Volume ! La revue des musiques populaires

9 : 1 | 2012 Contre-cultures n°1 Théorie & Scènes Countercultures: Theory & Scenes

Sheila Whiteley (dir.)

Édition électronique URL : http://journals.openedition.org/volume/2932 DOI : 10.4000/volume.2932 ISSN : 1950-568X

Édition imprimée Date de publication : 15 septembre 2012 ISBN : 978-2-913169-32-6 ISSN : 1634-5495

Référence électronique Sheila Whiteley (dir.), Volume !, 9 : 1 | 2012, « Contre-cultures n°1 » [En ligne], mis en ligne le 15 juin 2014, consulté le 10 décembre 2020. URL : http://journals.openedition.org/volume/2932 ; DOI : https://doi.org/10.4000/volume.2932

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L'auteur & les Éd. Mélanie Seteun 1

À l’occasion de ce premier numéro de Volume ! dédié aux contre-cultures, nous abordons des questions de définition, avec l’article inaugural d’Andy Bennett, puis théoriques, avec ceux de Ryan Moore sur le rapport entre les musiques de la contre- culture et la modernité, puis de Simon Warner, qui examine l’esthétique "trash" d’Andy Warhol. La seconde partie se plonge dans les scènes contre-culturelles en Italie, avec l’article de Giovanni Vacca sur la contre-culture dans la chanson napolitaine, puis trois articles sur le punk, avec le mouvement des punks musulmans "Taqwacores" (Aline Macke), le Do It Yourself (Fabien Hein) et les skinheads (Gildas Lescop), avant de conclure ce premier volet avec l’article de Philippe Birgy sur l’adaptation française de la contre-culture.

With this first of our "countercultures" dossier, we start with Andy Bennett’s introduction which examines the definition of the concept, before getting into theoretical questions, with Ryan Moore’s article on the relationship between the music of the 1960s counterculture and modernism, and Simon Warner’s articles on Andy Warhol’s "trash" aesthetic. The second part deals with countercultural scenes in Italy, with Giovanni Vacca’s paper on the Neapolitan song, then three articles on the punk movement, with the Taqwacores Muslim punks (Aline Macke), Do It Yourself production ethics (Fabien Hein) and skinheads (Gildas Lescop). We then conclude with Philippe Birgy account of how local pop adapted the counterculture to the French context.

NOTE DE LA RÉDACTION

La version anglaise, avec des articles inédits, de ces deux numéros Countercultures and Popular Music, a été publiée par Ashgate en juin 2014. Tous les articles anglais, traduits ou non dans cet ouvrage, sont désormais disponibles sur ce site.

The English version of both issues, Countercultures and Popular Music, was published by Ashgate in June 2014, with additional papers. All papers are now online here.

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SOMMAIRE

Contre-cultures : théorie & scènes

Introduction

Contre-cultures : Musiques, Théorie et Scènes Sheila Whiteley

Countercultures: Music, Theory and Scenes Sheila Whiteley

Pour une réévaluation du concept de contre-culture Andy Bennett

Reappraising « Counterculture » Andy Bennett

Théorie

« Break on Through » : Contre-culture, musique et modernité dans les années 1960 Ryan Moore

“Break on Through”: Counterculture, Music and Modernity in the 1960s Ryan Moore

La Banalité de la dégradation : Andy Warhol, le Velvet Underground et l’esthétique trash Simon Warner

The Banality of Degradation : Andy Warhol, the Velvet Underground and the trash aesthetic Simon Warner

Were British Subcultures the Beginnings of Multitude? Charles Mueller

Scènes

Musique et contre-cultures en Italie : la scène napolitaine Giovanni Vacca

Music and Countercultures in Italy: the Neapolitan Scene Giovanni Vacca

Les Taqwacores : émergence d’une contre-subculture américano-musulmane Aline Macke

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Le DIY comme dynamique contre-culturelle ? L’exemple de la scène Fabien Hein

Skinheads : du reggae au Rock Against Communism Gildas Lescop

« Si cette histoire vous amuse, on peut la recommencer » Le yéyé et l’importation de la contre-culture américaine Philippe Birgy

Countercultural Space Does Not Persist: Christiania, and the Role of Music Þorbjörg Daphne Hall

Auditory traces of subcultural practices in 1960s Berlin. A border-crossing soundscape of Pop Heiner Stahl

Notes de lecture du dossier

Andy Bennett (ed.), Remembering Woodstock Ian Inglis

Claude Chastagner, Révoltes et utopies. Militantisme et contre-culture dans l’Amérique des années soixante Michaël Rolland

Barbara Lebrun, Protest Music in France. Production, Identity and Audiences Elsa Grassy

Ian Peddie (ed.), Popular Music and Human Rights I & II Hazel Marsh

Keith Negus, Bob Dylan Richard Elliott

Russell Reising (ed.), “Speak to Me”: The Legacy of Pink Floyd’s. The Dark Side of the Moon Patrick Burke

Kevin Fellezs, Birds of Fire : Jazz, Rock, Funk and the Creation of Fusion Peter Mills

Varia

« Make-Believe Ballroom Times » : de l’influence du DJing sur les modes d’interprétation et de composition des musiques populaires anglo-américaines Olivier Julien

Compte-rendu

Séminaire d’histoire sociale du rock Stéphane Escoubet et Yannig le Moullec

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Notes de lecture hors-dossier

Talia BACHIR-LOOPUYT, Clément CANONNE, Pierre SAINT-GERMIER, Barbara TURQUIER (dir.), « Improviser. De l’art à l’action », Tracés, Revue de sciences humaines Jean-Louis Fabiani

Fréderic Martel, Mainstream. Enquête sur cette culture qui plaît à tout le monde Raphaël Nowak

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Contre-cultures : théorie & scènes Countercultures: theory & scenes

NOTE DE L’ÉDITEUR

Une version anglaise de ces deux numéros consacrés aux contre-cultures, avec des articles inédits, sera publiée en 2013 par Sheila Whiteley et Jedediah Sklower, aux éditions Ashgate.

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Contre-cultures : théorie & scènes

Introduction

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Contre-cultures : Musiques, Théorie et Scènes

Sheila Whiteley Traduction : Gérôme Guibert

Je voudrais remercier mon co-directeur Jedediah Sklower pour son soutien et son enthousiasme tout au long de l’élaboration de ce projet « musiques populaires et contre-cultures ». Ce qui aurait pu être une tâche laborieuse fut de ce fait une exploration joyeuse de l’histoire et des différentes manifestations des contre-cultures.

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1 NOTRE PREMIER DOSSIER « contre-cultures et musiques populaires » offre au lecteur l’occasion d’explorer l’histoire de la notion de contre-culture et de comprendre comment elle a été théorisée dans le champ des études sur la musique. Il fournit également un éclairage sur la manière dont elle a émergé et a pris, internationalement, place au sein de scènes musicales qui ont posé des défis aux cultures dominantes. En décembre 2012, le second dossier à paraitre dans Volume ! « Utopies et expérimentations », explorera les utopies et les dystopies ainsi que les anarchies sonores et la question des freaks. Il se concentrera sur la manière dont la contre-culture des années 1960 a pu embrasser à la fois un cadre idéaliste de référence et une revendication de liberté et de bohème beat et hip, qui a pu dévier en bacchanales de viols et de meurtres. Comme Simon Frith l’a pertinemment observé, « le rock ne peut pas simplement être consommé mais doit évoluer, comme n’importe quelle autre forme d’art – ces tensions et contradictions étant liées à l’expérience de l’auditeur et réinterprétées par cette expérience » (Frith, 1977). D’autres écrits concernant les contre-cultures et musiques populaires seront simultanément publiés en 2013 en anglais sous la forme d’un livre par Ashgate, en collaboration avec Volume !, confirmant le caractère significatif de la notion de contre-culture en tant que moment décisif dans l’histoire continue des musiques populaires. Comme Andy Bennett l’écrit dans son article introductif, « », alors que « la nature profondément diverse et hétérogène des individus comme des idéologies sociopolitiques et culturelles » a été énormément explorée en relation aux « subcultures » (p. 24), il y a eu en revanche beaucoup moins de recherches concernant la contre-culture, qui est donc restée un concept problématique. Ce qui émerge de la vingtaine d’articles qui apparaissent dans les trois publications « contre-cultures et musiques populaires », c’est le manque de précision du terme. La contre-culture est « quelque chose de suffisamment fluide pour pouvoir incorporer différents groupements et, par conséquent, se manifester différemment à des moments et dans des lieux particuliers, en fonction des circonstances socio- économiques, culturelles et démographiques locales » (p. 25). Alors que le manque d’attention spécifique porté sur la contre-culture des années 1960 justifie en lui-même ce travail, il apparait aussi que certaines questions restent encore aujourd’hui en suspens, notamment en ce qui concerne la diversité démographique et politique du mouvement, « au sein d’un cadre unifiant la variété des contre-cultures » (Roszak, 1970 : 66). Comme je l’ai écrit dans The Space Between the Notes, il existait à la fin des années 1960 aux États-Unis une tension sous-jacente constitutive entre l’activisme des étudiants de la nouvelle gauche et la bohème « fuck the system » des hippies et yippies. À un niveau plus profond toutefois, ces deux extrêmes se rejoignaient dans leur attaque des institutions traditionnelles à l’origine de la reproduction des relations de domination idéologico-culturelles (famille, éducation, media, mariage et division sexuelle du travail). Le mouvement partageait « une emphase dans le questionnement et l’expérimentation de la liberté, un attachement à l’épanouissement personnel, ainsi qu’une intense introspection individuelle » (Whiteley, 1992 : 23), que ces éléments soient pathologiquement envahissants ou qu’ils expriment une expressivité créative. Comme Theodor Roszak l’observait à l’époque, « la bohème beat et hip est sans doute

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trop rétive à l’action sociale pour convenir aux militants de la gauche radicale. Mais les activistes peuvent aisément comprendre ce genre de repli » (1970 : 66).

2 En passant en revue mes recherches sur le rock et la contre-culture (Whiteley, 2013), il apparait que le chaos et l’incertitude, alliés à l’impact du bruit (sons inharmoniques, distorsion, dissonance, et les connotations associées à la discordance), pouvaient être interprétés comme étant à la base d’une action révolutionnaire annonçant un état d’anarchie créative1, qui se distingue sans doute des connotations plus légères de thèmes tels que « All You Need is Love », et le pacifisme implicite des slogans tels que « Faites l’amour, pas la guerre2 ». Si, cependant, Roszak identifiait à juste titre la bohème beat et hip à un effort de mise au point d’un mode de vie et d’une manière d’être découlant de la critique sociale de la Nouvelle Gauche (1970 : 66), alors la formation de communautés contre-culturelles, comme les groupes communautaires qui émergèrent par exemple à Naples (cf. infra), peuvent apparaitre comme un développement logique en « fournissant un espace particulier pour l’affirmation d’une identité personnelle » (Whiteley, 2000 : 23). La discordance et le « bruitisme » extrême et sombre de groupes tels que les Grateful Dead, Captain Beefheart, Jimi Hendrix et les MC5 apparaitraient alors comme la première étape du programme de la contre-culture, en établissant un mode de vie alternatif et pertinent3. Comme l’a observé Jeff Nuttall, deux des objectifs de l’Underground4 furent : • « de déclencher des forces au sein de la culture dominante afin de provoquer la dislocation de la société, de saper les fondements de la moralité, de la ponctualité, de la servilité et de la propriété ; • « et d’étendre les possibilités d’épanouissement de la conscience humaine au-delà des frontières déshumanisantes définies par le cadre politique et l’utilitarisme » (Nutall, 1970 : 249), une philosophie qui faisait alors écho à l’assimilation du rock à une arme politique par l’International Times5.

3 Mais l’histoire s’épuise-t-elle ainsi, et le concept de contre-culture est-il encore porteur de sens ? Des articles qui suivent, il ressort que « en dépit [des] critiques faites aux concepts de subculture et de contre-culture, la théorie sociale et culturelle a continué de les utiliser […] » de telle sorte qu’ils font désormais partie d’une « mémoire reçue et négociée » (Bennett, p. 28). Ce qui émerge des articles composant ces deux numéros de Volume ! dédiés aux contre-cultures, est que la notion englobe l’utopique mais aussi le dystopique et que, bien que des festivals comme ceux de Monterey et Woodstock y soient associés, le décès de personnalités aussi iconiques que Brian Jones, Jimi Hendrix, Jim Morrison ou Janis Joplin, le désordre nihiliste d’Altamont ou le spectre de Charlie Manson jettent un voile sombre sur la question, ce qui nous rappelle que les « problèmes pathologiques sont encore d’actualité ». (Bennett, p. 28).

Présentation des contributions

4 Nous avons le privilège de proposer un article introductif d’Andy Bennett. Ses recherches considérables et ses nombreuses publications sur les subcultures, la culture et le patrimoine culturel lui ont permis d’acquérir une réputation de leader académique international dans le champ des théories de la culture. « Pour une réévaluation du concept de contre-culture » revisite et réexamine les questions anciennes et actuelles liées aux idéologies anti-hégémoniques, les pratiques et les croyances, et comment le

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terme apparut à la fin des années 1960 fut redéployé ensuite en relation à d’autres phénomènes culturels et socio-politiques. Comme il l’explique, les récents développements en théorie sociologique complexifient et problématisent des théories conçues dans les années 1960, et les technologies numériques par exemple donnent un nouvel élan au décryptage de la notion de contre-culture. Ce qui est intriguant, c’est la manière dont les groupes et les mouvements contemporains utilisent la contre-culture comme référence, soulevant la question de savoir comment le terme est compris.

Théoriser les contre-cultures

5 De plusieurs manières, la première partie de ce dossier prolonge et développe une bonne partie des problématiques soulevées par Andy Bennett, fournissant un espace réflexif dans lequel envisager les diverses interprétations et enjeux du concept. En ouverture, l’article de Ryan Moore, « Break on Through : contre-culture, musique et modernité dans les années 1960 » étudie les médiations entre la musique et la modernité des sixties, concentrant son attention sur l’esprit d’innovation et de progrès, la célébration de la « jeunesse » incarnant un symbole d’espoir et de transformation. Partant des scènes fondatrices du free jazz et du folk du New York du début des années 1960 avec Ornette Coleman et Bob Dylan, Moore se tourne ensuite vers l’ouest pour prendre en considération les différentes tendances de la musique rock qui ont émergé de San Francisco et Los Angeles, « le berceau de la contre-culture et le point d’aboutissement de la modernisation américaine dans les années 1960 » (p. 39). Le LSD et l’ sont des « symboles de l’esprit de modernité et de ses ironies » (p. 40).

6 Simon Warner attire aussi l’attention sur l’importance de New York dans « La Banalité de la dégradation : Andy Warhol, le Velvet Underground et l’esthétique trash ». Comme il le soutient, Warhol fut au cœur de l’une des postures clés de la contre-culture de l’époque6. « En préférant la surface et le superficiel à la profondeur et la substance et en rejetant les motivations traditionnelles – justifications morales, conscience sociale ou ethos politique – l’artiste et ses disciples créèrent un univers esthétique cohérent qui s’écartait profondément autant du mainstream du milieu des années 1960 que de ceux qui le contestaient d’une manière plus conventionnelle. » (p. 54) De surcroit, l’introspection musicale provoquée par la consommation d’amphétamines du groupe en résidence à la Factory, The Velvet Underground, était en profond contraste avec « l’optimisme radieux qui se répandait depuis les sables de la Californie du Sud jusqu’aux jams psychédéliques de San Francisco en passant par les styles acidulés des dandys londoniens (p. 61), ils mélangeaient des éléments savants et populaires, leur étrangeté culturelle et l’art underground de l’époque. Des rythmes lourds, des drones répétitifs et des arrangements minimalistes accompagnaient des histoires de transgression venues des bas-fonds : usage et abus de drogues, déviance sexuelle et perversion, excitations et débordements du palais des délices » (p. 63). L’esthétique trash associée au Velvet Underground allait influencer des artistes aussi divers que le musicien Genesis P. Orridge et la photographe Cindy Sherman, et même des références beaucoup plus mainstream telles que Boy George, Rupaul ou k. d. lang voire les premières performances de David Bowie, Iggy Pop et Lou Reed où le camp, le travestissement, la diversité sexuelle, les ambiguïtés de genre et la violence étaient consciemment intégrées à leur stratégie artistique.

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Les scènes contre-culturelles – Musique et territoires

7 La musique a joué un rôle majeur dans la contre-culture en ouvrant un espace propice à l’articulation des communautés et en offrant en partage le sentiment d’une identité collective. Par ailleurs, le vertigineux mélange des genres a fourni une formidable toile de fond socio-politico-culturelle pour des pratiques et des innovations musicales qui, reliées à l’idéologie contre-culturelle, offraient un contexte expérimental riche. En son sein, différents groupes purent se définir par rapport aux dimensions à la fois locales et internationales du mouvement qui fournissaient ainsi un sentiment d’appartenance à un lieu de communauté et d’identité collective. Comme Richard Neville l’écrivit à l’époque : « De Berlin à Berkeley, de Zurich à Notting Hill, les membres du mouvement partagèrent une profonde solidarité, ils avaient en commun des aspirations, des inspirations, une stratégie, un style, une humeur, et un vocabulaire. Les cheveux longs étaient leur Déclaration d’Indépendance, la pop music leur esperanto et ils fumaient l’herbe avec leur calumet de la paix. » (1971 : 14).

8 L’identification de ce que Neville appelle « l’internationalisme spontané et intense » de la contre-culture est exploré dans l’article inaugural de Gionnavi Vacca « Musique et contre-culture en Italie : la scène napolitaine ». Il porte son attention sur les années 1960, une époque où les premières graines du rock’n’roll et de l’idéologie qui sous-tendaient la contre-culture pénétrèrent la culture italienne. C’était une période où les stars du rock anglais et américain commençaient à inclure l’Italie dans leurs tournées mondiales, et les groupes de rock italiens purent mieux définir leur identité politique lorsque le rock progressif supplanta le mouvement beat. Avec l’accélération des combats idéologiques dans les années 1970, une nouvelle culture politique radicale se développait. Nées en dehors du Parti communiste, des critiques furent adressées au « système » dans toutes ses articulations : famille, éducation, politique, travail, loisir. Dans ce contexte très chargé, le revival folk et la chanson politique portaient une nouvelle signification en tant que genre populaire, et les canzoni classiche napoletane furent recyclées et restructurées. Comme l’explique Vacca, la chanson, dans la tradition napolitaine, se développa à la fois « comme partie intégrante de l’identité d’une classe moyenne locale émergente » tout en étant « sans cesse reprise et revisitée par les classes populaires » (p. 74). La force de ces traditions était telle qu’il fallut « la violenter, la discréditer, la dépouiller de ses conventions afin de la soumettre à des possibilités expressives jusque-là inédites » (p. 72), pour lui permettre d’embrasser et de refléter les changements inhérents à l’agenda contre-culturel. La discussion détaillée opérée par Vacca à propos des groupes napolitains revitalisant les chansons traditionnelles par le truchement d’influences aussi diverses que le jazz, le rhythm’n’blues (The Showmen), le rock progressif et psychédélique (Osanna et Il Balletto di Bronzo) prend également en compte les paroles qui intègrent les deux pôles majeurs des contre-cultures italiennes : l’Inde d’abord, qui pour beaucoup de hippies italiens « représentait le mythe d’une civilisation alternative, tributaire d’une sagesse ancestrale désormais perdue dans le monde industrialisé » et l’usine, qui était « au centre de spéculations théoriques marxistes de la gauche radicale, née hors du giron du Parti Communiste » (p. 74). La ballade apocryphe de Sorrenti « Vorrei incontrati » (1972 : 8) présage ainsi la fin des années 1980, « la fragmentation des grandes usines et la relocalisation de la production dans des pays à main d’œuvre moins coûteuse entraînaient une montée du chômage et causaient la transformation de ce qui avait été les quartiers populaires en terrains vagues » (p. 78). La multiplication ultérieure de ces

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friches industrielles abandonnées en « Centres Sociaux Occupés et Autogérés » (p. 78) conduit à une nouvelle musique italienne regroupant rap, raggamuffin et reggae qui réexaminait la musique folk et de la chanson napolitaine. Comme le conclut Vacca, il fallut « trois décennies aux musiciens pour découvrir leur propre voie au sein de la chanson et de la musique populaire moderne et, par la même occasion, pour faire leur une tradition glorieuse » (p. 82), et aujourd’hui, la chanson napolitaine est devenu un genre plébiscité par une nouvelle génération d’interprètes.

9 Les deux articles suivants explorent la signification du punk comme contre-culture, et l’étude de Aline Macke « Les taqwacores : émergence d’une contre-subculture américano-musulmane ? » propose une entrée originale dans la culture DiY. Les attentats du 11 septembre 2001 et les interventions militaires américaines en Irak et en Afghanistan ont favorisé l’islamophobie, en stigmatisant les communautés musulmanes minoritaires aux États-Unis et au-delà. Ils ont joué un rôle considérable, provoquant la résurgence d’opinions politiques d’extrême-droite et les changements dans les conceptions des droits de l’homme, à la fois en Amérique et internationalement. Comme l’observe Macke, l’émergence des Taqwacores, qui combinent l’imagerie musulmane avec le punk DiY, a fourni une façon de revendiquer des idées d’identité et de tolérance religieuse par le biais de paroles de chansons ironiques et de prises de positions publiques controversées, et, de ce fait, en cohérence avec « les trois éléments fondamentaux du punk : une opposition au statu quo, un ethos DiY prononcé et un désir de désaliénation (résistance aux multiples formes d’aliénation dans la société moderne) » (Dunn, 2011 : 27). La réactivation du potentiel subversif punk via un contre- discours musulman a fourni une alternative aux musulmans qui rejetaient l’autorité traditionnelle (« Il n’y a pas de Sheikh, il n’y a pas d’Imam, il n’y a personne qui a une autorité plus grande que toi (Allah) en Islam », comme l’affirme Kominas, l’un des groupes du mouvement). Il semblerait alors qu’en se faisant une place au sein de la constellation punk globale, la scène taqwacore s’avère capable d’articuler un discours de tolérance et de dignité musulmane dans le cadre d’un schéma local de référence fondé sur des conditions socio-économiques régionales, au sein d’un contexte historique d’aliénation et d’hostilité liées à l’islamophobie.

10 La question « qu’est ce qui est contre-culturel ? » amène à se demander si les conflits sociaux et les luttes peuvent être cartographiés au sein de ces pratiques culturelles basées sur des formes particulières de loisir, de consommation, de styles de vie où des individus sont capables de se joindre en vue de la poursuite de buts spécifiques, de participer à une cause commune. Comme l’article de Fabien Hein, « Le DIY comme dynamique contre-culturelle ? L’exemple de la scène punk rock » le suggère, les définitions sont importantes. Si une contre-culture est interprétée comme « l’ensemble des mouvements de marginalisation ou de contestation formés au moment d’une extension et d’une accélération d’une croissance organisée autour des exigences des grandes organisations » (Touraine, 1998 : 204), alors les traits caractéristiques de l’authenticité, mais aussi la démystification du processus de production culturelle inhérent à l’éthique DiY du punk rock et à ses postures proactives constitueraient une contre-culture.

11 Convoquant les recherches de Laughey (2006) et Willis (1990), Hein interprète le DiY comme une forme de travail basée sur l’autoproduction et, comme tel, un terrain d’entrainement pour l’émancipation [empowerment]. Ceux qui sont impliqués apprenant de nouvelles compétences, organisant leurs propres structures, réseaux, labels, medias

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et tâches, et construisant ainsi une expérience qui transforme le réel et l’agent lui- même, ainsi qu’une économie alternative. Le punk constitue ainsi un champ structurant (expériences, valeurs, business, etc.) qui nourrit des projets individuels et collectifs et ainsi, peut se concevoir comme une pédagogie réflexive et émancipatrice et non pas seulement un moyen d’évacuer la pression ou de persister dans l’apathie. Le challenge relevé par Hein par rapport aux écrits d’Adorno et d’Horkheimer (1947) est étayé par une discussion sur le premier album DiY (le Spiral Scratch de The Buzzcocks) qui démontre la dimension proactive du punk dans son entrepreneuriat, selon un phénomène de marchés alternatifs culturels développés par les autodidactes que Bourdieu qualifie de « contre-culturels » (« le produit de l’effort des autodidactes […] pour s’affranchir des lois du marché scolaire […] en produisant un autre marché doté de ses propres instances de consécration, et capable de contester pratiquement […] la prétention de l’institution scolaire à imposer un marché des biens culturels parfaitement unifié » ; Bourdieu, 1979 : 106). C’est, pour chacun des acteurs, soulever la question de l’authenticité, entre autres pour des « icones » comme The Sex Pistols ou The Clash qui ont signé sur des majors, versus la crédibilité punk des membres de qui ont créé leur propre label, organisé leur propre distribution et vendu leurs disques à la moitié du prix de ceux des majors, partageant leur procédés avec des communautés alternatives. Alors que la question de la contre-culture versus les « contre-marchés » permet de jauger l’efficience pratique des dynamiques contre-culturelles, Hein soutient que le modèle de combat pragmatique (non idéologique) et de court terme (non structurel) de et de Dischord apporte un critère significatif pour évaluer l’aboutissement concret d’une contre-culture. Son succès dépend de trois dimensions : la transformation concrète de la vie quotidienne ; la réconciliation de la question de l’indépendance avec celle de l’engagement civique ; l’existence d’un modèle opérationnel. Ses conclusions : le DiY démontre ainsi qu’il est possible de développer un business culturel, dont le but est un marché de niche, sans abandonner les valeurs constitutives du punk et qui peut ainsi être considéré comme une contre-culture.

12 Les relations entre subculture et contre-culture sont explorées plus avant dans l’article de Gildas Lescop, « Skinheads : du reggae au Rock Against Communism » qui expose comment une subculture de la classe ouvrière des années 1960 au départ fascinée par la musique jamaïquaine fut ensuite, dans les années 1980, associée au suprémacisme des groupes néonazis. Le mouvement skinhead originel se radicalisait en s’émancipant des « mods ». Leur idéologie « transclasse », le dandysme et l’intérêt pour la musique psychédélique furent considérés par les « hard mods » contraires à leur propre culture et à leur origine sociale. Partageant leur territoire avec les immigrés jamaïcains dans les banlieues ouvrières, les skinheads développèrent un style syncrétique, combinant des éléments symboliques de la fierté du travailleur britannique avec la violence et la fascination pour le mythe du « rude boy » jamaïcain. Ils en adoptèrent à la fois la musique – reggae, ska, rocksteady – et des éléments de style : les pantalons taille basse et la tête rasée. Pourtant, le développement du « reggae roots », du mysticisme et du rastafarisme dans la musique jamaïcaine des années 1970 et la ségrégation ultérieure qui en découla conduit à un déclin de cette subculture. Alors que le phénomène avait dans un premier exemplifié les hypothèses de Dick Hebdige sur la grande influence de la culture des immigrants noirs sur les subcultures jeunes (1979), le « retour » de la culture jamaïcaine à une tradition (inventée) combinée avec la répression policière (en réponse à la violence dans les stades et dans la rue) scellèrent son extinction.

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13 Une seconde génération de skinheads naquit à la suite de la crise pétrolière de 1973, encore une fois suite à la radicalisation d’une subculture existante, le punk. Les groupes « street punks » critiquèrent l’inauthenticité punk (compromission avec le capitalisme, avec le star system…). Un certain nombre de groupes, comme Cock Sparrer et Sham 69 et leurs fans de « bald punk » constituèrent la scène oi !, qui radicalisa le culte de la violence et de la fierté prolétarienne du , ajoutant à cette configuration un contenu pro-britannique et souvent raciste. Comme le démontre de manière très claire Gildas Lescop, cette nouvelle génération de skinheads n’était pas, en fait, une émanation du mouvement originel, bien qu’il partageât certaines de ses valeurs (la fierté ouvrière, la violence). Cela ne signifie en aucun cas que les « originaux » étaient « purs » : Lescop pointe l’importance des symboles homophobes et xénophobes et la violence physique au sein du premier mouvement… Mais leurs actes ne bénéficièrent pas de la couverture médiatique que la seconde génération allait attirer. L’identification des skinheads aux extrémistes néo-nazis fut le résultat d’un double processus. Premièrement, une récupération politique, quand le jeune National Front vit dans ce mouvement une opportunité de disséminer efficacement son idéologie dans les salles de concerts et les stades grâce à des jeunes hommes virils et bagarreurs. Les actes de violence entre membres antagonistes du mouvement skinhead augmentèrent, tout comme ceux dirigés contre les immigrés pakistanais. En conséquence, de nombreux groupes quittèrent le mouvement oi ! ; ceux qui restaient liés à son idéologie radicale et à son attitude se dirigèrent plus tard vers le « Rock Against Communism » – une nouvelle sous-scène, le produit d’une collaboration active entre Ian Stuart, le leader des Skrewdrivers, et le National Front en réponse aux évènements « Rock Against Racism ». Pourtant, au milieu des années 1980, le National Front, à la recherche d’une respectabilité et d’une nouvelle image, changea de stratégie, et les skinheads exubérants et indomptables furent lâchés en 1986. Ceci amena les skinheads RAC à organiser leur business en accord avec leur propre conception de l’éthique DiY. Secondement, les médias réduisirent la complexité du mouvement skinhead à son équation avec la violence néonazie, ignorant à la fois son histoire et ses multiples facettes. Il y eut en effet une lutte symbolique pour l’authenticité au sein du vaste mouvement skinhead, avec une scène dénonçant à la fois les manipulations politiques et médiatiques ainsi que son racisme – des collectifs comme le SkinHeads against Racial Prejudice (SHARP), se battant pour réclamer « l’esprit de 69 » (l’année considérée comme étant l’apogée du mouvement originel), avec son ouverture culturelle et son dress code. Ce fut un revival contre un détournement. Ainsi la recherche de Lescop révèle l’ambiguïté des relations entre les phases historiques du mouvement – les skinheads à tendance de gauche démontrant aussi, comme il l’écrit, des valeurs « contre-contre-culturelles » (valeurs à la fois opposées à l’idéologie dominante et au discours contre-culturel des années 1960) : chauvinisme, homophobie, anti- intellectualisme, associés à l’image idéale de l’homme des classes laborieuses. Les revendications contre-culturelles du mouvement s’écroulèrent donc dans le contexte d’une opposition formelle à un ennemi fantasmé, ambigu et multiple ; non pas une classe mais un combat évanescent7.

14 Je dois admettre que je n’ai jamais considéré « Itsy Bitsy Teenie Weenie Yellow Polka Dot Bikini » comme un morceau typique de la contre-culture, notamment parce que les révoltes des jeunes associés à celle-ci sont, comme l’ont dit Roszak, Bennett et d’autres théoriciens, un phénomène de la seconde moitié des années 19608. Ainsi, j’ai été fascinée par la discussion de Philippe Birgy sur la musique yéyé et l’importation de la

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contre-culture américaine dans la France des années 19609. Plus encore, je fus vraiment surprise à l’idée qu’une pop song toute mignonne, avec pour thème l’hésitation d’une jeune fille prude à révéler son mini maillot, le badinage « one, two, three, four / tell the people what she wore » et « stick around, we’ll tell you more »10 (récité, dans la version originale, par Trudy Packer), fût d’une manière ou d’une autre contre-culturelle. « Itsy Bisty » fut, sans équivoque, une chanson pop, bien davantage que les genres rock’n’roll plus controversés et subversifs qui allaient bousculer la culture mainstream à la fin des années 1950 et au-delà, et bien loin de la contre-culture dans le sens exploré par Bennett, moi-même et al. Pourtant, le titre alléchant de Birgy (« Si cette histoire vous amuse, on peut la recommencer ») invite à une lecture plus profonde. Son interrogation sur la relation entre la jeunesse américaine et le yéyé fournit une nouvelle clé de lecture du problème culturel associé à cette dernière au sein de la société française. Notamment comment et en quoi des morceaux tels que « Itsy Bitsy » ou le « Nabout Twist » (interprété par le chanteur français Claude François) nous permettent de réévaluer le rôle des yéyés comme expression de conflits sociétaux et culturels. Comme l’explique Birgy, le yéyé est caractérisé par des reprises de chansons pop et easy listening en provenance des États-Unis, et est trop souvent considéré comme le simple résultat de l’hégémonie culturelle américaine d’après-guerre. Écrit par Paul Vance et Lee Pockniss, « Itsy Bitsy » a d’abord été interprété par Brian Hyland, se hissant à la première place des charts américains en août 1960, et fut repris trois fois en France en 1961par des artistes classés dans les hit-parades. En identifiant le rythme cha-cha du couplet, Birgy identifie la chanson comme une forme d’exotica (jazz tropical), rapprochant son analyse des écrits d’Edward Saïd (1979) et Julia Kristeva (1980), et se concentrant sur le fantasme de ce que cache le bikini. Le ton plaisantant du refrain suggère, à son tour, le carnavalesque, construisant alors un élément comique qui désamorce la revendication de libération sexuelle de la chanson. Les trois reprises, dont celle de Johnny Hallyday, sont alors comparées avant que la discussion sur l’exotica revienne pour une analyse du « Nabout Twist », marqué par les danses nord-africaines. Birgy se tourne alors vers des écrits universitaires, tirés de la revue Communication (1965) – notamment un article d’Edgar Morin – qui font figure d’analyses à chaud des nouvelles pratiques culturelles des jeunes. C’est à partir de ce matériau qu’il pose la question du mainstream et des subcultures. Il conclut que la musique yéyé illustre la complexité des processus d’échanges transculturels, et la porosité et les irrégularités des frontières posées entre culture de masse, culture hégémonique et contre-culture. Il conclut en posant une question finale : la musique yéyé n’a-t-elle pas, finalement, transmise des revendications contre-culturelles ?

Recensions

15 Nous avons invité plusieurs universitaires à recenser un certain nombre de publications récentes dont nous estimions qu’elles apportaient des éléments fructueux au débat auquel nous souhaitons participer par ces publications. Dans ce premier numéro, il semblait évident d’inaugurer la section des recensions par une contribution de Ian Inglis (spécialiste des années 1960 et des Beatles), sur l’ouvrage consacré à Woodstock dirigé par Andy Bennett. Michaël Rolland analyse ensuite le dernier livre de Claude Chastagner sur la contre-culture aux États-Unis, alors qu’Elsa Grassy s’attèle à son versant français, de la chanson néo-réaliste à Manu Chao, avec Protest Music in France de Barbara Lebrun. Hazel Marsh se penche ensuite sur les deux tomes du Popular

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Music and Human Rights dirigé par Ian Peddie. Viennent enfin la toute dernière biographie de Bob Dylan par Keith Negus, commentée par Richard Elliott, le compte- rendu de Patrick Burke de l’ouvrage collectif dirigé par Russell Reising sur les Pink Floyd et enfin la recension par Peter Mills du tableau critique de la fusion entre jazz, rock et funk dans les années 1970 par Kevin Fellezs. Cette section sera complétée avec le second numéro de Volume ! consacré aux contre-cultures, « utopies, dystopies, anarchie ».

BIBLIOGRAPHIE

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NOTES

1. Pour aller plus loin, on peut remonter à l’anarchisme romantique des beats, et leur intérêt pour le mysticisme oriental, la poésie, le jazz, les drogues et les écrivains Jack Kerouac et Allen Ginsberg. 2. Bien qu’il soit accepté de tous que le combat des classes moyennes contre la luxure conduisît de plus en plus à une identification explicite de la liberté sexuelle avec la liberté totale qui, à l’extrême, inclut la pornographie (et notamment les fameuses publicités appelées « velvet underground » [souterrain de velours] pour les films X et les publicités qui y étaient liées, de même que le « Test de Baisabilité des Femmes » de l’ouvrage Play Power (Neville, 1971 : 14). 3. Comme l’a observé Jacques Attali, la musique contient un pouvoir prophétique : « elle fait entendre le nouveau monde qui, peu à peu, deviendra visible. » (1977 : 23) [ndt] L’ouvrage de Jacques Attali est considéré comme étant très important au sein des Popular Music Studies anglophones. Pour en savoir plus voir : Branden W. Joseph, « From Experiential Music : Reflections on Jacques Attali’s Noise », Tacet, Experimental Music Review, n° 2, 2013. 4. L’Underground était, en Grande-Bretagne, l’équivalent de la culture beatnik américaine [ndt]. 5. « Le contexte est propice pour que nous fassions un usage politique de la musique, parce que le rock est dorénavant un média. Bien sûr, c’est d’abord un divertissement, mais comme nous lui avons appliqué de nouvelles règles de fonctionnement, c’est aussi une arme » (IT, n° 56, 1969). 6. Pour une autre analyse de la Factory en termes de sociologie critique, on peut voir Stéphane Dorin (2012 : 63-78). 7. Merci à Jedediah Sklower pour la riche discussion à propos de l’article de Gildas Lescop. 8. Si l’on excepte les éléments de la philosophie beat, tels que discutés plus en amont. 9. Pour une analyse de la réception et de la réappropriation de le contre-culture américaine en France au début des années 1970, on peut consulter l’ouvrage de Gérôme Guibert (2006 : 209-223). 10. « Un, Deux, Trois, Quatre, Dites-leur ce qu’elle portait. » « Ne bougez pas, on va vous en dire plus. »

INDEX

Mots-clés : contre-culture / résistance, scènes, gauche (extrême-) Thèmes : rock music, psychedelic / acid rock, punk / Index chronologique : 1960-1969, 1970-1979 Keywords : counterculture / resistance, scenes, left / far left

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AUTEURS

SHEILA WHITELEY

Sheila WHITELEY a publié et dirigé des ouvrages de référence sur les musiques populaires, autour de questions aussi diverses que le genre, les femmes, la sexualité, les drogues, les scènes et les contre-cultures (The Space Between the Notes, Sexing the Groove, Music, Space and Place, Queering the Popular Pitch…). Elle fut Secrétaire Générale de l’IASPM de 1999 à 2001 et obtint la Chaire de Musiques Populaires à l’université de Salford en 1999 – premier poste dédié à cet objet d’études. Elle est aujourd’hui Visiting Professor à la Faculty of Creative Industries and Society de l’université de Southampton Solent, et Visiting Scholar à la Queen’s University (Canada), et à Hailsham (East Sussex). En 2010, elle fut nommée Professeur émérite à l’université de Salford. Elle finalise actuellement l’Oxford Handbook of Music and Queerness ainsi qu’un autre ouvrage sur les musiques populaires et le virtuel. mail

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Countercultures: Music, Theory and Scenes Contre-cultures : Musiques, Théories et Scènes

Sheila Whiteley

Introduction

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1 OUR FIRST EDITION of Counterculture(s) and Popular Music offers readers the opportunity to explore its history and how it has been theorised. It also provides an insight into the ways in which it emerged and took shape internationally in scenes that embraced its challenge to the dominant culture. In December, our sister edition, “Utopias, Dystopias, Anarchy” explores utopias and dystopias and sonic anarchy and freaks, focussing on the ways in which the 1960s counterculture embraced both an idealistic frame of reference and one where its emphasis on freedom and beat-hip bohemianism resulted in a bacchanalian orgy of rape and murder. As Simon Frith knowingly observed, ‘rock can’t just be consumed, but must be responded to like any other form of art – its tensions and contradictions engaged and reinterpreted into the listener’s experience’.1 Further discussions of Counterculture(s) and Popular Music are also being published by Ashgate in collaboration with Éditions Mélanie Seteun, so confirming its significance as a vital moment in the continuing history of popular music. As Andy Bennett writes in our Introductory article, ‘Reappraising Counterculture’, while ‘issues such as the essentially diverse, heterogeneous nature of both individuals and socio-political and cultural ideologies’ have been thoroughly explored in relation to ‘subculture’, there has been far less engagement with the counterculture and, as such, it remains a problematic concept.

2 What has emerged, from the 21 articles published in our three editions of Countercultures and Popular Music is its non-specificity. ‘It was an entity with a significant degree of fluidity such that it could incorporate diverse groupings and, thus, manifest itself differently at specific times and within specific places depending on local socio-economic, cultural and demographic circumstances’. While the previous lack of attention given to the 1960s counterculture accounts for our timely intervention, it is also apparent that there have always been certain issues that have, as yet, to be fully explored, not least demographic diversity and identity politics within ‘the underlying unity of the countercultural variety’ (Roszak, 1970: 66). As I wrote in in The Space Between the Notes, ‘Initially there appears to be an underlying tension between the political activism of the student New Left and the “Fuck the System” bohemianism of the hippies and the yippies. At a deeper level, however, both extremes were united in their attack on the traditional institutions that reproduce dominant cultural- ideological relations – the family, education, media, marriage and the sexual division of labour. There was a shared emphasis on the freedom to question and experiment, a commitment to personal action, and an intensive examination of the self’ (Whiteley, 1992: 83) whether pathologically invasive or creatively expressive. As Theodor Roszak observed at the time, ‘Beat-hip bohemianism may be too withdrawn from social action to suit New Left Radicalism; but the withdrawal is a direction the activist can readily understand’. (1970: 66)

3 On re-visiting my earlier research into rock and the counterculture 2, it occurred that chaos and uncertainty, allied to the impact of noise (inharmonious sound, distortion, dissonance, and the connotations surrounding discord itself) could be interpreted as underpinning a revolutionary agenda suggestive of a state of creative anarchy3, which

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is arguably distinct from the more soft-focus connotations of ‘All You Need is Love’ and the pacifist agenda implicit in such slogans as ‘Make Love Not War’.4 If, however, Roszak was correct in identifying ‘beat-hip bohemianism as an effort to work out the personality and total life style that follow from New Left social criticism’ (1970: 66), then the forming of countercultural communities, such as the communes that emerged in, for example, Naples5, could appear a logical development in ‘providing a particular location for self-identity’ (Whiteley, 2000, 23). Discord and the darker extremes of ‘noise’ associated with performers such as The Grateful Dead, Captain Beefheart, Jimi Hendrix and MC5 would thus come into focus as the first stage in the countercultural agenda of establishing a relevant and alternative life-style.6 As Jeff Nuttall observed, two of the aims of the Underground were to ‘release forces into the prevailing culture that would dislocate society, untie its stabilizing knots of morality, punctuality, servility and property; and [to] expand the range of human consciousness outside the continuing and ultimately soul-destroying boundaries of the political utilitarian frame of reference’ (Nuttall, 1970: 249), a philosophy that resonated with the International Times identification of rock as a political weapon.7

4 But was this the whole story and is the concept of counterculture still meaningful? It would appear from the articles that follow that ‘despite the theoretical arguments that can be raised against the sociological value of counterculture as a meaningful term for categorising social action, like subculture, the term lives on as a concept in social and cultural theory… [to] become part of a received, mediated memory’. What emerges from the articles that appear in Music and Counterculture(s) is that this involved not simply the utopian but also the dystopian and that while festivals such as those held at Monterey and Woodstock might appear to embrace the former, the deaths of such iconic figures as Brian Jones, Jimi Hendrix, Jim Morrison and Janis Joplin, the nihilistic mayhem at Altamont, and the shadowy figure of Charlie Manson cast a darker light on its underlying agenda, one that reminds us that ‘pathological issues [are] still very much at large in today’s world’.

An overview of articles

5 We are privileged to have an opening article by Andy Bennett, whose extensive research and publications on subcultures, cultures and cultural memory have established his reputation as a leading international academic on cultural theory. ‘Re- appraising Counterculture’ re-visits and re-evaluates earlier and on-going instances of counter anti-hegemonic ideology, practice and belief, and how the emergence of the term in the late 1960s has been re-deployed in more recent decades in relation to other forms of cultural and socio-political phenomena. As he explains, recent developments in sociological theory complicate and problematize theories developed in the 1960s, with digital technology, for example, providing an impetus for new understandings of counterculture. What is intriguing is the way in which current movements and groups have been referred to as countercultural, so raising the question of how we position the latter.

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Theorising countercultures

6 In many ways, the first subsection of Countercultures and Popular Music extends and develops many of the issues raised by Bennett, so providing a reflective space in which to consider different ways of explaining and exploring both the relevance and the diversity inherent in the concept. Ryan Moore’s opening article, ‘Break on Through: The Counterculture and the Climax of American Modernism’ investigates the mediating link between music and 1960s modernism, focusing attention on the shared spirit of innovation and progress, with the celebration of ‘youth’ providing an iconic symbol of hope and transformation. With its origins in the free jazz and folk music scenes in New York at the beginning of the 1960s, Moore’s discussion of Ornette Coleman and Bob Dylan then moves west to consider the different variations of rock music that emerged from San Francisco and Los Angeles, ‘the homeland of the counterculture and the terminal point of American modernization in the 1960s’, identifying LSD and acid rock as symbolic of ‘the spirit of modernity and its ironies’.

7 Simon Warner also draws attention to the significance of New York in ‘The Banality of degradation: Andy Warhol, the Velvet Underground and the trash aesthetic.’ As he successfully argues, Warhol was at the heart of one of the key countercultural gestures of the era. ‘By stressing surface and the superficial over depth and substance and by rejecting traditional motivations – issues of moral purpose, social conscience or political ethos, for instance – the artist and his disciples created an enclosed aesthetic universe that was profoundly alternative to both the mid-1960s mainstream and also those who would challenge it in more conventional ways’. Not least, the introspective, amphetamine-induced music of Warhol’s resident band, the Velvet Underground, was in stark contrast to both ‘the psychedelic jams of San Francisco and the acid-drenched and dandy stylings of .’ ‘marrying instead elements of the high and the low, the cultural leftfield and the arts underground, harsh rhythms, repetitive drones and minimalist arrangements with stories of low-life transgression, conjured, at least in part, by the toxic charge of speed and heroin’. The trash aesthetic associated with Warhol and The Velvet Underground was ‘to influence artists as diverse as musician Genesis P-Orridge and photographer Cindy Sherman and even more mainstream examples – from Boy George to RuPaul and k.d. lang’ and, indeed, earlier performances by David Bowie, Iggy Pop and Lou Reed where camp, drag, sexual diversity, gender controversies and violence were an integral and conscious part of their artistic strategy.

Countercultural scenes: music and place

8 Music played a major role in the way that the counterculture authored space in relation to articulations of community by providing a shared sense of collective identity. Not least, the heady mixture of genres provided a socio-cultural-political backdrop for distinctive musical practices and innovations which, in relation to counterculture ideology, provided a rich experiential setting in which different groups defined their relationship both to the local and international dimensions of the movement, so providing a sense of locality, community and collective identity. As Richard Neville wrote at the time: ‘From Berlin to Berkeley, from Zurich to Notting Hill, Movement members exchange a gut solidarity, sharing common aspirations, inspirations, strategy, style, mood and vocabulary. Long hair is their declaration of independence, pop music

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their Esperanto and they puff pot in their peace pipe’ (1971:14) Neville’s identification of what he calls the counterculture’s ‘intense, spontaneous internationalism’ is explored initially in Giovanni Vacca’s opening article, “Music and Countercultures in Italy: the Neapolitan Scene” where he focuses attention on the 1960s, a time when the first seeds of rock ‘n’ roll and the ideology surrounding the counterculture were penetrating Italian culture. It was a period when British and American rock stars began to include Italy in their world tours, and Italian rock bands found a more defined political identity as progressive rock superseded beat. Then, during the accelerating conflicts of the 1970s a new radical political culture developed. Born outside the Communist Party, criticism was addressed to 'the system' in all its articulations: family, education, politics, work, and entertainment. Within this highly-charged context the folk music revival and the political song assumed a new significance as popular genres and the classic Neapolitan song were reclaimed and reshaped. As Vacca explains, the song, in Neapolitan tradition, developed both ‘as an important part of the identity of the local emerging middle class’ while being ‘taken up and continuously revisited by the lower classes.’ The strength of these traditions was such that ‘the Neapolitan song had to be violated, debunked, stripped bare of its stock conventions and bent to unheard expressive possibilities’ if it was to embrace and reflect the changes inherent in the countercultural agenda. Vacca’s detailed discussion of Neapolitan bands that revitalised traditional songs through influences as diverse as jazz, rhythm and blues (The Showmen), progressive and psychedelic rock (Osanna and Il Balletto di Bronzo) also focussed on lyrics that encapsulated the two major poles of Italian countercultures: India, which for many Italian hippies ‘represented the myth of an alternative civilization, custodian of an ancestral wisdom lost in the industrial world’, and the factory, which was ‘at the centre of theoretical Marxist speculations of the radical left wing born outside the Communist Party’. Sorrenti’s apocryphal ballad ‘Vorrei incontrati’ (1972), thus foreshadows the late eighties when the fragmentation of large factories and the re-allocation of industrial production to countries with a less expensive labour force lead to growing unemployment and the transformation of what once were working class areas into a waste land’. The subsequent take over of its derelict buildings as ‘occupied self-managed social centres’ led to a new Italian music, which incorporated rap, ragamuffin and reggae and which also brought with it a rediscovery of folk music and the Neapolitan song. As Vacca concludes, ‘it took three decades for Neapolitan musicians to find their own way into modern song and popular music and, at the same time, to recover a glorious tradition’, and today the Neapolitan Song has become a favourite genre by a new generation of performers.

9 The next two articles explore the significance of punk as countercultural, and its DIY culture provides a specific insight into Aline Macke’s investigation into ‘Taqwacores: the emergence of a Muslim-American Counter-Subculture’. The impact of 9/11 Islamophobia and consequent US military interventions in Iraq and Afghanistan on minority Muslim communities in the U.S. and beyond has caused many to reflect on the resurgence of extreme-right politics and its impact on human rights both at home and internationally. As Macke observes, the emergence of Taqwacore, which combines Muslim imagery with Punk DIY has provided a way of conveying ideas of religious tolerance and identity through its ironic lyrics and often controversial public statements and, as such, relates to ‘the three core elements of punk: an anti-status quo disposition, a pronounced do-it-yourself ethos and a desire for disalienation (resistance to the multiple forms of alienation in modern society). (Dunn, 2011: 27) The re-

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activation of punk’s subversive potential via an alternative Muslim counter-discourse has provided a focus for Muslims who reject traditional authorities (‘There is no Sheikh, there is no Imam. There isn’t anyone who has a higher authority than you (Allah) in Islam’, as one of the Taqwacore bands, Kominas, states. It would seem, then, that by drawing on the global cultural field of punk, the Taqwacore scene is able to articulate its discourse of tolerance and Muslim dignity through a local frame of reference, informed by regional socio-economic conditions within the historical context of alienation, and the hostilities relating to Islamophobia.

10 The question ‘what is countercultural’ also raises the issue of whether or not social conflict and struggle can be mapped onto those cultural practices grounded in particular forms of leisure, consumption and lifestyle where individuals are able to connect in pursuit of specific goals and/or participate in a common cause. As Fabien Hein’s article ‘DIY as a countercultural dynamic? The example of the punk rock scene’ suggests, definition is important. If a counterculture is interpreted as ‘a set of protest or marginalised movements that form when the development of dominating organizations accelerate’ (Touraine, 1998: 204), then the characteristic features of authenticity and the demystification of the cultural production process inherent in the DIY ethics of punk rock and its pro-active postures would constitute a counterculture.

11 Drawing on research by Laughey (date) and Willis (date), Hein interprets DIY as a form of work based on self production and, as such, one that constitutes a training ground for empowerment, with those involved learning new competences, organizing their own structures, networks, labels, medias, and works, so building up an experience that transforms the real and the agent itself, as well as an alternative economy. Punk thus constitutes a structuring field (experiences, values, business etc.) that fosters individual and collective agency and, as such, is a reflexive, emancipatory pedagogy, not just a means to evacuate pressure or linger in apathy. Hein’s challenge to earlier writing by Adorno (date) and Horkheimer (date) is supported by a discussion of the first DIY album (The Buzzcock’s Spiral Scratch) which demonstrates the pro-active dimension of punk in its entrepreneurship, recognized earlier by Bourdieu as a ‘countercultural phenomenon’ (ref. ): the product of self-taught agents, who free themselves from the rules of the market place, producing an alternative market which can, in practice, contest institutions in a variety of cultural fields. (p. ) This, in turn, raises the issue of authenticity, not least amongst such iconic bands as The Sex Pistols and The Clash who sold out to major labels, versus the punk credibility of Crass who created their own label, organized distribution and sold their cds at half the price of the majors, sharing the proceeds with alternative communities. While the question of counterculture versus counter-market provides an insight into the practical efficiency of countercultural dynamics, Hein contends that Fugazi (date) and Dischord’s (date) pragmatic (non-ideological), short-term (and not structural) model of struggle provides a relevant criteria for evaluating a counterculture’s concrete achievements. Its success depends on three dimensions: it concretely transforms individuals’ everyday lives; it reconciles the question of independence with that of civic engagement; it offers a generalizable operational model. His conclusion: DIY thus demonstrates that it is possible to develop a cultural business, aimed at a niche market, without abandoning punk core values and, as such, can be considered a counterculture.

12 The relationship between subculture and counterculture is further explored in Gildas Lescop’s article, ‘Skinheads, from Reggae to Rock Against Communism’, where he

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wonders how a 1960s working class youth subculture originally fascinated with Jamaican music was later associated in the 1980s with white supremacist neo-Nazi groups. The original skinhead movement had grown out of the radicalization of the « mods » whose trans-class ideology, dandyism and growing interest in psychedelic music were considered by « hard mods » as contrary to their own culture and social background. Sharing space in working-class neighbourhoods with Jamaican immigrants, they developed a syncretic style, combining symbolic elements of British worker pride with violence and a fascination for the myth of the Jamaican “rude boy”, adopting both the music – reggae, ska, rocksteady – and elements of their style: the low-slung pants and the shaved head. However, the predominance of “roots reggae”, mysticism and Rastafarianism in 1970s Jamaican music and the subsequent segregation it established lead to a decline of this subculture. While the phenomenon had first exemplified Dick Hebdige’s hypotheses on the great influence black immigrant culture had on youth subcultures (date of publication, pp ?), Jamaican culture’s “return” to an (invented) tradition, combined with police repression (in response to violence in stadiums and the streets) sealed its extinction.

13 A second skinhead generation was born in the aftermath of the 1973 oil crisis, once again from the radicalization of a previous subculture – punk. “Street-punk” bands criticized punk’s inauthenticity (compromises with capitalism, with the star system…). A certain number of bands, such as Cock Sparrer and Sham 69, and their “bald punk” fans constituted the oi! scene, which radicalized street-punk’s cult of violence and proletarian pride, adding a pro-British, often racist content to that configuration. As Gildas Lescop very clearly demonstrates, this new generation of skinheads was not, in fact, an emanation of the original movement, although it did share some of its values (the working-class pride, the violence). This in no way means that the “originals” were “pure”: Lescop insists on the importance of homophobic and xenophobic symbolic and physical violence within the first skinhead movement, but these acts did not get the media coverage the second generation would attract.

14 The identification of skinheads to neo-Nazi extremists was the result of a double process. Firstly, a political hijacking, as the young National Front saw in this movement an opportunity to efficiently disseminate its ideology, in venues and stadiums, thanks to virile, rowdy young men. Acts of violence between conflicting members of the skinhead movement increased, as well as those aimed at Pakistani immigrants. As a result, many bands left the oi! scene; those that remained committed to its radical ideology and attitude later moved toward “Rock Against Communism” – a new sub- scene, the product of an active collaboration between Skrewdriver's frontman Ian Stuart and the National Front, as a response to the Rock Against Racism events. In the mid-1980s, however, the National Front, looking for respectability and a new image, changed strategies, and the riotous and untameable skinheads were cut loose in 1986. This brought RAC skinheads to organize their business according to their own brand of DIY ethics.

15 Secondly, the media reduced the complexity of the skinhead movement to its equation with neo-Nazi violence, ignoring both its history and multiple facets. There was indeed a symbolic struggle for authenticity within the broader skinhead movement, with a scene denouncing both the political and the media manipulation, as well as its racism – groups such as the SkinHeads Against Racial Prejudice (SHARP) fought to reclaim the “Spirit of 69” (the year considered to be the apogee of the original movement), with its

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cultural opening and its dress code. A revival vs. a diversion. Yet Lescop’s research reveals the ambiguity of the relationship between both historical phases of the movement – left-leaning skinheads also demonstrated, as he writes, “counter- countercultural” values (values opposed to both the “hegemonic” and the 1960s countercultural discourses): chauvinism, homophobia, anti-intellectualism, associated to the ideal image of the working-class man, proved to be reactionary. The movement’s countercultural claims were thus exhausted in a formal opposition to a fantasized, ambiguous, multiple enemy; not a class, but a dropout struggle.8

16 I have to admit that I have never considered “Itsy Bitsy Teenie Weenie Yellow Polka Dot Bikini” countercultural, not least as the youth revolts associated with the Counterculture are, as Roszak, Bennett and other theorists have argued, a sixties phenomenon9. As such, I was fascinated by Philippe Birgy’s discussion of ‘Yéyé Music and the importation of American counterculture in the French 1960s’. Not least, I was surprised that a novelty pop song that explored a young girl’s hesitancy in revealing her scantily-attired body, the bantering ‘one, two, three four/tell the people what she wore’ and ‘stick around, we’ll tell you more’ (recited, in the original version, by Trudy Packer) was in any way countercultural. ‘Itsy Witsy’ was, surely, pop rather than the more controversial and subversive rock ‘n’ roll genres that were to challenge mainstream culture across the late 1950s and beyond and hardly countercultural in the sense explored in Bennett, Whiteley et al. However, Birgy’s tantalising title (‘If this story amuses you, we can start again’) invites a closer reading and his interrogation of ‘the relationship between American youth counterculture and the Yéyé musical’ provides the reader with a new insights into the cultural problem associated with Yéyé music within French society and how and why such tracks as ‘Itsy Witsy…’ and the Nabout Twist (sung by French singer Claude François) provide a way of re-evaluating Yéyé’s role as an expression of societal/cultural conflicts. As Birgy explains, Yéyé is characterized by covers of US pop and easy-listening songs and is too often looked at as a pure result of the cultural hegemony of post-WWII USA’.

17 Written by Paul Vance and Lee Pockniss, ‘Itsy Witsy’ was first performed by Brian Hyland, reaching No 1 in the US in August 1960, and covered three time in France in 1961. Identifying the cha-cha rhythm of the verse, Birgy situates the song as a form of exotica (tropical jazz), relating his analysis to writings by Edward Said (date of publication) and Julia Kristeva (date of publication) and the tantalizing prospect of what lies veiled beneath the bikini. The bantering tone of the chorus suggests, in turn, the carnivalesque, so constructing a comical tone which defuses the song’s claim for a ‘liberated sexuality’. The three cover versions, which include Johnny Halliday, are then compared before the discussion of exotica returns in an analysis of ‘Le Nabout twist’ which draws on North African kinship dances. Birgy then turns to scholarly writings from the review Communication (1965) on the yéyé phenomenon and concludes that yéyé music exemplifies the complexity of the cross-cultural exchange process, and the porosity and irregularities of the frontiers set between mass culture, hegemonic culture and counterculture before posing a final question: ‘Hasn't Yéyé music conveyed countercultural claims too, after all?’ I would like to acknowledge and thank my co-editor Jedediah Sklower for his support and enthusiasm throughout our planning and design of Counterculture(s) and Popular Music. What could have been a laborious task was instead a joyful exploration of the countercultures’ history, as well as its diverse manifestations.

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BIBLIOGRAPHY

Jacques ATTALI, Noise: The Political Economy of Music (transl. Brian Massumi), University of Minnesota Press.

Kevin C. DUNN (2004) ‘”Know Your Rights!: Punk Rock, Globalization, and Human Rights’ pp. 27-38 in Ian PEDDIE (ed) Popular Music and Human Rights. Volume 1: British and American Music, Ashgate.

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Jeff NUTALL (1970) Bomb Culture. Harper Collins

Theodor ROSZAK (1970) The Making of a Counter Culture: Reflections on the Technocratic Society and its Youthful Opposition. Faber and Faber.

Alain TOURAINE, (1998), « Contre-culture », in Dictionnaire de la sociologie, Paris, Encyclopaedia Universalis and Albin Michel, p. 204-410.

Sheila WHITELEY (1992) The Space Between the Notes: Rock and the Counterculture. Routledge.

Sheila WHITELEY (2000) Women and Popular Music: Sexuality, Identity and Subjectivity. Routledge.

Sheila WHITELEY (2013), ‘Kick Out the Jams: Creative Anarchy and Noise in 1960s Rock’, in Nicola SPELMAN (ed.), Resonances: Noise and Contemporary Music, Continuum.

NOTES

1. Simon Frith, ‘Rock and Popular Culture’ Radical Philosophy, 103. Radical Philosophy Group, Mathematics Faculty, Open University, Milton Keynes 2. Whiteley, 2013. 3. To an extent, this can be traced back to the romantic anarchism of the Beats, with its interest in Eastern mysticism, poetry, jazz and drugs and writers Jack Kerouac and Allen Ginsberg. 4. Although it is recognised that the fight against middle-class prurience led increasingly towards an explicit identification of sexual freedom with total freedom which, at its extreme, embraced pornography (including the so-termed ‘velvet underground’ advertisements for blue movies and classified ads, and play power’s ‘Female Fuckability Test’ (John Neville (1971) Play Power, London: Paladin, p.14). As such, while love was fundamental to the philosophy of the counterculture, there was nevertheless a marked difference between the transcendental spirituality promised to followers of the Majarishi Mahesh Yogi and the revolutionary liberation of the Yippie Party’s Jerry Rubin and his symbolic call for patricide. 5. See Giovanni Vacca, Musique et contre-cultures en Italie : la scène napolitaine, pp. in Les Scènes Contre-Culturelles – Musique & Espace, pp 6. As Jacque Attalli observed, noise contains prophetic powers. ‘It makes audible the new world that will gradually become visible’. (1985, p.11) 7. The mood is right for us to fight politics with music, because rock is now a media. Sure it’s basically recreation but because we’ve now applied new rules to the way it’s run, it’s also a weapon’. IT, 56, 1969 8. Thanks to Jedediah Sklower for his thoughtful discussion of Lescop’s article. 9. Albeit drawing on Beat philosophy as discussed earlier.

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INDEX

Mots-clés: contre-culture / résistance, scènes, gauche (extrême-) Subjects: psychedelic / acid rock, rock music, punk / hardcore punk Chronological index: 1960-1969, 1970-1979 Keywords: counterculture / resistance, scenes, left / far left

AUTHOR

SHEILA WHITELEY

Sheila WHITELEY a publié et dirigé des ouvrages de référence sur les musiques populaires, autour de questions aussi diverses que le genre, les femmes, la sexualité, les drogues, les scènes et les contre-cultures (The Space Between the Notes, Sexing the Groove, Music, Space and Place, Queering the Popular Pitch…). Elle fut Secrétaire Générale de l’IASPM de 1999 à 2001 et obtint la Chaire de Musiques Populaires à l’université de Salford en 1999 – premier poste dédié à cet objet d’études. Elle est aujourd’hui Visiting Professor à la Faculty of Creative Industries and Society de l’université de Southampton Solent, et Visiting Scholar à la Queen’s University (Canada), et à Hailsham (East Sussex). En 2010, elle fut nommée Professeur émérite à l’université de Salford. Elle finalise actuellement l’Oxford Handbook of Music and Queerness ainsi qu’un autre ouvrage sur les musiques populaires et le virtuel. mail

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Pour une réévaluation du concept de contre-culture Reappraising « Counterculture »

Andy Bennett Traduction : Jedediah Sklower

NOTE DE L’ÉDITEUR

The English version of the article will be published in Sheila Whiteley and Jedediah Sklower (eds.), Popular Music and Countercultures, Ashgate, 2013. It will appear here two years after that publication, in 2015.

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1 DEPUIS SON APPARITION comme concept sociopolitique majeur à la fin des années 1960, le terme de « contre- culture » a régulièrement refait surface dans la littérature académique, les médias et le langage commun pour désigner des idées, des pratiques et des croyances contre-hégémoniques. En général, il est utilisé pour distinguer des valeurs considérées comme dominantes ou largement partagées [mainstream] de systèmes de valeurs alternatifs qui, tout en étant le fait d’une minorité, sont agencés dans une pluralité de formes culturelles – la musique, l’écriture, l’art, les luttes socioculturelles et ainsi de suite. Ces différentes formes servent à amplifier la portée collective d’une contre-culture et permettent à une minorité d’acquérir une certaine visibilité. Depuis de nombreuses années, les chercheurs lui ont pourtant préféré le concept de « subculture », qui s’est imposé comme cadre conceptuel de référence pour l’examen de pratiques anti-hégémoniques, notamment chez les jeunes. La validité du concept de subculture a pourtant fait l’objet d’un débat théorique permanent, qui s’est focalisé sur sa définition problématique en terme de structures sociales/de classe. À un premier niveau, une telle perspective se révèle de moins en moins opérante dans un monde social caractérisé par la réflexivité, la fragmentation et le pluralisme culturel (cf. Bennett, 2011). Aussi, la contre-culture, comme cadre conceptuel, pose une série de questions tout aussi pertinentes, notamment par la manière dont il a été utilisé pour qualifier certaines tendances récentes de l’action et de la pensée sociopolitiques – particulièrement les nouveaux mouvements sociaux et les modes de vie alternatifs, mais parfois aussi d’autres aspects de la société tels que les religions organisées (Elliot, 1990) ou la question du racisme (van Donselaar, 1993).

2 J’entends ici revisiter et réévaluer d’un point de vue critique le concept de contre- culture en tant qu’outil pour analyser et expliquer des catégories d’idées, de pratiques et de croyances anti-hégémoniques passées et présentes. Cet article considère d’abord l’émergence du concept de contre-culture à la fin des années 1960 et son association au mouvement hippie. Suit une évaluation de la façon dont des développements plus récents de la théorie sociologique complexifient et problématisent la définition héritée des années 1960, et de la façon dont cette définition a été redéployée ces dernières décennies pour caractériser d’autres phénomènes culturels et sociopolitiques. J’essaie enfin de comprendre comment de nouveaux phénomènes sociaux, concomitants de différentes évolutions matérielles telles que l’essor des technologies numériques, permettent de réinterpréter la contre-culture.

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Les origines de la contre-culture

3 Alors que les origines précises de la « contre-culture » sont incertaines, le terme est entré dans le langage courant à la fin des années 1960 lorsqu’il fut associé au mouvement hippie. S’inspirant notamment de l’ère « beat », les hippies créèrent un environnement culturel alternatif combinant musique, drogues, littérature et modes de vie afin de proposer une série d’alternatives à la société capitaliste dominante, incarnée par leurs parents et les autres membres de la « culture parente » [parent culture] (Hall, 1968)1. La musique fut sans aucun doute un vecteur important de cette scission avec la culture parente (Whiteley, 1992). En s’ancrant dans la tradition des chants de lutte [protest songs], des artistes tels que Bob Dylan, les Beatles et les Rolling Stones infusèrent leur musique rock d’une dose de critique sociale et culturelle qui fut rapidement reconnue, imitée et développée par d’autres musiciens émergents de la fin des années 1960 (Bennett, 2001). À cet égard, comme l’observe Frith (1981 ; 1983), la puissance du rock fut telle qu’il commençait à révéler l’existence d’une communauté alternative dont les hippies pensaient qu’elle pouvait être vécue et concrétisée grâce à la musique elle-même. Comme le soutient Frith, l’idée que la musique était capable de créer une communauté alternative bien concrète était fausse et erronée. Néanmoins, des événements marquants de l’époque de la contre-culture, tels que le Woodstock Music and Arts Fair (cf. Bennett, 2004) et l’émergence de communautés rurales (cf. Webster, 1976) créèrent, même s’il fut de courte durée, le sentiment collectif parmi les hippies qu’un mode de vie authentiquement alternatif était possible. Ce fut cette idée mythique et romancée qui donna son premier élan à l’idéologie contre-culturelle et au mouvement hippie.

4 À cet égard, la dimension mondiale de la contre-culture fut déterminante. Alors que la plupart des cultures jeunes et des phénomènes de bandes des années 1950 et du début des années 1960, comme par exemple les Teddy Boys2, avaient été des manifestations spécifiquement locales (Hall et Jefferson, 1976), le mouvement hippie s’est rapidement répandu à travers le monde occidental ainsi que dans certaines parties d’Amérique du Sud, d’Asie et de l’ancien Bloc Soviétique (cf. Easton, 1989). En l’occurrence aussi, la musique joua un rôle important. Exploitant les possibilités offertes par le développement mondial des technologies de communication, les interprètes de rock et d’autres musiques populaires de l’époque purent communiquer leur musique – et leur message – à travers le monde lors de spectacles individuels. Ce fut notamment le cas avec la chanson « All You Need is Love » des Beatles qui fut diffusée pour la première fois lors d’un concert en semi-direct dans le cadre de l’émission Our World, première retransmission télévisée mondiale en duplex de l’histoire. L’émission fut diffusée via satellite le 25 juin 1967, et fut regardée par 400 millions de téléspectateurs dans 26 pays à travers le monde.

5 La contre-culture fut également érigée en un phénomène socioculturel ayant le potentiel de créer une nouvelle sphère culturelle dépassant la culture parente, et s’en affranchissant idéologiquement. En ce sens, Acid Test de Wolfe (1968) fut un texte très influent. Retraçant le road trip américain de Ken Kessey et de ses « Merry Pranksters » au milieu des années 1960, Wolfe dresse un portrait édifiant de la consommation de LSD lors d’événements artistiques multimédiatiques, qui visaient à ouvrir de nouveaux niveaux de perception et de conscience chez les participants. De même, Las Vegas Parano [Fear and Loathing in Las Vegas] de Thompson (1993), bien que publié au début des

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années 1970, rend hommage à l’héritage contre-culturel et à sa vision d’un nouveau monde s’étant défait de l’avidité de la société dominante et de son obsession du progrès technologique. Ces questions attisèrent également la curiosité des chercheurs à la fin des années 1960 et au début des années 1970. Le fait que la contre-culture, contrairement à l’exemple des cultures jeunes qui l’avaient précédée, semblât se développer au sein de la jeunesse bourgeoise fut pour eux un élément particulièrement intéressant et significatif. Comme le notent Clarke et al. dans l’essai qui introduit le texte désormais classique des cultural studies, Resistance Through Rituals : « La contre-culture fit scission avec sa propre culture “parente” dominante. Leur désaffiliation était surtout idéologique et culturelle. Leurs attaques ciblèrent principalement les institutions qui reproduisent les rapports idéologiques et culturels dominants – la famille, l’école, les médias, le mariage, la division sexuelle du travail. » (1976 : 62)

6 Aux États-Unis aussi, les universitaires pensaient que la contre-culture était en train de contester de l’intérieur le pouvoir hégémonique de la bourgeoisie. Dans son ouvrage de 1969 Vers une contre-culture, Roszak développa un peu plus cet argument, soutenant que la contre-culture n’était pas seulement opposée au pouvoir hégémonique de la culture parente, mais aussi à la technocratie que celle-ci avait engendrée. Par technocratie, Roszak faisait référence à la dépendance croissante vis-à-vis de la technologie et de la rationalité scientifique. À la fin des années 1960, les atrocités commises par l’Allemagne nazie et la prise de conscience de la puissance destructrice de la bombe atomique représentaient des aspects terrifiants d’un passé récent, tandis que la Guerre froide et l’escalade du conflit vietnamien servaient de rappels constants des dimensions hautement pathologiques de la société technocratique (cf. Bennett, 2005). Aussi, Roszak décrivit la contre-culture comme l’émanation des « enfants de la technocratie », une jeunesse bourgeoise rebelle qui souhaitait rompre avec l’univers bourgeois de leurs parents. « Par le détour d’une dialectique que Marx n’aurait jamais pu imaginer, l’Amérique technocratique produisit un élément potentiellement révolutionnaire au sein de sa propre jeunesse. La bourgeoisie, au lieu de découvrir l’ennemi de classe dans ses usines, le trouve de l’autre côté de la table à manger, chez ses propres enfants dorlotés. » (1969 : 34)

7 Dans The Greening of America (1971), Charles Reich définit avec son concept de « Conscience III » [Consciousness III] une jeunesse bourgeoise contre-culturelle, rompant avec les liens sociaux et culturels de la culture parente et contestant son autorité. Il y décrit un nouveau degré de conscience et d’existence qui rendrait possible un changement social. Ce changement s’appuierait sur un nouveau niveau d’expérience et de compréhension du monde, dans lequel les individus œuvrent collectivement au bien de la communauté et au bien-être des générations futures. Ceci suppose le rejet des valeurs capitalistes et ses objectifs individualistes à court terme, en mettant l’accent sur l’accumulation de richesses associée au confort individuel et à la sécurité. Selon Reich, la contre-culture offrit une base à partir de laquelle la jeunesse pouvait subvertir l’idéologie dominante dont elle avait hérité et la supplanter par un nouvel ensemble de valeurs sociales, économiques et environnementales durables [values relating to sustainability].

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Problématiser la contre-culture

8 Nous avons noté plus haut que certains des présupposés de base de l’idéologie contre- culturelle, notamment le principe alternatif d’une communauté basée sur l’engagement commun autour de certains goûts musicaux, dénotaient une vision relativement idéaliste et romancée du changement social. Ce caractère romantique influence sans doute une grande part des écrits de la fin des années 1960 et au début des années 1970 qui lui furent consacrés. Dans cette littérature, la contre-culture est portée en étendard du changement social, une perspective informée par un corpus plus large de travaux ancrés dans la théorie critique et le marxisme culturel. En faisant de la jeunesse bourgeoise le moteur de la révolution contre-culturelle, elle trouve une nouvelle façon d’analyser la transformation de la conscience de classe comme outil pour saper l’oppression des rapports de classe à la base du système capitaliste. En ce sens, il y a des analogies entre « contre-culture » et « subculture » en ce que les deux concepts ont été repris et utilisés dans la littérature universitaire comme outils pour critiquer les inégalités qui sous-tendent les rapports de classe et les possibilités de transformation sociale. L’usage descriptif des deux concepts présuppose un mode spécifique d’identité jeune, située socialement et reposant sur l’adoption d’un certain style, et dans laquelle la musique, la mode, les drogues et les ressources qui leur sont liées sont déployées en vue de l’expression singulière d’une action contre-hégémonique – à savoir, contre les institutions de l’hégémonie dominante. On trouve un exemple de cette approche dans l’ouvrage Profane Culture (1978) de Paul Willis : bikers « ouvriers » et hippies « bourgeois », bien qu’occupant des places différentes dans la hiérarchie sociale, sont néanmoins également engagés dans la manifestation symbolique d’une résistance à un ennemi commun : la société bourgeoise dominante.

9 À certains égards, les problèmes inhérents au concept de contre-culture sont similaires à ceux décelés dans celui de subculture. La théorie de la subculture a été maintes fois critiquée, car elle établit une équation trop parfaite entre subculture et jeunesse ouvrière, s’accommodant ainsi d’un argument confortable, en vue d’une critique culturelle marxiste du capitalisme tardif (cf., par exemple, Redhead, 1990 ; Muggleton, 2000). On a ainsi relevé le peu de preuves empiriques attestant de la composition exclusivement ouvrière des subcultures jeunes. Pour les subcultures suivantes, comme le punk et le goth, il était encore plus clair que leurs membres ne pouvaient être assignés à une classe sociale unique (Bennett, 1999). Un argument similaire peut être soutenu au sujet du concept de contre-culture : les hypothèses sur sa composition de classe et les intentions idéologiques qui en dérivent sont elles aussi péremptoires. En effet, la manière dont la littérature universitaire a conceptualisé la contre-culture de la fin des années 1960 pose deux problèmes fondamentaux. D’abord, il y a une séparation nette entre les formes du changement social envisagé par la contre-culture et celles des sciences sociales de l’époque. Certainement, il y avait des éléments très politisés au sein de la contre-culture, mais cette politisation du mouvement ne fut pas uniforme, en ce sens que tous ses membres n’ont pas appelé à renverser le système capitaliste. En effet, il y avait, sous plusieurs aspects, une contradiction inhérente à cette interprétation de la contre-culture, car les fondements mêmes de l’idéologie contre-culturelle étaient basés sur des produits et des ressources rendus possibles et disponibles par les médias de masse et la consommation de masse – des armes notoires du capitalisme tardif. De plus, au sein de la rhétorique hippie elle-même, il y avait des incohérences claires et

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inévitables dans la façon dont l’esthétique contre-culturelle était comprise et exprimée. Par exemple, lors de deux des « grands » événements musicaux de la contre-culture – Woodstock en 1969 et le festival de l’Île de Wight en 1970 –, les organisateurs ne prônèrent finalement la gratuité que dès l’instant où leurs tentatives de vendre des places échouèrent, alors qu’il y eut de nombreux débats sur la place de la musique au sein de la contre-culture et le droit de la jeunesse à un accès gratuit à celle-ci.

10 L’autre problème des analyses universitaires de la contre-culture est le sempiternel présupposé selon lequel celle-ci était principalement composée de jeunes bourgeois blancs. En effet, d’après Clecak (1983), le fait de faire coïncider la contre-culture avec un mouvement de jeunes hippies blancs et bourgeois est une façon étriquée d’analyser le phénomène. Ainsi, d’après Clecak, non seulement des gens venant d’une grande variété de groupes sociaux et culturels s’impliquèrent dans la contre-culture, mais le terme même de contre-culture était, en réalité, un mot fourre-tout qui renvoyait à un ensemble informe d’activités et d’idéologies qui ne trouva une voix commune que pendant une courte période à la fin des années 1960. En effet, poursuit-il, la contre- culture permit à une large panoplie de groupes et d’individus différents de « trouver des formes symboliques pour leurs mécontentements et espoirs sociaux et spirituels » (1983 : 18). Ces groupes incluaient : « (1) Le mouvement des droits civiques, qui fut déclenché par les noirs mais qui regroupa rapidement d’autres minorités raciales telles que les Amérindiens, les Hispaniques et les Asiatiques ; (2) les jeunes, surtout les étudiants à l’université et les intellectuels en rupture de ban ; (3) les mouvements pacifistes et d’opposition à la guerre ; (4) les pauvres ; (5) les femmes ; (6) le Mouvement du potentiel humain3 ; (7) les prisonniers et d’autres « laissés-pour-compte » ; (8) les gays et les lesbiennes : (9) les groupes de consommateurs ; (10) les écologistes ; (11) les personnes âgées ; et (12) les personnes physiquement différentes (les handicapés, les très gros, les très grands, les très petits). » (1983 : 18)

11 Un argument similaire est développé par Eyerman et Jamison (1998), dans leur évaluation analytique de la contre-culture quelque quinze années après celle de Clecak : « Pendant les années 1960 la jeunesse n’a pas seulement pris conscience d’elle- même, elle est aussi devenu le modèle et a établi des normes pour le reste de la société dans de nombreuses sphères de la culture, des plus superficielles comme les vêtements ou les coupes de cheveux, aux plus profondes comme les interactions sociales entre hommes et femmes, Noirs et Blancs. » (1998 : 113)

12 Les observations de Clecak d’un côté et d’Eyerman et Jamison de l’autre sont importantes à plus d’un titre. D’abord, elles soulignent la nature profondément diverse et hétérogène des individus comme des idéologies sociopolitiques et culturelles qui ont soit fusionné, soit coexisté au sein du mouvement contre-culturel de la fin des années 1960. Ensuite, et de façon connexe, ces interprétations présentent la contre- culture non pas comme une entité socioculturelle spécifique, mais plutôt comme quelque chose de suffisamment fluide pour pouvoir incorporer différents groupements et, par conséquent, se manifester différemment à des moments et dans des lieux particuliers, en fonction des circonstances socio-économiques, culturelles et démographiques locales. Alors que ces questions ont été explorées de fond en comble à propos du concept de « subculture », et notamment dans le travail critique de théoriciens poststructuralistes tels que Bennett (1999), Miles (2000) et Muggleton (2000), l’analyse des limites du concept de contre-culture, lorsqu’il sert à dénoter avec rigidité des formes relativement étroites d’action sociale basée sur un style, ont été

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bien moins fréquentes, et ce aux dépens d’une évaluation détaillée de l’impact des circonstances locales sur la nature des pratiques et des processus contre-culturels.

Repenser la contre-culture

13 Comme nous l’avons vu précédemment, bien que la contre-culture ait esquivé nombre des critiques formulées ces vingt dernières années au sujet de la subculture, elle n’en est pas moins problématique. Le concept souffre des mêmes maux que celui de subculture. À cet égard, il est significatif que la contre-culture, à l’instar de la subculture, émerge d’une constellation de préoccupations théoriques issues de la sociologie et des cultural studies. Celles-ci cherchent notamment à rendre visibles les luttes et les conflits sociaux en les recoupant avec des pratiques culturelles contemporaines s’incarnant dans des formes particulières de divertissements, de consommation et de modes de vie. Comme on l’a vu, le type d’interprétation homologique qui en résulte produit en général des interprétations rigides qui ne font pas nécessairement bon ménage avec la façon dont ces pratiques culturelles se manifestent vraiment dans la vie quotidienne. Le « tournant culturel » de la sociologie de la culture au début des années 1990 a ouvert un nouveau champ de perspectives pour comprendre comment les identités socioculturelles, tant individuelles que collectives, sont produites et reproduites en faisant référence à la structure sociale, sans la refléter directement. La notion de « modernité réflexive » de Giddens (1991) est de ce point de vue particulièrement importante. Elle permet d’envisager à nouveaux frais comment les identités sont construites de façon réflexive par des individus, en référence aux ressources et biens culturels qu’ils mobilisent et s’approprient au cours de leur vie quotidienne. Selon Giddens, l’impact de la modernité réflexive sur l’individu est tel que l’identité ne peut plus être considérée comme un donné. Elle est plutôt contingente, s’accordant à la gamme d’expériences de vie individuelles et servant d’interface entre l’individu et la pléthore d’objets, d’images et de textes mis à disposition par les industries culturelles. Chaney (1996 ; 2002) développe un argumentaire similaire sur la façon dont les individus et les groupes renforcent [empowered] leur capacité d’agir par la mobilisation de leurs ressources culturelles. Pour lui, deux points saillants émergent de cette configuration. Premièrement, les appropriations individuelles de ressources culturelles spécifiques donnent lieu à ce qu’il appelle des « modes de vie situés et stratégiques » [lifestyle sites and strategies]. Ceux-ci révèlent l’appropriation physique et l’inscription symbolique de ressources culturelles dans le contexte de la vie quotidienne, de telle sorte qu’ils acquièrent des significations spécifiques dans des contextes propres et situés dans l’espace. Deuxièmement, la pluralité des modes de vie dans la société contemporaine est telle qu’il devient naturellement difficile, et par conséquent peu réaliste, d’insister sur des dichotomies de type sub/dominant lorsque l’on parle de formes et de pratiques culturelles caractérisant la vie quotidienne contemporaine. Par rapport au concept de subculture, Chaney fait l’observation suivante : « Si la manipulation de répertoires de styles a construit des valeurs, des relations et des identités, alors la culture matérielle devient le terrain sur lequel l’ordre social est constitué. Ceci, il me semble, est l’un des aspects les plus importants de la montée en puissance de modes de vie comme « sites et stratégies » œuvrant à de nouvelles formes d’affiliation et d’identification… c’est-à-dire que la culture devient bien plus une ressource qu’un héritage. Ainsi, ce qui était jadis décrit comme des

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subcultures pourrait désormais être considéré comme des affirmations de modes de vie collectifs, qui négocient réflexivement plus qu’ils ne reflètent directement l’expérience de la classe sociale. » (2004 : 41-42)

14 La notion de terrain culturel de la vie quotidienne contemporaine, qui englobe une série de modes de vie situés et stratégiques, dans lesquels les éléments de classe, de race, de genre et de sexualité peuvent converger tout comme ils peuvent rester séparés les uns des autres, témoigne d’une certaine manière d’un changement important dans notre compréhension du concept de contre-culture. En effet, comme l’avait suggéré Clecak à la fin des années 1960, la contre-culture était en fait un fourre-tout dans lequel on rangeait des groupements sociaux hétéroclites. Par conséquent, les manifestations physiques des « soi-disant » contre-cultures dans un contexte contemporain ne sont pas moins diverses du point de vue de leur composition socio-économique et démographique.

Les contre-cultures comme modes de vie situés et stratégiques

15 En suivant les réflexions de Giddens et Chaney sur la panoplie de plus en plus complexe de modes de vie réflexifs caractérisant la société contemporaine, on peut soutenir que des concepts tels que la contre-culture, en dépit de son pouvoir de séduction politique, esthétique et idéologique, trahit en vérité la diversification et la mutabilité toujours plus rapide du processus social contemporain. Le terrain de la vie quotidienne dans la modernité tardive est ainsi fait que différents modes de vie situés et stratégiques émergent et s’agglomèrent en des formes sociales collectives, chacune incarnant des sensibilités esthétique et politique spécifiques, à travers lesquelles les groupes et les individus articulent le sentiment de leur « différence » vis-à-vis des autres groupes et individus vivant dans les mêmes lieux et espaces urbains et régionaux. Ces façons de vivre et de se mettre en scène intègrent une gamme de positions idéologiques dans lesquelles les goûts personnels, les identités politiques, religieuses, sexuelles et ethniques sont imbriqués de mille façons. Elles façonnent ainsi des identités collectives traversées par des circonstances locales, trans-locales et, de plus en plus, mondiales.

16 À cet égard, la compression spatio-temporelle générée par les technologies de communication numériques et un flux global d’informations toujours plus véloce joue un rôle considérable. Les groupes et les individus des quatre coins du globe peuvent désormais forger des alliances critiques et coordonner des formes de pratique et/ou d’action trans-locales ou globales, avec des objectifs propres. De même, ces connexions trans-locales ou mondiales peuvent également favoriser des formes d’interaction complètement passives et sans relief. Mais celles-ci soulignent néanmoins les divers chemins empruntés par les groupes et individus qui aujourd’hui appréhendent la vie quotidienne et créent des interfaces matérielles et symboliques, productrices de sens. Les flux mondialisés de personnes, de biens et de ressources sont en l’occurrence tout aussi importants ; et cela ouvre un nouveau champ de connexions socioculturelles entre des groupes et des individus aux orientations et sensibilités similaires.

17 Le concept de mode de vie [lifestyle] a été critiqué par le passé, car il renvoyait à une posture prétendument laudative vis-à-vis de la consommation culturelle et de la création d’identités sociales (cf., par exemple, McGuigan, 1992). Il faut reconnaître que, dans les applications précédentes du terme – et dans ses usages commerciaux et

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publicitaires – le mode de vie a été affublé d’une dimension consumériste et hédoniste prêtant le flanc à la critique (cf., par exemple, Featherstone, 1991). Néanmoins, la notion de modes de vie situés et stratégiques permet de décrire et de comprendre de façon plus complexe les phénomènes de contestation et de changement. Elle se rapporte non seulement simplement aux objets, images et textes consommés par les individus, mais aussi à la manière dont ils les marquent de significations particulières. Ces significations s’ancrent à leur tour dans les réalités quotidiennes que les groupes et individus doivent affronter. De plus, ces modes de vie situés et stratégiques offrent des espaces tant de partage que de différence, qui permettent d’œuvrer à la constitution d’objectifs socioculturels plus larges. Cette description convient sans doute à la contre- culture de la fin des années 1960.

18 Ainsi, la contre-culture semblait se souder, bien que superficiellement, autour d’une série de ressources communes qui, comme nous l’avons noté plus haut, incluaient la musique, les drogues et la littérature. De fait, elle révélait un ensemble bien plus complexe et diversifié de modes de vie situés et stratégiques qui purent se mêler, même si ce fut pour une courte période, sous une seule et même bannière. Ainsi, alors que certains des éléments de la contre-culture les plus radicaux politiquement se servirent de la musique, des styles et du jargon et de la rhétorique hippies pour lancer des diatribes contre le gouvernement (comme ce fut le cas avec le mouvement d’opposition à la guerre du Vietnam), d’autres éléments s’engagèrent dans une idéologie essentiellement passive, écologique, de retour à la terre (le mouvement des communautés, par exemple), tandis que d’autres encore furent attirés par les happenings et d’autres événements proposant des « expériences totales », sous l’influence des drogues et des écrits littéraires d’auteurs tels que Huxley et ses Portes de la Perception (1954). Toutefois, certains, pourtant conscients de la coexistence et de la juxtaposition de ces éléments dans la contre-culture, s’investirent moins dans ce genre d’articulations du mode de vie hippie, mais s’intéressèrent beaucoup à la musique, au style, et intégrèrent une scène locale urbaine particulière (comme dans le quartier de Haight Ashbury à San Francisco, la soi-disant « Mecque hippie »).

La contre-culture dans un contexte contemporain

19 En dépit de ces critiques théoriques faites aux concepts de subculture et de contre- culture, la théorie sociale et culturelle a continué de les utiliser. Si le second continue à être employé par les chercheurs, c’est probablement du fait de son impact sur le langage courant et dans la vie quotidienne. Comme pour la subculture, la contre- culture est maintenant ancrée dans les discours des industries culturelles et le langage commun. Ces usages sont en partie liés aux associations passées et à l’héritage du terme, ainsi qu’à la manière dont il a été représenté et redéployé par les médias populaires et savants. Grâce à son omniprésence dans le « paysage médiatique » mondial (Appadurai, 1990), la contre-culture maintient son aura de symbole discursif puissant au service de formes d’action sociale et/ou de croyances et de modes de vie alternatifs qui semblent tous être liés, ou qui se revendiquent des tendances esthétiques, politiques et culturelles associées au phénomène originel des années 1960. Ceci transcende les simples velléités mélancoliques venant de la génération des baby- boomers. À travers son riche héritage historique et sa représentation continuelle comme mode d’expression d’une « altérité » vis-à-vis d’une idéologie dominante, le

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terme de contre-culture occupe désormais une place spéciale dans l’imaginaire populaire. Du point de vue des générations postérieures aux années 1960, la contre- culture est devenue une mémoire reçue et négociée (van Dijck, 2007 ; Bennett, 2010) qui témoigne d’une réaction à une série de problèmes pathologiques encore toujours d’actualité dans le monde d’aujourd’hui.

20 Là où la subculture sert à représenter des solutions de petite échelle, souterraines ou presque détournées aux problèmes sociaux, la contre-culture connote une échelle plus grande : un mouvement ou une série de mouvements concernant des problèmes et des questions socioéconomiques vastes et dispersées mondialement. Pour cette raison centrale, elle garde une réelle actualité dans les esprits de nombreuses personnes qui participent, rendent compte ou bien réfléchissent aux formes variées d’activités contre-hégémoniques dans les contextes sociaux contemporains. Les mouvements globaux centrés sur les problèmes actuels tels que l’environnement, les droits de l’homme, des animaux et la crise financière absorbent et répètent tous d’une manière ou d’une autre des discours de résistance dont la silhouette fut tracée à la fin des années 1960. En effet, McKay (1996) identifie une connexion tangible entre les styles de militantisme internationalisés de la fin des années 1960 et ceux qui émergèrent dans les décennies suivantes. Comme forme de narration populaire, la contre-culture affirme alors sa pertinence dans nos perceptions et interprétations des luttes hégémoniques qui continuent à informer la vie quotidienne de nombreuses sociétés et cultures partout dans le monde.

21 Pourtant, au-delà de ces caractéristiques sémantiques de la contre-culture, il y a des formes plus complexes d’interaction sociale, de communication et de mise en réseau trans-locales qui commencent tout juste à faire sens, d’un point de vue sociologique, à l’aune des théories issues du tournant culturel. À partir de cette perspective, le concept de contre-culture est perçu comme incluant un arsenal hautement complexe et étendu de modes de vie, de sensibilités et de croyances qui, bien qu’ils se rejoignent nettement à un certain niveau, prennent des chemins et des trajectoires biographiques variés, chacun ayant ses propres connexions à d’autres milieux et mondes culturels spécifiques. En tant que telle, à un niveau théorique, la contre-culture, comme la subculture, ne peut pas fonctionner effectivement comme catégorie culturelle permettant de définir des groupes sociaux distincts les uns des autres, selon une grille binaire contre/dominant. Le terme agit plutôt comme un mécanisme servant à décrire des points particuliers de convergence, grâce auxquels les individus peuvent temporairement s’entendre en vue de l’accomplissement d’objectifs spécifiques. Les contre-cultures sont, en effet, des expressions fluides et mutables de sociabilité qui se manifestent lorsque les individus s’associent temporairement pour exprimer leur soutien et/ou pour participer à une cause commune, mais dont les vies quotidiennes se déroulent de fait simultanément sur toute une gamme de terrains culturels des plus divers.

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NOTES

1. Dans leur introduction à l’ouvrage Resistance through Rituals de Clarke, Hall, Jefferson et Roberts, la « culture parente » n’est pas la culture des parents par opposition à celle des jeunes, mais l’ensemble culturel plus vaste dont une subculture (jeune) est issue. La subculture hérite d’éléments de la culture parente, tout en s’y opposant (1976 : 6-8) [NdT]. 2. Subculture jeune née à Londres dans les années 1950. Les Teddy Boys écoutaient du jazz, du skiffle puis adoptèrent le rock ‘n’ roll. Ils se démarquèrent par leur style, inspiré par les dandies de l’ère edwardienne [NdT]. 3. Mouvement de « psychologie humaniste » né au sein de l’Institut Ensalen, fondé en 1962 en Californie par Michael Murphy et Richard Price, qui prônait le développement d’états spirituels supérieurs de la conscience humaine, par le biais de techniques théra- peutiques, psychologiques, méditatives variées [NdT].

RÉSUMÉS

Cet article propose un examen critique du concept de contre-culture. Il analyse d’abord son usage à la fin des années 1960, qui révèle de nombreuses limites, similaires à celles rencontrées par celui de subculture, notamment celles de la définition de la contre-culture, comme un mode

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de résistance, socialement situé (la bourgeoisie), à la société dominante. L’article considère ensuite en quoi le tournant culturel de la sociologie et de la théorie culturelle rend problématique l’usage originel du concept, qui se révèle largement incompatible avec l’analyse des mouvements socioculturels contemporains, dans un contexte globalisé. Enfin, cette contribution cherche à comprendre pourquoi le concept continue néanmoins à être utilisé dans les contextes populaires – l’une des raisons étant la manière dont les médias s’en ont servi pour représenter des moments critiques dans les réponses quotidiennes apportées aux tensions socio- économiques et culturelles.

This article offers a critical examination of the concept of counterculture. Beginning with an overview and discussion of counterculture’s application in the context of the late 1960s, the article argues that many of the claims for the validity of counterculture in this socio-historical context reflect issues and shortcomings similar to those offered in relation to the concept of subculture. That is to say, counterculture was cast as a class-based (in this case middle class) mode of resistance to the dominant mainstream society. The article then goes on to offer reasons as to why such a claim was, as in the case of subculture, ill-founded. The article then goes on to consider how the emergence of the cultural turn in sociology and cultural theory further problematises the original conceptualisation of counterculture and renders the term largely incompatible with contemporary understandings of social and cultural movements in a global context. Finally, the article considers why counterculture lives on in a popular and vernacular context, a central facet of which, it is argued, relates to the way in which counterculture has been deployed in the media as a means of representing critical moments in everyday responses to socio-economic and cultural tension.

INDEX

Index chronologique : 1960-1969, 1970-1979 Mots-clés : contre-culture / résistance, modes de vie, réflexivité, scènes, subcultures, gauche (extrême-) Thèmes : rock music, psychedelic / acid rock Keywords : counterculture / resistance, lifestyles, reflexivity, scenes, subcultures, left / far left nomsmotscles Wolfe (Tom), Thompson (Hunter S.) Index géographique : États-Unis / USA, Grande-Bretagne / Great Britain

AUTEURS

ANDY BENNETT

Andy BENNETT est Professeur de Sociologie Culturelle et Directeur du Griffith Centre for Cultural Research à l’université Griffith de Queensland (Australie). Il a écrit et dirigé de nombreux ouvrages de référence sur les musiques populaires, les cultures jeunes, les concepts de subcultures et de scènes, dont Popular Music and Youth Culture, Cultures of Popular Music, Remembering Woodstock, et Music Scenes (avec Richard A. Peterson). Il est actuellement en charge d’un projet triennal, regroupant cinq pays, financé par l’Australian Research Council, intitulé « Musiques populaires et mémoire culturelle : histoires musicales locales et leur signification aux yeux des industries musicales nationales ». Il est directeur du Journal of Sociology, membre du Centre pour la Sociologie Culturelle de l’université de Yale, et membre associé de PopuLUs, le

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Centre pour l’étude des musiques du monde de l’université de Leeds. mail

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Reappraising « Counterculture » Pour une réévaluation du concept de contre-culture

Andy Bennett

EDITOR'S NOTE

This text was published in Countercultures & Popular Music (Farnham, Ashgate, 2014), while its French translation appeared in this issue of Volume! in 2012.

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1 SINCE ITS EMERGENCE as a key socio-political term during the late 1960s, the concept of counterculture has reappeared periodically in literature, media and vernacular discourse as a means of articulating aspects of counter-hegemonic ideology, practice and belief. Generally speaking, ‘counterculture’ is used to denote a point of disjuncture between what are represented as dominant or mainstream values and alternative value systems that, although the purview of a minority, are articulated through various forms of media – music, writing, art, protest and so on; these serve to amplify the collective voice of a counterculture in such a way that a minority becomes a ‘significant’ minority. In terms of academic theorisation, counterculture has been dramatically overshadowed by the term ‘subculture’, the latter having become a key conceptual framework for the examination of counter- and anti- hegemonic practice, particularly among youth. Indeed, subculture has also become a subject of ongoing critical debate between theorists as to the validity – or not – of the concept, given its fixation around issues of class and social structure. At one level, such a perspective, it is argued, carries increasingly less significance in a social world characterised by reflexivity, fragmentation and cultural pluralism (see Bennett 2011). By and large, the concept of counterculture has remained beyond the ambit of such debates. Yet, as a conceptual framework, counterculture presents an equally potent series of questions, not least because of the way in which it has been applied to ongoing trends in socio-political action and thought – particularly in relation to new social movements and alternative lifestyles, but also on occasion in the context of other aspects of social life, such as organised religion (Elliott 1990) and racism (van Donselaar 1993).

2 The purpose of this introductory chapter is to critically revisit and re-evaluate the term ‘counterculture’ as a means of examining and explicating previous and ongoing instances of counter- and anti-hegemonic ideology, practice and beliefs. The chapter begins by looking at the emergence of the term ‘counterculture’ in the late 1960s, and its associations with the hippie movement. This is followed by a consideration of how more recent developments in sociological theory complicate and problematise the 1960s definition of counterculture, and also the way in which this definition has been redeployed in more recent decades in relation to other forms of cultural and socio- political phenomena. This is followed by an investigation of how new social trends and associated developments – notably in digital technology – provide an impetus for new understandings of counterculture. Finally, the chapter will examine some current examples of movements and groups that have been referred as countercultures, and consider new ways of positioning this concept.

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The Origins of Counterculture

3 While the precise origins of counterculture are unclear, the term acquired popular currency during the late 1960s when it became associated with the hippie movement. Taking some of their inspiration from the Beat era, the hippies created an alternative cultural milieu in which music, drugs, literature and lifestyle combined to create a series of perceived alternatives to the dominant capitalist society inhabited by their parents and other members of the ‘parent culture’ (Hall 1968). Music was undoubtedly an important driver for the separation that the hippies sought from the parent culture (Whiteley 1992). Building on generations of protest song, artists such as Bob Dylan, the Beatles and the Rolling Stones infused rock music with a level of social and cultural critique that was quickly acknowledged, emulated and developed by other emergent artists of the late 1960s (Bennett 2001). As Frith (1981, 1983) observes, such was the power of rock music in this respect that it began to bespeak notions of an alternative community that the hippies believed could be experienced and realised through the music itself. As Frith observes, such claims about the power of music to create a physical, alternative community were ill-founded and spurious. Nevertheless, signature events of the countercultural era, such as the Woodstock Music and Arts Fair (see Bennett 2004) and the emergence of rural communes (see Webster 1976), gave rise to a collective sense – albeit a short-lived one – among the hippies that a fully-fledged alternative lifestyle was possible. It was this mythical and romanticised notion of an alternative lifestyle, and thus the foundations of an alternative community, that provided the impetus for the countercultural ideology of the hippie movement.

4 Equally important in this respect was the global character of the counterculture. While most of the youth cultures and gangs of the 1950s and early 1960s – for example, the Teddy Boys – had been locally specific manifestations (Hall and Jefferson 1976), the hippie movement quickly established a presence throughout the Western world and also in some parts of South America, Asia and the former Soviet Bloc (see Easton 1989). Again, music was highly important in this respect. Utilising the possibilities of the then rapidly increasing global communications technologies, popular music artists of the day were able to communicate their music – and their message – across a wide geographic area in a single performance. A significant example of this was the Beatles’ song ‘All You Need Is Love’, which was first aired as a semi-live performance by the Beatles as part of the Our World programme, the world’s first live global television link- up. The programme was broadcast via satellite on 25 June 1967, and was viewed by an estimated 400 million people in 26 countries throughout the world.

5 Popular representations of the counterculture also interpreted it as a socio-cultural phenomenon with the potential to create a new cultural sphere, beyond and ideologically separated from the parent culture. Wolfe’s (1968) The Electric Kool-Aid Acid Test was a highly influential piece of writing in this sense. Documenting the road-trip of Ken Kesey and his ‘Merry Pranksters’ around the United States during the mid-1960s, Wolfe vividly portrays the use of LSD in multimedia events designed to create new levels of perception and awareness among participants (see Moore and Keister in this volume). Similarly, Thompson’s (1971) Fear and Loathing in Las Vegas, although published in the early 1970s, pays due homage to the countercultural legacy and its vision of a

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new world deflected from the mainstream society’s economic greed and obsession with technological growth.

6 Such matters also piqued the interest of a number of academic theorists during the late 1960s and early 1970s. Of particular significance and interest for many academic writers was the fact that the counterculture, unlike earlier examples of youth culture, appeared to focus on middle-class youth. Thus, as Clarke et al. (1976) observe in their introductory essay to the now seminal text on youth culture, Resistance through Rituals, the counterculture spear headed a dissent from their own, dominant, ‘parent’ culture. Their disaffiliation was principally ideological and cultural. They directed their attack mainly against those institutions which reproduce the dominant cultural ideological relations – the family, education, the media, marriage, the sexual division of labour. (1976: 62) In the United States, too, there was a sense amongst academic theorists that the counterculture was challenging the hegemonic hold of the middle class from within.

7 In his book, The Making of a Counter-Culture, Roszak (1969) takes the argument a step further, arguing that the counterculture was not simply opposed to the hegemonic power of their parent culture but also to the technocracy the parent culture had created. By technocracy, Roszak refers to the increasing reliance upon technology and rational-scientific reasoning. During the late 1960s, the atrocities of Nazi Germany and the horrific realisation of the destructive power of the atomic bomb were disturbing facets of a recent past, while the Cold War and the escalating conflict in Vietnam served as current reminders of the highly pathological aspects of the technocratic society (see A. Bennett 2005). Roszak describes the counterculture as ‘technocracy’s children’ – disaffected middle-class youth who wished to break away from the bourgeois and technocratic world of their parents. Thus, observes Roszak, By way of a dialectic Marx could never have imagined, technocratic America produces a potentially revolutionary element among its own youth. The bourgeoisie, instead of discovering the class enemy in its factories, finds it across the breakfast table in the person of its own pampered children. (1969: 34)

8 In The Greening of America, Reich (1971) advances the notion of a countercultural, middle-class youth breaking away from the social and cultural bonds of the parent culture and simultaneously challenging its authority through his concept of Consciousness III. For Reich, this describes a new level of consciousness and being that encapsulates the potential for social change through achieving a new level of experience and understanding in which individuals work collectively for the good of the community and the well-being of future generations. This involves a rejection of the values of capitalism, which fosters an individualistic and short-term set of goals through its emphasis on the accumulation of wealth tied to individual comfort and security. According to Reich, the counterculture provided a platform for youth to subvert such dominant, received ideology and supplant it with a new series of values relating to sustainability – social, economic and environmental.

Problematising Counterculture

9 It was observed earlier in this chapter that some of the basic tenets of the countercultural ideology – notably its emphasis upon alternative notions of community based around common investment in musical taste – amounted to a relatively idealist

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and romanticised notion of social change. Arguably, a significant element of such romanticism also taints much of the writing about counterculture published during the late 1960s and early 1970s. In this writing, counterculture is held up as a model for social change, a perspective informed by a wider body of work grounded in critical theory and cultural Marxism. By naming middle-class youth as the key drivers of a countercultural revolution, a new means is found of explicating the transformation of class consciousness as a way of subverting the oppressive class relations seen to underpin capitalism. In this sense, there are some parallels between ‘counterculture’ and ‘subculture’ in that both concepts have been taken up and used in academic writing as a means of addressing the inequalities underpinning class relations and the potential for social change.

10 The application of both counterculture and subculture presupposes a class-based ownership of a specific mode of style-based youth identity in which music, fashion, drugs and associated resources are deployed homologically in the pursuit of a singly defined expression of counter-hegemonic action against the institutions of the ruling hegemony. This approach is typified in Willis’s (1978) study, Profane Culture. Thus Willis’s ‘working-class’ bikers and ‘middle-class’ hippies – although they occupy different social strata – are both engaged in a symbolic show of resistance against a common enemy: the dominant, middle-class society.

11 In certain respects, the problems inherent in the concept of counterculture are similar to those that have been identified with subculture. A number of writers have previously criticised subcultural theory for its neat equation of subculture with working-class youth, the contention being that this produces a self-serving argument linked to a cultural Marxist critique of late capitalism (e.g. see Redhead 1990; Muggleton 2000). This is supported by a further level of critical debate, which argues that little empirical evidence exists to suggest that the early examples of youth subcultures were exclusively working class, while in the case of later subcultures, such as punk and goth, it is clear that memberships have been cross-class (Bennett 1999). A similar case can be made in relation to the term ‘counterculture’, in that sweeping assumptions are made about its class composition and consequent ideological intent.

12 There are two main problems with the way in which the late 1960s counterculture has been conceptualised in previous writing. First, there was a clear disjuncture between the forms of social change that the counterculture envisaged and those social theorists at the time envisaged. Certainly, there were highly political elements within the counterculture, but the movement was not uniformly politicised in a way that dictated that the only way forward was to overthrow the capitalist system by whatever means. Indeed, there was, in many ways, an inherent contradiction in this understanding of the counterculture, in that the very foundations of countercultural ideology were based on products and resources made possible through mass media and mass consumption – the latter both representing significant arms of late capitalism. Furthermore, within the hippie rhetoric itself, there were clear and inevitable inconsistencies in the way in which the countercultural aesthetic was understood and expressed. For example, at two of the ‘great’ countercultural music events, the Woodstock Music and Arts Fair in 1969 and the Isle of Wight Festival of 1970, while there was much discussion of music being part of the counterculture and of youth having a right to freely access music, this only became a reality after failed attempts to ticket both of these events.

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13 The other problem inherent in academic renderings of the counterculture is the assumption that it wholly or mainly comprised white, middle-class youth. Such an interpretation depends very much on the particular argument rehearsed with reference to the counterculture. Indeed, according to Clecak (1983), the equation of counterculture with a white, middle-class, hippie movement is an inherently narrow interpretation. According to Clecak, not only were there people from a variety of social and cultural groups involved in the counterculture, but the term ‘counterculture’ itself was an umbrella term for an amorphous range of activities and ideologies that, for a brief period at the end of the 1960s, found a common voice. Indeed, observes Clecak, the counterculture enabled a wide range of different groups and individuals ‘to find symbolic shapes for their social and spiritual discontents and hopes’ (ibid.: 18). These groups included: (1) The civil-rights movement, beginning with blacks but quickly encompassing such other racial minorities as American Indians, Hispanic Americans, and Asian- Americans; (2) the young, especially college students and disaffected intellectuals; (3) the peace and anti-war movements; (4) the poor; (5) women; (6) the human- potential movement; (7) prisoners and other ‘outcasts’; (8) gays and lesbians; (9) consumers; (10) environmentalists; (11) the old; and (12) the physically different (the disabled, the very fat, the very tall, the very short). (ibid.: 18)

14 A similar point is made in a more recent study by Eyerman and Jamison (1998) who, in their own analytical evaluation of the counterculture made some 15 years after Clecak, suggest that: During the 1960s youth not only gained self-consciousness, it became the model and set standards for the rest of society in many spheres of culture, from the most superficial like clothing and hair-styles, to the most deeply rooted like the basic social interactions of men and women and blacks and whites. (1998: 113)

15 The respective observations of Clecak and Eyerman and Jamison, are significant for several reasons. First, they both point to the essentially diverse, heterogeneous nature of both the individuals and socio-political and cultural ideologies that either merged or coexisted within the countercultural movement of the late 1960s. Second, and in association, these accounts each portray the counterculture not as a specific socio- cultural entity, but rather an entity with a significant degree of fluidity such that it could incorporate diverse groupings, and thus manifest itself differently at specific times and within specific places, depending on local socio-economic, cultural and demographic circumstances. While these issues have been explored thoroughly in relation to ‘subculture’, largely through the critical work of post-subcultural theorists such as Bennett (1999), Miles (2000) and Muggleton (2000), there has been far less engagement with the limitations of counterculture when used as a rigid concept for denoting relatively narrow forms of style-based social action at the expense of a detailed consideration of the impact of local circumstances on the nature of countercultural practices and processes.

Re-theorising Counterculture

16 As the above observations suggest, although counterculture has evaded many of the criticisms levelled at subculture over the last 20 years, in many respects it is no less problematic a concept. Indeed, it can be argued that counterculture suffers from many of the problems associated with subculture. Most significant in this respect is the fact

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that counterculture, like subculture, emerges from a specific set of theoretical concerns embedded in sociology and cultural studies, which seek to render social conflict and struggle visible through mapping them on to contemporary cultural practices grounded in particular forms of leisure, consumption and lifestyle. As noted earlier, the form of homological interpretation that results from this produces characteristically rigid forms of explanation that do not necessarily sit well with the actual ways in which such cultural practices play out in everyday life. The ‘cultural turn’ in social and cultural theory during the early 1990s brought with it a new range of perspectives for understanding how socio-cultural identities – both individual and collective – are made and remade in ways that may reference but do not directly reflect the social structure. Giddens’ (1991) notion of reflexive modernity is particularly important in this respect, as it offers new ways of understanding how identities are reflexively constructed by individuals with reference to the cultural commodities and resources with which they engage and that they appropriate in the course of their daily lives. According to Giddens, such is the impact of reflexive modernity on the individual that identity can no longer be considered a given. Rather, it is contingent upon a range of individual life experiences and the interface between the individual and the plethora of objects, images and texts made available through the cultural industries.

17 Chaney (1996, 2002) makes a similar range of arguments concerning the way in which individuals and groups are empowered through their engagement with cultural resources. For Chaney, there are two salient points emerging from such engagement. First, individual appropriations of specific cultural resources give rise to what he terms lifestyle sites and strategies. The latter bespeak the physical appropriation and symbolic inscription of cultural resources within the context of everyday life in such a way that the latter come to represent specific meanings in specific local contexts. Second, such is the plurality of lifestyles in late modern society that it becomes inherently difficult, and therefore largely impractical, to insist on sub-/dominant binaries when talking about the cultural forms and practices that characterise contemporary everyday life. Considering this in relation to the concept of subculture, Chaney offers the following observation: [I]f values, relationships and identities are being constructed in the manipulation of vocabularies of style, then material culture becomes the terrain – albeit an unstable, relative terrain – though which social order is constituted. This, it seems to me, is one of the most important aspects of the rise of lifestyles as ‘sites and strategies’ for new forms of affiliation and identification … that is, culture becomes more clearly a resource than an inheritance. Thus, what were once described as subcultures could now be regarded as collective lifestyle statements, which reflexively negotiate rather than directly mirror the experience of social class. (2004: 41–2)

18 Chaney’s notion of the cultural terrain of contemporary everyday life comprising a diverse series of lifestyle sites and strategies, in which aspects of class, race, gender and sexuality may converge just as much as they may be held separate from each other, signifies an important shift in our understanding and interpretation of the term ‘counterculture’. Indeed, just as Clecak (1983) suggested that the late 1960s counterculture was in fact an umbrella term for a range of different and highly diverse social groupings, so the physical manifestations of many ‘so-called’ countercultures in a contemporary context are no less diverse in terms of their socio-economic and demographic composition.

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Countercultures as Lifestyle Sites and Strategies

19 Following the theoretical arguments of Giddens and Chaney regarding the increasingly complex array of reflexive lifestyles that characterise late modern society, there is a case for arguing that the term ‘counterculture’ – despite its seductive resonance as an aesthetic and ideological term of opposition – actually denotes a contemporary social process through which the cultural fabric of everyday life is diversifying in ever more rapid cycles of change. The terrain of everyday life in late modernity is such that a variety of different lifestyle sites and strategies emerge and coalesce into collective forms of social life, each embodying specific sets of aesthetic and political sensibilities through which groups and individuals articulate their sense of ‘difference’ from others who occupy the same urban and regional spaces and places. Such articulations embed a range of ideological positions in which aspects of, for example, personal taste, political, religious, sexual and ethnic identity are imbricated in myriad ways, fashioning collective identities that resonate sharply with specific local, trans-local and, increasingly, global circumstances.

20 In relation to this latter point, the time–space compression created through digital communication technologies and the more ready global flow of information plays a significant part. Through the latter, groups and individuals from different places around the globe are able to form critical alliances and coordinate trans-local or global forms of collective practice and/or action aimed towards specific outcomes. Likewise, such trans-local and global connections may also facilitate entirely passive forms of interaction – mundane, unspectacular, yet equally significant in their underscoring of the diverse pathways and objectives that mark the ways in which groups and individuals in contemporary societies negotiate everyday life and create physical and symbolic nodes of meaning. Equally important here is the global flow of people, goods and resources; this adds a further layer of possibilities for socio-cultural connections to be made between groups and individuals with similar lifestyle orientations and sensibilities.

21 The concept of lifestyle has been criticised in the past for allegedly bespeaking a largely celebratory position in relation to cultural consumption and the creation of social identity (e.g. see McGuigan 1992). Admittedly, in previous applications of the term – and through its use in market research and advertising – lifestyle has assumed a resonance with leisure-orientated consumerism and the hedonistic sensibilities that often pre-figure this (e.g. see Featherstone 1991). However, the notion of lifestyle sites and strategies denotes a more socially and culturally complex way of positioning lifestyle as a conceptual framework for understanding aspects of opposition and change. Thus lifestyle sites and strategies pertain not only to the objects, images and texts that individuals consume, but also how they inscribe them with specific meanings, which in turn are embedded in the everyday realities with which groups and individuals are confronted.

22 Moreover, lifestyle sites and strategies provide scope for different lifestyle projects, with points of commonality but also points of difference, to find pathways to convergence – thus building towards broader socio-cultural ends. Such a description arguably befits the counterculture of the late 1960s. Thus, although superficially the counterculture appeared to coalesce around a common series of resources that, as

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noted above, included music, drugs and literature, in truth it marked a far more complex and diverse array of lifestyle sites and strategies that were able to coalesce – albeit for a limited period – under a single descriptive banner. Thus, while some of the more radically political elements of the counterculture harnessed music, style and the hippie argot and rhetoric to make powerful statements against government (as with the anti-Vietnam War movement), other elements were more invested in an essentially passive greenist, back-to-the-land ideology (as in the commune movement), while others were attracted to happenings and other ‘total experience’ events informed by drugs and literature such as Huxley’s Doors of Perception (1954). Still others, while aware of such elements coexisting and overlapping in the counterculture, were less invested in such articulations of hippie lifestyle, but largely took an interest in the music, style and in being part of a particular urban scene (as seen in the example of the so-called hippie Mecca, San Francisco’s Haight-Ashbury district).

Counterculture in a Contemporary Context

23 Despite the theoretical arguments that can be raised against the sociological value of ‘counterculture’ as a meaningful term for categorising social action, like the term ‘subculture’, it lives on as a concept in social and cultural theory. Arguably, however, the continuing resonance of counterculture in academic scholarship has much to do with the way the term is now deployed and assimilated at a broader everyday level. As with subculture, counterculture has now become an embedded aspect of the discourses employed by the cultural industries, and is in everyday vernacular discourse. This partly relates to the past associations and legacy of the term ‘counterculture’ and the way in which this has been represented and redeployed by the popular and ‘quality’ media. Through its omnipresence in the global ‘mediascape’ (Appadurai 1990), counterculture retains its aura as a potent discursive symbol for forms of social action and/or alternative lifestyles and belief that all appear – or can be made to appear – to link with the aesthetic, political and cultural trends associated with the late 1960s manifestation of counterculture.

24 This goes further than merely a nostalgic yearning on the part of the baby boomer generation. Through its rich historical legacy and continued representation as a mode for expressions of ‘otherness’ from a ‘mainstream’ ideology, the term ‘counterculture’ now occupies a special place in the popular imagination. From the point of view of post-1960s generations, counterculture has become part of a received, mediated memory (van Dijck 2007; Bennett 2010) that bespeaks a reaction to a series of pathological issues still very much at large in today’s world. Whereas subculture is held to represent small-scale, perhaps underground or quasi-devious solutions to social problems, counterculture connotes something larger in scale – a movement or series of movements directed towards and orientated to address large, globally dispersed socio- economic problems and issues. For this central reason, it retains significant currency in the minds of many who participate in, report or reflect on, various forms of counter- hegemonic activity in contemporary social settings. Global movements centred on current issues such as environment, human and animal rights and the financial crisis all in some way absorb and rehearse oppositional discourses that took on their initial shape during the late 1960s. Indeed, McKay (1996) identifies what he regards as a

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palpable connection between the styles of activism that acquired global momentum in the late 1960s and those that have emerged during subsequent decades.

25 As a form of popular narrative, counterculture asserts its relevance in our perceptions and understandings of the hegemonic struggles that continue to inform everyday life in myriad societies and cultures across the globe. Beyond these semantic features of counterculture, however, are more complex forms of social interaction and trans-local communication and bonding that only begin to make critical sense, in sociological terms, when one applies the theoretical lenses produced through the cultural turn. When viewed from this perspective, the term ‘counterculture’ is seen to encompass a highly complex and diffuse range of lifestyles, sensibilities and beliefs that, although clearly connecting at some level, are rooted in varying biographical pathways and trajectories, each with their own connections to other specific cultural milieu and lifeworlds. As such, at a theoretical level, counterculture – like subculture – cannot effectively work as a form of cultural categorisation that defines social groups as distinct from each other in a counter-/dominant binary fashion. Rather, the term ‘counterculture’ acts as a mechanism for describing particular points of convergence through which individuals are able to connect temporarily in the pursuit of specific goals. Countercultures are, in effect, fluid and mutable expressions of sociality that manifest themselves as individuals temporarily bond to express their support of and/or participation in a common cause, but whose everyday lives are in fact simultaneously played out across a range of other cultural terrains.

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ABSTRACTS

This article offers a critical examination of the concept of counterculture. Beginning with an overview and discussion of counterculture’s application in the context of the late 1960s, the article argues that many of the claims for the validity of counterculture in this socio-historical context reflect issues and shortcomings similar to those offered in relation to the concept of subculture. That is to say, counterculture was cast as a class-based (in this case middle class) mode of resistance to the dominant mainstream society. The article then goes on to offer reasons as to why such a claim was, as in the case of subculture, ill-founded. The article then goes on to consider how the emergence of the cultural turn in sociology and cultural theory further problematises the original conceptualisation of counterculture and renders the term largely incompatible with contemporary understandings of social and cultural movements in a global context. Finally, the article considers why counterculture lives on in a popular and vernacular context, a central facet of which, it is argued, relates to the way in which counterculture has been deployed in the media as a means of representing critical moments in everyday responses to socio-economic and cultural tension.

Cet article propose un examen critique du concept de contre-culture. Il analyse d’abord son usage à la fin des années 1960, qui révèle de nombreuses limites, similaires à celles rencontrées par celui de subculture, notamment celles de la définition de la contre-culture, comme un mode de résistance, socialement situé (la bourgeoisie), à la société dominante. L’article considère ensuite en quoi le tournant culturel de la sociologie et de la théorie culturelle rend problématique l’usage originel du concept, qui se révèle largement incompatible avec l’analyse des mouvements socioculturels contemporains, dans un contexte globalisé. Enfin, cette contribution cherche à comprendre pourquoi le concept continue néanmoins à être utilisé dans les contextes populaires – l’une des raisons étant la manière dont les médias s’en ont servi pour représenter des moments critiques dans les réponses quotidiennes apportées aux tensions socio- économiques et culturelles.

INDEX

Geographical index: États-Unis / USA Subjects: psychedelic / acid rock, rock music nomsmotscles Wolfe (Tom), Thompson (Hunter S.) Keywords: counterculture / resistance, lifestyles, reflexivity, scenes, subcultures Mots-clés: contre-culture / résistance, modes de vie, réflexivité, scènes, subcultures Chronological index: 1960-1969, 1970-1979

AUTHOR

ANDY BENNETT

Andy BENNETT est Professeur de Sociologie Culturelle et Directeur du Griffith Centre for Cultural Research à l’université Griffith de Queensland (Australie). Il a écrit et dirigé de nombreux ouvrages de référence sur les musiques populaires, les cultures jeunes, les concepts de

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subcultures et de scènes, dont Popular Music and Youth Culture, Cultures of Popular Music, Remembering Woodstock, et Music Scenes (avec Richard A. Peterson). Il est actuellement en charge d’un projet triennal, regroupant cinq pays, financé par l’Australian Research Council, intitulé « Musiques populaires et mémoire culturelle : histoires musicales locales et leur signification aux yeux des industries musicales nationales ». Il est directeur du Journal of Sociology, membre du Centre pour la Sociologie Culturelle de l’université de Yale, et membre associé de PopuLUs, le Centre pour l’étude des musiques du monde de l’université de Leeds. mail

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Contre-cultures : théorie & scènes

Théorie Theory

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« Break on Through » : Contre- culture, musique et modernité dans les années 1960 “Break on Through”: Counterculture, Music and Modernism in the 1960s

Ryan Moore Traduction : Catherine Guesde

NOTE DE L’ÉDITEUR

The English version of the article will be published in Sheila Whiteley and Jedediah Sklower (eds.), Popular Music and Countercultures, Ashgate, 2013. It will appear here two years after that publication, in 2015.

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1 À L’AUBE DES ANNÉES 1960, à New York, deux mouvements musicaux se développent qui vont influencer de manière décisive le cours de la musique américaine. Fin 1959, le Five Star Café de la Bowery accueille une série de performances du Ornette Coleman Quartet qui déclenche une énorme controverse au sein de la communauté des amateurs de jazz new- yorkais. Jadis condamné comme « musique du diable », le jazz a atteint à la fin des années 1950 le sommet de sa légitimité culturelle : il est promu dans le monde entier comme « la forme d’art américaine », enseigné dans des milliers de lycées et d’universités, tandis qu’une nouvelle génération d’intellectuels a inventé la critique de jazz. Après avoir sorti un album audacieusement intitulé The Shape of Jazz to Come, le Ornette Coleman Quartet pratique au Five Star Café une forme d’improvisation collective qui fait fi des conventions musicales alors considérées comme constitutives du jazz (Anderson, 2007). L’élite culturelle de la scène jazz new-yorkaise est alors partagée au sujet de ces performances car, comme le Times Magazine le résume dans son article rapportant la controverse, citant le trompettiste légendaire Dizzy Gillepsie : « Je ne sais pas ce qu’ils jouent, mais ce n’est pas du jazz ».

2 Ceux qui s’offusquent de ce free jazz estiment que l’on n’a là que du bruit : un son déstructuré, indiscipliné, et techniquement défaillant. Pourtant, le free jazz sera, effectivement, la forme que prendra le jazz plus tard dans les années 1960 – décennie que l’on connaît à présent comme celle de la révolte contre toutes les formes de conventions et d’autorité. Dans le jazz, mais aussi de manière bien plus profonde, un style d’improvisation est sur le point de s’imposer, qui défie les orthodoxies en tout genre. Coleman fait partie de la cohorte d’artistes et d’activistes qui cherchent à libérer l’individu des organisations autoritaires, et à faire la part belle aux instants éphémères plutôt qu’à la temporalité planifiée du progrès. Cette bande déclare la guerre aux formes officielles de modernisme instaurées pendant les années d’après-guerre, et pourtant, leur contre-culture exprime également l’idée moderniste selon laquelle on ne peut obtenir le progrès et atteindre la transcendance qu’à condition de se défaire de la tradition et de ses normes esthétiques. La révolte de Coleman contre l’ordre et la tradition, sa quête de liberté et d’innovation portent également en germe le risque de l’atomisation, de l’anarchie et de la destruction de soi – or ce sont précisément ces maux qui mettront un terme à la contre-culture à la fin des années 1960 avec une série de morts par overdose, d’épisodes violents et, de façon globale, d’ondes négatives. La forme d’improvisation collective pratiquée par le Ornette Coleman Quartet constituait une sorte de synthèse et de dépassement de ce conflit entre l’individu et la société. Mais les années 1960 en ont voulu autrement, puisque cette voie-là sera écartée au profit d’un libertarisme de plus en plus individualiste, qui débouchera sur la culture nombriliste des années 1970.

3 Un peu plus au nord-ouest des débats houleux qui agitent le Five Star, la musique folk connaît un renouveau à Greenwich Village, et se constitue à la fin des années 1950

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comme une contre-culture à part entière. En fin de semaine, des centaines de jeunes se retrouvent dans le parc de Washington Square, équipés d’une grande variété d’instruments à cordes, pour y chanter des morceaux de folk. À quelques centaines de mètres de là, sur la rue MacDougal, se trouve le Centre Izzy Young pour le Folklore, ainsi qu’une flopée de cafés où les acteurs de la scène folk se donnent rendez-vous (Hajdu, 2001). La subculture folk enveloppe alors une dualité qui se révélera fatale par la suite : d’un côté, une partie de la communauté met l’accent sur l’attachement romantique de la culture folk à l’Amérique préindustrielle, et promeut la sincérité et l’esthétique du réalisme social. De l’autre, dans leur logique expérimentale, les artistes de Greenwich Village préfèrent la représentation et la forme au réalisme social, envisagent la quête de l’authenticité comme un processus plutôt que comme la recherche d’une essence. La musique folk puise ses racines dans la tradition ; elle est par définition méfiante à l’égard de la modernité. Raymond Williams (1983 :136-37) a fait l’histoire du mot « folk », mettant en évidence ses différentes significations : s’il était employé pour désigner le « peuple » au XVIIe siècle, il a acquis des connotations nostalgiques au XIXe siècle. Il renvoie alors à un « ensemble complexe de réactions à la société industrielle et urbaine », les chansons folks devenant les « spécialistes du monde préindustriel, préurbain ». À cette époque, c’est essentiellement grâce au mouvement travailliste et à la gauche que le folk parvient à garantir sa pérennité aux États-Unis. Ces tendances politiques célèbrent le folk non seulement pour ses textes – qui décrivent les difficultés du peuple – mais aussi pour son caractère participatif et démocratique (son instrumentation simple le rend accessible à tous). Avant de devenir le point névralgique du revival folk, Greenwich Village a déjà été, entre 1890 et 1920, le théâtre de la collaboration entre les bohèmes et la Gauche américaine : pendant que l’anarchiste Emma Goldman tentait de soulever le peuple et que John Reed publiait son récit de la Révolution bolchevique, Dix Jours qui ébranlèrent le monde, des intellectuels, des artistes et des militants de gauche se réunissaient dans le salon de Mabel Dodge (Stansell, 2000). À la fin des années 1950, Greenwich Village voit naître le même type d’alliance entre amateurs de folk, modernistes et militants de gauche.

4 En janvier 1961, époque où le folk est devenu le genre de musique le plus prisé chez les jeunes intellectuels ou militants – notamment dans les campus universitaires en pleine expansion –, Robert Zimmerman quitte le Minnesota pour s’installer à Greenwich Village. Là, il adopte les manières de Woody Guthrie et se produit régulièrement dans des cafés sous le nom de Bob Dylan. Avec Joan Baez et lui, le folk acquiert toute sa portée sociale et son succès commercial, mais c’est aussi Dylan qui portera les contradictions de ce mouvement – entre réalisme folk et modernisme bohème – à leur point critique. À partir de là, une nouvelle synthèse entre ces deux composantes du folk se développera au cours de la deuxième moitié des années 1960. À ses débuts, le chanteur choisit une image et un style qui répondent parfaitement aux attentes de son public, qui s’étend, en pleine lutte pour les droits civiques, de Greenwich Village à tout le réseau de campus d’étudiants américains. Mais le fait que Dylan devienne une célébrité met la culture folk en contradiction avec elle-même : c’est avec une sincérité toute relative que Dylan pose en troubadour prolétaire, se donnant ainsi les moyens de devenir une icône folk sans pour autant heurter l’idéal anti-commercial défendu par ce mouvement. Les exigences de la scène folk entravent d’ailleurs parfois sa créativité : avant qu’il n’adopte un son plus rock, Dylan est critiqué pour ses chansons les plus introspectives qui ne respectent pas l’impératif politique imposé dans ce milieu. Quand il troque son look de folkeux contre des lunettes noires, un attirail de motard et un

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groupe de rock, Dylan soulève une polémique semblable à celle qu’avait déclenché le Ornette Coleman Quartet : là où certains pensent assister à l’émergence d’un nouveau courant artistique, les défenseurs de la tradition folk voient – à juste titre – ce changement comme une menace pour leur communauté et pour leur culture. En délaissant la culture folk, et en créant un lien entre son image – héritée du romantisme, des peintres et des poètes de la modernité – et sa nouvelle musique, Dylan ouvre un nouveau champ des possibles dans le rock. C’est ainsi que pendant la seconde moitié des années 1960, des musiciens commencent à utiliser le rock comme un moyen d’expérimentation et de connaissance de soi, faisant de la musique un outil intellectuel, émotionnel et physique au service du changement social.

Modernisation et modernisme dans les années 1960

5 Il s’agira ici de voir comment la musique et la contre-culture des années 1960 se situent au sein de différentes formes de modernisme, et quelle place elles prennent dans le processus de modernisation qui s’étend de la fin de la seconde guerre mondiale à la crise économique et géopolitique du début des années 1970. La modernisation de cette époque est alimentée par un capitalisme monopolistique, qui se caractérise alors par un haut degré de planification et d’intervention de l’État – cette forme de capitalisme sera supplantée à partir de la décennie suivante par un néo-libéralisme plus chaotique, plus décentralisé et mondial (Harvey, 2007). Pendant l’après-guerre, les salaires sont augmentés, afin d’inciter les salariés à consommer et de garantir leur fidélité à leur entreprise – une façon de résoudre la crise de la sous-consommation tout en apaisant les tensions sociales qui ont menacé le capitalisme pendant l’entre-deux-guerres. Au début des années 1960, le capitalisme américain a atteint de nouveaux sommets de prospérité. Le pays est depuis dix ans la première puissance mondiale, et le niveau de vie a augmenté de manière à peu près semblable dans toutes les couches de la population. L’État américain a joué un rôle décisif dans la modernisation lancée après la seconde guerre mondiale : il a mis en place des plans de « renouveau urbain » qui consistent à démolir les vieux quartiers tout en finançant la construction d’autoroutes et de nouveaux logements dans les zones périurbaines, redessinant ainsi le paysage américain pour le rendre plus atomisé, ce qui favorisera le conformisme et la consommation de masse. Dans le contexte de la Guerre Froide, la recherche scientifique et technologique joue un rôle clef, aussi l’État a-t-il investi massivement dans l’enseignement supérieur. Pendant la deuxième moitié des années 1960, les universités seront inondées par le flot des étudiants nés pendant les années d’après-guerre, ces « baby-boomers » élevés avec la conviction qu’ils seraient la génération la plus prospère et la plus instruite de l’histoire des États-Unis (Gitlin, 1987).

6 La façon dont je conçois le rapport dialectique entre le modernisme et la modernisation est fortement influencée par Marshall Berman (1982 : 16), qui définit le modernisme comme « une grande variété d’idées qui cherchent à rendre les hommes et les femmes sujets aussi bien qu’objets de la modernisation, à leur donner le pouvoir de changer le monde qui les change, à leur offrir la possibilité de se frayer un chemin au cœur du tourbillon et de se l’approprier ». Pour Berman, ce tourbillon se trouve dynamisé par la collusion de différents processus sociaux. Mais sa force centrifuge est la recherche capitaliste du profit, qui, tout en alimentant l’investissement et l’innovation, exige un degré élevé de rationalisation et de calculabilité, encourage les migrations massives et

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l’accroissement des villes, et réduit la distance géographique par le développement massif des télécommunications. Tous ces processus sociaux ont pour effet commun de créer un monde moderne caractérisé par l’incertitude des valeurs, l’accélération du changement ; un monde volage et agité où, pour citer Marx et Engels, « tout ce qui est solide part en fumée, tout ce qui est sacré est profané » (1998 : 38).

7 L’expérience de la modernité réside dans cette relation dialectique entre modernisation et modernisme. Dans sa description du modernisme des années 1960, Berman distingue trois grandes formes de réactions à la vie moderne : l’acquiescement, le refus et le retrait. Les voix de l’acquiescement accueillent positivement les avancées constantes dans le domaine de la technologie et de l’électronique, ainsi que l’effacement des frontières entre l’art et la culture commerciale. Les porte-parole du « retrait », eux, cherchent à préserver leurs idéaux en promouvant l’autonomie de l’art à travers le formalisme et les théories de l’auto-référentialité. Mais surtout, le modernisme des années 1960 est porteur d’un esprit contestataire, d’une culture de l’opposition qui s’attache à détruire les conventions et à désacraliser les traditions. Tout en soulignant l’insuffisance des trois types de réactions – l’acquiescement, le refus, le retrait – à la modernité, Berman centre son étude sur la culture élitaire, l’architecture urbaine et l’intelligentsia, mais passe pour ainsi dire sous silence la musique populaire. Or, il me semble qu’une analyse plus poussée de la musique des années 1960 peut, si elle prend en compte la contre-culture au sein de laquelle cette musique s’inscrit, permettre de mettre au jour une ambivalence dialectique semblable à celle que Berman détecte au sein d’une génération antérieure de modernistes – de Goethe à Marx, de Baudelaire à Dostoïevski. Ceux-ci ne se contentaient pas de louer ou de rejeter la vie moderne ; ils essayaient d’en canaliser les forces créatrices pour en dépasser les limites. Berman qualifie cette forme de modernisme d’« ironique et contradictoire, polyphonique et dialectique ; il dénonce la vie moderne au nom de valeurs que la modernité a elle- même créées, tout en espérant – de manière souvent irréaliste – que les modernités à venir panseront les plaies des hommes et les femmes modernes d’aujourd’hui » (1982 : 23).

8 Au cours du récit analytique qui va suivre, je tâcherai de parcourir de façon transversale et dans un style moderniste les espaces et les époques des années 1960. Je me concentrerai d’abord sur la jeunesse et sur sa relation à la modernité, pour ensuite me déplacer du côté de la Californie – le berceau de la contre-culture, mais aussi le point d’aboutissement de la modernisation des années 1960 – où j’étudierai les scènes concurrentes de San Francisco et de Los Angeles. Nous avons, dans les premiers paragraphes de ce texte, commencé à identifier quelques formes de réactions symboliques à la modernisation, réactions qui sont apparues dès le début des années 1960 avec le free jazz et le revival folk à New York. Contre le processus de modernisation qui considère la nouveauté comme une valeur en soi, les acteurs du revival folk cherchent à s’ancrer dans le passé, à préserver les moyens d’expression élaborés par les générations antérieures, et à redécouvrir les formes de vie communautaire démantelées au nom du progrès. On trouve ce même type de modernisme anti-modernisation dans le New York du début de la décennie 1960 avec Jane Jacobs (1961) qui promeut une conception alternative de l’urbanisme en s’opposant aux projets de Robert Moses, qui cherche à aménager la ville pour l’automobile. Celui-ci se heurte d’ailleurs, dans sa tentative pour construire une autoroute traversant le bas de Manhattan, à la résistance des habitants du quartier, emmenés par Jacobs. Au même moment, le free jazz, avec son rythme frénétique, son

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mépris pour les conventions et la tradition, et sa valorisation de la liberté individuelle, épouse pleinement l’esprit de la modernité. Cette forme de modernisme qui s’aligne sur la vitesse de la modernisation est également l’un des motifs récurrents des années 1960, notamment au sein de la contre-culture qui adopte une approche expérimentale tout en mettant les dernières innovations électroniques et chimiques au service de l’expression de soi. Toutefois, dans le free jazz comme dans le revival folk, on aperçoit quelques indices d’une réaction plus ambivalente à la modernisation, une réaction qui dépasse l’alternative entre l’acquiescement et le rejet. Tout en étant une forme d’improvisation qui rompt avec les contraintes habituelles de la musique – contraintes de hauteur, de tempo, d’harmonie –, le free jazz ne se réduit nullement à une forme d’anarchie musicale. Bien au contraire, il instaure une nouvelle forme collective au sein de laquelle la liberté de jeu de chaque musicien permet un nouveau mode de participation aux autres musiciens. De même, le revival folk, tout en restant attaché aux traditions et à la communauté, ouvre la voie à une série de musiciens qui créeront nouvelles possibilités pour la musique tout en faisant voler en éclat les frontières culturelles mises en place par folk.

La jeunesse, la modernité et la contre-culture

9 Afin de prendre pleinement la mesure de ce qu’est la contre-culture des années 1960, il faut s’arrêter un instant sur l’expérience de la jeunesse à cette époque : celle-ci constitue un relais entre la musique et la société. Theodore Roszak (1969) a été le premier à le souligner : la « contre-culture » était essentiellement composée d’étudiants et de jeunes gens impliqués dans la culture hippie, l’acid rock et la Nouvelle Gauche américaine. Roszak considère que ces trois mouvements doivent être envisagés ensemble malgré leurs différences : tous sont nés d’une opposition de la jeunesse à la « technocratie » américaine (voir aussi Keniston, 1968). Cette technocratie née de la modernisation d’après-guerre offre plusieurs cibles à la jeunesse : la machine de guerre impitoyable américaine, le conformisme, la bureaucratie gouvernementale, le paysage atomisé des banlieues et des autoroutes, le matérialisme sans âme du consommateur, la standardisation de la culture de masse, et la rationalisation d’un système éducatif embourbé dans l’industrie et l’armée. Cependant, la révolte des jeunes acteurs de la contre-culture n’a pas pour seul objet la modernisation ; elle cherche aussi à concrétiser certaines promesses de la modernité elle-même, telles que le progrès social et l’épanouissement personnel. La contre-culture n’est pas uniquement constituée de mouvements de résistance : elle cherche aussi à faire l’expérience du renouveau, du développement, et à éprouver les possibilités ouvertes. Les hippies et la Nouvelle Gauche se rejoignent dans leur quête d’une transformation personnelle et sociale, même s’ils ne s’accordent pas sur la question de savoir ce qui doit changer, ni sur les moyens de mener à bien ce changement. Si les révoltes des années 1960 prennent forme dans leur opposition à la technocratie, elles ont d’abord émergé au cœur de la croissance et du changement, et se sont nourries de l’utopie d’une société d’abondance.

10 Au cours de cette décennie, la jeunesse est une médiation entre les conditions de vie instaurées par la modernité, et l’émergence de la contre-culture. Henri Lefebvre (1995 : 195) a souligné le caractère ambivalent de cette relation entre la jeunesse et la modernité en 1961, quelques années avant que les rues parisiennes ne soient prises d’assaut par des millions d’étudiants venus « exiger l’impossible » :

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« Partout, [la jeunesse] donne des signes d’insatisfaction et de rébellion. Pourquoi ? Parce que neuve et avide de nouveauté, donc de modernité, elle subit les problèmes irrésolus de la modernité, et souffre dans ce qu’elle a de meilleur. Son élan l’expose et la rend vulnérable. Elle éprouve toutes les lacunes du ‘nouveau’ attirant et décevant. C’est elle qui souffre le plus des décalages entre la représentation et le vécu, entre l’idéologique et le pratique, entre le possible et l’impossible. C’est elle qui reprend sans interruption le dialogue entre l’idéal et l’expérimental. »

11 Des millions de jeunes se sont rebellés dans les années 1960 contre le système social, mais c’était justement ce système qui rendait possible leur rébellion – d’autant que l’idée qu’ils avaient de l’importance de leur génération était alimentée par l’économie capitaliste et son abondance en apparence sans limites. La contre-culture se riait de la stabilité et de l’esprit de prévoyance de la modernisation, tout en tenant celle-ci pour acquise, et développait à partir de là une utopie où le loisir, la spontanéité et l’expression de soi prendraient le pas sur le travail, la discipline et la raison instrumentale.

12 Au sein de la modernité, les jeunes occupent une place privilégiée, car ils s’adaptent à la nouveauté tout en rejetant la tradition et la sécurité. Avec l’élargissement de l’accès aux études supérieures, le recul de l’âge d’entrée dans la vie active, le progrès de la contraception, ainsi que d’autres changements sociaux, la jeunesse émerge comme une phase à part entière, un « moratoire psycho-social » (Erikson, 1968) permettant aux jeunes de tester plusieurs identités tout en maintenant à distance les rôles adoptés par les adultes. La génération des baby-boomers a ce privilège unique d’hériter de la confiance générale qui règne pendant l’après-guerre tout en incarnant l’avenir – en apparence – brillant de la société américaine. Ils sont choyés par des parents qui ont lu attentivement les manuels d’éducation, courtisés par les marques découvrant le grand potentiel de cette cible de consommateurs, et les campus universitaires grossissent à vue d’œil grâce aux dépenses militaires. Les hommes politiques, les éducateurs et les experts autoproclamés en éducation des enfants se sont mis d’accord pour déclarer qu’il s’agirait là d’une génération exceptionnelle, destinée à jouir des fruits des sacrifices du passé et des possibilités infinies de l’avenir. Une grande partie de cette génération prendra très au sérieux ces messages concernant sa propre importance, mais ne les interprètera pas vraiment comme ces autorités auraient voulu qu’elle le fasse.

Une vie meilleure grâce à la chimie : le LSD et l’acid rock à San Francisco

13 Peu de choses résument aussi bien l’esprit de modernité des années 1960 et son ironie que le LSD. Découvert par le chimiste suisse Alfred Hoffman pendant la Seconde Guerre mondiale, le LSD suscite l’intérêt de la CIA qui l’intègre dans son projet de recherche sur les psychotropes. La CIA mène ainsi une série d’expérimentations, au cours desquelles on administre du LSD à tout va – aux étudiants comme aux militaires, aux prostituées comme aux personnes souffrant de maladies mentales – afin d’en étudier les propriétés psychoactives (Lee & Shlain, 1985). Le LSD s’immisce également dans le département de psychologie de Harvard, où il est étudié dans le cadre du Harvard Psilocybin Project, et où il fait deux adeptes parmi les grands chercheurs : Timothy Leary et Richard Alpert, qui deviendront les avocats de la transformation psychédélique et spirituelle de la conscience. À la même époque, à l’Université de

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Stanford, Ken État participe également aux recherches de la CIA. En plus d’être l’auteur du célèbre roman Vol au-dessus d’un nid de coucou, celui-ci réunit alors autour de lui le groupe de Merry Pranksters pour mener des acid tests c’est-à-dire consommer du LSD tout en écoutant un groupe qui sera plus tard connu sous le nom de The Grateful Dead. Le LSD, tout comme sa pénétration dans la société américaine, sont donc un pur produit de la modernisation de l’Amérique d’après-guerre, de sa recherche scientifique et militaire menée dans un contexte de Guerre Froide. Et pourtant, en devenant la source d’inspiration chimique de la contre-culture des années 1960, le LSD contribuera également à forger une conscience qui s’oppose non seulement au gouvernement américain et à sa machine de guerre, mais aussi à la pensée rationnelle et mécanique qui alimente la modernisation dans son ensemble.

14 Le LSD a une influence décisive sur la musique des années 1960, notamment au sein de la scène psychédélique de San Francisco, qui émerge dans le quartier de Haight- Ashbury en 1965. Au départ, ce mouvement apparaît comme le simple prolongement du revival folk et du mouvement littéraire Beat, dont le centre de gravité se situe dans le quartier de North Beach. Mais vers 1965, les écrivains, les musiciens ainsi que bon nombre d’excentriques emménagent dans les maisons victoriennes de Haight-Ashbury, dont les loyers sont considérablement bas (Perry, 1984). Cette nouvelle génération de groupes san-franciscains combine l’éthique communautaire du folk avec l’esprit d’improvisation des Beats et du free jazz, et fait sauter les frontières de ces deux mouvements grâce à un cocktail explosif de LSD et de rock’n’roll électrique. C’est ainsi que s’ouvrent de nouvelles possibilités pour la création musicale rock, envisagée comme un mode d’expression culturel chargé de sens, dans la lignée d’un Bob Dylan devenu rock’n’roll et en concurrence avec l’invasion des Beatles et d’autres groupes britanniques. Au cours de la deuxième moitié de la décennie, le rock et le LSD s’allient pour exprimer la quête moderne d’états de conscience plus élevés et d’une vie communautaire enrichissante. Tout comme le LSD, le rock défie les institutions et les normes sociales américaines, mais il se nourrit aussi des innovations technologiques et scientifiques nées de la modernisation (concerts amplifiés, disques enregistrés dans des studios hautement équipés…). On imagine alors que l’acid rock va libérer les esprits et les corps, unir les musiciens et les publics au sein d’une grande communauté de jeunes, et les emmener toujours plus loin et plus haut avec des disques expérimentaux et des concerts improvisés. Mais vers la fin des années 1960, cet idéal est détruit : incapable de changer la réalité pour la rendre conforme au rêve collectif, la contre-culture implose, se fait plus discrète jusqu’à se dissoudre progressivement.

15 Ces éléments musicaux et culturels se trouvent réunis par les Grateful Dead qui, sous l’effet du LSD et d’autres psychotropes, tentent de faire exister le rêve de la contre- culture au sein d’une communauté en pleine expansion. Les membres des Grateful Dead se sont rencontrés à Palo Alto au début des années 1960, près de l’Université de Stanford (une trentaine de km au sud de San Francisco), où une communauté bohème était née de la rencontre entre la musique folk et la littérature Beat. Jerry Garcia s’est mis à la guitare après avoir écouté Bo Diddley et Chuck Berry pendant son adolescence ; à Palo Alto, il joue du banjo ou de la guitare au sein d’orchestres de folk improvisés. Phil Lesh, lui, a reçu une formation classique : il a fait de la trompette pendant ses années de fac, tout en s’intéressant à l’improvisation jazz et à la musique classique d’avant-garde. Riche de ce bagage, il met en place une nouvelle façon de jouer de la basse, en l’utilisant davantage pour sa mélodie que comme un instrument

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rythmique.Ron « Pigpen » McKerman a écouté du blues et du r‘n’b pendant son enfance – son père était Dj dans les clubs locaux –, et, au sein des Grateful Dead, il joue de l’harmonica et de l’orgue, et chante d’une voix rêche nimbée d’alcool. Enfin, la section rythmique, qui est essentielle pour l’improvisation, est constituée non pas d’un mais de deux percussionnistes, ce qui décuple la complexité des interactions entre les musiciens pendant les jam sessions. (McNally, 2002).

16 Sur le plan culturel et musical, The Grateful Dead cumule les caractéristiques des différentes formes de contre-culture qui se sont développées depuis le début des années 1960 : ils amplifient le traditionalisme folk par la pratique de l’improvisation, pratique qui s’étend alors de la communauté des bohèmes amateurs de folk au mouvement des hippie freaks. En réconciliant le folk et l’improvisation, ils incarnent la dualité de la réaction musicale à la modernité, tout en cherchant à la dépasser en proposant une conception (ou plutôt une hallucination) alternative de cette modernité. Les racines des Grateful Dead sont dans le folk, mais leur gloire croissante tandis qu’ils deviennent un groupe de rock est pleinement liée à la diffusion du LSD et aux Merry Pranksters de Kesey. En 1966, la scène hippie installée à Haight-Ashbury a transformé ce quartier en une véritable « ville-Etat psychédélique », avec son magasin de quartier (le Psychedelic Shop) et son journal underground (the San Francisco Oracle) (Lee and Shlain, 1985 : 141-49). Dans le même espace se développe également une communauté de musiciens venant du folk, du blues et du jazz. Après avoir assisté à l’émergence du folk rock, Marty Blain a ouvert une salle de concerts (The Matrix) à San Francisco, et avec un trio de guitaristes et de bassistes jouant du folk, du blues et de la country, il forme The Jefferson Airplane. Les membres de Big Brother and the Holding Company ont également entamé leur carrière musicale dans ce même réseau folk san-franciscain, avec un batteur venu du jazz. Quelques mois plus tard, le promoteur de concerts hippie local, Chet Helms, présentera à Big Brother leur nouvelle recrue, une chanteuse de blues arrivée du Texas et qui répond au nom de Janis Joplin (Echols, 1999).

17 L’idéal de solidarité est depuis le début au cœur de la scène folk, et il le restera au moment où la musique se fera de plus en plus expérimentale, au cours de la deuxième moitié des années 1960. L’une des ambitions de cette contre-culture est de dépasser l’opposition entre individualisme et collectivisme à travers la formation d’une communauté d’individus créatifs qui s’encouragent mutuellement à développer leur originalité. Cet idéal est né en réaction à la modernisation de l’après-guerre, et à la vie de banlieue de la classe moyenne américaine, qui mène une existence atomisée, entre voitures et culs-de-sacs. Ce mode de vie incite au conformisme plutôt qu’à la révolte, et débouche sur la création non pas d’une communauté ou d’un ensemble d’individus, mais d’une « foule solitaire », pour reprendre les mots du sociologue David Riesman (1950). À l’inverse, les groupes de rock psychédéliques peuvent être vus – tout comme les groupes de free jazz – comme un microcosme mettant en œuvre un modèle de relation contre-culturel, d’autant que la création musicale en groupe sollicite des individus qui travaillent au sein d’un ensemble interdépendant dans lequel chaque membre cultive ses talents propres dans une interaction constante avec les autres musiciens. Ce caractère collectif de l’improvisation est sans doute renforcé par le fait que les membres d’un groupe habitent souvent ensemble – les Grateful Dead cohabitent à plusieurs reprises au 710 Ashbury Street, les Jefferson Airplane au 2400 Fulton Street, et Big Brother and the Holding Company ont une maison à Marin County – ce qui permet de tisser des liens créatifs et une familiarité entre des individus uniques. À un niveau plus global, les concerts et les festivals sont l’occasion de développer un

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sentiment de communauté au sein de la contre-culture. Alors que le public d’amateurs de rock s’agrandit jusqu’à devenir l’immense foule de Woodstock Nation, les concerts de rock créent des environnements comparables à ceux des rencontres religieuses, où l’intensité des interactions humaines entraîne un sentiment d’euphorie chez les participants – ce qu’Émile Durkheim désigne comme l’ « effervescence collective » (1915 : 245-55) – qui se sentent élevés au-dessus de leur moi ordinaire.

18 Au moment où la musique folk commence à être absorbée et dépassée par le rock psychédélique, l’engagement politique de la culture folk prend des formes plus théâtrales et bariolées, n’exprimant plus seulement la résistance mais aussi la joie. Par exemple, The Diggers est au départ une troupe d’acteurs, la Mime Troupe de San Francisco, qui crée dans les rues et les parcs de la ville des formes radicales d’improvisation théâtrale. Après avoir défilé sur Haight Street pour célébrer « la mort de l’argent et la naissance des libres » en 1966, les Diggers commencent à distribuer gratuitement des vêtements et de la nourriture en face du Golden Gate Park. Ils créent une boutique gratuite, une boulangerie gratuite et même une clinique gratuite – qui préfigure la très respectée Haight Ashbury Free Clinic. Le nom des Diggers fait d’ailleurs référence à une révolte née dans l’Angleterre rurale du XVIIe, en réaction aux Enclosure Acts et à l’augmentation du prix de la nourriture. Ces creuseurs anglais réclamaient le droit d’avoir accès à des terrains communs, et creusaient la terre pour y planter des légumes destinés à nourrir les nécessiteux. Les Diggers de San Francisco, eux, sont le pur produit de la modernité et de l’urbanisation : leur mouvement repose sur l’idée qu’il est possible de s’approprier l’énorme surplus produit par une économie prospère, et de le redistribuer gratuitement afin d’éviter au peuple la vie de salarié. Les membres de la culture folk tout comme les bohèmes partagent une forte méfiance à l’égard de l’argent, et la commercialisation de la musique n’est pas sans soulever des inquiétudes. Cette méfiance se manifeste également à travers des tensions entre les groupes de rocks et leurs labels. Au sein de la scène de San Francisco, la question de l’argent fait émerger une rivalité entre Bill Graham d’un côté, et Chet Helms and the Family Dog de l’autre. Tandis que Graham est un homme d’affaires décomplexé – qui deviendra par la suite le plus grand booker de son époque – Chet Helms and The Family Dog organisent des concerts où le rôle de l’argent est mineur (Perry, 1984).

La musique rock et le capitalisme consumériste à Los Angeles

19 La scène musicale de San Francisco s’est essentiellement construite contre la pop mainstream créée par l’industrie du disque, dont les forces commerciales sont concentrées à Los Angeles, la ville rivale de San Francisco. Au cours des années 1960, le centre de gravité de l’industrie du disque s’éloigne de New York, ville où étaient établis les quartiers généraux des plus grands labels : les chansonniers et les éditeurs les plus populaires travaillaient à Tin Pan Alley ou dans le Brill Building. En 1960, à Los Angeles, l’industrie du film fait encore de l’ombre à l’industrie musicale : bon nombre de majors ne sont alors que des filiales de grands studios de cinéma (MGM, Warner Brothers) à la recherche d’idoles des jeunes capables de passer de la musique à l’écran. Capitol Records est à ce moment-là le plus grand acteur de l’industrie – sa suprématie locale est rendue manifeste par son gratte-ciel en forme de pile de disques – au milieu d’une flopée de labels indépendants tels que Dot, Liberty et Specialty Records, tous situés sur

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le Sunset Boulevard à Hollywood. Au moment du Monterey Film Festival en juin 1967, Los Angeles est déjà le symbole de la pop commerciale ; et les organisateurs du festival (Lou Adler, producteur de disques devenu millionnaire avec la vente de Dunhill Records, et John Phillips, le chanteur du groupe The Mamas and the Papas), reconnaissent que la tension entre les deux scènes était palpable. Adler s’en souvient en ces termes : « Les groupes de San Francisco étaient dégoûtés par l’esprit commercial de Los Angeles. Et il est vrai que notre industrie était tournée vers les affaires. Ce n’était pas un hobby pour nous. Ils trouvaient ça trop lisse, et je ne peux pas leur donner tort » (citation extraite de Hoskyns, 1996 :145).

20 C’est au début des années 1960 que Los Angeles commence à s’imposer comme un centre d’innovation pour la pop. La émerge pour raconter les loisirs indolents d’une jeunesse nourrie par l’abondance américaine, et Phil Spector – après avoir fait ses débuts avec les auteurs-compositeurs Leiber and Stoller à New York – y développe alors sa fameuse technique d’enregistrement du « mur de son », donnant ainsi une profondeur nouvelle au son du Brill Building. Sa technique consiste à recourir à un orchestre d’instruments jouant simultanément, afin de créer des arrangements denses et luxuriants autour des harmonies vocales des groupes qu’il produit. Le mur de son est conçu pour les jukebox et la radio AM ; c’est notamment avec cette technique qu’une série de tubes – des Crystals aux Ronettes en passant par les Righteous Brothers – sont enregistrés de 1962 à 1965 ; ce succès vaut d’ailleurs à Spector le surnom de « magnat de la jeunesse », inventé par Tom Wolfe. Mais la musique qui parle alors le plus aux jeunes est la surf music, une musique qui célèbre la plage, le surf, les vacances – images idylliques qu’une série de teen movies s’attache alors à dépeindre. Même si la subculture surf est développée par des individus rebelles fuyant le travail et les conventions, elle peut facilement être utilisée comme une publicité pour l’hédonisme consumériste des jeunes blancs. Le son spécifique de la surf music a été mis au point par des guitaristes et des groupes instrumentaux tels que The Ventures et Dick Dale, et les textes – dont les sujets de prédilection sont les filles, les voitures et les amours de vacances éphémères – sont peaufinés entre 1961 et 1965 par les Beach Boys et Jan and Dean dans une série de tubes (Hoskyns, 1996).

21 Cette culture du loisir se développe cependant sur fond d’exclusion raciale. La population noire et hispanique est confinée dans un environnement où le chômage, la pauvreté et les violences policières prédominent. En août 1965, au moment où le single « California Girls » s’achemine vers le sommet des charts, une révolte secoue la banlieue de Watts pendant cinq jours ; elle n’est pacifiée qu’après l’intervention de 15 000 troupes de la Garde nationale (rapport McCone, 1995). On peut difficilement surestimer le rôle qu’a eu cette révolte dans la lutte contre les discriminations raciales, dans la mesure où elle amorce le tournant militant de la fin des années 1960. Elle éclate quelques jours seulement après que le Voting Acts – censé détruire les restes de ségrégation légale – a été entériné, et elle dénonce ainsi le caractère insuffisant des mesures prises par la démocratie libérale pour lutter contre l’injustice raciale. Au pays de la plage et du soleil, Watts est là pour rappeler que la communauté afro-américaine subit constamment des violences policières, tout en étant privée de l’accès à la société d’abondance qui l’entoure. Guy Debord interprète alors la révolte de Watts comme la négation de « l’économie du spectacle » qui se développe alors autour de l’usine à rêves qu’est devenue Hollywood : « Le pillage du quartier de Watts manifestait la réalisation la plus sommaire du principe bâtard : ‘À chacun selon ses faux besoins’, les besoins déterminés et

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produits par le système économique que le pillage précisément rejette. Mais du fait que cette abondance est prise au mot, rejointe dans l’immédiat, et non plus indéfiniment poursuivie dans la course du travail aliéné et de l’augmentation des besoins sociaux différés, les vrais désirs s’expriment déjà dans la fête, dans l’affirmation ludique, dans le potlatch de destruction. L’homme qui détruit les marchandises montre sa supériorité humaine sur les marchandises. »

22 Quelques mois à peine après les événements de Watts, Brian Wilson des Beach Boys s’installe dans sa résidence de Beverly Hills pour enregistrer un album qui relèvera le défi posé peu de temps auparavant par le Rubber Soul des Beatles (Granata, 2003 : 68). Même si l’on peut entendre sur Pet Sounds le même type de paysages musicaux denses que sur les précédentes compositions des Beach Boys, un profond sentiment de solitude et d’aliénation imprègne le disque, et met à mal l’image et le son idylliques de ce groupe, qui était l’emblème du « on s’éclate à la plage ». À cette époque, les critiques de la « société de masse » avancent l’idée que derrière la façade éclatante de la culture de consommation et de la vie de banlieue se cache une société atomisée, où les individus sont isolés. Comme le dit Philip Slater (1970 : 7) dans The Pursuit of Loneliness, « les Américains cherchent à minimiser, à contourner ou à nier le principe d’interdépendance sur lequel reposent toutes les sociétés humaines… Nous cherchons à ce que notre vie soit davantage privée, mais lorsqu’elle le devient, un sentiment de solitude nous envahit ». Brian Wilson était à l’époque bien trop renfermé et mal à l’aise pour avoir réellement profité de la vie de loisir – le surf, les filles, le soleil – dont il vantait les mérites avec les Beach Boys. Et si cette vie-là était, pour son public, un fantasme, elle l’était sans doute aussi pour lui. En 1966, après sa découverte du LSD et avec l’apparition des premiers symptômes de sa maladie mentale, Wilson voit croître en lui un sentiment de solitude et d’étrangeté, sentiment qui constitue sur Pet Sounds l’antithèse musicale des harmonies entraînantes et de l’hédonisme insouciant caractérisant le son des Beach Boys. L’aliénation se fait manifeste lorsqu’au milieu d’une chanson guillerette sur les amours adolescentes, une question fait irruption : « Wouldn’t it be nice to live together in the kind of world where we belong ? », aussitôt suivie par un constat amer : « You know it seems the more we talk about it/it only makes it worse to live without it. » De loin, on peut croire que la tristesse magnifique de la voix de fausset sur Pet Sounds ne tire son origine que dans la rupture amoureuse. Mais à y regarder de plus près, on s’aperçoit que la rupture dont souffre Wilson est avant tout sociale et politique, tout comme l’est son sentiment de « ne pas être fait pour cette époque ».

23 En somme, si les révoltes de Watts sont menées par les exclus de l’ « économie du spectacle », Pet Sounds est un signe avant-coureur de l’insatisfaction et de l’aliénation qui guète les acteurs privilégiés de ce spectacle. Même si leur approche est différente, les Beach Boys et les groupes de San Francisco ont en commun le fait de chercher à repousser les limites de la modernisation et de la modernité, et de mettre en évidence la nécessité d’en dépasser les contradictions. Si Pet Sounds est à présent connu comme l’un des meilleurs albums de rock de tous les temps, au moment de sa sortie le disque est tout simplement ignoré par la communauté rock, et connaît un véritable échec commercial. Ce n’est que par la suite qu’il gagnera le capital symbolique qu’on lui connaît maintenant. Mais en 1966, une nouvelle cohorte de groupes de folk rock a déjà repris le flambeau. Certains d’entre eux (les Byrds, Love ou Buffalo Springfield) jouent dans des clubs du Sunset Strip et attirent déjà un public issu de la contre-culture. Une petite révolte agite d’ailleurs Sunset Boulevard en 1966, au moment où le projet de

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démolir un des hauts lieux de la culture folk rock, le Pandora Box, est rendu public. La confrontation entre les jeunes et la police commence en novembre 1966, pour ne prendre réellement fin que deux ans plus tard (Davis, 2007). L’émergence de la subculture hippie a suscité une panique morale dont les craintes se polarisent sur la drogue, la musique et la jeunesse. La police de Los Angeles a réagi en instaurant un couvre-feu à 22h, et en agressant régulièrement les jeunes chevelus traînant autour des clubs. Ces altercations ont été immortalisées, dans un style hollywoodien de circonstance, dans le film Riot on the Sunset Strip, ainsi que dans la chanson de Buffalo Springfield, « For What It’s Worth ». Tout comme les révoltes de Watts, ces confrontations avec la police donnent lieu à de joyeux festivals de destruction qui rassemblent les jeunes, leur permettant de se forger une identité collective dans leur opposition à l’État. Pamela Des Barres (1987 : 44), qui se décrit elle-même comme une groupie du rock hollywoodien, se souvient du caractère formateur qu’ont eu ces événements pour elle : « Tandis que je me révoltais, de concert avec des milliers d’autres gamins, contre ce qu’ILS étaient en train de NOUS faire, j’avais le sentiment d’appartenir à une famille… Je regardais les Gorgeous Hollywood Boys renverser un bus, j’applaudissais les vandales depuis mon lieu d’observation sur le goudron de Sunset Boulevard. En contemplant Sonny et Cher bras dessus bras dessous, avec leurs pattes d’éléphant à pois assortis et leurs gilets en fausse fourrure, je me suis rendue compte que nous étions une seule force parfaitement dans le coup, avec un seul énorme cœur qui bat ».

Coda : « I Cannot Go Back to Yer Frownland »

24 L’implosion – en même temps que la répression extérieure – de cette communauté pleine d’amour, bercée au rêve du progrès social et de l’épanouissement personnel, ainsi que les conséquences de ce déclin, seraient trop longues à rapporter ici. Elle correspond à l’histoire de l’épuisement de la modernité et à l’émergence d’une sensibilité post-moderne qui se répandra largement par la suite. La bande son de cette époque de désintégration peut clairement s’entendre sur un album paru au cours de l’été 1969, et qui continue encore de perturber les oreilles naïves comme peu d’autres disques savent le faire : Trout Mask Replica de Captain Beefheart. Les vingt-huit chansons de cet album ressemblent au son de « l’énorme cœur » de la contre-culture (dont parle Pamela Des Barres) en train de se briser en mille morceaux – des morceaux qui ne seront recollés ensemble que pour former un nouveau système du chaos. Comme l’explique Captain Beefheart (Don Van Vliet), les pulsations de cette musique n’ont plus la régularité rassurante des battements d’un cœur ; on les a brisées pour former un méli mélo de rythmes irréguliers qui interdisent à l’auditeur de s’y installer confortablement. La musique de Beefheart allie le bruit et l’allure frénétique du free jazz aux sons rugueux des premiers disques de blues et au vacarme déroutant du rock psychédélique, le tout étant relevé par la voix de Vliet qui hurle d’un ton bourru des calembours lyriques et des assemblages de mots absurdes. Et si Langdon Winner (2007 : 59) affirme que c’est ce disque – vénéré par certains comme un chef-d’œuvre, décrié par d’autres comme un agglomérat inaudible de bruits – qu’il prendrait avec lui sur une île déserte, c’est parce que « l’île déserte est sans doute le seul endroit où [il pourrait] l’écouter sans que des amis ou des voisins ne [lui] demandent d’arrêter ce fichu disque ».

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25 Tandis que les années 1960 touchent à leur fin, le rêve collectif de développement, de transcendance et d’authenticité se désagrège en moins de temps qu’il ne lui en a fallu pour naître. 1968 est une année charnière : dans le monde entier, des jeunes descendent dans les rues pour y entreprendre des projets de changement politique et personnel, parce que, comme le résume Lefèbvre, « ils font dans leur propre vie l’expérience des problèmes irrésolus de la modernité ». Mais, dans les sociétés capitalistes comme dans les sociétés communistes, on répond à leur tentative de dépassement des contradictions de la modernité par la violence d’État. Au même moment, la Nouvelle Gauche et la contre-culture implosent également, la première sous le coup d’un abandon individualiste de l’idée de changement collectif, la seconde sous l’effet d’un mélange fatal de sectarisme et de répression étatique. Le modernisme tel qu’il est né de la jeune contre-culture a imaginé de nouvelles possibilités de changement social et d’épanouissement personnel, mais en 1969, ces possibilités sont réduites à de simples gestes symboliques vidés de leur contenu par la culture de la consommation. Les jeunes ont mis au jour les limites et l’hypocrisie de la modernisation d’après-guerre tout en donnant un aperçu d’un monde nouveau et alternatif. Mais en essayant de faire advenir un monde nouveau, ils se heurtent à la répression étatique et à la cooptation commerciale. C’est dans ce contexte de désespoir social que s’enracinera la culture postmoderne, qui se caractérise par le rejet catégorique des valeurs modernistes telles que le progrès et le développement, l’authenticité et l’originalité, la totalité et l’universalité. Des cendres des rêves des années 1960 naît une culture fragmentée, postmoderne, méfiante à l’égard de la recherche moderne de l’émancipation.

26 Jacques Attali (1977 : 23) a développé l’idée selon laquelle le bruit est prophétique : il « rend audible le nouveau monde qui, peu à peu, deviendra visible ». Deux mois après la sortie de Trout Mask Replica, à une trentaine de kilomètres de la maison de Woodland Hills où Vliet réunissait son groupe pour des répétitions et des enregistrements qu’il supervisait avec un contrôle autoritaire, la Manson family commet une série de meurtres sordides, dont l’un a lieu dans la résidence de Benedict Canyon, où Manson pensait trouver l’ancien producteur des Beach Boys Terry Melcher. À la fin des années 1960, au cours des semaines qui suivent la fête de l’amour et de la paix à Woodstock, des images de jeunes hippies en folie envahissent les médias ; le violent festival d’Altamont, au nord de la Californie, ne fait que renforcer ce phénomène. Joan Didion explique pourquoi ses proches et elle n’ont pas été très surpris en apprenant la nouvelle des meurtres commis par Manson : « Ce flirt mystique avec l’idée de "péché" – ce sentiment qu’il était possible d’aller "trop loin" et que beaucoup de gens le faisaient – était palpable à Los Angeles en 1968 et 1969. » (1979 :41) Trout Mask Replica constitue le témoignage le plus dramatique de cette époque de désintégration sociale, de la même façon que l’anti-art et les cadavres exquis concoctés par Dada étaient une façon de réagir aux horreurs absurdes de la Première Guerre mondiale. Le disque s’ouvre sur une rafale de sons qui semblent venir de partout, tandis que Vliet proteste de sa voix rêche : « My smile is stuck/I cannot go back to yer frownland », comme s’il était forcé à retomber dans une réalité routinière après avoir goûté aux délices de l’utopie. Le disque se clôt sur une improvisation féroce et sur la chanson pacifiste « Veteran’s Day Poppy ». Le bruit est, d’après la définition d’Attali, toujours en avance sur son temps, et malgré son échec commercial en 1969, Trout Mask Replica deviendra au cours de la décennie suivante une véritable référence, notamment chez les musiciens punks tels que Mark Mothersbaugh () et Joe Strummer (The Clash). Ce dernier a déclaré, lors

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d’un entretien avec Greil Marcus (1993 : 31) : « Quand j’avais seize ans, je n’ai rien écouté d’autre que ce disque pendant un an ». « Ce qui est du bruit pour l’ordre ancien », dit Attali (1977 : 58), « est harmonie pour l’ordre nouveau. »

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RÉSUMÉS

Cet article analyse la musique et le développement de la contre-culture américaine dans le contexte social plus large de la modernité et du modernisme, entre sa naissance après la Seconde Guerre mondiale et son épuisement à la fin des années 1960. Le modernisme américain des années 1960 était caractérisé par un esprit d’innovation et de foi dans le progrès, et la contre- culture exprimait ce sentiment dans ses expérimentations : la recherche de niveaux de conscience plus élevés, de manières de vivre plus authentiques. La jeunesse était le lien entre la musique et l’esprit moderniste d’innovation et de progrès : une génération qui avait grandi dans la prospérité et les promesses de l’Amérique d’après-guerre, qui bénéficiait des investissements massifs de l’État dans le système éducatif ainsi que de la célébration de « la jeunesse » comme symbole d’espoir et de transformation. Se concentrant d’abord sur les scènes free jazz et folk de New York au début des années 1960, mon analyse se déplace ensuite vers l’ouest, pour considérer les différentes variantes du rock qui émergèrent à San Francisco et Los Angeles.

This paper examines music and the making of the American counterculture within a wider social context of the modernity and modernism that developed in the period after World War II and would become exhausted by the end of the 1960s. Buffered and emboldened by affluence, the American modernism of the 1960s was characterized by a spirit of innovation and faith in progress, and the counterculture expressed this sense of possibility in its experiments to discover higher states of consciousness and more authentic ways of living. The mediating link between music and the modernist spirit of innovation and progress was youth, in this case a generation raised on the prosperity and promises of post-war America, benefiting from massive state

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investments in public education as well as a discursive celebration of « youth » as symbol of hope and transformation. Beginning with the free jazz and folk music scenes in New York at the beginning of the 1960s, my analytic focus then moves west to consider the different variations of rock music that emerged from San Francisco and Los Angeles.

INDEX nomsmotscles Doors (the), Coleman (Ornette), Dylan (Bob), Jefferson Airplane, Beach Boys (the), Grateful Dead (the), Diggers (the), Captain Beefheart Keywords : modernity / postmodernity, youth, hippies / freaks, noise / sonic anarchy, subcultures, protest / transgression / revolt Mots-clés : modernité / postmodernité, jeunes / jeunesse, hippies / freaks, bruit / anarchie sonore, subcultures, contestation / transgression / révolte Index géographique : États-Unis / USA, San Francisco, Los Angeles, New York Index chronologique : 1940-1949, 1950-1959, 1960-1969, 1970-1979 Thèmes : free jazz / Great Black Music, rock music, folk / folk revival, psychedelic / acid rock, punk / hardcore punk

AUTEURS

RYAN MOORE

Ryan MOORE est Associate Professor de sociologie à l’université Florida Atlantic. Il est l’auteur de Sells Like Teen Spirit : Music, Youth Culture, and Social Crisis (2010, NYU Press). mail

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“Break on Through”: Counterculture, Music and Modernity in the 1960s “Break on Through” : contre-culture, musique et modernité dans les années 1960

Ryan Moore

EDITOR'S NOTE

This text was published in Countercultures & Popular Music (Farnham, Ashgate, 2014), while its French translation appeared in this issue of Volume! in 2012.

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1 AT THE DAWN of the 1960s, two musical movements developing only a few blocks from each other in New York City were poised to irreversibly shift the trajectory of American music. In the final weeks of 1959, the Five Spot café in the Bowery hosted a series of performances by the Ornette Coleman Quartet that sparked enormous controversy among New York’s jazz enthusiasts, who were immediately polarised over Coleman’s improvisational style that would change the course of jazz while also influencing psychedelic rock later in the decade. Whereas it was once condemned as “the devil’s music”, by the end of the 1950s jazz had reached a pinnacle of cultural legitimacy: it was promoted internationally as “America’s art form”, taught in thousands of American colleges and high schools, and appraised by a new generation of intellectuals who developed the field of jazz criticism. Having released an album with the audacious title The Shape of Jazz to Come earlier in the year, the Ornette Coleman Quartet came to the Five Spot in November 1959 and invented a form of collective improvisation that violated all the musical conventions that were understood as fundamental to jazz (Anderson 2007). The cultural elite of New York’s jazz scene were passionately divided over the Coleman Quartet’s performances, with Time (1960) magazine’s story on the controversy quoting the legendary trumpeter Dizzy Gillespie: “I don’t know what he’s playing, but it’s not jazz.”

2 Both the enthusiasm for and opposition to Coleman’s music were a testament to its ground-breaking nature, as he desecrated the solidifying orthodoxy of jazz in the name of improvisational freedom. Those who took offence at his free jazz typically disparaged it as nothing but noise: undisciplined, disorderly and technically deficient. Yet free jazz would indeed be the shape of jazz to come in the 1960s, a decade we now know for a succession of cultural and political revolts against conventions and authorities throughout the social system. Within jazz music but also far beyond it, an improvisational style would pose a challenge to orthodoxies of all sorts that had congealed during the middle of the twentieth century. Coleman was one among an assortment of artists and activists who sought to liberate individual parts from overbearing wholes and rescue transitory moments of time from scheduled orders of progress and repetition. This cohort would wage war on the official forms of modernism that were instituted during the post-war years, yet the counterculture they created in the 1960s also expressed the modernist ideal that development and transcendence could be achieved through the annihilation of tradition and formal standards. Their revolt against order and tradition in the quest for freedom and innovation also included the dangers of atomisation, anarchy and self-annihilation that felled the counterculture as the 1960s came to an end with a succession of drug overdoses, violent episodes and generally bad vibes. The Ornette Coleman Quartet personified a potentially higher synthesis of this conflict between the individual and society in their practice of collective improvisation, but this was not the direction the 1960s took as the counterculture became increasingly libertarian in a strictly

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individualistic sense, eventually devolving into a self-absorbed culture of personal growth in the 1970s.

3 Just a few blocks north and west of where controversy was raging at the Five Spot, a revival of folk music had been ongoing in Greenwich Village and developed into a full- fledged subculture by the end of the 1950s. Hundreds of young people wielding a wide assortment of stringed instruments were gathering in Washington Square Park on the weekends to sing folk songs, while nearby MacDougal Street had become home to Izzy Young’s Folklore Center and a number of coffeehouses where people in the folk scene congregated (Hajdu 2001). The folk music subculture embodied a dual character that would ultimately prove unsustainable in the 1960s: while one part expressed folk culture’s romantic attachment to pre-industrial America, thereby exalting sincerity and an aesthetic of social realism, a second, divergent path was shaped by the urban bohemianism of Greenwich Village, where experiments with representation and form were opposed to social realism, and the search for the authenticity was undertaken as a process of becoming rather than being. Folk music is rooted in tradition and inherently suspicious of modernity: Raymond Williams (1983: 136–7) has traced the usage of “folk” from “a general meaning of “people”” in the seventeenth century to the nostalgic connotations it developed in the nineteenth century, as “a complex set of responses to the new industrial and urban society” in which folk songs “came to be influentially specialised to the pre-industrial, pre-urban, pre-literate world”. Folk music maintained a presence in American society in large part through the labour movement and the political Left, where folk was celebrated not only for its lyrics about popular struggle but also for the participatory form of its common ownership and accessibility to anyone with relatively simple instruments. The neighbourhood of Greenwich Village that became a central point for the folk revival had previously been the setting for collaborations between bohemia and the American Left in the period roughly between 1890 and 1920, when the anarchist Emma Goldman was regularly rabble-rousing in the streets, John Reed wrote Ten Days that Shook the World after witnessing the Bolshevik Revolution, and intellectuals, artists and labour activists intermingled at the salon of heiress Mabel Dodge (Stansell 2000). At the end of the 1950s, a reprise of this tenuous alliance between folkie populism, Left politics and bohemian modernism was developing again in Greenwich Village’s folk scene.

4 Folk had become the most popular genre of music among more intellectual and politically engaged young people, particularly on the expanding college campuses, when in January 1961 Robert Zimmerman arrived in Greenwich Village from Minnesota, adopted many of the affectations of Woody Guthrie, and began performing regularly in the coffeehouses using the name Bob Dylan. Alongside Joan Baez, Dylan took folk to the apex of both its commercial popularity and social significance, but he also pushed the contradiction between folk realism and bohemian modernism to its breaking point, from which a new synthesis developed in the second half of the 1960s. In his early years, Dylan crafted his image and style to meet the expectations of his audience, which grew from the folk scene in Greenwich Village to the college campus circuit across the US during the peak years of the Civil Rights Movement. Dylan’s stardom immediately created contradictions within the culture of folk music, for the image of sincerity in Dylan’s pose as a proletarian troubadour was largely contrived, enabling him to achieve fame as something like a folkie pin-up in a scene that defined itself in opposition to commercialism. The sincerity and social realism demanded by the folk scene was also an immediate fetter on the creativity of Dylan’s music and

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lyrics, as even before changing to a rock sound he had been criticised by the folk community for writing songs that were more personally introspective than politically topical. When he dropped the folkie image in favour of dark sunglasses, motorcycle gear and an electric rock band, Dylan was greeted with a polarity of responses akin to those that faced Ornette Coleman: as many believed they were witnessing an artistic breakthrough to the new shape of things to come, those attached to the standards and traditions of folk music correctly perceived a threat to their culture and the community it supported. Dylan abandoned the cultural field of folk, but in doing so he created a new field of possibilities for rock, mainly by linking the music and his new image to the lineages of Romanticism and the defiant poets and painters of modernity. In the second half of the 1960s, musicians began to approach rock as a means of experimentation and self-exploration, and music became an intellectual, emotional and physical medium of social change surpassing what folk had once been.

Modernisation and Modernism in the 1960s

5 My argument situates the music and counterculture of the 1960s within the forms of modernism and the processes of modernisation that spanned from the end of the Second World War until the economic and geopolitical crises of the early 1970s. This particular stage of modernisation was fuelled by monopoly capitalism with a greater degree of state management and planning, one which has been supplanted by a more chaotic, global yet decentralised form of neo-liberal capitalism since the 1970s (Harvey 2007). In the post-war years, capital conceded to pay higher wages because they stimulated lifestyles of mass consumption among the working populace while securing their loyalty to the corporation, thus resolving the crisis of under consumption and class warfare that threatened capital during the interwar years. As the 1960s began, American capitalism had reached new peaks of prosperity after more than a decade as the dominant power in the world economy, and this prosperity translated into roughly equal increases in the standard of living of people throughout the class structure. The US state played a crucial role in shaping the direction of post-war modernisation by launching “urban renewal” projects to demolish older city neighbourhoods while subsidising the construction of new suburban housing and highways, thus remaking the American landscape into a more de-centred, atomised sprawl that facilitated conformity and mass consumption. The state’s role in post-war modernisation also included major investments in the public system of higher education, whose expansion was crucial for scientific and technological research in the Cold War. In the second half of the 1960s, these colleges and universities would be flooded by massive numbers of young people conceived during the giddy years of post-war triumph, the “baby boomers” raised with the confidence that they would be the most educated and prosperous generation in American history (Gitlin 1987).

6 My understanding of the dialectical relationship between modernisation and modernism has primarily been shaped by Marshall Berman (1982: 16), who defines modernism as “an amazing variety of visions and ideas that aim to make men and women the subjects as well as the objects of modernisation, to give them the power to change the world that is changing them, to make their way through the maelstrom and make it their own”. For Berman, this maelstrom is energised by the collision of numerous social processes, but its centrifugal force is capitalism’s profit motive, which

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fuels investment and innovation, demands rationalisation and calculability, incites mass migration and the growth of cities, and compresses spatial distance through mass communications. The common effect of all these social processes is to create a modern world characterised by an uncertainty of values and an accelerating pace of change, a volatile and frenzied world where “all that is solid melts into air, all that is holy is profaned”, as Marx and Engels (1998: 38) put it.

7 The experience of modernity is constituted by this dialectical relationship between modernisation and modernism. Considering the modernism of the 1960s, Berman identifies three tendencies of cultural response to the conditions of modern life: affirmation, negation and withdrawal. The affirmative voices of the 1960s welcomed the continuing evolution of the electronic media and the erosion of the boundaries separating art from commercial culture, whereas those who advocated withdrawal sought to maintain their ideals for the autonomy of art via self-referential formalism. Most of all, the modernism of the 1960s expressed a spirit of negation, an adversarial culture dedicated to destroying conventions and desecrating traditions. Berman remains dissatisfied with each of these affirmative, negative and withdrawn responses, but his survey of 1960s modernism primarily examines high culture, urban architecture and the intelligentsia while saying little about popular music. I believe that a closer look at the music of the 1960s, along with the counterculture surrounding it, will reveal a dialectical ambivalence that Berman finds in an earlier generation of modernists – from Goethe and Marx to Baudelaire and Dostoyevsky – who did not simply affirm or reject modern life but instead tried to harness its creative energies in order to transcend its limits. Berman contends that this form of modernism “is ironic and contradictory, polyphonic and dialectical, denouncing modern life in the name of values that modernity itself has created, hoping – often against hope – that the modernities of tomorrow and the day after tomorrow will heal the wounds that wreck the modern men and women of today” (1982: 23).

8 In the analytic narrative that follows, my method is to fleetingly traverse the times and spaces of the 1960s in a modernist style, initially focusing on youth and its relation to modernity, and then moving west to California – the homeland of the counterculture and the terminal point of American modernisation in the 1960s – to examine the rivalling scenes that developed in San Francisco and Los Angeles. In the preceding section, we began to identify some of the different symbolic responses to modernisation that were already emerging in New York’s free jazz and folk scenes at the beginning of the 1960s. Against the processes of modernisation that praise novelty for its own sake, the folk revivalists sought to anchor themselves in the past, preserve the means of expression established by previous generations, and rediscover forms of community that had been shattered in the name of progress. This anti-modernisation style of modernism could also be seen in early 1960s New York, where Jane Jacobs (1961) outlined an alternative conception of urban life in opposition to the sprawling, automobile-centred projects of Robert Moses, whose plan to build an expressway through lower Manhattan was thwarted by neighbourhood opposition led by Jacobs. On the other hand, the free jazz of the same time embraced the spirit of modernisation with its frenetic pace, disdain for convention and tradition, and celebration of individual freedom from the collective. This type of modernism that aligned itself with the velocity and volatility of modernisation was also a recurring cultural tendency of the 1960s, especially within the counterculture that was energised by an experimental approach to raising its collective consciousness while utilising the newest electronic

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media and chemical concoctions in the pursuit of self-expression. However, in both free jazz and the folk revival we also see glimpses of an alternative, more ambivalent response, one that transcends the dichotomy of affirmative or negative responses to modernisation. Although free jazz was an improvisational form that broke with the usual constraints of pitch, tempo, bar and chord, it did not amount to musical anarchy but instead established a new collective form in which one player’s freedom opened opportunities for the others to contribute to the performance in new ways. Meanwhile, if the folk revival sought refuge from modernisation in clinging to tradition and community, a new crop of electrified rock bands were poised to demolish the cultural boundaries of folk in the process of opening new avenues for music.

Youth, Modernity and the Counterculture

9 To fully understand the significance of the counterculture and its music during the 1960s, we must consider the experience of youth which forms an intermediary relation between music and society. As Theodore Roszak (1969) was the first to argue, the “counterculture” was composed of college students and young people in both the hippie/acid rock culture and the movements of the New Left, who Roszak believed should be grouped together, despite all their differences, because both were created by the young in opposition to the American “technocracy” (also see Keniston 1968). The technocracy that developed from post-war forms of modernisation provided this counterculture with its various targets for revolt: the heartless American war machine; the conformity of the organisation man; intractable government bureaucracies; an atomised landscape of suburbs and highways; soulless consumer materialism and the standardisation of mass culture; the rationalisation of an educational system enmeshed with industry and the military. However, young people of the counterculture did not rebel simply in opposition to modernisation, but also to realise the promises of social and personal development that are the hallmarks of modernity. These were not simply movements of resistance but also experiments in renewal, growth and possibility. The search for sources of personal and social transformation – and the confidence that they would eventually find those sources – characterised both the hippies and the New Left, even if they differed on what needed changing and how to realise those changes. The rebellions of the 1960s took shape in opposition to technocracy, but they were conceived in a maelstrom of flux and growth and nourished by the utopian vision of a post-scarcity society.

10 In the 1960s, the experience of youth mediated between the conditions of modernity and the formation of a counterculture. Henri Lefebvre (1995: 195) noted this ambivalent relationship between youth and modernity in 1961, seven years before millions of students and workers took to the streets of Paris to “demand the impossible’: Everywhere we see [young people] showing signs of dissatisfaction and rebellion. Why? It is because they themselves are new and thirsty for innovation – that is, modernity – and are therefore experiencing all of modernity’s unresolved problems for themselves. Their finest qualities are the ones which cause them the most pain. Their vitality exposes them and makes them vulnerable. Attracted by it, yet repeatedly disappointed by it, they live out the “new” and all its empty moments. It is they who are worst hit by the disjunction between representation and living, between ideology and practice, between the possible and the impossible. It is they who continue the uninterrupted dialogue between ideal and experiment.

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11 Millions of young people rebelled against the social system in the 1960s, yet their rebellion was enabled and shaped by the system itself, especially because their sense of generational self-importance was fuelled by the apparently limitless abundance of the capitalist economy. The counterculture mocked the stability and predictability of modernisation while taking its productivity for granted, thus creating a utopian vision where the values of leisure, spontaneity and self-expression would triumph over work, discipline and instrumental rationality.

12 Young people occupy a privileged position relative to modernity’s spirit of novelty and innovation, especially because they embrace the latest things and the possibilities of the future while casting tradition and security aside. The extension of higher education, postponement of work, advancement of birth control technologies, and other social changes have created youth as a distinct phase of the life cycle, a “psychosocial moratorium” (Erikson 1968) which allows the young to try out different identities while maintaining distance from adult social roles. The baby boom generation was uniquely privileged in the sense that they inherited the confidence of the post-war years and symbolised the apparently bright future of American society. Baby boomers would be doted on in countless parenting manuals, courted as a multibillion-dollar teen market and pack university campuses infused with military spending. Politicians, educators and self-proclaimed childrearing experts declared that this was a special generation that would benefit from all the difficult sacrifices of the past and the infinite opportunities of the future. As the 1960s progressed, it was evident that much of this generation took these messages about their collective importance to heart, but not in the way that authorities had intended.

Better Living through Chemistry: LSD and Acid Rock in San Francisco

13 Few things symbolise the 1960s spirit of modernity and its ironies better than LSD. After being discovered by the Swiss chemist Albert Hoffman during the Second World War, the US Central Intelligence Agency (CIA) conducted experiments with LSD as part of their search for mind control drugs in the 1950s, administering doses to everyone from military personnel and college students to prostitutes and the mentally ill in studies of its psychoactive effects (Lee and Shlain 1985). Among other places, LSD then found its way into Harvard’s psychology department, where it was studied in the experiments – of the Harvard Psilocybin Project and transformed two of the lead researchers – Dr Timothy Leary and Dr Richard Alpert – into advocates of a psychedelic and spiritual change of consciousness. At roughly the same time on the opposite coast, Ken Kesey was also participating in the CIA’s research on LSD at Stanford University. In the ensuing years, Kesey wrote his acclaimed novel One Flew Over the Cuckoo’s Nest (1962) and gathered his group of “Merry Pranksters” to host “acid tests” where LSD was distributed, accompanied by the music of a band that would later be known as the Grateful Dead. LSD and its infiltration of American society were thus the products of post-war American modernisation, of military research in the context of the Cold War and scientific research at the nation’s top universities. And yet as LSD became the chemical inspiration behind the counterculture that developed in the 1960s, it activated modes of consciousness that not only opposed the American government and

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its war machine but also contradicted the calculating, mechanical thinking that fuels modernisation in its totality.

14 LSD had a decisive influence on the music of the 1960s, particularly in the San Francisco psychedelic rock scene that began forming in the Haight-Ashbury neighbourhood in 1965. The San Francisco scene began as a continuation of the folk revival and the Beat literary movement that was centred in the city’s North Beach neighbourhood. By 1965, musicians, writers and various eccentrics had begun moving into the Haight-Ashbury’s dilapidated, low-rent Victorian houses (Perry 1984). The new crop of San Francisco bands were a mix of the communitarian ethos of folk and the improvisational spirit of jazz and the Beats, but they ruptured the boundaries and surpassed the limits of both cultural traditions by adding an explosive concoction of LSD and electrified rock and roll. Concurrent with the prime years of LSD’s exploration, the Beatles and the other bands of the British Invasion, along with a newly electrified Bob Dylan, had begun to open new possibilities for the creation of rock music as a meaningful form of cultural expression. In the second half of the 1960s, LSD and rock music blended to create a collective expression of modernity’s quest for elevation and expansion, one that promised to cultivate higher states of consciousness and being among individuals nurtured within a loving community. Along with LSD, rock music presented a challenge to American institutions and social norms, but it too was nurtured by scientific and technological modernisation, by multicoloured light shows, massive amplification and new innovations in the recording studio. So-called acid rock was imagined to be a liberator of minds and bodies, uniting musicians and audiences in a community of the young, taking them higher and further with experimental recordings and improvisational performances. By the end of the 1960s, however, this vision would lie defeated and exhausted: unable to change reality in accordance with its collective imagination, the counterculture imploded, went into retreat and gradually dissolved.

15 The Grateful Dead combined all of these musical and cultural elements, under the influence of LSD and other psychedelics, to help create the countercultural daydream for an emerging community that was expanding from its nucleus in northern California. The members of the Grateful Dead initially met during the early 1960s in Palo Alto near Stanford University (approximately 30 miles south of San Francisco), where the mix of folk music and Beat literature had generated a flourishing bohemian community. Jerry Garcia was initially inspired to learn guitar as an adolescent after hearing Bo Diddley and Chuck Berry, but in Palo Alto he was one of many folkies who played guitar and banjo in bluegrass and jug bands. On the other hand, Phil Lesh was a classically trained musician who played the trumpet in high school and had a keen interest in jazz improvisation and avant-garde classical music, which led him to explore new methods for playing the electric bass as more like a second lead than a time- keeping instrument of rhythm. Ron “Pigpen” McKernan represented a third musical trajectory, at least until his death from cirrhosis in 1973: he grew up listening to the blues and rhythm and blues (his father was a local disc jockey), and in the Grateful Dead he played the harmonica and blues organ, looked like a Hells Angels biker, and sang in a rugged voice coated with alcohol. Finally, the rhythm section that was an essential part of the improvisational process included not one but two percussionists, thus doubling the complex web of musical interactions during a jam session (McNally 2002 and Spector in this volume).

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16 Musically and culturally, the Grateful Dead were an amalgamation of all the countercultural components that had accumulated up to the mid-1960s, amplifying the traditionalism of the folk revival into an improvisational practice that was expanding from a community of folkie bohemians into a more colourful movement of hippie freaks. They personified the duelling musical responses to modernisation – folk and experimentalism – but also the promise that a youthful counterculture was poised to transcend this duality in an alternative vision (or hallucination, if you prefer) of modernity. The Dead’s roots were in the folk scene, but their ascent into a rock band was fully connected with the spread of LSD and Kesey’s Merry Pranksters. By 1966, the emerging hippie scene concentrated in the Haight-Ashbury had become a veritable “psychedelic city-state” with its own neighbourhood head shop (the Psychedelic Shop) and underground newspaper (the San Francisco Oracle) (Lee and Shlain 1985: 141–9). A rapidly growing community of musicians with backgrounds in folk, jazz and the blues was also forming in the neighbourhood. Marty Balin had opened a venue in San Francisco called the Matrix after witnessing the emergence of folk rock, and he formed Jefferson Airplane by adding a trio of guitar and bass players who played folk, country and the blues. Similarly, the founding members of Big Brother and the Holding Company had begun their musical careers in San Francisco’s folk circuit, while their drummer came from a jazz background. Months later, the local hippie concert promoter Chet Helms introduced Big Brother to their newest member: a blues singer who had just arrived from Texas named Janis Joplin (Echols 1999).

17 Social solidarity was a core ideal of the folk scene, and it continued to be prominent even as music ventured in experimental directions during the second half of the 1960s. One prospect of the counterculture was that it might overcome the opposition between individualism and collectivism by forming a collaborative community of creative people who could inspire and influence one another in the development of a unique self. This collective vision formed in opposition to post-war modernisation and the suburbanised life of the American middle class, whose atomised existence in cars and cul-de-sacs made people anxious to conform and unwilling to deviate, thus creating neither community nor individuality but instead a “lonely crowd” in the words of sociologist David Riesman (1950). As with free jazz, the psychedelic rock bands could be seen as microcosms of this countercultural model of social relations, especially as the collective process of music-making involves individual musicians working within an interdependent collective, one where each member makes a unique contribution to the sonic whole by utilising their particular skills in a continuous interplay with the others. The collective improvisation of the acid rock bands was surely enhanced by the fact that their members often lived together – at different times, the Grateful Dead cohabitated at 710 Ashbury St, Jefferson Airplane at 2400 Fulton St., and Big Brother and the Holding Company had a house in neighbouring Marin County – and therefore allowed creative bonds and improvisational familiarity to develop among some extremely unique individuals. On a larger scale, live performances and festivals became the most significant medium for creating a sense of community within the counterculture. As the rock audience grew into the multitude of Woodstock Nation, rock music concerts created an environment similar to religious rituals or festivals – Emile Durkheim (1915: 245–55) called it “collective effervescence” – where the intensity of social interaction produces a state of euphoria among people who feel elevated beyond their ordinary, everyday selves.

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18 Just as folk music was being absorbed and surpassed by psychedelic rock, the communitarian politics of folk culture took on more colourful and theatrical forms that expressed not just resistance but also collective joy. The Diggers, for instance, evolved from the San Francisco Mime Troupe, a group of actors who had been staging improvisational forms of radical theatre in the city’s streets and parks. After holding a parade on Haight Street to celebrate “The Death of Money and the Birth of the Free” in 1966, the Diggers began giving away food and clothing on a regular basis at the panhandle in front of Golden Gate Park and established a free store, a free bakery and even a free medical clinic (a precursor of the revered Haight-Ashbury Free Clinic). They took their name from a seventeenth-century agrarian movement that arose in England to resist the Enclosure Acts and rising food prices. These seventeenth-century Diggers claimed squatters” rights for common lands and engaged in digging the soil (hence the name) and planting vegetable gardens to feed the needy. The San Francisco Diggers, by contrast, were products of modernity and urbanisation, forming a movement based on the appropriation of an enormous surplus produced by a prosperous economy, a surplus they imagined could be redistributed to allow people to avoid wage labour and live freely. A strong distrust of money and commercialism was shared by the folk and the bohemian cultural traditions, and in the 1960s this was expressed in concerns about the commercialisation of music and conflicts between rock bands and their record labels. Within the San Francisco scene, these conflicts over commerce and music created a rivalry between Bill Graham and Chet Helms and the Family Dog commune: while Graham was an unabashed businessman who was on the way to becoming the leading rock concert promoter of his time, Helms and the Family Dog promoted concerts as vehicles of liberation that minimised the role of money (Perry 1984).

Rock Music and Consumer Capitalism in Los Angeles

19 The San Francisco music scene formed largely in opposition to the mainstream pop music of the recording industry, and those commercial forces were concentrated in the city’s hated rival to the south, Los Angeles. Over the course of the 1960s, the centre of the American music industry shifted away from New York City, where the biggest labels were headquartered and the country’s most successful songwriters and publishers worked in Tin Pan Alley and the Brill Building. In 1960, the movie industry still greatly overshadowed the music industry in Los Angeles: several of the major labels were subservient divisions of the movie studios (e.g. MGM, Warner Brothers) in search of teen idols that could cross over to film and television. This left Capitol Records as the most significant player – its local supremacy signified by a skyscraper designed like a stack of records, erected in 1954 – along with a cluster of independent labels like Dot, Liberty, and Specialty Records, all of which were housed on Sunset Boulevard in Hollywood. However, Los Angeles had become synonymous with the commercial side of pop music by the time of the Monterey Pop Festival in June 1967, and so as the festival was being organised by Lou Adler (a record producer who had recently become a millionaire following the sale of Dunhill Records) and John Phillips (leader of the commercially successful LA-based folk act the Mamas and the Papas), the conflict between the two scenes was palpable. As Adler recalled, “The San Francisco groups had a very bad taste in their mouths about LA commercialism … And it’s true that we were a

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business-minded industry. It wasn’t a hobby. They called it slick, and I’d have to agree with them” (cited in Hoskyns 1996: 145).

20 Los Angeles emerged as a centre for innovations in popular music during the early 1960s, when Phil Spector was developing his “wall of sound” approach to recording at Gold Coast Studios, while at the same time surf music expressed the carefree leisure of young people raised on American abundance. Spector made advancements on the Brill Building sound after apprenticing with the songwriting duo of Leiber and Stoller in New York, bringing greater volume and depth to studio recordings by utilising an orchestra of instruments playing simultaneously to create a dense, lush composition surrounding the vocal harmonies of the groups he was producing. Spector’s wall of sound was engineered to carry through to jukeboxes and AM radio, leading to a string of hit singles by the Crystals, the Ronettes, and the Righteous Brothers from 1962 to 1965, prompting Tom Wolfe to christen him “The Tycoon of Teen”. But the music that resonated most with great numbers of young people in the early 1960s was surf music, particularly the music linked to a wider cultural celebration of surfing, the beach and spring break vacation depicted in a succession of teen movies. Although southern California’s surfing subculture originated among rebellious individuals in refuge from wage labour and social convention, its evocations of leisure, youthfulness and sex were perfectly suited to serve as advertisements for consumer hedonism among affluent white teens. The reverberating sound of surf music was originally developed by guitarists and instrumental groups like the Ventures and Dick Dale, and the formula for writing songs about surfing, cars and fleeting summertime romances was established in a succession of hit singles from 1961 though 1965 by Jan and Dean and the Beach Boys (Hoskyns 1996).

21 The prosperity and leisure of southern California’s “endless summer” of the early 1960s contained an underside of racial exclusion that confined Blacks and Latinos within an environment of poverty, unemployment and police brutality. In August 1965, at the same time that the Beach Boys” “California Girls” was climbing the singles chart, the ghetto of Watts exploded in an uprising that lasted for five days and required the dispatch of 15,000 troops from the National Guard before it was finally suppressed (McCone Report 1995). The significance of the Watts rebellion as a watershed moment in the struggle for racial equality, and as an opening signal of the militant turn of the late 1960s, can hardly be overstated. Beginning only days after passage of the Voting Rights Act had abolished the last vestiges of legal segregation, Watts exposed the limits of liberal democratic remedies for racial injustice and activated a more radical turn toward issues of political economy and state repression in the Black social movements of the late 1960s. Watts was a stark reminder that there was something rotten in the land of sunshine, for the local African-American community was continually subjected to racist police violence while being denied access to the affluence surrounding them in the white suburbs and the electronic media beaming out of greater Los Angeles. Guy Debord (2007: 197) of the Situationist International saw the rebellion and destruction in Watts as nothing less than a negation of the “spectacle-commodity economy” erupting on the perimeter of Hollywood’s dream factory: The looting of the Watts district was the most direct realisation of the distorted principle: “To each according to their false needs” – needs determined and produced by the economic system which the very act of looting rejects. But once the vaunted abundance is taken at face value and directly seized, instead of being eternally pursued in the rat-race of alienated labor and increasing unmet social

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needs, real desires begin to be expressed in festive celebration, in playful self- assertion, in the potlatch of destruction. People who destroy commodities show their human superiority over commodities.

22 Only a few months after the Watts riots, Brian Wilson of the Beach Boys began working at his home in Beverly Hills to record an album that would rise to the challenge recently set forth by the Beatles” Rubber Soul (Granata 2003: 68). Wilson continued to utilise and further develop the dense musical landscapes and expansive harmonies employed in previous Beach Boys songs, but Pet Sounds also featured a deep undercurrent of loneliness and estrangement, one that threatened to negate the fun- in-the-sun sound and image that had become the group’s trademark. During this time, critics of “mass society” maintained that behind the glossy façade of the consumer culture and suburban lifestyles afforded by post-war modernisation was an atomised society of isolated individuals – as Phillip Slater (1970: 7) argued in his treatise The Pursuit of Loneliness, “Americans attempt to minimise, circumvent, or deny the interdependence upon which all human societies are based … We seek more and more privacy, and feel more and more alienated and lonely when we get it.” While he and the other Beach Boys had been writing and singing about surfing, cruising and summertime, in reality Brian Wilson was far too reclusive and awkward to have enjoyed much of this life of youthful leisure, and so it had been a dreamworld for him in the same way it was for most of his audience. Now, in 1966, having recently discovered LSD, and with the symptoms of an emerging mental illness beginning to surface, Wilson’s growing sense of estrangement formed an antithesis within Pet Sounds to offset the upbeat harmonising and carefree hedonism of the Beach Boys” sound. The signs of alienation appear immediately on Pet Sounds, when a cheery song about teenage lovers is unsettled with the question “Wouldn’t it be nice to live together in the kind of world where we belong?” and the observation that “You know it seems the more we talk about it/It only makes it worse to live without it.” On the surface, the gorgeously sad falsettos of Pet Sounds appear to stem from personal heartbreak, but a closer listen also reveals a young man suffering from a more social or even political kind of disconnection, a feeling that he “just wasn’t made for these times”.

23 In short, if the Watts riots were a destructive assault waged by those excluded from the “spectacle-commodity economy”, Pet Sounds was an early sign of the dissatisfaction and estrangement developing from inside the spectacle among those born into a position of privilege within this economy. Though Wilson and the Beach Boys approached them from a different direction, along with the San Francisco bands they too pushed against the limits of post-war modernisation and modernity, exposing the need to overcome its contradictions to progress further. Pet Sounds did indeed become known as one of the greatest rock albums of all time, but not in 1966: the album was initially a commercial failure and mostly ignored by the burgeoning rock community, and only subsequently has it accumulated the massive symbolic capital it now possesses. By 1966 the torch had already been passed to a new cohort of folk rock bands, some of whom (the Byrds, Love, Buffalo Springfield) had built a following within the counterculture through their performances at nightclubs on the Sunset Strip. Sunset Boulevard hosted a small riot of its own in 1966, when plans to demolish a folk rock hotspot called Pandora’s Box sparked a confrontation between police and young people that began in November 1966 and continued sporadically for the next two years (Davis 2007). As the hippie subculture was emerging and a moral panic about youth, music and drugs began to spread, the LAPD tried to vigorously enforce a 10 p.m. curfew while routinely harassing

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and beating long-haired youth outside the clubs; in appropriately Hollywood style, the melees were immortalised in both film (Riot on the Sunset Strip) and song (Buffalo Springfield’s “For What It’s Worth’). Like the Watts riots, these confrontations with the police developed into festivals of joyous destruction that united the young in a collective identity forged in opposition to state power. A self-described Hollywood rock “groupie”, Pamela Des Barres (1987: 44) recalled the formative influence of these events for her: I felt like I belonged, united with a thousand other kids, protesting what THEY were doing to US … I watched as Gorgeous Hollywood Boys overturned a bus, and I cheered on the offenders from my warm spot on the Sunset Boulevard blacktop. I gazed at Sonny and Cher, arms wrapped around each other, wearing matching polka-dot bell-bottoms and fake-fur vests, and realised that we were all one perfect hip force with one huge beating heart.

Coda: I Cannot Go Back to Yer Frownland

24 The story of how this loving community with its dreams of social progress and individual growth imploded internally while being repressed externally, and all the consequences that followed, is much too complicated to be explained here. It is, in brief, the story of modernity’s exhaustion and the emergence of a postmodern sensibility that spread across a wide spectrum of cultural forms in the decades that followed. Musically, the sound of things falling apart can be clearly heard on an album released in the summer of 1969 that still continues to disturb the unsuspecting set of ears like few others can, Captain Beefheart’s Trout Mask Replica. The 28 songs on Trout Mask Replica sound as if what Pamela Des Barres called the “one huge beating heart” of the counterculture has been ripped into a thousand shreds, only to be stitched back together in ways that seem random and haphazard at first but eventually reveal a new system of chaos. The beat of this music, as Beefheart (Don Van Vliet) has explained, no longer approximates the soothing regularity of a heartbeat, but instead has been crushed into a mishmash of erratic rhythms that never carry on long enough for the listener to settle into a groove or state of tranquillity. Beefheart’s music was a concoction of the disorderly noise and frenetic pace of free jazz, simulations of unpolished sounds from the earliest blues recordings and the disorienting clamour of psychedelic rock, all of which are accented by Vliet’s gruff shouting of lyrical puns and nonsensical word associations. Langdon Winner (2007: 59) explained why Trout Mask Replica, venerated by some as a masterpiece but denigrated by many others as un- listenable noise, would be his choice as the one album he could bring to a deserted island: “a desert island is possibly the only place where I could play the record without being asked by friends and neighbours to take the damned thing off” (on “freak out” recordings and sonic anarchy, see Keister in this volume).

25 As the 1960s wore on, the collective hopes for development, transcendence and authenticity embedded in the counterculture’s modernism began to fizzle out even faster than they appeared to arise. The tumultuous year of 1968 was the most significant turning point, the year when young people all over the world took to the streets and undertook radical projects of personal and political transformation because, as Lefebvre put it, they were “experiencing all of modernity’s unresolved problems for themselves”. Yet in their attempts to break through these contradictions of modernity, young people were met with massive exercises of state violence in both

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capitalist and communist societies. Meanwhile, in the late 1960s both the New Left and the counterculture were also imploding from within, the former as a result of the toxic mixture of sectarianism and state repression, the latter coinciding with an individualistic withdrawal from the vision of collective change. The modernism of the 1960s that was created by a youthful counterculture imagined new possibilities in the simultaneous pursuit of social change and personal growth, but by 1969 these possibilities had been extinguished and reduced to empty symbolic gestures circulating through the consumer culture. Young people exposed the limits and hypocrisies of post-war modernisation while representing an image of the new world that could take its place, but their attempts to make this collective dream into reality were resisted by the dual powers of state repression and commercial co-optation. A fragmented, postmodern culture – characterised by an absolute rejection of modernist notions of progress and development, authenticity and originality, and totality and universality – took root in this social context of despair.

26 Jacques Attali (1985: 11) has theorised that noise contains prophetic powers: “It makes audible the new world that will gradually become visible.” Two months after the release of Trout Mask Replica – and not more than 20 miles from the Woodland Hills house where Vliet shacked up his entire band while insisting on complete authoritarian control over their rehearsal and recording – the Manson family committed a string of gruesome murders, including one at the Benedict Canyon home that Manson believed was still occupied by former Beach Boys producer Terry Melcher (see Carlin and Jones, in this volume). At the end of the 1960s, images of crazed hippies seized the media spotlight in the weeks following the celebration of peace and love at Woodstock, and this turn of events was reinforced in December 1969 by the violence at the Altamont festival in northern California. In explaining why news of the Manson murders came as less than a surprise to her and those she knew in Los Angeles at the time, Joan Didion (1979: 41) wrote, “This mystical flirtation with the idea of “sin” – this sense that it was possible to go “too far”, and that many people were doing it – was very much with us in Los Angeles in 1968 and 1969.” Trout Mask Replica stands as the most dramatic document of this time and space of social disintegration, analogous to the word salad and anti-art concocted by Dada in response to the senseless horrors of the First World War. The record begins with a flurry of sounds that seem to be coming from every direction as Vliet protests in his raspy voice, “My smile is stuck/I cannot go back to yer frownland”, as if he is being dragged back to a humdrum reality after momentarily basking in the sunshine of utopia. The record ends with a ferocious jam session to conclude the anti- war song, “Veteran’s Day Poppy”. Noise is always ahead of its time, according to Attali’s definition, and so although Trout Mask Replica was a commercial flop in 1969, it accumulated influence over the course of the 1970s with a new cohort of punk musicians like Mark Mothersbaugh of Devo and Joe Strummer of the Clash, the latter of whom told Greil Marcus (1993: 31), “When I was sixteen … that was the only record I listened to – for a year.” “What is noise to the old order”, as Attali (1985: 11) put it, “is harmony to the new.”

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ABSTRACTS

This paper examines music and the making of the American counterculture within a wider social context of the modernity and modernism that developed in the period after World War II and would become exhausted by the end of the 1960s. Buffered and emboldened by affluence, the American modernism of the 1960s was characterized by a spirit of innovation and faith in progress, and the counterculture expressed this sense of possibility in its experiments to discover higher states of consciousness and more authentic ways of living. The mediating link between music and the modernist spirit of innovation and progress was youth, in this case a generation raised on the prosperity and promises of post-war America, benefiting from massive state investments in public education as well as a discursive celebration of “youth” as symbol of hope and transformation. Beginning with the free jazz and folk music scenes in New York at the beginning of the 1960s, my analytic focus then moves west to consider the different variations of rock music that emerged from San Francisco and Los Angeles.

Cet article analyse la musique et le développement de la contre-culture américaine dans le contexte social plus large de la modernité et du modernisme, entre sa naissance après la Deuxième Guerre mondiale et son épuisement à la fin des années 1960. Le modernisme américain des années 1960 était caractérisé par un esprit d’innovation et de foi en le progrès, et la contre- culture exprimait ce sentiment dans ses expérimentations : la recherche de niveaux de conscience plus élevés, de manières de vivre plus authentiques. La jeunesse était le lien entre la musique et l’esprit moderniste d’innovation et de progrès : une génération qui avait grandi dans la prospérité et les promesses de l’Amérique d’après-guerre, qui bénéficiait des investissements massifs de l’État dans le système éducatif ainsi que de la célébration de sa comme symbole d’espoir et de transformation. Se concentrant d’abord sur les scènes free jazz et folk de New York au début des années 1960, mon analyse se déplace ensuite vers l’ouest, pour considérer les différentes variantes du rock qui émergèrent à San Francisco et Los Angeles.

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INDEX

Geographical index: États-Unis / USA, San Francisco, Los Angeles, New York nomsmotscles Doors (the), Coleman (Ornette), Dylan (Bob), Jefferson Airplane, Beach Boys (the), Grateful Dead (the), Diggers (the), Captain Beefheart Keywords: modernity / postmodernity, youth, hippies / freaks, protest / transgression / revolt, noise / sonic anarchy, subcultures Mots-clés: modernité / postmodernité, bruit / anarchie sonore, jeunes / jeunesse, contestation / transgression / révolte, hippies / freaks, subcultures Chronological index: 1940-1949, 1950-1959, 1960-1969, 1970-1979 Subjects: free jazz / Great Black Music, folk / folk revival, psychedelic / acid rock, punk / hardcore punk, rock music

AUTHOR

RYAN MOORE

Ryan MOORE est Associate Professor de sociologie à l’université Florida Atlantic. Il est l’auteur de Sells Like Teen Spirit: Music, Youth Culture, and Social Crisis (2010, NYU Press) mail

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La Banalité de la dégradation : Andy Warhol, le Velvet Underground et l’esthétique trash The Banality of Degradation: Andy Warhol, the Velvet Underground and the trash aesthetic

Simon Warner Traduction : Dario Rudy

NOTE DE L’ÉDITEUR

The English version of the article will be published in Sheila Whiteley and Jedediah Sklower (eds.), Popular Music and Countercultures, Ashgate, 2013. It will appear here two years after that publication, in 2015. La culture américaine est une culture trash. Steven L. Hamelan (2004 : 3)

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1 PARCE QU’IL A INVESTI de toute son énergie ce carrefour culturel où le pop art croise le film underground autant que les méthodes de production de masse, l’artiste Andy Warhol peut être vu comme le roi, ou plutôt la reine de l’esthétique trash. Qu’il ait construit un espace dans lequel, par le biais d’un groupe comme le Velvet Underground, un langage alternatif du rock’n’roll se soit développé et diffusé le place également à l’avant- garde d’un contre-discours quant à l’histoire de la production et de l’appréciation de l’art. Cet article essaiera de produire une vue d’ensemble des influences qui ont contribué à l’émergence d’une esthétique trash, du sens attaché à et généré par une telle anti-philosophie ainsi que les manières dont on peut identifier l’évidence de ce style et son expression dans le monde de Warhol et son environnement de travail de Manhattan, la Factory, mais aussi dans le travail du groupe maison, le Velvet Undergound et dans la performance multimédia de 1966, The Exploding Plastic Inevitable1.

2 Par l’image, le son et le mouvement, la joyeuse troupe de Warhol composée d’artistes, de poètes, de réalisateurs, de photographes, d’acteurs, de danseurs et de musiciens s’est présentée en un torrent de créativité qui a ébranlé les dogmes vieux de plusieurs millénaires de sagesse acquise quant à la nature, la production et la fonction de l’art. Les années 1960 de Warhol se sont avérées être le creuset par lequel les frontières du domaine furent redéfinies et de nombreuses règles réécrites. Au cœur de ce procédé se trouve l’établissement d’un credo esthétique qui méprisait, perturbait, éliminait et qui déconstruisait les conceptions précédentes quant à ce que l’art devait inclure, communiquer ou représenter, une forme que Cagle a appelé du « haut kitsch » (Cagle, 1995 : 5). Les philosophes qui à chaque époque avaient débattu des fondements de l’art et de ses principes – un édifice reposant sur les piliers de vérité et de beauté, de justice et de moralité – se trouvèrent défiés, peut-être fatalement, par cette vague de dissidence fervente. Le rôle de Warhol dans ce projet de ré-organisation et de ré- évaluation esthétique le place selon moi au cœur de l’un des gestes contre-culturels clés de cette époque. En préférant la surface et le superficiel à la profondeur et la substance et en rejetant les motivations traditionnelles – justifications morales, conscience sociale ou ethos politique – l’artiste et ses disciples créèrent un univers esthétique cohérent qui s’écartait profondément autant du mainstream du milieu des années 1960 que de ceux qui le contestaient d’une manière plus conventionnelle.

3 Warhol n’était pas l’unique figure de cette révolution esthétique – il était plus simplement le maillon d’une chaîne qui avait vu un grand nombre d’artistes, d’idéologues, et de francs-tireurs culturels du vingtième siècle attaquer la citadelle de l’orthodoxie et proposer de nouvelles conceptions du milieu artistique lui même, de ce qu’il est capable de faire, de dire, et de comment il peut le dire. En résumé, cette lignée réduite mais de grande influence allait cultiver un système de pensée basé, pour une partie non négligeable sur l’importance et la valeur du choc. Que Warhol se trouvât à une époque où la communication de masse et la démocratisation sociale se

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nourrissaient mutuellement de manière si frappante et efficace, relève d’un hasard heureux. Cela impliquât que son idéologie radicale devint familière non seulement à une élite intellectuelle restreinte mais aux millions d’hommes du commun.

4 Le résultat en fut cette floraison flamboyante de créativité au cœur de la décennie la plus agitée de son époque, dont l’impact ne se limiterait pas à quelques courtes années. Au contraire, le dernier quart du siècle fut infusé et infecté, influencé et affecté par la pratique et les prêches de cet homme paradoxal – à la fois étrange homme seul et personnage mondain – dont la citation la plus retenue est que « dans le futur, tout le monde sera mondialement célèbre pendant 15 minutes » (Fineberg, 2000 : 256) bien qu’elle tende à être simplifiée de façon erronée en « dans le futur tout le monde sera célèbre 15 minutes ». Cette position renferme une contradiction significative. L’identification par Warhol de l’éphémère comme une notion clé de ce que l’on pourrait a posteriori désigner comme la condition postmoderne était bien sentie. Mais son héritage aura ironiquement vu l’éphémère se transformer en un état répété et prolongé dans le temps. À l’heure où le deuxième millénaire se fond dans le troisième, être la cible passagère de l’objectif et de son flash tremblant est devenu la norme et non l’exception.

5 Comment mettre à jour une esthétique trash ? En premier lieu, on pourrait penser à l’émergence d’une culture de l’éphémère à grand impact dans la période suivant la Seconde Guerre mondiale. Cette ère de satiété matérielle relative a conduit à ce moment où l’intérêt des élites pour l’art comme les pratiques traditionnelles des gens ordinaires furent en grande partie marginalisés, voire détrônés par une expérience démocratique, construite sur les bases d’une production et d’une consommation de masse, aidée par la puissance des industries médiatiques ? On ne peut pas qualifier de trash toutes les cultures de masse ou les cultures populaires, comme on les appelle depuis le milieu du vingtième siècle mais celles-ci sont en grande partie basées sur une forme d’exhibitionnisme extravagante, et ont offert un grand rôle à l’éphémère. Richard Keller Simon, qui s’est intéressé à la relation entre culture populaire et culture élitiste en littérature déclare qu’au sein de son terrain d’enquête « beaucoup des différences entre la culture trash et la haute culture montrent simplement que le storytelling s’adapte à des conditions économiques, sociales et politiques changeantes » (Keller, 1999 : 2). Comparant les grandes œuvres littéraires et des extraits contemporains de films et de programmes de télévision, de magazines et de journaux, il en conclut : « les connexions entre culture haute et basse sont extensives et systématiques […] la culture trash réplique tous les genres majeurs de littérature. » (ibid. : 3)

6 Pour Hamelan, la culture trash américaine rassemble : « Le droit naturel, le baseball, l’apple pie, les voitures buveuses de pétroles, les armes à feu, les blockbusters, les centre commerciaux, les films Disney/Pixar, les talkshows, le classement des meilleures ventes de musique, les parcs à thème, le fastfood, les super-héros, les superstars, les petites maisons roses, les impressions de Marilyn Monroe, d’Elvis Presley et des boites de soupe Campbell faites par Andy Warhol. Le rock ‘n’roll. La musique du Velvet Underground aussi. Et les ordures, si hideuses qu’on ne peut pas les décrire, si massives qu’on ne peut pas les mesurer, si belles qu’on ne peut y croire. Culture américaine, ordures américaines, art américain. » (Hamelan, 2004 : 82)

7 Dans cet inventaire décapant, on ne peut ignorer le paradoxe central de l’attraction exercée, de la valeur trouvée dans le laid, le jetable et le transitoire, malgré leurs

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connotations négatives. De manière plus significative, il inclut à la liste autant Warhol que son groupe protégé du milieu des années 1960. Pour ma part, je voudrais suggérer que tandis qu’Hamelan peut aligner des séquences qu’il tient pour représentatives de la culture trash – et son livre joue librement et astucieusement avec le sens à la fois littéral du « jetable » comme ses connotations métaphoriques dans le cas de produits de peu de valeur artistique – les seuls éléments de la liste que l’on puisse rattacher à une esthétique trash sont les œuvres d’arts de Warhol et du Velvet.

8 Car, bien que l’on puisse défendre que des versions de la culture trash soient devenues ubiquitaires dans le monde capitaliste et au-delà – par la junkfood, l’invasion de courrier publicitaire, la télé-réalité et l’obsession de la célébrité, les gazettes à scandales et la place nouvelle de la pornographie, les machines à sous et les limousines étirables – il n’en découle pas qu’une esthétique trash existe en tant que telle. Pour qu’une telle esthétique puisse affirmer sa présence, il faut qu’un artiste ou un mouvement prenne en connaissance de cause les traces d’un moment culturel comme son matériau, et re-conceptualise ce matériau de telle sorte qu’il représente ou émette un commentaire sur ce moment. C’est ensuite que deviennent nécessaires des voix critiques qui font autorité, pour à la fois identifier et contextualiser ce que l’artiste ou le mouvement a produit. Ce procédé n’est pas sans rappeler la chaîne nécessaire à la création d’un mythe décrite par Barthes (Barthes, 2000 : 113). Les symboles doivent représenter quelque chose d’autre, il faut donc qu’il y ait une compréhension par le spectateur de ce qu’ils représentent avant que cette forme de signification puisse effectivement apparaître. Comme Hunter & Kaye l’ont proposé : « La critique culturelle récente a exploré plus en profondeur que jamais les sous- bois touffus de littérature et du cinéma populaire, en faisant dériver l’attention de ce que le public idéal devrait lire et voir vers ce que les gens apprécient réellement. Autant que la découverte d’une complexité inattendue de la culture « trash », cela aura produit une attention accrue aux différences entre publics et à l’importance d’entités spécialisées comme les fans et les dévots. » (Hunter & Kaye, 1997 : 1)

9 Les talents de décodage et de médiation de commentateurs éclairés et d’interprètes perspicaces, comme Robert Hughes et Lawrence Alloway, furent particulièrement utiles à la réception des travaux de Warhol. D’autant plus que lui et ses associés avaient pour habitude de présenter leurs œuvres de but en blanc, généralement sans aucune explication. Alors même qu’ils utilisaient le plus souvent comme matériau les composants les plus excessifs et controversés de la culture trash – affrontant les tabous du sexe, de l’argent, de la célébrité, des drogues, de la violence et de la mort – ils le faisaient sans porter de jugement. Cela rendait d’autant plus nécessaire un public capable de reconstituer cette chaîne d’information.

10 Des disciples plus tardifs du modèle ont montré une pareille défiance à la pudibonderie, incarnée dans une ambivalence morale prolongée à la fois face aux sujets sensibles qu’ils traitaient et au matériau qu’ils manipulaient pour construire leur positionnement. En tant que pratique artistique ou ethos créatif, l’esthétique trash s’est incarnée dans de nombreuses formes, mais la plupart de ses praticiens doivent beaucoup à Warhol et sa clique, Velvet Underground inclus.

11 Le trash a quelque chose à voir avec le brouillage des frontières sexuelles montré par les configurations de genre sur scène et sur l’écran. Il peut être perçu à la fois comme féminin et décadent et comme macho et agressif. Il peut être reconnu à son primitivisme minimaliste autant qu’à son glamour surfait. On peut le relier à un goût de l’ornement – des piercings aux tatouages –voire même de la modification corporelle, ou

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le retrouver dans une adhésion aux principes production bon marché et rapide, rejetant l’idée du clinquant et du professionnalisme, lui préférant le brut, le cru, et le non-raffiné. En bref, ce sont des expressions transgressives, des symboles associés aux mauvais goût, à la mauvaise qualité, à l’obscénité, au cru et au dégoûtant qui sont devenus la pierre angulaire d’une esthétique alternative contrevenant aux codes sociaux classiques et aux conceptions traditionnelles de la valeur artistique. Je voudrais à présent considérer la manière dont les graines du trash ont été semées pour n’éclore que plus tard. Il s’agira de montrer comment Warhol et sa brigade de mercenaires créatifs ont adopté, encouragé et adapté ces nouvelles visions amplifiées dans leur travaux artistiques pour en dernier lieu discuter de l’héritage de ses aventures subversives.

Les films underground et la musique du Velvet : esthétique du trash et évolution de la Factory

« Même ceux qui hésiteraient à ranger les arts dans le sacré sentent souvent qu’ils forment une enclave sanctifiée de laquelle un certain nombre d’influences devraient être exclues – notamment l’argent et le sexe. » John Carey (2005 : ix) « Le regard autistique de Warhol était le même pour les héros et les héroïnes que pour la mort et le désastre. » Robert Hughes (1980 : 351) « Le Velvet Underground est devenu le modèle d’une avant-garde au sein du rock’n’roll, la source d’une esthétique intello-trash. » Simon Frith et Howard Home (1987 : 112)

12 De quelle manière donner à voir l’esthétique trash, cette impulsion créatrice qui après sa conception précoce par Warhol marquera les différentes disciplines artistiques (musique, mode, théâtre, danse) dans les décennies ultérieures ? Peut-être faut-il tout d’abord commencer par rappeler le désir de Warhol d’être une machine. Ce n’est d’ailleurs pas une coïncidence que cet homme intéressé par les androïdes ait baptisé son studio de Manhattan the Factory [l’usine].

13 Aujourd’hui notre capacité à voir l’art à la fois comme artefact culturel et comme produit doté d’un potentiel commercial – un signifiant flottant si vous préférez – rend le choix du nom d’un atelier d’artiste relativement compréhensible. Au cœur des années 1960, lorsque la manufacture et l’art étaient perçus comme mutuellement incompatibles, la tactique de Warhol laissait son public perplexe. Le nom de Factory abaissait son travail à l’équivalent de celui d’une chaîne de montage d’une usine de Détroit. Warhol utilisait donc le langage dans une stratégie de désinformation esthétique. On pourrait même supposer que Warhol cherchait par là à frapper au plus profond de la conception romantique de l’art. L’artiste complet qui créait à partir des forces et des fruits de la nature était symboliquement rejeté dans les dédales froids et lugubres d’un complexe industriel abandonné. Par la même occasion, il rejetait l’environnement intellectuel confortable de l’establishment artistique qui se réfugiait dans l’atmosphère exclusive et protectrice du salon et de l’académie.

14 Ce n’est pas sans ironie non plus que depuis lors, à l’ère post-industrielle, les artistes se soient massés dans les moulins abandonnés et les usines délaissées afin d’y créer leurs propres espaces, leurs ateliers et leurs galeries. Suivant l’exemple précurseur de Warhol, l’usine réaménagée est devenue à l’heure d’aujourd’hui un incubateur de cet

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art qui est le rejeton urbain de l’expérience postmoderne. Mais le déménagement de l’artiste vers l’immeuble situé sur la 47e rue Est fin 1963 n’était qu’un aspect de son remodelage de l’expérience artistique tout entière. Jonathan Fineberg résume l’ethos à la fois étrange et radicalement novateur qui allait infuser cet endroit et le cercle qui s’y rassemblait : « la dévotion d’Andy Warhol à l’esthétique de la télévision, aux rubriques mondaines et aux magazines de divertissement s’opposait au modèle européen de l’avant-garde en lutte contre la société qu’avaient reproduit les expressionnistes abstraits. » (Fineberg, 2000 : 250)

15 Pour Fineberg, la Factory « évoluait dans un environnement de tuyauterie et de métal, rempli de dragqueens, d’innombrables « beautiful people », de célébrités de la mode, et du gratin du rock underground. La plupart d’entre eux défoncés aux drogues dures ou avec des comportements étranges » (Ibid. : 256). Mais au-delà de ces rencontres bizarres et de ces expériences sociales décadentes, le pouls du trash était donné par une grande partie des œuvres de Warhol. Si le pouvoir des précédents codes dominants de l’esthétique se situait dans la joie, l’humanité, l’investissement émotionnel, l’atmosphère de la Factory annonçait quelque chose d’autre : le règne du détachement, de la distance et du désengagement émotionnel.

16 Dans les toiles, sur les bobines des films, se faisait jour une tentative délibérée de réduire la part de l’élément humain, d’évider la force vitale, le plaisir, la pulsation, les signes de l’âme, tout ce que l’on était auparavant enclin à attendre d’une œuvre d’art. La valeur de la vie vécue pour l’art légitime, explorée et célébrée par les philosophes modernistes de la littérature comme F. R. Leavis était absente. Dans les sérigraphies et les scènes de films, les sentiments, le ressenti se retranchaient.

17 On peut affirmer que c’est au sein de cette scène étrange, de ce carrefour où la haute société se mélangeait aux vies malhonnêtes de pauvres gens que l’esthétique trash s’est formée : une rencontre postmoderne de l’abondance et du caniveau, de la célébrité et de monstruosité, de la vraie et de la fausse gloire, des paillettes et de la chair, des lumières de la rampe et de la pénombre, du glamour et du grotesque, de l’adoration et de l’addiction, de la banlieue et du centre ville. Un alliage d’arrivisme et de péremption rapide, le tout en plein cœur de l’île à la fois choyée et trash de Manhattan.

18 Bien que Warhol continua à réaliser des peintures et des impressions, des produits conventionnels représentant des sujets non-conformes, et qu’il construisit sa carrière comme « la plus importante star de la décennie » (ibid. : 256), il finit par annoncer la fin de sa carrière de peintre et à partir de 1966 il consacra ses principaux efforts aux films, aux performances et à la célébrité qui l’absorbait. Ses films incarnaient généralement les valeurs de production bon marché qui définissent aujourd’hui notre compréhension du trash : image granuleuse et pellicule en noir et blanc. Moins intéressés par la narration que par la texture de l’image, ils présentaient des hommages improvisés aux vies de ceux qui arrivaient à échapper à l’aliénation, à l’ostracisme de la société et à la crasse de la rue pour se réfugier dans le cocon compréhensif de la Factory. Watson rassemble l’esthétique des films de Warhol en expliquant qu’il « avait trouvé son style cinématographique très rapidement : une caméra insensible qui ni ne bougeait ni ne zoomait, l’utilisation du temps réel plutôt que du temps monté, ainsi qu’un cadre dominé par de petites parties isolées de l’anatomie, généralement un visage. Il est habituel de penser que les films sortaient tout cuits de la tête de Warhol et qu’ils étaient tous les mêmes. Dire de quelque chose que c’était comme "un film de Warhol"

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était devenu une expression pour dire que c’était ennuyeux, vide et long » (Watson, 1995 : 132).

19 Sleep, en 1963, film long de six heures sur le sommeil du poète John Giorno compte parmi les premiers essais cinématographiques de Warhol. Il fut suivi l’année d’après d’Empire, une étude de point de vue depuis l’Empire State Bulding dans laquelle la seule dose d’action concernait l’interrupteur de lumières du gratte-ciel, dévoilant par la même occasion la préoccupation de Warhol pour les détails mineurs et imbéciles de la vie. Des douzaines de films semblables suivirent. Un exemple caractéristique en est The Chelsea Girls réalisé en 19662 sous la direction de Paul Morissey, superviseur de nombreux de films de la Factory, avec Nico comme actrice principale, et comme décor le havre bohémien que représentait le Chelsea Hotel. Résumé par Calvin Tomkins le film est « un examen en écran divisé d’un assortiment de freaks, de drogués et de travestis » (Fineberg, 2004 : 257). Mais il pointait également que le sensationnalisme superficiel de ces œuvres était trompeur. Selon Thomkins, Warhol retranchait à la fois « mouvements, incidents et intérêt narratif de ses films, concevant ainsi des films d’un ennui épique, qui n’arrivaient pas à tenir leurs promesses de sexe et de perversion » (Ibid.).

20 Ces films étaient moins conçus comme des produits pour les cinémas grand public que comme des escapades conceptuelles ou des installations en celluloïd – préfiguration de la manière dont le film deviendra une partie intégrante du lexique de l’art, au même titre que la peinture vers la fin du siècle – conçues par l’artiste le plus acclamé de son époque et assez indépendant financièrement pour pouvoir se permettre chacun de ses caprices créatifs. D’autres films comme Flesh (1968) ou le bien nommé Trash (1970) donnaient à voir un mélange étrange d’hédonisme et de nihilisme. Les extravagances sexuelles superficielles étaient montrées si froidement et hors de toute passion qu’elles en étaient vidées de leur charge érotique. Une qualité contrapuntique qui n’aurait pas été sans déplaire à l’étrange être asexué qu’était Andy Warhol.

21 Le but de Warhol était de créer un terrain de jeu social dans lequel les divisions – que ce soit par la classe sociale ou le montant de cash disponible, par la déviance sexuelle ou l’addiction aux stupéfiants – seraient rendues caduques. Néanmoins, le superviseur de ce mélange exotique n’était ni un méritocrate libéral ni un réformiste enfiévré ; c’était plutôt un extraordinaire faiseur d’histoires qui se délectait des contradictions et des juxtapositions dont il était capable dans les différents scénarios qu’il se faisait, à l’écran ou dans la vie. Ses interviews de certaines périodes – comme dans cet exemple de 1964 ou ses réponses en oui/non viennent clore toutes les questions du reporter – suggèrent une forte inclinaison à décontenancer les discours et les critiques conventionnelles. Lorsqu’il détourne toutes les questions de son interrogateur, et que de son personnage mécanique laisse entrapercevoir un rictus de satisfaction, est il un clown ou un robot3 ?

22 Le financement par Warhol des expériences artistiques les plus intéressantes du moment, du Velvet Underground, de leurs enregistrements et du plus grand spectacle multimédia de l’époque, The Exploding Plastic Inevitable, vaut qu’on s’y intéresse. Que dire du groupe ? Pour Ellen Willis, « les membres du Velvet ont été les premiers artistes importants de rock’n’roll qui ne pouvaient pas conquérir un large public ». Ils ont fait de la musique qui était « trop ouvertement intellectuelle, stylisée et distante pour pouvoir se vendre ». Leur travail, qu’elle lie au pop art était de « l’anti-art fait par des artistes élitistes anti-élites » (Willis in Marcus, 1996 : 74). Matthew Bannister conçoit la relation du groupe à l’antiphilosophie qui intéressait leur mécène :

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« l’esthétique du trash, affirme-t-il, ne fonctionne pas tant comme une volonté de démocratiser la culture que comme le témoignage du goût supérieur d’une élite qui peut trouver le sublime dans l’abjection » (Bannister, 2006 : 44). Hamelan, de son côté, pense que « séparer le Velvet Underground du trash serait comme séparer le système nerveux et le squelette. C’est impossible » (Hamelan, 2004 : 80). Pour s’intéresser à deux artefacts qui ont engagé le temps et l’énergie du Velvet en 1966, il faut d’abord penser à l’ordre chronologique qui les unit – de la présentation de l’EPI à la réalisation du premier album. Bien que le disque ne vit le jour qu’un an après, les deux projets s’entrecroisèrent et des matériaux sont communs aux deux contextes.

23 La formation musicale qui avait vu le jour en 1964 et 1965, opérant sous différents pseudonymes et avec des membres différents avait finalement pris le nom du Velvet Underground, en hommage à un livre de poche du même nom de Michael Leigh, une enquête sur les activités sexuelles de l’ère post-Kinsey. Parvenu à obtenir l’oreille de Warhol par l’intermédiaire de son assistant et conseiller Morrissey, ramené dans le bercail de la Factory, le groupe comprenait comme membres originaux Lou Reed, John Cale, Sterling Morrison et Maureen Tucker, bientôt rejoints sur les conseils insistants de Warhol par la modèle, actrice et chanteuse-en-devenir Allemande Nico 4. Bien que l’introduction d’une chanteuse teutonne aux longues jambes ne soit pas du goût de tout le monde, ils pouvaient entrevoir la valeur de ce compromis. Comme Richard William l’affirme, à propos de leur nouvelle alliance avec un artiste Pop de haute volée, « la partie la plus significative de la relation était celle-ci : si jamais le Velvet Underground comptait poursuivre une carrière basée sur la démolition des conventions non-écrites du rock’n’roll, alors, Andy Warhol serait la dernière personne à s’en plaindre » (Williams, 2009 : 189).

24 D’après Wayne Koestenbaum (2001 : 100), le groupe fit sous l’égide de Warhol ses premiers pas en direct, sous le nom d’Erupting Plastic Inevitable, lors d’un spectacle appelé Uptight qui fût donné à la fête de la New York Clinical Psychiatry Society en janvier 1966, soit avant que le rebaptisé The Exploding Plastic Inevitable ne fasse ses débuts au Dôme de St Mark’s Place en Avril. Le EPI était une performance qui se basait sur l’anarchie contrôlée de l’univers de Warhol : ses films comme Couch (1964) et Vinyl (1965) étaient la toile de fond de l’installation, le groupe maison faisait office d’acteurs et fournissait la bande-son, les assistants et les superstars en étaient les protagonistes. Selon Williams, au Dôme, « environ quatre cents personnes avaient fait le déplacement pour voir le Velvet Underground et Nico, des lumières, des films […], les numéros de danse des ‘superstars’ Gerard Malanga et Mary Woronov ainsi qu’entre les numéros, une sono qui jouait trois disques en même temps » (Williams, 2009 : 190). Koestenbaum ajoute : « La théâtralité qui enveloppait Nico et le Velvet était plaisamment sadomasochiste. Le niveau sonore du Velvet était une torture pour les tympans du public. Le fouet de Gerard était une punition symbolique. Le manque de relation de Nico au groupe […] représentait un autre type de torture : elle était un fardeau pour le groupe, le groupe un fléau pour elle... » (2001 : 101)

25 Le spectacle lui même avait un indice de trash élevé, que l’on associait subitement au nom de Warhol : sexe, violence, bruit, mystère et danger. Le film de Ronald Nameth, sorti chez Chicago Production en juin de la même année capture l’essence de ces ingrédients, rendant le désordre chaotique de la performance live. Ni Reed, absent pour cause de maladie, ni Nico n’apparaissent dans la version filmée. Bien que le documentaire de Nameth soit plus coloré que monochrome, il parvient à restituer

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l’esprit décousu du spectacle : le tourbillon bordélique de lumière, les projections de gel rappelant les flammes dansantes ainsi que les corps tournoyants, indistincts et presque hermaphrodites servant de points de repères pour les yeux (Nameth, 1966).

26 De fait, ce que donne à voir le film évoque ironiquement davantage les abstractions des driping de Pollock venues à la vie que les représentations plates des impressions de Warhol. Il est néanmoins intéressant de noter que ce mélange d’ombres et de lumières dérangeantes, ces danseurs simulant des actes sexuels glauques, ces perturbations sensorielles causées par la musique jouée trop forte, tout cela était dans la droite ligne des valeurs anti-esthétiques que la Factory avait jusque là énergiquement défendues. « Le tourbillon de son et de sensations d’EPI, écrit Koestenbaum (2001 : 101), annonce un genre à venir. » Les chansons qui avaient formé l’ingrédient musical de la performance multimédia allaient en fin de compte vivre une seconde vie sur leur premier album qui deviendrait bientôt l’un des plus important de toutes les collections de disques. Sorti en mars 1967, The Velvet Underground and Nico mettra du temps à se frayer son chemin mais aura finalement à partir de la décennie suivante un impact infernal.

27 Les morceaux présentés s’éloignaient radicalement des standards du marché musical de cette époque que l’on qualifia rétrospectivement de Summer of Love. L’époque était celle d’un optimisme radieux qui se répandait depuis les sables de la Californie du Sud jusqu’aux jams psychédéliques de San Francisco en passant par les styles acidulés des dandys londoniens – c’était bien ce que représentaient des artistes comme les Beach Boys, the Mamas and the Papas, Jefferson Airplane, Pink Floyd, Jimi Hendrix ou les Beatles. Le havre de paix d’Haight-Ashbury était florissant, le Festival de Monterey allait bientôt avoir lieu et la sortie de l’album de l’année, Sgt. Pepper’s Lonely Hearts Club Band était imminente.

28 Les débuts du Velvet n’avaient pas grand chose à voir avec cette clarté insouciante ou cette revendication de libération personnelle que ces autres artistes partageaient avec leur public à cette époque hyperactive. On y trouvait en revanche une veine plus sombre (avec la référence aux drogues dures dans « Heroin5 » et « Waiting for the Man »), des thèmes désarçonnants (les accents sadomasochistes de « Venus in Furs ») et des réflexions sur les mystères de la Factory – « Femme fatale » est un hommage à Edie Sedgwick l’égérie déchue de Warhol, et « All Tomorrow’s Parties », parfois décrite comme parlant des relations controversées du peintre à la municipalité de Manhattan, est en fait une chanson pré-existante de Lou Reed sur son attachement à New York.

29 Il n’y avait pas de style musical défini qui unifiait les onze pistes mais il y avait un grain monochromatique à l’album qui fuyait les ambitions multipistes et les superpositions vocales grandiloquentes de Brian Wilson, John Phillips, Syd Barrett, ou John Lennon et Paul Mc Cartney. Si ces compositeurs amenaient une allégresse kaléidoscopique, et possiblement droguée à l’arsenal technologique, le Velvet était plus introspectif : des expressionnistes sous amphétamines explorant les turbulences du psychisme plutôt que la fantasmagorie du monde extérieur. New York, la métropole électrique East Coast semblait se démarquer des notes mélodieuses de la West Coast et de l’éclectisme nostalgique de Carnaby Street. Cagle juge que les tendances de l’époque « ont favorisé un rejet des visions folles et nihilistes du Velvet Underground. Peut-être que leurs morceaux semblaient trop désabusés et étranges pour une génération qui se soulevait contre le nihilisme et le désespoir » (Cagle, 1995 : 92).

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30 Le rock’n’roll avait été compris comme un mélange grossier entre des formes musicales noires et blanches apparu depuis la moitié des années 1950, un métissage symbolique qui aurait pu attiser le feu des tensions raciales de l’époque. Mais en 1967, l’avant-garde du rock était entrée dans une nouvelle phase. Mc Cartney avait reconnu s’intéresser au compositeur d’avant-garde italien Luciano Berio et comme le montre Gendron (2002 : 161-224), la communauté des critiques américains, tout comme les centaines de milliers d’adolescents hystériques du pays, avait été séduite par la créativité sans limite des Fab Four. Le mode opératoire du groupe apparaissait de plus en plus clairement : l’adoption d’une méthode de travail adaptée aux possibilités dynamiques que promettait l’amélioration des moyens de studio. À l’écart de ce consensus général, l’album du Velvet avait été enregistré environ un an auparavant, au même moment que les présentations d’EPI. Warhol y était crédité comme producteur bien qu’il semble que son soutien ait plus été de nature financière qu’artistique. Ce sera l’unique album à voir le jour du temps de l’association entre Warhol et le groupe.

31 Si les membres du Velvet Underground ne rejetaient pas en elle-même une manière de créer, celle qu’ils poursuivaient allait clairement à contre-courant de l’ambiance de l’époque. Tout d’abord, le groupe évitait toute possibilité de ré-enregistrer, de re-mixer et de re-toucher les pistes qui viserait à polir et couvrir de vernis les rugosités de leurs toiles sonores. Le principe de « première idée, meilleure idée » emprunté aux sources bouddhistes qui avaient influencé les Beats, joua un rôle moteur. C’est véritablement cette pureté élimée – le premier ingénieur qui travailla avec le Velvet Underground leur dit que les prises simples étaient le meilleur moyen de capturer l’esprit des morceaux, bien qu’un producteur plus expérimenté retravailla sur les prises – qui fit du Velvet un groupe hors compétition et un exemple important dans les années à venir pour une pléthore de groupes.

32 Distordu ? Dissonant ? Débraillé ? Amateur ? Inachevé ? Laid ? Sans aucun doute, la matière dont était composé The Velvet Underground and Nico fixait des normes assez loin de l’esprit du moment dans la musique rock qui tendait à l’époque à s’éloigner de la chanson pop de trois minutes, et de l’hymne adolescent éphémère, pour privilégier la recherche d’une sophistication et d’un raffinement. Reed, Cale et compagnie rejetaient autant la nouvelle école du rock que la pop banale. À la place, ils mélangeaient des éléments du savant et du populaire, leur étrangeté culturelle et l’art underground de l’époque. Des rythmes lourds, des drones répétitifs et des arrangements minimalistes accompagnaient des histoires de transgression venues des bas-fonds : usage et abus de drogues, déviance sexuelle et perversion, excitations et débordements du palais des délices. La beauté ? Jetée par dessus bord ! Le sublime ? Chassé par la débauche ! La morale traditionnelle ? Détournée par un abus libertaire du corps et de l’esprit, ébranlée par la remise en cause des mœurs sexuelles acceptables. Une anti-esthétique, l’esthétique trash, était là, incarnée par cette parade de distorsion, de discordance et de contorsion et ce n’était pas pour plaire aux radios ! Le Velvet Underground rejetait l’optimisme frémissant et estival du psychédélisme pour se retourner vers un centre- ville contre-utopique, faisant surgir par leurs mots un espace tour à tour névrotique ou hyperactif, hébété ou anesthésié, selon la dose d’héroïne ou de speed injectée.

33 Mais quid de la vérité, autre notion clé dans le temple de l’esthétique poussiéreuse ? Bien sûr qu’il y avait une vérité intrinsèque et relative aux expériences des membres du Velvet dans leurs morceaux, même s’il s’agissait plus de rendre dramatique des individus, des lieux et des événements qu’ils connaissaient. Mais c’était une vérité qui

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ne parlait ni des lumières ni du salut ni de la bonté. Au contraire, la vision du monde que le Velvet renvoyait faisait songer aux flammes de l’enfer surgies sur terre, une vision proche des tableaux de Jérôme Bosch. C’était un territoire où l’on pouvait peut- être croiser Sade et Baudelaire, mais un territoire inhospitalier au concept de vérité comme il avait été compris et décrit par les philosophes. Le laid ne devenait pas le nouveau beau, mais pouvait être considéré par ces artistes subversifs comme le nouveau vrai. Le Velvet et leur famille élargie jouaient avec leurs instincts les plus basiques pour parvenir à cet embranchement inhabituel entre la vie et l’art, les loisirs et la créativité, que ce soit à la Factory, ou à Max’s Kansas City, ou dans les autres villes où fut donné The Exploding Plastic Inevitable. Où commençait l’art et où s’arrêtaient les plaisirs coupables ? Ce ne fut jamais complètement clair.

34 Dans l’album s’entrelaçaient de nombreuses influences : le monologue intérieur des Beats, l’affinité de Cale avec des compositeurs de l’avant-garde américaine comme La Monte Young, les dissonances angoissantes du free jazz d’Ornette Coleman, le maniérisme du parler-chanter de Bob Dylan, l’absence de swing du jeu de Moe Tucker. Ou encore le rejet de Lou Reed de la pop de supermarché conçue au Brill Building de New York6, un monde qu’il avait essayé sans succès de conquérir avant de former un prototype du Velvet appelé les Primitives. Pour Williams, le groupe était « naturellement adapté » à l’artiste qui faisait office de mentor : « Le Velvet Underground était l’unique groupe possible pour Warhol. D’abord par les chansons, reflétant leur intérêt pour le type d’activité transgressive qui caractérisait l’ambiance de la Factory. Ensuite, l’utilisation de la répétition et l’acceptation de ce que le monde « normal » considérait comme l’ennui ou la noia : une angoisse existentielle apparemment dépourvue de toute signification. Les phrases incessantes martelées au piano et les patterns rythmiques répétitifs, pas si éloignés d’une pièce comme In C7, peuvent être compris comme des analogies des multiples versions de la même image (Elvis, Marilyn, accidents de voiture, chaises électriques etc.) que reproduisaient les presses de la Factory. » (Williams, 2009 : 189)

35 Cependant, malgré toutes ses postures révolutionnaires, et peut-être même à cause de celles-ci, le premier album du groupe – emballé tapageusement si ce n’est perversement dans la pochette pop de Warhol représentant une banane8 – n’eut quasiment aucun impact commercial et fut rapidement relégué dans les profondeurs du Billboard. Il fut toutefois entendu par un important cénacle de musiciens, de critiques, de personnages mondains des deux côtés de l’Atlantique. Que sa genèse soit si étroitement liée aux machinations d’un artiste visuel mondialement connu ne risquait pas d’entraver l’attention portée par ceux qui étaient dans le coup. Les graines semées dans le terreau humide de ce Summer of Love ne restèrent en sommeil que pour mieux se réveiller quelques années plus tard devenues plantes carnivores, étranglant sur leurs passages les fleurs délicates des jardins abandonnées de la love generation.

36 Le Velvet Underground ne s’opposa pas seulement aux valeurs culturelles traditionnelles, il rejeta également les protocoles de la contre-culture elle-même. Ce mouvement massif cherchait à repousser les limites de la société par un engagement énergique dans un activisme politique qui prônait une idéologie utopique, le tout confluant vers une campagne de confrontation et de résistance, de manifestations et de rhétorique démagogique. De ce point de vue, le groupe de Warhol apparaît comme doublement transgressif en dénigrant tant le mainstream conventionnel que son rejet radical. De cette manière, ils construisirent une nouvelle posture contre-culturelle, à l’esprit underground et au caractère marginal. Cette posture aidera à continuer la lutte

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contre les normes artistiques et culturelles tenaces, longtemps après que les hippies et leurs manifestations contre la guerre du Vietnam aient disparus. De fait, la posture esthétique du groupe et son comportement subversif auront un impact plus profond et plus endurant sur les musiques populaires à venir, et tout particulièrement celles centrées vers la poursuite d’un ethos alternatif ou indépendant, que le peace and love inspiré par les sons psychédéliques de l’époque9. Le style du Velvet devint l’inspirateur de ceux dans le rock qui, vague après vague, préféreront le minimalisme à la décoration, le bruit pur aux manipulations manucurées, l’économie et la brièveté à l’indulgence sophistiquée. En comparaison, les manières plus baroques des apôtres du LSD ne firent l’objet que de re-découvertes occasionnelles dans les décennies qui suivirent.

37 Fin 1967, lorsque le Velvet débuta sa seconde session d’enregistrement pour White Light/White Heat, Tom Wilson bien installé dans le fauteuil du producteur, le groupe avait rompu tout lien avec Warhol ainsi qu’avec Nico, leur chanteuse imposante et imposée, partie vers une carrière solo. Le projet du groupe de faire une musique discordante qui s’écarte des canons de son époque était encore valable – tant en terme de style que de contenu, de texte que de texture – mais les productions post-factory du groupe n’obtenaient guère plus de succès que le premier album. Il aura fallu attendre la dissolution bordélique du groupe au début des années 1970 – alors que Reed et Cale étaient déjà partis – pour que le son et les visions hachées du groupe deviennent le modèle de milliers de groupes Anglo-Américains, par lesquels des vagues cruciales dans l’histoire du rock’n’roll des année 1970 et 1980 se firent jour : le glam et le glitter, le punk et la new-wave, l’indus, le goth et le .

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DISCOGRAPHIE

The Velvet Underground, The Velvet Underground & Nico (Verve, 1967).

FILMOGRAPHIE

The Exploding Plastic Inevitable, réalisé par Ronald Nameth, 1966 : http:// www.jonbehrensfilms.com/experimental005.html [Visité le 13 juillet, 2011].

Andy Warhol, « Andy Warhol on pop art », interview, 1964 : http://www.youtube.com/watch ? feature =endscreen&NR =1&v =deRMRh8Zjgg [Visité le 10 mars, 2012].

NOTES

1. Au sujet de ce film, le lecteur pourra se reporter à l’article que Jean-Marc Leveratto et Cyril Neyrat lui ont consacré dans le hors-série de Volume ! « Rock et cinéma ». Jean-Marc Leveratto, « Exploding Plastic Inevitable, ou le rock et le cinéma comme techniques du corps », Volume !, n° 3-0, 2004, 53-66 et Cyril Neyrat, « "Taste the Whip” À propos d'Exploding Plastic Inevitable (avec la musique du Velvet Underground) », Ibid., 67-71. [Ndt] 2. Le film est souvent simplement appelé Chelsea Girls. 3. Cf. « Andy Warhol on pop art », YouTube, 1964, http://www.youtube.com/watch ? feature =endscreen&NR =1&v =deRMRh8Zjgg 4. Le vrai nom de Nico était Christa Päffgen (Kostenbaum, 2001 :100). 5. Lou Reed dit à propos de cette chanson et plus largement à propos de l’album : « Je ne prône rien […] Simplement, on avait « Heroin », « I’m Waiting for the Man » et « Venus in Furs » sur le premier album et ça a donné le ton. Bien sûr on avait « Sunday Morning » qui était si jolie et « I’ll Be Your Mirror » mais tout le monde est resté bloqué sur l’autre partie. » Cf. Victor Bockris et Gerard Malanga, Up-Tight : The Velvet Underground Story (2003 : 17). 6. Le Brill Building fût le creuset de la pop adolescente de la fin des années 1950 et des années 1960. L’immeuble était situé au 1619 Broadway et offrait un environnement propice aux

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compositions de Carole King, Neil Sedaka et de nombreux autres. Cf. Donald Clarke (ed.), The Penguin Encyclopedia of Popular Music (1990 : 157). 7. Dans C de Terry Riley, composée en 1964 se composait d’une « série de 53 figures musicales courtes à jouer en séquence par un groupe de musiciens – peu importe le nombre ou le type d’instrument – qui peuvent choisir le moment de leur entrée et le nombre de répétitions du motif avant de passer à une autre phrase ». Cf. Williams (2009 : 171). 8. La banane, collée sur la pochette, pouvait dans les premières éditions du disque être pelée, révélant un fruit couleur chair à la connotation phallique évidente. Pour Paul Morissey : « la pochette n’était que l’une des multiples suggestions obscènes. […] Personne ne peut se rappeler qui l’a proposé, mis tout le monde s’est mis d’accord pour dire que c’était assez sale. Cité dans Storm Thorgerson et Aubrey Powell, 100 Best Album Covers (1999 : 149). 9. Les groupes d’acid rock de San Francisco – le Grateful Dead, Jefferson Airplane, Quicksilver Messenger Service et Moby Grape – ainsi que les groupes psychédéliques de Londres – le Pink Floyd de Syd Barrett, le Crazy World of Arthur Brown et même Jimi Hendrix – ont tous distillé l’esprit de l’époque mais leur héritage fut limité après que les années 1960 touchèrent à leur fin. Hoskyns prétend qu’en 1973, San Francisco était « tout sauf une ville musicalement morte ». Voir Beneath the Diamond Sky : Haight-Ashbury 1965-1970 (Londres : Bloomsbury, 1997 : 217). En Angleterre, le déclin de la santé mentale de Barrett et la dissolution du groupe de Brown en 1969, ainsi que la mort d’Hendrix en 1970 symbolisaient tous la nature vacillante du moment.

RÉSUMÉS

Les années 1960 américaines, et tout particulièrement leur deuxième moitié, sont aujourd’hui étroitement associées aux luttes pour les droits civiques de la communauté noire, aux protestations contre le conflit Vietnamien ainsi qu’à l’approche peace and love des hippies. Cet article pose cependant que les germes d’un mouvement underground plus subversif furent semées durant cette période alors qu’une nouvelle approche de la création artistique, centrée autour d’une esthétique trash émergente, allait s’opposer à l’utopie psychédélique de la contre- culture officielle et laisser une empreinte plus profonde et durable sur la création indépendante du dernier quart de siècle. La reformulation par Warhol à l’époque de ses projets plastiques et filmiques en expériences multimédias ne fit qu’augmenter l’importance du Velvet Underground, groupe maison de la Factory, quartier général de l’artiste. The Exploding Plastic Inevitable , performance en partie inspirée des happenings du début des années 1960, faisant se rencontrer light shows, danseurs et sons cacophoniques du Velvet Underground, fut présentée au public en 1966. Cette œuvre scénique radicale fut filmée par le réalisateur Ronald Nameth dont le film est un document clé de cette expérimentation. Si Warhol et le groupe se basaient sur une tradition issue des beats et de Dada pour créer une forme d’anti-art, c’est à cette période clé que l’idée de trash — depuis la célébration de la culture de masse du pop art aux recherches plus sombres du groupe et de l’artiste dans les méandres de la drogue et de la perversité — prit son importance actuelle. Cette anti-esthétique allait avoir dans les années suivantes un impact dépassant les avant-gardes de New York pour influencer et modeler la musique, le cinéma, l’art et la littérature.

The American 1960s has become closely associated with moral crusades that strove for Civil Rights for the black community and protested against the conflict in Vietnam, with the peace and

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love gestures of the hippies to the fore, particularly in the latter part of the decade. This essay argues, however, that the seeds of a more subversive underground movement would be sown during the period and a new approach to art creation, centred on an emerging trash aesthetic, would not only challenge the psychedelic utopianism of the organised counterculture but actually leave a longer-lasting mark on left-field creative activity in the final quarter of the century. As Andy Warhol’s art and film projects were re-shaped as multi-media experiences, the importance of the Velvet Underground, the rising house band at the artist’s Factory headquarters, was magnified. The Exploding Plastic Inevitable, a performance work inspired in part by early-decade Happenings, would be unveiled in 1966, combining Warhol’s underground cinema projections, light shows, dancers and the cacophonous sound of the Velvets. This radical piece of stage art was filmed by the director Ronald Nameth and his account remains a key document of the live venture. The article proposes that while Warhol and the band built on traditions from Dada to the Beats to build a form of anti-art, it was during this key time that the ideas of trash, from the Pop Art celebrations of mass cultural forms to the darker delvings of his movies, and his adopted rock group, into the decadent realms of drugs and sexual perversity – took crucial shape. This anti-aesthetic would have an enduring impact beyond the subterranean avant garde of New York City in the years that followed as music and cinema, art and literature were all shaped by this brand of expression and examples of its legacy are suggested.

INDEX

Keywords : counterculture / resistance, aesthetics, underground / alternative, avant-garde, protest / transgression / revolt, drugs / alcohol, experimentation, contemporary / pop art, kitsch / camp Mots-clés : contre-culture / résistance, esthétique, underground / alternative, avant-garde, contestation / transgression / révolte, drogues / alcool, expérimentation, art contemporain / pop art, kitsch / camp nomsmotscles Warhol (Andy), Velvet Underground (the), Nameth (Ronald) Index géographique : États-Unis / USA, New York Index chronologique : 1960-1969, 1970-1979 Thèmes : rock music, psychedelic / acid rock, art / experimental rock

AUTEURS

SIMON WARNER

Simon WARNER enseigne l’étude des musiques populaires à l’université de Leeds. Il travaille sur les liens entre les écrivains de la Beat Generation et la culture rock, l’objet de son livre Text and Drugs and Rock’n’Roll (Continuum, fin 2012). Il a dirigé la collection Howl for Now à partir de 2005, et a co- dirigé Summer of Love: The Beatles, Art and Culture in the Sixties (2008), et a participé aux ouvrages Remembering Woodstock (2004) et Centre of the Creative Universe: Liverpool and the Avant Garde (2007). Il rédige actuellement un ouvrage sur la scène punk de Manhattan des années 1970, New York, New Wave. mail

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The Banality of Degradation : Andy Warhol, the Velvet Underground and the trash aesthetic La Banalité de la dégradation : Andy Warhol, le Velvet Underground et l’esthétique du trash

Simon Warner

EDITOR'S NOTE

This text was published in Countercultures & Popular Music (Farnham, Ashgate, 2014), while its French translation appeared in this issue of Volume! in 2012. American culture is trash culture. (Hamelan 2004: 3)

Introduction

BECAUSE HE INVESTED his energies in that promiscuous cultural intersection where Pop Art met both underground film and the methods of mass production, the artist Andy Warhol might be regarded as the king, or indeed queen, of the trash aesthetic. The fact that he also engineered a space in which an alternative language of rock and roll could be devised and dispersed through the medium of a band known as the Velvet Underground further places him in the vanguard of this potent counter-narrative to the history of art-making and art appreciation. This chapter will attempt an overview of the influences that shaped the rise of a trash aesthetic; the meanings that are attached to, and generated by, such an anti-philosophy; and the ways in which we might identify evidence of its style and expression within the world of Warhol and his Manhattan working environment the Factory, his house band the Velvet Underground and his 1966 live, multi-media presentation Exploding Plastic Inevitable.

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Through image, sound and movement, Warhol’s quixotic coven of artists, poets, film- makers, photographers, actors, dancers and musicians developed a stream of creativity that tested the tenets of several millennia of received wisdom about the nature of, the making of and the function of art. The Warholian 1960s, in fact, proved to be a kinetic crucible in which the boundaries were pushed and many rules re-written. At the heart of this process was the establishment of an aesthetic credo which disrespected, disrupted and dismissed, dismantled even, earlier conceptions of what art should comprise, communicate or represent, what Cagle has referred to as ‘haute kitsch’ (1995: 5). The philosophers who, over so many epochs, had debated art’s founding and enduring principles – the towering pillars of truth and beauty, justice and morality – were challenged, perhaps fatally, by this fervent dissident wave. Warhol’s part in this project, this aesthetic re-ordering and re-evaluation, places him, I would argue, at the heart of one of the key countercultural gestures of the era. By stressing surface and the superficial over depth and substance and by rejecting traditional motivations – issues of moral purpose, social conscience or political ethos, for instance – the artist and his disciples created an enclosed aesthetic universe that was profoundly alternative to both the mid-1960s mainstream and also those who would challenge it in more conventional ways. Not that Warhol was the only figure in this aesthetic revolution – he was merely a link in a chain that had seen a number of twentieth-century artists, ideologues and cultural mavericks attack the citadel of orthodoxy and conceive fresh perceptions of the creative milieu itself: what it might do, what it might say, how it might say it. In short, this small, but influential, breed cultivated a system of thought built, at least substantially, on aspects of shock value. That Warhol was present in an era when both mass communication and social democratisation cross-fertilised so strikingly and effectively was serendipitous. It meant that his radical ideology became familiar not just to a narrow intellectual elite but to the global billions. The result was that this flaring, this flowering, of productivity in the heart of, arguably, the most dynamic decade of the epoch, would not be confined in its impact to merely a few short years. Instead, the final quarter of the century would be infused and infected, influenced and affected, by the practices and preachings of this paradoxical figure – strange isolate and socialite scenester – whose most remembered quotation is that ‘in the future everybody will be world famous for 15 minutes’ (Fineberg 2000: 256) (even if it tends to be misquoted as ‘in the future everyone will be famous for 15 minutes’). Within this argument rests a significant contradiction. Warhol’s identification of ephemerality as a key feature of what we might describe as the postmodern condition was insightful. But his legacy has, ironically, seen transience become a sustained and repeating state. The flashing, flickering, fleeting focus of the lens, as the second millennium merges into the third, has become the norm, not the exception. So how might we identify a trash aesthetic? First, we may perhaps think of the rise of a transient and high impact culture in the post-Second World War period, broadly an era of relative material plenty in the West which saw us enter times in which the art interests of the elite and the folk practices of ordinary people were essentially marginalised, if not superseded in many instances, by the powerful presence of a democratised experience, one constructed on the premise of mass production and mass consumption aided by the power of mass promotion. Not all mass or popular culture, as it became broadly known from the mid-twentieth century, could be designated trash but much of it was based on extravagant display and featured a strong note of the

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temporary. Richard Keller Simon, who is most interested in the relationship between popular and high culture in the realm of literature, claims that in his chosen field of enquiry ‘[m]any of the differences between trash culture and high culture show only that storytelling adapts to changing economic, social, and political conditions’ (1999: 2). As he compares great literary texts and contemporary accounts in film and TV, magazines and newspapers, he argues: ‘The connections between high and low are extensive and systematic … trash culture replicates all of the major genres of literature’ (ibid.: 3). For Hamelan, American trash culture embraces: Natural rights, baseball, apple pie, huge gas-guzzling cars, guns, blockbuster movies, strip malls, Disney/Pixar cinema, talk shows, billboards, theme parks, fast food, superheroes, superstars, little pink houses, Andy Warhol’s prints of Marilyn Monroe, Elvis Presley and Campbell soup cans. Rock and roll music. The music of the Velvet Underground too. And garbage … heinous beyond description, heavy beyond statistical calculation, beautiful beyond belief. American culture, American garbage, American art. (2004: 82) And, within his sweeping overview, he cannot ignore the central paradox of the ugly, the throwaway, the transitory, as appealing, valuable even, despite its negative associations. Even more helpfully, he includes both Warhol and his protégé musical act of the mid-1960s in his long list of indicators. More pertinently, too, I would suggest that while Hamelan can place in line a sequence of representations which he feels stand for the culture of trash – and his book plays both freely and astutely with the literal meanings of throwaway materials and the term’s metaphorical connotations linked to products of low artistic value – the only elements in the list which may be usefully associated with a trash aesthetic are the artworks by Warhol and the musical output of the Velvets. For, even if we may claim that versions of trash culture have subsequently become almost ubiquitous in the capitalist world and beyond – in, for example, junk food and junk mail, reality television and celebrity obsession, scandal sheets and news-stand pornography, slot machines and stretch limousines – it does not follow that a trash aesthetic, as such, also exists. Rather, for such an aesthetic to establish its presence requires an artist or a movement to knowingly and self-consciously take the materials of a cultural moment and re-conceptualise those materials in such a way that they represent or comment upon that moment. Then, we may argue still further, that authoritative critical voices are then needed both to identify and to contextualise what the artist or movement have done, a process not dissimilar to the chain needed in the creation of myth that Barthes describes (2000: 113). The symbols have to stand for something else and there has to be recognition of what they stand for by the viewer before this form of signification effectively occurs. As Hunter and Kaye have proposed: Recent cultural criticism has explored more deeply than ever before the undergrowth of literature and popular film, shifting attention away from what ideal audiences should be reading and viewing to what real people actually enjoy. As well as discovering unexpected complexity in ‘trash culture’, the result has been a heightened awareness of the differences between audiences, and of the importance of specialised constituencies such as fans and cultists. (1997: 1) The decoding skills and mediation of informed commentators and insightful interpreters – figures like Robert Hughes and Lawrence Alloway – to guide reception of this work were therefore particularly relevant as Warhol and his allies tended to present their work blankly and without explanation. While they frequently drew on and depicted the more excessive and controversial components of trash culture – confronting the taboos of sex, money and celebrity, drugs, violence and death – they

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did so non-judgementally. Furthermore, we need audiences capable of digesting this chain of information. Subsequent disciples of the model have demonstrated a similar lack of sanctimony, a sustained moral ambivalence, to the sensitive topics they address and the materials they manipulate to make their statements. As an artistic practice or creative ethos, the trash aesthetic has taken a wide range of forms and shapes but so many of its features owe a debt to the work of Warhol and his cohorts, including the Velvet Underground. It has been linked to the cracking of sexual bounds through ambivalent gender display on screen and on stage; it can be perceived at once as feminised and effete and also macho and aggressive; it may be recognised in its pared down primitivism and its over-blown glamour; it may be linked to material and narcotic excess; it may be recognised in adornment – from piercings to tattoos – or even body modification; or we might perceive it in its adherence to low production values, which reject ideas of polish and professionalism and pursue, instead, the rough, the raw and the unrefined. In short, such transgressive cultural expressions, symbols which have become associated with notions of poor taste, the cheap and the lewd, the crude and the gross, have become cornerstones of this alternative aesthetic, infringing those boundaries familiar to mainstream social codes and traditional conceptions of artistic value. In this piece, I want to consider how the seeds of trash were sown in the first half of the last century and later blossomed; locate the ways in which Warhol and his brigade of creative mercenaries adopted, encouraged and adapted those new visions in the work they produced at the height of their powers; and touch briefly upon the legacy of those subversive adventures.

Dada and Duchamp’s Urinal

It is essential to grasp that Dada was never an art style, as Cubism was; nor did it begin with a pugnacious socio-political programme, like Futurism. It stood for a wholly eclectic freedom to experiment; it enshrined play as the highest human activity and its main tool was chance. (Hughes 1980: 61) As the mud of Flanders and the wastes of the Eastern Front were churned and reddened by the guts of several million young soldiers, the members of Cabaret Voltaire,1 an arts cell lodged in Zürich and residing in a neutral state but inflamed by the destruction choreographed by the feuding super-powers of that early-century, dreamt up their creative responses to the sanctioned madness of the trenches: they fired arrows of protest through disorientating performances, chaotic poetry randomly construed and unorthodox art statements. The sires of Dada, the Cabaret Voltaire would also later be the catalyst to the European Surrealists. While the latter were fascinated by the unconscious and Sigmund Freud’s faith in the power of dreams and the painting of pictures which tapped into the tangled psychological briar patch of the brain, figures like Marcel Duchamp, semi-detached from both these streams of activity in New York, went still further. With his 1917 sculpture, Fountain – a commercially-produced, porcelain urinal signed enigmatically by the artist as ‘R. Mutt’ – he produced and exhibited his first readymade in New York, arguing that the artist simply by displaying such a piece – domestic, quotidian, banal – imbued it with the aura of art.2 Robert Hughes, long-time art critic of Time, said: ‘Such things were manifestos. They proclaimed that the world was already so full of “interesting” objects that the artist need not add to them. Instead, he could just pick one, and this ironic act of choice was equivalent to creation – a choice of mind

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rather than of hand’ (Hughes 1980: 66). The fact that he selected an object associated with pissing and the evacuations of bodily function might legitimately lead us to identify this, retrospectively, as the premiere act in the history of the trash aesthetic. There were others, too, who would break moulds by recycling or re-manipulating what appeared to be mere detritus – Kurt Schwitters and his Merz collages, John Heartfield and his disruptive, cut-up photo-montages – to make social commentaries or political critiques. Yet, while these groups and individuals with quite unconventional visions did not entirely turn the art world on its head, all these threads would feed into the avant- garde impulse of the 1920s and 1930s. All brought taboo components to the table: sex, desire, madness, psychosis, junk reclaimed and re-positioned as art. These expressions, these gestures, would rattle the cage of artistic normality as the Second World War loomed without breaking its bars. That said, the principal thrust of modern art, as the interwar years drew to their end, remained locked in a determined cycle of abstraction – a significant counter, in itself, to earlier aesthetic notions of art as a form of imitation – rather than representation. Abstraction even became an ideological weapon, too, an intriguing emblem of the free world, a perfect antidote to Hitler’s pre-war assaults on degenerate3 – that is, essentially, modern – art. As the global centre of art innovation moved from Paris to New York in the 1940s, the avant-garde was embraced as a sign that capitalism could freely nurture pioneering artist-visionaries while fascism would crush them under its heel. But the mood of the US art scene was ripe for transformation in the decade that followed the second great conflict. Pop Art’s arrival from the mid-1950s would resist that prevailing, non-figurative form of extemporisation – typified by the abstract expressionist Action painters like Jackson Pollock – and celebrate instead the imagery and artefacts of the high street and the mass media.

Pop Art, Postmodernism and New Aesthetic Bearings

Here was a realism that thrust itself knowingly in the face of a society that liked its garishness larger than life; a society ineluctably drawn to cartoon romance and tabloid scandal, to that particular species of glamour – in parts lurid, sexual and tragic – that was embodied by Elvis and Marilyn and Jackie. (Madoff 1997: xiv) Pop Art, a movement that enjoyed separate and then eventually inter-mingling lives in the US, UK and Europe, did not, however, draw upon the usual devices of representational mimicry which may have returned the artistic project to a pre-avant- garde understanding of the aesthetics of art. Instead, this post-war form, originally dubbed New Realism (Livingstone 1991b: 12), utilised familiar signs and symbols of the mass marketplace in a literal manner, incorporating them into collages and constructions. These assemblages appeared simultaneously to celebrate and to question a new age of rampant consumerism: the absence of a clear line between endorsement and critique was a disorientating, even unsettling, experience for many. We might also propose that this adoption and adaptation of such recognisable features from the popular cultural landscape sabotaged the assumed certainties of abstraction, by then the accepted core of avant-garde thinking. The US had enjoyed a consumer boom in the decade or so after the conclusion of the Second World War. It would take longer for Britain and other Western European nations to cast off the shadowy pallor of war and assume a role of free-spending bridesmaid to the glamorous American bride. But artists on both sides of the Atlantic, in independent gatherings, had begun to reflect on the impact and power of

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commercialism and the expanding media, both of which found common platforms in, for example, TV, radio, newspaper and magazine advertising. Cars, soap powders, soft drinks, cigarettes and the increasing range of convenience goods for the home were just part of this explosion of mass production and mass purchasing. While most Americans were quickly seduced by this pattern – to be followed by others in the West – sections of the arts community found the formula tasteless, crass and ultimately empty. The Beat writers and black jazz musicians found themselves at the margins of this glossy American dream and wrote novels, poems and music which resisted the white hegemony of spend, consume, dispose and spend again. Jack Kerouac and Allen Ginsberg, Charles Mingus and Miles Davis set themselves against the presiding Zeitgeist: material indulgence, anti-communist paranoia, a terror of imminent nuclear annihilation and belief in continuing racial division. As the 1950s declined, other notable creative innovators, with New York City their prime crucible, would also confront the gleaming sheen of US prosperity, adopting a variety of media to spread their original and often oblique visions. Photographer Robert Frank, an immigrant heir perhaps to the Ashcan School,4 those American painters who had created early- century, and considerate, portraits of the city’s underbelly, brought a gritty Beat aesthetic of his own to a series of monochrome images and, in The Americans,5 displayed pictures that eschewed glamour and prosperity and pursued the ordinary and often beaten-down characters he randomly located in the national landscape. Painter Allan Kaprow’s 1959 work 18 Happenings in 6 Parts would christen a radical new art form – the happening – a multi-media format in which performance and art-making were merged into one environment and even the lines between production and audience were blurred. Artists Jim Dine and Claes Oldenburg, both connected to the Pop surge of the time, would also be associated with this development. This ground-breaking form of presentation would be adopted, too, by the art group Fluxus, further re-defining notions of visual art in live settings. Says Banes: Both Happenings and Fluxus developed out of ideas from John Cage’s class in ‘Composition of Experimental Music’, which he taught at the New School for Social Research from 1956 to 1960. Various members of the class, in which students made performances and discussed them, attributed the beginnings of Happenings to their experiences there. Influenced by the Italian Futurists, Dadaists, Zen Buddhism, and the theatre theories of Antonin Artaud, Cage’s notion of music had expanded to become a nondramatic … form of theatre … Cage himself had organised a precursor to Happenings at Black Mountain College in 1952, but, for the most part, his performances remained classified as music. (1993: 52) Additionally, the New American Cinema Group, led by Jonas Mekas6 and including Stan Brakhage among its members, also developed challenging film-making formats presenting visions which ran counter to the establishment projections of mid-century US life. True to the edginess of the street and engaged with the activities of subterranean outsiders, these movies were also fervently committed to testing the limits of the law in respect of censorship. Speaking of an early 1960s wave of new cinematic works by his members, Mekas said that these movies are illuminating and opening up sensibilities and experiences never before recorded in the American arts; a content which Baudelaire, the Marquis de Sade, and Rimbaud gave to world literature a century ago and which Burroughs gave to American literature three years ago.7 It is a world of flowers of evil, of illuminations, of torn and tortured flesh; a poetry which is at once beautiful and terrible, good and evil, delicate and dirty …. (quoted in Banes 1993: 165)

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All of these novel approaches had a bearing on Warhol’s rapidly emerging milieu. Furthermore, the fact that large numbers of these creative players stood outside the apparently omnipotent WASP (White Anglo-Saxon Protestant) hegemony – by nationality and politics, ethnic background and religion – makes their disruption of the smooth narrative of an immaculately back-lit American Dream all the more compelling. Many of these writers and artists employed radical tools of engagement, the fractured tropes of modernity – dissonance, distortion, derangement – to provide elliptical yet revealing statements. Sometimes the work possessed an underlying social commentary and a strain of the redemptive to it; much exhibited a critical consciousness that was also, on occasions, tied to serious political intent.8 The Pop artists were more ambiguous: for a start, they shared no filial unity, no clear manifesto;9 and second, many of the painters and sculptors actually found inspiration in the brash electric steeples of the ever-rising city, the neon capitalism of the high street, the possibilities proffered by the multi-lane highway and the proliferation of goods on the supermarket shelves. Pop’s mission was obsessed less with issues of beauty than matters of irony and paradox: the commercial directness and garishness of the ubiquitous trademark or the movie still, the cartoon frame or the urban billboard, appeared to be both flattered and questioned by their appropriation into works by Anglo-American artists of the 1950s and 1960s. As Sarat Maharaj asks: ‘Do Pop Art signs replay the scene of consumerist desire, or do they prise open a critical gap in it?’ (1991: 22). There was frequently, for sure, a cold disengagement from the materials at hand, which provided a perplexing counterpoint to what critics and audiences had previously expected of the artist – expressions of feeling, emotion and connection with the subject matter. Andy Warhol, once of Pittsburgh but by now based in New York City, emerged as one of the prime practitioners of Pop Art, leaving behind the purely commercial world of shoe illustration – where his adept draughtsmanship had made him a valuable cog in the post-war, promotional rollercoaster and a lucrative earner10 – to create a new art of his own. His paintings and silkscreen prints from around 1962 paid attention instead to the products of the food store – Coca Cola, Campbell’s soup and Brillo pads – and the iconic emblems of the mass entertainment business – Mickey Mouse, Marilyn Monroe and Elvis Presley. As we have stated, fellow artists, loosely corralled under the heading Pop, also utilised the output of the mass media. But no one quite took on the trappings of mass culture so readily nor adopted its methods – reproduction on a huge scale, commercialism on industrial principles – like Warhol. Writes Robert Hughes: ‘What he extracted from mass culture was repetition. “I want to be a machine”, he announced, in memorable contrast to Jackson Pollock, who fifteen years before had declared that he wanted to be nature: a mediumistic force, unpredictable, various, and full of energy’ (1980: 348). He says that ‘Warhol loved the peculiarly inert sameness of the mass product: an infinite series of identical objects – soup cans, Coke bottles, dollar bills, Mona Lisas, or the same head of Marilyn Monroe silkscreened over and over again’ (ibid.: 348). By drawing on the most recognisable of conveyor-belt commodities and then replicating them in a near-parody of the principle of art as one-off, unrepeatable talisman, Warhol enraged the traditionalists of the inner art circle and outraged conservative gallery goers who knew what art should stand for and what it ought to look like. However, by initially alienating the intellectual bastions of art past and the middle- class wardens of art present, Andy Warhol – alongside other Pop artists like Robert

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Rauschenberg, Jasper Johns, Roy Lichtenstein and Claes Oldenburg, and their British equivalents David Hockney, Peter Blake and Richard Hamilton – appeared to carve out a new domain for art and the artist. What Warhol initially lost in credibility found compensation in instant fame; then credibility also followed. A young generation alienated by antiquity and the classics, dissatisfied by abstraction, disenfranchised by the musty silence of museums, found, within this novel movement, a super-charged portrait of their times: paintings and sculpture which commented on television and movies, rock and roll and teen fashion. Warhol’s images had the flash of the clothes they wore, the energy of the records they played, the Technicolor vibrancy of the cinema they watched, the streamlined swish of the futuristic automobiles they drove. It is little wonder that Pop Art and popular music, which despite their common adjective enjoyed a somewhat contrasting genealogy, should eventually share a bed in the shape of numerous high-profile album sleeves for the Beatles, the Rolling Stones and Cream.11 The fact that these various objects of desire, in which the new viewers revelled, had a built-in obsolescence, linked them intrinsically to the throwaway age and drew them to Warhol’s operating methods and selected media. His work had an immediacy and transparency that appealed to the times. It also inevitably became associated with concepts of ephemerality and disposability. Some also regarded his oeuvre as empty and vacuous and the artist did little to deflect those attacks, content to ignore – even enjoy – such ambiguities rather than address them. Out of such connections the concept of an ‘anti-aesthetic’, made concrete some little way down the line by thinkers such as Hal Foster (1993a: xiii), began to take shape. Thus art, previously considered absolute and ever-lasting, became rather, in this feckless re-configuration, instantaneous and passing. And out of this would emerge, in time, the more general notion of a trash aesthetic, a virulent sub-branch of the larger arts tree, an oxymoronic concept which was oppositional and subversive, not as a consequence of any radical programme or revolutionary dynamism, but rather through its determinedly shallow posturing and limp, world-weary listlessness. Yet, in the fertile testing ground of the 60s, Warhol’s approach – and that of his sidemen and women, his lieutenants and his foot-soldiers – was about more than just depicting everyday iconography. He was keen also to explore art subjects and art practices that moved beyond facile – if skilfully crafted – portraits of soda, soup and soap or Hollywood royalty. He was interested, too, in the darker realms of the psyche – death through execution or car crash, for instance – which he included in his print series but also cultural taboos – drugs and sex, generally, homosexuality and sexual perversity, more specifically – which he considered through a series of films created under his own name and also via the recordings that the Velvet Underground laid down and which, in each case, Warhol nominally supervised.12 By presenting those taboo-breaking devices within the context of the artwork – either moving picture, stage event or sound recording – Warhol further helped to engineer the break from conventional ideas of what art should contemplate or stand for, by inference a split from the Greco-Roman, Jewish and Christian codes on which aesthetics – truth, beauty, morality and, by very strong implication, good, as in worthwhile, valuable or improving – had been ultimately, and until this moment, generally founded. But we should also draw attention to wider philosophical shifts of the 1960s of which Pop Art and Warhol could be regarded as both trigger and mirror: the general move towards an aesthetic framework, based on relative value rather than rigid and incontrovertible certainty, and the dismantling of the barriers that separated high art

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from low, elite art from the popular, art itself from the ancient straitjacket that fixed ideologies had wrapped around it. The reception of Pop Art may be regarded as an excellent example of this changing basis of artistic analysis and assessment. Considered radical at first, the movement was not long in the cold. It speedily became a feature of the accepted circle of fine art exchange – absorbed into that establishment network built on galleries and dealers, buyers and critics – while simultaneously drawing its materials from the activities of mass culture, the antithesis on which that long-founded institutional nexus had been built. Scant surprise then, that John Storey should dub Pop Art ‘postmodernism’s first cultural flowering’ (1998: 148) and Fredric Jameson include it in a long list of artistic, architectural and literary movements of the 1960s that were ‘specific reactions against the established forms of high modernism, against this or that dominant high modernism which conquered the university, the museum, the art gallery network, and the foundations’ (Jameson 1993: 111). Sylvia Harrison offered a more focused view of Pop’s postmodern specificities. She explained that this style possessed features that ‘resisted accommodation within existing formalist or realist critical canons’. Among these characteristics were ‘anonymity’ and ‘a lack of “authorial presence”’ evident in its ‘depersonalised technique’ and ‘obscure or uninterpretable “message”’ (Harrison 2001: 11). This dispassionate distance from the artwork – apparent in various media he selected – which Warhol embraced, an almost Brechtian alienation from the subject matter, might also be regarded as a sign of the trash aesthetic: if the blandly mundane is transposed or the darkly dangerous is depicted, it is barely engaged with, nor commented upon, a kind of degradation through banality. If there is ambivalence in the piece on show, there is also an equivocal morality behind its construction.

Underground Movies and the Music of the Velvets: The Trash Aesthetic and the Factory Shift

Even those who would hesitate to classify the arts as holy often feel that they form a sanctified enclave from which certain contaminating influences should be excluded – notably money and sex. (Carey 2005: ix) Warhol’s autistic stare was the same for heroes and heroines as for death and disaster. (Hughes 1980: 351) [The Velvet Underground] became the model for an avant-garde within rock and roll, the source of a self-conscious, intellectual trash aesthetic. (Frith and Horne 1987: 112) In what ways can we illustrate the trash aesthetic, this creative impulse that would benefit from its early tending by Warhol and his followers to recur in various artistic disciplines – music, fashion, film, theatre, dance, art and more – in the subsequent decades? We might start by reiterating Warhol’s desire to be machine-like. It is surely no coincidence that, given his interest in the man as mechanised android, he should have christened his art studio in Manhattan, the Factory. Today, our ability to see art as both cultural artefact and product with commercial potential – a sliding signifier, if you like – renders the chosen name of the artist’s workspace, in retrospect, quite comprehensible. In the heart of the 1960s, when manufactories and art-making would have been most definitely viewed as mutually incompatible, Warhol confused his audiences with this tactic. The naming of the Factory reduced his art, by implication, to the equivalent of a component on a Detroit

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assembly line, subverting the language in aid of his strategy of aesthetic disinformation. In fact, we might even speculate that Warhol was striking at the very soul of the Romantic notion – the compact artists had previously made with the forces and fruits of nature was symbolically rejected within the cold, dark recesses of an abandoned industrial complex. Simultaneously he jettisoned the comfortable intellectual environment of the art establishment, which inhabited the rarefied and protective environment of the salon and the academy. It is not without irony either that since then, in these post-industrial times, artists have flocked to disused mills and redundant factories to create their loft spaces, their studios and their galleries. Following Warhol’s prescient example, the reclaimed factory has, in the present era, become a birthing-pool for art that is the offspring of the urban postmodern experience. But the artist’s move to the building located in East 47th Street at the end of 1963 was only part of his re-making of the art experience. Jonathan Fineberg summarises the ethos – both unfamiliar and ground-breaking – that would infuse the place and his gathering circle. He comments: ‘Andy Warhol’s devotion to the aesthetic of television, society columns and fun magazines was opposed to the European model of the struggling avant-garde artist which the abstract expressionists had emulated’ (2000: 250). The Factory, Fineberg explains, ‘evolved into an environment lined in silver foil and filled with drag queens, listless “beautiful people”, chic fashion personalities, and the rock music underground, many of them wasted on drugs or engaged in bizarre behaviour’ (ibid.: 256). But, amid these strange conjunctions, these decadent social experiments, the heartbeat of trash was evident in a wide array of Warhol’s art and artefacts. If the power of the previous prevailing aesthetic code had been sited in joy, humanity and emotional involvement, the ambience of the Factory was premised on something else: detachment, distance and emotional disengagement. On the canvases and in the movie reels that were produced there was a deliberate attempt to reduce the human component, drain the life-force, the pleasure, the humane pulse, the signs of the soul, that had formerly been the expected keynotes of an artwork. The value of felt life to legitimate art, explored and commemorated by such modernist literary philosophers as F.R. Leavis, was absent here. In the silkscreens and the film scenes, feelings and the felt were essentially excised. What we can assert is that within this curious scene – a crossroads where upscale high life convened with degraded low life – the core of the trash aesthetic was hardened: a postmodern meeting of wealth and the gutter, of the famous and of freaks, of stars both genuine and ersatz, of flash and flesh, of the bright lights and the twilight, of the glamorous and the grotesque, of adulation and addiction, of uptown and downtown, a mingling of aspiring and even expiring, of the treasured and the trashy of the isle of Manhattan. Although initially Warhol continued to make paintings and prints, conventional products depicting unconventional subject matter, and build his career as ‘the decade’s leading art star’ (Fineberg 2000: 256), he eventually announced his retirement from painting and, from 1966, dedicated his principal output to film, performance and the celebrity scene which engrossed him. His films tended to embody the low-production values that would come to characterise our sense of trash, too: grainy, black and white footage concerned less with narrative than with visual texture, unscripted tributes to the lives of those at the edge who managed to escape the alienation and ostracism of

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society and the grime of the street to find a receptive cocoon within the Factory walls. Watson outlines the artist’s film aesthetic saying that he found his signature cinematic style very quickly: an emotionally uninflected camera that neither panned nor zoomed, the use of real time instead of edited time, and a frame dominated by tightly cropped parts of the anatomy, usually a face. It is customary to think the movies sprang full-blown from the mind of Andy Warhol and that they were all the same. Saying something was a like a ‘Warhol movie’ became shorthand for saying it was boring, blank and long. (Watson 1995: 132) Early cinematic ventures included 1963’s Sleep, a six-hour depiction of a sleeping poet called John Giorno, and the following year’s Empire, an eight-hour, single view study of the Empire State Building in which only one piece of action, the switch-on of the skyscraper’s lights, enlivened the plot, reflected Warhol’s concern with the minor, inane details of life. Many dozens of similar pictures would follow. The Chelsea Girls13 released in 1966, which starred Nico and was filmed at the celebrated bohemian haunt the Chelsea Hotel under the direction of Paul Morrissey who would oversee many of the Factory films, was characteristic. In Calvin Tomkins’ summary, it was ‘a three-hour, twin-screen examination of assorted freaks, drugs and transvestites’ (Tomkins quoted in Fineberg 2000: 257). But he pointed out that the superficial sensationalism of these pieces was quite misleading. Warhol, claimed Tomkins, subtracted ‘movement, incident and narrative interest from his movies, grinding out epically boring, technically awful films that failed signally to live up to their sex-and-perversion-billings’ (ibid.). These were hardly films for mainstream movie theatre viewing, but conceptual escapades, installations in celluloid – auguries of the manner in which film would become as integral a feature of art’s lexicon as oil paint as the century came to a conclusion – funded by the most acclaimed and successful artist of his day and, fiscally, quite capable of indulging his every creative whim. Later film-works like Flesh (1968) and the significantly titled Trash (1970) were a bizarre weaving of hedonism and nihilism, superficially sexual extravaganzas but so coldly and dispassionately delivered that they were frankly drained of their erotic charge, a contrapuntal quality that would have probably pleased the curiously asexual Warhol. His aim, we might say, was to socially engineer a playground in which division – by class or cash, by sexual deviation or narcotic reliance – was dispelled. However, the ringmaster of this exotic mélange was not a liberal meritocrat or a fevered reformer: he was a mischief-maker extraordinaire who revelled in the contradictions and juxtapositions he was able to manufacture in the varied dramatic scenarios he dreamt up, on screen or in life. Period interviews, like an example from 1964, in which his monosyllabic ‘yes’/‘no’ retorts to a reporter’s questions, suggest a powerful inclination to undermine the conventional, critical discourse: is he robot or clown as he deflects his interrogator’s queries, his automaton persona only just capable of masking the adolescent smirk? (Warhol 1964b). Yet Warhol’s sponsorship of one of the more interesting art experiments of the period is worth more attention – the rock act the Velvet Underground, their recordings and their involvement in the greatest multi- media show of the era, Exploding Plastic Inevitable (EPI). So what can we say of the band? Ellen Willis believes that ‘the Velvets were the first important rock and roll artists who had no real chance of attracting a mass audience’ (Willis 1996: 74). They made music that was ‘too overtly intellectual, stylised and distanced to be commercial’. Their output, the status of which she linked to Pop Art, was ‘anti-art art made by anti-elite elitists’ (ibid.). Matthew Bannister reflects on the group’s relation to the anti-philosophy that so intrigued their powerful sponsor. ‘The

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trash aesthetic’, he says, ‘functions not so much as a democratisation of culture as a testament to the superior taste of a discerning elite who can find sublimity in abjection’ (2006: 44). Hamelan states: ‘To separate the Velvet Underground and trash would be to separate the nervous system and the skeleton. It can’t be done’ (2004: 80). To take the two key artefacts that would engage the Velvets’ time and energy in 1966, let us reflect on the pair in roughly chronological order – the unveiling of the EPI and the making of the debut album. The two projects would overlap and interweave with composed material common to each context, though the record itself would not see the light of day until well into the following year. The musical ensemble that had taken shape in 1964 and 1965, operating under several guises and with various personnel, had finally taken the name the Velvet Underground in tribute to a paperback of the same title by Michael Leigh, a volume which had charted the recent sexual activities of post-Kinsey subterraneana (1963). Drawn to Warhol’s attention by his aide and adviser Morrissey and brought into the Factory fold, the band would comprise original members Lou Reed, John Cale, Sterling Morrison and Maureen Tucker but now joined, at Warhol’s insistence, by the German model, screen actor and would-be singer Nico.14 Although the introduction of a leggy Teutonic chanteuse was not universally welcomed by the group, they could see the value of compromise. As Richard Williams states of their new bond with a high-profile Pop artist: ‘[T]he most significant part of the relationship was this: if the Velvet Underground were going to pursue a career based on demolishing the unwritten rules and conventions of rock and roll, then Andy Warhol would be the last person in the world to discourage them’ (2009: 189). The band, according to Wayne Koestenbaum, actually made their live debut under Warhol’s aegis with the name Erupting Plastic Inevitable (2001: 100) in a show called Up-Tight for the New York Clinical Psychiatry Society banquet in January 1966, before Exploding Plastic Inevitable, now re-titled, began its run at the Dom in St Mark’s Place in April. EPI was a piece that drew on all of the managed anarchy of Warhol’s universe: his movies – Couch (1964) and Vinyl (1965) in this case – became the backdrop to the installation; his house band became the musical performers and soundtrack providers; his aides and superstars its dramatis personae. At the Dom, says Williams, ‘Around four hundred people made it upstairs on opening night to be confronted by the Velvet Underground and Nico, plus lights, films …, the onstage dancing of “superstars” Gerard Malanga and Mary Woronov, and – between sets – a sound system that occasionally played three records at once’ (2009: 190). Koestenbaum comments: The theatrics enveloping Nico and the Velvets were jubilantly sadomasochistic. The decibel level of the Velvets tortured the audience’s eardrums. Gerard’s whip was a token punishment. Nico’s lack of relation to the band … was another kind of torture: she was a bane to the band, the band a bane to her …. (Koestenbaum 2001: 101) The show itself had much of the trash quotient with which Warhol had become almost eponymous – sex, violence, noise, mystery and menace – and Ronald Nameth’s film, a record of a later Chicago production in June of that year, captures the essence of these ingredients, framing the chaotic disorder of the live performance. Neither Reed, absent through illness, nor Nico appear in this version. Although Nameth’s documentary is shot in colour rather than monochrome, it distils the show’s shambolic spirit: the jumble of swirling light – the gel projections akin to blazing flames – and the frenetically gyrating bodies, indistinctly identified and almost hermaphrodite, are the main points of visual concern (Nameth 1966).

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In fact, the movie portrays a scene that evokes, somewhat ironically, something closer to the abstractions of a Pollock drip painting come to life than the bare, spare, flat representations of the Warhol printing press. It is interesting though that this mélange of disorientating light and shadow, dancers enacting sinister sexual games, and the sensory disturbances of music played at high volume were in keeping with the anti- aesthetic values that the Factory clan had so energetically pursued. EPI’s ‘swirl of sound and sensation epitomised a nascent genre’, says Koestenbaum (2001: 101) and the songs that formed the musical component within the multi-media enactment would, in due course, enjoy a second life on a debut record that would become one of the most pervasive collections of all time. Eventually released in March 1967, The Velvet Underground and Nico, proved initially to be a slow-burner but one that would, over the next decade, have an infernal impact. The material it presented was a considerable way from the musical fare which would characterise the period as the Summer of Love approached, a sunny optimism that stretched from the southern California sands to the psychedelic jams of San Francisco and the acid-drenched and dandy stylings of London – represented by artists like the Beach Boys, the Mamas and the Papas and Jefferson Airplane, Pink Floyd, Jimi Hendrix and the Beatles. The hippy haven of Haight-Ashbury was in bloom, the Monterey Festival was soon to be enacted and the arrival of the classic album of that year, Sgt. Pepper’s Lonely Hearts Club Band, was imminent. But the Velvets’ debut had little of the airy brightness, the upbeat sense of personal liberation, that those other artists would share with the rock public over these hyperactive weeks and months. Instead there were darker trends at large – the hard drugs of ‘Heroin’15 and ‘Waiting for the Man’ – and discomforting themes in play – the sado-masochist hints of ‘Venus in Furs’ – and the reflections on the mysteries of the Factory terrain – ‘Femme Fatale’, a tribute to doomed Warhol superstar Edie Sedgwick, and ‘All Tomorrow’s Parties’, sometimes thought to be about the painter’s controversial Manhattan commune but actually pre-dating Lou Reed’s attachment to that scene. There was no specific or unifying musical style that connected the 11 tracks but there was a monochromatic grain to the record that eschewed the multi-tracking ambition, the multi-layered vocal pyrotechnics of Brian Wilson, John Phillips, Syd Barrett or John Lennon and Paul McCartney. If those composers were bringing a kaleidoscopic, possibly chemically-induced, glee to the technological playground, the Velvets were more introspective, amphetamine expressionists exploring the psychic disturbances within rather than the phantasmagoria without. New York City, a frenetic, hard-wired East Coast metropolis, seemed out of step with the West Coast’s mellow flavours and the nostalgic eclecticism of Carnaby Street. Cagle believes that the prevailing trends ‘fostered sentiments against the alienated, nihilistic visions of the Velvet Underground. Perhaps their songs seemed too jaded and barbaric for a generation that was rallying against nihilism and despair’ (1995: 92). Although rock and roll had been regarded as a rough and ready amalgam of black and white musical forms since the mid-1950s, a symbolic miscegenation that threatened to further inflame the intense racial tensions of the time, by 1967, the rock vanguard had entered a new and mature phase. McCartney had acknowledged an interest in avant- garde Italian composer Luciano Berio and, as Gendron reports (2002), the US critical community, just like its hundreds of thousands of hysterical adolescents, had been seduced by the ever-burgeoning inventiveness of the Fab Four. The artistic modus operandi of the group and other leading players was becoming apparent: the adoption of

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an art method coupled to the dynamic possibilities promised by advanced studio facilities. At odds with this general inclination, the Velvets’ album had been recorded around a year before, concurrent with the various EPI premieres, with Warhol nominally cited as producer but it seems his essential role was merely in funding and green-lighting of the project. It was the only LP release to see the light of day while the artist and the band shared a professional association. If the Velvet Underground did not reject an art method per se, the one they pursued unquestionably ran counter to the creative ambience of the time. Centrally, the band avoided a policy of re-recording, re-mixing and re-touching the tracks to manicure and polish their sonic canvases. The principle of ‘first thought, best thought’, an existential belief borrowed from Buddhist sources that had informed the writings of the Beats, appears to be a key driver here. And it was really in this frayed unrefinement – the first engineer who worked with the Velvet Underground advised that single takes were the best way to capture the spirit of the pieces, though a more experienced producer in Tom Wilson also shaped some of the cuts – that set it apart from the competition of the day and set it up as such an influential example, in the years that followed, to a plethora of subsequent acts. Distorted? Dissonant? Dishevelled? Amateurish? Unfinished? Ugly? There is scant doubt that the material that made up The Velvet Underground and Nico met standards that were quite out of step with the dominating ethos of the moment, one that was moving in the direction of refined sophistication and cerebral stimulation and away from notions of the three-minute pop song and the ephemeral teen anthem. Reed, Cale and co. rejected both the new art rock and the old trite pop, marrying instead elements of the high and the low, the cultural leftfield and the arts underground, harsh rhythms, repetitive drones and minimalist arrangements with stories of low-life transgression: drug use and abuse, sexual deviance and perversion, the thrills and spills of a dangerous palace of delights. Beauty thrown overboard; the sublime displaced by the degraded; traditional morality skewed by a libertarian abuse of the brain and body and undermined by a dismissal of accepted sexual mores. An anti-aesthetic, the trash aesthetic indeed, was surely embodied in this parade of distortion, discordance and contortion: radio friendly this was not. The Velvet Underground rejected the simmering, summery optimism of psychedelia and immersed themselves in a dystopian downtown, evoking a scene through their words and music that was neurotic and hyperactive, numbed and anaesthetised16 by turn, conjured, at least in part, by the toxic charge of speed and heroin. But what of truth, that other critical pillar in the temple of the older aesthetic? Well, yes, there was a truth intrinsic to and reflective of the Velvets’ own experiences, even if they were only dramatising individuals, scenes and events they knew, but it was a truth that spoke not of enlightenment and salvation and goodness. On the contrary, here was a world-view something akin to hell fire on God’s Earth, an authentic depiction of a Boschian place perhaps, a land recognisable to Sade and Baudelaire maybe, but one that was utterly antipathetical to those notions of truth as the philosophers had historically understood and described the concept. Ugly was not the new beautiful but it may have been considered, from the perspective of the subversive art-makers, the new true. The Velvets and their wider family played out their baser instincts on a strange cusp between life and art, leisure and creativity, whether at the Factory or Max’s Kansas City or the various cities where Exploding Plastic Inevitable went on tour, the West Coast and

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Mid-West included. Where dubious pleasures ended and artistic work commenced was never entirely clear. The record drew on a number of important influences: Beat poetry’s stream of consciousness; Cale’s affinity with and US avant-garde composers such as La Monte Young; the fraught dissonance of Ornette Coleman’s free jazz; Bob Dylan’s spoken vocal mannerism; the swing-free pulse of Tucker’s drumming; and Reed’s rejection of the conveyor belt pop of New York City’s Brill Building,17 a world that the singer-lyricist had briefly – and unsatisfyingly – engaged with before forming a Velvets prototype called the Primitives in 1964. Williams sees the band as ‘a natural fit’ with the artist who had mentored them. He explains: The Velvet Underground were the only possible group for Warhol. First came songs reflecting their interest in the sort of transgressive activities that characterised the activities at the Factory. Second came the use of repetition and the acceptance of what the straight world would see as boredom, ennui or la noia: an existential angst apparently stripped of meaning. The incessant hammered piano figures and unvarying rhythm beds, not so distantly related to the pulse of In C,18 could be seen as analogues of the multiple versions of the same image (Elvis, Marilyn, car crashes, electric chairs, etc.) churned out by the silkscreen printers working at the Factory. (Williams 2009: 189) Ultimately though, for all its rule-breaking posturing, and maybe even because of that, the group’s debut LP, wrapped eye-catchingly if perversely, in its Warhol-designed Pop Art banana sleeve,19 had scant commercial impact and faded from the very lower reaches of the Billboard album chart speedily. Yet it was heard by an important coterie of musicians, critics and scenesters on both sides of the Atlantic. The fact that its genesis was so closely entwined with the machinations of a world-renowned visual artist hardly hindered the attention it garnered from those in the know. However, the seeds sown in the humid haze of that Summer of Love would lie dormant only to prosper, Triffid-like, as a rampant, mutant crop some years on, throttling the more delicate flowers of the abandoned hippy garden. The Velvet Underground had been not just been set against traditional cultural values; they would also reject the protocols of the counterculture itself, that broad-based movement which sought to test society’s bounds through energetic engagement, employing political activism and preaching a utopian ideology in a campaign of confrontation and resistance, street demonstration and soapbox rhetoric. In that sense, therefore, we might see Warhol’s band as doubly transgressive – disrespecting both the conventional mainstream and the radical reaction to it as well. In doing so, they shaped another countercultural position, subterranean in spirit and outsider in character, one that would help sustain an enduring assault on social and artistic norms long after the hippies and their anti-Vietnam protests had been largely laid to rest. In fact, the band’s subversive behaviour and aesthetic stance would have a much more profound and lasting effect on subsequent popular music practices, certainly those linked to notions of an alternative or independent ethos, than the peace and love inspired psychedelic sounds of the time.20 The Velvets’ style became the seedbed of wave after wave of rock that leant towards minimalism over decoration, raw noise over manicured manipulation, economy and brevity over ornate and laboured indulgence. In contrast, the more baroque manners of the LSD surge became the subject of only occasional and quaint re-visitations and revivals in the decades that followed. By the time the Velvets moved on to their second studio set, White Light/White Heat, at the end of 1967 with Tom Wilson now fully installed in the producer’s seat, the band

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had severed their links with Warhol not to say their imposing – and imposed – female vocalist Nico, who would go on to a solo career. The group’s project to make jarring music that was at odds with the contemporary canon – both in style and content, texturally and textually – was not de-railed but the group’s post-Factory output had little more mainstream acclaim than the original release itself enjoyed. It would take the band’s final and disorderly dissolution in the early 1970s – by which time Reed and Cale had already departed – before the Velvet Underground’s fractured sound and vision became the blueprint for a thousand Anglo-American acts who would trigger a string of crucial rock manifestations in the 1970s and 1980s: glam and glitter, punk and new wave, industrial, goth and grunge.

BIBLIOGRAPHY

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DISCOGRAPHIE

The Velvet Underground, The Velvet Underground & Nico (Verve, 1967).

FILMOGRAPHIE

The Exploding Plastic Inevitable, directed by Ronald Nameth, 1966. http:// www.jonbehrensfilms.com/experimental005.html [Consulté le 13/07/2011].

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NOTES

1. Artists Hugo Ball and Jean Arp and poet Tristan Tzara and were among the group’s members. Dada was ‘a verbal alibi for inanity’ and Tzara insisted that ‘DADA DOES NOT MEAN ANYTHING’ (Note: author’s capitals) (Conrad 1998: 112). 2. British gallery curator Julian Spalding has claimed that Duchamp never actually put forward the item for display. He says that ‘recent research has shown that the urinal was actually submitted by Baroness Elsa von Freytag-Loringhoven. Her gesture was an early feminist attack on a male society. She didn’t claim the urinal was a work of art. She was taking the piss’ (cf. Spalding 2012). 3. A Nazi-sponsored exhibition showcasing – and attacking – modernist trends and abstraction in art, Entartete Kunst (‘degenerate art’), opened in Munich in 1937 and then toured Germany and Austria. 4. This name of this school, forged in 1908, referred to ‘the group’s gritty urban subjects, general preference for a dark palette, and roughly sketched painting style. Ashcan realists rebelled against feminine prettiness and academic correctness to express a masculine, virile energy, primarily symbolised by the teeming humanity of an increasingly urbanised America’ (Bjelajac 2000: 293). 5. Robert Frank’s 1959 photography collection included a preface from Jack Kerouac. Frank would make films, too, including Pull My Daisy with Kerouac in 1959 and the unreleased Cocksucker Blues, a highly charged account of the Rolling Stones’ 1972 tour of the US. 6. Mekas would engage with the Warhol community. He filmed the audience, alongside Barbara Rubin, when Warhol presented a controversial presentation, including the Velvet Underground, to the New York Society for Clinical Psychiatry at the Hotel Delmonico in New York City in January 1966 (Cagle 1995: 1). 7. We must assume that Mekas was referring to Burroughs’ experimental novel Naked Lunch, first issued in France in 1959, and subsequently the target of an obscenity case in the US.

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8. The Beats’ ‘New Vision’, a manifesto of artistic intent, dated back to the mid-1940s (Watson 1995: 38–40) while the anti-censorship commitments of the new film-makers was central to their creative campaign (Banes 1993: 171–3). 9. In the UK, proto-Pop painters like Richard Hamilton and Eduardo Paolozzi as members of the Independent Group did present statements offering explanations of their work from the mid-1950s (Alloway 1974: 27–66). 10. By 1959, Warhol was earning around $65,000 a year (Fineberg 2000: 251). 11. Blake and Hamilton designed, respectively, the Beatles covers Sgt. Pepper’s Lonely Hearts Club Band (1967) and The Beatles (1968); Jim Dine did Best of Cream (1969); and Warhol created Sticky Fingers for the Rolling Stones (1971). 12. Paul Morrissey, Warhol’s manager, was both adviser to the artist and a key figure in physically realising various of his movie and music ventures (Watson 2003: 221–3). 13. The film is also referred to as simply Chelsea Girls. 14. Nico’s real name was Christa Päffgen (Koestenbaum 2001: 100). 15. Lou Reed commented of the song and the wider LP: ‘I’m not advocating anything … It’s just we had “Heroin”, “I’m Waiting for the Man” and “Venus in Furs” all on the first album, and that just about set the tone. It’s like we had “Sunday Morning” which was so pretty and “I’ll Be Your Mirror”, but everyone psyched into the other stuff’ (Bockris and Malanga 2003: 117). 16. Anaesthesia – ‘insensibility’, ‘loss of feeling’ (Chambers English Dictionary 1988) and, by extension, without an aesthetic. 17. The crucible of much teen-aimed pop of the late 1950s and 1960s, the Brill Building was located at 1619 Broadway and provided a composing base for Carole King, Neil Sedaka and many others (Clarke 1990: 157). 18. Terry Riley’s composition, conceived in 1964, was a ground-breaking piece, ‘a series of fifty-three short musical figures to be performed in sequence by a group of players – any number of them, using any kind of instruments – who could choose their moment of entry and the number of times they repeated each motif before moving on’ (Williams 2009: 171). 19. The cover’s stuck-on banana image could be peeled back in early editions, revealing beneath a flesh-coloured fruit with the obvious phallic connotations. Paul Morrissey: ‘The cover was one of the many obscene suggestions put forward … No one remembers who suggested it, but everyone agrees that it was dirty enough’ (quoted in Thorgerson and Powell 1999: 149). 20. The acid rock bands of San Francisco – the Grateful Dead and Jefferson Airplane, Quicksilver Messenger Service and Moby Grape – and the psychedelic acts launched in London – Syd Barrett’s Pink Floyd, the Crazy World of Arthur Brown and even Jimi Hendrix – all distilled the spirit of the time but their legacy was limited after the 1960s drew to a close. Hoskyns claims that, by 1973, San Francisco was ‘all but dead as a music town’ (1997: 217). In England, Barrett’s mental decline and departure from the group in 1967, the dissolution of Brown’s band in 1969 and Hendrix’s death in 1970 all symbolised the fleeting nature of the moment.

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ABSTRACTS

The American 1960s has become closely associated with moral crusades that strove for Civil Rights for the black community and protested against the conflict in Vietnam, with the peace and love gestures of the hippies to the fore, particularly in the latter part of the decade. This essay argues, however, that the seeds of a more subversive underground movement would be sown during the period and a new approach to art creation, centred on an emerging trash aesthetic, would not only challenge the psychedelic utopianism of the organised counterculture but actually leave a longer-lasting mark on left-field creative activity in the final quarter of the century. As Andy Warhol’s art and film projects were re-shaped as multi-media experiences, the importance of the Velvet Underground, the rising house band at the artist’s Factory headquarters, was magnified. The Exploding Plastic Inevitable, a performance work inspired in part by early-decade Happenings, would be unveiled in 1966, combining Warhol’s underground cinema projections, light shows, dancers and the cacophonous sound of the Velvets. This radical piece of stage art was filmed by the director Ronald Nameth and his account remains a key document of the live venture. The article proposes that while Warhol and the band built on traditions from Dada to the Beats to build a form of anti-art, it was during this key time that the ideas of trash – from the Pop Art celebrations of mass cultural forms to the darker delvings of his movies, and his adopted rock group, into the decadent realms of drugs and sexual perversity – took crucial shape. This anti-aesthetic would have an enduring impact beyond the subterranean avant garde of New York City in the years that followed as music and cinema, art and literature were all shaped by this brand of expression and examples of its legacy are suggested.

Les sixties américaines sont associées aux luttes pour les Droits Civiques de la communauté noire, aux protestations contre la guerre au Vietnam et aux gestes de paix et d’amour des hippies, notamment à la fin de la décennie. Cet article affirme néanmoins que des graines d’un mouvement underground plus subversif furent semées à l’époque, et une nouvelle approche de la création artistique, centrée sur l’esthétique trash qui commençait à émerger, allait non seulement défier l’utopisme psychédélique de la contre-culture, mais aussi, au final, laisser une emprunte bien plus durable sur l’activité créative des mouvements de gauche, dans le dernier quart du XXe siècle. Au moment où le travail artistique et cinématographique d’Andy Warhol prenait le chemin d’expériences multimédiatiques, l’importance du Velvet Underground, le groupe en résidence à la Factory de Warhol, fut d’autant plus mise en lumière. Exploding Plastic Inevitable, une performance inspirée par les happenings du début de la décennie, fut présentée en 1966. Elle combinait les projections video underground de Warhol, des spectacles son et lumière, la participation de danseurs et le son cacophonique des Velvets. Cette œuvre radicale fut filmée par le réalisateur Ronald Nameth, et sa captation constitue une source considérable sur l’événement. Cet article soutient que, alors que Warhol et le groupe puisèrent dans toute une tradition allant de Dada aux Beats, afin d’élaborer une forme d’anti-art, c’est précisément à ce moment que mûrirent et prirent forme les idées du trash : des célébrations Pop Art de biens de consommation de masse aux expériences plus sombres de ses films et de son groupe de rock adoptif, et jusqu’à la décadence dans la drogue et la perversion sexuelle. Cette anti-esthétique allait avoir un impact durable dans les années suivantes, au-delà de la culture marginale et souterraine de l’avant-garde new-yorkais : la musique et le cinéma, l’art et la littérature furent tous informés par cette nouvelle expression.

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INDEX

Geographical index: États-Unis / USA, New York Subjects: psychedelic / acid rock, art / experimental rock, rock music Keywords: counterculture / resistance, aesthetics, drugs / alcohol, avant-garde, experimentation, kitsch / camp, contemporary / pop art, protest / transgression / revolt Mots-clés: contre-culture / résistance, esthétique, art contemporain / pop art, underground / alternative, avant-garde, contestation / transgression / révolte, expérimentation, kitsch / camp nomsmotscles Velvet Underground (the), Warhol (Andy), Nameth (Ronald) Chronological index: 1960-1969, 1970-1979

AUTHOR

SIMON WARNER

Simon WARNER enseigne l’analyse des musiques populaires à la School of Music de l’université de Leeds. Ses recherches se concentrent sur les liens entre les écrivains de la beat generation et la culture rock qui se développa dans leur sillage. Il en a tiré un ouvrage : Text and Drugs and Rock’n’Roll, qui paraîtra fin 2012 (Continuum). Il a également publié Howl for Now en 2005, et codirigé Summer of Love : the Beatles, Art and Culture in the Sixties en 2008. Il a également participé à l’ouvrage Remembering Woodstock et Centre of the Creative Universe : Liverpool and the Avant-Garde. Dans son prochain projet pour Reaktion, New York, New Wave, réexamine la scène punk de Manhattan dans les années 1970. mail

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Were British Subcultures the Beginnings of Multitude? Les Subcultures britanniques, prémices des Multitudes ?

Charles Mueller

EDITOR'S NOTE

This text was originally published in Countercultures & Popular Music (Farnham, Ashgate, 2014).

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1 FEW ASPECTS OF POPULAR CULTURE have been more scrutinised by academics than the development of youth subcultures in the United Kingdom from the late 1960s through the 1980s, a fascination that can be attributed to a number of different factors. Scholars have been intrigued by the creative manipulation of signifiers employed by subcultures in crafting their styles, the way in which they inspire and release passion, and their ability to create relationships and provide camaraderie in the face of twentieth-century alienation. But perhaps most significantly, published research into subcultures by members of the Birmingham Centre for Contemporary Cultural Studies [BCCCS], Dick Hebdige, Angela McRobbie and others were a product of the backlash against criticisms of mass-culture by the Frankfurt School. As Paul Passavant explains, the intellectual environment after the 1960s tended to give consumers credit for being wiser, and recognised that people exercised a degree of autonomy in how they used and created meanings for the products that they purchased. As a result, the idea of the ‘duped masses’ being manipulated by industry began to wane in academic circles (Passavant 2004a: 1). Subculture theory was undoubtedly part of this trend.

2 The gamut of twentieth-century intellectual traditions was used to analyse subcultures: Marxism, semiotics, postmodernism, sociology, gender studies and the theories of Weber, Bourdieu, Gramsci and Barthes among others. This research led to many disparate interpretations. Some saw subcultures as the heirs to the revolutionary counterculture of the 1960s fighting a rearguard action in a lost battle for substantial socio-economic change and maintaining the spark of some of its ideas. Subcultures were also interpreted as a demoralised bohemianism, a noteworthy but pitiable expression of resistance during a time of conservativism when global capital penetrated all of society, and domination completely replaced value in work relations. Still others detected no counterculture component and came to view subcultures as recreational fan-cultures who represent only consumerism and excess. The importance of these studies to understand subcultures is undeniable, however, we should also be open to the possibility that subcultures can best be explained as part of the beginnings of a new social formation that transcends class, race, nationality and gender.

3 In two provocative books, Empire and Multitude, Michael Hardt and Antonio Negri present a social, economic and philosophical description and critique of globalisation and multinational capitalism that has formed the foundation of Western societies since the early 1970s. The texts substantiate their belief that this new world order is destructive and dehumanising and will gradually dissolve into a global socialism that recognises the value of every human life, and the interconnectedness of those lives on both the social and metaphysical level – what Benedictus de Spinoza referred to as

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immanence. These works, based in part on Negri’s earlier volume The Politics of Subversion, describe counterculture activity that is much different from that of the past, a counterculture that is, at once, more subtle and gradual, but also more effective and far-reaching. The writings also represent an ambitious attempt to update the philosophies of Marx, which both Hardt and Negri feel are inadequate to critique a society that is no longer based on the Fordist factory labour model.

4 How Empire will give way to Multitude is a detail that Hardt and Negri leave open to conjecture, and they give us few signs to look for. But the idea that subcultures might be a part of the early stages of Multitude, and whether this best accounts for their social construction, modes of resistance and communication strategies (all of which involved music) is a question worthy of consideration. Negri himself opens the door for such an explanation when he remarks that earlier and inadequate attempts to reform Western societies politically were carried out to the rhythm of the Beatles (Negri 2005: 67), and that the tattoos, piercings and anti-establishment music of punk was a noteworthy gesture of resistance but did not go far enough (Laclau 2004: 28). What is most significant in this regard, however, is Negri’s view that social outsiders, a group to which most members of subcultures certainly belonged, ‘help others to recognise that we are all monsters – high school outcasts, sexual deviants, freaks, survivors of pathological families, and so forth. And more important these monsters begin to form new alternative networks of affection and social organisation’ (Hardt and Negri 2004: 193).

5 This chapter begins by briefly summarising Hardt and Negri’s arguments, and how previous research in subcultures and their music can be reconciled with a theory of Multitude. It then explores how British subcultures from the 1960s, 1970s and 1980s anticipated many of Hardt and Negri’s ideas, and explains why reading subcultures in this way offers perhaps the most satisfactory explanation for their social construction, style and existence. The concluding paragraphs examine how subcultures provide insight into how popular culture, and music in particular, in the present and future could function as part of a new counterculture that undermines Empire and facilitates a state of Multitude.

Empire and Multitude: A Brief Overview

6 One must read Empire in its entirety to fully understand how Hardt and Negri perceive the current state of national and international politics. The book does, however, rearticulate common fears concerning globalisation already present in the public consciousness. They describe a system of abject, deregulated capitalism that has transformed the world into one gigantic factory, and brought about an all-consuming subsumption that pervades every aspect of human existence. The global imperative is the unfettered circulation of goods and services and the accumulation of profits. All other objectives and values must be marginalised or systematically eliminated. In discussing the actual size and scope of Empire, Paul Passavant states, ‘in contrast to colonial empires of the past, this one has no boundaries’, Empire’s homogenising, disciplinary power is not just omnipresent, it is life itself – from the absorption of labour into the mechanisms of production, to messages in the mass media, Nike T-shirts, credit checks, surveillance videos, there is no ‘outside’ space to oppose it (Passavant 2004b: 100).

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7 According to Hardt and Negri, production in Empire can be divided into the physical and affective spheres. Physical production is decentred, dispersed across the globe and often preoccupied with producing goods that are useless in terms of actual utility. Production and accumulation now frequently exist for their own sake rather than to fulfil needs. Affective labour is concerned with inciting desire, cultivating hospitality and creating culture, social relations, languages and information. In Empire affective labour has supplanted factory labour as the dominant and most influential type. Hardt and Negri are quick to point out that ‘the hegemony of immaterial labour does not make all work rewarding, nor does it lessen the hierarchy and command in the workplace and the polarisation of the labour market’ (2004: 111).

8 Although Hardt and Negri stress that Marxist criticism is still valid and traditional class struggles are still possible, they feel that new strategies are required to confront and dissolve Empire in ways that reflect new economic and social realities that are difficult to reconcile with Marx’s ideas. Negri expands the definition of the proletariat to include all those who labour under the rule of capital and are subject to exploitation. He argues that even though the concept of real wages has lost its meaning in the postmodern era many people still live in abject poverty. For those who do have their biological needs met, the struggle is now about justice, security, time and quality of life (Negri 2005: 178). However, writing with Hardt, Negri believes that humankind’s path to a richer, more rewarding life is through the emergence and development of Multitude, a new global socialist formation that guarantees its citizens a sustainable income, a basic education, freedom of information and unfettered communication. Multitude is not a mindless, unthinking mob but a global network of coordinated labour that leads to a state of absolute democracy and that transcends race and national boundaries to form an ‘irreducible multiplicity’ (Hardt and Negri 2004: 105). Hardt and Negri emphasise that perhaps the best way to understand their ideas is not to ask ‘what is Multitude?’ but ‘what can Multitude become?’ (ibid.: 105). They insist that Multitude is not a political call to action such as ‘workers of the world unite’ but a name given to describe what has been happening, and what will continue to happen in the social and political spheres (ibid.: 220).

9 The formation of Multitude is distinct from other forms of countercultural activity in that the transformation will occur gradually rather than through mass protest, although physical conflict can play a role in its development. Multitude is essentially a realisation of Gramsci’s ideal of the working classes articulating a plurality of struggles (Haslett 2000: 273). Hardt and Negri recognise that since the 1960s the instability of the individual subject has made collective action difficult, and that planned socialism is perhaps not realistically possible in an advanced capitalist system. Hardt and Negri feel that alienation and anomie exists in such a chronic state that only the cumulative weight of communication and media technologies and the fruits of affective labour in their totality will help to rectify the radical deficit of empathy and connectedness that exists.

Multitude and Immanence

10 Hardt and Negri’s theory of Multitude has a metaphysical basis in Spinoza’s idea of immanence, the life force inherent in all beings that is both singular and part of a universal whole. They believe that a democracy based on immanence would be much

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stronger than any constitution offered by the state, and would ideally function in a manner similar to Spinoza’s concept of the human body; a ‘multitude of multitudes’ comprising individual natures that act in concert without any hierarchy (2004: 190). Multitude is therefore not a representable totality but a set of singularities. Individuals and groups create Multitude through a ‘plurality of actions that do not need to be articulated between themselves’ (Laclau 2004: 26). Hardt and Negri’s reading of Spinoza is selective, but it is not difficult to comprehend how Spinoza’s writings could be used as a counterpoint to Empire. For example, based on Spinoza’s belief that the best governance comes about when there is a balance of political forces, and that citizens have more rights when they act together than when they act alone, Hardt and Negri conclude that global capitalism has given people a misguided confidence in individualism that leaves them vulnerable. In Hardt/Negri’s view global capital undermines the freedoms that Spinoza believed the state should guarantee, by circumventing the laws and will of the populace, and by destroying their intellect (the place where Spinoza believed immanence resided) through propaganda and the control of information.

11 In addition to Hardt/Negri’s faith in the unifying power of immanence, Multitude’s theoretical foundation has an additional component: Foucault’s concept of biopolitics, the process of harnessing human potential as a group. The biopolitics of Multitude is a ‘power of the flesh’, a force of boundless potential. They describe an elemental power that continuously expands social being, producing in excess of every traditional political and economic measure of value (Hardt and Negri 2004: 192). This biopower is made possible through the types of social relations produced by global capitalism, the predominance of immaterial affective labour, and by the seamless interconnectedness of labour and life. Not only do these relationships create biopower in and of themselves, affective labour also creates a distinct kind of antagonism that adds fuel to the fire: The wealth it [immaterial labour] creates is taken away and this is a source of its antagonism. Yet it retains its capacity to produce wealth and this is its power. In this combination of antagonism and power lies the making of revolutionary subjectivity. (ibid.: 153)

Multitude and the Study of Subcultures

12 Hardt and Negri explain the importance of the media and affective labour in creating new relationships that will facilitate the formation of Multitude. They do not explain what effect the culture created by these groups might have, or ways that these groups might effectively spread messages that undermine Empire. This presents an obstacle to understanding previous scholarship on subcultures in the context of Hardt and Negri’s theories as many of these earlier studies are largely debates over whether subcultures (and the music and style associated with them) represent rebellion or consumerism. Presumably some critical discourse would be needed within these new networks; their mere formation would not be enough to promote change. They would need to acknowledge and bear witness to Empire’s dehumanising effects. They would need to be driven by subversiveness, which Negri defines as ‘the radical nature of truth’ (Negri 2005: 59). Truths such as equality, freedom and the promotion of life would need to be kept within the public consciousness in order to counter Empire’s deceptive messages.

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13 If one accepts Negri’s definition of subversion as ‘the radical nature of truth’ then the Marx-influenced theorists who viewed subcultures as a type of counterculture must necessarily be considered the forerunners to a reading of subcultures based on Multitude. For example, Hebdige’s analysis recognised, for example, that mods and punks were not operating outside of Empire’s system of alienation but were a part of it. The point is echoed by Hardt and Negri who write: ‘When the flesh of Multitude is imprisoned and transformed into the body of global capital it finds itself both within and against the powers of capitalist globalisation’ (2004: 101), a state of being that can be seen in both the music and style of subcultures. Marx-influenced readings of the art created by subcultures are not unlike Terry Eagleton’s interpretations of the popular fiction produced by writers like Charles Dickens whose stories simultaneously express admiration and revulsion, amusement and fear of bourgeoisie capitalism, a conflict that gave his writing a tension that should be considered a strength rather than a weakness (Eagleton 1976: 35). The creativity of subcultures, and much of their music in particular, disrupted capital’s ability to gain a monopoly over the affections and mode of thinking (affective labour) of individuals, an important step toward Multitude, for as Hardt and Negri point out, the commodities of affective labour largely constitute social life itself.

14 Hebdige understood the continuing importance of class in social relations. He indirectly foreshadowed Negri’s position that outcasts and the poor are no longer politically inert, and that young people are now in a position to show workers the way forward by forming alternative networks and evacuating sites of power (Negri 2005: 48). Like Hardt and Negri, Hebdige was aware that alternative media such as indie music labels, pirate radio and fanzines were not only important in forming new relationships that challenged class stereotypes propagated by conventional media, but also represented an attempt at transforming the means of production with the limited resources that were available. Hebdige understood that even if subculture’s revolt through style and music did perhaps reflect Hardt/Negri’s point that ‘the wretched of the earth want to go to Disneyland and not the barricades’ (Bull 2004: 225) (echoing Baudrillard’s sentiments that people favour signs more than revolution), resistance through sign-systems is still a gesture worth making, for if society is governed by sign values as much as economic production, then any attempts to express refusal or transform the public consciousness must take place, to a large degree, on the semiotic level.

15 Many subsequent theorists have found fault with Marxist readings, but their arguments do not necessarily undermine the idea of subcultures as an early sign of Multitude. For example, Dave Laing (1985), and Sarah Thornton (1996), call into question the idea of British subcultures as an authentic form of class-protest because they believe that participants were not truly operating from a Marxist mindset advocating the total overthrow of capitalism, and that the whole idea of an adversarial binary distinction between subcultures and ‘mainstream’ society is fictitious, and was projected onto, for example, punk and goth by the Marx-inspired theorists themselves. In Empire, however, Hardt/Negri do postulate that a ‘mainstream’ ideology and culture did exist, and continues to exist. It is a value system based on a misguided faith in individualism, and a celebration of globalised laissez-faire. The resulting effects of this ideology of Empire create conditions that can generate opposition, an opposition that was reflected in the fashion, literature and music created by subcultures to varying degrees. Art, however,

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does more than just reflect the concerns and ideologies of its time, it also provides a glimpse into what it feels like to live in those conditions, something that the music of subcultures arguably accomplished to a greater degree than most varieties of popular music. Music played a part in the postmodern and radical bohemian strategy of total refusal, total negativity (which Žižek reminds us is really all that the poor have with which to protest save violence) and the cultivation of extreme otherness that can be seen in most British subcultures (Žižek 2004: 260). The affective content of the style and music of subcultures pointed to needs that the larger code of capitalism did not allow for, and this holds significance for the development of Multitude. In a passage reminiscent of Hardt and Negri’s thinking, Jean Baudrillard writes: Nonetheless this emergence of needs, however formal and subdued, is never without danger for the social order – as is the liberation of any productive forces. Apart from being the dimension of exploitation, it is also the origin of the most violent social contradictions, of class struggle. Who can say what historical contradictions the emergence and exploitation of this new productive force – that of needs – holds in store for us? (Baudrillard 1981: 84)

16 Multitude is Hardt and Negri’s answer to Baudrillard’s rhetorical question. The fact that not every subculture participant was a disciple of Marx did not render their concerns invalid or prove that the style and music of subcultures contained no countercultural element as Hardt and Negri emphasise that it is the collective weight of mass-dissatisfaction with Empire’s conditions that will result in Multitude’s evolution, not a Marxist ideology agreed upon by the populace.

17 Another reason why scholars such as Laing and Thornton are dismissive of aims to assign proletarian significance to the music and fashion of punk is because it was, in part, created by a few artists, promoters and producers, and spread through media exposure. In Hardt and Negri’s theory, however, the influence of the media on subcultures does not negate their authenticity. If any social movement helps promote an awareness of immanence, it is of value regardless of how it is spread or created. Further, the affective content of commodities was shaped by subcultures and signified more than a celebration of capitalism. Music was particularly life-affirming in that the lyrics, timbres and rhythms inspired emotional connections that cannot be quantified in terms of value and utility. In this way music in subcultures represented an attempt to bring back a measure of the symbolic in a society made indifferent by Empire’s domineering ideology of utility, value and accumulation. The ability of the affective content of music to overshadow its status as a commodity makes it invaluable to the development of Multitude. As British subcultures demonstrated, music was a primary means of achieving their alternative networks of affective and social organisation. British subcultures can be interpreted as an attempt at breaking the cycle of alienation and false individualism that helps to sustain Empire. The music associated with subcultures bore witness to Empire’s dehumanising effects, and helped to radicalise the nature of truth. It served as an affective and important counterpoint to the propaganda of Empire.

18 The belief of Ian Chambers (1985) and Bo Reimer (1995) that subcultures represented an attempt to escape socio-economic class rather than represent or redefine it is likewise not antithetical to a Marxist interpretation as people typically do not try to escape, transcend or cover up that which is positive and pleasing. In this way their reading further illustrates the negative effects of Empire.

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19 Much of the scholarship on subcultures produced after Hebdige has abandoned a Marxist or post-Marxist approach in favour of sociology, gender studies and examining subcultures in an international context, all of which are vital to understanding the subculture phenomenon. However, this tendency to downplay or reject the influence of economic factors on the development of subcultures, drawing attention away from Empire’s devastating effects, could be seen as an example of what Hardt and Negri are referring to when they observe that ‘such lack of focus, and such intense discussion and debate over this fragmentation is also symptomatic of the current weakness and impotence of the left since the 1970s’ (2004: 219).1

Subcultures and the Beginnings of Multitude

20 The distinct type of socialism outlined in Multitude was anticipated by British subcultures in a number of ways. First, Hardt/Negri make it clear that Multitude is a class concept and that classes are defined through their lines of collective struggle (2004: 104). Subcultures were one of a multitude of different struggles against the most destructive and alienating acts of capital. Hardt/Negri assert that ‘the common currency that runs through so many struggles today – at local, regional, and global levels – is the desire for democracy’ (ibid.: xvi). Much of the anger, fear and fetishisation of power that comes through in the music of subcultures sprang from people feeling that they had no control over their lives. Second, one must consider the relationships produced through the affective labour (and music in particular) of subcultures. The music and style produced by British subcultures provides strong support for Hardt and Negri’s position that ‘Despite the myriad mechanisms of hierarchy and subordination, the poor constantly express an enormous power of life and production’. ‘The closer we look at the lives and activity of the poor we see how enormously creative and powerful they are, and indeed, we will argue, how much they are part of the circuits of social and biopolitical production’ (ibid.: 129).

21 Subcultures were formed in an environment that included a massive shift in the focus of Britain’s economy from industrial to affective labour, the relocation of jobs to markets overseas, the huge influx of immigrants from developing countries to England, and unprecedented job insecurity for native workers – all hallmarks of Empire. England had adopted numerous, modest socialist reforms by the time that subcultures were developing. But the pessimism, nihilism, preoccupation with the macabre, and the angst portrayed and/or expressed, both literally and metaphorically, in the fashion, art and especially the music associated with the majority of subcultures illustrates Negri’s point that under Empire socialism is deliberately ineffectual as it is designed to serve the needs of global capitalism and not to help the needy or strengthen social bonds as it should.

22 Subcultural style also supports Hardt/Negri’s belief that, in Empire and Multitude, all forms of labour power are involved in the process of social production. They write: ‘to the extent that social production is increasingly defined by immaterial labour such as cooperation and the construction of social relationships and networks of communication, the activity of all in society, including the poor become more and more directly productive’ (ibid.: 131). Subcultures gave the poor, unemployed and underemployed a particularly bold and dramatic voice and a means in which to take part in social production. As an example one need only consider the relationships born

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out of the remarkable creativity and imagination of the music associated with subcultures: the virtuosity and social commentary displayed in so much British heavy metal; the energy perception, wit and humour of punk; and the imaginative way that goth artists attacked Empire through feminism, camp, parody and the celebration of macabre culture. A particularly valuable type of social production created by the colourful, flamboyant and sometimes grotesque styles associated with subcultures was the way in which they kept the concerns of the lower classes within the public eye. A point raised repeatedly by Baudrillard is that in postmodernity the poor simply vanish because they are not part of the media culture (2002: 128–9). One can assert that even the most reactionary or anti-social of subcultures played a part in preventing the disappearance of the poor.

23 Another major criticism of Marxist interpretations of subcultures is based on the premise that subcultures were only concerned with consumerism, play and providing recreational space. It is suggested that the accusations of commodity fetishism against subcultures and countercultures have always been overblown (poor youths had little disposable income) and the recreational aspects of subculture participation is best understood in terms of Multitude. In Negri’s analysis, for example, extensive destitution is a tool used by capital to keep individuals isolated since ‘poverty leads to economic blackmail, the destruction of the imagination, the reawakening of atavistic fears, and encourages monstrous piety’ (Negri 2005: 96). Subcultures, their style, music and values, can be seen as a way to combat economic blackmail, ward off atavistic fears and as an affirmation of the power of the imagination. Instead of seeing subcultures as hedonistic, one should recognise the limited ways in which people from the lowest classes could spend their free time, and the limitations of their life experiences. Striking a blow against the celebration of piety is also a blow against the life-draining ideology behind Empire. Negri believes that the relationship between capital and labour is not dialectical but antagonistic, no longer exclusively a battle for real wages. The struggle is now for justice, time and quality of life, as capital continuously makes new demands on the workforce (ibid.: 178). In these terms, free-time and the sign-value of subcultural style are both subversive and life-affirming symbols.2

24 The loose unity of subcultures, and the sense of individuality as well as camaraderie that they inspired among their members is similar to the ideal of unity in Multitude; ‘singularities that act in common’ but are not swallowed up by the whole (Hardt and Negri 2004: 105). Hardt/Negri agree with postmodern theorists that identities are subject to fracture and multiplicity but they do not feel that this stands in the way of creating social bonds.3 In fact, hybrid identities, though not revolutionary in and of themselves, are a precondition for it (Bull 2004: 229). Even before they brought Spinoza’s concept of immanence to bear on the idea of unity in the postmodern, Negri stated earlier that ‘production, consumption, knowledge, the desire for transformation and equality do not produce equivalent and interchangeable individuals’ (Negri 2005: 207), and in this way subcultures represent in microcosm an early manifestation of biopower. The more fragmented and mobile the postmodern subjects are, the more abstract their productive capabilities and the greater their potential for cooperation rather than functioning as interchangeable cogs in the machine of capital.

25 The theory of a Multitude made up of groups of singularities acting in common was anticipated not just by single subcultures but by all the British subcultures combined. Hardt/Negri explain:

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The multitude is composed of innumerable internal differences that can never be reduced to a single identity – different cultures, races, ethnicities, genders, and sexual orientations; different forms of labour; different ways of living; different views of the world; and different desires. The multitude is a multiplicity of all these differences. (2004: xiv)

26 They repeatedly stress that in Multitude social differences will remain different, but there will be a common that is shared, a common that is ‘not so much discovered as it is produced’. Subcultures voiced opposition to powers and circumstances that can consistently be traced back to Empire, or were a symptom of a social problem that was rooted in the negative consequences of Empire.4 This was their common. For example, skinheads attacked the subsumption of British traditions and daily life by global capital (Hebdige 1979: 55–8). Goth criticised Empire’s origins in the masculine logic of production (Mueller 2008: 90–120), and punks rebelled against symbols of privilege, pillars of society and phony optimism through their abrasive rhetoric, fashion and muic (Hebdige 1979, Laing 1985). Many of the same themes appear again and again in the music and symbolic language of punk, goth, mod and heavy metal rockers, their diverse styles reflecting many of the same social concerns.5 One of the most common targets of subcultures was nuclear proliferation, which Negri identifies as one of Empire’s most potent symbols declaring that ‘nuclear terror appears as fixed accumulation, as fixed social capital’. He writes: If the brutality of social relationships is at a maximum, terror must be extreme. In material terms, capital’s drive toward terror is orchestrated by the practice and ideology of nuclear power. It is important, even if banal, at this stage, to emphasise that the drive toward terror is not a result of some demonical quality of capital. Rather the origin and mechanism of such a tendency find their origin in the dialectic of capital’s expropriation of productive cooperation from which they derive their degree of intensity. (Negri 2005: 123)

27 In other words, capital expropriates labour and alienates the worker but imposes a social unity by forcing them to be a part of state violence of which the bomb is the ultimate symbol. The music of heavy metal rockers disavowed nuclear weapons and their enforced social relations most forcefully in songs such as ‘Electric Funeral’ by Black Sabbath, and ‘Revelation (Mother Earth)’ by Ozzy Osbourne.6 Anti-nuclear songs, however, can be found in the punk musical cannon with tracks like the Ramones’ ‘Planet Earth 1988’ and ‘Stop the World’ by the Clash, as well as in the music from the goth movement with songs such as ‘Black Planet’ by the Sisters of Mercy and ‘Blow the House Down’ by Siouxsie and the Banshees.

28 Although the participants of England’s youth cultures probably did not see themselves as global citizens to the degree that Hardt/Negri envision for a future Multitude, they did resist attempts by global capital to define and appropriate nationalism and patriotism. Under Empire the loyalty of the poor and working classes to the nation- state gradually fades as social programmes are cut, workplace safety and environmental standards are weakened, and the government places the desires of global capital ahead of the needs of the population. The loss of industrial labour as the primary site for friendships and social bonding also exacerbates this decline in feelings of national identity (Sassen 2004: 183).

29 Subcultures flourished at a time when British nationalism was enjoying a resurgence with the Falklands War, the celebration of the royal wedding, and the rise of Thatcher’s conservativism. Subcultures helped to reclaim attempts by the political right to

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homogenise and define British national identity. Their strategies included turning signifiers of Britishness against their original meanings7 or by making use of culture with subversive connotations in British society. For example, goth appropriated elements of English gothic literature and signifiers from classic horror films, which have traditionally carried degenerate connotations in British society (Mueller 2008: 69– 90). Subcultures not only seemed to confound expectations about people’s position in the social structure, they also undermined definitions of patriotism that benefited Empire over the people of Britain.

30 The subcultures of the 1970s and 1980s, along with the fashion, music, art and writing that gave them a sense of identity, serve as an early example of Hardt/Negri’s vision of the potential of affective labour, and their observation that the production of capital is the production of social life in the postmodern era. When they speak of commodities such as music inciting passion, excitement and a thirst for life, Hardt/Negri do not see commodity fetishism in the way that a traditional Marxist critic would, or see people being dominated and ruled by objects the way Baudrillard did. Instead they equate this passion with liberation for two reasons: first, this passion creates relationships that invite unity that in turn creates the biopower necessary for Multitude; second, this passion and these relationships have important semiotic value symbolising social wealth and the inability of capital to subsume, capture and control all aspects of the human experience (Hardt and Negri 2004: 147). Under Empire it is a subversive act to suggest that there is a life beyond the legal, national or financial (Passavant 2004a: 9).

31 Of course Hardt and Negri are speaking of the present in their writings and of the typical citizen’s relationship with the products of affective labour, however, during the time when subcultures flourished in Britain their commodities inspired passion due to their subversive sign-value, so at the time some commodities had more liberating potential than others. The passion felt by, for example, mods, goths, punks and so on for their style and music was also inspired by their working-class background, and because, as Hebdige points out, it helped them say the right things at the right time and signify a sensibility (Hebdige 1979: 122).

32 Affects, Hardt and Negri remind us, refer equally to the body and mind. Affects such as joy and sadness reveal the present state of life in the entire organism, expressing a certain state of the body along with a certain mode of thinking (2004: 108). Because of this affective ability the music, fashion and artwork produced by subcultures was more than just an outward show of refusal through the manipulation of signifiers; the sentiment of refusal permeated the individual’s entire being. This explains why the art and style of each distinct subculture was dominated by one overriding affect.

33 Subcultures further illustrate the potential power of affective labour to create social unity by the way these movements energised and influenced one another. Hebdige documents how most of Britain’s subcultures were linked in some way to the culture of the black population, which was itself an amalgamation of carefully selected elements from their Jamaican heritage (1979: 48–9). The hardships endured by one ethnic group inspired a style that was given a fresh context and new layers of meaning by another group.8 What is most significant for the concept of Multitude, however, is that subcultures produced a relationship with one another. Hardt/Negri observe that the creation of new languages (of which subcultural styles and music are an example) is one of the primary products of immaterial labour that produces Multitude (2004: 108). At this point subcultures were united by sharing signs of refusal, but in Hardt/Negri’s

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theory the element of refusal would not necessarily have to be present; the interaction of languages and groups is what is most important. The manifestation of biopower that subcultures represent demands that their political significance be reconsidered.

Subcultures and the Future of Multitude

34 The individuals who participated in subcultures were only showing the signs of exploitation, and fear of the future. They probably did not imagine the type of globalised socialism, and the dismantling of current power structures as envisioned by Hardt and Negri. Subcultures were active at a time when hybrid identities were less common, when the difference between economic production and cultural production were more distinct. This threw the styles of ted, mod, goth and punk into greater contrast with the rest of society. However, most of the social issues that preoccupied subcultures were the result of changes and conditions brought on by the globalisation of capital-Empire. The style and music of the various social movements frequently illustrated how interconnected personal, gender and racial problems were, and traceable back to problems in economic production. They demonstrated the importance of subverting and appropriating signifiers that govern society in order to express resistance in late capitalism. Considering that the connection between signs and referents is still strong enough to facilitate domination in Empire, then rebellion through style is not insignificant. Although scholarship on subcultures has sometimes made too much of the participants as consumers, they did bring a passion to their art, fashion and music that foregrounded and celebrated its affective content while downplaying its status as commodities. The emotional intensity of the art kept important ideas in the consciousness of the participants and brought them together in a way that demonstrated Hardt and Negri’s point that ‘our innovative and creative capacities are always greater than the productivity of capital’ (2004: 146). In that sense the passion of subcultures was just as important as their expressions of refusal in their foreshadowing of Multitude.

35 The music associated with British subcultures does point to another way that music could help bring Multitude into being. The way that goth bands, for example, drew inspiration from horror films and gothic literature shows how popular music might present new possibilities for collaboration between creative artists in order to signify immanence and to create more powerful and critical products of affective labour. In Multitude what artists signify to their audience must strike a balance between producer and transformer. Ideally the romantic notion of the artist as an inspired creator would need to be maintained in some fashion to remind people of their ‘divine spark’, their unique individuality that contributes to the whole rather than being swallowed up by it. Celebrating the individuality of creative artists of all types would need to be considerably different from the way that the romantic view of the artist has been used by capital to promote an individualism that alienates and weakens the whole. At the same time the Marxist view of the artist as a transformer of ready-made materials into values, myths, forms and ideologies (Eagleton 1976: 69) must also be foregrounded in the music and image of recording artists to signify Multitude and the interconnectedness of different forms of labour.

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36 The music must be created in close collaboration ‘with the past and present thought of others’ so that each new idea, sound or image will invite new collaborations. Hardt and Negri write: the production of languages, finally, both natural languages and artificial languages [music as well] and various kinds of code is always collaborative and always creates new means of collaboration. In all these ways, in immaterial production the creation of cooperation has become internal to labour and thus external to capital. (2004: 147)

37 If subcultures can be considered part of the first embryonic step toward Multitude then it is clear that popular music and style cultures can continue to play a role in the transformation of consciousness necessary for this new formation to take place. Joel Bakan believes that musicians and subcultures need to become more radical, and express refusal based on a deeper and more informed analysis of social problems: The question to ask however is not what can popular music or popular culture do to facilitate social change, but what can we do to help popular music and popular culture bring about a more developed social conscience’ [personal telephone conversation 23 June 2010].

38 During the 1970s and 1980s British subcultures often expressed hostility against each other because they allowed themselves to be divided by issues of sexuality, race and lifestyle, largely ignoring how they were united by the same set of concerns for their future and for British society. The various subcultures in Britain did not, as Hardt and Negri might say, fully appreciate the common that they produced and its productive potential. Future subcultures and social movements cannot make this mistake. Expressing an awareness of immanence must remain their main focus.

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THORNTON, S. 1996. Club Cultures: Music, Media, and Subcultural Capital. Hanover: University Press of New England.

NOTES

1. Although Negri has been unsympathetic to much postmodern theory, I have seen no evidence that neither he nor Michael Hardt question the value of non-Marxist criticism. They do suggest, however, that the importance of immanence and the problems of Empire often get lost in the vertigo of competing academic theories. 2. As an example see Hebdige’s explanation of the lifestyle and subversiveness of the mod subculture (1979: 63). Also see Hardt and Negri’s discussion of the importance of abandoning sites of power throughout Empire and Multitude. 3. Scholars concerned with race and gender have expressed scepticism about hybrid identities believing that hybrid will inevitably mean ‘white male’. Hardt and Negri do not dwell on how women and minorities might experience Multitude differently just as they do subcultures. Hardt/Negri state that they are focusing on class and labour in their writings as these areas have been neglected in recent years. They applaud racial and feminist activism and make it clear that their vision of Multitude contains no racial or gender hierarchies. See Hardt and Negri (2004: 273–4, and especially 224).

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4. Although some may see nihilistic, or far-right subcultures as antithetical to Multitude it can be argued that these groups all stem from what Terry Eagleton refers to as ‘a lack of nourishment’; the current social environment of ‘sterile ideologies’ that are ‘unable to make significant connections or offer adequate discourses’ (1976: 58). According to Hardt/Negri, Empire is the crux of the problem so these subcultures are not as divorced from the idea of Multitude as it may seem. 5. Once again, it is not being suggested that all subcultures were driven by identical concerns, only that there was a considerable overlapping of the same concerns among different subcultures. 6. Although it should be self-evident the music being discussed here is British heavy metal and not the American style of glam metal which was quite distinct from its European counterpart. 7. See Hebdige’s remarks on punk and the Teddy Boys throughout Subculture. 8. Hardt and Negri believe that the ascendancy of Empire is the root cause of most racial problems since the 1960s because Empire has everything to gain by dividing the populace through racism. They feel that race is determined politically more by collective struggle rather than by skin colour. This provided another point of commonality between black and white subcultures in Britain (2004: 104).

ABSTRACTS

In this essay, I explore how subcultures from the 1970s and 1980s anticipated many of Hardt and Negri’s ideas, and explains why understanding these style movements in terms of Empire and Multitude offers a fresh and compelling perspective on subcultures. The British movements punk, mod, goth, etc. represent a particularly good example of subcultures functioning as an early manifestation of the “alternative networks of affection and organization” described in Multitude since their discourse voiced many of the same socio-economic concerns, but used diverse styles to represent their values and anxieties. They also developed under a conservative government that epitomized the ideals of Empire, and operated within a relatively confined geographic space. Previous scholarship on subcultures by Dick Hebdige, Sarah Thornton, David Muggleton, and others is analyzed and shown to be reconcilable to a reading subculture style based on Hardt and Negri.

Dans cet essai, nous explorons ensuite la façon dont les subcultures, des années 1970 aux années 1980, préfigurèrent de nombreux concepts du travail de Hardt et Negri, et expliquons les notions d’empire et de multitude permettent de comprendre ces mouvements stylistiques de façon neuve. Les mouvements britanniques mod, punk, goth, etc., fonctionnaient comme une manifestation de « réseaux alternatifs d’affection et d’organisation », dans la mesure où leurs discours exprimaient les mêmes préoccupations socioéconomiques, tout en utilisant des styles divers pour représenter leurs valeurs et soucis. Ils se développèrent par ailleurs sous des gouvernements conservateurs qui incarnaient les idées de l’Empire, et opéraient au sein d’un espace géographique relativement confiné. Les travaux sur les subcultures de Hebdige, Thornton, Muggleton entrent ainsi en dialogue avec ceux de Hardt et Negri.

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INDEX

Subjects: rock‘n’roll / rockabilly, goth / gothic, punk / hardcore punk Keywords: subcultures, multitudes, counterculture / resistance, politics / militancy Mots-clés: subcultures, multitudes, contre-culture / résistance, politique / militantisme Chronological index: 1960-1969, 1970-1979, 1980-1989

AUTHOR

CHARLES MUELLER

Charles MUELLER is a professional guitarist and studio musician in Portland Oregon. He earned a Masters degree in Music Education from Portland State University and a PhD in historical musicology from Florida State University where he wrote a dissertation on the goth subculture. His scholarship continues to focus on music and subcultures, and the effect of the Cold War on popular music.

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Contre-cultures : théorie & scènes

Scènes Scenes

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Musique et contre-cultures en Italie : la scène napolitaine Music and Countercultures in Italy: the Neapolitan Scene

Giovanni Vacca Traduction : Dario Rudy

NOTE DE L’ÉDITEUR

The English version of the article will be published in Sheila Whiteley and Jedediah Sklower (eds.), Popular Music and Countercultures, Ashgate, 2013. It will appear here two years after that publication, in 2015.

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1 À LA SUITE DE LA SECONDE GUERRE MONDIALE, après une période de 20 ans de fascisme, l’Italie s’est lentement ressaisie d’une vie démocratique. Toutefois, du point de vue culturel, seules les élites vivant dans les grandes villes comme Rome, Turin ou Milan avaient la possibilité de goûter pleinement à l’ouverture qu’avait apporté la démocratie. Le reste du pays était partagé entre une frange conservatrice et catholique, soutenant les chrétiens démocrates au pouvoir (DC) et le parti communiste italien, de loin le plus grand parti communiste d’Occident. Pendant les années 1960, l’Italie vécut un boom économique et devint un pays « riche » : la consommation et la production de masse s’étendirent considérablement tandis que la circulation d’idées et de produits culturels atteignit une intensité jamais connue auparavant. Le mode de vie à l’italienne, encore largement provincial dans de nombreux endroits fut totalement bouleversé par cette révolution (Ginsborg, 1999).

2 Sur le plan musical, le jazz était revenu dans les programmes radio d’après-guerre, mais la chanson traditionnelle italienne, descendant de la « romanza » était encore hégémonique. Cette hégémonie était appuyée par un concours national de chansons très apprécié, le festival de San Remo. Cela jusqu’à ce qu’en 1958 Domenico Modugno choque le public avec Nel blu dipinto di blu (Volare), une chanson au contenu et à la forme novateurs, qui devint plus tard l’un des tubes italien les plus connus dans le monde. Dans les années 1960, les premiers germes de rock’n’roll s’infiltraient dans la musique populaire italienne par les premiers groupes de beat (que l’on appelait « complessi »), de même que les premiers éléments de contre-culture, dans le sillage de ce qui se passait aux États-Unis et dans d’autres pays européens. Après 1968 - année cruciale dans de nombreux endroits du monde - il y eut un grand saut en avant dans la culture et la musique jeune en Italie : c’est à partir de cette année que les rockstars américaines et britanniques commencèrent à inclure l’Italie dans leurs programmes de tournées et que, de leur côté, les groupes italiens semblèrent trouver une identité mieux définie, le beat déclinant aux dépens du rock progressif. À l’époque, l’Italie était confrontée au développement d’un conflit social impressionnant, qui n’allait atteindre son sommet qu’en 1977 avec le chapitre tragique du terrorisme. C’est dans cette période turbulente qu’une nouvelle culture politique radicale, née en dehors du parti communiste attira les étudiants et les jeunes travailleurs. Les critiques étaient dirigées contre « le système » dans toutes ses articulations : famille, éducation, politique, travail, divertissement. En un mot, ce que Louis Althusser appelait les « appareils idéologiques de l’État » était durement remis en cause (Balestrini et Moroni, 1997).

3 À l’encontre de ce qui était considéré comme le discours officiel de l’establishement (pas seulement la démocratie chrétienne au pouvoir, mais également la culture ouvrière du Parti Communiste Italien), les ingrédients créatifs et visionnaires apparus pendant les années 1960 furent marginalisés au profit d’un genre plus politiquement engagé et c’est de cette manière que le revival folk et la chanson politique s’imposèrent comme des genres populaires. Dans ce nouveau climat politique, la redécouverte de la musique folk

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s’entendait comme le renouvellement d’une culture et d’une musique de classe, tandis que le retour de la chanson politique était vu comme le développement d’une chanson à l’écoute de son temps. Parmi la constellation des idées de cette époque – souvent en conflit les unes avec les autres et parfois mélangées dans des combinaisons originales – beaucoup se considéraient comme des visions totales du monde et aspiraient d’une manière ou d’une autre à être des contre-cultures. La locution « contre-culture » sera utilisée dans un sens large, sans distinguer de manière trop tatillonne les « contre- cultures » des « subcultures » ; les subcultures seront ici considérées comme celles orientées vers une rébellion symbolique par le style (Hebidge, 1979) et les contre- cultures comme plus portées vers une participation active aux mouvements de protestation (Maffi, 2009). En Italie, la première s’est fréquemment fondue dans la seconde, aussi bien dans les années 1970 que dans les années 1990, lorsque les climats politiques tendus entraînaient tout dans un même tourbillon.

4 La musique fut évidemment un véhicule privilégié pour les contre-cultures : en fonctionnant comme un marqueur identitaire, en agissant comme un moyen puissant de réunion tout en bénéficiant d’une technologie en expansion qui permettait une circulation jusque-là inconnue, la musique finit par se trouver dans la position contradictoire d’être à la fois le vecteur attendu d’un changement social réel et un marché vierge potentiellement gigantesque sur lequel les industries culturelles pouvaient s’étendre. Cette contradiction déboucha, plus que partout ailleurs, sur l’idée très répandue que la musique devait être « libre », libérée des griffes de l’industrie et disponible pour tout le monde. Pendant une longue période, les concerts de rock furent le théâtre d’émeutes entre la police et des manifestants protestant contre le prix trop élevé des billets (ou contre le simple fait qu’il y ait un billet). Se battant à l’extérieur et parfois à l’intérieur des salles, les émeutes faisaient bien souvent office de première partie au concert. Les désordres qui commencèrent au début des années 1970 (Led Zeppelin, Milan, 1971 ; Jethro Tull, Bologna, 1973 ; Soft Machine, Naples 1974 ; Lou Reed, Rome, 1975 par exemple) devinrent de plus en plus fréquents, tant et si bien que vers 1977 les musiciens étrangers les plus célèbres rayèrent l’Italie de leurs programmes de tournée. De nombreux musiciens italiens étaient engagés dans le militantisme politique et la contre-culture. On peut les diviser grossièrement en deux catégories : d’un côté les « cantautori » (chanteurs-compositeurs), de l’autre les « gruppi rock » (les groupes de rock). Si les chanteurs-compositeurs existent partout, le cantautore italien se différencie par le rôle social que son public politisé lui attribue : celui d’être une sorte de Saint, à qui l’on demande d’être indifférent au succès, transparent et idéologiquement cohérent, dévoué à son art et à son rôle social. Plus encore, il est censé se prêter à des examens éthiques régulier par son public.

5 Le même public attendait des groupes rock qu’ils soient expérimentaux, non- commerciaux et évidemment politiquement engagés. Les cantautori étaient appréciés pour les paroles de leurs chansons, les groupes rock pour leur musique.

Naples et la Napoletanità

6 Dans ce contexte, Naples occupait une position à part. Dans un pays fait de différences régionales évidentes, l’unification tardive de l’État, la distance économique et géographique entre le nord et le sud - le Nord plus proche de l’Europe, le Sud de l’aire méditerranéenne – ont produit une grande variété de cultures locales. Cependant,

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Naples est sûrement l’unique ville italienne dont les traditions sont pratiquement impossibles à ignorer ou éviter pour l’artiste local. C’était la capitale du règne avant que la nation n’existe, et de riches traditions de musique, de théâtre, d’arts visuels et de littérature y ont été élaborées. Ces traditions allaient devenir avec la perte du rôle officiel de la ville en faveur de Rome, des symboles de la culture italienne tout entière. Plus grande ville du sud de l’Italie lorsque le pays fut unifié, Naples devint la capitale de la zone la plus en crise économiquement. Elle était grande et surpeuplée, et possédait un sous-prolétariat sans emploi fixe, héritage de l’ancien régime et de la monarchie des Bourbons1. Dans les années 1950, Naples était entre les mains d’une classe moyenne de parvenus très conservateurs qui élurent comme Maire l’armateur Achille Lauro, un démagogue qui donna le feu vert à une spéculation urbaine sans limite qui dévasta la ville. Dans les années 1960, Naples tomba sous la coupe de la famille Gava, un groupe de pouvoir Chrétien Démocrate qui poursuivit la politique de Lauro tout en resserrant les liens avec le gouvernement fédéral à Rome.

7 La chanson occupe une place centrale dans la culture napolitaine. Bien que la ville ait été une des capitales de l’Opéra, c’est ici que l’Italie développa son répertoire de chansons modernes le plus fameux, la chanson napolitaine née entre les XIXe et XXe siècles, produit d’une bourgeoisie aux goûts continentaux. La chanson s’intégrait dans un grand projet de modernisation qui impliquait autant la culture que l’urbanisme. Tandis que le second libérait les rues d’une culture folklorique locale pour y installer un véritable environnement capitaliste, la première pourvoyait ce nouveau scénario social d’une forme de divertissement qui lui serait destiné. Ainsi, la chanson napolitaine se développa comme partie intégrante de l’identité d’une classe moyenne locale émergente, mais elle était également sans cesse reprise et revisitée par les classes populaires - comme ces musiciens itinérants appelés « posteggiatori » (Artieri, 1961) qui adaptaient les chansons en style folklorique, permettant ainsi au commun des mortels de les reconnaître immédiatement. Par le charme de la chanson napolitaine, les valeurs conservatrices de la bourgeoisie devinrent hégémoniques localement, et l’on inventa la Napoletanità (une sorte de « vision napolitaine du monde »), une idéologie unificatrice qui permettait de garantir une cohésion interne, empêchait les conflits de classes de voir le jour et générait une fierté citadine transversale. Il est également vrai, comme le remarque l’écrivain Raffaelle La Capria, que c’est la Napoletanità qui a donné aux citoyens de Naples, y compris ceux de basse extraction cet esprit européen, ce sens de l’humour et cette ironie si typiques (La Capria, 1986, 39).

8 La chanson napolitaine, bien que chantée en dialecte napolitain est aujourd’hui considérée comme la chanson italienne « classique », comme l’un des premiers répertoires de musique populaire dans le monde et amplement reconnue comme l’une des composantes les plus pertinentes de la culture italienne. La chanson a toujours été omniprésente dans la ville : sifflée dans chaque rue, mémorisée par des disques entendus à travers la fenêtre (particulièrement dans les quartiers populaires), jouée dans les restaurants, à chaque cérémonie (dans les fêtes privées et plus particulièrement aux mariages) et mentionnée dans les conversations quotidiennes. Mais dans les années 1960, une fois ce cycle créatif terminé, elle fut de plus en plus utilisée comme un outil idéologique par les forces les plus réactionnaires, et, en tant que symbole d’une certaine chanson italienne (mélodique, traditionaliste, sentimentale) qu’ils jugeaient en dehors de la modernité, elle pesait comme un fardeau sur la créativité des musiciens napolitains. Afin de se sentir comme participant de la

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modernité, les musiciens durent se battre contre une telle hégémonie, tout cela dans le but de conquérir leur liberté et se raccrocher à ce qui se passait en Italie et dans le reste du monde. Le développement de la musique napolitaine de ces 50 dernières années est à analyser à la lumière de l’influence que les nouvelles tendances musicales ont eu sur les musiciens napolitains (particulièrement celles considérées comme contre- culturelles) et à l’aune de ses relations avec cet objet (la chanson napolitaine) qu’il fallait d’abord distancer et déconstruire, afin de pouvoir le reprendre de manière critique pour ensuite s’en servir comme modèle de nouvelles compositions. Cependant, au début du procédé, alors que les jeunes musiciens expérimentaient encore, il aura fallu la violenter, la discréditer, la dépouiller de ses conventions afin de la soumettre à des possibilités expressives jusque-là inédites.

Au-delà de la chanson napolitaine

9 Parmi les premiers artistes qui essayèrent différentes voies au-delà de la chanson napolitaine, il y eut les Showmen, un groupe actif pendant une courte période à la fin des années 1960 mais qui laissa une forte empreinte sur la musique napolitaine. Certains de ses membres (James Senese and Elio D’Anna) formèrent plus tard des groupes proéminents de la scène napolitaine comme Napoli Centrale et Osanna. Le jazz et le rythm’ n’ blues étaient les influences principales des Showmen et le fait que le saxophoniste James Senese comme le bassiste Mario Musella soient fils de soldats américains et de mères napolitaines (les deux étaient nés alors que les troupes occupaient Naples en 1945 ; Senese était le fils d’un soldat noir et Musella d’un Amérindien), semblait leur conférer la légitimité de jouer de la musique noire. Bien que les Showmen écrivaient eux-mêmes leurs chansons et chantaient le plus souvent en italien, c’est intentionnellement qu’ils se confrontèrent à la tradition de la chanson napolitaine. Un exemple significatif est la reprise de Catari (marzo), une chanson d’amour classique écrite par Salvatore di Giacomo et Mario Pasquale Costa en 1893. Dans leur version, cette composition mélodique et romantique est étirée et jouée dans un esprit résolument « noir ». Senese devenant un protagoniste central des années suivantes (Mario Musella meurt en 1979), ses origines aidèrent à construire le mythe de la nouvelle musique napolitaine comme celle des « nègres » italiens. Le sentiment d’appartenir à la race méprisée des meridionali , celle des gens du sud discriminés par ceux du nord (Teti, 1993), fit associer chez les musiciens, et parmi le nombre croissant de journalistes se spécialisant dans la musique, marginalisation, subordination culturelle et énergie créatrice. De même que le renouveau de la musique américaine était dû à la musique noire, le renouveau de la musique italienne était pour la presse de l’époque l’oeuvre des « nègres » italiens, des « nègres du Vésuve ». « Pourquoi cela leur a-t-il pris si longtemps d’apparaître ? – se demande le journaliste et producteur de rock Mario Marengo – Parce que tant que l’obscurantisme de la chanson napolitaine franchement pas populaire, pas folk, pas authentique, plutôt comme une gravure pour touriste, donnait une vision décadente, faussée et non-culturelle de la musique napolitaine, personne ne croyait aux Napolitains. Et les jeunes napolitains se sentirent frustrés et ils trouvèrent avec difficulté le courage de sortir du bois » (Marengo, 1974 : traduction de l’auteur).

10 Bien évidemment, la musique noire n’était pas la seule à intéresser les musiciens, puisque c’était également l’époque du rock psychédélique et du rock progressif, qui se

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montrèrent d’une grande influence. Des groupes comme Osanna ou Il Baletto di Bronzo observaient et s’inspiraient de la scène anglaise, les premiers de Genesis et Jethro Tull (les concerts de Osanna étaient très « théâtraux » avec visages peints et light-shows), les seconds avec leur pianiste virtuose Gianni Leone lorgnaient plutôt vers les « keyboard- heroes » comme Keith Emerson et Rick Wakeman. Les deux groupes s’attelèrent à des concept-albums comme L’uomo (1971) ou Palepoli (1973) d’Osanna ou Ys du Balletto di Bronzo (1972). Alan et Jenny Sorrenti (tous deux d’une mère galloise) faisaient également partie des chanteurs les plus singuliers de l’époque. Jenny avait fondé Saint Just en 1973, un groupe combinant les influences folk anglaises avec des sons de musique classique, et devint une des rares « cantautotrici » (féminin de cantautore, chanteur-compositeur) enregistrant des albums de qualité en solo. Selon Lili Greco, l’une des plus célèbres productrices de musique pour la RCA, Jenny est « une chanteuse exceptionnelle (…) bien au dessus de tous ses possibles concurrents » (Becker, 2007, 218 et 226, traduction de l’auteur). Alan enregistra son premier album Aria en 1972, et le second Come un vecchio incensiere all’alba di un villaggio deserto en 1973. Les deux, de même que les albums de Saint Just, parurent chez Harvest, label anglais crée par EMI pour promouvoir le rock progressif. Sa musique était hautement expérimentale, éthérée et minimaliste, faite de longues compositions psychédéliques accompagnées de paroles cryptiques. Cependant, en 1974, Alan enregistra Dicitencello vuje, une chanson napolitaine des années 1930. Sa version chantée, principalement en style falsetto (défiant ainsi les puristes établis) était à la fois surprenante et originale ; elle montrait comment les jeunes interprètes pouvaient percevoir et travailler avec ces chansons classiques. Deux ans plus tard, il écrivit Sienteme une chanson très axée sur le travail vocal que l’on pourrait interpréter comme une tentative de composer une chanson napolitaine passionnée « moderne ». Sorrenti est également l’homme qui dans sa chanson Vorrei Incontrarti écrivit un couplet qui en peu de mots réussissait à communiquer l’esprit du temps : « Vorrei incontrarti fuori i cancelli di una fabbrica/ vorrei incontrarti lungo le strade che portano in India… » (je voudrais te rencontrer hors des murs de l’usine/je voudrais te rencontrer le long des routes qui mènent en Inde...). L’usine et l’Inde étaient deux véritables symboles de la contre-culture italienne : l’usine (l’usine fordiste, dotée d’une chaîne de montage qui s’était développé à vitesse grand V en Italie) était au centre de spéculations théoriques marxistes de la gauche radicale, née hors du giron du Parti Communiste. Dans l’esprit du groupe radical le plus influent de l’époque, les « operaisti » [la gauche « ouvrièriste »] (Wright 2002 ; Tronti, 2009) la jeune main d’œuvre sous-qualifiée réagissait aux pressions de l’usine par une nouvelle forme de subjectivité et un mode de vie en communautés autonomes ; celle-ci finirait par refuser le travail et pratiquer des actions illégales de masse pour obtenir des biens qu’il lui était impossible d’acheter avec des salaires ordinaires. De l’autre côté, l’Inde représentait le mythe d’une civilisation alternative, tributaire d’une sagesse ancestrale désormais perdue dans le monde industrialisé. De nombreux hippies italiens, à l’instar des Beatles, voyagèrent en Inde, à la recherche de gourous.

11 Il est intéressant d’observer les différents niveaux auxquels sont connectés la scène napolitaine et le monde anglo-saxon : un niveau mythique (Senese et sa prédisposition « génétique » au Jazz), un niveau matériel (Jenny et Alan Sorrenti ont enregistré pour Harvest) et un niveau quotidien concrétisé par la présence de deux musiciens américains : Shawn Phillips et Patrizia Lopez. Phillips était un chanteur américain aux cheveux longs qui avait travaillé avec Donovan et les Beatles (il s’était même produit au

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festival de l’île de Wight). En 1967, il s’était installé à Positano, sur la côte de Sorrente, non-loin de Naples. Il semblait être l’incarnation même de l’esprit des contre-cultures américaines. Patricia (devenue plus tard Patrizia) Lopez était une chanteuse- compositrice née à Los Angeles qui s’était également installée à Naples, amenant avec elle les chansons du Jefferson Airplane et du Grateful Dead, de Joni Mitchell et de David Crosby qu’elle mélangeait avec les chansons de Rafaelle Viviani et les « Villanelle » napolitaines2. De fait, les connexions établies entre Naples et la culture anglo-saxonne ne signifiaient pas uniquement un accès plus rapide des musiciens napolitains aux tendances en vogue dans la musique rock mais également une grande proximité à ce qui pouvait se construire de contre-culturel dans le monde anglo-saxon. La manière que Bob Dylan avait de tout absorber pour ensuite le restituer dans ses chansons a énormément inspiré Edoardo Bennato, un des « cantautori » des années 1970 les plus couronné de succès. Frisé, portant de petite lunettes, détenteur d’un diplôme d’architecture, Bennato avait commencé par se produire comme one-man-band, jouant d’une guitare douze cordes, d’un harmonica et d’un kazoo, tout en s’accompagnant rythmiquement au tambourin en utilisant un dispositif qu’il déclenchait du pied droit. Chantant d’une voix nasillarde, il apparaissait comme au croisement entre Dylan et « Pulcinella » un masque folklorique typique de la région de Naples qui, à la façon de tous les masques, tournait en dérision le pouvoir tout en incarnant la voix de l’homme du commun. Et de fait, Bennato se moquait très ouvertement du pouvoir et des valeurs officielles de l’État Italien. Les politiciens corrompus, le parti communiste, le président de la République ou même le Pape ; aucun n’échappait aux ravages de sa critique assassine aux accents anarchistes. Si Bennato chercha très tôt à s’adresser à un public national plus nombreux, et ne s’exprimait qu’occasionnellement en dialecte napolitain, il resta très attaché à sa ville de Naples (la pochette de son album Io che non sono l’imperatore [ndt : moi qui ne suis pas l’empereur] en 1975 donnait à voir son projet de métropolitain pour la ville qu’il opposait par provocation au projet officiel). Bennato atteint le faîte de sa gloire après avoir produit trois albums (Burratino senza fili en 1977, Uffà Uffà et Sono solo canzonette tous les deux sortis en 1980). Il fut le premier « cantautore » italien à récolter un tel succès tant et si bien qu’afin de répondre aux demandes d’un public toujours plus nombreux, il fut nécessaire de programmer les concerts dans des stades. Sa chanson Cantautore, restée culte depuis, souligne intelligemment et d’une manière ironique les attentes excessives du public concernant les chanteurs-compositeurs en Italie et le rôle barbare que ces derniers sont contraints d’adopter.

Le revival de la musique traditionnelle

12 Eugenio Bennato, le frère d’Antonio était de son côté l’un des membres fondateurs de la Nuova Compania di Canto Popolare (NCCP), un groupe de revival de musique traditionnelle à qui l’on doit la redécouverte d’un corpus de chansons populaires devenu plus tard la base du mouvement de retour vers la musique folklorique napolitaine. Ce revival des musiques traditionnelles figurait en bonne place dans la culture de la gauche italienne. Dans un premier temps écartés par les migrants [ndt : intra-italiens] parce qu’elles leur rappelaient la misère de leurs origines, les chansons traditionnelles furent réévaluées par le fait qu’elles appartenaient à un répertoire libre de droit, à l’abri du mercantilisme, qui pouvait être un partie prenante d’une culture progressiste. Le folklore lui-même (originellement analysé par Antonio Gramsci et

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l’ethnologue Ernesto de Martino) avec ses festivals ruraux, ses rituels, sa médecine traditionnelle était vu comme le socle possible de valeurs anticapitalistes (et en tant que tel, comme une contre-culture à part entière). La musique traditionnelle, en tant que seule musique authentiquement italienne, était aussi vue comme la seule dont l’Italie disposait qui soit capable de rivaliser avec le rock et la fascination qu’il engendrait. Cette attitude était d’ailleurs commune aux différents revival de l’époque. Dans l’esprit du NNCP la chanson napolitaine de carte postale était responsable de la disparition de la musique traditionnelle de la conscience des gens – et avec elle, des conditions de vie des classes les plus basses de la société qui l’utilisaient comme moyen d’expression, en l’occurrence les paysans au nord de Naples. C’était dans l’idée de montrer une direction possible pour la musique napolitaine que NCCP reprit le morceau Tammurriata nera - une chanson classique écrite en 1944 – en l’arrangeant de manière traditionnelle. En 1977, Eugenio Bennato franchît une étape supplémentaire et quitta NCCP pour fonder le groupe de musique traditionnelle Musicanova, qui composait de nouvelles chansons se basant sur des modes traditionnels dont les paroles se montraient critiques de l’histoire officielle de l’unification du pays. Les recherches de Bennato sur le brigandage dans le sud de l’Italie3 se pensaient comme la redécouverte d’une culture alternative : celle des bandits et des villages les soutenant dans leur opposition au mode de vie moderne qu’amenaient avec eux les nouveaux occupants. S’opposant à NCCP, un groupe de travailleurs d’Alfa Sud, une usine de voiture située à Pomigliano d’Arco dans le hinterland napolitain, donnèrent naissance au Gruppo Operaio di Pomigliano D’Arco ‘E Zezi (Groupe Ouvrier de Pomigliano d’Arco « E Zezi »). Ceux-ci adoptèrent des paroles engagées et, de manière polémique, refusèrent les « recherches philologiques3 » de NCCP.

13 Dans les années 1970, Naples continua à produire des musiciens de jazz-rock et des artistes inspirés par les musiques « noires ». James Senese forma Napoli Centrale, un groupe plus adulte. Napoli Centrale s’inspirait de groupes comme Weather Report et de la période « rock » de Miles Davis. Ils enregistrèrent 4 albums entre 1975 et 1977. En 1976, le groupe recruta un jeune bassiste qui, bien que l’essentiel de sa carrière n’ait duré qu’une dizaine d’année, fut probablement le musicien napolitain le plus novateur de ces 50 dernières années : il s’agit de Pino Daniele. Issu d’une famille pauvre du centre-ville, ce guitariste-chanteur-compositeur est une figure clé de la musique napolitaine. Dans son travail poétique, ses paroles mélangeaient le dialecte local et l’anglo-américain, aussi bien pour effectuer des peintures délicates dans la tradition de la chanson classique napolitaine que pour décrire la vie chaotique de la Naples contemporaine. Dans son travail musical, il réussissait à marier les influences musicales de l’étranger (rock, jazz, blues, funk) avec les caractéristiques mélodiques et les structures harmoniques de la chanson napolitaine. Le chanteur chantait d’une voix nasale et expressive pleine d’inflexions blues ; le guitariste passait de la guitare acoustique à la guitare électrique avec la même efficacité. Pour finir, il incarnait symboliquement la maturité de la musique napolitaine, réunissant traditions et nouvelles tendances, attachement à la ville et projection vers un public national, tout cela sans même nécessairement chanter en italien. Daniele semblait véritablement à l’époque représenter la conscience critique d’une nouvelle génération ayant complètement assimilé la modernité et voulant sauver Naples, et le Sud dans son ensemble, de sa vieille aliénation. Par rapport à Edoardo Bennato, restant vague et général dans ses critiques, les premières chansons de Daniele semblaient refléter plus fidèlement les grands changements subis par la ville et sa jeunesse depuis 1968. Comme

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lorsqu’au milieu des années 1970, quand les Disoccupati Organizzati (« les chômeurs organisés ») – un mouvement de travailleurs précaires – avait rompu le pacte qui contraignait auparavant le sous-prolétariat napolitain à l’inféodation aux partis politiques. Ce thème se retrouve dans sa chanson ‘O mare. Son premier album, Terra mia fut enregistré en 1977, une année cruciale pour la société italienne contemporaine5, tandis que son premier « tube » Je so’ pazzo sortit l’année suivante. Daniele avait clairement saisi l’esprit du temps de 1977 et exprima sa préoccupation, répandue à l’époque, concernant la pollution, qu’il évoqua dans de nombreuses chansons. Branchée sur son époque, son œuvre semblait néanmoins s’enraciner dans la culture traditionnelle et dans l’art de jouer des posteggiatori. Grâce à Pino Daniele, la chanson napolitaine cessa d’être un problème pour les musiciens napolitains. Le fossé était enfin comblé et personne ne se sentirait plus jamais mal à l’aise avec ce répertoire.

« Gli anni di riflusso »

14 Les années 1980 italiennes furent l’exact opposé des années 1970 : dans le sillage du déferlement conservateur inauguré par Ronald Reagan aux États-Unis et Margaret Thatcher au Royaume-Uni, l’Italie traversa une longue période de « restauration ». La défaite de la classe ouvrière à l’usine automobile Fiat de Turin, après un mois de lutte contre un plan de licenciement de près de 15 000 employés, était le symbole d’une situation politique en implosion. Le défilé d’un nombre largement surestimé de « cols blancs » (l’auto-proclamée « Marche des 40 000 ») en faveur de la réouverture de l’usine faisait montre d’une mutation dans les relations entre les syndicats et les industriels. De fait, les choses avaient d’abord évolué à l’intérieur de l’usine, avant de se répercuter à l’extérieur : l’automation avait réduit le besoin en termes de main-d’œuvre. La chaîne de montage était progressivement remplacée par un nouveau processus de production, dans laquelle les voitures sont produites sur demande et non plus à grande échelle étant donné la saturation croissante du marché. Au même moment, en dehors de l’usine, la société était traversée par une nouvelle donne idéologique, celle du désengagement. Les « années de plomb » (les années 1970, les puissants conflits de classe puissants et le terrorisme) étaient remplacées par les « années du reflux » (« anni di riflusso », années de l’individualisme que l’on désigne d’une métaphore qui laisse entendre en creux que le reflux de cette vague ne laisse que des vestiges éparpillés sur le rivage). Cette période-là par le développement d’une télévision commerciale à grande échelle, le démantèlement de l’État-providence et le culte du succès individuel, préparait le terrain pour l’Italie contemporaine caractérisée par l’hégémonie culturelle d’une droite agressive qui a trouvé son champion en la personne de l’homme d’affaires et politicien Sivio Berlusconi. Dans ce contexte neuf, les contre-cultures devinrent beaucoup moins séduisantes, et l’idée même de contre-culture fut renvoyée dans les espaces restants de la société (dans la musique, principalement les circuits hardcore et post-punk). Dans les années 1980, Naples assista également à l’explosion de la « Camorra », la mafia napolitaine qui, d’une vieille association illégale associée à la contrebande de cigarettes acheva sa mutation en une entreprise criminelle moderne et parfaitement organisée, prenant part aussi bien au trafic de drogue qu’aux travaux publics grâce à la collusion du pouvoir politique (Marrazzo, 1984). Le climat était redevenu très conservateur, les politiciens locaux soutenaient le pouvoir central et la ville étant forcée à la désertification sociale. La musique reflétait la situation et pendant que l’Italie entière avait adopté la musique disco – laissant par la même occasion le

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revival traditionnel s’éteindre et les chansons engagées se démoder – peu de choses remarquables furent produites à Naples en ces années. Bennato abandonna son folk- rock acoustique et satirique pour se lancer dans un rock n’ roll banal aux paroles insipides (comme par exemple Viva La Mamma, en 1989) – excepté lorsqu’il enregistra en 1992 avec le groupe de blues Blue Stuff, un album brillant et original sous le pseudonyme d’un bluesman appelé Joe Sartanaro – NCCP se consacra à une forme simplifiée de world music, Teresa de Sio (l’ex-chanteuse de Musicanova) atteint le succès avec de « bien jolies » chansons pop et Daniele paracheva ses années bénies pour commencer à devenir ce qu’il est aujourd’hui : un chanteur pop « œcuménique » pour les familles et la télévision. Le suicide en 1983 du compositeur napolitain d’avant-garde Luciano Cilio semblait résumer cette décennie. Bien que quelques artistes aient émergé à l’époque (Enzo Gragnaniello, Enzo Avitabile, Avion Travel) seul Bisca – un groupe rythm’ n’ blues underground qui a commencé dans les années 1980 et jouera un rôle notable dans les années 1990 – peut être vu comme ayant fait partie de la scène underground. De fait, le scénario redevint inspirant et inspiré dans les années 1990, non-seulement pour Naples, mais pour toutes les musiques populaires alternatives en Italie.

Le revival de la chanson dans les années 1990

15 Le début de la mondialisation est généralement situé entre la chute du mur de Berlin (1989) et la première guerre du Golfe (1991). Ces deux événements ont inauguré une époque dans laquelle la vieille division entre Est et Ouest n’avait plus lieu d’être, et pendant laquelle la planète fut unifiée selon les ordres du Fond Monétaire International et de la Banque Mondiale, deux institutions chargées d’étendre les lois du capitalisme au monde entier. En Italie, l’écroulement de l’Union Soviétique causa également la dissolution du PCI et sa mutation en PDS (parti de la gauche) puis en DS (démocrates socialistes). Les vieux politiciens de la démocratie chrétienne ainsi que leurs alliés socialistes furent tous deux terrassés par les enquêtes sur la corruption du monde politique italien que menaient un pool de juges à Milan. Craignant une possible victoire du PDS, Berlusconi entra dans l’arène politique, rassembla son parti (Forza Italia) et, avantagé par les médias qu’il possédait ainsi que par sa fortune personnelle, il remporta l’élection de 1994 (Ginsborg, 2003). Pendant ce temps, la fragmentation des grandes usines et la re-localisation de la production dans des pays à main-d’œuvre moins coûteuse entraînait une montée du chômage et causait la transformation en terrains vagues de ce qui avait jadis été des quartiers populaires. Écoles abandonnées, cinémas désaffectés, immeubles vides, abattoirs délaissés et autres espaces de même nature furent occupés par des exclus de la force de production, des immigrés et des étudiants hors les murs pour devenir les Centres Sociaux Occupés et Autogérés (CSOA). Les activistes des CSOA comprirent rapidement les dangers du virage à droite que représentait la présence de Berlusconi au pouvoir et utilisèrent les espaces occupés comme des lieux d’activités culturelles alternatives et des laboratoires d’opposition politique. Ainsi, les occupants des CSOA n’étaient pas de simples squatters, et c’est dans ces lieux que des aspects du radicalisme politique des années 1970, invisibles à la surface de la société ont réussi à survivre et que les subcultures et les contre-cultures ont pu se développer sur de nouvelles bases. Dans les CSOA, les gens pouvaient boire une bière à un prix modique, obtenir une assistance légale gratuite de militants juristes, socialiser et découvrir la technologie numérique, suivre des concerts à des prix

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très réduits (le prix moyen à l’époque était de 5 000 lires, soit l’équivalent actuel de cinq euros, alors qu’à l’époque les concerts ordinaires coûtaient au minimum cinq fois plus). Les CSOA étaient également opposés à la propriété artistique et refusaient de payer la Performing Right Society pour la musique jouée entre leurs murs (en sus, il était fréquent que les musiciens les autorisassent à enregistrer le concert pour en faire des disques ou des cassettes à vendre pour soutenir le lieu). Les CSOA revendiquaient le boycott des multinationales et la lutte contre les drogues dures, que la gauche radicale italienne désignait depuis longtemps comme un instrument de l’establishment visant à étouffer dans l’œuf toute tentative de révolte. Initialement combattus par les autorités, certains CSOA parvinrent avec le temps à être reconnus et aidés par les municipalités. Cependant ces endroits n’étaient pas exempts de contradictions : si une fois pour toutes le Coca-Cola avait été banni, les cigarettes produites par des multinationales et le tabagisme passif qui en résultait, en était une valeur sûre (et l’est encore) dans des endroits généralement pleins à craquer. Si l’on peut considérer que le Leoncavallo à Milan datant des années 1970 est le plus ancien, ces établissements se répandirent comme une traînée de poudre dans beaucoup de grandes et de moyennes villes. C’est dans de tels endroits que naquit la nouvelle musique italienne des années 1990 et Naples se trouva bientôt être l’une des villes les plus importantes du mouvement. Rejetant la figure solitaire du cantautore, des jeunes artistes présents sur la scène des CSOA commencèrent à former des groupes souvent appelés « posse », d’après le nom utilisé par les rappeurs noirs-américains. Le rap, le reggae et le raggamuffin étaient des modèles pour ces jeunes musiciens des CSOA – pour lesquels le terme musicien peut s’avérer réducteur ou inadéquat (selon le point de vue), étant donné que nombre d’entre eux ne savaient pas jouer d’un instrument mais travaillaient plutôt avec le sampling et le montage.

16 La mondialisation était aussi certainement le résultat de la révolution numérique et parmi ses nombreuses conséquences prenait bonne part une croissance indéniable de la circulation de son, et par la même occasion l’arrivée de la world music. Bien que sa définition comme genre de musique puisse être problématique, la world music signifiait l’expansion dans le monde occidental de musiques précédemment inconnues (plus particulièrement la musique des Pays de l’Est) qu’il était désormais plus simple de connaître et qui ont attiré à nouveau l’attention sur les idiomes traditionnels. On doit probablement à cet effet collatéral de la mondialisation la redécouverte par les musiciens italiens de dialectes et de musiques traditionnelles locales. Tout à coup, du nord au sud, plusieurs groupes – y compris ceux inspirés par les posses de noirs- américains – commencèrent à conjuguer le reggae et le raggamuffin chantés en dialectes locaux avec des formes de musique traditionnelles. C’était là un nouveau revival des musiques traditionnelles, mais très différent des précédents en ce que la musique traditionnelle n’était pas ici l’objet de recherches philologiques ou critiques mais se trouvait incorporée dans de nouveaux morceaux par une forme de « bricolage » : par le sample, par le traitement électronique ou simplement par la collaboration avec des musiciens traditionnels. Et c’est de cette façon que de vieux musiciens traditionnels tombés dans l’oubli depuis longtemps – comme l’octogénaire Antonio Sacco ou le septuagénaire Uccio Aloisi, tous les deux des Pouilles – devinrent les idoles d’une nouvelle génération d’adolescents (avec Aloisi jouant dans les CSOA). En somme, ils devinrent des vedettes comme cela était arrivé aux États-Unis à de vieux bluesmen comme Mississippi John Hurt ou Son House. À Naples, où dans les années 1990 une nouvelle administration de gauche était arrivée au pouvoir par

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surprise et semblait se débarrasser des vieilles façons de faire de la politique pour essayer quelque chose de neuf (ce que l’on appelait à l’époque « la renaissance napolitaine »), deux groupes étaient destinés à devenir très célèbres : 99 Posse et Almamegretta. Les deux firent leurs premières scènes à Officina 99, un ancien atelier déserté de la périphérie de Naples transformé en CSOA. Officina 99 avait simplement emprunté son nom au numéro de la rue, 99 Posse était en quelque sorte leur groupe « officiel ». Les 99 Posse étaient activement engagés en politique mais leur accoutrement empruntait beaucoup d’éléments fortement symboliques aux styles sub- culturels (Mohawk, bottes « rangers », chaînes, anneau nasal) tandis que Raiz, le chanteur d’Almamegretta semblait s’identifier pleinement à la culture afro-américaine, citant Malcom X et adoptant parfois l’accoutrement gangsta6. À Naples, il n’y eut pas de redécouverte à proprement parler du dialecte napolitain. Il semblait naturel aux artistes de s’exprimer en napolitain et c’est au contraire chanter en italien qui était assez exceptionnel, risqué ou novateur. Il était donc évident pour Almamegretta comme pour 99 Posse de chanter en italien. Les 99 Posse appartenaient à la frange ouvriériste de la gauche radicale. Leur tube « historique » Curre curre guagliò (1993) parlait de l’amour pour les CSOA et des batailles qu’il fallait livrer pour les défendre tandis que leur chanson Rigurgito antifascista, sur le même album, était un réquisitoire violent contre le fascisme résurgent7. 99 Posse était essentiellement un groupe de rap/ raggamuffin, sauf lorsqu’il étaient secondé du groupe Bisca, qui injecta son rythm’ n’ blues puissant dans l’album couronné de succès Incredibile Opposizione Tour, né après une longue tournée des CSOA italiens. Bien que le double album ne rende pas exactement compte de l’atmosphère électrique de leurs concerts, la collaboration entre Bisca et le 99 Posse a sûrement été l’un des moments les plus importants de la musique italienne des années 1990. Les recherches musicales d’Almamegretta étaient plus poussées, s’intéressant aux recherches du trip-hop et de la scène dub britannique (Massive Attack, Asian Dub Foundation, Adrian Sherwood). Leur chanson antiraciste Figli di Annibale (1992) peignait Hannibal en général noir venu d’Afrique soumettant avec son armée le peuple italien pendant vingt ans et générant ainsi la race « bâtarde » des Italiens. La chanson – un fantasme humoristique, évidemment – était pleine de force, appuyée par une ligne de basse qui évoquait les pas d’un éléphant. Lorsqu’Almamegretta et le 99 Posse commencèrent leur carrière, la question des relations controversées des musiciens napolitains à la chanson classique avait, comme nous l’avons vu, déjà été réglée8. Cependant, on trouve chez les deux groupes la nécessité de l’affronter, de s’y mesurer. Almamegretta a écrit quelques nouvelles chansons dans la lignée des chanson classiques (Nun te scordà chanté avec Giulietta Sacco une célèbre chanteuse de chansons napolitaines, Pe’ dint’ ‘e viche addò nun trase ‘o mare, du même album, dont les paroles ont été écrites par Salvatore Palomba, poète connu pour avoir écrit des chansons pour Sergio Bruni, l’un des interprètes les plus célèbres de chansons napolitaines). De son côté, furieusement antiaméricain, le 99 Posse reprit Tu vuo’ fa’ l’americano, une chanson écrite dans les années 1950 pour se moquer des adolescents napolitains qui suivaient à tout prix la mode venue des États- Unis. Almamegretta et le 99 Posse, après une période initiale d’enregistrement pour des petits labels indépendants, signèrent tous deux avec des majors, et collaborèrent avec Pino Daniele et, ce qui leur obtint une énorme notoriété.

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Conclusion

17 « Where have all the flowers gone ? » Où sont passées presque trois générations de musiciens napolitains ? La plupart sont encore là, souvent transfigurés à la mesure du succès qu’ils ont rencontré. Pino Daniele est toujours la plus grande des vedettes, remplissant les salles de concerts partout où qu’il se déplace, mais sans que subsiste ce qui faisait sa puissance contre-culturelle. Depuis vingt ans, ses chansons sont banales au possible. La dernière fois que je l’ai vu, en 2007, lors d’un concert sur une plage près de Rome, le public était dans sa majeure partie composé de familles avec poussettes et enfants. Le répertoire contenait presque entièrement des nouvelles chansons, et les trois chansons qu’il joua de son ancien répertoire firent l’effet de vaisseaux spatiaux venus d’ailleurs.

18 Edoardo Bennato n’est plus une rockstar : toujours en activité, il ne parvient pas à retrouver cette inspiration qui l’a rendu si précieux dans les années 1970. Quant à Alan Sorrenti, après un détour par la musique disco qui l’a amené au sommet des ventes de 1977 avec Figli delle stelle et de 1979 avec Tu sei l’unica donna per me, il disparut bientôt non sans quelques tumultueux problèmes personnels9, pour réapparaître de temps en temps, sans rencontrer de succès majeur. À l’inverse, sa sœur Jenny s’attelle toujours à ses projets qui tentent de mêler ses deux « racines », le folk anglais et la tradition méditerranéenne. De son côté, Osanna s’est reformé avec un nouveau line-up autour du chanteur-guitariste Lino Vairetti et avec l’aide de David Cross (ex ). James Senese joue encore son jazz-rock endiablé mais sa musique n’est plus aussi surprenante qu’autrefois. Eugenio Bennato surfe sur la dernière vague du revival des musiques traditionnelles, jouant une musique traditionnelle sans grande saveur composée par ses soins. Raiz s’est séparé d’Almamegretta mais n’a pas véritablement réussi à se lancer dans une véritable carrière solo. 99 Posse s’est séparé en 2005 et reformé en 2011 après la cure de désintoxication de leur chanteur, mais ils ne font plus les gros titres des journaux. Les Bisca sont toujours vivants, explorant leur rythm’ n’ blues et jouant toujours dans des CSOA mais ils ne réussirent jamais à réunir le public nombreux devant lequel ils jouaient avec le 99 Posse.

19 Les contre-cultures et les subcultures sont dynamiques : elles aident les choses figées à se mouvoir enfin, bien qu’elles aient également souvent été le terrain sur lequel le marché a pu expérimenter de nouvelles tendances et ainsi obtenir de nouvelles possibilités d’expansion (Buxton, 197510). À Naples, elles eurent un effet libérateur. Cela prit trois décennies aux musiciens de découvrir leur propre voie au sein de la chanson et de la musique populaire moderne et, par la même occasion, de faire leur une tradition glorieuse. Les contre-cultures furent d’une aide estimable dans cette tâche, agissant comme autant moyens d’émancipation d’un répertoire fossilisé, qui colportait une vision du monde risquant de couper la ville de ce qui se passait en Italie et dans le reste du monde. En tant que telle, la musique napolitaine des quarante dernières années évoque l’enfant qui grandit. Elle a dû se détacher de ses parents et apprendre à marcher seule. Aujourd’hui l’héritage de la chanson classique napolitaine n’est plus un fardeau et toute une nouvelle génération d’artistes en ont fait son genre préféré et ont étendu leur curiosité jusqu’au répertoire antérieur à la période classique (1880-1945) – c’est le cas de Brunella Selo ou de Giovanni La Magna, un artiste issu de la musique traditionnelle. La Magna a enregistré un album (I Cottrau a Napoli, 2005) dans lequel il chante les vieilles chansons contenues dans I passatempi musicali, une collection de

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partitions de vieilles chanson recueillies entre 1824 et 1845 par Guillaume Cottrau, un musicien d’origine française qui travailla à Naples et collecta, retravailla et composa des chansons destinées en majorité à un marché de visiteurs et d’aristocrates étrangers voulant ramener avec eux des souvenirs de la ville11.

BIBLIOGRAPHIE

Pendant que les musiciens redécouvrent les chansons classiques, le nombre de chercheurs attiré par la chanson napolitaine montre que l’attitude envers celle-ci a définitivement changé. Cela est très certainement positif car ce n’est qu’en regardant son histoire que Naples peut mieux comprendre son héritage afin d’intégrer avec le plus de justesse possible la chanson napolitaine dans les sons de la musique globale.

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NOTES

1. Le philosophe Antonio Gramsci observa dans ses carnets de prison la particularité de Naples, qui semblait réfractaire à toute forme d’organisation rationnelle du travail (Gramsci, III, 2007, p. 2142). 2. Raffaelle Viviani est l’un des dramaturges les plus célèbres de Naples, auteur des nombreuses chansons de ses pièces. La Villanella est un genre de composition polyphonique du XVIe Siècle. Patrizia Lopez enregistra son premier album en 1976. 3. Mon livre Il vesuvio nel motore (voir la bibliographie), retrace l’histoire du groupe « E Zezi » dans le contexte de la mutation industrielle du hinterland napolitain comme dans celui du mouvement de revival folklorique. 4. Résistance paysanne à la conquête du sud par les Piémontais pour l’unification du pays en 1860 5. En 1977, en même temps que le radicalisme politique, les revendications d’ordre privé émergèrent d’une nouvelle génération qui refusait le distinguo entre vie privée et vie publique. C’était une explosion d’idées et de pratiques par lesquelles au travers des contre-cultures, les idées des avant-gardes visuelles du début XXe siècle pénétrèrent définitivement les arts populaires : originellement utilisés dans le cadre d’une communication politique alternative, les bandes dessinées, les magazines, le cinéma et le théâtre étaient désormais devenues le langage ordinaire du divertissement et de la culture de masse 6. Raiz semblait vraiment rassembler tout un héritage d’admiration des musiciens napolitains à l’égard de la culture et de la musique noire. 7. Beaucoup de chansons du 99 Posse était extrêmement agressives et causèrent de nombreuses réactions indignées (y compris une question parlementaire). Le mouvement des CSOA a en général été beaucoup accusé de ne pas se désolidariser de la violence politique. 8. Au début des années 1990, Roberto Murolo, un chanteur-guitariste de chanson napolitaine classique fut redécouvert et célébré 9. En 1983, Alan Sorrenti est arrêté pour détention et trafic de stupéfiants, il effectue quelques mois de détention [ndt].

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10. La plupart d’entre elles (hippy, grunge, punk) furent en effet assez vite assimilées à la mode 11. Le travail de Guillaume Cottrau fut poursuivi à sa mort par son fils Teodoro (1827-1879). Beaucoup de chansons des Passatempi dérivaient de chansons traditionnelles ou de chansons écrites par les artisans de la vieille-ville, un répertoire qui circulait et qui est maintenant largement oublié, du fait du succès de la chanson classique.

RÉSUMÉS

La chanson napolitaine est reconnue comme l'un des plus importants répertoires de chansons dans le monde ainsi que comme l'un des tous premiers exemples de musique populaire. Cependant, dans les années 1960 alors que les jeunes musiciens napolitains essayaient d'absorber et de développer les tendances contre-culturelles se développant sur l'ensemble du territoire italien à l'époque, un tel répertoire semblait se dresser en ennemi sur leur chemin. Cet article montre comment la musique napolitaine des cinquante dernières années a du s'écarter ou remodeler la chanson napolitaine classique afin de combattre son hégémonie et trouver son propre chemin, dans un pays changeant à vitesse grand V. Ce n'est qu'après un travail de « déconstruction » que la chanson napolitaine fut reprise et acceptée, enorgueillissant une nouvelle génération de chercheurs et de musiciens enthousiastes.

Neapolitan Song is recognized as one of the most important repertoires of songs in the world and one of the first examples of popular music. Yet, in the 1960s, when the young Neapolitan musicians tried to absorb and develop the countercultural trends of the time which were spreading in Italy, such a repertoire seemed like an enemy on their way. This essay tells how the Neapolitan music of the last fifty years had to discard or reshape the classic Neapolitan Song in order to fight its hegemony and find its way to modernity in a country that was changing at fast speed. It is only after this work of ‘deconstruction’ that Neapolitan Song was recovered and re- accepted, boasting now a new generation of enthusiastic scholars and performers.

INDEX

Keywords : counterculture / resistance, politics / militancy, archives / reissues / revival, tradition / lore, singing, left / far left nomsmotscles Murolo (Roberto), Showmen (the), Bennato (Edoardo), Nuova Compagnia di Canto Popolare, Daniele (Pino), Almamegretta Index chronologique : 1960-1969, 1970-1979, 1980-1989, 1990-1999 Index géographique : Italie, Naples Thèmes : chanson / song, chanson traditionnelle / folk song, chants de lutte / protest songs, fusion / crossover Mots-clés : politique / militantisme, archives / rééditions / revival, tradition / lore, chant, fusion / crossover, gauche (extrême-)

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AUTEURS

GIOVANNI VACCA

Giovanni VACCA (Naples, 1963) est diplômé de langues étrangères et de littérature de l'Université de Salerne. Il est docteur en musicologie de l'université de la Sapienza de Rome. Il travaille principalement sur les textes de chansons italiennes, anglaises et françaises et s'est intéressé plus particulièrement au rapport à la modernité des musiques et des cultures traditionnelles du Sud de l'Italie et particulièrement de Naples et sa région, la Campanie. Il est l'auteur de deux livres à ce sujet (Il Vesuvio nel motore, Roma, Manifestolibri, 1999 et Nel corpo della tradizione, Roma, Squilibri, 2004). Il a tenu des cours et des séminaires dans plusieurs universités (Naples, Rome, Paris la Sorbonne, Turin, Palerme et Liverpool), dans différentes écoles de musique et de théâtre, ou encore à l'occasion de divers festivals. Il a également écrit des chansons pour des groupes napolitains comme Spaccanapoli (qui a enregistré en 2000 pour le label britannique Real World) et Pietrarsa. Depuis 1992, il est journaliste en free-lance et a travaillé pour différents journaux et magazine italiens. Il travaille actuellement pour le quotidien Il Manifesto ainsi que pour le magazine Blow Up. Il prépare en ce moment un livre sur la chanson napolitaine ainsi qu'un autre sur le chanteur de folk Ewan MacColl (avec Alan F. Moore) à partir de la transcription de longs entretiens enregistrés en 1987 et 1988. Ce livre sera publié par Ashgate en 2012/2013.

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Music and Countercultures in Italy: the Neapolitan Scene Musique et contre-cultures en Italie : la scène napolitaine

Giovanni Vacca

NOTE DE L’ÉDITEUR

This text was published in Countercultures & Popular Music (Farnham, Ashgate, 2014), while its French translation appeared in this issue of Volume! in 2012.

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1 FOLLOWING THE SECOND WORLD WAR Italy slowly recovered democratic life after 20 years of fascism. Despite this, in cultural terms, only the elites who lived in big cities like Rome, Turin and Milan could fully taste the openness brought about by democracy: the rest of the country was split between a Catholic conservative stance, with the Christian Democrats (DC) in power, and the strong influence of the Italian Communist Party (PCI), notably the biggest communist party in the Western world. During the 1960s Italy lived the so- called “economic boom” and became an affluent society: mass production and mass consumerism expanded enormously, the circulation of ideas and cultural products reached an intensity never experienced before and the Italian way of life, still largely provincial in many areas, was totally upset by this revolution (Ginsborg 1990).

2 In music, after the war, jazz had returned to radio programmes but the Italian traditional song descending from the “romanza” was still at the forefront, receiving the seal of approval of a popular national song contest, the “Festival di Sanremo”. Then in 1958 Domenico Modugno shocked the audience with “Nel blu dipinto di blu’ (“Volare”), a song new in form and content, which was destined to become one of the most famous Italian hits in the world. At the beginning of the 1960s the first seeds of rock and roll began to take root in Italian popular music with the first beat groups (“complessi”, as they were called). Moreover, in the wake of what was happening in the United States and in other European countries, the counterculture was also beginning to make a mark. After 1968, a crucial year in many places, youth culture and music in Italy took a giant leap: from that year onwards, British and American rock stars started to include the country in their tours and Italian rock bands found a more well-defined identity as beat declined in favour of progressive rock. At the time, though, Italy experienced the development of a grave social conflict that would reach its height in 1977 with the tragic outbreak of terrorism. During this turbulent period, a new radical political culture emerged outside the Communist Party that began to appeal to students and young workers, with criticism addressed to “the system” in all its articulations: family, education, politics, work, entertainment – in short, what Louis Althusser called “ideological State Apparatuses” were all strongly questioned (Balestrini and Moroni 1997). Against what was considered the official discourse of the establishment (not only the conservative Christian Democrats in power, but also the traditional working-class culture of the Italian Communist Party), a more politically militant stance emerged, marginalising what had been the creative and visionary alternative thought of the 1960s. In this new political climate, a rediscovery of folk music represented a renewal of class culture and an explosion of the political song genre indicated the development of an engaged popular song to suit the times. Among the galaxy of ideas floating around in those years, often in conflict with each other but sometimes forming original combinations, many of the ideas aimed to be complete visions of the world and hence also aspired somewhat to take on the mantle of “counterculture”. The term

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“counterculture” will here be used in a wide sense, without splitting hairs over the difference between “countercultures” and “subcultures”, accepting that, generally, “subcultures” are oriented more towards a symbolic rebellion through “style” (Hebdige 1979), while “countercultures” are more inclined to active political protest (Maffi 2009). In Italy the former frequently slipped into the latter, particularly in the 1970s and in the 1990s, primarily due to the morass caused by the heated political climate.

3 Music was obviously a privileged vehicle for countercultures: functioning as a marker of identity, acting as a powerful means of collective aggregation and benefiting from a growing technology that allowed unprecedented circulation, music found itself in the contradictory position of being a much longed for agent of real social change and, at the same time, a virgin and potentially gigantic market into which the cultural industry could expand. Such a contradiction exploded, more than anywhere else, in the widespread idea that music had to be “free”, liberated from the tentacles of the industry and available to everybody. For a long period rock concerts in Italy were often the scene of riots with the police, with demonstrators protesting against ticket prices (or just because tickets were required), clashing outside, and sometimes inside, the venues. The disorder began in the early 1970s (for example at Led Zeppelin, Milan, 1971; Jethro Tull, Bologna, 1973; Soft Machine, Naples, 1974; Lou Reed, Rome, 1975), becoming more and more frequent such that, after 1977, the most popular foreign acts left Italy out of their itineraries for years. Many Italian musicians, on the other hand, were involved in political militancy and in countercultures; they can be roughly divided into two categories: “cantautori” (singer-songwriters) and “gruppi rock” (rock bands). Singer-songwriters exist everywhere but the Italian “cantautore” was a very peculiar figure for the social role that the more politicised audience attributed to him (female singer-songwriters – “cantautrici” – were rare): that of being a sort of lay saint, expected to be uninterested in success, transparent and ideologically coherent, only dedicated to his art and to its social role and, most of all, prepared to undergo periodical “ethical examinations” by his audience. Rock bands, on the other hand, were expected, by the same audience, to be “experimental”, not commercial and, obviously, politically committed. “Cantautori” were meant to be more valuable for their lyrics, “gruppi” for their music.

Naples and Napoletanità

4 Naples, in all this, found itself in a very peculiar position. In a nation full of evident regional differences, the late unification of the state, the economic distance between North and South, and the geographical influences caused by the North being closer to Europe and the South nearer to the Mediterranean areas, a great variety of specific cultures have been produced. Yet Naples is probably the only Italian city in which its traditions and history are almost impossible for local artists to ignore or avoid. As the capital of a kingdom before the nation came into being, Naples was home to rich traditions in music, theatre, the visual arts and literature. Moreover, these traditions were about to become powerful symbols of the whole Italian culture, but Naples was deprived of the role of nation’s capital in favour of Rome. As the largest city of southern Italy at the time of unification, Naples was also the main city of a largely depressed area. It was big, overcrowded and had a vast subproletariat without any kind

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of stable employment, somewhat the legacy of the Ancien Régime of the Bourbon monarchy.1 In the 1950s Naples found itself in the hands of a highly reactionary middle class of parvenus who elected as mayor the ship-owner Achille Lauro, a demagogue who gave the green light for gigantic urban speculation that devastated the city. In the 1960s the city came under the rule of the Gava family, a local conservative Christian Democrat power group that continued Lauro’s urban politics, creating a much tighter connection with the central government in Rome.

5 Song has a central place in Neapolitan culture, and although the city was considered one of the capitals of opera, it is here that Italy can boast its most famous repertoire of modern songs. Born between the nineteenth and the twentieth centuries as the product of a bourgeoisie of continental taste, the Neapolitan song was a product of a massive project of modernisation involving culture as well as city planning: the latter set the streets free of the local folk culture in order to transform Naples into a proper capitalist environment, while the former provided the new social scenario with its own form of entertainment. Neapolitan song thus grew up as an important part of the identity of the local emerging middle class, but at the same time was taken up and continuously revisited by the lower classes, for example by itinerant musicians known as “posteggiatori” (Artieri 1961), who adapted the songs to folk styles thus making them immediately recognisable to the common people. Through the charm of the Neapolitan song, the conservative values of the bourgeoisie became locally hegemonic, creating the so-called “napoletanità” (a sort of “Neapolitan vision of the world”) – an amalgamating ideology that upheld internal cohesion, prevented class conflict and generated a sort of inter-class city pride. Furthermore, as remarked by writer Raffaele La Capria, it is “napoletanità” that has given the citizens of Naples, even those of the lowest classes, their European spirit, sense of humour and typical sense of irony (La Capria 1986).

6 Neapolitan song, although always sung in the Neapolitan dialect, is now considered the “classic” Italian song and one of the foremost repertories of popular music in the world, widely recognised as one of the most relevant components of Italian culture. Neapolitan song has also always pervaded the city: whistled on every street, reproduced through records heard from windows (particularly in popular areas), performed in restaurants and at every ceremony (private parties, especially marriages) and mentioned in everyday conversation. But in the 1960s, when its creative cycle seemed to have come to an end, it was employed more and more as an ideological tool by the most reactionary forces active in Naples; moreover, it weighed like a stone on the creative potential of Neapolitan musicians as it symbolised a certain Italian song (melodic, traditionalist, sentimental) that they perceived to be outside modernity. Young musicians, then, had to fight against such hegemony in order to regain their freedom, to attach their music to what was going on in Italy and in the rest of the world and to feel, instead, inside modernity. This chapter aims to investigate the growth of Neapolitan music over the last 50 years in parallel with the influence that new musical trends – particularly those thought of as countercultural – had on Neapolitan musicians, and the relationship this music has had with this “object”, which needed first to be distanced and deconstructed, to be afterwards critically recuperated and used as a model for new compositions. Thus, in the beginning, while young musicians were experimenting with new creative ideas, the Neapolitan song had to be violated,

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debunked, stripped bare of its stock conventions and bent to unheard of expressive possibilities.

7 Beyond Neapolitan song

8 Among the first Neapolitan performers to try working outside the format of the Neapolitan song were the Showmen, a band who, though they were active for only a short period in the late 1960s, left a mark on Neapolitan music; some of the band’s members (James Senese and Elio D’Anna) were later to form prominent bands like Napoli Centrale and Osanna. Jazz and rhythm and blues were the main musical influences for the Showmen and the fact that Senese and bass player Mario Musella were the sons of American soldiers and Neapolitan mothers (both were born when American troops occupied Naples in 1945: Senese’s father was an African American and Musella’s a Native American), seemed to give them a natural affinity for the music of Black America. Although the Showmen wrote their own songs and often sang in Italian, they intentionally confronted the Neapolitan song tradition. A meaningful example is their recording of “Catarì (marzo)”, a classic love song written by Salvatore Di Giacomo and Mario Pasquale Costa in 1893. the Showmen’s version of this romantic and melodic composition is stretched and performed dramatically in a “black mood”. With Senese being a central protagonist of the music scene for some years (Musella died in 1979), his origin helped build the myth of the new Neapolitan music being the music of Italian “niggers”. Furthermore as Neapolitans were considered the despised race of the “meridionali” – that is, the people of the South discriminated against by those of the North (Teti 1993) – young musicians of the 1960s, and the growing number of journalists specialising in music, began to associate marginalisation with cultural subordination and creative energy. And just as the renewal of American music was seen to originate in the African American community, so the renewal of Italian music was seen to originate, for the press of the time, among those referred to as “the niggers of Vesuvius”. “Why did they take so long to appear?” asked journalist and rock producer Renato Marengo. Because the obscurantism of the Neapolitan song – unpopular, not folk, not genuine, a flirtatious and touristic knock-off, giving a decadent, false, uncultured vision of Neapolitan music – meant nobody gave the Neapolitan credit. Consequently young Neapolitans felt frustrated and lacked the courage to “come out” (Marengo 1974 my translation).

9 Black music was not the only foreign trend in which young musicians were interested, as both progressive and psychedelic rock were highly influential at the time. Bands like Osanna and Il Balletto di Bronzo looked towards the English progressive scene, the first to Genesis and Jethro Tull (Osanna’s live acts were highly theatrical, incorporating face paint and dramatic light shows), the second, with piano virtuoso Gianni Leone, towards “keyboard heroes” like Keith Emerson and Rick Wakeman. Both groups recorded concept albums, like Osanna’s L’Uomo (1971) and Palepoli (1973), and Il Balletto di Bronzo’s Ys (1972). Other artists included Alan and Jenny Sorrenti (both from a Welsh mother), who were considered the most unusual singers of the time. Jenny founded Saint Just in 1973, a band combining English folk influences with classical sounds, and later became one of the few Italian “cantautrici” (female singer-songwriters), recording a number of popular albums as a solo artist. According to producer Lilli Greco, Jenny has been one of the most outstanding musicians to record on the RCA label, “an exceptional singer … far above her possible competitors” (Becker 2007; my translation). Jenny’s brother Alan recorded his first album, Aria, in 1972 and his second, Come un

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vecchio incensiere all’alba di un villaggio deserto, in 1973 and both, like the Saint Just albums, were published by Harvest, the English label created by EMI to promote progressive rock. Alan’s music was highly experimental, ethereal and rarefied, comprising long psychedelic compositions accompanied by cryptic lyrics; in 1974, though, he recorded “Dicitencello vuje”, a Neapolitan song written in 1930: his vocalised version, delivered in falsetto style (thus challenging established purists), was both original and astonishing and showed how young interpreters could perceive and work with classic songs. Two years later he wrote “Sienteme”, a still popular song that could be classified as an attempt to write a “modern” passionate Neapolitan song. In his song “Vorrei incontrarti” (1972), Sorrenti also wrote one of the most concise couplets to encapsulate the “spirit of the time”: “Vorrei incontrarti fuori i cancelli di una fabbrica/ vorrei incontrarti lungo le strade che portano in India …” [“I’d like to meet you outside the gates of a factory/I’d like to meet you on the roads that lead to India”]. The factory and India represented the two major poles of the counterculture in Italy: the factory (that is, the “Fordist” factory, with a conveyor belt production line, which had developed quickly in Italy) was at the centre of the theoretical Marxist speculations of the radical left wing active outside the Communist Party. According to the “operaisti” (Wright 2002, Tronti 2009), the most influential radical group, a young, unskilled working class, mainly of Southern origin, was reacting to the pressure of factory life with a new subjectivity and an alternative, “autonomous” community lifestyle that would eventually end up refusing to work and instead take up illegal means to acquire goods that were impossible to buy on ordinary salaries. India, on the other hand, represented the myth of an alternative civilisation, custodian of an ancestral wisdom lost in the industrial world; many Italian hippies in those years, just like the Beatles, travelled to India looking for gurus.

10 It is interesting to observe the different connections the Neapolitan scene had with the British and American one: for example, Senese and his “genetic” predisposition to be drawn to jazz; Jenny and Alan Sorrenti recording for the Harvest label; and the presence of American musicians Shawn Phillips and Patrizia (née Patricia) Lopez – Phillips a long-haired American singer embodying the spirit of the American counterculture who, before he moved in 1967 to Positano, on the Sorrento coast, not far from Naples, had worked with Donovan and the Beatles (and even performed at the Isle of Wight Festival); and Lopez a singer-songwriter born in Los Angeles who had also moved to Naples, bringing with her the songs of Jefferson Airplane, the Grateful Dead, Joni Mitchell and David Crosby, mixing them with Raffaele Viviani’s songs and the Neapolitan “Villanelle”.2 It is thus suggested that American and English connections meant for Neapolitan musicians not only faster access to international trends in rock music, but also a closer link to what the English-speaking world was producing in terms of countercultures. Bob Dylan, and all that he was able to absorb and give back in his songs, for example, inspired Edoardo Bennato, one of the most successful Italian “cantautori” of the 1970s: curly-haired, with small dark glasses and a degree in architecture, Bennato originally performed as a one-man-band, playing 12-string guitar, harmonica and kazoo, while hitting a tambourine with a device attached to his right foot. With his croaky voice, Bennato appeared a cross between Dylan and “Pulcinella”, a folk mask typical of the Naples area that, like all masks, mocked power and symbolised the real voice of the everyman – and Bennato certainly mocked the power and official values of the Italian state: corrupt politicians, the Communist Party, the president of the Republic, even the pope ended up in the barbs of his harsh and

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anarchic criticism. Bennato immediately targeted a national audience and only occasionally sang in the Neapolitan dialect; nonetheless, he remained closely linked to Naples (the cover of his album Io che non sono l’imperatore, 1975, carried the layout of his project for a new Naples underground system that he, provokingly, opposed to the official one). Bennato reached the height of his notoriety in the late 1970s, when he produced three albums (Burattino senza fili, 1977, Uffà Uffà and Sono solo canzonette, both 1980: the first and the last being enormously successful) and, as the first Italian “cantautore” to achieve such success, managed to sell out stadiums. His “Cantautore” (1976), which ironically underlines the excessive expectations people had of singer- songwriters in Italy and the unnatural role they had assumed, still stands as a most intelligent song.

Folk music’s revival

11 Eugenio Bennato, Edoardo’s brother, was one of the founders of the Nuova Compagnia di Canto Popolare (NCCP), a folk revival group to which Neapolitan music owes the unearthing of a huge corpus of folk songs that became the backbone of the Neapolitan folk music revival. The revival of traditional music had been, since the 1960s, a key feature of Italian left-wing culture: rejected by immigrants because they reminded them of the misery of their origins, folk songs were re-evaluated as a repertoire of songs free of commercialism and thus a possible component of a progressive culture. It was folklore itself (investigated by both Antonio Gramsci and the ethnologist Ernesto de Martino) that was seen, with its country festivals, its rituals, its traditional medicine, as a possible repository of anti-capitalist values (and, as such, a counterculture in itself). Folk music was also regarded as the only original and “authentic” music Italy had, and the only one capable of competing with rock music and its craze – an attitude also found in other folk revivals. For the NCCP, the Neapolitan song, with its lack of originality, was responsible for the elimination of folk music from people’s consciousness (and with it the social conditions of the poorest sections of society that expressed it, especially the peasants of the countryside around Naples). To address this and to suggest a possible new direction for Neapolitan music the NCCP took the classic “Tammurriata nera”, written in 1944, and treated it with a folk arrangement.

12 In 1977 Eugenio Bennato took a further step by leaving the NCCP to launch Musicanova, a folk group that proposed writing new songs based on traditional modes with lyrics criticising the official history of the unification of the country. Here, Bennato’s research on the southern peasant resistance of the 1860 Piedmontese conquest of the South that aimed to unify the country was also an attempt to rediscover an alternative culture: that of the bandits – and the communities of small villages that supported them – that opposed the modern lifestyle introduced by the new rulers. In contrast to the NCCP, a group of workers at Alfa Sud, a car factory located in Pomigliano D’Arco, in the Neapolitan hinterland, gave birth to the Gruppo Operaio di Pomigliano D’Arco “E Zezi (“E Zezi Workers Group), who adopted a polemical stance, singing political lyrics and rejecting the “philological” research of the NCCP (Vacca 1999).

13 In the 1970s Naples continued to produce jazz-rock. James Senese, together with performers inspired by black music, formed Napoli Centrale, a more mature project than the Showmen, that was influenced by artists like Weather Report and Miles Davis in his rock period. Between 1975 and 1977 Napoli Centrale recorded three albums. In

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1976 the band recruited a young bass player who was destined to become the most popular and probably the most innovative Neapolitan musician of the last 50 years, although the really meaningful part of his career lasted little more than 10 years: Pino Daniele. Guitarist, singer and composer, from a poor family from the centre of Naples, Daniele is a key-figure in Neapolitan music. As a poet, the lyrics of his first songs combined the local dialect with American English to create delicate paintings in the tradition of the classic Neapolitan song as well as passages describing the chaotic life of contemporary Naples; as a musician, he managed to integrate foreign musical influences (rock, jazz, blues, funk) with the melodic profile and the harmonic structures of the classic Neapolitan song; as a singer, he had an expressive nasal voice with blues inflections; and as a guitarist, he played both acoustic and electric guitar with equal proficiency. Last but not least, he was symbolic in embodying Neapolitan music at its most ripe, namely in tradition, in the creative assimilation of new trends, with a strong link to the city, and with the ability to attract a national audience without necessarily singing in Italian. Daniele seemed to represent, at that time, the critical consciousness of a new generation of young people who had completely assimilated modernity and who wanted to rescue Naples and the whole of the South from their old conditionings. In contrast to the work of Edoardo Bennato, who was more vague and generic in his protest, Daniele’s first songs seemed to mirror more faithfully the massive changes the city and its youth had been through since 1968. In the mid-1970s, for example, Daniele’s song “O mare” echoed the aims of the workers’ movement Disoccupati Organizzati [Organised Unemployed], which had broken with the traditional policy of patronage with the political power that the Neapolitan subproletariat had been obliged to accept. His first album, Terra mia, recorded in 1977, marked another turning point for Italian contemporary society,3 while his first big hit, “Je so’ pazzo”, appeared a year later. Daniele had clearly felt the creative spirit of 1977; he also demonstrated his commitment to the more widespread concern regarding pollution (another trend of the time), which he invoked in many of his compositions. In tune with his times, Daniele’s work also seemed ingrained in the city’s deepest folk culture and in the performing style of the “posteggiatori”. With Pino Daniele, the classic Neapolitan song ceased to be a problem for Neapolitan musicians: the gap had finally been filled and nobody would ever feel uneasy with it in the future.

“Gli anni di riflusso”

14 The Italian 1980s were the reverse of the 1970s: following the neo-conservative wave started by Ronald Reagan in the US and by Margaret Thatcher in the UK, Italy underwent a long period of “restoration”. The defeat of workers at the Fiat automobile factory in Turin, following a month-long struggle against the announced dismissal of almost 15,000 employees, signalled an imploding political situation: the march of a number of white-collar workers (the so-called “march of the 40,000”) in favour of breaking the picket line to re-open the factory meant the acceptance of a change in the relationship between the trade unions and industrialists. In reality change had already taken place inside the factory: automation had reduced the need for large numbers of workers and the conveyor belt production line was progressively being substituted by a new form of production where cars would be produced on demand and not on a mass scale for a market that was close to saturation.

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15 At the same time, outside the factory, society was invested with a new ideological trend, that of disengagement: the so called “anni di piombo” (the “years of lead”, the 1970s, with their deep class conflict and terrorism) were replaced by the “anni del riflusso” (the “years of reflux” – the years of individualism – a metaphorical wave rolling back to leave only scattered remnants on the shore). These years, with the development of large commercial television networks, the dismantling of the Welfare State, and an emphasis on personal success, prepared the ground for the most recent Italy – an Italy characterised by the cultural hegemony of an aggressive right wing, which found its undisputed champion in the tycoon-politician Silvio Berlusconi. In this new context countercultures became much less fashionable and were driven back into the distant corners of society (in terms of music, mainly in the post-punk and hardcore circuits). In the 1980s, Naples also saw the explosion of the “camorra”, the Neapolitan mafia, with its transformation from an old illegal asset connected to the smuggling of cigarettes into a modern and perfectly organised criminal holding associated with the trafficking of drugs and the control of public works through collusion with political power (Marrazzo 1984). The climate again became highly conservative, with local politicians supporting the central government and the city pushed into social desertification. Music mirrored the situation: while the rest of Italy turned to disco music, the folk music revival disappeared and the political song became unfashionable. Moreover, little of note emerged from Naples in those years: Bennato abandoned his original acoustic satirical folk rock for a trite early rock and roll with watery lyrics (for example “Viva la mamma”, 1989) (though in 1992, together with the blues band Blue Stuff, he recorded a brilliant and original album under the guise of a bluesman named Joe Sarnataro); the NCCP turned to a simplified world music; Teresa De Sio (former singer with Musicanova) hit success with “well-made” pop songs; and Daniele concluded his golden years to become what he is now, an “ecumenical” mainstream pop singer for families and television. The suicide in 1983 of Luciano Cilio, a Neapolitan avant-garde composer, appeared to epitomise the decade, and although some artists of note emerged during the period (Enzo Gragnaniello, Enzo Avitabile, Avion Travel), only the Bisca, an underground rhythm and blues band that began working in the 1980s (and who would later play a notable role in the 1990s), can be said to have been part of an underground scene. In the 1990s, in Naples and across Italy as a whole, the alternative popular music scene became once again stimulating and inspired.

The revival of the song form in the 1990s

16 The beginning of globalisation is conventionally located in the period between the fall of the Berlin Wall (1989) and the end of the First Gulf War (1991): both events mark a time when the old division between East and West could be said to have come to a close and the planet was unified under the rule of the International Monetary Fund and the World Bank, the two institutions in charge of universally expanding the laws of capitalism. In Italy, furthermore, the collapse of the Soviet Union caused the dissolution of the Communist Party and its transformation into the PDS (Left Wing Democratic Party), later the DS (Democrats of the Left). The old Christian Democrat politicians, and their allies, the Socialists, were both swept away by enquiries into political corruption made by a pool of judges in Milan. Fearing a possible victory at the elections by the PDS, Berlusconi decided to enter politics, organised his party (Forza

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Italia) and, with the support of his media empire and his wealth, won election in 1994 (Ginsborg 2003).

17 Meanwhile, the fragmentation of big factories and the re-allocation of industrial production to faraway countries, where labour costs are less, resulted in growing unemployment and the transformation of what were once working-class areas into wastelands. Abandoned schools, disused cinemas, forsaken buildings, old and derelict slaughterhouses and similar spaces became occupied by people expelled from the processes of production and by immigrants and off-site students to become Centri Sociali Occupati Autogestiti (CSOA), that is, “Occupied Self-Managed Social Centres” (see Adinolfi et al. 1994; Moroni, Farina and Triopodi 1995; Consorzio Aaster et al. 1996). CSOA activists quickly understood the danger of a right-wing turn with Berlusconi in power, and the places they took possession of were soon transformed into spaces of alternative cultural activity and centres of political antagonism. Thus while occupants of CSOAs were not exactly squatters, it was in such places that aspects of the political radicalism of the 1970s – defeated on the surface of society – managed to survive, and that subcultures and countercultures found new ground to develop. In CSOAs people could drink beer at a reduced price, obtain free legal assistance from militant lawyers, socialise and use digital technology, attend concerts at low prices (roughly 20 per cent of the usual rate or less) and so on. CSOAs were also against copyright and refused to pay the Performing Rights Society for music performed inside their premises (frequently musicians also allowed CSOAs to record their concerts and make records or audio cassettes to sell for support). CSOAs further claimed to boycott multinationals and to fight heavy drugs, which the Italian radical left wing has long argued are an instrument of the establishment aimed at defeating social protest. Originally shunned by the authorities, some CSOAs have managed, with the passing of time, to gain recognition from and be aided by municipalities.

18 While the Leoncavallo in Milan is probably the oldest CSOA, dating back to the 1970s, in the 1990s they spread like mushrooms in many of the big cities and in some of the smaller ones too. And it was in such places that the new Italian music of the 1990s was born, and Naples soon turned out to be one of the most important cities for the trend: rejecting the isolated figure of the “cantautore”, young performers active in CSOAs started to join groups they themselves often named “posse”, after the name used by black rappers in America. Rap, ragamuffin and reggae were references for musicians based in CSOAs, many of whom worked with samples and montage.

19 The most singular peculiarity, though, was a new rediscovery of Italian folk music. With globalisation and the digital revolution, there was also a growth in the circulation of the sounds and traditions of world music: as a genre, however problematic its definition may be, its expansion into the Western world, where most of it (especially music originating in the East) constituted previously unheard music, now made it easier to obtain and drew attention once again to traditional musical idioms. It is probably due to this collateral effect of globalisation that Italian musicians rediscovered local dialects and traditional Italian music: all of a sudden, from North to South, bands, even those inspired by the black American posses, started to develop reggae and ragamuffin sung in local dialects with folk music forms. This new folk music revival was very different from the earlier ones, as now folk music was not the object of philological or critical research but was incorporated into new songs in a manner similar to “bricolage”: sampled, treated electronically or by asking folk musicians to

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join in. As a consequence, old, long forgotten folk musicians, like the 80-year-old Antonio Sacco or the 70-year-old Uccio Aloisi, both from the Puglia region, became the idols of a new generation of teenagers (with Aloisi singing in CSOAs): in short they became “stars”, just like the old bluesmen like Mississippi John Hurt or Son House had become stars in America in the 1960s.

20 In Naples, where in the 1990s a new left-wing administration worked to do away with the old politics and start up something different (a process that became known as the “Neapolitan Renaissance”), two bands were destined to find fame: 99 Posse and Almamegretta. Both made their first appearance in Officina 99, a CSOA established at a deserted works on the periphery of Naples. Officina 99 took its name from the number of the building and 99 Posse was basically the house band. Here, subcultures and counterculture coincided even more than in the 1970s. 99 Posse were involved in political action but also exhibited strong symbolic elements of subcultural styles (Mohawk haircuts, heavy-duty boots, chains and nose rings), while Almamegretta’s singer Raiz (bald, muscular, aggressive) adopted full identification with Afro-American culture, quoting Malcolm X and sometimes appearing like a gangsta rapper.4 In Naples there was no “rediscovery” of the dialect: for local performers it was absolutely natural to sing in Neapolitan, and it was considered exceptional, or defying and innovative, on the contrary, to sing in Italian (as Edoardo Bennato did); thus it was obvious for 99 Posse and Almamegretta to sing in Neapolitan. 99 Posse aligned themselves with “operaismo”, the political stance of the Italian radical left wing of the 1960s and 1970s: their epoch-making hit “Curre curre guagliò” (1993) was about a love of CSOAs and the struggle to defend them, while their “Rigurgito antifascista”, from the same album, was a violent call against resurgent fascism.5 99 Posse was essentially a rap/ragamuffin band, except when they collaborated with the powerful rhythm and blues band Bisca, who joined them on the successful “Incredibile Opposizione Tour”, a long tour of CSOAs around Italy that resulted in the release of a double album in 1994. The collaboration between Bisca and 99 Posse constituted probably one of the most significant moments of Italian music in the 1990s, although the double disc doesn’t quite do justice to the exciting atmosphere of the live shows.

21 Almamegretta’s musical inspiration was more elaborate, taking in references to British trip-hop and the dub scene (Massive Attack, Asian Dub Foundation, Adrian Sherwood). Their ant-racist song “Figli di Annibale” (1992) imagined Hannibal as a black general coming from Africa, ruling Italy for 20 years with his soldiers and generating the “bastard” Italian race: although probably far from historical truth, the song was forceful, accompanied as it was by a bass riff that sounded like elephant steps. When 99 Posse and Almamegretta began their careers, the controversial relationship Neapolitan musicians had to the classic Neapolitan song had, as mentioned, already been settled.6 Yet both groups still found it necessary to address the issue: Almamegretta wrote a couple of new songs in the format of the classic song (“Nun te scurdà”, 1995, sung with Giulietta Sacco, a famous singer of Neapolitan song, and “Pe” dint” “e viche addò nun trase “o mare”, from the same album, with lyrics written by Salvatore Palomba, a local poet who wrote songs for Sergio Bruni, one of the most prestigious interpreters of the classic song); 99 Posse, on the other hand, furiously anti-American, covered “Tu vuò fà l’americano”, a song written in the 1950s to poke fun at Neapolitan teenagers who followed American fashion at the time. Both 99 Posse and Almamegretta, after an initial period in which they recorded for small and independent labels, decided to sign for

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majors; both collaborated with Pino Daniele and, accordingly, both achieved lasting enormous notoriety.

Conclusion

22 “Where have all the flowers gone?” What has happened to almost three generations of Neapolitan musicians? Most of them are still around, often transformed in proportion to the success they achieved. Pino Daniele is still the biggest star, filling theatres wherever he goes but with nothing of his original countercultural strength: his songs have for 20 years been the most hackneyed one can possibly imagine. In 2007, the last time I saw him in concert, on a beach near Rome, the audience was composed mainly of families with prams and children, the set list consisted almost entirely of new songs and the three songs he performed from the old repertoire resembled spaceships landing from another planet. Edoardo Bennato is no longer a rock star: though still active, he is unable to reignite the inspiration that made him so important in the 1970s. Alan Sorrenti, after turning to disco music and hitting the charts in 1977 with “Figli delle stelle” and in 1979 with “Tu sei l’unica donna per me” (also translated into English), soon disappeared, following stormy personal events, to reappear from time to time without much success. His sister Jenny, instead, continues to work on projects combining her two roots, English folk and Mediterranean traditions. Osanna have been re-formed with a new line up by the singer-guitarist Lino Vairetti and the support of David Cross (ex-King Crimson). James Senese still plays his angry jazz-rock but his music is not as surprising as it once was. Eugenio Bennato rides the wave of the most recent folk revival, popularising a folk music he himself composes but without much substance. Raiz left Almamegretta but has had little success as a solo artist so far. 99 Posse disbanded in 2005 and reformed in 2011 after the singer underwent drug rehabilitation, but they don’t make headlines anymore. Bisca are also alive, still exploring their rhythm and blues and still performing in CSOAs, but they never attract the same size audiences that they had in the 1990s when they toured with 99 Posse.

23 Countercultures and subcultures are dynamic: they help the stagnant and moribund to get going again, and they have often been the ground on which the market has experienced new trends and obtained new possibilities of expansion (Buxton 1975). In Naples, they had a liberating effect, it having taken three decades for Neapolitan musicians to find their own way into modern song and popular music and, at the same time, to recover Naples’ glorious tradition. Countercultures were a powerful aid in the task, acting as a means of emancipation from what had become an ossified repertoire that brought with it a vision of the world that risked causing the city to be cut off from what was happening in Italy and the rest of the world. As such, Neapolitan music has grown in the last 40 years, detaching itself from its parents’ hands and starting to walk alone. Today the legacy of the Neapolitan song is no longer an obstacle and a new generation of performers has chosen it as a favourite genre and has even extended its interest to the repertoire from before the “classic” period (1880–1945): Brunella Selo, for example, or Gianni La Magna, the latter originally a folk musician who has recorded an album (I Cottrau a Napoli, 2005) on which he sings the old songs contained in I Passatempi musicali. These were a number of music albums containing songs published between 1824 and 1845 by Guillame Cottrau, a musician of French origin who worked in Naples and collected, re-wrote and composed songs mainly for an international market

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of foreign visitors and aristocrats who came to Naples and wanted to bring back with them mementos of the city.7

24 While musicians rediscover classic songs, the considerable number of scholars attracted to the Neapolitan song means that attitudes towards it have definitely changed and this is certainly very positive, as only through its history can Naples look to its past and better understand its heritage, consciously integrating Neapolitan song with the new sounds of a global music.

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NOTES

1. The philosopher Antonio Gramsci, in his Prison Notebooks observed the peculiarity of Naples, which appeared to be reluctant to adopt any kind of rational organisation of work (Gramsci 2007, III: 2142). 2. Raffaele Viviani (1888–1950) was one of the most popular Neapolitan playwrights and the author of many songs for his theatre works. The ‘Villanella’ is a Neapolitan polyphonic genre of compositions of the sixteenth century. Patrizia Lopez recorded her first Italian album in 1976. 3. In 1977, together with political radicalism, the vindication of private needs emerged from a new generation that refused to distinguish between the public and private sphere in life. This marked an explosion of ideas and practices in which, through countercultures, the languages of the visual avant-gardes of the beginning of the twentieth century penetrated into popular arts: originally utilised in alternative forms of political communication, comics, magazines, cinema and theatre, they are now the common languages of advertising and mass culture. 4. Raiz came to encapsulate the culmination of a long history of interest in black music and culture shown by Neapolitan musicians. 5. Many 99 Posse songs were extremely aggressive and caused reactions (once, even a Parliamentary question). The CSOA movement, in general, has often been accused of being connected to political violence. 6. In the early 1990s, even Roberto Murolo, an 80-year-old, long-forgotten singer-guitarist of classic Neapolitan song, was rediscovered and celebrated. 7. The work of Guillame Cottrau was continued after his death by his son Teodoro (1827–79). Many of the songs of the ‘Passatempi’ derived from folk songs or from songs written by artisans of the old city, a repertoire which often circulated on broadsides and which is now largely forgotten, owing to the success of the ‘classic’ song.

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RÉSUMÉS

La chanson napolitaine est reconnue comme l'un des plus importants répertoires de chansons dans le monde ainsi que comme l'un des tous premiers exemples de musique populaire. Cependant, dans les années 1960 alors que les jeunes musiciens napolitains essayaient d'absorber et de développer les tendances contre-culturelles se développant sur l'ensemble du territoire italien à l'époque, un tel répertoire semblait se dresser en ennemi sur leur chemin. Cet article montre comment la musique napolitaine des cinquante dernières années a du s'écarter ou remodeler la chanson napolitaine classique afin de combattre son hégémonie et trouver son propre chemin, dans un pays changeant à vitesse grand V. Ce n'est qu'après un travail de « déconstruction » que la chanson napolitaine fut reprise et acceptée, enorgueillissant une nouvelle génération de chercheurs et de musiciens enthousiastes.

Neapolitan Song is recognized as one of the most important repertoires of songs in the world and one of the first examples of popular music. Yet, in the “60s, when the young Neapolitan musicians tried to absorb and develop the countercultural trends of the time which were spreading in Italy, such a repertoire seemed like an enemy on their way. This essay tells how the Neapolitan music of the last fifty years had to discard or reshape the classic Neapolitan Song in order to fight its hegemony and find its way to modernity in a country that was changing at fast speed. It is only after this work of “deconstruction” that Neapolitan Song was recovered and re- accepted, boasting now a new generation of enthusiastic scholars and performers.

INDEX

Index géographique : Italie, Naples Thèmes : chanson / song, chanson traditionnelle / folk song, chants de lutte / protest songs, fusion / crossover nomsmotscles Murolo (Roberto), Showmen (the), Bennato (Edoardo), Nuova Compagnia di Canto Popolare, Daniele (Pino), Almamegretta Keywords : counterculture / resistance, politics / militancy, archives / reissues / revival, tradition / lore, singing, left / far left Index chronologique : 1960-1969, 1970-1979, 1980-1989, 1990-1999 Mots-clés : politique / militantisme, archives / rééditions / revival, tradition / lore, chant, gauche (extrême-)

AUTEUR

GIOVANNI VACCA

Giovanni VACCA (Naples, 1963) est diplômé de langues étrangères et de littérature de l'Université de Salerne. Il est docteur en musicologie de l'université de la Sapienza de Rome. Il travaille principalement sur les textes de chansons italiennes, anglaises et françaises et s'est intéressé plus particulièrement au rapport à la modernité des musiques et des cultures traditionnelles du Sud de l'Italie et particulièrement de Naples et sa région, la Campanie. Il est l'auteur de deux livres à ce sujet (Il Vesuvio nel motore, Roma, Manifestolibri, 1999 et Nel corpo della tradizione, Roma, Squilibri, 2004). Il a tenu des cours et des séminaires dans plusieurs universités (Naples, Rome, Paris la Sorbonne, Turin, Palerme et Liverpool), dans différentes écoles de musique et de théâtre,

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ou encore à l'occasion de divers festivals. Il a également écrit des chansons pour des groupes napolitains comme Spaccanapoli (qui a enregistré en 2000 pour le label britannique Real World) et Pietrarsa. Depuis 1992, il est journaliste en free-lance et a travaillé pour différents journaux et magazine italiens. Il travaille actuellement pour le quotidien Il Manifesto ainsi que pour le magazine Blow Up. Il prépare en ce moment un livre sur la chanson napolitaine ainsi qu'un autre sur le chanteur de folk Ewan MacColl (avec Alan F. Moore) à partir de la transcription de longs entretiens enregistrés en 1987 et 1988. Ce livre sera publié par Ashgate en 2012/2013.

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Les Taqwacores : émergence d’une contre-subculture américano- musulmane Taqwacores: Birth of a Muslim-American Counterculture

Aline Macke

1 LA SCÈNE TAQWACORE est née au milieu des années 2000, à la suite de la publication en 2004 du roman The Taqwacores, de Michael Muhammad Knight, jeune Américain converti à l’islam, âgé de 27 ans lors de la première publication du roman. The Taqwacores (Knight, 2004) relate la vie quotidienne d’une punk house située à Buffalo, dans l’État de New-York, dans laquelle des musulmans de tous horizons vivent ensemble, pratiquant leur religion avec plus ou moins de ferveur, mais réunis par un mode de vie marginal pouvant être résumé par le slogan punk « Do it yourself ». En effet, dans cet environnement punk, chacun est libre de pratiquer ou non sa religion dans une atmosphère de tolérance respective. Cohabitent ainsi des musulmans sunnites, comme un des personnages principaux du roman, Yusef, américain d’origine pakistanaise, un chiite nommé Amazing Ayyub, un musulman conservateur et punk straightedge nommé Umar, un musulman homosexuel, Muzammil, ou encore Fasiq Abasa qui lit le Coran en fumant de la marijuana, ainsi qu’une féministe – Rabeya – qui porte la burqa et dirige parfois la prière1. Jehangir, personnage au destin tragique, est le pilier de cette cohabitation. Il insuffle un esprit de tolérance et de respect à la punk house, même si les heurts sont fréquents, notamment entre Umar et Amazing Ayyub. Cette maison devient, tous les vendredis, un lieu de prière pour les

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musulmans ayant abandonné la tradition qui consiste à se rendre à la mosquée pour la prière hebdomadaire. Le salon de la punk house devient une salle de prière où tous sont libres de revendiquer leurs différences. Le vendredi soir, des fêtes sont organisées dans ce lieu-même qui accueillait la prière quelques heures auparavant : « The living and family rooms [...] were packed to the point of physical discomfort where sujdahs [la prostration] jammed your elbows into your ribs and you strained to keep your forehead from brushing against someone else’s feet. Our jamaat [groupe] smelled of oils from at least twenty countries combined with those spilled- beer, body-odor and stale-hashish scents that never completely left the house. [...] The jamaat was an almost silly mish-mash of people : Rude Dawud’s pork-pie hat poking up here, a jalab-and-turban type there, Jehangir’s big mohawk rising from a sea of kufis, Amazing Ayyub still with no shirt, girls scattered throughout – some in hejab, some not and Rabeya in punk-patched burqa doing her thing. But in its randomness it was gorgeous, reflecting an Islam I felt could not happen anywhere else. » (Knight, 2004 : 37-38)

2 Après la parution du roman, Michael Muhammad Knight a, à plusieurs reprises, été décrit comme un auteur musulman prometteur, autant pour la lucidité et la véracité de ses descriptions des communautés musulmanes américaines, que pour son style littéraire qui allie l’usage récurrent de la provocation et une connaissance affûtée de l’histoire et des traditions islamiques. Cet écrivain prolifique est aussi l’auteur d’une étude sur les origines de Nation of Islam, ou des Fives Percenters, groupe musulman minoritaire dérivé de Nation of Islam, dont l’origine se situe à Harlem, ainsi que d’une autobiographie et d’un récit de voyage dans lequel il raconte son pèlerinage à La Mecque (Knight, 2006, 2007, 2009a, 2009b). En 2008, dans un article du New York Times, Carl W. Ernst, professeur d’études islamiques à l’université de Caroline du Nord à Chapel Hill, fait du roman de Knight l’homologue musulman de The Catcher in the Rye de Salinger, publié en 19512. Michael Knight a aussi été l’objet d’articles publiés dans d’autres journaux et magazines de renommée internationale tels que The Guardian ou Newsweek3. Michael Knight serait donc une des nouvelles voix de l’islam américain, voix qu’il s’agit d’écouter et de comprendre afin de cerner les inquiétudes et le malaise de jeunes musulmans américains rétifs à toute forme de domination institutionnelle de l’expression de leurs convictions religieuses. En marge du succès littéraire de Michael Muhammad Knight, une adaptation cinématographique du roman par le réalisateur Eyad Zahra est sortie en 2010 (Zahra, 2010). L’équipe du film The Taqwacores a participé au festival américain Sundance en 20104 et le film a gagné, en avril 2011, le prix du public dans le Festival International du Film Indépendant de Lille, lors de l’unique projection – à ce jour – du film en France5. Nés de l’imagination d’un auteur, les taqwacores ont vite dépassé la fiction pour devenir réels, puisque les années 2000 ont vu apparaître des groupes comme the Kominas et Al-Thawra, dont les albums sont désormais en vente, notamment sur Amazon ou iTunes.

3 Le terme de « scène » taqwacore semble être la meilleure qualification possible pour faire référence aux taqwacores. Selon Gérôme Guibert et Fabien Hein, « la notion de scène permet de souligner un continuum comprenant des acteurs plus ou moins impliqués physiquement ou culturellement, qu’ils soient musiciens ou non » et de « poser la question de la localisation, de l’interaction entre les acteurs, de la circulation des codes liés à un style de manière territorialisée » (Guibert et al., 2005). Définir les taqwacores comme une scène permet de regrouper à la fois les musiciens, les lieux où s’est développé le style taqwacore, ainsi que les fans des taqwacores qui achètent leurs albums ou assistent aux concerts et se définissent eux-mêmes également comme

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taqwacores. Le terme « taqwacore » est né de l’association de deux mots : taqwa qui désigne une crainte mêlée d’admiration pour Allah ainsi que la conscience qu’Allah exerce son influence sur les êtres humains, et core qui provient du terme « hardcore », référence à un sous-genre de rock punk ayant émergé aux États-Unis à la fin des années 1970. Les taqwacores sont, pour la majorité d’entre eux, des musulmans punks américains, même s’il est important de noter que tous les taqwacores ne sont pas musulmans. Les références à l’islam sont omniprésentes dans les chansons et les débats auxquels participent les taqwacores.

4 La démarche taqwacore s’inscrit au sein d’une communauté musulmane américaine relativement jeune. En effet, selon le Pew Research Center, 77 % des musulmans américains ont entre 18 et 49 ans6. Les taqwacores peuvent être définis comme une subculture en rébellion contre la culture musulmane américaine dominante 7. Dans une Amérique toujours sous le choc dix ans après les évènements tragiques du 11 septembre 2001, les taqwacores mettent l’accent sur les questions d’identité, d’islamophobie et sur ce qu’ils perçoivent être de l’obscurantisme religieux.

5 Nous retiendrons ici la définition de subculture proposée Stuart Hall et Tony Jefferson dans Resistance Through Rituals : Youth Subcultures in Post-War Britain (Hall et al., 2006 : 4-6). Selon ces auteurs, la culture désigne le développement de certains modes de vie par des groupes sociaux donnés et dominants, modes de vie qui s’imposent ensuite à tous les individus. Les subcultures émergent quand des groupes sociaux qui ne se situent pas en haut de l’échelle sociale trouvent néanmoins des manières d’exprimer leur condition et leurs particularités et par conséquent, de se détacher provisoirement de l’emprise de la culture dominante. Elles se développent alors en opposition à cette culture dominante : « Other cultural configurations will not only be subordinate to [the] dominant order : they will enter into struggle with it, seek to modify, negotiate, resist or even overthrow its reign–its hegemony. » Hall et Jefferson ajoutent : « Subcultures must exhibit a distinctive enough shape and structure to make them identifiably different from their “parent” culture. [...] But, since there are sub-sets, there must also be significant things which bind and articulate them with the “parent” culture. » (Hall et al., 2006 : 6)

6 La scène taqwacore peut être définie comme une subculture puisque les taqwacores musulmans restent membres de leur communauté d’origine, ne serait-ce qu’à travers leur héritage familial imprégné de la culture islamique, auquel ils greffent leur style punk. Le terme de contre-subculture que nous avançons ici nous permet d’appréhender la scène taqwacore à la fois comme un sous-ensemble au sein des communautés musulmanes américaines, définissant une subculture et comme un groupe en rébellion contre un certain traditionalisme d’une partie de ces communautés.

7 Dans Subculture : The Meaning of Style, Dick Hebdige explique que l’expérience individuelle prend racine et se manifeste dans une variété de lieux, comme le travail, l’école ou le domicile familial, ces lieux interagissant entre eux et constituant diverses facettes d’une même expérience et d’une même formation sociale. Cette expérience devient alors le substrat à partir duquel se développent à la fois la culture et la subculture. En nous présentant non seulement une image de l’autre, mais aussi une image de nous-même et de notre classe sociale, les médias influencent l’expérience personnelle. Ils offrent une compréhension pré-pensée du monde, à laquelle il est aisé de s’identifier et grâce à laquelle chacun perçoit l’autre. Selon Hebdige, les subcultures ne font pas figure d’exception puisqu’elles sont construites en réaction à l’image de la

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culture dominante que les médias transmettent. Evoquant la Grande-Bretagne des années 1970, il rappelle que les punks de cette époque se sont approprié la rhétorique de la crise économique et sociale du moment, telle qu’elle était alors transmise par les médias (Hebdige, 1979 : 84). L’analyse de Hebdige peut être appliquée à l’expérience des taqwacores dont la principale force réside en leur capacité de surprendre un public par leur ironie et leurs sarcasmes. Ainsi, quand les principales associations islamiques américaines (comme l’Islamic Society of North America) privilégient le dialogue et l’apaisement des relations entre les musulmans et non-musulmans aux États-Unis dans le contexte de l’après-11 septembre, les Kominas chantent ouvertement, et ironiquement, qu’ils souhaitent l’instauration de la charia aux États-Unis. Les Kominas détournent de manière ironique les termes employés par les médias, par exemple, la notion d’assimilation, la peur de l’instauration de la charia ou les attentats-suicides. Ainsi, ils répondent aux médias et à la société américaine par des paroles percutantes et provocantes telles que : « I don’t want assimilation, I just wanna blow shit up », « Sharia Law in the USA », ou encore « Suicide Bomb the Gap » (Kominas, 2008). Ce que Hebdige dit des punks peut être appliqué aux taqwacores : « These statements, no matter how strangely constructed, were cast in a language which was generally available — a language which was current. […] Its explains the subculture’s ability to attract new members and to produce the requisite outraged responses from the parents, teachers, and employers towards whom the moral panic was directed. […] In order to communicate disorder, the appropriate language must first be selected, even if it is to be subverted. For punk to be dismissed as chaos, it had first to “make sense”as noise. » (Hebdige, 1979 : 87-88)

8 La question de l’identité musulmane américaine se pose de manière tout à fait particulière pour les taqwacores. La communauté taqwacore est en effet constituée de membres venant d’horizons divers, issus de l’immigration, de la communauté afro- américaine, ou encore des conversions à l’islam. Selon le Pew Research Center, les musulmans représentent aujourd’hui environ 0,6 % de la population américaine et ont des origines ethniques variées8. Ainsi, si 24 % des musulmans américains sont issus de la communauté africaine-américaine, l’immigration des cinquante dernières années – depuis le vote de l’Immigration Act and Nationality Act de 1965 abolissant les quotas – a permis à de nombreux musulmans originaires du Moyen-Orient, notamment de la Palestine et du Liban, de s’installer aux États-Unis. Les immigrés musulmans qui sont arrivés aux États-Unis dans les années 1960 ont été confrontés à la contre-culture de cette époque, au désir de liberté et d’indépendance de la jeunesse américaine des années 1960 et 1970. Parmi ces immigrés figurent les parents de certains taqwacores qui, ayant eux-mêmes vécu l’expérience de la contre-culture, même sans y prendre part, sont en mesure de comprendre les revendications de leurs enfants. Même s’ils ne soutiennent pas nécessairement les choix de leurs enfants taqwacores, ils ne s’y opposent pas non plus.

9 À travers leur musique, leurs opinions et leurs déclarations publiques, les taqwacores ont progressivement mis en place leur propre communauté. Michael Muhammad Knight, fondateur malgré lui de la scène taqwacore, souligne que ces derniers sont « a minority within a minority » (Majeed, 2009). Les taqwacores, appartenant pour la plupart à la deuxième ou troisième génération d’immigrants ont grandi aux États-Unis. Ils restent néanmoins souvent culturellement attachés au pays d’origine de leur famille, le Pakistan par exemple, où sont nés les parents de certains taqwacores, notamment les parents des Kominas. La scène taqwacore est ainsi imprégnée de deux cultures – la

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culture américaine et la culture du pays d’origine – qui s’entre-croisent. Elle s’inscrit dans le cadre de l’histoire culturelle, sociale et musicale américaine, et donc de la contre-culture des années 1960 et 1970, dont l’audace et le non-conformisme servent de modèle.

10 Le punk tel qu’on l’entend aujourd’hui a pris forme à la fin des années 1970, avec des groupes comme les Ramones, les Sex Pistols, les Clash, Bad Brains, ou encore les Dead Kennedys. De nombreux membres de groupes punks des années 1970 s’accordent pour situer la naissance du punk dans les années 1960 en considérant, par exemple, la mobilisation hippie contre la Guerre du Vietnam comme une démonstration de l’ethos punk. Selon l’un des musiciens punk interviewé par Don Letts dans le documentaire Punk : Attitude (Letts, 2005), « That was just as punk rock as anything, when everyone was against Vietnam, and they were doing their own thing, they were all having pot and taking LSD at Woodstock and all that. » (Steve Jones, les Sex Pistols) Cette interprétation ne peut être négligée, même s’il convient de différentier les mouvements contestataires des années 1960 et le développement du punk dans les années 1970. Les mouvements de contestation des années 1960 concentraient leur attention et leur énergie dans des buts précis (la justice sociale, les droits civiques, l’arrêt de la guerre) et toutes les actions organisées par les activistes avaient pour but d’atteindre un objectif prédéterminé dont les répercussions devaient concerner le plus grand nombre, jusqu’à la population américaine dans son ensemble. Le mouvement punk, quant à lui, reste majoritairement underground, et ne participe pas de la même démarche volontariste. Depuis leurs débuts, les punks proposent une vision alternative de la société, en prônant le DIY (« Do It Yourself »), sans pour autant y adjoindre une structuration à la manière de ce qui a pu se faire dans les années 1960. Même si les taqwacores n’ont été personnellement impliqués ni dans la contre-culture des années 1960, ni dans les débuts du punk des années 1970 – la plupart d’entre eux ayant aujourd’hui entre vingt et trente ans – ces décennies sont une source d’inspiration.

Émergence de la scène taqwacore : Qui sont-ils ? Que sont-ils ?

11 Le roman The Taqwacores reflète le parcours atypique de Michael Muhammad Knight. Issu d’une famille chrétienne, l’initiation de Knight à l’islam, sa conversion, puis son éloignement de la religion l’ont encouragé à concevoir la religion comme une expérience privée et individuelle, bien loin des institutions musulmanes traditionnelles, et à considérer la communauté taqwacore comme une communauté choisie. Faire de Knight le fondateur de la communauté taqwacore ne sous-entend pas nécessairement que le punk musulman n’existait pas auparavant. Dans les années 1980, des groupes comme les punks britanniques Alien Kulture incorporaient déjà des éléments religieux musulmans dans leurs chansons (Duncombe et al, 2011 : 231). Knight, toutefois, a été le premier à donner un nom au punk musulman américain, à partir d’une communauté fictive, devenue ensuite réalité, à laquelle nombre de jeunes musulmans américains se sont identifiés. Dans une interview, Knight raconte comment, après la publication de son roman, il a saisi l’impact potentiel de son livre après avoir reçu l’appel d’un jeune musulman désireux de rencontrer les punks décrits dans le roman, sans imaginer un instant que ces derniers étaient, en réalité, totalement fictifs :

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« Then one day, Knight got a phone call from a 15-year-old San Antonio kid named Kourosh who wanted to meet these taqwacores. “He thought it was all real,” Knight says. “I told him there weren’t any taqwacores. He said, ‘but I’m taqwacore.’” So the scene became real. Kourosh started a band and named it after one of the bands in the book : Vote Hezbollah. Soon came more groups, such as the Boston-based Kominas9. »

12 La lecture du roman a permis en effet à nombre de jeunes musulmans de prendre la mesure de la richesse de l’islam par le biais de l’affirmation des différences. L’appellation taqwacore est en effet destinée à tous les musulmans prêts à rejeter toute autorité religieuse autre que la leur, afin d’affirmer à la fois leurs opinions religieuses et la compatibilité de ces opinions avec un mode de vie punk. Ce rejet est en quelque sorte facilité par l’absence d’autorité tutélaire unique dans l’islam. Même si des vidéos et écrits de cheikhs (savants, souvent âgés, respectés au sein de l’islam) ou d’imams diffusant des interprétations rigides du Coran prolifèrent sur internet, l’islam n’a pas d’autorité personnifiée telle que, par comparaison, la figure du pape dans le catholicisme.

13 Les Kominas (les « mécréants » en ourdou) forment le groupe taqwacore le plus célèbre, bien que leur renommée soit limitée aux publics initiés. Ils constituent le groupe le plus actif de la scène taqwacore. La majorité des informations pouvant être recueillies sur les taqwacores évoquent d’ailleurs les Kominas. Ils sont désormais connus en dehors des États-Unis– au cours de l’été 2011, ils ont parcouru l’Europe pour une série de concerts dans des festivals – et ils comptent déjà deux albums à leur actif, Wild Nights in Guantanamo Bay (Kominas, 2008), et le tout récent Kominas (Kominas, 2011), ainsi qu’un E.P. [Extended Play] de sept pistes, Escape to Blackout Beach (Kominas, 2010), dans lequel ils reprennent notamment des classiques musicaux pakistanais. Leur single Ren, sorti en août 2011, fait référence au personnage du dessin animé américain The Ren & Stimpy Show et renoue avec le style punk qu’ils avaient légèrement délaissé dans Escape to Blackout Beach10. Les familles des membres du groupe vivent dans la banlieue de Boston. Ils font partie de la classe moyenne, tout comme la majorité des jeunes de la contre- culture des années 1960-1970 – l’un des berceaux de la contre-culture ayant été par exemple l’université de Berkeley. Le groupe a été créé en 2004, peu après la publication du roman de Knight. Le leader du groupe, Basim Usmani, est souvent accompagné en concert par Shahjehan Khan (à la basse et aux choeurs), Imran Malik (aux percussions) et récemment par Sunny Ali (à la guitare). Leurs chansons les plus connues, intitulées « Sharia Law in the USA » ou « Rumi Was a Homo » sonnent comme une provocation à l’encontre des communautés musulmanes et de la société américaine en général, comme le montre cet extrait de leur chanson « Suicide Bomb the Gap » : « La ilaha I took the shahada [la déclaration de foi islamique], I tried to plead my case to the top of Wal Qaeda. But they wouldn’t have any of my leftist kick, the Afghan’s fought off from invading their shit. » (Kominas, 2008)

14 D’autres groupes taqwacores ont ensuite vu le jour, comme Al-Thawra et Secret Trial Five, tous deux créés en 2006. Al-Thawra (« révolution » en arabe) est un groupe de Chicago, dont le leader, Marwan Kamel, est un Américain d’origine syrienne (par son père). Même si Kamel se considère comme arabe et musulman, les trois autres membres du groupe ne sont ni arabes ni musulmans, mais tous s’identifient au roman de Knight et s’accordent à définir leur groupe comme apparenté au genre taqwacore. Secret Trial Five a une relation plus incertaine avec la scène taqwacore, puisque ce groupe, composé exclusivement de femmes, refuse d’être considéré comme taqwacore, comme

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il le crie dans leur chanson « We’re not Taqwacore11 ». Secret Trial Five a cependant participé à la tournée « Taqwa tour » organisée par Michael Knight en 2007.

15 Du 16 au 31 août 2007, Michael Knight et plusieurs groupes taqwacores ont parcouru la côte Est américaine et le Midwest, de Boston à Chicago, en passant par New York, Baltimore, Buffalo et Detroit, à bord d’un vieux bus d’école repeint en vert, la couleur symbolique de l’islam. Le réalisateur Omar Majeed a suivi ce « Taqwa Tour » et relate cette expérience dans le documentaire Taqwacore : the Birth of Punk Islam (Majeed, 2009). On peut y voir les groupes répétant ensemble, mais aussi l’accueil mitigé du public lors des concerts.

16 Il est pour le moment toujours impossible de connaître le nombre exact de groupes taqwacores, l’étendue de leur influence et leur nombre de fans. Nous ne pouvons pour le moment que formuler des hypothèses, en soulignant, par exemple, que les Kominas tendent à élargir leur public grâce à des participations à des festivals, comme le festival britannique Latitude en 2010, et à des tournées comme celle récemment effectuée en Europe12. Les seuls chiffres à la disposition des chercheurs proviennent des réseaux sociaux qui suivent une croissance constante. La page Facebook des Kominas comptait plus de 7 450 fans à la fin du mois de mars 2012. Ce type de sources doit être privilégié puisque les taqwacores et leurs fans utilisent quotidiennement les réseaux sociaux. Tous ont un compte Facebook, Twitter ou MySpace, ils ont grandi avec Internet et sont conscients de la puissance de cet outil qu’il s’agit de maîtriser afin d’élargir leur public et de promouvoir leurs albums.

17 Enfants terribles de l’islam américain, les taqwacores sont souvent perçus comme des agitateurs, tout comme l’étaient les premiers punks des années 1970. Stephen Colegrave et Chris Sullivan, spécialistes du punk, expliquent que « pour la plupart des gens, le punk représentait [dans les années 1970] une opportunité de penser par eux- mêmes et de remettre en question les préjugés et l’élitisme des générations précédentes » (Colegrave et al., 2005). Dans le contexte de l’après 9 septembre 2001, les taqwacores réactualisent cette revendication et l’expriment en musique. Au premier abord, l’association entre islam et rock punk semble difficile, d’autant plus que la compatibilité même entre islam et musique est toujours débattue. Nombre de spécialistes, cheikhs, voient cette association comme dangereuse et interdite par le Coran13. « Music is haram in Islam » (« la musique est interdite dans l’islam », sous- entendu, dans le Coran) proclame avec force l’imam de la mosquée de Lowell, dans le Massachusetts, quand Basim Usmani et Shahjehan Khan des Kominas abordent ce thème avec lui. « There is no Sheikh, there is no imam. There isn’t anyone who has a higher authority than you are in Islam », lui répond Basim Usmani14. Les taqwacores jouent de cette potentielle opposition entre islam et rock punk pour frapper les esprits. Marwan Kamel, du groupe Al-Thawra explique : « The thing is, punk rock doesn’t fucking shock anybody here anymore. Just by even looking at punks, you’re not scared anymore, right ? But when you combine it with something like... you know terrorism scares people a lot... Arabs, because they’re so different, Muslims, because they seem so exotic to people. When you combine that with punk rock, you’re recharging punk rock to make it shocking again. »15

18 Ainsi, le principe même de la création d’une scène punk musulmane choque à la fois les musulmans américains et les Américains non musulmans. Cependant, dans une interview, les Kominas expliquent que les Américains non musulmans sont souvent plus secoués par les paroles de leurs chansons et par leur comportement, que les musulmans eux-mêmes. Les Kominas expliquent ce constat en soulignant qu’ils ne

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correspondent pas à l’image que la majorité des Américains a des musulmans16. Le punk est par ailleurs souvent considéré comme étant initialement une subculture blanche issue du milieu ouvrier, même si elle s’est ensuite avec le temps ouverte aux minorités et à un public plus étendu (via notamment la popularisation du style punk comme les vestes en cuir, les chaussures rangers, les jeans troués, etc.).

19 Toujours dans l’intention de scandaliser le grand public, dans une interview donnée à la radio France Culture début septembre 2011, Imran Malik, qui se préparait à donner un concert avec les Kominas en France le 17 septembre 2011 dans le cadre du Festival des Cultures d’Islam17, assurait vouloir monter sur scène en burqa, signe évident de détournement provocateur de la loi française ayant interdit le port du voile intégral dans les lieux publics fin 201018. Des photos d’Imran Malik en burqa lors du concert sont désormais disponibles sur Internet19.

20 Si les taqwacores s’accordent généralement pour considérer leur style musical comme punk, ils refusent souvent l’appellation « punk musulman ». Le documentaire d’Omar Majeed Taqwacore : the Birth of Punk Islam (Majeed, 2009) fait bien référence au terme de « punk », et dans une interview en marge du festival de cinéma Sundance, en 2010, Marwan Kamel, le chanteur du groupe Al-Thawra, qualifie son groupe de « punk »20. Les références au style et à la musique punk sont présentes dans le roman de Michael Knight. Les punks décrits par Knight dans son roman ainsi que les taqwacores réels utilisent le rock punk comme moyen d’expression mais aussi comme style de vie. Comme les punks des années 1970 ou 1980, ils rejettent toute autorité religieuse et intellectuelle. Leurs concerts sont des moments de socialisation intense, durant lesquels des jeunes se retrouvent pour parler musique, religion, ou problèmes de société, à l’écart du mosh pit (dans les concerts punks ou de métal, l’endroit où l’on pratique un type de danse relativement brutale).

21 Les concerts taqwacores sont donc des moments musicaux mais aussi sociaux, pendant lesquels de jeunes musulmans et non-musulmans punks sont réunis. Le philosophe américain pragmatiste Richard Shusterman défend la théorie de la dimension sociale du plaisir esthétique, théorie qu’il est possible d’appliquer aux groupes taqwacores qui, lors de leurs concerts, cherchent à rassembler et à transmettre certaines idées concernant l’islam et la recherche d’identité aux États-Unis. La dimension sociale de la musique, et surtout de la musique populaire rentre alors en jeu. Shusterman définit l’adjectif populaire de la manière suivante : « Pour qu’un art soit populaire, il ne requiert pas une audience de masse issue d’un courant dominant qui représenterait les goûts les plus communs, mais seulement ce que j’appelle une audience “innombrable”. De cette manière, il est possible de qualifier des genres tels le punk rock ou le rap d’arts populaires même s’ils s’opposent aux goûts et aux valeurs. » (Shusterman, 2007)

22 La musique des taqwacores pourrait dès lors être qualifiée de musique populaire, ou plutôt, de musique en voie de popularisation, l’audience des taqwacores étant grandissante et « innombrable ». Il est possible d’ajouter, en parallèle à l’analyse de Shusterman, que cette popularisation du genre taqwacore s’accompagne, pour certains groupes comme les Kominas, d’une commercialisation de leur musique, même si la majorité des groupes taqwacores est toujours composée de musiciens indépendants ou ayant créé leur propre label.

23 Les taqwacores peuvent donc être caractérisés comme une nouvelle scène musicale appartenant au domaine de l’art populaire. L’expression « mouvement » est également

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souvent utilisée pour évoquer les taqwacores, comme l’a récemment fait la rédaction des Inrockuptibles21. Il est possible en effet d’utiliser le terme de « mouvement » et de l’adapter à la situation des taqwacores, en qualifiant ces derniers de ce que nous appellerons ici un « nouveau mouvement social limité ». Le mouvement taqwacores trouve une résonance dans la définition des nouveaux mouvements sociaux proposée Ronald Inglehart dans The Silent Revolution : Changing Values and Political Styles Among Western Democracies (Inglehart, 1977). Inglehart définit les nouveaux mouvements sociaux comme luttant pour l’estime de soi et la reconnaissance des identités, des luttes qualifiées de qualitatives, à l’inverse des luttes quantitatives que représentaient les grandes luttes ouvrières. Les taqwacores n’ont pas de meneur bien défini, Michael Muhammad Knight s’éloignant progressivement de la communauté taqwacore, surtout depuis son mariage en 2009 et les recherches pour son doctorat en études religieuses à l’université de Caroline du Nord à Chapel Hill. La hiérarchie est inexistante dans la communauté taqwacore et elle est même vivement rejetée par ces derniers. C’est un mouvement social qui s’étend, grâce aux nouveaux réseaux de communication comme MySpace, Facebook, ou Twitter, grâce aux blogs et articles en ligne. Il s’étend aussi grâce au film d’Eyad Zahra et au documentaire d’Omar Majeed, ainsi qu’au succès littéraire de Michael Muhammad Knight.

24 Cependant, le mouvement taqwacore reste un mouvement limité. Le roman de Michael Muhammad Knight est une fiction finalement opaque, destinée à des initiés ayant une certaine connaissance des communautés musulmanes, des dissensions entre les diverses branches de l’islam, et même de la langue arabe, puisque de nombreux mots arabes sont employés dans le texte, comme yakee pour « frère », bid’a qui désigne une innovation religieuse, ou shirk pour « division » (Knight, 2004 :41). Ces références se retrouvent dans les chansons des groupes taqwacores et certaines de leurs paroles sont même écrites en ourdou, ce qui rend la compréhension des chansons plus difficiles. Dans le film d’Eyad Zahra, le personnage de Fasiq porte une veste en cuir sur laquelle figure le symbole des Five Percenters, groupe musulman minoritaire originaire d’Harlem. Ce symbole est une référence à l’attachement de Michael Muhammad Knigt à cette communauté. Lors d’une interview, Knight reconnaît lui-même qu’il n’avait pas imaginé pouvoir toucher un public aussi large, à cause de la difficulté de son roman :

25 « Honestly, I had never thought about non-Muslims reading The Taqwacores. My original version had no glossary, since I was perfectly fine with alienating non-Muslim readers. Now non-Muslims are telling me that they got something good out of the book and I still don’t know how to feel about it, because it wasn’t meant for them. But whoever reads this story, I hope that I’ve given them something positive. »22

Les taqwacores, héritiers de la contre-culture des années 1960-70 ?

26 Le lien entre les taqwacores et les punks des années 1970 est manifeste. Ils partagent la même volonté de choquer les publics non-initiés, comme dans la chanson des Kominas « I Want a Handjob » : « Girl, you know I want a handjob. Why won’t you milk me all through here ? » (Kominas, 2008). Dans « Sharia Law in the USA », Basim Usmani chante « I am an islamist, I am the antichrist » (Kominas, 2008) alors qu’en 1977, John Lydon (alors Johnny Rotten) des Sex Pistols chantait « I am an antichrist, I am an anarchist » dans l’album Never Mind the Bollocks, Here’s the Sex Pistols. D’autres références à des

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groupes punks des années 1970 peuvent être remarquées. Lors d’un voyage au Pakistan en 2007, une partie des musiciens des Kominas a en effet créé un nouveau groupe appelé les Dead Bhuttos, en référence aux Dead Kennedys, groupe formé en 1978, et à la famille Bhutto, famille phare de la politique pakistanaise.

27 Un autre lien entre les taqwacores et les punks des années 1970 réside dans leurs choix vestimentaires. En effet, pendant de nombreuses années après la création des Kominas, le chanteur Basim Usmani s’appliquait avant chaque concert à la réalisation de son mohawk (sa crête) et les membres du groupe portaient vestes en cuir, jeans troués et t- shirts aux slogans provocateurs. Depuis deux ou trois ans cependant, leur style vestimentaire s’est quelque peu assagi et la crête de Basim Usmani a laissé place à des cheveux courts ou mi-longs. À travers d’autres signes vestimentaires, les taqwacores marquent également leur propre empreinte sur la scène punk. Au sein d’un même groupe, certains peuvent porter des vestes en cuir et jeans troués, alors que d’autres, comme Shahjehan Khan, portent fréquemment des vêtements traditionnels pakistanais, comme le shalwar kameez, porté souvent par-dessus un jean. Marwan Kamel, du groupe Al-Thawra porte, quant à lui, souvent le keffieh, en signe de soutien à la Palestine.

28 Les taqwacores s’apparentent aux punks des années 1970 dans leur manière de vivre. La punk house imaginée par Michael Knight est un lieu où se mélangent prières mais aussi consommation d’alcool, de drogue, et relations sexuelles pré-maritales. À l’image de la Factory d’Andy Warhol, la punk house est aussi un lieu de création artistique (Letts, 2005). Dans le roman The Taqwacores, des concerts y ont lieu. Lors de la réalisation du film adapté du roman de Knight, de nombreux taqwacores dont Knight lui-même ont rapproché fiction et réalité, en préparant les décors du film et en garnissant de stickers et de graffitis les murs du décor de la punk house. Celle-ci est aussi un lieu de réflexion, de partage et de tolérance, où chacun est libre de pratiquer ou non sa religion et où les différences religieuses sont cultivées mais aussi discutées.

29 Dans ce contexte, le roman de Knight sonne comme le manifeste de cette communauté, manifeste dans lequel les taqwacores réels se retrouvent et puisent leur inspiration. Certains thèmes sujets à controverse sont abordés, comme l’homosexualité à travers le personnage de Muzammil dont la création ressemble vivement à un clin d’oeil aux New York Dolls, groupe protopunk, créé en 1971, dont les membres étaient systématiquement travestis lors des concerts. Dans l’adaptation cinématographique du roman, le personnage de Muzammil occupe une place importante : l’aspect visuel du personnage est très travaillé, avec une attention particulière portée sur son costume, composé d’une jupe, ou d’un kilt, et souvent d’une voilette, un attribut typiquement féminin.

30 Cette guerre est jugée injuste par les taqwacores dans leur chanson « Blow Shit Up » (« Wait, what if war was just another numbers game » [Kominas, 2008]), comme celle du Vietnam l’a été par les jeunes des années 1960 et 1970. Enfin, dans les deux périodes concernées, les États-Unis ont dû faire face à certains problèmes sociaux d’ampleur variée. Dans les années 1960 et 1970, la discrimination et la lutte pour les droits civiques cristallisent les tensions autour d’une minorité ethnique réclamant l’égalité de tous. Dans les années 2000, la lutte pour les droits civiques est officiellement achevée, mais les discriminations demeurent, surtout après les attentats du 11 septembre 2001. Les taqwacores abordent le thème de la discrimination et de l’intolérance religieuse dans leurs chansons et leurs interviews, comme dans la chanson « Par Desi » :

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« In Lahore it’s raining water, in Boston it rains boots. They tried to stomp me out, but they only fueled the flames Boots crushing my shoulders, where angels chose not to remain. » (Kominas, 2008)

31 Dans ce contexte politique, économique et social tendu, la musique est vecteur de revendication et d’action. Le message d’ouverture sociale et de tolérance de la contre- culture des années 1960-1970 est réactivé par les taqwacores qui défendent, par exemple, les causes homosexuelle et féministe. Dans leur chanson « Rumi Was a Homo », les Kominas critiquent les propos homophobes de Siraj Wahhaj, imam de la mosquée Al-Taqwa de Brooklyn, qui a déclaré que s’il existait un jour une mosquée ouverte aux homosexuels, il la brûlerait lui-même (Knight, 2009b : 15) : « Rumi was a genius Siraj, you’re an ass Rumi was a homo Siraj, you’re a fag » (Kominas, 2008)

32 Dans le premier roman de Michael M. Knight, lors d’une dispute entre Jehangir, le leader malgré lui de la punk house, et Muzammil, le personnage homosexuel, ce dernier reproche à Jehangir d’avoir invité des musulmans intégristes et homophobes au concert punk organisé dans la maison, critique à laquelle Jehangir répond :

33 « Yeah », he said softly. « Yeah Muzammil. They hate you. And they hate me too. They hate all of us for something. Me for the beer in my hand, you for the cock in your mouth, Rabeya for having her clitoris intact. We’re all doing sometimes haram [contraire à la loi islamique]. Look at us. We’re the ones that have always been fuckin’ excluded, ostracized, afraid to be ourselves around our fuckin’ brothers. They don’t build masjids [mosquées] for us. We have to get our own. A fuckin’ fag mosque in Toronto, you know I’m all for it. Female imams, God bless ‘em. Whatever. You know I don’t give a shit. But let’s not play that bullshit game where once we get our own scene we can push people to the sidelines, to the fuckin’ fringe like they did us. Do you only want a community so you can make someone else look like the Outsider ? » (Knight, 2004 : 216-217)

34 Les taqwacores se réclament d’une conception personnelle de la religion, libérée de tout autorité religieuse imposée, comme de jeunes Américains le demandaient déjà dans les années 1960 et 1970. À cette époque, nombre d’entre eux découvrent des religions alors peu représentées aux États-Unis, comme le bouddhisme, et de nouvelles pratiques religieuses comme la récitation du mantra Hare Krishna. Dans la communauté taqwacore, la religion se pratique, nous l’avons vu, de manière très informelle. Chacun est libre de pratiquer ou non sa religion, et les séances de prière sont menées de manière alternée par différents membres de la communauté, femmes incluses. Chacun est libre de pratiquer seul ou avec les autres. Michael Muhammad Knight, converti à l’islam, peut être considéré comme un exemple significatif de cette liberté religieuse, étant passé d’une religion subie à une religion choisie. Les taqwacores utilisent souvent la provocation pour transmettre leur refus de l’autorité religieuse. Au cours de la tournée taqwacore de 2007, le bus des taqwacores s’est arrêté à la convention annuelle d’ISNA, la Société Islamique d’Amérique du Nord, qui réunit tous les ans plus de trente mille personnes. Lors de cette convention, des activités comme des concerts amateurs sont proposés en marge des débats et ateliers de réflexion, et certains groupes taqwacores – dont le groupe féminin Secret Trial Five – sont montés sur scène pour clamer leur liberté religieuse individuelle, provoquant alors la stupéfaction d’une partie du public.

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35 Enfin, s’appuyant sur le modèle de la contestation contre la guerre du Vietnam, les taqwacores critiquent le patriotisme outrancier dont fait preuve une partie de la population américaine. Le documentaire d’Omar Majeed montre que, lors de la tournée taqwacore de 2007, le drapeau américain était utilisé comme tapis dans le bus taqwacore. Toute personne qui entrait dans ce bus devait marcher sur le drapeau américain étendu sur les marches du bus et foulait ainsi à la fois le drapeau et son aspect symbolique, de manière à exprimer le rejet de toute démonstration de patriotisme américain (Majeed, 2009).

36 Les taqwacores sont pris en porte-à-faux entre leur identité d’origine et leur identité en tant que jeunes américains musulmans et mettent en chanson cette recherche identitaire, en évoquant leur pays d’origine, affaibli par les troubles politiques, et les répercussions sociales de ces troubles : « They call it partition It’s more like separation. Someday I’ll go and see that haunted tree. The one in my grandfather’s haveli. [Grande demeure en Inde et au Pakistan.] The one I never got to see. Decades before me they were forced to flee. [...] They call it partition It’s more like separation. This story is not mine alone. Millions of people can never return home. Because home’s a place they’ve never known23. »

37 Les taqwacores réactivent ainsi l’héritage du punk près de quarante ans après ses prémices dans les années 1960. Cependant, il faut aussi s’interroger sur les fins visées par les taqwacores et sur la potentielle utilisation du rock punk comme un moyen d’aboutir à ces fins. L’adoption du mode punk doit être conçue comme un apport exogène destiné à provoquer, au sein des communautés musulmanes, et plus globalement de la société américaine, une réflexion sur la contribution de l’islam au pluralisme américain, sur la reconceptualisation du religieux comme expérience individuelle vécue et processus créatif et plus généralement sur la « fin des identités religieuses héritées » (Hervieu-Léger, 1999).

38 En outre, la question du militantisme est une donnée importante pour appréhender la formation de la communauté taqwacore. Ces derniers ne veulent pas être considérés comme des militants, mais le fait est qu’ils sont bel et bien porteurs d’une nouvelle voix pour l’islam américain. Elevés dans l’omniprésence des médias et le développement d’Internet, ces jeunes adultes ont pleinement conscience de l’impact que peuvent avoir leurs déclarations publiques. Ils savent pertinemment que toutes leurs déclarations sont susceptibles d’être publiées et commentées. Refuser de reconnaître la voix taqwacore comme une nouvelle voix pour l’islam américain reviendrait à minimiser le parcours accompli par la communauté taqwacore.

39 Il est possible de considérer la contre-culture développée dans les années 1960 et 1970 comme le berceau des subcultures actuelles comme la scène et la communauté taqwacore. Dans le cas des taqwacores, cependant, si cet héritage est souvent revendiqué, il n’aboutit pas nécessairement à une démarche militante du type de celle des années 1960 et 1970. Il semble que les taqwacores ne fassent qu’une utilisation

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limitée de cet héritage et participent ainsi à un certain dévoiement d’une contre- culture devenue quasi-mythique pour les générations actuelles.

La contre-culture et les taqwacores : un héritage affaibli ?

40 Dans un courrier électronique datant du 26 avril 2011, Michael Muhammad Knight expliquait son inconfort face à l’utilisation de l’adjectif « militant » pour décrire la communauté taqwacore. Selon lui, cet adjectif avait une résonance combative qui ne s’appliquait pas à la communauté taqwacore. Pour Knight, parler de communauté militante revient à imaginer une opposition qu’il ne perçoit pas chez les taqwacores24. Pourtant, les taqwacores émettent des opinions destinées à devenir publiques, sur nombre de sujets, par le biais des médias et surtout d’Internet. Décrire la communauté taqwacore comme pratiquant un genre bien particulier de bottom up activism (activisme venant du bas, de la base) est une similitude partagée par les taqwacores et les jeunes ayant rejeté l’American way of life dans les années 1960 et 1970. Néanmoins, le fait que les taqwacores refusent de reconnaître cet activisme qui leur est propre n’est pas l’unique caractéristique qui les différencie des jeunes ayant participé à la contre- culture.

41 En premier lieu, les sujets évoqués par les taqwacores sont profondément ancrés dans leur époque et les préoccupations de leur époque. Leurs revendications sont légitimes et compréhensibles dans le contexte des États-Unis du début des années 2000, mais elles ne font pas nécessairement partie d’un esprit de révolte ambiant et de changement sociaux dans lequel ont pu s’inscrire la contestation des années 1960 et 1970. Par ailleurs, les musiciens et fans taqwacores n’ont pas la même influence que les leaders de la contre-culture, et les chiffres de la mobilisation sont également différents. Ils ne suscitent pas le même engouement précisément parce qu’ils ont choisi d’exprimer leurs opinions via la musique punk, genre minoritaire qui a lui-même toujours été marginalisé. Les taqwacores peuvent ainsi être assimilés à une image d’agitateurs refusant, par exemple, de soutenir l’effort patriotique, quand ils rejettent en bloc la guerre en Irak et l’intervention militaire en Afghanistan. Utiliser le punk pour transmettre des opinions peut même aller jusqu’à réactiver de vieilles images souvent assimilées au rock punk, telles que la violence gratuite, voire le racisme.

42 Malgré les dérives de l’hagiographie progressiste de la contre-culture qui consiste à définir cette dernière comme multiculturelle, multiraciale et même féministe, les grandes figures de ce mouvement étaient bel et bien des hommes, souvent blancs et instruits, un de grands bastions de cette rébellion étant, par exemple, l’université californienne de Berkeley. Il existe un décalage entre l’image de la contre-culture et la réalité des faits. Il en va de même avec certains taqwacores qui, malgré leur message d’ouverture et de d’universalité de leurs opinions, restent ancrés dans un particularisme dans lesquels ils se replient. La communauté taqwacore utilise un système de codes et de références uniquement compréhensibles par un public initié et utilisés, dans le roman de Knight, comme dans l’adaptation cinématographique qui en a été faite et dans le documentaire d’Omar Majeed.

43 Ainsi, le message universel de tolérance et de liberté des taqwacores semble quelque peu entaché d’un particularisme qui refuserait d’ouvrir cette communauté à tous. Le

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punk lui-même n’a jamais vraiment prôné d’ouverture vers le mainstream, refusant au contraire une quelconque assimilation avec des styles musicaux plus populaires. Ce refus d’ouverture sur le mainstream est important pour comprendre les nouvelles directions prises récemment par certains groupes taqwacores, dont le plus célèbre, les Kominas.

44 Ces derniers ont en effet récemment changé de style, en s’éloignant peu à peu de leur punk originel, comme dans les chansons « Choli Ke Peeche » ou « Manji Vich Daang » dont des versions ont été enregistrées dans les studios de la chaîne BBC25. Cette nouvelle direction prise par le groupe conduit à deux interprétations. On peut la considérer positivement comme une ouverture vers un plus large public, et ainsi vers une plus grande reconnaissance et acceptation de leurs sujets de revendication. D’un autre point de vue, il s’agit aussi de considérer l’autre volet de cette ouverture, à savoir que les Kominas seraient en train de compromettre l’héritage du punk. En effet, ces derniers arborent désormais un style vestimentaire plus sage, leur utilisation de phrases et de paroles choc est moins récurrente et les Kominas leur préfèrent désormais des reprises de chansons traditionnelles pakistanaises. Ce phénomène entraîne deux conséquences majeures : la désapprobation de certains autres groupes taqwacores et l’ouverture vers un plus large public. Dans un courrier électronique du 24 mai 2011, Marwan Kamel du groupe Al-Thawra regrettait de voir les Kominas effacer les propos politiques de leurs chansons afin de les rendre plus conventionnelles. Il leur reproche également d’utiliser certains thèmes sujets à controverse, comme le terrorisme ou la charia afin de faire parler d’eux, mais sans aborder de sujets plus politiques comme la crise en Palestine ou la recherche d’identité des jeunes musulmans américains. Pour Marwan Kamel, l’engouement pour la communauté taqwacore peut disparaître aussi vite qu’il est apparu26. Les taqwacores, dans leur avancée vers le mainstream, participeraient alors à un affaiblissement de leur dimension contre- culturelle. L’argument semble recevable, mais il est important de comprendre que cet esprit devenu quasi-mythique de la contre culture des années 1960 et 1970 est lui aussi en quelque sorte, devenu mainstream. En effet, écouter The Stooges, Jimi Hendrix, ou les Sex Pistols est devenu quelque chose de commun et ne choque plus vraiment. La contre-culture des années 1960 et 1970 est entrée dans notre quotidien et même si nous reconnaissons aujourd’hui la formidable expérience humaine, politique et culturelle qu’elle a pu provoquer et construire (Farber 1994 ; Gitlin 1987), elle est devenue relativement commune pour les sociétés occidentales actuelles.

45 Malgré certains aspects controversés des taqwacores, il faut garder en mémoire le formidable élan de liberté religieuse que représente l’essor de la communauté taqwacore. Cette dernière s’étend désormais jusqu’en Indonésie ou en Egypte27, et la scène taqwacore est devenue une nouvelle voix qu’il s’agit d’écouter et de comprendre, afin de cerner les préoccupations de nombreux jeunes musulmans à travers le monde. Les taqwacores peuvent être considérés comme les représentants d’une nouvelle forme d’islam américain, un islam décomplexé et libéré de toute forme de domination intellectuelle et sociale, un islam qui évolue en même temps que les croyants qui le pratiquent. Peut-être même un islam « post-islamiste » (Roy, 2011), laïque ou séculier, qui refuserait l’amalgame entre religion et politique.

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NOTES

1. J’utilise le terme straightedge pour décrire le personnage d’Umar dans le roman. Il se réfère aux musiciens punks qui ne boivent pas, ne fument pas, et ne prennent pas de drogue, afin de garder un total contrôle sur leur vie. 2. Maag C. (2008), « Young Muslims Build a Subculture on an Underground Book », The New York Times. http://www.nytimes.com/2008/12/23/us/23muslim.html. [22-12-2008] 3. Maag C. (2008), « Young Muslims Build a Subculture on an Underground Book », The New York Times. http://www.nytimes.com/2008/12/23/us/23muslim.html. [22-12-2008]. Aitch I. (2010), « The Kominas Bring Islamic Punk to Meltdown », The Guardian. http://www.guardian.co.uk/ music/2010/jun/10/islamic-punk-the-kominas-meltdown [10-06-2011]. Philips M. (2007), « Slam Dancing for Allah », Newsweek. http://www.thedailybeast.com/newsweek/2007/06/17/slam- dancing-for-allah.html [17-06-2007]. 4. Zahra, E. (ed.) (2010) The Taqwacores, Sundance 2010. http://www.sundance.org/blog/entry/ behind-the-scenes-of-the-taqwacores/ [Septembre 2011]. 5. Cinémondes. Festival International du Film Indépendant de Lille (2011). « Sélection Officielle : The Taqwacores »http://www.fifilille.fr/modules/smartsection/item.php?itemid=196 [Avril 2011]. 6. The Pew Forum on Religion and Public Life (2010). http://religions.pewforum.org/portraits# [Septembre 2011]. 7. J’utilise le terme anglais de subculture pour éviter l’aspect péjoratif du terme « sous-culture » en français, malgré le choix effectué par Marc Saint-Upéry dans sa traduction de l’ouvrage de Dick Hebdige, Subculture : The Meaning of Style [Sous-culture : Le sens du style]. 8. The Pew Forum on Religion and Public Life (2010), http://religions.pewforum.org/portraits# [Septembre 2011]. 9. El Akkad O. (2007), « A Muslim Meld of Punk and Piety », The Globe and Mail. http:// www.theglobeandmail.com/news/arts/article805868.ece [Juillet 2011]. 10. The Kominas (2011), Ren, YouTube. http://www.youtube.com/watch?v=tl1XQqrltqE [Septembre 2011]. 11. Secret Trial Five (2010), « We’re not Taqwacore », Youtube. http://www.youtube.com/watch? v=uMBUZDmyHJA [Décembre 2010]. 12. Festival Republic (2010), Latitude 2010. 5e édition. Festival Republic. http:// www.latitudefestival.co.uk/2010 [Décembre 2010]. 13. « Is Music Haram in Islam ? (Dr Zakir Naik) » (2009), Youtube. http://www.youtube.com/ watch?v=hF94jtwUbvQ [2010]. 14. « Is Muslim Punk Rock Haram ? 1/5 » (2007), Youtube. En ligne [2010]. 15. Al Thawra, « Zionized 25: Al Thawra (The Revolution) » (2010). Youtube. http:// www.youtube.com/watch?v=LA2GRy_ZTYQ [Mars 2012]. 16. . Gillet C. (2011), « KOMINAS : Un islam punk made in USA », France Culture. Radio. [Septembre 2011]. 17. Festival des Cultures d’Islam (2011). http://www.institut-cultures-islam.org/ici/festival-des- cultures-d-islam/concerts-spectacles/soiree-taqwacore.html [Septembre 2011]. 18. Bérénice Le Mestre (2011), « Des États-Unisaux Pakistan, Rock The Casbah ». VoxPopMag.com. http://www.voxpopmag.com/actus/19547-des-etats-unis-au-pakistan-rock-the-casbah/ [Septembre 2011]. 19. « A Blog by Imran Ali Malik », http://rockistani.com/ [2011]. 20. Al Thawra, « Zionized 25: Al Thawra (Rev.) » (2010). Youtube. http://www.youtube.com/ watch?v=LA2GRy_ZTYQ [janvier 2010]. 21. Rédaction. « Taqwacore : du Coran au punk », Les Inrockuptibles. http://www.lesinrocks.com/ musique/musique-article/t/69639/date/2011-09-02/article/taqwacore-du-coran-au-punk/ [02-09-2011].

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RÉSUMÉS

L’émergence de la scène taqwacore en 2004 fait référence au premier roman de l’écrivain américain musulman Michael Muhammad Knight, The Taqwacores. Cette scène a fait découvrir au grand public une forme atypique de punk, le punk dit musulman. À travers des chansons aux textes incisifs et des déclarations publiques controversées, les taqwacores transmettent un message de tolérance religieuse, tout en proposant une réflexion sur l’identité américaine musulmane. Cet article décrit l’émergence de la scène taqwacore, la caractérise socialement et cerne ses influences et ses perspectives. Minorité au sein de la minorité que représente la communauté musulmane américaine, les taqwacores se positionnent comme les représentants de ce qui peut être appelé une contre-subculture qui réactive les codes hérités du punk émergeant dans les années 1960 et 1970 au bénéfice d’un combat contre, entre autres, l’islamophobie de l’après 11 septembre 2001, et contre les interventions militaires américaines en Irak et en Afghanistan. Cet article aborde en outre la question de l’héritage du punk et de son affaiblissement potentiel à des fins politiques ou commerciales.

In 2004, the publication of American Muslim author Michael Muhammad Knight’s debut novel The Taqwacores resulted in the emergence of the taqwacore scene, or as it is sometimes called, the « Muslim punk » scene. The taqwacores convey their ideas of religious tolerance and identity exploration through ironical lyrics and controversial public statements. This article describes the emergence of the taqwacore scene, as well as the taqwacores’ social characteristics, their influences, and their goals. The taqwacores make up a minority within the minority group of Muslim communities in the United States. They can be perceived as creating a counter- subculture based on the punk rock heritage, which first originated in the 1960s and 1970s. They reactivate this heritage to fight against the post-9/11 Islamophobia and to denounce, for instance, the US military interventions in Iraq and Afghanistan. This article addresses the issue of punk heritage and its potential debasement for political or economic reasons.

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INDEX

Index géographique : États-Unis / USA Keywords : subcultures, religion / mysticism, youth, identity (individual / collective), Islam / Muslims, counterculture / resistance, literature Mots-clés : subcultures, religion / mysticisme, jeunes / jeunesse, identité individuelle / collective, Islam / Musulmans, contre-culture / résistance, littérature Index chronologique : 2000-2009 nomsmotscles Al-Thawra, Kominas (the), Knight (Michael Muhammad) Thèmes : punk / hardcore punk

AUTEUR

ALINE MACKE Aline Macke a enseigné le français à l’Université de Virginie (Charlottesville, VA) en poursuivant ses recherches sur l’islam des jeunes aux Etats-Unis, et notamment sur les manières alternatives d’appréhender la relation individuelle à l’islam. Elle a fait son Master en civilisation américaine sur les taqwacores, jeunes punks musulmans aux États-Unis, à l'université Paris-Est Créteil. mail

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Le DIY comme dynamique contre- culturelle ? L’exemple de la scène punk rock DIY as a Countercultural Dynamic? The Example of the Punk Rock Scene

Fabien Hein

1 LE MOIS D’AOÛT 1976 marque l’émergence de la scène punk rock britannique. Caroline Coon, journaliste au Melody Maker 1, en tire l’observation suivante : « Le mot d’ordre est à la participation. Le public s’est conforté dans l’idée que chacun pouvait monter sur scène et faire aussi bien, sinon mieux, que les groupes qui y jouaient déjà. » (Savage, 2004 : livret CD)

2 Un peu plus tard, en décembre 1976, le fanzine britannique Sideburns 2 publie une illustration sous forme de tablatures présentant trois accords (un la, un mi et un sol) auxquels sont adjointes les mentions suivantes : « voici un accord, en voici un autre, en voilà un troisième, maintenant monte ton propre groupe. » (Savage, 2002 : 324) Cette illustration prescriptive va constituer la « maxime suprême de la philosophie punk » (Hebdige, 2008 : 118). En réalité, elle fonde une vulgate participant puissamment de la démocratisation des pratiques culturelles (Hesmondhalgh, 1997). Simon Frith y voit deux grandes dimensions. Tout d’abord, l’affirmation que l’authenticité (Peterson, 1992) réside dans les petites maisons de disques/structures de distribution indépendantes plutôt que dans les multinationales du disque. Ensuite, une démystification du processus de production culturelle en soulignant que désormais, « chacun est en capacité de passer à l’acte » (Frith, 1983 : 159) et constitue, à ce titre, une véritable incitation à l’action opposée à « toute conception spectatrice et passive

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du savoir » (cité par Buettner dans Dewey, 2005 : 407). Dans cette configuration, la vulgate punk apparait porteuse d’une dynamique contre-culturelle. En effet, si l’on suit Alain Touraine, la contre-culture désigne « l’ensemble des mouvements de marginalisation ou de contestation formés au moment d’une extension et d’une accélération d’une croissance organisée autour des exigences des grandes organisations : intégration interne, manipulation des besoins et des attitudes, répression de plus en plus forte des conduites qui “dévient” par rapport aux valeurs et aux normes qu’elles créent » (Touraine, 1998 : 204). Cet article entend examiner la validité de l’inscription sociohistorique de la vulgate punk dans une dynamique contre- culturelle. Ce qui présuppose, dans un premier temps, d’en considérer le contexte d’émergence avant d’en aborder, dans un second temps, la dimension entrepreneuriale.

La scène punk rock

3 La scène punk rock 3 émerge tout d’abord à New York au cours des années 1975-1976 sous l’influence d’artistes tels que les Ramones, Television, Suicide, etc., le fanzine Punk et les clubs CBGB’s et Max’s Kansas City (McNeil & McCain, 2006). Malcolm McLaren, alors manager des New York Dolls, se montre particulièrement sensible aux pratiques de cette scène. Elle l’enthousiasme au point d’en importer, avec succès, les principaux attributs culturels en Angleterre. La presse musicale britannique s’en fait également l’écho – via l’hebdomadaire New Musical Express notamment. C’est ainsi que dès le mois d’août 1976, Londres devient l’épicentre du punk rock. Dans les grandes lignes, les efforts conjugués de McLaren, des Sex Pistols, des Damned, des Clash, etc., du fanzine Sniffin’ Glue, du Roxy Club, du 100 Club et des médias nationaux (parfois contre leur gré) provoquent un véritable phénomène culturel (Frith, 1983 ; Savage, 2002 ; Colegrave & Sullivan, 2002 ; Hebdige, 2008) qui va profondément modifier « les structures de la vie quotidienne » (Marcus, 1999 : 175). À partir de quoi, la scène punk londonienne va stimuler le développement d’une multiplicité d’autres scènes punk à l’échelle de la planète (Baulch, 2002 ; Thompson, 2004 ; Guibert, 2006 : 242-246 ; Rudeboy, 2007 ; Teipel, 2010 ; Boehlke & Gerilke, 2010). Cela signifie qu’à travers le monde, des milliers de jeunes amateurs vont tenter de retraduire la dynamique punk à leur façon au sens ou « l’adopter c’est l’adapter » (Akrich et al., 1988 : 1). Au sens où l’on répète les choses tout en y introduisant de la différence (Deleuze, 1968). C’est dans ce contexte que vont émerger à la fois de nouvelles manières de faire et de penser sous l’influence d’une vulgate punk aux effets durables.

L’effet punk

4 L’effet de la vulgate punk peut se mesurer à la lumière des propos de quelques figures tutélaires de la scène punk. Ainsi, pour Loran, guitariste du groupe français Bérurier Noir 4 : « Ce qui m’a plu dans le punk, ce que j’en ai compris, c’était vraiment ça : fais ton groupe, fais ton label, sois indépendant, arrête de consommer comme un idiot en ouvrant le bec et en gobant tout. » (Pépin, 2007 : 42)

5 Pour le groupe britannique Crass 5 : « Si vous pensez que le punk est juste un divertissement du samedi soir, vous n’avez absolument rien compris… Il est grand temps de saisir qu’être punk consiste à faire

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par ses propres moyens. À être créatif et non pas destructif […] Bougez vos fesses et passez à l’action ! » (Calmbach, 2007 : 83)

6 Quant à Henry Rollins, chanteur du groupe américain Black Flag 6 : « L’éthique punk a rendu évident qu’il n’était nul besoin d’être un musicien brillant pour monter sur scène. Dans un sens, je pense que c’est cool. Pas besoin d’être Led Zeppelin ni de rester indéfiniment confiné dans son local de répétition. Chacun peut se lancer pour peu qu’il en ressente la motivation. C’est une manière formidable de réaliser ses aspirations. » (Rollins, 1993 : 138)

7 En somme, l’effet punk consiste en une invitation (voire une injonction) à ne plus attendre le savoir, mais à le prendre (Brass & Poklewski Koziell, 1997 ; Carré, 2006 : 20). Comme le souligne très justement Greil Marcus, le punk procède d’un « besoin urgent de vivre non pas comme objet mais comme sujet de l’histoire – de vivre comme si quelque chose dépendait réellement de notre propre action – et ce besoin urgent débouche sur un champ libre » (Marcus, 1999 : 14). Ce qui, d’un point de vue sociohistorique marque précisément le passage de « l’autonomie comme aspiration à l’autonomie comme condition » au sein des sociétés industrialisées (Ehrenberg, 2010 : 189). En somme, l’émergence punk instaure progressivement de nouveaux « cadres interprétatifs 7 » participant de « l’organisation de l’expérience » (Goffman, 1974 : 19) qui va produire, de façon locale et temporaire, des perceptions, des jugements, des raisonnements, des valeurs et des normes qui vont orienter l’action individuelle et collective 8. Ce que la scène punk va traduire à sa manière sous la forme du « DIY ».

Le DIY c’est du travail !

8 L’acronyme DIY signifie « do it yourself », c’est-à-dire « fais-le toi-même » en français. Sa valeur prescriptive est supposée enclencher un régime d’action spécifique (Hein, 2011). Autrement dit, mettre en œuvre une activité organisatrice sur la base d’une division du travail plus ou moins marquée 9 (Becker, 1988 ; Durkheim, 1996, Alter 2000). Ian MacKaye, figure emblématique du punk rock, unanimement respecté pour avoir été chanteur de Minor Threat, guitariste-chanteur de Fugazi et être co-dirigeant du label Dischord Records (Fairchild, 1995 ; Azerrad, 2001 ; Friedmann, 2007 ; Andersen, 2009) en fait l’analyse suivante : « L’un des aspects du Do It Yourself, c’est qu’il faut réellement tout faire par soi- même. C’est du travail ! On se manage nous-mêmes, on trouve nos dates de concerts nous-mêmes, on gère l’entretien de notre matériel nous-mêmes, on enregistre nos disques nous-mêmes, on complète nos déclarations fiscales nous-mêmes. Nous nous occupons de tout cela et cela prend du temps. On ne peut pas tourner tous les jours de l’année parce que quelqu’un doit bien chercher des dates à un moment donné. Je pense qu’il y a un paquet de travail organisationnel dont les gens n’ont absolument aucune idée. Ils imaginent généralement que le monde de la musique tourne avec des tas de gens chargés de faire ce boulot à ta place. Mais ce n’est pas punk rock. Nous venons d’un monde où l’on fait les choses nous-mêmes. » (Sinker, 2001 : 19)

9 L’exemplarité de ce propos tient en ce qu’il souligne la valeur fondamentale de l’autoproduction au sein de la scène punk rock. Il met également en lumière la manière dont le régime DIY est progressivement parvenu à produire un cadre interprétatif favorable au développement d’un entrepreneuriat punk (Clark, 2003 : 234 ; Gosling, 2004 : 168 ; Hein : 2011), qui, compte tenu des régularités observées, va fonder en retour la rationalité de la scène punk rock. Jon Savage en tire l’interprétation suivante : « Tout faire par soi-même – enregistrer produire et sortir votre propre disque/fanzine/livre/

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film – et se fédérer avec d’autres esprits frères voilà le revers caché de la face négative revendiquée par le punk, une décentralisation en actes aux possibilités infinies » (Savage, 2002 : 19). Il s’avère que cet « infini des possibles » (Verrier, 1999) va effectivement offrir des perspectives particulièrement stimulantes si l’on en juge la carrière fulgurante de Marc Perry (fondateur du fanzine Sniffin’ Glue) qui se souvient être passé, en l’espace de six mois, du statut de modeste employé de banque à celui d’éditeur de presse alternative et de responsable d’un label indépendant (Perry, 2009 : 8) 10. En cela, le régime DIY participe indéniablement d’un processus d’empowerment.

Le DIY facteur d’empowerment

10 Le régime d’engagement DIY encourage ses acteurs à inventer et à innover (Alter, 2000). En somme, à expérimenter. Moyennant quoi, cette dynamique va dépendre pour l’essentiel de la détermination de ses acteurs à produire. Dans les faits, c’est plus précisément l’autodétermination qui va conduire progressivement, en situation, à l’autoproduction des compétences, des structures, des réseaux et des œuvres constitutifs de l’expérience punk. La scène punk se présente ainsi comme un terrain d’apprentissage doté d’une force formatrice puissante.

11 Les acteurs y sont tenus d’apprendre à identifier des ressources, à saisir des opportunités et à élaborer des stratégies. Le DIY se présente ainsi comme un processus d’empowerment « par lequel un individu ou un groupe acquiert les moyens de renforcer sa capacité d’action, de s’émanciper » (Bacqué, 2005 : 32). Cet empowerment apparaît comme un formidable générateur de créativité (Laughey, 2006 : 91). De même qu’il fonde « un solide sentiment d’identité émotionnelle et cognitive et accroît les capacités et le pouvoir » des individus (Willis, 1990 : 24). Cette dynamique préside à l’émergence de nouveaux cadres interprétatifs en même temps qu’il stimule et encourage l’initiative (Andes, 1998 : 223). Ce processus autodidacte, en prise directe avec la réalité, va favoriser la possibilité d’agir (Keeton & Tate, 1978 : 2). Et cette possibilité d’agir sur le réel est d’autant plus déterminante qu’elle transforme à la fois le réel et celui qui agit sur lui (Dewey, 1975 : 175). Cela signifie que les acteurs sont donc au moins aussi importants que l’environnement au sein duquel ils évoluent. Chacun façonne l’autre conjointement (Thévenot, 2006 : 14). En d’autres termes, ce qui se joue concrètement entre un groupe et une scène musicale tient aux multiples interactions, ou plus précisément, aux multiples transactions qui s’y produisent et débouchent sur des actes coordonnés. Or il se trouve que ce sont précisément ces actes coordonnés qui font sens et vont produire des réseaux et des coopérations efficaces. Reste à savoir par quels moyens. Pour Jon Savage, « l’une des choses les plus enthousiasmantes produite par le punk tient à ce que des gens ont simultanément pensé les mêmes choses et fait le même type de bruit dans plusieurs endroits à l’échelle du monde » (Savage, 2004 : livret CD). Par ces propos, Savage souligne que la scène punk rock (comme environnement), compte tenu de son histoire socioculturelle et des vulgates qui la traversent, a institué des manières de faire, de dire et de penser spécifiques, dotées d’une force contraignante (Andes, 1998 : 223). À partir de quoi, il est envisageable de « postuler l’existence de repères stables possédant suffisamment d’objectivité pour être unanimement partagés et garantir la coordination d’une action collective » (Ogien, 2001 : 404). En somme, contrairement aux idées reçues, le punk rock est objectivement structurant. Participer oui, mais pas n’importe comment 11 (Fiske, 1992 ; Fairchild,

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1995 ; Davies, 1996 ; Goshert, 2000 ; Gosling, 2004 ; Calmbach, 2007). La dynamique est clairement incitative. Elle semble avoir animé John Lydon dès le début de sa carrière avec les Sex Pistols 12, puisqu’il déclare dès avril 1976 : « Je suis contre ceux qui se plaignent du Top Of The Pops [émission musicale hebdomadaire britannique extrêmement populaire], mais ne foutent rien. J’ai envie que les gens se bougent, agissent, qu’ils nous voient et que ça les pousse à faire quelque chose, sinon, je perds mon temps. » (Mojo, 2006 : 26)

12 Être punk ne consiste donc pas seulement à renoncer au registre de la plainte et de l’apathie pour lui opposer le registre de l’action. Il manque un terme à l’équation pour être complète. Être punk c’est en premier lieu avoir conscience de sa capacité à agir (sinon de devoir agir). Ce que vont précisément démontrer les premières tentatives d’autoproduction qui constituent, à ce titre, une application concrète du DIY.

Le DIY en acte

13 Le premier disque entièrement autoproduit de l’histoire du punk s’intitule Spiral Scratch. Il est l’œuvre du groupe The Buzzcocks 13 qui le fait paraitre sur son propre label, New Hormones, créé pour l’occasion en janvier 1977 14. À son échelle, c’est un véritable succès. Le disque s’écoule à 16 000 exemplaires en l’espace de six mois sans l’aide d’aucune structure de distribution (Nice, 2010 : 13). En démystifiant le processus de production et de distribution d’un disque, Spiral Scratch s’impose aussitôt comme un paradigme doublé d’une incitation à l’action pour quantité de jeunes amateurs de punk rock. Dès le mois d’août 1977, le groupe Desperate Bicycles va se positionner comme l’un des plus fervents promoteurs de l’autoproduction en martelant à longueur de disques et d’interviews qu’enregistrer, presser et distribuer un disque est à la portée de chacun 15 (Reynolds, 2007 : 137). Début 1978, des labels comme Factory Records 16 ou Rough Trade Records 17, vont à leur tour faire la démonstration que le modèle économique instauré par New Hormones est parfaitement viable. Comme Greil Marcus le souligne dans son Lipstick Traces (1999), sans le savoir, les punks sont les héritiers du dadaïsme, qui entre 1916 et 1920 s’affirme comme le premier mouvement artistique à vouloir briser la barrière, alors infranchissable, entre acteur et spectateur (Dachy, 2005). Une ambition que l’on retrouve également dès 1957 au sein de l’Internationale situationniste (Chollet, 2004) qui entend « diminuer le nombre des spectateurs, le réduire à son minimum, jusqu’à extinction si possible, tout en augmentant le nombre de ce qu’ils appelaient les viveurs, les pratiquants » (Onfray, 1993 : 96). En regard de l’histoire de l’art, la radicalité punk s’inscrit banalement dans une tradition pour laquelle le passage au faire est au principe de tout. Malcolm McLaren estimait par exemple que « l’acte de produire est au moins aussi déterminant que ce qui est produit » (Rivett, 1999 : 43). Marc Calmbach souligne bien cette survalorisation de l’action à travers une série de slogans particulièrement populaires au sein de la scène punk tels que « Action speaks louder than words »/« L’action parle plus fort que les mots » ou « Talk – Action = 0 »/« Parler – Action = 0 » (Calmbach, 2007 : 145). La notion de performation est effectivement centrale dans le punk. Compte tenu de cette dimension, un certain nombre d’acteurs vont envisager le DIY comme un véritable programme pédagogique.

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Le DIY comme programme pédagogique

14 En 1978, Vic Godard, chanteur du groupe Subway Sect 18, déclare envisager le punk rock, « non comme une soupape de sécurité “évacuant la tension des gens afin qu’ils puissent retourner au travail le lendemain matin”, mais comme “un excellent système éducatif d’appoint […] fait pour apprendre aux gens à se former eux-mêmes” » (Reynolds, 2007 : 59). Deux années auparavant, en 1976, le même Vic Godard confiait, dans un entretien accordé au fanzine Sniffin’ Glue, qu’il lui semblait important d’avoir un engagement social de façon à prendre position pour un ensemble de causes, en premier lieu desquelles, le respect du droit du travail (Perry, 2009, n° 5, nov. 1976 : 6). Des propos de ce type tranchent très nettement avec ceux d’Adorno et d’Horkheimer (1974) selon lesquels, la culture de masse contribue à la dissolution de la conscience critique et masque la vérité de l’exploitation capitaliste. En effet, le propos de Vic Godard, témoigne d’une idée compréhensive – dont l’arrière-plan théorique est énoncé depuis plusieurs décennies par des chercheurs appartenant au courant des Cultural Studies (Glevarec et al., 2008 ; Jenkins, 1991, 2006) – selon laquelle les classes populaires sont loin d’être composées d’« idiots culturels ». Autrement dit, que les acteurs agissent en conscience 19. En cela, le DIY tel qu’il se traduit en situation par Vic Godard procède d’une réflexivité émancipatrice. De même qu’il rend compte d’une montée en compétences. Compétences qu’un certain nombre de jeunes punks, parmi les plus actifs et les plus sensibles à cette dimension pédagogique, envisagent de partager. C’est ainsi que le disquaire et label britannique Rough Trade est le premier à éditer une petite brochure agrafée de type fanzine (réalisée en collaboration avec le groupe Scritti Politti) intitulée Making Your Own Record – A Temporary Guide qu’ils proposent à leurs clients et qu’ils distribuent à travers le pays via leurs collègues disquaires (Taylor, 2010 : 19). Progressivement, la production de guides pratiques DIY va toucher l’ensemble des secteurs d’activité punk : édition de fanzines, organisation de concerts, émission radio, conception de sites Internet, etc. (Calmbach, 2007 : 147). Et cette dynamique va contribuer au développement d’une véritable économie alternative (Fairchild, 1995 ; McRobbie, 1999 ; Goshert, 2000 ; Hodkinson & Deicke, 2007 ; Thompson, 2004 ; Calmbach, 2007 ; O’Connor, 2008) qui va prendre la forme d’un entrepreneuriat punk.

L’entrepreneuriat punk

15 L’impact le plus notable du régime d’engagement DIY est d’avoir vigoureusement stimulé l’entrepreneuriat punk. Simon Frith souligne, par exemple, que : « Quatre-vingt-dix nouveaux labels apparaissent en Grande-Bretagne au cours du premier semestre de l’année 1980. Les maisons de disques indépendantes ont toujours existé sur le territoire britannique – notamment pour des genres musicaux minoritaires comme le jazz et le folk – mais la production de rock indépendant a incontestablement explosé depuis 1977. » (Frith, 1983 : 155, voir également Hesmondhalgh, 1997 : 257)

16 Cette dynamique produit des effets analogues en France. Gérôme Guibert en a retracé les principaux jalons avec ses multiples artistes, disquaires, labels, distributeurs, radios et autres titres de presse (Guibert, 2006 : 242-250). De même qu’Alan O’Connor s’est attaché à retracer les trajectoires d’un soixantaine de labels punk dont l’une des données les plus saillantes tient à ce qu’ils sont très majoritairement administrés par

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des musiciens totalement dépourvus de formation au monde des affaires (O’Connor, 2008 : 22). À ce stade, il est remarquable de constater que cette dynamique entrepreneuriale est indissociable d’une dynamique d’autoformation, qui, selon un processus circulaire, va non seulement participer du développement de la scène punk rock, mais également du développement des compétences de ses acteurs. L’un d’entre eux, Daniel Miller, fondateur du label Mute Records 20 se souvient : « Aucun d’entre nous ne savait ce qu’il faisait ! Cela dit, nous étions vraiment passionnés de musique et nous avions donc une idée très précise de ce que nous aimions et de ce que nous voulions. Je ne connaissais rien des bases du business, et voilà que du jour au lendemain j’accédais à cette industrie qui me semblait jusqu’alors si mystérieuse. L’industrie du disque était encore très fermée au moment de la première vague punk, puis s’est complètement ouverte ensuite, ce qui a incité beaucoup de gens […] à s’impliquer dans tout ça et à réaliser nos rêves. » (Reynolds, 2007 : 150)

17 En somme, l’entrepreneuriat punk va prospérer dès lors que les conditions cognitives, matérielles et sociales seront réunies pour produire des cadres interprétatifs pertinents pour l’action. Et les compétences qui découleront de cet engagement dans l’action vont quant à elles produire un marché, au sens d’une forme sociale ordonnée par l’échange et la concurrence (Weber, 1995 : 410). Pierre Bourdieu prend la mesure du phénomène dès 1979. Il y décèle la marque d’une contre-culture, à savoir : « Le produit de l’effort des autodidactes […] pour s’affranchir des lois du marché scolaire […] en produisant un autre marché doté de ses propres instances de consécration, et capable de contester pratiquement, à la façon des marchés mondain et intellectuel, la prétention de l’institution scolaire à imposer un marché des biens culturels parfaitement unifié les principes d’évaluation des compétences et des manières qui s’imposent au marché scolaire ou du moins au secteurs les plus “scolaires” de ce marché. » (Bourdieu, 1979 : 106)

18 Aujourd’hui, l’existence de ce « marché de niche » (Thompson, 2004 : 22 ; Degenne & Lemel, 2006 : 235) n’est plus à démontrer. Le marché punk se déploie, en effet, dans la majorité des secteurs des industries créatives (musique évidemment, mais également littérature, poésie, peinture, photographie, cinéma, bande dessinée, théâtre ou encore mode). D’un point de vue historique, il semble particulièrement éclairant de mettre cette dynamique globale en perspective avec les travaux d’Alain Ehrenberg pour qui, dès le début des années 1980, l’entreprise qui était jusqu’alors un « instrument de domination sur les classes populaires devient un modèle de conduite pour tous les individus » (Ehrenberg 1991 : 14). Ce qui, à ce stade, conduit à examiner l’inscription de l’entrepreneuriat punk au sein de la dynamique contre-culturelle.

Un entrepreneuriat contre-culturel ?

19 Schématiquement, l’industrie du disque est structurée par des majors et des labels indépendants sous la forme d’un oligopole à frange concurrentielle (Curien & Moreau, 2006). Dans cette configuration, il semble logique que l’entrepreneuriat punk s’épanouisse au moyen du tissu indépendant qui constitue, en quelque sorte, le biotope de la dynamique contre-culturelle. Sauf qu’une série d’événements va rapidement contrarier ce présupposé. Mark Perry écrit dans les colonnes de Sniffin’ Glue que la dimension contre-culturelle de la scène punk expire définitivement au cours du second semestre de l’année 1977 :

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« Les groupes punk ont signés des contrats avec des labels établis, puis ils ont décroché des titres dans les charts et finalement se sont vus programmés dans des grosses salles comme le Rainbow ou la Roundhouse. En un sens, les punks sont devenus le système. Pour moi, la magie des débuts s’est évanouie et j’ai senti que la majorité des groupes punks ne prenait plus de risques et de ce fait, avait perdu le sens de l’aventure initial » (Perry, 2009 : 9).

20 Aux yeux des franges les plus radicales de la scène punk, les bouffonneries erratiques fortement médiatisées des Sex Pistols (ils passent d’EMI à A&M puis Virgin en l’espace d’un semestre : octobre 1976/mai 1977) ainsi que le contrat passé entre The Clash et la major CBS (25 janvier 1977) signent l’acte de décès du mouvement punk 21 (Thompson, 2004 : 83). Selon Penny Rimbaud du groupe anarcho-punk Crass : « Nous croyions que vous ne pouviez pas davantage être socialiste et signer avec CBS (les Clash) que vous ne pouviez être anarchiste et signer avec EMI (les Pistols) et nous avons entrepris de défendre cet argument. Après avoir été sur la route un certain temps […] nous avons formé notre propre label de disque [] pour promouvoir des idées et pour miner la domination que les majors avaient, autant sur la création que commercialement, sur des artistes “signés” (lire “captifs”) ». […] Le fonctionnement était basé sur la confiance et la coopération, et sans aucune exception, cela a été une réussite. En vendant des disques à la moitié du prix de ceux des majors, nous avons démontré que des bénéficies énormes n’étaient pas nécessaires. […] Notre objectif n’était pas de vendre n’importe quoi, nous cherchions à partager nos idées et tous les petits bénéfices que nous pouvions accumuler avec autant de personnes de même sensibilité que possible. […] Les effets produits par Crass ne figurent pas dans les livres d’histoire du rock (de laquelle nous avons été en grande partie exclus), mais dans le mouvement autonome que nous avons inspiré. Sans Crass, le punk serait mort de la même manière que toutes les modes de la pop music ; Rotten n’était pas une “fausse” promesse car il n’était aucune promesse du tout. Socialement les Pistols n’ont contribué à rien d’autre qu’au cynisme fort en gueule, tandis que nous avons réussi à créer un dialogue politique significatif. » (Crass, 2005 : préface, XXVII-XXIX)

21 Ce point de vue tranché 22 est particulièrement représentatif de l’intarissable débat portant sur l’authenticité de l’entrepreneuriat punk qui oppose généralement deux grands registres : 1. L’entrepreneuriat punk rationnel en valeur. Selon ce registre, les cadres de l’action sont déterminants. À savoir que le DIY est envisagé comme critère d’authenticité majeur (O’Hara, 1999 ; Blush, 2001 ; Haenfler, 2006) dont le slogan « DIY or Die »/« Fais-le-toi-même ou crève » constitue une excellente illustration (Calmbach, 2007). Pour les tenants de ce registre prétendument non-capitaliste, le DIY procède d’un choix rationnel généralement fondé par un argument éthique (je choisis délibérément de fonctionner ainsi). Face à une configuration aussi stricte, il parait impossible de se soustraire au régime DIY sous peine d’apparaître comme un « sell out »/« vendu ». Envisagé comme norme absolue, le DIY impose un entre-soi intransigeant tout en affirmant son indépendance, voire sa défiance, par rapport à l’industrie musicale dominante 23. 2. L’entrepreneuriat punk rationnel en finalité. Selon ce registre, l’attachement à la musique punk est plus déterminant que les cadres de l’action. Il regroupe des acteurs pour lesquels le régime DIY peut éventuellement s’imposer comme une contrainte (je n’ai d’autre choix que de fonctionner ainsi) mais nullement comme une fin. Les acteurs concernés cherchent avant tout à intégrer les circuits de l’industrie musicale dominante. Lorsqu’ils franchissent ce cap, de manière à parer les critiques dont ils ne manquent jamais de faire l’objet, ces acteurs revendiquent assez fréquemment leur attachement aux valeurs punk par la valorisation d’une position supposée leur permettre d’allumer un contre-feu à l’intérieur même de l’ennemi selon la célèbre tactique du Cheval de Troie (O’Hara 2004 : 181).

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22 Si les deux registres s’opposent, ils n’en sont pas moins indissociables d’une intense dynamique entrepreneuriale. En effet, produire des objets punks (disques, concerts, merchandising…) nécessite une activité organisatrice visant la rationalisation. De même que ces registres sont inséparables d’une dynamique économique étant donné que ces objets punks s’écoulent sur un marché. Et la différence de prix n’y change strictement rien. Un disque des Clash ou un disque de Crass fait nécessairement l’objet d’une marchandisation. En ce sens, la charge contre-culturelle punk – sa portée subversive – semble résider en premier lieu dans l’instauration d’un contre-marché (Braudel, 2008 : 33).

Contre-culture ou contre-marché ?

23 Dès la formation de Crass en 1977 (Crass Records sera lancé en 1979), ses deux géniteurs, Penny Rimbaud et Steve Ignorant, limitent délibérément la durée d’existence du groupe de façon à anticiper toute velléité d’institutionnalisation. Ils se fixent « sept années pour changer le monde » (Crass, 2005 : préface, XXI). À l’évidence, le projet s’est soldé par un échec. Dans les faits, Crass n’est parvenu à imposer aucun de ses programmes politiques majeurs : l’anarchisme et le pacifisme. En revanche, le collectif a directement inspiré la scène anarcho-punk britannique (Webb, 2007 : 140-154) comprenant des artistes tels Conflict, Poison Girls, Flux Of Pink Indians, , Chumbawamba 24 ou encore Antisect, Discharge et The Varukers ainsi que des labels tels Spiderleg Records, Corpus Christi Records ou Riot City Records (Glasper, 2006). L’influence de Crass va s’étendre aux États-Unis dès 1980 où l’on voit émerger une poignée d’artistes tels Crucifix, Heart Attack et White Cross. Bien entendu, les punks américains n’ont pas attendu le signal de Crass pour se lancer à leur tour. Le label Dangerhouse Records (Avengers, The Dils) produit ses premiers disques dès 1977 tandis que SST Records (Black Flag, Minutemen), Posh Boy Records (Social Distortion, Agent Orange) et Slash Records (Germs, Fear, X) lui emboitent le pas courant 1978. Labels et artistes s’emploient à retraduire le punk britannique sous une forme plus radicale et vont, localement, donner naissance à quantité de sous-genres : California hardcore, New York hardcore, straight-edge, etc. (Blush, 2001 ; Thompson, 2004 ; Kuhn, 2010). Cette efflorescence va voir émerger la référence suprême de la scène punk américaine : Dischord Records. Fondé en 1980 par Ian MacKaye et Jeff Nelson, respectivement chanteur et batteur de la formation séminale Minor Threat (scène straight-edge de Washington D.C., Azerrad, 2001 : 119-157), le label est unanimement reconnu comme un modèle d’intégrité (O’Hara, 2004 : 186). À l’instar de Crass Records, Dischord ne signe aucun contrat avec ses artistes, organise le travail de manière horizontale et distribue uniquement ses disques via le circuit indépendant. En l’occurrence, celui de John Loder, propriétaire du fameux Southern Studios à Londres. Loder est un proche de Penny Rimbaud mais également l’ingénieur du son de Crass et le label manager de Crass Records. Ses connexions au sein de la scène punk vont lui permettre de constituer un gigantesque réseau de distribution indépendant dont il va faire profiter Dischord dès 1984 25. Contre toute attente, les disques de Minor Threat s’écoulent particulièrement bien (plus de 800 000 exemplaires à ce jour). En outre, dès 1988, Fugazi, la nouvelle formation de Ian MacKaye, devient la coqueluche de la scène punk américaine (Azerrad, 2001 : 376-410). Leurs deux premiers EP (1988-89) sont de véritables succès (plus de 750 000 exemplaires à ce jour). Leur premier album, Repeater

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(1990) s’écoule à 250 000 exemplaires en quelques mois (plus de 500 000 exemplaires à ce jour). Bien entendu, majors et autres gros indépendants courtisent activement le groupe. Mais, comme Crass en son temps, Fugazi décline toutes les propositions, entendant bien préserver l’autonomie offerte par Dischord Records qui, de la même manière, va faire l’objet d’offres de rachat incessantes. Les propositions vont se faire constamment plus pressantes, notamment suite à l’écrasant succès rencontré par l’album Nevermind de Nirvana en 1991. Les multinationales du disque ne jurent alors plus que par le grunge et son répondant, le punk. Mais les membres de Fugazi restent farouchement attachés à leur idéaux d’indépendance (Fairchild, 1996 : 29). Ce qui se traduit par un contrôle des prix de vente des disques et des concerts, le refus de toute publicité (y compris indirecte via le format vidéoclip) et de tout merchandising ainsi que par une sélection drastique des médias (rejet de la presse commerciale au profit des fanzines). Comme l’analyse bien Stacy Thompson : « C’est dans leur refus de composer avec les majors que résident les valeurs punk de Fugazi et de Dischord. En [cela], ils démontrent qu’ils ne sont pas des entreprises indépendantes par défaut (faute de susciter l’intérêt des majors), mais par choix. Ce qui leur vaut en retour, une très haute estime au sein de la communauté punk. » (Thompson, 2004 : 147)

24 Pour intéressantes que soient ces dynamiques, force est de reconnaître qu’elles ne constituent jamais que des formes entrepreneuriales alternatives dont la portée contre- culturelle se résume, pour l’essentiel, à la création d’un contre-marché. Ce qui donne à penser, avec les philosophes politiques Joseph Heath et Andrew Potter, que sur le fond, il n’existe aucune contradiction entre culture « dominante » et culture « alternative ». Que « la rébellion culturelle […] ne constitue pas une menace pour le système… mais qu’elle est le système. [Et qu’en conséquence], la théorie de la société sur laquelle repose l’idée contre-culturelle est fausse » (Heath & Potter 2005 : 11). Effectivement, loin de redéfinir l’industrie musicale sur des bases non-capitalistes, les modalités d’action initiées par des figures aussi emblématiques et tutélaires que Crass, Dischord et Fugazi vont simplement s’inscrire dans un capitalisme de petite échelle. Ce qui n’en constitue pas moins un modèle économique original au sein de l’industrie culturelle.

Un modèle économique et plusieurs positionnements

25 En réalité, le modèle économique de la scène DIY renvoie à trois grands positionnements. Le premier d’entre eux voit un certain nombre d’artistes punks échapper au milieu indépendant pour rallier les majors. On peut citer Hüsker Dü, qui, après avoir fait paraître trois albums chez SST Records signe avec Warner en 1985. De la même manière, après avoir publié deux albums chez Lookout !, Green Day va rejoindre Reprise Records, filiale de Warner courant 1994. Chumbawamba va quant à lui passer chez EMI en 1997 après avoir enregistré neuf albums pour le compte de plusieurs labels indépendants. Ces cas célèbres vont donner lieu à de sévères critiques au sein de la scène punk DIY étant entendu qu’un « vrai » punk ne se commet pas avec une multinationale. Le second positionnement s’inscrit en réaction à ce phénomène d’absorption. La trajectoire de Profane Existence, en constitue une excellente illustration. Ce collectif anarcho-punk émerge à Minneapolis (Minnesota) courant 1989 à travers un fanzine (et un label) du même nom. Il entend se positionner comme un guide de résistance au capitalisme (comportant un code moral) et ainsi, rendre au punk sa dimension menaçante et subversive 26. À son échelle, l’initiative est un succès.

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Chaque numéro du fanzine est édité à 10 000 exemplaires et le label produit les disques de quantité de groupes. Cette entreprise florissante va conduire le collectif à développer son propre réseau de distribution (Blackened Distribution). En dépit des très bas prix pratiqués, l’activité est rentable au point de permettre de salarier plusieurs personnes à temps plein. Mais ce qui s’apparente à une success story transmue très rapidement en frein puisque la communauté anarcho-punk va sévèrement condamner cette dynamique au motif d’une connivence avec le capitalisme. Aux yeux de certains, rémunérer le travail semble contraire à l’éthique DIY. L’hostilité soulevée est telle qu’en 1998, Profane Existence se voit contraint (provisoirement) de mettre un terme à ses activités. Le collectif justifie sa décision via le communiqué suivant : « Le problème tient à ce que la scène DIY vit dans une petite bulle au sein de laquelle les prix pratiqués doivent être moins élevés que les coûts de production et de travail réels. À chaque fois que nous avons essayé d’ajuster nos prix à la réalité, nous avons dû faire face à une très vive résistance de la part de ceux qui estiment que nous prenons trop d’argent où que nous ne devrions pas être payés pour notre travail au sein de la scène DIY. Cette étroitesse d’esprit n’autorise pas que l’on puisse dégager un peu d’argent pour de la nourriture, des fringues, un loyer, et à ce titre, empêche concrètement de développer notre mouvement » (Thompson, 2004 : 93-108).

26 Dans cet exemple, l’intransigeance anticapitaliste s’apparente à un dogmatisme contre- productif, préférant le rien au quelque chose. Ce sophisme illustre en outre une méconnaissance profonde des règles élémentaires de l’économie, voire plus prosaïquement encore, de l’arithmétique. Ce qui, soit dit en passant, est totalement contradictoire avec les préceptes de Crass 27. Heath et Potter qualifieraient cela de « péché capital » de la contre-culture. À savoir « la tendance à rejeter des solutions viables […] sous prétexte qu’elles ne sont pas suffisamment radicales ou ne transforment pas suffisamment la conscience des gens » (Heath & Potter, 2005 : 416). À ce stade, il semble utile d’examiner le troisième type de positionnement porté par Dischord et Fugazi démontrant qu’il est parfaitement envisageable de développer une entreprise culturelle sur un marché de niche (en contexte capitaliste) sans pour autant renoncer à ses idéaux. Comme l’explique Ian MacKaye : « Depuis des années, un grand nombre de personnes a travaillé pour Dischord. Jamais plus de cinq ou six à la fois. La plupart d’entre eux jouent dans des groupes ou dirigent leur propre label. Pendant que Jeff et moi bossions sur le label, ils ont vraiment fait tourner le label au jour le jour. Au début, c’était simplement du bénévolat parce que nous ne pouvions payer personne. Au début des années 1990, nous avons non seulement été en mesure de payer tous nos collaborateurs, mais nous étions également en capacité de leur offrir une assurance maladie et d’autres avantages. J’ai toujours considéré cela comme l’une de nos réalisations les plus importantes. La plupart des entreprises, labels y compris, utilisent leurs profits (où la peur de les perdre) pour financer de nouvelles activités. C’est probablement parce que nous avons tenté d’assigner à Dischord une mission de documentation [de la scène de Washington D.C.] tout en forgeant une entité communautaire que nous avons pu éviter de sombrer dans les écueils propres à l’industrie [musicale]. Être en mesure de rémunérer le personnel qui travaille pour nous mais également de payer les redevances dues aux groupes, semble constituer la preuve tangible qu’une telle approche est possible. » (MacKaye, 1999, www.dischord.com/history/ page03)

27 Des propos de ce type dénotent d’un positionnement assez peu orthodoxe au sein du monde de la musique. Ils s’avèrent au moins aussi éloignés des clichés anarcho-punks que du stéréotype de l’entrepreneur obnubilé par le profit. Bien entendu, ce

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positionnement n’élimine nullement la question de la marchandisation. En revanche, il permet de la penser différemment. Ce qui en fait tout l’intérêt. À bien des égards, on pourrait rapprocher ces propos du modèle de l’économie sociale et solidaire (ESS) qui pose le principe de la primauté de l’homme sur le capital, vise des buts non lucratifs, se réclame au service de l’intérêt général et privilégie un processus de décision démocratique 28. Ce qui, d’une certaine manière, conduit à se demander si cette conception du monde ne constitue pas, au final, la plus pertinente des dynamiques contre-culturelles compte tenu de sa capacité à ajuster un idéal – de portée raisonnable – à la réalité. Ce point de vue interroge plus globalement l’efficacité pratique des dynamiques contre-culturelles étant donné qu’elles finissent invariablement par devoir affronter une question centrale : comment devenir véritablement force de transformation ? Sur ce point, les punks intégrés, liés à des multinationales, se trouvent immédiatement disqualifiés étant entendu qu’ils reproduisent plus qu’ils ne transforment. Leur positionnement pose un problème de cohérence qui les vide de leur substance contre-culturelle (à supposer qu’ils en aient été porteurs). De leur côté, les punks anarchistes et libres-penseurs sont portés par un rêve unitaire visant, pour les premiers, la rupture avec le capitalisme et, pour les seconds, l’avènement d’une utopie rationaliste. Dans les deux cas, leurs modes d’action s’en tiennent généralement aux principes de la dénonciation, de la revendication et de l’expectative. S’il s’agit certes du programme contre-culturel le plus répandu, son efficacité concrète et actuelle n’en reste pas moins très discutable 29 surtout si l’on suit Greil Marcus lorsqu’il fait le constat qu’après les Sex Pistols : « Le business de la musique n’a pas été détruit. La société ne s’est pas écroulée et aucun monde nouveau n’a vu le jour. » (Marcus, 1999 : 81)

28 C’est en cela que le programme initié par Fugazi et Dischord apparait finalement et objectivement comme le plus performant de la scène punk rock. Il ne vise rien de plus que la réalisation d’une action à dimension humaine. Son combat est conjoncturel et non pas structurel. Il procède à ce titre d’un rapport au monde pratique et non idéologique. Ici et maintenant. Ce qui constitue une réussite d’autant plus exemplaire qu’elle articule trois dimensions mesurables. Premièrement, elle opère une transformation concrète du quotidien d’un certain nombre d’individus (sous la forme d’emplois, de qualité de vie, de bien-être). Deuxièmement, elle concilie la question de l’indépendance avec celle de l’engagement citoyen. Troisièmement, elle offre un modèle opérationnel généralisable (à destination de la communauté punk rock comme des autres secteurs de l’industrie culturelle). De ce point de vue, s’agissant d’efficacité pratique, il apparait que les dynamiques contre-culturelles gagneraient à être évaluées à hauteur de leurs réalisations concrètes. Ce qui implique notamment de déplacer le curseur de l’analyse à la mesure.

Conclusion

29 Il semble aujourd’hui parfaitement fondé de nourrir quelques inquiétudes morales quant au fonctionnement du marché économique tant ses dérives sont patentes. Toutefois, « dans une société où les individus espèrent choisir parmi diverses possibilités de mode de vie [compte tenu du pluralisme des valeurs], le marché est une nécessité incontournable » (Heath & Potter, 2005 : 389). Les exemples de Crass, Dischord et Profane Existence en rendent parfaitement bien compte. Néanmoins, si

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l’exemple de Crass et plus spécifiquement encore, la mésaventure de Profane Existence, soulignent à quel point l’attachement aux vertus peut parfois se révéler plus fort que l’attachement aux biens matériels, à l’inverse, l’exemple de Dischord souligne quant à lui, qu’un raisonnement pragmatique, qui ne se paie pas de mots, possède la vertu de produire des résultats concrets à son échelle. Ce qui, en dernière analyse, renvoie à deux grandes dynamiques contre-culturelles. D’un côté, une dynamique idéaliste et conceptuelle – sous l’égide de Kant et de Marx – élevant la morale à la hauteur d’une religion dont la logique produit une séparation des individus selon un modèle sectaire. De l’autre, une dynamique utilitariste, pragmatique et juste – sous l’égide de Bentham, Mill et Rawls – visant une « révolution sans illusion » (Andersen, 2004) dont la logique conduit, localement, et modestement, à tenter de corriger les déficiences du marché en se livrant à des expérimentations civiques et existentielles 30. À l’évidence, le régime DIY sert indifféremment les deux logiques. Gageons que chaque punk saura, avec discernement, en faire le meilleur usage possible de façon à construire un projet contre-culturel véritablement efficace. Punk’s Not Dead… and Useful !

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NOTES

1. Lancé à Londres en 1926, le Melody Maker (MM) est le plus ancien titre de presse exclusivement dédié aux musiques populaires. À partir de 1952, son principal concurrent sera le New Musical Express (NME). Au cours des années 1970, les deux revues écoulent entre 200 et 300 000 exemplaires à chaque tirage. Des journalistes aussi éminents que Jon Savage, Simon Reynolds ou encore Everett True ont travaillé pour le MM avant que le titre ne décline et ne finisse pas disparaitre courant 2000. Caroline Coon est l’une des premières journalistes à couvrir l’émergence de la scène punk rock britannique. L’équipe de rédaction du MM est très loin de partager son enthousiasme. Ses collègues sont surtout intéressés par le rock progressif et le hard rock. En réalité, le punk rock leur répugne. Par conséquent, ils trouvent quelque avantage à pouvoir « déléguer le sale boulot » (Hugues, 1996 : 81) à la jeune femme. Il en va très différemment au sein du NME. Des journalistes tels Neil Spencer, Nick Kent et Mick Farren accueillent le punk rock très favorablement. Ce qui va permettre au magazine de distancer très sérieusement son concurrent direct au cours des années 1977-1979 (Assayas, 2000 : 1 438). 2. Sideburns est l’un des nombreux fanzines britanniques à émerger aux côtés de Bondage, London’s Outrage, Stains, Girl Trouble, Jolt, Skum 6, South London Stinks, etc., dans la foulée du séminal fanzine Sniffin’ Glue (Colegrave & Sullivan, 2002 : 150-155, Duncombe 2008). 3. L’expression « scène musicale » a tout d’abord été employée par des journalistes spécialisés avant de s’imposer progressivement au sein des études académiques portant sur les musiques populaires (Hein, 2011 : 76). Globalement, le concept désigne un réseau d’acteurs culturels partageant des goûts musicaux communs. Ce réseau, d’une densité et d’une amplitude variable, relie des êtres humains (producteurs, amateurs), des objets (disques, instruments, fanzines, etc.) et des dispositifs (festivals, labels, circuits de distribution, etc.). Dans les faits, une scène musicale est d’abord un site de production instauré localement par une poignée d’acteurs qui se sentent liés ou qui désirent se lier. Ensuite, c’est par sa capacité à intéresser, à mobiliser l’attention et l’adhésion d’autrui qu’une scène musicale va, éventuellement, se propager et être retraduite en d’autres lieux. Ce dont l’histoire de la scène punk rock rend parfaitement bien compte. 4. Bérurier Noir est un groupe phare de la scène punk rock française (parfois qualifiée de scène « rock alternative ») aux côtés de la Mano Negra, des Wampas, de Ludwig Von 88 et des Garçons Bouchers pour les plus connus. Le groupe entame sa carrière courant 1983 et connait un succès grandissant jusqu’à sa dissolution courant 1989. Particulièrement politisé, le groupe accompagne les manifestations estudiantines de 1986 de même qu’il s’oppose frontalement au Front National, à Charles Pasqua et à Jacques Chirac à travers des textes particulièrement virulents. Début 1987, Bérurier Noir connait un pic de popularité inédit lorsque la station radio NRJ décide de diffuser régulièrement le titre « Empereur Tomato Ketchup » sur son antenne. En 1988, le groupe fait salle comble au Zénith de Paris. La même année, il se voit décerner le Bus d’Acier (après Bashung et Indochine et avant Noir Désir et la Mano Negra) que le groupe se plait à refuser en déclarant « n’en avoir rien à foutre » suivi d’un doigt d’honneur à l’adresse du jury. Le groupe se retire de

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la scène publique en 1989 après une série de trois concerts d’adieux à l’Olympia. Le groupe se reformera ponctuellement à plusieurs occasions dont la plus mémorable restera sans doute le concert donné sur les plaines d’Abraham de Québec en 2004 devant 50 000 spectateurs (Pépin, 2007?; Rudeboy, 2007). 5. La carrière de Crass démarre en 1978 pour s’achever en 1984. La formation reste à ce jour la référence ultime de la scène anarcho-punk pacifiste. Farouchement indépendant, le groupe publie ses disques sur son propre label Crass Records (Berger, 2008). Selon son fondateur Penny Rimbaud, Crass aurait globalement écoulé plus de deux millions de disques au cours de sa carrière (Rimbaud, 1998). Extrêmement politisés, les membres du groupe vivent en communauté (Dial House) à Epping, dans l’Essex (à l’est de Londres). Ensemble, ils s’emploient à fomenter un argumentaire férocement critique à l’endroit du gouvernement ultraconservateur de Margaret Thatcher. Argumentation d’un impitoyable réalisme social qui va culminer lors de la guerre des Malouines en 1982 (McKay, 1996?; Savage, 2011). 6. Black Flag est l’un des pionniers de la scène punk hardcore américaine. Le groupe entame sa carrière en 1977. Il enchaîne les tournées à travers les États-Unis dans des conditions souvent spartiates et chaotiques. Lorsqu’il n’est pas occuper à sillonner le territoire, le groupe répète pas moins de six jours par semaine. Leur leader, Greg Ginn est un stakhanoviste notoire. Outre Black Flag, il dirige également son propre label SST Records, autre référence incontournable de la scène punk hardcore américaine (Blush, 2001). Henry Rollins, leur chanteur, rejoint le groupe (son préféré) en 1981 après avoir officié un temps au sein de State Of Alert, un petit groupe de Washington D.C. (Rollins, 1994). Lorsque Black Flag met un terme à ses activités fin 1986, Rollins se lance dans une carrière solo à succès (Rollins Band). En parallèle, il monte sa propre maison d’édition, écrit des livres, réalise des spoken words et entame une carrière de comédien. Il occupe généralement des seconds rôles. On peut le voir dans certains films de Michael Mann (Heat, 1995) ou David Lynch (Lost Highway, 1997) et plus récemment dans la série télévisée Sons of Anarchy (2008). 7. Pour Lucien Karpik, un cadre interprétatif « est cette instance qui organise les comportements de l’individu. C’est elle qui instaure la représentation du réel en fonction des critères de jugement canalisant l’action, c’est elle qui favorise d’autant plus la cohérence de l’action que l’identité de la personne et les critères de jugement sont fortement liés. […] Plus un principe d’orientation structure fortement le cadre interprétatif, plus il organise la cohérence de l’action » (Karpik, 2007 : 104-105). 8. Ce qui « met en évidence le façonnement conjoint de la personne et de son environnement » (Thévenot, 2006 : 14). 9. Cette division du travail implique la coopération d’un certain nombre d’individus s’employant chacun à un « faisceau de tâches » (Hugues, 1996 : 71). 10. La réédition récente de l’ensemble des numéros du fanzine sous la forme d’un ouvrage peut être interprétée comme un indicateur de la valeur culturelle du fanzinat punk rock. 11. À ceux qui en douteraient, il apparait que les dynamiques de régulation de la scène punk rock sont particulièrement perceptibles à certains points de détail. La pratique du pogo en constitue un excellent exemple. Assistant aux débordements liés à cette danse, les pionniers de la scène punk canadienne D.O.A. (1978) décident d’afficher le manifeste suivant lors de leurs concerts : « La participation, pas la décimation?!!! A toutes les personnes concernées. Le devant de la scène est un espace libre. C’est physique, amusant, destiné à tous ceux qui souhaitent s’y risquer. Mais il ne s’agit pas que les plus forts démolissent les plus faibles, que les plus musclés bousillent ceux qui le sont moins ou que les hommes s’en prennent aux femmes. Ce n’est pas une zone de combat pour des individus qui envisageraient d’en prendre le contrôle. Chacun doit pouvoir participer. Ensemble nous pouvons créer et élargir les limites de la liberté. Pour le meilleur. » (Turcotte & Miller, 1999 : 234)

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12. S’il est évidemment impossible de réduire le punk rock aux Sex Pistols, ils n’en constituent pas moins le symbole le plus éclatant. Au point de justifier qu’ils soient au centre des deux ouvrages majeurs de l’histoire culturelle punk (Marcus, 1999?; Savage, 2004) et d’un documentaire (Temple, 2000). John Lydon était le chanteur emblématique des Sex Pistols sous le pseudonyme Johnny Rotten. 13. Les Buzzcocks sont des acteurs essentiels de la scène punk rock britannique. Ses membres fondateurs, Pete Shelley et Howard Devoto organisent tout d’abord les premiers concerts des Sex Pistols au sein de la cité industrielle. Dans la foulée, ils décident de former un groupe. Les Buzzcocks deviennent ainsi le premier groupe punk de Manchester. Leur musique fortement teintée de pop détonne au sein de la scène punk rock. Leur succès sera fulgurant. En mai 1977, ils accompagnent les Clash au cours de leur tournée White Riot. À la suite de quoi, les Buzzcocks décident de signer un contrat avec United Artists une importante maison de disques américaine. En 1979, ils sillonnent les États-Unis en tête d’affiche devant des foules de 5 000 personnes. Le succès, les tournées éreintantes, l’alcool et les drogues auront raison du groupe qui se séparera en 1981 avant de se remettre en selle en 1989. 14. Le label New Hormones est créé conjointement avec Richard Boon, le manager du groupe, qui en assure la gestion. Après Spiral Scratch le label se mettra en pause pendant trois années (exception faite de l’édition du fanzine The Secret Public de Jon Savage et Linder Sterling). Au début des années 1980, les revenus générés par les Buzzcocks vont permettre de réactiver le label pour produire les disques d’artistes post-punks confidentiels tels The Tiller Boys, The Decorators ou encore Dislocation Dance. 15. Les Desperate Bicycles vont à leur tour lancer leur propre label : Refill Records. Leurs chiffres de ventes n’atteindront cependant jamais le niveau des Buzzcocks puisqu’ils resteront globalement inférieurs à 10 000 exemplaires. 16. Créé à Manchester en 1978 par Tony Wilson et Alan Erasmus, Factory Records est le label ayant lancé les carrières de Joy Division, New Order ou encore des Happy Mondays (Nice, 2010). 17. Créé à Londres en 1978 par Geoff Travis, Rough Trade Records est une émanation du disquaire Rough Trade dont l’activité démarre deux ans plus tôt. Le label se lance en produisant le groupe punk français Metal Urbain. Puis il deviendra la maison de disques de Subway Sect, Scritti Politti et des Smiths parmi quantité d’autres (Taylor, 2010). 18. Subway Sect est l’un des groupes légendaires ayant participé au premier festival punk rock londonien s’étant tenu au 100 Club les 20 et 21 septembre 1976 aux côtés des Sex Pistols, des Damned, des Clash et des Buzzcocks. Le groupe est alors relativement inexpérimenté, mais décidé à appliquer la vulgate punk à la lettre. La musique du groupe se distingue assez nettement des standards punks : moins agressive, plus mélodique, plus littéraire, plus raffinée en un mot (au croisement des Sex Pistols et de David Bowie). L’originalité de Subway Sect retient rapidement l’attention de Bernie Rhodes, le manager des Clash, qui leur propose ses services. La carrière du groupe ne décolle pas pour autant. Rhodes semble avant tout préoccupé par la trajectoire ascensionnelle des Clash. Subway Sect végète, mais finit tout de même par décrocher un petit succès dans les charts britanniques avec le titre « Ambition » (1978). Ce qui lui vaut dès lors une attention soutenue de la part de la presse spécialisée qui considère son leader, Vic Godard comme une sorte d’intellectuel répétant à l’envi que le punk rock est en premier lieu un support permettant de faire passer des idées. Cependant, compte tenu des difficultés à maintenir un line- up stable, Vic Godard va enregistrer très peu de disques avec Subway Sect. Ce qui va le conduire à renoncer à une carrière artistique professionnelle pour embrasser celle, plus sûre, d’un modeste facteur tout en poursuivant en pointillés une carrière solo sans prétention. Ce qui va renforcer la très haute estime que lui porte un noyau dur de fans qui le considère comme une figure tutélaire de la scène punk rock.

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19. À titre d’exemple, Penny Rimbaud de Crass rappelle avoir voulu prendre le contrepied du slogan « No Future » des Sex Pistols : « On va pas laisser tous ces gosses penser qu’il n’y en a aucun. On va sortir et montrer qu’il y a un avenir. » (Savage, 2002 : 536) 20. Le label démarre en 1978 avec The Normal, Fad Gadget, DAF et renforce progressivement son catalogue d’artistes majeurs tels Depeche Mode, Nick Cave, Inspiral Carpets, Goldfrapp ou encore Richard Hawley. Le label est racheté par EMI en 2002. En 2010, Mute redevient indépendant avec le soutien d’EMI. 21. Mark Perry est réputé avoir écrit dans son fanzine : « Le punk est mort le jour où les Clash ont signés sur CBS ». On ne trouve aucune trace de ce propos dans aucun des douze numéros de Sniffin’ Glue. En réalité, Perry écrit plutôt l’inverse au moment de la parution du premier album du groupe : « À mes yeux, c’est l’album le plus important jamais enregistré [car] The Clash dit la vérité. » (Perry, 2009, n° 9, avril/mai 1977 : 9) En réalité, le titre « Punk Is Dead » figure sur l’album The Feeding of the 5 000 de Crass paru en octobre 1978 et comprend les paroles suivantes : « CBS s’occupe des Clash, mais ce n’est pas pour la révolution, c’est juste pour le cash. » 22. Penny Rimbaud reconnait néanmoins que les Sex Pistols et les Clash ont contribué, entre autres, à son désir de monter un groupe (Savage, 2011 : 66-74). À noter que Penny Rimbaud ne prend jamais pour cible le Tom Robinson Band, autre groupe punk très engagé politiquement de la même période, ayant signé sur EMI en 1978. 23. Dans une certaine mesure, ce registre concerne également un ensemble d’acteur qui, en réalité, n’ont pas nécessairement le choix, mais font comme si. Cette posture leur évite ainsi toute déception ultérieure. 24. Tous ces artistes figurent sur les fameuses compilations Bullshit Detector éditées par Crass Records entre 1980 et 1984. 25. La majorité du catalogue est distribué par bien qu’en parallèle, McKaye et Nelson organisent leur propre réseau de distribution (Dischord Direct) et gardent ainsi la main sur la vente par correspondance et la vente directe. 26. Le sous-titre du fanzine est « Making Punk A Threat Again ». En 1992, Profane Existence coédite avec Maximumrocknroll, autre fanzine punk américain particulièrement influent, un guide pratique intitulé Book Your Own Fuckin’ Life (BYOFL). C’est un outil destiné aux acteurs culturels punks DIY. Il « répertorie par région, des données sur les groupes, les distributeurs, les labels, les magasins de disques, les librairies, les stations radio, les promoteurs, les salles, les fanzines et procure également des informations diverses sur les restaurants, les “points de chute” (où les groupes punk en tournée peuvent dormir et quelquefois manger gratuitement), les imprimeries et les sites web » (Thompson, 2004 : 104). 27. On peut comprendre le modèle économique de Crass à la lumière de la ventilation des revenus de leur album Stations of the Crass (1979). L’album est vendu à 3 livres sterling. Une livre sert à couvrir les frais de production. Une autre livre revient au disquaire. La livre restante est partagée entre le groupe (70 cts) et le distributeur (30 cts), en l’occurrence Rough Trade (McKay, 1996 : 96). 28. L’économie sociale et solidaire (ESS) fait aujourd’hui l’objet d’une abondante littérature. Concernant le secteur artistique et culturel, voir Colin & Gautier : 2010 ainsi que le Manifeste de l’UFISC pour une autre économie de l’art et de la culture. 2007. Disponible sur : http://www.ufisc.org/ presentation-de-l-ufisc/manifeste--statuts.html 29. Le principal problème des théoriciens de la contre-culture tient à ce qu’ils procèdent généralement plus volontiers à l’analyse de « l’esprit de rébellion » plutôt qu’à son évaluation. Il faut admettre que le problème n’est pas simple. Comment mesurer la portée d’une action subversive labellisée punk rock?? Faute d’enquête spécifique, il semble impossible de répondre à cette question. Par conséquent, la portée contre-culturelle du punk rock – à grand renfort de slogans – mérite d’être envisagée avec prudence. D’autant que l’on sait que les arguments des

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artistes « engagés » touchent généralement des fans préalablement convaincus par leurs arguments. Objectivement, il faut admettre que depuis la fin de la seconde guerre mondiale, les progrès majeurs des sociétés occidentales sont notamment redevables de l’appareil statistique dont les données ont constituées des points d’appui permettant la discussion de nouvelles lois (Desrosières, 2000). En fournissant des arguments sur la base de critères de justice, la statistique a effectivement libéré un certain nombre de classes sociales dominées (Heath & Potter, 2005). En regard de quoi, si la musique peut incontestablement rendre la vie plus intéressante, il est moins certain qu’elle puisse modifier en profondeur les structures sociales. 30. La démarche de Dischord est fortement liée au collectif Positive Force opérant à Washington D.C. Le collectif vise l’engagement citoyen via la promotion active de modes de vie alternatifs. Ce qui se traduit par l’organisation de concerts de soutien, d’expositions d’art, de projections de films, d’événements éducatifs et d’une série d’actions en direction de personnes en difficulté. (Azerrad, 2001 : 394?; Andersen, 2004, 2009). Voir également le DVD Positive Force : More Than a Witness. 25 Years of Punk Politics In Action de Robin Bell. 2011. PM Press.

RÉSUMÉS

Au cours des années 1970, la scène punk rock va démystifier le processus de production culturelle en soulignant la capacité de chacun à devenir un acteur culturel. Cette dynamique va se traduire sous la forme du « DIY » (« Do It Yourself »), un régime d’action présidant au développement d’un entrepreneuriat punk relativement indépendant de l’industrie du disque dominante. Ce qui, dans cet article, conduit à interroger la dimension contre-culturelle de la scène punk rock à la lumière de son modèle économique et du positionnement de ses acteurs.

During the 1970s, the punk scene demystified the cultural production process, underlining the capacity everyone has to become a cultural agent. This dynamic translated into DIY, a system of action that presided over the development of a punk entrepreneurship, relatively independent from the mainstream recording industry. This leads us to question the countercultural dimension of the punk rock scene, in light of its economic model and its agents’ positions.

INDEX nomsmotscles Minor Threat, Fugazi, Black Flag, Crass Index chronologique : 2000-2009 Thèmes : punk / hardcore punk Mots-clés : contre-culture / résistance, entrepreneuriat, scènes, économie de la culture, industrie du disque / musicale, DIY / autoproduction / auto-organisation, underground / alternative, gauche (extrême-) Keywords : counterculture / resistance, entrepreneurship, scenes, cultural economy, music / recording industry, fanzines / webzines / alternative press, underground / alternative, left / far left

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AUTEUR

FABIEN HEIN

Docteur en sociologie, Fabien HEIN enseigne actuellement à l’université Paul Verlaine à Metz. Ses travaux de recherche portent principalement sur les réalités concrètes des pratiques artistiques et culturelles dans le domaine des musiques populaires. Après avoir mené une étude de sociologie comparative auprès de la Bibliothèque Nationale du Québec à Montréal, il a également travaillé au Centre de recherche interuniversitaire sur la littérature et la culture québécoises (CRILCQ) à l’université Laval de Québec. Il est membre de l’AFS (Association Française de Sociologie) et de l’IASPM (International Association for the Study of Popular Music). mail / site

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Skinheads : du reggae au Rock Against Communism Skinheads, from Reggae to RAC

Gildas Lescop

See by the boots that I wear, see by the way I cut my hair I ‘m proud to be a skinhead, it ‘s a way of life A youth subculture as sharp as a knife

Look at the youth today , skinheads rule and that ‘s ok

See us in the cities, see us in the suburbs, 25 years and we ‘re still going strong Skinheads rule o.k., we are the boys Our music is loud and our music is Oi !

Look at the youth today , skinheads rule and that ‘s ok

We remember our roots, we remember them well, the Spirit of ‘69 still lives on The music may have changed, but not our hearts We still love reggae, rocksteady, and ska1

La première génération de skinheads, l’émergence d’une contre-culture

Des mods aux skinheads, une restauration des barrières sociales

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1 FAISANT PARTIE DE LA PREMIÈRE GÉNÉRATION vraiment bénéficiaire de la société d’abondance célébrée par Macmillan 2, les mods, consommateurs passionnés d’habits, de disques et de toutes sortes de gadgets, prôneront un mode de vie festif et hédoniste, entièrement tournée vers le loisir et la satisfaction de leurs envies. Majoritairement issus de la classe moyenne basse, occupant souvent des emplois du tertiaire, ils n’accorderont pour leur travail qu’une attention distraite et contrainte. Leur mise excessivement soignée exprimera à ce sujet tout le dédain que pouvait leur inspirer l’idée que leur apparence ne soit que le simple reflet d’une vie entièrement conditionnée par une peu excitante activité professionnelle. Les mods manifesteront au contraire leur volonté de se démarquer de leur milieu d’origine, leur désir d’ascension sociale et contribueront, en rivalisant d’élégance entre eux, à rendre confus, par une subtile subversion des codes vestimentaires, les délimitations de classes.

2 Pourtant, au sein même de cette subculture incarnant cet imaginaire de mobilité sociale, l’attitude consistant à « singer » les classes supérieures ne fera bientôt plus l’unanimité. Le tournant psychédélique que prendra en 1966 une bonne partie de ce mouvement parmi les mods les plus âgés et les plus aisés, souvent engagés dans des études supérieures et mêlés à la culture estudiantine, allait hâter une rupture interne avec ceux qui, sous le nom de hard mods, en constituaient la faction « prolétarienne ». Jeunes, venus au mouvement mod plus par attirance pour les émeutes et les affrontements contre les rockers que pour tout autre aspect, les hard mods seront de ce fait les principaux promoteurs « de l’image violente et agressive du modernisme d’après 1964 » (Hewitt, 2011 : 272). Issus des quartiers populaires, ils s’opposeront à l’avis de leurs « aînés » pour qui les barrières sociales ne seraient que « vieilleries à dégager », résidus d’une société archaïque. Ressentant que la scène culturelle et les styles en vogue étaient désormais dominés par les « rejetons » des classes moyennes et que leur propre mouvement tendait à s’embourgeoiser, ils revendiqueront en réaction haut et fort leur identité ouvrière en affichant avec arrogance toute une vie de travail manuel.

3 Déjà amateurs de musiques noires comme l’étaient les mods depuis leurs origines 3 mais à la recherche de nouveaux sons excitants qui ne soient pas de la pop psychédélique, les hard mods deviendront rapidement des habitués des quartiers jamaïcains et de leurs sound-systems qui drainaient une grande part de la jeunesse issue de cette communauté. Là, ils se confronteront aux rude boys, à leur mode de vie et à leurs styles vestimentaires. À leur contact, ils ressentiront vis-à-vis d’eux une « affinité émotionnelle » (Barreyre, 1992 : 45) basée sur la sensation d’occuper le même « lumpen-statut » (Barreyre, 1992 : 45), de partager les mêmes expériences et d’éprouver les mêmes sentiments. Ils s’apercevront que « malgré les différences de culture et de couleur de peau, ils avaient plus de choses en commun avec les rudies qu’avec ceux que les médias continuaient à appeler les mods » (Polhemus, 1995 : 70).

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Plus cette prise de conscience grandira, plus les deux groupes se copieront et se respecteront mutuellement.

4 La fréquentation de ces rude boys contribuera à faire évoluer l’apparence vestimentaire des hard mods, ajoutant à leur style ouvriériste des éléments empruntés au style jamaïcain alors en vigueur tels que les cheveux courts ou les pantalons « feu de plancher 4 ». Suffisamment nombreux et reconnaissables en divers endroits tels qu’à Londres, Liverpool, Birmingham, Newcastle et Glasgow, ces hard mods, progressivement démarqués de leur mouvement d’origine, allaient bientôt se faire connaître sous le nom de ce qu’ils étaient déjà « en puissance », à savoir des skinheads.

Skinheads et rude boys, un franchissement des frontières raciales

5 Les skinheads apparaitront donc en tant que tels en achevant la mue des hard mods. À la suite de ceux-ci, ils s’afficheront dans tous les lieux où l’on pouvait entendre des rythmes jamaïcains, achèteront et collectionneront avec passion les disques de cette musique et pousseront l’identification jusqu’à s’approprier en grande partie le style, le comportement, la manière d’être des rude boys, parsemant même leur conversation de mots empruntés à l’argot jamaïcain.

6 À cette époque et à ce stade de leur évolution, les skinheads seront une illustration de l’influence exercée par les formes culturelles noires, et notamment antillaises, sur les subcultures britanniques. Une influence si importante que l’on pourrait, selon Dick Hebdige, « réinterpréter l’histoire des cultures juvéniles de la Grande-Bretagne à partir des années 1950 comme une série de réponses différenciées à la présence des immigrants noirs sur le sol britannique » (Hebdige, 2008 : 31). L’essor de l’immigration en Grande-Bretagne durant les années d’après-guerre, dont une partie importante proviendra de la Jamaïque, modifiera en effet en profondeur le paysage culturel anglais, transformant progressivement ce pays, non sans heurts, en une société multiculturelle.

7 L’immigration jamaïcaine en particulier, via une seconde génération en quête d’identité et qui renouera ostensiblement avec les styles musicaux et vestimentaires alors en vogue sur l’île de leurs parents, suscitera, toujours selon Hebdige, « des perceptions et des expériences plus ou moins intenses ». En termes généraux poursuit- t-il, « on dira que l’identification entre les deux groupes [communautés autochtones et immigrants] peut être patente ou dissimulés, directe ou indirecte, consciente ou inconsciente. Elle peut être reconnue ouvertement et exprimée de façon explicite (chez les mods, les skinheads et les punks) ou bien refoulée et transformée en hostilité (chez les teddy boys et les greasers) » (Hebdige, 2008 : 48).

8 La première parution de son ouvrage datant de 1979, Dick Hebdige faisait évidemment référence à ce mouvement skinhead des années 1960 sans pouvoir juger de son évolution ultérieure. Car compte tenu des représentations qui s’imposeront rapidement ensuite, peu après la date de parution de ce livre, il pourrait paraître curieux, a posteriori, que les skinheads soient cités, aux côtés des mods et des punks, comme un groupe ayant des affinités explicitement revendiquées avec des immigrés noirs. Pourtant, la sous-culture skinhead se construira bien en puisant à deux sources différentes, mêlant la culture traditionnelle de la classe ouvrière blanche à celle des expatriés venus de Jamaïque. À l’image quelque peu mythique du prolétaire britannique, les skinheads viendront superposer des éléments directement empruntés

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à la communauté antillaise, et plus particulièrement à la sous-culture délinquante, réelle ou fantasmée, des rude boys, créant ainsi un style original, à la frontière de deux univers apparemment difficilement conciliables : celui, organisé, de la classe ouvrière, qu’ils regardent avec nostalgie mais dont ils redoutent la soumission et la disparition, et celui, dérégulé, du « lumpen-prolétariat » flirtant avec la délinquance, qu’ils voient avec une certaine fascination et dont ils admirent l’insoumission et la vitalité. Dans la rencontre de ces deux univers, celui des skinheads et des rude boys, la musique jouera un rôle essentiel, agissant d’abord comme un trait d’union puis, de par son évolution, marquant ensuite un point de rupture.

De la musique comme trait d’union…

9 Les mods avaient déjà inclus les rythmes jamaïcains au répertoire des musiques noires américaines auxquelles ils vouaient une passion 5. Les hard mods, tournant le dos à la scène psychédélique, s’y intéresseront d’avantage encore, quant aux skinheads, le ska, le rocksteady et le early reggae deviendront les musiques essentielles de leur mouvement, pour ne pas dire, essentielles à leur mouvement.

10 Ces musiques venues de Jamaïque se propageront au sein la communauté antillaise installée en Angleterre et revêtiront une importance particulière pour une seconde génération devenue circonspecte vis à vis d’une société qui semblait peiner à les intégrer pleinement malgré les efforts d’assimilation de leurs pères. Se sentant non reconnue comme citoyen britannique à part entière, cette génération cherchera à raviver des liens avec leur ancienne patrie et trouvera une sorte de refuge réconfortant dans une identité reconstruite en renouant les fils de leurs origines. La musique afro- américaine d’abord, puis la musique jamaïcaine en plein essor depuis les années 1960 constituera le noyau de sens autour duquel une autre culture, un autre système de valeurs et d’autodéfinition, pourra s’agglutiner et s’affirmer. Dans cette quête identitaire, acheter un disque jamaïcain en Angleterre, sera déjà pour ces jeunes déracinés comme acquérir à bon prix un bout de ce pays. Et en cette terre d’accueil où la plupart des clubs et des pubs anglais n’accueillaient pas toujours volontiers les jeunes noirs, ces derniers n’allaient pas tarder à organiser eux-mêmes, sur le modèle des sound-systems jamaïcains, leurs propres espaces d’expression et d’affirmation.

11 Les rythmes ska, rocksteady et early reggae commenceront alors à faire vibrer certains quartiers de Londres après ceux de Kingston pour ensuite gagner une forte popularité 6. Entre 1968 et 1972, leur audience se développera à un point tel qu’il se vendra, durant cette période, plus de ce style de musique sur le sol anglais qu’en Jamaïque. Parmi les premiers acheteurs, les skinheads qui, par leur nombre, constitueront la part du public blanc la plus importante et la plus visible à soutenir cette musique, contribuant ainsi grandement à son développement et à son succès populaire.

12 Devant l’enthousiasme de ce public, des artistes jamaïcains parmi ceux installés sur le sol anglais, composeront nombre de morceaux explicitement dédiés aux skinheads : Skinhead Train (The Charmers), Skinhead A Message To You (Desmond Riley), Skinhead Revolt (Joe The Boss), Skinhead Girl, Skinhead Moonstomp, Skinhead Jamboree (Symarip), Skinhead Invasion, Skinhead Train (Laurel Aitken), Skinhead Speak His Mind, Skinheads Don’t Fear (Hot Rod Allstars)… Titres qui témoigneront d’une reconnaissance partagée et même du respect que manifesteront certains de ces artistes envers la ferveur de ces fans. Ainsi par exemple de Laurel Aitken 7 qui rendra hommage tout au long de sa

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carrière à la fidélité de son public skinhead et qui se considèrera lui-même comme l’un des leurs. Certes, quelques-uns de ces titres relèveront de la simple stratégie commerciale, à l’image de ces labels qui orneront de photos de skinheads les pochettes de leurs disques de reggae afin d’en augmenter les ventes. Le segment de marché non négligeable que représentait alors les skinheads pouvant susciter quelques opérations opportunistes 8.

13 Signe d’une conjonction effective, l’avènement du skinhead reggae en tant que genre en soi et qui se développera durant les années 1969 et 1970, pendant la période musicale du early reggae qui fera la transition entre le rock steady et le roots reggae 9. Ce reggae au tempo rapide et nerveux devra son nom au vif engouement qu’il provoquera auprès des skinheads. Amorcé en 1969 avec le succès du morceau Liquidator de Harry J All-Stars, le Double Barrel de Dave & Ansell Collins, qui attendra également en mai 1971 le sommet des charts britannique, représentera l’apogée, au sein de la pop anglaise grand public, de la musique jamaïcaine en général et du skinhead reggae en particulier.

…à la musique comme point de rupture

Pourtant, passé 1971, l’orientation générale de la musique reggae vers les thèmes rasta signera la fin du skinhead reggae et éloignera les skinheads de cette scène.

14 La musique qui faisait danser les skinheads en Angleterre allait en effet poursuivre en Jamaïque son propre processus d’évolution, de maturation et d’affirmation. Avec le roots reggae, elle deviendra le principal véhicule du rastafarisme, cette mystique religieuse qui avait lentement imprégné la population jamaïcaine jusqu’à devenir une force spirituelle, culturelle et identitaire de première importance. De musique assez grand public, aux thèmes aussi variés que rassembleurs, le genre s’orientera désormais plus volontiers vers son public originel, leur offrant un nouveau pôle d’ancrage et de résistance en se faisant l’expression d’une conscience noire.

15 Les skinheads, quant à eux, affectionnaient les rythmes jamaïcains pour la musique et la danse. Les paroles avaient alors peu d’importance, et, du reste, l’argot jamaïcain leur apparaissait assez opaque. Mais lorsque le reggae, d’une musique récréative deviendra le support d’une foi mystique et ethnocentrée, ils se sentiront exclus et perdront le contact avec des rude boys devenus rastas. « La négritude toujours plus affirmée du reggae était forcément moins attirante pour les skinheads, qui se sentaient de plus en plus étrangers à cette mouvance musicale, et ce au moment même ou leur propre sous-culture montrait des signes d’essoufflement. » (Hebdige, 2008 : 63) Au tout début des années 1970, les skinheads, de par leurs agissements et du fait de l’évolution leur musique, amorceront en effet un déclin rapide dans tous les espaces d’émergence qui furent les leurs.

16 À commencer par les stades de football, ces hauts lieux de la culture ouvrière britannique, qui contribuèrent fortement à l’essor et au dynamisme de ce mouvement. Les skinheads s’y manifesteront par centaines et par milliers, multipliant les débordements et les affrontements au point d’être étroitement et durablement associé au phénomène hooligan.

17 Dans la rue, cet autre espace d’émergence, les skinheads prolongeront grandement la réputation de violence de leurs prédécesseurs hard mods. Là encore, ils multiplieront les rixes. Contre des bandes rivales de skinheads appartenant à un autre quartier, à une

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autre ville, ou soutenant une autre équipe de football. Contre tous ceux appartenant à des subcultures différentes et perçus en tant que tels comme des concurrents auxquels se mesurer. Contre les hippies et les homosexuels, dont le mode de vie et les mœurs seront jugés comme allant à l’encontre des « valeurs traditionnelles » de la classe ouvrière britannique dont les skinheads s’érigeaient en gardiens. Contre les immigrés pakistanais dont le manque d’effort d’intégration supposé sera condamné par les mêmes comme portant atteinte à la cohésion du monde ouvrier.

18 Ces agressions contre les pakistanais, appelées paki-bashing 10, et auxquelles se mêleront parfois, aux côté des skinheads, des rude boys d’origine jamaïcaine, prendront une telle ampleur au début des années 1970 qu’elles deviendront rapidement un sujet d’inquiétude pour le gouvernement anglais et un nouvel objet d’indignation, et non le moindre, de la part des médias britanniques envers les skinheads.

19 Dans les stades et dans la rue, les skinheads feront désormais l’objet d’une étroite surveillance policière limitant leurs agissements. Quant aux espaces de musique et de danse, ils étaient désormais devenu « une espèce de sanctuaire, un territoire à défendre contre toute forme de contamination de la part des blancs 11 » (Hebdige, 2008 : 42).

20 Dès lors, discrédité par ses excès, cloué au pilori, ne disposant plus d’espaces d’expression, n’étant plus adossé à aucun courant musical, cette contre-culture désormais muette et paralysée, privée de ses fondements et sans autre perspective de développement, semblait devoir appartenir définitivement au passé.

La seconde génération de skinheads, le basculement vers une contre-contre-culture

21 Le mouvement skinhead semblait avoir quasiment disparu au début des années 1970 et rien ne laissait présager qu’il pourrait réapparaitre un jour, ne serait-ce que parce que la musique, élément essentiel de toutes contre-cultures, lui faisait défaut. Il ressurgira pourtant, de façon assez inattendue, dans un contexte bien différent, porté par une nouvelle génération imprégnée de nouvelles références stylistiques et musicales, conservant certes des éléments du passé mais qui seront soumis et agréger à d’autres influences en cours.

Du punk à la oi !, le retour des skinheads

22 Loin de la période de croissance et de prospérité qui avaient caractérisé les années 1960, cette nouvelle génération de skinheads émergera au début des années 1980 dans une Angleterre ébranlée par le choc pétrolier de 1973 et qui sombrera dans une crise économique sans précédent. Les vieux bastions industriels s’effondreront entrainant un chômage de masse tandis que partout se multiplieront de graves et violents conflits sociaux, grèves mais aussi émeutes dans les quartiers pauvres tels que Brixton où les populations immigrées subiront cette crise de plein fouet en plus d’un harcèlement policier incessant.

23 C’est dans cette atmosphère de désenchantement général que le punk surgira en 1976. « Enfant illégitime d’une société en crise » (Carlet, 2004 : 13), cette contre-culture deviendra un véritable phénomène de société en exprimant une critique radicale et spectaculaire envers toutes les valeurs établies en général et contre la starisation 12 du

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rock en particulier. En revanche, et à l’inverse des skinheads qui s’en étaient sentis exclus, les punks montreront « une certaine attirance pour les milieux rastas de Londres et leur culture homogène et consistante » (Seca, 1988) et intègreront le reggae à leur révolte « en tant que bande son prête à l’emploi pour sa rébellion » (Bradley, 2008 : 513). Dans sa détermination à opérer une nouvelle « révolution de la jeunesse » qui passerait par une urgente et nécessaire « réappropriation » de la musique en général afin de revenir à plus d’authenticité, le punk ouvrira une brèche et nombreux seront les groupes qui s’y engouffreront, prenant à leur tour la musique à bras-le-corps, compensant souvent le manque de moyens techniques et financiers par la sincérité et la motivation.

24 Il en sera ainsi des groupes de street-punk qui se targueront d’interpréter un authentique « son de la rue » et qui deviendront rapidement le point d’attraction d’une jeune génération attirée par l’authenticité et la radicalité de cette scène à un moment où le punk, qui avait violemment brocardé la dérive mercantile d’un rock ayant perdu sa sincérité première, se trouvera bientôt lui-même accusé de suivre le même chemin 13. Parmi ces formations street-punk, les Cock Sparrer (1974), considérés comme les pères spirituels du genre et qui chanteront le quotidien de la classe ouvrière anglaise. Les Sham 69 (1976) qui deviendront rapidement le groupe de référence de cette nouvelle scène grâce à la personnalité hors norme de leur chanteur Jimmy Pursey qui fera figure de véritable working class hero auprès de ses nombreux fans dont une partie importante se constituera en une turbulente Sham Army. Puis les Cockney Rejects (1979) et leur répertoire axé sur les bagarres de rue et les affrontements dans les stades de football. Rassemblés autour de cette scène street-punk et particulièrement présents au sein de la Sham Army, ceux d’abord qualifiés de bald punks constitueront le noyau d’un renouveau skinhead doté de nouvelles références esthétiques 14 et musicales.

25 Cette nouvelle génération de « néo-punks 15 » n’aura, surtout à ses débuts et avant qu’une sorte de synthèse n’émerge avec les générations suivantes, que peu de choses en commun avec les skinheads de 1960. Une fierté d’appartenir à la classe ouvrière associée à un chauvinisme 16 assez affirmé ainsi qu’une inclination certaine pour la violence formeront tout de même une sorte de fond commun. Sinon, sous le couvert d’une même appellation, c’est souvent le mépris qui sera le mieux partagé entre ces deux générations, les plus anciens considérant les plus jeunes comme des résidus du punk, ces derniers voyant leurs aînés comme des vestiges du mouvement mod.

26 Dans la lignée des formations street-punk qui avaient initié et fédéré cette nouvelle génération de skinheads – « les skinheads sont de retour » avait déclaré Jimmy Pursey lors d’un de ses premiers concerts, déclenchant plutôt que constatant un phénomène – apparaitront bientôt des « formations mixtes », composées pour moitié de punks et de skinheads 17, qui précéderont les premiers skinbands, toujours directement issus et inspirés du street-punk, mais formés uniquement de skinheads décidés à jouer « de la musique de skins pour les skins » afin de mieux se distinguer d’un mouvement punk devenu à leurs yeux trop commercial et trop consensuel. Progressivement, la scène street-punk allait se muer en scène oi ! 18 donnant naissance au mouvement oi !, composé de jeunes skinheads et de punks en rupture avec leur propre scène.

27 La oi ! se définira comme étant, selon Garry Bushell 19 (Worst, 1999 :7) : « pro- britannique et pro-ouvrière », conformément à l’orientation générale du mouvement skinhead, ainsi que, toujours selon Bushell, « anticapitaliste, anti-etablishment mais apolitique » (Rock’n’Folk, 1982 :112). Si la oi ! revendiquera et revêtira sans conteste un

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aspect social, l’aspect politique restera assez flou, se cantonnant à une condamnation du « système » et de tous les « politiciens » aux accents assez populistes.

28 Loin des rythmes jamaïcains, et avant que la vague 2-Tone 20 ne vienne faire redécouvrir aux plus jeunes toute une culture musicale et esthétique qui avait fondé leur mouvement, ces skinheads avaient donc trouvé une musique leur permettant de se faire voir et entendre à leur tour. Une musique qui se retrouvera rapidement, comme eux-mêmes, au centre de bien des polémiques.

Des tentatives d’entrisme de la scène oi !…

29 La constitution de ce nouveau public de skinheads qui ira s’affirmant ne contribuera pas à pacifier ni une scène street-punk déjà peu réputée pour sa quiétude ni ensuite la jeune scène oi ! Dans l’atmosphère électrique de ces concerts, nombreuses seront les rixes entre bandes de quartiers ou de villes différentes, les rivalités entre supporters, les affrontements entre subcultures, sans compter les querelles pour le moindre prétexte. Bien que problématiques en matière d’image, de promotion et d’organisation de concerts, ce ne seront pourtant pas les seules violences qu’auront à affronter les groupes de ces deux scènes. Dès 1977, ils devront en outre faire face aux provocations politiques de jeunes gens, fans ou simples provocateurs, qui profiteront de ces concerts pour clamer leur soutien au National Front (NF) ou au British Movement, deux formations d’extrême droite ouvertement racistes et xénophobes.

30 Cet activisme s’accentuera au milieu des années 1980 révélant une stratégie d’entrisme qui déstabilisera grandement le milieu de la oi ! (Lescop, 2003 : 109-128). Cette entreprise, encore inédite, de récupération d’un courant musical et d’une contre- culture sera principalement menée par le NF que la crise avait contribué à sortir de son isolement politique et qui ambitionnait de devenir la troisième force politique du pays 21. Il lui semblera d’abord nécessaire d’apporter du « sang neuf » à sa formation alors essentiellement composée de militants vieillissants. Par l’intermédiaire de sa branche jeune, les Young National Front (YNF), il mènera alors une intense campagne de séduction envers la jeunesse britannique en investissant notamment stades de football et lieux de concerts, perçus l’un et l’autre comme vecteurs possibles de son idéologie et viviers potentiels de recrutement. Le climat du monde de la musique de cette époque, reflétant à sa manière les doutes et les tensions affectant la société anglaise, pouvait en effet s’avérer, d’une certaine façon, favorable au NF : par provocation les punks exhibaient des croix gammées 22, par dérision, le monde de la pop flirtaient avec les discours ou l’imagerie nazie 23. Cela ajouté au remarquable impact que semblait avoir la musique sur les jeunes britanniques en particulier, si prompte à suivre les modes et à en endosser tous les uniformes.

31 Même si sa politique de séduction ne se limitera pas à ceux-ci 24, les skinheads seront particulièrement courtisés par le NF qui devait certainement voir en ces jeunes prolétaires à cheveux courts et au comportement violent de futures « sections d’assaut » pouvant être mises à son service. Estimant pouvoir les atteindre collectivement via la musique qu’ils écoutaient, Joseph Pearce, responsable des YNF, affirmera d’abord à la presse britannique que la oi ! représentait le courant musical de son parti. Déclaration mensongère puisqu’il n’existait alors ni lien ni affinité d’aucune sorte entre les différents groupes de street-punk ou de oi ! et le NF. Sur la base de cette trompeuse affirmation mais se fondant également sur les allégations d’une presse

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disposée à voir en tout skinhead un néonazi 25, de nombreux activistes d’extrême droite se rendront alors à des concerts oi !. Mais déçus de n’y trouver ni la connivence promise ni l’ambiance souhaitée, ils se livreront en retour à une surenchère de provocations. Les heurts dans la salle et sur scène, avec les musiciens eux-mêmes, seront fréquents et bien des concerts se termineront en batailles rangées. Garry Bushell lui-même, l’homme qui avait promu la oi ! et dont les opinions socialistes étaient connus 26, sera poignardé à plusieurs reprises par une quinzaine d’individus, non skinheads, appartenant à cette mouvance néo-nazie.

32 Beaucoup de groupes street-punk ou oi !, lassés de ce climat de violence, décideront d’arrêter là leur carrière, comme l’avait déjà fait Sham 69, dépassé par les débordements de son propre public, ou s’essaieront à d’autres genres musicaux nettement moins exposés. Finalement, il ne se trouvera aucun groupe parmi ceux qui portaient alors le drapeau de la oi ! pour valider les propos de « Joe » Pearce concernant une prétendue identité de point de vue entre ce courant musical et son courant politique. Sa brutale tentative de récupération n’aboutira, finalement, qu’à accentuer le discrédit et l’opprobre pesant déjà sur ce type de musique et son public tout en participant activement à sa déliquescence et en contribuant à transformer chaque concert en un terrain d’affrontement politique.

… à l’autonomie de la scène RAC

33 Déterminé, malgré tout, à mener à bien son projet de séduction de la jeunesse par la musique, le NF finira par trouver son homme providentiel en la personne de Ian Stuart Donaldson, chanteur et leader charismatique du groupe Skrewdriver, formation punk en 1977 mais qui, après remaniement, deviendra dans les années 1980 skinhead et « pro-NF », inaugurant un mélange des genres qui ne tardera pas à faire des émules. Ensemble, ils créeront un label explicitement nommé White Noise Records afin de promouvoir de nouvelles formations musicales nationalistes.

34 Avec l’aide logistique et financière du NF, Ian Stuart, via Skrewdriver, mettra en place les premiers concerts intitulés Rock Against Communism (RAC), organisés à la fois en réaction et sur le modèle des populaires concerts antiracistes Rock Against Racism 27. La fonction que devait revêtir l’organisation de tels évènements, en accord avec la stratégie du NF d’embrigadement de la jeunesse par la musique, sera ainsi définie par Ian Stuart : « la musique est très importante dans notre mouvement. Pour nous, cela concerne beaucoup de gens plus jeunes que les politiciens ne peuvent pas toucher. Car beaucoup trouvent la politique ennuyeuse… Aller à un concert c’est plus marrant… nous pouvons ainsi atteindre beaucoup plus de gens. Si les jeunes écoutent les paroles et qu’ils y croient, alors ils vont s’impliquer dans le parti nationaliste de leur propre pays. » (Skinheads : la haine, 1991)

35 Au milieu des années 1980, cette scène RAC, fer de lance d’un rock ultranationaliste particulièrement virulent, parviendra, dans l’ombre, sans publicité, du fait des menaces d’interdiction ou de contre-manifestations, à se développer notablement, attirant ici et là des centaines de fans et faisant émerger dans le sillage de Skrewdriver de nouveaux groupes estampillés RAC.

36 La collaboration entre Ian Stuart et le NF s’achèvera cependant quand ce parti, alors en quête de respectabilité, prendra conscience que les skinheads embrigadés sous sa

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bannière lui portaient, du fait de leur exubérance et leur comportement indiscipliné, un fort préjudice en matière d’image. Il n’y aura donc plus d’intérêt pour un parti voulant incarner « l’ordre », à continuer à soutenir une mouvance aussi tapageuse et désordonnée, politiquement incontrôlable, médiatiquement ingérable, ne contribuant qu’à effrayer et éloigner de lui des électeurs peu disposés à voter pour un « parti de naziskins ». La rupture déjà latente entre le NF et la scène RAC sera complète en 1986, soldant là une entreprise de récupération et une collaboration qui, pour le NF, s’était finalement révélée politiquement contreproductive 28.

37 La perte du soutien logistique du NF allait pousser Ian Stuart, Skrewdriver et d’autres formations RAC, déterminés à continuer seuls, à devoir s’organiser d’une manière autonome. Ils mettront alors en place, en 1987, à l’instar de la scène punk et en inaugurant à cette occasion une sorte de Do It Yourself d’extrême droite, leurs propres structures d’information, de production, de promotion et de distribution 29. Ceci se fera d’abord par l’intermédiaire d’une publication nommé Blood & Honor 30 puis par la création d’un label répondant au même nom. Le tout devant progressivement constituer un réseau à vocation internationale 31 ouvert à tout ce que le monde pouvait compter de mouvances politiques et de courants musicaux situés à la droite la plus extrême. Considérant que « le mouvement skin n’a pas d’importance en soi. Ce qui compte, c’est le nationalisme » (Le nouvel Observateur, 1993 :10), Ian Stuart ne restreindra pas ses activités à ce seul mouvement. C’est pourquoi, ouvrant la voie et montrant l’exemple, Ian Stuart et ses musiciens joueront différents styles de musiques sous différents noms 32 afin d’approcher le plus large public (Lescop, 2007 : 244-271). Néanmoins, et quoique le RAC ait développé assez rapidement vis-à-vis de la musique oi ! et du mouvement skinhead en général une stratégie assez opportuniste, consistant à se servir d’abord de l’une et de l’autre avant de s’en éloigner dès lors que leur utilité s’avèrera limitée, reproduisant l’attitude qui avait été celle du NF vis-à-vis du RAC lui- même, la oi ! et le mouvement skinhead resteront durablement marqués par cette immixtion politique.

La diffusion du modèle naziskin

38 Car, paradoxalement, alors que, musicalement, les principales formations RAC telles que Skrewdriver, Skullhead, No Remorse, Brutal Attack… ne se définiront jamais comme étant des groupes de oi ! 33, alors que ces formations et leur public ignoreront en général, une grande partie de la « culture skinhead » originelle à commencer par ses premières influences noires 34, c’est pourtant cette image très frelatée de la oi ! et du skinhead issue du RAC qui deviendra l’archétype, jusqu’à la caricature, de celui-ci et de sa musique. Avec la diffusion de la scène RAC, cette image s’exportera et s’implantera à travers tout le continent européen, aux États-Unis puis ailleurs encore, prélude à une internationalisation du « phénomène naziskin ».

39 À ses débuts toutefois, l’entreprise de récupération menée par le RAC n’aura pas eu pour effet immédiat de transformer, contrairement à l’approche journalistique, tout skinhead en militant d’extrême droite. Certains le deviendront effectivement, souvent d’une manière assez superficielle, plus par provocation que par conviction, par adoption d’une attitude plutôt que par une adhésion à une idéologie, par un effet de mode certes détestable mais temporaire 35. Elle aura surtout séduit de nouveaux venus et eu pour autre effet de populariser durablement un « accoutrement » skinhead et la

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musique RAC à l’intérieur de milieux nationalistes qui ne disposaient alors guère d’autres éléments d’identification et de reconnaissance. En ce sens, le basculement de la contre-culture skinhead en une contre-contre-culture sera aussi le produit d’un effet de mode propre aux milieux nationalistes.

40 Reste qu’au départ, l’influence du RAC sur le mouvement skinhead n’aurait peut-être pas été si importante et si décisive si elle n’avait bénéficié d’une médiatisation à la fois exclusive et excessive.

41 Exclusive d’abord. Les factions naziskins focaliseront très tôt l’attention des médias britanniques au détriment des autres composantes, apolitiques ou antifascistes, de ce mouvement. Ils procureront une forte visibilité aux premières, offrant à leurs discours et à leurs actions une résonance qui les enhardira, ne laissant aucun espace d’expression aux autres 36. Ces médias tendront de la sorte à entériner une situation, la prédominance des naziskins, qui n’était pas acquise dans les faits.

42 Excessive ensuite. Sans parvenir pour autant à rentrer dans la compréhension du phénomène ni à en limiter les effets, par sa recherche du sensationnalisme, les médias contribueront, en augmentant son impact, à la diffusion du phénomène naziskin. En la matière se complètera d’une manière cynique la recherche du spectaculaire pratiqué par un certain journalisme prompte à exagérer l’importance de certains groupuscules pour en accentuer l’aspect dramatique et la constante recherche de publicité commune à toutes les mouvances minoritaires et radicales qui ont tout intérêt à voir ainsi valorisée leur capacité d’action ou de nuisance.

43 Ainsi, de généralités en amalgames et de simplifications en réductions, les skinheads se trouveront tous assimilés à des nazis. Il faut dire que présenté d’une manière aussi schématique et manichéenne, le « skinhead » avait le mérite de pouvoir incarner, pour les médias, mais pas seulement, un ennemi commode, entre le marginal violent et le déviant politique, une figure du mal parfaitement identifiable, une représentation idéale de l’intolérance la plus stupide sous sa forme la plus brutale 37. Voulant réagir à l’image exécrable qui était donnée de leur mouvement, certains skinheads tenteront de défendre une vision du « vrai skinhead » contre ceux qui n’en avaient, selon eux, que l’apparence.

Légitimité, authenticité et ambiguïté

44 À la fin des années 1980, le mouvement skinhead apparaitra comme coupé entre deux époques et fragmenté en plusieurs mouvances musicales et politiques, dont une en particulier faisait ombrage à toutes les autres. Partant de ce constat, il se trouvera des skinheads qui voudront redonner une cohérence à cet ensemble en refondant une histoire commune qui servirait d’assise légitime à une expulsion de l’élément contre- contre-culturel de leur contre-culture. Ils voudront ainsi défendre, à l’encontre des médias, une vision juste d’un mouvement dénué de toute ambiguïté… à moins qu’il ne s’agisse juste d’une vision d’un mouvement doté au contraire de quelques fortes ambiguïtés.

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Vrais skinhead, faux skinheads ? Une vision juste…

45 En 1983 sera créé en Angleterre un skinzine 38 appelé Hard As Nails qui, au travers de sa Campaign For Real Skinheads et malgré son aspect artisanal et la modestie de son tirage, nourrira l’ambition, selon ses propres termes, de « réhabiliter » l’« authentique » mouvement skinhead victime d’une « spoliation » exercé par l’extrême droite 39.

46 Si Hard As Nails contribuera à fédérer les skinheads dits traditionnels, sa Campaign For Real Skinheads ne pourra guère contrebalancer à elle seule et à son modeste niveau l’image négative du skinhead ordinairement propagée par tous les grands médias. Mais au delà de la validité ou de l’efficacité d’une telle campagne, l’exposé proposé par les rédacteurs de Hard As Nail de ce que le « vrai » mouvement skinhead était supposé être demeure intéressant en ce qu’il montrera à cette occasion une volonté de redéfinir globalement la contre-culture skinhead. Ainsi s’élaborera une sorte de synthèse entre le mouvement skinhead des années 1960 et celui des années 1980 afin de constituer un héritage commun regroupant divers éléments, passés et présents, censés faire consensus : la classe ouvrière, le style vestimentaire, le ska et la oi !, le football ainsi qu’un patriotisme dénué de toute dimension politique…

47 Participant de cet effort de construction d’une histoire et d’un imaginaire partagé, seront invoquées les « glorieuses » premières années du mouvement skinhead incarnant un « âge d’or mythique » réputé porteur d’un état d’esprit spécifique appelé spirit of 69 40.

48 Celui-ci sera dépeint comme ayant fondé les « très riches heures » d’un mouvement à son zénith, initié par des jeunes ouvriers fiers de leurs origines sociales ayant su tourner le dos à un mouvement mod embourgeoisé et miné par la dérive décadente du psychédélisme pour se mêler, à rebours des préjugés de l’époque, avec les rude boys d’origine jamaïcaine. De cette belle rencontre naîtra la subculture skinhead qui offrira le spectacle réjouissant d’une jeunesse noire et blanche unie, dansant ensemble sur les mêmes rythmes du reggae. Une vision du passé quelque peu idéalisée, faisant peu de cas des affrontements entre bandes, des hordes sauvages et déchainées du hooliganisme et des agressions commises envers la communauté pakistanaise…

49 En l’état, ce spirit of 69 sera par la suite largement repris et invoqué par tous les skinheads qui, dans la lignée de la campagne lancée par Hard As Nails, voudront par un rappel du passé, ou plutôt un appel au passé, défendre une image de l’« authentique » skinhead et légitimer un engagement antiraciste.

50 Ainsi des SHARP, les SkinHeads Against Racial Prejudice 41, qui, à cette fin, utiliseront comme logo le casque trojan du label britannique Trojan Records, label qui avait grandement contribué à diffuser et à populariser la musique jamaïcaine au Royaume- Uni. Son usage symbolique voulant être un rappel des origines musicales du mouvement skinhead, lesquelles démontreraient la nature foncièrement antiraciste de ce mouvement. Ce qu’exprimera Roddy Moreno 42 : « un vrai skinhead ne peut pas être raciste. Sans la culture jamaïcaine les skinheads n’existeraient pas. Ce fut cette culture, mélangée avec la culture anglaise des milieux ouvriers, qui a fait des skinheads ce qu’ils sont. » (Marshall, 1991 : 151)

51 Ainsi encore des redskins, les « skins rouges », qui, dans leur combat antiraciste et antifasciste en appelleront, en plus du spirit of 69, aux origines ouvrières de leur mouvement pour arguer que cette fierté d’appartenir au monde des travailleurs, si souvent proclamée par les skinheads, devrait trouver conséquemment un

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prolongement logique dans un combat politique aux côtés de syndicats et de partis ouvriers.

52 Souvent présentés par les médias comme étant des skinheads « atypiques » car se revendiquant antiracistes et antifascistes, voire communistes, à rebours des représentations communément admises, ces skinheads se targueront néanmoins d’apparaître plus en cohérence avec l’ensemble de l’histoire du mouvement skinhead que les boneheads 43 du RAC. Alors que les premiers montreront souvent un respect scrupuleux, quasi fétichiste, des codes vestimentaires initiés naguère et des musiques ayant fondé leur mouvement, les naziskins s’en affranchiront eux volontiers : le style paramilitaire aura souvent leur préférence et le skinhead reggae, musique noire joué par des jamaïcains, s’accordera difficilement avec leur white noise et leur white power. Ils s’en affranchiront d’autant plus facilement que tous ces éléments ne leur apparaitront pas, de leur point de vue, revêtir une importance essentielle.

53 Il pouvait donc apparaître paradoxal, du point de vue des SHARP par exemple, qui orienteront toutes leurs actions au nom et au sein du mouvement skinhead, que ce soient non pas eux mais les personnes les moins sincèrement impliquées dans ce mouvement, et donc les moins légitimes pour l’incarner, qui fassent figure de « vrais skinheads » aux yeux du plus grand nombre. Cependant, si l’on considère que les mouvements sont ce qu’il en a été fait et non ce qu’ils devraient être, il apparaît que distinguer, comme le font les SHARP, tels des « gardiens du temple », l’« authentique » mouvement skinhead de ses versions « dévoyés », c’est parler non pas en observateurs mais en « croyants 44 ». Si les SHARP tenteront de tirer leur légitimité du passé, les naziskins, ayant remporté médiatiquement la bataille de l’image, tireront la leur du présent, d’une situation de fait. Ce que résumera Serge Ayoub alias Batskin 45 : « qui connait les skins des années 60 ? Tout le monde s’en branle. Quand on parle à quelqu’un dans la rue des skins, on parle du skin nationaliste. Le redskin, le machin, le SHARP… tout le monde s’en tape de ces appellations. Un skin […], c’est le skin nationaliste, un point c’est tout. 46 »

… ou juste une vision ?

La musique aura donc joué un grand rôle dans la sous-culture skinhead, conduisant ce mouvement à des évolutions successives importantes, le faisant apparemment passer, en quelques années, des sonorités noires au white noise, d’une contre-culture à une contre- contre-culture.

54 Apparemment, car il faudrait alors admettre comme explication de cette évolution l’hypothèse selon laquelle les skinheads, éjectés d’une scène reggae alors dominée par une sorte de black power version jamaïcaine, aurait construit en réaction une scène white power bien à eux avec leur propre musique. Que ce serait « lorsque les ‘‘frères jamaïcains’’ [iront] se tourner vers le mouvement rasta et considérer l’occident comme une ‘‘nouvelle Babylone’’ que les skins [iront] se replier sur d’autres territoires » (Barreyre, 1992 : 47).

55 Cette vision d’une évolution continue d’un mouvement skinhead, marqué par le ressentiment, apparait peu convaincante. D’une part, parce que entre les années 1960 et les années 1980, soit une vingtaine d’année plus tard, c’est une autre génération de skinheads qui s’est manifestée dans un contexte bien différent et avec des références autres, fondant un second mouvement skinhead plutôt que continuant le précédant qui s’était achevé une dizaine d’années auparavant, de n’avoir pu, précisément, se replier

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sur d’autre territoires. D’autre part, parce que cette influence politique, incarnée et diffusée par le RAC, viendra de l’extérieur du mouvement skinhead et sera le produit de l’ingérence d’un parti, le National Front, qui mènera d’en dehors une opération de récupération.

56 Reste à savoir si la contre-culture skinhead des années 1960 et 1980, « hors RAC », qui s’est trouvée adossée à d’autres contre-cultures via le reggae et le punk ne contenait pas en elle des ferments qui aurait pu favoriser, voire la prédisposer à devenir ou à faire émerger en son sein, même partiellement, une contre-contre-culture.

57 Les skinheads, dans leur volonté de se faire l’incarnation d’un monde ouvrier qui n’existe plus et qu’ils essaient « magiquement » (Hebdige, 2008 : 128) de ressusciter – c’est là le sens du style skinhead – apparaitront, par leur crispation sur des valeurs passéistes, par leur opposition aux évolutions sociales en cours et leur souhait de voir se rétablir un ancien état des choses, comme appartenant à un « mouvement qui va de l’arrière ». La contre-culture skinhead, sous-culture largement sous-politisée, qui se manifestera au moins en tant que telle en réaffirmant « des valeurs associées à la communauté ouvrière traditionnelle […] à contre-courant de la tendance généralisée » (Hebdige, 2008 : 84) peut, en ce sens, faire figure de sous-culture conservatrice, voire de contre-culture réactionnaire. La contre-contre-culture initié par le RAC et ses réseaux peut, quant à elle, être appréhendée plus simplement comme une contre-culture d’extrême droite ayant emprunté ses formes plastiques à la sous-culture skinhead et s’opposant à la culture dominante d’une façon explicitement politique et idéologique.

58 Certes, il y eu toujours des « skins à gauche » pour s’identifier au parti travailliste 47, plus socialement que politiquement, de par leurs origines ouvrières et via une culture de classe 48, comme il y eu, dans une moindre mesure, des « skins de gauche » parmi les figures importantes de la scène oi !, tel Garry Bushell, ainsi que des formations musicales et des mouvances de skinheads, tels les redskins, pour affirmer leur sympathie pour les idées socialistes. Reste que la haine bien souvent exprimée des hippies, des intellectuels, des homosexuels, leur défense d’un modèle traditionnel puritain et leur chauvinisme, sans compter leur propension à la violence aveugle, ne prédisposaient pas particulièrement la majorité des autres skinheads à faire figure de progressistes ou à se reconnaître parmi ceux-ci 49.

59 Si chez les skinheads, la classe ouvrière a bien, depuis le départ, une existence effective doublée d’une importance affective, cette notion de classe restera le plus souvent cantonnée au stade « d’une expérience syncrétique de l’appartenance [n’allant pas] jusqu’à la prise de conscience de la nécessité de transformer les conditions de vie de tous par une lutte commune » (Hoggart, 1970 : 127). Ce sentiment d’appartenance ne transformera donc pas le mouvement skinhead, ni dans les années 1960, ni dans les années 1980, avec le renfort de la oi !, cette working class music, en un mouvement doté d’une conscience de classe ayant une portée politique concrète. Cette « conscience sans conséquence » car privée de tout soutien idéologique ôtera à la mouvance oi ! et skinhead toute dimension révolutionnaire. La « révolte skinhead » originelle puis exprimée par la oi ! restera alors moins une lutte de classe qu’une lutte de déclassés, une simple contestation, une crispation issue des angoisses et des réflexes de défense de rejetons d’une classe laborieuse en crise et désorientée assistant, sans pouvoir s’y résoudre, à l’effacement de leurs repères identitaires traditionnels. Ce faisant, ne voyant pas de perspectives dans le combat politique dont ils ne parviennent pas à cerner les enjeux, sans idéalisme, versant conséquemment dans un apolitisme teinté de

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cynisme, la plupart des skinheads, au sein de cette sous-culture réactive n’offrant à leur désarroi qu’un fragile refuge compensatoire, seront par là même susceptibles de verser à tout moment, par un pur besoin d’agitation, dans un extrémisme irrationnel, sans direction, purement émotionnel.

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NOTES

1. Templars, The. (1994) "Skinheads Rule O.K." Produced by Carl Fritscher. The Return Of Jacques De Molay. Germany: Dim Records. 2. Premier ministre conservateur de 1957 à 1963. 3. Mod est l’acopope de modernist, les tous premiers mods étant des fans de modern jazz. 4. Le pantalon raccourci, qualifié de « feu de plancher », arrivant au-dessus de la cheville était un élément typique de l’accoutrement vestimentaire du rude boy jamaïcain. 5. Le chanteur jamaïcain Prince Buster faisait déjà figure « d’icône mod » et « ses fréquentes tournées britanniques le voyait escorté, de concert en concert, par des phalanges de mods anglais juchés sur leurs scooters ». (Bradley, 2008 : 177). 6. Le ska, musique emblématique de l’indépendance jamaïcaine, obtiendra pour la première fois une reconnaissance auprès du grand public en 1964, par l’intermédiaire de Millie Small, une jeune chanteuse jamaïcaine. Son My boy lollipop atteindra la seconde place des charts britannique, devant les Beatles et les Rolling Stones. En 1967, ce seront encore deux morceaux ska qui viendront se classer, à la vingtième place pour le Al Capone de Prince Buster et trentième place pour le Guns Of Navarone des Skatalites, devenant cette fois-ci les premiers morceaux produit en Jamaïque à rencontrer le succès sur les ondes britanniques. En 1969, le Israelites de Desmond Dekker occupera la première place. 7. Laurel Aitken (1927-2005) sera l’un des pionniers de la musique ska jamaïquaine durant les années 1960. Il jouera un rôle important dans la reconnaissance du ska et du reggae par le public Anglais et connaitra un franc succès auprès des skinheads. Il sera qualifié de Godfather of Ska et de Boss Skinhead. 8. C’est par exemple ce genre de démarche commerciale qui poussera le groupe britannique Slade a adopté un look skinhead sous la pression de leur manager Chas Chandler, ce dernier pensant que les skinheads étaient en attente d’un groupe a leur image pour s’y identifier. Toutefois, Slade ne connaitra vraiment le succès que lorsqu’il se tournera vers le glam rock. 9. Le roots reggae désigne un reggae diffusant un message rasta. 10. Un morceau de skinhead reggae de Claudette & The Corporation intitulé Skinhead A Bash Dem fera référence à ces attaques de pakistanais par des skinheads : « skinhead say paki them can’t reggae/skinhead say paki them can’t jeggae/skinhead a bash them (4x)/skinhead say paki no spend money/skinhead say paki no live no way/skinhead a bash them (3x)/…/skinhead say paki no live no way/skinhead say paki no have no woman/skinhead a bash them… » 11. « Les clubs et les soirées connaissaient également un degré important de ségrégation sociale, et même si un petit nombre de jeunes noirs trainaient avec des skinheads, il était rare de voir un blanc dans un blues dance. Une blague circulait à propos du dancing le blues-ville dans le quartier de Wood Green au nord de Londres – un Blanc devait connaître beaucoup de monde pour y entrer, mais il devait connaître tout le monde pour pouvoir en sortir. » (Bradley, 2008 : 295). 12. Dans son roman Human punk, l’auteur prête à son personnage principal, un punk, ses propos résumant bien, et vertement, cet état d’esprit : « […] cette merde de rock progressif à la con, […] ces éclairages super-coûteux pour millionnaires en rupture de manoir à la campagne, pour rebelles des piscines qui ont que dalle à dire, fascinés qu’ils sont par leur propre trou du cul, [des] branleurs qui s’imaginent lutter contre le système en claquant des milliers de livres en drogues illégales ; on les détestait tous ceux-là, on les déteste toujours. » (King, 2003 : 190). 13. Dérive dénoncée par le groupe Crass dans son morceau Punk is Dead. 14. Les premiers skinheads, issus des mods et influencés par les rude boys d’origine jamaïcaine, incarnaient le dressing smart : les cheveux étaient courts mais jamais rasés entièrement, les chemises se devaient d’être impeccables, les bretelles se portaient aux épaules, le pantalon, court, laissait découvrir une paire de Dr Martens de hauteur moyenne et bien cirée. Ce style

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ouvriériste devait marquer une appartenance revendiquée au monde du travail tout en voulant susciter, par son aspect soigné, une certaine forme de respect. La seconde génération de skinheads, composée pour l’essentielle d’anciens punks, incarneront le dressing hard : le crâne est rasé à blanc, le t-shirt aux couleurs du drapeau britannique fait son apparition, ainsi que les nombreux tatouages. Les bretelles battent le long des jambes, le jeans est en partie javellisé et s’interrompt à mi-mollets sur des revers découvrant une haute paire de paraboots coquées. Ce style, s’il reprend en grande partie les éléments constitutifs du look skinhead des années 1960, apparait, de par l’influence destroy du punk, beaucoup plus provocant et agressif. 15. We are the new punks chantera ainsi le groupe Antisocial, première formation skinhead-oi ! issue du punk. 16. Le port des couleurs britanniques sur ses vêtements sera commun aux mods, aux skinheads et même aux punks, souvent pour souligner l’origine anglaise de leur mouvement vis-à-vis des modes venues des États-Unis. 17. Un style vestimentaire hybride, à la croisée du punk et du skin, se répandra également largement à cette époque sous le nom de herberts. 18. Le terme oi !, qui s’écrit toujours ainsi, suivi d’un point d’exclamation agissant comme une scansion, découle d’une contraction de l’interjection O You ! propre à l’argot cockney. Cette expression populaire finira par qualifier la variante skinhead du street-punk grâce au succès d’une chanson intitulée oi ! oi ! oi ! des Cockney Rejects, qui se hissera au rang de classique dans cette scène. Ce terme sera ensuite repris et « officialisé » par Garry Bushell qui, le premier, en fera usage dans nombre d’articles et de revues. 19. Rédacteur en chef du magazine musical Sound, Garry Bushell sera, dans les années 1980, un grand soutien de la scène oi ! 20. Le 2-Tone, du nom du label de musique créé en 1979 par le fondateur des Specials, Jerry Dammers, désignera un courant musical s’inspirant du ska traditionnel mais en lui insufflant l’énergie nouvelle issue du punk. The Specials, Madness, The Beat, The Selecter, Bad Manners en seront les têtes de file. Ils reprendront le style vestimentaire des rude boys. 21. En 1976, aux élections municipales, le NF deviendra la quatrième force politique nationale, et la troisième à Londres. 22. Ainsi du fameux tee-shirt orné d’une croix gammée de Sid Vicious, bassiste des Sex Pistols et du Bromley Contingent, groupe de fans de ce même groupe, qui feront également un large usage de ce symbole dans leur ornement vestimentaire. 23. Ainsi par exemple de David Bowie qui, en automne 1976, assure à la presse anglaise, après l’avoir saluée le bras tendu, qu’il « croit au fascisme ». D’Éric Clapton qui, la même année, déclenchera une violente polémique suite à des propos racistes tenus lors d’un de ces concerts. De Jimmy Page qui apparaît sur scène en 1977 en bottes de l’armée allemande et coiffé d’une casquette d’officier SS. De Keith Richards qui à la fin des années 1980, monte chaque soir sur scène avec un tee-shirt arborant en gros caractères Obergruppenführer. De Keith Moon connu pour aimer se promener dans les rues de Londres déguisé en officier nazi… 24. Il y aura ainsi la création d’un Punk Front, affilié au NF, qui malgré une brève existence permettra la création de quelques groupes punks prônant la xénophobie et la suprématie blanche. 25. « L’extrême droite fut attirée par notre scène à cause de la presse à scandale, principalement le Mail qui avait tout déformé. Lorsqu’elle a découvert que nous n’étions pas ce qu’ils s’imaginaient, ils s’en sont pris aux groupes de oi et à moi. » (Worst, 1999 :9) 26. Bushell is a red sera le chant entonné par des provocateurs d’extrême-droite saluant ainsi les apparitions de Garry Bushell à des concerts. Le journal Bulldog, émanation des YNF et dirigé par Joseph Pearce, publiera en outre son adresse en le qualifiant de « traître à sa race ». 27. Initié par le Socialist Workers Party, les RAR s’inscriront dans une campagne antiraciste et antifasciste en tentant de politiser le mouvement punk, et plus largement, en cherchant à

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toucher un public « rock » majoritairement apolitique. Les RAC en seront donc, politiquement parlant, le décalque inverse, son appellation se voulant une dénonciation de la nature communiste des concerts antiracistes. 28. Le NF ne parviendra pas, de toute façon, à réaliser ses ambitions électorales, à cause de crises internes, mais aussi et surtout parce que la campagne, l’arrivé et le maintient au pouvoir de Margaret Thatcher avec ses positions très conservatrices provoqueront une hémorragie durable de sa base électorale. Beaucoup de skinheads, de fait guère investis politiquement, abandonneront alors ce parti, soit pour tout arrêter dans la plupart des cas, soit pour se radicaliser en rejoignant des formations ouvertement nazies et tournées vers l’action violente telles que le British Movement ou le National Socialist Action Party. 29. Fanzines, disques, tee-shirts, posters… 30. Blood & Honour tire son nom de la devise des Jeunesses hitlériennes, Blut und Ehre. 31. Il y aura des RAC organisés par Blood & Honor dans la plupart des pays européens (RFA, Italie, Suède, hollande…) Les USA, quant à eux, interdiront leur territoire à Skrewdriver et à Ian Stuart. 32. Skrewdriver enregistrera du hard rock sous le nom des White Diamonds et du rock-a-billy, sous celui des Klan Men. Kevin Turner, chanteur du groupe RAC Skullhead qui avait démarré dans un registre proche de la oi ! avant de se tourner vers le heavy metal puis vers le rock, se fera connaître, dans les années 1990, individuellement et en dehors de la mouvance naziskin, comme « techno MC » sous le nom de MC Techno T, parvenant ainsi à se produire dans quelques uns des plus grands clubs britannique de musique techno. 33. Ian Stuart à propos de Skrewdriver déclarera : « nous n’avons jamais été un groupe de oi !. Nous étions un groupe de rock ». Paul Burnley de No Remorse dira encore : « nous ne sommes pas un groupe de oi !. Nous nous sommes jamais réellement associés à la oi ! même si au départ notre musique était proche de la oi ! et de la musique punk et skinhead » (Marshall, 1991 : 142). Ces groupes se définiront simplement comme étant des « groupes RAC ». Ils seront présentés et vendus sous cette appellation et les amateurs du genre diront écouter du RAC. 34. Les « rythmes noirs » qui enchantaient les premiers skinheads seront rapidement bannis au profit d’un son « métal » jugé « plus blanc » tandis que les tenues soignées issues des mods et des rude boys laisseront la place à des succédanés d’uniforme militaire. 35. Témoignage de Cathal Smyth du groupe Madness : « Tout ce truc de droite est à la mode. La moitié des gamins dans les squats de King’s Cross où j’habitais cherchent à s’amuser, ils s’ennuient. Une semaine ils sont au National Front, la suivante c’est le British Movement […]. Si vous essayez d’avoir une conversation intelligente, ils n’ont aucune idée de ce dont ils parlent. » (Reed, 2011 : 186) 36. En 1982, la BBC tournera un documentaire appelé Skinheads. Deux groupes de oi ! avaient été précédemment approchés : les Business, une formation antifasciste et antiraciste, et Combat 84, une formation nationaliste. Seul le groupe Combat 84 apparaitra dans le documentaire. 37. Daniel Schweizer, réalisateur de reportages consacrés aux skinheads, déclarera : « Même si cela nous fait peur, nous sommes rassurés par l’image du skin fasciste. Les gens ont beaucoup de mal à imaginer qu’il puisse exister des skins de gauche, communistes, antifascistes. Pour certains, donner une image de ‘‘bon skin’’ serait dangereux parce que cela pourrait dédouaner les autres. » http://www.humanite.fr/node/338587 38. Contraction de skinhead et fanzine. 39. http://www.freewebs.com/skins/hardasnails.htm 40. L’année 1969 étant considérée comme marquant l’apogée du premier mouvement skinhead. 41. Formés aux États-Unis en 1986 sous l’impulsion d’un skinhead apolitique de New York, les SHARP essaimeront sur le reste du territoire américain sous la forme de sections. Antiracistes et antifascistes, composés de skinheads aux origines diverses, les SHARP se montreront, à l’image de la société américaine, très patriotes et volontiers anticommunistes. Leur credo neither red nor

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racist résumant leur positionnement. Les SHARP en tant que modèle d’organisation, seront par la suite importés en Grande-Bretagne puis à travers le monde. 42. C’est Roddy Moreno, chanteur du groupe oi ! les Oppressed, qui importera en 1988 le SHARP en Grande-Bretagne. Il deviendra alors la figure emblématique de cette mouvance et sa formation, la référence musicale. 43. Surnom donné aux naziskins du fait de leurs crânes rasés à blanc par les skinheads qui veulent leur refuser une appellation de skinhead qui serait totalement usurpée. 44. Le livre de George Marshall, Spirit Of 69, a skinhead bible, possède à ce propos un titre éloquent. 45. Ancien leader skinhead nationaliste. 46. Sur les pavés, Autonomiste Media, 2009. 47. Selon Garry Bushell, « la plupart des skins votait, à ce moment là [lors des débuts de la oi !] pour le Labour Party » (Worst, 1999 :8). 48. « Au sein du monde ouvrier, la culture de classe reste profondément enracinée, et avec elle le sentiment d’appartenir à une communauté spécifique, absolument distincte de l’univers bourgeois. Bref, avant tout une façon de se situer, bien plus qu’une idéologie - celle même qui faisait dire à un ouvrier, en réponse à un enquêteur: «I am not a socialist, I am Labour». » (Bédarida, 1990 : 300) 49. Voir à ce propos le film rude boy de Jack Hazan et David Mingay (1980) mettant en scène un punk issu des classes populaires qui reprochera plusieurs fois à son groupe favori les Clash de participer à des concerts antiracistes qu’il associe aux communistes, aux étudiants et aux hippies, catégories de personnes qu’il juge éloignées de son monde et pour lesquels il n’éprouve que mépris.

RÉSUMÉS

Parmi toutes les subcultures s’étant succédées en Angleterre depuis les années 1950, les skinheads offrent, semble t-il, un parcours bien singulier : apparaissant dans les années 1960 comme de jeunes fans de reggae, ils feront figure à la fin des années 1980 de dangereux néo-nazis adeptes d’un rock haineux. Comment, selon l’approche des cultural studies, cette contre-culture ouvriériste née au contact des immigrés jamaïcains a-t-elle pu, apparemment et pour le plus grand nombre, se muer en une contre-contre-culture anticommuniste, xénophobe et raciste ?

Among the various subcultures that developed in England after World War II, skinheads took quite an unusual path : while they were originally associated with reggae music in the 1960’s, they ended up listening to hate rock, and following a dangerous neo-Nazi ideology and ethos. How did this working-class counterculture, which was originally influenced by Jamaican immigrant culture, evolve into an anti-Communist, xenophobic and racist counter- counterculture ?

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INDEX

Mots-clés : skinheads, subcultures, contre-culture / résistance, violence, race / racisme / ethnicité, rude boys, scènes, droite (extrême-) Keywords : skinheads, subcultures, counterculture / resistance, violence, race / racism / ethnicity, rude boys, scenes, right wing / far-right movement Index chronologique : 1960-1969, 1970-1979, 1990-1999 nomsmotscles Aitken (Laurel), Prince Buster, Skatalites (the), Hot Rod Allstars (the), Symarip, Templars (the), Crass, Skrewdriver, Cockney Rejects (the), Stuart (Ian) Index géographique : Jamaïque / Jamaica Thèmes : Oï ! / street punk, jamaïcaine / Jamaican music

AUTEUR

GILDAS LESCOP

Gildas LESCOP est doctorant en sociologie à l’Université de Picardie Jules Verne. mail

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« Si cette histoire vous amuse, on peut la recommencer » Le yéyé et l’importation de la contre-culture américaine “Itsy Bitsy Teenie Weenie Yellow Polka Dot Bikini” French Yéyé and the Importation of the American Counterculture

Philippe Birgy

1 LA PRÉSENTE ÉTUDE concerne le statut de la chanson yéyé française et son ambivalence vis-à-vis de ce qui fut largement perçu en France comme une « hégémonie » américaine. Or, une partie au moins de la musique populaire de masse américaine s’affirmait déjà dans les années cinquante comme un élan contre- culturel, prenant ainsi ses distances avec toute notion d’unité ou de domination culturelle nationale, et plaçant les producteurs français dans une position d’équilibre précaire lorsqu’ils souhaitaient s’en détacher musicalement pour frayer la voix d’une dissidence esthétique « libérée des libérateurs » — on retrouvera plus tard ce schème dans la formule de « l’exception française ». De surcroît, ce même courant de musique populaire américaine est supposé se distinguer du mouvement organisé qui accompagna la conquête des droits civiques et individuels dans les années soixante. N’oublions pas, enfin, que le rock’n’roll se serait démarqué de l’un et de l’autre, du moins selon l’avis de ses praticiens et de ses laudateurs qui insistèrent et insistent encore sur son statut d’exception.

2 De multiples lignes de fracture s’opposent donc d’emblée à une périodisation simpliste qui permettrait de placer l’Amérique et la France sur un plan unique autorisant le comparatisme formel et thématique. Même si nous faisons abstraction de la zone grise

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qui brouille l’hypothétique frontière entre les deux décennies mentionnées, il nous faut en tout cas tenir compte a minima de l’observation généralement partagée selon laquelle quelque chose aurait eu lieu vers la fin les années cinquante aux États-Unis qui aurait galvanisé la jeunesse autour d’une culture.

3 Des observateurs directs de la période (certaines contributions à la revue Communication seront évoquées à ce titre) ainsi que d’autres qui nous sont contemporains, soutiennent en revanche que l’effervescence qui aurait agité la scène française et renouvelé le panthéon de ses idoles n’eut ni la cohérence ni la légitimité du phénomène outre-Atlantique auquel elle se référait. Elle serait restée postérieure, pièce rapportée, sans enracinement profond, florilège de titres sans raison d’être, série discontinue de produits marchands se succédant sans faire école.

4 Il était donc tentant de penser que l’économie de la reprise qui alimenta les catalogues de disques français à cette époque charnière témoignait de la duplicité de ses acteurs et du discours oppositionnel qu’ils revendiquaient. Cependant, de l’aveu de ces mêmes commentateurs, quelque chose se serait implanté et aurait pris racine en France, cinq à dix ans plus tard, et contre toute attente, ce serait le rock’n’roll. La contre-culture américaine du tournant de la décennie n’aurait donc pas fait école et pourtant, elle aurait constitué une éducation musicale (Chirache, 51). Cette dialectique de l’enseignant et de l’élève, tout comme celle d’un enseignement-— fut-il buissonnier — qui aurait essentiellement été celui de l’insoumission, a de quoi susciter la perplexité. Cela d’autant plus que la production yéyé française, comme nous le verrons, s’entend souvent comme une leçon de chose.

5 C’est cette ambivalence généralisée, ainsi que la porosité des frontières entre les genres et les territoires que nous voulons relever dans cet article, non pas pour contester une typologie déjà établie, mais pour éprouver la possibilité d’un legs ou une transmission de la contre-culture dans les premières deux décennies de l’après guerre.

6 Nous aborderons ce sujet à travers des exemples musicaux, ainsi que certaines tentatives d’analyse du phénomène yéyé par ses contemporains. Ce faisant, nous tenterons de nous défier d’une lecture impressionniste des tendances (Erner, 2008 : 54) qui nous autoriserait à faire figurer tout ce que nous voudrions voir dans les signes culturels, puisque ceux-ci restent largement ouverts à l’interprétation. Nous essaierons en revanche de détailler les glissements et les irrégularités d’une ligne de faille ou d’une zone d’affrontement entre culture de masse, culture hégémonique et contre- culture. C’est certainement déjà là un parti-pris méthodologique : de telles tensions se sont déjà manifestées dans les cultural studies, ses théoriciens ayant souvent hésité entre une estimation des sous-cultures entendues contre pouvoir corrosif ou à l’inverse, comme mécanismes de renforcement hégémonique se contentant de simuler une résistance. Nous espérons ainsi pouvoir tenir compte des travers de l’étude culturelle que rapporte Peter Martin (2004 : 21-35) il n’est jamais acquis qu’une convergence de pratiques et de manifestations constitue nécessairement le reflet des structures fondamentales d’un phénomène ou d’un groupe social dont l’existence serait indépendante de la multitude des acteurs individuels qui s’y affilient.

« Itsy Bitsy Teenie Weenie Yellow Polka Dot Bikini »

7 Commençons par un exemple qui pourrait aisément s’interpréter comme un signe parmi d’autres d’une poussée vers la libéralisation des mœurs et d’une irrévérence vis-

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à-vis des usages, ne serait-ce qu’en raison du succès populaire qui l’a sanctionné : entre novembre 1960 et janvier 1961, trois versions concurrentes d’« Itsy Bitsy Teenie Weenie Yellow Polka Dot Bikini », une chanson ayant connu le succès aux États-Unis en 1959, se succèdent dans le hit parade français 1.

8 « Itsy Bitsy… » pourrait se décrire comme une saynète ou un sketch ébauchant sommairement une situation dramatique : une jeune fille passe pour la première fois un maillot de bain deux pièces. Elle éprouve alors successivement un état d’anxiété, au moment de quitter la cabine, puis un embarras lorsqu’elle se dirige vers la mer. Aussi se drape-t-elle d’un peignoir pour traverser la plage sans gêner ses voisins. Enfin, dans un dernier couplet qui se veut manifestement désinvolte, le chœur tourne cette mésaventure en sujet d’amusement, ce qui en modère l’offense, et s’excuse auprès de ceux qui ont pu prendre trop au sérieux le récit de cette exhibition2.

9 La typologie contemporaine glisserait sans doute « Itsy Bitsy… » sous l’appellation générale d’easy listening, qui dénote une écoute nonchalante et non disciplinée. Dans un contexte qui se présente avant tout comme celui de l’économie des produits musicaux, de telles définitions génériques relèvent en premier lieu d’un système de classement et de description des niches commerciales déterminant l’agencement pratique des disques dans les magasins ainsi que les média choisis pour les promouvoir (Nott, 2002 : 216-35). Nous rappelons cette évidence afin d’éviter toute surévaluation de l’argument générique.

10 Nous nous proposons en effet de faire apparaître une continuité entre des éléments culturels qui sont généralement articulés par une relation d’opposition valorisant un des termes. Et si nous utilisons la typologie américaine, c’est qu’ici la première version enregistrée semble avoir déterminé un genre dont les versions de richard Anthony et de Dalida ne s’éloignèrent pas fondamentalement. Le jugement dépréciatif qui réclame toujours qu’une distinction soit faite (entre rock’n’roll et produits de variété, ou entre une première interprétation native et ses pales copies étrangères) se trouve donc passablement affaibli par l’évidence que le choix d’orchestration effectué dans le premier enregistrement en date détermine largement ceux qui lui succèdent. On pourrait objecter que, si continuité il y a (entre autres avec des usages plus anciens et aussi peu révolutionnaires), alors nous devrions admettre la possibilité que, conformément à la tradition de Tin Pan Alley, la seule source faisant autorité soit la partition.

11 Cependant nous inclinons davantage vers l’avis de Gabriel Solis qui veut que l’original canonique soit le premier enregistrement (2010 : 298), lequel fonctionnerait comme mesure de l’artiste qui le reprend (2010 : 300). Solis défend donc une spécificité du rock et il est sans doute nécessaire d’expliquer pourquoi nous ne pensons pas nous dédire en adoptant cet argument exceptionnaliste. L’authenticité sur laquelle est prédiquée le rock’n’roll, à tel point qu’il en vient à signifier cette authenticité, ou encore sa réalisation maximale (Solis, 2010 : 302), fait que toute la structure des oppositions et des « contre » se retrouve aboutée à lui et que la mesure de l’authenticité s’applique par extension à tout ce qui le précède ou le suit, tout ce dont il se détache ou ce à quoi il se mesure par le jeu de la reprise.

12 Rappelons que c’est la question de l’infiltration ou du débordement hors frontières d’un courant culturel qui nous préoccupe et que ces frontières circonscrivent entre autre chose un marché des produits musicaux. C’est pourquoi nous aurons encore recours à des catégories qui pourraient nous donner idée de la façon dont ce « courant » se pense

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aux États-Unis comme réalité autochtone résultant de conditions locales, et au prix de quelle dénaturation il pourrait s’adapter à un autre territoire. Bien sûr, il sera aussi question de savoir en quoi des produits culturels peuvent porter une « pensée contestataire » autrement que sous une forme esthétisée – soit : un signifié pris comme signifiant et consécutivement vidé de toute teneur sémantique antérieure. La question du genre importe donc, dans les limites que nous avons indiquées et nous en revenons donc immédiatement a elle.

13 « Itsy Bitsy… » se trouve consignée, sans doute rétrospectivement, et bien que le titre n’en relève pas exclusivement, dans la sous-catégorie de l’exotica, une forme de jazz « tropical » apparue aux États-Unis au milieu des années cinquante, et basée sur l’approximation de rythmes et d’articulations évocatrices de folklores étrangers, propres à induire une impression de dépaysement. Nous y retrouvons en effet la formule rythmique du cha-cha-cha. Autant dire que cet exotisme-là n’a rien de proprement inédit. On en relevait déjà l’intention, de manière généralisée, dans le music-hall . Là, les interventions se succédaient, vignettes ou tableaux vivants construits à partir d’éléments de couleur locale, et semblables en cela aux pages des guides touristiques ou aux collections de cartes postales. Les conventions et les usages prescrits par la forme du music-hall et l’appellation exotica témoignent donc, semble-t- il, d’un même attrait pour une forme ludique et inoffensive de défamiliarisation, contenue dans le cadre clos et distancé de la chanson ou du numéro.

14 Mais le morceau pourrait tout aussi bien être répertorié parmi les chansons comiques ou Novelty Song, selon la classification de Tin Pan Alley. Il serait ainsi renvoyé aux usages du XIXe siècle où les chansons étaient déjà catégorisées de façon à ce que leur public potentiel les identifie sans peine.

15 Cependant ces deux descriptions se rejoignent au moins en un point : la chanson comique est un produit « de nouveauté », ce qui suggère immanquablement son caractère incident et sa fugacité : c’est une babiole sonore, amusante et modérément provocatrice, jouant avec le non-sens, ridiculisant le sérieux des ballades, leur gravité et leur sentimentalisme mièvre, qui seraient les survivances d’un romantisme appauvri (Tawa, 2005 : 55). Ainsi, dans l’équilibre de la variété, la Novelty compenserait les insuffisances des genres concurrents en mettant à distance le lyrisme d’une tradition romantique « vulgarisée » par les classes moyennes3. Saisi sous cette perspective, « Itsy Bitsy… » pourrait s’inscrire dans une tradition certes irrévérencieuse ou contre- culturelle, mais une tradition néanmoins.

Les ambivalences de la reprise

16 L’exotica rappelle explicitement l’attrait d’une sauvagerie ou d’une lascivité susceptibles de gagner les auditeurs, une forme d’insoumission sexuelle, un « nouveau primitivisme » qui, à travers la production musicale des années cinquante et soixante, est esthétisé. Mais nous pourrions encore douter de cette nouveauté puisque le trope de l’abaissement des interdits était déjà associé au jazz, et nous gagerons que les modes du music-hall et des revues qui l’ont précédé relevaient des mêmes intentions, lesquelles correspondent caractéristiquement à ce qu’Edward Saïd décrit comme « Orientalisme »4. Nous nous permettrons d’en rappeler les traits définitoires. Selon son analyse, la figure de l’Homme civilisé occidental ne se dessine et se distingue qu’à la condition qu’on l’oppose à tout ce qui en brouille les contours. Et pour cela, il est

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nécessaire de réprimer chez soi ce qui fait offense à cet idéal, afin de poser ce dernier comme incarné dans le citoyen européen ou américain, à l’exclusion de tout ce qui pourrait entamer son intégrité et le compromettre : l’épanchement communicatif des affects et des émois encouragés par le sentimentalisme, l’érotisme transgressif, l’abandon voluptueux, la rage et la colère non maitrisée. Tout cela est projeté ainsi sur un Autre situé aux confins du monde : l’oriental. Il s’agit évidemment là de la formule de la répression : « ça » (l’Id freudien) ne saurait émaner d’un soi bien constitué, c’est donc l’autre qui en est la cause. De la même manière, l’autre est aussi la femme qui, dans le fantasme orientaliste, devient tentatrice, en appelle aux pulsions et à la lubricité. Cette construction reste donc symbolique, et en devers d’elle persiste ce que l’on pourrait nommer un exotisme du dedans, prompt à défaire les certitudes quant au partage entre le sujet et son autre. Nous retrouvons ici la notion d’une construction genrée du refoulé développée par Julia Kristeva dans son travail sur l’abjection (Kristeva, 1980).

17 Nous pensons que cette inquiétude se lit dans la dissociation qui dresse comiquement la chanson contre elle-même. Tout comme dans l’enregistrement original, c’est le regard de l’observateur masculin qui est mis en exergue dans la première version française d’« Itsy Bitsy… », chantée par Richard Anthony, ce qui contraint le chanteur-narrateur à une certaine réserve. Aussi la question qui sert de relance et conduit au refrain (« Elle craignait de montrer quoi ? ») est-elle déléguée à une voix hors-champ, sachant que la réponse ne concerne évidemment pas tant le bikini – dont la protagoniste de la saynète voudrait s’enorgueillir – que ce qu’il est supposé cacher. Or, il ne le cache pas. C’est évidemment la question d’une sexualité insouciante ou libérée qui est soulevée, car ce sont avant tout la gêne et l’hésitation de la jeune fille qui se donnent à entendre et qui structurent le récit-chanson. Le comique naît de ce que personnage est préoccupé, plein d’attention vis-à-vis de la règle qu’il floue, preuve qu’il n’est pas aussi proverbialement insouciant que sa jeunesse ne le laisserait penser.

18 La presque nudité, osée, se trouve ainsi presque exposée, mais sa gravité potentielle est désamorcée par le tour ludique de la chanson, par l’embarras de sa protagoniste et par son inscription dans un cadre de moralisation, de manière semblable à ces films de la même époque qui contournent la censure au prétexte de l’édification du spectateur et exposent à des fins supposément documentaires cela précisément que, de leur propre aveu, on ne devrait jamais montrer (Schaefer, 1999 : 13, 18-38).

19 C’est là un caractère ambivalent que Bakhtine associe au mode carnavalesque (Bakhtine, 1970 : 15). L’esprit qui y préside prescrit la suspension volontaire de toutes les règles sociales mais celle-ci n’est consentie que dans un espace réglé et un moment strictement temporisé, afin de mieux éviter des déchaînements révolutionnaires plus radicaux. Le dérèglement fait ainsi partie d’un système de contrôle qui ne peut fonctionner qu’en autorisant temporairement la débauche qu’il contient, et c’est ainsi qu’il confirme son pouvoir.

20 Parmi les « conventions » qui y ont été maintenues dans la version interprétée par Richard Anthony, et même rehaussées, on ne sera pas surpris de retrouver l’usage de la voix « off », déjà mentionnée plus haut. C’est l’élément le plus novateur de la chanson (dans le sens où il renvoie explicitement à une innovation technique). Cette voix n’est donc pas intriquée dans le champ sonore, mais se trouve en décrochage. Elle n’est pas chantée, pourtant on y retrouve une forme d’articulation, un maniérisme qui suggère peut-être la voix de l’autorité, une autorité mise à mal par la transgression du

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personnage, mais présente cependant, et clairement audible. Or cette audibilité, et ce décrochage d’un discours placé en exergue ne sont possibles qu’à partir du moment où des méthodes d’enregistrement permettent de procéder au montage et à la mise en valeur d’un segment sonore sans que ce traitement modifie le reste de l’orchestration.

21 La nouveauté de la Novelty song consiste en somme en un « novum » technologique. Cependant que le caractère transgressif de la chanson tend irrésistiblement vers un espace quasi-mythique de la sauvagerie et de l’inconscience, le « novum », explicitement associé à un dispositif technique de contrôle, procède à son confinement et son balisage, tout cela au sein du même récit musical5.

22 D’autres éléments de comparaison, encore, entre l’original et ses copies, méritent d’être mentionnés. C’est le cas de l’orchestration qui, dans sa première version américaine, suggérait une inspiration « pré-twist ». Dans la reprise interprétée par Richard Anthony6, la première selon l’ordre chronologique, une guitare électrique s’y est substituée, mais elle est strictement cantonnée à un rôle rythmique de « pompe » que la guitare acoustique pourrait tout aussi bien remplir.

23 En revanche, la présence singulière de la guitare se trouve accusée dans l’adaptation française chantée par Dalida. Assumant plus distinctement le statut d’instrument à part entière et réclamant pour son usage un phrasé versatile et affirmé, elle manifeste peut- être que l’avènement d’un nouveau genre, celui du rock’n’roll, a déjà eu lieu.

24 Cependant, les trémolos et les glissandi rappellent la guitare hawaïenne, un trait pittoresque dont nous pensons qu’il doit s’interpréter comme un caractère oriental. Un tel jeu exploite inévitablement le sentiment de vertige et d’incertitude que cause la dérive de l’accord entre les unités discrètes que sont les tons et les demi-tons, brouillant les repères du tempérament égal et ouvrant un abysse d’indétermination dans le passage d’une note à l’autre.

25 Comme nous l’avons dit plus haut, dans l’exotica, l’expertise musicale se polarise sur l’évocation de pseudo-folklores des Caraïbes, des îles du Pacifique, de l’Amérique centrale et plus rarement du Moyen-Orient. Et il faudrait ajouter que si expertise il y a, elle se retranche derrière une forme de mimétisme ou de lissage, de sorte que l’ensemble de cette orchestration qui fait corps est mise en retrait à l’arrière plan, tel un fond de scène. Le trait exotique ou pittoresque pourrait y être saillant, comme dans le hillbilly de Spike Jones où certains instruments rares et incongrus appellent l’attention sur eux (« Hawaiian War Chant », « Sheik of Araby », « Ugga Ugga Boo Ugga… »7). Or on observe l’inverse dans l’exotica : la virtuosité, dans le sens « dégradé » d’exercice d’adresse burlesque fondé sur l’accélération qui transformerait la pièce musicale en phénomène de foire ou en curiosité, n’y est pas de mise. À l’inverse, le phrasé de la guitare dans notre exemple semble précisément restaurer l’usage burlesque, mais sans son comique cathartique qui signifie la mise à distance de ce qui est étranger. Bien au contraire, il semble s’agir d’une appropriation directe et « sérieuse » de l’étrangeté, comme si ce phrasé twist ou rock’n’roll procédait à la ré- appropriation de l’autre orientaliste. Il faut cependant admettre que dans « Itsy Bitsy », nous ne discernons que l’ébauche de ce mouvement de réappropriation et qu’il conserve le statut d’un emprunt peu susceptible de mettre à mal l’ensemble de la composition.

26 À l’inverse, dans la version enregistrée chantée par Johnny Hallyday, l’intention est plus appuyée. Si le couplet reste tributaire du modèle de référence, la présence envahissante des guitares dans l’instrumentation, le son caractéristique des

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réverbérations à ressort et à plaque des années cinquante ainsi que l’effet d’écho slapback sur les motifs d’ornement de la seconde guitare préparent le passage au refrain dans lequel le rythme rock’n’roll s’affirme sans ambigüité. Les modulations exagérées de la voix, l’ajout de motif et d’exclamations hors texte ramènent l’attention de l’auditeur sur la performance expressive du chanteur qui dès lors, prend le pas sur les potentialités musicales du texte chanté, ses assonances et ses effets de métrique. À tel point que la voix se détache de l’intention narrative, suggérant une désinvolture sinon un désintérêt pour le sujet, une distance prise avec la fable morale autant qu’avec ses suggestions érotiques. Le commentaire « off », charnière discursive de la composition, vient renforcer cette impression : il est devenu masculin et la dérision de la voix trainante, sans rivaliser avec les exclamations du chanteur, pourrait trahir la relâche du contrôle sur l’autre féminin. Qui plus est, il s’inscrit dans le même espace sonore par le jeu de la réverbération courte qui lui est également appliquée. Mais soulignons que cet abaissement de la vigilance morale n’induit pas pour autant plus de voyeurisme ou d’obscénité, bien au contraire. Cependant la désinvolture à été déportée vers la qualité masculine de la voix et qu’elle a en quelque sorte été électrifiée. C’est la qualité d’interprétation rock’n’roll, « virilement indolente » mais maîtresse de ses effets, pourrions-nous dire pour souligner la persistance d’une ambivalence, qui réclame l’attention et se démarque. L’authenticité de la prestation en est devenu le « novum ».

27 Nous ne suggérons pas qu’un renversement radical aurait été causé par l’introduction d’un Rock authentiquement subversif en comparaison d’un exotica timoré. Pas plus que nous opposons une vraie révolution à une fausse. Et nous gardons bien présent à l’esprit le statut de représentation symbolique, donc éventuellement compensatoire, qu’il convient d’assigner aux différentes versions de la chanson considérée dans ces pages. Dans l’enregistrement de Johnny Hallyday, un équilibre des forces se réalise malgré tout entre l’exhibition d’une vivacité débordante dans l’exécution musicale et un détachement qui témoigne du maintien d’un contrôle masculin. Et pour éviter toute méprise sur la portée de notre argument, nous rappellerons ici encore que notre objectif est de désigner une possible continuité que le travail d’historicisation et de périodisation du rock a refoulé et escamoté. Est-ce par crainte que cette continuité affaiblisse le caractère exceptionnel de son avènement contre-culturel ? C’est une hypothèse qu’on ne peut pas négliger.

28 Une année après le succès d’« Itsy Bitsy… », en 1962, Claude François procède, en apparence, à la naturalisation du twist en faisant l’éloge du « Nabout twist » : Le nabout, le nabout, c’est la danse que vous appelez le twist Le nabout, le nabout, il y a bien longtemps que cela existe (« Le Nabout twist », Kôkô Fontana, 460.109 TE, 1962) La chanson peut s’entendre comme un commentaire sur les danses récréatives qui se sont succédées avant le triomphe du Twist, captivant tour à tour l’attention de la jeunesse et celle des média (sans qu’on puisse dire lequel des deux précédait l’autre). Le twist est ainsi rapporté à l’exotica, et c’est sa parenté avec les danses d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient qui est soulignée.

29 « Le nabout twist » peut également s’entendre comme un commentaire métamusical sur le cycle des reprises américaines. L’Amérique serait en fin de compte un Orient auquel la France a recours pour se surprendre et se renouveler, tout comme les Américains avaient eu recours à l’Afrique ou à l’Amérique du Sud pour y projeter leurs répressions, afin que celles-ci fassent retour, comme une inquiétante étrangeté secrètement espérée. Et c’est pour de semblables raisons qu’ils avaient plébiscité la

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France : car, sans conteste, les chanteurs de music-hall français acclamés aux États- Unis, de Maurice Chevalier à Yves Montand, avaient tenu ce rôle du séducteur sauvage et dépaysant, suscitant le désir et l’amusement.

30 Qui plus est, le twist est un exotica dont la familiarité est pleinement assumée, puisqu’il est implicitement rapporté, si ce n’est à « l’Algérie française », en tout cas à une forme de cosmopolitisme populaire. En dernière analyse, l’enregistrement de Claude François semble nous dire que le twist ne vient nullement des États-Unis mais bel et bien de « chez nous », de notre propre étrangeté coloniale, d’un ailleurs du dedans qui nous échappe donc tout autant. Le chanteur n’est pas le seul représentant de cette lignée orientaliste. Depuis 1958, Bob Azzam, natif de Beyrouth, s’en était déjà fait une spécialité, notamment avec « Habibi Rock » (Festival, FX 45 1227, 1960) et « Ali Baba Twist » (Barclay, 72 541, 1962), qui sera repris par Claude François dans la même période (Fontana, 261 060, 1962).

31 À l’évidence, ce n’est là qu’une des interprétations possibles des deux chansons yéyé que nous avons mentionnées dans nos pages. Si une culture « sauvage » s’élabore, ainsi que l’anthropologie structurale le supposait, par morcellement et « bricolage », alors nulle doute que les produits de la pop sont tout entier exposés à la reprise ou à la réappropriation, que celle-ci soit collective ou privée, et selon la fonction que chacun souhaite leur faire tenir dans un récit d’identité. Mais cette illimitation du sens est placée sous forte contrainte.

32 Au début de cette étude, nous avons brièvement mentionné la suspension temporaire du principe de réalité qui fonctionnerait, dans l’ordre culturel, comme soupape de sécurité. Faut-il en déduire pour autant que certains traits du rock’n’roll qui se dessinent dans l’esthétique de la « chanson de masse » font que le rock’n’roll lui-même serait « fun » ? Ne procède-t-il pas plutôt, à l’avis général, d’une forme d’anomie avec laquelle tout compromis symbolique serait impossible, de sorte qu’il serait susceptible de libérer une violence « à l’état brut », coupée de tout principe de plaisir ou de sublimation, hors de tout agrément, une jouissance littéralement affranchie des responsabilités sociales ? Celle-ci serait alors qualitativement plus corrosive que les substituts plaisants de la culture de masse. Mais la musicalisation paraît procéder, avant toute autre chose, à l’évincement de ce caractère direct par le jeu de la représentation. Aussi passionnément que la musique tende vers cet affect élémentaire, le médium de son expression l’en sépare irrémédiablement. Nous touchons là à un point sensible dans le débat entre musicologues et tenant des études de cultures. Un événement fondateur et marquant aurait donné naissance au rock’n’roll, laissant des traces que d’aucun qualifieront de traumatiques. Mais ces traces sont aussitôt territorialisées, jalons agencés sur la carte : le moment d’interprétation, fertile en lui même, en épuise et en condamne la force a-signifiante.

L’analyse du yéyé par les sociologues des années 1960

33 Les chercheurs dont les avis sont rassemblés dans la revue Communication se saisissent en 1965 du phénomène yéyé en tant que formation culturelle signifiante. En leur qualité de sémioticiens, il est naturel qu’ils insistent pour étudier indifféremment tout

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système de signe, sans tenir compte de son inscription dans une quelconque hiérarchie de valeur.

34 Cependant, si leurs opinions sont variées, il apparaît qu’une même dichotomie sous- tend ces diverses estimations8. Une ligne de fracture entre musique sérieuse et musique ludique s’y trouve en effet maintenue. Bien qu’ils s’en défendent en tant que sémioticiens, la plupart des auteurs retrouvent ainsi les arguments qu’Adorno appliquait au jazz dans les années quarante (Paddison, 1982). Et ceux-ci, à vrai dire, ne sont guère éloignés du sens commun lorsqu’ils sanctionnent la qualité soporifique des ritournelles de la variété. En cela, ils ne participent pas à l’ébranlement des catégories du jugement de valeur culturel.

35 Un autre argument saillant se détache de leurs observations : celui de l’acclimatation de la culture populaire américaine. La variété française se nourrirait de fragments détachés d’un ensemble organique et fortement intégré, procédant ainsi à sa dislocation et à son affadissement. Les copistes français seraient donc moins compétents que les plagiaires : dans leur naïveté, ils croient saisir quelque chose de substantiel. Or chaque pièce ne fait sens qu’enracinée dans son contexte de production. Elle ne peut s’entendre que comme expression d’une classe d’âge américaine dans des circonstances économiques et politiques précises. Ainsi l’importation de ces fragments déracinés et desséchés appauvrit la culture française qui prétendrait s’en enrichir. Se trouve ainsi prononcé l’échec d’une vague révolutionnaire.

36 Si nous considérons maintenant cet avis non plus pour sa valeur de témoignage, mais pour la portée critique qu’elle pourrait avoir dans le cadre de notre réflexion, il nous faut bien admettre que l’argument n’est pas irrecevable, loin s’en faut. Si un tel prélèvement s’opère et qu’un objet se trouve isolé de la sorte, c’est certainement qu’à la logique interne du continuum culturel où le morceau s’inscrit s’est substitué celle du produit marchand. On objectera que la détermination de la chanson comme forme courte est plus ancienne. Mais précisément, avec l’apparition du microsillon, cet aspect parcellaire se trouve renforcé, il creuse la découpe qui permet d’emporter ou de détacher cette unité de la chanson pop. D’où la doléance des commentateurs qui voient dans la reprise une singerie, l’imitation d’un geste dont les auteurs ne comprendraient ni la portée, ni les intentions, pas plus que ses fonctions culturelles et sociales. De telles critiques touchent à un aspect du sujet qui mérite d’être étudié plus avant, même si c’est pour y apporter la contradiction9.

37 L’économie de la reprise, supposée témoigner d’un phénomène d’américanisation de la culture10, existait déjà avant les yéyés. Elle s’était manifestée, entre autres choses, par une production massive d’ersatz et de pastiches ressassant les clichés d’une Amérique d’opérette. Yves Montand, nous rappelle Looseley, commença sa carrière en célébrant les plaines du Far West coiffé d’un chapeau de cow-boy. Aznavour adopta le style des crooners américains. Et c’est sur un ton certes plus parodique, mais tout aussi tributaire des conventions de cette chanson française, qu’Henry Salvador chantait « Zorro est arrivé » (1964) et Joe Dassin « Voilà les Daltons » (1967). Notons au passage que les Daltons étaient déjà issus d’une bande dessinée que nous pourrions aisément taxer d’orientalisme. Elle donnait à voir un Far West romanesque inspiré par le film de western américain, récit fictionnel de fondation de la nation. Tout est donc déjà médié et médiatisé dans le rapport à l’origine et au pays. De surcroît, on pourrait voir à l’œuvre dans ces pièces héritées du music-hall une stratégie de résistance à la

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domination. Elles réduisent manifestement l’influence américaine à une série de traits grotesques ou drolatiques, ce comique se réalisant toujours au dépend d’une victime.

38 De même, après que « Rock Around the Clock » ait totalisé en 1956 les meilleures ventes de disque en France, Pierre Delanoë adapte la première chanson d’Elvis Presley dès 1957. Boris Vian signe alors les paroles d’une série de parodies de ce nouveau genre, dont l’une s’intitule « Rock’n’Roll Mop ». C’est Henri Salvador qui les enregistre sous le nom d’« Henry Cording and His Original Rock’n’Roll Band ». Danyel Gérard, qui ajouta également à son répertoire des pastiches similaires sur des paroles de Vian (« D’ou viens-tu Billy Boy ? »), accéda finalement au statut d’« Elvis Presley français », en partie grâce à ces chansons. Tout ceci semble témoigner de l’usage d’une stratégie qu’on pourrait vaguement qualifier de post-moderne : les chansons rencontrent un public séduit par l’attrait de l’américanité mais elles recueillent aussi les suffrages d’un auditoire hostile à l’américanisation de la culture.

39 À l’instar des critiques culturels de 1965, Looseley, vingt-cinq ans plus tard, insiste que la multitude des reprises qui inondent le marché de la musique populaire française entre 1955 et 1960 ne donne aucunement le sentiment d’une continuité. Ce ne seraient là selon lui que des dérivés insipides : ils ne pourraient donc pas transmettre le mouvement d’ensemble qui galvanise la jeunesse américaine. Aussi, l’histoire de la contre-culture jeune ne commencerait-elle réellement en France qu’en 1961, soit cinq à dix ans plus tard qu’aux États-Unis. Dès lors, le rock’n’roll ne pourrait plus être cantonné à un rôle secondaire, simple étape dans une succession d’engouements temporaires que la mode parcours et dépasse : il s’imposerait irrésistiblement dans l’unité de son esprit et de son mouvement, et deviendrait le point de ralliement d’une culture jeune distincte (Looseley, 2004 : 22-3).

40 Ainsi passerait-on de la musique de masse à la musique populaire – le rock’n’roll étant populaire dans le sens où, par l’entremise de la radio et du microsillon, il s’adresserait à un auditoire constitué en partie par des classes populaires et leur permettrait de construire une identité affirmée : il leur donnerait une voix. Looseley s’en tient donc à la première estimation d’Eco. Le sémiologue signalait par exemple que la jeunesse se reconnaissait dans ses teens idols et il renvoyait ses lecteurs à une enquête réalisée auprès des membres de ce jeune public qui exprimaient l’adéquation de la chanson de masse pop à leurs émotions et à leurs expériences : les idoles des jeunes, projections totémiques de leur communauté, auraient donc eu pour fonction de formuler leurs dilemmes et leurs sentiments (Eco, 1965b : 29).

41 Le dernier élément du fond commun sur lequel sont appuyés les argumentaire exposés dans les pages de Communication est un récit romantique de l’histoire de la culture populaire dans lequel un élan subversif viscéral s’oppose aux mécanismes de contrôles ou de lissage qui s’exercent sur les productions destinées à l’attention du grand public. L’ambivalence dont nous pensons qu’elle est intrinsèque au yéyé y est décomposée en deux régimes qui s’opposent.

42 Les essais compilés dans Communication constituent donc à nos yeux un matériau particulièrement intéressant en ce qu’ils proposent une saisie directement consécutive au « phénomène jeune » qui vient tout fraîchement d’être baptisé. Ils se présentent donc comme une étape intermédiaire de l’analyse en ce qu’ils interprètent et amplifient les paradoxes et les incertitudes du phénomène contre-culturel mis en

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examen sans les conjurer totalement par un discours savant, de sorte que les mêmes angoisses se réverbèrent dans leurs textes.

43 Ainsi, par exemple, Umberto Eco s’intéresse au cas de Rita Pavone, pris comme exemple des teen idols qui expriment, jouent, ou théâtralisent une sensualité encore latente, et mettent ainsi en scène la puberté comme moment d’accession à la sexualité (Communication, 1965 : 30-1). Cette figure singulière de la culture de masse semble plonger Eco dans l’embarras et la perplexité et il s’attarde sur la charge érotique dont est investie la chanteuse. À ses yeux, celle-ci est liée à l’ascendant d’une culture jeune qui sexualise l’adolescence, et ne se contente donc plus du statut de descendance.

44 L’ambivalence d’Umberto Eco vis-à-vis de cette figure de l’idole adolescente prend diverses formes. Il semble reconnaître que fondamentalement, la culture du « fun » démissionnaire ou « escapiste » serait chargée d’une force subversive sexuelle. Cependant d’une manière générale, le critique reste circonspect quand aux prétentions de cette jeunesse à la révolte. Dans le jazz, argue-t-il, l’élan séditieux était mis au service d’un projet culturel élémentaire : il avait fait le choix de son internationalisme, exprimant ainsi son refus d’un faux folklore local. Dans la musique de masse des années soixante, au contraire, on ne peut rien reconnaître d’autre que l’impératif économique de la conquête des marchés allié à la force du nombre. Le succès mondial que chacune de ses modes rencontre suffit à en établir la valeur : la chanson à succès est manufacturée à cette seule fin.

45 Mais c’est dans l’article d’Edgar Morin que ce récit est le plus abouti. Morin distingue l’engouement populaire suscité par le twist et le rock’n’roll du battage publicitaire organisé dans les médias de masse. Ceux-ci sont tout entier tournés vers l’actualité de l’évènement, de l’élan collectif qui retient leur attention. Ils ne peuvent donc se permettre d’ignorer ce qui se présente a eux comme un phénomène, car tel est le matériau dont ils nourrissent leurs chroniques. Mais pour autant, ils ne sauraient, en le rapportant, se faire le canal de la sédition et relayer sa force purement corrosive et nihiliste, ceci parce qu’ils ont une fonction sociale et qu’ils doivent se justifier devant un auditoire plus large que le seul public « jeune ». L’article de Morin propose donc cette version d’un mouvement qui dérange et qui est pacifié et édulcoré avec l’aide de Salut les Copains allié aux maisons de disques. Les média souhaitent bien entendu conserver l’énergie musicale et l’enthousiasme communicatif du mouvement, mais ils choisissent aussi de véhiculer une image sage et rangée des idoles qui l’incarnent en France.

46 Ainsi se dessine chez Morin une dichotomie entre deux forces antagonistes : d’une part une production culturelle destinées aux « masses » et placée sous le contrôle des institutions et de l’industrie (le mainstream) ; de l’autre une culture des franges, émanation authentique d’une force de contestation élémentaire (grassroot culture11).

47 Quarante ans plus tard, cette argumentation a été passée au crible de la critique bourdieusienne, notamment par Sarah Thornton qui s’est attachée à démontrer que quiconque veut valoriser la singularité d’une production culturelle est nécessairement amené à construire la figure spectrale d’un modèle dominant, d’une norme culturelle contraignante et stérile contre laquelle la fertilité d’une forme alternative d’extraction populaire viendrait s’affirmer et se détacher. Le mainstream serait donc une entité symbolique ou imaginaire12 dont la fonction principale est de servir de repoussoir et de prétexte à un discours subculturel13.

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48 Ce type d’argument résolument anti-fondationnaliste ne satisfera pas tout le monde. Mais il a le mérite de clarifier l’aporie dans laquelle la « culture jeune » yéyé se trouve enfermée en France au début des années soixante. Car deux hypothétiques doxa y coexistent contre toute logique. Il y a d’un côté, la notion d’un consensus majoritaire de la société de consommation. Celle-ci est manifestement l’émanation d’une pensée américaine anti-étatique qui a d’abord permis aux jeunes américains d’affirmer le caractère subversif de la culture populaire des années cinquante et soixante. Mais son adaptation au contexte français exige que les protagonistes de l’intrigue soient changés pour des raisons de vraisemblance : ce à quoi l’esprit contestataire doit s’affronter, c’est l’ambitieuse politique culturelle d’État. (Malraux a pris en 1959 la direction du premier Ministère de la culture, établi par le gouvernement de Gaulle). Or, de l’autre côté, se déploie l’hégémonie américaine qui imposerait une pseudo-culture démembrée et parcellisée à une Europe devenue subalterne. Looseley rappelle par exemple que les institutions culturelles françaises ont perçu et ont donné à voir la marchandisation et la globalisation des produits culturels comme un phénomène introduit en France à partir de l’étranger, et plus spécifiquement en provenance des États-Unis (114-5).

49 Compte tenu de ces deux dangers de nivellement, et si tant est que le mouvement de la jeunesse américaine est contre-culturel, comment le reprendre en France autrement qu’en succombant à la doxa américaine et en exhibant le caractère servile de la reprise ? Comment, en d’autres termes, pourrait-il exister une contre-culture qui s’opposerait à une culture nationale standardisée ou hégémonique sans pour autant lui substituer un « modèle » américain déjà constitué ? Et à l’inverse, comment se détacher de cette américanité, la ravaler au second plan sans contrer précisément ce qu’il y a de contre-culturel dans cette production américaine contestataire (ceci puisque l’élan de cette contestation est fondamentalement américain) ?

50 Jason Toynbee (2004), propose une version différente du mainstream. Pour lui, c’est un terrain instable et miné de contradictions dont les frontières sont en constante négociation. Il peut se concevoir comme un agrégat hétérogène, rassemblant des individus issus de différents groupes sociaux et de différentes aires géographiques qui sont rapprochés par une commune affiliation à un style. Trois facteurs doivent donc être pris en compte pour en saisir les contours. D’une part, une forme d’hégémonie qui ne s’exerce pas tyranniquement, mais opère par le biais de négociations et d’alliances avec des groupes culturels subordonnés. Le mainstream se définit également par la recherche d’une zone d’entente stylistique. Il se caractérise enfin par une tendance à l’économisme, qui fait que les marchés s’alignent en priorité sur les goûts hégémoniques définis par entente entre marges et culture dominante.

51 L’hypothèse de Thornton comme celle de Toynbee présentent cet avantage d’éclairer la troublante ubiquité de la contre-culture (puisqu’on la retrouve de part et d’autre de la frontière mouvante entre culture hégémonique et culture de masse), sans pour autant reléguer celle-ci à un quelconque schéma archétypal de la psychologie adolescente qui voudrait que les « jeunes adultes » s’opposent à tout prix et intransitivement – au fond, qu’importe l’objet – pourvu qu’ils puissent heurter les convictions ou les sentiments de leurs ainés.

52 Certes, on pourrait nous accuser dans cette étude d’avoir confondu les genres : l’amalgame entre contre-culture musicale et produits de la variété, de même que celui entre exotica, pop « bubble-gum », twist et rock’n’roll, ne peut que brouiller la différence significative qui rehausse et fait saillir le tranchant d’une contre-culture

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incisive. Mais comme nous avons pu le constater, les propositions avancées par les études culturelles nous contraignent par la logique à un réexamen de ces distinctions. Régler la question de ce qui est authentiquement rock’n’roll et de ce qui n’en est que l’imitation factice au moyen d’une typologie ou d’une classification ne saurait résister à l’épreuve de l’empirie. Car la logique des genres s’inscrit déjà dans la stratégie marchande globale ainsi que dans le discours partisan des acteurs d’un mouvement jeune. De surcroît, une telle entreprise ferait fi des développements des études de culture durant les quinze dernières années. Peut-être devons nous admettre que dans le monde de l’après-guerre, et sans doute bien avant, les prélèvements culturels ne s’effectuaient pas entre nations, ni même entre régions, pas plus qu’entre sections ou groupes de population homogènes, mais procédaient déjà d’une circulation en tous sens. À ce titre, la cartographie de Thornton, par exemple, en dépit de sa souplesse, ne rendrait pas compte de ces processus d’échange, de transfert et d’influence internationaux. Car le terme de globalisation signifie dans ce contexte que les reprises se font d’une nation à l’autre sans qu’il y ait de développement naturel ou historique d’une forme ou d’un genre donné.

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NOTES

1. La partition en fut composée par P. Vance et L. Pockriss, et d’abord interprétée par Brian Hyland, alors âgé de seize ans (Kapp Records, K-2037, 1960). La chanson fut presque immédiatement reprise par Richard Anthony (Columbia FS1099, 1960), Dalida (Barclay 70345, 1960) et Johnny Hallyday (Vogue V.45-775, 1960). 2. Rappelons que le bikini, jugé indécent parce qu’il évoquait le sous-vêtement et suggérait par conséquent la nudité, fut dans un premier temps interdit sur les plages. En 1960, il restait encore scandaleux et ne se banalisa qu’au cours des années soixante. 3. On trouvera une version de cet argument, appliqué aux musiques populaires, dans l’ouvrage de R. Pattison, The Triumph of Vulgarity. Notons, chemin faisant, certaines ressemblances entre des traits culturels relatifs à deux nations et à deux époques que tout semble distinguer de prime abord, car nous serons amenés à nous resservir de ces observations. Ainsi D. Looseley souligne que la chanson française, dans ce qu’elle a de natif – sinon de national –, renvoie à une tradition populaire ouvrière, celle des caveaux et des goguettes, foyers du socialisme et de la conscience de classe. Elle s’impose donc comme la voix de la société civile (12-3). Forme viscéralement oppositionnelle, son répertoire fait la part belle aux satires caustiques du sentimentalisme modéré et sirupeux de la bourgeoisie. À quoi elle oppose le bon sens terre-à-terre et irrévérencieux. 4. Saïd, 2003. Ironie de l’Histoire, le raisonnement de Saïd ne fut pas étranger à la formation du discours contestataire américain des années soixante (Orlando, 2006 : 10). 5. Sitôt que les moyens et le savoir-faire de l’ingénierie sonore sont affectés à autre chose qu’à la reproduction mimétique de l’espace acoustique d’une scène sur laquelle une formation instrumentale exécute la composition, c’est la chanson comique tout entière qui prend un tour singulièrement technique, et l’on trouvera de nombreux exemples de chansons-sketch pastichant le ton des journaux radiophoniques et des commentaires de reportage. (On pourra notamment écouter « The Flying Saucer » de Buchanan et Goodman, Luniverse, 106, 1958). 6. Le chanteur avait commencé sa carrière avec des reprises de « You Are My Destiny » (Paul Anka), « Peggy Sue » (Buddy Holly) et « Three Cool Cats » (The Coaster). 7. Spike Jones & his Wacky Wakakians, Hawaiian War Chant, RCA-Victor 20-1893, 1946. (En 1957, Bill Haley enregistra « Me Rock-a-Hula », qui en reprenait la mélodie). Spike Jones & his City Slickers, The Sheik Of Araby, RCA-Victor, 20-2507, 1947. Le premier enregistrement de la chanson écrite par T. Snyder, H. B. Smith et F. Wheeler date de 1921. Spike Jones, Ugga Ugga Boo Ugga Boo Boo Ugga, RCA-Victor, 20-2820, 1948. 8. À l’exception de Barthes qui, commentant la méthode de ses pairs, relativise toute tentative de réduction. 9. Ici encore nous minorons le rôle de la partition pour des raisons déjà exposées. Il est vrai qu’un tel choix occulte les arguments de B. Lee Cooper qui nous invite à voir la reprise comme

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l’opérateur du changement et le signifiant de l’innovation. Selon l’auteur, les nouvelles chansons sont reprises parce qu’elles sont nouvelles et c’est leur nouveauté qui est mise en exergue par le cover : elles permettent à l’artiste dont la carrière est engagée d’associer son antériorité au nouveau, qui devient alors facteur de rajeunissement (Cooper, 2010 : 43-48). 10. Cooper observe qu’elle est systématique aux États-Unis dans les années cinquante (Cooper, 2010). 11. Si nous proposons par analogie certains termes américains, c’est afin de souligner la ressemblance entre ce récit et le discours agoniste de la contre-culture américaine, encore en formation en 1965. Le propos diffère en effet singulièrement de celui de la bohème artistique de la fin du XIXe siècle français, autant que de celui des avant-gardes du début du XXe siècle (Partouche, 2004). 12. Qu’elle relève du symbolique ou de l’imaginaire serait en soi un sujet d’investigation dont la portée dépasse largement le champ de cette étude. 13. Cet argument n’est évidemment pas inédit. Dans ses évolutions postérieures au CCCS, la critique sociologique de la musique a refondé sa méthode, abandonnant les notions de mainstream et de subculture pour se recentrer sur l’étude des modalités de constructions individuelles des fictions symboliques de la culture (Chaney, 2004 : 43-47). Mais cette mutation lui fut imposée par la fragmentation grandissante de la culture dominante. Or l’objet de notre étude nous ramène précisément à un moment antérieur. Par ailleurs, la remise en cause de la prégnance des notions de mainstream et de subculture ne signifient pas qu’elles ne soient pas opérantes dans le discours agonistiques décris dans ces pages.

RÉSUMÉS

Nous nous interrogerons dans ces pages sur les rapports entre la contre-culture jeune américaine du tournant des années soixante et le « phénomène yéyé » décrit par Edgar Morin dans les pages du journal Le Monde des 6-7 juillet 1963. Nous aborderons ce sujet par le biais de quatre exemples musicaux principaux : la première version américaine enregistrée d’« Itsy Bitsy Teenie Weenie Yellow Polka Dot Bikini », une chanson composée en 1960, ses trois reprises par des interprètes français parues en disque la même année, et le « Le Nabout twist ». Ayant fondé nos réflexions sur leur étude, nous nous tournerons vers les avis des sociologues et des sémioticiens de la revue Communication, que nous considérerons autant comme des témoignages de la réception du yéyé en France que comme une série de tentatives d’élucidation immédiates du problème culturel que semblait poser le yéyé à la société française. Nous tenterons alors d’en prolonger les implications en ayant recours aux apports français et américains des trente dernières années dans le champ des études culturelles pour relever les ambivalences du discours de défi et d’insoumission articulé dans le yéyé et le rapporter à certains éléments de la contre-culture américaine.

The aim of this article is to question the relationship between the American youth counterculture and the yéyé musical and social phenomenon, by studying three French versions of Itsy Bitsy Teenie Weenie Yellow Polka Dot Bikini and Nabout Twist sung by Claude François. The article will then focus on the reception of yéyé by sociologists and semioticians who had analyzed the phenomenon in the 1960’s. It will then confront these to cultural studies paradigms, in order to understand how the yéyé phenomenon, with the ambivalence of its insubordination and the ways it challenged authority, can relate to elements of the American counterculture.

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INDEX nomsmotscles François (Claude), Hallyday (Johnny), Dalida, Anthony (Richard) Index chronologique : 1960-1969 Thèmes : chanson française / French chanson, yéyé, rock‘n’roll / rockabilly, chanson / song, variétés Mots-clés : contre-culture / résistance, yéyé, reprise / pastiche / parodie, exotisme / orientalisme, mainstream / commerce / marchandisation, sexualité / érotisme / pornographie, adaptation / appropriation / emprunt Keywords : counterculture / resistance, yéyé, cover version / pastiche / parody, exoticism / orientalism, mainstream / commercialism / commodification, sexuality / eroticism / pornography, adaptation / appropriation / borrowing Index géographique : États-Unis / USA, France

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Countercultural Space Does Not Persist: Christiania, and the Role of Music Musique, contre-culture et espace : l'exemple de Christiana

Þorbjörg Daphne Hall

EDITOR'S NOTE

This text was originally published in Countercultures & Popular Music (Farnham, Ashgate, 2014).

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1 WITHIN HUMAN GEOGRAPHY the study of countercultural space is well established, and the term ‘counterculture’ is used to describe the values and norms of behaviour of a social group that functions in opposition to the social mainstream of the day.1 The term was first used in 1969 by Theodore Roszak (1970) and subsequently assigned more generally to 1960s political, social and cultural activities. Music is important in most writing about countercultural space. Regardless of whether the writer is a historian, journalist or sociologist, the significance of music within the culture is often highlighted. There may be two reasons for this. On the one hand, music has been seen as a mediating tool of the counterculture, because the message of the counterculture was communicated through music. It was by no means the only communicative tool, but it was an effective one. On the other hand, music from the time when countercultural space flourished in the 1960s has lived on and can now arguably be seen as its most potent legacy. It seems strange, therefore, that the subject has not been popular among music scholars.

2 The counterculture movements of the 1960s began in the US and have often been interpreted as the rejection of social norms of the 1950s by young people. Hippies were the most recognised and largest subgroup within this demographic. They upheld alternative ways of living and among their main issues were sexual liberation (including gay rights), free and new spirituality, relaxation of prohibition against recreational drugs and an end to the war in Vietnam. The hippie counterculture can be traced back to the Beats of the East Village in New York, who had ‘removed themselves from the mainstays of dominant ideology’ (Gair 2007: 57). Another important group of the 1960s counterculture, named the ‘New Left’, was regarded as a political movement and it focused mainly on social activism. There was some tension between the two groups, even though they both grew out of social restlessness deriving from cultural discontent (Breines 2004: 36).

3 It is generally agreed that the counterculture, as defined above, was driven by a genre of new psychedelic rock and artists such as the Grateful Dead, Jimi Hendrix and Jefferson Airplane. At first sight music seemed to have purely entertainment value. However, Sheila Whiteley sees music as central to the counterculture and states that it was a common belief that rock music could communicate countercultural concerns, values and attitudes, thus ‘providing a particular location for self-identity’ (2000: 23). Waksman found that the countercultural community was defined through rock music (1998: 56–7) and he quotes Robert Duncan, a rock critic and editor, who observed that ‘it is around the music that the [countercultural] community has grown and it is the music which holds the community together’ (ibid.: 55). In addition, music was a way to fuel the economy of countercultural practices (Hale 2002: 143).

4 The counterculture movement spread to Europe, where London, Amsterdam, Paris and Berlin became centres of countercultural space. The student uprising in Paris in May 1968 and the ‘Prague Spring’ in the same year are manifestations of this dissemination of countercultural activity (Junker and Gassert 2004: 424). Another and less familiar

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countercultural space was ‘Christiania’ in Copenhagen, Denmark. Christiania was founded in 1971 and is still very much alive today. Its society, culture and alternative ways of living clearly derive from the counterculture of the 1960s and it remains an important centre for cultural resistance even today. Christiania thus offers an interesting case study in the broader topic of music and place, which has recently emerged in musicology. The hybridisation of musicology and cultural geography with urban space provides tools that enable the scrutiny of place and space through musical performance practice. Via this interdisciplinary methodology it is possible to shed light on the complex cultural and social formation of Christiania as a city within a city and to re-examine whether Christiania can today be considered a countercultural space opposed to ‘normal’ Danish culture.

Theoretical Background

5 The theoretical framework of this chapter is drawn mainly from the works of two scholars, Adam Krims and Sara Cohen. Both focus on music in urban space, and their approach provides a helpful starting point for the analysis. For both Krims and Cohen, music in the city operates within a ‘post-industrial’ context; however, Christiania does not easily fit such a profile or even a city at all. Hence, many of their ideas do not apply neatly here. Indeed, the study of music in Christiania seems to problematise many of the conclusions reached by Krims and Cohen.

6 Many of Krims’s ideas are relevant to the study of Christiania, such as how music ‘spatializes’ (2007: xv) and the importance of music for place and the people who socialise there, how music ‘can come to characterize space’, how people can become an important factor in characterising space and its music, and how different socio- economic classes play a role in this characterisation (ibid.: xxxi). Krims sees contemporary cities as simultaneously both open and closed but, in many senses, Christiania seems to resist the binary models of openness/closure outlined by Krims, and it therefore offers an interesting case study in the analysis of music and urban space. Cohen discusses the interesting, but problematic idea of a ‘local city sound’ in Liverpool (ibid.: 68).

7 This chapter investigates the idea of a local sound in Christiania and the ‘authenticity’ of the music. It also asks whether music in Christiania sounds different compared to music in other places in Denmark and explores the role of tourism in this. Christiania can arguably be seen as a place containing different cultures. The chapter explores which musical culture, if any, is seen by Christianites as the most ‘authentic’ and true to their values, whether it is possible to trace a hierarchical structure through Christiania’s cultural practices, and how people act within the community.

Christiania as a Countercultural Space

8 Christiania has clearly defined borders in a geographical sense, as a village in the heart of Copenhagen. However, as a social and cultural construction, it is ambiguous, as it remains central to the Danish discourse on democracy and freedom. Christiania has been described as an ‘outdoor museum for the culture of the 1960’s and 70’s, which, because of a fence, has survived in a world that would otherwise have destroyed it years ago’ (Kvorning 2004: 85). It goes without saying that things have changed in

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Christiania over the last 37 years, but because of its walls and the community created within them, Christiania has been able to maintain a certain uniqueness. It has been allowed to develop through the years as a ‘social experiment’ but in the light of recent political changes there are dangers that this experiment and the countercultural community might be coming to an end.

9 The army barracks, which now form Christiania, were built at the beginning of the twentieth century. The military moved out of the barracks in 1969 and, as the authorities had not made future plans, ‘Slumstormere’2 [‘Slum Stormers’] broke into the barracks in May 1971 (Christianias Baggrundsgruppe 2006: 34). The only member of the media that reported on this development was the alternative newspaper Hovedbladet, which encouraged people to move into the area (Ludvigsen 1971:10–11). The relative silence about Christiania at the beginning meant that when the public, media and politicians finally became conscious of the existence of Christiania at the beginning of 1972, between 400 and 500 people were already living in the area (Baldvig 1982: 11). Folketinget [The Danish Parliament] officially recognised Christiania as a ‘social experiment’ in 1973 (Davis 1979: 794). Its existence has caused political controversies over the years and it has always been on the verge of closing. But due to extensive protests among the general public, the experiment has been allowed to continue to the present day. Baldvig describes the original settlement pattern in Christiania as follows: The interesting thing is that it became an area which was populated both by representatives of the student revolt and by the weaker members of society, who, individually, had inter alia tried to improve their lot with the help of crime. Christiania’s immediate function for these two groups was, of course, crucially different. The students, the activists, regarded Christiania as a challenge, an opportunity to realize some of the ideals they had with respect to an alternative society. For the dropouts, the weak, and the criminals, Christiania was, in the short- term, a refuge, an opportunity to escape from the problems which they had experienced in the metropolis. The activists thus went to Christiania, while the down-and-outs fled from Copenhagen. (Baldvig 1982: 11)

10 These two groups can perhaps be paralleled with the two different poles of the counterculture: the New Left and the hippies, or in other words, political and cultural rebellion. However, the Christianite Laurie Grundt describes the inhabitants of Christiania in the following way: Christiania er opdelt i tre dele … En tredjedel af christianitterne (omkring 300) er ‘de entusiastiske’, det vil sige akademikerne og de intellektuelle. En tredjedel er medløbere, den “organiske del”. Resten udgør den ‘sovende del’. [Christiania is divided into three parts … One third of Christianites (around 300) are ‘the enthusiastic’, i.e. the academics and the intellectuals. One third are the followers, the ‘organic part’. The remainder are the ‘sleeping part’.] (Hansen and Gonzalez 2004: 23) Part of the enthusiastic section was a guerrilla theatre group called Solvognen [The Sun Wagon], which existed from 1969 until 1983 and who ‘used their theatre activities both to criticize the rest of Danish society and to suggest new social, historic, and economic relationships’ (MacPhee and Reuland 2007: 136).

11 In the first year, some of the more ‘active’ occupants summarised their vision of Christiania as a space for an independent society, economically self-sufficient where individuals are free, subordinate only to the community. Christianites should constantly strive to eliminate the negative influence of modern society; capitalism and stress (Christianias lokalhistoriske arkiv). Today, it is possible for inhabitants to live

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exclusively in Christiania – technically speaking. The residents can buy food, personal goods and materials to renovate their homes locally and there is a variety of restaurants and pubs for entertainment. However, the community does not provide social services, such as education and health care, and the residents therefore also rely on ‘the outside world’.

12 The form of government or administration in Christiania has been called consensus- democracy and is built on the basic idea that all inhabitants are equal and have equal power. From the beginning the organisation of Christiania was also seen in a negative light where it’s inhabitants were already falling into different groups: But the class system in Christiania – it would perhaps be better described as a caste system – is, if anything, more rigid than that in the outside society. By and large, the junkies are at the bottom of the pile … This puts them at a special disadvantage, and has caused grave problems to the more idealistic social leaders in Christiania. The junkies, by virtue of their unwillingness and inability to contribute to the community effort of Christiania, have come to be regarded as ‘leeches’ on the community! (Davis 1979: 806)

13 In this light, Davis argues that Christiania’s ideology is not an answer to the problems of modern Danish society. He also points out the ‘failure of the economic ideal of Christiania. Far from rejecting capitalist values, the community has developed not only a petit bourgeoisie of restaurateurs and shop-owners, but also a definite upper-class leadership’ (ibid.: 808). Despite the negative outlook on junkies in Christiania, drugs were a defining part of its life, just as they were in countercultures elsewhere. Today, even though drug use is prohibited in Denmark, ‘pushers’, who live partly outside the community, sell cannabis openly in Christiania. According to my informants, there have been problems with the ‘pushers’ as they were not willing to fulfil their social duties within the community and were therefore regarded as problematic. The only prerequisite for selling cannabis is to have lived in Christiania for two years and many of the ‘pushers’ employ outsiders as ‘runners’ who have no ties with the community.

Musical Spaces in Christiania

14 Over the main entrance into Christiania a large sign reads ‘Christiania’ (Figure 1), while on the other side it reads ‘You are now entering the EU’. This indicates that Christianites perceive Christiania as both a physical area and an ideological one, which distinguishes itself politically and socially from the rest of Denmark.

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Figure 1: The entrance into Christiania

Photo: Thorbjörg Daphne Hall

15 The area offers a physical contrast to Copenhagen’s busy asphalt streets and traffic as most of Christiania is green, and the roads are nothing more than paths or gravel roads, as the whole area is free of cars.3 The urban area in Christiania or ‘byen’, with its paved streets and ubiquitous graffiti, greets visitors who come through the main entrance on foot or bicycle. Soon a cosmopolitan market square appears in front of Pusher Street. This is the main street in byen, where vessels, filled with glowing coals, burning 24 hours a day all year around, are a prominent landmark. Here the pushers sell their cannabis, and tourists4 are frequently offered hash whilst walking around.

16 Since its inception Christiania has had many musical venues. Den Grå Hal [The Grey Hall] has hosted many of the biggest festivals, concerts and meetings throughout Christiania’s history, including various Støttefest [support festivals]. Månefiskeren [The Moon Fish] is one of Christiania’s oldest musical venues and a home to Månekabareten [Moon Cabaret], ‘authentic hippy music’, reggae and hip-hop (Vesterberg 2007: 15). Another music venue, Operaen [The Opera], was originally called Det Gule Værtshus [The Yellow Pub], but received its present name in 1976 when the opera Jensen på Sporet was performed in the building (Martinussen 2007). Since then, it has been popular for performances of all kinds of music and cabaret (Madsen n.d.). Musik Loppen [The Musical ] opened in 1973 as The Viking Jazz Club (Lauritsen 2002: 62) but the name quickly changed to Jazzhus Loppen. Rock music arrived on the scene two years later when a rock band managed to sneak on stage. In 2002 the State Music Council declared it ‘a regional music venue’ for showing new and experimental music (ibid.: 62). Woodstock and Nemoland (Figure 2) are pubs that frequently offer concerts during the summer on an outdoor stage.

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17 In the summer of 2008 Nemoland was part of the Copenhagen Jazz Festival and was advertised as such in the jazz festival’s brochure. Interestingly though, the venue had created its own poster, which didn’t mention the Copenhagen Jazz Festival, thus separating itself from the mainstream events. Bars and cafés use different genres of music to characterise their space; Woodstock plays rock and Café Nemoland reggae. However, by looking at these two bars from the perspective of Krims’ idea that people bring their own cultural preferences with them (2007: xxviii), it is possible to argue that the people who attend the different bars affect the music. The customers in Woodstock are mainly old men, and the music is often as old as Christiania, or in a similar spirit, thus suiting the customers.

Figure 2: The stage by Nemoland

Photo: Thorbjörg Daphne Hall

18 Café Nemoland is mainly occupied by younger people, many sporting dreadlocks, which have often been associated with the ‘Rastafari movement’ and therefore with Jamaica, Bob Marley and reggae music. One example of how venues change according to the surroundings and do not necessarily adhere to their own pattern became clear during a visit to Woodstock. As it represents the local culture, Woodstock was described by inhabitants as an old rock venue that would certainly not play commercial popular music. However, I soon discovered that it happily played this kind of music, showing that nothing is set in stone, and that the expectations the inhabitants have for a certain venue reflect only how they feel it should operate.

19 It is clear that for a community of only around 1,000 inhabitants, Christiania is musically a very active place, and the number of music venues is uncommonly high. It can be argued, therefore, that music plays a large role in the way Christiania is

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experienced. In addition to performances at the traditional music venues, buskers can be found playing at the main entrance, in Maskinhallen [The Machine Hall] workers play music on a stereo system from dawn till dusk, Genbrugsstationen [The Recycling Centre] has hosted outdoor concert series – such as Dancing at the Trasher – and the market square, Carl Madsens Plads, can also be seen as a musical hot spot and is a point of cultural rendezvous with many of the booths or tables playing their own music: African drum music, hip-hop, reggae and rock, all mixed together, creating an exotic atmosphere. Just across the street a ghetto blaster plays gangster rap 24 hours a day – I experienced this as the music of the pushers, who work around the clock.

20 Clearly, contrasting musical ‘hot spots’ exist within the fairly small area of ‘downtown’ Christiania. Each of them creates a certain uniqueness for the space surrounding it. This can be compared to Krims’ idea of ‘music as interior design’ (2007: 157). The different spaces offer their own perception of Christiania and can therefore attract or ‘service’ diverse consumers. Some spaces are obviously designed for tourists, such as the market, where the music can arguably be seen as a commercial phenomenon; other spaces are not considered ‘tourist areas’, and in these areas the music has a different function. However, for all of them, the music plays a role in characterising the space.

21 Sometimes music can be used to delimit a certain sphere within a larger space. Here, the role of the music is to create the ‘right’ atmosphere for the venue, thus creating invisible borders. For example, each booth in the market square had its own music to emphasise the products on offer, drawing the consumers into its ‘exotic world’ in order to make the product more appealing. Another ‘world’ is represented by the music of the pushers, and the music marks out the invisible borders of the pushers’ territory – to me, it seems that the music created an atmosphere of danger and forced behaviour and accented illegal activities that require caution. This is largely due to the musical genre, especially gangsta rap, which often depicts such a situation. In Christiania, music consequently plays a major role in creating an atmosphere for different spaces. It can be used as a commercial ploy or purely for entertainment, but in either case, music generates a character for each space and affects how people experience it.

The Openness and Closure of Christiania

22 In a geographical sense, Christiania is a closed community, as it is contained within the walls surrounding former military barracks. A few years ago it was possible to take a bus labelled ‘Christiania’, but the service is now called ‘Refshalevej’, and the stop for the main entrance is ‘Prinsessegade’. The route still exits, but for unknown reasons the name has been changed. Furthermore, while Christiania is one of the biggest tourist attractions in the city, and city authorities normally pave the way for tourists to main attractions, on several occasions, whilst walking in Christianshavn, I was asked directions to Christiania, suggesting Christiania is fairly difficult to find. Similarly, brochures, posters and information on concerts, events, shops and all imaginable things to do in Copenhagen often lack information on Christiania. Perhaps a conscious political decision has been taken by the city authorities to rebrand the city by excluding Christiania, especially since it is such a popular tourist destination. Christiania may not fit the image that the authorities are constructing for Copenhagen because it represents for them what is ‘wrong’ and ‘problematic’ with Danish society, for example alcoholism, drug addiction, unemployment and homelessness, and perhaps

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what is arguably worse: an area that the authorities struggle to control. Ironically, though, by excluding the village from the cultural map, the authorities might only be intensifying its countercultural status.

23 Musical activities can be one of the ways in which communities open their doors to the general public. Many people come to Christiania with the sole purpose of attending a concert, and others use the music as an excuse to come into the area and smoke a joint while a band plays on stage. People can enjoy a good concert despite their differences. By studying the programme at Loppen, Christiania’s most famous and active music venue (Figure 3),5 it is obvious that it does not clearly reflect Christiania, as most of the bands playing are foreign and the price for admission is much higher than many Christianites are willing to pay, according to my informants. This implies that part of the musical practice is intended for tourists rather than for local residents.

Figure 3: Outside Loppen

Photo: Thorbjörg Daphne Hall

24 The general lack of information in the Copenhagen area on events in Christiania, as mentioned above, raises the question of how Christianites attract their audience. Loppen and Café Nemoland are the only venues that maintain an active webpage where concerts are advertised and hence where the venues actively try to attract people from outside the community. Venues in Christiania, therefore, appear to advertise their programmes selectively, in an effort to maintain control over their visitors and to preserve their space from invasion by the outside world. However, the relatively restricted way of advertising can also be read as a commercial ploy being made by the organisers in order to attract those who associate themselves with the countercultural image. The underground appearance of the venues thus intensifies the selectiveness of

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this demographic group. The venues obviously gain some significance from the location, but are otherwise musically no different from venues elsewhere.

25 Too much interest from tourists can also appear to ‘spoil’ events for Christianites. In July 2008 a concert was organised to entertain Christianites but also to attract tourists to Christiania in the hope of gaining their support for the community. The event was large, and boasted many popular mainstream Danish singers. It was advertised around Copenhagen, many people came, and it was a big success. At least that was how I experienced it. Later when one of my informants and I were walking around Copenhagen, she saw one of the posters for the event and became very irritated, explaining that she thought too many visitors had come to the concert, taking space away from the Christianites. Rather than being happy that so many people had attended, and that the concert had been a success, her feeling was that the concert had been a failure because it did not serve Christianites in the way she had envisaged. To my informant, the balance was not right, and the tourists took too much space away from the locals

26 All of these observations indicate a ‘struggle of identity’. Christiania thrives on tourists coming into the area, using the facilities by shopping, eating and drinking. Moreover, Christianites serve tourists by publishing a guide book and offering guided tours around the area (Figure 4). Indeed, without tourists Christiania would cease to exist, at least in its current form, because financially, the largest percentage of the community’s income comes from tourism. It has also been demonstrated over the years that Christiania would have closed down had it not been for the support of the broader public in Denmark. Indeed, in difficult times, Christianites have opened up their homes and venues to outsiders in order to seek support from the public. However, by advertising selectively and not actively inviting people to the area – apart from when they really need the support – there seems to be a troubled relationship between the Christianites and the outside population, based on need and dislike. Comparing this with Krims’ idea of the ‘desirables’ – that is, those who fuel the economy – in Christiania, the converse is true as the drivers of the economy are the tourists or the ‘undesirables’, while the ‘desirables’ are the Christianites themselves. Obviously this situation has created a strain or uneasy feeling among the ‘desirables’.

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Figure 4: The tourist information hut where guided tours are offered

Photo: Thorbjörg Daphne Hall

27 Christiania is at the same time both open and closed and therefore, in some sense, it fits Krims’ binary model of openness and closure. On the other hand, Krims’ idea of desirables versus undesirables are reversed in Christiania. Consequently, because Christiania still relies on tourists/‘undesirables’ to fuel the economy, a strange love– hate relationship has emerged. Furthermore, within the society another layer of tension exists between the different groups of residents, as the society does not accept everyone equally. Christiania does not, therefore, altogether follow the same binary model of openness and closure as outlined by Krims.

The Expression of Locality

28 Cohen has ‘critiqued the notion of a local, city sound for promoting an essentialist view of music, and for suggesting that cities can have a “natural”, “authentic” sound that can be directly mirrored or expressed in music’. She states that ‘the relationship between a city and a musical sound is not deterministic, organic or homological and it is difficult, if not impossible to identify within rock music sounds that are purely local’. However, similar to Cohen’s experience, which found people who happily ‘promoted familiar media stereotypes of Liverpool’ (Cohen 2007: 68), people in Christiania were happy to point out to me ‘typical’ Christiania bands or music, and, in turn, denigrated the importance of other music that seemed equally, or perhaps even more ‘typical’ of Christiania. This raises the question of what qualities determine whether music is ‘typical’ or not. Perhaps it is not necessarily the sound of the music, but rather the local or historical connotation expressed that is important. From my discussions with Christianites, it is clearly important that a band or musicians ‘are friends with

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Christiania’. Arguably, ‘being friends with’ must mean openly supporting the ideology behind Christiania. The music-making of the locals is also important, and Christiania promotes its ‘own’ musicians in their own events such as at ‘Christiania – hvad nu?’ and Christiania’s annual birthday celebration. However, specific genres or people in particular seemed to be promoted. Here the idea emerges that some of Christiania’s music is more ‘real’, ‘true’ or ‘typical’ than other types.

29 The idea of the construction of ‘real’ Christiania music seems to lie very much in the past. Thus, one way to gain an understanding of ‘real’ Christianian musical practice is to explore the early years of Christiania. ‘Fællessange’ [Communal singing] is a deep- rooted Danish custom practised when people gather together, sometimes incorporating new lyrics written to a well-known melody to fit a special occasion. Christiania also embraces this Danish practice and fællessange have been written since the community’s beginning. It has been stated that Christiania had even had a national song written in 1971 (Ludvigsen 2003: 183). This was set to ‘Kongesangen’ [‘The King’s Song’], a well- known Danish song, demonstrating that the lyrics mattered most for these fællessange, and that Christiania thus followed the Danish trend of writing new lyrics set to old melodies.

Tage Morten and Fællessange

30 Tage Morten was one of the more active fællessange composers. In a song book incorporating his songs, published in 1985, he is described as the city musician of Christiania, where he created a place for acoustic music, where all music-loving people and those active in acoustic music could find a musical sanctuary (Nielsen 1985, repr. 2004). ‘Vore Drømme’ [‘Our Dreams’] was written in 1974 and was one of the first fællesange written in Christiania. In the song, Christiania is depicted as a part of Copenhagen, ‘Vi er en del af byens miljø’ [‘We are part of the town’s surroundings’] (ibid.), where the residents live in close contact with others in the city, many of whom come for a visit. However, the final line expresses the view of the poet that some are bad, probably pointing to those who do not agree with the society and who therefore threaten it. Perhaps it is possible here, calling on Krims’ binary model, to identify a group of ‘undesirables’. The society is open to all, except those who do not agree with its ideology. The chorus then expresses a fairly typical hippie request, calling for peace and love: ‘Vi vil ha’ fred, så livet kan gro, omkring voldgravens høje’ [‘We want peace, so the life can grow, around the high walls of the moat’] (ibid.). The song calls for peace around the high walls rather than within them, which means outside Christiania or throughout the whole Copenhagen area, demonstrating that Morten is concerned with society at large.

31 Morten not only wrote songs about Christiania, he also took a political stand and wrote songs about the housing in Christianshavn. The district’s renovation caused problems for the poor who lived there, and in ‘Christianshavn’s Saneringshymne’ [‘Christianshavn’s Renovation Hymn’], from 1975, Morten worries about the consequences of this renovation work for the people in the area. Morten also wrote about ‘fællesskab’ [joint ownership], which had extended far beyond the limits of Christiania at the time (in 1976). He believes that this is a future arrangement that will be adapted by more and more people throughout the country. Again, here the voices of those who opposed these ideas appear, but as they are ‘undesirable’ their thoughts are

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not important: ‘Kun de onde protesterer, deres tanker løber ud I sandet’ [‘Only the evil ones protest / Their thoughts fizzle out’] (ibid.). In another song, ‘Varme vibrationer’ [‘Warm Vibrations’], similar ideas appear, and Morten says that with belief, hope, smiles and encouragement, it is possible to live together and create ‘nærdemokrati’ [participatory democracy]. Morten was clearly a political writer who addressed the problems of the society and offered solutions such as joint ownership, which were familiar to life in Christiania.

‘Slagsange’ and Support Records

32 From its inception, Christiania had to fight for its existence. Musicians took an active part in this battle and many ‘slagsange’ [protest songs] were written for this purpose. One of the most popular is ‘I Kan Ikke Slå os Ihjel’ [‘You Cannot Kill Us’]. Written by Tom Lunden – leader of the rock band Bifrost – in 1976, it explains that Christiania cannot be destroyed. ‘They’, the government or the rest of Denmark, can use all available means to get rid of the Christianites, ‘I kan sætte os i fængsel og fjerne os fra verden’ [‘You can put us in prison and remove us from the world’], but it is not possible to kill the idea of Christiania, because it is a part of the larger society, ‘I ka’ ikke slå os ihjel, vi er en del af jer selv’ [‘You cannot kill us, we are part of you’] (Various 1976). Moreover, since Christiania is part of the society at large, the song wonders what is causing the spite aimed at Christianites: ‘Er os eller er det jer selv I er bange for at møde’ [‘Is it us or is it yourselves you are afraid to meet?’] (ibid.). Here the same idea appears as in Morten’s song ‘Vore Drømmer’; Christiania is a part of the city but at the same time it is a focal point for something different: a different community, different freedom, different democracy, separating it from the rest of the country. In spite of this, Christiania is not that far from the Danish mainstream as the song claims ‘vi er en del af jer selv’ [‘we are a part of you’]. The song was originally recorded by Bifrost, Povl Dissing, Anissette and Sebastian with a choir called Det Internationale Sigøjnerkompagni [The International Gypsy Company], but subsequently many other versions have been made. Today the song is sung in demonstrations and ‘where all good people gather’, and features in the mainstream Højskolesangbogen [The High School Song Book] (Vesterberg 2007: 14).

33 This song appeared on the first Christiania record, made in 1976 when the community was in danger of having to close down. Apart from ‘I Kan Ikke Slå os Ihjel’ the record included songs written for it by many of Denmark’s most popular rock musicians, including Gnags, Kim Larsen, C.V. Jørgensen and Røde Mor. Over the years, Christiania has appeared in popular songs, and musicians have written ‘slagsange’ for the village. In the years after 2000, the government applied more pressure in their attempts to normalise the area. Pusher Street was cleared and relations with the police degenerated following prolonged debate with the authorities on the ‘normalising’ process for the area. During this period, three new support records were made, Nye Christiania Sange [ New Christiania Songs], Bevar Christiania [ Preserve Christiania] and Christiania Forever, offering many new songs on Christiania. Interestingly, though, big names in Danish music were not involved as they had been in the 1970s.

34 These support records are sold in a booth in the market square, which also sells the tourist guide, clothes and other products marked ‘Bevar Christiania’. Inhabitants emphasised to me the triviality of these records and implied that they were only made

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for tourists and do not represent the ‘real’ music of Christiania. Perhaps, these records serve more as a commercial artefact for Christiania than a cultural one. This attitude is much the same as Cohen describes in her discussion on the music tourism centred on the Beatles in Liverpool (2007: 178).

35 Vesterberg, in his article ‘Sangene Kan de Ikke Slå Ihjel’, found many of the songs on these new records ‘more strange than good’ (2007: 15). He concluded that they mainly described the atmosphere and events in Christiania but the feeling of ‘vi er en del af jer selv’ [‘we are a part of you’] had disappeared (ibid.: 15). He took examples of songs from Christiania Forever that were produced by people from Christiania and released in 2004 by an old hippie, Tømrer Claus, and his company Karma Music. He claims that the song ‘Christiania Mit Hjerte’ [‘Christiania My Heart’] by Zofia Hedvard6 represents a self- centred statement offered to the rest of the Danish population that Christiania is a strong community that makes its inhabitants strong and that those who are on the outside look, perhaps longingly, to them. The void between the two societies and the tendency to simply depict atmosphere can be found in more songs from the record (Hedvard n.d.). The song ‘De Skæve Drømme’ [‘Skewed Dreams’] by the band Ache similarly praises life in Christiania as being close to paradise. However, the song by Tømrer Claus (the man who released the record), ‘Christiania Sangen’, has a very similar message to ‘I Kan Ikke Slå os Ihjel’. The key line is ‘Vi er en del af dem selv, og det kan de ikke holde ud’ [‘We are a part of them, and this they can’t stand’]. Despite this particular song, it is fairly clear that the focus of the songs on the newer support records has shifted from the social awareness and political subject matter expressed in the old fællessange and songs on the first support records, to a more localised and atmospheric depiction of Christiania.

36 Perhaps this shift can simply be explained by the fact that the genre of the music on the new support records is more varied than on the early records for which the rock musicians themselves wrote the songs. On the newer records, in addition to the old ‘hippie’ rock like the music of Tømrer Claus, rap, metal, ‘indie’ rock and a combination of all these different styles appears. A look through Christiania’s music history reveals how different types of music genres reflected contrasting views of the village. The old hippie musicians used Christiania to portray people who lived outside normal society and who were preoccupied with political activism, while the punks did not mention anything as mundane as a hippie enclave (Vesterberg 2007: 15). While the first generation of rappers were made very welcome in Christiania, they used the place mainly for consumption. When Christiania appears in a rap song, most references focus on it as a nice place to visit for a smoke rather than the political tensions discussed in the older songs.7

37 To summarise, the new records show a shift of emphasis away from political activism or an improvement of society8 towards the consumption of Christiania and are therefore more aimed at tourists rather than Christianites. The records represent the local culture as it is seen from the outside, depicting either an idyllic place to smoke and relax or a place of violence and struggle with the outside world. The sense of unity or will to improve the world using the ideas of Christiania, as found on the early records, has been left by the wayside. The newer records are therefore arguably more commercial.

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Locality

38 The varied approach to Christiania displayed in the music highlighted above can arguably be seen as representing groups of Christianites who have different opinions on how the area should develop. The musician Helga Nova and the band Fri Galaxe base their music on the old ‘hippie’ music and the countercultural values of the 1970s. They often play at events organised in support of Christiania, and they represent the people in charge or the group of Christianites who in the introduction to this chapter were labelled ‘the intellectuals’ or ‘the upper class leadership’. It was clear to me that they base their values and ideas on the old counterculture and, judging from their music, strongly emphasise society at large and how Christiania can be beneficial to Denmark. The new support records similarly represent a different group of people, such as those who live in Christiania for reasons other than political or idealistic beliefs. It is likely that a large number of the inhabitants of Christiania do not share the political interests of the ‘intellectual’ elite and live there only because it is convenient: the relaxed attitude towards cannabis and the very cheap housing.

39 Cohen lines up Liverpool against London as opposites in terms of independent practice versus commercialism, and localism versus metropolitanism, with Liverpool being seen as local, alternative and authentic. These ideas can be employed to explore Christiania’s relationship with Copenhagen. However, I believe that a similar tension can also be found within Christiania itself, as it is a fragmented and complex community, and that this in itself is a more interesting subject matter in the present context. Comparing the artists behind the new support records with Helga Nova and Fri Galaxe, it becomes clear that both groups represent Christiania, and that their music is considered important in the locality. In one respect, the new support records rely more on the idea of locality, as they emphasise the idyllic nature of the place and rarely expand beyond that. They seem to be made mainly for tourists and can therefore be considered a commercial endeavour. The way they are presented and sold seems much more commercialised than is the case for the records by Helga Nova and Fri Galaxe. Their records are made independently by the artists themselves and rather than being sold in the tourist booth in the market square, they are found for sale only in the local shops.

40 All this creates an ambiguous construction of locality and the idea of independence versus commercialism. My informants steered me away from the support records, because they felt that they did not represent the ‘true’ Christiania. Perhaps the new support records can be seen as selling the Christiania atmosphere to tourists but not hoping to change society at large. Thus they can be seen as working against the counterculture of the place and, without meaning to, fuelling the normalising process. Rather than trying to ‘recruit’ people to the cause of Christiania, they represent its society as untouchable and separate from the mainstream and thus impossible for the general public to join in with. The play with alterity can therefore be seen as more harmful for this society than helpful, as it perhaps goes against what Christiania originally stood for.

41 This tension between the ‘independent’ and the ‘commercial’ evokes Cohen’s discussion of Beatles tourism in Liverpool. Musical practice, both in Christiania and Liverpool, has generated debates about ‘authenticity’ and what represents the ‘real’ music of the place. This, in Cohen’s view, typifies cultural tourism in general (2007: 178–9). Nevertheless, the relationship between commercialism and independence is perhaps

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more complex in Christiania. Cohen describes how government officials, including Liverpool City Council, some music entrepreneurs, musicians, bankers and individuals employed in higher education, joined in the policy-making of the Merseyside area in order to revitalise it as a thriving musical venue (ibid.: 133–8). The city of Copenhagen, on the other hand, as discussed above, has not taken part in promoting Christiania as a tourist destination. Without the interference of an official body, the appearance of tourism in the village seems disorganised. Certain tourist services are offered, such as the guided tour, the guide book and information offices, but they do not seem to work together to create a holistic experience for the tourists. The venues seem to be unsure of their purpose and embarrassed by their existence. Arguably, the reason for this is the complex relationship between the countercultural ideology of the village, which opposes commodification and commercialism, and its financial need for the tourists, who, in turn, are attracted to Christiania because of its image as a countercultural space.

42 Furthermore it is possible to see a hierarchical structure in the music practices that parallels the class division of the society discussed above. Both Davies in 1979 and Grundt in 2004 mention three class layers; the upper class/intellectuals, petite bourgeoisie/followers and junkies/sleepers. This can be matched with hippie rock at the top representing the old activists who created and now rule Christiania, the support records of the non-political inhabitants and the cover band culture of the dropouts.

Conclusion

43 Music is important to the way Christiania can be experienced and within the community various musical ‘hot spots’ create a certain atmosphere that is suitable for each space. The music is used both commercially, to attract people to the space in order to construct a fitting environment, and also as a way to pass time. Different kinds of music appeal to different groups of people, and different music genres play both a historical and a contemporary role in Christiania. The result is that some music is regarded as more ‘authentic’ than other. In the lyrics of the music created in and about Christiania, two different lines of approach can be perceived: one can be traced back to the early days of Christiania, and the other represents something new, perhaps a shift in outlook towards the original purpose of the village. The more politically active musicians write music containing ideas comparable to those in the old music. This obviously fulfils the expectations of the active part of the society for music representing the ‘true’ Christiania. These musicians also emphasise the localised aspect of their production, as the records are only sold in local shops, not in those intended specifically for tourists.

44 An analysis of openness and closure reveals that, on the one hand, Christianites are united against Denmark but at the same time rely on the outside world both for practical things and political support in order to exist. On the other hand such analysis also points to a difficult relationship between contrasting groups within the society. Music is a key to opening Christiania up to tourists, but sometimes the tourists can interrupt or ‘spoil’ events for the locals.

45 In its early days, Christiania was very much a countercultural space, similar to other enclaves. However, it soon developed away from the original vision. The musical

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practice shows that the old values are still important to many, but at the same time there is a struggle within this society to determine which direction should be taken for the future of Christiania. By assembling the evidence of how the society functions, my overall conclusion is that Christiania is no longer a countercultural space but bases its existence on a longing for the past. It is interesting that authorities continue to try to normalise the area, perhaps rather for financial reasons than to uproot countercultural practices. In many respects it is difficult to determine whether it would be possible to maintain a countercultural space at all, because the ideology behind it seems to challenge the fundamentals of every society.

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NOTES

1. This chapter is based on my MA dissertation from the University of Nottingham, which was written under the supervision of Dr Daniel Grimley. I spent the summer of 2008 in Christiania doing field research. I would like to thank Helga ‘Nova’ Højgaard Jørgensen for all her help and insight into the community. Dr Gudni Elisson made helpful comments on the manuscript. All translations are mine and the translations of lyrics aim to be as direct as possible. 2. ‘Slumstormere’ were a mixture of homeless people from Christianshavn and political activists that protested against the renovation that was taking place in the area and the lack of housing. 3. This does not mean that Christianites do not own cars, but they keep them in neighbouring streets. 4. The term tourist is used throughout the chapter as a collective term for all people who do not live in Christiania, including inhabitants of Copenhagen, Denmark and foreign guests, according to how the term was used by my informants. 5. A programme can be found at Loppen’s home page: http://www.loppen.dk/. 6. The song can be found on Hedvard’s homepage (http://www.zofiart.dk/) under the link: http://www.zofiart.dk/musik/solo/07-Track-07.mp3. 7. For example see ‘28 Grader i Skyggen’ [‘28 Degrees in the Shade’] by MC Einar from 1989. 8. Bear in mind that the politically and sociologically active people in Christiania are also those that organise events and concerts and see themselves as ‘true’ and ‘typical’ Christianites and therefore represent the group of people who have an opinion on what is ‘true’ or ‘typical’ Christiania music.

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ABSTRACTS

This paper investigates the idea of a local sound in Christiania and explores the role of tourism in the area. Christiania can arguably be seen as a place containing different cultures, and the paper will explore which musical culture, if any, is seen as the most ‘authentic’, whether it is possible to trace a hierarchical structure through Christiania’s cultural practices, and how people act within the community. In its early days, Christiania was very much a countercultural space, similar to other enclaves. However, it soon developed away from the original ideology. The musical practice shows that the old values are still important to many, but at the same time there is a struggle within this society to determine which direction should be taken for the future of Christiania. By assembling the evidence of how this society functions, my overall conclusion is that Christiania is no longer a countercultural space but bases its existence on a longing for the past.

Cet article s’intéresse au paysage sonore de Christiana et explore le rôle du tourisme dans ce quartier. Christiana contient différentes cultures, et nous explorons quelles sont les cultures musicales – s’il en est – qui sont perçues comme étant les plus « authentiques », s’il est possible d’établir une structure hiérarchique au sein de ses pratiques culturelles, et comment les gens agissent au sein de la communauté. À ses origines, Christiana était un espace contre-culturel, à l’instar d’autres enclaves similaires. Néanmoins, il s’est rapidement écarté de son idéologie première. Les pratiques musicales démontrent que les anciennes valeurs continuent à être importantes pour nombre de personnes, mais qu’en même temps, il y a une lutte au sein de cette société pour déterminer dans quelle devrait être la future direction de Christiana. En récoltant des éléments sur le fonctionnement de cette société, je conclus que ce quartier n’est plus un espace contre-culturel, dont l’imaginaire repose au contraire aujourd’hui sur une nostalgie du passé.

INDEX nomsmotscles Morten (Tage), Lunden (Tom), Claus (Tømrer), Helga Nova, Fri Galaxe Geographical index: Danemark, Copenhague Subjects: rock music, rap / hip-hop Chronological index: 1970-1979, 2000-2009 Keywords: scenes, memory / nostalgia / retro, city / suburbs, authenticity, tourism, spatiality / space / place Mots-clés: scènes, mémoire / nostalgie / rétro, spatialité / espace / lieu, ville / banlieue, tourisme, authenticité

AUTHOR

ÞORBJÖRG DAPHNE HALL

Þorbjörg Daphne HALL is an adjunct and a program director of musicology at the Iceland Academy of the Arts. She holds an MA in musicology from the University of Nottingham and MA in Cultural Studies from the University of Iceland and Bifrost University. Her research interests are focus on classical and popular music of the 20th and 21st Century in connection to images,

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identity, place, space and nationalism. mail

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Auditory traces of subcultural practices in 1960s Berlin. A border- crossing soundscape of Pop Espace sonore et pratiques subculturelles à Berlin pendant la Guerre froide

Heiner Stahl

EDITOR'S NOTE

This text was originally published in Countercultures & Popular Music (Farnham, Ashgate, 2014).

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1 IN 1960S BERLIN YOUNG ADOLESCENTS were not supposed be bored and annoyed, because this would have cast a damning light on the achievement potential of the opposing post-war German societies. Social institutions and youth associations providing options for (self-)entertainment and study were seen as key features of youth policies in East and West Berlin. But restricted access to cultural participation and distraction gave young adolescents a reason to hang about in parks or on street corners. These practices produced discontinuities in the state’s institutional efforts to integrate, include and involve people by all means available. Experiencing entertainment in urban Berlin was thus an important aspect of a cultural sphere tightly linked to competing images of Cold War Berlin.

2 Cultural transfer is a multi-channelled process in which the signs, symbols and sounds floating around are rearranged in peer-group and media environments. These signifiers are filled with additional meanings and staged in public spaces. Pop is one such performative practice (Klein 2004: 48). Furthermore, public space is itself a fluid concept, in which social environments, discourses and narratives, infinite struggles to claim possession of space and the means to police crowds are enclosed (Lash and Urry 1994; Lefebvre 1996; Lindenberger 1995).

Sound and City: The Auditory Experience of Urban Clubbing in 1960s Berlin

3 Sensing past cityscapes, as Mark M. Smith has suggested, might well be a promising standpoint from which to detect traces of subcultural auditory experiences and to frame negotiating differences within constellations of cultural transfers (Smith 2008). Therefore, visibility and audibility may be understood as two main features of self- empowerment in public space. To be heard in public is a mode of generating attention. To be seen by others and to perform in front of others is a social practice that draws lines of aesthetic demarcation. Pop, in this respect, is a cultural technique bound to rituals (Hall and Jefferson 1976; Hebdige 1988; Bennett 2000), or to rather abstract cultural signs that are inscribed in acquirable cultural products. In the processes of transmission the past and contemporary usages of such signs are blended with additional content and meaning at a local level (Hannerz 1996: 67). Testing various cultural options, then, is an important feature of pop (Holl 1996: 59). A wider interpretation argues that pop, understood as a setting of multiple dispositions, reflects the notions of cultural boundaries and dominance by producing and enforcing counter- narratives and encouraging deviant behaviour (Barthes 1964: 85). Thus, public rejection of cultural dissidence is a mainspring of pop as a practice of self-empowerment

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(Thornton 1996; Middleton 2000; Svede 2000). In this respect, three modes of pop can be described: 1. official pop, which concerns the means and strategies of public institutions and private agents to transform popular music and the materiality of signs; 2. media pop, which refers to the policies of the printing press as well as public and private broadcasting stations in terms of coring the acoustic and aesthetic material to form a neat and clean version of pop; 3. subcultural pop, which comprehends the various modes of reclaiming streets.

4 Looking into the uses of signs and sounds in and off the streets, I intend to map public space by identifying the strategies of youths to become visible and audible. Giving public space an acoustic spin, I postulate that deviant behaviour and self-empowerment goes along with specific, temporarily stable mixtures of sounds. Despite this, the oral and mediated framing of sound, and of noise, stores information about practices of good taste, of engineering proper democratic or socialist citizens and of defending cultural territory. Auditory space is such a territory, in which the reformulated registers of senses and a different perception of the cityscape can be explored off the beaten tracks of conservative, middle- and working-class milieus. Consequently, traces of hearing and listening within processes of cultural transfers need to be identified in order to track down transitions from subcultural practices to countercultural social and cultural action becoming a signifier for change. Such an approach even fits the examination of non-liberal and democratic, authoritarian and repressive political systems such as socialist East Germany and the Eastern Bloc countries.

5 Taking inspiration from Raymond Murray Schafer’s dazzling definition of ‘soundscape’ (Schafer 1973: 24) reveals that the acoustic dimension of everyday life conceals hidden layers of social, cultural and political power relations (see Corbin 1994; Smith 2001; Picker 2003; Thompson 2002; Rifkin 1993; Schweighauser 2006; Smith 2008; Müller 2011; Morat, Bartlitz and Kirsch 2011). Thus the sensory experience of audible cultural material leads to appropriation through communicative acts, selective insertion and intentional exclusion. Sound and noise, therefore, express notions of cultural diversity and dissidence, echoing previous strategies and codifications (Hannerz 1996: 60) While the aesthetic of noise could be read as an effect of technical and social progress, especially in a post-war socialist context (Guentcheva 2004), controlling auditory space is a powerful tool in consolidating communities (Attali 1977: 16). Creating noise is thus an aesthetic procedure that has the potential to subversively mirror existing cultural frames by accentuating anomalies and marginalities.

6 By focusing on auditory experience in the landscape of clubbing in 1960s East and West Berlin, I am connecting the sounds on the streets, in clubs and venues, as well as on pop music radio broadcasts, to a pattern of reinventing public space acoustically and of demasking the noises of repression. Writing about clubs, bands, broadcasting and pop music in Cold War Berlin needs an entangled perspective to rip through the media images and narratives of Berlin, that are consolidated as a multi-layered myth of the Cold War conflict in Europe. Although the acoustic space of broadcasting is limitless, such an approach proves valuable in providing flexibility to an analysis of the shifting constellations of politicised cultural codes and aesthetic practices across geographic boundaries. Referring to the claim that club cultures are taste cultures (Thornton 1996: 3) I want to compile an auditory map of venues and places in the sonic environment of 1960s Berlin’s music subculture.

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Framing the Auditory Field: The Beat and Skiffle Music Scenes in East Berlin

7 East Berlin’s local heroes were the Telstars (who later became the notorious rock band, Phudys), Sputniks, Franke-Echo-Quintett and Diana Show-Band. The Beatlers, the Bottles, echo-team, the Brittles and Arkadia-Combo were from Berlin-Mitte, the Jokers, the Brightles, the Big Beats, the Five Stones, the Shouters and the Hot Five from Prenzlauer Berg, and the Cants,1 Team 4, Atlantics and the Greenhorns played in the Köpenick and Treptow area.2 These bands preferred rough music created with self- made distortion and delay effects or with smuggled devices bought on the black market. Listening to live broadcasts on the German programme of the private station, Radio Luxemburg, or the allied military stations, American Forces Network and British Forces Network, the musicians in these bands transferred what they heard into unique cover versions. Having poor English language skills, the young amateur artists adapted the lyrics while reproducing a similar auditory space with their instruments. As a consequence, pop music heard at live concerts in 1960s East Berlin was a brilliant mixture of excellent musical talent, misunderstanding the original lyrics and inventing words that sounded very British or American without making any actual sense.

8 After the Berlin Wall was erected in August 1961 the somewhat uncontrolled growth of youth clubs escalated in East Berlin. This was well in line with the Socialist Party decree on youth policy published in January 1961. The borough councils and socialist civil society institutions allocated spaces to create a sort of educational arena where youths could benefit from self-learning in their leisure time. However, this did not work out at all as planned. The clubs were run by kids from the neighbourhood who started to organise concerts, inviting different bands, and basically having alcohol-fuelled parties on the weekends. Youngsters had previously formed skiffle and guitar bands, and played wherever possible. East Berlin’s pop-cultural sphere was thus a vibrating, noisy landscape of clubs where a distinct lack of repressive state control was evident.

9 The youth club, Freundschaft [Friendship], in Fredersdorferstrasse was located between East Berlin’s main station and the tube station Marchelewskistrasse3 on Karl- Marx-Allee. It was one of a number of underground pop hotspots in socialist East Berlin. Another, named Twistkeller, could be found in the basement of the Treptow council culture centre in Puschkinallee (Rauhut 1993: 104). This venue provided space for amateur bands, concerts and parties, and was located just a few footsteps away from the Berlin Wall.4

10 The kids running youth clubs like Ernst Knaack in Greifswalderstrasse, Kuba-Klub in Bötzowstrasse or Kosmos in the Helmholtzplatz park area were proficient when it came to increasing attendance at the clubs by organising music events and making additional money by selling beer, wine and schnapps. As a consequence the cultural branch of the Prenzlauer Berg borough became rather dissatisfied with the situation at the clubs. As five out of seven venues were managed by youths without any kind of control or regulation, in May 1965, the functionaries argued that the borough was displaying an example of best practice regarding integrating urban teenagers, and showing confidence both in their capacity to self-organise and in their willingness to be responsible in their leisure time activities.5 However, administrative bodies were not convinced because the youths did not spend their time voluntarily educating

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themselves and instead were simply organising and promoting guitar-band shows so that they could meet, chat, dance and drink large quantities of beer. Moreover the youths cared nothing for the laws aimed at protecting minors. Consequently, over the years, these venues and sub-cultural places earned a bad reputation. Many of the young men, when very drunk, would soon start to throw chairs and tables around the rooms, urinate against the walls of neighbouring buildings, or steal bicycles. From an administrative point of view, mouldy walls, stale smoke from too many cigarettes, glue- repaired windows, broken chairs and mismatched tables, pop music from Western broadcasting stations and excessive noise did not contribute to creating the kind of environment needed to foster socialist morality and decency.6

11 Taking an ideological stance on pop music and its sounds as cultural and political issues, the secretary of the Central Committee’s office, Erich Honecker, cleverly positioned his argument. The capitalist evil of beat music and an insufficient focus on education provided by the Free German Youth, the Ministry of Culture and socialist media had opened the gates to ideological diversion from the West. The claim was supported by representatives of the regional Party bodies who could tell their own stories about juvenile deviance linked with concerts and venues.7 Honecker thus successfully slowed down the somewhat progressive spin put on the current youth policy by Kurt Turba, a journalist who had been installed by the first secretary of the Socialist Party, Walter Ulbricht, in June 1963 (Schuster 1994; Kaiser 1997).

12 In this respect, socialist media – in particular Berlin Radio and its youth programme – was heavily criticised. Jugendstudio DT 64 reportedly played too many dance and pop titles from the West and showed a rather uncritical, and therefore ‘decadent’, approach towards the issue. In a briefing to Honecker, the music expert in the cultural branch of the Central Committee confronted the Deputy Director of the State Broadcasting Committee and the propaganda branch of the Central Committee regarding not making significant efforts to influence their subordinates to change the sound of the youth broadcast.8 The ideological dimensions of beat and pop music had been underestimated and what were considered the ‘false’ practices of DT 649 had encouraged amateur bands to follow suit.

Moral Panic Across Town: The Rolling Stones Play West Berlin’s Waldbühne, 1965

13 High-ranking Party officials adjusted quickly. As long as new rhythms were staged in a calm and cultivated atmosphere, as head of the cultural branch of the Central Committee and chair of the ideological commission of the Politbüro, Kurt Hager, argued, the groups assured decent dancing. Although he stated that the Socialist Party should not ban beat music completely, Hager suggested that such music could unleash the beast of the masses, and would inevitably lead to hysteria and the breaking into pieces of stages and venues.10 In referring to the Rolling Stones concert at the West Berlin outdoor venue, Waldbühne, on 15 September 1965, Hager reproduced the populist media image fostered by the conservative West Berlin press. He then gave the story another spin: the young adolescents drawn to this music might, when they become adults, or even earlier, be capable of destroying the new socialist society if the autocratic system proves to be immobile in tackling the challenge. Waldbühne thus became a code and signifier for Party officials and bureaucrats’ general paranoia

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towards youths and their cultural practices. It also yielded an argument that flattened internal disputes on badly governed youth and the cultural field.11

14 Linking the Waldbühne event to a manifestation of juvenile discontent in the city of Leipzig on 31 October 196512 regarding the official banning of well-known guitar bands like the Butlers,13 Hager expressed his thankfulness to the police forces and the supplementary activists of the youth association for instinctively taking strong measures to disperse the crowd.14 Beat music fans had gathered at Leipzig’s Hans- Leuschner-Platz, reclaiming the city centre, wearing olive-coloured US-army anoraks and parkas, and singing deviant chants. Between 800 and 1,000 youngsters strolled about the inner city, expressing their annoyance regarding the decision made by the cultural branch of the local Socialist Party (SED) to ban beat bands like the Butlers. Records reveal that the police and the Ministry of State Security noted that about 2,000 people attended the demonstration and threatened socialist order.15

15 What had actually happened at Waldbühne when the Rolling Stones and several support acts performed? On 15 September 1965, a journalist from the conservative populist yellow press paper BILD reported that she found herself in a hell where 21,000 concert-goers had gone mad, dancing aggressively and smashing wooden seats.16 The conservative Christian Democratic Union (CDU) faction of the West Berlin assembly questioned the governing Social Democratic Party/Liberal Party (SPD/FDP) coalition on how the mass riot at the show actually happened. The delegates stated that only a few youths had been responsible for the scenes of riot and the destruction that followed. Due to the hard and monotonous rhythm of the music, a number of kids had run wild, while the majority reached a state of mere ecstasy. Pictures taken at the event were published on the front page of BILD the next day. The Free Berlin Station broadcast and televised reports and held furious discussions on this display of juvenile deviance, which, as the CDU faction claimed, every Berlin citizen had come to learn about.17 Moving forward, the conservative delegate, Siegmund, attacked the liberal and more open-minded youth policy of Senator Ella Kay, noting that listening to beat music and playing in guitar groups was gaining ground in youth clubs and other public premises financed by the Senate’s administration of youth. A number of delegates were heard to express their indignation, shouting ‘unbelievable’.18

16 Siegmund claimed that staff at these facilities were unable to cope with the problems and obviously did not have the required means to assert control. The CDU politician added that his party would not dictate what kinds of music should be listened to, or what kinds of clothes should be worn, because West Berlin lived in the free and liberal West, and he knew that these kinds of things were happening in the Soviet zone. Nevertheless, the Senate and social workers in the youth clubs had to deal strictly, albeit carefully, with the new trends to keep them on a reasonable and publicly acceptable track.19

‘Then We Take Berlin’: Clubbing and Pop in 1960s West Berlin

17 In West Berlin, from time to time, Cold War conservatives across party lines attacked the Senate’s youth policies – the notorious Waldbühne incident was one such occasion. In response, Senator Ella Kay and the Head of Youth Services, Ilse Reichel, outlined the

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comprehensive success of their strategies to positively integrate youths. Finally, implementing the concept of youth clubs in 1961, Kay and Reichel looked to offer respectable, modern and accessible spaces in venues like the Jazz Saloon (Steglitz), Dachluke (Kreuzberg) and Haus Metzler (Spandau). 20 Obviously, the intention behind this effort was to offer decent and morally harmless distractions in direct opposition to pubs, gaming halls and basement clubs.

18 The Jazz Saloon opened on 30 April 1960 after only a few months of preparation and planning (Müller 1961: 164). Although the idea was copied from a youth service initiative in the West German city of Mannheim, the Berlin launch was expedited when the West Berlin branch of the Socialist Party announced that it would buy the whole Haus Breitenfeld property to build a cultural centre on the site (ibid.: 165; Poiger 2000: 210). British beat music, however, did not reach Berlin via the Jazz Saloon, but via the Hermsdorf Star-Club located in the northern outskirts of West Berlin, named in homage to Hamburg’s notorious Star-Club (Klitsch 2001: 133–78). In the suburban venues, the mod style ruled in opposition to the physical violence of rockers.

19 In the emerging landscape of clubbing, restaurants and pubs like Seeschloß Hermsdorf – also known as the Hermsdorf Star-Club – Festsäle and Dorfkrug Lübars or the Sport- Kasino Spandau – a pub linked to a local rowing club – gained importance (Nimmermann 1966: 496). Decorated in a petit bourgeois late-1930s and 1940s style, the infernal noise of the beat bands produced an acoustic space opposed to the aesthetics of sound created in previous venues. Compared to the Jazz Saloon or Dachluke, these suburban pubs offered relatively unrestricted and uncontrolled spaces. Young women wore short skirts combined with tight-fitting jumpers and haircuts seen in women’s magazines (ibid.) or polyester blousons tagged with beat group names. Some wore dirty fur coats and pelt boots, wide slop trousers and lumberjack shirts. Wooden chains, wrist bands and fake silver rings were the accessories to this new kind of body politics, while green military jackets and anoraks protected the clothes.

Pop Takes to the Air: Youth Radio Programmes in West Berlin

20 Alongside this, two youth-orientated radio broadcasts – Wir-um zwanzig in October 1965 and S-f-beat in March 1967 – were launched by the Free Berlin Station. Reading news that concerned teenagers, presenting music, and talking about various issues between tracks built up an acoustic and auditory texture that contested the well- balanced sound identity of the whole station. Citations, references, comments and acoustic flashes were mixed in sequence to create a somewhat chaotic flow. The sounds, the musical styles and the hosts’ voices, audiotakes and self-made jingles – for example screaming ‘Oh no!’, beating drums or playing recorded canned laughter – were so far from the regular radio soundscape that adults, school headmasters and social workers became alarmed and put off. Adults did not get the joke of hearing a howling siren jingle21 on the radio – probably because it recalled a certain sonic experience from Second World War bombings and subsequent shelter-seeking efforts.

21 The soundscape of S-f-beat mixed up the auditory identifiers of the white, US middle class (Beach Boys, the Mamas and the Papas, Bob Dylan etc.) and the Afro-American counterculture (the Raelettes, Martha and the Vandellas, Sly and the Family Stone etc.)

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with English beat, psychedelic and hard rock music. S-f-beat’s music programming was tied to underground music, and step by step it started to neglect releases that proposed nice melodies and catchy tunes. Songs were meant to have something special – original and stand-alone features – not just powerful guitar riffs and loud drums.22 Journalists admitted that Pink Floyd’s The Piper at the Gates of Dawn (1967) and A Saucerful of Secrets (1968), the Beatles’ Sgt. Pepper (1967) or Frank Zappa’s productions with the Mothers of Invention had stunning musical arrangements and smart melodies fitted into three- minute tracks, but entertaining listeners meant playing ‘easy listening’ pop music like El Condor Pasa and Bridge over Troubled Water (Simon and Garfunkel 1970) or Mungo Jerry’s In the Summertime (1970), and not torturing listeners with pure noise.

22 Focusing on contemporary and trendy pop music,23 S-f-beat’s programming was distinct from the mainstream music played on air. Indeed, it traced out the high- cultural auditory framing of German broadcasting from the late 1960s to the early 1980s. Besides playing music from the extreme border areas of conventional popular music, S-f-beat also illuminated the boundaries of reporting. In the wake of the late 1960s, a younger generation of broadcast journalists understood themselves as embedded commentators on youth culture, student protests and issues of higher education or squatting in inner city areas. They communicated these minority positions with rhetoric fervour, and as such questioned authority and order. The new investigative approach to journalism produced long-lasting conflicts with the decision- makers in broadcasting stations and the (pre-)political establishment of Cold War West Berlin. By reporting from investigation panels on repressive policing in West Berlin, or reporting live on the conditions of youths in prisons and approved schools, S-f-beat was fostering a bold auditory presence24 and challenging the harmonic orchestration of images, narratives and success stories of proper, clean and liberal West Berlin that the Free Berlin Station was so keen to present.

23 By announcing music events at Deutschlandhalle, Waldbühne, or in venues like Neue Welt, Dachluke, Pop-Inn, Star-Club Hermsdorf, 25 Tuesday Club26 in the borough of Schöneberg, or the notorious jazz club Quasimodo in Charlottenburg, 27 youth club parties or book readings and discussion sessions, the youth programme S-f-beat acted as a broker of subcultural news. Local Berlin bands and domestic groups from West Germany like the Petards,28 Cologne-based krautrock pioneers Can (1970) or the more advanced West Berlin bands the Gloomys29 or the Lords (1970)30 rarely got airplay, though others, like the local the Safebreakers, the Outs or the Bus Stop Four received some radio promotion, when information was provided on upcoming gigs in youth clubs across the West Berlin boroughs.31

24 The pop news on S-f-beat promoted a completely different lifestyle: talking about record stores with posters and underground music in Charlottenburg, or a local branch in the district of Steglitz furnished with cushy armchairs, Lenco Stereo Systems record players and light displays,32 or giving notice of an independent swinging London-style fashion shop named Market opening at Uhlandstrasse, cornering Kurfürstendamm, offering barrels of free beer before noon and with the progressive rock band Murphy Blend performing live.33

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Conclusion

25 Performing acoustic deviance in public spaces and especially listening to Western pop music on Radio Luxembourg’s German service, Radio (East) Berlin’s Jugendstudio DT 64 (June 1964), the S-f-beat broadcast Station of Free (West) Berlin (March 1967) or on Radio in the American Sector’s RIAS-Treffpunkt (October 1968) with the volume turned right up were the preferred cultural practices of 1960s East Berlin youth who cared little for the extensive administrative measures.34 The entrance to the SKALA cinema (Prenzlauer Berg) was one such public meeting place, as was the Helmholtz park area where some 30 adolescents hung about every evening, brawling. Similar situations and practices could be seen at Kollwitzplatz, or at the crossing of Hufeland and Esmarchstrasse in the Bötzowstrasse neighbourhood. The youth did not invent these meeting places, but they did reclaim them (Lindenberger, 2003: 423–32). Leaving acoustic traces in this urban soundscape was an important thing to achieve, with noisy pop music being a distinctive feature of this act of self-empowerment. The border- crossing community of listeners in East and West Berlin correctly guessed and understood the references, but the representatives of the Free Berlin Station’s broadcasting commission were repeatedly appalled when they, by chance, tuned into this constantly changing auditory map and West Berlin’s pop soundscape. On the other side of the wall, the same procedure emerged. The auditory presence of Jugendstudio DT 64 constantly conflicted with an idealised approach to socialist cultural politics.

26 Popular dance music, the so-called Unterhaltungsmusik, played by dance orchestras, constituted the soundscape of 1960s broadcasting on East as well as West Berlin stations. Indeed, all across Europe, this aesthetic was favoured by those people who compiled music for entertainment broadcasts. American and British pop music was the outright opposite, an alien and unfamiliar auditory experience. However, the emerging sounds of beat, soul and rock music were gradually inserted into the acoustic space of radio, first by being actively refused and disapproved of, and secondly by the creation of slots to accommodate the sounds within the programme flow. This integrative approach was more targeted towards reaching younger prospective audiences in a competitive mediascape (Appadurai 2000: 33), rather than aimed at being in accordance with the politicised framing of cultural transfer in Cold War Berlin. By introducing American and British pop music into the local constellations of divided Berlin, original content, references and meanings were transformed into hybrid cultural forms. These hybrids stored the tensions concomitant with renegotiating cultural identities. New auditory experiences became possible through multiple channels – attending live concerts, forming a band, listening to broadcasts via mobile transistor radios, recording those broadcasts or listening to records in shops or on personal record players.

27 Pop culture as a specific cultural and social practice evolved into a constellation that might be labelled ‘triadic’ (Giesecke 2006: 284–9). As highlighted in this text, subcultural pop is generated at the level of users, customers and cultural pioneers combining different visual, acoustic and aesthetic materials to infuse additional social and cultural meaning opposing mainstream society. In East Berlin, youths switching between different acoustic spheres were testing options that the Socialist Party’s cultural policies did not fully provide. Opting to not take part in the socialist acoustic space – in the youth organisations or the Party – was read by functionaries as a form of deviance that would lead to opposition of the regime. In West Berlin, accessing pop culture was

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far easier, but the cultural connotations were also in opposition to middle-class ideas of aesthetic superiority. By actively grabbing ‘foreign’ acoustic and aesthetic influences, West Berlin youths contested liberal rhetorics of Cold War democracy, and mirrored the mainstream strategies of cultural and social exclusion by challenging the tales of cultural openness. Basement clubs, untenanted flats, street corners and suburban beer halls were an integral part of the 1960s subcultural sphere. Official pop was the practice of youth service representatives and political functionaries being concerned with protecting minors and providing opportunities for teenagers to come to terms with adult society. The notions of pop created by journalists and by radio DJs, on the other hand, could be considered media pop because it mediated cultural styles by adding them to a given framework. Media pop also contested the acoustic space of broadcasting itself and challenged the sound identities of the stations as internal contenders. Therefore, making audible processes of cultural transfers means broadening the perspective on how media shapes cultural codes at a local level. Subcultural pop and its practices left auditory traces in the public space, mirroring and opposing what mainstream society had agreed on as a cultural code and a proper mode of public behaviour.

INDEX CDU: Christian Democratic Union DT 64: Deutschlandtreffen 1964 FDJ: Free German Youth GDR: German Democratic Republic = FDP: Liberal Party RIAS: Radio in the American Sector SPD: Social Democratic Party SFB: Station of Free Berlin

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NOTES

1. The band members were pupils of a secondary school named after the German philosopher Immanuel Kant. It is possible that the band intentionally made a reference to a vulgar swear word out of the name’s sounding. 2. Landesarchiv Berlin (LAB), C Rep. 121, Nr. 235 unpag. Magistrat von Groß-Berlin, Abteilung Kultur, Auszug aus Berichten der FDJ-Kreisleitungen über festgestellte Gitarrengruppen in den 8 Stadtbezirken, Berlin 29 October 1965, 1. 3. [Online] Available at: http://www.alt-berlin.info/cgi/stp/lana.pl? nr=22&gr=7&nord=52.526098&ost=13.430859 [accessed: 21 March 2012]. 4. [Online] Available at: http://www.alt-berlin.info/cgi/stp/lana.pl? nr=22&gr=7&nord=52.498647&ost=13.453563 [accessed: 21 March 2012]. 5. Stiftung Archiv der Partei- und Massenorganisationen der DDR im Bundesarchiv Berlin (SAPMO-BArch), DY 30 IV A 2/16/123 unpag., Rat des Stadtbezirkes, Prenzlauer Berg, Abt. Kultur, Analyse Jugendklubs, Berlin 12 May 1965, 1–5, 1. 6. Ibid.: 3. 7. SAPMO-BArch, DY 30 J IV 2/3/1.129 foliert, Protokoll der Sitzung des Sekretariats des ZK Nr. 89 vom 24 November 1965 – Auswertung des Beschlusses des Politbüros vom 23 November 1965 zu ideologischen Fragen auf dem Gebiet der Kultur. SAPMO-BArch, DY 30 J IV 2/3A/1.243 foliert, Sekretariat des ZK, Arbeitsprotokoll Nr. 89 vom 24 November 1965, Bl. 1. 6. Tagesordnungspunkt 2: Auswertung des Beschlusses des Politbüros vom 23 November 1965 über ideologische Fragen auf dem Gebiet der Kultur, Bl. 2–3. SAPMO-BArch DY 30 / IV A 2/9.06/4 unpag. [ZK Kultur] Entwurf für den Abschnitt, Probleme der ideologischen Arbeit der Partei im kulturellen Bereich, Berlin, o.D., 1–12. [an Gen. Honecker und Gen. Hager gegeben, 2 December 1965]. 8. SAPMO-BArch DY 30 / IV A 2/9.06/4 unpag. Abteilung Kultur, Peter Czerny, Wie konnten sich dekadente Tendenzen im Big Beat ausbreiten? (o.D.), 1–3, 2. 9. Ibid.: 3. 10. SAPMO-BArch, DY 30 IV A 2/9.01/21 unpag. Ideologische Kommission beim Politbüro, Kurt Hager, Protokoll über ein Seminar der Ideologischen Kommission mit den Sekretären für Agitation und Propaganda der Bezirksleitungen und den Leitern der Abteilung Kultur der Bezirksleitungen zu ideologischen Fragen auf dem Gebiet der Kultur 7 December 1965, 1–176, 56. 11. LAB, C Rep. 902, Nr. 2118 unpag. Leiter der Jugendkommission der SED BL-Berlin, Harry Smettan, Betr.: Information über eine Aussprache beim Genossen Kurt Turba 5 October 1965, Berlin 6 October 1965, 1–3. 12. See the original leaflets [Online] Available at: http://engelsdorf.net/images/Flugblatt.jpg [accessed: 21 March 2012]. 13. [Online] Available at: http://www.ostmusik.de/butlers.htm [accessed: 21 March 2012].

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14. SAPMO-BArch, DY 30 IV A 2/9.01/21 unpag. Ideologische Kommission beim Politbüro, Kurt Hager, Protokoll, 7 December 1965, 47. Concerning policing thugs in the GDR see Lindenberger (2003: 397–448) and Korzilius (2005). 15. SAPMO-BArch, DY 30 / IV A 2/16/171 unpag. Abteilung Sicherheitsfragen, Borning, an Abteilung Jugend ZK, Dr. Naumann, Betr.: Information über das Auftreten von kriminellen und gefährdeten Gruppierungen Jugendlicher in der DDR, Berlin 5 July 1966, 1–12, 2. For more details see Rauhut (1993), Ohse (2003), Liebing (2005), Fenemore (2007) and Wierling (2008). 16. Rauhut (2008: 30). [Online] Available at: http://www.morgenpost.de/multimedia/archive/ 00177/mim_w_stones60er_BM_177598b.jpg [accessed: 21 March 2012]. 17. Abgeordnetenhaus von Berlin, IV. Wahlperiode, Band 4, Stenographischer Bericht, 46. Sitzung, 23 September 1965, 367–411, Große Dringlichkeitsanfrage der Abgeordneten Amrehn, Dr. Riesebrodt, Dach, Wolff, Siegmund und der übrigen Mitglieder der Fraktion der CDU über Verhinderung von Rowdyszenen und Zerstörungswut in Berlin, 404–11, 404. 18. Ibid.: 404. 19. Ibid. 20. LAB, B Rep. 013, Nr. 434 unpag., Berliner Jugendclub e.V., Antrag Einrichtung von Jugendtanzstätten, 1. 21. Deutsches Rundfunkarchiv (DRA) Potsdam-Babelsberg, Schriftgut Hörfunk, Bestand Sender Freies Berlin, Nr. 3712/47, s-f-beat am Dienstag 10 October 1972, 1404. Sendung. [1. SCHREI, Oh, no!, 3s; 2. Trommel 5s]. 22. DRA, P.-Bblg., Schriftgut Hörfunk, Bestand Sender Freies Berlin, Nr. 3686/20, s-f-beat- Sendung Nr. 917 vom Mittwoch 4 November 1970, 18.30–19.30 Uhr, Ulrich Herzog: Live-Sprecher, Musikauswahl. Hans-Rainer Lange: Aufnahmeleitung, Selbstbeschreibung von s-f-beat, o.D. (Nov. 1970), o.A., 1–2, 1. 23. DRA, P.-Bblg., Schriftgut Hörfunk, Bestand Sender Freies Berlin, Nr. 2668, Abteilung Familienprogramm, Susanne Fijal an Programmdirektion, Herr Döring, Betr.: Musiktitel in ‘s-f- beat’, Berlin 27 November 1970, 1–3, 1. 24. DRA, P.-Bblg., Schriftgut Hörfunk, Bestand Sender Freies Berlin, Nr. 3686/11, s-f-beat, 8 October 1968, 398. Sendung, Hans-Rainer Lange: Live-Sprecher; Wolfgang Kraesze: Musik & Aufnahmeleitung. s-f-beat-Meldung. 25. DRA, P.-Bblg., Schriftgut Hörfunk, Bestand Sender Freies Berlin, Nr. 6041/10, s-f-beat, 20 September 1967, Mittwoch 18.30–19.30 Uhr, 133. Sendung, Hans-Dieter Frankenberg: Live- Sprecher & Musikauswahl. Hans-Rainer Lange: Aufnahmeleitung. 26. DRA, P.-Bblg., Schriftgut Hörfunk, Bestand Sender Freies Berlin, Nr. 6041, s-f-beat, 4 April 1967. 20. Sendung, 18.30–19.30 Uhr. Tipps für 4 April 1967. 27. DRA, P.-Bblg., Schriftgut Hörfunk, Bestand Sender Freies Berlin, Nr. 3686/30, s-f-beat, 10 September 1970, 878. Sendung, Hans Dieter Frankenberg: Live-Sprecher & Musikauswahl. Ulrich Herzog: Aufnahmeleitung. Tipps für heute: Im Quartier von Quasimodo, Kantstr. 12a, 22.00 Uhr, ‘The Peter Brötzmann-Group’ (FREE JAZZ). 28. DRA, P.-Bblg., Schriftgut Hörfunk, Bestand Sender Freies Berlin, Nr. 3686/5, s-f-beat, 17 July 1968, 18.30–19.30 Uhr, 340. Sendung Joachim Pukass: Live Sprecher & Musikauswahl. Hans Dieter Frankenberg: Aufnahmeleitung. The Petards, Pretty Miss, Horst Ebert, A-Side: Baby, run, run, run, 7'', CCA 5021, 1966. [Online] Available at: http://www.twang-tone.de/babyrun.jpg, http:// www.thepetards.com/songs.htm [accessed 21 March 2012]. 29. DRA, P.-Bblg., Schriftgut Hörfunk, Bestand Sender Freies Berlin, Nr. 3686/7, s-f-beat, Freitag, 9 February 1968, 232. Sendung, Hans-Rainer Lange: Sprecher. Wolfgang, Kraesze: Musikauswahl & Aufnahmeleitung. The Gloomys, Calling Mayfair, Ralf Siegel/Michael Kunze, A-Side: Daybreak, 7'', Capitol C 23694, [Online] Available at: http://www.gloomys.de/ [accessed: 21 March 2012]. 30. DRA, P.-Bblg., Schriftgut Hörfunk, Bestand Sender Freies Berlin, Nr. 3686/6, s-f-beat, 22 January 1968, 218. Sendung, 18.30–19.30 Uhr, Ulrich Herzog: Livesprecher & Musikauswahl. Hans-

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Rainer Lange: Aufnahmeleitung. The Lords, John Brown’s Body, Claudio Szenkar, B-Side: Cut my hair, 7'', Col. C. 23549, 1967, 2’30. [Online] Available at: http://hitparade.ch/cdimages/the_lords- john_browns_body_s.jpg [accessed: 21 March 2012]. 31. DRA, P.-Bblg., Schriftgut Hörfunk, Bestand Sender Freies Berlin, Nr.6041/9, s-f -beat, 15 September 1967, 18.30–19.30 Uhr, 130. Sendung, Gesine Frohner Live-Sprecher & Musikauswahl. Wolfgang Kraesze: Aufnahmeleitung. 32. DRA, P.-Bblg., Schriftgut Hörfunk, Bestand Sender Freies Berlin, Nr. 3686/17, s-f-beat, 16 September 1970, 882. Sendung, 18.30–19.30 Uhr, s-f-beat Meldung: 16 September 1970. Zu Lenco Plattenspieler: [Online] Available at: http://www.zwillingssterne.de/images/LencoL70_kpl.jpg [accessed: 21 March 2012]. 33. DRA, P.-Bblg., Schriftgut Hörfunk, Bestand Sender Freies Berlin, Nr. 3686/16, s-f-beat, 25 September 1970, 889. Sendung, 18.30–19.30 Uhr, Hans-Rainer Lange: Live-Sprecher & Musikauswahl, Rolf Seiler: Aufnahmeleitung. See [Online] Available at: http://www.market- berlin.com/ [accessed: 21 March 2012]. Please listen to Murphy Blend [Online] Available at: http://www.myspace.com/murphyblend1970 [accessed: 18 June 2012]. 34. Bundesbeauftragter für die Unterlagen des Staatssicherheitsdienstes der ehemaligen Deutschen Demokratischen Republik (BStU), MfS, HA XX, Nr. 11635 foliert, Präsidium der Volkspolizei Berlin, Präsident, an Verwaltung für Staatssicherheit Groß-Berlin, Leiter, Dokumentation über Tendenzen der Fehlentwicklung jugendlicher und jungerwachsener Bürger der Hauptstadt der DDR–Berlin, 10 June 1969, Bl. 1–96, 12.

ABSTRACTS

Applying Raymond Murray Schafer's concept of “soundscape” to the Cold War Berlin setting allows to strengthen a sensory, in this case an auditory perspective on historical processes. By focusing on auditory experience in the landscape of clubbing in 1960s East and West Berlin, I am connecting the sounds on the streets, in clubs and venues, as well as on pop music radio broadcasts, to a pattern of reinventing public space acoustically and of demasking the noises of repression. Therefore, cultural transfer is seen as a multi-channelled process in which the signs, symbols and sounds floating around are rearranged in peer group and media environments. These signifiers are refilled with additional meanings and staged in public spaces. Pop is such performative practice. In the case of Berlin, divided after 1961, pop opened up an auditory field – fresh, noisy and yet unknown – that triggererd border-crossing moral panics.

Appliquer le concept de « paysage sonore » de Murray Schafer à la ville de Berlin pendant la Guerre froide permet de renforcer une perspective auditive sur les processus historiques. En se concentrant sur l’expérience auditive des lieux de nuit (clubs, salles de concert) de Berlin Est et Ouest dans les années 1960, je relie les sons des rues, des clubs et salles de concert, ainsi que les émissions de radio dédiées à la pop, à un schéma de révinvention acoustique de l’espace public et de mise à nu du bruit de la répression. Les transferts culturels sont ainsi conçus comme un processus multiple dans lequel les signes, symboles et sons qui sont dans l’air sont réarrangés dans des environnements sociaux et médiatiques. Ces signifiants sont investis de significations additionnelles et mis en scène dans les lieux publics. La pop est l’une de ces pratiques performatives. Dans le cas de Berlin, après la division de 1961, la pop ouvrit un champ auditif – frais, bruyant et pourtant inconnu – qui déclencha des paniques morales transfrontalières.

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INDEX

Mots-clés: contre-culture / résistance, espaces / lieux publics, scènes, répression / torture, ville / banlieue, subcultures, signes / symboles / signification, bruit / anarchie sonore, sound studies, sens / sensibilités / émotions, pratiques / usages sociaux Subjects: rock music, pop music Geographical index: Berlin, Allemagne / Germany Keywords: counterculture / resistance, public spaces, scenes, repression / torture, city / suburbs, subcultures, signs / symbols / signification, senses / sensibilities / emotions, sound studies, practices / uses (social)

AUTHOR

HEINER STAHL Since October 2009 Heiner Stahl is a post-doctoral researcher in the Department of Communication Studies at the University of Erfurt (Germany). He wrote his PhD on the broadcasting history in West and East Berlin in the 1960s, supervised by Prof. Dr. Thomas Lindenberger and Prof. Dr. Konrad H. Jarausch. Youth Radio Programmes in Cold War Berlin. Berlin as a soundscape of Pop (1962-1973) is published by Landbeck, Berlin. Heiner Stahl is lecturing various subjects in the field of history of media and communication, media theory, comparative literary studies as for example mediascapes, theory of pop culture in literature, sound, silence and noise or the history of media in the GDR. Currently, he is examining the relational space concerning Sound, Noise and Environment in public, political and academic discourses in the 20th century. mail

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Contre-cultures : théorie & scènes

Notes de lecture du dossier Countercultures Book reviews

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Andy Bennett (ed.), Remembering Woodstock

Ian Inglis

RÉFÉRENCE

Farnham & Burlington, Ashgate, coll. « Popular and Folk Music Series »

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1 OF ALL THE EVENTS associated with the counterculture, none is as firmly embedded in common cultural memory as the Woodstock Festival of August 1969. In its perceived ideological trajectory, musical content and visual imagery, it has represented, for more than forty years, the most powerful evidence of the union between rock and politics. Michael Wadleigh’s documentary movie (released in 1970) and Joni Mitchell’s song (and its subsequent hit versions by Matthews Southern Comfort and Crosby, Stills, Nash & Young) have ensured that an intimate awareness of the “three days of peace and music” was never limited to those (variously estimated to be somewhere between 200,000 and 500,000) who actually travelled to Max Yasgur’s farmland in upper New York State. Such has been the impact of the occasion that phrases like “Woodstock generation”, “Woodstock nation” and “the spirit of Woodstock” have become part of the common vocabulary of social commentary.

2 If the event itself was marked by a certain degree of confusion (the problems in reaching the site, the performers who were scheduled to attend, the impact of the weather, the decision to make it a free festival) the past four decades have only added to this uncertainty as claims and counter-claims about its true impact have been repeatedly debated. Was it an authentic demonstration of generational unity that specifically drew on the power of music to offer an alternative to the ethnic, social and political divisions within the United States? Or was it a poorly-planned commercial venture whose significance lies in the symbolic and legendary properties that have been widely – some might say mistakenly – attributed to it?

3 These are the questions addressed in the pages of Remembering Woodstock. Andy Bennett’s introductory chapter asserts that the book’s goal is to “consider how and why Woodstock has achieved such iconic status […] and to unravel the fiction and fact about Woodstock and the popular perceptions that surround it” (xiv). Thus, the nine essays that follow (and the closing interview with Country Joe McDonald) investigate the myth and reality of the festival from a number of perspectives.

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Woodstock poster

4 While certainly not the first, Woodstock was one of the earliest major music festivals of the 1960s. Dave Laing compares the 1969 event – “preceded by the small-scale and idyllic Monterey Pop and followed by the nightmarish Altamont” (5) – with the anniversary events of 1994 and 1999. His assessment illustrates clearly the definitive transition from rural music festival to corporate media event that has characterised the growth of such occasions. Pay-per-view television coverage, inflated ticket prices, and the aggressive presence of merchandising and sponsorship interests were integral components of Woodstock II and Woodstock III: and it may have been the success of the original event itself that encouraged the growing intrusion of business interests and the subsequent industrialisation of the festival circuit.

5 Sheila Whiteley situates one of the defining moments of the festival – Jimi Hendrix’s performance of “The Star Spangled Banner”1 – against the country’s escalating involvement in the Vietnam War. As she makes clear, Hendrix’s own circumstances exemplified many of the racial tensions of the late 1960s. As one of the few black performers to appear at Woodstock (others included Richie Havens and Sly Stone) his presence on stage was a reminder of the marginalisation of black voices; and as a former serviceman (with the 101st Airborne Division), he had personal experience of the difficulties faced by black soldiers. Whiteley convincingly argues that his startling performance of the United States” patriotic anthem was not a spontaneous gesture but a deliberate and unflinching assault against the country’s imperialist and racist structures: “the melody itself is still recognizable, but the sheer volume of noise, the distortion, the blue note bends and swerves, sustain and feedback aurally attack the original… and, as such, the connotations of heroism associated with “The Star Spangled Banner” are undercut by a mood of devastation” (26).

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6 The contrast between Woodstock and Live Aid is tellingly explored by John Street. He points out that there is no one correct interpretation of Woodstock and that it “exists not as a single historical entity, but as a multiplicity of symbols and signs […] signifying many different experiences and ideas and moments” (30). Furthermore, this ambiguity is not without consequence. Although Woodstock’s idealism and communitarianism may have brought together politics and music, it was narrowly-defined, short-lived and utopian. On the other hand, Live Aid made a difference: it raised money, it saved lives. His conclusion is that “arguably, Live Aid has, in fact, had the greater impact on politics and popular music” (41).

7 The chapters by Andy Bennett and Simon Warner consider two of the ways through which information about and images of Woodstock have been generated and circulated. Warner’s examination of contemporary press coverage of the festival reveals that at the time very few journalists wrote about the music. Instead it was “the scale of the crowds, the human catastrophe, the financial calamity” (70) that occupied most of the column inches. In fact, Woodstock’s reputation as “the embodiment of the hippie dream” (55) is more likely to have been created by the later movie. Bennett’s account of Michael Wadleigh’s celebrated film emphasises the inevitable processes of editing and selection that underpin the making of any documentary: split-screen effects, extensive interviews, and footage of (often naked) festivalgoers dancing, eating, playing and swimming present a comprehensive and atmospheric record of the three days. Ironically, however, “in its efforts to portray the event as authentically as possible, the film has become one of the key sources for stereotyping the 1960s” (52) and a powerful vehicle of nostalgia.

8 Two chapters concentrate unequivocally on the music of Woodstock. Dave Allen examines the contemporaneous transition from acoustic to electric performance as exemplified by the two appearances of Country Joe McDonald, and Allan Moore questions the legitimacy of spontaneous musical improvisation within the parameters of the festival’s performative structure. And two further chapters provide historical, comparative and cross-national perspectives on the festival. George McKay suggests that the Beaulieu Jazz Festivals in Britain through the 1950s provided a template for large outdoor events such as Woodstock; and Gerry Bloustien considers Woodstock’s legacy for Adelaide’s annual WOMAD festival. Finally, Country Joe McDonald, whose performance of “I Feel Like I”m Fixin” To Die Rag” was, along with “The Star Spangled Banner” one of Woodstock’s memorable musical moments, reflects on a forty-year career in which he has remained (for better or worse) indelibly linked with a sunny afternoon on Max Yasgur’s farm.

9 1969 was a memorable year in the history of popular music. Elvis Presley returned to the stage, after an eight-year absence, for a four-week season at the International Hotel, Las Vegas. Brian Jones left the Rolling Stones and was found drowned in his swimming pool a few weeks later. Bob Dylan’s appearance at the Isle of Wight Festival was his first live appearance since 1966. The Beatles released Abbey Road and gave their final performance on the roof of the Apple offices in central London. Debut recordings included albums by Led Zeppelin, Blind Faith, Genesis, Santana, Yes, Elton John, and the Jackson 5. Diana Ross announced her departure from the Supremes in order to pursue a solo career. At the Rolling Stones” concert at Altamont, black teenager Meredith Hunter was murdered by Hell’s Angels. While the repercussions of all of these would be felt in different ways for many years to come, Woodstock has remained unique in its

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capacity to represent a period in musical and political history whose meaning may be ambiguous, but whose significance, as Remembering Woodstock confirms, is profound.

NOTES

1. Sheila Whiteley will be publishing another article on Jimi Hendrix in Volume’s second “countercultures” issue.

INDEX

Index géographique : États-Unis / USA Keywords : counterculture / resistance, concert / live / festival, Woodstock / Altamont / Wight, hippies / freaks Mots-clés : Woodstock / Altamont / Wight, contre-culture / résistance, concert / live / festival, hippies / freaks Index chronologique : 1960-1969 Thèmes : rock music, psychedelic / acid rock, folk / folk revival

AUTEURS

IAN INGLIS

Dr. Ian INGLIS est Visiting Fellow à la School of Arts & Social Sciences à l’université de Northumbria. Il a publié de nombreux textes sur l’histoire et les dynamiques des musiques populaires, notamment sur scène, au cinéma et à la télévision. Parmi ses ouvrages récents, on compte Popular Music and Television in Britain (2010) et The Beatles in Hamburg (2012). mail

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Claude Chastagner, Révoltes et utopies. Militantisme et contre-culture dans l’Amérique des années soixante

Michaël Rolland

RÉFÉRENCE

Paris, PUF, CNED

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1 « If you remember the 60’s, you weren’t there. » En choisissant non sans malice de débuter son introduction par cette citation de l’humoriste américain Charlie Fleisher (1982), Claude Chastagner1 invite le lecteur à saisir la complexité de la contre-culture américaine des sixties et à prendre garde aux clichés sur la période. Il rappelle ainsi, à la suite de Terry H. Anderson (1995 : 4), que seule une minorité a pris part à l’activisme politique et contre-culturel de la décennie qui ne peut d’ailleurs pas se résumer au triptyque « sex, drugs and rock’n’roll ». Pour autant c’est bien cette petite minorité agissante, à travers ses révoltes et ses utopies, ses luttes et ses expérimentations, qui est l’objet de cet ouvrage de synthèse destiné aux agrégatifs d’anglais comme à tous les curieux. L’auteur délivre un panorama aussi exhaustif que possible des débats historiographiques sur la contre-culture américaine des années 1960. Pour certains auteurs (Goffman & Joy, 2004) ce terme désignerait tout acte de dissidence remettant en cause les conventions mais pour d’autres il serait aujourd’hui presque exclusivement associé aux États-Unis des années 1960 (Brownstein & Doyle, 2002 :10). Dans tous les cas il s’agit d’un « ensemble de convictions et de valeurs en opposition aux normes, valeurs et pratiques de la culture dominante (…) [qui chercherait à abolir] les contraintes imposées à l’épanouissement de l’individu » (17-18).

2 Le rapport entre contre-culture et militantisme politique s’avère un élément essentiel de l’historiographie de la période et de nombreux historiens ont longtemps opéré une distinction entre les deux mais cette approche a été battue en brèche à compter des années 1990. Cela justifie le choix de l’auteur d’envisager la contre-culture « dans son imbrication avec les combats politiques et sociaux des années 60 » (28). Optant pour un plan chronologique, il s’intéresse au décalage entre les attentes d’une génération post Seconde Guerre mondiale ayant reçue une éducation progressiste et la réalité d’une société américaine anxieuse dans le contexte de la Guerre Froide. Une partie minoritaire mais croissante de la jeunesse des années 1950 s’intéresse à des formes culturelles dont la contre-culture revendiquera peu ou prou l’influence, que ce soit le mouvement des transcendantalistes, la Beat Generation, la culture de masse ou encore les travaux d’intellectuels critiques vis-à-vis de la société de consommation comme Charles W.Mills ou Herbert Marcuse. Il aurait alors été intéressant de pousser l’investigation sur les liens entre la contre-culture américaine et les avant-gardes européennes du xxe siècle et surtout sur la question des transferts culturels – notamment sur les influences réciproques entre les USA et l’Europe.

3 La volonté de « changer le monde » s’exprime par la multiplication et le succès des organisations politiques étudiantes à commencer par le SDS et par des mobilisations de plus en plus radicales contre la guerre du Vietnam, l’armement nucléaire, les inégalités

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de richesse et la ségrégation. Le mouvement des droits civiques joue alors un rôle fondateur et fédérateur dans la politisation d’une nouvelle génération. Les déçus d’un militantisme jugé trop dogmatique et trop intellectuel peuvent rejoindre les adeptes de la bohème « beat ». Pour les hippies la modification du psychisme de chacun est un préalable au renversement des structures sociales et politiques. La contre-culture s’exprime par toutes les formes artistiques possibles du théâtre au cinéma, des arts graphiques à la musique et elle s’appuie sur une presse underground chargée de dévoiler ce qui est tu par la presse mainstream. La fin des années 1960 est marquée par une montée du radicalisme corollaire d’un discours plus ferme de l’État (Nixon est élu en 1968, réélu en 1972) et de « l’essoufflement d’un mouvement que les arrêts des combats au Viêt Nam prive de sa finalité principale » (121). À la fin de la décennie les luttes féministes et LGTB (lesbiennes, gays, bi et transgenres) « perpétuent les révoltes et les utopies, la dissidence et l’insurrection, et incarnent ce projet singulier des années soixante, l’entrelacement des valeurs de la contre-culture et du militantisme » (142).

4 Claude Chastagner conclut cette traversée des sixties sur la question de l’héritage en rappelant que la critique conservatrice l’affuble de tous les maux (échec scolaire, violence, racisme, crise de la famille traditionnelle) et que le discours de gauche est souvent teinté de déception quant aux avancées de la période. L’auteur exprime ici à juste titre son désaccord en soulignant le bilan positif de la décennie avec notamment la modification des rapports à la technologie, à l’environnement, au corps et la reconnaissance des différentes formes de différences.

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NOTES

1. Claude Chastagner est professeur de civilisation américaine à l’Université de Montpellier et spécialiste des musiques populaires anglo-américaines.

Volume !, 9 : 1 | 2012 299

INDEX

Index géographique : États-Unis / USA Keywords : counterculture / resistance, left / far left Mots-clés : contre-culture / résistance, gauche (extrême-) Index chronologique : 1960-1969 Thèmes : rock music

AUTEURS

MICHAËL ROLLAND Agrégé d’histoire et doctorant Michaël Rolland co-dirige un séminaire de recherche interdisciplinaire sur les contre-cultures à l’Université Nancy II (2010-2013). Il a publié plusieurs articles sur la contre-culture en France en s’intéressant notamment à la musique, à la bande- dessinée ou encore à la presse parallèle. mail

Volume !, 9 : 1 | 2012 300

Barbara Lebrun, Protest Music in France. Production, Identity and Audiences

Elsa Grassy

RÉFÉRENCE

Farnham & Burlington, Ashgate, coll. « Popular and Folk Music Series »

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1 EN 2006, ASHGATE avait déjà publié The Resisting Muse: Popular Music and Social Protest1, un ouvrage sous la direction de Ian Peddie qui se donnait pour but de défricher le champ de recherche que sont les musiques contestataires. En 2009, l’éditeur offre un deuxième panneau, plus spécifique, à ce qui pourrait constituer un diptyque sur le sujet : Protest Music in France. Production, Identity and Audiences de Barbara Lebrun.

2 Le contexte géographique choisi permet de mettre en valeur une première difficulté du sujet. Ce qui en anglais se formule « protest music » ou « protest song » se traduit habituellement en français par « chanson engagée ». Or « chanson » renvoie à un genre particulier de musique française (sinon LE genre musical français par excellence), et par opposition au plus anecdotique « protest » en anglais, l’adjectif « engagé » suggère que notre langue, notre culture ne conçoivent pas la contestation musicale comme une rébellion ponctuelle : elle doit être l’expression d’une prise de position durable, personnelle – d’une conscience politique.

3 Les problématiques soulevées par la musique contestataire se retrouvent magnifiées par le contexte français, et on sait gré à Barbara Lebrun de s’être attaquée à cet écheveau idéologique de sens, de valeurs et de sous-entendus dans Protest Music in France. Professeur de civilisation française (culture et politique) à l’Université de Manchester, elle s’était déjà frottée au thème de l’authenticité et à la dialectique contestation/commercialisation à l’occasion d’articles sur la chanson française, le succès de Zebda (Lebrun, 2002), les majors et les labels indépendants ou sur la place de l’engagement (aussi bien politique qu’humanitaire) dans les musiques populaires françaises (Lebrun & Franc, 2003). Avec Protest Music in France, elle s’attaque de front à la possibilité, en France, de conjuguer conscience politique et succès. Alors que de bonnes ventes, comme elle le souligne, sont le signe que la contestation a trouvé son public, elles représentent potentiellement une menace pour la crédibilité des auteurs (« Good sales, fame and recognition are thus at once the signs of the existence of ‘protest’ but also of its imminent negation. » : 33).

4 L’ouvrage, rédigé en anglais, part d’un historique de l’association fondamentale entre chanson et engagement en France pour mener une analyse de la dialectique contestation/commercialisation. Ce faisant, il évite les poncifs de la question en se livrant à des études de cas précises et en s’attaquant au cœur du problème : la réception. L’authenticité de la contestation – que le lecteur évoluant dans un monde postmoderne a cessé de chercher dans les faits – n’est une question pertinente que parce qu’elle continue de jouer un rôle dans la construction des identités. La dernière partie porte ainsi sur le public des festivals où se produisent les artistes « engagés » et sur la façon dont les festivaliers se déterminent idéologiquement par rapport à la musique qu’ils écoutent. Lebrun a par ailleurs fouillé le discours idéologique qui

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encense, ou éreinte, les artistes français selon l’authenticité que l’on veut bien leur accorder. À la lecture de la bibliographie on prend la mesure du corpus d’articles sur lequel s’appuie l’analyse, et où Les Inrockuptibles, Rock & Folk et Chorus, côtoient Le Nouvel Observateur, Charlie Hebdo, Libération, L’Express et Le Point.

5 Ce qui fait la valeur de cette étude – foisonnante – c’est, en plus de sa rigueur, l’attention portée aux particularités du contexte français. On reconnaît là – on apprécie, surtout – la déformation professionnelle de l’universitaire, rompue à reconnaître l’influence des facteurs économiques et politiques sur la vie culturelle. Le premier chapitre est, à cet égard, éclairant. Lebrun s’y emploie à poser le cadre de son étude en expliquant ce qui fait la particularité de l’industrie musicale française et ce qui, dans son histoire, la prédispose, ou non, à porter un discours contestataire. Elle identifie les années 1980 comme le lieu d’un changement de paradigme. Il s’y crée une polarisation dans le discours entre d’une part les majors, entreprises multinationales orientées par le profit, et d’autre part les labels indépendants et le rock alternatif, garants d’une authenticité artistique et politique française. Cela est à mettre en rapport avec à les changements intervenant au début de la décennie, notamment le rachat des dernières maisons de disque françaises d’ampleur par les majors, la popularité croissante du Top 50, et la générosité des politiques culturelles mises en œuvre par le nouveau gouvernement de gauche. C’est forte de cette généalogie que Barbara Lebrun aborde l’analyse de l’opposition de l’alternatif au mainstream dans la musique française, et des valeurs et des idéologies qui se cachent sous ces termes.

6 La définition de « protest » retenue ici est très large : il s’agit davantage de musique anti-mainstream ou d’anti-variété que de musique engagée politiquement, et son discours de résistance (contre la mode ou le prêt-à-penser) est loin du manifeste politique. Cependant, Lebrun est convaincante lorsqu’elle met en lumière le caractère politique de la nostalgie (dans la chanson néo-réaliste) et du métissage (dans le rock). L’analyse est servie par un questionnement sur les contradictions internes de ces courants héritiers du rock alternatif. Lebrun interroge par exemple la véritable « popularité » (au sens démocratique du terme) de la chanson néo-réaliste, qui, par ses références littéraires exigeantes, n’est pas décryptable par tous (63). Cependant, on pourrait regretter qu’au sujet des musiques métisses la question de l’identité régionale ne soit pas davantage étudiée, tant un accent ou l’utilisation d’une langue régionale (le breton ou l’occitan, par exemple) ont pu représenter un véritable acte politique, aujourd’hui comme hier.

7 En ces temps d’élections présidentielles, cet ouvrage permet de s’interroger sur la rigidité de l’opposition entre variété et engagement politique. Yannick Noah, parce qu’il chante aux meetings du Parti Socialiste, peut-il encore être considéré comme un artiste de variété, comme c’est le cas à la FNAC ? Si c’est le cas, est-ce parce que le Parti Socialiste est considéré comme l’establishment et qu’on est bien loin de ce qu’il représentait dans les années 1980 ? Ou est-ce parce que Noah s’est fait connaître par « Saga Africa », diffusé à l’époque en boucle sur TF1, chaîne de la variété de droite (128) ? L’étude de Lebrun met ainsi en évidence la circularité des étiquettes et le fait que, dans les classifications musicales, les éléments véritablement « musicaux » (sons, rythmes, instrumentation) passent après les déterminations politiques et sociales. Ce qui ne représente qu’une des nombreuses pistes de réflexion de cet ouvrage riche et rigoureux dont on ne peut que recommander la lecture.

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BIBLIOGRAPHIE

LEBRUN Barbara (2002), « A Case Study of Zebda : Republicanism, Métissage and Authenticity in Contemporary France », Volume ! La revue des musiques populaires, n° 1-2, Éditions Mélanie Seteun.

LEBRUN Barbara & FRANC Catherine (ed.) (2003), « French Popular Music », Volume ! La revue des musiques populaires, n° 2-2, Éditions Mélanie Seteun.

PEDDIE Ian (ed.) (2006), The Resisting Muse: Popular Music and Social Protest, Aldershot, Ashgate.

NOTES

1. Cf. la recension de cet ouvrage par Dave Laing qui sera proposée dans le second volet de « Contre-Cultures », Volume !, n° 9-2 [Nde].

INDEX

Index géographique : France Thèmes : chanson française / French chanson, chants de lutte / protest songs, rock music Mots-clés : politique / militantisme Keywords : politics / militancy

AUTEURS

ELSA GRASSY

Elsa GRASSY enseigne à l’Université de Strasbourg, où elle est maître de conférences civilisation américaine. Elle est l’auteur d’une thèse sur l’identification géographique des courants musicaux américains. mail

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Ian Peddie (ed.), Popular Music and Human Rights I & II

Hazel Marsh

REFERENCES

Ian Peddie (ed.), Popular Music and Human Rights, vol. I: British and American Music; vol. II: World Music, Farnham & Burlington, Ashgate, coll. “Popular and Folk Music Series”, 206 & 200 p.

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1 THESE TWO VOLUMES, which bring together contributions from a number of disciplines, are based on the premise, Ian Peddie states in his introduction to volume I, that human rights and popular music “possess a mutual affinity worthy of sustained investigation” (1). Peddie argues for the “contemporary relevance of human rights”, and decries their “absence” in studies of popular music (1). These volumes approach popular music, which Peddie refers to as “one of the few avenues of public expression” in many parts of the world, and “a vital means through which ideas are disseminated and opposition organized”, as an important vehicle for addressing “many of the most important aspects of human rights” (1).

2 There is no doubt that links between popular music and human rights are worthy of investigation. It might be pointed out, however, that rather than being “absent” from studies of popular music, as Peddie claims, links between popular music and resistance to domination and social and political activism – issues which can arguably be seen to address human rights – have been the subject of a number of studies (See for example Averill: 1997, Fairley: 1984, 2000, Fernandes: 2006, Morris: 1986, Pring-Mill: 1987). Nevertheless, the studies contained in these two volumes approach popular music and human rights in innovative and thought-provoking ways, covering a wide range of genres, locations and issues from race and indigenous rights to gender and sexual violence, from punk to the impact of benefit albums and concerts, from the uses of heavy metal in Nepal to the influence of Chilean nueva canción on singer/songwriters in the United States of America. These studies broaden the scope of investigation into the ways that popular music intersects with activism and struggles to assert human rights around the world.

3 Volume I is concerned with “British and American Music”. (It would be more accurate to say that it focuses on music in Britain and the United States, since – with the exception of Scales’ chapter on Native Americans, which includes a discussion of Canada – none of the chapters deals with any other country in the Americas). In his interesting chapter on Billy Bragg and the British folk tradition, Kieran Cashell points out that Bragg is all too frequently seen as continuing in the footsteps of Guthrie and Dylan. Cashell argues convincingly, however, that Bragg tapped into the British folk tradition and succeeded in wresting it from the “powers of conformity”, thus radicalising it and opening new spheres for musical activism. Kevin C. Dunn’s well- written chapter deals with punk, showing how punk’s “anti-status quo disposition”, its “do-it-yourself ethos” and its “desire for disalienation” provide individuals, groups and communities with “resources through which they can articulate and actualize a localized understanding of human rights” (27). In chapter three, Deborah Finding deals with Tori Amos and how her music and her status as an artist create a space for victims of sexual violence (“arguably the most pervasive human rights violation of our time”, 39) to deal with their trauma. John Hutnyk takes an innovative look at the erosion of civil liberties in the context of global terror wars, examining how “difficult” music

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(that of Fun-da-Mental and Asian Dub Foundation) may function to create new spaces within which to contest state infringements on human rights in the UK.

4 In chapter five, Stephen A. King focuses on the late blues artist Willie King and the ways in which his political narratives intersect with the public memory of racism and oppression in rural Alabama. The film musical Hedwig and the Angry Inch (2001) is the subject of Stefan Mattessich’s theoretically informed examination of cultural politics in the United States of America over the last fifty years. Through the transgendered protagonist Hedwig, argues Mattessich, issues around the malleability of identity and the ways in which authority might be contested are explored. In their comprehensive chapters, Neil Nehring and Sam O’Connell deal with the political benefit rock album and with benefit concerts respectively. Nehring provides a survey of benefit albums and questions the extent to which they raise consciousness amongst audiences, while O’Connell examines how benefit concerts can act as “a way to model the appropriate social response” (113) to catastrophes such as9/11 and Hurricane Katrina in the United States.

5 Ian Peddie’s study focuses on the late Gil Scott-Heron and his ‘refusal to accept a world, a society, based on superiority and subordination’ (126). Scott-Heron’s music, argues Peddie, was informed by post-war struggles for independence in Asia and Africa and as such it ‘serves as a bridge between narratives of rights, civil and human’ (126). In chapter ten, Christopher A. Scales examines Red Power activism, Native American resistance and the music of XIT. David Thurmaier in his chapter offers a comparative study of Bruce Springsteen’s and F.D. Roosevelt’s positions on human rights, while in the concluding chapter to this volume Sheila Whiteley examines how the music of Joni Mitchell, Jamelia and Tracy Chapman deals with issues of women’s rights.

6 Volume II deals with “World Music”. In his introduction to this volume, Peddie affirms that “the right to imagine an individual will, the right to some form of self- determination, and the right to self-legislation” have “long been at the forefront of popular music’s approach to human rights” (2). The studies within this volume examine how popular music can be used to confront issues of domination and oppression globally. William Anselmi’s chapter explores “canzone d’autore” in the1970s in Italy, and how the alternative music scene provided a space for ‘criticism of a society embedded in the tensions of modernity’ (14), while in his study of indigenous struggles for justice in contemporary Australia, Aaron Corn examines how a new generation of popular indigenous musicians incorporates elements drawn from traditional repertoires to express their struggle for sovereignty over their homelands.

7 In a fascinating study of Nepal’s heavy metal scene, PaulD. Greene shows how this “highly emotional” music functioned as a means for urban middle class Nepalese youth to deal with the turbulent circumstances of their lives during the period of civil war in the early2000s. Angela Impey examines songs as “memory markers” in South Africa, focusing in her perceptive study not on the more familiar toyi-toyi anti-apartheid rhythm but on “music at the margins”, or the songs that women remember singing during the apartheid era and which functioned to circulate a “shared critique of domination” (51). In chapter five, Mark LeVine (66) points out that heavy metal is “excluded” from definitions of what constitutes “world music”. In his study, LeVine offers an intriguing insight into the ways that a music about death “affirms life” for young audiences seeking to make sense of their reality in the Middle East and North Africa.

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8 Chapters six and seven deal with folk music in regions of the former Soviet Union. Valdis Muktupavels focuses on the neo-folklore movement of occupied Latvia in the 1980s, while Rajko Muršic examines popular music and human rights in the context of the dissolution of Yugoslavia. John M. Schechter offers an analysis of the work and the wider legacy of the Chilean (not Colombian, as Peddie writes in his introduction on p.4) singer/songwriter Víctor Jara, who was murdered for political reasons in the1973 coup against the elected socialist government of Salvador Allende. In chapter nine, Gerry Smyth examines how Nigel Rolfe and Christy Moore’s song “Middle of the Island”, and its performance with Sinéad O’Connor providing backing vocals on the1989 album Voyage, act as a denunciation of the ways that dominant institutions in Ireland seek to assert control over the female body. Andreas Steen focuses on rock music in China and how it “has been embraced as a means of individual self-expression, but seems to lose itself between commercialization and self-censorship, complacency and self- sufficiency” (146). In the final chapter, SergeiI. Zhuk examines the influence of Western rock on Soviet Ukraine.

9 What is lacking from these volumes is perhaps an engagement with the limitations of a universal interpretation of the concept of human rights. In his introduction to Volume I, Peddie quotes UN Secretary-General Kofi Annan’s conviction, expressed in 2006, that a “lack of respect for human rights and human dignity is the fundamental reason why the peace of the world today is so precarious, and why prosperity is so unequally shared”. However, Peddie does not define what he understands human rights to be (1). In his introduction to Volume II, he refers to the1948 Universal Declaration of Human Rights (UDHR) as being underpinned by ‘universally accepted norms of behaviour’ (2) but, as non-Western scholars such as Henriquez (1999: 107) have pointed out, there was little to no input from non-Western countries in the formulation of the1948 UDHR. The Declaration thus reflects the specific social, cultural and ethical bias of Western capitalist powers and, it can be argued, the rights it promotes cannot therefore be seen as “universal” in any meaningful sense of the word. Stephen A. King, in his chapter on blues artist Willie King, raises these difficult issues by pointing out that “scholars acknowledge the difficulty in developing a consensus on how to define ‘human rights’”, and he refers to a range of phenomena (the right to life, freedom of expression and movement, protection from persecution and forced occupation, freedom to form associations and be granted some form of representation) with which the term has been associated over the years (Volume I, 68).

10 However, on the whole the editor and contributors appear to accept the idea that human rights are universal. The volumes hence avoid the uncomfortable questions raised by a society like Cuba, where the fundamental assumptions that underpin human rights discourses in capitalist countries (individual liberty, privacy, free speech, and free choice) are rejected in favour of discourses which privilege a more holistic and socially-minded interpretation of human interaction. In spite of these shortcomings, the studies in these volumes will be of interest to any scholar interested in issues of popular music and the ways it can be used by groups to press for what they perceive to be their rights.

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BIBLIOGRAPHY

AVERILL G. (1997), A Day for the Hunter, A Day for the Prey: Popular Music and Power in Haiti, University of Chicago Press.

FAIRLEY J. (1984). “La Nueva Canción Latinoamericana”, Bulletin of Latin American Research, vol.3, part2, 107-115.

FAIRLEY J. (2000), “An Uncompromising Song”, in Broughton S. & Ellington M. (eds.), World Music: The Rough Guide, vol. 2, Londres, Rough Guides.

FERNANDES S. (2006), Cuba Represent! Cuban Arts, State Power and the Making of New Revolutionary Cultures, Duke University Press

AZCUY HENRIQUEZ Hugo (1999), Human Rights: An Approach to a Political Issue, La Havane, Editorial Jose Marti.

MORRIS N. (1986), “Canto porque es necesario cantar: The New Song Movement in Chile, 1973-1983”, Latin American Research Review, vol. XXI, n° 1, 117-136.

PRING-MILL R. (1987), “The roles of revolutionary song – a Nicaraguan assessment”, Popular Music, vol. 6, n° 2, mai, 179-189.

INDEX

Mots-clés: droits de l'homme, politique / militantisme Keywords: human rights, politics / militancy

AUTHORS

HAZEL MARSH

Hazel Marsh est Lecturer en espagnol à l’Université d’East Anglia. Elle a étudié la civilisation latino-américaine, et travaille sur les rapports entre musiques populaires et politique.

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Keith Negus, Bob Dylan

Richard Elliott

REFERENCES

Londres, Equinox

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1 WHEN, DURING A PERFORMANCE IN 1964, Bob Dylan was recorded referring to a “Bob Dylan mask”, he provided a perfect soundbite for later critics keen to highlight the artist’s seemingly deliberate manipulation of his audience’s expectations. Keith Negus’s short, lucid analysis of Dylan as popular music icon opens with a discussion of the mask quip, the importance granted to it by previous Dylan commentators and the usefulness of biographical information in explaining the work of public figures. To begin with, Negus neatly sidesteps the relationship between text and context by focussing on “the experiences and surroundings that allowed [Dylan] to pursue a musician’s life and create himself as Bob Dylan the performer and songwriter” (8). A number of these experiences will be familiar to the well-versed Dylan fan, though Negus’s focus on the sonic elements of Dylan’s surroundings makes for a refreshing change. Drawing on Schafer’s notion of the “soundmark”, Negus notes how certain aspects of the Minnesota landscape and soundscape imprinted themselves in Dylan’s imagination and shaped the sounds in his head.

2 Having noted some of the important ways in which Dylan became a musician, Negus devotes a section of his first chapter to how Dylan became a recording artist. He usefully highlights the under-represented importance of music industry individuals in promoting Dylan’s career. The common dismissal of the industry as a faceless corporate monolith is, Negus argues, both inaccurate and unhelpful in determining how artists come to make the decisions they make. In Dylan’s case, the creative role played by figures such as New York Times critic Robert Shelton, Columbia executive John Hammond and Dylan’s manager Albert Grossman should not be underestimated. Such personal relationships may also account for why artists stay with certain recording and management companies; Dylan has been with Columbia since the release of his first album, only briefly deserting the label in the early 1970s.

3 Like other writers (Williams, 1990; Marshall, 2007), Negus is keen to portray Dylan as a performing artist first and foremost. Chapter 2, structured according to a mostly chronological account of Dylan’s career, supplements many of the recorded works mentioned with accounts of how Dylan subsequently adapted his material. It’s an interesting, if occasionally distracting, strategy for promoting Dylan as reconfigurer of extensive bodies of work – his own and those that have inspired him. It also calls to mind Theodor Gracyk’s (1996) critique of Paul Williams, namely that the emphasis placed by Williams on Dylan’s live performances was only possible due to there being available recordings of the concerts. Such recordings still exist but access to them has been curtailed to a greater extent than Negus might have imagined when preparing his text (for example, via the removal of material from the YouTube and Spotify websites

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and the tight control maintained over the sound samples on the artist’s official website). Taking their place has been an ever-expanding set of official “Bootleg Series” albums which show Sony/Columbia to be very adept at capitalizing on Dylan’s performative fluidity.

4 That said, Negus’s “Chronologies” chapter helps to strengthen one of the main aims of his book, to treat Dylan’s work to a more complete musicological consideration than it usually receives. This is ably continued in the chapter on “Traditions”, which explores Dylan’s indebtedness to a variety of American vernacular styles and processes. Again, the emphasis on process rather than product seems appropriate for a subject who has insisted on becoming rather than being an artist. Yet it also misses the meanings that Dylan has had for certain constituencies who, for whatever reasons, needed to fix him to a particular style, genre, social movement or historical moment. Faith in something believable must occasionally triumph over the ambiguity of the mask and perhaps we Dylanologists need to face up to the fact that we do want to fix this intriguing man, even as we are drawn to his nomadic qualities.

5 By chapters 4 and 5, on lyrics and music respectively, it is clear that Negus wishes to rescue Dylan from writers and listeners who he believes have fixed particular meanings to him, his work or both. Negus is clearly annoyed with many efforts to decipher Dylan’s lyrics, especially those that have approached lyrical analysis through the lens of literary criticism and those that have attempted to connect Dylan’s lyrics to his life or to a range of supposed influences in world literature. From the “lit crit” school, Negus singles out Christopher Ricks’s “imaginative poetics”, Michael Gray’s vexations about sloppy language usage and Andrew Muir’s “moralizing censure” of Dylan’s work (99-104). While it is questionable whether these interpreters offer as fixed and fixing an account of Dylan as asserted by his critique, Negus makes a number of valid points about the problems of dealing with song lyrics as written words rather than musicalized and vocalized utterances. There are myriad ways in which words can have their meanings changed when sung, moaned, stretched and broken beyond written and spoken conventions, something Dylan has been notably aware of throughout his singing career. As Negus notes, “The lyric may lead the voice, but the voice can lead the lyric astray” (123).

6 The emphasis on the sonic dimensions of Dylan’s song texts continues into the final chapter, where Negus challenges previously published opinions about the simplicity and even non-musicality of Dylan’s work. He does this via an interesting discussion of the role played by various melodic intervals – particularly the minor third – in popular music texts and by focussing on the rhythmic aspects of melody. He is able to show, with support from various comments made by Dylan during his career, that there is a constant desire on Dylan’s part to explore the musical potential of his work, to reinvigorate melodic patterns and find new ways to connect his music to his audience.

7 All in all, Negus’s book is a valuable addition to Dylanology, to Equinox’s ongoing “Icons of Popular Music” series and to popular music studies more generally. It packs a lot into a short text without sacrificing clarity or critical bite. In many ways, it provides a model for a serious yet outward-facing scholarly study of a popular musician.

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BIBLIOGRAPHY

GRACYK T. (1996), Rhythm and Noise : An Aesthetics of Rock, Londres & New York, I.B. Tauris.

MARSHALL L. (2007), Bob Dylan : The Never Ending Star, Cambridge, Polity Press.

WILLIAMS P. (1990), Bob Dylan, Performing Artist : 1960-1973, Londres, Xanadu.

INDEX

Geographical index: États-Unis / USA Subjects: folk / folk revival nomsmotscles Dylan (Bob)

AUTHORS

RICHARD ELLIOTT Richard Elliott a étudié la culture américaine et les musiques populaires, notamment dans son travail de thèse, sous la direction de Richard Middleton et Ian Biddle à l’Université de Newcastle. Il est membre de l’International Association for the Study of Popular Music (IASPM), et est chroniqueur pour les sites PopMatters et Tiny Mix Tapes. mail

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Russell Reising (ed.), “Speak to Me”: The Legacy of Pink Floyd’s. The Dark Side of the Moon

Patrick Burke

RÉFÉRENCE

Farnham & Burlington, Ashgate, coll. « Popular and Folk Music Series »

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1 BY DEDICATING THEIR BOOK “TO PINK FLOYD / For bringing such stimulation and immense joy to our lives”, the authors of Speak to Me acknowledge up front that they make no pretense of scholarly detachment. In the same spirit of full disclosure, I hereby attest that a) at present, I find The Dark Side of the Moon (hereafter DSOTM) turgid and pompous, the unfortunate beginning of Pink Floyd’s most overwrought and self-important period; and b) there was a time when I listened to the album over and over again and found its somber messages profound and alluring. In Speak to Me, I found my current feelings validated by an unlikely source: Clare Torry, whose impassioned, wordless singing dominates DSOTM’s “The Great Gig in the Sky.” In an interview with Sheila Whiteley, Torry recalls that when the band first described to her the album’s themes—“birth, living and all its bibs and bobs and aggros, and death”—“I have to be honest, I thought it was rather a lot of pretentious rubbish” (150).

2 Of course, DSOTM is eminently worthy of scholarly study regardless of either my aversion or the authors’ veneration. As editor Russell Reising points out in his introduction, DSOTM regularly figures on rock critics’ best-albums-of-all-time lists, continues to sell “hundreds of thousands of copies per year”, and maintains a fanatical following who are moved to post meticulous song-by-song commentaries on the internet (5-9). Speak to Me’s international group of contributors respond to DSOTM’s unquestionable cultural importance from multiple angles in a well-organized book divided into four sections: “general discussions”, “musical and structural discussions”, “theoretical discussions”, and “the influence of The Dark Side of the Moon.” Under these broad headings, the book encompasses fifteen essays (and a useful annotated bibliography) dealing with everything from the album’s harmonic complexities to its relationship to the ethical philosophy of Emmanuel Levinas to the urban myth claiming that DSOTM was secretly intended as a soundtrack to The Wizard of Oz. Such wide- ranging analysis seems appropriate for an album that has meant so many different things to so many people.

3 At times, the contributors’ love of DSOTM leads them to write in enthusiastic superlatives. In his foreword, radio producer Craig Bailey calls the album “the meaning of life. On a half-shell” (xiv). Reising proclaims grandly that the female singers in a 1994 concert film of DSOTM “hold the keys to the infinite reaches of the cosmos as well as to the fluid fields and tidal forces out of which human life emerged” (22). More prosaically, various contributors refer to DSOTM as “a tapestry that the Beatles approached but never quite equaled, at least at the level of coherence” (211), “one of, if not the, greatest accomplishments in popular music” (10), a “masterpiece” (11), and “a

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late 20th-century masterwork” (87). I found myself asking what audience the authors intended to address with such remarks. Presumably, readers who pick up the book because they’re already enamored with DSOTM don’t require repeated reinforcement of their devotion. The authors’ canonizing language suggests, rather, a defense of DSOTM’s importance directed at academic music scholars, who often remain unduly biased toward the Western “classical” tradition and its “masterworks”. But do we really want to reinscribe the worship of a canon into popular music studies? Rather than shout “look—we have masterpieces too!” in reaction to the uncaring judgment of “serious” musicology, might we seize the opportunity to reinvent the ways in which we think about mastery, accomplishment, and even “works” themselves? This is not to say that the book’s contributors fail to make sophisticated use of tools designed for the study of European concert music. Music theorist Shaugn O’Donnell, for example, provides a thorough Schenkerian analysis demonstrating that “a tonal and motivic coherence unifies the musical structure of this modern song cycle” (87). Although I wonder whether a search for “coherence” is the most productive approach to an album that, as fellow contributor Peter Mills demonstrates, highlights “social chaos” and “central dichotomies of madness and creativity, disorder and clarity”, O’Donnell’s careful investigation provides a useful guide to close listening for DSOTM (163, 166).

4 The best essays in Speak to Me are those that simply assume, rather than assert, the worth of DSOTM and focus unapologetically on the album’s cultural significance. Perhaps my favorite is Matthew Bannister’s nuanced and well-written “Dark side of the men: Pink Floyd, classic rock and white masculinities”, which argues that Floyd rejected a macho, “cock rock” stage presence only to invoke a more elitist notion of masculinity based in “rationalization, industrialization and technological knowledge” (44, 49). Kimi Kärki provides a similarly subtle evaluation of the band’s famously elaborate stage shows, which he argues represent “a paradoxical vision of Pink Floyd as both critics of modern culture, and commercially led spectacle” (28). Peter Mills, in an essay on Floyd’s “self-mythologization”, makes the related point that while “much has been made of [Roger] Waters’s fierce and iconoclastic rejection of the star system… we need also to remind ourselves that he was responsible for arguably the most radical, biggest production-value stage show in rock history” (160, 167). Nicola Spelman places DSOTM’s dark visions of the human psyche in historical context with a detailed discussion of the anti-psychiatry movement of the 1960s-70s, which asked whether “madness could possibly constitute a heightened state of awareness” (124). Each of these essays takes a refreshingly evenhanded approach to shed new light on DSOTM as a cultural phenomenon.

5 Even with its occasional moments of uncritical adulation, this is a thought-provoking collection of essays that provides a welcome example of interdisciplinary conversation on popular music. It will certainly encourage readers, regardless of their opinion of the album, to think in new ways about The Dark Side of the Moon and to give it yet another listen.

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INDEX

Thèmes : psychedelic / acid rock nomsmotscles Pink Floyd

AUTEURS

PATRICK BURKE

Patrick Burke est Associate professor de musique à l’Université de Washington à St. Louis. Il est spécialiste de l’histoire du rock dans les années 1960 et a publié Come In and Hear the Truth: Jazz and Race on 52nd Street (University of Chicago Press, 2008) et travaille actuellement sur un nouvel ouvrage consacré aux rapports entre rock, race et les bouleversements politiques des années 1960. mail

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Kevin Fellezs, Birds of Fire : Jazz, Rock, Funk and the Creation of Fusion

Peter Mills

REFERENCES

Durham, Duke University Press

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1 IS THERE A MUSICAL FIELD AS MALIGNED, scorned or critically underwritten as jazz- rock or “fusion”? I don’t say “genre” because as Kevin Fellezs frequently observes in this eye-opening volume most of the music that falls into these categories does so by deliberately, perhaps even defiantly, avoiding the generic form. Indeed he sees the featured musicians of this study as being amongst those who struck a blow against the generic by refusing to allow their music to settle into a genre, even when discussing fusion itself – in fact especially then, as he talks about the “not-quite-genre” of fusion. He takes this unwillingness to coalesce into a single recognisable musical vocabulary as a sign of rude creative health and in the book overall makes a sound case for doing so.

2 The book falls into two distinct parts; the first three chapters explore the roots of the cultural practice which came to be called “fusion” or “jazz-rock”. Clearly the former term is more fluid in its sensibilities and meanings, able to accommodate many musical tributaries in a shared flow – so we hear of country bands mixing with r’n’b, and how pop and soul came together to make the fat rich sounds of bands like Blood Sweat and Tears, how Stan Getz matched Joao Gilberto’s Bossa Nova rhythms to his own lean jazz stylings and so on. Thus the book’s frame of reference is wider than one might expect from the basic premise.

3 This especially informs latter sections which encompasses four “case studies” of acts whose arc of creativity harmonises with both the musical field of “fusion” as widely understood but also demonstrate an unwillingness to be categorised at all. They are Tony Wiliams, Herbie Hancock, John McLaughlin – so far so Mahavishnu – but then a curveball, in the shape of a chapter on Joni Mitchell’s late 1970s work. These names crop up throughout the book too, as do a host of others from a crowd of apparently distinct genres.

4 The very nature of genre is something which exercises Fellezs, and he spends the first chapter considering where our assumptions about what sounds belong where, and to whom. This is done initially by reiterating the received wisdoms of cultural studies surrounding genre, and it does this well, but the real action starts when he applies these ideas to the realities he has discerned in the work of Hancock and unexpected presences like Gary Burton and Asleep At The Wheel. The picture is built further via an impeccable cultural-musical history of how jazz, blues, soul and funk and rock both did and did not “fuse” in order to create the multiple musical hybrids that he is pursuing. Such a wide range challenges our notion of the idea of “fusion” as a term we can use to identify a limited musical field and this trip, which also draws in Brazilian and Puerto Rican musics, is a bracing one. He also charts the awkwardness at the heart of fusion’s creativity by examining what he calls “fusion’s discontents” and how struggles between

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these pioneers and the keepers of “real jazz” were frequently creatively, and sometimes personally, at odds over musical style, performance issues and matters as basic as the volume at which the music was designed to be played and heard.

5 This issue of loudness and structure may seem esoteric but come to life in his case study of Tony Williams’ Lifetime, whose 1969 debut album Emergency! I can recall seeing nestling in the record collections of friends’ older brothers and second hand racks in the mid-1970s, when I first began taking notice of such things. Williams, a drummer with years of impeccable jazz credentials on his CV, was given much grief from the jazz community for his stated love of The Beatles, Cream and Jimi Hendrix and brought some of those dynamics to his playing and the band’s sound. This made Lifetime popular with rock fans but less so with the jazz community and the story is an intriguing and under-explored one in its specifics but serves Fellezs’ central thesis well.

6 The case study of John McLaughlin – a prodigiously talented play-anything session guitar-for-hire on the UK music scene in the 1960s – further illustrates the spurious nature of the notion of genre. With the fiery zeal of the recent convert, McLaughlin’s complete immersion into the spiritual consequences of approaching music in this way led to some landmark recordings with the Mahavishnu Orchestra. Yet ironically the story of that band, related well here, is not at all unlike that of “conventional” rock bands from the Beatles to Spinal Tap; they fell apart very quickly amidst ego-driven grievances. Most remarkable however was the great commercial success they had in the brief time they were recording, wholly unforeseeable for such apparently uncommercial and even unmarketable music.

7 I sense that Fellezs’ central interest is the work of Herbie Hancock and it does indeed provide an ideal subject, beginning in the mid-1960s, drawing in his jazz-funk period of the 1970s, notably 1973’s Headhunters, and the issue of the uncredited Pygmy music Hancock “borrowed” for that album and then the wider issue of Hancock’s musical profligacy and variety, culminating in his massive and still-startling sounding electro pop hits of the 1980s such as “Rockit”. Fellezs has not interviewed Hancock but makes very good use of archival materials to build up a conversational as well as a musical picture of what Hancock’s ideas and intentions were.

8 Perhaps the least expected presence here is that of Joni Mitchell – she is rarely thought of as a fusion artist but after reading Fellezs you’ll wonder why. Focussing on three albums Hejira, Mingus and Don Juan’s Reckless daughter it is interesting to see how the recordings were sniffed at by both the rock press, who wished she would go back to the confessional singer-songwriter mode she became famous for, and the jazz community which asked what this white Canadian folkie thought she was doing messing round with jazz musicians to make rock records. This, perhaps more clearly than any other example he chooses, illustrates Fellezs’s theory of fusion being a trouble-making field akin to the “broken middle”, where creativity happens in the spaces between genre.

9 Hovering over much of this volume, but never really examined straight on, is of course Miles Davis. A one-man genre unto himself, his work both defines and transcends the notion of jazz-rock or fusion or the idea of genre in itself. Davis’s work and career has been well documented many times so one can understand why he is something of a ghost at the banquet here – involved in almost every story that is told but never the main focus.

10 The closing section draws together examples of fusion in the present day (including Hancock’s recordings of Mitchell tunes, neatly linking two of his subjects) and what the

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term might mean in the digital age. One might wish for more on the current state of play having read a few paragraphs on the topic, but this is a rich read already. The tone is scholarly, certainly, but also welcomes in the non-expert. Like all the best writing about music, Fellezs book makes you want to seek out the recordings he writes about I went out and bought the Mahavishnu Orchestra’s Birds of Fire after encountering those of Fellezs. If you don’t know the music he writes about yet, you’ll want to soon. Recommended.

INDEX

Subjects: jazz rock / fusion, fusion / crossover, funk

AUTHORS

PETER MILLS

Peter MILLS est Senior Lecturer à l’Université Leeds Metropolitan. Il travaille sur les médias et les musiques populaires, dont il a introduit l’enseignement dans son université. Il est l’auteur de Hymns To the Silence : Inside The Words and Music of Van Morrison (Continuum 2010) et de Media and Popular Music (Edinburgh University Press 2012), et il a également publié des travaux sur Samuel Beckett, Olaf Stapledon, Pink Floyd et The KLF. Il fut chanteur et parolier du groupe Innocents Abroad qui ont enregistré deux albums, « Quaker City » et « Eleven ». mail

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Varia

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« Make-Believe Ballroom Times » : de l’influence du DJing sur les modes d’interprétation et de composition des musiques populaires anglo- américaines “Make-Believe Ballroom Times”: the influence of DJing on the performance and making of popular music

Olivier Julien

1 Bien que le terme de « disc-jockey » soit aujourd’hui d’usage courant, son étymologie demeure relativement obscure. On peut certes situer son apparition à la publication d’un article intitulé « Disc Jockey Solves Vacation » dans le magazine américain Variety le 23 juillet 1941 (Anon., 1941 : 34)1. L’année suivante, le magazine Billboard affirmait quant à lui qu’il y avait de plus en plus de platter jockeys (« jockeys de galettes ») aux États-Unis (Anon., 1942 : 4) avant d’opter, lui aussi, pour « disk jockey » le 13 février 1943 (Anon., 1943 : 23) puis pour l’acronyme « DJ » à partir de 1948. Néanmoins, rien ne permet d’affirmer que l’association des termes de « disc » (ou « disk ») et de « jockey » n’était pas largement répandue parmi les professionnels de la musique dans le monde anglo-américain avant le début des années 19402. En outre, si l’origine (donc le sens) de « disc » ne fait aucun doute, il en va tout autrement de celle de « jockey ». Cette origine est-elle à rechercher,

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comme le laissent entendre Bill Brewster et Frank Broughton, dans le terme de « jock », que les Écossais utilisent pour désigner familièrement un individu (Brewster & Broughton, 1999 : 34) ? Si tel est le cas, le disc-jockey des origines était, tout simplement, le « type des disques » (ou le « type chargé des disques »). C’est d’ailleurs la version que semblaient retenir Steve Chapple et Reebee Garofalo lorsqu’ils écrivaient, en 1977 : « Il y avait bien sûr des DJs bien avant les années 1950. En diffusant, un soir de réveillon, [quelques minutes d’]un enregistrement du Messie de Haendel depuis les côtes de la Nouvelle-Angleterre, Reginald Fessenden fut peut-être le premier d’entre eux. » (Chapple & Garofalo, 1977 : 54)

2 L’allusion à Fessenden – qui réalisa, en décembre 1906, la première émission publique de voix et de musique au monde – illustre bien le lien qui a longtemps uni la fonction de disc-jockey à la radio. Cependant, Chapple et Garofalo poursuivent en expliquant qu’en raison de l’hostilité des gros réseaux américains à la musique enregistrée, le disc-jockey n’a commencé à prendre de l’importance dans l’industrie de la musique qu’à partir du milieu des années 1930. Au début de cette décennie encore, il était rare, pour ne pas dire exceptionnel, d’entendre des disques sur les ondes américaines ; les grosses radios disposaient toutes de leur propre groupe de musiciens et elles accueillaient, chaque semaine, des orchestres qui se produisaient en direct dans leurs studios. Comme le notent Pekka Gronow et Ilpo Saunio, « le fait de diffuser des disques était alors le signe d’un manque de moyens » (Gronow & Saunio, 1998 : 67). Les radios plus modestes étaient certes plus enclines à se rabattre sur la musique enregistrée, mais elles n’en devaient pas moins, elles aussi, composer avec le puissant syndicat des musiciens américains, l’AFM (American Federation of Musicians), qui cherchait par tous les moyens à limiter (voire à faire interdire, purement et simplement) la diffusion de ce qu’il appelait la « musique en boîte ». C’est pourquoi il faudra en réalité attendre le mois de décembre 1940 et une décision de la Cour suprême des États-Unis dans l’affaire Fred Waring contre WDAS pour voir cette pratique se généraliser outre-Atlantique (Stowe, 1994 : 115).

3 Une autre hypothèse concernant l’origine de « jockey » consiste à interpréter le terme dans le sens de « personne dont le métier est de monter des chevaux de course ». Aussi surprenante soit-elle, cette hypothèse était également retenue par Reebee Garofalo dans un ouvrage plus récent que celui évoqué ci-dessus, lorsqu’il définissait le disc- jockey comme un individu chargé de « chevaucher un disque pour le conduire au succès » (Garofalo, 2007 : 58). Dans ce sens, le premier « disc-jockey archétypal » ne serait pas Reginald Fessenden mais Martin Block, c’est-à-dire le présentateur de la première émission de radio entièrement consacrée à la diffusion de disques sur un réseau national américain : « Make Believe Ballroom » (WNEW). Inaugurée le 3 février 1935, cette émission était ouvertement inspirée du « World’s Largest Make Believe Ballroom » lancé trois ans plus tôt par Al Jarvis sur une radio locale de Los Angeles (KFWB). Plus concrètement, Block se proposait d’y créer l’illusion d’un concert retransmis en direct en enchaînant « trois ou quatre enregistrements d’un même artiste [et] en s’adressant aux auditeurs comme si cet artiste était physiquement présent [dans le studio] » (Garner, 2002 : 187). Le concept était à vrai dire si novateur qu’il fut contraint, les premières semaines, d’acheter lui-même les disques qu’il passait à l’antenne. Quoi qu’il en soit, cette situation n’allait pas tarder à évoluer, sa « salle de danse imaginaire » réunissant, quatre mois après son lancement, quatre millions d’auditeurs chaque jour ; cinq ans plus tard, Block était devenu le présentateur radio le

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mieux payé des États-Unis et, en octobre 1940, le chef d’orchestre Glenn Miller allait jusqu’à lui offrir un générique intitulé « Make Believe Ballroom Time » pour le remercier de sa contribution significative à l’évolution des ventes de disques sur le marché américain.

De la radio aux pistes de danse : la naissance du DJing au sens moderne du terme

4 À la lumière des lignes précédentes, il apparaît que la fonction de disc-jockey était, à l’origine, indissociable de la diffusion de musique enregistrée en radio. C’est donc tout naturellement qu’elle va connaître un essor parallèle à celui de ce média dans l’Amérique des années 1940 avant que l’explosion du marché du disque, au cours de la décennie suivante, ne finisse par imposer le « DJ » comme l’un des personnages les plus médiatiques et les plus courtisés de l’industrie de la musique – il suffit, pour illustrer ce point, d’évoquer le disc-jockey Alan Freed, qui sera décrit dans Life Magazine, le 18 avril 1955, comme le principal « responsable de l’engouement [des jeunes] pour le rock ’n’ roll » (Anon., 1955 : 166), ou encore le scandale dit du « Payola », qui va révéler en 1960 que 255 DJs en activité dans 56 villes américaines ont touché des pots-de-vin des maisons de disques dont ils ont programmé les productions (Gronow & Saunio, 1998 : 106). Cela étant, on aura remarqué que le terme, tel qu’il est employé à l’époque, n’a rien à voir avec le terme au sens où on l’emploie désormais puisqu’il ne sert qu’à désigner ce que l’on appellerait, de nos jours, un animateur radio. Or ce glissement sémantique tient, lui aussi, à un véritable bouleversement dans le mode de consommation de la musique : l’invention de la discothèque et l’apparition des premiers « DJs de club ».

Les premières discothèques

5 Si, pour reprendre les termes de Jean-Yves Leloup, Jean-Philippe Renoult et Pierre- Emmanuel Rastouin, c’est à New York que le disc-jockey sera « sacré roi » (Leloup et al., 1999 : 15), c’est en réalité à Paris qu’il va, pour la première fois, sortir des studios de radio pour s’engager sur la voie qui le conduira à se substituer à ces groupes et à ces orchestres qui avaient pour fonction, jusqu’aux années 1950, de faire danser leur public dans les bals et les dancings à la mode. Une telle évolution prend ses racines dans la Seconde Guerre mondiale et dans le goût ancien des Parisiens pour le jazz. Rappelons en effet qu’au début des années 1940, cette musique, qui consistait schématiquement en des chansons écrites par des auteurs et des compositeurs ashkénazes et interprétées par des musiciens noirs, était interdite par les forces d’occupation allemandes. Afin d’assouvir leur passion, certains amateurs commencèrent alors à se réunir dans des bars aménagés clandestinement dans des caves des cinquième et sixième arrondissements de la capitale ; le jazz leur parvenait sous la forme de disques américains que les propriétaires de ces établissements se procuraient au marché noir, lesquels disques étaient, pour des questions de sécurité évidentes, diffusés par le biais d’un système de sonorisation des plus rudimentaires. Selon Albert Goldman, l’un de ces établissements, situé rue de la Huchette, aurait été le premier à adopter le nom de « discothèque » (Goldman, 1978 : 23).

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6 Il n’existe malheureusement que peu de documentation sur l’histoire de ces bars clandestins ; en revanche, on sait que ce sont eux qui vont inspirer, à la Libération, la création de clubs dans lesquels les Parisiens vont commencer à se réunir non plus pour écouter clandestinement des disques, mais pour danser au son de disques. Le premier établissement de ce type sera ouvert par Paul Pacini en 1947 ; situé rue de Seine et baptisé le Whisky à Go-Go, il est aujourd’hui considéré par une majorité d’auteurs comme le véritable précurseur de la discothèque3 – c’est d’ailleurs dans son sillage que verront le jour Chez Régine (ouvert rue du Four en 1956) et Chez Castel (ouvert rue Princesse en 1962). Inspirés par l’exemple français, les Britanniques vont quant à eux reprendre, au début des années 1960, le concept et le terme même de discothèque. Depuis l’arrivée du rock ’n’ roll au Royaume-Uni, au milieu de la décennie précédente, il était à vrai dire tout à fait courant que les salles de concert londoniennes fassent appel à des DJs pour faire patienter le public entre deux sets. Mais en 1961, l’une de ces salles, le Lyceum, va franchir un pas supplémentaire en décidant de faire du premier guitariste rythmique des Shadows, Ian Samwell, et de sa collection de disques la principale attraction de la soirée. Dès l’année suivante, le gallicisme discotheque commençait à se répandre à travers le pays tandis que, suivant l’exemple du Lyceum, d’autres clubs spécialisés disposant de leur propre DJ voyaient le jour dans la région de Londres (par exemple, The Scene, ouvert en 1962 dans le quartier de Soho avec Guy Stevens) ou de Manchester (par exemple, The Twisted Wheel, ouvert en 1963 avec Roger Eagle).

New York et la naissance du DJing moderne

7 Après que la France avait inventé la discothèque, c’est donc au Royaume-Uni que sont apparus les premiers DJs de club vedettes, reconnus pour leur savoir-faire. De fait, les clients des premières discothèques parisiennes n’allaient pas écouter un DJ particulier : ils allaient, tout simplement, passer la soirée au Whisky à Go-Go, Chez Régine ou Chez Castel. Les clients du Lyceum, en revanche, se rendaient dans cet établissement pour profiter de l’impressionnante collection de disques de Ian Samwell et de sa capacité à sentir quel titre il convenait d’enchaîner avec tel autre titre pour éviter que la piste de danse ne se vide. Pour paraphraser Bill Brewster et Frank Broughton, le DJ de club britannique ne se contentait plus, comme le faisaient alors les DJs de radio, de choisir des disques et de les programmer : il devait aussi être capable d’utiliser ces disques pour créer des atmosphères particulières et tenir un public en haleine plusieurs heures durant (Brewster & Broughton, 1999 : 11). Pour autant, ce n’est pas en Europe, mais aux États-Unis (et, plus particulièrement, à New York – où la première discothèque avait été ouverte par le Français Olivier Coquelin le 31 décembre 1959) que va se produire l’évolution la plus déterminante dans le processus qui aboutira à l’apparition du DJ au sens moderne du terme.

8 Le premier des deux DJs dont on peut considérer qu’ils incarnent cette évolution est Terry Noel. Après des débuts discrets dans un club de la 45e rue de Manhattan, le Peppermint Lounge (où il se produit dès 1961), il rejoint la discothèque « Chez Arthur » (Arthur’s) le lendemain de son ouverture, le 6 mai 1965. Et c’est donc là qu’il va redéfinir le DJing en posant les bases de la technique dite du « mix » (c’est-à-dire, littéralement, du « mélange » de disques). Jusqu’alors, les DJs de club diffusaient en effet les enregistrements qu’ils programmaient à la façon des DJs de radio, en prévoyant un temps mort ou une intervention qui leur laissait le temps de changer le

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disque sur la platine. Constatant que « si l’immédiateté du single […] incitait les gens à se précipiter sur la piste de danse, sa fin brusque les en faisait partir tout aussi rapidement » (Shapiro, 2005 : 11), Noel va, à l’inverse, commencer à appréhender son activité à la façon d’un musicien interprète abordant un set. Pour ce faire, il va s’appuyer sur un système composé non pas d’une, mais de deux platines tourne-disque dont chacune est munie d’un potentiomètre qui permet d’agir sur son niveau. Toutefois, afin de contrôler ses enchaînements, il ne va pas se contenter de réaliser des fondus enchaînés plus ou moins hasardeux en lançant la lecture d’un disque avant la fin du disque précédent et en augmentant progressivement le niveau de la première platine tout en diminuant progressivement celui de la seconde : il va également adapter ces platines en remplaçant le tapis de caoutchouc traditionnellement disposé entre le disque vinyle et le plateau par un tapis de feutre, de telle sorte qu’il devient possible de maintenir un disque en position, tandis que le plateau continue de tourner, puis de le relâcher, le moment venu, pour lancer sa lecture instantanément. « Parfois, je devais lancer un disque en plaçant le saphir en un point précis […]. Je savais avec quoi j’entrais, je savais avec quoi je sortais. Je ne voulais pas perdre un seul temps. Je voulais que les gens ne se rendent même pas compte que le disque avait changé. » (Brewster, 2010 : 52)

9 Étant donné le contexte technologique, il va sans dire que le succès de tels enchaînements reposait moins sur la capacité du DJ à manipuler ses disques en direct que sur la connaissance qu’il avait des plages gravées sur ces mêmes disques (« Je savais avec quoi j’entrais, je savais avec quoi je sortais ») ; mais il n’en reste pas moins qu’en prenant l’habitude d’utiliser deux platines pour créer des séquences musicales ininterrompues, lesquelles séquences s’étalent sur la durée de ses prestations, Terry Noel va s’imposer, « pour les DJs qui suivront, [comme] l’homme qui a écrit le mode d’emploi » (Brewster & Broughton, 1999 : 71).

10 Le second DJ new-yorkais dont on peut considérer qu’il va contribuer à poser les bases du DJing au sens moderne du terme est Francis Grasso. Il fait pour sa part ses débuts au Salvation II en remplaçant, un soir de 1968, Terry Noel au pied levé. À l’instar de Noel, Grasso fréquentait les discothèques en tant que danseur, ce qui l’aidait à comprendre les attentes du public pour lequel il mixait. Mais, à la différence de Noel, il avait aussi une solide expérience de musicien et, plus particulièrement, de batteur. Mettant à profit sa connaissance de la musique ainsi qu’un sens aigu du rythme, il va donc en arriver à perfectionner la technique du mix en commençant par relever méticuleusement le tempo de ses disques à l’aide d’un métronome. Une fois les indications métronomiques notées sur les pochettes sous la forme de « BPM » (beats per minute, soit « battements par minute »), il pouvait ainsi sélectionner ses disques non plus seulement en fonction de critères plus ou moins abstraits comme le caractère ou le style, mais encore de leur capacité à s’enchaîner en créant l’illusion d’une pulsation continue – ce qui, selon lui, incitait le public à rester sur la piste de danse. « Avant moi, personne n’avait vraiment cherché à conserver la pulsation d’un disque à l’autre. Les gens dansaient, mais à chaque fois que [le DJ] changeait de disque, ils devaient s’adapter à une nouvelle pulsation. Ce n’était jamais fluide. » (Broughton, 2010a : 61)

11 Là encore, il va sans dire que le contexte technologique rendait la tâche d’autant plus ardue qu’il n’existait ni boîte à rythmes garantissant la régularité de la pulsation sur un seul et même disque, ni pitch controls permettant de moduler la vitesse d’entraînement d’une platine pour caler avec précision le tempo d’un disque sur celui d’un autre.

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Néanmoins, la commercialisation des premières platines équipées de cette fonction par la marque Thorens en 1969 va rapidement conduire la technique à s’imposer, sous le nom de beat mixing, comme une technique de base dans l’art naissant du DJing. Quant à la stabilité du tempo, elle va, de fait, s’imposer comme une nécessité avec l’apparition, au début des années 1970, d’une musique spécialement conçue pour la discothèque : la bien nommée « musique disco ».

Du disco au DJing hip-hop

12 Comme c’est souvent le cas dans l’histoire des musiques populaires, le disco va, en grande partie, se développer en réaction aux tendances qui avaient caractérisé l’industrie du disque au cours de la période précédente et, tout particulièrement, à « l’album envisagé comme une œuvre d’art et [au] groupe rock envisagé comme un artiste » (Starr & Waterman, 2007 : 342). Comme le note Tom Smucker : « Plutôt que d’accorder de l’importance aux “artistes” qui menaient des “carrières” et sortaient des “albums engagés”, le disco mettait l’accent non pas sur les carrières, les chanteurs, les auteurs ou les producteurs, mais sur le style et sur le goût de la personne qui sélectionnait et combinait des plages d’albums : le DJ. […] Le disco des origines ne se contentait pas de se dispenser de groupes live : il faisait du public – les danseurs – la véritable attraction. » (Smucker, 1992 : 562)

13 À quelques exceptions près, les noms qui vont incarner cette tendance particulière des musiques populaires ne seront donc pas les noms de groupes ou de chanteurs, mais ceux du Loft (ouvert en 1970), du Tenth Floor (ouvert en 1972), du Paradise Garage (ouvert en 1976), du Studio 54 (ouvert en 1977) et des DJs résidents de ces clubs new- yorkais – respectivement David Mancuso, Ray Yeates, Larry Levan et Richie Kaczor.

Le DJing à l’ère du disco

14 S’ils ne sont pas, à proprement parler, les pères du mix ou du beat mixing, Mancuso, Yeates, Levan et Kaczor vont en revanche contribuer à perfectionner ces techniques en bénéficiant d’un contexte particulièrement favorable aux DJs. Parmi les facteurs qui vont dessiner ce contexte, on ne peut manquer de mentionner la mise au point, en 1971, de la première véritable mixette par un certain Alex Rosner. Surnommée la « Rosie », cette mini-table de mixage stéréophonique disposait d’un circuit auxiliaire qui permettait d’écouter n’importe quel canal au casque sans que le signal correspondant soit transmis à l’amplificateur – en d’autres termes, le DJ pouvait désormais préparer ses enchaînements en calant, grâce au pitch control, le tempo du disque dont il s’apprêtait à lancer la lecture sur celui du disque qui était en train d’être lu. L’année suivante, c’est au tour de Rudy Bozak de commercialiser la CMA 10-2DL, qui s’imposera, vers le milieu de la décennie, comme « le modèle favori des discothèques » (Traiman & Woram, 1976 : 44). Aux fonctions de base de la Rosie, cette mixette ajoutait notamment un système d’égalisation paramétrique qui permettait d’agir sur certaines bandes de fréquences – fonction d’autant plus utile pour les DJs de club que le fait d’amplifier les graves sur un enregistrement contribuait à faire ressortir la grosse caisse (c’est-à-dire la pulsation). Cependant, l’appareil était encore assez encombrant et sa manipulation d’autant plus complexe qu’elle se faisait par l’intermédiaire de potentiomètres rotatifs. Enfin, l’année 1977 voit la commercialisation de la PMX 7000 par la compagnie américaine GLI ; surnommée, lors de son apparition, la « Bozak du

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pauvre » (Cross, 2003 : 21), cette mixette était le premier appareil du genre à disposer d’un crossfader, c’est-à-dire d’un curseur qui permettait de contrôler simultanément le niveau des deux platines tourne-disque (plus le niveau d’une platine augmentait, plus celui de l’autre platine diminuait – figure 1).

Figure 1 : La double platine

15 Parallèlement, l’industrie du disque va, elle aussi, commencer à s’adapter aux besoins des DJs en développant le marché du maxi-45 tours – du fait de son diamètre (qui représentait près du double de celui du 45 tours traditionnel), ce format autorisait la gravure d’un sillon plus large, soit d’un son plus riche en graves. Dans le même ordre d’idées, certains producteurs vont se mettre à rivaliser d’inventivité pour répondre aux attentes des danseurs et des DJs en matière de stabilité du tempo. Cette évolution est parfaitement illustrée par l’enregistrement de « Stayin’ Alive », l’un des titres composés par les Bee Gees pour la bande originale du film Saturday Night Fever – lequel film va consacrer le succès du disco au plan international en 1977-1978. Cherchant à obtenir une pulsation métronomique sur l’ensemble de la chanson, le groupe avait commencé par utiliser la fonction boîte à rythmes d’un orgue Hammond ; malheureusement, la faible qualité des sons de percussion offerts par l’instrument les avait rapidement contraints à abandonner l’idée. C’est alors que les producteurs de la séance, Karl Richardson et Albhy Galuten, vont leur suggérer de sélectionner deux mesures sur la piste de batterie d’un titre qu’ils avaient déjà enregistré pour l’album, « Night Fever », puis de les copier sur une bande séparée afin d’en faire une boucle. Une fois le montage terminé et la boucle disposée sur un magnétophone dont la vitesse d’entraînement avait été légèrement altérée de manière à diminuer le tempo, les deux mesures en question pouvaient ainsi être répétées indéfiniment, à la façon d’un pattern reproduit par une boîte à rythmes, et fournir la base rythmique de l’ensemble de la chanson qui allait finalement être utilisée dans le générique du film (Battino & Richards, 2005 : 127 ; Buskin, 2005 ; Small, 2002).

16 En conclusion, les années 1970 apparaissent comme une période charnière dans l’histoire du DJing. Désormais, le DJ n’est plus un simple « consommateur » de disques : il en vient, à certains égards, à influencer leur conception ; l’usage qu’il fait de ces

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disques conduit en outre l’industrie afférente à développer un marché autour d’un format particulier, plus à même de « répondre à ses attentes en matière de durée et de richesse en graves des enregistrements » (Garofalo, 2007 : 316). Pour résumer l’ensemble de cette évolution en une formule, il est donc possible d’affirmer avec Bill Brewster et Frank Broughton que le disco a permis au DJ de club d’« accéder à la majorité », préfigurant ainsi « une nouvelle conception de ce que pouvaient être les musiques populaires » (Brewster & Broughton, 1999 : 139). Pourtant, quelle qu’ait été la contribution de ce genre au changement de statut du DJ, quelle qu’ait été son importance dans le processus évoqué dans ces pages, ce n’est pas avec lui mais avec le hip-hop, à partir du milieu de la décennie, que la platine tourne-disque va, pour la première fois de son histoire, évoluer d’un « outil de reproduction » en un « outil de production » de la musique (Théberge, 2001 : 15).

Les débuts du DJing hip-hop

17 La tradition du DJing hip-hop prend sa source dans le quartier new-yorkais du Bronx et dans ce que l’on appelait, au milieu des années 1970, les battles. Inspirés de la tradition des discothèques ambulantes jamaïcaines (les fameux sound systems), ces duels pacifiques voyaient s’opposer des DJs qui s’installaient généralement aux extrémités d’un terrain de sport ou d’un gymnase et tentaient d’attirer à eux la foule la plus importante grâce à leur collection de disques, à leur technique et à la puissance de leur système de sonorisation. Parmi les participants les plus assidus à ces soirées figurait un certain Clive Campbell, qui allait, sous le pseudonyme de Kool Herc, transformer à jamais l’art du DJing.

18 Ayant passé son adolescence en Jamaïque, Kool Herc avait tendance, à l’instar des DJs de sound systems (les selectors), à privilégier la puissance sonore de son équipement pour s’imposer face à ses concurrents. Mais sa fréquentation des battles l’avait aussi amené à constater que les danseurs affectionnaient particulièrement certains passages des disques qui étaient diffusés lors de ces compétitions – typiquement, les breaks, c’est-à- dire ces passages « de quatre à seize mesures » où « l’ensemble de l’accompagnement s’interrompait à l’exception de la batterie, des percussions et parfois de la basse » (Webber, 2008 : 48). Un soir de 1974, il va donc mettre au point une technique visant à prolonger les passages en question : le merry-go-round (« manège »). « Tous ces gens qui se tenaient au bord de la piste de danse attendaient [en réalité] les breaks. […] Je leur ai dit : “Laissez-moi jouer deux de ces disques ensemble (ces disques avec des breaks)”. Et je l’ai fait. […] J’ai essayé de les faire sonner comme un seul et même enregistrement. La salle est devenue folle : ils ont adoré cela. » (Broughton, 2010b : 172)

19 Plus concrètement, la technique consistait à disposer deux exemplaires d’un même disque sur la double platine ; une fois la lecture du passage que le DJ souhaitait diffuser en boucle arrivée à son terme sur la première platine, il n’avait plus qu’à basculer sèchement vers la seconde pour reprendre au début tandis que, de l’autre main, il « remontait » le premier disque en le faisant tourner sur lui-même dans le sens contraire des aiguilles d’une montre, et ainsi de suite (figure 1). Cette invention a bien évidemment été à l’origine d’une véritable révolution dans le monde du DJing. Avec le merry-go-round, le DJ ne se contentait plus de créer des atmosphères en sélectionnant et en enchaînant des disques : il pouvait désormais les restructurer à volonté en procédant, en direct, à de véritables montages. Malheureusement, la contribution de

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Kool Herc à cette révolution sera plus théorique que pratique dans la mesure où, selon de nombreux témoignages, « il passait ses disques, mais ses enchaînements n’étaient jamais en place. Or le timing était essentiel pour les danseurs : ils avaient tous un excellent niveau et ils faisaient leurs mouvements en rythme » (cité dans Brewster & Broughton, 1999 : 233). L’auteur de cette déclaration n’est autre que GrandMaster Flash. Surnommé ainsi en raison de son habileté aux platines, il sera le premier DJ à véritablement maîtriser la technique du merry-go-round et c’est finalement lui qui va la populariser, sous le nom de quick mixing, auprès des DJs new-yorkais (puis, suite à sa participation au film Wild Style en 1982, auprès du grand public américain).

20 L’autre technique dont on peut considérer qu’elle a permis à la platine tourne-disque d’accéder au statut d’instrument de musique est connue sous le nom de scratching. Grand Wizard Theodore, qui évoluait à l’époque dans l’entourage de GrandMaster Flash, affirme l’avoir découverte un soir de 1975, alors qu’il s’entraînait au quick mixing dans sa chambre. « Ce jour-là, j’avais mis ma musique un peu trop fort. Ma mère est venue frapper à la porte en me disant : “Si tu ne baisses pas le son, c’est moi qui m’en charge !” Pendant qu’elle me criait dessus, je continuais de retenir le disque, mais ma main bougeait un peu, en avant, en arrière, si bien qu’il frottait sous le saphir. Quand ma mère est partie, je me suis dit : “Voilà une idée intéressante !” J’ai donc travaillé dessus pendant quelques mois, quelques semaines, avec différents disques et, quand je me suis senti prêt, nous avons organisé une fête lors de laquelle j’ai présenté ma nouvelle technique. C’est là qu’a démarré le scratching. » (Pray, 2002)

21 Et, avec lui, l’utilisation du tourne-disque comme un instrument permettant de lire la musique, de la remonter en temps réel, mais aussi, tout simplement, de produire des sons. Comme le laisse entendre Grand Wizard Theodore, le DJ n’avait, pour ce faire, qu’à manipuler le disque en utilisant sa main droite pour l’accélérer ou le ralentir, ce qui avait pour effet de diminuer ou d’augmenter le tempo et la hauteur ; pendant ce temps, sa main gauche modulait le niveau de sortie de la platine en agissant rapidement sur la mixette, de telle sorte qu’il parvenait à produire des sonorités percussives littéralement inouïes. Popularisée, à l’instar du quick mixing, par GrandMaster Flash auprès des DJs new-yorkais, cette technique et les sonorités si particulières qui lui sont associées seront finalement révélées au grand public en 1983, à l’occasion du succès planétaire du titre « Rockit », pour lequel Herbie Hancock avait fait appel au DJ GrandMixer DST.

L’héritage du DJing hip-hop à l’ère numérique

22 Si le disco a mis en évidence l’influence naissante du DJing sur le mode de conception des disques, le quick mixing et le scratching illustrent parfaitement la façon dont cette discipline en vient elle-même à évoluer, au milieu des années 1970, en un mode de conception de la musique. De fait, à l’ère du hip-hop, le DJ n’envisage plus les enregistrements dont il dispose comme des objets finis, destinés à être diffusés « en l’état », mais comme un matériau sonore susceptible d’être manipulé et décontextualisé à volonté pour produire des boucles rythmiques et différents types d’effets sonores. Or il se trouve que l’influence de ces techniques sur le mode de création des musiques populaires ne va pas s’arrêter aux battles du Bronx ou à quelques succès discographiques du début des années 1980 ; au cours des décennies suivantes, elle va

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non seulement s’étendre à des genres de plus en plus éloignés de l’univers du hip-hop, mais encore donner naissance à une tradition musicale à part entière : le turntablism.

Le turntablism

23 Aussi étonnant que cela puisse paraître, le turntablism trouve son origine dans le succès de « Rapper’s Delight », en 1979. En effet, dans l’univers relativement clos des battles, les rappeurs, que l’on surnommait alors les MCs (« Masters of Ceremony »), n’étaient que des participants parmi d’autres, chargés d’intervenir en direct sur les disques en proférant, à la façon des toasters jamaïcains, des formules destinées à motiver le public ou à commenter l’action des danseurs. Cependant, en lançant la mode du rap aux États- Unis, ce titre va, selon John Covach, faire un tort considérable aux DJs hip-hop : « Le succès de [« Rapper’s Delight »] a démontré que l’expérience du hip-hop pouvait être transférée sur vinyle, mais cette évolution a également […] polarisé l’attention sur le rappeur tandis que le DJ – qui, jusque-là, tenait les rênes dans les conditions du live – s’est vu relégué au second plan. » (Covach, 2009 : 502)

24 Tout au long des années 1980, les techniques inventées par ces DJs vont malgré tout continuer de prospérer en marge des médias spécialisés et de l’industrie du disque. Elles vont peu à peu sortir des ghettos noirs pour se répandre dans les écoles et sur les campus nord-américains, où des groupes de DJs vont commencer à se former et à organiser leurs propres battles. En 1986, un certain DJ Cheese va même leur ouvrir la porte de compétitions internationales en introduisant le scratching au DMC (Disco Music Club). Lancé en 1985 comme une « convention [annuelle] de DJs »4, ce concours ne tardera pas à s’imposer, avec d’autres manifestations du même type (NMS, ITF)5, comme un passage obligé pour tout DJ hip-hop désireux d’accéder à la reconnaissance de ses pairs.

25 Le film documentaire Scratch permet de se faire une idée de la maîtrise technique et de l’inventivité de cette nouvelle génération d’artistes hip-hop. Il comprend en particulier un extrait de la prestation de Roc Raida lors de la finale du DMC World Championship en 1996 : en quelques dizaines de secondes, le DJ fait une impressionnante démonstration de quick mixing en montant et en remontant les syllabes du mot « Ninja », le tout en manipulant ses platines de dos, en faisant passer ses bras entre ses jambes, au-dessus de sa tête, autour de son cou, en exécutant à plusieurs reprises un tour sur lui-même et en tenant en haleine une salle de 500 personnes. En somme, il illustre à la perfection cette phrase de Bill Brewster et Frank Broughton : « La technique des DJs hip-hop était assez démonstrative pour devenir une fin en soi ; les principaux éléments du DJing hip-hop ont ainsi été distillés jusqu’à donner naissance à une forme d’expression presque détachée de sa fonction originelle – la danse. » (Brewster & Broughton, 1999 : 278)

26 En 1995, DJ Babu a suggéré le terme de turntablism pour désigner cette nouvelle « forme d’expression »6. La même année, la sortie du disque Return of the DJ (premier album entièrement réalisé par des DJs turntablists) a officialisé la naissance du genre, mais c’est surtout sur scène, notamment dans le cadre de compétitions, qu’il s’est développé. Sa courte histoire a déjà été marquée par de nombreux noms – Steve Dee, Mix Master Mike, Rob Swift, DJ Craze, Roc Raida, DJ Disk, Q-Bert, les Beat Junkies, The X-Ecutioners, The Invisibl Skratch Piklz, etc. Si ces DJs n’ont pas inventé le DJing hip-hop, ils ont, comme on pouvait le lire jusqu’en 2006 sur le site internet du magazine Rolling Stone, introduit « dans cet art un degré de virtuosité qui l’a littéralement redéfini »7. Le

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scratching, qui était utilisé par leurs aînés pour produire des effets percussifs et de courts motifs rythmiques, est ainsi devenu entre leurs mains un véritable outil de synthèse sonore. Le quick mixing, grâce auquel GrandMaster Flash mettait en boucle des séquences de quelques mesures, a quant à lui évolué en une technique permettant de déconstruire ces mêmes mesures et de les recomposer temps par temps – au point que l’on parle désormais non plus de quick mixing, mais de beat juggling (soit de « jonglage avec les temps »).

27 Depuis les origines du hip-hop, la quête d’excellence technique avait été le principal moteur de l’évolution du DJing. Or les turntablists sont parvenus à un tel degré de perfection dans cette discipline qu’elle semble aujourd’hui avoir atteint une limite ou, du moins, se trouver à un tournant. Certains, comme DJ Babu, pensent qu’elle est sur le point de sortir de la confidentialité pour donner naissance à un genre musical entièrement nouveau (Pray, 2002). D’autres, plus pessimistes, considèrent qu’elle s’est irrémédiablement égarée dans « des compétitions de plus en plus ésotériques » (Brewster & Broughton, 1999 : 279). Ce à quoi Rob Swift répond : « À chaque fois que vous avez le sentiment d’être allé au bout de votre art, vous pouvez être certain que quelqu’un va arriver et vous donner tort » (Pray, 2002). Une chose est en tout cas certaine : à travers le turntablism, le DJing aura été le catalyseur de l’une des pratiques les plus virtuoses (et sans doute les plus originales) qu’aient engendrées les musiques populaires au tournant des années 1990-2000.

La boucle à l’ère de l’échantillonnage numérique

28 Se référant au rapport qu’ont développé les musiciens savants occidentaux à l’écrit, le compositeur et chef d’orchestre Lukas Foss observait en 1963 : « Nous devons nos plus grandes réalisations musicales à […] la division de ce qui est, par essence, indivisible (la “musique”) en deux processus distincts : la composition (c’est-à-dire la production de la musique) et l’interprétation (c’est-à-dire la production de la musique). » (Foss, 1963 : 45) Sans entrer dans des considérations sur les notions de tradition écrite, de tradition orale et de tradition phonographique qui dépasseraient le cadre du présent article8, il n’est pas inintéressant de noter que l’on retrouve cette dichotomie entre interprétation et composition dans la façon dont les techniques de manipulation de disques issues du DJing hip-hop ont conditionné le « geste créateur » (Nattiez, 1987 : 98) dans les musiques populaires anglo-américaines au cours des trente dernières années. Ayant trait à l’interprétation, le turntablism peut être considéré comme la forme la plus manifeste de ce conditionnement ; la seconde forme prise par ce même conditionnement tient quant à elle non pas à l’interprétation, mais à la généralisation, depuis le tournant des années 1980-1990, de ce que l’on appelle les boucles dans le mode de composition des musiques populaires. Pour comprendre le lien qu’entretient cette pratique avec le quick mixing, il convient, là encore, de reprendre l’histoire du hip- hop au premier succès discographique dans cette veine : « Rapper’s Delight » de Sugarhill Gang. À l’instar de nombreux singles de rap enregistrés au tournant des années 1970-1980, l’accompagnement instrumental de ce titre s’inspirait très librement des disques que les DJs utilisaient pour accompagner les premiers rappeurs lorsqu’ils se produisaient en public – en l’occurrence, le single « Good Times » du groupe Chic. Naturellement, cet exemple de « transtextualité phonographique » (voire, pour paraphraser Serge Lacasse, de « transphonographie » – Lacasse, 2008)9 ne fait que

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refléter les conditions dans lesquelles « Rapper’s Delight » avait vu le jour. En effet, dans le courant du second semestre 1979, le succès de « Good Times » dans les charts américains10 et la rythmique particulièrement efficace de ce titre lui avaient valu de s’imposer comme un véritable classique dans l’univers des soirées hip-hop – à la fin de l’année, se rendant pour la toute première fois à l’une de ces soirées, Nile Rodgers (guitariste de Chic et co-compositeur de « Good Times ») sera même surpris d’entendre un rappeur improviser un texte sur un passage de son disque qu’un DJ diffusait en boucle en s’aidant de deux platines. Quant au fait que l’essentiel du playback de « Rapper’s Delight » ait dû être, en fin de compte, entièrement « réenregistré » par des musiciens professionnels (seules quelques interventions de cordes seront en réalité prélevées sur la « version originale »), il s’explique simplement par le fait qu’une fois une boucle repérée sur un disque par un DJ, il devait, dans les conditions du direct, s’y tenir pendant toute la durée de la chanson – autrement dit, utilisé en l’état, le quick mixing ne permettait pas de développer un accompagnement instrumental digne de ce nom sur plus de six minutes (par exemple, en alternant plusieurs boucles tirées du même enregistrement, comme ce sera le cas sur la version enregistrée de « Rapper’s Delight »).

29 Toujours est-il que la commercialisation par Akai des premiers échantillonneurs numériques abordables comme le S900 (qui permettait, dès 1986, d’échantillonner jusqu’à 63 secondes de musiques en 12 bits) puis, en 1988, le S1000 (premier échantillonneur stéréophonique utilisant une résolution de 16 bits) va rapidement faire évoluer cette forme primitive d’échantillonnage en rendant possible le fait de prélever, au sens propre du terme (et avec une précision chirurgicale), un échantillon de quelques secondes de musique, mais aussi de le traiter en modifiant à volonté sa hauteur, son tempo, en lui appliquant certains effets et en le combinant avec d’autres échantillons du même type. Comme l’observait Mark Katz en 2004 : « Les DJs hip-hop du Bronx ont découvert qu’un fragment de musique pouvait être répété indéfiniment en basculant constamment d’une platine à l’autre. Ces fragments, que l’on appelait également des boucles, sont devenus l’unité structurelle de base dans l’accompagnement du rap. À l’ère du numérique, la boucle est toujours très présente ; écoutez attentivement n’importe quelle chanson de rap et il est probable que vous y découvrirez une base instrumentale faite de boucles, même si ces boucles, de nos jours, ne sont plus répétées manuellement : elles sont échantillonnées. » (Katz, 2004 : 30-31)

30 Illustrant la formule selon laquelle « les instruments de musique numériques et les appareils d’enregistrement numériques ne sont plus des technologies séparées » (Théberge, 1997 : 206), c’est donc avec des appareils de ce type que des groupes de hip-hop comme Public Enemy ou De La Soul vont contribuer à populariser le principe de l’échantillonnage à la fin des années 1980. Le procédé pouvait alors se présenter sous deux formes : l’utilisation ponctuelle d’effets sonores, de rythmes et de timbres dont l’origine était d’autant plus obscure qu’ils étaient susceptibles de provenir d’un assemblage de disques des plus hétéroclites (comme ce fut par exemple le cas sur le premier album de De La Soul, 3 Feet High and Rising) ; et la réalisation de boucles à proprement parler, lesquelles boucles étaient produites à partir d’échantillons d’une ou deux mesures dont l’origine était, cette fois, d’autant plus évidente que beaucoup d’entre eux provenaient de succès discographiques relativement récents – comme ce fut notamment le cas sur le premier numéro un des mêmes De La Soul, « Me, Myself & I » (1987), dont le refrain était entièrement basé sur le riff de « (Not Just) Knee Deep » de Funkadelic (1979). Ces deux formes coexistent encore de nos jours dans le hip-hop et

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dans de nombreux genres assimilés aux musiques électroniques de danse ; toutefois, dès 1990, deux des plus gros succès de l’année sur le marché du disque américain vont contribuer à renforcer le lien entre la seconde de ces deux formes et le terme d’échantillonnage (sampling) dans l’esprit du grand public. Le premier des deux titres en question, « U Can’t Touch This » de MC Hammer, était, pour l’essentiel, basé sur deux boucles de deux mesures empruntées à l’introduction de « Super Freak » de Rick James (qui avait atteint la première place des charts « Hot dance Club Play » dans le magazine Billboard durant l’été 1981). Le refrain du second de ces deux titres, « Ice Ice Baby » de Vanilla Ice, reposait quant à lui sur la répétition de deux mesures très légèrement modifiées d’« Under Pressure » de Queen et David Bowie (qui avait passé une partie de l’automne 1981 à la vingt-huitième place des charts Pop dans Billboard ainsi qu’aux meilleures places de nombreux autres charts au Canada, en Afrique du Sud, en Australie, en Nouvelle-Zélande, en Argentine et en Europe).

31 Le public européen va lui aussi découvrir le principe de l’échantillonnage en 1987, à l’occasion du succès du seul et unique single du groupe britannique M|A|R|R|S, « Pump Up the Volume » (alors que le disque occupait la deuxième place des charts, les producteurs Stock, Aitken & Waterman vont parvenir à faire bloquer sa distribution en invoquant l’utilisation non signalée d’un échantillon de quelques secondes tiré de leur chanson « Roadblock »11). Trois ans plus tard, un autre cas d’échantillonnage, tout aussi médiatisé, mais aussi plus conforme au principe de la boucle, va se faire jour à l’occasion du succès mondial de « Dub Be Good to Me », écrit et produit par Norman Cook pour Beats International alors qu’il venait de quitter les Housemartins – et bien avant qu’il ne se fasse connaître sous le pseudonyme de Fatboy Slim. L’ensemble du playback reposait cette fois sur la répétition d’une mesure empruntée à l’introduction de « Guns of Brixton » des Clash ; interviewé par le magazine Bassist en 1999, Paul Simonon12, s’étonnant de ce que sa ligne de basse avait été « pompée en bloc », sans que l’on ait cherché à y apporter la moindre modification, déclarera qu’il avait donc « bien fait Top of the Pops » avant d’ajouter, sur un ton nettement moins ironique : « J’ai rencontré Norman et nous sommes parvenus à un arrangement » (Rowley, 1999 : 27). Au milieu des années 1990, les artistes qui étaient associés au pendant britannique du hip-hop, le trip-hop, vont continuer de familiariser les Européens avec le procédé, et Portishead sortant, à quelques mois d’intervalle, « Hell Is Round the Corner » et « Glory Box », basés respectivement sur une boucle de deux mesures et sur une boucle de deux mesures remontées issues du même enregistrement : « Ike’s Rap II » d’Isaac Hayes. Puis, en 1997, ce sera au tour de l’un des grands représentants de ce que l’on appelait alors la Brit Pop, The Verve, d’être condamné par la justice pour avoir utilisé, sur « Bitter Sweet Symphony », une boucle issue de la version orchestrale d’un titre des Rolling Stones (« The Last Time ») dont la durée excédait celle qui leur avait été initialement accordée.

32 Naturellement, cette courte liste ne prétend pas à l’exhaustivité : elle vise simplement à rappeler avec quelle rapidité le principe même du quick mixing en est venu, à la faveur du développement de l’échantillonnage numérique, à s’étendre à des genres de plus en plus éloignés de l’univers du hip-hop pour finalement se généraliser dans le mode de composition des musiques populaires anglo-américaines vers le milieu des années 1990. L’utilisation de boucles était alors si répandue qu’en septembre 1997, Neil Strauss évoquait dans les pages du New York Times « la façon désormais normale de faire de la musique, en utilisant des extraits numériques de sons et de chansons ». Le journaliste

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observait en outre que pour les adeptes de cette technique, il s’agissait au fond de « faire d’un échantillon la chanson elle-même, de telle sorte qu’un refrain pompé sur un ancien tube devenait la base d’un nouveau tube » (Strauss, 1997 : 28). Mais on pourrait ajouter qu’avec le développement de collections de boucles de batterie commercialisées sur CD depuis le tournant des années 1990-2000, aucun des genres qui sont aujourd’hui assimilés à ce que l’on appelle les musiques populaires n’a, en réalité, été épargné par cette pratique. En somme, si, comme le note Paul Théberge, « l’évolution de l’esthétique et de la pratique du DJing à partir de Kool Herc, au début des années 1970, a créé les conditions dans lesquelles une technologie plus avancée comme l’échantillonneur numérique a été introduite dans le processus de production » des musiques populaires (Théberge, 2001 : 15), elle a, ce faisant, renforcé le conditionnement du « geste créateur » par la phonographie, ajoutant au conditionnement de l’acte d’interprétation le conditionnement de l’acte compositionnel.

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PRAY, D. (2002), Scratch, Metropolitan Filmexport.

NOTES

1. À noter, comme l’a souligné William Randle, que le terme avait été précédé par celui de « record jockey » dans les pages de ce même magazine le 3 avril 1940 (Randle, 1962 : 72-73). 2. Don Tyler prétend par exemple que le présentateur radio Walter Winchell employait couramment les expressions « record jockey » et « disc jockey » dès le milieu des années 1930 (Tyler, 2008 : 13). 3. Voir, par exemple, Bill Brewster et Frank Broughton (1999 : 56-57), Albert Goldman (1978 : 15), Martin James (2003 : 14) et Peter Shapiro (2005 : 313). 4. http://www.dmcdjchamps.com/about.php [01-12-2011]. 5. NMS : New Music Seminar (de 1980 à 1995) ; ITF : International Turntablist Federation (depuis 1996). 6. Le néologisme turntablism rend compte de la transformation du tourne-disque (turntable) en instrument de musique. Il est, bien sûr, absolument intraduisible en français, quoique le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes propose, dans un rapport de 2009, le terme de « platinisme » – http://www.crtc.gc.ca/fra/publications/reports/radio/rp0905.htm [14-06-2011]. 7. http://www.rollingstone.com/artists/invisiblskratchpiklz/biography [01-04-2006]. 8. Les lecteurs intéressés par la notion de « tradition phonographique » sont invités à se reporter à ma thèse de doctorat (Julien, 1998 : 27, 342-345) et à « “A Lucky man who made the grade”: Sgt. Pepper and the rise of a phonographic tradition in twentieth-century popular music » (Julien, 2008). 9. Ainsi que son “Introduction à la transphonographie” (2010). 10. Le single était devenu, au mois d’août, le deuxième numéro un crossover du groupe Chic. 11. L’échantillon en question était en réalité un échantillon de voix de trois secondes dont le timbre et la hauteur avaient été largement altérés ; il n’était, en outre, utilisé que neuf secondes au total sur « Pump Up the Volume ». 12. Bassiste des Clash et compositeur de « Guns of Brixton ».

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RÉSUMÉS

Le présent article s’inscrit dans le cadre d’une recherche plus générale portant sur le conditionnement du geste créateur par la phonographie. Cette question est ici envisagée sous l’angle du développement du DJing et de la façon dont les techniques afférentes ont redessiné les modes d’interprétation et de composition dans les musiques populaires anglo-américaines depuis les années 1970.

This article is part of a more general research project on the determination of the creative act by phonography. The latter issue is hereby addressed in terms of the development of DJing and its related techniques reshaping modes of performance and composition in Anglo-American popular music since the 1970s.

INDEX

Index géographique : France, États-Unis / USA, New York, Paris / région parisienne Mots-clés : échantillonnage / sampling / Djing, enregistrement / montage / production, phonographie / transphonographie, radio, reprise / pastiche / parodie, danse, disque / vinyle, divertissement / spectacle, expérimentation, intertextualité (musicale), virtuose / virtuosité Index chronologique : 1940-1949, 1950-1959, 1960-1969, 1970-1979, 1980-1989, 1990-1999 Keywords : sampling / Djing, recording / editing / production, phonography / transphonography, radio, cover version / pastiche / parody, dance, entertainment / show, experimentation, intertextuality (musical), virtuoso / virtuosity, disc / vinyl / phonograms / analog recordings Thèmes : électronique / electronic music, rap / hip-hop, turntablism / scratch nomsmotscles Mancuso (David), Yeates (Ray), Kaczor (Richie), Levan (Larry), Noel (Terry), Sugarhill Gang

AUTEUR

OLIVIER JULIEN

Olivier JULIEN enseigne l’histoire et la musicologie des musiques populaires à l’Université Paris- Sorbonne (Paris IV). Dans les années 1990, il a travaillé comme auteur de chansons et comme chroniqueur musical tout en poursuivant des études de musique et de musicologie. Il a soutenu une thèse de doctorat sur le son Beatles en 1999 et contribué depuis à plusieurs publications spécialisées en France et à l’étranger (L’Éducation Musicale, Musurgia, Les Cahiers de l’OMF, Analyse Musicale, Revue de musique des universités canadiennes, British Journal of Music Education, Popular Music, The Continuum Encyclopedia of Popular Music of the World). Traducteur anglais-français pour la Cité de la musique de Paris, la Salle Pleyel et l’Ensemble Intercontemporain, rapporteur pour les revues Popular Music (Cambridge University Press) et Musurgia (ESKA), représentant de la branche francophone d’Europe de l’International Association for the Study of Popular Music au Conseil éditorial de l’IASPM@Journal et expert pour la Commission « Arts » du CNL (Centre National du Livre), le FnRS (Fonds de la Recherche Scientifique belge) et le FQRSC (Fonds Québécois de la Recherche sur la Société et la Culture), il a dirigé l’ouvrage collectif international Sgt. Pepper and the Beatles : It Was Forty Years Ago Today (ARSC Award for Best Research in Recorded

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Rock and Popular Music 2009). Ses recherches portent principalement sur le rapport des musiciens populaires à la technologie et sur le conditionnement des musiques populaires, en tant que tradition, par la phonographie.

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Compte-rendu Seminar report

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Séminaire d’histoire sociale du rock

Stéphane Escoubet et Yannig le Moullec

RÉFÉRENCE

CRHEC, IRHiS, Centre d’histoire sociale du XXe siècle

1 C’EST À DEUX HISTORIENS, Arnaud Baubérot (CRHEC) et Florence Tamagne (IRHiS, Centre d’histoire sociale du XXe siècle), que l’on doit l’organisation d’un nouveau séminaire consacré à l’Histoire sociale du rock, dont la première édition s’est tenue de février à juin 2011 au centre Mahler (Paris 4e). Souhaitant ouvrir un espace de dialogue interdisciplinaire sur le sujet, ce séminaire a vu se succéder les interventions d’historiens, sociologues, musicologues, et spécialistes en French Studies, autour de la question : « Comment faire l’histoire du rock en France aujourd’hui ? ». Il a également accordé une place importante aux échanges avec des professionnels intégrés au monde du rock, et ce dans un même esprit critique. Les interventions se sont déroulées devant une assemblée d’étudiants et de chercheurs en sciences sociales, ainsi que de passionnés de rock (qui furent dans certains cas les mêmes).

Approches et méthodologies

2 La question des approches et méthodologies a occupé les deux premières séances : la première (09 février) abordait la définition du champ d’étude (le « rock ») et l’état des recherches menées en France ; pour la seconde (16 mars) deux musicologues exposaient la démarche qu’ils avaient adoptée pour leurs travaux respectifs.

3 Stéphane Escoubet (université Toulouse le Mirail) a rappelé que la définition du rock n’était pas à envisager comme un postulat de départ mais comme un objet d’étude en soi : la négociation de son sens et de ses limites constitue une activité inhérente au monde du rock. S’intéresser aux définitions du « rock », comme de tout objet s’inscrivant dans ce champ (un genre, une scène, un groupe...), amène à examiner la relation entre des représentations et des pratiques. Dressant un bilan des études

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françaises consacrées au rock, le sociologue Gérôme Guibert a pointé le rôle des politiques culturelles et du renouvellement générationnel dans la dénomination et la délimitation du champ culturel qui nous occupe (Guibert, 2006). Il a également souligné l’intérêt d’aborder la question par le biais de la notion de scène, invitant à une relocalisation géographique et temporelle de questionnements parfois abordés à une échelle trop générale.

4 Le musicologue Christophe Pirenne (université catholique de Louvain) témoignait de la difficulté des choix qu’il avait du effectuer au cours de la rédaction de son ouvrage Une histoire musicale du rock (Pirenne, 2010). L’auteur exposait deux des partis pris de son travail : proposer une histoire du rock en grande partie fondée sur ses caractéristiques sonores, et adopter une définition très large du rock. Aude Martheleur a fait part de l’approche développée dans le cadre de sa thèse de musicologie consacrée au rock psychédélique de 1966 à 1970. Ce travail l’avait amené à envisager ce dernier comme la « bande son » d’un mouvement culturel plus large, qui embrassait également les domaines du cinéma, des arts plastiques et de la littérature.

Histoire et mémoire

Les séances des 6 avril et 11 mai 2011 étaient consacrées au thème « Histoire et mémoire ».

5 Philippe Manœuvre, rédacteur en chef de Rock & Folk, a rappelé les fondements de la revue qu’il a rejointe en 1975 : la puissance d’écriture et l’invention de mythes. Jusqu’en 1984 il a suivi une actualité très féconde : mais, pour lui, ce travail n’était pas vraiment du journalisme plutôt la présentation d’un certain regard sur le rock. Interrogé par Claire Blandin (historienne des médias, ici discutante), il a évoqué la dépendance de la presse à la créativité musicale : aux souffles des années 1960, 1970, 1993-1995 et d’une partie des années 2000 il a opposé l’année 1984, le début des années techno ou la crise du disque actuelle. Il a souligné la concurrence régulière des nouveaux médias de communication et a précisé que ce sont les « unes » consacrées aux anciens groupes qui fédèrent le plus un lectorat pluri-générationnel.

6 Le médiéviste Stéphane Lebecq a présenté comment, tout en étant professeur à Lille, il a participé à l’organisation de concerts de 1969 à 1973 : d’abord dans une boîte de nuit (MC5) puis dans une grande salle de la ville (Rolling Stones, Pink Floyd). Il était chargé des relations avec les groupes ainsi que de la promotion des concerts dans les médias. Un poste à l’université de Lille et l’investissement dans une thèse l’ont détourné de son activisme rock. Pour Samuel Kirszenbaum, la photographie - dont il est historien - est le produit visuel du rock comme le prouve la pochette de l’album London Calling des Clash. Il a présenté les principes de Vox Pop, dont il est rédacteur en chef adjoint : l’indépendance, l’association systématique d’un travail photographique de qualité à l’écriture d’articles approfondis et l’utilisation des seules photographies de l’équipe.

7 La séance du 15 juin 2011 était intitulée « Regards croisés : identités du rock français ». Yves Santamaria (Histoire contemporaine, IEP Grenoble) a rappelé la sympathie originelle de Johnny Hallyday pour l’anticommunisme et le sionisme, en décalage avec une opinion française assez antiaméricaine (Santamaria, 2010). Ensuite il a montré que le rocker devient plus consensuel, votant Giscard en 1974 et Mitterrand en 1981, puis se rapprochant du gaullisme. Depuis il incarne la figure du « libéral libertaire », épousant la mondialisation mais captif d’un marché national qui vénère encore sa stature anti-

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bourgeoise. Concernant Carte de Séjour, qui se voulait arabe et antirépublicain, Barbara Lebrun (French Studies, Université de Manchester) a montré que le groupe « new-wave métisse » ne rentrait pas dans les cases de SOS Racisme. Le groupe de Rachid Taha s’est donc retrouvé très mal à l’aise face au succès de « Douce France » en 1986 : une reprise punk et « fun » de Trénet à la fois ironique et antipatriotique que Jack Lang a transformé en essai républicain et pro-beur.

8 Au terme de sa première édition, s’il ne fallait retenir qu’une seule ligne du bilan de ce séminaire, ce pourrait être l’intérêt des échanges suscités par l’intervention d’acteurs du monde du rock. Preuve est faite que ce type de manifestation scientifique gagne à intégrer une part de dialogue avec ces derniers, à leur accorder non seulement le crédit du témoignage mais aussi celui de participer à la construction d’un regard critique sur leur propre champ d’activité. Le séminaire d’Histoire sociale du rock a repris depuis février 20121.

BIBLIOGRAPHIE

Gérôme GUIBERT (2006), La production de la culture. Le cas des musiques amplifiées en France, Nantes/ Paris, Seteun/Irma, 2006.

Christophe PIRENNE (2011), Une histoire musicale du rock, Paris, Fayard.

Yves SANTAMARIA, Johnny, sociologie d’un rocker, Paris, La Découverte, 2010.

NOTES

1. Le programme du séminaire 2012, sur le site Internet de l’IRMA : http://www.irma.asso.fr/ Histoire-sociale-du-rock.

INDEX

Thèmes : rock music Mots-clés : méthodologie Keywords : methodology

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AUTEURS

STÉPHANE ESCOUBET

Stéphane ESCOUBET est enseignant (PRAG) au département musique de l’université Toulouse-le Mirail. En cours de rédaction, sa thèse de musicologie (université Paris 4) s’intéresse au groupe pop The Divine Comedy à travers le paradigme culturel des Inrockuptibles.

YANNIG LE MOULLEC

Doctorant en histoire à l’université Paris 13, Yannig LE MOULLEC prépare actuellement une thèse sur Le rock à Rennes depuis les années 1960, sous la direction de Loïc Vadelorge.

Volume !, 9 : 1 | 2012 345

Notes de lecture hors-dossier Other book reviews

Volume !, 9 : 1 | 2012 346

Talia BACHIR-LOOPUYT, Clément CANONNE, Pierre SAINT-GERMIER, Barbara TURQUIER (dir.), « Improviser. De l’art à l’action », Tracés, Revue de sciences humaines

Jean-Louis Fabiani

RÉFÉRENCE n° 18, Lyon, ENS.

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1 EST-IL POSSIBLE DE DONNER une définition de l’improvisation susceptible de subsumer la multiplicité de ses usages particuliers et quelquefois contradictoires ? Comment articuler les usages associés aux activités artistiques, qui tendent à dominer les débats récurrents autour du statut des musiques dites improvisées, avec une réflexion plus générale sur les formes d’action sans préparation ? « Nous sommes empiriques dans les trois quarts de nos actions », faisait remarquer Leibniz : l’assertion présuppose que la vie quotidienne est faite de gestes et d’interactions qui n’ont été ni répétés, ni planifiés, ni organisés. Toutes ces actions peuvent-elles être pour autant qualifiées d’improvisation ? Certainement pas, sinon toute forme de routine ou de mise en œuvre préréflexive d’un habitus, pour reprendre le lexique analytique de Pierre Bourdieu, pourrait être candidate à ce statut. Il semble qu’au contraire l’improvisation implique une forme, fût-ce minimale, de « créativité de l’agir », selon le vocabulaire néo-pragmatiste d’Hans Joas. C’est ce qui fait d’ailleurs le caractère paradigmatique de l’improvisation artistique, puisqu’elle enveloppe, au moins en droit, une disposition à la production de nouveauté : c’est même une des armes favorites des thuriféraires de la musique improvisée, qui s’appuie sur une présomption de créativité ou d’originalité, par opposition ostentatoire avec les routines des appareils institutionnels ou des formes canoniques. Le free jazz, en ses composantes musicologiques aussi bien qu’idéologiques, demeure l’expression la plus concentrée de ce point de vue. On mesure d’emblée la difficulté que recèle toute tentative qui vise à produire une théorie générale de l’improvisation : comment tracer la démarcation entre le geste routinier sans planification et le geste qui fait de l’impréparation une ressource créative ? Comment penser ensemble le monde bigarré de l’action inopinée avec celui de la création artistique ?

2 Les responsables du numéro de Tracés consacré à cette question ont refusé de poser le problème de l’emboîtement possible de ces deux grandes formes d’improvisation, et ils ont préféré mettre en tension la version « artistique » de l’improvisation et les déclinaisons que, faute de mieux, on peut appeler laïques de l’action sans préparation pour produire des effets d’intelligibilité. Le titre qui s’appuie sur un verbe : improviser, donne déjà une des clés de l’entreprise. C’est l’analyse des processus qu’il convient de privilégier dans une confrontation hétérogène, sinon hétéroclite, entre le trafic à un carrefour en Inde, décrit avec une grande précision ethnographique et un souci modélisateur par Emmanuel Grimaud, la conversation, et diverses formes d’improvisation artistique, pour lesquelles la « volonté d’art » explicite diffère grandement.

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3 L’ensemble des quinze contributions peut-être lu à la lumière d’une théorie de l’improvisation où la coprésence de formes hétérogènes est susceptible de produire des effets inédits : ainsi les traductions de références classiques, comme celle de Gilbert Ryle, voisinent avec des entretiens, comme celui dans lequel Howard Becker revisite la notion polysémique de répertoire, mais aussi avec des improvisations sociologiques, comme celle qu’Antoine Hennion développe sur un thème de Denis Laborde. Malgré la différence des niveaux et des prises sur l’objet, le numéro se lit avec un plaisir constant, et fait affleurer un thème connexe de l’improvisation, celui de la coordination, puisque l’improvisation est très rarement une entreprise solitaire et qu’elle suppose que les participants règlent en permanence leur action sur celle des autres protagonistes sans mettre en œuvre d’autres ressources que celle que fournit l’interaction. Le lecteur est guidé dans ce qui pourrait finir par ressembler à un charivari impréparé par une remarquable introduction écrite à plusieurs mains et qui constitue un des plus remarquables états de la question qu’on ait pu lire sur ce difficile sujet depuis quelques années. Plutôt que de prendre comme allant de soi l’idée selon laquelle une théorie générale de l’improvisation serait une réalité ou une possibilité pour le futur, Talia Bachir-Loopuyt, Clément Canonne, Pierre Saint-Germier et Barbara Turquier s’interrogent sur la capacité de la notion à engendrer des tensions et des interrogations sur les frontières des discours qui la mobilisent. La meilleure clé d’entrée pour un débat sur l’improvisation est celle du faire, dont il est remarquable qu’il soit d’emblée défini par la négative (pas de plan, pas d’« œuvre » au sens canonique, etc.), mais aussi, secondairement, par la mise en œuvre de compétences spécifiques, y compris incorporées dans des routines, qui permettent de relativiser l’aura de surgissement pur qui entoure souvent l’objet.

4 Qu’est-ce qu’ils font donc quand ils improvisent ? L’impératif descriptif est ici de mise, et il sape à la fois les idéologies de la créativité sans contrainte et les désenchanteurs professionnels qui réduiront l’action sans préparation apparente à l’expression d’une socialisation antérieure (c’est l’habitus, vous-dis-je !). Les analyses de l’improvisation sont une excellente occasion d’exemplifier les mérites de l’analyse processuelle dans les sciences sociales : ni jaillissement sans pareil de l’inouï ou de l’inédit, ni simple mise en œuvre de routines ou de schèmes incorporés, l’improvisation est une pierre de touche pour les théories de l’action située, qui éclairent la dynamique ouverte par les points d’appui ou les « affordances » d’action. Au-delà de la démarche processuelle, c’est bien évidemment la notion d’émergence que permet le retour réflexif sur la notion d’improvisation. Ce n’est pas seulement du côté de la mobilisation, inégalement compétente et irrégulièrement féconde, des ressources liées à la socialisation ou à l’environnement immédiat qu’il faut loger les dynamiques collectives, mais du côté d’entités émergentes qui sont définitivement irréductibles tant au niveau des compétences mises en œuvre que des intentions des différents acteurs. Sous ce rapport, le numéro de Tracés est une contribution, limitée mais significative, à l’une des problématiques les plus fécondes des sciences sociales aujourd’hui. La notion d’émergence est fascinante en ce qu’elle permet de confronter des démarches ethnographiques avec des tentatives de modélisation. En ce sens, elle permet d’aller au- delà des conclusions habituelles de l’ethnométhodologie ou des théories de l’action située, qui postulent ordinairement l’impossibilité de la modélisation en bonne et due forme. Il va de soi que les organisateurs de la revue n’exploitent pas complètement l’ouverture que permet la notion d’émergence : mais ils la programment, et ce n’est pas l’un des moindres mérites de leur rigoureux travail collectif.

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5 À la fin de la lecture de ce volume, qui s’imposera sans doute comme une référence dans l’espace francophone, on est convaincu du caractère heuristique de la notion d’improvisation, pour autant qu’on la déleste de sa charge idéologique habituelle, spontanéiste et anti-institutionnelle (par laquelle les gens qui ont eu vingt ans en 1968 l’ont trop souvent considérée de façon unilatérale) et qu’on l’associe avec une problématique de la réception ou de l’appréciation, comme le fait entre autres Olivier Roueff dans sa contribution. L’instance du public est en effet centrale dans la qualification de l’improvisation et dans l’évaluation de sa qualité : ce volume nous le rappelle avec des ressources nouvelles. Il nous dit aussi la fécondité de la notion de transfert quand elle est utilisée avec finesse. On peut féliciter le groupe de jeunes chercheurs qui a produit cet ensemble pour leur capacité d’interroger les frontières de nos savoirs spécialisés, pour leur habileté à faire jouer des concepts qui sont présents dans l’actualité théorique la plus « chaude » (émergence, processus) sans pour autant se complaire dans les ressources faciles de la mode. Ce travail collectif est donc de très bon augure pour les sciences sociales. On en recommandera la lecture sans réserve.

INDEX

Mots-clés : improvisation Keywords : improvisation

AUTEURS

JEAN-LOUIS FABIANI

Jean-Louis FABIANI, sociologue, directeur d’études à l’EHESS et professeur à Central European University à Budapest, auteur notamment des Philosophes de la République (1988), Lire en prison (1995), Après la culture légitime (2007) et Qu’est-ce qu’un philosophe français ? (2010). mail

Volume !, 9 : 1 | 2012 350

Fréderic Martel, Mainstream. Enquête sur cette culture qui plaît à tout le monde

Raphaël Nowak

RÉFÉRENCE

Flammarion, Paris

Volume !, 9 : 1 | 2012 351

1 AVEC MAINSTREAM, Frédéric Martel entreprend une étude de la culture globale au sein d’un monde multipolaire où chaque entité culturelle cherche à se faire une place au soleil. Près de 1250 entretiens ont été réalisés dans le cadre de cette enquête, tous par Fréderic Martel, qui aura parcouru le globe, de Tokyo à Rio, en passant par Beyrouth, Bruxelles, Jakarta et Los Angeles. Ce projet titanesque permet à Martel de dresser un portrait complet des différentes stratégies des acteurs de la culture globale (ou mainstream) et par conséquent, des dynamiques de prises de décisions qui expliquent tout ce qui fait le « divertissement ».

2 Le point de départ du livre est le 11 septembre 2011, les attaques terroristes, les séquelles laissées dans les esprits et la redistribution des cartes au niveau géopolitique et culturel. Dans un monde « post 11 septembre », les grandes firmes du divertissement partent à l’assaut de continents entiers afin d’y diffuser leurs « produits » culturels, une certaine idéologie et un mode de vie particulier. Dès le début de son ouvrage, Martel annonce d’ailleurs très clairement la couleur : « la guerre culturelle mondiale est bel et bien déclarée » (10). Les leaders en la matière sont toujours américains pour qui la culture mainstream se représente à coût de multiplexes géants où toute la famille peut profiter des derniers « blockbusters » (souvent des suites de films à succès) tout en mangeant du popcorn, en sirotant des litres de coca-cola et avant éventuellement de s’arrêter à son restaurant préféré sur le chemin du retour à la maison. Ce mode de consommation où toutes les plus grandes marques coexistent se veut exportable. Un des enquêtés va jusqu’à répondre à Martel : « nous faisons toujours des films Américains, c’est-à-dire des films universels » (85). Derrière les Américains, les Brésiliens, Chinois, Japonais, Indiens ou autres Qataris ne sont pas en reste et appliquent les mêmes recettes d’accessibilité, comme en témoignent par exemple les films de Bollywood (Inde), la musique K-pop (Corée), J-pop (Japon) ou encore la chaine télévisée qatarie Al-Jazeera.

3 La culture mainstream doit être accessible, au niveau national comme au niveau international. Elle est gourmande et incorpore tous les éléments qui peuvent plaire au plus grand nombre. En ce sens, elle est similaire au capitalisme, dont Weber disait qu’il se nourrit de ses propres critiques (1989). Cependant, Martel néglige les explications basées sur l’évolution du capitalisme, auquel la culture mainstream vient pourtant se greffer. De même, l’expression de « guerre culturelle mondiale » semble contradictoire avec l’idée d’une culture mainstream qui se mondialise et qui sert, par conséquent, d’élément pacificateur à l’échelle globale. La guerre de la culture est en fait davantage une guerre entre conglomérats, et donc, une guerre économique.

Volume !, 9 : 1 | 2012 352

4 Mainstream se lit en fait comme un « roman journalistique ». Les lecteurs sont invités à suivre le personnage principal (Martel) partir à la rencontre de ses interviewés, à attendre dans des halls de grands buildings ou marcher dans les pas de Bill Murray et Scarlett Johansson au New York Bar du 52e étage du Park Hyatt Hotel de Tokyo, où le film Lost in Translation fut tourné. Les descriptions sont nombreuses et les personnages présentés en relation avec une perspective historique (comment les conglomérats se sont construits etc.). Néanmoins, les thèmes abordés ne sont que rarement mis en abyme dans une perspective analytique. Le travail de terrain, ô combien riche, s’en trouve sous-utilisé. Le challenge de Martel fut de condenser 1250 entretiens dans un livre de 450 pages et son défaut fut peut être de chercher à produire une vision exhaustive du phénomène qu’il analyse.

5 Au final, l’impression laissée par le livre de Martel se synthétise par une dichotomie : il est difficile de ne pas se passionner pour le sujet du livre (sans doute le plus important de ce XXIe siècle) et le voyage que l’auteur nous offre à travers le monde et la culture mainstream. Il est également difficile de passer outre les manques du livre, au niveau théorique notamment, qui empêchent l’auteur d’offrir une véritable profondeur de vue sur la culture mondialisée. Comment ne pas penser entre autre à Latour et ses réflexions sur le monde moderne et l’illusion d’unité (2002), à Ramonet et ses analyses textuelles sur les produits culturelles (1999, 2000) ou encore Weber sur l’émergence du capitalisme (1989) et Klein sur ses dérives contemporaines (2006). Avec cet ouvrage, Frédéric Martel nous offre en fait un livre qui reprend les principales caractéristiques de la culture qu’il décrit.

BIBLIOGRAPHIE

KLEIN Naomi (2007), The Shock Doctrine : the Rise of Disaster Capitalism, Metropolitan Books.

LATOUR Bruno (2002), La Guerre des Mondes — offres de paix, UNESCO.

RAMONET Ignacio (2000), Propagandes Silencieuses. Masses, télévision, cinéma, Paris, Gallimard.

RAMONET Ignacio (1999), La tyrannie de la communication, Paris, Gallimard

WEBER Max (1989), L’Éthique protestante et l’esprit du capitalisme, Poche.

INDEX

Keywords : mainstream / commercialism / commodification Mots-clés : mainstream / commerce / marchandisation

Volume !, 9 : 1 | 2012 353

AUTEURS

RAPHAËL NOWAK Raphaël est étudiant en PhD à la Griffith University, Gold Coast, Australie. Il a récemment soumis sa thèse de sociologie portant sur les usages quotidiens de la musique. En analysant les interactions entre les auditeurs et les supports d’écoute, Raphaël s’attache à démontrer la fluidité des affects musicaux et les formes d’accompagnement que la musique revêt au quotidien. En conséquent, la musique est mobilisée afin de maintenir la cohérence des biographies des auditeurs, grâce à la gestion des pratiques d’écoute. mail

Volume !, 9 : 1 | 2012