Le Créole, C'est Du Français, Coudon! Henri Wittmann Syndicat Des Professeurs De L'université Du Québec À Trois-Rivières R

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Le Créole, C'est Du Français, Coudon! Henri Wittmann Syndicat Des Professeurs De L'université Du Québec À Trois-Rivières R Revue québécoise de linguistique théorique et appliquée 3:2 (1983), 187-202 Le créole, c'est du français, coudon! Henri Wittmann Syndicat des professeurs de l'Université du Québec à Trois-Rivières Robert Fournier Université de Sherbrooke La substratomanie est une théorie spéculative du 19e siècle sur les relations entre les transferts d'appartenance linguistique d'une population et les changements introduits au cours du temps dans la structure même d'une langue. Elle a été conçue dans le but très précis de contester les thèses néogrammairiennes relatives à la régularité des changements et de trouver des contre-exemples aux principes de classification génétique des langues naturelles. Dans sa version forte, elle a donné naissance au mythe des langues génétiquement mixtes. La notion de langue mixte suppose un certain nombre de postulats qui, en fait, s'appuient tous sur l'observation que les adultes sont généralement incapables d'acquérir une langue seconde d'une facon parfaitement conforme au modèle, s'accommodant le plus souvent de l'utilisation du lexique de la langue seconde dans la structure syntaxique de la langue maternelle. La généralisation faite est de dire que, dans les transferts d'appartenance linguistique, les collectivités procèdent de la même façon que l'individu adulte et d'identifier l'adulte comme l'agent de "nativisation" d'une langue seconde. En qualifiant dans ce processus la langue disparue de "substrat" et la langue qui s'y est substituée de "superstrat", on arrive à concevoir un type de langue dont la composition reposerait sur deux sources phylogénétiquement distinctes, tout en satisfaisant à l'exigence d'être devenue la langue maternelle d'une population essentiellement unilingue. La linguistique générale du 20e siècle a largement pris ses distances à l'égard de la théorie du substrat. Saussure la qualifie d'obscurantiste. Depuis 1938, on admet généralement la contrainte formulée par Jakobson selon laquelle une langue n'accepte des éléments de structure étrangers que dans la mesure où ils correspondent à ses propres tendances de développement. Martinet et ses étudiants Weinreich et Jungemann limitent l'action de substrat, à toutes fins pratiques, au domaine de la phonologie où ils lui accordent, au mieux, un effet déclencheur ou accélérateur de tendances naturelles d'évolution .Petrovici, dans son volumineux rapport au 10e congrès international /des linguistiques, conclut que les langues mixtes, comme telles, n'existent tout simplement pas. Singler, en 1982 (Singler 1983), énonce une contrainte additionnelle à celle de Jakobson, celle de l'homogénéité du substrat; elle était tellement évidente que personne n'avait pensé à la formuler comme telle plus tôt. L'argument probant du développement de la pensée scientifique sur ce point réside dans la démonstration que l'agent de nativisation dans les transferts d'appartenance linguistique d'une population n'est pas l'adulte mais l'enfant; et que les stratégies d'acquisition d'une langue maternelle par un enfant sont fondamentalement différentes de celles d'une langue seconde par un adulte (Halle 1962:64). Dès 1971, (voir Wittmann 1972:121-126), nous avons pu établir que l'adulte, en raison d'une détérioration de sa faculté de construire la grammaire optimale d'une langue à partir d'un échantillon limité de phrases, est seul responsable de l'introduction de parasites "pidgins" au niveau de l'acquisition d'une langue seconde, donc du développement d'une variété pidginisée d'une langue, et que n'importe quel enfant normal confronté à la nécessité de construire la grammaire d'une langue naturelle à partir d'un échantillon pidginisé de phrases est capable d'identifier les parasites pidgins et de les éliminer, donc de dépidginiser une variété pidginisée de langue. C'est également dire qu'un créole ainsi formé par des enfants ne peut être la continuation phylogénétique du pidgin des parents. Bickerton (1974, 1981) arrive à des conclusions tout à fait identiques et énonce assez clairement les contraintes très précises qui doivent présider à la formation d'un créole par des enfants: hétérogénéité du substrat, accès réduit à des modèles d'apprentissage du superstrat, rapidité d'émergence d'une norme1. Cette dernière contrainte distingue la formation d'un créole (exemple: le créole anglais d'Hawaii) du phénomène plus rare de la naturalisation d'un pidgin subséquemment à son "extension" comme moyen de communication inter-communautaire sur plusieurs générations (exemple: le tok pisin). Une telle extension semble inhiber la faculté des enfants d'identifier dans un pidgin les éléments dûs à une pidginisation par des générations antérieures à celle des parents (voir les exemples de Bickerton 1981:81-82 dans le traitement du système TMA). La dépidginisation du pidgin des adultes par les enfants comme phénomène universel se confirme plus particulièrement dans les études sociolinguistiques des parlers d'enfants dans les ghettos linguistiques. Pfaff (1981) examine l'allemand parlé à Berlin par des enfants d'immigrants récemment arrivés de divers pays méditerranéens dans les quartiers où ces enfants constituent 80 à 90% de la population scolaire et 100% des classes d'accueil et constate que (1981:171) "the speech of these foreign children (...) shows a very low incidence of features characteristic of pidgin German". De plus, elle trouve (175) "little linguistic evidence of the emergence of a creolized German". C'est confirmer ce qu'on savait déjà: que la dépidginisation d'un pidgin par des enfants n'aboutit pas nécessairement à la formation d'un créole. Cette dernière constatation mérite d'être confrontée à une des conclusions de l'étude sociolinguistique de Singler (1983) sur l'importance du substrat krou dans l'anglais pidgin krou: même quand le substrat d'un pidgin est homogène et l'usage simultané du pidgin et de son substrat étendu sur plusieurs générations, (1983:74) "substratal input is not something automatically imposed on a pidgin or a creole. Rather, it is but a possible source for what emerges in the pidgin or creole". Si donc un créole ne continue pas un pidgin tout comme un pidgin ne continue pas son substrat, il n'existe aucune raison sérieuse d'attribuer à un hypothétique substrat les changements intervenus dans la structure de la langue maternelle d'une population, qu'il y ait eu ou non transferts d'appartenance linguistique dans l'histoire de cette population. Curieusement, la recherche autour des langues européennes à substrats africains "noirs" continue d'évoluer en marge de la linguistique générale, fait déjà noté par Weinreich (1958). En effet, il existe un préjugé linguistique largement répandu parmi les spécialistes de cette question selon lequel, par exemple, le français parlé comme langue maternelle par diverses populations noires comporteraient des particularités morphologiques et syntaxiques incompatibles avec les tendances d'évolution naturelles du français des Blancs. De telles particularités seraient le résultat d'une "créolisation", avec ou sans pidginisation, attribuable en dernier lieu à des sources linguistiques africaines. Les travaux de créolistes substratomaniaques tels que Taylor (1956, 1957, 1963, 1977), Thompson (1961), Goodman (1964), Whinnom (1965), Alleyne (1971, 1976, 1980), Voorhoeve (1971), Jansen, Koopman & Muysken (1978), Hull (1979), Baudet (1981), Baker (1982), Corne 1La position de Bickerton et la nôtre diffèrent en ce que Bickerton suppose que l'enfant compense l'absence complète de données primaires sur un point particulier de la grammaire à construire par des créations "ab ovo" (1981:45), tandis que la nôtre suppose que l'enfant, dans un tel cas, va ajourner sa décision jusqu'au moment où il aura découvert les tendances latentes inhérentes au système ou universellement disponibles pour résoudre le problème (Wittmann 1972:125). 188 (1982) et C. Lefebvre (1982a, 1982b, 1983) continuent tous à véhiculer à propos du français"créole" les mythes de langue mixte charriés naguère par Adam (1883), Schuchardt (1917) ou Sylvain (1936) comme si la contrainte de Jakobson (ou celle de Singler) n'avait jamais été formulée. Or, nier l'existence de variétés noires du français conformes au modèle génétique du français général, c'est nier que les enfants d'immigrants noirs puissent être comme les autres et ainsi faire preuve d'un raisonnement raciste aprioriste qu'on n'applique pas en examinant l'adoption d'une langue de Blancs par d'autres Blancs. On est tenté de rappeler en parallèle le mythe de l'existence de peuples cannibales en Afrique que William Arens (1979) montre être sans le moindre fondement historique. La contribution de Claire Lefebvre est un bon exemple de substratomanie appliquée à la genèse du créole haïtien, agrémentée de boniments typologico-générativistes au niveau de la conception de la morphologie2. Le substrat africain est identifié à l'ensemble des langues nigéro-congolaises. La démonstration scientifique s'appuie, selon la méthode que Houis (1975) qualifie de "pêche à la ligne", sur huit traits syntaxiques choisis, considérés à travers le créole haïtien (CH), les langues nigéro-congolaises (NC), les créoles de l'océan Indien (OI) et le français (F) (1982a:9): Traits / Langues CH NC OI F 1.1 Ordre des mots SVO + +/- + + 1.2 Compléments suivent la tête + - + + 2 Spécificateurs précèdent la tête - - - + 3 Déterminant peut modifier une phrase + + - - 4.1 Verbes sériels + + - - 4.2 Prédicats clivés + + - - 4.3 Verbes redoublés + + - - 4.4 Verbe du type "dépasser" exprime ++- - la comparaison La portée de cette comparaison se mesure à la lumière des suppositions suivantes: (1) (1982a:9) "Relativement à l'ordre de base des mots de l'haïtien est plutôt comme le français et se distingue des langues Niger-Congo dont l'ordre des mots présente à la fois des caractéristiquesdes langues SVO et des caractéristiques des langues SOV (Koopman (1982))3. Tel qu'attendu, pour les langues ayant un ordre de base SOV, les compléments précèdent la tête." (2) (1982a:9) "Tel qu'attendu, pour les langues ayant un ordre de base SVO, le spécificateur devraient précéder la tête comme c'est le cas du français.
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