Buster » Crabb, Plongeur De Sa Majeste
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Centre Français de Recherche sur le Renseignement NOTE HISTORIQUE N° 24 LA DERNIERE MISSION DE « BUSTER » CRABB, PLONGEUR DE SA MAJESTE Gérald Arboit Le 9 juin 1957, un corps étêté fut découvert par un pêcheur à proximité de Pilsey Island, une petite île au large de Chichester Harbour, dans le Sussex occidental. Deux éléments intriguèrent les enquêteurs : d’abord, il était revêtu d’une tenue de plongée une pièce de la Avon Rubber Company ; ensuite, ses mains manquaient. Bien que toute identification fût impossible, cette immersion fut reliée à une disparition signalée un an plus tôt, une quinzaine de kilomètres plus à l’est, au large de Portsmouth, dans la nuit du 19 avril 1956. L’affaire avait même tourné en affaire d’Etat après sa divulgation par les médias. Mais ni le Lieutenant Commander William McLanachan, un officier plongeur de la base de Portsmouth, ni la veuve du disparu-présumé, Margaret Elaine Player, avec qui elle n’avait été mariée que quelques mois trois années auparavant1, ni sa compagne au moment de sa disparition, Patricia Rose, ne le reconnurent formellement. Seul un ancien compagnon de plongée, Sydney James Knowles, nota que le disparu, comme le corps mutilé, portait une cicatrice sur le genou gauche. Si elle conserva le dossier ouvert, la police de Chichester n’en annonça pas moins que la dépouille était celle de Lionel Kenneth Philip « Buster » Crabb, quarante huit ans, capitaine de frégate de réserve dans la Royal Navy, officier du British Empire et titulaire de la George Medal2. La découverte du corps du plongeur ne fit pas autant de bruit que sa disparition, un an plus tôt. Dès le 29 avril 1956, sans autre raison que des bruits de provenances diverses, la presse s’était emparée du sujet. L’homme n’était pas n’importe qui. Plongeur-démineur pendant la Seconde Guerre mondiale, il était passé à la postérité comme le plongeur de la dernière chance, intervenant lors de deux naufrages de naufrages de sous-marins britanniques, le HMS Truculent, en janvier 1950, et le HMS Affray, en juin 19513. La presse avait encore parlé de lui lors de la mission infructueuse de recherche d’un vaisseau de l’Invincible Armada, le San Juan Baptiste ; elle était financée par le duc d’Argyll, et Crabb avait fait équipe avec le contre-amiral (à la retraite) Patrick McLaughlin4. Lionel Crabb ne passait pas inaperçu, toujours vêtu d’un costume de tweed fauve, couvert d’un feutre rond et ne 1 Ils s’étaient mariés le 15 mars 1952, séparés en avril 1953 et divorcés en décembre suivant. 2 West Sussex Record Office, Chichester, Pol/W/C/6/2, rapports du Detective Superintendent Alan Hoare du 11 juin, du Coroner Bridgeman du 29 juin et The Times du 27 juin 1957. 3 Cf. The Times du 30 avril 1956. 4 Cf. The Times des 15 juillet, 9 et 11 août 1954, ainsi qu’Alison McLeay, The Tobermory Treasure: The True Story of a Fabulous Armada Galleon (Londres, Conway Maritime Press, 1986), pp. 118, 119, 123-127. ___________________________________________________________________________ 17 Square Edouard VII, 75009 Paris - France Tél. : 33 1 53 43 92 44 Fax : 33 1 53 43 92 92 www.cf2r.org Association régie par la loi du 1er juillet 1901 SIRET n° 453 441 602 000 19 2 se séparant jamais de sa canne-épée avec un gros bouton en argent gravé d’un crabe d’or. Mais ce qui avait le plus intrigué la presse, le 2 mai 1956, était que quatre pages du registre du Sallyport Hotel, où il était descendu, avaient été arrachées. L’affaire prenait un tour politique… Operation Claret Pas plus que la disparition du commandant Crabb, une telle publicité d’une opération secrète n’avait été envisagée, bien au contraire. Depuis décembre 1954, l’Amirauté se penchait sur l’identification des caractéristiques des bruits sous-marins des navires de guerre soviétiques mouillant dans des ports européens. Elle en avait même fait sa priorité principale, mandatant le 4 juillet 1955 le vice-amiral John Inglis, directeur de la Naval Intelligence (DNI), pour négocier avec son homologue de la Royal Air Force et le Foreign Office, un accord politique pour certaines opérations des services de renseignement (Political Approval for Certain Service Intelligence Operations). Une série d’« approbations globales » était accordée à des activités de renseignement électromagnétique et photographique, comme pour des écoutes de bruits sous-marins. Pour de « raisonnables précautions afin d’éviter des incidents », les avions et les vaisseaux affectés à ces missions ne devaient pas violer les eaux territoriales et les espaces aériens étrangers. La raison de ces « approbations globales » tenait dans les « rares occasions » offertes par les navires soviétiques d’intérêt croisant dans les eaux internationales. Le Foreign Office demanda toutefois à être informé préalablement, dans un délai raisonnable, des « autres opérations » que les services entendaient mettre en œuvre1. Trois mois plus tard, une opportunité s’offrit lorsqu’un groupe naval soviétique s’annonça pour mouiller en rade de Portsmouth, pour la première fois depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Il se composait de destroyers et de deux croiseurs, le Sverdlov et l’Alexander Sevarov2, lesquels intéressaient fortement les marines britanniques et américaines pour leur manœuvrabilité. La DNI saisit l’occasion pour faire procéder à une analyse sous-marine. La mission fut confiée à un officier de la Royal Navy Volunteer Reserve (RNVR), vétéran de la Seconde Guerre mondiale, le Commander Crabb. Dans le civil, il travaillait pour Harold Victor Maitland Pendock, un vendeur d’équipement pour bar du quartier de Soho et inventeur à ses heures. Mais cet officier supérieur avait un brillant passé militaire, et était surtout un plongeur accompli. Ayant rejoint l’armée comme canonnier lors de la mobilisation, il avait été transféré à la RNVR et reçu une formation d’officier spécialiste en déminage. Le 7 novembre 1941, il était promu lieutenant à titre temporaire. Affecté en octobre 1942 sur le HMS Cormorant à Gibraltar, assiégé par des mines italiennes, il était initialement chargé de les désamorcer… à terre. De son propre fait, il s’initia à la plongée et au déminage en mer, sans négliger de faire le coup de feu contre les Italiens de la Decima Flottiglia MAS (Mezzi d’Assolto), embusqués sur le tanker 1 National Archives (NA), Kew, Records of the Admiralty (ADM), 1/29320. Les pénétrations aériennes de l’Union soviétiques échappaient à cet arrangement, gérées précautionneusement et individuellement par le chef de l’Air Intelligence et le directeur du Joint Intelligence Committee. 2 Ce groupe participait à un échange avec la Royal Navy. Au même moment, le commandant en chef de la Home Fleet, l’amiral Sir Michael Denny, mouillait à Leningrad à la tête du groupe aéronaval du HMS Triumph. Naturellement, une nuée de plongeurs soviétiques croisèrent ses eaux de mouillage [NA, ADM 1/29240, Sir Edward Bridges, Report of an Enquiry on an Intelligence Operation against Russian Warships, p. 9, The Times du 12 mai 1956 et Michael Smith, New Cloak, Old Dagger : How Britain’s Spies Came in from the Cold (Londres, Gollancz, 1996), p. 120-121]… 3 Olterra, ancré à Algésiras. Le 17 décembre 1942, il récupéra les appareils de plongée de deux plongeurs ennemis tués lors d’un assaut contre Gibraltar. Ses « galanterie et intrépide dévotion au service » lui valurent de se voir décerner la George Medal1. Trois ans plus tard, il était affecté sur le HMS Fabius, à Tarente, et se voyait confier la responsabilité de déminer, en Italie du Nord, les ports de Livourne et de Venise2. Il participa également à l’enquête, en tant qu’officier plongeur, sur les conditions de la mort du général Władysław Eugeniusz Sikorsky, dont le B-24 Liberator s’était abîmé au large de Gibraltar, le 4 juillet 1943. En août 1945, il fut été affecté en Palestine, commandant une équipe de démineurs sous-marins luttant contre les menées de l’Irgun3. Démobilisé le 30 avril 1948 avec le grade de Lieutenant-Commander à titre temporaire et une promotion dans l’Ordre du British Empire4, il fut été reversé dans la RNVR avec affectation à Malte, sur le Diving Support Vessel HMS Reclaim. Reprenant du service actif le 12 octobre 1951, à Portsmouth, sur le HMS Vernon, siège de la Torpedo and Anti-Submarine Branch (TAS), il fut promu capitaine de frégate le 30 juin 1952 et prit la direction du Experimental Clearance Diving Team (ECDT) à West Leigh House, au sein du Underwater Countermeasures Weapons Establishment de Havant. A ce titre, il participa à des missions de sauvetage sous- marin, mais également à l’essai de matériel de plongée ou de caméra sous-marine pour filmer, comme à l’été 1949, la cavitation de sous-marins. Le 8 avril 1955, atteint par la limite d’âge de son grade de Commander, il quitta l’uniforme, mais pas le « service spécial » auquel il était affecté. En octobre de cette même année, il fut convié à une rencontre discrète avec le Premier Lord maritime de l’Amirauté, Louis comte Mountbatten of Burma. Il se vit confier la mission d’explorer la coque des Sverdlov ancrés à Porstmouth. Comme il ne s’agissait pas d’une mission « officielle », il était libre de recruter son équipe. Son choix se porta sur un ancien camarade rencontré à Gibraltar et avec lequel il avait chassé le trésor en Ecosse, le chargeur de première classe Knowles. Il l’invita simplement à « un petit travail à Portsmouth ». Leur équipée révéla d’utiles informations. Le 22 janvier 1956, une réunion se tint à l’Amirauté pour discuter des opportunités de recueillir des informations à l’occasion des visites de navires soviétiques dans les ports d’Europe occidentale.