JEANNE-MARIE DEMAROLLE Marcel Lutz (1908-2000), archéologue, céramologue et animateur de la SHAL

1. Marcel Lutz (au centre) dans les locaux de l’ancien musée de . Archives de la SHAL, section de Sarrebourg.

68 C’est à Sarrebourg que se tinrent, les 21-22 octobre négociant, lui ayant enjoint d’entrer rapidement 1978, les premières « Journées d’études mosel- dans le commerce. M. Lutz ouvrit donc en 1942, à Marcel Lutz (1908-2000), lanes ». Elles y sont de retour pour leur trente et Berthelming, un dépôt de chaussures pour la vente unième édition, preuve que le choix était bon. Le en demi-gros qu’il transféra à Sarrebourg après la dynamisme de la section locale et l’autorité scien- guerre. Il put néanmoins donner libre cours à son archéologue, céramologue tifique de Marcel Lutz, conservateur du musée de talent d’aquarelliste en organisant à Sarrebourg, Sarrebourg (alors installé avenue de ) [ill. 1] avec Edmond Kauffmann et René Theuret, de et maître de recherches honoraire au CNRS, nombreuses expositions. Il avait seulement et animateur de la SHAL n’avaient pas manqué de peser sur la décision de dix-sept ans lorsqu’il fonda le premier groupe François-Yves Le Moigne, président de la SHAL à d’artistes de Sarrebourg. Il devint dès 1935 socié- cette époque. Cette première édition rencontra un taire des « Artistes français » et, jusqu’aux années vif succès et il est donc juste de rendre aujourd’hui 1970, il mit ses dons artistiques au service de fines un hommage empreint d’une grande émotion au interprétations des paysages et des gens du pays de principal artisan de ce succès, Marcel Lutz. Sarrebourg. À cette date, il était pleinement investi dans un cursus archéologique, puisqu’il était entré Artiste et archéologue, cet enfant de la en 1962 au CNRS, en tant que spécialiste reconnu déploya ses talents dans des activités nombreuses de la céramique gallo-romaine. et diversifiées, mais toujours enracinées dans le pays de Sarrebourg. Un demi-siècle de publications Après avoir servi dans l’armée française en 1939, il scientifiques échelonnées avec une grande régula- resta en Lorraine et c’est alors, pendant la rité entre 1947 et 1998, plus de trois cents deuxième annexion, sous l’autorité du directeur aquarelles, des centaines d’heures passées sur le du Landesdenkmalamt Wilhelm Reusch que ses terrain de Saint-Ulrich, au musée ou dispensées en activités de fouilleur prirent une autre dimension. multiples conférences, quel bilan ! Né à , Il fut désigné comme correspondant officiel et Marcel Lutz vint très jeune à Berthelming, où devint conservateur du musée de Sarrebourg dès résidaient alors ses parents et où la famille de sa 1941. Homme doté d’une double culture, fortement future épouse, Camille Schertz, dirigeait une entre- impressionné par la supériorité de l’organisation prise de petite métallurgie. C’est à Berthelming archéologique allemande, sensible à la tolérance et que le couple repose à jamais, auprès de Marie- au libéralisme de Wilhelm Reusch, Marcel Lutz Josée, fille unique trop tôt disparue. a-t-il cependant saisi les motivations profondes des fouilles lancées par le Landesdenkmalamt et l’appareil nazi ? Il apparaît que rien ne l’obligeait à UNE JEUNESSE ENTRE ART, participer à de telles entreprises. Il y avait un autre ARCHÉOLOGIE ET COMMERCE choix, d’autres l’ont fait et l’ont parfois payé fort cher en ces heures sombres. Il est vraisemblable Marcel Lutz fit ses études secondaires au collège que Marcel Lutz s’est laissé entraîner par sa passion de Sarrebourg avant de se rendre à Strasbourg pour pour l’archéologie, et plus encore peut-être, par obtenir sa capacité en droit et suivre un enseigne- l’aspiration à une reconnaissance scientifique offi- ment qui le passionnait, celui de l’archéologie. À cielle. Sarrebourg comme à Strasbourg, il fut durablement influencé par Émile Linckenheld, formé à Munich, Certes, Marcel Lutz a fouillé des tumulus préhis- viscéralement attaché à la science allemande, mais toriques à et à entre 1942 et aussi disciple, après le retour à la France, du grand 1944, mais c’est entre 1948 et 1977 que se placent archéologue français Albert Grenier. ses recherches les plus importantes et les plus fécondes. Il jouit de la confiance et de l’estime de Mais Marcel Lutz ne put cependant pas satisfaire trois grands directeurs des Antiquités historiques alors sa passion pour l’archéologie, son père, en Lorraine, Émile Delort d’abord, puis Jean-

N° 3-4 ~ 2011 . Marcel Lutz (1908-2000), archéologue, céramologue et animateur de la SHAL 69 2 & 3. À pied d’œuvre lors des fouilles entreprises à la villa gallo-romaine de Saint-Ulrich. Archives de la SHAL, section de Sarrebourg.

Jacques Hatt et Roger Billoret. Il devient alors un Saturninus et de Satto à (Moselle) et, grand céramologue, sachant conjuguer la maîtrise sept ans plus tard, La Sigillée de . Il a des archéologues allemands dans l’identification ainsi révélé de nouveaux centres de production, à des tessons et les classements typologiques et celle commencer par celui de Mittelbronn, mis au jour des céramologues français dans l’étude culturelle en 1954, alors qu’il était encore un archéologue des décors céramiques. bénévole. Vinrent ensuite ceux de Boucheporn, d’, de la forêt de Hesse en Argonne.

L’APPORT À LA CONNAISSANCE En inventoriant le matériel découvert, le chercheur DE LA SIGILLÉE fit aussi considérablement progresser l’histoire des ateliers de sigillée dans l’ensemble de la Gaule au Alors qu’en Moselle le nom de Marcel Lutz est Haut Empire. Il donna une dimension socio-écono- inévitablement associé à celui de la villa-palais de mique à cette histoire en reconstituant le Saint-Ulrich [ill. 2 et 3] qu’il a fouillée de 1961 à développement de l’entreprise fondée par 1981, ce n’est pas là ce que la communauté savante Saturninus, potier venu de Gaule centrale, associé retient au premier chef. Les fouilles de grandes ensuite à Satto qui devint, pour finir, l’unique villas sont, en effet, relativement répandues et, responsable. Marcel Lutz se livra à des études absorbé par le suivi des fouilles, Marcel Lutz n’a pertinentes des décors, en analysa subtilement les malheureusement pas pu donner une publication thèmes, le plus souvent empruntés à la mythologie aboutie. C’est dans le domaine de la céramique et gréco-romaine, et l’organisation sur les parois des en particulier celui de la sigillée, céramique vases. Il marchait ainsi sur les traces de Joseph brillante, orangée, ornée de motifs en relief pour Déchelette, mort au combat en 1914, et sur celles imiter la luxueuse vaisselle métallique, qu’il a d’Émile Delort qui s’était consacré à la sigillée mise enrichi les collections du musée du pays de au jour à Chémery-lès-. Marcel Lutz Sarrebourg, ouvert de nouvelles voies et laissé deux s’employa à demander à la céramique sigillée autre ouvrages de référence. Il publia en effet successi- chose que des datations. Il mit en valeur l’intérêt vement aux éditions du CNRS, en 1970, L’Atelier de socio-économique et culturel de ces productions

70 4. Sur le site de . Archives de la SHAL, section de Sarrebourg.

de série. Il participa donc régulièrement aux de Pierre Messmer et de Dominique Heckenbenner colloques internationaux de céramologie et en qui avait pris la direction de l’établissement, un organisa un à Metz-Nancy en 1977. Les recherches volume de Mélanges publié en son honneur par la de Marcel Lutz, trop succinctement évoquées ici, Revue archéologique de l’Est. En 1991, la compré- représentent une étape importante du développe- hension et le dévouement d’Antoine Schrub, ment des études sur la céramique gallo-romaine président de la section sarrebourgeoise de la SHAL, en France et à l’étranger après la deuxième guerre permirent la publication du dernier ouvrage de mondiale. Marcel Lutz, La Moselle gallo-romaine.

Marcel Lutz fut longtemps archéologue bénévole AU SEIN DE LA SHAL avant de devenir céramologue professionnel [ill. 4]. Par son parcours, il témoigne de l’évolution de Ses activités de chercheur n’empêchèrent jamais l’organisation de la recherche archéologique en Marcel Lutz de savoir faire partager ses connais- France au siècle dernier. Il nous a quittés voici dix sances en multipliant les conférences, les visites ans. Les spécialistes de la Gaule romaine savent ce de terrain, les articles de vulgarisation et en s’inves- que lui doit l’histoire de la sigillée de la Gaule de tissant dans la section de Sarrebourg de la SHAL, l’Est. De leur côté, les historiens lorrains auront à dont il fut vice-président. Les nombreux articles cœur de ne pas oublier tout ce qu’il a fait pour la qu’il donna à l’Annuaire et aux Cahiers lorrains SHAL, pour l’archéologie régionale, pour le musée contribuèrent à faire connaître les revues de la de Sarrebourg et pour les « Journées d’études SHAL bien au-delà des frontières. Combatif, mosellanes ». acharné, mais répondant avec empressement, compétence et cordialité à toutes les demandes qui lui étaient adressées, Marcel Lutz déployait une activité débordante soutenue par une intense curiosité intellectuelle. En 1987, ses collègues lui remirent solennellement au musée, en présence

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