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Entre les lignes Le magazine sur le plaisir de lire au Québec

Colm Feore Essais et bonheurs Marie-Claude Fortin

Traduire Volume 5, Number 2, Winter 2009

URI: https://id.erudit.org/iderudit/682ac

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Publisher(s) Les éditions Entre les lignes

ISSN 1710-8004 (print) 1923-211X (digital)

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Cite this article Fortin, M.-C. (2009). Colm Feore : essais et bonheurs. Entre les lignes, 5(2), 14–17.

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Il a incarné tour à tour, et toujours avec autant de talent, , Pierre Elliott Trudeau, et le stoïque Martin Ward, le «bon» de Bon Cop, Bad Cop. L'été prochain, à Stratford, Ontario, où il habite, il jouera Cyrano de Bergerac dans une production dirigée par son épouse, Donna Feore. Entre deux épisodes du tournage de la série « 24 », à L.A., et le tour­ nage à Montréal du film The Trotsky, de Jacos Tierney, Colm Feore nous parle des livres de sa vie.

PROPOS RECUEILLIS PAR MARIE-CLAUDE FORTIN PHOTO JULIE DUROCHER Entre les lignes : Dans votre enfance, ELL : Quel genre de lecture Ce genre de livres où la nourriture les livres occupaient-ils une place privilégiez-vous ? est élevée au rang de philosophie importante ? C. F. : Comme acteur, je travaille m'intéresse au plus haut point. Colm Feore : Chez moi, il y avait des toujours avec Shakespeare, Molière, ELL : Quels sont les titres qui ont dé­ livres absolument partout. Mon père Tchékhov. Pour faire ce boulot, il faut clenché votre amour des livres ? avait toujours un livre à la main. Et s'immerger dans les textes de tous C. F. : Il y a eu un moment charnière, je le trouvais ennuyeux ! Pourtant, ces génies. Alors, pour me reposer dans ma vie. J'avais 18 ans, j'étu­ aujourd'hui, je suis comme lui. Quant un peu, je lis beaucoup d'essais ou diais dans un collège, et je me cher­ à ma mère, elle nous lisait des his­ de livres pratiques. chais un boulot pour l'été. Comme toires du Dr. Seuss ou d'autres contes ELL : Par exemple ? je ne savais pas quoi faire - à l'épo­ pour enfants, nous récitait des poè­ C. F. : Comme c'est moi qui fais la que, je n'imaginais pas pouvoir ga­ mes et chantait des chansons. cuisine chez moi, j'aime beaucoup gner ma vie comme comédien -, je ELL : Cela a-t-il contribué à dévelop­ lire tout ce qui touche à la science ou me disais qu'un travail dans la GRC per votre goût pour le théâtre ? à l'éthique de la nourriture. En ce mo­ ou même pour le FBI serait sûrement C F. : Je crois que oui. Si vous lisez ment, je lis Taras Grescoe, un Mont­ un bon choix. C'étaient des jobs sûrs ! Dr. Seuss à voix haute : «One Fish réalais qui a écrit un essai intitulé Bot- J'avais rempli des formulaires pour Two Fish Red Fish Blue Fish» (ici, il tomfeeder. Il nous explique comment poser ma candidature. Mon père était récite de sa plus belle voix), ce n'est consommer le poisson d'une façon d'accord. Il me voyait déjà à Interpol ! pas loin du «To be or not to be? That éthique et pratique, en commençant Mais au collège, j'ai fait la rencontre is the question». C'est presque la par le fond - avec les crustacés, les d'un professeur de littérature qui était même musique ! Quand on nous fa­ huîtres, les homards, et en remon­ aussi écrivain, Richard B. Wright. Il miliarise, jeune, avec ce genre de tant tranquillement. Grescoe a aussi était génial ! Pour nous parler de texte, on devient sensible à la mu­ écrit The Devil's Picnik (qui vient Chaucer et de son époque, par exem­ sique de la langue. d'être traduit en français sous le titre ple, il apportait en classe des vins Le pique-nique du diable; voir la cri­ et des fromages... Les livres qu'il m'a tique dans notre section Nouveautés.) fait découvrir ont changé ma vie. »•

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ELL : Quels étaient ces livres ? rimes sont là. La musique, la mé­ ELL : Quelle relation entretenez-vous C. F. : Il y avait, entre autres, A Por­ trique, tout est là ! avec le livre en tant qu'objet? trait of the Artist as a Young Man ELL : Faites-vous souvent plusieurs C. F. : Je suis un peu... possessif. (Portrait de l'artiste en jeune hom­ lectures de front? C'est même un problème. J'achète me) de James Joyce, et Brighton Rock C. F. : Constamment. En ce moment, des bouquins sans arrêt ! Quand je (Le rocher de Brighton) de Graham je lis - en plus de mes trois éditions pars en voyage, j'en traîne une tonne Greene. On trouvait, chez Joyce, de Cyrano et de mes quatre de Mac­ dans mes bagages, et je trouve le tour des phrases extraordinaires ! C'était beth, que je vais aussi jouer l'été pro­ d'en acheter d'autres à l'aéroport. En si vif, si vivant, si élégant... (Ici, il chain - un essai qui s'intitule The vacances, s'il y a une librairie près récite des passages de mémoire...). Fruit Hunters, de Adam Leith Gollner, de l'hôtel, mes enfants savent que je J'étais complètement bouleversé. qui raconte ni plus ni moins l'his­ Ces livres ont inauguré une nou­ toire des fruits à travers le monde. velle époque dans ma vie. C'est là J'ai un autre essai qui a pour titre que j'ai appris à aimer la littérature Dangerous Games : The Uses and et le théâtre. Abuses of History de Margaret Mac- ELL : Aujourd'hui, lisez-vous par­ Millan, et d'autres livres sur la cui­ fois des romans? sine : In Defense of Food de Michael C. F. : J'ai toujours l'intention de lire Pollan, Molecular Gastronomy (Casse­ des romans, j'en ai beaucoup, ils sont roles et éprouvettes) et Kitchen Mys­ partout chez moi, mais je ne trouve teries (Les secrets de la casserole), jamais le temps ! Le dernier que j'ai tous deux de Hervé This. Je suis cu­ vais être heureux. Je peux y passer lu, c'est Cyrano de Bergerac d'Ed­ rieux. Tout m'intéresse ! La gastro­ des heures. Maintenant, on trouve mond Rostand, en français et en an­ nomie, la science, la photographie, des fauteuils et des cafés dans les glais, dans la traduction d'Anthony tout. Je veux tout savoir avant de librairies, c'est le bonheur! Mais je Burgess (qui a d'ailleurs écrit les sous- mourir, mais plus je vieillis, plus j'ai n'arrive pas à emprunter des livres. titres anglais du film de Rappeneau). l'impression de manquer de temps ! Je veux les posséder. J'aime la sensa­ Il a fait un travail formidable ! Les tion d'avoir un livre entre les mains.

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Je déteste lire des textes sur l'écran zaine d'exemplaires de Woman : An d'un ordinateur. Quand je mémorise Intimate Geography (Femme !) de Na­ LES CHOIX DE des textes, je vois des pages qui tour­ talie Angier. C'est un essai formidable. COLM FEORE nent. Les gars, si vous voulez comprendre l'mi i .m de I .111 w< PORTRAIT DE L'ARTISTE ELL : Vous lisez beaucoup de théâtre. vos blondes, vous devez lire ce livre ! en jttUK' ln'inmc EN JEUNE HOMME Croyez-vous que même ceux qui ne L'auteure est une journaliste qui signe James Joyce font pas ce métier gagneraient à en des articles scientifiques dans le New Gallimard, Folio, York Times. Dans son essai, elle ex­ lire? 1993 C. F. : J'en suis convaincu. D'abord, plique, d'une manière claire, la biolo­ lire une pièce de théâtre qui se joue gie des femmes. Cela nous donne un la*

LE ROCHER DE BRIGHTON Graham Greene 10/18, « Il y a tout, dans Shakespeare. Toute notre humanité, nos 2002 désirs, nos plaisirs, nos tragédies. Chaque fois que je le relis, je découvre des choses que je n'avais pas vues auparavant. » CyRANO DE BERGERAC Edmond Rostand Le Livre de Poche, en deux heures, c'est assez rapide. Et éclairage précieux. Grâce à cette poé­ 2007 pour le lecteur, ça donne quelque sie scientifique, j'ai vécu une véritable chose de tellement... vivant. Surtout épiphanie ! J'ai ressenti un très grand s'il lit à voix haute. La voix fait jaillir respect pour les femmes. toute la lumière du texte. En lisant les classiques, on voit à quel point c'est ELL : Avez-vous transmis votre William Shakespeare poétique, c'est comme du cristal. amour des livres à vos enfants? Hatier, 2008 ELL : Parmi les grands textes de C. F. : J'ai toujours fait la lecture à théâtre, y en a-t-il qui sont particuliè­ mes enfants, même quand ils étaient rement importants pour vous ? bébés! Ils ont aujourd'hui 11, 13 et C. F. : Don Juan de Molière, certaine­ 19 ans, et je leur fais encore la lecture FEMME! ment. Ce qui m'impressionne, c'est à haute voix, le soir. Selon moi, c'est Natalie Angier d'être à la fois dans un texte drama­ la fondation, la base même de tout ce Pocket, 2002 tique et de baigner dans la poésie. Évi­ qui touche à la communication. À ma demment, il est préférable de le lire fille, je lis des contes de fées, les Frères en français. Et j'y arrive, en lisant len­ Grimm, les poèmes de Shel Silverstein. tement. J'ai appris le français très tôt, À mon fils de 13 ans, j'ai acheté Gray's grâce à mon père, un immigré irlan­ Anatomy parce que je voulais qu'il BOTTOMFEEDER dais. Il considérait qu'il était impor­ sache que bien avant d'être une série Taras Grescoe tant, dans un pays bilingue, que ses télé, c'était un très célèbre livre sur le Bloomsbury, USA, enfants parlent français. (Le corps humain écrit par un chirurgien, 2008 roi Lear) et Hamlet sont aussi pour Henry Gray, au 19' siècle. Dans notre En version française moi des livres phares. Shakespeare, salon, il y a un exemplaire de God Is chez VLB en 2009 c'est ma bible! Il y a tout, dans Sha­ Not Great de Christopher Hitchens, et kespeare. Toute notre humanité, nos de L'origine des espèces de Darwin. désirs, nos plaisirs, nos tragédies. Cha­ J'aimerais que mes enfants aient accès que fois que je le relis, je découvre à toutes les idées, à tous les points de des choses que je n'avais pas vues au­ vue, à toutes les théories. Je considère paravant. que c'est mon boulot de père, de met­ ELL : Offrez-vous souvent des livres tre la connaissance à leur portée. • en cadeau ? C. F. : En fait, je donne mes livres, et j'en rachète ! J'ai dû acheter une dou-

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