaines et à la généralisation des da_i [résidences secondaires suburbaines], les sady privés étaient rejetés en dehors de la zone urbaine et revenaient aux fonctions productive (essentiellement de verger) et d’agrément sur les nouveaux u_astki [parcelles, terrains] réduits des da_i. Durant la période soviétique, l’acception de sad comme espace privé d’agrément s’effaça peu à peu devant la fonction productive. Par ailleurs, le terme administratif u_astok [parcelle, terrain] qui désignait désormais l’espace sur lequel étaient implantées les da_i passa dans le langage courant et remplaça parfois sad comme terme générique pour désigner l’espace planté autour des da_i. Durant la période soviétique sad renvoyait avant tout à la fonction de verger avec la création de kollektivnye sady [jardins collectifs]. A partir de 1964, ce furent essentiellement les ogorody [potagers] qui furent cultivés sur les u_astki, et l’usage du mot sad passa au second plan. Une exception moscovite cependant : les terrains du gorod-sad Sokol ont toujours été et continuent à être nommés par leurs habitants sady et à remplir une fonction à la fois d’agrément et de petit verger, comme à l’origine de ce projet de cité-jardin en 1923. En témoigne cette affirmation d’une habitante de Sokol : “nous avons une da_a pour cultiver le ogorod [potager], tandis qu’ici j’ai un petit sad.” (entretien 1999) Aujourd’hui, avec la généralisation de la construction des koted_i [cottages] dans la zone suburbaine, trois termes semblent être en usage : u_astok, sad et park. Les deux dernières dénominations renouent ainsi avec l’appellation des jardins des propriétés suburbaines des XVIIIe-XIXe siècles. L’architecte V. Glazy_ev témoigne, dans un entretien, du glissement opéré: “Plusieurs de mes anciens élèves travaillent pour des propriétaires de koted_i et même de palazzo. Pour une part ce sont des koted_i de système anglais garden-city, donnant sur une pelouse commune. Il y a des arbres fruitiers, mais ils remplissent uniquement un rôle décoratif. Parfois on les appelle aussi parki. Auprès d’eux [des koted_i] il y a de petits u_astki – de 2-3 acres, ou alors on ne les nomme pas – ‘u_astok’ et c’est tout, ou bien on dit ‘sad”’ – avec les pelouses, les pavillons, les collines à l’anglaise, etc. […] Un certain nombre d’importants ‘imenij’ [propriétés] auprès desquels les designers professionnels aménagent des petits, mais néanmoins, parki - sur les plans les architectes les nomment habituellement ‘parter’. Et, malgré tout, les propriétaires de ces usad’by, en règle générale, disent, à la manière soviétique, ‘u_astok’.” (entretien 2003) Elisabeth Essaïan

Voir bul’var, gorod-sad, da_a, dom, dvorec, kol’co, koted_, Kreml’, osobnjak, park, prospekt, usad’ba Voir

Sources primaires

184 Le Trésor des mots de la ville : une maquette au 1/5e

Bolotov, A.T. 1781. “O ro__ax i leso_kax, podle dereven’ naxodja__ixsja” [Au sujet des bois et des petites forêts situés auprès des villages], Economi_eskij magazin , _. V. Entretien. 1999. Macha, habitante de la cité- jardin de Sokol (Moscou), février. Entretien. 2003. V. Glazy_ ev, architecte (Moscou), par courrier électronique, 5 décembre. Vergunov, Aleksandr et Vladislav Goroxov. 1988. Russkie sady i parki [Jardins et parcs russes]. Moskva : izd. “Nauka”. Sources secondaires “Afinskaja gora i Soloveckij monastyr’. Trudy _udovskogo ierodiakona Damaskina” [Le mont Athos et le monastère Solovki. Les travaux du diacre Dama_kin], in : Pamjatiniki drevnej pis’mennosti, vol. 43, 1883, pp. xx- xx (début et fin de l’article). A.S. Pu_kin . 1935. Moskva : Akademija. Pute_estvie s tol'nika P.A. Tolstogo po Evrope [Voyage de P.A. Tolstoj à travers l’Europe]. 1992. Moskva : Nauka. Sxarkova, I.S. et A.D. Ljublinskaja. 1972. A.A. Matveev, Russkij diplomat vo Francii (Zapiski Andreja Matveeva) [A.A. Matveev, un diplomate russe en France]. Leningrad : xxéditeur. ______square (pl. squares) anglais Grande-Bretagne, nom

Traductions “A square, s. Un carré, une figure carrée. It is out of square, il n’est pas égal ou régulier.” (*Boyer 1762) “Square s. 1 carré, m. ; 2 carreau, panneau, m. ; 3 place publique, f. ; 4 équerre , f. [...]” (*Clifton 1846) “ Square I. s. 1 - carré m.. [...] 2 - (a) carreau m (de figure quadrillée) ; case f (d’échiquier).[...] 3 - (of town) place f, (with garden) square m. 4 - équerre f. [...] 5 - Mth : carré (d’une expression).” (*Harrap’s 1986)

Définitions “Un espace de quatre côtés, avec des maisons [houses] sur chaque côté.” (*Johnson 1755) “ Square [...], sb. [...] 9. Un open space or area [espace libre] (approximativement quadrilatéral ou rectangulaire) dans une ville [a town or a city], entouré de bâtiments ou de maisons d’habitation [dwelling houses], spécialement de type supérieur ou résidentiel [residential], contenant souvent un jardin [garden] ou planté d’arbres, etc.; plus généralement tout open space ressemblant à ce qui précède, spécialement lorsqu’il est formé par une intersection de rues; aussi le groupe de maisons qui entoure un espace de ce type. 1687 [...]” (*Oxford English Dictionary 1989)

En anglais, square est le terme générique pour un espace urbain entièrement ou partiellement enclos par des bâtiments. Bien que parfois considéré comme l’équivalent du français place, de l’italien piazza, de l’allemand Platz, de l’espagnol plaza ou du portugais praça, il n’est pas exactement interchangeable avec ces mots. C’est la raison pour laquelle, par exemple, les traducteurs nord-américains de Der Stadtbau de Camillo Sitte (Collins & Collins 1986 [1889]) ont rendu Platz non par square, mais par plaza. Bien que square soit entré en tant que mot de la ville dans d’autres langues, sa signification est généralement limitée dans celles-ci soit à un espace de forme géométrique régulière, soit à un espace contenant un jardin public à usage récréatif. En français, l’usage de square était relevé en 1836 comme un emprunt récent à l’anglais (*Académie française 1836) et défini en 1842 comme “Mot anglais, employé quelquefois dans notre langue pour désigner une espèce de jardin, entouré d'une grille, qui se trouve au milieu d'une place publique” (*Académie française 1842). L’usage anglais, cependant, ne s’est jamais limité à ces acceptions. Les définitions des dictionnaires ne sont pas entièrement adéquates. Les lieux appelés squares dans les villes britanniques n’ont pas toujours quatre côtés et ne sont pas toujours complètement entourés de bâtiments: ils peuvent être ouverts sur un ou plusieurs côtés, comme Brunswick Square, à Brighton, dont un des côtés donne sur la mer.

185 Le Trésor des mots de la ville : une maquette au 1/5e

Le premier lieu à être appelé square fut Southampton Square (aujourd’hui Bloomsbury Square), aménagé à Londres en 1661 (Summerson 1945 : 39). À cette époque, la langue anglaise disposait déjà de huit mots pour désigner des espaces urbains clos: close, yard, court, quadrangle, place (comme dans marketplace), piazza, walks et fields. On peut donc se demander pourquoi un nouveau mot fut alors nécessaire. Son apparition soudaine et son étrangeté par rapport aux autres termes anglais, mais aussi à la racine commune des termes utilisés dans les autres langues européennes, pose la question de la nouveauté de l’objet même qu’il désignait. Les premiers exemples de ce qui fut ensuite appelé square – des terrains libres entourés de maisons – apparurent dans les années 1630 lors de l’expansion de Londres vers l’Ouest au- delà des limites de la City. La construction de Covent Garden et de Leicester Fields dans les années 1630, et de Lincoln’s Inn dans les années 1640 prit la forme de bâtiments disposés autour d’un espace central, mais aucun de ces aménagements ne fut appelé square. À Covent Garden, comme dans son modèle italien, il fut appelé piazza – ce fut la première utilisation de ce mot en anglais. À Leicester Fields, le lieu garda le nom du terrain libre sur lequel les habitants voisins disposaient du droit de se promener, de faire sécher du linge et paître des animaux. Bien qu’il prît par la suite le nom de Leicester Square, il était encore au début du XVIIIe siècle “appelé par certains Leicester Fields” (Hatton 1708, 1 : 46). À Lincoln’s Inn, où il y avait des droits collectifs semblables sur le terrain, l’espace enclos par les bâtiments fut appelé Lincoln’s Inn Fields. Peu après la restauration de la monarchie (1660), deux nouvelles opérations immobilières du même type furent entreprises par des aristocrates de la Cour, le comte de Southampton à Bloomsbury et le comte de St. Albans à St. James’s. Bien que ce fûrent les premiers squares, ce nom ne leur fut pas donné immédiatement. Lorsque John Evelyn fut invité à dîner en 1665 dans la maison du comte de Southampton – qui occupait l’un des côtés du square –, il nota dans son journal que le comte était “en train de construire un noble Square ou Piazza et une little Towne” (Evelyn 1955 [1655], 3: 398). L’association de square à piazza indique qu’Evelyn percevait la nouveauté de la forme de cet aménagement, mais son usage des deux termes suggère aussi que square n’était pas alors suffisamment établi pour suffire à lui seul. À St. James’s, l’endroit était nommé auparavant St. James’s Fields ou Pall Mall Fields. L’autorisation de construire originelle accordée par Charles II au comte de St. Alban en 1665 mentionne “un lieu dans ce qu’on appelle Pall Mall Field sur lequel devront être édifiées treize ou quatorze grandes et bonnes maisons qui entoureront ledit lieu”, mais elle nomme aussi le même endroit “a great Square place [un vaste lieu carré, ou une vaste place carrée]” (cité par Dasent 1895 : 272-273). Cette façon de décrire la construction par sa forme ne devint toutefois pas avant longtemps le nom établi de celle-ci. Dans une liste des loyers de 1676, le lieu est appelé “piazza” (cité par Dasent 1895 : 19) et ce fut seulement dans les années 1690 que square fut habituellement utilisé. D’autres sources suggèrent que, dans les années 1680 encore, piazza était le terme générique le plus courant pour désigner les nouveaux espaces qui faisaient leur apparition à Londres: ainsi l’entrepreneur de bâtiment et économiste Nicholas Barbon, décrivant en 1685 la richesse de Londres, mentionnait “ses nombreuses et vastes Piazzas” (Barbon 1685 : 2). L’année précédente, toutefois, le même Barbon utilisait square lors d’un procès intenté contre lui par les avocats de Gray’s Inn, à proximité de laquelle il édifiait Red Lion Fields. Il affirmait que les constructions consisteraient en “belles et grandes maisons pour personnes de fortune et de valeur, en face desquelles le défendeur entend laisser non bâti un très vaste square renfermant d’agréables allées [walks] où les Messieurs de ladite Société [Gray’s Inn] ou toute personne de qualité qui leur ferait visite pourront se promener et prendre l’air comme il leur plaira.” (cité par McKellar 1999 : 198) Il s’agit là d’une interprétation souvent négligée de square, qui réfère dans ce cas au terrain entouré par les bâtiments et non à ces derniers ou à l’ensemble.

186 Le Trésor des mots de la ville : une maquette au 1/5e

D’un point de vue morphologique, les squares londoniens de la fin du XVIIe siècle dérivaient de quatre sources distinctes (McKellar 1999 : 101-207). Il y avait d’abord les modèles français et italiens – Covent Garden devait sa forme à la Place Royale de Paris et à la Piazza de Livourne. Ensuite, à Southampton Square et Leicester Fields, le terrain libre faisait face à une maison aristocratique pour laquelle il constituait, avec les bâtiments qui l’entouraient, une cour d’honneur qui la mettait en valeur. Il y avait en outre les quadrangles traditionnels des collèges d’Oxford et de Cambridge, ainsi que des Inns of Court de Londres. Enfin, le site de certains squares était grevé de droits d’usage coutumiers au profit des habitants du voisinage et le fait qu’il ne fut pas bâti résultait des protestations des bénéficiaires de ces droits. Dans ce cas, le square était un compromis résultant du conflit entre différentes parties (Lubbock 1995 : 30-36). Le square qui se développa à la fin du XVIIe siècle était un composé de ces différents traits, qui se combinaient différemment selon les situations. C’est cette nature composite du square qui en fit une forme urbaine nouvelle et qui peut expliquer pourquoi il fallut inventer un nouveau mot pour la nommer. Au début du XVIIIe siècle, square était devenu un terme accepté de tous. Beaucoup d’espaces qui préexistaient à Londres et dans d’autres villes, et qui portaient auparavant d’autres noms, furent désormais appelés squares. Ainsi, l’espace pentagonal encore connu en 1682 sous le nom de Charterhouse Yard était appelé Charterhouse Square en 1747. Dans la City of London, beaucoup des endroits qui furent rebaptisés square étaient extrêment petits et accessibles seulement aux piétons: il est clair qu’au XVIIIe siècle, la taille n’était pas un trait déterminant du square. Tandis que dans les nouveaux squares de la fin du XVIIe siècle, le terrain central était généralement laissé ouvert et couvert de gravier, au début du XVIIIe siècle, il devint de plus en plus habituel de le clôre et de le planter d’arbres et de végétation, en faisant ainsi un jardin [garden]. Pour certains, cela devint un trait définissant le square: ainsi, un voyageur suisse qui visita Londres en 1725 mentionnait “plusieurs belles places que l’on appelle squares parce qu’elles sont carrées; le milieu est fermé de balustrades de fer ou de bois peint et contient un jardin, où il y a des fleurs et des arbres.” (Saussure 1725-1729 : 79). Le choix du mot square pour nommer ces nouveaux aménagements urbains a pu résulter de diverses raisons. D’abord, n’étant pas emprunté à une langue étrangère, il pouvait signaler cette nouvelle forme comme spécifiquement britannique, ce qui, à la fin du XVIIe siècle, présentait sans doute certains avantages politiques. Ensuite, il évoquait une certaine rationalité, un ordre qui le distinguait des autres termes plus anciens. Enfin, il était déjà utilisé à propos des jardins, dont les parterres étaient parfois appelés squares – connotation qui soulignait l’aspect récréatif et horticole que les promoteurs de ces nouveaux espaces cherchaient parfois à leur donner. Au milieu du XVIIIe siècle, square était devenu en Grande Bretagne le terme habituel pour désigner des espaces urbains carrés et enclos, mais aussi de nombreux autres qui ne remplissaient pas ces critères. Au XIXe siècle, bien que l’on continuât à aménager de nombreux espaces libres entourés de constructions, il devint moins fréquent de les appeler square. Sur les 106 cas de jardins enclos et entourés de bâtiments que l’on pouvait rencenser à Londres au XIXe siècle, 76 seulement étaient appelés square (Royal Commission on London Squares 1927). D’autres mots étaient apparus pour désigner ces espaces: au XVIIIe siècle, circus, au XIXe, gardens et, aux Etats-Unis, plaza, qui devint très commun en Grande- Bretagne à la fin du XXe siècle. Square est cependant resté le terme générique car il n’était pas, malgré les apparences, lié à une morphologie particulière. Adrian Forty

Voir Voir

187 Le Trésor des mots de la ville : une maquette au 1/5e

Sources primaires Barbon, N., 1685, An Apology for the Builder Or A Discourse Shewing the Cause and Effects of the Increase of Building, London [no printer]. Collins, G.R. & Collins C.C., 1986, Camillo Sitte: The Birth of Modern City Planning, NewYork: Rizzoli. Trad. de Camillo Sitte, Der Städte- bau nach seinen künstlersichen Grundsätzen. Wien, Verlag von Carl Graeser, 1889. Evelyn, J., 1955 [1620- 1706], The Diary of John Evelyn, 1620- 1706, ed. E.S. de Beer, 4 vols, Oxford, Clarendon Press. Hatton, E., 1708, A New View of London, London [no printer]. Royal Commission on London Squares, 1927, Minutes of Evidence, London: HMSO, First Day, Appendix 7, pp. 90- 92. Saussure, C. de, 1903 [1725- 1729], Lettres et Voyages en Allemagne, en Hollande et en Angleterre 1725- 1729, Lausanne, Georges Bridel et Cie, Paris, Fischbacher, Amsterdam, Feikema, Caarelsen et Cie. Sources secondaires Dasent, A.I., 1895, The History of St James's Square , London and New York: Macmillan. Lubbock, J., 1995, The Tyranny of Taste. The Politics of Architecture and Design in B ritain 1550- 1960, New Haven and London: Yale U.P. McKellar, E., 1999, The Birth of Modern London. The Development and Design of the City 1660- 1720, Manchester University Press. Summerson, J., 1945, Georgian London, London, Pleiades Books. Hammonsworth, P enguin Books, 1962. ______Stadtrand, der (pl. peu usité Stadtränder, die) allemand, nom masculin

Traductions “Stadt : […]- rand m périphérie f ; lisière f ” (*Langenscheid 1988) “ Stadt- : - rand der outskirts pl. of the town/city” (*Oxford Duden 1991)

Définitions “ Stadtrand , der: Un nouveau quartier d’habitation [Siedlung] s’établit au Stadtrand; Stadtrandsiedlung, die ” (*Klappenbach & Steinitz 1978) “ Stadtrand , der: la région [Gebiet] la plus éloignée qui appartient encore à une ville [Stadt]; Peripherie [périphérie]: eine Siedlung am S .” (*Meyer 1981) “ Stadtrand : Am S. wohnen [habiter sur le]” (*Brockhaus- Wahrig 1982)

Dans l’allemand contemporain, les mots Stadtrand et Peripherie sont utilisés comme synonymes et les dictionnaires les définissent fréquemment l’un par l’autre: Stadtrand par Peripherie (*Meyer 1981) et Peripherie par Stadtrand (*Duden 1963) ou Randgebiet [région limitrophe] (*Duden 1963, *Klappenbach & Steinitz 1978). Toutefois, Stadtrand est un terme d’usage courant, tandis que Peripherie est utilisé presqu’uniquement par les spécialistes de la ville. Il n’en a pas toujours été ainsi. Le mot Stadtrand – littéralement lisière ou bordure de la ville – est, dans l’usage actuel, le plus souvent associé à l’habitat et apparaît notamment en combinaison dans Stadtrandsiedlung – ensemble d’habitation, quartier en lisière de la ville. Parfois, le Stadtrand est associé aux charmes de la campagne: “Dans un verger idyllique am Stadtrand de Zurich, 40 appartements en location seront construits d’ici 2004 dans six immeubles familiaux distincts.” (xxNeue Zürcher Zeitung, 1.2.2002). “Il [...] habite maintenant am Stadtrand où l’odeur de feu de bois se répand le soir dans le jardin.” (Die Zeit 2001/45). Mais, pour certains, le Stadtrand c’est surtout “les baraques, les jardins familiaux, le ton monotone des cités-dortoirs [Schlafsilos] des Stadtrandsiedlungen” (Slapansky 1992 : 29). Loin du centre- ville, on entre dans “la tristesse des Ränder”, où les bâtiments sont laids, les zones

188 Le Trésor des mots de la ville : une maquette au 1/5e industrielles immenses et les transports en commun quasiment inexistants. “Celui qui peut se le permettre ne vient pas habiter dans ce Stadtrand éloigné de tout, aux infrastructures sous- développées.” (Salzburger Nachrichten 2000). Certains architectes – qui utilisent volontiers Peripherie plutôt que Stadtrand – ressentent à la fois attraction et répulsion pour cette zone : “La Peripherie n’est pas un lieu. La langue interdit de dire: in der Peripherie [dans la]. Mais: an der Peripherie [à la], comme si elle était elle-même [...] une bordure [Rand] qui s’étend sans arrêt, toujours repoussée [...] Zone pour les chiens, les avions télécommandés, les essaims de moustiques et les boîtes de conserve.” (Kohoutek & Pirhofer 1987, cité par Slapansky 1992 : 29). On peut associer Stadtrand à des quartiers très nobles aussi bien que très pauvres. Les mots Villengürtel [ceinture de villas] et Villenkranz [couronne de villas] désignent, par exemple, une zone privilégiée où les gens riches jouissent d’espaces verts abondants. “Cela ne m’aurait pas étonné que le conducteur [m’]appelle depuis le Stadtrand de Berlin pour demander mon ‘adresse noble’ [‘feudale Adresse’]. Tous ceux qui nous rendent visite font cela.”, relève un habitant de Berlin-Grunewald qui attend la livraison d’une voiture (xxDie Zeit 2002/07). On peut lire dans un roman des années 1930 : “[...] dimanche Ida et Conrad se rencontrèrent [...] au Stadtrand, presque à la campagne [...] Après le déjeuner du dimanche dans la maison familiale, Conrad avait l’habitude de sortir dès que possible [...] afin d’arriver à temps et en premier, là-bas, en dehors [de la ville], au terminus du tramway, et d’attendre l’humble Ida [...] Ensemble, ils allaient le long des bois, sur les collines, sur lesquelles étaient disposées des villas [Villen] anciennes et nouvelles, comme des taches brunes et blanches parmi les arbres.” (Doderer 1999 [1938] : 73). Cette citation décrit le Stadtrand noble du début du XXe siècle comme un espace situé en dehors des conventions de la société bourgeoise où des amoureux de classes sociales différentes pouvaient se rencontrer. Le mot Stadtrand peut également impliquer l’idée qu’une frontière psychologique a été franchie. En 1963, un dictionnaire de l’allemand contemporain mentionne au mot Stadtrand l’expression berlinoise j.w.d. une abréviation pour janz weit draußen [très loin au dehors], c’est à dire extrêmement loin de tout ce qui compte (*Küpper 1963). “Ce qu’on appelle ‘la Nuit de cristal’, racontait ma mère, a bien eu lieu, mais nous, là-bas, au dehors, au Stadtrand, seul avec la TSF et quelques voisins, qu’en savions nous?” (Die Zeit 1999/20). Dans la langue des spécialistes, c’est le mot Peripherie qui domine. Toutefois, les villes européennes ayant désormais non plus un centre, mais plusieurs, le terme Peripherie est considéré par certains théoriciens de l’architecture comme désignant une “périphérie classique”, c’est-à-dire “l’extension d’un centre-ville unique dans la campagne environnante” (Hoffmann-Axthelm 1998 : 117). C’est pourquoi ont été créés en Allemagne dans les années 1990 de nouveaux mots ou expressions, qui furent repris ensuite en Autriche et en Suisse. Parmi ceux-ci, innerstädtischen Peripherien [périphéries de la ville intérieure] – régions faites de terrains vagues, de parkings et d’espaces interstitiels sans usage défini – qui, en composition avec des parties denses – ou “citadelles” – forment désormais la Down-Town- Struktur [structure de centre-ville] (Prigge 1998 : 7). Dans ce langage professionnel, le phénomène des Peripherien qui se juxtaposent et se mèlent aux centres-villes est désigné par des termes comme regionalen Siedlungsteppich [litt. tapis de quartiers d’habitation régional], Stadtregion [ville-région], Netzstadt [ville-réseau], Zwischenstadt [ville interstitielle] (Sieverts 1997). Plus récemment, on désigne par Speckgürtel [litt. ceinture de lard] “les proliférations qui s’établissent dans les communes voisines des villes. Elles sont caractérisées par un défaut d’aménagement rationnel de l’espace.” (Salzburger Nachrichten 2001) Le mot Stadtrand est apparu dans les années 1930 dans les livres traitant du développement urbain et de la protection du patrimoine bâti (par ex. Lehner 1936). Il est possible qu’il se produisît alors une germanisation de Stadtperipherie, terme courant dans les années 1920, par exemple dans cette observation du bourgmestre de Berlin: “Tout étranger qui visite une

189 Le Trésor des mots de la ville : une maquette au 1/5e grande ville, hésitera à se rendre, la nuit, dans les rues de la äußere Stadtperipherie [périphérie éloignée] et s’imagine trouver là les repaires de la canaille qui fuit la lumière, alors qu’elle reste presque toute au centre des villes [Zentrum der Städte].” (Heindl 1928 : 140) Avant l’apparition de Stadtperipherie, puis de Stadtrand, le mot Peripherie était largement utilisé, en même temps que d’autres mots. Le dictionnaire de Campe, en 1813, mentionnait pour la première fois pour Peripherie, outre le sens mathématique de périmètre du cercle [Umkreis], un sens administratif: “parfois aussi Bezirk [district, circonscription]” (*Campe 1813). Aux environs de 1870, on l’utilisait régulièrement dans le langage administratif pour désigner la zone extérieure à la grande ville [große Stadt]. Le bourgmestre de Berlin Hobrechts: “[...] toute différence dans d’acte de construire [sera] pratiquement exclue, car tout ce qui est regroupé [sic] à la Peripherie immédiate de la grande ville doit se soumettre également aux règles économiques.” (cité par Engel 1873 : 40). À partir du tournant du XXe siècle, les mots les plus usités étaient Stadtperipherie (ou Peripherie) et Lisière. L’usage différait selon le point de vue à partir duquel cette zone était envisagée. La vue depuis le centre vers la périphérie était celle des urbanistes et architectes, tandis que la vue depuis la campagne vers la ville en expansion était plutôt celle des artistes, comme dans les tableaux d’Adolphe Menzel ou de Max Beckmann. Il est intéressant de noter que c’est dans ce contexte qu’est apparu l’usage du mot français Lisière. On peut lire dans l’introduction à un portfolio de lithographies de Rudolf Großmann sur Berlin: “Toutes ces oppositions que Berlin réunit [...] la partie centrale de la ville [Innenstadt] encore en formation, et la nature privée de ses droits an der Lisière [à la lisière]” (Hermann 1911/12 : 1102). Quand à l’usage du mot français périphérie dans un contexte urbain, étant donné que le Trésor de la langue française (*1968) ne le signale pas avant 1913, il est possible qu’il s’agisse d’un emprunt du français à l’allemand. C’est au cours du XIXe siècle que Peripherie remplaça lui-même d’autres termes, comme Umkreis der Stadt [cercle, pourtour de la ville] (Müchel 1898). Il est possible qu’il provînt du milieu médical, car la ville était souvent décrite à cette époque par des métaphores physiologiques. Le mot Peripherie, du latin peripheria, apparut au XVIIIe siècle et signifiait “pour les médecins, le périmètre extérieur [Umkreis] du corps ou des viscères” selon la définition de Zedler en 1741, tout en ayant aussi un sens mathématique: “Peripherie, Circumferentz, Umkreis, Periphereia, Circum ferentia est la ligne courbe refermée sur elle- même qui renferme l’espace du cercle.” (*Zedler 1741 cité par *Kehrein 1876). Au XVIIIe siècle, toutefois, pour désigner la limite de la ville, on utilisait les mots Stadtmauer [mur de ville], Ringmauer [mur d’enceinte], Stadtgrenze [frontière, limite de ville]. Les quartiers situés au delà des murs étaient appelés Vorstadt [avant-ville], Stadtflur [terres, territoire de la ville], Stadtbezirck [ressort de la ville] ou Weichbild [territoire de droit urbain] (*Zedler 1744, *Adelung 1801). La plupart de ces mots remontaient au haut-allemand et étaient surtout utilisés dans le langage administratif parce qu’il concernaient la limite juridique de la ville. Ainsi Weichbild était une combinaison de Weich, Wig ou Wick – mot d’origine celtique signifiant “refuge” ou “consolation” – et de Bild, image, qui référait à un Bildstock – statuette de saint(e) – ou à une croix marquant la limite du territoire urbain (*Zedler 1741). Anette Freytag

Voir Bannmeile, Mauer Voir

Sources primaires Doderer, Heimito v. 1938. Ein Mord, den jeder begeht. München: C.H.Beck (cité d’après l’édition: München: Deutscher Taschebuchverlag, 1999, 12. Aufl.) Heindl, Robert 1928. “D as Berufsverbrechertum in der Großstadt.“ Unser Berlin. Ein Jahrbuch Berliner Art und Arbeit. (Hg.) Alfred Weise, Berlin: Hobbing, p. 140- 154.

190 Le Trésor des mots de la ville : une maquette au 1/5e

Hermann, Georg 1911/12. “Um Berlin. Originallithographien v. Rudolf Großmann [Berlin, Cassirer]”, Pan, 2. Jg., N r. 2, 1911/12. Hoffmann- Axthelm, Dieter 1998. “Peripherien“, Peripherie ist überall, Walter Prigge (Hg.). Frankfurt a.M., New York: Campus, p. 112- 119. Kohoutek, Rudolf, Pirhofer, Gottfried 1987. Architektur. Hammer und Sonnenuntergang zwischen postmoderner Ökonomik und Mythos. Wien: Falter Verlag. Küpper, Heinz 1964. Wörterbuch der deutschen Umgangssprache, Band 3, Hamburg: Claasen. Lehner, Johann. 1936. Burgweiting- Beiträge zur Geschichte eines Dorfes am Stadtrand von Regensburg . Regensburg: Vorm. Manz’s che Buchdr. Hans Strauß. Müchel, Carl 1898. Über den Bau von Familienhäusern in der Nähe von Städten. Prag. Neue Zürcher Zeitung 2002. Omachen, Peter. “Komplexität und Einheitlichkeit. Bauten von Samuel Bünzli und Simon Courvoisier”. Neue Zürcher Zeitung, O1/02/2002 (http://www.nzz.gbi.de/webcgi?WID=94282- 2150444- 60663_3, date du téléchargement: 14.02.2002). Prigge, Walter (Hg.) 1998. Peripherie ist überall. (=Edition Bauhaus Band 1) Frankfurt a. M./New York: Campus. Salzburger Nachrichten 2000. Schwarz, Walter, Leberberg out of Vienna. Salzburger Nachrichten 11.01.2000 (=www.salzburg.com/sn/00/01/11/hintergrund- 6493.html, date du téléchargement: 12.02.2002). Salzburger Nachrichten 2001. Red, “Die "Region" ist das Modell der Zukunft Raumordnungspolitisches Symposion über das Phänomen "Speckgürtel" und die Salzburger Stadtregion im Saal der SN“. Salzburger Nachrichten. 13.08.2001 (http://www.salzburg.com/servlet/scom2/searchresult?xm=206566&res=5, date du téléchargement: 28.10.2003) Sieverts, Thomas, 1997. Z wischenstadt. Basel, Boston, Berlin: Birkhäuser. Slapansky, Wolfgang 1992. Das kleine Vergnügen an der Peripherie. Der Böhmische Prater in Wien. Wien: Picus. Zeit, Die 2002. Siebeck, Wolfram. “Und eine Stimme sprach zu mir”. Die Zeit , Nr 7, 14/02/2002 (http://www.zeit.de/2002/07/Leben/200207_autotest.html, date du téléchargement: 14.02.2002) Zeit, Die 1999. Schmitter, Elke, “Was ich über Faschismus lerne”; Die Zeit, Nr. 20, 20/05/1999 (http://www.zeit.de/archiv/1999/20/199920.gedanken_.xml, date du téléchargement: 12.02.2002) Zeit, Die 2001. Sußebach, Henning, “Der Bub ist nicht normal. Wie wächst einer auf, der 20 Millionen wert ist? Spurensuche in Sebastian Deislers Heimat”, Die Zeit, Nr. 45, 08/11/2001 (http://www.zeit.de/archiv/2001/45/200145_deisler.xm l, date du téléchargement: 12.02.2002) Sources secondaires Engel, Ernst 1873. Die moderne Wohnungsnoth: Signatur, Ursachen und Abhülfe. Leipzig, 1873. ______Straße (pl. Straßen) allemand, nom fém.

Traduction “Straße […] rue (construite) [(bebaute)] ; (Landstraße) route ; [...] (Fahrdamm, - bahn) chaussée ; (Meerenge) détroit ; [figuré] (Weg, Bahn) chemin, voie ; [...]” (* Pons Großwörterbuch. 1989 : 549)

Définitions “Die Straße [...], le chemin [Weg] en général ; [...] Au sens propre, 1) un large chemin public sur lequel on voyage d’un lieu à un autre. [...] 2) Un chemin pavé large entre les rangées de maisons dans une ville. [...] 3) Un détroit.” (*Campe 1810 : 694- 695) “Nous ne différencions pas clairement par la dénomination les Straßen pavées à l’intérieur des villes, des Straßen extérieures qui conduisent à la campagne, le plus souvent [revêtues] de macadam [...]. Chez les Français les Rues intérieures sont mieux différenciées des routes extérieures, [il en est] de même des Streets et Roads anglaises. La voie réservée à la circulation [Fahrweg] au milieu, les trottoirs sur les deux côtés, cela est la répartition commune à toutes ces ‘Straßen’ tant que la plantation d’alignements d’arbres ne conduit pas à un autre type d’aménagment.” (Stübben 1924 [1890] : 67) “Pour être comprise, ‘Straße’ doit se détacher de la notion plus ancienne de ‘Weg’. Ce sont deux choses tout à fait différentes quant à leur nature mythologique. Le Weg [chemin] apporte avec lui les terreurs de l’errance, qui ont dû auréoler les chefs des tribus nomades. Aujourd’hui encore n’importe quel marcheur solitaire peut sentir dans les tours et les détours capricieux des Wege, la puissance des instructions anciennes sur les hordes errantes. En

191 Le Trésor des mots de la ville : une maquette au 1/5e

revanche, celui qui emprunte une Straße n’a pas besoin, en apparence, d’une main qui le conseille et le guide. Ce n’est pas dans l’errance que l’homme se livre à la Straße; il succombe au contraire à la fascination du ruban d’asphalte monotone qui se déroule devant lui.” (Benjamin 1982 [1927- 1940] : 647) “ Strasze [...], voie de circulation [verkehrsweg ] aménagée de grande importance. [...] 1) liaison non bordée de maisons alignées qui traverse le pays ; de nos jours, strasze se distingue de weg par son revêtement de meilleure qualité. [...] 2) en ville, voie pour voitures et piétons [fahr- und gehbahn] entre les alignements de maisons. [...] Strasze [...], détroit.” (*Grimm’s Deutsches Wörterbuch 1957 : 882, 883, 886, 904) “ Straße [...]. 1. (dans les villes et les villages, elle consiste normalement en une chaussée et deux trottoirs) voie de communication [Verkehrsweg] pour véhicules et pour (surtout dans les villes et les villages) piétons [...] 2. lieu étroit en mer servant de voie navigable” ( D uden. Bedeutungswörterbuch 1985 : 618)

Dans le domaine urbain, Straße est un terme générique d’origine latine qui désigne un espace aménagé pour la circulation automobile et piétonne. Terme plus ancien d’origine germanique, Weg désigne plutôt, dans le angagel moderne, un chemin moins bien aménagé ou moins clairement différencié en voies de circulation [Verkehrsbahnen] piétonne et automobile. Toutefois, un Weg bien construit et n’ayant qu’une seule fonction peut devenir une partie différenciée de la Straße : Fußgängerweg [pour les piétons], Fahrweg [pour les voitures]. En général, une Straße moderne est plus large qu’un Weg du fait de la différenciation fonctionnelle de son infrastructure technique. La Straße a aussi un rôle social structurant. Bien plus que le Weg, elle accueille la vie urbaine dans sa diversité et matérialise l’aspect public de l’espace urbain, même dans les cas où elle n’est pas conçue pour les véhicules à moteur, telles les Fußgängerstraßen [pour les piétons] de l’après-guerre. Mais même les Verkehrswege [voies de circulation], telles que les Hauptverkehrsstraßen [de circulation principale] ou Umgehungsstraßen [de contournement], qui ont pour fonction essentielle de canaliser la circulation automobile moderne dans les villes, sont, en raison de leur impact sur la forme de la ville, également appelées Straßen. Le mot germanique Bahn (XIIe siècle) connote davantage l’aspect technique. Dès l’apparition du mot, l’acte civilisateur de Bahnen [aplanir, frayer un chemin] se fond dans la trace physique qui en résulte, la Bahn [voie], et la direction du mouvement. C’est ainsi que Bahn désigne également le terre-plein [Bahnkörper] qui impose un sens à la circulation (d’où également Einbahnstraße [voie à sens unique]) et est surtout en rapport avec la circulation sur rail et les véhicules qui lui sont associés, comme Straßenbahn [tramway]. A partir des trois termes génériques Bahn, Straße et Weg, une multitude de mots composés ont été formés dans le langage courant pour désigner des phénomènes spécifiques d’ordre historique, local, fonctionnel ou autre. Ces composés conduisent parfois à effacer les différenciations des termes d’origine : Fußgängerstraße et Fußgängerweg signifient tous deux rue piétonne. Straße fut emprunté à “(via) strata ‘gepflasterter Weg [chemin pavé] (en tant que Heerstrasse [route militaire])’, du latin sternere (stratum) ‘élargir, lisser, etc.’” (Kluge 1999 [1883] : 800). L’emploi du mot pour désigner une Stadtstraße [de ville, urbaine] est attesté depuis le VIIIe siècle (*Grimm’s Deutsches Wörterbuch 1957 : 886). La notion de ville [Stadt] n’est donc pas automatiquement associée au mot Straße. Au sens figuré, Straße peut signifier la finalité des actes et de l’existence des êtres humains et, au sens concret, une Straße peut conduire en dehors, au delà de la ville : Durchgangsstraße [de passage, de transit], Hauptstraße [principale]). L’allemand ne distingue pas clairement les Stadtstraßen [de ville] des Landstraßen [de campagne] : les Straßen étaient tout d’abord des voies militaires et commerciales [Heer-, Handelsstraßen] qui reliaient des régions, traversaient les villes et étaient aménagées et entretenues par une puissance territoriale. Ce sont les Carolingiens qui transformèrent les anciennes voies romaines [Römerstraßen] en routes impériales [Reichsstraßen], tandis que les Landstraßen [de campagne], sans revêtement ni tracé bien défini, étaient davantage le résultat de l’enchaînement des villes qui constituaient

192 Le Trésor des mots de la ville : une maquette au 1/5e leur itinéraire. Les voies urbaines qui furent aménagées à partir du XIe siècle dans les villes riches régies par le droit communal restèrent, jusqu’au XVIIIe siècle, de bien meilleure qualité que les Landstraßen et les Wege empruntés par les fermiers des hameaux environnants. Ainsi Straße devint-il synonyme de richesse : si l’on trouvait quelque chose en abondance, alors on pouvait “paver les rues avec [mit etwas die Straße pflastern]”. (*Duden. Redewendungen 1985 : 697). La construction de Landstraßen pavées a commencé seulement au XVIIIe siècle, époque à laquelle le terme Chaussee devint courant pour désigner les Landstraßen en Prusse et en Allemagne du Nord. Aujourd’hui, le réseau routier [Straßennetz] allemand est organisé en Bundes-, Land-, Kreis- et Gemeindestraßen [fédérales, des Länder, des Kreise ou arrondissements et communales], la dernière catégorie étant également appelée Gemeindewege. En dehors des voies plantées dont le modèle fut importé de France à partir du XVIIIe siècle et qui sont appelées Allee, Boulevard et Avenue, on emploie Straße pour désigner avant tout les voies publiques [öffentliche Wege] aménagées et entretenues par la communauté urbaine et permettant l’accès aux habitations des citadins : Wohnstraßen [résidentielles]. Dans le mot Straße, réseau et trame se confondent : Straßennetz [réseau des Straßen] et Straßenraster [trame des Straßen] constituent le tissu urbain. “La städtische Straße [urbaine] est également appelée Gasse. À l’origine, ce mot désignait ‘l’espace entre des rangées de maisons situées en vis-à-vis, y compris les encorbellements, les saillies des toitures et des murs’” (*Grimm’s Deutsches Wörterbuch 1957 : 887). Ainsi, dit-on que l’on se trouve in der Gasse [dans la Gasse]. À l’opposé, la Straße était avant tout une “voie pour véhicules et piétons [située] entre des rangées de maisons” (*Grimm’s Deutsches Wörterbuch 1957 : 887). On se trouve donc auf der Straße [sur la Straße] qui, en ce sens, constitue seulement une partie de la Gasse. En revanche, Straße dépasse le contexte local de Gasse, en étant un élément d’un réseau viaire, d’où la fréquente traduction française de Gasse par “ruelle”. Selon les Grimm, toutefois, Straße et Gasse furent employés depuis le XIIIe siècle sans différenciation nette : “dans les dictionnaires des XVe et XVIe siècles platea (cf. all. Platz, fr. place) est traduit par strasze ou geestrichter Weg (cf. all. Estrich et fr. estrée, du latin sternere, stratum), gepflasterter weg [chemin pavé], [...] grande gassz ou strassz.” (*Grimm’s Deutsches Wörterbuch 1957 : 886). Le mot germanique Gasse fut peu à peu remplacé par le mot emprunté au latin Straße, sauf dans le sud de l’Allemagne et en Autriche où Gasse désigne encore aujourd’hui la “rue urbaine”, tandis que Straße signifie “route de campagne”. Dans le nord de l’Allemagne, en revanche, jamais Gasse ne fut limitée à une acception urbaine. C’est le mot Twiete qui désigne “en particulier à Hambourg, une ruelle [Gasse] étroite dans laquelle les véhicules ne peuvent se croiser.” (Wasmuths Lexikon... 1932 : 578). La Brandtstwiete à Hambourg est née d’un Privatgang [chemin privé]. À l’opposé de Straße, les termes Gang, Twiete et Gasse ne désignent pas seulement des voies publiques. Ainsi, c’est en frayant un Durchgang [passage] que l’on forme une Gasse, c’est à dire un “chemin [Weg] libre quelconque permettant de passer entre des objets” (Wasmuths Lexikon... 1930 : 582). “Gasse est un terme générique qui, bien qu’usité autrefois dans toutes les villes allemandes et encore aujourd’hui dans les villes du sud de l’Allemagne et en Autriche [...], ne trouve plus aucun adepte dans le nord de l’Allemagne, parce qu’on y associe volontiers, par erreur, la notion d’étroitesse et de saleté.” (Stübben 1924 : 61, cf. également Wasmuths Lexikon... 1930 : 582). On reconnaît ici la critique de la misère de l’habitation populaire à la fin du XIXe siècle, à laquelle on répondit par l’aménagement de Straßen aérées et lumineuses. Aujourd’hui, cette connotation négative de Gasse se retrouve dans certaines expressions : Gassi gehen [faire la Gasse], désigne la promenade quotidienne du chien qui, à cette occasion, fait ses besoins; Gassenhauer [litt. batteurs de Gasse] signifiait, à l’origine, “noctambules, avant de désigner leurs chants et leurs danses”. C’est seulement depuis le XXe

193 Le Trésor des mots de la ville : une maquette au 1/5e siècle que Gassenhauer est employé pour “chansons populaires à la mode” (*DTV-Lexikon 1997 [1982] : 213). Les dénominations telles que Lange Strasse [Longue], Hohe Straße [Haute], Königsstraße [Royale], expriment un rapport vécu à la rue, comme Schustergasse [des Cordonniers] renvoie aux activités et à l’organisation corporative qui prédominaient jadis dans cette rue. Ces Straßen ou Gassen moyenâgeuses étaient souvent trop étroites pour accueillir les marchés urbains et ceux-ci avaient lieu sur une place : Marktplatz, ou encore dans une rue : Marktstraße, comme dans les villes alémaniques fondées par les ducs de Zähringen (Fribourg, Berne, etc.). La Marktstraße [du Marché] est souvent une rue large, longue ou importante pour toute la ville, voire la région, elle est souvent appelée alors Breite Straße [Large] ou Hauptstraße [principale], comme dans l’anglais main street, ou le français Grand’ rue. Elle est dans ce cas la scène la plus importante de la vie urbaine, réunit les innerstädtischen Straßen [rues intérieures de la ville] et mène à la campagne environnante. Dans les noms de rue modernes, on trouve, à côté des références historiques ou politiques : Straße des 17. Juni [rue du 17 juin], Ludwigstraße [de Louis], des références sans aucun lien avec une réalité sensible : par exemple des noms de fleur. Pourtant, dans ce cas également, les noms de rue peuvent avoir été choisis dans le but de donner une identité au quartier. Ainsi, à Karlsruhe, dans le “quartier des musiciens” [Musikerviertel], qui date du début du XXe siècle, les Mozart-, Beethoven- et Weberstraße, avec leurs villas Art nouveau destinées à la bourgeoisie éclairée, se regroupent autour de la Haydnplatz. Les cités [Siedlungen] de réfugiés construites après la dernière guerre, avec leurs Pommern-, Ostpreußen- et Sudetenstraßen [de Poméranie, de Prusse orientale, des Sudètes], apparaissent comme des images projetées qui oscillent entre passé et futur. Et l’on peut retracer l’histoire de l’Allemagne dans les changements des noms des rues réalisés au cours du XXe siècle. La représentation moderne de Straße en tant que lieu public a évolué avec le développement de la vie urbaine contemporaine. Aujourd’hui, on habite dans la ...-straße [rue de...] et l’on désigne par ce nom, aussi bien les voies étroites d’un centre ville [Stadtkern] moyenâgeux, que les Straßenräume [litt. espaces des rues] des coulées vertes [Grünzüge] de la ville moderne d’après-guerre. La séparation spatiale entre le Weg [voie] proprement dit et le bâti correspond à une séparation plus marquée entre public et privé. L’ancien rapport de voisinage devient usage commun de l’espace public. La Straße est le “lieu de [...] la vie en commun, [...] de l’agitation, de la flânerie – [...] elle est un élément identitaire de la ville, indispensable pour le rapport de tension [qu’elle établit] entre privé et public.” (Vogel 1973 : 1 cité par Monheim 1975) Les différentes significations de la Straße en tant qu’espace social sont traduites dans le langage familier. Par l’expression die ganze Straße [toute la rue], on désigne l’ensemble des habitants d’une rue. Quand on dit die Straße abklappern [remonter la rue, litt. frapper partout dans la rue], on passe d’une maison à une autre dans une rue où les maisons se succèdent, et l’expression über die Straße gehen [aller en face, litt. passer sur la rue] implique une certaine proximité et une notion de voisinage. La Straße peut être le symbole de la vie urbaine des gens simples : der Mann von der Straße [l’homme de la rue] est le citoyen moyen, ein Mädchen von der Straße [une fille de la rue] est une prostituée. La Straße accueille les sans- abri et les chômeurs que l’on auf die Straße wirft [jette à la rue]. Stadt [ville] et Straße [rue], sont le berceau du prolétariat, donc des espaces politiques” : “les Straßen et les places sont nos légitimes moyens de communication de masse” (Hildebrandt 1968). La Straße est dehors, dans la ville, auf der Straße. [dans la rue, litt. sur la rue]. Dans son anonymat, on est soumis au danger, on peut auf offener Straße überfallen werden [se faire attaquer en pleine rue, litt. être attaqué sur la rue ouverte], on geht auf die Straße [descend dans la rue, litt. va sur la rue] pour se battre ou pour manifester en public. Et dans le Sud de l’Allemagne, on dit encore auf die Gass’ gehen [aller flâner, litt. aller sur la rue].

194 Le Trésor des mots de la ville : une maquette au 1/5e

Volker Ziegler

Voir Fußgängerzone, Magistrale, Passage, Promenade, Stadtautobahn, Trottoir Voir road (englisch), route (französisch), rue (französisch), ruelle (französisch), strada (italienisch), street (englisch), via (italienisch)

Sources primaires Benjamin, Walter. 1982. Das Passagen- Werk. Erster Band (Neue Folge Band 200). Francfort- sur- le - Main : Suhrkamp (écrit entre 1927 et 1940). Trad. fr. de Jean Lacoste : Paris Capitale du XIXe Siècle, Le livre des passages, Paris : Les Editions du Cerf, 1989 (citation ed. 1 982 : 647, trad. 1989 : 536) Hildebrandt, Dieter. 1968. “Die Straße als Massenmedium”, Frankfurter Allgemeine Zeitung, 22.2.1968 Stübben, Josef. 1924. Der Städtebau (Handbuch der Architektur IV. 9). Leipzig : J.M. Gebhardt’s Verlag. 3e éd. (1ère éd. 1890) Wasmuths Lexikon der Baukunst. 1930. Berlin : Ernst Wasmuth. Volume 2 Wasmuths Lexikon der Baukunst. 1932. Berlin : Ernst Wasmuth. Volume 4 Autres références Monheim, Rolf. 1975. Fußgängerbereiche : Bestand und Entwicklung; eine Dokumentation (DST- Beiträg e zur Stadtentwicklung, Série E, Cahier 4). Cologne : Deutscher Städtetag ______suburb (pl. suburbs) anglais Grande-Bretagne et Etats-Unis, nom et adjectif

Traductions “suburb s. fauxbourg , m.” (*Boyer 1762) “suburban [...] a. habitant d’un faubourg.” (*Clifton 1846) “suburban [...] adj. Suburbain .” (*Spiers 1850) “suburb [...] s. faubourg m., au pl. alentours mpl., environs mpl.” (*Clifton & Mac Laughlin 1904) “suburb [...] n. banlieue f. ; faubourg m.” (*Mac Laughlin & Bell 1954) “suburb [...] s. banlieue f. In the suburbs, dans la banlieue. Garden s., cité- jardin f.” “suburban [...] a. (a) suburbain; (maison, pavillon, train) de banlieue. (b) Pej : (of pers) à l’esprit étroit.”(*Harrap’s 1986)

Définitions “Londres, que sont tes Suburbes, sinon des bordels autorisés.” (Nashe 1904 [1567- 1601], 2 : 148) “ Suburb n.s. (Suburbium, Latin) 1. Bâtiment hors les murs d’une city [ville]. 2. Les confins, la partie extérieure. Suburban adj. Qui habite le s uburb .” (*Johnson 1755). “ Suburbs, n. pl. Les confins ou parties extérieures [confines or outparts] d’une ville [city]” “ Suburban, a. qui habite les suburbs d’une localité [place]” (*Webster 1806) [dictionnaire publié aux Etats- Unis] “Les suburbs de Sheffield sont très vastes et pittoresques, parsemés de belles mansions, villas et résidences privées [...]” ( Sheffield Directory 1865 : 738) “ suburban [...] adj et subst [...] A. adj. 1. Appartenant à un suburb ou aux suburbs d’une ville [ town]: qui habite, est situé ou mis en oeuvre dans les suburbs. 2. Par dérivation, Qui possède les traits considérés comme caractéristiques de la vie dans les suburbs d’une city; qui a les manières inférieures, l’étroitesse de vues, etc. attribuées aux habitants des suburbs.” ( * Oxford English Dictionary 1989) “une partie décentralisée d’une ville [city] à laquelle elle est inséparablement attachée par certains liens économiques et sociaux.” (Dyos 1961 : 22)

Les dictionnaires définissent suburb en termes territoriaux, par exemple comme “les parties résidentielles d’une ville [town or city] situées immédiatement au-delà de ses murs ou limites” (*Oxford English Dictionary 1989). On peut aussi définir ce mot d’un point de vue

195 Le Trésor des mots de la ville : une maquette au 1/5e fonctionnel, comme la partie d’une agglomération urbaine qui est dans la dépendance ou la zone d’influence de celle-ci (Thorns 1972). Par conséquent, suburb peut désigner des réalités spatiales variées par leur taille et leur distance au centre urbain. D’où les sous-catégories opposées industrial suburb et residential (ou dormitory) suburb [industriel, résidentiel, dortoir], inner suburb et outer suburb [proche, éloigné], middle -class suburb et working - class suburb [classe moyenne, classe ouvrière]. Le mot suburban, adopté à l’origine pour désigner à la fois un lieu et ses habitants, est utilisé aujourd’hui de façon plus générale, pour décrire un style de vie et une attitude d’esprit considérés comme caractéristiques des districts résdidentiels de la classe moyenne. Ce dernier usage a pris naissance en Angleterre dans la période victorienne (1837-1901), mais le mot suburb a une histoire beaucoup plus longue. L’usage médiéval s’appuyait sur la connotation extra-muros du latin suburbium, qui désignait un ou des districts bâtis extérieurs et adjacents aux limites de la ville qui, en un certain sens, venaient la prolonger (Keene 1976). Même lorsque les limites des juridictions urbaines furent étendues et annexés des suburbs dont la population était importante, une distinction terminologique fut maintenue entre la ville [town or city] dans les murs (ou toute autre limite physique, comme un fossé) et le suburb hors de ceux-ci. Selon les médiévistes, les gens qui étaient aux marges de la société urbaine habitaient fréquemment ces suburbs. Une citation du XIVe siècle suggère que ces districts étaient connus pour être des refuges de voleurs: “[J’habite] dans les faubourgs [suburbs] d’une grande ville [toun] [...] / Tapis dans les recoins et les impasses / Où tout naturellement brigands et voleurs / Elisent résidence, dans l’ombre et la peur” (Chaucer 1958 [1386] : 496-497). Le statut social inférieur du suburb mediéval était encore évident au XVIIe siècle, quand la réputation de certains suburbs de Londres pour la prostitution et le désordre s’exprimait dans l’usage de suburb comme adjectif dénotant “des habitudes de vie inférieures et avilissantes, en particulier licencieuses” (*Oxford English Dictionary 1989). Une illustration littéraire en est le récit que fait Dekker d’une marche nocturne du crieur public, où l’on peut lire: “Belzébuth [...] le sait que ces Suburb sinners [pécheresses, prostituées] n’ont que leurs jambes pour toute terre où habiter.” (Dekker 1884- 1886 [1608], 3 : 266) Le passage à la vie urbaine moderne en Angleterre s’accompagna du changement de la signification sociale du suburb. Ce fut un long processus dont les prémisses sont liées à la pratique des riches habitants de la Londres jacobéenne (1603-1625) d’acheter des petits domaines ruraux à faible distance de la ville, inaugurant ainsi un mode de vie dont le centre était une résidence extérieure à la ville (Lang 1974). Dèjà, dans des documents médiévaux, la terra suburbia comprenait parfois un vaste territoire rural qui entourait la ville [town] (Biddle 1976 : 256-259) et, au XVIIe siècle, suburbans et suburbians étaient désormais utilisés pour désigner les habitants des districts ruraux voisins de Londres. Au XVIIIe siècle, l’attrait pour les suburbs ruraux augmenta avec la mode des villa residences et cottages ornees [du français “orné”] que les riches utilisaient pour la villégiature d’été ou de façon plus permanente (Slater 1978). Des commentateurs sociaux comme Defoe (1774-1776) relevaient alors la tendance à la séparation de la résidence et du lieu de travai et l’accroissement des déplacements pour aller à ses affaires – ce qui sera par la suite considéré comme un trait distinctif du suburb moderne. À partir du début de la période victorienne (1837-1901), à Londres comme dans les villes de province, les districts extérieurs furent transformés de façon systématique en quartiers de résidence, et ceux qui réussirent le mieux – comme Edgebaston à Birmingham et Headingley à Leeds – contribuèrent à transformer le suburb en un emblème de respectabilité pour la classe moyenne. Cette tendance à aller résider hors des villes était pour une part la conséquence de la congestion et de la pollution des centres villes, mais elle tenait aussi à des changements fondamentaux dans les attitudes envers la ville et la campagne, qui donnèrent au suburb victorien la signification symbolique d’une idylle pastorale de félicité domestique

196 Le Trésor des mots de la ville : une maquette au 1/5e

(Dyos & Reeder 1973). Le suburb en vint à matérialiser un ensemble de valeurs culturelles liées à une idéologie bourgeoise en formation, la plus importante étant la vie privée et domestique, renforcée par l’attirance pour une vie ségrégée dans des domaines résidentiels [residential estates] construits de maisons unifamiliales dotées de jardins (Hall & Davidoff 1986). Le discours des réformateurs sociaux de l’époque victorienne créditait la vie suburbaine d’attributs moraux qui constrastaient fortement avec une perception de la ville comme anarchique et immorale. D’où le pouvoir évocateur de termes comme retreat [retraite], haven [hâvre], citadel [citadelle] qui accompagnaient les descriptions de “la fuite vers les suburbs”, et le lieu commun qu’était devenue la métaphore du suburban home comme “the Englishman’s castle [le château de l’Anglais]”. Ces images stéréotypées furent depuis lors utilisées comme arguments commerciaux. D’après le romancier nord-américain Henry James, ce que recherchaient les classes moyennes dans le suburb était “la combinaison de la densité et de la ruralité” (James 1877). Ce qui approchait le plus cet idéal était le domaine résidentiel [housing estate] de basse densité où étaient construites pour la vente des villas indépendantes ou jumelles [detached or semi detached] avec jardin individuel, disposées selon la tradition de l’aménagement pittoresque des jardins (Olsen 1976). À partir des années 1840, les chemins de fer permirent de construire de tels ensembles de plus en plus loin et, dans les années 1860, le détenteur d’un abonnement de première classe était devenu un type social bien identifié. Les inner suburbs étaient construits de maisons en bande [terraced housing] plus denses, bien que villa et cottage demeurassent l’idéal de l’architecture domestique suburbaine qu’incarnaient les aménagements pittoresques promus par les avocats des garden suburbs issus des théories de la cité jardin [garden city](Howard 1898), comme Hampstead Garden Suburb, le premier à avoir été conçu comme tel en 1907. Au XXe siècle, le terme garden suburb fut adopté pour désigner les housing estates suburbains de faible densité, y compris ceux que construisaient les municipalités selon les recommandations du Tudor Walters Report de 1918 (Local Government Board 1918). Le mouvement de population vers les suburbs s’accéléra à partir de la fin du XIXe siècle et, au début du suivant, la construction des districts ruraux commença à être appelée suburbanisation. Des tarifs de chemin de fer bon marché et de nouvelles lignes de tramway rendirent accessibles les suburbs à la petite classe moyenne et aux classes ouvrières, donnant naissance à ce qu’on journaliste appela “the rise of the suburbs [l’essor, le triomphe des suburbs]” (Lowe 1891). L’entre-deux-guerres vit apparaître la décentralisation suburbaine des industries et l’expansion des suburbs le long des routes, radiales ou de traverse. Le phénomène du commuting [déplacement quotidien de travail] était bien établi et reconnu dès cette époque et le mot commuter, importé des Etats-Unis, fit son entrée dans un dictionnaire comme “commutor : détenteur d’un season ticket [abonnement de chemin de fer]” (*Parish & Crossland 1933). Mais c’est seulement en 1944 qu’on le trouve dans un dictionnaire d’anglais standard, avec pour définition: “le détenteur d’un season (commutation) ticket” (*Oxford English Dictionary 1944), celle-ci devant s’élargir ensuite à celui qui se déplace chaque jour pour se rendre à son travail. Dans les années d’après-guerre, commuterland était couramment utilisé comme synonyme de suburbs, par exemple dans un guide de “la vie rurale à proximité de Londres” publié par le Sunday Telegraph (McGhie 1997). “L’essor de suburbia” est aujourd’hui considéré comme un épisode particulier du développement urbain en Angleterre (Thompson 1982). L’Oxford English Dictionary (*Oxford English Dictionary 1989, 17 : 87) date ce mot de 1896 et le caractérise comme “un quasi nom propre pour The suburbs”. Il était utilisé au début du XXe siècle, particulièrement en référence à Londres, pour décrire la formation d’une aire urbaine continûment bâtie et d’un nouveau type social: les suburbans ou suburbanites, qui étaient considérés comme dotés d’attitudes sociales et politiques particulières (Masterman 1909). Dès le début suburbia fut

197 Le Trésor des mots de la ville : une maquette au 1/5e l’objet de commentaires condescendants, dont beaucoup prenaient pour cible les prétentions sociale et la médiocrité culturelle de la petite classe moyenne. Selon un contemporain, le mot suburban était devenu “une sorte d’étiquette qui pouvait être attachée à presque absolument tout qui est de condition médiocre” (Crossland 1905 : 141). Cette critique antisuburban s’aiguisa au cours du XXe siècle quand, au-delà des connotations péjoratives du terme, des intellectuels mirent en cause le processus suburbain lui-même. Les suburbs étaient critiqués à cause de l’“étalement non planifié [unplanned sprawl]” et le “développement en tache d’huile [ribbon development]”, l’“influence homogénéisante de la culture suburbaine”, la “torpeur de l’électeur suburbain” ou la vulnérabilité féminine à la “névrose suburbaine”. L’utopie bourgeoise avait fait place à subtopia, terme inventé par un critique d’architecture pour désigner une situation d’ennui universel (Nairn 1950 : 365). Il est paradoxal que le suburban way of life [mode de vie], qui est une partie intégrante de la culture anglaise et dont les avantages sont toujours très appréciés, continue à être considéré comme “provincial, non sophistiqué et naïf” (*Chambers 2000), significations qui persistent quel que soit le contexte. Les stéréotypes sur la vie suburbaine ont depuis longtemps fait partie, à de notables exceptions près, de l’imagination littéraire. À la fin du XXe siècle, ils ont été adoptés, parfois avec humour, parfois avec hostilité, par les médias et les chansons populaires. Surburbia n’existe pas seulement comme un espace architectural, géographique et social, mais aussi comme “forme et contenu de textes et d’images” (Silverstone 1997 : 3). David A. Reeder

Aux Etats-Unis, le mot suburb a toujours manqué de clarté géographique. Il désigne un établissement humain situé au-delà de la limite de ce que le locuteur choisit de définir comme ville [city]. En même temps, il est convenu qu'il s'agit d'un endroit qui ne peut pas être qualifié de rural. Cette imprécision a permis au mot d'être chargé d'attributs sociaux variables selon les préoccupations de chaque époque. Quand Noah Webster inclut les mots suburb et suburban dans le premier dictionnaire du pays (*1806), il avait aux Etats-Unis peu de villes et celles-ci étaient petites. New York ne comptait alors que 61 000 habitants (Gilchrist 1967 : 41) et les villages [villages] qui entouraient New York, Boston et Philadelphie étaient désignés par leurs toponymes et non par la catégorie de suburbs. Mais les familles de marchands connaissaient Londres et Paris, et il est vraisemblable que suburbs leur évoquait les images des chemins de terre, des champs et des briquetteries de l'East Side de Londres, ou celles des friches, des enclos à bestiaux et des saltimbanques que l'on pouvait trouver hors des portes de Paris. Une quarantaine d'années plus tard, les groupes de résidences de gens fortunés formant des villages aux alentours de New York, Boston et Philadelphie commencèrent à donner au mot suburban une signification proche de celle qu'il avait dans l'Angleterre du XVIIIe siècle: des endroits où se groupaient des maisons d'été et des résidences de gens qui allaient chaque jour travailler en ville (Stilgoe 1988). En 1844, l'influent architecte Andrew Jackson Downing proposa un modeste suburban cottage parmi une série de plans de maisons toutes entourées de vastes jardins (Downing 1844 : 35-37). De telles maisons entourées d’un jardin devaient demeurer une nouveauté pendant quelques années. Sidney George Fisher, qui tint son journal à Philadelphie, n'était pas au clair sur la façon de nommer de tels endroits lorsqu'il notait que des gens allaient travailler en ville grâce aux nouvelles lignes de voitures à cheval. Il qualifiait la maison elle-même de “suburban, ou villa [villa], ou country house [maison de campagne]” (cité par Wainwright 1967 : 316). Cette hésitation suggère que les mots suburb et suburban pour désigner des établissements résidentiels aux marges des villes nord-américaines n'entrèrent pas dans l'usage commun avant les années 1850. Ils ne sont pas utilisés par les entrepreneurs de bâtiment à propos de Cambridge, près de Boston, avant les années 1860

198 Le Trésor des mots de la ville : une maquette au 1/5e

(Binford 1985), ni pour décrire Brooklyn, près de New York, avant les années 1870 (Jackson 1985). L'architecte paysagiste Frederick Law Olmsted dessina des douzaines de suburbs dans les années qui suivirent la Guerre civile. Sa première commande (1868) concernait le plan du suburban village de Riverside à Chicago et, avec son associé – qui affirmait que “la ville [city] n'a pas encore de vrais suburbs” –, il établit alors des critères qui marqueront durablement les suburbs nord-américains: séparation entre “rues commerçantes et rues d'habitation [business and dwelling streets]”, “abondance d'espace comme à la campagne” dans les rues d'habitation et les maisons disposeraient des “avantages modernes” en même temps que de “légers éléments ruraux” (cité in Sutton 1971 : 292-293). Downing et Olmsted, qui tous deux avaient eu l'expérience de l'Angleterre semblent avoir joué un rôle important dans l'usage et la popularisation du mot. Une série d'innovations dans les transports – de la voiture à cheval et du chemin de fer à l'automobile – permirent à des millions de nord-américains de s'installer dans des residential suburbs de basse densité à la périphérie des villes. Dans la première étude systématique de l'urbanisation nord-américaine, le statisticien Adna Ferrin Weber, comparant les suburbs, les suburban towns et la suburban growth [croissance suburbaine]” aux Etats-Unis et en Europe, relevait que le “penchant [américain] pour habiter dans des cottages homes” était la cause essentielle du contraste entre les deux (Weber 1899 : 458, 462, 471, 473). La séparation avec les activités commerciales, les alentours boisés et les commodités modernes mirent les residential suburbs à part de la ville. Le contraste entre les deux environnements donna au mot suburb une force qui tenait à la fois à une mode culturelle et à une différence pratique de conditions de vie. Au tournant du XXe siècle, les suburbs pouvaient être regardés comme “une base solide pour espérer que les maux de la ville en ville, dans la mesure où ils résultent du surpeuplement [overcrowding], peuvent pour une large part être supprimés” (Weber 1899 : 469, 475), même si certains réformateurs du logement considéraient “tous les plans pour une solution suburbaine [suburban relief] comme étant à ce jour utopiques” (Riis 1890 : 215). Bien entendu, la réalité de la croissance urbaine montrait des choses assez différentes à ceux qui prenaient la peine de les examiner. Le romancier William D. Howells, en racontant ses déambulations de 1870 dans un suburb de Boston, décrit des maisons délabrées des immigrants pauvres parsemées d'îlots [blocks] de belles maisons neuves (Howells 1898 : 61- 73). Un travailleur social intéressé aux évolutions de l'industrie au début du XXe siècle, inventa le terme “satellite cities [villes satellites]” pour décrire les nouvelles localisations suburbaines des grandes usines et de leurs ouvriers (Taylor 1915). Quelques années plus tard, en 1925, un ecclésiastique intéressé par les services sociaux des Eglises mena une vaste enquête dans les suburbs du pays. Il observa une floraison de suburbs de toutes sortes: pour les riches ou les pauvres, les familles jeunes ou les retraités, les blancs ou les noirs, les prisons ou les parcs de loisirs [amusement parks]. Il concluait que le suburb américain signifiait seulement “la ville dispersée [the city thinned out]” (Douglas 1925) L’expansion continue des villes nord-américaines vers l’extérieur donna le jour à une abondante littérature sur la décentralisation [decentralization] et à des travaux universitaires sur les agglomérations urbaines que l’on qualifiait de metropolitan [métropolitaines]. En 1933, le sociologue R. D. McKenzie décrivait une constellation de communities – villages, towns and cities – en utilisant les termes bien établis de suburbs et satellites, mais aussi en essayant un nouveau vocabulaire: “center and rim [centre et bordure]”, “intermediary settlement [établissement intermédiaire]”, “supercommunity [super-communauté]” and “city region [ville-région]” (McKenzie 1933 : 186, 312-313). Il observait que certaines de ces localités était “principalemnt des agglomérations de logements de migrants alternants

199 Le Trésor des mots de la ville : une maquette au 1/5e

[agglomerations of commuter’s dwellings] tandis que d’autres étaient des villes [cities] indépendantes.” (McKenzie 1933 : 175) Les tendances qui se manifestaient depuis un siècle explosèrent après la Seconde Guerre mondiale sous la forme de vagues continues d’expansion urbaine de basse densité. Ce qui avait été auparavant l’une des modalités de la croissance urbaine en était devenu la forme dominante. Les suburbs étaient désormais extrêmement populaires, mais leur triomphe les avait fait cesser d’être distingués. L’usage ordinaire du terme suburb n’impliquait plus une enclave résidentielle pour gens fortunés et commença à se charger de connotations négatives. Dès avant la guerre, l’essayiste Lewis Mumford se moquait des “suburbanites [habitants des suburbs]” qui “copiaient le romantisme des Byron et des Lamartine” (Mumford 1938 : 216). Dans les années 1950, des commentateurs accusaient la stratification par classes des suburbs d’engendrer le conformisme social. L’uniformité architecturale de beaucoup des nouveaux lotissements [subdivisions] était considérée comme un indice que la culture populaire des résidents était celle de l’ennui (Keats 1956, Whyte Jr 1958). Ces critiques continuèrent dans les années 1960 et 1970 lorsque le mouvement pour les droits civiques fit apparaître que l’exclusion raciale prévalait presque partout (Massey & Denton 1988, Martin & Warner Jr 1999). Plus récemment, quelques auteurs se sont faits les avocats des suburbs (Wetherell 1985, Waldie 1996, Martinson 2000). Les suburbs continuent aujourd’hui à être la forme la plus commune de l’expansion urbaine aux Etats-Unis et la réputation de chacun d’eux est aussi variable que peuvent l’être leur histoire et leur composition de classe. Cette forme d’urbanisation suburbaine à basse densité est devenue si générale qu’elle a nourri un grand nombre de néologismes. Celui de suburbanism, considéré comme un “mode de vie” (Gans 1962 : 625) et celui de suburbanization, définie comme “la croissance régulière et systématique des aires périphériques [fringe areas] à un rythme plus rapide que celle des aires centrales” (Jackson 1973 : 197). Les contractions argotiques et légèrement péjoratives ‘burb et ‘burbs sont entrées dans la langue écrite (Davis 1994). De même des inventions comme technoburb pour un lieu de concentration d’industries nouvelles (Wunsch 1995 : 651), boomburg pour une localité suburbaine à croissance rapide et ethnoburb pour un suburb qui regroupe des immigrants d’une origine particulière (El Nasser 2001, Wei 1999). Spectorsky (1955) inventa la terme exurban pour désigner les aires semi-rurales à la limite des métropoles, et ce mot est passé dans l’usage courant (Pollen 2001). Un livre souvent cité intilulé Edge City a conduit à désigner désormais comme edge cities ce qu’on appelait auparavant satellite cities (Garreau 1991). Sam Bass Warner, Jr.

Voir city centre, estate, neighbourhood Voir banlieue (fr), faubourg (fr), suburbio (it)

Sources primaires Chaucer, Geoffrey. 1386. Canterbury Tales. The Canon’s Yeoman’s Prologue, lines 105- 9, in Cawley, Arthur Clare (ed). Canturbury Tales, VIII, 656- 660. Revised ed. London: J.M.Dent and Sons Ltd, 1958 : 496- 7. Trad. fr. André Crépin, Les contes de Canterbury , Paris, Gallimard (Folio), 2000, p. 556. Crossland , Thomas William Hodgson. 1905. The Suburbans. London: John Long. Davis, Judy C. 1994. “The New ‘Burbs: the exurbs and their implications for planning policy”. Journal of the American Planning Association, 60, Winter : 45- 59. Defoe, Daniel. 1774- 6. A Tour.Thro’ Great Britain . George D.H. Cole. (ed.). 1937. Vols 1: 6, 165- 9;Vol 2: 2 - 4,12- 13. Dekker, Thomas. 1608. Lanthorne and Candle - light. Or the Bellmans second night walke. London: John Busbie. Reprinted in Grosart, Alexander B. 1884- 86. Literary Works. London and Aylesbury: privately printed. Vol iii : 266. Douglas, Harlan Paul. 1925. The Suburban Trend. New York: The Century Co. Downing, Andrew Jackson. 1844. Cottage Residences. New York: Wiley & Putnam.

200 Le Trésor des mots de la ville : une maquette au 1/5e

Dyos, Harold James. Victorian Suburb. A study of the growth of Camberwell. Leicester: Leicester University Press, 1961 : 22. El Nasser, Haya. 2001. “Big ‘Burbs’ Rival Central Cities”. USA Today,. June 22. Gans, Herbert J. 1962. “Urbanism and Suburbanism as Ways of Life”, in A rnold M. Rose (ed.), Human Behavior and Social Processes. Boston: Houghton Mifflin : 625- 648. Garreau, Joel. 1991. Edge City: Life on the New Frontier. New York: Doubleday. Howard, Ebenezer. 1898. Tomorrow: A Peaceful Path to Real Reform . Rev 1902 as Garden Cities of Tomorrow. London: Sonneschein. Howells, William Dean. 1898. Suburban Sketches. Boston: Houghton, Mifflin Co. Jackson, Kenneth T. 1973. “The Crabgrass Frontier :150 Years of Suburban Growth in America”, in Raymond Mohl & James F. Richardson (ed.), The Urban Experience : Themes in American History . Belmont, Calif.: Wadsworth Publishing Co. James, Henry. 1877. “The Suburbs of London”. Galaxy, vol xxiv: 778. Keats, John. 1956. The Crack in the Picture Window . Boston: Houghton Mifflin. Local Govern ment Board. 1918. Report of the Building Construction of Dwellings for the Working Classes Committee [Tudor Walters Report]. Parliamentary Paper, Cd 9191. London : HMSO. Lowe, Sydney J. 1891. “The Rise of the Suburbs: A Lesson of the Census”. Contemporary Review, vol lv: 545- 558. Martinson, Tom. 2000. American Dreamscape. New York: Carroll & Graf. Masterman, Rt Hon Charles Frederick Gurney. 1909. The Condition of England. London: Methuen and Co. McKenzie, Roderick D. 1933. The Metropolitan Community. New Y ork: McGraw - Hill Book Co. Mumford, Lewis. 1938. The Culture of Cities. New York: Harcourt Brace. Nairn, Ian. 1955. Outrage etc (On the disfigurement of town and countryside). Westminster: Architectural Press. Nashe, Thomas. 1904 [1567- 1601]. Works. Reprinted in McKerrow, Ronald B. (ed.). 1904. [S.I.], Bullen, 2 vol. Pollen, Michael. 2001. “Is This Country Living? Ask the Cows”. New York Times, September 27. Riis, Jacob A. 1890. How the Other Half Lives. New York: C. Scribner’s (New York : Hill and Wang, 1957) Sheffield Directory. 1865. London: Thomas Kelly. Spectorsky, A.L. 1955. Exurbanites. Philadelphia: J. B. Lippincott. Taylor, Graham Romeyn. 1915. Satellite Cities : A Study of Industrial Suburbs. New York: D. Appleton & Co. Thorns, David C. 1972. Suburb ia. London:MacGibbon and Kee. Waldie, D. J. 1996. Holy Land : A Suburban Memoir. New York: W.W. Norton. Weber, Adna Ferrin. 1899. The Growth of Cities in the Nineteenth Century : A Study in Statistics. New York: Macmillan. Wei Li. 1999. “Building Ethnoburb ia”. Journal of Asian American Studies, 2 : 1 - 28. Wetherell, W.D. 1985. The Man Who Loved Levittown. Pittsburgh: University of Pittsburgh Press. Whyte, Jr., William H. 1958. The Organization Man. New York: Simon & Schuster. Wunsch, James L. 1995. “The Suburban Cliché”. Journal of Social History , 28, Spring : 643 sq. Sources secondaires Binford, Henry C. 1985. The First Suburbs : Residential Communities in the Boston Periphery 1815- 1860. Chicago: University of Chicago Press. Jackson, Kenneth T. 1985. The Cra bgrass Frontier: The Suburbanization of the United States. New York: Oxford University Press. McGhie, Caroline. 1997. The Sunday Telegraph guide to commuterland: country life within reach of London. London: Aurum Press. Sutton, S. B. 1971. Civilizing American Cities : A Selection of Frederick Law Olmsted’s Writings on City Landscapes. Cambridge: MIT Press. Wainwright, Nicholas B. (ed.). 1967. A Philadelphia Perspective, the Diary of Sidney George Fisher Concerning the Years 1834- 1871. Philadelphia: The H istorical Society of Pennsylvania. Autres références

201 Le Trésor des mots de la ville : une maquette au 1/5e

Biddle, Martin. (ed.). 1976. Winchester in the Early Middle Ages: an Edition and Discussion of the Winton Domesday. Winchester Studies, I., Oxford: Oxford University Press. Dyos, Harold James and Reeder, David A.1973. “Slums and suburbs”, in : Dyos, Harold James and Wolff, Michael. (eds). 1973. The Victorian City: Images and Reality. London : Routledge and Kegan Paul. Vol 1 : 359- 386. Gilchrist, David T. (ed.). 1967. The Growth of Seaport Cities 1790- 1825. Charlottesville, Va.: University Press of Virginia. Hall, Catherine and Davidoff, Leonore.1987. Family fortunes: men and women of the English middle class 1780- 1850. London : Hutchinson. Keene, Derek .J. 1976. “Suburban Growth”, in : Barley, M.W. (ed.) . The Plans and Topography of Medieval Towns in England and Wales. London: Council for British Archaeology Research Report 14. Reprinted in Holt, Richard and Rosser, Gervase. (eds). 1990. The Medieval Town A Reader in English Urban History 1200- 1540. London: Longman : 97- 119. Lang, R.G. 1974. “Social origins and social aspirations of Jacobean London merchants”. Economic History Review , 2nd ser., vol. 27, no 1 : 28- 47. Martin, Judith A. & Sam Bass Warner, Jr. 1999. “Local Initiative and Metropolitan Repetition, Chicago 1972- 1995”, in Robert Fishman (ed.), The American Planning Tradition. Washington, D.C.: The Woodrow Wilson Center Press : 263- 295. Massey, Douglas S. & Nancy A. Denton. 1988. “Suburbanization and Segregation in U. S. Metropolitan Areas”. Americ an Journal of Sociology, 94, November : 594 ff. Olsen, Donald J. 1976. “The Villa and the New Suburb” in Olsen, Donald J. The Growth of Victorian London. London: Batsford : 187- 264. Silverstone, Roger. 1997. “Preface”, in : Silverstone, Roger (ed.). Visions of Suburbia. London and New York: Routledge. : 3. Slater, Terence R. 1978. “Family, society and the ornamental villa on the fringes of the English country town”. Journal of Historical Geography, vol 4.no.2 : 129- 144. Stilgoe, John R. 1988. Borderland s : Origins of the American Suburb, 1820- 1939. New Haven: Yale University Press. Thompson, Francis Michael L. (ed.).1982. The Rise of Suburbia. Leicester: Leicester University Press. ______suburbio, pl. suburbi italien, nom masc.

Traductions “ suburbano adj., […] Qui est autour d’une ville, ou qui en dépend.” (*D’Alberti de Villeneuve 1835) “ suburbio s.m. [agglomerato di case nella zona periferica della città], faubourg.” (*Robert & Signorelli 1981)

Définitions “ subùrbio , terme littéraire : sobborgo [faubourg], suburbio di Roma.” (*Petrocchi 1931) “ suburbio , […] En urbanisme, l’ensemble des sobborghi [faubourgs] qui entourent un centre habité, c’est- à - dire la zone dans laquelle les nouveaux bâtim ents qui constituent l’agrandissement progressif du centre même, se répandent. Il est généralement synonyme du plus commun periferia [périphérie, banlieue].” (*Lessico universale italiano 1979) “ suburbio , […] Agglomération plus ou moins étendue de bâtiments qui se développent aux marges d’une ville ; sobborgo […] ; l’ensemble des quartiers [ quartieri] qui constituent la periferia d’une ville.” (*Battaglia 2000)

Le terme suburbio concerne les limites mouvantes des centres urbains. Il vise les territoires de frontière entre zone urbanisée et milieu rural, notamment dans le cas de Rome. Enraciné dans cette signification depuis la période antique et médiévale, utilisé dans le langage historique et littéraire ainsi qu’administratif entre le XIXe et la première moitié du XXe siècle, le mot suburbio n’est plus très répandu aujourd’hui. Il désigne en général les constructions et les espaces périurbains, comme en témoigne sa synonymie, soulignée par les dictionnaires, avec

202 Le Trésor des mots de la ville : une maquette au 1/5e les mots sobborgo [faubourg] ou, plus récemment, periferia [périphérie], qui l’ont désormais supplanté dans l’usage courant. La locution latine sub urbe, utilisée dans la langue parlée du IIe siècle av. J.-C. (comme en témoignent Plaute ou Térence) pour désigner des terrains proches du centre urbain, mettait en valeur le rapport hiérarchique entre le cœur de la ville et ses alentours (Grilli 2000). Pendant la période romaine, c’était toutefois le mot pomerium qui désignait l’espace sacré autour de l’enceinte urbaine. Au-delà il y avait le suburbium, un territoire d’une extension considérable qui entourait la ville à partir d’une certaine distance de l’enceinte. Selon la définition qu’en donnait Cicéron, ce mot désignait généralement la périphérie urbaine (*Castiglioni & Mariotti 1966). Les sources mettent en évidence l’emploi, en parallèle, du terme suburbanum. Adjectif sous-entendant le mot praedium (terre), il ne désignait pas, pour autant, potagers et jardins suburbains seulement, mais aussi des villas, dont un réseau important s’étendait dans le suburbium romain (Pergola, Santangeli Valenzani & Volpe 2003). La terminologie latine persista dans la période médiévale, en se mêlant avec d’autres termes. Dans la langue des actes et des statuts du XIIe et XIIIe siècle, on désignait par un seul mot, suburbium, l’ensemble du territoire entourant la civitas [ville]. Il comprenait les burgi ou continentia aedificia, c’est-à-dire les constructions implantées au-delà des portes de la ville, mais aussi les subburgi ou suburbia, c’est-à-dire les bourgs qui s’étaient développés plus loin vers la campagne. Les mots suburbium ou suburbia étaient aussi des synonymes de burgus ou burgi (De Vergottini 1929). Les burgi et leurs habitants pouvaient être considérés comme partes civitatis, même s’il y avait séparation physique entre la ville au sens strict du terme et les bourgs extra-muros. C’était le cas de la contrada ou vicinia de Chievo [contrata seu vicinia Clevi], située dans les suburbia de Vérone, et pourtant juridiquement annexée à la contrada urbaine de S. Zeno (Chiodi 2000). Les sources du droit civil et ecclésiastique de l’époque ne donnent pas de définition univoque de l’extension du suburbium. Celle-ci changeait selon les usages et les statuts de chaque ville, et au fur et à mesure de la construction d’enceintes successives (Chiodi 2000). Les statuts communaux de Pistoia (XIIe siècle) illustrent déjà un découpage circulaire de l’espace juridictionnel autour du noyau urbain, donnant un statut spécifique aux habitants des faubourgs limitrophes de l’enceinte, les suburbani, proche de celui des cives [habitants de la ville] et différent de celui des foretani, qui habitaient dans le comitatus ou contado [campagne autour de la ville] (Bocchi 1977, 1987). Les statuts de Bologne (1288) ou, deux siècles plus tard, ceux de Lucques (1490), montrent encore cette division concentrique des alentours de la ville, où se distinguait une couronne proche du centre urbain : la guardia civitatis à Bologne (Benevolo 1992) ou les burgi extra muros (S. Anna, S. Donato, S. Concordio et S. Filippo) à Lucques (Bocchi 1977). Cette couronne constituait la portion la plus interne d’un suburbium dont la partie extérieure était désignée de diverses façons, qui toutes exprimaient un même dessein de contrôle politique de la ville sur le territoire environnant : ainsi, parlait-on des culture à Vicence et des chiusure à Brescia, ou des sei miglia à Lucques et des masse à Sienne (Berengo 1999). Au seuil du XVIIIe siècle, le terme suburbio n’était pas enregistré dans les dictionnaires (Crusca 1697). Il se diffusa, au siècle suivant, pour dénommer des territoires périurbains qui s’étaient anciennement développés autour des villes. Le guide de Sienne rédigé par Ettore Romagnoli en 1836 en est un exemple éloquent. Dans la présentation des monuments de la ville et de ses alentours, l’auteur décrit les suburbj des Portes Ovile, S. Viene, Tufi, S. Marco, Fontebranda, Romana et de Camollia. Pour les deux derniers, il s’agit de véritables quartiers intégrés dans la vie urbaine, qui existaient avant la prise de Sienne par les armées de Charles V et de Côme Ier (1555). Ainsi, le suburbio della porta di Camollia était décrit comme “ un borgo [faubourg], avec des hôpitaux, des monastères et des couvents ”, sorte de petit village qui comprenait huit cents maisons avant le siège et fut détruit ensuite. Dans ce contexte, on

203 Le Trésor des mots de la ville : une maquette au 1/5e remarque aussi l’occurrence du mot massa, désignant depuis le haut Moyen Age les trois portions de territoire autour de la ville, au-delà des suburbia, soumises à la juridiction des trois secteurs urbains [terzi] (Bortolotti 1982). Le terme suburbio était ainsi intégré par Romagnoli au lexique des anciennes divisions territoriales, visant un rapport ville-campagne néanmoins en évolution, comme l’atteste la réduction de trois à deux du nombre des masse par la réforme léopoldine des administrations locales, introduite à Sienne en 1786 (Carpinelli 1990). Dans la seconde moitié du XIXe siècle, l’émergence du mot suburbio dans le discours politico-administratif sur la ville contemporaine est attestée dans le débat autour du statut des territoires suburbains de Milan, les anciens Corpi Santi. Devenus une commune autonome en 1781, deux fois annexés et séparés de Milan entre 1797 et 1816 (Pagano 1994), leur réunion à la ville fit encore l’objet de discussions dans les années précédant leur rattachement définitif en 1873 (Della Peruta 1992, Mocarelli à paraître). Intervenant à propos des dazj suburbani di Milano, Carlo Cattaneo mettait alors l’accent sur les enjeux économiques de leur autonomie (1863). Dans ce contexte, le terme suburbio, synonyme désormais de sobborghi esterni [faubourgs extérieurs], désignait quasiment un centre urbain distinct – Milano esterna – qui était, “ après le Milan intérieur, […] la plus grande et industrieuse ville de Lombardie ”. Toutefois, le suburbio était surtout regardé comme appartenant à l’espace social et économique de la ville : il était défini comme le porto franco de Milan et la popolazione suburbana était considérée par Cattaneo comme un élément de la croissance démographique de la ville elle-même. Dès les années 1880, alors que l’administration municipale de Milan commença à orienter l’expansion urbaine vers cette zone et à la transformer de lieu d’approvisionnement agricole en un lieu de production industrielle (Sapori 1962), les occurrences du mot suburbio se multiplièrent, depuis l’ouvrage de Fumagalli, Sant’Ambrogio et Beltrami, paru en 1892, qui retrace en trois volumes (dont l’un consacré exclusivement au suburbio) les souvenirs d’histoire et d’art de la ville, jusqu’à la revue Il suburbio : organo degli interessi suburbani, publiée à Milan à partir de 1895. C’est toutefois dans le cas de Rome que l’emploi du mot passa au premier plan du discours urbanistique. Au début du XIXe siècle, un motu proprio du pape Pie VII (1802) donnait une définition du suburbio encore très liée à la production agricole et à son inscription dans le cadastre définissant le régime fiscal des terrains suburbains (Ceroni 1942). Au lendemain de l’annexion de Rome à l’Italie (1870), la diffusion du mot suburbio demeurait assez forte en tant que dénomination générale des alentours immédiats de la ville, comme cela apparaît dans les guides administratifs et topographiques (Monaci 1877, Gandolfi 1886) et dans le contexte de la recherche archéologique qui, au début du XXe siècle, s’appropria ce terme dans le recensement topographique des nouvelles fouilles (Cantarelli 1916, Gatti 1927). Dès 1924, Giuseppe Lugli utilisa la locution suburbio di Roma pour désigner le cadre rural des anciennes villas romaines autour de la capitale. Le mot s’imposa aussi dans le lexique administratif de la ville. En 1931, quand le plan régulateur sanctionna le franchissement par l’urbanisation de la muraille antique d’Aurélien, suburbio s’intégra au système lexical des divisions du territoire communal : à côté des 14 rioni de la ville ancienne et des 22 quartieri qui les entouraient, une couronne de 12 suburbi – dont chacun reçut un nom – fut créée autour des aires urbaines plus centrales. Les limites des suburbi s’étendirent vers l’extérieur dès l’année suivante (1932), leur nombre passa à 11 en 1940, puis subit une importante réduction dans les années 1950, lorsque l’administration municipale en démembra cinq afin de créer de nouveaux quartieri (Seronde-Babonaux 1980, Vallat 1995, Vallat 2003). Même dans la langue administrante, le mot suburbio désigne toujours des espaces situés entre ville et campagne, ce qui explique la persistance des divisions en six suburbi des territoires situés au Nord-Ouest de la périphérie romaine, où de petites agglomérations alternent avec des zones agrestes, ce qui n’est désormais plus le cas

204 Le Trésor des mots de la ville : une maquette au 1/5e dans la banlieue Est et Sud de la capitale (Piccioni 2003). Le suburbio di Roma, de même que l’agro romano – la couronne agreste plus extérieure –, constituaient au début du XXe siècle un cadre d’étude pour l’horticulture (Gramignani 1917) et, récemment encore, plusieurs types de paysages agraires suburbains ont pu être désignés par des types divers de suburbio : cerealicolo-zootecnico, viticolo, tiberino, della bonifica… (Paratore 1979). Désignation générale de la périphérie urbaine ou découpage de la commune de Rome toujours en vigueur, le mot suburbio tend à disparaître aujourd’hui du langage courant concernant la ville, à l’exception de la langue littéraire et dans une visée rétrospective. Son emploi, par exemple, dans la traduction italienne, Suburbio e fuga (1970), du titre du roman de Raymond Queneau, Loin de Rueil (1944), renvoie aux territoires des périphéries urbaines de l’entre- deux-guerres, en tant que lieux suspendus, comme l’écrit Italo Calvino dans sa présentation du roman, “ entre l’ennui de la province et les angoisses de la métropole ”. Dans le cadre de la métropole contemporaine, le terme italien demeure donc éloigné du concept exprimé par le mot anglais suburbs, qui désigne un lieu de vie sociale, économique et culturelle désormais affranchi du rapport subalterne avec the central city (Palen 1995). Antonio Brucculeri

Voir borgo, periferia, quartiere, rione Voir banlieue (français), extrarradio (espagnol), faubourg (français), periferia (espagnol), rabâdh (arabe), suburb (anglais), subúrbio (portugais)

Sources primaires Cantarelli, Luigi, 1916. Notizie di recenti trovamenti di antichità in Roma e nel suburbio: scoperte archeologiche in Italia e nelle antiche provincie romane. Roma : E. Loescher e C. Cattaneo, Carlo, 1863. “Sui dazj suburbani di Milano”, in Il Diritto , 4, 5, 7 settembre ; rééd. in Il Politecnico , XX, 1864, p. 120- 127 ; rééd. in C. Cattaneo. Scritti economici, Alberto Bartolino (éd.). Firenze : Le Monnier, 1956 , 3 vol., vol. III, p. 419- 439. Ceroni, Guglielmo, 1942. Roma nei suoi quartieri e nel suo suburbio . Roma : Palombi. Fumagalli, Carlo, Sant’Ambrogio, Diego, Beltrami, Luca, 1892. Reminiscenze di storia ed arte nel suburbio e nelle città di Milano. Milano : Tip. Pagnoni, 3 vol. Gandolfi, Carlo, 1886. Manuale indicatore delle piazze, vie e vicoli di Roma, dei ministri ed uffici diversi, con breve guida dei principali monumenti della Città e suburbio . Roma : Tip. Gould. G atti, Edoardo, 1926. Notizie di recenti trovamenti di antichità in Roma e nel suburbio . Roma : Tip. Befani. Gramignani, Elio, 1917. L’orticoltura nel suburbio di Roma e nell’agro romano. Roma : Tip. Bertero. Il suburbio: organo degli interessi suburbani, I, 1, 7 février 1895. Milano : Tip. A. Rigoldi e C. Lugli, Giuseppe, 1924. Il suburbio di Roma. Roma : Accademia Nazionale dei Lincei. Monaci, Tito, 1877. Elenco delle vie, piazze e vicoli di Roma e suburbio coll’indicazione dei rioni, regioni, preture, uffici dei giudici conciliatori e parrocchie… . Roma : Tip. del commercio. Paratore, Emanuele, 1979. Il suburbio geo- agrario di Roma. Roma : Istituto di studi romani. Plautus, Titus Maccius, 1915. Trinummus (éd. par Enrico Cocchia). Torino : E. Loescher, Queneau, Raymond, 1970. Suburbio e fuga, trad. it. de Loin de Rueil. (Paris, Gallimard, 1944). Torino : Einaudi. Romagnoli, Ettore, 1861 [1836]. Guida per la città di Siena e suoi suburbii. Siena : Onorato Porri. Terentius Afer, Publius, 1933. Adelphoe (éd. par Michele Lupo Gentile). Milano : Signorelli. Sources secondaires Benevolo, Giancarlo, 1992. “Espansione urbana e suburbi di Bologna nel medioevo: la Guardia civitatis ”, in Ricerche storiche, XXII, p. 455- 481. Berengo, Marino, 1999. L’Europa delle città. Torino : Einaudi. Bocchi, Francesca, 1977. “Suburbi e fasce suburbane nelle città dell’Italia medievale”, in Storia della città, II, n° 5, p. 15- 33. Bocchi, Francesca, 1987. Attraverso le città italiane nel Medioevo. Casalecchio di Reno : Grafis.

205 Le Trésor des mots de la ville : une maquette au 1/5e

B ortolotti, Lando, 1982. Siena. Bari : Laterza. Chiodi, Giovanni, 2000. “Tra la civitas e il comitatus: i suburbi nella dottrina di diritto comune”, in Antico Gallina, Mariavittoria (dir.), Dal suburbium al faubourg: evoluzione di una realtà urbana. Milano : Edizioni ET, p. 225- 320. De Vergottini, Giovanni, 1929. “Origini e sviluppo storico della comitatinanza”, in Studi senesi, s. II, vol. XVIII, p. 347- 481; rééd. in G. De Vergottini. Scritti di storia del diritto italiano , Rossi, Guido (dir.). Milano : Giuffré, 1977, 3 vol., vol. I, p. 3 - 122. Pagano, Emanuele, 1994. Il Comune di Milano nell’età napoleonica (1800- 1814). Milano : Vita e pensiero, rééd. 2002. Seronde- Babonaux, Anne- Marie, 1983. De l’urbs à la ville : Rome. Croissance d’une capitale . Aix - en- Provence : Edisud, 1980, trad. it. : Roma : Editori Riuniti. Vallat, Colette, 2003. “Métropoles sans mot et survivance d’un vocabulaire rural. Le cas de Rome et de Naples aujourd’hui”, in Les mots de la ville. Cahier n. 5 , juillet, p. 121- 130. Vallat, Cole tte, 1995. Rome et ses borgate, 1960- 1980. Des marques urbaines à la ville diffuse. Rome: Ecole française de Rome. Autres références Carpinelli, Saverio, 1990. “Siena”, in ISAP. Archivio nuova serie 6. Le riforme crispine, 3. amministrazione locale . Milano : Giuffré, p. 623- 693. Della Peruta, Franco, 1992. Milano nel Risorgimento. Dall’età napoleonica alle Cinque giornate. Milano : La Storia. Grilli, Alberto, 2000. “Il suburbio nella tradizione letteraria greca e latina”, in Antico Gallina, Mariavittoria (dir.), Dal suburbium al faubourg: evoluzione di una realtà urbana. Milano : Edizioni ET, p. 39- 56. Mocarelli, Luca, à para ître. Una crescita urbana fuori delle mura: Milano e i suoi “Corpi santi” tra Settecento e prima guerra mondiale. Palen, J. John, 1995. The Suburbs. New York : McGraw - Hill. Pergola, Philippe; Santangeli Valenzani, Riccardo; Volpe, Rita (dir.), 2003. Suburbium: il suburbium di Roma dalla crisi del sistema delle ville a Gregorio Magno . Roma : Ecole française de Rome. Piccioni, Lidia, 2003. “I “confini” di Roma contemporanea”, Storia urbana, 102, p. 95- 111. Sapori, Armando, 1962. “L’economia milanese dal 1860 al 1915”, in Storia di Milano. XV. Nell’unità italiana (1859- 1900). Milano : Istituto Treccani degli Alfieri, p. 857- 878. ______subúrbio (pl. subúrbios) portugais Portugal et Brésil, nom masc.

Traductions “Subúrbio, s.m. banlieue, faubourg.” (*Fonseca 1853) “subúrbio, n.m. Faubourg, banlieue.” (*Azevedo 1953) Définitions “suburbano [...] Vient du latin suburbanus, ce qui veut dire une chose des arrabaldes, ou voisine de la ville.” (*Bluteau 1720) “subúrbio. Du latin Suburbium, ii. Cic. Voir Arrabalde (Dans toutes les églises de cette ville [cidade] et de ses suburbios. Gazeta de Lisboa, 13 octobre 1720).” (*Bluteau 1728) “suburbio. s. m. Les arrabaldes [faubourgs] d’une ville (Gazeta de Lisboa, l720 : “dans les suburbios de Rome”).” (*Silva 1813) “suburbio. s. m. (du latin suburbium, sub préfixe et urbs ville). Arrabalde, environs [vizinhanças] habités d’une ville.” (*Almeida & Lacerda 1859) “subúrbio [...] Arrabalde, cercania, proximidade [faubourg, voisinage, environ] d’une ville ou localité [vila, cidade ou povoação] quelconque. S’utilise surtout au pluriel. Fig. Environs [proximidades].” (*Machado 1981) “subúrbio [...] 1 Ensemble d’habitations, d’établissements commerciaux, d’usines […] qui entoure une grande ville dont généralement il dépend. 2 Environs [proximidades] d’un lieu = arrabaldes [faubourgs], arredores [alentours]. 3 Environs de quelque chose.” (*Academia das Ciências de Lisboa 2001)

206 Le Trésor des mots de la ville : une maquette au 1/5e

Dans son dictionnaire, Raphael Bluteau (*1720) donne la Monarquia Lusitana de Bernardo de Brito, œuvre éditée à Alcobaça en 1597, comme attestation pour le mot suburbano : le lieu qualifié de surburbano par cet auteur est les rives du Mondego, à Coimbra. La Bibliothèque nationale de Lisbonne conserve aussi une publication datée de 1690, signée José Ferreyra et intitulée O Bispado do Porto se compreende na cidade do Porto e seus subúrbios [le diocèse de Porto est composé de la ville et de ses subúrbios]. Les deux mots, adjectif et substantif, étaient donc en usage au XVIIe siècle, mais Bluteau mettait suburbano en relation avec un autre mot, celui-ci d’origine arabe, arrabalde ou partie d’une ville construite l’extérieur des remparts. Il existe une description des arrabaldes de Lisbonne publiée en 1626, mais le mot était certainement en usage dès le Moyen Age: ainsi, lors de la conquête par les Chrétiens, Lisbonne aurait déjà eu trois arrabaldes (Castilho 1935 [1916], 1 : 136, 114, 115). Quant à subúrbio, directement issu du latin et synonyme de cercanias [alentours] ou vizinhança [voisinage], il était probablement, au XVIIe siècle, d’usage lettré. On trouve le mot dans les décrets pombaliniens portant sur les mesures à prendre après le tremblement de terre du 5 novembre 1755. Le roi ordonnait que les locations ne pussent se faire à des prix supérieurs à ceux d’avant la catastrophe, mesure qui concernait la ville de Lisbonne “et ses subúrbios”. Il interdisait aussi les constructions “inconsidérées” dans des lieux éloignés de l’enceinte de la ville dont, “étant donné son extension déjà disproportionnée, on ne doit pas permettre l’élargissement sous peine de gêner gravement la communication entre les habitants”. Les limites de l’application du décret, décrites avec soin, se situaient à l’intérieur de l’ancienne limite de la municipalité (termo) de Lisbonne (archive 1). Dans un décret du 27 janvier 1757, portant sur la punition des “vols et homicides”, le subúrbio était défini comme l’espace compris dans un périmètre d’une lieue autour de la ville (archive 2). Les murs étaient en ruines après le tremblement de terre et le mot, qui restait alors d’utilisation seulement lettrée, était appliqué à une aire bien plus vaste que les anciens arrabaldes. En 1808 un pamphlet anti-français anonyme utilisait le mot arrabalde pour signifier l’espace de circulation immédiate des rumeurs (Ecos Altifortes... 1808). En 1820, dans une pétition adressée au parlement, les habitants de Campo Grande réclamaient que le terrain communal du village, sur le point d’être transformé en promenade publique boisée, fusse reconnu comme appartenant aux habitants de ce subúrbio de Lisbonne (cité par Pinheiro 1992 : 123-125). Au XIXe siècle, on utilisait surtout le terme subúrbio pour désigner des zones de plaisance. Le Novíssimo guia do viajante em Lisboa de 1863 faisait référence à des subúrbios agréables à visiter, qu’il s’agît de localités qui étaient déjà incluses dans les limites de la municipalité de Lisbonne (termo) avant les réformes qui mirent fin à l’Ancien Régime administratif dans les années 1830, comme Belém, Benfica, Campo Grande et Carnide, ou de municipalités qui avaient toujours été indépendantes comme Sintra, Mafra ou Almada – certaines pouvant se prévaloir de chartes médiévales. En revanche, O Itinerário para distribuição das correspondências em Lisboa e subúrbios, publié en 1884, adoptait des limites plus étroites, proches de la définition pombalinienne. Les limites légales de la ville de Lisbonne furent élargies en 1885 et inclurent alors un certain nombre de localités qui étaient encore en discontinuité par rapport à l’agglomération urbaine. On hésitait sur la façon de nommer les parties éloignées et rurales de la municipalité. En 1886, deux auteurs, Ramalho Ortigão et Monteiro Ramalho, décrivirent dans leur critique du Salon le même tableau de Silva Porto intitulé “Le retour du marché”, qui montrait un groupe de paysans sur un chemin rural au milieu des champs des environs de Lisbonne : l’un utilisait le mot subúrbio et l’autre le mot arrabalde (Ortigão 1947, 2 : 274, Ramalho 1897 : 197). Après le plan d’amélioration de Lisbonne qui était en préparation depuis la fin du XIXe siècle et fut définitivement approuvé en 1904, il fut laissé libre cours aux spéculateurs privés et aux

207 Le Trésor des mots de la ville : une maquette au 1/5e lotissements clandestins. Les subúrbios de plaisance, bien desservis par les transports, se développèrent à l’ouest de la ville. Sur la rive gauche du Tage, dès les années 1890, le bateau permit une urbanisation rapide et, dans les années 1920, la croissance anarchique de pátios ouvriers fit l’objet de critiques d’un point de vue social et urbanistique. À Porto, l’expansion des ilhas ouvrières dans les paroisses [freguesias] périphériques de la ville ou situées à l’extérieur des portes fut, elle aussi, critiquée. Là aussi, l’accélération de la croissance des subúrbios était visible dès la première décennie du XXe siècle. La réflexion sur cette nouvelle réalité, qui donnait lieu à des études sur la situation des habitants de la périphérie et sur les possibilités de déconcentration urbaine par la création de nouveaux quartiers périphériques, n’eut pas d’influence immédiate sur le sens du mot subúrbio. Celui-ci continua d’être utilisé pour décrire des alentours attrayants pour le visiteur par leurs édifices anciens, leurs foires ou leurs fêtes. On en trouve une nouvelle illustration avec le livre de Gabriel Pereira (1910), où étaient une fois de plus inventoriés les lieux agréables à visiter dans les subúrbios e vizinhanças de Lisbonne. Le mot arrabalde n’avait pas disparu pour autant et l’on peut dire que les deux mots coexistaient tout en étant peu utilisés. On parlait plutôt de façon générale, de arredores [alentours] et, pour désigner plus spécifiquement les nouvelles zones urbanisées, de bairros operários [quartiers ouvriers] ou bairros dormitórios [dortoirs]. Aujourd’hui encore, même si le mot arrabalde est très peu utilisé, on peut le trouver dans des ouvrages à penchant mémorialiste (comme Santo 1987). L’Estado Novo de Salazar (1926-1974) devait finalement élaborer des plans d’urbanisation. Bien que la possibilité d’association entre les municipalités métropolitaines fût prévue dans le code administratif, il y avait une nette volonté d’empêcher la croissance des déplacements pendulaires. Les subúrbios des périphéries urbaines étaient décrits comme des “bairros dormitórios monstrueux” (Actas da Câmara Corporativa 1958 : 277, 372). Le mot dormitório était aussi utilisé par la presse pour exprimer la charge négative associée aux nouvelles banlieues. L’absence d’enseignements de sciences sociales dans les universités portugaises jusqu’aux années 1970 a contribué au défaut de réflexion et d’innovation lexicale dans ce domaine. Les géographes furent le premier groupe de chercheurs à aborder le sujet en termes de déplacements pendulaires et de lotissements clandestins. Les inondations meutrières qui frappèrent la périphérie de Lisbonne en 1967 les conduisit à prendre conscience de l’ampleur des subúrbios et à donner une nouvelle vitalité au terme à partir du début des années 1970 (Corte Real 1973). Les membres du Centre d’études géographiques de la Faculté des lettres de l’Université de Lisbonne rédigèrent des publications sur le crescimento suburbano [croissance suburbaine] (Fonseca 1976), thème que Teresa Barata Salgueiro n’a pas manqué d’aborder dans son livre A cidade em Portugal (1992) en parlant de áreas suburbanas [aires suburbaines], processo de suburbanização [processus de suburbanisation] et subúrbios. Les sociologues qui abordèrent ce thème à la fin des années 1970, utilisèrent de préférence le concept de métropole. C’est le cas de la thèse de Vítor Matias Ferreira (1983 : 99-109), dont le chapitre sur “Lisbonne hors les murs” n’utilise ni le mot subúrbio ni le mot arrabalde, c’est aussi le cas d’un livre plus récent du même auteur (Ferreira 1997), où seul est utilisé le mot periferia. Compte tenu de ces hésitations à utiliser le mot subúrbio, dans le lexique courant comme dans le lexique savant, on ne peut s’étonner que le dictionnaire de l’Academia das Ciências de Lisboa soit le premier, en 2001, à enregistrer le sens moderne de ce mot. Magda Pinheiro

Bien que les dictionnaires de langue portugaise du début du XIXe siècle autorisaient déjà d’utiliser subúrbio pour désigner géneriquement les alentours des villes (*Silva 1813), au Brésil, le mot allait prendre du temps pour s’imposer dans le langage courant. À la fin du

208 Le Trésor des mots de la ville : une maquette au 1/5e

XVIIIe siècle, les documents du Sénat de Rio de Janeiro continuaient à désigner les environs de la ville par l’ancien terme arrabalde, que Moraes Silva définissait dans son dictionnaire comme “un quartier [bairro] qui se trouve hors des murs de la ville ou du bourg” (*Silva 1813). En dépit du fait que arrabalde resta en usage tout au long du XIXe siècle et même dans les premières décennies du XXe (Descripção… 1796, Nunes 1799 : 136-137, Brito 1896, Oelsner 1921) le mot subúrbio commença peu à peu à circuler dans le discours urbain et il était assez généralement utilisé au début du XXe. Après la proclamation de l’Indépendance (1822), les différences linguistiques entre Portugais et Brésiliens allèrent en s’accentuant. La bureaucratie de Cour fut remplacée par un corps administratif dont le vocabulaire était beaucoup plus nativiste, tandis que la nouvelle organisation juridique et administrative du Brésil conduisait à créer un vocabulaire qui se distinguât de ceux de la colonie et de la monarchie. Malgré ces changements, le mot subúrbio resta d’abord pratiquement absent du discours urbain. Sa diffusion se produisit à mesure qu’une démarche d’observation fit appel à de nouveaux mots, plus abstraits, pour décrire le processus d’urbanisation. A Recife, subúrbio fut utilisé dès 1819 dans un rapport administratif du gouverneur Luís do Rego sur l’état des routes aux abords de la ville (Rego 1819 cité par Lira 1999). À Rio de Janeiro, C. A. Lebsché grava en 1835 un “Prospectus e horto suburbii de Mata Cavallos in aqueductum Sebastianopolis”. C’est dans les années 1840 que le mot trouva un emploi plus courant en figurant dans le titre de la “Mapa da cidade de São Paulo e seus subúrbios [...]” (Bresser ca. 1840) et dans celui du “Plano que compreende a planta da Corte do Rio de Janeiro e seus subúrbios [...]” (Manso 1840). Si le mot subúrbio entrait en concurrence avec des termes d’usage traditionnel comme arrabalde, il devait aussi s’imposer face à de nouvelles expressions qui désignaient également la périphérie de la ville – et dont la vie fut relativement brève : par exemple, pour Rio de Janeiro et São Paulo, des formules vagues comme circunvizinhanças (Rohan 1843) ou des mots composés comme extra-muros (Candido 1851, Telles 1875) – terme inapproprié dans le cas du Brésil où aucune ville ne fut entourée de murailles – ou, enfin, des toponymes comme Cidade Nova [ville neuve] (Rohan 1843). Avec tous ces termes, l’on cherchait à exprimer la croissance urbaine accélérée de la capitale et de certaines villes portuaires ou liées au cycle du café. À Rio, par exemple, les limites fiscales de la ville établies avec l’arrivée de la Cour en 1808 furent élargies en 1831, 1838 et 1858 (Pinto 1862), ce qui contribuait à rendre difficile la stabilisation de termes génériques qui auraient distingué la ville et ce qui lui échappait. L’usage du mot subúrbio devint plus fréquent entre 1840 et 1880. En cartographie, il se généralisa avec la réédition des plans de Rio de Janeiro de José Maria Manso (1850) et dans ceux de Garriga et Rodrigues (ca. 1875), Alexander Speltz (1877) et E. de Maschek (1885 et 1890). Jules Martin hésitait encore en donnant pour titre à ses deux plans successifs de la ville de São Paulo “Nova Planta da cidade de São Paulo e subúrbios” (1881) et “Planta da Capital do Estado de São Paulo e seus arrabaldes” (1890). Le mot subúrbio était absent des règlements et décrets de l’époque impériale ainsi que du langage courant, même après la proclamation de la République en 1889 (Brito 1896, Jannuzzi 1909). Néanmoins, un contemporain, écrivant sur la question des limites de la ville, précisait que “dans le langage populaire, seule est désignée comme cidade la partie où se concentrent les commerces et les bâtiments publics […] tout le reste est considéré comme suburbios”(Pinto 1862). Par ailleurs, un journal carioca de 1886 mentionnait les habitants des “subúrbios e arrabaldes”, ce qui suggère qu’une différence était ici introduite les deux termes (Filindal 1886). En tout cas les dictionnaires, malgré le rythme croissant de leur publication, ne pouvaient faire face à la diversité des expressions qui circulaient au XIXe siècle dans les grands centres urbains du Brésil. L’usage croissant de subúrbio dans le langage citadin était sans doute dûe à la présence de nouveaux acteurs sociaux sur la scène urbaine, particulièrement les cadres techniques et

209 Le Trésor des mots de la ville : une maquette au 1/5e professionnels étrangers. La mise en place de nouveaux modes de transport sur rail – trains et tramways – exigeait une cartographie claire des zones à desservir, notamment afin d’accorder les concessions et de fixer la tarification. Dans ce secteur, les capitaux et les personnels étrangers étaient particulièrement implantés. Ces derniers, que fréquentaient les Brésiliens les plus cosmopolites – comme les membres du Club des ingénieurs –, étaient enclins à adopter le mot subúrbio, parce qu’il était proche par son étymologie et sa sonorité des termes suburbs ou faubourgs – expressions également utilisées dans de nombreux récits de voyage de Français et d’Anglais au Brésil. Le mot commença à être fréquemment employé pour désigner les localités situées dans les zones d’expansion urbaine desservies par les chemins de fer et tramways qui furent construits dans différentes villes au cours de la seconde moitié du XIXe siècle. C’est ainsi que la multiplication des lignes de tramways et de distribution d’électricité délimita une zone ferroviaire suburbana. Avec l’arrivée, à Rio de Janeiro et à São Paulo entre 1899 et 1908, des compagnies The Rio de Janeiro [ou São Paulo] Tramway, Light and Power, et de leur concurrent le groupe Guinle e Cia (plus tard Cia Brasileira de Energia Elétrica), la démarcation administrative de périmètres urbano et suburbano, devint nécessaire pour déterminer les différentes zones qui devaient recevoir les nouveaux services de transport, d’éclairage et de téléphone, alimentés par l’électricité. Les plans de São Paulo, par exemple, commencèrent à faire apparaître les limites de ces périmètres (Cococi & Costa 1913). À Rio, un plan de grande diffusion (Aenishänslin 1914) proposait une hiérarchisation qui devait devenir fréquente dans la représentation visuelle de la ville. Imprimée recto verso, cette carte montrait, d’un côté, à grande échelle, un découpage arbitraire de la zone urbanisée autour de la baie de Guanabara sous le titre : “Cidade de Rio de Janeiro e Nictheroy [sic]”. De l’autre côté, à plus petite échelle, un second plan représentait “Rio de Janeiro Central e Monumental”. On peut penser que ces deux plans concernaient respectivement la zones urbaine et la zone centrale, et que le reste, ce qui n’y figurait pas, était les subúrbios. En 1937, avec l’électrification des premières lignes de trens de subúrbio [trains de subúrbio] de l’entreprise ferroviaire Central do Brasil, l’usage de l’expression se généralisa dans le langage quotidien des usagers. Le mot subúrbio désignait alors les localités qui avaient poussé près des gares de chemin de fer – les subúrbios ferroviários [ferroviaires] avec leurs cités ouvrières [vilas operárias] et leurs industries – mais aussi n’importe quelle zone de la ville non desservie par les services publics modernes. Le mot se trouva ainsi associé d’abord à l’habitat des classes moyennes, puis à celui du prolétariat industriel. Dans les années 1930, quand s’éteignirent les derniers réverbères à gaz et que les derniers tramways tirés par des mules disparurent du paysage de villes comme Rio de Janeiro, le mot subúrbio ne désignait plus seulement un périmètre peu urbanisé en opposition à l’aire central ou urbana : comme le mot favela, il était d’abord une catégorie hiérarchique de division sociale de l’espace. Dans toutes les grandes villes brésiliennes, se consolidait l’usage de toponymes formés de noms composés – Subúrbio de Marechal Hermes, Vila Valqueire, Favela da Providência, Vila Girão – pour nommer de nouvelles zones urbaines nées de la fièvre des lotissements ou des occupations illégales de terrains. Cette tendance à souligner les singularités au détriment des dénominations génériques peut être liée aux caractéristiques mêmes du mode d’urbanisation au Brésil, où il n’y eut jamais, comme en Europe, de claire démarcation entre la ville et ses alentours et où, en revanche, les frontières sociales étaient très marquées. C’est cette nouvelle frontière spatiale, aujourd’hui, que certains mots comme subúrbio et favela viennent définir. Ainsi, le mot subúrbio devint une expression imprécise utilisée surtout pour désigner les quartiers [bairros] qui ne figurent pas sur les cartes et sont souvent oubliés de l’administration publique. Il est tantôt utilisé pour composer des noms de lieux où on trouve un mode de vie gravitant autour des cités ouvrières ou des lotissements pavillonaires avec des “glaïeuls à l’entrée” (Guinga & Blanc 1996) tantôt pour désigner des paysages d’exclusion dans les

210 Le Trésor des mots de la ville : une maquette au 1/5e zones périphériques au long des chemins-de-fer. C’est avec ce sens stigmatisant que la population ouvrière descend des trens de subúrbio à la gare Leopoldina de Rio de Janeiro, toujours décrite en termes dramatiques par les chroniqueurs : “sans hygiène”, “sans charme”, où “tous les maux vous accueillent” (Magalhães 1939 : 252-253). Mais il y a aussi le subúrbio des charmantes jeunes filles qui font de la broderie, du thé accompagné de pain grillé, des chaises en paille, des rues de terre si simples et si modestes, ces lieux tranquilles et obstinés dont rêvait Luís Peixoto dans son Sonho Suburbano (1930). Pour sa part, Ribeiro Souto s’extasiait et célébrait le parfum des arrabaldes silencieux quand ils dorment et le secret de certaines choses qui se révèlent au clair de lune dans les subúrbios. Il parcourait ces “rues toutes semblables, semblablement longues” avec leurs “maisons ordinaires” et leurs “ avenidas ” [impasses] aux deux rangées de maisons claires au milieu de la végétation”, chargées du parfum nocturne des feuilles vertes et humides (Couto 1924, 1939). Entre 1940 et 1950, le subúrbio devint ponctuellement un sujet d’intérêt pour les pouvoirs publics et les milieux universitaires (Azevedo 1945) pour retomber ensuite dans l’oubli, que ce soit le mot ou les lieux sociaux qu’il désigne. En fait, de nombreuses petites localités autour de gares ferroviaires dans les environs de Salvador, Recife, Fortaleza, Natal ou João Pessoa, continuèrent à être appelés subúrbios jusqu’à aujourd’hui. Mais c’est à Rio de Janeiro que le mot était le plus utilisé, pour désigner un paysage social plutôt qu’une partie périphérique de la ville qui s’opposerait au centre. Ainsi, après avoir eu un usage limité à un petit nombre de villes entre 1900 et 1950, le terme circule de plus en plus dans le Brésil contemporain. Dans les années 1990, des romans (Bonassi 1994, intitulé Subúrbio), des chansons (Guinga & Aldir Blanc 1996, intitulée "Luas de subúrbio") ou l’action de groupes clairement engagés dans la vie socio-culturelle, comme le groupe de musique Faces [Visages] do Subúrbio (1997) ou les skinheads Carecas [Têtes chauves] do Subúrbio, contribuent à répandre de nouveau l’usage du mot tout en mettant en question les connotations négatives qui lui sont depuis longtemps associées. Dans cette nouvelle période, on peut dire que le mot ne désigne plus une situation géographique ou sociale comme c’était le cas jusqu’aux années 1940 et 1950. Il a acquis un sens culturel presque métaphorique et est utilisé pour évoquer “l’universalité de la pauvreté sous l’empire du kitsch” et “l’univers pop dans son sens populaire et industriel que l’on retrouve en Inde, au Pakistan ou dans la périphérie de São Paulo” (Arraes 2003). Rien d’étonnant à ce que le mot, avec sa polysémie complexe, change d’échelle. Dans un film brésilien récent ("Lisbela e o prisioneiro" 2003), le Nordeste ne devient-il pas l’image même du “subúrbio du monde” ? Margareth da Silva Pereira

Voir arrabaldes, vizinhanças, aros, redondezas, cercanias, dormitórios Voir alentours (français), faubourg (français), voisinage (français), cercanias (castillan), suburb (anglais)

Sources primaires Actas da Câmara Corporativa, 25 de Setembro de 1958. Lisboa, Câmara Corporativa. Aenishänslin, Carlos. 1914. “ Cidades de Rio de Janeiro e Nictheroy [sic] ” et “ Rio de Janeiro Central e Monumental” Rio, Instituto Histórico e Geográfico Brasileiro. archive 1. Decreto de sua Magestade Para que se não possam alterar os alugueres, Lisboa, 1755. BNL, SC 1193//58A archive 2. Decreto de sua Magestade para que se punam os roubos e homicídios, 1757, BNL, SC1193//58 A Arraes, Guel. 2002. O Estado de São Paulo 01/12/2002 (propos publiés par Angela Lacerda). Azevedo, Aroldo de. 1945. Suburbios orientais de São Paulo. São Paulo, "Tese de concurso a cadeira de Geografia do Brasil da Faculdade de Filosofia, Ciências e Letras da Universidade de São Paulo." Bonassi, Fernando. 1994. Subúrbio . São Paulo, Ed. Scritta.

211 Le Trésor des mots de la ville : une maquette au 1/5e

Bresser, C.A. ca 1840. “Mapa da cidade de São Paulo e seus subúrbios feita por Ordem do Ex. Sr. Presidente Marechal de Campo Manoel Fonseca Lima e Silva”, in São Paulo Antigo. Plantas da Cidade, São Paulo, Comissão do IV Centenário da cidade de São Paulo, 1954. Brito, Francisco Saturnino Rodrigues de. 1896. Projeto de um Novo Arrabalde, Rio de Janeiro, Ed. Xerox, 1996 Candido, Francisco de Paula. 1851. Exposição da Junta de Hygiene Pública, sobre o estado sanitário da Capital do Império e meios de conseguir o seu melhoramento . Rio de Janeiro, s.éd. Cococi, Alexandre Mariano & Luiz Frutuoso Costa. 1913. “Planta Geral da Cidade de São Paulo”, Cia. Lith. Hartmann- Reichenbach (BN, Rio de Janeiro) Corte Real, Álvaro Saraiva. 1973. Fetais, Pontinha, Sto António de Cavaleiros, três tipos de subúrbio . Lisboa, FL, UL. Couto, Ribeiro. (1939). “ Valsa sobre temas do subúrbio carioca ” in Poesias Reunidas, Rio de Janeiro, José Oplympio, 1960 Couto, Ribeiro. 1924. “ O cheiro dos arrabaldes adormecidos ” in A cidade do vício e da graça, Rio de Janeiro, B. Costallat e Miccólis Descripção e plano do arrabalde da cidade do Rio de Janeiro, que fica entre a estrada de mata Cavallos e a Rua Nova do Conde da Cunha …, Rio de Janeiro 7/março/ 1796. Rio, BN Section des manuscrite, vol 104, nº 1215 - 7, 3, 4 Ecos Altifortes de Patriótico entusiasmo e arrebatamento, espalhados desde a longitude do Cais do Sodré até aos Arrabaldes de Lisboa. 1808. Lisboa, Oficina de João Rodrigues Neves. Ferreira, Vítor Matias. 1983. Cidade de Lisboa: de Capital do Império a Centro da Metrópole , Lisboa, Don Quixote. Ferreira, Vítor Matias. 1997. Lisboa. A Metrópole e o Río . Lisboa, Bizâncio. Ferreyra, José. 1690. O Bispado do Porto se co mpreende na cidade do Porto e seus suburbios. Diocése do Porto, BNL R 2230//3. Filindal (pseud. de Francisco Filinto de Almeida). 1886. A Semana Jornal Literário . xxdate précise SVP. Fonseca, Lucinda. 1976. O crescimento Suburbano de Lisboa e Porto, Lisboa, JNICT. Garriga, José Fausto et Rodrigues, Caetano Augusto ca. 1875. Planta da cidade do Rio de Janeiro e suburbios, Rio de Janeiro, Lithographia do Imperial Instituto Artístico. Guinga et Aldir Blanc. 1996. “ Luas de subúrbio ” in Leila Pinheiro, Catavento e Girassol, EMI (album). Jannuzzi, Antonio. 1909. Pelo Povo. Monographia sobre as Casas Operárias, Rio de Janeiro, ed. A. Januzzi e Filhos. Lebsché, C. A. 1835. “Prospectus e horto suburbii de Mata Cavallos in aqueductum Sebastianopolis” , Rio, B.N. section iconographie. Lisbela e o prisioneiro. 2003. Réalisation Guel Arraes. Magalhães, Adelino. 1939. Sebastianópolis, Rio de Janeiro, Prefeitura Municipal do Rio de Janeiro, Coleção Biblioteca Carioca, 1994, p.252- 253 Manso, José Maria. 1850. Plano da p lanta da cidade e suburbios do Rio de Janeiro, Paris, Imp. Lemercier. Manso. 1840. “Plano que compreende a planta da Corte do Rio de Janeiro e seus subúrbios e mais a cidade de Praia Grande e a do povo de São Lourenço”. Rio, BN. Martin, Jules. 1881. “Nova Planta da cidade de São Paulo e subúrbios”. São Paulo, Jules Martin. Rio, BN Arc. 13.13.3 Martin, Jules. 1890. “Planta da Capital do Estado de São Paulo e seus arrabaldes”, in São Paulo Antigo. Plantas da Cidade, São Paulo, Comissão do IV Centenário da cidade de São Paulo, 1954. Maschek, E. de. ca.1890. Planta da cidade do Rio de Janeiro e suburbios, Rio de Janeiro, Laemmert & Cia. Maschek, E. de. 1885. Planta da cidade do Rio de Janeiro e de uma parte de seus suburbios, Rio de Janeiro, Laemmert e Cia N ovíssimo guia do viajante em Lisboa, obra indispensável aos que desejam conhecer esta notável cidade e seus subúrbios. 1863. Lisboa, Sociedade Typográphica Franco - Portuguesa. Nunes, Duarte. 1799. Almanaque da Cidade do Rio de Janeiro, Rio, BN Section des manuscrites Vol 102 nº1210 - I, II, I, 27 O Itinerário para distribuição das correspondências em Lisboa e subúrbios. 1884. Lisboa, Imprensa Nacional. Oelsner, A.C. 1921. “Terrenos - seu melhoramento para as habitações”. Boletim de Engenharia , 4, 13 : 24- 26. Ortigão, Ramalho. 1947. Arte Portuguesa. Lisboa, Clássica Editora, 2 vol. Peixoto, Luís. 1930. “ Sonhos Suburbanos ” . in Bandeira, Manuel e Andrade, Carlos Drummond de , Rio de Janeiro em Prosa e Verso, Livraria José Oplympio, 1965

212 Le Trésor des mots de la ville : une maquette au 1/5e

Pereira, Gabriel. 1910. Pelos Subúrbios e vizinhanças de Lisboa. Lisboa, A.M. Texeira. Pinto, Manuel Paulo Vieira. 1862. Carta a Alexandre José de Melo Moraes fornecendo dados referentes aos limites da Cidade do Rio de Janeiro, Rio, BN Section de Manuscrites, vol 106, II, 34, 30, 42 Ramalho, Monteiro. 1897. Folhas de Arte, Lisboa, M. Gomes. Rohan, Henrique de Beaurepaire. 1843. Relatório do estado das obras municipais apresentado à Ilma. Câmara Municipal. Rio de Janeiro, Typ. do Diário. Salgueiro, Teresa Barata. 1992. A cidade em Portugal. Porto, Afrontamento. Santo, Eugénio do Espírito. 1997. Ameixoeira, um núcleo Histórico . Lisboa, édité par l’auteur. Speltz, Alexander. 1877. Nova planta indicadora da cidade do Rio de Janeiro e subúrbios, Rio de Janeiro, E. e H. Laemmert. Telles, João Carlos da Silva. 1875. Repertorio das leis promulgadas pela Assemblea Legisativa Provincial de São Paulo desde l835 até 1875. São Paulo, Typ. do Correio Paulistano. Sources secondaires Lira, José Tavares Correa. 1999. Freguesias Morais e Geometria do Espaço Urbano. Porto Alegre, I Seminário Latino- Americano As Palavras da Cidade- Communication. Pinheiro, Magda. 1992. Os Portugueses e as Finanças no dealbar do Liberalismo. Lisboa, João Sá da Costa ed. Autres références Castilho, Júlio. 1935 [1916]. Lisboa Antiga, Bairros Orientais . 2e éd., Lisbonne, CML, 13 vol.

213 Le Trésor des mots de la ville : une maquette au 1/5e

______sûq pl. aswâq arabe (littéral et dialectal) Maghreb et Proche-Orient, nom le plus souvent fém.

Traductio ns “ sûq masc. et fém., pl. aswâq Marché, place publique ou rue du bazar des deux côtés duquel il y a des boutiques.” (*Kazimirski 1860) “ Souk désigne spécialement un marché couvert qui, dans les pays d’islam, réunit boutiques et ateliers dans un dédale de rues. Par figure et familièrement (1936 in Trésor de la langue française), le mot se dit d’un lieu où règne le désordre, l’agitation, le bruit, suivant la même évolution que bazar. Dans un contexte abstrait, il équivaut à ‘désordre’. Cette acception familière est très vivante en français contemporain.” (* Robert 1998) “ sûq mostly f ., pl. aswâq bazaar street; market; fair.” (*Wehr 1976). “ sûq , pl. aswâq a market, mart, or fair; a place in which commerce is carried on; a place of articles of merchandise: because people drive their commodities thither.” (*Lane 1863- 1893)

Définition “ sûq lieu de vente (maw¥i‘ al- bayâ’ât), lieu des transactions (al- sûq al- latî yata‘âmal bi- hâ) pl. aswâq” (Ibn Manzûr 1994 [XIIIe s.])

Le terme sûq sert et a servi à désigner le marché qu’il soit permanent ou temporaire, urbain ou rural. Il désigne le complexe topographique où sont concentrées dans la ville les activités artisanales et commerciales. Il sert aussi à dénommer, au sein de celui-ci, la ou les ruelles où sont regroupées les ateliers ou boutiques d’un même métier (“souk des menuisiers” : sûq al- najjârîn ; “souk aux étoffes” : sûq al-bazz, etc.) et, à l’extérieur, les différents marchés, notamment alimentaires, situés dans les quartiers ou les faubourgs. “Comme le terme français ‘marché’, le mot arabe sûq a acquis une double signification, il désigne à la fois, l’échange commercial de biens ou de services et le lieu dans lequel cet échange se déroule habituellement.” (Bianquis & Guichard 1998 : 820). En arabe, on utilise ainsi le mot sûq pour désigner le concept de “marché” comme dans les expressions “marché mondial” [al-sûq al- ’âlamî], “marché financier” [sûq al-mâl]. Le mot sûq viendrait de l’akkadien sûqu qui désignait “assez vaguement les rues et l’ensemble des voies publiques”. Il aurait été repris en araméen sous la forme ·ûq pour signifier rue et place et pour traduire “le concept hellénistique et romain d’agora-forum” (Rodinson 1973 : LIX-LXI). En arabe, ce terme aurait été utilisé pour désigner, “à l’origine, le lieu où l’on conduisait, sâqa, yasûqu, les animaux que l’on désirait vendre” (définition donnée par Ibn Manzûr et reprise par Bianquis & Guichard 1998 : 820). Dans l’Arabie pré- islamique, les aswâq al-‘Arab, désignaient des foires périodiques se déroulant, parfois simultanément, durant les mois sacrés dévolus aux pèlerinages (Chalmeta 1973 : 39-51). En milieu rural, des bourgades, insérées dans un réseau de souks hebdomadaires, ont pris le nom de leur marché, sûq al-ahad : “souk du dimanche”, sûq al-khamîs : “souk du jeudi”, etc., la présence d’un marché pouvant être ainsi facteur d’urbanisation (Troin 1975 : 85-87). Dans le Coran, le terme apparaît au pluriel, aswâq, et s’insère dans deux versets qui mentionnent les critiques des Mecquois hostiles à la prédication de Mahomet : “Ils ont encore dit : ‘qu’est-ce que cet Envoyé qui prend de la nourriture, circule dans les aswâq!’” (sourate XXV, verset 7), “Nous n’avons pas envoyé avant toi d’envoyés, qu’ils ne prennent de la nourriture, ne circulent dans les aswâq” (sourate XXV, verset 20). L’importance du souk comme institution urbaine directement liée au pouvoir politique peut déjà être repérée dans cet acte inaugural de Mahomet qui, vers 623 à Médine, ordonna la création d’un souk pour les musulmans et y nomma une femme pour occuper la fonction de ‘âmil ‘alâ-l-sûq [responsable du marché] (Chalmeta 1973 : 52-57 ; Bianquis & Guichard 1998

214 Le Trésor des mots de la ville : une maquette au 1/5e

: 821). Dans les villes créées par les conquérants musulmans, un (ou plusieurs) emplacement appelé sûq était délimité lors du procès de fondation, soit dans l’aire centrale regroupant la Grande Mosquée et la résidence palatine comme à Koufa (638) ou Fustât (642) soit excentré comme à Basra (634) voire même dans les faubourgs comme à Bagdad (762). Cependant, la centralité des souks aussi bien à Médine du temps du Prophète qu’à Koufa du temps de la fondation, a été remise en question (Garcin 2000 : 91). Le terme sûq aurait désigné ensuite l’ensemble bâti constitué par ces espaces. Leur transformation en souks construits, formant un complexe architectural et constitué de boutiques permanentes [dukkân] puis de caravansérails [khân, wikâla, funduq, samsara...], n’aurait en effet eu lieu que plus tardivement et notamment à l’instigation du calife omeyyade Hichâm b. ‘Abd al-Malik (691-743) (Chalmeta 1973 : 141-146). En contraste avec la variabilité diachronique et régionale des caractéristiques architecturales et fonctionnelles des souks d’un bout à l’autre du monde arabe, l’utilisation du mot sûq pour désigner ces espaces s’est pérennisée. Il reste que dans certaines grandes villes où coexistent plusieurs grands souks, le recours à la toponymie permet de les distinguer. C’est notamment le cas au Caire où le mot désigne le marché alimentaire de proximité tandis que “le plus fameux centre de commerce” de la ville est appelée Khân al-Khalîlî du nom d’un caravansérail construit avant 1389 (Raymond 1993 : 147). A Damas, le souk central est appelé sûq al-Hamîdiyyé (du nom des deux sultans ottomans Abd al-Hamîd I et II) pour le distinguer d’autres espaces commerciaux traditionnels (al-Shihâbî 1990 : 61-70). Par sûq, on entend donc le quartier central des activités économiques, possédant généralement une unité architecturale constituée par des ruelles bordées d’échoppes et des caravansérails et associant le commerce de gros et le commerce de détail (Wirth 1974 : 251). Dans de nombreuses villes, et ce dès avant le Xe siècle selon les témoignages de géographes musulmans : “A la limite, le marché devient cité dans la cité [...]” (Miquel 1988 : 239). On pourrait en trouver un exemple significatif dans la dénomination à Alep du centre commercial ancien où se concentrent les souks et les caravansérails et qui est appelé mdîne (de madîna : ville) (Hreitani & David 1984 : 2). Au XIIe siècle le voyageur andalous Ibn Jubayr célèbre la beauté de cette ville en évoquant ses aswâq tous recouverts de bois “qui arrêtent l’homme pressé tant il est émerveillé” (Voyageurs arabes 1995 : 276-277). Le terme sûq désigne une partie de la ville dont la structuration spatiale est directement liée aux éléments de son organisation sociale et économique qui restent à la base du fonctionnement des souks jusqu’à nos jours : une division du travail très poussée ; une localisation très marquée des marchés ; l’hétérogénéité des produits et un marchandage intensif des prix ; une fractionnalisation extrême des transactions ; des liens stables entre vendeurs et acheteurs ; le commerce itinérant (Geertz 1979 : 125) auquel il faudrait ajouter l’importance des relations de parenté dans le recrutement professionnel qui peut se redoubler, dans certains souks, par des spécialisations par métiers sur la base d’origines communautaires et/ou confessionnelles. A Sanaa notamment, l’expression ahl al-sûq [les gens du souk] (la première acception du terme renvoyant à la notion de famille), désigne une appartenance sociale se rapportant soit à un souk particulier soit à l’ensemble des souks et identifie un ethos citadin différencié de l’ethos tribal (mais l’adjectif sûqî peut désigner un comportement ou un usage langagier “grossier, populacier, vulgaire” et le nom sûqa désigner “le bas-peuple”). De fait, l’identification toponymique de chaque souk pouvait ainsi renvoyer au milieu social particulier formé par chaque corps de métier : “[...]chaque métier occupant une rue particulière, le nom d’un métier désignait trois réalités d’ailleurs complémentaires : le marché où étaient réunis les artisans et les commerçants exerçant cette activité ; la corporation professionnelle qui les regroupait, et qui avait pour centre ce point géographique ; enfin, le lieu lui-même auquel le nom finissait par s’attacher, le toponyme cessant d’avoir une quelconque signification technique.” (Raymond 1985 : 241-242)

215 Le Trésor des mots de la ville : une maquette au 1/5e

La centralité économique mais aussi symbolique du souk urbain était d’autant plus grande qu’il incluait souvent dans son périmètre la Grande Mosquée (Raymond 1989 : 194) et qu’il formait, au contraire de la mosquée accessible aux seuls musulmans, un espace public ouvert à tous, hommes et femmes. Les souks étaient un lieu de rencontre et d’échange pour toutes les communautés de la ville, un relais entre la ville et le monde rural et entre la ville et l’étranger proche ou lointain et ont ainsi pu être qualifiés de “porte de la ville” (Beyhum 1989 : 182- 186 ; Mermier 1997 : 12 et 71). Dans les villes de l’Orient arabe, aussi bien au Caire qu’à Bagdad, Damas, Alep ou Beyrouth, le terme sûq est assimilé à la forte mixité confessionnelle et ethnique des espaces commerciaux qui contrastait avec la tendance plus ou moins forte au regroupement communautaire dans les quartiers [hâra, mahalla, hawma...] (Beyhum & David 1997 : 195-197 ; Raymond 1989 : 194-201). La catégorie sûq exclut la fonction résidentielle qui, de manière générale et à l’exception notable du Caire, est absente ou fortement réduite dans la zone centrale des souks. Celle-ci se différenciait en outre des quartiers d’habitation par la présence fréquente d’artères relativement larges menant aux portes de la ville et permettant le passage des marchandises et des montures (Raymond 1989 : 195). Pour le droit musulman, du moins dans certaines de ses dispositions, la définition du sûq stipulait que l’autorité publique était tenue pour responsable de ce qui se passait dans cette zone centrale de la ville (ou sur les grandes artères et au voisinage des grandes mosquées) alors qu’aux membres du quartier était laissé le règlement des droits mutuels sur l’espace et son usage (Johansen 1980 : 65-66). Les corps de métiers et l’activité économique étaient encadrés par une organisation professionnelle et édilitaire qui ne subsiste plus aujourd’hui qu’à l’état de survivance. Elle plaçait chaque corps de métier sous la responsabilité d’un cheikh (ou amîn,‘âqil...) et les souks sous la responsabilité d’un cheikh suprême (le shaykh al-mashâyikh à Sanaa, Damas et au Caire) et, dans certaines villes, d’un muhtasib. Ces représentants de l’autorité publique devaient à la fois surveiller les poids et mesures, punir les fraudes et régler les litiges mais aussi veiller à la moralité des marchés et, dans certaines villes, à l’entretien des rues et à la bonne circulation des voies. Le rôle du muhtasib était caractérisé par “l’intégration de sa tâche de contrôle du marché dans un devoir plus large, à base religieuse, de maintien de la bonne tenue sociale” (Cahen & Talbi 1990 : 504). Cette fonction édilitaire émanait ainsi du souk mais la débordait tant au niveau de ses attributions que des limites de sa juridiction qui couvraient l’ensemble de l’espace urbain. Le terme sûq continue à désigner les souks traditionnels qui conservent une centralité symbolique et économique importante dans la ville contemporaine, en jouant un rôle complémentaire à celui des espaces commerciaux modernes situés dans les nouveaux quartiers des villes. Ils sont souvent devenus un conservatoire des produits traditionnels nécessaires à la pratique des rituels sociaux. Les souks ont aussi exporté des modèles de négoce et de sociabilité hors de leur périmètre d’origine. Ainsi, la pratique du marchandage, que l’on a pu définir comme “un mode particulier de recherche de l’information” (Geertz 1979 : 221) et qui instaure un type de relation personnalisée entre le client et le vendeur, permet, dans le souk traditionnel, de rompre l’indifférenciation apparente des boutiques spécialisées dans un même genre de produits et réunies dans un même espace. Cette pratique ainsi que la tendance à la concentration professionnelle se retrouvent souvent dans les nouveaux secteurs commerciaux. Cela expliquerait en partie la persistance du terme sûq pour les désigner et le fait que d’autres termes empruntés à l’anglais comme shopping mall ou directement traduits de langues européennes comme markaz tijârî [centre commercial] lui soient substitués pour nommer des espaces commerciaux directement inspirés de modèles occidentaux. Franck Mermier

216 Le Trésor des mots de la ville : une maquette au 1/5e

Voir funduq, mahalla, hâra,hawma. Voir zentrum (allemand), downtown, mall (anglais), centro (espagnol), passage, centre (français), centro, mercado (portugais)

Sources primaires Le Coran. Essai de traduction (...) par Jacques Berque. 1990. Paris. Sindbad. Sources secondaires Bianquis, Thierry ; Guichard, Pierre. 1998. “sûq”. Encyclopédie de l’Islam , tome IX. Leyde- Paris, Brill- Maisonneuve et Larose. Voyageurs arabes. Ibn Fadlân, Ibn Jubayr, Ibn Battûta et un auteur anonyme. 1995. textes traduits, présentés et annotés par Charles- Dominique, Paule. Paris, Gallimard. Autres références Beyhum, Nabil. 1989. “Du Centre aux territoires : la centralité urbaine à Beyrouth”, Monde arabe Maghreb Machrek n° 123, janvier- mars, 177- 190. Beyhum, Nabil ; David, Jean- Claude. 1997. “Du souk à la place, du citadin au citoyen. Espaces publics dans les villes arabes au Moyen- Orient”, in Naciri, Mohamed ; Raymond, André (dir.). Sciences sociales et phénomènes urbains dans le monde arabe. Casablanca, Fondation du Roi Abdul- Aziz Al Saoud pour les études islamiques et les sciences humaines, 193- 202. Cahen Claude ; Talbi, Mohamed. 1990. “hisba”, Encyclopédie de l’Islam , tome III, Leyde- Paris, Brill- Maisonneuve et Larose, 503- 505. Chalmeta, Ped ro. 1973. El senor del zoco en Espana. Madrid, Instituto hispano- arabe de cultura

Garcin, Jean- Claude. 2000. “Le moment islamique (VIIe - XVIIIe siècles)”, in Nicolet, Claude ; Ilbert, Robert ; Depaule, Jean- Charles (dir.), Mégapoles méditerranéennes. Géogra phie urbaine rétrospective. Paris - Aix - Rome, Maisonneuve et Larose- Maison méditerranéenne des sciences de l’homme, Ecole française de Rome, 90- 103. Geertz, Clifford. 1979. “Suq: the bazaar economy in Sefrou”, in Geertz, Clifford ; Geertz, Hildred, Rosen, Lawrence. Meaning and Order in Moroccan Society, Cambridge University Press, 123- 313. Hreitani, Mahmoud ; David, Jean- Claude. 1984. “Souks traditionnels et centre moderne : espaces et pratiques à Alep (1930- 1980)”, Bulletin d’Etudes Orientales, tome XXXVI, Institut français de Damas, 1 - 78. Johansen, Baber. 1980. “The Claims of Men and the Claims of God: The Limits of Government Authority in Hanafite Law”, Pluriformiteit en verdeling van de macht in het midden- osten, moi- publicatie 4, Nijmegen, januari, 60- 104. Mermier, Franck . 1997. Le Cheikh de la nuit. Sanaa, organisation des souks et société citadine, Arles, Actes Sud/Sindbad. Miquel, André. 1988. La géographie humaine du monde musulman IV. Paris, EHESS. Raymond, André. 1985. Grandes villes arabes à l’époque ottomane, Paris, Sindbad. Raymond, André. 1989. “Espaces publics et espaces privés dans les villes arabes traditionnelles”. Monde arabe. Maghreb Machrek n° 123, janvier- mars, 194- 201. Raymond, André. 1993. Le Caire , Paris, Fayard. Rodinson, Maxime. “Préface”, dans Pedro Chalmeta, op. cit., pp. XV- LXIX. Al- Shihâbî, Qutayba. 1990. Aswâq Dimashq al- qadîma wa mushayyadâti- hâ al- târîkhiyya (Les vieux souks de Damas et leurs monuments historiques), Damas, ministère de la Culture (en arabe). Troin, Jean- François. 1975. Les souks marocains. Marchés ruraux et organisation de l’espace dans la moitié nord du Maroc, 2 volumes. Aix - en- Provence, Edisud. Wirth. Eugen. 1974 ; 1975. “Zum Problem des Bazars (suq, çarsi). Versuch einer Begriffsbestimmung und Theorie des t raditionellen Wirtschaft szentrums der orientalisch- islamischen Stadt”, Der Islam , 203- 260 et 6 - 46. ______ulica (pl. ulicy) russe Russie, nom fém.

Traductions

217 Le Trésor des mots de la ville : une maquette au 1/5e

“ Ulica, sf. la rue. Budet i na na_ej ~ce prazdnik (prov.), vous viendrez cuire à mon four ; il viendra moudre à notre moulin. ” (*Makarov 1884)

“ ulic||a f. rue f ; na ~e dans la rue ; il habite na ~e Gorki […] ; o Ëutit’sâ na ~e se trouver sur le pavé ; budet i na na_ej ~e prazdnik […] no tre jour viendra ; nous aurons notre jour de fête, nous aussi. ” (* _erba & MatuseviË 1990).

Définitions “ ULICA […] vaste espace entre deux rangées de maisons ; […] en général vaste espace de terrain, entre deux rangées d’objets quelconques […]. Vaste espace en dehors de l’isba […]. ” (*Dal’ 1882). “ ULICA, y, f. 1. Espace entre deux rangées de maisons pour le passage en véhicule ou à pied dans des localités ; deux rangées de maisons avec un passage entre elles. […] Na ulice im. Gor’kogo [dans la ulica nommée Gorki] […]. 2. Au figuré, uniquement au sing. Combiné à des prépositions, usité dans le sens par opposition à la maison, à la surface habitable […]. Na ulice moroz [il gèle] (identique à na dvore [dehors] […]. 3. Au figuré, uniquement au sing. La population des maisons se situant dans une ulica donnée. Toute la ulica est au courant. Dicton. 4. Au figuré, uniquement au sing. Utilisé pour désigner un public philistin, petit - bourgeois (vieilli, méprisant). Je parle de la ulica, du milieu incapable […]. Dostoïevski. […] 5. Au figuré, uniquement au sing. Utilisé pour désigner un milieu privé de l’influence culturelle de la famille, de l’école, de la société. L’influence de la ulica (sur les enfants, les adolescents) […]. 6. Au figuré, uniquement au sing. Occupation de la prostitution (vieilli). Quitter la ulica […]. * Vybrosit’ na ulicu [jeter à la rue] […]. Na ulice (être, se trouver) – 1) sans logement ; 2) sans moyens de subsistance. S ulicy (parlé) – au sujet d’un homme inattendu, que personne ne connaît […] ” (*U_akov 1940).

Au sens littéral, ulica renvoie à un espace “ vide, libéré ” de quelque objet que ce soit, “ de broussailles ” par exemple (*_anskij & Bobrova 2000 : 333). C’est de façon générale, une vaste étendue entre deux rangées d’objets quelconques (*Dal’ 1882 : 489). Ulica provient en effet du slave commun ula qui, à l’origine, signifiait “ trou, ouverture ” [dyra] et qui acquit progressivement le sens de “ porte, entrée ” [vorota, vhod], puis de “ passage ” [prohod] (*Cyganenko 1989 : 449). Ce sens premier donna naissance à la zelënaâ ulica (*Dal’ 1882 : 489), expression employée pour définir un “ chemin libre, sans obstacle et sans arrêt ” (*Molotkov 1994 : 487) ou, par extension, pour signifier “ l’absence d’obstacle, d’arrêt dans la réalisation de quelque chose ” (*Kuznecov 2001 : 866). Ulica, en tant que “ passage entre des rangées de maisons ” (*Cyganenko 1989 : 449), semble être usité depuis le Xe siècle. Les recherches menées sur Novgorod soulignent en effet que “ du Xe au XVIIIe siècles, les ulicy étaient pavées de façon régulière ” et “ de chaque côté de la ulica se tenaient les maisons ” (Tûtâev 1959 : 98). En 1076, il est ainsi possible de rentrer “ chez soi en errant po ulicam [par les rues] ” ; on peut aussi passer “ par un autre chemin ” lorsque “ beaucoup d’enfants vont po ulicam ” (*Sreznevskij 1989 : 1195). Parallèlement, ce terme permet d’indiquer une adresse ou un itinéraire à emprunter lorsque l’on souhaite atteindre “ Piskuplej ulica ”, en passant par “ Dobryna ulica ” (*Sreznevskij 1989 : 1195). Le plan établi à l’occasion des 1100 ans de Novgorod, sur la base de sources écrites, graphiques et archéologiques, relève avec précision la localisation et la dénomination des différentes ulicy de cette ville (Tihomirov 1964 : 268-269). Mais si “ les ulicy de Novgorod attestent du niveau élevé de l’aménagement de la ville ” à cette époque (Tûtâev 1959 : 98), elles témoignent également d’une gestion territoriale particulière. Novgorod se divisait en effet en deux parties, l’une s’étendant sur la rive droite du Volhov, la seconde sur la rive gauche, et chacune de ces parties se composait de plusieurs districts d’habitation, appelés konec. Ainsi, “ jadis, Novgorod se divisait (de part et d’autre de la rivière) en deux Ëast, en cinq konec, et les konec en ulica, avec des uliËanskie starosti ” (*Dal’ 1882 : 489), c’est-à-dire des starostes ou représentants de la ulica, chargés de former l’assemblée populaire qui présidait à l’administration autonome de chaque konec (Tihomirov 1964 : 44). Ulica n’était donc pas uniquement “ un espace ouvert pour le libre passage [à pied ou en véhicule] entre deux rangées de maisons, dans une localité ” (*”ernyh 1993 : 288) ; elle était également un maillon de la vie administrative locale. Les “ ulickie lûdi ” ou les

218 Le Trésor des mots de la ville : une maquette au 1/5e

“ uliËany ”, ces “ habitants constants, permanents, sédentaires de la ulica ” (*Dal’ 1882 : 489) élisaient les starostes, mentionnés pour la première fois en 1016 (Tihomirov 1964 : 298). Après 1478, date à laquelle la principauté de Novgorod capitule et perd son indépendance au profit de Moscou, la dimension politique et administrative de la ulica semble disparaître. Les uliËanskie starosti, les uliËany ou ulickie lûdi relevèrent désormais définitivement de la langue ancienne de Novgorod (*Dal’ 1882 : 489). De même, uliËnik, qui définissait depuis le XIe siècle le “ gardien des portes ” (*”ernyh 1993 : 288), n’est plus relevé dans ce sens au XIXe siècle. “ En 1391, les ulicy de la ville menaient au mur ” d’enceinte et “ les tours […] s’érigeaient à la fin de chaque ulica ” (Tûtâev 1959 : 79), nécessitant de la sorte la présence d’un uliËnik, mais l’extension de la ville en dehors des fortifications pourrait avoir fait disparaîre cette fonction. Au XIXe siècle, le vocable uliËnik évoquait un uliËnyj mal’Ëi_ka [un gamin des rues], “ flânant sans surveillance po ulicam ” (*Dal’ 1882 : 489). Son féminin, uliËnica, est également notifié. Dès lors, ulica se réfère à la fois à l’espace situé en dehors des habitations, voire même à “ l’espace en dehors de l’isba, parce qu’il n’y a pas de véritables ulicy à la campagne ” (*Dal’ 1882 : 489) et à “ un milieu privé de l’influence culturelle de la famille, de l’école, de la société ” (*U_akov 1940 : 930). Ulica se comprend certes comme une voie bordée de maisons, mais elle est aussi, au figuré, l’espace extérieur. Ulica est synonyme de dvor [dehors] et il s’agit de se couvrir avant de sortir de chez soi, lorsqu’ “ il gèle na ulice ”. “ Être na ulice ”, ou “ jeté na ulicu ” signifie se trouver sans logement et sans moyens de subsistance (*U_akov 1940 : 930). Ulica s’oppose à la maison, au foyer. Elle fut stigmatisée comme “ l’affaire de la prostitution ” (*U_akov 1940 : 930) et elle exerce encore aujourd’hui une “ mauvaise influence ” sur les enfants et les adolescents (*Lopatin & Lopatina 1994 : 738). L’adjectif uliËnyj connote péjorativement l’uliËnyj mal’Ëi_ka [le gamin des rues] ou l’uliËnaâ _en_ina [la femme de la rue : la prostituée] (*O_egov & _vedova 1992 : 861). “ Un homme […] que personne ne connaît ” vient de la ulica (*U_akov 1940 : 930). Embaucher des personnes de la ulica revient à embaucher les “ premiers venus ” (*Giraud 1994 : 440). Cependant, la différenciation opérée entre la voie et les maisons qui la bordent n’est pas totale. Ulica s’applique en effet à “ la population des maisons se situant dans une ulica donnée ” (*U_akov 1940 : 930). Les habitants de la voie de passage constituent donc la ulica. Ce sens figuré pourrait renvoyer à l’acception formulée au XIXe siècle par Dal’, selon laquelle des personnes alignées, “ le peuple, les soldats, [forment] ulica ” (*Dal’ 1882 : 489). Ce serait alors une métonymie directement issue du sens étymologique de ulica, “ un espace entre deux rangées d’objets quelconques ” (*Dal’ 1882 : 489). Mais si l’expression “ toute la ulica est au courant ” (*U_akov 1940 : 930) s’applique aux personnes du voisinage, aux habitants d’une ulica donnée, elle pourrait aussi concerner l’ensemble de la population urbaine. Car au XIXe siècle, ulica définissait un “ attroupement lors d’une fête […], avec des chansons ; une ronde, une danse […] ” (*Dal’ 1882 : 489), sans référence à une voie précise. Cette acception rappelle qu’au XIVe siècle, ulica avait pour synonyme plo_ad’ [la place], l’expression na ulici grada, littéralement “ dans la rue de la ville ”, signifiant “ in plateam urbis ” et na ulici “ in loco publico ” (*Sreznevskij 1989 : 1195). La notion de chose publique aurait pu perdurer, ulica s’appliquant à définir le lieu public et la population qui s’y réunit. De fait, l’expression “ il y aura aussi une fête dans notre ulica ” (*Makarov 1884 : 680), qui marque l’espoir que “ notre jour viendra ” (*_erba & MatuseviË 1997 : 683), exprime aussi bien un désir personnel ou familial que celui d’une population urbaine donnée ou d’un peuple dans son entier. Ulica demeure une voie de passage. Le terme apparaît sur les plaques de signalisation, avec la dénomination de la voie ; il est aussi répertorié sur les plans urbains, soit sous sa forme pleine,

219 Le Trésor des mots de la ville : une maquette au 1/5e ulica nikol’skaâ, telle qu’elle est notée sur le plan de Moscou de 1852-1853 (Hotevyj 1852), soit sous sa forme abrégée, ul. galernaâ (Plan de Saint-Pétersbourg 1997). Une ulica se localise par son nom. Mais si l’interlocuteur connaît bien la ville, une valeur toponymique s’impose : il suffit d’indiquer que l’on habite dans la galernaâ, sans préciser ulica. D’autre part, le terme a aussi une dimension générique : ulica s’applique à ce qui est précisément un bul’var [boulevard] lorsque des arbres ont été plantés en son milieu, un prospekt [avenue] si elle est une glavnaâ ulica [ulica principale] et permet la circulation de beaucoup d’automobiles, ou au contraire un pereulok [ruelle], où “ un étranger pourrait s’égarer ” (Duc Goninaz & Grabovsky 1986 : 75). Sur un plan de ville, les différentes dénominations des voies urbaines sont de la sorte présentées dans une “ liste des noms de ulica insérées sur la carte ” (Plan de Saint-Pétersbourg 1997). Cette dimension générique se retrouve paradoxalement dans le langage argotique des jeunes, qui renomment indifféremment ulica en “ avenju, brod, brodvej, strit ” (*Nikitina 1998 : 576), en référence à la ville nord-américaine (pour avenue, broad, broadway, street). L’usage courant du terme ulica englobe ainsi une nomenclature officielle qui s’est précisée au fil des siècles. La voie de passage se distingue alors par son étroitesse, uzkaâ ulica, par sa largeur, _irokaâ ulica, ou sa nature bruyante, _umnaâ ulica (*Lopatin & Lopatina 1994 : 738). UloËka, le diminutif de ulica enregistré au XIXe siècle est peu usité. Son adjectif uloËnyj, qui permettait de désigner les uloËnyâ oboËiny [trottoirs] (*Dal’ 1882 : 489) n’est plus référencé. C’est l’adjectif uliËnyj, apparu au XVe siècle (*”ernyh 1993 : 288), qui permet de qualifier toute personne ou tout phénomène se rapportant à la voirie : un uliËnyj torgovec [marchand ambulant] (*_erba & MatuseviË 1990 : 683), l’uliËnaâ reklama [publicité émise sur la voie publique], ou l’uliËnaâ torgovlâ [commerce de rue] (*Giraud 1994 : 440). La dimension générique et les nombreux sens figurés de ulica témoignent de la portée de ce terme ancien, d’origine dialectale : ulica est à la fois une voie de passage, le lieu public et le public, la population ; c’est aussi un espace vécu par une population en marge et un espace perçu de façon négative, distanciée, par les autres habitants. Seul le contexte permet de cerner le sens donné à ulica. Ainsi, ce terme peut également désigner un “ territoire dans une ITK ”, c’est-à-dire dans une colonie de correction par le travail. Dans ce cas, ulica correspond au complexe administratif “ au sein duquel sont répartis les bureaux du responsable de la colonie, de ses adjoints, le poste opérationnel, la comptabilité, le poste de santé et divers services, la cantine de l’administration et des travailleurs salariés, la station électrique, le dépôt d’essence, la plac [place] pour la formation des détachements de condamnés. Un détenu n’est autorisé à sortir des zones délimitées d’emprisonnement [pour se rendre] dans la ulica […] que sous escorte [...] ” (*Baldaev 1997 : 98). Isabelle Amestoy

Voir rajon, prospekt, pereulok, plo_ad’, gorod Voir rue (français), street (anglais)

Sources primaires Duc Goninaz M. ; Grabovsky O.. 1986. Le mot et l’idée : révision vivante du vocabulaire russe. Paris : Ophrys, 3è éd. revue et corrigée [Méthode et travail]. Plan de Saint- Pétersbourg. 1997. Sankt- Peterburg. Karta s panoramoj dlâ gostej goroda. [Saint- Pétersbourg. Carte avec panorama pour les invités de la ville]. Sankt- Peterburg : ZAO Karta. [Goroda Rossii]. Hotevy, A. 1852- 1853. Atlas stoliËnogo goroda Moskvy. [Atlas de la ville capitale de Moscou]. Moskva : éd. non précisée. Autres références Tihomirov, M.N. 1964. Novgorod. K 1100 – letiû goroda. [Novgorod. A l’occasion des 1100 ans de la ville]. Moskva : Izdatel’stvo Nauka.

220 Le Trésor des mots de la ville : une maquette au 1/5e

Tûtâev, B.A. 1959. Novgorod. Istoriko- êkonomiËeskij oËerk. [Novgorod. Etude historico- économique]. Novgorod : Novgorodskaâ pravda. ______Vergnügungsviertel, das (pl. Vergnügungsviertel, die) allemand, nom neutre

Traductions “quartier des attractions” (*Pons 1988) “ pleasure district” (*Oxford Duden 1991)

Définitions “Quartier urbain [Stadtviertel] comportant des établissements destinés aux loisirs (par ex. cinémas, brasseries, bars )” (*Brockhaus- Wahrig 1982) [République fédérale allemande] “Quartier urbain [Stadtviertel] comprenant de nombreux établissements destinés aux (1) loisirs, (2) à l’amusement, dans certaines grandes villes des pays capitalistes.” (*Kempcken 1984) [République démocratique allemande]

En février 2002, un journal de Hambourg titrait ainsi un article sur le Vergnügungsviertel situé à proximité du port: “St. Pauli: transformation d’un Amüsierviertel [quartier d’amusement] en un quartier de bureaux ?”. Et poursuivait: “24 milliards d’euros sont investis sur le ‘boulevard des péchés’ [...] Sauvegardant la tradition de l’ancien Vergnügungsviertel de St. Pauli, [les théatres] sont ici à leur place.” (Szene Hamburg 2002 : 33). Un an auparavant, on lisait dans le magazine Géo: “Il y a encore dix ou vingt ans, St. Pauli était un vrai Rotlichtviertel [quartier chaud], où un Hambourgeois de bonne éducation n’allait pas et surtout, n’emménageait pas. Cependant, le quartier [Kiez ] se transforma.” (Géo 2001 : 62). Dans le Nord de l’Allemagne, pour désigner un tel quartier, on emploie plutôt le mot Kiez, mais St. Pauli à Hambourg représente un cas particulier, car il est devenu synonyme de Vergnügungsviertel dans toute l’Allemagne. Vergnügungsviertel est un mot du vocabulaire courant. On l’emploie en général de manière abstraite, lorsqu’on est à la recherche de ce type de quartier ou lorsqu’on en décrit un. Quand on visite une ville qu’on ne connaît pas, on demande: “Où se trouve le Vergnügungsviertel ?”, c’est-à-dire: “Où sort-on ici ?” En revanche, dès que l’on parle de manière concrète, on utilise le nom de la rue ou du quartier où se trouvent les bars, les clubs, les discothèques, les bistrots, les petits théâtres, etc. Ainsi, quand ces lieux se déplacent, le nom du Vergnügungsviertel change aussi. Une publication de l’Institut Goethe a pour titre: “Schwabing : Künstler- und Vergnügungsviertel [le quartier d’artistes et d’amusement] de Munich”. On peut y lire : “Depuis le dernier tiers du siècle dernier jusqu’à la fin de la guerre, aux alentours de 1945, Schwabing était l’eldorado des individualistes. Ensuite cela s’est commercialisé. C’est devenu le Kauf- und Vergnügungsviertel [quartier commercial et d’amusement] des jeunes.” (Goethe Institut 1972 : 2) Si de tels quartiers sont apparus dans la deuxième moitie du XIXe siècle, cette façon de les nommer n’est sans doute entrée dans le langage courant qu’après la Deuxième Guerre mondiale et le mot est apparu dans les dictionnaires seulement dans les années 1970 (*Klappenbach & Steinitz 1978, *Meyer 1981, etc.). Le substantif Vergnügung signifie “plaisir”, ce mot pouvant avoir ou non un sens sexuel. Ce double sens fait que Vergnügungviertel implique une certaine infâmie et rapproche le mot de Rotlichtviertel [litt. quartier des lumières rouges], terme couramment utilisé pour désigner le quartier de la prostitution, sans connotation vulgaire: “On emprunte des ruelles pavées qui traversent le Rotlichtviertel, où, même le jour, une nombreuse clientèle se ballade.” (Die Zeit 2001/22). Le terme peut évoquer des formes différentes de sexualité: “Ici, en plein centre du Rotlichtviertel du quartier St. Georg de Hambourg, les gais se sentent chez eux.” (Die Zeit

221 Le Trésor des mots de la ville : une maquette au 1/5e

1999/5), ou l’insécurité urbaine: “Pas de Rotlichtviertel, même pas un Mac Donald. Le taux de criminalité est très réduit par rapport au taux moyen européen.” (Die Zeit 1999/52). Le terme Rotlichtviertel vient de ce que les prostituées attiraient l’attention sur leurs maisons avec des lampes de couleur rouge, et il s’agit probablement d’un calque de l’anglais red light district. Rotlichtviertel a remplacé des mots allemands qui ne sont plus utilisés aujourd’hui: Rotlichtdistrikt (*Bornemann 1974), Bordellstraße [rue des bordels] et Kontrollstraße [rue contrôlée]. Ce dernier terme appartenait au langage administratif et apparut avec les contrôles de police sur les rues où se concentrait la prostitution: “Les Kontrollstraßen dans lesquelles les prostituées déclarées à la police avaient le droit d’habiter et de travailler étaient la plupart du temps situées [...] dans les quartiers où habitaient les ouvriers” (Posthoff s.d. : 92). Selon Posthoff, le mot Kontrollstraße apparut pour la première fois dans la région de la Ruhr dans un projet de loi de 1892. En 1905, le médecin Johannes Fabry publiait un article ayant pour titre: “Über Bordelle und Bordellstraßen”. En Autriche et dans quelques régions allemandes, on trouve Sperrbezirk [litt. secteur interdit] – à cause de la distance réglementaire à observer par rapport aux églises, aux écoles et à d’autres établissement publics. Vergnügungviertel est entré récemment dans le vocabulaire juridique. En Autriche, un arrêt du tribunal administratif a interdit en 1993 l’ouverture d’une salle de jeux dans un quartier d’habitation: “la loi n’interdit pas les salles de jeux mais veut les avoir dans des endroits ou les dérangements qu’elles provoquent ne seront pas trop remarqués en raison des autres activités qui y sont déjà établies (Vergnügunsviertel).” (VwGH 1992). Dans le langage administratif, le mot Vergnügung, qui compose Vergnügungsviertel, est utilisé dans divers règlements concernant les loisirs pour désigner des lieux (Vergnügungslokal, Vergnügungsstätte, Vergnügungsbetrieb, Vergnügungspark), l’activité consistant à proposer des loisirs au public (Vergnügungsgewerbe ) ou la taxe qui doit être payée pour tout type d’activité de loisir (Vergnügungssteuer). Les premiers Vergnügungsviertel se sont développés au milieu du XIXe siècle à proximité des gares et des grands carrefours, ou dans les centres villes aux alentours des marchés. Ces rues, avec leurs théatres de vaudeville, leurs cafés et leurs salles de bal, se spécialisèrent rapidement (Schlör 1991 : 39), mais on utilisa encore longtemps les anciens mots pour les désigner: “Sur le Boulevard du Temple [...] régnait un Jahrmarktsfest [fête foraine] permanente [...] avec les tapages continus d’un Rummelplatz [champ de foire] [...]. La rue entière était consacrée au Vergnügen [amusement] [...]” (Kracauer 1937 : 36). Dans le langage courant, on nommait aussi ces Vergnügungsstraßen [rues pour l’amusement] “Rue de Nepp” – Nepp étant un mot yiddish désignant quelque chose de luxueux, de superflu (*Küpper 1967). Avant leur regroupement dans des quartiers spécialisés, les divertissements publics étaient forains. Selon les régions d’Allemagne, on appelait différemment ces événements limités dans le temps: Kirmess (en Rhénanie du Nord-Westphalie et à la campagne en Autriche), Jahrmarkt (dans plusieurs régions), Dom (à Hambourg et en Allemagne du Nord), Wiesenmarkt (en Autriche) ou Wasen (en Souabe). Ces mots étaient liés à l’endroit ou à la période à laquelle les divertissements avaient lieu: pendant les jours de fête du calendrier ecclésiastique (Kirche : église, Messe : foire, d’où Kirmess), à l’occasion de foires (Messen) ou du marché annuel (Jahrmarkt), sur des places d’église (Dom : église), dans des prairies situées hors les murs (Wiese : prairie, d’où Wasen, Wiesenmarkt). Le XIXe siècle vit naître les Tivoli et autres Vergnügungsparks, auxquels on donnait souvent le nom de Rummelplatz. À l’origine, le nom de Tivoli fut utilisé pour désigner un Vergnügungsgarten [jardin de divertissement] (*Dudenlexikon 1968). C’est en 1771 que fut inauguré à Paris le Grand Tivoli, dont le nom avait été emprunté à la localité italienne où le duc d’Este avait fait aménager un palais et un jardin en 1550, Tivoli étant également le nom d’un jeu de boule italien (*Meyer 1981). En 1829, on inaugura le Tivoli de Berlin, en 1843,

222 Le Trésor des mots de la ville : une maquette au 1/5e celui de Copenhague – aujourd’hui, on emploie ce mot en allemand presque uniquement pour désigner ce dernier. Le dictionnaire des Grimm (*1895) cite Heyse (1873): “dans les jardins des Vergnügungsörter [lieux d’amusement], il y avait des tables et des bancs”. Le mot Vergnügungspark – défini ainsi par Klappenbach et Steinitz (*1978): “Park [Parc] avec divertissements populaires, Rummelplatz” – fut de plus en plus souvent utilisé à partir de 1900 pour désigner les terrains nouvellement aménagés pour la Volksvergnügung [l’amusement du peuple]: “Le dimanche de Pâques, le restaurant Fredenbaumwirt […] inaugure un Vergnügungspark de grande ville […]. Le nouveau Vergnügungspark sera ouvert tous les jours.” (Dortmunder Zeitung 1912, cité par Ebert s.d. : 113). Le nom Lunapark fut donné en 1903 au parc d’attraction de Coney Island, à New York, où était proposé “un voyage sur la lune”. Ce mot fut ensuite repris dans de nombreux pays d’Europe, notamment en Allemagne: “Dans le Lunapark aux lumières blanches [...] on pouvait voir des nains et une dame géante (Jacob 1934 : 85). “Ce que le Lunapark apporte [...] n’est rien d’autre qu’un avant-goût du dressage que subira le travailleur sans éducation dans son usine.” (Benjamin 1974 [1939] : 221). Ce mot est aujourd’hui à nouveau très à la mode et apparaît dans le contexte des cybercafés, des grands centres commerciaux ou des hôtels: “Lunapark du First World Hôtel à Kuala Lumpur”, “Karaoké et Lunapark”, “Fastfood et Lunapark”. Dans les pages culturelles des journaux, il est souvent utilisé pour désigner un sentiment particulier éprouvé devant un lieu ou un spectacle. Il désigne un nouveau phénomène, pour lequel il n’existe pas encore de mot: “Le football doit être vécu comme le grand spectacle du samedi, comme une attraction du Lunapark der Sensationen [des sensations].” (Die Zeit 2000/44). “ “En tant que forteresse de la société du spectacle, le Potsdamerplatz se transforme en île du spectacle dans l’océan compact et ennuyeux des nouveaux bâtiments berlinois. Que cette évolution ait pu avoir lieu, cette transformation de Daimler-City, tenue pour morte, en Lunapark urbain [...], peu de gens l’auraient imaginé.” (BerlinerZeitung1998) Anette Freytag

Voir Bezirk, Markt, Park, Platz, Straße, Viertel Voir

Sources primaires Benjamin, Walter. 1974 [1939]. “Über einige Motive bei Baudelaire”, in : Gesammelte Schriften, Rolf Tiedemann, Herrmann Schweppenhäuser (Hg.), Band I, 2, Frankfurt a. M.: Suhrkamp, 1974, 606- 653. Berliner Zeitung 1998. Michael Mönninger, “ Architekturpremiere. Themenpark für Stadtliebhaber. Schlüsselfertige Paketlö sung mit Rundumversorgung : das Daimler- Benz- Quartier am Potsdamerplatz ”. Berliner Zeitung, 2.10.1998 (=http://www.berlinonline.de/vissent/berliner_zeitung/archiv/1998/1002/sonderbeilagen/0004/index.html, date du téléchargement : 18.10.2003) Fabry, Johannes 1905. “Über Bordelle und Bordellstraßen”, in: Zeitschrift für Bekämpfung der Geschlechtskrankheiten, Band 4, Leipzig, S.157- 169. Geo 2001. Spezialausgabe “Hamburg”, Heft Juni- Juli. Goethe Institut 1972. Schwabing: Münchens Künstler- und Vergnügungsviertel. München: Goethe Institut. Jacob, Heinrich Eduard. 1934. Sage und Siegeszug des Kaffees, Berlin: Rowohlt. Kracauer, Siegfried 1937. Jacques Offenbach und das Paris seiner Zeit , Amsterdam: de Lange. Szene Hamburg 2002. “Das Herz von St. Pauli“. Szene Ham burg, Februar 2002, 24- 36. VwGH 1992. Österreichischer Verwaltungsgerichtshof, Erkenntnis, Geschäftszahl GZ 92/01/0537, Veröffentlichungsdatum 20011126. [arrêt daté du 20/1/1993]. Zeit, Die 1999/5. Roland Kirbach, Andreas Molitor, “Das Homosexuellen- Hotel Königshof”. Die Zeit , Nr.5, 4.2.1999. Zeit, Die 1999/52. Nils Minkmar, “Atemlos in die Zukunft. Bangalore - Zentrum der Moderne? Die indische Softwaremetropole entwickelt sich rasend“. Die Zeit, Nr. 52, 30.12. 1999 (=http://www.zeit.de/archiv/1999/52/199952.bangalore_.xml, date du téléchargement : 18.10.2003)

223 Le Trésor des mots de la ville : une maquette au 1/5e

Zeit, Die 2000/44. Ulrich Fichtner, Stefan Willeke “Die Herren des Balls. Der Fall Daum hat es bloßgelegt: Im deutschen Fußball regieren Parvenüs, die sich als Profis aufspielen.“ Die Zeit, Nr. 44, 2.1 1. 2000 (=http://www.zeit.de/archiv/2000/44/200044_dfb.xml date du téléchargement: 18.10.2003). Zeit, Die 2001/22. Beate Berger, “Dem schönen Schein ergeben. Die zwei Gesichter einer Stadt: Antwerpen. Unterwegs mit dem Modedesigner Dries van Noten und dem Dramatiker Tom Lanoye”. Die Zeit, Nr.22, 31.5. 2001 (=http://www.zeit.de/archiv/2001/22/200122_antwerpen.xml, date du téléchargement : 18.10.2003) Autres références Ebert , Ralf. s.d. “Der Lunapark in Fredebaum”. In : Acht Stunden sind kein Tag. Freizeit und Vergnügen in Dortmund (1870- 1935). Gisela Framke (Hg.), Dortmund: Ausstell.kat. Museum für Kunst und Kulturgeschichte, 113- 128. Posthoff, Barbara, s.d. “Prostitution in Dortmund von 1870 bis 1930”. In Acht Stunden sind kein Tag. Freizeit und Vergnügen in Dortmund (1870- 1935), Gisela Framke (Hg.) (=Ausst.kat. Museum für Kunst und Kulturgeschichte). Schlör, Joachim. 1991. Nachts in der großen Stadt. Paris, Berlin, London 1840- 1930. München, Zürich: Artemis und Winkler.

224 Le Trésor des mots de la ville : une maquette au 1/5e

______vicolo (pl. vicoli) italien, nom masc.

Traductions “ vicolo : ruelle, sentier ” (*Veneroni 1703) “ vicolo : ruelle […] impasse ” (*Robert & Signorelli 1981) “ vicolo : alley, lane ” (*Ragazzini 1992)

Définitions “ vicolo : rue de la ville, étroite et peu profonde ” (*Ballesio 1902) “ vicolo : voie urbaine secondaire et très étroite ” (*Migliorini 1965) “ vicolo : nom donné dans le langage courant et dans la toponymie officielle, à des voies urbaines de taille modeste, surtout en largeur […]. En particulier vicolo cieco [aveugle], sans issue ; au sens figuré, situation compliquée dont il est difficile de sortir ou difficulté délicate à résoudre ” (* Vocabolario della lingua italiana1994)

L’usage actuel du terme vicolo, au sens de “ petite rue étroite ” (*Migliorini 1965) est attesté dans le langage littéraire depuis le XVIIe siècle au moins. Il avait alors le sens de “ voie urbaine de dimensions modestes ” (M. Buonarroti il Giovane 1619, cité par *Cortellazzo et Zolli 1988) ou petite rue avec toute une gamme de synonymes diminutifs comme stradella, stradetta, straduzza, straducola, chiasso, chiassuolo, chiasserello, chiassolino (Salvini 1700, cité par Ballesio 1902). Toutefois le terme n’apparut que plus tard dans les dictionnaires. Il figure dans l’édition de 1738 du Vocabolario degli Accademici della Crusca, sans toutefois faire l’objet d’aucune définition particulière, avec un simple renvoi à vico, “ rue étroite ” ; dans l’index des locutions latines, viculus est traduit par des synonymes de “ rue étroite ” (borghetto, chiassatello, chiassolino, stredetta…). Ce n'est qu'au XIXe siècle que vicolo commença à recevoir, dans les dictionnaires, sa propre définition et qu’il se substitua alors à vico. La définition renvoyait à une rue courte et peu large (*Ballesio 1902), qui restituait bien l'image des centres historiques des grandes villes, transformés à la fin du XIXe siècle par d'importantes opérations d'assainissement. Le terme est, à l’origine, un diminutif de l'italien vico qui dérive du latin vicus. Dans l'acception latine, vicus revêt deux sens distincts. Il désigne soit une portion d'espace urbain (quartier, chaussée, rue), soit un espace rural habité (village, bourg, canton, propriété) (*Castiglioni & Mariotti 1973). Vicus peut aussi désigner un “ quartier et par extension une rue secondaire par rapport à la voie principale ” (*Lessico Universale Italiano 1981). Ce double sens ne se retrouve pas dans le diminutif viculus que les dictionnaires définissent, dans son acception latine, comme une petite portion d'espace rural : “ petit village, bourgade ” (*Castiglioni & Mariotti 1973). L'ambivalence du latin vicus se retrouve dans l'italien vico qui, comme le montrent les dictionnaires du XIXe siècle, garda pendant des siècles une double signification : partie d'un espace habité tant rural “ villa ou borgo ” (*Rezasco 1881), qu'urbain “ rue [strada] étroite, ruelle [chiassuolo, chiasso] ” (*Fanfani 1863). Dante, dans Le paradis, utilise vico au sens de rue étroite (Par. X, 137, cité par *Manuzzi 1865). Cette acception se raréfia progressivement et, à la fin du XXe siècle, vico est signalé dans les dictionnaires comme un terme daté, qui n'est plus en usage sauf dans les toponymes de petites localités : “ bourg, contrée, village (aujourd'hui seulement comme toponyme) ” (*Lessico Universale Italiano 1981). Dans les dialectes méridionaux, vico est indiqué comme synonyme de vicolo (*Zingarelli 1994). Alors qu’au milieu du XIXe siècle, la définition de vicolo, dans les dictionnaires, renvoie encore

225 Le Trésor des mots de la ville : une maquette au 1/5e souvent à vico (*Fanfani 1863; *Olivieri 1861), ce mot a, de nos jours, définitivement cédé la place à vicolo. Au XIXe siècle, dans la langue littéraire des descriptions urbaines, vico était encore fréquemment préféré à vicolo et revêtait alors le sens de rue étroite et courte, caractérisée par des dimensions particulièrement réduites par rapport à la strada ou la via. Il renvoyait à une voie sans connotation sociale ni formes d'habitat particuliers, sans différences régionales entre le nord, le sud et le centre de l'Italie : “ en face de ce palais se trouve un bel arc à travers lequel on a une vue sur certains masures dans le vico appartenant au duc […] à l'angle […] on trouve un vico par lequel on accède à la place qui donne sur San Siro (Poleggi 1969 [1818] : 131;152). A partir de la fin du XIXe siècle, le terme vicolo apparut aussi dans les dictionnaires en dialecte qui commencèrent à signaler des synonymes régionaux du terme. Dans les dictionnaires toscans le terme correspondant est vicchiu (*Archivio Glottologico Italiano, 1873) ; dans les dictionnaires siciliens on trouve viculu (*Mortillaro 1876), vicol en dialecte du Trentin (*Ricci 1904), viche et vicarielle dans les dictionnaires napolitains (*Andreoli 1966). Vicolo est également mentionné comme traduction du vénitien caleséla, caléta (*Boerio 1856) ou du frioulan andròne (*Pirona 1871). En dialecte romain vicolo prend de multiples sens figurés inspirés par la forme urbaine : par exemple, gorge comme dans l’expression “ vicolo de li tozzi ainsi appelé car les aliments empruntent ce chemin ”, issue “ trouver le vicoletto, trouver une échappatoire ” ou mauvaises conditions “ se trouver en plein vicoletto, se trouver sans ressources, sans argent ” (*Chiappini 1967). On rencontre des usages figurés analogues dans le dialecte napolitain, comme “ emmener quelqu'un dans les viche : embobiner, emberlificoter ” (*Andreoli 1966). C'est justement à Naples que vicolo fit l'objet d'un important glissement sémantique à la fin du XIXe siècle. Avec l'émergence de la "question napolitaine", le mot qui désignait une simple rue étroite se référait désormais à une dimension de l'habitat napolitain liée à des conditions d'hygiène particulières. En cela, il connut une évolution identique à celle de basso et fondaco (habitations populaires et insalubres). Cet emploi se manifesta par exemple dans la littérature médicale. Ainsi en 1829, dans ses Osservazioni sulla topografia medica del Regno di Napoli, le médecin Salvatore de Renzi notait que “ la construction de vicoli […] pèse fortement sur la dégradation de la santé du peuple et en particulier sur celle de la plèbe qui demeure dans les bassi, d'ordinaire humides […] ” (De Renzi 1829, 2 : 32). Par la suite, dans les nombreux rapports techniques sur l'état des habitations populaires rédigés par Marino Turchi, chef du bureau d'hygiène de la ville de Naples et par Raffaele Velieri entre 1861 et 1867, on retrouve fréquemment la référence au vicolo comme abritant des habitations insalubres. Dans ces textes les bassi, fondaci, stalle et grotte génèrent des conditions de vie malsaines dans une ville dont les bas quartiers semblent intégralement constitués de vicoli (Velieri 1867 : 52) . Quelques années plus tard, des journalistes engagés dans la dénonciation de ces conditions de vie firent écho à cette littérature technique et scientifique, et lui donnèrent une audience nationale. Dans La miseria in Napoli la journaliste anglaise Jessie White Mario décrivait, en 1878, les conditions de vie du petit peuple napolitain dans ces termes : “ en rentrant dans le quartier nous atteignîmes un vicolo en escalier, au fond duquel la bouche ouverte d'un égout exhalait les odeurs les plus méphitiques. Des enfants dénudés grouillaient autour […] ” (White Mario 1978 [1878] : 26). Vicolo, comme basso et fondaco, commença à être utilisé par les écrivains dans les années 1880. Mathilde Serao, dans Il ventre di Napoli emploie souvent vicolo pour décrire les bas quartiers de la ville et leur habitat misérable. Toutefois cet usage est peut-être lié aussi à la toponymie des lieux, car le centre de Naples se caractérise par de nombreuses rues dénommées vicchi : “ il existe un vicolo du Soleil ainsi appelé parce que le soleil n'y entre jamais, il y a un vicolo du Septième Ciel, où seul un trait de ciel apparaît très haut entre de vieilles maisons élevées[…] Vous ne pouvez pas laisser debout les arches qui

226 Le Trésor des mots de la ville : une maquette au 1/5e relient les maisons, ni ces entrées étroites, ni ces vicoli ciecchi [impasses]… ” (Serao 1988 [1884] : 33 ; 36). Le mot vicolo caractérisait désormais si bien le vieille ville insalubre que Marcellin Pellet l’utilisa sans le traduire, dans un texte écrit en français : “ on rencontre pourtant dans ces vicoli étroits, des vieux palais du temps où les voitures étaient inconnues […] dans ces labyrinthes inextricables vit une population de deux cent mille âmes ” (Pellet 1894 : 10). A la fin du siècle, la littérature vernaculaire utilisait également le terme vicolo, parfois dans une veine comique. En 1886, dans un recueil de poèmes intitulé ‘O funneco verde, le poète napolitain Salvatore di Giacomo décrivait le type de vie sociale, de culture populaire caractéristique des fondaci napolitains, en assimilant fondaco et vico : “ ce n'est pas un vico mais un trou à rats ” (Di Giacomo 1997 [1886]). Cette représentation du vicolo comme un lieu symbole de la culture napolitaine, renvoyant à un certain style de vie, s'installe durablement au cours du XXe siècle dans la littérature vernaculaire. Elle donne naissance au néologisme vicolano comme chez Domenico Rea, “ les quartiers des vicoli évoquent un appareil intestinal enchevêtré […] Nous avons toujours pensé que le vicolano, le plus sauvage, craint de descendre dans la nouvelle Naples […] Et c'est tellement vrai que n'importe quel Napolitain de la ville récente reconnaît immédiatement le Napolitain du vicolo, quasiment comme un Américain, un indien ou un peau rouge ” (Rea 1990 [1955] : 203). Ces dernières années, le terme vicolo, tout comme borgo et fondaco, a trouvé de nouveaux usages, à l’échelle nationale, dans le domaine du tourisme. Il est lié à des espaces récréatifs et commerciaux qui se veulent évocateurs d’un monde ancien, porteurs d'authenticité rurale, historique ou ethnique. Vicolo cesse d'indiquer une portion d'espace urbain pour désigner des restaurants, des pubs (comme à Rome Il vicolo de’musici [des musiciens]), des bars à vin, jusqu'à devenir un lieu virtuel pour le commerce en ligne comme le site www.vicolo.com ou www.vicolodarte.com (1er mars 2003), site d'une fabrique de chaussures artisanales de Civitanova Marche. La description englobe les deux acceptions du terme, la plus récente et la plus ancienne : “ enchâssée à l'intérieur du centre historique, le long des murs d'enceinte de Montegranaro, la fabrique naît et se développe comme la synthèse d'expériences personnelles et de traditions historiques. Elle vit à l'unisson des couleurs et des saveurs typiques des vicoli de nos villages [borghi]. Y pénétrer signifie pouvoir apprécier l'extraordinaire harmonie entre le vert des portails, le rouge terre de Sienne des briques et la multitude des tons pastels, qui se reflètent dans les peaux et les matériels utilisés […] ”. Alessandra Broccolini

Voir basso, borgo, fondaco, via, strada. Voir calle (espagnol), darb (arabe), ruelle (français), street (anglais), zuqâq (arabe).

Sources primaires De Renzi, Salvatore, 1829. Osservazioni sulla topografia medica del Regno di Napoli, Napoli. Di Giacomo, Salvatore. 1997 [1886]. “O’ funneco verde”, in Tutte le poesie , Roma : Newton Compton Pellet, Marcellin, 1894, Naples contemporaine, Paris : Bibliothèque Charpentier. Poleggi, Ennio et F. (éd.), 1969 [1818], Descrizione della città di Genova da un anonimo del 1818, Genova : Sapeg Rea, Domenico, 1955. “ Le due Napoli ”, in Gesù fate luce, Torino : Einaudi, 1990. S erao, Matilde, 1988 [1884]. Il ventre di Napoli, Napoli : Gallina. Velieri, Raffaele, 1867. Storia della Commissione Igienica della Sezione Pendino, Napoli.

227 Le Trésor des mots de la ville : une maquette au 1/5e

______vila (anc. villa, pl. vilas) portugais, Portugal et Brésil, nom fém.

Traductions “Villa, povoaçaõ aberta, ou cercada, que nem chega a Cidade, nem he taõ pequena como Aldea. Bourg, un lieu qui n’est Ville, ni Village, mais qui tient le milieu.” (*Diccionario Novo... 1764) “VILLA, s.f. N úmero de casas campestres, &c. Village, petite ville, nombre de maisons champêtres. § De villa em villa. De village en village, par les villages.” (*Sà 1794) “ Villa , s.f. bourg, petite ville.” (*Fonseca 1853) “VILLA, s.f. bourg, petite ville. Maison de cam pagne. (p. us.) Moça da _, villageoise, paysanne.” (*Roquette 1921) “ villa1 s.f. villa. “ villa2 s.f. village, bourg. “ villa3 s.f. o mesmo que [la même chose que] avenida [avenue].” (*Ronai 1989)

Définitions “ Villa . Povoação [agglomération, localité] ouverte ou entourée [de murs], qui n’est pas aussi grande qu’une cidade, ni aussi petite qu’une aldea. Elle possède un juge [juiz ], un conseil municipal [senado da câmara] et un pilori [ pelourinho], ce qui la distingue du julgado, qui n’en possède pas [...].” (*Bluteau 1712) “[...] la même chose que quartier [ bairro ].” (*Silva 1949) “vila1. 1. Povoação de catégorie supérieure à celle de aldeia ou arraial et inférieure à celle de cidade. 2. Les habitants de la vila. 3. Ensemble de petites habitations indépendantes, en général identiques, et disposées de façon à former une rue ou place intérieure qui, la plupart du temps, n’a pas un caractère d’espace public; avenida. 4. Au Brésil, tout ensemble de maisons avec des caractéristiques analogues à celle de la vila (3 ). vila2. 1. Maison dans les environs des villes italiennes. 2. Maison qui possède une certaine sophistication, entourée d’un jardin. 3. Vila (2) de loisir, en ville ou dans ses environs.” [dictionnaire publié au Brésil] (*Ferreira 1986) “Vila. Comme cidade , titre légal mais décerné en principe à une agglomération de moindre importance. Même origine médiévale, même maintien du terme par force du code administratif en vigueur, même aspect purement honorifique et inaliénable, flou encore plus grand du critère contemporain d’attribution, et par conséquent même hétérogénéité de la catégorie créée, qui réunit de gros organismes urbains de banlieue et des bourgs semi- ruraux dont le dynamisme peut être ici réel, là souvenir d’un passé lointain. Traduire ce terme par ‘ville’ ou même par ‘bourg’ pourrait donc s’avérer tout à fait impropre.” (Guichard 1992)

On lit dans le Vocabulario Portuguez e Latino de Bluteau (*1712) : “dans certaines écritures de Portugal faites en latin, le mot villa ne signifie pas la povoação [agglomération, localité] que nous appelons villa mais, selon la signification latine, quinta [domaine agricole] ou une chose similaire.” Cette définition évoque une transformation sémantique qui eut lieu pendant la Reconquista du territoire portugais par les rois chrétiens (XIe-XIIIe siècles). C’est alors que le mot villa s’éloigna de son sens originel, qui était un établissement rural ou un groupement de maisons paysannes à l’intérieur d’un domaine agricole. Dans cette dernière acception, il était désormais remplacé par aldeia ou aldea, mot hérité de l’arabe. C’est dans le dictionnaire de Viterbo (*1798) que nous trouvons la signification nouvelle dont le terme villa se trouva investi vers la fin du XIIe siècle : “on a commencé à appeler villa un lugar [lieu, localité] grand ou la cabeça [chef-lieu] d’un concelho, dans lequel on décidait des litiges en première instance, et c’est ce qu’on appelle villa aujourd’hui au Portugal.” Au XIIIe siècle, en effet, les mots villa et cidade désignaient les chefs-lieux de certains concelhos - circonscriptions dotées d’autonomie judiciaire de première instance et administrées par une câmara [conseil] d’homens bons [notables locaux]. Les concelhos constituaient les unités de base de l’organisation politico-territoriale alors mise en place pour favoriser le repeuplement des terres du royaume et stabiliser ses frontières (Magalhães & Coelho 1986, Andrade 2001).

228 Le Trésor des mots de la ville : une maquette au 1/5e

Les termes vila et cidade acquirent ainsi une forte connotation politique et désignaient des agglomérations qui exerçaient leur pouvoir sur un territoire alentour [termo]. C’est le titre de villa qui fut concédé le plus souvent aux chefs-lieux des concelhos, les deux mots devenant presque interchangeables : dans les documents de l’Ancien Régime portugais on trouve assez souvent des localités nommées “Villa ou Concelho de...”. Expression très fréquente à cette époque, créer un nouveau concelho c’était “erigir em villa” un lugar ou aldeia. Donner le titre de villa à une localité, c’était l’émanciper de l’autorité du seigneur ou du concelho dont elle était dépendante, lui conférer le droit d’avoir sa propre câmara et d’exercer sa juridiction sur un territoire déterminé, en faire ainsi le chef-lieu d’un nouveau concelho. Dans le monde portugais, certaines villas jouissaient en outre du privilège de constituer le siège d’une comarca [circonscription judiciaire] et le lieu de résidence d’un magistrat important, le ouvidor : c’étaient les “villas cabeças de comarca”. Dans le Portugal continental on connaît cependant quelques cas où cette correspondance entre villa et concelho ne se vérifiait pas : le titre de villa était parfois concédé à des agglomérations qui n'étaient pas chefs-lieux de concelhos et étaient même situées sur des terres seigneuriales (coutos et honras); de nombreux toponymes composés avec le mot villa désignaient des localités qui n’avaient jamais reçu le titre (Azevedo 1919); enfin, dans les concelhos ruraux les plus modestes (dont le territoire coïncidait souvent avec les limites de la paroisse), le chef- lieu pouvait rester à l’état de aldeia ou lugar (Monteiro 1996 : 36). Dans les territoires d’Outre-Atlantique on ne trouve pas tous ces cas de figure. Pendant l’Ancien Régime, les agglomérations de l’Amérique portugaise étaient classées en fonction de l’existence ou l’absence de l’autonomie judiciaire et administrative: dans le premier cas, c’étaient des villas ou cidades; dans le second des lugares ou arraiais - le mot aldeia ayant acquis dans la colonie une connotation ethnique particulière, celle de groupement d’Indiens. Ainsi, tous les concelhos de l’Amérique portugaise avaient pour chef-lieu une villa ou, plus exceptionnellement, une cidade – catégorie placée au sommet de la hiérarchie des désignations urbaines (Damasceno Fonseca 2003). Le statut juridique et la fonction administrative restèrent pendant longtemps les critères prépondérants de classification des localités portugaises. L’article de Bluteau (*1712) montre que la muraille ne suffisait pas à définir la villa (ce qui était parfois le cas du mot français ville à la même époque) : celle-ci est “une povoação ouverte ou entourée de murs [...]. Elle possède un juge, un conseil municipal [senado da câmara] et un pilori”. Dans certains dictionnaires du XVIIIe ou du XIXe siècles, la définition de chacune des désignations urbaines est établie par des comparaisons avec les autres: ainsi, la villa est une povoação d’un “grade” ou d’une “catégorie” inférieure à celle de la cidade, et supérieure à celle de l’aldeia (*Silva 1789, *Valente 1881). Au XVIIIe siècle, la question de la taille de l’agglomération commençait à prendre de l’importance : selon Bluteau, la villa “n’est pas aussi grande qu’une cidade, ni aussi petite qu’une aldeia” (*Bluteau 1712). Certaines définitions montrent, d’autre part, que villa pouvait désigner des agglomérations en réalité très peu urbaines: “villa, nombre de maisons de gens de la campagne” (*Fonseca 1771); “Fille ou personne de villa, i.e., peu polie et urbaine” (*Silva 1789); “cabeça [chef-lieu] de concelho ou municipio rural” (*Valente 1881). De fait, au début du XIXe siècle, d’autres savants notaient que les titres des agglomérations portugaises ne reflétaient pas forcement leur degré d’urbanité, ni leur importance démographique et économique. Selon un géographe français qui s’est intéressé à la topographie et aux divisions du Royaume de Portugal et de l’Algarve, la villa “contient une population ordinairement moindre que celle d’une cidade, quoiqu’il s’en trouve plusieurs qui en ont de plus considérables, telles que Setubal, Santarem, Guimarães, etc. etc.” (Balbi 1822, 2 : 163-166). D’où l’hésitation chez cet auteur pour choisir le mot français qui correspondrait à villa : “ville” ou “gros bourg”? Il faut noter cependant que les localités citées par Balbi

229 Le Trésor des mots de la ville : une maquette au 1/5e faisaient partie d’une catégorie particulière, celle des villas notáveis [notables, remarquables] - un titre qui relevait aussi d’une décision royale et qui a été attribué à un nombre très réduit d’agglomérations du Portugal continental, principalement en fonction du nombre et de la qualité de leurs habitants (Hespanha 1994). A la même époque, un naturaliste français confrontait les lexiques portugais et français à la réalité des objets urbains dans la région centre-sud du Brésil. Le voyageur critiquait le manque de cohérence des autorités, qui pouvaient donner “le titre de ville” (villa) à “une réunion misérable de 22 maisons” dans la province de São Paulo, en même temps qu’elles refusaient ce privilège à des “villages” et des “bourgades” (arraiais) de Minas Gerais qui étaient bien peuplés et animés par une riche activité commerciale (Saint-Hilaire 1830, 2 : 408- 409). Au cours du XIXe siècle, certaines de ces disparités furent supprimées lors de réformes administratives réalisées au Portugal et au Brésil – devenu un royaume indépendant. Dans les deux aires géographiques, l’attribution des titres de villa et cidade – et donc de l’autonomie municipale - était désormais fortement dépendante du développement démographique et économique des agglomérations (Azevedo 1916). Mais les tendances générales suivies dans une réforme et dans l’autre étaient opposées. Au Portugal, le nombre de concelhos fut réduit de façon radicale, car la plupart était peu développés et n’arrivait pas à générer des ressources suffisantes pour faire face aux dépenses municipales (Oliveira 1996). Au Brésil, au contraire, on augmenta le nombre de municípios (terme qui remplaça peu à peu concelho) et, par conséquent, de villas et de cidades. En 1828, la seule – et importante - différence entre les deux titres est le nombre d’élus dont se composent les chambres municipales : les câmaras des cidades possèdent neuf membres, alors que celles des villas n’en ont que sept (Regimento das Câmaras municipais… 1844 [1828]). Jusqu’alors l’évolution sémantique du mot villa dans l’ancien et le nouveau monde avait suivi des trajectoires parallèles : c’est dans les premières décennies du XXe siècle qu’elles commencèrent à diverger. Au Brésil, une loi de 1938 disposa que tous les sièges de municípios accédaient à la catégorie de cidade, le terme villa devenant la désignation officielle des chefs-lieux des distritos, les subdivisions du município : “le distrito sera designé par le nom de son chef-lieu, lequel aura la catégorie de villa tant qu’il ne sera pas érigé en cidade” - c’est-à-dire, tant que le distrito ne sera pas émancipé et devenu un nouveau município (Decreto-Lei n° 311... 1938). Le mot villa fut cependant de moins en moins employé en dehors des administrations et cette acception n’est pas répertoriée dans les dictionnaires brésiliens les plus récents. Aujourd’hui, vila (la réforme de l’ortographe prise en 1943 lui fit perdre un “l”), en tant que terme classificatoire, a pratiquement disparu des parlers communs - sinon sous la forme des diminutifs vilarejo et vilório (ou vilória), qui servent toujours à désigner (parfois de façon péjorative) des localités de taille encore plus réduite que celles qu’on appelle cidades do interior [de l’intérieur, de province], ou simplement cidadezinhas [diminutif de cidade] : ce sont des synonymes des mots povoado et povoação. Au Portugal, en revanche, depuis plusieurs décennies le sens de vila ne s’est pas modifié : le mot continue d’être utilisé comme auparavant pour designer une “povoação siège d’un concelho qui n’est pas cidade” (*Grande Enciclopédia... ca 1945 : 337), ou une “population agglomérée d’importance inférieure à celle d’une cidade et supérieure à celle d’une aldeia” (*Academia das Ciências de Lisboa 2001). Depuis les dernières décennies du XIXe siècle, vila présente d’autres connotations, qu’attestent les dictionnaires. D’une part, dans une acception qui n’appartient pas exclusivement au monde lusophone, le terme a récupéré un sens proche de la signification latine originelle : non pas celle de “maison rurale”, mais d’habitation bourgeoise, située dans la ville ou à proximité, construite avec “une certaine sophistication et entourée d’un jardin”

230 Le Trésor des mots de la ville : une maquette au 1/5e

(*Ferreira 1986). Au Brésil, c’est à la fin du XIXe siècle qui surgirent, ici et là, des maisons plus au moins grandes et élégantes, en général dessinées par des entrepreneurs italiens, qui portaient sur la façade l’enseigne “Villa”, fréquemment suivie du prénom de l’épouse du propriétaire. À Rio et São Paulo, cet usage s’observa à partir des années 1870 et, dans certaines villes comme Belo Horizonte, il se prolongea au moins jusqu’aux années 1930. D’autre part, le mot vila peut prendre une signification proche de celle de quartier, de bairro. Au Brésil, dès les années 1870, des lotissements bourgeois reçurent le nom de villa (Villa Isabel, Villa Buarque) dans la périphérie de Rio de Janeiro et São Paulo – au même moment où l’on commençait à appeler aussi villa d’opulentes maisons construites au centre d’une parcelle transformée en jardin. Mais, à partir des années 1890, le terme fut repris par les promoteurs de lotissements populaires - tandis que, suivant les principes hygiénistes, on construisait des villas operárias, cités ouvrières constituées de petits groupements de maisons en bande. C’est ainsi que le mot villa commença à être associé aux logements des couches populaires des villes brésiliennes (Pereira 2002 : 271-275), tendance qui alla en s’accentuant par la suite. Ainsi, les conjuntos habitacionais, grands ensembles d’habitat collectif ou pavillonnaire créés par les pouvoirs publics principalement à partir des années 1970, ont souvent reçu pour toponyme un composé de Vila. Au Portugal, il semble qu’au début du XXe siècle, villa pouvait aussi désigner un type d’habitat populaire. En 1916, un membre de l’Académie des sciences de Lisbonne notait que “ce que nous appelons páteo à Lisbonne e ilha à Porto et, depuis peu, villa”, pouvait être traduit par le mot français cité, qui désignait, selon la définition du dictionnaire de Bachelet, une “agglomération de maisons ayant des cours communes, des passages communs, un concierge ou gardien unique, un numérotage particulier” (Azevedo 1916). De fait, les pátios et ilhas étaient des groupements de petites maisons de location disposées autour d’une petite cour ou d’une ruelle privée qui communiquait avec les voies publiques. Mais, à l’opposé des villas populaires brésiliennes nouvellement créées, dans la Lisbonne du début du XXe siècle la très grande majorité de ces logements étaient anciens (certains dataient du XVIe-XVIIIe siècles) et insalubres. Dans les années 1930, l’usage de villa pour désigner ces habitations pauvres et malsaines du Portugal fut considéré comme “abusif” par l’ethnologue Leite de Vasconcelos, qui constatait d’ailleurs que leurs habitants continuaient à les appeler pátios. Selon lui, l’usage de villa était une “fanfaronnade” des propriétaires, car le mot, “dans le sens actuel, d’origine italienne, qu’on a voulu adopter ici, a le sens de maison isolée, indépendante, et entourée de jardins” (Vasconcelos 1936, 2 : 320-326). A l’évidence, l’auteur méconnaissait l’emploi du mot villa pour désigner un habitat populaire, bien que des ensembles de maisons de cette catégorie fussent alors bâtis dans le pays, notamment à Lisbonne, dans le quartier de Graça. De fait, l’usage de villa comme “cité ouvrière” n’était pas encore courant au Portugal, car ces nouveaux ensembles, construits selon les principes hygiénistes, y étaient plutôt désignés par bairro social [quartier social]. Dans certaines villes du Brésil le mot vila est aujourd’hui utilisé pour désigner un autre type d’habitat urbain précaire et souvent insalubre : la favela. À Belo Horizonte, la Vila Aparecida et la Vila Fátima ont surgi pendant les premières décennies du XXe siècle sur les coteaux encore boisés de la Serra do Curral (Guimarães & Reis 1999); au départ, il s’agissait de simples cabanes [barracos] desservies par des chemins de terre. Il est difficile de déterminer avec certitude si l’adoption du mot vila par les habitants renvoie ici à l’idée d’un quartier populaire ou si l’on doit l’associer plutôt aux vilarejos dont étaient originaires les premiers habitants – car, dans les années 1940 et 1950, le terme vila était encore très courant pour désigner les petites agglomérations brésiliennes qui avaient un caractère plus rural qu’urbain. Un inventaire établi à la fin des années 1990 par l’administration municipale de Belo Horizonte intitulé Relação de Vilas/ Favelas… montre que vila est effectivement devenu un

231 Le Trésor des mots de la ville : une maquette au 1/5e synonyme de favela (URBEL 1999). De fait, une grande partie des toponymes qui contiennent le terme désignent des “vilas / favelas” (Vila Joana D’Arc, Vila Formosa, Vilinha Independência, alors qu’un seul conjunto habitacional (ensemble d’habitations populaires) fut baptisé avec un nom similaire (la Villarégia). Aujourd’hui, dans la plupart des grandes villes brésiliennes, le terme semble donc fortement associé à l’habitat précaire et spontané des favelas et, dans une moindre mesure, à des ensembles construits par les pouvoirs publics pour abriter les plus démunis – souvent, d’ailleurs des favelados. C’est ainsi que, dans la liste citée, le mot Vila est totalement absent des noms – officiels ou populaires - donnés aux implantations récentes que l’administration classe comme bairros, c’est-à-dire “quartiers” véritables. Cláudia Damasceno Fonseca

Voir bairro, cidade, conjunto residencial, favela, ilha, município, pátio, povoação Voir bourg (français), cité (français), ciudad (espagnol), hûma (arabe), hâra (arabe), villa (espagnol), villa (français), village (français), ville (français)

Sources primaires Balbi, Adrien. 1822. Essai Statistique sur le Royaume de Portugal et d’Algarve, comparé aux autres Etats de l’Europe. Paris, Rey et Gravier, tome second : p. 163- 166. Decreto - lei n°311, 2 de março de 1938 (site internet du Sénat brésilien : www.senado.gov.br/legbras/). Guichard, François. 1992. Porto, la ville dans sa région. Contribution à l’étude de l’organisation de l’espace dans le Portugal du Nord, Paris, Fondation Calouste Gulbenkian. Regimento das Câmaras Municipais do Império d o Brasil, Lei do 1 de outubro de 1828, aumentada com todas as leis […]. 1844. Rio de Janeiro, Eduardo e Henrique Laemmert. Saint- Hilaire, Auguste de. 1830 Voyages dans l’intérieur du Brésil. Première Partie : Voyage dans les Provinces de Rio de Janeiro et M inas Gerais. Paris, Grimbert et Dorez Librairies, 2 vol. URBEL. 1999. Relação de Vilas/Favelas, Conjuntos Habitacionais Populares e Aglomerados do Município de Belo Horizonte. Belo Horizonte : URBEL, dactyl. Vasconcelos, José Leite de. 1936. Etnografia Portuguesa (tentame de sistematização). Lisboa, Imprensa Nacional, 2 vol. Autres références Andrade, Amélia Aguiar. 2001. A construção medieval do território. Lisboa : Livros Horizonte. Azevedo, Pedro de. 1916. “As cartas de criação de cidades concedidas a povoações portuguesas” in Boletim da Segunda Classe da Academia das Sciencias de Lisboa, vol. X (1915- 1916) : p. 930- 971. Azevedo, Pedro de. 1919. “Cartas de vila, de mundança de nome e do título de notável das povoações da Estremadura” in Boletim da Classe de Letras da Academia das Sciencias de Lisboa, vol. XIII (1918- 1919) : p. 1067- 1150. Damasceno Fonseca, Cláudia. 2003. Des terres aux villes de l’or. Pouvoirs et territoires urbains au Minas Gerais (Brésil, XVIIIe siècle). Paris : Publications du Centre culturel Calouste Gulbenkian. Guimarães, Paula; Reis, Taís Wohlmuth. 1999. Caracterização do Aglomerado da Serra , rapport de recherche dans le cadre du programme “Imagens du Brasil. Modos de ver, modos de conviver”, Belo Horizonte, FAFICH- UFMG, Dep. de Comunicação Social. Hespanha, Antônio Manuel. 1994. As Vesperas do Leviathan - instituições e poder político Portugal séc. XVII. Coimbra: Almedina. Magalhães, Joaquim Romero; Coelho, Maria Helena Cruz. 1986. O poder concelhio das origens às Cortes Constituintes. Coimbra, C.E.F.A. Monteiro, Nuno Gonçalo. 1996. “A sociedade local e seus protagonistas” in Oliveira, César (dir.), História dos Municípios e do Poder Local, Lisboa, Círculo de Leitores : 29- 77. Oliveira, César. 1996. História dos Municípios e do Poder Local. Lisboa, Círculo de Leitores. Pereira, Margareth da Silva. 2002. “Le temps des mots: le lexique de la ségrégation à São Paulo dans les discours de ses réformateurs (1890- 1930) in Christian Topalov (dir) Les divisions de la Ville, Paris, Editions de la Maison des Sciences de l’Homme, p. 255- 290.

232 Le Trésor des mots de la ville : une maquette au 1/5e

______ZUP (pl. ZUP, exceptionnellement ZUPs) français, sigle féminin

Définitions “Article 1 - Dans les communes et agglomérations où l’importance des programmes de construction de logements rend nécessaire la création, le renforcement ou l’extension d’équipements collectifs, un arrêté du ministère de la Construction peut désigner des zones à urbaniser par priorité, dont chacune doit avoir une superfic ie suffisante pour contenir au moins cinq cent logements, avec les édifices, installations et équipements annexes.” (Décret n°58- 1464 du 31 décembre 1958) “ Zone n.f. […] Zone à urbaniser en priorité (Z.U.P.) , région désignée par les pouvoirs publics pour u n effort massif de construction de logements.” (* Grand Larousse 1960- 64) “Les zones à urbaniser en priorité ont été installées là où l’espace existait et là où le sol n’était pas cher. Cela signifiait, le plus souvent, à la fois le désert (sur la place du bâti), l’éloignement et l’absence de moyen de transport. La topographie aussi traduit cette rupture: la ZUP sur un plateau éventé, la ville en contrebas.” (Delarue 1991: 32)

ZUP est une sorte de mot-comète, à évolution rapide. Deux phases se succédèrent. Celle de la production, de 1957 à la fin des années 1960 : le terme, summum de la production urbaine technocratique, désignait les aménagements des nouveaux quartiers selon le principe du zoning. Il était employé notamment par l’administration dont il émanait et les experts (sociologues et psychosociologues) qui en étudiaient la population. Celle de la réparation, ensuite: déjà engagées, les critiques dominent et le mot prend souvent une connotation péjorative, assimilé à une erreur urbanistique. Il s’étend au vocabulaire commun et n’est plus utilisé que rarement sous sa forme déroulée. Mot de la ville de création récente, le sigle ZUP – qui se prononce “ZUP” et non pas “Z.U.P.” – fait moderne. Il est un symptôme du renouveau de la France d’après guerre, qui contamina le vocabulaire et marqua les années 1960, qui auraient été “les années ZUP” (Monnier & Klein 2002). Le mot désigne un espace : zone, et une procédure administrative : à urbaniser en priorité ou par priorité – ambiguïté présente depuis la première occurrence dans la loi-cadre du 7 août 1957, un usage plus rare étant zone d’urbanisme prioritaire (Chalandon 1969). Dans l’usage quotidien, ZUP vaut comme équivalent de grand ensemble qui le précède (Spinetta 1953) avec des opérations comme Sarcelles. Il y est intimement associé, même si aux tours et barres s’ajoutent des logements individuels généralement oubliés des représentations savantes ou collectives. “ZUP : […] une régularisation des grands ensembles d’immeubles collectifs, construits dans les années 50 hors de tout cadre réglementaire” (Prats 1988 : 716). Ainsi, la ZUP-solution précède la ZUP-problème. La concurrence se fait ensuite avec cité, banlieue et quartier en particulier. Appartenant au vocabulaire spécialisé de l’urbain, ZUP s’étendit rapidement à l’ensemble du territoire national: la ZUP des Minguettes à Vénissieux, la ZUP des Courtilières à Pantin, la ZUP de Toulouse le Mirail où les architectes parlaient de ville nouvelle (Candilis, Josic & Woods 1962). Destiné à la construction d’habitations nouvelles, le terme désignait un “urbanisme […] de caractère volontaire” (Bonnome 1964 : 253) mis en place par la puissance publique pour apporter une réponse administrative aux problèmes de la forte pression démographique. Le mot appartenait alors à la sphère juridico-administrative (Jamois 1968). ZUP désignait une procédure d’exception qui dérogeait au droit commun des sols et promouvait une politique d’extension périphérique des villes. Fondée sur une assiette foncière unique, souvent à cheval sur plusieurs communes, placée sous l’autorité du préfet, la ZUP était un produit du centralisme d’Etat. ZUP a une définition avant tout quantitative. Le seuil de 200 logements dans la loi de 1957 fut porté à 500 dans le décret de création du 31 décembre 1958. Tout programme de plus de 100

233 Le Trésor des mots de la ville : une maquette au 1/5e logements dans une commune ayant une ZUP devait lui être rattaché. La construction, répétitive, était économique. En outre, la ZUP était inscrite dans un périmètre délimité par arrêté ministériel, l’opération confiée à un organisme concessionnaire unique (société d’économie mixte – SEM – filiale de la Caisse des dépôts et consignations) devant bénéficier “d’un financement coordonné” de l’Etat (Sudreau 1959). Afin de prévenir la spéculation foncière, le droit de préemption public fut instauré avec la création, “dans les mêmes formes que les zones à urbaniser en priorité, des zones d’aménagement différé [ZAD]” (Loi du 26 juillet 1962). La ZUP a cependant une histoire, avec le précédent des périmètres de compensation de la reconstruction (Vayssière 1995) et la progression du zoning de l’urbanisme français, dont elle constituait un achèvement. Avec la ZUP et l’architecture de plans de masse, l'unité portait sur la partie (la ZUP) et non plus sur le tout (la ville), mais la partie valait comme tout. La ZUP était une sorte de “ville-bis” (Vayssière 1988). Dans les années 1960, le lexique suppléait, comme il rendait compte de la partition. Les nouveaux quartiers cherchaient leur nom. “La novlangue zupienne […] efface certains mots […], toute l’urbanité des années trente” (Bachmann & Le Guennec 1996 : 134). C’était en fait un renouveau massif et technocratique du vocabulaire de l’urbanisme français (Ratouis 2004). Reposant sur une table rase (d’anciens terrains agricoles surtout), ZUP venait donner nom à la grande utopie sociale d’après guerre. Le logement était doté du confort moderne, on faisait ses courses à l’hypermarché, tout était nouveau (Kaës 1963), “la ZUP prend les allures d’une ville-champignon” (ZUP Information 1967 : 1). Les ZUP engendraient un questionnement important sur les modes d’habiter. De fait, les ZUP rassemblaient des populations d’origines multiples (main d’œuvre française et immigrée des nouveaux bassins industriels, rapatriés d’Afrique du Nord, mais aussi classes moyennes). S’il s’agissait parfois de cités de transit qui cachaient leur nom, il y avait, à l’autre extrémité du système, des ZUP pour cadres comme la “ZUP de Malo” (les-Bains) à Dunkerque. Si certains s’efforçaient de montrer la représentativité sociale des grands ensembles par rapport à la moyenne nationale (Clerc 1967), d’autres estimaient que cette utopie d’une société sans classe était “populiste” (Chamboredon & Lemaire 1970). Différentes formes de ségrégations localisées étaient à l’œuvre et les classes moyennes ne faisaient que passer par les ZUP pour poursuivre ailleurs leur ascension sociale (Béhar 1997). Démographes et psychosociologues s’emparèrent de ce nouvel objet, opérant un passage du spatial (plan masse, logements) au social, avec des enquêtes sur ces nouveaux habitants appelés zupéen, -enne : “Habitant d’une ZUP” (*Trésor de la langue française 1990), zupien, tantôt péjoratif (DAFU 1976) tantôt non : “Que disent des zupiens de leur ZUP?” (Dussart 1981), zupiste ou zupard : “L’achèvement de la ZUP et de ses équipements, [les] ‘zupards’ l’attendent toujours” (Butler & Noisette 1977 : 96). En face, vint en 1969, avec chalandonnette (maisonnette) du nom du ministre Chalandon, chalandonnien (habitant de ce type de pavillon) (Nizey 1980). Le logement social dérivait d’un sigle, le logement individuel d’un nom propre. La stigmatisation commença : le gigantisme de l’“univers de béton aux 100 000 fenêtres” (ZUP Gazette 1970 : 1), “entrave […] à l’appropriation du cadre de vie” (Chazalette 1980 : 44). Avec la recherche de “traits permanents: [des] quartiers-dortoirs” (Miaud 1979 : 21), l’accent fut mis sur quelques espaces symboliques comme autant de lieux à reconquérir: parkings, halls d’entrée, “ascenseurs de la ZUP” (Wolf & Osselin 1979) où couvait le thème de la délinquance juvénile avant que se développe celui des luttes urbaines. Pour d’autres chercheurs, “les ZUP ne font que condenser les problèmes sociaux qui naissent de la société urbaine localisée - et non du béton ou même de l’emplacement” (Brun & Roncayolo 1985: 351).

234 Le Trésor des mots de la ville : une maquette au 1/5e

ZUP prit l’image d’un quartier périphérique péjoré. On y opposait pavillonnaires, dont on valorise les qualités (Raymond 1966). La fin des ZUP s’accompagna d’une critique en règle, par l’Etat lui-même, des grands ensembles (Guichard 1973). Les nouvelles zones d’aménagement concerté (ZAC) instituées à la place des ZUP (Loi d’orientation foncière 1967) et conçues par certains tout d’abord comme des “ZUP privées” (Comby 1997) étaient limitées en taille (1000 ou 2000 logements). De 1959 à 1969, 197 ZUP ont été créées. Rétrospectivement, ZUP désigne un urbanisme spécifiquement français, celui de la “ville statistique” (Vayssière 1988). Dans les ZUP, souvent comprises comme la mise en œuvre des doctrines de la Charte d’Athènes (1941 [1933]), le zoning s’accorde avec un monofonctionnalisme de la vie sociale: “De 8h à 18h la ZUP ‘appartient’ aux femmes et aux enfants” (ZUP Gazette 1970 : 1). Si la division du travail est moins figée qu’il ne semble (Préteceille 1973), la ZUP apparaît comme le type de l’“espace résidentiel fordiste” (Ascher 1995). Les ZUP deviennent des “quartiers de relégation” (Delarue 1991). Il s’agit alors de dézupage ou de dézuper (mettre fin au statut de ZUP), mot qui va avec zaquer (inscrire un périmètre en ZAC). La ZUP de Pissevin à Nîmes, évoquée avec orgueil par son architecte qui citait les tours de New York (Arsène-Henry 1969: 13), devint vite “Chicago” (Marconot 1988: 1). L’Etat lui-même relève ces dénominations : “Une réprobation quasi-unanime englobe la ‘ZUP-HLM’, la ‘ZUP-ségrégation’” (Pitrou 1968: 15). La dénonciation est vigoureuse : “L’aberration urbanistique des ZUP” (Pinson 1999: 44). Dans les années 1980, ZUP fut inscrit sous le terme euphémisé de quartiers dans le cadre de la politique de la ville. Les vingt-deux premiers quartiers DSQ (c’est-à-dire relevant de la procédure de “développement social des quartiers”) furent les ZUP les plus dégradées. Une nouvelle concurrence s’établissait avec les mots quartier et cité. Mesure dite “antighetto”, les ZUP furent définitivement supprimées le 1er octobre 1991 avec la “Loi d’orientation pour la ville” (LOV): les zones rentraient dans le droit commun des sols. ZUP inaugurait, avec ZI (zone industrielle), ZH (zone d’habitation), la longue liste des sigles français du zonage. De nouvelles dénominations “en Z” firent suite, mais à connotation socio- économique : Zone d’éducation prioritaire (ZEP), Zone urbaine sensible (ZUS), Zone de redynamisation urbaine (ZRU), Zone franche urbaine (ZFU). Quartiers dits HVS, DSQ, DSU… La saga des sigles redouble celle du zonage, qui suit l’évolution des politiques publiques. Le mot ZUP s’autonomise de la réglementation et, popularisé, survit à sa mort administrative. Des experts proposent de changer le vocabulaire technique – car “Personne ne veut vivre dans une zone” (Sueur 1998 : 186) –, position qui accompagne les politiques de démolition des grands ensembles et de réhabilitation de ces quartiers d’habitat social. La volonté de changer les noms accompagne le reflux de l’histoire: “La ZUP d’Argenteuil […] est rebaptisée ‘la Dalle’ et ‘les terrasses du Val d’Argent’”(Sebbar 2002). Mais le dimanche reste le jour du “marché à la ZUP” (Poitiers Magazine 2000). Olivier Ratouis

Voir cité, banlieue, HLM, périphérie, quartier, tour Voir

Sources primaires Arsène- Henry, Xavier, 1969, Notre ville , Tours, Mame Ascher François, 1995, Métapolis , Paris, Odile Jacob Bachmann Christian, Le Guennec Nicole, 1996, Violences urbaines. Ascension et chute des classes moyennes à travers cinquante ans de politique de la ville , Paris, Albin Michel Bonnome Camille et alii, 1964, L’urbanisation française, Paris, Centre de recherche d’urbanisme

235 Le Trésor des mots de la ville : une maquette au 1/5e

Brun Jacques, Roncayolo Marcel, 1985, “Formes et paysages”, in Duby Georges (dir.), Histoire de la France urbaine. T. 5 La ville aujourd’hui, Paris, Seuil Butler Rémy, Noisette Patrice, 1977, De la cité ouvrière au grand ensemble: la politique capitaliste du logement social, 1815- 1975, Paris, Maspéro Candilis Georges, Josic Alexis, Woods Shadrach, 1975, Toulouse le Mirail, la naissance d’une ville nouvelle , Stuttgart, Kramer Verdoz Chalandon Albin [ministre de l’Equipement et du Logement], 1969, Une nouvelle politique de l’urbanisme, plce et rôle de la maison individuelle. Conférence du 7 mai 1969, Chambre de commerce et d’industrie de Paris, Paris Chazalette André,1980, “Une ZUP qui vieillit mal”, Economie & humanisme, n° 255, septembre - octobre, pp. 35- 44. Comby Joseph, 1997, “Trente ans d’orientation foncière”, Etudes foncières, n°77, p. 6. DAFU, 1976, La Renaissance d’un grand ensemble , Paris, Ministère de l’Equipement “Décret n° 58- 1464 relatif aux Zones à urbaniser par priorité” du 31 décembre 1958, Journal officiel (Lois et décrets), 4 janvier 1959. Delarue Jean- Marie, 1991, Banlieues en difficultés: la relégation. Rapport au ministre d’Etat, ministre de la ville et l’aménagement du territoire , Paris, Syros Dussart Michel, 1981, Que disent des zupiens de leur ZUP? Beau Marais, Calais , enquête de la Confédération syndicale du cadre de vie, Calais, CSCV. Guichard Olivier [ministre de l’Aménagement du territoire, de l’Equipement, du Logement et des Transports], “Circulaire n° 72- 73 relative aux formes d’urbanisation dites ‘grands ensembles’ et à la lutte contre la ségrégation sociale par l’habitat” du xx mars 1973, Journal o fficiel (Lois et décrets), 5 avril 1973. Jamois Jean, 1968, Préf. de G. Lavau, Les zones à urbaniser par priorité. Un élément fondamental de l’aménagement du territoire , Paris, Berger- Levrault “Loi d’orientation foncière” (LOF) n° 67- 1253 du 30 décembre 1967, Journal officiel (Lois et décrets), 3 janvier 1968. “Loi d’orientation pour la ville” (LOV) n° 91- 662 du 13 juillet 1991, Journal officiel (Lois et décrets), 19 juillet 1991. “Loi n° 62- 848 relative au droit de préemption dans les zones à urbaniser en priorité et dans les zones d’aménagement différé” du 26 juillet 1962, Journal officiel (Lois et décrets), 27 juillet 1962. “Loi- cadre n° 57- 908 favorisant la construction de logements et les équipements collectifs” du 7 août 1957, Journal officiel (Lois et décrets), xx août 1957. Miaud Guy, 1979, La ZUP, milieu de vie, milieu d’études, Centre départemental de Documentation pédagogique, La Rochelle Monnier Gérard et Klein Richard (dir.), 2002, Les années ZUP. Architectures de la croissance. 1960- 1973, Paris, Picard Nizey, Jean., 1980, “Un rêve avorté : les chalandonnettes”, Economie & humanisme, n° 255, septembre - octobre, pp. 45- 54. Pinson Daniel, 1999, Des banlieues et des villes. Dérive et eurocompétition, Paris, Editions ouvrières Pitrou Agnès, 1968, Quelq ues problèmes posés par le lancement et la réalisation des ZUP, CERAU, Paris Poitiers Magazine, février 2000, “Problème de stationnement à la ZUP”, n° 74 Prats Yves, “Zone à urbaniser par priorité (ZUP)”, in Merlin Pierre, Choay Françoise (dir.), 1988, Dic tionnaire de l’urbanisme et de l’aménagement, Paris, Presses universitaires de France Raymond Henry, Haumont Antoine, Haumont Nicole, Raymond Marie - Geneviève, 1966, L’habitat pavillonnaire , CRU, Paris Sebbar Leïla, 2002, Propos recueillis par Mona Cholle, www.peripheries.net/i- valn.htm Spinetta Adrien [directeur de la Construction], “Les grands ensembles pensés pour l’homme, au service d’une politique active et humanisée de l’habitat”, L’Architecture d’aujourd’hui, n°46, février- mars 1953, p. 24. Sudreau Pierre [ministre de la Construction], “Circulaire relative à l’aménagemenbt des zones à urbaniser par priorité” du 25 septembre 1959, Journal officiel (Lois et décrets), 3 octobre 1959. Sueur Jean- Pierre, 1998, Demain la ville , Paris, Documentation française, 2 tomes Vayssière Bruno (resp.), 1995, Ministère de la reconstruction et de l’urbanisme 1944- 1954. Une politique du logement, Paris, IFA - PCA Vayssière Bruno, 1988, Déconstruction, reconstruction. Le hard french ou l'architecture française des trente glorieuses, Paris, Picard

236 Le Trésor des mots de la ville : une maquette au 1/5e

Wolf Marc, Osselin Jacqueline, 1979, Les ascenseurs de la ZUP. Contrôle populaire et autogestion communale, l’expérience municipale de Mons- en- Baroeul, Paris, François Maspero ZUP Gazette. Journal des Couronneries [Dir. publ. M. Grosbras, Poitiers], 16 février 1970, n° 3, p. 1 - 4. ZUP Information. Journal de l’Amicale de défense et d’entraide des habitants de la ZUP Sablons- Gazonfier [Dir. publ. Jean- Marie Badot, Le Mans], n° 4, avril 1967.

Sources secondaires Marconot Jean- Marie, 1988, La ZUP de Nîmes: son mode de vie, son langage, Université Paul- Valéry, Montpellier (recueil de textes extraits pour la plupart de L’écho de la ZUP Nord , 1977- 1987) Autres références Béhar Daniel, 1997, “De la modélisation à la mobilisation : la mixité dans les politiques urbaines”, in Alain Obadia (dir.), Entreprendre la ville. Nouvelles temporalités, nouveaux services, Colloque de Cerisy, Paris, Editions de l’Aube Chamboredon Jean- Claude; Lemaire Madeleine, 1970, “Proximité spatiale et distance sociale. Les grands ensembles et leur peuplement”, Revue française de sociologie , vol. 11, n°1, pp. 3 - 33. Charte d’Athènes [La], 1941 [1933], (auteur: Le Corbusier), Paris, Plon Clerc Paul, 1967, Grands ensembles. Banlieues nouvelles, Paris, PUF Kaës René, 1963, Vivre dans les grands ensembles, Préf. de Paul Chombart de Lauwe, Paris, Editions ouvrières Préteceille Edmond, 1973, La production des grands ensembles, Paris - La Haye, Mouton Ratouis Olivier, 2004, “La fonction crée- t - elle le nom? Obsolescence et renouveau du vocabulaire urbanistique des aménageurs français des Trente Glorieuses”, in Brigitte Marin (Coord.), La ville: les catégories de l'urbain , Paris, Unesco - Editions de la Maison des sciences de l’homme (à paraître)

237 Le Trésor des mots de la ville : une maquette au 1/5e

Dictionnaires de langue et encyclopédies allemand Adelung, Johann Christoph 1801. Wörterbuch der Hochdeutschen Mundart, Band 4, Leipzig- Halle (alle Bände: 1774-1786). Bornemann, Ernst 1974, Sex im Volksmund. Der obszöne Wortschatz der Deutschen, Reinbeck bei Hamburg : Rowohlt. Brockhaus Enzyklopädie in 24 Bänden, 1987, Bd 3, Mannheim. Brockhaus, Die Enzyklopädie, 1996. Leipzig, Mannheim, F.A. Brockhaus. Brockhaus-Wahrig 1982. Gerhard Wahrig, Brockhaus-Wahrig. Deutsches Wörterbuch, Wiesbaden: Brockhaus. Campe, Heinrich 1813. Wörterbuch zur Erklärung und Verdeutschung der unserer Sprache aufgedrungenen, fremden Ausdrücke (= Ergänzungsband vom Wörterbuch der deutschen Sprache 1807-1813). Campe, Joachim Heinrich. 1810. Campes. Wörterbuch der deutschen Sprache. Braunschweig : Schulbuchhandlung. Volume 4 Das Große Brockhaus, 1932. Leipzig, Brockhaus. Der Große Muret-Sanders, Langenscheidts Enzyklopädisches Wörterbuch der englischen und deutschen Sprache, 1999, Berlin/München. DTV-Lexikon. 1997. Mannheim, Munich : Brockhaus, DTV. Volume 6, 3e éd. (1ère éd. 1982) Duden 1963. Grebe, Paul (Leitung) Etymologie. Herkunftswörterbuch der deutschen Sprache, Mannheim: Bibliographisches Institut. Duden. 1989. Deutsches Universal Wörterbuch, Mannheim, Duden Verlag. Duden. Bedeutungswörterbuch. 1985. Mannheim, Vienne, Zurich : Duden Verlag. Duden. Redewendungen. 1985. Mannheim, Vienne, Zurich : Duden Verlag Dudenlexikon 1968. Hg. und bearb. von der Lexikonredaktion des Bibl. Inst., Das große Dudenlexikon. Mannheim, Wien, Zürich: Bibliographisches Institut. Grimm’s Deutsches Wörterbuch. 1957. Leipzig : S. Hirzel. Volume 10, tome 3. Grimm, Jacob et Grimm, Wilhelm 1889. Deutsches Wörterbuch. 7. Bd. (bearb. v. Matthias Lexer). Leipzig : S. Hirzel : 22-28. Grimm, Jacob et Grimm, Wilhelm. 1854. Deutsches Wörterbuch, vol. 1. Leipzig, Verlag S. Hirzel. Grimm, Jacob und Wilhelm 1895. Deutsches Wörterbuch, Deutsche Akademie der Wissenschaften Berlin, Leipzig. (1ère livraison 1895, cité d’après l’édition de 1956) Kehrein, Joseph 1876. Fremdwörterbuch mit etymologischen Erklärungen und zahlreichen Belegen aus Deutschen Schriftstellern, Wiesbaden. Kempcken, Günter 1984. Handwörterbuch der deutschen Gegenwartssprache (=Akademie der Wissenschaften der DDR, Zentralinstitut für Sprachwissenschaft), Band 2, Berlin: Akademieverlag. Klappenbach, Ruth / Steinitz, Wolfgang (Hg.) 1978. Wörterbuch der deutschen Gegenwartssprache, Band 6, Berlin: Akademie-Verlag (3e éd., 1ère éd. 1968). Kluge, Friedrich 1989. Etymologisches Wörterbuch der deutschen Sprache. Unter Mithilfe von Max Bürgisser u. Bernd Gregor, völlig neu bearbeitet von Elmar Seebold (22. Aufl.). Berlin ; New York : de Gruyter. Kluge, Friedrich 2002. Etymologisches Wörterbuch der deutschen Sprache. Bearbeitet von Elmar Seebold (24., durchgesehene und erweiterte Aufl.). Berlin ; New York : de Gruyter. Kluge, Friedrich. 1999. Etymologisches Wörterbuch der deutschen Sprache. Berlin : Walter de Gruyter. 23e éd. (1ère éd. 1883) Küpper, Heinz 1967. Wörterbuch der deutschen Umgangssprache, Band 5: 10 000 neue Ausdrücke von A-Z, Hamburg: Claasen.

238 Le Trésor des mots de la ville : une maquette au 1/5e

Langenscheid 1988. Lange-Kowal, Ernst Erwin (Hg), Langenscheidts Handwörterbuch Französisch. Band 1, Berlin, München, Wien, Zürich: Langenscheidt (1. Aufl. 1963). Langenscheidt.1977. Das große Wörterbuch Englisch, 2e partie. Berlin et München, Langenscheidt. Langenscheidts Großwörterbuch der englischen und deutschen Sprache 1984. “Der kleine Muret-Sanders” (2. Aufl.). Berlin u. München : Langenscheidt. Larousse Grosswörterbuch Französisch-Deutsch, Deutsch-Französisch von Pierre Grappin, 1994, Paris. Meyer 1981. Hg. und bearb. von der Lexikonredaktion des Bibl. Inst., Meyers Enzyklopädisches Lexikon. Deutsches Wörterbuch, Band 32, Mannheim, Wien, Zürich: Bibliographisches Institut. Meyers Enzyklopädisches Lexikon, 1972, Bd 4, Mannheim. Meyers Lexikon, 1925, Bd 2, Leipzig. Meyers Lexikon. 1924. Vol. 1 (7e édition). Leipzig, Bibliographisches Institut. Müller, Josef 1944. Rheinisches Wörterbuch (Im Auftrag der Preussischen Akademie der Wissenschaften, der Gesellschaft für rheinische Geschichtskunde und des Provinzial- verbandes der Rheinprovinz). (Sechster Band N-Q). Berlin : Klopp. Oxford Duden 1991, Hg. Scholze-Stubenrecht, W. and Sykes, J.B., The Oxford Duden German Dichtionary, Oxford: Clarendon Press (1. Aufl. 1990). Oxford Duden 1991. W. Scholze-Stubenrecht, J.B. Sykes (Hg.), The Oxford Duden German Dictionnary, Oxford: Clarendon Press (2 édit., 1. édit. 1990). Pons 1982. Kompaktwörterbuch Englisch - Deutsch. hrsg. v. Prof. Dr. Erich Weis (1. Aufl.), Stuttgart : Ernst Klett. Pons 1988. Mattutat, Heinrich. Neubearbeitung unter Mitwirkung von Christian Nugue (Erweiterte Neuebearbeitung). Großwörterbuch. Pons. Weis Mattutat. Deutsch-Französisch. Stuttgart, Dresden: Ernst Klett Verlag. Pons 1996. Großwörterbuch Französisch – Deutsch. Stuttgart – Dresden : Ernst Klett. Pons Großwörterbuch. Weis Mattutat Französisch-Deutsch. 1989. Stuttgart : Ernst Klett Verlag Sanders, Daniel. 1899. Enzyklopädisches englisch-deutsches und deutsch-englisches Wörterbuch, vol. 2, deutsch-englisch. Berlin. Trübners Deutsches Wörterbuch, 1939, Bd 1, Berlin, Alfred Göße. von Eichborn, Reinhard. 1994. Die Sprache unserer Zeit, Wörterbuch in vier Bänden. Deutsch-Englisch, vol. 3, A-K. Mönchengladbach, von Eichborn Siebenpunkt Verlag. Wahrig, Gerhard. 1968. Deutsches Wörterbuch. (édition intégrale) Gütersloh, Bertelsmann Lexikon Verlag. Weis, Erich et Mattutat, Heinrich. 1976. Wörterbuch der französischen und deutschen Sprache, vol. 1 Französisch-Deutsch, vol. 2 Deutsch-Französisch. Stuttgart, Ernst Klett Verlag. Zedler, Johann Heinrich 1741. Grosses vollständiges Universallexikon, Band 27, Leipzig (alle Bände: 1734-1748) Zedler, Johann Heinrich 1744. Grosses vollständiges Universallexikon, Band 39, Leipzig (alle Bände: 1734-1748) anglais American Heritage Dictionary of the English Language. 1980. William Morris, ed. Boston: Houghton, Mifflin. American Heritage Dictionary of the English Language. 1992. (3e édition), Boston, New York, London, Houghton Mifflin Company.

239 Le Trésor des mots de la ville : une maquette au 1/5e

American Heritage Dictionary of the English Language. 2000. 4th. ed. Boston, New York, Houghton Mifflin Company. Bosworth, J and Northcote Toller, T. 1898, reprinted 1972. Anglo-Saxon Dictionary. Oxford: Oxford University Press, vol 1. Chambers New Dictionary and Encyclopaedia, 2000. London: W. and R. Chambers. Clifton, C.C. & Adrien Grimaux. 1876. Dictionnaire Anglais-Français. Paris: Garnier Frères. Collins Dictionary of the English Language. 1979. Editor, Patrick Hanks, London : Collins. Cotgrave, Randle. 1611. A Dictionary of the French and English Tongues [...]. London, printed by A. Islip. Reprint Columbia: University of South Carolina, 1968. Craigie, William A. et Hulbert, James R. 1938-1944. Dictionary of American English on Historical Principles. 1939. Chicago, The University of Chicago Press. Encyclopaedia Britannica. 1911. Cambridge : University Press, eleventh edition, 29 vol. Encyclopedia Americana 1995. International ed., 30 vol. Danbury, CT: Grolier. Farmer, John S. (éd.). 1889. Americanisms - Old & New : A Dictionary of Words, Phrases and Colloquialisms Peculiar to the United States, British America, the West Indies, etc. [...]. London, Poulter and Sons. Hornby, A.S., Cowie, A.P. et Gimson, A.C.. 1988. Oxford Advanced Learner’s Dictionary of Current English. (28e édition). Oxford, Oxford University Press. Johnson, Samuel. A Dictionary of the English Language. 1755. London : printed by W. Strahan for J. and P. Knapton [etc.]. Kurath, Harry. 1959. Dictionary of Middle English. 10 vols ongoing. Ann Arbor: University of Michigan Press, vol 2. Lieber, Francis, ed. 1829-33. Encyclopaedia Americana. A Popular Dictionary of Arts, Sciences, Literature, History, Politics, and Biography. Philadelphia: Carey, Lea & Blanchard. Mathews, Mitford M. 1951. A Dictionary of Americanisms on Historical Principles. Chicago, University of Chicago Press, 2 vol. Murray, James A.H. 1888. New English Dictionary. London: Clarendon Press. New Dictionary of Americanisms. 1902. New York, L. Weiss & Co. Publ. New Shorter Oxford English Dictionary. 1993. Oxford: Clarendon Press. Oxford English Dictionary 1944 ed. Addenda. Oxford: Clarendon Press. Oxford English Dictionary, 1989, 2d ed. Prepared by J.A. Simpson and E.S.C. Winter. Oxford, Clarendon Press, 20 vol. Parish, M.A. and Crossland, F. 1933. The British Dictionary. London: Odhams Press. Skeat, Reverend Walter W. 1879. An Etymological Dictionary of the English Language. Oxford: Clarendon Press. Soukhanov, Anne H. (éd.). 1999. Encarta World English Dictionary. New York, St. Martin’s Press. The Concise Oxford Dictionary. 1976. 6th edition, 0xford, Oxford University Press. Universal Dictionary. 1987. London: Readers Digest. Webster’s New International Dictionary. Second Edition. Springfield, MA: G. & C. Merriam, 1960. Webster’s New International Dictionary. Springfield, MA: G. & C. Merriam, 1920. Webster’s Third New International Dictionary. Springfield, MA: G. & C. Merriam, 1976. Webster, Noah. 1806. A Compendious Dictionary of the English Language, a facsimile of the first 1806 edition. New York: Bounty Books, 1970. Webster, Noah. 1828. An American Dictionary of the English Language [...]. New York, S. Converse, 2 vol. Webster, Noah. 1838. An American Dictionary of the English Language. 15th ed. New York: N. & J. White.

240 Le Trésor des mots de la ville : une maquette au 1/5e

Webster, Noah. 1853. An American Dictionary of the English Language, revised and enlarged by Chauncey A. Goodrich. Springfield, Mass.: George and Charles Merriam. Webster, Noah. 1870. An American Dictionary of the English language. Springfield, Mass., G. & C. Merriam. Webster, Noah. 1881. A Dictionary of the English Language. Springfield, Mass., G. & C. Merriam. Whitney, William Dwight. 1889. The Century Dictionary. An Encyclopaedic Lexicon of the English Language. New York: The Century Company, London: T. Fisher Unwin. Whitney, William Dwight. 1914 The Century Dictionary. An Encyclopaedic Lexicon of the English Language. Rev. ed. New York: The Century Company. Originally published in 1889. Worcester, Joseph E. 1860. A Dictionary of the English Language. Boston, Hickling, Swan and Brewer. Worcester, Joseph E. 1886. A Dictionary of the English Language. Philadelphia, J. B. Lippincott Company. [Webster]. International Dictionary of the English Language. Revised and enlarged by Noah Porter. London: G. Bell and Sons; Springfield, MA: G. & C. Merriam Co., 1890. arabe ‘Izzat ‘Abd al-Karîm, éd., Le Caire, Matbû‘ât al-jam‘iyya al-misriyya li-al-dirâsât al- târîkhiyya, 1959. Abdel Nour, Jabbour ; Idriss, Souheil. 1972. Al-manhal al-wasît. Dictionnaire français-arabe. Beyrouth, Delta Press. Al Mounged français-arabe. 1972. Beyrouth, Dar el-Machreq. Al-Bustânî, Butrus. 1870. Muhît al-muhît. Qâmûs mutawwal li-al-lugha al-‘arabiyya, Beyrouth (réimpression 1965). Al-Bustânî, Butros. 1880. Muhît al-muhît. Rééd. Beyrouth, Librairie du Liban, 1998. Al-Bustânî, al-Cheikh ‘Abdallah al-Lubnânî. 1927. Mu’jam lughawî. Beyrouth, al-Matba‘a al-Amîr Kâniyya. Al-Bustanî, Abd Allah. 1930. Al-Bustân. Beyrouth, Al-Matba‘a al-Amîrikâniyya. Al-Bustâni, Sheikh Abdullah. 1992. Mucjam lughawî mutawwal. Beyrouth, Maktaba Lubnân. Al-Labîdî, Abû al-Qasim. 1959 [XIe siècle]. Manâqib d'Abû Ishâq al-Jabanyânî. Edition et traduction Hédi-Roger Idris, P.U.F., Paris. Al-mounjid fi al-lugha al-’arabiyya al-mu’âsira [xxtraduction française du titre, SVP]. 2000. Beyrouth, Dâr al-Machreq. al-Munjid al-Abjadî. 1968. Beyrouth, Dar al-Machreq. al-Munjid fîl-lûgha wal-a’lâm [xxtraduction française du titre SVP]. 1986. Beyrouth, Dâr al- Machriq. Al-Munt'açar Ibn Abî Lihya al-Qafçi, XVIIe siècle, Nûr al-'armâsh fî manâqib. Badawi, El-Said & Martin Hinds.1986. Mu’jam al-lugha al-‘arabiyya al-masriyya. ‘arbî-inglisî. A dictionary of Egyptian Arabic. Arabic-English. Beirouth, Librairie du Liban. Barthélémy, Adrien. 1935. Dictionnaire arabe-français - Dialectes de Syrie: Alep, Damas, Liban, Jérusalem. Paris, Librairie orientaliste Paul Geuthner Belot, J. B. XIXe siècle. al-Farâ’id al-durriyya, Beyrouth, Dâr al-Mashriq, 21e édition, 1971. Blachère, Régis. Chouémi, Moustafa. Denizeau, Claude. 1970. Dictionnaire arabe-français-anglais (langue classique et moderne), Paris, Maisonneuve et Larose, vol. 2. Boris, Gilbert. 1958. Lexique du parler arabe des Marazig. Paris, Klincksieck. Budayrî, Ahmad. XVIIIe siècle. Hawâdith Dimashq al-yawmiyya, 1741-1762, Ahmad Doniach, N. S. 1972. The Oxford English-Arabic Dictionary of current usage. Oxford, Clarendon Press. Hajjar, Joseph Naoum. 1980. Mounjid classique arabe-français. Beyrouth, Dâr al-Machreq.

241 Le Trésor des mots de la ville : une maquette au 1/5e

Hava s.j., J.G. 1950, Al farâid al-durriyya fi al-lughatayn al-’arabiyya wa al-inglizyya. Beyrouth, Catholic Press. Ibn Abî Dînâr. 1967. Al-Mu'nis fî 'akhbâri Ifrîqiyya wa Tûnis. Tunis, Al-Maktaba al-’Atîqa. Ibn Manzûr. 1994 [XIIIe s.]. Lisân al-’arab. Rééd. Beyrouth, Dâr Sâdir. Ibn Manzûr. 1998 [XIIIe s.] Lisân al-‘arab. Rééd. Beyrouth, Dâr al-Ma’ârif, Librairie du Liban,. Ibn Manzûr. XIIIe siècle. Lisân al-‘Arab. Le Caire, 1882. Iraqui-Sinaceur, Zakia (dir). 1993 Le dictionnaire Colin d’arabe dialectal marocain. Rabat, Al Manhil. Ministère des Affaires culturerlles (8 vol.). Jomier, Jacques. 1976. Lexique pratique français-arabe (Parler du Caire). Le Caire. IFAO. Jubrân, Mas’ûd. 1986. Al-râ’id ; mu’jam lughawî ‘asrî ruttibat mufradâtuh wafqan li-hurûfihâ al- ‘ûlâ [xxtraduction française du titre SVP]. Beyrouth, 2e ed. Dâr al-‘Ilm, vol. 1. Jullien de Pommerol, Patrice. 1999. Dictionnaire arabe tchadien - français. Paris, Editions Kharthala. Kasirmiski, A. de Biberstein. 1860. Dictionnaire arabe-français. Paris, Maisonneuve & Cie. Lane, Edward William. 1984. An Arabic-English Lexicon, 2 vol. Cambridge, The Islamic Texts Society Trust (1ère éd. 1863-1893). Massoud, Jibrân. 1981. Al-Raed mo’jam laghawi ‘asri. Beyrouth, Dâr al’ilm li-l-malayîn. Mawsû‘a al-‘arabiyya al-muyassira al-. 1965. Le Caire, Dâr al-qalam et Mu’assasat Franlîs li-al-tibâ‘a wa al-nashr. Prémare, Alfred-Louis de et coll. 1999. Langue et culture marocaines. Dictionnaire arabe- français, Paris, L’Harmattan. Reda, Youssof. 1996. Al-kamil al-kabir. Dictionnaire français-arabe. Beyrouth, Librairie du Liban. Reig, Daniel. 1983. As-sabîl, Dictionnaire Arabe-Français. Paris, Larousse. Reig, Daniel. 1986. Al-sabîl, arabe-français, français-arabe, Paris, Larousse. Shihâbî Mustafâ al-. 1978. Mu‘jam al-shihâbî fî mustalahât al-‘ulûm al-zirâ‘iyya, Beyrouth. Sinaceur, Zakia, dir. s.d. Le dictionnaire Colin d’arabe dialectal marocain. Rabat, Institut d’études et de recherches pour l’arabisation. Torkia, Edouard. 1952. Nouveau dictionnaire français-arabe, Le Caire. Wehr, Hans. 1976. A Dictionnary of Modern Written Arabic. 3d ed., Ithaca, Spoken Languages Services Inc. Wehr, Hans. 1980. A Dictionary of Modern Written Arabic. Beyrouth, Librairie du Liban (1ère édition O. Harrasowitz 1961) espagnol Bibliorom Larousse. 1996. Dictionnaire compact français-espagnol/espagnol-français. Cédérom : Bibliorom Larousse, Microsoft Corporation et Liris Interactive. Covarrubias. 1611. Tesoro de la lengua castellana. Diccionario Collins : Español-Inglés, English-Spanish. Barcelona, Grijalbo, 1992. Diccionario del español usual en México. 1996. México D.F. : El Colegio de México. Diccionario enciclopédico UTEHA.1953. México, Union Tipográfica Editorial Hispano Americana, tomo V. Diccionario general de americanismos. 1942 primera edicion, tomo I, Mejico D.F. Editorial Pedro Robredo Diccionario Marín de la Lengua española. 1982. Barcelona. Grijalbo & Harper Collins. 1992. Diccionario español-ingles english-spanish. Barcelona, coed. (Barcelona) Grijalbo y (Glasgow) Harper Collins. Larousse moderno Français-Espagnol/Español-Francés. 1989. Paris/Barcelona : Larousse. Martín Alonso.1960. Diccionario del Español Moderno, Madrid. Moliner, Maria. 1966. Diccionario de uso del espanol. Gredos, Madrid.

242 Le Trésor des mots de la ville : une maquette au 1/5e

Pequeño Larousse 2003 (El), Edición totalmente renovada y puesta al día. 2003. Barcelona México, Larousse. Real Academia Española. 1729. Diccionario de Autoridades. Real Academia Española. 1925. Diccionario usual. (www.rae.es) (12/2000). Real Academia Española. 1992. Diccionario de la lengua española. (www.rae.es) (12/2000). Real Academia Española. 2001. Diccionario de la lengua española, Madrid. Santamaria, Francisco J., 1959, Diccionario de mejicanismos, Mejico, Primera Edicion, Editorial Porrua Zerolo, Elias (compuesto por). 1895. Diccionario enciclopédico de la lengua castellana, Paris, Casa Editorial Garnier Hermanos français Académie française. 1836. Supplément au Dictionnaire de l'Académie Française, Paris, Firmin-Didot [xxvérifier]. Académie française. 1842. Complément du Dictionnaire de l'Académie Française, Paris, Firmin-Didot [xxvérifier]. Dictionnaire de l'Académie française, 7e édition. Paris, Firmin-Didot et Cie, 1878, 2 vol. Dictionnaire de l’Académie française. 1932. 8ème éd., Paris, Hachette [t.1, article “ cité ”]. Dictionnaire des mots contemporains, Robert, par P. Gilbert, 1980. Dictionnaire universel françois et latin, vulgairement appelé Dictionnaire de Trévoux [...]. 1771. Nouvelle édition [...]. Paris, Cie des Libraires Associés, 8 vol. [t. 2, article “Faubourg”]. Dictionnaire universel françois et latin, vulgairement appelé Dictionnaire de Trévoux [...]. 1776. Nouvelle édition [...]. Paris, Cie des Libraires Associés, 8 vol. Dictionnaire universel françois et latin, vulgairement appelé Dictionnaire de Trévoux. 1752. Paris, Compagnie des libraires associés. Diderot, Denis et d'Alembert, Jean le Rond. 1751-1780. Encyclopédie, ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et métiers [...]. Paris, 35 vol. (t. 2) Diderot, Denis et d’Alembert. 1751-1780. Encyclopédie, ou Dictionnaire raisonné des sciences des arts et métiers. Neufchastel, Samuel Faulche et Compagnie, Librairies & Imprimeurs. Diderot, Denis; d'Alembert, Jean le Rond. 1751. Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers […]. Paris, Briasson, 1751-1780, vol. 2. Du Cange. Charles Du Fresne [1610-1688]. 1842. Glossarium mediae et infimae latinitatis, Paris, Firmin Didot. Furetière, Antoine. 1690. Dictionnaire universel contenant généralement tous les mots français tant vieux que modernes […]. La Haye et Rotterdam, Arnout et Reinier de Leers, 3 vol. Godefroy, Frédéric. 1902. Dictionnaire de l'ancienne langue française et de tous ses dialectes du IXe au XVe siècle. Paris, F. Vieweg, 1881-1902, 10 vol. (t. X, Complément). Grand Larousse Encyclopédique en 10 vol., 1960-64, Ed. revue et corrigée, 1971 Grand Larousse Encyclopédique. 1960, Librairie Larousse, vol. 2. Grand Robert de la langue française (Le). 1991. Paris : Dictionnaires Le Robert. Hesseln, Robert de. 1771. Dictionnaire universel de la France, Paris, chez Dessaint. Huguet, Edmond. 1965. Dictionnaire de la langue française du XVIe siècle. Paris, Didier, 1925-1967, 7 vol. (t. 6). Johnson, S., 1755, A Dictionary of the English Language, London: Times Books Ltd, Facsimile edition 1979. La Curne de Sainte Palaye. 1877. Dictionnaire historique de l’ancien langage françois, Paris, Champion. Larousse du XXe siècle. 1928-1933. Ed. Paul Augé. Paris, Librairie Larousse, 6 vol.

243 Le Trésor des mots de la ville : une maquette au 1/5e

Larousse, Pierre. 1865-1876. Grand dictionnaire universel du XIXe siècle. Paris, Administration du "Grand dictionnaire universel", 15 vol. Littré Emile. 1863-1869. Dictionnaire de la langue française. Paris, Hachette, 2 tomes en 4 vol. Meney, Lionel. 1999. Dictionnaire québécois-français, Montréal, Guérin. Nouveau Petit Robert (Le), dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française. 1993. Paris : Dictionnaires Le Robert. Nouveau Petit Robert 2000. Le Nouveau Petit Robert. Dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française. Nouvelle édition du Petit Robert de Paul Robert, texte remanié et amplifié sous la Direction de Josette Rey-Debove et Alain Rey. Paris, Dictionnaires Le Robert. Edition mise à jour : juin 2000 Petit Larousse grand format (Le). 2002. Paris. Rey, Alain (s.l.d.). 1993. Dictionnaire historique de la langue française. Paris, Dictionnaires Le Robert. Rey A. et Rey-Debove J. (dir.).1988. Petit Robert 1. Dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française. Paris, Le Robert. Robert (Le), Dictionnaire historique de la langue française. 1998. dir. Alain Rey, T. 3 (1ère éd. 1992). Trésor de la langue française. Dictionnaire de la langue du XIXème et du Xxème siècles, 1990, Paris, Editions du CNRS, 1971-1997 italien Altamura, Antonio, 1956. Dizionario dialettale napoletano, Napoli : F. Fiorentino ed. Andreoli, Raffaele, 1966 [1887]. Vocabolario napoletano-italiano. Napoli : Arturo Berisio Editore [ed. or. 1887]. Archivio Glottologico Italiano, 1873. Torino. Ballesio, G. B., 1902. Fraseologia italiana, Firenze : R. Bemporad & figlo. Battaglia, Salvatore, 1961. Grande dizionario della lingua italiana, Torino : UTET. Battaglia, Salvatore, 1962. Grande dizionario della lingua italiana, Torino : UTET. Battaglia, Salvatore, 1964. Grande dizionario della lingua italiana, Torino : UTET. Battaglia, Salvatore, 2000. Grande dizionario della lingua italiana. Torino : UTET, vol. XX. Bobbio, Norberto, Matteucci, Nicola, Pasquino, Gianfranco (dir.), 1992. Dizionario di politica, Torino : Tea. Boch, Raoul, 1979. Dizionario francese italiano / italiano francese, Bologna : Zanichelli Boerio, G., 1856. Dizionario del dialetto veneziano, Venezia : Tip. G. Cecchini. Casaccia, Giovanni, 1876. Dizionario Genovese-Italiano. Genova : Tip. Gaetano Schenone. Castiglioni L. et S. Mariotti, 1973. Vocabolario della lingua latina, Torino : Loescher. Castiglioni, Luigi & Mariotti, Scevola, 1966. Vocabolario della lingua latina, Torino : Loescher. Chiappini, Filippo, 1967. Vocabolario romanesco, Roma : Chiappini. Cortellazzo, M. et C. Marcato, 2000. Dizionario etimologico dei dialetti italiani, Torino : Garzanti. Cortellazzo, M. et P. Zolli, 1988. Dizionario etimologico della lingua italiana, Bologna : Zanichelli, (5 vol.). D’Alberti de Villeneuve, abbé François, 1835. Grand dictionnaire français-italien, composé sur les dictionnaires de l’Académie française et de l’Académie de la Crusca, enrichi de tous les termes techniques des sciences et des arts, Naples : de l’imprimerie du Tasso. D’Ambra, R., 1873. Vocabolario napolitano-toscano domestico d’arti e mestieri, Napoli : a spese dell’autore. D’Ascoli, F., 1993. Nuovo vocabolario dialettale napoletano, Napoli : A. Gallina.

244 Le Trésor des mots de la ville : une maquette au 1/5e

Devoto, Giacomo; Oli, Gian Carlo, 1990. Il dizionario della lingua italiana, Firenze : Le Monnier. Dizionario Enciclopedico Italiano Treccani. 1974. Roma. (vol XIV, supplemento) Dizionario inglese-italiano italiano-inglese, 1988 (troisième édition). Firenze : Sansoni editore Fanfani, P., 1863. Vocabolario della pronunzia toscana, Firenze : Le Monnier. Fanfani, Pietro, 1922. Vocabolario della lingua italiana, Firenze : Le Monnier Galiani, Ferdinando, 1789. Vocabolario delle parole del Dialetto napoletano che più si discostano dal dialetto toscano, Napoli : G.M. Porcello. Gismondi, Alfredo, 1955. Nuovo vocabolario genovese-italiano. Genova. Grande dizionario della lingua italiana, 1980. Torino : UTET. Grande dizionario della lingua italiana, 1987. Torino : Garzanti. Grande dizionario della lingua italiana, 1987. Torino : Utet Hazon, Mario, 1971. Grande dizionario inglese italiano/italiano inglese, Milano : Garzanti Lessico universale italiano di lingua, lettere, arti, scienze e tecnica, 1977. Roma : Istituto della Enciclopedia italiana fondata da Giovanni Treccani, tome XVIII. Lessico universale italiano di lingua, lettere, arti, scienze e tecnica, 1979. Roma : Istituto della Enciclopedia italiana fondata da Giovanni Treccani, t. XXII. Lessico universale italiano di lingua, lettere, arti, scienze e tecnica, 1981. Roma : Istituto della Enciclopedia italiana fondata da Giovanni Treccani. Manuzzi, G., 1865. Vocabolario della lingua italiana, Firenze : Stamperia del Vocabolario, Accademici della Crusca. Melzi, Giovanni Battista, 1880. Nuovo vocabolario universale della lingua italiana storico, geografico, scientifico, biografico, mitologico..., Paris : fratelli Garnier. Migliorini, B., 1965. Vocabolario della lingua italiana, Torino : Paravia. Mortillaro, V., 1876. Nuovo Dizionario Siciliano-Italiano, Bologna : Forni editore, 1970 (rééd. anastatique). Panzini, Alfredo, 1950. Dizionario moderno delle parole che non si trovano nei dizionari comuni, Milano : Hoepli. Petrocchi, Policarpo, 1931. Novo dizionario della lingua italiana. Milano : Fratelli Treves, 2 vol. Pirona, J., 1871. Vocabolario friulano, Venezia, Stab. Antonelli. Puoti, Basilio, 1841. Vocabolario domestico napoletano e toscano, Napoli : Lib. E Tip. Simoniana. Ragazzini, Giuseppe, 1992. Il Nuovo Ragazzini. Dizionario inglese italiano/italiano inglese, Bologna : Zanichelli. Rezasco, Giulio, 1881. Dizionario del linguaggio italiano storico e amministrativo, Firenze : Le Monnier. Ricci, V., 1904. Vocabolario trentino-italiano, Bologna : Forni editore (rééd. anastatique) Robert & Signorelli Dictionnaire français-italien italien-français, 1981. Paris et Milan : Société du nouveau Littré et Carlo Signorelli. Rohlfs, Gerhard, 1932-1939. Dizionario delle Tre Calabrie, Halle : N. Niemeyer. Salzano, Antonio, 1979. Vocabolario napoletano-italiano : con nozioni di metrica e rimario. Napoli : Societa editrice napoletana. Scarabelli, Luciano, 1878. Vocabolario universale della lingua italiana, Milano : G. Civelli. Tommaseo, Nicolò, Bellini, Bernardo, 1916. Dizionario della lingua italiana, Torino : UTET Traina, A., 1868. Nuovo vocabolario siciliano-italiano, Palermo : Giuseppe Pedone Lauriel editore. Veneroni, G., 1703. Dittionario italiano e francese. Dictionaire italien et françois, Venezia. Vocabolario degli accademici della Crusca, 1686. Venezia : Giovanni Giacomo Hertz.

245 Le Trésor des mots de la ville : une maquette au 1/5e

Vocabolario degli accademici della Crusca, 1697. Venezia : Giovanni Francesco Valuasense Vocabolario dell’Accademia della Crusca, 1878. Firenze. Tipografia Galileiana. Vocabolario della Lingua Italiana, 1987. Roma : Istituto della Enciclopedia Italiana Treccani. Vocabolario della lingua italiana, 1985. Roma : Istituto della Enciclopedia italiana fondata da Giovanni Treccani, t. I Vocabolario della lingua italiana, 1991. Roma : Istituto della Enciclopedia italiana fondata da Giovanni Treccani. Vocabolario universale italiano, 1835. Napoli : Società tipografica Tramater, 5 vol. Zingarelli, N., 1994. Vocabolario della lingua italiana, Bologna : Zanichelli. portugais Academia das Ciências de Lisboa. 2001. Dicionário da Língua Portuguesa Contemporânea. Lisboa, Fondação C. Gulbenkian, 2 vol. Almeida, José Maria d’ et Araújo Corrêa de Lacerda, Diccionario da Lingua Portugueza par uso dos Portuguezes e Brazileiros, Lisbonne. No Escriptório de Francisco Arthur da Silva, 1859, p. 329. Aulete, F. J. de Caldas. ca 1880. Diccionario contemporaneo da Lingua Portugueza. Lisboa, Antonio Maria Pereira, s.d. Azevedo, Domingos de. 1953. Grande Dicionário Português-Francês, 4e éd., Lisbonne, Bertrand. Bluteau Raphaël. 1712. Vocabulario Portuguez e Latino. Coimbra : Collegio das Artes da Companhia de Jesu. Bluteau, Raphael. Supplemento ao Vocabulario Portuguez e Latino, Lisbonne, Patriarcal Officina da Musica, 1728, 2ème partie, p. 231. Diccionario Novo Portuguez e Francez com os termos latinos. ca 1764. s.l., s.n. Dicionário enciclopédico brasileiro ilustrado, 1947. Rio de Janeiro, Porto Alegre, Sao Paulo, 1947, Editora da Livraria do Globo Ferreira, Aurélio Buarque de Holanda. 1986. Novo Dicionário da Língua Portuguesa. Rio de Janeiro: Ed. Nova Fronteira. Figueiredo, Cândido de. 1973. Dicionário da Língua Portuguesa. 2a ed., Lisboa, Bertrand (1a ed.1949). Fonseca Pedro José da. 1771. Diccionario Portuguez e Latino. Lisboa : Na Regia Oficina Tipografica. Freire, Laudelino. 1939-1944. Grande e Novissimo Dicionário da Lingua Portuguesa. Rio de Janeiro : Livraria José Olympio Editora, 5 vol. (Colaboração técnica do professor J.L. de Campos) Grande Enciclopédia Portuguesa e Brasileira. ca. 1945. Lisboa-Rio de Janeiro, Editorial Enciclopédia. Houaiss, Antonio; Villar, Mauro de Salles 2001. Dicionário Houaiss da Lingua Portuguesa. Rio de Janeiro : Objetiva. Lacerda, José Maria D’Almeida e Araujo Correa de. 1858. Diccionario da Lingua Portugueza de Eduardo de Faria, Lisboa, Escrip. de Fco Arthur da Silva. Larousse culturel Brasil A/Z, 1988, Enciclopédia alfabética de um único volume, São Paulo, Editora Universo Machado, José Pedro. 1981. Grande Dicionário da Língua Portuguesa. Lisboa, Amigos do Livro, 13 vol. Machado, José Pedro. 1991. Grande Dicionário da Língua Portuguesa. Lisboa: Alfa. Moraes & Velho. 1831. Dicionário da Língua Portuguesa composto por António Moraes Silva , Quarta edição reformada por Theotónio José de Oliveira Velho, Lisboa (1a ed. 1789). Novo Dicionário Aurelio, 1975, Rio de Janeiro, Editora Nova Frontera

246 Le Trésor des mots de la ville : une maquette au 1/5e

Pequeno Dicionario Brasileiro da Lingua Portuguesa, 1949, Editora Civilização Brasileira Rónai, Paulo, 1989. Dicionário essencial francês-português e português-francês. Rio de Janeiro, Nova Fronteira. Roquette, J.-I. 1921. Nouveau dictionnaire portugais-français composé sur les plus récents et les meilleurs dictionnaires des deux langues [...]. Paris, Lisbonne, Rio de Janeiro, Belo Horizonte, Aillaud, Alves & Cia. Sá, Joaquim José da Costa e. 1794. Diccionario Portuguez-francez e latino novamente compilado [...]. Lisboa : Officina de Simão Thaddeo Ferreira. Silva, Antonio de Moraes. 1813. Diccionario da Lingua Portuguesa, Lisbonne, Lacerdina. Silva, Antonio de Moraes. 1858. Diccionario da Lingua Portugueza. Lisbonne, Tomo I. Silva, Antônio Moraes. 1789. Diccionario da Lingua Portugueza. Lisboa : Na Officina de Simão Thaddeo Ferreira. Silva, Antônio Moraes. Grande Dicionário da Lingua Portuguesa, 1949. 10e Edition, Lisboa, Confluência. Valente, Antônio L. S. 1881. Diccionario contemporaneo da Lingua Portuguesa. Lisboa : Imprensa Nacional. Vieira, Dr. Fr. Domingos. 1873. Grande Diccionario Portuguez ou Thesouro da Lingua Portugueza. Porto, Ernesto Chadron e Bartholomeu H. de Moraes, Volume II. Viterbo, Joaquim de Santa Rosa. 1798. Elucidario das palavras, termos e frases que em Portugal antigamente se usaram e hoje regularmente se ignoram. Lisboa : Na Officina de Simão Thaddeo Ferreira. russe ”ernyh, P.Â. 1993. Istoriko-êtimologiËeskij slovar’ sovremennogo russkogo âzyka.[Dictionnaire historique et étymologique de la langue russe contemporaine]. Moskva : Russkij âzyk, 2 tomes (t.2). Académie des Sciences. 1868. Slovar’ cerkovno-slavânskavo i russkavo-âzyka [Dictionnaire de la langue slavonne et russe]. Sankt-Peterburg : Imperatorskaâ Akademiâ Nauk, tome IV (II éd.) Académie des Sciences. 1961. Slovar’ âzyka Puökina [Dictionnaire de la langue de Pouchkine]. Moskva : Gosudarstvennoe izdatel’stvo inostrannyh i nacional’nyh slovarej, tome IV. Académie des Sciences. 1984. Sovar’ russkogo âzyka v èetyrëh tomah [Dictionnaire de la langue russe en quatre tomes]. Moskva : Russkij Âzyk, tome IV, II éd. revue et aug. Académie russe. 1794. Slovar’ akademij rossijskoj [Dictionnaire de l’académie russe]. Sankt-Peterburg : Imperatorskaâ Akademiâ Nauk, tome IV. Alaev, È.B..1977. Ekonomiko-geografiËeskaâ terminologiâ :[Slovar’ - spravoËnik]. [Terminologie économico-géographique [Dictionnaire – aide mémoire]]. Moskva : Mysl’. Aleksandrov, A.1923. Polnyj russko-anglijskij slovar’. Complete russian-english dictionary. [Dictionnaire russe-anglais complet]. Berlin : Gluksman. Apresân, Û.D..1997. Novyj ob’’âsnitel’nyj slovar’ sinonimov russkogo âzyka. [Nouveau dictionnaire explicatif des synonymes de la langue russe ].Moskva : _kola “ Âzyki russkoj kul’tury ”. Baldaev, D.S.. 1997. Slovar’ blatnogo vorovskogo _argona v dvuh tomah.[Dictionnaire du jargon argotique des malfaiteurs en deux tomes]. Moskva : Kampana, 2 tomes (t.2). Bol’saja Sovetskaja Enciklopedija. 1930. Smidt O.Ju. (rédacteur en chef), Moskva : Sovetskaja Enciklopedija. Bol’saja Sovetskaja Enciklopedija. 1937. Moskva : OGIZ RSFSR, tom 34. Bol’saja Sovetskaja Enciklopedija. 1973. Moskva : Sovetskaja Enciklopedija, tom 13, 3e éd. Bol’soj tolkovyj slovar’ russkogo jazyka. 1998. Sankt-Peterburg : Norint.

247 Le Trésor des mots de la ville : une maquette au 1/5e

Bol’_aja Sovetskaja Enciklopedija [Grande encyclopédie soviétique]. 1955. Moskva : izd. “Sovetkaja enciklopedija”, t.37. Brokgauz’, F.A. ; Efron’, I.A. 1899. EnciklopediËeskij slovar’. [Dictionnaire encyclopédique]. S.Peterburg : Delo. Brokgauz, F.A. ; Efron E.A. 1893. Enciklopedi_eskij slovar’, S-Peterburg : Tipografija I.A. Efrona, tome X. Brokgauz, F.A. i Efron I.A. 1895. Enciklopediceskij slovar’. Sankt-Peterbourg : Tipo- Litografija I.A. Efrona, tom XVI. Brokxauz-Efron. 1900. Enciklopedi_eskij slovar’[Dictionnaire encyclopédique]. St Peterburg : tip. Akcionernoe ob__estvo “Izdatel’skoe Delo”, t. 28. Corten Irina H. 1992. Vocabulary of Soviet Society and Culture. A Selected Guide to Russian Words, Idioms, and Expressions of the Post-Stalin Era, 1953 – 1991. Durham and London : Duke University Press. Cyganenko, G.P.. 1989. ÊtimologiËeskij slovar’ russkogo âzyka, bolee 5000 slov.[Dictionnaire étymologique de la langue russe]. Kiev : Radâns’ka _kola, 2è éd.. Cyganenko, G.P.. 1989. ÊtimologiËeskij slovar’ russkogo âzyka. Bolee 5000 slov. [Dictionnaire étymologique de la langue russe. Plus de 5000 mots]. Kiev : Radâns’ka _kola, 2è éd. revue et complétée. Dal’ Vladimir. 1866. Tolkovyj slovar’ ûigogo velikorusskogo âzyka [Dictionnaire commenté de la langue vivante russe]. Moskva : Imperatorskij Moskovskij Universitet, tome IV. Dal’ Vladimir. 1912. Tolkovyj slovar’ ûigogo velikorusskogo âzyka Vladimira Dalâ [Dictionnaire commenté de la langue vivante russe de Vladimir Dal’]. Sankt-Peterburg - Moskva : M.O.Vol’f’, tome IV, (4e éd. revue et aug.). Dal’, Vladimir. 1882. Tolkovyj slovar’ _ivago velikoruskago jazyka [Dictionnaire raisonné de la grande langue russe]. St Petersbourg, Moskva : izd. Tipografa M.O. Vol’fa, t. 3. Dal’, Vladimir. 1882. Tolkovyj slovar’ _ivogo velikorusskogo âzyka. [Dictionnaire commenté de la langue vivante russe]. Moskva : Russkij âzyk, rééd. 1989-1991, tome 4. Dal’, Vladimir. 1907. Tolkovyj slovar’ _ivogo velikorusskogo âzyka Vladimira Dalâ [Dictionnaire commenté de la langue vivante russe de Vladimir Dal’]. Sankt-Peterburg - Moskva : M.O.Vol’f’, tome III, (3ème éd. revue et aug.). Èernyh P.Â. 1993. Istoriko – êtimologièeskij slovar’ sovremennogo russkogo âzyka [Dictionnaire historique et étymologique de la langue russe contemporaine]. Moskva : Russkij Âzyk, Tome II. Elistratov V.S. 1994. Slovar’ moskovskogo argo (materialy 1980 – 1994 gg.) [Dictionnaire de l’argot moscovite (matériaux des années 1980-1994)]. Moskva : Russkie slovari. Etimologi_eskij slovar’ russkogo jazyka. 1973. Moskva : Izdanie Moskovskogo Universiteta, vypusk 5, tom1. Giraud, Robert. 1994. Dictionnaire français – russe et russe – français de la langue des affaires. Paris : Institut d’Etudes Slaves, 2è éd. revue, aug. et mise à jour. glossarij.ru. 2004. [email protected] (01/10/2004). Imprimerie Impériale. 1798. Dictionnaire complet français et russe composé sur la dernière édition de celui de l’Académie française. Saint-Pétersbourg : Imprimerie impériale, tome I, II éd. cor. et aug. Kotelovaâ, N.Z. 1984. Novye slova i znaèeniâ : slovar’ – spravoènik po materialam pressy i literatury 70-h godov [Nouveaux mots et significations : dictionnaire de référence d’après les matériaux de la presse et de la littérature des années 70]. Moskva : Russkij âzyk. Kotelovaâ, N.Z.. 1995. Slovar’ novyh slov russkogo âzyka (seredina 50 –h – seredina 80-h godov).[Dictionnaire des nouveaux mots de la langue russe (milieu des années 50 – milieu des années 80)]. Sankt-Peterburg : DB.

248 Le Trésor des mots de la ville : une maquette au 1/5e

Kutina L.L., Zamkova V.V. 1961. Slovar’ russkogo âzyka v èetyrëh tomah [Dictionnaire de la langue russe en quatre tomes]. Moskva : Gosudarstvennoe izdatel’stvo inostrannyh i nacional’nyh slovarej, tome IV. Kuznecov, S.A. 2001. Sovremennyj tolkovyj slovar’ russkogo âzyka. [Dictionnaire commenté actuel de la langue russe].Sankt-Peterburg : Norint. Leva_ov E.A. 1997. Novye slova i zna eniâ. Slovar’ – spravoË nik po materialam pressy i literatury 80 – h godov.[Nouveaux mots et significations. Dictionnaire de référence d’après les matériaux de la presse et de la littérature des années 80]. Sankt-Peterburg : DB. Lopatin, V.V. ; Lopatina, L. E. 1994. Russkij tolkovyj slovar’ : okolo 35000 slov.[Dictionnaire russe commenté : près de 35000 mots]. Moskva : Russkij âzyk, 3è éd. corrigée et complétée, [Malaâ biblioteka slovarej russkogo âzyka].[Petite bibliothèque des dictionnaires de langue russe ] Makarov, N. 1884. Me_dunarodnye slovari dlâ srednih uËebnyh zavedenij. [Dictionnaires internationaux pour les écoles secondaires]. S. Peterburg : Trenke i Fûsmo, 3è édition, vol. russe – français. Malaja Sovetskaja Enciklopedija. 1959. Moskva : Malaja Sovetskaja Enciklopedija, tom 5, 3e éd. Mokienko, V.M. ; Nikitina, T.G..1998. Tolkovyj slovar’ âzyka Sovdepii.[Dictionnaire commenté de la langue du pays soviétique]. Sankt-Peterburg : Folio-Press. Molotkov, A.I. (dir.). 1994. FrazeologiËeskij slovar’ russkogo âzyka : Svy_e 4000 slovarnyh statej.[Dictionnaire phraséologique de la langue russe : plus de 4000 articles de mots]. Sankt-Peterburg : Variant, 5è éd. stéréotypée. Nikitina, T.G.. 1998. Tak govorit molode_’ : slovar’ molode_nogo slenga, po materialam 70 – 90-h godov.[Ainsi parle la jeunesse : dictionnaire de l’argot des jeunes, d’après les matériaux des années 70-90]. Sankt-Peterburg : Folio – press, 2è éd. corrigée et aug.. O_egov, S.I. ; _vedova, N.Ju.. 1992. Tolkovyj slovar’ russkogo âzyka : 72 500 slov i 7 500 frazeologiËeskih vyra_enij. [Dictionnaire commenté de la langue russe : 72 500 mots et 7500 locutions]. Moskva : AZB, Ltd O_egov, S.I. et N. Ju. Svedova. 1976 [1949]. Tolkovyj slovar’ russkogo jazyka [Dictionnaire raisonné de la langue russe], Moskva. Plavlenkov, F. 1900. Slovar’ inostrannyh slov vo_ed_ih v sostav russkogo âzyka. [Dictionnaire des mots étrangers entrés dans la composition de la langue russe]. S.Peterburg : Pavlenkov. Preobra_enskij, Aleksandr Grigor’evic. 1910. Etimologiceskij slovar’ russkogo jazyka[Dictionnaire étymologique de la langue russe], Moskva : Gosudarstvennoe izd. inostrannych i nacional’nych slovarej, 1958, 3 tomes en 1 vol. RBI Granat. 1913. Enciklopedi_eskij slovar’ russkogo bibliograficeskogo instituta Granat [Dictionnaire encyclopédique de l’Institut bibliographique russe Granat]. Moskva : RBI Granat, 1910-1948, t. 37. Reiff P.1836. Dictionnaire russe-français ou dictionnaire étymologique de la langue russe. Saint-Pétersbourg : Académie Impériale des Sciences, tome deuxième. Russko-francuzskij slovar’ [Dictionnaire russe-français].1969. Sklârevskaâ, G.N. 2001. Tolkovyj slovar’ sovremennogo russkogo âzyka. Âzykovye izmeneniâ konca XX stoletiâ. [Dictionnaire commenté de la langue russe contemporaine. Changements linguistiques de la fin du XX è siècle]. Moskva : AST. Slovar’ Akademii Rossijskoj, po azbu_nomu porjadku, _ast’ II. V Sankpeterburge. Pri Imperatorskoj Akademii Nauk, 1809. Slovar’ russkogo jazyka. 1895. Sankt-Peterbourg : Tipografija Akademii nauk, tome 1. Slovar’ sovremennogo russkogo jazuka. 1991. Tom 1, Moskva : Russkij jazyk.

249 Le Trésor des mots de la ville : une maquette au 1/5e

Slovar’ sovremennogo russkogo literaturnogo jazyka [Dictionnaire de la langue contemporaine littéraire russe]. 1959. Moskva, Leningrad : izd. Akademija Nauk SSSR, t. 9. Slovar’ _erkovno-slavjanskogo i russkogo jazyka. Sostavlennyj vtorym otdeleniem Imperatorskoj Akademii nauk, 1834. Sankt-Peterburg : Tipografija Akademii nauk, tom 1. Slovar’ _erkovno-slavjanskogo i russkogo jazyka. Sostavlennyj vtorym otdeleniem Imperatorskoj Akademii nauk, 1847. Sankt-Peterburg : Tipografija Akademii nauk, tom 1. Sovremennyj slovar’ inostrannyh slov’ : okolo 20 000 slov[Dictionnaire contemporain des mots étrangers : près de 20000 mots]. 1993. Moskva : Russkij Âzyk. Sreznevskij, I. I. 1989. Slovar’ drevnerusskogo âzyka : v trëh tomah.[Dictionnaire de la langue russe ancienne : en trois tomes]. Moskva : Kniga, rééd., 6 volumes (vol. 6 : tome 3, 2ème partie). S_erba, L.A. ; Matoussevitch [Matusevi_ ] M.I. 1990. Dictionnaire russe-français, Russko- Francuzskij slovar’. Moskva. Russkij jazyk, 13e éd. Tolkovyj slovar’ russkogo jazyka, Usakov D.N. (dir.), 1935. Moskva : Sovetskaja ènciklopedija, tom 1. Tolkovyj slovar’ sovremennogo russkogo jazyka, jazykovye izmenenija konca XX stoletija. 2001. Moscou : Actrel’-AST. U_akov, D.N. 1940. Tolkovyj slovar’ russkogo âzyka. [Dictionnaire commenté de la langue russe]. Moskva : Gosudarstvennoe izdatel’stvo inostrannyh i nacional’nyh slovarej, 4 tomes (t.4). Vinogradov V.V. 1994. Istoriâ slov. [Histoire des mots]. Moskva : Tolk. Volin B.M., Uöakov D.N. (1940). Tol’kovyj slovar’ russkogo âzyka[Dictionnaire commenté de la langue russe]. Moskva : Gosudarstvennoe izdatel’stvo inostrannyh i nacional’nyh slovarej, [rééd. de 1994]. _anskij, N.M. ; Bobrova, T.A.. 2000. _kol’nyj êtimologiËeskij slovar’ russkogo âzyka : Proisho_denie slov.[Dictionnaire scolaire étymologique de la langue russe : l’origine des mots ]. Moskva : Drofa, 3è éd. corrigée. _erba, L.V. ; MatuseviË, M. 1983. Dictionnaire russe – français. Moscou : Langue russe, 11è éd. _erba, L.V. ; MatuseviË, M.I. 1997. Russko-francuzkij slovar’ : 160000 slov i slovosoËetanij.[Dictionnaire russe – français : 160000 mots et groupes de mots]. Moskva : Russkij âzyk, 15è éd. stéréotypée.

250 Le Trésor des mots de la ville : une maquette au 1/5e

Index des notices par langue allemand Bannmeile 10 Bezirk 16 Großstadt 111 Mietskaserne 135 Nachbarschaft 147 Stadtrand 180 Straße 183 Vergnügungsviertel 210 anglais city (Grande-Bretagne et Etats-Unis) 60 downtown (Etats-Unis) 81 ghetto (Etats-Unis) 107 house (Grande-Bretagne) 117 mobile home (Etats-Unis) 138 park (Grande-Bretagne et Etats-Unis) 153 square (Grande-Bretagne) 177 suburb (Grande-Bretagne et Etats-Unis) 186 arabe balad 4 funduq 104 hadîqa 114 maskan 129 mîdân 132 mukhayyam 141 rab‘ 167 sûq 204 espagnol casa (Espagne) 28 centro (Amérique) 36 colonia (Mexique) 67 condominio (Mexique) 73 country (Argentine) 75 extrarradio (Espagne) 85 fraccionamiento (Mexique) 98 français banlieue 6 bidonville 20 boulevard 24 cité 53 faubourg 88 parc 150 quartier (France et Québec) 160 ZUP 222

251 Le Trésor des mots de la ville : une maquette au 1/5e

italien basso 13 circoscrizione 49 città 56 comune 69 fondaco 95 quartiere 163 suburbio 193 vicolo 214 portugais centro (Brésil) 39 cidade (Portugal et Brésil) 45 favela (Brésil) 91 freguesia 101 invasão (Brésil) 123 município (Portugal) 144 subúrbio (Portugal et Brésil) 197 vila (Portugal et Brésil) 217 russe centr 32 datcha 78 hrushchoba 121 kottedz 126 park 157 rajon 170 sad 173 ulica 207

252 Le Trésor des mots de la ville : une maquette au 1/5e

Index des auteurs

Amestoy, Isabelle : centr, hrushchoba, rajon ulica (russe) 32, 121, 170, 207 Andres, Angelika : Nachbarschaft (allemand) 147 Broccolini, Alessandra : basso, fondaco, vicolo (italien) 13, 95, 214 Brucculeri, Antonio : circoscrizione, suburbio (italien) 49, 193 Campos, Candido Malta : centro (portugais) 39 Cattedra, Raffaele : bidonville (français) 20 Coelen, Thomas : Nachbarschaft (allemand) 147 Collado, Federico : country (espagnol) 75 Darin, Michaël : boulevard (français) 24 Depaule, Jean-Charles : funduq (arabe) 104 Durand, Stéphane : cité (français) 53 Essaïan, Elisabeth : park, sad (russe) 157, 173 Faure, Alain : banlieue, faubourg (français) 6, 88 Filhon, Vlada : datcha, kottedz (russe) 78, 126 Folín, Marco : città, comune (italien) 56, 69 Fonseca, Cláudia Damasceno : cidade, vila (portugais) 45, 217 Forty, Adrian : square (anglais) 177 Freytag, Anette : Stadtrand, Vergnügungsviertel (allemand) 180, 210 Fuente, María Jesús : downtown (anglais) 81 Gillot, Gaëlle : parc (français) 150 Henia, Abdelhamid : rab‘ (arabe) 167 Lafi, Nora : balad (arabe) 4 Lamarre, Christine : quartier (français) 160 Lebas, Elisabeth : park (anglais) 153 Linteau, Paul-André : quartier (français) 160 Marin, Brigitte : quartiere (italien) 163 Marino, Brigitte : mîdân (arabe) 132 Mermier, Franck : sûq (arabe) 204 Miller, Catherine : maskan (arabe) 129 Monnet, Jérôme : centro (espagnol) 36 Oellers, Björn : Bezirk (allemand) 16 Paiva, Veronica : country (espagnol) 75 Pereira, Margareth da Silva : subúrbio (portugais) 197 Pinheiro, Magda : município, subúrbio (portugais) 144, 197 Poitras, Claire : mobile home (anglais) 138 Rabago Anaya, Jesus : condominio (espagno) 73 Ratouis, Olivier : ZUP (français) 222 Reeder, David A. : city, house, suburb (anglais) 60, 117, 186 Rivière d’Arc, Hélène: colonia, fraccionamiento (espagnol), invasão (portugais) 67, 98, 123 Rowell, Jay : Großstadt, Mietskaserne (allemand) 111, 135 Sâbbûr, Bassâm : hadîqa (arabe) 114 Schuman, Tony : ghetto (anglais) 107 Schuyler, David : city, park (anglais) 60, 153 Sfeir-Khayat, Jihane : mukhayyam (arabe) 141

253 Le Trésor des mots de la ville : une maquette au 1/5e

Strauß, Harald : Bannmeile (allemand) 10 Vidal, Frédéric : fréguesia (portugais) 101 Valladares, Licia : favela (portugais) 91 Vorms, Charlotte : casa, extrarradio (espagnol) 28, 85 Warner, Jr., Sam Bass : suburb (anglais) 186 Ziegler, Volker : Straße (allemand) 183

254 Le Trésor des mots de la ville : une maquette au 1/5e

Liste alphabétique des entrées balad (arabe) 4 banlieue (français) 6 Bannmeile (allemand) 10 basso (italien) 13 Bezirk (allemand) 16 bidonville (français) 20 boulevard (français) 24 casa (espagnol Espagne) 28 centr (russe) 32 centro (espagnol Amérique) 36 centro (portugais Brésil) 39 cidade (portugais Portugal et Brésil) 45 circoscrizione (italien) 49 cité (français) 53 città (italien) 56 city (anglais Grande-Bretagne et Etats-Unis) 60 colonia (espagnol Mexique) 67 comune (italien) 69 condominio (espagnol Mexique) 73 country (espagnol Argentine) 75 datcha (russe) 78 downtown (anglais Etats-Unis) 81 extrarradio (espagnol Espagne) 85 faubourg (français) 88 favela (portugais Brésil) 91 fondaco (italien) 95 fraccionamiento (espagnol Mexique) 98 freguesia (portugais) 101 funduq (arabe) 104 ghetto (anglais Etats-Unis) 107 Großstadt (allemand) 111 hadîqa (arabe) 114 house (anglais Grande-Bretagne) 117 hrushchoba (russe) 121 invasão (portugais Brésil) 123 kottedz (russe) 126 maskan (arabe) 129 mîdân (arabe) 132 Mietskaserne (allemand) 135 mobile home (anglais Etats-Unis) 138 mukhayyam (arabe) 141 município (portugais Portugal) 144 Nachbarschaft (allemand) 147 parc (français) 150 park (anglais Grande-Bretagne et Etats-Unis) 153 park (russe) 157 quartier (français France et Québec) 160 quartiere (italien) 163

255 Le Trésor des mots de la ville : une maquette au 1/5e rab‘ (arabe) 167 rajon (russe) 170 sad (russe) 173 square (anglais Grande-Bretagne) 177 Stadtrand (allemand) 180 Straße (allemand) 183 suburb (anglais Grande-Bretagne et Etats-Unis) 186 suburbio (italien) 193 subúrbio (portugais Portugal et Brésil) 197 sûq (arabe) 204 ulica (russe) 207 Vergnügungsviertel (allemand) 210 vicolo (italien) 214 vila (portugais Portugal et Brésil) 217 ZUP (français) 222

256