Actes des congrès de la Société française Shakespeare

35 | 2017 Shakespeare après Shakespeare Shakespeare After Shakespeare

Anne-Valérie Dulac et Laetitia Sansonetti (dir.)

Édition électronique URL : http://journals.openedition.org/shakespeare/3807 DOI : 10.4000/shakespeare.3807 ISSN : 2271-6424

Éditeur Société Française Shakespeare

Référence électronique Anne-Valérie Dulac et Laetitia Sansonetti (dir.), Actes des congrès de la Société française Shakespeare, 35 | 2017, « Shakespeare après Shakespeare » [En ligne], mis en ligne le 20 janvier 2017, consulté le 17 octobre 2020. URL : http://journals.openedition.org/shakespeare/3807 ; DOI : https://doi.org/10.4000/ shakespeare.3807

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SOMMAIRE

Avant-propos Yan Brailowsky, Anne-Valérie Dulac et Laetitia Sansonetti

Foreword Yan Brailowsky, Anne-Valérie Dulac et Laetitia Sansonetti

Shakespeare et la romantique

De l’imitation à l’inspiration. Shakespeare, contre-modèle et figure tutélaire au cœur de la bataille romantique en France Catherine Treilhou Balaudé

Shakespeare vivant ? Romantisme pas mort !« Gilles » Shakespeare, ange tutélaire et figure identificatoire de Victor Hugo Florence Naugrette

Un poète, une muse, un Falstaff : Le Songe d’une nuit d’été d’Ambroise Thomas ou Shakespeare devenu personnage du théâtre lyrique romantique Valérie Courel

Les transformations de

Hamlet de Talma à Mounet-Sully : « une ressemblance immortelle » Isabelle Schwartz-Gastine

What Did Hamlet (Not) Do to Offend Stalin? Michelle Assay

La mémoire vive de Shakespeare

Memorizing Shakespeare Karen Newman

Shakespeare Transformed: Copyright, Copyleft, and Shakespeare After Shakespeare Sujata Iyengar

Shakespeare illustré

« Painting is welcome » : les artistes français du XIXe siècle face à Shakespeare Louis-Antoine Prat

Aux origines de l’illustration shakespearienne en France : des Œuvres de Jean-François Ducis aux Souvenirs du théâtre anglais à Paris (1813-1827) Manon Montier

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Shakespeare à l'écran

Alien Shakespeares 2.0 Christy Desmet

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Avant-propos

Yan Brailowsky, Anne-Valérie Dulac et Laetitia Sansonetti

Shakespeare après Shakespeare

1 À l’occasion du quadricentenaire de la mort de Shakespeare, la Société savante qui porte son nom en France a proposé de consacrer son congrès annuel à l’examen de ce qui demeure de l’œuvre du Barde aujourd’hui, et à répertorier quelques-unes des transformations qu’il a suscitées dans le domaine de la poésie et du théâtre, mais aussi le cinéma, la danse et les arts graphiques. Il était apparu trop difficile de réduire les célébrations universitaires à un sujet trop précis, ce qui eut pour résultat de proposer un ensemble de communications qui, à l’instar du Globe-Monde parcouru par Puck dans Le Songe, a voulu embrasser la terre tout entière en l’espace de quelques jours. L’effet fut doublement saisissant, car le congrès s’est tenu à la Fondation Deutsch de la Meurthe de la Cité internationale universitaire de Paris, dont les locaux nous rappelaient tour à tour la scène du Globe et les vieux collèges universitaires anglais.

2 Que nous reste-t-il de Shakespeare ? Quel est « le » Shakespeare qui nous reste « après Shakespeare » ? De quoi « Shakespeare » est-il le nom ? Telles étaient les questions que les contributions réunies dans ce volume ont tenté d’éclairer, examinant une partie des réponses possibles qu’on pouvait y apporter. Même les questions biographiques furent abordées, quoique plutôt en marge du congrès. En effet, de l’homme, le « W. S. » qui signe les dédicaces des poèmes narratifs dont nous savons avec le plus de certitude qu’il avait autorisé, et même contrôlé, la publication, nous savons encore peu de choses. Les zones d’ombres de sa biographie ont alimenté des théories plus ou moins farfelues, dont certaines ont refait leur apparition dernièrement, profitant du tapage médiatique autour de Shakespeare en cette année anniversaire, appelant à des réponses variées de la part d’universitaires de part et d’autre de la Manche1. De l’artiste, il nous reste des poèmes (dont la paternité de certains est discutable), et plus d’une trentaine de pièces qui ont durablement inspiré l’esthétique théâtrale partout dans le monde. L’œuvre de Shakespeare, loin d’être l’apanage de la haute culture, demeure la plus populaire et la plus vivante du théâtre occidental.

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3 Au-delà des études ponctuelles sur l’influence de Shakespeare en France, ou d’articles sur le rôle joué dans la culture de personnages emblématiques comme Hamlet qui marquent un « avant » et un « après » dans la culture occidentale, voire mondiale, au- delà de travaux sur les différentes adaptations du « Barde » sur scène ou à l’écran, c’est bien la question d’un personnage-Monde qui était au cœur des interrogations des auteurs réunis dans ce volume. « Shakespeare » contient, en effet, bien plus qu’une œuvre.

4 À bien des égards, « Shakespeare » dépasse le corpus attribué à Shakespeare, et c’est pourquoi l’étude de ce qui vient « après Shakespeare » a pu susciter autant de réactions contrastées, d’artistes et de publics jeunes ou moins jeunes. Les appropriations de son œuvre, en particulier, s’éloignent parfois des textes source, montrant à quel point Shakespeare n’est plus simplement un corpus, ni même un corpse (cadavre) qui est l’objet de toutes les convoitises, mais bien un « monde », une source créatrice dont les origines demeurent encore mystérieuses. Comme le rappelait Yves Bonnefoy, qui nous a quittés la même année qu’on célébrait son poète de prédilection, il y a « [q]uelque chose en [l’œuvre de Shakespeare] d’inexplicité et même, pour une part, d’inconscient qu’il nous faut apprendre à analyser2. » On pourrait considérer les articles qui suivent comme autant de tentatives d’expliciter cette part d’inconscient.

Shakespeare et la France romantique

5 Catherine Treilhou Balaudé s’intéresse au moment charnière en France où Shakespeare, jusqu’alors critiqué car trop peu classique pour le goût français, devient le socle sur lequel les écrivains veulent reconstruire leur pratique théâtrale. Ce moment, au début du XIXe siècle, correspond à une période d’ouverture sur l’étranger et de cosmopolitisme européen, marquée notamment par la transmission d’idées venues d’Allemagne. De Chateaubriand à Deschamps en passant par Guizot, Stendhal et Hugo, Treilhou Balaudé analyse le rapport des hommes de lettres à Shakespeare, adopté avec enthousiasme comme un modèle susceptible de fertiliser le théâtre français grâce au mélange des genres et au choix de sujets historiques, ou présenté de façon un peu plus circonspecte comme une source d’inspiration à ne pas imiter servilement.

6 Prenant en quelque sorte le relais chronologique de Catherine Treilhou Balaudé, Florence Naugrette analyse une forme de métempsychose littéraire que l’on pourrait aussi qualifier d’appropriation : l’utilisation par Victor Hugo, dans son , de la figure de Shakespeare pour affirmer sa propre esthétique. Pour Hugo l’exilé, Shakespeare devient l’antithèse, voire l’antidote, au bon goût classique qui sclérose la littérature et la société. Shakespeare est loué pour sa démesure et son maniement de la coïncidence des contraires, qu’il s’agisse de la psychologie de ses personnages, véritables types romantiques en proie à des passions universelles, ou du mélange antithétique des images et des registres au sein de son œuvre énorme, protéiforme, presque monstrueuse, presque… hugolienne.

7 Valérie Courel s’intéresse à une autre variation romantique, celle du Songe d’une nuit d’été d’Ambroise Thomas. Dans le livret composé par Joseph Bernard Rosier et Adolphe de Leuven, cet opéra-comique, inspiré très librement de la comédie shakespearienne du même titre, narre les mésaventures d’un personnage nommé Shakespeare sauvé d’une vie de débauche par une certaine Élisabeth qui lui permet de se révéler comme poète et comme héros. Cette version opératique d’un Shakespeare devenu héros romantique

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grâce à une réécriture fantaisiste de la relation entre le « Barde » et la Reine Élisabeth contribue à faire émerger une « bardolâtrie » encore peu développée en France par rapport à l’Allemagne ou l’Angleterre, avant de contribuer à sa diffusion au-delà de l’Hexagone par le biais des nombreuses adaptations et traductions auxquelles elle donne naissance.

Les transformations de Hamlet

8 Isabelle Schwartz-Gastine explore les différentes incarnations de Hamlet sur la scène française au cours du XIXe siècle, afin de montrer comme la tragédie shakespearienne s’est imposée progressivement comme œuvre phare du théâtre français. La tragédie remaniée à de multiples reprises par Jean-François Ducis pour satisfaire au goût français offrit à François-Joseph Talma l’occasion d’incarner le héros tragique pas moins de soixante-quatorze fois et lui assurèrent une popularité durable. À l’époque romantique, c’est la version d’Alexandre Dumas père, avec la participation de Paul Meurice, qui remporta le plus franc succès sur les planches. Sous la plume de Dumas, la tragédie était devenue drame. C’est ce drame, modifié par Meurice après la mort de Dumas, qui fut interprété par Jean-Sully Mounet à la Comédie-Française, dans une mise en scène louée par Mallarmé. Le succès de cette œuvre en France et à l’étranger, lors de tournées, fit de Hamlet une pièce emblématique du XIXe siècle, ce dont témoignent les illustrations nombreuses de ce passionnant panorama historique.

9 Michelle Assay revient sur le mythe selon lequel Staline aurait interdit toute représentation de Hamlet lorsqu’il dirigeait l’Union Soviétique. Tout en montrant qu’une interdiction totale n’a jamais été réellement imposée, elle explique que Staline critiquait, davantage que la pièce ou que son personnage principal, le concept d’« Hamlétisme » qui en découle, c’est-à-dire la représentation d’un prince ou d’un dirigeant pusillanime. Assay analyse le contexte politique, culturel et administratif des mises en scène soviétiques de la pièce et retrace, grâce à des documents d’époque, la réception de la pièce pour mieux comprendre l’hostilité de Staline, dont la critique de l’ Ivan le Terrible d’Eisenstein, par exemple, semble naître des ressemblances qu’il avait perçues entre l’image du tsar russe et celle du prince danois dans la pièce de Shakespeare.

La mémoire vive de Shakespeare

10 Karen Newman s’intéresse à la mémoire dans et de Shakespeare. Si la mémoire, comme l’effacement, sont au cœur du théâtre shakespearien, et notamment dans Hamlet et ses spectres voués à tomber dans l’oubli, le texte même des pièces du dramaturge anglais a pu constituer la base de véritables exercices pour la mémoire. Après être revenue sur les débats philosophiques portant sur les vertus et/ou les limites de l’apprentissage et de la mémorisation chez Platon, Cicéron ou Locke, parmi d’autres, Newman retrace l’émergence du texte shakespearien comme objet de mémorisation au cours du XVIIIe siècle, en tâchant d’en comprendre les raisons tout en montrant comment ces morceaux choisis ont permis d’assurer la transmission de la mémoire shakespearienne.

11 L’article de Sujata Iyengar montre la pertinence de Shakespeare de nos jours en proposant une incursion passionnante dans le domaine des études en droit et

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littérature. Gardant à l’esprit la distinction entre le sens des termes « adaptation » et « appropriation » dans le vocabulaire du droit et dans celui de la littérature, elle part du statut libre de droits qui est celui de Shakespeare pour analyser l’impact des appropriations shakespeariennes sur « Shakespeare » mais aussi sur nos propres habitudes culturelles et nos mentalités. Elle éclaire ainsi à la fois les questions de canonicité et le sujet controversé du « fair use » (usage « loyal », ou « raisonnable ») en expliquant la re-contextualisation qui caractérise les phénomènes d’appropriation dans le domaine de l’art.

Shakespeare illustré

12 Louis-Antoine Prat propose un parcours passionnant à travers la peinture française du XIXe siècle afin de mieux comprendre l’influence qu’a eue l’œuvre de Shakespeare sur les artistes français, en particulier Delacroix et Chassériau. En éclairant les choix esthétiques opérés, mis en regard de la réception littéraire de Shakespeare à la même époque, Prat offre un panorama du canon shakespearien tel qu’il était apprécié dans la France romantique et postromantique : on découvre quelles sont les pièces les plus traitées (principalement les tragédies, Hamlet et , ou encore Macbeth et Roméo et Juliette) et au sein de ces pièces quelles sont les scènes qui capturent l’imagination des peintres et des dessinateurs, lesquels en retour contribuent à construire l’imaginaire visuel des lecteurs de Shakespeare.

13 Manon Montier offre une fascinante histoire en images de l’œuvre de Shakespeare en France au XIXe siècle. L’analyse comparée de deux éditions illustrées du théâtre de Shakespeare, les Œuvres de Jean-François Ducis (1813) et les Souvenirs du théâtre anglais (1827), donne lieu à une analyse du lien entre le texte des pièces de Shakespeare et les images qu’il a inspirées aux graveurs et illustrateurs français. Ce parcours iconographique devient le lieu d’une réflexion sur la part d’adaptation et de réinvention qu’offrent les images, sur la nature du jeu dramatique et des choix scénographiques ainsi que sur l’évolution de l’illustration en France au XIXe siècle et, plus largement, sur les relectures romantiques de l’œuvre de Shakespeare.

Shakespeare à l’écran

14 Christy Desmet s’appuie sur le concept de « phénoménologie des choses » (alien phenomenology) élaboré par Ian Bogost à propos des relations non-humaines pour analyser les réseaux de sens qui peuvent se former grâce aux représentations et aux appropriations numériques de Shakespeare. Pièces de théâtre filmées, vidéos YouTube plus ou moins longues réalisées par des amateurs, Wordles, textes numérisés indexés, ou encore applications qui permettent de lire à l’écran les mots d’une pièce que l’on entend tandis que défilent des images correspondant au dialogue : nombreuses sont les façons de découvrir « Shakespeare » par le numérique, mais notre rapport au sens chez Shakespeare n’est jamais immédiat et demeure éminemment problématique.

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NOTES

1. Sur cette question, voir quelques-unes des réponses et ressources ajoutées sur le site de la Société française Shakespeare : http://shakespeare.revues.org/1681, consulté le 30 mai 2017. 2. Yves Bonnefoy, Shakespeare et la poésie, in Yves Bonnefoy : L’amitié et la réflexion, Tours, Presses universitaires François-Rabelais, 2007 (http://books.openedition.org/pufr/771, consulté le 30 mai 2017).

AUTEURS

YAN BRAILOWSKY Université Paris Nanterre

ANNE-VALÉRIE DULAC Université Paris 13

LAETITIA SANSONETTI Université Paris Nanterre

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Foreword

Yan Brailowsky, Anne-Valérie Dulac and Laetitia Sansonetti

Shakespeare After Shakespeare

1 On the 400th anniversary of Shakespeare’s death, the academic society which bears his name in France devoted its annual conference to the study of what remains of the “Bard”’s œuvre today, discussing some of the changes he inspired in poetry and drama, as well as film, dance and the visual arts. For this academic celebration, we found ourselves unable to select a narrower topic. As a consequence, we included a number of papers which, like Puck in A Midsummer Night’s Dream, attempted to circle the Globe- world in a handful of days. The experience was doubly satisfying, as the conference took place at the Fondation Deutsch de la Meurthe of the Cité internationale universitaire de Paris, a venue which reminded us both of the stage of the Globe theater and of old university colleges in England.

2 What remains of Shakespeare today? What is “the” Shakespeare who remains “after Shakespeare”? What does “Shakespeare” stand for? These were some of the questions addressed by the contributions to this volume, each in its own way. Even biographical approaches were discussed, although mostly in passing. True, we still know little of “W. S.”, the man who signed dedicatory epistles to narrative poems which we know with greater certainty were willingly and deliberately published in his own name. The relative paucity of biographical data has brought grist to the mill of a number of more or less hare-brained conspiracy theorists, some of which resurfaced recently riding the wave of the Shakespeare anniversary year and attendant media interest, eliciting varied responses from academics from either side of the Channel.1 What we do know is that the artist has bequeathed poems (some of which dubiously attributed to “Shakespeare”), and over three dozen plays which inspired the aesthetics of drama around the world. Shakespeare’s plays are not the preserve of the elite, but remain some of the most popular and vibrant works in Western drama.

3 In addition to detailed studies of the influence of Shakespeare in France, and contributions on the cultural role of key characters such as Hamlet who serve as a turning point in Western — or world — culture, and studies on the adaptations of

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Shakespeare on stage or film, Shakespeare’s daunting figure was at the heart of the questions raised by the contributions in this volume. “Shakespeare” is more than an œuvre.

4 In many respects, “Shakespeare” includes much more than the traditional corpus attributed to the swan from Avon, which is why the study of what came “after Shakespeare” elicited so many contrasted reactions from audiences and artists, young and old alike, which occasionally stray far from the source texts, suggesting Shakespeare is no longer a corpus, or even a coveted corpse, but truly a “world”, a creative source the origins of which remain a mystery. As the lately departed Yves Bonnefoy argued, “There is something in Shakespeare’s works that is not explicit, and which contains a part of the unconscious which requires further analysis.”2 One could argue that the following contributions are varied attempts at making this unconscious explicit.

Shakespeare, France, and Romanticism

5 Catherine Treilhou Balaudé’s article focuses on a key moment in the French reception of Shakespeare: the tipping point at which he stops being predominantly criticised for not being classical enough, and starts becoming a beacon for playwrights eager to renew their art. The early years of the 19th century were indeed a period in which France opened to cosmopolitan influences from Europe, in particular ideas and trends coming from Germany. From Chateaubriand to Deschamps via Guizot, Stendhal, and Hugo, Treilhou Balaudé analyses how men of letters related to Shakespeare, whom some enthusiastically adopted as a role model capable of rejuvenating French drama thanks to his use of mixed genres and his choice of historical topics, while others presented him – a little less enthusiastically – as a source of inspiration not to imitate too closely.

6 Florence Naugrette’s article can be read as a sequel to Catherine Treilhou Balaudé’s: Naugrette analyses a type of literary metempsychosis that could be called a form of appropriation, namely how Victor Hugo took hold of the figure of Shakespeare in his essay entitled William Shakespeare. For Hugo, who was writing in exile, Shakespeare incarnates an antithesis and an antidote to the prevalent classical good taste that he finds so stifling for French literature and society. Shakespeare is praised for his excessiveness and his use of coincidentia oppositorum both for his character psychology, with his “Romantic” exemplars of universal passions, and for his rhetoric, with his antithetical images and styles all blending within a canon that is huge, protean, almost monstrous – well worthy of Hugo himself.

7 Valérie Courel focuses on yet another Romantic variation on Shakespeare as a character, that of Ambroise Thomas’s Songe d’une nuit d’été. The libretto for this comic , written by Joseph Bernard Rosier and Adolphe de Leuven and very freely adapted from Shakespeare’s Midsummer Night’s Dream, tells the story of how a character named Shakespeare is rescued from a life of debauchery by a character named Élisabeth, who helps him turn into a poet and a hero. In this operatic version, Shakespeare is presented as a Romantic hero thanks to a fanciful rewriting of his relationship with Elizabeth. The successful opera contributed to the rise of Bardolatry in France, where it was relatively late to emerge, compared to Germany or England. It

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even helped its further development outside France, via the numerous adaptations and translations Thomas’s work inspired.

Hamlet transformed

8 Isabelle Schwartz-Gastine explores the many adaptations of Hamlet on the French stage over the 19th century and shows how this tragedy progressively emerged as a major play in French theatres. The tragedy, once translated, transformed and adapted for French taste by Jean-François Ducis, first gave François-Joseph Talma the opportunity to perform as Hamlet, which he played no less than seventy-four times, thereby gaining increasing popularity as a tragedian. At the height of the Romantic period, Alexandre Dumas and Paul Meurice’s adaptation of Hamlet became by far the most popular one. This version, which turned the tragedy into a “drame” and was further modified by Meurice after Dumas’s death, was the one in which Jean-Sully Mounet famously starred as Hamlet at the Comédie-Française. The lasting success of this production, both in France and abroad, is one of the reasons why Hamlet became such an emblematic play in 19th-century France, which the many illustrations added to Schwartz-Gastine’s fascinating historical outlook only serve to confirm.

9 Michelle Assay reviews the myth that Stalin banned any performance of Hamlet while he was at the head of the . While showing that there was no such total ban, she explains that Stalin seems to have resented not so much the play or its main protagonist as the notion of “Hamletism” attached to it, with the image of an indecisive prince or leader. She analyses the political, cultural, and administrative context of Soviet theatre performances and documents thoroughly the reception of the play to shed light on Stalin’s hostility. His criticism of Eisenstein’s Ivan the Terrible, for instance, seems to stem from the similarities he perceived between the depiction of the Russian czar and the Danish prince.

Shakespeare, alive in memories

10 Karen Newman looks into memory in and of Shakespeare’s plays. Remembering and forgetting are central in Shakespeare’s works, perhaps most notably in Hamlet, with its spectral figures begging for remembrance. Yet Shakespeare’s plays themselves have over time become exercises in memory proper, passages of which came to be memorised for pedagogical purposes. Newman first focuses on the many philosophical debates about memorizing from Plato or Cicero to Locke, among others. She then shows how over the 18th century Shakespeare became one of the authors most often learned by heart by schoolchildren, in order to understand why this became common pedagogical practice as well as a key form of mediation whereby Shakespeare has been transmitted over the centuries.

11 Sujata Iyengar’s contribution shows the relevance of Shakespeare today by offering a fascinating foray into the field of law and literature. Reminding us that “adaptation” and “appropriation” mean something different in law and in literature, Iyengar takes as her starting point Shakespeare’s un-copyrighted status to analyse what Shakespearean adaptations do to “Shakespeare”, but also what they do to our contemporary cultural habits and mindsets, in a process she calls “transformative”. She

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thus sheds light both on questions of Shakespearean canonicity and on the vexed topic of fair use, by explaining how appropriation art works by re-contextualising.

Shakespeare illustrated

12 Louis-Antoine Prat’s article, which introduces and analyses an array of French paintings from the 19th century, sheds light on the influence that Shakespeare’s works had on French artists, in particular Delacroix and Chassériau. Prat highlights the aesthetic choices made by the painters in the context of the literary reception of Shakespeare at the time, and shows how those choices contributed to sketching a Romantic and post-Romantic version of the Shakespearean canon in France: what plays were most quoted and illustrated (mainly the tragedies, with Hamlet, Othello, Macbeth, and among the plays most frequently referred to), and within those plays what scenes excited the imagination of painters and drawers, who in turn helped shape the visual imagination of Shakespeare’s readers.

13 Manon Montier’s contribution offers a lavishly illustrated history of Shakespeare’s reception in France over the 19th century. Through the comparison of two illustrated editions of Shakespeare’s works – Œuvres de Jean-François Ducis (1813) and Souvenirs du théâtre anglais (1827) – she probes into the sometimes conflicting interaction between Shakespeare’s plays and the pictures created by painters and engravers to illustrate them. In addition to allowing an insight into performance history, this iconographic journey takes the reader into a reflection on both the notion of adaptation and the evolution of illustration techniques in 19th-century France, as well as on Romantic reinterpretations of Shakespeare’s works.

Shakespeare on screen(s)

14 Christy Desmet uses Ian Bogost’s concept of alien phenomenology, which centres on non-human types of relationships, to understand the networks of meaning that can emerge in digital representations or appropriations of Shakespeare. Filmed performances, shorter or longer amateur YouTube videos, Wordles, searchable digitised texts, or apps in which the words from a play can be read while images are played and the corresponding text is heard – through the variety of the ways in which a digital user can encounter “Shakespeare”, one constant remains: access to meaning in Shakespeare is always mediated, and always problematic.

NOTES

1. On attribution theories, see some of the responses and academic resources on the website of the French Shakespeare Society: http://shakespeare.revues.org/1681 (accessed 30 May 2017).

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2. Yves Bonnefoy, Shakespeare et la poésie, in Yves Bonnefoy : L’amitié et la réflexion, Tours, Presses universitaires François-Rabelais, 2007 (translation mine), http://books.openedition.org/ pufr/771 (accessed 30 May 2017).

AUTHORS

YAN BRAILOWSKY Université Paris Nanterre

ANNE-VALÉRIE DULAC Université Paris 13

LAETITIA SANSONETTI Université Paris Nanterre

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Shakespeare et la France romantique Shakespeare, France, and Romanticism

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De l’imitation à l’inspiration. Shakespeare, contre-modèle et figure tutélaire au cœur de la bataille romantique en France

Catherine Treilhou Balaudé

1 La formulation d’une relation à Shakespeare, dans le contexte esthétique et politique conflictuel du premier tiers du XIXe siècle en France, est quasi-obligée dans la critique littéraire et dramatique, alors que se développent, sans commune mesure avec les essais du siècle précédent, traductions de ses œuvres dramatiques et représentations d’un corpus restreint de tragédies.

2 En une quinzaine d’années, entre 1814, moment de la plus vive anglophobie politique, liée à la restauration des Bourbons sur le trône de France grâce à l’appui anglais, et 1827-1828, période d’intense anglomanie parisienne liée notamment à la longue saison parisienne d’une troupe formée d’acteurs anglais des plus grands théâtres, se joue un mouvement de bascule dans la critique, sinon encore sur les scènes françaises. De majoritaire et institutionnel, le rejet de Shakespeare se discrédite lui-même, tandis que les partisans d’une rénovation ou d’une révolution du théâtre français cherchent avec Shakespeare à refonder une relation aux modèles.

3 En lien plus ou moins conscient avec la réception allemande, la référence shakespearienne est convoquée à l’appui des nouvelles théories géographiques de la culture – Shakespeare est une figure tutélaire de la littérature du Nord –, et des essais pour donner une origine historique au romantisme, libérée de la tutelle gréco-latine et ancrée dans la modernité. La relation à Shakespeare permet alors de définir de nouvelles acceptions de la notion de modèle, de nouvelles formes de parenté hors du paradigme de l’imitation des Anciens, que l’on pourrait dire fondées sur l’appropriation créative.

4 Au début de la période, alors que sont publiés plusieurs essais importants qui remettent en question l’exclusivité du modèle de la tragédie classique française, on observera que

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Shakespeare est le contre-modèle et le repoussoir du courant néo-classique dominant. Dans un entre-deux évoluant avec le temps, Chateaubriand voit dans Shakespeare un alliage de défauts et de beautés, selon un jugement devenu traditionnel en Angleterre depuis la préface de Johnson à l’édition des œuvres de Shakespeare, mais il reconnaît également en lui un génie originel. Quant à l’historien et traducteur François Guizot, il a en 1821, avant de devenir un acteur important de la vie politique de la monarchie de Juillet, le mérite de déplacer la question du modèle shakespearien du terrain littéraire à la sphère socio-politique, celle des conditions d’épanouissement du théâtre dans une société et dans un moment historique donnés. Enfin, Shakespeare devient le père ou l’ancêtre (les métaphores de la fécondation ou de l’engendrement dominent pour caractériser la possibilité d’une inspiration non imitative) d’un mouvement romantique préoccupé de rénovation dramatique et en quête de légitimité esthétique.

Shakespeare, contre-modèle du néoclassicisme dominant

5 En France, la référence shakespearienne est associée, depuis la publication polémique de la traduction complète dirigée par Pierre Letourneur, dans le dernier quart du XVIIIe siècle, à la grande question de l’évolution des genres dramatiques. L’anathème de Voltaire a imposé l’idée, qui perdure, d’une rivalité et d’un choix inévitable entre Shakespeare et la dramaturgie classique française.

6 En réponse à la publication des premiers volumes du Shakespeare traduit de l’anglois, Voltaire avait en effet prié d’Alembert de lire à l’Académie française, le 25 août 1776, un réquisitoire intitulé Écrit sur les tragédies de Shakespeare, dans lequel il formulait cette injonction : « Il faut que Shakespeare ou Racine demeure sur la place ». Dans le même temps, des auteurs dramatiques novateurs, tels Sedaine ou Mercier1, tentaient des synthèses originales entre le modèle tragique français et la liberté dramaturgique de Shakespeare.

7 Mais la réflexion sur l’évolution des genres redevient hautement polémique au début du XIXe siècle, probablement en raison de la diffusion en France des théories germaniques invitant à une découverte des cultures étrangères affranchie de l’impérialisme français. En 1813-1814, une série de publications suscitent de vives réactions, d’enthousiasme du côté du mouvement romantique naissant, et d’hostilité de la part de la réaction néo-classique, car l’injonction voltairienne invitant à choisir Racine et l’excellence du modèle tragique contre Shakespeare, dramaturge du chaos et de l’absence de règles dramaturgiques, s’y trouve contestée, voire renversée.

8 Dans De l’Allemagne, Madame de Staël compare les tragédies antiques et ce qu’elle nomme leurs « imitations » françaises et la dramaturgie classique française à des chefs- d’œuvre étrangers écrits selon d’autres principes (Calderón, Shakespeare). L’origine grecque de l’invention des normes tragiques tend à invalider la prétention hégémonique du modèle de la tragédie classique française, qui appelle à l’imitation d’imitations, tandis que la dramaturgie non régulière n’est plus caractérisée par défaut, par la non-observation des unités, de la vraisemblance et de la bienséance, mais selon des principes esthétiques propres. L’ouvrage de Sismondi paru en français également en 1813, De la littérature du midi de l’Europe, défend l’idée d’une égalité des différentes nations dans la littérature et les arts et conteste le principe d’imitation des Anciens.

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9 Enfin, une source majeure de ces deux ouvrages, le Cours de littérature dramatique d’A.W. Schlegel, traduit en français par Madame Necker de Saussure et publié en 1814, est le plus polémique des trois. Il oppose vigoureusement les œuvres d’imitation produites par la dramaturgie classique française et les drames romantiques qui sont œuvres d’inspiration, en choisissant ces derniers comme modèles de la dramaturgie allemande. Le romantisme dramatique commence avec Shakespeare et Calderón, et il se caractérise par l’union des éléments opposés, contre la séparation des genres, ainsi que par une amplitude spatio-temporelle permettant la dramatisation de l’histoire et le développement des passions. À l’inverse, le resserrement de l’espace et du temps dans la tragédie à la française la rend inapte à la représentation des réalités historiques. Les unités de la dramaturgie classique doivent être abandonnées. Elles sont liées à une conception étroite de la vraisemblance, qui méconnaît la puissance de l’imagination du spectateur, en réalité ouverte à la convention dramatique.

10 Sismondi est plus mesuré : comparant lui aussi les dramaturgies classique et romantique, il ne condamne pas le rationalisme classique français, mais l’oppose au romantisme, qui développe les facultés d’imagination, d’invention, de rêve, et il dépeint une France isolée du reste de l’Europe moderne par le dogme de l’imitation des Anciens:

11 Les Français se sont attachés toujours plus exclusivement, dans leur poésie, au talent de la narration, à l’esprit et au raisonnement; ils sont devenus, de cette manière, si complètement étrangers à la poésie romantique, qu’ils se sont détachés de toutes les nations modernes pour se mettre sous la protection des anciens2.

12 L’incapacité des Français à prendre en compte d’autres principes esthétiques que les leurs les conduit à ignorer les chefs d’œuvre des théâtres étrangers : « N’est-ce pas bien légèrement que nous décidons que ces chefs d’œuvre sont des pièces monstrueuses, parce qu’elles ne sont pas françaises ; qu’elles bouleversent toutes les règles, parce qu’elles sont contraires aux nôtres3 ? »

13 Ces trois publications partagent l’hypothèse d’une relativité historique, géographique et climatique du goût et des formes artistiques, en même temps qu’elles situent la question des formes et de l’esthétique dramatiques à un niveau européen et non plus seulement national. Ces idées sont insupportables à une grande partie de la critique française qui s’arc-boute sur l’infaillibilité du dogme de l’imitation des Anciens, fondement de l’hégémonie littéraire française, en reprenant systématiquement et en développant la comparaison-sanction de Voltaire entre Shakespeare et Racine. Ces publications sont caractéristiques d’un nouvel état d’esprit européen, plus que cosmopolite, ainsi qu’il a été souvent qualifié, qui est le fruit, pour ses représentants français comme Germaine de Staël ou Benjamin Constant, des échanges intellectuels et des déplacements de point de vue occasionnés par l’exil de la période révolutionnaire. Pour ne donner qu’un exemple des réactions critiques virulentes auxquelles elles donnent lieu, on citera l’emblématique Discours sur le romantisme publié dans la revue Le Spectateur en décembre 1814, à la suite de la publication du Cours de Schlegel, le plus polémique de ces trois écrits.

14 Antoine Jay, professeur d’histoire à l’Athénée royal, y prononce ce discours le 15 novembre 1814, dont le sujet, « heureusement choisi pour exciter la curiosité et rassembler la foule », est salué par le Journal des Débats. Accusant Madame de Staël d’être « infidèle au culte des divinités de la patrie », et de « se prostern[er] devant les idoles fantastiques de l’étranger », Jay en appelle au patriotisme littéraire français. Afin

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de prouver la supériorité de la littérature classique sur celle des « adeptes du Nord », Jay traduit lui-même, plus littéralement que Letourneur, et à charge, la scène du balcon de Roméo et Juliette, exemple schlegelien par excellence du « naturel » romantique. Puis il la commente d’une manière très sarcastique, raillant

15 l’emphase de comparaisons, ces cliquetis de mots, cette recherche, cette subtilité de pensées qui tourmentent le dialogue, et sont si étrangères au langage des passions. Que Juliette soit la première à concevoir l’idée d’abandonner ses parents pour se livrer à Roméo, cet emportement, qui blesse les convenances, ne peut être justifié que par l’état imparfait de la civilisation dans le siècle où écrivait Shakespeare ; mais comment ose-t- on nous proposer pour modèles des ouvrages qui portent ainsi l’empreinte de la barbarie4 ?

16 Jay se livre ensuite à une comparaison entre cette scène et la tirade de supplication d’Iphigénie à Agamemnon, à la scène IV de l’acte IV de la tragédie de Racine, qu’il cite intégralement. Juliette doit être blâmée de continuer à aimer l’homme qui a tué son cousin, sa parole est « babil insignifiant », sa pensée « exagérée », bien loin de la « vérité de sentiment, relevée par une expression toujours naturelle, poétique et harmonieuse » qui caractérise Iphigénie.

17 Les valeurs esthétiques et morales qui fondent le rejet de Roméo et Juliette ne sont guère différentes de celles qui motivaient la querelle du Cid, près de deux siècles plus tôt. Juliette est inconvenante, l’écriture poétique de Shakespeare bizarre et excessive. En outre, Jay reproduit la vision alors courante, fruit d’une large méconnaissance de la Renaissance anglaise, d’un Shakespeare médiéval, écrivant pour un public fruste dans une époque barbare, très éloignée de la perfection de la civilisation et de la poésie moderne, incarnée par le XVIIe siècle français. En réalité, vingt-cinq ans seulement séparent la Tempête de Médée, la première tragédie de Corneille.

18 La réitération, illustrée par l’exemple, de l’injonction de Voltaire à choisir entre Racine et Shakespeare, reflète parfaitement la position néo-classique au sujet du théâtre shakespearien, dominante dans la critique et dans les grandes institutions durant les quinze premières années de la Restauration française : citer ou commenter Shakespeare, vouloir le traduire et le jouer, implique nécessairement de faire de son théâtre le modèle à imiter, qui supplanterait celui de la tragédie régulière imitée des Anciens. Il est impossible aux tenants du classicisme à la française d’entendre que les Romantiques allemands et français travaillent précisément à affranchir le théâtre sérieux du dogme de l’imitation au profit d’une libre inspiration puisée dans l’observation de modèles par ailleurs multiples. Schiller précède Shakespeare, à la Comédie-Française, dans la consécration scénique. Leur recherche est celle d’un grand théâtre historique, libéré des contraintes extrêmes qui pèsent sur la tragédie. Shakespeare est parvenu à faire théâtre de l’histoire et du monde dans sa complexité, en son temps et en Angleterre : Allemands et Français peuvent tenter d’inventer le théâtre de leur temps, ancré dans leur contexte politique et culturel national, pensent ses admirateurs, que l’on ne peut identifier exclusivement aux partisans du romantisme, ainsi qu’il en sera question plus loin.

19 Le rejet de Shakespeare, qui en France a force de loi, motive le combat des « modernes » de tout bord pour lui faire une place à la fois littéraire et théâtrale dans le paysage culturel français, car donner sa place à Shakespeare est une manière de préparer l’évolution ou la révolution du théâtre français.

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Le « cas » Chateaubriand : Shakespeare, contre- modèle mais génie inspirateur de la modernité

20 Figure du premier romantisme poétique, Chateaubriand a des goûts conservateurs en matière de littérature dramatique, mais son opinion évolue au sujet de Shakespeare, et cette évolution est mesurable si l’on compare les articles qu’il consacre à Shakespeare en 18015, alors qu’il vient de passer presque huit ans à Londres, en exil, de 1793 à 1800, et leur reprise en 1826 et 1836 dans les éditions successives de son Essai sur la littérature anglaise. En 1801, sa vision du peuple anglais et de son théâtre est très sévère. Chateaubriand est alors fasciné par Milton qu’il traduit. En 1836, il reconnaît avoir regardé Shakespeare à travers ce qu’il nomme lui-même une « lunette classique », et il supprime quelques-unes des critiques adressées à son style6. Mais en réalité, tout en se réclamant habilement de Johnson, et non de Voltaire, pour l’évaluation des qualités et des défauts de Shakespeare, Chateaubriand évolue peu dans sa critique. Les beautés de Shakespeare ne sauraient excuser ses défauts. Quant à Voltaire, il justifie son revirement en ces termes :

21 Lorsqu’on eut voulu faire passer ce génie pour un modèle de perfection, lorsqu’on ne rougit point d’abaisser devant lui les chefs d’œuvre de la scène grecque et française, alors l’auteur de Mérope sentit le danger. Il vit qu’en révélant des beautés, il avait séduit des hommes qui, comme lui, ne sauraient pas séparer l’alliage de l’or. Il voulut revenir sur ses pas ; il attaqua l’idole par lui-même encensée ; il était trop tard7.

22 Ce que Chateaubriand n’admet pas, à la suite de Voltaire, c’est que Shakespeare puisse faire école, que le théâtre français contemporain prenne modèle sur son théâtre, et plus particulièrement sur les défauts de son théâtre8, alors que les Anglais eux-mêmes l’adaptent voire le réécrivent pour pouvoir continuer à le jouer. Chateaubriand évoque Dryden, Tate et Garrick : « quand nous nous pâmons à telle scène du dénouement de Roméo et Juliette, nous croyons brûler d’un pur amour pour Shakspeare, et nos ardents hommages s’adressent à Garrick9. »

23 Si Shakespeare doit être ainsi réécrit, c’est en raison de l’absence d’art qui le caractérise. Cependant, il reconnaît à Shakespeare le génie : génie de l’universalité dans la représentation du monde et des hommes, génie des contrastes, qui lui permet de peindre toutes les passions et toutes les variations de la nature humaine. L’appellation de « génie-mère » de l’Angleterre, conférée à Shakespeare et à Dante – Hugo s’en souviendra dans son William Shakespeare – permet à Chateaubriand de reconnaître la place de Shakespeare dans le panthéon de la littérature européenne sans toutefois le prendre pour modèle.

24 Chateaubriand condamne par avance toute imitation de Shakespeare, qui pourrait être la tentation d’une époque où s’imposent la liberté de tout dire et de tout représenter et le goût des spectacles terribles, consécutifs à la période révolutionnaire et à la place prise par le peuple en politique. La tragédie classique, froide et ennuyeuse, ne convient pas plus à ce public éprouvé par les bouleversements politiques et par les guerres, que la tentation de faire de la scène moderne un « fac-simile de tous les crimes10 ».

25 Là où Chateaubriand déplore, dans ce nouveau contexte, la disparition de l’ordre, du vrai, du beau, des jouissances intellectuelles, sans concevoir, au-delà de la reconnaissance du génie shakespearien, d’appropriation ou d’usage possible des qualités de son théâtre, François Guizot voit au contraire dans le même contexte

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l’occasion de retrouver la dimension de fête populaire du théâtre, perdue en France, en prenant pour modèle Shakespeare et les conditions du théâtre élisabéthain.

François Guizot : Shakespeare ou le théâtre comme fête populaire

26 En 1821, François Guizot ouvre la révision de la traduction de Letourneur qu’il publie avec Amédée Pichot par un long essai intitulé Vie de Shakspeare dans lequel, délaissant la vaine querelle de la valeur ou de la prééminence esthétique du théâtre shakespearien, il aborde la vie et l’époque de Shakespeare en historien de la société. Guizot renverse l’opposition entre la tradition classique héritée de l’Antiquité et le théâtre moderne qui serait né avec Shakespeare et qu’il serait aberrant de prendre pour modèle. Le théâtre élisabéthain, adressé à toutes les catégories sociales qu’il rassemble, a fait revivre le théâtre antique, un théâtre entendu comme lieu et pratique unissant les arts et la société, qui n’est possible que dans les époques de paix. C’est en ce sens qu’il peut, d’un point de vue socio-culturel, servir de modèle au temps présent, à savoir la France d’après la Révolution et d’après l’Empire. Guizot en appelle à une comparaison entre la renaissance de la civilisation qu’il observe à la fin du XVIe siècle en Angleterre – il souscrit lui aussi à la représentation d’une Angleterre sortant tout juste des ténèbres du Moyen Âge – et la France de 1821, dans laquelle peut renaître une harmonie sociale : l’optimisme du libéralisme politique du XIXe siècle trouve à s’exprimer au théâtre, qui est et doit rester une fête populaire.

27 Cette démarche d’observation et de caractérisation des différentes périodes d’une histoire devenue européenne rejoint les conceptions supra-nationales de la culture et de la circulation des œuvres qui se sont développées depuis les dernières décennies du XVIIIe siècle, à la faveur des migrations et exils politiques. La réception de Shakespeare commence à être envisagée à l’échelle non plus des nations, mais d’une communauté culturelle perçue comme telle au-delà de la diversité linguistique et politique, au sein du groupe de Coppet, par exemple. Marie-Claire Hoocke-Demarle, dans un texte intitulé « Coppet, laboratoire d’Europe à l’aube du XIXe siècle », évoque un « réseau d’amitiés et de contacts fraternels qui va investir le champ de la littérature européenne et imposer l’image d’une mosaïque européenne faite de peuples, de coutumes et de nations imbriqués les uns dans les autres et s’enrichissant mutuellement11 ».

28 Ce désir d’ouverture aux échanges culturels est perceptible en France à travers la réception de Shakespeare dès l’entreprise de Letourneur. Dans l’intéressant Discours des préfaces du Shakespeare traduit de l’anglois (1776), il revêt une dimension militante qui traduit son caractère minoritaire : Les progrès du Commerce et de la Philosophie, nous ont appris, que si notre Terre jouit d’un Ciel favorable & d’une riante fécondité, le reste du Globe n’est pas maudit ni sauvage ; & que dans l’empire des Lettres, comme dans l’univers Physique, il est dans tous les genres des échanges avantageux à faire de nos productions contre celles des autres contrées12.

29 La Vie de Shakspeare est un autre jalon important de cette recherche. Guizot est l’un des premiers, en France, à considérer positivement, et avec une valeur de modèle, la diversité sociale à la fois du public élisabéthain et du personnel dramatique des tragédies de Shakespeare, non pas au nom d’un « romantisme » esthétique dont il est assez éloigné, mais selon un point de vue historique et politique qui n’est pas sans

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annoncer l’intérêt que Brecht et Vilar porteront à Shakespeare. La critique shakespearienne française est durablement influencée par la vision donnée par Guizot du caractère historique de l’émergence du génie shakespearien, à un moment où toutes les classes de la société anglaise étaient saisies du goût du théâtre, et où le théâtre s’adressait à toute la société anglaise, dans une convergence sociologique susceptible d’inspirer la France des années 1820.

30 Le travail de traducteur et de critique de Shakespeare est un moment clé pour la constitution de la théorie européenne et de la conception de l’histoire comme source de réflexion sur l’état de la société contemporaine qui est celle de Guizot. En effet, après avoir œuvré à la révision de la traduction de Letourneur, Guizot poursuit en historien cette recherche de l’échange culturel et linguistique comme vecteur de la conscience d’une identité européenne, dans un ouvrage contemporain de la découverte scénique de Shakespeare en France, Histoire de la civilisation en Europe depuis la chute de l’Empire romain jusqu’à la Révolution française, publié en 1828.

31 Il y approfondit l’idée d’un continuum, et de l’exemplarité des époques harmonieuses et fécondes entre elles, à l’échelle de l’Europe, associée à la prise en compte de la diversité des langues, des goûts, et de l’utilité de leur rencontre et de la découverte de l’Autre.

32 Shakespeare est devenu en Allemagne, et peut devenir en France, une figure tutélaire, un modèle d’inspiration pour le théâtre du présent. Sur le plan de l’esthétique théâtrale, il est la référence principale à partir de laquelle la notion de modèle peut être détachée de l’esthétique classique de l’imitation, c’est-à-dire écarter le présupposé selon lequel la poésie dramatique doit rester subordonnée à des normes identiques et immuables. Il s’agit alors de penser une relation de parenté, de filiation, d’appropriation, et non – comme le redoutent les défenseurs de la dramaturgie classique – de substituer un nouveau modèle d’imitation (Shakespeare) à un autre (l’Antiquité gréco-romaine).

Constitution d’un modèle esthétique : paternité et modernité de Shakespeare. Stendhal, Hugo, Deschamps

33 Le besoin d’une origine de la modernité apparaît dans la plupart des écrits des théoriciens allemands, puis français, d’une rénovation ou d’une révolution littéraire et théâtrale. Shakespeare, et à ses côtés, Calderón et Dante pour la poésie épique, est une figure majeure de la généalogie que se donne le romantisme. Il s’agit tout d’abord, de manière circonstancielle, de contrer l’offensive conservatrice qui dénonce la rupture violente que voudrait opérer le romantisme avec le passé. Shakespeare est volontiers, et de manière récurrente, tant en Allemagne qu’en France, surnommé l’Eschyle ou l’Homère anglais. Il est en lui-même une origine, il inaugure la modernité de l’Angleterre, et incarne de manière plus vaste le « romantisme du nord », d’inspiration chevaleresque et chrétienne, dans l’acception transhistorique qui est celle du romantisme allemand, tel que Madame de Staël le diffuse. « Depuis les Grecs jusqu’à lui, nous voyons toutes les littératures dériver les unes des autres, en partant de la même source. Shakespear (sic) commence une littérature nouvelle ; [...] c’est lui qui a donné à la littérature des Anglais son impulsion, et à leur art dramatique son caractère13 », affirme-t-elle dès 1800 dans De la littérature.

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34 C’est peut-être aussi en raison de cette relation de paternité symbolique que l’époque de Shakespeare est souvent assimilée au Moyen Âge dans ce premier XIXe siècle. Le Moyen Âge gothique étant donné comme origine au « romantisme du Nord » notamment par Schlegel et Sismondi, Shakespeare, figure tutélaire du romantisme, ne peut être perçu comme le contemporain et le parent de dramaturges français comme Alexandre Hardy ou Théophile de Viau, eux-mêmes totalement oubliés depuis la fin du XVIIe siècle. Le théâtre baroque n’est pas pensé comme tel, et la notion manque.

35 Shakespeare donne une origine, sert de figure paternelle ou de divinité tutélaire14 à un théâtre encore à venir en France, un théâtre qui voudrait représenter l’histoire et la société humaine dans leur diversité sociale et dans leur amplitude spatio-temporelle.

36 C’est pourquoi faire jouer les tragédies de Shakespeare et les premiers drames romantiques sur les « grandes » scènes (Théâtre-Français et Odéon) sont deux conquêtes contemporaines, qui s’effectuent au tournant des années 1820-1830 : le mouvement de légitimation de caractéristiques dramaturgiques et poétiques différentes de celles de la tragédie classique, qu’il s’agisse de Shakespeare ou de Victor Hugo, soulève les mêmes réticences institutionnelles. Shakespeare est associé à la révolution dramatique qui s’annonce, dont seront présentés pour finir quelques jalons théoriques.

Stendhal pamphlétaire : le second Racine et Shakespeare

37 Dix ans après la publication polémique des essais de Madame de Staël, Sismondi, et Schlegel en France, la réception scénique de Shakespeare reste quasi-inexistante. Le Théâtre-Français ne propose à son public que les adaptations de Ducis, quelques théâtres secondaires mettent à l’affiche des pantomimes et des mélodrames inspirés de tragédies shakespeariennes, mais les grandes institutions restent aussi fermées à Shakespeare qu’au romantisme. Dix ans après le Discours sur le romantisme de Jay, celui d’Auger, prononcé à l’Académie française au printemps 1824, entendait écarter toute possibilité pour le mot « romantique » d’entrer au Dictionnaire15. Stendhal réagit à cette fin de non-recevoir dans le second Racine et Shakespeare. Le premier opus, en 1823, relatait et déplorait l’éviction d’une troupe de comédiens anglais venus jouer Othello au Théâtre de la Porte Saint-Martin, le 31 juillet 1822. L’hostilité à Shakespeare redoublait alors de virulence après la mort de Napoléon, survenue l’année précédente. En 1825, c’est sous la forme de lettres fictives échangées en avril 1824 entre un classique et un romantique16, qu’il discrédite efficacement les positions les plus conservatrices.

38 Dès sa première lettre, le classique annonce qu’entre Racine et Shakespeare il faut plus que jamais choisir, « car les plus classiques renieraient demain Racine et Virgile si l’expérience leur prouvait une fois que c’est un moyen d’avoir du génie. Vous regrettez qu’on ne vous joue pas Macbeth. On l’a joué, le public n’en a pas voulu17. » Pour Stendhal, un choix est également inévitable, et c’est le choix inverse : le cadre formel des unités, le cadre idéologique des règles de vraisemblance et de bienséance, et le principe de séparation des genres, sont inadaptés à la possibilité d’un théâtre historique moderne. C’est pourquoi, dans son pamphlet, le classique campe sur des positions passéistes, proclamant le caractère immuable et intangible du modèle tragique hérité d’Aristote, tandis que le romantique réunit des aspirations esthétiques

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en réalité dissociées voire discordantes dans le discours critique de 1825. Ce romantique stendhalien appelle de ses vœux une tragédie en prose, qui représenterait des événements empruntés à l’histoire nationale, par lesquels le public français se sentirait plus concerné que par les fables gréco-romaines, une tragédie qui se déroulerait sur plusieurs mois et dans des lieux différents. Le modèle shakespearien est d’inspiration dramaturgique, pour l’amplitude spatio-temporelle de l’action et la vérité des personnages tirés de l’histoire, mais non d’imitation servile : Stendhal écarte le vers, dont l’emphase lui semble nuire à l’expression des caractères. Les théoriciens du théâtre romantique à venir divergent donc sur la forme : à la suite de Louis Sébastien Mercier, Stendhal opte fermement pour la prose, et ne reconnaît pas la nature poétique du théâtre, pourtant autant shakespearienne que classique. À l’inverse, Hugo et Vigny, dans un premier temps du moins de leur pratique d’auteur dramatique, affirmeront la nécessité du vers et la poéticité du drame.

39 Stendhal imagine des sujets historiques pour ces tragédies françaises modernes, Louis XIII et Richelieu, ou encore « Henri IV, tragédie romantique dans le goût de Richard III de Shakespeare18. » Les auteurs romantiques français apprendront de Shakespeare la dramatisation de moments clés de l’histoire nationale.

40 Stendhal est un fin connaisseur de Shakespeare et de la scène anglaise, il a vu jouer Othello par Kean à Londres en 1821, mais il ne sera pas lui-même le dramaturge qu’il appelle de ses vœux, car il se tourne vers le roman peu après ce vigoureux éloge de Shakespeare, ancêtre et caution esthétique d’un théâtre français moderne à venir. À l’inverse, Victor Hugo deviendra le dramaturge romantique par excellence, bien qu’il connaisse peu Shakespeare lorsqu’il brandit son nom à l’appui de la théorie d’un drame nouveau qu’il développe en 1827 dans la Préface de Cromwell.

« Shakespeare, ce dieu du théâtre19 » : Hugo et la Préface de Cromwell

41 Reprenant à d’autres, sans toujours les citer (Madame de Staël, Chateaubriand, Stendhal, Guizot) l’idée de figures originelles de la modernité ainsi que la notion de génie, qui permet de dépasser le paradigme de l’imitation, Hugo fait de Shakespeare l’initiateur de la troisième époque de la civilisation occidentale. Hugo s’approprie et développe les métaphores utilisées par Chateaubriand, de génération et de fécondation des génies, auxquelles il ajoute l’idée d’une communication directe des génies entre eux à travers l’histoire, qui donnera sa pleine mesure près de quarante ans plus tard, dans William Shakespeare.

42 Après les époques lyrique, inaugurée par la Bible, et épique, ouverte par L’Iliade, Shakespeare inaugure l’époque dramatique de la poésie : « Shakespeare, c’est le drame, qui fond sous un même souffle le grotesque et le sublime, le terrible et le bouffon, la tragédie et la comédie20. »

43 L’époque moderne ouverte par Shakespeare privilégie la forme dramatique pour se dire elle-même, une forme définie par le mélange et la synthèse des genres tragique et comique21, par la liberté prise par rapport aux unités classiques, surtout celles de lieu et de temps, incompatibles avec la visée épique qui doit être donnée au théâtre. La théorie hugolienne reprend également, on le voit, les arguments de Schlegel, largement diffusés depuis une dizaine d’années. Shakespeare représente et légitime

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théoriquement la coexistence des contraires, du sublime et du grotesque, en termes hugoliens. Il est l’étendard d’une contre-esthétique, un modèle non tant à imiter qu’à opposer comme contrepoids à la référence aristotélicienne et classique, dont la nouvelle génération d’auteurs dramatiques qui aspire à la grande scène – Théâtre- Français et Odéon – a besoin pour prouver que la liberté dramaturgique n’entraîne pas le chaos mais la possibilité de mettre en scène la réalité des enjeux historiques du présent, que les fables antiques et bibliques des tragédies ainsi que les contraintes dramaturgiques du modèle classique ne peuvent plus contenir. Dans Lope de Vega, Shakespeare, Schiller, Hugo, soucieux lui aussi de généalogie du théâtre romantique, trouve des sources d’inspiration pour un théâtre qui n’exclurait de la représentation aucune réalité du monde. Loin de ressembler à une quelconque imitation, cette inspiration concerne le processus de la création littéraire et dramatique, non la forme des œuvres produites. L’apport de Victor Hugo, en 1827, à la question du modèle shakespearien, est celui d’un auteur dramatique en devenir. C’est la manière de se saisir de la nature et de lui tendre un miroir afin qu’elle s’y réfléchisse « sous la baguette magique de l’art » que le génie shakespearien, modèle de liberté et de créativité, peut transmettre aux poètes dramatiques français du XIXe siècle. La synthèse hugolienne apporte également à la référence romantique à Shakespeare un lien décisif entre Shakespeare et le drame : ce lien n’est pas inédit, puisqu’il se trouve au cœur de la réflexion de Schlegel, mais le fait de nommer drame le genre à venir et de l’associer au théâtre de Shakespeare permet de renouer avec une généalogie française du drame née au XVIIIe siècle. Le drame se rêve, avec Hugo, shakespearien et romantique dans sa dramaturgie, et il n’a pas besoin de s’affilier au théâtre romantique allemand, très peu évoqué dans la préface de Cromwell, pour exister par lui-même. Shakespeare réunit les génies caractéristiques de la scène française : Corneille, Molière, Beaumarchais, ceux qui ont su malmener « l’arbitraire distinction des genres22».

Émile Deschamps : Shakespeare, un génie européen

44 Quelques mois après Hugo et sa préface de Cromwell, l’homme de lettres Émile Deschamps, qui se fait dans le même temps traducteur-adaptateur de Shakespeare23, établit un lien explicite entre la possibilité de recevoir l’œuvre dramatique de Shakespeare et celle d’inventer en France un théâtre à la hauteur des attentes du temps. Publiée en 1828, la préface des Études françaises et étrangères d’Émile Deschamps est un texte décisif, d’une part en raison de l’importance de sa réception immédiate, et d’autre part pour la place capitale qu’y tient Shakespeare. Une prise de conscience relativement nouvelle du retard pris par la France dans la réception scénique et critique de ses chefs d’œuvre s’y exprime.

45 Le titre de l’ouvrage annonce l’ouverture esthétique aux autres cultures nationales. Émile Deschamps se place à l’échelle de l’Europe pour comparer entre elles les formes artistiques, et développe une longue réflexion sur le théâtre, en exhortant les institutions théâtrales, et en premier lieu le Théâtre-Français, ainsi que les auteurs dramatiques et les critiques, à admettre et apprécier le théâtre de Shakespeare au même titre que les autres chefs d’œuvre étrangers. Les tragédies de Shakespeare doivent désormais être traduites pour elles-mêmes, et non imitées ou adaptées, à la manière de Ducis : Shakespeare n’a nul besoin d’être réécrit, accommodé au goût français et au temps présent, car il est « un génie qui répond à toutes les passions

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modernes, et qui nous parle de nous dans notre propre langage24 ». L’exclusion de Shakespeare des grands théâtres parisiens est une anomalie que Deschamps présente comme une exception fâcheuse, fruit d’un impérialisme culturel qui n’est plus de mise :

46 Il est temps que ses chefs d’œuvre soient reproduits fidèlement sur notre scène, comme les nôtres le sont sur les scènes étrangères. Toute l’Europe savante et poétique est sous la domination de Shakespeare traduit dans toutes les langues ; il ne lui manque plus que vingt toises carrées, à Paris, au coin de la rue Saint-Honoré et de celle de Richelieu ; elles ne peuvent plus lui manquer longtemps25.

47 Représenter Shakespeare au Théâtre-Français est une nécessité en soi pour une France retardataire, et pour rétablir l’équilibre d’échanges culturels à sens unique, Deschamps soulignant l’ouverture des scènes étrangères au répertoire français. De plus, ce n’est qu’à la suite de la reconnaissance de Shakespeare sur la grande scène tragique française que pourra voir le jour en France un génie qui, opérant la synthèse des chefs d’œuvre dramatiques des temps anciens et modernes, créera « la véritable tragédie française, un drame national, fondé sur notre histoire et sur nos mœurs, sans copier qui que ce soit, pas plus Shakespeare que Racine, pas plus Schiller que Corneille26. »

48 La possibilité d’accueillir les œuvres de Shakespeare en tant que telles sur la scène française – et non sous la forme d’adaptations classiques à la Ducis – est associée à celle d’inventer un théâtre historique à la hauteur des attentes de son temps. Pour autant, Shakespeare n’est pas un modèle à imiter. Il est un élément fécondant, parmi d’autres, tant français qu’étrangers, d’une création qui ne peut se concevoir que comme en mouvement, en dialogue avec le passé européen et avec l’histoire nationale.

49 L’histoire donne raison à Émile Deschamps, puisque l’année 1829 est celle de la création scénique de la première tragédie de Shakespeare au Théâtre français, Le More de Venise, dans la traduction d’Alfred de Vigny, et du premier drame historique français en cinq actes et en prose, Henri III et sa cour, d’Alexandre Dumas.

50 Shakespeare représente depuis la fin du XVIIIe siècle un modèle et un fondement pour l’idée d’un théâtre européen, qui prend conscience de lui-même et tente de s’affranchir du poids de l’hégémonie culturelle française, particulièrement forte en matière de littérature dramatique.

51 Dans la France de la Restauration des Bourbons, où règnent au théâtre des modèles périmés avec lesquels seule une relation d’imitation est possible, Shakespeare devient paradoxalement l’emblème de la modernité théâtrale. Précédemment adopté par les Romantiques allemands comme un auteur classique et une référence quasi-nationale, Shakespeare devient, avec plus de difficulté en France, un symbole de la nécessaire ouverture des cultures et des langues nationales entre elles. La vision d’un génie surgi d’une époque heureuse dans laquelle la paix sociale aurait permis au théâtre, en Angleterre, de redevenir la fête populaire qu’il avait pu être en Grèce, génie fécondant d’une nouvelle génération de poètes dramatiques qui cherche une origine, une généalogie, des modèles de liberté pour en finir avec les modèles à imiter, pour idéalisée qu’elle soit, révèle combien Shakespeare, (bien) après Shakespeare, peut inspirer un pays et une époque qui cherchent leur théâtre national, historique et épique sans le trouver encore. La fin des années 1820 constitue l’âge d’or de la célébration de Shakespeare en France. Une fois le théâtre romantique français installé dans le paysage des grandes scènes théâtrales, l’enjeu d’y défendre Shakespeare perdra de son acuité polémique, et Shakespeare, même en France, pourra devenir un classique.

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NOTES

1. Sedaine s’essaie à une tragédie historique en prose, d’inspiration shakespearienne dans la mise en scène de conspirations politiques (Maillard ou Paris sauvé, 1782), tandis que Louis Sébastien Mercier réécrit Le Roi Lear en drame moral (Le Vieillard et ses trois filles, 1793), et Timon d’Athènes, tragédie en cinq actes et en prose (1794). 2. J.C.L. Simonde de Sismondi, De la littérature du midi de l’Europe, troisième édition, Paris, Treuttel et Würtz, 1829, tome I, p. 298. 3. Ibid., tome III, p. 461. 4. Le Spectateur n°XXIV, décembre 1814, cité dans Edmond Eggli et Pierre Martino, Le Débat romantique en France, I, 1813-1816 (1933), Genève, Slatkine Reprints, 1972, p. 252-253. 5. François-René de Chateaubriand, « Shakespere ou Shakespeare », article publié dans le Mercure de France en avril 1801, repris dans un premier Essai sur la littérature anglaise publié en 1826 chez Ladvocat, qui connaît une nouvelle édition en 1836 chez Gosselin et Furne. 6. Il supprime par exemple le portrait d’un homme de mauvaise éducation, ignorant des genres, des tons, des sujets, qui place par hasard des expressions poétiques au milieu de propos triviaux. 7. Chateaubriand, Essai sur la littérature anglaise et considérations sur le génie des hommes, des temps et des révolutions (1836), éd. Sébastien Baudoin, Paris, Classiques Garnier, coll. « Société des Textes Français Modernes », 2012, p. 252-253. 8. « Et toi, Shakspeare, je te suppose revenant au monde, et je m’amuse de la colère où te mettraient tes faux adorateurs. Tu t’indignerais du culte rendu à des trivialités dont tu serais le premier à rougir, bien qu’elles ne fussent pas de toi, mais de ton siècle ; tu déclarerais incapables de sentir tes beautés, des hommes capables de se passionner pour tes défauts, capables surtout de les imiter de sang-froid, au milieu des mœurs nouvelles. » Ibid., p. 251. 9. Garrick transforme le dénouement de Roméo et Juliette en ménageant un dernier et pathétique échange entre Roméo empoisonné et Juliette à son réveil dans le tombeau des Capulet. 10. Chateaubriand, op.cit., p. 270. 11. Marie-Claire Hoocke-Demarle, « Coppet, laboratoire d’Europe à l’aube du XIXe siècle », in L’Invention du XIXe siècle. Le XIXe siècle par lui-même (littérature, histoire, société), textes réunis et publiés par Alain Corbin, Pierre Georgel, Stéphane Guégan, Stéphane Michaud, Max Milner et Nicole Savy, Paris, Klincksieck-Presses de la Sorbonne nouvelle, 1999, p.19-27. 12. Pierre Letourneur, Préface du Shakespeare traduit de l’anglois, édition critique par Jacques Gury, Genève, Librairie Droz, 1990, p. cxxix. 13. Germaine de Staël, De la littérature, chapitre XIII, « Des Tragédies de Shakespear », Œuvres complètes de madame la baronne de Holstein, tome I, Genève, Slatkine Reprints, 1967, p. 257. 14. Après Chateaubriand et sa vision de Shakespeare comme génie–mère du romantisme, Berlioz, dans ses Mémoires, lui donne le nom de père, Hugo le qualifie de « dieu du théâtre » dans la Préface de Cromwell, Dumas, dans Comment je devins auteur dramatique, reconnaît en Shakespeare « l’homme qui [a] le plus créé après Dieu ». 15. En vain, puisque l’adjectif « romantique » entre au Dictionnaire en avril 1824, à l’inverse de « romantisme », qui n’est pas dans le Dictionnaire de 1835. Stendhal, Racine et Shakespeare (1818-1825) et autres textes de théorie romantique, éd. Michel Crouzet, Paris, Champion, 2006, p. 454, n.1. 16. Selon le dernier éditeur scientifique de Racine et Shakespeare, Michel Crouzet, la première lettre du classique est authentique, due à un correspondant de Stendhal, le comte Bérenger- Labaume (Ibid., p.447). 17. Ibid., p. 467.

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18. Ibid., p. 473. 19. Préface de Cromwell, in Victor Hugo, Œuvres complètes, sous la direction de Jacques Seebacher assisté de Guy Rosa, Paris, Robert Laffont coll. Bouquins, volume Critique, p. 18. 20. Ibid., p.14. 21. Hugo reprend l’acception historiquement large du drame proposée par A.W. Schlegel, qui fait de Shakespeare et des Espagnols du Siècle d’or les pères du drame romantique entendu comme forme alliant les genres comique et tragique. Cependant il ne le cite pas, soit que, depuis 1814, cette acception ait été assimilée par les Romantiques français, soit que Hugo ne souhaite pas rappeler l’antériorité allemande de la théorie et de la pratique du genre mixte du drame. 22. Hugo, Préface de Crowmell, op. cit., p. 18. 23. Deschamps vient de traduire Roméo et Juliette en collaboration avec Alfred de Vigny, mais cette traduction ne voit pas le jour au Théâtre-Français, malgré leurs communs efforts. Une adaptation plus classique et moins shakespearienne leur est préférée, celle de Frédéric Soulié qui est créée au théâtre de l’Odéon le 18 juillet 1828. 24. Émile Deschamps, Études françaises et étrangères, préface, 2e édition corrigée, Paris, Urbain Canel, 1828, p. XLII. 25. Ibid., p. XLIV. 26. Ibid., p. XLIX.

RÉSUMÉS

Au début de la Restauration en France, la référence à Shakespeare est obligée dans la critique littéraire, et cristallise les positions dans le débat romantique. Shakespeare est le contre-modèle (ou le repoussoir) du courant néo-classique dominant dans les institutions littéraires et théâtrales. Chateaubriand voit quant à lui dans Shakespeare un alliage de défauts et de beautés mais également un génie originaire pour l’Angleterre. Avant de devenir un acteur important de la vie politique de la monarchie de Juillet, l’historien et traducteur François Guizot déplace la question du modèle shakespearien du terrain littéraire à la sphère socio-politique, celle des conditions d’épanouissement du théâtre dans une société et dans un moment historique donnés. Enfin, Shakespeare devient à partir du milieu des années 1820 la figure tutélaire d’un mouvement romantique en quête de légitimité esthétique, et le modèle inspirant la recherche d’un théâtre historique français, qui n’accèdera à la scène officielle que si Shakespeare lui-même peut y être admis.

At the beginning of the French Bourbon Restoration, the reference to Shakespeare was required in literary criticism, and reflected the positions adopted in the context of the Romantic debate. Shakespeare was the counter-model of the neo-classic movement prevailing in literary and theatrical institutions. As for Chateaubriand, he saw Shakespeare as a mixture of faults and greatness but also as an originating genius for England. Before he became a significant political actor of the July Monarchy, the French historian and translator François Guizot moved the question of the Shakespearian model out of the literary domain to consider its socio-political integration, i.e. the conditions for theatre to blossom within a given society and in a given historic moment. Last, Shakespeare became in the mid-1820s the tutelary figure of a Romantic movement looking for an aesthetic legitimacy, as well as the model inspiring the search for a

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French historic theatre, which would be able to accede to the “official scene” only if Shakespeare himself acceded to it.

INDEX

Mots-clés : France, modèle, réception, Romantisme Keywords : France, model, reception, Romanticism

AUTEUR

CATHERINE TREILHOU BALAUDÉ Université de la Sorbonne-Nouvelle-Paris 3, IRET (Institut de recherches en études théâtrales) EA3959

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Shakespeare vivant ? Romantisme pas mort ! « Gilles » Shakespeare, ange tutélaire et figure identificatoire de Victor Hugo

Florence Naugrette

1 Catherine Treilhou-Balaudé l’a montré, Shakespeare est le « génie des romantiques français1 ». Parmi eux, Victor Hugo a rêvé, fantasmé, instrumentalisé, et promu « Gilles » Shakespeare en France, faisant de lui son ange tutélaire et une figure identificatoire dans l’étrange objet textuel qu’est William Shakespeare. Cet imposant ouvrage de circonstance publié chez Lacroix et Verboeckhoven en 1864 est d’un genre composite. On peut se demander en effet comment lire une œuvre aussi inclassable, tout à la fois pamphlet, manifeste, essai et (auto)biographie. Une fois cette question générique posée ailleurs2, on se propose d’examiner ici la part de projection personnelle dans un ouvrage qui, sous prétexte de glorifier Shakespeare, permet à Hugo, à mots couverts, d’épancher son cœur et son âme, et de militer pour le romantisme, la liberté et la république en pleine nuit de l’exil. Pour ce faire, on commencera par montrer comment Hugo se saisit d’une occasion littéraire pour livrer un combat politique ; ensuite on verra comment, dès le plan de l’ouvrage, Shakespeare sert d’embrayeur à une réflexion plus large sur le génie ; puis on identifiera les traits de la dramaturgie shakespearienne mobilisés par Hugo pour défendre l’esthétique du romantisme ; enfin on débusquera les obsessions anthropologiques de l’homme romantique que révèle le choix opéré par Hugo dans le répertoire shakespearien.

L’occasion littéraire de livrer un combat politique

2 Quatre circonstances président à l’écriture du livre.

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3 La plus manifeste est le tricentenaire de la naissance de Shakespeare. Le livre paraît le 14 avril 1864, quelques jours avant la date admise de l’anniversaire (23 avril 1564, jour supposé de sa naissance / 23 avril 1616, sa mort). Hugo est alors le personnage emblématique d’une affaire politique dont les célébrations françaises sont le champ de bataille : le Comité Shakespeare fondé par son clan organise un banquet prévu le 23 avril à Paris. Hugo doit le présider in absentia (exilé par ordre en 1852, il a refusé de bénéficier de la loi d’amnistie en 1859 et reste en exil volontaire à Guernesey). Cette absence symbolique vaut manifestation républicaine. Baudelaire ironise à couvert dans un article anonyme publié dans Le Figaro le jour où sort le livre : « Tout ce qu’il peuvent aimer en littérature a pris la couleur révolutionnaire et philanthropique. Shakespeare est socialiste. Il ne s’en est jamais douté mais il n’importe3. » Annoncée, la provocation du fauteuil vide vaut au banquet d’être interdit. Comme si la nouvelle de cette interdiction ne lui était pas encore parvenue, Hugo accepte dans une lettre ouverte sa présidence symbolique ; le texte qu’il publie à cette occasion est un éloge de la liberté du génie artistique, et de sa supériorité sur tous les autres grands hommes (politiques ou militaires) : William Shakespeare, brûlot indirect contre le Second Empire, se ressentira de cette vigueur militante.

4 La deuxième circonstance est la publication des Œuvres complètes de Shakespeare par François-Victor Hugo (le fils), dont le premier tome est paru chez Pagnerre en 1859, et dont le dernier paraîtra l’année suivante en 1865. William Shakespeare est l’extension d’un projet de préface rétrospective faite par le père, qui devait accompagner ce dernier tome.

5 La troisième circonstance, c’est le droit de réponse que s’accorde Hugo après les attaques dont une bonne partie de la critique a accablé Les Misérables, parus en 1862. Maintes réflexions de William Shakespeare sur la nocivité de la critique s’expliquent par cette autodéfense indirecte qui lui donne parfois le ton du manifeste.

6 La quatrième circonstance est plus générale. C’est l’exil. Elle explique le fil rouge de l’ouvrage (la dénonciation de toutes les formes de tyrannie subies de tout temps par les grands génies) et sa dédicace à l’Angleterre : « À l’Angleterre. Je lui dédie ce livre, glorification de son poète. Je dis à l’Angleterre la vérité ; mais, comme terre illustre et libre, je l’admire, et comme asile, je l’aime. Victor Hugo. Hauteville-House, 18644. » La dimension à la fois pamphlétaire et élégiaque du livre s’explique par cette dernière circonstance.

7 Si la lecture de William Shakespeare peut paraître déroutante au premier abord, c’est non seulement parce que Hugo, comme l’explique Guy Rosa, a « bourr[é] » son livre « de savoir, multipliant avec ivresse références, anecdotes, noms et dates, citations et allusions5 » mais aussi parce que chacune de ces circonstances commande une, voire plusieurs orientation(s) générique(s) de l’ouvrage.

Shakespeare embrayeur d’une réflexion sur le génie

8 C’est pourquoi il est périlleux de l’appréhender comme une monographie. Il ne s’agit en tout cas ni d’une biographie, ni d’un essai comme en avaient déjà écrit sous la Restauration Guizot (Vie de Shakespeare, 1821), ou Stendhal (Racine et Shakespeare, 1823-1825), et comme en avaient récemment fait paraître à la même époque Alfred Mézières (Shakespeare, ses œuvres et ses critiques, 1860) et Hippolyte Taine (dans son

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Histoire de la Littérature anglaise, 1863). Hugo essaie pourtant d’en donner l’impression dans un effet de trompe-l’œil produit par la table des matières, où chacune des trois parties commence par un livre sur Shakespeare, mais dérive ensuite vers autre chose.

9 Ainsi, la première partie est composée de cinq livres, mais seul le premier concerne directement le dramaturge anglais. Intitulé « Shakespeare, sa vie », il expédie en six paragraphes le peu qu’on sait de son existence ; dans les quatre autres paragraphes, Hugo brosse le contexte de la vie artistique en Angleterre et en Europe à l’époque élisabéthaine (pour regretter les difficultés des auteurs de théâtre à conquérir la gloire). Les deux livres suivants, « Les Génies » et « L’Art et la science », revêtent une portée plus générale. Le titre du quatrième, « Shakespeare l’ancien », est trompeur, puisqu’il y est question d’Eschyle et de son « magisme », qui annonce celui des écrivains romantiques. Shakespeare ne sert donc ici qu’à embrayer sur une définition du Génie.

10 Seuls les deux premiers livres de la Deuxième partie qui en compte six sont consacrés à Shakespeare. « Shakespeare, son génie » dresse la liste de ses adversaires, et des reproches qu’on lui a adressés : son excès, son maniérisme, sa bêtise, son abus de l’antithèse et des images. Autant de reproches qu’on a pu faire aussi au romantisme, et dont Hugo se défend implicitement en montrant leur injustice ou leur impertinence. Le suivant, « Shakespeare — Son œuvre — Les points culminants » laisserait attendre un panorama complet de l’œuvre, comme dans un manuel. Point du tout : il y est question des génies en général, qui ont la faculté de créer des prototypes humains, depuis le Prométhée d’Eschyle jusqu’à Hamlet, Macbeth, Othello et le Roi Lear. Hugo embraye dans les quatre chapitres suivants sur une dénonciation de la critique des défauts qui a si souvent accablé Shakespeare puis sur un plaidoyer pour la critique des beautés, et revendique l’utilité scientifique et sociale du génie.

11 Des trois chapitres qui composent la Troisième partie, seul le premier, intitulé « Après la mort — Shakespeare — L’Angleterre » est consacré au grand dramaturge anglais. Hugo y déplore le manque de monument à sa gloire, en espérant que le tricentenaire réparera cet oubli, puisque le monument est nécessaire au peuple pour identifier l’artiste comme son guide, plus glorieux que les grands guerriers. Les deux chapitres suivants dénoncent dans les hommes politiques chefs de guerre des « sublimes égorgeurs d’hommes [qui] ont fait leur temps6 » ; Shakespeare y sert uniquement à prophétiser l’avènement politique du Génie artistique comme promesse du XIXe siècle.

12 En réalité, Hugo compose dans cet ouvrage à la fois un tombeau de Shakespeare et son autoportrait en génie rebelle. Qui d’autre que lui-même, en effet, pourrait être ce « Shakespeare moderne » dont il annonce l’avènement, dans une filiation qui remonte à Eschyle, surnommé par lui « Shakespeare l’ancien » ? L’identification est double : d’un génie persécuté à un autre ; de la critique antishakespearienne à la critique antiromantique.

13 Éloge de Shakespeare et défense du romantisme

14 En présentant la dramaturgie, la langue et le rapport au public « populaire » de celui qu’il appelle aussi, par provocation, « Gilles » Shakespeare, Hugo livre, en creux, une défense du romantisme.

15 Hugo se délecte de l’irrégularité de la dramaturgie élisabéthaine, qui légitime l’affranchissement des règles du théâtre classique français. Dans la Préface de Cromwell, Hugo revendiquait déjà la possibilité de renoncer aux contraignantes unités de temps et de lieu ; mais, comme le note très justement Olivier Bara, il maintenait comme

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nécessaire l’unité d’action7. Quatre décennies plus tard, cette unité d’action, déjà mise en crise par Musset dans sa pièce la plus shakespearienne, Lorenzaccio, n’apparaît peut- être plus aussi indispensable à Hugo, qui livre dans William Shakespeare une observation fine : il relève la construction double des intrigues de Shakespeare, autour de deux personnages principaux (voire plus), au point de risquer le développement d’intrigues multiples. Ainsi, pour Hugo, Le Roi Lear, « c’est l’occasion de Cordélia8 » ; et Othello n’est pas seulement le drame de la jalousie, mais aussi celui du mensonge, le personnage du traître étant aussi important que celui du mari : À côté d’Othello, qui est la nuit, il y a Iago, qui est le mal. Le mal, l’autre forme de l’ombre. La nuit n’est que la nuit du monde ; le mal est la nuit de l’âme. Quelle obscurité que la perfidie et le mensonge ! avoir dans les veines de l’encre ou de la trahison, c’est la même chose. Quiconque a coudoyé l’imposture et le parjure, le sait ; on est à tâtons dans un fourbe9. Doubles thèmes, doubles intrigues, doubles héros : Hugo, à qui la critique a reproché de perdre son spectateur dans des intrigues secondaires, de créer des personnages incohérents car animés de passions contraires, et de brouiller les emplois classiques, trouve en Shakespeare le modèle vivifiant d’une dramaturgie permettant de représenter l’homme dans la totalité de son expérience sociale et psychique.

16 Shakespeare est l’antidote au bon goût du théâtre français, à une esthétique classique érigée en norme absolue, qui inhibe, censure ou limite la liberté créatrice. Et Hugo de retourner en éloge l’une des principales critiques faites à Shakespeare : Si jamais un homme a peu mérité la bonne note : il est sobre, c’est, à coup sûr, William Shakespeare. Shakespeare est un des plus mauvais sujets que l’esthétique « sérieuse » ait jamais eu à régenter. Shakespeare, c’est la fertilité, la force, l’exubérance, la mamelle gonflée, la coupe écumante, la cuve à plein bord, la sève par excès, la lave en torrent, les germes en tourbillons, la vaste pluie de vie, tout par milliers, tout par millions, nulle réticence, nulle ligature, nulle économie, la prodigalité insensée et tranquille du créateur. À ceux qui tâtent le fond de leur poche, l’inépuisable semble en démence. A-t-il bientôt fini ? jamais. Shakespeare est le semeur d’éblouissements. À chaque mot, l’image ; à chaque mot, le contraste ; à chaque mot, le jour et la nuit10.

17 Cette esthétique du contraste, on l’a reprochée à Hugo lui-même. Dans son éloge des antithèses de Shakespeare, il se défend donc implicitement, en montrant que cette figure n’est pas une manière binaire d’opposer le bien et le mal, mais « la faculté souveraine de voir les deux côtés des choses11 ». De fait, quand on connaît bien l’œuvre de Hugo, on constate qu’il n’utilise jamais l’antithèse pour opposer deux entités, mais pour dire soit l’harmonie des contraires, soit le scandale (une chose dont l’existence est contraire à ce qu’elle devrait être), soit la contradiction interne.

18 L’esthétique du contraste a pour corollaire une ouverture maximale des registres dont on a fait grief au romantisme, accusé de mettre à bas la hiérarchie des genres et des niveaux de langue. Aussi Hugo se montre-t-il radical dans son admiration pour Shakespeare : J’admire tout, comme une brute. N’espérez donc aucune critique. J’admire Eschyle, j’admire Juvénal, j’admire Dante, en masse, en bloc, tout. Je ne chicane point ces grands bienfaiteurs-là. Falstaff m’est proposé, je l’accepte, et j’admire le empty the jordan. J’admire le cri insensé : un rat ! J’admire les calembours de Hamlet, j’admire les carnages de Macbeth, j’admire les sorcières… j’admire the buttock of the night, j’admire l’œil arraché de Glocester12.

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19 La « mauvaise langue » de Shakespeare revêt une dimension socio-politique, à une époque où, en France, la hiérarchie des styles, des genres et des publics est entretenue par l’institution théâtrale. Celle-ci distingue les théâtres subventionnés pour l’élite, les théâtres secondaires pour tous, et les théâtres de foire pour le peuple. Le mélange shakespearien des registres met cette distinction française à mal. C’est pourquoi la « mauvaise langue » de Shakespeare est l’un des griefs de Voltaire, tant dans sa « Lettre à l’Académie française » de 1776 que dans son compte rendu de l’ouvrage de Lord Kames, Elements of criticism : Voltaire s’en prend à la vulgarité des répliques de Francisco, ou du savetier de Jules César, mais aussi à la façon de parler des puissants eux-mêmes, notant ainsi : « Gilles, dans une foire de province, s’exprimerait avec plus de décence et de noblesse que le prince Hamlet13 ». Michèle Willems l’a montré, Voltaire, qui francise volontiers le prénom de Shakespeare en « Gilles », désigne ainsi la dégradation de son art pour « la lie du peuple14 ». D’où la réponse de Hugo à Voltaire : « Gilles Shakespeare, soit. J’admire Shakespeare et j’admire Gilles15 ». Shakespeare, pour les romantiques, est le nom mythifié d’un utopique théâtre « populaire », écrit pour le peuple, et qui lui donne une parole légitime : « Le peuple a quelque chose à leur dire [aux poètes]. Il est bon qu’on sente dans Euripide les marchandes d’herbes d’Athènes et dans Shakespeare les matelots de Londres16. »

20 La défense de la langue de Shakespeare a pour autre enjeu idéologique fort le combat contre la censure. Quand on sait qu’en 1830, Hugo dut supprimer toutes les exclamations faisant intervenir le nom de « Jésus » dans son manuscrit d’Hernani pour passer la censure, on comprend la dimension vécue de ce commentaire ironique : Dans les éditions ou dans les représentations de Shakespeare, on remplace God par Heaven (le ciel). Le sens louche, le vers boite, peu importe. Le « Seigneur ! Seigneur ! Seigneur ! » (Lord! Lord! Lord!), appel suprême de Desdemona expirante, fut supprimé par ordre dans l’édition Blount et Jaggard de 1623. On ne le dit pas à la scène. Doux Jésus ! serait un blasphème ; une dévote espagnole sur le théâtre anglais est tenue de s’écrier : doux Jupiter ! Exagérons-nous ? veut-on la preuve ? Qu’on ouvre Mesure pour Mesure. Il y a là une nonne, Isabelle. Qui invoque-t-elle ? Jupiter. Shakespeare avait écrit Jésus17. Au puritanisme anglais, Hugo oppose volontiers l’esprit français et la tradition gauloise. Mais ses attaques contre le puritanisme anglais visent aussi le philistinisme petit- bourgeois français, et la collusion de l’Église catholique française avec le pouvoir impérial.

Personnages shakespeariens, homme romantique

21 C’est donc la France de son temps qui est attaquée derrière le tableau historique des conditions dans lesquelles s’est diffusée l’œuvre de Shakespeare. De même, le choix opéré par Hugo dans le répertoire shakespearien correspond aux grandes interrogations de l’homme romantique sur la place de l’individu dans un monde en pleines mutations politiques et scientifiques, en un siècle de révolutions où le temps historique paraît « hors de ses gonds18 ».

22 Le point commun des personnages et des pièces de Shakespeare célébrés par Hugo, c’est la contradiction interne. Celle qui fait de Lear l’enfant de sa propre fille. Au point que selon Hugo, le sujet de Lear, ce n’est pas la folie du vieux roi déchu, mais « [l]a maternité de la fille sur le père ; sujet profond ; maternité vénérable entre toutes, si admirablement traduite par la légende de cette romaine, nourrice, au fond d’un

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cachot19. » Cette glorification de l’enfant comme avenir et soutien de l’homme – qui inverse le schéma patriarcal archaïque –, thème plutôt romantique que shakespearien, en Angleterre (chez Wordsworth notamment) comme en France, on la retrouve chez le père Goriot de Balzac, « Christ de la paternité » abandonné de ses deux filles à qui il a sacrifié tout son bien, réincarnations de Régane et Goneril. Telle Cordélia, Cosette, dans Les Misérables, roman paru deux ans plus tôt, finit par devenir inversement une figure de mère de substitution pour son père adoptif Jean Valjean.

23 Macbeth aussi est une figure de la contradiction. Celle du grand chef de guerre à qui la convoitise fait confondre vaillance et légitimité politique. Cette confusion, pour Hugo, est proprement monstrueuse : Macbeth, c’est la faim. […] la faim du monstre toujours possible dans l’homme. […] Convoitise, Crime, Folie, ces trois stryges lui ont parlé dans la solitude, et l’ont invité au trône. […] C’est fini, Macbeth n’est plus un homme. Il n’est plus qu’une énergie inconsciente se ruant farouche vers le mal. Nulle notion du droit désormais ; l’appétit est tout. Le droit transitoire, la royauté, le droit éternel, l’hospitalité, Macbeth l’assassine l’un comme l’autre. Il fait plus que les tuer, il les ignore. Avant de tomber sanglants sous sa main, ils gisaient morts dans son âme20. Le renversement d’un pouvoir légitime par la force militaire, et l’ambition sans frein d’un grand homme menant son peuple au chaos rappellent l’action de ceux que Hugo appelle les « sublimes égorgeurs d’hommes ». Napoléon Ier en est le spectre, et Napoléon III la grotesque réincarnation.

24 Hugo, longtemps avant que René Girard ne traite amplement la question, identifie les mécanismes de l’envie et sa puissance dévastatrice comme leitmotiv des pièces de Shakespeare : Homère rencontre l’envieux et le frappe du sceptre, Shakespeare donne le sceptre à l’envieux, et de Thersite il fait Richard III ; l’envie est d’autant plus mise à nu qu’elle est vêtue de pourpre ; sa raison d’être est alors visiblement toute en elle-même ; le trône envieux, quoi de plus saisissant21 !

25 Les analyses de Hugo mettent en œuvre une démarche psychocritique. S’il admire la faculté prodigieuse de Shakespeare à créer des « types », ce ne sont pas des modèles caractérologiques essentialisés, mais plutôt des figures du fonctionnement de l’inconscient. Ainsi Hamlet est habité par une mélancolie qui n’est pas seulement une humeur noire dominante, mais le principe même du retour du refoulé, de l’affrontement des pulsions et de la névrose familiale : Nulle figure, parmi celles que les poètes ont créées, n’est plus poignante et plus inquiétante. Le doute conseillé par un fantôme, voilà Hamlet. Hamlet a vu son père mort et lui a parlé ; est-il convaincu ? Non, il hoche la tête. Que fera-t-il ? Il n’en sait rien. Ses mains se crispent, puis retombent. Au-dedans de lui les conjectures, les systèmes, les apparences monstrueuses, les souvenirs sanglants, la vénération du spectre, la haine, l’attendrissement, l’anxiété d’agir et de ne pas agir, son père, sa mère, ses devoirs en sens contraire, profond orage22.

26 Plus généralement, Hugo perçoit dans Shakespeare la science d’un inconscient que Freud théorisera quelques décennies plus tard. Il formule ainsi l’intuition que l’inconscient ignore le principe de non-contradiction : Le for intérieur de l’homme appartient à Shakespeare. Il vous en fait à chaque instant la surprise. Il tire de la conscience tout l’imprévu qu’elle contient. Peu de poètes le dépassent dans cette recherche psychique. Plusieurs des particularités les plus étranges de l’âme humaine sont indiquées par lui. Il fait savamment sentir la simplicité du fait métaphysique sous la complication du fait dramatique. Ce qu’on ne s’avoue pas, la chose obscure qu’on commence par craindre et qu’on finit par

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désirer, voilà le point de jonction et le surprenant lieu de rencontre du cœur des vierges et du cœur des meurtriers, de l’âme de Juliette et de l’âme de Macbeth ; l’innocente a peur et appétit de l’amour comme le scélérat de l’ambition ; périlleux baisers donnés à la dérobée au fantôme, ici radieux, là farouche23.

27 Hugo n’a jamais écrit d’autobiographie. Le William Shakespeare en tient lieu, indirectement. À la même époque, les écrivains romantiques français écrivent la leur : Dumas, Sand, Berlioz, Gautier ont alors récemment publié leurs souvenirs des années 1830. L’un des grands poncifs encore en vigueur sur Hugo est sa mégalomanie, mais, pour un prétendu grand narcissique, il n’aura jamais écrit son autobiographie. Sa voix d’exilé, d’Outre-Manche, est une voix d’outre-tombe, d’où il ne saurait écrire ses mémoires qu’indirectement, en passant par l’Angleterre, par un mort, et sous le masque pudique de ses personnages de théâtre. C’est le cas du passage sur le désespoir de Lear après la mort de Cordélia : Demeurer après l’envolement de l’ange, être le père orphelin de son enfant […] tâcher de ressaisir quelqu’un qui était là, où donc est-elle, se sentir oublié dans le départ […] c’est une sombre destinée. Le « où donc est-elle » en incise excède le commentaire critique, et marque l’irruption d’une voix d’auteur : Hugo, dont la fille morte noyée en 1843 est « restée en France24 », au petit cimetière normand de Villequier, seule de sa famille à ne pas le suivre en exil, parle certes de lui, mais en évitant le « je », d’une voix anonyme, donc, que peut emprunter tout parent orphelin de son enfant. On pourrait donner maints exemples de ce décrochage de l’autobiographie dans le lyrisme à chaque fois que Hugo évoque un souvenir personnel dans ce livre. Contre le poncif rebattu de la mégalomanie de Hugo, parions au contraire que, comme son illustre aîné auquel il s’identifie, l’auteur de William Shakespeare était sans doute moins à l’écoute de son propre moi qu’au bruit et à la fureur des pulsions de l’âme humaine.

28 L’histoire littéraire a longtemps enseigné la mort du romantisme en 1843, avec la prétendue chute des Burgraves, dont on sait bien, aujourd’hui, qu’elle est une fiction forgée de toutes pièces, un mensonge officiel destiné à écourter au maximum l’empan du romantisme en France25. Non seulement Les Burgraves n’ont pas chuté, mais en plus, le romantisme ne s’arrête pas du tout en 1843. Si Hugo arrête de publier pendant quelques années, c’est à cause de la mort de Léopoldine en septembre 1843, qui n’engage pas le romantisme tout entier ! Le drame romantique se poursuit au théâtre sans aucune solution de continuité jusqu’à Cyrano de Bergerac, produisant chaque année de nombreuses pièces qui certes ne sont pas des chefs-d’œuvre consacrés par la postérité, mais qui attestent la permanence du genre. La mort du romantisme et son remplacement par un réalisme salvateur (succession que la chronologie des œuvres rend invraisemblable) ont été décrétés par l’histoire littéraire dès le Second Empire pour des raisons politiques. Si le lecteur devine en quoi Shakespeare reste pour Hugo exilé une figure identificatoire de grand génie populaire ayant dû lutter contre les préjugés, la censure et le pouvoir politique de son temps, c’est que l’ouvrage délivre aux contemporains d’hier et d’aujourd’hui ce message subliminal : Shakespeare toujours vivant ? Romantisme pas mort !

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NOTES

1. Catherine Treilhou-Balaudé, Shakespeare, génie des romantiques français, Paris, Classiques Garnier, à paraître en 2017. Voir aussi Michèle Willems, Genèse du mythe shakespearien 1660-1780, Rouen, Publications des Universités de Rouen et du Havre, 1976, et Mara Fazio, Il mito di Shakespeare e il teatro romantico dallo Sturm und Drang a Victor Hugo, Rome, Bulzoni editore, 1993. 2. C’est ce que l’on a tenté dans une autre étude : Florence Naugrette, « Comment lire William Shakespeare de Victor Hugo ? », L’Œuvre inclassable, Marianne Bouchardon et Michèle Guéret- Laferté (dir.), Publications numériques du CÉRÉdI, URL : http://ceredi.labos.univ-rouen.fr/ public/, à paraître. 3. Lettre à « Monsieur le Rédacteur en chef du Figaro », où elle fut publiée sans date ni signature le 14 avril 1864. 4. Victor Hugo, William Shakespeare [1864], dans Critique, Paris, Robert Laffont, « Bouquins », 1985, p. 239. 5. Guy Rosa, présentation de William Shakespeare, éditions courante, critique et génétique, site du groupe Hugo, 2015, http://groupugo.div.jussieu.fr/William%20Shakespeare/Default.htm (consulté le 18 décembre 2016). 6. Hugo, William Shakespeare, op. cit., p. 440. 7. Olivier Bara, Victor Hugo. Hernani et Ruy Blas, Neuilly-sur-Seine, Atlande, 2008, p. 95-97. 8. Hugo, William Shakespeare, op. cit., p. 364. 9. Ibid. 10. Ibid., p. 349. 11. Ibid., p. 345. 12. Idem, p. 382. 13. Voltaire, articles pour la Gazette littéraire de l’Europe, 4 avril 1764, M, t. 25, p. 461. 14. Cette formule, qui figure dans la « Lettre à l’Académie française », est commentée et analysée dans son contexte par Michèle Willems ; voir « L’excès face au bon goût : la réception de Gilles- Shakespeare de Voltaire à Hugo », dans Pierre Kapitaniak et Jean-Michel Déprats (dir.), Shakespeare et l’excès. Actes des Congrès de la Société française Shakespeare, no 25 (2007), p. 225-238. Du même auteur, voir aussi « Cachez cette souris… : la langue de Shakespeare dominée par les Classiques en France et en Angleterre », dans Laurence Villard et Nicolas Ballier (dir.), Langues dominantes, langues dominées, Mont-Saint-Aignan, Publication des universités de Rouen et du Havre, 2008, p. 181-195. 15. Hugo, William Shakespeare, op. cit., p. 382. 16. Ibid., p. 388. 17. Ibid., p. 423. 18. Shakespeare, Hamlet, Acte I, scène 5 : « The time is out of joint ». 19. Hugo, William Shakespeare, op. cit., p. 364. 20. Ibid., p. 363. 21. Ibid., p. 343. 22. Ibid., p. 361. 23. Ibid., p. 344-345. 24. Le dernier poème des Contemplations [1856] est un envoi « À celle qui est restée en France ». 25. Voir Florence Naugrette, Le Théâtre de Victor Hugo, Lausanne, Ides et Calendes, 2016, p. 30-33.

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RÉSUMÉS

Avec William Shakespeare (1864), ouvrage de circonstance écrit en exil à l’occasion du tricentenaire de Shakespeare et de la traduction de ses Œuvres complètes par François-Victor Hugo, Victor Hugo transforme un essai critique en manifeste politique contre le Second Empire et en arsenal de défense du romantisme. Ce monument érigé à la gloire de Shakespeare définit le génie comme l’incarnation de l’esprit de son peuple et de son temps. Hugo y prend le grand auteur anglais pour modèle identificatoire. Les personnages, situations et moments-clefs de l’œuvre de Shakespeare qu’il retient coïncident avec les préoccupations de l’homme romantique.

With his 1864 William Shakespeare, a work he wrote in exile to celebrate both the tercentenary of Shakespeare’s birth and the translation of the Complete Works by his son François-Victor Hugo, Victor Hugo turned a critical essay into a political manifesto against the Second French Empire and in favour of the Romantic movement. In this monument erected to Shakespeare’s glory, Hugo defined genius as the incarnation of a people’s spirit at a specific time, choosing the Bard as his own role model. The characters, situations and passages from Shakespeare’s works which he selected for his analysis corresponded to motifs that were dear to him as a Romantic writer.

INDEX

Keywords : essay, genius, literary criticism, politics, Romanticism, self-portrait Mots-clés : autoportrait, critique, essai, génie, politique, Romantisme

AUTEUR

FLORENCE NAUGRETTE Université Paris-Sorbonne (CELLF)

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Un poète, une muse, un Falstaff : Le Songe d’une nuit d’été d’Ambroise Thomas ou Shakespeare devenu personnage du théâtre lyrique romantique

Valérie Courel

1 Le Songe d’une nuit d’été, l’une des comédies de Shakespeare aujourd’hui les plus jouées, ne s’est imposée que tardivement dans les répertoires du théâtre lyrique, grâce à l’opéra de Benjamin Britten de 1960. Pourtant, plus d’un siècle plus tôt, un opéra- comique ayant en fait usurpé le titre de la comédie shakespearienne connaît un franc succès sur les scènes françaises puis européennes : il s'agit du Songe d’une nuit d’été joué en 1850 sur un livret de Joseph Bernard Rosier et Adolphe de Leuven. Cette œuvre est celle du compositeur français Ambroise Thomas, auteur prolifique de drames lyriques dont les plus célèbres resteront sans doute Mignon (1866), inspiré d’un épisode du roman d’éducation de Goethe Les Années d’apprentissage de Wilhelm Meister (Wilhelm Meisters Lehrjahre), et Hamlet (1868), d’après la tragédie de Shakespeare.

2 Laissant de côté l’étude musicologique de cet opéra-comique déjà menée par Élisabeth Malfroy1, notre contribution se propose essentiellement d’éclairer, dans le livret de Rosier et de Leuven, quelques aspects originaux de la présence protéiforme de « Shakespeare après Shakespeare » dans cette œuvre du XIXe siècle, en les replaçant dans le contexte général de la réception de Shakespeare. Trait d’union entre passé et présent, entre l’Angleterre et ses figures mythiques et une France certes convertie au culte shakespearien sans toutefois se départir complètement d’une certaine distance à l’égard du Poète national anglais, l’opéra-comique Le songe d’une nuit d’été d’Ambroise Thomas, tombé dans l’oubli après avoir remporté un franc succès en son temps et connu une abondante réception productive hors de l’Hexagone, fut à nouveau monté par Pierre Jourdan à Compiègne2 en 1994, à l’occasion de l’inauguration du tunnel sous la Manche.

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L’opéra-comique d’Ambroise Thomas : présentation et contexte

3 Figure éminente de l’opéra français du XIXe siècle aujourd’hui assez peu connue du grand public, souvent attaquée par la critique de son temps dans sa tentative de renouveler l’opéra français en se démarquant des influences italienne ou wagnérienne, le compositeur Ambroise Thomas (1811-1896)3 aura eu une longue carrière émaillée de succès s’étendant des années 1830 jusqu’à sa mort peu avant la fin du siècle, lui permettant ainsi d’assister à la millième représentation de son opéra Mignon. À partir de 1837, il se consacre essentiellement à la composition d’opéras et de musiques de ballet pour les scènes parisiennes : la majeure partie de ses 23 œuvres, dont 20 opéras, sera composée pour l’Opéra-Comique (deuxième salle Favart), il ne s’imposera que tardivement à l’Opéra avec Hamlet (1868) et Françoise de Rimini (1882). C’est dans la période d’instabilité politique située entre l’élection présidentielle de décembre 1848 et le coup d’état de Louis Napoléon Bonaparte en décembre 1851 que ce musicien lauréat du Prix de Rome (1832) et formé au Conservatoire de Paris (dont il deviendra lui-même directeur en 1871), deviendra l’un des compositeurs les plus en vue de la vie musicale parisienne grâce à trois succès remportés sur la scène de l’Opéra-Comique : Le Caïd (janvier 1849), Le Songe d’une nuit d’été (avril 1850) et Raymond, ou le secret de la reine (juin 1851). Grâce à eux, Ambroise Thomas se verra élire triomphalement à l’Académie des Beaux-Arts en 1851, évinçant Hector Berlioz qui n’obtiendra pas une seule voix.

4 Lorsque Le songe d’une nuit d’été d’Ambroise Thomas est représenté pour la première fois sur la scène de l’Opéra-Comique, le 20 Avril 1850, la comédie shakespearienne n’a pas encore été jouée à Paris4, mais Shakespeare, en cette moitié du XIXe siècle, jouit en France à la fois d’un large lectorat, grâce à la traduction de François Guizot parue en 18215, qui révise celle de Pierre Le Tourneur datant du siècle précédent (édition en 20 volumes publiée entre 1776 et1782), ainsi que d’un public désormais acquis à la cause shakespearienne6, même si les grandes représentations des rôles shakespeariens par Mounet-Sully ou Sarah Bernhardt sont encore à venir. Le ralliement du public français au théâtre de Shakespeare a certes suivi des voies détournées, puisqu’il aura d’abord fallu les tragédies en alexandrins de Jean-François Ducis (1733-1816) et leur succès sur la scène de la Comédie Française, qui s’étendra de la fin des années 1760 jusque dans la première moitié du XIXe siècle, pour que le public français se familiarise avec des intrigues et des personnages shakespeariens largement adaptés aux exigences de la scène française, mais magistralement interprétés par le tragédien François-Joseph Talma (1763-1826)7. Les représentations des comédiens anglais à Paris en 1822, mais surtout en 1827-1828 puis 1833 et 1844, ainsi que les opéras d’inspiration shakespearienne auront également joué un rôle déterminant dans la réception du dramaturge élisabéthain en France, en particulier par les auteurs romantiques8.

5 Avec le Romantisme, l’intérêt pour l’œuvre dramatique de Shakespeare, essentiellement pour ses tragédies au centre des débats dramaturgiques des décennies précédentes, s’élargit maintenant aux comédies mais aussi à la personne de leur créateur, comme en témoigne entre autre l’exégèse des sonnets shakespeariens par les romantiques allemands, ainsi que la conséquente présentation de la vie de Shakespeare dans l’édition de Guizot. La figure de l’auteur, son intériorité et ses données (pseudo)biographiques, jusqu’ici hors de propos dans un débat critique opposant essentiellement art et nature, vont être désormais appréhendées comme un tout indissociable de l’œuvre, tandis que fleurissent à travers l’Europe, à la suite de Walter

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Scott, des romans historiques très populaires aux multiples rééditions tels que ceux de Robert Folkestone Williams en Angleterre, Heinrich Koenig en Allemagne et Clémence Robert en France9, qui offrent au lecteur les péripéties souvent imaginaires de la vie du héros élisabéthain. À une époque où Shakespeare fait désormais partie de l’imagination romantique, tandis que l’Histoire connaît aussi un regain d’intérêt comme domaine de recherche ainsi qu’au théâtre, le couple dramatique de Shakespeare et de sa souveraine Élisabeth pouvait donc espérer les faveurs du public. La vogue du drame et de la peinture historique gagnant également l’opéra, Ambroise Thomas s’y rallie dans plusieurs de ses œuvres, le cadre historique servant généralement aux librettistes de toile de fond à une pure fiction, les effets dramatiques primant sur la vraisemblance, à la manière d’Eugène Scribe (1791-1861). Adolphe de Leuven (1802-1884)10 et Joseph Bernard Rosier (1804-1880)11, les auteurs du livret12 de l’opéra-comique d’Ambroise Thomas, s’inscrivent dans cette tendance. Renonçant à une réécriture de la comédie shakespearienne dont ils emprunteront néanmoins le titre, ils vont, à l’instar d’autres auteurs à travers l’Europe13, composer une intrigue inédite mettant en scène le Barde, qui devient grâce à eux pour la première fois héros d’opéra : le point d’orgue de l’opéra- comique en trois actes Le songe d’une nuit d’été, situé dans l’Angleterre du XVIe siècle, est ainsi constitué par la rencontre et une amorce d’idylle imaginaire entre un personnage d’auteur nommé Shakespeare menacé par la débauche et une reine Élisabeth encore très juvénile, sublimée en Muse du Poète. Cette idylle romantique entre le personnage du jeune auteur et sa souveraine, se jouant des rapports entre rêve et réalité, aboutit finalement à rappeler sa vocation créatrice au héros Shakespeare, appelé à devenir la gloire de sa patrie et le fleuron de l’époque élisabéthaine.

6 L’acte I ayant pour cadre la Taverne de la Sirène à Londres montre Shakespeare s’enivrant lors d’un banquet donné en son honneur, après le succès de la représentation d’une de ses œuvres. La reine Élisabeth et sa suivante Olivia, qui viennent d’assister incognito au spectacle, entrent par hasard dans l’auberge et rencontrent d’abord Falstaff qui les courtise. Shakespeare se conduit ensuite grossièrement envers la souveraine masquée qu’il ne reconnaît pas, alors que celle-ci apparaît déjà fascinée par l’auteur. Pour le sauver du ridicule et de l’opprobre, celle-ci fait transporter le jeune auteur complètement ivre par son régisseur Falstaff jusqu’à son domaine royal de Richmond.

7 À l’acte II, situé dans le parc royal de Richmond au clair de lune, la souveraine va incarner le génie de Shakespeare rappelant celui-ci à sa vocation de poète et à une vie rangée. Mais l’homme meurtri s’exalte pour cette femme voilée qui l’a fait ainsi renaître et la reine, visiblement sensible au charme de Shakespeare, peine à résister à ses assauts. L’intervention de la suivante Olivia, qui se substitue à la reine au moment le plus critique, sauve celle-ci d’une situation embarrassante, en se compromettant elle- même aux yeux de son fiancé des plus jaloux, Lord Latimer. Ce dernier provoque alors en duel son supposé rival Shakespeare, qui croit finalement avoir tué le jeune noble et prend la fuite.

8 L’acte III a pour décor le palais royal de Whitehall, où la reine, Olivia et Falstaff tentent de persuader Shakespeare qu’il a rêvé toutes ces péripéties et qu’il ne s’agissait que du songe d’une nuit d’été. Convaincu d’avoir perdu la raison, il veut se donner la mort. Mais la reine le sauve en lui révélant finalement la vérité et se pose en protectrice et en amie, replaçant ainsi leur relation dans le cadre strictement conventionnel du lien unissant le mécène-protecteur des arts et le poète. La fin de l’opéra met en scène une

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apothéose de Shakespeare et de sa souveraine, désormais unis dans la gloire pour l’éternité.

9 Du point de vue de la composition, Ambroise Thomas, désormais engagé sur la voie qui le mènera à l’opéra dans les années 1860, se conforme encore ici à la convention française de l’opéra-comique où alternent scènes parlées et morceaux chantés comprenant solos, duos, trios et ensembles avec chœur. La distribution vocale traditionnelle de ce type d’opéra est aussi largement respectée : les rôles féminins d’Élisabeth et de sa suivante Olivia sont confiés respectivement à une « chanteuse à roulades » comme l’indique la partition (on dirait aujourd’hui « soprano colorature »), capable donc de prouesses vocales, et à une « jeune chanteuse », soprano à la tessiture plus modeste. Face à elles, le rôle de Shakespeare est tenu par un ténor lyrique, celui de Latimer, amant d’Olivia, par un ténor léger, tandis que le personnage comique de Falstaff revient à une basse. En 1886, alors que Le songe d’une nuit d’été a connu 198 représentations14 à Paris entre 1850 et 1867 et qu’une adaptation de la comédie shakespearienne par Paul Meurice est jouée pour la première fois au Théâtre de l’Odéon (Le songe d’une nuit d’été : féerie en 3 actes et 8 tableaux, sur la musique de Felix Mendelssohn-Bartholdy, avec Paul Mounet dans le rôle d’Obéron et Eugénie Weber dans celui de Titania), Ambroise Thomas réécrira le rôle de Shakespeare pour le célèbre baryton Victor Maurel (1848-1923). Ce dernier triomphera d’ailleurs l’année suivante en tant que Iago dans l’Otello (1887) de Guiseppe Verdi, avant d’interpréter Falstaff dans l’opéra éponyme du célèbre compositeur italien, joué en 1893 à la Scala de Milan. Les librettistes de la première version étant entre temps décédés, les quelques modifications du livret seront alors confiées à Jules Barbier (1825-1901), ayant déjà travaillé avec Ambroise Thomas pour sa tragédie lyrique Mignon (1866) et son opéra Hamlet (1868). Également librettiste de la plupart des opéras de Charles Gounod (dont Faust (1859)), Barbier vient d’achever quelque temps auparavant le livret des Contes d’Hoffmann (1881), opéra fantastique en cinq actes de Jacques Offenbach, d’après la pièce homonyme (1851) qu’il avait écrite avec Michel Carré peu après le triomphe de la première version de l’opéra-comique d’Ambroise Thomas. Dans cette œuvre comme dans celle d’Offenbach, un personnage de poète en quête de l’amour absolu, désabusé et célébrant l’ivresse, sera finalement sauvé par sa Muse.

Un personnage d’auteur nommé Shakespeare

10 Un des éléments les plus originaux de la réception productive du poète-dramaturge élisabéthain dans l’opéra-comique d’Ambroise Thomas nous semble être le choix d’un personnage d’auteur dramatique nommé Shakespeare en tant que protagoniste d’une œuvre portant justement le titre d’une des comédies les plus célèbres du dramaturge élisabéthain éponyme, ainsi que la confrontation de celui-ci au personnage de la reine Élisabeth Ire d’une part, ainsi qu’à la figure de l’anti-héros shakespearien Falstaff.

L’illustre précédent : Shakespeare amoureux (1803) d’Alexandre Duval

11 L’entrée en scène du personnage de Shakespeare n’est en soi pas nouvelle, puisque des auteurs anglais avaient déjà mis en scène le dramaturge élisabéthain dans des prologues datant du XVIIe et XVIIIe siècle. Cette pratique se retrouvera d’ailleurs aussi en Allemagne, où la figure tutélaire de Shakespeare, si déterminante dans le processus d’émancipation des lettres françaises et l’émergence d’une littérature nationale

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allemande, sera mise au service des courants littéraires qui jalonneront le XVIIIe siècle, du Sturm und Drang au Romantisme et même au Classicisme allemand. Le personnage de Shakespeare entrera d’abord en scène essentiellement dans des écrits à caractère programmatique et sous la forme éthérée de l’Esprit ou de l’Ombre de l’autorité littéraire et dramatique Shakespeare, mais remportera aussi son premier succès théâtral en 1781 sur une scène de Vienne, alors capitale du Saint Empire Romain Germanique, à l’époque où ce dernier connaît une véritable « fièvre Hamlet ». Le personnage de « Shakespeare dans l’embarras », selon le titre du prologue dramatique15, cautionnera sur le mode comique les efforts entrepris à l’époque dans l’espace germanophone pour mettre en scène les œuvres théâtrales de cette autorité littéraire importée, alors encore essentiellement connue à travers le débat littéraire et dramaturgique qu’il suscite et grâce aux traductions de Christoph Martin Wieland puis Johann Joachim Eschenburg16. Une originalité de ce prologue est aussi de mettre en scène la condamnation sans appel des adaptations de Ducis, qu’un Esprit de Shakespeare désespéré, consolé par celui de Garrick, accuse de dénaturer son Hamlet en l’adaptant au goût français17. C’est pourtant un personnage de Shakespeare lui- même bien francisé qui foulera la scène française au début du XIXe siècle dans la comédie d’Alexandre Duval Shakespeare amoureux ou La pièce à l’étude (1803)18, première véritable individuation dramatique de l’auteur-personnage Shakespeare, librement inspirée de l’anecdote rapportée par John Manningham concernant la rivalité galante entre l’auteur dramatique et son ami acteur Richard Burbage. La femme aimée, une actrice (!) répétant son rôle dans Richard III, y est cette fois courtisée par un riche aristocrate ayant le soutien de la soubrette, la jalousie de Shakespeare constituant le point d’orgue de cette comédie qui se termine par le triomphe du poète reprenant une variante du célèbre bon mot prêté à l’auteur : « William the Conqueror was before Richard III ». Conçue par Duval pour le tragédien et illustre interprète des rôles shakespeariens dans les adaptations de Ducis qu’est François-Joseph Talma, désireux de chausser le brodequin comique, cette comédie française ayant Shakespeare pour protagoniste connaîtra une importante réception à travers l’Europe napoléonienne19.

12 Près d’un demi-siècle après le succès de la comédie d’Alexandre Duval, les librettistes Rosier et de Leuven vont mettre à leur tour en scène, sous couvert de l’illustre patronyme, une figure d’artiste qui, sous les auspices d’une mystérieuse muse s’avérant ensuite être la reine, passe du statut de jeune auteur débauché en quête de l’Amour absolu à celui de Poète national. L’avènement du poète-dramaturge et son intronisation comme auteur national, motif de prédilection du drame d’artiste ayant Shakespeare pour protagoniste en ce milieu du XIXe siècle (essentiellement en Allemagne et en Angleterre) est traité de façon originale dans cet opéra-comique français, genre dont les codes vont aussi s’enrichir d’éléments de la dramaturgie shakespearienne tels que les intrigues croisées et le mélange des genres.

Un auteur-personnage dévoyé en quête de l’Amour absolu ou Shakespeare héros romantique

13 La caractérisation de l’auteur-personnage au premier et second actes de cet opéra- comique met avant tout l’accent sur la débauche d’un poète certes déjà reconnu, mais dont les désillusions sentimentales seraient à l’origine de la dépravation. Les éléments de la biographie shakespearienne rappelés par le personnage de la reine au premier acte20, en soi très peu nombreux et parfois fantaisistes, prêtent ainsi à la figure de

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Shakespeare une existence vagabonde après un mariage malheureux et un veuvage précoce qui l’aurait conduit pauvre et malade à Londres, où il serait devenu souffleur, acteur puis auteur de théâtre, les détails pseudo-biographiques invoqués soulignant le tragique paradoxal d’un personnage meurtri en quête de l’amour absolu.

14 Pourtant, si l’amour semble fuir le personnage d’opéra Shakespeare, la gloire et le succès lui sont déjà acquis. Dès la scène 2 du premier acte, Falstaff, « le joyeux ordonnateur » du festin donné à la Taverne de la Sirène en l’honneur de l’auteur couronné de succès, annonce en effet à l’aubergiste Jérémy qu’il va avoir « l’honneur insigne » de recevoir le « grand Poète et ses amis »21, tandis que le chœur de la scène 6 chante, dans l’esprit du culte shakespearien, la « gloire de Shakespeare et ses brillants succès »22, en prédisant l’immortalité des œuvres dramatiques de celui qui se voit à plusieurs reprises qualifié dans le livret de « roi des Poètes ». Face à la reine qui n’est encore qu’une inconnue qu’il veut démasquer sans ménagement, l’auteur-personnage désabusé ne semble pourtant pas y attacher de prix. Il se plaint en effet que la gloire lui coûte « de longues veilles, de brûlantes insomnies, des défaillances d’esprit et de cœur », et ce pour les applaudissements et les quelques pièces de monnaie de ses spectateurs ordinaires, les matelots et les ivrognes du théâtre de Blackfriars23. Pour ce héros en proie au Weltschmerz, gloire et célébrité sont synonymes d’illusion et de tourment ne se laissant dissiper que par l’ivresse : « les femmes trahissent, la gloire abuse, les amis trompent », seule la dive bouteille tiendrait selon lui ses promesses24. Ce personnage de Shakespeare semble donc porter en lui le désespoir du héros romantique aspirant à un idéal supérieur, incompatible à ses yeux avec la réalité dans laquelle il vit.

Le couple dramatique Shakespeare-Élisabeth

15 Répondant au premier chef aux exigences du genre lyrique réclamant des duos d’excellence, cette œuvre est aussi la première en France, ainsi qu’en Allemagne, à mettre sur le devant de la scène le couple dramatique de Shakespeare et de sa souveraine, pendant féminin à la figure de l’auteur qualifié à plusieurs reprises de « roi des Poètes ». L’intrigue se concentre alors sur le moment fictif où la reine décide d’intervenir dans la vie dissolue du jeune poète, pour le ramener sur la voie de la gloire. L’inclination royale s’exprime d’ailleurs dès le début du livret, la souveraine n’hésitant pas à braver les interdits sociaux ainsi que les dangers de la vie nocturne londonienne pour assister incognito à la représentation d’une œuvre de Shakespeare, espérant à cette occasion voir pour la première fois les traits de celui dont elle annonce prophétiquement qu’il « sera un jour le premier Poète d’Angleterre ».25

16 La première rencontre des personnages de Shakespeare et de la reine est placée vers la fin du premier acte dont elle constitue le point d’orgue. Les écarts de conduite du poète s’imposent alors comme une réalité scénique sous les traits d’un Shakespeare ivre, titubant, et se conduisant de façon grossière envers cette femme inconnue qu’il tutoie et tente de démasquer. Le personnage de la souveraine profondément humaine se fait alors de plus en plus compatissant à son égard, le vouvoiement impérieux se transformant en tutoiement, tandis que le prénom William supplante désormais le patronyme. Une familiarité s’instaure entre les deux personnages dès cette première confrontation dramatique et la différence de statut social s’estompe. La reine se fait même suppliante face à un Shakespeare qui n’aspire qu’à l’ivresse profonde et lorsque

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l’auteur-personnage s’effondre finalement sur un banc, complètement ivre, elle se met au service de ce « poète aux élans si beaux », pour le dérober à l’opprobre et empêcher qu’« un noble esprit dont elle sera fière expire ainsi dans sa première fleur ». Se posant désormais en « ange protecteur » de Shakespeare, ce personnage de reine à la fois femme et souveraine, agissant « pour [elle] et pour l’Angleterre »26, devient moteur de l’intrigue en ordonnant de cacher le poète ivre dans son domaine royal de Richmond.

17 Cette première rencontre détermine donc les rapports d’emblée ambigus entre les deux personnages de ce nouveau couple au centre de l’opéra-comique d’Ambroise Thomas. La reine Élisabeth du livret de Rosier et de Leuven n’est plus une figure austère et autoritaire, responsable de la mort de Marie Stuart ou de son favori le Comte d’Essex, traits sous lesquels elle était jusque-là apparue dans le théâtre français ou allemand27. Peu soucieux de vérité historique, Ambroise Thomas et ses librettistes font semble-t-il abstraction de la différence d’âge de 31 ans entre William Shakespeare et Élisabeth Ire et mettent en scène ce personnage sous les traits d’une jeune souveraine téméraire et volontiers espiègle, bravant les interdits sociaux en assistant masquée aux représentations théâtrales ou s’aventurant dans une taverne. Elle n’apparaît pas non plus insensible au charme d’un Shakespeare, attirance qu’elle a peine à dissimuler derrière un intérêt littéraire et national pour le poète.

Mme Ugalde (1829-1910), rôle de la Reine Élisabeth dans Le Songe d’une nuit d’été (1er acte), Paris, Maison Martinet, 1850-1851.

Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France

18 La seconde grande scène mettant en présence le personnage de Shakespeare et celui de la reine intervient au second acte (scène 7). L’atmosphère animée de la taverne a laissé place à celle, non moins shakespearienne, d’un « rêve enchanteur » : dans le parc royal de Richmond baigné par le clair de lune, le jeune poète qui s’éveille et se dit habité par l’âme de Roméo attendant que « sa Juliette adorée vienne enivrer son cœur et fasse de

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son plus beau rêve une réalité »28, voit s’avancer une femme voilée, incarnation de l’Amour qu’il appelle de ses vœux. Pour conforter l’intertextualité avec la tragédie shakespearienne, Pierre Jourdan a d’ailleurs réintroduit fort adroitement une scène de balcon dans sa mise en scène de 1994 : le personnage de Shakespeare s’adresse ainsi à une apparition voilée se tenant sur un promontoire au-dessus de la demeure du régisseur Falstaff, et non plus, comme lors des mises en scène du XIXe siècle, à une femme se tenant devant lui (voir les illustrations ci-après). Celle-ci se présente comme son Génie outragé et exilé de son cœur par sa conduite dissolue, qui, devenu son juge, viendrait le remettre sur la voie de l’honneur29. L’évocation du « destin exécré » que constitueraient le déshonneur et l’oubli suffit à susciter chez le personnage de Shakespeare une prise de conscience, qualifiée par lui de renaissance. Mais les aspirations des deux personnages divergent néanmoins : tandis que la reine veut pour le jeune Poète « gloire et splendeur »30, celui-ci aspire avant tout à l’amour, qu’il croit avoir trouvé auprès de cette mystérieuse inconnue lui ayant redonné force et espoir. Cet amour apparaît finalement comme réciproque quand la reine confie en aparté le pouvoir qu’exerce Shakespeare sur son cœur, mais il semble aussi d’emblée condamné, celle-ci regrettant de devoir, sa vie entière, y renoncer31.

Les perles du théâtre de l’Opéra-Comique, Le songe d’une nuit d’été [opéra-comique d’Ambroise Thomas, reprise de 1859]. Scène VII, le parc du château de Richmond. William Shakespeare, M. Mautaubry ; Élisabeth, Mme Monrose.

Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France.

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Couverture du DVD de la mise en scène du Songe d’une nuit d’été par Pierre Jourdan, Kultur Video, collection "L’opéra français", 1994.

19 Ce motif de l’amour impossible du Poète et de la Reine Vierge qui clôt cette scène au caractère féerique réapparaît au cœur du troisième acte, mettant quant à lui l’accent sur la dichotomie tragique entre femme amoureuse et souveraine consciente de son devoir32. Une nouvelle confrontation entre les deux principaux protagonistes intervenant à la fin du troisième acte (scène 7) a ainsi pour cadre la cour, les ramenant tous deux sur le terrain de la réalité et du pouvoir. Cette entrevue met pour la première fois en scène le rapport hiérarchique entre sujet et souveraine, cette dernière n’étant jusqu’alors apparue face au personnage de Shakespeare que sous le masque de l’inconnue espiègle de la taverne ou derrière le voile de la mystérieuse allégorie du génie shakespearien, incarnation de l’Amour absolu aux yeux d’un Shakespeare à la recherche du bonheur. Ce personnage public de reine entourée des personnalités les plus éminentes de son royaume, mais qui peine toutefois à dissimuler ses sentiments, tente alors de convaincre Shakespeare qu’il a rêvé leur entrevue de la nuit passée, l’incitant à écrire une comédie intitulée Le Songe d’une nuit d’été33, allusion intertextuelle à la comédie shakespearienne donnant aussi son titre à l’opéra-comique d’Ambroise Thomas.

20 Cette entrevue solennelle entre les personnages de Shakespeare et de la reine vient relancer l’intrigue dramatique en induisant un nouveau rebondissement. Le jeune auteur, n’acceptant pas le fait qu’il puisse avoir rêvé, tente de trouver un nouveau témoin en la personne de Falstaff, devenu dans l’œuvre d’Ambroise Thomas gardien du parc royal de Richmond, celui-ci, tenu au secret par la reine, ne pouvant dire toute la vérité. Le jeune poète croit finalement que sa raison l’abandonne quand il aperçoit le personnage de Latimer qu’il croyait avoir tué en duel et il décide alors d’en finir avec la vie. La scène 11 du troisième acte met en scène un personnage de Shakespeare tragique

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qui, seul et accablé, déplore avec des accents hamlétiens que tout n’ait été qu’un songe et s’apprête à se suicider34. Un retournement de situation intervient grâce à la médiation du personnage de Falstaff parti prévenir la reine.

21 Les deux dernières scènes mettent ainsi à nouveau en présence le couple Élisabeth et Shakespeare, la scène 12 lors d’une entrevue privée et la 13e et dernière scène dans le cadre des fastes de la cour. La reine y ordonne au poète de « vivre pour la gloire de l’Angleterre, pour l’illustration de son règne »35 et lui révèle enfin, sous le sceau du secret, que le génie de cette nuit se tient devant lui. Elle présente l’entrevue nocturne à Richmond comme l’audience d’une protectrice et d’une amie des Belles Lettres36. La scène finale va ainsi replacer chacun des deux personnages dans le rôle qui lui est dévolu par la société. La souveraine présente le jeune auteur aux lords et courtisans, en l’associant à la gloire et aux splendeurs de la patrie. Tandis que les seigneurs s’inclinent devant le poète, le chœur proclame la gloire de Shakespeare et chante les louanges de la reine qui, s’adressant à nouveau à ce dernier, genou à terre devant elle, l’élève au rang de Poète national et fleuron de l’époque élisabéthaine. Cette double apothéose, à la fois visuelle et sonore37 associe étroitement et pour l’éternité la gloire de Shakespeare au règne et à la personne de sa souveraine et vient ainsi consolider un culte shakespearien qui peine encore à s’imposer en France dans le grand public, tandis que l’Angleterre cultive depuis longtemps déjà sa « bardolâtrie » et l’Allemagne sa « Shakespearomanie »38.

Mme Ugalde, rôle de la reine Élizabeth dans Le songe d’une nuit d’été (3e acte) d’Ambroise Thomas. Galerie dramatique ; Theâtre de l’Opéra comique, lith. Decan.

Source : Folger Shakespeare Library (ART File U26 no.1)

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Personnage de Falstaff et intertextualité shakespearienne

22 Une autre particularité du livret de Rosier et de Leuven est de mettre en scène un personnage nommé Falstaff dans une intrigue inédite le mettant en présence de la figure de son créateur Shakespeare. Même s’il a été avancé que ce personnage shakespearien aurait effectivement eu un modèle en la personne de Sir John Oldcastle, les librettistes français n’ont cependant pas recours au référent historique. Sans doute désireux de tirer parti de la notoriété du personnage comique shakespearien, ils s’inscrivent ainsi dans le prolongement de la réception de Falstaff en France, tout en continuant d’explorer et d’exploiter la théâtralité de cette figure dans des épisodes comiques inédits.

Réception du personnage de Falstaff sur le continent

23 Personnage déjà présent dans les traductions françaises du théâtre de Shakespeare par Pierre-Antoine de La Place (dans la comédie Les femmes de bonne humeur, ou Les commères de Windsor partiellement traduite et parue en 1746), puis par Pierre Le Tourneur, celui- ci étant aussi le premier à transposer les deux parties de la pièce historique Henri IV dans les tomes 9 et 10 de son Shakespeare traduit de l’Anglois, dédié au Roi, Falstaff se retrouve évidemment à l’époque romantique dans la réédition des traductions de Le Tourneur par François Guizot en 1821 (10e volume). Mais au théâtre, ce sont avant tout les grandes tragédies shakespeariennes qui sont jouées, que ce soit par les comédiens anglais lors de leurs tournées à Paris, sur les grandes scènes parisiennes ou même dans des adaptations mélodramatiques sur les théâtres de boulevard. Les comédies shakespeariennes, de facture si différente de celles du répertoire français, susciteront certes l’intérêt de la génération romantique mais ne seront jouées que tardivement sur le continent, et en France en particulier. En 1842, Falstaff foule cependant la scène du Théâtre de l’Odéon (première le 2 octobre 1842 avec un prologue de Théophile Gauthier) dans une comédie éponyme en 3 actes et en vers de deux jeunes disciples de Victor Hugo, Paul Meurice et Auguste Vacquerie39, pièce qui ne renvoie pas aux Joyeuses Commères de Windsor mais reconstitue l’histoire de Falstaff à partir de la pièce historique Henry IV. Meurice et Vacquerie seront d’ailleurs également à l’origine d’une adaptation de la comédie shakespearienne All’s Well That Ends Well intitulée Capitaine Paroles et jouée moins de six mois plus tard dans le même théâtre en février 1843. Cette même année, en Allemagne, l’écrivain romantique et grand connaisseur de Shakespeare Ludwig Tieck met en scène pour la première fois la comédie shakespearienne Le Songe d’une nuit d’été, accompagnée de la musique de Felix Mendelssohn-Bartholdy (dont la célèbre marche nuptiale) et dans un décor renvoyant à la scène élisabéthaine40. Mais il ne s’agit encore que d’initiatives isolées.

24 C’est dans le théâtre musical que le personnage de Falstaff va faire l’objet d’une réception particulièrement productive. Les premiers opéras ou pièces chantées le mettant en scène remontent à la seconde moitié du XVIIIe siècle et renvoient à l’action des Joyeuses Commères de Windsor41, avec un succès encore limité à l’exception de Falstaff, osia Le tre burle d’Antonio Salieri sur un livret de Carlo Prospero Defranceschi42 : monté pour la première fois le 3 janvier 1799 à Vienne sur la scène du Théâtre de la Porte de Carinthie (Kärntnertortheater), il fut joué 26 fois au total sur les scènes viennoises des Théâtres de la Cour, mais aussi dans d’autres grandes villes allemandes, dont Berlin, cette fois dans une traduction allemande de Carl Alexander Herklots43. Mais c’est le

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XIXe siècle qui offrira à Falstaff ses succès les plus marquants sur les scènes européennes : un opéra italien La gioventu di Enrico Quinto de Saviero Mercadante (joué au Théâtre de la Scala en 1834) sur un livret de Felice Romani44, qui s’inspire en réalité d’une comédie d’Alexandre Duval La jeunesse de Henri V jouée au Théâtre Français à partir de 1806, inspira traductions ou adaptations que l’on retrouvera sur différentes scènes européennes et connaitra ainsi cinq autres transpositions musicales et même une adaptation sous forme de ballet. C’est finalement l’opéra comique du compositeur allemand Otto Nicolai Les joyeuses commères de Windsor (Die lustigen Weiber von Windsor), sur un livret de Hermann Salomon Mosenthal45, joué pour la première fois à Berlin le 11 mai 1849, qui connaîtra dans l’espace germanophone un succès durable et jamais démenti jusqu’à nos jours, sans cependant réussir à s’imposer à l’étranger46. Il faudra attendre la fin du XIXe siècle pour que le Falstaff de Giuseppe Verdi, sur un livret d’Arrigo Boito, impose définitivement ce personnage sur la scène lyrique européenne47.

Le Falstaff d’Ambroise Thomas

25 Parmi les 25 opéras connus ayant Falstaff pour personnage48, celui d’Ambroise Thomas occupe une place particulière. Son action ne constitue en effet pas une réécriture de la comédie shakespearienne Les joyeuses commères de Windsor et ne s’inspire pas non plus directement des célèbres passages de la pièce historique Henri IV. Dans l’opéra-comique d’Ambroise Thomas, le personnage de Falstaff est non seulement intégré à une intrigue relevant du drame d’artiste, mais il y occupe même une place de premier plan, tant dans l’économie générale de l’œuvre que du point de vue musical. La distribution qui figure en tête du livret de Rosier et de Leuven lui attribue d’ailleurs le second rôle masculin (« première basse chantante »), juste après celui de Shakespeare. Référence intertextuelle facilement identifiable et doté dans les « Indications générales sur la Mise en Scène » de caractères physiques évoquant le personnage shakespearien49, Falstaff entre en scène dès le début de la pièce dans son cadre de prédilection, l’auberge, rappelant au spectateur qu’il est d’abord la figure incontournable des scènes de taverne dans la première partie de la pièce historique Henry IV, où il incarne le compagnon de débauche amoral et spirituel du prince Harry (Hal), futur Henri V, qui le rejettera d’ailleurs lors de son accession au trône dans la seconde partie de ce drame. L’opéra de Rosier et de Leuven reprend cette figure comique, sans doute la plus célèbre du théâtre shakespearien, pour la transposer sous le règne d’Élisabeth Ire près de deux siècles plus tard. Le gros chevalier truculent à la figure joviale, occupant désormais la fonction de garde général du domaine royal de Richmond, va contribuer à installer au premier acte une ambiance propre à l’opéra-comique, avant qu’il ne soit mis au service de l’intrigue, tout en faisant toujours office de vecteur du comique.

26 Héros par excellence des scènes d’auberge, Falstaff est ainsi particulièrement présent au premier acte ayant pour cadre la Taverne de la Sirène, où il apparaît dans huit scènes sur douze. Accueilli d’emblée par l’aubergiste Jérémy comme une personnalité de choix et le « joyeux ordonnateur »50 du festin en l’honneur de l’auteur Shakespeare, celui qui se présente avec fatuité comme « la grande ombre du grand Shakespeare »51 apparaît d’abord dans le premier acte sous les traits d’un joyeux ripailleur honorant Bacchus et Cupidon. La présence de ce personnage, également officier recruteur dans la pièce historique de Shakespeare, est l’occasion d’un grand défilé culinaire comique52 où Falstaff passe en revue cuisiniers, rôtisseurs et sommeliers lui présentant plats et vins, comme s’il s’agissait d’une armée. Il sort finalement de scène trônant dans un fauteuil

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hissé sur les épaules des garçons taverniers, qui le portent triomphalement dans la salle du banquet (voir illustration ci-après). Il reparaît peu après pour une longue scène 5 le mettant en présence de la reine et de sa suivante masquées, tout juste entrées par hasard dans cette taverne pour se mettre à l’abri de l’orage et de matelots ivres, après avoir assisté incognito à une représentation de Shakespeare. Reconnaissant celui qui, dans cet opéra, occupe la fonction de garde général du domaine royal de Richmond, elles se jouent longuement, cachées derrière leur masque, d’un Falstaff convaincu que ces dames sont éprises de lui. Conformément à la logique d’intertextualité avec l’œuvre shakespearienne, ce Don Juan ridicule et imbu de sa personne renvoie à son rôle de séducteur berné dans la comédie Les Joyeuses Commères de Windsor. Affirmant bien connaître toutes les « qualités » de Falstaff qu’elle énumère en le définissant comme « un assemblage de tous les travers » qui sera « cité d’âge en âge », ses bravades, fanfaronnades et autres rodomontades n’étant que « faux airs »53, la figure d’Élisabeth aligne ainsi tous les attributs du personnage shakespearien, buveur illustre, menteur volubile et indémontable, doublé d’un poltron. L’auteur-personnage Shakespeare rappelle d’ailleurs peu après les traits de cet anti-héros shakespearien, dont l’opéra- comique venait de reconnaître les potentialités, en définissant Falstaff comme « le gai, le gros, le rond, le joufflu, le vantard, le bouffon Falstaff ».54

Le songe d’une nuit d’été, [opéra-comique d’Ambroise Thomas, Théâtre de l’Opéra-Comique, 1850] : Falstaff porté en triomphe, rôle de M. Charles Battaille (1822-1872), 1ère Basse.

Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France

27 Outre ces deux emplois de compagnon de débauche et de séducteur infatué mais ridicule, rappelant à la fois le personnage shakespearien de la pièce historique Henry IV (Partie I) et celui de la comédie Les joyeuses commères de Windsor, le gros chevalier paillard va ensuite être mis au service de la progression de l’intrigue. Le livret de Rosier et de Leuven développe de façon originale ce caractère si fortement déterminé par

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l’intertextualité et sur lequel se concentre l’essentiel du comique. En tant que garde du domaine royal de Richmond, il participe à l’intrigue principale en obéissant aux ordres de la reine qui, sans se faire reconnaître, va à la fin du premier acte, lui donner l’ordre de transporter un Shakespeare ivre dans son domaine royal. Il devra ensuite garder le domaine afin qu’aucun importun ne puisse y pénétrer et troubler l’entrevue de la reine et de son poète, ces scènes55 venant illustrer la poltronnerie et la roublardise de Falstaff, effrayé dès qu’il est seul dans la nuit ainsi que garde resquilleur flouant la reine de son meilleur gibier, tout en se vantant de ses larcins devant celle qu’il prend encore pour une conquête. Cette souveraine volontiers espiègle, qui s’amuse des travers de son garde, va à nouveau se jouer de lui au troisième acte, quand il s’agira de faire croire à Shakespeare qu’il a rêvé les événements de cette nuit. La confrontation de Falstaff et de l’auteur-personnage est l’occasion d’un nouveau morceau de bravoure comique débouchant sur une péripétie : alors que le poète-dramaturge le salue comme son « sauveur » et son « excellent ami », sûr que celui-ci va corroborer sa version des événements, Falstaff, flatté d’avoir « l’honneur d’être l’ami du fameux Shakespeare, de cette intelligence sublime »56, est sur le point de parler, mais se ravise en pensant aux menaces de la reine au courant de ses larcins, avant d’affirmer à un auteur-personnage désemparé que rien d’anormal ne s’est passé cette nuit au domaine de Richmond. Mais en prévenant la souveraine du désespoir d’un Shakespeare désormais sur le point de se suicider, Falstaff sauvera finalement la vie du Poète par cette intervention qui fera éclater la vérité, ce « personnage en quête d’auteur »57 se voyant alors promettre une place dans l’œuvre shakespearienne ainsi que l’immortalité.

Émile-Alexandre Taskin (1853-1897) dans le rôle de Falstaff, opéra-comique d’Ambroise Thomas Le songe d’une nuit d’été, Théâtre de l’Opéra-Comique, 1886.

Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France

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L’intertextualité shakespearienne

28 Cette première appropriation de la figure du poète-dramaturge élisabéthain par le genre lyrique, s’exonérant largement de toute vérité historique ou biographique, conforte donc le statut de son auteur-personnage en recourant à des allusions manifestes à l’œuvre de Shakespeare. Mais le jeu intertextuel, composante si emblématique de la présence de « Shakespeare après Shakespeare » dans la littérature, prend ici des formes particulières. L’opéra-comique d’Ambroise Thomas se joue en fait dans son titre de l’intertextualité shakespearienne, puisque Le songe d’une nuit d’été ne renvoie pas directement à la comédie éponyme et ne constitue pas une réécriture de cette pièce ou de l’une de ses intrigues, mais fait référence au subterfuge inédit mis en place par la reine pour ramener le poète dévoyé sur la voie de son destin d’exception, celui-ci devant croire que sa rencontre avec sa muse royale n’était qu’un rêve. La souveraine invitera ensuite le poète à écrire une comédie intitulée : Le songe d’une nuit d’été… Pourtant, l’intertextualité shakespearienne n’en est pas moins omniprésente dans l’atmosphère féérique du parc au clair de lune (acte 2), évoquant celle de la comédie shakespearienne, ou bien manifeste par la présence d’un personnage nommé Falstaff. Elle s’inscrit aussi en filigrane à travers un réseau de motifs ou de situations du théâtre de Shakespeare qui servent l’atmosphère de cet opéra comique ou sous-tendent les intrigues parallèles se recoupant à la manière de la dramaturgie shakespearienne. Les histoires des deux couples de personnages Shakespeare-Élisabeth et Latimer-Olivia sont ainsi étroitement imbriquées à la manière de la dramaturgie shakespearienne, mais seule celle de Latimer et Olivia connaît une fin véritablement heureuse s’ouvrant sur la perspective d’un mariage, après avoir surmonté l’obstacle de la jalousie obsessionnelle de Latimer envers Falstaff, puis Shakespeare, pâle réplique des obsessions d’Othello. Le mouchoir se voit remplacé par un bouquet, accessoire galant jugé sans doute plus approprié pour un public français. Quant au duel entre Shakespeare et Lord Latimer, il renvoie aux célèbres combats du théâtre shakespearien.

29 Même le mélange des genres semble mis au service de l’opéra-comique. Le dénouement heureux, les péripéties et les quiproquos afférents au genre n’occultent cependant pas la présence de motifs conférant à cette œuvre une note plus sérieuse : le renoncement de la reine à ses sentiments au nom de la Raison d’État ou la recherche de l’amour comme but ultime de l’existence d’un Shakespeare meurtri ne sont pas dénués de potentiel tragique. Mais toujours dans l’esprit de la dramaturgie shakespearienne, la détresse, voire le désespoir du poète, alterne avec des scènes comiques où domine très naturellement le personnage de Falstaff. À l’instar de cette figure réécrite pour le genre de l’opéra-comique, l’essentiel de l’intertextualité larvée est attachée aux personnages nourris aux sources de la théâtralité shakespearienne. La verve de la reine Élisabeth à la taverne du premier acte rappelle ainsi celle des héroïnes des comédies de Shakespeare, tandis que ce même personnage en mystérieuse femme voilée dans l’atmosphère surnaturelle du parc de Richmond, évoquant l’épisode central du Songe d’une nuit d’été, apparaît comme le pâle reflet de Titania, les tribulations des deux couples n’évoquant il est vrai que très lointainement le désordre régnant cette nuit-là dans le bois près d’Athènes. Quand dans le cadre merveilleux du parc au second acte, le personnage de Shakespeare, se disant habité par l’âme de Roméo, croit voir s’avancer Juliette, son « idéale beauté », point d’orgue de cet opéra-comique, l’évocation du couple sans doute le plus célèbre du théâtre shakespearien incarne l’amour absolu auquel aspire ici par-dessus tout le Shakespeare d’Ambroise Thomas. Mais l’évocation

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de la tragédie Roméo et Juliette revêt aussi un caractère prémonitoire : comme dans le cas des amoureux de Vérone, et en dépit des sentiments qui les poussent l’un vers l’autre, l’amour entre Shakespeare et Élisabeth sera finalement lui aussi impossible, du fait d’étoiles contraires. Élisabeth, que l’Histoire a surnommée la Reine Vierge, doit rester « la Vestale qui trône à l’Occident » sur qui les flèches de Cupidon n’ont aucune prise, selon la formule qui la caractérise, justement dans la comédie shakespearienne Le songe d’une nuit d’été 58. Quant à l’autre couple dramatique réunissant l’auteur- personnage Shakespeare et Falstaff, sa portée intertextuelle laisse ainsi présager qu’à l’instar du prince Harry de l’œuvre shakespearienne, qui avait abandonné sa vie dépravée et son compagnon de débauche lors de son accession au trône, le personnage de jeune poète dévoyé Shakespeare va finalement retrouver lui aussi le chemin de l’honneur et de la gloire.

Réception productive de cet opéra en Europe et au-delà

30 Alors qu’en cette moitié du XIXe siècle, Paris apparaît aux yeux du monde comme la capitale de l’art dramatique, les succès remportés sur les scènes parisiennes incitent les théâtres et auteurs étrangers, en recherche constante de nouvelles pièces, à jouer également ces œuvres, en les traduisant ou en les adaptant. Le Théâtre de la Monnaie de Bruxelles inscrit ainsi l’opéra-comique d’Ambroise Thomas à son répertoire dès octobre 1850, Liège suit en 1851, de même que Genève et Buenos Aires en 1854, Barcelone en 1868 et Lisbonne en 1878. Deux transpositions du livret de Rosier et de Leuven paraissent aussi en italien (Il sogno d’una notte d’estate), celle de Luigi Zanetti59 dans les années 1860, puis d’Angelo Zanardi en 1896. En Allemagne et en Autriche, l’adaptation de Karl Gollmick60, publiée à plusieurs reprises et en plusieurs points de l’espace germanophone, dès 1850 à Mayence, puis à Vienne en 1854 et Weimar en 1858, et sous des titres parfois légèrement différents (Der Sommernachtstraum, Eine Sommernacht, Der Traum einer Sommernacht oder Königin und Dichter) reste essentiellement fidèle à l’original de Rosier et de Leuven, mais n’atteindra que huit représentations sur la scène du Théâtre de la Porte de Carinthie à Vienne en janvier 1854. À Berlin, l’adaptation du ténor Hermann Meinhardt (Der Sommernachtstraum)61, jouée trois fois sur la scène du Friedrich-Wilhelmstädtisches Theater en février 1854 et dans laquelle l’adaptateur lui-même tient le rôle de Shakespeare, prend quant à elle quelques libertés avec l’original, qui témoignent de certaines réserves à l’égard du modèle français. Après le succès sans précédent qu’a connu dans l’espace germanophone l’œuvre d’Otto Nicolai Les joyeuses commères de Windsor (Die lustigen Weiber von Windsor)62, premier opéra d’inspiration shakespearienne en Allemagne ayant pour personnage principal Falstaff, il n’est pas étonnant que les deux adaptateurs allemands aient saisi l’opportunité de proposer à nouveau au public cette figure comique devenue si populaire, cette fois mise en présence de son illustre créateur William Shakespeare, érigé en référence dramatique dans l’espace germanophone depuis près d’un siècle ainsi qu’objet d’une « Shakespearomanie » rivalisant au cours du XIXe siècle de plus en plus ouvertement avec la « bardolâtrie » britannique. Mais si les adaptateurs allemands reprennent volontiers le personnage comique de Falstaff, ils vont quant à eux achopper sur cette figure de souveraine prenant, dans l’opéra- comique français, un plaisir bien peu royal à taquiner le gros chevalier : Gollmick renonce ainsi à toute caractérisation ironique du personnage de Falstaff par Élisabeth, le librettiste allemand ayant sans doute estimé qu’un tel discours ne sied pas à une

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reine consciente de son rang, celle-ci ne pouvant décemment se faire l’écho des turpitudes de celui à qui elle confie néanmoins la garde de son domaine royal. L’adaptateur Meinhardt choisit pour sa part de supprimer purement et simplement cet échange entre les personnages de Falstaff et Élisabeth, indigne à ses yeux d’une souveraine ou même ressenti comme crime de lèse-majesté, susceptible de s’attirer les foudres de la censure ou de choquer les monarques et princes devant lesquels serait représentée son adaptation.

31 En dehors de l’Europe, l’opéra-comique d’Ambroise Thomas sera également joué aux États-Unis, d’abord en 1851 à la Nouvelle-Orléans où il figure au répertoire de la troupe française de Mme Fleury Jolly, qui se produira en 1852 lors d’une tournée au Niblo’s Garden de New-York. Les réticences d’un critique de l’hebdomadaire Spirit of the Times (26 juin 1852) sont alors encore plus marquées que les réserves perçues à travers le texte des adaptateurs germanophones puisqu’au nom du culte shakespearien, il est reproché aux Français, avec une pointe de condescendance, de « profaner la mémoire du doux Cygne de l’Avon en mêlant son nom à une telle absurdité », ce qui constitue à la fois « une insulte envers ceux qui le vénèrent et une preuve que les Français sont complètement ignorants de ses glorieuses œuvres » : Queen Élisabeth, Falstaff, and Shakespeare are introduced under most ridiculous circumstances, and in absurd relations to each other. We could forgive our Gallic friends for scandalizing Queen Bess and rendering fat Jack ridiculous, but to profane the memory of the sweet Swan of Avon by introducing his name into such balderdash is at once an insult to all who reverence him and an evidence that the French are wholly ignorant of his glorious works. Poor fellows !63

32 Sans doute pour les mêmes raisons que celles évoquées par ce critique, l’opéra-comique d’Ambroise Thomas ne sera joué en Grande-Bretagne qu’en 1898 à Glasgow, dans une transposition anglophone du livret de Rosier et de Leuven par William Beatty Kingston. Pour éviter toute confusion regrettable avec la comédie shakespearienne qui aurait pu exaspérer les admirateurs du Barde, il sera alors simplement intitulé A Poet’s Dream. Le personnage de Shakespeare devient alors un poète du nom de Pedro Valdez, la reine étant ramenée au rang de Comtesse Erminia et Falstaff à celui de Don Federigo de Pardan.

33 Mais la réception productive de l’opéra-comique d’Ambroise Thomas a pris aussi d’autres formes. D’une part, certains compositeurs ont pu être tentés de reprendre le livret en l’adaptant plus ou moins librement, mais en lui adjoignant leur propre partition, comme ce fut le cas en Italie et en Espagne. La « commedia lirica in tre atti » La gioventù di Shakespeare 64 fut ainsi jouée au Teatro del Fondo de Naples le 29 décembre 1851 sur une musique de Giuseppe Lillo, plaçant cet opéra dans la tradition du Belcanto de Rossini, Bellini et Donizetti. Quant au livret de Giuseppe Sesto Giannini, il renonce à mettre en scène une idylle entre Shakespeare et sa souveraine, remplaçant cette dernière par une jeune veuve, Lady Arabella, dont la suivante est une demoiselle Emma, Lord Latimer étant ramené au rang de baronet (Arturo Morton), tandis que Sir John, rebaptisé Sir Goffredo, est désormais régisseur du parc du frère de Lady Arabella. En Espagne, El sueño de una noche de verano65 est jouée le 21 février 1852 au Théâtre del Circo de Madrid dans une transposition assez libre du livret de Rosier et de Leuven par Patricio de la Escosura y Morrogh, sur une musique originale de Joaquin Romualdo Gaztambide y Garbayo, compositeur reconnu de zarzuelas et qui dirigera à partir de 1856 le tout nouveau Teatro de la Zarzuela. Une autre curiosité liée à la réception de

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l’opéra-comique d’Ambroise Thomas est d’avoir inspiré plusieurs ballets ayant connu un succès certain en Italie : Shakespeare devenu danseur entre ainsi en scène le 27 janvier 1855 à la Scala de Milan dans un ballet en trois actes Shakespeare ovvero Il sogno d’una notte d’estate66 du chorégraphe Giovanni Casati sur une musique du compositeur Paolo Giorza, qui fut joué 55 fois à la Scala entre 1855 et 1856. Il sera repris en 1855 au théâtre San Carlo de Naples dans une adaptation en quatre actes des chorégraphes Salvatore Taglioni et Gustave Carey67, et en 1856 à La Fenice de Venise. Traversant ainsi les genres et les frontières, la figure de Shakespeare conçue par Ambroise Thomas et ses librettistes participera, par son importante réception productive, à l’essor et à la consolidation du culte de Shakespeare en Europe.

34 S’affranchissant de la lettre de l’œuvre, le culte de Shakespeare investit ainsi d’autres genres très populaires en leur temps, en se cristallisant de plus en plus autour de la personne de l’auteur et de ses figures les plus célèbres68. L’icône Shakespeare est en marche et des œuvres telles que celle d’Ambroise Thomas et son importante réception productive contribueront aussi largement à son enracinement dans le grand public, pour qui l’appropriation de l’auteur élisabéthain ne passe pas nécessairement par une connaissance approfondie de son théâtre. Apportant leur pierre à l’édifice du culte shakespearien, ces œuvres aujourd’hui souvent retombées dans l’oubli auront donc contribué à leur manière à conforter la popularité de Shakespeare en l’inscrivant dans les genres les plus prisés par le public à une époque et dans un pays donné. La marche du poète-dramaturge vers son statut d’icône emprunte alors des voies atypiques: par leur succès auprès du grand public, ces formes dérivées contribuent à ancrer le mythe shakespearien dans une nation. La réception théâtrale de Shakespeare en France apparaît dans ce domaine comme exemplaire : les adaptations de Jean-François Ducis et leur extraordinaire longévité sur la scène française, le succès inattendu de la comédie d’Alexandre Duval Shakespeare amoureux ou l’opéra-comique d’Ambroise Thomas Le songe d’une nuit d’été et ses nombreuses représentations constituent ainsi des jalons incontournables de l’accueil de Shakespeare par le public, non seulement français mais aussi européen. La France n’étant pas encore sensible à la sacralisation du texte shakespearien qui s’impose par exemple en Allemagne avec le mouvement romantique, ces œuvres choisissent plutôt d’introduire la théâtralité shakespearienne dans des genres déjà reconnus, que celle-ci contribue alors à faire évoluer, tout en préparant leurs contemporains à l’accueil des œuvres originales, démarche toutefois susceptible d’apparaitre aux yeux de l’étranger comme un témoignage de méconnaissance flagrante du canon shakespearien, voire comme un crime de lèse-majesté envers le vénéré Barde.

35 Car le mythe shakespearien peut aussi sembler quelque peu égratigné à certains moments de cet opéra comique, anticipant le processus de déconstruction de l’autorité Shakespeare telle que la pratiquera l’époque moderne et post-moderne. L’auteur- personnage que cet opéra comique se complaît à représenter ivre et grossier avec les dames, offre un spectacle peu compatible avec l’imagerie du culte shakespearien qui, au cours du XIXe siècle, va aussi faire de l’auteur élisabéthain une autorité morale dont on distillera la sagesse dans des recueils de préceptes et aphorismes, comme en France celui de Charles Nodier Pensées de Shakespeare, extraites de ses ouvrages (1801), ou l’ouvrage allemand au titre évocateur Shakespeare précepteur de l’humanité (Shakespeare als Lehrer der Menschheit. Lichtstrahlen aus seinen Werken) (1864) de Hermann Marggraf. Mais Voltaire lui-même n’avait-il pas évoqué Shakespeare et son Hamlet en ces termes : « on croirait que cet ouvrage est le fruit de l’imagination d’un sauvage ivre »69,

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imposant l’idée que cohabiterait chez cet auteur « ce qu’on peut imaginer de plus fort et de plus grand, avec ce que la grossièreté sans esprit peut avoir de plus bas et de plus détestable » ? En France depuis Voltaire, la notion d’excès70 est en quelque sorte constitutive de l’image de l’auteur élisabéthain et pourrait avoir vaguement inspiré les égarements du jeune héros romantique d’Ambroise Thomas, en passe de devenir un poète maudit sans l’intervention de sa souveraine. En dépit de l’immense succès remporté dans la seconde moitié du XIXe siècle par cet opéra-comique ayant Shakespeare pour protagoniste, c’est une autre figure de poète ayant vu le jour à la même époque71, également désabusé par ses expériences amoureuses et célébrant l’ivresse avant d’être finalement sauvé par sa Muse, qui deviendra, grâce à Jacques Offenbach et son opéra fantastique Les Contes d’Hoffmann (1881), le héros d’un des opéras français les plus représentés dans le monde.

NOTES

1. Voir Élisabeth Malfroy, Ambroise Thomas, l’homme et son œuvre, thèse de doctorat en musicologie, Paris IV, 1992 et Élisabeth Rogeboz-Malfroy, Ambroise Thomas ou la tentation du lyrique. Besançon: Cêtre, 1994. 2. Joué au Théâtre Impérial de Compiègne, dans le cadre des « Séries lyriques de Compiègne ». Voir à ce propos Gérard Condé, « Résurrection à Compiègne. Le Songe d’une nuit d’été en V.F. », Opéra international. Le magazine de l’art lyrique. Paris, n° 180 (Mai 1994), p. 22-25. Un DVD de cette mise en scène est disponible dans la collection « L’Opéra français » [Ghyslaine Raphanel (Élisabeth), Alain Gabriel (Shakespeare), Jean-Philippe Courtis (Falstaff), Cécile Besnard (Olivia) et Franco Ferrazzi (Lord Latimer)] (Ambroise Thomas, Le Songe d’une nuit d’été, Théâtre Français de la Musique, Festival de Compiègne 7 Mai 1994; mise en scène Pierre Jourdan. s.l : Cascavelle, 2003). Voir également le coffret de 2CD reprenant un enregistrement plus ancien : Ambroise Thomas, Le Songe d’une nuit d’été. Chœurs et orchestre Radio Lyrique de Paris; Manuel Rosenthal, enregistré en 1956 à Paris, Hamburg: Line Music, Cantus Classics, 2010. 3. Georges Masson, Ambroise Thomas: un compositeur lyrique au XIXe siècle. Metz: Éditions Serpenoise, 1996. Élisabeth Rogeboz-Malfroy, Ambroise Thomas: témoin du siècle 1811-1896 , Besançon, Cêtre, 1999. 4. Le texte de la comédie est néanmoins connu depuis 1821 grâce à l’édition de Guizot. Madame Amable Tastu et Louise Colet en avaient repris quelques scènes dans l’édition de leurs Poésies ou les déclamaient dans des salons. Amable Tastu, « Shakespeare; à Madame Louise Sw.-Belloc », in Amable Tastu, Poésies, 3e édition, Paris, Dupont, Tastu, 1827, p. 293-326. Louise Colet, « Fragments du Songe d’une nuit d’été (Imitations de Shakespeare) [1837] », in Louise Colet, Poésies, Paris, Lacrampe, 1842, p. 245-252. Le titre lui-même connut une fortune particulière : en 1841, le compositeur Hector Berlioz, grand admirateur de Shakespeare, avait composé son op. 7, intitulé Les nuits d’été, d’après des poèmes de Théophile Gautier. Après le succès de l’opéra-comique d’Ambroise Thomas, Édouard Plouvier fera jouer sa comédie Le songe d’une nuit d’hiver (1854) au Théâtre Français et Étienne Tréfeu Le rêve d’une nuit d’été (1855) au Théâtre des Bouffes Parisiens, toutes deux accompagnées d’une musique de Jacques Offenbach. Les comédies shakespeariennes n’entreront que tardivement dans les répertoires des grandes scènes parisiennes, dans la première moitié du XXe siècle.

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5. Œuvres complètes de Shakespeare, traduites de l’Anglais par Pierre-Prime-Félicien Letourneur; nouvelle édition, revue et corrigée par François Pierre Guillaume Guizot et Amédée Pichot traducteur de Lord Byron; précédée d’une notice biographique et littéraire sur Shakespeare, par F. Guizot, 13 vol. Paris, Ladvocat, 1821. 6. Isabelle Schwartz-Gastine, « Shakespeare on the French Stage: A Historical Survey », in A. Luis Pujante, Ton Hoenselaars, éd., Four Hundred Years of Shakespeare in Europe, Newark, University of Delaware Press, 223-240, en particulier p. 229. 7. Cet acteur, interprète réputé de Corneille et ami de Jean-François Ducis, interprète les grands rôles shakespeariens des adaptations de ce dernier, Le Roi Jean de 1791 à 1792, Othello de 1792 à 1825, Macbeth de 1792 à 1826, Hamlet de 1803 à 1826. 8. Voir à ce propos Catherine Balaudé-Treilhou, Shakespeare romantique. La réception de Shakespeare en France de Guizot à Scribe (1821-1851), thèse de doctorat, Paris 3 - Sorbonne Nouvelle, 1994. 9. Robert Folkestone Williams, Shakespeare and His Friends, Or, The Golden Age of Merry England, 3 vol., Paris, Londres, 1838 ; Robert Folkestone Williams, The Youth of Shakespeare. By the Author of Shakespeare and His Friends, 3 vol., Londres, 1839 ; Heinrich Koenig, William’s Dichten und Trachten, 2 vol., Hanau, 1839 réédité plusieurs fois sous le titre William Shakspeare (en 1850, 1859, 1864 puis 1875) ; Clémence Robert, William Shakspere (sic), 2 vol., Paris, Roux et Cassanet, 1844. 10. Adolphe de Leuven, de son vrai nom Adolphe Comte de Ribbing, auteur ou co-auteur de plus de 170 textes de théâtre, essentiellement des opéras-comiques, travaillait depuis deux décennies déjà avec différents compositeurs français, dont A. Thomas (Le panier fleuri (1839) et Carline (1840)). Il participe par la suite à deux autres opéras aux motifs shakespeariens, le Falstaff (1856) d’Adolphe Adam et Le saphir (1865) de Félicien David. De 1862 à 1874, il codirige l’Opéra-Comique et démissionnera après s’être vainement opposé à la représentation de Carmen de Bizet. 11. Ancien clerc d’avoué, Joseph Bernard Rosier devient à partir de 1830 auteur de théâtre et librettiste. Il participe avec Adolph de Leuven à la rédaction du livret de l'opéra-comique d’A. Thomas Raymond ou Le secret de la reine (1851), puis sera l’auteur du livret de l’opéra-comique en deux actes de Thomas La cour de Célimène (1855). 12. Le livret fait l’objet d’une publication indépendante, édition dont sont tirées les citations de cet article: Joseph Bernard Rosier et Adolphe de Leuven, Le Songe d’une nuit d’été, opéra-comique en trois actes, par MM. Rosier et De Leuven, musique de M. Ambroise Thomas, représenté pour la première fois, à Paris au Théâtre de l’Opéra-comique, le 20 Avril 1850, Paris, Dondey-Dupré, s. a., 1850. 13. Voir Paul Franssen, Shakespeare’s Literary Lives. The Author as Character in Fiction and Film, Cambridge, CUP, 2016. 14. La première version de cet opéra-comique a connu, rien qu’à l’Opéra-Comique, 117 représentations entre 1850 et 1856, avant d’être reprise en 1859 et d'apparaître 68 fois à l’affiche jusqu’en 1864. Treize autres représentations auront lieu pendant la saison 1866/67. L’œuvre remaniée en 1886 sera représentée 29 fois. Les autres grands théâtres de province reprendront aussi abondamment cet opéra-comique. 15. Johann Friedrich Schink, Schakespear in der Klemme oder Wir wollen doch auch den Hamlet spielen. Ein Vorbereitungsspiel zur Vorstellung des durch Kinder von Schink, aufgeführt im k. k. Kärntnerthor Theater, Wien, Gerold, 1781. Réédition in Gerhard Müller-Schwefe (éd.), Shakespeare im Narrenhaus. Deutschsprachige Shakespeare-Parodien aus zwei Jahrhunderten, Tübingen, Francke, 1990, p. 125-134. 16. Shakespear Theatralische Werke. Aus dem Englischen übersetzt von Herrn Christoph Martin Wieland, 8 vols, Zürich, Orell, Geßner, 1762-1766 et William Shakespear’s Schauspiele, Neue Ausgabe, Von Johann Joachim Eschenburg, 13 vols. Zürich, Orell, Geßner, Füeßlin, 1775-1782. 17. Valérie Courel, « Ombres de Shakespeare dans le théâtre germanophone du XVIII e siècle », Shakespeare vu d’Allemagne et de France des Lumières au Romantisme (Revue germanique internationale, vol. 5), Paris, CNRS, 2007, p. 223-240.

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18. Alexandre Duval, « Shakespeare amoureux, ou La pièce à l’étude, comédie en un acte et en prose, Représentée pour la première fois le 1 janvier 1804 », in Œuvres complètes d’Alexandre Duval, membre de l’Institut (Académie Française), 9 vol., Paris, Chasseriau, 1822-1823, vol. 5, 1822, p. 169-204. 19. Paul Franssen, « Shakespeare in Love, 1804; or, Conquering the Continent with William » in Cahiers Charles V, n° 45, 2008, p. 211-230. 20. Acte I, scène XI, p. 28-29 cité à partir de Joseph Bernard Rosier, Adolphe De Leuven, Le Songe d’une nuit d’été, opéra-comique en trois actes, op. cit. note 10 : « ÉLISABETH : Je connais tous les détails de ta vie. SHAKSPEARE : Eh bien ! Je n’ai pas cette prétention-là, moi, car j’ai oublié bien des choses. ÉLISABETH : Tu te nommes William Shakspeare…Ta ville natale est Stratford, dans le comté de Warwick. SHAKSPEARE : Oui, et je me rappelle avoir, dans ma première enfance, gardé les troupeaux dans de vastes solitudes, sur le penchant des montagnes, au milieu des silencieuses majestés de la nature, seul, la nuit, sous les étoiles du ciel… Ce fut là le temps le plus rêveur, le plus fécond peut-être, et, assurément, le plus heureux de ma vie ! ÉLISABETH : Tu t’es marié à dix-huit ans avec une femme qui en avait vingt-six. SHAKSPEARE soupirant: Oh ! ce détail-là, je ne l’oublierai jamais ! ÉLISABETH : Deux ans après, tu perdis ta femme. SHAKSPEARE : Les dieux nous font un devoir de nous souvenir de leurs bienfaits. (Souriant.) Je n’oublierai jamais cela non plus. ÉLISABETH : Dès lors, tu menas une vie vagabonde… SHAKSPEARE : C’est vrai ! ÉLISABETH : Pauvre et malade, tu te rendis à Londres, où tu devins souffleur, puis acteur, puis auteur. SHAKSPEARE, étonné: Qui es-tu donc, pour connaître ainsi mon passé ? » 21. Joseph Bernard Rosier et Adolphe de Leuven, op. cit., Acte I, scène II, p. 5. 22. Idem, Acte I, scène VI, p. 18. 23. Idem, Acte I, scène XI, p. 29-30 24. « ÉLISABETH : Toutes les femmes se ressemblent-elles ? SHAKSPEARE : Oui, comme toutes les gloires, comme tous les amis… les femmes trahissent, la gloire abuse, les amis trompent… Une seule chose, dans le monde, donne ce qu’elle promet. ÉLISABETH : Et c’est ? SHAKSPEARE désignant la bouteille: La voici! (Il boit) ÉLISABETH : Assez, Shakspeare, assez, je t’en supplie ! Déjà tes yeux se troublent, tes pas chancellent. », idem, Acte I, scène XI, p. 30. 25. Idem, Acte I, scène IV, p. 9. 26. Idem, Acte I, scène XI, p. 32. 27. Citons par exemple pour la France les deux tragédies intitulées Le Comte d’Essex de Thomas Corneille et de Claude Boyer (jouées à quelques semaines d’intervalle en 1678). La première, ayant remporté le plus grand succès (281 reprises à l’Hôtel de Bourgogne), fait l’objet d’un commentaire de Lessing dans sa Dramaturgie de Hambourg (morceau 22) ; pour l’Allemagne, il s’agit de la tragédie Marie Stuart de Friedrich Schiller (1800). 28. Joseph Bernard Rosier et Adolphe de Leuven, op. cit., Acte II, scène VII, p. 45-46. 29. Idem, Acte II, scène VII, p. 46-47. 30. Idem, Acte II, scène VII, p. 47-48. 31. Idem, Acte II, scène VII, p. 48. 32. En particulier dans les scènes 1 et 2 de l’acte III. 33. Idem, Acte III, scène VIII, p. 68. 34. Idem, Acte III, scène XI, p. 71. 35. Idem, Acte III, scène XII, p. 72-73. 36. Idem, Acte III, scène XII, p. 73-74. 37. Idem, Acte III, scène XIII, p. 74-75. 38. Termes que nous devons respectivement à George Bernard Shaw (1856-1950) et à Christian Dietrich Grabbe (1801-1836) pour désigner l’engouement dont Shakespeare fait alors l’objet. 39. Paul Meurice, Falstaff; en collaboration avec Auguste Vacquerie; Théâtre de l’Odéon, 2 Octobre 1842, in Paul Meurice, Théâtre: Hamlet - Falstaff - Paroles d’après Shakespeare. Paris, Pagnerre, 1864, p. 145-254. Recension de Théophile Gautier, Feuilleton de La Presse, 5 Octobre 1842: Odéon:

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Le Falstaff de Shakespeare, par MM. Va[c]querie et Meurice, in La Presse, Paris, 5 octobre 1842, p. 1-2. 40. Voir à ce propos « Romantic legacy: the ‘Shakespeare-stage’ » in Simon Williams, Shakespeare on the German Stage, vol. 1: 1586-1914, Cambridge, CUP, 1990, p. 172-194, en particulier p. 183-185. 41. Parmi ces quatre œuvres, l’une est française, deux sont allemandes et une autre est en italien, mais a été écrite pour une scène viennoise. Falstaff entre ainsi pour la première fois en scène à Paris le 7 septembre 1761 à la Comédie-Italienne, dans un opéra comique en trois actes intitulé Le vieux coquet, ou les deux amies du compositeur Papavoine, œuvre n’ayant connu encore qu’un succès très limité. En Allemagne, le livret de Georg Christian Römer édité en 1792 sera mis en musique d’abord par le compositeur Peter Ritter, pour ce qui ne s’appelle pas encore en Allemagne un opéra mais un Singspiel (une « pièce chantée ») en quatre actes Die lustigen Weiber, joué au Théâtre national de Mannheim le 24 novembre 1794. Le second sera composé par Carl Ditters von Dittersdorf, Die lustigen Weiber von Windsor und der dicke Hanns, joué au Théâtre de la Cour d’Oels en Silésie (aujourd’hui Oleśnica en Pologne) le 25 juin 1797. 42. Carlo Prospero Defranceschi, Antonio Salieri, Falstaff, osia Le tre burle: dramma giocoso per musica in due atti; (soggetto inglese); da rappresentarsi negl’imperiali regj teatri di corte l’anno 1798; (la poesia è del Sig[nor] Carlo Prospero Defranceschi, candidato di giurisprudenza; la musica è del Sig[nor] Antonio Salieri, primo Maestro di Cappella della Corte Imperiale), Vienne, Schmidt, 1798. 43. Carl Alexander Herklots, Antonio Salieri, Arien und Gesänge zu dem komischen Singspiel: Falstaff in zwey Aufzügen; nach dem Italiänischen von C. Herklots, die Musik von Salieri, Berlin [S. n.], 1799. 44. Felice Romani, Saverio Mercadante, La gioventù di Enrico V.: melodramma in quattro parti di Felice Romani; da rappresentarsi nell’Imp[eriale] Regio Teatro alla Scala l’autunno 1834, musica nuova del Maestro signor Saverio Mercadante, Milan, Pirola, 1834. 45. Hermann Salomon Mosenthal, Otto Nicolai, Die lustigen Weiber von Windsor: komisch- phantastische Oper in drei Akten, mit Tanz, nach Shakespeare’s gleichnamigem Lustspiel gedichtet von H. S. Mosenthal; Musik von Otto Nicolai, Königlich Preußischer Kapellmeister; zum ersten Male aufgeführt im Königlichen Opernhause zu Berlin, am 9. März 1849, Berlin, Litfaß (Bloch), 1849. 46. Il sera joué en France en 1864 à Bordeaux et en 1866 sur la scène du Théâtre Lyrique dans une adaptation de Jules Barbier, sous le titre Les joyeuses commères de Windsor (Jules Barbier, Otto Nicolai, Les joyeuses commères de Windsor: opéra comique en trois actes par Jules Barbier; musique de O. Nicolai, représenté pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre-Lyrique-Impérial, le 25 mai 1866, Paris, Lévy, 1866. Entre temps, le Falstaff d’Adolphe Adam joué au Théâtre Lyrique le 18 janvier 1856, sur un livret de Jules-Henri Vernoy de Saint Georges, ne connaitra pas non plus un succès durable. 47. Arrigo Boito, Giuseppe Verdi, Falstaff: commedia lirica in tre atti di Arrigo Boito; musica di Giuseppe Verdi; Teatro alla Scala, stagione 1892-93; impresa Piontelli & C., Milan, Rome, Naples, Palerme, Paris, Londres, Ricordi, 1893. Joué le 9 février 1893 à la Scala de Milan avec le baryton français Victor Maurel dans le rôle principal, puis dans de grandes villes italiennes, ainsi qu’à Vienne et Berlin, le Falstaff de Verdi sera représenté le 18 avril 1894 à Paris à l’Opéra-Comique, dans une version française de Paul Solanges. 48. Gary Schmidgall, “Several fat knights”, in Gary Schmidgall, Shakespeare & opera, New York, Oxford, Oxford University Press, 1990, p. 321-330. 49. Louis Palianti, Le Songe d’une nuit d’été; opéra-comique en trois actes, paroles de MM. Rosier et De Leuven, musique de M. Ambroise Thomas, représenté, pour la première fois, à Paris, sur le théâtre de l’Opéra-Comique, le 20 avril 1850. Indications générales sur la Mise en Scène, par M. L. Palianti, Paris, Brière, s. d. 1850: « FALSTAFF. Très-gros, très-puissant, très-réjoui personnage.

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Type anglais. − Barbe légère, collier, moustaches, royale, chevelure claire tirant un peu sur le rouge [suit une description détaillée du costume] », p. 15. 50. Joseph Bernard Rosier et Adolphe de Leuven, op. cit., Acte I, scène I, p. 2. 51. Idem, Acte I, scène V, p. 16. 52. Idem, Acte I, scène III, p. 5-6. 53. Idem, Acte I, scène V, p. 15. 54. Idem, Acte I, scène VII, p. 23 55. Idem, Acte II, scènes III et IV. 56. Idem, Acte III, scène X. 57. Nous reprenons ici une expression inspirée du titre de la pièce de Luigi Pirandello Six personnages en quête d’auteur (1921) pour évoquer l’aspiration de Falstaff à devenir « héros de comédie » dans une pièce de Shakespeare. 58. William Shakespeare, Le songe d’une nuit d’été, réplique d’Oberon à l’acte II, scène 2. 59. Luigi Zanetti, Il sogno d’una notte d’estate; opera comica in tre atti; parole di Rosier e De Leuven; versione italiana di Luigi Zanetti; musica di Ambrogio Thomas, Milan, Florence, Rome, Naples, Londres, Ricordi, s. d. 1865. 60. Voir Karl Gollmick, Der Sommernachtstraum. Komische Oper in drei Akten. Nach dem Französischen des Rosier und de Leuven von Karl Gollmick. Musik von Ambroise Thomas, Mayence, Schott, 1850; Karl Gollmick, Eine Sommernacht. Komische Oper in drei Akten. Nach dem Französischen des Rosier und de Leuven von Karl Gollmick. Musik von Ambroise Thomas, Mitglied der Academie der Künste und Wissenschaften, Vienne, Pichler, 1854 et Karl Gollmick, Der Traum einer Sommernacht oder Königin und Dichter. Romantisch-komische Oper in drei Aufzügen. Nach dem Französischen von Rosier und de Leuven von Karl Gollmick. Musik von Ambroise Thomas, Weimar, Hof-Buchdruckerei, 1858. 61. Hermann Meinhardt, Der Sommernachtstraum. Komische Oper in drei Akten, nach dem Französischen von Hermann Meinhardt. Musik von Ambroise Thomas, Berlin, Litfaß, 1854. 62. L’opéra d’Otto Nicolai (1810-1849) Les joyeuses commères de Windsor (Die lustigen Weiber von Windsor) (livret de Salomon Hermann Mosenthal d’après William Shakespeare), fut joué pour la première fois le 9 mars 1849 à l’Opéra Royal de Berlin (Königliches Opernhaus), avec un succès jamais démenti depuis dans l’espace germanophone. 63. The Spirit of the Times, 26 juin 1852, p. 228. Cité d’après Vera Brodsky Lawrence, Strong on Music. The New York Music Scene in the Days of George Templeton Strong. Volume II: Reverberations, 1850-1856. Chicago, London: University of Chicago Press, 1995, p. 318. 64. Giuseppe Sesto Giannini, La gioventù di Shakspeare; commedia lirica in tre atti tratta dal francese da rappresentarsi nel Teatro Nuov (la poesia è di Giuseppe Sesto-Giannini; la musica è del Maestro Giuseppe Lillo), Naples, Flautina, 1851. 65. Patricio de la Escosura, Joaquín Romualdo Gaztambide y Garbayo, El sueño de una noche de verano; opera comica en tres actos; escrita en frances por los Señores Rosier y De Leuveu (sic), libremente traducita al castellano por Don Patricio de la Escosura, y puesta en música por el maestro Don Joaquín Romualdo Gastambide; representada por primera vez en el Teatro del Circo en Febrero de 1852, 2e édition, Madrid, Muñoz, 1853. 66. Giovanni Casati, Shakespeare ovvero Il sogno d’una notte d’estate; ballo in tre parti di Giovanni Casati da prodursi sulle scene dell’ Imperiale Regio Teatro alla Scala il Carnovale, 1855 (la musica di questo ballo è scritta espressamente dal maestro Paolo Giorza), Milan, Ripamonti Carpano, 1855. 67. Salvatore Taglioni, Gustave Carey, Shakespeare ovvero Il sogno di una notte d’estate; ballo in quattro parti di Giovanni Casati riprodotto dai signori Salvatore Taglioni e Gustavo Carey pel Real Teatro San Carlo (la musica è la stessa che fu scritta dal maestro Paolo Giorza, per Genova), Naples, Flautina, 1855.

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68. Ambroise Thomas composera aussi un ballet fantastique La Tempête (1889), dont le livret de Jules Barbier s’inspire très librement de la comédie shakespearienne éponyme, supprimant en particulier la figure de Prospero pour focaliser l’action sur le couple Miranda-Ferdinand. Il sera présenté 31 fois sur la scène de l’Opéra sur une chorégraphie de Joseph Hansen. 69. Voltaire, « Dissertation sur la tragédie ancienne et moderne » (préface de Sémiramis, 1748). Texte accessible en ligne http://www.theatre-classique.fr/pages/programmes/edition.php?t=../ documents/VOLTAIRE_SEMIRAMIS.xml, consulté le 16 janvier 2017. 70. Voir à ce propos l’article de Michèle Willems, « L’excès face au bon goût : la réception de Gilles-Shakespeare de Voltaire à Hugo », Actes des congrès de la Société française Shakespeare, 25 | 2007, 224-237. Version accessible en ligne à l'adresse http://shakespeare.revues.org/1032, consultée le 16 janvier 2017. 71. Les Contes d’Hoffmann, drame fantastique en cinq actes de J. Barbier et M. Carré, a été joué au Théâtre de l’Odéon le 21 mars 1851. Il servira plus tard de fondement au livret de Jules Barbier pour l’opéra fantastique de Jacques Offenbach Les contes d’Hoffmann (joué pour la première fois à l’Opéra Comique en février 1881).

RÉSUMÉS

Plus d’un siècle avant l’opéra de Benjamin Britten Le Songe d’une nuit d’été (1960), un opéra- comique français éponyme du compositeur Ambroise Thomas (1850 pour la première version, 1886 pour la seconde), ayant quant à lui usurpé le titre de la comédie shakespearienne, connaît un franc succès sur les scènes françaises. Cette contribution se propose d’éclairer quelques aspects de la présence protéiforme de « Shakespeare après Shakespeare » dans le livret de Joseph Bernard Rosier et Adolphe de Leuven, ainsi que sa réception productive en dehors de l’Hexagone. Près d’un demi-siècle après la première individuation dramatique de l’auteur-personnage Shakespeare en France, dans la comédie d’Alexandre Duval Shakespeare amoureux (1803), les deux librettistes mettent ainsi en scène, sous couvert de l’illustre patronyme et dans une intrigue inédite, une figure d’artiste qui, sous les auspices d’une mystérieuse muse s’avérant être la reine Élisabeth Ire, passe du statut de jeune auteur débauché à la recherche de l’Amour à celui de Poète national, l’ébauche d’idylle entre les deux protagonistes se muant en apothéose finale associant pour l’éternité le personnage de Shakespeare à sa puissante souveraine. Cette appropriation de la figure du poète-dramaturge élisabéthain par le genre lyrique, s’exonérant de toute vérité historique ou biographique, se double d’un jeu intertextuel : les grands motifs du théâtre de Shakespeare plus ou moins trivialisés se retrouvent mis au service d’intrigues parallèles se recoupant à la manière de la dramaturgie shakespearienne, tandis que les scènes d’auberge, rivalisant avec leurs illustres modèles, servent l’atmosphère de l’opéra-comique. Enfin, la réécriture du personnage de Falstaff, côtoyant la figure de son créateur, rappelle aussi les affinités de l’anti-héros shakespearien avec l’opéra.

More than a century before Benjamin Britten’s opera, A Midsummer Night’s Dream (1960), a French opéra-comique composed by Ambroise Thomas (Le Songe d’une nuit d’été, 1850 for the first version, 1886 for the second), which also takes its title from Shakespeare’s comedy without directly referring to it, proved to be an overwhelming success on the French stage. This paper will identify and discuss aspects of the protean presence of « Shakespeare after Shakespeare » in Joseph Bernard Rosier’s and Adolphe de Leuven’s nineteenth-century libretto, before following

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his productive reception outside France. Almost a half-century after the first theatrical individuation of Shakespeare as an author-character on the French stage in Alexandre Duval’s comedy Shakespeare Amoureux (1803), the two librettists place the illustrious Shakespeare in a new and original plot as an artist who, under the inspiration of a mysterious muse who turns out to be Queen Elizabeth I, is transformed from a young, merrymaking author in search of love, to a national poet ; the emerging romantic idyll between the two protagonists shifts towards a final apotheosis illustrating the lasting association in minds between national poet Shakespeare and the powerful monarch. The appropriation of the Elizabethan poet-playwright by lyrical theater, without regard for historical or biographical facts, is enriched by intertextual play: the principal themes and motifs of Shakepeare’s works, more or less transformed or trivialized, find themselves in the service of parallel intertwining plots reminiscent of Shakespearean dramaturgy, while tavern scenes that rival their illustrious predecessors contribute to the opéra- comique’s atmosphere. Lastly, representation of Falstaff socializing with his creator also recalls the affinities between the Shakespearean anti-hero and opera.

INDEX

Keywords : Author-character Shakespeare, Künstlerdrama, De Leuven Adolphe, Falstaff, opéra- comique, Rosier Joseph Bernard, Shakespeare’s reception in France, Thomas Ambroise Mots-clés : De Leuven Adolphe, drame d’artiste, Falstaff, opéra-comique, réception de Shakespeare en France, Shakespeare auteur-personnage, Rosier Joseph Bernard, Thomas Ambroise

AUTEUR

VALÉRIE COUREL Université le Havre Normandie, GRIC (Groupe de Recherche Identités et Cultures) EA 4314.

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Les transformations de Hamlet Hamlet transformed

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Hamlet de Talma à Mounet-Sully : « une ressemblance immortelle »

Isabelle Schwartz-Gastine

Le texte initial de Ducis : La tragédie d’Hamlet

Interprétation de Molé

1 Tandis qu’en 1769 David Garrick organisait à Stratford le Jubilé dédié à Shakespeare1, Jean-François Ducis présentait sa tragédie devant le Comité de Lecture de la Comédie- Française. Ne parlant pas anglais2, Ducis s’était largement inspiré de la version de Pierre-Antoine de La Place dont les huit volumes de son édition du Théâtre Anglois avaient paru entre 1746 et 17493. La Place, qui, lui, maitrisait l’anglais puisqu’il avait fréquenté le Collège des Jésuites Anglais de Saint-Omer entre 1714 et 17214, s’était inspiré de l’édition des œuvres de Shakespeare qu’Alexander Pope fit paraître entre 1723 et 1725, bientôt suivie d’une deuxième édition augmentée, en 17285. Selon John Golder, La Place lui-même aurait suggéré à Ducis de continuer l’œuvre qu’il avait commencée et surtout, de mener le théâtre shakespearien jusque sur la scène française6.

2 Ducis avait commencé à travailler sur sa pièce en 1767, deux ans après le long séjour à Paris de Garrick7. Parlant français de par ses ascendances bordelaises8, Garrick avait été l’hôte de tous les Salons littéraires parisiens dans lesquels il avait amplement montré son art théâtral et son enthousiasme pour Shakespeare, et ensuite, il avait entretenu une correspondance suivie avec des personnalités du monde artistique et littéraire. Dans une lettre, Ducis lui précisait que pour satisfaire au goût français, il était dans l’obligation d’éliminer les « irrégularités sauvages dont la pièce abonde »9. Cependant, malgré ses tentatives pour calquer son œuvre sur le style de Corneille ou de Racine, il essuya un refus devant le Comité de Lecture du Théâtre-Français le 20 mai 1768, alors que sa première pièce avait été acceptée et jouée quelques mois plus tôt10. Ce n’est que le 17 juillet 1769, après plusieurs autres tentatives et assorti d’une demande de modifications substantielles, que le Comité accepta le manuscrit11. Ce cheminement tortueux montre le peu d’empressement du Comité de Lecture composé des principaux

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sociétaires pour faire jouer une pièce d’inspiration shakespearienne sur la scène du premier théâtre royal français.

3 Comme il fallait combler une défection, la pièce fut programmée immédiatement, et donc, Ducis procéda en toute hâte à la distribution des rôles, puisque, selon la coutume du Théâtre-Français, c’était à l’auteur que revenait cette tâche. Il se heurta au refus de Lekain, le premier acteur tragique que Voltaire admirait tant, qui prétexta des innovations « barbares » inacceptables12. Ducis se tourna alors vers l’acteur qui avait lu sa pièce au Comité, François Molé, choix hardi car Molé était chef d’emploi du répertoire comique13. La pièce fut créée dans l’après-midi du samedi 30 septembre 1769 dans la vaste Salle du Jeu de Paume de l’Etoile, rue des Fossés Saint-Germain des Prés, alors en bien triste état14. L’assemblée, composée de presque mille spectateurs, assura le succès de la pièce par de confortables bénéfices15. A l’issue de la représentation « le parterre » demanda l’auteur, faveur parcimonieusement accordée et donc, signe tangible de contentement. Etant donné ce succès, fait exceptionnel, la pièce fut représentée encore quatre fois, début octobre16.

4 Néanmoins, des voix discordantes se firent entendre. Bachaumont, voltairien convaincu, s’insurgea contre la façon dont Ducis avait imité Shakespeare : Quelques-uns, comme M. de Voltaire, s’étaient contentés d’en prendre les beautés de détail et de les transposer dans leurs pièces. M. Ducis s’est approprié cette carcasse et en a formé un drame régulier, mais qui, dénué de ces endroits neufs et terribles, dont on s’était emparé avant lui, n’a plus été qu’une tragédie ordinaire17.

5 Diderot affirma qu’il « s’accommoderai[t] encore mieux du monstre de Shakespeare que de l’épouvantail de M. Ducis18 ». Alors, Ducis se remit à l’ouvrage, si bien que pour la deuxième représentation, quatre jours plus tard (mercredi 4 octobre 1769), le texte porté à la scène avait subi des transformations considérables.

6 Dans sa lettre écrite à Garrick tandis qu’il composait sa pièce, Ducis « [regrettait] de ne pouvoir y transposer l’ombre terrible qui expose le crime et demande vengeance »19. Vingt ans auparavant, en 1749, Voltaire avait été critiqué pour avoir introduit un spectre dans Sémiramis20. Cette question redevenait d’actualité. Pour les plus conservateurs, comme Charles Collé, le principe de bienséance interdisait de mentionner les êtres venus du royaume des ténèbres dans une tragédie et de les représenter sur la scène du premier théâtre royal21. Pour L’année Littéraire, en revanche, le spectre était indispensable : L’apparition du fantôme est inhérente au sujet, elle est consacrée ; sans elle toutes les convulsions du jeune prince ne touchent plus et ne sont plus regardées par les spectateurs sensés que comme les rêves d’un cerveau malade, auxquels cependant il sacrifie la nature, l’amour et lui-même22.

7 C’était aussi l’opinion de Diderot qui considérait que l’absence de fantôme était l’une des faiblesses de cette tragédie. Il précisait cependant que, dans la pièce de Shakespeare, le fantôme était « juste » en demandant à Hamlet d’épargner sa mère puisqu’elle était repentante, contrairement à celui de Ducis qui l’obligeait à la frapper23.

8 À la première, le 30 septembre 1769, « L’Ombre » n’était pas visible, mais le spectre s’incarnait en une voix vengeresse qui s’adressait à Hamlet, alors qu’il était avec sa mère (scène IV, page 9824) : « Frappe ! ». Sans indication précise, on peut supposer que Delaporte, le secrétaire-souffleur, prenait en charge cette réplique. À la deuxième représentation, quatre jours plus tard, cette réplique fut supprimée de la main même de Ducis, mais la violence rétributive du fils fut conservée. Après la didascalie Il tire son

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poignard, Hamlet réplique : « J’entends sa voix. / Oui, frappons », suivi de l’indication : Sa mère tombe à ses pieds, il se retourne pour la frapper. Sans la réplique dramatique du spectre, il revenait à l’acteur d’imprimer sur son visage et dans son corps l’horreur de cette injonction terrible. Ce fut l’un des grands moments dramatiques de la mise en scène car Molé produisait un effet saisissant. Il usait de pantomime, inspirée de la commedia dell’arte, qu’il pratiquait dans son registre comique et qui plaisait tant aux spectateurs du parterre. Il devait s’inspirer également de Garrick qui avait mimé Macbeth en proie à l’hallucination du poignard qui apparaît devant ses yeux25. Il y eut certes des opinions discordantes, celle de Collé évidemment ; en revanche, Madame du Deffand, salonnière et amie de Voltaire, fut parmi les nombreuses dames qui se pâmaient d’extase tandis que Molé se lançait « à corps perdu dans les convulsions les plus effroyables de la pantomime26 ».

Illustration 1 : Talma et Mlle Duchesnois dans Hamlet, de Ducis, d’après Shakespeare, gravure non datée.

Source Gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France

9 Une modification, imaginée par Ducis pour se conformer aux règles classique tout en maintenant le ressort tragique venant de l’au-delà, connut un succès thématique et scénique unanime. Alors que La Place avait conservé la scène dans laquelle Hamlet parle théâtre avec les comédiens, Ducis l’avait éliminée sous prétexte que concevoir un Prince héritier de la couronne royale conversant avec de simples « acteurs de campagne » dépassait les limites de la bienséance27. Aussi, plutôt que de recourir à la pièce dans la pièce, impensable dans une perspective dramaturgique classique, Ducis mit en œuvre un autre stratagème pour susciter des aveux de la part de Gertrude. Juste avant le passage cité précédemment, Horatio, renommé Norceste, avait transmis à Hamlet une urne funéraire, qu’il venait de déterrer du cimetière, contenant les cendres du défunt Roi. Pour faire avouer sa mère, Hamlet lui pressait violemment l’urne contre

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son sein, puis celle-ci s’écroulait dans un fauteuil. Diderot trouva que ce moment de confrontation était « une très belle scène » bien plus émouvante que l’original shakespearien : Vous avouerez que ces cendres confrontées à l’homicide sont un moyen de découvrir le crime, bien plus naturel, plus décisif et plus tragique que cette pièce que fait jouer Hamlet dans l’anglais pour pénétrer un mystère de cette importance. Claudius et la reine peuvent être indignés d’une représentation qui semble imaginée pour les accuser, et leur fuite n’annonce pas alors leur conviction28.

10 Sur une table, trônait l’urne, majestueuse et accusatrice, rappelant sans cesse la culpabilité de Gertrude. Ce moment, « le plus riche et celui qui a été le plus applaudi », encore selon Diderot, qui recueillit le suffrage du parterre (qui applaudit) aussi bien que des lettrés (qui le discutèrent), fut considéré comme une amélioration bénéfique de l’original29.

11 Le problème de cette tragédie était son dénouement. Jamais satisfait, à la recherche d’effets, Ducis reprit sans cesse son ouvrage, produisant une nouvelle version dès la reprise en décembre 1769 [Manuscrit 266]. Contrairement au héros shakespearien, Hamlet restait en vie et succédait à son père comme roi du Danemark. Nul Fortinbras pour prendre le pouvoir, en effet, il aurait été sacrilège de faire s’arrêter brusquement une lignée royale sur la scène du Théâtre-Français. Dans les versions les plus heureuses, Hamlet se mariait avec Ophélie, la fille de Claudius, après avoir reçu la bénédiction de Gertrude mourante. Dans d’autres versions, Ophélie, cornélienne, reniait Hamlet par fidélité à la mémoire de son père, et dans ce cas, pour Hamlet, la vie était pire que la mort, comme le fait sentir le distique conclusif dont le dernier mot, « mourir », termine la tragédie : « Mais je suis homme et Roi. Réservé pour souffrir, / Je saurai vivre encor ; je fais plus que mourir30 ».

12 Il y eut d’innombrables changements, dès la première publication de 1770, et pour la quinzaine d’éditions successives qui suivirent. Mais la séquence du poignard et celle de l’urne furent conservées, devenant les moments emblématiques de cette tragédie et assurant un succès scénique sans partage à la Comédie-Française et bien au-delà des frontières de la France.

Ducis-Talma

13 Ce siècle avait trois ans lorsque le 4 avril 1803 (14 Germinal première décade de l’An XI de la République), François-Joseph Talma reprit le rôle d’Hamlet au Théâtre de la Porte Saint-Martin31 pour une représentation à bénéfice en faveur de Charles Labussière. Acteur de second ordre, Labussière avait officié comme « secrétaire enregistreur au bureau des pièces accusatrices » du Comité de Salut Public de Saint Just durant la Terreur en 1793, mais avait réussi à sauver plus de mille prisonniers dont certains de ses anciens camarades accusés de jouer une pièce contre-révolutionnaire dans leur Théâtre de la Nation32. En 1791, le Théâtre-Français avait fait scission : le Théâtre de la Nation était resté fidèle au répertoire classique tandis que le Théâtre de la République, mené par Talma, regroupait ceux qui voulaient favoriser la création contemporaine. Les deux théâtres étant en concurrence, Talma avait été soupçonné, de par ses sympathies girondines, d’avoir influé sur l’accusation de ses anciens camarades33. La réunion des deux troupes fut décrétée en 1799 et tous, non sans heurts, réintégrèrent la rue de Richelieu. Entre temps, au Théâtre de la République, Talma était devenu le tragédien favori de Ducis et interprétait ses autres productions d’inspiration

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shakespeariennes ainsi que sa création34, mais pas son Hamlet. Aussi cette reprise était- elle très attendue.

14 En 1787, Ducis, alors académicien de cinquante-quatre ans au faîte de la gloire, avait prédit à Talma une brillante carrière35. En 1803, les rôles s’étaient inversés. Agé de soixante-dix ans, ayant subi des aléas, Ducis acceptait volontiers que l’ancien élève passe maître. Talma avait modifié certains passages en se référant au texte original36 puisqu’il maîtrisait parfaitement l’anglais, ayant passé sa jeunesse à Londres où son père s’était installé37. Il y avait fréquenté assidument les théâtres et avait établi des liens avec les plus grands tragédiens de l’époque, comme John Philip Kemble38.

15 A cette reprise, de nombreux ex-détenus étaient venus honorer Labussière, dont Joséphine de Beauharnais, accompagnée du Premier Consul qui avait bénéficié de l’hospitalité de Talma39 lorsqu’il était arrivé à Paris démuni et sans appui. Talma avait traduit le soliloque « to be or not to be »40. Cependant, même si son édition anglaise et Le Tourneur avaient réintroduit l’« Ombre » du Père d’Hamlet et le personnage de Fortimbras, ils n’apparaissent toujours pas à la scène, Talma restant fidèle à la version de Ducis. En revanche, la violence rétributive d’Hamlet et l’urne funéraire, furent deux moments qui contribuèrent à la gloire de Talma et restèrent à la postérité comme le prouve la peinture d’Anthelme Lagrenée présentée au Salon de 1810.

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Illustration 2: Talma en Hamlet (Hamlet de Ducis) / Anthelme François Lagrenée, 1810, huile sur toile (I 0090)

©A. Dequier, coll. Comédie-Française

16 La pièce fut constamment remaniée, toujours à cause de cet acte V qui ne satisfaisait pas Talma. Ducis, qui appelait Talma « mon Othello, mon Macbeth, mon Hamlet », se prêta au jeu avec enthousiasme durant les longues sessions de travail dans la maison de campagne de Talma, comme avant la reprise de 1805 : « Je suis fort en état de travailler au cinquième acte de ma tragédie d’Hamlet. Tout a été fixé dans le travail que j’ai fait à Brunoy. […] Je n’ai plus qu’à faire des vers, en conservant pourtant un certain nombre de ceux que j’ai déjà faits. Dès que Talma aura cet acte entre les mains, il jouera cette tragédie à Paris41 ». Lorsque Ducis se sentait trop faible pour aller jusqu’à Brunoy, c’était seul, avec Népomucène Lemercier42 ou même Chateaubriand que Talma reprenait le texte.

17 Au cours de sa carrière Talma joua Hamlet soixante-quatorze fois au Théâtre-Français, faisant de ce rôle son sixième succès sur la première scène théâtrale43, sa dernière interprétation ayant eu lieu le 23 mai 1826, quelques mois avant sa mort (19 octobre 1826). De plus, Hamlet fut incontestablement le triomphe de son répertoire personnel lors de ses longues tournées privées. Lorsqu’il voyait le spectre, Talma, le poignard à la main, ne se livrait pas à une gestuelle braillarde comme Molé44, mais restait là, immobile, faisant sentir l’effroi de cette apparition par la profondeur de son regard sombre (de myope) qui mesmérisait les spectateurs. À Arras, pendant la représentation du 31 juillet 1817, « […] au moment où Hamlet lève son poignard sur sa mère, un officier qui se trouvait au parterre, saisi par l’horreur de la situation, poussa un cri et s’évanouit. Revenu à lui il demande avec angoisse : ‘L’a-t-il tuée ?' » 45. Cette réaction montre l’intensité du jeu scénique des acteurs ; elle prouve aussi que l’officier ne

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connaissait ni la pièce ni l’ouvrage de Madame de Staël, De l’Allemagne, paru en France cette même année. Celle qui admirait tant l’acteur et qui avait finalement été autorisée à quitter son exil de Coppet pour assister à une représentation à Lyon en juin 1809, rendit compte de ce moment dans son chapitre sur « la déclamation » : Les spectateurs ne voient pas l’ombre du père d’Hamlet sur la scène française, l’apparition se passe en entier dans la physionomie de Talma, et certes elle n’en est pas moins effrayante. Quand, au milieu d’un entretien calme et mélancolique, tout à coup il aperçoit le spectre, on suit tous ses mouvements dans les yeux qui le contemplent, et l’on ne peut douter de la présence du fantôme quand un tel regard l’atteste46.

18 La pièce de Ducis, qui appartenait au répertoire du Théâtre-Français, fut jouée avec des fortunes diverses et pour la dernière fois le dimanche 29 juin 1851, bien après la mort de Ducis en 181647 et celle de Talma en 1826. Mais alors, une autre version de la pièce avait fait son chemin sur la scène théâtrale parisienne.

Le drame d’Alexandre Dumas père (1802-1870) et Paul Meurice (1818-1905)

L’Époque romantique

19 Le premier contact d’Alexandre Dumas avec Hamlet fut la version de Ducis qu’interprétaient des élèves du Conservatoire venus à Villers-Cotterêts, sa ville natale48. Puis, en 1827, comme tous les jeunes gens férus de nouveautés, dont Delacroix49, Dumas s’était précipité au Théâtre de l’Odéon pour admirer Charles Kemble et assister aux débuts aussi spectaculaires qu’éphémères d’Henrietta Smithson, l’égérie tragique d’Hector Berlioz. Comme il s’en est vanté ensuite dans ses Mémoires, il connaissait si bien la pièce qu’il n’avait pas jugé nécessaire de se procurer le livret bilingue qui se vendait au théâtre50. Il ajouta, cependant, que cette représentation l’avait bouleversé : « A partir de cette heure seulement, j’avais une idée du théâtre […] C’était la première fois que je voyais au théâtre des passions réelles, animant des hommes et des femmes en chair et en os51 ».

1846 : Saint-Germain en Laye ; 1846-47 : Paris

20 Dans l’engouement shakespearien de l’époque, Dumas y alla aussi de sa plume. Après une ébauche antérieure52, il écrivit, avec la participation de Paul Meurice, un texte complet qui fut joué en 1846 dans le petit théâtre de Saint-Germain-en-Laye53. Le succès fut tel que la pièce fut transférée à la saison suivante au Théâtre Historique à Paris54. Ce n’était plus une « tragédie », mais un « drame », en cinq actes, en vers. Au dénouement, suivant en cela Ducis, Hamlet était condamné à vivre, cependant, cet ordre lui venait du Spectre de son père, représenté physiquement sur scène55. Théodore Massiac loua cette version qui rendait « les sublimes beautés de l’original. Plus d’édulcoration, plus d’atténuation, horreur, cruauté, démence : [les auteurs] avaient tout mis »56. Théophile Gautier déplora l’absence de Fortimbras qui permettait une opposition entre l’homme de pensée et l’homme d’action57, mais il rendit hommage à l’interprète. Le rôle-titre était tenu par Philibert Rouvière (1809-1866), tout de noir vêtu, suivant la tradition scénique devenue canonique58. Sa frêle silhouette nerveuse, agitée de mouvements brusques et saccadés, véritable « tour de force qui fera date dans l’histoire du théâtre » fit l’admiration de Charles Baudelaire qui vit en lui l’épitomé de « l’acteur

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romantique », par son interprétation et sa vie « agitée et tordue »59. Rouvière aussi avait vu Hamlet à l’Odéon en 1827 et avait calqué son jeu sur celui de Charles Kemble, l’éventail d’Ophélie à la main. Mais la tonalité de l’interprétation avait changé, comme en témoigne un jeu de scène mémorable, digne du grand guignol : Et quand il tuait Polonius, il se précipitait comme un fou en criant : au rat, au rat ! disparaissait derrière le rideau qui cachait le vieillard ; on entendait le bruit d’une lourde chute, et Hamlet sortait lentement, à reculons, pour se retourner bientôt… on le voyait alors, tenant à la main sa petite épée de cour, qu’il secouait trois fois pour en faire tomber le sang de sa victime, en la regardant avec une fixité si effrayante, qu’un frisson de terreur glaçait toute la salle60.

21 Ce fut le rôle de sa vie, « son » rôle, et c’est ainsi qu’Edouard Manet l’a représenté en 1865, juste avant sa mort. Mais il s’identifia tant à Hamlet qu’il se fit vampiriser par le personnage, dans un accès extrême de romantisme.

1866 : Madame Judith Théâtre de la Gaité

22 Une autre interprétation mérite d’être évoquée, même brièvement, celle de Madame Judith, au Théâtre de la Gaité en 186661 sur un texte que Paul Meurice publia en son nom propre en 1864 dans lequel le personnage de Fortimbras avait été rétabli. S’inscrivant dans la tradition des Hamlet travestis qui firent fureur à la fin du XIXe siècle, Madame Judith, elle aussi, arborait l’éventail de la tradition anglaise.

23 Le rôle a été interprété sans discontinuer, mais connut un nouveau succès éclatant par Mounet-Sully.

Mounet-Sully (Jean-Sully Mounet, 27 février 1841-1er mars 1916)

1886 : 28 septembre : Comédie-Française

24 Alors que la Comédie-Française préparait la création d’Hamlet, une autre interprétation se jouait au Théâtre de la Porte Saint-Martin dans une adaptation commandé à Lucien Cressinois et Charles Samson par Sarah Bernhardt qui interprétait Ophélie alors qu’elle était âgée de 42 ans, ce que les critiques n’ont pas manqué de lui faire remarquer. Edmond Got, qui allait être Polonius à la Comédie-Française, assista à la première, le 27 février ; son compte-rendu, peu favorable, rassura les Comédiens- Français62. Leur projet avait été initié bien avant par Emile Perrin, l’Administrateur de la Comédie-Française. En effet, en 1879, lors d’une tournée à Londres63, les Comédiens- Français avaient vu Henry Irving au Lyceum Theatre dans une interprétation nouvelle, leste et libéré des traditions, qui avait beaucoup de succès64. Emile Perrin engagea les préparatifs du spectacle courant 1885, mais mourut quelques mois plus tard65. Son successeur, Jules Claretie, fut obligé de mener à terme ce projet ambitieux déjà bien avancé66.

25 Une édition de la pièce fut imprimée, avec les modifications apportées par Meurice (Dumas était mort en 1870) pour ce « Drame en cinq actes, en vers, composé de treize tableaux67 ». Lui-même suivait les répétitions, procédant le cas échéant à des modifications supplémentaires suggérées par les acteurs. La critique fut unanime pour louer cette interprétation qui durait quatre heures et trente minutes, un long entracte ponctuant chaque acte pour procéder aux changements de décors. C’était un spectacle grandiose, avec des décors impressionnants, des cortèges royaux à la nombreuse figuration, des passes d’armes, des airs nouveaux composés par Ambroise Thomas. Le

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style Renaissance avait été choisi par analogie avec la période de l’écriture de la pièce et non le temps de l’action. De somptueux costumes avaient été taillés dans de riches étoffes aux couleurs vives, ce qui produisait le plus bel effet, surtout dans les scènes de Cour ou durant les cortèges. Hamlet tranchait dans son vêtement de deuil, quoiqu’il fût richement ouvragé comme il sied à un Prince de rang. Parmi ces déploiements de fastes et de couleurs, l’interprétation de Mounet-Sully focalisa l’attention de la critique, Mallarmé, pourtant d’inspiration symboliste, se reconnut dans cette interprétation emprunte de romantisme68. Hamlet paraissait jeune (l’acteur avait pourtant quarante- cinq ans), naïf et doux ; il était tantôt pensif, en arrêt devant le médaillon de son père qu’il portait autour du cou ou dans les longues tirades dites de sa voix chaude au vaste registre, tantôt agile et souple lors de ses mouvements et déplacements esthétisés. Hamlet, qui se donna quarante-deux fois en 1886 et trente-quatre l’année suivante, devint l’événement de son temps69.

Illustration 3 : Mounet-Sully au médaillon, Cliché A. Bert

Collection Frédérick Sully, avec son aimable autorisation.

26 Le Spectre avait été rétabli dans le premier et le quatrième tableau. Il apparaissait à l’arrière-plan en pleine lumière argentée, à grand renfort d’effets spectaculaires70. A l’acte III, au 9è tableau, la didascalie indique que « le spectre du père d’Hamlet apparaît, visible pour Hamlet seul » (p. 93). C’était à l’acteur de faire sentir l’effroi dont il était saisi. Le regard de Mounet-Sully avait une telle intensité dramatique qu’il inspira de nombreux artistes, comme le portrait de Jean-Paul Laurens, présenté au Salon de 188871.

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Illustration 4 : Peinture de Jean-Paul Laurens, 1887

Collection Frédérick Sully, avec son aimable autorisation.

27 Le 11e tableau, formant le début de l’acte V, représentait « un cimetière » (p. 113-124). Après un échange rapide avec les deux fossoyeurs, Hamlet s’emparait du crâne de Yorick : ce moment très émouvant sur le devant de la scène a été maintes fois reproduit. Hamlet et Horatio se dissimulaient ensuite à jardin pour laisser passer le cortège funèbre qui partait du fond de scène pour remonter majestueusement vers la cour, traversant tout l’espace scénique.

28 Le Théâtre dans le Théâtre, placé à l’Acte III, scène 2 (7e tableau), produisait un effet scénique si surprenant par son imposante mise en scène que ce moment a frappé jusqu’à Jean Cocteau qui, en rendant hommage à Mounet-Sully en 1966, évoqua « le prince Hamlet rampant aux pieds de sa mère un éventail à la main72 ». Mounet-Sully avait emprunté ce jeu de scène à la tradition anglaise dont Delacroix rendit compte lors de son séjour à Londres 182573 et qu’il a immortalisé après le passage de Charles Kemble à l’Odéon en 1827, ainsi qu’Achille Devéria avec son dessin74. Philibert Rouvière, lui aussi, reprit ce moment au Théâtre Historique en 1847. En 1886, ce fut au tour de Mounet-Sully d’interpréter ce passage canonique dont la tradition scénique avait fixé le jeu, et ce, plus de soixante ans après Charles Kemble. Néanmoins, Mounet-Sully avait complètement réinventé ce moment dramatique par cette façon qu’il avait d’agiter frénétiquement l’éventail d’Ophélie à la tête de Gertrude. C’était même devenu l’un des emblèmes de l’époque et de son jeu.

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Illustration 5 : Acte II, Chromo, Publicité « Au Tisserand »

Collection Frédérick Sully, avec son aimable autorisation.

1894 : tournée en Amérique

29 De mars à fin mai 1894, Mounet-Sully partit en tournée en Amérique avec une troupe de la Comédie-Française. Les représentations d’Hamlet y furent données la troisième semaine du séjour, avec une édition bilingue imprimée pour l’occasion75. La « ressemblance immortelle » entre le personnage et l’interprète que Mallarmé avait tant admirée en Mounet-Sully était, à son tout, balayée, par une nouvelle manière de jouer. Si le XVIIIe siècle hésitait à monter Hamlet, le XIXe siècle en fit la pièce emblématique par excellence de son époque, dans des interprétations exclusives qui se sont succédées, centrées sur le personnage éponyme à travers des artistes d’exception qui portaient, à eux seuls, le message de Shakespeare.

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Illustration 6 : Edition bilingue de Hamlet, Couverture, New York, F. Rullman, 1894

Collection Frédérick Sully, avec son aimable autorisation.

30 Alors qu’il avait été acclamé comme un « dieu » à Bucarest, il fut parfois obligé de jouer devant des salles quasiment vides. Pourtant, les critiques furent très favorables, mais peut-être pas les circonstances : Henry Irving venait juste de terminer une tournée triomphante dans la langue originale et selon une gestuelle beaucoup plus sobre. Il n’y avait pas ces décors somptueux qui faisaient rêver les Parisiens, la distribution laissait à désirer. Et de plus, les Américains s’intéressaient peu au drame. Avant de quitter New- York, Mounet-Sully constata avec une certaine amertume qu’aux abords du théâtre, presque vide lors de ses prestations, se pressait alors une foule pour voir « une féérie compliquée d’exhibitions chorégraphiques et zoologiques76 ».

1896 : reprise

31 Mounet-Sully retrouva la Comédie-Française et ses spectateurs pour une reprise en 1896. Les répétitions reprirent car il s’agissait d’une véritable re-création avec une distribution différente en présence de Paul Meurice qui avait encore modifié son texte. Des suggestions de Mounet-Sully avaient été prises en compte : le personnage de Fortimbras fut restauré, les tableaux avaient été réduits à neuf, supprimant ainsi plusieurs entractes et permettant un rythme plus fluide en évitant de briser l’illusion théâtrale.

1911 : Dernière

32 En 1910, ce spectacle fut aussi donné en plein air au Théâtre antique d’Orange, et l’année suivante, Mounet-Sully incarna Hamlet pour la dernière fois. Il avait soixante-

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dix ans, la chevelure et la barbe complètement blanchies ; Ophélie était jouée par sa jeune compagne, Jeanne Rémy. Ce fut un triomphe. Cela faisait exactement vingt-cinq ans qu’il interprétait ce rôle qui fut l’un de ses grands succès incontestés.

Conclusion

33 Les débuts d’Hamlet sur la scène française furent arrachés de haute lutte par Ducis. Et pourtant, cette pièce, tragédie, puis drame, devint emblématique de la scène française au XIXe siècle, grâce à deux interprètes majeurs qui ont incarné l’esprit de leur temps, l’Empire puis la Restauration pour Talma, le post-Romantisme pour Mounet-Sully. Des prédécesseurs illustres, Molé puis Rouvière, avaient créés le rôle, mais, par leur interprétation et leur longévité à la scène, Talma et Mounet-Sully les ont éclipsés par leur art qui, d’abord, à l’encontre des pratiques existantes, a marqué de leur sceau leur époque. Tous deux ont collaboré longuement avec l’auteur, modulant le texte de leur empreinte renouvelée.

34 Tout passe, sauf Hamlet. Tandis que Mounet-Sully jouait à la Comédie-Française, à l’Exposition Universelle de 1900, Sarah Bernhardt en rôle travesti, interprétant la scène du duel sur pellicule animée, électrisa la Belle Epoque. La « ressemblance immortelle » entre le personnage et l'interprète que Mallarmé avait tant admirée en Mounet-Sully était, à son tout, balayée, par une nouvelle manière de jouer. Si le XVIIIe siècle hésitait à monter Hamlet, le XIXe siècle en fit la pièce emblématique par excellence de son époque, dans des interprétations exclusives qui se sont succédées, centrées sur le personnage éponyme à travers des artistes d'exception qui portaient, à eux seuls, le message de Shakespeare.

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Illustration 7 : capture d’écran. Vue colorisée « Photo-Cinéma-Théâtre » selon le procédé Gratioulet- Lioret, 20 mai 1899. Sarah Bernhardt (Hamlet), Philippe Garnier OU Pierre Magnier (1869-1959) (Laërte). Théâtre de la Porte Saint-Martin, traduction Eugène Morand et Marcel Schwob (Paris, Charpentier & Fasquelle, 1900).

Vidéo disponible sur Youtube : film de 3 minutes N/B « Duel d’Hamlet » de Clément Maurice (1853-1933), https://www.youtube.com/watch?v=aXh9IbESHA0.

NOTES

1. Le Jubilé eut lieu du 6 au 8 septembre 1769. Michael Dobson, The Making of the National Poet : Shakespeare, Adaptation and Authorship, 1660-1769, Oxford, Clarendon Press, 1992. 2. Jean-François Ducis (1733-1816), Hamlet : tragédie imitée de l’anglois, Paris, Gogué, 1770. 3. Pierre-Antoine de La Place (1707-1793), Théâtre Anglois, 8 vol., in-12, Londres-Paris, Vve Pissot, 1746-1749. Hamlet est la deuxième pièce du vol. 2, p. 312-355. La Place a tantôt traduit, tantôt résumé, tantôt commenté certains passages qu’il s’était senti obligé de reproduire tant ils étaient connus, sauf le soliloque « to be or not to be » que Voltaire avait traduit dans sa lettre XVIII. 4. Lillian Cobb, Pierre-Antoine de La Place. Sa vie et son oeuvre, 1707-1793, Paris, E. de Broccard, 1928 et le site www.guyane.com 5. Alexander Pope (1688-1744), The Works of Shakespeare. In six volumes. Collated and corrected by the former editions. London, Jacob Tonson, 1725. Hamlet figure dans le volume 6, p. 343-472. La deuxième édition, en dix volumes, a paru aussi chez Tonson en 1728. 6. John Golder, Shakespeare for the Age of Reason, Oxford, The Voltaire Foundation, 1992, p. 7 et p. 14, note 5. Bien qu’appartenant à deux générations différentes, les deux hommes se connaissaient et se retrouveront en 1777 parmi les invités de Beaumarchais, pour former le « Bureau de législation dramatique ». Voir Alan Kors, D’Holbach’s Coterie. An Enlightenment in Paris, Princeton, Princeton University Press, 1976. 7. Séjours de Garrick à Paris : 1751 (10 jours), 1763 (deux semaines), 1765 (plus de six mois, convalescence après son périple en Italie et en Allemagne). F.A. Hedgcock, David Garrick et ses amis français, Paris, Hachette, 1911. 8. Le grand-père de David Garrick, David de la Garrigue/ou de la Garrique avait quitté Bordeaux à la Révocation de l’Edit de Nantes en 1685 et anglicisé son nom en Garric lors de son installation en Angleterre. Voir Peter Holland (éd.), Garrick, Kemble, Siddons, Kean : Great Shakespeareans, Londres, Bloomsbury, 2010. 9. Lettre du 14 avril 1769, citée par John Golder, op. cit., p. 20. 10. Amélise, jouée le 9 janvier 1768 avait connu quelque succès. Voir Sylvie Chevalley, « Ducis, Shakespeare et les Comédiens-Français», 1ère partie, De Hamlet (1769) à Roméo et Juliette (1772), in Revue d’Histoire du Théâtre, 1964 (4), 237-350, p. 329-330. 11. Le 19 août 1768, le quorum n’étant pas atteint, le Comité avait reporté la deuxième lecture au lendemain. Ce jour-là, le manuscrit n’avait été accepté que par huit des vingt-trois votants, douze voix avaient demandé des modifications. Le 5 mai 1769, le Comité ne put encore siéger, mais, lors de la réunion du 17 juillet, le Comité accepta la pièce (Sylvie Chevalley, ibidem). 12. Henri-Louis Caïn, dit Lekain (1729-1778), débuta au Théâtre-Français en 1750. Apprécié pour sa diction, il se fit l’interprète privilégié du répertoire classique et de Voltaire. Il mourut juste avant le philosophe. « M. Ducis, dit Campenon, attribua ce refus à l’influence de Voltaire » in Sylvie Chevalley, op. cit., p. 331.

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13. Sylvie Chevalley, ibidem, cite une lettre de Ducis à son ami d’enfance Vauchelle : « Toute la compagnie a été transportée ; il n’y a eu qu’une voix pour la recevoir. On a trouvé mes corrections admirables, et j’ai reçu des compliments de tous côtés. Il y a mieux, j’ai distribué mes rôles hier, tant la Comédie est empressée de me jouer et espère de l’ouvrage. Molé [1734-1802] m’a garanti le succès ; il est charmé du rôle d’Hamlet ». 14. Site La Grange : www.comedie-francaise.fr. 15. John Golder, op. cit., précise « Lancaster [I, p. 825] records 896 paying spectators, but this figure does not include persons on the theatre’s 'free list’ or persons using the annually hired petites loges », p. 18, note 28. 16. Sylvie Chevalley, op. cit: Samedi 30 septembre : 3.033,10 f ; mercredi 4 octobre : 2.406 ; Samedi 7 octobre : 2.055 ; mercredi 11 octobre : 2.098 ; samedi 14 octobre : 1.627. 17. Louis Petit de Bachaumont (1690-1771), auteur supposé des Mémoires Secrets, 3 octobre 1679. Cité par John Golder, op. cit. p. 44. 18. Denis Diderot (1713-1784), Œuvres Complètes, vol. VIII, p. 471-476, cité par John Golder, op. cit., p. 47. 19. Lettre du 14 avril 1769, citée par John Golder, op. cit., p. 20. 20. Sémiramis, tragédie de Voltaire (1694-1778), créée le 29 août 1748. 21. Charles Collé (1709-1783) est l’auteur de La Partie de Chasse d’Henri IV (1762) dont l’air « Vive Henri IV » devint un hymne royaliste durant le règne de Louis XVI. John Golder, op. cit.: “M. Ducis […] est né sans génie, sans talent et sans invention. Non seulement il n’a rien imaginé lui-même dans le sujet d’Hamlet, mais il a même gâté cette tragédie brute”, p. 45. 22. L’Année Littéraire, 1770, t. II, p. 293-319, cité par Sylvie Chevalley, op. cit., p. 333. 23. John Golder, op. cit., p. 46. 24. Les manuscrits sont consultables à la Bibliothèque-Musée de la Comédie-Française. 25. Marion Monaco indique que Molé remporta un tel succès qu’il joua le répertoire tragique après cette interprétation. Shakespeare on the French Stage in the 18th Century, Paris, Didier, 1974, p. 77. 26. Madame du Deffand [1697-1780] in Journal de Paris, 17 Germinal An XI/7 avril 1703, cité par Sylvie Chevalley, op. cit., p. 337. 27. Ducis, lettres à Garrick du 14 avril 1768 citée par Sylvie Chevalley, op. cit. p. 332 et note 13 p. 332 : L’impropriété de l’entretien d’Hamlet avec les comédiens sera soulignée par L’Année littéraire, 1779, VI, 317 : « Un prince qui instruit un comédien sur son art joue un personnage peu convenable à sa dignité ». 28. Diderot, Œuvres Complètes, VIII, p. 475, cité par Marion Monaco, op. cit., p. 71 29. Cité par John Golder, op. cit. Golder note néanmoins la voix discordante de Charles Collé, p. 46. 30. Jean-François Ducis, Hamlet : tragédie imitée de l’anglois, op. cit. p. 68. 31. Mara Fazio, François-Joseph Talma [1766-1826]. Le Théâtre et l’Histoire, de la Révolution à la Restauration, Paris, CNRS-Editions, 2011 (1999 pour l’édition italienne) : « l’ancienne salle de l’Opéra, louée pour l’occasion par le Théâtre Favart », p. 124. 32. Pamela ou la vertu récompensée de François de Neufchâteau (1750-1828), version française de la pièce de Goldoni, Pamela nubile, imitée du roman épistolaire de Richardson. Dans la nuit du 3 au 4 septembre 1793 les Comédiens-Français (sauf Molé) et Neufchâteau furent emprisonnés à la prison des Madelonnettes (Mara Fazio, op. cit., p. 73-74). Voir aussi Charles-Guillaume Etienne (1777-1845) et Alphonse Martainville (1776-1830), Histoire du Théâtre Français depuis le commencement de la Révolution jusqu’à la réunion générale, 4 vol., Paris, chez Barba, An X, 1802. 33. Louise Contat avait envoyé une lettre aux journaux le 25 mars 1795 disculpant Talma. Herbert Collins, Talma, a Biography of an Actor, Londres, Faber & Faber, 1964, p. 94-95. 34. Du répertoire shakespearien de Ducis, Talma avait créé Jean Sans-Terre qui devait commencer le 21 juin 1791, mais fut reportée au 28 juin, à cause de la fuite et capture de la famille royale à Varennes et ne fut joué que sept fois, sans grand succès. Othello suivit en novembre 1792. Talma

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avait repris le rôle-titre de Macbeth en janvier 1792 et celui du roi Léar (créé par Brisard) en juin 1792. Il avait eu beaucoup de succès dans le rôle d’Abufar, la pièce de Ducis, Abufar, ou la famille arabe, en avril 1795. 35. Le 21 novembre 1787, à 24 ans, juste sorti de la première promotion du Conservatoire, Talma débuta dans le rôle de Seïde dans Mahomet, la tragédie de Voltaire. 36. Comme il l’avait fait pour Othello en 1792, voir Maria Fazio, op. cit., p. 124. Talma avait les œuvres complètes de Shakespeare en trois volumes du Reverend Samuel Ayscough publiées en 1790 et la traduction de Pierre Le Tourneur (1737-1788), Le Théâtre de Shakespeare, dédié au roi, 20 vol. Paris, Vve Duchesne, 1776-1783. Hamlet Prince de Dannemarck est dans le volume 5 (après Le roi Léar). 37. Son père officiait comme dentiste. 38. À la soirée d’adieu de John Philip Kemble (1757-1823) où il interprétait son rôle emblématique de Coriolan, le 23 juin 1817, Talma fut applaudi pour avoir répondu à un toast dans un anglais irréprochable. 39. Et de Julie Carreau, la femme de Talma, dont l’hôtel particulier se trouvait rue Chantereine, dans le quartier de la Nouvelle Athènes à Paris. 40. Témoignage de Friedrich von Schlegel (1772-1829), le frère du traducteur de Shakespeare, qui résida à Paris de Juillet 1802 à avril 1804. Mara Fazio, op. cit., p. 124. 41. Lettre de Ducis à son ami Soldini de Versailles (17 Vendémiaire XIV/9 Octobre 1805) citée par John Golder, op. cit., p. 57. 42. « En 1810 encore, c’est la collaboration Ducis-Talma-Lemercier qui fixe les textes définitifs d’ Hamlet et de Macbeth » Sylvie Chevalley, op. cit., p. 335. 43. Sylvie Chevalley, op. cit., « Appendice », p. 347. Napoléon n’étant pas en phase avec ce héros enclin à la méditation et à la procrastination, il exigeait le répertoire martial de Corneille ou de Racine. 44. Talma fut apprécié pour sa voix feutrée, mais critiqué par l’abbé Geoffroy [1743-1814] pour son manque de possibilités vocales par comparaison avec Lekain et Pierre Lafon. 45. François et Madeleine Ambrière, Talma ou l’histoire au théâtre, Paris, Fallois, 2007, p. 561. En 1817, Talma ne fut pas autorisé par le duc de Duras à passer par Bruxelles sur le chemin du retour car les réfugiés libéraux étaient nombreux (dont Arnault et David), il continua sa tournée, par Mons, puis se rendit à Poix, berceau de sa famille paternelle, Douai, et Arras. 46. Germaine de Staël-Holstein (1766-1817), exilée à Coppet (Suisse) dans le domaine familial, fut autorisée à rentrer sur le territoire français avec un passeport spécial pour voir Talma. Son essai, De L’Allemagne, mis au pilori en France en 1810 fut publié à Londres en 1813 et en France en 1817. Paris, GF-Flammarion, vol. 2, p. 37. 47. Ducis est né et mort à Versailles (23 août 1733-31 mars 1816). Sylvie Chevalley, op. cit. « La nouvelle de sa mort fut portée au Registre des représentations journalières avec le commentaire : Rien ne peint mieux cet auteur célèbre, dont la longue carrière a été si honorable, que ce vers de M. Andrieux : ‘Accord d’un beau talent et d’un beau caractère », p. 328. 48. Jean Jacquot, « Mourir ! Dormir !... Rêver peut-être ? Hamlet de Dumas-Meurice de Rouvière à Mounet-Sully », Revue d’Histoire du Théâtre, 1964, n°4, p. 407-445. (Mes Mémoires, éd. P. Josserand, t. 1, 1954, p. 418-419 référencées par Jacquot note 1, p. 407), Jacquot suppose que cette représentation eu lieu avant 1822, date à laquelle Dumas quitta Villers-Cotterêts. 49. Voir la lettre que Delacroix envoie à son ami Charles Soulier rendant compte de la représentation, Michèle Hannoosh, Eugène Delacroix – Journal, 2 vol., Paris, José Corti, 2009. 50. « Je savais si bien mon Hamlet que je n’avais pas eu besoin d’acheter le libretto », t. 2, p. 419, cité par Jean Jacquot, op. cit., ibidem. 51. Jean Jacquot, ibidem. 52. Dumas avait composé un premier jet de Hamlet en 1840, puis une version de Macbeth en 1842, refusée par le Comité de Lecture de la Comédie-Française et resté inédite.

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53. Dumas, habitant alors à Saint-Germain-en-Laye, loua le petit théâtre de la ville pour une douzaine de représentations. Jean Jacquot, op. cit., p. 408. 54. Le théâtre, qui devait s’appeler Théâtre Montpensier, construit en 1846, fit faillite en 1850 et fut repris jusqu’en 1863 sous l’appellation Théâtre du Boulevard du Temple. 55. « Tu vivras ! ». L’Ombre distribue « prie et meurs ! » à Laërte, « espère et meurs ! » à Gertrude et « désespère et meurs ! » au Roi, prouvant que Dumas connaissait aussi son Richard III, voir Jean Jacquot, op. cit., p. 417. 56. Théodore Massiac, (1851-1916), « Nos Hamlet », p. 389, non identifié, Dossier « Hamlet » de la Comédie-Française. 57. Théophile Gautier (1811-1872) cité par Jean Jacquot, op. cit., p. 417. 58. Le deuil se porte en noir à présent dans le monde occidental, mais cette pratique n’est pas attestée au Danemark à l’époque de l’action. 59. Charles Baudelaire, Ch. XI « L’acteur romantique », in L’art Romantique, Paris, Calmann-Lévy, 1869. 60. Théodore Massiac, op. cit. 61. Madame Judith (1827-1912) fut sociétaire de la Comédie-Française de 1852 à 1866. 62. Cité par Anne Penesco, Mounet-Sully, l’homme aux cent cœurs d’homme, Paris, Cerf, 2005: « La pièce, montée – décors et costumes- en style du XIIIe siècle, à ce que le directeur a nettement affirmé, a eu un succès certain de première, surtout grâce à la scène des fleurs de Mlle Sarah B, qui y a été remarquable. Notre ancien pensionnaire, M. [Philippe] Garnier, est un Hamlet un peu troisième rôle, mais avec la ligne générale du personnage, a eu deux ou trois coups de force applaudis. Le reste a été suffisant, voilà tout. PS : Et je crois nous sentir ici, dès à présent, beaucoup plus solides sous presque tous les rapports », p. 219-220. 63. Anne Penesco : « Représentations londoniennes du 31 mai au 12 juillet 1879. Autour de Got – remplaçant Perrin retenu à Paris par la santé de sa femme (qui meurt le 2 juin) : Mounet-Sully, Sarah Bernhardt, les Coquelin aîné et cadet, Delaunay, Worms, Maubant, Jenny Thénard. Jean Aicard, François Coppé, Francisque Sarcey sont aussi du voyage », p. 166-167. 64. Emile Perrin retourna à Londres en 1885 revoir Hamlet. Journal Parlementaire, 7 mai 1885 (Archives Frédérick Sully). 65. Emile Perrin meurt le 20 octobre 1885. Jules Claretie lui succède et restera en poste jusqu’au 23 décembre 1913. Anne Penesco, op. cit., p. 212. 66. Jules Claretie : rapports de l’Administrateur. Dossier Comédie-Française. 67. Alexandre Dumas-Paul Meurice, Hamlet Prince de Danemark, Paris, Calmann Levy, 1886. 68. Stéphane Mallarmé, « Notes sur le Théâtre », in Revue Indépendante, tome 1, Nov-Déc. 1886, p. 25-29. 69. Voir le tableau de Joannides, Dossier Comédie-Française. 70. Dans son rapport de « Semainier », cependant, Mounet-Sully avait noté la difficulté de synchroniser les variations lumineuses à ces moments cruciaux : il se plaignait du manque de coordination des machinistes et des gaziers. De plus, à l’affût de nouveautés, il induisit que l’éclairage au gaz était bien moins performant que l’électricité dont la salle de l’opéra venait juste de s’équiper. « Rapport du Semainier », Dossier Comédie-Française: les acteurs devaient prendre en charge ce rapport hebdomadaire à tour de rôle, notant surtout les problèmes rencontrés. Malgré l’importance de son rôle, Mounet-Sully s’est acquitté de ce surcroît de travail avec une grande conscience. 71. Tableau de Georges Clairin – ami intime d’Henri Regnault et portraitiste préféré de Sarah : Claudius en prière, Hamlet remet son épée au fourreau. On compare aussi Mounet-Sully avec le Hamlet de Delacroix « avec quelque chose de plus puissant encore », Henri de La Pommeraye (Les Premiers Illustrés, t. VI, Paris, Alphonse Piaget, 1887). 72. Jean Cocteau (1889-1955), « Portrait de Mounet-Sully », 6 juin 1966. Dossier Mounet Sully, Comédie-Française.

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73. Arlette Sérullaz et Yves Bonnefoy, Delacroix & Hamlet, Paris, Editions de la Réunion des Musées Nationaux, 1991, « Acte III, scène II, Hamlet fait jouer aux comédiens la scène de l’empoisonnement de son père », p. 34. 74. Achille Devéria (1800-1857) et Louis BOULANGER (1806-1867), Souvenirs du Théâtre Anglais à Paris, dessinés par MM. Devéria et Boulanger, texte M. Moreau, Paris, Henri Gaugain, Lambert et Compagnie, 1827, accessible en ligne sur http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k62865096/ f8.item.r=souvenirs%20du%20theatre%20anglais%20a%20paris.zoom, consulté le 20 décembre 2016. 75. Cependant, les deux versions n’offrent pas le même dénouement. (Archives Frédérick Sully). 76. Lettre/Journal à sa femme, Georgette Barbot. Dossier Mounet Sully, Comédie-Française.

RÉSUMÉS

Lorsqu’en 1803, François-Joseph Talma (1766-1826) reprend le rôle d’Hamlet que François Molé avait créé en 1769, il est le Comédien-Français préféré de Napoléon et entre ensuite dans une longue collaboration fructueuse avec Jean-François Ducis (1733-1816), assurant le succès du dramaturge autant que le sien propre que Madame de Staël a si bien décrit dans son ouvrage De l’Allemagne (1817). À l’époque romantique, Philibert Rouvière (1809-1866) s’empare du rôle dans une interprétation grandguignolesque encensée par Baudelaire. À l’autre extrémité du siècle, en 1886, également dans l’adaptation d’Alexandre Dumas père (1802-1870) en collaboration avec Paul Meurice (1818-1905), le personnage devient « le sceau d’une époque », le grand Comédien- Français Mounet-Sully (1841-1916) marquera son temps par son lyrisme et «l’exorcisme d’un geste », faisant du héros l’emblème fin-de-siècle que Stéphane Mallarmé qualifia de Hamlétisme. Mounet-Sully interpréta Hamlet sur la scène française et européenne pendant près de vingt-cinq ans, et ira plus loin encore que Talma, jusqu’en Russie et même aux Etats-Unis. En cette année 1886, la concurrence est grande puisque Sarah Bernhardt interprète Ophélie sur une autre scène parisienne, puis, en 1900, se travestit en Prince de Danemark avec tant de succès qu’elle restera gravée sur pellicule colorisée animée dans la scène du duel lors de l’Exposition Universelle de 1900.

When François-Joseph Talma (1766-1826) played Hamlet in 1803, a part that François Molé had premiered in 1769, he was Napoléon’s favourite actor and was embarking on a long, fruitful cooperation with Jean-François Ducis (1733-1816), granting the success of the playwright as well as his own that Madame de Staël described so well in her essay De L’Allemagne (published in France in 1817). During the Romantic period Philibert Rouvière (1809-1866) turned the part into a horror melodrama which was highly praised by Baudelaire. At the other end of the century, in 1886, again in the adaptation of Alexandre Dumas (1802-1870) and Paul Meurice (1818-1905), Hamlet became the emblem of the time in the revival given by the great Comédie-Française actor, Mounet-Sully (1841-1916). He left his mark on his time thanks to his lyricism and refined gestures, showing the hero as the epitome of the turn of the century, praised by Mallarmé who coined the word Hamletism. Mounet-Sully played Hamlet on the French and European stage for over twenty-five years, and even travelled farther than Talma, as far as Russia and America. In 1886 competition was fierce on the Parisian stage as Sarah Bernhardt performed Ophelia; and then, in another production, played Hamlet with such gusto that her Duel against Laertes was

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shot on a colourized film and shown as an animated sequence at the 1900 World Exhibition in Paris.

INDEX

Mots-clés : Adaptation, Hamlet, interprétation, XIXe siècle français, Ducis Jean-François, Dumas Alexandre, Meurice Paul, Mounet-Sully, Talma François-Joseph, Shakespeare William Keywords : Adaptation, Shakespeare William, Hamlet, performance, Mounet-Sully, Ducis Jean- François, Dumas Alexandre, Nineteenth Century in France, Meurice Paul, Talma François-Joseph

AUTEUR

ISABELLE SCHWARTZ-GASTINE Université de Caen Normandie & THALIM, CNRS Paris

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What Did Hamlet (Not) Do to Offend Stalin?

Michelle Assay

1 Although it seems logical to assume that Stalin would not have sympathised with the Danish prince – and he would not have been the first political leader to have such an attitude1 – there is no official documentation that could provide a factual backbone for his so-called Hamlet ban. Yet it has become received wisdom that Stalin not only hated Hamlet and its hero but accordingly banned any production in the Soviet Union.2

2 Stalin’s animus towards Hamlet features in almost every study dealing with Shakespeare and Soviet political/cultural life. The myth of the ban in fact takes various shapes: at best it is nuanced by such modifiers as “tacit”3 or “virtual”;4 at its worst the myth takes the form of highly exaggerated claims, which usually disregard the historical facts, including actual productions of Hamlet during Stalin era. Here are two examples from quite respectable publications: “Theatrical performances of Hamlet were subsequently [to Mikhail Chekhov’s 1924-5 production] banned until after Stalin’s death in 1953”,5 and “[in the 1940s] the play [Hamlet] had not been produced in the Soviet Union since Nikolai Akimov’s zany version of 1932.”6

3 Such statements can quickly be disproved. They disregard not only the provincial productions of Hamlet in the 1940s (for instance two in Belorussia directed by Valeri [also known as Valerian] Bebutov, one in 1941 at the Voronezh State Dramatic Theatre, and one in 1946 at the Iakub Kolas Theatre in Vitebsk) but also Sergei Radlov’s rather well-known 1938 staging, which due to its great success toured widely beyond Leningrad and Moscow, as far as the Urals, Sochi and Belorussia, to almost unanimously positive reviews.7 The explanation for such oversight is perhaps that given Radlov’s subsequent imprisonment and internal exile, his name and that of his translator wife had disappeared from Shakespeare studies and criticism until well after their rehabilitation (posthumous in Anna Radlova’s case) in 1957.

4 More ideologically motivated are over-exaggerations of the kind found in Solomon Volkov’s widely debated concoction of Shostakovich’s supposed memoirs. Volkov’s Shostakovich is characteristically outspoken: “Of course, all the people knew once and

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for all that Stalin was the greatest of the great and the wisest of the wise, but he banned Shakespeare just in case. […] For many long years Hamlet was not seen on the Soviet stage.”8

5 Volkov’s mis-representations are no longer an issue in the scholarly world.9 It becomes more frustrating when a Russian theatre scholar of the stature of Anatoly Smeliansky presents the myth of Stalin’s Hamlet ban in tones that similarly brook no disagreement: “Stalin, for obvious reasons, intensely disliked the play [Hamlet] and banned it at the MKhAT [Moscow Art Theatre] after it had been in rehearsal for a long time in Pasternak’s translation.”10 I shall return shortly to the MKhAT affair. But apart from the lack of reference to any source and the exaggerated tone, an even more obvious mistake is Smeliansky’s immediately following claim that Okhlopkov’s 1954 Hamlet was the first post-Stalin production of the play11 – both Grigory Kozintsev’s Hamlet at the Alexandrinsky Theatre in St Petersburg and Radlov’s at Daugavpils in Latvia predated Okhlopkov’s. I shall also return to these post-Stalin productions, just before the end of this article.

6 Yet here, Smeliansky, as most other more scholarly studies, does at least refer back to one of the prime sources for the myth of the banning of Hamlet: namely the doomed MKhAT production of the early 1940s.

Moscow Art Theatre’s Hamlet: To ban or not to ban?

7 Probably the closest point, in Western literature at least, to the source of this Soviet whisper seems to be a statement by the theatre scholar Nikolai Chushkin and – for Western readers – Arthur Mendel’s quoting of it: “It is enough to recall that an offhand remark by Stalin in the spring of 1941 questioning the performance of Hamlet at that time by the Moscow Arts Theater was sufficient to end rehearsals and to postpone the performance indefinitely.”12

8 Before proceeding to the facts related to this story, we need to put Chushkin’s remark in its appropriate context. Chushkin offers no reference, but his statement is preceded by a fairly incontestable observation regarding Soviet wartime theatre and the public’s need for morale-boosting, or at the very least for active, optimistic plays as opposed to passive, pessimistic ones. Chushkin recollects how “shortly before the Great Fatherland War”, and as the nation prepared itself to fight the Nazis, there were increasing arguments regarding the Soviet audience’s need for an active hero.13 However, this in itself does not imply the complete absence of Hamlet and/or allusions to it (for example Yorick’s skull or Hamlet’s monologue) from the Soviet stage. From 20 to 30 April 1944, for instance, Yerevan celebrated the Bard’s 380th birthday in style, with an instalment of the All-Union Shakespeare Conference and accompanying festivals including a production of Hamlet.14

9 But despite such documented instances of the presence of Hamlet on the Soviet stage, the myth of Stalin’s disapproval has persisted. With no actual reference to be found in the archives (including that of the Moscow Art Theatre)15 literary historian Dmitri Urnov’s article, “How did Stalin ban Hamlet?”,16 is perhaps the only example of an in- depth investigation. Urnov agrees that the aborted production of Hamlet at the Moscow Art Theatre in the early 1940s, and in particular the rumours that surrounded it, were the main point of origin. This was of course no ordinary production: apart from the iconic venue of the Moscow Art Theatre, this staging featured the collaboration of such

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luminaries as Vladimir Nemirovich-Danchenko (main supervisor), Vasilii Sakhnovskii (director), Boris Pasternak (translator), Vissarion Shebalin (composer), Vladimir Dmitriev (artist designer) and Boris Livanov (leading actor).

10 In copious detail, and with many added commentaries, often in the form of rhetorical questions, Urnov offers an overview of the historical facts, as well as reports and reminiscences of such figures as Livanov regarding this production and its fate. The story comes to us second hand: Urnov retells it as reported by the lead actor:17 In the 1940s, at a reception in the Kremlin […] Boris Nikolaevich [Livanov] is asked to […] go to a special hall where “the one whom everyone knows” is present. Zhdanov is at the piano, playing. Stalin enters […]. “What is the [Moscow Art] Theatre working on these days?” asked Stalin; learning that the Theatre is going to stage Hamlet, Stalin then states: “But Hamlet is weak” […] “But our Hamlet is strong, comrade Stalin”, answered the actor preparing the role. “This is good,” replies Stalin, “because the weak get beaten.”18 If this encounter resulted in the rumours regarding the “ban”, that can only be explained “in the spirit of the Stalin time […] then it was possible to draw any conclusions in accordance with one’s goals, or as a result of one’s fears or risks.” Hence the Theatre’s official statement regarding the encounter quoted Stalin as saying: “it was great to speak to a thinking [mysliashchim] artist.” Such vague phraseology typically allowed room for many different interpretations, as dictated by individual and collective fear. “This [fear] was in the air and we breathed this air”, adds Urnov.

11 Evidently the story of Stalin’s disapproval was also in the air, because later it was re- told by Isaiah Berlin, among others, albeit in a different version, where Stalin had supposedly described Hamlet as decadent and not suitable for staging. 19 As Alexei Semenenko observes, the popularity of such rumours was inevitable, since it fitted in with “the vein of the mythology surrounding Stalin”.20

12 Urnov, however, goes on to argue – convincingly – that the production of Hamlet at the Moscow Art Theatre was halted not by Stalin but rather by many unfortunate circumstances and much internal tension within the Theatre itself. The outbreak of the War and the arrest of the director, Vasilii Sakhnovsky, raised the first hurdles. Yet once the Theatre returned from the wartime evacuation, rehearsals for Hamlet continued under the supervision of Nemirovich-Danchenko himself. For him, as for Stanislavsky and Meyerhold, Hamlet was a lifetime project destined never to be realised. 21 The accounts of Nemirovich-Danchenko’s work on the MKhAT production suggest that the elderly director was desperate to realise his Hamlet dream. Among the materials in the personal collection of the theatre director and critic Arkadii Katsman, there are reproductions of Dmitriev’s sketches and models for various scenes. One of them, depicting the setting for the first act, is curiously very similar to Natan Altman’s design for Grigori Kozintsev’s 1954 production. It has a note on the back of the photo: “This version was not taken up by N.-Danchenko. This is due to its being too cumbersome (gromozdko), gloomy (mrachnyi) and pessimistic. Dmitriev made other more optimistic sketches.”22

13 Then came Nemirovich-Danchenko’s demise in 1943, which with hindsight sounded the death-knell for this production. At first the Theatre continued with rehearsals and preparations, seemingly determined “to create a show worthy of the memory of the great Master [Nemirovich-Danchenko]”.23 Here Urnov’s account differs from Livanov’s reminiscences. According to the former, Nemirovich-Danchenko’s replacement, Nikolai

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Khmelev, was dead set against this production of Hamlet and even told Boris Livanov that “you shall play Hamlet over my dead body”.24

14 However, in the West, these machinations were unknown or unreported. Livanov quotes his mother as receiving in early 1945 a gift from a troupe of English actors headed by John Gielgud, consisting of “a recording of two monologues from Hamlet read by Gielgud. He dedicated his performance to […] ‘my friend Boris Livanov, who is now working on Hamlet’”.25 According to Vasilii Livanov, his father’s working notebooks of this time confirm that he and his friend Pasternak were hard at work trying to adjust the translation to the acting and to the requirements of the Theatre. It could be argued, incidentally, that this set a trend for Pasternak, who later created at least twelve different versions of his translation of the tragedy.26

15 As for the music, a letter from Shebalin to his wife on 18 June 1943 indicates that he had just “signed the contract for composing music to Hamlet at the MKhAT”. In December 1944 he mentioned completing his score, avowing that “this work has been interesting and most significant for me.” 27

16 Despite all efforts, the MKhAT production seems to have come to a complete standstill by 1945, when Hamlet was replaced by Ivan the Terrible, a play about the medieval Russian tsar by Alexei Tolstoy, which was premiered in 1946. This turn of affairs did not pass without comment. In the same year Pasternak, whose other Shakespearean translations apparently had no better chance of being staged in major theatres, wrote directly to Stalin. In this curious letter, which seemingly remained unanswered, after complaints about various personal, domestic and family problems, Pasternak reminded Stalin of his work on translating Shakespeare “for the past five years” and asked: Is it possible for the Committee on Artistic Affairs [Komitet po delam iskusstv] [the body that later that year became the Ministry of Culture] to drop a hint to theatres, so that they could be content with their own taste and stage them [i.e. these plays], if they like them, without awaiting any additional instructions [ukazaniia]? Because in theatres, and not only there, everything that lives only by itself and not thanks to some additional recommendations or sanctions is put aside. This is what happened to Hamlet at MKhAT, whose path was crossed by the modern play, Ivan the Terrible.28 Semenenko suggests that by calling a play about Ivan the Terrible “modern”, Pasternak was ironically alluding to Stalin’s “ongoing campaign of mythologization of the first Russian tsar”.29 Be that as it may, taking an ironic tone in a letter to Stalin would have been a dangerous game to play.

Ivan the Terrible: A Russian Hamlet?

17 The names of Ivan the Terrible and Hamlet were soon to be brought together in a different context, which could be considered as the second source for the by then well- known attitude of Stalin towards the Danish prince. The two parts of Sergei Eisenstein’s planned epic trilogy on the life and times of Ivan the Terrible had contrasting fates. The first, released in 1944, enjoyed great success and was awarded the coveted first-class Stalin prize, while the second, filmed in 1946-1947, was famously met with severe criticism from Stalin and had to wait until 1958 to be released in public cinemas. In February 1947 the film-maker and the actor of the title-role, Nikolai Cherkasov, were summoned to a meeting with Stalin, Zhdanov and Molotov at the Kremlin, during which they were given a fierce dressing-down and driven to self-denunciation.30

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18 Stalin formulated one of his main criticisms using Hamlet as an analogy: “The tsar comes out in your film as indecisive, like Hamlet. Everyone suggests to him what should be done, but he can’t make a decision himself.”31 Despite the abundant presence of bloodshed and carnage, Stalin complained that Eisenstein had failed to depict the cruelty of Ivan and “why it was essential to be cruel.”32

19 There is no doubt about Eisenstein’s debt to Elizabethan revenge tragedy as a genre and to Shakespeare’s appropriation of it in his Hamlet in particular. Katerina Clark provides several instances from Eisenstein’s writings, life and works in this regard.33 However, despite the multi-layered structure of Eisenstein’s film and its problematic reception, few mentions of Stalin’s criticism go beyond the face-value of the Ivan/Hamlet comparison. Those that do are most revealing. Semenenko, for example, observes that this comparison reveals above all how Stalin’s model of history differed from the one depicted by Eisenstein, which was “based, among other factors, on the Shakespearean model of tragedy”. Instead of using “the historic events as a background for the characters’ lives”, Eisenstein focused on “Shakespearean tragedy, in which psychology and history are fused.”34 This is confirmed by Molotov’s criticism of Part 2 of Ivan the Terrible regarding “the stress on psychologism, on the excessive emphasis of inner psychological contradictions and personal sufferings.”35 For her part, Clark identifies the source of “Eisenstein’s emphasis on the way irrational psychological forces drove Ivan” in a passage from T.S. Eliot’s essay on Hamlet and his psychological motives in The Sacred Wood, a work that Eisenstein himself refers to in his writings.36

20 With the drastic change of cultural climate from relative artistic freedom during the Great Patriotic War to the start of the anti-formalist campaign that ensued, it seems there was no room for an Ivan depicted as a tragic character of a Shakespearean stamp, rather than as a mythical figure and a “great and wise ruler”.37

21 Stalin’s Hamletised reception of Ivan the Terrible was emblematic of the drastic post-war changes in the political and cultural climate, following the legitimisation of Soviet power by victory in the Great Patriotic War. Eisenstein’s film and Stalin’s reaction to it, including his famous criticism of its depiction of the tsar, are often quoted in relation to the post-war cultural purges and the period that has come to be known as the Zhdanov Affair [Zhdanovshchina] after the second secretary of the Communist Party, Andrey Zhdanov (1896-1948). But in fact, Zhdanov himself died before the full consequences of the anti-formalism campaign unfolded, and before anti- cosmopolitanism showed its teeth. As Dobrenko and Clark observe: “Zhdanov’s role […] was not decisive. Unquestionably, it was Stalin who not only initiated the various decisions but also directly dictated and pronounced them.”38

22 The Kremlin meeting of 26 February 1947 came six months after the decrees of the Central Committee against the journals Leningrad and Zvezda, the first of three decrees of that year establishing the policy of cultural repression and the official start of the Zhdanov era.39 As the editors of Soviet Culture and Power show, referring to the materials from the Central Committee archives, Zhdanovism was nothing new and was not preceded by any kind of “thaw”. In essence, the resolutions of the years 1946-1948 “merely made public what had been known to a narrow circle of writers and had been concealed from the broad public.”40 Furthermore these decrees, which were just “ordinary ‘censoring’ resolutions” were simply “symbolic documents marking the new status of the state” and its public function of exhibiting itself.41

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23 In theatre too, there was a natural continuation of the pre-war campaign for Socialist Realism, and theatrical Zhdanovism was merely officialised by the second decree of the Party Central Committee, issued on 16 August 1946 and titled “About the Repertoire of the Dramatic Theatres and the Means of Improving It”. According to this “the principal defect of the present dramatic repertoire is that plays by Soviet authors on the contemporary themes have actually been crowded out of the country’s leading theaters.” 42 Similar criticism had already featured in closed discussion sessions of Radlov’s Theatre in the late 1930s; but if Radlov had managed to partially ignore them then, this time the Central Committee resolved to oblige the Committee on Artistic Affairs to ensure “the production by every drama theatre of no fewer than two or three new plays annually of high ideological and artistic standards on present-day Soviet themes.”43 The changes to the administrative system of the theatres and the appearance of the new role of the deputy artistic director in charge of literature (Zavlit) reduced the artistic freedom of the theatre producer and “further reinforced the outside control and complicated any diversions.”44 All this, and particularly the resolutions, should be viewed, as Dobrenko puts it, as “ideological warm-ups” and “prelude” to the rising campaign of “struggle against anti-cosmopolitanism” and “preparation for a new wave of terror.”45

24 Curiously, none of these factors seem to have resulted in Shakespeare being dethroned, even if Soviet Shakespearean priorities at this time shifted noticeably from stage to page. There is good evidence to suggest that in post-war years the Bard was “generally tolerated and even generously subsidized by Communist authorities but, at the same time, strictly controlled.” Bearing the seal of approval of Marx, Engels and Lenin, Shakespeare was indeed an attractive subject for schools and research institutes and provided “an ideal classic to reach the widest strata of readers and audiences and thus to bridge the gap which had frequently developed between modern art and the people.”46 Moreover, in the immediate post-war years, Shakespeare was briefly used as “a link between Russia and the West”. In this regard, Mikhail Morozov played a defining role. He contributed “a few brief notes on Shakespearean events in Russia” to the American Shakespeare Association Bulletin;47 and his booklet Shakespeare on the Soviet Stage (translated into English) was published in England, opening with a fulsome introduction by John Dover Wilson.48 Surprisingly, perhaps, the booklet gave no sign of any exploitation of Shakespeare for ideological means and propaganda. Instead it offered a brief history of Russian adaptations and translations of Shakespeare plays since the 18th century, followed by a chapter on recent productions, and ending with a declaration, admired by Dover Wilson, of the necessity for a close relationship between scholars and practitioners. However, when it came to the inevitable mentioning of Radlov’s productions, Morozov managed to avoid any reference to the name of the theatre director, who was at this point considered a non-person. Morozov used instead the name of the leading actors as a means of identifying these specific adaptations.

25 The official accounts of theatre repertoires of the wartime and late Stalinist period, published during the “thaw”,49 are, as Makaryk observes, quite sketchy and gloss over many plays that were feared to be problematic.50 With the rumours of Stalin’s attitude towards Hamlet already in the air, it is not surprising that the few productions of Hamlet that did take place received minimal attention. For example, Valerian Bebutov’s 1946 Hamlet at the Kolas Theatre of Vitebsk received very little comment beyond its being in line with the tendency of the time to present Hamlet as fighter (Gamlet-bortsa).51 There

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were at least two more Hamlet-related events in the same year, both in the form of a composition (kompozitsiia) for a single performer, and both in Moscow. The main actor of Radlov’s Hamlet, Dmitrii Dudnikov, is reported to have presented his composition of Hamlet during one of the evenings of the annual Shakespeare Conference. 52 The other one-man Hamlet event was organised by actor and musicologist, Aleksandr Glumov, at the Club of Moscow State University and at the Polytechnic museum in September 1946 and on 4 January 1947. Surviving posters of these events advertise them as “Concert with reading of a composition based on tragedy of Hamlet by Shakespeare, with music by N.N. Rakhmaninov [sic!] arranged for .”53 The accounts of the “protokol” and discussion (obsuzhdenie) at Moscow University show that Glumov included the monologues as well as the main characters of the tragedy and succeeded in providing different nuances for each of them.54 The translation Glumov chose for his mono-spectacle was that of Pasternak, and by doing so he offered the first ever Moscow public performance and quasi-staging of this text. Pasternak himself attended the premiere, and it was after this performance that he created the first draft of his poem “Hamlet”, which not only appears at “the opening bars of the coda” to Doctor Zhivago but also marks the start of the author’s first phase of intensive work on the beginning of his iconic novel.55 In a similar way to Glumov’s performance with its multi-tiered central figure, the lyric persona of Pasternak’s “Hamlet” is “a composite of at least five strata – Pasternak, Zhivago, an actor portraying Hamlet, Hamlet himself, and Christ.”56 A similar complexity was embodied in the Soviet bard of the 1970s, Vladimir Vysotsky, whose guitar accompaniment to his “recital” of the as-yet-unpublished poem of Pasternak provided an ideal opening for Yuri Lyubimov’s canonic production of Hamlet at the Taganka Theatre (1971-1980).57

26 Admittedly, and notwithstanding the previously mentioned productions of Hamlet and the continuation of related scholarship, the account of registered Shakespeare productions of the post-war and late-Stalinist period reveals a clear preference for comedies, particularly in the years immediately following the war; among the tragedies, Othello was the front runner, with as many as 52 productions between March 1945 and February 1953; Macbeth and Richard III were the least performed plays, apart from those not performed at all.58

27 The year 1948 saw the extension of the Zhdanovshchina to composers59 and the assassination of the actor, Solomon Mikhoels, soon to be followed by the anti- cosmopolitan campaign brought about in January 1949 “by circumstances that had arisen in Stalin’s circle after the unexpected death of Zhdanov.”60 During this critical period, it was not Shakespeare but supposed Western-style attitudes towards his scholarship that came under attack, including works of Mikhail Morozov that were deemed to be under Western influence, particularly his 1947 project Shekspirovskii sbornik, this being the proceedings of the annual Shakespeare Conference held by the Shakespeare Department of the All-Russian Theatre Society (VTO).61 It was not the subject matter or the mere fact of writing about a foreign author that came under criticism, but Morozov’s “Western” approach to Shakespeare scholarship and his lack of insistence on the superiority of Soviet Shakespearology. In subsequent articles, Morozov tried to redeem himself by attacking “bourgeois” critics and by accusing the West of dissociating Shakespeare from real life and realism, insisting that Shakespeare’s humanism and realism could only be revealed in Soviet productions, where the heroes are not abstract.62

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28 Following these attacks, and while politically correct “Soviet Shakespearology” was being supplanted by commentaries by Pushkin and Vissarion Belinski, there were also translations, often reprinted in anthologies. In this regard Pasternak had his fair share, with his translations being published in various guises.63 Meanwhile, the next volume of Shekspirovskii sbornik had to wait until after Stalin’s death in 1953, by which time Morozov was also dead and had been replaced by Aleksandr Anikst as the new face of Soviet Shakespeare scholarship. From this point on Soviet Shakespearology gradually separated along three distinct lines, namely Anikst and his school; the philosophical approach typified by Lev Vygodskii; and Kozintsev’s fusion of a close reading of Shakespeare text with practical directorial experience.64 This diversity of approach was not sharply antagonistic, as had been the case prior to death of Stalin, but it represented a clear move away from the “conflictlessness” of the late Stalin era. At the same time, sites of socio-political and artistic contention moved from affirmation of the status quo towards critique of it, with Hamlet as a potential instrument of such critiques.

Post-Stalin Hamlet Fever

29 There was at least one other contributing factor to the longevity of the myth of Hamlet and Stalin: the Hamlet fever that took over Soviet theatres following Stalin’s death, which is now well known and widely quoted in Western and Russian literature, even if many nuances of this term are commonly ignored.65 It could be argued that the sudden onset of Hamlet productions meant that they might have been held back while Stalin was alive. Senior Russian Shakespeare scholar, Alexei Bartoshevich, himself an advocate of the idea of the tacit/unofficial Stalin ban, explains the phenomenon rather more subtly, by suggesting that in the history of Hamlet’s stage life there has been an alternation of Hamletian and non-Hamletian eras.66 The former is when all political, social and historical factors are aligned in such a way as to make society – or more precisely a generation within a given society – open and ready for new Hamlets. Accordingly 1954 was a Hamletian time, as were the 1970s, when Vladimir Vysotsky’s Hamlet took both Soviet and international stages by storm.

30 In any case, the myth of Stalin’s banning of Hamlet was one that fitted well with Cold War agendas. And over time the Stalin-and-Hamlet saga seems to have become a kind of a marketing tool for new productions of the tragedy by any Central/Eastern European company that tours to the West.67 It could probably even be argued that regardless of its authenticity the myth has stimulated creative responses, such as the aforementioned cascade of productions in 1954 and those productions and adaptations that incorporated criticism of the Stalinist Terror and Repressions, for example (arguably) Kozintsev’s 1964 film and (unarguably) Sergei Slonimsky’s 1991 opera. Paradoxically, some of the most politically repressed artists admit a “debt” to those conditions, as, for instance, the Lithuanian Andrius Mamontovas: “I miss those secret messages... there were always little secret messages from the artist to the audience. But there’s no need for that now because you can say what you want openly – it’s more entertainment now.”68 If he had said mere entertainment, it might have made the same point even more strongly.

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Conclusion: Hamlet or Hamletism?

31 The Soviet Hamlet landscape as it has been passed down to us features several items of received wisdom that reflect reductionist views on the cultural climate of the Stalin era in general.69 The issue of Stalin’s supposed “ban” on productions of Hamlet, is a prime example in this regard. Gaining some clarity about its status opens the way to subtler accounts of what motivated artists in the late- and post-Stalin eras. At the same time, the fact that it was acted on at the time as though it was a reality rather than fiction itself offers an insight into Russian society and culture at the time. After all, as Bartoshevich and others have repeatedly noted, any interpretation of Hamlet in Russia offers a mirror that reflects the specifics of a society at that given moment.70

32 No study of Hamlet’s afterlife could be complete without a mention of “Hamletism”. Although the genesis of the term remains unclear,71 in scholarly terms, the problem of Hamletism could be described in nuce as “a tendency to interpret Hamlet the character as a symbol (a proper name turns into a common noun) which embodies certain philosophical, social, psychological, or political characteristics and represents a certain type, or behavior.”72 In other words, according to time and place, new symbolic meanings are assigned to Hamlet the character, which in turn influence the interpretation of Hamlet the play and thus keep the text alive for the appropriating nation/era. However, some of these meanings have proven persistent (globally or locally) throughout history. Accordingly, Hamlet as a “metaphoric referent”, by common consent includes “semantic fields of alienation, opposition, doubt, melancholy, oppression”.73 Rooted in 19 th-century Romanticism, the most prevailing connotation of Russian Hamletism indeed implies struggle with the accursed question of “To be or not to be”, which became the thematic core of the play and its interpretations. And it was certainly this view of the tragedy to which Stalin reacted negatively.

33 This notion of Hamletism, which was overwhelmingly present in Mikhail Chekhov’s 1924 production, had already been described as undesirable by several Soviet theatre directors in the 1930s, notably by Nikolai Akimov in his notorious 1932 staging with Shostakovich’s music.74 Accordingly, almost all productions of Hamlet from that point prior to the death of Stalin avoided the problem of Hamletism or else directly attacked it, presenting the Danish prince as an active hero and warrior,75 whereas the two most important immediately post-Stalin productions of Hamlet (Kozintsev’s and Okhlopkov’s) reverted to the portrayal of a man who was capable of doubting, pessimism and other notions associated with the 19th-century “Hamletism”. Indeed, going back to Stalin’s Ivan the Terrible and Hamlet analogy, we realise that by describing Hamlet as a weak- willed man, Stalin was in fact revealing that his understanding of Hamlet had its roots in the 19th-century Hamletism – Hamlet as a weak-willed, indecisive and passive tragic figure.76 Ban or no ban, then, it seems plausible at least that it was Hamletism, rather than Hamlet or even Hamlet, that offended Stalin.

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NOTES

1. Aleksei Semenenko, “Pasternak’s Shakespeare in Wartime Russia”, in Irena Makaryk and Marissa McHugh (eds), Shakespeare and the Second World War: Memory, Culture, Identity, Toronto, University of Toronto Press, 2012, p.157. 2. See, for example, David Bevington, Murder Most Foul: Hamlet through the Ages, New York, Oxford University Press, 2001, p. 151. 3. Irena Makaryk, “Wartime Hamlet”, in Makaryk and Joseph G. Price (eds), Shakespeare in the Worlds of Communism and Socialism, Toronto, University of Toronto Press, 2006, p.120. 4. Arthur Mendel, “Hamlet and Soviet Humanism”, Slavic Review, Vol. 30, No. 4, December, 1971, 733-747, at p.733. 5. Bevington, op. cit., loc. cit. 6. Laurence Senelick and Sergei Ostrovsky, The Soviet Theatre: A Documentary History, New Haven and London, Yale University Press, 2014, p. 478. 7. See, for example, “Gastroli teatra imeni Leningradskogo soveta”, Sovetskaia Belorussia, 16 June, 1939; Stepan Birillo, “‘Gamlet’, vmesto retsenzii”, Sovetskaia Belorussia, 23 June, 1939, p. 3; Kurortnaia gazeta Sochi, 10 September, 1940 (about the start of the Radlov Theatre’s tour and its successful performance of Hamlet); “K gastroliam teatra imeni Leningradskogo Soveta”, Krasnoe znamia (Sochi), 6 September, 1940; M. Senin, ‘Gamlet: spektakl’ teatra im. Leningradskogo soveta’, Kurortnaia Gazeta G. Sochi, 15 September, 1940. 8. Solomon Volkov, Testimony, London, Hamish Hamilton, 1979, p. 64-65. 9. See Laurel Fay’s comprehensive refutations in Malcolm H. Brown (ed.), A Shostakovich Casebook, Bloomington, Indiana University Press, 2004, p. 11-66. 10. Anatoly Smeliansky, The Russian Theatre after Stalin, Cambridge, Cambridge University Press, 1999, p. 6. 11. Ibid. 12. Nikolai Chushkin, Gamlet-Kachalov, Moscow, Iskusstvo, 1966, p. 309; quoted in Mendel, op. cit., p. 734-735. 13. Ibid. 14. B. Arutiunian, “Virmenskii teatr”, in Inna Vishnevskaia (ed.), Istoriia sovetskogo dramaticheskogo teatra v shesty tomakh, vol. 5: 1941-1953, Moscow, Nauka, 1969, p. 333-364, at p. 342. 15. Kindly confirmed by Ksenia Iasnova from the research centre of the archive of the Moscow Art Theatre, email communication, 29 January 2016. 16. Dmitri Urnov, “Kak Stalin Gamleta zapretil”, Nash sovremenik, 2, 2012, 218-237, also available at http://nash-sovremennik.ru/archive/2012/n2/1202-19.pdf, accessed 3 October 2016. Urnov sent me an unabridged version of his article – email communication, 19 July 2015 – and some of the information provided below comes from this latter version. 17. The anecdote was later published by the actor’s son, Vasilii Livanov, Nevydumannyi Boris Pasternak, Moscow, Drofa, 2002, p. 87-91. 18. Urnov, op.cit. p. 218 (the following quotes are from Urnov’s published article unless otherwise stated). 19. Semenenko, op. cit., p. 157; Isaiah Berlin, Personal Impressions, Princeton, Princeton University Press, New Expanded Edition, 2001, p. 229-230. 20. Semenenko, op. cit., p. 157. 21. Nemirovich-Danchenko’s directorial concepts and work on Hamlet are partly documented in Vladimir Nemirovich-Danchenko and Vitalii Vilenkin, Nezavershennye rezhisserskie raboty: Boris Godunov, Gamlet, Moscow, VTO, 1984.

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22. “Dokumenty sobrannye A.I. Katsmanom o postanovkakh p’es angliskikh avtorov. T.7. O postanovkakh p’es U. Shekspira. Chast’ 2. O postanovkakh p’esy ‘Gamlet’ (stat’i, retsenzii, … iz izdanii 1935-1955 godov)”, TsGALI, f. 563, op. 1, ed. khr. 180, 27 and 27 verso. 23. “Blizhaishee primeri khudozhestvennogo teatra”, Literatura i iskusstvo, 30 June 1943, quoted in Livanov, Liudi i kukli, Moscow, Astrel’, 2012, 60, also available at http://www.litmir.co/br/? b=186132&p=60, accessed 22 May 2016. 24. Urnov, op.cit. 25. Ibid. 26. Semenenko, op. cit., p. 148. Pasternak’s translations of Shakespeare in general, and of Hamlet in particular, have been widely studied. See, for example, Anna Kay France, Boris Pasternak’s Translations of Shakespeare, Berkeley, Los Angeles and London, University of California Press, 1978. 27. Alisa Shebalina, V.Ia. Shebalin: Gody zhizni i tvorchestva, Moscow, Sovetskii kompozitor, 1990, p. 129. 28. Benedikt Sarnov (ed.), Stalin i pisateli, Moscow, Eksmo, 2008, p. 243. 29. Semenenko, op. cit., p. 158. 30. “Authorized transcript of the conversation between I.V. Stalin, A.A. Zhdanov, and V.M. Molotov, and S.M. Eisenstein and N.K. Cherkasov, concerning Ivan the Terrible. 26 February 1947”, in D. Mar’iamov, Kremlevskii tsenzor: Stalin smotrit kino, Moscow, Kinotsentr, 1992, 84-92; quoted in Evgeny Dobrenko and Katerina Clark (eds), Soviet Culture and Power, New Haven and London, Yale University Press, p. 440-445. 31. Ibid., p. 441. 32. Ibid. 33. Katerina Clark, “Sergei Eisenstein’s Ivan the Terrible and the Renaissance: Ivan the Terrible an Example of Stalinist Cosmopolitanism?”, Slavic Review, 71/1 (Spring 2012), p. 49-69, at p.59-62. 34. Semenenko, op. cit., p. 159. 35. Molotov at the Kremlin meeting of 26 February 1947, quoted in Dobrenko and Clark, op. cit., p. 441. 36. Clark, op. cit., p. 62. 37. Sergei Eisenstein and Richard Taylor (ed.), The Eisenstein Reader, London, BFI, 1998, p. 161. 38. Dobrenko and Clark, op. cit., p. 447. 39. For the first and the third (on cinema), see ibid., p. 402-403. 40. Ibid., p. 392. 41. Dobrenko, “Literary Criticism and the Institution of Literature in the Era of War and Late Stalinism 1941-1953”, in Dobrenko and Tihanov (eds), A History of Russian Literary Theory and Criticism, Pittsburg, University of Pittsburg Press, 2011, p. 170. 42. “The dramatic repertoire and measures to improve it: Decision of the Central Committee, CPSU (b), 26 August 1946”, in Decisions of the Central Committee CPSU (b) on Literature and Art (1946-1948), Moscow, Foreign Languages, 1951, 11-20; quoted in Senelick and Ostrovsky, The Soviet Theater, op. cit., p. 484. 43. Ibid. 44. Ibid., p. 483. 45. Dobrenko, op. cit., p.171. 46. Zdeněk Stříbrný, Shakespeare and Eastern Europe, Oxford, Oxford University Press, 2000, p. 97. 47. George Gibian, “Shakespeare in Soviet Russia”, The Russian Review, 11/ 1 (January 1952), p. 33. 48. Mikhail Morozov, Shakespeare on the Soviet Stage, London, Soviet News, 1947. 49. See, for example, the multi-volume history of Soviet theatre: Inna Vishnevskaia et al. (eds), Istoriia sovetskogo dramaticheskogo teatra v shesty tomakh, Vol. 5: 1941-1953. 50. Makaryk, op. cit., p.123. 51. Vishnevskaia, Istoriia sovetskogo dramaticheskogo teatra, op. cit., p. 269.

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52. Liubov’ Vendrovskaia, “Rabota Kabineta Shekspira VTO”, in Mikhail Morozov et al. (eds), Shekspirovskii sbornik 1947, Moscow, VTO, 1948, 254-263, here p. 258. 53. RGALI, f. 2420, op. 1, ed. khr. 67. No further detail regarding the music appears in any of the consulted material; however, it was most probably by Nikolai Rakhmanov (1892-1964) who was a theatre composer and conductor. 54. “Protokol: obsuzhdenie raboty A.N. Glumova v VGKO ot 13 Fev 1946”, RGALI, f. 2420, op. 2, ed. khr. 7. 55. Timothy Sergay, “Boris Pasternak’s ‘Christmas Myth’: Fedorov, Berdiaev, Dickens, Blok”, PhD dissertation, University of Yale, 2008, p. 131. 56. Ibid., p.132. 57. Birgit Beumers, Yuri Lyubimov at the Taganka Theatre 1964-1994, p. 115. 58. For statistics derived from the list of Shakespeare productions on Soviet stage (1945-1957) published in the 1958 issue of Shekpirovskii sbornik, see http://www.w-shakespeare.ru/library/ shekspirovskiy-sbornik26.html, accessed 12 May 2016. 59. See Ekaterina Vlasova, 1948 God v sovetskoi muzyke, Moscow, Klassika-Kh.Kh.T, 2010. 60. See Dobrenko, “Literary criticism and the institution of literature”, op. cit., p.175. 61. Morozov et al. (eds), Shekspirovskii sbornik, VTO, Moscow, 1947. 62. Morozov, “Falsifikatory Shekspira”, Teatr (January 1949), p. 53-56; “Teatrovedecheskaia ekspansiia Uall Strita”, Teatr (May 1949), p. 85-88. 63. For a bibliography of Shakespeare-related publications, see I.M. Levidova, Shekspir: Bibliografiia russkikh perevodov i kriticheshkoi literatury na russkom iazyke 1748-1962, Мoscow, Kniga, 1964, also at http://az.lib.ru/s/shekspir_w/text_0220.shtml, accessed 21 May 2016. 64. See Mark Sokolianskii, “Osnovnye tendentsii v otechestvennom shekspirovedenii 1960-1980- ikh godov”, in G. Krasnov and A. Viktorovich (eds), Iz istorii filologii: sbornik statey i materialov: k 85- letiiu G.V. Krasnova, Kolomna KTPI, p. 72-83. 65. The term probably entered Western writings through Chushkin’s use of it in Gamlet-Kachalov, 309, quoted in Mandel, “Hamlet and Soviet Humanism”, p. 734. 66. Aleksei Bartoshevich, “Gamlety nashikh dnei”, in Bartoshevich (ed.), Shekspirovskie chteniia, Moscow, Moscow Humanitarian University Press, 2010, p. 209-216. 67. See, for example, David Sillito, “Hamlet: The Play Stalin Hated”, BBC, 22 April, 2012 (on a Lithuanian production of Hamlet on tour to the UK, in the context of the “Globe to Globe” project), http://www.bbc.co.uk/news/magazine-17770170, accessed 26 November 2015. 68. Ibid. 69. The general syndrome has long since been recognised – see, for example, Katerina Clark, The Soviet Novel: History as Ritual, Chicago, University of Chicago Press, 1981; Clark, Petersburg, Crucible of Cultural Revolution, Cambridge MA, Harvard University Press, 1995; Clark, Moscow, the Fourth Rome: Stalinism, Cosmopolitanism, and the Evolution of Soviet Culture, 1931-1941, Cambridge, MA, Harvard University Press, 2011; Sheila Fitzpatrick, Everyday Stalinism: Ordinary Life in Extraordinary Times: Soviet Russia in the 1930s, New York, Oxford University Press, 1999; Fitzpatrick, Stalinism: New Directions, London, Routledge, 2000. 70. Alexei Bartoshevich has repeatedly referred to the image of mirror in his writings, lectures and interviews about Hamlet – see, for example, “Gamlety nashikh dnei”, in Karina Melik- Pashaeva (ed.), Teatr, Zhivopis’, muzyka, Kino: Ezhekvartal’nyi al’manakh, No. 4, Moscow, GITIS, 2010, p. 9-21, here p. 20. 71. Reginald A. Foakes, Hamlet versus Lear: Cultural Politics and Shakespeare’s Art, Cambridge, Cambridge University Press, 1993, p. 20. 72. Ibid. 73. Aleksei Semenenko, Hamlet the Sign: Russian Translations of Hamlet and Literary Canon Formation, Stockholm, Stockholm University, 2007, p. 140.

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74. For an analysis of this production, see Michelle Assay, “Akimov and Shostakovich’s Hamlet: a Soviet ‘Shakesperiment’”, Actes des congrès de la Société française Shakespeare, 33 (2015), http:// shakespeare.revues.org/3329, accessed 22 May 2016. 75. The best-known example of this was Sergei Radlov’s 1938 production in Leningrad. 76. The notions of Hamletism in general and Russian Hamletism in particular have been discussed in several studies – see, for example, Boris Gaydin, “Obraz Gamleta na otechestvennom ekrane vtoroi poloviny XX — nachala XXI veka”, Znanie. Ponimanie. Umenie (2013/4), p. 170-182.

ABSTRACTS

Soon after its arrival in a Russia in 1748, Hamlet and its chief protagonist became inseparable parts of Russian national identity, prompting such remarks as William Morris’s: “Hamlet should have been a Russian, not a Dane”. However, at the outbreak of the Second World War, the play seems to have disappeared for more than a decade from the major stages of Moscow and Leningrad. Thus was born the ‘myth’ of Stalin and Hamlet. Today virtually every mention of Hamlet in the Stalin era refers to the dictator’s hatred for this tragedy and his supposed banning of it from all Soviet stages. Notwithstanding the efforts of theatre directors such as Sergei Radlov with his heroic production of Hamlet in 1938, there is no doubt that Hamlet was problematic in the context of the paradigm of Socialist Realism. And it was certainly not the most suitable play for a war-stricken country. Moreover, from Stalin’s own pejorative reference to ‘an indecisive Hamlet’ in connection with Eisenstein’s ill-fated depiction of Ivan the Terrible (Part II), it is evident that for the dictator the character of Hamlet had negative connotations. The chequered history of Hamlet in the Soviet Union from the outbreak of the War to the death of Stalin in 1953 and the flood of new productions almost immediately after this date, together with the myth of Stalin’s ‘ban’, deserve more nuanced and broadly contextualised study than they have received to date, based on concrete historical facts, memoirs and official documents.

Peu après son arrivée en Russie en 1748, Hamlet (et son personnage principal) devient inséparable de l’identité nationale russe, au point de faire dire à William Morris : « Hamlet aurait dû être russe, pas danois ». Pourtant, lorsque éclate la Seconde Guerre Mondiale, la pièce semble avoir disparu depuis plus d’une décennie des scènes principales à Moscou et à Leningrad. Ainsi est né le « mythe » de Staline et Shakespeare. La grande majorité des études consacrées à Hamlet pendant l’ère stalinienne mentionnent la haine du dictateur à l’égard de cette tragédie et l’interdiction de sa représentation qu’il aurait imposée sur toutes les scènes soviétiques. Malgré les efforts (parfois héroïques) de metteurs en scène comme Sergueï Radlov en 1938, Hamlet pose indubitablement problème par rapport au paradigme du Réalisme socialiste. En outre, ce n’est sans doute pas la pièce la plus adéquate pour un pays en guerre. Enfin, la référence péjorative de Staline à « l’indécision » de Hamlet à propos de l’infortunée représentation d’Ivan le Terrible par Eisenstein (IIe partie) montre clairement que le personnage de Hamlet avait des connotations négatives pour le dictateur. L’histoire en dents de scie de la réception de Hamlet en Union Soviétique du début de la guerre à la mort de Staline en 1953 (suivie immédiatement d’un déluge de nouvelles mises en scène), ainsi que le mythe de son « interdiction » par Staline, doivent recevoir un traitement plus nuancé que celui qui leur est habituellement réservé, fondé sur l’étude de faits historiques concrets, de mémoires et de documents officiels.

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INDEX

Mots-clés: Eisenstein Sergueï, Ivan le Terrible, Pasternak Boris, Shakespeare en Union Soviétique, Staline et Hamlet, Théâtre d’Art de Moscou Keywords: Eisenstein Sergei, Ivan the Terrible, Myth of Stalin and Hamlet, Moscow Art Theatre, Pasternak Boris, Soviet Shakespearology

AUTHOR

MICHELLE ASSAY Université Paris Sorbonne, University of Sheffield

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La mémoire vive de Shakespeare Shakespeare, alive in memories

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Memorizing Shakespeare

Karen Newman

For this invention [writing/letters] will produce forgetfulness in the minds of those who learn to use it, because they will not practice their memory. They will trust to the external written characters and not remember of themselves. Plato, Phaedrus.

1 In their study of erasable table books, the collective authors of “Hamlet’s Tables and the Technologies of Writing in Renaissance England” note the prominent role books play in Hamlet and declare that “perhaps the most important book in the play, both figuratively and literally, is that of memory.”1 As they go on to observe, there is paradox in the notion of erasable tables as an aide-mémoire since they serve both to record, for the purpose of remembering, and to materialize forgetting. The reading of Hamlet which follows their material description of erasable tables, of almanacs with erasable leaves, of pins and pens, emphasizes forgetting, the mutability of the body and of memory: “the play moves relentlessly away from the kind of records that, stored in a library, might protect the remembrance of the old king,” Their essay ends evoking pathos: the ghost of Hamlet’s father, we are told, “after changing into his nightgown, suffers an even more ignominious fate than does his murderous brother : he simply fades away, erased from the tables of memory”.2

2 Recent work on memory has focused on the social, cultural, cognitive and political dynamics of memory and forgetting, but particularly on trauma, “post-memory,” haunting, PTSD (Post-Traumatic Stress Disorder). Yet the pre-modern world was more sanguine about memory than this view of Hamlet, or of memory studies, allows, for if in fact at the end of the play the ghost is gone, forgotten, Hamlet the play remains: its story is repeatedly told and retold, thus enacting Hamlet’s injunction to Horatio at play’s end. And Hamlet is repeatedly produced and remembered in the passages and commonplaces students, teachers, readers and playgoers retain in memory: “Remember me,” “Frailty thy name is woman,” “Neither a borrower nor a lender be,” “To be or not to be, that is the question.”

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3 Over the last decade, scholars have studied the various forms of mediation whereby Shakespeare has been transmitted: the history of print, publishing and editorial practices; adaptation, rewriting and translation; film; knock-offs and tie-ins, on-line forums, blogs and vlogs, all historically specific practices that have shaped the interpretation and reception of the plays and poems. Here I want to consider another form of transmission: the practice of memorization. The Phaedrus from which I take my epigraph has been read by Derrida and others for its presentation of the binary, speech/writing, and famously, for the difficulties posed by the translation of pharmakon, a word that famously means both “remedy” and “poison.” But in Plato’s dialogue, Socrates is concerned with memory. Writing for Socrates, as for many intellectuals and thinkers in the ancient world and at least through the Middle Ages, was a reminder of what one knew already, a servant to memory. How did the practice of memorizing Shakespeare come about and what was its function? Why did memorization of Shakespeare become a historically specific practice of cultural mediation?

4 Mary Carruthers begins her fine book The Book of Memory with a discussion of Thomas Aquinas’s techniques of composition. Aquinas was renowned throughout the Middle Ages and into the Renaissance for his memory: he is reported to have dictated “as if a great torrent of truth were pouring into him from God. Nor did he seem to be searching for things as yet unknown to him; he seemed simply to let his memory pour out its treasures.”3 Myriad texts were apparently filed in his memory, for use whenever he needed them. In this description of Aquinas’s memory, we get a standard metaphor for memorizing to which I will return, the metaphor of treasure. Memory, as Carruthers goes on to point out, was not only a part of composition and litteratura, the noblest of the five divisions of ancient and medieval rhetoric; it also “built character, judgment, citizenship and piety.” Cicero, Quintilian, and the Renaissance humanists reiterate such claims as do later educational theorists, and as do the writers and compilers of rhetorics and readers in Ireland, England and the United States during the heyday of poetry memorization in the nineteenth century. Memoria, in Carruthers’ words, also “signifies the process by which a work of literature becomes institutionalized - internalized within the language and pedagogy of a group”.4 In what follows, in addition to surveying the tradition of memorizing Shakespeare, I will also speculate on the role memorization played in his canonization.

5 Shakespeare has been memorized, of course, by actors since the plays were first produced. From the late fifteenth-century on, humanists and teachers used drama for both teaching and learning. “Playacting occasioned learning in language, diction, gesture, attitude and sententiae”,5 in schools and universities, and in the Renaissance academies established in Italy and elsewhere in Europe by humanists and their patrons interested in sharing ancient texts, reviving the ancient theatre and studying classical antiquity. Theatrical performance, and the memorizing of parts, was an important aspect of the humanist intellectual enterprise and of humanist education all over Europe.

6 While plays were performed in schools, colleges and universities initially in Latin, with a view toward improving pupils’ language and oratorical skills, by the middle of the sixteenth-century, plays were increasingly performed in the vernacular. In Siena, for example, the Academy known as the Intronati collaborated in the writing and performance of plays the most famous of which is Gl’Ingannati, first performed in 1532,

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one of the earliest vernacular comedies of cross dressing and mistaken identity. Widely imitated and translated, a version of this precursor to Shakespeare’s Twelfth Night was performed at the University of Cambridge, England already in 1546-1547. Theatricals were produced for many special occasions before mixed audiences made up not only of members of colleges and academies themselves, but also royal and aristocratic invitees and general audiences made up from the surrounding population. School productions were performed not only in college buildings, but also at court and in public squares.6 Many of the earliest English Renaissance plays, Ralph Roister Doister modeled on the Latin comic playwright Plautus’s Braggart Soldier and written by Nicholas Udall, headmaster of Eton, and Gammer Gurton’s Needle, written at Cambridge by one Mr. S, were written for performance in schools. Gammer Gurton’s Needle, as we learn from the 1575 titlepage of an early printed edition, was “played on Stage, not longe ago in Christes Colledge in Cambridge.” As Alan Nelson has shown, more performances of plays and other dramatic activities are recorded at Cambridge in the mid-sixteenth- century than in any other town in England, including London.7

7 The performance of plays by young scholars was intended to teach moral lessons and to improve oratorical skills. Plays that elaborated on scripture were enormously popular not only in England, but in schools and colleges all over Europe. The Scot George Buchanan, a pre-eminent neo-Latinist of the period, taught at the renowned College of Guyenne in Bordeaux, a college with a strong dramatic tradition that included among its dramatists and actors not only Buchanan himself, but Joseph Scaliger and Montaigne. Buchanan believed that “once action is brought to life with speech and breath, it makes a stronger impression on the senses than bare moral lessons, and influences the mind more easily. And where it has penetrated, it clings more firmly, and virtually takes root”.8 Even girls had the opportunity to perform plays at school: famously Racine wrote both Esther and Athalie for performance before Louis XIV by the Demoiselles of the boarding school begun by his second wife, Madame de Maintenon, at St. Cyr. Drama was also an important part of the curriculum of the many Jesuit colleges founded in the sixteenth century, including those in what is now the north of France that were established to educate the boys and young men of recusant English families. It is estimated that between 1650 and 1700 there were some 500 continental Jesuit colleges performing at least two plays annually. Jean-Christophe Mayer has shown that the recently discovered First Folio found in the library at Saint-Omer bears marks indicating its use for dramatic performance at the college there.9 In England, choir- boys at the royal chapels of Westminster, Windsor and St. Paul’s were trained not only in music, but also as young actors who performed at court before the Queen. As is well- known, the Inns at Court, ostensibly for the training of lawyers, were centers of intellectual and literary activity where young men congregated to pursue distinction, pleasure and advancement. In his Characterisimi (1631), Francis Lenton claims young men of the inns showed a marked preference for “Shakespeare’s plaies instead of my Lord Coke,” (sig. F4) the well-known early modern jurist. In fact, the Inns were a center of theatrical performance, particularly during Christmas festivities, and at Carnival as we know from the Middle Temple law student John Manningham’s famous account in his diary, that on February 2, 1602 “at our feast we had a play called Twelfth Night, or What you Will.” School performance of Shakespeare remained—and remains - an important pedagogic practice, but in what follows I turn to the practice of memorizing discrete passages from Shakespeare in the schools, in clubs and reading groups, among a broad swath of the population in England and its former colonies, including America,

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from the late 18th century until the middle of the 20th century when the pedagogic practice of memorization went out of fashion. Such memorizing is carefully distinguished from acting and dramatic performance in the manuals, readers and handbooks that promoted memorizing selections from choice authors, but avoiding the taint of dramatic performance.

8 That there was a popular tradition of such memorization is not in doubt: we have countless examples, some of which are familiar.10 Perhaps the most famous example is Cole Porter’s comic account of this practice and its uses and effects in the musical based on , Kiss Me Kate. Even as late as the early 1950’s, memorizing Shakespeare would seem to have been a widespread school practice, and according to Porter’s lyrics, it would also seem to be an effective strategy of seduction. To win a girl’s heart and “start ’em simply ravin’ / Is the poet people call The Bard of Stratford upon Avon.” Next comes the well-known chorus: Brush up your Shakespeare, Start quoting him now. Brush up your Shakespeare And the women you will wow.

9 Porter’s lyrics continue: Just declaim a few lines from Othella And they’ll think you’re a hell of a fella If your blonde won’t respond when you flatter ’er Tell her what Tony told Cleopatterer If she fights when her clothes you are mussing What are clothes? Much ado about nussing Brush up your Shakespeare And they’ll all kow-tow.

10 Porter deploys puns we have come to associate with recent work in the history of sexuality - “If she says your behavior is heinous/ Kick her right in the Coriolanus.” The musical’s lyrics are often salacious and presume that quoting Shakespeare has a sexually affective power: “Just recite an occasional sonnet /And your lap’ll have honey upon it./ When your baby is pleading for pleasure/ Let her sample your Measure for Measure/ Brush up your Shakespeare And they’ll all kow-tow. . . . ” To brush up, of course, means to revive or refresh one’s acquaintance with something, something it is presumed you already know. In the musical, you may remember, two gangsters sing this song, with its low brow dialectical usages, thus insisting that memorizing Shakespeare was a popular school practice, not an elite one. The two thugs in Porter’s musical would have learned their Shakespeare in the schools where memorizing passages and “memory gems” was a widespread practice. And their stated plans to use that knowledge to seduce is a far cry from the moralizing claims so often made on behalf of memorizing. In Dodsley’s well-known Preceptor, a famous and long-employed text “containing a general course of education,” for example, passages to be memorized from the poets, including Shakespeare, insured a mind ready for use “by its being stor’d with Variety of good Principles, sure Rules, and happy Expedients, reposed in the Memory, and ready upon all Occasions to be produced and employed in Practice”.11

11 Memorizing has a long pedagogical history and has long provoked debate. Cicero, of course, notes its importance in De Oratore where the aspiring orator is exhorted, to learn passages by heart to exercise his memory and to provide himself with a store of materials for use in composition and declamation. Frances Yates and more recently,

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Lina Bolzoni, have traced the elaborate system of rooms and places to train the memory from ancient times into the early modern period. With the advent of printing, Yates claims, not unlike Plato’s Egyptian king in the epigraph from Phaedrus, memory declined and many of the practices associated with the arts of memory, such as the schematic layout of manuscripts designed to aid memory, began to disappear as printed copies became plentiful.12 But as Carruthers and others have pointed out, books are memory’s extension: just as remembering was conceived of as writing on the tables of the mind, so writing was regarded as an activity of remembering, and textual notes, including the commas and other editorial signs that mark sententiae to be remembered, a branch of memory.13 Though the humanists’ study of Quintilian may have shifted memory away from the more schematic places and images to “study, order and care,” as Yates claims, quoting Quintilian, Quintilian nevertheless still recommends memorization. And as Paul Grendler, Lisa Jardine and Anthony Grafton have shown in their studies of early modern pedagogical practice, memorizing played an important role in Renaissance education. Jardine and Grafton, in fact, show the gap between humanist theory concerning the “civilizing” power of knowledge of Latin and classical authors and actual classroom practice characterized by the “ruthless drilling” of mnemonic verses and jingles for teaching grammar and texts by rote.14 Classical authors in the humanist curriculum, they show, were treated in a utilitarian and cursory way or epitomized in collections of sententiae. Grafton and Jardine thus contend that humanist claims about the formation of character through education are unconvincing in themselves and were discredited by actual classroom practice.

12 Yet as Carruthers argues, memory is a cultural complex of institutionalized practices far from what we term mere rote learning. Instead, as she insists, “memoria places rote in the service of creative thought.”15 She lays out the distinction between res and verbum, between the memory for matter - not just things or objects, but ideas, opinions, matter - that can be called upon for composition in writing or speaking, and word for word repetition, memorizing verbatim particularly associated with school-room exercises in which children train their memories by rote. These two views of memory have been described and debated from the time of the ancients and into the early modern period, and they continue even today - those who argue on behalf of memorization and see the training of memory as productive, and those who see it as mere rote learning that in fact inhibits understanding, as “merely” reproductive.

13 We see this debate laid out in the letters that become Locke’s Some Thoughts Concerning Education. There he objects to the practice of forcing students “to learn by heart great Parcels of the [ancient] Authors.”16 Such learning is nothing more, Locke opines, than “the just Furniture of a Pedant” and “nothing is less becoming a Gentleman.”17 For Locke what matters is the Matter. Yet when “the Matter is worth Remembrance,” Locke admits “it may not be amiss to lodge it in the Minds of young Scholars.”18 Locke calls learning lessons by heart an “old Custom,” and wants to insure that boys understand what they learn.19 Yet like Cicero and Quintilian before him, he too wants them to repeat it, and know how to call upon it - otherwise, he objects, the lesson once said by rote is merely “delivered up again to Oblivion.”20 Locke is concerned specifically with the place of ancient languages - Latin and Greek - in education and with the Renaissance practice of having schoolboys memorize in order to express themselves in Latin, orally and in writing, which was the student’s main task before 1700. If by the end of the seventeenth century evidence suggests there begins to be a shift to English from Latin, at least in some classrooms where English is increasingly important for a

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rising middle class engaged in business and trade, what is astonishing is how much was still got by heart. Throughout the eighteenth century, as Ian Michael has shown in his important study, The Teaching of English, popularly adopted grammars, both Latin and English, provide directions for memorizing to both masters and students; John Collyer’s 1735 grammar, for example, instructs that “Only the large Print is to be got without Book,” that is, memorized, but the “large Print” alone requires memorizing more than 10,000 words; James Gough’s 1754 text requires 5600, and Alexander Miller’s widely used American English grammar would require memorizing some 11,000 words. At least ten other 18th-century grammars make similar demands; such memorizing remained ordinary practice until well into the nineteenth century in both England and the United States. As Michael observes, “learning by heart, in all subjects, was a useful form of pedagogic and, it was hoped, mental discipline . . . by learning in childhood you had a “store” on which to draw”.21 By the end of the18th-century, partly in response to the rise of the elocution movement associated with John “Orator” Henley and Thomas Sheridan, the practice of memorizing the best vernacular authors seems to have been well-established.

14 When does Shakespeare become one such author? Alexander Gill, the high-master of St. Paul’s in the early 17th century, publishes his Logonomia Anglica in 1619 and again in 1621; his text includes 7 chapters on figurative syntax illustrated by quotations from Spenser, Sidney, Harrington, Daniel, Wither, and Stanyhurst’s Aeneid, but no Shakespeare; Abraham Fraunce’s Lawiers Logike quotes extensively from Spenser and Sidney; Peter Stallybrass and Zach Lesser have recently pointed out the wealth of quotations from Shakespeare and other vernacular writers in Bodenham’s Bel-vedere, a text to which I will return. In 1657 Joshua Poole’s The English Parnassus includes some Shakespeare. But for much of the eighteenth century, Milton is more often quoted than Shakespeare, which Michael explains by suggesting that dramatic verse was excluded altogether on moral grounds. And though it might be tempting to make judgments about the relative canonicity of Shakespeare and Milton in the period based on the frequency of such quotation, we would do well to remember William St. Clair’s important work on intellectual property that shows the clamp down after 1600 on anthologies, abridgements and adaptations, the most important means by which texts and ideas are diffused, especially to the less well-educated and economically disadvantaged. Michael claims that an increase in the inclusion of literary excerpts in texts directed at both ordinary children and those in educated homes shows a change of attitude about the worth of literature in the 1770s. But in fact, the change is more likely related to the end of perpetual copyright, for it was the cartels of what St. Clair terms the “high monopoly period,” and specifically the Tonsons, who commissioned and published expensive Shakespeare editions throughout the eighteenth century. The change Michael notices in the 1770s is a result not so much of changing attitudes toward education as the end of perpetual copyright in 1774. In addressing the House of Lords at the time of the copyright disputes, Lord Camden asserted that if the London publishers had their way, “All our Learning will be locked up in the Hands of the Tonsons.”22

15 But two exceptional mid-eighteenth-century texts stand out: the printer Robert Dodsley’s widely used Preceptor (1748) and William Dodd’s anthology Beauties of Shakespear. The Preceptor offers a range of Shakespearean extracts - from Henry IV pts. 1,2; Henry V, Henry VIII, Julius Caesar, Timon, and one of the rare passages taken from the comedies, not surprisingly Jacques’ “All the world’s a stage” from As You Like It. As

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Dodsley’s recent biographer points out The Preceptor “established a model curriculum heavily reliant on excerpts from the best contemporary authors,” especially Shakespeare.23 In 1752, the Anglican preacher William Dodd published the only eighteenth-century Shakespeare anthology, Beauties of Shakespeare, which includes an enormous range of passages from the plays, each with a moralizing heading - on chastity, on too ambitious love, advice of various kinds. The anthology is said to have been widely read “by many whose religious convictions would not permit them [otherwise] to read plays. ” Dodd’s Beauties was “constantly reprinted from 1752 to 1935” - in fact, a reprint is available on Amazon today.24

16 But after 1774, Shakespeare is one of the authors most quoted in a whole spate of newly printed anthologies, collections, inexpensive editions, readers, and the so-called “Speakers” associated with the elocution movement. One of the most popular - Wordsworth called it “the poetical library of our schools” - was Vicesimus Knox’s series of Elegant Extracts in Verse which appeared in various editions between 1778 and 1794. Knox acknowledged that it was common to declaim against loading the memory, but argued that boys’ memories were and called for the reading and memorizing of a slate of authors: Demosthenes, Plato, Homer, Cicero, Livy, Virgil, Milton, Shakespeare, Pope and Addison in chapter titles such as “Classics by Heart.” In England there is William Enfield’s The Speaker, said to be the most widely used of all the anthologies with 38 selections from Shakespeare, one quarter of the total; there is John Walker’s Elements of Elocution and a burgeoning market in school readers that first develops in Ireland, where fear of the island’s perceived hostile population and “alien religion were menacing enough to loosen purse strings.”25 In her recent book Heart Beats on the practice of memorizing poetry in the elementary or primary schools of late nineteenth- century England and America, Catherine Robson notes in passing the popularity of memorizing the most unexpected passages of Shakespeare.26 She records a Sussex man’s memory of his state education at Harting Combe, where eight-year-olds in Standard II had to learn by heart the scene from King John where Arthur pleads with Hubert not to put out his eyes.27 She goes on to observe that this particular teacher was apparently not “unusually sadistic” since an article from The Teachers’ Aid in 1887 advised teachers to think carefully about the choice of passage for pupils to perform in their examinations and urges its readers not to “select hackneyed ones. … [such as] ’Mark Anthony’s oration’ from Julius Caesar, and ’Heat me these irons hot’.”28

17 British secular readers were also plundered for the American market as Meredith McGill’s important work on the culture of reprinting in the United States has shown. Abraham Lincoln is believed to have learned his Shakespeare, which he read and quoted throughout his life, initially from the Scot William Scott’s Lessons in Elocution. And if we bear in mind as well the remarkable distribution of British books and authors unconstrained by international copyright agreements throughout the nineteenth century we can see how Shakespeare became so widely read that Tocqueville famously claimed that “There is hardly a pioneer’s hut that does not contain a few odd volumes of Shakespeare”.29 And in addition to inexpensive editions, there were the popular American readers, McGuffey’s 5th and 6th Eclectic that include selections from Shakespeare, and the indigenous collections with titles like Gleanings, A Casket of Thought Gems, Memory Gems, Best Memory Gems, Memory Gems Graded because “Youth is the golden period for storing the mind.” As John Neitz observes in his study of American

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secondary school textbooks, “even today many older people, who studied the McGuffey books, can recite these selections”.30

18 The practice of memorizing Shakespeare, from the elocution textbooks and vernacular collections of the second half of the eighteenth century, through the anthologies and readers of the nineteenth century and well into the twentieth, played a significant role in institutionalizing Shakespeare, not only in the schools, but in the culture at large. In their study of commonplacing, John Bodenham’s Bel-vedere, and Q1 Hamlet, Zachary Lesser and Peter Stallybrass conclude that “a broad range of readers, professional dramatists, and London stationers used commonplace markers as a way to elevate their playbooks and to indicate their suitability as serious reading matter”.31 From the practice of commonplacing play texts, they argue that Q1 Hamlet is a “literary publication.” But perhaps the practice of commonplacing, in addition to proving the suitability of plays as “serious reading matter,” may mark particular lines as worthy of committing to memory. The practice of commonplacing played an important role not only in the production of the popular drama as “literature,” but also as a source of sententitae to be memorized. It is significant that Bodenham’s Belvedère or The Garden of the Muses is reprinted, as its title page notes, “from the original edition of 1600” in 1875, in the heyday of what might be termed the memorization movement. Shakespeare remains “after Shakespeare” because his memorized remains produced vital connections with individuals, with communities, and with discourses, beliefs and behaviors the remains of which persist even today.

NOTES

1. Peter Stallybrass, Roger Chartier, J. Franklin Mowery, and Heather Wolfe, “Hamlet's Tables and the Technologies of Memory,” Shakespeare Quarterly 55: 379-419, 2004, p. 379. 2. Idem, p. 419. The reference to old Hamlet in his nightgown is to the stage direction found only in Q1 Hamlet. 3. Mary Carruthers, The Book of Memory. A study of memory in medieval culture, Cambridge, Cambridge University Press, 2008, p. 7. 4. Idem, p. 11. 5. Kent Cartwright, Theatre and Humanism: English Drama in the Sixteenth Century, Cambridge, Cambridge University Press, 1999, p. 13-14. 6. W. H. McCabe, S. J., An Introduction to the Jesuit Theater, ed. Louis J. Oldani, S. J. St. Louis, The Institute of Jesuit Sources, 1983, p. xi. 7. Alan Nelson, Early Cambridge Theatres: University and Town Stages 1464-1720, Cambridge, Cambridge University Press, 1994. 8. From the preface to Buchanan’s translation of Alcestis (1557), in George Hoffmann, Montaigne’s Career. Oxford, Clarendon Press, 1998, p. 59 9. Jean-Christophe Mayer, “The Saint-Omer First Folio: Perspectives on a New Shakespearean Discovery,” Cahiers Elisabéthains: A Journal of English Renaissance Studies, 87: 7-20, 2015, p. 11-18. 10. For the US, see Rubin who notes that memorizing Shakespeare was a “standard feature of the high school curriculum.” (Joan Shelley Rubin, “Listen my Children: Modes and Functions of

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Poetry Reading in American Schools 1880-1950,” Moral Problems in American Life. New Perspectives on Cultural History, eds. Karen Haltunen and Lewis Perry. Ithaca, Cornell University Press, 1998, p. 261-281, p. 264). See also her more recent Songs of Ourselves. The Uses of Poetry in America, Cambridge, Harvard University Press, 2007. On Shakespeare in America, see Lawrence W. Levine, Highbrow/Lowbrow. The Emergence of Cultural Hierarchy in America. Cambridge, Harvard University Press, 1988. For Britain see Richard D. Altick, The English Common Reader: A Social History of the Mass Reading Public, 1800-1900, Chicago, Chicago University Press, 1957. 11. Dodsley, The Preceptor, London, 1748, D2r. 12. Frances A Yates, The Art of Memory, Chicago, University of Chicago Press, 1966, p. 124. But as William St. Clair has shown, the coming of print seems to have generated more texts rather than more copies (William. St. Clair, The Reading Nation in the Romantic Period, Cambridge, Cambridge University Press, 2004, p. 22). 13. Mary Carruthers, op. cit., p. 129. 14. Lisa Jardine and Anthony Grafton, From Humanism to the Humanities: The Institutionalizing of the Liberal Arts in Fifteenth and Sixteenth-Century Europe, Cambridge, Harvard University Press, 1987, p. 27. 15. Mary Carruthers, op. cit., p. 134. 16. John Locke, Some Thoughts Concerning Education, ed. John William Adamson, Mineloa, New York, Dover Philosophical Classics, p. 142. 17. Idem, p. 143. 18. Ibid. 19. Ibid. 20. Idem, p. 145. 21. Ian Michael, The Teaching of English: From the Sixteenth Century to 1870, Cambridge, Cambridge University Press, 1987, p. 259. 22. Quoted in Andrew Murphy, Shakespeare in Print. A History and Chronology of Shakespeare Publishing, Cambridge, Cambridge University Press, 2003, p. 13. 23. Harry M. Solomon, The Rise of Robert Dodsley: Creating the New Age of Print, Carbondale, Southern Illinois University Press, 1996, p. 127. 24. Edwin Eliott Willoughby, “A Deadly Edition of Shakespeare,” Shakespeare Quarterly 5: p. 351-57, 1954, p. 351. 25. J. M. Goldstrom, The Social Content of Education 1808-1870, A Study of the Working Class School Reader in England and Ireland, Totowa, NJ, Rowman and Littlefield, 1972, rpt. 1978, p. 52. 26. In addition to Catherine Robson's Heart Beats (Princeton, Princeton University Press, 2011), see also Joan Shelley Rubin, “Listen my Children” (Rubin, Joan Shelley, “Listen my Children: Modes and Functions of Poetry Reading in American Schools 1880-1950” in Moral Problems in American Life. New Perspectives on Cultural History, eds. Karen Haltunen and Lewis Perry, Ithaca, Cornell University Press, 1998, p. 261-281). 27. W. E. Palmer, “Memories of Long Ago,” unpublished autobiography, quoted in John Burnett, Destiny Obscure: Autobiographies of Childhood, Education and Family from the 1820s to the 1920s. London, Allen Lane, 1982, p. 159. 28. Catherine Robson, op. cit., p. xx. 29. Alexis de Tocqueville, Democracy in America, New York, Library of America, 2004, p. 538. 30. John A Nietz, The Evolution of American Secondary School Textbooks, Rutland, VT, Charles E. Tuttle, 1966, p. 29. 31. Zachary Lesser and Peter Stallybrass, “The First Literary Hamlet and the Commonplacing of Professional Plays,” Shakespeare Quarterly 59: 371- 420, p. 410.

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ABSTRACTS

Memorizing Shakespeare in the schools has a long and venerable history. Shakespeare himself lived in a memorizing culture in which huge chunks of literature were learned by heart, and that culture survived well into the twentieth century. Memory also plays an important role in the Shakespearean canon. The passages from Shakespeare chosen for memorization teach us a great deal about the reading and interpretation of Shakespeare in different eras, at different cultural moments and in different places. In the late nineteenth and early twentieth century, for example, the most memorized speech from Shakespeare in British elementary schools was the eye-burning passage from King John. This paper will address a part of the long history of memorizing Shakespeare with special focus on the Anglo-American context.

La pratique scolaire consistant à mémoriser des passages de Shakespeare est ancienne et vénérable. Shakespeare lui-même évoluait dans une culture de la mémorisation, où l'on apprenait par cœur de larges pans de la littérature, culture qui a perduré jusque tard dans le vingtième siècle. La mémoire joue également un rôle important dans le canon shakespearien. Les passages de Shakespeare choisis pour être mémorisés nous en apprennent beaucoup sur la lecture et l'interprétation de Shakespeare à travers les âges, à des moments culturels distincts et en différents lieux. Dans les dernières années du XIXe siècle et à l'aube du XXe siècle, par exemple, le passage de Shakespeare le plus souvent choisi pour être mémorisé dans les écoles élémentaires était un extrait de King John. Le présent article envisage une partie de cette longue histoire de la mémorisation de Shakespeare en se penchant plus particulièrement sur le contexte anglo-américain.

INDEX

Mots-clés: Anthologies, Mémorisation, École, Shakespeare, Lieux communs, Manuels, Mémoire, sententiae Keywords: Memorization, Anthologies, commonplacing, Shakespeare, Memory, School, sententiae, Textbooks

AUTHOR

KAREN NEWMAN Department of Comparative Literature, Brown University

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Shakespeare Transformed: Copyright, Copyleft, and Shakespeare After Shakespeare

Sujata Iyengar

Introduction

1 Much critical ink has been spilled in defining and establishing the terms of discussion: appropriation, adaptation, tradaptation, off-shoot, recontextualization, riff, remix, and so on have been used interchangeably or under erasure.1 This paper both examines the utility of such nice distinctions, and critiques existing taxonomies. It takes as its starting point the premise that scholars must carefully articulate our reasons for deploying particular terms, so that Shakespearean thinkers, readers, writers, and performers can develop a shared, even if contested, discourse. Ultimately, however, it suggests a new rubric or heading under which to consider Shakespearean appropriations: as transformations.

2 I suggest that Shakespearean appropriations potentially metamorphose or mutate culture, literary form, creativity, pedagogy, and, most provocatively, the market economy, in part because Shakespearean texts antedate current US copyright law and thus any use we make of them is already “transformative” (this is a version of the phenomenon that Julie Sanders has classified slightly differently by imagining Shakespeare as an “open-source” creative repository).2 In particular, Shakespearean appropriations, I will argue, transform creative production and intervene in contemporary commodity culture or the hypermediatized, monetized creative self. Transformative Shakespeares recreate Shakespearean and literary ontologies (What is Shakespeare? What is the literary?), genres and media (Where do we find Shakespeare? What elements do we consider Shakespeare?), motives and audiences (For whom and to whom is this Shakespeare?) and markets (Who is capitalizing from or on Shakespeare, and in what ways?). If we take even a single play such as A Midsummer Night’s Dream we can find ventures that appropriate or transform it formally (the gay teen comedy-

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musical film Were the World Mine or the market-driven “Graphic Novel” Shakespeares and the strange hybrid Manga Shakespeare); theoretically (present-day editions and the gender politics of editorial apparatus and line distributions); pedagogically (the use that teachers make of the play in my local public and independent schools in the Southeastern US); and creatively (the art and writing generated by so-called amateurs in “Web 2.0” fora such as YouTube, Flickr, DeviantArt, GoodReads, WordPress, and other media).3 All such examples return obsessively, I will suggest, to questions of originality and ownership, transforming Shakespeare in the process into the fungible fluid of currency.

Terms of Art and Terms of Law: Adaptation, Appropriation, Participation, Transformation

3 Many scholars have suggested that we can read Shakespearean appropriations as indices to late capitalist cultural production.4 Many have also noted that there exists no single “original” or “authentic” Shakespeare, but rather what Denise Albanese dubs, adapting Foucault’s “What is an Author?”, a “Shakespeare-function.”5 Shakespeare means within a rich context in which instantiations and appropriations from different historical eras engage in a “dialogic” conversation that generates relevance and import by working as a hermeneutic or interpretive system.6 Interactive and social media networks have not only expanded access to Shakespearean works and enabled creative or cultural production but have also extended the reach of advertising and marketing into our personal lives and rendered creative or transformative professions of all kinds (teaching, music, writing, the fine and applied arts, theatre) increasingly precarious. So-called participatory cultures remake Shakespeare in venues such as YouTube (video) or WordPress (fanfic).7 Current work in labor studies suggests that we are now all Shakespeare “prosumers” who make and re-make Shakespeare in different commodity and cultural contexts.8

4 I would further like briefly to contextualize Shakespearean appropriation in light of the history of media and copyright law, in particular the doctrine of “fair use” in the United States. Copyright itself in the US derives, as is well known, from English law, notably the so-called Statute of Anne (officially the “Act for the Encouragement of Learning, by Vesting the Copies of Printed Books in the Authors or Purchasers of such Copies, during the Times therein mentioned,” 8 Ann.c.21) in 1710, which limited the length of time under which publishers or stationers could print particular works but which also enabled the entrepreneurial printer Jacob Tonson “to publish new editions, with new editors” so that he could through each editor theoretically extend his copyright in Shakespeare.9 At the same time, those same editors “inaugurated a scholarly examination of the text […] and began the identification of an editorial role”; it is to Tonson's business acumen, which enabled him to pass on the profitable tradition of Shakespeare editing to his descendants, that we owe the industry of Shakespearean scholarship and the entire tradition of textual editing, as the literary critic James Marino and the intellectual property lawyer Jeffrey Gaba independently observe.10

5 Gaba, however, notes that the notoriously litigious Tonsons “never went to court to protect their claimed copyright [in Shakespeare],” instead preferring to drive competitors out of business by “flood[ing] the market” with cheap and small Shakespeare editions, as they did to counter Robert Walker’s innovative “penny parts”

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(“[a] single sheet, costing a penny, was published in a journal, and purchasers of the three or four of the sheets that constituted a play could bind them together for a copy of the play for a total cost of about four pennies”).11 If, as suggested by Gaba, “claims of copyright had the effect more of limiting, rather than promoting, the dissemination of Shakespeare to the public,” then it is easier to understand why Walker’s competition resulted in “copies of the Shakespeare plays bec[oming] accessible to a far larger public.”12 Don-John Dugas has likewise argued that “[T]he availability of the Tonson single editions created a new kind of interest in and desire for straight Shakespeare plays,” notably all of the plays, not just those that were most popular in performance.13 Courts later in the eighteenth century upheld the statute of Anne against suits brought by booksellers, finding in Donaldson v. Becket (1774) against a perpetual copyright and asserting that after a copyright term expired, a work would fall into the public domain. Shakespeare thus entered the public domain, where he has remained and flourished ever since.

6 Thus the terms we use to discuss transformations of Shakespeare, “adaptation” and “appropriation,” mean something very different in law and in literature. Broadly speaking, legally in both writing and in the visual arts, an “adaptation” has been understood as subsidiary to an original copyrighted work, an “appropriation” to be the theft of an original copyrighted work, both adaptations and appropriations to be “derivative works” if taken from an original copyrighted source, and if you produce either one, somebody – the creator of the original, the copyright holder, the distributor, the performer, or all or some portion of these entities – might ask you for some money.14 Where an “adaptation” was understood to modify an original work to make it fit a new or altered situation, however, an “appropriation” was understood to re-present the original work with few or no changes; its new meaning was thought to accrue from its recontextualization in a different time, space, or social environment.

7 In 1990, a highly influential Harvard Law Review commentary by Judge Pierre Leval clarified the US concept of “fair use” and singled out the “transformative principle” in copyright law.15 Transformative use, he wrote, “must be productive and must employ the quoted matter in a different manner or for a different purpose from the original”.16 Returning to decisions from the eighteenth and nineteenth centuries, Judge Leval added: Quoting is not necessarily stealing […] The first fair use factor calls for a careful evaluation whether the particular quotation is of the transformative type that advances knowledge and the progress of the arts or whether it merely repackages, free riding on another’s creations […] Factor One [the transformative principle] is the soul of fair use.17

8 Where Lawrence Lessig had worried in 2006 that fair use provided too fragile a pillar to support the edifice of intellectual freedom and what he called free culture, the strength of fair use doctrine has been buttressed by some recent rulings, in the suit of the Authors’ Guild v. Google, Inc. (2005-13) and the US Supreme Court’s refusal, in April 2016, to reconsider a lower court ruling in favor of Google.18 In the Google Books settlement of 2013, the Supreme Court laid out some of the effects they thought texts ought to have in order to be transformative. The court ruled that one of the most important aspects of whether or not a new work that quotes or is based upon a prior copyrighted work adheres to fair use is whether this new work uses the old in a manner that is “transformative,” that is, whether the new work creates something fresh from the old that is qualitatively different, transfigured, metamorphosed. In the Google

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Books ruling, the transformative principle outweighs the old heuristic under which publishers and creators could carefully control the proportion of a copyrighted work that was quoted. The old rule-of-thumb claimed that if you showed less than a certain percentage of a copyrighted work AND you were not interfering with its market value, you were in compliance with fair use. The transformative argument takes an entirely different set of premises, according to Kevin Smith, formerly of Duke University and now at the University of Kansas.19 In sum, transformative works have to take you somewhere new. The old percentage standard (which was never really a standard), and the monetary argument are much weaker now, although publishers and media companies appear neither to have relinquished this control nor to have altered their own requirements for authors. Most publishers still demand permissions based on the quantity of material used, rather than whether or not the borrowing demonstrates transformative qualities (see: Routledge author guidelines, OUP, and CUP).

9 A couple of case-studies demonstrate the range and constraint of the fair use doctrine. While research, scholarship, and journalism were protected under the “fair use” doctrine of copyright law, until recently an artist’s strongest protection if she adapted a copyrighted work was the so-called “parody” exemption. For example, when Alice Randall published her adaptation of Margaret Mitchell’s classic Gone With the Wind, re- written from the point of view of the slaves at Tara, The Wind Done Gone, the Margaret Mitchell estate sued her, won the initial case, then lost the case on appeal because the court found the book to be parody. “Parody” might seem to a lay-reader to offer an inappropriately facetious term for a serious book, whose strictures, implied and outright, against the disingenuous rosiness of Mitchell’s fictional world were precisely what the Mitchell estate found objectionable. Legally, however, the parody exemption provided the best strategy to protect Randall’s expression as a “transformative” use; earlier courts had found “satire,” understood as a general critique of society, to be inadmissible as fair use and “parody,” understood as a specific commentary on an original text, to comprise fair use. The Randall settlement “redefined parody by eliminating any requirement that parody include humor,” observes Barbara Murphy, who pungently notes, however, that such a ruling “seems to be an end-run around the fact that the copyright term [on Gone With The Wind] is much longer than it needs to be.”20 One can also see how this situation played out in the visual arts in the United States with the success of Richard Prince’s appeal in 2013 in Prince v. Cariou. In 2009 the photographer Patrick Cariou sued the artist Richard Prince over the latter’s use in appropriation art of Cariou’s photographs of Rastafarians in Jamaica, originally published in Cariou’s book Yes, Rasta.21 Appropriation art recontextualizes prior artefacts in new settings or situations in order to make a political point; it considers the mass circulation of images and treats them as a public or semi-public repository for future creativity, regardless of such images’ provenance and authorship.22 Prince resized, overpainted, collaged, and otherwise dramatically altered Cariou’s black-and- white photographs for his “Canal Zone” paintings, originally displayed at the Gagosian gallery in New York in 2008; the following year Cariou filed suit against Prince for copyright infringement.23 Prince lost his case in 2011 (before the Google case), but in 2013, under appeal and the new standard, his appropriation was found to be transformative and thus protected, in all but five cases (Prince settled with Cariou in 2014 out-of-court with regard to those five). This was a huge victory for artists who mix/remix/sample/appropriate/adapt existing works, which is what artists and writers have always done to varying degrees.24

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10 At the same time, copyright and creativity continue to collide. Consider the case of the suit brought by Marvin Gaye’s family against performers Robin Thicke and Pharrell Williams for the hit recording “Blurred Lines.” This case proved fascinating to anyone interested in copyright law and creativity for many reasons, not the least of which is that the suit was won on the basis of sheet music alone in an era when, suggests Jon Caramica, “the arrangement of notes on a sheet of paper is among the least integral parts of pop music creation” and in which jurors were instructed to decide whether “Blurred Lines” imitated the “feel” and the “sound” of Gaye’s work (even though such a “groove,” observes Alex Sayf Cummings, is shared by any “funky, winsome […] late 1970s R&B”).25 Matthew D. Morrison’s canny account of the case outlines the legal and musicological issues arising from the case, criticizes the jury’s reliance on “structural” musicological elements, predicts misgivings and a certain chilling effect among artists and performers, and perhaps indirectly anticipates Judge John A. Kronstadt’s ultimate decision to reduce significantly the Gaye family’s demand for damages and instead to award them a share of future earnings from the song.26

11 One of the reasons I am suggesting that we use “transformation” for anything to do with Shakespeare is that what we do with him/it is necessarily transformative. As far as I can tell, the first person to use “transformation” in a theoretical sense to discuss versions or modifications or adaptations of Shakespeare was Ruby Cohn in Modern Shakespeare Offshoots.27 Cohn distinguishes between what she calls “emendations” (the routine changes made to a play before it is performed on stage, changes that are, she writes, properly the province of “theater history” rather than appropriation studies); “adaptations” (more radical changes to Shakespeare on stage that change the language but nonetheless maintain large plot, structural, and characterological similarities) and “transformations,” where plot and structure from Shakespeare may be jettisoned altogether and Shakespeare’s characters may appear in entirely new situations. I suggest that, punning on the transformative principle in law, we call all of Cohn’s categories transformations. Whenever we do what we do to Shakespeare, we are transforming it. We don’t have access to positivist historical truths and so we are reinventing it/him and ourselves with every iteration, appropriating it in the sense that we make it part of our own mental furniture and even our embodiment, our property.

12 And yet it is only “property” in that it can be freely stolen, appropriated, made over. It is, suggests Graham Holderness, malleable and ductile, like gold.28 Gary Bortolotti and Linda Hutcheon suggest that we should recuperate the term “adaptation” in the sense of genetic adaptation to particular environments (this takes it closer to the sense in which we use “appropriation”).29 But we cannot “adapt” Shakespeare in a genetic sense: we lack access to its unmodified DNA, and moreover Shakespeare is (if we are going to stretch this metaphor) epigenetic. Or maybe Shakespeare is more of a chimera, a half- human-hybrid that bears in its manifestation in the world (in its material and textual forms) traces of other forms that it did not “inherit” in a straightforward manner, a creature that has inherited two or more distinct and identifiable lineages or that has mutated during the process of growth or reproduction.

13 To sum up: legally, within the US, asserting either adaptation or appropriation transports one into a discussion of ownership and copyright. The freedom from copyright of classic authors such as Shakespeare, Jane Austen, and Charles Dickens has enabled the emergence of amateur and fan cultures that stimulate additional interest

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in the copyrighted derivative works as well as in the non-copyrighted texts. As Lessig, Henry Jenkins, Cory Doctorow and other writers on creativity have argued, one of the guiding principles of art is its tendency to generate MORE art: its plenitude, its copia. Jenkins has written about what he calls the “convergence culture” where fan or amateur cultural production encounters professional work, and more recently (with Sam Ford and Joshua Green) about “spreadable media,” so-called because it is grabbable, shareable, mixable, and able to be recreated.30 Shakespearean chimeras flourish because the texts are shareable or “spreadable.”

Dandelions, Marble, and Honey

14 We find an added complication with regard to European requirements for transparency in publicly funded research. Such research must often be made available to the public free of charge, or published open-access. The difference in funding structures in the US and in Europe and Canada and also the shrinking of available reputable publishing outlets as major publishers have consolidated mean that despite the promise of digital technologies and Web 2.0 for the rapid and inspiring exchange of knowledge, research in the US is often siloed behind paywalls, since most public US institutions will not pay the open-access fees necessarily required by commercial publishers. And I say necessarily required: “information doesn’t want to be free,” as Cory Doctorow’s latest non-fiction book, which is not free, is entitled, nor is publishing, print- or electronic.31 Doctorow’s punning title distinguishes between two senses of the word “free” in English that are helpfully demarcated in French. If something is libre, it is available without restriction or censorship, but not necessarily free of charge or free from cost (gratuit). Online open-access scholarly publishing presents a good example. Those of us who “tag” essays for digital publication perform the labor of the typesetter or compositor, and those who build the software platforms on which that scholarship appears are the new punch-cutters or machine-tool operators, with skills as rare and highly specialized. Moreover, as Janelle Jenstadt and Brett Hirsch succinctly write, where print editions, once published, require minimal maintenance (they can be left untended, as long as they are kept from flood and fire), The digital editorial platform must adapt to changing technological specifications, redesign its interface periodically, plan for succession if the life of the project is to be longer than academic careers, check for “link rot” and “bit rot,” and think about maintaining the functionality of digital tools that are built into the edition. Like a puppy, a digital edition is for life, not just for Christmas.32 Enabling information to be free (libre) sometimes means that that information cannot be free (gratuit).

15 How, then, to enable more recent, copyrighted creative works both to make money for their authors and to remain “spreadable” and generative, given the draconian extensions to copyright law (in some cases, re-creating the state of perpetual copyright that existed prior to the Statute of Anne) under the Copyright Term Extension Act of 1998 (also called the Sonny Bono Act)?33 Lessig developed the Creative Commons license, which allows creators to maintain some control over their work without demanding the full protection of copyright law.34 The concept of Copyleft similarly lays out rights for the creator, but insists that users must continue to allow their own remixed material to be reused at liberty; its critics call it “viral licensing,” because it propagates itself.35

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16 Shakespearean transformations model both the plenitude and the chimeric or hybrid nature of the emerging creative economy. Lessig anticipated the difficult birth of this hybrid economy, the awkward combination of a commodity economy and a gift culture. Both older models require expenditure, but the former is monetary and the latter is emotional. Where the barriers are clear there is an easy transaction. But (this is Henry Jenkins and Sam Ford): “any viable hybrid economy needs to respect the rights and interests of participants within these two rather different systems for producing and appraising the value of transactions.”36 Jenkins additionally suggests that we are encountering “a growing recognition that profiting from freely given creative labor poses ethical challenges which are, in the long run, socially damaging to both the companies and the communities involved.”37

17 Doctorow has suggested what the current complex and convoluted situation with regard to copyright and creative expressions means in a frequently quoted metaphor that contrasts mammalian reproductive strategies with those of the dandelion. A mammal, Doctorow suggests, has one or two offspring that take a long time to mature, require significant parental attention, are significant, and take up space in the world. The dandelion, contrasts Doctorow, produces 2000 seeds: literally fluffy or insignificant, they cannot tell where they will travel; they are highly mobile and transportable; most will be ignored; a few will take root; some will flourish and form plants and seeds of their own. The key, Doctorow suggests, is not to think about individual sales but about royalties on the aggregate, commissions for directing others towards content (as on an Amazon Partners page, for example). Jenkins and Ford contextualize Doctorow’s metaphor in light of the media theory of Harold Innis. Innis contrasted marble – slow, permanent, heavy, indelible, authoritative – with paper – fast, temporary, light, erasable, receptive, suggesting that while the former offered control over time and knowledge-dissemination, the latter offered control over space and knowledge-creation.38

18 Others in less academic realms have independently made these analogies among books, children, marble, in the context of our current digital media revolution. Popular journalist Joe Queenan makes this point colloquially in One for the Books, his recent homage to the approximately 6,128 books he estimates he has read during his lifetime: People who need to possess the physical copy of a book, not merely an electronic version, believe that the objects themselves are sacred. Some people may find this attitude baffling, arguing that books are merely objects that take up space. This is true, but so are Prague and your kids and the Sistine Chapel. Think it through, bozos. 39

19 What does this have to do with Shakespeare? Implicitly, printed books are to digital media as marble is to paper. Shakespearean transformations in both legacy and emerging media offer models for these new economies and hybrids in part because of Shakespeare’s “spreadability.” It is an accident of copyright law and a function of iterability (the ability of Shakespeare to be performed over and over again, remade on stage and page and its subsequent ability to generate yet more art through every additional iteration). Shakespeare can model the engagement of community producers with consumers and the places where so-called hybrid economy seems to work. The difficulty is matching producers with consumers who would be willing to pay for their content: finding what economists call the “long tail” of publishing, the half-life of books after they are first released.40 Marketers also prize “stickiness” in media, attributes and relationships that make consumers (readers, viewers, rewriters) return

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repeatedly to the source or inspiration or that viewers and readers remember and bring to mind even once the advertisement or cultural product has disappeared from their proximate screen or immediate line of vision.

20 Can we find examples of Lessig’s hybrid gift and commercial economy in Shakespeare studies, or of Doctorow’s metaphor of mammals versus dandelions? A search I made on January 8, 2016 of the top ten listing of Shakespeare’s works on the US Amazon.com site showed seven out of the ten to be paperback Folger Library editions, an excellent example of this hybrid marketing with its combination of free digital, shareable, mashable, searchable texts online and commercial products (Simon and Schuster print editions). The other three were print versions of the notorious US series No Fear Shakespeare, also available freely online with additional content and context through the SparkNotes portal. The rest of the top twenty were ninety-nine-cent electronic Kindle Shakespeares, the Riverside Shakespeare (listed as both a rental or as a used copy), and James Shapiro’s Year of Lear. So this list typifies Lessig’s prediction ten years ago: it contains one single breakout best-seller (Shapiro) and then the literally low-rent No Fear Shakespeare, and a mid-list (Folger Shakespeare editions) that survives by knowing its market and by intensive outreach and having it partly available for free. Such titles are also indicative in a sense of how writers and scholars can monetize copyleft – derivative works, supplementary works on how to read Shakespeare, lectures, performances, readings, tasters for paid content.

21 We can all think of examples of such supplementary hybrid content: the website PlayShakespeare.com, which includes open-source and open-access texts and resources about Shakespeare, run by writers and journalists who are not professional academics but who successfully run along a para-Shakespearean track.41 A more creative example of appropriation and an excellent example of both the “long tail” in publishing and of how audiences, authors, and actors can collaborate in the imaginary playing space – perhaps we can call it an imaginary globe – would be the relationship between the young New Zealand theatre group The Candle Wasters and their Shakespeare web- series. Work-in-progress by Doug Lanier discusses their adaptation of Much Ado About Nothing, “Nothing Much to Do,” which takes the form of mock vlogs, iphone video, some shot as if cinéma vérité and some as though a student project (the very funny Dogberry and Verges sequences), so I will not discuss the content here but rather I will comment about how the troupe models for us how to get content to users.

22 The vlog has become a cult hit, and commenters on Tumblr who say they didn’t know anything about Shakespeare claim that they went BACK to Shakespeare because of their interest in the vlog. This symbiotic interaction between producer and consumer appears vividly in Episode 45 of their sequel to “Nothing Much to Do,” “Lovely Little Losers” (an appropriation of Love’s Labour’s Lost). In this episode, “Whisper,” the flatmates undergo a contest known as the “whisper challenge,” in which one character plays loud music via headphones in order to deafen another, while whispering a phrase to him, after which he in turn whispers it to his partner. The characters sign to each other to try to make each other understand over the music, while the spectators laugh at their misunderstandings. The scene is presented as comic. Some commenters on YouTube objected strongly to the representation of hearing impairment as a temporary comic relief, and also to the mockery of sign language. The company apologized, and asked the crowd whether they should pull down the offending episode or leave it there

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along with the commentary. A consensus emerged to leave the episode up, with a note acknowledging the offense inadvertently given, and to leave the commentary intact.42

23 As of the time of this writing, the Candle Wasters are running a Kickstarter crowdfunding project, aimed at their established clientele, to produce a version of A Midsummer Night’s Dream that picks up on the crowd’s delight at their non-traditional cross-gender, cross-race, cross-sexual casting. Young viewers loved the bisexuality of the Don Pedro character in Nothing Much to Do and the mix of homo- and heteroerotic orientations in their web-series Lovely Little Losers. The Candle Wasters’ version of A Midsummer Night’s Dream looks from its trailer as though it too will employ cross-gender and color-conscious casting. In a sense we can see this transformation as the next phase from Gustafson’s film Were the World Mine: in that film the gayness makes the comedy, but if this version turns out as planned the comedy will have to rely upon character, as in (arguably) its original conditions of production. This “prosumer” or crowd-sourced or subscription model might include the film Still Dreaming, by Jillian and Hank Rogerson, an account of Midsummer as rehearsed and performed in a home for elderly actors, many of whom have Alzheimer’s disease. After an initial screening of the rough cut at the Shakespeare Association of America, two Kickstarter campaigns, and intensive fundraising predominantly among that pre-selected audience, the completed film was shown at SAA 2016 in New Orleans. This is both a long tail and a long development: we could perhaps fancifully modify Doctorow's model to imagine dandelion seeds and plants as potential nourishment for your herbivorous mammal cultural product.

24 Plants finally take me to A Midsummer Night’s Dream and to the transformations enacted upon the natural world through technology that seems, sometimes even to those who create it, magical. Bottom visually manifests the Shakespeare chimera. Many scholars, particularly those who have written about the persistence of the Apuleius myth of the Golden Ass, have characterized the play as a hybrid and Bottom as a figure for Shakespeare: half-human, half-ass, at the mercy of magical mischievous external forces, worshipped to insanity by some with superior powers and garlanded perforce by children, feared by mortals (non-academics) and yet nonetheless wistfully poetic even before he is translated. Shakespeare itself appropriates multiple sources: classical mythology, English fairy-lore, popular romance, even Englished Georgics or “how-to” manuals such as Thomas Moffett’s The Silkworms and Their Flies.43 Hybrid or chimera Shakespeare is human, animal, faerie, mechanical. Like Bottom, it is a grotesque yet precious mammal, nourished on vegetable matter – not dandelions, but “apricocks and dewberries […] purple grapes, green figs, and mulberries” and of course a substance that is both “spreadable” and “sticky”: honey.44

25 Holderness extends Descartes’ metaphor of applying flame to beeswax and finding that, however it is melted, loses its shape, and is molded and reformed, is still “redolent of honey and pollen” by arguing that in a much-appropriated play such as Hamlet the critic applies the flame and Hamlet is the wax: endlessly mutable and yet somehow still redolent of honey and pollen, still capable of providing surprise and freshness.45 Coincidentally, there are only five references to honey in A Midsummer Night’s Dream, all of them surrounding Bottom, either when Titania bids her fairies steal for him “honey- bags […] from the humble-bees,” or when he himself bids good Cobweb to “bring [him]the honey-bag” and to “have a care the honey-bag break not” and not be “overflown with a honey-bag” or when Titania compares herself as she embraces him

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to the honeysuckle twining about the woodbine.46 Preservative, sweetener, and antibiotic therapy, honey is one of the most ancient of foods and yet one that shows itself still to contain essential elements for a post-human world.47 So now I think that Shakespeare is not the wax: in a Web 2.0 environment, we do not need the flame to make Shakespeare sticky and spreadable. We do not need Shakespeare only to preserve our connections to the past and to sweeten the present but also to emphasize our entanglement in the messy, natural world even amid our technology. Shakespeare is no longer the wax but the honey.

NOTES

1. There is a rich literature on Shakespearean adaptation, appropriation, “tradaptation,” borrowing, reworking, and so on towards which I can only gesture in this essay. On versions of Shakespeare as appropriations, see Christy Desmet and Robert Sawyer, eds., Shakespeare and Appropriation, London and New York, Routledge, 1999; Craig Dionne and Parmita Kapadia, Native Shakespeares: Indigenous Appropriations on a Global Stage, London and New York, Ashgate, 2008; Alexa Huang and Elizabeth Rivlin, eds., Shakespeare and the Ethics of Appropriation, London and New York, Palgrave, 2014; as adaptations, see Margaret Jane Kidnie, Shakespeare and the Problem of Adaptation, London and New York, Routledge, 1999; as “tradaptations,” see Roshni Mooneeram, From Creole to Standard: Shakespeare, Language, and Literature in a Postcolonial Context, Amsterdam, Rodopi, 2014, p. 145; Jennifer Drouin, Shakespeare in Quebec: Nation, Gender, and Adaptation, Toronto, Toronto University Press, 2014, p. 22, p. 62, p. 89-110 et passim; as offshoots, see Ruby Cohn’s classic Modern Shakespearean Offshoots, Princeton, New Jersey, Princeton University Press, 1976, reprinted Princeton, New Jersey, Princeton Legacy Library, 2015; as recontextualizations, see Daniel Fischlin and Mark Fortier, eds., Adaptations of Shakespeare, London and New York, Routledge, 2000, 2nd ed. 2014, p. 3, p. 5, p. 7; Douglas Lanier, “Recent Shakespeare Adaptation and the Mutations of Cultural Capital”, Shakespeare Studies 38 (2010), ed. Susan Zimmerman and Garrett Sullivan, Madison and Teaneck, Fairleigh Dickinson University Press, p. 107; as riffs, see Charles Marowitz, The Marowitz Shakespeare: Adaptations and Collages of Hamlet, Macbeth, The Taming of the Shrew, Measure for Measure, and The Merchant of Venice, New York, Drama Book Specialists, 1978 p. 9; Peter Erickson, Citing Shakespeare: The Reinterpretation of Race in Contemporary Literature and Art, New York and Houndmills, Basingstoke, Hampshire, Palgrave Macmillan, 2007; as remix, see Fran Teague, “Using Shakespeare with Memes, Remixes, and Fanfic”, Shakespeare Survey 64 (2011), 74-82. Work in progress further characterizes Shakespeare through the “uses” to which amateur cultures and fan cultures put it (Louise Geddes and Valerie Fazel, eds., The Shakespeare User: Critical and Creative Appropriations in a Networked Culture, Palgrave Macmillan, forthcoming, 2017). 2. Julie Sanders, “The Sonnets as an Open-source Initiative”, Shakespeare Survey 64 (2011), 121-32. 3. References to the works of Shakespeare come from Shakespeare’s Plays, Folger Digital Texts, edited by Barbara Mowat, Paul Werstine, Michael Poston, and Rebecca Niles, Folger Shakespeare Library, http://www.folgerdigitaltexts.org/?chapter=0&?target=about, last accessed May 17 2016. See also Were the World Mine, dir. Tom Gustafson, 2008; Richard Appignanesi and Kate Brown, Manga Shakespeare: A Midsummer Night’s Dream, London, Self-Made Hero, 2008.

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4. See, for example, John Drakakis, “Ideology and Institution: Shakespeare and the Roadsweepers”, in Graham Holderness, ed., The Shakespeare Myth, Manchester, UK, Manchester University Press, 1988, 24-41, p. 34; Michael Bristol, Big-Time Shakespeare (Is Shakespeare Great? Or is it all just Hype?), New York and London, Routledge, 1996, p. 93, p. 113-114 et passim; Richard Finkelstein, “Disney Cites Shakespeare: The Limits of Appropriation”, in Shakespeare and Appropriation, op. cit., 179-196, p. 193; and the essays in the collection Shakespeare’s Cultural Capital: His Economic Impact from the Sixteenth to the Twenty-first Century, eds. Dominic Shellard and Siobhan Keenan, London, Palgrave Macmillan, 2016. 5. Stephen Orgel, “The Authentic Shakespeare”, in The Authentic Shakespeare and Other Problems of the Early Modern Stage, London and Abingdon, Routledge, 2002, 231-56; Michel Foucault, “What is an Author?” in Language, Counter-memory, Practice: Selected Essays and Interviews, ed. Donald F. Bouchard, trans. Donald F. Bouchard and Sherry Simon, Ithaca, New York, Cornell University Press, 1977, 113-138; Denise Albanese, Extramural Shakespeare, New York, Palgrave Macmillan, 2010, pp. 5-6, 116-17, et passim. 6. Christy Desmet, “Introduction”, Shakespeare and Appropriation, op. cit., p. 8; Terence Hawkes, Meaning By Shakespeare, London, Routledge, 1992. 7. Fran Teague, “Using Shakespeare with Memes, Remixes, and Fanfic”, op. cit.; Stephen O’Neill, Shakespeare and YouTube: New Media Forms of the Bard, London, Arden/Bloomsbury, 2014; Peter Holland, “Spinach and Tobacco: Making Shakespearian Unoriginals”, Shakespeare Survey 68 (2015), 197-209. 8. Christian Fuchs, “Dallas Smythe and Digital Labor”, in The Routledge Companion to Labor and Media, ed. Richard Maxwell, New York and London, 2016, 51-62, p. 57. 9. On the history of Shakespeare and copyright, see James Marino, Owning Shakespeare, Owning William Shakespeare: The King’s Men and their intellectual property, Philadelphia, University of Pennsylvania Press, 2011, p. 1; Jeffrey M. Gaba, “Copyrighting Shakespeare: Jacob Tonson, Eighteenth Century English Copyright, And The Birth Of Shakespeare Scholarship”, Journal of Intellectual Property Law 19.1 (2011), 21-63, p. 31. Marino argues that even in the absence of what we now understand as copyright in intellectual property, the King’s Men modified Shakespeare’s plays for theatrical production idiosyncratically as a way of asserting their transformative authority and ownership of the plays they performed. 10. Gaba, op. cit, p. 44. 11. Ibid., p. 62, p. 44, p. 43. 12. Ibid., p. 44, p. 63. On Walker’s penny parts, see also Robert B. Hamm Jr., “Walker v. Tonson in the Court of Public Opinion”, Huntington Library Quarterly 75.1 (2012), 95-112. 13. Don-John Dugas, Marketing the Bard: Shakespeare in Performance and Print, 1660-1740, Columbia, University of Missouri Press, 2006, p. 232. 14. I write here as a lay-person and a private individual and do not speak for my institution, the French Shakespeare Society, or any organization. Those with personal, financial, and institutional interests in copyright should consult a qualified expert in intellectual property law. I take my definitions from Cornell University Law School’s invaluable Legal Information Institute; the definition of “derivative work” appears at https://www.law.cornell.edu/uscode/text/17/101, accessed May 17 2016. 15. Pierre N. Leval, Harvard Law Review 103 (1990), 1104-1136. 16. Ibid., p. 1111. 17. Ibid., p. 1116. 18. Lawrence Lessig, Free Culture: How Big Media Uses Technology and the Law to Lock Down Culture and Control Creativity, New York, Penguin, 2004, http://www.free-culture.cc/freeculture.pdf, accessed May 21 2016; United States Court of Appeals for the Second Circuit, “Authors Guild v. Google, Inc.”, Argued Dec. 3 2014, Decided Oct. 16, 2015, http://www.ca2.uscourts.gov/decisions/

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isysquery/b3f81bc4-3798-476e-81c0-23db25f3b301/1/doc/13-4829_opn.pdf, accessed May 21, 2016. 19. Kevin Smith, “A Wide-Angle Lens on Fair Use”, Scholarly Communications@Duke, Nov. 17, 2013, http://blogs.library.duke.edu/scholcomm/2013/11/17/a-wide-angle-lens-on-fair-use/, accessed May 21, 2016; “Google Books, Fair Use, and the Public Good”, Scholarly Communications@Duke, October 18, 2015, http://blogs.library.duke.edu/scholcomm/2015/10/18/google-books-fair-use- and-the-public-good/, accessed May 21, 2016. 20. Barbara S. Murphy, “The Wind Done Gone: Parody or Piracy? A Comment on Suntrust Bank v. Houghton Mifflin Company”, Georgia State University Law Review 19.2 (2002), Article 7, p. 594, p. 598, http://readingroom.law.gsu.edu/gsulr/vol19/iss2/7, accessed May 18 2016; see also Richard Schur, “The Wind Done Gone Controversy: American Studies, Copyright Law, and the Imaginary Domain”, American Studies 44.1-2 (2003), 5-33. 21. Patrick Cariou, Yes, Rasta, New York, Powerhouse Books, 2000. 22. Robert Nelson and Richard Schiff, Critical Terms for Art History, 2nd edition, Chicago, Chicago University Press, 2010, p. 165; Kathleen K. Desmond, Ideas about Art, Oxford and West Sussex, Wiley-Blackwell, p. 151; Tom Williams, “Appropriation Art”, Grove Art Online, Oxford Art Online, Oxford University Press, 2010. 23. Filmmaker and artist Greg Allen has written extensively about the case in “Richard Prince’s Canal Zone Paintings: Now With 83% Less Infringiness!”, “greg.org: the making of”, http:// greg.org/archive/2013/04/25/ richard_princes_canal_zone_paintings_now_with_83_less_infringiness.html, accessed August 25, 2016, and archived Prince’s “Canal Zone” images at http://greg.org/archive/ canal_zone_collage_rprince.jpg, accessed August 25, 2016. 24. Jonathan Francis, “On Appropriation: Cariou v. Prince and Measuring Contextual Transformation in Fair Use”, Berkeley Technology Law Journal 29 (2014), Article 10, available at http://scholarship.law.berkeley.edu/btlj/vol29/iss4/10, accessed May 21, 2016. 25. Jon Caramanica, “What’s Wrong With the ‘Blurred Lines’ Copyright Ruling”, New York Times, 11 March 2015, http://www.nytimes.com/2015/03/12/arts/music/whats-wrong-with-the- blurred-lines-copyright-ruling.html?_r=0, accessed 17 May 2016; Alex Sayf Cummings, “The ‘Blurred Lines’ of music and copyright: Part one”, OUP Blog, 28 April 2015, http://blog.oup.com/ 2015/04/blurred-lines-copyright-part-one/#sthash.Gi1PA9Xq.dpuf, accessed May 17 2016. 26. Matthew D. Morrison, “Gaye vs. Thicke: How blurred are the lines of copyright infringement?”, OUP Blog, 26 March 2015, http://blog.oup.com/2015/03/blurred-lines-copyright- infringement/#sthash.CG3bws7g.dpuf, accessed May 17 2016; Guardian Music and Associated Press, “Pharrell Williams wins back $2m in Blurred Lines case”, The Guardian, July 15 2015, http:// www.theguardian.com/music/2015/jul/15/pharrell-williams-wins-back-2m-in-blurred-lines- case, accessed May 17 2016. 27. Cohn, op. cit. 28. Graham Holderness, Tales from Shakespeare: Creative Collisions, Cambridge, Cambridge University Press, 2014, p. 4. 29. Gary R. Bortolotti and Linda Hutcheon, “On the Origin of Adaptations: Rethinking Fidelity Discourse and ‘Success’—Biologically”, New Literary History 38.3 (2007), 443-458. 30. Henry Jenkins, Convergence Culture: Where Old and New Media Collide, New York, New York University Press, 2008; Henry Jenkins, Sam Ford, and Joshua Green, Spreadable Media: Creating Value and Meaning in a Networked Culture, New York, New York University Press, 2015. 31. Cory Doctorow, Information Doesn’t Want to Be Free, New York, McSweeney’s, 2014. 32. Brett D. Hirsch and Janelle Jenstad, “Beyond the Text: Digital Editions and Performance”, Shakespeare Bulletin 34.1 (2016), 106-27, p. 107.

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33. Cory Doctorow, “We’ll Probably Never Free Mickey, But That’s Beside the Point”, Electronic Frontier Foundation, Jan. 19, 2016, https://www.eff.org/deeplinks/2016/01/well-probably-never- free-mickey-thats-beside-point, accessed May 21, 2016. 34. Creative Commons, https://creativecommons.org/, accessed May 21, 2016. 35. Copyleft.org, https://copyleft.org/, accessed May 21, 2016. 36. Jenkins, Ford, and Green, op. cit., p. 67. 37. Ibid., p. 68. 38. Harold Innis, The Bias of Communication, 1951, Toronto, University of Toronto Press, 1999, discussed in Jenkins, Ford, and Green, op.cit., p.37. 39. Joe Queenan, One for the Books, New York and London, Penguin, 2012, p. 239. 40. Chris Anderson, The Long Tail: Why the Future of Business is Selling Less of More, New York, Hyperion, 2006. 41. PlayShakespeare.com, 2005-2016, https://www.playshakespeare.com/, accessed May 21 2016. 42. The Candle Wasters, “Whisper”, Lovely Little Losers, Episode 45, https://www.youtube.com/ watch?v=IUxpttxjyzs, accessed January 15 2016. 43. On Shakespeare’s sources for Midsummer Night's Dream, see Geoffrey Bullough, Narrative and Dramatic Sources of Shakespeare, Volume 6, New York, Columbia University Press, 1957, p. 367-424. Whether or not Shakespeare used Moffett remains the subject of debate: see Katherine Duncan- Jones, “Pyramus and Thisbe: Shakespeare's Debt to Moffett Cancelled”, Review of English Studies 32 (1981), 296-301; Roger Prior, “‘Runnawayes eyes’: A Genuine Crux”, Shakespeare Quarterly 40 (1989), 191-195. 44. William Shakespeare, A Midsummer Night’s Dream, 3.1.172, ed. Barbara Mowat, Paul Werstine, Michael Poston and Rebecca Niles, http://www.folgerdigitaltexts.org/html/MND.html, accessed May 21 2016. 45. Holderness, Creative Collisions, op. cit., p. 8. 46. Shakespeare, A Midsummer Night’s Dream, op. cit., 3.1.174; 4.1.12, 15, 16, 41. 47. Katrina Brudzynski , Calvin Sjaarda, “Antibacterial Compounds of Canadian Honeys Target Bacterial Cell Wall Inducing Phenotype Changes, Growth Inhibition and Cell Lysis That Resemble Action of β-Lactam Antibiotics”, PLOS One, September 5, 2014, http://dx.doi.org/10.1371/ journal.pone.0106967, quoted in Andrea Ford, “Is Honey the New Antibiotic?”, Scope, Stanford Medicine, January 18 2015, http://scopeblog.stanford.edu/2015/01/28/is-honey-the-new- antibiotic/, both accessed November 14 2016.

ABSTRACTS

Much critical ink has been spilled in defining and establishing terms for how we discuss versions of Shakespeare: appropriation, adaptation, off-shoot, recontextualization, riff, reworking, and so on have been used interchangeably or under erasure. This paper both examines the utility of such nice distinctions, and critiques existing taxonomies. It takes as its starting point the premise that scholars must carefully articulate our reasons for deploying particular terms, so that Shakespearean thinkers, readers, writers, and performers can develop a shared, even if contested, discourse. Ultimately, however, it suggests a new rubric or heading under which to consider Shakespearean appropriations: as transformations. In a US context, to evoke either “adaptation” or “appropriation” is to evoke copyright law. I suggest that Shakespearean

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appropriations potentially metamorphose or mutate culture, literary form, creativity, pedagogy, and, most provocatively, the market economy, in part because Shakespearean texts antedate current US copyright law and thus any use we make of them is already “transformative.” In particular, Shakespearean appropriations transform creative production and intervene in contemporary commodity culture or the hypermediatized, monetized creative self. Shakespearean transformations in both legacy and emerging media also offer models for the new hybrid creative economies predicted ten years ago by Lawrence Lessig in part because of Shakespeare’s “spreadability” (Henry Jenkins, Sam Ford, and Joshua Green’s term for content that can be remixed, shared, grabbed and so on) and its “stickiness” (a marketing term popularized by Grant Leboff, Sticky Marketing: Why Everything in Marketing Has Changed and What to Do About It, London, Kogan Page, 2011, that connotes the power to draw repeat users who forge a lasting connection with the source material).

Comment définir les différentes versions des œuvres de Shakespeare ? Le vocabulaire est foisonnant : on utilise, de façon presque interchangeable ou sous rature, les termes d’appropriation, d’adaptation, de produit dérivé, de recontextualisation, de variation, de réélaboration, etc. Cet article évalue l’utilité de telles distinctions et passe en revue les taxonomies existantes en prenant comme point de départ la nécessité pour les chercheurs de justifier l’emploi de tel ou tel terme, et ce pour permettre aux penseurs, aux lecteurs, aux écrivains et aux artistes qui s’intéressent à Shakespeare de disposer d’un discours commun, même si celui-ci fait l’objet d’un débat. L’ajout d’une nouvelle catégorie semble souhaitable : celle des transformations. En effet, dans le contexte américain, les notions d’adaptation et d’appropriation appartiennent à la législation sur la propriété intellectuelle ; or, si les appropriations shakespeariennes peuvent transformer la culture, les formes littéraires, la créativité, la pédagogie, et même poser un défi à l’économie de marché, c’est en partie parce que les textes de Shakespeare ont été écrits avant les lois sur le copyright en vigueur de nos jours aux États-Unis. L’usage que nous pouvons faire de ces textes est donc déjà une « transformation ». Les appropriations shakespeariennes transforment la production créative et jouent un rôle dans la culture standardisée contemporaine ou dans l’expression d’une identité hypermédiatisée et monétisée. Les transformations de Shakespeare, à la fois dans les médias traditionnels et dans les nouveaux médias, fournissent un modèle pour les nouvelles économies créatives hybrides annoncées il y a dix ans par Lawrence Lessig, en partie à cause de sa « diffusabilité » (mot employé par Henry Jenkins, Sam Ford et Joshua Green pour parler d’un contenu qui peut être remixé, partagé, saisi, etc.) et de son « adhésivité » (stickiness, terme popularisé par Grant Leboff, Sticky Marketing: Why Everything in Marketing Has Changed and What to Do About It, Londres, Kogan Page, 2011, qui renvoie au pouvoir d’attirer des usagers fréquents qui vont développer un lien durable au document original).

INDEX

Mots-clés: adaptation, adhésivité, appropriation, contenu généré par les usagers, Candle Wasters (The), créativité, diffusabilité, fair use, interactivité, intermedia, principe de transformation, prosommateur, Songe d’une nuit d’été (Le), vlog, Web 2.0 Keywords: adaptation, appropriation, Candle Wasters (The), creativity, fair use, interactivity, intermedia, Midsummer Night’s Dream (A), prosumers, spreadability, stickiness, transformative principle, user-generated content, vlog, Web 2.0

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AUTHOR

SUJATA IYENGAR University of Georgia

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Shakespeare illustré Shakespeare illustrated

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« Painting is welcome » : les artistes français du XIXe siècle face à Shakespeare

Louis-Antoine Prat

1 « Painting is welcome », c’est l’approbation que formule Timon d’Athènes à l’acte I, scène 1 de la tragédie éponyme, lorsqu’un peintre lui offre un tableau (photo 11). On sait que les rapports entre les peintres et Shakespeare, peu fructueux de son vivant, se sont développés au fil du temps, surtout en Angleterre au XVIIIe siècle avec des artistes comme Hogarth ou Füssli, puis avec les Boydell & Woodman Galleries. En France, après les premières gravures de Louis Ducis (1813), il semble que ce soit la venue des comédiens anglais à Paris, en 1822 puis en 1827, qui ait entraîné l’intérêt des artistes de la jeune génération pour les situations nouvelles et les personnages complexes que présentait le théâtre shakespearien, du moins les quelques pièces alors appréciées en France. En fait, tout au long du XIXe siècle, les illustrateurs de ce côté-ci de la Manche ne retiendront de l’immense massif shakespearien que quelques sources d’inspiration : seulement Richard III pour les tétralogies historiques, et, pour les tragédies, Macbeth, Hamlet, Jules César, Roméo et Juliette, Le roi Lear, et Othello, une œuvre dont deux artistes à mi-chemin du néoclassicisme et du romantisme, le baron Gros et le baron Gérard, donnaient déjà des images autour de 1820 (photos 2 et 3). Parmi les comédies, seul Le Songe d’une Nuit d’été semble avoir été apprécié à l’époque. Quant aux poèmes, Le Viol de Lucrèce, Vénus et Adonis ou encore les Sonnets, ils n’ont pas trouvé de véritable résonance dans les arts plastiques. Les rapports entre ceux-ci et le théâtre shakespearien ont d’ailleurs suscité peu d’études récentes, en dehors du beau mémoire de maîtrise d’Olivier Lefeuvre soutenu en 2000 à Paris IV, mais qui concernait uniquement la période 1800-18702.

2 A l’évidence, deux noms, ceux d’Eugène Delacroix (1798-1863) et de Théodore Chassériau (1819-1856), s’imposent pour la première partie du siècle, deux artistes dont la contribution à l’illustration shakespearienne supplante de loin tous les autres, de par leur qualité intrinsèque, mais aussi parce qu’ils sont les seuls à s’être intéressés à l’une des tragédies dans sa continuité, proposant aussi bien pour Hamlet que pour Othello une

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suite de gravures publiées respectivement en 1843 et 1844. Il semble inutile de s’arrêter ici sur la suite de gravures sur pierre lithographique de Delacroix (photo 4), bien connues, tout comme d’ailleurs les nombreuses pages de son Journal consacrées à Shakespeare. Par contre, quelques dessins préparatoires méritent d’être mis en valeur, dont certains qui ne correspondent pas en fait aux estampes : ainsi, au Louvre, une représentation d’Hamlet apercevant le spectre, un lavis (photo 5) dont une récente interprétation un peu abusive3 voulait voir dans le personnage du premier plan Delacroix lui-même, alors qu’il s’agit à l’évidence d’Horatio. Un autre lavis du même fonds pourrait représenter le roi Claudius seul, méditant (photo 6), tandis qu’un troisième évoque Le Meurtre de Polonius (photo 7) avec une énergie à laquelle n’atteignent ni l’étude préparatoire à la pointe du pinceau récemment réapparue (photo 8), et qui insiste autant sur la juvénilité du prince d’Elseneur que sur la crispation du visage de la reine Gertrude, ni la gravure correspondante (photo 9). Plus simplement, Delacroix aura recours au crayon de graphite pour les études qui annoncent directement les pierres gravées. Celles du Louvre sont bien connues, davantage que la feuille de Budapest évoquant le moment où Hamlet hésite à tuer le roi (photos 10 et 11).

3 Il semble bien que Delacroix ait été aussi ému par la figure de la reine Gertrude que par celle d’Ophélie. En ce qui concerne Chassériau, le doute n’est pas permis : pour lui, le personnage principal de la tragédie qu’il a choisi d’illustrer, ce n’est ni Othello ni Iago, mais Desdémone, parente de toutes les femmes malheureuses ou en situation périlleuse qu’il a représentées au cours de sa vie trop brève, d’Esther à Sapho, de Daphné à Andromède. Publiée un an après celle de Delacroix, la suite gravée d’Othello (photo 12) fut stigmatisée par beaucoup, au reproche injustifié qu’elle tendait à imiter la précédente, une critique qui fut énoncée par des commentateurs aussi décisifs que Thoré-Burger ou Baudelaire4. Pourtant, le choix de la technique de l’eau-forte permettait à Chassériau de suivre le développement de l’intrigue avec un graphisme d’une suggestive élégance et une richesse d’évocation dans le décor qui séduisent de nos jours, mais moins sans doute, ici encore, que les dessins préparatoires, au nombre d’une soixantaine, dont certains comptent parmi les chefs d’œuvre de l’artiste : la curieuse représentation de Shakespeare visité par le génie de la Tragédie (photo 13), un projet qui ne fut finalement pas retenu pour le frontispice de la suite gravée, introduit ce superbe ensemble dont on ne citera ici que deux exemples, tous deux tracés d’une plume à l’énergie pressante, La Romance du Saule du Louvre (photo 14) dont il existe une autre version, peut-être encore plus réussie, dans la collection Hilliard à Chicago (photo 15), et Othello face à Desdémone endormie, également au Louvre (photos 16 et 17), dans lequel Chassériau hésite quant à la position du Maure, plaçant alternativement devant ou derrière le lit de son épouse, juste avant de prononcer le fatal « Et pourtant il faut qu’elle meure ! ».

4 Les deux hommes ont repris les thèmes shakespeariens dans plusieurs peintures de petit format, elles aussi bien connues, et dont beaucoup sont suscitées par les deux mêmes tragédies. Delacroix, dont on a pu dire qu’il s’était lui-même représenté dans sa jeunesse en Hamlet (photo 18) – ou, pour d’autres en Ravenswood , un personnage de Walter Scott – peindra de nombreux Hamlet au cimetière (un thème repris à deux reprises par Cézanne d’après lui (photo 19) ou Ophélie mourante, mais aussi un Othello et Desdémone, une Desdémone maudite par son père, et plusieurs représentations de Lady Macbeth, dont une au lavis récemment réapparue et longtemps prise pour Rachel dans le rôle de Phèdre, nonobstant la présence de la dame coiffée d’un hennin médiéval et du

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médecin à droite de la scène (photo 20) (à moins qu’il ne s’agisse de la scène de folie d’Ophélie …) ! Chassériau reviendra sur son sujet favori dans de délicates petites huiles, Le Coucher de Desdémone ou, plus inattendue, une Mort de Desdémone du musée de Strasbourg (photo 21), dans laquelle la jeune femme est représentée dans une totale nudité, d’un érotisme qui contraste avec l’habituelle fragilité de son personnage. C’est la « belle guerrière5 » de l’acte II, soudainement transformée en objet sexuel. Un peu plus tard, Chassériau, qui relève dans une note manuscrite son désir de « faire entrer dans la grande peinture les apparitions formidables de Shakespeare6 », évoquera des épisodes de Macbeth dans plusieurs toiles âprement colorées, La rencontre avec les sorcières, l’Apparition du spectre de Banquo ou encore Macbeth apercevant les spectres des rois (photos 22 à 24). Deux pages d’un carnet du Louvre précèdent de peu ces œuvres et étonnent par leur graphisme remarquablement synthétique (photo 25). Enfin, après des recherches pour une Mort de Cléopâtre que l’artiste détruisit en grande partie après son refus au Salon de 1845, mais qui est connue par une gravure (photo 26), et dont on ne sait trop si elle est inspirée d’Antoine et Cléopâtre ou plus simplement de Plutarque, Chassériau songera brièvement à une évocation du Roi Lear devant le cadavre de Cordélia, qui ne dépassera pas le stade du dessin (photo 27), l’un des projets annotés décrivant la jeune femme comme « tout en blanc / morte froide / naïve / douloureuse » : la description conviendrait à une autre héroïne, Juliette, que Chassériau place sur le corps de Roméo dans une esquisse à l’huile du Louvre (photo 28), tandis que Delacroix choisit d’évoquer d’autres moments de l’action, la Scène du Balcon (photos 29 et 30), Roméo et Juliette (à demi-nue !) dans le tombeau des Capulet (photo 31), récemment acquis par le musée Delacroix, ou encore un épisode bien plus rarement choisi par les peintres, Juliette crue morte après avoir absorbé le philtre de Frère Laurent, qu’il exploite dans trois brillants lavis conservés au Louvre, à la Kunsthalle de Brême et en mains privées (photos 32 à 34), un exemple évident de la constante recherche chez lui du « moment poignant ». Enfin, les deux artistes évoqueront brièvement Jules César : Chassériau très tôt et assez maladroitement, avec un dessin sur le thème des « hommes maigres » dont César déclare se méfier (photo 35), à une époque où il dessine avec la même naïveté Hamlet convainquant Polonius qu’un nuage peut prendre la forme d’un chameau (photo 36) ; Delacroix avec un lavis de Besançon montrant un Marc-Antoine juvénile et apitoyé devant le cadavre de César, au moment où son discours va retourner la foule qui s’agite follement au pied de la tribune (photo 37).

5 Pour les romantiques, Shakespeare devient autour de 1825 une source d’inspiration essentielle, remplaçant « les grecs et les romains » tellement appréciés à l’époque néoclassique, puis si décriés après l’exil de David, remplaçant aussi un Byron longtemps porté aux nues. Si l’on ne trouve pas chez Géricault, mort au début de 1824, la moindre résonnance shakespearienne, d’autres romantiques en introduiront jusque dans la sculpture, un art qui se prête bien moins que la peinture à l’illustration littéraire : ici, on ira du plus petit jusqu’à l’ambitieux, depuis la Dague d’Othello de Félicie de Fauveau (photo 38) jusqu’au spectaculaire relief de l’Ophélie de Préault (photo 39), ce sculpteur de peu de succès qui devait décorer la tombe de l’acteur Rouvière au cimetière Montmartre d’un Hamlet et le spectre (photo 40) qui étonne par la différence de traitement stylistique frappante entre les deux personnages. C’est ce même Rouvière que le jeune Edouard Manet choisira de représenter dans le rôle-titre d’Hamlet (photo 41). La tradition du portrait d’acteur français dans un rôle shakespearien vient d’ailleurs de loin, avec le Talma en Hamlet de Lagrenée, et se poursuivra jusqu’aux

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effigies de Sarah Bernhardt dans le même rôle, depuis Louise Abbema et Georges Clairin jusqu’à Cappiello.

6 Pour les sculpteurs, la liberté d’interprétation commande la forme de la représentation, teintée de sensualité pour Picault avec son relief circulaire en bronze d’Othello et Desdémone endormie (photo 42), un peu molle de facture pour le Roméo et Juliette en terre cuite de Tony-Noël (photo 43) qui n’est plus connu que par une photographie ancienne, empreinte de pathos pour Michel Pascal, l’assistant praticien de Viollet-le-Duc, avec son marbre des Enfants d’Edouard (photo 44) , une évocation de Richard III dont Paul Delaroche a donné un peu plus tôt en peinture deux versions, dont l’une, conservée au louvre, demeure bien plus célèbre que l’autre (photos 45 et 46). D’autres artistes du « juste milieu », cette tendance artistique qui se situe entre classicisme et modernité, comme Evariste Fragonard (photos 47 et 48) et Octave Tassaert, ou le très romantique Eugène Deveria (photo 49), préféreront montrer le moment où Gloucester fait séparer les enfants de leur mère. Le même Evariste Fragonard osera évoquer directement le meurtre des enfants, devant un Richard bossu rarement représenté en peinture, dans une aquarelle à la composition touffue et resserrée conservée au musée Lambinet de Versailles (photo 50).

7 « Il y a peu de gens qui connaissent Shakespeare », déclare Frédérick Lemaître au directeur des Funambules dans Les Enfants du Paradis. Disons qu’à l’époque, il y a plutôt un certain nombre d’artistes qui connaissent peu d’œuvres de Shakespeare. Rares sont ceux qui, comme Cabanel, ont lu Le Marchand de Venise et s’intéressent à la scène des trois coffrets (photo 51), ou qui, comme Félix Barrias, ont poussé leurs lectures jusqu’à Cymbeline (photo 52). De même, a-t-on tenté de rapprocher de Timon d’Athènes une pochade de Thomas Couture (photo 53), qui semble découler en fait du thème plus large de L’Amour de l’or qu’il a plusieurs fois exploité. Unique également, la gravure de Delacroix Le jeune Clifford découvrant le cadavre de son père sur le champ de bataille de Saint- Alban (photo 54), seul témoignage de sa connaissance de la tragédie d’Henri VI.

8 Rares également sont, dans les pièces les plus appréciées, les scènes qui ne sont retenues que par peu d’artistes, peut-être lecteurs plus attentifs ou assidus que d’autres. En dehors de la gravure de Chassériau et d’une aquarelle de Cabanel (photo 55), seul l’orientaliste Dehodencq choisira d’évoquer, dans une grande peinture tristement accidentée du musée de Meaux (photo 56), la scène où Othello explique que Desdémone l’« aima pour les dangers » qu’il avait courus7. De même, en dehors d’Alexandre Dumas qui, dans Le Vicomte de Bragelonne, fait emmener d’Artagnan à Londres par le général Monck pour assister à une représentation de Beaucoup de bruit pour rien, seul Hugues Merle semble connaître cette comédie, signant un Béatrice et Bénédict dont les lourds costumes renvoient aux fantaisies de Véronèse (photo 57), deux personnages dont on sait à quel point ils fascineront Hector Berlioz8. S’inspirant de La Tempête, le même Merle peindra un Ferdinand et Miranda perdu, tandis qu’Alexandre Colin, auteur d’un Meurtre de Desdémone perpétré par un Othello bien trop richement vêtu (photo 58), gravera une pittoresque rencontre entre Caliban et Stephano (photo 59).

9 En l’absence étonnante de représentations d’un autre personnage si populaire Outre- Manche, Sir John Falstaff, la seconde partie du siècle verra se succéder au Salon parisien d’innombrables images de jeunes filles couronnées de fleurs et titrées Ophélie, « pâle » et « belle comme la neige » (Rimbaud9), et qu’il n’est pas question d’énumérer ici, celle de Bastien-Lepage au musée de Nancy demeurant la plus connue (photo 60).

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Un artiste comme James Bertrand, qui aime à peindre les femmes allongées plutôt qu’étendues, s’en fera une véritable spécialité (photos 61 et 62), tandis que Madeleine Lemaire en donnera une interprétation à la limite du « trash » (photo 63). Mais c’est une Ophélie particulièrement surprenante, conservée à Boston, qui revient à Camille Corot, en fait un portrait de fillette dans un paysage affublée d’un titre trop ambitieux pour elle (photo 64) ; celui-ci peindra aussi un Macbeth et les sorcières (photo 65), un thème dont le succès ne se dément pas, notamment avec Luc-Olivier Merson, le plus important illustrateur de la fin du siècle, avec une fascinante suite de dessins conservés au musée d’Orsay, dont deux études de frontispice (photo 66). Conçu vers 1880-1890, le Macbeth de Merson ressuscite un Haut Moyen-Age marqué par l’historicisme autant que par une sorte de symbolisme fin-de-siècle. Le dessinateur y évoque une Ecosse magique, hantée par les sorcières (photos 67 et 68), et où Lady Macbeth prend parfois des allures d’apparition (photo 69), entourée de personnages qui rappellent le Jean-Paul Laurens illustrateur des Récits des Temps mérovingiens d’Augustin Thierry. C’est d’ailleurs ce même Laurens qui proposera une Lady Macbeth beaucoup plus classique, bien éloignée de la « Lady Macbeth, âme puissante au crime10 » de Baudelaire dans L’Idéal (photo 70). La même scène de folie de l’acte V sera reprise par Muller, un suiveur de Couture, à plusieurs reprises (photo 71), alors que Gustave Doré s’attachera à bien d’autres épisodes du drame, La Rencontre avec les sorcières (photo 72) qui semble comme une illustration de L’Enfer de Dante, Le Sabbat (photo 73), Le meurtre de Duncan (photo 74), ou la scène de l’apparition (photo 75), qui n’est pas sans évoquer un thème proche, le spectre de César apparaissant à Brutus avant la bataille de Philippes dans Jules César, que Doré a également illustré. On sait d’ailleurs que Doré avait l’ambition d’illustrer tout Shakespeare, déclarant sur son lit de mort : « Mon Shakespeare, mon Shakespeare, il faut que je me lève pour le terminer ! ». Il faut enfin citer un dernier avatar de Lady Macbeth, la photographie, prise en 1863 par Duchesne de Boulogne (photo 76), d’une malade recevant « une contraction électrique, au maximum, du pyramidal du nez : expression de cruauté féroce », une image sous-titrée par le photographe lui-même : « Lady Macbeth au moment d’assassiner le roi Duncan » !

10 Roméo et Juliette continuent de fasciner par leur destinée de « star-crossed lovers 11 » : Balze, un élève d’Ingres, dessinera le frère Laurent devant le cadavre de la jeune fille (photo 77), Couder évoquera la scène du tombeau dans un lavis aquarellé du musée d’Angers (photo 78), et Delort la rencontre des amants dans une Vérone bien improbable (photo 79), une scène reprise également par Eugène Lami (photo 80) qui traitera nombre d’autres épisodes, dont celui du tombeau (photo 81). Albert Maignan illustrera le même instant théâtral, mais en le traitant comme une sorte d’illumination ou de transe (photo 82). Rodin, quant à lui, fera découler vers 1900 de son célèbre Baiser un bronze intitulé Roméo et Juliette que prépare une terre cuite, deux œuvres su musée Rodin (photos 83 et 84).

11 Le Roi Lear, par contre, suscite toujours aussi peu de représentations, la pièce étant sans doute trop complexe à l’époque pour les esprits français, encore empreints de classicisme; le thème de l’errance du souverain sur la lande, si fascinant pour les peintres britanniques (George Romney ou John Runciman, pour ne citer qu’eux), n’avait été traité avant 1850 que par Louis Boulanger (photo 85). Il est peut-être repris dans une aquarelle anonyme récemment passée en vente et qui montrerait Lear à côté de Gloucester (photo 86), tandis que Charles Landelle, encore un ingresque, reviendra sur le thème du vieillard pleurant Cordelia (photo 87). Quant à Jules César, on peut

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s’interroger sur les liens réels entre le célèbre tableau de Gérôme (photo 88) et la pièce de Shakespeare, bien d’autres sources venant également à l’esprit.

12 Mais c’est Hamlet, en tant que pièce la plus jouée en France, qui continue, sous le Second Empire comme sous la Troisième République, à inspirer un plus grand nombre d’artistes ; et d’abord un futur symboliste, Gustave Moreau, qui a dessiné un Shakespeare au Globe (photo 89), ainsi qu’un Macbeth et deux Hamlet, mais surtout peint sur bois en 1850, dans sa jeunesse, un fougueux Hamlet tuant le roi (photo 90) et un Combat d’Hamlet et Laërtes dans la fosse (photo 91) qui doivent beaucoup plus à Chassériau qu’à Delacroix. Une phrase de L’Assembleur de Rêves, l’ensemble d’écrits qu’a laissés Moreau, pourrait s’appliquer à ces œuvres puissantes malgré leurs dimensions réduites : « De même, semblable à Shakespeare, je veux au milieu de cette scène toute matérielle de boucherie ramener la pensée du spectateur vers le seul rêve qui m’anime12 ». Plus classiques, Benjamin-Constant, avec l’Hamlet méditant de tuer Claudius du musée d’Orsay (1869) (photo 92), Jean-Paul Laurens avec une Mort de Polonius au décor envahissant (photo 93), Cabanel avec une Ophélie (photo 94) qui ne parvient pas à faire oublier celle du peintre anglais Millais, ou encore avec un Hamlet et sa mère au décor minimaliste (photo 95), Dagnan-Bouveret avec la Scène du fossoyeur (1883) (photo 96) où se dévoile surtout son intérêt pour la nature environnante, s’intéressent tous aux élément les plus marquants de l’intrigue, à l’exception du Prince d’Elseneur de Duvocelle, que seul son titre rapproche de l’oeuvre littéraire, daté il est vrai très tardivement de 1907 (photo 97). La même Scène du fossoyeur sera reprise, à une époque proche, par le sculpteur Bourdelle (photo 98), dans un grand dessin à la plume qui place le plus célèbre monologue de la pièce – et de toute la littérature mondiale – à un endroit où il ne figure pas. La palme de la représentation la plus amusante revient probablement à un dessinateur presque inconnu, Charles Donzel (1824-1889), qui, sur un feuillet à la plume du fonds d’Orsay, évoque ce qu’il appelle de façon quelque peu inappropriée « la dernière scène du dernier acte d’Hamlet », un croquis teinté d’humour parmi toutes ces illustrations qui en contiennent si peu (photo 99).

13 Des sourires, pourtant, quelques artistes sauront les susciter par leurs représentations du Songe ou de La Tempête. Pour la plus brillante des comédies, un artiste toulousain lui aussi bien oublié, Paul-Léon Gervais, peint en 1897 une immense Folie de Titania conservée au musée des Augustins de Toulouse (photo 100), à l’allure d’un Bois sacré de Puvis de Chavannes revu par l’esthétique des « pompiers ». Bien auparavant, Théophile Gautier, qui avait fondé dès 1836 une revue du nom d’Ariel, avait lui-même évoqué le couple de la reine des fées et du tisserand à tête d’âne en un dessin à la plume qui montre un Bottom tristement songeur (photo 101). Membre en 1864 du comité pour la célébration de la naissance de Shakespeare, Gautier louera d’ailleurs longuement dès 1855 le fameux tableau de sir Joseph Paton, La Dispute d’Obéron et de Titania, aujourd’hui à la National Gallery of Scotland à Édimbourg (photo 102). Et Doré, bien évidemment, trouvera dans ce monde féérique prétexte à plusieurs images, dont deux grandes aquarelles ovales où les personnages s’inscrivent avec aisance dans une nature accueillante et propice aux errances nocturnes (photos 103 et 104).

14 Et c’est le même Doré, dans l’incessante variété de ses imaginations, qui propose deux étranges représentations du Caliban de La Tempête : dans l’une, l’arrivée du monstre est en fait prétexte à une superbe nature morte de coquillages géants entre lesquels jouent les esprits de l’île « full of noises » (photos 105 et 106) ; la figure de Caliban est précisée dans la seconde, conservée dans le riche fonds Doré de Strasbourg (photo 107). Un

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artiste autrement visionnaire, Odilon Redon, qui prendra plusieurs fois pour motif Ophélie, portera sur le personnage ambigu qu’est le fils de la sorcière Sycorax un regard plus sympathique, notamment dans un célèbre dessin de la série des « noirs » des années 1880, conservé à Orsay et intitulé « Caliban petit monstre ou gnome » (photo 108), tout comme dans un pastel évoquant Caliban endormi (photo 109). Un peu plus tard, Rodin, dont on sait que sa bibliothèque contenait plusieurs œuvres de Shakespeare, et qu’il appréciait particulièrement Richard III (et l’on se prend à rêver des dessins noirs que la pièce aurait pu lui inspirer, à l’instar de ceux de L’Enfer de Dante), dessine à l’aquarelle un Ariel dont le bleu du ciel qui le cerne confirme la légèreté (photo 110), et va même jusqu’à titrer Yorick un dessin de crâne et Vénus et Adonis celui d’un groupe de deux femmes. Quant à Prospéro, il ne sera le sujet que d’une œuvre dans laquelle personne n’aurait eu l’idée de l’identifier si son auteur, Théodule Ribot, n’avait donné à son aquarelle le titre de La Tempête (photo 111). Technique rare chez ce suiveur tardif de Ribera, adepte du sombre, représentation dynamique, sujet inattendu, l’œuvre demeure une rareté pour un tel auteur.

15 Et Shakespeare lui-même ? On veut dire son image physique à travers le siècle. Rare en peinture – on en connaît une exécutée en 1847 par l’obscur Louis Coblitz pour Versailles, mais il ne s’agit que de la copie du portrait d’Hampton Court – elle ne sera presque illustrée que par un homme qui ne l’aimait guère, Jean-Auguste Dominique Ingres, et qui hésita longtemps avant de le placer parmi le groupe des classiques modernes de son Apothéose d’Homère de 1827, l’insérant finalement à l’extrême-gauche entre La Fontaine et le Tasse (photos 112 et 113), mais l’écartant par la suite de son grand dessin Homère déifié, qui admet pourtant bien plus de célébrités, pour cause de romantisme excessif ; une critique qu’il reprendra en dénonçant les « monstruosités » de celui dont il orthographie le nom, dans une lettre à son ami montalbanais Gilibert, « Schezpire13 ».

16 Quelques sculpteurs, par contre, à la suite du Portrait de l’église de Stratford et de la statue de Roubillac, prendront le barde pour modèle : si les deux représentations en bronze doré par l’obscur Emile-Coriolan Guillemin (1841-1907), relèvent de l’anecdote et du simple objet de décoration (photos 114 et 115), les deux versions, en bronze comme en terre cuite, du buste conçu par Albert Carrier-Belleuse vers 1870, mais fondu plus tardivement (photos 116 et 117), parviennent réellement à exprimer un caractère et une personnalité, modernisant considérablement l’image donnée par Droeshout dans le folio de 1623.

17 Enfin il faut citer Hugo, dont chacun connaît les liens avec Shakespeare, et cela dès la Préface de Cromwell dans laquelle il célèbre selon une formule bien connue l’alliance du tragique et du grotesque dans les pièces du britannique. Auteur de plus de trois mille dessins, on aurait pu imaginer que des figures échappées des tragédies shakespeariennes trouveraient place entre ses burgs angoissés et ses marines déchiquetées ; mais, ironiquement, la seule contribution graphique de Hugo ne sera inspirée ni par l’effigie de l’auteur, ni par l’ombre d’un de ses menaçants personnages, mais par une sorte de portrait en creux, l’auteur du William Shakespeare, publié en 1864, s’amusant à dessiner la maison de Stratford, et cela sans y être probablement jamais allé, mais en fait d’après une médiocre gravure (photo 118), et évoquant, dans un autre minuscule croquis les Maisons autour du Globe (photo 119).

18 Dans L’Homme qui rit, ce même Hugo décrit la pièce qu’a inventée son héros Ursus, au titre suggestif de Chaos vaincu : « C’est dans le genre d’un nommé Shakespeare, disait

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Ursus avec modestie14 ». Modestie, le terme convient peut-être à la plupart des œuvres plastiques que nous avons trop vite énumérées : beaucoup ne sont pas des chefs d’œuvre, et certaines à peine des vignettes. Sans doute l’énergie vitale que véhiculent les textes théâtraux ne se retrouve-t-elle qu’en partie dans les images que nous avons passées en revue. Mais ceci pourrait tenir au fait que les peintres, dessinateurs ou sculpteurs, obligés de sélectionner à chaque fois un moment précis, ne peuvent avoir avec l’écoulement du temps le même rapport que le dramaturge qui en contrôle le flux. Du théâtre en action, on est passé ici à une suite de « tableaux vivants » dont on sait bien que leur caractère essentiel est précisément de demeurer figés.

19 De plus, la lecture des événements comme des personnages demeure forcément anecdotique et illustrative, même si elle se charge, dans la première moitié du siècle, d’un supplément d’énergie qui correspond à l’accueil par les romantiques d’une œuvre jugée alors scandaleuse encore plus que violente, en un moment où nombre de personnages, pour parler comme Hernani, apparaissent comme une « force qui va15 ». S’il y a modestie, il y a peut-être aussi parfois naïveté, dans la mesure où la compréhension de ces personnages rendus complexes par la richesse de leurs discours comme par l’évolution de leurs actes, n’est pas encore affectée par une lecture savante, bientôt déconstructrice et post-moderne. Pour nos illustrateurs, Shakespeare demeure un homme qui raconte des histoires, qu’elles soient teintées d’acedia ou plongées dans le bruit et la fureur. Et cela suffisait sans doute à des artistes encore innocents, davantage à la recherche de sujets fascinants que d’émotions littéraires à transcrire par l’image. Au siècle suivant, ce sera au contraire à ces nouveaux imagiers que vont devenir les metteurs en scène qu’il reviendra de bouleverser de fond en comble l’illustration shakespearienne (photo 120).

NOTES

1. Les indications entre parenthèses renvoient aux illustrations qui figurent dans le document joint (format Powerpoint). Pour les légendes de ces illustrations, on se reportera à la liste également en pièce jointe. 2. Olivier Lefeuvre, Fortune et infortune de Shakespeare. Shakespeare et son illustration en France 1800-1870, Mémoire de maîtrise, Université de Paris-IV, 1999-2000. 3. Emmanuel Schwartz, « Shakespeare et la peinture : persistance de la vision mélancolique », De la rhétorique des passions à l’expression du sentiment, Actes du colloque des 14, 15 et 16 mai 2002, Cahiers du Musée de la Musique, p.28. 4. Louis-Antoine Prat, Chassériau, un autre romantisme, Paris, Grand Palais, Strasbourg, Musée des Beaux-Arts, New York, The Metropolitan Museum of Art, 2002-2003, p. 201. 5. William Shakespeare, Œuvres complètes, Tragédies II, Othello, Paris, Robert Laffont, Bouquins, 1995, traduction L. Teyssandier, p. 102-103 (acte II, scène 1, vers 178). 6. Idem, Musée du Louvre. Cabinet des dessins. Inventaire général des dessins. Ecole française. Dessins de Théodore Chassériau 1819-1856, 2 Tomes, Paris, Editions des Musées Nationaux, 1988, Tome I, p. 255 sous le n° 542. 7. Shakespeare, Othello, op. cit., p. 82-83 (acte I, scène 3, vers 166).

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8. Alexandre Dumas, Le Vicomte de Bragelonne, Paris, Omnibus, 1998, p 382. 9. Arthur Rimbaud, « Ophélie », in Poésies, Œuvres Poétiques, Lettres françaises, Collection de l’Imprimerie Nationale, Paris, 1986, p. 64. 10. Charles Baudelaire, Les Fleurs du mal, XVIII, « L’idéal », in Œuvres Complètes, Paris, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1975, Tome I, p. 22, vers 10. 11. Shakespeare, Œuvres complètes, Tragédies, I, Roméo et Juliette, op. cit., trad. V. Bourgy, p 529-530 (acte I, prologue, vers 6). 12. Gustave Moreau, L’Assembleur de Rêves. Ecrits complets de Gustave Moreau, ed. A Fontfroide, Bibliothèque artistique et littéraire, l’an MCMLXXXIV, p. 28. 13. J.-A. Dominique Ingres, Lettres d’Ingres à Gilibert, ed. D. et M-J Ternois, Paris, Honoré Champion, 2005, p. 323 (lettre n° 46 du 27 octobre 1842). 14. Victor Hugo, L’Homme qui rit, Paris, Garnier-Flammarion, 1982, tome I, p. 378. 15. Idem, Hernani, acte III, scène 4 , Théâtre complet, Tome I, Paris, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1963, p. 1227.

RÉSUMÉS

Quelques-unes des pièces de Shakespeare ont suscité l’intérêt des artistes français au XIXe siècle, des romantiques jusqu’aux académiques fin de siècle, en passant par toutes les tendances stylistiques de la période ; seuls Delacroix et Chassériau ont cependant tenté d’illustrer une tragédie dans son développement, en deux suites de gravures célèbres (1843 et 1844), consacrées respectivement à Hamlet et Othello. De nombreux dessinateurs, sculpteurs et graveurs se sont intéressés à des épisodes ponctuels ou des personnages spécifiques, comme Desdémone, Ophélie, Caliban ou le prince d’Elseneur.

French artists were inspired by Shakespeare’s plays throughout the 19th century, from the Romantic to the Academic painters. Many illustrators, sculptors and engravers dealt with single episodes or specific characters such as Desdemona, Ophelia, Caliban or Hamlet, but only Delacroix and Chassériau tried to illustrate the whole plot of a tragedy, with two famous series of engravings devoted to Hamlet and Othello respectively (in 1843 and 1844).

INDEX

Mots-clés : Chassériau Théodore, Delacroix Eugène, dessin, gravure, peinture, Shakespeare en France, sculpture Keywords : Chassériau Théodore, Delacroix Eugène, drawing, engraving, painting, Shakespeare in France, sculpture

AUTEUR

LOUIS-ANTOINE PRAT École du Louvre

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Aux origines de l’illustration shakespearienne en France : des Œuvres de Jean-François Ducis aux Souvenirs du théâtre anglais à Paris (1813-1827)

Manon Montier

1 Les premières illustrations ne paraissent que tardivement dans les éditions françaises du théâtre de Shakespeare. Alors qu’un répertoire d’images déjà bien fourni voit le jour en Angleterre comme en Allemagne dès le XVIIIe siècle, il faut attendre le début du XIXe siècle en France pour constater la parution des premières éditions illustrées de l’œuvre shakespearienne.

2 Il n’est pas nécessaire, pour remonter aux sources de cette iconographie, de consulter les traductions françaises des œuvres de Shakespeare, de plus en plus nombreuses au début du XIXe siècle1. De façon paradoxale, les premières images illustrant les pièces du barde furent diffusées dans des ouvrages inspirés (parfois très librement) de son œuvre dramatique, sans pour autant se rattacher directement aux textes originaux.

3 Il faut en effet rappeler que les pièces de Shakespeare furent souvent découvertes et introduites de manière détournée en France, à travers des imitations qui déformèrent, tronquèrent, ou modifièrent les textes originaux, afin d’adapter l’œuvre du Barde aux règles de bienséance et au goût français de l’époque. Dès la fin du XVIIIe siècle, Jean- François Ducis s’empare de six pièces de Shakespeare, dont il reprend la trame tout en remaniant entièrement les textes ainsi que l’organisation dramaturgique. Son interprétation d’Hamlet, jouée pour la première fois en 1769, est couronnée de succès et l’amène à réitérer l’expérience avec Roméo et Juliette en 1772, Le roi Lear en 1783, Macbeth en 1784, Jean sans terre en 1791, et Othello en 1792.

4 Régulièrement revues et améliorées par l’auteur, ces imitations étaient encore jouées à la Comédie-Française au milieu du XIXe siècle (l’Hamlet de Ducis fut notamment

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représenté jusqu’en 1851). Elles connurent parallèlement de multiples publications, qui témoignent de l’empreinte significative laissée par le dramaturge sur la scène française. La première édition des Œuvres de Jean-François Ducis2, parue en 1813, présente un ensemble de gravures dont un portrait de l’auteur, six dessins d’Alexandre Desenne pour illustrer chaque pièce inspirée de Shakespeare, et quelques compositions d’après Anne-Louis Girodet et Alexandre Desenne pour illustrer des poèmes, tels La côte des deux amants ou La solitude et l’amour.

5 Précédant la page de titre, le portrait de Ducis fut gravé d’après un tableau de François Gérard (1770-1837), grand peintre historique et portraitiste des familles souveraines d’Europe. Elève de Jacques-Louis David, François Gérard tenait tous les mercredis soir un salon que Ducis fréquentait assidument, ce qui amena ce dernier à déclarer, dans une lettre qu’il adressa vers 1807 à l’auteur de son portrait : « c’est vraiment entre nous deux le baiser fraternel de la peinture et de la poésie3 ». Image 100002010000030A0000040DC848B00F.png

Figure 1 : Christian Didrik Forssell d’après François Gérard, Portrait de Jean-François Ducis, dans les Œuvres de Jean-François Ducis, Paris, 1813, Bibliothèque nationale de France, p. 2, , RES- YF-4401

Avec l’aimable autorisation de la BnF.

6 Les six dessins d’Alexandre Desenne, qui illustrent les pièces imitées de Shakespeare, requièrent une attention toute particulière. Fils de libraire, Alexandre Desenne (1785-1827) se consacra à l’illustration des plus grandes éditions du répertoire classique, de l’œuvre de Molière à celle de Racine, en passant par celle de Cervantès, ou encore de Boileau. Cet ensemble d’illustrations souligne avec force les spécificités des imitations de Ducis, représentant des détails, des accessoires ou des passages qui n’existent pas dans les pièces de Shakespeare, mais qui furent créés et ajoutés par le dramaturge français à la fin du XVIIIe siècle. À l’image des pièces de Ducis, les dessins de Desenne introduisent des objets nobles, qui ne risquent pas d’avilir le propos.

7 La scène retenue par l’artiste pour illustrer Hamlet témoigne des prises de liberté de Ducis par rapport à l’œuvre shakespearienne. Alexandre Desenne porte en effet son choix sur la confrontation entre Gertrude et son fils Hamlet (acte V, scène 4), ce dernier exhortant sa mère à avouer son implication dans le meurtre de son époux. Le dramaturge français introduit dans cette scène un nouvel objet, véritable ressort dramatique réveillant la culpabilité de Gertrude : une urne recueillant les cendres du roi défunt4. Cet accessoire, que l’on retrouve dans la composition de Desenne, ne tarda pas à devenir indissociable de l’œuvre de Ducis. L’image se cristallise au fil du temps et des représentations, comme en témoigne le portrait de Talma dans le rôle d’Hamlet, réalisé en 1810 par Anthelme-François Lagrenée, où l’on retrouve le comédien serrant contre lui l’urne recouverte d’un voile. Dans ce même tableau, au bord de la table surmontée d’une étoffe rouge, repose un poignard, accessoire qu’Alexandre Desenne n’a pas négligé dans sa propre illustration puisqu’il le représente entre les mains d’Hamlet. Avec l’urne, le poignard fait partie de ces objets nobles qui furent introduits dans les pièces de Ducis, et retranscrits à l’image par Lagrenée et Desenne. Image 1000000000000BA000001034DA96AAD3.jpg

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Figure 2 : Etienne-Frédéric Lignon d’après Alexandre Desenne, « ...tremblez de m’approcher », acte V scène 4, illustration pour Hamlet dans les Œuvres de Jean-François Ducis, Paris, 1813, p. 76, Bibliothèque nationale de France, RES-YF-4401.

Avec l’aimable autorisation de la BnF.

8 L’illustrateur adopte la même démarche dans sa composition pour Othello. Pour des raisons de bienséance, Ducis fait mourir Desdémone - qui prend le nom d’Hédelmone dans sa version du drame - par le poignard, plutôt que par suffocation comme le veut la pièce de Shakespeare. La gravure de Desenne représente le moment où Othello, en proie au doute et rongé par la jalousie, contemple Hédelmone endormie, et sort un poignard de son fourreau, préfiguration du trépas imminent de la jeune femme. Il serre également dans sa main gauche le billet qui compromet Hédelmone, dans lequel elle renonce prétendument à son mariage avec le Maure pour calmer la colère de son père, détail de l’intrigue que l’on ne trouve que dans la pièce de Ducis.

Figure 3 : Etienne-Frédéric Lignon d’après Alexandre Desenne, « mais avec tant d’horreur voir trahir ma tendresse ! », acte V scène 4, illustration pour Othello dans les Œuvres de Jean-François Ducis, Paris, 1813, p. 168, Bibliothèque nationale de France, RES-YF-4401

Avec l’aimable autorisation de la BnF.

9 Véritable ressource dramatique, le billet permet de renouveler et d’enrichir l’action, et donne lieu à de multiples rebondissements sur scène. On retrouve ce même accessoire entre les mains du jeune Montaigu dans l’illustration de Desenne pour l’adaptation de Roméo et Juliette. Comme dans la pièce de Shakespeare, les deux amants se réunissent une dernière fois dans le tombeau des Capulet. Mais la version de Ducis introduit un complot qui n’est pas mentionné dans l’œuvre shakespearienne : le père de Roméo compte en effet transformer en véritable carnage la cérémonie de réconciliation des deux familles rivales en exterminant les Capulet. Il révèle ce projet dans un billet que Juliette remet à son amant juste avant de mourir. C’est le suicide de Juliette, mais

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également la découverte de ce billet, qui amènent Roméo à suivre la jeune femme dans la tombe.

Figure 4 : Pierre-Michel Adam d’après Alexandre Desenne, illustration pour Roméo et Juliette dans les Œuvres de Jean-François Ducis, Paris, 1813, p. 94, Paris, Bibliothèque nationale de France, RES- YF-4401

Avec l’aimable autorisation de la BnF.

10 Pour illustrer Macbeth, Alexandre Desenne a retenu la scène où le personnage principal est proclamé roi suite à la mort de Duncan. Loclin lui apporte sa couronne, quand la cérémonie est perturbée par l’irruption du souverain défunt5. Les cheveux dressés sur la tête, les yeux écarquillés face à cette vision d’horreur, Macbeth adopte tous les signes manifestes de la terreur face à cette apparition spectrale que lui seul peut voir. L’ombre du roi Duncan n’est pourtant pas figurée dans l’image de Desenne, elle est simplement suggérée par la réaction horrifiée, et le violent geste de recul esquissé par Macbeth, mais aussi par la fumée qui se dégage de la lampe à huile suspendue au plafond, et qui accentue sans nul doute le caractère surnaturel et spectaculaire de la scène. Comme dans la pièce de Ducis, le revenant n’apparait pas aux yeux du spectateur6, l’illustrateur s’appuyant sur un habile jeu de regard : l’attention de Macbeth se porte en effet sur un espace vide, tandis que la foule, immobile et impassible, assiste à la scène. L’observateur de l’image adopte ainsi le point de vue du spectateur au théâtre, puisque la figure spectrale échappe à son discernement. Ce mode de représentation diffère radicalement des illustrations représentant le banquet au cours duquel Banquo revient hanter Macbeth dans la pièce de Shakespeare (acte III, scène 4). L’apparition surnaturelle est en effet rendue visible aux yeux du spectateur, sur scène comme dans l’image, comme en témoignent les compositions de Gustave Doré ou d’Albert Robida. Le premier initia en 1859 un vaste projet resté inachevé : l’illustration de l’œuvre shakespearienne, pour laquelle il prévoyait près de mille gravures7, tandis que le

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second réalisa deux cent dix-sept dessins pour les Œuvres de Shakespeare parues en 18988. Image 1000000000000B6E0000102D2F64D5A7.jpg

Figure 5 : Etienne-Frédéric Lignon d’après Alexandre Desenne, « je le jure…sa mort…fantôme horrible, arrête ! », acte IV scène 4, illustration pour Macbeth dans les Œuvres de Jean-François Ducis, Paris, 1813, p. 6, Bibliothèque nationale de France, RES-YF-4401

Avec l’aimable autorisation de la BnF.

Figure 6 : Gustave Doré, L’apparition du spectre de Banquo, projet d’illustration pour Macbeth de Shakespeare, s. d., lavis brun et gouache blanche sur papier beige, H. 47,8 ; L. 37.8, Strasbourg, Musée d’Art Moderne et Contemporain de Strasbourg - cabinet d’art graphique, Photo Musées de Strasbourg

Avec l’aimable autorisation du Musée d’Art Moderne et Contemporain de Strasbourg.

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Figure 7 : Albert Robida, Le fantôme de Banco, illustration pour Macbeth dans les Œuvres de William Shakespeare, Paris, 1898, p. 281, Bibliothèque nationale de France, 4-RE-8024

Avec l’aimable autorisation de la BnF.

11 Ces illustrations soulignent donc avec force les spécificités du théâtre de Ducis, mais elles rappellent également que la scène française, au début du XIXe siècle encore, n’offre aux spectateurs que des versions déformées et altérées de l’œuvre shakespearienne. Pourtant, quelques rares représentations en anglais à partir des années 1820 vont permettre au public français de découvrir des interprétations bien plus fidèles à l’œuvre shakespearienne.

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12 Dès 1822, les comédiens britanniques de la troupe de Penley9 avaient tenté de se produire en France, en jouant Othello le 31 juillet au théâtre de la Porte-Saint Martin. L’accueil est hostile, pour ne pas dire chaotique : la rencontre avec le public français se solde par un échec cuisant, les sifflets et les quolibets se faisant entendre tout au long de la représentation. C’est que le cours de l’histoire ne joue pas réellement en leur faveur : les évènements de 1814-1815, la campagne de France et l’abdication de Napoléon Ier, restent fortement ancrés dans la mémoire collective. L’empereur déchu, captif des anglais, est mort quinze mois avant les premières représentations. Le contexte politique nourrit donc un sentiment anti-anglais qui ne profite absolument pas aux comédiens de la troupe. Dans L’histoire par le théâtre (1865), Théodore Muret dresse un tableau mouvementé de cet évènement : Enfin, la toile se lève, Othello et Yago entrent en scène et saluent ; mais ils ont à peine prononcé quelques phrases, que l’hostilité commence à se manifester. Même dans des conditions plus favorables, ces acteurs étrangers auraient pu éprouver une certaine crainte ; jugez donc de leur position avec les rires moqueurs, les sifflets, les mauvaises plaisanteries qui ne cessaient d’accompagner le dialogue ! Les gestes, les inflexions de voix, la prononciation un peu gutturale de la langue britannique, tout était saisi par ce parti pris de la malveillance, et il y avait des gens qui se fâchaient de ne pas comprendre, comme s’ils avaient dû, en prenant leur billet, acquérir du même coup la connaissance de la langue de Shakespeare10.

13 Un tel accueil aurait pu dissuader les successeurs de la troupe de Penley. Pourtant, l’expérience est renouvelée en 1827, par une troupe d’acteurs venus de plusieurs théâtres anglais et irlandais. Nullement rebutées ou effrayées par le souvenir des évènements de 1822, les principales têtes d’affiche qu’étaient Charles Kemble, Miss Foote, ou encore Miss Smithson, furent applaudies avec ferveur et enthousiasme. Il faut dire qu’en seulement cinq ans, le paysage culturel français a bien changé : dès l’annonce de leur venue en France, les admirateurs de Shakespeare attendent avec impatience de voir jouer les anglais. Dans ses mémoires11, Alexandre Dumas témoigne de cet engouement qui précéda les premières représentations : J’avais résolu de suivre les représentations anglaises avec une certaine assiduité […] Je savais déjà, à cette époque, Shakespeare à peu près par cœur, mais les pièces de théâtre, comme disent les allemands, sont faites pour être vues et non pour être lues. Je m’étais donc privé de cette première représentation et j’attendais mes anglais à Shakespeare.

14 Lorsqu’ils foulent les planches de l’Odéon pour la première fois le 6 septembre 1827, les comédiens anglais ne jouent pas Shakespeare, mais une pièce de Sheridan (The Rivals) et d’Allingham (Fortune’s Frolic). Le 11 septembre, le public français découvre Hamlet, puis, deux jours plus tard, Roméo et Juliette, et enfin Othello le 18 septembre. Bien loin de décevoir les attentes du public, l’interprétation des Anglais fut une révélation, un véritable coup de tonnerre dans le cénacle romantique, comme le souligne Delacroix dans une lettre à Charles Soulier en 1828 : Les anglais ont ouvert leur théâtre. Ils font des prodiges puisqu’ils peuplent la salle de l’Odéon à en faire trembler tous les pavés du quartier sous les roues des équipages. Enfin, ils ont la vogue. Les classiques les plus obstinés baissent pavillon. Nos acteurs vont à l’école et ouvrent grand leurs yeux12.

15 La venue des comédiens anglais fut un tel succès qu’une édition illustrée ne tarda pas à rendre hommage à ces représentations. Publiés dès novembre 1827, les Souvenirs du théâtre anglais à Paris13 dressent un tableau à la fois édifiant et inédit des événements. « On a pensé qu’une suite de dessins coloriés représentant les principales situations des

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drames qui ont été joués à Paris, ne pouvait manquer de plaire au public que ces drames ont si vivement intéressé14 », annonce l’auteur dramatique Charles-François- Jean-Baptiste Moreau de Commagny dans la préface de l’ouvrage.

16 Pour enrichir et agrémenter ce recueil de souvenirs, on fait appel à deux jeunes artistes étroitement liés au mouvement romantique, Achille Devéria et Louis Boulanger. Leurs lithographies et leurs gravures illustrent et accompagnent un ensemble de textes anglais et français citant les extraits les plus marquants des pièces, mais aussi des notices biographiques sur Charles Kemble, Harriet Smithson et Miss Foote, et des commentaires critiques empruntés à Pichot, Villemain ou à Schlegel. Les illustrateurs se sont focalisés sur quatre pièces : Hamlet, Roméo et Juliette, Othello, et Jane Shore de Nicholas Rowe. Les autres pièces de Shakespeare (Le roi Lear, Macbeth, Richard III et Le marchand de Venise) furent seulement interprétées par les comédiens anglais l’année suivante, en 1828, et furent donc exclues du corpus d’images.

17 Il existe dans les collections de la Bibliothèque nationale de France plusieurs exemplaires des Souvenirs du théâtre anglais à Paris, le nombre d’images variant d’un ouvrage à un autre. Trois d’entre eux sont conservés au département des Arts du spectacle, un quatrième au département des Estampes et de la photographie. Mais l’exemplaire le plus complet peut être consulté dans la réserve des livres rares de la BnF. Il se compose d’un frontispice représentant la scène finale d’Othello, de trois portraits de comédiens (Charles Kemble, Harriet Smithson, et Miss Foote), de douze lithographies en couleur représentant les scènes marquantes d’Hamlet, Roméo et Juliette, Othello, et Jane Shore, et d’une série de quatorze petites vignettes en noir et blanc qui ponctuent certains chapitres.

18 Ce dernier type d’image, très populaire dans le livre illustré romantique, constitue dès les années 1820-1830 l’apanage d’artistes français tels qu’Achille Devéria, Henri Monnier, ou encore Tony Johannot. Ces petites gravures, imprimées en même temps que les caractères typographiques, se présentent en bas de page, sous l’apparence d’une image flottante, aux contours évanescents et incertains. Elles peuvent remplir un simple rôle décoratif, et prendre la forme d’objets rappelant symboliquement l’univers de la scène, comme le masque de théâtre antique figurant à la fin du chapitre consacré à Juliette et sa nourrice. Mais elles peuvent de manière plus directe illustrer les moments les plus marquants des pièces de Shakespeare, tel que le baiser d’adieu échangé par Roméo et Juliette sur le balcon (acte III, scène 5).

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Figure 8 : Louis Boulanger et Achille Devéria, illustration pour Roméo et Juliette dans les Souvenirs du théâtre anglais, Paris, 1827, p. 59, Bibliothèque nationale de France, YK-62

Avec l’aimable autorisation de la BnF.

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Figure 9 : Louis Boulanger et Achille Devéria, illustration pour Roméo et Juliette dans les Souvenirs du théâtre anglais, Paris, 1827, p. 38, Bibliothèque nationale de France, YK-62

Avec l’aimable autorisation de la BnF.

19 Lors de leur publication en 1827, les Souvenirs du théâtre anglais à Paris donnèrent naissance au premier véritable corpus d’images shakespeariennes en France. Sur les planches de l’Odéon, le public français accède enfin à l’œuvre du dramaturge élisabéthain, à travers des interprétations plus fidèles, et moins épurées. On découvre pour la première fois des scènes essentielles du répertoire shakespearien : Othello étouffant Desdémone, la folie d’Ophélie dans Hamlet, ou encore les adieux déchirants de Roméo et Juliette. Boulanger et Devéria, portant leur choix sur les passages les plus marquants des pièces, s’attardent sur ces scènes jusqu’alors inconnues, qui font l’objet de toutes les curiosités. Dans leur série lithographique, les deux artistes renouvellent complètement le sujet, édifiant ainsi les bases d’un répertoire iconographique qui fut dès lors régulièrement enrichi tout au long du XIXe siècle. C’est ainsi qu’Othello délaisse le poignard et choisit l’oreiller pour étouffer Desdémone, tout comme le crâne de Yorick devient le nouvel accessoire indissociable du prince de Danemark.

20 La performance des comédiens, qui fascine les spectateurs en France, n’échappe pas aux deux illustrateurs qui s’emparent de la pantomime anglaise et tentent de retranscrire leur gestuelle et leurs attitudes à travers l’image. Cette fidélité au jeu des Britanniques est perceptible à travers les lithographies, ainsi que quelques vignettes,

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qui restituent avec sincérité la force expressive et les émotions dégagées par les acteurs. La performance d’Harriet Smithson dans le rôle d’Ophélie marque par exemple les esprits par son caractère spontané et naturel : « Elle prend des postures fantastiques, elle a des inflexions de voix mourante, sans cesser d’être naturelle, qui produisent un grand effet » selon le témoignage d’Etienne-Jean Delécluze15, peintre et critique d’art français. Déveria et Boulanger s’évertuèrent à transposer dans leurs illustrations ce jeu empreint à la fois de vitalité et de démence, mettant l’accent sur la longue chevelure parée de fleurs et de brins de paille, mais aussi sur le regard halluciné, et les gestes désordonnés de l’actrice incarnant Ophélie. Image 10000000000010E000000CA81068B8DA.jpg

Figure 10 : Louis Boulanger et Achille Devéria, illustration pour Hamlet dans les Souvenirs du théâtre anglais, Paris, 1827, p. 22, Bibliothèque nationale de France, YK-62

Avec l’aimable autorisation de la BnF.

Figure 11: Louis Boulanger et Achille Devéria, illustration pour Hamlet dans les Souvenirs du théâtre anglais, Paris, 1827, p. 23, Bibliothèque nationale de France, YK-62

Avec l’aimable autorisation de la BnF.

21 La lithographie représentant la mort de Desdémone saisit elle aussi toute l’intensité dramatique de la scène, ainsi que la vivacité des jeux de regard et des mouvements des comédiens anglais. Là où Alexandre Desenne, dans son illustration pour l’Othello de Ducis, représente la jeune femme assoupie, encore inconsciente du sort qui lui est réservé ; Boulanger et Devéria, quant à eux, semblent porter leur attention sur le mouvement et l’expression d’horreur de Desdémone qui, la bouche ouverte, les yeux écarquillés, tente de se protéger d’Othello en écartant vainement l’oreiller de son visage. Mais les deux illustrateurs ont également cherché à retranscrire la violence du

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geste du maure, qui dans une posture déterminée (la jambe gauche fléchie, appuyée sur un coussin) lève les deux bras afin d’écraser l’oreiller sur le visage de la jeune femme.

Figure 12 : Louis Boulanger et Achille Devéria, illustration pour Othello dans les Souvenirs du théâtre anglais, Paris, 1827, p. 40, 1827, Bibliothèque nationale de France, YK-62

Avec l’aimable autorisation de la BnF.

22 Enfin, l’intensité du jeu dramatique semble à son comble dans la lithographie représentant le désespoir de Roméo après l’annonce de son exil. Malgré les sages exhortations de frère Laurent, le jeune homme se roule par terre, « une position familière aux héros tragiques sur la scène anglaise16 » selon le commentaire critique accompagnant l’image.

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Figure 13 : Louis Boulanger et Achille Devéria, illustration pour Roméo et Juliette dans les Souvenirs du théâtre anglais, Paris, 1827, p. 51, Paris, Bibliothèque nationale de France, YK-62

Avec l’aimable autorisation de la BnF.

23 Les images des Œuvres de Jean-François Ducis et des Souvenirs du théâtre anglais illustrent parfaitement la rupture qui s’opère dans le paysage dramatique français, et plus spécifiquement dans les représentations des pièces shakespearienne, à partir de 1827 en France. Les représentations des comédiens anglais donnent naissance à un corpus d’images qui devient plus conforme à l’œuvre originale du barde, et qui constitue un point de départ chez les illustrateurs de Shakespeare. Au-delà des évolutions constatées dans les représentations données sur la scène française, la mise en comparaison de ces deux ouvrages met également en valeur les mutations observées dans le domaine du livre et de l’illustration. Aux gravures de pleine page des éditions de l’œuvre de Ducis, succèdent les lithographies en couleur et les vignettes in-texte de Devéria et Boulanger. Autant de nouvelles formes d’images qui incarnent toute la modernité de l’édition romantique.

NOTES

1. La première traduction française qui fut accompagnée d’images est une œuvre complète de Shakespeare traduite par Benjamin Laroche, et publiée chez Marchant entre 1839 et 1840.

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2. Œuvres de Jean-François Ducis, membre de l’institut, ornées du portrait de l’auteur, d’après M. Gérard, et de gravures d’après MM. Girodet, et Desenne, Paris, Nepveu, 1813. 3. Henri Gérard, Lettres adressées au baron François Gérard peintre d’histoire, par les artistes et les personnages célèbres de son temps, deuxième éd., t. II, Paris, imprimerie de A. Quantin, 1886, p. 16. 4. Abel-François Villemain, Cours de littérature française : tableau de la littérature au XVIIIe siècle, Didier, libraire éditeur, Paris, 1847, t. 3, p. 206 : « Pour épouvanter les spectateurs et la mère d’Hamlet, pour lui arracher l’aveu de son crime par la terreur, on n’avait pas osé, comme Shakespeare, ramasser sur la route une troupe de comédiens ambulants, et leur faire jouer une tragédie dans une tragédie. Ducis avait pris gravement une urne : une urne ! c’est quelque chose de plus régulier ; il y avait déjà une urne dans Oreste. […] La scène admirable où Hamlet presse sa mère de jurer sur la cendre de son père, cette crise de remords qui fait rebrousser le faux serment de la mère d’Hamlet, tout cela est neuf, dramatique, hardi. » 5. Et non du fantôme de Banquo, comme le veut la scène du banquet dans la pièce de Shakespeare. 6. On ne trouve aucune mention, dans la liste des acteurs de la pièce, d’un fantôme ou d’une apparition. Voir Liliane PICCIOLA, « Les tragédies de Ducis, entre Corneille et Shakespeare », Dix- septième siècle, 4/2004 (n° 225), p. 707-723. 7. « Alors qu’il travaille à l’œuvre de Dante, il déclare vouloir s’attaquer à l’œuvre de Shakespeare et en faire son chef-d’œuvre avec mille illustrations, mais il n’en publiera que cinq pour une édition anglaise de La tempête (The tempest), sa première contribution anglaise en 1860. » Philippe Kaenel (dir.), Doré, l’imaginaire au pouvoir, Flammarion, Paris, 2014, p. 309. Catalogue publié à l’occasion de l’exposition « Gustave Doré (1832-1883). L’imaginaire au pouvoir », Paris, Musée d’Orsay, 18 février -11 mars 2014. 8. Voir Jules Lermina, Œuvres de William Shakespeare, traduction nouvelle, avec biographie, notes et glossaire, précédée d’une lettre de Victorien Sardou, de l’Académie française, Paris, L. Boulanger, 1898. L’ouvrage est accessible en ligne : http:// gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5628206n.r=robida%20shakespeare. Consulté le 16 janvier 2017. 9. Sampson Penley (1765-1832), directeur des théâtres de Windsor et de Brighton, fut lui-même comédien. 10. Théodore Muret, L’histoire par le théâtre, 1789-1851, deuxième série, la restauration, Paris, Amyot, 1865, p. 187. 11. Alexandre Dumas, Mes mémoires, Paris, Calmann-Lévy, 1863, t. 4, p. 279-280. 12. Eugène Delacroix à Charles Soulier le 26 septembre 1828. Voir Pierre Burty, Lettres de Eugène Delacroix (1815 à 1863), Paris, A. Quantin, 1878, p. 93. 13. Charles-François-Jean-Baptiste Moreau , Souvenirs du théâtre anglais à Paris, dessinés par Messieurs Devéria et Boulanger, avec un texte par M. Moreau, Henri Gauguin, Lambert et Compagnie, J. Tastu, Paris, 1827. L’ouvrage est accessible en ligne : http://gallica.bnf.fr/ark:/ 12148/ bpt6k62865096.r=Souvenirs%20du%20th%C3%A9%C3%A2tre%20anglais%20%C3%A0%20Paris, consulté le 16 janvier 2017. 14. Ibid., p. 7. 15. Etienne-Jean Delécluze, La vie parisienne sous la restauration, journal de Delécluze, 1824-1828, Paris, Bernard Grasset, Paris, 1948, p. 458. 16. Charles-François-Jean-Baptiste Moreau, op. cit., p. 51.

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RÉSUMÉS

Dès les premières années du XIXème siècle, la littérature shakespearienne devient une source d’inspiration récurrente pour les artistes français. Peu à peu, les peintres et les illustrateurs commencent à imposer leur propre vision de l’œuvre dramatique du barde. Cet article se donne pour objectif d’établir une étude comparative entre deux éditions illustrées qui offrent au public français une première « rencontre visuelle » avec l’œuvre du dramaturge anglais : les Œuvres de Jean-François Ducis (1813) et les Souvenirs du théâtre anglais (1827). Les images qui accompagnent ces ouvrages peuvent être lues comme une véritable genèse de l’illustration shakespearienne en France. Pour la première fois, des illustrateurs et graveurs français s’emparent des pièces du barde, et créent à partir de ce répertoire un nouveau corpus d’images. Dans un contexte où la littérature shakespearienne déchaine les passions, l’illustration ne se limite pas à traduire ou à interpréter le texte, elle invite à réinventer l’œuvre littéraire. Entre fidélité au texte et fantaisie créatrice, quelle démarche adopter lorsque l’on illustre Shakespeare ?

In the first decades of the nineteenth century, Shakespearean literature becomes a source of constant inspiration for French artists. Little by little, a lot of painters and illustrators give their own vision of the dramatist’s works. This essay aims to establish a comparative study between two illustrated editions that offered to the French public a first “visual encounter” with Shakespeare’s plays: Œuvres de Jean-François Ducis (1813) and Souvenirs du théâtre anglais (1827). The engravings from these two books can be seen as a true starting point of Shakespearean illustrations in France. For the first time, French engravers and illustrators drew their inspiration from the bard’s plays, and created a new corpus of images. These illustrations do not offer a simple translation or an interpretation of the text, they lead the reader to reinvent Shakespearean literature. Between fidelity to the text and creative imagination, what is the best approach to adopt in order to illustrate Shakespeare?

INDEX

Mots-clés : Boulanger Louis, Desenne Alexandre, Devéria Achille, édition, gravure, lithographie, romantisme, Talma François-Joseph, vignette Keywords : Boulanger Louis, Desenne Alexandre, Deveria Achille, edition, engraving, lithography, romanticism, Talma François-Joseph, vignette

AUTEUR

MANON MONTIER Université de Rouen – CEREdI

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Shakespeare à l'écran Shakespeare on screen(s)

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Alien Shakespeares 2.0

Christy Desmet

1 “Shakespeare,” under the sign of Web 2.0, has remained a divided field or doubled object of interpretation. New Media Shakespeares, of which YouTube is the most popular example, tend to be brief, quixotic, and lacking in high seriousness. We need look no further than the recent spate of Hamlet school parodies, of varying poetic and narratological merits, which set the plot of Shakespeare’s tragedy to Miley Cyrus’s song “Wrecking Ball.”1 Digital Humanities approaches to the Shakespearean text, as exemplified by textual corpora and authorship studies, work on a grand scale and are marked by methodological rigor. Emphasizing the material differences between these two kinds of digital work, however, obscures similarities that could let us see digitized Shakespeares of different kinds as co-existing along a continuum. In this essay, I suggest a possible rapprochement between these divided disciplinary siblings, New Media and Digital Humanities Shakespeare, through Ian Bogost’s concept of “alien phenomenology”; I argue that Bogost’s theoretical framework provides a way to understand digital objects as disaggregated “configurations” of “units” and “systems” – these are Bogost’s terms – that have an individuated integrity while also engaging in shifting relationships with other units.2 Through Bogost’s articulation of alien phenomenology, we can see a kinship linking such apparently unrelated objects as a YouTube video featuring LEGO versions of Romeo and Juliet, the digitized facsimile of a page from the first quarto Hamlet with marginalia, and the results of a word search in the Folger Digital Texts.

Alien Phenomenology and Tiny Ontology

2 Alien Phenomenology traces its genealogy to two strands in contemporary thought: first, the reconfiguration of human-machine relations that runs from Donna Haraway’s vision of the cyborg through N. Katherine Hayles’s definition of the posthuman; and second, the reconfiguration of human-object relations epitomized by Jane Bennett’s vital materialism and other versions of Object Oriented Ontology (OOO).3 Both contribute to the project of dismantling the old liberal humanist subject, first discussed in Shakespeare studies by materialist writers, through new articulations of subject-

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object relations. Catherine Belsey, for instance, writes in 1985 that “liberal humanism proposes that the subject is the free, unconstrained author of meaning and action, the origin of history. Unified, knowing, and autonomous, the human being seeks a political system which guarantees freedom of choice,” which, as it turns out, is Western democracy. 4 Alien phenomenology continues the theoretical effort to debunk the sovereignty of this liberal humanist subject, not only by placing people on the same ontological level with other objects, but also by discovering in “things” many of the qualities previously seen as the sole property of people.

3 In Vibrant Matter, Bennett tackles the subject-object binary with a new form of anthropomorphism that ascribes to objects both agency and a political role, setting up what Manuel de Landa called a “flat ontology,” a space in which humans and objects, even imaginary ones, are equal to one another in terms of their “being.”5 Hayles enters into the discussion from the machine side of the cyborg as human-machine hybrid. She begins with the posthuman premises that first, information is separable from its material substrate, which dissolves the distinction between biological life and computers; and second, “there are no essential differences or absolute demarcations between bodily existence and computer simulation, cybernetic mechanism and biological organism, robot teleology and human goals”.6 Hayles questions in particular the assumption that information can be separated from the bodies, whether human or machine, that transmit it. She imagines instead the role played by “virtual bodies,” recalling but also resisting the historical process by which bodies and information have been divorced from one another in posthumanism. While Bennett and others in the Object Oriented Ontology (OOO) strain of thought emphasize the agency of objects previously considered to be inert and silent, Hayles points to the solidity of previously abstract information. Both strands of thought disrupt the subject-object binary in the interest of acknowledging the embodied “being” of an expanded cast of actors on the world’s stage.

4 In a recent application of posthumanist philosophy to Shakespeare studies, Douglas Lanier has offered the rhizome of Deleuze and Guattari as a persuasive paradigm for Shakespearean relations that deviate from the fidelity paradigm. According to Lanier’s reading of Gilles Deleuze and Felix Guattari: A rhizomatic structure […] has no single or central root and no vertical structure. Instead, like the underground root system of rhizomatic plants, it is a horizontal, decentered multiplicity of subterranean roots which cross each other, bifurcating and recombining, breaking off and restarting […] What is more, a rhizome has no central organizing intelligence or point of origin; it may be entered at any point, and there is no a priori path through its web of connections.7

5 The rhizome as literary model unseats “Shakespeare” as the putative fons et origo of adaptations by emphasizing the equality of all roots within its tangled, always changing structure: A rhizomatic conception of Shakespeare situates “his” cultural authority not in the Shakespearean text at all but in the accrued power of Shakespearean adaptation, the multiple, changing lines of force we and previous cultures have labeled as “Shakespeare,” lines of force that have been created by and which respond to historical contingencies.8 Lanier’s argument is incisive and persuasive, and has proven influential for appropriation/adaptation studies. It leans, however, toward Bennett rather than Hayles in the opposition I have sketched out between their opposed takes on posthumanism. The rhizome, however de-centered, is still an organic model rooted in

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the familiar world of human beings, just as Linda Hutcheon’s definition of adaptation embraced the term’s connections to biological models.9 To my mind, Bogost’s alien phenomenology, which weaves a path between material objects and networks as models for posthuman relations, will prove more useful for the range of digital objects discussed in this essay. Think of alien phenomenology as the computational counterpart to Deleuze and Guattari’s rhizome.

6 In defining alien phenomenology, Bogost carefully charts a middle way between materialism and network-theory as models for understanding objects and their relations with one another. He begins by considering Bruno Latour’s actor-network theory and its governing metaphor of the “assemblage.” Latour defines the “social” realm as a network peopled not by subjects and objects but by “actants,” both human and non-human. Their relationships within these networks are at once semiotic and material and require constant activity and performance to exist. But for Bogost, Latour’s model locates relationships too restrictively as outside rather than inside “the being of a thing,” and perhaps more important, his governing metaphor limits the operations of chance and chaos: “The ‘network’ is an overly normalized structure, one driven by order and predefinition.” Bogost leans instead to Latour’s later, more unruly concept of the “imbroglio,” in which “it is never clear who or what is acting”.10 Bogost also reworks object oriented ontology (referring to a number of theorists, although not to Bennett) to emphasize ever smaller objects and specifically to incorporate the computer into its theoretical purview. He offers objections to OOO as well, in that this approach tends to see objects as existing in a vacuum, a side effect of granting them political agency, and works with a too restrictive sense of what entities qualify as objects. If in the network relations are over-determined, in OOO objects are too isolated. Finally, Bogost faults both network theory and OOO for being too human- centered, considering objects as agents largely in terms of their significance for people; for him, the posthuman is still too human.

7 To challenge both the emphasis on individuality of separate objects in object oriented ontology and the inherently orderly nature of Latour’s networks, Bogost works with a vocabulary of “units” and “systems.” Paradoxically, units (formerly objects) both populate and constitute systems, and systems then become parts of other systems. Bogost imagines these units as not merely arranged without hierarchy on a plane, as in de Landa’s “flat ontology,” but as coming together in a dense, concentrated point. These infinitely dense and yet capacious black holes, which are the foundation of what Bogost calls his “tiny ontology,” are promiscuous, and the systems in which they engage with one another are “held together tenuously by accidents”.11 Bogost wants to see all kinds of “units,” from people to pixels, xylophones to XML markup, as they exist for themselves and as they relate to one another and to do so without either resorting to anthropomorphism or dematerializing altogether the object within its networks.

Alien Shakespeare, 1: YouTube’s Tiny World

8 Looking at the coalescence of units by chance or accident into tenuous and shifting systems – an alien phenomenology grounded in tiny ontology – provides a good model for looking at the varied objects of Shakespeare 2.0, in both new media and digital humanities projects. Probably the paradigmatic new media platform for Shakespearean creators and consumers is YouTube. It is relatively simple to find the “alien” and the

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“tiny” in YouTube Shakespeare, at least on a metaphorical level. Just think of the fad for LEGO Macbeths first chronicled by Peter Holland in 2009.12 The Legos, with their boxy bodies, hard surfaces, and impassive visages (see Figure 1), are the indirect progeny of Forbidden Planet’s Robby the Robot, now scaled down for YouTube’s small screen and iMovie’s brief scene (see Figure 2). YouTube’s aesthetic is generally tiny and disaggregated. Favorite genres are the film clip and trailer, either taken wholesale from a professional site or created by amateurs. Miniature figures, LEGOs and sock puppets foremost among them, are popular in amateur productions. Small ensembles of high- school students, from soliloquies to pairs and quartets, are the norm.

Figure 1: Fred M. Wilcox, Forbidden Planet, 1956: Robby the Robot.

Screen grab, Wikipedia, https://en.wikipedia.org/wiki/Robby_the_Robot#/media/ File:Robbie_Forbidden_Planet.jpg (fair use)

Figure 2: Macbeth Lego: The Movie by steamworks, 2009.

Screen grab (YouTube video). URL: https://www.youtube.com/watch?v=pKAw6UBziBY.

9 Regarded through the lens of tiny ontology, the little films of YouTube are engaged with smaller, even harder-to-recognize objects. There multiple actors on the YouTube scene, many of which are abstract and difficult, even possible, to penetrate. First, there are the metadata provided by the video’s poster; in the case of YouTube Shakespeare,

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tagging tends to be minimal and thus unhelpful for future searches. Furthermore, misleading metadata – for instance, the ploy of using the label “porn” to increase a video’s visibility – can also play a role.13 So do the disembodied “voices” of commenters who, as Ayanna Thompson has demonstrated and Valerie Fazel has theorized, may be major disruptors in the viewer’s experience of a video.14 The secret sharers on the YouTube site, significantly, also include such an unimaginable actor as the closely guarded YouTube algorithm, which determines the formula by which videos are ordered in the site’s page rank. The algorithm is complicated, partly dependent on the sheer number of hits a given video receives and partly not, and it is most emphatically shrouded in secrecy.15 More generally, as Ted Slavin has discussed, algorithms “talk” primarily to one another and “decide things” amongst themselves.16 Algorithms therefore are computational “units” with a good bit of agency, combined with a lack of transparency. The “configurative” relations between and even the internal machinations of an algorithm go on with or without us humans, as Bogost would be quick to point out. They are truly posthuman actors on a vast cyber-stage coming together in varying configurations through chance encounters.

Alien Shakespeare, 2: The Textual Power of Little Things

10 Digitized texts also offer classic examples of “alien Shakespeare.” The disaggregation of a Shakespearean text into “units” – semantic segments, words, lines, or even morphemes – is the condition of existence for digital texts, necessary for such features as text formatting and a workable search engine. Such disaggregation is made palpable by a simple Wordle, which creates spatial constellations of words from linear text using size, color, and proximity to indicate prominence and affinity among individual words. Figures 3 and 4 show two different Wordles created from the Folger Digital Text version of Shakespeare’s Sonnet 18. There is a perceptible kinship between the two; “thou” and “fair,” for instance, are dominant in both images. In the first Wordle, however, the word “thou” stands by itself in lonely splendor at the top right (see Figure 3), while in the second it is cushioned between such words such as “declines,” “breathe,” and “life,” suggesting an object on a trajectory between birth and death (see Figure 4). Of course, “thou” as a Shakespearean object or unit also forges some affiliations that might frustrate the allegorizing Shakespearean. Why, for instance, is “shake” prominent in one Wordle but not in the other? Or for that matter, how does the noun “gold” fit with the biographical flow of the poem in the second Wordle? The answer, of course, is that it does not fit. “Gold” is alien to “thou,” at least according to my reading of the verbal configuration of Figure 4. The visual interface conceals the object’s “secrets,” which lie hidden within the depths of the application.

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Figure 3: Wordle constructed for William Shakespeare, Sonnet 18.

http://www.wordle.net/.Text from the Folger Digital Texts, http://www.folgerdigitaltexts.org/.

Figure 4: Another Wordle created from Sonnet 18.

Text from the Folger Digital Texts, http://www.folgerdigitaltexts.org/.

11 Alien phenomenology is present, but less obvious, in digitized Shakespeare texts designed for reading and study. Digitized texts, by nature, are disaggregated, meant to be carved up and recombined. Take, for instance, a simple word search on “black” within the text of Othello from the Folger Digital Texts. At right pops up the familiar string of abbreviated references, offering the ability to click through to each textual reference in the larger context of its digital page (see Figure 5). The interface that

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makes searching simple and intuitive, however, belies the hidden structure of the Extensible Markup (XML) coding that lies beneath and the style sheet that organizes and formats the play’s digital pages. Looking at the “Page Source” via an Internet browser shows the Shakespearean text – the words that would be heard on stage, on screen, or in the reader’s aural imagination – as being nearly lost within the dense web of coded instructions intended for computer and browser, units/objects/agents that are resoundingly indifferent to the presence or absence of the readers for whom they are destined. (In Figure 6, the stage direction “Enter Roderigo and Iago” and Roderigo’s opening line, “… never tell me!” are circled and highlighted.) Looking at the code beneath the web interface reveals a whole host of units/objects/agents necessary to convey Iago’s scripted words – and they are indeed alien to anyone familiar with Othello as an acted, screened, or printed text. “Iago” and his speech acts are merely two units in a complex configuration of agents.

Figure 5: Beginning of Othello, Folger Digital Texts.

Screen grab. URL: http://www.folgerdigitaltexts.org/?chapter=5&play=Oth&loc=p7.

Figure 6: Page Source for beginning of Othello, Folger Digital Texts.

Screen grab. URL: http://www.folgerdigitaltexts.org/?chapter=5&play=Oth&loc=p7.

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12 The code undergirding the Folger Digital Texts Othello is, of course, carefully vetted and fully operative. But marking up text invites mistakes, and a stray mark can have real consequences. Here is an example from the production of Borrowers and Lenders: The Journal of Shakespeare and Appropriation. The online journal builds its webtexts and PDF displays from a core document marked up in XML (Extensible Markup Language). Every item that can be marked in an essay has a tag that defines that item in terms not of display (how does it look?) but of function (how would a search engine, for instance, treat it? As a proper name, a book title, an image, and so forth?). One of the easiest mistakes to commit when highlighting text and clicking on a tag to “mark” its identity is to leave something outside the tag. This happens most frequently with the References section, the culprit usually being a stray period or full stop outside the close angle bracket of each marked reference item. The mark is so tiny, but the result is immediate and tangible. That stray period means the difference between a nicely displayed essay and a blank page. What a wicked black hole that misplaced full stop proves to be!

13 A more complex example of alien phenomenology and tiny ontology at work in digitized Shakespearean texts can be found in the computational studies with “big data” that are used most frequently for authorship studies. As Hugh Craig and Arthur Kinney explain in their useful account of the premises and methods that inform computational study in Shakespeare, Computers, and the Mystery of Authorship, while striking words and uncommon words might catch the reader’s attention most readily, the process of tracking authorial style through large corpora often depends on common words. Based on the hypothesis that each person’s brain “contains a lexicon of words” as well as a mental grammar, Craig and Kinney argue that we need “to pay attention to the lexicon (the number and pattern of common words – common to a culture, common to an individual writer), as well as [to] rare or suddenly new words and patterns of words.” 17 Conclusions about broad literary concepts thus can rely on the most mundane features of language. Take, for instance, genres of Shakespearean play: according to Craig and Kinney, pronouns “are among the strongest markers of genre (me is unusually common in Shakespeare comedy, as we and they are in Shakespeare’s Roman plays)”.18 Computational studies, Craig and Kinney conclude, reveal to us that such little and colorless words are “not insignificant structural material, but in fact vary in concert with almost any differentiation of text one might think of, from authorial styles to national linguistic differences”.19 “Shakespeare”’s individuality as an author, therefore, paradoxically depends on a computer’s detection of a common lexicon of function words in his printed plays; he is, in fact, nothing more or less than varying webs of little words based on a mechanized counting of these words within segments of digitized text carved up by length rather than poetic or semantic considerations.

14 For an even more “alien” view of Shakespeare’s texts that focuses on units smaller than the word, we might look at the Shakespeare Quartos Archive, which builds on the British Library’s Shakespeare in Quarto website.20 To date, the site offers only a Hamlet prototype; for this play, however, the project offers both facsimiles and XML transcriptions of all the Hamlet quartos. Visitors to the site can compare different quartos of Hamlet and see up close the marginalia that have long been sequestered in rare book libraries. Figure 7 offers an example of such digitized marginalia, which is an inserted stage direction, “laying his Hand on Laertes Head,” to accompany the blessing that Corambis (aka

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Polonius) gives to his son prior to offering his famous paternal advice. William Sherman has analyzed markings of this kind in material books through the lens of book history, and recent developments in textual forensics have gleaned from these same books information ranging from the provenance of paper to the characteristics of previous owners.21 But in the digitized environment of the Shakespeare Quartos Archive, neither paper nor handwriting can yield material clues to the agent(s) that produced that stage direction. Furthermore, the marginalia’s author has multiple identities. Within the XML transcript, the annotator is identified as “#ab” and the text’s location as “#bli” or British Library (Figure 8). The page’s metadata identifies the annotator as “hand-anon2,” an unknown annotator from the seventeenth or eighteenth century. In the digital environment, the “author” of this annotation is a configuration of various signs or units, in Bogost’s terminology: the handwriting, in its pixelated rendering; the identifiers “#ab” and “hand-anon2”; and the ghostly hand of a long-dead person who may or may not have left biological traces within the book housed in the British Library.22

Figure 7: Hamlet, Q1, BL Shelfmark C.34.k.1. Q1, Shakespeare Quartos Archive.

Screen grab. URL: http://www.quartos.org/main.php.

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Figure 8: XML transcription of Hamlet, Q1, BL Shelfmark C.34.k.1. Q1, Shakespeare Quartos Archive.

Screen grab. URL: http://www.quartos.org/main.php.

Alien Shakespeare, 3: Life as an App

15 The relevance of Bogost’s alien phenomenology to Shakespeare 2.0 is most striking, perhaps, in a hybrid space that combines video and/or audio with text – the Shakespeare app. There are a number of these on the market, aimed mostly at the educational sector. The Shakespeare app exacerbates the disaggregation of “Shakespeare” perpetrated by digital texts of the plays, adding more agents and more voices. In the Luminary app of Macbeth, sponsored by the Folger Shakespeare Library, the digital paratext offers an opportunity to consult the opinions of Shakespeare critics, and also the ability to select which critic one wants to consult at any given moment. The clips of expert commentary are like the substantive notes in a printed text, or film clips used in the classroom. As Laurie Osborne argues, the film clip functions as a type of Shakespearean quotation, thus enforcing the primacy of Shakespearean text over performance. Running teacher commentary over the clip, furthermore, can function as an authoritative voiceover that subordinates actors, characters, and bard alike to the central classroom authority.23 In practice, the film clip can be a conservative force valorizing the printed text that it aims to replace. The Luminary app perhaps seems more democratic because it places different “voices” on equal footing and can foster quite contingent relations among its assorted parts; to some extent, the reader can wander at will through the app’s virtual spaces. Nevertheless, the main experience is of text enhanced by other objects of sight and sound.

16 A more tangled interaction between Shakespeare text and video application can be seen in the Shakespeare in Bits Macbeth. For each in its series of plays popular in K-12 settings, Shakespeare in Bits offers the complete plays in one-minute segments. The screen is divided in half. At left is an animated video of the scene with soundtrack, with the text at right. Jennifer Ailles suggests that Shakespeare apps challenge the notion of the “discrete book” by providing a “free flow of text,” most frequently on the small screens of phones and tablets.24 We can see how data flows in the Macbeth app as within each screen, the words spoken by the cartoon character at left are colored red. Thus, the text seems to scroll down the page as the cartoon moves its mouth (see Figure 9).25

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Figure 9: Shakespeare in Bits app of Macbeth, with text being spoken highlighted in color at the right part of the screen.

Screen grab. URL: https://siblive.shakespeareinbits.com/siblive2/.

17 The notion of data flow, however, treats the digital information in a Shakespeare app as too disembodied – without agency, without affect. As a digital artifact, the Shakespeare in Bits Macbeth is less a data flow than a system or network of tiny units that exist in changing relations that are, at bottom, accidental. As an example at a fairly macroscopic level, consider the relation between animation and soundtrack. While the animation was designed for this particular app, the soundtrack, as it turns out, comes from the venerable Naxos audiobooks, where the three witches were played by Annette Badland, Joyce Henderson, and Pauline Lynch. Fiona Shaw read the part of Lady Macbeth.26 It is easy enough to see this animation as alien Shakespeare. The aesthetics behind the witches’ appearance leans towards print comics or manga. For dialogue, the camera favors shot-reverse-shot close-ups of the conversationalists, anchored by periodic establishing shots from a medium distance. Figure 10 shows the witches at the moment when they begin to intone “Fair is foul, and foul is fair.” The coolly detached, almost ethereal voices of the Naxos audiobook witches contrasts strongly with the gothic and somewhat masculine appearance of their cartoon equivalents. There is also an additional, extradiegetic scene, which shows a disturbed man’s face in close-up to accompany some huffing-and-puffing on the soundtrack. In its original aural context, those noises announce the imminent arrival of the Bloody Sargeant, who is replaced in the app by what can only be the Thane of Cawdor, who has made regular appearances in Macbeth films following the Roman Polanski version, with the panting breaths now signaling that character’s distress as he awaits execution.27

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Figure 10: Witches from the beginning of Macbeth (“Fair is Foul”), Shakespeare in Bits Macbeth public demo.

Screen grab. URL: https://siblive.shakespeareinbits.com/siblive2/.

18 Looking at the Shakespeare in Bits Macbeth as a collection of units or objects with equal agency and affective power, we can see their contingent coming together as more energetic and more vexed than the notion of disembodied data flowing freely would allow. Characters mouth words we never hear, while text comes to life through the red highlighting; even when mouths and words are in sync, they exist in separate worlds. As the text scrolls relentlessly down the screen in counterpoint with a close-up of the animated character’s mouth, the Shakespeare in Bits app calls attention to the fragmented, even disjointed, nature of its operations. Images, sounds, stylized faces and moving letters come at us from all sides. This is alien Shakespeare 2.0.

19 We can see a comparable working out of contingent, or even chance, relationships in the scene where Lady Macbeth reads her husband’s letter. Again, the relationship between voice and visual appearance of the character is only contingent. While in an animated film the actor supplying a character’s voice is presumably chosen to fit that character’s physical appearance and behavior, the Lady Macbeth of Shakespeare in Bits is voiced by Fiona Shaw, whose Naxos performance stands at a considerable temporal distance from the creation of the app. The choice of voice to match with the cartoon Lady Macbeth, furthermore, is most likely a matter of availability, convenience, and copyright conditions as much as aesthetic considerations. Fiona Shaw and Lady Macbeth are configured into a system whose existence is contingent on a host of factors: the digitized voice in the app (which remediates the LP record, cassette tape, and CD, all previous delivery methods of the audiobook), pixelated cartoon, and scrolling text of varied colors all exist on the same plane; ontologically, furthermore, each one is equal to the others.

20 Not only do the parts of Shakespeare in Bits’s app lead a separate existence while combining with one another in contingent or chance relationships, but the crafted narrative forms extramural relations with objects beyond the screen. In 1.5, after encountering a panoramic view of Castle Macbeth to set the scene, we find Lady Macbeth in her bath, reading by candlelight the letter from Macbeth (Figure 11). As Fiona Shaw’s controlled, mellow voice reads the letter, the Lady Macbeth figure is shot in a series of close-ups that focus on different parts of her face; the animation records clearly through these close-ups the figure’s progression from mild interest to surprise (Figure 12), and finally to complicity, as the letter entrusts Macbeth’s secret to his wife: “Lay it to thy heart, and farewell” (Figure 13). The visual synecdoches, focusing on key body parts, are in tune with dominant image strands in the play. Yet there remains one fractious object: that bathtub. Why, we might ask, is this the setting chosen for act 1, scene 5?

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Figure 11: “They met me in the day of success,” Shakespeare in Bits Macbeth, screengrab.

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Figure 12: “While I stood rapt in wonder of it,” Shakespeare in Bits Macbeth, screengrab.

Figure 13: “Lay it to thy heart, and farewell,” Shakespeare in Bits Macbeth, screengrab.

21 The setting makes no choice in terms of the diegetic narrative, for if Lady Macbeth really were to lay the letter to her heart, it would dissolve in the bath. Placing her in the tub, of course, does allow us to register the cartoon figure’s shifts in mood, and the bath is linked vaguely to the text as a proleptic version of the basin in which Lady Macbeth will soon wash the blood of Duncan off her hands. The choice also has dramatic and cinematic analogues. The original Lady Macbeth reading her husband’s letter in the bath may well be Harriet Walters, playing opposite Anthony Sher in Gregory Doran’s 1999 Macbeth for the Royal Shakespeare Company. But that historic production is probably not in play in this context. In a more likely popular culture precedent, Macbeth and his wife strip naked to get rid of Duncan’s blood in a similar bathtub for Punchdrunk’s long-running piece of immersive theater, Sleep No More (Figure 14); and in the 2006 film of Macbeth by Geoffrey Wright, we first meet Lady Macbeth relieving stress by taking to a candlelit bath, which in the end becomes the scene of her suicide (Figure 15).28 In the end, though, there is no “real” reason for Lady Macbeth to read Macbeth’s letter in a bathtub; there is, in fact, no “real” bathtub. The tub in Sleep No More was quite solid and the surrounding floor slippery with fake blood, as I discovered on my one visit to that show. The tub in the Melbourne film has or had a material existence, although as viewers we experience only its filmic simulacrum. But the Shakespeare in Bits bathtub is at best just a pattern of pixels generated by some computer program we can never experience directly.

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Figure 14: Lady Macbeth and Macbeth in the bath, Sleep No More.

Promotional image from the official Sleep No More website, screen grab. URL: http:// www.sleepnomore.com/images/room1-bg2.jpg.

Figure 15: Victoria Hill as Lady Macbeth in Macbeth, dir. Geoffrey Wright, Mushroom Pictures.

Screengrab (Madman Entertainment, DVD 2006).

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22 Yet all three tubs, as Bogost would say, are equally objects or units participating in a common system that comes into and fades out of existence in relation to other systems. So too for the three Lady Macbeths, at once embodied and disembodied, both cool data and warm affect. While allusions to other productions, either live or fictive, is common practice among Shakespeare adaptors, looking at this effect through the lens of alien phenomenology expands significantly the set of objects with potential agency. A pixelated tub exists on the same terms as the most of solid objects of film sets or immersive theater experiences, its existence and agency equal to that of the Manhattan building in which Sleep No More is set and to the intentions of Geoffrey Wright as filmmaker.

Conclusion

23 I think it worthwhile to pursue the alien phenomenology of Lady Macbeth in the bath precisely because the company behind Shakespeare in Bits, like many apps, promotes its product as offering unmediated and thus relatively unproblematic access to meaning in Shakespeare: the company website reads, “The combination of text, fully animated re-enactment and audio soundtrack helps you decode Shakespeare’s prose and facilitates learners of varying abilities and learning styles.” There are similar misconceptions about the transparency and “relatability” of other apps, of easily searchable digital texts, and certainly, of YouTube’s offerings in the Shakespeare sector. It is useful, I think, to meditate on the mysterious, secretive, and even self- serving objects lurking beneath the polished interfaces of digitized texts and on the hidden algorithm that steers YouTube. Instructive, as well, is the placement of the virtual Lady Macbeth, with her brown hair and the sprinkle of freckles across her nose, in the company of Fiona Shaw’s voice, the specular image of Victoria Hill’s body (from the Wright Macbeth), and rotating actresses in New York’s Sleep No More, whose performances persist only in visitors’ memories – and beyond that, in our alien phenomenology, to the conglomeration of real and virtual bathtubs in whose company these “women” find themselves. This is a useful exercise in alien phenomenology, the beginning of a conversation around the implicit question posed by the subtitle of Ian Bogost’s Alien Phenomenology: “What is it like to be a (Shakespearean) thing?”

NOTES

1. For a coherent sample of recent Hamlet parodies, see, for instance, “Hamlet Wrecking Ball Parody,” YouTube, 16 December 2013, https://www.youtube.com/watch?v=snOT715pLuk [accessed 9 October 2016]; “Wrecking Ball - Ophelia (Hamlet) Version,” YouTube, 14 January 2015, https://www.youtube.com/watch?v=GQvj84SWh5g [accessed 9 October 2016]; and “Wrecking Ball Parody - The Tragic Tale of Hamlet, Prince of Denmark,” 6 October 2013, https:// www.youtube.com/watch?v=XhTsT3g5OoQ [accessed 9 October 2016].

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2. Ian Bogost, Alien Phenomenology: Or, What It’s Like to Be a Thing, Minneapolis, University of Minnesota Press, 2012, Kindle. The terms “unit, “system,” and “configuration” are introduced at loc. 444. Bogost’s understanding of phenomenology as a method is particular to his work in the digital realm and is not to be confused with the perspectives of earlier writers on phenomenological relations. 3. Donna J. Haraway, Simians, Cyborgs, and Women: The Reinvention of Nature, London, Taylor and Francis, 1991; N. Katherine Hayles, How We Became Posthuman: Virtual Bodies in Cybernetics, Literature, and Informatics, Chicago, University of Chicago Press, 1999; Jane Bennett, Vibrant Matter: A Political Ecology of Things, Durham, Duke University Press, 2010. 4. Catherine M. Belsey, The Subject of Tragedy: Identity and Difference in Renaissance Drama, London, Methuen, 1995, p. 8. 5. Manuel de Landa, Intensive Science and Virtual Philosophy, London, Continuum, 2002. 6. Hayles, How We Became Posthuman, op. cit., p. 2-3. 7. Douglas Lanier, “Shakespearean Rhizomatics: Adaptation, Ethics, Value,” in Shakespeare and the Ethics of Appropriation, ed. Alexa Huang and Elizabeth Rivlin, New York, Palgrave, 2014, 21-40, p. 28-29. 8. Ibid., p. 29. 9. Linda Hutcheon, A Theory of Adaptation, London, Routledge, 2006 writes that she prefers the “biological parallel” as a metaphor for adaptation as a process: “Evolving by cultural selection, traveling stories adapt to local cultures, just as populations of organisms adapt to local environments” (p. 177). 10. Bogost, Alien Phenomenology, op. cit., loc. 455-459. Here, Bogost is citing and discussing Bruno Latour, Reassembling the Social: An Introduction to Actor-Network Theory, Oxford, Oxford University Press, 2005, p. 46. 11. Bogost, Alien Phenomenology, op. cit, loc. 586-590. 12. Peter Holland, “Performing Shakespeare for the Web Community,” in Shakespeare in Hollywood, Asia, and Cyberspace, ed. Alexa Huang and Charles S. Ross, West Lafayette, IN, Purdue University Press, 2009, 252-262, p. 255. At that time, Holland counted ten LEGO Macbeths; my search for “LEGO Macbeth” on YouTube on 19 May 2016 brought up 21,700 results. 13. See as well, Christy Desmet, “YouTube Shakespeare, Appropriation, and Rhetorics of Invention,” in OuterSpeares: Shakespeare, Intermedia, and the Limits of Adaptation, ed. Daniel Fischlin, Toronto, University of Toronto Press, 53-72. 14. Ayanna Thompson, “Unmooring the Moor: Researching and Teaching on YouTube,” Shakespeare Quarterly, 61, no. 3 (2010), 337-356; Valerie Fazel, “Researching YouTube Shakespeare: Literary Scholars and the Ethical Challenges of Social Media,” Borrowers and Lenders: The Journal of Shakespeare and Appropriation, 10.1 (2016). 15. For more about the role of YouTube’s algorithm in creativity and curation of videos on that site, see Christy Desmet, “YouTube Shakespeare, Appropriation, and Rhetorics of Invention,” passim. 16. Kevin Slavin, “How Algorithms Shape Our World,” TEDGlobal talk, YouTube, 21 July 2011, http://www.youtube.com/watch?v=TDaFwnOiKVE [accessed 21 April 2016]. 17. Hugh Craig and Arthur F. Kinney, Shakespeare, Computers, and the Mystery of Authorship, Cambridge, Cambridge University Press, 2009, Kindle book, loc. 341. 18. Ibid., loc. 493. 19. Ibid. The way in which “Shakespeare” is mapped out in the scatter graphs and line graphs that illustrate Craig and Kinney’s findings visualizes dramatically how the Author as Individual is reconceived by computational studies as a contingent configuration of single textual points in varied patterns. The reader should consult the figures in Craig and Kinney’s book for examples. Some visual samples of Shakespeare-as-graph can also be seen in a readily accessible article by Hugh Craig, “Common-words frequencies, Shakespeare’s style, and the Elegy by W.S.,” Early

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Modern Literary Studies, 8, no. 1 (2002), 1-42, accessible online at http://purl.oclc.org/emls/08-1/ craistyl.htm [accessed 4 November 2016]. 20. Shakespeare in Quarto, British Library, http://www.bl.uk/treasures/shakespeare/quartos.html; Shakespeare Quartos Archive, http://www.quartos.org [accessed 4 November 2016]. 21. William H. Sherman, Used Books: Marking Readers in Renaissance England, Philadelphia, University of Pennsylvania Press, 2008. The allusion to the potential of textual forensics here is based on a plenary panel at the 2016 Shakespeare Association of American meeting in New Orleans (23-26 March 2016). The panel, entitled “Shakespearean Forensics,” included papers by Joshua Calhoun, Christina Warriner, Matthew Collins, and Michael Witmore. 22. See Christy Desmet, “The Shakespeare Quartos Archive,” Shakespeare International Yearbook, 14: Special Section, Digital Shakespeares, ed. Brett D. Hirsch and Hugh Craig, Farnham, England, Ashgate, 2014, 143-154. This example is discussed on p. 151-152. 23. Laurie E. Osborne, “Clip Art: Theorizing the Shakespearean Film Clip,” Shakespeare Quarterly, 53, no. 2 (2002), 227-240. 24. Jennifer L. Ailles, “‘Is There an App for That?’: Mobile Shakespeare on the Phone and in the Cloud,” in Outerspeares: Shakespeare, Intermedia, and the Limits of Adaptation, ed. Daniel Fischlin, Toronto, University of Toronto Press, 2014, 75-112, p. 79. 25. Macbeth, Shakespeare in Bits, app for iPad, available at: https:// siblive.shakespeareinbits.com/siblive2/ [accessed 4 November 2016]. The company offers a two- minute demo of Macbeth – the very beginning of the play – on its website. 26. Macbeth, Naxos Audio Books, http://www.naxosaudiobooks.com/316212.htm [accessed 4 November 2016]. 27. Macbeth, dir. Roman Polanski, perf. John Finch, Francesca Annis, UK, Playboy Productions, 1971. 28. Sleep No More, immersive theater experience, Punchdrunk, New York, 2011-2016; Macbeth, dir. Geoffrey Wright, perf. Sam Worthington, Victoria Hill, Australia, Film Victoria, 2006.

ABSTRACTS

Shakespeareans have begun to study the bard in New Media, and a smaller group studies Shakespearean texts from the perspective of Digital Humanities research. However, these disciplinary divisions, with their varying theoretical perspectives, prevent us from seeing useful commonalities between these two domains of digital Shakespeare. This essay seeks to begin the conversation of examining digital Shakespeare as a general category under the theoretical umbrella of Ian Bogost’s “alien phenomenology,” which regards objects of all kinds – concrete and abstract, “real” and imaginary – as existing equally, or as having a comparable ontological status. The theory insists at once on the autonomy and integrity of objects or units and on the ubiquitous enfolding of systems, and therefore of relationships, both within and beyond objects. Bogost’s principal metaphor for what he calls not merely a “flat ontology” but a “tiny ontology,” is the black hole, which is at once an infinitely dense point and an enfolded form of an entire universe. Following alien phenomenology in examples from YouTube, the searchable Folger Digital Texts, the Shakespeare in Quarto Archive, and both the Luminary and Shakespeare in Bits apps, the essay suggests how both persons and texts are units or objects imbricated in a system, or even tangle, of relationships that make up digital Shakespeare’s systems of meaning. The essay

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concludes by suggesting that the investigation of alien phenomenology in digital Shakespeare artifacts both counteracts erroneous assumptions about the transparency and “relatability” of applications dedicated to Shakespeare and stresses the importance of recognizing a wide range of agents at play in digital Shakespeare.

Les études sur la présence de Shakespeare dans les nouveaux médias commencent à se développer, ainsi que l’analyse de ses textes du point de vue de la recherche en Humanités Numériques. Ces deux domaines qui traitent de Shakespeare dans le monde numérique, bien que souvent séparés, ont pourtant des points communs, que cet article s’efforce de faire ressortir à partir de la notion de « phénoménologie des choses » (alien phenomenology) développée par Ian Bogost. Il s’agit de considérer tous les objets (concrets et abstraits, « réels » et imaginaires) sur le même plan d’existence, de leur attribuer le même statut ontologique en insistant à la fois sur l’autonomie et l’intégrité des objets ou unités et sur l’omniprésence de systèmes, et donc de relations, au-dedans et au-dehors des objets. La métaphore centrale de cette théorie, que son auteur qualifie d’« ontologie du minuscule », est celle du trou noir, point à la fois infiniment dense et forme condensée d’un univers entier. Cet article analysera des exemples tirés de YouTube, des textes numérisés de la Folger Shakespeare Library, des archives Shakespeare in Quarto, et de deux applications, Luminary et Shakespeare in Bits, afin de montrer l’imbrication des objets et des personnes dans des réseaux enchevêtrés de relations qui constituent les systèmes d’interprétation du « Shakespeare numérique ». Grâce aux outils fournis par la théorie de Bogost, il est possible de réfuter des suppositions erronées concernant la transparence et l’accès direct à Shakespeare que prétendent donner certaines applications, tout en reconnaissant la grande variété d’acteurs impliqués dans le processus.

INDEX

Keywords: alien phenomenology, Bogost Ian, Deleuze Gilles, Folger Digital Texts, Guattari Félix, Hamlet parody, Luminary, rhizome, Shakespeare in Bits, Shakespeare in Quarto Archive, YouTube Mots-clés: alien phenomenology, Bogost Ian, Deleuze Gilles, Folger Digital Texts, Guattari Félix, Hamlet, Luminary, parodie, rhizome, Shakespeare in Bits, Shakespeare in Quarto Archive, YouTube

AUTHOR

CHRISTY DESMET University of Georgia

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