Les Échanges Commerciaux Entre La Côte Méditerranéenne Et À L’Intérieur Du Maghreb Au Iie Siècle Vus Au Travers Du Tarif Zaraï
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Les échanges commerciaux entre la côte méditerranéenne et à l’intérieur du Maghreb au IIe siècle vus au travers du tarif Zaraï Pierre MORIZOT Chercheur libre, diplomate retraité Le document lapidaire connu sous le nom de Tarif de Zaraï a été découvert au siècle dernier dans le village de Zraia (Algérie) lors de la construction d’un moulin. Publié en 1858 par Léon Renier, repris pour l’essentiel par Mommsen dans le CIL VIII, 5408, retouché par Dessau et Cagnat dans le supplément du Corpus pour la Numidie sous le n°18643, il a fait depuis l’objet de nombreux commentaires1. Zraia est situé à environ 120 kilomètres de la Méditerranée (fig.1) dans une sorte de goulot d’étranglement qui commande l’une des voies de passage les plus fréquentées entre les Hautes Plaines constantinoises et les steppes semi-arides du Hodna (fig.2). Alors que la pluviométrie dans les Hautes Plaines est de l’ordre de 400 à 500 mm annuels, elle n’est plus que de 200 à 300 mm dans le bassin du Hodna (fig.3). Il s’ensuit que Zraia et ses abords sont une étape essentielle sur la grande voie de transhumance qu’empruntent les pasteurs nomades ou semi-nomades du Sud lorsque leurs pâturages sont épuisés pour passer l’été dans le Nord plus accueillant. Ce phénomène, qui dans un passé récent intéressait 300.000 têtes de bétail2 pour la seule région concernée (fig.4), est l’achaba, et nous savons par les historiens antiques tels que Hérodote3 et Strabon4 que de tels mouvements saisonniers existaient déjà dans l’Antiquité en diverses régions d’Afrique du Nord. Description Le Tarif de Zaraï est daté de l’année 202 (règne commun de Septime Sévère et de Caracalla) et le texte nous indique qu’il a été institué après le départ d’une cohorte non précisée. Il énumère ensuite sur une colonne unique de 22 lignes une liste de produits suivis de la taxe douanière correspondante (fac-similé de l’original, fig.5). On trouvera à la suite la lecture qui en est usuellement donnée (fig.6), ainsi que sa traduction (fig.7). L’on constate que les produits sont répartis en quatre paragraphes introduits par le terme de lex (au sens de « tarif »), dont le titre ne se distingue pas matériellement de l’énumération qui le suit : A) lex capitularis, c’est-à-dire « tarif par tête » : il s’agit essentiellement de bétail et d’esclaves. À la dernière ligne de ce paragraphe sont mentionnés des pecora in nundinum immunia, que l’on a traduit d’ordinaire comme « petit bétail destiné au marché local » et pour cette raison croit-on, détaxé. B) lex vestis peregrinae, que l’on peut, traduire par « tarif des vêtements d’importation ». C) lex coriaria, « tarif pour les cuirs et peaux » parmi lesquels sont classées, entre autres, la colle (il s’agit certainement de colle d’origine animale) et les éponges. La traduction d’un 1. Lorsque j’ai présenté cette communication à Bastia en 2003, l’article que Paul Trousset vient de publier dans les Antiquités africaines (38-39, 2002-2003) n’était pas encore paru. Ses conclusions appellent de ma part quelques réserves sur lesquelles je serai amené à revenir ultérieurement. 2. Côte (M.), L’Algérie ou l’espace retourné, p.69. 3. Hérodote, 12, 4, 198. 4. Strabon, 20, 17, 3, 7 ; 23, 17, 3, 15. Les échanges commerciaux 159 ou deux termes très techniques tels que scordiscum qui signifie soit selle de cheval soit une qualité particulière de cuir, reste incertaine. D) Vient ensuite la lex portus maxim (-)/ pequaria jument (-) immunia , ce dernier adjectif pouvant être traduit par « exempt de droits ». Ce paragraphe a fait couler beaucoup d’encre. En effet, l’on s’est demandé quel substantif qualifiait l’adjectif maxim (-). La mise en page de René Cagnat5, qui a fait de ces trois premiers mots le titre d’un paragraphe, séparé du contexte par un point et un alinéa, a conduit à sa suite les traducteurs à rapprocher maxima de lex, ce qui n’était pas forcément l’intention du codificateur. Dans cette version, l’adjectif maxima aurait qualifié la lex, c’est-à-dire le tarif6, mais l’on est un peu surpris alors, s’il s’agissait d’un tarif maximum, que les premiers objets visés soient qualifiés d’immunia. Serait-ce alors le portus, mais que viendrait faire ici, soudainement, un portus maximus, soit que l’on donne à ce mot le sens de « douane », ou de « port » ? Il existe bien, en Oranie, un Portus Magnus, mais il se trouve à 400 kilométres à l’Ouest, et n’a jamais été désigné par le superlatif maximus. Aussi je propose de supprimer le point mis après maxim(-), inexistant sur l’original, de façon à faire de maxim(-) le qualificatif du mot suivant pequaria, et de lire par conséquent lex portus maxima pequaria7, c’est-à-dire : «tarif appliqué aux très grands troupeaux », qui seraient exemptés de droits en raison de la difficulté pratique de les dénombrer8. Cette proposition s’accorderait d’ailleurs assez bien avec le sens que Cagnat donne au mot de pequaria : « les animaux qui se rendent au pâturage », introduisant lui-même l’idée de transhumance dont nous parlerons plus loin. Quant au terme jument (-), ce mot abrégé doit vraisemblablement être mis grammaticalement sur le même plan que pequaria, « le bétail », avec le sens plus particulier d’animaux de trait ou de bêtes de somme, ceux-ci en tant qu’instrumenta itineris, c’est-à-dire moyens de transport, étant en règle générale exempts de droits9. E) Viennent ensuite sous la dénomination ceteris rebus, les produits d’alimentation, taxés (très peu d’ailleurs) par tête ou par unité de mesure, tels que le vin, le garum, les dattes, les figues, les noix et, entre ces deux catégories de fruits secs, des vatassae, mot considéré comme intraduisible, et l’alun. Évaluation de la taxe L’on voit qu’elle varie d’un quinarius à un denier, unités de mesure dont le rapport est le suivant : 1 denier = 2 quinarii = 4 sesterces= 8 dupondii. Il est extrêmement difficile de se représenter quel pouvait être l’équivalent en notre monnaie d’une taxe prélevée en 202, si ce n’est en se livrant à de très incertaines comparaisons. L’une des références les plus valables est l’Édit du Maximum publié en 203 par Dioclétien10, soit un siècle plus tard, et dont on considère en général qu’il a été peu appliqué. Retenons pour fixer les idées les unités de valeur suivantes : Un esclave 500 deniers Froment 17,5 litres = 100 deniers Vin ordinaire les + ou – 10 litres 8 deniers soit = 1 litre = 0,80 denier. Bière (qualité inférieure) 10 litres = 2 deniers Viande de porc (livre de 327 gr) 12 deniers Viande de bœuf (id) 8 deniers 5. Cagnat (R.), Le Portorium, p.120. 6. Telle est en particulier la version retenue par le Thesaurus X, 1, p.920, 1991, au mot pecuaria, ainsi que P.Flobert a bien voulu me l’indiquer. 7. Les produits visés par le Tarif sont toujours à l’accusatif. 8. S.J de Laet se demande même si les Romains n’ont pas voulu éviter ainsi de mécontenter les tribus du désert : Laet (S.J. de), Portorium, p.278, n.2. 9. Laet (S.J. de), Portorium, p.428, qui se réfère lui-même à un texte de Quintilien (Declam. 359). 10. Giacchero (M.), Edictum Diocletiani et Collegarum. 160 Circulation des matières premières, transferts et savoirs techniques Ouvrier agricole (nourri) par jour = 25 deniers (il pourrait donc acheter par jour pour sa famille : une livre de bœuf (8 deniers) + 1,75 litre de froment (10 deniers) + 1,5 litre de vin (1,20 denier), plus 5 à 6 deniers de denrées diverses. Il faut cependant noter qu’il ne s’agit pas ici d’une sorte de SMIC, mais d’un salaire maximum laissé à la discrétion de l’employeur. Un berger (nourri) par jour coûte 20 deniers. Ces salaires valaient-ils aussi bien pour l’Afrique pour la campagne romaine, on l’ignore. Quoi qu’il en soit par rapport à cette échelle de valeur, les taxes perçues paraissent peu élevées : Richard M. Haywood, se basant sur la valeur courante des marchandises aux IIe et IIIe siècles, aboutit à des résultats qu’il qualifie lui-même de surprenants : la taxe payée pour le vin, les dattes et les figues aurait été d’environ 2,5 %, celle des étoffes, peaux et éponges, de 2 %, celle concernant le bétail de 0,37 % et celle payée pour les esclaves de 0,3 %11. Il faut cependant là aussi tenir compte des variations certaines de la valeur des esclaves selon leur qualification, leur origine et « le cours du marché » : il est fort vraisemblable que le prix de l’esclave acheté ou vendu sur le marché de Zaraï ait été très inférieur au maximum de 500 deniers que Dioclétien imposait à Rome et que par conséquent la valeur en pourcentage de la taxe perçue ait été proportionnellement plus élevée qu’on ne l’a estimée12. Origine des produits La plupart des commentateurs se sont posé la question de savoir dans quel sens circulaient ces articles. En tête de liste viennent les esclaves. J.P.Darmon13 estime qu’il faut les ranger sans hésitation « parmi les marchandises extérieures à l’empire,», c’est-à-dire venant d’au-delà du limes, sans cependant en proposer une origine extra africaine et pourtant les noms passablement nombreux en Afrique du Nord d’affranchis d’origine orientale, grecque en particulier, donnent à penser qu’ils y avaient été introduits en qualité d’esclaves.