Les Noms Vernaculaires Des Poissons D'eau Douce De Guyane
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Les noms vernaculaires des poissons d’eau douce de Guyane Pierre GRENAND1, Jean CHAPUIS2, André COGNAT2, Antonia CRISTINOI3, Damien DAVY4, Françoise GRENAND4, Michel JÉGU5, Philippe KEITH6, Emmanuel MARTIN7, François NEMO3, Hélène PAGEZY†, Pierre-Yves LE BAIL8 1 IRD – Cayenne Guyane, 2 Expert indépendant, 3 LLL-Univ. Orléans – Orléans, France, 4 OHM-CNRS – Cayenne, Guyane, 5 BOREA-IRD – Cayenne, Guyane-, 6 DMPA-MNHN – Paris, France, 7 LESC- CNRS – Paris, France, 8 LPGP-INRA (correspondant, [pierre- [email protected]]) – Rennes, France Cet article correspond en grande partie à la version française de la publication : Grenand et al 2015, Cybium 39(4): 279-300. Résumé L’ichtyofaune de Guyane est une des mieux décrites de la zone géographique couvrant le bouclier guyanais, mais paradoxalement il n’existe pas de document synthétique mettant en relation les noms scientifiques des poissons avec leur dénomination par les différents groupes linguistiques présents en Guyane et validés par des ethnologues et des linguistes spécialisés. Dans cet article, nous compilons les données spécifiques déjà existantes et le travail de collecte de noms vernaculaires effectuées au cours de plusieurs décennies dans les langues créole, amérindiennes (kali’na, palikur, wayana, wayãpi, teko), nenge ou noir-marron (boni, ndjuka, sranan tongo), française et/ou aquariophile, enfin portugaise du Brésil. Sur les 416 espèces de poisson présentes sur le territoire guyanais, nous avons pu attribuer un nom vernaculaire, toutes langues confondues, à 85 % d’entre elles. Ces noms vernaculaires peuvent être plus ou moins génériques en recouvrant un nombre plus ou moins grand d’espèces ayant des caractéristiques morphologiques externes similaires jusqu’à très proches. Les poissons sans nom vernaculaire actuellement connu sont surtout des espèces petites, de moins de 5 centimètres, ou rares. Ce sont les groupes linguistiques ayant la répartition géographique la plus large (Brésiliens, Créoles, Français/aquariophiles) qui nomment le plus d’espèces mais qui ont aussi tendance à donner plusieurs noms vernaculaires à une même espèce. Si l’on tient compte du nombre d’espèces présentes sur le territoire occupé par chaque groupe linguistique, le pourcentage de poissons ayant au moins un nom oscille entre 65 et 70 % pour les langues brésilienne, française, créole, kali’na, wayana et wayãpi, ce qui suggère une certaine exhaustivité de leur nomenclature. Ce n’est pas le cas pour les langues boni, ndjuka, palikur, teko et sranan tongo, ce qui nécessitera de nouvelles collectes, spécifiquement orientées pour combler ces lacunes. Mots clés Ichtyofaune, Guyane, nom vernaculaire, eau douce, Parc amazonien de Guyane Introduction noms récoltés provenaient essentiellement d’enquêtes faites par des ichtyologues en présentiel L’ichtyofaune de Guyane est une des mieux lors de participation à des pêches de prospection, décrites de la zone géographique couvrant le lors de débarquement de pêches à vocation bouclier guyanais. Cette connaissance a permis la alimentaire dans les ports des villages, ou suite à mise en place de travaux sur la biologie et des interviews de pêcheurs expérimentés à l’aide l’écologie des espèces qui pourront être par la suite d’iconographie. Pour être retenu, un nom devait utilisés pour la protection et la gestion durable de être proposé par plusieurs pêcheurs. l’exploitation des stocks en place. Par contre, la Cette première nomenclature, qui n’a mise en relation des noms scientifiques avec les malheureusement été soumise que partiellement à noms vernaculaires utilisés sur ce territoire est des locuteurs lettrés, ethnologues ou linguistes longtemps restée partielle et mal stabilisée. Ceci est spécialistes des différentes ethnies, comportait de en partie dû à la diversité linguistique liée à la nombreuses erreurs de transcription ainsi que des fragmentation géographique des communautés au confusions quant au rattachement des noms aux XIXe siècle et aux immigrations, combinées au différentes langues. D’autre part, la règle de la zone nombre important des ethnies originellement d’usage réel des noms n’a pas été respectée, présentes en Guyane, mais aussi au fait que, dans le enregistrant tous les noms donnés par les passé, les efforts de récolte des noms vernaculaires interviewés sur la base de l’iconographie exhaustive ont été menés de manière indépendante par les de l’ichtyofaune. Par exemple, des poissons connus ichtyologues et les ethnologues. du haut Maroni se sont vus attribuer un nom wayãpi Une première compilation relativement exhaustive de l’Oyapock, alors que des silures côtiers se sont a été faite dans le cadre de la publication de l’Atlas vus attribuer un nom wayana. des poissons d’eau douce de Guyane paru entre Enfin, depuis les années 2000, de nombreuses 1996 et 2000 (Planquette et al., 1996 ; Keith et al., évolutions taxonomiques et découvertes ont 2000, Le Bail et al., 2000). Dans cet ouvrage, les profondément modifié nos connaissances et une 277 Noms vernaculaires des poissons d’eau douce de Guyane nouvelle liste des espèces de poissons fréquentant derniers arrivés dans cette région, entre les les eaux intérieures de la Guyane a été publiée (Le premières incursions des colonisateurs européens et Bail et al., 2012) rendant cette nomenclature le début du XIXe siècle. L’arawak-lokono n’est pas obsolète. représenté dans notre lexique (cf. ci-dessous) ; quant à l’Apalai il n’est parlé que par quelques L’objectif du présent article est donc de proposer dizaines de personnes et l’étude du savoir sur leur une nomenclature des noms vernaculaires des ichtyofaune est encore limité (Martin, 2014). poissons la plus juste possible, respectant l’orthographe phonétique de chaque concept, son - Les autres langues citées (aluku-tongo, ndjuka) origine linguistique et son rattachement au nom sont celles des Noirs Marrons nommés aussi latin actualisé. Ce référentiel devrait faciliter la Bushinenge. Les Noirs Marrons, dont il existe six compréhension inter-ethnique liée à l’activité ethnies au Surinam, sont issus de révoltes halieutique ainsi que le dialogue entre chercheurs et développées dans la colonie hollandaise de Surinam pêcheurs des différentes communautés lors de de la fin du XVIIe à celle de XVIIIe siècle. Les programmes scientifiques dédiés. Aluku, nommés aussi Boni, se sont installés en Guyane française dès la fin du XVIIIe siècle. Démarche suivie L’ensemble des Noirs Marrons parlent des langues très proches, dites nenge, à base anglaise avec des Référentiel des espèces de poissons éléments de langues africaines et amérindiennes. d’eau douce de Guyane Une forme plus élargie aux emprunts divers dont le néerlandais ou le sranan-tongo, est parlée par les Le périmètre des territoires et milieux de référence populations urbaines de Surinam quelle que soit pour les espèces prises en compte recouvre celui leur origine. Parmi les langues afro-américaines du proposé par Planquette et al. (1996), Keith et al. Surinam parlées aujourd’hui en Guyane, seul le (2000) et Le Bail et al. (2000), c’est-à-dire qu’il saramaka présente des spécificités marquées. intègre toutes les espèces dulçaquicoles, y compris celles fréquentant les espaces des bassins versants limitrophes (Maroni, Oyapock) situés hors de la Périmètre des langues prises en Guyane (Suriname et Brésil), ainsi que les zones compte estuariennes et côtières très proches. Les noms de poissons d’eau douce listés sont La nomenclature taxonomique s’appuie sur essentiellement ceux utilisés par les populations Le Bail et al. (2012), sauf indications contraires locales de Guyane (Figure 1), y compris celles des incluses dans le texte. deux pays limitrophes (Brésil, Suriname) qui constituent deux communautés immigrées Peuples concernés importantes, et ceux rencontrés dans les ouvrages d’aquariophilie pour les espèces les plus connues et Les peuples, et donc les langues, concernés par cet ayant fait l’objet d’importation et/ou d’élevage. article ont trois origines différentes : L’ordre de succession des langues utilisé a été établi selon la logique suivante. Nous avons choisi - Les Créoles sont issus d’un long métissage entre de citer en premier lieu le créole guyanais qui est la Africains, Français et d’autres composantes langue véhiculaire de la Guyane même s’il est ethniques arrivées plus tardivement ; ils tirent leurs moins complet pour nommer la nature que les origines de la société esclavagiste de la Guyane et langues amérindiennes ou noir-marron (nenge). La plus généralement des Caraïbes qui s’est achevée nomenclature créole pouvant varier avec l’abolition de l’esclavage de 1848. La langue significativement en fonction des fleuves, ces créole à base lexicale française s’est formée à partir derniers ont été indiqués quand nécessaire. du XVIIIe siècle. Pour ce qui concerne le domaine Viennent en second les langues amérindiennes : de la faune, elle a beaucoup emprunté aux langues celles de la côte d’abord (palikur, kali’na), celles amérindiennes. de l’intérieur ensuite (wayana, wayãpi, teko) ; l’arawak-lokono n’est pas ici documenté car ceux - Les peuples amérindiens sont la résultante de de ses locuteurs vivant en Guyane parlent surtout le regroupements d’ethnies infiniment plus sranan-tongo. Viennent en troisième position les nombreuses lors des premiers contacts avec les langues dites nenge : aluku-tongo spécifique à la Européens. Cinq sur sept des langues Guyane, ndjuka et sranan-tongo (communément amérindiennes présentes en Guyane sont ici appelé takitaki en Guyane). Le sranan-tongo est une documentées.