LA FRANC-MAÇONNERIE : SES DIFERENTS VISAGES

Roger Luc Mary

LA FRANC- MAÇONNERIE : SES DIFFERENTS VISAGES

EDITIONS DE VECCHI S.A. 20, rue de la Trémoille 75008 PARIS Du même auteur aux éditions De Vecchi : Réussir grâce à la concentration Hypnose : vérités et secrets dévoilés Les Nouvelles Voies du spiritisme La Franc-Maçonnerie : mythe et réalité

Chez d'autres éditeurs : Survol de l'impossible, éd. Europe Presse, 1978 La Psycho-mutation, éd. Du Rocher, 1980 Les Germes de la connaissance, La Marge, 1980 Que reste-t-il des Templiers ? éd. Le Monde inconnu, 1985 L'Homme conjuré ou l'Axe vertical, éd. Partage, 1990 L'Initiation, éd. Trédaniel, 1992.

A paraître prochainement : L'Esprit des roseaux L'Echo du silence

© 1992 Editions De Vecchi S.A. - Paris Imprimé en Italie

La loi du 11 mars 19 5 7 n'autorisant, aux termes des alinéas 2 et 3 de l' article 41, d' une part, que les «copies ou reproductions strictement réservées à l'usage privé du copiste et non destinées à une utili- sation collective» et, d'autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d'exemple et d'illustration, «toute représentation ou reproduction intégrale, ou partielle, faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite» (alinéa 1 de l' article 40). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contre- façon sanctionnée par les articles 425 et suivants du Code Pénal. A.L.G.D.G.A.D.L'.U.

AVANT-PROPOS

Cet ouvrage est une suite complémentaire à La Franc-Maçonnerie : mythe et réalité (même éditeur), qui souleva un certain remous dans un microcosme maçonnique, lequel, fort heureusement, n'est pas l'ensemble du Corps Ma- çonnique : celui-ci accepta fort bien mon ouvrage qui, dès sa parution, eut le privilège de faire l'objet d'un nouveau tirage. Ce second livre sur la Franc-Maçonnerie, tout comme le premier et ceux qui suivront dans cette collection, obéissent à ce que le Grand Maître de la Gran- de Loge de France, Michel Barat, a fort bien défini dans sa préface au re- marquable ouvrage d'Alain Pozarnik (Mystères et actions du rituel d'ouver- ture en loge maçonnique, Dervy-Livres, 1991). « ... le lecteur initié a [...] l'impression que son expérience, sa recherche per- sonnelle a été transformée ou pire encore déformée par l'écrit. Pourtant, ce même lecteur attend peut-être paradoxalement qu'un auteur puisse faire apercevoir aux hommes de bonne volonté restés au seuil du Temple combien est belle la démarche maçonnique. La contradiction peut sembler insurmon- table : on se tait et cette initiation cesse de rayonner. » C'est ce rayonnement qui, je crois, amène mon éditeur, et ma directrice litté- raire, Caroline R., à ouvrir une « Collection Maçonnique » afin d'apporter, tant que faire se peut, davantage de lumière sur l'ensemble de la Franc-Ma- çonnerie qui n'est pas « secrète » mais seulement discrète. Elle a pour but de transmettre l'Amour, et toutes les valeurs essentielles dont notre société se trouve dépourvue, mais au sein de laquelle des hommes et des femmes ne cessent d'espérer. A l'instar de mon dernier ouvrage, celui-ci s'adresse aussi bien au « profa- ne » qu'à mes « Frères Trois Points », toutes obédiences confondues, et no- tamment à ceux du Rite Ecossais Rectifié auquel j'ai consacré une grande partie de mon étude : journalistique, maçonnique, individuelle. Cela dit, qu'il me soit permis de réitérer l'essentiel : Toute expression, écrite ou verbale, la meilleure fût-elle, n'est jamais qu'une corruption de la Vérité Absolue : viser la perfection est une chose, l'attein- dre en est une autre. Je ne saurais évidemment échapper à cette règle.

Fac-similé de la plus ancienne gravure connue d'un Franc-Maçon en tenue, 1735. (N.N. Mss. Joly de Fleury n ° 184). (Saisie lors d'une perquisition à la Loge à l'enseigne de la ville de Tonnerre, sous Louis XV, en 1736) I

Le visage de la Franc-Maçonnerie laïque

Naissance de la première Obédience française : le

Dans un ouvrage de 1929, intitulé Manuel de la Franc-Maçonnerie françai- se, son auteur, Georges Martin, agrégé d'histoire et docteur ès lettres, nous avertit que l'expression « Ordre Maçonnique », désigne spécifiquement le Grand Orient de France (GODF). La restriction s'avère aujourd'hui incom- patible avec l'ensemble du Corps Maçonnique dont l'ossature, il est vrai, de- meure celle du GODF duquel naquirent les Obédiences actuelles. Cette Obédience eut une mouvance évolutive qui se situe entre les années 1721-1772, jusqu'à sa création officielle en 1773. A cette époque, sa défini- tion de la Franc-Maçonnerie reste obscure quant à ses origines : « Malgré la similitude des symboles, aucun lien positif ne la rattache aux anciennes con- fréries de maçons libres ou tailleurs de pierre qui construisirent les cathédra- les gothiques. » Dans l'ensemble du GODF, telle est encore de nos jours la conviction de ses membres. C'est à partir de cette recherche originelle que deux tendances di- vergeront. Etudions pour l'heure celle du GODF. Selon cette Obédience, les sociétés secrètes du passé auraient été peu favorables à la conservation de té- moignages écrits permettant une reconstitution historique remontant au- delà du XVIII siècle, et ce par crainte d'indiscrétion, d'où une transmission rigoureusement orale. Plus tard, après l'admission de documents rédigés, ceux-ci auraient été détruits pour qu'ils ne tombent pas entre des mains pro- fanes. Tous les Frères constituant le GODF ne sont pas nécessairement d'ac- cord avec ce point de vue. L'histoire des sociétés secrètes a fait l'objet d'études sérieuses, notamment de la part de Claude Lévi-Strauss, Mircea Eliade, Karl Gustav Jung, pour ne citer que ceux-ci. L'ethnologie, l'archéologie, l'exégèse des religions compa- rées, s'accordent généralement pour reconnaître que la principale caractéris- tique des lointaines sociétés, secrètes ou tribales, était l'Initiation, pratique- ment absente dans le monde occidental depuis le bas Moyen Age.

1 PUF éditeur. Gestes, signes, attouchements rituels, communs aux divers types d'initia- tion, procèdent d'une haute ancienneté, s'ils ont traversé l'espace et le temps, leur signification profonde semble perdue. Ce qu'on pense en con- naître en Franc-Maçonnerie démontre en tout cas qu'il ne s'agit pas seule- ment de simples signes de reconnaissance, et qu'ils ont sur l'être humain une portée que l'on pourrait croire « psychologique », ou psychique, alors que, l'initiation aidant, ils s'avèrent bien plus que physiologiques : ils sont finale- ment un moyen d'éveil à la Connaissance qu'il faut différencier du savoir in- tellectuel : je « dévoile » ici un secret maçonnique, encore que « dévoiler » en une telle occurrence, c'est recouvrir à nouveau de mystère le Mystère que l'on perce individuellement. Si on demeure dans le cadre de la prudente hypothèse, on peut penser que certains gestes accomplis en Loge ont à la fois une action de concentration, d'orientation, et de mise en œuvre des forces subtiles inhérentes à l'humain et au para-humain. De fait, dans la répétition d'un rituel parfaitement vécu, pénétré, l'initié est convaincu que son gestuel amène ces énergies subtiles aux points d'application les plus favorables à sa concentration d'abord, à sa pé- nétration ensuite, ce qui crée (entre autres choses) l'indéfinissable osmose de la Fraternité, et surtout permet le travail efficace d'une Loge maçonnique. Ceci entre encore dans le contexte du secret qui n'est pas véritablement révé- lé ici, d'une part parce qu'il y a une impossibilité de révélation verbale ou écrite, et aussi par respect vis-à-vis du futur initié qui devra découvrir par lui-même (quoique aidé par ses Frères) à quoi correspond tel mouvement en Loge, ou tel signe. Le « Signe d'Ordre », par exemple, selon le grade dans lequel il est utilisé, a un rapport étroit avec la tête et la gorge, la poitrine (le cœur), le ventre, le tout restant lié moins à l'esprit qu'à l'ineffable (sans connotation de « reli- giosité » qui dégrade l'étymologie latine religare : relier). Laïc ou spiritualiste, tout le Corps Maçonnique obéit au principe du Rituel. Ce que l'on peut dire à cet égard est qu'il existe une importante correspon- dance entre le gestuel maçonnique et les circonstances dans lesquelles on l'emploie. Cela prouve en tout cas que cette tradition n'a pas été fixée de ma- nière empirique puisqu'elle est, finalement, opérative. Le GODF pose généralement comme axiome que la Franc-Maçonnerie, jus- qu'en 1717, ne fut qu'un groupement corporatif de maçons au sein duquel s'introduisirent des intellectuels venant abriter leurs recherches (mystiques ou autres) sous la protection des franchises accordées aux corporations arti- sanales. Ici encore, les opinions divergent. Quoi qu'il en soit, il semble clair que la Franc-Maçonnerie procède du Compagnonnage, voire d'un groupement plus ancien d'ouvriers maçons, ne serait-ce que par son nom, ses outils sym- boliques et les termes qu'elle utilise. Le GODF ne nie pas le fait, mais semble gêné par le hiatus 1400-1700 qui sé- Ce tableau correspond à des secrets alchimiques, notamment à ceux qui concernent le passage au troisième grade (Maître) de la Franc-Maçonnerie pare les derniers maçons du Moyen Age des premières Loges spéculatives qui apparaissent en France. La Franc-Maçonnerie anglaise, qui se prétend la seule « régulière », tranche la question : « En Angleterre et en Ecosse, les confréries ouvrières ont mieux conservé qu'en France leur personnalité spirituelle, leur goût de l'indépen- dance absolue, et les rituels complexes que les corporations françaises ont oubliés. » Partant de là, le Grand Orient de France (GODF) se fera le champion de l'ir- régularité maçonnique, ce qui, bien entendu, ne veut pas dire grand-chose. Quoi qu'on en dise, nul ne détient le monopole de la régularité : la dissiden- ce a souvent prouvé ses justes raisons. En définitive, que cela plaise ou non, la Franc-Maçonnerie n'est ni anglaise ni française, elle est universelle. Reste cependant à éclaircir l'épineux problème des « opératifs » et des « spéculatifs ». Sans le moindre chauvinisme, on peut prendre à défaut la « régularité » de l'Angleterre quand, en 1717, elle déclare en termes formels que « les privilè- ges de la Maçonnerie ne seront plus le partage exclusif des maçons construc- teurs (opératifs) ; les hommes des différentes professions seront appelés à en jouir ». Or, une identique déclaration avait été prescrite en 1703 par les Loges anglai- ses. Mieux encore, la Franc-Maçonnerie d'outre-Manche s'ouvrait à tous, sans distinction de professions, dès 1450, constituant de la sorte une associa- tion spéculative fréquentée par bourgeois, seigneurs et princes. Il faut égale- ment citer le plus vieux manuscrit des « Anciens Devoirs des Maçons », les Old Charges : règle intitulée « le Regius », et datant de 1390 ; le manuscrit Cooke, rédigé dans le début des années 1400 ; les Constitutions de Stras- bourg, révélées en 1459. En fait, nul ne peut dire avec exactitude quand la mutation « opérative- spéculative » s'opéra. On peut l'envisager après la chute des Templiers, mais ce serait anticiper sur le sujet. En ce qui concerne l'Histoire, et sans trop se fourvoyer dans ses méandres, il est certain que la révocation de l'édit de Nantes provoqua une émigration de proscrits français qui collaborèrent activement à la révolution maçonnique anglaise de 1717, dont procède indirectement le GODF, parce que les nova- teurs français ne réussirent pas à s'imposer en Angleterre. Mais la concep- tion maçonnique, empreinte de laïcité, républicaine avant la lettre, trouva en France ainsi qu'à l'étranger un terrain favorable. Elle se voulait éloignée de toutes les compromissions, son but principal visant à réunir altruistes et li- bres penseurs. Dans son récit de la constitution de la Grande Loge de Londres (qui devien- dra la Grande Loge d'Angleterre), Anderson indique la scission entre les 4 Loges créatrices et les Maçons restés fidèles aux anciennes traditions. Le ré- On pense généralement que les Constitutions procèdent d'un travail collectif mais nul ne peut dire l'exacte part que James Anderson y a pris. Quoi qu'il en soit, ses obsèques, relatées dans le Daily Post du 2 juin 1739, témoignent que nous avons affaire à un remarquable et authentique Maçon.

ELIAS ASHMOLE (1617-1692)

Il existe à propos de ce personnage une controverse selon laquelle il ne serait entré en Franc-Maçonnerie que pour y trouver une « philosophie » se rap- portant à ses propres recherches alchimiques. Par ailleurs, Paul Arnold (1965) pense que l'initiation d'Elias Ashmole est douteuse. Tout ce qu'on sait de ce dernier, et de ses rapports avec la Franc-Maçonnerie (encore que sa vie soit assez bien connue), se trouve coutenu dans son Journal. Il aurait ef- fectué une liaison entre la Rose + Croix et la Franc-Maçonnerie naissante du XVII siècle. Nous avons affaire en tout cas à un Anglais très érudit, alchimiste, ayant une grande connaissance des sciences occultes. Son influence sur la Maçonnerie dite « occultiste » s'avère incontestable.

MICHEL, MARC ET JOSEPH BÉDARRIDE

Tous trois sont nés dans le Midi de la France (Avignon et Cavaillon). Ils fu- rent initiés à « La Candeur », une Loge de campagne de l'armée d'Italie, à Cézena. Leur activité, intense, se situe après la Révolution française de 1789. En 1813, ils fondèrent en France l'Obédience française de « Misraïm », après avoir reçu les pouvoirs patentés du Grand Commandeur De Lassale, à Naples. Ils sont les précurseurs du Rite Memphis-Misraïm qui souffrit (et souffre encore) de nombreuses attaques tentant à démontrer l'« extravagan- ce » du Rite. A ce sujet, Pierre Mariel souligne l'appartenance des frères Bé- darride aux Carbonari, ce qui fait que le Rite de Misraïm « demeure la plus troublante énigme de la Maçonnerie française ». Quant à Gaston Martin, il ajoute qu'« il est permis de se demander si ce tissu d'absurdités n'était pas une plaisanterie pour masquer un but fort différent ». (Ce « tissu d'absurdi- tés » forme la trame du Rite proprement dit qui compta jusqu'à 92 grades aux noms parfois étonnants). Il est à noter que le Rite de Misraïm rassemblait les Jacobins, nostalgiques de la République, et les Carbonari, alors que le Rite de Memphis regroupait les

1 Voir à ce sujet La Franc-Maçonnerie : mythe et réalité, éd. De Vecchi 1991. bonapartistes de l'ex-Grande Armée. Garibaldi unifia les deux Rites qui, jusqu'en 1899, cheminèrent parallèlement. Le Rite de Memphis-Misraïm intéressera alors de nombreux Maçons du Grand Orient de France et du Rite Ecossais Ancien et accepté. On peut considérer les frères Bédarride comme de véritables aventuriers (et Dieu sait que ceux-ci n'ont jamais bonne réputation !) qui se signalèrent dans leurs activités maçonniques comme « des révolutionnaires exaltés » (sic). La Suisse et la Belgique n'échappèrent pas à cette « exaltation », car des Loges du Rite Misraïm y furent fondées par les Bédarride. Marc décéda en 1846 et Michel dix ans plus tard. La mort de Joseph reste obscure (du moins à ma connaissance).

CAGLIOSTRO

Une figure célèbre sur laquelle il est bien difficile d'inscrire une marque ma- çonnique « évidente », Cagliostro a encore de nos jours ses ennemis et ses partisans. Il a été identifié comme étant Giuseppe Balsamo (né à Palerme le 2 juin 1743) et laisse dans l'esprit du public la carrure d'un personnage de roman se rapportant à l'imagination de divers écrivains, dont Alexandre Dumas père et fils. Dans un aussi court paragraphe, je n'entreprendrai pas de citer les tumul- tueux événements (vrais ou faux) qui peuplèrent la vie de Cagliostro mais plutôt d'exposer (en raccourci) son rapport avec la Franc-Maçonnerie : il aurait été initié le 12 avril 1777, dans un Atelier britannique à Soho, « L'Es- pérance ». On le présente généralement comme le fondateur du Rite Egyp- tien, lequel s'organisa à Lyon dans la Loge « La Sagesse Triomphante », en 1784. Ce Rite connut un certain nombre de vicissitudes sous l'égide du « Grand Cophte », autrement dit Cagliostro. En fait, la Maçonnerie égyptienne ne s'organisa jamais totalement. Le sens de son Rite, philosophique et théurgique, ne rappelle en rien la véritable tra- dition égyptienne, mais peut-être a-t-il influencé (ou renforcé ?) la tradition judéo-islamique dans l'esprit de certains Maçons. Pensant que l'athéisme menaçait la Franc-Maçonnerie, il semblerait que Ca- gliostro ait sincèrement voulu y maintenir la croyance en Dieu et l'immorta- lité de l'âme. Quant aux moyens qu'il employa pour ce faire, ils restent assu- rément discutables. Mégalomane ? Suicidaire ? Masochiste ? Génial ? Fou ? Authentique ini- tié ? Hystérique ? Mystificateur ? Grand mystique ? Quel biographe assez sérieux et documenté pourrait honnêtement répondre à ces questions ? Cagliostro fut arrêté à Rome en 1789, et condamné à mort par le Tribunal de l'Inquisition en 1791 comme Illuminé et Franc-Maçon. Sa peine fut com- muée en prison perpétuelle. Il serait mort dans sa geôle au château de Saint- Léon, près de Rome, en 1795.

MARIA DERAISMES (1828-1894)

Maria Deraismes naquit à Paris dans une famille aisée et cultivée. Elle hérita de cette soif de culture sans négliger les mondanités ; après la mort de son père (1852), son salon devint un rendez-vous littéraire et artistique fréquenté par des républicains. Elle collabora à des journaux célèbres et se fit bientôt remarquer par son ta- lent de polémiste, son grand sujet étant l'émancipation féminine. Elle acquit la sympathie du Grand Orient de France qui l'invita à donner des conféren- ces, lesquelles obtinrent un remarquable succès, ses publications se multi- plièrent ainsi que ses activités républicaines. Violemment attaquée par la politique de droite, Maria Deraismes ne se dé- couragea jamais et finit même par obtenir d'éclatantes victoires, celle de son entrée en Franc-Maçonnerie — alors exclusivement réservée aux hommes —, ne fut pas des moindres. Elle fonda avec Georges Martin la Maçonnerie mix- te du Droit Humain, le 4 avril 1893 (dans un prochain ouvrage sur : pour- quoi et comment devient-on Franc-Maçon, la vie maçonnique de Maria De- raismes et celles d'autres Maçons cités ici seront plus largement évoquées, notamment la rencontre entre Maria Deraismes et Annie Besant).

JEAN-THÉOPHILE DÉSAGULIERS (1683-1739 ou 1744)

Fils d'un pasteur de La Rochelle, J.-T. Désaguliers émigra en Angleterre avec son père après la révocation de l'édit de Nantes. Ami de James Ander- son, on le tient généralement pour le véritable rédacteur des Constitutions. Il fut également l'ami de Newton et, initié en 1717 (pense-t-on), a joué un rôle capital dans l'histoire de la Grande Loge d'Angleterre, un vaste sujet qui se- ra développé dans un prochain ouvrage traitant de la Franc-Maçonnerie dans le monde.

RAYMOND DE FABRE-PALAPRAT (1775-1838)

Un nom qui n'a pas fini de soulever des controverses entre certains tenants de la Franc-Maçonnerie Templière et les Maçons de diverses Obédiences. En 1804, le D Fabre-Palaprat aurait retrouvé (où ?) une charte de transmission parvenant du Grand Maître de l'Ordre du Temple Jacques de Molay, lequel aurait investi de sa puissance le Frère Jean-Marc Larménius de manière ora- le. Il en résulte une liste de 22 Grands Maîtres dont celui de Duguesclin. RENÉ GUÉNON (1886-1951)

L'influence de René Guénon s'avère considérable dans l'ensemble de la Franc-Maçonnerie spiritualiste (Rite Ecossais Ancien et Accepté, Rite Ecos- sais Rectifié, Rite Emulation, notamment), elle est souvent considérée com- me une espèce de garde-fou de l'ésotérisme, un empêchement de déviation du chemin initiatique. Dans la vie de Guénon, ainsi que dans son œuvre (qui est conséquente), la Franc-Maçonnerie occupe une place importante sinon essentielle. Cela dit, un certain nombre de réserves sont sans doute à émettre, ne serait- ce par le fait que (sans le dire ouvertement) Guénon se présente comme dé- tenteur d'une vérité absolue, froidement, sans passion. Il n'en a pas moins démontré une exceptionnelle connaissance enveloppée d'une non moins ex- ceptionnelle érudition. Guénon est aujourd'hui étudié dans des Ateliers Supérieurs. Il fut reçu Ma- çon en 1907 (la date de son initiation est controversée) et travailla au Rite Ecossais Ancien et Accepté. Péremptoire, tranchant envers Papus (voir ce nom) et le Martinisme (d'où il fut exclu en 1909), il semblerait que la Franc-Maçonnerie ait été pour lui un « inévitable passage », mais ses nombreuses références à la Maçonnerie indi- quent qu'il fut un authentique Maçon qualifié ; sans aucun doute le demeu- ra-t-il jusqu'à sa mort, malgré une quête ininterrompue vers d'autres rivages et son ultime conversion à l'Islam. René Guénon ne cessa d'écrire jusqu'en 1950.

SAMUEL HAHNEMANN (1755-1843)

Si le Frère Hahnemann (initié le 16 octobre 1777 dans une Loge de Transyl- vanie) n'a pas joué un grand rôle dans la Franc-Maçonnerie, celle-ci, en re- vanche, l'influença considérablement dans ses recherches car elle lui donna le goût de la liberté et d'agir selon son cœur. Ainsi ne se laissa-t-il jamais dé- courager par les attaques et autres malfaisances de la médecine officielle qui le ruinèrent matériellement. Cet esprit libre, et authentique Maçon, est le pè- re de l'homéopathie. A son sujet, Hubert Mogès dit remarquablement que « toute initiation comporte dans son rituel plusieurs voyages et de nombreu- ses épreuves. L'odyssée de Hahnemann à travers l'Allemagne, l'Autriche, son arrivée à Paris au terme de son prodigieux et douloureux périple, à la re- cherche d'une paix intérieure et de l'ultime satisfaction du travail accompli, constituent une très belle illustration d'un symbole cher aux Francs-Ma- çons ». On ne pouvait rendre plus bel hommage au Frère Samuel Hahnemann. RENÉ LE FORESTIER (1868-1951)

Ce nom est bien connu de tous ceux qui écrivent sur la Franc-Maçonnerie, car ils le prennent souvent en référence. Et pourtant, René Le Forestier ne fut pas Maçon, bien qu'il soit l'un des meilleurs historiens de la Maçonnerie, notamment à propos de la Stricte Observance Templière. Son dernier ouvra- ge posthume, La Franc-Maçonnerie templière et occultiste, a été publié en 1970 par A. Faivre.

ELIPHAS LÉVI (1810-1875)

Cet écrivain Franc-Maçon (de son vrai nom : Alphonse-Louis Constant) a laissé une œuvre occultiste énorme qui a toujours une grande influence. Il fut initié le 26 avril 1861 à l'Atelier parisien « La Rose de Parfait Silence ». Il eut d'étroits contacts avec les Martinistes dont beaucoup se reconnaissent encore en lui. En revanche, les Guénoniens le tiennent à l'écart.

JOSEPH DE MAISTRE (1754-1821)

C'est entre 1774 et 1784 que se situe la carrière maçonnique de Joseph de Maistre qui fut (et demeure) l'un des Maçons les plus discutés. Proche de Louis-Claude de Saint-Martin (voir ce nom), il entra dans l'Ordre des Che- valiers Bienfaisants de la Cité Sainte et eut des rapports plus ou moins hou- leux avec Jean-Baptiste Willermoz. En écrivant ses Soirées de Saint-Péters- bourg, il rapporta ses expériences ésotériques, confirmant de la sorte son Mémoire sur l'insuffisance de la Maçonnerie symbolique pour l'accession aux mystères. Son attachement au christianisme en général et à l'Evangile en particulier lui fit malheureusement confondre Religion avec Franc-Maçon- nerie.

GEORGES MARTIN (1844-1916)

Après la mort de Maria Deraismes, survenue un an après la création du Droit Humain, Georges Martin (aidé de son épouse Marie), poursuivit le dé- veloppement de la Maçonnerie mixte. Il ne ménagea ni son temps ni sa fortu- ne pour accroître l'Ordre maçonnique dans lequel il fonda plusieurs Loges. Ses rapports avec les autres Obédiences ne furent pas faciles et il du aplanir nombre de difficultés. Il assuma totalement la charge léguée par Maria De- raismes et lui doit non seulement d'être solidement structu- ré mais encore bénéficie-t-il aujourd'hui de son siège social : un don de Georges Martin. MARTINES DE PASQUALLY (1727-1774)

On lui doit le « martinésisme » auquel se sont plus ou moins associés Willer- moz, Saint-Martin, de Maistre, etc. Son nom est également lié aux « Elus Cohens » (ou Coën) dont il fut Grand Souverain. Il est certain qu'il fut Franc-Maçon mais on ignore où et quand il reçut l'initiation. Il influença dans une certaine mesure le Régime Ecossais Rectifié duquel devait naître le Rite Ecossais Rectifié.

PIERRE IVANOVIC MÉLÉSINO (1724-1797) Il est le créateur d'un Rite qui porte son nom et qui eut un grand succès en Russie.

JOHN DE MONTAGU (1690-1749) Grand Maître de la Grande Loge d'Angleterre (24 juin 1721-17 janvier 1722), il est (avec Désaguliers) impliqué dans le Livre des Constitutions d'Anderson qui lui fut dédicacé. On pense qu'il a joué un rôle de premier plan dans la création de la Grande Loge d'Angleterre.

ETIENNE MORIN (7-1781) A l'instar des Désaguliers, la famille d'Etienne Morin quitta La Rochelle après la révocation de l'édit de Nantes pour émigrer aux Etats-Unis. Etienne Morin est né à New York. Il joua un grand rôle dans l'histoire de la Franc- Maçonnerie qu'il a développée à la Jamaïque et dans les îles anglaises du Vent.

NAPOLÉON I ( 1769-18 21 ) Il est incontestable que l'Empereur eut des relations très étroites avec la Franc-Maçonnerie dont il fut le protecteur, mais il n'existe aucune preuve de sa qualité maçonnique. Nombre d'auteurs soutiennent pourtant que Napo- léon fut initié.

PAPUS alias D GÉRARD ENCAUSSE (1860-1916) Grande figure occultiste, Franc-Maçon actif, écrivain, Papus fonda (avec Stanislas de Guaïta) l'« Ordre kabbalistique de la Rose + Croix » et l'« Or- dre martiniste ». Son influence fut importante sur le monde littéraire, religieux, artistique et même politique. Anatole France lui consacra un article et Maurice Barrès fit partie du Suprême Conseil martiniste dont Papus assura la Grande Maîtrise jusqu'à sa mort. Il introduisit en France le Rite de Memphis Misraïm (1908) dont Théodore Reuss était Grand Maître. Ses activités « occultistes » lui va- lurent des ennuis avec le Grand Orient et la Grande Loge de France. Il eut également des heurts sérieux dans son propre groupe : Peladan, Blanchart, Desjobert et surtout Guénon qui dénonça l'appartenance de Papus à une so- ciété contre-initiatique : « Hermetic Brotherhood of Louxor », ce qui ne l'empêcha pas de développer le Martinisme en Russie. Quoi qu'on puisse encore penser de Papus, on doit lui reconnaître pour le moins certains dons de prophétie concernant la réconciliation de la science matérialiste et une antique connaissance que la physique moderne (re)décou- vre. Son fils, le D Philippe Encausse, lui a consacré un livre important.

JOSEPH PERNÉTY (1716- 1796)

Il est le créateur d'une secte dite « Les Illuminés d'Avignon » qu'on a par- fois voulu rapprocher de la Franc-Maçonnerie. Rien n'indique par ailleurs que Pernéty fut Franc-Maçon. Robert Amadou précise que « seule la répu- tation de Pernéty comme alchimiste, et comme "illuminé" d'Avignon après 1784, lui a valu la fausse paternité de Chevalier du Soleil, attesté à Paris en 1761 et du Rite hermétique, ou Rite Ecossais d'Avignon de 1774, dit plus tard Rite Philosophique ».

ALBERT PIKE (1809-1891)

Souverain Grand Commandeur du Rite Ecossais, il réécrit la totalité des ri- tuels des 33 grades, ce qui donna naissance au « Rite de Pike » dans une ver- sion américaine du Rite Ecossais.

ROETTIERS DE MONTALEAU (1748-1808)

A une époque particulièrement troublée, R. de Montaleau soutint le Grand Orient de France et ranima le zèle de toute la Maçonnerie. Il fut à l'origine d'une Loge célèbre, « Le Centre des Amis », et l'artisan de la renaissance de l'Ordre. Lors de son éloge funèbre, le 5 mars 1808, le Frère Caille dit que R. de Montaleau « ouvrit un nouveau temple aux Maçons dispersés ; il les réunit dans une Loge qui, depuis, a si bien justifié son heureuse dénomina- tion de Centre des Amis. Ce fut là qu'il déposa le feu sacré de notre institu- tion sous la sauvegarde des vertus et des talents (sic)... » COMTE DE SAINT-GERMAIN (1700-1784)

Son appartenance à la Franc-Maçonnerie est douteuse. Cagliostro aurait été son disciple et il aurait créé une Loge mixte à Ermenonville. Un nouveau « mystère » du fameux comte de Saint-Germain.

LOUIS-CLAUDE DE SAINT-MARTIN (1743-1803)

Sa bibliographie est importante. Il fut Franc-Maçon et appartint à l'Ordre des Elus Cohens. Martines de Pasqually l'ordonna Réau-Croix en avril 1772. Un an plus tard, il fut admis dans la Stricte Observance Templière mais ne se présenta pas pour son admission. Il fut cependant adoubé Cheva- lier Bienfaisant de la Cité sainte en 1785. En 1790, il demanda à être rayé des registres maçonniques. Il a appartenu à un nombre considérable de sociétés paramaçonniques. On aurait joué sur l'équivoque de son nom pour en faire le fondateur du Martinisme. On le reconnaît généralement comme un grand écrivain maçonnique mais les avis sont partagés, notamment chez les Ma- çons du Rite Ecossais Rectifié. Il existe à cet égard un texte de Saint-Martin pouvant paraître ambigu : « Les personnes qui ont du penchant pour les établissements et sociétés phi- losophiques, maçonniques et autres, lorsqu'elles en retirent quelques heu- reux fruits sont très portées à croire qu'elles le doivent aux cérémonies et à tout l'appareil qui est en usage dans ces circonstances. Mais avant d'assurer que les choses sont ainsi qu'elles le pensent, il faudrait avoir essayé de mettre aussi en usage la plus grande simplicité et l'abstraction entière de ce qui est forme et si alors on jouissait des mêmes faveurs, ne serait-on pas fondé à at- tribuer cet effet à une autre cause ; et à se rappeler que notre Grand Maître a dit : "Partout où vous serez assemblés en mon nom, je serai au milieu de vous" » (Article inédit cité dans le Dictionnaire de la Franc-Maçonnerie de D. Ligou). L'art et la Franc-Maçonnerie

Il apparaît certain que la Franc-Maçonnerie influence énormément les artis- tes, à de rares exceptions près. Quels sont les plus prestigieux ? W. Amadeus Mozart (1756-1791) fut initié à la R.L. « La Bienfaisance », à Vienne, le 14 décembre 1784. Son parrain fut le baron von Gemin. On con- naît sa vie difficile, âpre, douloureuse. On a présenté ce grand musicien at- teint d'un infantilisme pathologique qui l'aurait accompagné jusqu'à la mort. Ce genre de biographie prouve à quel point l'homme Mozart demeure méconnu. Le drame de la Lumière contre les Ténèbres apparaît dans nombre de ses oeuvres, Don Juan notamment, où l'oreille d'un musicien ne s'y trompe guè- re dans les alternances mineures-majeures (en ré) de la partition. Quant à son fameux opéra La Flûte enchantée, il dévoile librement son inspiration maçonnique, ce qui créa certains remous. Si bien que des Loges portent aujourd'hui le nom de « Mozart » il faut savoir que d'aucuns le considérè- rent comme un « traître » à son serment, mais dans ce domaine nous n'en sommes plus à un traître près, lequel finira honoré par l'ensemble des bons Frères. Goethe avait une telle admiration pour La Flûte enchantée qu'il entreprit un schéma d'une suite qui resta hélas inachevée. Johan W. von Goethe (1749-1832) fut initié le 23 juin 1780 à la R.L. Amalia zu dein drei Rosen de Weimar. Le 24 juin 1781, il devint Compagnon, et Maître un an plus tard, jour pour jour. Il fut ensuite élevé au 4e grade de la Stricte Observance Templière en décembre 1782. Goethe ne cessa de crier ses « désillusions maçonniques »... en demeurant fidèle à l'Ordre durant cinquante-deux ans. Toute son œuvre a une profondeur maçonnique. Son Faust n'est rien d'au- tre qu'une tentative « alchimique » de la connaissance immédiate, une sorte d'Axe Vertical, avec d'inévitables (et peut-être nécessaires) erreurs de par- cours : Faust découvre en tout cas la vérité au travers des mensonges de Mé- phisto, le vieil homme meurt (il devient aveugle), l'homme neuf (clair- voyant) renaît : ce qui est initiatique à souhait. On ne peut hélas dire la même chose de Joseph Haydn (1732-1809), qui souf- frit certainement de la trop proche présence de Mozart : il fut initié deux mois après lui. Né vingt-quatre ans avant Mozart, Haydn lui survivra dix- huit ans, mais son œuvre (au reste puissante) n'égalera jamais celle du com- positeur de La Flûte enchantée. On doit pourtant à Haydn 104 symphonies, des opéras, des messes, etc. Il écrivit même pour la Franc-Maçonnerie mais ses compositions ne révélèrent jamais rien de maçonnique. En revanche, on n'a pu s'empêcher d'associer des rites maçonniques au Par- sifal et Lohengrin de Richard Wagner (1813-1883), qui ne fut pas Franc-Ma- çon, il est pourtant certain que ce grand compositeur allemand était un « frère sans tablier », car il approcha l'Ordre de très près et compta dans ses relations d'éminents Maçons. Dans un tout autre genre (qui m'est particulièrement aussi cher que la musi- que classique), je signalerai l'appartenance à la Franc-Maçonnerie du grand musicien de jazz Louis Armstrong (1900-1971), qui fut membre de la Loge « Montgomery » n° 18 à New York. Son célèbre album, The Good Book, est un sacré clin d'œil à ses frères Maçons du monde entier.