d’arcy jenish la voie maritime du saint-laurent Cinquante ans et l’avenir à nos portes

Traduit de l’anglais par michel gaulin © 2009 corporation de gestion de la voie maritime du saint-laurent

Aucun extrait de cette publication ne peut être Catalogage avant publication reproduit, sauvegardé dans un système de de Bibliothèque et Archives Canada recherche documentaire ou transmis par quelque procédé que ce soit sans le consentement jenish, d’arcy, 1952– préalable écrit de l’éditeur ou l’obtention d’une La Voie maritime du Saint-Laurent: cinquante licence de The Canadian Copyright Licensing ans et l'avenir à nos portes/D'Arcy Jenish; Agency (Access Copyright). traduction de Michel Gaulin. Traduction de: The St. Lawrence Seaway. penumbra press, éditeurs Comprend un index. Bo x 940 | Manotick, on | Canada isbn 97 8-1-897323-85-4 k4m 1a8 | www.penumbrapress.ca 1. Voie maritime du Saint-Laurent—Histoire. i . Gaulin, Michel ii . Titre.

fc2763.2.j46 2009 386.5’09714 C2009-900896-3 La Voie maritime du Saint-Laurent | Table des matières

Avant-propos, R ichard Corfe 9

1 La Voie maritime aujourd’hui 13

2 Promesse tenue, 1959–1969 29

3 Croissance et optimisme, 1969–1979 45

4 Des années difficiles, 1980–1992 62

5 Un nouveau départ, 1992–2002 79

6 La Voie maritime: l’avenir 98

Index 113 La Voie maritime du Saint-Laurent | Avant-propos

J’étais bien loin de penser, quand je me suis joint à l’Administration de la voie maritime du Saint- Laurent, en 1983, que j’occuperais la présidence de l’organisme au moment où il célébrerait son cinquantième anniversaire!

Quand j’ai été embauché, la Voie maritime amorçait un changement de direction. Elle avait mis en veilleuse ses objectifs de croissance pour se concentrer sur le maintien de ses acquis, modification de stratégie suscitée par la conjoncture économique difficile du début des années 1980. En tant qu’ingénieur en mécanique, mes antécédents se situaient du côté de la maintenance. Ma première responsabilité consista à mettre sur pied un programme d’optimisation des ressources qui permettrait de tirer le maximum de chaque dollar consacré au maintien du réseau. Cette initiative survenait au moment opportun, puisqu’au cours des trente mois qui allaient suivre, la Voie maritime aurait à affronter les conséquences de deux défaillances majeures d’infrastructure, l’une au pont de Valleyfield, sur la section Montréal-lac Richard Corfe, président de la Corporation de Gestion , l’autre à l’écluse 7 du Welland. de la Voie Maritime du Saint-Laurent.

Ces «événements émotivement significatifs» pour En matière d’entretien du réseau, j’ai eu l’occasion la Voie maritime nous amenèrent à dire «plus de «prêcher par l’exemple», quand, vers la fin des jamais». Ils fournirent l’impulsion nécessaire à une années 1980, j’ai été muté au canal Welland comme remise en état, à mi-vie, de nos installations grâce, directeur de l’ingénierie et de la maintenance. J’ai notamment, au programme de réhabilitation du occupé par la suite le poste de vice-président canal Welland et à la mise sur pied d’un système adjoint pour la région Niagara, puis celui de vice- complet de gestion de l’infrastructure qui, compte président, Ingénierie, pour l’ensemble du réseau. tenu du vieillissement du réseau, nous a bien servis. Puis vint la commercialisation! Depuis plus de vingt ans maintenant, nous avons réussi à respecter l’engagement que nous avions Au cours des années récentes, j’ai souvent eu pris d’éviter des défaillances majeures, et nous l’occasion de parler du chemin que nous avons exploitons de façon coutumière l’ensemble du parcouru depuis notre statut de société d’État réseau à plus de 99 pour cent de disponibilité. Les modèle, à celui d’une corporation «sans but recherches se poursuivent, toutefois, en vue de lucratif» parfaitement rodée. En tant que société trouver le financement adéquat pour maintenir ce d’État, nous étions tournés sur nous-mêmes pour record enviable. faire en sorte de nous aligner sur des pratiques

Avant-propos | 9 exemplaires dans tous les aspects de notre eu pour effet de faire mieux connaître le réseau exploitation, et d’avoir en place des systèmes Grands Lacs-Voie maritime du Saint-Laurent, tandis adéquats de gestion environnementale. que nos initiatives en matière de développement des marchés ont attiré un nouvel achalandage et En tant qu’organisme commercialisé, nous avons dû contribué à une diversification des cargaisons. Les adopter une approche axée sur l’extérieur, soit les occasions en ce sens abondent, dans le sillage de la besoins directs et immédiats de nos clients, qui récente Étude des Grands Lacs et de la Voie constituaient la véritable raison d’être de notre maritime du Saint-Laurent et de la stratégie de la nouveau statut. Puis, au fur et à mesure que la Porte continentale et du Corridor de commerce corporation atteignait sa vitesse de croisière, Ontario-Québec. démontrait sa valeur et réussissait à accroître son rôle dans l’industrie du transport maritime, nous en La corporation s’est donné pour mission d’assurer sommes venus progressivement à nous regarder de un avenir durable pour le réseau en accroissant au l’extérieur. Dans le cadre de cette démarche, nous maximum son utilisation, ce qui aura pour effet nous sommes penchés non seulement sur les d’accroître les effets bénéfiques qui en besoins directs de notre clientèle, mais sur ceux découleront pour les deux pays impliqués. En également de toutes les parties concernées et même temps, nous avons mis sur pied des nous avons élaboré une approche de «viabilité» initiatives destinées à minimiser les impacts que fondée sur l’intégration à nos activités courantes l’utilisation du réseau peut avoir sur d’autres que d’une politique de responsabilité sociale nous et pour gérer les coûts de façon à assurer un d’entreprise. juste équilibre de rendement à toutes les parties intéressées, y compris les populations du Canada La corporation s’est donné pour mission d’assurer un et des États-Unis par l’entremise de leurs avenir durable pour le réseau en accroissant au gouvernements respectifs. maximum son utilisation, ce qui aura pour e◊et d’accroître les e◊ets bénéfiques qui en découleront Dans ce contexte, avec une infrastructure en bon pour les deux pays impliqués. état sur laquelle asseoir l’avenir—et le financement nécessaire pour l’y maintenir—nous comptons sur Cette approche nous a amenés à reconnaître que la technologie moderne pour tirer du réseau des nous sommes l’un des usagers d’une richesse bénéfices maximums. partagée—le fleuve Saint-Laurent et les Grands Lacs—et que, alors que le transport maritime est Tout au long de l’histoire de la Voie maritime, essentiel à l’activité économique et à la l’innovation et le recours à des technologies compétitivité de bon nombre de nos industries, il nouvelles ont fait en sorte que son infrastructure nous faut forger avec d’autres intervenants des soit en mesure de répondre aux besoins du jour en liens de concertation si nous voulons assurer notre matière de transport. Cet état d’esprit persiste au succès et, sur la longue durée, notre viabilité. moment où nous célébrons notre cinquantième anniversaire. Les premiers systèmes de gestion du Si l’on jette un regard sur l’avenir, l’on peut dire que trafic ont évolué depuis les débuts et continuent à la Voie maritime a le vent dans les voiles. Nos le faire. Il y a cinq ans, la Voie maritime est devenue activités de marketing à la grandeur du réseau et la première voie navigable au monde à mettre en notre promotion de la marque Autoroute H2O ont service un système d’identification automatique

10 | jenish · La Voie maritime du Saint-Laurent (SIA), et des améliorations survenues depuis ont fait en sorte que le réseau reste à la fine pointe de la technologie. Au moment même où nous nous penchons sur l’avenir, nous sommes en passe de modifier l’ensemble de notre processus d’exploitation grâce à la mise en place de transits «mains libres».

L’infrastructure de la Voie maritime du Saint- Laurent, construite dans les années 1950, et le canal Welland, en exploitation depuis 1932, ont été le fondement sur lequel le succès de l’entreprise a été édifié. Mais la Voie maritime n’aurait pu connaître ce succès si ce n’avait été de ses employés.

Génération après génération, la Voie maritime a été bien servie par ses travailleurs—depuis ceux qui ont bâti le réseau, jusqu’à ceux qui en assurent l’exploitation et l’entretien, en passant par ceux qui œuvrent dans l’ombre pour assurer le support nécessaire à ses diverses activités.

Ce livre leur est dédié, travailleurs et travailleuses, aussi bien anciens qu’actuels, au moment ou, ensemble, nous nous engageons dans un avenir qui s’annonce passionnant.

—richard corfe

Avant-propos | 11 1 | La Voie maritime aujourd’hui

« Quiconque a fait l’expérience de la vie à bord d’un navire des Grands Lacs est en mesure d’apprécier le travail qui s’y accomplit, la compétence des membres de l’équipage et les défis auxquels ils font face. »

wayne smith Premier vice-président, Affaires commerciales, Algoma Central

Vêtu de façon décontractée dans une chemisette blanche et un pantalon court bleu marine, chaussé de sandales Birkenstock, le capitaine Werner Draenger apparaît bien reposé au moment où il remonte l’escalier conduisant de la cabine du commandant à la passerelle du NM Algomarine. Il s’arrête un instant à son poste, au-dessus de la proue du navire, et balaie du regard les eaux vert grisâtre du fleuve Saint-Laurent, quelque quarante pieds sous lui. On est au milieu de l’après-midi, un samedi de juillet, et l’Algomarine, un bâtiment de 730 pieds, est amarré depuis huit heures au quai 99 du port de Montréal, dans l’est de la ville. Durant ce temps, il a déchargé 24000 tonnes de fragments de pierre à chaux, de la grosseur de balles de golf, qui se dressent maintenant sur le revêtement asphalté du quai en deux pyramides bien ordonnées, d’une hauteur de cinquante pieds chacune. Le capitaine, un vieux routier qui vient d’atteindre ses soixante-cinq ans, s’apprête à Un navire voyageant en direction ouest, dans l’écluse de Saint- donner les ordres de départ. Lambert, avec la ville de Montréal en arrière-plan. Cette écluse Au cours des dix-huit à vingt prochaines heures, il sert de porte d’accès à la Voie maritime du Saint-Laurent. guidera le navire à travers les chenaux, les canaux et air photo max les sept écluses qui forment la section Montréal-lac Ontario de la Voie maritime du Saint-Laurent. À moteurs, à quelque sept cents pieds de distance, à la 15h20, le capitaine Draenger passe en revue une liste poupe, de mettre en marche le propulseur d’étrave. Il de vérifications avant départ. Il demande à son s’agit d’un engin d’une puissance de 800 hp, installé premier lieutenant, Joe Ames, si tout l’équipage de dans la coque, directement sous la passerelle, et qui vingt-quatre personnes est à bord. Puis il donne actionne une hélice de deux mètres de diamètre. instruction à l’officier mécanicien en chef, Seth La proue du navire s’éloigne du mur de béton Gordon, assis dans la salle de commande des du quai, et le voyage s’amorce. L’Algomarine est en

1 · La Voie maritime aujourd’hui | 13 Besogne délicate que celle de faire passer un navire dans la chambre de béton, et qui requiert une dextérité considérable et une touche experte.

et la première étape de sa montée vers le lac Ontario. L’écluse est située sur la rive sud du Saint- Laurent, directement en face du centre-ville de Montréal. Besogne délicate que celle de faire passer un navire dans la chambre de béton, et qui requiert une dextérité considérable et une touche experte de la part du capitaine et d’une équipe qui comprend le préposé au gouvernail, les lieutenants et les ingénieurs. L’écluse fait quatre-vingts pieds de large. Le navire, lui, en fait soixante-quinze, ce qui laisse à peine deux pieds et demi de marge de manœuvre de chaque côté, bien peu de place pour quelque erreur que ce soit. Le capitaine donne ses ordres d’une voix calme et rassurante. Il est en communication constante Avec à peine deux pieds et demi de marge de manœuvre de avec son équipe: le préposé au gouvernail, qui se chaque côté, parfois moins en certains cas, il faut une équipe tient immédiatement derrière lui; les mécaniciens, hautement qualifiée pour faire pénétrer l’Algomarine, un navire bien installés dans leur salle de commande; enfin, long de 730 pieds, dans une écluse. patrick jenish ses lieutenants, le premier à la proue, le deuxième à la poupe, tous deux munis d’un radio émetteur- route pour , en vue d’y charger une récepteur afin de tenir le capitaine bien informé de cargaison d’avoine. Ses six énormes cales, qui la position du navire au moment où la poupe frotte peuvent déplacer le même volume de contre le mur de guidage, glisse en direction de la marchandises que 870 camions de transport ou porte et pénètre dans l’écluse. trois trains de 100 wagons chacun, sont vides, mais À 17h40, l’Algomarine repose dans l’écluse et, ses citernes de ballast sont remplies d’eau pour douze minutes plus tard, y est bien amarré. À 18 donner de la stabilité. Quelques minutes après heures, l’eau commence à s’engouffrer dans le sas avoir quitté le quai, l’Algomarine navigue au large, et, en huit minutes, élève le navire à une hauteur de sur le Saint-Laurent. dix-huit pieds. La porte s’ouvre, le capitaine émet un Le ciel est gris, les vents légers et le fleuve bref coup de sifflet qui signifie « Larguez toutes les grouille d’activité. On aperçoit sur l’eau des amarres» et le navire reprend son voyage dans le bateaux d’excursion, des bateaux à moteur, des canal de la Rive Sud, long de 22,5 kilomètres, qui bateaux de pêche, des kayaks et des Sea-Doo, serre de près la côte en forme de V d’une section tandis que l’imposant vraquier—plus long que deux du fleuve connue sous le nom de bassin de terrains de football mis bout à bout, et large de la Laprairie. moitié—poursuit sa route en amont. Il dépasse La La prochaine étape, à seize kilomètres en Ronde, le parc d’attractions très fréquenté, situé à amont, est celle de l’écluse de Côte-Sainte- la pointe est de l’île Sainte-Hélène, où s’est tenue Catherine, qui tire son nom d’une localité Expo 67. Il passe sous l’une des deux arches du adjacente de banlieue. Cette écluse soulève le pont Jacques-Cartier, s’engage dans le chenal navire de trente pieds. Un peu plus loin, le fleuve maritime et se dirige vers l’écluse de Saint-Lambert s’élargit et devient le lac Saint-Louis. L’Algomarine

14 | jenish · La Voie maritime du Saint-Laurent atteint le lac au moment où le soleil se couche. Un à gauche: Un navire descendant, dans le canal de la Rive Sud, feu d’artifice et le parc d’attractions d’une foire navigue en direction de l’écluse de Côte-Sainte-Catherine, en estivale illuminent le ciel au-dessus du Territoire route vers Montréal. à droite: Les écluses supérieure et mohawk de Kahnawake, sur la rive sud. De l’autre inférieure de Beauharnois procurent chacune une élévation ou côté du lac, dans l’Ouest-de-l’Île, les lumières de une descente de quarante-deux pieds et sont adjacentes à un Dorval, de Pointe-Claire et de Beaconsfield barrage hydroélectrique du même nom. air photo max commencent à scintiller. Vers minuit, après avoir traversé le lac Saint- part de l’eau du lac Saint-François, autre Louis, le navire atteint la première des deux élargissement du fleuve, aux turbines de la centrale écluses de Beauharnois, adjacentes à un barrage électrique de Beauharnois. hydroélectrique et à une usine de production Au lever du soleil, le navire a atteint l’extrémité d’électricité qui portent le même nom. Chacune de ouest du lac Saint-François. Il a dépassé de petites ces écluses élève l’Al gomarine de quarante-deux localités situées sur le bord du lac, Saint-Zotique, pieds, jusqu’à la hauteur du canal de Beauharnois. au Québec, et Lancaster et Summerstown, en Creusé à l’origine dans les années 1930, puis Ontario. Cornwall se trouve un peu au-delà. approfondi pendant les années 1950 lors de la L’ Algomarine pénètre dans le chenal maritime du construction de la Voie maritime, ce canal fait vingt fleuve, marqué par des bouées et des aides à la et un kilomètres de long et fournit la plus grande navigation. Il dépasse plusieurs petites îles et deux

1 · La Voie maritime aujourd’hui | 15 Le capitaine Draenger garde la main droite sur la manette de contrôle des gaz. Sans cesse en mouvement, ses yeux scrutent les cadrans, les écrans et les jauges de la console placée devant lui.

grandes—l’île St-Régis et l’île Cornwall—et atteint l’écluse Snell. Celle-ci est la première de deux écluses situées du côté américain de la Voie maritime et la cinquième des sept étapes de la remontée du navire en direction du haut Saint- Laurent et du lac Ontario. L’écluse Snell élève le navire de quarante-sept pieds. L’écluse Eisenhower, à six kilomètres et demi en amont, l’élève de quarante-deux pieds additionnels. La dernière écluse, celle d’Iroquois, qui porte le nom de la petite ville ontarienne située sur les bords du fleuve, se trouve à 40 kilomètres plus à l’ouest. Elle élève l’ Algomarine de deux pieds à peine. Au moment où il quitte l’écluse, l’Algomarine se trouve à 175 kilomètres à l’ouest de Montréal, en amont de laquelle, depuis son départ, il a été élevé de 224 pieds. Le fleuve, dont l’étendue est ici imposante, est en grande mesure libre d’îles, et le navire franchit facilement les chenaux maritimes pour dépasser Prescott et Brockville, du côté canadien et Ogdensburg et Morristown, sur la rive de l’État de New York. Tôt le dimanche après-midi, le navire a commencé de se frayer un chemin à travers le célèbre archipel des Mille-Îles. Les propriétaires de chalets et de maisons des deux côtés du Saint- Laurent profitent d’un après-midi chaud et ensoleillé, tandis que les bateaux à moteur filent à toute vitesse dans les deux sens du fleuve. À l’heure du dîner, l’Algomarine a dépassé Cape Vincent et Tibbets Point. Il a quitté le fleuve et se dirige maintenant, à un rythme soutenu, vers l’extrémité ouest du lac Ontario.

§ On est à deux heures du lever du soleil, le lundi matin, quand le capitaine Draenger guide l’Al gomarine au-delà de la petite ville tranquille de Concept artistique du réseau Grands Lacs-Voie maritime du Port Weller, sur les bords du lac, pour le faire Saint-Laurent. Albert G. Ballert, autrefois directeur de la pénétrer dans les eaux toujours sombres du canal recherche à la Commission, à Ann Harbor, au Welland, en direction de la masse noire arrondie de Michigan, a produit cette image vers la fin des années 1960. l’escarpement du Niagara, que l’on aperçoit à albert ballert l’horizon et qui se dresse entre les lacs Ontario et

16 | jenish · La Voie maritime du Saint-Laurent Érié. Il est 4 heures du matin, et le capitaine Draenger est debout déjà depuis une heure, à son poste sur la passerelle. Il va passer les douze prochaines heures à guider le navire à travers les écluses, les passages et les chenaux du canal, qui fait quarante-trois kilomètres de long. Tirée par gravité, de l’eau en provenance du lac Érié pénétrera dans les huit écluses du canal et en ressortira, élevant l’Algomarine de 100 mètres—326 à gauche: L’entrée du canal Welland par le lac Érié, à Port pieds, la hauteur d’un immeuble de 32 étages. La Colborne, en Ontario. Le chenal de navigation se trouve à droite. montée commence, sous l’éclat aveuglant des L’autre est un chenal d’alimentation qui fournit de l’eau en réflecteurs orange de l’écluse 1. provenance du lac au reste du canal. à droite: Les écluses Le capitaine Draenger garde la main droite sur la jumelées constituent le cœur du canal Welland. Elles accueillent manette de contrôle des gaz. Sans cesse en simultanément le trafic remontant, comme dans cette photo, et mouvement, ses yeux scrutent les cadrans, les écrans le trafic descendant. Elles élèvent ou abaissent les navires en et les jauges de la console placée devant lui. trois marches géantes d’escalier, chacune d’une hauteur de L’Algomarine se déplace à deux kilomètres à l’heure— quarante-deux pieds. air photo max très lentement, selon l’échelle graduée burinée sur l’accélérateur. Au cours des minutes qui suivent, le Au-dessous, depuis le pont, les premier et capitaine Draenger réduit la vitesse. Puis il donne deuxième lieutenants tendent aux éclusiers des l’ordre au mécanicien de renverser le sens de la câbles d’amarrage en acier tressé enroulés sur des marche, ce qui a pour effet d’amener le navire à un treuils. Les éclusiers attachent fermement le arrêt complet, à un ou deux mètres à peine des navire en passant les câbles par-dessus de grosses portes supérieures de l’écluse. Il est 4h21, et le bittes de fer, appelées bollards, encastrées dans troisième lieutenant, qui est présent dans la cabine de la surface de béton. L’opérateur d’écluse ouvre la passerelle, inscrit l’heure dans le journal de bord. quatre énormes vannes d’entrée. Chacune fait

1 · La Voie maritime aujourd’hui | 17 L’ Algomarine est le seul bâtiment à naviguer sur le canal en ce matin d’été. Il franchit rapidement les écluses 2 et 3 avant de parvenir aux écluses jumelées en série—numéros 4, 5 et 6— qui s’élèvent depuis le pied de l’escarpement et le gravissent l’une après l’autre en trois étapes géantes, à peu près jusqu’au sommet de cette formidable barrière naturelle. Chaque écluse jumelée est dotée de deux chambres, érigées l’une à côté de l’autre, ce qui permet aux navires de monter et de descendre simultanément. Au sortir de l’écluse 6, l’Algomarine traverse un court passage de plusieurs centaines de mètres pour atteindre l’écluse 7 et accomplir une dernière montée de 47 pieds et demi et se hisser au niveau de la terre ferme. Puis il poursuit sa route en direction sud, dépassant la ville de Welland, côtoyant des terres agricoles fertiles, se glissant sous des pylônes d’électricité, par-dessus deux tunnels qui Le canal Welland court du nord au sud et traverse la péninsule permettent libre passage aux trains, aux camions et du Niagara. Le canal fait 43,4 kilomètres de long et ses huit aux voitures, puis atteignant la petite ville de Port écluses élèvent ou abaissent les navires de 326 pieds et demi. Colborne pour enfin franchir la huitième écluse du corporation de gestion de la voie maritime du saint-laurent canal et se retrouver dans le lac Érié. Il est alors près de 16heures. Le capitaine Draenger réintègre sept pieds de largeur sur quatorze de hauteur, sa cabine, située immédiatement sous la passerelle, assez grand pour y laisser passer une voiture. La pour y prendre un repos bien mérité. Le premier voix de l’opérateur d’écluse se fait entendre sur le lieutenant le relève, et le navire poursuit son système de communication: «Algomarine , vous voyage en direction ouest. montez». On entend distinctement le son de l’eau qui se § L’Algomarine a maintenant terminé son passage à précipite en cascade dans le sas. En l’espace de dix travers le cœur du réseau Grands Lacs-Voie minutes, 23 millions de gallons d’eau—ce qui maritime du Saint-Laurent—le système de canaux, représente la consommation quotidienne d’une de chenaux et d’écluses qui a achevé sa ville de près de 130000 habitants—se sont cinquantième année d’activité en 2008. La Voie engouffrés dans le sas et ont élevé l’Algomarine de maritime rend possible la navigation commerciale 46 pieds et demi. Il est 4h41. Le troisième depuis les eaux de marée du golfe du Saint-Laurent lieutenant inscrit l’heure dans le journal de bord. jusqu’à Thunder Bay, en Ontario, et Duluth, au Les portes supérieures commencent à s’ouvrir et Minnesota, à l’extrémité ouest du lac Supérieur. l’opérateur d’écluse s’adresse de nouveau au Cette splendide voie navigable s’étend à l’intérieur capitaine: «Algomarine vous avez la voie libre pour des terres sur 3700 kilomètres, pour ainsi atteindre le transit. Bon voyage ». le cœur du continent. Huit États américains et deux

18 | jenish · La Voie maritime du Saint-Laurent ports écluses golfe du écluses canadiennes 1. Saint-Lambert saint- écluses américaines 2. Côte-Sainte-Catherine laurent 3. Beauharnois (inférieure) 4. Beauharnois (supérieure) 5. Snell 6. Eisenhower urent 7. Iroquois a supérieur 8. Canal Welland (8 écluses) 9. Écluses de Sault Ste. Marie aint-l . s f

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provinces canadiennes bordent la Voie maritime, et Les écluses et les principaux ports du réseau Grands Lacs/Voie un tiers de la population de l’Amérique du Nord vit maritime du Saint-Laurent. La Voie maritime rend la navigation dans ces ressorts territoriaux. possible depuis le golfe du Saint-Laurent jusqu’à l’extrémité ouest La Voie maritime est, à n’en pas douter, l’une des du lac Supérieur. cgvmsl plus importantes autoroutes maritimes intérieures au monde.Elle est en outre une merveille transport et 1,3 milliard en revenus fiscaux pour d’ingénierie. Le canal Welland actuel est en fait la les provinces, les États ou les gouvernements quatrième voie navigable construite depuis le début municipaux. Outre les bénéfices d’ordre du dix-neuvième siècle pour relier les lacs Ontario et commercial qu’il représente, le transport maritime Érié. Il a été construit sur une période de près de a devant lui un avenir prometteur parce qu’il est vingt ans et a été ouvert à la navigation en 1932. La plus sécuritaire et plus respectueux de section Montréal-lac Ontario, construite entre 1954 l’environnement que les autres modes de et 1959, compte parmi les plus remarquables exploits transport avec lesquels il est en concurrence. On d’ingénierie et de construction de l’histoire du compte un accident maritime pour 13,7 accidents Canada. En 2000, l’American Public Works ferroviaires et 74,7 accidents impliquant des Association classait la Voie maritime parmi les dix camions. Et pour chaque déversement accidentel projets les plus importants financés par les pouvoirs qui se produit sur l’eau, on en compte 10 dans le publics au cours du vingtième siècle, au même titre secteur ferroviaire et 37,5 dans celui du que le pont Golden Gate, le barrage Hoover et le camionnage. Les navires n’émettent que le canal de Panama. dixième des gaz à effet de serre qu’émettent les La Voie maritime représente également une camions, et que la moitié de ceux qu’émettent les force économique considérable. Elle soutient, trains. Le transport maritime produit également directement et indirectement, 75000 emplois au moins de bruit et de déchets. De plus, le fait de Canada et 150000 aux États-Unis. Le commerce, transborder sur des navires une partie du trafic à l’intérieur du réseau, produit annuellement plus marchandises acheminé par camion ou par train de 4,3 milliards de dollars de revenu personnel, pourrait réduire la congestion qu’engendre à 3,4 milliards de revenus commerciaux liés au l’heure actuelle ce genre de trafic.

1 · La Voie maritime aujourd’hui | 19 Une carte postale produite par la Saint Lawrence Seaway Development Corporation, l’organisme américain responsable de la Voie maritime, explique le fonctionnement d’une écluse. cgvmsl

Chaque jour, pendant une saison de navigation qui commence fin mars et se poursuit jusque tard en décembre, une moyenne de douze à treize navires transitent par le réseau Grands Lacs-Voie maritime du Saint-Laurent. Au cours d’une saison typique de près de 285 jours, quelque 3600 navires voyagent sur ses eaux. Durant les cinquante années écoulées depuis l’ouverture de la Voie maritime au printemps de 1959, plus de 260000 navires ont emprunté cette voie navigable. Ils ont déplacé 2,3 milliards de tonnes de fret, d’une valeur de 350 milliards de dollars, à destination de ports du Canada, des États-Unis et de plus de cinquante autres pays. Au cours des années récentes, la Voie maritime a manutentionné annuellement quelque 40 millions de tonnes de marchandises, principalement en vrac. Les céréales et le minerai de fer ont toujours été les produits principaux transportés par l’industrie maritime dans le bassin des Grands Lacs, et représentent maintenant de 50 à 60 pour cent du trafic annuel. Les céréales en provenance des provinces canadiennes des Prairies transitent par Thunder Bay, celles du Midwest des États-Unis par des ports américains situés sur les lacs supérieurs. Elles sont ensuite expédiées vers le Bas-Saint- Laurent pour transbordement sur des navires hauturiers, ou encore chargés directement sur des océaniques en partance pour des ports situés en Europe, sur la Méditerranée, en Afrique du Nord ou ailleurs. Le minerai de fer—extrait de vastes gisements situés dans l’ouest du Labrador et dans l’est du Québec—est chargé à Sept-Îles, Port-Cartier et Pointe-Noire et acheminé en direction ouest, en amont du réseau, à Hamilton, Nanticoke, Ashtabula, suffisent pas à assurer la pleine capacité de Toledo et autres centres où existent des aciéries. fonctionnement de la Voie maritime. À son point Les sociétés de transport maritime du Canada culminant, dans les années 1960 et 1970, le réseau et des États-Unis acheminent d’autres manutentionnait couramment entre 50 et 60 marchandises—du charbon, du sel de voirie, du millions de tonnes de fret annuellement. Dans les sucre, du granulat, du clinker à ciment et des meilleures années, le volume atteignait les 70 produits pétroliers, pour ne citer que quelques millions de tonnes. Mais, durant la décennie exemples, mais toutes ces marchandises ne menant à son cinquantième anniversaire, la Voie

20 | jenish · La Voie maritime du Saint-Laurent «En ce qui concerne l’avenir, nous estimons pouvoir tirer parti de nouveaux débouchés grâce à une diversification des marchandises.» Richard Corfe · président de la CGVMSL

maritime ne fonctionnait plus qu’à quelque 60 pour acheminées dans de gros navires vers des ports cent de son potentiel. tels Halifax. Nous entrevoyons une activité Pendant près de quarante ans, une société croissante de transbordement vers des navires plus d’État, connue sous le nom d’Administration de la petits, aux dimensions adaptées à la Voie maritime, voie maritime du Saint-Laurent ou, plus qui fileront ensuite en direction de tous les ports le simplement, de «Voie maritime», assurait la gestion long de l’Autoroute H2O—Montréal, Toronto, du réseau. Mais un changement devait survenir Hamilton, Cleveland, Detroit, , et autres— vers la fin des années 1990. Aux prises avec des parce que les routes et les chemins de fer sont problèmes d’ordre budgétaire liés au déficit des congestionnés et que la situation ne peut que se finances de l’État, le gouvernement fédéral décida dégrader. C’est le but que nous visons. Nous de privatiser ou de commercialiser la plus grande pourrions passer d’un rendement de 60 pour cent part possible de l’infrastructure de transport au à un rendement plein, uniquement avec des pays. Dans le cadre de ce processus, Ottawa conteneurs.» conserva la propriété de l’actif de la Voie maritime, La première campagne en faveur de l’Autoroute mais transféra la gestion des affaires courantes et H2O a été lancée au printemps de 2003. La l’exploitation du réseau à un groupe d’usagers qui CGVMSL a d’abord eu recours à des panneaux mirent sur pied la Corporation de Gestion de la publicitaires érigés le long des autoroutes Voie Maritime du Saint-Laurent (CGVMSL). Cet ontariennes de série 400.Ces panneaux organisme s’est employé à réduire les coûts et à signalaient aux automobilistes qu’un navire de la améliorer la capacité de rendement du réseau. Il a Voie maritime peut transporter à lui seul autant de fait de ce dernier l’objet d’un marketing dynamique, le désignant sous le nom d’«Autoroute H2O»—l’autoroute «verte» et viable de l’avenir. «Nous tentons de maximiser l’utilisation du réseau, affirme Richard Corfe, président et chef de la direction de la CGVMSL. Nous prévoyons que les céréales, le minerai de fer et le charbon demeureront des produits de base stables. En ce qui concerne l’avenir, nous estimons pouvoir tirer parti de nouveaux débouchés grâce à une diversification des marchandises. Nous aspirons à devenir un intervenant d’importance dans le transport de conteneurs. «Au fur et à mesure que la Chine, l’Inde et d’autres pays en développement deviennent des producteurs pour l’ensemble de la planète, nous nous attendons à ce qu’une part beaucoup plus importante de ces produits débarque sur la côte Est de l’Amérique du Nord, parce qu’un grand Les deux corporations de la Voie maritime et leurs partenaires nombre de ports de la côte Ouest fonctionnent font la promotion de la voie navigable sous le nom d’Autoroute déjà à pleine capacité ou presque. De plus en plus H2O—la solution de rechange écologique au chemin de fer et de marchandises conteneurisées seront aux réseaux routiers. cgvmsl

1 · La Voie maritime aujourd’hui | 21 fret que 870 camions, et que le transport maritime clients une saison de huit à huit mois et demi, ou de est apte à réduire la congestion sur les routes. 235 à 255 jours. Mais des températures plus Par la suite, la CGVMSL invita son pendant douces, attribuables peut-être à l’effet du américain, la Saint Lawrence Seaway Development réchauffement climatique, et le recours à des Corporation, à se joindre à cette initiative. Les technologies destinées à réduire l’accumulation de deux organismes s’adressèrent aux autorités des glace tant à l’intérieur qu’aux abords des écluses ports du Saint-Laurent et des Grands Lacs, les ont permis d’allonger la période de navigation invitant à participer à une campagne élargie, dans commerciale de deux semaines ou plus en début et le but d’intéresser à la voie navigable des usagers en fin de saison. potentiels. En six mois, on avait recueilli l’accord Le réseau est maintenant ouvert de neuf à neuf de dix-huit ports sur quelque quarante-cinq, y mois et demi par année, ou 285 jours, et a connu compris les plus importants. Depuis, vingt-cinq son ouverture la plus hâtive en 2007, la section autres participants se sont ajoutés, soit la plupart Montréal-lac Ontario étant mise en service le 21 des compagnies de navigation les plus importantes mars, tandis que le canal Welland l’avait été vingt- des deux côtés de la frontière, de même que quatre heures auparavant, le matin du 20 mars. Ce quelques-unes des municipalités que longe le jour-là, le ciel au-dessus de la péninsule du Niagara réseau. était clair, et la température marquait quelques L’Autoroute H2O est devenue la marque de la degrés au-dessus du point de congélation. Mais un Voie maritime et la pierre angulaire de toute une vent vif en provenance du nord-ouest charriait un gamme d’efforts de marketing et de promotion, froid glacial au moment où quelque 200 personnes dont la participation à des salons professionnels et se rassemblaient, à proximité de l’écluse 3, à 10 la conduite de missions commerciales annuelles à heures du matin, pour la cérémonie dite du haut- l’étranger. Au cours des dernières années, les deux de-forme, qui marque annuellement le passage du organismes responsables de l’administration de la premier navire par la Voie maritime. Voie maritime ont conduit des missions en Chine, Cette distinction appartenait, en 2007, au CSL en Europe et au Brésil. Ils ont aussi retenu les Tadoussac, un navire long de 740 pieds, en route services de représentants en Europe et en Chine, pour Picton, en Ontario, afin d’y embarquer un dont le rôle consiste à rencontrer les expéditeurs chargement de clinker à ciment. À l’écluse 3, le et les sociétés de transport maritime pour les capitaine Dan McCormack descendit de son navire persuader d’utiliser la Voie maritime. en compagnie du chef mécanicien Ron Sequeira «Nous croyons que, plus que jamais auparavant, pour participer à la cérémonie, qui se tenait sous la réputation de notre réseau est désormais une large tente démontable, érigée sur une solidement établie, affirme Richard Corfe. Quand plateforme cimentée sise entre le canal et le musée nous parlons aux décideurs, à Ottawa ou à de St. Catharines. Le St. Catharines Collegiate Jazz Washington, l’Autoroute H2O est une marque qui Combo, une formation de six membres, assurait le leur est familière.» programme musical, tandis que plusieurs journaux et stations de télévision couvraient l’événement. § Les premières années, la Voie maritime ouvrait Des dirigeants politiques et des cadres supérieurs habituellement entre le début et le milieu du mois représentant l’industrie du transport prirent alors d’avril. Les deux sections étaient normalement la parole pour souligner l’importance de la Voie fermées pour l’hiver au plus tard à la mi-décembre, maritime et le rôle vital du transport maritime dans ce qui donnait aux sociétés de navigation et à leurs l’économie du bassin des Grands Lacs.

22 | jenish · La Voie maritime du Saint-Laurent «L’ouverture la plus hâtive de l’histoire de la L’Assiniboine a été l’un des quatre navires de la société CSL à être Voie maritime témoigne de l’importance de la dotés d’une nouvelle avant-coque au cours de la dernière décennie. demande pour des services de navigation sur les Chacun de ces bâtiments est maintenant un navire «seaway-max», Grands Lacs, a déclaré Peter Partington, président faisant 740 pieds de long et 78 pieds de large. www.boatnerd.com du Conseil régional du Niagara. Cette industrie a joué un rôle majeur dans notre histoire et jouera un avantages d’une saison maritime plus longue, et rôle majeur dans notre avenir. Elle est partie évoqué la confiance de sa société en l’avenir du intégrante du tissu social et économique de cette réseau. «La Voie maritime est notre raison de vivre, région.» a-t-il déclaré. Nous avons été la société la plus Donna Cansfield, qui était alors ministre des proactive sur les lacs en matière de mise à niveau Transports de l’Ontario, assura l’auditoire du plein de notre flotte.» soutien de son gouvernement tant pour l’industrie CSL a dépensé 225 millions de dollars entre 1999 du transport maritime que pour la voie navigable. et 2007 pour remettre en état six de ses navires, a «Le réseau Grands Lacs-Voie maritime du Saint- expliqué M. Brodeur. Le travail a été réalisé en deux Laurent est une richesse sous-utilisée, a déclaré programmes. Le premier concernait quatre navires Mme Cansfield. Le transport maritime s’impose à construits dans les années 1970: les CSL Assiniboine, nous pour réduire la congestion, pour protéger CSL Niagara, CSL Rt. Honorable Paul J. Martin et notre environnement et pour accroître la sécurité CSL Laurentian. Dans chaque cas, la salle des routière. Nous considérons cette industrie comme machines et les locaux de l’équipage dans la poupe une partie intégrante du réseau de transport de étaient en bon état et furent conservés. Le reste de notre province. Elle joue de nouveau un rôle de la coque fut scié et remplacé par une avant-coque premier plan. Nous prêtons l’oreille, et nous qui ajouta dix pieds à la longueur de chaque navire comptons bien innover en ce domaine.» et trois pieds de largeur, ce qui eut pour effet Tom Brodeur, vice-président, Marketing et d’accroître de quelque 3000 tonnes la capacité de service à la clientèle de la Société maritime CSL, chaque bâtiment. Dans le cadre du second dont le siège social est situé à Montréal, a loué les programme, la société conserva la poupe et la proue

1 · La Voie maritime aujourd’hui | 23 L’Algomarine décharge des granulats sur un quai dans le port de navires, puis a cédé le micro à Richard Corfe: «Au Montréal. Les auto-déchargeurs peuvent aussi déposer du fret nom de la ministre Cansfield, des dignitaires dans des trémies ou dans la cale d’autres navires. patrick jenish assemblés et des partenaires de l’Autoroute H2O, a lancé ce dernier, je déclare ouverte la saison 2007.» de deux autres navires, le CSL Tadoussac et l’ Atlantic Huron, mais en remplaça la partie médiane. § Deux types différents de navires—des vraquiers et «Nous croyons en cette industrie, a déclaré M. des auto-déchargeurs—dominent le trafic intérieur Brodeur. Si nous n’y croyions pas, nous ne sur les Grands Lacs et la Voie maritime du Saint- construirions pas ces navires.» Laurent. Ces navires sont utilisés pour transporter En terminant, le cadre supérieur de CSL a fait des marchandises en vrac, et plusieurs font tout près remarquer que la prolongation de la saison de 740 pieds de longueur et 78 pieds de largeur, représentait un bénéfice majeur pour les sociétés dimensions maximales autorisées par les règlements de navigation. Dans le cas de CSL, dont quinze de la Voie maritime. La principale différence entre navires sont en service sur la Voie maritime, les ces deux types de navires est que les vraquiers ne vingt jours additionnels représentent un possèdent pas leur propre dispositif de supplément de quelque 300 jours de navigation déchargement. Ils doivent compter sur des grues pour l’ensemble de la flotte. «C’est comme fixées au quai et munies de bennes preneuses pour posséder un navire additionnel qui ne vous coûte saisir la matière qu’ils ont transportée et la déverser rien», a-t-il déclaré. sur une jetée ou dans des wagons-trémies. À 11 heures, les allocutions étaient terminées. Le Les navires auto-déchargeurs ont été mis au capitaine McCormack, un homme trapu, de point sur les Grands Lacs et existent sous une forme grandeur moyenne et portant un collier de barbe ou une autre depuis près de trois quarts de siècle. poivre et sel, s’est avancé pour recevoir le haut-de- Mais les systèmes dits de «boucle en C» en usage forme aux bords un peu élimés que l’on sort aujourd’hui ont été conçus et perfectionnés dans les d’entreposage chaque année spécialement pour années 1970. Les marchandises sont arrimées des cette cérémonie. Un ecclésiastique a récité une cales, dont le nombre peut atteindre six, chacune courte prière pour la sécurité de tous les capitaines, munie, dans le bas, de portes coulissantes. Au les mécaniciens, les équipages qui œuvrent sur les moment du déchargement, ces portes sont ouvertes,

24 | jenish · La Voie maritime du Saint-Laurent une cale à la fois, en fonction d’un plan élaboré par Le diagramme schématique ci-dessus a paru dans une brochure le premier lieutenant. Les marchandises basculent promotionnelle produite par Canada Steamship Lines, de sur un transporteur à courroie, large de six pieds Montréal. Il démontre en cinq étapes comment le système environ, qui s’étend de quelque 600 pieds de long d’auto-déchargement dit de «boucle en C» fonctionne. sur le plancher du navire. 1 · Entraîné par la gravité, le fret est acheminé à travers une série Ce transporteur entraîne les marchandises en de portes coulissantes, et déposé sur des tapis roulants qui direction de la poupe, vers une paire de courroies, courent de la proue à la poupe sous les cales. connue sous le nom de «boucle en C», ainsi 2 · Le fret est alors transféré par un autre jeu de courroies sur appelée parce que les courroies forment un très celles du dispositif dit de «boucle en C». grand C. Ce dispositif presse fermement les 3 · La boucle en C soulève la cargaison et la dépose sur une marchandises, un peu comme la viande dans un courroie de la flèche de déchargement. sandwich, et les hisse de quelque vingt à soixante- 4 · La flèche de déchargement transporte la cargaison depuis le dix ou quatre-vingts pieds jusqu’au niveau du pont. navire jusqu’à l’installation destinée à la recevoir. Le troisième élément de ce système est la flèche. 5 · La vitesse à laquelle le fret est déchargé peur être ajustée Sur la plupart des navires, elle fait environ 250 selon qu’il est déposé dans une trémie, un terminal ou un pieds de longueur. Elle peut être redressée de 45 autre navire. canada steamship lines degrés et amenée à pivoter de près de 180 degrés. Elle est équipée d’un transporteur à courroie, qui Les auto-déchargeurs présentent deux avantages se déplace de la base à la pointe et décharge la importants: vitesse et souplesse. Ils peuvent cargaison. décharger des marchandises au rythme d’environ

1 · La Voie maritime aujourd’hui | 25 «La première fois que j’ai navigué sur les lacs, je n’en revenais pas de la beauté du réseau de la Voie maritime.» Seth Gordon · mécanicien en chef

6000 tonnes à l’heure et ne requièrent l’aide d’emploi dans l’industrie morutière de l’Atlantique d’aucun matériel fixé au quai. Ils sont en mesure de eurent commencé à décliner. Le reste de l’effectif décharger des marchandises sur un quai, dans une provient d’ailleurs dans le Canada atlantique, du trémie, ou directement à bord d’un océanique. Québec, de l’Ontario, ou encore d’autres pays, et Les vraquiers nécessitent des équipages de dix- bon nombre d’entre eux sont aussi attachés à la vie neuf ou vingt personnes, tandis que les auto- de gens de mer que le sont les Terre-Neuviens. déchargeurs en requièrent jusqu’à vingt-huit pour Cindy Simpson, deuxième cuisinière, a suivi les assurer l’entretien et le fonctionnement du matériel traces de son père dans cette industrie. Celui-ci de déchargement et de la machinerie qui y est avait quitté une situation de choix dans une usine associée. On compte à l’heure actuelle environ de la General Motors, à St. Catharines, pour 5000 hommes et femmes directement employés prendre la mer, comme elle le dit, et elle-même n’a dans l’industrie du transport maritime sur les jamais pensé à faire autre chose. «Une fois que cela Grands Lacs canadiens. Ce personnel est réparti vous est entré dans les veines, explique-t-elle, vous en plusieurs catégories et niveaux de compétence. ne pouvez plus vous habituer à un emploi qui vous Les capitaines sont les officiers supérieurs à bord retient sur la rive.» d’un navire, mais ils comptent fortement sur le Seth Gordon, le chef mécanicien, a grandi dans concours de leurs premier, deuxième et troisième un village au bord de la mer, au Ghana, sur la côte lieutenants, qui prêtent assistance à la navigation et ouest de l’Afrique.«Je voyais les navires filer à assument diverses responsabilités sur le pont. Le l’horizon et j’étais fasciné», se rappelle-t-il. Gordon chef mécanicien est responsable de l’engin qui avait déjà navigué à bord d’océaniques avant propulse le navire ainsi que de la centrale d’arriver au Canada à l’âge de vingt-neuf ans, et il électrique qui produit chaleur et électricité. travaille sur le réseau Grands Lacs-Voie maritime du Second officier à bord, il est secondé par une Saint-Laurent depuis trente ans. équipe formée des deuxième, troisième et «La première fois que j’ai navigué sur les lacs, je quatrième mécaniciens. n’en revenais pas de la beauté du réseau de la Voie Le reste de l’équipage est formé d’aides- maritime, dit-il. Quand on traverse les canaux, on mécaniciens, ou graisseurs; d’électriciens; de aperçoit des gens qui travaillent dans leurs jardins cuisiniers; de matelots de pont; de réparateurs de ou qui sont allongés auprès de leur piscine. J’avais poulies; et de manœuvres de tunnel qui œuvrent attrapé le virus, et j’ai décidé de rester.» loin dans le ventre des auto-déchargeurs. Ces Le capitaine Werner Draenger a grandi en manœuvres passent leur quart dans un étroit Allemagne de l’Ouest et a pris la mer en 1959, à corridor aux apparences de tunnel, à la base des l’âge de dix-huit ans. Son premier navire était un vastes cales de chargement, et maintiennent en tramp, un navire à vapeur qui naviguait de port en bon état de fonctionnement les quelque 2000 port à la recherche de fret. Après avoir passé un an pieds de courroies des tapis transporteurs de la et demi en mer, il avait trouvé sa vocation. Il boucle en C, de même que les rouleaux navigue depuis ce temps. Venu au Canada en 1965, métalliques sur lesquels elles tournent. il obtenait en 1982 son brevet de capitaine. Il aurait Des Terre-Neuviens comptent pour au moins un pu faire valoir ses droits à la retraite au cours de la tiers de cette main-d’œuvre, la plupart d’entre eux saison de 2007, mais se dit qu’il pourrait continuer nés «avec la mer dans les veines», comme ils encore un an, peut-être deux. «Pourquoi aiment à dire, et attirés vers l’intérieur du pays abandonnerais-je? demande-t-il pour la forme. pour y gagner leur vie après que les perspectives J’aime mon travail.»

26 | jenish · La Voie maritime du Saint-Laurent En dépit des satisfactions que peut procurer ce genre de travail, les entreprises canadiennes de transport maritime intérieur éprouvent du mal à recruter des jeunes pour remplacer ceux qui prennent leur retraite. Leur main-d’œuvre prend également de l’âge en raison d’une transition majeure qui a touché l’industrie dans les années 1980 et 1990. Les cargaisons de céréales et de minerai de fer ont alors diminué de façon très marquée, comme il en a été des sociétés de transport maritime. En 1980, on comptait sur les Grands Lacs environ quinze sociétés importantes dont le siège social se trouvait au Canada. À la fin du siècle, il n’en restait plus que cinq environ. Des sociétés établies depuis longtemps avaient fait faillite. D’autres avaient été absorbées par des concurrents plus importants et en meilleure santé financière. Tout le monde congédiait.Pendant près d’une décennie (de 1985 à 1995), personne n’embauchait, et l’âge moyen de l’effectif œuvrant sur les navires des Grands Lacs montait en flèche.Plusieurs des travailleurs approchent maintenant de l’âge de la retraite, et les entreprises ont recommencé à recruter du personnel. Des postes sont disponibles à tous les niveaux, et les compagnies embauchent rapidement, particulièrement quand un jeune L’entretien hivernal le long des quinze écluses de la Voie candidat détient un grade universitaire ou un maritime débute en janvier et se poursuit jusqu’à la mi-mars. Ce diplôme collégial en provenance d’un travail e◊ectué pendant la saison morte est partie intégrante établissement qui offre un programme en d’un système rigoureux de gestion des infrastructures qui a fait techniques de la mer ou en sciences nautiques. de la Voie maritime l’une des voies navigables les plus sûres et Aaron Coffin, un Terre-Neuvien dans la jeune les plus fiables au monde. air photo max vingtaine, a obtenu son diplôme en sciences nautiques de l’Université Memorial de Terre-Neuve à § Chaque année, entre Noël et le jour de l’An, un l’été de 2007 et a immédiatement adressé par moment que la plupart des Canadiens réservent courriel à plusieurs sociétés une lettre accompagnée aux plaisirs du foyer et de la famille, les derniers de son curriculum vitæ.L ’une d’entre elles, Algoma navires cheminent à travers le canal Welland ou Central, lui a répondu immédiatement. «Je leur ai dit redescendent le Saint-Laurent en direction de que j’avais mon brevet de troisième lieutenant, et ils l’océan. Une dernière saison de navigation touche à m’ont répondu: “On vous veut sur un navire”, se son terme. Dans les premiers jours de janvier, rappelle Coffin. Je n’ai même pas eu le temps d’aller parfois dans un froid de loup cinglant, de petites rendre visite à mes parents.» équipes d’employés de la Voie maritime

1 · La Voie maritime aujourd’hui | 27 entreprennent, dans chacune des deux sections, la de l’aval. Le reste doit être évacué par pompage, tâche ardue de vider les écluses et de les préparer une manœuvre qui peut nécessiter entre quarante- en vue de l’entretien hivernal. huit et soixante-douze heures. La tâche est très différente dans chacune des L’évacuation de l’eau de certaines parties des deux sections. À St. Catharines, le coordonnateur deux sections a été pratiquée annuellement depuis technique Lou Spagnol et son équipe doivent vider l’ouverture de la voie navigable en 1959. Mais, en une partie de la voie qui fait près de quatorze 1996, la Voie maritime a adopté un nouveau kilomètres de long, depuis l’écluse 1 à Port Weller, système de gestion des infrastructures dans le but jusqu’à l’écluse 7 au sommet de l’escarpement du d’améliorer la fiabilité tant du canal Welland que de Niagara. Ils commencent par ouvrir partiellement la section Montréal-lac Ontario. Cette approche les vannes d’entrée et de sortie de l’écluse 1 afin de est fondée sur un index des biens de la Voie créer un écoulement lent et continu de l’eau. Ils maritime, quelque 1100 au total, ce qui comprend ouvrent ensuite les vannes de l’écluse 2, puis l’infrastructure, le matériel et les immeubles. poursuivent en amont le long du canal jusqu’au Le personnel de l’ingénierie procède moment où l’eau coule librement de haut en bas à régulièrement à l’inspection de ces biens, y compris travers les écluses et les passages qui les séparent. les écluses, les murs, les portes, les vannes d’entrée L’eau baisse à un rythme de trois pouces à l’heure, et de sortie, et effectue une fois l’an une évaluation ou huit centimètres, et la manœuvre prend en tout de l’état de chaque pièce. Chacune est classée, sur de soixante-douze à quatre-vingts heures. une échelle de un à six. Un indique que la pièce en L’entretien hivernal commence au moment où les question ne remplit plus pleinement sa fonction, six chambres et les passages qui les séparent sont qu’elle est «comme neuve». Certaines de ces vides. inspections sont visuelles, alors que d’autres Les écluses de la section Montréal-lac Ontario nécessitent la prise de mesures, ou une mise à sont toutes situées à même le fleuve, de sorte que l’épreuve, d’autres encore une inspection menée la tâche à accomplir se présente très différemment. par des scaphandriers. Les évaluations sont Des murs temporaires doivent être érigés à fondées sur les résultats de l’inspection, l’extérieur des portes supérieures et inférieures l’expérience d’exploitation ou d’utilisation, et afin d’isoler l’écluse. On se sert à cette fin de peuvent parfois nécessiter des études techniques. poutrelles d’acier, qui font de quatre à six pieds de Cette approche permet à la Voie maritime de hauteur, environ quatre pieds de largeur et quelque suivre au fil du temps l’évolution de l’état de ses quatre-vingt-quatre pieds de longueur, et peuvent biens. Les ingénieurs décident du moment où des peser jusqu’à 63000 lb. Des grues sont utilisées réparations s’imposent ou une pièce de matériel pour lever ces poutrelles, puis pour les abaisser doit être remplacée, et le travail est prévu dans le dans des crans pratiqués dans les murs de guidage, cadre du programme d’entretien hivernal. «Notre l’une après l’autre, jusqu’à ce qu’une barrière ait été système de gestion des infrastructures a produit érigée. Chaque mur nécessite de dix à quinze des résultats tangibles, explique Richard Corfe. La poutrelles et peut faire de quarante à quatre-vingts Voie maritime du Saint-Laurent est l’une des voies pieds de hauteur. d’eau les plus sécuritaires et les plus fiables au Une fois ces barrières érigées en amont et en monde, sans longues périodes d’interruption de aval des écluses, la vidange de l’eau peut service, et une disponibilité de 99,75 pour cent au commencer. Poussée par gravité, l’eau s’écoule cours des dernières années.» jusqu’à ce qu’elle atteigne le niveau de l’eau du côté

28 | jenish · La Voie maritime du Saint-Laurent 2 | Promesse tenue, 1959–1969

Peu après 11 heures du matin, le 26 juin 1959, un La Reine et le président des États-Unis, Dwight Eisenhower, avion du gouvernement américain se posait sur la quittent le yacht royal Britannia au cours de l’ouverture piste d’un aéroport militaire, à Saint-Hubert, en o∫cielle de la Voie maritime du Saint-Laurent le 26 juin 1959. banlieue de Montréal, roulait lentement en bibliothèque et archives canada e0084-33 direction d’un tapis rouge disposé sur l’aire de stationnement, et s’arrêtait aussi délicatement officielle de la Voie maritime des Grands Lacs et qu’un taxi au bord d’un trottoir. Quelques minutes du Saint-Laurent. plus tard, le président des États-Unis d’Amérique, Une foule évaluée à 20000 personnes était sur Dwight D. Eisenhower, en descendait, place, en compagnie de 5000 invités spéciaux: le accompagné de son épouse Mamie. Le président conseil fédéral des ministres en son entier; des et la première dame sourirent, saluèrent de la membres de la Chambre des communes et du main, puis s’avancèrent pour être accueillis par Sa Sénat; des sénateurs et des membres du Congrès Majesté la reine Elizabeth II, son mari le prince américain; des maires de cités et de villes sises le Philip, le premier ministre du Canada, John long de la Voie maritime, aussi loin que Chicago et Diefenbaker, et son épouse Olive, et d’autres Milwaukee; des dirigeants de sociétés maritimes dignitaires rassemblés pour l’occasion. Après avoir venus d’Angleterre, des Pays-Bas, d’Allemagne, de passé en revue une garde militaire d’honneur, la Grèce et de plusieurs autres pays. Le thermomètre Reine, le président et le reste des dignitaires marquait 80°F et l’air était lourd d’humidité, mais la montèrent à bord de Cadillac noires rutilantes cérémonie fut brève et, selon le Globe and Mail, pour se rendre quelques kilomètres à l’ouest, à «austère en sa simplicité». Saint-Lambert, sur la rive sud du fleuve Saint- La fanfare d’un régiment royal de fusiliers Laurent, en face de Montréal, pour l’ouverture marins interpréta le Star Spangled Bannere. Un

2 · Promesse tenue | 29 chenal conduisant à l’écluse de Saint-Lambert, la première des sept écluses nouvellement construites le long de la section du Saint-Laurent de la Voie maritime. À midi trois minutes, le navire pénétra dans l’écluse et, sur ce, la Voie maritime fut déclarée ouverte. Les cloches des églises sonnèrent à travers tout Montréal. À proximité, les navires et les embarcations de plaisance firent entendre leurs sirènes et leurs klaxons. Un feu d’artifice éclata au firmament. Une foule nombreuse laissa fuser sa joie, et la Reine, le président, le premier ministre et leurs conjoints respectifs agitèrent la main en réponse, depuis le La construction de la Voie maritime fut, au dire de Lionel pont du Britannia. Chevrier, «l’une des transformations les plus ambitieuses et les Cette inauguration présentait une occasion plus e∫caces jamais pratiquées de main d’homme à être appropriée de réjouissance pour marquer achevées sur la surface du globe». cgvmsl l’achèvement d’un énorme projet d’ingénierie et de construction qui avait coûté 475 millions de dollars, fanfare de la Marine américaine joua le God Save avait été réalisé en moins de cinq ans et s’apprêtait the Queen. Puis Sa Majesté prit la parole. «Cette à mettre au service de deux pays, de douzaines de compagnie distinguée est réunie, déclara la Reine, communautés et d’une part importante de en provenance des deux grands pays qui bordent l’industrie du transport maritime dans le monde cette voie navigable, pour marquer l’achèvement une artère commerciale indispensable. C’était, au d’une entreprise conjointe qui se classe parmi les dire de Lionel Chevrier, le premier président de réalisations d’ingénierie les plus remarquables des l’Administration de la voie maritime, «l’une des temps modernes. L’on peut vraiment dire que cette transformations les plus ambitieuses et les plus occasion mérite de prendre place dans les annales efficaces jamais pratiquées de main d’homme à de l’histoire.» être achevées sur la surface du globe». Le président parla lui aussi de la Voie maritime Des chenaux avaient été creusés en pleine terre, en termes très élogieux. «Son achèvement, déclara ou par dragage à même des fonds de rivières. Des Eisenhower, constitue un hommage à tous les écluses avaient été érigées. Des barrages et des esprits clairvoyants et persévérants qui, au cours centrales hydroélectriques avaient été construits. des années, ont foncé de l’avant, en dépit de Des milliards de tonnes de terre avaient été décennies de déceptions et de revers. Par-dessus extraites. Des fermes, des villages, des cimetières, tout, cette entreprise est, à la face du monde des routes et des lignes de chemin de fer avaient été entier, un symbole splendide des réussites déplacés. L’opération avait mobilisé une armée possibles pour les nations démocratiques qui d’hommes et de femmes—quelque 21000 œuvrent de concert, dans la paix, au bien travailleurs au total. Le premier contrat relatif à cette commun.» colossale entreprise avait été accordé en octobre Un groupe d’écolières interpréta l’ ÔCanada, 1954; les travaux étaient achevés au cours de l’hiver après quoi les hauts dignitaires montèrent à bord de 1958–1959, et la section du Saint-Laurent était du yacht royal Britannia , ancré tout près, dans le ouverte à la navigation le 25 avril 1959, un samedi.

30 | jenish · La Voie maritime du Saint-Laurent Le premier navire à se déplacer en direction ouest était le Simcoe, un petit navire de canal canadien, alimenté au charbon et vieux de trente-six ans.

Le premier navire à se déplacer en direction Lionel Chevrier, en pardessus foncé, à gauche, examine l’un des ouest était le Simcoe , un petit navire de canal nouveaux canaux en compagnie de Vincent Massey, alors canadien (canaller en anglais), alimenté au charbon gouverneur général. Longtemps député de Cornwall, Lionel et vieux de trente-six ans. Il avait quitté Montréal à Chevrier fut l’un des plus fervents partisans de la Voie maritime. vide et, trente heures plus tard, atteignait Kingston, gracieuseté de bernard chevrier pour y prendre une cargaison de céréales. Un autre navire canadien du même type, le Humberdoc, qui d’écluses et de canaux. Mais le tonnage transporté se dirigeait vers Montréal avec une cargaison de avait plus que doublé. Il avait atteint 18,68 millions céréales, compléta le transit inaugural en direction de tonnes, parce que les chenaux de navigation est. Il avait franchi les sept écluses sises entre dans le Saint-Laurent atteignaient maintenant 27 Iroquois, en Ontario, et Saint-Lambert, une pieds de profondeur, plutôt que 14 auparavant. Les distance de 175 kilomètres, en seize heures. navires faisant 730 pieds de long, et présentant un Le Britannia était le mille huit cent soixante- tirant d’eau de 25 pieds, pouvaient désormais se quinzième navire à pénétrer dans le réseau déplacer tant vers le haut que vers le bas du fleuve, d’écluses, de chenaux et de canaux qui forment la alors que l’ancien réseau ne pouvait gérer le section du Saint-Laurent de la Voie maritime. À la passage que de navires longs de 250 pieds—les fin de la saison, le 3 décembre 1959, près de 8150 navires de canal—présentant un tirant d’eau de navires s’étaient déplacés en direction ouest ou en moins de 14 pieds. direction est de cette section de la voie navigable, Sur le canal Welland—la section ouest de la Voie quelque 3000 de moins que le nombre de ceux qui maritime—, la situation était la même: moins de avaient franchi, l’année précédente, l’ancien réseau navires, mais, combinés, le fret en vrac et les

2 · Promesse tenue | 31 L’American Society of Civil Engineers reconnut, en 1960, Mais, ce qui comptait tout autant, l’ouverture de l’importance et la complexité des travaux de construction de la la Voie maritime représentait également Voie maritime et des centrales électriques qui y étaient reliées. l’aboutissement d’un rêve vieux de plusieurs cgvmsl siècles, qui consistait à transformer un fleuve célèbre et les mers intérieures situées en amont en marchandises diverses avaient connu une croissance une voie navigable à la portée de navires de haute de 30 pour cent, pour atteindre 24,98 millions de mer. Vers la fin des années 1600, des colons de l’île tonnes. Ce n’était là qu’un début. Au cours des deux de Montréal avaient fait les premières tentatives décennies suivantes, les résultats enregistrés en 1959 d’amélioration du transport maritime en creusant en viendraient à apparaître minimes. Le trafic annuel un canal qui permettrait de contourner les rapides sur la Voie maritime et les volumes de fret de Lachine.Mais après avoir triomphé d’un manutentionnés allaient s’accroître considérablement obstacle majeur, ils avaient rencontré cinq autres au fur et à mesure que la demande mondiale de ensembles de rapides dans les sections de céréales, d’acier et d’autres marchandises Soulanges et de Long Sault du fleuve Saint-Laurent, s’amplifierait, que les engorgements seraient éliminés, en amont de Montréal. Plus loin à l’ouest, environ que la saison de navigation serait allongée et que le un siècle plus tard, des pionniers loyalistes installés réseau fonctionnerait avec plus d’efficacité. dans la péninsule fertile qui séparait le lac Ontario Malgré tout, au cours de cette première année, du lac Érié devaient à leur tour se buter à un la Voie maritime avait plus que prouvé sa valeur. Elle terrifiant obstacle à la navigation: l’escarpement du permettait à des navires de haute mer de pénétrer Niagara, la dénivellation de 326 pieds qui sépare les à 3680 kilomètres à l’intérieur des terres—jusqu’au deux masses d’eau. cœur du pays, en d’autres mots—et elle les élevait à Soutenus par leurs gouvernements et par les une hauteur équivalente aux soixante étages d’un meilleurs ingénieurs de l’époque, des gens immeuble, du niveau de la mer, à l’embouchure du d’affaires prévoyants avaient passé la majeure Saint-Laurent, à une hauteur de 182 mètres sur les partie du dix-neuvième siècle à construire des eaux vastes et froides du lac Supérieur. Elle écluses et des canaux, ou à y apporter des permettait à des entreprises céréalières de charger améliorations, afin de créer une voie d’eau une cargaison de blé ou d’orge à Thunder Bay ou à navigable depuis le bas du Saint-Laurent jusqu’aux Duluth, et de l’expédier à Rotterdam. Elle lacs supérieurs. Le premier canal Welland, qui permettait à des fabricants de textiles de mettre faisait 27 milles et demi de long (44,5 kilomètres) et leur marchandise à bord de navires à Liverpool et pouvait livrer passage à des bâtiments à voiles de la livrer à des clients à Chicago. présentant un tirant d’eau de près de huit pieds, fut

32 | jenish · La Voie maritime du Saint-Laurent ouvert à la circulation à la fin de novembre 1829. Au Peu d’entreprises ont opposé tant d’opinions, milieu du siècle, le canal avait été reconstruit, et les suscité tant de discussions ou de litiges, fait canaux du haut Saint-Laurent avaient subi des signer tant de traités, ou échangé [sic] tant de améliorations en vue de créer un chenal continu notes entre gouvernements. Peu d’au moins neuf pieds de profondeur, depuis d’entreprises aussi vitales ont été retardées Montréal jusqu’au lac Érié. En 1904, un troisième aussi longtemps. [L’histoire de la Voie canal Welland avait été construit, tandis que de maritime] raconte le conflit entre des nouveaux aménagements le long du Saint-Laurent hommes qui luttent pour leurs intérêts et des avaient créé un chenal de quatorze pieds de nations qui défendent le leur. profondeur. Le canal Welland fut reconstruit une quatrième Deux choses allaient faire pencher la balance fois, entre 1913 et 1932, pour permettre le passage dans le sens de l’intérêt national. En premier lieu, de navires longs de 736 pieds et demi, avec un dans l’immédiat après-guerre, l’Ontario et l’État de tirant d’eau pouvant atteindre 25 pieds. Mais le New York éprouvaient un besoin pressant de Saint-Laurent, lui, resta sans travaux d’envergure. Il l’hydroélectricité du Saint-Laurent pour alimenter en résulta une autoroute maritime fracturée. Les leurs économies respectives, alors en pleine gros laquiers transportant des céréales ou d’autres expansion. Dans les deux ressorts territoriaux, les marchandises en direction est depuis les lacs politiciens exerçaient des pressions sur les supérieurs atteignaient Toronto, Kingston ou gouvernements canadien et américain en vue d’une Prescott, où leur cargaison était déchargée, entente qui permettrait l’érection de barrages et de entreposée dans des terminaux, puis acheminée en centrales électriques sur le fleuve. En second lieu, direction aval à bord de navires de canal. De même, l’industrie américaine de l’acier était en train les océaniques devaient s’arrêter à Montréal, ou d’épuiser les plus gros gisements de minerai de fer ailleurs dans le Bas-Saint-Laurent, et expédier leur des États-Unis, dans le district de Mesabi, à l’ouest cargaison en amont à bord du même genre de de Duluth, au Minnesota. Ainsi, quand d’importants petits navires. nouveaux gisements furent découverts dans Ce système était inefficace et intenable à long l’intérieur du Labrador et, non loin, dans l’est du terme, si bien qu’en 1920 les gouvernements du Québec, les gros bonnets de l’industrie ajoutèrent Canada et des États-Unis commandèrent les leur voix à celles qui réclamaient déjà la premières études destinées à examiner, d’une part, construction de la Voie maritime. la faisabilité d’une expansion de la voie navigable En octobre 1949, un consortium formé de dix du haut Saint-Laurent et, d’autre part, l’exploitation grands producteurs d’acier et sociétés minières mit de l’immense potentiel hydroélectrique du fleuve. sur pied l’Iron Ore Company of Canada (IOC) pour Plus de trois décennies allaient cependant exploiter des réserves minérales qui dépassaient s’écouler avant le début des travaux. La Crise de 400 millions de tonnes et se trouvaient à quelque 1929, tout comme la Seconde Guerre mondiale, 580 kilomètres au nord de Sept-Îles, au Québec. En retardèrent la mise en œuvre du projet. Mais juin 1954, l’IOC avait acheminé par chemin de fer l’opposition au sein du monde politique constituait ses premiers wagons de minerai en direction de également un obstacle sérieux. Sept-Îles, au sud, et la production allait rapidement Comme Lionel Chevrier l’écrivait dans La Voie atteindre 10 millions de tonnes annuellement. Mais maritime du Saint-Laurent, l’ouvrage qu’il a l’entreprise ne pouvait transporter ce minerai dans consacré à la construction du réseau: de gros navires que jusqu’à des terminaux situés à

2 · Promesse tenue | 33 Un navire descendant passe devant le site d’Expo 67 dans le La Cour suprême des États-Unis repoussa la nouveau canal de la Rive Sud. cgvmsl demande d’injonction au début de juin, geste qui suscita une explosion de joie populaire à Cornwall, Contrecœur, environ 40 kilomètres en aval de petite localité sise sur les bords du Saint-Laurent, Montréal. De là, le minerai était chargé sur des où, pendant une majeure partie du vingtième navires de canal pour le voyage en direction de siècle, la population avait discuté de la construction Buffalo, de Cleveland, de Detroit et d’autres ports d’une voie maritime. La ville organisa rapidement des Grands Lacs. un grand défilé. Le maire, Aaron Horovitz, et le Les sociétés garantes de l’IOC étaient préfet, Elzéar Émard, ouvraient le défilé dans la convaincues que le Canada et les États-Unis voiture de tête. Deux unités du service d’incendie s’entendraient pour construire la Voie maritime, de la ville prenaient part à l’événement. Toutes les qui permettrait à leurs navires de remonter le fanfares disponibles avaient été mises à Saint-Laurent sans interruption en cours de contribution, comme l’avaient été les réservistes voyage. Des chicanes de nature politique, des Stormont-Dundas-Glengarry Highlanders, qui principalement à Washington, connurent enfin roulaient dans les rues à bord de porte- leur terme avec l’élection d’Eisenhower à mitrailleuses Ben. Quand le défilé prit fin, l’automne 1952. Le nouveau président était l’ensemble de la population se joignit à la fête, que favorable à la Voie maritime et, en janvier 1953, le le Cornwall Standard-Freeholder du lendemain Congrès entreprit de rédiger une loi qui devait qualifier de «plus grande manifestation autoriserait la participation des États-Unis. spontanée de rue depuis la fin de la Seconde Eisenhower apposa sa signature au projet de loi Guerre mondiale». en mai 1954. Mais les adversaires les plus obstinés Moins de cinq mois plus tard, le travail réclamèrent une injonction dans le but commençait sur la Voie maritime. L’achèvement de d’empêcher la réalisation du projet. ce projet monstre devait transformer le transport

34 | jenish · La Voie maritime du Saint-Laurent maritime sur le Saint-Laurent et les Grands Lacs, et Les proportions monumentales de la Voie maritime ceux qui furent témoins de ce changement en nouvellement construite ne cessaient d’étonner les résidents de conservent un vif souvenir. «Nous étions habitués longue date de petites communautés situées le long du Saint- de voir des navires de canal», se rappelle Bill Laurent. cgvmsl McNairn, un ecclésiastique aujourd’hui à la retraite, qui avait grandi sur les bords du fleuve et n’avait «salés», comme on les appelle dans le métier, qui pas encore vingt ans au moment de l’ouverture de naviguaient aux côtés de douzaines de flottes la Voie maritime. «Nous sortions sur le fleuve dans auxquelles ces eaux étaient familières depuis déjà des bateaux de pêche quand les gros navires plusieurs années. Selon le Greenwood’s Guide to commencèrent d’y passer—uniquement pour le Great Lakes Shipping , on comptait environ quatre- plaisir de les observer. Nous nous rendions compte vingts sociétés américaines sur les lacs au début à quel point ils étaient énormes. Nous avions des années 1960, et quarante-trois canadiennes, l’impression de côtoyer le Titanic.» toutes représentant des intérêts divers. Même les marins les plus expérimentés n’en La Compagnie pétrolière impériale, Shell croyaient pas leurs yeux. «Tout ce qui pouvait Canada et Texaco Canada possédaient leurs flotter passa par ici en 1959», se rappelle le pilote à propres flottes de pétroliers. Les compagnies la retraite Robert «Louie» Stevenson. «Une force charbonnières, les producteurs de papier, les opérationnelle de la Marine américaine se rendit entreprises qui faisaient le commerce du sable, du jusqu’à Chicago, uniquement pour y montrer ses gravier et des granulats avaient leurs propres couleurs. Il devait bien y avoir soixante navires— navires. Le Canadien Pacifique était propriétaire de des péniches de débarquement, trois sous-marins, deux navires de caissage et se trouvait en des destroyers. Le vaisseau amiral était le croiseur concurrence avec des sociétés telles la Northwest Macon. Il réussit à peine à franchir les écluses.» Steamships de Toronto et l’Owen Sound Il y eut également un afflux d’océaniques—de Transportation Company. La Canada Steamship

2 · Promesse tenue | 35 «Nous avions quotidiennement plus de cinquante navires ancrés à Port Weller et à Port Colborne.… Cela finissait par créer un embouteillage.» John Kroon · employé de la Voie maritime, 1956–1995

Un amas de navires à l’entrée du canal Welland par le lac de l’étranger ancraient leurs bâtiments pour la nuit Ontario. La congestion posait un sérieux problème dans les afin d’éviter d’avoir à naviguer dans des eaux premières années d’existence de la Voie maritime. cgvmsl intérieures qu’ils connaissaient mal, et cette pratique gênait elle aussi la fluidité du trafic. Lines, installée à Montréal, était, avec ses quarante- Presque dès l’ouverture du réseau, un sérieux quatre navires, la société canadienne la plus problème de congestion se posa aux deux importante à utiliser la Voie maritime, mais c’était la extrémités du canal Welland. «Nous avions US Steel qui, avec ses cinquante-six bâtiments, quotidiennement plus de cinquante navires ancrés détenait le titre de championne du transport de à Port Weller et à Port Colborne», raconte John marchandises sur les Grand Lacs. Kroon, un employé de la Voie maritime de 1956 à Les salés compliquaient la situation tant pour 1995. «Cela finissait par créer un embouteillage. les sociétés habituées à naviguer en eau douce, Parfois, les navires restaient immobilisés pendant que pour la Voie maritime elle-même. Le réseau plusieurs jours.» était souvent affecté par une pénurie de pilotes— Le problème provenait en partie du système de des capitaines locaux dont la tâche consistait à contrôle de la circulation sur le canal, qui était guider les navires étrangers dans des eaux rudimentaire. Un seul préposé au mouvement des intérieures peu familières. Cette situation navires, travaillant depuis le quatrième étage d’un perturbait le trafic. À certains moments, également, immeuble situé à proximité de la porte de garde, au la barrière linguistique entravait les sud de l’écluse 7, appelait les navires à pénétrer communications entre les navires et le rivage. Par dans le canal, en provenance soit du lac Ontario, ailleurs, plusieurs capitaines de haute mer venant soit du lac Érié. Mais il ne gérait pas le mouvement

36 | jenish · La Voie maritime du Saint-Laurent de la circulation. Les maîtres-éclusiers laissaient entrer et sortir les navires en fonction de leur expérience, et la règle capitale qui les guidait était de ne jamais laisser une écluse vide. Les capitaines restaient en contact les uns avec les autres par radio et tenaient le préposé au mouvement des navires informé du progrès de leur transit à travers la voie navigable. «Le canal Welland avait à peine modifié ses méthodes d’exploitation depuis le moment de son ouverture en 1932», se rappelle Henry Koski, un ancien employé de la Voie maritime, qui avait été, un temps, responsable de la navigation sur le réseau. La congestion sur le canal Welland demeura un défi logistique de premier plan pendant toute la première décennie de la Voie maritime, et le problème devint aigu en 1964. «Ce printemps, la Voie maritime a connu un accroissement considérable de tonnage», rapportait le Financial Post en juin de cette année-là. «Le trafic sur le canal Welland et dans d’autres écluses de la Voie maritime s’est accru de 50 pour cent par rapport à l’année dernière. Ce facteur auquel, de nombreux matins du printemps, s’est ajouté le brouillard a entraîné la formation de longues files de navire en attente aux deux extrémités du canal.» Chaque retard se traduisait en pertes pour les au haut: Un répartiteur, à l’entrée du canal Welland, contrôle le entreprises de transport, qui exigeaient que l’on mouvement des navires attendant d’y pénétrer en novembre 1969. remédie à la situation. Certains proposaient que le À l’approche de la fin de la saison, un grand nombre de navires passage à travers le canal soit déterminé en descendants se pressaient d’y entrer depuis le lac Érié. au bas: Une fonction d’un ordre de priorité. D’autres firme d’experts-conseils, dont les services avaient été retenus au suggéraient que les navires d’eau douce aient milieu des années 1960, aida l’Administration de la voie maritime à préséance sur ceux qui provenaient de l’Atlantique. mettre sur pied le premier système de contrôle du trafic, qui L’Administration de la voie maritime—l’organisme comprenait, entre autres, l’utilisation de caméras de télévision en qui gérait le réseau—rejeta ces idées. Plutôt, au circuit fermé, une technologie encore nouvelle à l’époque. cgvmsl cours de l’été de 1964, l’organisme retint les services de la firme d’experts-conseils Kates, Peat, Cinq chenaux furent élargis. Des modifications Marwick & Company en vue de résoudre le d’ordre hydraulique permettaient de remplir et de problème que causait la congestion. vider les écluses plus promptement, et des Le printemps suivant, la Voie maritime avait mesures avaient été prises en vue d’ouvrir et de commencé de mettre en œuvre certains des refermer les portes plus rapidement. Des panneaux changements recommandés par les consultants. de signalisation munis de feux rouges, jaunes et

2 · Promesse tenue | 37 vingt-quatre heures sur vingt-quatre et géraient le mouvement des navires sur la totalité du canal. Trois caméras de télévision en circuit fermé—une technologie encore relativement nouvelle à l’époque, et encore employée principalement à des fins de sécurité dans les prisons et les établissements industriels—étaient installées à chaque écluse, de façon à ce que les contrôleurs puissent suivre visuellement la progression des La Voie maritime a été construite pour la navigation navires et communiquer par radio avec les commerciale, mais des embarcations de plaisance utilisent aussi capitaines. le réseau. Les bateaux que l’on aperçoit ici, dans l’écluse de Ces équipes contrôlaient le cours du trafic sur Saint-Lambert, remontent le Saint-Laurent. cgvmsl un tableau d’affichage animé, qui faisait neuf mètres de long et présentait du canal et de verts furent installés en haut et en bas de chaque l’escarpement un modèle à l’échelle. Le tableau écluse pour faciliter les entrées et les sorties. Les était pourvu de petits navires de bois que les tirants d’eau maxima autorisés, qui étaient passés contrôleurs déplaçaient à l’aide d’une baguette au de 25 pieds, en 1959, à 25 pieds et six pouces en fur et à mesure que les vrais bâtiments transitaient 1963, furent accrus une fois de plus à 25 pieds et à travers le réseau. Le tableau animé fut par la suite neuf pouces en 1967, ce qui permit aux remplacé par un modèle mécanisé, utilisant un transporteurs maritimes de déplacer de plus forts engrenage à vis sans fin ou des tiges filetées pour tonnages à l’occasion de chaque voyage. déplacer les navires horizontalement quand ceux-ci Les consultants recommandèrent également traversaient un chenal, et verticalement quand ils que des modifications soient apportées aux écluses montaient ou descendaient dans les écluses. de Saint-Lambert et de Côte-Sainte-Catherine, «Le système de contrôle du trafic fut près de Montréal, changements qui permirent à la complètement modifié», se rappelle Pierre Camu, Voie maritime d’ajouter près d’un mois à la saison qui était à l’époque président de la Voie maritime. de navigation commerciale dans la section est du «On était passé d’une approche qui appartenait réseau. En accroissant et en modifiant le débit encore au dix-neuvième siècle, à une autre d’eau, les éclusiers pouvaient briser les premières accordée aux besoins du vingtième. Le changement glaces de l’hiver et en effectuer la vidange, comme fut appliqué également à la section Montréal-Saint- ils pouvaient devancer la débâcle printanière. On Laurent.» put ainsi allonger la saison, qui était de 222 jours en Toutes ces modifications eurent pour effet 1959, à 250 jours en 1968. d’améliorer les temps de transit et d’atténuer Mais, ce qui importait plus encore, c’est que les l’engorgement. Malgré tout, les dirigeants de la Voie consultants avaient jeté les bases d’un système maritime estimaient que des améliorations efficace de contrôle du trafic. Un centre exclusif de majeures s’imposaient en vue d’assurer le contrôle fut mis sur pied, au bas de l’escarpement, fonctionnement ordonné du canal Welland et de le dans un immeuble qui avait jusque-là servi rendre capable de répondre adéquatement à principalement d’atelier d’entretien et de l’accroissement de la demande au cours des réparation. Des équipes formées de trois membres décennies à venir. À cette fin, ils élaborèrent un —un superviseur et deux adjoints—travaillaient plan qui consistait à achever le jumelage des sept

38 | jenish · La Voie maritime du Saint-Laurent écluses qui élèvent les navires depuis le lac Ontario Vue aérienne du canal Welland traversant la ville de Welland. jusqu’au sommet de l’escarpement, un projet dont Étroit et plein de tournants, comprenant de nombreux ponts, le on estimait que le coût pourrait atteindre 450 canal était considéré par les capitaines de navires comme une millions de dollars. section particulièrement traîtresse de la Voie maritime. cgvmsl Les écluses 4, 5 et 6 s’élèvent telles trois marches géantes posées sur la face de envisagèrent de creuser un tunnel qui ferait passer l’escarpement. Elles étaient depuis longtemps la route express sous le canal, mais le cimetière jumelées pour permettre la montée et la descente devrait être déplacé. L’aspect le plus contentieux simultanées du trafic. La Voie maritime envisageait du projet était la perspective de devoir exproprier la création d’un chenal parallèle et la construction des terres détenues par des intérêts privés. Des de quatre écluses pour correspondre aux écluses 1, lettres furent adressées aux intéressés avant la fin 2, 3 et 7. Le gouvernement fédéral annonça en août de 1965 et, en mai 1966, la Voie maritime avait 1963 que le projet irait de l’avant, et les dirigeants acquis, de 335 détenteurs de titres de propriété, au de la Voie maritime se mirent au travail pour choisir prix de 4 millions de dollars, 1971 acres de terres. un tracé et mener des études préliminaires. Entre-temps, les ingénieurs de la Voie maritime À l’automne de 1965, ils avaient décidé que la étaient déjà au travail sur deux projets encore plus nouvelle voie navigable serait construite à un ambitieux, appelés Projet X et Projet Z, qui, une kilomètre environ à l’est du canal existant. Le tracé fois achevés, auraient remplacé le canal Welland s’étendrait sur quelque quatorze kilomètres en existant par un autre ouvrage, entièrement direction sud, depuis le lac Ontario, et rejoindrait le nouveau. Le Projet Z prévoyait un nouvel ensemble réseau plus ancien au-dessous de l’écluse 7. Deux d’écluses qui élèveraient les navires, depuis le lac obstacles, immeubles par nature, se dressaient Ontario jusqu’au sommet de l’escarpement, en cependant sur le chemin de ce nouvel ouvrage quatre marches géantes de près de 80 pieds public: le Queen Elizabeth Way et le cimetière chacune. Qui plus est, chaque écluse ferait mille Lakeview, à Thorold, où se trouvaient 8000 pieds de long. Les ingénieurs produisirent une sépultures. Les planificateurs de la Voie maritime étude de définition pour cette entreprise, mais

2 · Promesse tenue | 39 «Vous travailliez comme un forcené.… Je détestais ce pont.» Charles Tully · pilote à la retraite

n’allèrent guère plus loin, parce que le Projet X comme un forcené. Sur quelques-uns des plus dévorait déjà le temps, l’énergie et les fonds de vieux navires, vous deviez vous déplacer vers le l’organisme. côté droit du gouvernail et pousser de vos deux En 1966, la Voie maritime s’engagea dans ce mains vers le bas. Je détestais ce pont.» projet monstre, qui prit bientôt le nom de «canal de Par mesure de précaution, la Voie maritime détournement de Welland». Le nouveau chenal disposa autour du socle des pieux trempés de remplacerait une partie existante du canal, longue créosote, de la grosseur de poteaux téléphoniques. de 14,5 kilomètres, qui était considérée comme On installa également des capteurs, de même carrément traîtresse. Cette section ne faisait que qu’une cloche qui se faisait entendre si le navire 180 pieds de largeur en la plupart des points de son touchait le pont—circonstance qui se produisait parcours et était ainsi un peu trop étroite pour les trop souvent pour rassurer qui que ce soit. bâtiments qui naviguaient désormais sur ses eaux. Une autre situation bien connue sur cette partie Elle présentait de plus quatre courbes importantes du canal était la rencontre de deux navires, et plusieurs de dimensions moindres. Elle traversait presque nez à nez. Deux bâtiments avançaient très la ville de Welland, et l’on y trouvait six ponts—dont lentement l’un vers l’autre en direction opposée, quatre enjambaient le canal le long d’une étendue chacun d’entre eux au centre du canal. Quand les de quelque deux kilomètres. deux pilotes constataient qu’ils n’étaient plus L’une de ces structures, le pont 15, acquit une séparés que par une distance équivalente à la réputation internationale parmi les capitaines longueur d’un navire, ils obliquaient vers la droite, d’océaniques. C’était un pont tournant destiné aux laissant à peine un espace large de moins de deux trains de la ligne principale du chemin de fer New mètres entre les deux bâtiments—normalement ce York Central, voyageant entre Buffalo et Detroit. Le qu’il fallait pour les tenir éloignés l’un de l’autre. pont reposait sur un socle de béton qui se dressait «Les frôlements étaient nombreux, se rappelle en plein milieu du canal. «Le pont 15 était connu Tully.Les navires frottaient l’un contre l’autre. Si les partout au monde», se rappelle le pilote à la dommages étaient superficiels, vous poursuiviez retraite Stevenson. «Quand vous montiez à bord simplement votre route. Aujourd’hui, on parlerait d’un navire à Port Weller, à l’extrémité du lac d’“incidents” et il faudrait en faire rapport.» Ontario, où commençait le canal, les capitaines «Parfois, c’était la peinture qui s’enflammait, étrangers demandaient toujours: “Où se trouve ce ajoute Stevenson. Vous seriez surpris du nombre fameux pont?”. Quelques-uns d’entre eux n’osaient de fois où l’on apercevait des flammes. Mais je tire même pas respirer quand nous passions par là. mon chapeau à ces capitaines. Ils accomplissaient C’est dire à quel point le passage était étroit.» un travail extraordinaire. Autrement, on aurait eu à Comme si cela ne suffisait pas, un léger déplorer nombre d’accidents sérieux.» tournant se présentait juste au sud de la structure, Tandis que la Voie maritime éprouvait une crise ce qui ajoutait à la difficulté de la navigation, de croissance, l’industrie du transport maritime explique Charles Tully, un autre pilote à la retraite. subissait de son côté une transformation «Vous tâchiez de maintenir en tout temps le navire remarquable. «Le changement fut spectaculaire», au centre du canal, explique-t-il. Donc, vous sortiez se rappelle Jack Leitch, longtemps président de de ce tournant et, subitement, vous vous trouviez Upper Lakes Shipping, une entreprise établie à face à face avec le pont 15. Il vous fallait alors Toronto. «Dès l’ouverture de la Voie maritime, on orienter votre navire vers la droite et l’aligner de constatait un important phénomène manière à vous frayer un passage. Vous travailliez d’obsolescence. Les navires étaient tout

40 | jenish · La Voie maritime du Saint-Laurent simplement trop vieux ou trop petits. Ils ne Avant même que la Voie maritime ait atteint ses dix ans, les rapportaient pas. Il nous fallait accroître la taille de services postaux du Canada et des États-Unis avaient émis des notre flotte, et ce, pour deux raisons: nous timbres dénotant son succès remarquable. cgvmsl débarrasser des navires de canal, d’une part, et de l’autre, répondre à l’accroissement soutenu de la Une fois la Voie maritime ouverte, Upper Lakes demande pour le transport du charbon et du dut faire diligence pour remplacer la capacité minerai de fer.» porteuse qu’elle avait perdue en mettant au Upper Lakes était, à l’époque, propriétaire de rancart les navires de canal. Au bout du compte, vingt-neuf vaisseaux, dont quinze étaient des elle avait, en l’espace de dix ans, construit, ou navires de canal aptes à transporter entre 2000 et acheté en vue de les remettre à neuf, treize 3000 tonnes de fret. Au bout de cinq ans, tous ces navires. Elle avait acquis quatre pétroliers, dont petits navires avaient été retirés du service, elle avait, dans ses chantiers de Port Weller, accru deuxième étape d’un programme de modernisation les dimensions de la coque, de jusqu’à 200 pieds de la flotte, qui avait en réalité commencé au début parfois, et les avait convertis en vraquiers. Elle fit des années cinquante, en prévision de la également l’acquisition de quatre vaisseaux plus construction de la voie maritime. En 1952, Upper anciens, variant en longueur de 550 à 600 pieds, Lakes accordait un contrat à un chantier naval de qui pouvaient êtres mis en service Midland, en Ontario, pour la construction de deux immédiatement. Enfin, elle construisit quatre vraquiers longs de 644 pieds, destinés au transport auto-déchargeurs—les Cape Breton Miner, de minerai, de charbon et de céréales. Ces navires Ontario Power, Canadian Century et Canadian furent baptisés Gordon C. Leitch, du nom du Progress—qui furent utilisés principalement pour fondateur de l’entreprise, et James Norris, en fournir en charbon les centrales électriques l’honneur du magnat de l’industrie céréalière, d’Hydro Ontario. domicilié à Chicago, qui détenait un intérêt de 65 Tous les autres principaux acteurs canadiens du pour cent dans la société. transport maritime mirent sur pied des Six ans plus tard, Upper Lakes construisit un programmes de renouvellement de leur flotte. Pour navire long de 681 pieds aux chantiers en cale sèche quelques-uns d’entre eux, pareille initiative de Port Weller, dont elle avait fait l’acquisition en présentait un défi complexe, comme l’écrivait Edgar 1956. On avait besoin de ce navire, destiné à la Voie Collard dans Passage to the Sea: The Story of maritime, pour répondre aux conditions d’un Canada Steamship Lines.« La perspective contrat à long terme visant à fournir du charbon et alarmante était que la flotte de CSL allait devoir du minerai de fer à la Dominion Foundries and Steel être reconstruite. Un trop grand nombre de ses (Dofasco), de Hamilton. On donna à ce bâtiment le navires étaient trop petits. Néanmoins, tous les nom de Frank A. Sherman, en hommage au navires de canal de CSL devraient être entretenus président du conseil de Dofasco. et maintenus en ordre d’appareillage jusqu’au jour

2 · Promesse tenue | 41 Le boom véritable se produisit dans les années 1960. L’un après l’autre, les navires sortaient de chantiers navals de la société, à Lauzon, au Québec, et des localités ontariennes de Midland, Collingwood, Kingston et Port Arthur: le Murray Bay , en 1960; l’English River, le Fort Chambly, le et le Whitefish Bay, en 1963; le Saguenay , en 1964; le Rimouski et le Stephen B. Roman, en 1965. À la fin de la décennie, CSL avait achevé la construction de sept autres navires. En dernier ressort, cette période exceptionnelle de construction navale modifia l’équilibre de la concurrence entre les transporteurs maritimes. Algoma Central Marine, dont le siège social est maintenant à St. Catharines, était un petit transporteur, par comparaison avec des sociétés telles Scott Misener Steamships, N.M. Patterson & Sons et Hall Corporation of Canada. «Nous avons pris notre essor presque sans nous en rendre compte», affirme Peter Cresswell, un ancien président d’Algoma. «L’une des raisons qui nous ont permis de croître est que nous avons rapidement opté pour des auto-déchargeurs, alors que d’autres parmi nos concurrents n’avaient pas Pierre Camu, président de l’Administration de la voie maritime fait le même pari. Les auto-déchargeurs coûtent de 1965 à 1973, à droite, rencontre David Oberlin, administrateur plus cher à construire, mais sont plus profitables. Ils de la Saint Lawrence Seaway Development Corporation, à ne requièrent pas l’utilisation d’installations situées Massena, dans l’État de New York. cgvmsl sur la rive. Vous pouviez ainsi disposer de votre fret très rapidement. Il fallait vingt-quatre heures à un même de l’ouverture de la Voie maritime. CSL vraquier pour décharger une cargaison de minerai aurait à se préparer à affronter le nouvel ordre des de fer, et jusqu’à deux jours pour une cargaison de choses tout en restant prisonnier de l’ancien.» céréales. Les auto-déchargeurs ne nécessitent que Tout comme Upper Lakes, CSL entreprit de bâtir de huit à dix heures.» en fonction de la Voie maritime, avant même le début Algoma entreprit elle aussi son programme de de la construction du nouveau réseau. En novembre construction avant la mise en exploitation de la 1953, l’entreprise lança le T.R. McLagan , un navire long Voie maritime, avec le E.B. Barber , un cargo général de 714 pieds, muni d’un barrot de 70 pieds. Le navire long de 564 pieds, construit en 1953 et converti en pouvait traverser le canal Welland, mais les dirigeants auto-déchargeur au début des années 1960. Elle de CSL avaient parié que les écluses, le long de la lança le S ir Denys Lowson en 1964, le Roy A. Jodrey nouvelle voie maritime, seraient assez spacieuses en 1965, l’Algorail et l’Algocen en 1968, enfin pour livrer passage au T.R. McLagan. l’Agawa Canyon en 1970. L’expansion de la flotte se

42 | jenish · La Voie maritime du Saint-Laurent Au moment de son ouverture, la Voie maritime était en mesure de desservir 90 pour cent des navires du monde entier. Après une première décennie, les flottes de trente pays utilisaient le réseau. poursuivit jusqu’au début des années 1980. La Russie. Cela démontrait que les sociétés société avait alors construit quatorze navires. internationales de transport maritime avaient À la fin des années 1960, les propriétaires de reconnu le fait que la Voie maritime était une navires construisaient des bâtiments d’une artère commerciale indispensable, qui donnait longueur de 730 pieds, le maximum permis en accès au cœur de l’Amérique du Nord. raison des dimensions des écluses de la Voie Qui plus est, le réseau fonctionnait si bien maritime. Trente-huit de ces navires étaient en durant ces dix premières années qu’il avait à jamais service, dont cinq lancés au cours de la seule année imposé silence aux sceptiques et aux irréductibles 1968. Tous avaient été construits dans des chantiers qui s’étaient pendant si longtemps opposés au maritimes canadiens. La Voie maritime avait projet et en avaient entravé la réalisation. Pendant également servi de catalyseur pour la conversion la phase d’exécution des travaux, les planificateurs des navires de la vapeur au diesel. Jack Kinnear, un de la Voie maritime avait prévu qu’en 1969 le ancien dirigeant au sein de la société de transport volume annuel des marchandises acheminées sur la maritime Carryore, qui devait par la suite fusionner section Montréal-lac Ontario atteindrait 50 millions avec Algoma, note que la plupart des navires en de tonnes, et 60 millions sur la section du canal service sur les lacs avant l’ouverture de la Voie Welland. maritime étaient actionnés par des turbines Le sommet, pour la décennie, fut atteint en alimentées au mazout.«Ces navires ne pouvaient 1966, quand le volume sur la section Montréal-lac descendre plus loin que la ville de Québec, parce Ontario dépassa 44,67 millions de tonnes, alors que qu’ils y rencontraient rapidement de l’eau salée, 53,77 millions de tonnes transitaient par le canal explique notre interlocuteur. Les navires plus Welland. Deux ans plus tard, les chiffres étaient anciens avaient besoin d’eau douce pour chauffer semblables: 43,5 millions pour la section Montréal- leur chaudière.» lac Ontario, et 52,68 millions pour le canal Welland. L’ouverture de la Voie maritime entraîna La voie navigable aurait vraisemblablement atteint également des améliorations dans les principaux ou dépassé les volumes projetés en 1968, mais les ports des Grands Lacs. La plupart durent être avait ratés en grande partie à cause d’une grève de agrandis pour desservir la nouvelle flotte de navires trois semaines des employés de la Voie maritime. de même que les océaniques, beaucoup plus gros, Quoi qu’il en soit, le réseau entier manutentionnait qui pénétraient à l’intérieur des terres. Les chenaux trois fois plus de marchandises que ne l’avait fait, d’accès furent approfondis. Des travaux de dragage dans sa dernière année d’exploitation, l’ancienne furent entrepris aux abords des quais, des jetées et voie navigable fragmentée. des postes de mouillage. Les hangars de terminaux Ainsi, il y avait moult raisons de réjouissances de fret, les silos à céréales, les systèmes quand la Voie maritime acheva sa dixième année transporteurs et les pipelines furent modifiés ou d’exploitation. Pierre Camu résuma les défis et les reconstruits pour répondre aux exigences d’un réalisations dans une allocution prononcée à accroissement du trafic. l’occasion de la conférence annuelle de la Au moment de son ouverture, la Voie maritime Dominion Marine Association et de la Lake était en mesure de desservir 90 pour cent des Carriers’ Association. «Il fallait amener le milieu des navires du monde entier. Après une première affaires—les importateurs, les exportateurs, les décennie, les flottes de trente pays utilisaient le transporteurs en vrac, les sociétés réseau. Elles venaient notamment du Japon, de la d’hydroélectricité et les producteurs d’acier—à Thaïlande, de Taïwan, de Grèce, d’Angleterre et de considérer la Voie maritime comme une artère

2 · Promesse tenue | 43 Le 27 juin 1969, à Montréal, Pierre Trudeau et Richard Nixon collaboration entre les États-Unis et le Canada en dévoilaient une plaque destinée à commémorer « l’amitié et la ce jour du 10e anniversaire de la Voie maritime du collaboration » qui avaient mené à la construction de la Voie Saint-Laurent.» maritime. cgvmsl Le premier ministre Trudeau parla le premier, suivi par le président Nixon. «Nous sommes commerciale efficace, rapide et sécuritaire» heureux de vous accueillir, monsieur le Président», déclara le conférencier. «En dix ans, nous avons déclara le premier ministre, s’adressant en français, amélioré l’image de la Voie maritime au point que «pour saluer le travail que nos deux peuples ont ceux qui, en 1959, tendaient à la considérer comme accompli de concert, pour constater le progrès une réalisation superflue en étaient venus, en 1965, économique qui en a découlé, mais, par-dessus à la conclusion qu’elle était utile et, en 1969, qu’elle tout, pour démontrer que cette voie navigable […] était devenue nécessaire.» peut servir, non de barrière entre nos deux Cet été là, pour marquer le dixième peuples, mais comme une passerelle de bienvenue, anniversaire, des cérémonies publiques furent de progrès et d’accès» [traduction libre]. organisées à Morrisburg, en Ontario, à Sault Ste. Le président exprima des sentiments Marie, à Massena, dans l’État de New York et dans semblables, puis ajouta: «S’il me vient une pensée à plusieurs autres localités le long de la Voie laisser à cet auditoire distingué, c’est celle-ci: je maritime. L’événement le plus notable se déroula le crois que l’esprit qui a construit cette voie maritime 27 juin 1969, à l’exposition Terre des hommes, site est l’esprit dont le monde a besoin aujourd’hui pour d’Expo 67 deux ans plus tôt. Le premier ministre rassembler les peuples du monde entier.» Pierre Trudeau s’y trouvait, de même que le président des États-Unis, Richard Nixon, qui faisait sa première visite au Canada depuis son élection en 1968, ainsi que plusieurs dignitaires politiques. Les deux dirigeants dévoilèrent une plaque qui se lisait ainsi: «Cette plaque commémore l’amitié et la

44 | jenish · La Voie maritime du Saint-Laurent 3 | Croissance et optimisme, 1969–1979

Debout sur la passerelle du SS , tard l’après-midi du 15 décembre 1972, le capitaine Arthur Perry guidait son navire, un bâtiment long de 630 pieds, en direction sud, depuis le lac Ontario, et s’apprêtait à entrer dans les eaux noir d’encre du canal Welland. Le soleil était déjà couché et il neigeait abondamment. C’était, pour le Georgian Bay, le dernier parcours de la saison, un trajet de 43 kilomètres sur le canal, en direction de son poste hivernal de mouillage à Port Colborne, sur le lac Érié. Ce voyage était également le dernier pour le capitaine Perry, qui prenait sa retraite après une carrière passée sur les lacs. Le moment était historique, enfin, pour l’Administration de la voie maritime du Saint-Laurent, pour les sociétés de transport maritime qui utilisaient le canal, de même que pour les résidents qui vivaient sur ses bords. Ce transit était le dernier à travers une étroite bande du canal, longue de 14,5 kilomètres, qui traversait la ville de Welland et qui était devenue un obstacle majeur tant pour les navires que pour les véhicules et les trains. Au point culminant de la saison de navigation, quelque cinquante laquiers et Un laquier traverse le centre-ville de Welland, interrompant la cargos transocéaniques étaient immobilisés à circulation le long de la rue Main, une voie à sens unique, et chacune des extrémités du canal en raison d’un créant une longue file de véhicules tournant au ralenti sur le goulot d’étranglement qui se formait au milieu. Et, côté est du pont. thies bogner pour chaque transit (7000 au cours de la saison de 1972), les moteurs de voitures tournaient au ralenti flancs de fer du gros laquier. À 20 heures, le navire et les automobilistes rageaient aux abords de six fit entendre son sifflet à l’approche du pont numéro ponts que l’on avait élevés ou fait pivoter pour 13, à l’intersection de la rue Main, au centre-ville, livrer passage. où, pendant quarante ans, le pire de la congestion Un grand nombre des 45000 résidents de de la circulation avait sévi. Massée sur dix rangs, la Welland en étaient venus à exécrer les retards ainsi foule poussa des hourras en réponse. Les bras du causés, et des milliers d’entre eux étaient sur place, numéro 13 furent soulevés pour ce dernier passage par cette nuit hivernale, pour voir passer le dernier et quand, lentement, ils redescendirent, certains, navire. Ils avaient allumé des feux le long du dans la foule, entonnèrent une version locale d’une parcours et avaient immobilisé leurs véhicules, dont vieille chanson populaire britannique: «We lland ils faisaient clignoter les phares au passage du bridge is coming down, coming down, coming down. Georgian Bay , tandis que, dans leurs maisons, les Welland bridge is coming down…» propriétaires allumaient et éteignaient à répétition Quand ils eurent terminé, leur attention se les lumières. Sur les bords du canal, les enfants reporta sur le maire de la ville, Alan Pietz, qui, s’amusaient à lancer des boules de neige contre les jubilant, s’approcha d’un microphone posé sur une

3 · Croissance et optimisme | 45 ci-dessus: Vue aérienne du canal Welland en direction nord depuis Port Colborne, avec le passage à travers la ville de Welland, à gauche et une excavation en vue du parcours du nouveau chenal, à droite. tim root

à droite: Plan montrant le canal Welland et le parcours du chenal détourné, représenté par la ligne pointillée en gras. cgvmsl fermeture du canal trois mois plus tôt. Des centaines d’écoliers avaient obtenu congé pour estrade et déclara: «C’est la fin d’une époque et le être témoins de l’événement, et la ville avait début d’une nouvelle.» organisé un feu d’artifice. Cette ère nouvelle s’amorça le 28 mars 1973. Ce «Vous nous avez gâtés», déclara à cette jour-là, le NM Senneville, un vraquier chargé d’orge occasion le capitaine du Senneville , W.T. Elliott, à en route vers Port-Cartier, au Québec, pénétra des dignitaires de l’Administration de la voie dans le canal à Port Colborne et effectua le maritime. Ce sentiment faisait écho à ceux de bien premier passage commercial dans un nouveau d’autres marins au cours des années. chenal qui contournait la ville. L’ouvrage avait coûté «C’était une amélioration importante», se 188 millions de dollars, et sa construction s’était rappelle le pilote à la retraite Charles Tully, qui étendue sur cinq ans. Le nouveau chenal était plus commençait à l’époque sa carrière sur les lacs. large, plus profond et plus droit que celui qu’il «L’on n’avait plus à se préoccuper des ponts. Le remplaçait, et son inauguration fut encore une fois nouvel ouvrage offrait tout l’espace voulu pour l’occasion de réjouissances, bien que sur une croiser d’autres navires. De notre point de vue, cela échelle moindre que celles qui avaient marqué la faisait une différence considérable.»

46 | jenish · La Voie maritime du Saint-Laurent Sous le canal de détournement, on avait creusé un tunnel pour les trains et les véhicules automobiles.

Le canal de détournement de Welland, nom que l’on avait donné à cette initiative, était le plus gros projet d’immobilisations entrepris au cours des deux premières décennies d’exploitation de la Voie maritime. Il améliorait la rapidité et la sécurité de la navigation. Il permettait à l’industrie du transport maritime de satisfaire à la demande accrue qui résultait de la croissance de l’économie canadienne. Qui plus est, c’était, pour reprendre les mots du rapport annuel de la Voie maritime pour l’année 1972, «un exploit dans le domaine du génie», et l’entreprise avait pu être menée à terme «dans des délais sévèrement limités et sans aucune interruption de la circulation routière, ferroviaire ou maritime». Le nouveau chenal faisait 13,3 kilomètres de longueur. Il était d’une largeur de 350 pieds, et d’une profondeur de 30 pieds. La planification de cette entreprise colossale avait été amorcée au milieu des années 1960, quand des dirigeants de l’industrie du transport maritime et des élus municipaux s’étaient plaints que les retards et les perturbations sur le réseau étaient devenus intolérables. En mai 1966, peu de temps après en avoir obtenu l’accord gouvernemental, l’Administration de la voie maritime entreprit d’acquérir les 6500 acres de terre requis pour le creusage du nouveau chenal et, quatorze mois plus tard, la construction démarrait. Au moment de l’achèvement du projet, quelque 4000 personnes y avaient œuvré. au haut: Le tunnel de la rue Main en cours de construction à l’été Ces travailleurs avaient extrait 65 millions de de 1971. Tout le trafic ferroviaire et routier passerait désormais sous tonnes de terre, de glaise et de vase. Ils avaient le nouveau chenal pour assurer une navigation plus sécuritaire et déplacé des lignes ferroviaires appartenant à trois mieux ordonnée. au bas: On aperçoit des aqueducs-siphons qui chemins de fer, soit le Canadien National, le Penn furent construits pour gérer le débit de la rivière Welland. cgvmsl Central et le Toronto, Hamilton, and Buffalo. Ils avaient posé 160 kilomètres de nouvelles voies, spacieux pour accueillir trois lignes ferroviaires et construit une gare, un centre de contrôle, des gares une route à deux voies. Enfin, les mêmes de marchandises et de triage. Sous le canal de travailleurs avaient creusé une route à quatre voies détournement, ils avaient creusé un tunnel pour les sous la rue Main, au centre de Welland, et déplacé trains et les véhicules automobiles. Ce tunnel 80 kilomètres de voies artérielles. faisait 1 080 pieds de longueur, 116 pieds et demi de La rivière Welland avait dû être détournée largeur et 35 pieds de hauteur. Il était assez pour passer sous la déviation. Cette manœuvre

3 · Croissance et optimisme | 47 Le 25 août 1974, un navire propriété d’une filiale de la avons construit partout des tunnels pour remédier Bethlehem Steel, le Steelton, transitant par le canal Welland, à la situation.» entra en collision avec le pont de Port Robinson. C’était le pire L’inauguration du canal de détournement accident à survenir en plus de quarante ans. La voie navigable survint au moment où les entreprises de transport resta fermée jusqu’au 8 septembre. thies bogner maritime éprouvaient du mal à suivre le rythme d’une économie alors en pleine expansion. En 1969, avait nécessité la construction d’un siphon année qui marquait la fin de la première décennie contenant quatre conduits, chacun d’une largeur d’exploitation de la Voie maritime, 48,56 millions de de 94 pieds et d’une longueur de 638 pieds, soit tonnes de marchandises avaient transité par le assez grands pour répondre aux exigences de canal Welland. En 1973, le volume du trafic avait débits de pointe de 12000 pieds cubes d’eau à la atteint 60,96 millions de tonnes, un nouveau seconde. Enfin, des lignes de transport record, et la quatrième hausse d’affilée en autant d’électricité, des conduites de gaz, des lignes d’années. De même, un nouveau sommet—52,28 téléphoniques et des conduites d’égout avaient dû millions de tonnes—était atteint sur la section être déplacées et réinstallées en fonction des Montréal-lac Ontario. besoins de la nouvelle infrastructure. Le volume connut une chute prononcée sur les «Nous ne voulions d’aucun pont mobile sur le deux sections en 1974, en raison, d’une part, de nouveau chenal», se rappelle l’ancien président de conflits de travail et, d’autre part, du pire accident à la Voie maritime, Bill O’Neil, qui était responsable survenir sur le canal Welland au cours de ses de la construction de cet ouvrage. «Nous en avions quarante-deux années d’exploitation. Le canal resta assez des interruptions de traversées et, ainsi, nous fermé pendant quinze jours—du 25 août au 8

48 | jenish · La Voie maritime du Saint-Laurent «Vous entriez au bureau d’embauche du syndicat des gens de mer, rue King, et le tableau d’a∫chage était couvert d’o◊res d’emploi.» Bruce Duffett · matelot de 3e classe

septembre—après que le S teelton, un laquier long de 620 pieds, propriété d’une filiale de la Bethlehem Steel, installée à Buffalo, eut complètement détruit un pont levant à Port Robinson. Selon un rapport de l’accident dans le Toronto Star, la collision s’était produite à 4h20 du matin, faisant trembler les maisons qui se trouvaient à proximité et éveillant la majeure partie des habitants de la localité. Les contrepoids du pont, pesant chacun 300 tonnes, s’étaient retrouvés l’un profondément enfoncé dans la chaussée, au-dessous, l’autre dans la vase et la saleté du fond du canal. Après les revers de 1974, le volume des marchandises transportées sur la Voie maritime s’accrut annuellement pendant quatre saisons consécutives. À la fin de la seconde décennie Le terminal de l’Iron Ore Company of Canada, à Sept-Îles, au d’exploitation, les deux sections servaient Québec. Le minerai de fer et les céréales comptaient pour 79 conjointement de passage, annuellement, à plus de pour cent du trafic sur la Voie maritime au cours des années 74,3 millions de tonnes de fret, près de deux fois et 1970. cgvmsl demie les volumes atteints en 1959. Mais les chiffres ne dépeignaient qu’une partie de l’histoire. 1976», se rappelle Bruce Duffett, un matelot de 3e «La Voie maritime s’est révélée l’un des classe, dont la carrière sur les lacs s’est étendue sur investissements les plus remarquablement trois décennies, «j’ai quitté Terre-Neuve en voiture, profitables qu’ait jamais appuyés le Canada», avec cinq camarades, pour me rendre à Toronto. déclarait Ralph Misener, président du conseil de Vous entriez au bureau d’embauche du syndicat des Scott Misener Steamships, une société de gens de mer, rue King, et le tableau d’affichage était transport maritime établie à St. Catharines, en couvert d’offres d’emploi. Nous avons tous trouvé Ontario, dans une allocution prononcée à Regina, du travail sur les navires, ayant presque champ libre en janvier 1974, devant les membres de la Palliser quant au choix de nos postes. Je n’avais pas la Wheat Growers’ Association. «La Voie maritime a moindre expérience quand j’ai commencé.» consolidé la position du Canada en tant que pays L’aide-mécanicien Jacques Dumont, un possédant une marine marchande virile. Elle a Québécois originaire de Cap-Chat, en Gaspésie, a attiré de nouvelles cargaisons qui, auparavant, conservé des souvenirs semblables. «Vous pouviez atteignaient la côte Est du pays par les chemins de monter à bord d’un navire à l’écluse 1 du canal fer américains, et elle a généré de façon soutenue Welland et, si le capitaine ne vous plaisait pas, des dividendes étonnants grâce au stimulant qu’elle descendre à l’écluse 3, puis monter à bord d’un autre a fourni au développement et au progrès bâtiment. J’ai pris un emploi comme huileur à économique.» Montréal, uniquement dans le but de me rendre au La vie était belle pour la Voie maritime, pour les bureau du syndicat, à Thorold, en Ontario. J’ai été sociétés de transport maritime ainsi que pour les renvoyé à Cardinal, ai filé en autobus jusqu’à Thorold hommes et les femmes à leur emploi. «En juillet et obtenu un autre emploi en moins de rien.»

3 · Croissance et optimisme | 49 «Gigantesque vente de blé en perspective; entente de 500000000$ avec les Soviétiques» Globe and Mail, 14 septembre 1963

Le président de la Voie maritime, Paul Normandeau, à l’extrême des changements considérables au cours des droite, rencontre une délégation de hauts responsables de années 1960 et 1970, quand l’Union soviétique l’industrie soviétique du transport maritime en tournée au entreprit de négocier des achats importants de ces Canada en décembre 1974, au moment où l’URSS procédait à des produits. La Voie maritime tira des avantages achats records de céréales. cgvmsl majeurs de ce changement de donne. Tout au long des années 1950, la Russie avait annuellement Des douzaines de types de marchandises et de exporté de petits volumes de céréales, produits divers transitaient par la Voie maritime à principalement dans le but d’en obtenir des devises cette époque: de la pierre, du sel, du soufre, des étrangères, mais de mauvaises récoltes, au début produits chimiques, du mazout et du ciment, pour des années 1960, renversèrent le courant. n’en énumérer que quelques-uns. Mais les céréales En 1962, le gouvernement communiste de Nikita et le minerai de fer dominaient sans conteste le Khrouchtchev annonça une augmentation des prix marché. Sur une majorité d’années, ces de la viande, du beurre et d’autres denrées de marchandises comptaient, en termes de volume, première nécessité. Cette annonce déclencha des pour 70 pour cent environ des biens transportés, et mouvements d’agitation un peu partout à travers le la demande pour ces matières premières propulsa pays et, dans la ville de Novotcherkassk, des grèves les tonnages de la Voie maritime à des niveaux et des manifestations. inconnus jusqu’alors. Bien que le soulèvement ait été court et Depuis des décennies, le Canada exportait du brutalement réprimé, il eut néanmoins un effet blé et d’autres grains cultivés dans les trois durable. L’année suivante, les autorités soviétiques provinces des Prairies. Mais ce commerce connut donnèrent leur accord, pour la première fois, à des

50 | jenish · La Voie maritime du Saint-Laurent importations massives de céréales. À l’été de 1963, Bay, à l’extrémité ouest du lac Supérieur, et par la des représentants d’Exportkhleb, l’agence d’État Voie maritime: 6,5 millions de tonnes en 1962, 8,8 dont relevaient les ventes à l’étranger, se mirent à la millions en 1963, 11,6 millions en 1964, 10,9 millions recherche de grains céréaliers à acheter. Une en 1965 et 12,9 millions en 1966. Les Russes importante délégation arriva à Ottawa fin août, persistaient à acheter année après année parce établit ses quartiers au Château Laurier et que, écrivait Morgan, «l’agriculture soviétique […] entreprit des négociations avec le gouvernement continuait à représenter un échec désastreux en canadien. comparaison avec les normes de l’Occident. Les Les entretiens se déroulaient en privé, mais fermes collectives et les fermes d’État étaient après quinze jours de tractations à huis clos, le inefficaces pour toutes sortes de raisons—facilités secret commença à s’ébruiter. Le 14 septembre de transport insuffisantes, mesures incitatives 1963, le Globe and Mail titrait à la une: inadéquates, investissements aux mauvais endroits, «Gigantesque vente de blé en perspective; entente déprime rurale. […] Les échecs en matière de de 500000000$ avec les Soviétiques». Deux jours récoltes, quand ils se produisaient, étaient plus tard, le ministre canadien du Commerce habituellement colossaux.» extérieur, Mitchell Sharp, et S.A.Borisov, premier À la fin des années 1960, les autorités sous-ministre du ministère soviétique soviétiques tentaient d’accroître la taille de leurs correspondant, signaient une entente qui prévoyait troupeaux de bétail afin d’être en mesure de mettre l’expédition par le Canada de 228 millions de plus de viande et de volaille sur les tables russes. boisseaux de blé à la Russie et à ses satellites Cela signifiait qu’au sein d’une société où sévissait la d’Europe de l’Est. C’était, dans l’histoire du pénurie, d’énormes quantités de céréales servaient Canada, la plus importante transaction impliquant à l’alimentation animale.Peu avant Noël 1970, le des céréales. régime annonça que le prix des aliments allait «Cette annonce marquait un tournant dans augmenter, ce qui ne faisait qu’aggraver la situation. l’histoire du commerce céréalier d’après-guerre, C’en était trop pour les travailleurs polonais des ainsi que dans l’histoire de l’Union soviétique elle- villes de Gdansk et de Szczecin, qui se mirent en même», écrivait Dan Morgan dans son livre grève par mesure de protestation. Merchants of Grain , paru en 1979. «La récolte de céréales avait connu un échec, mais, cette fois, l’on À la fin des années 1960, les autorités soviétiques ne demandait pas aux Russes de se serrer la tentaient d’accroître la taille de leurs troupeaux de ceinture. À l’exemple de pays riches tel le Japon, bétail afin d’être en mesure de mettre plus de viande Khrouchtchev couvrait le déficit par des et de volaille sur les tables russes. importations.» Immédiatement après la signature du contrat, Peu de temps après, les Soviétiques les Soviétiques commencèrent à dépêcher des entreprirent une fois de plus de parcourir le monde flottes de cargos vers les ports canadiens de à la recherche de nouvelles sources de céréales. l’Atlantique et du Pacifique, et le ministre du Dix-huit mois plus tard, ils effectuaient une Commerce extérieur, Mitchell Sharp, affirmait aux transaction qui demeure encore aujourd’hui la plus journalistes que la plus grosse part des céréales importante de l’histoire du marché céréalier. Cette seraient expédiées par le Saint-Laurent. L’effet de fois, ils avaient été capables de se ravitailler auprès cette décision devint rapidement apparent dans les de sociétés privées américaines, parce que le volumes de céréales qui transitaient par Thunder gouvernement des États-Unis avait levé les

3 · Croissance et optimisme | 51 La pression qui pesait sur le transport des céréales fit en sorte que 1972 et plus de deux fois le montant des la Voie maritime dut prolonger la saison de navigation et en hâter achats effectués après les récoltes l’ouverture. Dans cette photo, on aperçoit le vapeur Canadian désastreuses de 1963 et de 1965. Un contrat Hunter, propriété de Upper Lakes Shipping, qui redescend le Saint- récent portant sur un million de tonnes de Laurent avec un chargement de céréales, le 26 mars 1974—date graines de soja destinées à l’alimentation d’ouverture la plus hâtive à ce moment-là. cgvmsl/ottawa citizen animale et à la fabrication d’huile végétale porte le total des achats à près de 1,6 restrictions visant les exportations destinées à milliard de dollars. Ces importations de l’Union soviétique. L’ampleur des achats de la céréales viendront en grande partie des Russie est évidente dans une note de l’Agence États-Unis, soit 17,5 millions de tonnes, le centrale de renseignement des États-Unis, reste provenant du Canada, de France, adressée à Carroll Brunthaver, secrétaire adjoint d’Australie et de Suède. du département américain de l’Agriculture, le 31 août 1972: Cette énorme transaction et d’autres survenues tout au long des années 1970 allaient mettre à dure La somme totale des contrats de céréales épreuve les capacités du système canadien de passés avec tous les pays contractants manutention des céréales. Elles assuraient en outre pour livraison au cours de l’exercice que la Voie maritime fonctionnerait annuellement financier de 1973 s’élève maintenant à 24,2 au maximum de sa capacité, ou tout près, depuis le millions de tonnes, une valeur de près de moment de l’ouverture de la navigation, au 1,5 milliard de dollars, soit trois fois la printemps, jusqu’à celui de sa fermeture, au début quantité importée au cours de l’exercice de de l’hiver. Dans des centaines de localités des

52 | jenish · La Voie maritime du Saint-Laurent provinces des Prairies, les agriculteurs transportaient leurs céréales jusqu’à des silos à grain répandus dans les campagnes. Les chemins de fer en faisaient la collecte et les transportaient jusqu’à Thunder Bay, à l’époque l’un des ports les plus grouillants d’activité au pays. Selon le Greenwood’s Guide to Great Lakes Shipping, il y avait vingt et un silos terminaux à la tête des Grands Lacs. Le plus petit pouvait contenir 1,75 million de boisseaux, le plus grand neuf millions. Plus de 1700 personnes travaillaient dans le port et, de temps à autre, les cours de triage étaient encombrées de quelque 8000 wagons couverts attendant d’être déchargés. « Nous travaillions à plein rendement», se rappelle Gene Onchulenko, un résident de Thunder Bay qui Un auto-déchargeur débarque du charbon aux docks de Stelco était employé sur le front d’eau à l’époque. «Il y dans le port de Hamilton en novembre 1973. La production avait beaucoup plus de navires que maintenant. mondiale d’acier connut un essor considérable au cours des Nous chargions des céréales sans arrêt. Je me années 1970 et les usines canadiennes eurent parfois de la rappelle un week-end où nous avons assuré le di∫culté à se procurer su∫samment de minerai pour répondre départ de dix navires.» à leurs besoins. hamilton port authority Les céréales destinées à la Russie se rendaient à des terminaux détenus par des intérêts Bob Charman, un ancien vice-président, Ventes à américains à Baie-Comeau et à Port-Cartier, les la CSL, se rappelle les pressions extraordinaires qui deux ports en eau profonde, près de l’embouchure caractérisaient alors le transport des céréales: «Les du Saint-Laurent, qui avaient la capacité de Russes exerçaient des pressions sur la Commission recevoir les gros cargos de l’Union soviétique. canadienne du blé, et celle-ci, en retour, faisait Certains de ces cargos étaient de vieux pétroliers pression sur nous pour accélérer l’acheminement qui, nettoyés, avaient la capacité de transporter des cargaisons, parfois même quand la chose était trois fois autant de fret qu’un laquier. Les céréales presque impossible, explique notre interlocuteur. En d’origine américaine transitaient également vers décembre, le temps était horrible. Nous devions ces terminaux par la Voie maritime, mais à raison composer avec le brouillard, la glace, le vent, la d’une partie seulement, le reste étant exporté à giboulée et la neige. C’était dur pour nos équipages. partir de Houston ou de La Nouvelle-Orléans. Nous courions beaucoup de risques.» «Je me souviens des files d’attente», déclare Et quand un navire avait déchargé ses céréales Tom Brodeur, vice-président, Ventes et marketing à sur le Saint-Laurent, il y avait toujours du minerai la société CSL, qui travaillait à l’époque sur les lacs. de fer qui attendait à Baie-Comeau, à Port-Cartier, «Aujourd’hui, vous estimez qu’il y a problème si ou plus loin en aval, à Sept-Îles. En amont du fleuve, vous devez attendre une journée à Baie-Comeau les cales à marchandises étaient toujours pleines pour décharger. La moyenne, à l’époque, était de de minerai destiné aux aciéries de Hamilton ou de cinq jours environ. Il y avait des engorgements Sault Ste. Marie, sur le côté canadien, ou de considérables à tous les silos du Saint-Laurent.» Cleveland, de Detroit, ou d’autres centres, sur le

3 · Croissance et optimisme | 53 des trajectoires semblables et, dès le début de la décennie, les dirigeants de l’acier manquaient de mots pour décrire cette flambée d’activité. «Je n’ai jamais rien vu de pareil», déclarait au Financial Post , en juin 1973, Peter Gordon, président de la Steel Company of Canada, installée à Hamilton. «Et le phénomène est le même dans chaque pays producteur—aux États-Unis, en Europe de l’Ouest et au Japon.» «Nous avons dû avancer de plusieurs années notre planification en raison de l’essor inattendu de la demande», déclarait, de son côté, Frank Sherman, président de la Dominion Foundries and Steel, également de Hamilton. «Notre taux de production, à l’heure actuelle, a déjà atteint le niveau prévu à l’origine pour 1976–1977.» Le Financial Post rapportait, à l’automne de 1973, que toutes les principales aciéries canadiennes fonctionnaient à plein rendement et que le nombre de grands projets de nature industrielle et commerciale alors à l’état de planification allait maintenir la demande à des niveaux très élevés pendant des années à venir. Les services publics d’électricité prévoyaient que leurs besoins s’élèveraient à 1,2 million de tonnes entre 1974 et 1980 Des navires à quai, le long de la jetée no 21 de Dofasco, pour des projets de production d’énergie déjà en déchargent du matériau en vrac destiné à l’industrie de l’acier. marche ou encore en voie d’élaboration. L’industrie hamilton port authority pétrolière et gazière avait besoin de 635000 tonnes d’acier afin d’accroître sa capacité de raffinage, de côté américain. Pendant une bonne partie de la construire des usines pétrochimiques et de mettre décennie, les usines pouvaient à peine produire en œuvre des projets d’exploitation des sables assez rapidement pour faire face à la demande. bitumineux. De nouveaux ponts, des viaducs, des La production mondiale d’acier s’accrut, passant autoroutes en exigeraient 200000 tonnes. de 650 millions de tonnes en 1971, à 705 millions First Canadian Place, une tour de bureaux de l’année suivante, et à 780 millions en 1973. Elle fit un soixante-douze étages, appelée à devenir le siège autre bond important en 1974, pour atteindre 795 de la Banque de Montréal, était en construction à millions, avant de chuter à 723 millions de tonnes l’angle des rues King et Bay, au centre-ville de en 1975. Elle reprit toutefois son élan un an plus Toronto, et allait requérir 42000 tonnes d’acier de tard et augmenta annuellement jusqu’à la fin de la construction. Ce n’était là qu’un exemple de plus décennie. En 1979, la production globale avait de cinquante projets de construction commerciale atteint 827 millions de tonnes. Les industries ou industrielle qui nécessiteraient environ 816000 canadienne et américaine de l’acier avaient suivi tonnes d’acier.

54 | jenish · La Voie maritime du Saint-Laurent Les aciéries elles-mêmes étaient au nombre des produisait quatre pour cent de moins. Selon le utilisateurs du produit parce qu’elles étaient en journaliste d’affaires canadien Peter Foster, il expansion en vue de faire face à la demande. En s’agissait du «revers le plus traumatisant de juin 1975, Algoma Steel, de Sault Ste. Marie, publiait l’histoire de cette industrie dans l’après-guerre». des annonces pleine page dans la presse d’affaires, Quand la récession prit fin, les producteurs sous le titre: «Le Canada obtient quotidiennement nord-américains d’acier furent confrontés à un 5000 tonnes de plus de fer en fusion». La société autre défi embarrassant. De l’acier à bas prix en annonçait l’achèvement d’un nouveau haut provenance du Japon, d’Europe et de pays aux fourneau—le no 7—une expansion de ses économies émergentes, dont le Brésil, la Corée du installations, qui avait coûté 50 millions de dollars. Sud, et certains pays d’Afrique avait commencé à «Pour fabriquer plus d’acier, Algoma a besoin inonder le marché nord-américain et à gêner la de plus de fer, affirmait la société. Le haut fourneau production locale. L’industrie se colleta avec ce no7 nous le fournira. Cet ouvrage fait 30 étages de problème pendant deux ans, jusqu’au moment où la hauteur et possède un creuset de 35 pieds de reprise économique se fit sentir et, pour les diamètre, ce qui en fait l’un des plus gros hauts producteurs canadiens d’acier, la décennie se fourneaux du Canada. Quand il aura atteint son termina à peu près comme elle avait commencé. plein rendement, le no7 fournira à nos aciéries à l’oxygène suffisamment de fer en fusion pour Les mouvements de céréales et de minerai de fer—les accroître notre production d’acier brut à 4000000 navires en aval remplis à craquer de céréales, ceux en de tonnes par an.» amont gonflés à bloc de minerai—avaient propulsé la Au même moment,Stelco entreprenait la Voie maritime et l’industrie du transport maritime sur conception d’un nouveau complexe intégré de les Grands Lacs vers la meilleure décennie qu’elles fabrication d’acier—le premier à voir le jour en aient connue. Amérique du Nord en plusieurs décennies. La société avait acquis 6600 acres de terre. Le coût Leurs carnets de commandes étaient remplis. du projet allait s’élever à 500 millions de dollars. Et Les usines fonctionnaient à pleine capacité ou il allait transformer du tout au tout la petite presque, et les sociétés faisaient état de robustes communauté agricole de Nanticoke, sur les rives du hausses de la production. Stelco et Algoma lac Érié, à soixante kilomètres à l’ouest de Hamilton. accrurent chacune leur rendement de 12 pour cent «L’accroissement de la production d’acier sur cette en 1978, et Dofasco de six pour cent. Vers la fin de propriété va mener Stelco fort avant dans le XXIe 1979, le Financial Post déclarait: «Les trois siècle, écrivait W.L. Dack dans le Financial Post, et principaux producteurs d’acier voient peu de ouvrira la voie à une capacité annuelle de nuages à l’horizon. Ils ont des commandes en production de plus de 12 millions de tonnes.» carnet, la plupart de leurs clients sont assujettis à Les mises de fonds de la Stelco liées au projet des contingentements et ils ont été incapables de de Nanticoke s’accroissaient toutefois au moment répondre à toutes les demandes d’exportation en où la demande d’acier plongeait. Une récession provenance des États-Unis.» entraînée par la hausse des prix du pétrole et une Les mouvements de céréales et de minerai de inflation galopante frappa l’économie en 1975. La fer—les navires en aval remplis à craquer de production mondiale d’acier chuta de neuf pour céréales, ceux en amont gonflés à bloc de minerai— cent cette année-là et celle des États-Unis de vingt avaient propulsé la Voie maritime et l’industrie du pour cent, tandis que l’industrie canadienne transport maritime sur les Grands Lacs vers la

3 · Croissance et optimisme | 55 «Exception faite de construire un nouveau canal, aucune amélioration ne paraît o◊rir l’accroissement marqué de capacité qui nous permettra de continuer à utiliser nos installations pendant encore plusieurs années» Paul Normandeau · président de la Voie maritime, 1973–1980

Avec l’accroissement annuel du trafic le long de la voie Dans le but de diversifier leurs sources navigable, la congestion sur le canal Welland demeurait un défi d’approvisionnement,Hydro Ontario et les majeur. L’Administration de la voie maritime répondit à cette producteurs d’acier entreprirent d’acheter du lignite situation en concevant et en produisant plusieurs prototypes en Saskatchewan et de la houille en Alberta et en d’un remorqueur de manœuvre, capable de guider les navires à Colombie-Britannique. Stelco prit livraison de l’entrée et à la sortie des écluses du canal. L’illustration ci- 270000 tonnes en 1975, qui transitèrent par des dessus présente un écorché de ce type d’engin, pour en montrer installations existantes à Thunder Bay, et Hydro le fonctionnement. phil jenkins Ontario fit l’acquisition de 180000 tonnes. Mais ce n’était là qu’un début. Un terminal charbonnier meilleure décennie qu’elles aient connue. Pendant occupant 236 acres était en construction sur l’île des années, les aciéries et les centrales électriques McKellar, à l’embouchure de la rivière Kaministiquia, de l’Ontario avaient brûlé du charbon américain, qui se jette dans le lac Supérieur, à proximité de transporté à bord de trains de 100 wagons, à partir Thunder Bay. La construction fut achevée à de mines situées en Pennsylvanie, au Kentucky et l’automne de 1978. Au cours de sa première année en Virginie, avant d’être transbordé sur des laquiers complète d’exploitation, le nouveau terminal avait à Toledo, Sandusky, Ashtabula et autres ports de manutentionné 365000 tonnes de charbon. En l’Ohio, puis transporté de là jusqu’à Hamilton, 1980, ce chiffre avait atteint 2,4 millions de tonnes. Toronto et Sault Ste. Marie. Entré en scène au Le réseau devait fonctionner avec le plus milieu des années 1970, le charbon canadien en d’efficacité possible pour gérer les volumes en provenance de l’Ouest devint rapidement la question, et l’Administration de la voie maritime mit marchandise qui connut la plus forte croissance sur pied nombre de mesures pour assurer ce bon parmi celles qui étaient transportées sur les lacs. fonctionnement, particulièrement par temps froid.

56 | jenish · La Voie maritime du Saint-Laurent Le directeur de l’exploitation, A.M. Luce, passa en revue quelques-unes de ces mesures en février 1974, à l’occasion de la conférence annuelle de la Dominion Marine Association et de la Lake Carriers’ Association. Des portes spécialement isolées avaient été installées à l’écluse de Côte-Sainte-Catherine, de même qu’à l’écluse supérieure de Beauharnois, en vue de réduire au minimum les accumulations de glace. La Voie maritime se livrait également à des expériences qui consistaient en l’application d’un revêtement époxydique aux murs d’écluses dans le but d’y prévenir la formation de glace. Des buses étaient déjà en place à Saint-Lambert et à Côte- Sainte-Catherine pour chasser la glace des écluses, et on en installait à l’écluse supérieure de Beauharnois ce même hiver. «Nous avons l’intention, poursuivait le conférencier, de continuer à étudier les problèmes liés aux biefs et structures de divers canaux. Nous continuerons à moderniser les installations dans les écluses en vue d’améliorer notre capacité de fonctionner par temps froid.» Deux ans plus tard, le président de la Voie La Voie maritime acheta deux vieux navires en vue de procéder à maritime,Paul Normandeau, s’adressant à une des essais sur l’eau avec ces remorqueurs. La photo ci-dessus réunion conjointe des deux organismes, décrivait montre un essai particulièrement bien réussi, avec le Marinsal, un projet encore plus ambitieux en vue d’accroître sur le canal Welland, vers 1979. phil jenkins la capacité du réseau: la création de remorqueurs de manœuvre qui seraient fixés à la poupe ou à la deux pieds de largeur et dix-huit pieds de proue des navires transitant par le canal Welland, profondeur, et l’un de leurs flancs se distinguait par pour guider leur entrée et leur sortie des écluses. un cran en V, destiné à recevoir la proue d’un navire. «Nous estimons qu’utilisés de concert avec un Un seul engin de fabrication japonaise, d’une système précis de guidage, ces engins de puissance de 3600 hp, actionnait deux propulseurs, manœuvre marins spécialement conçus offrent la ou hélices, larges de six pieds, situés aux deux méthode la plus directe et la moins coûteuse angles. Ces propulseurs avaient la capacité de d’obtenir un accroissement important de la déplacer le navire vers la gauche ou la droite, ou de capacité de notre Voie maritime, expliquait le le faire avancer ou reculer. Leur mise en service président. Nous croyons que cette mesure éliminerait, pour le capitaine et l’équipage, la pourrait suffire à répondre à la croissance du nécessité d’avoir recours au mur de guidage pour trafic attendue au cours des vingt prochaines engager le navire dans une écluse. Ils donneraient années.» aussi suffisamment de stabilité pour que l’équipage Ces remorqueurs étaient des plateformes n’ait plus à amarrer le navire avant que le niveau de semblables à des barges. Ils faisaient cinquante- l’eau soit élevé ou abaissé dans l’écluse.

3 · Croissance et optimisme | 57 Des scientifiques tentaient de déterminer les moyennes relatives aux conditions de la glace sur les Grands Lacs.

Le président estimait que la Voie maritime au moyen d’un réglage soigneux des commandes aurait besoin d’une flotte de trente remorqueurs, du propulseur.» au coût total de 50 à 65 millions de dollars, chiffre Les remorqueurs en étaient encore au stade qui fut par la suite porté à 100 millions. Les études embryonnaire de leur développement, et la Voie techniques de la Voie maritime prévoyaient que maritime continua pendant plusieurs années de ces remorqueurs pourraient réduire de 20 pour perfectionner le concept. Entre-temps, l’industrie cent le temps qu’un navire mettait à franchir une privée exerçait des pressions sur l’Administration écluse. «Exception faite de construire un nouveau de la voie maritime en vue de garder le réseau canal, aucune amélioration ne paraît offrir ouvert de plus en plus longtemps chaque année et, l’accroissement marqué de capacité qui nous ainsi, de prolonger la saison de navigation. En 1974, permettra de continuer à utiliser nos installations l’Administration de la voie maritime annonça la pendant encore plusieurs années», déclara le fermeture du canal Welland pour le 30 décembre. conférencier. Mais Stelco et plusieurs autres entreprises firent Le programme de remorqueurs n’en était pression pour un délai, et l’Administration encore qu’à ses débuts au moment où le président prolongea l’ouverture du canal jusqu’au 17 janvier Normandeau avait pris la parole devant les 1975, soit dix jours de plus que le record précédent, représentants de l’industrie du transport maritime établi trois ans auparavant. et, au cours des cinq années qui suivirent, les Les autorités américaines, elles, allèrent ingénieurs de la Voie maritime soumirent les encore plus loin. Pour la première fois dans plateformes à des essais sur l’eau. L’organisme l’histoire de la Voie maritime, elles gardèrent acquit deux vieux navires en vue de ces essais, le ouvertes tout l’hiver les écluses de Sault Ste. Marinsal, un bâtiment jaugeant 8600 tonneaux, et Marie, en grande partie pour répondre au désir de le Menihek Lake, dont la capacité s’élevait à 36400 la US Steel et du directeur de sa division maritime, tonneaux. Les remorqueurs furent soudés à la William H. Ransome, un ardent défenseur de la proue et à la poupe des deux navires parce que, à navigation à longueur d’année. À la mi-février, neuf l’époque, les ingénieurs n’avaient pas encore des quarante navires de l’entreprise déterminé la meilleure façon de fixer les transportaient encore du charbon, des boulettes plateformes aux divers types de navires auxquels de minerai de fer et de la pierre à chaux depuis ils auraient affaire. Twin Harbors, au Minnesota, aux usines de la Ces remorqueurs fonctionneraient sans société, à Chicago. À la mi-mars, le nombre de équipage. Des câbles ombilicaux devaient relier la navires était tombé à cinq. «Mais ces navires», plateforme à une console portable, installée sur la écrivait John Dalrymple dans Canadian Shipping passerelle, d’où le capitaine contrôlerait le and Marine Engineering, «barattaient encore dans mouvement du navire. Les essais expérimentaux les écluses du “Soo” et se faufilaient à travers les consistaient à faire transiter les navires par le canal détroits de Mackinac en dépit des avertissements Welland, et les nouveaux engins réalisèrent ce que des assureurs.» l’on attendait d’eux, selon un rapport paru dans le À la même époque, les gouvernements Fairplay International Shipping Weekly daté du 17 canadien et américain, de même que ceux de mai 1979 : «La manœuvrabilité a été jugée l’Ontario et du Québec, et ceux de six États exceptionnelle, rapportait la revue spécialisée. Le américains avaient contribué financièrement à une positionnement peut être maintenu avec précision, étude de plusieurs millions de dollars, dont le but sous toutes les conditions de courant et de vents, était d’en arriver à prolonger la saison de

58 | jenish · La Voie maritime du Saint-Laurent navigation. Des scientifiques tentaient de Le CSL Saguenay, un navire long de 730 pieds, en route vers déterminer les moyennes relatives aux conditions Hamilton, depuis Sandusky, en Ohio, avec une cargaison de de la glace sur les Grands Lacs et se livraient à charbon, quitte l’écluse 7 le 4 janvier 1974. Le Saguenay fut le l’examen de diverses méthodes destinées à réduire dernier navire à traverser le canal Welland cette année-là. cgvmsl les accumulations de glace dans les canaux et les écluses. Des chercheurs examinaient la possibilité utilisation dans l’Arctique. C’est cette dernière d’installer des diffuseurs de bulles d’air sur le sol technologie qui se révéla la plus efficace, selon Bill des écluses pour pousser vers le haut de l’air plus O’Neil, qui était alors commissaire de la Garde chaud, de façon à maintenir l’eau à la surface au- côtière. Des véhicules à coussin d’air pouvaient dessus du point de congélation. Ils envisagèrent être attachés sur le devant de brise-glaces ou être également l’éventualité d’installer des conduites de autopropulsés, comme un aéroglisseur. Des jupes chauffage le long des murs d’écluses. L’autre défi souples en caoutchouc étaient tendues comme un qui se posait était de garder libres les couloirs de rideau de douche sur le pourtour d’une barge de navigation sur les lacs et les rivières. Les façon à créer un coussin d’air qui soulevait le chercheurs examinèrent la possibilité d’accroître la vaisseau au-dessus de la surface de l’eau et lui vitesse d’écoulement des eaux des rivières et celle permettait de se déplacer en direction d’une de détourner vers la Voie maritime des effluents nappe de glace. Le poids du vaisseau produisait d’eau chaude en provenance d’usines et de des vagues sous la glace, et le mouvement des centrales électriques. vagues entraînait le bris de la surface glacée et sa Les technologies de déglaçage paraissaient les dispersion. plus prometteuses. Pendant plusieurs hivers, à En février et mars 1976, la Garde côtière fit sur le partir de 1974–1975, la Garde côtière canadienne se Saint-Laurent l’expérience de cette nouvelle livra à des essais avec des brise-glaces, de même technologie, couplée à celle de brise-glaces qu’à des expériences avec une technologie de traditionnels, aussi bien en amont qu’en aval de coussins d’air élaborée à Calgary en vue d’une Montréal. «Ces progrès laissent entrevoir des

3 · Croissance et optimisme | 59 Détail d’une publicité de la société Stephens-Adamson pour le système d’auto-déchargement dit de «boucle en C». Cette réclame a paru dans un magazine canadien de transport maritime dans les années 1970. Le texte explique comment la société, alors installée à Belleville, en Ontario, avait conçu et fabriqué des systèmes d’auto-déchargement depuis 1908. Garde côtière devrait mener des opérations possibilités séduisantes dans le domaine des ininterrompues de reconnaissance aérienne sur technologies du déglaçage, écrivait peu après Bill l’état des glaces et briser la glace sur les couloirs de O’Neil dans Canadian Shipping and Marine navigation de façon à les garder ouverts. Engineering.Ils favorisent notre objectif, qui consiste Le Corps of Engineers de l’armée américaine à allonger la saison de navigation sur le réseau entreprit une étude sur la navigation d’hiver et en Grands Lacs-Voie maritime du Saint-Laurent.» vint à la conclusion qu’elle vaudrait aux États-Unis La prolongation de la saison resta un sujet de des bénéfices substantiels. Toutefois, avant débat et d’étude jusqu’à la fin de la décennie. En d’engager des dépenses en immobilisations pour 1978, à l’occasion de la rencontre conjointe de la prolonger la saison, l’Administration de la Voie Dominion Marine Association et de la Lake maritime retint les services de la firme LBA Carriers’ Association, plusieurs experts livrèrent Consulting Partners, d’Ottawa, pour évaluer les des communications sur les avantages et les retombées économiques de pareilles mesures. Les inconvénients de pareille mesure. La navigation à consultants déposèrent leur rapport en octobre longueur d’année sur l’ensemble ou, à tout le moins, 1978. Ils en étaient venus à la conclusion que le sur une partie du réseau permettrait une utilisation Canada et les États-Unis devraient investir 30 plus rationnelle du capital investi dans le transport millions de dollars pour prolonger la saison jusqu’à maritime. Les ports pourraient être utilisés de neuf mois et demi, et 440 millions, en excluant le façon continue. Les manufacturiers seraient en coût de brise-glaces, pour la porter à onze mois. mesure de fonctionner avec des stocks moindres Tout au long des années 1970, les sociétés de de matières premières, et les emplois saisonniers transport maritime firent leur part pour accroître le seraient transformés en travail à plein temps. volume des marchandises transitant par la Voie Mais il y aurait aussi de nombreux inconvénients. maritime. Elles poursuivirent les programmes de Les conditions de travail à bord des navires, dans renouvellement de leurs flottes qui avaient été les ports ainsi que dans les écluses et sur les canaux amorcés dans les premières années d’exploitation deviendraient plus ardues. Les frais d’assurance du réseau. La plupart des nouveaux navires furent augmenteraient. Les systèmes diffuseurs de bulles construits selon les spécifications maximales d’air, les estacades à glace et les aides à la admissibles sur la Voie maritime. Des améliorations navigation devraient être améliorés et modifiés. La apportées à la conception des coques et des cales

60 | jenish · La Voie maritime du Saint-Laurent

Les années 1970 furent des années pleines d’entrain et d’optimisme. L’humeur du temps appelait à la fête au moment où s’achevait la décennie.

permirent d’accroître les tonnages. Mais entre les deux courroies, elle y restait, précise l’innovation la plus marquante de la décennie fut M. DeRoche. Le déchargement s’accomplissait incontestablement la mise au point du système beaucoup plus proprement parce qu’il y avait d’auto-déchargement appelé «de boucle en C». moins de débordements. Le matériel était d’un Les technologies d’auto-déchargement étaient entretien plus facile, et le dispositif lui-même était en usage sur les Grands Lacs depuis le milieu des beaucoup plus rapide que tout autre système. On années 1920 et, au fil des ans, les sociétés de pouvait décharger à un rythme de 6000 tonnes à transport maritime avaient investi dans des systèmes l’heure. C’était du jamais vu.» améliorés. Au début des années 1960, deux types de technologie étaient monnaie courante: l’un utilisait § Les années 1970 furent des années pleines des élévateurs à godets, l’autre comptait sur une d’entrain et d’optimisme. L’humeur du temps série de courroies inclinées pour élever les appelait à la fête au moment où s’achevait la cargaisons depuis le sol des cales jusqu’à la flèche de décennie. La Voie maritime marqua son vingtième déchargement sur le pont et sur le rivage. anniversaire par des cérémonies, le 7 septembre Selon Ed DeRoche, vice-président directeur au 1979, dans les sections est et ouest du réseau. En sein de CSL International, à Boston, c’est un matinée, une foule de 600 personnes se joignit aux ingénieur de la Canada Steamship, Bill Johnston, représentants des gouvernements canadien et qui proposa l’idée de la boucle en C à la fin des américain pour une cérémonie d’hommages, tenue années 1960. Ce dispositif utilisait deux larges devant l’écluse Eisenhower sur le Saint-Laurent, courroies qui, comme le pain dans un sandwich, tandis que quelque 200 personnes participèrent à retenait les marchandises en place tandis qu’elles une cérémonie semblable sur le canal Welland au étaient hissées en vue du déchargement.«À la cours de l’après-midi. CSL, nous prenions toutes sortes de mesures pour «Au moment où la Voie maritime s’apprête à accroître le taux de déchargement, explique notre entreprendre sa troisième décennie d’existence, interlocuteur. La saison n’avait que neuf mois et déclara l’ambassadeur du Canada aux États-Unis, nous voulions déplacer plus de tonnes de Peter M. Towe, c’est avec plaisir que nous marchandises. L’une des options à notre disposition entrevoyons la poursuite de notre collaboration consistait à améliorer les déchargeurs.» avec nos homologues américains. L’on peut dire Pour mettre au point la boucle en C, CSL que les rêves qui unissent deux pays comme les s’associa avec la division Stephens-Adamson de Allis- nôtres sont beaucoup plus forts que ceux qui les Chalmers Canada. Ed DeRoche s’était joint à la CSL divisent. La Voie maritime du Saint-Laurent est un au début de 1972 et se rappelle avoir vu un modèle exemple éclatant des rapports qui caractérisent les de mise au point technique de ce dispositif sur un relations entre les États-Unis et le Canada.» des chantiers de la division Stephens-Adamson, à Le sous-secrétaire d’État américain, Luther H. Belleville, en Ontario. Au milieu des années 1970, le Hodges, parla avec une éloquence semblable. «La nouveau système avait été mis en place à bord de Voie maritime sert de modèle à d’autres pays du quatre navires de la CSL, le J.W. McGriffin, le H.M. monde, déclara-t-il. Elle m’apparaît comme un Griffith, le Louis R. Desmarais et le Jean Parisien. En ruban qui relie nos deux pays. Comme nous aurons peu de temps, les concurrents commencèrent eux l’occasion de le constater au cours des vingt aussi à adopter cette technologie. prochaines années, la Voie maritime est appelée à La boucle en C présentait plusieurs avantages. jouer un rôle de plus en plus vital dans les affaires «Une fois que vous aviez placé la marchandise du monde.»

3 · Croissance et optimisme | 61 4 | Des années di∫ciles, 1980–1992

pour dégager le navire et les dignitaires de la Voie maritime ne cessaient de consulter leurs montres. En fin de compte, à 11h20, la cérémonie dut être déplacée sur les lieux où se trouvait le navire. À midi, le maître du Griffith , le capitaine Jim Playford, mit pied à terre et le vice-président de la région de l’Ouest, Malcolm Campbell, lui présenta le haut-de- forme symbolique. «J’espère que vous ne penserez pas que c’est ainsi que nous exploitons le canal Welland pendant toute la saison, dit le vice- président Campbell à la foule. Nous avons l’habitude d’être beaucoup plus efficaces.» Le personnel du canal prouva rapidement que ce n’étaient pas là de vains mots. Au coucher du soleil, le H.M. Griffith filait gaiement sur le lac Érié, à destination de Cleveland, pour y prendre une La cérémonie annuelle dite du haut-de-forme, antérieure à cargaison de charbon, et cinq autres navires l’existence de la Voie maritime, marque le passage du premier avaient transité par le canal. La section est de la navire de la saison sur le canal Welland au printemps. Voie maritime était également entrée en service ce L’événement photographié ici se tint sur le pont d’un auto- jour-là et, avec la bousculade et l’agitation déchargeur remontant, amarré à l’écluse 3. thies bogner habituelles, une nouvelle saison de transport maritime venait de s’amorcer. L’air était frais et humide le matin du 24 mars 1980, Au sein de l’Administration de la voie maritime, en raison d’une tempête qui, au cours de la nuit, toutefois, les choses étaient loin de tourner avait répandu de la pluie et de la neige mouillée sur rondement. L’organisme vivait une transition une grande partie du sud de l’Ontario. Dans la majeure. Paul Normandeau avait démissionné en péninsule du Niagara, les températures oscillaient janvier 1980, après avoir occupé pendant sept ans autour du point de congélation, engourdissant de le poste de président. Le pays était en période froid quelques centaines de braves—des employés électorale au niveau fédéral, et la campagne prit fin de la Voie maritime, des retraités, des mordus du au début de février, Pierre Trudeau et le Parti transport maritime et des politiciens locaux—qui libéral obtenant une majorité. Jean-Luc Pepin, s’étaient réunis peu avant 10h30, à l’écluse 3 du devenu ministre des Transports, annonçait le 4 canal Welland, pour la cérémonie dite du haut-de- juillet la nomination de Bill O’Neil au poste de forme, qui marque annuellement le passage du président de l’Administration de la voie maritime. premier navire de la saison dans la Voie maritime. Pour M. O’Neil, un ingénieur civil âgé de 53 ans C’est au H.M. Griffith—battant pavillon de la qui avait grandi à Ottawa et étudié à l’Université de Canada Steamship Lines—que revenait cet honneur. Toronto, cette nomination représentait en quelque C’était l’ouverture la plus hâtive de la Voie maritime sorte un retour au bercail, puisque plus tôt dans sa en ses vingt et une années d’existence, mais le carrière il avait été pendant seize ans cadre temps faisait des siennes. Le Griffith était supérieur à la Voie maritime. «Cela faisait bon de immobilisé à l’écluse 2, en raison d’une accumulation revenir, se rappelait-il lors d’une entrevue accordée de glace. Les éclusiers travaillaient avec des gaffes plusieurs années plus tard. Je me sentais tout à fait

62 | jenish · La Voie maritime du Saint-Laurent chez moi. Je connaissais le réseau. Pas de courbe Présentation du haut-de-forme au capitaine Ted Courtemanche, d’apprentissage pour moi à surmonter au moment du NM Meaford, un navire de la société Upper Lakes Shipping, de mon entrée en fonction.» le 29 mars 1974. Les trois hommes à droite sont Allan Luce, alors Bill O’Neil s’était joint en 1955 à l’Administration directeur de l’exploitation à l’Administration de la voie de la voie maritime du Saint-Laurent, qui venait maritime; Tom Quigg, vice-président; et Malcolm Campbell, alors d’être mise sur pied. Il avait quitté un poste au directeur de la région de l’Ouest. cgvmsl sein de la division des services de canaux du ministère des Transports, à Ottawa, pour rejoindre sociétés externes qui devaient exécuter le gros du un groupe d’ingénierie à Montréal, au sein duquel il travail. Il quittait la Voie maritime pour devenir avait travaillé brièvement aux études préparatoires commissaire de la Garde côtière canadienne, à du canal de la Rive Sud. Peu de temps après, il Ottawa. Quand, neuf ans plus tard, il revint sur un s’installait à St. Catharines pour superviser le terrain qui lui était familier, il faisait néanmoins face dragage du canal Welland, de même que les autres à des défis bien différents de ceux que son améliorations nécessaires pour faire en sorte que la prédécesseur avait dû relever. vieille voie maritime serait compatible avec la Le pays était sous le coup d’une récession, la nouvelle. pire, au dire de certains observateurs, depuis la Au moment de sa démission de la Voie Crise des années 1930. L’économie avait été maritime, en 1971, M. O’Neil était responsable de la paralysée par une inflation galopante, un taux de conception et de la réalisation du projet de chômage élevé, des hausses de taux d’intérêt qui détournement du canal Welland. Son personnel battaient tous les records, la flambée des prix du avait mené les études de faisabilité, mis sur pied les pétrole et des déficits gouvernementaux qui ne équipes d’ingénieurs et accordé les contrats aux cessaient de croître. Les dépenses de

4 · Des années difficiles | 63 Les exportations de céréales canadiennes s’accrurent toutefois—l’un des rares motifs d’espoir dans une année qui vit l’ensemble des volumes de marchandises décroître de 10 pour cent sur les deux sections de la Voie maritime.

cent sur les deux sections de la Voie maritime. Au cours des deux saisons suivantes, l’industrie du transport maritime continua d’éprouver les effets de la récession. La Dominion Marine Association rapporta que 12 pour cent de la flotte canadienne était paralysée en 1981 et que, l’année suivante, 20 pour cent des navires étaient immobilisés. La situation était encore pire du côté américain, où un cinquième de la flotte était inactive en 1981, et 41 pour cent en 1982. En 1981, les deux flottes, canadienne et américaine, ainsi que des océaniques d’origine étrangère transportèrent 50,6 millions de tonnes sur la section Montréal-lac Ontario, et 58,9 millions de tonnes le long du canal Welland, en gros le même tonnage que l’année précédente. Mais, en 1982, le volume des marchandises décrut de 15 pour cent sur la section est, et de 17 pour cent sur la En 1984, la Voie maritime organisa une cérémonie pour marquer section ouest. Les revenus d’exploitation de la Voie vingt-cinq années d’exploitation du réseau. Sur cette photo, Bill maritime s’affaissèrent de tout près de 10 millions O’Neil, alors président de la Voie maritime, observe Lionel de dollars, pour s’établir à 52 millions de dollars. Chevrier, au moment où il allume les bougies du gâteau Selon le rapport annuel de 1982, l’Administration de d’anniversaire. gracieuseté de bernard chevrier la voie maritime fut forcée d’effectuer «certaines coupures importantes dans son budget consommation fléchissaient. Les ventes de voitures d’exploitation et d’entretien en vue de maintenir un étaient en baisse. L’industrie canadienne de l’acier, capital de roulement suffisant». L’une des victimes quant à elle, souffrait d’un excédent de capacité et de ces mesures d’austérité fut le programme de baignait dans d’importants déficits. La demande de remorqueurs, qui dut être mis en veilleuse minerai de fer—l’une des deux marchandises qui indéfiniment. constituaient la pierre angulaire de la Voie maritime La conjoncture était difficile, mais les —s’effondra abruptement. Les expéditions de dirigeants de la Voie maritime restaient optimistes céréales américaines étaient elles aussi en baisse quant à l’avenir. «Nous connaîtrons une baisse en raison de l’évolution de la scène politique cette année, avouait le président dans une internationale. L’Union soviétique avait envahi entrevue accordée au Globe and Mail en juin 1982 l’Afghanistan au début de 1980, entraînant, de la mais, l’an prochain, nous pourrions bénéficier part de Washington, un embargo sur les d’une hausse substantielle. C’est un rendement en expéditions de céréales en direction des pays du dents de scie—toujours à la hausse—et il nous faut bloc communiste. constamment conserver un pas d’avance sur la Les exportations de céréales canadiennes demande.» s’accrurent toutefois—l’un des rares motifs d’espoir L’optimisme du président était fondé sur deux dans le cours d’une année qui vit l’ensemble des rapports consacrés aux perspectives d’avenir à long volumes de marchandises décroître de 10 pour terme de la Voie maritime. En 1981, le groupe

64 | jenish · La Voie maritime du Saint-Laurent d’étude sur les Grands Lacs mis sur pied par l’Ontario en venait à la conclusion qu’en 1985, l’accroissement du trafic serait cause de congestion et que la Voie maritime atteindrait sa capacité maximale de transit peu de temps après. La seconde prévision relative au trafic fut émise par Acres Consulting Services, de Toronto, et Data Resources, de Lexington, au Massachusetts. L’Administration de la voie maritime et la Saint Lawrence Seaway Development Corporation avaient commandé ce rapport au début de 1980, et les deux firmes présentèrent les résultats de leur enquête en février 1982. Elles concluaient que «les mouvements du trafic sur les deux sections, Welland et Montréal- lac Ontario, [allaient s’accroître,] mais à un rythme plus lent que par le passé». L’Administration de la voie maritime dut dépêcher sur les lieux, Les experts-conseils prévoyaient que le trafic depuis Montréal, une grue flottante autotractée, munie d’une sur la section Montréal-lac Ontario atteindrait flèche de 250 pieds, pour dégager la poulie et l’arbre endommagés. 60 millions de tonnes en 1985, et 80 millions de Cette photo montre la grue flottante et la travée du pont, coincée à tonnes en 2000. Ils faisaient preuve d’optimisme environ un quart de sa montée. cgvmsl quant aux perspectives d’avenir du canal Welland, estimant que les volumes de marchandises incident à une hauteur de 114 pieds et demi, puis atteindraient près de 70 millions de tonnes en 1985, ramenée à niveau. Cette fois-ci, elle se coinça à et 90 millions de tonnes au tournant du siècle. En environ un quart de sa montée. fait, tant la section est que la section ouest «Le coordonnateur du canal de Beauharnois connurent une remontée modeste du trafic en 1983, appela au secours et un groupe d’entre nous se et de nouveau en 1984. Mais l’ensemble du réseau rendit sur les lieux», se rappelle Pat Dalzell, qui subit deux revers inattendus qui remirent en était alors ingénieur des contrats régionaux au question la réputation de la Voie maritime en tant centre d’entretien de la Voie maritime, à Brossard. que voie navigable sécuritaire et fiable. «Nous ne savions pas ce qui avait pu se produire. Le premier incident se produisit à 7h30 du Ma première réaction fut de me dire que nous matin le 21 novembre 1984. L’on était en train de étions dans un sale pétrin. L’hiver approchait et il soulever la travée mobile d’un pont levant près de nous fallait faire sortir les océaniques.» Valleyfield, au Québec, pour livrer passage à un En fait, les navires immobilisés commencèrent navire. Cette travée faisait 215 pieds de long, pesait bientôt à s’accumuler sur les eaux du lac Saint- 1400 tonnes et n’était qu’une section d’une François, à l’ouest du canal de Beauharnois, et sur autoroute combinée avec un passage de chemin de le lac Saint-Louis, à l’est. Le 26 novembre, la Presse fer au-dessus du canal de Beauharnois, qui faisait canadienne rapportait que trente-deux navires en 3300 pieds de large. Le pont avait été érigé au aval et vingt-huit en amont étaient à l’ancre entre moment de la construction de la Voie maritime, et Montréal et Prescott. Vingt-deux autres était en exploitation depuis vingt-cinq ans. Des océaniques se trouvaient ailleurs sur le réseau, au- milliers de fois la travée avait été soulevée sans delà de Prescott.

4 · Des années difficiles | 65 «Pendant quelques nuits, je dus dormir sur une table à dessin, dans une roulotte installée sur le chantier, et le grutier dormait sur le sol, à mes côtés.» Pat Dalzell · ingénieur à la Voie maritime

Quand un navire transitait par le canal, les poulies pivotaient environ deux fois et demie sur un arbre, qui faisait quelque deux pieds de diamètre et neuf pieds de long. De chaque côté, les contrepoids s’abaissaient au fur et à mesure que la travée s’élevait. Une fois passé le navire, la manœuvre était renversée. La travée descendait, les contrepoids remontaient, et les poulies pivotaient deux fois et demie. Après un quart de siècle d’utilisation et des milliers de tours à haute contrainte, l’arbre d’acier forgé de l’un des moyeux s’était fendu et brisé, entraînant l’affaissement de la poulie contre le pylône. La Voie maritime dut s’en remettre à des entrepreneurs de l’extérieur pour réparer le pont, puisqu’elle ne possédait ni le personnel ni l’outillage nécessaires. Le premier défi, explique M. Dalzell, consistait à édifier deux pylônes temporaires pour supporter la travée et les contrepoids. Une fois cette tâche accomplie, les entrepreneurs tournèrent leur attention vers l’enlèvement de la poulie fracassée. La Voie maritime dépêcha sur les lieux, depuis Montréal, une grue flottante autotractée, de type Hercules. Cette photo montre la flèche de 250 pieds en position verticale, Cette grue faisait 75 pieds sur 200 et était prête à enlever le matériel endommagé. Le mauvais temps normalement utilisée pour lever les portes entrava les e◊orts de réparation. Plusieurs jours de vents forts et d’écluse quand elles avaient été accidentellement d’eau agitée empêchèrent de soulever la poulie, qui pesait endommagées par des navires. Une grue de 200 trente tonnes. cgvmsl tonnes munie d’une flèche de 250 pieds fut placée sur le pont de la grue Hercules et positionnée en Pendant ce temps, des efforts frénétiques étaient vue de la manœuvre à effectuer. en cours pour réparer le pont. Pat Dalzell et ses C’est alors que la température se mit à faire des collègues avaient rapidement compris ce qui s’était siennes. Pat Dalzell se rappelle que plusieurs jours produit. Le mécanisme élévateur comprenait quatre de grands vents et d’eau agitée empêchèrent de grosses poulies, deux pour chaque pylône du pont. dégager la poulie, lourde de trente tonnes, du Celles-ci faisaient 15 pieds de diamètre et 46 pouces pylône contre lequel elle reposait et de l’abaisser de largeur au moyeu. Seize câbles d’acier mesurant sur le pont de la grue Hercules. «Le moindre vent deux et un huitième de pouces de diamètre étaient exagérait le mouvement au sommet de la flèche, tendus sur chacune des poulies. Les câbles étaient explique-t-il. Pendant quelques nuits, je dus dormir attachés à la travée et aux contrepoids de béton, un sur une table à dessin, dans une roulotte installée pour chaque pylône, pesant chacun 750 tonnes et sur le chantier, et le grutier dormait sur le sol, à mes enfermés dans un coffre d’acier. côtés. Nous espérions que le vent s’apaiserait juste

66 | jenish · La Voie maritime du Saint-Laurent avant le lever du soleil, pour nous permettre d’abaisser le faisceau.» La poulie contenant dans son moyeu l’arbre fracassé fut portée dans un atelier d’usinage de la Dominion Bridge, à Lachine et, une fois de plus, un défi d’importance se posa, celui de retirer l’arbre de sa gaine. John Vazalinskas, qui était alors ingénieur de l’entretien général de la région Est de la Voie maritime, supervisa ce travail. «Peu importe ce que nous tentions, nous n’arrivions pas à retirer les morceaux.» On tenta d’abord de jumeler azote liquide et lampe à souder, avec l’espoir que le froid de l’azote amènerait l’arbre à se contracter, tandis que la chaleur de la flamme dilaterait le moyeu de la Une grue abaisse une poulie, faisant quinze pieds de diamètre, poulie. Cette méthode ayant échoué, la poulie fut depuis la tour du pont de Valleyfield. Ces poulies pivotent sur placée sur une presse de 1000 tonnes, cette fois un arbre d’acier et supportent les seize câbles d’acier qui servent dans l’espoir de forcer la sortie de l’arbre de son à élever et à abaisser la travée du pont. Des fissures apparues moyeu. Plutôt, c’est la presse qui se tordit. dans l’arbre avaient empêché la poulie de pivoter au moment où En fin de compte, M. Vazalinskas et l’équipe de l’on élevait la travée pour livrer passage à un navire. cgvmsl la Dominion Bridge décidèrent de forer l’arbre hors de sa gaine. La poulie fut cramponnée au plateau position levée jusqu’à la fermeture du réseau pour tournant d’un tour vertical, un dispositif semblable l’hiver. Les ingénieurs de la Voie maritime avaient à un tour conventionnel, qui entreprit d’aplanir découvert des fissures dans plusieurs autres l’arbre à partir de son centre en direction de sa arbres, et l’entreprise ne pouvait courir le risque circonférence. «Nous avons aplani vingt-quatre d’une seconde défaillance. Les travées de tous les heures par jour pendant quelques jours, se ponts levants de la région de l’Est furent enfin rappelle-t-il. J’étais incapable de dormir, la plupart abaissées après que le dernier navire fut sorti du du temps, et je me tourmentais comme un père qui réseau, et les pièces défectueuses furent attend la naissance de son enfant.» remplacées au cours de l’hiver. Le pont fut enfin remis en service le 9 De nombreuses pressions avaient pesé tout décembre—dix-neuf jours après la panne. Cent l’automne sur les employés de la Voie maritime soixante-cinq navires attendaient alors de pouvoir chargés de remettre en service le pont de poursuivre leur voyage, 104 en aval et 61 en amont. Valleyfield, mais leurs efforts furent reconnus. Grâce au beau temps,—et à un effort extraordinaire «Plusieurs d’entre nous reçûmes des lettres du de la part du personnel de la Voie maritime, des ministre fédéral des Transports à l’époque, Don pilotes et des équipages—à la date du 15 décembre Mazankowski, se rappelle M. Vazalinskas. Il nous l’arriéré avait été surmonté. remercia personnellement de la contribution que La Voie maritime resta ouverte, cette saison-là, nous avions apportée à l’économie canadienne.» jusqu’au 2 janvier 1985, et le pont de Valleyfield de La section juridique de la Voie maritime, elle, même qu’une seconde structure, semblable, le long était encore aux prises avec les répercussions de du canal de Beauharnois, furent maintenus en la panne du pont de Valleyfield, soit des

4 · Des années difficiles | 67 Plus d’une douzaine de cargos attendaient de transiter par le canal au moment de l’accident et furent forcés de jeter l’ancre ou de s’amarrer.

connaissions pas l’étendue des dommages, ni la cause de pareil effondrement.» Les réponses à ces questions ne viendraient que plus tard. Il fallait, en toute priorité, libérer le navire de l’écluse. Le maître-éclusier ferma la porte aval. À 18h15, il entreprit, lentement, le remplissage de la chambre. Par bonheur, le Furia, par une légère embardée, arriva à se dégager des décombres de béton qui reposaient à bâbord, sur 250 pieds de long, de la proue jusqu’à la partie centrale de la coque. L’eau souleva de 38 pieds le gros vraquier, le maître- éclusier et son équipe laissèrent échapper un soupir de soulagement, et le capitaine fit sortir le navire de l’écluse à reculons et l’amarra au mur d’approche. Il était alors 21h25, et la nuit était tombée. À la fin d’octobre, les travailleurs avaient enlevé environ 2 000 Plus d’une douzaine de cargos attendaient de verges cubes de décombres de béton, pesant 5 000 tonnes. Sur transiter par le canal au moment de l’accident et cette photo, on aperçoit les travailleurs en train d’ériger furent forcés de jeter l’ancre ou de s’amarrer. Pour l’échafaudage nécessaire à la coulée du béton. cgvmsl chaque jour où leur navire était immobilisé, les sociétés de transport maritime étaient exposées à douzaines de poursuites et des réclamations perdre entre 5000 et 10000 dollars. Leurs clients totalisant plus de 200 millions de dollars, quand étaient touchés eux aussi. «Mon Dieu!», s’écria une deuxième mésaventure tout aussi John Hanieski, président du conseil de la Detroit- dévastatrice survint le 14 octobre 1985, jour Wayne County Port Authority, en apprenant que le d’Action de grâce. À 10h25 du matin, un céréalier canal était temporairement fermé. «C’est un gros, appartenant à des intérêts américains, le Furia, un très gros problème, particulièrement en ce était amarré dans l’écluse 7 du canal Welland. moment, où bien des entreprises sont à mettre à Long de 564 pieds, le vaisseau était chargé de niveau leurs stocks en prévision de la fermeture de 16775 tonnes de blé et s’apprêtait à entreprendre la Voie maritime pour l’hiver.» sa descente de l’échelle d’écluses en direction du Les responsables de la Voie maritime ne lac Ontario. Dans l’écluse, l’eau avait été abaissée. pouvaient offrir aucun réconfort. «Je n’ai aucune La porte s’ouvrit. Le navire se détacha du mur. Il idée du temps qu’il faudra pour rétablir la situation, commença à avancer, puis s’arrêta si parce qu’il faut d’abord comprendre ce qui s’est brusquement, au dire du capitaine, qu’on aurait pu produit», déclara Malcolm Campbell, qui était alors croire qu’il s’était échoué. Les membres de vice-président pour la région de l’Ouest. «Nous l’équipage et les éclusiers découvrirent alors n’avons jamais fait face auparavant à un problème qu’une partie du mur ouest s’était effondrée. semblable.» Des responsables de la Voie maritime furent sur Le lendemain matin de l’incident, les ingénieurs les lieux en quelques minutes. «Nous pouvions de la Voie maritime entreprirent d’évaluer les apercevoir de gros morceaux de béton qui dommages. Robert Poe et plusieurs de ses reposaient contre la coque, se rappelle l’ingénieur collègues montèrent à bord d’un canot d’aluminium de travaux publics Robert Poe. Nous ne long de douze pieds, équipé d’un moteur hors-

68 | jenish · La Voie maritime du Saint-Laurent bord. L’eau fut abaissée jusqu’au sommet de la ligne Les réparations étaient presque achevées au moment où fut de faille, et la petite équipe put apercevoir de près, prise cette photo. Le canal Welland fut rouvert le 7 novembre, pour la première fois, la fracture. Celle-ci courait après avoir été fermé pendant près de vingt-quatre jours. cgvmsl sur environ le tiers de la longueur de l’écluse et, en certains endroits, elle avait causé l’effondrement de d’atténuer la pression qui s’exerçait contre le mur près de la moitié des quatre-vingts pieds de et d’empêcher un nouvel effondrement. Pendant hauteur du mur. que le remblai était excavé, on installait des étais Entre-temps, les cadres supérieurs de la Voie entre les murs est et ouest afin de stabiliser la maritime avaient obtenu d’entrepreneurs de structure. Deux barges furent introduites par l’extérieur, capables de procéder à la réfection du flottement dans la chambre le matin du 18 octobre. mur, des propositions en ce sens et avaient passé la Au cours des cinq jours qui suivirent, des journée à les examiner. Le 16 octobre, ils travailleurs mirent en place quatorze de ces pièces accordaient des contrats à Pitts Engineering et à de renfort, une rangée de six près du sommet de Canron. «Cela marquait le début de vingt et un l’écluse, et une autre trente-neuf pieds plus bas. jours de travail ininterrompu, se rappelle M.Poe. Ayant bien assujetti le mur, les entrepreneurs Nous travaillions par périodes de douze heures, introduisirent dans l’écluse, à bord des barges, des sept jours sur sept. Une équipe travaillait le jour, béliers à marteaux hydrauliques. Ces machines, l’autre la nuit.» semblables à une pelle rétrocaveuse, étaient Les entrepreneurs eurent recours à des équipées de bras articulés munis d’un dispositif chargeuses frontales et à des pelles rétrocaveuses ressemblant à un marteau perforateur qui devait pour enlever la terre du remblai—un mélange servir à briser le béton endommagé sur la face de d’argile et de limon—mis en place plusieurs années la fracture. Huit jours plus tard, le 26 octobre, auparavant contre la face extérieure du mur l’écluse avait été vidée, et l’ampleur des dommages endommagé. Le but de cette opération était pouvait enfin être déterminée avec justesse.

4 · Des années difficiles | 69 Entreprise en novembre 1986, la réhabilitation du canal Welland jours, dix-neuf heures et dix-huit minutes. Cent trente s’étendit sur une période de sept ans et coûta 175 millions de autres navires attendaient de transiter par le canal. dollars. Entre autres travaux, ce programme comprenait la Tandis que les réparations s’accomplissaient, remise à neuf de la face des murs d’écluse. En certains endroits, des ingénieurs de la firme Acres International on dut arracher jusqu’à trente pouces de béton à l’aide d’outils tentaient de déterminer la cause de l’effondrement. spécialisés, ou avoir recours, comme on le voit dans cette photo, Quelques années plus tard, en raison de poursuites à des explosions contrôlées. cgvmsl découlant de l’incident, la Voie maritime commanda une autre étude, menée, celle-là, par deux D’énormes blocs de béton asymétriquement ingénieurs de l’Université de Waterloo, Roger fracassé reposaient sur le sol de la chambre et, Green et Leo Rothenburg. Les constats de cette derrière eux, une cavité béante, d’une hauteur étude variaient quelque peu par rapport à ceux de équivalente à quatre étages d’un immeuble, et la première, mais les deux équipes étaient d’une profondeur de douze pieds, s’étalait à la vue. pareillement venues à la conclusion que plusieurs Tout compte fait, 2000 verges cubes de problèmes étaient à l’origine des fractures décombres de béton, d’un poids estimé à 5000 survenues à l’intérieur du mur. tonnes, avaient dû être enlevées par camion. Dans un premier temps, l’âge de l’écluse Une fois achevé le nettoyage, les entrepreneurs constituait un facteur qui avait contribué à procédèrent au coffrage de la cavité. Le dispositif l’effondrement. L’écluse était en service depuis plus fut ancré au mur du fond, et les travailleurs de cinquante ans. Elle avait servi à quelque entreprirent d’y couler du béton par gâchées, ou 380000 transits. Chaque fois que l’écluse se vidait, portions, qui ne faisaient pas plus de huit pieds et puis se remplissait, l’effort imposé par la charge demi de haut. La première gâchée fut coulée le s’accroissait, puis retombait. Quand l’eau était matin du 30 octobre, la dernière à 21 heures le 4 abaissée, le poids de l’argile du remblai faisait novembre. Ce même soir, les équipes ployer le mur imperceptiblement vers l’intérieur. commencèrent à retirer les étais et à nettoyer le Quand la chambre était pleine, l’eau procurait du chantier. support au mur, contrebalançant ainsi la pression L’écluse 7 fut remise en service à 5h43 du matin, qui s’exerçait contre le pan externe. Avec le le 7 novembre. Le Furia fut le premier navire à la passage des années, des conduites d’écoulement franchir, ayant été immobilisé pendant vingt-trois encastrées dans le remblai s’étaient bouchées, et

70 | jenish · La Voie maritime du Saint-Laurent l’argile était devenue saturée. Cet état de fait travailleurs durent œuvrer dans le froid hivernal et poussa les charges qui pesaient contre le mur bien sous la contrainte d’échéanciers très serrés. Le au-delà de la capacité prévue par la conception programme comportait tant de projets que la technique et entraîna la formation de fissures, réhabilitation du canal prit effectivement les sept invisibles à l’œil nu, dans les profondeurs de années prévues à l’origine. En fait, l’Administration l’ouvrage. de la voie maritime dépensa encore 29 millions de Une deuxième source de difficultés était une dollars durant le dernier hiver, celui de 1992–1993, sorte de buse, ou conduite forcée, qui courait tout plus qu’elle n’en avait dépensés dans chacune des le long du mur ouest de l’écluse 7, de même que saisons précédentes. des écluses qui se trouvaient immédiatement au- On comprend facilement que le travail sur les dessous. Ce dispositif, qui faisait 6300 pieds de écluses constituait la part la plus importante du long et huit pieds six pouces de diamètre, livrait de projet de réhabilitation, et qu’il commençait l’eau à la centrale électrique, propriété de la Voie habituellement par le renforcement des murs. Les maritime, située à proximité de l’écluse 3. Il était entrepreneurs perçaient des trous, revêtu d’acier à l’intérieur, sur presque toute sa horizontalement et verticalement, certains à une longueur, sauf à l’écluse 7. La pression de l’eau profondeur de quatre-vingts pieds, et y entraîna la formation de fissures, dans lesquelles installaient des tiges d’acier à haute résistance, qui l’eau s’infiltra avant de les pousser de plus en plus faisaient un pouce et trois huitièmes d’épaisseur. profondément dans le béton, au point que De gros boulons étaient fixés à l’extrémité l’intégrité du mur s’en trouva gravement supérieure et l’on utilisait des vérins pour les compromise. étirer, de manière à comprimer et à renforcer le Vers la fin de novembre 1986, une pleine année béton. après la grave défaillance à l’écluse 7, le ministre Par après, la terre du remblai, à l’extérieur du fédéral des Transports, John Crosbie, annonçait mur—principalement de l’argile ou de l’argile que le gouvernement allait consacrer, sur une limoneuse—était excavée. De nouveaux réseaux période de sept ans, 175 millions de dollars à un d’évacuation et de drainage, consistant en programme de réhabilitation du canal Welland. La conduites de huit pouces de diamètre, étaient mis Voie maritime avait en main les rapports de trois en place, et de la petite pierre poreuse servait sociétés d’experts-conseils et, sur la foi des désormais de matériel de remplissage. La plus conclusions de ces rapports, on élabora un plan grosse tâche consistait à réparer les faces destiné à assurer la viabilité de la Voie maritime intérieure et extérieure des murs, et ce travail pendant encore une bonne partie du vingt et devait être bien planifié et exécuté par étapes. Les unième siècle. équipes de construction ne pouvaient travailler que Ce programme comportait trois éléments sur un côté du mur à la fois quand elles refaisaient principaux: le renforcement et la stabilisation des la face, parce qu’elles ne pouvaient décaper les murs d’écluse, la rectification des dommages deux faces en même temps. survenus, de même que des réparations aux murs Les équipes utilisaient des explosifs, des d’approche, au sommet et à la base des écluses. béliers à marteaux hydrauliques et des marteaux Tout le travail devait se faire au cours des trois perforateurs pour enlever jusqu’à trente pouces mois, entre la fin de décembre et la fin de mars, où de béton. Couler du béton en hiver présentait le canal était fermé pour la saison. Des équipes de des défis inusités. Les granulats devaient être construction regroupant parfois jusqu’à 700 réchauffés à l’avance, à la vapeur ou à la

4 · Des années difficiles | 71 Tout le travail devait être accompli pendant les mois d’hiver, et plus sévère depuis l’ouverture du système en 1959», la coulée du béton par températures froides présentait des défis selon le rapport annuel. inusités. L’eau et les granulats devaient être réchau◊és à «Cette situation était d’autant plus l’avance, pour faire en sorte que le nouveau béton adhère à perturbatrice qu’elle était inattendue, poursuivait le l’ancien. thies bogner rapport. Une baisse marquée des deux principales cargaisons passant par la Voie maritime—les chaleur sèche. De même, l’eau devait être chauffée céréales et le minerai de fer—correspond à la perte à 40oC et ajoutée aux bétonnières contenant déjà presque totale du tonnage.» les granulats, avant que l’on ne puisse y introduire Les cargaisons de minerai de fer n’avaient jamais le ciment. Le béton était coulé dans le coffrage à connu de véritable reprise après la récession une profondeur maximale de cinq pouces à la fois. dévastatrice de 1981. En fait, l’industrie américaine Enfin, les surfaces existantes devaient elles-mêmes de l’acier consacra la majeure partie de la décennie être chauffées au moins jusqu’à 5oC pour faire en à la restructuration et à la rationalisation de ses sorte que le nouveau béton adhère à l’ancien. activités. Par ailleurs, l’embargo américain sur le Le sérieux problème survenu à l’écluse 7 chargement de céréales destinées à l’Union entraîna une multitude de poursuites contre la Voie soviétique demeura en vigueur, ce qui entraîna une maritime et des réclamations de plusieurs millions réduction permanente des transits de céréales et de dollars en dommages. Mais ce n’était pas là la d’autres marchandises américaines par le Saint- seule difficulté à laquelle l’entreprise eût à faire Laurent. En 1985, enfin, les mouvements de céréales face. Par pure coïncidence, le volume des canadiennes le long de la Voie maritime chutèrent marchandises transitant par la Voie maritime, en eux aussi, en raison de changements fondamentaux 1985, diminua de 20 pour cent—«soit la baisse la touchant le flux de la circulation des marchandises

72 | jenish · La Voie maritime du Saint-Laurent «Les revers de fortune de la Voie maritime ne sont pas un simple phénomène passager. Ils représentent un changement structurel.» Don Rothwell · président, Great Lakes Waterways Development Association

sur le réseau, état de fait que le président O’Neil dut reconnaître dans une entrevue accordée en janvier 1986 au Financial Post. «Tout le réseau des Grands Lacs se trouve coincé, à l’heure actuelle», déclara M. O’Neil. Don Rothwell, président d’un groupe d’usagers connu sous le nom de Great Lakes Waterways Development Association, ne mâcha pas davantage ses mots: «Les revers de fortune de la Voie maritime ne sont pas un simple phénomène passager. Ils représentent un changement structurel.» La Commission canadienne du blé avait commencé à détourner de la Voie maritime des exportations qu’elle dirigeait plutôt vers le port de Vancouver, ou encore vers un terminal flambant neuf, situé à Prince Rupert, qui avait été érigé par un consortium d’entreprises. Pendant la campagne agricole se terminant le 31 juillet 1983, les transporteurs des Grands Lacs avaient manutentionné 57 pour cent des exportations de céréales en provenance des Prairies, alors que 41 La réhabilitation des écluses en escaliers fut e◊ectuée au cours pour cent avaient transité par des ports de la côte de l’hiver de 1992, la dernière année de la durée du projet. Ces Ouest. Pendant la campagne de 1984–1985, à peine écluses étaient construites de panneaux, ou monolithes, et la 47 pour cent des exportations de céréales étaient remise à neuf de la face des murs fut exécutée en conformité passées par la Voie maritime. La majorité d’entre avec la structure d’origine. cgvmsl elles avaient été acheminées en direction ouest. En 1988–1989, autre année difficile, tout juste 38 pour Ouest, comme le faisait observer le président et cent des exportations canadiennes de céréales chef de la direction de CSL, Paul Martin, à l’occasion avaient utilisé la Voie maritime, alors que 61 pour d’une allocution prononcée devant les membres du cent avaient quitté le pays par la côte Ouest. Trois club Rotary de St. Catharines, au printemps de 1986. ans plus tard, en 1991–1992, la part de la Voie «Pour le dire sans détour, déclara le maritime dans le mouvement des exportations était conférencier, la Voie maritime du Saint-Laurent et tombée à 27 pour cent. le canal Welland ne sont plus concurrentiels. Selon Ces céréales embarquées à Vancouver ou à la Commission canadienne du blé, il en coûte Prince Rupert pouvaient être acheminées par le davantage par tonne pour expédier en Europe des canal de Panama et atteindre les marchés d’Europe céréales de l’Ouest par l’Atlantique plutôt que par ou d’Afrique du Nord aussi rapidement que les le Pacifique. Une comparaison semblable existe, céréales expédiées vers l’est en direction de pour l’expédition de céréales américaines, entre la Thunder Bay, puis, par la suite, par le Saint-Laurent. Voie maritime et le fleuve Mississippi.» Qui plus est, il était devenu plus économique La législation fédérale, par l’entremise de la Loi d’acheminer des céréales par les ports de la côte sur le transport du grain de l’Ouest (LTGO),

4 · Des années difficiles | 73 adoptée en novembre 1983, encourageait dépenses dépassaient de près de 16 millions de également les agriculteurs des Prairies à expédier dollars les prévisions, en grande partie en raison de leurs céréales vers les ports du Pacifique. Selon un coûts imprévus reliés au grave incident survenu à rapport daté de 1992, préparé par Transmode l’écluse 7. L’exercice se soldait donc par une perte Consultants pour Transports Canada, «[l]a LTGO de 25,2 millions de dollars, la plus importante en avait créé une situation par laquelle un producteur près d’une décennie. [des Prairies], quel que soit son lieu de résidence, Le volume total des marchandises acheminées verrait ses frais de transport remboursables en 1986 restait pratiquement le même par rapport à réduits, et ses bénéfices d’exploitation accrus si ses 1985, mais la haute direction avait eu le temps de céréales empruntaient la route [de la côte Ouest]. s’adapter aux changements en cours. Les prévisions Il apparaît donc que la LTGO a créé une distorsion de recettes furent réduites en réponse à la baisse entre les conditions économiques véritables de la du volume des cargaisons. L’on coupa également route [de la côte Ouest] d’une part, et celles de la dans les dépenses, en partie par des réductions au Voie maritime, d’autre part, et qu’elle a sein du personnel de l’exploitation et de l’entretien. artificiellement modifié leurs positions Ces mesures permirent à la Voie maritime de concurrentielles respectives». limiter ses pertes d’exploitation, pour l’année 1986, Pour aggraver la situation, la production à 4,4 millions de dollars. mondiale et la consommation de grains céréaliers Presque tous les intervenants du transport connaissaient elles aussi des changements. maritime sur les Grands Lacs—les transporteurs, Plusieurs pays d’Europe de l’Est et d’Europe de les ports, les chantiers maritimes—connurent des l’Ouest—qui pendant des années avaient importé ennuis. Au port de Thunder Bay, environ 1000 du blé—étaient devenus auto-suffisants et travailleurs dans les silos terminaux, soit la moitié exportaient même une part de leurs récoltes, de la main-d’œuvre, furent sans emploi pendant la grâce, en grande partie, à d’opulentes subventions majeure partie de 1985. À la fin de la décennie, le à l’agriculture accordées par l’Union européenne. nombre de silos encore en exploitation était tombé Au même moment, de nouveaux marchés pour les à quatorze, de vingt et un qu’il avait été, et les céréales canadiennes s’ouvraient dans la région de pertes d’emploi étaient devenues permanentes. l’Asie et du Pacifique. Le même sort toucha le personnel navigant. En Entre 1978 et 1982, à peine plus de 23 pour cent 1980, le nombre de membres des sections locales des exportations étaient destinées à l’Europe de des Grands Lacs au sein du Syndicat international l’Ouest. En 1990, tout juste six pour cent étaient des marins (SIU) atteignait 8000. Au printemps de destinées à l’Europe toute entière. Par 1986, il ne restait plus que 5000 membres, et la comparaison, les exportations vers l’Asie plupart d’entre eux ne travaillaient pas à plein atteignaient 43 pour cent, de 32 pour cent qu’elles temps. «Le syndicat s’accroche à la bouée de avaient été pendant la période 1978–1982. sauvetage du partage d’emplois», écrivait Carey Aucune solution miracle ne pointait à l’horizon French, en avril 1986, dans le Globe and Mail. «À pour résoudre rapidement le déclin des compter de la présente saison, un timonier expéditions de céréales ou de minerai de fer. En membre du SIU, travaillant à bord d’un laquier, doit conséquence, le bilan de la situation financière de passer à terre un mois sur quatre.» la Voie maritime essuya une débâcle significative. Les trois chantiers maritimes ontariens, situés Les revenus de 1985 étaient inférieurs de 13 millions respectivement à Port Weller, Collingwood et de dollars par rapport aux attentes, tandis que les Thunder Bay, faisaient face à des perspectives

74 | jenish · La Voie maritime du Saint-Laurent d’avenir encore plus sombres. Ils étaient tous en fin Cette photo montre les écluses en direction aval. Suite aux de contrats, mais aucun d’entre eux ne comptait de défaillances du réseau éprouvées au cours des années 1980, la nouvelles commandes en carnet.Plusieurs des Voie maritime a adopté une approche globale à la gestion de sociétés de transport maritime éprouvaient elles l’infrastructure. En conséquence, la voie navigable n’a eu à aussi de très sérieuses difficultés. Le président de déplorer aucune défaillance majeure depuis plus de vingt ans. la Dominion Marine Association, dont le siège thies bogner social se trouvait à Ottawa, Norman Hall, déclarait dans une entrevue accordée à la presse que treize longtemps. L’une des premières à déclarer forfait des plus anciens laquiers, équipés de systèmes de fut la société Halco, établie à Montréal. propulsion désuets, avaient été retirés du service L’entreprise avait été fondée en 1930 par Frank en 1984 et 1985. Une enquête menée au début de Augsbury, d’Ogdensburg, dans l’État de New York. juillet 1986 auprès des transporteurs maritimes des Au début des années 1980, les descendants du Grands Lacs révélait que 43 cargos sur 133 étaient fondateur détenaient encore le contrôle de la temporairement inactifs. société, qui exploitait une flotte de dix-sept navires, Le ralentissement de l’activité entraîna une y compris des vraquiers, des pétroliers et des auto- compression majeure de l’industrie du transport déchargeurs. Selon Tom Brodeur, vice-président de maritime sur les Grands Lacs. En 1980, on comptait, CSL, qui avait entamé sa carrière chez Halco, la selon le Gre enwood’s Guide, quatre-vingt-neuf société avait trop compté sur le transport de flottes—trente et une d’entre elles canadiennes— céréales américaines en direction du Bas-Saint- sur les lacs. Dix ans plus tard, on ne comptait plus Laurent et sur celui du minerai de fer dans la que vingt-quatre flottes canadiennes sur un total direction opposée. de soixante-huit. Les pertes comprenaient de En 1983, la Banque Royale du Canada, vieilles sociétés d’origine familiale, établies depuis principale créancière de Halco, prit le contrôle de

4 · Des années difficiles | 75 Les transporteurs qui survécurent au resserrement du milieu des années 1980 tendaient à être ceux qui avaient consacré des investissements importants à l’acquisition d’auto-déchargeurs.

La réhabilitation du canal Welland comprenait la réfection de déchargeurs, affirme Peter Cresswell, qui était à quelques-uns des murs d’approche, le processus illustré dans l’époque président d’Algoma Central. cette photo. thies bogner Algoma avait assemblé une flotte d’auto- déchargeurs à partir de la fin des années 1960, et la flotte dans le cadre d’un plan de restructuration quand les difficultés des années 1980 se financière. En 1986, elle avait décrété la cessation dissipèrent, elle apparut comme l’un des de ses activités. «C’était déprimant que de transporteurs les plus solides sur les lacs. Les auto- travailler dans pareille atmosphère, se rappelle déchargeurs coûtaient quelque 10 millions de M. Brodeur. Nous éprouvions du mal à faire des dollars plus cher à construire que les cargos, affaires parce que les clients doutaient que nous explique M. Cresswell. Ils réclamaient des serions encore là pour assurer le service après- équipages plus importants et coûtaient davantage à vente. Personne ne voulait nous accorder de crédit. exploiter. Mais utilisés à bon escient, ils étaient à la Personne ne voulait nous donner de contrats.» longue plus profitables. D’autres sociétés se trouvèrent elles aussi en «Ce sont tout simplement des navires plus difficulté pour la même raison: elles avaient trop efficaces, fait-il observer. Ils peuvent être chargés compté sur les céréales et le minerai de fer. Ou et déchargés tellement plus rapidement qu’un encore, elles possédaient trop de vraquiers, qu’il cargo. Ils sont plus efficaces aussi sur de courtes fallait charger et décharger à l’aide de matériel en distances parce que vous utilisez le matériel d’auto- place sur la rive. Les transporteurs qui survécurent déchargement plus fréquemment. C’est ce qui nous au resserrement du milieu des années 1980 a permis de nous maintenir en activité après la tendaient à être ceux qui avaient consacré des chute de la demande de céréales et de minerai de investissements importants à l’acquisition d’auto- fer. Nous étions en mesure de transporter du sable,

76 | jenish · La Voie maritime du Saint-Laurent de la pierre à chaux, des granulats, de la bentonite ministre des Transports, Benoît Bouchard, et d’autres marchandises.» annonçait que Glendon Stewart était nommé La crise du milieu des années 1980 entraîna président et chef de la direction de la Voie également un changement fondamental dans la maritime. façon de penser des administrateurs de la Voie Âgé de 54 ans, natif de Victoria, en Colombie- maritime et de leurs partenaires au sein de Britannique, le nouveau président était un l’industrie du transport sur les Grands Lacs. ingénieur civil qui avait entamé sa carrière au sein Ensemble, ils conclurent qu’ils devaient tous de la division des services de marine du ministère assumer un rôle plus actif dans la promotion du des Transports. De 1968 à 1975, il avait exercé les réseau et dans la façon d’y mener des affaires. Ce fonctions d’adjoint exécutif auprès de Pierre Camu, nouvel état d’esprit ouvrit la voie à la mise sur pied lorsque ce dernier occupait le poste de missions commerciales. La première de ces d’administrateur de la division et détenait des initiatives se déroula en janvier et février 1985, responsabilités de surveillance auprès de la Voie suivie d’une deuxième en mars 1987. maritime, de la Garde côtière et du Conseil des «Quelques-uns des avantages de notre superbe ports nationaux. De 1975 jusqu’à sa nomination à la voie navigable demeurent un mystère pour les Voie maritime, M. Stewart avait occupé plusieurs décideurs dans le domaine de l’acheminement des postes à la Garde côtière, dont celui de marchandises», déclarait Bill O’Neil à une revue de commissaire adjoint, à Ottawa. transport maritime peu de temps avant le départ Le nouveau président entrait en fonction au de la mission de 1987. «Nous espérons que cette moment où une transformation majeure était en mission réussira à leur fournir les renseignements cours à l’échelle mondiale. La guerre froide tirait à nécessaires en vue de modifier cette situation.» sa fin. L’Union soviétique se désintégrait. Ses La délégation comprenait des représentants de satellites d’Europe de l’Est—la Pologne, la l’Administration de la voie maritime et de son Tchécoslovaquie, la Hongrie et la Roumanie, parmi pendant américain, la Saint Lawrence Seaway d’autres—déclaraient leur indépendance. La liberté, Development Corporation, de même que de hauts la démocratie et le capitalisme prenaient la place responsables de ports maritimes, de sociétés de des dictatures et des économies centralement transport maritime et de sociétés de services de dirigées de l’ère communiste. marine. La délégation s’arrêta à Oslo, à Copenhague, Tous ces événements allaient avoir un profond à Dusseldorf, à Anvers et à Londres. En octobre 1987, effet sur les ventes canadiennes de céréales aux une conférence axée sur des questions de mise en pays de l’ancien bloc communiste et, en dernier marché se tint à Chicago et une troisième mission ressort, sur la Voie maritime, comme le faisait commerciale fut organisée en mars 1989. Trente- observer M. Stewart lors d’une allocution deux représentants prirent part à ce déplacement prononcée en avril 1990 à l’occasion de la réunion d’une quinzaine de jours et s’arrêtèrent à Londres, à semestrielle de la des Anvers, à Madrid, à Tunis et à Casablanca. États-Unis. «Ces pays européens vont gagner en Au moment où la décennie s’achevait, efficacité et, ainsi, en productivité, et leur rapport l’Administration de la voie maritime fit l’expérience de dépendance à l’égard de l’économie des pays de d’une autre transition majeure. Vers la fin de 1989, l’Ouest ne sera plus aussi marqué qu’il a pu l’être Bill O’Neil remettait sa démission pour devenir dans le passé, déclarait-il. Nous sommes d’avis que secrétaire général de l’Organisation maritime le développement de l’esprit d’entreprise ne se internationale, à Londres. Le 10 janvier 1990, le produira pas du jour au lendemain, et qu’il faudra

4 · Des années difficiles | 77 quelque temps pour que ces pays se libèrent du déterminés du réseau, ou d’outre-mer selon le pays dirigisme étatique.» d’origine. En 1991, quelque 5,1 millions de tonnes de Le président estimait que les ventes de fret furent jugées admissibles, et les transporteurs céréales aux anciens pays communistes touchèrent des rabais de 1,1 million de dollars. commenceraient à décliner vers le milieu ou la fin Le président Stewart instaura également un des années 1990. Entre-temps, le mandat qu’il avait programme d’austérité qui allait transformer reçu du gouvernement était clair. «Quand je suis profondément l’organisme. Sur une période de entré en fonction, le ministre m’a dit: “Nous voulons quatre ans, lui et son équipe de cadres supérieurs que vous procédiez au redressement de cette réduisirent la masse salariale de 13 millions de entreprise”, se rappelle M. Stewart. Il était plus dollars, pour la ramener à 45 millions de dollars vraisemblable que nous atteindrions le seuil de annuellement. Ils informatisèrent le plus grand rentabilité en réduisant les coûts plutôt qu’en nombre possible d’opérations, éliminèrent le obtenant de nouvelles sources de revenus.» chevauchement des tâches et réduisirent les Néanmoins, sous son leadership, l’Administration recoupements. «Nous avons fait face au déclin des de la voie maritime déploya des efforts tant du côté revenus en réduisant nos coûts», explique-t-il. des revenus que du côté des dépenses. Peu avant Le monde s’était transformé, et l’organisme qui l’ouverture du réseau en 1990, l’Administration mit en exploitait la Voie maritime avait subi le même sort. place un programme incitatif en matière de droits de Mais, bien qu’elle ait connu des difficultés, la voie péage, dans l’espoir d’attirer de nouveaux clients. Ce navigable n’en restait pas moins un élément vital de projet pilote s’appliquait aux cargos qui n’avaient pas l’infrastructure du transport au Canada. Un rapport transité par une écluse de la Voie maritime au cours préparé à l’intention du ministère fédéral des des trois saisons précédentes ainsi qu’aux cargaisons Transports vers la fin de l’année 1992 en venait à la qui représentaient moins de cinq pour cent du trafic conclusion que la contribution de la Voie maritime moyen vers une destination particulière pendant la à l’économie canadienne s’élevait annuellement à 2,1 même période. milliards de dollars. Elle générait des emplois pour Des réductions de 25 pour cent s’appliquaient au 17500 personnes, y compris 9000 d’entre elles qui péage depuis le moment de l’ouverture de la œuvraient directement dans le secteur des navigation jusqu’à la fin du mois de juin. La remise services de marine. augmentait à 50 pour cent pour les mois Un second rapport, publié par le Comité traditionnellement lents de juillet, août et permanent de la Chambre sur les transports, septembre, puis retombait à 25 pour cent pour le déclarait en conclusion: «Le bien-être économique reste de la saison. Les transporteurs bénéficièrent futur du réseau Grands Lacs-Voie maritime du de rabais totals de 306000 dollars en 1990 sur Saint-Laurent est très important pour la prospérité 745000 tonnes de nouveau fret. L’année suivante, sociale et économique de la région centrale du ils épargnèrent près de 681000 dollars sur Canada. Il est crucial non seulement pour Thunder 2,1 millions de tonnes. Bay et pour les autres ports de l’Ontario et du La Voie maritime proposa également des Québec qui bordent le réseau, mais également ristournes sur volume, qui connurent un succès pour l’industrie agricole, le secteur manufacturier plus important encore. Les transporteurs maritimes et l’industrie minière de l’Ontario et du Québec. Il avaient droit à des rabais de 20 pour cent pour des est vital, en outre, pour les intérêts à long terme de marchandises qui dépassaient la moyenne l’agriculteur de l’Ouest, qui vit enclavé dans ses transportée sur cinq ans depuis certains ports terres» [traduction libre].

78 | jenish · La Voie maritime du Saint-Laurent 5 | Un nouveau départ, 1992–2002

Où qu’il se tournât durant ses deux premières années à la présidence de l’Administration de la voie maritime du Saint-Laurent, Glendon Stewart entrevoyait des signes de difficultés. L’économie canadienne était en récession. Les marchés mondiaux de produits de base subissaient des transformations qui influaient de façon négative sur la Voie maritime. D’importatrice nette de céréales qu’elle avait été auparavant, la Communauté européenne était devenue exportatrice. La Russie, ébranlée par la désintégration de son ancien empire, se trouvait dans l’impossibilité de régler le coût de ses achats de blé canadien. Qui plus est, les politiques fédérales en matière de transport favorisaient les chemins de fer et les ports de la côte Ouest, au détriment du réseau Grands Lacs-Voie maritime du Saint-Laurent. Le volume des marchandises transitant par la voie navigable avait décru de 50 pour cent par rapport au sommet qu’il avait atteint vers la fin des années 1970. Les expéditions de céréales, de minerai de fer et de charbon étaient Glendon Stewart accéda à la présidence de l’Administration de toutes en baisse. La Voie maritime perdait de la voie maritime durant la période la plus di∫cile des premières l’argent et ne réussit à éviter de faire appel à une cinquante années d’existence de la voie navigable et guida aide financière gouvernementale qu’en puisant l’entreprise dans une transformation complète. cgvmsl dans les réserves qu’elle avait accumulées pendant les années qui lui avaient été favorables. municipalités ontariennes de Cornwall et de St. Le président Stewart en vint à la conclusion que Catharines. La feuille de paie comptait encore près la Voie maritime devait s’adapter ou courir le risque de 1000 employés. Finalement, et c’était là sans d’être marginalisée en permanence. La culture doute l’élément le plus important, l’Administration d’entreprise avait commencé à changer sous la de la voie maritime demeurait une société d’État. présidence de William O’Neil mais, sous bien des Le gouvernement fédéral était propriétaire de aspects fondamentaux, l’Administration de la voie l’infrastructure de la Voie maritime, qui comprenait maritime, en 1992, restait le même organisme les écluses, les canaux et les chenaux de navigation, qu’elle avait été en 1959, l’année où elle avait de même que les ponts, les immeubles et même commencé à exploiter la voie navigable intérieure une petite centrale hydroélectrique. La Loi sur qui rendait possible la navigation commerciale l’Administration de la voie maritime, adoptée par le depuis le golfe du Saint-Laurent jusqu’à l’extrémité Parlement au milieu des années 1950, établissait le ouest du lac Supérieur. Le siège social de mandat de l’entreprise. Le premier ministre l’entreprise se trouvait toujours à Ottawa. Des nommait le président de la Voie maritime. Chaque bureaux régionaux continuaient d’exister à Saint- année, le président préparait un plan d’entreprise Lambert, au Québec, et dans les deux qu’il soumettait au ministre fédéral des Transports

5 · Un nouveau départ | 79 pour approbation. En 1977, dans le cadre d’une participants venus des deux côtés de la frontière, y restructuration financière, le gouvernement décida compris des armateurs, des représentants des que la Voie maritime devait devenir financièrement autorités portuaires, des exploitants de silos, des autonome. Mais des pertes continuelles, à partir de agents de pilotage et des leaders syndicaux. 1983, compromirent le statut de l’Administration en L’objectif était d’examiner divers moyens de réduire tant qu’entreprise quasi-indépendante, les coûts, d’améliorer l’exploitation du réseau et fonctionnant à distance des autorités politiques. d’offrir à l’usager final une solution de rechange Il fallait agir, et le président Stewart mit en plus attrayante en matière de transport. place un plan radical de redressement, qui Pareil rassemblement aussi imposant en termes s’étendait sur plusieurs années. Quand l’initiative de participants se révéla lourd à gérer et stérile. fut arrivée à terme, l’Administration de la voie Les réunions qui suivirent regroupèrent moins de la maritime était un organisme beaucoup réduit de moitié du nombre de représentants que la réunion taille et allégé, sa culture d’entreprise avait été initiale et, avec le temps, l’on finit par former un transformée, et les pertes financières avaient été comité de six personnes chargées de formuler des remplacées par des profits. Qui plus est, recommandations. Pourtant, à la fin de 1994, il était l’entreprise était prête pour la commercialisation, devenu clair que le sommet ne produirait pas les c’est-à-dire prête à être transformée de société résultats attendus. «Il y avait trop d’intérêts d’État qu’elle était en entreprise autonome à but divergents, explique M. Stewart. Il était difficile de lucratif, qui serait gérée par les usagers du réseau. rassembler tous les intervenants et de les amener à cheminer dans la même direction sans conflits, ou «Il nous fallait travailler en équipe, nous axer sur les sans que soit divulguée de l’information résultats et nous faire les champions de l’autonomie commercialement sensible.» financière.» En dernier ressort, les études menées à Glendon Stewart · président de la Voie maritime, 1990–1997 l’interne et les changements mis en place allaient se révéler plus fructueux. Le changement «Il nous fallait devenir une entreprise moins organisationnel s’amorça sérieusement au lourde, animée par un esprit d’entreprenariat», se printemps de 1991, quand la Voie maritime retint les rappelait M. Stewart, dans une entrevue accordée services de la société d’experts-conseils Coopers plusieurs années plus tard. «Il nous fallait travailler and Lybrand pour aider la haute direction à trouver en équipe, nous axer sur les résultats et nous faire des moyens de réduire les recoupements et les les champions de l’autonomie financière. Le but frais d’administration. Les consultants que nous poursuivions désormais était celui de recommandèrent des investissements dans les l’excellence à faible prix de revient.» nouvelles technologies, de même qu’une Pour concrétiser des changements aussi restructuration des deux divisions régionales fondamentaux, le président et son équipe de d’exploitation, restructuration qui permettrait à direction durent s’assurer de la plus large l’Administration de la voie maritime d’éliminer de la collaboration possible. Ils menèrent des études feuille de paie environ 100 postes sur une période tant à l’interne qu’à l’externe. En novembre 1990, de trois à cinq ans. l’Administration de la voie maritime et la Saint Les mêmes experts-conseils suggérèrent Lawrence Seaway Development Corporation également de réorganiser les équipes de préposés (SLSDC) réunirent le premier Sommet de la Voie aux écluses en réduisant le personnel de quatre à maritime. Cette rencontre rassembla quelque 70 trois par écluse. À l’époque, un opérateur logé

80 | jenish · La Voie maritime du Saint-Laurent dans une tour de contrôle était responsable de L’amarrage d’un navire dans une chambre d’écluse se fait en l’ouverture et de la fermeture des portes, ainsi quatre étapes. Sur cette photo, un préposé aux amarres que du remplissage et du vidage de la chambre. commence par lancer une corde de nylon aux matelots de pont Un maître-éclusier et deux préposés aux à bord du navire. Les matelots attacheront cette corde à un amarres étaient postés sur le mur, chargés câble d’amarrage en acier tressé. Le préposé met en marche un principalement d’amarrer les navires. Les petit moteur, qui bobine la corde et le câble. Enfin, le préposé consultants recommandèrent de transférer les passe la boucle du câble autour d’un bollard et les matelots de commandes dans un kiosque posé directement pont bobinent à leur tour le câble pour attacher le navire. sur le mur. L’opérateur continuerait à assurer le ron samson contrôle des portes et les mouvements de l’eau, mais aiderait également à l’amarrage des navires. Ce remue-méninges et ces discussions à De cette façon, un poste de préposé aux amarres l’interne débouchèrent sur une réunion de deux par équipe pourrait être éliminé. Tout compte fait, jours, appelée Vision 2002, tenue à l’hôtel Ramada en 1993, 52 emplois avaient été éliminés, Inn de Trenton, en Ontario, en octobre 1992. entraînant des économies de 3 à 4 millions de Cinquante-deux cadres supérieurs de tous les dollars par an. secteurs de l’entreprise participèrent à cette Coopers and Lybrand avait proposé les grandes rencontre qui constituait une expérience nouvelle lignes d’un plan de réorientation. Le président pour la plupart d’entre eux. «Ça, c’était du nouveau Stewart et son équipe de direction se tournèrent à la Voie maritime», se rappelle le gestionnaire des alors vers le personnel en vue de recueillir des ressources humaines Jean-Guy Lauzon, qui était propositions qui leur permettraient d’élaborer pour présent. «C’était, à ma connaissance, la première l’entreprise un plan stratégique de dix ans. La haute fois que se dessinait une vision stratégique. Nous direction sollicita des idées à tous les niveaux avions un service de planification, mais il travaillait hiérarchiques. «Il nous fallait des chiffres, se isolément. Ce projet intéressait toute l’entreprise.» rappelle M. Stewart. Autrement, nous nous serions Dans son mot d’ouverture, le président Stewart retrouvés avec de grandes déclarations vides qui exposa en des termes on ne peut plus clairs les défis n’exprimeraient pas la nécessité de l’exercice auxquels faisait face l’entreprise. Le trafic était auquel nous nous livrions.» tombé de 42,1 millions de tonnes en 1988, à un peu

5 · Un nouveau départ | 81 moins de 32 millions de tonnes en 1992. Les revenus restaient stables à environ 70 millions de dollars par année, mais les coûts étaient à la hausse et la Voie maritime perdait de l’argent—11 millions de dollars en 1992, contre 1,8 million de dollars l’année précédente. «Selon le scénario que nous adopterons, prévint-il l’assemblée, nous risquons de nous retrouver à bout de ressources d’ici deux ans à peine.» Le plan de survie qu’il proposait comprenait un accroissement des revenus et une réduction des dépenses. La Voie maritime pouvait accroître ses revenus par divers moyens, soit par de nouvelles initiatives de marketing, soit encore en tentant d’attirer de nouveaux types de cargaisons ou en augmentant les péages. Elle pouvait réduire les coûts en pratiquant des coupures au sein du personnel, en se dessaisissant d’immeubles et autres propriétés excédentaires ou en transférant à des agences gouvernementales la responsabilité de ci-dessus: Tout navire commercial qui navigue sur la Voie ponts et de tunnels. maritime porte sur sa coque un certain nombre de marques. Les De concert avec ces mesures à caractère marques de Plimsoll, à la gauche, sur cette photo, indiquent la spécifique, le président insistait sur la nécessité profondeur maximale à laquelle un navire peut être chargé, en d’une mutation plus ample dans les attitudes et les fonction des conditions météorologiques. Les colonnes de approches. «Il nous faut définir où nous voulons en chi◊res, à la droite, sont des échelles de tirant d’eau en être en 2002 et décider comment nous allons y graduation métrique et impériale. Ces échelles indiquent la parvenir, dit-il, puis élaborer une culture profondeur du navire, ou son tirant d’eau, sous la ligne de d’entreprise et un style de gestion compatibles flottaison. ron samson avec cette vision.» Le premier jour de la rencontre, les employés page ci-contre: La tâche consistant à faire pénétrer un navire furent répartis en quatre groupes différents. On «seaway-max» dans une écluse est délicate. Ces navires peuvent leur demanda de réfléchir sur l’image que la Voie atteindre jusqu’à 740 pieds de longueur et 78 pieds de largeur, maritime devrait projeter d’elle-même dans dix ans. alors que les écluses ne font que 80 pieds de large. Ils devaient également s’interroger sur la façon dont l’entreprise devait s’adapter aux conditions au haut: Le capitaine du Canadian Transport a orienté la proue changeantes du marché, sur le visage que prendrait du navire vers le mur d’approche, dont il se sert pour guider le la hiérarchie organisationnelle et sur le nombre de navire. au milieu: Le capitaine fait avancer le navire le long du personnes que l’entreprise aurait à son emploi. On mur d’approche, mais tient la poupe à distance du mur et leur demanda en outre de se pencher sur des alignée sur l’entrée de l’écluse. au bas: Ayant atteint le bout du questions telles que la viabilité financière de mur d’approche, la proue du Canadian Transport est l’entreprise, l’état de l’infrastructure, les droits de correctement alignée sur l’entrée de l’écluse et pénètre dans la péage et les revenus. Les idées mises de l’avant chambre. ron samson devaient avoir un caractère aussi spécifique que

82 | jenish · La Voie maritime du Saint-Laurent possible, et toutes furent dûment notées. Un second exercice consistait à imaginer la taille et l’état de l’Administration de la voie maritime au cours des trois premières années durant lesquelles elle entreprendrait d’atteindre les objectifs de restructuration fixés en vue de l’an 2002. La rencontre généra de nombreuses idées, qui furent par la suite utilisées pour formuler un énoncé de vision—«De concert avec nos partenaires, nous sommes les chefs de file pour répondre aux besoins de nos clients en matière de transport»—et pour élaborer quatre objectifs stratégiques: améliorer la part de marché de la Voie maritime, maintenir l’infrastructure en état sécuritaire et fiable pour les usagers, exploiter la Voie maritime de manière rentable et optimaliser le potentiel de tous les employés. Guidée par cet énoncé de vision et les objectifs spécifiques qui y étaient rattachés, la Voie maritime réussit, en deux ans à peine, à redresser sa situation financière de façon remarquable. La capacité porteuse du réseau fut accrue en permettant à de plus gros navires, plus lourdement chargés, de transiter par les écluses et les canaux. Le tirant d’eau maximum fut porté à 26 pieds et trois pouces, de 26 pieds qu’il était auparavant. L’on autorisa également le passage de navires à barrots de 78 pieds, contre la limite auparavant autorisée de 76 pieds. Enfin, la limite de longueur des bâtiments fut portée de 730 à 740 pieds. La Voie maritime entreprit également de se défaire d’immobilisations excédentaires. En 1992, elle réalisa 2,3 millions de dollars en liquidant 29 propriétés. L’année suivante, 22 propriétés furent vendues, rapportant 1,6 million de dollars. En mai 1995, l’entreprise avait réalisé 7 millions de dollars à même la vente de terres qu’elle n’utilisait pas, et les revenus de location de certaines propriétés et autres immeubles avaient dépassé 8 millions de dollars. Au début de l’année 1993, l’entreprise lança un programme de primes de départ volontaire en vue de réduire les effectifs, principalement par retraite

5 · Un nouveau départ | 83 anticipée. «Cette mesure était destinée au pour nouveaux usagers et des ristournes sur personnel de l’exploitation et de l’entretien, mais volume pour les sociétés de transport maritime tout le monde pouvait s’en prévaloir, se rappelle dont les tonnages, dans une année donnée, Jean-Guy Lauzon. Les intéressés devaient dépassaient les moyennes historiques. «Cette présenter une demande. Nous n’avons jamais forcé initiative a eu pour effet de générer plus de 26 qui que ce soit à partir. Nous offrions des forfaits millions de dollars en nouveaux revenus de 1990 à de départ, et plusieurs employés des secteurs de 1994 et, sur la même période, environ 6 millions de l’exploitation et de l’entretien choisirent de s’en dollars en remises pour les usagers» [traduction prévaloir.» libre], déclarait le président Stewart devant le En avril 1994, le président Stewart informait les Comité permanent de la Chambre sur les députés membres du sous-comité de la Voie transports en 1995. maritime au sein du Comité permanent de la L’Administration poursuivait également ses Chambre sur les transports que, sur une période efforts de marketing au moyen de missions de quatre ans, l’Administration avait réduit ses commerciales et en rencontrant les usagers finals effectifs de 230 années-personnes, ou 25 pour pour leur faire valoir les avantages de la voie cent, en pratiquant des coupures dans les navigable. Ces efforts commencèrent à produire des domaines de l’administration, de l’ingénierie, de résultats en 1993, quand la section Montréal-lac l’exploitation et de l’entretien. Cette rationalisation Ontario manutentionna 300000 tonnes de charbon avait été réalisée grâce à l’apport de nouvelles des Appalaches, destiné à Énergie Nouveau- technologies, à la combinaison des groupes de Brunswick. Les sociétés de transport maritime travail et à l’élimination des recoupements et du étaient elles-mêmes à la recherche de nouvelles dédoublement des tâches. cargaisons, avec des résultats parfois étonnants. Aux écluses, par exemple, on fusionna le Du charbon en provenance du bassin de personnel des opérations et celui de l’entretien, de Powder River, au Montana, transita par la Voie façon à ce que les deux groupes puissent se prêter maritime pour la première fois en 1993, grâce à une mutuellement assistance quand le besoin s’en entente novatrice entre Venture Fuels et Canada faisait sentir. Les opérateurs travaillaient à Steamship Lines, de Montréal. Venture acheminait l’entretien quand aucun navire ne franchissait les normalement le charbon de Powder River à ses écluses, tandis que le personnel de l’entretien clients européens par le réseau du fleuve prêtait assistance au fonctionnement de ces Mississippi. Mais quand des inondations se dernières quand des navires y transitaient. Grâce à produisirent le long du fleuve, cet été-là, Venture des mesures semblables, la Voie maritime avait entreprit de livrer le charbon par rail à des ports réduit son budget de fonctionnement de 12 situés sur le lac Supérieur, d’où il était transféré à millions de dollars et était en très bonne voie bord d’auto-déchargeurs appartenant à CSL. Ces d’atteindre l’objectif qu’elle s’était fixé, soit la navires transportaient la cargaison jusqu’à Sept-Îles limitation des effectifs à 600 personnes en l’an et la transbordaient directement sur des navires 2002. Panamax de CSL pour la traversée vers l’Europe. Concurremment, l’entreprise déployait de Le charbon atteignit les clients au moment voulu et vigoureux efforts dans le but d’accroître sa part de à un prix concurrentiel. marché. Son programme de réduction des péages L’entrée en scène de nouveaux usagers, de se révéla l’un des outils les plus performants à même qu’un accroissement des expéditions de cette fin. Cette initiative prévoyait des remises nouvelles marchandises permirent à la Voie

84 | jenish · La Voie maritime du Saint-Laurent maritime de réduire sa perte, pour l’année 1993, à Le 10 mai 1996, le NM Algosoo, propriété d’Algoma Central, 6,1 millions de dollars, par comparaison à 11 millions transita par le canal Welland, en route pour décharger à Lorain, de dollars en 1992.L’année suivante fut marquée en Ohio, une cargaison de minerai de fer. Il acheminait la deux par de nouveaux progrès. Le mouvement des milliardième tonne de fret à franchir la voie navigable depuis cargaisons sur la section Montréal-lac Ontario 1959, et la Voie maritime tint une cérémonie sur le pont du atteignit 38,4 millions de tonnes, en hausse de 20 navire pour marquer l’occasion. thies bogner pour cent. Le trafic sur le canal Welland s’accrut de près de 25 pour cent, à 39,7 millions de tonnes. Les par le réseau, et les revenus atteignirent 88,6 revenus de péage atteignirent 76 millions de millions de dollars, le plus haut niveau de toute dollars, soit 28 pour cent de plus que ce qu’ils l’histoire de l’Administration. Trois mille neuf cent avaient été en 1993. Cinquante-neuf navires cinquante-trois navires transitèrent par la voie transitèrent par le réseau pour la première fois, et navigable, soit le relevé de trafic le plus important quarante-six y refirent une apparition après des depuis l’année 1988. Qui plus est, le 10 mai 1996, la absences allant parfois jusqu’à six ans. Une autre Voie maritime atteignit un jalon important. Le NM réduction des effectifs, équivalente à quatre-vingt- Algosoo, propriété d’Algoma Central, transita par le trois années-personnes, épargna 4,5 millions de canal Welland, en route pour décharger à Lorain, dollars en charges salariales. Les résultats en Ohio, une cargaison de minerai de fer qu’il avait d’exploitation nets montraient un profit de 15,5 prise en charge à Pointe-Noire, au Québec. millions de dollars, le premier depuis 1983. L’ Algosoo acheminait la deux milliardième tonne de Ces résultats marquaient le début d’un fret à franchir la Voie maritime depuis 1959. redressement soutenu. La Voie maritime réalisa un Entre-temps, le changement organisationnel se profit de 238000 dollars en 1995, sur des revenus poursuivait. En 1994, l’Administration mit sur pied de 80 millions de dollars. L’année suivante, près de un processus de gestion de la qualité totale pour 50 millions de tonnes de marchandises transitèrent faire en sorte que l’action des employés, à tous les

5 · Un nouveau départ | 85 niveaux, soit axée sur les besoins de la clientèle. ceux qui résultent de pannes des structures ou du Des conseils de la qualité furent établis, l’on matériel d’exploitation; ceux qui engagent la détermina les besoins de la clientèle et des responsabilité des partenaires de la Voie maritime, mesures de rendement furent mises en place. On tels les chemins de fer ou les compagnies établit des programmes pour former le personnel d’électricité; ceux, enfin, qui résultent de la gestion en fonction de cette nouvelle approche. Le rapport du trafic. annuel de 1995 résumait en ces mots la Ce système fut mis en vigueur au début de la transformation globale qui résultait des tous ces saison de navigation de 1996. Les résultats de cette efforts: «La satisfaction de notre clientèle est première année d’application indiquaient que 92 devenue le moteur de tous les rouages de la Voie pour cent des navires sur la section Montréal-lac maritime […] l’avenir de la Voie maritime, en tant Ontario et plus de 95 pour cent de ceux qui avaient qu’axe de transport important, dépend de la transité par le canal Welland avaient complété le satisfaction des besoins de ses clients qui veulent passage à l’intérieur des quatre heures de la durée un service rentable, fiable et rapide.» moyenne de transit. En 1994, l’Administration avait également mené En réponse aux préoccupations relatives à la un sondage parmi les usagers, initiative qui mit au détermination de la position des navires, la Voie jour deux sujets de préoccupations. Le premier maritime fit l’acquisition d’un nouveau système avait trait aux temps de transit. Le second portait informatisé de visualisation graphique, qui sur le système destiné à signaler la position des fournissait des données mises à jour toutes les dix navires, de façon à ce que les sociétés de transport minutes sur le canal Welland, et toutes les quinze maritime puissent déterminer avec une plus grande minutes sur la section Montréal-lac Ontario. Ce précision le moment d’arrivée de leurs bâtiments système indiquait aux employés de la Voie maritime aux écluses et dans les ports. La Voie maritime la position exacte de chacun des navires le long du s’empressa d’examiner les deux problèmes. réseau et les tenait au fait des conditions De manière à améliorer les temps de transit, météorologiques de même que de l’utilisation l’Administration prit deux engagements, soit que 95 prévue des écluses. Les expéditeurs et les pour cent de tous les navires franchiraient chaque destinataires avaient accès à ces renseignements section de la voie navigable dans la limite de quatre par l’entremise d’un système de réponse vocale heures de la durée moyenne de transit, et que 90 interactif, et la Voie maritime avait déjà entrepris pour cent la franchiraient dans la limite de deux des démarches en vue de rendre tous ces heures de la durée moyenne. En se basant sur renseignements disponibles sur Internet. 3000 navires par saison, cela voulait dire que seuls Les changements intervenus au début des 150 navires, ou 5 pour cent, pourraient dépasser de années 1990 étaient partie intégrante d’un effort de plus de quatre heures la durée moyenne. plus grande portée destiné à préparer la Voie La Voie maritime mit également au point un maritime à la commercialisation, initiative code spécial de retard en vue de cerner les causes commandée par le fait que le gouvernement de retard et d’en imputer la responsabilité. Ce fédéral était à court d’argent. Les Libéraux de Jean code comprenait cinq catégories: les retards Chrétien avaient pris le pouvoir vers la fin de 1993, imputables aux pannes à bord des navires, aux au moment où le pays s’acheminait vers une crise accidents, aux infractions aux règlements; ceux qui sérieuse des dépenses publiques après vingt-cinq sont attribuables au vent, à la glace, à la visibilité ou années de déficits budgétaires. Les frais croissants à d’autres circonstances d’ordre environnemental; du service de la dette minaient l’aptitude d’Ottawa

86 | jenish · La Voie maritime du Saint-Laurent le contrôle des espèces exotiques envahissantes

L’Étude des Grands Lacs et de la Voie maritime du Saint-Laurent r ésume le problème succinctement et de manière catégorique: «L’introduction d’espèces exotiques envahissantes (EEE) dans le bassin des Grands Lacs et le fleuve Saint-Laurent, en particulier depuis les eaux de ballast des navires océaniques, représente l’un des problèmes environnementaux les plus difficiles et les plus étendus de ceux qui affectent ces eaux.» Plus de 185 espèces envahissantes ont été introduites dans le Saint-Laurent et les Grands Lacs au cours des deux derniers siècles, en La moule zébrée, un mollusque exotique envahissant, de la provenance de sources variées—l’aquaculture, grosseur d’un ongle, est arrivée vers la fin des années 1980 et les marchés de poisson vivant, la pêche s’est répandue rapidement dans d’autres lacs et rivières du sportive, le commerce des animaux bassin hydrographique des Grands Lacs. domestiques, les poissons-appâts et les plantes environmental protection agency de jardin, ainsi que la vidange des eaux de ballast des océaniques. ballast—la première tentative en vue de L’exemple consigné le plus ancien de maîtriser le problème. l’apparition d’une espèce aquatique De son côté, la United States Coast Guard envahissante est celui de la lamproie marine, rendait publics, en 1993, les premiers qui atteignit les Grands Lacs par le canal Érié règlements s’appliquant aux navires en dans les années 1820. Depuis 1990, les provenance de l’Atlantique qui pénétraient scientifiques ont documenté l’apparition de dans les Grands Lacs avec de l’eau de ballast à quelque 12 nouvelles espèces—aucune d’aussi bord. Cette réglementation obligeait ces triste notoriété que la moule zébrée, un navires à échanger leur eau à 200 milles, au mollusque de la grosseur d’un ongle, venu de moins, du littoral. Les bâtiments qui ne la mer Caspienne. Entrée en Amérique du pouvaient, pour des raisons de sécurité, Nord vers la fin des années 1980, à même l’eau échanger leur eau douce pour de l’eau salée de ballast d’un cargo océanique, elle s’est étaient tenus de la retenir dans des réservoirs répandue depuis lors dans tous les Grands scellés ou de la faire traiter au moment du Lacs de même que dans des rivières et de déchargement. nombreux lacs en Ontario, au Québec ainsi Entre-temps, l’industrie du transport que dans plusieurs États américains. maritime se préoccupait elle-même de cette L’entrée en scène de la moule zébrée a question. En 1991, l’Organisation maritime coïncidé, tant au Canada qu’aux États-Unis, internationale (OMI) avalisait le principe de avec des efforts pour mettre fin à l’introduction l’échange des eaux de ballast et publiait un d’espèces envahissantes. En 1989, Transports ensemble de lignes directrices préliminaires. Canada énonçait, à l’intention des navires Des lignes directrices mises à jour furent pénétrant dans les Grands Lacs, des directives rendues publiques en 1997 et, en 2004, des facultatives relatives à l’échange des eaux de représentants de 74 des pays membres de l’OMI

5 · Un nouveau départ | 87 avaient adopté la Convention pour le contrôle et gouvernement. On ne trouve aucun geste la gestion des eaux de ballast et sédiments des pratique, de la part du gouvernement, pour navires. Cette convention devait entrer en empêcher ces espèces envahissantes de causer vigueur 12 mois après qu’elle eut été ratifiée par des dommages aux écosystèmes du Canada» 30 États membres représentant 35 pour cent du [traduction libre]. tonnage de la marine marchande à travers le Les choses étaient toutefois sur le point de monde. changer. Désormais, les navires ayant de l’eau En septembre 2000, la Fédération maritime de ballast à bord et pénétrant dans la Voie du Canada (FMC) adoptait un code des maritime depuis l’Atlantique pour se diriger vers meilleures pratiques en matière de gestion des un port canadien étaient tenus d’échanger leur eaux de ballast à bord des océaniques qui eau de ballast à 200 milles, au moins, du littoral pénétraient dans le réseau. Et, quatre mois plus et dans des mers qui faisaient au minimum tard, en janvier 2001, la Lake Carriers’ 2000 pieds de profondeur. Les navires ne Association des États-Unis et l’Association des transportant pas d’eau de ballast devaient armateurs canadiens rendaient publiques des rincer à l’eau salée leurs réservoirs et leurs pratiques volontaires de gestion destinées à systèmes de ballast afin de détruire tous les réduire le transfert d’espèces aquatiques organismes qui étaient toujours présents dans nuisibles par l’entremise du transport maritime l’eau résiduaire et le sédiment. intérieur. Ces dispositions créaient néanmoins, selon Les deux corporations responsables de la les observateurs scientifiques, une divergence, Voie maritime mirent en place, en 2002, des de même qu’une lacune majeure entre les dispositions réglementaires obligatoires règlements canadiens et américains, puisque les fondées sur le code de la FMC et adoptèrent règlements américains ne s’appliquaient qu’aux également les pratiques volontaires de gestion navires contenant de l’eau de ballast. Avant de la Lake Carriers’ Association et de l’ouverture de la saison de navigation de 2008, l’Association des armateurs canadiens. la Seaway Corporation américaine accepta Aucune de ces mesures ne réussit à satisfaire d’harmoniser son approche aux pratiques les critiques de l’industrie du transport maritime. canadiennes. Au début de 2003, l’ancien député libéral Herb «Le contrôle de l’introduction de nouvelles Gray, coprésident canadien de la Commission espèces envahissantes est la priorité mixte internationale, suggéra au Comité des environnementale numéro un des pêches de la Chambre des communes de gouvernements et des industries maritimes», a recommander la désignation, par le déclaré Collister Johnson Jr., administrateur de gouvernement, d’un ministère responsable de la Saint Laurence Seaway Development cette question, plutôt que de la laisser rebondir Corporation. Richard Corfe, président et chef sans cesse entre le ministère de l’Environnement de la direction de la CGVMSL, ajoutait pour sa et ceux des Pêches et des Transports. part: «Cette entente démontre la volonté Johanne Gélinas, ancienne commissaire ferme des deux corporations de la Voie fédérale à l’environnement et au maritime, des gouvernements canadien et développement durable, fut encore plus américain ainsi que de l’industrie du transport explicite dans ses critiques quand elle maritime de gérer avec efficacité la question comparut devant le même comité. «On ne des eaux de ballast et d’appliquer à chacun des décèle aucun consensus sur les priorités, océaniques qui pénètrent dans notre réseau les déclara-t-elle, aucun accord sur qui fait quoi, et meilleures pratiques en place au sein de aucune capacité de mesurer le progrès en l’industrie.» rapport avec les engagements du

88 | jenish · La Voie maritime du Saint-Laurent à assurer des services efficaces et à répondre à de lui assigner, en plus, la responsabilité d’encadrer la nouveaux défis et à de nouveaux besoins. Le Garde côtière et l’Administration de pilotage des gouvernement se devait de réduire ses obligations Grands Lacs. Ce scénario était celui que favorisait financières là où la chose était possible, ce qui M. Stewart. Il fit valoir que cette façon de faire entraînait la nécessité d’examiner et de remettre en permettrait aux trois organismes de combiner les question la presque totalité de son action. lieux d’activité et les installations, épargnant ainsi Au sein du gouvernement Chrétien, le ministre de 10 à 20 pour cent de leurs coûts d’exploitation des Transports, Doug Young, apparut bientôt annuels combinés, soit de 15 à 30 millions de comme l’un des réformateurs les plus énergiques et dollars. les plus efficaces. Il secoua de fond en comble son La seconde option consistait en un partenariat ministère et orchestra un remaniement majeur des public-privé. Le gouvernement demeurerait secteurs aérien, ferroviaire et maritime. Il réduisit propriétaire du réseau et conserverait la les subventions et dégagea le gouvernement responsabilité des dépenses en capital les plus fédéral de ses obligations en matière de propriété importantes. Mais une société privée, sans but et d’exploitation d’aéroports, de systèmes de lucratif, ou un consortium, assurerait l’exploitation contrôle de la circulation aérienne, de ports et de la Voie maritime et utiliserait les revenus des autres installations. Sous sa direction, le ministère péages pour couvrir les coûts d’exploitation et des Transports mit à peu près complètement fin à d’entretien de base. Ou encore, Ottawa pourrait se son rôle d’intervenant direct dans le mouvement départir entièrement de la Voie maritime en en des marchandises et des personnes et assuma un transférant l’infrastructure et les coûts rôle plus limité, qui s’en tenait à la réglementation. d’immobilisation connexes à une société privée. Dans ces circonstances, la Voie maritime ne pouvait M. Stewart n’était que l’un des nombreux espérer demeurer à l’abri de ces changements. témoins à comparaître, ce printemps-là, devant le En novembre 1994, l’Administration de la voie comité, qui tenait des audiences en vue de maritime prépara à l’intention du ministre un conseiller le ministre sur la forme et l’orientation rapport intitulé Un plan pour commercialiser la Voie d’une nouvelle politique maritime nationale. Les maritime du Saint-Laurent et, en mars 1995, le députés soumirent leur rapport en mai 1995 et le président Stewart en présenta les ministre Young comptait rendre public un plan recommandations au Comité permanent de la directeur sur l’avenir de la Voie maritime, de la Chambre sur les transports. La direction Garde côtière et des ports nationaux au plus tard supérieure de l’entreprise avait examiné neuf en septembre. options—depuis le maintien du statu quo, jusqu’à la Cet été-là, il tint des consultations directes avec fermeture du réseau. Elle avait été guidée dans sa l’industrie. Au cours de ces discussions, la firme réflexion par trois principes: offrir aux usagers un d’ingénierie et d’experts-conseils SNC-Lavalin, de meilleur service, réduire les coûts d’ensemble tant Montréal, apparut comme un acheteur possible pour le gouvernement que pour les usagers et pour la Voie maritime. À la mi-décembre 1994, accroître la compétitivité de la Voie maritime. M. Stewart avait rencontré le président de SNC, Le président déclara aux députés qu’il y avait à Bernard Lamarre, et son frère Jacques, qui était son avis trois options réalistes. La première alors vice-président de la firme, au restaurant consistait à conserver à l’Administration de la voie parisien Le Métro, situé au centre-ville d’Ottawa. maritime la responsabilité de la voie navigable, mais Les deux frères avaient alors posé des questions d’étendre son autorité jusqu’à Thunder Bay, et de détaillées sur les dépenses, les revenus et la

5 · Un nouveau départ | 89 structure de gestion de la Voie maritime. M. Stewart sensé que la Voie maritime soit responsable du rencontra de nouveau Bernard Lamarre, au même déglaçage sur les lacs, des aides à la navigation, en restaurant, au début du mois de mai 1995 et, cette somme qu’elle remplace entièrement la Garde fois, l’homme d’affaires exprima son intérêt pour les côtière? La corporation pourrait demander des ponts Jacques-Cartier et Champlain, qui relient soumissions et trouver des fournisseurs de services Montréal à la rive sud du Saint-Laurent, et dont la qui feraient le travail pour moins cher.» gestion relevait de la Voie maritime. De son côté, SNC comprit rapidement que les L’intérêt manifesté par SNC attira l’attention de péages nécessaires pour couvrir les coûts Norman Hall, qui était alors président de d’exploitation et les dépenses en immobilisation l’Association des armateurs canadiens (AAC). Cette seraient prohibitifs et renonça à poursuivre l’affaire. situation l’inquiétait et il proposa à son conseil Mais, en manifestant de l’intérêt, elle avait d’administration de préparer une proposition de néanmoins eu un profond effet sur l’avenir de la prise en charge en son propre nom. «L’industrie Voie maritime. L’AAC fut à l’origine de la mise sur manifesta en premier lieu son intérêt pour la Voie pied d’un groupe d’usagers en vue de préparer une maritime parce que le ministre Young avait affirmé soumission. Les membres du groupe comprenaient qu’il voulait la mettre en vente», se rappelait quatre armateurs (Algoma Central, Upper Lakes M. Hall dans une entrevue accordée au magazine Shipping, Canada Steamship Lines et Fednav Canadian Sailings,«et en second lieu parce que International), trois sociétés céréalières (James nous avions entendu dire que SNC-Lavalin était Richardson & Sons, Louis Dreyfus et Cargill) de très intéressée à mettre la main sur la voie même que les aciéries Stelco et Dofasco. navigable.» Le groupe négocia avec le gouvernement pendant un an environ. Entre-temps, toutefois, un Les deux parties s’étaient mises d’accord sur un remaniement ministériel vint interrompre les partenariat public-privé semblable à celui qu’avait négociations. Doug Young fut muté à un autre évoqué Glendon Stewart au moment de sa ministère et remplacé aux Transports par David comparution devant le comité des Transports. Anderson, de la Colombie-Britannique. À la mi- juillet 1996, cependant, le ministre Anderson et M. Hall adressa à son conseil d’administration Robert Swenor, premier vice-président chez une mise en garde: «Vous savez ce qui se produira Dofasco, avaient signé une lettre d’intention en vue si ces gens-là réussissent dans leur entreprise. Ils de créer une société sans but lucratif qui prendrait n’utilisent même pas la Voie maritime. Ils voudront les commandes de la Voie maritime, peut-être dès s’enrichir à même les coûts d’ingénierie et le 1er janvier 1997. d’infrastructure qu’une Voie maritime qui prend de Les deux parties s’étaient mises d’accord sur un l’âge impose automatiquement. Dieu sait ce que partenariat public-privé semblable à celui qu’avait seront les péages dans ce contexte.» évoqué Glendon Stewart au moment de sa Norman Hall avait en tête un plan qui comparution devant le comité des Transports. Le ressemblait fortement à celui du président Stewart. gouvernement resterait propriétaire des écluses, «Nous devrions envisager la possibilité qu’une des canaux et des installations connexes. Il aurait nouvelle corporation de la Voie maritime assume la également la responsabilité des réfections et des responsabilité de toutes les questions relatives à mises à niveau majeures. Les utilisateurs l’aide à la navigation sur les Grands Lacs, proposa-t- exploiteraient la voie navigable et s’occuperaient il à ses collègues du conseil. Ne serait-il pas plus de l’entretien de routine.

90 | jenish · La Voie maritime du Saint-Laurent Plusieurs points clés restaient cependant à Le projet de loi fut adopté en troisième résoudre. Le gouvernement et les usagers devaient lecture à la Chambre des communes, mais mourut s’entendre sur une formule de partage des excédents au feuilleton du Sénat au début d’avril 1997 quand d’exploitation. Le nouvel organisme devait se donner le premier ministre Chrétien prorogea le un conseil d’administration de même qu’une équipe Parlement et déclencha une élection générale de direction. Des décisions s’imposaient également fixée au 2 juin. Cela signifiait que le projet de loi quant à l’emplacement du siège social de l’entreprise devrait être déposé de nouveau, ce qui ne se et à la fermeture d’autres installations. Des produirait qu’après la rentrée des Chambres, à oppositions au nouvel arrangement s’étaient par l’automne. ailleurs manifestées au sud de la frontière. «Divers intérêts des ports des Grands Lacs et «Tout indique, poursuivait l’article, que la Voie de l’industrie du transport maritime aux États-Unis maritime a atteint l’étape où ses opérations peuvent ont exprimé de fortes réserves à la perspective être prises en charge avec succès par l’industrie d’une exploitation de la voie navigable par un privée.» Wilbrod Leclerc · magazine Canadian Sailings groupe d’usagers et d’une augmentation éventuelle des péages, rapportait Canadian Sailingss. Le Entre-temps, une relève de la garde se dirigeants américains de la Voie maritime ont produisait au sein de l’Administration de la voie manifesté leur opposition à l’idée de remettre maritime. Le mandat de président de Glendon entre les mains de l’industrie privée des biens qui Stewart arrivait à échéance le 7 août 1997, date à appartiennent à la collectivité.» laquelle il prit sa retraite. Il avait guidé l’entreprise La Saint Lawrence Seaway Development dans le cours d’une transformation remarquable et Corporation avait, elle, son propre ordre du jour. s’était acquis le respect de l’industrie. «La gestion à Elle préconisait la création d’une agence son meilleur», clamait le titre d’un article consacré binationale pour gérer le réseau, et de hauts au président sortant dans Canadian Sailings. responsables des ministères des Transports des «M. Stewart peut être satisfait de son mandat à deux pays discutèrent de cette question au cours la tête de la Voie maritime», écrivait le du même été. Ces pourparlers ne donnèrent pas correspondant outaouais du magazine, Wilbrod de résultats et l’idée fut temporairement mise de Leclerc. «Le tonnage et les revenus ont augmenté. côté. Les coûts ont décru. Les effectifs ont été réduits. La transition entre l’ancien et le nouvel La gestion améliorée. Tout cela est signe d’une organisme connut un retard de près de deux ans, rationalisation réussie. La Voie maritime fonctionne non en raison d’opposition venant de l’extérieur, maintenant selon des principes commerciaux.» mais par suite d’événements de nature politique «Tout indique, poursuivait l’article, que la Voie survenus sur la scène canadienne. La Loi maritime maritime a atteint l’étape où ses opérations du Canada devait être amendée pour permettre au peuvent être prises en charge avec succès par ministre de dissoudre l’Administration de la voie l’industrie privée. Le groupe d’usagers qui attend maritime et de conclure une entente avec le dans la coulisse pourra aller de l’avant avec un groupe d’usagers. En septembre 1996, le ministre degré accru de confiance.» Anderson déposa un projet de loi qui incorporait David Collenette devint ministre des Transports tant ces changements que d’autres, qui devaient dans le gouvernement Libéral réélu et annonça la permettre la privatisation de certains ports et la nomination de Michel Fournier au poste de réorganisation de la Garde côtière. président et de chef de la direction par intérim de

5 · Un nouveau départ | 91 Olympic a lors qu’il transitait par le canal Welland. L’Administration de la voie maritime du Saint-Laurent devint la Corporation de Gestion de la Voie Maritime du Saint-Laurent. Le siège social de l’entreprise déménagea d’Ottawa, pour s’installer à Cornwall. Le conseil d’administration nouvellement constitué était formé de neuf membres en provenance des industries du fer et de l’acier, du commerce des céréales, des sociétés de transport maritime, tant océanique qu’intérieur, et de trois représentants, respectivement, des gouvernements fédéral, de l’Ontario et du Québec. Le neuvième membre était le nouveau président, Guy Véronneau. Alors âgé de 61 ans, M. Véronneau possédait plusieurs années d’expérience à titre de cadre supérieur d’entreprise et était une figure de Guy Véronneau, un ancien cadre supérieur de l’industrie de la marque au sein de l’industrie de la construction construction navale, devint le premier président de la navale, alors en déclin. Il avait entamé sa carrière à Corporation de Gestion de la Voie Maritime du Saint-Laurent, la fin des années 1950 dans le domaine du qui venait d’être mise sur pied. Hésitant au départ à répondre traitement mécanique des données, champ qui favorablement aux tentatives faites pour le recruter, il accepta allait évoluer pour devenir celui de la technologie d’abord un mandat de trois ans, mais se plut su∫samment dans de l’information. D’abord entré au service d’une le poste pour y rester cinq ans. cgvmsl brasserie, il passa à un journal, puis devint directeur des systèmes et du traitement mécanique des la Voie maritime. M. Fournier était un notaire public données chez Marine Industrie Ltée (MIL), société de Saint-Jean-sur-Richelieu, au Québec, spécialisé manufacturière située à Sorel, au Québec, qui en droit commercial et en droit corporatif. Le construisait des navires et des wagons de chemin gouvernement l’avait nommé, en 1995, à de fer, et produisait du matériel hydroélectrique. l’Administration de la voie maritime, où il avait été Vers la fin des années 1970, MIL lui confia la l’un de deux vice-présidents travaillant directement responsabilité d’un projet de construction de sous l’autorité de Glendon Stewart. cargos pour le gouvernement polonais et, en 1980, Cet automne-là, le ministre Collenette déposa il devint vice-président de la division de de nouveau le projet de loi destiné à amender la construction navale. En 1986, il quittait ce poste Loi maritime du Canada, et la Chambre des pour aller occuper celui de vice-président, communes en fit l’adoption avant le congé Marketing, à la division du transport en commun parlementaire de Noël. Le Sénat l’adopta enfin au chez Bombardier. Trois ans plus tard, il revenait début de juin 1998, levant ainsi le dernier obstacle chez MIL, qui avait entre-temps fusionné avec qui s’opposait au transfert du contrôle de la Voie Davie Shipbuilding, de Québec. M. Véronneau maritime aux utilisateurs. assuma la direction du chantier naval de Davie, Ce transfert se fit officiellement le 1er octobre jusqu’au moment où celui-ci fut vendu en 1996. Il 1998, et une cérémonie destinée à marquer prit alors sa retraite, déménagea dans les Cantons l’occasion fut tenue à bord du NM Canadian de l’Est, où il se trouvait toujours quand une

92 | jenish · La Voie maritime du Saint-Laurent entreprise de recrutement s’adressa à lui, en juin Ces équipes furent chargées de se pencher 1998, au sujet du poste à la Voie maritime. respectivement sur les questions suivantes: la «Je leur ai dit: “Mais vous êtes fous, non?”», gestion de projet et les dépenses en capital, devait se rappeler M. Véronneau quelques années l’entretien préventif et correctif, les tâches plus tard. «J’avais passé sept années très difficiles assignées aux équipes des écluses, et au chantier naval et il me fallait me remettre de l’approvisionnement. Les recommandations l’expérience. Je n’avais pas du tout l’intention de contenues dans leur rapport indiquaient que le retourner au travail.» moment était vraisemblablement propice à la Mais le nouveau conseil d’administration de la création d’une nouvelle structure organisationnelle, Voie maritime tenait à se prévaloir de ses services. et la Voie maritime retint les services d’une société Ainsi, les chasseurs de têtes persistèrent et, à la fin d’experts-conseils pour aider à sa mise en œuvre. d’août, il avait accepté. Le conseil souhaitait obtenir de sa part un engagement de deux ans. Avec le temps, le rôle joué par M. Véronneau dans la M. Véronneau accepta de rester en poste pendant réorganisation de l’entreprise en vint à être apprécié trois ans, mais finit par y passer près de cinq ans. par plusieurs de ses collaborateurs. «Je m’y suis plu énormément, affirme-t-il. C’était un organisme très professionnel. Nous faisions nos Cet exercice entraîna un remaniement complet premiers pas dans une relation complètement de la structure organisationnelle. Terminé en mars différente avec le monde.» 2000, ce remaniement résultait en une délimitation Son arrivée coïncida toutefois avec un nouvel plus claire et plus efficace des responsabilités affaissement du volume des marchandises respectives des bureaux régionaux et du siège transitant par la Voie maritime.Cinquante millions social. Les vice-présidents régionaux responsables et demi de tonnes franchirent le réseau en 1998, de l’exploitation, à Saint-Lambert et à St. Catharines, puis le volume déclina au cours de chacune des se virent confier deux responsabilités majeures: quatre saisons suivantes, s’établissant à 41,4 millions assurer de façon efficace le passage des navires sur en 2002, la dernière année où M. Véronneau leur section de la voie navigable et veiller à occupa le poste de président. l’entretien de l’infrastructure. Les services auxiliaires, Néanmoins, son mandat fut rempli de projets et tels ceux des ressources humaines, des finances et d’initiatives, et il poussa plus avant la de technologie de l’information, furent centralisés au transformation de la culture d’entreprise lancée par siège social, à Cornwall, et un nouveau poste, celui Glendon Stewart. Son premier effort en ce sens fut de vice-président au développement stratégique et la tenue d’une retraite des gestionnaires dans un commercial, fut créé. hôtel situé du côté américain des Mille-Îles. Cette «Nous prévoyons que cette nouvelle structure rencontre fut l’occasion d’une très vaste démarche produira une meilleure coordination et de planification stratégique et d’une réitération de communication entre les services d’ingénierie, la mission, de la vision, des valeurs et des buts de d’entretien et d’exploitation […] ce qui améliorera le l’entreprise. service à la clientèle tout en réduisant les coûts», Mais, ce qui est tout aussi important, c’est que écrivait M. Véronneau dans le rapport annuel de la démarche mena à l’élaboration de quelque 1999–2000. cinquante plans d’action et que quatre équipes Avec le temps, le rôle joué par M. Véronneau furent mises sur pied pour passer en revue la façon dans la réorganisation de l’entreprise en vint à être dont le travail s’accomplissait à la Voie maritime. apprécié par plusieurs de ses collaborateurs.

5 · Un nouveau départ | 93 Pendant trois ans à partir de l’an 2000, on procéda au avec les dirigeants de la SLSDC. C’est pourquoi il développement et à la mise à l’essai d’un système d’identification insista pour que la Voie maritime entreprenne de automatique. Cette technologie fut mise en service au printemps participer à des missions commerciales regroupant de 2003. Elle permettait un contrôle intégré et sans coupure du de hauts représentants de la corporation américaine trafic entre les centres situés à l’écluse de Saint-Lambert, à et des dirigeants de l’industrie du transport maritime. l’écluse Eisenhower et sur le canal Welland. thies bogner L’amélioration des rapports entre les Canadiens et leurs collègues américains entraîna la réalisation «Nous cherchions quelqu’un qui soit capable de de deux initiatives importantes en matière de transformer la culture de l’entreprise, et Guy a fait technologie, qui sont venues renforcer le ce qu’il fallait», devait déclarer par après le fonctionnement de la Voie maritime. En mars 2000, président du conseil, Robert Swenor. «Il a recueilli les deux organismes responsables de la Voie le respect de tous. » maritime lancèrent un projet conjoint, conduit par Albert Jacquez, qui était alors administrateur les Américains, en vue d’acquérir et de mettre à de la Saint Lawrence Seaway Development l’essai, un système d’identification automatique Corporation (SLSDC), ajoute: «Provenant du (SIA) ayant pour objectif d’améliorer le contrôle du secteur privé, Guy apportait à notre voie navigable trafic. Il fallut non moins de trois ans pour achever un esprit et une culture d’entreprise différents. Il les essais, procéder à l’installation des divers accueillait le changement, l’embrassait avec éléments du système et s’assurer qu’ils enthousiasme. Il était axé sur le rendement et fonctionnaient correctement, mais le jour de l’obtention de résultats dans tous les secteurs de l’ouverture de la saison de 2003, le SIA état en l’entreprise.» parfait état de fonctionnement. M. Véronneau estimait qu’il était impératif Le SIA utilisait des transpondeurs et des d’améliorer les rapports de travail de l’entreprise systèmes mondiaux de localisation pour transmettre

94 | jenish · La Voie maritime du Saint-Laurent des renseignements d’un navire à un autre, ou entre Sur cette photo, on aperçoit des employés de la Voie maritime à les navires et les centres de contrôle du trafic situés leur poste au centre de contrôle de St. Catharines. La Voie à Saint-Lambert et à St. Catharines du côté maritime fut la première voie navigable au monde à adopter une canadien, et à l’écluse Eisenhower du côté américain. technologie aussi perfectionnée. thies bogner Au fur et à mesure qu’un navire franchissait les écluses et les canaux, un transpondeur SIA installé à La seconde avancée technologique majeure fut la bord transmettait sa localisation aux centres de mise sur pied d’un site Web pleinement interactif, contrôle et aux autres navires. Sa position polyvalent et binational. La Voie maritime canadienne apparaissait sur les écrans d’ordinateur des centres avait assumé la conduite de ce projet, et quand le site de contrôle et des autres navires en transit, et fut devenu pleinement fonctionnel, il offrait aux évoluait à l’écran selon que progressait son voyage. transporteurs maritimes un service sans égal. Ce site Le système était également en mesure d’estimer donnait aux armateurs, aux opérateurs et aux agents l’heure d’arrivée à une écluse donnée et de fournir un accès en temps réel à des renseignements sur la aux capitaines des renseignements précis sur la localisation des navires de même qu’un accès en ligne vitesse et la direction des vents, la profondeur de à leurs comptes. Il permettait aux utilisateurs dont les l’eau, l’état des glaces et la direction d’un bâtiments étaient vides de repérer des cargaisons, changement de cap. tandis que ceux qui en avaient à acheminer «Avec le SIA, nous faisions d’une pierre deux pouvaient localiser des navires. Le site proposait coups, explique M. Véronneau. Le système également une calculatrice capable de produire une améliorait la sûreté et la sécurité du réseau. Il en estimation spécifique du coût d’une expédition de accroissait l’efficacité, et nous avions justement marchandises d’un point donné à un autre. Enfin, il défini l’efficacité comme l’un des moyens pour permettait aux utilisateurs de remplir et d’acheminer développer l’entreprise.» en ligne des déclarations de dédouanement anticipé

5 · Un nouveau départ | 95 et de transit. Rapidement, le site attira quelque stratégique à la grandeur du réseau. Ces 70000 appels de fichier par mois et devint la source discussions menèrent à la formation d’un groupe de renseignements la plus complète au sujet de la appelé Le Forum des enjeux stratégiques de la navigation commerciale sur la Voie maritime. Voie maritime. M. Véronneau lança également l’idée de deux Placé sous la présidence de M. Véronneau, le autres changements d’ordre technologique qui ne forum comprenait des représentants de Cargill, de purent qu’être amorcés, mais non mis en œuvre, Stelco, de Québec Cartier, d’Algoma Central et de alors qu’il était encore président. Il chargea des Fednav, des ports de Duluth, de Thunder Bay et de membres du personnel supérieur de commencer à Montréal, ainsi que de la Saint Lawrence Seaway se renseigner auprès de diverses voies navigables à Development Corporation. Les membres du forum travers le monde sur un système d’amarrage mains décidèrent de poursuivre quatre objectifs, soit libres pour les navires quand ils transitaient par une d’améliorer la gestion de la voie navigable et de écluse. En d’autres mots, il souhaitait trouver une réduire les coûts, d’accroître les tonnages sur le technologie qui permettrait de mettre fin à la réseau, d’en améliorer la compétitivité à long terme pratique séculaire par laquelle les lieutenants, à et d’obtenir un soutien gouvernemental adéquat. Ils bord des navires, passaient des câbles d’acier à des formèrent des comités en vue de poursuivre éclusiers qui amarraient le navire en attachant les chacun de ces buts. câbles à des grosses bittes de fer appelées Le forum était une initiative de longue haleine bollards. Enfin, M. Véronneau préconisait la mise qui se poursuivit au-delà du mandat de sur pied d’un programme qui ferait appel à M. Véronneau comme président et chef de la l’hydraulique pour remplacer les moteurs et les direction de la Voie maritime.Dans le rapport câbles d’acier utilisés jusqu’alors pour ouvrir et annuel pour l’exercice 2001–2002, le président fermer les portes des canaux ainsi que les vannes annonçait son intention de prendre sa retraite à la d’entrée et de sortie de l’eau. fin de l’exercice financier de l’année suivante, soit le 31 mars 2003. Il annonçait en outre qu’il avait «Alors même que nous desservons nos clients actuels, déjà entrepris des démarches en vue de trouver nous devons également envisager l’avenir. Il nous faut quelqu’un pour lui succéder. M. Véronneau agit à promouvoir les avantages du transport maritime, en titre de président d’un comité de sélection de particulier les avantages, du point de vue de trois membres. Le comité tint des entrevues avec l’environnement, de réduire la pollution et la des candidats possibles, tant à l’interne qu’à congestion.» Richard Corfe l’externe, avant d’arrêter son choix sur Richard Corfe, alors âgé de 54 ans, qui occupait les Entre-temps, en vue de réaliser des fonctions de vice-président de la région réductions de coûts, M. Véronneau en était venu Maisonneuve de la Voie maritime, autrefois à la conclusion que la Voie maritime devrait connue sous le nom de section Montréal-lac travailler de concert avec d’autres parties Ontario. M. Corfe était le premier employé de la intéressées au sein du réseau. En 1999, lui-même Voie maritime en plus de trois décennies à être et le président du conseil, Robert Swenor, choisi pour diriger l’entreprise. entreprirent de tenir des rencontres avec des «Le candidat choisi devait être en mesure de expéditeurs, des sociétés de transport maritime, bien s’acquitter de ses fonctions, se rappelle des autorités portuaires et d’autres intervenants M. Véronneau. Mais je dis au conseil qu’il serait pour discuter de stratégie et de planification avantageux de nommer un président choisi à

96 | jenish · La Voie maritime du Saint-Laurent l’interne. Cela serait bon pour le moral des troupes et, après tous les changements survenus au cours de la décennie précédente, il était important pour nous de poursuivre notre chemin dans la même direction.» Ingénieur en mécanique, M. Corfe était né en Angleterre et y avait grandi. Il était diplômé de la City University de Londres. Il avait entamé sa carrière dans l’industrie du caoutchouc et du pneumatique, avant de se joindre à la Voie maritime en 1983 en tant que chef des services d’entretien. Au cours des deux décennies suivantes, il avait travaillé dans les sections Est et Ouest et détenu des postes qui touchaient à l’exploitation, au contrôle du trafic, à l’inspection des navires, aux relations avec la clientèle, à la sécurité et à l’environnement de même qu’à la négociation de conventions collectives. Le nouveau président héritait d’une organisation dorénavant allégée, efficace et financièrement saine en dépit du déclin des volumes de trafic éprouvé depuis 1998. La Voie maritime venait de compléter un cycle d’affaires de cinq ans. Elle avait atteint ses objectifs en matière de revenus, tout en maintenant ses coûts gérables Richard Corfe était le premier employé de la Voie maritime en à près de 5 pour cent au-dessous de ce que plus de trois décennies à accéder à la présidence de l’entreprise. prévoyait le budget. Et l’entreprise avait consacré Il a été au premier plan des e◊orts destinés à accroître et à 123 millions de dollars à son programme de diversifier la nature des cargaisons transitant par le réseau. renouvellement de l’actif. thies bogner Au moment où la Voie maritime s’engageait dans un nouveau cycle d’affaires de cinq ans, le nouveaux types de cargaisons. Et il nous faut président Corfe souhaitait égaler ces réussites, et travailler de concert avec tous nos partenaires même les dépasser, comme il l’expliquait dans le pour faire en sorte que des décisions éclairées numéro de juin 2003 du Maritime Magazine: soient prises en vue d’assurer l’avenir du transport «Alors même que nous desservons nos clients partout au pays.» actuels, nous devons également envisager l’avenir. Il nous faut promouvoir les avantages du transport maritime, en particulier les avantages, du point de vue de l’environnement, de réduire la pollution et la congestion. Il nous faut développer notre entreprise en mettant sur pied de nouveaux modes de prestation de nos services et en attirant de

5 · Un nouveau départ | 97 6 | La Voie maritime du Saint-Laurent: l’avenir

Au printemps de 1955, Evans McKeil rejoignait la barges sur le côté canadien de la Voie maritime et ruée de travailleurs—des milliers de manœuvres, devait prendre livraison de cinq barges d’ouvriers qualifiés et d’ingénieurs—qui, en nouvellement construites entre 2008 et 2013. Ces provenance de tous les coins du Canada, navires font généralement 75 pieds de largeur, de convergeaient vers Cornwall pour entreprendre la 350 à 450 pieds de longueur et peuvent transporter construction de la Voie maritime du Saint-Laurent. de 10000 à 14000 tonnes de cargo, soit la moitié Le jeune McKeil arriva sur place en tant que environ de la capacité de chargement des vraquiers manœuvre. Employé au début, à bord d’une et des auto-déchargeurs qui dominent le transport plateforme de dragage, à dynamiter, puis à sculpter maritime sur les Grands Lacs. un chenal de navigation à même le fond rocheux du Ils compensent toutefois en polyvalence ce qui fleuve, il repéra vite une occasion. Les embarcations leur manque en volume. Certaines barges sont servant à transporter les travailleurs vers leurs lieux fermées. D’autres possèdent un toit escamotable. de travail depuis leurs camps, leurs hôtels ou leurs D’autres encore n’ont que des parois. Ces navires pensions étaient rares. Avec l’aide de son père, possèdent également un faible tirant d’eau, ce qui William, McKeil fils construisit un bateau long de 40 leur permet de naviguer dans des ports interdits pieds—le Micmac—et, au cours des trois saisons qui aux vraquiers et aux auto-déchargeurs. Dans le suivirent, exploita, jour et nuit, un service de cours d’une saison typique, les navires de McKeil navette depuis le début de la navigation, au Marine transportent du carburant aviation de printemps, jusqu’à la prise des glaces vers la fin de Montréal à Hamilton, des sous-produits d’acier de l’automne. L’entreprise se maintint jusqu’à l’hiver de Hamilton à Cleveland et du bois d’œuvre de l’île 1958–1959, alors que le travail était à peu près d’Anticosti, dans le golfe du Saint-Laurent, à achevé et que les contrats arrivaient à échéance. Cacouna de même que du sel, en provenance de Mais la Voie maritime avait fourni l’occasion de Windsor, à Bécancour et du coke, provenant de mettre sur pied une entreprise appelée à durer. Hamilton, à Belledune, au Nouveau-Brunswick. Le jeune entrepreneur s’installa à Hamilton, En juillet 2005, McKeil Marine commença forma la société McKeil Marine et entreprit d’acheminer des lingots d’aluminium depuis le port d’acquérir des remorqueurs. Au cours des quatre de Pointe-Noire, près de Sept-Îles, jusqu’à Trois- décennies qui suivirent, la petite entreprise Rivières puis, de là, de les faire transiter par la Voie familiale offrit des services à l’industrie du maritime. Il s’agissait d’un nouveau type de transport et de la construction maritime sur les cargaison et, à la fin de la saison de transport Grands Lacs. Au début des années 1990, Evans maritime de 2007, la société avait transporté plus McKeil céda l’entreprise à son fils Blair. Ce dernier de 300000 tonnes de lingots, tous produits par s’engagea bientôt dans une nouvelle et audacieuse Aluminerie Alouette, la plus importante aluminerie direction, celle du transport maritime, acheminant en Amérique du Nord. des cargaisons aller et retour, depuis le golfe du «Notre entreprise a subi une cure de Saint-Laurent jusqu’au lac Supérieur, au moyen de rajeunissement, déclare Blair McKeil. Nous avons bâtiments dits «intégrés». Ceux-ci réunissaient un contribué à l’expansion des affaires sur la Voie remorqueur et une barge. Un cran en V dans la maritime. Nous avons consenti des investissements poupe de la barge permettait à la proue du à long terme.» remorqueur de venir s’y fixer. De ce point de vue, McKeil Marine ne En l’espace de quinze ans, McKeil Marine devint représentait pas un cas isolé. Après quelque deux le plus grand exploitant de remorqueurs et de décennies de repli, au cours desquelles les volumes

98 | jenish · La Voie maritime du Saint-Laurent de fret avaient connu des réductions et plusieurs Fednav, dont le siège social est à Montréal, est le plus important sociétés aux vieux noms familiers (Halco, Misener, usager de la Voie maritime dont les navires naviguent également Parrish & Heimbecker) avaient quitté l’industrie, les en haute mer.La société a construit plusieurs générations de grosses entreprises depuis longtemps établies navires destinés au commerce sur le Saint-Laurent et les Grands avaient recommencé à investir. La majeure partie Lacs. Le Federal Rhine, que l’on aperçoit ici dans l’archipel des de l’argent disponible—largement au-dessus d’un Mille-Îles, est l’un de quatre navires de Fednav construit au milliard de dollars—était consacrée au chantier naval Jiangnan, à Shanghai, en Chine, dans la seconde remplacement de vraquiers et d’auto-déchargeurs. moitié des années 1990. ron samson Mais une part des fonds était également utilisée pour l’acquisition de nouveaux types de navires qui principale exportation consiste en céréales pourraient bien représenter l’avenir du transport destinées à l’Afrique du Nord ainsi qu’à maritime sur les Grands Lacs. l’Amérique centrale et à l’Amérique du Sud. Fednav International, dont le siège social est à En 1994, Fednav a lancé un programme de Montréal et qui est le plus important renouvellement de sa flotte en commandant, au transporteur de classe océanique à utiliser la coût de 100 millions de dollars, six vraquiers de Voie maritime, est le chef de file en matière de 34000 tonnes au chantier naval Jiangnan, de construction de nouveaux navires. Fednav Shanghai, en Chine. Elle a pris livraison du dernier exploite une flotte de près de 100 navires, dont de ces navires dans la seconde moitié de 1997, 22 lui appartiennent en propre et le reste est après quoi elle a annoncé qu’elle avait commandé à loué. De 50 à 60 de ces navires sont aptes à la société Oshima Shipbuilding, d’Oshima, au naviguer sur les Grands Lacs et la Voie maritime Japon, quatre autres vraquiers, ceux-là de 35750 du Saint-Laurent. Le président et chef de la tonnes chacun. direction, Laurence Pathy, explique que de l’acier Peu après le tournant du siècle, Fednav fini ou du demi-produit en provenance de commandait à des chantiers navals de Chine et du l’Europe, de l’Asie et de l’Amérique du Sud Japon, au coût de 200 millions de dollars, sept constituent les principaux arrivages, alors que la nouveaux bâtiments appelés à entrer en service

6 · L’avenir | 99 Ces navires de Fednav avaient tous été construits au début des années 1980 mais, en dépit de leur âge, ils permettaient à CSL d’étendre sa portée et d’accroître ses activités. Ce sont des navires de haute mer, ce qui veut dire que CSL peut les utiliser depuis le Saint-Laurent jusque sur l’Atlantique et ce, à longueur d’année. Acquis au coût de quelque 50 millions de dollars, ils pourront, estime-t-on, demeurer en service pendant une période de dix à quinze ans. «La prochaine étape consiste à construire de nouveaux navires, explique À partir de la fin des années 1990, les grandes sociétés de Tom Brodeur, vice-président, Marketing et service à transport maritime intérieur qui utilisent la Voie maritime ont la clientèle. Certains de nos navires sont en passe investi largement, plus d’un milliard de dollars, dans le de devenir très vieux et devront être remplacés.» renouvellement de leur flotte. L’Algobay, que l’on aperçoit ici, Seaway Marine Transport, de son côté, est l’un des navires de la flotte de Seaway Marine Transport qui envisageait un programme tout aussi ambitieux de fut reconstruit à cette époque. cgvmsl renouvellement de sa flotte de vingt auto- déchargeurs et treize vraquiers, propriété conjointe entre 2008 et 2011. M. Pathy explique que la société d’Algoma Central et du groupe Upper Lakes. La a mis sur pied un programme à long terme de plupart de ces navires avaient été construits entre renouvellement de sa flotte, qui fera en sorte qu’elle la fin des années 1960 et la fin des années 1970, et continuera à commander de nouveaux navires et à le temps était venu de les remplacer. En 2007, retirer du service des bâtiments plus anciens. «Nous Seaway Marine retint les services de deux sociétés avons commencé à utiliser la Voie maritime dès son de l’extérieur pour concevoir les coques et les entrée en service, ajoute M. Pathy. Nous maintenons superstructures d’une nouvelle génération de notre engagement envers l’avenir des Grands Lacs navires qui pourraient être convertis de vraquiers comme l’une des bases de notre entreprise.» en auto-déchargeurs, ou vice-versa. Sur le plan national, Canada Steamship Lines «Ils ont investi un million de dollars dans le (CSL) a consacré 225 millions de dollars, entre développement de ce modèle, explique Graeme 1999 et 2007, à la remise à niveau de sa flotte de Cook, vice-président, Expansion des affaires, au onze auto-déchargeurs. La partie avant de quatre sein du groupe Upper Lakes. On constatera dans navires et la section médiane de deux autres ont ces nouveaux bâtiments un niveau de été munies de nouvelles coques. Les six bâtiments standardisation jamais vu parmi les navires de la font maintenant 740 pieds de longueur et 78 de génération précédente.» largeur, le maximum autorisé par les règlements de Les nouveaux navires ne représentaient que la Voie maritime. En même temps, CSL a aussi l’un des éléments du programme. Au début de acquis des vraquiers. En 2003, elle achetait à 2008, Algoma annonçait avoir acquis, au coût de 38 Fednav le Birchglen et le Spruceglen, et plus tard millions de dollars, auprès de Viken Shipping AS, acquérait d’autres bâtiments de la même société— une société établie à Bergen, en Norvège, trois le , le , le L ake Erie et vraquiers adaptés aux dimensions de la Voie le , qui devaient se joindre à la flotte maritime, mais aptes également à naviguer en haute de CSL en 2008 et 2009. mer. Ces navires, qui étaient alors loués à Fednav,

100 | jenish · La Voie maritime du Saint-Laurent devaient rejoindre la flotte de Seaway Marine d’ici Sept ministères et organismes, y compris à l’année 2012. Construits vers la fin des années Transports Canada et le ministère des Transports 1980, l’on s’attendait à ce qu’ils puissent naviguer des États-Unis, de même que les deux organismes sous pavillon d’Algoma pendant au moins vingt ans. nationaux responsables de l’administration de la Deux autres vaisseaux de la flotte de Seaway Voie maritime, ont contribué à cette étude qui a Marine, le NM Algobay et le NM Algoport, étaient été rendue publique à l’automne 2007. en voie d’être reconstruits. En novembre 2007, L’étude s’est penchée sur quatre sujets: Algoma et Upper Lakes conclurent un accord en l’importance, du point de vue économique, du vue de consacrer environ 125 millions de dollars à la réseau Grands Lacs-Voie maritime du Saint- construction de nouvelles avant-coques auto- Laurent; les questions relatives à son impact sur déchargeuses destinées à être ajustées à la poupe l’environnement; les coûts associés à l’entretien et remise à neuf des deux navires. La société Chengxi à la préservation de son infrastructure; les Shipyard Co., installée à Jiangyin, en Chine, obtint occasions et les défis que présente l’avenir. Les le contrat pour ce travail et estimait être en mesure auteurs en sont venus à la conclusion que la Voie de livrer un premier vaisseau en décembre 2009 et maritime a été un corridor vital pour le bassin des un second en septembre 2010. Grands Lacs et celui du Saint-Laurent, et qu’elle le Le président et chef de la direction d’Algoma, demeurera. Depuis les années 1990 et le début du Greg Wight, affirme qu’ajoutés aux vraquiers acquis siècle présent, le réseau fonctionne à environ 60 de Viken, les navires reconstruits contribueront à pour cent de sa capacité et sert à acheminer maintenir la capacité et la marge de manœuvre de annuellement quelque 40 à 45 millions de tonnes la flotte de Seaway Marine en attendant la de fret, ce qui représente environ 1,2 milliard de construction des nouveaux bâtiments. «Ils vont dollars en coûts de transport chaque année. combler l’écart jusqu’au moment ou nous pourrons mettre en service les nouveaux navires, explique-t- Au cours du dernier demi-siècle, les vraquiers et les il. Ils constituent la première étape d’un projet auto-déchargeurs ont été le pivot de l’industrie du majeur de renouvellement de notre flotte que nous transport maritime sur les Grands Lacs et le fleuve allons entreprendre au cours des cinq à dix Saint-Laurent. prochaines années.» «Un tel volume de trafic ne peut simplement § Au cours du dernier demi-siècle, les vraquiers et pas être transféré à un réseau de transport les auto-déchargeurs ont été le pivot de l’industrie terrestre déjà surchargé sans conséquences du transport maritime sur les Grands Lacs et le économiques graves pour les industries touchées, fleuve Saint-Laurent. Depuis l’ouverture de la Voie conclut le rapport. Le transport maritime demeure maritime en 1959, ils ont acheminé près de deux un complément essentiel et viable aux réseaux milliards et demi de tonnes de marchandises, et ils routiers et ferroviaires implantés dans la région.» en achemineront vraisemblablement le même Les auteurs estiment que le volume du trafic en volume, sinon plus, au cours des cinquante vrac sur les deux sections de la Voie maritime prochaines années, s’il faut en croire l’Étude des pourrait s’accroître d’environ 20 pour cent au cours Grands Lacs et de la Voie maritime du Saint- des vingt prochaines années, entraînant des Laurent (GLVMSL), menée conjointement par le avantages économiques additionnels, et exigeant le Canada et les États-Unis sur les perspectives renouvellement de même que l’accroissement de la d’avenir du transport maritime sur ce cours d’eau. flotte intérieure existante.

6 · L’avenir | 101 soufre, d’oxyde d’azote et de matière particulaire. Le passage régulier de gros navires près du rivage, particulièrement sur le Saint-Laurent, a des effets à long terme sur les berges, les zones humides et les îles de même que sur les espèces aquatiques. Le dragage peut endommager l’habitat faunique ou le détruire et modifier les niveaux d’eau, tandis que les eaux de ballast lâchées par les navires de haute mer sont l’un des vecteurs d’introduction d’espèces aquatiques envahissantes. L’étude note toutefois que les deux organismes Cette a∫che a été conçue dans le cadre de la campagne de responsables de l’administration de la Voie marketing en faveur de l’Autoroute H2O. Elle est destinée à maritime, canadien comme américain, ont adopté expliquer quelques-uns des avantages économiques et une série de politiques et de pratiques destinées à environnementaux du transport maritime. Les navires restreindre les dommages causés à produisent moins de bruit, sont plus sécuritaires et fournissent l’environnement. Ils ont mis en place des directives un meilleur rendement que les trains et les camions. cgvmsl rigoureuses en matière d’eaux de ballast. Dans le but de modérer l’érosion et d’améliorer la sécurité, Toutes ces observations constituent de bonnes les limites de vitesse ont été abaissées dans les nouvelles pour l’environnement puisque le chenaux étroits. Des avis de sécurité relatifs au transport maritime présente deux avantages tirant d’eau sont diffusés pour mettre en garde les majeurs. Il est le mode de transport le plus capitaines et les officiers à bord des navires, ce qui économique, et l’étude GLVMSL en vient à la aide à réduire les échouages et autres conclusion qu’il est aussi le moins dommageable perturbations. Des normes de qualité en matière pour l’environnement. «Le secteur des transports de carburant ont été adoptées, avec pour objet de dans son ensemble, écrivent les auteurs de l’étude, limiter les émissions nocives. Enfin, les autorités contribue pour 27% des émissions de [gaz à effet portuaires contrôlent l’ancrage, la gestion des de serre]. Toutefois, moins de 3% des émissions de déchets et toute autre pratique qui peut nuire à la GES proviennent de l’expédition maritime. qualité de l’eau. «Comme chaque navire transporte une très En bref, les auteurs du rapport concluent: «Ces grande quantité de cargaison, l’expédition maritime 20 dernières années, les industries qui utilisent le demeure globalement plus économe en carburant réseau GLVMSL et les organismes qui en sont que le train ou le camion; elle consomme le moins responsables ont assumé la fonction de gérance d’énergie et produit moins d’émissions», environnementale.» poursuivent les auteurs. En dépit de ces avantages, toujours selon § L’entretien de l’infrastructure—responsabilité l’étude, la navigation commerciale n’en a pas moins conjointe de la Voie maritime et du gouvernement des effets adverses sur l’environnement, et ce, de fédéral en vertu de l’accord de commercialisation diverses façons. Les navires utilisent un carburant de 1998—constitue un second défi majeur. de moins bonne qualité que les trains ou les L’infrastructure, sur la section Montréal-lac Ontario, camions, et leurs émissions comportent des comprend cinq écluses, six ponts levants, deux quantités relativement élevées de dioxyde de ponts basculants et un pont tournant. Les coûts

102 | jenish · La Voie maritime du Saint-Laurent d’exploitation de base sont en moyenne de quelque 31 millions de dollars par an. La facture pour le canal Welland est plus élevée, s’établissant, selon les années, entre 38 millions et 41 millions de dollars, mais le matériel y est beaucoup plus important: onze écluses, trois ponts levants et huit ponts basculants. Dans le cadre d’un plan quinquennal de renouvellement des actifs qui s’est étendu de 2003 à 2008, les dépenses en immobilisations ont atteint 170 millions de dollars. Transports Canada a contribué près de 108 millions de dollars, alors que la Corporation de Gestion de la Voie maritime du Saint-Laurent (CGVMSL) a fourni le reste, soit un peu plus de 62 millions de dollars. Le projet le plus important touchait le canal Welland et consistait en la conversion à l’hydraulique du matériel mécanique d’origine.Entrepris en 2005, l’achèvement de ce projet est prévu pour 2010. Le reste des fonds a été affecté à diverses autres tâches, telles du dragage, des réparations aux écluses et aux ponts, le remplacement d’autres pièces de matériel mécanique et la mise à niveau de systèmes électriques, explique le directeur du service d’ingénierie civile de structures à la Voie L’entretien d’une infrastructure vieillissante, tel ce pont levant, maritime, Mike Whittington. à l’écluse de Saint-Lambert, constitue un défi majeur. Mais le Entre-temps, Ottawa avait accepté de programme exhaustif de gestion de l’infrastructure en place à la participer au second plan quinquennal (2008-2013) Voie maritime, de même que l’initiative continue de de renouvellement des actifs, évalué, celui-là, à 270 renouvellement des actifs ont fait de la voie navigable l’une des millions de dollars. Sur le canal Welland, la Voie plus fiables au monde. ron samson maritime entrevoyait de compléter, au coût de quelque 30 millions de dollars, la transition à Toutefois, le projet de loin le plus important, l’hydraulique. On espérait également achever la appelé à s’étendre sur dix ans et à coûter 80 réfection de la face des murs d’écluse commencée millions de dollars, avait trait aux bajoyers à l’entrée vers la fin des années 1980, après l’effondrement du des écluses du canal Welland. Ces ouvrages mur ouest de l’écluse 7 en octobre 1985. Le travail consistaient en pieux de gros bois, surmontés d’une avait été entrepris dans le cadre du programme de calotte en béton. Vieux de quarante ans et en état réhabilitation du canal Welland et devait s’étendre de détérioration, les pieux devaient être remplacés sur sept ans, mais le financement fourni par le par des pieux métalliques et munis de nouvelles gouvernement fédéral se révéla inadéquat et les calottes. fonds furent épuisés avant que la tâche pût être Au-delà de l’année 2013, la Voie maritime fera menée à terme. face à un défi d’entretien encore plus important,

6 · L’avenir | 103 Les céréales, le minerai de fer et les marchandises en vrac Les ingénieurs de la Voie maritime finirent par demeurent la pierre angulaire du transport maritime déterminer que le problème était causé par une commercial sur la Voie maritime. Mais, au cours des années réaction de l’alcali contenu dans le mortier de récentes, grâce, notamment, au marketing agressif des deux ciment à des composants du granulat. Le gonflement corporations responsables de la voie navigable et de leurs progresse lentement, au rythme d’un pouce environ partenaires, celle-ci a réussi à attirer d’autres types de tous les cinq ans. «Théoriquement, nous comptons cargaisons. Cette photo montre un océanique remontant, qui 80 pieds entre les murs, explique M. Corfe. En transporte des pales d’éolienne. ron samson réalité, nous en sommes rendus à 79 pieds six pouces, ou sept pouces en certains endroits.» soit la réfection de la face des murs de quatre des La solution consistera vraisemblablement à cinq écluses de la section Montréal-lac Ontario. forer les murs de la surface à la base. Ces murs font L’on s’attend à ce que le projet nécessite seize environ 20 pieds d’épaisseur au somment et 50 années de travail et coûte jusqu’à 350 millions de d’épaisseur à la base. On y installera ensuite des dollars. Un phénomène connu sous le nom de dispositifs d’ancrage pour bien les assujettir. Puis, à réaction alcaline des granulats est à la source d’un l’aide de charges explosives, de pelles certain gonflement des murs et de la formation de rétrocaveuses et de marteaux perforateurs, jusqu’à lézardes, résultant en un mauvais alignement de la trois pieds de béton seront arrachés aux murs. machinerie, comme les portes et les vannes, et un Pour terminer, on en reconstruira la surface à l’aide rétrécissement progressif des sas d’écluse. de béton contenant des granulats appropriés. Le gonflement des murs s’est manifesté entre En plus des projets de renouvellement des le milieu et la fin des années 1990, explique le actifs envisagés conjointement par la Voie maritime président de la Voie maritime, Richard Corfe. Au et Transports Canada, la Corporation elle-même a moment d’entreprendre les préparatifs liés aux investi dans les nouvelles technologies de pointe. travaux à être exécutés au cours de l’hiver, les En 2007, elle a entrepris de mettre à l’essai, sur le équipes d’entretien commencèrent à éprouver canal Welland, un système d’amarrage mains libres, des difficultés à mettre en place les poutrelles concept préconisé par Guy Véronneau alors qu’il d’arrêt dans les crans pratiqués au sommet et au occupait le poste de président. L’un des objectifs bas des écluses. «Nous nous demandions ce qui que l’on poursuivait était de réduire le temps mis se produisait, se rappelle M. Corfe. Il fallait par un navire à franchir une écluse. Un autre raboter les poutrelles pour arriver à les mettre en consistait à mieux utiliser les services du personnel place.» d’écluse en lui confiant du travail d’entretien plutôt

104 | jenish · La Voie maritime du Saint-Laurent En 2008, la Voie maritime a mené des essais à l’écluse 7, où l’élévation du niveau des eaux est de 47 pieds et demi.

que de l’affecter à la tâche monotone et routinière du maniement des câbles d’amarrage. La Voie maritime fit l’acquisition de la technologie mains libres de la société Cavotec MoorMaster, installée à Christchurch, en Nouvelle-Zélande, et la mit à l’essai, au cours de l’été 2007, à l’écluse 8 du canal Welland parce qu’elle élève ou abaisse les navires uniquement de trois pieds. «Nous avons aplani bien des difficultés et décelé les problèmes qui restaient à résoudre», explique Mike Whittington. En 2008, la Voie maritime a mené des essais à l’écluse 7, où l’élévation du niveau des eaux est de 47 pieds et demi. Le système mains libres remplace les câbles d’amarrage utilisés jusqu’ici par deux caissons Les corporations canadienne et américaine responsables de sous vide, ou boîtiers en acier, de forme l’administration de la Voie maritime de même que leurs rectangulaire, faisant quelque quatre pieds sur huit, partenaires au sein de l’initiative Autoroute H2O se sont et qui sont recouverts, comme la tête d’un tambour, employés à attirer sur le Saint-Laurent et les Grands Lacs d’un joint d’étanchéité en caoutchouc. Une pompe le trafic de conteneurs. transports canada retire l’air de ce dispositif, créant ainsi un vide qui fait en sorte qu’il adhère solidement au flanc du navire. facilité en matière d’utilisation de la voie navigable. L’appareil est rattaché à une cuve de flottaison qui se La Corporation voit ce programme comme la pierre déplace verticalement sur des rails encastrés dans angulaire de son initiative stratégique destinée à une rainure pratiquée dans le mur d’écluse. accroître l’achalandage sur la Voie maritime. Si l’essai dans une écluse de pleine hauteur se révélait satisfaisant, la Voie maritime espérait § Avec une infrastructure fiable et bien entretenue, installer ce système mains libres dans les six autres et un marché stable pour les marchandises en vrac, écluses du canal Welland. Cette initiative, qui se deux composantes de l’avenir de la Voie maritime voulait davantage un projet d’ordre stratégique sont déjà en place. Mais un défi majeur reste encore qu’une question de renouvellement de à relever: la diversification et l’accroissement des l’infrastructure, était destinée à améliorer le cargaisons transitant par le réseau. La Voie maritime rendement du réseau. Le coût total du projet était travaille de concert avec les exploitants de navires, estimé à 50 millions de dollars et, au printemps de tant anciens que nouveaux, en vue d’attirer une part 2008, la Voie maritime travaillait à l’élaboration plus importante de marchandises diverses et de d’une analyse de rentabilisation et négociait avec conteneurs, stratégie que préconisait l’Étude des Transports Canada en vue d’en faire couvrir les Grands Lacs et de la Voie maritime du Saint-Laurent. coûts, en tout ou en partie, par ce ministère. Alors L’entrée en service de remorqueurs et de barges, de que ce projet, à l’origine, était envisagé comme une même que de petits navires polyvalents est perçue mesure destinée à réduire les coûts, il se comme une première étape en vue d’améliorer la transforma, par la suite, en un effort qui avait pour gamme des marchandises acheminées sur le réseau. but d’amoindrir les obstacles à l’accès au réseau Et ces nouveaux types de navires pourraient très pour une vaste gamme de navires et d’offrir à la bien représenter un élément significatif de l’avenir clientèle une plus grande souplesse et plus de du transport maritime sur les Grands Lacs.

6 · L’avenir | 105 McKeil Marine a joué un rôle de leader en d’abord, celle de l’économie de la région des Grands matière d’utilisation de remorqueurs et de barges Lacs; celle, ensuite, du mouvement des conteneurs en vue de mousser les affaires, mais d’autres depuis l’Asie vers l’Amérique du Nord. L’étude sociétés ont également investi des ressources dans prévoit que le produit intérieur brut des États et ce mode de transport. Upper Lakes a acquis des des provinces qui bordent les Grands Lacs fera plus systèmes semblables à ceux qui sont en usage sur que doubler, croissant de 6 billions de dollars en le fleuve Mississippi. Graeme Cook explique qu’en 2005, à 14 billions de dollars d’ici à l’an 2050. Cette 2005, sa société a affrété deux remorqueurs et huit situation entraînera une croissance importante de la barges pour transporter des céréales—dont une population et une congestion tout aussi certaine part destinée à des usines de fabrication remarquable au sein des systèmes de transport d’éthanol—de Prescott, en Ontario, à des terrestres. terminaux situés à Sorel, à Trois-Rivières, et à L’étude prévoit que le trafic mondial de Sillery, au Québec. Chacune de ces barges fait 200 conteneurs croîtra annuellement de 6,3 pour cent pieds de longueur sur 35 pieds de largeur et peut d’ici à l’année 2020. À cette date, près de 100 contenir environ 1500 tonnes de céréales. Un millions d’équivalents vingt pieds (EVP) atteindront remorqueur pousse deux barges à la fois, côte à chaque année l’Amérique du Nord. Mais, déjà aux côte, une approche en usage sur le Mississippi, où prises avec la congestion, les ports de Los Angeles, un seul remorqueur pousse souvent jusqu’à huit de Seattle et de Vancouver, sur la côte Ouest, barges à la fois. voient leur capacité d’expansion limitée par le fait qu’ils sont situés dans d’importantes zones «Nous voulons devenir un partenaire important dans urbaines. Selon le rapport, le tiers environ du trafic l’acheminement de conteneurs.…» Richard Corfe de conteneurs devra être détourné de la côte Ouest vers l’est. La moitié de ce volume transitera Upper Lakes transporte en direction aval des par le canal de Panama, et le canal de Suez barges remplies de céréales, qu’elle laisse à un apparaît de plus en plus comme une solution de terminal pour être déchargées. Le remorqueur rechange pour traiter l’excédent. Les marchandises repart en direction amont avec deux barges vides en traverseraient l’océan Indien, parcourraient la vue de prendre une nouvelle cargaison à Prescott. longueur de la mer Rouge, pour aboutir au canal de Un voyage aller-retour de Prescott à Sorel nécessite Suez et traverser par la suite la Méditerranée avant trois jours et, en utilisant le système américain, d’emprunter l’Atlantique Nord en direction de ports appelé «drop-barge», qui consiste à se séparer de tels ceux de Halifax et de Norfolk, en Virginie. barges à divers points de raccordement en chemin «Ces pressions et ces tendances pourraient et à en reprendre d’autres, les remorqueurs sont en créer des possibilités pour le réseau GLVMSL, activité la majeure partie du temps. «Le système en conclut l’étude. Comme le réseau fonctionne à usage au Mississippi est l’un des modes de transport environ la moitié de son potentiel de capacité, il maritime les plus efficaces au monde, affirme peut accueillir un trafic qui soulagerait au moins Graeme Cook. Nous avons décidé de l’imiter. Inutile une partie de la congestion croissante des routes de tenter de réinventer la roue.» et voies ferrées de la région.» Au fur et à mesure que la Voie maritime s’adapte Une importante possibilité se dessine, à l’heure à la nouvelle donne, un potentiel important existe, actuelle, d’entreprendre par la Voie maritime, à selon l’étude, pour l’ajout de marchandises diverses. partir de ports en eau profonde, l’acheminement Ces prévisions se fondent sur la croissance prévue: de conteneurs en direction des marchés de

106 | jenish · La Voie maritime du Saint-Laurent consommation situés sur les Grands Lacs. Le Un navire de transport maritime à courte distance de type RO/RO transport maritime à courte distance—le et LO/LO. Les camions peuvent utiliser la rampe arrière pour mouvement de marchandises, principalement en atteindre les cargaisons en pontée, alors que deux énormes grues conteneurs, par des voies navigables intérieures ou sont utilisées pour soulever les cargaisons. upper lakes shipping côtières, grâce à un réseau intégré comprenant des trains et des camions—constitue une autre façon «Nous voulons devenir un partenaire important d’accroître et de diversifier les cargaisons. Les dans l’acheminement de conteneurs, déclare Richard gouvernements européens considèrent le transport Corfe. Alors que la Chine, l’Inde et d’autres pays maritime à courte distance comme un moyen de asiatiques sont en passe de devenir producteurs réduire la congestion sur les autoroutes en pour l’ensemble de la planète, plusieurs ports de la contournant les zones urbaines et en évitant les côte Ouest fonctionnent à pleine capacité ou goulots d’étranglement de la circulation, et ils ont presque. Nous nous attendons à ce qu’une part résolument favorisé cette façon de faire depuis le beaucoup plus importante de ces cargaisons début des années 1990. débarque sur la côte Est de l’Amérique du Nord. Au cours de la dernière décennie, Transports Nous entrevoyons des opérations de Canada et le ministère des Transports des États- transbordement de conteneurs entre des océaniques Unis ont examiné le potentiel que présentent les et des navires plus petits, de taille adaptée à des voies navigables pour réduire la congestion sur les voies navigables. Ces navires livreront ensuite les routes et les chemins de fer. Le 16 juillet 2003, le marchandises par eau à tous les ports situés le long Canada et les États-Unis signaient un protocole de de l’Autoroute H2O—Montréal, Toronto, Hamilton, coopération sur le transport maritime à courte Cleveland, Detroit, Chicago—parce que les routes et distance, protocole que le Mexique a également les chemins de fer sont déjà congestionnés et que paraphé un peu plus tard. Cet accord encourageait cette situation ne peut qu’empirer.» les trois pays à échanger de l’information sur des En dépit des risques inhérents, deux sociétés se percées en recherche ou dans le domaine préparaient à lancer, au printemps de 2008, des technologique qui pourraient servir à promouvoir services de transport maritime à courte distance, à le concept. l’aide de navires porte-conteneurs de type européen,

6 · L’avenir | 107 la question des péages qui demeura en vigueur jusqu’en 1977. Les péages furent maintenus sur la section internationale, celle de Montréal-lac Ontario, La Voie maritime allait être libre de dettes en bien que durant les années 1960 et jusque dans l’an 2008. Le premier président de le cours des années 1970 ils soient restés l’Administration de la voie maritime du Saint- bloqués à leurs niveaux premiers de 1959. Les Laurent, Lionel Chevrier, faisait cette prédiction péages étaient perçus par les autorités hardie dans son livre de 1959 portant sur la canadiennes, qui en retenaient 71 pour cent, construction de la voie navigable et les alors que le solde—29 pour cent—était versé à décennies de débats qui l’avaient précédée. la Saint Lawrence Seaway Development Cette prédiction reflétait l’opinion, alors Corporation. largement répandue, que les péages Les revenus de péage s’accrurent de façon généreraient des revenus suffisants pour phénoménale entre 1959 et 1979, reflétant la couvrir les coûts annuels d’exploitation et croissance des volumes de cargaisons qui d’entretien, de même que le remboursement de transitaient par la Voie maritime. Une majorité la dette et les frais d’intérêt. d’années, l’Administration canadienne de la voie Le gouvernement américain avait posé maritime recueillit assez d’argent pour couvrir comme condition de sa participation au projet les dépenses d’exploitation et d’entretien. Mais que la Voie maritime soit exploitée selon le il devint vite apparent que les péages ne principe du financement par l’usager. La généreraient jamais assez de revenus pour question était complexe et les comités mis sur rembourser progressivement la dette liée à la pied étaient aux prises avec un très grand construction de la voie navigable, qui était nombre d’impondérables. Ils ignoraient quelle détenue par le gouvernement canadien. Pour part du trafic consisterait en céréales, en minerai aggraver la situation, l’Administration de la voie de fer et autres marchandises en vrac, laquelle maritime était même incapable de couvrir en serait constituée de semi-vrac, tels le bois de entier les frais d’intérêt annuel sur cette dette, pâte et le sel, laquelle, enfin, consisterait en si bien que chaque année l’intérêt demeuré marchandises diverses. Ils devaient également impayé venait s’ajouter à l’ensemble de la dette. mettre en place des tarifs qui ne feraient pas de En 1959, la dette s’élevait à 283 millions de distinctions injustes entre les produits de base, dollars, la majeure partie imputable à la transportés par les plus gros navires, et les construction de la section Montréal-lac Ontario. fournitures de tout genre, acheminées par des À la fin de la saison 1974, la dette avait bondi à navires beaucoup plus petits. 786,6 millions de dollars. Cette situation était Au moment de l’ouverture du réseau, au intenable à long terme. Elle rendait impossible printemps de 1959, les usagers de la section une planification financière réaliste. Elle Montréal-lac Ontario étaient assujettis à un ébranlait le moral de l’entreprise et portait péage de quatre cents par tonneau de jauge préjudice à la perception que le public se faisait brute, de quarante cents par tonne de de la Voie maritime. chargement en vrac et de quatre-vingt-dix cents Un an plus tard, la dette avait atteint 817 par tonne de marchandises diverses. Les millions de dollars, et l’Administration de la voie navires transitant par le canal Welland payaient maritime estimait qu’elle pourrait atteindre un deux cents par tonneau de jauge brute, deux milliard de dollars en 1981 à moins que des cents par tonne de vrac et cinq cents par tonne mesures correctives aient été prises entre- de marchandises diverses. temps. L’organisme tirait de l’arrière chaque Le gouvernement fédéral suspendit les année parce que, depuis 1973, les revenus des péages sur le canal Welland en 1962 et, cinq ans péages ne suffisaient plus à couvrir les coûts plus tard, imposa un modeste droit d’éclusage, d’exploitation et d’entretien. Ces déficits annuels,

108 | jenish · La Voie maritime du Saint-Laurent auxquels s’ajoutait l’intérêt qui ne pouvait être maritime. «Après toutes ces années de bilans acquitté, accroissaient le total de la dette. déficitaires, écrivait le nouveau président, Bill En 1976, la direction de l’Administration de la O’Neil, dans le rapport annuel pour 1979, les voie maritime soumit au gouvernement un plan résultats de l’an dernier sont assurément une de restructuration de la dette, qui comprenait source de grande satisfaction.» une augmentation des péages—la première En vertu de cette restructuration financière, la depuis 1959—mesure à laquelle l’industrie du Voie maritime était appelée à devenir une société transport maritime s’opposait avec véhémence. d’État financièrement autonome. Mais l’atteinte Un éditorial paru dans le numéro de novembre de cet objectif allait se révéler un défi majeur au 1975 de Canadian Shipping and Marine cours des deux décennies qui suivirent. Les Engineering déclarait: «Depuis des années, volumes de cargaisons déclinèrent de façon Canadian Shipping demande l’abolition des marquée durant la récession du début des péages sur la Voie maritime, estimant qu’ils sont années 1980 et ne retrouvèrent jamais les niveaux punitifs et discriminatoires. Après tout, atteints à la fin des années 1970. Le vieillissement pourquoi la Voie maritime serait-elle traitée de l’infrastructure entraînait un accroissement différemment de la route Transcanadienne? des coûts d’entretien. L’Administration de la voie Toutes deux sont des artères économiques maritime entreprit de réduire les dépenses et vitales et, pourtant, l’une impose des péages, dut, de façon répétée, puiser dans les réserves alors que l’autre ne le fait pas.» liquides qu’elle avait accumulées pendant les En dépit de pareille opposition, le bonnes années pour éviter de devoir faire appel à gouvernement approuva un train de mesures l’aide gouvernementale. qui entrèrent en vigueur le 1er avril 1977. Ottawa Dans ces circonstances, une augmentation convertit 625 millions de dollars de prêts en des péages était inévitable.Ceux-ci furent capital-actions ordinaire détenu par le accrus en 1982 et, de nouveau, en 1983, puis gouvernement fédéral. La Voie maritime devait furent gelés en 1984. L’Administration de la voie verser annuellement un pour cent au Trésor maritime et son pendant américain s’entendirent public à titre de rendement sur le capital pour prolonger ce gel sur la section Montréal-lac investi. Une autre part de 216 millions de dollars Ontario jusqu’à la fin de la saison de 1988. À en intérêts non versés fut transformée en prêt cette date, le canal Welland était devenu une sans intérêt, dont le gouvernement, par la suite, source majeure des déficits annuels de la Voie n’exigea pas le remboursement. Les péages maritime. Il en résulta que les droits d’éclusage furent accrus sur les deux sections de la voie furent rétablis sur le canal Welland en 1982 et navigable à un niveau qui devait permettre de que les péages sur cette section s’accrurent de couvrir les coûts annuels d’exploitation, y 15 pour cent en 1985 et de huit pour cent tant en compris l’amortissement comptable et le un 1987 qu’en 1988. pour cent de rendement sur le capital investi dû À la fin des années 1980, l’Administration de au gouvernement. la voie maritime continuait à réduire les coûts, L’augmentation des péages fut échelonnée mais avait commencé à réfléchir sérieusement sur une période de trois ans, à partir de 1978. aux moyens à prendre en vue d’attirer une Au même moment, la Voie maritime nouvelle clientèle qui lui permettrait d’accroître manutentionnait des volumes records de ses revenus. En 1990, on institua un programme cargaisons. À la fin de la saison de 1979, de péages incitatifs à l’intention des l’Administration de la voie maritime pouvait faire transporteurs maritimes qui utilisaient la voie état d’un niveau de revenus jamais atteint de navigable pour la première fois et on consentit même que d’un surplus de 1,4 million de dollars, des remises aux transporteurs en fonction des le premier de toute l’histoire de la Voie volumes de marchandises acheminés. Par la

6 · L’avenir | 109 même occasion, un nouveau tarif de péages fut péages de moins de deux pour cent, à condition approuvé, qui prévoyait une moyenne que certains objectifs financiers aient été d’augmentations de 5,75 pour cent par an en atteints. Le président de la CGVMSL, Richard 1991, 1992 et 1993. Corfe, note qu’au cours de la première Entre-temps, les États-Unis avaient éliminé décennie qui suivit la commercialisation, les les péages sur leur portion de la Voie maritime péages s’accrurent de 20 pour cent, alors que en 1985, mais ceux-ci furent en réalité l’indice des prix à la consommation avait grimpé remplacés par une taxe d’entretien des ports, de 25 pour cent au cours de la même période. que les sociétés de transport maritime En 2008, la CGVMSL et Transports Canada acquittent chaque fois qu’un de leurs bâtiments ont paraphé une troisième entente de cinq ans, pénètre dans un port américain. Le couvrant la période de 2008 à 2013. Les péages gouvernement canadien continua jusqu’en 1995 sont gelés pour les trois premières années, et le à percevoir les péages auprès des navires gel peut être étendu aux deux années transitant par les deux écluses situées du côté subséquentes si la Voie maritime atteint les américain. Ces revenus étaient remis à la Saint objectifs qu’elle s’est fixés relativement au Lawrence Seaway Development Corporation, recrutement de nouveaux usagers. qui les remboursait aux usagers. «Au cours des dernières années, il nous a Depuis la commercialisation de la voie été possible de proposer aux usagers un navigable, en 1998, la Corporation de Gestion environnement plus prévisible, déclare de la Voie Maritime du Saint-Laurent (CGVMSL) M. Corfe. Les revenus ont couvert chaque est autorisée, en vertu des ententes qui la lient année les coûts d’entretien. Cet état de fait à Transports Canada, à accroître les péages de nous a permis de contribuer au coût de deux pour cent par année.Ces ententes, d’une renouvellement des actifs. Pour les usagers, ces durée de cinq ans chacune, permettaient mesures ont entraîné une situation très stable. également à la Corporation d’accroître les Meilleure que jamais auparavant.»

à manutention à la fois horizontale et verticale, d’acheminement de marchandises située à Erie, en appelés RO/RO et LO/LO (d’après l’anglais roll on, Pennsylvanie. «Mais nous desservons un marché en roll off, load on, load off). La société Great Lakes émergence, et nous comptons remplir le navire. Nous Feeder Lines, installée à Burlington, en Ontario, sommes des pionniers dans le domaine. Il faut prévoyait lancer le premier service régulier de porte- cependant un plus grand nombre de navires de ce conteneurs sur la Voie maritime par un parcours type sur ces eaux si nous voulons que les ports hebdomadaire reliant Halifax, Montréal et Toronto. consentent à investir dans l’infrastructure Le président et chef de la direction, Aldert van nécessaire.» Nieuwkoop, ancien cadre supérieur dans le domaine Upper Lakes, de son côté, a mis en service un du transport maritime en Europe et ancien directeur navire américain, le John Henry, d’une longueur de du marketing à la Voie maritime, déclarait que sa 300 pieds et d’une largeur de 55 pieds, qui peut société allait utiliser à cette fin un navire construit en transporter 3000 tonnes de marchandises. Ce cargo Allemagne et vieux de vingt ans, le Dutch Runner. est muni d’une rampe arrière et d’une rampe avant, Ce bâtiment, qui fait 260 pieds de longueur et 51 ainsi que de deux grues pour charges lourdes, pieds de largeur, peut transporter environ 3000 chacune assez puissante pour soulever ou abaisser tonnes de marchandises. «Ce n’est pas un très gros 450 tonnes de marchandises. Graeme Cook explique navire», explique M. van Nieuwkoop, dont la société qu’Upper Lakes se livrait à une expérience pour bénéficie de l’appui financier d’une firme mettre à l’épreuve le marché. Au début, la société

110 | jenish · La Voie maritime du Saint-Laurent comptait utiliser un remorqueur pour pousser le Une carte montrant les ports partenaires de l’Autoroute H2O. bâtiment, ce qui permettait d’éviter le coût d’y mettre cgvmsl en place un équipage, mais cette situation pourrait changer au gré de l’évolution des affaires. les péages de la Voie maritime contribuent tous à «L’un des problèmes que pose pour nous cette réduire la compétitivité de l’autoroute maritime. De nouvelle génération de navires est que même, des politiques gouvernementales désuètes, l’infrastructure nécessaire est inexistante dans les par exemple, les droits de 25 pour cent imposés sur ports, fait observer M. Cook. C’est la vieille histoire les navires construits à l’étranger, font en sorte qu’il de la poule et de l’œuf. Qui sera le premier à faut une bonne dose de courage quand on songe à consentir des investissements en infrastructure? investir dans de nouveaux services destinés au Devrons-nous d’abord faire nous-mêmes la preuve réseau. La collaboration entre l’industrie et les de l’efficacité du concept?» gouvernements a mené à la création de la Porte L’industrie a fait pression en faveur continentale et du Corridor de commerce Ontario- d’investissements, tant auprès du gouvernement Québec, initiatives qui permettront de procéder à fédéral que des gouvernements provinciaux, et elle l’examen de quelques-uns de ces obstacles. a connu quelques succès dans ces démarches. Mais Alors que la Voie maritime se préparait à bien des obstacles matériels et réglementaires marquer son cinquantenaire, la Corporation était subsistent. Les frais imposés aux usagers pour le occupée à fournir un soutien aux activités dans déglaçage, le dragage et le pilotage, de même que lesquelles était engagée toute l’industrie, à faire le

6 · L’avenir | 111 marketing de l’ensemble du réseau au moyen de la s’apprêtait à aborder le second. La Voie maritime marque Autoroute H2O et à investir dans la se classe assurément parmi les plus grandes technologie afin de faire en sorte de maximiser les entreprises publiques du continent, et elle trouve bénéfices du réseau dans l’avenir. aisément sa place parmi les voies navigables les L’initiative Autoroute H2O avait été lancée plus importantes du monde. Son achèvement, au modestement au printemps de 2003 à l’aide de printemps de 1959, marquait la réalisation d’un rêve, panneaux publicitaires érigés le long des vieux de plusieurs siècles, d’ouvrir le centre autoroutes ontariennes de série 400 pour industriel du Canada et des États-Unis à la promouvoir les avantages environnementaux du navigation de haute mer. transport maritime. Elle est devenue, depuis, la La Voie maritime a transformé l’industrie du pierre d’angle de tous les efforts de promotion de transport maritime sur le Saint-Laurent et les Grands la Voie maritime. L’objectif de la campagne est de Lacs. Elle a ouvert la voie à la création d’une faire valoir que le transport maritime s’intègre nouvelle génération de navires plus gros et plus comme naturellement aux réseaux routiers et performants, conçus spécifiquement pour se glisser ferroviaires. Cette campagne vise aussi à accroître commodément à travers les quinze écluses du le trafic annuel sur le réseau lui-même, de quelque réseau. Elle est une artère vitale qui rend possible le 40 millions de tonnes actuellement à son plein mouvement rentable et ininterrompu de cargaisons potentiel de 60 à 70 millions de tonnes. en vrac depuis l’extrémité ouest du lac Supérieur Entre-temps, les efforts de marketing ont gagné jusqu’au golfe du Saint-Laurent. Elle apporte un tant en étendue qu’en raffinement. De concert avec soutien indispensable, quoique trop souvent passé son partenaire américain, la Saint Lawrence Seaway sous silence, à l’économie des Grands Lacs. Development Corporation, la Corporation a peu à La Voie maritime a le potentiel nécessaire pour peu recueilli l’appui de quarante-quatre parties exercer un impact encore plus important dans intéressées, y compris les autorités des ports des l’avenir. Au moment où elle célèbre son cinquantième principales destinations qui bordent la Voie anniversaire, la Voie maritime des Grands Lacs et du maritime et de tous les transporteurs maritimes. Saint-Laurent fonctionne à environ 60 pour cent de Le contenu du message a également évolué. Le sa capacité. De 40 à 45 millions de tonnes de matériel de promotion attire maintenant l’attention marchandises transitent annuellement sur ses eaux. sur le fait que l’option maritime est le mode de En diversifiant le fret transporté sur le réseau, 25 transport le plus économique en carburant, qu’elle millions additionnels de tonnes de marchandises produit moins d’émissions de gaz à effet de serre, pourraient être acheminées par eau plutôt que par qu’elle occasionne beaucoup moins d’accidents, et voie ferroviaire ou routière. La Voie maritime, ou qu’elle est moins bruyante que les autoroutes et les l’Autoroute H2O, comme l’appellent ses promoteurs, chemins de fer. En outre, les eaux du Saint-Laurent peut réduire l’engorgement routier et la congestion et des Grands Lacs sont une autoroute naturelle. ferroviaire. Elle peut aussi accroître sa contribution Le recours à ce mode de transport peut réduire la vitale à un système de transport plus sécuritaire, plus nécessité de construire de nouvelles routes et écologique et plus viable. Elle représente une lignes de chemins de fer. occasion extraordinaire, qui attend encore d’être pleinement reconnue par les décideurs dans les § Telle se présentait la situation au moment où la capitales politiques de deux pays, de deux provinces Voie maritime des Grands Lacs et du Saint-Laurent et de huit États. achevait son premier demi-siècle d’exploitation et

112 | jenish · La Voie maritime du Saint-Laurent La Voie maritime du Saint-Laurent | Index

Acier, production d’, 53, 55; et Baie-Comeau (Qué.), 53 C anadian Transport, 82 importations, 54; déclin Beaconsfield (Qué.), 15 Canron, 69 (1975), 55; reprise, 55 Beauharnois, canal de, 15, 65, 67 Cansfield, Donna, 23, 24 Acres International, 70 Beauharnois, centrale électrique Cape Breton Miner, 41 Administration de la voie de, 15 Cape Vincent, 16 maritime du Saint-Laurent. Beauharnois, écluses de, voir Cargill, 90, 96 Voir sous «Voie maritime sous «Écluses» Cargaisons, 20, 24 , 49, 58; (organisme)» Belleville (Ont.), 60 céréales, 20, 21, 32, 50–53, 64, Administration de pilotage des Bethlehem Steel, 48 72, 74, 75, 78, 99, 106; minerai Grands Lacs, 89 Birchglen, 100 de fer, 20, 21, 33, 41, 50, 58, Afrique du Nord, 20, 73, 99 Bombardier, 92 53–55, 64; charbon, 20, 21, 41, Agawa Canyon, 42 Borisov, S.A., 51 56, 58, 84; conteneurs, 21, Algocen, 42 Bouchard, Benoît, 77 105–107, 110 Algoma Central, 27, 42–43, 76, 85, Boucle en C, voir sous «Auto- Carryore, 43 90, 96, 100, 101 déchargeurs» Cavotec MoorMaster, 105 Algoma Steel, 55 Brésil, 22 Changement climatique, voir Algobay , 100, 100 Brise-glaces, 59, 60. Voir sous «Réchauffement Algomarine, 14, 24; transit par la également «Coussins d’air…» climatique» Voie maritime, 13–18 Britannia, 29, 30, 31 Charman, Bob, 53 Algoport, 100 Brockville (Ont.), 16 Chengxi Shipyard Co. (chantier Algorail, 42 Brodeur,Tom, 23, 24, 53, 75, 76, naval), 101 Algosoo, 85, 85 100 Chevrier, Lionel, 30, 31, 33, 64, Allis-Chalmers Canada, 61. Voir Brossard, (Qué.), 65 108 également -«Stephens Buffalo (NY), 34, 40 Chicago (IL), 21, 29, 32, 35, 41, 58, Adamson» Brunthaver, Carroll, 52 77, 107 Aluminerie Alouette, 98 Bureau d’embauche du syndicat Chrétien, Jean, 86, 89, 91 American Public Works des gens de mer (Toronto), Cleveland (OH), 21, 34, 53, 62, 98, Association, 19 49 107 Ames, Joe, 13, 17, 18 Campbell, Malcolm, 62, 63, 68 Coffin, Aaron, 27 Anderson, David, 90 Camu, Pierre, 38, 42 , 43–44, 77 Collard, Edgar: Passage to the Ashtabula (OH), 20, 56 Canada Steamship Lines, 22, 23- Sea, 41 Assiniboine, 23, 23 24, 23 , 25, 35–36, 41-42, 53, 59, Collingwood (Ont.), 42, 74 Association des armateurs 61, 62, 73, 75, 84, 90, 100 Collenette, David, 91 canadiens (AAC), 90 Canadian Century, 41 Commission canadienne du blé, Atlantic Huron, 24 Canadian Hunter, 52 53, 73 Augsbury, Frank, 75 Canadien Pacifique, Chemin de Commission mixte Auto-déchargeurs, 24–25, 24, 26, fer, 35 internationale, 88 41, 42, 53 , 60, 75–76, 84, 98, Canadian Olympic, 92 Compagnie pétrolière impériale, 99, 100; boucle en C, 24-25, Canadian Progress, 41 35 25 , 26, 60–61, 60 Canadian Sailings, 90, 91 Contrecœur (Qué.), 34 Autoroute H2O, 21 , 21–22, 24, 102, Canadian Shipping and Marine Cook, Graeme, 100, 106, 110, 111 105, 107, 111, 112 Engineering, 58, 60, 109 Coopers and Lybrand, 80

Index · Acier à Coopers | 113 Corfe, Richard, 21, 22, 24, 28, 88, Eisenhower, 16, 61, 94; French, Carey, 74 96, 97, 97 , 104, 106, 107, 110 Iroquois, 16; Snell, 16; Saint- French River, 42 Cornwall, île, 16 Lambert, 13, 14, 30, 37, 38, 38, Furia, 68, 70 Cornwall (Ont.), 15, 34, 79, 92, 93, 57, 94, 103 ; fonctionnement Gélinas, Johanne, 88 98 d’une, 20. Voir également Georgian Bay, 45 Cornwall Standard-Freeholder, sous «Welland, canal» Globe and Mail , 29, 50, 51, 64, 74 34 Écluses jumelées. Voir sous God Save the Queen, 30 Cour Suprême (E.-U.), 34 Welland, canal Golden Gate, pont, 19 Courtemanche, Ted, 63 Eisenhower, Dwight, 29, 29, 30 Golfe du Saint-Laurent, 18, 79, 98 Coussins d’air, technologie de, 59 34 Gordon C. Leitch, 41 Cresswell, Peter, 42, 76 Eisenhower, Mamie, 29 Gordon, Seth, 13, 26 Crise de 1929, 33, 63 Elizabeth II, 29, 29, 30 Gordon, Peter, 54 Crosbie, John, 71 Elliott, W.T., 46 Gray Herb, 88 Dack, W.L., 55 Émard, Elzéar, 34 Grands Lacs, bassin des, 20, 22 Dalrymple, John, 58 Énergie Nouveau-Brunswick, 84 Great Lakes Commission (É.-U.), Dalzell, Pat, 65–66 English River, 42 77 Davie Shipbuilding, 92 Équipages: composition, 26; Great Lakes Feeder Lines, 110 DeRoche,Ed, 61–62 données démographiques, Great Lakes Waterway Detroit (MI), 21, 34, 40, 53, 107 26; taille, 26; recrutement, 27 Development Association, Detroit-Wayne County Port Érié, lac, 17, 18, 32, 33, 36, 45, 55, 73 Authority, 68 62 Green, Roger, 70 Diefenbaker,John, 29 Espèces exotiques Greenwood’s Guide to Great Diefenbaker, Olive, 29 envahissantes, 87–88 Lakes Shipping,535, 53, 7 Dofasco (Dominion Foundries Étude des Grands Lacs et de la Groupe d’étude sur les Grands and Steel Co.), 41, 54, 54, 55, Voie maritime du Saint- Lacs (Ontario), 64-65 90 Laurent, 87, 101–102, 105 Guerre froide, 77 Dominion Bridge, 67 Expo 67, 14, 34, 44 Hall Corporation of Canada Dominion Marine Association, Fairplay International Shipping (Halco), 42, 75, 99 43, 57, 64, 75 Weekly, 58 Hall, Norman, 74, 90 Dorval (Qué.), 15 Federal Rhine, 99 Hamilton (Ont.), 20, 21, 53, 54, 55, Draenger, Werner, 13–14, 16, 17, 18, Fédération maritime du Canada, 56, 59, 98, 107 26 88 Hamilton, port de, 53 Duffett, Bruce, 49 Fednav International, 90, 96, Hanieski, John, 68 Duluth (MN), 18, 32, 33, 96 99–100 Haut-de-forme (cérémonie dite Dumont, Jacques, 49 Financial Post , 37, 54, 55, 73 du), 22–23, 62, 62 Dutch Runner, 110 First Canadian Place, 54 H.M. Griffith , 61, 62 Eaux de ballast, gestion des, F ort Chambly, 42 Hoover, barrage, 19 87–88 Forum des enjeux stratégiques Horovitz, Aaron, 34 E.B. Barber, 42 de la Voie maritime, 96 Houston (TX), 53 Écluses: Beauharnois, supérieure Foster, Peter, 55 Humberd oc, 31 et inférieure, 15, 15, 57; Côte- Fournier, Michel, 91 Hydro Ontario, 41, 56 Sainte-Catherine, 14, 38, 57; Frank A. Sherman, 41 Île de Montréal, 32

114 | jenish · La Voie maritime du Saint-Laurent Île Sainte-Hélène, 14 Liverpool (Angleterre), 32 Mississippi, fleuve, 73, 84, 106 Inde, 21 Loi maritime du Canada, 91–92 Montréal (Qué.), 13, 13, 14, 15, 16 Industrie morutière (Atlantique), Loi sur l’Administration de la voie 29, 30, 31, 32, 33, 34, 38, 59 26 maritime, 79 Montréal, port de, 13, 24 Iron Ore Company of Canada, Loi sur le transport du grain de Morgan, Dan: Merchants of 33–34 l’Ouest, 73–74 Grain, 51 Jacquez, Albert, 94 Lorain (OH), 85 Morrisburg (Ont.), 44 James Norris, 41 Louis R. Desmarais, 61 Morristown (NY), 16 James Richardson & Sons, 90 Louis Dreyfus, 90 Moule zébrée, 87, 87 Jean Parisien, 61 Luce, A.M., 57, 63 Murray Bay, 42 Jiangnan Shipyard (chantier Macon, 35 Nanticoke (Ont.), 20, 55 naval), 99 Main-d’œuvre:recrutement de Navires: période exceptionnelle John Henry, 110 la, 27; vieillissement de la, 27. d’expansion de la Johnson Jr., Collister, 88 Voir également «Équipages» construction de, 41–43; J.W. McGriffin, 61 Marine Industrie Ltée, 92 «salés», 35, 36, 37, 43; taille Kaministiquia, rivière, 56 Marinsal , 57, 57 des, 23–24, 43, 60–61; Kates, Peat, Marwick & Co., 37 Maritime Magazine, 97 vieillissement des, 41, 43; Kahnawake,Territoire mohawk Martin, Paul, 73 vraquiers c. auto- de, 15 Massena (NY), 44 déchargeurs, 24–26, 76–77. Khrouchtchev Nikita, 50, 51 Massey, Vincent, 31 V oir également «V raquiers»; Kingston (Ont.), 31, 33, 42 Mazankowski, Don, 67 «Auto-déchargeurs»; Kinnear,Jack, 43 McCormack,Dan, 22, 24 «Remorqueurs et barges»; Koski, Henry, 37 McKeil, Blair, 98 noms individuels de navires. Kroon, John, 36 McKeil, Evans, 98 iVoir auss sous «Voie La Ronde, 14 McKeil Marine, 98, 106 maritime» Labrador, 20 McKeil, William, 98 New York Central Railroad, 40 Lachine, rapides de, 32 McKellar, île, 56 Niagara, 23 , 100 McNairn, Bill, 35 Niagara, escarpement du, 16, 18, Lake Michigan, 100 Meaford, 63 28, 32, 38 Lake Ontario, 100 Méditerranée, 20, 106 Nieuwkoop, Aldert van, 110 Lake Superior, 100 Memorial (université) (Terre- Nixon, Richard, 44, 44 Lakeview, cimetière, 39 Neuve), 27 N.M. Patterson & Sons, 42 Lamarre, Bernard, 89 Menihek Lake, 58 Normandeau, Paul, 50, 56–58, 62 Lamarre, Jacques, 89 Mesabi, chaîne de collines Northwest Steamships, 35 Lancaster (Ont.), 14 (É.-U.), 33 Nouvelle-Orléans, La (LA), 53 Laprairie, bassin de, 14 Micmac, 98 Ô Canada, 30 Laurentian, 23 Midland (Ont.), 41, 42 Oberlin, David, 42 Lauzon (Qué.), 42 Midwest (États-Unis), 20 Ogdensburg (NY), 16 Lauzon, Jean-Guy, 81, 84 Mille-Îles, archipel des, 16, 99 Onchulenko, Gene, 53 LBA Consulting Partners, 60 Milwaukee (WI), 29 Ontario, lac, 14, 16, 17, 19, 32, 36, Leclerc, Wilbrod, 91 Misener, 99 39, 40, 45, 68 Leitch, Jack, 40 Misener, Ralph, 49 Ontario Power, 41

Index · Île à Ontario | 115 O’Neil, Bill, 48, 59, 60, 62–63, 64, Privatisation: de l’infrastructure premières tentatives de 64, 73, 77, 79, 109 de transport, 21, 86, 89, 91 navigation sur le, 32–33 Organisation maritime Projet X, 39. Voir également sous Saint Lawrence Seaway internationale, 77, 87 «Welland, canal» Development Corp. (É.U.), Oshima Shipbuilding (chantier Projet Z, 39 20, 21, 22, 42, 65, 77, 80, 88, 91, naval), 99 Protocole de coopération sur le 94, 96, 108, 112 Owen Sound Transportation Co., transport maritime à courte Saint-Louis, lac, 14, 15, 65 35 distance (Canada-É.U.- Saint-Zotique (Qué.), 15 Panama, canal de, 19, 73, 106 Mexique), 107 Sandusky (OH), 56 Panamax (CSL), 84 Québec Cartier Mining, 96 Sault Ste. Marie (Ont.), 44, 53, Parrish & Heimbecker, 99 Québec, ville de, 43 55, 56 Partington, Peter, 23 Queen Elizabeth Way, 39 Scott Misener Steamships, 42, 49 Passerelle (de navire) 13, 17, 18, Quigg, Tom, 63 Seaway Marine Transport, 100 45, 58 Ransome, William H., 58 Seconde Guerre mondiale, 33, Pathy, Laurence, 99–100 Récession: années 1970, 55, 34 Pepin, Jean-Luc, 62 63–64; années 1980, 72–76; Sept-Îles (Qué.), 20, 33, 49, 53, Perry, Arthur, 45 années 1990, 79 84, 98 Pitts Engineering, 69 Réchauffement climatique, 22, Senneville, 46 Playford, Jim, 62 102. Voir également sous Sequeira, Ron, 22 Philip, prince, 29 «Voie maritime» Sharp,Mitchell, 51 Picton (Ont.), 22 Remorqueurs de manœuvre, Shell Canada, 35 Pietz, Alan, 45 56–58, 56, 57, 64 Transport maritime, industrie du: Poe,Robert, 68, 69 Remorqueurs et barges, 98, faillites, 27, 99; stades Pointe-Claire (Qué.), 15 105–106 précoces du développement Pointe-Noire (Qué.), 20, 85, 98 Rimouski, 42 de l’, 32–33; transformation Pont no 15 (canal Welland), 40 Rive Sud, canal de la, 14, 15, 34 de l’, 40-41, 98–101 Port Arthur (Ont.), 42 63 SIA (système d’identification Port-Cartier (Qué.), 20, 45–46, RO/RO, LO/LO, 107, 110 automatique), 94–95, 94 52, 53 Rothwell, Don, 73 Simcoe, 31 Port Colborne (Ont.), 17, 18, 36, Rotterdam (Pays-Bas), 32 Simpson, Cindy, 26 45, 46 Roy A. Jodrey, 42 Sir Denys Lowson, 42 Port Weller (Ont.), 16, 28, 36, 40, Rt. Honorable Paul J. Martin, 23 SNC-Lavalin, 89–90 74 Saguenay , 42, 58 Sommet de la Voie maritime, Port Weller, chantier en cale Saint-François, lac, 15, 65 80 sèche de, 41 Saint-Hubert (Qué.), 29 Spagnol, Lou, 28 Porte continentale et Corridor Saint-Lambert (Qué.), 29 Spru ceglen, 100 de commerce Ontario- Saint-Laurent, fleuve, 13, 14, 16, 20, St. Catharines (Ont.), 22, 26, 28, Québec, 111 27, 29, 31, 32, 33, 34, 35, 51, 52, 42, 49, 63, 73, 79, 93, 95 Prairies, 20, 49, 53, 73, 74 53, 58, 59, 72, 73, 75, 87, 90, 99, St-Régis, île, 16 Prescott (Ont.), 16, 33, 65 100, 101, 102, 105, 112; potentiel Star Spangled Banner, 29 Presse canadienne, La, 65 hydroélectrique du, 33; Steelton, 48, 48

116 | jenish · La Voie maritime du Saint-Laurent Stelco (Steel Company of Union soviétique: délégation H2O»; «Remorqueurs de Canada), 53, 54, 55, 56, 58, commerciale, 50, 51; échec manœuvre»; «Saint 90, 95 des récoltes (années 1960), Lawrence Seaway Stephen B. Roman, 42 50–52; marché conclu sur les Development Corp.»; «Voie Stephens-Adamson, 60, 60, 61 céréales, 50–53; invasion de maritime (voie navigable)» Stevenson, Robert “Louie”, 35, l’Afghanistan/embargo Voie maritime (voie navigable): 40 américain, 64; accidents, 19, 48–49, 48; Stewart, Glendon, 77, 78, 79, 79, démembrement, 77 améliorations apportées à, 80, 81–82, 84, 89, 90, 91, 92, Upper Lakes Shipping, 40, 41, 42, 37–40, 44, 45–48, 55–58, 93 52, 63, 90, 100, 101, 105, 107, 64–65, 93–96, 102–105; Suez, canal de, 106 110 caractère historique de, 30, Summerstown (Ont.), 15 US Steel, 36, 58 44; carte de, 19; Supérieur, lac, 18, 32, 51, 56, 79, Valleyfield, pont de (panne), cinquantième année 84, 98, 112 65–68 d’exploitation de, 18, 111; Swenor, Robert, 90, 94, 96 Vazalinskas, John, 67 concept artistique de, 16; Tadoussac , 22, 24 Venture Fuels, 84 congestion sur, 36–39, 45, 47, Taxe d’entretien des ports (É.-U.), Véronneau, Guy, 92, 92, 93, 94, 53, 65; construction de, 30, 110 95, 96, 104 34–35, 98; effet sur Terre des hommes (exposition), Viken Shipping AS, 100 l’économie, 22, 23, 43–44, 44 Vision 2002, 81–83 46–47, 49, 78; entretien Texaco Canada, 35 Voie maritime (organisme): actif, hivernal de, 22, 27–28, 27, 57; Thorold (Ont.), 39, 49 21, 28, 83; Administration de et l’emploi, 19, 49, 60; et Thunder Bay (Ont.), 14, 18, 20, 32, la voie maritime du Saint- l’environnement, 19, 21–22, 23, 51, 53, 56, 73, 74, 78, 89, 95, 96 Laurent, 21, 37, 45, 46, 58, 60, 87–88, 101–102, 110; et la mise Tibbets Point, 16 64, 77, 79–91 et passim; à niveau des navires, 23–24, Titanic, 35 commercialisation de la, 41–43, 75–76, 98–101, 105–106; Toledo (OH), 20, 56 85–86, 89–91, 102-103, 108–110; et la politique, 33, 34, 44, 61, Toronto Star, 49 Corporation de Gestion de la 86, 89, 111; gestion du trafic, Toronto (Ont.), 21, 33, 49, 54, 56, Voie Maritime du Saint- 38, 86; inauguration de (1959), 107, 110 Laurent, 21, 88, (création de 29–31, 35; longueur de la Towe, Peter M., 61 la) 91, 102–103; grève (1968), saison de navigation, 20, 22, T.R. McLagan, 42 43; marketing, 21, 77, 82, 84, 23, 24, 31, 38, 57–59; marché Transmode Consultants, 74 111–112; missions conclu avec les Soviétiques Trudeau, Pierre, 44, 44, 62 commerciales, 22, 77, 84, 92; sur les céréales, 51–53; Tully, Charles, 40, 46 rapports annuels, 47, 64, 72, péages, 78, 108–111; section Twin Harbors (MN), 58 86, 93, 96; restructuration Montréal-lac Ontario, 19, 22, Un plan pour commercialiser la (années 1990), 80–84, 85, 86, 28, 43, 48, 64, 65, 84, 85, 86, Voie maritime du Saint- 91–93; système de gestion 96, 102, 104; sécurité de, 19, Laurent, 89 des infrastructures (1996), 28, 23, 28, 44; tonnage, 20, 31, 37, Union européenne, subventions 102–103; site Web, 95. Voir 38, 48, 50, 51, 56, 58, 61, 64, de l’, 74 également «Autoroute 72, 84, 88, 91, 96, 98, 100, 105;

Index · Stelco à Voie | 117 triomphe d’ingénierie, 19, 47; volumes de trafic, 20, 31, 43, 45, 51, 55–56, 64–65, 72, 73, 74, 81–82, 84, 85, 93, 96, 101. Voir également «Autoroute H2O»; «Cargaisons»; «Écluses»; «Main-d’œuvre»; «Navires»; «Remorqueurs de manœuvre»; «Voie maritime (organisme)»; «Welland, canal» Voie maritime des Grands Lacs et du Saint-Laurent (voie navigable). Voir «Voie maritime» Vraquiers, 24, 25–26, 41, 75–76, 98, 99, 100, 101 Welland, canal, 16, 17, 17, 18, 27, 28, 36–39, 42, 43, 45, 48, 48, 56, 57, 57, 58, 59, 62 , 64, 65, 69, 84, 85, 86, 92; construction du, 19, 32–33; expansion du (années 1960), 37–38; canal de détournement, 39–40, 45–48, 46 , 63; écluse 1, 17, 28, 39, 49; écluse 2, 18, 28, 39, 62; écluse 3, 18, 22, 39, 49, 62, 71; écluses jumelées (nos 4–6), 17, 18, 39; écluse 7, 18, 36, 39, 59; écluse 7, effondrement, 68–72, 103; écluse 8, 18; programme de réhabilitation (1986), 70, 71–72; projet de renouvellement des actifs (2003–2008, 2008–2013), 102–105 Welland (Ont.), 18, 40, 45–48, 45 Whitefish Bay, 42 Whittington, Mike, 103 Wight, Greg, 101 Young, Doug, 89, 90

118 | jenish · La Voie maritime du Saint-Laurent La Voie maritime du Saint-Laurent : Cinquante ans et l’avenir à nos portes a été conçu et composé par Dennis Choquette à l’hiver 2009. Il a été imprimé, cousu à la machine Smyth et relié par Tri-Graphic, Ottawa. Le caractère de labeur est Neutra, 12/15; le caractère d’affiche est Cartier. Le papier est HannoArt, 100lb.