Cahiers D'ethnomusicologie, 7
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Cahiers d’ethnomusicologie Anciennement Cahiers de musiques traditionnelles 7 | 1994 Esthétiques Édition électronique URL : http://journals.openedition.org/ethnomusicologie/1279 ISSN : 2235-7688 Éditeur ADEM - Ateliers d’ethnomusicologie Édition imprimée Date de publication : 31 décembre 1994 ISBN : 2-8257-0503-9 ISSN : 1662-372X Référence électronique Cahiers d’ethnomusicologie, 7 | 1994, « Esthétiques » [En ligne], mis en ligne le 09 décembre 2011, consulté le 06 mai 2019. URL : http://journals.openedition.org/ethnomusicologie/1279 Ce document a été généré automatiquement le 6 mai 2019. Tous droits réservés 1 Si nous avons l’habitude d’envisager le champ de l’esthétique à la lumière de notre sensibilité et de nos goûts personnels, nous constatons qu’en d’autres temps et en d’autres lieux, il est surtout affaire de conformité, et que l’éventuelle originalité d’un artiste, d’un artisan ou d’un musicien n’y est jugée pertinente que dans la mesure où elle s’inscrit dans les limites assignées par la tradition à la créativité individuelle. Dans le contexte de nombreuses civilisations, de la même façon qu’en Europe au Moyen Age, le terme d’art définit essentiellement un savoir-faire ; la raison d’être des formes qu’il met en œuvre, notamment des formes musicales, procède avant tout de leur efficacité reconnue, tant sur le plan de leur valeur symbolique et de l’usage rituel qui en découle, qu’au niveau des vertus que sa pratique engendre et, accessoirement, à celui des émotions et des réactions qu’elle suscite chez ses destinataires. L’esthétique peut être définie comme la « science du beau culturellement déterminé », et en même temps comme le « pouvoir attractif de la beauté » ; elle se réfère ainsi aux domaines de la métaphysique (dont elle tire ses modèles), de la philosophie (qui en définit les principes), de l’anthropologie culturelle (qui en analyse les champs d’application collectif) et de la psychologie (qui en mesure les effets individuels). La richesse et la diversité des conceptions musicales de l’humanité démontrent que, si la notion d’esthétique est toujours liée à celle d’harmonie, les solutions pour tendre vers cet idéal diffèrent considérablement d’une culture à l’autre. En passant des grands courants de civilisation d’Orient et d’Occident aux expressions populaires du XXe siècle que sont par exemple le blues et le flamenco, sans ignorer certaines cultures encore relativement méconnues d’Afrique, ce volume apporte une nouvelle contribution à la réflexion sur le rôle et la signification de la musique dans la société. Cahiers d’ethnomusicologie, 7 | 1994 2 SOMMAIRE Dossier : esthétiques La délectation du rasa. La tradition esthétique de l’Inde Philippe Bruguière Question de goût. L’enjeu de la modernité dans les arts et les musiques de l’Islam Jean During Notions d’esthétique dans les traités arabes sur la musique Amnon Shiloah De l’homme parfait à l’expressivité musicale. Courants esthétiques arabes au XXe siècle Christian Poché L’esthétique musicale de Sunda (Java-Ouest) Wim Van Zanten Un voyage vers l’inconnu. Conventions esthétiques dans la musique des Anlo-Ewe du Ghana Daniel Avorgbedor La vertu de l’instrument. À propos de quelques inscriptions gravées sur des qin anciens Georges Goormaghtigh De la représentation du vécu à la thérapie musicale. À propos du mfung-a-miti et du nkir des Ding du Zaïre Lay Tshiala L’enregistrement du blues : cristallisations d’un genre Alan Govenar L’esthétique du flamenco : une contre-esthétique ? Bernard Leblon Quelques remarques sur les cadences dans la musique de vénerie française Luc Breton Exotisme et esthétique musicale en France Approche socio-historique Yves Defrance Entretiens Une expérience transculturelle. Entretien avec Gerhard Kubik Tiago de Oliveira Pinto et Gerhard Kubik Musique « folklorique » et musique savante en Amérique latine. Entretien avec Isabel Aretz Michel Plisson et Isabel Aretz Cahiers d’ethnomusicologie, 7 | 1994 3 Comptes rendus Livres Edward LIPPMAN. A History of Western Musical Aesthetics Lincoln/London : University of Nebraska Press, 1992 Antoni Piz Michel ASSELINEAU, Eugène BEREL et TRAN QUANG Haï. Musiques du monde Courlay (France) : Editions J.M. Fuzeau, 1993 Laurent Aubert John GRAY. African Music. A Bibliographical Guide to the Traditional, Popular, Art, and Liturgical Musics of Sub-Saharan Africa / Carol LEMS-DWORKIN. African Music : A Pan-African Annotated Bibliography New York, Wesport (Connecticut) : Greenwood Press, 1991 / London : Hans Zell Publishers, 1991 Christian Poché Veit ERLMANN (éd.). Populäre Musik in Afrika Berlin : Museum für Völkerkunde Berlin, 1991 Margot Lieth-Philipp Éric de DAMPIERRE. Satires de Lamadani Paris : Armand Colin, 1987 Vincent Dehoux Eric de DAMPIERRE. Harpes zandé Paris : Klincksieck, 1991 Susanne Fürniß Harpes et harpistes du Haut-Oubangui Paris : Université de Paris X, 1994 Susanne Fürniß Doris WAGNER-GLENN : « Searching for a Baby’s Calabash ». A Study of Arusha Maasai Fertility Songs as Crystallized Expression of Central Cultural Values Ludwigsburg : Philipp Verlag, 1992 Barbara Wrenger Sully CALLY. Musiques et danses afro-caraïbes : Martinique Gros-Morne : Sully Cally/Lézin, 1990 François Borel Isabelle LEYMARIE. La salsa et le Latin jazz Paris : Presses universitaires de France, 1993 François Borel Bernard LORTAT-JACOB : Indiens chanteurs de la Sierra Madre. L’oreille de l’ethnologue Paris : Hermann, éditeurs des sciences et des arts, 1994 Laurent Aubert Allyn MINER. Sitar and Sarod in the 18th and 19th Centuries Wilhelmshaven : Florian Noetzel Verlag, 1993 Laurent Aubert Francis TUPPER : Musiques de l’Inde du Nord. Guide d’écoute et discographie CD Paris : Editions du Makar, 1993 Laurent Aubert Cahiers d’ethnomusicologie, 7 | 1994 4 Disques Musique mélanésienne. Quelques publications significatives Peter Crowe Trois disques de musique des Aborigènes de Taiwan Enregistrements : Wu Rong-Shun Ya-Li Gao Cambodge : Musiques de l’exil L’orchestre de la Troupe de danse classique khmère (1992) Catherine Geach Deux disques relatifs à la musique bouddhique de Sri Lanka Mireille Helffer Domaine géorgien : quatre parutions récentes Pierre-Yves Haab Trois disques de musique touarègue François Borel Rencontre L’enseignement des musiques du monde. Deuxième Symposium international, Bâle, octobre 1993 Andreas Gutzwiller Cahiers d’ethnomusicologie, 7 | 1994 5 Dossier : esthétiques Cahiers d’ethnomusicologie, 7 | 1994 6 La délectation du rasa. La tradition esthétique de l’Inde Delighting in rasa. An aesthetic tradition of India. Philippe Bruguière « Je l’ai réellement entendu du dieu des dieux, Indra ainsi que de Śiva lui-même: la musique et le chant sont bien plus sacrés et salutaires que des milliers d’ablutions et d’infinies incantations » Nāṭya Śāstra XXXVI, 26. 1 Bien avant que la réflexion sur l’art ne devienne dans l’Europe des Lumières une matière que l’on désigna sous le nom d’esthétique1, les philosophes de l’Antiquité en avaient implicitement formulé les grandes idées qui, de la renaissance au romantisme, alimentèrent théories et créations artistiques. Cette nouvelle discipline, tantôt regardée comme la science du Beau, tantôt comme celle du Sublime ou celle des jugements de goût, fut l’objet de nombreuses spéculations (dont certaines encore vivaces aujourd’hui) qui s’efforcèrent d’en donner une définition en multipliant les variations sur le thème du Beau. Peu satisfaisantes d’un point de vue méthodologique et épistémologique, ces théories du Beau ou du jugement de goût furent vivement critiquées à la fin du siècle dernier et c’est ainsi que fut proposée une nouvelle perspective, acceptée de la plupart des esthéticiens contemporains, celle qui consistait à envisager l’esthétique comme la science générale ou universelle de l’art2. 2 L’art fut dès lors regardé comme un fait positif dont l’étude des lois qui régissent l’ensemble des œuvres présente autant d’intérêt que celles que l’on peut observer dans la nature ou celles qui structurent le monde des êtres vivants. En redéfinissant les fondements de son passé philosophique pour diriger dès le début du XXe siècle une partie de son analyse méthodologique vers la sociologie, la psychologie ou la linguistique, l’esthétique occidentale est aujourd’hui devenue une discipline intégrant de multiples points de vue, systématisant par l’unité de son objet la variété des méthodes qui peuvent s’y appliquer (Souriau 1970:132). Cahiers d’ethnomusicologie, 7 | 1994 7 3 L’histoire de cette forme de la pensée réflexive sur l’art connut en Inde un tout autre cheminement. Alors que l’on retrouve dans les systèmes philosophiques des penseurs hellénistes certaines des idées fondamentales qui caractérisent la théorie esthétique de l’Inde, celle-ci fut très explicitement exposée dès l’apparition du premier traité d’art dramatique, le Nāṭya Śāstra3, rédigé au tout début de l’ère chrétienne et attribué au sage Bharata4. Ce texte, véritable rhétorique de l’art qui aurait été révélé à Bharata par le dieu Brahmā5, est toujours regardé aujourd’hui par la tradition artistique comme la première autorité en matière d’esthétique et demeure une réference incontournable en matière de dramaturgie et de critique littéraire. Le mot nāṭya qui, dans son acceptation courante, signifie danse et représentation mimée, englobe ici toutes les disciplines qui participent à l’art théâtral, telles la poésie, la musique, la scénographie, l’architecture ou la peinture. Ces différentes branches artistiques, qui possèdent chacune leurs propres modalités de représentation, sont envisagées dans le rapport spécifique qu’elles entretiennent avec le théâtre. La théorie de Bharata les rassemble toutes dans une même pensée à la fois unifiante et réductionniste qui passe sous silence l’analyse individuelle de chacune d’entre elles. Seuls seront par la suite minutieusement expliqués à la lumière de cette théorie, les procédés et mécanismes littéraires qu’il convient de mettre en œuvre pour que l’art poétique soit porteur d’une réelle valeur esthétique. 4 Les quelques pages qui vont suivre se proposent donc d’exposer les concepts clefs qui fondèrent la pensée esthétique traditionnelle de l’Inde, tels qu’ils furent formulés par Bharata, à partir du seul champ d’investigation que fournit l’art théâtral.