Université de -I Panthéon-Sorbonne Centre d'Histoire Sociale (CHS)

Le festival d'Uzeste et la Compagnie Lubat 1978-1990

Philippe Ogilvie

Volume I

Mémoire de maîtrise d'histoire culturelle Directeurs : Pascal ORY et Pascale GOETSCHEL 2005

1 INTRODUCTION 6

CHAPITRE I PRÉHISTOIRE ET MYTHES FONDATEURS 15

A) . Généalogie d’un musicien 17 1) D’Uzeste à Paris, « l’élève doué » 17 Un petit bourg des landes girondines 17 L’Estaminet 18 Une enfance musicienne rurale : « l’élan politico-musico-artisanal » 18 Bernard Lubat, musicien atypique et étonnant 20 2) La révolution du 21 Un « débutant » affamé… 21 Le « virus du jazz » 23

B) De l’individu Lubat à la Cie Lubat 26 1) Au gré des rencontres un collectif va se former 26 2) Pratiques et discours 29

C) A Uzeste « Bernard Lubat invite… » 33

CHAPITRE II 1979-1984. UZESTE MUSICAL 37

A) 1979-1981. Un festival qui se réinvente chaque année 37 1) 1979, nouveau cru… 38 Chroniques du festival 38 Le vrai festival inaugural ? 41 Noël : et revoilà la compagnie… 43 2) 1980. L’implantation s’organise … 44 Premières fondations 44 Le festival grandit 46 3) 1981, une page obscure 49 Changements de cap 50 Noël 1981 52

B) Le tournant de 1982 54 1) Le projet prend sa vraie dimension territoriale : mégalocantonale 54 Un administrateur ambitieux 54 Des objectifs affichés 55 Implantation locale : une équipe permanente 57 Des subventions conséquentes 58 2) Un festival d’envergure, transdisciplinaire et multipiste 60 3) L’action à l’année 67

C) 1983-1984. Développements et appronfondissements 69 1) croissance et dynamique 71 Territoire 71 2) “Traditions ”, innovations 73 La parole : les débats 73 Le cinéma : la “ ciné fête ” 75 Innovations de l’édition 1983 76

2 3) Rencontres et identité 78 Regards sur 1983 : rencontres 78 Regards sur1984 : une identité se dessine 79 Les créations de la Cie : associer et confronter 80 4) De à Montreuil 81

CHAPITRE III : 1985-1988 LES ANNÉES “ VIVE UZESTE MUSICAL ” 84

A) Uzeste Musical est mort, Vive Uzeste Musical 84 1) Chuter/rebondir 84 Une situation paradoxale 84 Uzeste à Montreuil 86 Liquidation judiciaire 87 2) Nouvelle équipe, nouvelle base territoriale, nouvelle organisation du festival 88 Le festival 1985 : la revanche par le gigantisme 90 1986 : difficultés d’organisation 91

B) 1985-1986. Vers un « Festival international d’expression artistique vivante » 94 1) Cinéstival, cinambule, radio et quotidien provisoire 94 2) Un Festival international… 96 Invités 1985 96 Un festival international 97 Les nouveaux invités de 86 97 La Comedia del Vegetal 98 3) L’expression artistique vivante 100 "Uzeste Musical a gagné" 100 "L’expression artistique vivante, c’est quoi ? " 101 Noëls et ateliers 102 4) Ancrage et action locale 105 Croissance des activités d’animation 105 Le projet LAGIR 106 Les programmes d’inter-saisons 106 Lubat candidat aux régionales… 107

C°) 1987-1988 . Les « Non-festivals » ou la bataille du « Xe » 110 1) Du carnaval de Toulouse au New-Morning; des événements artistiques majeurs pour la Cie … 110 2) Réseaux : Avignon, Montreuil, Toulouse, et la Fête de l’Humanité. 112 3) Retour à Uzeste… 116 Une préparation compromise 119 “ L’Été L’Estaminet ” : manifestation artistique chez l’habitant, un festival de résistance 120 Fixation, concentration du discours 123 Renforcement de la détermination, paroxysme du paradoxe… 128 4) 1988. Le combat continue : le 10ème festival enfin ? 128 Chute de l’action dans le local 129 A Uzeste : un deuxième “ non-festival ” 130 L’équipe UM/Cie prépare la suite… 131

3 CHAPITRE IV LA CONSTRUCTION PROGRESSIVE D’INSTRUMENTS ADÉQUATS. 133

A) Un mouvement continu de professionnalisation 133 1) Retour sur les structures 133 Intrication 134 Fonder : le grand chantier des nouvelles structures 136 Bilan et état des structures à la veille de « l’Eté l’Estaminet »… 138 2) De nouveaux cadres professionnels pour les projets de l’équipe UM/Cie 140 La création de la SCOPA 140 Nouvelle base ou « zone d’envol » : la SCI Uzestoise et le Groupe d’artistes artisans gascons associés 144 La SCI Uzestoise 145 Le G’CA’ AGA 146 La nébuleuse en organigrammes 148 Dernière pierre : une nouvelle association pour le festival 150 3) Ordre et désordre de la comptabilité ou …petite histoire des archives 151 Une documentation embrouillée et lacunaire 152 Caractéristiques de la gestion des activités de l’équipe UM/Cie 155 Essai de non-histoire financière 156

CHAPITRE V. 1989-1990. LA RÉVOLUTION 158

A) 1989 Année révolutionnaire ? 158 1) La Révolution au village : conquête de la Mairie 158 2) La Révolution en dansant (apothéose du concept de bal) 160 3) La reprise du festival : enfin le Xe 166 Retour du festival à Uzeste 166 Des subventions dérisoires 166 Les invités 167 Continuation et reprise de la tradition du grand mélange 168 4) Critiques et enthousiasmes 170

B) 1989-1990. La « parole retrouvée » 176 1) Au festival… 176 « Concerts-concepts », « spectacles concepts » 176 Les Entretiens d’Uzeste 177 2) …et autour du festival 179 Une tribune retrouvée 179 Retour sur les plateaux 180 L’action à l’année plus conceptualisée aussi… 181 Festivités saisonnières 182 3) Conceptualiser l’idiome d’Uzeste 185

C) 1990 : 192 1) Signature de la Convention (Juillet 1990) 192 2) La XI° édition fait partie de l’Eté Girondin 197 Un budget beaucoup plus conséquent…suite à la convention… 197 Enthousiasmes et inspirations… 202 Reprise des projets de la Menuiserie et du Village Lacustre 203

4 CONCLUSION 208

5 INTRODUCTION

Dans le cadre d'une série d'études en histoire culturelle contemporaine sur les festivals de jazz en , il m'a été proposé de m'essayer à la recherche historique en prenant comme objet, dans sa plus simple formulation, le Festival d’Uzeste de 1978 à 1990.

Cependant, dès que l'on s'approche d'un peu plus près, le sujet prend une ampleur nouvelle et les complications se font jour : on quitte très vite le cadre des seuls festivals de jazz pour s'engouffrer dans un ensemble plus complexe : "Uzeste Musical". Derrière le festival, il y a tout d'abord un personnage : Bernard Lubat. Il est la source et le moteur du projet. Pour présenter les choses brièvement : Uzeste (petit bourg des landes girondines, gasconnes) est son village natal ; il décide d'y revenir créer un festival. Je dis bien là “créer” plutôt qu’ “organiser”. Bernard Lubat est avant tout artiste, il se fait donc acteur de son festival. Avec Bernard Lubat, il y a un collectif : la Cie Lubat, sa Cie. Son festival, sa Compagnie, l'emploi, provocateur, des articles possessifs est sujet à controverse. En effet, une Compagnie et un festival sont des aventures collectives. Ils sont néanmoins intimement liés à ce personnage qui a donné son patronyme à sa Compagnie. C'est bien lui qui est au centre du 1 projet (“il était une fois un enfant du pays” commence une brochure publiée en 1982 ). Cependant il sait s'entourer, et cette histoire est aussi marquée par ses compagnons de route. Patrick Auzier, Laure Duthilleul, André Minvielle, Marc Perrone et bien d’autres encore construisent et développent avec lui le projet Uzeste Musical. Une part majeure de cette histoire se situe donc au niveau des rencontres et des échanges que celui-ci provoque.

Le Festival d'Uzeste, est, dans ce projet un lieu et un moment privilégié de ces rencontres et de ces échanges qui se créent, se creusent et se continuent. Le festival est comme un point de rendez-vous, carrefour d'une activité multiple, reliant Bernard Lubat, la Cie Lubat, leurs activités artistiques et leurs rencontres, leurs engagements et leurs amitiés. Carrefour, il n'est que la partie la plus visible de tout un ensemble d'activités dont l’extension dépasse largement le seul festival estival. Celui-ci est en effet inclus dans un projet plus global de création artistique, de transmission pédagogique et d'animation culturelle en milieu rural. Carrefour, il n’est encore que la partie émergée de tout un complexe de structures et d’entités distinctes et imbriquées. N’est-ce pas la Compagnie Lubat qui supporte tout le festival aussi bien du point de vue de son organisation que de son financement ? Ici pointe une des caractéristiques majeures de ce festival : l’intrication (tant au niveau des acteurs que des structures et de leur financement).

Ce rapide aperçu peut d’emblée nous donner une idée de la complexité du sujet. Ainsi, si cette étude reste centrée sur le festival estival, sa mise en oeuvre doit néanmoins nécessairement s'ouvrir plus largement.

Créé en 1978, le festival estival d'Uzeste Musical s'est perpétué jusqu'à aujourd'hui. La 28ème édition s'est déroulée en ce mois d'août 2005 à Villandraut (déjà se font jour des

1 Brochure 1982 :“ Uzeste Musical, Cie Lubat ; Centre culturel d’animation de création et de diffusion en milieu rural, Uzeste, Canton de Villandraut, Vallée du Ciron. ”.

6 contradictions, nous reparlerons de ce bourg voisin qui accueille le festival d'Uzeste). En se fixant comme borne chronologique finale 1990, cette étude s’arrête à peu près à mi-parcours de la durée de vie du festival : 13 ans après sa fondation et 15 ans avant sa plus récente édition. Une attention toute particulière a néanmoins été accordée au choix de cette date. 1990 marque un moment charnière dans la vie du festival. A cette date la Compagnie Lubat – équipe artistique animant et conduisant le festival – signe une convention triennale avec les pouvoirs publics. Cette convention constitue alors à la fois un aboutissement de nombreuses années de lutte pour la survie du festival et un réel nouveau départ. L’analyse et l’exposé du parcours du festival et de la Cie Lubat jusqu’à cette date constituent donc un ensemble cohérent ; continuer plus loin aurait enclenché un autre processus de travail d’une ampleur égale. D’autre part, si 1978 est l’année de création du festival, l’aspect éminemment “lubatien” du projet “Uzeste Musical” nous amène à remonter plus loin dans l’histoire individuelle de Bernard Lubat afin d’inscrire le festival, à travers le parcours de son fondateur, dans une préhistoire et une généalogie.

Au vu de la complexité du sujet abordé, cette étude a peu à peu accentué son caractère monographique. Le sujet traité est à inscrire dans des contextes multiples. Outre un contexte général d’histoire culturelle ce sujet appelle des développements plus spécifiques sur l’histoire rurale française (et plus spécifiquement des landes girondine) depuis l’Entre-deux-guerres jusque dans les années soixante-dix puis jusque dans les années quatre vingt-dix, ou encore sur les contextes du spectacle vivant et de la scène jazz et free-jazz en France. Il faut voir aussi en soubassement tout le processus de décentralisation culturelle, ainsi que les problématiques de l’éducation populaire mais aussi l’évolution du mouvement occitaniste (depuis les controverses au sein de l’Institut d’Etudes Occitanes jusqu’aux productions théoriques indépendantes de Felix-Marcel Castan) ; toutes choses liées, éléments sous-jacents, dans lesquelles s’inscrit toute cette histoire festivalière musicale et artistique.

Néanmoins en raison de la lourdeur du défrichage et du dépouillement des sources, la réinscription de cette histoire plus particulière dans ce contexte n’a pu être mise en oeuvre dans toute son ampleur et, si l’exposé, l’analyse et la compréhension y perdent de la profondeur et des clés de lecture je le déplore grandement. Cette étude, qui s’inscrit néanmoins dans une démarche globale d’histoire culturelle, s’attache surtout à démêler une histoire interne riche et complexe, foisonnante.

En raison de cette complexité encore, quelques précautions et raccourcis langagiers ont dû être pris pour faciliter l’écriture et la lecture de ce travail. Le Festival d’Uzeste changeant par trois fois de structures au cours de cette période (soit successivement les associations loi 1901 “Uzeste Musical”, “Vive Uzeste Musical” et “Festival d’Uzeste Musical”) il sera désigné par l’expression, plus simple, “le festival” ; estival précisera-t-on lorsqu’il pourrait y avoir confusion. D’autre part le festival étant une émanation de la Cie Lubat et la Cie Lubat se construisant autour du festival, j’ai choisi de poser comme auteur des prises de décisions artistiques financières ou structurelle un collectif regroupant Bernard Lubat, les artistes de sa Cie et le personnel administratif y étant associé le tout étant désigné par l’expression : “l’équipe UM/Cie” (soit “l’équipe Uzeste Musical/Cie Lubat”). La Cie Lubat connaissant de nombreuses évolutions dans son personnel on pourra en distinguer différentes périodes et pour parler de la Cie Lubat et de ses acteurs de la première époque (de 1976 à 1980) j’utiliserais l’expression “la première Cie Lubat”. Enfin, pour parler des pratiques de la Cie Lubat lors de ses concerts ou de ses créations au festival d’Uzeste les différentes expressions utilisées ("transartistique", “transdisciplinaire”, “transpluridisciplinaire” ou “trans pluri-indisciplinaire”) renvoient toute à une expression

7 trouvée, dans sa formulation la plus aboutie, dans un document de 1988 : “pluri- 2 (in)disciplinaire et non étanche” . On a déjà là un premier aperçu de ce que nous appellerons génériquement le "discours lubatien" ainsi que de son aspect “contaminant” pour qui veut en rendre compte.

Nous abordons là un des traits essentiels de cette histoire. Musicien polyvalent, Bernard Lubat est aussi et avant tout un artiste qui développe une réflexion sur ses pratiques et, pourrait-on dire, qui développe une pratique sur sa réflexion et ce dès avant la création du festival. Cette réflexion se développe et s’exprime sous la forme d’une « pensée parlée », qui se caractérise par des inventions langagières, poétiques et musicales, surréalistes et parfois ubuesques : lubatiennes. On parlera, pour se référer à cette réflexion, à ses développements et concepts ainsi qu’à sa forme singulière, de discours lubatien (lubatien est un adjectif de l’époque que j’ai trouvé sous la plume du journaliste de Jazz Magazine Robert Latxague) ou d’idiome pour employer les termes mêmes de Bernard Lubat.

Ses réflexions se développent à partir d’un socle d’idées et de concepts qui évolue et s’approfondit avec l’expérience du festival et en retour ce discours définit, commente et construit le projet Uzeste Musical. Il y a là une interaction indémêlable. Aussi trouvera-t-on l’expression discours « lubatuzestien » : « -uzestien » pour signifier qu’il se développe avec le festival d’Uzeste et ses nombreux collaborateurs, « co-théorisateurs », « lubat- » pour signifier qu’on y retrouve toutes les thématiques du discours lubatien, qui en est le principal inspirateur. C’est dans un souci de le rendre le plus visible possible au lecteur que se trouveront tout au long de ce travail de nombreuses et parfois longues citations lorsqu’elles seront significatives des formes, des énoncés ainsi que des thématiques de ce discours. « Bernard Lubat joue avec lui-même et le monde entier depuis l’âge de trois ans, de tous [s]es instruments précités (…) et d’autres encore tels que la plume ou la parole. (…) Uzeste reste pour Bernard Lubat et sa compagnie le camp de base, le laboratoire de recherche, le lieu de rencontre privilégié avec les autres artistes. (…) Bernard Lubat cherche, créé, détruit et reconstruit jour après jour, inlassablement. Gascon. »3. En raison de l’ omniprésence de ce discours et de son lien organique avec le développement du projet Uzeste Musical, ses éléments ont volontairement été laissés intégrés dans les développements chronologiques.

Nous le verrons : le parcours de Bernard Lubat est tout de curiosité et de découvertes, de rencontres et d’échanges. Ces quatre mots ici rapidement alignés, sont sans doute sa principale richesse et ne cesseront de déterminer l’ensemble de l’entreprise qu’il commence en créant le festival d’Uzeste. Autre élément fondamental, et intimement lié, pour Bernard Lubat, aux précédents : l’improvisation. Celle-ci constitue le point de départ : la confrontation, la dialectique, le rapport de l’individu au collectif, dans le collectif, la création, le temps présent, le droit au désir. Toutes ce thématiques de son discours se sont développées d’abord chez lui tout seul, puis se sont étoffées avec la première Cie Lubat. Elles continuent de se développer à partir de l’aventure du festival qui devient très vite central dans les préoccupations, les pratiques et les engagements de Bernard Lubat et de sa Compagnie.

2« Etude pour un laboratoire de recherche et de diffusion artistiques fondamentales. Théâtre de la Menuiserie. Décembre 1988 », dans « La Menuiserie, Projets, Plans ». 3 Dans brochure « Les "Favellas Gasconnes" Ecole Musical du rythme de la Compagnie Lubat. Vive Uzeste Musical. 1987 » dans carton brochures salle de réunion.

8 4 Ce festival n’ayant pas encore été traité en tant qu’objet d’histoire un des objectifs principaux de cette étude est d’en faire le récit chronologique. Celui-ci ne saurait néanmoins se passer de regards analytiques et problématisés qui, au vu du foisonnement de cette histoire factuelle et de sa complexité (toujours), ont été volontairement intégrés dans les développements chronologiques.

“Il était une fois un enfant du pays”... Préhistoire et généalogie du festival s’inscrivent dans le parcours personnel de Bernard Lubat enfant, puis musicien poly-instrumentiste et improvisateur. C’est lors de ce parcours que s’accumulent les matériaux avec lesquels il développera une expérience de création collective : la Cie Lubat puis le festival d’Uzeste. Cette partie est fondamentale pour la compréhension de toute l’histoire du festival et du projet “Uzeste Musical”. A travers ce parcours, nous voyons d’emblée combien, avec la création de ce festival mais aussi avant, avec sa Cie Lubat, les pratiques de Bernard Lubat détonnent dans le paysage musical français.

La suite de l’exposé s’articule sur les temps forts, les ruptures, de l’histoire du festival. Une première période, de 1979 à 1985, est identifiée, durant laquelle autour du festival d’Uzeste, « Uzeste Musical » s’étoffe et affirme ses ambitions ; il prend sa véritable dimension de projet d’animation culturelle locale. Le festival estival, qui demeure en quelque sorte l’articulation du projet, s’étoffe aussi. On dégagera les articulations de son évolution et les éléments (jalons, innovations et traditions) qui contribuent à construire son identité. Une attention particulière sera accordée à l’année 1982, un temps fort de cette évolution et de ces développements. En 1985 se trouve une rupture clairement identifiable : la première association du festival (« Uzeste Musical ») meurt.

1985, « Uzeste Musical » est mort « Vive Uzeste Musical », ainsi est intitulée la nouvelle association, l’équipe d’Uzeste Musical n’abandonne pas et redonne un nouvel élan à son projet en danger. Là encore c’est le cadre structurel qui délimite la période. Après 1988 d’autres structures prennent le relais. Durant ces quatre années, Uzeste Musical continue à se développer, le festival estival aussi. Nous analyserons les ressorts de ce rebondissement ; mais aussi le nouvel essor de la Cie Lubat dans ses activités à l’extérieur, et la manière dont elle construit peu à peu des structures solides de gestion et d’administration. 1987 et 1988 sont deux années de « non festival » ; la lutte de « Vive Uzeste Musical » se fait plus aiguë, le discours et les projets s’affinent.

La richesse des propositions et réalisations de cette période nécessitent de faire à cet endroit de l’étude un bilan et un regard rétrospectif sur l’ensemble des structures du festival et du projet lubat-uzestien. Cette partie plus thématique développe les principales caractéristiques de l’histoire structurelle du festival et éclaire ainsi les années antérieures à propos desquelles cet aspect n’avait été que peu évoqué. Y sont exposés surtout les étapes et le processus de construction des nouvelles structures qui servent de nouvelle base pour la reprise du festival en 1989 et 1990 et pour la signature de la convention triennale de 1990. Parallèlement à cette construction structurelle nous verrons que « l’idiome lubat-uzestien » progresse et se fixe en plusieurs étapes de conceptualisation.

4 Il a par contre été l’objet de plusieurs études lors de mémoires en sciences politiques, DESS d’administration culturelle, de cultures et patrimoines... dont il est fait état dans la bibliographie sous la rubrique « travaux universitaires inédits sur Uzeste ».

9 1989 et 1990, dernières années de cette période, constituent un ensemble à part entière de par le renouveau qu’on y observe. Les deux éditions du festival se déroulent sous l’égide d’une nouvelle association : « Festival d’Uzeste Musical ». Et l’ensemble structurel d’Uzeste Musical est entièrement réorganisé. 1989, l’année du bicentenaire de la Révolution française, voit le dixième anniversaire, par deux fois reporté, souffler enfin ses bougies. Années révolutionnaires ? Révolution au village : les élections municipales chassent une équipe en place depuis 1977 et ouvertement hostile et tracassière vis-à-vis du festival, pour porter au conseil municipal une équipe qui lui est éminemment favorable. « Révolution en dansant » le Conseil général de la confie à la Cie Lubat la manifestation officielle de commémoration du Bicentenaire de la Révolution française. En 1990 à la veille de son festival, la Cie Lubat signe une convention triennale avec le ministère de la Culture, le Conseil général de la Gironde, le Conseil général des Landes et la commune d’Uzeste. La conjoncture devient donc lors de ces deux années plus favorable. On verra les répercussions de tous ces changements sur la conduite du festival estival et sur l’ensemble du projet Uzeste Musical.

Les Sources qui m’ont permis de mener à bien cette étude sont à la fois nombreuses et quelque peu difficiles à traiter. Mon travail a porté quasi exclusivement sur les sources internes du festival regroupées aujourd’hui dans les bâtiments de la Menuiserie à Uzeste. L’accès aux archives de la Cie Lubat et du festival m’a été accordé par l’équipe actuelle du festival.

L’histoire de ces archives est assez chaotique et leur état actuel en porte les traces. Corinne Chiaradia, responsable de la “Maison de la Mémoire en Marche” (librairie- bibliothèque, ouverte à Uzeste en juin 20045) a commencé un sauvetage des archives en recueillant tous les programmes édités ainsi que tous les tirages de planches photographiques. Ceux-ci sont rassemblés et classés dans des classeurs, sous chemises plastifiées et mis à disposition, en libre consultation, à la “Maison de la Mémoire en Marche” d’Uzeste,.

Cette démarche de sauvetage, tout comme le titre de cette librairie bibliothèque, montre bien un souci de conservation des archives et de préservation d’une mémoire. Cette Maison de la Mémoire en Marche (MMM) se veut à long terme un centre de documentation regroupant toutes les archives, traces de l’ensemble de l’œuvre lubatienne et lubat-uzestienne. Les archives papier comme les documents iconographiques, sonores et audiovisuels y seraient conservées et consultables. Les archives sonores et audiovisuelles sont nombreuses, mais non consultable dans leur état actuel ; elles sont, elles aussi, l’objet d’une opération de sauvetage par numérisation.

Mon travail a donc porté sur des supports archivistiques plus traditionnels : les archives papier du festival. Je disposais à mon arrivée de deux outils précieux : le recueil, que nous venons d’évoquer, de tous les programmes classés et ordonnés chronologiquement à la MMM et un recueil de tous les articles de presse collectés depuis 1976 sur Bernard Lubat et Uzeste Musical, classés par ordre chronologique et conservés dans le bureau de l’administrateur de l’actuelle Cie Lubat. Dans ce même bureau et dans celui de la comptable

5 Depuis 1990 de nombreuses structures se sont créées dans l’ensemble Uzeste Musical. La MMM est la dernière née.Une visite du site internet http://wwww.uzeste.org permet de voir toutes ces réalisations au sein du projet Uzeste Musical. Celui-ci s’intitule désormais “Uzeste Musical, Visage Village des Arts à l’Oeuvre”.

10 sont également conservés, accessibles, les statuts des différentes structures, ainsi que les projets successifs d’aménagement de la Menuiserie.

C’est avec les « boîtes d’archives » plus proprement dits que l’histoire chaotique des archives est la plus visible. Déplacés de lieu en lieu depuis la création du festival (chez Bernard Lubat, à Villandraut lors de la période du cinéma François Mauriac, puis à la Menuiserie), ils ne faisaient pas, semble-t-il, jusqu’à une période récente, l’objet d’une attention particulière et leur contenu était fréquemment réutilisé et remis en circulation (traits illustrant une dynamique d’action dans le présent plutôt que de conservation des traces). Avant l’opération de sauvetage de Corinne Chiaradia, il semble qu’il n’y ait eu qu’une seule autre opération de relecture et de tentative de mise en ordre des archives : celle de Josy Pouchet-Boudu à son arrivée en 1989.

Récemment re-déplacés, ces cartons d’archives étaient à mon arrivée entreposés en vrac. Un premier travail de récolement puis de dépouillement systématique des cartons concernant la période traitée a été très long mais fructueux. Aucun classement ni codification d’aucune sorte n’ayant été faits sur ces archives, la dénomination des cartons reprend textuellement les titres écrits tels que je les ai trouvés inscrits au dos des boîtes. Les documents sélectionnés m’ont permis d’accéder à une compréhension assez précise de l’histoire structurelle de l’ensemble, mais laissent néanmoins des zones d’ombre quant aux finances du festival. Les dossiers de demandes de subventions m’ont été un outil particulièrement utile. En effet, y apparaît, développé et formulé en un moment précis le projet Uzeste Musical ; ce qui permet d’en avoir des photographies lors de différentes étapes successives. Le recueil des articles de presse m’a fourni un abondant matériau sur le festival (chroniques et interviews) mais aussi sur les activités extérieures de Bernard Lubat et de la Cie.

Pour ce qui est des autres archives, le manque de temps (et de mobilité) a réduit la palette de celles que j’ai pu consulter. L’accès aux archives municipales m’a été accordé par l’actuel maire d’Uzeste, Mme Baup. Avec les registres des délibérations des conseils municipaux, j’ai donc pu voir l’intégralité des comptes rendus des séances des conseils municipaux sur la période 1978-1990.

Enfin, en raison du caractère très contemporain de cette histoire j’ai eu recours à des témoignages oraux. Le long temps durant lequel je me suis installé sur place (approximativement de l’automne au printemps avec de nombreuses aller et venues, avant comme après) m’a permis de m’imprégner et de me familiariser avec les lieux, le climat et la géographie, ainsi que d’appréhender un peu mieux les relations humaines autour de ce festival. Néanmoins, le temps imparti à la recherche dans les archives a quelque peu réduit l’éventail de ceux, parmi les témoins et acteurs (ceux-ci étant particulièrement nombreux nous le verrons), que j’ai pu interroger. J’ai toutefois pu bénéficier de la relative concentration géographique, résultat de l’implantation locale, inhérente au projet Uzeste Musical, d’un certains nombres de ceux-ci. Cette concentration a néanmoins eu en retour un effet dont il faut prendre la mesure, après connaissance du contexte récent des relations humaines dans cette histoire festivalière où entrent profondément en jeu les affects et les parcours personnels, avec notamment de nombreuses fâcheries se soldant par des ruptures et des départs des acteurs du projet.

Dans l’intervalle des 15 ans qui séparent la fin de la période étudiée et l’année durant laquelle s’est menée cette étude, se sont déroulées de nombreux événements et changements

11 (que nous évoquerons en conclusion) parmi lesquels celui qui nous intéresse ici : le départ au grand complet de toute l’équipe UM/Cie qui s’est fixée à la fin de la période étudiée et qui restera presque inchangée (à part pour les postes administratifs, notamment celui d’administrateur) jusqu’à une période très récente. Le premier de ces changements est la séparation de Laure Duthilleul et de Bernard Lubat vers la fin des années 1990. Restent alors comme artistes permanents de la Cie, autour de Bernard Lubat, Patrick Auzier et André Minvielle, auxquels s’ajoute petit à petit une nouvelle génération (Fabrice Vieira, Yoann Scheidt, Nathalie Boiteau… ). Peu après l’an 2000, sous la pression de Bernard Lubat, cette (nombreuse) équipe UM/Cie éclate intégralement et celui-ci ne retient auprès de lui que la nouvelle génération. Départ donc de Patrick Auzier, André et Martine Minvielle ainsi que Josy Pouchet. Commence alors une nouvelle époque de la Cie, celle de l’équipe qui m’a accueillie. Les circonstances précises de cet événement me sont restées floues et, après que ce récit - précieux pour pouvoir évoluer dans un contexte qui en porte les séquelles douloureuses – m’ai été livré une fois, je me suis bien gardé de fouiller dans ce passé récent et quelque peu tabou, celui-ci sortant du cadre chronologique que je m’étais fixé.

Ma venue en tant qu’enquêteur basé dans les locaux de la Cie Lubat d’aujourd’hui, pouvait donc laisser craindre (consciemment ou inconsciemment) aux acteurs de l’époque précédente que ces entretiens et leurs propos soient rapportés. La mesure dans les propos était sans doute plus grande encore chez les habitants du village, anciens acteurs, témoins de l’aventure, mais toujours voisins proches. J’ai donc, dès le premier entretien, pris le parti, pour ne pas provoquer ou augmenter une possible autocensure et ne pas pâtir de l’effet inhibant de la bande enregistreuse, de ne rien enregistrer. Ces entretiens ne constituent donc pas des sources orales à proprement parler. Aussi faut-il plutôt les considérer comme une recherche de témoignages et vues rétrospectives, sorte d’accompagnement de cette recherche. Ces témoignages me furent précieux d’éclairages nouveaux et d’explications précises.

Pour les entretiens que j’ai eu avec Bernard Lubat, j’ai demandé et obtenu l’autorisation d’enregistrer. Celui-ci, porteur du projet, a par ailleurs il me semble un rapport différent, en tant que musicien, à l’enregistrement. C’est lors de ces entretiens que j’ai été confronté de la manière la plus aiguë au “discours lubatien” ou “idiome lubatien”. A travers ses jeux de mots et ses acrobaties langagières j’ai pu voir se développer sa pensée parlée, toute en arborescence et en virevoltes. A cette première difficulté s’est ajoutée tout le mal que j’ai eu à le faire parler en tant que narrateur de son passé, tout son intérêt étant orienté vers le présent et l’avenir. Si il distillait de temps en temps des éléments précis et des anecdotes, mon impression fut que chacune de mes questions, questions de détails auxquelles il ne trouvait que peu d’intérêt, lui servait de tremplin pour un nouveau développement. Développements très intéressants, mais difficilement utilisables. Fort heureusement à travers les nombreuses interviews retranscrites dans la presse, j’ai pu étudier cette pensée parlée plus au calme sur support fixe et écrit. Ainsi donc s’il n’y en a que peu de traces dans cette étude, l’oralité est un élément majeur de cette histoire. D’une part par le riche corpus de sources orales qui reste à constituer (voir dans la table des sources le développement sur les “perspectives”), d’autre part à travers cette caractéristique lubatienne d’une pensée parlée originale et prolifique.

Afin d’illustrer et de soutenir mon propos se trouvent dans les annexes d’une part des outils que j’ai élaborés afin de mieux comprendre, visualiser et analyser la période dans son ensemble et dans ses détails. On y trouvera d’autre part des documents sélectionnés (bien peu par rapport à ce que l’on souhaiterais) pour leur force d’illustration d’une part et l’importance de leur contenu

12 Grâce aux classeurs de presse évoqués plus haut, où sont rassemblés tous les articles collectés sur le festival estival mais aussi ceux traitant des activités de la Cie Lubat ou de Bernard Lubat tout seul, j ‘ai pu construire une chronologie de l’ensemble des manifestations hors festival, activité sans laquelle on ne peut appréhender le festival dans toute sa dimension.

Pour illustrer et donner un peu plus de corps aux premières éditions du festival seront présentés un reportage photographique publié dans Jazz Hot en 1979 et quelques programmes de festivals estivaux, mais aussi hivernaux. Le volet pédagogique du festival sera illustré à travers des extraits de brochures annonçant les ateliers artistiques de la Cie Lubat.

Il faut noter que les documents présentés (depuis les programmes jusqu’aux cartes) se rattachent tous d’une manière ou d’une autre au discours lubatien, ils l’illustrent tous car comme nous l’avons dit, celui-ci est sous-jacent à toute la production du festival. Pour appuyer le discours développé autour d’un de ses thèmes centraux : le Bal, on présentera une interview de Bernard Lubat en 1990 intitulée « La Polka c’est comme Mozart ». Nous transcrivons également une des synthèse les plus conceptualisées, conçue en 1989 et présentée sous le titre « Philosophie ».

Pour fonder les développements sur le rapport au territoire que cultive le festival, on trouvera de nombreux documents cartographiques. Un plan des bourgs d’Uzeste et de Villandraut. Le premier issu du cadastre , le second, issu du programme journal du festival 1986. Pour situer Uzeste dans un contexte plus large, nous utiliserons là encore des cartes éditées par l’équipe UM/Cie. On peut voir à travers ces documents le souci d’investir le territoire, corollaire de la démarche d’animation culturelle locale du projet Uzeste Musical. Documents produits pour les festivaliers lorsqu’ils sont issus du programme du festival (1985, 1986 et 1990) ou pour appuyer le discours adressé aux organismes subventionnant pour ceux issus de la brochure édité en 1988. On peut voir à travers ces cartes une représentation et une approche du territoire de plus en plus conceptualisée, réfléchie, travaillée, habitée… Les cartes produites dans la brochure de 1988 sont conçues avec tout le sérieux d’une équipe forte de son travail effectif, et avec toute la poésie et l’humour lubat-uzestienne plaçant Uzeste en quelque sorte au centre du monde. On y voit une progression depuis le canton jusqu’à l’international. Le plan stylisé du canton resitue tous les lieux investis par l’équipe UM/cie lors de ses manifestations estivales et autres actions à l’année. Sont ensuite détaillés tous les lieux en France où la Cie Lubat et Vive Uzeste Musical ont « exporté » leurs travaux. La troisième carte détaille ses exportations à l’étranger (on y remarque alors deux pôles d’exportation : l’Europe et les Caraïbes).

Tous ces documents sont déjà à compter parmi les documents illustrant le discours lubat-uzestien, dont d’autres exemples sont proposés à la lecture. En premier lieu l’édition de deux « lexique du festival » dans les journaux programmes des éditions 1986 et 1990. On y trouve développés et définis en idiome lubatien les « traditions » du festival (tel l’Apéro Swing, les Favellas Gasconnes…) tout comme certains de ses concepts (le Tambouroundïou Concept…) ou une présentation des invités parmi les plus affectionnés de l’équipe du festival (en 1990). Il a semblé également utile de livrer sous leur forme originale les documents produits lors de l’édition du festival 1987, moment de lutte, pour démontrer et prouver l’ampleur et la qualité de l’action de ce festival. Sont alors publiés dans une « Lettre ouverte aux pouvoirs publics » deux listes. Une longue liste (« non exhaustive ») des artistes « amis solidaires de [l’] entreprise », et une autre liste toute aussi longue de créations ayant pour cadre le festival estival et de celles de la Cie Lubat, « ambassadrice », exportatrice de ses pratiques à l’extérieur.

13 Afin de permettre au lecteur de mieux se représenter les pratiques spécifiques de la Cie Lubat au festival, sont présentés également trois « synopsis » de spectacles du festival. Tous trois datant de 1982, mais illustratifs de ses pratiques avant comme après. Le premier est une création de « Music Hall Théâtre » intitulée Le Bonheur, on y retrouve la dérision et le questionnement que Bernard Lubat et sa Cie veulent porter à travers le spectacle vivant sur la société, les mœurs et la vie quotidienne, on y retrouve des échos de la création de 1979 Oun soun Passades, ou les prémices de la Comedia del Jazz de 1988. Le deuxième synopsis, présente minute par minute le déroulement d’un nouveau type de spectacle que l’équipe UM/Cie inaugure en cette année 1982 et qui va devenir une autre « tradition » du festival : le Territoire des Soli Sauvages. On peut y voir comment tous les artistes invités du festival sont mis à contribution et placés dans une trame spectaculaire déroutante, tant pour eux que pour le public. Enfin troisième synopsis : celui d’un spectacle marquant dans l’histoire du festival : la Ballade douce sous les étoiles terribles avec les dessins affiches de Ernest Pignon Ernest, à partir du roman le Concert Baroque de Alejo Carpentier. Quelques photos issues des programmes journaux du festival illustreront ce synopsis.

A travers un texte de Claude Gudin publié dans le journal programme 1987 transparaît l’ambiance de rencontres et d’échanges du festival, mais aussi l’implication des invités se faisant co-théorisateurs du discours festivalier, et partenaires en échanges transdisciplinaires. Enfin est reproduite une brochure de présentation de la Compagnie Lubat éditée en 1988, élaborée en un moment de fixation et synthétisation de l’idiome lubat-uzestien, dont elle constitue un condensé des plus évocateurs et exhaustif, qui prépare la lecture de la convention signée le 6 juillet 1990 à Uzeste, terme de cette étude.

Plusieurs des documents présentés démontrent l’importance du regard rétrospectif : regard sur les participants co-élaborants du festival, les réalisations et les lieux, Uzeste et l’Estaminet

14 CHAPITRE I Préhistoire et mythes fondateurs

Avant d’entrer dans le vif du sujet, il est nécessaire de présenter le cadre et d’expliciter le contexte dans lequel est né ce festival. Nous allons donc dans ce premier chapitre faire une rapide présentation géographique (Uzeste et son environnement géophysique, rural et urbain) et retracer la préhistoire du festival afin de le réinscrire dans sa généalogie : l’histoire de son principal protagoniste Bernard Lubat, l’histoire de ses parents, de son enfance et de son parcours musicien. Présenter et analyser le terreau dans lequel naît le festival m’est peu à peu apparu indispensable à la compréhension. Il s’agira donc tout d’abord ici de « micro histoire » villageoise et familiale.

Dans la mesure où ces histoires ne s’inscrivent pas dans les bornes chronologiques sélectionnées, elles ne seront pas documentées selon la même méthode. L’intérêt de cette présentation étant d’en retranscrire la version commune, produite par Bernard Lubat et largement répétée à propos du festival. De par les relectures dont il a été l’objet, et son insertion dans différentes strates de discours6, ce récit a subi de nombreuses modifications, censures et omissions volontaires ou accidentelles. En 1986, Christian Laborde, poète et écrivain, ami de Bernard Lubat, fixe dans un livre sa version, romancée, de cette généalogie, encore une fois racontée7. Le nombre de versions et de variantes de cette histoire égale le nombre de récitants, chacun omettant ou rajoutant, enjolivant ou minimisant. Une histoire répétée et transformée, toujours vivante.

Au fur et à mesure que je m’imprégnais de l’histoire du festival et que je travaillais sur son contenu, l’importance de cette généalogie m’est apparue telle, dans le discours de Bernard Lubat et dans tous les discours qui ont été produits sur le Festival d’Uzeste, qu’on ne pouvait l’éluder. C’est donc ce discours, véhiculé et assimilé tout au long de son histoire, que je vais m’attacher à retranscrire à dessein de livrer au lecteur le récit mythologique fondateur constitutif de l’identité d’un parcours personnel doublé de l’aventure collective d’un festival.

Il faudrait consacrer une étude entière à inscrire cette histoire locale, ainsi que cette histoire familiale dans son contexte de la France rurale de l’entre-deux-guerres et de l’après- guerre ; de l’exode rural ; des lois sociales de 1936 et de la fin de la polyculture et du métayage. Il en est de même lorsqu’il s’agit d’évoquer le parcours musicien de Lubat avant la création du festival, parcours riche en détails à réinscrire dans une analyse pertinente du

6 Le discours de Bernard Lubat pour la presse, le discours de la presse sur Bernard Lubat - pour ne citer que les principales. 7 Christian Laborde, Les soleils de Bernard Lubat, Toulouse, éditions Eché, 1987. Nouvelle édition bilingue français-gascon, Los sorelhs de Bernard Lubat, éditions Princi Negue, 1996.

15 paysage des pratiques musicales, de la sociologie et de l’histoire culturelle des musiciens en France dans la deuxième moitié du XXe siècle. Mais ce n’est pas là notre propos.

16 A) Bernard Lubat. Généalogie d’un musicien

1) D’Uzeste à Paris, « l’élève doué »

Un petit bourg des landes girondines

« Pour localiser Uzeste, il faut une bonne carte : le village, situé au sud-est de , quelque part du côté de Villandraut, n'est pas bien grand en effet ; mais c'est le berceau de la famille Lubat »8.

Le village d’Uzeste est un petit bourg des Landes girondines, en Aquitaine, entre Bordeaux et Toulouse. Proche de Bordeaux (45 km), non loin de la Garonne qui coule à Langon (la sous-préfecture, à 15 km de là), le village et ses environs se situent juste à la lisière du Sauternais, juste au sud de la limite du sous-sol calcaire, terre des vignes. Peu avant Uzeste débute la terre sableuse des Landes. Il y pousse une végétation abondante de forêts de chênes et de pins. Ceux-ci sont exploités pour leurs résines (le gemmage) mais, à l’époque ou l’agriculture et l’élevage sont les activités dominantes (des métairies dans les airials de forêts de chênes), ils ne sont pas aussi omniprésents qu’aujourd’hui où ils comblent tous les espaces disponibles entre les villages, menaçant de plus en plus les rares parcelles de forêt de chênes.

Située dans la vallée du Ciron, qui passe également à Villandraut (à 4 km), Uzeste est un bourg du Bazadais, dont l’ancienne capitale (à 10 km), jadis étape sur le chemin de St Jacques de Compostelle, est le centre urbain le plus citadin. Villandraut, plus petite, proche voisine d’Uzeste, est célèbre pour son château du XIVe siècle : le château du Pape Clément V. Bertrand de Goth, né à Uzeste en 1264, ouvrit la lignée des papes en Avignon en 1305 sous le nom de Clément V. C’est dans la Collégiale d’Uzeste qu’il choisit de se faire inhumer. Ainsi Uzeste reste de façon indélébile liée à cette histoire médiévale et demeure, dans les guides touristiques, le village de la tombe du Pape Clément V.

Mais revenons à l’histoire contemporaine. Durant l’entre-deux-guerres et l’après- guerre, jusque dans les années 1960, Uzeste est un gros bourg rural (750 habitants dans les années 1920). L’activité principale du village est la polyculture dans les métairies, qui est le système d’exploitation agricole alors en vigueur. On y travaille également le bois. Le gemmage (récolte de la résine des pins) se pratiquant plus au sud dans les Landes, à Uzeste il s’agit de la sylviculture : les billes de bois de pin collectées par les métayers sont expédiées vers les scieries de la région, en train, depuis la gare d'Uzeste. Avec deux classes à l’école primaire, cinq bars (dont deux cercles, trois cafés-épicerie, l’un exerçant également des activités de pompiste, coiffeur et poissonnier), plusieurs entreprises de maçonnerie, une scierie, un boucher, un boulanger, une poste. Les commerces et les nombreux artisans permettent au village de vivre en quasi autarcie. Mais, à partir des années 1960, le village est cruellement victime de l’exode rural. Ce sont principalement les jeunes générations qui désertent. Les commerces ferment les uns après les autres, l’activité économique tourne au ralenti.

8 Denis Constant, « Lubat en ses états. Uzeste Musical, 25-29 août », L’Humanité, 19 juillet 1982

17 En 1978, à Uzeste, 400 habitants, il n’y a plus qu’une classe à l’école ; la gare et la voie de chemin de fer ont été supprimées. Avec un carrossier, un maçon et un peintre, il ne reste des commerces qu’un boucher, un boulanger et deux cafés-épiceries : le Café des sports et l’Estaminet.

L’Estaminet

C’est dans ce café l’Estaminet, aujourd’hui encore en activité, que toute l’histoire du festival a germé et c’est là encore qu’elle prend racine. Le café est fondé par le jeune couple Lubat en 1937. Arnaud Lubat, dit Alban (né le 6 mars 1912), et Marie Lapeyre, épouse Lubat (née le 22 avril 1913), sont tous deux natifs d’Uzeste et tous deux enfants de métayers.

Le parcours d’Alban Lubat dans la société villageoise de l’entre-deux-guerres est assez atypique et mérite que l’on s’y attarde : Alban Lubat refuse de travailler la terre comme ses parents métayers. Voilà donc un personnage insoumis, se dressant contre son sort. Il apprend le métier de sabotier et comme il a quelque talent en musique, il se fait, parallèlement, musicien. Il exerce ce second métier régulièrement (à la trompette, à la batterie ou à l’accordéon) dans tous les bals, fêtes et mariages et de la région. La seconde révolution du fils de métayer est de s’établir comme commerçant, et ce en plein dans le bourg : il ouvre avec sa jeune femme un café – restaurant – épicerie – auberge : L’Estaminet. Très vite, Alban va en faire un haut lieu de la sociabilité villageoise. Il y souffle un vent de fronde car son propriétaire est pleinement et ouvertement communiste. Quartier général de tous les « rouges », on y trouve l’Humanité et y sont accueillies les réunions syndicales. Sa troisième révolution au village fut d’afficher sur la façade de L’Estaminet, à côté de « Café », en pleine France rurale catholique : « Dancing » !

Une enfance musicienne rurale : « l’élan politico-musico-artisanal »

C’est donc là où naît leur fils unique, Bernard, le 12 juillet 1945. Laissons-lui la parole pour décrire le cadre dans lequel débute son parcours. Ce texte, issu des nombreux manuscrits de Bernard Lubat s’exerçant à l’écriture de son histoire, montre bien l’importance qu’il accorde à ce contexte si particulier dans lequel s’est déroulé son début de vie. Il ne cessera par la suite de l’interroger, de le relire et d’y voir les fondements d’une grande partie de ses orientations et de ses choix. Voilà donc retranscrite une de ses nombreuse tentatives de mise en récit de son histoire personnelle ; celle-ci est intitulée « Cie Lubat c’est quoi ? »9 :

« Commençons par un commencement… si l’on peut dire. 12 juillet 1945 : Naissance à Uzeste (Gironde) de l’individu dont le nom figure à la suite du vocable Compagnie : Lubat, prénom : Bernard. Ici nous devons prévenir le lecteur que, foin de don et autres couillonades médiévales, nous allons tout au long de cet entretien montrer les conséquences tragiques de l’environnement spatial psycho-pathétique sur l’individu sus-nommé sans oublier celles plus incognitos de la soupière attavismesque quoique intemporellement oedipienne. 1945 : Uzeste, village gascon d’Occitanie ouest (800 habitants), fiché dans le plus grand massif forestier européen proche de la Gascogne et du grand Océan du Bout du Monde, à quelques minutes des colossaux vignobles du Sauternais, terre de naissance et d’inhumation

9 Manuscrit de Bernard Lubat dans « Archives Cie Lubat… ». Ce manuscrit est non daté, je penche pour une datation autour des années 1989-1991, dates auxquelles ces récits d’enfance sont plusieurs fois tentés, Copyright Bernard Lubat.

18 (en la collégiale sublime) d’un Pape d’Avignon : Clément V (XIIe) alias Bertrand, de la famille des Goths seigneurs propriétaires de la région ; Haute Lande girondine dite mauriacienne, du nom d’un enfant du pays F. Mauriac (écrivain, romancier) […] ; domaines immenses, forestiers et agricoles ; une langue d’Oc encore chaude, au quotidien, en musique rurale, vivante. C’est « la Libération »…, les affaires reprennent. Fêtes, bals, noces et banquets exagèrent le cours des choses. De la danse, du vin, de la nourriture, de la cuisine, de l’amour, du sexe (bien avant la lettre si l’on en juge par les statistiques et les ragots), des écoles bruyantes, du travail : métayers, ouvriers, forestiers, fermiers, artisans, commerçants, musiciens, conteurs, usines, ateliers, animaux, gibier, la gare, le train. Une autarcie potable dans les cent mille bruits d’une communauté confiante, existante, en lutte possible pour la suite. Une enfance de rêve pour le tendre Lubat s’il n’était tombé si tôt dans les pattes de parents à la « masse » : sortis tout droit de la métairie d’un grand domaine, ils quittent la terre basse pour monter au village ouvrir boutique : café l’Estaminet, hôtel (2 chambres), restaurant, épicerie, butagaz, cinéma itinérant (mercredi), réunions politiques et syndicales (jeudi), billard, concours de belote (vendredi) et, enfin, pour terminer (!), samedi, dimanche après-midi et soir plus les jours de fête : DANCING !(sans compter les mariages, baptêmes, enterrements, etc…) DANCING… ! au pays du boundiou [Bon Dieu], du Meste [Maître], du Moussu [Monsieur]. Scandale pour l’enfant fragile, individu naissant, projeté dans un delirium de sensualités et autres érotismes des corps et des cœurs qui se boivent. Hasard ? Nécessité ! 1950 : Résultat ! A cinq ans, il jouait accordéon, batterie, routines et ritournelles sur l’hôtel du parental Dancing ! Forcément à ce régime, pli tôt fut pris, « on » envoya l’enfant routinier oral analphabète, aller se faire cultiver ailleurs, à l’écrit, à la ville donc… 1957 : Au canton d’abord pour l’amadouer… 2 professeurs d’un coup. Piano pour les bases et accordéon pour la base (certificat d’étude communal à 14 ans), à la préfecture ensuite pour le durcir… : Bordeaux, Conservatoire, piano et percussion (1er prix)… que des profs et plein d’élèves, BACH, MOZART, BEETHOVEN, etc… et retour obligé samedi, dimanche à Uzeste dans le café L’Estaminet dancing bondé de jeunes et de jeunettes en plein tango, mambo, cha-cha, boléro, madison… Les polkas et rondos des mémés en prennent un sacré coup, l’électricité et la Radio française occupent le terrain, la société de consommation s’installe dans le vertige du mystère Américain. L’exode rural local (bien connu depuis les guerres des 1870, 14-18, années 30, la dernière 39-45) reprend de plus belle, le travail manque au pays. Le dancing ralenti son rythme infernal. Le café L’Estaminet centre culturel avant la lettre baisse de plusieurs tons… 1960 : C’est l’occasion pour les parents d’ordonner l’exil définitif du fils unique, le plus haut possible bien entendu : au grand conservatoire National de la capitale : Paris (1er prix et médailles… »10

La présentation historique et géographique développée précédemment prend par ce texte plus de chair et de vie. En retranscrivant la représentation et la perception qu’en a le protagoniste, ce récit personnel permet une meilleure appréhension de ce contexte.

Il est important de noter dès maintenant que cette référence à son enfance est toujours relayée par la presse d’une part et mise en avant par Bernard Lubat d’autre part comme étant fondateur de son identité, de son trajet et de son devenir. Ainsi, dans presque tous les articles traitant de Bernard Lubat ou du Festival d’Uzeste, est relatée cette enfance rurale musicienne. A la troisième personne, sous la plume du journaliste :

10 Ibid. Copyright Bernard Lubat ©.

19 « Bernard Lubat est né dans un dancing ; entre sa mère au comptoir et son père à la batterie, très tôt, il a têté le sein de la petite muse (tango et autres valses) et respiré le climat ludique des adultes en fête. A 5 ans, il jouait de la batterie et commençait à se mettre à l'accordéon et son enfance dans son “bled” d’Uzeste n'est que rythme et harmonie »11.

Ou à la première personne du singulier dans la bouche de Bernard Lubat comme lors de cette interview en 1990 :

« Quand je suis né dans ce village il y avait 800 habitants des fermiers, des éleveurs, des travailleurs tout simplement. Je suis fils et petit-fils de métayers qui s'en sont sortis - sans le savoir ! - par le petit commerce culturel. Monter, comme eux, de la campagne au village, c’était en effet une promotion sociale. Ils ont ouvert un café qui tenait lieu de restaurant, hôtel, dancing. théâtre, centre culturel, local syndical… C'est devenu une sorte de repaire rouge, au sens swingant-saignant du terme : la polka, le mambo qu'on y dansait. Ça inquiétait les patrons et les dévots. C'était en 1945, on n'avait pas honte d'être nés puisqu'il y avait du travail. Et puis, vers 1950, à nouveau l'exode rural. Tout le monde « s'est escapat ». Mon père a arrêté le dancing. Mais moi, ça m'avait donné l'élan politico-musico-artisanal »12

Bernard Lubat, musicien atypique et étonnant

Bernard Lubat, déjà riche de cette enfance peu commune, commence, avec un « exil ordonné » à 17 ans, une carrière de musicien professionnel précoce, doué, et éclectique.

« Aussi, il est peu étonnant que lorsqu'il se mit étudier la musique dite sérieuse, ce fut à la fois une révélation (premier prix du en percussions à 17 ans) et un rejet : il refusa la carrière de professeur qui s’ouvrait devant lui ; il avait mieux faire à Pigalle, dans une boîte où il découvrit le jazz. “A 20 ans, j'ai découvert que ce que je jouais, c'était de la musique” »13.

Nous abordons ici le deuxième volet de la préhistoire : le « curriculum » musicien de Bernard Lubat. Dans tous les articles de presse, lorsqu’il s’agit de présenter son parcours s’enchaîne une kyrielle de musiciens et artistes célèbres. De la chanson française à la musique contemporaine, du jazz américain à la variété, il a tout essayé. Là encore son parcours étonne, et , avec plus ou moins de détails, retenant dans la majeure partie des cas seulement les noms les plus prestigieux, la presse rappelle immanquablement14 : remarquable interprète de jazz, il a rencontré et joué avec des « grands ».

Voilà comment est présenté, à la fin d’une interview qu’il a donnée à Jazz Magazine en 1976, son parcours de musicien, émaillé des nombreuses et prestigieuses rencontres et collaborations que le musicien Lubat a fait en ces 13 ans (de 1963 à 1976). A noter : on y trouve encore et toujours la référence à son enfance musicienne rurale.

11 Joël Saurin, « Bernard Lubat, grand sorcier du Carnaval », La Dépêche du Midi, 4 février 1988. 12 « Bernard Lubat, pour que le jazz cogne. Moussu Swing », L’US, 21 septembre 1990. Soulignons donc que la référence demeure toujours en 1990. On peut noter ici, la mise en récit et la relecture que Bernard Lubat en fait, dans sa langue bien reconnaissable. 13 Joël Saurin, « Bernard Lubat, grand sorcier du Carnaval »… 14 Cela constitue en quelque sorte sa carte de visite, voir en annexe son « CV » tel qu’il est présenté en 1982 dans une brochure de demande de subvention.

20 « Repères biographiques : né le 12 juillet 1945 dans les Landes (à Uzeste, Gironde) . Son père jouait de la trompette. A cinq ans, il l'accompagne et joue de l'accordéon dans les mariages, les banquets, les fêtes, puis dans les bals. Il étudie le piano au lycée. 1960 : suit les cours du Conservatoire de Bordeaux. Il entreprend l'étude de la percussion et joue dans l’orchestre du théâtre de Bordeaux. A seize ans, il obtient un prix de percussion. 1962 : élève, à Paris, du Conservatoire national. 1963 [18 ans] : premier prix de percussion. Il commence de s'intéresser au vibraphone. Refuse un poste de professeur au Conservatoire de Nice. 1964 : rencontre Jacques Di Donato et , fait le « bœuf » au Caveau de la Montagne, au Roméo Club et aux Trois Maillets. 1965 [20 ans] : {premier engagement dans un studio d'enregistrement en tant que percussionniste. Dès lors, il participe à de nombreuses séances et s'impose comme l'un des percussionnistes les plus sollicités par les arrangeurs. Il a joué avec Jef Gilson. , , , , , Keith Jarrett, , Slide Hampton, Michel Roques, René Thomas, Jean- Luc Ponty ; chante dans les Double-Six de Mimi Perrin15 ; batteur chez les Swingle Singers16 ; représente la France avec son groupe au Festival d'Helsinki (1975) ; joue à Antibes, Châteauvallon, etc. Sur scène et en studio, il a accompagné Yves Montand, , Gilbert Renaud, Michel Legrand, Pierre Vassiliu, . Pierre Alain Hubert fait appel à lui pour un concert de pétards et percussion : « Hommage pyrotechnique aux 25 dernières années de ce siècle » pour une exposition du peintre Messagier. A la Scala de Milan, il participe à la création de Chemin 2 de L. Berio et à l'enregistrement de Laborynthus. Sous la direction de Diego Masson, il joue des oeuvres de Varese, Bartok, Xenakis, Boulez. Compose pour le théâtre : Barnum ou si les requins étaient des hommes de Ulysse Renaud ; pour les Ballets de Toulouse : Le Cantique des Cantiques. Cofondateur du groupe « Spectacles et Musique Vécus » 17.

On voit, à travers ces brefs « repères biographiques » combien fut à la fois rapide et diverse son intégration au monde musicien français (et international). Son poly- instrumentisme (- vibraphone, percussions, batterie, piano et chant - hérité de son enfance elle-même poly-instrumentiste - accordéon, batterie et piano-) peu souligné dans ces « repères » est souvent objet de développements dans les articles.

2) La révolution du jazz

Un « débutant » affamé…

Sur ce survol quelque peu rapide du parcours de Bernard Lubat de 1963 à 1976, il est nécessaire de s’arrêter plus longuement afin de dégager les axes et les tournants majeurs. Ce travail est rendu possible grâce à plusieurs interviews que Bernard Lubat à donné durant cette période et à un article qui lui est consacré ;

15 Où il remplace Eddy Louiss. 16 Où il remplace Daniel Humair 17 Dans Jazz Magazine n° 257, septembre 1977, « Bernard Lubat : ma viande pose d’étranges questions », Propos recueillis en deux fois par Jean-Pierre Moussaron (Paris, septembre 1976 – Uzeste Novembre 1976 dans le Café l’Estaminet).

21 1°)-« Bernard Lubat : quand le métier va… », propos recueillis par Jean-Pierre Binchet et Philippe Carles, Jazz Magazine, Spécial Vibraphone, n°151, février 1968. 2°)« Interview de Bernard Lubat », propos recueillis au magnétophone par Jean Pierre Patillot, Jazz Hot, octobre 1975. 3°)-« Bernard Lubat : ma viande pose d’étranges questions », propos recueillis par Jean-Pierre Moussaron, Jazz Magazine n° 257, septembre 1977.

En 1964, Bernard Lubat a 19 ans ; musicien polyvalent, poly-instrumentiste (batteur, chanteur, percussionniste et vibraphoniste), il est ouvert et bien inséré dans le monde musicien. Rien, dans son discours, ne détonne. Dans l’interview de 1968 qu’il donne au numéro « Spécial Vibraphone » de Jazz Magazine, il parle de ses goûts et de son parcours. S’il n’a mis le pied que récemment dans le monde du jazz grâce à son emploi comme vibraphoniste dans l’orchestre de Jef Gilson (« Gilson m’a donc permis de me faire entendre »18), il commence déjà à y avoir une certaine reconnaissance : en 1964, il est classé premier au référendum des musiciens de jazz comme vibraphoniste19. Trait marquant de cette période : la grande variété de mondes musicaux qu’il fréquente et dans lesquels il travaille. Il se dit de culture classique, continue à travailler comme interprète de musique contemporaine mais s’affirme comme musicien de jazz et fait également de nombreuses séances de variétés en studio depuis 1965.

Adoptant une attitude humble, il se considère surtout en phase d’apprentissage et de découverte : ses premiers mots lors de l’interview sont : « Je me situe d’abord comme en débutant. J’ai beaucoup à apprendre en jazz. »20. Rétrospectivement, il dira de cette période :

« Ma participation aux Double Six […] m’a fait prendre conscience d’un folklore que j’ignorais : le be-bop. C’était super : nous chantions des arrangements sur des classiques de cette musique. J’ai voulu en savoir plus, j’ai pris un an de leçons de solfège, de colonne d’air ». […] Compte tenu de mon âge, le be-bop était une musique qui appartenait à une autre génération et qui résonnait pour moi comme un écho, dont je ne connaissait pas les originaux : je sortais juste de la culture classique et je ne m’étais pas penché sur la culture jazz. J’avais plutôt envie de jouer, de danser : j’ai passé des heures à danser sur du rythme and blues, j’écoutais James Brown, j’adorais cela, j’avais envie de tout faire à la fois : de vivre, de jouer de tous les instruments, je continue d’ailleurs »21.

Phase de découverte également pour un Bernard Lubat, curieux de tout, qui découvre la littérature, et notamment le surréalisme qui fait fortement écho à ses aspirations profondes.

« Bernard Lubat, libéré des contraintes que lui imposait le Conservatoire, consacra la majeure partie de son temps à la lecture. Il découvrit Nadja, Perlimpimpim, Les chants de Maldoror, Tintin au Congo, Le rivage des Syrtes, Jésus Christ Rastaquouère, l’Amour fou et Le manifeste du surréalisme, dont il retint cette phrase qui revenait souvent dans sa bouche, là où se fait la pensée : « Nous n’avons de force que celle de nos désirs ». Des mots

18 Jazz Magazine, Spécial Vibraphone, n°151, février 1968, « Bernard Lubat : quand le métier va… », Propos recueillis par Philippe Carles et Jean-Pierre Binchet 19 Jacques Larnaudie, « Bernard Lubat », Best, janvier 1974 20 Jazz Magazine, Spécial Vibraphone, n°151, février 1968, « Bernard Lubat : quand le métier va… », Propos recueillis par Philippe Carles et Jean-Pierre Binchet 21 « Interview de Bernard Lubat », propos recueillis au magnétophone par Jean Pierre Patillot, Jazz Hot, octobre 1975.

22 brillaient sous ses yeux qui pourraient donner naissance à des sons, un magma inouï bouillonnait dans ses pages qui désarticulerait bien des portées et redonnerait à la musique une saveur initiale, à la fois savante et spontanée, c’est à dire primitive. Quand il ne jouait pas au Sacramento, il s’enfermait dans sa chambre, écoutait des disques et, dans la presse, découpait les articles consacrés à Maurice Béjart. Le jour de son anniversaire, un ami musicien, étudiant en lettres classiques, lui offrit le premier disque de Claude Nougaro. Il le posa sur son pick-up, écouta et sortit. Il marcha dans les rues de Paris, la bave aux lèvres, les yeux injectés de sang, le front couvert de sueur, “On a le droit de faire ça, on a le droit de faire ça”, répétait-il en marchant les poings dans ses poches crevées. Nougaro. Il voulait le rencontrer, le saluer, lui parler, l’interroger, l’écouter, le connaître. »22

C’est à cette époque qu’il fait ses premières expériences (heureuses) en free-jazz avec Daniel Humair, Guy Pedersen et Michel Portal. Emballé par cette expérience de liberté, il reste néanmoins sceptique et ne s’estime « pas encore convaincu »23 face à la majorité de ce qui se fait sur la scène free jazz auquel il reproche « de se forcer à détruire »24. Il est à noter que c’est avec Michel Portal que Bernard Lubat fait ses premiers pas en free-jazz. Celui-ci, de 10 ans son aîné, demeurera toujours pour Bernard Lubat un musicien de référence en même temps qu’un ami proche. Ils se questionnent, se provoquent et, tout au long de leur carrière, ils ne cesseront de se retrouver pour jouer.

Il s’agit donc pour Bernard Lubat d’une période intense de découverte de musiques de tous horizons qu’il semble ingurgiter voracement, accueillant toutes les opportunités et ouvert à toutes les expériences.

Le « virus du jazz »

En 1975, il sort d’une expérience qui l’a totalement bouleversé : une longue tournée avec Eddy Louiss et René Thomas25.

« J’ai joué quatre ans avec Eddy Louiss et René Thomas ; ils m’ont inoculé le virus du jazz qui est là et bien là, et cela a été déterminant dans la suite de mon aventure : grâce à eux je me suis vu tout nu dans une glace. Et c’est cela qui m’a rapproché le plus de moi- même. L’avènement du jazz restera l’événement dans l’histoire de la musique du XXe siècle, qui a ouvert la porte à tous les créateurs de la planète, à l’improvisation surtout »26.

Son discours commence alors à prendre un tour vraiment singulier et personnel ; il commence à aborder une relecture de son passé et de son parcours, à questionner la place du musicien dans la société.

« Jazzmag : Avez-vous l'impression de mener un combat dans votre pratique musicale ?

22Christian Laborde, Les soleils de Bernard Lubat, Toulouse, éditions Eché, 1986. p.48-50. 23 Jazz Magazine, Spécial Vibraphone, art.cit. 24 Ibid. 25 C’est cette même formation que le saxophoniste Stan Getz a engagée en 1971. 26 « Interview de Bernard Lubat », art.cit.

23 Lubat : Le combat est dans ma pratique tout court, ma pratique de vie. Dans la nécessité du mouvement du sens de vivre, dans le refus de me répéter, de m'emmerder, tout simplement, l'espoir de vivre mes désirs jusqu'au bout » 27. En France, on essaie de se retrouver une identité : la musique s’est éloignée du folklore, elle est devenue une musique d’élite qui se transmet d’initiés à initiés, elle a perdu le contact avec la rue. […] Ici elle appartient à des classes qui ont la possibilité de savoir qu’elle existe. Il y a une tâche à faire qui consiste à retrouver la musique au niveau du quotidien […] « Le seul background en France qui ait un fondement populaire, c’est le bal. Le bal est, à peu près, le seul lieu où l’on puisse jouer de la musique. Le bal représente la seule culture, le seul folklore vivant, la seule issue aussi, le Conservatoire restant, au niveau rural, un endroit déjà plus réservé. […] J’entrevois […] une action de commando pour remuer tout ce qu’il est possible de remuer, afin de réaliser ce à quoi je crois et voudrais accorder mon action à l’éclatement des formes »28.

Il prend conscience de tout ce que le jazz a révolutionné chez lui, et le tournant que la découverte et la pratique de cette musique a été :

« Que représente la musique de jazz pour toi ? Mais cela représente ma vie, mon vécu, une foule de choses vers lesquelles je suis allé par intuition, par une volonté d’apprendre quelque chose que je ne savais pas. Le jazz m’a fait éclater mon rapport à le culture classique, m’a ouvert les formes, m’a fait prendre conscience de la liberté que pouvaient apporter l’improvisation et cette notion de création dont je n’avais aucune idée auparavant »29.

Cette révélation du jazz peut, il me semble, être considérée comme le déclencheur de la révolution, du vent de remise en cause et de questionnement qui va emporter le musicien Lubat. C’est à partir de ce moment que Bernard Lubat commence également à s’affirmer et à prendre un chemin tangent, original, propre, personnel… C’est dans les deux interviews de 197530 et de 197631 qu’apparaissent les premières moutures du « discours lubatien » ; où sont en germe toutes les thématiques qui lui sont chères. C’est cependant en 1976 que semble se situer la véritable charnière, le grand basculement de Lubat dans un discours radical, contestataire et construit.

Dès le début de l’interview qu’il accorde à Jazz Magazine, il affirme : « Jazzmag : Où pensez vous en être dans votre cheminement musical ? Bernard Lubat : Je pense que je suis à l’endroit solitaire où je fais le bilan de tout ce que j’ai rencontré et de tout ce qui me reste à rencontrer »32.

27 « Bernard Lubat : ma viande pose d’étranges questions », Propos recueillis par Jean-Pierre Moussaron, Jazz Magazine n° 257, septembre 1977. 28 « Interview de Bernard Lubat », art.cit. 29 Ibid. 30 Ibid. 31 « Bernard Lubat : ma viande pose d’étranges questions », Jazz Magazine n° 257, septembre 1977. Propos recueillis en deux fois par Jean-Pierre Moussaron (Paris, septembre 1976 – Uzeste Novembre 1976 dans le Café L’Estaminet). 32 « Bernard Lubat : ma viande pose d’étranges questions », art.cit.

24 Son parcours récent a été très riche, et l’a amené à des questionnements radicaux :

« Le point culminant fut le trio avec Eddy et René. Eddy me fit voir l'un des premiers la nécessité de trouver mon langage, de retrouver mon authenticité ; je voyais apparaître le langage superbe d'Eddy, sa présence, sa fulgurance, sa réalité, ses désirs… […] J'étais en quête d'un acte, et ma distance avec ce qu'il est convenu d'appeler le “jazz commercial”. Par la suite, j'ai monté, démonté plusieurs groupes - Nautilus, Percussion Experience, B.B.L.C. - plusieurs spectacles avec Pierre Vassiliu et Claude Engel, deux pièces de théâtre avec Ulysse Renaud. Puis j'ai commencé à jouer avec Portal. A la suite de cet itinéraire, il fut un élément radical quant à mes questions posées au conformisme du jazz. De ce jazz qui a pourtant été le révélateur de mon énergie, de mes possibilités »33.

Il vient d’autre part de réaliser une expérience qui marque et qui constitue ce moment charnière : un disque solo intitulé Café L’Estaminet. Cet album solo comporte plusieurs pistes de recherches : une recherche sur l’improvisation, avec en filigrane et en soubassement le questionnement de soi. Il y mène également une recherche sur les possibilités qu’offre l’enregistrement en studio et notamment les techniques de montage (aspect que l’on retrouvera dans le disque La 9ème d’Uzeste en 1986).

« (…) J’ai pu fixer un moment de ma vie (…) Jazzmag : Un contrôle de vos possibles ? Bernard Lubat : Oui, de mes possibles. Ce que j’en retire par la suite, c’est que j’y retrouve toutes les pulsions que je vais essayer maintenant d’analyser pour les délivrer, les libérer et les développer. (…) Pour les rendre visibles et donc déclencheurs permanents de l’imaginaire. Enfin c’est une manière de pousser sans arrêt ma capacité d’improvisation »34.

Ici apparaît une tendance qui va devenir majeure dans le travail de Bernard Lubat. Questionner. Repousser ses limites. Cet album solo, et, on le verra plus loin, une série d’expériences de concerts solo, constituent un point de départ et un révélateur de ses questionnements fondamentaux, des pistes qu’il va développer.

33 « Bernard Lubat : ma viande pose d’étranges questions », art. cit. 34 « Bernard Lubat : ma viande pose d’étranges questions », art. cit.

25 B) De l’individu Lubat à la Cie Lubat

Arrivé à ce point sulfureux de sa vie, Bernard Lubat, conjuguant rencontres et remises en cause du spectacle, va concrétiser/mettre en pratique son discours à travers une expérience collective : la Cie Lubat.

1) Au gré des rencontres un collectif va se former

Rappelons d’emblée qu’à cette étape de l’étude, nous sommes encore dans le cadre de la préhistoire ainsi que de la mythologie fondatrice. Les sources disponibles sur cette période de la « première Cie Lubat » sont de deux factures : ou bien des chroniques de spectacles dans la presse, ou bien des récits a posteriori (la majeure partie de la bouche de Bernard Lubat) retranscrits dans la presse. Il y a néanmoins un entretien de Bernard Lubat avec Denis Constant pour La Nouvelle Critique littéraire daté de 1979. Il y aurait également tout un travail à faire de collecte d’archives orales chez les protagonistes de cette « première Cie Lubat ». Qu’en est-il des archives sonores des concerts ?

Là encore, la naissance de la Cie Lubat a une généalogie. Dans une interview de 1979, Bernard Lubat replace l’origine de la Cie Lubat dans ses expériences de spectacle solo. Singulier paradoxe d’un collectif né d’une pratique individuelle :

« Denis Constant : D'où vient la compagnie ? Bernard Lubat : La pratique du jazz (moderne, free, be bop), de la musique contemporaine, l'analyse du rôle de l'art et de l'artiste dans la société m'ont conduit à l'expérience du concert solo. En travaillant seul, en improvisant sans structures pré-établies, en pratiquant la poly- instrumentalité en découvrant des espaces différents : silence, déplacements/placements scéniques, les barrières de mon conformisme (tout au moins musical) ont commencé à voler en éclats. Cela a commencé à rendre possible l’“événement” où il ne s'agit plus seulement de communiquer ou d'exprimer mais d'imposer un langage, ou un au-delà du langage, qui est à la fois l'histoire, le rôle et le parti qu'on y prend. C'est là qu'apparaît la compagnie, spontanément créée par des rencontres pragmatiques (à l'occasion de concerts, fêtes, happenings, spectacles) entre ceux qui en sont devenus ses membres. […] En commençant à travailler seul, j'ai découvert le vide, la solitude, les silences, le désir urgent d’inventer, de me “ré-inventer”. […] J'ai découvert que j’avais des tas de droits : le droit de danser, gueuler, crier, parler, qu’il existait des nécessités nouvelles cadenassées dans mes tripes par la morale traditionnelle. […] J'ai donc découvert dans le solo des possibles incroyables que je n'avais jamais imaginés. A partir de ce moment-là, tout devenait possible et, de fait, dans les six mois qui ont suivi, j'ai rencontré des gens, les gens sont venus » 35.

Une autre étape antérieure à ces expériences du spectacle solo est également intéressante à évoquer ici : il s’agit d’un spectacle qu’il a monté en 1974 avec Ulysse Renaud (collaboration qui figure dans le CV mis en annexe).

« Pour la fête de la fédération de l'Essone du PCF, avec Ulysse Renaud, poète, nous avons monté un oratorio : Libertés. Trois comédiens, un artificier, un funambule, quinze musiciens.

35 « Le droit au désir. Entretien avec Bernard Lubat », Denis Constant, La Nouvelle Critique, Octobre 1979.

26 Il y avait du public pour nous, pas mal de jeunes, mais je me suis fait traiter de tous les noms : fou, assassin, etc. Je n' attendais pas autre chose, c’est normal au contraire, je trouvais que là je jouais mon rôle. Nous avons provoqué une discussion , un débat sur le problème de la culture pendant quatre heures au stand de Ris Orangis où nous nous sommes copieusement engueulés avec des camarades. Je préfère avoir ce genre de problèmes plutôt que des “bravo, merci, vous êtes formidables” »36

Une autre collaboration, avec Jean-Louis Chautemps37 (saxophoniste français des premières heures de be-bop en France, intellectuel et grand lecteur des surréalistes38), l’influence beaucoup. Ces deux antécédents permettent de resituer la future Cie Lubat dans le paysage du spectacle vivant français et international39. Durant cette époque naissent de nouvelles formes expérimentales de spectacle dont la plus connue est le « happening ». Les musiciens improvisateurs français40 seront nombreux à s’intéresser aux questionnements sur le spectacle vivant notamment à travers le théâtre musical, qui leur ouvrent de nouveaux possibles et de nouvelles rencontres, en franchissant la barrière entre la représentation théâtrale et le concert de musique.

C’est dans cette brèche que Bernard Lubat s’engouffre et c’est avec elle qu’il accomplit une seconde révolution, d’une importance égale à celle provoquée par sa découverte du jazz. Ce travail que Bernard Lubat mène depuis peu de temps va et susciter l’intérêt d’autres artistes et y trouver des échos. Au gré des rencontres un collectif va se former.

Mais avant de se former en tant que collectif à proprement dit, l’acte de naissance de la Cie s’accomplit lors d’un concert improvisé/incongru à la Maison de l’ORTF (L'Office de radiodiffusion télévision française). Ecoutons le récit qu’en fait Bernard Lubat41 :

« En octobre 1976, à l’occasion d’un concert (produit par André Francis du B. du Jazz) à la maison de l’O.R.T.F. naquit dans la joie, la douleur et l’humour la Cie Lubat…L’événement fut salué dans Le Monde par le critique L. Malson comme un « Micro-drame à la Brecht ». J’étais attendu, j’étais invité à ce concert/émission en direct, en qualité de musicien français sachant bien, très bien même jouer le jazz, admis comme celui de meilleur qualité, cachet de la poste faisant foi (de New-York !). (…) Et ce fut le scandale : la moitié de la salle houspillant l’autre avant de quitter les lieux, une déception officielle d’un espoir réel du jazz français qui dilapide son talent avec des sauvages. Pourtant sur le papier la première Cie Lubat avait fière allure.

36 « Le droit au désir. Entretien avec Bernard Lubat », art. cit. 37« 1975 lors d'un concert à la radio, il fait ses premiers pas d'acteur musical dans l'oeuvre de Jean- Louis Chautemps Rhizome (dans « Curriculum Vite de Bernard Lubat », Brochure 1982 :« Uzeste Musical, Cie Lubat, Centre Culturel d’Animation de création et de diffusion en milieu rural, Uzeste, Canton de Villandraut, Vallée du Ciron. ». 38 Voir l’entretien retranscrit dans la maîtrise Jean-Baptiste Puyraud, Le Jazz en France 1963-1971. Mémoire de maîtrise d’histoire culturelle, Université Paris 1-Panthéon Sorbonne, Centre d’Histoire Sociale, Juin 2000. L’influence des surréalistes sur Bernard Lubat est un point majeur de son parcours. 39 Vincent Corto, Chants Libres. Le free jazz en France 1960-1975, Paris, Outremesure, 1999, 286 p. 40 Citons parmi beaucoup d’autres quelques-uns proches de Bernard Lubat : Jean-Louis Chautemps, Jean-Pierre Drouet, François Jeanneau, Michel Portal. 41 Il s’agit comme pour le récit de son enfance de papiers manuscrits.

27 Le très grand saxophoniste quoique philosophe officieux de la fédération française des français du jazz : J.-L. Chautemps : qui pour des raisons qui lui appartenaient à l’époque ( ?) fuma son havane sans autrement bouger devant son micro et pendant 1 heure. J. Di Donato : clarinette solo de l’orchestre National, qui découpa la moquette du studio (avec des ciseaux) avant de, très bien d’ailleurs, clouer cette même moquette. Beb Guérin : qui devait servir de caution jazz moderne, free avec tempo swing, accomplit parfaitement sa tâche, les auditeurs à l’écoute à part quelques vociférations d’ici ou là vite atténuées peuvent s’imaginer avoir entendu un concert de contrebasse solo dans un marché aux bestiaux dans le calvados. P. Fort : Danseur, créateur des premiers ballets de Carolyn Carlson à l’Opéra de Paris. Danseur unique dans son étrange vocabulaire improvisé comme encore personne ne sait, improvisation totale… Lubat, ses prix de conservatoire, sa carrière jazzistique brillante. Un vibraphone somptueux, un marimba de luxe avaient étés mis à sa disposition. Ingrat lui qui avait vendu le sien dix ans plus tôt pour acheter un poste de radio, il sortit ses poêles à frire, chanta à tue-tête et dit des mots incroyables, des mots bêtes maladroits comme : « libertés d’expressions » - c’est vrai qu’en anglais « A Love Suprême » ça fait mieux, plus lascif, plus soigné à la fois. Mon vieil ami A. Francis trouvait ça lamentable, il était désolé pour moi, sincèrement, pour lui aussi d’ailleurs, sincèrement, encore là nous sommes dans la partie honnête, culturelle dirions- nous, mais voilà, Lubat intégra dans ce concert et dans la Cie par la suite, d’étranges personnages surtout pas déclarés à l’argus. Norbert Letheule : 150 kg de graisse et de muscle au service d’un cerveau terrifiant de lucidité sur le monde qui l’entoure, qui l’encercle même. Des tonnes de mots arrachés à la viande qui saigne dedans. Un artiste immense de swing, de musique, de Blues, de Rock, une ……… de plus des carambolages de mots/musique comme au cinéma en cinémascope et en cascades, des trouvailles musiques mots modernes et vielles comme nous même ; une rencontre capitale pour Lubat, frappé de ses propres mots par les mots de l’autre énorme au propre comme au figuré, compagnon de route et de déroute maintenant enfin sur sa route à lui ? Salut camarade artiste créateur. Patrick Auzier*42 : lui c’est pour moi l’énigme faite homme. L’homme qui ne sait pas. Il a commencé comme régisseur de Lubat et sous l’impulsion de Chautemps il a commencé à souffler dans un vieux tuba trouvé dans un coin. Un trombone artificier, il jongle maintenant avec des feux énormes, il joue une musique impossible, unique, impensable, terrible, terrifiante… le beau… il sait. De tout ça naquit la première Cie Lubat. Octobre 1976 »43.

Après ce premier acte, loufoque et scandaleux, la Cie Lubat investit le Théâtre Mouffetard en 1977, s’y installe à résidence et en prend manu militari la direction artistique. Se rajoutent aux mêmes acolytes : Sylvain Melchy (un autre danseur), Vanina Michel (comédienne), et Marie Vassiliu (la sœur du chanteur Pierre Vassiliu). Trouvant ainsi pendant plusieurs mois une base, la Cie Lubat lance des invitations à ceux qui veulent venir s’y frotter44.

42 Patrick Auzier est particulièrement important dans la Cie Lubat et dans le festival. En effet avec Bernard Lubat il constitue le noyau inchangé de la Cie. 43 Dans « Archives de la Cie Lubat 91, 92, 93… ». 44 « Sûrement que ça continue, tant que ça nous surprend nous-mêmes tous les soirs. Mais par contre du point de vue de la survie, c'est catastrophique. Je comprends ça très bien, on dérange, on fait peur. On retrouve la tradition des emmerdeurs de l'histoire, qu'on nous catalogue comme clown ou comme barjots, etc. Alors on se remue, on programme d'autres musiciens des tas de gens qui ont une expression un peu semblable à la nôtre. C'est la survie, on ne gagne pas d'argent, mais on existe. On

28 Suite à son concert fondateur, la pratique de la Cie repose au premier abord sur une arme acide et puissante : la dérision. On le voit dans cette annonce qu’elle passe dans la presse à l’invite des spectateurs :

« Dans le cadre vermoulu de son opus incertum N°2, “Porte ça à ta sœur”, la Compagnie Bernard Lubat propose sur le thème “L’orgasme et l’art” trois semaines d’érection tous les soirs sauf dimanche et lundi à 22h au Théâtre Mouffetard, 76, rue Mouffetard, Paris, jusqu’au 25 juin »45.

Sous couvert de dérision, l’entreprise et les pratiques de la Cie Lubat lancent une attaque et une critique sérieuse à l’encontre du spectacle vivant et de la culture.

« Lubat précise : “La musique en cette fin de siècle est avant tout l’illustration de son immense absence. Absence des bruits de la fête, du fonctionnement du corps et de l’esprit par l’acte de jouer de la musique. Séparation de plus en plus grande entre ceux qui en jouent et ceux qui en écoutent. Par la découverte (des bruits ou sons) de la multitude des instruments à percussion (traditionnels, modernes, prototypes, insolites), nous essayerons de retrouver l’usage des tambours, du rythme, de la danse, de l’improvisation, de l’imagination, de la création. Nous tenterons de redécouvrir la véritable fonction de la musique” »46.

2) Pratiques et discours

Lors de ses « Concert-dérapage » de « jazz-dada »47, la Cie joue sur l’interpénétration et la combinaison de la musique (les sons), de la parole (les mots), du mouvement et de l’espace. Toutes les chroniques (enthousiastes ou incendiaires) s’accordent pour dire que ce que fait cette Compagnie est pour le moins surprenant. En effet, voulant faire voler en éclat les conformismes, ses membres poussent le plus loin possible les limites de l’improvisation, se propulsant dans une recherche avant-gardiste. Face à ce nouveau et à cet incongru, le virus de l’improvisation contamine et inspire les plumes qui tentent d’en rendre compte. Voilà, pour exemple, la chronique d’une soirée au Théâtre Mouffetard.

« Il est 23 h00, Lubat s’éveille. Patrick Fort en danseuse étoile défraîchie se lance dans un interminable exposé sur la conjoncture politique. Letheule digère. Di Donato et Claude Bernard soufflent, s’essouflent, s’étranglent : clarinette basse, tuyau d’arrosage, saxophones ténors et alto. Melchy interpelle en anglais Lubat. Auzier, charmeur, joue note pour note la marche en sib majeur de Carlos Monzon pour piano et bastringue. Chautemps chantonne. Lubat étrenne sa nouvelle batterie, rate la marche et sort suivi de sa meute. Letheule seul

pratique le soir, dans des conditions déplorables, tout est à l'avenant. » Bernard Lubat dans « Le droit au désir. Entretien avec Bernard Lubat »… 45 « Les explorations de Lubat », L’Humanité Dimanche, 22 Juin 1977 46 « Les explorations de Lubat », art.cit. 47 Frédéric Merlin, « Bernard Lubat et son drôle de Big Band investissent ce mois-ci le Stadium. Les amateurs d’émotions fortes seront au rendez-vous. », Les Nouvelles littéraires, 1978.

29 désormais, face à la mort, assure, rassure, enfile sketch sur sketch, calme la salle. Il n’y a plus d’abonnés au numéro demandé »48.

La Cie participe ensuite à la semaine de l’improvisation organisée par l’IRCAM, l'Institut de Recherche et Coordination Acoustique/Musique (une communication et un concert), s’illustre au premier « Printemps de Bourges » où elle mène une opération de déconstruction musicale tous les soirs. Suivent aussi une tournée européenne et de nombreux concerts en France.

« Une quinzaine de musiciens danseurs, comédiens, artificiers travaillent à une nouvelle conception du spectacle, à une nouvelle mise en jeu de la musique dans le spectacle. Ce qui les réunit, c'est une pratique, ce qui les met en mouvement c'est leur pratique collective. En son centre, l'improvisation, l'improvisation totale où toutes les “disciplines” se refusent en tant que telles pour se dissoudre dans l'expression du désir. […] Ces femmes et ces hommes se sont groupés autour de Bernard Lubat d'où le nom qu'ils partagent : Compagnie Bernard Lubat. Il est, comme il le dit lui-même, “l'élève doué” et malgré, ou à cause de cela, il met tout en question, sans s'oublier dans le lot ; il prétend ré-inventer »49.

Le discours de Bernard Lubat, explicitant sa pratique, nous éclaire sur ses objectifs : ce discours est très touffu et articule de nombreux concepts. Il est difficile d’en restituer ici l’ensemble sans en donner de très larges extraits. La sélection ici proposée en souligne les principaux thèmes.

« Bernard Lubat : La provocation ? Elle est déjà bien là : le bourrage de crâne (de l'école au conservatoire en passant par la caserne), notre paresse entretenue et la bêtise chronique qui en découle. Critiquer le discours dominant, c'est, au niveau de la compagnie, arriver à dépasser les problèmes psychologiques. Plus on arrive à les surmonter, plus les différences entre les gens s'accentuent et plus j'apprends sur la réalité de l'autre et sur la mienne. Et en même temps ça allonge l'espace entre nous, ça crée de la place, du vide, du libre »50.

Plus qu’une critique du discours dominant, cette expérience d’improvisation totale relève aussi du travail sur l’individu et le collectif :

« Ils [les membres de la Cie Lubat] sont venus sur l'acceptation de la différence. Quel que soit le résultat esthétique. Il n'y a pas eu de morale à ce niveau, mais une pratique, et il s'est inscrit peu à peu, une conception - on ne peut pas l'appeler structure parce que ça n'est pas écrit - on savait déjà ce qu'on n'avait plus à faire. Denis Constant : Un travail collectif ? Bernard Lubat : Qui, en même temps, développait de plus en plus l'identité de chacun. Denis Constant : C'était donc à la fois le travail collectif et l'épanouissement de l'individu… Bernard Lubat : Mais de l'acceptation totale de la différence et du problème posé par l'individuel est née une dialectique. C'est à partir de cette pratique que les différences entre les

48 « Salut la Compagnie, dernier concert à Mouffetard », octobre 1977. (Lorsque la référence de l’article est lacunaire cela est du, répétons-le, au fait que les articles cités sont extraits des classeurs de presse des Archives de la Menuiserie). 49 « Le droit au désir. Entretien avec Bernard Lubat », Denis Constant, La Nouvelle Critique, octobre 1979. 50 « Le droit au désir. Entretien avec Bernard Lubat », art. cit..

30 individus se sont accentuées, que les rapports se sont chargés, que le fil s'est senti, et tendu, de plus en plus »51.

« Lubat : Ma conception de cette liberté exige un espace débarrassé des conventions, un temps vide sans rien d'obligé dans lequel la re/découverte (de mes entrailles, mon corps, ma danse, mes mots, mon silence, mes cris et chants, de mon unicité enfin) signifie la nécessité de déjouer le piège de la répétition-sécurité au profit de l'exploration de l'imaginaire par le moyen radical de toutes les improvisations possibles, musicales, théâtrales, sans voiles, pédales, etc. »52.

Explorant les rapports de pouvoir et de maîtrise…

« Dans la compagnie, le pouvoir est pris, perdu, repris et les hiérarchies sont sans cesse questionnées, c'est le désir qui décide aussi du rôle à jouer, et de l'ordonnance qui s'inscrit. Alors là seulement se pose le problème de la maîtrise. En effet, de la maîtrise de quoi ? De sa suffisance ou de ses manques, c'est pareil. Jouir se situe au-delà, dans et par le présent subi ou dépassé. (…) Sans arrêt, ça échappe complètement, c'est un feu d'artifice, une énergie qui existe, qui secrète et qui disparaît. (…) Jazzmag : Que pouvez-vous dire des rapports de votre musique et de votre corps, dont on entend ici qu'il est particulièrement sollicité pour la produire? Lubat : Ce n'est même pas un rapport, c'est un tout, c'est bouger. Ma viande pose d'étranges questions ».53.

Se fixant pour but aussi de déranger le public…en postulant…

« … qu'il y a une nécessité du désir, il y a une nécessité de jouir, d'exister. Je pense que les rockers, les jazzmen, les poètes, les peintres, les surréalistes, Pierre ou Paul, Ginette ou Jeannine me disent qu'ils n'ont pas peur de vivre ce qui les fait bander. Ils ont le pouvoir par là, comme d'autres ont le pouvoir par le fait de diriger, ou de composer, ou d'écrire et de manoeuvrer un matériau sonore. Devant la reproduction/répétition, phénomène social concentrationnaire du système capitaliste, la notion d'identité est liée à l'improvisation. Finalement, l'improvisation, c'est la pratique de la composition spontanée, de la quête de l'identité par la mise à nu de la viande : "écouter sa viande"… » 54

Provoquer, déranger, faire exploser les barrières…Cette période de découverte et d’enrichissement l’amène à prendre position par rapport à la société et par rapport à lui. Il commence alors à chercher des moyens d’agir, de faire, de passer à l’action, d’accéder à encore plus d’expression. Une expression où lui est en jeu, mais où la société est aussi en jeu ; lui dans son rapport à la société, dans un aller-retour continu.

« Lubat : à travers l'interrogation de ce que je vis, de ce que je découvre, de l'amour, mais aussi de la haine - de l'injustice toujours plus révoltante. Par l'acte de jouer, inventer, surprendre, penser, lire et redécouvrir les penseurs, les créateurs d'une histoire, occultée par et au profit de l'idéologie dominante… Musicien, finalement, je ne suis que ce dont je m'enrichis.

51 « Le droit au désir. Entretien avec Bernard Lubat », art. cit. 52 « Bernard Lubat : ma viande pose d’étranges questions », Jazz Magazine, art. cit. 53 Ibid. 54 Ibid.

31 Il me faut essayer de comprendre que je suis dans une grande Histoire elle-même à comprendre. Et pour la comprendre, il faut savoir qu'elle a - et comment elle a – existé (…) ».

Cette ouverture découle d’une véritable soif de savoir, qui va de pair avec une pleine conscience de ses ignorances.

« Il y a ceux qui affrontent les problèmes et ceux qui les subissent. Personnellement je ne suis pas un intellectuel, j’aime lire, mais j’ai beaucoup de mal à le faire, je n’ai aucune culture, juste le niveau du certificat d’études. Mes difficultés viennent de ce que j’ai conscience de tout ce qui me manque, j’arrive donc à “rentrer” dans le théâtre, dans l’écriture en général, j’ai pris conscience de leur utilité, quoique j’ignore presque tout. J’ignore tellement de choses sur le jazz : c’est pourquoi je dis que je ne suis pas un musicien de jazz ; cette musique représente pour moi une libération »55.

« Lubat : Travailler si l'on veut, plutôt redécouvrir dans des textes, poésies, révoltes face à l'inconcevable, la haine, l'injustice, le fascisme et toutes les formes de totalitarisme la nécessité de définir clairement la liberté de mes choix, de mes désirs de pouvoir extraire de moi ce qui donne sens, tous les sens, à ma vie »56.

55 « Interview de Bernard Lubat », art. cit.1975. 56 « Bernard Lubat : ma viande pose d’étranges questions », art. cit.

32 C) A Uzeste « Bernard Lubat invite… »

La Cie Lubat, collectif de musiciens hétéroclite, de danseurs, acteurs, écrivains, pyrotechniciens, transporte sa pratique sur les routes… Parfois, elle arrive à trouver une résidence (le Théâtre Mouffetard, un chapiteau dans un coin de festival comme au Printemps de Bourges).

« Secoué d’un rire plein de soufre et de suie, Bernard Lubat contemplait l’ampleur des dégâts. Pourrait-il tenir seul ? Devait-il rester ici, à Paris, capitale qui parle le patois des momies ? Stratège du désir, infatigable porteur des bidons d’eau du rêve, Bernard Lubat craignait que la Compagnie ne tombe dans le piège du happening permanent et ne perde de vue le désir fondateur présidant à tout révolte. Fonder ! Orchestrer la rencontre entre l’art et la vie ! Susciter le grand va-et-vient continu à même la terre débarrassée des pelures de la surface ! Lubat, là-bas, voyait briller le clocher d’Uzeste, les scottish, les fontaines sacrées, le pré Cazaubon, à la frontière des Landes et de la Gironde »57.

A son village, lieu magique de l’enfance58 - auquel il n’a cessé de penser, évoquant de plus en plus souvent son enfance au dancing, les bals et les fêtes - il veut offrir une grande festivité. A ce désir s’ajoute celui de pouvoir s’y fixer, d’y vivre et d’y avoir un lieu de travail. Mais n’anticipons pas et voyons d’abord quel visage prend ce premier festival au village.

Sur ce festival, il ne reste pas d’archives. Aussi faut-il là encore composer avec les témoignages qui subsistent : articles de presse, récits oraux retranscrits, racontés ou à retranscrire, ce qui assigne également à cette première édition du festival une place du côté de la mythologie et de la préhistoire.

La première édition du festival d’Uzeste, en 1978, est, comme toutes les premières éditions de festivals, faite de bric et de broc, improvisée…Le cas d’Uzeste a néanmoins une particularité supplémentaire : il est organisé par un enfant du pays, musicien et fils de musicien, qui revient donner une série de concerts avec ses amis pour les habitants du village. (Faut-il y voir un hommage à l’action de son père à L’Estaminet ?)

Co-organisées avec la municipalité d’Uzeste par le biais du comité des fêtes(pour l’organisation technique), avec les Uzestois volontaires (aidant à toutes les tâches préparatoires tel le montage des scènes et aux tâches d’accueil comme la billetterie…), et les membres de la Cie - « Tour à tour éclairagistes, grilleurs de sardines, serveurs, balayeurs,

57 Laborde, Christian, Les soleils de Bernard Lubat, Toulouse, éditions Eché, 1986. p.64. Il est à noter, à propos de ce récit, qu’il a été publié, et a donc en quelque sorte dû passer sous la censure de Bernard Lubat. Peut-être même le récit que Bernard Lubat a fait à son ami écrivain portait déjà les traces de cette romancisation. C’est en toute conscience de ceci que ce matériau est utilisé et qu’il faut par là même lui accorder crédit. 58 Il faut noter qu’il n’a jamais coupé totalement les ponts ni avec ses parents, ni avec son village. Ainsi quand il était au Conservatoire de Bordeaux il revenait les week-end jouer dans le dancing familial. Dans son interview de 1975, il dit avoir fait récemment un concert dans son village : « Nous venons de jouer, avec mon groupe, devant un village de 250 cousins et amis », et en 1976 son disque solo est intitulé Café l’Estaminet et en effet enregistré dans le café parental.

33 sonorisateurs et hommes de scène »59 -, les festivités qui se préparent ont comme un air de fête de village tant certains villageois s’y impliquent.60

Sur l’argument que la manifestation « entrerait dans le cadre d’une décentralisation de la culture »61, le FIC62 a accordé une subvention de 2000 F. Pour le reste, le financement repose intégralement sur Bernard Lubat et sa Cie. Ainsi l’explique Libération lorsqu’il annonce le programme du nouveau venu dans le paysage festivalier estival français.

« Du 25 au 27 août, dans un petit village de 350 habitants, Bernard Lubat invite. Uzeste, son village natal, celui du café paternel l’Estaminet verra s’installer pendant ces trois jours musiciens, acteurs, chanteurs, bal et feux d’artifice. Totalement organisé à partir des bonnes volontés, aidées par le conseil municipal et le Comité des fêtes, ça risque de bouleverser nos habitudes de consommation festivalières. Lubat et tous les musiciens joueront uniquement en espérant que les recettes couvriront les frais »63.

Trois « stars » (en quelque sorte) sont en tête d’affiche. Mais, la plus grande star est sans doute alors Bernard Lubat lui-même. Il ne s’agit pas de stars parachutées. Elles ont toutes des relations étroites avec Bernard Lubat. Vanina Michel (héroïne du film culte Hair) est alors la compagne de Bernard Lubat, elle a fait partie de la Cie Lubat au Théâtre Mouffetard après avoir été l’une des membres fondateurs de l’association Spectacle et Musique Vécu64. C’est elle qui ouvre le festival par un monologue théâtral : Le Fer à cheval irlandais de Jean Sur, présenté au programme sous l’intitulé « One Woman Show ». Yvan Dautin, célèbre chanteur de variété, est l’actuel employeur de Bernard Lubat qui lui écrit ses arrangements et l’accompagne au piano lors de ses concerts. Enfin, Michel Portal est, nous l’avons vu dans le parcours de Lubat avant le festival, un de ses compagnons de route et de recherche favori.

Les autres invités sont quasi tous des membres de la Cie Lubat parisienne (Patrick Fort, Patrick Auzier, Sylvain Melchy et Beb Guérin) auxquels il faut ajouter Claude Bernard (alto) et Jean Claude Boiteau (percussion) et deux musiciens aquitains (programmés dans un concert Jazz Girondin Aquitain) : Francis Valonne et Jean Courtioux. Tous sont venus

59 Dans Nicolas Prayssac, « La fête à Lubat. Entre Uzeste et La Courneuve », L’Humanité, jeudi 30 août 1978. 60 « Les gens n’avaient pas peur de ce qu’ils pourraient entendre ou voir. Ils venaient à leur fête autant qu’à celle de Bernard. ». Philippe Conrath, « La Compagnie Bernard Lubat au Village », Libération, 1er septembre 1978. 61 « Monsieur Bernard Lubat et Monsieur André Lalanne, convoqués par Monsieur le Maire, renseignent le conseil municipal sur l’organisation artistique et technique des journées musicales des 25, 26 et 27 août 1978. Ces manifestations entreraient dans le cadre d’une décentralisation de la culture. Elles bénéficieront d’une subvention de 2.000,00 F. alloué par le ministère des Affaires Culturelles. La direction artistique serait assurée par Monsieur B. Lubat, L’organisation technique par le comité des fêtes. Les participants s’engagent à ne pas percevoir de cachet. » « Séance du Conseil municipal du 4 août 1978 », Archives Municipales : Registres des délibérations, Cahier du 11 mai 1968 au 22 avril 1980. 62 Fonds d'intervention culturelle, créé en 1971, afin de financer des actions de développement culturel, auxquelles participent les ministères de la Culture et de l'Éducation nationale, l'État et les collectivités locales. 63 Dans « Festival. Uzeste Musical », Libération, 12 août 1978, 64 Avec Ulysse, Renaud Bernard Lubat et François Laurent en 1974.

34 gratuitement. Tous sont présentés dans la presse comme appartenant à la grande famille de la Cie Lubat.

« Il a invité des amis, des comédiens, des chanteurs, des danseurs, des musiciens (…), des musiciens à lui - ceux de sa compagnie - et d’autres de la région. Comme il prenait tous les risques (avec, en cas d'échec, celui de “gérer la crise”, d'être “couvert de dettes”), comme il faisait ça, comme ça (“sans cible, sensible”), pour les trois cent cinquante habitants et pour la musique, tous sont venus gratuitement »65.

Les festivités se déroulent sur trois jours (vendredi, samedi et dimanche) dans la collégiale d’Uzeste et sur la place du village66. Le public vient nombreux (six cent personnes selon la journaliste du Monde). S’y mélangent villageois et connaisseurs.

« Tout le monde fait la queue pour assister, le second soir, à la Création de Bernard Lubat, premier acte à l'intérieur de la collégiale, « Les Sons et les Images », pièce pour piano, clarinette, saxophone, percussions, synthétiseur, danseur. Les vieux attendaient le béret à la main, les vieilles avec leur chignon gris serré, les jeunes à “mob”, six cents personnes avec ceux qui s’étaient déplacés de loin, les fanas de jazz, ceux qui savent si Lubat est moins bon, meilleur qu'hier, ceux qui savent, et ceux qui n'ont jamais entendu de jazz - surprise pour ceux-là. A l'intérieur, tout ce monde mélangé composait une scène étrange, parlant et circulant comme dans les églises du dix-septième siècle, avec ceci de nouveau que des instruments de musique étaient partout, gongs et morceaux de gong brisés pendus devant l'autel avec les poêles à frire de Lubat, posées à terre, contrebasse dans la chaire; harmonium, xylophones de bois sur le côté »67.

La programmation est originale et déroutante. Affichant sa pluridisciplinarité68, le festival s’ouvre sur une pièce de théâtre ; puis il y a, dans l’église, un concert de free-jazz et de musique contemporaine et, sur la place du village, des chanson-sketchs. Ces spectacles présentent un panel des plus larges des arts de la scène, présentés par des musiciens parmi les plus prestigieux du moment. Cette exigence et cette actualité artistique sont d’autant plus fortes que tous ces artistes sont liés par des liens d’amitié au principal protagoniste et organisateur de l’événement.

Festival pluridisciplinaire donc, auquel deux éléments - le bal et le feu d’artifice - empruntés à la fête de village donnent à ce premier Uzeste Musical un caractère vraiment singulier et composite {pas si sûr}, ces deux éléments étant comme il se doit réinvestis et transformés. Dans le « bal à papa » du vendredi soir s’insère la musique free-jazz et le feu d’artifice du dimanche soir se conjugue avec un « concert dérapage ».

« Vers 11 heures du soir; on passa dehors, le groupe continua sur la place le second acte, « Les Images du son », de l'écrit à l'improvisé, divertissement pour saxophone batterie, percussions, synthétiseur pétards et feux d'artifice. Bûchers allumés à terre, danseurs flammèches apparaissant et disparaissant entre deux pétards, dans la fumée colorée, puis, là-haut, un second (pensée insomniaque?) dans la pierre, dans le clocher explosant littéralement dans les

65 Catherine Humblot, « Uzeste Musical. Lubat dans son village », Le Monde, 30 août 1978. 66 Voir le programme du premier festival en annexe. 67 Catherine Humblot, « Uzeste Musical. Lubat dans son village », Le Monde, 30 août 1978. 68 En haut du programme est annoncé : « Musique, Théâtre, Danse, Chanson, Feux d’artifices ».

35 jets et les gerbes, - roses, mauves, -blanches danseur dansant sous la pluie d'étoiles, odeur d'encens, musique »69.

69 Catherine Humblot, « Uzeste Musical. Lubat dans son village », Le Monde, 30 août 1978.

36 CHAPITRE II 1979-1984. Uzeste Musical

A) 1979-1981. Un festival qui se réinvente chaque année

Le festival 1978, coup d’envoi et coup d’essai, fut une grande réussite. L’impression qu’il en reste est que tout le monde - les musiciens, le public, les villageois, la presse et le maire - a été ravi. L’expérience est donc reconduite l’année d’après.

“ Un mois avant, [Lubat] s'installe sur place avec ses amis Patrick Auzier, Dominique Chaloub et Sylvain Melchy, colle les affiches, téléphone, cloue, écrit les partitions. (…) Rassure les villageois. Cherche des chambre, chez l'habitant, pour les nouveaux arrivants ”70

Néanmoins, “ Dès sa seconde édition, (…) Uzeste Musical n’avait plus rien à voir avec le cru 78 ”71. Le festival continue, mais, durant ses premières années, il se réinvente chaque année. La deuxième version, nous venons d’en avoir un avis, est toute différente de la première édition. De même “ le lendemain de la fin du festival (les) (nombreux) projets (de Bernard Lubat) passaient tous par la disparition de la formule des deux premières éditions. ”72. Robert Latxague, journaliste de Jazz Magazine parle de l’édition 1981 comme d’une “ Quatrième tentative, quatrième remise en cause de l’événement/festival ”73 et, en 1982, le journaliste de Sud-Ouest, Jean-Louis Oriou, spectateur assidu du festival déclare “ …cette cinquième édition n’a rien eu à envier à ses devancières. Ni meilleure, ni pire, loin de là. Simplement différente. Et c’est sans doute là sa plus belle façon d’être. …”74. Nous verrons dans ce chapitre en quoi consistent ces changements.

70 “ Uzeste Musical, les délires réalistes de Bernard Lubat ”, Libération, septembre 1979. 71 Ibid. 72 P.H. Ardonceau, “ Les derniers feux de l’été. Uzeste ”, Jazz Magazine, octobre 1979. 73 Robert Latxague, Alain Leygnier, Guy Le Querrec, “ L’Uzeste de Lubat ”, Jazz Magazine, décembre 1981. 74 Jean-Louis Oriou , “ Un Uzeste (musical) qui comptera ! ”, Sud-Ouest, 4 septembre 1982.

37 1) 1979, nouveau cru…

L’édition 197975, même si elle est conçue selon le même schéma organisationnel que celle de 1978 (en accord avec la municipalité, avec le soutien technique du comité des fêtes et avec une main d’œuvre de villageois et de membres de la Cie Lubat), contraste radicalement d’avec la première édition, plusieurs articles s’accordent sur ce tournant. Il s’agit en fait du premier festival tel que Lubat le conçoit.

“ Toute une mythologie s'était construite autour d'Uzeste 78, une fête totale et tranquille dans le village d’un doux rêveur un peu dingue : Bernard Lubat. Les “festivaliers” 79 (et même certains acteurs directs, semble-t-il) ont été pris à contre-pied ; ils ont été remis en cause dans leur statut confortable de consommateurs-voyeurs. Lubat a fait déraper l'institution naissante et, du même coup, ébranlé quelques lieux communs et idéalismes sommaires. Le soubassement historique demeurait, comme toile de tond, mais l'heure n'était plus seulement à la fête champêtre et aux amours d'un jour entre le rural et l'urbain. Et si l'ensemble de la manifestation a gardé un ton bon enfant, on était loin d'un petit truc organisé à la va-vite ”76. “ Aucune amertume à passer d'un Uzeste de rêve au mini festival. C'était même voulu, histoire de faire éclater les choses, de les pousser trop loin pour qu'il soit possible d'imaginer re- commencer ”77.

Chroniques du festival

Afin de voir un peu quel travail représentent la conduite et l’organisation de ce festival et dans quelles conditions il est accompli, voici quelques extraits des chroniques de presse, témoignages les plus éloquents, qui donnent à notre imagination de quoi se le représenter.

“ Lubat, Bernard, le fils du pays courait partout, inépuisable. Totalement épuisé. S'il n'avait pas failli céder au vertige pendant qu'il dirigeait le grand orchestre, personne ne l'aurait soupçonné. Un mois avant, il s'installe sur place avec ses amis (…) écrit les partitions. Fait traduire par son père le texte de sa pièce de théâtre musical en landais, le blues du chasseur de palombes à l'affût. Répète à l'intérieur de la collégiale “ Jean Louis Chautemps à Uzeste ”. Prends l'accordéon et commence le bal. Rassure les villageois. Cherche des chambres chez l'habitant pour les nouveaux arrivants. Se tord la cheville pendant le match de foot. Sourit à chacun. Se roule un petit joint. Va chercher un tracteur pour la parade. Analyse calmement la situation à 4 heures du matin. Ecoute les jeunes musiciens. Balance un solo de batterie marvelous. Se fend la gueule avec Eddy Louiss qui emmène chacun dans sa biguine la plus tropicale. N'en jetez plus, la cour est pleine... ”78.

“ [Bernard Lubat] aussi, malgré sa phénoménale énergie, fatiguait. Lui, en plus des tâches matérielles, il réglait depuis le début des multitudes de problèmes. Il causait avec les

75 Les archives de l’année 1979 sont là aussi très lacunaires : nous ne disposons que des comptes des dépenses (et non des recettes), des affiches et tracts programmes et des annonces et chroniques dans la presse. 76 P.H. Ardonceau , “ Les derniers feux de l’été. Uzeste ”, Jazz Magazine, octobre 1979. 77 “ Uzeste Musical, les délires réalistes de Bernard Lubat ”, Libération, septembre 1979 (une chronique du festival très enthousiaste : “ J'avais juste envie de faire savoir que Bernard Lubat est indispensable à la musique en France. ”) 78 “ Uzeste Musical, les délires réalistes de Bernard Lubat ”. art. cit.

38 journalistes, avec le maire, avec les gendarmes, avec les autorités ; il avait joué au foot, pêché la truite, scié un tronc d'arbre, rassuré son père et ses proches sur les débordements du public et de ses amis… Alors, il prit l'accordéon (pas le bandonéon, non, l’autre, le gros) et en un monologue pathétique, il se confia sur le mode de la dérision et de l'ironie. Emouvant et drôle en même temps. Et d'une lucidité à faire peur. Quelques instants plus tard, les projecteurs éteints, il trouvait encore le ressort de parler, d'expliquer à ceux qui traînaient encore par là les pourquoi et les comment de ses actions ”79.

En effet, pour ce festival nouvelle formule, le ton est donné dès le premier jour. Le festival, qui dure du jeudi 23 au dimanche 26 août, s’ouvre, le premier jour à 16h, dans la salle des fêtes, avec une exposition de Photos et meubles peints. Les véritables festivités débutent à 18h par l’ouverture de la Pêche à la truite dans le lavoir communal. Cette activité, tout comme le lieu (il y a également un Bar du lavoir), ouvre également sur un Apéro Swing (vers 19h), bœuf rencontre entre les amis (“ pointures ” du jazz français) de Bernard Lubat. Au programme : Eddy Louiss*80, Bernard Lubat, Jean-Louis Chautemps*81, Norbert Letheule*82, Beb Guérin*83 (tous trois dans la Cie Lubat) et Léon Franciolli*84. Cette difficile première journée se termine dans la Cour de ferme par un bal “ Polka Mazurkas et Rondos avec l’orchestre d’accordéon du club du 3è âge d’Uzeste ” auxquels se joignent les compères de l’Apéro Swing.

On va le voir en suivant le détail du programme85 : son déroulement montre une volonté de s’inscrire dans la culture locale (l’apéritif, le bal, la pêche), d’exploiter, d’affirmer et de cultiver un caractère rural à travers des lieux traditionnels (le lavoir, la cour de ferme).

Le deuxième jour, après un nouvel épisode de Pêche à la truite et d’Apéro Swing, a lieu, derrière la collégiale, une création de Théâtre musical de la Cie Lubat : Oun soun passades. On y voit tout le regard critique que Bernard Lubat porte sur son « pays », regard qu’il leur présente à travers cette création dans la droite ligne de sa Cie Lubat et de son usage du spectacle vivant.

“ Lubat a présenté Oun soun passades (…) ce sont ses rapports avec les traditions locales qu'il mettait en scène. [Création] sur la chasse à la palombe, sorte de folie locale qui tient toute l'Aquitaine et mobilise les hommes du coin pendant près de deux mois tous les ans. Lubat a gentiment, par quelques saynètes proches du cabaret, démonté le contenu et le signifiant de cette pratique sociale. Il en a montré la violence et le phalocratisme, et aussi

79 P.H. Ardonceau, “ Les derniers feux de l’été. Uzeste ”, Jazz Magazine, octobre 1979. 80 Organiste chanteur trompettiste et percussioniste fils d'un musiciens martiniquais, grande figure du jazz français. Chanteur dans où le remplacera Bernard Lubat, accompagnatuer de Claude Nougaro pendant de longue années. Aîné et ami de Bernard Lubat, celui-ci reste marqué par leur collaboration aux côtés de Stan Getz. 81 Compositeur de jazz et saxophoniste. Aîné et ami de Bernard Lubat, membre de la Première Cie Lubat. Voir Petit lexique du Festival 1990 en annexe. 82 Acteur (notamment interprète du réalisateur Cyril Collard) et chanteur. Membre influent de la première Cie Lubat, notamment pour son humour décapant et ses jeux de mots. 83 Contrebassiste de la sène free jazz française, membre du Michel Portal Unit et membre fondateur de la Cie Lubat. Se suicide en 1980. 84 Contrebassiste, sideman de Michel Portal. 85 Tous les intitulés de spectacles et noms de lieux entre guillemets sont tirés textuellement du programme. “ Uzeste Musical ,2è édition, 23-24-25-26 août 79 ”, dans MMM, classeur Programmes.

39 l'insertion profonde dans la culture traditionnelle. Il en a profité, en jouant mieux que jamais du piano, pour chanter en patois local le blues landais. Et ça balançait ! ”86.

Suit encore, à 22h, un concert, Jazz Trio, réunissant trois grands noms du jazz français : François Jeanneau (sax), (basse) et Daniel Humair (batterie). Et la soirée se terminera par le Bal à Papa, avec l’accordéon de Loris Capelli87. Double hommage que Bernard Lubat rend à son père – organisateur de bals à Uzeste – et à son professeur d’accordéon – lui laissant le soin d’animer une nuit de bal dans son festival.

Le samedi après-midi est consacré aux musiciens aquitains. On voit alors se succéder de 14h à 19h dans la Cour de ferme cinq formations de jazz (solo, duo, trio, quintet). A 21h, est présentée une autre création de Bernard Lubat : Création en 2 actes du Théâtre musical pyrotechnique : le premier acte (“ Jean Louis Chautemps à Uzeste ”) est donné dans la collégiale ; le deuxième (“ Uzeste Bleu ”) sur la place du village où Bernard Lubat regroupe et dirige en chef d’orchestre tous les musiciens présents au festival.

“ “Uzeste bleu”, c'était une énorme fresque de la vie au village : le jeu, le travail du bois, les scènes de ménage. la musique populaire... Le tout complété par un feu d'artifice “ intégré ” au paysage par Auzier. A dominante bleue, évidemment. Le tout-Uzeste était sur la place avec le tout-festival. Ça faisait du monde. Ce fut peut-être le moment ou l'on s'approcha le plus de la fameuse "synthèse faisant l'unanimité" tant souhaitée par les humanistes. Enfin presque, parce que le bruit des tronçonneuses amplifiées mêlé aux hurlements du sax de Chautemps ça ne plaisait pas à tout le monde ”88.

Après ce concert-spectacle-feu d’artifice (à 24h), le public est encore une fois invité à danser avec un Bal Swing – Sauternes Blues.

Le dernier jour, dimanche, après un Apéritif concert à midi au café L’Estaminet et un Digestif Koncert à 14h au “ Bar du Lavoir ”, a lieu, à 15h, un Match de foot avec comme protagonistes les “ Artistes ” opposés au club de football villageois : "l’Étoile Clémentine Uzestoise"89. Suit une Parade de rue avec la fanfare Lous de Bazas. A 18h, commencent les spectacles du soir : le programme annonce, dans la collégiale, Bernard Lubat et Eddy Louiss en duo rejoints ensuite par F. Jeanneau et J.-L. Chautemps.

“ Un [concert] centré autour d'Eddy Louiss. En duo avec Lubat. puis avec Chautemps et Jeanneau et, enfin, avec tous les musiciens présents. Un des très grands moments du festival. L'église a chaloupé pendant plus d'une heure sur un thème des “ îles ” comme Louiss les aime, créant et maintenant un climat chaleureux et enveloppant ”90.

86 P.H. Ardonceau, “ Les derniers feux de l’été. Uzeste ”, Jazz Magazine, octobre 1979. Souligné par moi. 87 Loris Capelli : professeur d’accordéon de Bernard Lubat enfant. 88 La seconde dans P.H. Ardonceau, “ Les derniers feux de l’été. Uzeste ”, Jazz Magazine, octobre 1979. 89 L’Etoile Clémentine Uzestoise est le club associatif de football d’Uzeste, ses membres participent au festival (et le soutiennent) notamment en tenant un buvette. 90 P.H. Ardonceau , “ Les derniers feux de l’été. Uzeste ” art.cit.

40 A 21h, pour le dernier soir, place à la “ vedette ” , Rufus, qui présente son spectacle sur une scène montée derrière la collégiale : Le Héros national. A 22h, la Cie reprend avec un feu d’artifice et un grand Bal/Bœuf de clôture91.

Le vrai festival inaugural ?

En 1979, si on retrouve des points communs avec le festival 1978 - une programmation de concerts avec une place importante laissée aux créations de Bernard Lubat, les feux d’artifices92 et le bal93 - il faut noter que le bal est plus exploité : au deuxième festival, celui-ci (toujours dans sa formule traditionnelle et subversive à la fois : les musiciens jazz étant invités à mettre leur note, leur swing et leur désordre) est donné tous les soirs.

Mais ces éléments ne sont pas les seuls à constituer l’originalité de l’ensemble du festival. En effet, en 1979, le festival prend pied plus profondément dans le village notamment en exploitant de nouveaux lieux (le lavoir, une cour de ferme, la salle des fêtes, le stade de foot et les rues), et en s’animant de nouvelles activités (pêche, apéro, match de foot et parade). On perçoit donc une plus forte volonté de s’inscrire dans la culture locale, de l’utiliser et de la développer ; d’en faire une relecture. Cette volonté se retrouve aussi par une participation plus large de musiciens du cru94.

Pour le volet musique traditionnelle, on trouve Loris Capelli, musicien de bal et ancien professeur d’accordéon de Bernard Lubat, la fanfare Lous de Bazas, et l’Orchestre d’accordéon du club du 3è âge d’Uzeste (dans lequel joue Lubat père). Pour ce qui est des jazzmen aquitains (Xavier Jouvelet, Jean Courtioux, P. Gauvin , M. Delaporte à qui, nous avons vu, il a été consacré une après-midi) les chroniques soulignent qu’il leur est laissé l’occasion de “ s’exprimer pleinement ”.

“ Autre grande idée (si souvent proclamée, si souvent oubliée) concrétisée ici : “tout le monde a quelque chose à dire, à condition d'y mettre toute son énergie”. Cela s'est traduit par la programmation de nombreux groupes régionaux et, surtout, la participation de ces groupes à la création des œuvres écrites et dirigées par Lubat. Pour une fois donc, il faut y insister, tous les musicos du coin étaient là et ont pu s'exprimer pleinement (jouer leur musique, celle des autres, plus les “bœufs”). Cette tentative de décrispation des rapports pros/amateurs fut bien vécue dans l'ensemble par tous les participants. L'alternance créations, concerts, bœufs et bals la conforta par un côtoiement et un mixage permanents des musiciens. ”95

Autre changement par rapport à la première édition : le profil de l’équipe artistique. Si une grande partie des artistes présents sont des membres de la première Cie Lubat - Bernard Lubat, Patrick Auzier, Jean-Louis Chautemps, François Jeanneau, Beb Guérin, Sylvain

91 Pratique du Festival d’Uzeste mélangeant le bal à la jam session (“ bœuf ”) des jazzmen, avec tous les invités du festival. 92 Spécialités de Patrick Auzier*, le plus vieil associé de Bernard Lubat. 93 Un des thèmes principaux du discours lubatien et des pratiques de la Cie Lubat. 94 “ Les derniers feux de l’été. Uzeste ”, art .cit. Les jazzmen aquitains étaient déjà présents lors du premier festival, programmés le dimanche après-midi : “ Jazz Girondin Aquitain ”. 95 “ Les derniers feux de l’été. Uzeste ”, art. cit.

41 Melchy, Norbert Letheule (qui n’était pas là lors de la première édition), Richard Foy et Denis Van Heyck96 -, de nombreux autres artistes se joignent à ces festivités.

En effet, outre les nombreux musiciens du cru, plusieurs musiciens renommés de la scène jazz française viennent lors de cette deuxième édition. Notons que tous, s’ils n’ont pas directement participé à la Cie Lubat, sont néanmoins des musiciens que Bernard Lubat connaît bien : Léon Franciolli (basse), Michel Grallier (piano), Daniel Humair (batterie), Henri Texier (basse) et Eddy Louiss*.

La “ vedette ” ou la “ tête d’affiche ”97 de l’édition 1979 est donc le comédien Rufus, présentant sa pièce comique et dérangeante : Le Héros national. Laissons la parole au journaliste de Jazz Magazine :

“ Uzeste musical fut le reflet d'une constante du travail de la Compagnie Lubat : la synthèse entre l'ancrage dans la tradition et l'ouverture vers les expériences les plus folles. (…) Il faut insister sur la cohérence, la qualité et l'originalité de leur travail lors de cette seconde édition d'Uzeste musical. On a l'impression que Lubat avait décidé d'aller au bout d'un certain nombre de choses, qu'il n'était pas là pour “s'amuser un peu” avec ses copains d'enfance, comme beaucoup l'ont cru.. Revenir à Uzeste, pour lui, ce n'était pas retrouver ses “racines” (comme beaucoup le font aujourd'hui) - il ne les avait jamais perdues ceux qui le fréquentent depuis une quinzaine d'années ont toujours entendu parler d'Uzeste. Cette référence au pays natal n'a jamais été chez Lubat affectation ou attitude à la mode. Uzeste, dans le contexte de ses projets et de ses pratiques actuelles, c'était simplement un lieu où il pouvait être relativement à l'aise pour faire passer un certain nombre de choses et de chocs. Un tremplin pour d'autres projets. Car il n'a jamais cru (ou voulu croire) un instant que son travail sans concession (au contraire) effectué ici pourrait plaire à tout le monde ”98.

Reste donc l’impression que ce festival 1979 constitue un réel ensemble, qu’il est le reflet d’une réflexion à la fois en train de se constituer et toujours dans la lignée des pratiques de la première Cie Lubat et du discours lubatien préfestival. Sans doute débute ici véritablement la mise en forme des questionnements et de la réflexion sur l’identité rurale, sur les confrontations entre tradition et modernité, entre le quotidien et l’art, entre l’oralité et l’identité gasconne, le travail de réinvestissement de l’univers rural dans lequel ce festival a été délibérément inscrit. Oun soun passades, création montée spécialement pour le festival en est le meilleur révélateur.

On perçoit également dans cette édition le fruit de la réflexion sur les cadres (le milieu) dans lesquels se produit le spectacle vivant ; sur la diffusion de l’art99. Lors de cette édition, cette réflexion se concrétise par une série de trouvailles promises à une grande prospérité : l’Apéro-swing (concert en plein air à proximité d’une buvette ou d’une terrasse de café et à l’heure de l’apéritif), le match de foot (ludique, burlesque et sérieux à la fois). La présence de l’Orchestre d’accordéon du club du 3è âge d’Uzeste relève de cette même réflexion et sa mise en forme sera elle aussi promise à une grande postérité.

96 D. Van Heyck : violoncelliste, collaborateur, dès l’origine mais irrégulièrement, de la Cie Lubat. 97 Dans la mesure où il s’agit d’un personnage connu d’un public beaucoup plus large que les musiciens de jazz français. 98 P.H. Ardonceau, “ Les derniers feux de l’été. Uzeste ”, Jazz Magazine, octobre 1979. 99 En écho direct à “ l’art de la diffusion de l’art ” concept de l’idiome Lubat né plus tard en 1987- 1988.

42 Uzeste 1979 se révèle ainsi constituer une édition pleine de questions et de trouvailles tout à la fois, dont certaines sont fondamentales, ce qui m’encourage à penser que cette édition doit être considérée, avec l’édition 1978, comme fondatrice.

Cependant, constatant l’évolution de la composition du public100, Lubat s’interroge sur la forme qu’il veut donner au festival, et sur les objectifs plus généraux qu’il veut lui assigner.

“ Pour Lubat, il s'agissait bien sûr de “faire la fête”, mais aussi de déranger, de poser questions et problèmes et de faire éclater quelques contradictions. (…) En mettant le paquet, paradoxalement, Lubat mettait en cause, d’une certaine manière, la formule actuelle. Mille personnes au moins sont venues (beaucoup de baba-cool et tout le petit monde de la culture bordelaise). C'était le seuil de tolérance. Les tensions entre deux mondes aussi différents que la population uzestoise et le public venu de l'extérieur ne menèrent pas à l'explosion. Mais l'équilibre était fragile et la juxtaposition, génératrice de conflits. En 79, Lubat a voulu prouver l'efficacité et la créativité de sa compagnie, il a réussi. Mais il n’est pas question, comme l’a dit Norbert Letheule, qu’“Uzeste devienne Newporc” ! Pour l'année prochaine, Lubat a d'autres projets. Il sait que sous sa forme actuelle Uzeste musical ne peut plus se développer qu'au risque de se heurter à de graves problèmes techniques et “sociaux”. Le lendemain de la fin du festival, ses (nombreux) projets passaient tous par la disparition de la formule des deux premières éditions. Il songeait à une animation éclatée et régulière entre de très nombreux villages avec l'aide d'institutions nationales et régionales... ”101.

On le voit donc bien, la problématique centrale du festival est d’ores et déjà celle de l’animation culturelle locale.

A l’issue du festival, et constat fait du déficit financier, la Cie Lubat repart sur les routes de France diffuser son jazz dada et subversif et le village (re)sombre dans son “ silence uzestois ”102. Cette année, après le festival, la Cie est notamment engagée pour l’inauguration du Forum des Halles en septembre et se produit dans divers club de jazz dont la Chapelle des Lombards en octobre et en décembre.

Noël : et revoilà la compagnie…

Mais, désormais, plus question de laisser le village uzestois trop longtemps dans son silence : Bernard Lubat revient pour Noël, et pas seulement pour la famille. Il décide de s’attaquer tout de suite et, dans la foulée du festival, à une autre de ses grandes préoccupations : l’enseignement de la musique, la pédagogie, la transmission du savoir et du “ désir ”.

100 “ La foule venue de toute la région et même de beaucoup plus loin dominait largement la population locale. Les villageois étaient un peu dépassés. ” Dans “ Uzeste Musical, les délires réalistes de Bernard Lubat ”, Libération, septembre 1979. 101 Dans “ Les derniers feux de l’été. Uzeste ”, art.cit. 102 Expression inscrite pour la première fois en conclusion du programme 1979 après le dernier concert, signifiant la fin des festivités et le retour à la norme et au silence. Depuis elle figure sur tous les programmes des festivals uzestois estivaux.

43 Il organise donc un Noël à Uzeste Musical103 du 21 au 24 décembre 1979, avec quatre jours d’ateliers de créations animés par quelques uns des membres de sa Cie : B. Lubat se chargeant d’un atelier Théâtre musical, improvisation, piano, batterie ; B. Guérin de l’atelier Contrebasse ; S. Melchy de celui de danse ; P. Auzier des improvisations. Sont engagés quelques-uns des musiciens aquitains qui s’étaient produits au festival : X. Jouvelet anime l’atelier Percussions – batterie ; R. Foy celui de saxophone ; et C. Vieussens celui de musique occitane.

A l’occasion du 31 décembre à 21h, il réserve la salle des fêtes d’Uzeste pour un concert de la Compagnie Lubat avec J.-L. Chautemps, B. Guérin, P. Auzier, S. Melchy et R. Foy, suivi d’un Bal Free à Papa avec Loris Capelli et l'Orchestre Antoine Uzestois104. Un deuxième festival est né : celui de Noël.

2) 1980. L’implantation s’organise …

En 1980, les chroniques de presse, permettant de retracer les activités de la Cie, montrent que de janvier à avril la Cie Lubat concentre ses activités presque exclusivement sur Uzeste avec une série de concerts à L’Estaminet. Donc, depuis son retour pour Noël 1979, la Cie n’a pas quitté Uzeste. Que préparent-ils ?

Tout est dévoilé au mois d’avril lors d’un concert donné à la salle des fêtes d’Uzeste.

Premières fondations

Un gros travail a été fait en amont et c’est à ce moment que se constituent les fondations. Cette année, Bernard Lubat donne naissance à trois structures : deux orchestres de bal et la première association du festival, premiers jalons d’une implantation locale véritable.

Sous l’impulsion de Bernard Lubat, l’Orchestre d’accordéon du club du 3è âge d’Uzeste, qui animait le bal du festival 1979, devient un orchestre traditionnel gascon officiel sous le titre de Lous Pignadas. Le groupe se compose alors d’Arnaud105 Lubat à l’accordéon chromatique et à la batterie, d’André Lasalle et Albert Bordes à l’accordéon diatonique, de Roger Cazaubon au violon, et de Lothaire Mabru (jeune bordelais de 25 ans) à la vielle106. Ils jouent des polkas, scottish et rondos : un répertoire “ traditionnel gascon ” des bals de l’entre- deux-guerres et de l’après-guerre.

Deuxième orchestre de bal : le SOS Orchestra, soit le Sporting Occitan Swing Orchestra.

103 Informations tirées du programme “ Noël à Uzeste Musical, 21-22-23-24 Décembre 1979, Ateliers de créations tout instruments - tous niveaux – improvisations – jazz collectif – solo – danse – théâtre musical. Le 23 à 21h salle des fêtes Concert avec la Compagnie Lubat.”, dans MMM, classeur Programmes. 104 Composé de C. Vieussens, X. Jouvelet et de J. Bielsa, il constitue sans doute le précurseur du SOS Orchestra. 105 Arnaud Lubat est le père de Bernard. Arnaud est son nom dans les papiers officiels, mais son nom d’usage est Alban. 106 Célou Borbes, “ Les pépés font la loi dans les bals de campagne ”, Sud Ouest, 8 août 1980.

44 “ Le SOS est un des derniers enfants lubatiens. L’idée de départ était de mettre sur pied un orchestre de bal (i.e. permettant de danser) mais qui déménage et où les musiciens ne s’emmerdent pas (comme c’est le cas dans 99% des orchestre de ballochards). ”107

Regroupant des jeunes musiciens de la région, il s’inscrit par là dans le projet d’implantation et de développement local. Il joue, sous la direction de Bernard Lubat, un répertoire de musique dansante plus moderne (funk, samba, rock). A sa composition de base peuvent se joindre, lors des festivals ou d’autres occasions, tous les musiciens invités. Dès ses premières armes au festival, il conquiert les critiques.

“ Pari difficile a priori, mais tenu. Lubat, avec l'aide de ses copains pratiquement tous du coin (même si certains sont “montés” à Paris), a mis au point un répertoire dansant mais pas mièvre : des rumbas et des sambas swingantes, des thèmes simples orchestrés tout en puissance (à la Mingus), utilisant au maximum la section d'anches (quatre saxophonistes aquitains et déments). Le SOS est vraisemblablement appelé à faire un malheur dans le coin (…). ”108

Le concert à la salle des fêtes d’Uzeste a donc lieu le 19 avril 1980 et constitue l’acte de naissance de ce SOS Orchestra.

Ce concert annonce également - et officiellement - une autre naissance : celle de l’association loi 1901 Uzeste Musical109 ayant pour objet “ L’Éducation Populaire, L’Animation et la Création Musicale et Culturelle sur la commune d’Uzeste et sa région ”110. La constitution de cette structure associative présente un double intérêt.

Elle permet d’acquérir une indépendance plus grande par rapport à la municipalité d’Uzeste alors que justement celle-ci - pressentant après la deuxième édition co-produite que le festival ne serait ni tranquille, ni conventionnel et, surtout, ne se laisserait pas contrôler -, adopte avec une partie de la population une posture ouvertement hostile à cette initiative festivalière incontrôlable (qui prétend de plus étendre ses activités sur toute l’année).

“ Le maire, vétérinaire d’une droite aristocrate et traditionnelle, retirait ses billes sentant les choses lui échapper, et se souvenant tout d’un coup des appartenances politiques de la famille Lubat au Parti Communiste Français, le guide du prolétariat en marche. Le président de l’association des vieux, un commissaire en retraite, faisait exclure le père Lubat. Les vieilles

107 Robert Latxague, P.H.A., F.M.,“ Ce qu’on fit d’Uzeste ”, Jazz Magazine, octobre 1980. 108 Robert Latxague, P.H.A., F.M., “ Ce qu’on fit d’Uzeste ”, Jazz Magazine, octobre 1980. 109 “ Uzeste musical (se constitue en) association loi 1901 ayant pour objet l’animation culturelle permanente à Uzeste et sur le canton de Villandraut. L’association sollicite l’aide du conseiller général ainsi que celle des différents ministères tels que :la jeunesse et les sports, la direction de la musique, l’aide à la création, le tourisme, etc. ” dans “ Uzeste Musical, La soirée du 19 avril ”, Sud Ouest, 24 avril 1980. 110 “ Statuts de l’association Uzeste Musical ”, “ Récépissé : Le Sous-Préfet de Langon, délivre à Monsieur Bernard Lubat, Président, demeurant à le présent récépissé constatant le dépôt du texte des modifications apportées dans la composition du bureau, aux statuts notamment articles 1,4 et 5) de l’Association dénommée “ Uzeste Musical ” dont la déclaration a été régulièrement déclarée à la Sous Préfecture de Langon…Langon, le 9 avril 1982, Le sous préfet… ”, dans “ VUM, Statuts… ”.

45 querelles remontaient à la surface, certains espérant même que Bernard Lubat se plante résolument pour régler le problème ”111.

Ce schisme au sein du village112 correspond aux multiples signes que donne l’équipe de la Cie Lubat d’une véritable implantation. Après l’expérience du deuxième festival, certains doivent craindre que cette équipe tapageuse ne trouble trop durablement et trop fréquemment le “ silence uzestois ”. Conscient du caractère dérangeant et non consensuel du festival qu’il élabore - et le revendiquant -, Bernard Lubat avait déjà montré dès 1978 sa résistance à une quelconque ingérence de la municipalité dans les orientations du festival.

“ Et lorsque le lundi, Lubat reçoit, des officiels, des offres pour l'an prochain, il en accepte le principe. Mais, souligne-t-il, l'intérêt, ce n'est pas de faire un grand spectacle dans une ville unique. C'est plutôt de faire des mini-festivals comme celui-ci dans cinq ou six villages. L'an prochain, j'organise une course de canards dans le ruisseau et un corso fleuri.... ”113

Avec cette nouvelle association, il donne au festival une indépendance structurelle et affirme d’autre part sa volonté de faire un réel travail sur le terrain, de s’implanter.

Autre avantage, et non des moindres, que procure la constitution en structure associative : un cadre légal de fonctionnement qui permet de toucher des subventions.

Le festival grandit

Ainsi le festival 1980, indépendant structurellement, passe à un niveau supérieur en accédant au subventionnement :

“Avis ! 3ème version d’Uzeste Musical. Realisation de l'association Uzeste Musical avec le concours : du ministère des affaires culturelles, mission du développement culturel rural ; du conseil général de la gironde ; de la sacem ; de Radio France, André Francis. de la municipalité d'Uzeste et des amis du village et des environs. Remerciements aux collaborateurs : Marie Lubat, Maria Brémond, Alban Lubat, J.-C. Chaunac, Sophie Boursat, J. Perrin, Ph. Larquier ”114.

Il ne subsiste pas de documents financiers, ni traces d’aucune sorte sur ce festival 1980 dans les archives de la Menuiserie, aussi je ne peux trancher avec certitude, à propos du

111 Philippe Conrath, Libération, 5 septembre 1980. 112 Schisme entre les pro-festival - dont un élément moteur est le groupe de bal des vétérans Lous Pignadas, mais aussi l’association de football uzestois, dont le président Etienne Bordes (fils d’Albert Bordes des Pignadas) est conseiller municipal dans l’opposition – et les anti-festival, majoritaires au conseil municipal. 113 Nicolas Prayssac, “ La fête à Lubat. Entre Uzeste et La Courneuve ”, L’Humanité, jeudi 30 août 1978. 114 Affichette “ Avis, Uzeste Musical 3ème Version ”, dans MMM, classeur Programmes.

46 montant des subventions, entre les deux chiffres repris dans la presse : 60 000 F115 ou 110 000 F116 ?

L’édition 1980 rencontre un succès toujours croissant. Les journalistes de Jazz Magazine et de Libération s’accordent sur ce point :

“ L'évolution a été très rapide. La première édition, familiale et bon enfant, rassemblait pour moitié les habitants du village et des connaisseurs des environs. L'année dernière, le public rappliquait déjà de beaucoup plus loin et les habitants d'Uzeste se trouvaient un peu plus noyés. Vendredi dernier, dès le premier soir, le succès d'Uzeste Musical était assuré par un bon millier de spectateurs ”117.

“ De plus en plus de monde à Uzeste : grand public et sommités (le responsable de la page culturelle du Monde, le rédacteur en chef de Sud-Ouest Dimanche...). JazzMag aussi avait mis le paquet : trois rédacteurs, carrément. ”118

L’édition 1980 a certaines similitudes dans l’architecture de son programme avec celle de 1979. Elle commence le vendredi par l’ouverture en musique de l’exposition Peintures & poèmes objets d’Ulysse Renaud (vieil ami de Lubat119, il refait ici son apparition) puis reviennent la Pêche à la truite et l’Apéro swing, les bals (Bal à Papa avec Lous Pignadas vendredi soir et Grand Bal Swing le samedi avec le SOS orchestra et les Pignadas), le match de football et la parade dans les rues le dimanche après-midi. La dimension carnaval et divertissements est plus creusée (grande parade avec chars musicaux, pétanque, course en sac, etc.)

Le samedi après midi est consacré à une série de concert (“ Cour de Ferme & Musique plurielle ”) où, outre le groupe Sékilé des Antilles et Jean Pierre Drouet en solo de percussions, sont invités à se produire des groupes de musiciens aquitains120 : le groupe Calvet (chanson occitane) de Christian Vieussens ; Baix & Jouvelet (duo piano – percussion) ; le Collectif des musiciens bordelais ; le Sax-Quartett (Bourrec, Foy, Valonne, Vieussens). Urria, autre groupe aquitain, où chante Benat Achiary est programmé, lui, le dernier soir. Il faut noter ici que la présence et l’intégration des musiciens aquitains suivent une courbe croissante. On l’a vu également avec le SOS Orchestra, dont certains des musiciens (Richard Foy et Xavier Jouvelet) sont même intégrés à la Cie Lubat.

115 “ Uzeste musical repose sur leur plaisir, leur dépense, l’amitié. Ils donnent tellement et reçoivent si peu des corps constitués, comme on dit (60 000F de l’Etat, conseil général, Radio France, S.A.C.E.M., le dossier de demande au Fonds d’intervention culturel (F.I.C.) a été refusé) ”, Jean-Pierre Leonardini, “ D’Uzeste à La Courneuve ”, L’Humanité, 6 septembre 1980. 116 “ …pour cette année il a réussi à obtenir 110 000F de subventions, émanant tant du Conseil Général de la Gironde que du ministère de la culture, et même de Radio France et de la S.A.C.E.M. ”. Dominique Lopez, “ Toutes les musiques à la fête trois jour durant à Uzeste ”, Sud Ouest, août 1980. 117 Philippe Conrath, “ Bon cru. Teleman, Jazz, Bal musette : un doux mélange. Uzeste Musical 80 ”, Libération, 5 septembre 1980. 118 Robert Latxague, P.H.A., F.M., “ Ce qu’on fit d’Uzeste ”, Jazz Magazine, octobre 1980. 119 Voir le CV de Bernard Lubat en annexe. 120 “ Si Uzeste a toujours su mélanger (heurter) les genres, on a toujours su aussi y donner une place de choix aux musiciens régionaux (intégrés dans la programmation avec les “ vedettes ” nationales.) ” Robert Latxague, P.H.A., F.M., “ Ce qu’on fit d’Uzeste ”, Jazz Magazine, octobre 1980.

47 Dans ce programme de l’édition 1980, il y a bien sûr toujours une importante place laissée aux créations de Bernard Lubat. Fidèles aux “ obsessions de Lubat : le mélange des genres et des musiques, les incongruités “sérieuses” et l’intégration des traditions locales ”121, elles suivent cette année un fil conducteur : questionner la culture.

“ Cette année, c'est de culture qu'il était question à Uzeste . L'ouverture mettait les choses au point. Le “ musical théâtre ” de la Compagnie Lubat s'intitulait: " Papa c'est quoi la culture?". En gros, une espèce de canevas théâtral préparé en commun dans les jours qui précèdent le festival tout en continuant à monter la scène, coller les affiches, jouer à droite et à gauche. Un bricolage reposant autant sur l'improvisation que sur une mise en place sommaire et qui passe la rampe. ”122

Après un travail de désacralisation par la mise en scène théâtrale et narrative de ce questionnement, le festival propose un travail de confrontation avec un programme musical intitulé : une Petite histoire de la musique de Guillaume de Machault à Michel Portal. Auquel succède un Artifice Opéra de Patrick Auzier, Bernard Lubat et 30 musiciens.

"A Uzeste, il ne fut finalement question que de “culture”. Le lendemain, on eut droit successivement au Quatuor de trombones de Paris, au flûtiste Renaud François, à Jean-Pierre Drouet le percussionniste, Michel Portal, Jacques Di Donato, Jean Louis Chautemps, et Bernard Lubat jouant “une petite histoire de la musique” en interprétant Kagel, Teleman, Bach, Villa Lobos, Charpentier, Stravinsky, Beethoven, Debussy, Scott Joplin, Lubat et Portal ”123.

La dernière soirée se termine avec le groupe Urria, suivi du Portal Unit et d’un grand bœuf de clôture où, là comme dans d’autres spectacles, tous les musiciens se mélangent et se confrontent. Les jazzmen aquitains, les musiciens de bal ou les “ vedettes ” de l’édition, les invités et les membres de la Cie Lubat.

“ “Jazz”, “classique” ou “populaire”, les barrières tombent. Reste la musique, une et plurielle ”124.

Cette année, les grands noms du jazz français sont venus nombreux : Jean-Pierre Drouet, Michel Portal, Jean-François Jenny-Clark, Daniel Humair, et le jeune Louis Sclavis qui fait ici sa première apparition à Uzeste.

Pour ce qui est de la Cie Lubat, on y retrouve toujours les fondateurs : Bernard Lubat, Patrick Auzier, Beb Guérin, Jean-Louis Chautemps, Jacques Di-Donato et Sylvain Melchy mais également quelques nouveaux : Richard Foy (sax) et Xavier Jouvelet (batterie, percussion). Il est à noter qu’il s’agit ici de la dernière édition du festival où l’on trouve encore des fondateurs (autres que Bernard Lubat et Patrick Auzier) dans la “ Cie Lubat ”. En effet, 1981 voit de ce point de vue un changement profond, et la fin de la “ première Cie Lubat ”.

121 Robert Latxague, P.H.A., F.M., “ Ce qu’on fit d’Uzeste ”, Jazz Magazine, octobre 1980. 122 Philippe Conrath, “ Bon cru. Teleman, Jazz, Bal musette : un doux mélange. Uzeste Musical 80 ”, Libération, 5 septembre 1980. 123 Philippe Conrath, “ Bon cru. Teleman, Jazz, Bal musette : un doux mélange. Uzeste Musical 80 ”, Libération, 5 septembre 1980. 124Jean-Pierre Leonardini, “ D’Uzeste à La Courneuve ”, L’Humanité, 6 septembre 1980.

48 Une fois le festival clos et les comptes faits125, on retrouve Lubat, en septembre, à la Fête de L’Huma. On lui a donné carte blanche à l’Espace Midi pour toute la journée126. Il a fait venir Lous Pignadas et interrompt son concert pour faire une partie de pétanque avec ses musiciens (Chautemps, Drouet, Humair, Lockwood, Jeanneau, Texier…). Le soir, avec son accordéon, il emmène le cortège des mineurs de Ladrecht127 jusqu’à la grande scène. C’est à cette occasion qu’il rencontre André Bénédetto*128.

On retrouve encore Lubat à Uzeste, pour un second Noël (Noël musical, les 24, 25, 26 et 27 décembre), à Langon cette fois. Celui-ci est déjà plus ambitieux, avec, du 22 au 27 décembre, des ateliers musique au centre culturel des Carmes de Langon et un programme de grande qualité, affichant des grands “ noms ” : une Nuit des Jazz (avec Henri Texier, Louis Sclavis, Richard Foy, Christian Vieussens et Eric Lelann*129) suivie d’une création de Bernard Lubat, Embûche de Noël, avec 20 musiciens et les participants aux ateliers puis d’un grand Bal Swing avec Lous Pignadas et le SOS Orchestra. Le 25 décembre est organisée une Aubade dans les rues de Langon, avec musique, masques et danses puis un concert de musique classique dans l’église de Langon avec comme interprète vedette, Michel Portal*130. Sont programmés également des spectacles de théâtre pour enfants, du cinéma avec un film de Franck Cassenti et un film sur “ Uzeste Musical 1980 ” le dernier soir, après un duo Portal/Lubat.

A la Fête de L’Humanité ou lors des fêtes de Noël, Bernard Lubat convie toujours ses amis et ses pratiques pluridisciplinaires. Dans la continuité de celles qu’il a inaugurées lors des festivals estivaux.

3) 1981, une page obscure

Sur les détails du festival 1981, il ne reste que peu de données, le programme n’ayant pas été conservé. Il faut s’en tenir aux chroniques de la presse, matière là aussi plus pauvre qu’à l’accoutumée, le nombre de coupures de presse rassemblées dans les classeurs de presse de la Menuiserie étant sensiblement inférieur à celui des autres années131. Néanmoins, il s’agit de la première édition pour laquelle nous ayons des documents financiers. Nous verrons pourquoi et comment au début du chapitre concernant l’année 1982.

125 Il n’y a aucune trace des comptes de 1980 dans les archives, mais suivant la tendance générale, on peut penser qu’ils sont déficitaires. 126 Informations tirées de Louis Destrem, “ Fête de l’Huma. Lubat de soie et de souffre ”, L’Humanité, 16 septembre 1980. 127 Ladrecht, cite minier dans les Cévennes où, contre sa fermeture, a lieux un mouvement de lutte de plus de 20 semaines, d’après Louis Destrem “ Quand le Midi va au charbon”, L’Humanité, 15 septembre 1980. 128 Poète, auteur dramatique metteur en scène et comédien. Dirige le Théâtre des Carmes en Avignon. 129 Trompettiste de jazz, fondateur de l’Ecole de création musicale à Rennes, où on retrouve notamment Jean-Louis Chautemps. 130 Clarinettiste et saxophoniste, joueur de bandonéon ; interprète classique et jazzman. Également compositeur. Grand ami de Bernard Lubat, leurs duo sont toujours salués par les critiques. 131 Voir table des sources.

49 Changements de cap

Le tournant majeur de l’édition 1981 constitue en un changement radical du personnel de la Cie Lubat.

“ Bernard Lubat a transformé sa Compagnie. Explication : “Nécessité d'aller vers le théâtre le bal, de s’installer vers le Sud, d'aller dans les fêtes du coin, d’éveiller toute la torpeur des discos”. Le résultat. C’est l'accent mis sur la théâtralité, les masques, les maquillages. Plus que jamais La Compagnie se met en scène comme elle le fait du réel quelle manipule ”132.

Presque tous les membres fondateurs – à part Patrick Auzier*133 et Patrick Fort (le danseur) qui réapparaît lors de cette édition 1981 – en sont partis. La nouvelle Cie Lubat se compose presque exclusivement de musiciens aquitains, plus jeunes :

« Richard Foy (as), Francis Bourres (ts), Francis Vallone (ts, as, ss), Louis Sclavis*134 (de Lyon) (as, b, cl), Christian Vieussens (ts, fl, acc), Benat Achiary (voc, perc), Pascal Gagdne (g), Michel Achiary (perc), Xavier Jouvelet (dm), Marc Berthaux (bg) »135.

Ce changement de personnel correspond sans doute au processus d’implantation locale que nous avons déjà vu progressivement mis à l’œuvre. En effet, Bernard Lubat, creusant de plus en plus ce sillon, pourrait avoir eu envie de travailler avec des musiciens régionaux, plus sensibles à un tel projet et, surtout, plus disponibles.

Un grand nombre de ces nouvelles recrues sont déjà depuis quelques années des partenaires réguliers des festivals uzestois136. Nous les avons rencontrés aux programmes des concerts de jazz aquitains mais aussi dans le SOS Orchestra. Certains collaborent déjà également aux autres activités de la Cie (concerts, stages…). Ils se sont donc intégrés dans le projet uzestois d’implantation locale.

Pour le festival, certains amis de Lubat, “ noms de la scène jazz française ”, répondent toujours présent : Michel Portal*, Jean-Pierre Drouet et Eddy Louiss* - qui est venu avec son quartet (Michel Peyratout (bg), Paco Sery (dm), Christian Perny (perc) - mais n’en joue pas moins avec Portal et Lubat.

132 Robert Latxague, Alain Leygnier, Guy Le Querrec, “ L’Uzeste de Lubat ”, Jazz Magazine, décembre 1981. 133 Patrick Auzier, l’artificier est le compagnon de toujours de Bernard Lubat, et reste présent à ses côtés depuis les débuts jusqu’à la fin (il faut chercher dans l’histoire très récente (2002) pour voir leur chemins se séparer). 134 Clarinettiste de jazz. Aborde des domaines variés qui vont de la musique contemporaine, du free et des folklores orientaux à la danse, le cinéma ou la photo. 135 Robert Latxague, Alain Leygnier, Guy Le Querrec, “ L’Uzeste de Lubat ”, Jazz Magazine, décembre 1981. 136 Dans les festivals estivaux et les Noëls précédents.

50 Lors d’une après midi consacrée au jazz local se succèdent plusieurs formations du “ Sud ” : Cossi Anatz : (septet de Montpellier)137 ; Hic et Nunc : (trio de Toulouse)138 et Bidon K. En effet, en écho à cette modification du personnel de la Cie Lubat, le festival aussi change d’orientation : “ Cap au Sud ”.

“ Cap au Sud donc, comme l'explique la revue Mêlée qui patronne cet Uzeste Musical. Cap au Sud, avec André Benedetto, directeur du théâtre des Carmes, en Avignon. Avec le centre chorégraphique régional de Montpellier. Avec les musiciens bordelais du Sax Quintet. Avec le groupe basque Urria et Lous Pignadas, un orchestre de danses gasconnes où le père de Lubat tient la batterie. Et ce rassemblement de créateurs occitans est aussi une fête de l'amitié ”139.

Bernard Lubat se tourne donc encore un peu plus, dans cette édition, vers les créateurs du Sud et occitans : la majorité des formations musiciennes viennent du Midi de la France et André Bénédetto, l’homme de théâtre avignonnais et grand personnage de l’occitanisme est invité. La revue Mêlée qui “ patronne ” le festival, organe actif de l’occitanisme, jouera un rôle important par la suite, en organisant, en janvier 1982, une tournée pluridisciplinaire avec, ensembles, la Cie Lubat, André Bénédetto et Ernest Pignon Ernest*140.

A la lecture des chronique de presse, on voit réapparaître dans cette édition le match de foot, et une grande création de Bernard Lubat, englobant tous les musiciens du festival, intitulée Uzeste brûle-t-il ?

“ Le samedi soir, dans l’odeur d’encens et de poudre à canon, la Compagnie s’installe sur le gigantesque podium construit sur le stade municipal. C’est Uzeste brûle-t-il ? Dans les explosions d’un feu d’artifice déclenché par un Patrick Auzier habillé en Gilles de Binche, les cinquantes musiciens exécutent une suite composée par Lubat. L’orchestre tangue et s’ébroue, navire en proie à quelque dément Poséidon. Portal, Sclavis, Valonne, Lubat, Jouvelet, Sery… tous soufflent, frappent comme des possédés, noirs dans l’éclat des fusées multicolores. Ce serait un Liberation Music Orchestra furieux, mâtiné de Brotherhodd of Breath ”141.

Néanmoins, si l’on en croit les journalistes, cette édition fut une page terne ou morose de l’histoire du festival. Faute de documents, elle reste également floue pour l’historien. Peut- être peut-on se hasarder à quelques hypothèses sur le manque de dynamisme de cette édition. La presse parle de manque d’envie, de manque d’air… Là demeure entière l’énigme que représente l’alchimie de la réussite : même si celle-ci n’est pas forcément en lien avec l’importance du budget, il s’avère que ce dernier peut parfois jouer en faveur de l’alchimie s’il accompagne une idée créatrice.

137 Composé de “ Jean Marc Padovani (ts), René Nan (dm), Michel Marre (tp, as, acc), Christian Lavigne (cl), Michel Benita (b), Claude Marre (tuba), Lamcen Hillali (perc). ” dans Robert Latxague, Alain Leygnier, Guy Le Querrec, “ L’Uzeste de Lubat ”, Jazz Magazine, décembre 1981. 138 Composé de “ Michel Doneda (ss), Didier Marmaley (cl), Steve Robins (bs). ” dans Robert Latxague, Alain Leygnier, Guy Le Querrec, “ L’Uzeste de Lubat ”, Jazz Magazine, décembre 1981. 139 Alain Leygnier, “ Comment dit-on festival en gascon ? ”, Les Nouvelles littéraires, 10 septembre 1981. (Alain Leygnier qui fait aussi le reportage avec Robert Latxague pour Jazz Magazine) 140 Peintre, réalise de nombreuses « interventions urbaines », notamment à Naples et à Soweto 141 Robert Latxague, Alain Leygnier, Guy Le Querrec, “ L’Uzeste de Lubat ”, Jazz Magazine, décembre 1981.

51 Si les journalistes modulent leurs propos en faisant état142 d’une attente sans doute trop grande de leur part, ils pointent cependant un essoufflement. Peut-être est-ce dû à ce changement d’orientation du festival, plus axé sur “ le Sud ” comme on l’a vu à travers l’évolution de la composition de la Cie Lubat, et qui perturbent encore une fois les habitudes du public uzestois ?

Noël 1981

Si le festival estival a déçu, on ne pourra pas vraiment en savoir plus faute de documents, l’événement hivernal programmé à sa suite (bien documenté celui-ci, voir programme en Annexe) utilise les grands moyens, et entend bien continuer son œuvre d’“ éducation populaire ” à travers “ les ateliers artistiques de la Cie Lubat ”143.

Le Noël 81, par rapport aux deux précédents, est encore plus imposant et plus lourd financièrement144. Organisée sur quatre soirs (25-26-27 et 31 décembre), la programmation est toujours aussi pluridisciplinaire. Le 25 (dans l’église de Villandraut) : musique classique par un quatuor de saxophones et musique contemporaine avec une création de Bernard Lubat, Deux temps s’entend145. Viennent ensuite deux soirées dans la salle des fêtes d’Uzeste dont une soirée gasconne, avec des films, des invités prestigieux : Daunik Lazro, Steve Lacy, Henri Texier et son quartet ; une création de Bernard Lubat, Musette Swing Revival, puis pour conclure un Bœuf final. Cette création est reprise pour le 31 décembre, dans la salle des fêtes de Villandraut. En première partie, la vedette de cette édition Noël 1981 : Georges Moustaki.

Les ateliers sont animés par ceux-là mêmes qui participent au Musette Swing Revival. Pour les sax-anches : Francis Valonne, Richard Foy, Louis Sclavis ; batterie percussions : René Nan ; contrebasse : Henri Texier et Michel Saulnier ; guitare : Philippe Deschepper, Pascal Gaigne ; danse : Patrick Fort. Et enfin, chaque matin, Bernard Lubat accompagne un responsable d’atelier : « rythme des pied et des mains, l’improvisation au savoir ». Avec en plus, les soirs des 28 et 29 décembre, Atelier Musical Théâtre par Bernard Lubat et les responsables d’ateliers.

Si l’édition du festival d’été a été la plus décevante, celle de Noël 1981 fera sans doute date comme la plus conséquente, la plus fournie et la plus prestigieuse. Nous verrons que la

142 “ Besoin de souffler un tantinet ? Sans doute. Le hic c’est que maintenant Uzeste n’a plus le droit de décevoir. On en attend trop. De laboratoire quasi clandestin, il a changé de stature sous la chaleur des cornues lubatiennes : entreprise d’idées neuves en quête de prime à l’exportation d’utopies en état de marche. ” Robert Latxague, Alain Leygnier, Guy Le Querrec, “ L’Uzeste de Lubat ”, Jazz Magazine, décembre 1981. 143 On apprendra plus loin qu’une nouvelle association “ Les Ateliers artistiques de la Cie Lubat ” fut créée pour gérer ce volet “ pédagogie de l’action Cie Lubat,Uzeste Musical. 144 Avec plus de 95 000 F. de dépenses, le bilan est de 45 000 F. de déficit. « Compte d’exploitation Uzeste-Noël 1981 » dans Lettre de Raoul Toesca “ administrateur provisoire ” à Bernard Lubat “ Président de “ Uzeste Musical ”, Président de la Cie Lubat ” datée du 30 janvier 1982, faite à Bordeaux. “ objet : Rapport d’activité moral et financier août 1981-janvier 1982. ”, dans “ Synopsis spectacles 1982 ”. 145 Intitulés tirés du programme “ Uzeste Musical Noël 81, Ateliers Uzeste Musical Noël 81 ” dans MMM, classeur Programmes.

52 présence de nouveaux éléments au sein de l’équipe Uzeste Musical/Cie Lubat en fournissent l’explication.

Après Noël, la nouvelle Cie Lubat part pour la longue tournée pluridisciplinaire de la revue Mêlée et, à son retour, décide de se lancer pour de bon dans l’animation culturelle locale : en février 1982, elle organise le premier Carnaval intercommunal.

53 B) Le tournant de 1982

Nous avons déjà vu de nombreux changements intervenir autour et au sein du festival lors de ces quatre premières années. Toutefois, l’édition 1982 amorce un tournant majeur, cette année se révélant être un moment charnière.

1) Le projet prend sa vraie dimension territoriale : mégalocantonale

Au cours de l’année 1981 et lors de la quatrième édition du festival, la presse relevait un certain essoufflement. S’agissait-il d’un manque de dynamique structurelle ? C’est ce qui semble se dégager à travers l’analyse de la situation de la Cie Lubat et de l’association Uzeste Musical qu’entreprend Raoul Toesca, nouvellement engagé au poste d’administrateur de l’association Uzeste musical. Si l’on s’arrête sur ce personnage, dont le passage fut finalement assez bref (il quitte la Cie avant Noël 1982), c’est d’une part que son témoignage et son regard analytique, demeurent, telle une photo riche en informations ; et d’autre part, que son travail fut efficace et donna une impulsion nouvelle au festival.

Un administrateur ambitieux

Engagé en septembre 1981, Raoul Toesca présente le 30 janvier 1982 un Rapport d’activité moral et financier. Août 1981-janvier 1982146 et, dans la lettre qui l’accompagne, il commence par résumer le travail qu’il a entrepris et les résultats qui devraient en découler. Ce travail s’est développé selon trois axes :

“ - Mise à jour des comptes du festival été 1981 - Élaboration et mise en œuvre de demandes de subventions. - Mise en ordre juridique, administrative et financière de nos activités et de nos projets ”147.

Il a donc entrepris de se confronter à tous les arriérés accumulés depuis quatre ans par le festival et sa structure : l’association Uzeste Musical, destinée, rappelons-le, à donner un cadre juridique et légal aux activités artistiques que Bernard Lubat a entreprises.

La première tâche à laquelle il s’attelle est d’organiser de façon rationnelle ce qui s’appellera plus tard la “ nébuleuse uzestoise ”148. Proposant dès octobre 1981149 de monter “ une structure de fonctionnement (…) pour l’association Uzeste Musical et l’association Les

146 Lettre de Raoul Toesca “ administrateur provisoire ” à Bernard Lubat “ Président de “ Uzeste Musical ”, Président de la Cie Lubat ” datée du 30 janvier 1982, faite à Bordeaux. “ objet : Rapport d’activité moral et financier août 1981-janvier 1982. ”, dans “ Synopsis spectacles 1982 ”. 147 ibid. 148 Expression née en 1988 dans les circonstances que nous verrons . 149 Raoul Toesca prenant ses fonctions en octobre 1981, le Noël 1981 se situe donc “ sous son mandat ” d’administrateur, ce qui pourrait expliquer son aspect ambitieux et fourni, reposant sur une base arrière administrative assurée.

54 Ateliers de la Cie Lubat150, nouvellement créée ”151 - où seraient distingués les postes d’administrateur, de régisseur général, régisseur technique, directeur artistique, directeur artistique adjoint, attachée de presse et secrétaire152 - “ sa tâche officielle (étant) de prendre en charge le fonctionnement global d’Uzeste Musical ”153.

Outre ce travail d’organisation et de définition de postes et de tâches, une part essentielle de sa contribution fut la recherche active et la conduite efficace des démarches d’obtention de subventions.

“ Courant novembre décembre tous les ministères concernés ont été contactés ; ainsi que des membres influents des Assemblées locales (…) d’autre part, des demandes spécialisées ont été demandé à des organismes divers : Ministère de l’environnement pour le secteur Arts Plastiques (149 375 F. de subventions) ; ADMICAL, association privée (consacrée au mécénat) mettant en rapport des entreprises et des associations culturelles (Négociations en cours) ; Caisse régionale du Crédit agricole (Négociations en cours) ; Fondation d’Aquitaine, le même rôle que l’ADMICAL au niveau régional (Négociations en cours) ; Fondation du Crédit agricole ”.

Et c’est également à son initiative que sont entreprises les premières démarches pour obtenir des aides à l’emploi :

“ Une demande particulière est en cours auprès de la Direction départementale du Travail, pour l’octroi de ces trois emplois d’initiative locale, statut techniciens, pour un montant subventionné de 108 000 F ”.

R. Toesca apparaît donc comme quelqu’un d’aguerri et qui semble très au fait de la gestion d’une entreprise de spectacle et des démarches à faire pour obtenir des financements. Il s’agit en réalité du premier professionnel de l’administration s’investissant dans le festival.

Des objectifs affichés

Une conséquence directe de cette recherche de subventions fut de fixer, de formuler et d’affirmer de façon cohérente et sans cacher ses ambitions le projet lubatien articulé au festival. Celui-ci n’ayant été auparavant formulé qu’au travers d’interviews de Bernard Lubat, il s’agit en réalité du premier développement à la fois construit et synthétique du discours et des objectifs du festival. On le voit pleinement dans la brochure éditée en 1982154.

Sur la page de couverture, Uzeste Musical/la Cie Lubat affirme d’emblée une ambition d’envergure : créer un “ Centre Culturel d’Animation de création et de diffusion en milieu

150 L’association “ Les Ateliers de la Cie Lubat ” semble avoir été créée pour gérer toutes les activités pédagogiques et éducatives de la Cie Lubat. Il n’y a quasiment pas de traces d’elle dans les archives et j’ai découvert son existence avec cette Lettre de Raoul Toesca. 151 Lettre de Raoul Toesca (déjà citée). 152 Nous reviendrons plus tard sur les détails, les évolutions du personnel des structures de gestion…ainsi que sur les multiples changements et remous… 153 Lettre de Raoul Toesca (déjà citée). 154 Brochure 1982 :“ Uzeste Musical, Cie Lubat, Centre Culturel d’Animation de création et de diffusion en milieu rural, Uzeste, Canton de Villandraut, Vallée du Ciron ”. Brochure d’où est extrait le "Il était une fois un enfant du pays…" cité en introduction.

55 rural ”. Suivant les règles, le dossier présente le lieu, l’histoire et le projet. La Cie affirme haut et fort sa volonté de “ créer une structure permanente d’animation et de création rurale ” selon “ Trois axes majeurs d’intervention : Formation ; Diffusion ; Recherches et Rencontres ”. Elle projette pour cela “ le montage : d’un espace théâtral ; d’une structure d’enregistrement ; d’un espace audiovisuel (vidéo, radio, films, disques) ; d’une maison de production et d’édition ”155 dont elle a même fait l’avant projet architectural.

“ Compte tenu de la pauvreté de l'infrastructure existante est présentée en annexe de ce dossier, l’avant projet architectural de la construction de l’espace culturel de la vallée. Aussi, une des tâches prioritaires de l'équipe organisationnelle sera la recherche et l'obtention de financement pour l’achat d’un terrain permettant la réalisation concrète du projet global et de notre installation définitive ”156.

Les ambitions d’implantation sont donc bien sérieuses et la brochure avance des arguments économiques de poids.

“ L'année 1982 est une année expérimentale. Dans ce projet, beaucoup d'activités sont proposées gratuitement, Apéro-Swing, Parades, Feux d'artifice, Expositions. Cependant, le projet s'auto-finance à 44,47% de ses dépenses globales. Son but est d'atteindre progressivement un auto-financement global : - Par le développement d'activités annexes : studio, disques, musiques de film, enregistrements ; créations de spectacles par la Cie Lubat. Ces activités pourraient faire l'objet de transactions commerciales venant appuyer les finances du projet et permettre le développement des activités gratuites ou peu chères. - Par l'effort d'organisation. (rôle de l'équipe permanente) - Par la participation plus serrée des communes concernées.”157.

Tout ce programme est repris dans le journal nouvellement créé par l’association Uzeste Musical, L’airial, dont le premier numéro annonce en même temps le programme du 5ème Uzeste Musical.

“ Partant des activités musicales que la Cie Bernard Lubat impulse depuis quelques années sur le canton de Villandraut, il s'agit de mettre en place le premier volet d'un ambitieux projet de structures d'accueil, et d'animations pluridisciplinaires tout en continuant â privilégier la musique sous diverses formes. Par là même, la réalisation de cet ensemble culturel devrait revivifier socialement et économiquement une région en difficulté. La base de départ de l'animation culturelle est la vallée du Ciron, elle comprend : 1 - un lieu de rencontre et de création d'artistes habitant la Région, la France et la Planète ; 2 - un lieu d’apprentissage et d’acquisition d'une connaissance (stages ateliers etc…) ; 3 - un lieu de découverte et de sensibilisation par la diffusion d’œuvres originales dans les domaines de la musique, de la danse, du théâtre, des arts plastiques, etc… dans le maintien et le développement de grands évènements spectacles tel que le Festival d'été ; 4 - un lieu de rencontre et de création économique par :

155 Brochure 1982 :“ Uzeste Musical, Cie Lubat, Centre Culturel d’Animation de création et de diffusion en milieu rural, Uzeste, Canton de Villandraut, Vallée du Ciron. ” 156 Brochure 1982 (déjà citée.) 157 Brochure 1982 (déjà citée).

56 a) La mise en place d'un “centre de création industrielle” au sein d'un secteur Arts Plastiques, se voulant un essai de rencontre et de collaboration entre des artistes et les industriels de la région. b) Le développement d'une infrastructure permettant a la fois l’accueil de touristes attirés par l'agrément de la région et des possibilités culturelles ainsi créées. La période concernée représente donc avec l'aide du FIC. 1° l'installation de l'équipe organisationnelle. 2° le démarrage d'une animation régulière permettant la prise de conscience, l'aide et l'ouverture de la population. (Carnaval, Nouvel an, cinéma permanent) 3° le développement de champs d'interventions à l'intérieur des évènements spectacles. 4° la recherche des moyens d'action et leur mise en œuvre pour la réalisation concrète du projet ”158.

Implantation locale : une équipe permanente

Pour réaliser ce programme, la Compagnie Lubat décide alors d’“ installe(r) ses travaux et ses pratiques plurielles dans le désert rural ” pour de bon. Et c’est bien là un élément fondamental, qui doit être ici souligné. C’est à cette époque que Bernard Lubat, avec Patrick Auzier (le deuxième pilier de la Cie), décide de s’installer réellement sur place159, de façon définitive et pour toute l’année, ainsi qu’il est dit dans la brochure :

“ Dans la dynamique du Festival d’été, devenu un fait culturel, naît, pour la Cie Lubat et les membres de l’association, le désir de s’installer définitivement ici ” 160.

Il s’agit d’une étape majeure, aboutissement de l’implantation progressive et toujours plus forte dans le local - que nous avions vu transparaître dans les successives éditions du festival. À partir de cette date, tous les membres permanents de la Cie et de l’équipe du festival résideront, sinon à Uzeste même, dans les proches environs.

“ Les rêves de Lubat. Bernard Lubat fait semblant de survoler l'effervescence, En short et tee- shirt aux couleurs de son festival, il prend enfin le temps de rêver un peu : “j'ai fait le tour du monde, j'ai vécu à Paris, mais c'est ici que je suis bien. C'est ici que je veux concrétiser toutes mes idées. Prouver que cette région n'est pas un désert, qu'elle a du talent et qu'elle n'a besoin de personne pour montrer ce qu'elle sait faire. Tiens, par exemple, j'ai réussi à constituer une compagnie entièrement régionale. Nous sommes treize, tous du coin, avec le même sens de la musique et de la fête. A ce sujet je veux réapprendre la joie aux gens d'ici, refaire les bals qui émerveillaient mon enfance” ”161.

Cette installation, qui va engendrer une équipe permanente du festival, sera possible grâce à l’obtention des subventions sollicitées.

158 Editorial de L’airial n°1 , dans MMM, classeur Programmes.( 1° numéro de L’airial, bulletin d’information de l’association Uzeste Musical-cie Lubat. (juin 1982). 159 Bernard Lubat à Noaillan, au Moulin de Fortis, et Patrick Auzier à Préchac, bourgs proches voisins d’Uzeste (voir carte en annexe). 160 Dans Brochure 1982 : “ Uzeste Musical, Cie Lubat, Centre Culturel d’Animation de création et de diffusion en milieu rural,Uzeste, Canton de Villandraut, Vallée du Ciron. ” 161 Jean-Marc Faubert, “ VI° Uzeste Musical, la fête des champs et des forêts ”, Sud Ouest, août 1983.

57 “ Suite à l'effervescence post-10 mai dans le domaine du jazz, qui s'est vu reconnaître officiellement par le ministère de la Culture à travers la nomination d'un chargé de mission, un collectif national des associations de jazz s'est constitué. (…) “ Uzeste musical ”. (…) “ Nous sommes quatre salariés, explique la chargée des relations extérieures. Tout a vraiment changé en octobre pour l'association. ” A l'automne, ayant tâté des limites de l'organisation du festival par ses propres moyens, “ Uzeste musical ” dépose un dossier FIC (Fond d'intervention culturel). “ Nous voulons créer au village un centre d'animation permanente pour qu'il revive. ” Le projet vivait déjà depuis un moment dans la tête de Lubat. “ A Paris, on me prenait pour un fou. ” Dans le dossier, qui présente l'association, une phrase saute aux yeux, inhabituelle en matière de messianisme culturel. “ Il faut mêler le niveau international et le niveau cantonal. ” Est-ce l'esprit du 10 mai ? La manne ministérielle est soudain tombée sur Uzeste 80 millions de centimes ont ainsi garni l'escarcelle d' “ Uzeste musical ”. De quoi nourrir ses projets. “ Nous avons relancé le carnaval. Le ciné-club dans le café est également reparti. Et puis nous avons monté des mini-tournées musicales à travers les villages des cantons alentour. ”162

La nouvelle équipe Uzeste Musical/Cie Lubat qui se fixe à Uzeste de façon permanente se présente ainsi, sur le mode lubatuzestien, dans le journal L’airial qu’elle vient de créer :

“ Président d’honneur : Alban Lubat (vingt dieux le père). Président : Bernard Lubat (Nette tendance à confondre rêves et réalité ... mais répond à bien des besoins... donc pardon éternel accordé.) Secrétaires : Pierre Scheidt (confond coordination et marcher sur les plates bandes d'autrui, ne dort pas assez et véhicule de vieilles habitudes... à affuter). (A de très belles cartes de visites.)., Patrick Auzier (ne supporte pas les administrateurs et les contrôles financiers, travailleur solitaire, robuste à toutes épreuves, pionnier d'Uzeste Musical). Trésoriers : Francis Valonne (bourré de bonnes intentions pour le meilleur et pour le pire . bon musicien)., Ulysse Renaud*163 (quasiment invivable. assure... un peu trop même à fréquenter mais pas dans le boulot). Administrateur : Raoul Toesca (gère bien, boit bien, sens aigu du compromis, aurait dû faire de la politique, a longuement hésité à quitter le privé, nette tendance à la déprime au contact des artistes). Secrétariat administratif : Anne Cazaban (saute allégement de l'hôtellerie à l'administration, trop gentille, prête trop sa voiture). Attachée de presse : Michèle Sporny (toute jeune... dans le métier, tendance a l'activisme de la dernière minute). Directeur Technique : Christophe Levanthoï (le seul diplômé hautes études de l'équipe, une précision de bistouri et toujours calme... 5 ans de médecine, ça sert). Eclairagistes : Michaël Serejnikov et Joël Perrin (gare au sauternes - sur un air très connu - mais toujours branchés). ”164

Des subventions conséquentes

162 Dans Robert Latxage, “ Jazz : l’improvisation s’organise ”, Libération, 19 juin 1982. 163 Poète, notamment auteur de Barnum ou si les requins étaient des hommes, œuvre montée par les Ballets de Toulouse, en 1974, à laquelle Bernard Lubat a collaboré. Voir CV de Bernard Lubat en annexe. 164 Dans L’airial n°1, dans MMM, classeur Programmes.

58 Suite aux démarches entreprises, et également grâce à une conjoncture favorable - la victoire à l’élection présidentielle de 1981 de François Mitterrand portant la gauche au pouvoir et Jack Lang au ministère de la Culture165 - le festival obtient pour l’année 1982 un montant de subventions des pouvoirs publics qu’il n’a jamais connu : soit un total de 785 285,00 F.HT166, répartis entre le conseil général de la Gironde, l’établissement public régional d’Aquitaine, le ministère des Affaires culturelles, la direction de la musique Aquitaine, le ministère de l’Éducation nationale, le ministère du Temps libre, la DATAR (Délégation à l’aménagement du territoire et à l’action régionale) et le FIC (Fonds d’intervention culturel), celui-ci accordant à lui seul 450 000,00 F.

“ Le Fitzcarraldo gascon dont l’ambition est de bâtir au beau milieu de la forêt landaise, un opéra-guinguette-disco-swing. Après cinq ans de galère, la Compagnie bénéficie enfin d’une aide substantielle des pouvoirs publics. Le FIC (Fonds d’intervention culturel) a dénoué son escarcelle : un budget de 2 millions de francs a été adopté dont 50% d’autofinancement. Le reste provenant des subventions des collectivités locales (mairie, conseil général, Établissement public régional) et des différents ministères concernés (ministère de la Culture mais aussi de l’Education et du Temps libre) ”167.

L’obtention de ces financements publics va permettre de structurer une réelle équipe organisatrice et lui donner les moyens non seulement d’exprimer pleinement sa créativité, mais aussi de développer les autres volets présentés dans la brochure : Formation et Diffusion.

“ Bernard Lubat rêve de faire de la petite localité girondine un haut lieu de création en milieu rural. Il songe à un centre culturel rural avec une salle de spectacle de 800 places dont le projet est en discussion avec la DATAR et l’aménagement du Grand Sud-ouest. (…) Après cinq années de traversée du désert, l’espoir commence à poindre à l’horizon. Le Fonds d’intervention culturel (FIC) a débloqué une subvention de 860 000 F pour les années 1982- 83. (…) ”168

Pour Bernard Lubat, le festival du mois d’août n’est que “ la partie émergée de l’iceberg ”.

“ Nous voulons installer nos racines en profondeur en réalisant des animations à Noël, à Pâques et en organisant des stages tout au long de l’année ” souligne le jazzman qui estime que “la lutte pour la survie culturelle de la région sera une œuvre de longue haleine” ”169. “ Uzeste c’est du mégalo cantonal. Après tout Paris n’est jamais que la capitale de l’Ile-de- France. Jean Vilar a fait Avignon, Bernard Lubat fera Uzeste. Je suis un mystique à mi-temps, je n’ai pas attendu l’arrivée du gouvernement socialiste pour croire au père Noël ”170.

165 Voir citation précédente : “ Est-ce l’esprit du 10 mai ? La manne ministérielle est soudain tombée sur Uzeste : 80 million de centimes sont tombés dans l’escarcelle d’Uzeste Musical ” dans Robert Latxague, “ Jazz : l’improvisation s’organise ”, Libération, 19 juin 1982. 166 Ces chiffres sont issus du “ Rapport comptable au 31 décembre 1982 ”, dans « Festivals comptes financiers 82-83 ». 167 Gérard Muteaud, “ La prise d’Uzeste par la Bande à Lubat ”, Bordeaux Actualité, 22 juillet 1982. 168 Ibid. 169 Dans “ Décentralisation. Un festival “ au champs ” à Uzeste ”, Quotidien Rhônes Alpes, 23 août 1982. 170 Gérard Muteaud, art.cit.

59 2) Un festival d’envergure, transdisciplinaire et multipiste

À la mesure de ce budget extraordinaire qu’ils viennent d’obtenir, les membres de l’équipe Cie Lubat/festival font un festival d’une ampleur inédite comparé aux éditions précédentes (« Jean Vilar a fait Avignon, Bernard Lubat fera Uzeste »). Dans un mouvement d’approfondissement et de développement dans tous les domaines, de collaborations poussées avec les invités, et d’exploration des médias et des cadres de diffusion de la culture, il s’inaugure lors de cette édition des pratiques nouvelles qui deviendront par la suite des traditions du festival d’Uzeste ; celles-ci plongeant bel et bien leur racines dans cette édition 1982.

Nous pouvons déjà d’emblée pointer les pratiques promises à la postérité : les Territoires des Soli-Sauvages et les Mots dits sous les arbres, mais également le travail de communication avec le public au travers de la rédaction d’un programme-journal (L’airial) et la présence active du média radiophonique durant le festival171. Autre création, dans le volet Éducation populaire, promise à la postérité : les Favellas Gasconnes, nées lors des 10 jours d’ateliers précédant le festival. Pour l’édition 1982, est donc créé le journal L’airial172, bulletin d’information de l’association Uzeste Musical-Cie Lubat. ”, organe de communication mais aussi d’expression du discours lubat-uzestien ; celui-ci étant nouvellement redynamisé et galvanisé. C’est dans ce journal également que sont diffusés les programmes de toutes les festivités organisées par l’association. Nous le citerons souvent en raison de sa double fonction (fonction informative et fonction d’exposé du discours lubat-uzestien, notamment dans les éditoriaux). Avec deux numéros par an173, il couvre toute la période de ce chapitre : jusqu’en décembre 1984.

Pour ce nouveau festival, l’équipe prévoit également la présence d’une radio, Radio Uzeste, animée par La clé des ondes.

“ La clé des ondes ; radio populaire de Bordeaux ; 98,5 MHZ ; à partir du 25 août à 18h jusqu’au 29 août 1982 de 10h à 22h ; en collaboration avec Uzeste Musical ; tout le festival 1982 et même plus !!! Retransmission de concerts -débats -interviews -chroniques… ”174.

Dès avant le festival, qui a lieu du 26 au 29 août, dix jours d’ateliers (du 16 au 25) sont organisés alors que jusqu’à présent les stages ne se déroulaient que l’hiver. Masques (Association Pont Arc en Ciel, création de masques et de grandes marionnettes) ; Danse africaine (Marc Depond et A. Favereau) ; Saxophone (Francis Valonne) ;

171 “ Radio Uzeste ” animée par “ la clé des ondes ” : Radio populaire de Bordeaux, 98,5 MHZ, à partir du 25 août à 18h jusqu’au 29 août 1982 de 10h à 22h, En collaboration avec Uzeste Musical, tout le festival 1982 et même plus !!!, -Retransmission de concerts, -débats, -interviews, -chroniques… ” Affichette, dans MMM, classeur Programmes. 172 Du nom des grosses clairières des Landes, au milieu des forêts de pins, où vivent en autarcie plusieurs familles. 173 1° numéro de L’airial. Bulletin d’information de l’association uzeste musical-cie lubat. : juin 1982, 2° numéro : décembre 1982, 3° numéro : août 83, 4 ° numéro : novembre 1983, 5°numéro : août 84, 6° numéro : décembre 84, dans MMM, classeur Programmes. 174 Affichette, dans MMM, classeur Programmes.

60 Contrebasse (Michel Saulnier) ; Guitare (Yves Ducastaing) ; Percussions et rythmes pour enfants (Bernard Brancard)175 sont proposés aux stagiaires qui sont ensuite invités, le dimanche, dernier jour du festival, après le grand match de foot176 à défiler en une Internationale Parade Samba Gasconne, animée par l’école de samba des Favellas Gasconnes. Ces “ Favellas Gasconnes ”, issues des ateliers de l’avant-festival vont donner leur nom par la suite à la première mouture d’une “ école du rythme ” animée par les membres de la Cie Lubat.

Le 26 août, à l’ouverture du festival, un “ stage de stage d’initiation à la photographie de reportage ” est également ouvert, fait de la collaboration d’Uzeste Musical (Arts Plastiques) avec l'Action Recherche Photographique d'Aquitaine.

C’est sans doute lors de cette édition, on va le voir plus loin, que le “ transpluri- indisciplinaire ” prend tout son essor notamment avec la contribution d’artistes de grande qualité créatrice et d’horizons divers, dont certains, des plasticiens, sont regroupés en une « Section Arts plastiques177 d’Uzeste Musical » dirigée par Ulysse Renaud. Les 8 artistes qui la composent, présentant chacun des œuvres regroupées en une grande exposition sous le titre “ Arts plastiques & Art Industriel ”. Après une conférence de presse, un vin d’honneur et le “ discours du président ”, le vernissage de cette exposition avec l’Aubade de la Cie Lubat ouvre le festival.

Transdisciplinaire encore avec les nombreux non musiciens tel l’homme de théâtre avignonnais, André Bénédetto, venu avec “ chapiteau ” et compagnie (sa Compagnie du Théâtre des Carmes) présenter les vendredi et dimanche soirs Lazare. Grand spectacle avec le serment de la mort de Bossuet. Ce volet théâtre est par ailleurs complété par Fabrice Alibaux (de l’ARFI de Lyon178), présentant aussi un « Cycadé (concert bougé danse, percu, synthé) » proposant un « spectacle pour enfants179 : “ Le Fantôme des Arts Ménagers ” (repris deux fois : jeudi 17h et vendredi 18h).

175 Informations tirées de L’airial n°1. 176 “ Avec les Girondins de Bordeaux (sous réserve) contre le RUM (Real Uzeste Mundial ” dans L’airial n°1. 177 La “ section art plastiques ” du 5è Uzeste Musical 1982, regroupe : “ Maria Brémond (photographies), Malliarakis (dessins), E. Pignon-Ernest (images-affiches), Jacques Faujour (photographies), C. et C. Letoct (B.D.), Philippe Planchet (peintures) et Ulysse Renaud (peintures). ” Dans brochure “ 5è Uzeste Musical direction Bernard Lubat, 26.27.28 & 29 août 1982, section arts plastiques responsable Ulysse Renaud ”. 178 Association pour la Recherche d’un Folklore Imaginaire, collectif de recherche et de musique improvisée dont fait partie entre autre Louis Sclavis. 179 “ Spectacle enfants : Fabrice Alibaux (ARFI de Lyon) “ Le Fantôme des Arts Ménagers ”, Spectacle musical en solo, dont l'action se déroule dans une maison en tissu à volumes variables, “le fantôme des arts ménagers” montre la tranche de vie d'une personne dans ses gestes quotidiens, situation commune à beaucoup d'entre nous si ce n'était la présence d'un fantôme plutôt dérageant. Instruments participant au spectacle : 800 pinces à linge, une planche à laver, un aspirateur, un service à vaisselle, lampes de 75 et 100 watts, un rasoir électrique, une brosse à dents à poils durs, un dentifrice au fluor, un peignoir, un matelas, un phonographe, un ventilateur etc... “Je vous assure que ça ne manque pas de poésie et qu'Alibaux est un joyeux allumé : ça vaut le voyage. “u.r. (ulysse renaud) l'airial”. ” Dans L’airal n°1.

61 Nouvelle envergure du festival : les invitations sont lancées cette année à des grands de la scène jazz internationale, Don Cherry (le trompettiste/cornettiste américain) et son groupe Codona (Don Cherry, Nana Vasconcellos, Collin Walcott), Barre Philips (le contrebassiste américain), Evan Parker, (les saxophonistes anglais) et Han Bennink180 (batteur hollandais).

Juan José Mosalini (prestigieux bandonéoniste argentin installé à Paris) se produit en solo lors de l’Apéritif Concert du samedi puis lors de la soirée de clôture le dimanche. Et l’on retrouve réunis cinq noms de la chanson et du spectacle français : Alyce, et Richard Borhinger181, mais aussi Pierre Vassiliu, Vanina Michel et Yvan Dautin (tous trois déjà venus au festival).

Les acteurs prestigieux de la scène jazz française sont nombreux : Michel Portal*, le Quatuor de Saxophones Chautemps - Jeanneau – Di Donato – Maté (où l’on retrouve la section des soufflants de la première Cie Lubat), Daunik Lazro, Léon Franciolli, le Trio Maurice Vander182, Alby Cullaz 4tte, Trio Hervé Bourde, Michel Grallier, Tubapack - Marc Steckar, et Christian Vander183.

Il est à noter que ces participations annoncées sur l’affiche184 ne seront pas toutes effectives : les chroniques de presse font état de quelques défections dont le Quatuor de Sax de Chautemps et Christian Vander185 ; John Surnam et Han Bennink186 ; puis Yvan Dautin187. On découvre alors que, non-inscrits au programme, sont venus Jean-François Jenny-Clark (contrebassiste français), Siegfried Kessler (pianiste allemand) et Georges Lewis (tromboniste américain)188.

Côte à côte avec ces musiciens prestigieux on retrouve toujours, dans la volonté de mélange du festival, les musiciens « du cru ». Pour les jazzmen aquitains, une après-midi a été programmée le jeudi 26 sous le titre Musique du Cru : s’y produisent le Tonton 4tte, un duo

180 “ le cousin Hollandais de la Haute-Lande - derviche batteur on ne sait plus de pieds et des mains - batteur géant - et la tête. ” Dans « Petit Lexique du Festival » (dans programme 90, quatrième de couverture). 181 Bohringer/Lubat : « une amitié qui s’est créé dans les boîtes à St-Germain, puis il ont joué dans un film ensemble en 1981 avec Alain Cuny, c’est là que j’ai rencontré Bernard ». D’après l’entretien avec Laure Duthilleul. 182 : important pianiste de la scène jazz française, son trio, dans lequel Lubat tenait la batterie, accompagna Claude Nougaro pendant de nombreuses années. 183 Christian Vander, fils de Maurice Vander, batteur jazz célèbre surtout pour son groupe expérience : “ Magma ”. 184 “ Avis,5° Uzeste Musical, 26-27-28-29 août 1982,direction Bernard Lubat ”, dans MMM, classeur Programmes. 185 Jean-Louis Oriou, “ Un Uzeste (musical) qui comptera ! ”, Sud-Ouest, 4 septembre 1982. 186 Robert Latxague Francis Marmande, “ Les nouveaux us d’Uzeste ”, Jazz Magazine, septembre 1982. 187 Jean-Louis Oriou, “ Un Uzeste (musical) qui comptera ! ”, Sud-Ouest, 4 septembre 1982. 188 Informations glanées dans Robert Latxague Francis Marmande, “ Les nouveaux us d’Uzeste ”, Jazz Magazine, septembre 1982.. Là se situe alors toute la difficulté de la recherche de précision qu’exige la discipline historique appliquée à un objet aussi mouvant et improvisé que le Festival d’Uzeste. L’erreur guette alors à chaque coin de programme si il n’y a pas en face la chronique du journaliste.

62 Philippe Petit/Patrieyer et le Bordeaux Big Band de Jean Courtioux. Pour ce qui est des « musiciens lubatuzestiens », Lous Pignadas et le SOS Orchestra, ils se produisent lors du Bal Gascon du jeudi soir, du Bal Swing du samedi soir et de l’Internationale Parade Samba Gasconne du dimanche après-midi. La Cie Lubat se produit aussi bien sûr. Tout d’abord lors du premier Apéritif concert, puis avec ses nombreuses créations.

Samedi soir à 22h, sous chapiteau, placée en vedette de la soirée, la Cie Lubat (avec un grand renfort d’artistes invités) présente sa première création au festival : un spectacle de Music Hall Jazz Théâtre : Le Bonheur. Une création collective mêlant jazz et théâtre, uzestois et invités.

“ La Cie Lubat présente : Le Bonheur, music hall jazz théâtre. Mise en scène et en son de Bernard Lubat. Avec : Comédiens : Elle : Laure Duthilleul, L'autre : Philippe Clevenot, Le poète : Ulysse Renaud, Le père : Alban Lubat, La mère : Marie Lubat, Dulcinée : Vanina Michel. / Actants musiciens : Lui : Bernard Lubat, Le musicien : Michel Portal, Quasimodo : Patrick Auzier, Le Lyonnais : Louis Sclavis, Le séducteur : Francis Valonne, L'étranger : Bernard Brancard. Le Diplômé : Michel Saulnier, L'agitateur : Pierre Scheidt, L'enfant : Marc Depond, Le docteur : Yves Ducastaing, Les Amis : Roger Cazaubon, Albert Bordes, André Lassalle, Victor Catarin, Loris Capelli. / Musiciens Percussions et cuivres des Favellas Gasconnes, Choeurs des invités notoires : (Tous les artistes cités plus haut et plus bas au moins ou ailleurs dans le programme ça dépend de la disposition - vois-tu.) “Le jazz n'est pas une maison close, c'est un choc permanent” Charlie Mingus. Si quelqu'un a quelque chose à dire devant une telle présentation de la Cie Lubat, qu'il nous écrive ! (u.r.) [pour Ulysse Renaud] ”189.

À propos de la Cie Lubat, il faut noter qu’en 1982, on l’a vu ci-dessus, elle a encore changé190. En 1981, avait eu lieu un tournant dans la composition de la Cie Lubat qui préfigurait l’implantation réelle et définitive, en 1982, de la Cie à Uzeste et aux alentours. En 1982, autour de Bernard Lubat et Patrick Auzier, seules deux des recrues de 1981 demeurent : Louis Sclavis et Francis Valonne. La Cie est alors complétée, ici pour ce spectacle avec des invités du festival, mais pour le reste de l’année par une nouvelle fournée de musiciens, qui marque une nouvelle époque de la Cie : Michel Saulnier (basse), que l’on avait vu à Noël 1981, Marc Depond (percussion), Bernard Brancard (batterie), Yves Ducastaing (guitare) et Pierre Scheidt*191 (trafics sonores) qui lui restera longtemps notamment en cumulant les postes de musicien et de secrétaire/coordinateur.

Tout l’esprit “ pluri (in)disciplinaire et non étanche ”192 propre à Lubat et à son festival se retrouve dès le premier soir dans la création de Bernard Lubat et de Michel Portal,

189 Dans L’airial programme. 190 “ Uzeste est quasiment devenu une institution : il fallait (…) des structures (associatives) pour que l'essai puisse être transformé, pour que la critique d'une réalité musicale omniprésente, enfermée dans ses clivages, ses séparations, ses interdits, sorte de l'informel pour assurer sa survie. Alors, d'un côté, la Compagnie Bernard Lubat poursuit sa route, avec des changements de personnel, avec des modifications inévitables dans sa pratique, mais immuable dans son parti pris d'interroger et de provoquer, de déranger. De l'autre, Uzeste, la base, le fief du père, le lieu de réunion, le grand foirail musical. ” dans Denis Constant, “ Lubat en ses états. Uzeste Musical, 25-29 août ”, L’Humanité, 19 juillet 1982 . 191 Joueur de fifre, fondateur du groupe Les sous-fifres sur la région Aquitaine. Secrétaire- administrateur de la Cie Lubat de 1982 a 1985. 192 Formule de l’idiome lubatien .

63 mêlant musique classique (avec le collectif 2E2M de Champigny-sur-Marne présentant l’Histoire du soldat de Stravinsky), musique contemporaine, swing, feux d’artifice et théâtre :

Aux Anches Radieuses, mise scène et en son de Michel Portal et Bernard Lubat. Attention au programme ! Mozart : “ Oeuvres maçonniques ” - 2 clarinettes et 3 cors de basset, “ Divertimiento ” (trois mouvements) ; 1 clarinette, 1 hautbois, I basson soit : Michel Portal, Jacques Di Donato, Marc Vallon ; Stravinsky : “ Trois pièces pour clarinettes en solo parallèles. ” avec Michel Portal et Jacques Di Donato. “ Histoire du soldat ” par le collectif 2E 2M de Champigny : direction Paul Mefano. Pousseur : “ Solo ” par Jacques Di Donato. Globokar : “ Dédoublement ” solo clarinette, timbales avec Michel Portal. Portal-Lubat- Auzier : “ N'oubliez pas le Swing ” triple partition pour trente musiciens et feux d'artifices, texte d’Alejo Carpentier dit par André Bénédetto et les Ovnis de Fabrice Alibaux. ”193

Un autre travail marquant cette édition 1982 : le spectacle “ transdisciplinaire ” Ballade douce sous les étoiles terribles ou Le Concert baroque de E. Pignon-Ernest. Présenté le samedi soir à minuit dans les rues d’Uzeste cette manifestation s’articule autour de dessins- affiches du peintre sur le thème d’un livre d’Alejo Carpentier, ainsi que l’explique Ernest Pignon-Ernest.

“ Le Concert baroque, c’est un roman d’Alejo Carpentier qui se termine à Venise, au carnaval ; un mexicain y rencontre Vivaldi, puis Scarlatti et Haendel. Ils vont déjeuner sur la tombe de Stravinsky, puis écouter Armstrong en concert… c’est par delà les continents, les cultures, le temps des rencontres baroques et folles… Je vais coller dans Uzeste de grands dessins que j’ai bâti avec dans la tête, l’écho émerveillé de ce Concert baroque. Comme un hommage-images à Carpentier, ils sont fait aussi – ces dessins – pour jouer, vraiment, avec tout ce qu’est Uzeste Musical ”194.

“ Ballade douce sous les étoiles terribles ”; Dans les images-affiches d'Ernest Pignon Ernest, les feux d'artifice de Patrick Auzier, les pièges de Fabrice Alibaux, les mots d'Alejo Carpentier, et les musiques volées de la Cie Lubat ”195.

Parcours déambulatoire musical, plastique et d’artifice. Le public suit les musiciens emmenant le cortège, qui fait halte devant chaque affichage. Chaque affiche est mise en lumière par l’artificier de la Cie Patrick Auzier, et, dans le même temps, les musiciens du cortège ou surgissant des fenêtres (les vraies) des façades interprètent des musiques « en dialogue » avec les musiciens représentés sur les affiches196.

On voit donc bien la multiplicité des médias artistiques convoqués lors de cette création : arts plastiques, pyrotechnie et éclairage, musique, le tout mis en situation originale

193 Dans L’airial programme. 194 Dans brochure “ 5è Uzeste Musical direction Bernard Lubat, 26.27.28 & 29 août 1982, section arts plastiques responsable Ulysse Renaud ” 195 Dans L’airial programme. 196 “ Cinquante musiciens célèbres associés par jeux, que j’ai tous situés dans des fenêtres dessinées à la pierre noire et au fusain sur du papier journal. Le public avançait précédé par un groupe de musiciens. Le village était plongé dans le noir et le parcours était éclairé progressivement par des feux d’artifices qui illuminaient les façades faisant apparaître au fur et à mesure la fenêtre dessinée avec un musicien célèbre, et , à côté, la vraie fenêtre où jouait un vrai musicien. ” Dans Article, interview de Ernest Pignon Ernest de provenance non-identifiée, conservé dans le classeur presse n°3 (1982).

64 d’un parcours déambulatoire révélant la démarche de questionnement, de réflexion et d’innovation sur les cadres du spectacle.

“ Bien sûr tout cela était un jeu - une réflexion - sur l'illusion du réalisme : il y avait le caractère trompe-l'œil de fenêtre, l'effet de réalité des personnages, la citation de Picasso et la présence physique du vrai musicien qui en apparaissant démolissait l'illusion. C'est cette confrontation et les interrogations qu'elle suscitait qui m'intéressaient. Comme on l'a vu pour l’ensemble de mes interventions, je considère les lieux et leur histoire comme des matériaux plastiques au même titre que mes images. Pour ce "concert baroque", mes matériaux étaient des dessins, bien sûr, mais tout autant le parcours pyrotechnique que j'avais réalisé avec Patrick Auzier et le parcours musical composé avec Lubat, Portal et Sclavis. Ces trois parcours étaient indissociablement liés ”197.

Cette composition révèle aussi une interrogation sur le lieu, et c’est sans doute sur ce point que se retrouvent Bernard Lubat et Ernest Pignon-Ernest, considérant “ les lieux et leur histoire comme des matériaux plastiques ”. Cette réflexion sur les lieux et sur les cadres du spectacle, alliée à celle de la dialectique avec le milieu social, le milieu naturel, le milieu rural, conduit l’équipe UM/Cie à créer un nouveau type de spectacle : les Territoires des Soli- Sauvages198 ; manifestation à laquelle il faut accorder une grande attention. Elle constitue en effet une innovation majeure, et va par la suite constituer un trait caractéristique de la manifestation estivale uzestoise. Cette première édition emmène les festivaliers (sur un parcours de trois heures et demi, de 15h00 à 18h30) à la (re)découverte de lieux du village, mis en scènes, en situations et en musiques improvisées199. Dans cette création sont mis à contribution tous les invités du festival. Au programme, elle est annoncée ainsi :

“ 15h00 dans Tout Uzeste : Territoire des Soli Sauvages (pour le départ voir panneau d'affichage). Quasimodo (alias Patrick Auzier) guidera le public dans le temps sans âge du territoire des soli sauvages. / Solitaires - soli camouflés dans les fougères, les arbres, un courant d'air dans le ciel, dans une étable, dans les hautes herbes, dans les méandres du ruisseau unique, le lavoir communal. Avec : Daunik Lazro (sax-Paris). Evan Parker (sax - Angleterre), Han Bennink (sax - Hollande), John Surman (sax- Angleterre), Francis Valonne (sax - Gironde), Louis Sclavis (sax - Lyon), Michel Portal (sax Bayonne), Fabrice Alibaux (percussions et ballons sifflants - Ste Foy), Alyce (voix - Figeac), et la Cie Lubat (un peu tout et de partout) ”200.

Suite à ce parcours chargé, les festivaliers sont invités, par le programme, à se reposer sous les arbres pour écouter non plus la musique du cœur exprimée avec des notes, mais la musique de la pensée exprimée avec des mots. Il s’agit là d’une autre nouveauté : la poésie prend sa place dans le programme avec les “ Mots dits sous les arbres ”.

“ Mots dits sous les arbres avec les poètes : André Bénédetto, Han Bennink, Jean-Louis Chautemps, Yvan Dautin, André Francis, Bernard Lubat, Vanina Michel, Michel Portal, Ulysse Renaud. (Ça ne coupe pas l'appétit, ça n'ouvre pas le sommeil, au contraire) ”201.

197 Dans Article, interview de Ernest Pignon Ernest de provenance non-identifié, conservé dans le classeur Presse n°3 (1982). 198 Voir le synopsis en annexe. 199 Voir le synopsis en annexe. 200 Dans L’airial n°1. 201 Dans L’airial n°1.

65 Là encore, les artistes invités sont incités à se confronter de manière insolite à un domaine qui n’est pas forcément le leur : des musiciens se transforment en poètes, tout comme la Cie les invite à se transformer en acteurs dans leur Musical Théâtre ou dans le Territoire des Soli-Sauvages.

On peut donc constater le foisonnement de cette édition 1982 en une sorte de développement et d’autonomisation des domaines artistiques abordés. Pour les arts plastiques, plus présents que jamais, est créée une sous-section dans Uzeste Musical, le volet pédagogique s’officialise en Favellas Gasconnes, le discours lubatuzestien trouve son lieu d’expression dans le journal-programme L’airial et la parole conquiert voix au chapitre par le biais du théâtre (Alibaux, 2E2M, et la Cie des Carmes) et des Mots dits sous les arbres.

Notons aussi que nous avons, avec ces diverses créations décrites ci-dessus, des exemples illustrant tout-à-fait le trait caractéristique des créations de la Cie Lubat au festival : y impliquer tous les artistes présents, leur proposer des cadres inédits d’expression et de confrontation. Proposition de changer et de remettre en question les cadres du spectacle vivant qui est faite également au spectateur à travers ces parcours musicaux et spectaculaires incluant une dialectique avec “ les lieux et leur histoire ”.

Cette volonté de réflexion et de recherche par rapport au territoire que nous voyons à l’œuvre dans deux créations la Ballade douce et Territoires des Soli Sauvages s’inscrit aussi dans un contexte plus large : tout d’abord la logique volontaire d’animation culturelle locale, conduit la Cie à étendre ses moments et ses lieux d’intervention (notamment lors des Noëls : entièrement à Langon en 1980 ou entre Villandraut et Uzeste en 1981). Le foisonnement de cette édition 1982 a conduit le festival à partir explorer les confins du village (avec les Soli Sauvages), à investir les quartiers excentrés du village tel le lieu-dit Le Pilet et à expérimenter un nouveau (et plus coûteux) type d’espace scénique : le chapiteau. Outre celui de la Cie du Théâtre des Carmes, le festival a loué un Grand chapiteau.

Mais il faut sans doute y voir aussi un effet du contexte conflictuel avec la municipalité d’Uzeste (qui, on le verra, marque toute l’histoire du festival jusqu’en 1989), laquelle refuse au festival le territoire de l’agglomération uzestoise et devient au fil des ans de plus en plus procédurière202. Organisant son opposition de manière toujours plus efficace.

202 Séance du conseil municipal du 26 avril 1982 (…) “ Festival 1982 “ Uzeste Musical ”, Monsieur le Maire donne lecture, à l’assemblée, des dates (du 24 août au 29 août 1982) et des exigences des organisateurs du festival “ Uzeste Musical ”. Tenant compte des nombreuses négligences, du désordre et des abus commis les années précédentes, Monsieur le Maire propose de limiter le festival à 3 journées. Appelé à délibérer, le conseil municipal, motivé uniquement par des raisons de sécurité, de tranquillité et de salubrité publique, décide par 7 voix pour, 2 voix contre et 2 abstentions, de limiter le festival de musique “ Uzeste Musical ” aux trois journées suivantes : 27, 28 et 29 août 1982. ”. Seance du 9 juillet 1982/“ Uzeste Musical. Monsieur le Maire fait savoir au conseil municipal que les organisateurs du festival demandent, par lettre du 5 juillet 1982, à commencer le festival le jeudi 26 août 1982. Appelé à délibérer, le conseil municipal (…) Considérant que tous les spectacles ne se déroulent pas sous chapiteaux,, Décide par 6 voix pour et 3 voix contre de reconduire sa décision du 26 avril 1982 à savoir :, 1° de limiter le festival de musique “ Uzeste Musical ” aux 3 journées suivantes : 27, 28 et 29 août 1982, 2° de demander à Monsieur le Maire de prendre l’arrêté de police réglementaire, arrêté qui sera déposé à la Sous-Préfecture et notifié aux organisateurs. Séance du 6 août 1982/“ Uzeste Musical. Le conseil municipal ne veut pas chiffrer les prêts accordés à l’occasion du festival 82 (salle des fêtes, prairies, plancher et autres). L’inauguration est accordée, sous le

66 Pour cette édition 1982, la première soirée est programmée au château de Cazeneuve à Pompéjac203. Il s’agit là d’une première (et ce ne sera pas la dernière) ex-territorialisation du festival hors d’Uzeste qui part explorer et investir les lieux et le patrimoine du canton. Faut-il donc voir en cette cinquième édition du festival d’Uzeste les premiers pas d’une expansion géographique dont l’extension se confirmera par la suite ?

3) L’action à l’année

Si le festival n’est que “ la partie émergée de l’iceberg ”204, il nous faut donc voir ce qu’il en est de la partie immergée.

Comme lors des années précédentes, l’équipe Uzeste Musical/Cie Lubat organise un Noël. Et, toujours dans la continuité des années précédentes, celui-ci est encore plus ambitieux et plus coûteux (grands noms, ballet africain et chapiteau chauffé…). Le programme205 suffit à illustrer l’ampleur des festivités.

Avec la Fête des enfants, on retrouve à la fois les problématiques pédagogie et animation culturelle. L’animation culturelle avait déjà été étendue, au début de cette même année 19882, avec l’organisation d’un premier « Carnaval au canton ».

Mais le point culminant de cette volonté d’animation culturelle est la réouverture du cinéma de Villandraut, après 14 ans de fermeture.

Bien que répondant partiellement aux besoins de la Cie Lubat et du festival ainsi qu’ils étaient formulés dans la brochure 1982, ce cinéma constitue une base importante d’action, et le premier lieu appartenant en propre à l’association et lui permettant de diffuser diverses formes de cultures - cinématographique avec la salle de cinéma, mais aussi musicale et théâtrale grâce à une petite salle de spectacle que la Cie a construite attenante à la salle de projection : le Micro Théâtre Reiser. L’ouverture du nouveau cinéma de Villandraut, le cinéma François Mauriac, a lieu, sur le mode festif, au milieu du programme « Noël et Nouvel An » le 30 décembre 1982. Le deuxième numéro de L’airial (décembre 1982) se fait le véhicule privilégié de cette information et permet d’afficher l’objectif qui sous-tend l’opération : “ Concevoir une action culturelle sans y associer le cinéma relève de l'erreur. Donc Uzeste Musical - Cie Bernard Lubat s'est portée acquéreur de l'ancienne salle de cinéma Le Goth à Villandraut ” 206.

chapiteau, le 26 août 1982 et le spectacle payant se déroulera dans le château de Cazeneuve à “ Pompéjac ”. ”, dans AM, Registre des délibérations, du 20 juin 1980 au 18 novembre 1988. 203 Soirée qui n’eut pas lieu dans le château pour cause de pluie apprend-on dans la chronique de Jazz Magazine : Robert Latxague, Francis Marmande, “ Les nouveaux us d’Uzeste ”, Jazz Magazine, septembre 1982. 204 “ Décentralisation. Un festival “ au champs ” à Uzeste ”, Quotidien Rhônes Alpes, 23 août 1982. 205 Voir le programme détaillé en annexe. 206 Dans L’airial n°2. Voir l’annonce complète en annexe.

67 L’année 1982, avec tous ces jalons (Carnaval, festival estival, Noël et Nouvel An, ouverture du Cinéma François Mauriac), a sans doute été une des plus riches et des plus fournies en manifestations conçues par Uzeste Musical. Cela a été rendu possible, nous l’avons vu, par l’obtention d’importantes subventions des pouvoirs publics. Néanmoins l’année 1982 se solde par un déficit élevé.

Une équipe galvanisée ayant multiplié les projets, au sein du festival comme dans son action sur le long terme, le montage d’une équipe permanente accompagnant l’installation sur place des membres de la compagnie Lubat, les sommes investies dans les travaux de réhabilitation du cinéma, tout cela a pour conséquence un déficit jamais égalé. Selon le budget prévisionnel élaboré pour l’année 1983, l’édition estivale 1982 laisse un passif de 410 000 F.

Faut-il cependant voir dans ce déficit l’effet d’une mauvaise gestion ? Ou est-ce que le professionnalisme gestionnaire de Raoul Toesca s’est laissé emporté par la dynamique et l’enthousiasme collectifs207, préférant faire avant que de compter, et, si besoin est, travailler plus après pour combler les trous208. Il faut bien voir, là aussi sans doute, toute la dimension de défi et le pari qu’ont dû faire à ce moment les membres de l’équipe UM/Cie.

Lorsque débute l’année 1983, le bilan financier de l’année précédente est lourd (Festival estival, Noël, travaux et ouverture du cinéma François Mauriac) : l’association enregistre un “ trou de 1 million de francs ” (ou plus précisément une perte d’exercice de 851 027,91 F209).

“ Volonté d'implantation d'une structure permanente, festival, cinéma François-Mauriac de Villandraut, etc. “L'an dernier, nous avons bénéficié de 750 000 francs, cette année de 610 000 francs” précise Pierre Scheidt, responsable des tournées et des contacts. La manne est insuffisante, Malgré la progression constante de la fréquentation (environ 30 % chaque année), l'association n'évite pas l'écueil du déficit. Le festival 1982 et l'animation de Noël la même année se soldent par des dettes. Au moment du bilan, le “trou” se chiffre à 1 000 000 de francs. Le défilé des huissiers s'étire. Voici venu le temps des soucis et des doutes."210

207 L’entretien que j’ai fait avec Josy Pouchet-Boudu (voir notice d’entretien), comptable engagée en 1989, m’a beaucoup éclairé sur cette période : elle affirme en effet qu’à cette période, il était très difficile de résister aux volontés créatrices de Bernard Lubat. Celui-ci acceptant difficilement un refus pour raisons économiques, quiconque voulait être partie prenante de l’aventure préférait donc suivre l’élan collectif plutôt que de s’en faire le perpétuel censeur pour raisons économiques. 208 On perçoit ici les rapports étroits qu’il y a entre le Festival et la Cie lorsque l’on observe le financement de ce premier. Il dépend pour une part majeure de l’apport (en argent, en nature et en structure) de la Cie. “ La Compagnie Lubat qui vit par ses propres moyens, tout en payant de sa poche la grande majorité des dettes accumulées depuis le début de l'action en 1978. ” dit l’éditorial de L’airial n°6, décembre 1984. 209 “ Compte d’exploitation générale ” “ Rapport comptable au 31 décembre 1982 ” ; “ Festivals comptes financiers 82-83,chemise “ Finances, Bilan, etc… ” 210 J.-F. Mézergue, « Pas de Jazz à l’église ! Un budget de 450 000 F et un millions de dettes. Un instant menacé, le Festival d’Uzeste Musical estival ara lieu de mardi à dimance. Une longue histoire. », Sud Ouest, 21 août 1983.

68 C) 1983-1984. Développements et appronfondissements

Si toutes les manifestations organisées depuis 1978 étaient déjà déficitaires211, jamais l’équipe Cie/festival n’avait connu un tel endettement. Et toute la suite du festival se déroule sous la menace de ces dettes, dans une lutte perpétuelle pour la survie et pour tenir le défi de recommencer chaque année le festival, parallèlement de surcroît à une opposition de la municipalité qui va croissant212.

Ces difficultés, correspondant aux effets de suspens et d’incertitude qui conviennent à la presse, sont, depuis cette époque, parmi les sujets dominants que relèvent les journalistes qui couvrent le festival. Depuis cette époque également elles sont intégrées par l’équipe Cie/festival dans son discours selon des développements que nous verrons tout au long de ce travail. Si, en 1983, un journaliste parle d’inquiétude et d’hésitation, dans l’éditorial du numéro de L’airial paru en décembre 1984, Bernard Lubat est beaucoup plus virulent et développe une argumentation solide autour de ces problèmes financiers. Cette longue citation nous permet, dans le même temps, de voir comment se sont développés jusqu’alors le discours et les activités de la Cie Lubat/Uzeste Musical.

"Mais enfin, Uzeste Musical la Companie Lubat, c'est quoi? Une équipe de gentils animateurs, porteurs de bonne parole, et pour le bon peuple ? Quelques artistes agités, agitants ? Une utopie des familles, baba plouc, bordélique, jazz ? Une sous-culture populiste quoique swingante ? Une bande d'inconscients, artistes et poètes ? Dans notre société (sur) classée, hiérarchisée, lookée, étiquetée, il n'est pas étonnant de constater que ceux qui devraient le savoir les premiers sont les derniers à se rendre compte

211 1981 Festival été. Déficit d’exploitation : 45 650,41F (« Compte d’exploitation Uzeste Estival 1981 » in lettre de Raoul Toesca. 1981 Noël. Déficit d’exploitation : 40 709,03 F (« Compte d’exploitation Uzeste-Noël 1981 » in lettre de Raoul Toesca,). 1982 Eté. Total = -706 932,81 F (« Bilan Festival Uzeste Musical 1982 et 1983 » « Festivals Comptes financiers 82-83 »/ chemise « Estimation budget Estival 83 »). 212 “ Festival Uzeste Musical 1983. Monsieur le Maire fait un compte rendu de travail qui a eu lieu le vendredi 22 juillet 1983, à la mairie, avec les responsables de l’association UZESTE MUSICAL, les représentants de la D.D.E., de la D.D.A.S.S., d’E.D.F. et de la Gendarmerie., -Considérant que les organisateurs ne peuvent assurer, par leurs propres moyens, ou prendre en charge les frais d’un service d’ordre efficace,, -Considérant qu’il n’existe aucun chemin de ceinture permettant de dévier, correctement, la circulation de tous véhicules,, Considérant qu’un festival, compte tenu du nombre important de festivaliers, est de nature à compromettre la sécurité, la salubrité, la libre circulation et la commodité de passage dans les rues,, Monsieur le Maire, après avoir entendu les interventions de plusieurs conseillers municipaux, pose la question suivante :, Est-ce que le Festival “ UZESTE MUSICAL ” peut se dérouler dans le bourg ?, Le Conseil Municipal par 9 NON, 1 OUI et une abstention décide de ne pas autoriser le déroulement du festival à l’intérieur du Bourg., Il demande que le festival ait lieu, comme l’année dernière, sur des terrains situés en-dehors de l’agglomération par exemple, sur l’ancien terrain de sport qui est prêté gracieusement par la commune”, dans AM, Registre des délibérations. Pour l’édition 1984 : il n’y a pas de séance du conseil municipal enregistrée entre le 29 juin et le 28 septembre. Et il n’y a aucun ordre du jour concernant le festival.

69 qu'Uzeste Musical/Cie Lubat est un laboratoire de recherches artistiques, culturelles et économiques des plus pertinents de sa génération. Rapport qualité-prix, nous constatons que malgré nos problèmes financiers, nous sommes artistiquement très compétitifs ...... Pourrait-on en dire autant sur d'autres investissements "royaux" ceux-là, mais aux conséquences sociales et artistiquement floues ...... Quelques vérités sur notre moral artistique justement. (…) (Suit une longue liste des activités de la Cie Lubat durant l’année 1984) Projets : (…) Uzeste Musical/Compagnie Lubat. 15 personnes avec les techniciens et l'administration, habitent la Haute Lande. 15 emplois de créés, plus les incidences économiques de la diffusion culturelle. Festival Estival d'août, ateliers, école, cinéma, jazz club, Micro Théâtre213, tournées régionales, etc. (…) Avec tout ça, on voudrait vous faire croire que l'entreprise coûte trop cher, subit un phénomène de rejet de la part de la région (comme l'indiquent quelques savants, responsables en la matière). Dans tout ça, il faut dire et répéter que la Cie Lubat n'a jamais encore reçu de subventions propres à la création artistique. L'argent des subventions passe pour la diffusion, l'organisation d'événements, très peu en salaire d'artistes invités. Zéro centime pour la Compagnie Lubat qui vit par ses propres moyens, tout en payant de sa poche la grande majorité des dettes accumulées depuis le début de l'action en 1978 ”214.

Voilà donc pour exposer le contexte de ces deux éditions du festival présentées ici de manière groupée car on peut déceler entre elles certaines similitudes et une certaine continuité. Peut-on parler d’héritage ou de continuité pour ces deux éditions du festival (1983 et 1984) par rapport à celle de 1982 ? Plus qu’une continuité, ne s’agit-il pas d’un développement des nouvelles pistes découvertes et ouvertes lors de l’édition 1982 ? Plutôt que de voir en l’édition 1982 un réservoir d’idées ensuite ré-exploitées, il faut considérer comment les éditions suivantes ont travaillé ces idées.

213 Le Micro-Théâtre Reiser est une petite salle de concert aménagée dans le cinéma François Mauriac. Voir ci-dessous. 214 Editorial dans L’airial n°6 décembre 1984.

70 1) croissance et dynamique

Certes, on peut voir des filiations directes (comme la continuation des Territoires de Soli Sauvages et des Mots dits sous les arbres), mais il en existe aussi d’autres, plus souterraines. Ainsi, l’essor du volet Création occitane - que l’on a vu présent très tôt avec la création Oun soun Passades en 1979, le nom trouvé en 1980 de Sporting Occitan Swing Orchestra ou encore la projection d’un film occitan à Noël 1981 -, mais surtout le déploiement de la parole qui se concrétise dans l’organisations de débats, et l’apparition du volet cinéma.

Ce qui ressort surtout, c’est ce dynamisme - revendiqué - qui conduit à toujours explorer de nouveaux domaines, créer de nouveaux spectacles, innover dans la variété des spectacles proposés ; à organiser toujours plus d’événements. On peut certes également souligner la constance des thèmes et des pratiques abordés : le bal, l’improvisation, le Musical théâtre, le mélange et la confrontation des genres. Mais ne peut-on pas également les considérer comme des outils, des espaces dans lesquels peuvent s’insérer toutes sortes de questions et d’innovations, tout comme des redites et des approfondissements ? Si quelqu’un fait toujours de l’improvisation, peut-on dire qu’il fasse toujours la même chose ? Non, de par l’essence même de l’improvisation et parce qu’à chaque fois le contexte et les apports extérieurs changent.

Un bon exemple de ce dynamisme, certes un détail mais qui reflète sans doute cet état d’esprit, est l’apparition, dans l’organe de communication de l’association (L’airial) de sortes de “ slogans ” : l’édition 1983 est sous l’hospice de cette phrase – contagieuse, toute la presse la reprend - de Bernard Lubat : “ 6 jours et nuits de tendres audaces / la fête à la cime des pins / le swing au cœur et l’art en train de se commettre… ”215. Pour l’édition 1984 le slogan est sans doute moins poétique, mais peut-être plus comique : “ Suivez la pigne ”216.

Les éditions 1983 et 1984, même si elles sont beaucoup moins subventionnées217 que celle de 1982, sont encore plus ambitieuses et plus fournies. Leur étendue temporelle plus grande en constitue sans doute la première preuve (toutes deux s’étendent sur six jours, du mardi au dimanche, les horaires des activités progressent également de plus en plus vers le matin218).

Territoire

La géographie (le territoire) du festival219 s’étend elle aussi considérablement, notamment à cause du nouveau pôle que constitue pour l’équipe UM/Cie le cinéma François

215 Dans L’airial n°3. 216 Dans L’airial n° 5 août 1984. La Pigne de Pin est l’emblème de l’association “ Uzeste musical ” depuis sa création en 1980. 217 Voir chapitre IV, « Essai de non histoire financière ». 218 1983 ; durée : 6 jours (mardi, mercredi, jeudi, vendredi, samedi, dimanche, du 23 au 28 août). horaires : 14h00,0h20,, 11h00,0h00,, 11h30,0H30,,11h30,0h30,, 12h00,0h00,, 12h00,1h30. 1984 ; durée : 6 jours (mardi, mercredi, jeudi, vendredi, samedi, dimanche, du 21 au 26 août). horaires : 12h00,23h30-2h00,, 12h00,0h00,, 12h00,0h00,, 12h00,0h00,, 12h00,1h00,, 12h00,0h00 219 Cette géographie est reconstituée à partir des indications mentionnées sur les programmes. Il faut donc considérer que certains lieux utilisés peuvent ne pas être inscrits dans les programmes (déjà cités

71 Mauriac à Villandraut. Les relations s’envenimant avec la municipalité d’Uzeste, le festival, interdit d’agglomération et d’église220, doit se chercher de nouveaux territoires. Le festival explore et investit de nouveaux lieux.

En 1983, le festival se partage entre Uzeste et le canton (3 jours dans le canton, 3 jours à Uzeste) : les ruines du château de La Trave (berges du Ciron) entre Uzeste et Préchac puis différents lieux à Villandraut : le cinéma François Mauriac (terrasse et salon), le marché du jeudi ; les berges du Ciron, la prairie de la gendarmerie sur les rives du Ciron. Sont aussi utilisés plusieurs lieux scéniques dans la ville (« Multi-scènes dans la ville »), outre le cinéma F. Mauriac : l’église, la salle des fêtes et la cour de la mairie. A Uzeste, le festival s’installe à la périphérie : à la gare d’Uzeste et au lieu-dit Le Pilet. La municipalité lui accorde toutefois la salle des fêtes et le stade municipal.

Le festival de 1984 suit le même schéma : partagé entre Uzeste et Villandraut avec néanmoins de nombreux nouveaux sites. A Villandraut, outre le Micro Théâtre Reiser221/cinéma François Mauriac et sa Terrasse fleurie où le festival est chez lui, le festival conquiert les cafés de Villandraut qui ont ouvert leurs portes et leurs terrasses lors des Apéro Swing et le château du Pape222 pouvant accueillir les gros spectacles du soir dans sa cour, mais aussi d’autres manifestations à ses abords : Sous les chênes.

A Uzeste, outre les lieux déjà pratiqués, le café L’Estaminet , le lieu-dit Le Pilet et la rue, on retrouve un chapiteau géant, le pré Cazaubon (pré central du village, le long du ruisseau et aux pieds de la collégiale, il n’était néanmoins pas mentionné dans les autres programmes) et une Grange qui accueille le cinéma de minuit. Nouveaux au programme : le Café du Sport223 pour un Apéro Swing ; le Jardin du Dr Seguin*224, et la forêt, où se déroulent les Soli-Sauvages, « 2 km swings en pleine forêt ».

Le mouvement d’éclatement et de recherche des territoires et des lieux s’amorce donc pleinement durant ces deux éditions avec notamment les châteaux (de Villandraut et de La Trave, en ruine), l’espace aquatique du Ciron, et de nouveaux espaces « citadins » : le cinéma et la petite salle du Micro Théâtre et la centrale EDF. Ainsi que l’indique un programme d’Uzeste Musical pour le 24 août, annonçant une Fête de l’énergie : « Uzeste musical trimballe ses tendres audaces dans l'espace particulièrement énergétique du lieu-dit La Trave, ancestral lieu de passage, frontière naturelle (…). Passage symbolique du pont. Discours du ci-dessus : airials n°3 et 5), ou qu’alors leur apparition au programme soit postérieure à leur première utilisation réelle. Ces considérations étant motivées par le doute et le pessimisme de l’historien quant au témoignage de sa source. 220 J.-F. Mézergue, “ Pas de jazz à l’église ! Un budget de 450 000 F et un million de dettes. Un instant menacé, le VI° Uzeste Musical estival aura lieu de mardi à dimanche. Une longue histoire. ”, Sud Ouest, 21 août 1983. 221 Le Micro Théâtre Reiser est le nom donné à la petite salle de spectacle que l’équipe Cie Lubat,festival a construit attenante à la salle de cinéma lorsqu’elle a repris et ouvert le vieux cinéma “ le Goth ” en “ Cinéma François Mauriac ”. 222 Château construit par le même Clément V qui est enterré dans la collégiale Uzeste (voir chapitre 1 la brève présentation historique et géographique), il dépend alors d’une association archéologique et patrimoniale : “ Adishats ” avec qui “ Uzeste Musical ” fera de nombreuses collaborations. 223 Principal café d’Uzeste et dernier en activité avec L’Estaminet. 224 Médecin homéopathe qui s’est installé à Uzeste en 1978, présent dans les statuts de la première association « Uzeste Musical ». Nous reparlerons de lui en 1988 et en 1989.

72 Président et vrai rideau de fer plastiqué (Alibaux show). (…) Energie swing dans les Ruines médusées (…)"225.

Sur le mode humoristique et spectaculaire, les frontières cantonnant le festival dans le village d’Uzeste sont abolies (plasticage du rideau de fer) mais au-delà de cette extension aux autres espaces habités, le festival commence à questionner le nature, et opère des créations en dialectique avec elle, comme on l’a vu avec les Soli Sauvages, et comme on le verra plus loin avec les « Arbrorigènes ».

2) “Traditions ”, innovations

Voyons d’abord les manifestations que l’on retrouve en commun avec les éditions précédentes. En 1983, à Villandraut : les Apéro Swing aux terrasses des cafés et un Grand concours de pêche officielle nous redonnent un goût de l’édition 1979. En 1983-84, Apéro Swings et Bals (avec, toujours, Lous Pignadas et le SOS Orchestra) sont, immuables, au programme. Il en est de même pour les “ Bœuf ” - dont l’appellation varie, du Bœuf Swing de 1983 au Swing Club de 1984 – et les matchs de football du dimanche après-midi – Sport et Musique (1983) et Sport et Musique : Stade Franchi EuroFoot Swing (84).

Les feux d’artifices sont également toujours à l’honneur. En 1984, création mondiale cour du château du Pape Clément V avec le Grand Spectacle de théâtre musical et pyrotechnique ; Musique sans âge dans la nuit noire et dans les « feux faux laids » d’artifice de Patrick Auzier ; Parade de nuit câline et dansante dans les feux d’artifice de Patrick Auzier et dans les tirs de canon à images de Peytavin ; Final baroque d’artifice au café L’Estaminet ; Mise en swing de la Cie Lubat avec toute la bande du 7è Festival. Et, parmi bien d’autres, en 1983, pour clore la soirée, Musique sans âge au château Bertrand de Goth : un Chemin de ronde et polyphonie sonore d’artifice, création collective avec la Cie Lubat et ses invités.

Héritages de l’édition 1982, les “ Favellas Gasconnes ” paradent : en 1983, Parade brésilienne au marché du jeudi et Favellas Gasconnes parade ; en 1984, elles font des « interventions de rues », participent à certaines des grandes créations de la Cie Lubat et à l’Aubade musicale de l’ouverture du festival. Nous verrons que deux expériences de l’édition 1982 se renouvellent en 1983-1984 : les Mots dits sous les arbres et les Territoire des Soli- Sauvages, qui s’enfoncent alors jusque dans la forêt.

Avant de passer aux innovations, voyons tout d’abord les développements. Ils s’inscrivent pour l’essentiel dans deux domaines déjà abordés, mais sous forme d’esquisse, au festival précédent : la parole et le cinéma.

La parole : les débats

On avait vu que, lors de l’édition 1982, la parole faisait l’objet d’un intérêt plus grand avec la création de L’airial. Bulletin d’information de l’association Uzeste Musical-Cie Lubat et la présence d’une radio au festival en collaboration avec « La clé des Ondes ». Nouvelles traditions, ces deux « porte paroles » se perpétuent et se développent durant les

225 Dans programme sur feuille à entête de Uzeste Musical.

73 deux éditions successives 1983 et 1984 : L’airial dans ses numéros estivaux : n°3, août 1983 et n°5, août 1984 et la radio de façon plus intensive226.

En 1982 également la parole gagnait sa place au programme avec une séance de “ Mots dits sous les arbres ”. La parole y était alors poétique. En 1983, la parole devient argumentative lors d’un colloque227 sur le thème “ Rythme et musique en biologie ”. Celui-ci est animé par Charles Silvestre*228et regroupe à la table des scientifiques - Claude Gudin*229, Jean Marc Levy-Leblond (professeur de physique théorique à Nice, initiateur des Centres de culture scientifique technique et industrielle), Daniel Thomas (professeur d’enzymologie à Compiègne et directeur des Biotechnologies au ministère de la Recherche) - et des musiciens.

C’est par cette rencontre originale et incongrue que la parole discutée prend sa place au festival. Apparaissent en effet, dès l’édition suivante de 1984, trois débats mentionnés au programme. Lors de la journée “ Quand la Gascogne d’Oc ” (on voit ici la problématique occitane prendre de l’ampleur), le thème du débat est “ Langue d’Oc sucrée, poivrée, et dans tous ses états… ” ; le lendemain, il s’agit de “ Culture en Question ” et, le samedi, le débat porte sur le thème “ Expression artistique Pour Qui ? Pourquoi ? ”.

226 Radio Clémentine “ Tous les jours diffusion des spectacles du festival, des débats, musique non- stop sur “ Radio Clémentine ” (coopération Uzeste Musical,la clé des ondes 95.3 MHZ) ” Dans L’airial n°3…. Le Festival 1984 est couvert par Radio Landes, Radio Bordeaux Gironde et France Inter, dans L’airial n°5. 227 Dans L’airial de 1983 n°3. 228 A fait toute sa carrière de journaliste à L’Humanité. Militant engagé dans de nombreuses causes (notamment contre la guerre d’Algérie et la colonisation). 229 Voir texte en annexe “ A Uzeste pour la vie ”.

74 Le cinéma : la “ ciné fête ”

Avec l’ouverture du cinéma François Mauriac (le 31 décembre 1982) par l’équipe Cie/Festival, le cinéma prend une place à part entière dans le festival. Le rapport au cinéma, dans ce festival, n’est pas anodin. Déjà présent à L’Estaminet d’après guerre, chez les parents de Lubat, avec la séance hebdomadaire de cinéma ambulant, le cinéma a été plusieurs fois invité lors des manifestations d’Uzeste Musical, qui présentent fréquemment des films tournés sur les manifestations précédentes230. La Cie porte de plus un vif intérêt aux médias audio- visuels, au point, on l’a vu, d’inclure dans son projet de centre culturel l’acquisition de matériel pour travailler avec ce média et accueillir des projets dans ce domaine.

Ainsi, en 1983, lors de la première journée du festival intitulée “ Cinématographie Ici et Maintenant ”, la Cie présente un “ Ciné-Concert ”. En 1984, le volet cinéma s’autonomise et le festival démarre le mardi par la journée “ Ciné Fête ” (avant les concerts du soir au château de Villandraut) :

“ Mardi 21 août : Ciné Fête 12h : Terrasse Fleurie : Ouverture du Festival / Discours du Président, vin d'honneur offert aux personnalités élus et responsables de la région, amis et bénévoles. Aubade Musicale avec les Favellas Gasconnes, buffet campagnard, dégustation de Sauternes et Bordeaux, spécialités gastronomiques gasconnes. Cinéma F. Mauriac : Ciné Musique Non-Stop. Spatialisation du Son. Débat autour des Films sélectionnés par J.P. Ruh (opérateur de son) Grande Salle : Perceval le Gallois d Eric Rohmer. Les 3 Carmes de Peter Brook . Bastien et Bastienne de Andrieu. Rebelotte de Jean Louis Richard (film muet commenté chaque jour par les musiciens participants du Festival). Le Montreur d’ours de Jean Flechet (Film du Sud) La Boiteuse, court métrage de P. Mazui avec L. Duthilleul et B. Lubat dans les rôles principaux. Micro Théâtre Reiser : Tous les jours en permanence, concerts (Vidéo Films Français et Américains). Sur le Télé projecteur (écran de 3mx5m) : Films et Retransmission des événements du festival (chaque jour). Tous les soirs et toutes les nuits dans la grande salle (sous réserve) : Tartuffe de Gérard Depardieu. Le Camion de Margueritte Duras. Dagobert de Dino Rizzi en exclusivité avec Coluche - Serault et Carole Bouquet. Le retour de Martin Guerre de Daniel Vigne en présence du réalisateur et des acteurs (musique de Michel Portal). Débat : Cinéma de demain Journalistes, critiques, techniciens actrices, acteurs de cinéma. Invités B. Fossey - J. Rosier - J.P. Ruh - R. Coppans - L. Duthilleul. Projections Non-Stop jusqu'à 2 heures du matin. Expositions vidéos performances Super 8 de P. Labrot (Plasticien cinéaste). Performance Théâtre musique/Sons de cinéma. Carnaval au canton de P. Mazui - musique en direct de la Cie Lubat.231 ”

230 Pour les archives vidéo, cinéma voir la présentation des “ Perspectives ”, dans “ Sources et Bibliographie ”. 231 Dans L’airial n° 5, août 1985.

75 Et pendant toute la durée du festival, « Ciné fête continue de plus belle »232 avec, en plus, les vendredi, samedi et dimanche soirs, une séance de cinéma de minuit.

On peut le voir : les allers-retours entre parole et cinéma mais aussi entre cinéma et musique, danse ou théâtre sont nombreux, et le Ciné Fête donne là encore occasion à des débats et à des expériences transdisciplinaires. Les échanges et manifestations développés autour de ce nouveau venu démarrent fort.

Innovations de l’édition 1983

Outre ces développements des germes contenus en 1982, des innovations originales marquent ces deux éditions du festival, dans des problématiques toujours articulées au territoire.

En 1983, à la suite de l’hommage à la centrale EDF voisine d’Uzeste et du passage symbolique du Ciron, a lieu un “ Energie swing dans les ruines médusées ” ; les musiciens invités se confrontent sur le mode de la compétition : approche ludique et situations peu banales.

“ Mercredi 24 août : Fête de l’énergie Energie swing dans les Ruines médusées. - Sprint long à élimination directe. Inscrits : Patrice Alibaux (batteur lyonnais), Bernard Brancard (batteur réunionnais), Francis Lassus, Freddy Bourname (batteur palois), Bernard Lubat comme lièvre. - Anches démentielles, rapides, jusqu'au bout et sans filer... Les trois mousquetaires sax...Thierry Farrugia, Hervé Fourtiq (Pau) Francis Valonne (La Réole) Michel Ducau (Bayonne). - Confrontation en une manche et sans belle Energétic international quartett. Han Bennink (USA)(sic) batterie, boite à outils, clarinette, Georges Lewis (USA) trombone, instruments non identifiés, J.F.Jenny Clark (France) contrebasse à cordes, Bernard Lubat (Gironde) synthétiseur, piano, batterie, idioties... Apéro swing et diatonique revival. Marc Peronne (accordéon diatonique), Marie-Odile Chantran (vielle), Didi Duprat (guitare), les cuivres de la Cie Lubat. Promenade en barque sur le Ciron. Repas gascon sous les chênes centenaires ”233

Suivent alors des “ jeux de forces gasconnes ”234 confrontant musiciens et bûcherons, réintroduisant la musique dans les sons du travail (tronçonneuses et haches), selon les pratiques chères à la Cie Lubat de faire musique de toute matière sonore. Ensuite, Patrick Auzier, continuant ses recherches en artifice, repoussant toujours ses limites et se lançant sans cesse de nouveaux défis, créé des “ Embrasements d’artifice nautique ”235 alliant les contraires : l’eau et le feu.

232 Dans L’airial n°5. 233 Dans L’airial août 1983. 234 "Jeux de forces gasconnes", Bûcherons : concours de vitesse, style, challenge intervi1lage match musiciens, bûcherons : hache, passe partout, tronçonneuse percussions, saxophone, etc ”. On retrouve ces “ jeux de forces gasconnes ” au Festival de 1984 “ avec des équipes de Uzeste, Préchac, Luxey, et Sore. ” dans L’airial n° 3 et 5. 235 “ "Embrasement d'artifice nautique" L'eau et le feu, sublime mariage de mille et mille étincelles l'impétueuse rivière, son barrage, ses rives escarpées, son château, sa centrale électrique sous les

76 La plus marquante des innovations de cette période est une création due à la rencontre de Ernest Pignon Ernest* et de Claude Gudin*236 : « Les Arbrorigènes » : « une amicale confrontation Biotechnologie/Arts Plastiques237 » « sur une proposition de B. Lubat à E. Pignon d’introduire l’art plastique en forêt »238 comme l’explique Claude Gudin dans le texte que l’on peut voir en annexe. En voici une présentation synthétique, issue d’un communiqué de l’AFP.

“ Une trentaine de statues “vivantes”, fruit de la rencontre de la sculpture et de la biologie, animeront divers lieux scéniques du Festival de musique contemporaine, le 25 août, à Uzeste, près de Bordeaux. Ces statues, de formes humaines, dont l’enveloppe de plastique renferme des micro- organismes vivants, sont issues de la collaboration du peintre sculpteur niçois Ernest Pignon- Ernest et d’un scientifique, Claude Gudin, responsable du laboratoire de biotechnologie solaire du Centre d’études nucléaires de Cardache. Le premier a apporté sa vision poétique et dramatique du monde, le second sa connaissance des transformations biologiques de la nature. Leur réflexion commune a donné naissance à des créatures étranges qu’ils ont baptisées “ arbrorigènes ”. Entièrement nus et dans la postures d’hommes qui grimpent aux arbres, les arbrorigènes veulent symboliser l’affirmation de la vie. Les statues ont été créées à partir d’un moule coulé sur un homme avec une matière gélatineuse à base d’alginates. Cette première copie a ensuite été remplie d’une mousse plastique de poliuréthane truffée de micro-alvéoles dans lesquelles ont été injectées des organismes unicellulaires. Sous certaines conditions d’exposition à la lumière et de nutrition, ces organismes, qui peuvent vivre indéfiniment, produisent des pigments verts ou rouges et donnent aux statues, une apparence de vie surprenante, notamment pour la couleur de la peau.239 ”

Là encore, on voit à l’œuvre à la fois la confrontation pluri/transdisciplinaire et la dialectique avec le milieu, les lieux, la nature. L’audace et l’inédit de cette expérience en font un des éléments restant dans les mémoires et constitutif de l’identité du festival. Pour la deuxième fois, la collaboration sollicitée d’Ernest Pignon Ernest avec Uzeste Musical produit un résultat créatif, innovant et “ mémorable ”240.

Ceci nous rappelle que la richesse du festival d’Uzeste réside pour beaucoup dans les collaborations avec les artistes invités. Et ces deux éditions sont justement riches de rencontres.

tendres audaces des maîtres artificiers Patrick Auzier, Fabrice Alibaux, Pierre Scheidt… avec la Cie LUBAT, ses invités les arabesques de Pascale Vavrot, et du petit chaperon rouge… ”, L’airial n°3. 236 Biologiste (spécialiste de physiologie végétale) et écrivain. A collaboré à de nombreuses entreprises artistiques (avec la Cie Lubat, dans le domaine cinématographique avec Robert Kramer…). 237 Claude Gudin, « A Uzeste Musical pour la « vie » », programme journal Vive Uzeste Musical, Cie Lubat, l’été l’estaminet, 1987. Voir annexe. 238 Ibid. 239 Feuille de communiqué de l’AFP, août 1983, dans Classeur de presse n° ???. 240 Ces statues demeurent même dans la mémoire de certains parisien qui les ont vu lors de leur exposition, par la suite au Jardin des Plantes. En 1985 nous verrons le festival rappeler cet événement en baptisant un lieu du festival « Airial Arbrorigènes ».

77 3) Rencontres et identité

Regards sur 1983 : rencontres

Tout d’abord au niveau du personnel artistique, si certains invités marquent la continuité de cette édition par rapport aux éditions antérieures241, 1983 ouvre une période de nouvelles rencontres et de riches échanges artistiques.

En 1983, prêts à la rencontre, reviennent de nombreux artistes de l’édition 1982 : George Lewis (USA, trombone), Han Bennink (qui cette fois vient réellement), Fabrice Alibaux (batteur lyonnais ARFI), Pascale Vavrot (chorégraphie) (qui emmène cette fois avec elle Béatrice Cromb, danseuse-), André Benedetto, Ernest Pignon-Ernest et J.-F. Jenny-Clark (qui vient aussi au festival 1984, et dirigera les ateliers contrebasse de Noël en 1984). Pour Eddy Louiss, et Didier Lockwood, la dernière collaboration remonte à un peu plus loin, mais ils font désormais partie des “ habitués ”. Et on retrouve venus au rendez-vous quelques grands noms de la musique : Steve Lacy (venu pour le Noël 1981), et Aldo Romano (batterie) en jazz ; Frédéric Lodéon (violoncelliste) pour la musique classique (présentant un récital solo lors du Noël 1983242).

Prêts à la rencontre également : le nombre des nouveaux venus est impressionnant. Au regard des éditions postérieures nous pouvons distinguer que certains sont là d’une manière plus ponctuelle - Michel Ducau, Denis Weterwald (chanson), Edmont, Didi Duprat (guitare) ou les groupes Edelweiss, E.T. Trio, et Xango -.

Mais, parmi ces nouveaux venus, nombreux sont ceux qui resteront par la suite des collaborateurs récurrents et des amitiés fidèles : Claude Gudin*243, mais aussi Marc Perrone*244 (accordéon diatonique) et sa compagne Marie-Odile Chantreau (vielle), puis des artistes du Sud de la France : Marie-Ange Damestoy (chanteuse), Thierry Farrugia, Francis Lassus245, “ Dédé Minvielle ” et Richard Hertel.

Ces rencontres avec les artistes du Sud de la France, sont sans doute à inscrire dans le processus d’implantation dans le “ pays ”. Les nombreux concerts de la Compagnie Lubat (hors période de festival estival) dans toutes les régions de France mais surtout dans le Sud, ont pour résultat de nombreuses rencontres et de nouvelles connexions. Là apparaît un réseau de musiciens de Pau dans lequel la Cie et le Festival vont piocher abondamment : Francis Lassus d’abord, va intégrer la Cie dès 1983 puis viendront ensuite André Minvielle (en 1985) et Akim Bourname (bassiste dans la Cie et dans le SOS Orchestra), qui, avec Richard Hertel (batterie) jouait dans le groupe d’André Minvielle (chanteur, percussionniste) : le Dédé Quartette246.

241 Pour avoir un aperçu exhaustif de tous les invités sur l’ensemble de la période, voir liste des invité en annexe. 242 Dans L’airial n°4. 243 Même si sa première venue remonte à 1982 (dit-il dans son texte A Uzeste pour la “ vie ”, voir annexe), C’est en 1983 qu’il apparaît au programme avec les « Arbrorigènes ». 244 Accordéoniste, notamment spécialiste du répertoire de la musique cajun et du folklore gascon. 245 Percussionniste, notamment batteur de C. Nougaro et J. Higelin. 246 Dans article photocopié, sans date ni auteur, “ Dédé et son funk Gascon ”, dans “ Docs artistes ”.

78 En 1983, la Cie Lubat change donc encore et il ne reste de la Cie de 1982, avec Bernard Lubat et Patrick Auzier, que Pierre Scheidt, Francis Valonne et Bernard Brancard. A part Jean Bielsa247 (trompettiste) qui fait un bref retour, on trouve comme nouvelles recrues Hervé Fourticq et Thierry Farrugia (saxophonistes) et ceux issus de ce réseau palois : Akim Bourname (bassiste), Francis Lassus (batteur), Fayçal Bourname (percussion).

Regards sur1984 : une identité se dessine

L’année 1984 voit, enfin, une fixation de la Cie dans sa composition, présentée au programme du festival d’été comme « la Nouvelle Compagnie Lubat » : T. Farrugia (sax ténor/soprano), F. Lassus (batterie/percussion), P. Scheidt (trafic sonore/comédie), P. Auzier (trombone /comédie /artifice), B. Lubat (chant/piano/rythmes/batterie).

Là encore, l’année 1984 est riche de rencontres, peut-être même plus riche que l’année 1983. Certains des vieux compagnons du festival réapparaissent : Lothaire Mabru (le vielliste des débuts des Pignadas), Christian Vieussens, François Jeanneau et Louis Sclavis ; mais on voit aussi de nouveaux noms : (accordéoniste légendaire, avec Jo Privat, du jazz musette), Colette Magny, Chris McGregor (pianiste sud-africain installé en France depuis 1974) et Carlo Rizzo (tambourinaire italien virtuose).

Venus plus récemment, on retrouve : Marc Perrone, André Bénédetto, Hervé Bourde, J.-F. Jenny-Clark, et Maurice Vander qui est cette fois accompagné de son trio ( (basse) et Bernard Lubat (batterie), trio de jazz qui accompagne tout nouvellement Claude Nougaro*, le chanteur toulousain.

Avec Claude Nougaro comme vedette (pour la première fois au festival), il s’agit peut- être d’une année marquant encore plus son identité méridionale et occitane248. Cette identité occitane est visible à travers toute une journée du festival articulée sur ce thème et trois nouveaux artistes invités, Rosina de Peira et Martina (deux sœurs chantant en occitan), et Claude Marti (célèbre chanteur occitan) regroupés dans la journée du jeudi, “ Quand la Gascogne d’Oc ” : “ Musette Swing Revival ” ; “ Débat : Langue d’Oc sucrée, poivrée, et dans tous ses états… ” ; “ Marcat swing dans les ruines Médiévales (cabrettes, vielles, cuivres, percussions, chants, contes, expositions d’instruments traditionnels) ” ; “ Apéro Swing ” ; “ Jeux de forces gasconnes en musique avec des équipes de Uzeste, Préchac, Luxey, et Sore ” ; “ … Chants de Troubadours Chants d’aujourd’hui ” ; “ Musique sans âge dans la nuit noire et dans les “ feux faux laid ” d’artifices de Patrick Auzier ” ; “ Bal Gascon ”249.

247 Que mentionne le chroniqueur de Jazz Mag en 1979 : “ Jeannot Bielsan, trompettiste solide et inspiré ”. Dans P.-H. Ardonceau, “ Les derniers feux de l’été. Uzeste ”, Jazz Magazine, octobre 1979 (voir chapitre 2-2°) et que l’on retrouve au Nouvel an 1979 dans “ l'Orchestre Antoine Uzestois ” (sans doute le précurseur du SOS orchestra) composé de C. Vieussens, X. Jouvelet, et de J. Bielsa).Il anime un atelier trompette au Noël 1983 (dans L’airial n°4). 248 Petits détails : à partir de cette année 1984 l’orchestre des vétérans gascons ne s’appelle plus Lous Pignadas mais “ Lous Pinhadars ” selon la véritable orthographe occitane-gasconne. Cette même année dans L’airial n°5 août 1984, Patrick Lavaud* publie une page en occitan : un entretien avec Albert Bordes des Pinhadars. 249 Intitulés issus du programme L’airial n°5.

79 Les créations de la Cie : associer et confronter

Tous ces invités sont programmés de multiples façons et souvent intégrés dans des créations de la Cie Lubat. La plus importante étant le spectacle présenté le second soir.

“ Création Mondiale Cour du Château du Pape Clément V : Grand Spectacle de Théâtre Musical et Pyrotechnique. Rien qu'un homme seul au milieu des autres, traversant treize tragédies de Shakespeare et toutes celles dont notre siècle expire. Tel sera le canevas établi, interprété par André Bénédetto pour servir de conducteur-prétexte à ce grand spectacle orchestré par B. Lubat sous les feux d' artifices du Maître Pyrotechnicien Patrick Auzier, avec la Cie Lubat, le jongleur Jérôme Thomas, la comédienne Laure Duthilleul, Maurice Vander, Pierre Michelot, J.-F. Jenny-Clark, les Favellas Gasconnes et 50 figurants ”250.

Les Territoires des Soli Sauvages sont l’occasion principale au cours de laquelle le festival accomplit ce grand mélange de tous les invités. En 1984, lors des “ 2 km de Swing en Pleine forêt ” (vendredi 24 août 1984, 16h), sont mis à contribution : C. McGregor, L. Sclavis, F. Jeanneau, M. Perrone, P. Scheidt, Jérôme Thomas (musicien jongleur), T. Farrugia, F. Lassus, les Favellas Gasconnes, A. Bénédetto et J.-F. Jenny-Clark. En 1983 y étaient mêlés : H. Bennink, G. Lewis, J.-F. Jenny-Clark, P. Scheidt, F. Alibaux, “ Hébrard et ses arbres à musique ”, R. Hertel, “ Dédé de Mont de Marsan ” et R. Cazaubon (des Pignadas).

Dans les “ Mots dits sous les arbres ” (samedi 25 août 1984, 18h) se rencontrent André Francis251, André Bénédetto, Claude Marti, Christian Laborde* et Pascal Sauboua (poète).

Lors du “ Swing d’Ici et Là ” (mercredi 22 août 1984, 15h) sont rassemblés différentes configurations jazzistiques orchestrant des rencontres originales : le Jean Courtioux Quartet ; Maurice Vander en “ Piano solo ” ; M. Vander et B. Lubat en “ Duo pianos ” ; P. Michelot et J.-F. Jenny-Clark en “ Duo Contrebasses ” ; B. Lubat et F. Lassus en “ Duo Batteries ”.

Toujours caractéristiques des créations de la Cie Lubat : les multiples spectacles pluridisciplinaires et avec feux d’artifice. Toutefois, une orientation marquée semble se dessiner dans les choix musicaux de la Cie lors de ses prestations du festival 1984 : après un “ Swing Musette Revival ”, la Cie présente un “ Chansons Swing – Des bruits et des couleurs ”252. On y perçoit comme la fixation d’une identité, soulignant les aspects accordéon et chants, Bernard Lubat choisissant de plus en plus de s’exprimer par le chant.

Si l’on regarde ces deux éditions du festival dans leur ensemble, il apparaît que les orientations musicales du festival suivent la même tendance avec une présence accrue d’accordéonistes - avec Marc Perrone en 1983 et 1984, mais aussi aux ateliers et concerts des Noëls 83 et 84 ; mais aussi avec Marcel Azzola en 1984 et un “ Récital Colette Magny ;

250 Dans L’airial n°5. 251 André Francis : grand pourvoyeur du jazz en France, il organise des concerts de Jazz depuis 1945. Responsable du Bureau du Jazz de Radio France ; directeur artistique du Festival de Jazz de Paris, président de L’ONJ, producteur de nombreuses émissions télé sur le jazz et auteur de nombreux ouvrages sur le jazz c’est lui qui a provoqué le premier concert de la Cie Lubat à la Maison de la Radio (voir chapitre I). 252 Se profile alors l’album de Bernard Lubat accompagné de cette “ Nouvelle Cie Lubat ” : Chansons Swing. L’idiome Sandwich (enregistré en 1984, sortit en 1985). Le titre de cet album indique bien l’orientation de Lubat vers le chant.

80 Accordéons sans filer ”. Les chanteurs/chanteuses sont également plus présents, Marie-Ange Damestoy et Dédé Minvielle (1983), Colette Magny, Claude Nougaro, Claude Marti, Rosina de Peira et Maria, et d’autres encore (1984) ; plusieurs spectacles leur étant consacrés : “ Chanson Blues ” en 1983 et 1984 ; “ Chants de Troubadours Chants d’aujourd’hui ” en 1984.

4) De Villandraut à Montreuil

L’identité du festival. Nous l’avons vue se construire petit à petit, avec ses nombreuses fluctuations. Depuis les improvisations les plus free jusqu’aux relectures toujours plus poussées de la culture locale, de ses lieux et de leur histoire, ces différentes tendances coexistant dès le début. De cette identité participent très fortement les nombreux artistes invités. On peut voir à travers eux la diversité des problématiques lubatuzestiennes. Plusieurs “ strates ” (d’invités et de problématiques) se surajoutant et cohabitant. Mais, sans doute, ce sont les nouveaux invités que nous pouvons considérer comme une sorte de révélateur. On voit alors que ces deux éditions 1983-1984, nous l’avons déjà souligné, se veulent nettement orientées vers le Sud et les musiques populaires (musette, musiques de danse et chansons) sans rien écarter, je le répète, de toutes les autres problématiques.

Depuis 1978, chaque édition est riche de nouveautés mais aussi d’approfondissements et de continuités. Malgré les difficultés - l’opposition de la municipalité d’Uzeste, et les problèmes financiers - le festival, a depuis 1978, évolué constamment Pour paraphraser l’idiome lubat-uzestien, nous pourrions dire que le festival a “ grandi ”.

“ Sous les pins, le swing ”, c’est à dire l’expression artistique vivante contemporaine, de toujours, ici et maintenant…, 7 ans… déjà…, l’enfant grandit et exprime l’indicible, l’improbable dans sa pousse vers le futur, il joue sa vie comme les autres, il a bu, s’abuse la tasse comme les autres, et il sourit. ”253

Il grandit en effectuant sa première institutionnalisation (l’association “ Uzeste Musical ” en 1980), en posant ses premières fondations (les deux orchestres de bal, les Favellas Gasconnes, le cinéma François Mauriac en 1982) et en ne cessant pas de creuser et de développer ses problématiques (projets pédagogiques et d’animation culturelle) ; il continue à être innovant et obtient un succès croissant auprès du public254.

Néanmoins, son problème majeur se situe au niveau des finances. Les problèmes financiers sont passés dans le discours et dans la communication du festival. Discours sur l’aide à la culture, sur la qualité et la créativité du Festival d’Uzeste, sur la nécessité de son existence et de sa survie, positions à la fois offensives (de questionnement) et rassembleuses (autour d’une identité du festival).

253 Editorial signé Bernard Lubat, dans L’airial n°5, août 1984. 254 “ 1978 : (3 jours) 2350 spectateurs, 1979 : (4 jours) 4200 spectateurs, 1980 : (3 jours) 5170 spectateurs, 1981 : (3 jours) 7970 spectateurs, 1982 : (3 jours) 8000 spectateurs, 1983 : (6 jours) 9000 spectateurs, 1984 : (6 jours) 6663 spectateurs ” Dans “ Synopsis du XI° Festival Estival d’Uzeste Musical 15-21 août 1990 ”, dans “ Originaux ” ”. Voir Annexe : “ Les 3 derniers festivals en chiffres… ”. Ces chiffres ont étés établis par le festival en 1990 pour être communiqués dans un dossier de demande de subventions. Il s’agit des seuls chiffres calculés que j’ai trouvés.

81 C’est sur ce thème qu’en avril 1984 Uzeste Musical crée une manifestation à Montreuil intitulée “ Vive Uzeste Musical ” ou “ Uzeste à Montreuil ”, véritable petit frère du festival estival, condensé sur une journée entière, avec de nombreux collaborateurs de toutes les éditions uzestiennes.

“ Uzeste Musical à Paris ” “ L’une des manifestations les plus originales, les plus authentiques, les plus liés à la vie et aux besoins d’une région, “ Uzeste Musical ” créée en 1978 par Bernard Lubat est menacée. Non de disparaître, car il y aura toujours place, en dépit des pires obstacles, pour une rencontre entre des artistes désireux d’œuvrer hors des sentiers battus et un pays en manque de fêtes dignes de ce nom. “ Uzeste Musical ” est menacé comme haut lieu de rencontre entre des musiciens de qualité, entre artistes déjà confirmés et d’autres, entre pratiquants de disciplines diverses : jazz, classique, poésie, peinture, cinéma, entre concerts prestigieux et jeux populaires. Ce qui nécessite un investissement minimum. Déficitaire comme bien d’autres festivals dont certains n’ont pas autant d’intérêt, “ Uzeste Musical ” est désormais en butte à des tracasseries voire des oppositions administratives. De surcroît, après avoir été pour certains très à la mode – c’était l’époque où on lui consacrait la “ une ” des journaux - “ Uzeste Musical ” subit des tentatives de discrédit et ce qui était une “ géniale improvisation ” est devenu étrangement un “ truc pas possible ”, bien qu’il s’y passe toujours autant d’événements artistiques et de valeur. Comment, par ailleurs, pourrait-on inciter une telle entreprise à renoncer à elle-même quand tant de discours invite à une décentralisation culturelle qui ne soit pas une simple reproduction de ce qui se fait ailleurs, fut-ce dans la capitale, mais qui se fonde sur une création authentique, autonome, fonction du lieu et du temps. Bref, cet art de la vie et cette vie dans l’art dont le besoin se fait tant sentir aujourd’hui. Aussi, nombre d’artistes et d’amis ont-ils décidé d’organiser cette année un “ Uzeste Musical à Paris ”. Il ne s’agit pas d’une manifestation de soutien faisant appel à “ Vot’bon cœur ”, mais d’une grande soirée artistique à l’image de ce qui se fait l’été dans les Landes girondines et destinée à montrer qu’“ Uzeste Musical ” doit vivre, que le règlement de ses problèmes de gestion qui ne sont pas niés doit être facilité et non aggravé. Ils veulent faire de cette soirée une fête de la création, de l’improvisation artistique avec le public désireux de pouvoir aussi goûter à d’autres plaisirs que ceux de la consommation rituelle de produits sans histoires. ”255

Par cet acte rassembleur et de communication autour d’un état de crise, le festival montre sa conviction et sa détermination à lutter pour sa survie. Il met alors en œuvre dans ce combat tous ses moyens originaux et fait appel au soutien et à la solidarité du public et des intervenants au festival, tous considérés ensemble comme une communauté rassemblée autour du projet Uzeste Musical. Ainsi en témoigne ce tract distribué pour construire un « Réseau Uzeste ».

“ Réseau Uzeste

255 Texte dactylographié (?) sur deux feuilles volantes trouvées dans “ Archives de la Cie… ” au verso d’une feuille manuscrite de Bernard Lubat. Ce texte, non daté et non classé, ayant donc été trouvé au hasard des archives, je ne peux affirmer avec certitude s’il s’agit d’un texte diffusé en lors de la soirée du 14 avril 1984 ou de la dernière journée d’ “ Uzeste Musical à Paris ” le 14 juin 1985. La référence à un seule soirée et la promesse de continuation me fait pencher pour la date de 1984.

82 “ Des artistes, des gens très divers qui apprécient ce qui se fait depuis six ans à Uzeste et l’action de Bernard Lubat se sont retrouvés pour que Vive Uzeste Musical. C’est ainsi qu’a été conçue et réalisée la fête du 14 Avril à Montreuil et c’est ainsi qu’elle aura des prolongements. Plus que d’une association, il s’agit de contributions, de concours apportés par des musiciens, des artistes, des professionnels de toutes disciplines, des personnes aux capacités les plus variées, des participants à la recherche du plaisir de la découverte, chacun prenant en charge sa propre intervention, autrement dit, si l’on veut, d’un réseau de circulation d’idées, de suggestions, d’échanges. Donc, si vous voulez “faire quelque chose”, si vous voulez apporter à Uzeste ou avant Uzeste : une contribution ; un coup de main ; un relais de d’information ; inscrivez simplement vos : -nom, prénom, profession, propositions, adresse, remarques…”256.

256 Tract trouvé dans “ 1986 Ateliers Festival ”.

83 Chapitre III : 1985-1988 les années “ Vive Uzeste Musical ”

L’année 1985 voit une rupture brutale dans la vie du festival, avec la liquidation judiciaire, le 16 avril 1985, de l’association “ Uzeste Musical ”. L’association morte, la survie du festival est donc sérieusement mise en danger. Néanmoins l’équipe UM/Cie n’entend pas s’arrêter là et proclame le festival vivant : “ Uzeste Musical ” est mort “ Vive Uzeste Musical ”. “ Vive Uzeste Musical ” (VUM), ainsi s’appelle la nouvelle association montée le 8 juin 1985 pour pouvoir continuer le festival, tout à la fois déjà une tradition (avec huit éditions), mais encore et toujours un terrain d’expériences et un projet en développement.

A) Uzeste Musical est mort, Vive Uzeste Musical

1) Chuter/rebondir

Une situation paradoxale

Un long article publié dans Sud Ouest consacré à la Cie Lubat et à son association, nous apprend combien l’année 1985 est pour la Cie Lubat une année importante du point de vue de la reconnaissance officielle et de la renommée.

“Tout va bien pour Uzeste musical. Après les compliments appuyés de Jack Lang à Bernard Lubat, les musiciens d'Uzeste sont invités au carnaval de Venise ! On se souvient encore de quels propos louangeurs Jack Lang a salué récemment l'aventure artistique que Bernard Lubat développe à Uzeste. Répondant aux questions de “ Sud-Ouest ” (notre édition du 23 janvier)257, le ministre de la culture avait notamment parlé de l'artiste de “ grand talent ” et de “ l'expérience belle, intelligente et riche ”. Cette très officielle reconnaissance de la qualité du travail fourni à Uzeste tenait un peu de la réparation de dettes. Paris venant en l'occurrence donner à penser aux élus locaux, aussi vrai que les propositions de Bernard Lubat n'avaient guère été comprises sur place jusque-là… La gerbe de fleurs du ministre cachait naturellement de jolies épines. Griffant aussi bien la conduite interne du projet que l'inconduite de ceux qui

257 Sud Ouest 23 janvier 1985 “ Jack Lang dans le Sud Ouest. Les dossiers chauds de la culture. ” Propos recueillis par Dominique Godfrey et Philippe Ducos. “ En Aquitaine, deux personnalités de premier plan dans le domaine du jazz ont des difficulté Bernard Lubat et Jean Courtioux. L'Etat est-il disposé à leur apporter son soutien financier? - Jack Lang : Lubat est un artiste de grand talent et son festival a été aidé par le ministère de la culture pour la première fois en 1982. puis en 1983. Il n'avait jamais reçu de l'Etat la moindre subvention avant mon arrivée. Bernard Lubat a reçu environ 500 000 F d'aide publique en 1983. Il a enregistré un déficit, c'est vrai. Mais la puissance publique qui, face à l’opinion est comptable du bon usage des deniers publics, ne peut pas en permanence, ou par principe, s’engager à couvrir des déficits. Je souhaite que la situation d'Uzeste Musical s'améliore et que dans des conditions de gestion assainies, nous puissions de nouveau apporter à Bernard Lubat un soutien. Si les collectivités locales veulent bien le suivre, nous pourrons alors poursuivre l'expérience d'Uzeste Musical, expérience belle, intelligente et riche. Oui à un coup de main comme nous l'avons fait, non à la couverture systématique du déficit. ”

84 auraient dû aider à le développer dans la région. Bref, renvoi aux 22. C'est-à-dire ici. Et salut aux bons entendeurs ! Comme pour bien rappeler l'estime dans laquelle on tient Bernard Lubat dans les ministères, il a été demandé à Uzeste musical ainsi qu'à quelques autres artistes, de représenter la France au tout prochain carnaval de Venise. (…) Autres bonnes nouvelles d'Uzeste : Bernard Lubat a donné le 31 janvier un concert public de piano solo pour le producteur de Radio-France, André Francis. Ce récital devrait se prolonger bientôt d'un disque. Quant au premier 33t de la compagnie, “ l'Idiome Sandwiche ”, il sortira le 25 mars chez Chant du monde. Deux jours avant, Bernard Lubat passera à “ Champs Elysées ”, l'émission que l'on sait, en compagnie de Marcel Azzola et de Marc Perrone. Gros trio d'accordéon. Du 3 au 9 juin, la Compagnie Lubat “ fera son premier Olympia ”. Avec la complicité de Marcel Azzola et de son pianiste et de Marc Perrone et ses trois musiciens. Et chaque soir, des invités différents. Du genre: Colette Magny, Claude Nougaro, Marie-Paule Belle, Rosine et Martine de Peira, Frédéric Lodéon, Maurice Vander, Pierre Michelot, Astor Piazzola, ... D'octobre à novembre, le ministère des relations extérieures fera tourner la Compagnie en Yougoslavie, Turquie, Bulgarie, Syrie, Irak, Jordanie, Israël, Egypte. Et en avril 1986, la Compagnie participera à un festival mondial de Percussions aux Antilles. ”258

Reconnue pour sa qualité scénique à travers l’engagement dans des festivals internationaux majeurs, la Cie Lubat accumule cette année les succès et la reconnaissance : après l’engagement au mois de février au Carnaval de Venise, elle est aussi invitée au International Jazz Festival de Zürich au mois d’octobre 1985 ; elle est fixée sur support audio, après 9 ans d’existence, avec une première et très attendue publication sonore259, et sur support audio-visuel, avec un film du documentariste de talent Richard Coppans260. Se perpétue et s’accentue en revanche un paradoxe dont cet article est une illustration parfaite. L’allocution élogieuse de Jack Lang à Bordeaux montre le mouvement de reconnaissance en faveur de la Cie, mais révèle aussi la situation dans laquelle elle se trouve : les succès qu’elle enregistre (hausse de la fréquentation, reconnaissance nationale et internationale) ne s’accompagnent pas des moyens financiers qui lui permettraient de faire face à ses besoins et à ses ambitions. Sur le plan local, la municipalité, déjà peu favorable, prend la décision pour l’année 1985 de lui retirer son concours et d’interdire la tenue du festival sur le territoire d’Uzeste. Il s’agit là, nous le verrons, d’un paradoxe constant du destin de la Cie Lubat et de son festival.

Ce même article se prolonge par l’annonce des représentations prévues de la Cie Lubat. Le calendrier 1985 y apparaît copieux. Bien qu’inscrit dans un circuit officiel (délégation française au Carnaval de Venise et concert à l’Olympia), ce calendrier conserve une sorte de marque de fabrique Cie Lubat. Ainsi pour son contrat à Venise la compagnie emmène avec elle un car rempli de Lous Pignadas et de SOS Orchestra, et convoque pour son Olympia, tous ses amis du moment, déjà passés à Uzeste : la Cie Lubat lorsqu’elle quitte sa base uzestoise transporte désormais avec elle tout son festival. Comme lors de son Uzeste à Montreuil, elle s’efforce le plus souvent possible de rassembler ses amis prestigieux et ses trublions locaux, de se refaire festival.

258 Jean Eimer “ La Cie Lubat au Carnaval de Venise ” Sud Ouest, 12 février 1985. 259 Le premier (et très attendu) disque de la Compagnie : “ L’idiome sandwich ” (chansons swing de Bernard Lubat accompagné de la “ Nouvelle Cie Lubat ” chez Le Chant du Monde ) enregistré dans le courant de l’année 1984 sort en mai 1985. 260 Le film de Richard Coppans “ Lubat Musique, Père et Fils ”, tourné lors du festival estival 1982 et produit par l’INA est diffusé sur la chaîne nationale A2 le 19 mai 1985 à 21h30.

85 Sortons donc un peu avec la Cie Lubat hors de sa base uzestoise pour la suivre dans ses activités multiples dont nous verrons qu’elles sont, pour ces années 1985-1986, tout à la fois riche en événements, et importantes en répercussions sur le festival estival.

De retour du Carnaval de Venise, la Cie est invitée (le 20 avril 1985), au Vème Festival Occitan d’, festival dont elle connaît bien l’organisateur : Patrick Lavaud*, et dans lequel elle s’était déjà produite en 1984 avec Claude Marti et Rosina de Peira. Celui-ci a l’idée de faire se rencontrer (en une soirée pluri-disciplinaire) la Cie Lubat et le poète gascon Bernard Manciet*261, qui propose d’ajouter à la rencontre le peintre Pierre Venzac. Bernard Manciet, créateur intransigeant, qui ne s’est jamais produit en public, n’accepte que parce qu’il trouve le projet intéressant. Spectacle donné en clôture du festival, la rencontre des trois créateurs affirmant résolument le choix d’une création artistique sans concession eut presque l’effet d’une bombe dans le milieu occitaniste. Cette rencontre, restée dans les mémoires262, inaugure une longue collaboration entre les deux Bernard (Manciet et Lubat), certains parlant même de la rencontre de deux titans.

“ Dans l'ombre, je n'existais plus. J'étais devenu une voix. Mais pas la mienne. A mon étonnement, j'avais retrouvé l'accent le plus rude et le plus âpre de ma Grande Lande. La respiration de l'auditoire, je la sentais, je la prenais. Je la perdais aussi, avec l'envie alors de laisser tout en plan (...) Mais j'avais pour moi, d'abord l'ascendant de Lubat, et ensuite mon patois. J'avais reconnu ce souffle court et haché, un peu autoritaire des foules de chez moi. Nous étions sur la même longueur de respiration, qui me portait. Je ne sais plus exactement ce que j'ai fait. Je ne comprenais plus trop moi-même mes textes. "Eux" non plus, sans doute, mais nous les ressentions avec les mêmes viscères. Entre bêtes de même race. ” 263

Notons dès maintenant que ce festival d’Eysines, où la Cie retourne en 1986 et 1987, a une importance majeure pour les rencontres que la Cie Lubat eut l’occasion d’y faire. Claude Marti et Rosina de Peira en 1984, Bernard Manciet en 1985, et Claude Sicre*264 lors de l’édition 1986.

Uzeste à Montreuil

Après Eysines 1985, la Cie monte à Paris. D’abord pour un concert “ Soufflet Swing ” (évoqué dans l’article de Sud Ouest déjà cité ci-dessus) les 3 et 4 juin à l’Olympia avec Marc Perrone et Juan Jose Mosalini puis pour une deuxième édition d’ Uzeste à Montreuil. La réussite du premier épisode, en 1984, conduit à renouveler l’expérience l’année d’après. Elle se déroule cette fois-ci non plus sur une soirée mais sur une semaine, développant un projet intitulé Musique ville ouverte s’inscrivant dans la durée et dans le territoire.

261 Né en 1923 à Sabres, mort en juin 2005. Poète et écrivain de langue gasconne et française, ami de Felix Marcel Castan. 262 Une publication : “ Eisinas 85, B. Manciet, P. Venzac, B. Lubat. Trois artistes se rencontrent… ”, Occitania Viva, Princi Negre Editor, 1986, p.78., relate dans le détail cette rencontre. Y sont également retranscrits des interviews de Patrick Lavaud et de Bernard Lubat, des poèmes de Bernard Manciet et des dessins de Pierre Venzac. 263 Bernard Manciet "Eisinas 85", texte retranscrit dans le programme de la soirée “ Entendre Manciet ” organisée en 1990 (le 17 février), trouve dans le classeur Presse n° 9, 1990. 264 Ecrivain, ingénieur en folklore, musicien musicologue, militant occitan de Toulouse.

86 « Renouvelant l'expérience de l'an passé, Bernard Lubat présente, du 8 au 15 juin à l'aube, la deuxième édition de “ Uzeste à Montreuil ”.Innovation cette année, les artistes vont, pendant toute la semaine, jouer avec les habitants de la ville sur les lieux de travail. “ Uzeste a Montreuil ” est le complément parisien de “ Uzeste musical ”, le festival organisé en août par Bernard Lubat dans cette localité girondine. Au programme, entre autres, une confrontation musicale entre la musique africaine et Bernard Lubat (8 juin), un duo Eddy Louiss-Bernard Lubat (11 juin), un rallye musical (12 juin). Les festivités prendront fin le 14 avec douze heures de swing qui offriront pèle-mêle Eddy Louiss, Marc Perrone, un hommage à Kenny Clarke et un concert Mozart-Bach réunissant Frédéric Lodéon, Daria Hovara et Michel Portal. Une escapade en région parisienne pendant laquelle Bernard Lubat trouvera cependant le temps de revenir à Bordeaux: il y sera présent le 13, en soirée, à la patinoire de Mériadeck, pour animer, avec Pierre Perret, le gala du congrès national de la C.F.D.T. Un cassoulet au Sauternes : tout un programme. ”265

On a, avec ce festival montreuillois, un exemple des plus illustratifs de ce que nous avons évoqué plus haut. Cette pratique qu’a la Cie Lubat de transporter avec elle tout “ Uzeste Musical ” recréant et faisant ainsi perdurer la “ communauté ” rassemblée lors de l’événement estival uzestois.

“ Et puis, vendredi, Nougaro revenu, des moments de musique rares : un trio Lubat-Eddy Louiss-Portal qu'on n’a pas vu depuis longtemps, des percussions en hommage à Kenny Clarke l’Américain de Montreuil, en présence de Daisy, sa femme ; deux merveilleux guitaristes brésiliens266…Tous les musiciens et les connaisseurs qui y sont passés vous le diront. Le “ Vive Uzeste Musical ” de Montreuil est unique. Il est unique par la liberté qui est donnée à des artistes parmi les plus talentueux les plus sincères, les plus exigeants, les plus “ fous ” de créer. Il n'y a pas de fossé entre des vedettes qui en imposent et un public simple consommateur. Avec Uzeste à Montreuil , tout est faire, tout est à inventer du côté des artistes, du côté du public, du côté des animateurs, du côté durs élus. ”267

Lors de ce second festival montreuillois la transplantation réussie de la Cie Lubat/Uzeste Musical, prouve par là la force de son identité (notamment à travers cette communauté rassemblée) et la pertinence de ses pratiques et ses questionnements.

Liquidation judiciaire

Comme lors de la première édition, Uzeste à Montreuil est aussi l’occasion (et cela constitue même un des objectifs de la manifestation) de parler des difficultés rencontrées par le festival uzestois ; de communiquer et de développer le discours à la fois militant et offensif de Bernard Lubat et de son équipe qui dénoncent les menaces qui pèsent sur le festival (tentatives de discrédit, tracasseries administratives, manque de soutien financier). Ils avaient déjà sonné l’alarme en 1984, en 1985 les choses se sont singulièrement aggravées. En effet depuis le 16 avril 1985 l’association Uzeste Musical a été liquidée judiciairement.

265 Sud Ouest 6 juin 1985 : “ Hot Lubat ”. 266 Celso et … Machado, que l’on va retrouver au festival estival… 267 Charles Silvestre. “ Uzeste à Montreuil. Des chercheurs d'or. ”, juillet 1985 sans référence de journal dans le classeur

87 Uzeste à Montreuil : moment fort de la revendication. Et lors de cette deuxième édition, l’équipe UM/Cie y organise la résistance et y puise l’élan de la continuation. C’est en effet le premier jour du festival montreuillois (le 8 juin) qu’est créée l’association (loi 1901) qui prend le relais de la morte “ Uzeste Musical ” : “ Vive Uzeste Musical ”. Le bureau est composé de Laure Duthilleul* (Présidente), Francis Gendron - directeur de la “ Maison Populaire ” de Montreuil, avec qui s’organisent “ Uzeste à Montreuil ” en 1984 et “ Vive Uzeste Musical ” à Montreuil en 1985 - (Secrétaire), Marc Perrone* (Secrétaire Adjoint), Patrick Lavaud* (Trésorier) et Francis Lassus (Trésorier adjoint)268.

Pour ne pas rester sur cette annonce brutale de la mort de “ Uzeste Musical ”, un bref retour sur les finances de l’association clarifiera comment elle en est arrivée à la liquidation judiciaire269. Depuis 1982 - année dont nous avons vu les grandes dépenses pour le festival estival, l’ouverture du cinéma - les problèmes financiers s’accumulent. Au début de l’année 1984 un “ Tableau récapitulatif de la dette ” (au 31 janvier 1984) fait état d’une dette de 1 796 526, 59 F.270. Chaque édition du festival estival ajoutant au déficit (malgré des subventions toujours plus réduites, l’équipe UM/Cie réussit à réduire la marge déficitaire de chaque édition estivale), et les efforts de l’équipe UM/Cie pour réduire ses dettes n’aboutissant pas à des résultat assez rapides (les musiciens payant souvent de leur poche sur les bénéfices des contrats de la Cie), une procédure de liquidation judiciaire est enclenchée contre l’association Uzeste Musical et aboutit le 16 avril 1985.

Cette liquidation judiciaire a pour conséquence, en théorie, l’annulation de toutes les dettes de l’association, celle-ci n’étant pas solvable. Cependant, si l’équipe veut continuer à organiser le festival, elle doit pouvoir continuer à travailler avec ses fournisseurs (matériels technique et instrumental, fournisseurs de boissons, etc.) ; si elle n’honorait pas ses dettes, aucun de ses fournisseurs ne voudrait plus travailler avec elle et, sa réputation de mauvais payeur la précédant, elle ne pourrait pas non plus en trouver de nouveaux. L’équipe entreprend alors des tractations pour monter une structure à la fois neuve et indépendante, mais qui assume en partie les dettes de l’ancienne structure (de Uzeste Musical à Vive Uzeste Musical, la continuité est bien affirmée et la discontinuité ne peut duper personne). Il est donc convenu avec le liquidateur de l’ancienne structure (Me Audinet) que la nouvelle association “ Vive Uzeste Musical structure rachète l’actif d’ “ Uzeste Musical ” pour un montant de 200 000 F. Ces négociations, commencées par Pierre Scheidt (qui après le départ de Raoul Toesca, puis celui d’Ulysse Renaud, se retrouve chargé de l’administration de l’association et de la Cie), seront reprises par la suite par la nouvelle équipe du festival qui se constitue courant 1985.

2) Nouvelle équipe, nouvelle base territoriale, nouvelle organisation du festival

L’année 1985 est une période de nombreux chassés-croisés : il est difficile d’établir avec précision les dates de départs et d’arrivées. Un premier changement d’importance avait

268 Dans “ VUM, Statuts… ” “ Procès verbal de déLibération de l’assemblée générale de l’association : 8 juin 1985 ” 269 Un exposé financier plus détaillé se trouve plus loin. 270 “ Tableau récapitulatif de la dette au 31/01/1984 ” dans “ Festivals Comptes financiers 82-83".

88 déjà eu lieu en 1984 lorsque Laure Duthilleul*, compagne de Bernard Lubat depuis 1981, qui participait de loin au festival, avait décidé de s’y investir pleinement. Nous verrons par la suite l’importance de sa contribution et de son travail au sein de l’équipe UM/Cie.

Pour ce qui est de la Cie Lubat, il semble que les changements commencent avec le départ de Thierry Farrugia en avril 1985. Après ce départ, la Cie se réduit pendant une courte période (d’avril à août) à quatre musiciens : Bernard Lubat, Francis Lassus, Patrick Auzier et Pierre Scheidt. Mais pour le festival 1985 elle s’étoffe de nouveaux musiciens tels Akim Bournane (basse, qui avait déjà fait un passage dans la Cie), Dédé Minvielle* (chant et percussion), Francis Mounier (saxophoniste de Langon), Philippe Lacarrière (contrebassiste de Bordeaux) et Gilles Hourcade (régisseur plateau) qui sont ajoutés au programme du festival.

De ceux-là, seul André Minvielle va devenir un permanent de la Cie Lubat. Dès après cette édition, le couple des Minvielle (André* et sa femme Martine271), s’engagent résolument dans l’aventure. Pierre Scheidt, lui (qui, après Raoul Toesca et Ulysse Renaud, avait assumé les fonctions de secrétaire/administrateur en plus de celles de musicien), quitte la Cie après le festival 1985, en octobre. C’est à ce moment, avec un court moment de cohabitation (de juin à octobre), que se monte une nouvelle équipe administrative. Patrick Lavaud*272, trésorier au conseil d’administration de la nouvelle association Vive Uzeste Musical, introduit un comptable de sa connaissance : Francis Fondeville qui devient très vite l’administrateur de la nouvelle structure. Depuis le départ de Raoul Toesca, (mais à la différence de celui-ci, il durera plus longtemps qu’une saison, et fut beaucoup plus économe) c’est le premier administrateur « professionnel » dans l’équipe du festival. Nous en verrons rapidement les effets notamment par son travail en binôme avec Laure Duthilleul.

Pour l’édition 1985, le conseil municipal d’Uzeste décide (séance du 9 juillet273) “ de ne plus autoriser d’implantation, de quelque ordre qu’elle soit, à l’intérieur de l’agglomération ”. Ce n’est qu’après intervention du sous-préfet, que, lors de sa séance du 2 août, maintenant “ sa décision de ne rien prêter à l’Association “ Vive Uzeste Musical ” et de ne permettre aucune manifestation ou spectacle à l’intérieur de l’agglomération, sur tous terrains et propriétés quels qu’ils soient ”, il accepte “ à titre exceptionnel ” d’autoriser

271 Martine Minvielle, s’engageant dans le volet administratif de l’équipe UM/Cie. 272 Organisateur du festival occitan d’Eysines et qui était présent au festival estival en tant que bénévole (avec la clé des ondes notamment) depuis 1982. 273 9 juillet 1985, “ Association Uzeste Musical ”, Monsieur le Maire fait savoir au Conseil municipal que l’Association “ Uzeste Musical ” est en liquidation judiciaire par décision du Tribunal de Grande Instance de Bordeaux en date du 16 avril 1985. Cette association doit à la Commune d’Uzeste, la somme de 5 679, 80 francs. Cette somme représente le montant des vacations payées au Sapeurs- Pompiers pour le service assuré pendant les festivals, Association “ Vive Uzeste Musical ”, Monsieur le Maire fait savoir au Conseil Municipal que Madame la Présidente de l’Association “ Vive Uzeste Musical ” demande pour le festival 1985, le prêt de matériel communal, de la salle des fêtes, la fourniture d’eau potable et la participation des Sapeurs-Pompiers., Après délibération, le Conseil Municipal,, -Considérant que madame la Présidente à organisé le festival à Uzeste sans solliciter aucune autorisation,, -Considérant qu’il est impossible à l’autorité municipale d’assurer la sécurité et la salubrité publique, la libre circulation et la tranquillité publique,, -Considérant les nombreux abus et délits commis les années précédentes,, Décide par 8 voix contre 2 (MM. Seguin* et Bordes) de ne prêter aucun matériel à l’Association “ Vive Uzeste Musical ” et de ne plus autoriser d’implantation, de quelque ordre qu’elle soit, à l’intérieur de l’agglomération.

89 l’installation “ dans la prairie de M. Cazaubon, à l’exception de toute autre implantation, le Bureau d’accueil et un débit de boisson de 2ème catégorie… ”.

Le dialogue avec la municipalité étant ainsi complètement bloqué (au point d’en recourir au sous-préfet comme “ médiateur ”), l’équipe UM/Cie, anticipant ces difficultés, choisit d’établir le siège de “ Vive Uzeste Musical ” à Villandraut dans les bâtiments du cinéma François Mauriac. Cet exil volontaire est à la fois symbolique et stratégique. L’établissement du siège social de la nouvelle association à Villandraut, permet en effet à l’équipe UM/Cie de dépendre d’une autre commune et donc d’avoir comme interlocuteur un autre élu. Jusqu’alors le centre névralgique était Uzeste (le siège social de l’association étant chez Alban Lubat). En s’établissant à Villandraut, la nouvelle association, association de combat, constituée pour faire face à la difficulté, se conçoit comme temporairement exilée avant de pouvoir rentrer dans son lieu natal : Uzeste.

Nouvelle équipe, nouvelle base territoriale, on voit bien là une autre période s’ouvrir. Il semble que cet exil à Villandraut, donne à l’association un nouvel élan et une plus grande ampleur.

Le festival 1985 : la revanche par le gigantisme

Eu égard à toutes ces difficultés financières et de tous ces remaniements (structurels et territoriaux), l’édition 1985 du festival estival surprend par son gigantisme et son ambition. Comme si l’équipe VUM/Cie voulait prendre sa revanche sur le destin, et relever le défi, l’édition qu’elle programme en 1985 s’étend sur neuf jours274 et trois communes (Préchac, Villandraut et Uzeste). Une telle expansion spatiale et temporelle est sans précédent. Edition au long cours, de longue haleine, il faut néanmoins percevoir certaines variations de rythme. Ainsi, le lundi, premier jour à Villandraut après le week-end à Préchac et La Trave, n’est programmé qu’un concert du soir275. A part cette petite pause, le festival fait preuve d’une grande intensité, les invités s’y investissant sans doute beaucoup plus que dans les autres éditions certains étant programmés presque tous les jours (selon diverses configurations : spécialité lubat-uzestienne nous l’avons vu). Un foisonnement qui se perçoit également dans le développement des “ multi-scènes ” élargissant la programmation avec plusieurs concerts proposés simultanément.

Le premier jour du festival 1985 se déroule à Préchac. Y sont investis le “ Stade municipal ”276, la “ Place de l’Église ”, l’ “ Église romane ” et le “ Cercle de la Paix ”. Le second jour voit le festival s’installer à La Trave (“ quartier commun aux communes d’Uzeste et de Préchac, à cheval sur les rives escarpées de la sauvage rivière gasconne : le Ciron ”) sur les “ berges du Ciron ” (rive d’Uzeste) et dans le “ Château de la Trave ”. Les trois jours suivant se déroulant à Villandraut, on retrouve, pour les spectacles des lundi, mardi et mercredi des lieux déjà utilisés lors des éditions 1983 et 1984 (Château de Villandraut,

274 Festival 1985 : durée : 9 jours : du 17 au 25 août (samedi, dimanche, lundi, mardi, mercredi, jeudi, vendredi, samedi, dimanche). horaires : 12h00,0h30,, 10h00,0h00,, 22h00,0h00,, 12h00,0h00,, 12h00,0h00,, 11h00,1h00,, 11h00,0h30,, 11h00,1h00,, 11h00,2h00. 275 Cette pause est déplacé par un changement de programme de dernière minute au mardi. Le lundi se trouve donc re-rempli, et le mardi est programmé le seul concert du soir : “ Couleur de Blues ou Leurre du Coup d’Artifice ” 276 Tous les noms de lieux sont tirés du programme 1985

90 Terrasse du Café “ Les Tilleuls ”, Terrasse du Cinéma François Mauriac, Cour de la Mairie, Micro Théâtre Reiser, Cinéma François Mauriac, Berge du Ciron, Salle des Fêtes).

Puis le jeudi, le festival fait son “ entrée triomphale ”277 (et sonore) dans Uzeste avec un “ Maxi Bœuf Swing Jazz/Occitanie/Brésil ” de 11h30 à 12h30 sur le Pré Cazaubon278 (pré appartenant à Roger Cazaubon, violoniste des Pignadas, situé en plein centre du village, en contrebas de la collégiale). Sans doute le festival donne-t-il ainsi sa réponse aux oppositions de la municipalité. Durant quatre jours (de jeudi à dimanche), le festival investit le village, outrepassant l’interdiction municipale279 et s’installe sur des terrains privés non municipaux, comme le Pré Cazaubon évoqué ci-dessus, ou chez des particuliers. Concerts et spectacles à “ l’Estaminet ”, au “ Lieu dit Pilet ”, “ Chez Lo Trin ”, “ Chez René Planton ”, “ Chez Etienne Bordes280 ” ; trois chapiteaux, un “ Airial ” (baptisé “ Airial Arbrorigène ” en référence aux statues de l’édition 1983), “ cinq kilomètre dans les forêts d’Uzeste ”, et des “ multiscènes ” chez “ Bouic/Arzac ”, au “ Pilet ”, chez “ Mickey ” et chez “ Carrossier ” ; le village d’Uzeste n’a sans doute jamais été autant investi que lors de cette édition 1985 !

1986 : difficultés d’organisation

Si le titre du festival, “ 9ème Uzeste Musical. Festival International d’expression artistique vivante ”, est beaucoup plus impressionnant, le festival 1986 est d’une ampleur moindre. Finie l’extension sur trois communes et deux semaines : celui-ci ne dure que 3 jours (vendredi, samedi,dimanche)281 et se déroule entièrement à Villandraut, sauf quelques concerts du soir à l’Estaminet (“ Swing Club ” au Café l’Estaminet).

Dès la fin de sa première année d’exercice, la nouvelle association se retrouve en grande difficulté sur le plan des finances. En effet, l’édition 1985, subventionnée à hauteur de 290 000 F., s’est soldée par un déficit d’exploitation de 297 403,00 F.282 (les dépenses s’élevant à 771 678,00 F. et les recettes à 474 265,00 F.). Il faut y ajouter un déficit de 52 886,00 F283 pour l’édition de Noël 1985 (avec 169 371,00 F de dépenses et 116 485,00 F. de recettes). Le bilan de la fin de l’année 1985 calcule (avec la “ reprise du passif d’Uzeste Musical ” de 735 223,2 F.) une dette totale de 1 176 944,00 F.284.

“ Lubat n'est jamais aussi bon que dans l'adversité. C'est un teigneux, un battant, une boule d'énergie. Les difficultés l'excitent. Le maire de son village natal lui interdit toute représentation en des lieux publics uzestois285, les finances de son association “ Vive Uzeste

277 Dans Le Petit Journal, journal-programme du festival… tout comme les noms de lieux mis entre guillemets. 278 Le Pré Cazaubon : pré appartenant à Roger Cazaubon, violoniste des Pignadas, situé en plein centre du village, en contrebas de la collégiale. 279 Voir note supra. 280 Dont nous avons vu ci-dessus qu’il siège au conseil municipal dans l’opposition. 281 Horaires : 11h30,0h30,, 11h30,1h00,, 10h00,1h00 282 “ Bilan du Festival Estival de Vive Uzeste Musical au 15 septembre 85 ”, dans“ Festivals Comptes financiers 82-82. 283 “ Bilan “ Noël Musical sous les Pins ” ” [“ Doc Festival 86-87 ”, reliure trombone] 284 “ Bilan au 31 décembre 1985 ” [“ VUM, Statuts… ”, “ Uzeste Musical VUM ”] 285La confrontation sur ce point avec le cahier des déLibérations des séances du Conseil municipal est assez déroutante : séance du conseil municipal d’Uzeste du 29 juillet 1986, “ Festival “ Vive Uzeste

91 Musical ” sont en très mauvais état, il ne sait pas quand les subventions promises arriveront ? Qu'à cela ne tienne. Une chose l'obsède : qu'Uzeste Musical continue. Il ne peut même pas imaginer une seconde que le dixième anniversaire ne puisse être fêté l'année prochaine. Alors, il s'adapte aux événements, aux moyens disponibles (humains, financiers, techniques). En émigrant dans le bourg voisin de Villandraut. En raccourcissant. En lançant un appel à tous ses amis musiciens célèbres pour qu'ils viennent “ sauver ” Uzeste (en venant jouer gratuitement pour l'occasion, ou presque). Voilà pourquoi Uzeste 86 n'eut pas lieu à Uzeste, ne dura que 3 jours au lieu d'une semaine et se déroula dans la cour du Château de Villlandraut (à peine mille places) au lieu des énormes chapiteaux de ces dernières années. ”286

Ainsi, sur fond de difficultés financières, le festival n’en revendique pas moins sa dimension internationale.

L’exclusivité de lieux à Villandraut, si on retrouve d’une part des lieux déjà utilisés, nécessite également un aménagement plus organisé. Ainsi les activités (stands, buvettes, accueil, podium radio et “ Marché du Festival ”…) sont regroupées dans la place centrale de Villandraut : la “ Place du Général de Gaulle ”. Est installé également, à côté du Ciron287, un “ Restaurant du Festival ” baptisé “ Guinguette Blues ”. Le cinéma François Mauriac accueil le “ Cinestival ” et les poèmes de Christian Laborde et Serge Pey. Le “ Château du Pape ” accueil les grands spectacles, et l’Estaminet les “ Swing Club ” du soir. De la “ Place Gambetta ” au “ Bosquet du Château ”, des “ Berges du Ciron ” à l’“ Eglise ”, les cafés “ La Crémaillère ”, “ Les Tilleuls ”, “ Le Goth ”, “ Le Médiéval ”, et la “ Salle des Fêtes ”, tout le centre de Villandraut est investit. Tout les soirs à 18 h, les “ Multi-scènes ” permettent d’éclater le public entre différentes manifestations.

Remercions ici le témoin qui nous livre des informations précieuses, tel ce journaliste de Jazz Magazine, relatant sa surprise face à une nouveauté : une plus grande organisation du festival. Nous reprenons ici l’article cité ci-dessus là où nous l’avons coupé :

“ Voilà pourquoi aussi Uzeste 86 ressemblait tant, apparemment, aux premières éditions de l'enfant terrible des festivals d'été. Curieuse impression que l'essentiel de la démarche de Lubat (avec ses qualités et ses défauts) n'avait pas changé. Et en même temps aussi, l'impression que bien des choses avaient beaucoup évolué. Sur certains points, bizarrement même, comme cette présence envahissante, maladroite et violente parfois d'un service d'ordre spécialisé dans les concerts de rock (ce qui n'est pas franchement idéal ici). Comme, aussi, liée à la remarque précédente, cette obsession d'une gestion rigoureuse, qui a amené des heurts et incompréhensions avec de vieux amis du festival et avec des “ anciens combattants ” d'Uzeste, mal préparés à un tel virage idéologique. ”288

Musical 1986 ., Monsieur le Maire donne lecture d’un article concernant “ Vive Uzeste Musical ”, parut dans Sud Ouest Dimanche 15 juin 1986. Dans cet article la municipalité d’Uzeste est accusée d’avoir interdit toute organisation du Festival sur le territoire de la commune d’Uzeste. Monsieur dément formellemnt cet article tendantieux écrit par Monsieur Lopez., A ce jour, il n’a été reçu aucune demande concernant l’organisation, sur le territoire de la commune d’Uzeste, de ce festival pour 1986. Aucune interdiction n’a pu être faite à une demande qui n’a pas été formulée. ” dans AM, Registre des délibérations. 286 P.-H. Ardonceau “ Uzeste ”, Jazz Magazine, novembre 1986. 287 Voir présentation géographique au chapitre 1… 288 P.-H. Ardonceau “ Uzeste ”, Jazz Magazine, novembre 1986.

92 Si l’“ obsession d’une gestion rigoureuse ” peut être interprétée comme une réponse aux problèmes financiers, que penser du “ service d’ordre ” ? Il faut prendre ces deux points comme un ensemble, marquant bien un changement dans la gestion du festival, à la tête duquel est arrivé, rappelons-le, une nouvelle équipe avec un administrateur. Ceci nous renvoie au mouvement de professionnalisation de l’organisation du festival, dont nous verrons qu’elle se renforce.

93 B) 1985-1986. Vers un « Festival international d’expression artistique vivante »

1) Cinéstival, cinambule, radio et quotidien provisoire

Néanmoins, de l’avis de ce même témoin, le festival ne perd pas pour autant son caractère.

“ Les lecteurs fidèles de Jazz Magazine savent qu'Uzeste n'est pas un festival comme les autres. D'abord ce n'est pas un festival dit de jazz. Ici on cultive les différences, “ on oblige les gens et les styles à cohabiter ” (L. Sclavis). L'enfant de Lubat, à l’image de son papa, est une gigantesque boite à musiques diverses. Spectateurs et musiciens viennent ici en sachant (en tout cas ils devraient le savoir) qu'ils vont prendre des risques. Les programmes sont basés sur l'hétéroclite et la surprise. ”289

Dans la continuité des éditions 83 et 84, certaines pistes sont approfondies : celle du cinéma et celle de la parole.

Le cinéma François Mauriac étant devenu le siège de l’association, le volet cinéma se développe d’autant plus. Lors de l’édition 1985, le cinéma devient itinérant grâce au “ Bus Cinambule d’Utopia ”290 et à ses projections en plein air sous les cieux étoilés : “ cinéma de minuit ”. Les trois dernières pages du programme sont consacrées au cinéma et annoncent :

“ Les “ ciné-fêtes ” d’Uzeste Cinémal : rencontres de Films et d’Hommes d’images. (…)Le bus “ cinambule ” suivra le festival musical jours après jours.Selon le vieil adage : “ Il n’y a pas de Musique sans Image ” (…) journée de rencontre André Labarthe / J. Rozier (…)De Labarthe et Rozier on va voir un panier de films, un assortiment de courts métrages, reconnus pour certains comme de purs petits chefs-d’œuvres, à l’image de ce que la vidéo et le cinéma pourraient être ; infiniment plus légers et plus souples. Lundi 19 à Villandraut, Labarthe et Rozier seront là, en chair et en os, pour un ciné-concert unique, tard dans la nuit, avec aussi Mehdi Charef et d’autres invités (…) (…)Paris-Uzeste / Uzeste-Madrid même distance : 6 longs métrages, 3 français, 3 espagnols présentés en parallèle : “ Le Thé au harem d’Archimède ” de Mehdi Charef - “ Los Hurdes ” L. Buñuel / “ La part des choses ” B. Dartigue – “ Tasio ” Elias Quejereta / “ Rugby ” J. P. Fontorbes - “ Tu solo ” Teo Escamilla. Et de nombreux courts métrages expérimentaux sur la musique et sur la peinture »291.

L’expérience “ Cinestival ” sera reconduite l’année d’après : en 1986, on retrouvera le “ Bus cinambule, venu tout exprès de Tartas (Landes) ” ; et Jacques.Rozier, André Labarthe et

289 P.-H. Ardonceau “ Uzeste ”, Jazz Magazine, novembre 1986. 290 Utopia étant une association avignonnaise. 291 Dans Special Estival 1985…

94 Aline Isserman présentant respectivement leur film Maine Océan, Tout ça pour Mandela292 et L’Amant Magnifique, ainsi qu’une “ partition de courts métrages choisis ”.

Si, avec l’association Uzeste Musical, “ L’airial ”, son bulletin d’information, est mort, le volet communication avec le public ne s’arrête pas pour autant, bien au contraire. A partir de 1985, les journaux programmes, deviennent de véritables journaux (34 pages en 1985, 46 pages en 1986, 15 pages en 1987, 19 pages en 1990) où sont publiés des photos, des textes, des notices biographiques et de présentation des intervenants avec parfois des textes de leur cru, des “ lexiques ”293, et les publicités des “ sponsors ” (commerçants locaux et fournisseurs).

En 1985 et 1986, à l’initiative de Pierre Tessier et de Charles Sylvestre*, le festival produit même un Petit Journal Quotidien Provisoire (quatre numéros en 1985 (n° 1-2-3-4 ; du 22/08/85 au 25/08/85) et trois numéros en 1986 (n° 5-6-7 ; du 22/08/86 au 24/08/86)). Plus qu’un organe d’information, celui-ci est aussi un véritable lieu d’expression, sa rédaction étant ouverte aux festivaliers, aux artistes et à l’équipe UM/Cie. A qui veut : “ les personnes souhaitant participer à sa création sont informées qu’il sera tenu un comité de rédaction tous les jours à 11h au Pré Cazaubon ”294.

La Radio est également toujours présente, donnant lieu à des séances de débats, de rencontres, ou retransmettant directs et différés. En 1985, le dimanche 18 août à La Trave à 14h : “ Débat d’Oc sur les ondes de Radio Vive Uzeste Musical ” et à 19h 30 “ Rencontre sur les ondes de Radio Vive Uzeste Musical avec Bernard Dartigue, réalisateur de La part des choses, et Michou Marcus, actrice de La part des choses. Le jeudi 22 août 14h30, à Uzeste : “ Débat sur les Ondes de “ Radio Vive Uzeste Musical ” avec les représentants des municipalités d’Uzeste, de Villandraut et de Préchac295. “ L’expression artistique vivante c’est quoi ? C’est qui ? Pour qui ? Pourquoi et comment ? ” ”. Et enfin les 23 et 24 août, “ Débat sur les Ondes de “ Radio Vive Uzeste Musical ” animé par les membres de la revue Amiras/Repères : “ Cartes d’identité et Poker menteur ”.

Et, toujours à propos de radio, en 1986 on peut lire dans le programme : “ 88.9Mhz. Radio Sud Gironde et Radio Val de Garonne couvrent les trois jours de festival de son podium installé au cœur de Villandraut, place Général de Gaulle ”, et un peu plus loin : “ La Radio est un lieu d’accueil et de rencontre pour les professionnels et les festivaliers. Venez assister au débat - participer à la réflexion au jour le jour sur le Festival ” et, encore ailleurs :

292 “ Film de André S. Labarthe réalisé à l’occasion du concert donné le 15 septembre 1985 à l’Espace Midi de la fête de l’Humanité par , Eddy Louiss, Salif Keita, Bernard Lubat, ” Programme 9° Uzeste Musical. En page 43 (avant dernière page). Nous parlerons de ces concerts pour Mandela plus loin. 293 Voir en annexe n°… 294 Annonce faite en quatrième de couverture du Petit Journal Spécial Estival 85 : “ [Le Petit Journal] paraîtra tous les jours à partir du 21 août et cela jusqu’au 25 août. On pourra y trouver le reflet des journées passées, ainsi qu’une réactualisation du programme du jour. Il y aura également des photos, des illustrations graphiques et des articles concernant l’événement. Les personnes souhaitant participer à sa création sont informées qu’il sera tenu un comité de rédaction tous les jours à 11h au Pré Cazaubon ”… 295 Si on les voit annoncés au programme, je ne peux pas dire dans quelle mesure ce débat à été réellement organisé ou si ceux-ci s’y sont ou pas rendus.

95 “ Pour le programme de la radio, achetez le “ Quotidien Provisoire ” en vente chaque jour sur Villandraut. ”296

2) Un Festival international… Invités 1985

Directement issus de l’édition précédente, on retrouve Rosina et Martina de Peira, Claude Marti et Christian Vieussens297. Avec des groupes tels Cossi Anatz et Perlinpinpin Folc, le volet des artistes occitans, déjà bien représenté en 1984, s’enrichit. Il faut noter surtout la présence, pour la première fois, de l’écrivain et poète Bernard Manciet*, une figure occitane parmi les plus fortes, dont la rencontre avec Bernard Lubat a été évoquée plus haut. Autres figures “ locales ” : on retrouve, présentés pêle-mêle, Marie-Ange Damestoy (déjà présente en 1983), le groupe “ Ballafonlacaisse ”298, une “ Bandas Landaise ”, Daniel L’Homond (“ conteur de nuit ” de Périgueux), Fartov & Belcher ( troupe théâtrale bordelaise pour qui Lubat a fait une musique de scène) et, pour les “ hommes de paroles ” : André Bénédetto* et Christian Laborde* qui eux aussi parlent d’Occitanie.

Autres figures, hautes en couleurs (également habitués, à des degrés divers) : Marc Perrone et son “ Band ”, Marc Depont et son “ Meluswing Big Band ” de 20 percussionnistes et Carlo Rizzo avec son tambourin. On évolue alors à la frontière des musiques traditionnelles et musique jazz, dans lesquelles ces trois artistes puisent leur inspiration.

Pour ce qui est du jazz, on retrouve des grands noms, fidèles et amis, tels : Eddy Louiss, Louis Sclavis, Maurice Vander, Pierre Michelot et Michel Grailler. Nouveau venu : le “ Workshop de Lyon ” auquel appartient Louis Sclavis.

Cette année encore, dans la ligne des année 1983 et 1984, se développe le volet chanson : outre les vedettes Lenny Escudero299 et Charlélie Couture, programmé dans la création “ Couleur de Blues ou Leurre du Coup d’Artifice , sont présents Denis Wetterwald (déjà venu en 1983), Juliette et le DD Quartet (de Dédé Minvielle). Ceux-ci sont tous réunis avec Charlélie Couture dans un concert intitulé “ Chanson Swing ” sous titre de l’album tout récent de la Cie Lubat, qui présente bien sûr elle aussi ses Chansons Swing, avec comme chanteur vedette Bernard Lubat. Il faut y ajouter les grands spectacles tels Couleur de Blues ou Leurre du Coup d’Artifice spectacle pictural, musical, pyrotechnique et rupestre, (et « qui existe comme dirait l’autre parce qu’il disparaît »), mis en swing par la Cie Lubat, en feux d’artifice par Patrick Auzier, en peinture par Jacques Bernar et les Chevaliers Ripolins de l’Apocalypse (le C.R.A.C.), en musique par Eddy Louiss, Charlélie Couture, Rosina de Peira et Martina, Dédé Minvielle, Louis Sclavis, Michel Grailler, Francis Lassus, Michel Ducau, Benat Amorena, Francis Mounier, Akim Bournane, Philippe Lacarrière, Bernard Lubat, Pierre Scheidt, Jean Bielsa et les cuivres de Gascogne.

296 Dans programme 9° Uzeste Musical. pp. 15-20 et 25 297 Qui lui est à compter parmi ceux de longue date : en effet il est présent à Uzeste depuis 1979. 298 Trio composé de Michel Macias (accordéon), Philippe Bayle (guitare) et J. M. Atchari (batterie,percussion), dans Programme journal 1985. 299 Sud Ouest 17 août 1985

96 Un festival international

Outre les thématiques du cinéma, de la parole de l’occitanie, de la chanson, on voit se développer à travers le panel des invités deux autres thématiques : le Brésil et la Percussion, le festival s’ouvrant encore plus sur l’ “ international ”. On retrouve le Brésil avec le trio de guitares brésiliennes Thierry Rougier, Celso & Carlinho Machado, venus de Cadillac, présents lors de l’ “ Uzeste à Montreuil ” au mois de juin 1985, et lors d’autres manifestations au François Mauriac. L’Afrique est présente avec les percussions et la danse du groupe burkinabé “ Farafina ” et avec le saxophone de la star camerounaise Manu Dibango. L’ouverture internationale, la confrontation et la rencontre à travers les frontières se perçoivent à travers les intitulés mêmes des spectacles. De la “ Nueit Blua Occitana ” et du “ Marcat Swing dens Lo Casteth ” - plus connotés occitans – à la nuit “ Nuit Euro-Africaine ” et aux “ Guitares brésiliennes ”, les musiques sont “ sans frontières ”, “ vivantes ” et “ à l’air libre ”300, et sont appelées à se mélanger comme lors d’un “ Maxi bœuf Jazz/Occitanie/Brésil ”.

Grand orchestrateur de ces mélanges, la Cie Lubat en crée les conditions avec des programmations favorisant les rencontres et les confrontations, mais surtout lors de ses créations : toujours avec les “ Territoires des Soli-Sauvages ” où sont inclus tous les invités, lors des spectacles créés autour des innovations d’artifice de Patrick Auzier et dans la nature : comme lors d’une “ Performance Aquatic Blues avec les Favellas Gasconnes, les hommes grenouilles des pompiers de Langon, Les Feux d’artifices de jour de Patrick Auzier, et le radeau de la musique vivante ”. De “ Lous Pignadas ” et “ Perlinpinpin Folc ” à la star camerounaise Manu Dibango, ou dans une “ Bandas Landaises ”, un match de foot et une “ Grande Fête Multinationale avec tous les invités du festival encore en état de swinguer ”, on voit bien là la problématique du programme ambitieux formulé par Lubat : mêler le local à l’international. Le festival 1986 s’intitulera d’ailleurs le “ 9ème Uzeste Musical. Festival International d’expression artistique vivante ”.

Les nouveaux invités de 86

Les nouveaux artistes au programme sont, pour cette édition, très nombreux. Beaucoup de groupes régionaux : “ L’incroyable Jungle Beat ” (Bordeaux), “ A+ ”, “ Rock And D’Oc ”, “ Baron Dupoil ” (trio de chanson du Sud Ouest), “ N’Gondele ”(le groupe de Ringo Efoua Ela ; Jazz-Funk, Bordeaux), “ Tropical Troc ”, “ Lavage Rapide Quartet ” (Bordeaux) et “ Ballafonlacaisse ”. De Toulouse viennent Bernardo Sandoval ( guitariste flamenco, déjà présent à une soirée du festival estival en 1985) et Claude Sicre* (tambourin, chant) en duo avec Daniel Loddo (banjo, chant).

Avec Adamé Dramé (griot burkinabé) Ringo Efoua Ela et son groupe N’Gondélé (Jazz-Funk, de Bordeaux, déjà venu lors du Noël 85) et Manu Dibango (qui revient), les musiciens africains sont biens représentés lors de cette édition, qui prolonge la thématique des

300 “ Musiques sans frontières ” (Préchac samedi 17 août 17h), “ Musiques vivantes à l’air libre ” (Préchac samedi 16 août 17h).

97 percussions avec une “ Nuit du Tambour ” et le “ Tambouroudïou concept ”301 le premier soir au Château de Villandraut. Pour l’occasion (et aussi pour les “ Territoires des Soli- Sauvages ”) réapparaît Bernard Brancard (batteur antillais qui était dans la compagnie en 1982).

Les plasticiens sont représentés par François Giboulet et Morlok (deux peintres qui font une “ expression picturale vivante sur les Favellas Gasconnes ” avant le départ pour les Territoires des Soli-Sauvages) et Jacky Liégeois302 avec une exposition de peinture sur J. Coltrane, et une animation plastique autour de la signalétique.

Pour les poètes, on retrouve Christian Laborde* et Bernard Manciet*, et nouveaux venus : Serge Pey et Paul Nauzin. Dick Annegarn (chanson française) est lui aussi présent comme “ poète ” et “ compositeur ”. Côté chansons pour cette édition on retrouve Marie- Ange Damestoy et Juliette, programmée avec Bernardo Sandoval et Dick Annegarn dimanche 24 août à 15h30, pour des “ Chansons à la fraîche sur les berges du Ciron ”.

Pour un “ Apéro Soufflet Swing ”303 “ avec les Rois de l’Accordéon ” sont programmés avec Marc Perrone* et Bernard Lubat, Frédéricq Chauvenier, Michel Macias (accordéoniste de “ Ballafonlacaisse ”) et Jacques Casimir.

Pour les musiciens de jazz moins nombreux pour cette édition 1986, à côté des permanents de cette période (Maurice Vander, Pierre Michelot, Louis Sclavis*), deux grands noms refont apparition : Didier Lockwood (avec son frère Francis Lockwood) et Christian Vander. Sont également invités Jean Marie Londeix et Richard Raux, deux saxophonistes de la scène jazz française.

Pour ce qui est du spectacle, on retrouve Jérôme Thomas (jongleur musicien)304. Catherine Rougelin (contorsionniste) et l’ “ Envolada ” (quatre danseuses du Languedoc) complètent ce volet avec Claude Gudin* qui fait son retour au festival avec le PEPAC Théâtre pour une création originale : la “ Comedia del’ Vegetal ”.

La Comedia del Vegetal

Claude Gudin, par son association avec le PEPAC, montre là encore (après les Arbrorigènes avec Ernest Pignon-Ernest en 1983, son ouverture transdisciplinaire. Les problématiques et attitudes artistiques et de recherche du PEPAC résonnant très fortement avec celles de Claude Gudin et celles du festival d’Uzeste. La création Comédia del Végétal est présentée dès le premier jour du festival .

301 Concert sur le thème de la percussion, rassemblant des percussionnistes. Voir lexique du festival en annexe… créé lors du Noël 1985 [-Mars1986, (le 14) au Chaski : La Cie + Groupe “ N’Gondélé ” de Ringo pour une “ Nuit Tambour ” (“ Tambouroundiou concept ”)] 302 Jacky Liégeois est très important après 1990 pour l’imagerie identitaire du Festival (signalétique, T-Shirts…) . J’ai retrouvé sa trace en 1984 où il signe la feuille “ Réseau Uzeste ” à Montreuil. En 1986 il est au programme avec son exposition de peinture sur J. Coltrane. 303 On retrouve là le titre du concert à l’Olympia en 1985, qui avait donné lieux à un concert “ Soufflet swing ” au festival 1985 (dimanche 25 août 18h au Chapiteau après l’ “ Hommage à Beb Guérin ”). 304 Que l’on avait vu au festival 1984 dans la “ Création Mondiale Cour du Château du Pape Clément V : Grand Spectacle de Théâtre Musical et Pyrotechnique ”

98 “ La démarche de PEPAC 305 est remarquable car elle allie à la fois la création théâtrale, la diffusion de la culture scientifique et la formation de comédiens ou d'enseignants ” « Orchestrée par Claude GUDIN - Ingénieur au C.E.N. de Cadarache et président du Centre Culturel Scientifique et Technique de Marseille - notre recherche sur “ l'épopée des légumes s'effectue dans les laboratoires, à l'INRA, au ministère de l'agriculture, mais aussi sur les marchés, dans les potagers, les entreprises et aussi Villandraut pour le Festival d'Uzeste. Il s'agira de confronter les données historiques, biologiques, économiques avec une réalité quotidienne qui se transforme rapidement et qui intéresse directement notre vie alimentaire ou médicale et nos pratiques agricoles. “ La comedia del’Vegetale” Comédiens-légumes du PEPAC, en vacances dans la région d'Uzeste, recherchent musiciens- légumes aimant la vie au grand air d'opéra, en vue de faire ensemble un concert végétal. Le PEPAC et sa Comédia Del'Vegetale se glisseront donc au Festival d'Uzeste au milieu des musiciens pour tenter, ensemble d'éplucher la vie en riant. MENU: - Crudités surprises / - Après-midi musicales potagères / - Rencontres bucoliques / - Présences végétales / - Opéra-bouffe divers et varié. »”306 « L’épopée des légumes » Légume : est désigné sous le nom de légume tout végétal herbacé dont une partie ou la totalité est destinée à l'alimentation humaine. Épopée : suite d'actions héroïques. Épopée des légumes: les aventures héroïques des végétaux destinés à l'alimentation des hommes. (…) comédie musicale végétale en grandeur nature. - Grandeurs et décadences du potager : les légumes enquêtent leurs passés. - Des céréales en quête d'auteurs, - De la terre à la poêle ou l'odyssée d'une racine mélancolique. - L'irrésistible ascension des solanacées. La petite histoire d'une grande famille.

La “ Comedia del’Vegetale ” sera redonnée le dimanche 24 août, associée aux Favellas Gasconnes. Claude Gudin, par une collaboration fructueuse aboutissant à une création originale, marque pour la deuxième fois de son empreinte l’identité du festival uzestois. En effet, spectacle transdisciplinaire, adaptable et transposable, il va marquer cette édition 1986 et l’équipe du PEPAC sera programmée à maintes reprises lors de divers spectacles comme lors du “ Concours de Pêche à la Truite en Musique ”307 avec Marc Perrone* et Catherine Rougelin. Elle participe également au “ Show Bal Jazz Dance ” en tant que “ présences végétales ” avec le SOS Orchestra, Lous Pinhadars, Marc Perrone*, Didier Lockwood, Bernard Lubat, Louis Sclavis*, Claude Sicre* et Daniel Loddo. Lors des “ Mots dits sous les Siècles ” “ au Château du Pape Clément V avec Bernard Manciet*.

« Mots dits en Oc – Traductions dites en français par Bernard Lubat et Laure Duthilleul. Serge Pey : mots dits sous le bâton de pluie.

305 Interview de Bernard Avion dans le programme-journal 9° d’Uzeste p. 38 : “J'avais lu qu'il y avait aux détours des virages microscopiques des drames biologiques, et que derrière les nébuleuses se cache une histoire d'amour des particules. Propulsé par ma curiosité, je me suis glissé par la porte interdite des laboratoires de recherche. (…) Nous avons décidé de pratiquer ensemble la méthode des essai-erreurs pour fabriquer sur la scène de l'ADN et faire rentrer la dramaturgie dans les labos comme autant d'approximations satisfaisantes à court terme. ” 306 Présentation programme journal 9° d’Uzeste p.38. 307 L’édition 1985 avait aussi eu droit à son concours de pêche à la truite.

99 Christian Laborde : mots dits sous “ les soleils de Lubat ”. Paul Nauzin : mots dits sous la langue, langue de vie, langue du vin. ” le PEPAC Théâtre présente ses “ rencontres bucoliques, Comedia del’Vegetale. ”.

Et encore dans les Territoires des Soli Sauvages “ 3kms à pieds, ça swingue, ça swingue ” “ avec Louis Sclavis, Paul Nauzin, Adama Dramé, Les Favellas Gasconnes, Catherine Rougelin, Ringo Efoua Ela, Bernard Brancard, Francis Lassus, Dick Annegarn, le PEPAC “ la Comedia del’ Vegetale ”, Claude Gudin, Marc Perrone, André Minvielle, Jérôme Thomas, serge Pey, François Giboulet, Morlok, Los Pinhadars d’Uzeste…

3) L’expression artistique vivante

"Uzeste Musical a gagné"

Ce parcours festivalier du PEPAC nous a ainsi permis de voir le panel des spectacles de l’édition 1986. Avec la “ Nuit du Tambour ”, les “ Swings Club à l’Estaminet ”, l’“ Apéro Soufflet Swing ”, et le “ Match de football – Coupe du Festival 1986 ” “ Artistes contre Public ”, il nous manque juste à évoquer la “ Grande Nuit de la Jazzomanie ”avec les deux frères Lockwood, Vander père et fils, Pierre Michelot, Louis Sclavis, Richard Raux, Frédéric Briet, Jean-Marie Ecay, Francis Lassus, Jean-Augustin Gerreniu, André Minvielle, Bernard Lubat, Patrick Auzier et Bernard Brancard, et le dernier soir : la “ Nuit d’artifice de la Cie Lubat ” suivie du “ Grand Final Swing à la Diable ”.

“ En trois jours “ 28 séances ” au programme : apéros-swing,. récitals poétiques, bals...... Et environ une demi-douzaine de temps forts “ gros ” concerts. “ soli sauvages ” ou non...(…). Comme l'année dernière, le " Territoire des soli sauvages " fut une réussite totale : promenade dans les bois de trois heures en compagnie de musiciens, avec gags et mises en scènes totalement en harmonie avec le milieu naturel. Pour la dernière soirée (en présence de la télé, qui a intégralement filmé le spectacle) Lubat a chanté les textes de son album de chez Chant du Monde, pendant qu'Auzier. le fou d'artifices. faisait littéralement exploser la cour du château (fusées et soucoupes volantes enflammées et pétaradantes tombant sur les spectateurs...). Boeuf final dans la grande tradition uzestoise, bonne humeur, swing gascon, grosse énergie (malgré trois jours intenses pour les musiciens), public debout qui en redemande. ”308

Lors ce festival 1986, la Cie Lubat apparaît dans sa nouvelle composition qui inaugure une époque marquante et relativement stable : - les quatre permanents - Bernard Lubat, Francis Lassus, DD Minvielle et Patrick Auzier, auxquels s’ajoutent par intermittence depuis le mois de mars Jean Marie Ecay (guitare), et J.-Augustin Guerreniu (basse). C’est également lors de cette édition que commence l’ascension au sein de la Cie Lubat du jeune saxophoniste montreuillois François Corneloup. En effet, lors des ateliers de la Cie précédant le festival, il dirige un des deux ateliers de saxophones et on le retrouve comme membre à part entière de la Cie dès le Noël 1986.

308 P.-H. Ardonceau “ Uzeste ”, Jazz Magazine, novembre 1986.

100 Encore un hommage aux témoins journalistes qui, à l’aune du public fréquentant le festival, voient en cette édition, l’affirmation d’une véritable identité.

“ Mais d'Uzeste 1986, il restera peut-être surtout ceci : Uzeste Musical est vraiment devenu Uzeste Musical. S'il y a de moins de moins de mystiques, de babas, de soixante-huitards mal vieillis, le public régional a fait sien le festival. Cette année, on a refusé du monde le soir au château de Villandraut…On vient de moins en moins pour l'affiche (…). Les gasconnades, ces interprétations très particulières qui font penser a un jeu de force verbale, fusent de la scène et des gradins. Pour la première fois sans doute, on a vu le public populaire d'un festival “jazzer” avec la voix comme on accompagne un chanteur. André Labarthe : “ Ce que met en scène le créateur moderne, c'est le spectateur (le lecteur, le regardeur, l'auditeur). ” Tout désormais est fait là-bas, “ mis en bouteille au château ”. L'actrice Laure Duthilleul, qui dirige “ Vive Uzeste Musical ”, compose avec Bernard Lubat un couple rare dans ce domaine. Evoquant l'avenir, Bernard Lubat conclut : “ Uzeste Musical a gagné. Le droit d'être reconnu- Il faut que cesse le scandale de la cécité des pouvoirs publics, mais il faut en même temps inciter le public à gagner lui-même Uzeste Musical. On doit pouvoir améliorer encore l'accueil de ceux qui ont envie de travailler, d'avancer, avec des ateliers, des colonies de vacances, du travail sur la musique, sur la voix, sur les mots, sur le théâtre- C'est une des conséquences du festival que de contribuer à créer de nouveaux théâtres d'opérations contre ceux qui tiennent les rênes du désert. ”309 “ (…) pas moins de quinze mille spectateurs sont venus à Uzeste et alentour, cet été, Soit une augmentation de l'ordre de 20 % en un an. Ce public a changé. Les personnes extérieures à la région sont moitié moins nombreuses qu'à l'origine. Bernard Lubat voit dans cette évolution la preuve que le festival a trouvé son identité en s'ancrant dans la région. Et il en tire argument pour essayer d'obtenir un statut de centre culturel régional. ”310

"L’expression artistique vivante, c’est quoi ? "

Lors de cette édition du festival, se fixe un concept important du discours lubatien. Thématique déjà abordée lors d’un débat en 1984 (“ Expression artistique Pour Qui ? Pourquoi ? ”), “ l’expression artistique vivante ” est cette année le titre de la manifestation (« Festival international d’expression artistique vivante »).

“ On théorise aussi. Il faudra bien un jour inscrire dans les Droits de l'homme le droit à l'expression des idées, réservé encore aux “ Trois cents familles ” de la pensée médiatisée. Uzeste s'est offert le culot de demander aux musiciens notamment, c'est-à-dire aux muets (joue et tais-toi!) de répondre à la question : “ Qu'est-ce que l'expression artistique vivante ? ”.“ La musique vivante est faite par des gens, qui en crèvent ”, dit Louis Sclavis. Et pour Francis Lassus, “ c'est un pied nez aux empêcheurs d'exister”. ”

Aux réponses à cette question “ L’expression artistique vivante c’est quoi ? ” sont consacrées quatre pages en début du programme. Y répondent entre autres François Corneloup, Charles Silvestre, André Bénédetto, Eugène Riguidel, Chantal Bordes, Christian Laborde, Serge Pey, Dick Annegarn, Manu Dibango, Louis Sclavis*, Claude Sicre*, le Pepac, Anne Roux (attachée de presse - relations publiques du festival), André Minvielle, Francis Lassus, Bernard Lubat et Laure Duthilleul. Ces réponses, expression et reflets de la variété des invités, vont du texte argumenté à l’anagramme ou la simple phrase. Laissons la parole à

309 Charles Silvestre, “ La neuvième d’Uzeste”, L’Humanité, 28 août 1986. 310 Jean Eimer, “ Je ne suis pas un cheval culturel du parti ” Sud Ouest, 1986.

101 “ l’inventeur ” du concept. Ce concept partagé par les intervenants qui sont ici invités à “ théoriser ” et à collaborer à la construction du discours lubat-uzestien.

“ Bernard Lubat : C’est un droit de l’homme et du citoyen A ne pas forcément fermer sa belle grande petite Gueule de métèque à ses idées, à ses désirs A ses sueurs, à se peurs, à ses amours, à ses pleurs A ses espoirs, à ses doutes, à ses frères et sœurs A sa viande, à son temps, à son époque, à son sang qui brasse l’histoire De son histoire, de celle des autres Etre, être, non mutique, parlant, agissant, pensant, Etre, pour être, devenir, Y’a pas de monstre inné, sacré Y’a pas de minable inné Y’a pas de génie inné Y’a pas de fatalité concrète Y’a la vie à vivre, sa vie ou pas ! ”311

1986 apparaît donc comme une édition d’une grande importance : édition en exil, édition bricolage (avec la solidarité des amis artistes), édition identitaire, édition conceptualisante et créatrice d’un communauté (avec le partage et la co-élaboration d’un concept), on trouve ici de nombreux traits qui se développeront par la suite.

Noëls et ateliers

Après ce développement sur les festivals estivaux, il convient de les resituer dans leur contexte, avec en premier lieu le deuxième moment fort des activités au canton de l’équipe UM/Cie : le festival hivernal.

Le Noël 1985, “ Festival Artistique Hivernal de Vive Uzeste Musical “ Noël musical sous les pins ” Villandraut - Uzeste - Préchac (Gironde)- Luxey (Landes)312, avec comme slogan “ Branchez-vous 86 ”, se fait écho fidèle du festival estival 1985. On y retrouve d’une part la dimension cantonale et, d’autre part, dans sa programmation foisonnante le même gigantisme.

Les artistes invités y sont particulièrement nombreux (et désormais familiers au lecteur, ceux de l’été revenant bien souvent en hiver), et, pour ce Noël, l’équipe U/Cie n’hésite pas à en convoquer de prestigieux : Claude Nougaro* présente son en avant première et “ en exclusivité dans la région ” “ Spectacle Olympia 85 ” avec son trio Maurice Vander - Pierre Michelot - Bernard Lubat) et Frédéric Lodéon donne deux “ Récital de violoncelle ” (Bach, Mozart).

311 Dans programme-journal 1986, p. 12. 312 Dans brochure-dépliant “ Festival Artistique Hivernal de Vive Uzeste Musical - Noël musical sous les pins ”, décembre 1986.

102 On retrouve aussi lors de ces dix jours : Marie-Ange Damestoy ; Chris McGrégor ; Paco Yé (“ danseur et percussionniste du groupe Farafina ”) ; Eugène Riguidel (“ grand navigateur, conférence projection débat ” le samedi 28 au cinéma François Mauriac) ; Marc Perrone* ; Louis Sclavis* ; le “ Dédé Minvielle Quartet ” ; le “ Jamais deux sang froid trio ” ( Trio Swing brut et tendres audaces Swing de la terre et des tempêtes 3 gascons futur en bandoulière ; Francis Lasuss batterie, voix, boîte à rythmes ; Patrick Auzier, trombone, percussions, voix ; André Minvielle, percussions, voix) ; Philippe Lacarrière (contrebassiste bordelais) ; Christian Laborde* ; Gérard Voisin (sculpteur) ; le “ Tambouroundiou Concept ” ; la Compagnie LUBAT ; Lous Pignadas ; les Favellas Gasconnes ; et le SOS Danse Orchestra.

Voilà pour exemple quelques unes des soirées proposées lors de ces dix jours de “ Festival Artistique Hivernal ”. Le lundi 23 décembre à 15h, au cinéma François Mauriac, un “ Noël des Enfants ” (Cinéthéâtre musical humoristique - Chocolat chaud - Jeux - Film surprise.) ”. Le 24 décembre, un ‘‘Noël de Nuit’’ (Réveillon de Noël) - Concerts - Spectacles - Bal – Cinéma et “ Dîner Réveillon ” ”. Ou encore une “ Nuit Africaine ”, soit samedi 28 décembre à 22 h 30 dans la Salle des Fêtes de Luxey une “ Fête Gasco-Africaine ” avec en première partie un “ Concert – Danse avec Paco Yé ” et “ N’Gondele ”, “ Lous Pinhadas (traditionnel Gascon) ” et “ le “ Tambouroundiou Concept ” - Groupe de percussions de la Cie Lubat ”. La soirée continue avec en deuxième partie un “ Grand Bal Mélangé ”. Enfin, le 31 décembre, un Réveillon Saint Sylvestre avec concerts, repas et bal.

Parallèlement aux manifestations, durant six jours, sont organisés des ateliers artistiques. Selon l’habitude, ils sont animés par des membres de la Cie auxquels s’ajoutent quelques intervenants extérieurs (Francis Lassus : percussions batteries / André Minvielle : chant / Paco Yé : danse africaine / Phlippe Lacarrière : contrebasse / Francis Mounier : saxophones / Louis Sclavis : saxophones / Marie-Claude Hourdebaigt : danses traditionnelles gasconnes)

“ Des ateliers. Pourquoi ? Apprendre aux autres n'est-ce pas aussi apprendre des autres ? Pour jouer de la musique, la demande est de plus en plus forte et de moins en moins s’offre la possibilité de la pratiquer, la place étant déjà occupée par les disques. vidéo-clips et autres médias. La France musicale étudie à tours de bras mais où et quand joue-t-elle ? Face à ce phénomène. des artistes - musiciens, danseurs, acteurs - réagissent et décident d'ouvrir à tous et à toutes l'opportunité d'exprimer ses désirs ou passions à travers l'étude et la pratique de divers concepts de la musique. Depuis maintenant sept ans, la Cie Lubat propose dans son programme pédagogique “ le chanter ”, “ le taper ”, “ le danser ”, “ le souffler ”, “ le swinguer ”, “ le jouer ” ensemble et chacun à son niveau. Le Swing n'a pas d' âges. Et il n'y a pas d' âge pour swinguer ”313

Dans cette même logique de gigantisme foisonnant, l’activité des ateliers artistiques va durant cette période s’accentuer, le volet pédagogique étant un des axes majeurs du programme de l’équipe UM/Cie de revivification culturelle du pays.

313 Dans dépliant “ Ateliers Artistiques du Festival Hivernal “ Noël sous les pins ” 26 au 31 décembre 85. (“ Vive Uzeste Musical – Cie Lubat – présente… ”)

103 Au programme du festival 1986, “ les Ateliers Artistiques de la Cie Lubat ” s’étendent pour la seconde fois au festival d’été (on a vu qu’ils étaient traditionnellement organisés en hivers, la seule autre fois qu’ils aient eu lieu en été étant lors de l’édition 1982). Annoncés du 18 au 21 août, les intervenants sont : pour les saxophones Richard Raux et François Corneloup* ; pour la batterie Francis Lassus ; la percussion africaine : Adama Dramé. André Minvielle dirige l’atelier voix et Jean-Marie Ecay celui de guitare. L’équipe UM/Cie prévoit et annonce un programme de stage avec une fréquence beaucoup plus élevée pour la saison 1986-1987.

Le Noël 86 semble encore plus ambitieux (du 17 décembre 86 au 8 février 87), il est en réalité beaucoup plus modeste et, par rapport à l’édition 1985, fait plutôt figure triste. Comme il est spécifié sur le dépliant, c’est un Noël “ Cinéma Musique ” : les concerts et spectacles n’occupent que les soirées des 24-28 décembre ; le reste de la période est occupée par une programmation de films au Cinéma François Mauriac. Plus modeste donc dans sa programmation artistique vivante, il l’est aussi dans ses lieux : sont investis le cinéma FM, l’église de Préchac et, nouveauté, l’Estaminet d’Uzeste ; ce réinvestissement territorial de l’Estaminet est à noter dès à présent, nous en verrons le pourquoi par la suite.

Plus modeste, cette édition l’est surtout concernant les artistes qui s’y produisent : il s’agit presque qu’exclusivement des artistes de la Cie Lubat. Seule la soirée du 27 décembre accueille des intervenants extérieurs et “ pour l’occasion le café l’Estaminet devient théâtre ” ; les “ Compagnons de la veillée ”, troupe théâtrale de Langon, viennent donner une représentation de Les Bonnes pour “ un soir d'hommage à l'un des plus grands écrivains du 20ème siècle, Jean Genet ”. Suit, “ pour poursuivre cette soirée en musique et dans le ton, une performance de la Compagnie Lubat Les Autres, théâtre musical brûlant et glacial ” puis un “ Bal de Noël des Rescapés du Swing ”.

C’est à l’Estaminet que se déroule également le 26 décembre le “ Noël à l’Estaminet d’Uzeste ” où après un “ Repas gastronomique dès 20H pour ceux qui veulent déguster la cuisine traditionnelle gasconne de Jeannine Planton ” la soirée se prolonge avec la “ Nuit du Swing ” de la Compagnie Lubat soit : “ Bernard Lubat, Patrick Auzier, André Minvielle, Francis Lassus, J.Marie Ecay, J.Augustin Guerreniu, François Corneloup, et leurs invités surprise… ”

Si la formule du Noël des enfants au cinéma François Mauriac est reprise telle qu’en 1985, le concert du 25 décembre dans l’église de Préchac programme des "Musiques d'aujourd'hui, Musiques du Même siècle". 1ère partie: Récital de piano par Bernard Lubat. 2ème partie: Récital de chant par André Minvielle. 3ème Partie- : Création pour voix, percussions et synthétiseur par André Minvielle, Francis Lassus et Bernard Lubat. ”

Les festivités se concluent le dimanche 28 décembre de 16H à 19H avec les "Soli Solo Workshop ” de la Cie Lubat au cinéma F.Mauriac : “ Rythmes et Musiques des langues d'Oc, d'Afrique, anglo-saxonnes.. Des cuivres, des cordes, des claviers, du blues, des mélodies avec la Cie Lubat ”.

Les problèmes financiers ayant calmé les ambitions et le foisonnement de 1985, sans doute faut-il voir dans ce Noël un mouvement de restriction budgétaire (le même qu’à connu le festival d’été en 1986) ceci n’empêchant en rien la ténacité et la volonté de l’équipe UM/Cie de se tenir à son programme (avec notamment les ateliers artistiques organisés lors du Noël 85 et avant le festival estival 86). Si le Noël 86 ne se couple pas à des ateliers, ceux-

104 ci sont quand même organisés lors d’un week-end de février (“ Vive Uzeste Musical présente “ Les Ateliers Artistiques de la Cie Lubat ” Samedi 15 Dimanche 16 Février 86. ) avec comme animateurs les seuls (mais non pas les moindres) André Minvielle et Francis Lassus (là aussi les restriction budgétaires se font sentir).

4) Ancrage et action locale

Croissance des activités d’animation

Nous l’avons vu cette, action pédagogique s’inscrit dans un mouvement plus vaste d’animation culturelle locale : volonté de faire et diffuser la culture en milieu rural. L’action de l’équipe UM/Cie est orientée dans ce sens depuis le début, on l’a déjà vu dans la brochure rédigée en 1982. C’est d’ailleurs la raison qui motive l’ouverture du cinéma François Mauriac, qui, depuis 1982, constitue une importante base d’action.

A la veille de l’édition 1985 du festival est publiée une nouvelle brochure : Uzeste Musical…

« Un Festival d’été touchant près de 20 000 personnes (…) - Une succession d’évènements sur l’année en Aquitaine, en France et à l’étranger.(…) - Une compagnie artistique, la Cie Lubat dans le quotidien d’une action de recherche artistique de haut niveau (…) - Un produit local de renommée nationale et internationale (…) - La création contemporaine dans un exemple unique de communication avec et dans le monde rural (…) »314

L’équipe UM/Cie y met particulièrement l’accent sur l“ activité d’année en milieu rural ” . “ Les activités permanentes ” regroupent “ un cinéma ”, “ un micro-théâtre ”, une école de musique régionale ” et “ un laboratoire : centre de recherche et de production sur le son ”. Les “ activités ponctuelles au rythme de la vie régionale ” se répartissant entre “ des célébrations typiquement régionales ” (Bal des Palombes et fête des vendanges), des “ animations plus traditionnelles ” (Noëls, Carnaval, Saint Jean) en leur redonnant une “ identité régionale ”, et “ une dimension publique, sociale et collective ” ; pour “ en faire un nœud de la vie de la cité ”. A ces activités s’associent “ des activités de stage (Pâques/Noël/Printemps) ” et “ des tournées régionales, jazz, chanson, spectacles, bals associant des artistes renommés […] et des jeunes artistes régionaux : étudiants des Favellas Gasconnes, le SOS Orchestra… ”.

L’accent est mis ensuite sur le large public touché “ avec un effort particulier sur les tranches d’âges en difficulté socio-économique ”, une “ action avec les jeunes ” (l’école de musique) et une “ action avec le 3ème âge ” (Lous Pignadas). L’impact sur la vie économique locale, la “ reconnaissance unanime de la presse ” sont soulignés avec comme arguments phares la qualité des manifestations organisées par l’équipe UM/Cie (notamment le festival estival) et l’aspect “ produit exportable et ambassadeur de l’Aquitaine ” des spectacles de la Cie Lubat. On retrouve dans cette dernière formulation ce que nous avions évoqué plus haut à propos d’ “ Uzeste à Montreuil ” : la pratique de la transplantation de son festival qui accompagne la Cie Lubat partout où elle va.

314 Dans brochure Uzeste Musical 1985.

105 L’équipe UM/Cie souligne donc deux aspects de son travail : son action sur le terrain (animations permanentes ou ponctuelles, travail de transmission (pédagogie) et de recherche) et son action à l’extérieur, où elle exporte ses pratiques, son discours et ses problématiques.

Cette volonté d’ancrage et d’action locale se perçoit très clairement tout au long de l’année 1985. Notamment avec la création de la nouvelle association, l’équipe UM/Cie montre sa volonté de continuer son action “ ici et maintenant ”. La crise qu’elle traverse l’incite également à chercher des appuis et des soutiens parmi les acteurs de la vie économique et politique locale. Cela se lit dans les journaux-programmes de 1985 et 1986 : si les petits encadrés de publicité pour les sponsors étaient déjà présents dans les numéros de L’airial, on les trouve maintenant beaucoup plus nombreux (pour les cafés de Villandraut, mais également des fournisseurs techniques du festival : matériel sonore, boissons…). L’édition 1986 va encore plus loin dans ce sens en commercialisant en partenariat avec un vigneron une “ Cuvée du Festival ” (Bordeaux rouge et Sauternes). A la même période se développe, dans les brochures du festival et dans les marges des programmes du festival estival, le discours “ mise en valeur du patrimoine ”, que la Cie revendique comme partie intégrante de ses pratiques (spectacles dans les châteaux, dans les sites naturels) et de ses problématiques.

Le projet LAGIR En novembre 1985, à l’occasion d’une consultation du tissu associatif local impulsée par la “ commission Loisir, Tourisme, Culture du contrat de pays animée par Jean Paul Méric ”, est développée une démarche intitulée “ Contrat de Pays de revitalisation des Cantons de Villandraut et St Symphorien ”315. Plusieurs associations - “ Formagir ” ; “ Le Jardin d’Epicure en Landes Girondines ” , “ Entre Terre et Ciel ” ; “ Adischats ” ; “ Couac ” ; “ Vive Uzeste Musical ” - élaborent ensemble un “ Projet d’un centre d’accueil et d’activité ” en bordure du Ciron. Pour ce faire, ils proposent de se regrouper en une inter-association intitulée LAGIR, celle-ci se chargeant d’organiser “ une manifestation spectaculaire annuelle de promotion intercantonale ”, le Rallye Trans-Landes-Girondinnes (événement sportif reliant sites naturels, sportifs et culturels), et de créer un “ lieu de moyens et d’équipements collectifs interassociatif ” qui serait une structure regroupant ces différentes associations avec un gestion commune pouvant accueillir des ateliers vidéo, d’expression écrite et orale, d’expression corporelle, des projections de cinéma, des ateliers de stockage et d’entretien pour des canoë et des bicyclettes, et des gîtes, …

Plusieurs moutures de ce projet sont élaborées et diffusées sur différents supports. Le projet resta lettre morte. Mais il souligne une fois encore la volonté d’action locale de l’équipe UM/Cie. On y trouve l’écho des projets de “ centre culturel en milieu rural ” développés en 1982, plus orienté vers le tourisme et incluant des collaborations avec des partenaires associatifs d’horizons divers.

Les programmes d’inter-saisons

Globalement, les années 1985 et 1986 voient une plus forte présence de la Cie dans le canton, notamment à travers ses concerts et spectacles (pour un aperçu rapide de la fréquence de ces manifestations et de leur répartition dans le calendrier de la Cie Lubat : se reporter à la

315 Informations tirées de la brochure du même nom, dans “ VUM, Subventions… ” “ Contrat de pays ”

106 chronologie en annexe). Pour simple rappel, nous ne parlons ici que des manifestations se déroulant hors des deux moments forts que sont le festival estival et le festival de Noël. Soulignons que la Cie, qui a de nombreux contrats à l’extérieur, et ce particulièrement durant ces deux années, ne peut organiser son action au niveau local que dans les “ entre-saisons ”, les interstices laissés entre ses nombreux contrats.

Dès son retour de Venise en mars 1985, elle organise un Carnaval à Villandraut (mars 1985). Partie en juin pour Paris, elle organise à son retour d’“ Uzeste à Montreuil ” une grande “ fête de la musique ” au Micro Théâtre Reiser, éclatée sur deux semaines, du 19 au 29 juin, avec en vedette la Cie Lubat et le trio Celso & Carlinho Machado, Thierry Rougier. En octobre, la Cie continue à utiliser le Microthéâtre comme lieu de concerts : elle y invite (Marie Ange Damestoy les 31 octobre, 1 et 3 novembre) tout comme elle l’utilise pour travailler et faire ses expériences comme les “ Soli-Solo Worshop ”316.

Toujours dans les entre-saisons, l’année 1986 voit encore les activités de la Cie Lubat bien présentes au niveau local ; au mois de janvier, un projet de carnaval monté avec la municipalité de Langon avorte à la dernière minute, pour cause de financements insuffisants317. A cheval sur les mois de janvier et de février, trois week-ends sont consacrés à des concerts au Cinéma François Mauriac de membres de la Cie et d’invités (le journaliste de Sud Ouest y voit un “ Uzeste non-stop ”318 ): le 31 janvier le trio “ Jamais de sang froid ” (Auzier, Lassus, Minvielle), puis le 1 février : DD Minvielle solo, et le 2 février le trio de Christian Vander (avec Francis Lockwood et Alby Culaz) ; et enfin, les 7 et 8 février les Compagnons de la Veillée et le DD Quartet. Après une intervention de la Cie au collège de Bazas en juin, il faut attendre le festival d’été pour revoir la Cie en action. Bien que réduit, comme nous l’avons vu, dans son espace d’intervention (après l’édition cantonale de 1985) au seul bourg de Villandraut, les chroniqueurs voient dans cette édition un réel ancrage du festival dans la région. Dans les trous de leur planning de concerts, les musiciens de la Cie organisent encore deux représentations en octobre319, puis c’est le Noël sous les pins 1986 que nous avons vu ci-dessus.

Lubat candidat aux régionales…

Allant plus loin encore dans cet engagement dans la vie locale, Bernard Lubat décide de se présenter sur la liste du Parti communiste pour les régionales 1986, aux côtés de Robert Escarpit, ancien billetiste au Monde, que nous allons voir plus tard dans des débats lors du festival estival. Lui, sera élu et siégera donc comme élu communiste au Conseil Régional, y soutenant avec énergie le festival d’Uzeste. Laissons ici parler Lubat sur les raisons et significations de ce nouvel engagement.

“ Ce que nous voulons, dit-il, c'est faire de cet endroit de la Haute Lande un lieu de création cantonal et mondial pour éviter que la région ne devienne un camp d'oxygène pour Japonais en goguette ”.

316 Spectacles solos de membres de la Cie. 317 A.D. “ Monsieur Carnaval Mort-né ” Sud Ouest, 18 janvier 1986. 318 “ Bernard Lubat persiste et signe ”, Sud Ouest 20 janvier 1986. 319 Le 19 octobre, concert à Villandraut (chansons de Lubat et Minvielle) avant la tournée en Allemagne et les 25-26 octobre, entre l’Estaminet et Villandraut : “ la Nuit de la Castagne ”

107 Et puis, voilà Lubat candidat aux prochaines élections régionales sur la liste conduite par le Parti communiste... Sud-Ouest. - Pourquoi cette candidature? B. L - Pour que je puisse parler autrement que comme un artiste-créateur puisque en tant que tel, on ne m'entend pas. Je veux parler comme un citoyen qui a un programme et une analyse sur une stratégie de revitalisation de la région. Depuis notre installation ici en 1978, pas un responsable politique n'est venu officiellement nous interroger sur le projet artistique que nous faisons vivre. / Pourquoi je suis candidat? Parce qu'on se trouve devant une élection régionale et que pour savoir ce que va devenir la décentralisation, il me semble important de s'y intéresser de l'intérieur. Reste le choix de la liste. Si je suis apparenté au Parti communiste, je n'ai pas, par pudeur artistique, de carte au Parti. S-O. - Placé en huitième position sur la liste, vous avez des chances d'être élu? B. L - Aucune! Mais se présenter, c'est agir. Et cela permet de sortir le musicien de sa citadelle, de sa solitude. Cela permet de faire savoir un certain nombre de choses. De rappeler que les gens veulent jouer de la musique et que les écoles sont pleines. Au point qu'on ne peut pas répondre à la demande. De rappeler aussi que ceux qui étudient, trop souvent, ne peuvent pas jouer. / L'élection régionale, sur le plan politique, rejoint ma pratique artistique. C'est-à- dire un travail à la base. Non pour rester à Uzeste mais pour inventer, créer ici et aller exprimer cette création ailleurs. / Sur la liste, il y a des gens très différents. C'est intéressant. Pour moi, c'est me mettre aux feux de la contradiction, aussi bien en tant que citoyen qu'en tant qu'artiste. S.-O. - C'était facile d'accepter? B. L. - Comme je me bats sur le terrain artistique depuis de nombreuses années, il m'est apparu logique de me battre aussi sur le terrain politique pour tenter de faire circuler les idées. J'ai le privilège d'être devenu quelqu'un que l'on appelle sur les terrains de lutte. Parce que je sais le faire. Je suis un bon artisan de la bagarre. S.-O. - Un temps, vous vous disiez “ communiste, désespérément ” B. L - Très souvent, je n'ai pas été d'accord avec ce qui se passait. Quand je dis : “ communiste, désespérément ”., c'est comme si je pensais que l'éthique communiste- communarde-commune était désespérément vivante en chacun de nous, mais qu'elle a un mal fou à s'extirper des vicissitudes de l'histoire et de l'organisation de la vie. / Si je ne vois pas tellement de solution avant plusieurs siècles, sans doute, ce n' est pas une raison pour ne pas se battre au niveau de sa petite virgule... Il y a maintenant une grande époque de charité qui s'installe chez les Chanteurs sans Frontière et tout un tas de choses du genre. Ces chanteurs feraient mieux de s'occuper de la misère de leur chanson ! Car il va falloir bientôt s'exprimer en anglais pour passer à la radio ou à la télé. L'expression artistique vivante diminue dangereusement. On peut voir là un signe de la mauvaise santé du forum politique dans la cité. S-O. - Professionnellement, c'est prendre des risques que de se présenter sur une liste du P.C.? B L - Sans aucun doute ! D'ailleurs, j'apprécie les mesures de représailles à mon encontre depuis vingt ans, puisque je n'ai jamais caché mes opinions. Si depuis 1981 j'avais été plus proche du parti actuellement au pouvoir, j'aurais peut-être eu moins d'emmerdements pour obtenir des subventions.(…) Ce qui est sûr, c'est qu'en me présentant, je ne suis pas dans le coup. La mode, c'est d'être cynique. D'être déçu de tout. Mon engagement va donc me griller un peu vis à vis de la pensée soixante-huitarde. Mais plus qu'un risque calculé, c'est un risque obligatoire dès lors qu'il vient en conséquence logique de ce que je pense, de ma réflexion sur mon rôle social et sur la fonction sociale de l'art. S.-O. - Ne faut-il pas voir dans notre engagement un retour d'ascenseur aimable à un parti qui vous a soutenu jusque là ? B. L - Pas du tout ! Pour la bonne raison que le Parti ne m'a pas soutenu. Chaque fois qu'il nous a appelé pour des fêtes, c'est en fonction de notre qualité artistique. Nous avons eu les mêmes problèmes artistiques dans les municipalités de gauche ou les fêtes du Parti qu'ailleurs. On dérange. Et notre boulot, c'est ça. Je ne suis pas un cheval culturel du Parti ! (…) c'est

108 parce que je fais tout ce que je fais au quotidien, ici, sur le terrain, que je me présente aux élections régionales. Ça me donne le droit et le devoir de me présenter. ”320

Comme nous l’avons laissé entendre plus haut, Bernard Lubat ne fut pas élu, mais il fit une rencontre en la personne de Robert Escarpit qui ne lui ménagea pas son soutien.

320 Jean Eimer, “ Je ne suis pas un cheval culturel du parti ” Sud Ouest, 1986 et propos recueillis par Jean Eimer.

109 C°) 1987-1988 . Les « Non-festivals » ou la bataille du « Xe »

1) Du carnaval de Toulouse au New-Morning; des événements artistiques majeurs pour la Cie …

Pour revenir à une chronologie plus linéaire des manifestations de la Cie Lubat sur le terrain, il apparaît que c’est à partir du mois de janvier 1987 que le réinvestissement du local s’accentue réellement. Tout au long des mois de janvier, février, mars, avril et mai, de nombreuses manifestations sont organisées. Elles se déroulent dans la grande majorité à l’Estaminet, l’équipe UM/Cie, se réintroduisant sur le territoire uzestois par le biais de ce lieu originel. Vous le remarquerez, les nombreux invités qui se produisent lors de ces manifestations sont souvent des familiers, déjà venus aux festivals estivaux. Les 30-31 janvier et le 1er février, lors de trois jours de festivités à l’Estaminet, on retrouve donc Eugène Riguidel (le navigateur, déjà présent au Noël 1985) ; le 19 février on retrouve Claude Marti et sa chanson occitane. Puis, en vedettes, à l’Estaminet toujours, ce sont, le 25 avril, Jean-Marie Ecay (le nouveau guitariste, depuis mars 1986, de la Cie Lubat) et les 1er et 2 mai Eric Le Lann (trompettiste). Les 21 et 22 mai, l’équipe UM/Cie organise un “ Pentecôte à l’Estaminet ”.

Ces concerts au village ne doivent pas être interprétés comme un manque de travail à l’extérieur pour la Cie Lubat, bien au contraire, car en ce début d’année 1987 se concentrent un certain nombre d’événements majeurs, qui, tout comme la Cie dans ses aller-retours permanents entre sa base uzestoise et ses prestations à l’extérieur, s’inscrivent dans une dialectique et ont des répercussions sur les manifestations présentées à l’échelle locale.

C’est de cette manière que l’on retrouve Nougaro en personne, à l’Estaminet toujours, le 28 février. Il faut voir là un effet de la conjoncture : cette année-là Cie Lubat organise le Carnaval de Villandraut (le 1er mars) en co-élaboration avec le Comité des Fêtes de Villandraut et avec Claude Nougaro. Ce n’est pas là non plus un hasard : la Cie Lubat et Nougaro travaillent déjà ensemble cette année pour un autre Carnaval et d’une ampleur tout autre : le “ Carnaval Occitan de Toulouse ”. La Cie propose alors en guise de “ répétition générale ” une soirée à l’Estaminet et un carnaval à Villandraut, avant de se présenter devant les Toulousains321.

Le Carnaval Occitan de Toulouse est né en 1982 à l’initiative du C.O.C.U. (Comité d’Organisation du Carnaval Universitaire, à l’intérieur duquel on retrouve Claude Sicre*), l’édition 1986 avait été interdite car lors de l’édition 1985 avaient eu lieu des débordements violents. Pour sa reprise en 1987, le COCU prévoit les choses en grand322. La direction artistique en est confiée à Bernard Lubat et Claude Nougaro. Un énorme défilé traverse les rues de Toulouse avec dix-sept chars musicaux décorés (sur l’un d’eux un célèbre groupe brésilien : le “ Trio Electrico ” de Bahia) et pour son jugement, le Roi de Carnaval, Claude

321 “ Carnaval : Villandraut avant Toulouse ”, Sud Ouest, 2 mars 1987, on retrouve aussi, accompagnant la Cie, Eugène Riguidel et Mohammed Bangoura. 322 Voir aussi dans la présentation des sources le nombre d’articles de presse dédiés à l’événement.

110 Nougaro, chante sur le toit du Capitole. L’événement largement relaté dans la presse a réuni quelque 35 000 personnes dans les rues.

Autre événement important, en mars : la septième édition du festival occitan d’Eysines à l’occasion de laquelle Bernard Lubat et Bernard Manciet créent une œuvre considérée comme majeure : Por el Yiyo. De son aspect transdisciplinaire (avec de la danse, du théâtre, des images projetées) la presse retient surtout le “ face à face Lubat Manciet ”323.

Du 25 au 30 mai, Bernard Lubat a carte blanche au 5ème Festival de Jazz en Avignon. Il y présente un “ feuilleton quotidien ” : Jazz Story Jazz, spectacle de théâtre musical conçu avec son ami André Bénédetto dans son fief avignonnais : le Théâtre des Carmes. Apéro Swings et Théâtre musical, Lubat lance ses invitations, et l’on retrouve plusieurs de ses amis prestigieux : Mohammed Bangoura, Didier Lockwood, et Claude Nougaro.

Mais l’événement le plus retentissant ; salué par toute la presse nationale324, est l’installation de la Cie Lubat pendant cinq soirs (du 5 au 9) au New-Morning de Paris. Projections de films, dégustation de Sauternes, et musique gasconne avec Lous Pignadas, Lubat emmène encore une fois tout son festival dans ses bagages et lance des invitations à ses amis, vieux et nouveaux (Michel Portal, Didier Lockwood, Jean-Louis Chautemps, Eric Lelann, La Velle, Marc Perrone, Jo Privat).

“ L'AMOUR LIBRE. Quatre questions à Bernard Lubat. Il est au New Morning, avec tous les siens, en quête du mouvement perpétuel. Cadence contre décadence. - Durant toute la semaine, avec la compagnie Lubat vous apportez dans la capitale le souffle de “ Vive Uzeste Musical ”. - Oui, nous essayons de diffuser de la création artistique. “ Vive Uzeste Musical ” est le laboratoire public de la compagnie Lubat avec, aussi, des compartiments privés de travaux de recherches. Du coup, nous sommes obligés de faire de la création en matière de diffusion de la création. - Vous avez invité au New Morning des compagnons actifs dans ces recherches, Jean-Louis Chautemps, Michel Portal… …avec lesquels je partage la musique et l'amitié. Jean-Louis a été à l'origine de la première compagnie. Portal est un compagnon de lutte, un frère de déchiffrage et de défrichage de partitions qui ne sont pas encore écrites. Ce soir, La Velle se joindra à la compagnie. Elle vient du blues - mes racines occitanes transatlantiques. Je l'aime, car elle ne fait pas semblant de chanter. Du point de vue artistique, c'est la femme [dont je suis le plus proche]. Samedi soir, ce sera le grand show bal avec Jo Privat et Marc Perrone. J'ai fait des enregistrements avec Jo Privat il y a vingt ans. L'époque musette m'a toujours intrigué, des artistes improvisaient aux côtés des manouches, de : ils étaient les branchés d'alors. L'accordéoniste Marc Perrone représente une résurgence plus contemporaine, et hors clichés, qui me touche. Originaire du Piémont, il a passé pas mal d'années en Occitanie où il a retrouvé beaucoup de musiques rurales. - “ Lou Pignadas ”, l'orchestre gascon de votre père sera aussi de la fête samedi ? - Oui, ils rappliqueront avec leurs soixante-quinze balais d'âge et leur swing rural. Mon père, à la batterie, c'est le Kenny Clarke de la polka. Il se manifeste ainsi des analogies étonnantes. J'arrive de Martinique où je suis allé préparer une tournée pour l'an prochain (aux Antilles, à Cuba, Haïti, Trinidad). J'ai été frappé par des similitudes entre le créole et notre patois, au

323 “ Festival Occitan d’Eysines. L’hommage des occitans à El Yiyo ”, Sud Ouest, 20 mars 1987 324 Voir dans la présentation des sources le nombre d’articles de presse dédiés à l’événement.

111 niveau de la rythmique des mots et du son, du politique et du social aussi. La-bas, dans “ France-Antilles ”, le journal d’Hersant, le nouveau recteur de l'université déclarait en première page que le créole n'est pas une langue ! Dans le créole, j'entends une alchimie, l'autre n'y entend pas une langue. On en revient aux théories qui refont surface actuellement et qui foutent les jetons : l'affaire Barbie, Le Pen, bref, toute une pensée bétonnée qui s'installe en force. Nous nous battons comme des chiens contre ce genre de problèmes - racisme, xénophobie -, fonctionnant très fort maintenant à cause de la misère et du chômage. - Vous avez invité le violoniste Didier Lockwood dont la pratique musicale diffère pas mal de la vôtre. Qu'est-ce qui vous unit ? La cadence, comme disent les vieux. Le swing, l'imagination, le désir, la maîtrise. Le fait de ne pas se dégonfler, d'être en perpétuel mouvement. C'est en ce sens que j'ai compris le mot “ jazz ” non comme l'estampille d'une période mais, d'un point de vue philosophique, comme un processus de liberté, infini, incommensurable, se laisser envahir... l'amour. ”325

On retrouve là encore la pratique de l’équipe UM/Cie de recréer des mini-festivals. Cette pratique est ici théorisée dans la bouche de Lubat comme étant un travail de “ création en matière de diffusion de la création ”, il s’agit là de l’avant-dernière mouture avant la naissance de “ l’art de la diffusion de l’art ”. Toutes les problématiques qu’il transporte ainsi avec lui, donnent à chaque fois à Bernard Lubat l’occasion de développer son discours sur tous les thèmes qui lui sont chers : la musique, la société, la musique dans la société, le jazz, l’art et l’improvisation, la vie et le désir. A noter : on trouve dans cet interview des propos anti-racisme et anti-xénophobie qui sont à mettre en écho avec, nous allons le voir plus loin, son engagement anti-apartheid.

2) Réseaux : Avignon, Montreuil, Toulouse, et la Fête de l’Humanité.

Ces riches saisons artistiques de la Cie Lubat, et plus particulièrement celle de 1987, nous ont donné un aperçu de ce que j’appelle les réseaux dans lesquels la Cie Lubat s’est au fil des ans insérée. Occasions répétées de relations suivies, ce sont des liens que Bernard Lubat et l’équipe UM/Cie entretiennent avec certains autres lieux et les artistes habitant ces lieux. Les relations régulières et suivies ainsi entretenues, pourraient être qualifiée de relations interpôles.

Considérant tout d’abord Uzeste comme le pôle central où se sont construites et/ou prolongées ces rencontres et ces échanges, on peut distinguer trois pôles avec lesquels Uzeste et la Cie Lubat sont en relation de manière suivie durant la période étudiée : Montreuil, Toulouse et Avignon.

Chronologiquement le premier de ces pôles se situe à Avignon où André Bénédetto* a son fief, au Théâtres des Carmes. Nous avions vu que la rencontre avec Bénédetto avait eu lieu à l’occasion de la fête deL’Humanité en 1980, et qu’elle s’était fortement confirmée avec la tournée transdisciplinaire organisée dans toute l’Occitanie par la revue Mêlée en janvier 1982 avec Ernest Pignon-Ernest. Cette même année, Bénédetto invite la Cie Lubat dans son Théâtre des Carmes. La Cie y présente un “ Music Swing Revival ”. En juillet 1983, La Cie revient à Avignon lors du festival de théâtre ; Lubat et Bénédetto défrayent la chronique avec

325 F.C. “ L’amour libre ” L’Humanité, 7 mai 1987, propos recueillis par F.C.

112 leur intervention en duo dans les rues d’Avignon. La Cie revient ensuite à plusieurs reprises au Théâtre des Carmes : les 13-14-15 novembre 1986 et, après le “ Jazz Story Jazz ” du 25 au 30 mai 1987 au “ Festival de Jazz d’Avignon ”, les 13-14-15 octobre 1987.

Toujours chronologiquement, le second pôle est Montreuil. Ville du batteur américain Kenny Clark et “ banlieue rouge ”, elle accueille par deux fois, en avril 1984 et du 8 au 14 juin 1985, le mini-festival “ Uzeste à Montreuil ”. On a vu que c’est également à Montreuil que naît, le 8 juin 1985, la nouvelle association “ Vive Uzeste Musical ”, incluant dans son bureau Francis Gendron, directeur de la “ Maison Populaire ”326. C’est également ce réseau au compte duquel il faut mettre l’arrivée de François Corneloup dans la Cie Lubat à partir de 1986. En 1986, ces échanges continuent avec, au mois de décembre, trois soirées organisées autour de la Cie Lubat : d’abord un “ Tambour battant concept ”327 le 2 à l’auditorium du conservatoire de Montreuil. Le 3, à la salle des fêtes de Montreuil : La Cie Lubat se produit dans une soirée regroupant des concerts de Michel Portal ; le Phil Woods Quintett et Salif Keita. Et, le 5, à la “ Maison ouverte ” de Montreuil La Cie Lubat invite Barney Wilen et Philippe Petit. En décembre 1987 (les 2 et 3) la Cie revient encore pour un “ Jazz à Montreuil ”.

Et pour finir, troisième grand pôle, et peut-être celui ayant l’envergure la plus grande : Toulouse. On a déjà évoqué le mémorable Carnaval occitan de Toulouse du 13 mars 1987, avec Claude Nougaro, Roi du Carnaval, et 35 000 personnes dans les rues. Rappelons donc que Toulouse est la cité de deux artistes très liés à Bernard Lubat et au festival d’Uzeste : Claude Nougaro* et Claude Sicre* (qui, depuis sa première participation en 1986, ne cessera de venir jusqu’en 1990). Après cette collaboration réussie, la Cie Lubat va revenir régulièrement à Toulouse. En 1988, l’expérience du Carnaval est reconduite (février), avec cette fois Lubat comme Roi du Carnaval (il compose pour l’occasion la chanson Zoulouse- Toulouse). Fin juin-début juillet, la Cie est invitée dans le cadre du Festival “ Racines ” dans le quartier du Mirail autour du lac de la Reynerie (où se produisent, entre autres, Farfina, Zebda, Cheb Kader, Idir). En 1989, la Cie retourne à Toulouse à deux reprises ; le 18 février pour une journée “ Musique du Sud, Toulouse Capitale ” (on y retrouve Zebda, le Massilia Sound Systeme, Envolada, et les Fabulous Trobadors de Claude Sicre* et Enjalbert). Et le 26 Juillet un concert place des Tiercettes328 rassemble Bernard Lubat, Claude Sicre* et Claude Nougaro*.

En avril 1990329 (du 9 au 12) dans la salle du Bijou, la Cie Lubat vient présenter son nouveau concept“ Voix Croisées ” dans une soirée homonyme.

Si le Carnaval occitan de Toulouse est la plus médiatique des apparitions de la Cie à Toulouse, ce n’est pas la première. La première remonte à 1986. Je l’ai volontairement présentée à la fin, car elle nécessite un développement qui nous emmènera plus loin. Le 12

326 Charles Silvestre, “ Uzeste à Montreuil. Des chercheurs d’or ”, juillet 1985. 327 A mettre en lien avec le “ Tambouroudïou, concept ” du Festival estival 1985. 328 La Place des Tiercette est le fief de Claude Sicre, il y mène son action d’animation de quartier : repas de quartiers, débats et joutes poétiques. 329 A partir de 1990, se développe en relation avec la Toulouse de Claude Sicre, Montauban de Felix Marcel Castan et d’autres villes du Sud une “ Linha Imaginot ”, une ligne,réseau de capitales régionales et d’artistes occitans anti-centralistes. La revue intitulée Linha Imaginot commence à paraître en février 1990 (il y a encore deux numéros pour l’année 1990 : n°2 : “ Estiu de 1990 ” et n°3 novembre 1990).

113 décembre 1986, Bernard Lubat, avec le soutien du PCF, se fait promoteur d’un “ Festival anti- apartheid ” à Toulouse. Celui-ci, à l’image des manifestations organisées à Montreuil ou à Avignon, regroupe sur le plateau de nombreux invités (André Bénédetto, Bernard Brancard, Lavelle, Adama Dramé, Claude Sicre et Daniel Loddo, l’ Ecole de Samba de Toulouse, Claude Marti, et Salif Keita330), pratique que nous avons déjà évoqué.

Ceci nous permet de nous arrêter sur deux points et de souligner que, d’une part, apparaît ici l’appartenance de Bernard Lubat à un quatrième réseau : celui des fêtes communistes, et, d’autre part, que la mobilisation anti-apartheid occupe une place importante dans les activités extérieures de la Cie Lubat durant les années 1985-1988.

Tout d’abord rappelons que la fête de L’Humanité, grand rassemblement à la fois militant et culturel, est alors un grand promoteur de la venue de jazzmen américains en France, et que le Parti Communiste, avec cette fête, offre une scène hors pair aux musiciens français et internationaux. Rappelons également que Bernard Lubat est depuis son enfance communiste par éducation et par affinité. Ainsi, jazzman français d’affinité communiste, il cumule les “ critères ” pour être invité à la Fête de L’Humanité. Et en effet dès avant la création de la Cie Lubat, on peut y entendre Bernard Lubat (notamment à l’édition 1973). Il y vient ensuite régulièrement avec sa Compagnie331, notamment aux éditions 1976, 1978, 1980 et 1982, 1986, 1987, 1988, 1989 et 1990.

Avant de voir plus en détail son implication dans la fête et les rencontres qu’elle a suscitées, écoutons ce que lui-même dit de cette fête :

“ Bernard Lubat, pour qui percussions, pianos, accordéons n'ont aucun mystère, a une passion : la vie. Une passion qui l'amène à rencontrer les grands noms du jazz mais surtout le pousse à tout bousculer. Il y a 10 ans, il transforme son village, Uzeste, près de Bordeaux en haut lieu de la musique “ vivante ” - évidemment - En 1986, il est sans doute le seul artiste candidat à l'élection régionale en pays gascon. C'est donc tout naturellement que l'Eveil l'a rencontré à la Fête de l'Huma quelques heures avant un concert en hommage à Nelson Mandela et Pierre- André Albertini. S.D. : Tout d'abord, une question de simple curiosité, depuis combien d'années la Compagnie Bernard Lubat se produit-elle à la Fête de l'Huma ? Je suis quadragénaire et je passe à la fête depuis 20 ans. J'ai essayé toutes les scènes et joué dans de nombreux stands. Pour moi, il s'agit d'un rendez-vous unique au monde. Une rencontre exceptionnelle avec ce que j'appelle la réalité. Des milliers de gens, de toutes les régions se retrouvent ici avec leurs coutumes, leurs traditions, leurs espoirs et leurs luttes. Toute une richesse que l'Art en général donc la musique n'égaleront jamais. Je pense en effet que l'art est toujours en dessous de la réalité. S.D. : La fête a pour vous été l'occasion de nombreuses et importantes rencontres ? Bien sûr, j'ai joué et rencontré à la Courneuve Max Roach, Marc Perrone, Manu Dibango, Nougaro, Eddy Louis et bien d'autres mais j'ai rencontré aussi des gens qui n'ont rien à voir avec le milieu musical. Les animateurs, organisateurs de l'espace midi par exemple. Des rencontres qui ont d'ailleurs abouti à la création du festival d'Uzeste. Le festival s'inspire complètement de la fête, de son état d'esprit, lutte y compris. S.D. : A propos de lutte, vous avez été candidat du parti Communiste à l'élection régionale de mars 86. C'est surprenant de la part d'un artiste ?

330 “ Synopsis Toulouse 12 décembre ” dans “ Lettre envoyées par VUM ” “ -----1986 ” 331 Présences établies à partir des articles de presse.

114 Si je suis musicien, je n'en suis pas moins citoyen. Comme je viens de le dire, pour moi musique de qualité rime avec réalité. Cela me plaisait de tenter cette expérience même en sachant que je ne serais pas élu. C'était pour moi un moyen de faire bouger les choses, d'intervenir. J'étais candidat tout comme il est pour moi naturel de participer à la soirée organisée à Evreux pour fêter le retour de Pierre-André Albertini, Je vis dans un monde, j'y prends position. S.D. : N'est-ce pas cela vivre de la musique ? Effectivement, la fête de l'Huma, Uzeste, Evreux c'est important. C'est indispensable pour la musique vivante. Celle que je défends. Une musique qui doit oser, bousculer les habitudes, déranger, provoquer. Avant le spectacle, je ne sais jamais ce que je vais jouer. Face au public, nous improvisons. Nous voulons que les gens réagissent avec nous lorsque nous nous perdons dans un morceau, qu'ils cherchent, s'interrogent. Nous ne nous contentons pas de faire apprécier la musique simplement en offrant au public des morceaux qu'il connaît ou croit connaître comme cela se passe le plus souvent. Je ne prends pas les gens pour des “ cons ”, jamais je ne leur présenterai un spectacle semblable à un match de foot dont les phases de jeux, les résultats seraient prévus d'avance. S.D : Ta conception de la musique ne semble pas plaire à tout le monde ? Non évidemment, nous sommes si je peux dire “ repérés ”. Il y a tout d'abord le sort réservé à Uzeste interdit de fonds publics malgré son succès. Faute de moyens mais grâce au soutien de nombreuses personnes qui refusent la mort d'Uzeste nous avons en août dernier organisé ce que nous avons appelé un non-festival, dit “ l'Eté-Estaminet ”332. Nous faisons parallèlement circuler une pétition mais la partie n'est pas gagnée. Quant à la télévision, toutes chaînes confondues m'ont invitées 7 fois en 10 ans pour environ deux minutes et demi, S.D. : Le mécénat ne serait-il pas une bonne solution pour Uzeste ? Je m'en méfie beaucoup. Soumis à l'argent de sponsors je crains que la quantité prennent le pas sur la qualité. Je ne veux en aucun cas être contraint à une musique standardisée. ”333

Son implication dans la fête de L’Humanité va se concrétiser en 1980 (ou 1982 ?)334 par la création avec Charles Silvestre*335 de “ l’Espace Midi ”, tribune, lieu d’expression et de rassemblement des gens du “ Midi ”. La fête de L’Humanité est également, comme il le dit lui-même, un lieu où il a fait beaucoup de ses rencontres majeures telles celles avec Marc Perrone (1982) ou encore avec André Bénédetto (1980).

C’est avec la fête de L’Humanité encore que la Cie Lubat va se trouver, à partir de 1985 et ce jusqu’en 1990, dans une série de concerts militants contre l’apartheid et pour la libération de Nelson Mandela. Le premier ayant lieu en septembre 1985 : “Pour Nelson Mandela ” “ Freedom Now ”. Bernard Lubat restera fidèle à ce combat contre le racisme et la xénophobie (on le voit par ailleurs dans l’interview “ l’amour libre ” cité ci-dessus).

332 Je laisse volontairement l’article en entier pour laisser se dérouler le discours/axes et préoccupations lubatien, même s’il anticipe un peu sur le développement chronologique de la suite. 333 “ Bernard Lubat. Un autre son d’accordéon. ”, L’Eveil, 17 septembre 1987, Propos recueillis par S. Ducatteau. 334 Dans son journal-programme “ Vive Uzeste Musical,Cie Lubat,L’Eté l’Estaminet,1987 ”, l’équipe UM/Cie donne 1982 comme date de la “ mise en swing et création de “ l’Espace Midi ” pour la Fête de l’Humanité,Parc de la Courneuve,Paris. ”. Néanmoins Jean-Louis Destrem, dans son article de l’Humanité du 16 septembre 1980 relate les deux jours de la Cie à “ l’espace Midi ”. 335 Charles Silvestre que l’on retrouve a maintes reprises au festival estival d’Uzeste.

115 “ Freedomn now suite ! Les musiciens de jazz n'avaient pas attendu 1985 pour jouer contre l'apartheid. En 1960, dans sa Freedom Now Suite (Liberté Maintenant), Max Roach intitulait un mouvement Tears For Johannesburg (des larmes pour Johannesburg). Aussi n'est-il guère surprenant qu'il se soit trouvé au cour du all-star historique réuni le 14 septembre dans le cadre de la Fête de l'Humanité pour demander la libération du leader sud-africain Nelson Mandela entre l'Europe de Bernard Lubat et Eddy Louiss et l'Afrique de Manu Dibango et Salif Keita, les tambours de l'Afro-Amérique... ”336

La fête de L’Humanité donnera par la suite trois autres concerts pour la même cause : lors de l’édition 1987, puis en 1988 (“ Tambours pour Mandela ”), et en 1990 : (“ Mandela Libre, le combat continue ”, concert contre le racisme et l’apartheid) où l’on retrouve sur le plateau les mêmes musiciens, avec en plus Michel Portal, Louis Sclavis ou André Bénédetto ; artistes engagés, tous amis de Bernard Lubat…

Mais ces types de concerts auront lieu également lors d’autres occasions, hors fête de L’Humanité : comme le 9 décembre 1988 avec un grand concert au Champs de Mars de Paris pour Nelson Mandela (je ne parle ici que de ceux où est présente la Cie Lubat), le 8 novembre 1986337 à Champigny ou encore le 12 décembre 1986 le “ Festival anti-apartheid ” organisé par Bernard Lubat à Toulouse.

L’année 1987 nous allons le voir est riche en péripéties…

3) Retour à Uzeste…

Si nous avons fait ce long détour hors du festival d’Uzeste et des manifestations de la Cie dans le canton, c’est pour pouvoir mieux situer la Cie Lubat dans le contexte global de ses activités dont une grande part se déroule tout de même hors de son lieu d’implantation et qui connaissent lors de ces années un réel essor338. Cela a en retour des effets sur le discours de l’équipe UM/Cie et sur son ambition à propos de son action d’animation culturelle locale.

En effet, à côté de toutes ces occasions riches de rencontres, la principale préoccupation de la Cie Lubat demeure toujours le Festival estival. Et au mois d’avril, l’équipe UM/Cie prépare le 10ème anniversaire du festival :

Le 10ème Festival d’Uzeste aura lieu du 15 au 23 août 1987. Du 15 au 19... "Ateliers artistique de la Cie Lubat"

336 Françoise-Marie Coudert et Christian Gauffre, Jazz Magazine, novembre 1985. 337 L’année 1986 est, pour la Cie Lubat une année très riches en concerts militants, de solidarité ou humanitaires : -Mai, (8)la Cie joue dans une fête à Langon pour le Secours Populaire (+ K’Ala Marka et Lous Pignadas).,Octobre, (le 10) “ Des livres pour Haïti ” à la Mutualité. (Higelin, Dibongo, Quarteto Cedron, Portal, Bonga),Novembre, (29) soirée “ Fête de la Solidarité ” (+ Salif Keita) au “ Festi Marx ” (25-29) à Lille-Hellemmes. 338 Cet essor est visible dans la chronologie jointe en annexe, par le plus grand nombre de concerts chroniqués dans la presse ; et dans la présentation des sources de presse par l’accroissement considérable du nombre de coupure de presse archivées.

116 Recherche musicale pluridisciplinaire privilégiant la musique sous toutes ses formes. Apprentissage d'une pratique musicale, d'une attitude active et participative face à tous les évènements rencontrés. / Ce sont les musiciens de la Cie Lubat en collaboration avec d'autres intervenants choisis parmi les meilleurs créateurs qui animent les Ateliers. / *Du 19 au 23... "Vive Uzeste Musical" et la Cie Lubat proposent une série de créations avec des invités choisis pour participer et se confronter à cette entreprise créatrice en expression artistique vivante contemporaine. -Grand Concert Concept “ de J.S. Bach au Gospel ”. Compositeurs : Bach, Mozart, Schumann, Stravinsky, J.Cage, Portal, Lubat.. -Le temps passe, l'éternité s'en passe. “ Final. Gospel Song ” création collective. -Le Xème Souffle ou “ La décade prodigieuse ” -“ Artifice Opéra ” avec la Cie Lubat et ses invités. Mise en feux du Maître-artificier de la Cie Lubat, Patrick Auzier. -“ Jazz Story ” Conte musical d’André Bénédetto -“ Nuit d’encre ” : La négritude et le patois / Langues racines orales et écrites / Chantées swinguées jouées contées / ringuées sagaies /… ”339

Ce pré-programme où l’on perçoit que la Cie s’inscrit dans la continuité de ses problématiques mais sans jamais cesser de chercher et d’innover, fait suite à un long texte à la fois bilan de 10 ans de pratiques, constat des difficultés tenaces et ouverture sur les perspectives. A travers celui-ci transparaît combien la Cie a accédé à une plus grande ambition et à un plus grand sérieux, ainsi qu’à un niveau supérieur d’analyse et de conceptualisation, choses qui nous suggèrent de voir dès la veille du 10ème festival une nouvelle étape importante du discours lubatuzestien.

“ 1987 – 10è Festival d’Uzeste Musical [note manuscrite : “ janvier 1987 ” ; le texte laisse néanmoins supposer qu’il a été rédigé en avril (“ Nous n’avons pas, quatre mois avant le festival …”)] "Laissons pousser les oreilles". A Uzeste ça fait dix ans qu'on en parle du pays, de la liberté, de l'expression artistique vivante, de la musique, du théâtre, de la poésie, du cinéma, de la chanson, de la création. La liberté de se taire n'est pas notre fête. L’enjeu du festival d’Uzeste cette année est triple. Analyse de 10 ans d'âge. Si Uzeste a grandi jusqu'à sa dixième année, c'est par son acuité et sa convivialité, c'est par la marque d'un projet artistique, par la marque d'un créateur, d'une Compagnie au travail, d'une grande collectivité réunie chaque année (techniciens, artistes, scientifiques...), c'est par son public présent, conscient et libre de ses réactions. Si Uzeste a grandi, c'est par l'existence d'une région, de son histoire, de ses sites, de son climat. Si Uzeste a grandi jusqu'à sa dixième année, c'est le résultat d'un travail sur le terrain au quotidien entre primitif et savant, et non des lubies d'un créateur. C'est le fruit de sa réflexion sur ses propres origines, sur le monde et la société contemporaine, sur une région en perte de vitesse, sur la spécificité de son environnement, sa place et son apport dans le paysage culturel régional, national et international. Il s'agit aujourd'hui de savoir puiser dans cette réalité avec nos différents partenaires artistes, public, pouvoirs publics, sponsors, etc... Poursuite du travail de recherche en création artistique.

339 Ce texte, daté par déduction du mois d’avril 1987, est extrait de trois feuille tapées à la machine à écrire trouvées insérée dans le classeur presse 1987, le ton de l’ensemble me fais hésiter entre considérer ce document comme étant un compte rendu de réunion ou comme étant un communiqué de presse.

117 L'évènement "Uzeste" n'est pas seulement un Festival de programmation artistique, c'est un espace de création, d'enjeu, de risque, de recherche de confrontation pluri-multi-indisciplinaire non-étanche et transparent, entre des artistes vivants en mouvement, un public important et une région en lutte. Maintien de la spécificité et du souffle du Festival cette capacité de création en matière de diffusion artistique. En dix ans, Uzeste a créé un capital de culture, d'expérience, d'énergie créatrice avec les artistes invités solidaires et conséquents, et avec le public. Pendant dix ans, Uzeste est resté à la hauteur de ses engagements originels. Il s'agit aujourd'hui de poursuivre cette réflexion et de continuer à s'en donner les moyens en dépit des vents contraires et de l'époque "légèrement' opaque en la matière. Aujourd’hui, où en sommes nous ? Comme chaque année, la Compagnie Lubat se met à la disposition de "Vive Uzeste Musical" pour concevoir et réaliser l'ensemble des manifestations artistiques du Festival, conçues dans leur globalité comme un temps fort de l'expression artistique vivante. Nous attendons une aide financière des collectivités locales et des institutions de tutelles (Conseil Général de la Gironde, Conseil Régional d'Aquitaine, Ministère de la Culture, Ministère de la Jeunesse et des Sports. Nous comptons sur l'aide technique des municipalités girondines (Bordeaux, Bègles, Eysines... ), sur la participation des partenaires locaux: Associations, "Adishats" (prêt du château de Villandraut), "l'Etoile Clémentine" d'Uzeste... , sur les particuliers qui participent bénévolement à la réalisation du Festival et à "l'accueil chez l'habitant" des artistes invités, de la presse et des festivaliers. En dehors du travail artistique de la Compagnie Lubat et du soutien actif des artistes et techniciens solidaires, de l'action permanente de "Vive Uzeste Musical", nous nous trouvons devant une situation à hauts risques, bien que des intérêts multiples se portent sur ce Festival : échanges internationaux (artistiques dans un premier temps), proposition de participation à l'évènement de la part de municipalités autres que girondines, participation par apport de stagiaires et de public et en éventuelles prestations de service, intérêt grandissant d'entreprises privées pouvant intervenir en prestations ou en apport direct dans le financement. Intérêt qu'il nous faudrait être en mesure de concrétiser. Mais à ce jour la précarité de notre situation ne nous permet pas d'avoir une structure permanente pour planifier et gérer cette organisation ; nous n'avons pas, quatre mois avant le Festival, les moyens ni la confirmation de soutien logistique pour préparer et réaliser cet évènement à la hauteur de sa renommée nationale et internationale. En effet, nous ne connaissons toujours pas le volume de l’aide financière des pouvoirs publics. Le manque chronique d'infrastructures pose le problème de l'implantation du Festival. Or, l'une des forces du Festival est de participer à la vie culturelle et économique locale et même d'en être un catalyseur; paradoxalement, les relations avec les communes sont difficiles. Sont-elles prêtes à accueillir l'évènement, sans exiger qu'il perde son identité ? "Uzeste à Uzeste, Pourquoi Non ?" ”340

Après un paragraphe synthétisant le projet et le parcours de dix ans d’Uzeste Musical : création, projet artistique, collectivité, réflexion et dialectique ; un festival conçu et vécu comme un “ espace de création, d'enjeu, de risque, de recherche de confrontation pluri- multi-indisciplinaire non-étanche ” ; est réaffirmée la nécessité de continuer dans ces mêmes exigences malgré les difficultés. Brossant le paysage des partenaires et des soutiens du festival, ce texte pointe les difficiles relations avec les pouvoirs locaux ainsi que la précarité et

340 Ce texte, daté par déduction du mois d’avril 1987, est extrait de trois feuilles tapées à la machine à écrire trouvées insérée dans le classeur presse 1987, le ton de l’ensemble me fait hésiter entre considérer ce document comme étant un compte-rendu de réunion ou comme étant un communiqué de presse (texte déjà cité).

118 l’incertitude dans laquelle l’équipe UM/Cie se trouve, situation paradoxale eu égard au niveau de la reconnaissance nationale et internationale qu’elle a obtenue. Aide financière et infrastructure permettant une réelle implantation sont les deux volets manquants (encore et toujours) au travail de la Cie et du Festival.

Ces inquiétudes par rapport aux financements publics sont également répercutées dans la presse, qui souligne elle aussi la précarité dans laquelle se trouve le festival.

“ La Compagnie se porte bien (dix à douze concerts par mois en moyenne annuelle; près d'un million de recettes brutes, cette année) mais (…) le festival estival de l'Association “ Vive Uzeste Musical ”, cependant alimentée par la Compagnie, reste toujours aussi menacé. Et, pour Bernard Lubat, plus que jamais nécessaire./ Il aura lieu en principe cet été, du 16 au 23 août. Si du moins les subventions attendues arrivent. Or, il y a du retard à la manne et Bernard Lubat, observant ce qui se passe dans les centres culturels, craint que le volume des aides ne passe de 220 000 francs (été 1986) à 150 000 francs. Sale affaire pour fêter le dixième anniversaire d'un festival à propos duquel les responsables du Printemps de Bourges, venus étudier le phénomène sur place, avaient eu ce mot réjouissant : “ Uzeste est à Bourges ce que la résistance était à la 2° DB”. ”341

Une préparation compromise

Peu de temps après, ces craintes vis à vis des subventions et du soutien public à venir se trouvent confirmées et les choses se présentent sous un angle encore pire que prévu.

En effet, à la fin du mois d’avril 1987, le cinéma François Mauriac qui, depuis son ouverture, n’avait jamais été rentable, et fonctionnait même à perte en continuant de proposer une programmation cinéma malgré un public toujours en sous-nombre, est contraint à la fermeture342. A quatre mois du festival, l’équipe UM/Cie se retrouve donc privée de sa base territoriale.

D’autre part, le 15 juin, le conseil général de la Gironde décide de ne pas attribuer la subvention prévue pour le festival d’Uzeste. Cette défection entraîne un désengagement en chaîne des autres partenaires publics.

Sans soutien financier, l’équipe UM/Cie décide que “ le dixième festival est reporté/déporté ”343. Néanmoins, si la célébration du dixième anniversaire a avorté, l’équipe UM/Cie n’entend pas abandonner le combat et imagine une alternative : une “ manifestation artistique de solidarité pour l’expression artistique vivante contemporaine ”344.

“ Plus de subventions pour les rencontres qu'organise depuis dix ans Bernard Lubat ? Qu'importe, on joue quand même ! Bernard Lubat se bat. (…).

341 Jean Eimer, “ Fête à Paris, pleurs dans la Lande ”, Sud Ouest, 6 mai 1987. 342 Jean Eimer, “ Fête à Paris, pleurs dans la Lande ”, Sud Ouest 6 mai 1987 “ Pour une semaine, la Compagnie Bernard Lubat fait la fête au New Morning, à Paris. Mais dans le même temps, l'Association “ Vive Uzeste Musical ” a dû fermer le cinéma François Mauriac à Villandraut et des menaces pèsent sur le prochain festival estival ”. 343 Dans programme,journal 1987, p 8-9 “ Lettre ouverte aux pouvoirs publics ”. 344 Intitulé de la manifestation, dans Journal-programme 1987.

119 Le Conseil régional d'Aquitaine fait savoir à Bernard Lubat que la subvention d'un montant de 50 000F accordée au X° Festival d'Uzeste ne sera versée que dans la mesure où le Conseil général de la Gironde octroie une subvention équivalente. Ce dernier ayant décidé de ne rien verser à l'association Vive Uzeste Musical organisatrice du festival, Bernard Lubat se retrouve sans le moindre centime. Asphyxie ! Mise à mort ! Eté 1987. Eté douloureux: Lubat contraint d'annuler la dixième édition du Festival d'Uzeste. Eté honteux: un artiste est bâillonné. Eté solidaire: les gens dUzeste soutiennent Bernard Lubat. Eté 1987: Eté l’Estaminet. Les artistes, qui se produisent sans cachet, jouent chez l'habitant. La Velle au Café des Sports, pour un jazz club avec Eddy Louiss. Bernard Lubat et Didier Lockwood. Eric Lelann au Café l’Estaminet. Eugène Riguidel partout. Et, Louis Sclavis chez le docteur Seguin, comme Rachid Bahri, Pierre Vassiliu et Claude Nougaro, lequel, de retour de New York, passe quatre jours à Uzeste pour un boeuf gothique, rural et non-stop. ”345

“ L’Été L’Estaminet ” : manifestation artistique chez l’habitant, un festival de résistance

Abasourdie, l’équipe UM/Cie organise la résistance et décide que “ la fête aura lieu malgré tout.”346. L’intitulé exact de la manifestation est :

“ “ L’Eté l’Estaminet ” non-lieu non-stop du 19 au 23 août à Uzeste. Manifestation artistique de solidarité à l’Expression Artistique Vivante Contemporaine (d’hier, d’aujourd’hui, de demain, d’ici et d’ailleurs) et à sa diffusion populaire créative. ”347

L’équipe UM/Cie demande au gérant de l’Estaminet, M. Planton, de déposer une demande auprès de la municipalité d’Uzeste afin d’obtenir l’autorisation d’organiser “ une série de manifestations artistiques du 19 au 23 août prochain avec la participation de Vive Uzeste Musical ainsi que de nombreuses personnalités du spectacle. « J’ai [René Planton] intitulé cette manifestation l’Eté l’Estaminet » 348. Cette demande est par ailleurs accompagnée d’un dossier technique complet répondant aux exigences pointilleuses de la municipalité. Le 13 août 1987, le Maire d’Uzeste, Jean Capeyron, autorise, par arrêté349, le déroulement de la manifestation.

Face à ce déni des pouvoirs publics, à ce cruel retour en arrière (plus de cinq ans se sont écoulés depuis les éditions sans subventions) l’équipe UM/Cie fait appel à toutes les solidarités. Des artistes acceptent de venir jouer sans cachet, des habitants du village acceptent ou proposent de prêter leurs habitations et terrains comme lieu de spectacle. L’hébergement également est organisé sur tout le canton chez les habitants solidaires. Un journal est édité : Vive Uzeste Musical/Cie Lubat/L’Eté l’Estaminet/1987, une pétition circule, et, sur le Journal-programme 1987 un appel à souscription pour le dixième festival est lancé.

345 Christian Laborde, “ Festival d’Uzeste 1987 : du cachet sans le sou. ”, Le Figaro, août 1987. 346 Catherine Cordonnier, “ Le Bœuf d’Uzeste porte les cornes ”, Sud Ouest, 5 août 1987. 347 Dans Journal-programme 1987. 348 Lettre adressée à Monsieur le Maire et à tous les Conseillers municipaux le 18 juillet 1987, trouvée dans brochure “ X° ”. Cette initiative est, d’après le ton et sa grande connaissance des formalités, me semble être téléguidée ou orchestrés par l’équipe UM,Cie qui se présente à la municipalité de façon détournée par le biais du gérant de l’Estaminet René Planton, présentant la chose comme une initiative de son cru. 349 Tous ces documents sont retranscrits dans la brochure “ X° ”, dans « Brochure ».

120 “ Pétition Doit-on exiger, d’une manière ou d’une autre l’authentique fonction sociale de la création, de l’expression artistique vivante contemporaine ? Doit-on ? … et à qui le doit-on ?… Il s’agit d’user d’un doigté certain… d’un certain doigté. Pour qui ? Pourquoi ? et pour quoi faire ? Artistique ultra sensible… grave aigu Comme l’Amour Comme l’Amitié Comme la Vie et la Mort et si et nous et on se le devait à nous-même d’une manière ou d’une autre Civiquement confondus individus, pouvoirs publics, pouvoirs privés, la vie prendrait un certain sens. Si vous jugez bon d’être solidairement vôtre envoyez nous ce papier signé ou tout autre forme de contact à votre goût. ”350

De nombreux uzestois manifestent leur solidarité, et acceptent d’accueillir des spectacles chez eux : le Docteur Pascal Seguin*, M. et Mme Etienne Bordes351, M. Frank Soubret, , Mme Lagardère, Mme Durou352 et ses enfants ; et prêtent leurs terrains Mme Franchi, Mme Lapeyre et M. et Mme Cazaubon. L’Association sportive L’Etoile Clémentine apporte son soutien (notamment en tenant une buvette), comme de coutume, et l’hébergement des artistes, techniciens et invités de “ l’Eté l’Estaminet ” est organisée chez les habitants du canton.

Nombreux aussi sont les artistes à avoir manifester leur solidarité, à travers des courriers ou en signant la pétition. Les plus solidaires enfin viennent se produire gratuitement. On retrouve, pour les artistes de jazz : les fidèles Didier Lockwood et Marie Ange Damestoy, le trompettiste Eric Lelann, la chanteuse Lavelle (tous deux invités de la Cie au New Morning), et les vieux amis Eddy Louiss et Louis Sclavis. Ceux de la chanson française, et pas des moindres, sont aussi mobilisés : Pierre Vassiliu, R. Bahri et Claude Nougaro.

On retrouve pour le spectacle les Compagnons de la Veillée de Langon présentant Les Bonnes de Jean Genet (voir le Noël 1986), le Théâtre démontable de J.D. Durozier qui

350 “ Pétition ” (août 1987), dans “ 1986 Atelier du festival ”. 351 Les Bordes étant sans doute la famille uzestoise la plus impliquée dans le projet Uzeste Musical. En effet, Albert Bordes, le grand père est un des membres fondateur des Pignadas, Etienne Bordes, le fils, maçon et camarade de classe de Bernard Lubat, Président de l’Association Sportive “ L’Etoile Clémentine Uzestoise ”, s’est mis dans l’aventure dès 1978, et on le retrouvera par la suite, actionnaire de la SCI Uzestoise en 1988 et Conseiller Municipal de la liste Pascal Seguin en 1989, Chantal Bordes enfin, la petite fille, a grandit avec le festival, y a appris la musique et a été intégrée à Lous Pignadas dès 1981. 352 Propriétaire du Café des sports et mère de Marie-Jo Righetti, actuelle propriétaire du Café des sports.

121 présente deux pièces : L’imagination conserve et Le petit prince, et, Jérôme Thomas et ses Jongleries médiévales.

On retrouve également dans des Mots dits au Lieu dit des poètes venus en 1986 : Serge Pey, Christian Laborde présentant un récital poésie sur L’affaire Dyonisos353, et le conteur Daniel Lhomond. Répondent aussi à l’appel Catherine Rougelin, la contorsionniste présente en 1986, et Mohamed Bangoura (percussionniste africain déjà engagé à plusieurs reprises dans les spectacles donnés par la Cie Lubat hors festival), le trio Ballafonlacaisse et fidèle parmi les fidèles : Marc Perrone.

Des Apéros swing aux Concerts, Swing club et Final à la Diable, sans oublier le match de foot Artistes contre Etoile Clémentine d’Uzeste et le Bal swing Musette354, les cinq journées355 de ce “ Non-festival ”356 sont bien remplies.

Les théoriciens et hommes de paroles sont aussi là en renfort : Charles Silvestre*, A. Daziron, Bernard Manciet*, Claude Sicre* et Felix Marcel Castan*357 qui fait ici sa première apparition au festival d’Uzeste, introduit semble-t-il par Claude Sicre*. Ceux-ci sont réunis le troisième jour dans un grand débat public organisé avec les Radios ARL Langon et France Culture. France Culture qui diffuse en direct tous les jours de 17h à 18h depuis le festival dans le cadre de son émission Le Pays d’ici.

La parole tient une place d’autant plus importante que ce festival est un festival de résistance et de lutte en même temps qu’un festival de soutien. Si le premier jour laisse surtout la place à la musique et au théâtre, la deuxième journée s’ouvre sur un débat public avec les artistes (également organisé par les radios ARL Langon et France Culture) et une « Communication de Laure Duthilleul, Présidente de VUM et Bernard Lubat, Directeur artistique ”. Le quatrième jour nouveau débat intitulé “ Radio Débat Public Conférence de Claude Sicre ”. Les radios, installées en permanence sur le Pré Roger Cazaubon sont “ ouvertes aux débats non lieu, non stop, en direct et en public ”358.

Non-festival, festival en crise, manifestation solidaire de soutien, l’Eté l’Estaminet, reste un moment fort de l’histoire du festival, dans les mémoires et dans les effets produits.

« Cette année, Uzeste a vibré comme jamais, même aux moments les plus forts des grands festivals. Ce n'était pas une fête locale, ni une kermesse. C'était, soudain, tout un village qui

353 Le dernier roman de Christian Laborde (auteur de Les Soleils de Bernard Lubat) : L’os de Dionysos, jugé pornocrate, avait été censuré, l’équipe UM,Cie soutint Christian Laborde notamment en participant à un concert de soutien à Christian Laborde en mai 1987 à Pau. 354 NB : le journal averti “ Vu la spécificité de cet évènement, le programme précis vous sera annoncé chaque jour dans “ Sud Ouest ” et chaque après midi au lieu d’accueil à Uzeste. ” les intitulés des spectacles sont issus d’un programme publié à posteriori dans la brochure “ X° ” 355 du mercredi 19 au dimanche 23 août, 19h00,0h30,, 15h00,0h30,, 15h00,0h00,, 12h00,0h00,, 12h00,0h00 356 “ Bernard Lubat. Un autre son d’accordéon. ”, L’Eveil, 17 septembre 1987, Propos recueillis par S. Ducatteau. 357 Grand théoricien occitaniste, ayant connu les débuts de la décentralisation théâtrale et l’expérience d’Avignon, il dirige lui-même un festival à Montauban, festival pluridisciplinaire et mène à partir de là une réflexion contre le centralisme français. 358 Dans l’Eté l’Estaminet Journal-programme 1987.

122 buvait à la source de ses origines, qui voulait vivre sa culture, son patrimoine, sa musique, qui voulait se recréer de nouveau. Une prise de conscience soudaine dont Bernard Lubat n'est pas encore revenu et qui l'a consolé de n'avoir pu faire les choses en grand. Après tout, peut-être que cette expérience n'aura pas été inutile. Elle aura prouvé en tout cas que beaucoup ont un coeur grand comme ça ! ”359

Fixation, concentration du discours

Outre le grand élan de solidarité de toute une “ communauté ” autour de ce festival, ses conséquences ont été majeures dans la production du discours. On le voit en particulier dans le journal publié pour la manifestation. Véritable tribune du discours lubatuzestien, il offre une synthèse du travail de réflexion de l’équipe UM/Cie, et un argumentaire précis des objectifs et motivations de ses actions.

On trouve en effet dans ce numéro des textes de membres de l’équipe UM/Cie Laure Duthilleul (présidente de l’association) rédige l’éditorial et un texte de perspectives et de projets : “ le X° Festival d’Uzeste Musical ce sera… si ” et Bernard Lubat (directeur artistique) un “ pour mémoire ” et un “ l’avenir au quotidien ” mais également des textes de proches “ co-théorisateurs ”. Trois lettres ouvertes, signées Bernard Lubat (“ Aux artistes créateurs ”), Charles Silvestre (“ Au public ”) et l’équipe UM/Cie (“ Aux pouvoirs publics ” ) accompagnent une liste récapitulative de tous les artistes invités au festival depuis 1978 et de toutes les créations qui ont pour cadre “ Vive Uzeste Musical ”. Le caractère particulier de cette manifestation est bien explicité dans une page de présentation (p.11). Celle-ci est articulée à (et placée matériellement entre) une présentation du patrimoine historique du “ Triangle des Landes ” et à une présentation/définition de la Cie Lubat, avec un panorama de ses activités, aussi bien extérieures que sur le terrain à Uzeste et Villandraut, lors de la saison 86/87 : “ Uzeste ou le quotidien ”. Le journal présente également le détail de l’équipe organisatrice, ainsi qu’une longue liste de remerciements à des personnalités culturelles de la région tout comme aux uzestois et habitants du canton solidaires.

Les contributions (textes ou photos pour Guy LeQuerrec) des proche compagnons de routes sont : un “ Aide mémoire ” de Guy Le Querrec360 ; un texte de Robert Escarpit “Vous avez dit culture ”, et un autre de Claude Gudin “ A Uzeste pour la vie ”361. La parole est même donnée aux “ antis Uzeste Musical du cru ” avec, sur une page, un répertoire de “ Ragots choisis ”. En quatrième de couverture sont présentés : le disque La 9ème d’Uzeste362 et le livre Les soleils de Bernard Lubat de Christian Laborde publié en 1986, tout deux présentés à la vente lors de “ l’Eté l’Estaminet ”.363

359 Bernard Lafon, “ Les rumeurs du silence uzestois ”, Sud Ouest, 17 septembre 1987. 360 Désormais célèbre photographe de jazz, il fait partie de la lignée des photographes du festival d’Uzeste avec Jacques Faujour et Maria Brémond (en 1982 ), Marc Pataut en 1984, sa présence au festival remonte au moins à 1981 où il publie un article avec les journalistes de Jazz Magazine (LATXAGUE, Robert, LEYGNIER, Alain, LE QUERREC, Guy, “ L’Uzeste de Lubat ”, Jazz Magazine, décembre 1981. 361 Voir annexe. 362 Montage sonore, mémoire orale de l’édition du festival estival 1986. 363 La présence conjuguée de ces deux supports (audio et livresque) montre également le franchissement d’une étape, celle du passage à l’écriture, à la conservation des traces…

123 Ce journal, qui n’est pas un Journal-programme (le programme étant diffusé au jour le jour) se révèle être une sorte de condensé du discours lubat-uzestien qui se donne à lire comme en un bilan ou en une photographie, et dont le but avoué est de communiquer dans la “ transparence ”364, d’informer et de toucher son public. Voyons un peu ce qu’il s’y dit. J’ai choisi quelques uns de ses textes, les plus significatifs, que je retranscris ici, à dessein, en entier. On y retrouve tout le récit, commenté, et de l’intérieur, de la stupeur face à la nouvelle de non subventionnement, puis de l’organisation de la résistance, de la prise de parole qu’elle suscite.

“ Editorial Le 10e Festival d'Uzeste Musical n'aura pas lieu en août 87. La nouvelle est tombée - un temps - Pourquoi ? Et pourquoi un tel déni des pouvoirs publics devant une manifestation artistique qui ne cesse de grandir et d'affirmer son identité, son intégration à une région, sa qualité artistique, son succès public depuis 10 ans Pourquoi un tel refus d'entendre, de comprendre et de soutenir la réflexion et le travail d'une association et d'une compagnie qui depuis 10 ans invente an quotidien tant en matière de création que de diffusion de cette création ? Pourquoi ignorer un événement à qui la presse et les médias font l'écho que l'on sait ? C’est sur quoi nous nous interrogeons dans ce document, chiffres a l'appui : car et oui ! avec un soutien logique des pouvoirs publics /la culture telle que nous la cultivons n'est-elle pas service public/, l'organisation du Festival Vive Uzeste Musical est viable économiquement, nous le prouvons depuis 2 saisons. Alors…, un temps. Silence ? La Compagnie Lubat continue son travail au quotidien : répétitions publiques, tournées à travers le monde. concerts au Café l’Estaminet d'Uzeste, rencontres avec les artistes de notre temps. Silence ? Le téléphone sonne - le public appelle alors, c’est quand le rendez-vous ? Silence ? Les artistes : “ cette année, je viens ”. Silence ? Les commerçants : “ alors, c'est quand !? ” Silence ? Un temps ? Du 19 au 23 août Uzeste Musical et la Compagnie Lubat continuent le travail qu'ils entreprennent tout au long de l'année et vous invitent à participer chacun à “L'Eté l’Estaminet ” manifestation artistique de solidarité peur que Vive Uzeste Musical. Que la fête commence ! Laure Duthilleul. ”

“ Pour Mémoire En août 78. avec les amis sensibles de l'époque, nous avons créé le 1er Festival d' Uzeste Musical, succès artistique et public immédiat. Depuis, malgré la tourmente économique qui ne manque pas de secouer les bonnes les mauvaises consciences sur un sujet toujours aussi délicat : la culture. “ se cultiver en cultivant, quoi de plus logique ” le Festival a rapidement provoqué la nécessité de l'installation permanente sur le terrain des travaux de recherche et de création selon deux axes essentiels : 1/ en matière d'expression artistique vivante contemporaine multi-pluri /in/ disciplinaire et non étanche. 2/ en matière de sa propre diffusion : populaire, dynamique imaginative novatrice active et conséquente sur l’art vivant lui-même. Dans cette double dynamique sont apparus plein sud l’association “ Vive Uzeste Musical ” et l’actuelle compagnie Lubat formée de jeunes artistes occitans Gascons, qui avant d’ainsi parcourir le monde, en retour nourrissent, produisent et secrète d’autant le développement, l’acuité, l’identité et enfin la fonction sociale, à ce Cher Festival, beaucoup trop cher pour nous cette année ! Bernard Lubat ”365

364 Le texte bilan d’avril 1987 déjà cité plus haut parle d’“ un espace de création, d'enjeu, de risque, de recherche de confrontation pluri-multi-indisciplinaire non-étanche et transparent ” 365 Ces deux textes sont en page 1 du journal.

124 Récit des récentes péripéties financière et vue d’ensemble sur dix ans de travaux, ces deux textes montrent les points majeurs de la théorisation du discours lubat-uzestien (“ expression artistique vivante contemporaine ” et “ art de la diffusion de l’art ”366). L’extrait suivant nous montre comment la Cie Lubat se définit elle-même ainsi que ses pratiques :

“ La Cie Lubat, Maître d’œuvre, Créateurs Artistiques Associes Ouïe fine / oreilles cannibales / musiques mots images / spectacles créations performances / récital show bal jazz danse artifice opéra / chansons histoires inventées chorus / contes â dormir éveillé oral écrit / langue française, occitane, gasconne / improvisation comme / Technique / Ethique de pointe. ”367

Les trois paragraphes suivants sont extraits de la “ Lettre au pouvoirs publics ” (p.8-9) et montrent à la fois le discours revendicatif de l’équipe UM/Cie en matière d’aide à la création artistique conçue comme un service public, et le souci de transparence de cette équipe envers son public en publiant les péripéties financières dont elle est victime, et dont les raisons lui semblent injustifiées.

« Lettre ouverte aux pouvoirs publics Le 15 juin nous apprenons que le Conseil général de la Gironde ne soutiendra pas le 10ème Festival d’Uzeste Musical. D'autre part : mi-juillet 87, nous ne savons toujours pas quel sera le montant des subventions allouées par les autres partenaires publics. Nous sommes d'autant plus inquiets que nous constatons depuis 2 ans une baisse chronique de ce soutien pour la réalisation du Festival Estival. 1985 : Subvention 290 000 Frs. 1986 : Subvention 218 000 Frs. C'est seulement grâce à l'engagement bénévole des habitants du Canton, des partenaires locaux, des professionnels du spectacle, artistes et techniciens que Vive Uzeste Musical réussit avec difficulté à réaliser son Festival. Il est évident qu'une association dont le but est la création et la promotion de l'Expression Artistique Vivante, ne peut concevoir durablement que les fomentateurs principaux de l'événement (artistes et techniciens professionnels !) ne soient pas légitimement rémunérés pour l'exercice de leur profession. Dans ces conditions, il nous faut choisir entre les conséquences : le Festival Estival, et les causes de ces conséquences le travail de la Compagnie Lubat, de Vive Uzeste Musical et les partenaires artistiques choisis invités. Le Xe Festival Estival d'Uzeste est donc reporté/déporté, La Compagnie Lubat et Vive Uzeste Musical organisent du 19 au 23 août une manifestation artistique de solidarité “l'Eté l’Estaminet”, à Uzeste, chez l'habitant, et à laquelle se joignent sensiblement et spontanément nombre d'artistes solidaires sensibles. Rappelons que l'activité permanente qui génère le Festival Estival n'a d'ailleurs jamais été reconnue, ni soutenue en tant que telle par les pouvoirs publics. C'est donc la Compagnie avec l'aide des bénévoles de l'association qui jusqu'à aujourd’hui. par ses travaux et son apport financier, permettent cette recherche au quotidien en matière de création et de diffusion de la création qui fait l'intérêt et l'originalité du Festival Estival, et auquel participe chaque année un public toujours plus nombreux. Rappelons que les médias régionaux et nationaux placent le Festival d'Uzeste parmi les évènements majeurs de l'été culturel en France et en Europe.

366 S’annoncent ici ces deux concepts, qui seront formulés par la suite. 367 Texte en page 10 du Journal-programme 1987.

125 Devant l’incertitude du soutien de certains de nos partenaires, l’été culturel est un “ moins mal faisant culturel ”. Pourrons nous durant la saison 87/88 provoquer les confrontations, les rencontres et les travaux de recherche indispensables à la réalisation d’un “ Festival d’Uzeste ”. Pourrons nous ainsi réaliser un festival à la hauteur de sa renommée et de sa qualité artistique. Pourrons nous retrouver l’espace temps qui permet la mise en scène de l’Expression Artistique Vivante dans la vie régionale. Pourrons nous accueillir et fidéliser un public à notre région par l’utilisation et la mise en valeur de ses sites et de ses monuments. Saurez vous être nos partenaires dans cette entreprise. Vive Uzeste Musical. Dernière minute : le Conseil Régional vote une subvention de 50 000 F. 86 : subvention de 80 000 F. Mais cette subvention ne sera versée que si l’Etat et le Département octroient une subvention équivalente : or, il est officiel depuis la mi-juin 87, le Conseil Général ne soutiendra pas cette année. Nouveau déni : celui du Conseil Régional d’Aquitaine à 3 semaines de l’événement. ”

L’équipe UM/Cie souligne bien ici le lien fondamental entre le Festival et son travail à l’année. A noter également, le développement (déjà évoqué pour les années 1985-1986) du discours sur le réinvestissement et la mise en valeur du patrimoine régional.

Suivent quelques éléments explicitant les relations contradictoires du festival avec le Conseil. Incrédulité…

“ En 1986. M. Valade nous écrivait... L’expression artistique vivante Puiser la force créatrice dans les fondements culturels d'un peuple. Favoriser la rencontre de genres d'expression les plus variés. Pénétrer l'environnement social, économique et culturel d'une région. Favoriser la prise de conscience des richesses culturelles locales. Provoquer des événements insolites et de qualité pour attirer la curiosité d'un public large et varié. Favoriser l'éveil artistique chez les jeunes avides de découvertes et de recherches. C'est bien cela, la culture de base et nous la trouvons dans “Vive Uzeste Musical 86 ”. Doyen Jacques Valade, Sénateur de la Gironde, Président du Conseil Général de la Gironde, Président du Conseil Départemental de la Culture. ”

“ V.U.M. / Le Conseil Général En 1985, le Conseil Général allouait une subvention de 30 000 F à 'Association “Vive Uzeste Musical ” pour la réalisation du Festival Estival. L'année suivante, en 1986, 20 000 F, le Doyen Jacques Valade nous adressait cette lettre de soutien et nous recevions aussi du département une aide technique. Cette année, 1987, mi-juin, prise de position à l'égard du V.U.M pas de subvention pour le 10ème Festival d'Uzeste nous l'apprenons mi-juin ! Pas d'explication, déni total de l'un des évènements majeurs de l'été en Gironde. En revanche, le Conseil Général a choisi d'organiser cette année (87 ayant été baptisée à grand renfort de publicité “l'Année Gironde”) l'Eté girondin, série de manifestations dites “culturelles” (où est la culture, voir la définition de base du Doyen Jacques Valade) nous n'avons évidemment jamais été informés de la constitution de ce projet, ni invités à y participer, comme si l'été, le Festival d'Uzeste n'était pas l'un des évènements culturels majeurs en Gironde. L'été girondin serait-il un été partisan ? ”

126 Le discours autour de la crise ne s’arrête cependant pas là ; en effet, après la manifestation de résistance, le combat pour l’obtention de subventions ne fait que commencer.

Une brochure entière, intitulée “ Xe ”, en relate dans le détail les péripéties, retranscrivant articles de presse, reproductions de la demande d’autorisation au maire, du dossier technique et de l’arrêté municipal, de la pétition avec une liste des signataires, de quelques extraits de lettres de soutien et des bilans financiers.

A travers ceux-ci, il apparaît que cette non-édition du festival est financièrement un véritable succès368. Pourrait-on aller jusqu’à dire qu’elle permet au festival de se refaire un peu économiquement ? En tout cas, ce festival est un des rares dont la balance est positive. Néanmoins l’équipe UM/Cie n’entend pas faire ce simple constat, et souligne avec force qu’il ne s’agit pas là d’une comptabilité normale puisque celle-ci repose sur le non payement des intervenants (artistes et techniciens) aussi bien dans leurs salaires que dans leurs frais.

Et pour bien illustrer la part considérable des contributions bénévoles, l’équipe UM/Cie publie un document369 où tous ces apports sont chiffrés. Le budget du festival est donc re-calculé avec, figurant dans les dépenses tous les frais qui n’ont pas été assumés par le festival : les cachets des artistes invités, des techniciens et des membres de la Cie Lubat, les charges sociales, les défraiement transport, les salaires administratifs, afin d’établir le coût réel de la manifestation. La Comparaison entre les “ chiffres bruts ” et les chiffres “ avec valorisation des contributions bénévoles ” montre que le coût de la manifestation a été dix fois moins important que ce qu’il aurait du être : on passe d’un total des charges de 128 390,63 F à un total de 1 098 890,63 F. Le deuxième chiffre comptabilisant 185 000 F de “ contributions volontaires des bénévoles et 725 500 F de “ cachets des artistes laissés à l’association ” soit au total un financement de soutien 970 000,00 F.

Ce document de comptabilité fiction rend à la fois hommage à l’effort collectif dont cette manifestation a été le résultat et entend montrer par la même occasion aux pouvoirs publics que si cette manifestation a dû se passer de leur financement, son coût réel a néanmoins été très élevé et qu’elle entend obtenir un subventionnement à l’échelle des coût réels.

Pour bien marquer ces exigences, la position de l’équipe UM/Cie est de refuser de reproduire une telle expérience, qui, outre le fait qu’elle constitue une grande déclaration de solidarité des amis et du public du festival, n’en constitue pas moins un exemple de “ rentabilité économique ” (basé sur le non payement des intervenants professionnels) à ne pas reproduire.

368 Avec un total des recettes de 221 385,82 F. (soit un total de l’autofinancement de 192 885,82 F. et un total des financements publics de 28 500 F - Jeunesse & Sports 8 500 F,SACEM 20 000 F - ) pour un total des charges de 128 390,63 F le résultat d’exploitation de “ l’Eté l’Estaminet ” se traduit par un excédent de 92 955,19 F. dans Compte de résultat “ l’Eté l’Estaminet ” (établis le 17,09,87) trouvé dans “ Festivals comptes financiers 82-83… ” et repris dans la brochure “ X° ”. 369 Compte de résultat “ l’Eté l’Estaminet ” (établis le 17/09/87) trouvé dans “ Festivals comptes financiers 82-83… ” et repris dans la brochure “ X° ”, toutes les informations sur les finances du festival sont tirés de ces deux comptabilités : “ chiffres bruts ” et “ chiffres avec valorisation des contributions bénévoles ”.

127 “ Première déclaration : Lubat se refuse absolument à recommencer une expérience de ce genre sans subventions. “ Cela a été à la fois épouvantable et formidable, raconte-t-il. Epouvantable parce qu'il a fallu tout faire avec rien. Formidable parce qu'un extraordinaire mouvement de solidarité s'est créé : à la fois de la part des artistes, du public, et des habitants. Tout le monde s'est senti concerné. Personne ne nous en a voulu si les concerts se sont parfois mal terminés, sous la pluie, faute d'avoir un chapiteau ou une scène couverte. Au contraire. Les gens avaient envie d'aller jusqu'au bout. […] A Uzeste même, la Compagnie a du mal survivre. Son chef de file est décidé à tenir le coup, contre vents et marées, mais est catégorique sur un point : “ L'an prochain, il s'y a pas de subventions, il n'y aura pas de festival. Sous aucune forme. Je vais demander à rencontrer les hommes politiques les plus importants de la région. D'ores et déjà, les plus grandes têtes d'affiche ne sont proposées pour l'année prochaine. Cela pourrait secouer l'Europe entière. Avec un budget de 1 million de francs (500 000 francs de recettes, 200 000 francs de subventions et 300 000 francs d'autofinancement), nous pourrions offrir un festival de cinq fuis cette valeur. Sinon, il y a d'autres solutions : s'expatrier Et ce serait dommage. Je revendique avant tout le droit d'être aquitain gascon, et de pouvoir créer ici ce que l'on me demande partout ailleurs ”. Ainsi un petit village de Suisse, qui a sollicité Bernard Lubat pour aller créer là-bas… Uzeste musical. “ C'est tout de même formidable ! ” lance Bernard Lubat en souriant. ”370

Renforcement de la détermination, paroxysme du paradoxe…

Plus encore que ses succès à l’extérieur, la réussite de cette manifestation dut renforcer considérablement la conviction et la détermination de l’équipe UM/Cie à continuer son action sur le terrain, à se battre pour sa reconnaissance, et élever toujours son ambition et son niveau d’exigence vis-à-vis d’elle même et de ses partenaires financiers.

“ On nous demande partout, constate Bernard Lubat : en France, en Italie, en Amérique, au Canada, en Allemagne. Dans le cadre d'un jumelage entre une université et Cuba, le gouvernement français envoie la compagnie Lubat dans ce pays, pour un échange culturel. “ C'est assez étonnant, poursuit-il que ces mêmes pouvoirs publics pour qui nous semblons ne pas exister dans notre région (…) nous choisissent pour représenter une forme de la culture nationale à l'étranger. ”371

On voit ici sans doute le point culminant du paradoxe que nous avions évoqué plus haut, opposant au succès et à la reconnaissance extérieurs (le plus proche étant celui du New Morning et celui à venir étant le voyage de la Cie Lubat à Santiago de Cuba en avril 1988) des obstacles et des difficultés toujours plus grande à l’échelle locale. Faut-il y voir un retour de bâton de la candidature de Bernard Lubat aux élections régionales de 1986 ?

4) 1988. Le combat continue : le 10ème festival enfin ?

On a vu que cette année 1987, année de crise, marque une étape majeure dans la production du discours lubat-uzestien et un probable renforcement de sa détermination. Avant

370 Bernard Lafon, “ Les rumeurs du silence uzestois ”, Sud Ouest, 17 septembre 1987. 371 Bernard Lafon, “ Les rumeurs du silence uzestois ”, Sud Ouest, 17 septembre 1987.

128 de voir comment l’équipe UM/Cie décide de se construire des bases solides… voyons comment se déroule l’après crise ; c’est à dire l’année 1988.

Chute de l’action dans le local

Au niveau de l’action dans le local, la perte de son épicentre d’action, le cinéma François Mauriac, entraîne une véritable chute des manifestations organisées par l’équipe UM/Cie dans le canton.

Après la crise financière de l’association Vive Uzeste Musical en 1986, le coût financier de ces manifestations ne peut plus être assumé et on avait vu les manifestations organisées se rabattre à l’Estaminet au début de l’année 1987. Celles-ci, nombreuses mais uniquement sous la forme de concerts, constituaient comme un sursaut de l’action sur le terrain. En effet, dès 1987, tous les temps forts de cette action dans le local que l’équipe UM/Cie avait élaborés sont abandonnés : plus de Carnaval, plus d’ateliers et surtout plus de Noëls, le petit frère hivernal du festival estival. Cette période marque un véritable coup d’arrêt, et ce pour longtemps, de toutes ces activités. En effet, il faut attendre 1991 pour que des manifestations hivernales reprennent, et jusqu’en 1990 on ne voit plus ni Carnaval, ni ateliers.

Il y a donc bien là une rupture majeure, dans les activités de la Cie Lubat sur le terrain. Mais il faut voir que cela ne pose pas pour autant un point final à cette action. D’une part l’équipe UM/Cie consacre au contraire cette période, nous allons le voir, à organiser un ancrage plus fort dans le terrain, et, d’autre part, elle imagine et créé de nouveaux jalons.

Notamment en mai 1987, la Cie organise une “ Pentecôte à l’Estaminet ”. Ensuite, (faut-il y voir un lien ? peut-être que cette manifestation de solidarité a renforcé la combativité des Uzestois ?) à la suite de l’Eté l’Estaminet, l’école communale d’Uzeste, dont l’existence était menacée depuis 1986, rouvre ses classes sous la pression des habitants. Et si, pour la première fois depuis 1979 il n’y a pas de Noël, l’équipe UM/Cie organise durant les mois de novembre et de décembre des “ week-ends à l’Estaminet ”.

En 1988, la Cie ne se produit que lors de deux week-ends en octobre (du 29 au 31) et en décembre (les 2 et 3) à l’Estaminet. Et ce sont là les seules manifestations qu’elle organise dans le canton. Néanmoins, elle jette des ponts vers d’autres localité de la région, notamment au mois d’août, autour de la période de son festival : elle se produit les 3 et 4 août à St Pierre d’Aurillac et réalise (le 12) en partenariat avec la fête de Luxey, un Palomb’0péra ”372.

Alors qu’en est-il du festival estival de Vive Uzeste Musical pour cette année ? Nous le verrons après l’exposé complet des activités de la Cie à l’extérieur.

Même sur ce plan, l’année 1988 est globalement peu riche en concerts373. Quelques grandes dates marquent néanmoins cette année : tout d’abord avec un gros contrat international au mois d’avril (du 10 au 17) où la Cie Lubat représente la France à Santiago de Cuba pour la “ Première Semaine de Culture Française – Santiago de Cuba Avril 1988 ”.

372 Ce spectacle va se renouveler plusieurs fois jusqu’à devenir une tradition. 373 Pour se donner une idée, voir la chronologie des manifestations de la Cie Lubat en annexe.

129 Ses relations avec Toulouse se prolongent cette année en deux occasions (nous les avons déjà évoquées) : en février le Carnaval occitan s’est choisi comme Roi de Carnaval Bernard Lubat, qui emmène dans ses bagages, sa Cie et sa chanson composée pour l’occasion Zoulouse-Toulouse ; et, fin juin (29-30) début juillet (1-2), la Cie est présente au festival “ Racines ” dans le quartier du Mirail autour du lac de la Reynerie (on l’on retrouve Farfina, Zebda, Cheb Kader, Idir, des groupes de flamenco, mais aussi l’orchestre du Capitole).

Au mois de juillet ; Bernard Lubat fait une réapparition dans le circuit officiel du jazz en France avec un concert à Juan-Les-Pins avec Michel Portal* et Christian Vander, et continue son combat pour Mandela sur le plateau d’un concert à Ivry pour le “ 70 anniversaire de Nelson Mandela ”. Occasion qui se représentera en fin d’année (le 9 décembre) lors d’un grand Concert au Champs de Mars (Paris) pour Nelson Mandela.

On trouve donc durant cette année des dates prestigieuses mais peu nombreuses. Que fait donc la Cie et qu’en est-il du festival estival ?

A Uzeste : un deuxième “ non-festival ”

« Faute de subventions, le compagnie Lubat ne pourra organiser, cette année encore, le Festival d'Uzeste. Deux jours de liesse sont cependant prévus. Onze mille personnes au festival 1985 (sur 9 jours), six mille personnes en 1986 (trois jours), trois mille en 1987 avec “ L'Eté l’Estaminet ” ; les spectacles de la compagnie Lubat attirent les foules. Malgré cela, et pour la deuxième fois consécutive, le Festival estival d'Uzeste musical n'aura pas lieu, faute de subventions. “ Le Conseil général de la Gironde refuse d'apporter son soutien, explique Bernard Lubat. Conséquences : malgré l'intérêt qu'ils portent à notre action, le Conseil régional d'Aquitaine et le ministre de la culture se trouvent dans l'impossibilité de participer au montage financier du festival ”. Pourtant, il suffit de voir la popularité du café l’Estaminet, lieu privilégié de recherche et de pratique publique en expression artistique vivante contemporaine pluri-multi-disciplinaire, d'assister au développement de cette ancienne menuiserie, qui se transforme en “ menuiserie- théâtre ”, et l'exportation (couronnée de succès) des travaux de créations sur les scènes européennes et mondiales, pour être convaincu de l'importance de ce nid culturel, une chance pour une région par ailleurs en sommeil. (…) »374

On retrouve comme l’année précédente comme obstacle à la manifestation estivale : le Conseil général. Le 10ème festival, faute de subvention, n’aura donc pas lieu non plus cette année. Pas de manifestation solidaire non plus, nous avons vu que l’équipe UM/Cie se refusait à reproduire cette expérience. L’équipe UM/Cie organise tout de même les 19 et 20 août un deuxième “ Non-Festival ” à Uzeste : avec un bœuf à l’Estaminet le 19 et sa Comédia del Jazz dans le Parc Seguin le 20 août.

Néanmoins, ceci est visible dans la suite de l’extrait de l’article de Bernard Lafon, cela ne fait que reporter la 10ème d’une année ; les tractations étant déjà en cours.

Petite parenthèse : il est important de noter ici que les journalistes se trouvent, dans leur grande majorité, en quelque sorte “ contaminés ” par le discours lubatuzestien qu’ils reproduisent souvent presque textuellement. Il faut dire aussi, que l’équipe UM/Cie produisant en abondance un discours analytique sur ses pratiques, celui-ci apparaît et se

374 Bernard Lafon, “ Un deuxième “ Non Festival ” à Uzeste ” Sud Ouest, 1988.

130 présente comme étant le plus apte à qualifier et définir le projet, ses pratiques et ses ambitions.

« (…) Pas de festival, donc cette année, le 10° anniversaire aura lieu en 1989, si les soutiens des pouvoirs publics se confirment. En effet, la Compagnie Lubat a pour l'instant l'accord de principe du Conseil général des Landes et de la Direction régionale des affaires culturelles. “ Ce qui constitue, remarque Bernard Lubat, une base certaine pour la réalisation d'un nouveau montage financier... ”. Concrètement, cela se traduit par des “ visites ” aux voisins landais, manière de poser des jalons. A Luxey, par exemple, samedi dernier, la Palomboperé [sic] a remporté un vif succès. Il est vrai que tout le village s'y est mis, et que cette grande fête a été soutenue par la municipalité de Luxey, le Conseil général des Landes et la Direction des affaires culturelles… Une seule question se pose pour l'avenir “ Allons-nous vers un “ Vive Luxey Musical… ” Une question à laquelle, indéniablement, les pouvoirs publics de la Gironde détiennent la réponse ! ”375

L’équipe UM/Cie prépare la suite…

Ce qui occupe surtout la Cie lors de cette année est, nous allons le voir, la préparation de la suite… Elle agit pour cela sur deux fronts.

Tout d’abord, en faisant tout un travail de construction de structures afin de donner de nouveaux cadres au projet Uzeste Musical ; en effet, c’est en 1988 que sont fondées : le 27 juillet la “ SCOPA Cie Lubat ” (Société Coopérative de Production Artistique) et le 6 septembre la “ SCI Uzestoise ” (Société Civile Immobilière).

Ensuite, en préparant le 10ème anniversaire prévu pour 1989 ;

“ Compte rendu de la réunion du 12 août 1988. (le 17 août 1988) Objet : Festival 89 ” “ En général : D’une manière générale insistons sur le fait qu’il s’agit pour le Xè anniversaire de passer un seuil, de grandir à partir de tout ce qui a été fait pendant dix ans. N’oublions pas, le Xè anniversaire n’est que le premier des Festivals d’une nouvelle décennie, un outil pour confirmer notre implantation au quotidien à Uzeste, un outil donc pour aider à l’aménagement de la menuiserie, un outil pour commencer à mettre en œuvre l’idée et la construction du village lacustre. Il s’agit donc pour le Xè anniversaire de sortir de nos lieux habituels, de mettre en valeur notre environnement, d’inviter de nouveaux créateurs, de faire aussi une belle part à la danse, au théâtre et aux arts plastiques, et ce de manières professionnelle, ce qui a rarement été le cas jusqu’à aujourd’hui. Il s’agit aussi pour le Xè de faire une programmation suffisamment “ maligne ” mais aigue pour attirer les pouvoirs publics et privés tout en renforçant notre identité. L’intégration à la fête de Luxey sera particulièrement délicate à négocier. Deux thèmes généraux sont retenus : / -“ Jazz de France ” / -“ Nord-Est Sud-Ouest Oriente ” Lieux à repérer : / -arènes de Luxey / -château de la Trave / -petit amphithéâtre de verdure (Uzeste) (théâtre, cinéma, mots dits…) / -lieu pour podium Lacroix (couturier) / -théâtre de la

375 Ibid.

131 menuiserie / -parcours du “ territoire des soli sauvages ” / -stade de Préchac / -les églises / - parc du Docteur Seguin. ” Ebauche de programme […] cubains (son 14) / Hermeto Pascoal A creuser : Les spectacles en simultané qui seraient un bon moyne pour faire “ grandir ” le festival et les festivaliers. / Inviter des artistes à faire une création spécifique, qu’ils joueraient ensuite ailleurs, en co-production avec une municipalité ou un centre culturel ou autre chose. -pour le théâtre : le Théâtre du Feu (Mont de Marsan) / -pour la danse : on cite Chopinot ; Ballet Roussillot de Toulouse, Cie de Champigny / -pour la musique : Pierre Henri / -pour les arts plastiques : Gérard Voisin / -pour le cheval : Belhade Retrouver la dimension débat, rencontre comme cela avait été fait avec Gudin, les mots dits, voir Benedetto ? Cuny lit Reverdy ? Un lieu d’accueil du Festival. Où ? Pourquoi ? Comment ? Des ateliers avec intervenants extérieurs à la Cie Lubat (où pourquoi pas Luxey) avant le 14 Les colonies musicales Faire venir un cirque. A affiner : Présence de musique dans les rues. / Des groupes sont cités : / -la rafale / -l’avant garde républicaine / -les favellas gasconnes / -bandas (pays basque). Présence de Claude Gudin (parcours botanique) / Présence des mots dits (A. Cuny, A. Benedetto) / Présence de la musique classique noms cités : YOYO, Lodéon, Estrella. / Présence de G. Voisin / Présence ou pas du Théâtre de feu / Présence du Cinéma (collaboration avec Jean Vigo ??) / Retient-on l’idée d’un jumelage avec un festival catalan ? / Ce qui impliquerait d’envisager la programmation de musicien catalan (Paco de Lucia par exemple) ”376

376 Dans “ Docs Festival 86-87 ”.

132 CHAPITRE IV La construction progressive d’instruments adéquats.

A) Un mouvement continu de professionnalisation

En 1988, on l’a évoqué ci-dessus, apparaissent à Uzeste deux structures nouvelles : la SCOPA Compagnie Lubat et la SCI Uzestoise. Avant de les observer dans le détail, un bref retour sur les structures du festival depuis ses origines nous permettra de les remettre en perspective.

1) Retour sur les structures

En 1980, le festival prenait son autonomie par rapport au Comité des fêtes de la municipalité d’Uzeste en créant l’association (loi 1901) “ Uzeste Musical ”. Acte fondateur, cette création marquait ainsi l’officialisation du festival, et sa fixation dans le territoire, avec pour objet d’étendre ses activités d’animation culturelle sur toute l’année. La création de l’association avait aussi pour effet de créer une communauté377 ou un collectif officiel des personnes impliquées dans le projet Uzeste Musical (la création de la SCI Uzestoise cherchera à obtenir le même effet).

Cadre juridique et structure organisatrice du festival et de l’animation à l’année, cette association rend possible l’obtention de subventions et permet de fixer un personnel administratif permanent dans les années 1981/82. C’est dans ce cadre également que se développe l’ambition de créer un lieu permanent, “ Centre Culturel d’Animation de création et de diffusion en milieu rural ”378. Néanmoins, tout en s’inscrivant dans une logique de plus solide organisation administrative et gestionnaire, l’association se trouve par là même être le nœud d’une situation complexe.

377 Regarder la liste des associés est très instructif pour établir les liens de solidarité et d’implication (cristallisés en un moment précis) qui se dessinent alors. Dans l’association créée en 1980 on retrouve en premier lieu et en tête de liste toute la famille Lubat : le père et la mère Alban (68 ans) et Marie (67 ans), avec le fils : Bernard (35 ans). On retrouve ensuite plusieurs uzestois : ceux du cru avec Albert Bordes (62 ans, membres des tout juste nés Pignadas) et Jean-Claude Bouin (30 ans, Bijoutier sculpteur, ami d’enfance de Bernard), mais aussi le jeune Médecin Homéopathe fraîchement installé en 1978 : Pascal Seguin (32 ans, celui-là même qui deviendra Maire d’Uzeste en 1989). Les “ Estrangers ” y sont présent pour moitié : Christian Vieussens (32 ans), Musiciens de Cazalis (village à 15 km (≈) d’Uzeste), Jean-Claude Chaunac (26 ans), Régisseur de Théâtre à Paris, Maria Bremond (22 ans) étudiante Lyonnaise à Paris, et seuls trois des membres de la Cie s’engagent dans l’association : Sylvain Melchy (29 ans), Patrick Auzier (28 ans) et Bernard Guérin (39 ans), tous trois parisiens. Les statuts de 1980 montrent donc un projet associatif incluant des personnes très diverses, d’origines et de générations différentes, issues des différents réseaux de connaissance de Bernard Lubat : uzestois ou parisien. Il s’agit là d’une sorte de photographie des liens de solidarité et d’implications en ce moment donné. Certains de ceux qui se sont engagés à ce moment là disparaissent assez vite de l’aventure : notamment B. Guérin (qui se suicide en 1980) et S. Melchy. Informations, dans “ Statuts de l’association ”, dans “ VUM, Statuts… ” 378 Brochure 1982, déjà citée.

133 Intrication

Il est nécessaire de s’arrêter un instant afin de développer un trait fondamental de toute l’histoire structurelle du projet Uzeste Musical : l’intrication. Intrication tant au niveau des structures d’administration et de gestion que du personnel agissant en leur sein

“ Août 1978, à Uzeste La Cie Lubat créé le Festival Uzeste Musical, le Festival Uzeste Musical secrète la Cie Lubat. ”379. Cet énoncé, tiré d’une brochure de 1990, résume de façon claire et succincte à quel point le lien entre le festival et la Cie Lubat est organique et fort, et comment, dans un mouvement de balancier et d’aller-retour, ils interagissent l’un sur l’autre.

Ce qui nous intéresse tout particulièrement ici relève des interactions et de l’imbrication existant entre les différents “ modules ” (associations, Cie Lubat, SOS Orchestra, festival estival…) de l’ensemble Uzeste Musical, notamment au niveau de leur fonctionnement.

Lors de la constitution de la première association Uzeste Musical, la présence dans cette nébuleuse associative de membres de la Cie et de leur amis, des parents de Bernard Lubat - propriétaires du café l’Estaminet, et contribuant fréquemment et largement au financement des premières éditions du festival -, laisse déjà entrevoir la façon dont, dans ce projet, s’entremêlent les forces vives venues de divers horizons. Dans cette structure, le fonctionnement relève plutôt du bricolage et du cumul de compétence, chacun étant “ polyvaillant ”380 : à la fois artiste, technicien et participant au travail administratif. En 1981, naît une autre association, “ Les Ateliers de la Cie Lubat ”381 qui semble avoir été montée pour s’occuper plus spécialement des stages et de l’animation tout au long de l’année, ainsi que de la rémunération des artistes intervenants.

Comme nous l’avons vu, il faut attendre les lendemains de l’édition 1981 pour que soit engagée une personne compétente dans les domaines de la gestion et de l’administration : il s’agit de Raoul Toesca. Celui-ci met tout de suite le doigt sur ce que nous appelons ici l’intrication/imbrication ; son Rapport d’activité moral et financier août 1981-janvier 1982 en est la meilleure illustration. En effet, tentant de mettre de l’ordre dans une gestion plutôt chaotique et amateur, et de monter une équipe dont la “ tâche officielle est de prendre en charge le fonctionnement global d’Uzeste Musical382, il essaie de démêler l’imbroglio structurel.

379 Brochure “ Cie Lubat de Gascogne,Uzeste,Gironde, France ” (1990), dans classeur “ Originaux ”. 380 Expression trouvée dans plusieurs articles de presse de l’époque et encore usitée aujourd’hui à Uzeste. 381 Les archives sur cette structure sont très lacunaires, voire quasi inexistantes, et je n’ai découvert son existence que dans le rapport de Raoul Toesca déjà cité au chapitre 3 et ci-dessous et avec quelques talons de chéquiers d’un compte au nom des “ Ateliers de la Cie Lubat ”. 382 Lettre de Raoul Toesca, administrateur provisoire à Bernard Lubat, président d’Uzeste Musical, président de la Cie Lubat ” datée du 30 janvier 1982, faite à Bordeaux. “ objet : Rapport d’activité moral et financier août 1981-janvier 1982. ” dans salle de réunion, cartons brochures, “ Synopsis spectacles 1982 ”.

134 “ Si, dans un premier temps, “ Uzeste Musical ” et “ Les Ateliers de la Cie Lubat ” ont été séparées (statuts différents – comptes bancaires spécifiques) l’ambiguïté de fonctionnement entre les deux structures n’a pas été levée ! ”383

Il pousse plus loin son analyse jusqu’à se poser la question :

“ “ Uzeste Musical ”, Cie Lubat, Lubat Bernard : trois structures autonomes ou un seul et même ensemble ? ”384

En effet, il faut bien dire que le principal moteur du projet étant Bernard Lubat, tout revient à lui ; et comment transcrire cela dans un fonctionnement associatif, collectif… ? Intrication entre la Cie et le festival, et leadership incontestable de Bernard Lubat dans le projet, rien de tout ça ne pouvait rentrer aisément dans des cadres de gestions normaux.

Avec l’association VUM et l’installation au long terme d’un administrateur (comptable de formation, certains diront qu’il n’était pas vraiment administrateur), on retrouve un schéma déjà expérimenté lors de la première association : le personnel administratif engagé sur une structure (le festival ou la Cie Lubat…) fait en réalité son travail sur toutes les facettes de l’ensemble.

“ La Compagnie Lubat qui vit par ses propres moyens, tout en payant de sa poche la grande majorité des dettes accumulées depuis le début de l'action en 1978. ”385

Un autre aspect majeur de cette imbrication/interdépendance se situe au niveau de la gestion financière, dont la confusion et le manque de rigueur sont déplorés sur un ton sarcastique par Raoul Toesca ;

“ Dans l’hypothèse d’une fusion réelle des éléments “ Uzeste Musical ” et Cie Lubat, le seuil de rentabilité du complexe ainsi créé, tourne autour d’un Chiffre d’Affaire Moyen de 500 Millions de centimes ! On peut continuer à le gérer comme un paquet de bonbons, dont on distribuerait le contenu, de temps en temps, aux enfants les plus sages et les plus méritants ! ”386

En effet, depuis le premier festival, presque intégralement financé par la Cie Lubat, la survie du festival ne tient qu’à l’argent que la Cie Lubat (ou même que la famille Lubat et Lubat lui-même) prélève sur ses revenus et (souvent sur les cachets des artistes) pour l’injecter dans le festival. Ainsi, lorsque Bernard Lubat évoque dans un manuscrit les premières éditions du festival, il parle de “ Financement associé : Alban et Marie Lubat/Artistes Cie Lubat (c’était Avant les subventions) ”387. En 1986 encore, le journaliste de Sud Ouest souligne encore combien sont perméables les financements.

383 Lettre de Raoul Toesca déjà citée. 384 Lettre de Raoul Toesca déjà citée. 385 Editorial de L’airial n°5 : décembre 1984. 386 Lettre de Raoul Toesca “ administrateur provisoire ” à Bernard Lubat “ Président de “ Uzestre Musical ”, Président de la Cie Lubat ” datée du 30 janvier 1982, faite à Bordeaux. “ objet : Rapport d’activité moral et financier août 1981-janvier 1982. ” dans “ Synopsis spectacles 1982 ”. 387 Dans “ Rénovation du légendaire Café Dancing “ L’Estaminet ” d’Uzeste ” : Manuscrit de B. Lubat, dans “ Archives de la Cie Lubat… ”.

135 “ la pratique, désormais établie, même si elle ne saurait constituer une solution d'avenir, qui veut que la Compagnie Bernard Lubat consacre la moitié de ses cachets à boucher les trous de l'association Vive Uzeste Musical. ”388

Cette gestion chaotique des finances et cette imbrication entre les différents budgets (ceux, privés, des membres de la Cie, et ceux, professionnels, de la manifestation estivale et de l’animation tout au long de l’année) aboutissent même à des situations inconfortables et périlleuses. Selon Josy Pouchet389, pour garantir le remboursement de la dette des arriérés d’URSSAF, Bernard Lubat engagea ses biens propres. Cette situation le mit dans un gros embarras et ce sur une période assez longue. C’est sans doute à ce moment que se fait l’arrangement financier suivant, encore un exemple de cette perméabilité et de ces transvasements entre différents budgets, en l’occurrence entre celui de la structure “ Editions du Tilleul ” (que nous verrons ci-après) et celui, personnel (qui en réalité ne l’est peut-être plus tant que ça) de Bernard Lubat :

“ En contrepartie d’un prêt de 150 000 F qui m’est consenti à ce jour par la Société “ Editions Musicales Du Tilleul ”, dont le siège est à Paris, 258 rue St Honoré, je vous informe que je cède, délègue et transporte à cette Société, à concurrence de cette somme de 150 000 F. l’ensemble des redevances susceptibles de m’être réparties, tant au titre de droit d’exécution publique qu’au titre de droit de reproduction mécanique des œuvres musicales dont je suis l’auteur et/ou le compositeur, que j’ai déposé à votre répertoire. ”390

La transaction n’est sans doute pas tout à l’avantage de Bernard Lubat (céder tous ses droits SACEM), mais il faut voir que c’est tout de même lui qui pilote ladite société. Ce rapport de fongibilité des financements permet de voir, sans doute plus que l’aspect chaotique de la gestion, le profond investissement (investissement total ?) dans ce projet Uzeste Musical de Bernard Lubat en premier lieu, et des membres de l’équipe UM/Cie.

Face à ce financement imbriqué, la solution envisagée, et sans doute la plus proche des pratiques et du fonctionnement réels, est de créer une administration centralisée et commune à toutes les structures. Ces deux traits, imbrication et administration commune, se retrouvent tout au long de la période étudiée.

Fonder : le grand chantier des nouvelles structures

La première association morte sous le poids des déficits et des dettes (liquidation judiciaire du 16 avril 1985), une nouvelle association est créée. La nouvelle équipe qui se met en place391 reprend les chantiers qu’avait abordés la première association : démarches de demandes de subventions (pour le festival et pour la construction d’un lieu/structure

388 Jean Eimer, “ Je ne suis pas un cheval culturel du parti ” Sud Ouest, 1986. 389 Comptable engagée en 1989. Voir son rôle dans la mise en ordre des archives de la Cie Lubat. 390 Lettre de “ Bernard Lubat ” à “ SACEM SDRM ”“ Paris le 6 mars 1987 ” , dans classeur “ S.C.I. Uzestoise, Statuts, Doc.of., Achats immobiliers ”. 391 Lors de la fondation de VUM en juin 1985, les statuts sont d’une plus grande sobriété quant à la quantité des acteurs impliqués. Membres du CA, du bureau et associés ils ne sont que cinq. Le personnel rémunéré faisant fonctionner la structure, distinct des associés, est quant à lui réduit à trois personnes : Francis Fondeville (administrateur avec Laure Duthilleul), Anne Cazaban (s’occupant de la presse et des relations publiques) et Martine Minvielle (secrétaire comptable).

136 permanent), et tentative de mise en ordre et d’organisation des cadres de gestion des multiples activités de l’équipe UM/Cie.

C’est alors que le “ binôme Laure Duthilleul-Francis Fondeville ”392 commence à opérer le grand chantier de construction structurelle : création de “ Vive Uzeste Musical ”, des “ Editions du Tilleul ”, de la “ SCOPA Cie Lubat ”, de la “ SCI Uzestoise ” et enfin, en 1989, d’une nouvelle association loi 1901 “ Festival d’Uzeste Musical ” dont nous allons retracer ici les étapes et les logiques respectives pour éclairer, enfin, à quels besoins elles répondent.

Après la création de Vive Uzeste Musical, la première des nouvelles structures (“Les Editions du Tilleul ”) est mise en place dès 1986. On peut constater d’emblée que pour fonder ces structures, il est fait appel à des professionnels du droit (cabinets et études d’avocats). L’équipe UM/Cie passe donc un cap majeur en direction d’une gestion professionnelle, d’une organisation. On peut penser qu’elle décide alors, dans son intérêt (notamment pour les questions de couverture sociale des artistes et des travailleurs de l’équipe), mais sans néanmoins renoncer à son originalité et à la polyvalence de ses activités, de se fondre dans les cadres légaux des professions artistiques et des systèmes de production et de diffusion.

Tout cela est visible donc, dès la création des “ Editions du Tilleul ” (SARL) dont les statuts sont déposés le 25 juin 1986393. Première structure créée (pour répondre aux problèmes posés par les droits d’auteur, la production et l’édition musicale) elle est conçue pour englober le maximum de compétences et de domaines d’interventions : depuis les opérations commerciales jusqu’aux opérations immobilières. Y est également inscrite toute la dimension pluridisciplinaire des activités de la Cie Lubat.

“ La société a pour objet, directement ou indirectement en France et à l’étranger : -l’acquisition, l’exploitation et la cession de tous contrats en vue de l’édition musicale sous toutes ses formes, -l’acquisition, l’exploitation et la cession de tous contrats propres à l’activité phonographique ou vidéographique sous toutes ses formes, La société a également pour objet : -l’acquisition, l’exploitation et la cession de tous contrats en vue de la production d’œuvres musicales, théâtrales, cinématographiques ou de spectacle audio-visuel, -l’acquisition, la création, la prise de bail, l’exploitation de tous fonds de commerce et d’industrie, l’achat, la vente, la concession et l’exploitation, sous toutes ses formes, de tous brevets, licences, marques ou modèles déposés se rattachant directement ou indirectement à l’objet précité, -et généralement toute opération industrielles, commerciales, mobilières, financières ou immobilières se rattachant directement ou indirectement à l’objet ci-dessus, ou a tout objet similaires ou connexes susceptibles d’en faciliter le fonctionnement ou le développement, -le tout, tant pour elle-même que pour le compte de tous tiers, ou en particulier, sous quelque forme que ce soit, par voie de création de sociétés, de souscription, de commandite, de fusion

392 Source : entretien avec Martine Minvielle, entretien avec Josy Pouchet-Boudut. 393 Lors de sa création sont associés uniques Laure Duthilleul, Bernard Lubat et Francis Lassus. Le siège social est à Paris, 258, rue St Honoré 75001, au domicile parisien de Laure Duthilleul. En 1987 André Minvielle est intégré comme nouvel actionnaire. Patrick Auzier ne sera jamais partie prenante de cette structure ni lors de sa création, ni lors de ce remaniement.

137 et d’absorption, d’avances, d’achat, de cession ou de location de tout ou partie de ses biens et droits mobiliers ou immobiliers ou par tout autre mode ”394.

Bilan et état des structures à la veille de « l’Eté l’Estaminet »…

En 1987, la crise que traverse l’équipe UM/Cie (crise financière, incertitude quand aux subventions pour le festival – le document que je vais présenter est daté de juillet 1987 - ), les amène à tout mettre à plat et à faire un bilan des structures existantes.

Ainsi lors d’une réunion à L’Estaminet, B. Lubat analyse « notre situation, nos besoins et l’utilisation optimum des moyens économiques et humains dont disposons aujourd’hui »395. Il y présente un tableau exposant “ le fonctionnement des deux entités ” : VUM et la Cie Lubat.

Ce Bilan nous est très précieux car il décortique les structures et nous donne à voir comme fixé sur une photographie leur fonctionnement interne. Photographie prise, pour ce qui est de l’association VUM, au moment de ce que nous savons être sa fin de vie en tant que structure unique de gestion du festival. C’est en effet après ce bilan que vont commencer les démarches de l’équipe UM/Cie pour construire de nouvelles “ entités ” structurelles.

Dans ce document transparaît très clairement l’intrication tant au niveau du personnel qu’au niveau des finances : dans les trois entités dont il est question dans ce document (sont également décrites les Editions du Tilleul), on retrouve les mêmes personnes ; le personnel permanent est réduit au minimum et, sauf le personnel administratif payé à mi-temps, il est composé en majeure partie de bénévoles.

La Cie Lubat, “ Société Artistes (Lubat) Associés ”396 est composée des associés suivants : le directeur B. Lubat qui possède 50% des parts ; le co-directeur397 F. Lassus (15%) ; les actionnaires A. Minvielle et P. Auzier (15%) et L. Duthilleul, gérante (5%). Sont engagés et rémunérés par la structure : pour l’administration, F. Fondeville et Yves Garnant qui est manager et s’occupe du Secrétariat/Vente (salarié à 1/2 temps). La structure s’occupe aussi de distribuer les salaires des musiciens.

394 Dans « Statuts,Editions du Tilleul,Capital social de 50 000 F.,Siège social : 258, rue St Honoré 75001 Paris ».dans « Les éditions du Tilleul Statuts ». 395 “ Compte-rendu de la réunion du 7 juillet 1987 à L’Estaminet ”, dans “ VUM, impayés contentieux ”,chemsise “ Communication 87 ”. Toutes les parties de texte entre guillemets et autres citations en décrochage traitant de ce sujet sont extraites de ce même document. 396 Je découvre dans ce document, et dans un autre que nous évoquerons plus loin, que la Cie Lubat s’était déjà dotée d’une structure officielle (ici Société d’Artistes Associés, dans l’autre document association 1901). A part dans ces deux documents, je n’ai trouvé aucunes traces de ces entités. 397 Il y a là une constante des organigrammes, projetés ou effectifs, de hiérarchisation jusque dans les membres même de la Cie. On l’avait vu avec Pierre Scheidt dans le Chapitre 3. Francis Lassus ensuite occupe pendant longtemps le seconde place de la hiérarchie et après son départ cette place revient à André Minvielle. Pour des raisons que je ne connais pas (peut-être par choix personnel) Patrick Auzier (fort d’originalité dans ses pratiques et dans son travail, notamment par sa “ spécialisation ” dans les feux d’artifices) n’est jamais inclus dans les hautes fonction, et semble toujours être un peu à l’écart.

138 Dans la Société Editions du Tilleul sont actionnaires B. Lubat (50%), F. Lassus (10%) A. Minvielle (10%) ; P. Auzier n’y possède aucune part et L. Duthilleul (qui en est également la “ gérante ”) en possède 30%.

Et dans VUM Association 1901, on retrouve pour le fonctionnement les mêmes acteurs. Aux membres de la Cie Lubat (qui y travaillent bénévolement) s’ajoutent néanmoins Anne Cazaban et Martine Minvielle, qui elles ne travaillent que dans cette structure. Elles y cumulent les emplois (presse et relation publique ou secrétariat comptable et fonction de projectionniste).

“ Présidente : L. Duthilleul (Bénévole) Direction générale et artistique : B. Lubat (Bénévole) Co-direction générale et artistique : L. Duthilleul, F. Lassus, A. Minvielle, P. Auzier (bénévoles) Réalisation générale : L. Duthilleul (Bénévole) F. Fondeville (Salarié à 1/2 temps ; Bénévole l’autre 1/2 temps) Réalisation artistique : Cie Lubat – (Bénévole) Administration générale/Dossier subventions : F. Fondeville (salarié à 1/2 temps), L. . Duthilleul (Bénévole), Presse - relation publiques : Anne Roux : stagiaire/emploi jeune + 1/2 temps Secrétaire comptable : 1/2 temps Martine Minvielle (T.U.C., Projectionniste cinéma) ”

On voit donc très clairement que VUM ne fonctionne que grâce à la Cie Lubat, seul le personnel administratif y étant rémunéré (à mi-temps). A noter que l’administrateur de la structure, Francis Fondeville, est en premier lieu l’administrateur de la Cie Lubat.

A cette intrication du personnel, s’ajoute, là aussi énoncée clairement, l’intrication financière. VUM n’ayant comme “ ressources propres ” que les subventions, nulles ou quasiment en cette année 1987: la situation de crise conduisant l’équipe UM/Cie à “ décid[er] de geler les activités de VUM : En effet, l’association n’a pas de moyens financiers, hormis les apports de la Cie Lubat ” et, nous le retrouvons ici, un prêt du père de Bernard Lubat. Ainsi les financements de la structure sont-ils exposés de la manière qui suit : “ Financement : Prêt Alban Lubat …, Cie Lubat…, Subventions - 0 Frs , Sponsors - ?, Mécénats - ? /Dossier CNC … !… ”. La structure ayant par ailleurs encore des frais à assumer : “ 1) payer dette à A. Lubat, 2) l’URSSAF à Bernard, 3) la voiture de Francis, 4) les dettes concerts passés, 5) Fl caisse, entretien matériel ”

Après avoir proposé de geler les activités de VUM, Bernard Lubat énonce donc quelles sont pour l’heure les priorités de l’équipe UM/Cie.

“ B. Lubat fait remarquer que la Cie Lubat a des urgences prioritaires dont dépendra d’ailleurs directement la survie et la vie de VUM -répéter, travailler, conceptualiser l’idiome Cie Lubat, -se préparer au disque et à la mise en spectacle, -chercher un co-producteur show bis “ potable ”, un conseiller en communication et information professionnel (c’est pas simple de communiquer l’idiome Lubat et le pilotage de ses activités multipiste), -en ce qui concerne le cinéma François Mauriac décidons d’un travail à deux vitesses :

139 -réouverture du lieu comme salle de spectacle et bureau de la Cie et de VUM dès la fin juin selon nos moyens à préciser, -reprise du fonctionnement du cinéma dès que les subventions du CNC seront débloquées (ce à quoi s’emploient Martine Minvielle et Francis Fondeville) -décidons d’une nouvelle répartition des recettes en caisse en tenant compte des dettes urgentes de VUM (celle qu’on ne peut plus reporter plus longtemps) et des urgences des membres de la Cie. ”398

Elle doit donc se concentrer sur le travail de la Cie Lubat, et ce dans un sens d’une plus grande professionnalisation. Cela demande donc d’élaborer des financements autonomes pour les tâches suivantes : “ Co-production avec maison de disque, production, Show Bizz professionnel, Disque, Clip, Spectacle, Publicité, médiatisation,, Communication des concepts : Affiches, plaquettes, photos. ” Et d’engager un “ Agent professionnel agréé : Sponsors, subventions, mécénat, etc… ”

2) De nouveaux cadres professionnels pour les projets de l’équipe UM/Cie

Au lendemain de l’édition 1987 – le « non festival L’Eté L’Estaminet », commencent des tractations et s’ébauchent des projets de créations de nouvelles structures. Ceux-ci suivent une logique, fonder, et se développent selon deux axes : fonder une base territoriale (cela va donner la Société Civile Immobilière « SCI Uzestoise ») et donner un cadre de travail solide à la Cie Lubat (cela aboutira sur la Société Coopérative de Production Artistique « SCOPA Cie Lubat »).

Sans doute les mots de Christian Laborde ne sont ils alors pas écrits au hasard lorsqu’il dit.

“ Uzeste est un lieu musical permanent, un chantier sonore à ciel ouvert. Enracinement ? Certainement ! Mais attention à ce mot ! Lubat ne s'enracine que pour mieux s'ouvrir. Des racines landaises, mais un feuillage cosmopolite. Jouer. Fonder. Confronter. Tel est le travail de Bernard Lubat.”399

Si le travail préparatoire à ces deux structures se déroule dans le même temps, elles naissent cependant dans l’ordre chronologique suivant : d’abord la SCOPA puis la SCI.

La création de la SCOPA

La volonté d’énoncer avec précision le statut professionnel de chacun se manifeste dans le Journal programme 1987 à travers un discours d’auto définition nettement plus élaboré, qui décrit l’ensemble des activités de chaque membre de la Cie – en idiome lubatien.

“ La Cie Lubat, Maître d’œuvre, Créateurs Artistiques Associes ; Ouïe fine

398 “ Compte-rendu de la réunion du 7 juillet 1987 à L’Estaminet ”, dans “ VUM, impayés contentieux ”,chemsise “ Communication 87 ”. 399 Christian Laborde, “ Festival d’Uzeste 1987 : du cachet sans le sou ”, Le Figaro, août 1987.

140 oreilles cannibales musiques mots images spectacles créations performances récital show bal jazz danse artifice opéra chansons histoires inventées chorus contes à dormir éveillé oral écrit langue française, occitane, gasconne improvisation comme Technique/Ethique de pointe. Bernard Lubat (direction artistique, improvisateur multipiste, mise en swing mise en scène, musicien auteur compositeur arrangeur, chanteur, conteur, vocaliste, poly-instrumentiste/ piano, synthétiseur, batterie, accordéon, mélodica, percussions), Francis Lassus (improvisateur multipiste, mise en swing mise en scène, musicien auteur compositeur arrangeur, vocaliste, poly-instrumentiste/ batterie, percussions, claviers), André Minvielle (improvisateur multipiste, mise en swing mise en scène, musicien auteur compositeur arrangeur, chanteur conteur vocaliste, poly-instrumentiste batterie, percussions, claviers ), Patrick Auzier (improvisateur multipiste, mise en swing mise en scène,maître artificier, créateur en feux d’artifices, musicien poly instrumentiste trombone électronique, percussions, I.V.N.I. : Instruments Vibrants Non Identifiés), Laure Duthilleul400 ( improvisation multipiste – mise en scène, comédienne – auteur) ”401

Ce mouvement de définition et d’officialisation qu’on voit ici se dessiner préfigure déjà la création de la SCOPA (Société coopérative ouvrière de production artistique) Cie Lubat en 1988. Les tractations et réflexions pour la mise en place de ce projet commencent en effet dès octobre 1987 pour aboutir en octobre 1988.

La première “ réunion de débroussaillage ”402 ayant pour objet la SCOP a lieu le 9 octobre 1987, avec: P. Auzier, J. Boudé, B. Briand, F. Fondeville, B. Lubat, A. Minvielle, M. Minvielle ”. Sont posées les questions suivantes : savoir si le choix de la SCOP comme structure pour la Cie Lubat est un bon choix ou pas, savoir quels en seront les associés, quel en sera le gérant, quel en sera le fonctionnement pratique et quelle part du chiffre d’affaires sera attribuée à cette structure, quelle sera en son sein l’“ échelle des salaires ”, et s’il doit y avoir “ participations financières sur les activités externes des associés ” ?

Dans le compte rendu de la réunion apparaît en premier lieu la question de savoir si la SCOPA permettra “ une meilleure couverture sociale, un paiement régulier des salaires ou

400 Laure Duthilleul fait ici sa première apparition officielle en tant que membre de la Cie Lubat. Alors qu’on a vu qu’elle participe au festival en tant que comédienne dès 1982, et qu’elle prend depuis 1984 une part active dans l’organisation, la gestion et l’administration du festival ; Présidente de l’association “ Vive Uzeste Musical ”, elle ne figurait pas jusqu’alors en tant que membre de la Cie Lubat. 401 Texte en page 10 du journal programme de 1987. 402 “ Compte rendu de la réunion du 9 octobre 1987 Objet : SCOP ”, dans “ VUM impayés, contentieux… ”. Toutes les parties de texte entre guillemets et autres citations en décrochage traitant de ce sujet sont extraites de ce même document.

141 cachets dûs à chacun ” par rapport à “ L’Association Les Ragondins ”403. La réponse est la suivante.

“ - En matière d'efficacité la S.C.O.P. comme les autres structures existantes ne génèrera pas de miracle. Le résultat dépendra de l'utilisation que l'on en fera.- Le choix de la S.C.O.P. est seulement motivé par l'esprit de son fonctionnement. - En matière de salaires et de couverture sociale, afin de ne pas retomber dans les errements passés, il faudra déclarer sous le nom de S.C.O.P. le montant des salaires dont nous serons sûrs de pouvoir assumer le paiement et celui des charges sociales correspondantes. Au début, notre marge de manoeuvre étant très étroite, ce choix devra être fait tous les mois ou tous les trois mois. L’objectif est que la quasi totalité des affaires soient à terme traitées par la S.C.O.P. ”404

On voit donc que le choix de cette structure SCOP est un choix répondant à la fois à une volonté de renouveau et plus grande rigueur dans la gestion des affaires de la Cie Lubat. C’est également un choix militant. Son fonctionnement est coopératif, alternatif, il renvoie à une conception du travail "communiste", " ouvriériste" et autogérée, et se trouve par là en adéquation avec le discours et le projet lubatiens.

Le premier souci demeure néanmoins celui de clarification, et de renouveau pour se sortir de l’engrenage de la dette.

“ Les affaires traitées au nom de l'Association des "Ateliers de la compagnie LUBAT", nous permettront de continuer à payer les dettes, à verser des salaires sans payer les charges et donc d'avoir une capacité financière plus importante et plus souple. Cette pratique étant évidemment "ILLEGALE" [mis en gros caractères par l’auteur]. La réussite de cette "NORMALISATION" progressive implique beaucoup de réalisme et de rigueur. A condition de nous y tenir nous verrons une différence entre la S.C.O.P. et "Les Ragondins". Si nous ne nous y tenons pas il n'y aura pas de différence. ”

Et la volonté de monter cette structure s’inscrit surtout, répétons-le, dans un processus de professionnalisation de la Cie Lubat (selon les objectifs qui avait déjà été formulés par Raoul Toesca en 1981)405 :

“ Notre objectif principal (en matière de fonctionnement) étant "LA VENTE" de la Compagnie : - la définition des spectacles,, - la réalisation de la plaquette,, - sa diffusion,, -

403 Autre découverte surprenante : cette “ Association Les Ragondins ” dont il n’y a pas non plus de trace. Peut-être correspond-elle à l’association “ Les Ateliers de la Cie Lubat ” évoquée par Raoul Toesca ? Il semble qu’elle se chargeait aussi de payer les cachets des artistes et techniciens. 404 “Compte rendu de la réunion du 9 octobre 1987". 405 “ Si l’on considère que le fonctionnement de la Cie, est le relais impérieux [mis en gros caractères par l’auteur] d’auto-financement de l’ensemble, la conséquence immédiate de cette affirmation, est que la Cie est une marchandise à vendre:, -Elle se définit comme produit spécifique, -Elle a un coût, somme des éléments, hommes et choses, qui concourent à sa production., -Elle a un prix de revient, seuil irréversible de son existence financière., -Elle dégage une marge nette, nécessaire à la réalisation de ses projets, et à son développement., Et c’est cette marge nette, qui permettra à “ Uzeste Musical ” de Vivre ! C’est donc elle qui doit être notre priorité ! ”, dans Lettre de Raoul Toesca “ administrateur provisoire ” à Bernard Lubat “ Président de “ Uzeste Musical ”, Président de la Cie Lubat ” datée du 30 janvier 1982, faite à Bordeaux. “ objet : Rapport d’activité moral et financier août 1981-janvier 1982. ”, dans “ Synopsis spectacles 1982 ”.

142 l'organisation du travail de la ou les personnes chargées de négocier les contrats doivent être les priorités des trois mois à venir ”

Une question centrale dans la création de cette nouvelle structure est la question de la répartition des gains. Question que nous allons voir apparaître encore, cette fameuse intrication entre les différentes entités.

“ Sur quatre contrats mensuels (Asso & SCOP) ” et un “ total de cachets de 120 000 F. ” est planifiée la répartition suivante : “ -Sommes affectées aux salaires 48,33% du total -Sommes affectées aux charges sociales 12,88% -Sommes affectées à V.U.M. : 10% -Sommes affectées à l’investissement 5% -Sommes affectées au remboursement de la dette 5% -Sommes affectées aux défraiements 11,20% -Sommes affectées aux charges fixes de fonctionnement de la Cie 8,62% ”406. Le “ Pourcentage des salaires (Asso & SCOP) par rapport à la masse salariale (hors charge) [est réparti de la façon suivante : « Bernard Lubat …25,86% [soit 15 000 F] Francis Lassus…15,42% [soit 9 000 F André Minvielle…15,52% [soit 9 000 F] Patrick Auzier…13,79% [soit 8 000 F] Yves Garnaut…13,79% [soit 8 000 F] Anne Roux…8,62% [soit 5 000 F] Francis Fondeville…6,90% [soit 4 000 F] »407.

Il est par ailleurs mentionné que si Francis Fondeville est peu payé par la SCOPA c’est que “ le complément de salaire de FF (jusqu’à 8 000 F). sera versé par VUM ” (celui-ci rappelons-le étant à la fois administrateur de la Cie et de VUM.

Arrive ensuite la question de savoir qui va être inclus dans la SCOPA. On vient de voir avec le plan de répartition des salaires que, au début des tractations, sont prévus comme associés : les musiciens de la Cie (-Bernard Lubat, Francis Lassus, André Minvielle, Patrick Auzier) mais aussi les membres de l’équipe administrative (Yves Garnault, Anne Roux, Francis Fondeville).

Néanmoins cette question est sujette à débat ; semblent alors se révéler un certain nombre de conflits. La réunion du 9 octobre, nous en montre une étape :

Quels associés pour la S.C.O.P. ? Dans un premier temps les personnes engagés sans réserves ni doutes - B. Lubat, A. Minvielle , P. Auzier, F. Fondeville

406 “ Couverture minimum des membres de la Cie Lubat par la SCOP ”, dans “ VUM, Statuts… ”, chemise “ Gestion VUM ”. 407 “ Couverture minimum des membres de la Cie Lubat par la SCOP ”, dans “ VUM, Statuts… ”, chemise “ Gestion VUM ”.

143 Les personnes dont le statut est incertain ou encore mal défini collaboreraient en parallèle (salarié ou pas de la S.C.O.P.), L. Duthilleul, F. Lassus, Y. Garnault, chacun ayant la possibilité de devenir associé dès que le consensus avec le groupe est total.”408.

On voit donc qu’il y a certains des membres de l’équipe UM/Cie qui ne sont pas en “ consensus total ” avec le groupe. Parmi eux, Laure Duthilleul, et Francis Lassus. D’autres indices nous font penser qu’en effet un conflit est né à cette époque entre Lassus et Lubat. Lubat lui ayant cédé sa place de batteur de Nougaro, Lassus se trouve engagé dans des contrats à l’extérieur de la Cie, chose qu’aucun musicien de la Cie, à part Lubat, n’avait fait jusque là, et ceci semble être objet de conflit.

Lors de la fondation de la SCOPA, la mouture finale de la liste des associés regroupe : Bernard Lubat, Laure Duthilleul, André Minvielle, Patrick Auzier et Francis Fondeville. Ont donc été écartés Yves Garnault, Anne Roux et Francis Lassus, qui quitte alors la Cie Lubat.

Finalement, le 27 juillet 1988, naît officiellement la Société Coopérative Ouvrière de Production Artistique “ SCOPA Cie Lubat ” ; “ SARL coopérative à personnel et capital variable au capital de 25000 F ”409. L’objet de cette structure est :

“ La coopérative a pour objet l’exercice en commun des professions des associés pour toute productions et prestations artistiques, musicales, théâtrales, cinématographiques, discographiques et toutes activités annexes, connexes ou complémentaires s’y rattachant directement ou indirectement, ainsi que toute opérations civiles, commerciales, industrielles, mobilières, immobilières, de crédit, utiles directement ou indirectement à la réalisation de l’objet social. ”410

L’équipe UM/Cie donne ainsi un cadre solide à l’exercice des professions artistiques de ses membres. Cette fondation et le détail des statuts réaffirment encore combien est central le rôle de la Cie. Avec des compétences d’interventions (depuis les opérations commerciales jusqu’aux opérations immobilières) les plus larges possibles dans une palette d’activités pluridisciplinaires, on retrouve entièrement dans la SCOPA les problématiques et les pratiques de la Cie Lubat. Avec ces compétences, assez semblables à celles inscrites dans les statuts des Editions du Tilleul, la SCOPA reprend tout un nombre de fonctions qui avaient été concentrées dans les Editions du Tilleul, celles-ci se cantonnant sans doute désormais à leur fonction d’édition musicales.

Nouvelle base ou « zone d’envol » : la SCI Uzestoise et le Groupe d’artistes artisans gascons associés

Une autre entité se monte parallèlement à la construction de la SCOPA : la Société Civile Immobilière « SCI Uzestoise ». Celle-ci s’attaque au problème de l’immobilier, une assise territoriale étant une condition nécessaire, nous l’avons vu à plusieurs reprises, à la réalisation des projets de l’équipe UM/Cie. Rappelons ici brièvement que dès 1982 l’équipe

408 “ Compte rendu de la réunion du 9 octobre 1987 Objet : SCOP ”, dans “ VUM impayés, contentieux… ”. 409 “ Statuts, Editions du Tilleul, Capital social de 50 000 F, Siège social : 258, rue St Honoré 75001 Paris. ”, dans classeur « Les éditions du Tilleul Statuts ». 410 Enregistrement des statuts aux Echos Judiciaires Girondins le 27/07/1988, dans classeur “SCOP, Statuts, Doc. Of. ”.

144 UM/Cie prévoit le montage d’un « Centre Culturel d’animation et de création en milieu rural », qu’elle a exploité le Cinéma François Mauriac de 1982 à 1986 ; qu’en 1985, elle s’était insérée dans un « Projet d’un centre d’accueil et d’activité en bordure du Ciron » ; « lieu de moyens et d’équipements collectifs inter-associatifs ». Et qu’en 1987, apparaît sous la plume de Claude Gudin* un projet de « Cité Lacustre »

La SCI Uzestoise

La SCI Uzestoise, créée le 6 septembre 1988, énonce très clairement ses objectifs :

« La société a pour objet la propriété par apport des associés ou par acquisition de terrain ou d’immeubles. L’exploitation et la mise en valeur de ces terrains par la construction d’immeubles, l’exploitation des immeubles par bail, location, ainsi que toute autre opérations se rattachant à cet objet pourvu que les opérations ne modifient pas le caractère civil de la société. Le but de la société est de participer au développement de la vie culturelle, artistique et touristique de la région. La société a pour objet initial l’acquisition d’une maison dans le bourg d’Uzeste. »411

Liée à un projet de « Théâtre de la Menuiserie », déjà évoqué de nombreuses fois dans la presse, et qui en constitue l’objectif premier, la SCI Uzestoise rassemble alors un grand nombre d’associés autour de la réalisation de ce projet. Là aussi on trouve dans les archives des traces de nombreux remaniements quant au choix et à l’acceptation de ses membres. Dans les projet esquissés avant la version définitive, étaient également prévus Charles Silvestre (journaliste de L’Humanité), Jean-Claude Robissout (conseiller technique de l’Eté l’Estaminet), René Planton (gérant avec Jeannine Planton de l’Estaminet), J. Dupiol, Alain et Martine Amanieu (avocat en charge du dossier), Daniel Souchard (industriel), et aussi Michel Portal et Claude Nougaro. Dans sa version définitive, la SCI regroupe finalement les acteurs suivants.

« Le 6 septembre 1988, une Société Civile Immobilière (S.C.I. Uzestoise) s’est constituée avec pour premier objectif le rachat de l’ancienne menuiserie d’Uzeste. Elle a été constitué par : -Alban Lubat (propriétaire de l’Estaminet d’Uzeste, retraité, musicien) -Pascal Seguin (Uzestois, médecin) -Etienne Bordes (uzestois, artisan maçon) -Philippe Langeard (préchacais, clerc de notaire) -Catherine Lafon (villandrautaise, orthophoniste) -Serge Goacolou (casteljalousain, artisan charpentier) -Jacques Genet (d’origine uzestoise, conseiller en gestion) -Patrick Lavaud (bordelais, responsable du Festival Occitan d’Eysines) -Marc Perrone (musicien) -Jean Duthilleul (architecte)

411 Dans classeur « SCI Uzestoise ; statuts doc. Of. ; achats immobiliers ».

145 -Bernard Lubat, -Laure Duthilleul (comédienne, présidente de « Vive Uzeste Musical » -Patrick Auzier (musicien, pyrotechnicien) -André Minvielle (auteur, compositeur, musicien) -Francis Fondeville (administrateur de « VUM »)

Son deuxième objectif est la réhabilitation du bâtiment existant afin de permettre à l’associatiton loi 1901 « VUM » et à la Société Coopérative de Production Artistique « Cie Lubat » l’installation du « Théâtre de la Menuiserie », laboratoire de recherche et de diffusion artistiques fondamentales. La S.C.I. conclura un bail de 20 ans avec l’association « VUM ». »412

Le G’CA’ AGA

Après ce choix tranché des associés de la SCI Uzestoise, est conceptualisée une seconde communauté. Celle-ci est présentée dès la première brochure « Etude pour un laboratoire de recherche et de diffusion artistiques fondamentales. Théâtre de la Menuiserie » éditée en décembre 1988, soit quatre mois après la création de la SCI, et dénommée le Groupe de Créateurs Artistiques Artisans Gascons Associés (le « G’CA’AGA »).

On y retrouve les principaux artistes (les plus affectionnés ?) avec lesquels la Cie Lubat collabore, au festival estival ou lors d’autres manifestations.

Groupe sans doute plus conceptualisé que véritablement concerté, ce qui transparaît fortement dans sa création (fictive ?) est bien la volonté d’affirmer l’existence d’une communauté englobant les artistes et les collaborateurs du projet Uzeste Musical. Cette conceptualisation d’une « communauté du festival », peut peut-être nous faire penser que plus que des invités avec lesquels la Cie pratique intensivement des échanges, les artistes qui y sont regroupés sont alors perçus et voulus comme étant des co-élaborant du festival comme de l’ensemble du projet Uzeste Musical.

Cette communauté est néanmoins hiérarchisée en deux cercles concentriques : le groupe proprement dit et les « associés à ses travaux ». A sein de chaque ensemble l’ordre d’apparition ne semble pas être non plus laissé au hasard.

« Le G’CA’AGA (Groupe de Créateurs Artistiques Artisans Gascons Associés) : Bernard Lubat, Laure Duthilleul (comédienne, présidente de V.U.M.), Patrick Auzier (musicien, pyrotechnicien), André Minvielle (auteur-compositeur, musicien), Francis

412 « Etude pour un laboratoire de recherche et de diffusion artistiques fondamentales. Théâtre de la Menuiserie. Décembre 1988 », dans « La Menuiserie, Projets, Plans ». Pour sous titrer on trouve donc comme associés : le père (Alban Lubat) ; La Cie Lubat et son administrateur , mais également les maîtres d’œuvres du projet de la menuiserie : Etienne Bordes (maçon, et camarade de classe de Bernard), Serges Goacolou (charpentiers) et Jean Duthilleul (père de Laure et architecte) ainsi que des amis et compagnons de route déjà plusieurs fois impliqués dans les associations du festival : Patrick Lavaud, Marc Perrone et Pascal Seguin ; et quelques nouveaux venus ; Philippe Langeard, sa femme Cathy Lafont et Jacques Genet.

146 Fondeville (administrateur), Bernard Manciet (écrivain occitan, historien), Jacques Bernar (peintre), Michel Portal (compositeur interprète), Louis Sclavis (compositeur interprète), François Corneloup (musicien), Marc Perrone (compositeur musicien), Claude Gudin (scientifique), Etienne Bordes (entrepreneur artisan maçon), Serge Goacolou (artisan charpentier), Charles Silvestre (journaliste), Lous Pinhadars (musiciens traditionnels gascons) Alban Lubat ; Jean Pascual ; André Lassalle ; Chantal Bordes.

Artistes, scientifiques, écrivains régulièrement associés aux travaux du G’CA’AGA : Frédéric Lodéon (musicien), Adama Dramé (griot africain), Didier Lockwood (musicien), Eddie Louiss (musicien), Claude Nougaro (poète chanteur), André Bénédetto (écrivain, poète, comédien), J.-L. Chautemps (musicien), Manu Dibango (musicien), Christian Laborde (écrivain), J. Didier Vincent (scientifique, écrivain), Claude Sicre (écrivain, musicologue), Guy Lequerrec (photographe), Nouvelle Cie du Théâtre des Carmes, PEPAC Théâtre, E. Pignon Ernest (peintre), François Giboulet (art plastique), M. Charef (cinéaste), J. Rozier (cinéaste), A.Isserman (cinéaste), Eugène Riguidel (navigateur), Anamorphose (vidéastes), etc… »413

Peut-être que le choix des intervenants mentionnés dans la liste correspond aussi en quelque sorte à un « star system ». Ce projet de laboratoire de recherche et de diffusion artistiques fondamentales est un document adressé à des pourvoyeurs de subventions. Il s’agit donc de convaincre (et de se vendre) et, pour ce faire de montrer le meilleur. Ce choix semble aussi par ailleurs être conçu pour présenter la pluridisciplinarité effective de ce groupe de créateurs (chère à la Cie Lubat, au festival et à l’équipe UM/Cie) illustrée à travers un panel le plus large possible des artistes avec lesquels la Cie Lubat travaille ou a travaillé.

Cette brochure et la conceptualisation du projet donnent lieu à un nouveau développement de l’idiome lubatuzestien et de l’ensemble de son projet.

« Insufflé par la Cie Lubat (Société Coopérative de Production Artistique) et « Vive Uzeste Musical » (association 1901), à l’avant-garde pour commencer (1978), plus simplement ensuite dans la dynamique d’une politique de décentralisation (1981), le G’CA’AGA (Groupe de Créateurs Artistiques Artisans Gascons Associés) s’est secrété, érigé ici à Uzeste, en milieu rural : au quotidien et dans son prolongement le Festival Estival. Ses travaux de culture en « Expression Artistique Vivante Contemporaine », sa production d’Art et l’Art de sa propre diffusion, se sont abondamment exportés depuis en milieu urbain (national et international) »414.

Développant les concepts de base du « Laboratoire de recherche et de diffusion artistique fondamentales » ; et des « travaux sur les relations interactives entre le Primitif et le Savant – la Tradition et la Modernité – la Mémoire et l’Improvisation », elle présente également un résumé, cartes à l’appui, de l’action de la Cie Lubat depuis 1978 (concerts dans la région, en France et à l’étranger, « Noëls Musical sous les pins », « Ecole des Favellas Gasconnes », « SOS Orchestra » et « Ateliers Artistiques de la Cie Lubat »). Le tout est ici rassemblé pour argumenter en premier lieu de la grande nécessité de la réalisation ce projet de Théâtre laboratoire exposé dans le détail avec plans, cahier des charges, « descriptif sommaire des ouvrages » et budget.

413 « Etude pour un laboratoire de recherche et de diffusion artistiques fondamentales. Théâtre de la Menuiserie. Décembre 1988 », dans « La Menuiserie, Projets, Plans » dans bureau de l’administrateur. 414 « Etude pour un laboratoire de recherche », déjà cité.

147 « Le niveau de conceptualisation aujourd’hui atteint, implique un réaménagement technique adéquat et une réévaluation qualitative et quantitative du phénomène « Cie Lubat », « VUM », « G’AC’AGA » dans l’espace et dans le temps. Dans ces conditions, il devient indispensable de créer un lieu base, épicentre organique des travaux décrits ci-avant [les travaux du G’AC’AGA], et de leur développement. » 415

Projet d’envergure, il prévoit « l’aménagement d’une salle à multifonctions : lieu de travail pour les créateurs (répétition, conception, scénographie…), studio d’enregistrement, audiovisuel, lieu public de 240 places (musique, théâtre, cinéma, danse, festival, pédagogie…) » avec les « installations indispensables au fonctionnement d’un lieu culturel de cette envergure (loges, salles de réunion, magasin accessoires, construction décors…) » et un « un espace servant de lieu d’accueil (foyer, bar, lieu de rencontre…) » 416.

Le coût du projet, estimé à 3 152 103,36 F pour un ensemble d’une surface de 626 m_ avec une salle de 156 m_ et une scène de 41 m_. Ses dépenses seraient réparties entre la SCI et l’association VUM. Les travaux à la charge de la SCI (gros œuvre) d’un montant de 998 434,10 F étant complétés par les travaux à la charge de l’association (2 153 669,26 F) en 4 tranches : second œuvre ; Salle de réunion ; Foyer de rencontre ; Bar/plantation espace verts. On retrouve bien ici l’intrication entre les différentes entités de l’ensemble Uzeste Musical, celles-ci étant désormais construites et pensées dans un souci de complémentarité.

La nébuleuse en organigrammes

Parallèlement à ces projets d’envergures, il faut voir que la Cie est toujours en recherche de solution de gestion clarifiée de sa « nébuleuse »417 et que dans ce contexte de crise (crise financière interne - mais celle-ci est inhérente au projet depuis le départ - à laquelle s’ajoute le fait que depuis deux étés elle ne peut plus monter le festival estival) elle cherche à monter un ensemble solide et cohérent ; pour pouvoir repartir sur des bases nouvelles. Qu’elle cherche à démêler et à organiser rationnellement l’ensemble des structures qu’elle a créées dans cet objectif, et qu’elle a pensées dans leur complémentarité. Il faut noter ici, à propos de complémentarité, que ce montage de structures relève à la fois d’un processus de distinction et de division (division des tâches, des compétences, des domaines d’intervention). Cependant ce processus de répartition des tâches ne permet pas de sortir de l’imbrication (pour dire les choses simplement : ce sont toujours les mêmes acteurs, qui font encore ce qu’ils faisaient avant ; c’est toujours la Cie Lubat qui organise le festival), mais simplement de chercher de nouvelles articulations.

Ainsi au mois d’avril 1988, on peut voir des schémas tentant d’organiser l’ensemble des entités. Y cohabitent les vielles structures (« Association 1901 Cie Lubat », « Association 1901 VUM », « SARL Editions du Tilleul ») et les nouvelles (« SCOP Cie Lubat », « SCI »),

415 « Etude pour un laboratoire de recherche et de diffusion artistiques fondamentales. Théâtre de la Menuiserie. Décembre 1988 », dans « La Menuiserie, Projets, Plans ». 416 « Etude pour un laboratoire de recherche », déjà cité. 417 Expression trouvée sous la plume de l’administrateur Francis Fondeville : « Pour le reste la "nébuleuse uzestoise" se structure tout doucement mais sûrement. Je crois que nous sommes en parfaite position pour faire face à ce renouveau que nous espérons tous (la S.C.O.P. fonctionne, la S.C.I. est créée et la menuiserie achetée). » Francis Fondeville, courrier à Jean-Claude Robissout (actionnaire potentiel de la SCI), 11 octobre 1988, dans carton « X° FUM 1989 ».

148 qui, pour la réorganisation, de l’ensemble sont articulée à d’autres structures, non encore existantes mais dont la création semble envisagée (SARL « Village Lacustre » et « SARL prestataire de services »).

Ainsi commencent à prendre forme les articulations entre les différentes entités de la « nébuleuse uzestoise » (il s’agit d’une feuille présentant ces 6 encadrés tous reliés au premier encadré A)".

«A) S.A.R.L. prestataire de services (administration) B) Association 1901 VUM Festival & Animation artistique C) Association 1901 Cie Lubat > C’) SCOP Cie Lubat Gère le passif et disparaît prend en charge l’exploitation « saine » de la Cie et remplace l’autre D) S.C.I. Acquiert les terrains nécessaires au Village Lacustre, construit les bât. Et les loue E) S.A.R.L. « Village Lacustre » Loue les lieux et exploite les villages F) S.A.R.L. Editions du Tilleul G) Estaminet »418

Ce document appelle de nombreux commentaires : En premier l’énigme, évoquée ci-dessous en note, de l’ « Association 1901 Cie Lubat » me laisse perplexe. Mais l’objectif de la SCOP, qui a été présentée plus haut et sur laquelle il reste des archives, est ici clairement affirmé : « prendre en charge l’exploitation « saine » de la Cie Lubat ». Avec les objectifs déjà évoqués (normalisation, clarification et professionnalisation), c’est elle qui s’occupe de toute l’activité de la Cie Lubat (notamment pour ses contrats à l’extérieur). Le rôle de l’association VUM est alors circonscrit à l’organisation du festival et de l’ « Animation artistique » soit l’action culturelle sur le terrain. Enfin est réaffirmée la nécessité d’une gestion/administration centralisée, prise en charge par une structure autonome : une « SARL prestataire de services ».

Il faut noter que pour la première fois, dans ce schéma, L’Estaminet se trouve inclus dans le projet de gestion/administration centralisée. Bien qu’au centre du projet Uzeste Musical, il se situe néanmoins hors de sa zone d’influence directe. Il est en effet tout d’abord propriété des parents de Bernard Lubat. Ensuite, il a été confié depuis 1978 en gérance à René et Jeannine Planton, qui sont donc les « patrons » du lieu. Donc ni l’équipe UM/Cie, ni Bernard Lubat en tant que fils des propriétaires n’ont de pouvoir décisionnaire au sujet de L’Estaminet. C’est en partie ce qui a motivé en 1982 l’ouverture du cinéma François Mauriac et du Micro Théâtre Reiser, l’équipe UM/Cie se constituant ainsi un lieu de travail et de répétition propre, autre que le café L’Estaminet. Ce manque d’emprise décisionnaire est effectif tout du moins sur le court terme, car sur le long terme, ce café appartient à la famille

418 « Projet de réorganisation des activités de « VUM » et de la Cie Lubat » (« 15-04-88 »), dans « VUM Comptes rendus Réunions… ».

149 Lubat et donc à Bernard. C’est sans doute dans cette perspective du long terme qu’il apparaît inclus dans ce schéma.

Enfin, apparaît dans ce schéma le projet de « Village Lacustre » idée que l’on a vue apparaître sous la plume de Claude Gudin dans le journal-programme de 1987, et qui sera réaffirmée, en 1990.

« Cité lacustre sur un Lac Artificiel vouée à l’accueil d’artistes, chercheurs, scientifiques, penseurs. Cité d’Artistes à Résidence. Mais aussi site pour le tourisme culturel avec ateliers artistiques, stages, débats, conférences, formation de formateurs… dans lesquels se retrouveraient étudiants, comités d’entreprises… Création de Camping/parking écologique, village de bungalows… »419

Ce projet, développant les projets de structures d’accueil développés en 1982, est déjà envisagé de façon concrète sous la forme d’une SARL complémentaire de la SCI et inclus à la « nébuleuse uzestoise »420.

Dernière pierre : une nouvelle association pour le festival

La dernière pierre de ce grand chantier de construction entrepris par Laure Duthilleul et Francis Fondeville avec le concours des autres membres de l’équipe UM/Cie est scellée au début de l’année 1989 : le 23 février. Toujours dans ce processus de peau neuve et de division/clarification des rôles est construite une nouvelle association loi 1901 s’occupant exclusivement de l’organisation du festival estival : l’association « Festival d’Uzeste Musical » :

« Suite à l’assemblée générale du 23 février 1989, a été créée l’Association (loi 1901) « Festival d’Uzeste Musical »., L’objet de l’association est la conception et la réalisation du Festival International d’Expression Artistique Vivante d’Uzeste Musical. »421

Durant un certain temps, VUM et FUM vont coexister, sorte de transition en fondu enchaîné, VUM s’occupant, nous le verrons, encore de quelques gros projets en 1989, et de la gestion de ses dernières dettes, avant que soit décidée la cessation de ses activités le 15 décembre 1989.

Cette dernière venue dans la nébuleuse uzestoise suscite encore un plan de réorganisation. La clarification des fonctions de chaque structure au sein de la nébuleuse y est encore plus visible et méthodique. Et les projets envisagés sur le long terme en sont écartés. Si

419 Dans « Demande de subvention d’investissement, Pour la réhabilitation et l’aménagement de bâtiments à usage de bureaux et de local de répétition. Première tranche d’un projet culturel situé sur la commune d’Uzeste (Gironde), Festival d’Uzeste Musical – Compagnie Lubat. (Novembre 1990) » Brochure, dans « archives de la Cie Lubat…». 420 Francis Fondeville, courrier à Jean-Claude Robissout (actionnaire potentiel de la SCI), 11 octobre 1988, dans « X° FUM 1989 ». 421 « Statuts… », dans « Xè FUM 1989 », le bureau de l’association est composé des membres actif de l’équipe administrative d’alors (un peu réduite après les départs de F. Lassus et Anne Cazaban en 1988) : Président : Francis Fondeville, Secrétaire : Patrick Lavaud, Martine Merlou ep. Minvielle, et Laure Duthilleul est nommé « présidente d’honneur pour 4 ans ».

150 l’on y retrouve la volonté de centraliser l’administration de l’ensemble (ici avec l’AGIBA), le projet de « Village lacustre » y est pour lors mis en veilleuse.

« Réorganisation des activités d’Uzeste Musical » « Vive Uzeste Musical » Association Loi 1901 créée en Juillet 1985 Gère les activités permanentes (concerts, ateliers musicaux, colonies, cinéma, etc…) Gère le projet de « Théâtre de la Menuiserie » « Festival d’Uzeste Musical » Association Loi 1901 créée en Février 1989 Conçoit et organise le Festival Estival d’Uzeste Musical « S.C.O.P.A. Compagnie Lubat » Société Coopérative de Production Artistique créée en Juillet 1988 Gère les activités de la Cie Lubat « SCI Uzestoise » SCI Immobilière propriétaire du « théâtre de la Menuiserie » Créée en septembre 1988 « Les Editions du Tilleul » S.A.R.L. d’éditions musicales Edite les œuvres de la Cie Lubat et de Bernard Lubat Créée en juillet 1986 « A.G.I.B.A. » « Agence Gasconnes d’Informatique et de Bureautique Appliquées » S.A.R.L. prestataire de services en informatique et secrétariat Chargée de l’administration des autres structures Créée en février 1989. »422

3) Ordre et désordre de la comptabilité ou …petite histoire des archives

Pour la reprise du festival, l’équipe UM/Cie décide de s’adjoindre une professionnelle de la comptabilité en la personne de Josy Pouchet423, comptable dans une entreprise de la région, qui prend en 1989 le risque de quitter son milieu professionnel pour s’engager dans l’aventure d’Uzeste Musical424. Elle va se trouver, à son arrivée, confrontée au chaos des archives uzestoises. En tant que comptable professionnelle, elle tente alors de comprendre et de mettre au clair la comptabilité et les finances du festival et doit, pour éclairer l’état des finances à son arrivée, remonter dans le passé comptable du festival. Elle met alors le doigt dans un engrenage, à la fois passionnant et laborieux, qui l’amène à dépouiller, avec Martine Minvielle425, toutes les archives depuis 1978. C’est donc à elle que l’on doit leur première

422 « Réorganisation des activités d’Uzeste Musical », dans « VUM Comptes rendus Réunions… ». 423 Voir présentation entretien. 424 Source : entretien avec Laure Duthilleul. 425 Josiane Pouchet et Martine Minvielle sont surnommées par Laure Duthilleul les « éminences crises », leur rôle dans le fonctionnement des structures fut en effet fondamentale (pour Martine

151 mise en ordre. Ce travail la conduit également à beaucoup questionner les différent membres de l’équipe UM/Cie426. Elle a ainsi- par un travail sur les traces écrites et par croisement des témoignages oraux - bien qu’elle ne soit arrivée qu’en 1989 - une connaissance à la fois synthétique et plurielle de l’aventure Uzestoise depuis ses débuts jusqu’en 1989, et une connaissance pratique, de l’intérieur, à partir de 1989. L’entretien que j’ai eu avec elle, déjà cité à plusieurs reprises, m’a donc beaucoup aidé dans la compréhension des péripéties financières du festival.

Ce qu’elle dit des archives financières du festival m’a beaucoup rassuré quant à leur lisibilité et à leur intelligibilité. Imbroglio indémélable, m’a-t-elle avoué, elle dut même reconstruire des bilans financiers de certaines années lorsque ceux-ci étaient manquants.

Je vais quand même tenter, malgré cet imbroglio et des lacunes nombreuses de ces papiers, de retracer dans les grandes lignes le parcours financier du festival. Ce regard transversal peut sembler arriver un peu tard. C’est qu’il m’a semblé juste de le placer au moment du recrutement de celle qui a fait cette mise en ordre. Lorsque les éléments financiers fournissaient une clé de compréhension majeure, j’ai introduit les informations dont j’avais connaissance dans le cours du développement.

Une documentation embrouillée et lacunaire

Rassemblons tout d’abord les éléments argumentant en faveur de la relative non- lisibilité de cette histoire financière.

En premier lieu, rappelons l’intrication, déjà exposée plus haut, entre les différentes entités de l’ensemble Uzeste musical. Intrication qui, nous avons vu, a comme première raison la dépendance financière du festival vis-à-vis de la Cie Lubat. Donc, comptabilité mélangée, commune, et fongibilité entre les finances des diverses structures (la Cie et le festival, mais aussi, les Ateliers de la Cie Lubat et le Cinéma François Mauriac) qui rendent difficiles le suivi exact et la différenciation du parcours financier de chacune.

Ensuite, il faut considérer que durant toute la période étudiée (sauf peut-être après l’arrivée de Josy Pouchet) l’équipe UM/Cie ne tient pas une comptabilité rigoureuse occultant même à dessein, comme l’illustrent les citations présentées en note, de nombreuses opérations427. Raoul Toesca le mentionne en 1981 : les opérations financières se font

Minvielle : depuis 1985, pour Josy Pouchet : depuis 1989), je n’ai pas eu loisir de les interroger autant que j’aurais voulu sur les détails de cette gestion, néanmoins elle m’ont donné des clés de compréhension fondamentales : Josy et Martine sur le travail en binôme de Laure Duthilleul et Francis Fondeville ; Josy à propos de la place difficile qu’était celle d’administrateur (voir chapitre 3…pas encore réinséré…) 426 Source, entretien avec Josy Pouchet. 427 « 1)Cette équipe « permanente » est actuellement en situation d’illégalité par rapport aux statuts des deux associations : / -non-contrat de travail / -non-tenue des Livres Légaux, en particulier ceux relatifs aux réunions des conseils d’administration, des Assemblées Générales, et de la comptabilité en partie double concernant le paiement des cotisations.(…) b) de la même façon en ce qui concerne les cachets versés aux artistes invités, les versements en espèce n’apparaissent sur aucun documents permettant un contrôle a posteriori ; c) le déficit d’exploitation, (45 650,41 F.) ne doit pas faire illusion : en effet, son montant réel devrait être beaucoup plus élevé car il est obtenu par le sous paiement chronique des équipes techniques, et par le non-paiement de certains artistes. », dans Lettre de Raoul Toesca (déjà citée)… Ou encore : « Les affaires traitées au nom de l'Association des "Ateliers de la Compagnie

152 majoritairement dans une relative illégalité ; le versement des cachets en liquide, sans traces, peut peut-être signifier une volonté de ne pas payer les caisses URSSAF et GRISS (pratique qui leur vaudra un redressement financier et une grosse dette que Bernard Lubat va prendre en charge sur ses biens). Raoul Toesca fait ici la dénonciation d’un fonctionnement non normé caractérisé par une absence de documents officiels et légaux. Les causes de ceci étant à chercher selon lui dans le fait que l’entreprise est sous-alimentée en argent, ce dont tout le monde fait les frais. En 1987 par ailleurs, lors de l’opération peau neuve, les pratiques illégales sont en partie prolongées pour régler les arriérés de manière plus rapide.

Les données des archives sont inégales selon les périodes, et se trouvent rassemblées de façon chaotique, plus ou moins éparpillées dans divers carton d’archives428. Il ne s’agit ici que des documents les plus « lisibles », c’est à dire conçus pour permettre une lecture financière. Sinon, bien sûr, on trouve de nombreux autres documents (talons de chéquier, factures d’électricité, rappels de dettes, cahier des salaires…) dont l’utilisation est autrement compliquée et nous entraînerait dans une « micro-histoire financière » du festival.

Rappelons les différentes époques de gestion que nous avons déjà identifiées : de 1978 à 1981, de 1981 à 1982 la période Raoul Toesca ; de 1982 à 1985 la période Pierre Scheidt ; de 1985 à 1989 la période Francis Fondeville qui s’achève en 1989 avec l’arrivée de Josy Pouchet, dernière période.

Le premier document comptable que l’on trouve date de 1979 (deuxième année du festival) : une feuille des dépenses du festival, rien ne peut nous dire ce qu’il en est des recettes.

1978 et 1980 ne sont pas du tout documentées, il faut alors glaner des informations dans la presse (le sujet du déficit du festival étant souvent abordé). C’est pour l’année 1981 qu’on trouve les premiers documents comptables établis dans les règles (« Compte d’exploitation Uzeste Estival 1981 » et « Compte d’exploitation Uzeste-Noël 1981 »429). On a vu ci-dessus que ceux-ci sont accompagnés d’un long discours sur les structures de la Cie Lubat, leur imbrication financière, etc. Après ces deux documents, toute la période d’exercice de Raoul Toesca est vide d’archives (les a-t-il emportées ?).

Les informations financières pour l’année 1982 se trouvent groupées avec celles de 1983 dans un « Bilan Festival Uzeste Musical 1982 et 1983 »430.

L’année 1984 est la première à être documentée de façon un peu plus précise : on trouve un « Tableau récapitulatif de la dette au 31/01/1984 »431 ; un document intitulé

Lubat", nous permettront de continuer à payer les dettes, à verser des salaires sans payer les charges et donc d'avoir une capacité financière plus importante et plus souple. Cette pratique étant évidemment "ILLEGALE". [sic] », « Compte rendu de la réunion du 9 octobre 1987 Objet : SCOP », dans « VUM impayés, contentieux… ». 428 « Festivals Comptes financiers 82-83 », « Festivals Comptes financiers 82-83, « Doc Festival 83- 86 », « Doc Festival 86-87 », « VUM, Statuts… », « Uzeste Musical VUM », « Festival 1989 Divers », « Xe FUM 1989 », « XIème Festival d’Uzeste ». On trouve des archives financières dans neuf cartons. 429 Dans « Lettre de Raoul Toesca », déjà citée. 430 « Festivals Comptes financiers 82-83 ». 431 « Festivals Comptes financiers 82-83 ».

153 « Subventions payées en 1984 »432 et un « Bilan du Festival Estival de Vive Uzeste Musical au 15 septembre 85 »433

En 1985 commence le travail de Francis Fondeville. On voit alors une floraison de documents financiers. Celui-ci est en effet comptable et s’attaque à la mise en place d’une gestion plus rigoureuse Bilan du Festival Estival de Vive Uzeste Musical au 15 septembre 85 »434 ; Bilan du Festival Estival de Vive Uzeste Musical au 15 septembre 85 »435 ; Bilan « Noël Musical sous les Pins » »436 ; « Vive Uzeste Musical/Compte d’exploitation au 31/12/85 »437 ; « Subvention affectées au Fonctionnement » in « Vive Uzeste Musical/Compte d’exploitation au 31/12/85 »438 ; Bilan au 31 décembre 1985 »439)… Compte de résultat au 31/12/1986 »440 Exploitation Festival » in « Compte Résultat 1986, Bilan au 31/12/1986, Vive Uzeste Musical. Complément au dossier de subvention 1987 »441 Récapitulatif » in « Compte Résultat 1986/Bilan au 31/12/1986/Vive Uzeste Musical. Complément au dossier de subvention 1987 »442)

Nous avions vu que l’année 1987 donne lieu à une activité intense de production de discours et de documents sur les finances, notamment dans la Brochure « X° ». On retrouve ces documents par ailleurs dans les cartons : « « l’Eté l’Estaminet » (le 17/09/87) »443 ; « Compte de résultat 1987 »444 ; « Vive Uzeste Musical. Bilan au 31/12/1987 »445 .

L’année 1988 est peu fournie en documents financiers : « Bilan Juil. 1988 »446 ; « Compte de résultat 1988 »447.

L’année 1989, année de l’arrivée de Josy Pouchet dans l’équipe UM/Cie, voit un renouveau des documents financiers de façon plus régulière et plus rigoureuse. Budget Xème Festival d’Uzeste »448 ;

432 « Doc Festival 83-86 ». 433 « Festivals Comptes financiers 82-82 ». 434 « Festivals Comptes financiers 82-83 » 435 « Festivals Comptes financiers 82-83 » 436 « Doc Festival 86-87 ». 437 « VUM Statuts… ». 438 « VUM Statuts… ». 439 « VUM, Statuts… ». 440 « VUM, Statuts, Factures… ». 441 « VUM, Statuts, Factures… ». 442 « VUM, Statuts, Factures… ». 443 « Festivals comptes financiers 82-83… ». 444 « VUM, Statuts, Factures… ». 445 « VUM, Statuts, Factures… ». 446 « VUM, Statuts, Factures… ». 447 « VUM, Statuts, Factures… ». 448 « Festival 1989 Divers ».

154 Xème Festival d’Uzeste Musical. 17 au 20 août 1989. Recettes spectacles»449 ; Etat des dettes « Vive Uzeste Musical » au 30/09/1989 »450 ; Festival d’Uzeste Musical. Subventions [documents récapitulatifs des subventions dans les années 1985 à 1989] »451 Compte d’exploitation au 31/12/1989 »452). Et l’année 1990 étant plus rigoureuse dans ses documents je n’ai retenu que deux de ceux-ci : « Budget XI° »453 ; « Comptes de résultats de l’année 1990 »454

Caractéristiques de la gestion des activités de l’équipe UM/Cie

Cherchons tout d’abord à dégager des constantes dans cette « histoire financière » d’Uzeste Musical, et d’en voir la trame. Outre l’intrication financière des différentes structures, l’autre caractéristique est une : tendance persistante au déficit :

1981 festival été :. Déficit d’exploitation : 45 650,41 F.455, 1981 Noël Déficit d’exploitation : 40 709,03 F.456, 1982 été :. Total = -706 932,81 F. 457, 1983 été : Total = -259 615,51 F.458 1984 été : Déficit Festival = 144 496,00 F.459, 1985 été : Déficit d’exploitation = 297 403,00 F.460, 1985 Noël : Déficit = 52 886,00 F.461, 1986 : perte au 31/12/86 : 85 835,13 F.462 , 1986 été : n’arrive à un « Solde Créditeur (excédent) [de]188 049,08 F. 463 » que grâce à des « Profits exceptionnels (prélevés sur les cachets de la Cie Lubat) 140 000,00 F. » , Seul excédent : celui de l’Eté l’Estaminet en 1987 : (excédent) 92 955,19 F.464, 1987 année : Néanmoins sur le total de l’année l’équipe UM/Cie enregistre une « Perte d’exploitation 11 037,21 F. » (Dépenses : 498 944,23 F., Recettes 487 907,02 F.)465,

449 « Xe FUM 1989 ». 450 « VUM, Statuts, Factures… ». 451 « Xe FUM 1989 ». 452 « Festival 1989 Divers », (papier à entête de la nouvelle association : « Festival d’Uzeste Musical Le Bourg 33730 Uzeste »). 453 « XIème Festivald’Uzeste ». 454 « XIème Festivald’Uzeste ». 455 « Compte d’exploitation Uzeste Estival 1981 », dans lettre de Raoul Toesca, 456 « Compte d’exploitation Uzeste-Noël 1981 », dans lettre de Raoul Toesca, 457 « Bilan Festival Uzeste Musical 1982 et 1983 ». 458 « Bilan Festival Uzeste Musical 1982 et 1983 ». 459 « Festival 1984 ». 460 « Bilan du Festival Estival de Vive Uzeste Musical au 15 septembre 85 ». 461 « Bilan "Noël Musical sous les Pins" ». 462 « Compte de résultat au 31/12/1986 ». 463 « Récapitulatif », dans « Compte Résultat 1986, Bilan au 31/12/1986, Vive Uzeste Musical. Complément au dossier de subvention 1987 ». 464 « L’Eté l’Estaminet » (le 17/09/87).

155 1988 : le Bilan de juilllet 1988 enregistre encore une perte d’exploitation pour l’ensemble Uzeste Musical. Actif 733 063,22 F., Passif21373,70 754 436,92 F. Perte d’Exploitation F.466, 1989 : « perte d’exploitation 1989 : 102 629,07 F. HT »467, 1990 : festival : Déficit 140 391,00 F.468 ou 1990 : Festival : été : Résultat : + 38 960,40 F.469 [= résultat retenu pour la brochure « Un partenariat efficace Conseil Générale de la Gironde /Cie Lubat /Bilans et Perspectives » in « archives de la Cie Lubat 91, 92, 93 ?? (sic) ».

Gardons à l’esprit que le projet culturel construit par Bernard Lubat ne s’inscrit pas dans une logique de rentabilité financière mais plutôt dans une logique du « dépensé » (voir le texte « Philosophie » en annexe), la priorité étant la réalisation artistique plutôt que la stricte budgétisation.

A cette vie financière dangereuse caractérisant les activités d’Uzeste Musical sur le terrain, correspond une activité rentable : celle de la Cie Lubat à l’extérieur qui alimente et permet à l’ensemble Uzeste musical de survivre. On a déjà dit à propos de l’intrication et de la construction des structures combien les artistes de la Cie Lubat fournissaient en argent et en travail. L’histoire financière (mais pas seulement) du festival est donc toute entière constituée d’investissements personnels et collectifs. Un exemple pour illustrer ce propos : en 1986, pour équilibrer le bilan déficitaire du festival estival, les comptes font état de « Profits exceptionnels (prélevés sur les cachets de la Cie Lubat) 140 000,00 F. »470.

Cela n’empêche pas pour autant un endettement chronique qui, lui, trouve son origine dans l’histoire plus factuelle des péripéties financières du festival.

Essai de non-histoire financière

La trame grossière de ces péripéties telles que je les ai comprises pourrait se résumer ainsi : 1982 enregistre un déficit plombant, qui va engendrer une dette qui va traîner jusqu’en 1990. L’équipe UM/Cie réussit néanmoins à mettre en place une gestion progressivement de moins en moins déficitaire. Mais les dettes traînent toujours. Ce qui engendre redressements judiciaires (le 16 avril 1985 Uzeste Musical est liquidé judiciairement) et poursuites. Ces efforts de gestion sont visibles dans l’effacement progressif de la dette :

1984 : Dette au 31/01/1984 : total = 1 796 526,59 F.471 1985 : la dette à la fin de l’année s’élevant à un total de 1 176 944,00 F. en comptabilisant « Reprise du Passif d’Uzeste Musical : 735 223,2 ? F. »472

465 « Compte de résultat 1987 », dans « VUM, Statuts, Factures… ». 466 « Bilan Juil. 1988 », dans « VUM, Statuts, Factures… ». 467 « Comptes de résultats de l’année 1990 », dans « XIème Festivald’Uzeste ». 468 « Budget XI° », dans « XIème Festivald’Uzeste ». 469 « Comptes de résultats de l’année 1990 », dans « XIème Festivald’Uzeste ». 470 « Récapitulatif », « Compte Résultat 1986, Bilan au 31/12/1986, Vive Uzeste Musical. Complément au dossier de subvention 1987 », dans « VUM, Statuts, Factures… ». 471 « Tableau récapitulatif de la dette au 31/01/1984 », dans « Festivals Comptes financiers 82-83 ». 472 « Bilan au 31 décembre 1985 », dans « VUM, Statuts… ».

156 1986 : « Un passif de 721 971,00 F. »473 1989 dettes : Total = 610 170,88 F.474

En 1987-88 on trouve des « plannings » de recettes et de remboursements, avec payements de salaires planifiés en fonction de ce remboursement ce qui fait montre d’opérations pour se sortir de la dette.

Un autre volet essentiel de cette histoire financière se situe dans la relation du festival aux subventions. On a vu, tout au long de l’histoire du festival, la constance dans la demande d’aide financière aux pouvoirs publics. Cette demande se concentre cependant autour de trois pics : 1982, 1985 et 1987-90. C’est autour de ces trois pics que l’on retrouve les principales étapes de fixation et de reformulation du projet lubatuzestien

Si l’on observe le total des subventions allouées à chaque édition du festival estival, On peut distinguer des années creuses telles 1978, 1979 (les premiers festivals auto- subventionnés) et 1987, 1988 (les deux non-festivals).

1978 : 2.000 F ; 1979 : 0 F ; 1980 : 60 000 F ou 110 000 F ; 1981 (chiffres non disponibles). Ces années sont très mal documentées. 1982 : 785 285 F ; 1983 : 320 924 F ; 1984 : 490 000 F ; 1985 : 290 000 F ; 1986 : 218 249 F ; 1987 : 28 500 F ; 1988 : 20 000 F ; 1989 : 135 000 F ; et 1990 : 550 000 F.

Les deux années fastes sont, comme nous les avons identifiées, 1982 et 1990, entre lesquelles on peut constater une baisse croissante du total des subventions allouées au festival.

Tout le combat de l’équipe UM/Cie, réclamant des subventions pour soutenir son action artistique (ses « travaux de recherche et de diffusion artistique fondamentales » conçues comme un « service public »), se couronne avec l’année 1990 où l’équipe UM/Cie obtient, nous verrons comment, une subvention de 550 000 F pour son festival.

Voici pour ce petit éclairage sur les archives et les caractéristiques de la gestion financière de l’ensemble Uzeste Musical : une histoire en pointillés. Néanmoins les constructions structurelles et projets dont il a été question plus haut ouvrent une nouvelle ère du projet Uzeste Musical. L’équipe UM/Cie attaque l’année 1989 avec des armes nouvelles, un discours aiguisé et des projets ambitieux.

« D'ailleurs, on va devenir de plus en plus prestataires de service pour vendre notre création en matière de diffusion » explique [Laure Duthilleul]. (…) Il y a tellement de manque de musique que les gens achètent ce qu'on veut bien leur faire écouter toute la journée. C'est contre cela qu'est né le festival d'Uzeste, d'une nécessité mais aussi d'une conscience. Pour Bernard Lubat, il n'était plus question de jouer dans des festivals qui n'étaient que des successions de programmations. "Ici, on a cherché à rendre public autre chose que des méthodes et des solutions. D'ailleurs nous voulons être service public." » 475.

473 « Compte de résultat au 31/12/1986 », dans « VUM, Statuts, Factures… ». 474 « Etat des dettes "Vive Uzeste Musical" au 30/09/1989 », dans « VUM, Statuts, Factures… ». 475 Annick Monseigne « Chanter le blues en patois », Viva, juillet-août 1989.

157 CHAPITRE V. 1989-1990. la Révolution

A) 1989 Année révolutionnaire ?

Nous avons vu combien l’équipe UM/Cie, était, depuis 1987, tendue vers la réalisation du Xe anniversaire du festival, et comment celui-ci retardé, elle avait accentué son évolution vers une plus grande professionnalisation. Le texte présenté ci-dessous, rédigé en août 1988, vient là en rappel et pour illustrer ce propos. On y voit à quel point l’équipe UM/Cie entend « passer un seuil » et commencer une nouvelle époque du festival.

« D’une manière générale insistons sur le fait qu’il s’agit pour le Xè anniversaire de passer un seuil, de grandir à partir de tout ce qui a été fait pendant dix ans. N’oublions pas, le Xè anniversaire n’est que le premier des Festivals d’une nouvelle décennie, un outil pour confirmer notre implantation au quotidien à Uzeste, un outil donc pour aider à l’aménagement de la menuiserie, un outil pour commencer à mettre en œuvre l’idée et la construction du village lacustre. Il s’agit donc pour le Xè anniversaire de sortir de nos lieux habituels, de mettre en valeur notre environnement, d’inviter de nouveaux créateurs, de faire aussi une belle part à la danse, au théâtre et aux arts plastiques, et ce de manière professionnelle, ce qui a rarement été le cas jusqu’à aujourd’hui. Il s’agit aussi pour le Xè de faire une programmation suffisamment « maligne » mais aigue pour attirer les pouvoirs publics et privés tout en renforçant notre identité. »476

Nous avons vu la Cie faire sa propre révolution interne, et décider d’une ère nouvelle commençant en cette année 1989. L’année du Bicentenaire de la Révolution française, offre à l’équipe UM/Cie encore d’autres vents révolutionnaires. Tout d’abord, dès le mois de février, la Cie Lubat est choisie par le Conseil général de la Gironde pour animer les festivités officielles de la commémoration à Bordeaux. Voilà une première bonne surprise. Mais 1989 voit également se dérouler les élections municipales, qui intéressent tout particulièrement Uzeste Musical, en conflit avec la municipalité d’Uzeste depuis maintenant plus de cinq ans.

1) La Révolution au village : conquête de la Mairie

Pour les élections municipales de mars 1989 s’est constituée autour de Pascal Seguin (le jeune médecin homéopathe qui s’est installé à Uzeste en 1978, et que l’on a vu s’inscrire dans les statuts de la première association « Uzeste Musical ») une liste électorale hétéroclite et originale. Elle rassemble, comme le dit l’article ci-dessous, plusieurs représentant des forces vives du village, mécontents de la politique « ancien régime » du maire, en place

476 « Compte rendu de la réunion du 12 août 1988. (le 17 août 1988) Objet : Festival 89 ». Dans « Docs Festival 86-87 ».

158 depuis 1977. On y trouve en effet : Etienne Bordes477, Suzanne Sauboua, Philippe Luzarey, Marie Daudet, Bernard Duprat, Alain Labrouche478, Jacques Genet (« d’origine uzestoise, conseiller en gestion »479), Dominique Righetti (maçon/entrepreneur en maçonnerie, mari de la fille de Madame Durou : Marie-Jo qui reprendra le Café des Sports), Eric Planton (fils de René et Jeannine Planton, gérants de L’Estaminet) et Laure Duthilleul. Tous gens qui se connaissent bien et ouvertement « pro-festival » (Laure Duthilleul, Etienne Bordes, Jacques Genet et Pascal Seguin lui-même étant par ailleurs des associés de la SCI Uzesoise). Pour bien signifier cette inclination, Pascal Seguin met comme condition au montage de la liste électorale que Laure Duthilleul y figure480.

« A Uzeste, 1989 commémore une autre prise de la Bastille. La mairie est tombée un dimanche de mars, dans l'ordre et la légalité des urnes. Jean Capeyron, vétérinaire et maire du village depuis douze ans, conseiller municipal depuis trente ans, doit céder son écharpe à l'un des onze élus de la liste Seguin plébiscitée le 19 mars. Ce soir-là, raconte le jeune médecin installé depuis une dizaine d'années dans la commune, les habitants sont venus des plus lointaines fermes avec paniers de victuailles, vin et saucisses. Ce moment-là, il y a longtemps qu'Uzeste l'attendait... Donnait-on il y a quinze jours une chance à cette jeune équipe où le nom d'Etienne Bordes, artisan maçon, côtoyait celui de Laure Duthilleul, comédienne ? Le paradoxe était à Uzeste la cohabitation d'une mairie plutôt conservatrice avec un Estaminet plus provocateur qu'un strip-tease dans un défilé de rosières. (…) La victoire d'une nouvelle liste en deux tours de municipales a surpris comme surprennent les certitudes qui basculent. Pourtant, dans le creuset des slogans de campagne électorale, l'idée du renouveau ne datait pas d'hier. Onze partants. « Des hommes et des femmes représentatifs de toutes les associations de la commune, sportives et culturelles, à l'écoute de tout le village », résume Pascal Seguin. Même si l'on admet que l’Estaminet ait été le catalyseur de la contestation, on refuse l'identification de rigueur. « Bernard Lubat n'a pas orchestré notre campagne électorale », précise Laure Duthilleul (Sud-Ouest du 21 mars), dans le sens d'une légitime revendication à l'identité du village. L'idée que l'on se fait du pays a ainsi pesé son poids dans la balance des suffrages. La Collégiale de Clément V vaut mieux que tous les bruits de l’Estaminet, déclare le docteur Capeyron. En face, on argumente pour la chaleur des traditions vivantes, plutôt que pour l'histoire des pierres glacées, fussent-elles cimentées autour du gisant d'un pape. «Durant la campagne l'équipe a rencontré toutes les familles d'Uzeste. Les soirs de matchs, des passionnés de foot éteignaient leur poste de télévision pour nous parler d'eux et des problèmes de leur village, se souvient le docteur Seguin. Alors, on a su que c'était gagné. »481

Ainsi donc la victoire de cette liste électorale qui renverse la vieille municipalité surprend et place à la mairie une équipe entièrement favorable au festival celui-ci va pouvoir revenir au village ; chose que ne manquent pas de souligner les journalistes.

477 Maçon, entrepreneur en maçonnerie, vieil ami de Bernard Lubat, président de l’association sportive club de football « L’Etoile Clémentine Uzestoise » et soutien actif du festival dès 1978. 478 Procès verbal d’installation du Conseil Municipal et de l’élection d’un Maire et des deux adjoints, 24 mars 1989, dans AM, Registre des délibérations. 479 Dans « La Menuiserie – Projets – Plans », « Etude pour un laboratoire de recherche et de diffusion artistiques fondamentales, Théâtre de la Menuiserie, Décembre 1988, Gironde, Canton de Villandraut. Commune d’Uzeste., Jean Duthilleul - Tanaka You – Architectes. 1 rue de Villersexel 75007 Paris, Uzeste Musical – Uzeste 33730 Villandraut. ». 480 Source : entretien avec Pascal Seguin. 481 Isabelle Pouey-Sanchou, « Uzeste la victoire en chantant », Sud Ouest, 24 mars 1989.

159 « La grande particularité de cette année, c'est qu'Uzeste musical revient à Uzeste. Durant cinq ans le festival a été interdit au village. Il se déroulait dans les contrées voisines, à la salle des fêtes mais jamais au coeur de la cité, là où la vie bat son plein. Aujourd'hui, la collégiale est constituée de nouveaux élus. Ceux pour qui Uzeste sans le festival, ce n'est pas tout à fait Uzeste »482.

Cette victoire donne lieu à de grandes réjouissances. Le week-end même, l’équipe UM/Cie présente, clôturant son « mars uzestois483 », un mini festival de trois jours ; les 24-25- 26 mars, à l’Estaminet : « Trois jours et trois nuits pour la pensée vivante »484. Pour l’occasion sont également exhumées les « maïades », traditions locales du « mai » (arbre symbole, décoré) planté devant la maison de chaque élu, celui-ci offrant pour l’occasion à boire et à manger, le tout ici en musique avec la Cie Lubat.

Cette nouvelle municipalité ouvre une ère nouvelle pour le festival qui trouve enfin en la municipalité d’Uzeste un partenaire prêt au dialogue constructif et à l’action concertée ; nous en verrons le résultat le plus éclatant en 1990. D’autre part, la municipalité se lance très tôt dans les chantiers qu’elle avait projetés, selon une orientation écologiste marquée. Dès le mois d’août le conseil municipal commence ses travaux de transformation du village. En premier lieu : la création d’une Zone d’aménagement différée485, préservant, au sein du village, une zone verte le traversant de part en part, le long du ruisseau, avec en son centre la collégiale. Durant son mandat (de 1989 à 1995), d’autres projets furent ensuite réalisés tels le Groupement forestier uzestois, la rénovation des façades de la place du village à la chaux traditionnelle, un système de tout-à-l’égout écologique, et un projet de salle des fêtes peinte par un artiste ami de l’équipe UM/Cie.

2) La Révolution en dansant (apothéose du concept de bal)

Si cette conquête de la Mairie d’Uzeste est comparée à une prise de la Bastille à Uzeste, ce n’est pas seulement parce qu’il s’agit de l’année du bicentenaire de la Révolution française, mais aussi parce que la Cie Lubat a une part active dans cette commémoration. Elle est en effet chargée de créer le spectacle officiel de la commémoration à Bordeaux.

482 Annick Monseigne « Chanter le blues en patois », Viva, juillet août 1989. 483 Programmation, sur trois week-ends du mois de mars, de concerts de la Cie Lubat répétant sa « Comedia del Jazz » et sa « Révolution en dansant » (voir plus loin). 484 « Trois jours et trois nuits pour la pensée vivante », sorte de mini-festival avec soirées concerts, débats et match de foot lors desquels on retrouve Bernard Manciet* et ses poèmes, Marc Perrone* en concert avec la Cie Lubat et Claude Sicre* avec son acolyte Enjalbert des tout nouveaux Fabulous Troubadors, celui-ci débattant avec Manciet*, Lubat, J. Didier Vincent (le biologiste) (« Racines et improvisation ») et Felix Marcel Castan* débattant autour du thème « Uzeste Capitale-Communale, Contres-Capitales », informations tirées de Jacme Gaudas, « Uzes [sic] (33) : Trois jours et trois nuits pour la pensée vivante. Uzeste : Capitale Communale. », Le Journal de Toulouse, 24 mars 1989 et Jacme Gaudas, « Uzeste (33) : Trois jours et trois nuits pour la pensée vivante. C’est le printemps. », Le Journal de Toulouse, 29 mars 1989. 485 Séance du Conseil Municipal du 22 septembre 1989 « Le Conseil Municipal approuve, à l’unanimité, le projet et le tracé d’une Zone d’aménagement différé (ZAD) à Uzeste. » Dans laquelle se situerait une aire d’accueil, espace vert : arboretum (aujourd’hui encore présente).

160 Gros contrat, cette entreprise co-réalisée avec le Conseil général de la Gironde, occupe pour l’équipe UM/Cie une grande place dans l’année 1989. Le travail sur ce spectacle commence en effet dès le mois de février pour donner la représentation officielle le 20 juin à Bordeaux, soit cinq mois de travail. De nombreuses représentations de la Cie Lubat seront centrées sur ce thèmes (notamment lors du « mars uzestois » ou lors du grand Bal de la fête de l’Humanité) et le festival estival se clôturera également sur une dernière « Révolution en dansant » à Uzeste.

Ce spectacle va constituer le point culminant d’une pratique/concept lubatuzestienne : le bal. Ainsi l’équipe UM/Cie dans la brochure qu’elle édite annonce son spectacle.

« Un grand spectacle à danser ; de la tête aux pieds ; à l’ouïe et à l’œil ; Danser 1789-1989. » • De la Carmagnole au rock en passant par le jazz et la java, de la polka funky au bluesy mambo rocky • Une partition géante de deux siècles de musique de danse populaire à la mode d'hier, d'aujourd'hui et de demain. • Un grand spectacle musical, théâtral, pyrotechnique, en son et lumière quadriphonique, en art plastique tridimentionnel laser optique. 50 artistes • 50 Citoyens - Citoyennes • Tous en swing • For the beat-centenaire 1789 en Bal’Opéra Populaire En feu sans fin d’artifice, Spectacle de 3h en intégrant, en s’inspirant de l’histoire de la Révolution Française de 1789, il s’agit d’un spectacle musical théâtral pyrotechnique et dansant (toutes générations confondues). Un concept nouveau pour désembastiller le bal. Le Bal’Opéra. Faire danser. Faire entendre. Entraîner dans la danse Le public dans la Révolution. Et dans le même mouvement, désembastiller le Bal, retrouver son essence : artistique, culturelle, vivante, aimante, désirante, dansante, publique et pour tous. Le Bal débarrassé de son image péjorative latente. Le Bal outil/chantier potentiel reconquis (terrain fondamental de formation, d'éducation). Aujourd'hui le Bal populaire est moribond, Il disparaît peu à peu des usages et du paysage. Le Bal reconquis comme moyen « d’expression artistique vivante contemporaine » (pourquoi pas dans les programmes des conservatoires et écoles de musiques ?). Le Bal à l'usage de la cité. Le Bal Opéra Populaire ! »486

Un journaliste de L’Humanité, chronique l’une des nombreuses représentations de ce spectacle que la Cie fait tourner (dans une version simplifiée) tout au long de cette année, et souligne la nouveauté de ce spectacle.

« La « Révolution en Dansant », à la fois spectacle, concert et bal, « les gens dansent le spectacle […] ». […]. Une vrai fête où le spectateur est acteur, ce qui est sans doute l’une des meilleures compréhension de 1789, où, pour la première fois, l’intervention populaire, la prise en main de leurs affaires par les gens, a fait avancer l’Histoire. […] Et « Danser la révolution » n’arrête pas d’étonner, d’étourdir, de provoquer. La biguine guillotine, la « Marseillaise » en patois, se mêlent aux paroles des révolutionnaires et à celles des anonymes qui clament leur misère, leur difficulté de la vie quotidienne. »487

486 Dans brochure La Révolution en Dansant éditée par la Cie Lubat p. 4, dans « Brochures ». 487 Entretien réalisé par Bruno Peuchamiel, « L’homme du ça ira », L’Humanité, 13 juin 1989.

161 Il s’agit donc aussi d’un spectacle militant proposant une autre lecture de la commémoration. Bernard Lubat, toujours friand de paradoxes, affirmant dans ce même article « Je poursuis la tradition du futur ».

Dans ce spectacle Lubat réinvestit en effet en condensé de nombreux éléments de son discours : la musique populaire, musique de bal et musique de danse comme traversant toute l’histoire (« deux siècles de musiques de danse populaire »), dans laquelle il est possible de mélanger toutes les générations (de musiques488 et de public), d’y injecter le transdisciplinaire (feux d’artifice, théâtre et musique) tout comme le dernier cru de la technologie (son et lumière quadriphonique). Faire un spectacle à dimension collective (avec un grand nombre d’actants : 50 artistes) où le publique participe, et où s’affirment le corps et les désirs. Le bal replacé dans la cité. Un bal « mégalo ». Un bal à dimension d’opéra.

Et pour faire cet « opéra populaire », le travail n’est pas épargné : mise en scène, livret, musique, tout est composé pour faire cette grandiose création originale.

« Ecriture du spectacle : Bernard Lubat en collaboration avec Laure Duthilleul, André Minvielle, Patrick Auzier, Charles Sylvestre pour le choix des textes. Mise en scène : Bernard Lubat. Mise en feux d’artifices : Patrick Auzier (Création et réalisation). Mise en Swing : Compagnie Lubat. Direction d'orchestre Bernard Lubat (direction générale.direction du S.O.S. Orchestra). Chef de chœurs : André Minvielle (direction de la chorale) Chef de cuivres : François Corneloup (direction de l'orphéon) Chef tambour : Tiacoh Sadia (direction des Favellas Gasconnes). Mise en son quadriphonique : Philippe Olivier. Mise en lumière : Joël Perrin. Mise en art laser plastique : Jacques Bernar (peintre). Costumes : Marie Arnaud Assistée de Myriam Roubinet et de Virginie Molard. Décor : Geoffroy Larcher. Co-Production. Réalisation Vive Uzeste Musical. Administration : Françis Fondeville Communication : Patrick Lavaud. Secrétariat : Josiane Pouchet, Martine Minvielle, Béatrice Briand. Directeur technique : Jean-Noël Lacape. Régie technique : Laurent Planton. Livret/ Textes : Jean-Jacques Rousseau - Voltaire - Diderot - Robespierre – Saint-Juste - Barnave - Sieyes - Condorcet – Anonymes. Poème original : Bernard Manciet. Textes originaux : Bernard Lubat - André Minvielle – Bernard Manciet. Textes de l'historien Michel Vovelle. »489

Ce spectacle à grande échelle mobilise en plus de la Cie Lubat, de nombreux collaborateurs parmi lesquels on retrouve des proches collaborateurs du festival (Marie Ange Damestoy, Bernard Manciet*), mais aussi « Le Café l’Estaminet d’Uzeste sur scène » avec la famille Planton.

« Avec: S.O.S. Danse Orchestra, La Chorale des Sans-Culottes, L'Orphéon du Tiers-Etat490, Les Favellas Gasconnes, Los Pinhadars d' Uzeste. Et dans les rôles principaux:

488 Dans brochure La Révolution en Dansant éditée par la Cie Lubat p.2, « Musique • Chansons • Compositions : Bernard Lubat - André Minvielle – Rouget de l’Isle - Mehul – Gossec - Charles Mingus - Herbie Handcock - Gus Viseur - Anonymes gascons et africains. » et cité ci-dessus : « De la Carmagnole au rock en passant par le jazz et la java, de la polka funky au bluesy mambo rocky », dans « Brochures ». 489 Ibid. p.3. 490 Ces deux ensembles, de voix et de cuivres, sont créés spécialement pour l’occasion et enrôlent des musiciens amateurs et professionnels de la région… le cercle des participants s’élargit.

162 La Juliette républicaine : Laure Duthilleul, La Diva divine : Marie-Ange Damestoy, Le Poète sans-culotte André Minvielle (Maître de chorale), L'Homme de mèche : Patrick Auzier (Maître artificier), Black out le code noir : Tiacoh Sadia (Maître tambour), Le Roi de la jongle : Jérôme Thomas (Maître jongleur), Le Poète invisible : Bernard Manciet, Le Royal loyal : Bernard Lubat (Maître d'œuvre), L'ouvrier culotté : François Corneloup (Maître d'orphéon), Le Café l’Estaminet d’Uzeste sur scène : M. et Mme Planton, Eric Planton., Les amis, fans, supporters citoyens, citoyennes d' Uzeste Musical et de la Cie Lubat.D’Uzeste, Bazas, Préchac, Luxey, Pompéjac, Villandraut, Cazalis, Saint Pierre d’Aurillac, Langon, Saint Macaire, etc »491

Le spectacle, gratuit, donné à Bordeaux est un véritable succès. Le Conseil général de la Gironde, tout comme l’équipe UM/Cie (y voyant un développement majeur de ses concepts et pratiques) y ont investit beaucoup d’argent (500 000 F. Chacun…), et le résultat est unanimement époustouflant.

« Devant la cathédrale Saint-Michel, avec Lubat, ses musiciens, ses chanteurs, ses feux d'artifice, on a dansé en foule « Saint-Just Blues », la «Java des sans-culottes », « le Rock de Maximilien », la « Biguine guillotine » […]. Les Girondins n'en sont pas revenus : la souris d'Uzeste a accouché d'une Montagne pour le Bicentenaire. Au terme de deux heures trente de spectacle, dix mille personnes électrisées se sont dispersées, à regret, dans la chaude nuit du serment du Jeu de paume. De Lubat, dit-on, il faut s'attendre à tout. Mais personne, pas même ses familiers, ne s'attendait à « ça ». La place Saint-Michel glisse dans la pénombre. Seule une scène s'éclaire peu à peu, immense, hérissée d'instruments, d'oriflammes tricolores, de piques, comme si l'aube des projecteurs se levait sur le champ de bataille musical. Un cortège, au son des tambours et des cuivres, se fraye un chemin dans la foule. La musique vient d'abord d'en bas, du village…Ce soir, dit Lubat, c'est « La Révolution en dansant ». Pari un peu fou : on a déjà fait de la Révolution une représentation pour spectateurs immobiles, on a déjà fait danser pour la Révolution, mais on n'a pas encore fait les deux à la fois, on n'a pas encore vu des quadragénaires danser « le Rock de Maximilien « (Robespierre) et des adolescents sauter sur le « Ça ira » du choeur des sans-culottes. Ils sont quarante, tous grimés, costumés, jouant, chantant, dansant, parlant, emportés au rythme des numéros qui s'enchaînent et qui tiennent à la fois de la revue à la Cab Calloway ou à la Maurice Chevalier […]. « C'est le spectacle le plus vivant, le plus fort qu'il m'ait été donné de voir depuis le début de l'année du bicentenaire », dit, de « La Révolution en dansant », le directeur d'une grande salle parisienne qui déplore qu'il ne puisse être programmé ailleurs. Lubat, depuis des années, a en tête une forme d'opéra gascon. Apparemment, il s'en rapproche - Uzeste musical en sera sans doute marqué cette année (17-20 août) pour le retour au village interdit et une rencontre avec les Brésiliens d'Hermeto Pascoal qui promet… »492.

Moment fort d’échange entre le public et les artistes, il s’inscrit dans une logique de création de communauté, ponctuelle (un soir lors du spectacle) ou plus prolongée (l’équipe qui travaille sur ce spectacle) ou encore élargie jusqu’aux habitants du canton, pour qui est organisé un transport collectif pour « monter faire la Révolution en dansant » à Bordeaux.

« Ce sont sans doute plus de cent personnes, une véritable entreprise, qui ont préparé cette représentation. Décors, costumes, technique, musique, livret autant de choses auxquelles se sont associés les habitants du village. Ces derniers seront d'ailleurs présents à Bordeaux lors de

491 Dans brochure La Révolution en Dansant p.3. 492 Charles Silvestre, « Marie Antoinette part en brioche », L’Humanité, 30 juin 1989.

163 la représentation. Tout comme de nombreux habitants de la région. […] La compagnie Lubat, aidée par de nombreuses associations et des particuliers, a eu l'idée de mettre en place un service de cars qui fonctionnera sur neuf villes de la région. Comme des supporters… L'opération Cars pour Bordeaux, qui a débuté dernièrement, intéresse les villes de Préchac, Cazalis, Luxey, Bazas, Langon, Saint-Macaire, Saint-Pierre-d'Aurillac et, bien entendu, Uzeste. « Cela permettra aux gens de ne rendre sans problèmes à Bordeaux, explique Patrick Lavaud attache de presse de la compagnie. Et de venir faire la Révolution dans l'ambiance des supporters d’une équipe »493.

« Merci aux pouvoirs publics. J'espère qu'ils n'auront pas la mémoire courte », a lancé Lubat, au final, à l'intention du Conseil général qui a finance le spectacle de Bordeaux mais qui ne s'est pas encore décidé à investir dans Uzeste à la mesure de ce qui s'y crée »494.

Ce spectacle marque, il faut le dire, un jalon important dans la reconnaissance par les pouvoirs publics locaux du travail de l’équipe UM/Cie, et la Cie Lubat lui rend en retour « le spectacle le plus vivant, le plus fort […] de l'année du bicentenaire ». Nous verrons ce qu’il en est de la suite de leurs relations lorsque nous aborderons le festival estival 1989 et l’année 1990.

Ce spectacle, unique en son genre, fait repartir très fort la Cie Lubat sur le plan de sa médiatisation nationale, et lui redonne une tribune et une publicité ; l’occasion de développer, diffuser et répercuter son discours. Publicité à sa conception du spectacle vivant et aux thèmes au centre de son intérêt : la « culture populaire, pas populiste »495, mais aussi à son festival et à l’ensemble des projets et concepts qui s’y développent (laboratoire de la Menuiserie et Uzeste Capitale Communale496).

« Pour l'Eté girondin, Bernard Lubat le speedé, jouera la révolution. Fastoche ! Il ne connaît qu'elle. Du fond de ses chères landes girondines, Bernard Lubat prépare sa révolution. Comme d'ordinaire. Sauf que cette révolution-là lui a été commandée par le Conseil général : « La Révolution en dansant » veut désembastiller le bal populaire, le débarrasser de ses connotations péjoratives latentes », explique le joyeux Gascon. « Notre travail de base vise à décloisonner les genres, à réveiller les racines oubliées ». Au programme: Charlie Mingus en patois, un Saint Just Blues, une biguine Guillotine et autres fariboles bi-centenaristes. […] Un vent fou aurait-il soufflé sur les pins ? En tout cas, la mairie a entièrement basculé, Laure Duthilleul (la comédienne compagne de Bernard) est devenue conseillère municipale et après une interruption de deux ans, le festival refleurira du 15 au 20 août. La fin des vaches maigres ? Pas du tout. Car l'argent est dur à gagner (leitmotiv de Lubat...) et il reste des murailles à abattre pour relier les musiques, le chant, la poésie, les feux d'artifice, des Bastille à prendre, des résistances à organiser, des jeunes à découvrir et à former. En avant toutes ! Bernard, qui n'a peur de rien, a acheté l'ancienne menuiserie du village pour la transformer en laboratoire d'art musical. Des négociations sont en cours pour financer cet ambitieux projet. Car Bernard veut transformer Uzeste en une commune capitale. »497

493 Bernard Lafon, « Opération Cars pour la « Révolution en dansant » », Sud Ouest, 7 juin 1989. 494 Charles Silvestre, « Marie Antoinette part en brioche », L’Humanité, 30 juin 1989. 495 Entretien réalisé par Bruno Peuchamiel, « L’homme du ça ira », L’Humanité, 13 juin 1989. 496 Concept développé à Toulouse avec Claude Sicre et à Uzeste avec Felix Marcel Castan notamment lors des « trois jours et trois nuits pour la pensée vivante ». 497 M.T., « Lubat la tornade », Télérama n°2057, 17-23 juin 1989.

164 « "La Révolution ? J'ai l'impression que c'est que qu'on fait à Uzeste, avec le festival, depuis dix ans…, la révolution en dansant... Nous sommes des héritiers de la Révolution en ce sens que nous essayons de sortir de l'obscur et de la fatalité. C'est presque une mission. Notre spectacle ne sera pas seulement une représentation, mais un échange réel avec le public. La Révolution, c'était aussi très paillard, très sensuel et les femmes y ont eu une place très importante. C'est ce que nous essaierons de rendre avec ce nouveau concept de « bal-opéra » une histoire de la Révolution qui va se raconter en dansant, avec un feu d'artifice, un spectacle de trois heures avec la participation d'une trentaine d'artistes et de tout le public… Les gens de la télé ou du show-business vendent un pain qu'ils n'oseraient pas manger. Moi, je fabrique un pain que je vends parce que je le mange". La Révolution en dansant sera donc une succession enchevêtrée de chansons d'époque et de danses d'aujourd'hui, entrecoupées de textes (notamment de tribuns de l'époque), de créations originales (« Le blues de Saint-Just », par exemple), avec un travail sur les langues (occitan, français, poissard), et toujours, le jazz. "Le jazz a inventé quelque chose de merveilleux il a transformé les temps torts en temps faibles, et inversement. C'est une musique qui continue la carmagnole. Elle contient une idée de révolte permanente, contre la connerie, à commencer par la sienne"… »498

Outre les bénéfices dans la conceptualisation lubatuzestienne et dans la diffusion médiatique de ces concepts, ce spectacle a comme effet de mettre à l’épreuve l’équipe UM/Cie au moment où elle se conçoit et s’affirme plus que jamais comme étant professionnelle.

« A Uzeste on met la dernière main au grand spectacle « la Révolution en dansant » choisi parmi de nombreux projets par le Conseil Général pour les manifestations officielles du Bicentenaire à Bordeaux. Bernard Lubat est sur les dents, les pignes s'éclatent plus que jamais et on ne rechigne pas devant les heures su supplémentaires pour satisfaire les dizaines de milliers de spectateurs qui seront présents le 20 juin au soir, place Saint-Michel. Ce sont sans doute plus de cent personnes, une véritable entreprise, qui ont préparé cette représentation. Décors, costumes, technique, musique, livret autant de choses […]. »499

Ce spectacle, énorme contrat, donne ainsi à l’équipe UM/Cie toute la mesure de travaux d’envergure et la pousse encore plus loin dans son souci de professionnalisation.

498 Alina Reyes, « Voyage au pays d’un révolutionnaire », Gironde Magazine n°16, Avril, Mai Juin 1989. 499 Bernard Lafon, « Opération Cars pour la « Révolution en dansant », Sud Ouest, 7 juin 1989.

165 3) La reprise du festival : enfin le Xe

Après donc ces nombreuses préparations (montage de la nébuleuse uzestoise, de la nouvelle association FUM, professionnalisation toujours plus grande et réalisation du gros spectacle) l’équipe UM/Cie, est prête pour le tant attendu « 10ème Festival d’Uzeste Musical » qui se déroule cette année sur quatre jours du 17 au 20 août 1989. La maquette d’annonce clame : « après deux années d’interruption le « Festival d’Uzeste Musical » retrouve Uzeste : Xè Festival d’Uzeste Musical ». Ce que la presse ne manque pas de souligner également.

« La grande particularité de cette année, c'est qu'Uzeste musical revient à Uzeste. »500 « Après deux années d'interruption, Uzeste musical, le festival le plus bucolique et le plus fou, retrouve son village, Uzeste. Grâce à la persévérante Compagnie Lubat et à la nouvelle municipalité qui, contrairement à la précédente se montre hospitalière. »501

Retour du festival à Uzeste

Ce retour tant attendu à Uzeste se traduit bien, il me semble, dans une utilisation exclusive des lieux du village. En effet : le festival se concentre entièrement à Uzeste : il réinvestit ses lieux traditionnels : le Café L’Estaminet, le Pré Cazaubon, le Lavoir Municipal, le Stade, la place du village et peut même remonter une scène (auparavant interdite) dans le Parc de la Collégiale.

« Même le village, fort de quelque 450 habitants, a changé. II ouvrira de nouveau sa place, sa rue et ses cafés à la fête. Les zones interdites auparavant par un maire en guerre contre l'art en liberté redeviennent accessibles. Comme dans le bon vieux temps, on remontera la scène derrière l'église »502

Dans ce sens, pour marquer la nouvelle ère du festival à Uzeste, certains lieux du festival sont rebaptisés : la Salle des Fêtes devient le « Swing Club Communal » ; la scène et le bar installés près du ruisseau sont baptisés « Guinguette du Poun d’Agnet ».

Des subventions dérisoires

Le festival rentre enfin chez lui, la municipalité est dans son camp et donne toutes les autorisations … Que manque-t-il au tableau ? Pour fêter avec éclat cette reprise manquent seulement des fonds publics à la hauteur.

« Toutefois l'inquiétude demeure. Les subventions, si elles remontent par rapport aux années de vaches maigres que furent 1987 et 1988 pour la compagnie (avec l'annulation pure et simple du Festival et l'organisation de concerts chez l'habitant subventionnés par la seule SACEM), représentent la moitié a peine du budget de 1985 et 1986. Bernard Lubat s'avoue près de jeter l'éponge. "Nous faisons un vrai travail d'animation dans une région déshéritée que nous essayons de faire revivre nous n'avons jamais vu les élus du département ou de la région à notre festival. Nous travaillons pourtant pour une vraie décentralisation culturelle, la qualité

500Annick Monseigne « Chanter le blues en patois », Viva, juillet août 1989. 501 Fara C. « Le plein de résonances », L’Humanité. 502 Ibid.

166 du festival est reconnue de l'ensemble des critiques et du public, mais pas du monde politique" »503.

Malgré une collaboration fructueuse des pouvoirs publics locaux avec l’équipe UM/Cie pour le bicentenaire de la Révolution française, le festival estival reste cette année dérisoirement subventionné. Nous l’avons vu : avec 135 000 F. de subventions504 l’édition 1989 est l’édition la plus faiblement subventionnée depuis 1981 (1984 étant subventionnée à hauteur de 490 000 F ; 1985, 290 000 F et 1986, 218 249 F). On comprend donc le désarroi de l’équipe UM/Cie.

Mais qu’importe, elle entend fêter dignement la reprise de son festival et, forte de son bagage, organise une édition fastueuse ; sa première richesse étant ses invités/amis, et l’originalité des échanges et des rencontres qui s’y déroulent. Et le festival ne ravale pas son ambition en plaçant cette édition sous le signe de rencontres majeures. On y retrouve, grande thématique de cette année, « la Révolution en dansant », rencontre du passé et du présent par la commémoration, rencontre des artistes et du public par le spectacle-concert-bal qu’en a fait la Cie Lubat. Autre thématique au programme de cette édition : la rencontre « Nordeste/Sud Ouest » avec un invité prestige venu du Brésil avec son groupe, Hermeto Pascoal.

« […] la venue du Brésilien Hermeto Pascoal, une occasion de rencontre entre le Nordeste Brésilien et la Gascogne. Pascoal et Lubat sont faits pour se comprendre, l'albinos brésilien a la même curiosité que le Gascon pour toutes les musiques vivantes ou à faire revivre, et même pour tous les sons : tout devient musique, des instruments de la forêt amazonienne aux casseroles. Voilà qui promet des "boeufs " endiablés, malgré une programmation dite réduite en fonction des moyens. »505

Les invités

Ces deux thématiques, lignes conductrices du festival, n’en changent pas moins son caractère et ses habitudes. Pour sa reprise, le festival (peu argenté) fait alors appel à tout le panel de ses intervenants fétiches, solidaires et amis (et peu coûteux). Ainsi, on retrouve nombre des invités de la période d’avant la crise (dont certains ont par ailleurs participé à la création de « la Révolution en dansant. ») : Marie-Ange Damestoy, Bernard Manciet*, Louis Sclavis*, Marc Perrone*, Claude Gudin* et Claude Sicre* - qui vient cette année (comme lors des « trois jours pour la pensée vivante… ») avec sa nouvelle formation (Los Fabulous Troobadoors de Tolosa) - . Mais aussi (moins proches) Thierry Rougier (le guitariste de musique brésilienne) et Mohamed Bangoura. Toujours issus de la période d’avant la crise on retrouve la nouvelle génération des impliqués dans le festival : François Corneloup et Jacky Liègeois (au festival depuis 1986) et Tiacoh Sadia (percussionniste africain de la Révolution en dansant).

503 V. de Saint-Do, « Festival d’Uzeste. Le jazz vit en Gascogne », Courrier Français du Dimanche, Courrier Français de Gironde, 18 août 1989. 504 Un document récapitulatif des subventions attribuées au festival pour les années 1985 à 1989 (« Festival d’Uzeste Musical. Subventions »), édité par l’équipe UM/Cie détaille : « Conseil général de la Gironde 35 000 F, Direction générale des affaires culturelles d’Aquitaine 50 000 F, - S.P.E.D.I.D.A.M. 50 000 F, Total 135 000 F », dans « Xe FUM 1989 ». 505 V. de Saint-Do, « Festival d’Uzeste. Le jazz vit en Gascogne », Courrier Français du Dimanche, Courrier Français de Gironde, 18 août 1989.

167 A ceux-ci s’ajoutent quelques grands noms des débuts du festival qui n’étaient pas venus depuis un certain temps et qui font cette année leur « come-back » : tels Jacques Di Donato, Han Bennink, Benat Achiary et Colette Magny (venue en 1984).

Bien sûr sont toujours présents les Favellas Gasconnes, le SOS Danse Orchestra et Lous Pinhadars d’Uzeste, mais avec à leurs côtés de nouveaux venus. Invités extérieurs : « La Ripataoulere Gironde » et « l’Avant Garde Républicaine » tous deux orchestres de rue. Produits de l’intérieur : « La Chorale des Sans-Culottes » héritée de la Révolution en dansant, et les tout nouveaux « Polyrythmique Rap Expérience » et « Cercle de Musique Bruitale Archaïque » qui résultent, nous le verrons, d’un travail accru de conceptualisation de la Cie Lubat.

Pour les nouveaux venus, on trouve, outre « Hermeto Pascoal e grupo », le Mohamed Bangoura Trio, le Jean Mouchès Quartette, Nathalie Van De Beuque et Albert Pigot interprétant avec Laure Duthilleul un spectacle théâtral en nocturne au Lavoir Municipal, construit à partir de textes d’Antonin Arthaud, Arthaud au Lavoir.

Continuation et reprise de la tradition du grand mélange

Nous l’avons dit à maintes reprises, le festival d’Uzeste se caractérise par les rencontres qu’il provoque… Cette édition renoue avec cette pratique ou plutôt la continue en rassemblant ses invités prestigieux et moins prestigieux dans de grands spectacles :

« Reste que Lubat est un " metteur en swing " prodigieux et imprévisible, et que ce n'est pas ailleurs qu'à Uzeste que l'on risque d'assister à des rencontres fugitives et inouïe par les amalgames provoqués, à des événements improbables ou même impensables en d'autres lieux. Aucun concert, aucun moment, n'est finalement ici prédominant puisque chaque détail s'intègre très naturellement dans un tout. Avec des temps forts cependant : au hasard, un extraordinaire duo nocturne Beñat Achiary-Han Bennink, une rencontre-confrontation inopinée entre le groupe d'Hermeto Pascoal et la fanfare la Ripataoulère-Gironde, […] l'omniprésence sérieuse et radieuse de Sclavis, encore, et la retrouvailles de Colette Magny. Et puis, forcément, des festivités à n'en plus finir de vouloir longuement festoyer jusqu'au bout de soirées" à thème " toutes bigarrées : "Mysterioso, de Monk à Mozart", "Rio Gascoun de Rio" Ou "La batterie est en danger" où jouent ensemble et y prennent plaisir - on notera à quel point c'est devenu rare - tout ce qui produit de la musique et tout ce qui oublie ses clivages quotidiens sans délaisser sa pratique coutumière, c'est-à-dire les fanfares, les musiciens routiniers, les instrumentistes anonymes et les virtuoses reconnus, les Favelas gasconnes et Jacques Di Donato, et tous las autres de la Compagnie et de ses parages. »506

Il s’agit bien là du principal aspect que les mélomanes attirés au festival retiennent ; d’autres, plus intéressés dans les débats, ont une autre vision du festival. Pour illustration plus précise de cet aspect, il y a dans les archives les synopsis de ces concerts de l’édition 1989 :

« Synopsis du spectacle du 18 août 1989 à 21h30 Mysterioso de Monk à Mozart avec Colette Magny, Jacques Di Donato, Beñat Achiary, Louis Sclavis et les autres 21h30 : 10’ Cercle de Musique Bruitale Archaïque (à la table ronde) avec texte de Bernard Manciet en français (par B. Lubat) (canne à pêche de puis le premier étage du clocher) et 21h40 : 5’ : Blue Monk (Lubat piano) 21h40 : 10’ : Beñat Achiary

506 Jazz Magazine n°387, novembre 1989.

168 5’ : L. Sclavis 22h00 : 10’ : Di Donato musique contemporaine écrite 22h10 : 5’ : chant chorale : A) les cris de Paris (Jannequin) (Gratecap-Aymonino-Turjman-Mazeaux-Minvielle) B) Bach –Final Magnificat C) Mozart + Impro Lubat 22H15 : 30’ : Colette Magny /Bernard Lubat 22h45 : 10’ : Di Donato/Van de Beuque clarinette/alto Mozart dans la fumée 22h55 : 10’ : Sclavis/Lubat (piano acoustique) 23h05 : 10’ : Mysterioso (tous) 23h15 : 10’ : Di Donato (Boulez/Pousseur debout sur la table) 23h20 : 5’ : Cercle de Musique Bruitale Archaïque (free texte de Manciet + Di Donato – Sclavis) 23h25 : 5’ : Colette Magny : Repression (free final) 23h30 : FIN »507

On retrouve dans ce spectacle la volonté d’englober toute la musique (comme lors du spectacle en 1980 « de Guillaume de Machaut à Michel Portal « une petite histoire de la musique ») de Mozart à , en passant par la musique contemporaine et les « bruits » (l’objet du Cercle de Musique Bruitale Archaïque est de développer la recherche sur la musicalité des bruits, thèmes cher à Bernard Lubat et à la Cie Lubat depuis ses débuts). Mais il y a aussi la « mise en swing » orchestrée par Bernard Lubat où la succession des artistes relève elle-même d’une composition. Les artistes étant donc englobés dans un projet de spectacle plus global, essayant des combinaisons. On retrouve là ce que disait du festival en 1986 Jazz Magazine citant Louis Sclavis : « Ici on cultive les différences, « on oblige les gens et les styles à cohabiter » (L. Sclavis). »508.

Toujours on retrouve ce souci, même lorsque c’est de façon plus simple. Comme lors de ce concert « Terra a Terra » où il s’agit juste de mettre les groupes côte à côte de créer la comparaison, la confrontation et les parallèles.

Synopsis du « Concert Terra a Terra » 18 août 1989, 18h00 : 18h00 : 30’ : Los Fabulos Troubadours de Tolosa 18h20 : 20’ : Polyrythmic Vocal Rap Expérience 18h40 : Duo Hermetto Pascoal/Bernard Lubat 19h30 : FIN »509

Ou avec plus de liberté, cherchant juste à provoquer la rencontre : comme lors d’un « Mic Max Bœuf » au « Swing Club Communal » à 1h00 du matin entre « Benat Achiary, Han Bennink, Tiacoh Sadia, Denis Gouzil, Yves Carbonne, Francois Corneloup. »510

507 Fiches techniques, recueil de tous les synopsis dans « Festival 1989 Divers » 508 P.-H. Ardonceau. Jazz Magazine, novembre 1986. 509 Fiches techniques, recueil de tous les synopsis dans « Festival 1989 Divers » 510 Source : feuilles volantes.

169 Et toujours cette volonté de confrontation, de faire des comparaisons dans ce face à face Gascogne/Brésil. Comparaison au niveau des musiques et des folklores, comme au niveau des langues avec Bernard Manciet, programmé brièvement au milieu du spectacle. Révéler aussi les confrontations interne d’Uzeste Musical entre la musique des Pinhadars et celle du SOS Orchestra et de la Cie Lubat avec sa Comedia del Jazz.

« Synopsis du Rio Gascoun de Rio 19 août 1989, 21h30 : 21h30 : 15’ : Los Pihnadars d’Uzeste 1) Alban Lubat + Bernard Lubat : Adiou prauve révolution 2) Lassalle + Minvielle + Auzier : Nan tournas pas encoure 3) Chantal + Pascual : Lo pire 4) Corneloup + Lavaud + rythmique : Jeanne de Bidau 5) Final Pinhadars électrique : Lo Gran Julot 21h45 : 15’ : Los Fabulos Troubadoors de Tolosa 22h00 : 5’ : Bernard Manciet solo 22h05 : 55’ : Comedia del Jazz de la Cie Lubat de Gascogne 1) Jazzomanie 2) Indifférence 3) Tu mens Lady 4) Free Taxe 5) Rocarocolo 6) Mes nuits blanches 7) Los goyats 8) Mama Samba… à pied, l’éloge des loges 23h00 : PAUSE 23h10 : Hermetto Pascoal e Grupo 0h10 : H. Pascoal + Cie Lubat FINAL 0h30 : FIN. »511

Plus que jamais, le festival semble vouloir dans ses spectacles thématiques (une tendance qui va en s’accroissant à cette période) confronter et mélanger. Comme dans la reprise du final « La Révolution en Dansant » dans lequel sont intégrés, en plus de ceux initialement inclus dans le spectacle, les invités du festival : Marie-Ange Damestoy, Bernard Manciet, La Chorale des Sans-Culottes, Le SOS Danse Orchestra, Los Pinhadars d’Uzeste, Hermeto Pascoal e Grupo, Han Bennink, Luois Sclavis, Jacques Di Donato…

4) Critiques et enthousiasmes

Une petite remarque ici s’impose. Certains argumenteront du manque d’impartialité des articles cités dans ce mémoire. Si ceux que j’ai choisis sont dans leur majeure partie élogieux, cela constitue bien le reflet de l’ensemble des articles que l’on trouve dans les archives de la Menuiserie. Oui, mais peut-être n’ont-ils gardé que ceux qui l’étaient ! Voilà la question épineuse. Il aurait fallu pouvoir aller chercher et consulter tous les articles traitant du

511 Fiches techniques, recueil de tous les synopsis dans « Festival 1989 Divers ».

170 festival dans tous les journaux. Travail de titan que, après réflexion, j’ai renoncé à entreprendre. Rappelons simplement que l’équipe UM/Cie est abonnée à l’Argus de la presse depuis le 17 juillet 1986512 et reçoit donc tous les articles de presse (bons ou mauvais) traitant de « Bernard Lubat » ou de « Uzeste » depuis cette date. Nous allons voir ci-dessous que, pour cette année 1989, on trouve des exceptions (qui confirment la règle ?) au concert des louanges.

Tout de même, les articles de l’Humanité sont une peu sur-représentés. Mais sans doute cela s’explique-t-il par le fait que ses journalistes, fortement intéressés par ce qui se passait à Uzeste, en rendent compte de façon plus exhaustive et en proposent souvent une analyse pertinente. Il y a aussi ce Charles Silvestre*, juge et partie puisqu’il prend part au festival et en rend compte ; invité et chroniqueur. Il s’agit bien là aussi d’une caractéristique d’Uzeste. Les journalistes aussi sont sous le charme (citons Francis Marmande du Monde), et, avec eux aussi, se développent des relations d’échange et de confrontation. Ils sont inclus dans la communauté, et participent parfois à la co-élaboration de ses concepts. Charles Silvestre* en est le représentant le plus extrême, et il faut bien le dire, est cité en abondance, pour l’abondance des textes et des analyses qu’il a produit sur Uzeste.

Il y a donc les enthousiastes inconditionnels : les journalistes de l’Humanité. Quant à ceux qui critiquent, nous allons en voir trois exemples.

Dans les colonnes de Jazz Magazine on trouve, pour cette année 1989, une critique qui nous intéresse.

« Donc, Uzeste retrouve Uzeste après deux années d'interruption pour causes politico- financières en partie – mais pas seulement - clochemerlesques. ! Uzeste refleurit maintenant que la mairie a basculé et que Laure Duthilleul siège au conseil municipal. Nul n'a le droit de dire que ce n'est pas tant mieux, même si tout le monde est en droit de protester contre les tarifs exorbitants du festival (il suffirait tout bêtement semble-t-il de proposer un abonnement global) ou de s'agacer d'une programmation répétitive d'une journée à l'autre, d'une année à l'autre - ou de l'impression de réitération qu'engendre l'accumulation des mêmes noms. »513

Le journaliste parle de « réitération ». Nous l’avons montré, le festival a adopté des traditions (bals, « Territoires des Soli Sauvages », bœufs, théâtre musical, parades de rues…) qui constituent son originalité et son identité ; dans lesquels la Cie Lubat exprime et puise ses pratiques. Elles ne sont donc pas près de changer puisqu’elles sont constitutives du festival, découlent de ceux qui l’animent (la Cie Lubat) et en retour les nourrissent. Cet aspect réitératif, Bernard Lubat l’a repéré et en parle en 1990, mais ce qu’il voit surtout c’est « un chantier ouvert ».

« L'US : A quelques jours de l'ouverture du festival, vous semblez très inquiet. C'est pourtant la onzième édition... B.L. : C'est vrai, mais ça se complique à chaque fois. C'est toujours un peu les mêmes qui y participent, Nougaro, Perrone, Portal et bien d'autres, mais c'est un chantier ouvert. On a comme une case de vide et on n'arrive pas à la remplir Je veux être un artiste créateur, comme l'étaient les charpentiers et menuisiers qui étaient là avant. Artistes, pas fabricants. Ce n'est pas

512 Courrier trouvé dans « Lettres envoyées par VUM 1985 1986 1987, Lettres envoyées par l’extérieur 1985 1986 1987 : pétitions, contrats d’engagement. » 513 « Uzeste 17-20 août », Jazz Magazine n°387, novembre 1989.

171 du courage de ma part, c'est comme ça. Quand je suis devant le public, c'est cinquante- cinquante. Je joue pour eux et contre eux. Ils ont payé, moi aussi. L'art c'est vrai, le beau, c'est le commencement du terrible. Donc on est « chiants », un peu, quoi. »514

La critique exprimée dans l’article de 1989 est néanmoins par la suite balayée puisque lui succède immédiatement la citation élogieuse citée ci-dessus de Bernard Lubat « « metteur en swing » prodigieux et imprévisible …», où ces traditions du festival apparaissent finalement être l’espace où se fait la création par la confrontation.

Autre critique négative. A propos, justement, du résultat de ces rencontres. Mais nombreux sont les journalistes à avoir souligné les ratages possibles et arrivés. « Parce qu’Uzeste fonctionne à la rencontre, avec ce que cela suppose d’éventuels ratages et de passages à vide, et non à la prestation. »515.

« La rencontre avec Hermeto Pascoal e Grupo n'a pas eu lieu. Pour se rencontrer il faut se trouver sur des chemins différents, même si ce n'est pas dans des camps opposés. Les voies de Lubat et de Pascoal sont trop parallèles. Et nous ne souhaitons pas à Bernard d'évoluer, comme semble l'avoir fait Hermeto, vers cette position prétentieuse dans laquelle le brésilien semble se complaire : il se fait appeler « Maître » sans le moindre humour, martyrise plus ou moins son jeune pianiste, trépigne, jette par terre le bugle dont les pistons ne lui conviennent pas, renverse les micros et va même, comble de l'ironie tragique, jusqu'à pousser sur le devant de la scène Sicre et son tambour; lequel s'efforçait pourtant de rester discrètement en arrière. Tout cela sur fond général de paroles sucrées à l'adresse de tous. Prestation interminable et inutile. La musique du groupe est totalement bruitifrome, sorte de jazz-rock-fusion-brésilien aussi éloigné de l'esthétique (car il y en a une) de la Compagnie Lubat, que le ballon rond dans sa stupidité statique peut l'être de l'ironie rebondissante du ballon ovale. Le public semblait ravi, et c'est tant mieux. Mais pendant ce temps, Han Bennink sans doute l'un des musiciens les plus passionnants du festival, attendait au Swing Club. Seul derrière ses tambours, deux heures de temps. Il devait espérer l'arrivée de Louis Sclavis avec lequel, pendant la balance de l'après-midi, il avait joué comme s'il s'agissait de sauver sa peau, devant cinq personnes ravies, mais qui se trouvaient là pour des raisons professionnelles. Un épais brouillard, un vrai, était tombé sur Uzeste. Deux heures et demi du matin. Nous avons vu Bennink se faire raccompagner. Dommage. Deux rencontres manquées en une seule soirée, ça fait quand même beaucoup. »516

Un autre thème apparaît : le mécontentement sur les tarifs. Sujet à propos duquel a lieu une violente polémique par voie de presse interposée.

« Lubat a du talent. A revendre, même. D'ailleurs, qui le nierait ? Sans doute pas les gens du pays. Pas non plus ce couple de Bretons qui a fait plus de 500 kilomètres pour assister au festival. Pourtant, assez de festival. Uzeste a perdu son charme convivial. Il a enfoui la déraison de l’Estaminet où le plaisir l'emportait sur la reconnaissance. Il n'est plus question que d'argent. Que du prix à payer pour entrer. Uzeste a rejoint Antibes, Vienne, Nîmes ou Le Mans. On y vient car on est connaisseur. Uzeste a pris un coup de vieux. Il est devenu tristement officiel. Et 120 francs pour voir jouer celui que l'on admire, c'est bien cher.

514 « Bernard Lubat, pour que le jazz cogne. Moussu Swing », L’US, 21 septembre 1990. 515 Robert Latxague, Francis Marmande, « Les nouveaux us d’Uzeste », Jazz Magazine, septembre 1982. 516 PM (Philippe Méziat) « Point de vue. Nordeste-Sudouest : Match reporté », Sud Ouest, 21 août 1989

172 On objectera que le cadre est unique. Que, sans cet argent, les musiciens ne vivraient pas. Les mois d'hiver sont longs comme si le boulanger avait tiré son rideau. Et le pécule amassé en août est bien utile en janvier. Tout cela est vrai. Mais un risque pointe à l'horizon. Dans cinq ans. Peut-être dans dix. Celui d'un festival off. En marge des palissades derrière lesquelles il devient difficile de se glisser. - Ces quelques planches de bois sont officielles. Elles correspondent si peu au génie confus de Lubat. On les comprend mal. Sans doute le fils du pays sera toujours là. Avec son désordre charmeur. Avignon est ennuyeux parce qu'il sépare ceux qui peuvent entrer dans la cour d'honneur et ceux qui ne vivront que les spectacles de rues. Et s'il faut savoir quel prix une société doit acquitter pour sa culture, on devrait commencer par l'empêcher d'être ségrégative. Uzeste s'est aussi transformé en réunion branchée. On s'y rend parce que le festival est connu. Les médias ont fait leur oeuvre. N'empêche, M. Lubat, nous aimerions vous voir plus simplement. Nous sommes aussi un peu gascons. »517

Le journaliste touche là à un point sensible du festival : la question des finances. Il va donc se faire vertement corriger point par point par Bernard Lubat. Offensé, le ton de Bernard Lubat est cassant et acerbe, ses réflexions teintées de méchanceté. Offusqué, il se lance dans un exposé didactique violent (pas très lisible), en reprenant tous les thèmes qui lui sont chers et que le journaliste a osé critiquer.

« La rédaction de notre journal publie un droit de réponse de l'artiste, M Lubat, après un billet paru le 22 août dans nos colonnes. » « En marge des palissades derrière lesquelles il devient difficile de se glisser », écrivez-vous c'est sûr, il y a ceux qui se glissent, rampants et c'est gratuit, et il y a ceux qui luttent, qui payent, qui le payent et c'est debout : choix réfléchi. « On y vient car on est connaisseur », insistez-vous. D'Uzeste c'est un compliment qui vous a échappé; en effet ici, d'ici, on peut le devenir ("Elargir le cercle des connaisseurs", B. Brecht), vous auriez dû en profiter. « Identité : le festival estival n'est pas un centre de loisirs à vocation populiste volontariste pour consommateurs de spontanéisme babarricade, c'est plus correctement l'émergence ponctuelle annuelle des travaux de la Compagnie Lubat de Gascogne depuis son laboratoire de recherche artistique fondamentale au quotidien en lutte (et de face), dans une société marchande qui l'éliminera sans coup férir si elle ne résiste puissamment. « Bassesse intime. Vous insistez : « Sans cet argent (vous parlez des recettes du festival) les musiciens ne vivraient pas les mois d'hiver, etc., le pécule amassé en août est bien utile en janvier"; "tout cela est vrai", ajoutez-vous magnanime. Malheureusement pour vous, c'est exactement l'inverse qui se produit : votre ignorance sur le sujet frise la faute professionnelle, ou la calomnie... Ce sont les ouvriers-artisans-artistes-créateurs de la Compagnie Lubat et leurs collègues amis qui financent ou produisent (sur une partie importante de leurs revenus) des concerts ou tournées en France et à l'étranger : 1. La saison uzestoise (depuis 1982, de septembre à juin, deux à trois concerts-événements par mois). 2. Des spectacles, concerts, bals dans la région (le Palomb'Opéra à Luxey, la fête communale d'Uzeste, Saint-Pierre-d'Aurillac, Saint-Macaire, Préchac, Cazalis, Langon (le Bar des Amis, le centre culturel), etc. 3. La création et la gérance du cinéma François-Mauriac et du Micro-Théâtre Reiser à Villandraut pendant quatre ans, etc. 4. Une importante partie du budget du Festival estival.

517 Pierre Serisier, « Uzeste d'amertume », Sud Ouest, 22 août 1989 (ici intégralement retranscrit).

173 5. Les ateliers de formation artistique : l'école du rythme des Favelas gasconnes, l'orchestre- atelier SOS Orchestra, le Polyrythmic Vocal Rap Expérience, etc. « De plus, dans tous ces cas figure, la Compagnie Lubat se produit bénévolement, les recettes, quand il y en a, ne couvrant même pas le coût des frais techniques : sonorisation, éclairage, transport, installations, etc. « La réalité actuelle c'est ça, dix ans de culture, de labourage, de semailles, de moissons, de vendanges, de grêle, de sécheresse, de tornades, de gel à pierre fendre, d'amour et d'amitié, de lutte des classes, de survivance, de désespérée, d'espérance, d'intelligence, de bêtises, d'erreurs, d'humilité, d'orgueil, pour la vanité c'est pas notre tasse de thé. « La suite, c'est la signature entre la Compagnie Lubat de Gascogne, l'Etat (le ministère de la Culture, la Direction de la Musique, la Direction du Théâtre), la Direction régionale des affaires culturelles, le Conseil général de la Gironde, le Conseil générai des Landes, le Conseil régional d'Aquitaine, d'un programme-cahier des charges sur ce qui nous occupe en priorité, c'est-à-dire : recherche en matière d'expression artistique vivante contemporaine et sa diffusion populaire »518.

Et Bernard Lubat finit avec quelques mises au point et une dernière pique :

« Pour en revenir au Festival estival Uzeste Musical, ce n'est pas une garderie, c'est un chantier où s'opèrent en public des travaux sans filet. " Ici le tourisme artistique n'est pas invité, nous avons la prétention de savoir choisir ceux qui y travaillent pour avoir quelque chose à dire, à donner, c'est-à-dire ceux qui savent ce que ça leur coûte. « Quant aux planches de palissades, elles ont l'âge du festival elles sont en effet en officiel bois de pin des Landes et plus simplement comme vous dites, "vous êtes un peu gascon" : n'ayez crainte ça viendra.»519

De ce texte il faut retenir, il me semble, à quel point le travail que fait Bernard Lubat depuis douze ans lui tient à cœur ; combien il s’investit dedans (« ceux qui savent ce que ça coûte ») et combien il y voit une choses sérieuse520. Toutes choses qui jusqu’à maintenant sont demeurées implicites (bien qu’évidentes) parce que cachées derrière un filtre de dérision, et de farfelu, de subversion. Sans doute les élus locaux l’ont-ils compris depuis longtemps, pour tenter avec tant d’acharnement (acharnement dans la non assistance à festival en danger) de faire disparaître ce projet fortement indépendant et autonome, sans concessions, incontrôlable et gênant.

Ce sérieux explique aussi sans doute la hausse des prix, qui montre à la fois la volonté d’en finir avec le bricolage financier – la professionnalisation que nous avons déjà soulignée - dont les premiers à pâtir sont les professionnels du spectacle investis dans la manifestation. Ceux qui s’exercent à l’art le payent (comme le dit une phrase qui va bientôt figurer parmi les

518 Bernard Lubat « Droit de Réponse. La vérité de la palissade », Sud Ouest 1er Septembre 1989. Souligné par moi. Ce à quoi Sud Ouest répondra non moins vertement, par une note de la rédaction à la fin de son « Droit de réponse » : « On n'est jamais mieux servi que par soi-même. Nous abandonnons l'artiste-artisan à ses tribulations musico-linguistiques. Les grammairiens amoureux de la langue française trouveront dans le droit de réponse que nous publions des sujets pour faire plancher leur élèves. ». 519 Ibid. 520 On remarquera également à ce propos l’annonce faite par Lubat d’un futur programme-cahier des charges, qui prendra effet dès le lendemain du festival 1989.

174 maximes du festival : « Imagination ce que j’aime surtout en toi c’est que tu ne pardonnes pas ». A. Breton) et il faut bien qu’ils soient payés. Si c’est avec l’aide des pouvoirs publics, c’est mieux, ils participent ainsi à une entreprise de « service public »521.

Charles Silvestre, dans un texte esquissé qu’il communique à B. Lubat, pointe aussi ce changement : « Avenir : je me trompe peut-être, mais j’entrevois un développement du public (la critique de Sud Ouest est typique de ce moment) et les problèmes que cela soulève. »522. Il y développe également une analyse des aspects positifs de l’édition.

« S’il n’est pas le plus beau, le plus surprenant (qui peut en juger ?), Uzeste 89 est le plus accompli, en ce sens où il a tenu toutes ses promesses. Qu’il en soit ainsi, après deux années d’interruption, n’est pas fortuit. Dans ce festival, il y avait comme une assimilation critique des précédents. Après le nécessaire désordre, Uzeste semble trouver son ordre, pas celui des autres, le sien. (…) La Cie Lubat, en tant que groupe humain artistique, paraît avoir trouvé son statut social : implantation non volontariste, travail régulier, expression locale authentique, culture à forte imprégnation populaire. Une chose m’a frappé au cours de ces journées : les femmes de la Cie, Laure en tête, étaient « dans le coup » et non simples accompagnatrices. (…) Impression : après Bordeaux et Uzeste, plus rien ne devrait être comme avant. Au jazz des nantis et des parvenus, vrais ou faux, tu peux opposer, non seulement le jazz maigre, mais aussi un art riche en sources, en invention, en participants, en surprises. (…) J’aperçois mieux, par le chant, par la danse, la parole, la poésie, cette révolution gasconne du jazz. Si « La Marseillaise » n’était pas chantée en gascon, ça serait insupportable »523

521 Annick Monseigne « chanter le blues en patois », Viva, juillet août 1989, article déjà cité. 522 Article qui paraîtra dans L’Orme n° 9 septembre-octobre 1989 sous le titre « Le tournant d’Uzeste ». 523 Charles Silvestre, « Paris 5/9/89, Bernard, Quelques impressions d’Uzeste 89 (excuse-moi si j’enfonce quelques portes ouvertes…) ». Dans « archives de la Cie Lubat 91, 92, 93 ».

175 B) 1989-1990. La « parole retrouvée »

1989-1990 voit, après la période de crise et de reconstruction, la reprise du festival. Cela suffit déjà pour parler de « parole retrouvée ». La parole, entendons nous, dans son sens le plus large. Et la parole de l’équipe UM/Cie se traduit en premier lieu dans son festival, dans ses actes (et dans les spectacles qu’elle organise). La parole retrouvée, c’est le simple fait que le festival (lieu, sujet et objet de cette parole) revienne à l’existence. La parole retrouvée au sein du festival également avec les prises de paroles et leur diffusion. La parole retrouvée c’est aussi le renouveau de visibilité, de médiatisation de la Cie Lubat. Peut alors se re- développer publiquement, et être diffusé, le discours lubatuzestien. La parole retrouvée, c’est aussi le contenu de ce discours, la matière et le sens, développés, approfondis. Parole retrouvée sur le plan médiatique, parole retrouvée aussi à travers les concerts que la Cie donne à l’extérieur et les manifestations que l’équipe UM/Cie recommence à organiser durant l’année sur le terrain, à Uzeste. La parole retrouvée, on le verra plus loin encore, c’est la nouvelle écoute qu’on (les pouvoirs publics) lui accorde. La parole retrouvée, c’est la parole obstinée, entêtée, qui ne veut plus se taire une fois qu’elle a été écoutée.

1) Au festival…

La Parole retrouvée, entendons le d’abord comme le simple fait que le festival ai pu recommencer, que la mairie lui redonne cette possibilité (et des facilités). Cette capacité d’expression retrouvée s’affiche à travers des spectacles marqués par un plus grand souci de conceptualisation.

« Concerts-concepts », « spectacles concepts »

Ainsi se développent (toujours avec le même souci de provoquer les rencontres) des concerts/concepts tels que la Révolution en Dansant, Mysterioso, ou La Batterie est en Danger. Grand rassemblement de percussionnistes et frappeurs en 1989524, le concept est repris en 1990 sous la forme de duo de batteurs La Batterie est en Danger - Han Bennink/Bernard Lubat - puis « La Batterie est en Danger II » - Han Bennink/François Verly -525.

524 20 août 1989 Parc de la Collégiale, 17h00) avec Bernard Lubat, Han Bennink, Jacques Di Donato, Ticacoh Sadia, Marcia Bahia, Mohamed Bangoura, André Minvielle, Alban Lubat, Les Favellas Gasconnes, La Pipataoulere Gironde. 525 Le premier (15h00 16 août 1990 chapiteau Dexter Gordon) et le second (17h30 17 août 1990 chapiteau Dexter Gordon), dans classeur Programmes.

176 Si Uzeste a retrouvé la parole, elle la donne aussi au texte, texte théâtral ou littéraire, et se conçoit comme lieu de son expression et de sa diffusion : ainsi avec cette pièce Artaud au Lavoir, interprété en 1989 par Albert Pigot et Laure Duthilleul en nocturne au Lavoir Municipal, construite à partir de textes d’Antonin Artaud .

En 1990 se développent les « spectacles concepts » : un Souffle à l’Ame526 (autour des lames d’accordéon ou d’harmonica avec Lous Pignadas, Loris Capelli, Bernard Lubat, Juan Jose Mosalini, et Jean-Jacques Milteau)527 ; un Prises de Bec528 (les anches en vedette : Jean-Louis Chautemps et Jacques Di Donato - accompagnés par (« Spécial détour ») François Verly (batterie percussion), Bernard Lubat (piano) - puis Louis Sclavis – accompagné par (« spécial parcours ») Valentin Clastriers, Quintett de clarinettes, Jacques Di Donato, François Rollin, Bruno Chevillon, François Corneloup, Bernard Lubat (batterie) - et Michel Portal – accompagné par (« Spécial autour ») Trilock Gurtu et Bernard Lubat.) , ou un Voies des Voix529 autour de la voix avec le Polyrythmic Choral Rap Experience de André Minvielle, Los Fabulous Troubadours de Toulouse, Bernard Manciet*, Marie Ange Damestoy et Benat Achiary.

Les Entretiens d’Uzeste

On retrouve les débats, rebaptisés les « Entretiens d’Uzeste ». Les intervenants y sont nombreux et divers (de Pascal Seguin* - nouvellement maire d’Uzeste - à Claude Sicre* et Bernard Manciet*, en passant par Robert Escarpit et les rédacteurs de la Vie Ouvrière, hebdomadaire de la CGT, (J.-C.Laulan) et de L’Ormée, publication du secteur culturel de la fédération de la Gironde du PCF (J.-L. Destrem), Charles Sylvestre*, J. D. Vincent530, Claude Gudin et Alban Lubat. Ou encore Jean Vautrin531 en 1990.

« Les entretiens d’Uzeste, très suivis cette année, où l’on a retrouvé notamment Jean Didier Vincent, Jean Vautrin (que le Goncourt 1989 se soit fixé à Uzeste laisse songeur), rappellent étrangement, en plus débridé, en moins didactique, les entretiens et les rencontres du Verger de l’Avignon des années 60. Mais au diable les modèles. Lubat est d’une autre époque, d’une autre culture (…). »532

Nouveauté : la présence en 1989 comme en 1990, de la CGT et du PCF ; « irruption » réussie, selon Charles Sylvestre, ceux-ci étant venus pour « faire », participer au « mouvement sans vouloir le contrôler ».

526 Dans classeur Programmes, programme 1990…« Dimanche 19 août, 17h30 chapiteau Dexter Gordon ». 527 On voit ici de nouveaux « noms », nous en parlerons plus loin. 528 Ibid. « Samedi 18 août 1990, 21h30, parc de la collégiale clémentine ». 529 Ibid. « Vendredi 17 août 21h30, parce de la collégiale clémentine ». 530 Professeur de neurophysiologie à Bordeaux II, directeur de l'unité neurobiologie des comportements à l'INSERM. A publié Biologie des passions, Casanova, la contagion du plaisir, La maladie est l'apanage du vivant. Présenté ainsi Dans « Petit lexique du festival » quatrième de couverture du Journal-programme 1990… 531 Ibid. « Nouvel habitant d'Uzeste - prix Goncourt 1990. En Vie Ripolin, un Grand pas vers le bon dieu... » Présenté ainsi Dans « Petit lexique du festival ». 532 Charles Silvestre, « Uzeste grandit », L’Ormée, n°13, septembre octobre 1990.

177 « Lubat, comme l'a souligné Francis Marmande dans un remarquable article paru dans Le Monde, ne se sent , « aucune obligation ». Uzeste « ce n'est rien ». Si ce rien donne tant, c'est qu'une profonde aspiration sociale, artistique, politique est à l'oeuvre. A partir de rien, il faut tout penser, tout faire, tout oser, il faut que se retrouve dans le même mouvement, par nécessité, l'artiste le plus exigeant, le club de foot-ball et l'élu. Et c'est là qu'est la leçon de choses d'Uzeste si, autant que nous sommes, nous nous sentions obligés a rien, donc portés a créer de nous-mêmes dans quelque activité que ce soit, nous ferions un bon pas en avant. C'est cela qui donne tant de naturel à la présence. à Uzeste de la C.G.T. et du Parti communiste. Non parce qu'ils y ont le moindre droit. Mais pour ce qu'ils font. L'Ormée, publication culturelle de la fédération du P.C.F., a connu un succès remarquable et indiscutable, grâce a son exposition sur les inégalités et son « gueuloir » ouvert à tous, mettant en pratique cette nouvelle conception qui consiste a être du mouvement sans vouloir le contrôler... Dans cette rencontre entre des artistes aussi novateurs et les militants d'un parti travaillé par la déstalinisation, la recherche d'un communisme de base authentique, il y a une assez belle promesse d'avenir... »533

Là encore on retrouve la parole avec les journaux la Vie Ouvrière (en 1989 et en 1990 la dernière journée du festival est baptisée « Journée de la Vie ouvrière ») et l’Ormée installant son « gueuloir ». Dans la veine de la culture syndicale et communiste, ancrée dans l’Estaminet, il s’agit aussi de la continuation de relations tissées depuis longtemps, comme avec Alain Delmas, syndicaliste de la section CGT Gironde, et d’une communauté de réflexion et d’engagement sur le plan de la culture.

« La VO à Uzeste : une présence politique importante. Le festival d' Uzeste, organisé par Bernard Lubat et sa compagnie, beaucoup d'entre nous en ont entendu parler. Les difficultés rencontrés les années passés avec le refus des pouvoirs publics de participer au financement de cet événement important dans notre département, le contenu et la démarche de Bernard LUBAT ont fait de ce Festival un moment important de la vie culturelle de notre région, de notre pays. Un moment de lutte pour la liberté de création, l’égalité pour tous devant la culture, La fraternité multi culturelle. Cette année ce festival aura lieu dans des conditions encore très difficiles du fait du manque de prise en compte financier des pouvoirs publics, ce qui soulève la question des moyens pour la création, pour l'expression artistique. Il était tout naturel, compte tenu de ces convergences réelles qui existent entre la démarche contenue dans ce festival et celle de la C.G.T que la VO soit présent à Uzeste. Une présence de lutte. Une présence de fête. »534

Avec eux s’engage une vraie réflexion sur le travail, la culture, sa diffusion et son accès comme lors des débats de 1990 : « Cultiver le plaisir – le plaisir de se cultiver » et « Lecture, Écriture, Cultivature »535. Là encore Uzeste reprend cette parole retrouvée et la distribue.

La parole au festival, ce n’est pas non plus seulement les débats officiels. Ainsi, pour Patrick Deletrez, fidèle de la première heure (en tant que spectateur et que bénévole, puis à la fin des années 1990 comme « artiste-oeuvrier » de la Cie Lubat), c’est l’aspect rencontres qui

533 Charles Silvestre, « Uzeste grandit », L’Ormée, n°13, septembre octobre 1990. 534 Tract d’information et d’inscription : « 10ème Festival d’Uzeste Musical, dimanche 20 août, Journée de la Vie Ouvrière. Une Grande Initiative UD.C.G.T en août; Culture - Lutte - Fraternité, avec la Vie Ouvrière au programme du festival d’Uzeste ». Dans MMM classeur Presse. 535 Intitulés des débats de 1990. Dans programme journal 1990.

178 prédomine dans ce festival. Un rendez-vous annuel, « bouffée d’oxygène » de la région, lors duquel se retrouvent des gens aux affinités commune ou différentes : une communauté de rendez-vous. Se définissant comme étant à l’époque plutôt anarchiste apolitique, il explique que c’est à Uzeste qu’il a été « rattrapé par la politique ». A la fois par les constantes incursions de Bernard Lubat dans ce domaine, mais aussi par les rencontres humaines qu’il a pu faire avec (jamais il ne l’aurait imaginé) des syndicalistes de la CGT, qu’il a appris à connaître et à apprécier en travaillant et en discutant avec eux536.

2) …et autour du festival

Une tribune retrouvée

On a vu comment La Révolution en dansant avait relancé la médiatisation de la Cie Lubat, lui redonnant sa visibilité, et une tribune où elle puisse faire passer son discours, rechargé et riche de deux ans de travail de construction et de conceptualisation. Le festival reste bien sûr, d’une manière générale, le moment fort de cette médiatisation, mais chaque journaliste fait le plus souvent un paragraphe sur le parcours de Lubat et sur les nouveaux projets en cours (ici en 1989 : Menuiserie, Opéra gascon ou laboratoire de recherche…). L’année 1989 voit un réel renouveau de visibilité de la Cie Lubat et du festival d’Uzeste dans la presse.

Les classeurs de presse des archives de la Menuiserie illustrent bien ce point :

Classeur 5 (1985); 100 Unités, dont 24 sur le festival. Classeur 5 (1986); 156 Unités, dont 48 sur le festival. (Total classeur 5 = 256 unités.) Classeur 6 (1987): 267 unités dont 24 sur le festival (dont 50 Sur le Carnaval de Toulouse et 21 articles sur La Cie au New-Morning + invités). Classeur 7 (1988) ; 53 Articles dont 5 sur le festival, dont 12 sur le Festival « Racines » à Toulouse. Classeur 8 (1989) ; 155 Articles dont 58 sur le festival, dont 20 Sur "La Révolution en Dansant". Classeur 9 (1990) ; 159 Articles dont 38 sur le festival, 8 sur « Entendre Manciet ».

Les années 1985 et 1986 voyant, par rapport aux années précédentes, une forte croissance du nombre d’articles recueillis, c’est l’année 1987 qui connaît un record de médiatisation avec 267 articles recueillis. Nous avons déjà dit combien l’année 1987 était riche en événements, et la crise étant un événement intéressant pour la presse, c’est sans doute grâce à elle que la Cie Lubat se voit autant médiatisée. On a déjà vu comment la situation de crise (toujours réelle et non feinte) était utilisée dans le discours lubatuzestien, pour interpeller l’opinion, les pouvoirs publics, et pour attirer les projecteurs. Après le creux de 1988, où l’on a vu la Cie peu active et plus concentrée sur son travail de construction structurelle et de conceptualisation, 1989 et 1990 retrouvent le niveau de médiatisation de l’année 1986.

536 Entretien (voir annexe Liste des entretiens).

179 Retour sur les plateaux

La Cie retrouve une certaine activité à l’extérieur. Tout d’abord, répétons le encore une fois, avec son spectacle la Révolution en Dansant qui tourne beaucoup pendant l’année 1989, mais aussi, en 1990, sur le plan international avec sa Comedia del’Jazz537 dans une tournée en Espagne et au Portugal (le 2 mai à l’institut français de Barcelone, le 5 à l’institut français de Bilbao, le 8 au Théâtre Rivoli de Lisbonne).

Elle retrouve également, en 1990, le circuit des festivals de jazz : avec un Grand Show-Bal (Pinhadars et SOS Danse Orchestra) à Albi, pour clôturer Albijazz (31 mars) ou le 28 juillet à la Nuit du Jazz au Pont du Gard ou le 19 septembre un concert aux Nuits de Nacre (du 18 au 23), ou dans d’autres festivals encore, notamment en 1989 en clôture du Festival de St Sever (22-23-24 septembre) ou en clôture du IIè Festival Théâtre de Rue de Ramonville- Saint-Agne (29-30 septembre ).

Reprennent, à un rythme plus soutenu également, des contrats ponctuels : comme à Tremblay-lès-Gonesse pour l’inauguration du centre culturel Aragon (en février 1989) ; avec sa Comedia del Jazz encore, pour une inauguration à la MJC de la Meinau (Alsace) (le 14 octobre 1989). Ou encore à l’Atheneum de Dijon (2 mars 1990) ou à Cavaillon pour l’ouverture de la saison 90/91 du centre culturel (22 septembre 1990).

La Cie Lubat retrouve aussi la fête de L’Humanité dans des événements très médiatisés. En 1989 pour un Grand Bal de la Révolution, puis en 1990 pour deux dates : un concert de la Cie Lubat avec Richard Borhinger538, et un nouveau grand plateau Concert pour Mandela dont la chronique est si vivante que je ne peux m’empêcher de la retranscrire ici. On y voit la continuité du combat et de l’engagement de ces musiciens contre l’apartheid, rencontres qui donnent lieu à de grands moments de musique. A noter que cela se déroule encore à l’Espace Midi, et que, à son habitude, la Cie Lubat amène avec elle ses pratiques et tout son univers (Tambouroundiou Biband, Polyrythmic Choral Rap Experience, et feux d’artifices), et se refait « metteuse en swing » avec un bœuf final sur une composition de Bernard Lubat.

« L'espace midi contre le racisme et l'apartheid. Les Lutteurs de la Liberté. Samedi soir, l'espace midi accueillait une affiche fantastique : Max Roach, Manu Dibango, Salif Keita, Bernard Lubat, Michel Portal et Louis Sclavis. Chacun des formidables créateurs conviés à l'espace midi ont véritablement fait offrande de leur inspiration et de leur humanité, à la lutte contre l'apartheid et le racisme. Le coup d'envoi est lancé par Max Roach, historique batteur noir américain. Avec un solo où la plénitude de son art a toutes latitudes de s'exprimer. Enchaîne ensuite le Tambouroundiou Biband de Gascogne : réunion pour un rite solennel païen en l'honneur du tambour vivant. Puis Max Roach et Bernard Lubat offrent un rare duo de batterie. Une musique totale par deux guerriers pleins de tendresse, mais implacables dans leur soif de justice. Roach écoute Lubat avec rigueur et concentration. La folie contrôlée. Lubat écoute Roach, avec sagacité et générosité. La folie inventive. Lorsque le « polyrythmique choral rap expérience » (une chorale gasconne assemblée sous la houlette de Minvielle) s'empare de la scène, on a droit à une étonnante polyphonie de hauts parleurs rebelles et néanmoins raffinés. Max Roach s'il a rangé ses

537 Spectacle concept élaboré durant la période 1987-1988. Voir en annexe lexique du festival 1990 et brochure complète de présentation. 538 Nous avions déjà évoqué l’amitié qui lie Richard Borhinger et Bernard Lubat.

180 baguettes, reste cependant à l'arrière de la scène. Lorsque la voix hypnotique de Salif Keita s'envole sur les volutes de la chanson-fétiche « Mandjou » (1977), le grand batteur américain est subjugué. « Incredible », murmure-t-il. Manu Dibango se joint à eux en toute simplicité. Manu pète la forme et, au cours d'un duel débonnaire de saxophones, communique sa pêche à Michel Portal, radieux, qu'il amène à la danse. Duo étourdissant aussi, lorsque les deux clarinettes-basses aux sonorités boisées de Portal et Sclavis se marient. Ils bâtissent la musique en totalité rythme, mélodie et harmonie. L'instant est grave. La fête passe par tous ses états. Elle revient à l'exubérance, au moment du final. Tout le monde se retrouve sur scène et se livre à coeur joie à une composition de Lubat, « Mama Cucurbita », qui célèbre la fécondité de la nature. Tout au long de la soirée, les somptueux feux d'artifices de Patrick Auzier ont embrasé la nuit et les cours. Vibrante, la foule exulte de bonheur. »539

Durant ces deux années, les relations avec Toulouse continuent avec deux dates en 1989 et une soirée-concept en 1990. Le 18 février 1989, pour une journée « Musique du Sud, Toulouse-Capitale » (avec Zebda, Massilia Sound Systeme, Fabulous Troobadoors et Envolada). Et le 26 juillet, avec un concert rassemblant Bernard Lubat, Claude Sicre* et Claude Nougaro* place des Tiercettes. Puis en 1990 : du 9 au 12 avril au Bijou pour une soirée Voix Croisées. On voit alors, avec ces deux années 1989 et 1990, toute l’importance de ces échanges avec Toulouse, tant les manifestations qui s’y déroulent s’articulent aux problématiques et aux pratiques de la Cie Lubat chez elle, sur son terrain. Il en était déjà ainsi, on l’a vu, avec le Carnaval Occitan en 1987 et en 1988 ; l’aller-retour se voit encore très clairement pour ces deux années. La journée « Musique du Sud, Toulouse-Capitale »540 (où intervient Lubat) se situe en écho complet avec les problématiques lubatuzestiennes. En effet, autour de Claude Sicre*, « un groupe informel de musiciens » prend la parole en convoquant les artistes, le public et les hommes politiques toulousains à un exposé de leur réflexions dans le domaine de la politique culturelle ; affirmant le point de vue de Toulouse située à l’avant garde du mouvement de « déprovincialisation de la France » et de décentralisation culturelle. Thématiques ouvertement liées aux réflexions de Felix Marcel Castan* organisant les « assises nationales de la décentralisation à Montauban ».

En écho direct avec cet événement toulousain et juste après la victoire en mars 1989 de la liste Seguin aux élections municipales d’Uzeste, on retrouve lors du « Mars Uzestois » à L’Estaminet un débat intitulé « Uzeste Capitale Communale ; Contre-Capitales » avec Claude Sicre* et Felix Marcel Castan*. Et la soirée Voix Croisées au Bijou fait écho à celle du même nom montée à Uzeste peu de temps avant : le 30 mars 1990.

L’action à l’année plus conceptualisée aussi…

Nous voici donc revenus à Uzeste, pour voir le travail que la Cie y fait, durant ces deux années. Si elle n’a plus sa base territoriale du cinéma de Villandraut, elle a désormais avec la nouvelle municipalité, les mains beaucoup plus libres (et la parole retrouvée) à Uzeste.

539 Fara C. et Alain Angelaère, « Les Lutteurs de la Liberté », L’Humanité, 17 septembre 1990. 540 « Musique du Sud, Toulouse-Capitale » posera les bases d’une réflexion sur le devenir culturel du Grand Sud. Les organisateurs, un groupe informel de musiciens qui se rencontrent, proposeront et exposerons au public, mais surtout aux artistes musiciens de Toulouse, aux candidats et à la mairie de Toulouse leur vision de la chose [… Faire de Toulouse une ]« contre-capitale (…) les créateurs d’ici [devant] être traités de la même façon que ceux de Londres, Madrid Barcelone ou New-York.… » Propos de Claude Sicre recueillis par Jacme Gaudas, « Musique du Sud, Toulouse-Capitale », Le Journal de Toulouse, 9 février 1989.

181 Festivités saisonnières

On a déjà évoqué à deux reprises comment, dès la victoire des élections, l’équipe UM/Cie organisait un mini festival « Trois jours et trois nuits pour la pensées vivante ». Ces trois jours s’inscrivant déjà dans un programme plus large : le « Mars Uzestois ». Celui-ci inaugure un nouveau type d’action de la Cie à Uzeste. Elle organise désormais des festivités suivies pendant les week-ends de tout un mois. Les titres de ces programmations épousent souvent les jalons des saisons : comme en avril 1989, le « Printemps Uzestois ». Ce sont lors de ces deux mois uzestois qu’est inauguré le terme des « Entretiens d’Uzeste ». Pour exemple, voici le programme du « Printemps Uzestois ». On y retrouve concentrés des concerts de la Cie (un concert préparant La Révolution en Dansant du 20 juin 1989 à Bordeaux) ou de la Cie avec des invités (les Brésiliens, avec qui ils travaillent depuis 1984, Tiaco Sadia, percussionniste africain collaborant à La Révolution en Dansant, et le groupe des Cubains Muralla, « match retour » du voyage de la Cie à Santiago de Cuba en 1988). Ces trois concerts dessinant en quelque sorte un paysage des influences musicales de la Cie à ce moment. Encore visible aussi, la problématique occitane, dans un « entretien d’Uzeste » de Patrick Lavaud*541.

« "Vive Uzeste Musical" & "La Cie Lubat" Proposent « Printemps Uzestois à l’Estaminet d’Uzeste ». Samedi 22 avril 22h00 : « Nuit Gasco-Brésilienne » avec Celso Machado - Thierry Rougier et la Cie Lubat. Samedi 29 avril 18h00 « Entretiens d’Uzeste » : « la Communication Occitane à Uzeste et dans le Bazadais » (Patrick Lavaud) Samedi 29 avril 22h00 : Textes et Chansons « La Révolution en Dansant » avec la Cie Lubat - Bernard Manciet et la Chorale « Des Cent Culottes » Dimanche 30 avril 22h00 : « Nuit Afro- Gasconne » avec Tiaco Sadia - Favellas Gasconnes de la Cie Lubat - Los Pinhadars Samedi 6 mai 22h00 : « Nuit Gascon – Cubaine » avec le groupe Cubain Muralla - La Cie LUBAT - Los Pinhadars. »542

L’équipe UM/Cie présente aussi à Uzeste, surtout lors de l’année 1990, des spectacles plus ponctuels où se retrouve le travail de conceptualisation. On a vu comment le concert- spectacle-bal La Révolution en Dansant avait occupé toute l’année 1989, et cristallisé une grande part de la conceptualisation lubatuzestienne (le bal, le rapport à l’histoire de la musique, la culture populaire, le rapport public/artistes dans la représentation…). Surgissent alors de façon plus marquée les pistes sur lesquelles la Cie Lubat va développer son travail : les percussions et la voix (là encore « donner de la voix », « parole retrouvée »).

Les trois principaux spectacles présentés par la Cie Lubat témoignent de cette orientation. Dans le premier, le 17 février 1990 à la salle des fêtes d’Uzeste, on peut voir la continuation d’un travail commencé en 1985 entre Bernard Lubat et Bernard Manciet intitulé Entendre Manciet. Poésie et musique, il est encore question de parole. Paroles mêlées et partagées des musiciens et du poète. Voici le programme de la soirée tel qu’il est annoncé dans le texte de l’affiche.

541 Président du festival Occitan d’Eysines qui a désormais intégré l’équipe UM/Cie. 542 Affiche du « Printemps Uzestois » dans MMM classeur Programmes.

182 « Dans la dynamique des travaux de Bernard Manciet avec Bernard Lubat et la Cie Lubat (Festival Occitan d’Eysines 1985 - 1987 / Festival d'Uzeste Musical 1985 - 1986 - 1989 / l’Estaminet d’Uzeste 1987- 1988 – 1989 / La Révolution en Dansant à Bordeaux 1989/ le Gascon Show à Saint Sever 1989). Et à l'occasion de la publication de L'enterrament a Sabres de Bernard Manciet (« un monument de plusieurs milliers de vers gascons, traduits par l'auteur en personne, un monument qui vous toise, énigmatique et compact comme ces pierres levées depuis la nuit des temps, un monument sans âge, vrai mégalithe de l'esprit » Pierre Veilletet). La Cie Lubat organise et produit le Samedi 17 Février 1990 à 21 h 30 à Uzeste (salle des fêtes) le Spectacle "Mots dit sous la Langue" ; "ENTENDRE MANCIET " ; Communication • Poésie • Musique. • Mise en Scène de Bernard Lubat • Mise en Musique de la Cie Lubat (et son Cercle de Musique Bruitale Orale Archaïque) • Décors de Patrick Auzier. avec Bernard Manciet - Laure Duthilleul - Bernard Lubat - André Minvielle - Patrick Auzier - Guy Latry (Professeur d'Occitan) • Eric Des Garrets (Directeur du Centre Régional des Lettres) . Patrick Lavaud . Les Editions Ultreia • Le Duophonic Scat Rap Systeme Final nocturne en Jazz Club Gascon avec la Cie Lubat et ses invités NB. : Pour mieux entendre, dans la nuit noire uzestoise, la forêt de mots Manciet, munissez- vous d’une lampe de poche. »543

Le second spectacle intitulé Tambour de Nuit (17 mars 1990 à la salle des fêtes) programme une « Communication Tam-Tam de Bernard Lubat, André Minvielle, Patrick Auzier avec les Favelas Gasconnes 90 bandas-école de l’Ecole Musicale du Rythme de la Cie Lubat ». Suit un « Funky Jazz Bal Gascon Express » (SOS Danse Orchestra de la Cie Lubat et Lous Pignadas). Le troisième spectacle est intitulé Voix Croisées (le 30 mars), et donnera lieu à deux autres représentations : à Toulouse en avril, et au festival estival 1990, nous les avons vu plus haut. Dans la première version, uzestoise, y sont rassemblés : le Polyrythmic Choral Rap Experience d’André Minvielle, le Duophonic Scat Rap et leur invités : Benat Achiary, Marie Ange Damestoy, André Lassalle [le chanteur de Lous Pignadas] et Bernard Manciet. Suit un autre Funky Jazz Bal Gascon Express.

Nous avions dit à propos de l’années 1987 que tous les temps forts que la Cie avait développés disparaissaient : plus de Noëls, plus de Carnaval… En effet rien de tout ça en 1989 et 1990, alors que plus tard et hors de notre période on trouvera alors des manifestations organisées pour les quatre saisons de l’année. Néanmoins, un nouveau jalon apparaît, sans doute encore plus en adéquation avec le pays : une fête hivernale pour la clôture de la chasse à la palombe : une Nuit de la Palombe, dont l’intitulé est en gascon « Neìt de la Paloma »,. La première a lieu le 25 novembre 1989 dans la salle des fêtes d’Uzeste « coorganis[ée] et coprodui[te] » par « la Cie Lubat, le Festival d’Uzeste Musical, le Fusil Uzestois, le Foyer Rural, et le Comité des fêtes »544. On remarque bien là une sorte de consensus villageois autour de cette fête, à l’élaboration de laquelle participent un grand nombre d’associations du village. Faut-il y voir un effet de la nouvelle équipe municipale et de son nouveau comité des fêtes ? L’année suivante, à la liste des coproducteurs/coorganisateurs s’ajoutent trois autres entités uzestoises (on remarquera le grand dynamisme associatif du village) : les Sapeurs Pompiers, les Amis de la collégiale et le Club Détente et Santé.

Ces festivités constituent donc un grand moment de la vie du village, qui se rassemble, le temps d’une soirée, à la salle des fêtes communale, en une grande communauté, autour d’une passion locale, la Chasse à la Palombe, et de la Cie Lubat qui joue alors pleinement (et

543 Affiche annonçant le spectacle « Entendre Manciet », dans MMM, classeur Programmes. 544 Dans affiche annonçant la « Neìt de la Paloma » dans MMM, classeur Programmes.

183 réussit à le prendre) son rôle d’animation et de développement culturels. La fête se déroule à partir de 19h00 à la Salle des fêtes selon un schéma habituel à la Cie Lubat : Apéritif concert avec les vétérans du village, Lous Pignadas, repas de chasseur (avec Tourin, Salmi de Palombe), spectacles (Tournoi des Roucoulayres ou concours de chanteurs de Palombe, Comedia del’Jazz en patois, contes de troubadours… ), et pour finir… un bal ! Avec le SOS Orchestra, Lous Pignadas et la Cie Lubat.

En s’engageant plus profondément sur le terrain de la chasse à la Palombe – sur lequel elle s’était déjà aventurée en 1979 avec le spectacles du festival estival « Oun soun passades » -, l’équipe UM/Cie choisit un des thèmes les plus chers à la région et trouve ainsi une réelle audience ainsi qu’une pertinence forte par rapport à sa démarche d’ancrage dans le pays.

Le premier essai avait eu lieu en août 1988 à Luxey où la Cie avait co-élaboré avec la municipalité, le comité des fêtes et les villageois un « Palomb’Opéra »545, spectacle musical, théâtral, et pyrotechnique écrit collectivement sur le thème de la chasse à la palombe. Grande réussite, l’expérience est reconduite en 1989, les 11-12-13 et 14 août Luxey, la Cie y lançant la reprise de son festival estival. Ce spectacle clôture par ailleurs les activités de l’association « Vive Uzeste Musical » pour laisser la place à « Festival d’Uzeste Musical ». En 1990, la vielle fête de Luxey dans laquelle s’était infiltrée la Cie Lubat se transforme en « Premier Festival de musique et spectacle de rue à Luxey » (du 11 au 15 août). Le festival d’Uzeste vient de faire sa percée dans la région (viendront les « Nuits Atypiques de Langon » en 1992 avec Patrick Lavaud comme directeur), se rapprochant ainsi de son projet initial : « que chaque village fasse sa propre fête »546.

1989 et 1990 voient donc des signes de réussite de ce projet d’animation culturelle locale et de réveil des désirs. Mais revenons aux problématiques de la Cie Lubat, telles qu’elles nous sont apparues dans ses concerts/concepts organisés à Uzeste. Nous avions remarqué qu’elle se concentrait sur deux « fondamentaux » de la musique : la percussion et la voix (composantes les plus primitives de la musique).

La voix renvoie à la chanson swing de Bernard Lubat, aux acrobaties vocales (tant admirées dans toute la presse) de André Minvielle. La percussion renvoie au rythme « swing base de la musique », fondement de toute la pédagogie musicale développée à Uzeste (Favelas Gasconnes, Ecole Musicale du Rythme). Ces deux éléments, nous l’avons vu à travers les thèmes des spectacles et des invités lors des éditions des festivals précédents, sont des thématiques constantes du festival d’Uzeste et de la Cie Lubat.

Cette concentration conceptuelle sur la voix et les percussions se traduit alors, en 1989 et 1990, par une vague de création de nouveaux ensembles musicaux (comme aux débuts du festival le SOS Orchestra et Lous Pignadas s’étaient constitués autour du concept de bal).

545 Concrètement, cela se traduit par des « visites » aux voisins landais, manière de poser des jalons. A Luxey, par exemple, samedi dernier, la Palomboperé [sic] a remporté un vif succès. Il est vrai que tout le village s'y est mis, et que cette grande fête a été soutenue par la municipalité de Luxey, le Conseil général des Landes et la Direction des affaires culturelles… Une seule question se pose pour l'avenir « Allons-nous vers un « Vive Luxey Musical… », dans Bernard Lafon, « Un deuxième "Non Festival" à Uzeste » Sud Ouest 1988. 546 Il songeait à une animation éclatée et régulière entre de très nombreux villages avec l'aide d'institutions nationales et régionales... », dans P.H. Ardonceau, “ Les derniers feux de l’été. Uzeste ”, Jazz Magazine, octobre 1979.

184 Plus anciennement, nous avons déjà vu la création du « Tambouroundiou concept» (nom à variables multiples jusqu’à « Tambouroundioun Biband »). La Révolution en Dansant est l’occasion de nouvelles naissances : « l’Orphéon critique » (ensemble de cuivre sous la direction de François Corneloup) et la « Chorale des Sans Culotte » sous la direction d’André Minvielle. Et, dans la continuation de ces créations naissent d’autres ensembles conceptualisés. Nous en avons déjà croisé certains. Le plus important est « Le Polyrythmic Choral Rap Experience » créé par André Minvielle, mais il y a aussi le « Cercle de Musique Bruitale Archaïque »547 et le « Duophonic Scat Rap ».

Tout cela (concerts/concepts et ensembles/conceptualisés) est le fruit d’un travail que nous avons déjà souligné et vu à l’œuvre en 1987-1988. Travail qui se prolonge et s’enrichit encore lors de cette année 1989.

3) Conceptualiser l’idiome d’Uzeste

Reprenant quelques uns des nombreux manuscrits de Bernard Lubat que j’ai trouvé rassemblés dans le carton « …archives de la Cie… », le classeur « originaux » rassemble, mis au propre, la dernière mouture de synthétisation de l’ensemble Uzeste musical, de son travail et de ses concepts, de son historique et de l’articulations de tous ses différents éléments.

Après la grosse commande officielle ayant comme effet de concentrer les conceptualisation et pratiques de la Cie Lubat (La Révolution en Dansant toujours), le travail de conceptualisation continue encore. C’est de cette période que datent les textes rassemblés dans le classeur « originaux ». Si ces documents ne sont pas datés, on peut les situer par déduction entre la reprise du festival estival de 1989 et celui de 1990. De cette période semblent aussi dater les textes manuscrits de Bernard Lubat, travail préparatoire appliqué et exigeant (comme le montrent les nombreux recommencements et versions successives). Ce travail de définition et de formulation semble être motivé et stimulé par la nécessité de communiquer sur l’ensemble Uzeste Musical dans sa totalité auprès des pouvoirs publics qui, enfin, prêtent l’oreille aux demandes de soutien financier de la Cie Lubat - nous le verrons plus loin dans le détail. Un partenariat se met en place, chose que la Cie semble déjà préparer dès le lendemain du festival 1989, nous l’avons vu plus haut avec l’article de Bernard Lubat publié dans Sud Ouest « Droit de réponse. La vérité de la palissade ».

Preuve du souci de clarification et de synthèse : on trouve dans ces textes plusieurs « organigrammes » articulant tous les « satellites » ou composantes de la Cie qui, nous

547 « Direction Bernard Lubat. Réflexion sur le musicalité du bruit. En amont, en deça du code ou du vocabulaire, en deça de la mémoire, il s'agit de l'émission vivante d'une syntaxe bruitale. Alphabet, culture du bruit, du bruit poète (naissant, renaissant, éternel). A la découverte du son bruital, digital et vocal de main de maître. Recherche, pratiques de tous les bruits imaginables et inimaginables du papier froissé au pétard poudre, en passant par les bruits,sons du quotidien urbains, ruraux, industriels, agricoles, vocaux instrumentaux classiques, "O.V.N.I." (objets vibrants non identifiés) naturels (vent, pluie, orage) réels acoustiques artificiels, "O.V.N.I." bis (objets virtuoses non intentionnels : scie circulaire, perceuse, tronçonneuse, etc...) transformés (chutes de Bach, Mozart, Beethoven, Berio, Coltrane etc...) synthétisés, échantillonnés, séquencés (chutes de radio, télévision, cinéma, chutes de poésie, de littérature, de Comédia del' Jazz. ». Dans « Originaux ».

185 l’avons vu, se sont récemment grandement multipliés. Cela donne dans sa version la plus simple ceci :

« La Cie Lubat c’est … (multipiste – pluriforme) « les Favellas Gasconnes » Bandas Ecole musicale du Rythme (instrumental, vocal, gestuel) (direction B. Lubat) « Les Sporting Occitan Swing danse orchestra » Orchestre Atelier en musique de danse populaire (direction B. Lubat) « la chorale barbarbaroque » Bandas Ecole Vocal du Rythme (direction A.Minvielle) « le Tambouroundioun Biband Band » Orchestre atelier pour Tambours et percussions (direction B. Lubat) « le Polyrythmique choral Rap Experience » Groupe de recherche linguistique vocaliste choraliste (direction A. Minvielle) « la pratic comédie de la vie » Concept atelier de recherche en matière d’improvisation textuelle théâtrale (direction L. Duthilleul/B. Lubat) « l’orphéon critique » Bandas Ecole musicale des cuivres (direction F. Corneloup) »548

On peut voir que chaque artiste de la Cie trouve une extension dans une nouvelle formation. Cette extension s’inscrivant dans une logique de transmission et/ou de « recherche ». « Ecole » ou « ateliers » se révèlent là le projet central de ces nouvelles entités : la formation de musiciens et artistes et la transmission de leur savoir faire par les membres de la Cie Lubat. Cette interaction entre la pratique, la recherche et l’enseignement sont en effet un des piliers du discours et de la pratique lubatuzestiens. On le voit encore plus clairement dans le document suivant :

« Formation Une réflexion certaine sur la pédagogie « sujet » particulièrement sensible s’il en est et qu’il serait évidemment dangereux de transformer en « objet » (danger de garderie, paternalisme, conservation confuse, méthode outrepassées, méconnaissance de la réalité contemporaine, confusion déviation dans les nécessités) Apprendre – Transmettre – découvrir – comprendre Explorer l’art de Transmettre (le très strict nécessaire) Découvrir l’art d’Apprendre (dans les deux sens) Transmettre l’Art de chercher, l’Art de Trouver « c’est le maître qui cherche l’élève : en lui une Pédagogie révolutionnante parce que publique/vivante une Pédagogie de la proximité et non plus seulement quelque part dans la cité une Pédagogie immédiate en temps réel

548 Manuscrit de B. Lubat dans « Archives de la Cie Lubat… ».

186 et non plus seulement en privé (en attendant d’être prêt ?) une Pédagogie publique population public compris » « Formation de Formateur (Amateurs et professionnels) ; matière : « Expression artistique contemporaine vivante » Outils/concepts spécifiques originaux : processus Bandas /Ecole : A) Les Favellas Gasconnes dir. B. Lubat : Processus Bandas /Ecole musicale du rythme : textuel, gestuel, instrumental. B) la chorale barbarbaroc’ dir. A. Minvielle : Processus Bandas Ecole Vocaliste du Rythme C) la comédi’Art de la vie dir. L. Duthilleul : Processus Bandas /Ecole de la comédie D) l’orphéon critique dir. F. Corneloup : Processus Bandas/Ecole musicale cuivrale du rythme E) Comédie Art’ifice dir P. Auzier : Processus Bandas /Ecole musicale pyrotechnicienne du rythme F) le Sporting Occitan Swing danse orchestra dir. B. Lubat : Orchestre/Atelier Formation de chercheurs Matière : Art Contemporain Vivant Création Contemporaine Vivante Outils/concepts spécifiques originaux découverts ».

Le projet pédagogique, ici théorisé en « processus Bandas Ecole », trouve son accomplissement dans la « formation de formateurs ». C’est d’ailleurs par ce processus même que, depuis son installation à Uzeste, s’est constituée la Cie Lubat ; Bernard Lubat faisant ce travail de formation avec les musiciens qu’il choisit de prendre à ses côtés. Le dernier venu étant en l’occurence François Corneloup. Le projet pédagogique de Bernard Lubat et de sa Cie Lubat se trouve ainsi à cette période réaffirmé et clarifié, explicitant son fonctionnement au sein même de la Cie et de ses « satellites ».

Néanmoins, ce n’est pas là tout à fait le propos de ce que nous allons voir développé ci-dessous. Ces différentes mises en forme se développent certes dans le même mouvement théorisateur, mais le principal travail réside dans un mouvement de définition et de description.

Parallèlement à l’élaboration du programme du XI° festival d’Uzeste, l’équipe UM/Cie élabore un décorticage très détaillé et conceptualisé de ses pratiques et de sa « Philosophie »549. Voici pour illustration les intitulés des différents dossiers qu’elle compose : « Cie Lubat, Histoire, Genèse, Responsabilités/identités » ; « Spécificité des travaux appliqués » ; « Laboratoire de recherche artistique fondamentale expérimentale, appliquée » ; « Nature des pratiques de recherche » ; « Culture d’expression artistique vivante contemporaine » ; « Création artistique contemporaine Compagnie Lubat Saison 1990- 1991 » ; « Les concerts/spectacles multipistes de la Cie Lubat » (tous issus du classeur « originaux »).

J’en présente un large extrait, mais il faut avant cela en faire un petit commentaire, sorte d’avertissement préliminaire à la lecture. Il s’agit là d’un discours tellement ramassé et tellement touffu - produit de 12 ans d’expériences et de réflexions – qui se prête peu à un commentaire linéaire. Chaque mot, chaque combinaison de mots, est le résultat de multiples remaniements relevant d’une exigence forte quant à leur signification et à leur échos. Chacun

549 Voir texte en annexe.

187 des termes, chacun des assemblages, leur résonances (n’oublions pas que c’est une caractéristique de discours lubatien que cet approche musicienne des mots, mais toujours avec une grande attention à leur sens) ont un sens caché, suggéré et/ou créé. J’espère seulement que tout ce qui a été développé jusqu’ici pourra éclairer la lecture de ce texte qui, si on le lit en passant, peut paraître complètement illisible, incompréhensible, alors qu’il est sous son aspect parfois comique et farfelu hautement sérieux. Y réapparaissent des thèmes essentiels du projet lubatien.

« (…) Fondateurs, cultivateurs, interprètes exégètes, chercheurs, découvreurs et conducteurs d’une : politique culturelle résolument novatrice Un action profonde en temps réel (quotidien de 12 ans d’âge) située en Plein milieu rural gascon à Uzeste (village historique de la Haute Lande girondine gasconne aquitaine) 1) Pour raison d’exigence le terroir comme carrefour spatial intemporel géographique, historique, philosophique, physiologique, artistique, anthropologique, ethnographique, sociologique, psychologique 2) Pour raison de naissance Août 1978 à Uzeste la Cie Lubat créé le Festival Uzeste Musical, le Festival Uzeste Musical sécrète la Cie Lubat. 3) Pour raison d’existence Croisement/Carrefour des cultures du Monde terroir compris, légende entendue. Expérimentation de Haute Ecole, public compris, histoire vécue. Création de patrimoine contemporain vivant. Responsabilité et influences majeures dans le développement économique, social et culturel d’une région, inscription dans l’histoire de l’Art. 4) Pour raison de reconnaissance : (du public et de ses pairs) Cie Lubat/Uzeste Musical, légende vivante populaire au rayonnement maximum conjugué, communal, cantonal, régional, national, international. »550

Voilà également la mouture la plus détaillée de définition/conceptualisation des pratiques/problématiques d’un des satellites majeur le SOS Danse Orchestra (on y retrouve des traces du discours développé autour de La Révolution en dansant):

« H) LE PROCESSUS ORCHESTRE/ATELIER EXPERIMENTAL Le S.0.S. Danse Orchestra (LE SPORTING OCCITAN SWING DANSE ORCHESTRA) Direction : B. Lubat / A. Minvielle / F. Corneloup Dansé Swingue Mambo Collé Tango Swingue Dansé Chacha Rocky Funky Collé Biguine Dansé Jazzy Java Gascon Reggae Musette Dansé Polka Valsé Swingue Samba Landaise Dansé Danse vivante

550 Brochure « Cie Lubat de Gascogne. Uzeste. Gironde. France. « l’artiste n’invente pas sa création, il la découvre » (A. Malraux) » dans « Originaux ». (Notons juste que la Cie Lubat devient à partir de ce moment « de Gascogne ». Souligné par moi.

188 Danse cadence Pour se bouger avec tout Ce qui bouge et peut bouger Musiques de danse d'aujourd'hui D'hier et de demain. Désembastiller la musique de danse populaire, la libérer de ses préjugés, ignorances et complexes sur elle-même pour bien commencer ; de ses connotations péjoratives et exploitations populacières pour bien le savoir : les droits du swing et du tous en danse pour enfin voir danser sur de la musique vivante, en direct et de très haut niveau. Entre rural et urbain, savant et primitif, ce sont les grandes retrouvailles/ripailles inter-vocales instrumentales fifres et tambours, vielle à roue, cabrette, accordéons diatoniques et chromatiques, pianos, guitares électriques, synthétiseurs, séquenceurs, échantillonneurs, expendeurs, batteries, cuivres, percussion, chants en gascon, français, espagnol, anglo-saxon. A travers d'originales orchestrations contemporaines, ce sont des oeuvres du répertoire traditionnel dansant gascon, basque, musette français, africain, typique caraïbe (cubain, antillais, St Domingue), sud américain (brésilien, argentin), des thèmes standards de jazz de Charles Mingus, , Charlie Parker, etc..., des compositions d'Eddy Louiss, Michel Portal des compositions spécifiques et originales de B. Lubat, A. Minvielle, F. Corneloup. »551

Un long développement théorique très élaboré sur la « Philosophie » place au centre de toutes les problématiques lubatuzestienne l’improvisation « comme éthique de pointe de base » dans un rapport dialectique entre « Improvisation Oralité et Ecriture ». (Ce texte est retranscrit dans son intégralité en Annexe.)

(p.8) « Philosophie : L’improvisation comme technique éthique de pointe de base (…) A-L’improvisation (…) B-Comme technique/éthique de pointe de base (…) (p.10) Trilogie : Improvisation (…) Oralité (…) Ecriture (…) »552

Point majeur du discours lubatuzestien est re-développé le thème du « laboratoire de recherche artistique » qui s’était déjà cristallisé autour du projet de la Menuiserie en 1988 ou plus tôt encore en 1982 déjà en germe dans le projet de « Centre Culturel d’animation et de création en milieu rural ».

« LABORATOIRE DE RECHERCHE ARTISTIQUE FONDAMENTALE EXPERIMENTALE APPLIQUEE Artistique ici entendu, étudié, vivant, vibrant dans ses dimensions et fondations plurielles, philosophiques, antropologiques, ethnographiques, physiologiques, physiques, métaphysiques, matérialistes, spirituelles et politiques (fonction dans la cité, droits de l'homme et devoirs de l'artiste citoyen). Recherche artistique fondamentale Culture croisements multi-pluri-disciplinaires (et non étanche) en question à travers : musique - poésie - théâtre - danse - geste - art plastique - art pyrotechnique - art audio-visuel - art contemporain - art traditionnel - sciences - histoire - légende - langue d'Oc - langue française - la physique du son - la mythologie de l'image, le spectaculaire de l'authentique. Expérimentale appliquée

551 Dans classeur « Originaux ». 552 Ibid.

189 C'est à dire sur le chercheur lui-même 1) in vitro 2) En direct/public 3) Sur support audio-visuel Introspection, intégration, expression, création, communication Art de la diffusion de l'Art Vaste réflexion devant laquelle l'artiste créateur se veut toujours dans ses petits souliers, ce qui n'enlève rien au problème toujours posé liberté d'accès, de choix, élitisme-populisme, marché de l'Art, industrie artistique, fonction sociale éducative civique démocratique et républicaine Etude analyse des mécanismes, production de solutions spécifiques, méthodes, concepts surgissant au plus près dans une politique culturelle à la finesse de l'homme. Douze ans d'expérimentations conjuguées : racines puisées d'aussi loin que possible (grands festivals internationaux, tournées européennes-mondiales, commandes, créations spécifiques, etc...). En même temps qu'aussi près de leurs sources, langue, terroir, traditions festives, légendes gasconnes, Festival d'Uzeste Musical, café l'Estaminet, châteaux de Villandraut, de la Trave, Collégiale d'Uzeste, villages et villes de Gascogne (rural - urbain – agricole - industriel). Laboratoire outil/chantier en « folklore imaginaire » (C'est à dire sans âge...) Producteur "d'expression artistique vivante", de "création artistique contemporaine", "d'Art de la diffusion de l'Art", de public, d'histoire, de légende, d'économie locale (revitalisation) et internationale (livres, publications, disques compact, vidéodisque, clip, vidéofilm, méthodes pédagogiques, etc...). Laboratoire de pointe en milieu rural ("IRCAM vert" - "CNRS artistique") dont l'épicentre devrait se situer dans le cadre, l'espace, la fonction et missions du futur Théâtre Studio de la Menuiserie à Uzeste. Projet à l'étude : salle de concert, spectacle, studio d'expérimentation et d'enregistrement audio-visuel, vidéothèque, bibliothèque, discothèque spécialisée, salle de conférences, exposition, projection, etc... »553

Retenons bien là la définition donnée du concept lubatuzestien « l’Art de la diffusion de l’Art ».

Retenons enfin la présentation de son nouveau spectacle/concept (apparu en 1988) La Comedia del’Jazz à propos duquel sont détaillées dans cette présentation les différentes « influences » : aux « influences chantantes »et « musiciennes tenaces » s’ajoutent celles « poético-philosophiques vivaces » où l’on retrouve affirmée l’influence des Surréalistes sur le discours lubatuzestien. La littérature est également de plus en plus convoquée à travers les citations choisies, dont certaines deviennent des étendards uzestiens (M. Torga : « l’universel c’est le local moins les murs »).

« La Comedia del’Jazz Symbole de la Cie Lubat - échappe à toute définition/réduction; il est dans sa nature de briser les cadres établis (siens compris) et de réunir les extrêmes dans une même vision , une même audition. La Comedia del’Jazz - nom gascon d'un concept neuf et hybride pur, l'improvisation (plurielle extrême) comme technique/éthique de pointe de BASE (Sachant que l'improvisation c'est prévoir d'être prévu au programme vivant vibrant - au suivant).

553 Dans classeur « Originaux ».

190 La Comedia del’Jazz de la Cie Lubat l'improvisation de l'extrême, l'extrême de l'improvisation. Issue de sources sûres et rêvées entre racines coriaces et choisies consciemment, délibérement, amoureusement improvisations comédiennes de la Comédia Dell'Arte italienne , de la rue, du quotidien, du vivant, du vécu. Improvisations musiciennes -Bal populaire, traditionnel gascon et jazz musette français -Jazz noir américain -Jazz européen contemporain, musique savante aléatoire contemporaine. Traditions d'oralité poétique linguistique et textuelle : -Traditions des troubadours occitans, conteurs, jouteurs, diseurs gascons, basques, celtes, africains. Influences poético-philosophiques vivaces : -Dadaïsme, surréalisme, le grand jeu, Tristan Tzara, André Breton, René Nelly, Joé Bousqué, Picasso, Man Ray, Paul Eluard, René Char, Francis Ponge, Gaston Bachelard, Georges Bataille, Roland Barthes, Michel Foucault, B. Manciet, A. Benedetto, Ch. Laborde, Kenneth White, etc... Influences musiciennes tenaces : -J.S. Bach, Th. Monk, Edgar Varèse, Luciano Bério, Charlie Parker, le rondeau gascon, le Fandango basque, Kenny Clarck, Charlie Mingus, John Coltrane, Elvin Jones, Eddy Louiss , Michel Portal Influences chantantes -Le Blues, le Scat Jazz, le Rap noir américain, Louis Armstrong, Billie Holiday, la chanson poétique française, Charles Trenet, Georges Brassens, Jacques Brel, Claude Nougaro. La Comedia del’Jazz revient de loin, de très loin, et elle voit loin, très loin. Elle est le mouvement par excellence. Elle existe parce qu'elle disparait, elle "est" transcendance, transe en danse pure, fondamentale, archaïque, futuresque :"dans un théâtre il se produit nécessairement des coup de théâtre ! " La Comedia del’Jazz: « universelle et tribale, une réflexion sur l'Art percutante et précise, une démarche artistique profondément poétique ». (Ch. Laborde) « La voie ardue, mouvementée, celle de l'homme entier, non mutilé ». (G. Bataille) "Exister du fait d'une responsabilité apparue avant moi. Me sentir l'oeuvre d'une conscience à accroître, que cela soit fiction, je ne prétends pas le nier". (Joé Bousquet) »554

554 Dans classeur « Originaux ».

191 C) 1990 :

L’année 1990 commence donc avec un surcroît de préparation au niveau du discours et de la théorisation des pratiques ( définitions des spectacles de la Cie Lubat, et de ses concepts : « art de la diffusion de l’art », « recherche artistique, fondamentale, expérimentale appliquée ».) . Ce travail, nous l’avons dit plus haut, semble être motivé par le fait que les pouvoirs publics prêtent enfin l’oreille aux demandes de soutien financier de la Cie Lubat, ce qui va se concrétiser le 6 juillet 1990, à la veille du XIe festival avec la signature d’une « Convention » entre la SCOPA Cie Lubat et les pPouvoirs publics (Etat, Région Aquitaine, départements Gironde et Landes, et municipalité d’Uzeste). Parole entendue avions nous dit.

1) Signature de la Convention (Juillet 1990)

Le partenariat qui va alors s’engager est longuement et minutieusement préparé par la Cie Lubat et ce dès les lendemains du festival 1989. On trouve dans les archives les nombreuses versions qu’elle rédige, jusqu’à la version finale du 6 juillet 1990.

Couronnement des 12 travaux du binôme Laure Duthilleul/Francis Fondeville, cette apothéose se fait néanmoins sans Francis Fondeville puisqu’il est « démissionné » de la SCOPA Cie Lubat et de ses fonctions d’administrateur le 7 septembre 1989555. En effet - et je dois encore cette information à Josy Pouchet, nouvellement engagée dans l’équipe UM/Cie et qui a sans doute été, en tant que comptable, la première personne à s’en rendre compte - , gérant de la SCOPA, il met, par une gestion trop approximative, son existence en danger dès sa première année de fonctionnement. Voyant cela, les autres membres de la Cie Lubat, lui demandent de quitter ses fonctions d’administrateur du festival et de gérant de la SCOPA. A ce deuxième poste, lui succède Alban Lubat. Francis Fondeville parti, c’est désormais Laure Duthilleul qui « prend le pouvoir »556 pour toutes les questions de gestion administrative (domaine où elle a démontré ses compétences). Ne voulant néanmoins pas assumer les fonctions d’administration (son intérêt étant dans le volet artistique du travail), elle cherche alors un remplaçant à Francis Fondeville. Cette période est, selon Josy Pouchet, un peu chaotique au niveau des administrateurs qui changent très fréquemment jusqu’à se fixer plus tard, hors de notre période, avec David Sauvage, lequel possède une vraie expérience d’administration d’une scène nationale557.

Donc entre 1989 et 1990 se prépare la signature de la Convention. Nous avons dit que cette convention s’inscrit dans la ligne des travaux de construction structurels de l’équipe UM/Cie. Dans la signature de cette convention se conjugue plusieurs données : la maturité à laquelle est arrivée la Cie Lubat qui, depuis 1988,s’est constituée en

555 Dans Echos Judiciaires Girondins du Vendredi 17 novembre 1989, modification de l’article 21 des Statuts de la SCOPA ; dans «SCOP / Statuts /Doc. Of. » 556 Source : entretien avec Josy Pouchet. 557 Toute cette partie est documentée par l’entretien avec Josy Pouchet

192 SCOPA, une nouvelle ouverture et écoute des pouvoirs publics qui, comme la municipalité d’Uzeste, se trouvent être favorables au projets Uzeste Musical. A noter l’importance capitale de la municipalité uzestoise dans la signature de cette convention : en effet sa participation est une condition indispensable à l’aboutissement du conventionnement. Sans l’accord de ce pouvoir de proximité, il n’aurait pu se mettre en place.

Ce mode de conventionnement est alors novateur (comme le souligne Bernard Lubat dans le discours - retranscrit plus bas – qu’il prononce lors de la signature). La SCOPA étant une structure privée, elle ne peut recevoir de subventions selon la procédure normale (les subventions n’étant accordées qu’au titre associatif, et c’est pour cela que le « Festival d’Uzeste Musical est resté association loi 1901 afin de pouvoir continuer à toucher en propre et de façon autonome des subventions). Le seul moyen de lui allouer des subventions réside dans un conventionnement du type que nous allons voir558 .

Convention triennale de fonctionnement, elle engage les pouvoirs publics à financer les coûts de fonctionnement, mais sans justification de la dépense (c’est là la grosse différence avec le subventionnement normal) : l’Etat (Ministère de la culture, de la communication, des grands travaux et du bicentenaire) donne 250 000,00 F. ; le Conseil général de la Gironde 250 000,00 F. ; le Conseil général des Landes 50 000,00 F. et la commune d’Uzeste fournit à la Compagnie les prestations techniques qu’elle est en mesure d’apporter559. Les pouvoirs publics financent donc de manière continue une structure à l’année - reconnaissance du travail effectué non seulement ponctuellement avec le festival mais aussi sur le long terme avec ses activités sur toute l’année – et ce pendant trois ans. Aide plus cohérente qui va permettre à l’équipe UM/Cie de reprendre son activité à l’année (Noëls et manifestations à L’Estaminet). Plutôt que de devoir attribuer une subvention pour chaque événement, les pouvoirs publics subventionnent la structure organisatrice.

Pour les gros événements ; les commandes comme La Révolution en Dansant ou le festival estival organisé par l’équipeUM/Cie, il est toujours possible d’avoir recours au mode de subventionnement traditionnel attribué à un événement précis (que des recettes de billetterie ne suffisent jamais à financer au regard du coût réel d’un spectacle et du prix de la place que l’on peut fixer pour le spectateur560).

« En retour, la Cie s’engage « à développer ses activités dans les domaines » de : « -La recherche : expérimentation des pratiques musicales traditionnelles, improvisées et contemporaines ; - La création artistique pluridisciplinaire : musicale, poétique, théâtrale, pyrotechnique, etc. [et] La diffusion : la compagnie poursuit ses travaux spécifiques de diffusion originale dans les lieux où elle intervient : art de la diffusion de l’art. »561.

Recherche, création artistique pluridisciplinaire et art de la diffusion de l’art, tous les axes lubatuzestiens sont ici réaffirmés, la compagnie s’engageant à les développer, autrement dit : à continuer.

558 Voir le texte intégral 559 Articles 7-8-9 et 10 de la « Convention entre l’Etat, le département de la Gironde, le département des Lande, la commune d’Uzeste, la société Coopérative de Productions Artistiques Compagnie Lubat. Fait à Uzeste le du 6 juillet 1990 », dans « Archives de la Cie Lubat 91-92-93 ». 560 Source, entretien avec Josy Pouchet. 561 Article 4 de la Convention.

193 Notons le petit paragraphe qu’elle ajoute à la fin de cet article : « A ce titre, elle se propose d’être un interlocuteur privilégié, dans le cadre d’un partenariat artistique, des collectivité signataires de la présente convention ». L’équipe UM/Cie réaffirme bien par là son projet d’animation culturelle locale, son rôle de « prestataire de services »562 artistiques, « service public »563. Pour se faire, le partenariat avec les pouvoirs publics locaux, qu’elle cherche depuis longtemps, se concrétise ici avec, outre la municipalité d’Uzeste, deux organismes : les conseils généraux des départements Landes et Gironde. Dans la participation du département des Landes, il faut voir le lien avec l’action de la Cie Lubat à Luxey (Palombopéras), et des bons rapports avec l’élu socialiste président du Conseil général des Landes, Henri Emmanuelli. Dans un pré-projet de texte564, on peut voir que l’équipe UM/Cie avait prévu d’étendre la Convention au organismes suivants : la Région Aquitaine, et les communes de Préchac, Pompéjac, , Villandraut, et Cazalis. La convention signée le 6 juillet 1990 se contentera des partenaires déjà cités.

Le partenariat artistique se voit à l’œuvre dès octobre 1990 lorsque la Cie est appelée à animer avec un apéritif musical et un grand bal des Terres de Gironde à St Symphorien, une manifestation organisée pour le lancement du livre Terres de Gironde sous l’égide du conseil général.

Deuxième engagement de la Cie Lubat : « créer et (…) maintenir pendant la durée de la présente convention un poste d’administrateur - gérant [et] un poste de régisseur général chargé de la direction technique »565. Le financement de ces postes, à l’année, est donc désormais inclus dans les subsides versées par les pouvoirs publics et non plus à la charge de la Cie Lubat. On voit bien là encore le mouvement de professionnalisation, ici soutenu par le conventionnement, à l’œuvre chez l’équipe UM/Cie. Celle-ci avait cependant encore une fois été plus ambitieuse dans son pré-projet qui prévoyait de créer non pas deux, mais dix postes à l’année . Pour le personnel administratif, des postes d’administrateur, directeur de la communication/régie artistique, comptable, secrétaire et documentaliste ; et, pour le personnel technique, de directeur technique, ingénieur/preneur de son, régisseur lumière, et deux postes de régisseurs techniques566.

L’article 5 de la Convention mentionne, à dessein et dans le texte de la Convention, que « La Compagnie Lubat a pour objectif l’aménagement de l’ancienne menuiserie d’Uzeste en « Théâtre de la Menuiserie », lieu base où se développent les activités citées à l’article 4 »567.

562 Annick Monseigne « chanter le blues en patois », Viva, juillet août 1989. 563 « Nous voulons être service public », Annick Monseigne, « Chanter le blues en patois », Viva, juillet août 1989. 564 « Convention pour l’année 1990 » dans « Originaux ». 565 Article 6 de la « Convention entre l’Etat/ Le département de la Gironde/ le département des Landes/ la commune d’Uzeste/ La société Coopérative de Productions Artistiques Compagnie Lubat. » Fait à Uzeste le du 6 juillet 1990 », dans « Archives de la Cie Lubat 91-92-93… ». 566 « Convention pour l’année 1990 », dans « Originaux ». 567 Article 5 de la « Convention entre l’Etat, Le département de la Gironde, le département des Landes, la commune d’Uzeste, La société Coopérative de Productions Artistiques Compagnie Lubat. » Fait à Uzeste le du 6 juillet 1990 », dans « Archives de la Cie Lubat 91-92-93… ».

194 Il faut, je pense, y voir le souci d’interpeller une nouvelle fois les pouvoirs publics sur la grande importance de ce projet de « Théâtre de la Menuiserie » dans l’ensemble du projet Uzeste Musical. Cela renvoie à des demandes déjà formulées (on l’a vu en 1988) de subventions, mais aussi anticipe sur la suite du partenariat tel que le conçoit l’équipe UM/Cie : après cette convention triennale de fonctionnement, devrait suivre une convention d’investissement, que ce projet de « Théâtre de la Menuiserie » appelle568.

Si le texte de la Convention est sobre, simple et clair, il n’en contient pas moins toutes les problématiques lubatuzestiennes, sans concession aucune. La Cie Lubat ne cesse pas d’être la Cie Lubat avec ses pratiques et ses projets. On aurait pu penser que cette écoute nouvelle des pouvoirs transforme sa parole, mais il n’en est rien et on retrouve toute la Cie Lubat dans les festivités qu’elle donne pour l’occasion569.

Entre une « Aubade musicale » et une « Dégustation Buffet Uzestois » sont présentés des « Extraits choisis ; Travaux de la Compagnie Lubat » : poésies de Bernard Manciet dites par lui-même, « mots dits sous la langue vocaliste », « feu d'artifice (de chambres) » « Tambouroundiou Bibani », « Comedia del'Jazz » et « Grand Bal de la Convention » « Pour fêter avec le pays la signature de la convention » pour la « Recherche fondamentale en matière de Création Artistique Contemporaine Vivante. Art de la diffusion de l’Art. ». A la fin du programme figurent les citations choisies que la Cie Lubat et Uzeste Musical mettent en exergue, sortes d’étendards oriflammes de leur projet : « Imagination ce que j’aime surtout en toi c’est que tu ne pardonnes pas » (A. Breton) ; « Elitaire pour tous » (A. Vitez) ; « L’Universel c’est le local moins les murs » (M. Torga)570.

Ainsi, la Cie Lubat trouve, après douze ans d’action sur le terrain, une vraie reconnaissance de la part des pouvoirs publique pour son action à l’année. Pour cela la Cie n’a pas fait de concession, et a même renforcée son discours et son identité.

Accepter la reconnaissance oui, mais Bernard Lubat réclame le début d’un partenariat, « une dialectique courtoise » et « un tutoiement respectif », et la maîtrise des activités de la Cie.

« L'US La Compagnie Lubat de Gascogne vient de passer avec les pouvoirs publics une convention. Cette reconnaissance par la politique, c'est une forme de consécration, ça n'est pas aussi un danger ? B.L. C'est la reconnaissance du début d'un chemin partenarial, une dialectique courtoise mais ferme entre nos responsabilités réciproques. J'ai toujours cherché le contact avec des gens qui représentent la culture, qui sont élus pour ça. C'est un tutoiement respectif qui devient enfin concret, car il y avait trop de non-dits. Ils ont été surpris devant la rigueur de nos budgets, nous qu'on accusait de gaspiller. Avec un seul Exocet, on pourrait faire le festival pendant deux mille ans ! Maintenant nous pourrons travailler à plus long terme. Quant au contenu de nos activités, nous en restons maîtres. Il faudrait justement que d'autres fassent comme nous »571.

Plus significatif encore du sens que l’équipe UM/Cie donne à cette convention : le discours prononcé par B. Lubat à l'occasion de la signature de la Convention, le 6 juillet 1990.

568 Source : entretien avec Laure Duthilleul. 569 Voir le programme intégral en annexe. 570 « Programme du vendredi 6 juillet 1990 à Uzeste », dans « Archives de la Cie Lubat 91… ». 571 « Bernard Lubat, pour que le jazz cogne. Moussu Swing », L’US, 21 septembre 1990.

195 « La Cie Lubat, mes associés et moi-même sommes heureux et très honorés de vous recevoir chez nous, ici à Uzeste Gironde, triangle des Landes : patrie océanique de la Cie Lubat de Gascogne. Cette convention est une des premières du genre, passée, signée entre les pouvoirs publics et une entreprise culturelle artistique de type jazzistique contemporain, gascon de surcroît, de plus résidant en milieu rural profond, et de surplus organisée en Compagnie (ce qui est habituel pour le théâtre ou la danse mais encore rarissime en musique contemporaine). Organisée en Cie de création artistique contemporaine vivante c'est à dire "Laboratoire de recherche fondamentale appliquée", en matière d'oralité, d'écriture, pluri disciplinarité d'art de la diffusion de l'Art, d'art de l'improvisation, conquête du non savoir : maîtrise suprême (l'improvisation c'est prévoir l'imprévu, l'impensable, l'imprévisible : "être" prévu au programme !). Pour nous Cie Lubat de Gascogne, cette Convention donne le la, donne le sens d'un chemin partenarial novateur à la hauteur de nos responsabilités réciproques en la matière : Culture, Cultivature, Créature, Civilisation, Démocratie : chemin partenarial réel parce que complexe, authentique parce qu'à l'entretien toujours contraint chemin cultivateur entre tous, population, médias, politique, artistique - sans confondre les genres, sans illusions candides. D' Uzeste nous entendons cette convention comme un commencement dans la continuité, l'utopie habitée des idées et des actes. L'Art n'est pas fait pour l'Art, il est fait pour l'humanité, par l'individu, pour l'individu. La grande fierté que nous ayons ici, d'ici, hormis celle de nous reconnaître aussi quelquefois un certain talent, c'est celle d'oeuvrer à l'écriture d'un pays dans sa vie réelle, quotidienne, contemporaine, d'oeuvrer à sa découverte, sur lui-même, passé - présent - futur, d'oeuvrer à ses idées, espérances, travaux, luttes, projets, d'oeuvrer à sa culture, à son histoire, d'oeuvrer ainsi, d'ici, aussi, immodeste grain de sable à l'écriture du monde. Ici l'artistique parle sa langue d'ouïe, sa langue d'Oc. Il dit non au démagogisme et autres extrémismes. Ici, d'ici, la création artistique contemporaine joue ainsi son éminent et irremplaçable rôle social, à la pointe de la base sommet inatteignable. "Elitaire pour tous" A. Vitez : Utopie habitée, commencement dans la continuité, renaissance, révolution "laisser des traces, non des preuves R. Char." Quant à nos ambitions, elles sont claires, vérifiables et optimistes. Dans quelques semaines et dans le cadre de l'Eté Girondin, le XIème Festival Estival d'Uzeste Musical conjuguera plus haut que jamais sa langue d'ouïe d'Oc et d'Esope avec celles d'un public de plus en plus Européen. Uzeste ouverte, Uzeste met les voiles. Capitale communale en sono-mondiale. Comme dit Miguel Torga le poète portugais "L'universel, c'est le local moins les murs". Finalement, le particularisme local est une souriante définition de l'artiste créateur »572

Encore une fois, on voit condensé le discours lubatuzestien. Là aussi, il faut s’attacher à déceler tous les sens qui s’y cachent.

Notons en passant que le discours sur le territoire s’est beaucoup affiné : « Triangle des Landes » « Patrie océanique »… toujours cette recherche de formulation et de définitions emportant l’imagination, empreintes de poésie.

572 « Discours prononcé par B. Lubat à l'occasion de la signature de la Convention Ministère de la Culture, Conseil Général de la Gironde, Conseil Général des Landes, Municipalité d'Uzeste/Cie Lubat le 6 juillet 1990. ». Le texte du discours est retranscrit dans le Journal-programme 1990, p.12.

196 Si cette convention est bien perçue comme un « commencement » c’est néanmoins « dans la continuité ». « Chemin partenarial » à « responsabilités réciproques » en matière d’art, de culture et de politique, on voit bien cette volonté de dialoguer avec les pouvoirs politiques, de se faire acteur de la vie sociale.

« Commencement dans la continuité », on le voit dans la liste des projets annoncés également, parmi lesquels figurent réaffirmés le Théâtre de la Menuiserie et le Village Lacustre Médicis, qui seront l’objet de développement futurs. Mais avant de continuer sur ces projets arrêtons nous un instant au festival estival.

2) La XI° édition fait partie de l’Eté Girondin

Ainsi c’est une Cie Lubat ‘nouveau départ’ qui se met à réaliser le XIe « Festival d’Uzeste Musical ». L’ancienne VUM a cessé ses activité au 15 décembre 1989 ; toutes les structures sont nouvelles, et les subventions sont enfin arrivées à hauteur d’une attente qui a duré douze ans (moins une année, en 1982). Le festival retrouve depuis 1989 une grande visibilité et se trouve de plus inclus cette année, nouvelle consécration, dans « l’Eté Girondin »

Un budget beaucoup plus conséquent…suite à la convention…

Financièrement l’année 1990 est une année faste pour l’équipe UM/Cie. Le festival estival, après les années de vaches maigre (dont 1989 faisait partie avec 135 000 F. de subventions, retrouve des subventions conséquentes. Subventionné à hauteur de 550 000 F, le festival reçoit donc la même somme que celle que la SCOPA Cie Lubat a reçu avec le conventionnement au mois de juilllet. Les subventions se répartissent de la façon suivante : le Conseil général de la Gironde : 340 000,00 F., la DRAC 60 000,00 F., le Conseil régional d’Aquitaine 50 000,00 F., la SPEDIDAM 35 000,00 F., la SACEM 15 000,00 F., et le FCM 50 000,00 F.573.

Le festival développe alors un budget qui dépasse le million de francs (les chiffres varient d’un document à l’autre) : 1 103 391,00 F574 ou 1 008 957,49 F. 575, avec des recettes un peu inférieures ou un peu supérieures entraînant un solde final de - 140 391,00 F.576 ou + 38 960,40 F.577 , soit un certain équilibre.

Le Festival d’Uzeste Musical entre résolument dans le circuit officiel en 1990 en étant inclus dans « l’Eté Girondin ». Créé à l’initiative du Conseil régional en 1987, cette manifestation a pour ligne de conduite d’allier le tourisme et la culture. Si l’année 1989 avait été « inféodée au tourisme », cette année 1990 met fin à l’éclatement des animations, elle veut plutôt « créer des événements culturels sur des sites pour inciter le public à les découvrir »578.

573 « Budget XI° », dans « XIème Festivald’Uzeste ». 574 Ibid. 575 Ibid., « Comptes de résultats de l’année 1990 ». 576 Ibid., « Budget XI° » 577 Ibid., « Comptes de résultats de l’année 1990 ». 578 « Opération vérité avec Yves Lecauday », Sud Ouest, 27 juin 1990.

197 On voit là le discours de mise en valeur du territoire que l’on retrouve revendiqué plus fortement à partir de 1987 par la Cie Lubat. Cette quatrième édition de « L’Eté Girondin », regroupe une vingtaine d’événements culturels dont cinq d’envergure, cinq festivals : le « Jazz en Médoc » à Cussac-Fort-Médoc, le « Festival de Danse de », le « Festival de Jazz d’Andernos », « Festival de Théâtre de »… et le « Festival d’Uzeste Musical »579. Il est piloté par Francis Larriba (Directeur du Conseil Départemental à la Culture, le CDC) et Yves Lecauday - nouvellement Président du CDC et vice président du Conseil général de la Gironde. Mais aussi Président du Comité Départemental du Tourisme (CDT) – qui entend faire jouer à fond la complémentarité entre culture et tourisme. C’est avec ce même Yves Lecaudey que s’est fait le montage de la Convention avec la Cie Lubat ; il en parle fièrement (comme d’un exploit au vu de la mauvaise réputation de Bernard Lubat dans le milieu des pouvoirs publics girondins) dans l’interview donné à Sud Ouest580.

Budget plus conséquent, insertion dans un projet départemental assurant la promotion de ses festivals581, le XI° Festival d’Uzeste Musical qui a lieu du 16 au 19 août 1990 à Uzeste, Création artistique contemporaine vivante/ Art de la diffusion de l’art, se porte au mieux.

A noter une large diffusion dans la presse dont témoigne le classeur de presse de l’année dans les archives. L’annonce publiée par Jazz Magazine semble refléter un nouvel élan du festival qui, après une longue cohabitation avec les difficultés, se trouve cette année plus largement soutenu et soulagé de ses difficultés : « Uzeste met les voiles ». S’y affirme en concentré toute son identité à travers ses concepts et ses phrases, les intitulés de ses manifestations (véritable nomenclature, vocabulaire singulier qui donne lieu à un « lexique du festival »582).

« Nuit Jazz cogne. Grande Comedia del' Jazz de la Compagnie Lubat. La Batterie est en danger. Territoire des Soli-Sauvages. Prises de Bec. Open the Night. Voies des Voix. Souffle à Lames / Lo Camin en Feux follets d'Artific. Show Bal Jazz Gascon Express. Sportivemenvironnemental. L'Os de Dyonisos. Artaud au Lavoir. Les Entretiens d'Uzeste. Itinéraires Gascons. La Geste d'Uzeste.»583

Nombreux sont ceux qu’Uzeste compte parmi ses anciens et fidèles : Claude Gudin, Marc Perrone, Christian Laborde, Bernard Manciet, Claude Nougaro, Claude Sicre, Louis Sclavis, Marie Ange Damestoy, Charles Silvestre (journaliste) Eugène Riguidel. Mais on voit aussi revenir des plus anciens encore qui font leur « come-back » (ici Han Bennink, Jean- Louis Chautemps, Benat Achiary et Jacques Di Donato l’ont déjà fait en 1989) tels Juan José Mosalini (l’argentin, venu en 1982), Michel Portal (qui n’était pas venu depuis 1982 à

579 « Cinq festivals et cinq sites pour l’Eté Girondin », Sud Ouest 25 mai 1990. 580 « Opération vérité avec Yves Lecauday », Sud Ouest, 27 juin 1990. 581 « - Aujourd'hui, la promotion de votre festival est assurée, car vous faites partie de l'Été Girondin. Comment réagissez-vous par rapport à cela ? - Je suis ravi que la Gironde cultive ses festivals. Un partenariat nouveau s'installe, notamment avec le Conseil général. De plus, cela nous permet d'espérer entretenir à l'avenir des rapports enrichissants avec les autres festivals, les créateurs et les pouvoirs publics. Et je souhaite qu'il soit possible d'engager une réflexion avec les créateurs des autres festivals, une réflexion qui porterait sur l'identité girondine. » Dossier été girondin. Dossier réalisé par Marie-Françoise Léon et Yves Rivoal, dans MMM, classeur Presse. 582 Voir en annexe. 583 Annonce dans Jazz Magazine : juillet-août 1990.

198 vérifier), Loris Capelli (le professeur d’accordéon de Bernard Lubat), Serge Pey (le poète venu en 1986 et 1987), Marc Depond (venu en 1982 et 1985) ou Ringo Efoua Ela (venu en 1986).

On retrouve également les « nouveaux partenaires » : tels François Corneloup qui fait désormais partie de la Cie Lubat, Los Fabulous Troubadours de Claude Sicre et Enjalbert, le Polyrythmic Choral Rap Experience de André Minvielle qui fait sensation et Jacky Liégeois (avec son fils Mathieu) qui continue son travail sur la signalétique584 mais aussi Alain Delmas (le syndicaliste de la CGT), Jean-Christophe Laulan (rédacteur de L’Ormée), Jean-Louis Destrem (redacteur de la Vie Ouvrière), avec leur « journée de la Vie Ouvrière » et leur « gueuloir de l’Ormée » nous l’avons vu.

Les nouveaux invités, ponctuels, sont pour cette édition plus nombreux (puisque le budget est plus conséquent). Des grands noms du jazz français : Richard Galliano (l’accordéoniste), Jean-Jacques Milteau (l’harmoniciste), Bruno Chevillon (le contrebassiste) et Claude Barthélémy qui vient avec ses 15 musiciens de l’Orchestre National de Jazz (ce n’est pas rien, quinze d’un coup). Mais aussi des sommités d’autres secteurs : Daniel Herrero (le fameux penseur et entraîneur de rugby), Jean Vautrin (Prix Goncourt 1989, récemment installé à Uzeste) Trilock Gurtu (le célèbre et admiré tablaïste indien). Et Claude Nougaro qui est pour cette édition président d’honneur du Festival.

Ce que retient la presse, ce sont surtout de grands moments de rencontres musicales : avec Nougaro en dernière soirée du festival ; et Bernard Lubat ; Louis Sclavis ; Michel Portal ou encore Benat Achiary.

« (…) les groupes se sont succédé ou plutôt se sont mêlés au gré de leurs audaces complices. D'un spectacles uniquement basé sur les voix - avec la participation impressionnante et pleine d'humour du Polyrythmic Choral Rap Experience d'André Minvielle, du poète gascon Bernard Manciet et du poète-chanteur-musicien basque Benat Achiary - a un spectacle construit autour de grands saxophonistes et de clarinettistes. Poésie et musique sont demeurées omniprésentes. (…) Pas de patchwork ni de collages artificiels, tient à préciser Louis Sclavis, pour qui improvisation ne veut surtout pas dire absence de rigueur ou de travail d'écriture. Michel Portal, clarinettiste, accompagné d'un joueur de tabla époustouflant, l'Indien Trilock Gurtu, et de Bernard Lubat au piano, aura également donné à Uzeste de grands moments d'émotions musicales. Nostalgie. Nougaro de son côté pour la dernière soirée aura offert, en marge de sa tournée actuelle, au public uzestois quelques notes de nostalgie en chantant ses succès d’il y a vingt ans, Cécile, l'Amour sorcier, Dansez sur moi, Locomotive…(…) Lubat, tour à tour batteur, pianiste et accordéoniste, a plus d'une corde à sa lyre. Amoureux des Landes. il aura une fois de plus embarqué sa joyeuse troupe à travers un « parcours cucurbitacée» de 8 km dans la forêt, semé de haltes insolites : piano solo sur un tracteur dans une clairière, poésies en langue de bois pour une « écologie du langage ». Han Bennink, batteur hollandais, jouant des mains et des pieds dans les positions les plus acrobatiques... Ajoutons à cela la pièce de Christian Laborde L'Os de Dionysos (d'après son livre, interdit pendant longtemps), jouée pour la première fois, avec pour interprète Jean-François Depeyrot, et nous avons un aperçu assez révélateur du grand éclectisme et des détires de la bande à Lubat. Bref, pas de fans ni de mystiques pour ce XIe Festival d'Uzeste musical, mais des Gascons orgueilleux - et non fiers, comme aime le préciser Lubat -, des Gascons qui n'ont de cesse

584 Cette signalétique va devenir une véritable tradition du festival d’Uzeste, constitutive de son paysage, de son image et de son imaginaire.

199 d'explorer, à partir de ce tout petit village, un tas de possibles imaginaires. La devise du festival, empruntée au poète portugais Michel Torga en dit d'ailleurs long sur cette démarche « L'universel, c'est le local moins les murs ». »585

On voit donc que dans cette nouvelle période du festival, notamment avec les concerts à thèmes, est donnée une plus grande place aux invités, bien qu’ils soient toujours contraints de s’intégrer, se rencontrer et se confronter selon les modalités que l’équipe UM/Cie choisie.

Les créations de la Cie Lubat (telle celles de musical-théâtre développées lors des premières éditions) sont moins nombreuses ; ou peut-être, au contraire, faut-il considérer que de plus en plus l’ensemble festival constitue une création, non pas de la seule Cie Lubat mais de la communauté artistique qui l’anime (les résidents préparant les conditions des rencontres et les invités s’y investissant, y prenant part et s’y « mettant en danger » selon une expression bien courante à propos du festival (retrouvée égaleement dans la bouche de Claude Nougaro). Le principal secret d’Uzeste Musical depuis le début de son histoire de festival est cette volonté de provoquer et d’orchestrer des rencontres, parfois réussies, parfois ratées.

La grande création de la Cie Lubat au festival 1989 avait été La Révolution en Dansant ; en 1990 c’est sa « Grande Comedia del’Jazz » présentée le premier soir du festival. Là aussi sont mis à contribution des invités du festival puisque dans le programme sont regroupés pour son interprétation en une Cie Lubat du festival : Bernard Lubat, André Minvielle, Patrick Auzier, François Corneloup, Laure Duthilleul, Han Bennink, Jean-Louis Chautemps, François Verly et Christian Laborde.

« Le SOS Danse Orchestra de la Cie Lubat » tel qu’il est présenté au programme s’est aussi agrandi notamment avec les membres du Polyrythmic Choral Rap Experience « Jacques Aymonino, Jacky Gratecapo, Marie-Anne Mazeau », qui s’ajoutent aux membres de la Cie Lubat : « Bernard Lubat, André Minvielle, Patrick Auzier, François Corneloup », et des Pignadas : « André Lassalle, Jean Pascual, Alban Lubat, Lothaire Mabru ». On y trouve aussi d’autres invités et musiciens/collaborateurs locaux : « François Verly, Jack Tocah, Michel Ducau, Philippe Bayle, Hubert Turjman, , Jeanne Clero, Alain Jurkowsky » (soit 18 musiciens « officiels », au programme) « et puis tous ceux-là mélangés et quelques autres avec - Los Pinhadas, André Minvielle, Marc Perrone, Juan-José Mosalini... - pour le plus bel orchestre de bal du monde »586.

Si l’on repense aux quinze musiciens de l’Orchestre National de Jazz, aux huit kilomètres de parcours cucurbital sous les pins, le festival 1990 voit donc sa communauté artistique s’élargir sensiblement.

On a déjà vu les points communs entre les éditions 1989 et 1990 au niveau d’une nouvelle génération de concert/concepts (« Batterie en danger »…) dessinant une nouvelle continuité qui se prolonge par ailleurs dans la reprise des traditions du festival d’avant la crise, dont les fameux Territoires des Soli Sauvages (« 8000 mètres sous les pins (…) parcours cucurbital en territoire des soli sauvages »587) qui se déroulent cette année sur un

585 Florence Sandi, « Quand le jazz cogne », Le Quotidien de Paris, 23 août 1990 586 Jazz Magazine, décembre 1990. 587 Dans Journal-programme 1990.

200 thème promis à une grande postérité à Uzeste : les cucurbitacées588. C’est sur le principe de cette manifestation, véritable marque de fabrique uzestoise, que va d’ailleurs se conceptualiser un des développements possibles du festival, l’équipe UM/Cie ne s’arrêtant pas, bien au contraire, dans sa recherche en « création artistique contemporaine » et en « art de la diffusion de l’art ».

En cette année 1990, le festival d’Uzeste se veut, cela est développé dans une brochure intitulée « Synopsis du XIème Festival Estival d’Uzeste Musical », « itinérant »589, en « transhumance ». Cette idée est développée avec la Fête de Luxey (où avaient eu lieu depuis 1988 les Palomb’Opéra) qui devient cette année « Festival de Musique et Spectacle de Rue » à partir duquel le festival d’Uzeste s’inaugurerait « le dernier jour de l’un devenant (depuis son terrain) le premier jour de l’autre »590. Ensuite, le « festival d’Uzeste Musical itinérant » passant par Callen et Bourrideys (Landes), Cazalis, Préchac et Villandraut (Gironde) avant d’arriver à Uzeste, se ferait « parcours d’une philosophie « Art de la diffusion de l’Art » à pied, à cheval, en calèche, en bicyclette, en canoë-kayak, patin à roulette, skateboard. « 20 000 mètres sous les pins », de la vallée de la petite Leyre à la vallée du Ciron ». Ce projet prévu pour 1990 sera reporté en 1991, festival itinérant intitulé les « Translandes girondingues » poussant encore plus loin la réflexion et pratiques lubatuzestiennes sur le territoire.

En effet, si 1990 voit un renouveau et un certain confort financier pour l’équipe UM/Cie, elle ne cesse pas pour autant de creuser ses problématiques. C’est au contraire une occasion de s’en préoccuper encore plus.

Ce souci de recherche est, on l’a vu, inscrit et ancré dans le discours lubatuzestien, pour ne pas dire dans ses gènes. Même au moment où ça va enfin bien, Bernard Lubat se montre toujours très inquiet…

« L'US : A quelques jours de l'ouverture du festival, vous semblez très inquiet. C'est pourtant la onzième édition... B.L. : C'est vrai, mais ça se complique à chaque fois. C'est toujours un peu les mêmes qui y participent, Nougaro, Perrone, Portal et bien d'autres, mais c'est un chantier ouvert. On a comme une case de vide et on n'arrive pas à la remplir. Je veux être un artiste créateur, comme l'étaient les charpentiers et menuisiers qui étaient là avant. Artistes, pas fabricants. Ce n'est pas du courage de ma part, c'est comme ça. Quand je suis devant le public, c'est cinquante- cinquante. Je joue pour eux et contre eux. Ils ont payé, moi aussi. L'art c'est vrai, le beau, c'est le commencement du terrible. Donc on est « chiants », un peu, quoi. L'US : Le risque, ce serait d'être intégré ? B.L. : Il faut aller jouer dans les rues. La musique se fait trop dans des endroits insonorisés, comme pour les fous. Moi je propose aux profs et aux élèves de s'emparer de la musique de danse de tout un siècle et de s'exercer dessus. L'éducation musicale garde le niveau d'une culture et il le faut, mais on ne passe pas à la suite. Après, il y a Boulez... et nous. Moi j'ai toujours voulu associer la pratique à l'étude. (…) L'US : Votre compagnie veut aussi « développer l'art de la diffusion sur l'art. Qu'est-ce que cela signifie ?

588 Voir texte de Claude Gudin en annexe. 589 « La Philosophie du XIème Festival Estival d’Uzeste Musical », « Synopsis du XIème Festival Estival d’Uzeste Musical » dans « Originaux ». 590 Ibid.

201 B. L. : Qu'il faut bien comprendre que l'art c'est pour tous, s'adresser à la population, pas seulement au public. Je ne supporte pas qu'on donne de la merde à la population. Moi, qui suis de la population, je n'en mange pas. L'US : Mais justement, comment la population accueille-t-elle, en pleine lande, un festival comme le vôtre ? Il n'y a pas des frictions ? B. L. : Si, bien sûr. Uzeste, ça a posé tous les problèmes que les gens, tournés vers autrefois, n'avaient plus à se poser dans un pays mort. Mais il faut y aller. Vous ne convaincrez pas, vous vaincrez, a dit le poète. Moi je pense à détourner Intervilles, à jouer entre les vachettes. Si les gens y vont, comme au foot, c'est qu'il s'y passe quelque chose. Il faut agir sur la population pour qu'elle connaisse autre chose et sur les artistes pour qu'ils aient des rêves moins princiers. Il faudrait, c'est complètement mégalo !, créer des laboratoires géants dans les villages, les forêts, des sortes de villages Médicis ». Tout essayer pour ne pas devenir des suceurs de glace à la plage. C'est terrifiant ce que peut devenir la culture, ça me fait peur... »591

Le niveau d’exigence ne cesse donc pas pour autant et l’équipe UM/Cie voit toujours son action au futur, cherche toujours de nouveaux moyens de faire son travail de diffusion de l’art.

Encore quelques mots autour de cette édition 1990 avant de revenir aux projets de Théâtre de la Menuiserie et de Village Médicis, thématiques constantes et sous-jacentes.

Enthousiasmes et inspirations…

L’année 1990, plus encore que 1989 semble être celle du réveil de tous les enthousiasme, ainsi Francis Marmande publiant un entrefilet dans Le Monde, mais aussi Charles Silvestre, Claude Sicre592, voient leurs plumes et leurs projets hautement inspirés par le festival d’Uzeste. On sent comme un vent de libération (soulagement de la fin des difficulté, sentiment de légèreté et de début de tous les possibles) et de grand espoir parmi tous les fidèles du festival. Le petit entrefilet de Francis Marmande dans Le Monde, montre la verve engendrée par le festival. Ainsi qu’il l’a déjà été remarqué : le discours lubatuzestien est à la fois contagieux et inspirant.

« Le seul festival qui reste hors normes, excitant dès la lecture d'un programme sans souci et sans faiblesse. C'est Uzeste Musical. Ici, on ne «défend» pas vertueusement le jazz : on en joue, et on s'en joue. Ici, on ne se bat pas avec des histoires d'argent : on en claque. Ici, on ne pleure pas sur la mort du jazz, la déliquescence de la gauche et les impôts nouveaux : on ri et on boit. Pas de liste des invités, ils sont trop nombreux à avoir un vrai nom. / Au fait, comment fait Bernard Lubat, le maître d'oeuvre (un savant mélange de Monsieur Loyal, de Jérôme Savary, du senhor Oliveira et d'Albert Schweitzer), pour attirer les plus grands musiciens dans la cuisine de ses vieux parents ? Ce n'est pas le plus surprenant des mystères d'Uzeste... »593

De même pour Jazz Magazine, qui se fait par la même occasion porte-parole de ce festival qui retrouve sa visibilité et sa parole.

591 « Bernard Lubat, pour que le jazz cogne. Moussu Swing », L’US, 21 septembre 1990. 592 Notamment pour Claude Sicre, en témoigne la naissance du journal et du concept Linha Imaginòt en 1990. 593 Francis Marmande, « Uzeste by night », Le Monde, 16 Août 1990.

202 « La force d'Uzeste, c'est la revendication de l'utopie ; faire jouer ensemble, ou sur le même plan, tous ceux qui occupent le terrain et qui acceptent le jeu, abolir la notion de concert avec ce qu'elle comporte de respect des normes, des valeurs, des hiérarchies. La force d'Uzeste, c'est de savoir mettre en oeuvre le foutoir, après et avec réflexion, - « politique, métaphysique et psychopathique » - foutoir d'où surgissent des instants de beauté fugaces, fragiles, non reproductibles Jean-Louis Chautemps et Jacque Di Donato dialoguant comme s'ils se redécouvraient, Michel Portal se (re)mettant en cause avec Trilok Gurtu et Lubat, Louis Sclavis avec sa formation se confrontant une fois encore - puisque l'occasion ne lui en est pas donnée si sauvent – à cinq clarinettes bretonnes et une vielle à roue, instrument rébarbatif qu'on croirait avoir été inventé par et pour Valentin Clastrier. Et puis Benat Achiary, fabuleux inventeur de chants sublimes en toutes circonstances pourvu qu'elles soient amicales. Et puis François Verly et Han Bennink, batteurs de sons à tous révélés (et peut-être à eux-mêmes aussi) par l'étendue de leur savoir quand des inepties fréquemment proférées voulaient les limiter à un genre au à un style Et puis tous ceux-là mélangés et quelques autres avec - Los Pinhadas, André Minvielle, Marc Perrone, Juan-José Mosalini... - pour le plus bel orchestre de bal du monde. Parafes à suivre du Lubat : « Le bal est un potentiel fondamental de haute nécessité et de profonde efficacité. J'y retrouve un chantier fantastique d'apprentissage permanent. Comme me disait Chautemps qui m'avait traité de « Conquistador du non-savoir », je découvre essentiellement dans le bal que je ne sais pas grand chose »594

Mais après l’été, la saison recommence, et la Cie agit. On a parlé du concert pour Mandela à la fête de l’Humanité, de la « Neìt de la Paloma à Uzeste ». La Cie continue aussi de s’adresser aux pouvoirs publics pour un projet qui lui est cher vers la réalisation duquel elle est toute tendue.

Reprise des projets de la Menuiserie et du Village Lacustre

Au mois de novembre 1990, cinq mois après la signature de la convention triennale de fonctionnement, l’équipe UM/Cie se retourne vers les projets qu’elle avait élaborés durant les années 1987-1988. Mis un temps entre parenthèse pour cause d’activités intensives, ils ressurgissent dans toute l’urgence et la nécessité fondamentale pour l’équipe UM/Cie d’avoir enfin un vrai lieu de travail : un laboratoire de recherche, un lieu de création et de diffusion.

« Les pouvoirs publics reconnaissent dans l’itinéraire de Bernard Lubat et de sa Cie une démarche unique et riche (…). Mais ce qui sous-tend cette Convention c’est la nécessité de créer un lieu, siège du festival et base de l’action multiforme de la Cie, espace de travail et d’expérience, ouverture sur le monde et la rencontre. La Convention est la première pierre d’un important édifice consacré à de nouvelles pratiques culturelles. Ce qui n’est pas dit mais se laisse concevoir derrière les principes de la Convention c’est l’évident cheminement de la pérennisation de l’action de la Cie Lubat. C’est l’aveu d’une institutionnalisation de son projet rural sur ce territoire précis, qui est le sien : Uzeste. » 595

La compagnie, sous le titre « Une difficile mise en œuvre », déplore « l’absence de lieu structuré pour élaborer son travail » soulignant que « malgré l’appui des pouvoirs publics (Convention), la Compagnie se trouve dans une indigence rare pour mener à bien ces entreprises multiples et audacieuses ».

594 Jazz Magazine, décembre 1990. 595 « Demande de subvention d’investissement pour la réhabilitation et l’aménagement de bâtiments à usage de bureaux et de local de répétition. Première tranche d’un projet culturel situé sur la commune d’Uzeste (Gironde). Festival d’Uzeste Musical – Compagnie Lubat. (Novembre 1990) », Brochure dans « Archives de la Cie Lubat … ».

203 « L’impossibilité de répéter dans les conditions de la représentation sont des obstacles importants pour avancer dans [la] recherche. Limitée techniquement par un manque de moyens (sonorisation, éclairage), contrainte de changer son espace de travail de salles de fêtes en salle communales sans jamais pouvoir s’y installer, la Compagnie voit son énergie se dépenser dans la contingence matérielle malgré l’ampleur et l’ambition du propos. De même dans la préparation du Festival la Compagnie est démunie par un cruel manque de moyens et de locaux adéquats. Travaillant comme une véritable compagnie de théâtre, en charge d’un des plus important festival de la région, la compagnie Lubat, malgré l’apport fondamental de la Convention, se voit obligé à un bricolage sans fin dans la réalisation de ses créations. » 596

Avec ce dossier, nous pouvons voir la dernière mouture, toujours plus argumentée et rationalisée, du discours lubat-uzestien. Le projet y est toujours décrit en premier lieu dans son action sur le terrain et dans l’ouverture qui se développe depuis cet « épicentre » :

« A Uzeste (…) lieu de naissance de Bernard Lubat, épicentre de l’action de la Compagnie (…) sont testés tous les concepts de la Cie. Uzeste est une sorte d’université de la création, passage obligé dans la présentation publique du travail au quotidien. Uzeste où a pu s’élaborer le concept d’ « Art de la diffusion de l’Art » montre qu’un lieu « habité » porte en lui les moments de magie que le spectacle exige. (…) La Cie a noué avec le village des relations profondes et continues, n’hésitant pas à faire appel à la vie associative locale pour monter des projets. D’un étrange retour à ses origines, Bernard Lubat a su prouver qu’il était porteur d’avenir, et que la désaffection agricole enregistrée par la commune n’était pas forcément une tragédie car la naissance d’une Cité des Artistes pourrait en faire une capitale culturelle originale. » 597

Sont ensuite présentées les activités de la Compagnie s’exerçant « sur des plans différents, mais reliés entre eux dans la même quête d’une expression contemporaine mêlant Tradition et Modernité ». Ses Chantiers sont organisés en quatre sous ensembles. En premier lieu viennent les Favellas Gasconnes, « Bandas Ecole Musicale du Rythme (Swing Base), formation de formateurs », rappelant et montrant l’importance accordée au volet pédagogique du projet Uzeste Musical. Tous les satellites présentés en 1989, sous le projet de formation de formateurs (SOS danse Orchestra, la Choral Barbaroc, le Polyrythmic Choral Rap Expérience, le Duophonic Scat Rap Système, la Pratic’comédie de la vie, la Comedia’rtifice, l’Orphéon critique, Tambouroundioun Biband band) sont ici classés et regroupés en un ensemble sous le titre Favellas Gasconnes.

Deuxième chantier la Comedia del’Jazz (« Le travail de base de la Compagnie préparant à l’élaboration de l’Opéra. Théâtralisation de la musique, nécessité de la parole, jeu sur le langage, improvisation, singularité de la compagnie ». Prévue en Tournée Girondine dans les petits lieux (café, salle des fêtes,…) et en répétitions publiques.)

Troisième chantier : le Festival d’Uzeste Musical : « le XIIème en 1991, itinérant sur huit jours de Luxey (Landes) à Uzeste (Gironde, Haute Lande Girondine). Mélangeant sport, écologie, histoire, nature et pratiques culturelles, c’est une préfiguration de la Cité Lacustre ».

596 Ibid. 597 Ibid.

204 Quatrième chantier : un Opéra Gascon (œuvre contemporaine de musique vivante, musique de Bernard Lubat et livret de Bernard Manciet) projeté dès la rencontre en 1985 avec Bernard Manciet.

Projet phare depuis 1987 on retrouve alors la Cité Lacustre, « cité accueillant les artistes et les penseurs du monde entier, prolongement de sa démarche si singulière [celle de Bernard Lubat] constatant qu’Uzeste fait naître des rencontres rares et des moments privilégiés » ; dernière étape pour faire d’Uzeste une Capitale Communale, « capitale culturelle originale ».

« Uzeste « Villa(ge) Medicis », cité lacustre sur un Lac Artificiel vouée à l’accueil d’artistes, chercheurs, scientifiques, penseurs. Cité d’Artistes à Résidence. Mais aussi site pour le tourisme culturel avec ateliers artistiques, stages, débats, conférences, formation de formateurs… dans lesquels se retrouveraient étudiants, comités d’entreprises… Création de Camping/parking écologique, village de bungalows… » 598

Le projet de Villa(ge) Médicis n’intervient cependant qu’en phase finale d’un développement prévu en plusieurs étapes et une « progression des investissements ».

En premier lieu, l’urgence des besoins exigeant de premières mises en oeuvre rapides, sont prévues la réhabilitation de l’ancienne Menuiserie d’Uzeste en Studio/Atelier destiné aux répétitions et aux formations de formateurs, ainsi que l’installation d’une petite structure audiovisuelle et de matériel de sonorisation et d’éclairage pour la Compagnie Lubat. La Menuiserie revient, par rapport au projet de Théâtre Laboratoire, au rang de simple lieu de travail. L’équipe UM/Cie, dans une logique de progression des investissements, limite sa demande à cette première tranche. L’horizon reste toutefois le projet d’ensemble pour lequel est soulignée la nécessité d’un partenariat avec la mairie. On voit ici encore à quel point la nouvelle municipalité permet au projet Uzeste Musical de prendre un nouvel essor, en participant au projet et en facilitant les contacts avec les pouvoirs publics. Notons qu’il est fait appel à ceux mêmes qui ont signé la convention triennale avec la SCOPA Cie Lubat.

« Le cadre de cette union restant à trouver, l’urgence de la situation demande l’élaboration d’un premier plan de financement prévisionnel. Une rapide évaluation de la première tranche peut s’établir comme suit : -Achat d’un local dans le centre d’Uzeste. Bureau de la Compagnie et du Festival Estival, Hébergement, Ateliers, Entretien. : 400 000 F -Réhabilitation de la Menuiserie à usage de lieu de répétition/ Stockage/ Local technique. Ateliers de fabrication de décors, costumes. : 500 000 F Total : 900 000 F.

Répartition de l’engagement des pouvoirs publics : Département de la Gironde 35% 315 000 F Département des Landes 5% 45 000 F Conseil régional 15% 135 000 F Etat (DRAC) 35% 315 000 F

598 Ibid.

205 Auto financement Cie et mairie d’Uzeste 10% 90 000 F Total 100% 900 000 F » 599

Après ces premières aménagements d’urgence, l’équipe UM/Cie projette la fondation d’un « Centre de Recherche Et de Diffusion Artistique Contemporaine de Gascogne: le CREDAC de Gascogne ».

« Centre consacré à la musique vivante, au métissage musical, à la confrontation de l’expérience, à l’échange, au témoignage, cultivant l’expression artistique vivante, enregistrant les moments uniques issus de rencontres multiples à travers la création d’un Label de Production. Centre ouvert sur toutes les formes artistiques contemporaines vivantes, travaux interdisciplinaires, créations de nouveaux concepts liés aux spectacles (Art de la diffusion de l’Art). » 600

Ce projet passe à une étape supérieure par rapport au projet de Théâtre laboratoire de la Menuiserie de 1989 en ambitionnant la création d’un Opéra Rural.

« Le Centre se concrétise par la création d’une salle de spectacle/studio adaptée à toutes les formes d’expression artistiques vivantes, l’Opéra Rural d’Uzeste, monument érigé en milieu rural, siège du Festival. (…) Le FUM toute l’année dans une salle intégrant la technologie nécessaire à toutes les aventures artistiques. Une conception étudiée pour s’ouvrir sur la forêt (faune et flore). L’événement culturel immergé dans l’âpreté du monde naturel. Un Monument dans l’univers rural, surgissant de la terre, un Temple du vivant ouvert sur le vivant. » 601

La dernière étape du projet préoit de faire d’Uzeste un « Villa(ge) Médicis », « cité d’artistes, terre d’accueil pour les créateurs du monde entier » avec le creusement du Lac artificiel et la fondation de la cité Lacustre, lieu de rencontres internationales.

« Mais aussi développement du concept de tourisme culturel avec l’accueil des collectivités locales, comités d’entreprises, associations… Ateliers de formation, conférences, débats, entretiens. La revitalisation de la Haute Lande Girondine à travers cette projection. » 602

« Mais c’est le public qui donne à ce travail son sens et sa réalité. Devant le public où se noue un drame unique et précieux, ou s’élaborent des moments d’une rare intensité, la Compagnie trouve sa véritable dimension. C’est sa pratique d’un public actif qui lui confère son originalité

599 « Plan de financement (prévisionnel) », « Demande de subvention d’investissement pour le CREDAC (Centre de Recherche Et de Diffusion Artistique Contemporaine)(nom provisoire). Première tranche. Festival d’Uzeste Musical – Compagnie Lubat. (Novembre 1990) » dans « Archives de la Cie Lubat… ». 600 « Demande de subvention d’investissement pour la réhabilitation et l’aménagement de bâtiments à usage de bureaux et de local de répétition. Première tranche d’un projet culturel situé sur la commune d’Uzeste (Gironde). Festival d’Uzeste Musical – Compagnie Lubat. (Novembre 1990) » Brochure, dans « Archives de la Cie Lubat … » 601 Ibid. 602 Ibid

206 et fournit la matière de son développement. L’invention du festival trouve tout son sens dans cet échange spécifique avec le public (« Elitaire pour tous »). » 603

603 Ibid

207 CONCLUSION

Ainsi s’achève brutalement en 1990 ce récit. La rupture est d’autant plus brutale que l’on voit alors tous les progrès de l’ensemble construit autour du festival et que les conditions sont enfin réunies pour la pleine réalisation de cette aventure artistique, plus explicitement encore inscrite dans le territoire. L’idiome lubat-uzestien, emprunte d’ailleurs plus largement à la métaphore agricole après 1990 et les « artistes artisans oeuvriers » se définissent cultivateurs pratiquant la « cultivature » selon le rythme des quatre saisons.

Depuis sa première édition le rapport du festival avec le territoire est bien celui d’une expansion. Dans le cadre de son projet d’animation culturelle locale l’équipe UM/Cie réinvestit des lieux (chargés d’histoire ou non) pour les éclairer d’un regard nouveau, proposer une relecture, une exploration de leurs possibilités. Prévu en 1990, le festival itinérant des Translandes girondingues constitue sans doute un point des plus aboutis de cette relecture du territoire (ou du « terroir » l’expression fait son apparition alors dans l’idiome lubatien) conçu dans ses multiples dimensions comme « carrefour spatial intemporel géographique, historique, philosophique, physiologique, artistique, anthropologique, ethnographique, sociologique, psychologique, avec un rayonnement maximum conjugué, communal, cantonal, régional, national, international »604. Ce réel investissement et cette volonté d’ancrage dans le territoire est perceptible et visible à travers toute l’action de l’équipe UM/Cie, depuis la création du cinéma François Mauriac jusqu’aux projets de fondation d’un laboratoire de recherches artistiques fondamentales et d’un Villa(ge) Médicis. Pour ne citer que quelques exemples les plus forts de cet investissement, rappelons l’engagement de Bernard Lubat dans la liste communiste aux élections régionales de 1986, la « conquête » de la municipalité d’Uzeste en 1989 et la naissance, en 1990 à Luxey, voisine landaise, d’un « Premier Festival de musique et spectacle de rue ».

Sans doute la relation qu’entretient Uzeste Musical avec le territoire n’est pas sans lien avec la politique. Signe de ce lien, le discours du festival se développe en écho avec celui des politiques régionales telles que l’Eté Girondin, sur les thèmes du tourisme et de la culture. Que le festival revendique comme siennes (mais toujours selon ses modalités, originales) ces problématiques montre bien qu’il entre dans ce domaine sinon en concurrence avec les pouvoirs publics, du moins qu’il entend s’y exprimer, et se faire interlocuteur. C’est bien là le sens que donne l’équipe UM/Cie à la Convention triennale qu’elle signe en juillet 1990.

Le territoire c’est aussi un territoire en lutte, la Gascogne, partie de l’occitanie. Un territoire et une langue qui luttent contre la désertification, l’abandon, l’oubli. La lutte se situe pour Uzeste Musical sur le terrain de la survie pour pouvoir continuer à proposer son regard et ses pratiques d’ « expression artistique vivante contemporaine », ses recherche en création « pluri (in)disciplinaire et non-étanches » et en « art de la diffusion de l’art ». Son territoire s’agrandit alors hors des frontières cantonales régionales ou nationales : Uzeste Musical s’exporte, transporte ses problématiques, et se transplante en de nombreux lieux. Se tisse ainsi, à travers ces sorties et les invitations en retour un réseau d’artistes et une « communauté

604 Brochure « Cie Lubat de Gascogne. Uzeste. Gironde. France. « L’artiste n’invente pas sa création, il la découvre » (A. Malraux) » in classeur « originaux », dans chapitre V, B°, 3/ : « conceptualiser l’idiome d’Uzeste ».

208 du festival ». Ces relations, développées de manière plus continue avec d’autres pôles, tissent là un second réseau. Toujours, ces relations se font sur la base de l’échange et de la confrontation, autour d’une dynamique de création artistique, discursive et conceptuelle, partagée entre l’équipe UM/Cie, les intervenants et les influences passées convoquées, influences musiciennes, plastiques, littéraires et « poético-philosophiques vivaces »605 ; conduisant des « travaux sur les relations interactives entre le Primitif et le Savant – la Tradition et la Modernité – la Mémoire et l’Improvisation » ; creusant et approfondissant ses pratiques et ses concepts pour élaborer une « politique culturelle résolument novatrice ». Et on retrouve là encore la relation de l’Art et de la Politique. Nouveau concept phare de l’idiome lubatien : on parle aujourd’hui à Uzeste de « poïelitique ».

1990 avions nous dit semble être un réel nouveau départ. Un rapide coup d’œil dans les archives des années 1991 et 1992 m’a laissé entrevoir un grand enthousiasme parmi les invités et co-théorisateurs du festival, dont la plume se trouve très inspirée par Uzeste. Ainsi, au lendemain de l’édition du festival estival 1991, Felix Marcel Castan, envoie à Bernard Lubat un long texte (inédit) intitulé Manifeste d’Uzeste. Il en est de même pour Charles Silvestre ou Claude Sicre qui vient de créer la Linha Imaginot laisse lui aussi sous sa plume des traces de son enthousiasme et de sa contribution à la théorisation.

En effet semble commencer un âge d’or de la Cie Lubat, mais, me trouvant dans la situation paradoxale d’avoir une connaissance approfondie sur une période donnée, au delà de laquelle je suis presque entièrement ignorant, je me trouve en difficulté pour décrire la période postérieure à 1990. Je ne peux donc qu’évoquer approximativement les développement ultérieurs du projet Uzeste Musical ; ouïe dires, fumets odorant pour ouvrir l'appétit pour un futur festin d’historien.

Après la signature de la Convention la créativité et l’activité artistique de la Cie Lubat de Gasconha prennent (dans la continuité de 1989 et 1990) tout leur essor. En 1991 se réalise le festival itinérant intitulé les Translandes-girondingues, avec des créations d’envergure telles que Y’a le feu sacré au lac. Naîtrons alors les quatre saisons d’Uzeste (Printemps, été, automne, hiver) avec la « Rénovation du légendaire Café l’Estaminet », qui obtiendra le label « Café Concert » de la DRAC. Naîtra aussi en 1995, dans la continuité des projets de Cité Lacustre et d’Opéra Rural, un projet d’envergure de « scène nationale en milieu rural » et le disque Scatrapjazzcogne, publié en 1994 fut une des meilleure vente de disque en jazz français. Le disque Canto, d’André Minvielle a lui aussi connu un grand succès (Editions du Tilleul/Labeluz, 1998, distribué par Harmonia Mundi) et la « nébuleuse uzestoise » s’est constamment enrichie de nouvelles structures, telles la plus récente, déjà évoquée, Maison de la Mémoire en Marche en juin 2004.

La longue collaboration entre la musique de la Cie Lubat et les mots de Bernard Manciet (mort en juin 2005), a donné lieu à la publication en 2001, (Manciet Lubat Poïésique, Editions du Tilleul/Labeluz, 2001) d’un ouvrage, texte et musique avec les poèmes de Bernard Manciet en gascon et en français (traduits par l’auteur), et deux CD des enregistrements de spectacles de la Cie Lubat/Bernard Manciet. Les conférences de Felix- Marcel Castan (mort en 2001), dont nous avons évoqué le Manifeste d’Uzeste, ont représenté un apport théorique majeur dans la suite du développement de la réflexion lubat-uzestienne (sur l’anti-centralisme et l’anti-régionalisme, Uzeste Capitale Communale…) : une de ses

605 Dans classeur « originaux », (dans chapitre V-B°)-3/ « Conceptualiser l’idiome d’Uzeste »)

209 conférences a été remixée et éditée aussi par les soins d’Uzeste Musical. Là encore, on retrouve la parole donnée, la diffusion, la recherche et la création, tant artistiques qu’intellectuelles, intimement liées.

Le rapport à l’histoire et à la mémoire est une question à Uzeste, comme le laissent entendre les Assises de la Mémoire en Marche qui ont débouché sur la création de la Maison de la Mémoire en Marche en juin 2004. Les projets d’études historiques sont donc très favorablement accueillis. Le plus gros travail en perspective est celui sur les archives, il y a là un vaste chantier à ouvrir. L’équipe actuelle du festival est fort intéressée par la mise en oeuvre d’un projet d’envergure sur ses archives, souhaitant même trouver un cadre de conventionnement pour le développer. Outre les nombreuses archives papier, il y a, nous l’avons évoqué, des archives iconographiques, audiovisuelles et sonores. Les archives iconographiques (notamment de nombreuses planches photo) ont été rassemblées à la MMM mais n’ont pas encore été entièrement classées et identifiées. Les archives audiovisuelles (il y en a beaucoup, sur presque chaque édition du festival ainsi que sur de nombreuses autres manifestations) ont en grande partie été conservées mais dans des conditions peu adaptées à la conservation de tels matériaux. Elle sont donc dans un état très incertain et les supports audio- visuels ayant beaucoup et de nombreuses fois changé, leur visionnage même est difficile. L’équipe actuelle du Festival a entrepris là aussi un sauvetage de ces archives en collaboration avec « les Artistes Associés » qui les transfèrent sur support numérique. Les archives sonores, enregistrements de concerts du festival , sont rassemblées dans le studio de la Menuiserie et font actuellement l’objet d’une numérisation progressive. Un autre corpus d’archives sonores, très vaste, se compose des données enregistrées (après 1990) par Radio Uz/Fréquences Ephémères, radio conduite par Antoine Chao. Sont collectés et utilisés comme matériau de retransmission débats, concerts et autres manifestations du festival. La publication sonore de la conférence de Felix Marcel Castan provient d’une telle collecte. Celles-ci sont donc des archives sonores déjà constituées, et encore utilisées. En regard de l’importance d’un tel chantier , cette étude ne constitue qu’une première étape, un premier défrichement…

Laboratoire de recherche Uzeste l’est toujours. Actuellement et de manière régulière, sont développées à l’Estaminet des rencontres entre l’électronique et l’homme autour du thème de l’improvisation, recherche dirigée par des ingénieurs de l’IRCAM (rappelons ici qu’en 1977 déjà, la Cie Lubat avait travaillé avec l’IRCAM lors d’une semaine sur l’improvisation). Bernard Lubat est toujours un artiste controversé, nommé grand prix de la SACEM en 2005, il continue à avoir des difficulté pour organiser son festival. La mise en récit de l’ histoire lubat-uzestienne, si elle a déjà été faite une première fois avec le livre Les Soleils de Bernard Lubat de Christian Laborde, semble actuellement l’objet d’un nouveau travail, celui d’un conteur, René Martinez, ami et invité régulier du festival et de L’Estaminet…

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