Editorial Board / Comité de rédaction

Editor-in-Chief Rédacteur en chef

Robert S. Schwartzwald, University of Massachusetts Amherst, U.S.A.

Associate Editors Rédacteurs adjoints

Claude Couture, Faculté St-Jean, Université de l’Alberta, Marta Dvorak, Université de Paris III, France Daiva Stasiulis, Carleton University, Canada

Managing Editor Secrétaire de rédaction

Guy Leclair, ICCS/CIEC, Ottawa, Canada

Advisory Board / Comité consultatif

Malcolm Alexander, Griffith University, Australia Rubén Alvaréz, Universidad Central de Venezuela, Venezuela Shuli Barzilai, The Hebrew University of Jerusalem, Israël Raymond B. Blake, University of Regina, Canada Nancy Burke, University of Warsaw, Poland Francisco Colom, Consejo Superior de Investigaciones Científicas, Spain Beatriz Diaz, Universidad de La Habana, Cuba Giovanni Dotoli, Université de Bari, Italie Eurídice Figueiredo, Universidade Federal Fluminense, Brésil Madeleine Frédéric, Université Libre de Bruxelles, Belgique Naoharu Fujita, Meiji University, Japan Gudrun Björk Gudsteinsdottir, University of Iceland, Iceland Leen d’Haenens, University of Nijmegen, Les Pays-Bas Vadim Koleneko, Russian Academy of Sciences, Russia Jacques Leclaire, Université de Rouen, France Laura López Morales, Universidad Nacional Autónoma de México, Mexico Jane Moss, Romance Languages, Colby College, U.S. Elke Nowak, Technische Universität Berlin, Germany Helen O’Neill, University College Dublin, Ireland Christopher Rolfe, The University of Leicester, U.K. Myungsoon Shin, Yonsei University, Korea Jiaheng Song, Université de Shantong, Chine Coomi Vevaina, University of Bombay, India Robert K. Whelan, University of New Orleans, U.S.A. The International Journal of Canadian Paraissant deux fois l’an, la Revue Studies (IJCS) is published twice a year internationale d’études canadiennes by the International Council for (RIÉC) est publiée par le Conseil Canadian Studies. Multidisciplinary in international d’études canadiennes. scope, the IJCS is intended for people Revue multidisciplinaire, elle rejoint les around the world who are interested in the lecteurs de divers pays intéressés à l’étude study of Canada. The IJCS publishes du Canada. La RIÉC publie des numéros thematic issues containing articles (20-30 thématiques composés d’articles (20-30 pages double-spaced), research notes pages, double interligne), de notes de (10-15 pages double-spaced) and review recherche (10-15 pages, double interligne) et essays. It favours analyses that have a d’essais critiques, et privilégie les études broad perspective and essays that will aux perspectives larges et les essais de interestareadershipfromawidevarietyof synthèse aptes à intéresser un vaste éventail disciplines. Articles must deal with de lecteurs. Les textes doivent porter sur le Canada, not excluding comparisons Canada ou sur une comparaison entre le between Canada and other countries. The Canada et d’autres pays. La RIÉC est une IJCS is a bilingual journal. Authors may revue bilingue. Les auteurs peuvent submit articles in either English or French. rédiger leurs textes en français ou en Individuals interested in contributing to the anglais. Toute personne intéressée à IJCS should forward their papers to the collaborer à la RIÉC doit faire parvenir IJCSSecretariat,alongwithaone-hundred son texte accompagné d’un résumé de word abstract. Beyond papers dealing cent (100) mots maximum au secrétariat directly with the themes of forthcoming de la RIÉC. En plus d’examiner les textes issues, the IJCS will also examine papers les plus pertinents aux thèmes des numéros à not related to these themes for possible paraître, la RIÉC examinera également les inclusion in its regular Open Topic section. articles non thématiques pour sa rubrique All submissions are peer-reviewed; the Hors-thème. Tous les textes sont évalués par final decision regarding publication is des pairs. Le Comité de rédaction prendra la made by the Editorial Board. The content décision finale quant à la publication. Les of articles, research notes and review auteurs sont responsables du contenu de essays is the sole responsibility of the leurs articles, notes de recherche ou essais. author. Send articles to the International Veuillez adresser toute correspondance à la Journal of Canadian Studies, 75 Albert Revue internationale d’études canadiennes, Street, 908, Ottawa, CANADA K1P 5E7. 75, rue Albert, 908, Ottawa, CANADA For subscription information, please see K1P 5E7. the last page of this issue. Des renseignements sur l’abonnement se The IJCS is indexed and/or abstracted in trouvent à la fin du présent numéro. America: History and Life; Canadian Les articles de la RIÉC sont répertoriés Periodical Index; Historical Abstracts; et/ou résumés dans America: History and International Political Science Abstracts; Life;CanadianPeriodicalIndex;Historical and Point de repère. Abstracts; International Political Science ISSN 1180-3991 ISBN 1-896450-25-3 Abstracts et Point de repère. © All rights reserved. No part of this ISSN 1180-3991 ISBN 1-896450-25-3 publication may be reproduced without © Tous droits réservés. Aucune repro- the permission of the IJCS. duction n’est permise sans l’autorisation The IJCS gratefully acknowledges a grant de la RIÉC. from the Social Sciences and Humanities La RIÉC est redevable au Conseil de Research Council of Canada. recherches en sciences humaines du Canada qui lui accorde une subvention.

Cover: Artwork by Simon Brascoupé. Couverture : tableau de Simon Brascoupé. International Journal of Canadian Studies Revue internationale d’études canadiennes

27, Spring / Printemps 2003

Transculturalisms Les transferts culturels

Table of Contents / Table des matières

Robert Schwartzwald Introduction / Présentation ...... 5 Roland Walter Between Canada and the Caribbean: Transcultural Contact Zones in the Works of Dionne Brand ...... 23 Józef Kwaterko L’américanité : voies du concept et voix de la fiction au Québec et dans la Caraïbe...... 43 Daniel Chartier Une voix parallèle de la fin du XIXe siècle au Québec : SuiSinFar...... 61 Simon Harel et Mathieu-Alexandre Jacques L’écrivain-témoin : déplacements, transferts culturels et expérience de l’habitabilité dans les romans d’exil d’Émile Ollivier ...... 77 Sherry Simon Hybridity Revisited: St. Michael’s of Mile End ...... 107 Sirma Bilge La construction politique de l’ethnicité et les enjeux de la représentation de la « communauté » à travers l’étude d’une fête turque à Montréal ...... 121 Claire Poitras La nouvelle économie à la rescousse des métropoles industrielles. Analyse comparée des stratégies publiques à Montréal et à Glasgow...... 149

International Journal of Canadian Studies / Revue internationale d’études canadiennes 27, Spring / Printemps 2003 International Journal of Canadian Studies Revue internationale d’études canadiennes

Ravi de Costa Treaties in : The Search for a New Relationship...... 173

Research Note / Note de recherche Margery Fee The Sapir-Whorf Hypothesis and the Contemporary Language and Literary Revival among the First Nations in Canada ...... 199

Review Essays / Essais critiques Stéphane Kelly Mémoire, politique et nation au Québec ...... 211 Charlotte Sturgess Between the Imaginary and the Real: Cultural Encounters in Northern Space...... 221 Graciela Martínez-Zalce Borders North of the Americas: Transcultural Spaces of Changing Identities...... 229 Zilá Bernd Les métamorphoses comme figures de l’américanité ...... 255 Barbara Pell Contemporary Canadian Religious Novels: Postmodern Faith and Fiction ...... 265

Tribute / Hommage Dorit Naaman Edward Saïd (1935-2003) The Gift of a Public Intellectual ...... 279

Authors / Auteurs ...... 283

Canadian Studies Journals Around the World Revues d’études canadiennes dans le monde ...... 285

4 Introduction Présentation

When the International Journal of Lorsque la Revue internationale Canadian Studies published a d’études canadiennes a publié un theme issue on “Post-Canada” one numéro thématique sur le year ago, my Introduction noted « Post-Canada », ilyaunan,je how surprised and intrigued we remarquais dans ma présentation à Editors were that the overwhelming quel point nous, les rédacteurs de la majority of submissions interpreted Revue, avions été surpris et intrigués the post of our topic as de noter que l’immense majorité des post-colonial: “In our post dossier,” auteurs des textes reçus avaient I wrote, “Canada is not so much interprété ce post comme une (an) exemplary entity (…) as it is référence au post-colonialisme : itself subjected to destabilizing « Dans notre dossier post », comme analyses: Here is Canada in je l’écrivais à ce moment-là, « le struggle with its colonial-settler Canada n’est pas tellement l’entité past; faced with contemporary exemplaire qui se représente au internal challenges for recognition monde à travers l’élaboration de by its subaltern, internal Others; telles théories qu’il n’est lui-même and precariously situated in its l’objet d’analyses déstabilisantes. relations of interdependence and Ici, le Canada est en lutte avec son hegemony in a newly configured passé colonial et colonisateur, global conjuncture” confronté à des défis internes (Schwartzwald, 5). This critical contemporains et à son désir de stance has been carried through by reconnaissance par ses Autres the contributors to our current subalternes et internes, et installé issue, but with one major dans une situation précaire dans ses difference: this time, five of the relations d’interdépendance et eight articles in our thematic d’hégémonie à l’intérieur d’une dossier are in French, while in conjoncture mondiale qui vient “Post-Canada,” all were in English. d’assumer une figure nouvelle. » As Cynthia Sugars notes in her (Schwartzwald, 5). Cette attitude contribution to “Post-Canada,” “the critique a été maintenue par les term postcolonial is not generally auteurs qui ont contribué au présent used in the study of Québécois numéro, à une importante différence literature and culture. Although près, toutefois : cette fois-ci, cinq there are obvious overlaps in des huit articles que comprend notre contemporary postcolonial theory, dossier thématique sont rédigés en these debates are more commonly français, tandis que dans « Post- staged in terms of la transculture, Canada », tous les textes étaient en or l’identitaire,orl’écriture anglais. Comme le note Cynthia migrante” (Sugars 35). With the Sugars dans sa contribution à « Post- current issue of the Journal,we Canada », « le terme même de now have l’autre volet,–the putting post-colonial n’est pas généralement into play, as it were–of what utilisé dans les études portant sur la Sugars’ respectful distinction calls littérature et la culture québécoises. “the vectors of convergence that En dépit de recoupements évidents may obtain in cultural debates.” avec la théorie postcoloniale

International Journal of Canadian Studies / Revue internationale d’études canadiennes 27, Spring / Printemps 2003 International Journal of Canadian Studies Revue internationale d’études canadiennes

Indeed, what we find throughout our contemporaine, ces débats sont plus dossier on transculturalism is a généralement mis en scène en termes common concern to eschew de débat sur la transculture, “euphoric” or exclusively l’identitaire, ou l’écriture migrante » celebratory claims. This is as true for (Sugars 35). Or, voici que le numéro the opening article by Roland Walter actuel de la revue nous présente as it is for Józef Kwaterko, Simon aujourd’hui l’autre volet — la mise Harel and Mathieu-Alexandre en scène, si l’on veut — de ce que Jacques, Daniel Chartier, and Sherry Sugars, dans ses distinctions Simon. In the articles by Sirma respectueuses, appelle « les vecteurs Bilge, Claire Poitras, and Ravi de de la convergence qui peuvent Costa, we have case studies of émerger dans les débats culturels ». resistances and asymmetries in De fait, ce que nous retrouvons situations where triumphalist or partout dans le présent dossier sur apologetic conclusions about les transferts culturels se ramène à processes of transculturation are une préoccupation commune de obviated by crucial disequilibriums renonciation aux prétentions of power. « euphoriques » ou exclusivement célébratoires. C’est tout aussi vrai du Roland Walter’s article does us the premier texte, de Roland Walter, que immense service of reviewing the de ceux de Józef Kwaterko, de origins of the term transculturalism Simon Harel et Mathieu-Alexandre in the work of Cuban writer Jacques, de Daniel Chartier et de Fernando Ortiz in the 1940s, as well Sherry Simon. Dans les articles de as the plethora of concepts Sirma Bilge, de Claire Poitras et de associated with it. This is a useful Ravi de Costa, nous trouvons des place to begin, especially since études de cas sur la résistance et les Walter follows up with a pertinent asymétries dans des situations où des critique of Ortiz’s emphasis on conclusions triomphalistes ou acculturation and neoculturation, apologétiques sur des processus de seeing these as the twin poles of an transferts culturels sont obviés dans all too linear and ultimately closed des déséquilibres cruciaux du trajectory. Walter is more interested pouvoir. in the space of in-betweeness, not simply as a place of transit from one Dans son article, Roland Walter home to another, but as a space in nous rend l’immense service de se which old homes are rememorialized pencher sur les origines mêmes de and new ones refigured in a process l’expression « transculturalisme », of reculturation. Elsewhere, Diana dans l’œuvre de l’écrivain cubain Brydon has noted how “Black des années quarante Ferdinando Canadian writing sometimes Ortiz, et fait valoir la grande reroutes the black Atlantic discourse abondance de concepts qui y sont of Gilroy and others to stress associés. Il nous offre ainsi un point settlement and the putting down of de départ utile, et d’autant plus qu’il new roots in Canada…but always in fait suivre cette discussion d’une such a way as to alter Canadian critique pertinente de l’accent space and the established discourse qu’Ortiz met sur l’acculturation et la of the nation:” (Brydon 120, my néoculturation, où il n’hésite pas à voir les deux pôles jumeaux d’une

6 Introduction Présentation emphasis). When Walter turns to a trajectoire trop linéaire et close analysis of two novels by ultimement fermée. Walter est Dionne Brand he likewise sees in her davantage intéressé par l’espace de work a quasi-performative l’entre-deux, considéré non reordering of national space. For seulement comme un lieu de passage Walter, Brand’s characters dwell in d’un chez soi à l’autre, mais comme an asocial, unconscious space un espace à l’intérieur duquel les between the Caribbean and Canada, vieux chez soi sont remémorés et les and it is her writing of them that nouveaux chez-soi refigurés dans le transforms “cultural in-betweeness cadre d’un processus de as an unconscious, liminal state into reculturation. Ailleurs, Diane a synthetic transcultural home within Brydon note comment « l’écriture language–a home characterized by des Noirs au Canada réachemine relations in which cultural parfois le discours de l’Atlantique differences are not sublated as they noire de Gilroy et d’autres pour flow together into new forms.” insister sur l’établissement et l’enracinement au Canada… mais Józef Kwaterko focuses on relations toujours de telle façon que l’on between Quebec and Caribbean puisse altérer l’espace canadien et le literatures, advancing an argument discours établi (established)dela for the special pertinence of literary nation. » (Brydon 120, c’est moi qui texts in assessing the work of souligne). Quand Walter se livre à cultural transfer: “A literary type of une analyse approfondie de deux reading would give us the advantage romans de Dionne Brand, lui aussi of situating this inter-American voit dans l’œuvre de cette dernière problematics outside of the un réordonnancement quasi- conceptual realm properly speaking, performatif de l’espace national. undermined by false alternatives and Pour Walter, les personnages de ideological overstatements, so as to Brand résident dans un espace observe how fiction (as well as the asocial, inconscient qui se situe writer’s cultural imaginary) both quelque part entre les Antilles et le assimilate and aesthetically reshape Canada, et c’est son écriture de ces the ideologems and the topoi that personnages qui transforme narrate American in social « l’entre-deux culturel considéré discourse.” More broadly, Kwaterko comme un état liminal, inconscient is concerned with the specific en un chez soi synthétique et articulations américanité has transculturel situé à l’intérieur même received as it contends for discursive du langage — un chez soi que hegemony in debates over the caractérisent des relations à trajectory of Quebec’s cultural l’intérieur desquelles les différences identity. Despite their best culturelles ne sont pas intentions, Kwaterko suggests, the “hypostasiées” lorsqu’elles se proponents of américanité in its moulent ensemble dans des formes predominant formulations inevitably nouvelles ». privilege acculturation and alienation over dynamic processes of Pour sa part, Józef Kwaterko se neo- and reculturation by positing concentre sur les relations que l’on the future as a return, or recovery, of peut établir entre les littératures an idealized past that has been lost, québécoise et antillaise. Il formule

7 International Journal of Canadian Studies Revue internationale d’études canadiennes

even if they do so not through the un argument en faveur de la old essentialisms of language, faith, pertinence particulière des textes and institutions, but through a newly littéraires en évaluant les conditions formulated “specificity” of the de la mise en œuvre des transferts Americas that excludes or culturels:«L’avantage d’une disqualifies European and United lecture de type littéraire serait de States influences (the latter often pouvoir situer cette problématique referred to as américanisation). interaméricaine hors du champ Kwaterko argues for a dynamic proprement conceptuel, miné par de concept of américanité that, far from fausses alternatives et des being an identitary quest, would be surenchères idéologiques, afin “a mode of knowledge about the d’observer comment la fiction (et changing and paradoxical character l’imaginaire culturel de l’écrivain) à of the American ‘real’.” la fois absorbe et retravaille esthétiquement les idéologèmes et In Daniel Chartier’s essay on the les topoi qui narrent l’Amérique Montreal-born writer Sui Sin Far– dans le discours social. » Plus born Edith Eaton of an English largement, Kwaterko se soucie des father and a Chinese mother–the articulations particulières dont stakes of such a dynamic concept l’américanité a hérité dans ses become apparent for literary history efforts pour gagner l’hégémonie today. Sui lived and wrote in discursive dans les débats qui ont Montreal at the same time as the entouré la trajectoire de l’identité supremely canonized École littéraire culturelle québécoise. Kwaterko de Montréal, whose personalities suggère que, en dépit de leurs included Quebec’s own poète meilleures intentions, les partisans maudit, Émile Nelligan, but her de l’américanité dans ses relationship to this group was one of formulations prédominantes sont “non-coincidence.” Chartier inévitablement amenés à privilégier surmises how the paths of these l’acculturation et l’aliénation par writers must have literally crossed, rapport aux processus dynamiques but whereas the École went on to de néoculturation et de reculturation occupy a watershed place in Quebec en posant l’avenir comme un retour, literary history, Eaton’s presence ou une reprise, d’un passé idéalisé failed to receive any recognition qui a été perdu, et ce même within the Quebec literary lorsqu’ils se refusent à recourir aux institution. Recovered in recent vieux essentialismes du langage, de decades in the United States by la foi et des institutions, mais feminist literary scholars, her préfèrent invoquer une newfound presence poses a « spécificité » récemment challenge to how the contemporary reformulée des Amériques qui exclut literary institution in Quebec will ou disqualifie les influences regard its “atypical” writers. Sui Sin européennes et étasuniennes (dans Far’s observations on gender and ce dernier cas, on préférera parler class diversity in Montreal’s Mile d’américanisation). Kwaterko End, for example, and her decision préconise un concept dynamique to forego the fashionably exoticizing d’américanité qui, loin d’être une literary adventures of her sister, who quête de l’identité, constituerait « un mode de connaissance du caractère

8 Introduction Présentation assumed a Japanese persona, changeant et paradoxal du réel uncannily place her in proximity to américain ». those whose recent work on heterogeneity and hybridity in Dans l’article de Daniel Chartier sur Montreal have been redefining its l’écrivaine Sui Sin Far — née Edith imaginaire. Pierre Anctil, Esther Eaton, à Montréal, d’un père anglais Trépannier, and Sherry Simon, for et d’une mère chinoise — les enjeux example, have done much to bring d’un tel concept dynamique pour into relief a lively Yiddish literary l’histoire littéraire telle qu’elle est and Jewish artistic scene that pratiquée aujourd’hui ressortent characterized Montreal in the clairement. Sui vivait et écrivait à decades of the mid-20th century. Montréal durant la même période Simon has suggested that the recent que l’École littéraire de Montréal, translation and publication of soit une institution depuis lors Yiddish poetry in French are a suprêmement canonisée, à laquelle symptom of a changing relationship appartenait, entre autres, le propre of forces wherein the francophone poète maudit du Québec, Émile majority, rather than insulating itself Nelligan, mais la relation qu’elle from parallel cultural expressions, entretenait avec ce groupe en était now incorporates them in a une de « non-coïncidence ». Chartier confident process of self-redefinition spécule sur la façon dont les that dynamizes once solid notions of cheminements littéraires de ces the national community. écrivains doivent s’être croisés, mais, tandis que l’École a fini par Simon Harel and Mathieu-Alexandre jouer un rôle de point tournant dans Jacques’ provocative essay l’histoire littéraire du Québec, articulates another cautionary l’institution littéraire québécoise ne position against insouciant assertions s’est, quant à elle, jamais souciée de of transculturalism that, in their reconnaître la présence d’Eaton en haste to celebrate a newly hybridized son sein. Redécouverte depuis subject, would repress “the painful quelques décennies aux États-Unis sensoriality of the diasporic world.” par des chercheures féministes Through a consideration of the work spécialisées dans les études of Haitian-born Quebec writer Émile littéraires, Eaton / Sui Sin Far est Ollivier, the authors see in the act of une auteure dont la présence writing an attempt to work through retrouvée nous pose un défi en ce the traumatisms of displacement. If qui a trait à la façon dont Walter reminds us that displacement, l’institution littéraire contemporaine like transculturation itself, “is a québécoise envisage ses écrivains et double sign of loss and suffering ses écrivaines « atypiques ». Les (…) and empowerment,” Harel and remarques formulées par Sui Si Far Jacques’ psychoanalytically au sujet, par exemple, de la diversité informed interpretation of this des sexes et des classes sociales dans dynamic places the emphasis very le quartier du Mile End de Montréal much on migrant literature’s et sa décision de renoncer à des singular ability to repeat and aventures littéraires exotisantes et à re-enact the subject’s traumatic la mode comme celles auxquelles se separation from an originary place. livrait sa sœur, qui se faisait In Ollivier’s writing the authors see volontiers passer pour japonaise,

9 International Journal of Canadian Studies Revue internationale d’études canadiennes

a work of mourning for the loss of font qu’elle entretient une relation love that ties each exile to the étrangement proche avec ceux et mother. What this practice suggests celles dont les travaux récents sur to Harel and Jacques is the l’hétérogénéité et l’hybridité à importance of the lieu habité,or Montréal ont permis de redéfinir inhabited place, in shaping accounts l’imaginaire montréalais. Pierre of nomadism and exile. The rub is Anctil, Esther Trépanier et Sherry that this inhabited place is one that Simon, pour ne citer qu’eux, ont inhabits us, and thus not so easily beaucoup fait pour faire valoir la disposed of through acts of scène artistique et littéraire juive et ontological voluntarism: “Space yiddish très animée qui caractérisait forces itself on us against our own le Montréal des décennies du milieu will” and haunts the ways in which du 20e siècle. Simon a suggéré que we are able to process and integrate la traduction et la publication récente new cultural phenomena. de poèmes yiddish en français constituent un symptôme de For Sherry Simon, it is hybridity,a l’évolution d’un rapport de forces où key concept in the repertory of la majorité francophone, au lieu de transculturation, that must become s’isoler des expressions culturelles “not a banner but an exploratory parallèles aux siennes, s’est au device.” Like Walter, she contraire mise à se les incorporer distinguishes between hybridity and dans un esprit confiant heterogeneity, in effect seeking to d’autoredéfinition qui dynamise des provide a variegated appreciation of notions — jadis considérées comme what Chartier and Kwaterko also immuables — de la communauté refer to as non-coincidence. nationale. Focusing her discussion on the Church of St. Michael the Archangel Dans leur article provocateur, Simon in Montreal’s Mile End Harel et Mathieu-Alexandre Jacques neighbourhood, Simon first articulent une autre position qui vise considers the structure’s imposing à nous mettre en garde contre les presence on the urban landscape. affirmations insouciantes des Then, by taking us inside, she is able transferts culturels qui, dans leur to both explicate the Church as an hâte de célébrer un nouveau sujet expression of the evolution of the hybride, n’hésiteraient pas à neighborhood and of its réprimer « la sensorialité contemporary cultural diversity. douloureuse du monde Diachronically, the Church achieves diasporique ». En étudiant les the “artful combination of forms” œuvres d’Émile Ollivier, écrivain that, in a context that valorizes québécois né en Haïti, les auteurs de cultural exchange and ce texte voient dans l’acte d’écrire interpenetration, marks the une tentative d’émerger des successful performance of the traumatismes du déplacement. Si hybrid. A tour of its various Walter nous rappelle que le religious symbols and disparate déplacement, à l’instar des transferts decor reminds us, however, that such culturels, « constitue un double hybrid moments are provisional and signe de perte et de souffrance (…) privileged; at any time–and perhaps et de prise en charge », l’interprétation de Harel et de

10 Introduction Présentation even at this moment–demographic Jacques, informée par la changes and the socio-economic and psychanalyse, met très fortement identitarian shifts they register risk l’accent sur la capacité singulière de disassembling this provisional la littérature migrante de répéter et hybridity into a disjointed, de reprendre la séparation heterotopic space. Here the traumatique du sujet du lieu originel. constitutive elements may contend Dans l’écriture d’Ollivier, les with each other anew and auteurs voient une œuvre de deuil, le reassemble in unpredictable ways. deuil d’un amour qui lie chaque exilé à la mère. Cette pratique “Cities,” Simon asserts, “offer suggère à Harel et à Jacques different models of interaction than l’importance du rôle joué par le those imposed by national frames.” « lieu habité » dans le façonnement In this volume, we might add, it is des comptes-rendus du nomadisme not a question of just any city, but of et de l’exil. Là où le bât blesse, c’est one in particular. Montreal, in one que ce lieu habité est surtout un lieu way or another, is of concern to six qui « nous habite », et donc un lieu of our eight theme articles and dont on ne peut pas facilement se central to half of them. What is it débarrasser en posant des actes de about Montreal that gives it this volontarisme ontologique : singular position? To say it is « L’espace s’impose à notre corps diversity or multiculturalism would défendant » et hante les façons dont be saying very little, since there are nous sommes capables de traiter et Canadian cities that are as d’intégrer de nouveaux phénomènes statistically multicultural, or more culturels. so, than Montreal. Perhaps it is something else–what Simon calls the Pour Sherry Simon, c’est l’hybridité, double consciousness of living in a un concept clé du répertoire des permanent state of haunting by a transferts culturels qui doit devenir proximate second language, of not « non pas une bannière mais un having the “luxury” of a single dispositif exploratoire ». À l’instar normative linguistic code, of being de Walter, elle formule une reminded instead at every turn of the distinction entre l’hybridité et provisional and relational aspects of l’hétérogénéité, cherchant ainsi à language by virtue of there being a nous donner une appréciation second code through which to filter bigarrée de ce que Chartier et cultural phenomena. In other words, Kwaterko appellent également la there is no single, coherent non-coïncidence. En concentrant son hegemony in Montreal through propos sur l’Église Saint-Michel which relations between language, Archange du quartier du Mile End culture, and politics have become de Montréal, Simon montre d’abord easily aligned and naturalized. This comment l’édifice domine le also complicates and intensifies paysage urbain. Puis, en nous faisant relations between the established pénétrer à l’intérieur, elle est en historical communities and those mesure de nous expliquer l’Église newly arrived. In Sirma Bilge’s comme expression à la fois de essay, we learn about how a l’évolution du quartier et de sa relatively small immigrant diversité culturelle contemporaine. community, Turks in Montreal, Sur le plan diachronique, l’église

11 International Journal of Canadian Studies Revue internationale d’études canadiennes negotiate issues of representation parvient à réaliser une and cultural value through a « combinaison élégante de formes » traditional children’s festival. How qui, dans un contexte qui valorise les do these issues express themselves échanges culturels et in relation to the Turkish l’interpénétration des cultures, community, to the citizenry of marque l’exécution réussie de Montreal community at large, and l’hybride. En même temps, un even to Turkey itself? Bilge shows examen de ses divers symboles how the Festival serves as a form of religieux et de son décor disparate insertion/inscription into the new nous rappelle que des moments society; the social actors in this d’hybridité comme ceux-là ne sont drama are caught between a desire to que provisoires et privilégiés; en tout embrace Canadian pluralism–federal temps — et peut-être même au multiculturalism and Quebec’s moment présent — des changements interculturalism–on the one hand démographiques, et les and, on the other, the equally déplacements socio-économiques et pluralistic expectation by Armenians identitaires dont ils témoignent in Montreal that the genocide of risquent de démonter cette hybridité 1915 be commemorated beyond the provisoire, en la transformant en un community and acknowledged by espace disjoint et hétérotopique. the municipal, provincial, and Aussi les éléments constitutifs sont à federal governments, and thus nouveau aux prises les uns avec les incorporated into Canada’s cultural autres et pourraient se réassembler memory. This proposed form of suivant des schèmes imprévisibles. cultural transfer is resisted by the Turkish community over and above « Les villes », soutient Simon internal ethnic and class differences « nous offrent d’autres modèles and recurrently poses the question of d’interaction que ceux qu’imposent how it wishes to be represented: les cadres nationaux ». Dans le would featuring traditional dress, for présent numéro, pourrions-nous example, be taken by others as a ajouter, il n’est pas question de valorization of authenticity, or an n’importe quelle ville, mais d’une expression of “backwardness”? In ville en particulier. Montréal, d’une the current international political façon ou d’une autre, préoccupe les conjuncture, such questions become auteurs de six de nos huit articles particularly acute. thématiques et se situe au cœur même de la moitié de ceux-ci. Claire Poitras’ essay gives cultural Qu’est-ce qui, caractérisant transfer a whole new meaning in its Montréal, peut lui conférer une comparative study of Montreal and position si singulière? Ce serait dire Glasgow, two former industrial peu de chose que de répondre « la giants that have, in recent years, diversité » ou « le multicultu- sought to refashion themselves for ralisme », car on pourrait the 21st century by privileging the mentionner un certain nombre tertiary sector, and cultural d’autres villes canadiennes qui, d’un industries in particular. This has point de vue statistique, sont aussi taken place both through large-scale multiculturelles que Montréal, ou urban renewal and the rehabilitation même davantage. Peut-être s’agit-il de quelque chose d’autre — de ce

12 Introduction Présentation of abandoned districts, as well as the que Simon appelle la double scheduling of festivals and large conscience de vivre dans un état expositions across the full range of permanent de hantise par une the arts. In both cases, deuxième langue si proche, de ne supra-municipal levels of pas avoir le « luxe » de pouvoir government have intervened in ways disposer d’un code linguistique that went very much against the normatif unique et ce du fait qu’il y neo-liberal ethos of the period. a un deuxième code à travers lequel Poitras provides a detailed balance on peut filtrer des phénomènes sheet of these interventions, with culturels. En d’autres termes, il special consideration of the extent to n’existe pas, à Montréal, une which it has been possible to hégémonie unique et cohérente en respond to the exigencies of vertu de laquelle les relations entre economic and cultural globalization les langues, les cultures et les while meeting the needs of the local opinions politiques se seraient populations, particularly those facilement alignées et donc sectors that have been hardest hit by naturalisées, un phénomène qui à la deindustrialization. The gulf, she fois complique et intensifie les suggests, remains quite wide, with relations entre les communautés the transfer of cultural assets historiques bien établies et les benefitting mainly professional class nouveaux arrivants. C’est ainsi que layers, tourists, and outside dans l’article de Sirma Bilge, nous investors. apprenons comment une communauté immigrante In our final theme article, Ravi de relativement petite, les Turcs de Costa examines the process of new Montréal, se sert d’un festival treaty writing in British Columbia. traditionnel pour négocier des At the outset, the purported objective questions de représentation et de of this process was the valeur culturelle. Comment ces decolonization of the relationship questions s’expriment-t-elles à between Aboriginal peoples and the travers le Festival des enfants dans federal and provincial governments ses rapports avec la communauté in the name of “recognition, respect, turque et aux yeux de l’ensemble de and justice.” With such la population montréalaise et même self-proclaimed objectives, it might du point de vue de la Turquie be assumed that this would be an elle-même? Sous cet éclairage, le occasion to witness a trans- dynamic Festival joue le rôle de moyen at work on a grand scale. Certainly, d’insertion ou d’inscription dans la there is a longstanding discussion in société nouvelle. Les acteurs sociaux Canada on the historical extent of de ce drame sont écartelés entre, exchange (trans-cultural) or d’une part, le désir d’embrasser le influence (inter-cultural) between pluralisme canadien — soit tant le European settlers and Aboriginal multiculturalisme fédéral que peoples in the contact period. With l’interculturalisme du gouvernement this scholarly debate buttressed by a du Québec — et, d’autre part, new postcolonial consciousness, it l’attente tout aussi pluraliste des might have been hoped that Arméniens de Montréal, qui government negotiators would have voudraient que le génocide de 1915 approached these negotiations soit commémoré au-delà des limites

13 International Journal of Canadian Studies Revue internationale d’études canadiennes already sensitized to differing de leur communauté, reconnu par les notions of land ownership and use, gouvernements municipal, justice, and representation. What de provincial et fédéral, et ainsi Costa maintains instead is that incorporé dans la mémoire culturelle momentum in the negotiations has canadienne. Or la communauté been eroding due to a turque résiste à cette tentative de monoculturally driven “obsession” transfert culturel : comme le by government officials with the Festival des enfants a lieu la veille question of “certainty”: Does their même de la commémoration desire for new treaties derive from arménienne, il sert ainsi à la fois à “a recognition of Aboriginal rights unir la communauté turque au-delà or an idemnity against their future de ses différences ethniques internes assertion?” de Costa asks. Rather et de ses différences de classes than regarding treaties as acts of sociales et à poser la question jamais recognition ensuring shared access résolue du mode de sa représen- to resources, the governments persist tation : par exemple, le port du in seeing them as “bills of sale,” sad costume traditionnel sera-t-il evidence that a meaningful interprété par d’autres comme une transcultural dynamic has been far valorisation de l’authenticité ou au from informing the negotiating contraire comme une expression process. d’une culture « arriérée »? Dans la conjoncture politique internationale Marjorie Fee’s research note on the actuelle, des questions de ce genre se Sapir-Whorf hypothesis and its posent avec une acuité toute pertinence to language revival particulière. among First Nations dovetails nicely with de Costa’s essay. She argues L’article de Claire Poitras confère that we ignore the symbolic weight une toute nouvelle signification aux of language at our peril (an example transferts culturels : il s’agit d’une might well be the current impasse in étude comparative de Montréal et de B.C. treaty negotiations over Glasgow, deux anciens géants “certainty”), and that there are industriels qui, au cours des critical reasons for not dismissing dernières années, se sont efforcés de the relationship between language se remodeler et de s’adapter aux and cultural consciousness. Once nouvelles réalités du 21e siècle en skeptical about campaigns for the privilégiant le secteur tertiaire et les revival of individual languages industries culturelles en particulier. spoken today by only handfuls of Dans les deux cas, on y est parvenue people, Fee now sees in the teaching grâce à une vaste entreprise de of traditional Aboriginal languages a démolition et de construction powerful stimulus to political urbaine et de rénovation de quartiers viability. These knowledges désaffectés, ainsi que par legitimate identity both at the l’organisation de festivals et de personal and community levels, thus grandes expositions mettant en jeu la reinforcing and coinciding with gamme complète des formes Aboriginal views of the land as d’expression artistique. À Glasgow chronotope, “points in the geography comme à Montréal, des ordres supra-municipaux de gouvernement sont intervenus en recourant à des

14 Introduction Présentation of a community where time and moyens qui contrevenaient tout à fait space intersect and fuse.” à l’ethos néo-libéral de l’époque. Poitras trace un bilan détaillé de ces Our review essays return to several interventions, en accordant une of the questions raised in our attention toute particulière à la thematic dossier. Stéphane Kelly mesure dans laquelle on a pu provides us with a thorough account satisfaire aux exigences de la of how a new generation of Quebec mondialisation économique et historians are reassessing the ways culturelle tout en répondant aux in which their predecessors (and besoins des populations locales, et many of their contemporaries) have en particulier des segments de ces been practicing the intergenerational populations qui avaient été les plus transfer of cultural knowledge. The durement frappés par la new historians call for a new linkage désindustrialisation. L’écart, between history and memory, and a suggère-t-elle, demeure très large, renewal of the relationship between dans la mesure où ce sont surtout intellectuals and the community that d’autres groupes, dont les couches does not replicate the essentializing, professionnelles, les touristes et les paternalistic discourses of the past. investisseurs externes, qui Charlotte Sturgess’s review of three bénéficient de ces transferts d’actifs studies on the North focuses on culturels. books that either consciously critique or unconsciously underscore Dans notre dernier article the essentially appropriative thématique, Ravi de Costa se penche relationship that has existed between sur le processus de rédaction de mainstream Canadian society and nouveaux traités en Colombie- the “north” up until now. It is Britannique. D’emblée, l’objectif Canada that sets the terms of this affiché de ce processus était de incorporation, Sturgess observes, décoloniser les relations entre les and wonders, on the basis of what peuples autochtones et les she has read, whether “Inuit cultures gouvernements fédéral et provincial, (can) participate actively in that et ce au nom de « la reconnaissance, Canadian identity they serve?” du respect et de la justice ». À la Graciela Martínez-Zalce’s survey of suite de la proclamation de tels representations of the border in idéaux, on pouvait s’attendre à Mexican and Canadian films pouvoir bénéficier d’une occasion explores a topos that gives rise to d’observer la dynamique du trans à largely different anxieties in the two l’œuvre sur une grande échelle. Sans countries. Zalce observes wryly that doute discute-t-on depuis longtemps the only border films from Mexico au Canada de la portée historique with happy ends are those where the des échanges (transculturels ) et des border is not explicitly represented; influences (interculturelles) entre les in Canada, by way of contrast, the colons européens et les peuples non-representation of the border autochtones qui ont eu lieu au cours produces fear and anxiety over its de la période de prise de contact. eventual dissolution. Zalce notes that Comme ce débat savant se voit this unease also allows for Canadian maintenant étayé par une nouvelle films where the border is treated as a conscience postcoloniale, il était symbolic issue, abstracted from an permis d’espérer que les

15 International Journal of Canadian Studies Revue internationale d’études canadiennes actual political frontier, a négociateurs désignés par le phenomenon virtually unseen in gouvernement se présenteraient à la Mexican cinema. table des négociations déjà sensibilisés à la diversité des notions Zilá Bernd examines Yann Martel’s de propriété et d’usage du territoire, Booker award-winning Life of Pi de justice et de représentation. Au and her fellow Porto-Alegrian lieu de cela, selon de Costa, les Moacyr Scliar’s Max e os felinos. négociations ont rapidement perdu Moving beyond the scandal that de leur élan du fait d’une erupted when Scliar accused Martel « obsession » monoculturelle de of plagiarizing his work, Bernd sees fonctionnaires autour de la question in each novel an archetypal, de la « certitude » : leur désir de allegorical account of the conclure de nouveaux traités immigrant’s passage from one life to procède-t-il d’une « reconnaissance another. Bernd’s account is situated des droits autochtones ou du besoin more within Ortiz’s original de se prémunir contre leur conceptualization of transculturalism affirmation à venir? » se demande de than those of several of our Costa. Plutôt que de considérer les contributors, even though she traités comme des actes de distinguishes between the two reconnaissance qui permettraient de voyages, one to Canada with its garantir un accès partagé à des official, relatively recent politics of ressources naturelles, le multiculturalism, and the other to gouvernement s’obstine à les Brazil, where an older, regarder comme des « actes de longer-established ideology of racial vente » — une triste indication du harmony has for some time lay bare fait qu’on est encore loin d’un its contradictions. Bernd pays processus de négociation qui serait particular attention to Pi’s desire to informé par une dynamique be versed in Christianity, Islam, and transculturelle significative. Hinduism in preparation for his arrival in multicultural Canada, a La note de recherche de Marjorie moment that is also taken up in Fee au sujet de l’hypothèse Sapir- Barbara Pell’s review of recent Whorf et de sa pertinence dans le Canadian novels that engage issues contexte de la renaissance des of faith and religion. Pell’s account langues des premières nations cadre focuses on works that feature fort bien avec l’article de Costa. Fee traditional forms of Christianity soutient que c’est à nos risques et interrogated by a new post-modern périls que nous ignorons le poids sensibility that “subverts, conflates, symbolique du langage (un exemple and demythologizes” the “great pourrait nous en être fourni par narrative” of this faith in order to l’impasse actuelle des négociations place it in closer contact with sur la conclusion d’un nouveau traité personal forms of spirituality. She en Colombie-Britannique et qui sont argues that this has become possible actuellement enlisées dans des in a postcolonial context where there discussions sur la « certitude »). Elle is a great diversity of faiths in ajoute qu’il existe des raisons d’une Canada, but perhaps more portée critique de ne pas rejeter importantly, that it is a direct result l’existence de relations entre le langage et la conscience culturelle.

16 Introduction Présentation of a postmodern attitude toward Jadis sceptique face aux campagnes metafiction: “the indeterminacy of visant à faire revivre des langues story and the need for faith in the isolées que ne parlent plus que de fictionalizing of fact.” Or, as Pi très petits groupes de locuteurs, Fee would say to his incredulous reconnaît maintenant que interrogators: “What is your problem l’enseignement des langues with hard to believe?” autochtones traditionnelles peut constituer un stimulant important de Our issue closes with a tribute to la pérennité politique. Ces savoirs Edward Saïd by Dorit Naaman. Not légitiment l’identité tant sur les plans only “Transculturalisms,” but personnel que communautaire, une “Post-Canada,” too, is suffused with légitimation qui coïncide Saïd’s insight that “knowledge about admirablement avec les points de a topic is also, and maybe foremost, vue autochtones sur le territoire knowledge about the collector and considéré comme chronotope et qui provider of that knowledge,” as les renforce — le territoire « désigne Naaman so aptly puts it. Said’s la géographie de la communauté, le belief in agencied beginnings has lieu où le temps et l’espace also been crucial to the insight, s’entrecroisent et se fusionnent ». shared across the essays in this volume, that the dynamics of Nos essais critiques font un retour cultural transfer militate against sur plusieurs des questions soulevées efforts to legitimate cultures through à l’intérieur de notre dossier essentialized origins. As a graduate thématique. Stéphane Kelly nous student, I was privileged to attend a offre un essai critique détaillé de la seminar led by Edward Saïd in façon dont une nouvelle génération which he read aloud portions of the d’historiens québécois sont en train manuscript of the yet unpublished de réévaluer les façons dont leurs Orientalism. For all the distance that prédécesseurs (et beaucoup de leurs postcolonial and transcultural studies contemporains) ont pratiqué le have traveled in the intervening transfert intergénérationnel des decades, I still recall that moment as savoirs culturels. Ces nouveaux the one that opened me, consciously historiens préconisent l’établis- and irrevocably, to desiring in sement d’un maillage neuf entre culture what Saïd calls “the rich l’histoire et la mémoire, ainsi que le fabric (…) which no one can fully renouvellement des relations entre comprehend, and no one can fully l’intellectuel et la communauté qui own.” Certainly at our millenial éviterait de reproduire les discours cusp, with its soured hopes and essentialisants et paternalistes du forgotten peace dividend, few can be passé. L’essai critique de Charlotte as instructive as Saïd about how Sturgess au sujet de trois livres many “major political and portant sur le Nord se concentre sur intellectual disasters (are) caused by des ouvrages qui soit se livrent à une reductive moments that tried to critique consciente ou soulignent simplify and purify.” This issue of inconsciemment les relations our Journal is dedicated to showing essentiellement appropriatives qui, how, in Canada, it is possible to jusqu’à maintenant, ont prévalu pursue such an intellectual legacy entre la société canadienne responsibly, without reducing majoritaire et le « nord ». C’est le

17 International Journal of Canadian Studies Revue internationale d’études canadiennes cultural transfer to either a Canada qui dicte les conditions de complacent state ideology or an cette incorporation, de noter abstraction that dispenses with Sturgess, et puis elle se demande, à embodied, dynamic subjects. partir de ce qu’elle a lu, si « les cultures inuit (peuvent) participer Robert Schwartzwald activement à cette identité Editor-in-Chief canadienne qu’elles servent ». Le survol de représentations de la Works Cited frontière dans les cinémas canadien et mexicain, que nous offre Graciela Brydon, Diana. “Detour Canada: Martínez-Zalce, explore un thème Rerouting the Black Atlantic, Reconfiguring the Postcolonial.” qui suscite des inquiétudes fort Reconfigurations. Canadian différentes que l’on soit dans l’un ou Literatures and Postcolonial dans l’autre de ces deux pays. Zalce Identities, Marc Maufort and note avec ironie que les seuls films Franca Bellarsi, eds. Bruxelles: P.I.E.–Peter Lang, 2002. 109-122. « frontaliers » mexicains qui Schwartzwald, Robert. “Introduction.” finissent bien sont ceux où la International Journal of Canadian frontière n’est pas explicitement Studies/Revue internationale représentée; au Canada, par d’études canadiennes 25 (Spring/ contraste, la non-représentation de la Printemps 2002): “Post-Canada.” 5-13. frontière donne lieu à des craintes et Sugars, Cynthia. “National Posts: à des angoisses, liées à la Theorizing Canadian perspective de sa dissolution. Zalce Postcolonialism.” International note que ce malaise a comme Journal of Canadian Studies/Revue internationale d’études conséquence la production de films canadiennes 25 (Spring/ Printemps canadiens où la question de la 2002): 15-41. frontière est traitée sur un plan symbolique et abstraction faite de toute délimitation politique réelle, un phénomène qui est pratiquement jamais vu dans le cinéma mexicain.

Pour sa part, Zilá Bernd se penche sur Life of Pi,laVie de Pi, le roman de Yann Martel qui s’est mérité le prix Booker, ainsi que sur Maxeos felinos, un livre de l’écrivain brésilien Moacyr Scliar, qui, comme elle, est originaire de Porto Alegro. Au-delà du scandale qui s’est produit lorsque Scliar a accusé Martel d’avoir plagié son œuvre, Bernd analyse les deux romans pour y voir un compte-rendu archétypal et allégorique du passage de l’immigrant d’une vie à une autre. À l’instar de plusieurs des autres auteurs qui ont contribué à ce numéro thématique, l’analyse de

18 Introduction Présentation

Bernd se rapproche davantage de l’idée originale qu’Ortiz se faisait des transferts culturels et ce même si elle tient à opérer une distinction entre les deux voyages, celui vers le Canada et sa politique de multiculturalisme officiel relativement récente et celui vers le Brésil, où une idéologie plus ancienne et mieux établie de l’harmonie raciale étale depuis quelques temps ses propres contradictions. Bernd prête une attention toute particulière au désir de Pi d’acquérir une bonne connaissance du Christianisme, de l’Islam et de l’Hindouïsme, pour se préparer à son arrivée dans le Canada multiculturel, un moment auquel s’attarde également Barbara Pell dans son survol de romans canadiens récents qui s’attaquent aux questions de foi et de religion. Le survol auquel se livre Pell se rapporte à des ouvrages qui mettent en vedette des formes traditionnelles de Christianisme qui se voient maintenant interrogées par une nouvelle sensibilité postmoderne qui « subvertit, apparie et démythologise » le « grand récit » de cette foi afin de la mettre en contact plus étroit avec des formes plus personnelles de spiritualité. Elle soutient que, au Canada, ce phénomène a été rendu possible pour un contexte postcolonial où l’on retrouve une grande diversité de croyances religieuses, mais, ce qui est peut-être plus important, il découle directement d’une attitude postmoderne envers la métafiction : « l’indétermination du récit et le besoin de la foi dans la fictionalisation du fait ». Ou, comme Pi l’aurait dit à ses interrogateurs incrédules : « quel problème vous pose ce qui est dur à croire? »

19 International Journal of Canadian Studies Revue internationale d’études canadiennes

Notre numéro se termine avec un hommage rendu par Dorit Naaman à Edward Saïd. Non seulement « Les transferts culturels » mais « Post- Canada » également sont tout imprégnés de l’intuition fondamentale de Saïd que « la connaissance sur un sujet donné est également, et peut-être avant tout, une connaissance sur celui qui a recueilli et qui nous offre ce savoir », ainsi que Naaman le dit si bien. La croyance de Saïd en les commencements agenciés a également joué un rôle essentiel dans l’émergence de cette autre intuition, que partagent tous les textes contenus dans ce numéro, que la dynamique des transferts culturels milite contre toute tentative de légitimer les cultures à travers des origines essentialisées. Quand j’étais un étudiant diplômé, j’ai eu le privilège d’assister à un séminaire d’Edward Saïd où il a lu des extraits du manuscrit de son Orientalism, alors encore inédit. En dépit du long chemin que les études postcoloniales et transculturelles ont parcouru depuis cette époque, je me souviens encore de ce moment comme d’un qui, consciemment et irrévocablement, m’a donné la soif d’une culture dont Saïd dit qu’elle est « le riche tissu (…) que nul ne saurait comprendre totalement et qui ne saurait pleinement appartenir à quiconque ». Certainement, à l’orée d’un nouveau millénaire, dans une époque d’espoirs aigris et de dividendes de paix oubliés, peu de gens peuvent nous en dire autant que Saïd sur le nombre de « désastres politiques et intellectuels importants qui résultent de moments réducteurs où l’on a tenté de simplifier et de purifier ». Le présent numéro de notre Revue est consacré à la tâche de montrer comment, au Canada, on

20 Introduction Présentation peut entretenir un tel héritage intellectuel d’une façon responsable, c’est-à-dire sans pour autant ramener les transferts culturels à une idéologie d’État complaisante ou encore à une abstraction qui ferait l’économie de sujets incarnés et dynamiques.

Robert Schwartzwald Rédacteur en chef

Ouvrages cités Brydon, Diana. “Detour Canada: Rerouting the Black Atlantic, Reconfiguring the Postcolonial.” Reconfigurations. Canadian Literatures and Postcolonial Identities, Marc Maufort et Franca Bellarsi, eds. Breuxelles: P.I.E.–Peter Lang, 2002. 109-122. Schwartzwald, Robert. “Présentation.” International Journal of Canadian Studies/Revue internationale d’études canadiennes 25 (Spring/ Printemps 2002): “Post-Canada.” 5-13. Sugars, Cynthia. “National Posts: Theorizing Canadian Postcolonialism.” International Journal of Canadian Studies/Revue internationale d’études canadiennes 25 (Spring/ Printemps 2002): 15-41.

21

Roland Walter

Between Canada and the Caribbean: Transcultural Contact Zones in the Works of Dionne Brand

Abstract This paper traces the development of the term “transculturation” from Fernando Ortiz to Antonio Benítez-Rojo, and examines the transcultural contact zones between Canada and the Caribbean in Dionne Brand’s short story, “Sketches in transit … going home” and two novels, In Another Place, Not Here (1986) and At the Full and Change of the Moon (1999). It redeploys transculturation as a form of disjunctive synthesis and symbiosis and posits it as a cultural paradigm and critical mode to explore fractal relations and in-between spaces caused by mobility. This theorization serves as the basis for an analysis of the dynamic mechanisms of transculturation in the process of identity formation in Brand’s writing.

Résumé Cet article, qui retrace l’évolution du terme « transculturation » de Fernando Ortiz à Antonio Benítez-Rojo, se penche sur les zones de contact transculturel entre le Canada et les Antilles telles qu’elles ressortent d’une nouvelle de Dionne Brand, « Sketches in transit … going home » ainsi que de ses deux romans, In Another Place, Not Here (1986) et At the Full and Change of the Moon (1999). On y redéploie la « transculturation » considérée comme une forme de symbiose et de synthèse disjonctive et on l’y pose comme un paradigme culturel et un mode critique d’exploration des relations fractales et des espaces entre-deux qui résultent du jeu de la mobilité. Cette théorisation sert de fondement à une analyse des mécanismes dynamiques des échanges culturels (transculturation) à l’intérieur du processus de formation de l’identité, tel que l’écriture de Brand le décrit.

Identity is not like some piece of clothing that is lost and found and then slipped on hoping it will fit. (Condé, 2000: 158).

In between, Liney, in between, as if your life could never see itself, ... language seemed to split in two, one branch fell silent, the other argued hotly for going home. (Brand, 1990: 26, 31).

International Journal of Canadian Studies / Revue internationale d’études canadiennes 27, Spring / Printemps 2003 International Journal of Canadian Studies Revue internationale d’études canadiennes

The Caribbean space is an inter-American contact zone par excellence. From the period of early colonization to the present hegemonic, neoliberal restructuring, the Caribbean, perhaps like no other region in the Americas, has been subjected to cultural and racial mixture and has functioned as a pool of cheap, exploitable labour. The impact of this (neo)colonization on Caribbean life and culture has been such that Caribbean people define their identity and subject position between different geographical locations and signifying systems. This hybridity, as Homi Bhabha (1994: 114) has pointed out, produces cultural ambivalence because of the continuing latent impact of the imperial value system on colonial subjects. The forced and willed migrations of transatlantic enslavement, colonialism, imperialism and the present-day transnational economic world order have created shifting “contact zones,” as Mary Louise Pratt (1992: 6-7) has argued, where questions of identity involving negotiations of borders that separate and unite the self and the other are historically structured in containment and resistance. Caribbean migration, seen as a discontinuous dialectics between what Glissant (1997: 211) calls “rootedness and errantry,” confronts its subjects with a constant shift of attitudes, habits and points of view. Whether here or there, Caribbean migrants always cross a borderline separating inside from outside, past from present, space from place. Hence, what dominates in this enactment of different juxtaposed or overlapping ethos and worldviews is a lived and/or narrated in-betweenness characterized by displaced relationships. Caribbean identity, then, is characterized by a movement between and across multiple locations: a “migratory subjectivity” that can be conceived in terms of both “domination” and “slipperiness, else-whereness” (Boyce Davies, 1994: 36). Whether seen as “double-consciousness” (Du Bois), “mimicry” (Bhabha), the baroque “incorporative protoplasm” (Lezama Lima) or the ambivalent movement between the “mastery of form” and the “deformation of mastery” (Baker), this slipperiness between locations signals that identity is always a question of alterity. Glissant (1997: 11) has used the notion of the “rhizome” to describe this relational character of identity: “each and every identity is extended through a relationship with the Other.” In the context of Caribbean diaspora mobility with its fragmented histories and intermediate, juxtaposed and overlapping spaces and places, the question arises how to analyze the relationship between cultures and identities shaped in fractal ways? This essay posits that one of the analytical models to measure the sameness and difference of contemporary fractal relations and realities is the cultural paradigm of “transculturation.” Unlike Cornejo Polar and Moreiras1, the first part of this essay will argue that we should keep transculturation as a critical mode for the exploration of the ambivalent in-between spaces resulting from intercultural contact. The discussion will then move to Dionne Brand, a writer born in Trinidad and living in Toronto, whose novels and short stories shed specific light on the relation between mobility and transculturation. This essay’s specific objective will be to examine the

24 Between Canada and the Caribbean: Transcultural Contact Zones in the Works of Dionne Brand dynamic mechanisms of transculturation in the construction of her characters’ diaspora identities. Coined by Fernando Ortiz in the 1940s, the term “transculturation” marks the shifting relations and ways of transmission between different cultures, nations, regions, races, ethnicities, classes and languages at the ambiguous interface of premodern, modern and postmodern times. Ortiz (1947: 102-03) defines transculturation in Cuba as follows: I am of the opinion that the word transculturation better expresses the different phases of the process of transition from one culture to another because this does not consist merely in acquiring another culture, which is what the English word acculturation really implies, but the process also necessarily involves the loss or uprooting of a previous culture, which could be defined as a deculturation. In addition it carries the idea of the consequent creation of new cultural phenomena, which could be called neoculturation. Seen as an alternative to the concept of “acculturation,” which to Ortiz did not signify mutual cultural interaction but a one-way process of assimilation, transculturation describes the two-way “give and take” transmission between cultures, particularly those in dissimilar positions of power. For Ortiz, transcultural relationships, such as those between tobacco and sugar, or European and African rhythms, are inscribed in geopolitical and economic power structures and their interdependent elements are linked, separated, and juxtaposed in both contradictory and complementary ways through both inclusive and exclusive borders. Moreover, since the heterogeneous elements are implicated in an ongoing process of change, the neoculturated objective is constantly deferred. This means that transculturation in Ortiz does not unambiguously stand for a synthetic dialectical fusion of heterogeneous cultural elements. What forms the nation-state, national identity and culture in Ortiz is a transcultural conceptualization characterized by the tension between synthesis and symbiosis, fusion and antagonistic coexistence, an interplay whose stages are impossible to trace entirely.2 What links Ortiz to later critics of the term such as Nancy Morejón (1982) and Angel Rama (1982) is the differentiation between text and subtext: the nation as text is constituted by cultural difference as heterogeneous subtext–that is, heterogeneity is sublated in the formation of a nation-state and national identity.3 Whether situated within the social, economic and cultural contrapuntal dynamics of commodities and rhythms (tobacco, sugar, and drums) as in Ortiz, or problematized as a cultural form of writing which mixes European avant-garde techniques, such as narrative fragmentation, interior monologue and stream of consciousness, and Latin American oral forms and structures of storytelling as in Rama, transculturation denotes the idea of inclusion–the reconciliatory integration of elements from different cultures. This incorporation of cultural elements, a transcultural dynamics

25 International Journal of Canadian Studies Revue internationale d’études canadiennes which involves the partial loss and assimilation of cultural elements in the process of cultural reinvention, suppresses the development of cultural heterogeneity by writing the universal over the particular. The unification ofdifferentraces,ethnicgroups,regions,languagesandliteraturesarounda common cultural and national identity freezes the continuous negotiations and struggles inherent in its fluid constitution. In this context, the movement from the part to the whole, insofar as it recognizes cultural difference as a subtextualized agent, comes dangerously close to legitimating that which it was set out to undermine, namely the discourse of hybridity-as-synthesis promoting assimilation–unity-as-sameness–as the epistemic basis and force of the development of modern nation-states and cultural identities. In that it ambiguously oscillates between difference and sameness, between seeing culture, identity, and the nation as both a signifying process and inert signs, this transcultural discourse brackets the incommensurable excess produced in the disruptive zone of their encounter. This closure of the transcultural in-between zone has been challenged by Antonio Benítez-Rojo. By rewriting Ortiz’s counterpoint between tobacco and sugar within a postmodern, neocolonial context where the scientific discourses and master narratives of Western modernity clash with Carib- bean premodern oral rhythms, Benítez-Rojo transwrites transculturation as synthetic inclusion and totality into transculturation as a heterotopic and “supersyncretic” disorder characterized by noise, lack, fragmentation, in-betweenness and chaos. Here transcultural relations are characterized by a coexistence of culturally different dynamics which excludes a synthetic naturalization (e.g., subjugation-as-subtextualization) of elements of one culture into those of another culture. Instead, they are characterized by what he calls “insoluble differential equations.” These transcultural processes, then, do not neutralize but enhance the antagonistic and complementary tension between culturally diverse elements (Benítez-Rojo, 1996: 20-21, 24-29). From this perspective, cultural formations do not disappear into others (acculturation and deculturation) but are juggled with by subjects whose stable identities make way for identities-in-process characterized by shifting identifications. This shift from utopia to heterotopia, from synthesis to symbiosis, and condensation to diffraction in the definition of transculturation–that is from a sublation of original identities in the formation of a new national/cultural identity to a radical juxtaposition or parallelism of multiple postnational/postcultural identifications–is of utmost importance since it reinscribes cultural heterogeneity as incom- mensurable excess into transcultural contact and thereby opens up a historical and theoretical process closed by conciliatory absorption. The lagging of the dialectical negotiations between two opposite entities through this reinscription of multiplicity highlights transculturation as an always open process of becoming, a disjunctive flow between and across synthesis and symbiosis, continuity and rupture, coherence and

26 Between Canada and the Caribbean: Transcultural Contact Zones in the Works of Dionne Brand fragmentation, utopia and dystopia, consensus and incommensurability, deconstruction and reconstruction–a flow mediating the tension between cultural homogenization and cultural heterogenization. Transculturation, I contend, should be understood as a multivalent mode encompassing an uneasy dialogue between hegemonic and counterhegemonic forces and practices, between gestures, acts and strategies of coercion, appropriation, expropriation and reappropriation. A dialogue which discriminates between diverse categories: imposed or willed assimilation and multiple forms of resistance. As such, it is a critical paradigm enabling us to trace the ways that transmission occurs within and between different cultures, regions and nations, particularly those in unequal relations of power rooted and routed in slavery, (neo)colonialism, migration and diasporization. Furthermore, and perhaps most importantly, as such a negotiator of the disruptive in-between zone of inter- and intracultural disjunctures and conjunctures–the place where diverse sociocultural histories, customs, values, beliefs and cognitive systems are contested and interwoven with their different representations being either dissolved into each other or preserved–transculturation accounts for the local and global production and interplay of difference and sameness. Both difference and sameness are inevitably linked to the politics of domination, subalternization, and resistance. Since identity is not an inherent state of being or condition, but rather a meaningful effect produced by an intricately interwoven relationship between symbolic representation and specific political, economic and sociocultural policies, and, since it is always posited in a differential relation with another (the desubaltern- ization of subaltern identity, for instance), in order to materialize and begin its counteragency, implies a critical appropriation of the dominant discourse. Only an understanding of the negative image of subalternity facilitates the re-creation of an alter-image. If the subaltern cannot be thought without the dominant subject, both implicated in a hegemonic structure based on diverse forms of sociocultural inequality, and if the politics of subalternization and desubalternization are implicated in transcultural processes of appropriation and reappropriation, it makes little sense to pose the study of subalternity as an alternative model of cultural interpretation to transculturation, as suggested by Moreiras (2001: 200-202). Transculturation, seen as a multivalent mode and paradigm, maps the (in)communicability inherent in the subaltern/dominant split in the interstitial zone. Consequently, we should relate subalternity and transculturation so as to map the dynamic forces which produce, limit, prolong and transform dissimilar identity positions in specific inter- and intracultural contact zones. ***

27 International Journal of Canadian Studies Revue internationale d’études canadiennes

One of the prevalent themes of Dionne Brand’s creative writing is arguably subsumed under the term “displacement,” operating poly- sematically at the levels of énoncé and enunciation. Most of her characters, like Brand herself, live between “here and there” (Birbalsingh, 1996: 122). In Brand’s fiction, the diasporic movement of the characters within and through a space constituted by different places and cultures which link the centre with the neocolonial periphery stresses the cultural in-betweenness of the Caribbean subject as a quintessential effect of the Caribbean experience.4 Moving between places and through cultures her characters perform different identifications on the borderline of “being”–the historically constituted and determined categories that shape a subject’s diverse sociocultural locations–and “becoming,” the enactment of these categories within “the continuous ‘play’ of history, culture and power” (Hall, 2000: 23). That is to say, the continuous “shuttling between frontiers” (Minh-ha, 1991: 18) negotiates their repositioning as transidentities on the move between different cultures. In order to illustrate this transcultural identitarian process, we will now move to one of Brand’s short stories in Sans Souci (1989). In “Sketches in transit … going home,” Dionne Brand delves into the psyche of her characters in order to lay bare the effect of living in between borders separating and uniting Canada and the Caribbean. Loaded with consumer goods, the very “reason for emigrating in the first place,” Caribbean migrant workers at Toronto Airport board a vacation flight back to the Caribbean. Being low-wage, sweat-job immigrants in Toronto and wearing a mask of rags-to-riches tourists in their island homeplaces, they are described as being “half here and half there” (133). Located between different cultural orders of knowledge, these migrants instead of “going home” move from one deferred homecoming to the next. Spending a couple of weeks per year in the Caribbean, they have an ambiguous relation to their island birthplaces, a “[l]ove which was not love because it could not centre itself on a shape, a piece of land. Love which only recollected gesture and not movement, event and not time” (142). Brand equates them with commodities “grown for export” such as “sugar cane and arrowroot” (134). Like these endogenous products, cultivated here but manufactured there, the islanders change in the process of moving back and forth between Canada and the Caribbean. Pushed out by dismal economic conditions in the Caribbean and forced into a subaltern position in Toronto, they are as much pulled by nostalgia and family relations as by an internalized desire to play the master figure in a game in which successful emigration is supposed to mean a change of “class … station” and colour: the elevation from “nigger” status to “brown-skin status” (134).5 Nowhere at home, torn between places, they do not only live in an interstitial space but have internalized its racial, classist and sexist boundaries. That is to say, their transcultural subjectivities refract those identity-based forms of oppres- sion–(neo)colonialism, racism, classism and sexism–that deny or delimit the negotiation and comprehension of identity’s meanings.

28 Between Canada and the Caribbean: Transcultural Contact Zones in the Works of Dionne Brand

However, this confluence of different cultural elements shaping their identities is a continuous, open-ended process. This is highlighted through the setting of the plot, namely the hermetic space of a plane indicating a transcultural contact zone where Caribbean and Canadian people meet but do not mingle. During the flight from Canada to the Caribbean, hesitancy makes way for spontaneity, silence for music, and Trinidadian pronunciation and idioms become standard: “the accents returned, minding to keep that hint of ‘away’to impress friends at home” (141). In other words, here identitarian transculturation is a liminal process, a present state between a past separation and a desired but never achieved homecoming. Acting as if “they owned the airspace, the skies going south” (141), they float in a borderless no-man’s-land, a liminal space where self-ident- ification is determined by changing social conditions (tourist/worker) between two cultures. It might be argued that they assert their transcultural identities as social conditions with room both for Canadian habits and the continuation of creolized Caribbean customs: the former being toned down in the Caribbean and the latter in Canada. Yet Brand emphasizes that her characters, embedded in hegemonic forces and practices as “[u]seless … cash crops” (142), playact rather than assert their identities. In the process of imitating the Canadian Other–the desire to assimilate into Canadian society–they have not lost but rather repressed their former self. Stimulated by alcohol and the anticipation of carnival, this former self erupts with a difference during the flight. This dynamic of disavowal effecting identitarian disjuncture provides space–what Bhabha has called a “third space”–for another self: a transculturated in-between self; a self “half- understood, half-seen … waving like sugar cane stalks in a breeze” (142). Like these stalks acted upon by the wind, the Caribbean migrants do not act consciously. Based on the process of memorization, their Caribbean self bears on their Canadian one (and vice versa) unconsciously. In this respect, a form of acting emerges from transculturation that does not act: it is an asocial agency. Thus, within the dynamics of economic globalization this transculturation-as-liminality, while constituting a temporal, spatial and cultural interface, a movement between places, subject positions and identifications, does not enable the migrant border subject to undo and revise his/her positionality and to “formulat[e] a potentially unlimited series of alternative social arrangements” (Turner, 1974: 14). For most of these migrants, there is no homecoming, no reintegration into the bosom of community. Unable to see and comprehend themselves fully, they stumble in and through a cultural limbo. In this story, then, transculturation negotiates the unconscious performance of different identitarian locations between two cultures–a process of disavowal producing disjuncture, an in-between existence characterized by fluid and dynamic relations. Transculturation as an effect of disjunctive (neo)colonial fluxes implies displacement. Yet displacement is itself, like transculturation, an ambiguous concept: it is a double sign of loss and suffering (deculturation, acculturation) and of empowerment that holds a capacity for transfor-

29 International Journal of Canadian Studies Revue internationale d’études canadiennes mation as opportunities to choose new subject positions (neoculturation). In order to elaborate on this doubling of transculturation, we will now move the discussion to Dionne Brand’s two novels. ***

Brand’s first novel, In Another Place, Not Here (1996), speaks of a tension-laden intercultural chronotope–a spatial borderland between Toronto and an unnamed Caribbean island (most likely Grenada) set within apresentimbuedwiththeCaribbeanhistoryoftheMiddlePassage,slavery, the plantation system, and resistance to colonization. This chronotope serves as the setting for both Elizete’s and Verlia’s search for identity and sense of belonging. The discontinuous narrative, shifting between Verlia’s, Elizete’s and an unnamed narrator’s perspective, tells the two women’s love relationship and their individual histories in a fluctuating movement that juxtaposes Elizete’s cultural rootedness and Verlia’s transcultural uprootedness. Through this fragmented juxtaposition, Brand creates a contact zone in which memory encodes the traces of the past in the present of transcultural displacement. Elizete, who has never left her birthplace, is deeply rooted in the everyday reality and landscape of her Caribbean island. Seeing Verlia working next to her in the cane fields for the first time, she describes her as “sweat, sweet like sugar.” When she cuts her foot with the machete, “blood bloom[s] in the stalks of cane” and the resultant “pain” spreads across “the field spinning green mile after mile…” (3-4). The continuous temporality of bloody slave labour suggested through the imagery anchors Elizete in a place framed in temporal in-betweenness: a present being-in-the-world imbued with a memory of the past that longs for future redemption. In other words, she is rooted in a place characterized by a history of displacement–a history that pervades both the human and the natural world, establishing a dynamic relation between them. The pattern of this fragmented (hi)story begins with Adela, the great- great-grandmother of the woman who raised Elizete. Forced to leave Africa and taken to the Caribbean as a slave, Adela remembered the route across theAtlantic.Inthenewplace,however,hermemorymadewayforoblivion. Beyond the fact that she named the island “Nowhere,” she passed on no knowledge to her descendents (19). While understanding the reason for Adela’s resistance, her denial to put down roots in the killing fields of a space where belonging was lost on the distant horizon of the ocean, Elizete vows to turn Adela’s geographical and temporal space of in-betweenness into a place of belonging: “Nothing barren here, Adela, in my eyes everything full of fullness, everything yielding, the milk of yams, dasheen bursting blue flesh. … Where you see nowhere I must see everything. Whereyouleaveallthatemptiness Imustfillitup.…theplacebeautiful but

30 Between Canada and the Caribbean: Transcultural Contact Zones in the Works of Dionne Brand at the same time you think how a place like this make so much unhappiness. … I make myself determined to love this and never to leave” (24-25). At the same time, however, she does not feel at home in this place and yearnsforspatialdistancefromastiflingexperience:“IborntocleanIsaiah’ house and work cane since I was a child and say what you want Isaiah feed me and all I have to do is lay down under him in the night and work the cane intheday”(4).Abusedbyherpartner,shedreamsof“running”and“flying” away until she meets Verlia and begins to understand that “[a] woman can be a bridge from these bodies whipping cane. A way to cross over” (16). Here, Brand poses a lesbian relationship imbued with a feminist consciousness as a means of emancipation and decolonization: a possibility for women to create a homeplace within the patriarchal power structure of the Caribbean social space. The geographical place that Elizete dreams of escaping to becomes the physical and mental place of another woman; a human place as an interstitial zone of experience linking her self to the self of the other and vice versa. Furthermore, and perhaps most important, unlike Elizete, Verlia is an African-Caribbean woman living a continuous process of identitarian transculturation. Verlia’s errant journey between the Caribbean and Canada can be seen as a liminal process of transculturation. Arnold van Gennep’s Les rites de passage (1909: 14) introduces the notion of liminality as an intermediate stage in the process of ritual initiation constituted by three phases: separation, margin or limen, and reaggregation. For Gennep, liminality is a transitory moment between states, social positions or points in age. Elaborating on Gennep’s concept, Turner (1974: 274, 42, 52) has argued that liminality is not only a phase between states, but a state in itself, “a movement between fixed points,” which accounts for its “ambiguous, unsettled, and unsettling” nature. It “refer[s] to any condition outside or on the peripheries of everyday life” and as “a sphere or domain of action or thought rather than a social modality” it “may imply solitude … the voluntary or involuntary withdrawal of an individual from a social-struc- tural matrix” as well as “alienation from … social existence.” In the following section I want to argue that Verlia’s liminal condition, which is at the centre of her everyday life, is constituted by a series of transitory stages mediated by transculturation. Unlike Elizete, Verlia has family living in Canada and does not depend on work in the cane fields to survive. This privileged position enables her to attend school and imagine a world beyond the borders of her island birthplace, a place too small and backward to hold the images of different, bigger spaces described in books and flashed on television screens. That is to say, a metropolitan educational system and mass media usher in Verlia’s separation-as-acculturation. At seventeen, Verlia has completely internal- ized these images and put “a cinematic distance” (137) between herself, her family and the island. Disgusted by what she regards as the island people’s

31 International Journal of Canadian Studies Revue internationale d’études canadiennes passivity and superstitious belief system, she leaves for Canada. In Sudbury and Toronto, Verlia is confronted with her aunt and uncle’s alienation, a double consciousness based upon their assumption that they can assimilate into the “frozen” world of white supremacy (148). In the mirror image of her relatives, Verlia begins to see and deconstruct her own acculturative imagination. Verlia’s criticism of their attempts to imagine “themselves into the white town’s imagining,” of their belief that “[i]f you blend in and mix there is no problem” (142), without realizing that the hegemonic system includes them in the chain of production as exchangeable cogs, “slid[ing] them to the side like so much meat wrapped in brown paper” (182), translates her move from segregation-as-acculturation to the margin as a place where neoculturation is effected through the assimilation of elements from other cultures and the concomitant partial loss of sedimented cultural elements (deculturation). Unwilling to accept her relatives’ insider-outsider position on the periphery of Canadian society–a position nurtured by ethnoracial otherization and subaltern mimicry–Verlia assumes her blackness as cultural difference, that is as both a lived and discursive strategy of resistance aiming at the creation of what Bhabha (1994: 162) calls “other spaces of subaltern signification.” Joining the Black Power Movement in the early 1970s signifies her conscious move to decolonize the space of a subordinated in-between position intent on translating it into a place of recreated cultural difference.6 By moving from this in-betweenness to a recreated margin conceived as a positionality of culturaldifferenceVerliamakespoliticalactivismherplaceofresistanceso as to “grow into her Black self” (149). Active political commitment, then, serves her as a means of recreating her ethnic identity, as a place from where she can rename (and thereby reclaim) a racialized and homophobic space, which denies her a sense of belonging. Verlia’s politicization in Toronto–her association with the Black Movement and her reading of texts by Che Guevara, Frantz Fanon, and C.L.R. James, among others–enables her to acquire a sense of self rooted in the collective experience and political struggle of oppressed peoples in Africa and the Americas. During Verlia’s mental decolonization, the small Caribbean island and her individual Caribbeanness gradually take shape and make sense within a world order determined by the unscrupulous, divisive global logic of colonialism, imperialism, and capitalism. Mining the site of memory, she begins to reimagine her cultural identity as being rooted in an island culture that is not isolated from the rest of the world but linked to other places and peoples at the crossroads of imperial conflicts. This conscientization, stimulated through intercultural African diaspora activism and reading, allows Verlia to grasp her gradual crack-up in Toronto. Becoming aware of her psychic dissociation, she thinks that “[h]ere is a hole in a wall opening to the sea and you … she cannot recognize anything after that … she cannot remember why you … she is standing at a corner called Bathurst and Bloor looking into a store window, looking back

32 Between Canada and the Caribbean: Transcultural Contact Zones in the Works of Dionne Brand from the sea” (198). Mapping the rhythm of Verlia’s mind haunted by memory through stream-of-consciousness writing, Brand describes a woman who becomes conscious of her gradual “disappear[ance]” as she drifts through a city space unable to remember her name (199). In the store window, Verlia sees herself as if through a mirror: an alienated, fragmented, heterotopic self between here and there, Canada and the Caribbean. The store window, where different chronotopes and subject positions meet across an eroded border linking the real and the virtual, functions as a limen, a passageway that allows Verlia to see herself from the place where she is not, to understand her absence from a “here” characterized by “nothing to hold on to or leave a mark,” by memory that speaks of “missing” and forgetting (199), and to move back toward and reconstitute her split “you … she” self. As such, it initiates yet another stage in the process of Verlia’s identitarian transculturation: her decision to go back to her island birthplace and participate in the conscientization of the cane workers. In Grenada, Verlia’s actual rediscovery of the island “landscape,” whereby, according to Glissant (1992: 234), “desire for the other country ceases to be a form of alienation,” is an open-ended process. Although Verlia is able to overcome her initial alienation (the longing for her friends and lover in Toronto), adapt to local ways without feeling totally disconnectedfromtheoutsideworldandisacceptedbythelocalpeople,she does not develop Elizete’s “earthbound” sense of belonging (202). Instead, by relating history to the experience of place during her stay on the island, Verlia affiliates her meandering diasporic self with the local culture and reality. Watching the cane fields and the decaying remnants of the sugar mills, Verliavisualizes the pain and suffering of the past, locating herself in a time-space continuum: “This place is old as water and since then Black people drown here in their own sweat” (84). In her diary, commenting upon the internalized hatred, the violence and suffering that characterize life on the island, she elaborates on this point: “This place holds you down with an unweighable load …. It’s the fact …. Intangible fact of this place. It’s not possible to get rid of that. So much would have to have not happened. It’s like a life sentence. Call it what we want–colonialism, imperialism–it’s a fucking life sentence” (214-215; emphasis added). Straddling the temporal and geopolitical border linking the past with the present and the Caribbean with the global imperial world system, Verlia fills both her own and her island’s silenced (hi)story with historical meaning. Verlia’s immersion in the island culture and reality results in something new, in knowledge emerging from suffering, pain, and grief: the transitory reaggregation of a restless transculturated self in an open-ended process of becoming. It is through Verlia’s transculturated self that Elizete becomes aware of her rootedness in the island space. Verlia’s restless waters, “the plain wash and sea of her” (5), do not only open up Elizete’s rock-like existence in the prison-house of male abuse to the alternative of lesbian love, but bring

33 International Journal of Canadian Studies Revue internationale d’études canadiennes about the blooming of a collective memory deeply buried in the sea, the landscape and the people’s unconscious. Yet Elizete fully recognizes the female bonds which link her to the past, the hidden memory passed between women from generation to generation connecting them to a place, only after Verlia’s death and during her subsequent journey to Toronto. In search of the traces of Verlia’s past life, Elizete drifts through the maze of streets and houses as an illegal “woman from nowhere” (49) in search of work and a place to stay. Unable to name a cosmopolitan environment that “resisted knowing” since “[h]er names would not do for this place” (69-70), Elizete remains a speechless migrant outsider crashing into the racist and sexist borders of a Canadian system based on her subalternization. Whereas Verlia goes through an open-ended synthetic process of identitarian transculturation that enables her to transform cultural assimilation into neocultural reaggregation, Elizete’s final homecoming, her vow “to love [her island birthplace] and never to leave” (25), is effected by symbiotic intercultural contact. When Elizete meets Abena (Verlia’s ex-lover)inToronto,bothwomenbegintosharetheirindividual(hi)stories, nurturing their split psyches. Abena is convinced that “what she herself had to tell would fit well in the middle of this noise. She knew that it had a place in between names and grass and murmuring. That way it would go” (241). The bond between woman and the spoken word creates the “bridge” between women “to cross over” (16). Unlike Verlia, who moves through cultures and whose identity is shaped by a confluence of different cultural elements, Elizete is temporarily located between cultures–an insider looking out (in Grenada with Verlia)and an outsider looking in (with Abena in Toronto). The “bridge,” then, stands for female bonding and, perhaps most important, for Brand’s prophetic vision of an innovative imagination: the possibility of a nonexploitive, intersubjective cultural contact zone characterized by heterogeneous unity–a synthesis and/or symbiosis where differences explode hierarchical totalities. ***

Brand’s second novel, At the Full and Change of the Moon (1999), centers on the “life sentence” of the historical burden as a source of present-day Caribbean fragmentation, alienation, dispossession and migration. Eula summarizesthisquintessentialeffectoftheCaribbeanexperiencewhenshe describes her being-in-the-world of the 1980s as “[a] whole broken-up tragedy, standing in the middle of the world cracking” and her family as being “scattered out with a violent randomness” (258). The novel, in rendering a Caribbean family’s uprootedness throughout the African diaspora across six generations, searches for possible explanations of this migratory nature of Caribbean space. In contrast to her first novel, Brand traces Caribbean discontinuity in a linear chronotopic movement from the 1820s to the 1990s and from the Caribbean space to other parts of the

34 Between Canada and the Caribbean: Transcultural Contact Zones in the Works of Dionne Brand

Americas and Europe. This emphasis on the continuity of discontinuity frames a fragmented line of displaced lives in an infinite space that lacks boundaries circumscribing a homeplace. Eula, in a letter to her dead mother, states her longing for such a homeplace, a locality signifying (1) a geographical place, (2) an unbroken genealogical tree, and (3) a minable site of memory (246-47). The novel’s linear narrative then, underlines the ungraspable invisibility of a continuous line of dislocated lives characterized by geographical and emotional distance, madness, loneliness, hatred, self-loathing and violence spiralling in one form or another from one generation to the next. Brand’s epic story of a family’s struggle for survival depicts the historical, cultural and psychological fragmentation and discontinuity of its members as the source of destruction, social disorder, and psychosis: in their restlessness they are drifters through an “extended Caribbean” (Hulme, 1992: 4), always feeling out of place. Within the novel’s Caribbean “meta-archipelago,” which following Benítez-Rojo (1996: 4), has “neither a boundary nor a center,” characters such as Private Sones, Cordelia, Priest, Adrian, Maya and Eula float as “debris” (238) in “the damp and hungry interstices” of a world where “borders” may be rendered temporarily “invisible” but cannot be undone (167). In attempting to cope with their in-between subject positions in varied ways, they are never able to fully overcome and act on the neocolonial borders demarcating their destinies. The persistence of these borders, both internal(ized) and external, accepted and rejected, undermined and recreated, maps a specific “borderization” (Gómez-Peña, 1987: 1) of the Caribbean space exemplified by the characters’ individual experiences. Whether pushing drugs in the United States as illegal immigrants (Priest, Adrian) or working in a Canadian post office(Eula)orasaprostituteinEurope(Maya),theyallfollowmeandering paths laid out in the past without being aware of it or able to use the past as a key to re(-)member and explain the fragments of their shattered lives in the present. Brand mines her characters’ individual (hi)stories as sites of memory with the aim of decoding the roots of their dispossession. That is, the characters’ past experiences–sexual abuse, sexism, racism multi- national labour exploitation, and the imposition and internalization of metropolitan cultural values, among others–partially explain their emotional fragmentation and alienation as well as their migration. Although most characters are conscious of their individual memory, they do not discern the deeper motives for their errantry, which are buried in the lost traces of their collective unconscious–traces buried in the past through both an imposed and willed forgetting. As Eula posits: “I think we forget who we were. Nothing is changing, it is just that we are forgetting. All the centuries past may be one long sleep. Weare either put to sleep or we choose to sleep” (234). Eula points here to a history lived as “nonhistory,” which, in the words of Edouard Glissant, is a direct effect of the “ruptures” and “dislocation” originating from the “slave trade.” Hence, “historical

35 International Journal of Canadian Studies Revue internationale d’études canadiennes consciousness could not be deposited gradually and continuously like sediment … but came together in the context of shock, contraction, painful negation, and explosive forces.” This fragmented, discontinuous history has resulted in “the erasing of the collective memory” (Glissant, 1992: 61-62). Brand’s characters are unable to discern the historical conditions they were born into; conditions, which according to Brand, preordain Caribbean emigration (Birbalsingh, 1996: 121). The loss of collective memory and the inherent incapacity to grasp the conditions and roots of this absence render the characters’ “lived history as a steadily advancing neurosis” (Glissant, 1992: 65). These characters move through cultures without anchoring. Whereas, according to Glissant (1997: 34), “creol- ization carries along … into the … explosion of cultures” whereby “they are [not] scattered or mutually diluted” but mutually transformed through “their consensual, not imposed, sharing,” in Brand’s novel cultures crash in symbiosis, creating a variety of transcultural contact zones through which her characters move as if on schizo-walks. The following section will focus on Maya’s schizo-walk across a transcultural contact zone, bringing together the Caribbean and Europe in a tension-laden relationship. Having left Curaçao–the killing flames of Shell-operated oil fields, a domineering father and a consenting mother–Maya starts a new life in Europe. Walking down a street in Bruges with her husband and daughter, she is carried back to other places trying to grasp the events and itinerary which led up to her present situation, the “circumstances that no one could predict” (224). The chapter dealing with Maya’s experience, revealingly entitled “In a Window,” suggests a double reading of Maya’s experience at the intersection of the present and the past. Before getting married, Maya earns her living as a prostitute in Amsterdam. Posing in a window, Maya offers her brown body, adorned with “a fine gold chain,” to the piercing gazes of her clients. But instead of returning their looks she “watches herself in half light and half dark” (207). Positioned on a borderline that both separates the inside from the outside and connects them, “[a] place to look in and look out” (208), Maya chooses an inward gaze to demarcate the boundary of her inside place (window/body). Her resistance intent on defending her naked self against the invading gazes, however, has an opposite effect. Stimulated by Maya’s rejection, which undermines their power to conquer her body–this battle zone where light and darkness, desire and repulsion clash–her clients lace their invasion with violence, staging an iterative replay of the “lethal” sexual game between master and slave (210). “In this window,” Maya muses, “where all talk was no talk at all, all joy was induced and all greeting fiscal, who could be innocent? That there was such drama for something so ordinary meant that what was being traded was not sex at all.” So what is this “something else” (220) that Maya cannot understand? Why, as a married woman, is she incapable of loving her daughter, who feels her “absence” (225)? It is my contention that what is evoked through the window tableau and Maya’s emotionlessness is a contemporary version of the ongoing history of colonialism and resistance.

36 Between Canada and the Caribbean: Transcultural Contact Zones in the Works of Dionne Brand

On display in the window is the relation between the gaze of mastery–the exploring, exoticizing, surveillant male gaze of (neo)colonialism, body control and commodification–and the deformative gaze of the female Other(ed), the inward-oriented look in search of body control and desubalternization. The deferred exchange of these gazes spotlights a multidimensional, fractal in-betweenness imbued with time (past/present), race (white/coloured), gender (man/woman), place (Europe/Caribbean) and positioning (knowing subject/known object). What is highlighted through these symbiotic gazes, which symbolically clash on the female labouring body where they draw interrelated antagonistic maps of desire and self-determination, is Maya’s diaspora in-betweenness, the effect of a transcultural dislocation and dispossession whose roots go back to slavery, the plantation system, and maroon resistance, as is emphasized by the narrative’s opening and closing chapters. Her agency, as with the maroons, is ambivalent in that her “mimicry” consists of both resistance and collaboration.7 For Bhabha (1994: 86, 88) “mimicry is at once resemblance and menace.” It is an ambivalent form of “colonial imitation” whose “menace …isitsdouble vision which in disclosing the ambivalence of colonial discourse also disrupts its authority.” In other words, mimicry’s double vision demystifies the invention of the colonizer’s ethnoracial and cultural supremacy through its ambivalent slipperiness, what Bhabha calls “its excess, its difference.” Bhabha’s mimicry is an ambivalent process of “doubling … a metonymy of colonial desire”; a “desire that, through the repetition of partial presence, which is the basis of mimicry, articulates those disturbances of cultural, racial and historical difference that menace the narcissistic demand of colonial authority.” What Bhabha proposes, then, is a reinscription of the contact between opposed cultural epistemes in hybrid articulations within specific relations of power and historical circumstances–a process mediated by mimicry. Mimicry describes a discursive process in which different articulations are animated by the “partial presence” of the self within the other, such that the cultural difference of each is at once preserved and prevented through the “process ofdisavowal.”Thus,itisimportanttonotethatBhabha’smimicry,although embedded in hegemonic forces and practices, carries the menace of double vision in an unconscious, asocial way. As such, mimicry is an act of resistance that cannot effect sociocultural transformation. Mimicry, then, should not be confused with “hybridization,” which according to Bhabha (Olson and Worsham, 1999: 39) is a “social … discursive, enunciatory, cultural, subjective process” involving the conscious negotiation of subject positions and relations of power. In this sense, Maya’s mimicry is an unconscious, asocial agency within a neocolonial intercultural context. As is suggested by the “fine gold chain,” Maya both wants to play the game and resist its norms. Having decided to make her living as a prostitute in Europe so as “to drift on the cream of life”

37 International Journal of Canadian Studies Revue internationale d’études canadiennes

(215), Maya becomes both an active player and prisoner of her desires in this playacting of mimicry. Similar to the attitude of the maroons, Maya’s resistance is supplemented (and undermined) by collaboration, a willingness based on what Spivak (1995: 96) has called the migrants’ “common interest with dominant global capital.” Mimicry as playacting does not liberate Maya from her transcultural in-betweenness or from those global hegemonic forces that determine her destiny as they have determined the destinies of her ancestors. As an adolescent in Curaçao, a prostitute in Amsterdam and a wife and mother in Bruges, Maya is on the verge of a nervous breakdown, dreaming of another life, of leaving, moving on. Nowhere at home, Maya, like all the other characters in the novel, is a transient moving through a shifting transcultural contact zone. Whereas Maya’s mimicry is an unconscious agency of survival, Dionne Brand’s discursive mimicry constitutes a conscious agency of intervention. Derek Walcott (1993: 55) has defined mimicry as “an act of imagination,” a “design.” In her mimicry of the colonizer’s language, Brand re-articulates and re-designs images into alter-images and visions into re-visions. In the process, she masters the ideology of form by de-forming it, creating “in, while giving name to, her own i-mage” in an effort to unwrite and rewrite “the word wounded by the dislocation and imbalance of the world/i-mage equation” (Philip, 1996: 21). In other words, Brand’s mimicry transforms transcultural in-betweenness as an unconscious, liminal state into a synthetic transcultural home within language–a home characterized by relations in which cultural differences are not sublated as they flow together into new forms. Brand’s discursive mimicry becomes transwriting; that is, a writing that crosses a transcultural contact zone, striving to go beyond, to transform this cultural limbo described earlier as a liminal state of trans- cultural in-betweenness, through an open-ended process of appropriation, reappropriation, continuity and rupture. ***

In Brand’s writing then, places and people are displaced into a repeating space of transcultural in-betweenness, where the self-awareness of self- conscious beings is deferred through a sequence of losses: transculturation as acculturation and deculturation. This is the dispossession of roots (history, culture, family, place) since the colonial past has “favoured,” according to Bernabé, Chamoiseau, and Confiant (1990: 896), “exteriority and fed the estrangement of the present.” Brand’s narrative highlights both the violence implicit in this transcultural process and its effect on the minds and bodies of her transculturated characters. Following Foucault (1986) and Augé (1992), this essay argues that the violent clash of different cultures in Brand’s novels throws her characters into heterotopic in-bet- ween nonplaces–a war zone where they see themselves and each other, as if through a mirror, multiply reflected: between here and there, a self othered

38 Between Canada and the Caribbean: Transcultural Contact Zones in the Works of Dionne Brand through external and/or internal images and a self re-created through an appropriation of these images. Thus, the mirror functions as a heterotopic trope-as-screen onto which the dynamic forces capable of limiting or prolonging transcultural identity formation are projected and transposed into a semiotic structure. Brand’s transwriting, as mentioned, works through this transcultural contact zone of the migratory Caribbean experience characterized by dispersal and displacement. Seen as reculturation it results in the revelation of the lost traces of history–the buried vestiges of a memory that is there, whether conscious or unconscious–intent on reconstructing the collective memory within a chronotope that opens up to a transcultural imagery in which, contrary to Ortiz’s and Rama’s and more akin to Benítez-Rojo’s understanding of transculturation, the synthetic and symbiotic relations between different cultural elements enhance their heterogeneity.

Notes 1. Antonio Cornejo Polar (2000: 194) suggests using the term “heterogeneity” as an alternative to transculturation since heterogeneity covers both cultural and social issues. Alberto Moreiras (2001: 234) regards the reconciliatory synthesis underlying transcultural processes as a complicit ideological practice of Western metaphysics. I will redeploy transculturation as disjunctive synthesis and symbiosis. 2. Although Ortiz sometimes uses the adjectives “synthetic” and “syncretist” to describe the transcultural nature of “the various economies and cultures … in Cuba” (1947: 99) and of Cuban music, their sense is undermined by the multiple unresolved “economic, social, and historical contrasts” which sustain Ortiz’s concept of transculturation. That the meaning of these adjectives resides in the tension of their complementary opposites, namely fusion and disjunction, becomes clear in the following passage: “The historic evolution of economic- social phenomena is extremely complex, and the variety of factors that determine them cause them to vary greatly in the course of their development; at times there are similarities that make them appear identical; at times the differences make them seem completely opposed” (97). 3. The issue of “coloniality,” then, is not “missing,” in Ortiz, as Mignolo (2000: 16) maintains, but constitutes the fermenting subtext of the main text, namely the issue of the nation and nationality. 4. For George Lamming (1960) this experience is characterized by two fundamental aspects: exile and displacement. 5. Here I am drawing on the “push-pull” thesis of migration described by Stephen Castles and Mark J. Miller (1993: 19-22). 6. For the difference between “space” and “place,” see Tuan (1977). 7. On these two contradictory sides of marronage, see Price (1979) and Campbell (1988).

Works Cited Augé, Marc. Non-Lieux. Introduction à une anthropologie de la surmodernité. Paris: Seuil, 1992.

39 International Journal of Canadian Studies Revue internationale d’études canadiennes

Baker, Houston A., Jr. Modernism and the Harlem Renaissance. Chicago: The University of Chicago Press, 1987. Benítez-Rojo, Antonio. The Repeating Island: The Caribbean and the Postmodern Perspective. Durham: Duke UP, 1996. Bernabé, Jean, Patrick Chamoiseau and Raphaël Confiant. “In Praise of Creoleness.” Callaloo 13.4 (Fall 1990): 886-909. Bhabha, Homi. The Location of Culture. London: Routledge, 1994. Birbalsingh, Frank, ed. Frontiers of Caribbean Literature in English. New York: St. Martin’s Press, 1996. 120-137. Boyce Davies, Carole. Black Women, Writing and Identity. New York: Routledge, 1994. Brand, Dionne. At the Full and Change of the Moon. New York: Grove Press, 1999. ——. In Another Place, Not Here. New York: Grove Press, 1996. ——. No Language Is Neutral. Toronto: Coach House Press, 1990. ——. “Sketches in transit … going home.” Sans Souci and Other Stories. Ithaca: Firebrand Books, 1989. 131-145. Campbell, Mavis C. The Maroons of Jamaica: 1655-1796: A History of Resistance, Collaboration and Betrayal. Granby, Mass.: Bergin and Garvey, 1988. Castles, Stephen, and Mark J. Miller. The Age of Migration: International Population Movements in the Modern World. London: Macmillan, 1993. Condé, Maryse. Desirada. Trans. Richard Philcox. New York: Soho Press, 2000. Cornejo Polar, Antonio. O Condor Voa: Literatura e Cultura Latino-Americanas. Ed. Mario J. Valdés. Trans. Ilka Valle de Carvalho. Belo Horizonte: Editora UFMG, 2000. Du Bois, W. E. B. The Souls of Black Folk. Greenwich, Conn.: Fawcett, 1961. Foucault, Michel. “Of Other Spaces.” Diacritics 16.1 (Spring 1986): 22-27. Gennep, Arnold van. Les rites de passage. Paris: Émile Noutry, 1909. Glissant, Édouard. Caribbean Discourse. Trans. J. Michael Dash. Charlottesville: University Press of Virginia, 1992. ——. Poetics of Relation. Trans. Betsy Wing. Ann Arbor: The University of Michigan Press, 1997. Gómez-Peña, Guillermo. “Border Culture and Deterritorialization.” La Linea Quebrada 2.2 (March 1987): 1-10. Hall, Stuart. “Cultural Identity and Diaspora.” Diaspora and Visual Culture. Ed. Nicholas Mirzoeff. London: Routledge, 2000. 21-33. Hulme, Peter. Colonial Encounters: Europe and the Native Caribbean, 1492-1797. London: Routledge, 1992. Lamming, George. The Pleasures of Exile. Ann Arbor: The University of Michigan Press, 1960. Lezama Lima, José. La expresión americana. Mexico D.F.: Fondo de Cultura Económica, 1993. Mignolo, Walter D. Local Histories/Global Designs: Coloniality, Subaltern Knowledges, and Border Thinking. Princeton: Princeton UP, 2000. Minh-ha, Trinh. When the Moon Waxes Red. New York: Routledge, 1991. Moreiras, Alberto. A Exaustão da Diferença: A Política dos Estudos Culturais Latino- Americanos. Trans. Eliana Lourenço de Lima Reis and Gláucia Renate Gonçalves. Belo Horizonte: Editora UFMG, 2001. Morejón, Nancy. Nación y Mestizaje en Nicolás Guillén. La Habana: Ediciones Unión, 1982. Olson, Gary A., and Lynn Worsham, “Staging the Politics of Difference: Homi Bhabha’s Critical Literacy.” Race, Rhetoric, and the Postcolonial. Eds. Gary A. Olson and Lynn Worsham. New York: State University of New York Press, 1999. 3-39. Ortiz, Fernando. Cuban Counterpoint: Tobacco and Sugar. Trans. Harriet de Onis. New York: Alfred A. Knopf, 1947. Philip, Marlene Nourbese. She Tries Her Tongue, Her Silence Softly Breaks. Charlottetown: Ragweed Press, 1996. Pratt, Mary Louise. Imperial Eyes: Travel Writing and Transculturation. London: Routledge, 1992.

40 Between Canada and the Caribbean: Transcultural Contact Zones in the Works of Dionne Brand

Price, Richard, ed. Maroon Societies: Rebel Slave Communities in the Americas. Baltimore: Johns Hopkins UP, 1979. Rama, Angel. Transculturación narrativa en América Latina. México: Siglo Veintiuno, 1982. Spivak, Gayatri Ch. “In the New World Order: A Speech.” Marxism in the Postmodern Age: Confronting the New World Order. Eds. Antonio Callari, Stephen Cullenberg and Carole Biewener. New York/London: The Guilford Press, 1995. 89-97. Tuan, Yi-Fu. Space and Place: The Perspective of Experience. Minneapolis: The University of Minnesota Press, 1977. Turner, Victor. Dramas, Fields, and Metaphors. Ithaca: Cornell UP, 1974. Walcott, Derek. “The Caribbean: Culture or Mimicry?” Critical Perspectives on Derek Walcott. Ed. Robert D. Hammer. Washington DC.: Three Continents Press, 1993. 51-57.

41

Józef Kwaterko

L’américanité : voies du concept et voix de la fiction au Québec et dans la Caraïbe

Résumé Cet article se propose d’interroger une série de conceptualisations de l’américanité, greffées sur le topoï ou idéologème « Amérique », afin d’observer leur mise en fiction (thématisation et narrativisation) au Québec et dans la Caraïbe francophone. On remarquera qu’à côté des concepts qui instrumentalisent la problématique de l’américanité en opérant des clivages et des dichotomies dans le cadre postcolonial, on trouve dans le discours scientifique et intellectuel de ces deux espaces des postulats d’ouverture fondés sur le principe de transculturation. Ces deux perspectives sont examinées succinctement dans leurs possibles déplacements fictionnels chez différents auteurs québécois (depuis Louis Fréchette et Gabrielle Roy jusqu’à Régine Robin et Émile Ollivier) et franco-caribéens (depuis le mouvement indigéniste en passant par « l’antillanité » d’Édouard Glissant et la littérature des femmes, Simone Schwarz-Bart et Maryse Condé, jusqu’à la « créolité » de Patrick Chamoiseau). Il s’agira de signaler au sein de la fiction de ces deux champs culturels franco-américains certains enjeux et stratégies imaginaires de la réappropriation de l’Amérique sur un mode postnational et transidentitaire qui remet en question les discours politico-esthétiques en présence.

Abstract This paper aims to explore a series of attempts at conceptualizing American- ness that are grafted on the topos, or ideologeme, “America,” in order to examine the manner in which they are fictionalized (through thematization and narrativization) and this both in Québec and in the French-speaking Caribbean. It will be appreciated that, in addition to concepts that serve to instrumentalize the problematic of Americanness through sharp divisions and dichotomies in the postcolonial context, one can find, in both the scientific and intellectual discourses on those two spaces, certain postulates of openness that are based on the principle of cultural exchanges. Both disparate outlooks are examined from the vantage point of their possible fictional shifts in the works of different writers, both from Québec (from Louis Fréchette and Gabrielle Roy to Régine Robin and Émille Ollivier) and from the French- speaking Caribbean (from the Indigenist movement to Patrick Chamoiseau’s “créolité” (Creolness) to Édouard Glissant’s “antillanité” (Antillaniness) and the feminist literature of Simon Schwarz-Bart and Maryse Condé). The purpose of the paper is to emphasize, within the framework of fictional writings of both of these very different Franco-American cultural areas, certain imaginary stakes and strategies that aim at regaining ownership of

International Journal of Canadian Studies / Revue internationale d’études canadiennes 27, Spring / Printemps 2003 International Journal of Canadian Studies Revue internationale d’études canadiennes

America on a postnational and transidentitary mode that calls into question the predominant political and aesthetic discourses.

Si depuis les années 1980 l’image-concept d’américanité a été l’objet d’un flou sémantique et des approximations souvent confuses – espace, lieu, mythe de la nature ou de la nouveauté, sentiment de découverte, américanisation (the Americain way of life), melting pot, ouverture continentale, urbanité débridée, absence d’historicité1 –, il semble connaître aujourd’hui une crise épistémologique assez aiguë. En schématisant, on peut désigner deux façons de concevoir l’Amérique face aux interrogations sur l’évolution du monde dans le futur. D’une part, il s’agit d’une pensée réparatrice qui replace le brassage des cultures et des identitésdelapériodecolonialedanslecadredessolidaritésinterculturelles postcoloniales, associées à une reterritorialisation panaméricaine, à une americanidad renouvelée. Comme le préconise clairement l’historien québécois, Gérard Bouchard : « Si une nouvelle vision du monde panamé- ricaine devait prendre forme, ce ne pourraît être […] que sur le mode d’une protestation, d’une résistance et d’une affirmation qui redonnent une voix et un espoir aux dépossédés du Nouveau Monde. Autrement dit : d’un contre-récit. » (Bouchard, 2001, p. 184) Il en va précisément d’un parti pris idéologique qui revalorise le national derrière un discours sur la décolo- nisation de type nouveau –, là où la situation transculturelle et métissée des cultures américaines contemporaines est opposée tant aux cultures des vieilles métropoles européennes, que l’on prétend souvent à tort non métissables, qu’à l’hégémonie économico-politique des États-Unis2. Remplie de bons sentiments et d’attitudes moralisatrices dont la générosité ne fait aucun doute, cette pensée recherche de nouvelles alliances interculturelles entre les nations aux parcours brisés, consécutifs à la colonisation. Qu’elle accrédite une américanité transnationalitaire et volontairement utopique, celle des collectivités neuves en rupture avec les anciennes métropoles et résistant au « grand récit états-unien » (Bouchard, 2000), idéalise l’antériorité amérindienne sur les autres cultures améri- caines résultant de l’immigration – pensons à l’idée d’une « américité » primordiale (Sioui, 1989) et d’« Amérindie » (Dussel, 1995) – ou qu’elle mythifie une authenticité africaine-américaine inaltérable et prémoderne (Price, 1991), il s’agit dans presque tous les cas de figure d’une rhétorique de l’altérité qui met le doigt sur les blessures historiques et qui pathétise les conflits. Dans le même geste, en projetant les affrontements du passé dans un continuum postcolonial et postmoderne, cette perspective « culturaliste » et radicalement relativiste (résolument critique de la raison occidentale) occulte le potentiel de réconciliation pour montrer indéfini- ment un face-à-face conflictuel entre les cultures conquérantes et conquises, dominantes et dominées, pré-coloniales et postcoloniales, populaires et élitistes (technocratiques, impérialistes). Or, comme il s’agit d’une saisie adversative et dichotomique des Amériques qui associe la mondialisation à une américanisation rampante (imposition d’une même

44 L’américanité : voies du concept et voix de la fiction au Québec et dans la Caraïbe matrice économique et culturelle), elle tend plutôt à dépister les phénomènes de déculturation (déracinement, assimilation) et à donner la priorité à la problématique de l’acculturation (là où la « subsistance » et la « persistance » des substrats indigènes et ethniques dans le processus d’inculturation sont ramenées généralement à des tactiques de résistance). Il va de soi qu’une telle perspective reste moins attentive à des phénomènes de néo-culturation ou de transculturation qui définissent l’hétérogénéité identitaire constitutive des Amériques, au sens que Jean-François Côté donne à l’« hybridité culturelle originale, qui se réfléchit tout autant dans les expressions coloniales (donc, prénationales), que nationales et continentales (ou postnationales) » (in Cuccioletta, Côté, Lesemann, 2001, p. 23). Le vieux et le nouveau, on le sait, ne recouvrent pas automatiquement les notions de bon ou de mauvais. On a toutefois l’impression que derrière la nouvelle rhétorique de l’altérité qui porte les marques de l’obsession de la nouveauté et qui idéalise les nations vaincues, resurgissent des phantasmes, longtemps refoulés, d’une pureté passée à retrouver. Au point que l’on se demande si l’axiologie de la métamorphose comme synonyme de la « bonne » américanité ne remet pas à l’honneur soit les vieilles utopies européennes de la fondation (Nouvelle-France, Nouvelle-Angleterre, Nouveau-Mexique, etc.), soit les idées d’une société sans filiation ni fardeau du passé inspirées de la philosophie des Lumières (Hobbes, Locke, Rousseau), soit encore le positivisme politique d’un Tocqueville (Thériault, 2002, p. 32; Gruzinski, 1999, p. 52-53). À l’autre versant de la conceptualisation contemporaine de l’américanité, l’on trouve des travaux qui pensent l’Amérique également en termes de métamorphose. Celle-ci est toutefois perçue comme procès de transculturation, au sens de transmutation des cultures les unes par les autres résultant d’interpénétration constante et inachevée des éléments allogènes. Une telle saisie de l’américanité s’élabore aussi bien dans les Amériques qu’ailleurs dans diverses disciplines : philosophie, sociologie, histoire des idées, anthropologie culturelle, ethnographie, critique de l’art et critique littéraire3. Malgré une diversité d’approches, de notions, de concepts d’analyse, de topoï et d’idées-images (« anthropophagie culturelle », carnavalisation, hybridité, créolisation, métissage, « trans- valoration », simulacre, poétique de la relation, réel merveilleux, néo- baroque, polyphonie, pensée de la marge, entre-deux, in-between, réadaptation, remake, revival, « recyclage culturel »), ces approches et interrogations semblent avoir plusieurs postulats en commun. Il s’agit avant tout d’échapper aux oppositions binaires et manichéennes et de penserl’Amériquedansunecomplexitéidentitaireetculturelleoùl’Europe et les États-Unis ne servent ni de remorque ni de repoussoir. Un autre enjeux visible est de s’émanciper de l’axiologie de l’identité nationale (qu’elle soit majoritaire ou minoritaire) ainsi que des cadres territoriaux, ethniques ou communautaires de l’analyse, et de comprendre les transferts, les

45 International Journal of Canadian Studies Revue internationale d’études canadiennes métissages culturels ainsi que les mutations dans l’ordre de représentation des Amériques comme processus de transaction et de négociation identitaire qui échappe aux certitudes de type évolutionniste avec ses catégories de causalité et de linéarité historique. Comme l’a démontré Serge Gruzinski sur l’exemple du choc de la conquête du Mexique au XVIe siècle, suivi d’un double déracinement civilisationnel, amérindien et espagnol, la colonisation a favorisé un métissage complexe (musical, scriptural, pictural et linguistique) qui a profondément hybridisé les sociétésenprésenceaufildesconcessionsréciproquesetdesdérapagesaux projets coloniaux : « L’occidentalisation n’a pas été qu’une irruption destructrice ou une entreprise normalisatrice, puisqu’elle a pris part à la création des formes d’expression métisses. Une part à la fois calculée et involontaire, mais une part indéniable » (Gruzinski, 1999, p. 293). L’idée de transculturation, inhérente aux échanges culturels, n’exclut donc ni les rapports de force manifestes ou occultés ni les relations inégalitaires et bouleversements douloureux issus de l’époque coloniale. Elle permet en outre de penser l’américanité comme métamorphose, repérable toutefois au-delà d’une conception euphorique du métissage (biologique, religieux, linguistique ou social) qui tend à accréditer une résorption des contraires par syncrétisme, fusion, osmose ou toute autre forme de sublimation de synthèse culturelle « réussie »4. Enfin, s’agissant cette fois d’un postulat heuristique et méthodologique, plusieurs travaux qui s’inscrivent dans cette perspective transculturelle non-culturaliste sortent de cadres purement théoriques et spéculatifs afin d’étudier l’américanité à l’œuvre, à travers un examen détaillé, souvent minutieux, de pratiques sociales, de rituels, de croyances, de discours en circulation ainsi que d’expressions artistiques et littéraires concrètes. Vue dans cette perspective, une étude diachronique sélective du corpus littéraire québécois et caribéen permettrait de situer la représentation de l’Amérique dans une dynamique interaméricaine historiquement confi- gurée qui n’exclut pas artificiellement les influences européennes ou l’effet de la culture des États-Unis. Loin de gommer les différences, l’avantage d’une lecture de type littéraire serait de pouvoir situer cette problématique interaméricaine hors du champ proprement conceptuel, miné par de fausses alternatives et des surenchères idéologiques, afin d’observer comment la fiction (et l’imaginaire culturel de l’écrivain) à la fois absorbe et retravaille esthétiquement les idéologèmes et les topoï qui narrent l’Amérique dans le discours social.

Au-delà des grands récits Pour illustrer succintement la façon dont cette problématique s’articule dans la production littéraire au Québec, on pourrait s’appuyer sur des perspectives déjà ouvertes qui proposent une diversité de schèmes interprétatifs. En études québécoises, on dispose déjà des concepts opératoires, comme ceux proposés naguère par Jacques Languirand (1975,

46 L’américanité : voies du concept et voix de la fiction au Québec et dans la Caraïbe p. 224) : sédentarisme et nomadisme. Le nomadisme, associé à la « tendance dionysienne à l’américanité » (p. 231) et rattaché à l’exploration française du continent, serait inhibé ou avorté dans plusieurs œuvres québécoises qui exhibent plutôt la tendance apollinienne, introvertie (comme dans le cas de Menaud, maître draveur de Félix-Antoine Savard). On peut songer aussi au couple notionnel proposé par l’historien, Raymond Montpetit (1986, p. 140), pour qui l’américanité (projet, virtualité) s’opposerait à l’« américanitude » (habitude et consommation passive de la culture nord-américaine en milieu urbain). Mais il semble que l’on aura l’avantage de recourir à des catégories moins disjonctives, fondées plutôt sur l’ambiguïté que sur l’ambivalence ou le dualisme. Parmi celles-ci, évoquons la coprésence tensionnelle dans le tissu romanesque des structures héroïques (diurnes) et mystiques (nocturnes)lesquelles,selonJeanMorency,réinvestissentlareprésentation imaginaire de l’Amérique, au sens d’un mythe commun (projection vers un ailleurs), présent chez de nombreux écrivains québécois et états-uniens depuis le XIXe siècle jusqu’à nos jours (Morency, p. 225-235). On pourra invoquer également la distinction non disjonctive que Simon Harel perçoit entre altérité (perception angoissée de l’étranger comme sujet dissem- blable) et altération de l’identité (médiation intrinsèque de l’Autre, abolition de la distance, passage à l’étrangeté). Dépistée dans les mécanismes discursifs du roman québécois contemporain comme négo- ciation interculturelle, cette dernière modalité figure la revendication de l’américanité continentale, hors de l’espace originaire (le Québec). En tant que virtualité dialogique, posée en contrepoint d’un discours sur la dif- férence culturelle, l’altération de l’identité signalerait en même temps le parcours que doit faire la littérature québécoise pour accéder à sa véritable cosmopolitisation (Harel, 1989, p. 62-70). Si Pierre Nepveu (1998, p. 7-9) ouvre une perspective analogue, son originalité consiste à démontrer à partir de textes poétiques, romanesques et essayistiques des Amériques (au Québec, en Ontario, en Acadie, aux États-Unis et au Brésil), comment l’intériorité (sur le plan physique et psychique) et l’extériorité (élans d’expansion ou de conquête inhérents aux grands mythes américains) ne s’annulent pas, mais s’aimantent et s’articulent sur une coprésence fragile. Selon Nepveu, cette tension dynamique entre les différences, au plus intime de l’écriture, a pu doter la littérature québécoise d’une potentialité dialogique interaméricaine depuis ses débuts (Marie de l’Incarnation, Laure Conan) et au long du XXe siècle (dans la poésie de Saint-Denys Garneau, Alain Grandbois et Paul-Marie Lapointe), jusqu’aux transferts américains récents, opérés sur le monde imaginaire (du Sud au Nord-Est québécois) par les écrivains de l’immigration haïtienne (p. 328-330). Ces formulations et propositions interprétatives mettent en lumière l’américanité de la littérature québécoise non pas tant comme quête d’identité, crise d’identité ou perte d’identité, mais comme mode de connaissance du caractère changeant et paradoxal du réel américain,

47 International Journal of Canadian Studies Revue internationale d’études canadiennes marqué par le flux du multiple et des contradictions en apparence irréconciliables, mais qui favorisent l’affleurement de l’étrangeté « en -dedans », reconnue et éprouvée par le sujet (narrateur et/ou personnage) comme une altérité en soi5. Dans la majorité des approches critiques mentionnées, il s’agit de mettre au jour la thématisation active de l’Amérique dans le texte, de montrer, à travers une diversité de stratégies discursives et narratives, une dimension proprement esthétique de l’américanité, perceptible dans le lexique, les motifs, les symboles, dans l’imaginaire de l’espace et celui de la langue ainsi que dans le rapport à la mémoire et au passé historique. À suivre cette piste accommodatrice et textuelle sur une longue durée, on pourrait faire l’hypothèse que la littérature québécoise limite, réprime ou dilapide son aventure américaine chaque fois qu’elle s’empare de l’Amérique pour se chercher une origine ou une filiation, que ce soit sur un mode identitaire négatif, mobilisé par les idéologèmes inhérents au discours social (comme ceux d’abandon par la France, de menace identitaire ou d’aliénation historique) ou sur un mode euphorique qui exprime une extase, un plongeon corps et âme dans l’espace sociohis- torique américain au sens d’une affinité élective, fortement idéalisée. Sur ce plan, à titre d’exemple, La légende d’un peuple (1887) de Louis Fréchette, long poème épique hanté par l’héroïsation d’une Amérique française à jamais perdue, par le projet utopique d’une improbable alliance entre la Louisiane, le Mississipi et la Baie d’Hudson, apparaît comme une œuvre collée sur le discours du romantisme français où tout se joue dans la représentation manichéiste de l’Amérique, opposant la France à l’Angleterre. Pourtant, ce mimétisme s’opère non pas tant parce que Fréchette se nourrit d’un puissant intertexte que sont La légende d’un siècle de Hugo et Atala de Chateaubriand, mais parce qu’il s’en sert sur un mode instrumental, au nom d’une prise de position idéologique à peine masquée contre la Confédération. À l’encontre de Fréchette, Nelligan, poète qui, pourrait-on dire, s’est frotté à toutes les esthétiques et à toutes les névroses cultivées par la poésie européenne (de Goethe à Rimbaud en passant par Baudelaire, Gauthier, Leconte de Lisle, Verlaine et Rodenbach)6, semble traduire une expérience typiquement américaine (ou québécoise, si l’on veut). Pour mesurer cette expérience, il ne suffit pas de dire que ses poèmes véhiculent les images de l’exil et de la folie qui sont, on le sait, le fondement de toute modernité littéraire (tant européenne qu’américaine), il faudra encore tenir compte d’une tonalité et d’une expressivité qui recyclent activement les poétiques européennes et qui expriment le désir d’une souveraineté mineure (au sens que Deleuze et Guatari donnent à l’écriture de Kafka). Tandis que Fréchette renoue avec l’héritage romantique européen sur un mode compensateur, visant à l’édification de la collectivité (comme l’attestent les poèmes « Joliett » et«ÀlaBaie de Hudson » de La légende d’un peuple), Nelligan, lui, n’adhère à aucun discours axiologique ou explicitement historicisé. Son langage poétique semble plutôt imprégné

48 L’américanité : voies du concept et voix de la fiction au Québec et dans la Caraïbe d’une hybridité et d’une mise en doute de l’identité (individuelle et collective) qui lui permet de décliner son « je » sur une autre appartenance – comme dans ce simple vers du « Soir d’hiver »:«jesuis la nouvelle Norvège/d’où les blonds ciels se sont allés ». Sentir une « étrangeté en soi » n’est-il pas le signe de l’américanité de Nelligan? À l’opposé d’un discours de la survivance américaine qui masque le sentiment de la perte patri- moniale, il s’agit d’un recyclage actif de modèles européens qui favorise le travail de la mimèsis de l’Amérique : une Amérique intérieure, construite à même le sentiment de non-coïncidence à soi et figurée comme un espace mental où l’onirique et le réel se négocient à travers les élans vers l’ailleurs du sujet-Nelligan, sans que jamais ne soit sacrifiée sa propre sa culture de référence (catholique, canadienne-française et irlandaise), ni son sentiment religieux et sa conscience d’un nécessaire repli (Marcotte, p. 99) : Prêtre, je suis hanté, c’est la nuit dans la ville, Mon âme est le donjon des mortels péchés noirs, Il pleut une tristesse horrible aux promenoirs Et personne ne vient de la plèbe servile.7 Dans le même ordre d’idées, mais en regard des représentations chronotopiques et tangibles de l’Amérique, on peut observer comment les romans « urbains » de Gabrielle Roy, Bonheur d’occasion (1945) et Alexandre Chenevert (1954), démasquent les contradictions du discours duplessiste (un Québec moderne, mais traditionnel) en mettant en jeu les grands idéologèmes – menace identitaire et progrès – générateurs de polé- miques idéologiques des années 1940, consécutives à la perception de l’American way of life envahissant les comportements collectifs des Québécois (Popovic, 1991, p. 89-90). En effet, le premier roman de Roy semble à la fois absorber et problématiser ces idéologèmes en circulation. D’une part, il tend à représenter Montréal comme lieu de pouvoir et de la domination anglaise sur l’ouvrier canadien-français (à mentalité paysanne et corporatiste). Dautre part, il raconte déjà une société marchant inéluctablement vers le capitalisme monopolistique : une américanisation effrénée, représentée tout autant par le mythe du self-made man qu’incarne Jacques Lévesque que par le modèle consumériste dont le personnage de Florentine Lacasse est hautement symbolique (voir respectivement Popovic, Kwaterko, Saint-Martin in Marie-André Beaudet, dir., 1999). Alexandre Chenevert figure déjà amplement le destin américain d’un Québec aux prises avec un cosmopolitisme accéléré par l’immigration de l’après-guerre ainsi qu’avec une urbanité de plus en plus polyglotte et homogénéisante – vérité nord-américaine que la doxa identitaire de l’époque ne veut pas reconnaître et dont le désarroi identitaire du personnage éponyme du roman est un symptôme névrotique (Kwaterko, 1994). Or, pour prendre un contre-exemple, on peut évoquer maints textes à l’époque de la Révolution tranquille qui rompent avec les topoï de la menace américaine pour revendiquer explicitement l’américanité comme

49 International Journal of Canadian Studies Revue internationale d’études canadiennes signededifférenceradicaleetcommevolontéd’affirmationd’unenouvelle identité québécoise en rupture avec l’aliénation séculaire. Cette stratégie est par trop visible dans le choix du joual comme langue d’écriture et à travers les figures du « nègre blanc d’Amérique » et du colonisé. Elle programme la lecture de plusieurs romans des auteurs proches de la revue Parti pris; on peut la repérer aisément dans L’Afficheur hurle (1965) de Paul Chamberland ou dans le poème-affiche « Speak White » (1969) de Michèle Lalonde sans parler de l’essai autobiographique de Pierre Vallières, Nègres blancs d’Amérique, paru en 1968. Ici et là, brandir son américanité comme langage initiatique du colonisé8 ou comme une identité humiliée et dégradée traduit certainement une américanité partagée avec tous les « damnés de la terre », une « négritude » et un « tiermondisme » québécois. Mais dans tous ces cas de figure, il s’agit d’une identitification avec une cause politique, d’une réappropriation de l’interculturalité américaine sur un mode idéologique – là où l’identitification avec le Nègre blanc ou avec le « mauvais sauvage » demeure le plus souvent vécue par substitution, comme emprunt, phantasme ou simulacre (Nepveu, 1990). Si, à la même époque, une appréhension originale de l’altérité américaine commence à se manifester, elle se situe plutôt du côté des romanciers qui récusent le joual et qui s’aventurent hors des cadres temporels et géographiques québécois, voire nord-américains. Avant tout, chez Hubert Aquin qui parodie dans Prochain épisode (1965) une intrigue à la James Bond située dans une Suisse polysémique, et qui fait de l’Italie de la Renaissance dans L’antiphonaire (1969) une figure en contrepoint des impasses de la révolution québécoise. Mais l’on peut entrevoir le même besoin d’écart de l’espace proprement communautaire (québécois) chez Réjean Ducharme qui, dans La fille de Christophe Colomb (1969), dévore, déconstruit et parodie les mythologies d’une (re)conquête de l’Amérique par le truchement d’un imaginaire verbal centrifuge, voyageur, transconti- nental (Marcotte, p. 93-94). Et, inversement, si dans les années 1980 la représentation spatio- temporelle, sociale et culturelle de l’Amérique se concrétise dans la fiction québécoise et que plusieurs romanciers multiplient les référents états- uniens et projettent leurs histoires en Californie pour s’enivrer de ses codes, mythes et mirages afin de mieux les transgresser ou les subvertir par l’ironie, la parodie ou le pastiche9 –, toute cette aventure américaine est encore assumée dans un rapport à l’extra-territorialité. Non pas tant à cause d’une volonté de résistance contre les pièges de l’indifférenciation et du nivellement culturel, mais parce que le sentiment d’un devenir hétérogène et métisse du Québec y est encore incapable de se départir d’un repli tactique, d’une reterritorialisation ou d’un retour identitaire (Harel, 1989, p. 159-207).

50 L’américanité : voies du concept et voix de la fiction au Québec et dans la Caraïbe

Une vocation transaméricaine Dans une étude perspicace, Laurent Mailhot nous invite à réfléchir à cette ambiguïté des projections américaines dans la littérature québécoise en constatant que « [l]’Amérique, c’est le rêve même, le Grand Rêve dont il faut pourtant se réveiller après qu’il nous a nourris. » (1992, p. 308). Pour sa part, François Ricard (1988, p. 15) voit le signe de ce réveil dans la normalisation de la littérature québécoise, dans sa diversification et dans la relativisation de ses codes. Il est légitime de dire que l’apport des écrivains immigrés au Québec depuis les années 1980 et, surtout, au tournant du siècle dernier, contribuera de façon décisive à une telle normalisation. Venus de tous les horizons culturels et géographiques, ces écrivains récusent tout repli territorial ou ethnique et transgressent tous les concepts d’une américanité spécifique à la littérature québécoise. Il faudrait peut-être remarquer que lorsque l’écrivain migrant avait été perçu, dans les années 1980 au Québec, comme un errant sans socle identitaire défini, la critique bienveillante a tenté de le récupérer comme écrivain néo- québécois, puis, de proche en proche, de légitimer par des accolades institutionnelles, la fascination pour l’interculturalité au Québec (Harel, 2001, p. 128-132). Plusieurs écrivains immigrés conscients des pièges d’assimilation à la majorité ont récusé le label de Néo-québécois et l’enfermement dans la catégorie d’écrivain migrant. Ils se sont exprimés contre toute marginalisation tant dans leurs œuvres (comme Régine Robin dans La Québécoite, paru en 1983, ou Marco Micone dans son poème, «SpeakWhat?»,paruen1989)quedirectement(voirlerecueild’entretiens de Suzanne Giguère, 2001; Émile Ollivier, 2001, p. 70). Dans la perspective de la textualisation de problématique de l’amé- ricanité toutefois, il importe de relever un autre trait marquant : après avoir été hantée par les thèmes de l’exil, du déchirement, des phantasmes d’intégration ou des angoisses d’enfermement, cette littérature rejoue aujourd’hui le deuil de l’origine non pas en le déclinant sur des relations binaires (le Québec et le Canada, le pays d’origine) ou par superposition de certains thèmes (marginalisation, folie, brouillage identitaire), mais plutôt en creusant « en dedans » une nouvelle altérité; autrement dit, en faisant de l’écriture en français au Québec un mode de connaissance des brassages et des métamorphoses qui surviennent dans les Amériques et qui ont trait à l’hybridité culturelle contemporaine. Dans La Québécoite (1983) et L’immense fatigue des pierres (1999) de Régine Robin, on voit cette hybridité et ces allers-retours comme un rapport transmémoriel qui instaure un dialogue interaméricain (et a fortiori européen) entre, d’une part, l’écriture juive d’avant l’Holocaust, celle de Sholem Stern, de Jacob Isaak Segal ou d’Abraham Moses Klein, écrivains yiddishophones de Montréal qui ont constitué au Québec la première communauté d’immigrants littéraires (Anctil, 2001) et, d’autre part, une judéité de l’écriture après Auschwitz, inassimilable à aucune singularité communautaire, à aucun parcours identitaire connu (Kwaterko, 1998,

51 International Journal of Canadian Studies Revue internationale d’études canadiennes p. 171-173). Ce même aspect est autrement articulé par les écrivains haïtiens exilés au Québec. Non pas tant parce qu’ils tropicalisent le Nord moyennantuneécriturebaroqueetludique,maisparcequ’entantqu’exilés, ils tentent une véritable aventure américaine à partir de la subjectivité du migrant, toujours à la croisée des mémoires et des appartenances. Cette aventure est puissamment revendiquée dans l’entreprise de Dany Laferrière qui s’empare dans Comment faire l’amour avec un nègre sans se fatiguer (1985) de l’altérité québécoise et de l’altérité « nègre » non pas à des fins totalisantes ou pour faire dialoguer les deux minoritaires (l’Haïtien et le Québécois), mais pour marquer son désir de l’appropriation de la pluralité américaine : « JE VEUX TOUTE L’AMÉRIQUE. Pas moins. Avec toutes les girls de Radio City, ses buildings, ses voitures, son énorme gaspillage et même sa bureaucratie » (Laferrière, 1985, p. 29). En multi- pliantlesréférenceslittérairesetlesallusionsculturelleslesplusdisparates, l’émigré haïtien déjoue les pièges de la « négritude » et se libère de la topique de déchirement (en l’occurrence, de l’écartèlement entre Haïti et Québec propre aux écrivains haïtiens de la première vague de l’exil) en faveur d’une nouvelle identité migrante et transculturelle (Simon, 1994, p. 173). Cette assomption d’une identité américaine hybride n’empêchera pas Laferrière de s’éloigner progressivement de l’horizon spatiotemporel québécois en vue d’un réenracinement imaginaire dans son pays d’origine. Si bien que les retrouvailles avec son Haïti dans ses autofictions – L’Odeur du café (1991), Pays sans chapeau (1997) ou Le Cri des oiseaux fous (2000) – s’effectuent toujours sur un mode tâtonnant qui signifie moins un retour à la communauté d’origine qu’un retour sur soi, une acceptation de la perte et une méditation sur sa propre étrangeté de l’exilé. L’œuvre d’Émile Ollivier donne tout le sens à cette pluralité de passerelles et de parcours qui débordent sans cesse le continent et qui font immerger l’espace-temps américain (québécois, haïtien, états-unien) dans une expérience transculturelle et transidentitaire. On le perçoit de façon singulière dans ce fragment de Mille eaux (1999) où Émile Ollivier se tourne vers son enfance créole pour ressusciter l’image d’un vieux réfugié Allemand vivant en bordure de son village natal et qu’il lui était défendu d’approcher : Cette image de l’Allemand me hante aujourd’hui encore. Il m’arrive de lui inventer une histoire, de fabuler sur son passé. Heinrich Heine raconte que lorsque Dante marchait à travers Vérone le peuple le montrait du doigt et murmurait qu’il était en enfer. Aurait-il pu sans cela décrire tous ses tourments ? Il ne les a pas tirés de son imagination, il les a vécus, éprouvés, vus, sentis, il était vraiment en enfer, dans la cité des damnés : il était en exil. […] Quand je repense aujourd’hui à cet homme, tout un imbroglio de questions se posent à moi. […] Comment peut-on vivre seul comme un grain de rosaire ? Était-il vraiment seul ? Où était-il hanté par une foule imaginaire ? […] Maître Théétète disait qu’il pouvait être un élément du IIIe Reich en fuite. Était-il seulement

52 L’américanité : voies du concept et voix de la fiction au Québec et dans la Caraïbe

allemand ? Déserteur, juif allemand, survivant d’Auschwitz, de Buchenwald ? Quel crime avait-il commis pour s’exiler ainsi ? Quelle déception l’avait relégué loin du monde, contraint à cet apprentissage de la solitude, de l’indifférence et de la pauvreté ? Que cherchait-il à oublier ? Depuis j’ai appris que, pour beaucoup d’Allemands, l’exil ne fût pas une nécessité matérielle mais une décision morale, un acte de courage et de lucidité. Au moment où l’Europe tout entière fut menacée de tomber sous la botte nazie, peu d’Européens avaient songé à s’exiler en Amérique. Ils voulaient demeurer près des frontières du Reich, revenir au plus vite, et surtout ne pas s’éloigner du pays. Privés de la possibilité de s’exprimer, traqués, torturés, plusieurs ont choisi l’exil dans des pays frontaliers où ils ont trouvé une liberté d’action. En ce temps- là, cette Amérique, vaste fabrique de mythologies, l’Amérique monstrueuse qui alliait l’immensité des paysages et des ressources humaines à la puissance de la technique et de l’argent, leur appa- raissait comme un espace culturel vide… Alors, lui, qu’était-il venu chercher si loin de sa terre natale? Je ne le saurai jamais : désespérance de l’Histoire ou de la Mémoire ? (107-108)

Vers une créolité « ex-centrique » Une telle poétique du dépaysement où l’américanité se laisse capter par une logique de la relation, au plus intime de la subjectivité, fait penser à de nouveaux enjeux interculturels dans la fiction franco-caribéennne en Haïti etdanslesAntillesfrançaises.Ilfautcependantreconnaîtrequecettefiction avait été longtemps aux prises avec la mythologie de l’identitaire pour s’opposer à la violence coloniale et afin de se défaire de modèles imposés. Comme l’a rappelé récemment Zilá Bernd, pour les écrivains indigénistes en Haïti qui proclament en 1927 leur américanité dans le premier numéro de La Revue indigène, il importe de construire une doctrine originelle afin de renouer les liens rompus entre l’Amérique hispanique et l’Amérique française. Or, le présupposé qui mobilise cette liaison fait obstacle au renouvellement esthétique vivement réclamé. Car sur le plan idéologique, se définir en termes d’un atavisme américain sert beaucoup plus à l’époque le discours sur le danger du « franco-tropisme » des élites haïtiennes et de l’aliénation culturelle que les pratiques effectives de mélange et d’hybri- dation (Bernd, 2002, p. 17-18). En 1932, dans l’unique numéro de Légitime défense (aussitôt délégalisé par la censure française), les étudiants antillais de Paris se heurtent au même problème : voulant rompre avec les modèles européens, ils se tournent cette fois vers les poètes noirs américains (Langston Hughes, Claude McKay) et vers les poètes indigénistes haïtiens (Carl Brouard, Émile Roumer, Philippe Toby-Marclin, Jacques Roumain) pour se réenraciner via Harlem et la négritude(avantAiméCésaireetLéopoldSédarSenghor)dansuneAfrique qui reste pour eux presque aussi mythique et lointaine que les cultures amérindiennes (caraïbe et arawak) pour les indigénistes haïtiens. Dès lors,

53 International Journal of Canadian Studies Revue internationale d’études canadiennes en tant que projection imaginaire et postulat idéologique, la revendication d’une américanité transnationale s’enlise peu à peu dans des schémas antithétiques qui fabriquent des mythologies différentialistes et des filiations primordiales (africaines, amérindiennes), mais qui réfèrent à un sentiment d’acculturation en situation coloniale et à des idéaux d’émanci- pation et d’égalité. Ces contradictions inhérantes au manifeste des jeunes Antillais montrent, selon Édouard Glissant, un permanent oscillement entre « l’amour et la haine du monde occidental », « une symbolique aliénante […] nouée à une volonté de dépassement par l’universel » (Glissant, [1981] 1997, p. 734-745). Il est indéniable que sur le plan proprement esthétique plusieurs œuvres de la négritude antillaise font preuve de résistance ou de stratégie de soumission transgressive du minoritaire à des discours, modèles et genres dominants : songeons aux Pigments (1937) de Léon-Gontram Damas ou aux Cahiers du retour au pays natal (1939) et à la Tragédie du roi Christophe (1963) d’Aimé Césaire. Mais il est tout aussi patent que la rhétorique de l’auto-affirmation et de la réappropriation identitaire commence à s’absolutiser pour prendre dès les années 1970 une dimension nettement essentialiste. On le voit clairement chez les écrivains qui idéalisent une « antillanité » locale : guyannaise (Berthène Juminier, Serge Patient), coolie (Maurice Virassamy, Ernest Moutoussamy), guadelou- péenne (Jacqueline Manicou) ou martiniquaise (les premiers récits de Raphaël Confiant). Avant les années 1980, rares sont les textes capables de s’écarter de la doxa identitaire pour proposer une poétique inventive, critique et non pas didactique, ayant prise sur le réel caribéen sans tomber dans l’essentialisme. En ce qui concerne Haïti, Gouverneurs de la rosée (1946) de Jacques Roumain apparaît comme le premier roman paysan qui bouscule le code nationaliste de l’indigénisme haïtien par l’alliage du marxisme et du réel-merveilleux afro-chrétien (Serres, 1973). Dans le sillage de Roumain, Jacques Stephen Alexis trouvera une authenticité de l’expression dans le mélange de sources africaines, amérindiennes (taïno et chemès) et occidentales (en particulier françaises). Ce brassage de cultures est d’ailleurs fortement revendiqué dans son essai, « Prolégomènes à un manifeste du réalisme merveilleux des Haïtiens » (1956). Mais l’originalité d’Alexis ne relève pas de la rupture avec l’indigénisme, obnubilé par la dimension africaine de la personnalité collective haïtienne, mais de la singularité d’une forme qui étend l’identité haïtienne au-delà des frontières raciales et ethniques. Dans son recueil de nouvelles, Romancéro aux étoiles (1960), cette libération de contraintes appelle une expressivité qui « baroquise » le français par un imaginaire verbal exubérant. Dans l’attention sérieuse accordée au merveilleux (la cosmogonie du vaudou, le surnaturel, l’insolite) et à la culture populaire haïtienne (le conte, la légende, les mythes), Alexis parvient à créer un espace interculturel : caribéen, latino-américain et européen. On peut sentir cette effervescence dulangagedansleportraitdelaprincesseArawak,Anacaona,dépeintparle Vieux Vent Caraïbe, co-narrateur du récit :

54 L’américanité : voies du concept et voix de la fiction au Québec et dans la Caraïbe

Les pieds de La Fleur d’Or étaient plus beaux que ces scarabées rouges et or du Plateau Central, ils étaient cambrés, polis, intelligents et ses orteils étaient des véritables bijoux vivants, vifs et prompts. Je m’enroulais sur ses pieds et ils vivaient en moi comme des oiseaux tièdes et respirants. Je coulais ma langue de ses chevilles à ses genoux […] ses jambes tendres, impatientes et douces comme de belles cannes créoles. […]. Je prenais son sexe emplumé dans ma bouche de vent, alors sa pulsation capricante se communiquait à ma chair vaporeuse et je devenais ce que nul vent ne pourra plus être, une palpitation fraîche et parfumée qui couvrait, englobait et frisait la Caraïbe tout entière!10 L’esthétique d’Alexis préfigurait ainsi la voie dans laquelle allaient s’engager plusieurs écrivains haïtiens demeurés au pays (comme Frank Étienne ou Gary Victor) ou qui ont fui la dictature des Duvaliers dans les diasporas. Il est significatif que cette voie fait toujours usage de la parole populaire et des images carnavalisées portées par plusieurs voix et mémoires11, et que tout en préservant l’imaginaire des origines elle accueille le métissage, la transformation, ouvre la fiction haïtienne à son devenir transculturel, désormais pleinement américain et créole. Dans les années 1980 et 1990, la littérature francophone des Petites Antilles va elle aussi se rapprocher des Amériques en revendiquant son « antillanité » (comme antithèse de la négritude) et sa « créolité » (Bernabé, Chamoiseau, Confiant, 1989). Or là aussi, on pourrait débusquer des réactions de défense piégées par une logique différentialiste qui fait de la créolisation du français standard une stratégie de déviance et d’infraction à la norme (visible surtout dans les premiers romans de Raphaël Confiant). Dans les premiers romans de Patrick Chamoiseu (Chronique de sept misères, 1986, Solibo Magnifique, 1988) l’ambition d’assimiler la réalité verbale à la réalité sociale (la culture populaire) relève d’une idéologie de la survivance qui contamine discrètement la représentation. La rhétorique de la créolité fétichise le lieu d’origine (les quartiers de bord de mer de Fort-de- France, royaume de « djobbeurs ») et gomme la diversité du réel antillais. La critique à peine voilée que les auteurs de l’Éloge de la créolité adressent à Édouard Glissant, en lui reprochant son indécision entre l’intériorité d’un « fondal-natal » et l’extériorité américaine, est à cet égard hautement significative : Plonger dans notre singularité, l’investir de manière projective, rejoindre à fond ce que nous sommes… sont des mots d’Édouard Glissant. L’objectif était en vue; pour appréhender cette civilisation antillaise dans son espace américain, il nous fallait sortir des cris, des symboles, des comminations fracassantes, des prophéties déclamatoires, tourner le dos à l’inscription fétichiste dans une universalité régie par les valeurs occidentales, afin d’entrer dans la minutieuse exploration de nous-mêmes […]. Un peu comme en fouilles archéologiques : l’espace étant quadrillé, avancer à petites touches de pinceau-brosse afin de rien altérer ou

55 International Journal of Canadian Studies Revue internationale d’études canadiennes

perdre de ce nous-mêmes enfoui sous la francisation. Mais les voies de pénétration dans l’Antillanité n’étant pas balisées, la chose fut plus facile à dire qu’à faire. […] Glissant lui-même ne nous y aidait pas tellement, pris par son propre travail, éloigné par son rythme, persuadé d’écrire pour des lecteurs futurs (1993, p. 22-23). À l’encontre de cette conception de l’identité créole, associée à la notion de territoire, on voit apparaître, dès les années 1980, des romancières qui pratiquent une « poétique du détour » (pour reprendre un terme de Glissant), c’est-à-dire un travail proprement esthétique qui desserre le cadastre antillais et le transborde dans un espace archipélique, continental et transcontinental. Ainsi dans Moi, Tituba sorcière noire… de Salem (1986), Maryse Condé transpose le parcours historique et géographique d’une esclave de la Barbade en une expérience imaginaire où la mémoire « nègre » consonne avec la mémoire anglo-protestante et judéo-espagnole. Ton beau capitaine (1987), monodrame de Simone Schwarz-Bart, s’offre à sa manière comme un récit où les altérités insulaires (guadeloupéenne et haïtienne) pourront communiquer à travers les rêves et les désillusions d’un couple séparé. C’est précisément cette même conscience du potentiel de la diversité culturelle américaine qui permet à Édouard Glissant de dépister dans son essai-fiction, Faulkner-Mississipi (1996) et dans son roman, Sartorius (1999), la similarité des procédés de mélange, de créolisation linguistique et d’hybridation narrative qui relient Faulkner à Saint-John Perse ainsi qu’à la parole de conteurs créoles. De surcroît, en résistant contre une « créolité » limitée uniquement à la question de la langue, à la créolisation du français à des fins strictement contre-identitaires (de démarcation du français métropolitain), Glissant propose une véritable « poétique » de la créolité : un texte « créolisé », ouvert sur le monde où s’affrontent et se confrontent des éléments linguistiques et culturels disparates, susceptibles de produire des effets esthétiques imprévisibles (Glissant, 1997). Sensible à la « parole du maître », Patrick Chamoiseau se fera plus réceptif aux virtualités d’une écriture créole multilingue. Dans son essai, Écrire au pays dominé (1997), qui se veut un dialogue avec Glissant, il conçoit la créolité comme invite à des reconfigurations identitaires en une « mosaïque incertaine, toujours conflictuelle et chaotique » (Chamoiseau, 1997, p. 200). Significativement, à partir de Texaco (1992) et de L’Esclave vieil homme et le molosse (1997), les romans de Chamoiseau proposeront des thèmes et des procédés qui feront un usage de la créolité capable de connexions dialogiques nouvelles entre les dominants et les dominés. On perçoit tout ce potentiel d’invention et d’audace esthétique dans Biblique des derniers gestes (2002), le plus récent roman de Patrick Chamoiseau. La prise en compte d’une identité culturelle interactive pourra y être figurée par des créatures hybrides (Sarah-Anaïs-Alicia, Deborah-Nicol, Balthasar Bodule-Jules : alter ego de Chamoiseau), dans un récit multidirectionnel, foisonnant de versions, d’hypothèses, d’énigmes –, là où l’antillanité et la

56 L’américanité : voies du concept et voix de la fiction au Québec et dans la Caraïbe créolité ne sont plus strictement antillaises ni strictement créoles, mais caraïbéennes, transaméricaines et européennes. Joël Des Rosiers, auteur haïtien du Québec, observe cette reconfigu- ration des paradigmes qui s’articulent sur une ex-centricité et une pluralité des références du monde créole : « Nous sommes des Haïtiens québécois comme nous sommes désormais Haïtiens français, américains, guade- loupéens, africains. Tel est le destin d’un petit pays mais d’une grande nation passant de la diaspora à la “métaspora” » (1996, 101). Il semble que la prise en compte de ce déplacement des limites identitaires vers une américanité rhizomatique, « métasporique », au-delà d’un pluralisme de surface, libère aujourd’hui les fictions francophones québécoises et caribéennes d’anciens carcans ethniques. En regard de la dynamique interne de ces fictions à l’heure actuelle, tout concept d’une différence américaine, fondée sur une idéologie sécurisante, ne pourrait que minima- liser la réalité polymorphe et créolisée des Amériques.

Notes 1. Pour le cas spécifique du Québec, voir Benoît Melançon, « La littérature québécoise et l’Amérique. Prolégomènes et bibliographie », Études françaises, 26 : 2 (1990) : 65-108. Pour une perspective comparatiste interaméricaine (Québec-Antilles-Brésil) voir Zilá Bernd, « Américanité : les transfers du concept », Interfaces Brasil/Canadá, 1:2 (2002) : 9-27. Pour une perspective comparatiste interdiscursive du XIXe siècle (Canada français-Amérique latine) voir Marie Couillard et Patrick Imbert (dir.), Les discours du Nouveau Monde au 19e siècle au Canada français et en Amérique latine/Los discursos del Nuevo Mundo en el siglo XIX en el Canadá francófono y en América latina, Ottawa, Legas, 1995, ainsi que Marie Couillard, « L’invention des Amériques : de barbarie/civilisation à oisiveté/travail », Revue canadienne de littérature comparée, vol. 27, n° 3, septembre 2003. 2. Pour le resurgissement de ce type de discours dans le domaine de la critique littéraire au Québec, voir Robert S. Schwartzwald, « Quel jardin pour la littérature québécoise? Rebondissement du discours de la décolonisation dans le paradigme postcolonial au Québec », dans Canadian Literatures and Postcol- onial Identities/Littératures canadiennes et identités postcoloniales (edited by/sous la direction de Marc Maufort & Franca Bellarsi), Bruxelles-Bern- Frankfurt/M-New York-Oxford-Wien, P.I.E.– Peter Lang, 2002, 79-89 (coll. New Comparative Poetics, n° 7, Nouvelle poétique comparative, n° 7). 3. Faute de pouvoir dresser ici un répertoire détaillé d’études dans ces diverses disciplines, on mentionnera les noms de certains chercheurs, intellectuels et écrivains qui travaillent dans l’aire latino-américaine hispanophone (Gonzalo Aguirre Beltrán, Emanuel Bonfil Batalla, Néstor García Cancilini, Ruben Darió, Irlemar Chiampi, Carlos Fuentes, Edmundo O’Gorman, Octavio Paz, Angel Rama et Iris M. Zavala) et lusophone (depuis Gilberto Freyre et Sergio Buarque de Holanda jusqu’à Lilian Pestre de Almeida, Donaldo Schüller et Zilá Bernd en passant par Haroldo de Campos, João Adolfo Hansen et Darcy Ribeiro), caribéenne (depuis Fernando Ortiz et Alejo Carpentier jusqu’à Jose Lezama Lima, Severo Sarduy, Maryse Condé, René Depestre, Patrick Chamoiseau et Édouard Glissant), états-unienne (les travaux de Walter Mignolo, Mary Louise

57 International Journal of Canadian Studies Revue internationale d’études canadiennes

Pratt, Paula-Gilbert Louis, Robert Schwartzwald dans la foulée de la pensée de Hyden White, Benedict Anderson, Frederic Jameson et de la relecture critique de Homi Bhabha et d’Edward Saïd), franco-canadienne et québécoise (Marie Couillard, Patrick Imbert, François Paré, Raoul Boudreau, Bernard Andrès, Jean-François Chassay, Simon Harel, Maximilien Laroche, Jean Larose, Pierre Nepveu, Alexis Nouss, Pierre Monette, Raymond Montpetit, Jean Morency, Sherry Simon, Yvan Lamonde, Jocelyn Létourneau, Walter Moser, Joseph Yvon Thériault) et européenne (Jean-Loup Amselle, Jean Baudrillard, Serge Gruzinski, Carmen Bernand, François Laplantine, Hans-Jürgen Lüsebrink). 4. Sur le plan socio-politique, l’option d’un métissage hors de toute porosité rappelle à plusieurs égards certains paradigmes sociodiscursifs qui nourrissent, tout au long du XIXe siècle, dans les Amériques, les utopies du progrès économico-industriel et d’une démocratie libérale à sens unique (intégration de la « barbarie » indigène à la « civilisation » américaine; métamorphose des Autochtones en Créoles euro- américains); voir Couillard, 2000. 5. Cette réflexion épistémologique et herméneutique est également pratiquée par Jean-François Chassay (dans L’ambiguïté américaine. Le roman québécois face aux États-Unis, Montréal, XYZ, 1995), Bernard Andrès (dans Écrire le Québec : de la contrainte à la contrariété, Montréal, XYZ, 1990) et dans le collectif L’Identitaire et le littéraire dans les Amériques (sous la dir. de Bernard Andrès et Zilá Bernd), Québec, Nota bene, 1999. 6. Voir à ce sujet les travaux fondamentaux de Paul Wyczynski : Émile Nelligan. Sources et originalité de son œuvre, Ottawa, Éditions de l’Université d’Ottawa, 1960 et Nelligan et la musique, Ottawa, Éditions de l’Université d’Ottawa, 1971. 7. « Confession nocturne » (fragment) dans Émile Nelligan. Poésies complètes 1896-1941, Montréal, Bibliothèque québécoise, 1992. 8. En 1965, Gérald Godin compare l’usage du joual à celui du jive talk, pig-latin, dog latin ou gumbo utilisés par les Noirs américains dans les années 1960 (Godin, 1965, p. 59). En 1968, il proclamera explicitement : « […] cette langue était en positif et est encore en positif le décalque de notre originalité en Amérique. Et en négatif le reflet de notre situation de colonisés » (Godin, 1968, p. 94). 9. Comme dans La première personne (1980) de Pierre Turgeon, Le voyageur discret (1981) de Gilles Archambault, Volkswagen blues (1984) de Jacques Poulin, Une histoire américaine (1986) de Jacques Godbout, Vendredi Friday d’Alain Poissant ou Copies conformes (1989) de Monique Larue. 10. Jacques-Stephen Alexis, « Dit de la Fleur d’Or » dans Romancéro aux étoiles, Paris, Gallimard, 1961, p. 158-159. 11. On voit bien cette poétique dans Hadriana dans tous mes rêves (1988) de René Depestre ou dans La Rue des pas perdus (1996) de Lyonnel Trouillot. On peut l’observer aussi dans les « fictions migrantes » récentes publiées au Québec par Stanley Péan (Zombie Blues, 1996) et par Marie-Célie Agnant (La dot de Sara, 2000; Le livre d’Emma, 2001).

Bibliographie Alexis, Jacques Stéphen, « Du réalisme merveilleux des Haïtiens », Présence africaine, numéro spécial (hors série), 1956, 245-271. –––––, Romancéro aux étoiles, Paris, Gallimard, 1960. Anctil, Pierre, « Vers une relecture de l’héritage littéraire yiddish montréalais », Études françaises, 37 : 3, 2001, 9-27. Aquin, Hubert, Prochain épisode, Montréal, Le Cercle du livre de France, 1965. –––––. L’Antiphonaire, Montréal, Le Cercle du livre de France, 1969.

58 L’américanité : voies du concept et voix de la fiction au Québec et dans la Caraïbe

Beaudet, Marie-Andrée (sous la dir. de), Bonheur d’occasion au pluriel. Lectures et approches critiques, Québec, Nota bene, 1999 (coll. Séminaires). Bernabé, Jean, Chamoiseau, Patrick, Confiant, Raphaël, Éloge de la créolité, Paris, Gallimard (1989) 1993. Bernd, Zilá, « Américanité : les transfers du concept », Interfaces Brasil/Canadá,1:2 (2002) : 9-27. Bouchard, Gérard, Genèses des nations et cultures du Nouveau Monde. Essai d’histoire comparée, Montréal, Boréal, 2000. –––––. « Le Québec, Les Amériques et les petites nations : une nouvelle frontière pour l’utopie ? » in Donald Cuccioletta, Jean-François Côté, Frédéric Lesemann (sous la dir. de), Le grand récit des Amériques. Polyphonie des identités culturelles dans le contexte de la continentalisation, Québec, Les Éditions du l’IQRC, 2001, 179-189. Chamoiseau, Patrick, Écrire au pays dominé, Paris, Gallimard, 1997. –––––. Biblique des derniers gestes, Paris, Gallimard, 2002. Condé, Maryse, Moi, Tituba sorcière noire… de Salem, Paris, Mercure de France, 1986. Côté, Jean-François, « Le renouveau du grand récit des Amériques : polyphonie de l’identité culturelle dans le contexte de la continentalisation » in Donald Cuccioletta, Jean-François Côté, Frédéric Lessmann (sous la dir. de), 2001, 9-37. Couillard, Marie, « L’invention des Amériques : de barbarie/civilisation à oisiveté/ travail », Revue canadienne de littérature comparée, vol. 27, n° 3, septembre 2003. Couillard, Marie et Imbert, Patrick (dir.), Les discours du Nouveau Monde au 19e siècle au Canada français et en Amérique latine/Los discursos del Nuevo Mundo en el siglo XIX en el Canadá francófono y en América latina, Ottawa, Legas, 1995. Cuccioletta, Donald, Côté, Jean-François, Lesemann, Frédéric, Le grand récit des Amériques. Polyphonie des identités culturelles dans le contexte de la continentalisation, Québec, les éditions de l’IQRC, 2001. Depestre, René, Hadriana dans tous mes rêves, Paris, Gallimard, 1988. Des Rosiers, Joël, Théories caraïbes. Poétique du déracinement, Montréal, Triptyque, 1996. Ducharme, Réjean, La fille de Christophe Colomb, Paris, Gallimard, 1969. Dussel, Enrique, The Invention of the Americas. Eclipse of “the Other” and the Myth of Modernity, New York, Continuum, 1995. Fréchette, Louis-Honoré, La Légende d’un peuple (poème), Paris, Librairie illustrée, 1887. Giguère, Suzanne, Passeurs culturels. Une littérature en mutation, Montréal, Les éditions de l’IQRC, 2001, coll. Échanges culturels. Glissant, Édouard, Le discours antillais, Paris, Seuil [1981], 1997. –––––, Faulkner-Mississipi, Paris, Stock, 1996. –––––, Traité du tout-monde, Paris, Gallimard, 1997. –––––, Sartorius, Paris, Gallimard, 1999. Godin, Gérald, « Le joual politique », Parti pris, vol. 2, mars 1965, 57-59. –––––, « Les écrivains et l’enseignement de la littérature », Liberté, vol. XI, n° 3, mai-juin, 1968, Gruzinski, Serge, La pensée métisse, Paris, Fayard, 1999. Harel, Simon, Le voleur de parcours. Identité et cosmopolitisme dans la littérature québécoise contemporaine, Longueil, Le Préambule, 1989 (coll. l’Univers des discours). –––––, « Entre solitude essentielle et sentiment d’appartenance. Résistances à l’intégration et subversion littéraire » in Yannick Resch (sous la dir. de), Définir l’intégration ? Perspectives nationales et représentations symboliques, Montréal, XYZ, 2001, 125- 132. Kwaterko, Józef, « La problématique interculturelle dans Alexandre Chenevert de Gabrielle Roy », University of Toronto Quarterly, 63 : 4 (1994) : 566-574. –––––, Le roman québécois et ses (inter)discours. Analyses sociocritiques, Québec, Nota bene, 1998 (coll. Littérature(s)). –––––, « Swinguer, valser… le chronotope de la danse dans Bonheur d’occasion » in Marie-Andrée Beaudet (sous la dir. de), 1999 : 139-164.

59 International Journal of Canadian Studies Revue internationale d’études canadiennes

Laferrière, Dany, Comment faire l’amour avec un nègre sans se fatiguer, Montréal : VLB, 1985. Languirand, Jacques, « Le Québec et l’américanité », Études françaises, 8 : 1 (1975) 143-157. Mailhot, Laurent, « Volkswagen blues, de Jacques Poulin et autres “histoires américaines” », dans Ouvrir le livre, Montréal, l’Hexagone, 1992, 299-309 (coll. Essais littéraires). Marcotte, Gilles, Littérature et circonstances, Montréal, l’Hexagone, 1989 (coll. Essais littéraires). Melançon, Benoît, « La littérature québécoise et l’Amérique. Prolégomènes et bibliographie », Études françaises, 26 : 2 (1990) : 65-108. Montpetit, Raymond, « Culture et milieu de vie : l’espace urbain à Montréal », Écrits du Canada français, 58 : (1986) : 132-144 (Québec/U.S.A.). Morency, Jean, Le mythe américain dans les fictions d’Amérique : de Washington Irving à Jacques Poulin. Québec : Nuit blanche, 1994. Nelligan, Émile, Poésies complètes 1896-1941, Montréal, Bibliothèque québécoise, 1992. Nepveu, Pierre, Intérieurs du Nouveau Monde. Essais sur la littérature du Québec et des Amériques, Montréal, Boréal, 1998 (coll. Papiers collés). –––––, « Le poème québécois de l’Amérique », Études françaises, 26 : 2 (1990) : 9-19. Ollivier, Émile, Mille eaux, Paris, Gallimard, 1999 (coll. Haute enfance). –––––, Repérages, Montréal, Leméac, 2001. Popovic, Pierre, 1991, « Retours d’Amérique », Études françaises, 27 : 1 (1991) : 89-90. –––––, « Le différend des cultures et des savoirs dans l’incipit de Bonheur d’occasion » in Marie-Andrée Beaudet (sous la dir. de), 1999 : 15-61. Price, Richard, First Time. The Historical Vision of an Afro-American People, Baltimore, The John Hopkins University Press, 1991. Ricard, François, « Remarques sur la normalisation d’une littérature », Écriture 31, 1988 (automne) : 11-19. Robin, Régine, La Québécoite, Montréal, Québec/Amérique, 1983. –––––, L’immense fatigue des pierres, Montréal, XYZ éditeur, 1999. Roumain, Jacques, Gouverneurs de la rosée, Paris, Éditions Messidor, 1988 [1946]. Roy, Gabrielle, Bonheur d’occasion, Montréal, Société des éd. Pascal, 1945. –––––, Alexandre Chenevert, Montréal, Beauchemin, 1954. Saint-Martin, Lori, « Réalisme et féminisme : une lecture au féminin de Bonheur d’occasion » in Marie-Andrée Beaudet (sous la dir. de), 1999 : 63-99. Schwarz-Bart, Simone, Ton beau capitaine, Paris, Seuil, 1987. Schwartzwald, Robert S., « Quel jardin pour la littérature québécoise? Rebondissement du discours de la décolonisation dans le paradigme postcolonial au Québec », dans Canadian Literatures and Postcolonial Identities/Littératures canadiennes et identités postcoloniales (edited by/sous la dir. de Marc Maufort et Franca Bellarsi), Bruxelles-Bern-Frankfurt/M-New York-Oxford-Wien, P.I.E.–Peter Lang, 2002 : 79-89 (coll. New Comparative Poetics, n° 7, Nouvelle poétique comparative, n° 7). Serres, Michel, « Christ Noir », Critique, année 39, n° 308, janvier 1973, 3-25. Simon, Sherry, Le Trafic de langues. Traduction et culture dans la littérature québécoise, Montréal, Boréal, 1994. Sioui, Georgres E., Pour une autohistoire amérindienne. Essai sur les fondements d’une mémoire sociale, Québec, Presses de l’Université Laval, 1989. Thériault, Joseph-Yvon, « L’Américanité contre l’américanisation : l’impasse de la nouvelle identité québécoise », Interfaces Brasil/Canadá,1:2,2002 : 26-36.

60 Daniel Chartier

Une voix parallèle de la fin du XIXe siècle au Québec : Sui Sin Far1

Résumé Dans cet article, l’auteur aborde les problématiques interprétatives de l’histoire littéraire que soulève le parcours atypique de l’écrivaine québécoise d’origine sino-anglaise Sui Sin Far. Par suite du renouvellement interprétatif du corpus national qu’a entraîné le courant des écritures migrantes, le parcours de l’auteure sur le continent américain, absent dans l’historiographie du Québec, témoigne de l’importance d’un regard nouveau sur les corpus marginaux de l’histoire de la vie littéraire au Québec. Marginale s’il en est une, Sui Sin Far (ou Edith Eaton) n’entretient pas de liens avec les acteurs de la vie littéraire au début du 20e siècle. Il n’en demeure pas moins que les questionnements que soulève la revendication de sa double identité se rapproche de la prise de parole migrante de la fin du 20e siècle au Québec; Sui Sin Far s’avère ainsi être une précurseure des problématiques qui animeront la vie littéraire près d’un siècle plus tard.

Abstract In this paper, the author deals with the interpretative problematics of literary history raised by the atypical journey of Sui Sin Far, a Québec writer of Chinese-English origin. As a result of the interpretative renewal of the national literary corpus brought about by the migrant literary movement, the author’s journey on the North American continent, never mentioned in Québec historiography, bears witness to the importance of considering marginal corpuses in a new light within the context of the history of literary life in Québec. A marginal figure, if there ever was one, Sui Sin Far (also known as Edith Eaton) maintained no relationship at all with the other actors on the local literary scene in the early years of the 20th century. And yet the questions raised by her claim to a dual identity are not unrelated to what happened when migrant writers eventually stole the spotlight in late 20th century Québec : Sui Sin Far thus appears as the forerunner of certain problematics that will become critical to Québec literary life a century later.

Le soir du 7 novembre 1895, « un certain nombre de jeunes gens2 » sont réunis à l’initiative des écrivains Louvigny de Montigny et Jean Charbonneau dans la salle du Palais de justice de Montréal, près du château de Ramezay où auront lieu leurs séances publiques quelques années plus tard; ils fondent, au cours de cette soirée, une académie qui prendra le nom d’École littéraire de Montréal. Lorsqu’ils se quittent et rentrent chez eux,

International Journal of Canadian Studies / Revue internationale d’études canadiennes 27, Spring / Printemps 2003 International Journal of Canadian Studies Revue internationale d’études canadiennes dans les maisons cossues du quartier latin, ils suivent le même trajet, de la rue Notre-Dame au carré Saint-Louis, qui leur permettra de raccompagner Émile Nelligan après la célèbre séance du 26 mai 1899 au cours de laquelle le poète, « l’œil enflammé, la voix sonore clama, comme l’écrit Jean Charbonneau, les strophes de la Romance du vin3 ». Or le soir du 7 novembre 1895, à quelques mètres seulement de là, une jeune fille frêle a quitté le bureau de sténographe qu’elle venait à peine d’ouvrir au coin de la rue Saint-Jacques et du boulevard Saint-Laurent, a remonté ce boulevard en traversant ce qui deviendra au XXe siècle le quartier chinois4 et a peut-être croisé les jeunes écrivains de l’École littéraire en marchant vers chez elle, dans le quartier populaire francophone de Hochelaga. Cette jeune fille, qui travaillait au journal Montreal Star depuis 1883 et qui publiait depuis 1888 des chroniques et de courts récits, quittera quelques années plus tard Montréal pour la Jamaïque, reviendra au pays, puis partira pour la côte ouest américaine avant de se réinstaller définitivement auprès de sa famille, à Montréal. Elle mourra peu de temps après, en 1914, et elle sera enterrée au cimetière du Mont-Royal, où elle repose toujours sous un curieux monument qui porte des caractères illisibles pour la majorité des Mont- réalais : des idéogrammes chinois. Ces derniers témoignent aujourd’hui encore de l’existence de cette étonnante femme, considérée comme la première écrivaine de fiction d’origine asiatique d’Amérique du Nord et pourtant totalement inconnue dans la vie littéraire du Québec5. Son existence et son œuvre, inscrites dans un régime constant et multiple de non-coïncidence, à l’image du parcours parallèle qui rendait sa rencontre avec les écrivains de l’époque impossible (par son sexe, sa langue, son origine ethnique et ses propos), constituent cependant un cas-limite qui nous permet de mesurer les possibilités historiques d’interprétation des œuvres des écrivains atypiques et les limites méthodologiques des concepts qui nous guident dans la rédaction de l’histoire littéraire ou de l’histoire de la vie littéraire. Si l’émergence dans la littérature québécoise de ce que le poète québécois d’origine haïtienne Robert-Berrouët Oriol a nommé « les écritures migrantes6 » a transformé les thématiques, les problématiques et la nature des œuvres littéraires lues et consacrées au Québec à partir de 19827, il faut toutefois attendre la fin des années 1990 pour que l’histoire littéraire tienne compte de ces changements structurels pour redéfinir son objet et s’ouvrir à des corpus jusque-là laissés dans l’ombre. Amorcé par les études féministes (Lucie Lequin, Maïr Verthuy et Christl Verduyn) qui tenaient enfin compte de l’apport des écrivaines émigrées à la constitution littéraire, ce virage a été en partie incorporé dans le projet collectif d’Histoire de la vie littéraire au Québec8 à partir de 1991, puis de manière plus spécifique dans des études à caractère synthétique ou historique, notamment celles de Simon Harel, Sherry Simon, Pierre Nepveu, Clément Moisan, Renate Hildebrand et moi-même9. Ce redéploiement historique permet aujourd’hui de considérer, dans la perspective élargie de la vie littéraire10 au Québec, des corpus qui ne sont pas directement liés au

62 Une voix parallèle de la fin du XIXe siècle au Québec : Sui Sin Far développement de la littérature québécoise (de langue française), mais qui concernent tout de même directement la vie littéraire du Québec : des écrivains de langue anglaise comme William Henry Drummond, Stephen Leacock et Neil Bissoondath, mais aussi des écrivains qui n’écrivent ni en français ni en anglais comme Hirsh Zvi Wolfsky, Négovan Rajic et Michele Pirone, ont été l’objet d’une attention nouvelle qui force à reconsidérer l’objet littéraire du Québec dans sa pluralité, mais qui modifie aussi l’interprétation que l’on peut proposer de leurs œuvres. À cet égard, l’œuvre d’Edith Eaton représente un cas typique de non- coïncidence et d’inscription parallèle dans la vie littéraire, qu’on a eu jusqu’à maintenant tendance à délaisser. Le fait qu’elle n’ait pas eu de liens avec les écrivains de son époque, qu’elle ait écrit en anglais, qu’elle ait eu des affinités plus marquées avec les instances éditoriales américaines que canadiennes, ont tour à tour justifié son absence dans l’historiographie du Québec. Pourtant aujourd’hui, ces mêmes raisons constituent autant de sujets qui rendent son œuvre fascinante et permettent justement de poser la question du silence et de l’absence des écrivains atypiques dans la rédaction des histoires littéraires. Aussi, ce croisement manqué avec les écrivains de son époque n’est que l’un des lieux de non-coïncidence qui marquent le parcours et l’œuvre d’Edith Eaton, qui choisit, à partir de 189611, d’écrire sous le pseudonyme chinois de « Sui Sin Far », un nom qui renvoie à la fois à son enfance et à sa volonté d’affirmer l’instabilité de son identité à travers des textes qui donneront une voix à ceux dont on parle, sans qu’on les entende. En période d’acerbe sinophobie12, tant au Canada qu’aux États-Unis, elle énonce un projet d’écriture qui se veut à la fois identitaire et dérangeant. Lorsqu’elle expose son intention de publier un livre, elle affirme sa volonté « d’implanter quelques pensées eurasiennes dans la littérature occi- dentale13 ». Aussi, elle écrit avec ironie et défi en 1910, dans une nouvelle intitulée La femme inférieure (The Inferior Woman):«Lafemme américaine peut écrire des livres sur les Chinois; pourquoi une femme chinoise ne pourrait-elle pas écrire un livre sur les Américains14?» Sui Sin Far représente un cas exceptionnel dans la vie littéraire de la fin du XIXe siècle en Amérique du Nord et au Québec. Née d’une mère chinoise et d’un père anglais, immigrée à Montréal avec sa famille en 1872, elle a décidé d’assumer le caractère mouvant et instable de son identité, et les textes qu’elle a laissés se trouvent décalés par rapport à la position de son temps et rejoignent plutôt les œuvres postmodernes de l’écriture migrante de la fin du XXe siècle. Son discours revendique toutes les facettes de sa singularité et transforme sa prise de parole en un geste politique et esthétique divergent. Immigrée, eurasienne, donc ni asiatique ni cauca- sienne et victime des préjugés des uns comme des autres, célibataire sans enfant, professionnelle du journalisme dès l’âge de dix-huit ans, elle vit une enfance difficile entre un père artiste et ruiné et une mère de quatorze enfants. Bien qu’elle doive contribuer au revenu familial en vendant sur les

63 International Journal of Canadian Studies Revue internationale d’études canadiennes trottoirs de la ville des lacets qu’elle tresse avec humilité, elle reste une jeune enfant qui doit craindre les dangers de l’urbanité :«Àdenombreux moments, j’ai eu peur de “disparaître mystérieusement”15 », écrit-elle. Elle comprend très tôt l’ambivalence de son métissage et à dix ans, elle constate la solitude qu’elle engendre : Je ne peux me confier ni à mon père ni à ma mère. Ils ne pourraient me comprendre. Comment le pourraient-ils? Il est Anglais, elle est Chinoise. Je ne suis ni comme l’un ni comme l’autre, une étrangère à mes propres parents. « Qui sommes-nous donc? », ai-je demandé à mon frère. « Qu’importe », a-t-il répondu. Et cependant, cela avait toute son importance.16 Cette précarité et cette prise de parole inattendue dans le discours du XIXe siècle se doublent d’une conscience du rôle de pionnière que lui fait jouer la société culturelle : première à forger le terme de « Chinese American », qui sous-tend la problématique de l’intégration et des dangers de la folklorisation, elle se confronte aussi à l’absence de modèle littéraire pour exprimer l’expérience du passage de la différence silencieuse vers l’énonciation de cette particularité. Elizabeth Ammons, l’une des premières à avoir étudié, avec Amy Ling et Annette White-Park, l’œuvre et le personnage d’Edith Eaton (tous deux difficilement séparables), écrit à propos de l’auteure dans Conflicting Stories: American Woman Writers at the Turn into the Twentith Century : « Elle n’avait aucun modèle littéraire, aucune femme comme elle qui avait publié auparavant et qui puisse lui servir de guide […] Le fait que Sui Sin Far ait pu s’inventer – et créer sa propre voix – dans ce climat de racisme étouffé et systématique constitue l’une des grandes avancées de la littérature nord-américaine du tournant du siècle.17 » De plus, on peut difficilement étudier la contribution littéraire d’Edith Eaton sans évoquer celle de sa sœur Winnifred, tant leurs choix esthétiques, leurs succès et leurs postérités divergent18. En parlant des rapports entre elle et sa sœur pendant leur enfance, Edith Eaton écrit : « Mes parents me comparent avec elle. […] Mon père me dit que je ne serai jamais plus que la moitié de ce qu’est ma mère ou de ce que sera ma sœur.19 » Winnifred devient elle aussi écrivaine, mais plutôt que de revendiquer la part chinoise d’elle-même, elle choisit de s’inventer une biographie et une identité japonaises, sous le pseudonyme de Onoto Watanna20, ce qui la soustrait au racisme ambiant, la coiffe de l’auréole exotique, mais la sépare à jamais de sa sœur Edith. Ce travestissement lui permet toutefois d’atteindre la fortune : elle fréquente les milieux littéraires new-yorkais, rencontre Mark Twain21, obtient des succès littéraires – elle publie une douzaine de romans, dont A Japanese Nightingale, vendu à plus de 200 000 exemplaires – et atteint même la gloire populaire sur Broadway et à Hollywood, où elle scénarise quelques films22. L’ironie du sort veut que ce soit Winnifred qui rédige la notice nécrologique de sa sœur, parue dans le New York Times en 1914 : elle transforme alors l’engagement d’Edith de manière à couvrir sa propre mystification. Elle y écrit que Sui Sin Far était la

64 Une voix parallèle de la fin du XIXe siècle au Québec : Sui Sin Far fille : d’« une noble Japonaise qui a été adoptée enfant par Sir Hugh Matheson23 ».Horsdeproposàsonépoque,danssonmilieu,danssafamille et dans sa revendication d’une identité subtile, mais équivoque, Edith Eaton n’a pas connu la coïncidence littéraire de sa sœur qui a su produire, en masquantcequ’elleétait,uneœuvrepopulairedontonsesouvientencore24, quoiqu’on la considère aujourd’hui comme un travestissement. L’enga- gement de Sui Sin Far se joue plutôt sur l’idée de non-coïncidence, un vecteurreconnuàlafinduXXe siècleetlégitimédansl’organisationsociale et culturelle comme une valorisation de la différence. À un siècle de distance, c’est aujourd’hui elle, et non Winnifred, qui occupe l’intérêt littéraire. Cette comparaison féconde entre les deux écrivaines, l’une définie comme opportuniste, avec une œuvre populaire et prévisible, quoique réussie et mettant en scène des couples mixtes composés d’une femme asiatique et d’un homme américain, et l’autre, symbole d’authenticité et de courage,quin’apuécrirequedecourtesfictions,engagéeàdonnerunevoix à des personnages faibles et honnis de la société nord-américaine, au talent littéraire mitigé, oubliée de la critique pendant près d’un siècle, est l’un des axes contemporains de la réception de l’œuvre de Sui Sin Far. Si cette dernière a été ignorée par l’institution littéraire de sa mort au début des années 1990, elle a été récupérée depuis par le discours féministe américain, notamment par Elizabeth Ammons25, S.E. Solberg26, Annette White-Parks et Amy Ling. Ces dernières ont réédité l’œuvre de Sui Sin Far en 199527, alors qu’Annette White-Parks faisait paraître, après sa thèse de doctorat28, une exhaustive biographie littéraire29. En 10 ans, on lui a ainsi consacré aux États-Unis 21 mémoires et thèses, une vingtaine d’articles scientifiques et chapitres de livres, et 2 volumes, dont une biographie et une réédition de son unique recueil. Cependant, Edith Eaton est jusqu’à aujourd’hui totalement absente du discours historique sur la vie littéraire au Québec, bien qu’elle y ait vécu la plus grande partie de sa vie. Aucune traduction vers le français, ni aucun article scientifique dans les revues d’études québécoises ne vient rendre compte de sa place atypique dans la vie littéraire ou culturelle, sinon une volonté affirmée par la communauté chinoise de Montréal de lui élever un monument30 et de lui consacrer une série annuelle de conférences31. La critique universitaire relève le caractère ambivalent de l’auteure, d’abord tiraillée par sa double identité, puis se portant à la défense de la part chinoise d’elle-même. Elle se situe ainsi à la source d’un renouvellement de l’image des Asiatiques et des Eurasiens dans la littérature, réussissant à leur donner un visage humain, malgré la sinophobie exacerbée de la période, illustrée par des pillages, la peur du « péril jaune » et des restrictions racistes à l’immigration, tant aux États-Unis qu’au Canada32. Elle donne la première une image de l’intérieur de Chinatown, s’intéressant d’abord aux femmes et aux enfants auxquels elle donne la parole. Elle se rapproche ainsi de nombreuses pionnières de l’écriture, tant québécoises qu’américaines,

65 International Journal of Canadian Studies Revue internationale d’études canadiennes qui ont dû sacrifier toute vie de famille pour se consacrer à une difficile carrière littéraire, souvent limitée à quelques œuvres isolées, à des genres courts (la chronique, la nouvelle et le récit), souvent autobiographiques et presque toujours restés dans la marginalité. Edith Eaton publie en octobre 1888 sa première nouvelle33, intitulée « A trip in a horse car34 ». Elle paraît dans The Dominion Illustrated,un périodique dédié, comme on le mentionne dans son premier numéro de juillet 1888,à«laconstruction d’une nation homogène, unie et patriotique » mais qui « ignore toute discrimination de race ou de religion35 ». Le magazine vient d’être fondé par l’écrivain John Talon Lesperance, auteur d’un récit sur la tentative d’invasion américaine du Canada de 1775-177636 qui occupe une place importante dans la littérature canadienne-française, par sa traduction intitulée Les Bastonnais37. Lesperance agit à Montréal envers Eaton comme l’un de ses premiers mentors et publie ses huit textes de jeunesse. Si elle ne peut souscrire que partiellement aux objectifs politiques du périodique dans lequel elle paraît, notamment par sa défense de la diversité, la nouvelle Un voyage en charrette (A Trip in A Horse Car) relève les tensions qui alimentent et gouvernent la place de Sui Sin Far dans la vie sociale et culturelle de son époque et les préoccupations littéraires qui l’inscriront dans un champ de non-coïncidence. Bien qu’elle publie ce premier récit en empruntant une voix canadienne-anglaise qui ne révèle pas ses origines asiatiques, cette dernière développe un registre parallèle inédit qui se reproduira dans ses écrits subséquents : d’une part, elle ne néglige pas d’engendrer sa narration dans la faiblesse d’un personnage qui observe le monde autour de lui de manière semble-t-il passive, tout en accordant une attention intéressée à des éléments habituellement absents du discours littéraire; d’autre part, le texte, en empruntant une forme peu novatrice, à mi-chemin entre le récit et la chronique – deux des rares formes que peuvent se permettre les écrivaines de l’époque, qui ne disposent pas de la liberté de leur spectre formel –, développe un modèle qui sera repris dans les textes publiés dans Mrs. Spring Fragrance, soit une trame narrative classique percée de rapides saillies porteuses d’une charge politique qui dérange le sens général du récit, sans toutefois le renverser. Donc, d’une part la présence d’une voix inattendue qui porte une attention à des éléments socialement voulus comme invisibles, d’autre part une narration pouvant sembler anodine, mais renfermant de petites mitrailles tactiques qui déstabilisent les niveaux de sens. Le récit porte sur l’observation des passagers d’une carriole, qui va du Mile-End à la Côte-Saint-Antoine, à Montréal. L’attention de la narratrice, qui dit préférer par humilité ce transport à d’autres modes plus confortables, se pose sur la diversité de ceux qui peuplent la ville : « Vous rencontrez toutessortesdegensdansceschars,écrit-elle,desbourgeoisetdesouvriers, des riches et des pauvres, dans un échantillon exact de la ville38 ». Cette relation de la diversité, qu’on retrouvera par exemple une quarantaine

66 Une voix parallèle de la fin du XIXe siècle au Québec : Sui Sin Far d’années plus tard dans les nouvelles de Marie Le Franc, notamment dans sonrecueilVisagesdeMontréal39,contrasteaveclesobjectifsdumagazine, mais surtout avec le nationalisme qui se développe à l’époque, du côté tant canadien-français que canadien-anglais. Dans quelques passages, ce discours divergeant se double d’une défense de la marginalité, qui est bien sûr celle de l’auteure, sans que le lecteur en soit ici informé : « Si quelqu’un est le moindrement différent des autres habitants de cette terre, écrit-elle, il ou elle est certain d’être qualifié de fou, ou de quelque chose de semblable.40 » Dans ce passage, la volonté de marquer la différence sexuelle en insistant sur le « il ou elle » relaie celle de donner une voix aux femmes, notamment aux démunies et aux enfants, souvent au détriment de la position des personnages masculins. La narratrice tente par exemple de comprendre la soumission de deux ouvrières canadiennes-françaises, dont elle déplore la pauvreté malgré leur acharnement au travail, puis observe la bonté d’une mère et de sa fille, qu’elle perd de vue alors que « la silhouette d’un jeune homme s’interpose entre elles », ce qui la rend furieuse. Cette disposition envers les misérables se veut une véritable compassion : « nous savons que ceux qui souffrent le plus sont ceux qui ne le démontrent pas41 ». Son texte n’exclut pas une certaine ironie envers les forts, un constat d’impuissance à l’égard des désespérés et la recherche d’une justice contre les hypocrites. Dans de brefs commentaires, elle dépasse ainsi la simple pitié pour le monde et pose un jugement sévère sur ceux qui l’entourent. Elle déplore ainsi la présence « d’un jeune homme qui montre quelle bonne opinion il a de lui-même42 », mais observe avec attendrissement une indigente qui s’écrase pour se faire oublier. Elle écrit : « Qui est-elle qui disparaît ainsi dans un coin comme si elle voulait disparaître du monde43?» et elle ajoute, avec une lucidité cruelle : « Seul Dieu sait ce qui en est de sa vie. Le plus vite elle se terminera, le mieux ce sera.44 » Sa mordante observation corrode particulièrement la bigoterie, illustrée dans ce texte initial par deux vieilles dames dont la description, si elle débute de manière favorable, s’achève dans un puissant revers : « Ce sont de riches dames, pratiquantes et charitables; je crains pourtant qu’elles n’occuperont pas dans l’autre monde la position qu’elles occupent dans celui-ci.45 » La publication à Chicago en 1912 du recueil Mrs. Spring Fragrance marque l’un des rares moments d’achèvement de l’auteure et l’un des uniques passages vers une certaine normalisation littéraire. Sans ce curieux livre, imprimé sur un papier précieux avec des illustrations chinoises en filigrane46 et qui reprend avec une certaine cohérence une sélection des récits et des nouvelles qu’elle a disséminés dans les journaux et magazines québécoisetaméricains,ilestbienpeuprobablequ’elleaitétéredécouverte des décennies plus tard et que sa contribution paradoxale ait pu jamais être enregistrée dans la mémoire littéraire. Edith Eaton avait conscience de son caractère dissemblable et de la nécessité du devoir de s’inventer une place dans une structure culturelle fortement réactive à ses choix identitaires : parce que physiologiquement elle n’appartient à aucune minorité visible et qu’elle aurait pu soit poursuivre une carrière journalistique et littéraire sous

67 International Journal of Canadian Studies Revue internationale d’études canadiennes son nom de naissance en masquant qu’elle était Eurasienne, soit se jouer de son identité et afficher comme sa sœur un faux exotisme japonais, elle marque une rupture fondamentale dans le discours sur la nationalité, la race et l’identité. En choisissant d’assumer non seulement la part asiatique d’elle-même, mais surtout l’ambivalence de son statut « d’entre-deux », elle pose l’identité comme un choix, plutôt qu’une donnée de naissance ou de sang. Par ce fait, elle déconstruit l’idée de base du racisme et du « nativisme » qui excluent à la fois la possibilité de triompher de sa naissance et le fait qu’il existe une part de convention dans la détermination de soi-même. Le moment charnière de la carrière littéraire de Sui Sin Far47 correspond à la publication, le 21 janvier 1909 dans le magazine The Independent, d’un texte primordial intitulé « Extraits du journal d’une Eurasienne48 » (« Leaves from the Mental Portfolio of an Eurasian »), qui la conduit, au-delà de la prise en charge de la part asiatique d’elle-même, à exposer les étapes biographiques et intellectuelles qui l’ont menée à une proposition ethnique, culturelle et littéraire la distinguant de sa famille, de son milieu et de son époque. De notre point de vue, ce texte est sans aucun doute celui qui la rapproche le plus du mouvement des « écritures migrantes » de la fin du XXe siècle49 et qui confirme l’intérêt envers son œuvre50, non seulement dans la défense d’une identité à l’opposé des définitions déterministes ou monoculturelles, mais surtout dans la considération d’une problématique complexe, propre auxparcours desécrivains issusdel’immigration51 etaux identités collectives travaillées par ses déplacements. Le texte d’une douzaine de feuillets retrace la biographie de l’écrivaine, de son enfance dans les jardins anglais aux motivations qui guident son engagement littéraire. Cependant, à cet itinéraire se superpose un circuit intellectuel d’une autre importance, de la prise de conscience de la différence aux considérations formelles qui en découlent. L’indignation provoquée alors qu’enfant, elle entend sa nourrice parler contre sa mère chinoise la conduit à se durcir devant ses propres alliées et à préférer par fierté, pour un temps, le mensonge à la solidarité; cependant, la honte de sa différence physique, exposée dans une soirée d’enfants, l’amène plutôt à se terrer dans l’incompréhension. Cet intérêt péjoratif, qu’elle ne comprend pas, irrigue cependant sa curiosité pour le monde chinois : « À part ma mère, écrit-elle, qui est plutôt anglaise par son éducation et ses manières, je n’ai jamais vu de Chinois.52 » Elle saisit un jour ce monde en découvrant une échoppe chinoise à New York : elle vit cette rencontre comme un choc et n’arrive pas à se reconnaître en eux. Toutefois, ce premier contact lui permet de constater son double statut défensif, exacerbé par les enfants du voisinage qui la tiraillent : en plein combat aux côtés de son frère, elle sent la force que lui donne sa mixité. « Ils tirent mes cheveux, ils déchirent mes vêtements, ils écorchent mon visage, mais mon frère se défend et je sens le sang blanc dans nos veines qui lutte puissamment pour la part chinoise de nous-mêmes.53 »

68 Une voix parallèle de la fin du XIXe siècle au Québec : Sui Sin Far

À ces courts passages de solidarité font suite de longs moments de solitude; d’abord par la comparaison familiale avec sa sœur Winnifred, contre qui elle ne peut opposer qu’une constitution physiologique faible : « Je sais, écrit-elle, que le fait eurasien pèse trop lourd sur mes épaules d’enfant; je cache ma faiblesse devant ma famille, jusqu’à ce que je ne puisse plus résister.54 » Ensuite, vient la solitude d’être différente de ses deux parents qui, s’ils se sont épousés, n’ont par contre pas eu à vivre la dualité culturelle qui la déchire. Ce sentiment d’esseulement ne s’apaise que des années plus tard, alors qu’en mission journalistique, elle rencontre des enfants nés d’un couple mixte et qu’elle retrouve en eux les interrogations qui l’avaient troublée. La prise en charge de sa nature double, entre l’Asie et l’Occident, la place au milieu des tirs, victime d’un côté du racisme des Nord-Américains envers les Chinois, mais aussi de ces derniers envers ceux qui sont, comme elle l’écrit, « les demi-Blancs55 ». Elle raconte que le choix de revendiquer entièrement les influences qui l’ont façonnée l’ont obligée à affronter les préjugés qu’elle aurait pu tout aussi bien endosser. Elle choisit plutôt d’affirmer sa différence. Ainsi, au cours d’un dîner auquel elle est invitée, elle est témoin d’une discussion sinophobe, alors que ses hôtes ignorent son appartenance ethnique. Elle décide à ce moment de rompre le silence, au risque d’être rejetée : Je concentre mes forces et je lève les yeux de table. « Monsieur K., dis-je alors à mon patron, les Chinois n’ont peut-être pas d’âme, aucune expression sur leur visage et ils demeurent bien loin de toute civilisation, mais qu’importe qu’ils le soient, j’aimerais que vous sachiez que moi, je suis une Chinoise. »56 Cette première étape, liée à l’affirmation de la différence, ouvre pour Sui Sin Far de nouvelles solidarités, qui lui permettent ne pas s’enfermer dans une exclusive ethnicité. En Jamaïque, elle se sent ainsi liée au destin des Noirs, également victimes de racisme : les Blancs ne savent pas, écrit-elle, « que je fais aussi partie du “peuple noir” de la terre57 ». En fait, ce n’est pas la revendication de son appartenance qui fonde l’essentiel de son originalité, mais la conscience que cette dernière est une construction volontaire : d’une part, elle admet que certains Chinois refusent de reconnaître en elle l’une des leurs, malgré son engagement en leur faveur; d’autre part, elle dénote que l’identité est un concept mouvant qui se développe par le savoir58. Elle termine ce texte décisif par une réflexion sur les apports individuels et collectifs de l’identité, définissant cette quête comme une aventure individuelle, certes difficile, mais qui doit s’appuyer sur l’existence de cultures collectives. Ce passage marque à la fois la volonté de coïncidence de Sui Sin Far avec elle-même et les cultures qui l’ont construite et la non-coïncidence de ses propos avec son époque : Après tout, écrit-elle, je n’ai aucune nationalité et je n’ai aucune envie d’en réclamer aucune. L’individualité doit primer sur la nationalité. « Tu es toi et je suis moi », dit Confucius. Pour ma part,

69 International Journal of Canadian Studies Revue internationale d’études canadiennes

je tends ma main droite aux Occidentaux et ma main gauche aux Orientaux et j’espère qu’ils ne détruiront pas ce lien insignifiant qui les unit. Et c’est tout. Cette conclusion touchante, qui lie admirablement son engagement et sa fragilité, paraît davantage contemporaine à notre époque qu’elle ne pourrait l’être au tournant du siècle. Cette inadéquation de Sui Sin Far confirme par ailleurs l’intérêt que l’on peut porter à cette écrivaine, qui pose pour l’histoire littéraire le défi de la reconnaissance des cas marginaux; elle n’a, on le saisit bien, jamais connu les fondateurs de l’École littéraire de Montréal et son œuvre ne s’inscrit pas dans la même filiation. Mais pour ces raisons, et pour ces différences, elle éclaire cette période d’une manière nouvelle, et son parcours prescrit une réflexion sur les concepts qui président à notre conception de l’identité et de l’histoire littéraire. Elle ouvre aussi un champ de recherche fascinant pour l’analyse de ce qui détermine les frontières des corpus littéraires; son silence dans l’historiographie prend ainsi valeur de signe qui interpelle un renouvel- lement méthodologique.

Notes 1. Je remercie Cynthia Fortin pour son précieux travail d’assistanat de recherche pour ce projet, ainsi que Dominic Marcil; une version préliminaire de cette conférence a été présentée au Congrès de l’Association francophone pour le savoir (ACFAS), à l’Université Laval (Québec), en mai 2002. 2. Jean Charbonneau, L’École littéraire de Montréal, Montréal, Éditions Albert Lévesque, 1935, p. 51. 3. Ibidem. 4. Il existait déjà quelques immigrants chinois à Montréal pendant cette période, mais ils étaient très peu nombreux. Dans un curieux texte sur la communauté chinoise de Montréal, qui révèle l’existence d’une esclave dans la ville, Edith Eaton les évalue à 300 hommes… et 3 femmes seulement. « There are quite a number of Chinese in Montreal. Mr. Chan Tung, who lives in the hotel on Lagauchetiere street, says there are three hundred.[…] Mrs. Wing Sing, Mrs. Sam Kee, and the little girl are the only Chinese females in Montreal. » « Girl Slave in Montreal », Montreal Daily Witness, 4 mai 1894, repris in Amy Ling et Annette White-Parks [éd.], Mrs. Spring Fragrance and Other Writings, by Suin Sin Far, Urbana et Chicago, University of Illinois Press, coll. « The Asian American Experience », 1995, p. 181-183. 5. Le Québec compte peu d’écrivains d’origine asiatique; seuls les plus contemporains ont écrit en français : la plus connue est la romancière Ying Chen (Shanghaï, 1961-). Il y a aussi le poète et essayiste Yong Chung (Japon, 1960-), son frère, le nouvelliste Ook Chung (Japon, 1963-), la romancière et journaliste Bach Mai (Ho Chi Minh Ville, 1953-), la romancière Aki Shimazaki (Japon, 1955-), l’écrivain pour la jeunesse, peintre et illustrateur, qui écrit en anglais et en mandarin, Song Nan Zhang (Shanghaï, 1942-), et le linguiste et enseignant Louis Armantier (Vinch, 1938-), toutefois né de parents d’origine française. 6. Robert Berrouët-Oriol, « L’effet d’exil », Vice versa, n° 17, décembre 1986- janvier 1987, p. 20.

70 Une voix parallèle de la fin du XIXe siècle au Québec : Sui Sin Far

7. Mentionnons notamment, parmi les plus importantes : Gens du silence (1982) de Marco Micone, La Québécoite (1983) de Régine Robin, Les lettres chinoises (1993) de Ying Chen, Littoral (1999) de Wajdi Mouawad et Mille Eaux (1999) d’Émile Ollivier. 8. Maurice Lemire et Denis Saint-Jacques, La vie littéraire au Québec (tome I, 1991). 9. Notons Simon Harel, Le voleur de parcours. Identité et cosmopolitisme dans la littérature québécoise contemporaine (1989); Sherry Simon et al., Fictions de l’identitaire au Québec (1991); Pierre Nepveu, L’écologie du réel. Mort et naissance de la littérature québécoise contemporaine (1988); Clément Moisan et Renate Hildebrand, Ces étrangers du dedans. Une histoire de l’écriture migrante au Québec, 1937-1997 (2001); et Daniel Chartier, Dictionnaire des écrivains émigrés au Québec, 1800-1999 (2003). 10. On peut définir ce concept, dans le cas du Québec, comme « toute activité ou problématique liée à la littérature qui se déroule au Québec ou qui a une incidence sur la littérature telle qu’on la conçoit au Québec. » (Daniel Chartier, « Introduction », Dictionnaire des écrivains émigrés au Québec, 1800-1999, Québec, Nota bene, 2003, p. 7). 11. « The first use of her pseudonym, initially spelled Sui Seen Far, appeared around 1896 in her stories published in Fly Leaf and the Lotus, edited by her brother-in-law Walter Blackburn Harte. » Amy Ling, « Pioneers and Paradigms: The Eaton Sisters », Between Worlds. Women Writers of Chinese Ancestry, New York, Pergamme Press, 1990, p. 28. 12. Denise Helly mentionne que le racisme anti-asiatique à Montréal suit la migration d’Ouest en Est des travailleurs cantonnais arrivés pour la construction du transcontinental. L’idée de sinophobie gagne donc le Québec avant même l’arrivée des Chinois, qui restent peu nombreux avant le début du XXe siècle. Voir « Le racisme anti-asiatique à Montréal », Helly, Denise, Les Chinois à Montréal, 1877-1951, Québec, Institut québécois de recherche sur la culture, 1987, p. 137-152. 13. Traduction de « the intention of publishing a book and planting a few Eurasian thoughts in Western literature », « Sui Sin Far, the Half Chinese Writer Tells of Her Career », Ling, Amy et White-Parks, Annette [éd.], Mrs. Spring Fragrance and Other Writings, Urbana et Chicago, University of Illinois Press, coll. « The Asian Americain Experience », 1995, p. 288. 14. Traduction de « The American woman writes books about the Chinese. Why not a Chinese woman write books about the Americans? », « The Inferior Woman », Ling, Amy et White-Parks, Annette [éd.], Mrs. Spring Fragrance and Other Writings,p.39. 15. Traduction de « I come near to “mysteriously disappearing” many time. », « Leaves from the Mental Portfolio of an Eurasian », Ling, Amy et White-Parks, Annette [éd.], Mrs. Spring Fragrance and Other Writings, p. 222. 16. Traduction de«Idonotconfide in my father and mother. They would not understand. How could they? He is English, she is Chinese. I am different to both of them—a stranger, tho [sic] their own child. “What are we?” I ask my brother. “It does not matter, sissy,” he responds. But it does. » « Leaves from the Mental Portfolio of an Eurasian », The Independent, vol. 66, 21 janvier 1909, p. 128. 17. Traduction de « She had no literary models, no published female forebears like herself to guide and empower her, and she wrote at a time of intensified, virulent anti-Chinese sentiment in the United States. That Sui Sin Far invented herself—created her own voice—out of such deep silencing and systematic racist

71 International Journal of Canadian Studies Revue internationale d’études canadiennes

repression was one of the best triumphs of American literature at the turn of the century. » Ammons, Elizabeth, « Audacious Words: Sui Sin Far’s Mrs. Spring Fragrance », Conflicting Stories: American Women Writers at the Turn into the Twentieth Century, New York, Oxford Universtity Press, 1991, p. 105. 18. La critique d’aujourd’hui est sans équivoque en comparant les deux écrivaines. James Doyle écrit : « There seems little doubt now, however, that Winnifred was the less capable writer of the two sisters. Although she was a fluent stylist while Edith’s writting is often stiled and laborious, most of the novels of Onoto Watanna are too obviously dependent on predictable formulas of sentimental fiction, while the stories of Sui Sin Far, whatever their artistic limitations, are sincere efforts to explore important problems of ethnic and gender conflict. » « Sui Sin Far and Onoto Watanna: Two Early Chinese-Canadian Authors », Canadian Literature / Littérature canadienne, numéro 140, Printemps 1994, p. 57. 19. Traduction de « My parents compare her with me. […] My father tells me that I will never make half the woman that my mother is or that my sister will be. » « Leaves from the Mental Portfolio of an Eurasian », p. 127. 20. Ce pseudonyme n’est que la pointe de l’iceberg de la mascarade. Comme le relate Amy Ling, « Inventing a Japanese-sounding name, Onoto Watanna, she also created an appropriate history, claiming Nagasaki as her birthplace and a Japanese noblewoman for her mother. For the frontispiece of her third novel, The Wooing of Wistaria (1902), Winnifred had herself photographed in a kimono with hair piled high in Japanese fashion, standing before a screen painted with wisteria and iris. Decorating the title page, identified as a “Fac-simile of the author’s autograph in Japanese,” is a reasonable imitation of cursive Japanese writing. » « Pioneers and Paradigms: The Eaton Sisters », Between Worlds: Women Writers of Chinese Ancestry, New York, Pergamme Press, 1990, p. 25. 21. « In New-York city, she moved in a distinguished circle including such luminaries as Edith Wharton, Anita Loos, Jean Webster, David Belasco, Mark Twain and Lew Wallace. » Amy Ling, « Pioneers and Paradigms: The Eaton Sisters », p. 29. 22. « A Japanese Nightingale would sell 200,000 copies, be made into a Broadway play and silent film, and make her rich and famous. » Susan Schwarts, « Plucky writer’s life was her best story », The Gazette, 3 décembre 2001, p. E-3. A Japanese Nightingale, by Onoto Watanna, New York, London, Harper & Bros., 1901, 225 p. Ce roman a été adapté sous forme de film muet en 1918 par . Voir : http://us.imdb.com/Title?0009237. 23. Traduction de « a Japanese noblewoman who had been adopted by Sir Hugh Matheson as a child ». Cité dans Annette White-Park, Sui Sin Far / Edith Maude Eaton. A Literary Biography, Urbana et Chicago, University of Illinois Press, coll. « The Asian American Experience », 1995, p. 32. Selon S.E. Solberg, « Sui Sin Far / Edith Eaton: First Chinese-American Fictionist », Melus, 8, printemps 1981, p. 29 : « The irony is that obituary manages to skirt any meaningful summary of Edith’s life in favor of legitimizing family history for Winnifred. [...] ». 24. A Japanese Nightingale vient d’être réédité avec Madame Buttlefly de John Luther Long dans une série de « textes orientalistes » : New Brunswick (New Jersey), Rutgers University Press, 2002. 25. Notamment dans son l’introduction à Tricksterism in the Turn-of-the-Century American Literature, qu’elle signe conjointement avec Annette White-Parks (Hanover et Londres, University Press of New England, 1994, p. 1-20) et

72 Une voix parallèle de la fin du XIXe siècle au Québec : Sui Sin Far

« Audacious Words: Sui Sin Far’s Mrs. Spring Fragrance », Conflicting Stories. American Women Writers at the Turn into the Twentieth Century, New York, Oxford University Press, 1991, p. 105-120. 26. Elle consacre deux articles à Sui Sin Far, l’un dans Melus, 8, printemps 1981, p. 27-39 et l’autre dans Mayumi Tsutakawa et Alan Chong Lau [éd.], Turning Shadows into Light, Seattle, Young Pine Press, 1982, p. 85-87. 27. Mrs. Spring Fragrance and Other Writings, Urbana et Chicago, University of Illinois Press, coll. « The Asian American Experience », 1995, 296 p. 28. « Sui Sin Far: Writer of the Chinese-Anglo Borders of North America, 1885- 1914 », thèse de doctorat, Washington State University, 1991, 387 f. 29. Sui Sin Far / Edith Maude Eaton. A Literary Biography, Urbana et Chicago, University of Illinois Press, coll. « The Asian American Experience », 1995, 268 p. 30. « […] in 1992, the Chinese Neighbourhood Society petitioned to have the Place d’Armes métro station renamed Sui Sin Far », Curran, Peggy, « A voice rarely heard, Montrealer chronicled Chinese community », The Gazette, 7 mai 1998, p. A-3. 31. Voir Gyulai, Linda, « Mergers threaten diversity? Toronto record cited », The Gazette, 29 mai 2000, p. A-3. 32. « En juillet 1885, la voie transcontinentale étant presque terminée, [le Parlement d’Ottawa] impose une taxe d’entrée de 50 $ à tout homme d’origine chinoise entrant au Canada. […] [En] 1903, il fixe le montant de la taxe à 500 $. » Notons à titre de comparaison qu’un représentant chinois témoignait devant une Commission d’enquête, en 1884, que le solde moyen obtenu par un ouvrier chinois après une année de travail au Canada était d’environ 43 $. Helly, Denise, Les Chinois à Montréal, 1877-1951,p.41et46. 33. Les traces des écrits de Sui Sin Far ne sont pas facilement repérables; sa biographe, Annette White-Park, écrit en 1991 que sa première publication date de 1890 (« The wisdom of the new », Legacy: A Journal of Nineteenth-Century Women’s Literature, 6, printemps 1991, p. 34), mais en découvrant de nouvelles archives elle constate en 1995 que « the first of Sui Sin Far’s recovered writings date from 1888 and were published in the Montreal’s new monthly dedicated to the promotion of Canada, The Dominion Illustrated.»(Sui Sin Far / Edith Maude Eaton. A Literary Biography, Urbana et Chicago, University of Illinois Press, coll. « The Asian American Experience. », 1995, p. 63). 34. The Dominion Illustrated, vol. 1, 13 octobre 1888, p. 235. 35. Traduction de « We are for building up a homogeneous, united, patriotic nation, and for ignoring all prejudice of race and sect. » The Dominion Illustrated,7 juillet 1888, p. 1. 36. The Bastonnais. Tale of the American Invasion of Canada in 1775-76, Toronto, Belford, 1877, 359 p. 37. La traduction est d’abord publiée en 1876 dans La République (de Boston), repris dans la Revue canadienne en 1893-1894, puis publié en volume par Beauchemin en 1896. 38. Traduction de « You meet all kinds of people in these cars, high and low, rich and poor, the quality and a quantity of the city. » The Dominion Illustrated, vol. 1, 13 octobre 1888, p. 235. 39. Montréal, Éditions du Zodiaque, coll. « du Zodiaque », 1934, 236 p. 40. Traduction de « If a person happens to be a little different from the generality of this world’s inhabitants, he or she is sure to be called a crank, or something very

73 International Journal of Canadian Studies Revue internationale d’études canadiennes

like that expressive word. » The Dominion Illustrated, vol. 1, 13 octobre 1888, p. 235. 41. Traduction de « for we know that they who sorrow the most give no sign ». Ibidem, p. 235. 42. Traduction de « the young man shows plainly that he appreciates himself ». Ibidem, p. 235. 43. Traduction de « Who is this that shrinks into a corner, as if she would willingly shrink out of the world? » Ibidem, p. 235. 44. Traduction de « God alone knows what her life is. The sooner ‘tis ended the better. » Ibidem, p. 235. 45. Traduction de « They are rich ladies, good church members, charitable in many ways; but I am afraid they will not have the same position in the next world that they have in this. » Ibidem, p. 235. 46. « In 1912, A.C. McClurg and Company of Chicago collected thirty-seven of these stories in a volume entitled after the first story, Mrs. Spring Fragrance. In a florid fashion, the vermillion cover is embossed in gold letter and decorated with lotus flower, a dragonfly and the moon. The pages are gray-green, lightly imprimed with a Chinese-style painting of a crested bird on a branch of bamboo, a flowering branch of plum and the Chinese characters for Happiness, Prosperity, and Longevity vertically descending along the right side. Eaton’s stories, some appropriately charming and lively, others, however, striking, ironic, even bitter, notes, are printed on these delicately decorated sheets. » Amy Ling, « Edith Eaton: Pioneer Chinamerican Writer and Feminist », American Literary Realism (1870-1910), 16, automne 1983, p. 291. 47. Annette White-Parks écrit de ce texte : « On 21 January 1909, with the appearance of “Leaves from the Mental Portfolio of an Eurasian,” in The Independent, her voice came bursting forth—publicly, nationally—signaling unprecedented recognition and a cycle of writing and publishing energy for Sui Sin Far that would continue. » Sui Sin Far / Edith Maude Eaton. A literary Biography,p.47. 48. Traduction de « Leaves from the Mental Portfolio of an Eurasian », paru dans The Independent, vol. 66, 21 janvier 1909, p. 125-132. 49. Voir à ce sujet Daniel Chartier, « Les origines de l’écriture migrante. L’immigration littéraire au Québec au cours des deux derniers siècles », Voix et Images, vol. XXVII, n° 2 (80), hiver 2002, p. 303-316. 50. Et ce, malgré les faiblesses formelles constatées, qui ne devraient toutefois être déterminantes que dans la mesure où l’on considère les conditions dans lesquelles elle a dû travailler. S.E. Solveig constate que Sui Sin Far reproduit ainsi certains stéréotypes qu’elle cherche vainement à dépasser, faute d’une plus sûre maîtrise desonart:«Iwould argue that Edith Eaton as Sui Sin Far did manage to dip into those deeper currents beneath the surface color, but no matter what she saw and understood, there was no acceptable form to shape it to. Had she been physically stronger and had a more sophisticated literary apprenticeship, she might have been able to create that new form. [...] Fictionnal stereotypes for the Chinatown tales had been established, and it was difficult for anyone, even a strongly independent mind, to ignore them. No matter how frank and open Eaton might have been in a memoir such as “Leaves from the mental portfolio an Eurasian,” when she turned her hand to fiction the possible was limited by the acceptable. » « Sui Sin Far / Edith Eaton: First Chinese-American Fictionist », Melus,8, printemps 1981, p. 33.

74 Une voix parallèle de la fin du XIXe siècle au Québec : Sui Sin Far

51. Voir à ce sujet Daniel Chartier, Dictionnaire des écrivains émigrés au Québec, 1800-1999, Québec, Nota bene éditeur, 2003. 52. Traduction de « With the exception of my mother, who is English bred with English ways and manner of dress, I have never seen a Chinese person. » Sui Sin Far, « Leaves from the Mental Portfolio of an Eurasian », p. 126. 53. Traduction de « They pull my hair, they tear my clothes, they scratch my face, and all but lame my brother; but the white blood in our veins fights valiantly for the Chinese half of us. » Ibidem, p. 126. 54. Traduction de « I know that the cross of the Eurasian bore too heavily unpon my childish shoulders. I usually hide my weakness from the family until I cannot stand. » Ibidem, p. 127. 55. Traduction de « the half white ». Ibidem, p. 129. 56. Traduction de « With a great effort I raise my eyes from my place. “Mr. K.” I say, addressing my employer, “the Chinese people may have no souls, no expression on their faces, be altogether beyond the pale of civilization, but whatever they are, I want you to understand that I am–I am a Chinese.” » Ibidem, p. 129. 57. Traduction de « […] that I too am of the “brown people” of the earth. » Ibidem, p. 130. 58. En revenant sur sa première rencontre avec des Chinois, elle écrit : « My Chinese instincts develop. I am no longer the little girl who shrunk against my brother at the first sight of a Chinaman. Many and many a time, when alone in a strange place, has the appearance of even a humble laundryman given me a sense of protection and made me feel quite at home. » Ibidem, p. 131.

75

Simon Harel et Mathieu-Alexandre Jacques

L’écrivain-témoin : déplacements, transferts culturels et expérience de l’habitabilité dans les romans d’exil d’Émile Ollivier1

Résumé L’œuvre d’Émile Ollivier s’inscrit dans un contexte particulier de l’histoire littéraire au Québec. Écrivain phare du mouvement montréalais « Haïti littéraire » et précurseur de ce que l’on nommera au début des années 1980 l’écriture migrante, Ollivier questionne, avec beaucoup d’acuité dans ses textes, l’impact et les conséquences des déplacements, du déracinement et de l’intégration (parfois difficile) du sujet migrant à des contextes socioculturels en constante transformation. En réponse à la fragilisation identitaire provoquée par l’exil, nous montrerons en quoi l’écriture d’Ollivier tisse, à même le matériau de l’écriture, un espace de réconfort, une forme accueillante et protectrice au sein de laquelle le sujet écrivant parvient à se relocaliser tout en favorisant l’éclosion d’un discours parfois éclaté et polyphonique, en prise directe sur l’enfance et le pays natal.

Abstract The work of Émile Ollivier forms part of a particular context within the literary history of Québec. A leading light of the Montréal literary movement “Haïti Littéraire” and a forerunner of what would later come to be known, in the early 1980s, as migrant literature, Ollivier examines, with a remarkable degree of insight, both the impact and the consequences of the travels, the uprooting and the (often difficult) integration of the migrating subject in constantly changing social and cultural contexts. In response to the “embrittlement of the identity” resulting from the exile, we will demonstrate how Ollivier’s writing creates, out of the material of writing itself, a comforting space, a welcoming and protective envelope within which the writing subject manages to relocate himself, while fostering the emergence of a discourse at times both enlightened and polyphonical, and which is directly connected with the writer’s childhood and native land.

Bien que singulière et profondément personnelle, l’œuvre romanesque d’Émile Ollivier n’en est pas moins emblématique d’une catégorie récente (et particulière) d’œuvres littéraires au Québec. L’écriture de cet écrivain haïtienexiléàMontréalposeeffectivementlaquestiondudifficilerapportà la migration et à la traversée des cultures dont ses romans sont autant de témoignages poignants. Mais plus particulièrement encore, cette œuvre nous oblige à prendre en considération le facteur natal, l’ombilic du rapport à l’espace qui loge au cœur de toute véritable réflexion sur l’écriture

International Journal of Canadian Studies / Revue internationale d’études canadiennes 27, Spring / Printemps 2003 International Journal of Canadian Studies Revue internationale d’études canadiennes migrante. De façon assez étrange, cette question du natal est évacuée la plupart du temps des théories sur les conditions de possibilité de la migrance. On se plaît à parler, avec une certaine euphorie, de l’inéluctabilité de la migrance, de son caractère éthique, de sa valeur principielle. De façon naïve, on présente la migrance comme une nécessité qui masque (avec une certaine prudence) ce qui nous qualifie comme sujet dans notre relation au lieu. Négligé, ce dernier prendrait la forme d’un retour à l’identique, d’un principe de répétition qui, curieusement, rappellerait le caractère entropique de la pulsion de mort freudienne. Ainsi, dans de nombreux discours (qui vont de Freud à Heidegger, en passant par Michel de Certeau), il n’y a de lieu que pour la mort. Il n’y a, s’agissant du lien intime à l’espace, qu’un principe de mort qui surdétermine notre relation à l’univers paysager. Comme si, paradoxalement, le lieu ne prenait véritablement sens qu’avec la désintégration du sujet et de sa corporéité. Pouvons-nous avancer, ce serait certes une affirmation radicale, que notre relation à la migration et au métissage est empreinte d’une pensée défaitiste qui nous interdit de réfléchir à la composition métisse du lieu? Pouvons-nous de plus, et ce sera là un des volets de notre interrogation, prendre en compte la nécessité d’une pensée réaliste du lieu qui fasse obstacle aux faux-fuyants d’une pensée cosmétique du métissage, pensée qui nous interdit, par son caractère trop euphorique, de prendre en compte ce qui nous lie à la mère dans un espace psychique complexe dont on ne peut exclure la question de la sédentarité? Il semble bien que la trop grande médiatisation des réflexions actuelles sur l’écriture migrante au Québec (du cahier « livres » de La Presse au courrier des lecteurs des différents périodiques et quotidiens) mène à l’impasse,àlarépétition,pireencore:àunatermoiementidéologiquequise complaît à répéter la valeur de la différence, de la pluralité au détriment d’une réflexion réelle – solide et nuancée – sur les fondements des lieux habités de notre époque. Plusieurs motifs concourent à expliciter le caractère répétitif de cette réflexion. Nous ne nous y attarderons pas, mais force est d’admettre que cette réflexion vague et généralisée se traduit trop souvent par un discours liturgique (dans le domaine des études culturelles), moralisateur, notamment pour tout ce qui concerne notre relation à l’espace interculturel (ou transculturel) dans la sphère sociale. Face à ce constat, l’étude de l’œuvre d’Émile Ollivier nous permettra de montrer comment l’écrivain immigré recrée dans la matérialité même de l’écriture un rapport à un « chez soi », à un habitat qui s’oppose à cette conception préjudiciable de l’écrivain sans assises et constamment déraciné. Par l’injection d’images et par l’entremise d’un souffle énonciatif résolument subjectif, Ollivier nous semble revaloriser le rapport tout à fait personnel entre le sujet (ce piéton de l’histoire) et le territoire qui est, chez lui, profondément incarné, si ce n’est, comme nous le verrons, en prise directe avec l’Haïti natal. Cette intimité et cette concrétude du rapport au

78 L’écrivain-témoin : déplacements, transferts culturels et expérience de l’habitabilité dans les romans d’exil d’Émile Ollivier lieu parcourent en filigrane tout l’œuvre de l’écrivain comme s’il s’agissait d’un passage obligé : Je croyais dur comme fer, et Amédée le savait, que cette terre sous nos pieds était ce qu’il y avait de plus solide. On est d’ici, pas d’ailleurs, même prisonniers – comment disait-il déjà? – Claque- murés, dans cette baie de ronces et de baya rondes. J’étais persuadée que le plus beau pays du monde était celui où les rues sont pavoisées de sourires, où les maisons sont identifiées par des prénoms de connaissances, où les arbres recèlent le nombril d’êtres chers, où le vent prend la voix de l’être aimé, doux bruit de la brindille cassée au tuyau de l’oreille.2 La narration chez cet écrivain migrant se double souvent d’une nécessité descriptive où le paysage se voit énoncé (et transfiguré) par la remémoration affective du rapport au lieu. Il y a chez Ollivier un surinvestissement de la mémoire du lieu. Plus encore, il y a nécessité chez lui de prolonger cette relation tactile au lieu dans l’espace potentiel3, dans cette forme virtuelle, que représente le texte littéraire. Selon nous, une anthropologie de l’activité littéraire (et de l’acte d’écrire) montrerait en quoi les écritures migrantes ne revendiquent pas tant le déplacement que l’assise formelle (et structurelle) qui coïncide, dans bien des cas, avec la quête du lieu. Certes, cette idée nous prend à rebours. Elle nous inquiète et nous émerveille tant la question du lieu semble avoir été évacuée de nos discours contemporains; le lieu étant habituellement considéré comme le fondement d’une quête ontologique dont la résonance est depuis longtemps perçue comme désuète. On peut comprendre que les théoriciens du déplacement et de la « migrance » (et de manière plus générale les anthropologues de la culture) fassent maintenant preuve d’un scepticisme renouvelé à l’égard de ces niches sphérologiques4 qui tiendraient lieu de fondement matriciel. On peut comprendre aussi que, dans le contexte actuel, la quête du lieu soit faussement perçue comme une façon de renouer avec l’« unité de l’être », de (re)mettre en cause les discours sur la diversité culturelle et la représentation de l’autre comme sujet hybride. Nous croyons cependant que cette réflexion sur la relation entre l’écrivain et l’espace topographique a le mérite de mettre en lumière les fondements (et mécanismes) de la construction identitaire et énonciative du sujet migrant. Pour point de départ de cette réflexion : l’œuvre d’Émile Ollivier dont les écrits sont autant de variations sur les enjeux et conséquences de l’émigration. Né en 1940, Ollivier appartient à l’une des toutes premières vagues d’immigrés haïtiens au Québec. Il s’y installe en 1965, après avoir séjourné en France quelques années pour poursuivre des études de lettres et de psychologie à la Sorbonne. Fuyant Haïti essentiellement pour des raisons politiques – Duvalier s’étant autoproclamé président à vie en instaurant un climat de dictature particulièrement sanguinaire –, c’est d’abord pour enseigner àAmos en Abitibi qu’Ollivier rejoint le Québec. Il y

79 International Journal of Canadian Studies Revue internationale d’études canadiennes séjournera pendant plus de 35 ans occupant successivement les fonctions d’enseignant à Amos (pendant deux ans) ainsi que celles de professeur à l’Université de Montréal où il enseignera plus d’une vingtaine d’années en menant de front son activité de littéraire5. L’œuvre d’Ollivier pose, au centre de ses réflexions et de ses thématiques, la question complexe (et parfois épineuse) de la situation haïtienne et des phénomènes migratoires qui y sont souvent liés et dont les effets sont, pour l’écrivain, considérables quant aux processus de définition et de questionnement identitaire : J’ai forgé le mot migrance pour indiquer que la migration est à la fois une douleur, une souffrance (la perte des racines, d’une certaine « naturalité ») et un positionnement à distance, un lieu de vigilance. Si je vois très bien les pertes que cette situation inflige : perte du bain utérin, de la langue maternelle, du sol, tout cela conduisant sinon à un éclatement, du moins à la fragilisation de l’identité, dans le même temps, je considère la contrepartie : une individualité polyphonique, un univers décloisonné qui est foisonnement, bourgeonnement de vie et liberté.6 Libre, affranchie de toute censure et de toute répression, l’œuvre d’Ollivier n’en est pas moins hantée par la présence résurgente du pays natal (que l’on ne quitte jamais totalement7). Toute une partie du travail de l’écrivain consistera alors à reconstituer cette « terre d’avant » par le travail conjugué de l’écriture et de la mémoire.

Le mouvement de l’écriture : du trans au reflet de l’habitabilité On a souvent l’impression que la pensée contemporaine nous amène à remettre en question les formes de la fixité au profit d’une pensée du passage. Si tel est le cas, l’œuvre d’Ollivier offre un contre-exemple intéressant puisqu’elle fait référence (de manière réitérée) à la relation au lieu. Plus encore, celui-ci se présente souvent, de manière archétypique, comme le substitut ou le prolongement du rapport à la mère. À la manière d’un spectre obsédant, cette figure parcourt tout l’œuvre d’Ollivier comme en témoignent de façon retentissante ces quelques phrases de Mère- Solitude : Que dois-je faire pour liquider cette obsession de ma mère? Dois-je me mettre à forcer des verrous, à entrer dans mon passé par effraction, voleur de mon propre foyer? Dois-je me mettre à fouiller des commodes, à visiter des armoires, à me pencher sur des coffres profonds? Déplacer des photos, lire les pages de journal intime, pages jaunies, durcies par le temps? Mais quand bien même je mettrais la maison à sac, à la recherche des traces, rubans, intimités, parfums de la défunte, quand bien même je scruterais tout ce qui avait pu être en contact avec sa peau, capelines remisées dans la penderie, nids tressés dans une paille de rêve où niche l’odeur de sa chevelure qui contenait peut-être les oiseaux de sa tête pleine d’oiseaux, arriverais-je à connaître la vérité, toute la

80 L’écrivain-témoin : déplacements, transferts culturels et expérience de l’habitabilité dans les romans d’exil d’Émile Ollivier

vérité? Ma mère, Noémie Morelli, mon obsession maladive! L’eaunoiredemessongesestnourried’elle.L’écumedemesjours goûte le sel des baisers qu’elle m’avait donnés.8 N’y a-t-il pas dans cette association de la mère et de la maison l’héritage d’une pensée nostalgique que n’aurait pas désavouée Freud, ce dernier faisant valoir dans Malaise dans la civilisation la pérennité du corps maternel, son caractère violemment sexué pour tout sujet qui fait appel à la mise en forme d’une territorialité imaginaire? La critique semble un peu sévère. Mais si nous prenons le temps de saisir la complexité de l’écriture d’Émile Ollivier, nous verrons néanmoins que la forme du lieu habité est investie de ce pouvoir de mort qui appartient, dans l’économie psychique, à la démesure du don maternel. Pouvoir de mort, ou encore infanticide : autant de formes qui permettent au sujet de penser la désillusion de son premier habitat psychique, de ce lien intime et familier que la psychanalyse nomme la première relation d’objet. Passages, La discorde aux cent voix, ou encore Mère-Solitude sont autant de romans d’Émile Ollivier qui mettent en scène un discours intérieur où s’affirme une parole résolument solitaire. On pourrait parler à cet égard d’un soliloque tragique tant le narrateur essaie de rapporter, tout en les rabattant sur lui-même, la multiplicité des voix narratives dont il a été le témoin. À ce titre – et en parlant de sa situation de migrant condamné à l’errance – Ollivier déclare que « nous sommes traversés par des multipli- cités et des multiplicités nous traversent »9. En fait, chez lui, l’énonciation naît d’une nécessité de prise de parole qui se double d’une volonté de se faire entendre, quitte à s’inventer soi-même ses propres interlocuteurs : […] Mais il faut que je parle. Il le faut. Je sais, vous ne pouvez pas comprendre. Je sais. Entre vous et moi, il y a des distances, des fonds de cale, des années-lumière. Je sais. Entre vous et moi, de lourds sédiments humains. Que faudrait-il faire pour les réduire à néant?10 Ou encore dans ce passage où l’écrivain cristallise dans ses propres mots l’histoire passée sous silence d’un peuple sans parole à qui on aurait fermé la porte d’accès au symbolique : Nous venons d’un pays qui n’en finit pas de se faire, de se défaire, de se refaire. Coureurs de fond, nous avons franchi cinq siècles d’histoire, opiniâtres et inaltérables galériens. Nous avons subsisté, persévéré sur les flots du temps, dans cette barque putride et imputrescible à la fois, dégradable et pérenne. Notre histoire est celle d’une perpétuelle menace d’effacement, effacement d’un paysage, effacement d’un peuplement : le génocide des Indiens caraïbes, la grande transhumance, l’esclavage et, depuis la mort de l’Empereur, une interminable histoire de brigandage. Notre substance est tissée de défaites et de décompositions. Et pourtant, nous franchissons la durée, nous traversons le temps, même si le sol semble se dérober sous nos pas. Malgré vents et marées, malgré

81 International Journal of Canadian Studies Revue internationale d’études canadiennes

ce présent en feu, ce temps de tourments, cette éternité dans le pur- gatoire, nous continuons à survivre en nous livrant à d’impossibles gymnastiques.11 À suivre ainsi les traces laissées par les Passages d’Ollivier, on voit bien à quel point le sujet se trouve à vivre en différé, par le truchement de la narration, faisant ainsi éclore cette parole publique (la sienne, celle de tout un peuple) qui a comme qualité essentielle sa fugacité et son aspect « oralisé ». La psychosomatique des lieux12 se mesure à cette étrange synchronie entreletempsdeparole–quiestl’affirmationd’untémoignage–etletemps de la ville et de son histoire. La parole du narrateur est un discours rapporté; nous pourrions dire qu’il s’agit d’un discours retardé qui fait l’expérience d’une non-synchronie entre l’affirmation vive de l’événement et sa (re)transcription par un sujet qui peut en composer la mémoire personnelle. Ce phénomène de subjectivation de l’événement de l’histoire (celle de son lieu de naissance) gouverne l’écriture d’Ollivier jusque dans ses moindres retranchements, comme dans ce passage où l’écrivain questionne explicitement son rapport tout à fait particulier au lieu et aux problèmes posés par sa retranscription : Que puis-je dire de ce pays? Que puis-je dire de cette ville? Je suis né et j’ai grandi dans cette ville vomie par la mer, coincée par la montagne. Que sais-je de la montagne, sinon son dos de rat pelé, galeux, sa face ravinée? Aujourd’hui, tel un mendiant assis à l’ombre d’un palmier moribond, le long d’un chemin qui semble ne devoir mener nulle part, la main tendue, j’implore les passants, avec cette même rengaine de ma mémoire perdue : que me soit faite la charité de mon passé, cela vous sera rendu plus tard! Perdu dans les abysses de mes paysages intérieurs, je me suis assigné à moi-même cette exploration muette de mon passé et celui de mon pays. Je tends mes mains vides. Pour toute richesse, le silence. Un silence peuplé de signes, signes que je triture inlassablement, avec l’espoir, le sale et ferme petit espoir, de trouver le texte original que je sais enfoui dans les mâchicoulis de ma mémoire.13 L’énonciateur, dans les divers romans d’Émile Ollivier, se voue à une forme de narration diasporique. Le sujet, de retour dans son Haïti natal, fait l’expérience d’une plongée mémorielle troublante qui le ramène à son enfance et, de manière plus précise, au temps révolu de l’enfance utopique. L’exactitude de ce retour au temps natal est le signe d’une désillusion profonde. Nous pourrions parler à propos des divers romans d’Émile Ollivier de la disposition, sinon de la mise en scène d’un facteur traumatique lié au temps de l’enfance. Évidemment, s’agissant de l’espace romanesque, il est oiseux de faire référence au trauma. Cette évocation peut nous laisser entendre le placage d’une image, d’une représentation en arrière-fond qui aurait valeur d’illustration traumatique. Or le trauma n’est pas une image, ni une représentation. Il n’appartient pas à la surface

82 L’écrivain-témoin : déplacements, transferts culturels et expérience de l’habitabilité dans les romans d’exil d’Émile Ollivier hypnotique du rêve. Il ne se caractérise pas par sa plasticité perceptive, mais au contraire par sa résistance au symbolique, par la mise en jeu d’un hors-temps qui est la cristallisation, à tout prendre insupportable, d’un néant que le sujet se voit dans l’obligation de subir, à la manière d’une déferlante qui s’impose brutalement à la mémoire. Qu’on lise les descriptions des diverses maisons et villas dans les romans d’Émile Ollivier et l’on sera à même de constater qu’elles sont la révélation d’un fondement, d’une assise territoriale qui est le signe d’une persistance si ce n’est, à la limite, le signe d’un acharnement à faire sens. Leyda reconnaît la ville des Cayes. On n’oublie pas un lieu où l’on a vécu, où l’on est revenu été après été, dans la même maison. Voici la place d’Armes à l’entrecroisement des quatre rues principales et les maisons à étage unique, disposées en carré autour d’elle. Les galeries hautes, surmontées d’arcades communiquent entre elles d’une intersection à l’autre, invitant à la flânerie, à l’amitié, au partage. Pour y accéder, neuf marches en béton, véritables garde- fous contre les raz-de-marée. La ville des Cayes semble s’incurver pour recevoir les paquets de vagues toutes les fois que les caprices du vent incitent la mer à franchir les limites de la baie. Les jours torrentiels, la Ravine du Sud entre en fureur, roule des flots tumultueux et rouges, gronde, menaçante, oublie sa route d’em- bouchure, emprunte avenues, rues et ruelles. L’ouragan passé, elle réintégrera son lit de sable en abandonnant, dédaigneuse, ses trophées : branches et troncs d’arbres, toiture de chaume et de tôle, cadavres d’animaux et d’humains, tant et tant d’éléments qui, jour après jour, pendant une bonne semaine, empuantissent l’air.14 L’écritured’ÉmileOlliviern’estpassidifférente,àconsidérercettemiseen situation du lieu, de l’œuvre de jeunesse d’un V.S. Naipaul. Qu’on pense à Une maison pour Monsieur Biswas et l’on constatera, aussi bien pour Émile Ollivier que pour V.S. Naipaul, cet enjeu fondamental que forme l’habitat et la nécessité constamment renouvelée qui consiste à nommer et narrer l’espace fréquenté, ce lieu d’intimité, dont le sujet se sent séparé.

Le lieu habité : naissance d’une notion Parler de lieu habité pourrait laisser entendre l’existence d’une assise, d’unefixitéquipeutaccueillirdefaçondurableledéploiementdel’identité. Si l’on veut prendre au sérieux les notions de lieu habité et d’écriture- refuge, en somme si l’on désire quitter la sphère de l’identité entendue comme accomplissement de soi, genèse, ressourcement, retour aux sources et aux racines, il convient d’expliciter cette démarche. Les lieux habités ne sont pas des formes matérielles qui existent indépendamment de l’intervention d’un sujet dans l’histoire. Les lieux habités permettent de figurer ce qu’est pour une collectivité la représentation du domaine familier. Il nous semble, sur ces questions, plus efficace de faire référence à ce qui constitue le sujet dans sa détermination topique, puis de cerner les

83 International Journal of Canadian Studies Revue internationale d’études canadiennes modesdefiguration(ouencored’infiguration)del’étrangeté,dutrauma,du déplacement. Cette scénographie permet de constituer un théâtre d’opé- rations, ou encore une « carte du tendre » : formes diverses qui induisent un monde de l’action (ou encore un monde rêvé). La notion de lieu habité, parce qu’elle circonscrit d’abord un espace topique qui coïncide avec la figuration du monde familier, permet, par la suite, d’envisager la formation d’une pensée-mère, d’une pensée habitacle, d’une « pensée monde » qui fait l’objet d’une énonciation singulière. La pensée habitacle est précisément cette forme subjective qui indique chaque fois la façon dont un sujet se situe dans le monde, la manière dont il habite le monde, c’est-à-dire la forme singulière de son aménagement du monde. Et cette posture singulière a comme valeur notable de mettre en place une mécanique énonciative qui est aussi, c’est là le plus important, un appareillage prothétique à l’aide duquel le sujet recompose, dans la langue, cette relation fondatrice à l’habitat et au « chez soi ». En faisant appel de manière aussi significative à la relation au lieu, la littérature migrante montre bien que l’espace n’est pas seulement une affaire de représentation visuelle (ou picturale), mais qu’il a également un rôle de premier ordre au sein de la représentation littéraire. Le fondement physique du lieu est cet entourage, matrice ou encore chôra15 qui fait du sujet un être lié par la trajectivité qui donne sens à son parcours. L’être n’est pas une propriété. Il est une forme enveloppante, flexible qui dresse et entoure le sujet, façon de dire que ce dernier est entouré d’un revêtement de sens, véritable chôra qui lui donne matière à penser. Dans cette perspective, le lieu n’est pas ce que l’on habite. Il n’est pas une coordonnée identifiable physiquement, comme un point fixe et défini sur une carte géographique qui nous indique la visibilité d’un espace à parcourir. Le lieu nous habite. Il nous pénètre et nous confond. C’est dire en quoi nous nous méprenons sur le sens de l’espace lorsque nous croyons identifierunlieuànotremesureet,plusencore,lorsquenouscroyonscerner et délimiter les balises de ce lieu. En fait, le lieu nous absorbe et nous dépossède dans la démesure de sa forme chorésique. Voilà pourquoi tout espace propre est une supercherie, un affront fait au monde invisible qui correspond aussi à notre façon d’être au monde. Nous croyons habiter l’espace, lui octroyer une densité, si ce n’est une qualité d’être qui se reflète dans nos actions quotidiennes. Or c’est là une grossière erreur dans la mesure où l’espace n’est pas notre extériorité instrumentale. L’espace s’impose à notre corps défendant. Il n’est pas la pellicule de sens qui permet d’affiner notre silhouette. Il n’est pas la forme caricaturale de notre «êtreté».L’espace,ilfautentendreiciladémesuredulieu,estnotrechair,la chair du monde : notre matérialité pulsionnelle, tout autant que notre source corporelle16. Toute description de paysage (et elles sont nombreuses dans l’œuvre d’Émile Ollivier) bute sur la présence insistante d’un passage à vide où le sens s’effrite, s’étiole, comme s’il était sans cesse aspiré par un univers sans

84 L’écrivain-témoin : déplacements, transferts culturels et expérience de l’habitabilité dans les romans d’exil d’Émile Ollivier pitié. Ce paysage, toujours dense et en constante régénérescence, devient ainsi la matière brute, la pâte, le matériau de base avec lequel « le peintre de la vie quotidienne », en l’occurrence le romancier exilé, doit négocier. Face à la densité des lieux et à la quantité d’images qu’ils évoquent, le narrateur des romans d’Ollivier est souvent saisi d’un vertige exalté qui s’exprime à traversl’entrelacementconstantdesregistresdunarratifetdudescriptif: Je traverse d’un pas pressé la ville, règne de l’insensé. Paysage de montagne et de mer, horizon de pin et de plaine. On n’aura jamais finideladécrire.Villedelabasiliqueunique,dugrandgibetetdela boue! Cette ville dégouline vers la mer comme un abcès. Ville de l’incandescence comme feu d’épines en plein vent, paroxysme jamais atteint de merveilles et de terreurs! Ils t’ont appelée Trou-Bordet, mais tu es également Trou-aux-Vices, Trou-aux- Assassins, Trou-aux-Crimes. Ville de sang et d’ordures! Ville aux aguets! Ville de bitume et de trou! On n’aura jamais fini de te décrire. Acacias et bougainvillées, arbres assoiffés et squelet- tiques noircis par la fumée des trains de canne à sucre. Ah! Cette ville, on n’aura jamais fini de la décrire! Surtout ce côté-ci de la ville : entassement de baraques et de bicoques, amalgame de bois, de tôles et de joncs tressés, fouillis de gîtes anarchiquement élevés, tant au fond des ravines que sur les pentes abruptes. Ici, ils ont pris place au-dessus de la fétidité d’un égout, là, à cheval sur la croupe d’un fossé. Ah! Ce côté-ci de la ville, avec ses venelles tortueuses, malodorantes, où s’entassent des flopées d’êtres vivants et grouil- lants : familles de dix enfants, opulentes mamas, chiens fouineurs, dévoreurs de pierres, chats de gouttière, petites vieilles chiffon- nées, cocotiers drapés de noir, piaulement de morveux, dindons mouillés, poules de Guinée, coqs de basse-cour, cochons, vaches, chèvres et moutons, bêtes à bon Dieu en ce pays, dans la splendeur d’un dimanche de novembre à son couchant, novembre poisseux avec ses dents de gypse et la misère.17

L’enveloppe scripturaire : rempart et reflet d’une perte archaïque Comment lire dès lors, à travers ces tensions, l’œuvre de cet écrivain? Nous pensons qu’il faut y voir la création d’une œuvre insulaire permettant de sauvegarder l’image d’une relation à la mère qui n’appartient pas au monde mortifère de l’abandon. Ainsi, dans l’abondance et le fouillis des souvenirs, de ces images affectives qui réactivent le travail de mémoire, point toujours quelque part, à travers le territoire, la figure de la mère, souvenir indépassable et constamment ressassé, activant par sa présence spectrale, non seulement le dialogue intérieur, mais l’activité créatrice elle-même : Tout, ici, Ah! Quel bel exemple de dialogue muet avec une morte qui réclame son dû. Mais, Noémie Morelli, te rends-tu compte? Tu exiges l’échange de la vie même, au plus vivant d’entre nous deux. Te rends-tu compte? Aucun doute maintenant ne peut subsister.

85 International Journal of Canadian Studies Revue internationale d’études canadiennes

Cette quête a débouché sur une métaphore de moi-même, me donnant à voir ce que ta mémoire, paradoxalement et par on ne sait quelle pirouette, me prophétise. Car, elle m’a amené à découvrir l’histoire de ma famille et, par-delà, chose encore plus grave, l’histoire de mon pays, ce rocher chauve, cette terre de montagne avec sa pierraille, ses alluvions, sa mort à petit feu. Tout cela, Noémie Morelli, transcende nos modestes personnes pour scander le devenir de six millions d’hommes. Tout cela – ô miracle – se présente finalement non pas comme une fiction, mais comme la vibration même de la réalité.18 À travers ce lyrisme, Émile Ollivier nous révèle une chose simple : la perte de l’amour qui nous lie à la mère provoque une blessure dont on ne se remet pas facilement. On peut tenter de faire semblant, on peut prétendre que cette absence est peu de chose, qu’il sera possible de la remplacer par un objet, un simulacre. Mais de façon essentielle, on ne fait que substituer un lien nous unissant à la mère. Toute tentative de créer un rempart territorial à cette béance, à cette absence première, est une façon de lutter contre l’angoisse. Évidemment, à dire les choses de cette manière, le propos pourra sembler tranchant. Mais il faut se demander s’il n’y a pas nécessité de redonner sens à cette configuration dépressive de la perte et à son actualisation par le travail de deuil que propose la littérature et, a fortiori, l’acte d’écrire. Sur cette question, encore une fois, il est nécessaire de s’engager au cœur même des tensions soulevées par l’écriture d’Ollivier en lisant un passage de Mère-Solitude qui trace, à coup d’images et de bribes mémorielles, les pourtours de ce cadre organisateur : D’où viennent ces images étranges qui hantent mes nuits et que j’associe toujours au visage de ma mère? Quand je pense à ses allées et venues, je vois défiler dans ma tête des dispositifs pour voyeurs, des fouets, des chaînes, des préservatifs au quart remplis de sperme frais, des phallus en caoutchouc, car rien ne manque au décor que l’on devine ancien mais que l’on voit comme une maquette exposée dans une foire touristique. Dans ma tête, je vois une maison en surplomb comme dans une photo aérienne.19 Comme nous pouvons le constater, il est bien question ici du pouvoir de procréation de l’imaginaire, pouvoir réservé à une maîtresse-femme (en l’occurrence la mère) qui incarne tout à la fois la démesure de Trou-Bordet et, plus encore, le pouvoir à la fois excrémentiel et matriciel du lieu. Curieusement, cet espace est impropre : les représentations de Trou- Bordet20 (nom ironique conféré à Port-au-Prince) imposent de prendre en considération la place de l’écrivain dans un monde troublé, figure caractéristique de la migrance et de la manière dont l’énonciateur perçoit le rapport l’unissant à son matériau : l’écriture. Ici, la mère fait office de paysage mémoriel à partir duquel le sujet écrivain convoque à la fois l’espace intime et le monde de l’exclusion et de la possession. Comme si l’image de la mère et du territoire ne pouvait plus désormais se manifester,

86 L’écrivain-témoin : déplacements, transferts culturels et expérience de l’habitabilité dans les romans d’exil d’Émile Ollivier pour l’écrivain migrant, sans le sentiment d’une perte profonde et fonda- mentale. La mère représente ce « tiers espace » ou encore cet espace transitionnel au sens où l’entend Winnicott : elle incarne une forme affective et intense où le sujet fait l’expérience des limites de son identité. Dans Mère-Solitude,le dialogue avec une morte qui réclame son dû est, de manière paradoxale, une relation vitale, un véritable chant d’amour. On peut entendre ce dialogue intérieurcommeundiscoursquilielesujetauxconfinsdelaculture.Enfait, nul discours diasporique ne peut véritablement tenir face à l’intensité d’un tel amour. Nul discours diasporique ne peut tenir face à la puissance de l’union avec la mère qui, dans ce cas-ci, sert à la création d’une œuvre- insulaire. Parler d’œuvre-insulaire, c’est d’abord rattacher l’œuvre à ce qui tient lieu de source et de référence au monde haïtien, mais c’est aussi montrer, de façon légitime, que l’œuvre-insulaire fait appel à une pensée habitacle dans laquelle se joue la dimension imaginaire et sexuelle de la création : dynamique (ainsi que nous le rappelle Kristeva) qui nous permet d’envisager le processus d’engendrement de la forme. De fait, dans l’œuvre d’Émile Ollivier, on retrouve ce souci d’une contenance qui, concrètement, permet d’accueillir le lyrisme, le rythme de la phrase, un point d’appui, en somme, nécessaire à l’émergence d’une surface sensible (l’écriture) capable de faire échec au paysage mémoriel du trauma.

L’œuvre-refuge Cette lecture thématique des tensions à la fois inhérentes et sous-jacentes à l’écriture d’Émile Ollivier nous permet de comprendre l’importance du texte, son rôle vital, notamment pour ces écrivains migrants, victimes (volontaires ou non) de la traversée des lieux et cultures, de ce que l’on nomme désormais, de manière certes un peu pompeuse, la déterrito- rialisation. C’est que l’écriture est à sa manière une œuvre-refuge. La maison protège, elle offre un abri : dans sa permanence, elle offre un toit qui protège des intempéries et qui met en relation le sujet avec la cosmicité. Mais ce faisant, la maison nous offre peut-être aussi un abri psychique, une certaine forme de sécurité narcissique contre les transformations non souhaitées du monde. Il est possible que nous ne fassions pas autre chose que de projeter de manière parfois névrotique l’insuffisance plénière de notre condition de sujet souffrant sur les formes de l’habitat. Et que ce processus ait pour fonction d’agrandir démesurément notre relation au monde de manière à nous protéger de la petitesse de la condition humaine et de l’insécurité qui l’accompagne. À l’instar des fonctions primordiales de la maison et du lieu habité, le texte permettrait au sujet d’avoir une certaine emprise sur ce monde qui fuit; en somme l’écriture serait l’occasion d’une restauration psychique, processus avec lequel les psychanalystes, mais aussi les décorateurs, les experts en restauration sont familiers dans la mesure où il suppose la correction, par l’application d’une surface

87 International Journal of Canadian Studies Revue internationale d’études canadiennes

étrangère, d’une œuvre originale qui a été altérée, pervertie, usée par le temps. La forme du lieu habité se nourrit, chez Émile Ollivier, d’une interrogation qui fait référence à une psychosomatique de l’espace, à une mise en jeu inconsciente des éléments topographiques (le pays natal, la maison familiale, les villes et quartiers typiques d’Haïti, etc.). Enjeu profond de cet art pratique qu’est la constitution subjective de notre expérience corporelle, le lieu nous permet, comme le suggère François Vigouroux dans L’âme des maisons, de parler de maison-mère dans la mesure où ce terme renvoie à la figure du refuge21. Certes nous ne pouvons attribuer au lieu la force d’un archétype. Encore que la réflexion de Vigouroux, par sa clarté, nous amène à être prudents : la maison-mère est le prototype de la première relation d’objet. La psychanalyse fait référence de cette manière à la constitution de la relation à l’objet maternel. La maison- mère serait alors la forme réalisée de ce lien émotionnel. Et toute perturbation dans la qualité de ce lien se manifesterait de manière nette par la contestation de la primauté de l’acte d’habiter. Pour cette raison, le refuge, ou encore l’abri, seraient des formes enveloppantes qui témoignent du lien à la mère. Plus encore, elles seraient des formes narcissisées de la qualité de ce lien. L’acte de devenir sujet, de se constituer pour soi et pour autrui comme entité distincte, proviendrait de la qualité de cette relation d’objet nouée dès la petite enfance et de la résilience émotionnelle dont elle est garante. Si la maison résiste aux intempéries, si elle permet la mise en valeur d’un espace domestique, c’est qu’elle offre un univers où il est possible d’être connu et reconnu. Fréquenter l’œuvre d’Émile Ollivier, c’est accepter que la maison soit la qualification (ou l’expression) d’une intériorité qui échappe au vertige de la perte identitaire. En fait, le sujet croit pouvoir se réfugier au cœur de cet espace domestique. Mais en relisant l’œuvre d’Ollivier, on se rend vite compte que le lieu n’est pas toujours l’indice d’une familiarité rassurante. La maison est d’abord la mise en œuvre d’un discours insulaire; en témoigne la tentative de clôturer l’espace, de le représenter : Leyda revisite le foyer de son enfance. Il a gardé le même aspect de dignité vieillotte. Dans la grande pièce qui sert de vestibule, un lustre à branches, agrémenté de feuillages, de fleurettes, de pendeloques de verre se transformant en feu d’artifice de couleur dès qu’allumé. Un grand escalier de bois conduit aux chambres. Leyda connaît le grincement particulier de chacune des marches. Les portes-fenêtres ouvrant sur le balcon, regardent sur la place et offrent aux promeneurs la permission de reluquer à discrétion.22 Mais sous cette présence rassurante, il faut souligner la place de la perte d’identité qui n’est pas simple artifice. Tout l’œuvre d’Émile Ollivier raconte l’expérience d’une dépossession implacable. À leur manière, les

88 L’écrivain-témoin : déplacements, transferts culturels et expérience de l’habitabilité dans les romans d’exil d’Émile Ollivier divers romans d’Ollivier entretiennent des correspondances étroites avec La chute de la maison Usher. La maison est aussi un espace contraint, porteurdesecretsdefamille:cryptes,ouencorebullesdesenstraumatiques qui accueillent les actions des personnages. La figure de l’envoûtement est ici déterminante puisque la quête romanesque est dictée par les refoulements premiers dont la généalogie est porteuse. Ici, le propos d’Émile Ollivier n’est pas foncièrement original, mais il a néanmoins le mérite d’indiquer en quoi les dispositifs écotopiques23 peuvent devenir des lieux d’effroi. Émile Ollivier ne cesse de nous rappeler le lieu vide de notre mémoire vacillante. Il ne cesse de nous rappeler la maison vide des ancêtres : maison vide qui nous fait redouter la mort et nous fait espérer le songe utopique d’une véritable réconciliation interculturelle. Mais Émile Ollivier sait que toute maison loge en soi le souhait du déshabiter. C’est lorsque nous sommes au plus près de notre mémoire que nous quittons le lieu habité pour espérer nous plonger dans le vide. Qu’il s’agisse de la maison Monsanto dans Les urnes scellées, ou encore la maison Morelli dans Mère-Solitude,il est souvent question chez Ollivier d’une maison vide qui fait référence à un deuil impossible. La maison est déjà un lieu de mort. Elle entasse, enfouit lessouvenirsd’unegénéalogiemystérieusecommel’illustrecepassage: La race des Morelli, métèques de souche douteuse, a fait pendant longtemps la loi dans ce pays. Ils ont, au long des années, au fil des générations, vécu tantôt repliés sur eux-mêmes, tantôt ouverts au monde extérieur… Quatre siècles d’histoire ont vu naître, grandir et mourir les Morelli dans cette demeure restaurée sous les deux Empires et réaménagée sous l’occupation américaine pour répondre aux besoins et commodités de la vie contemporaine. L’œil avisé, aujourd’hui, peut avoir du mal à démêler les influences européennes des apports indigènes car architectes et artistes, à travers les ans, n’ont pas hésité à superposer et à mêler mosaïques, volutes et torsades…24 Plus loin, le narrateur nous fait comprendre que cette demeure est associée à un interdit violent : Il est vrai que cette maison nous a toujours paru comme un corps étranger en notre sein, une enclave dans notre territoire. De grands mystères l’ont toujours entourée; mystère de la vie quotidienne de cette famille; mystère, leur mode de subsistance et de repro- duction; mystère, leur mort et leur sépulture.25 De quoi est-il question dans ce passage de Mère-Solitude? Sylvain Morelli a été assassiné sur une place publique de Trou-Bordet. S’ensuit une narration chorale où les témoins de cette mort alternent prises de parole et déclamations. La raison en est simple : cette maison possède un pouvoir maléfique. Depuis toujours, et de manière plus insistante depuis l’assassinat, la seule présence de cette maison semble avoir plongé la

89 International Journal of Canadian Studies Revue internationale d’études canadiennes communauté de Trou-Bordet dans une vive inquiétude, proche de cette perte d’identité dont nous avons parlé plus tôt. Tout laisse croire que la maisonreflèteetravivelesmystères,secretsettabousdelacommunauté. La maison Morelli est à la fois localisée et étrangère. Elle frappe l’œil par sa démesure baroque et demeure en même temps un espace secret. À vrai dire, on ne sait trop qui sont les Morelli, pas plus qu’on ne connaît la raison de leur installation à Trou-Bordet. L’argumentation de cette narration chorale est nette : qui ira porter à son domicile le cadavre de Sylvain Morelli? Ou, pour le formuler autrement : qui ira le reconduire à sa dernière demeure? Et, si l’on garde à l’esprit le titre de ce roman, Mère-Solitude, rien ne nous empêche d’y voir une réflexion sur la maison maternelle qui accueille et protège, cette maison maternelle qui, en raison de son aspect protecteur, s’avère aussi terrifiante. Ces considérations sur la force (parfois énigmatique) et la forme protectrice du lieu habité nous mènent au phénomène de restauration qui, quel qu’en soit l’objet d’application, est toujours l’expression d’un souhait utopique. Plus encore, la restauration, si l’on s’en tient au vocabulaire psychanalytique, est d’abord l’expression d’un vœu qui consiste à mettre un terme à l’écoulement du temps, à son caractère à la fois éphémère et implacable. Si la maison est une fenêtre endopsychique ouverte sur le monde, c’est qu’elle nous permet d’aménager les formes diverses de notre finitude, d’agrandir notre résidence première : le corps humain. Plus encore, le corps-psyché serait alors une forme vive de cette résidence sur la terre qu’est la maison maternelle. Et le souci de restauration, de correction aurait alors pour fonction de pallier les attaques destructrices contre cette maison-mère. François Vigouroux décrit de façon heureuse ce phénomène particulier : Ce serait donc pour se protéger de la peur, pour se séparer du magma des origines, que l’homme s’invente des techniques et se construit des maisons. Il s’y abrite sans doute. Mais elles lui servent aussi à fixer les limites symboliques de l’espace où il vit. Elles lui permettent de nommer l’étendue, de donner un nom à ce que l’on appelle justement les êtres – les aîtres – de la maison. […] Au moment même où, avec un souci exaspéré de tout gérer, de tout prévoir et de tout organiser, nous tentons de masquer notre angoisse et de conserver l’illusion de notre toute-puissance, c’est toute l’histoire passée – la nôtre, celle de l’espèce et celle de la planète –, c’est tout notre passé enfoui et refoulé qui tente de voir le jouretfaitsurgirdansnotreviequotidienne,commedeslapsus,ses taupinières incongrues.26

Le lieu d’attache La relation à l’habitat se constitue en effet selon un double principe : l’attachement, la maîtrise, le souci de cohérence correspondent à une

90 L’écrivain-témoin : déplacements, transferts culturels et expérience de l’habitabilité dans les romans d’exil d’Émile Ollivier volonté de saisir l’espace, de le cristalliser, de le fondre dans une étendue qui possède une qualité perceptible. Mais cet attachement au sens est lui-même trompeur. La cohérence est le masque restaurateur de l’oubli; il est la forme cosmétique que les familles, les sociétés se donnent afin de préserver l’unité de leur permanence. Comment dès lors pouvons-nous imaginer cette relation à l’habitat dans l’œuvre d’Émile Ollivier, d’autant qu’elle engage une relation complexe à la migrance et à l’imaginaire du corps? La perte d’identité caractérise justement la dissolution des points de repère du sujet dans le monde. Rappelons-nous Mère-Solitude qui met en relief, avec insistance, la figure de la maison des Morelli. Chez Ollivier, la description romanesque traduit cette émanation vitale du souffle. En ce sens, l’écriture d’Ollivier emprunte à la tradition orale : lieu parfois labyrin- thique, parfois circulaire, en tous les cas lieu qui déroute et plonge le sujet dans la perplexité. À force de lire les descriptions de la maison des Morelli, le lecteur est étourdi par la profusion de signes qui ont une valeur à la fois indicielle et représentative. Les descriptions semblent vouloir dire : voilà comment ça s’est passé; voilà où ça s’est passé. Ces descriptions massives ont pour fonction première de contrer l’oubli. Elles ne participent pas d’un projet réaliste, encore moins naturaliste, mais visent à une réappropriation de la mémoire, fut-elle sous l’angle de l’onirisme et de l’imagination27. C’est à ce titre que l’on a fait appel à la notion de « réalisme merveilleux »28 pour définir le style de l’œuvre d’Ollivier, en l’associant ainsi à une certaine tradition antillaise et sud-américaine. De nombreux éléments de défamiliarisation de la trame romanesque caractérisent l’œuvre d’Ollivier. Mais les descriptions que l’on retrouve dansMère-Solitudedépassent ceprojet. Elles font valoir laforce del’oralité qui correspond au statut de l’écrivain public. C’est souvent d’une voix de femme dont il est question dans les divers romans d’Émile Ollivier. À la manière d’un Naïm Kattan, le pouvoir tout-puissant de l’oralité – du souffle – est une caractéristique forte de l’écriture de cet écrivain et, serait- on porté à dire, de la migrance en général. Chose certaine, il y a une importance commune accordée à la voix dans les romans de Naïm Kattan et d’Émile Ollivier. Faut-il voir dans cette convergence d’intérêts autour de la mise en forme de l’oralité la conséquence d’un enracinement culturel premier? Ollivier ne cesse d’insister sur la fonction du conteur dont la tâche première serait de raconter des histoires. C’est dire que l’acte narratif implique, pour lui, une réactualisation du sujet, sa prise en compte dans l’engagement dont son œuvre fait valoir la nécessité, sinon l’urgence. C’est d’ailleurs ce même Ollivier qui met en relief la fonction polynarrative de l’écrivain-public et qui fait de l’espace (ou de l’agora) le lieu de confluence d’un réseau de voix diverses. L’écrivain public serait ainsi à sa manière la forme laïque et populaire du scribe dans la mesure où son don – qui est d’abord un savoir – lui permet de prendre la parole par le truchement de l’écrit.

91 International Journal of Canadian Studies Revue internationale d’études canadiennes

Revenons aux descriptions foisonnantes parsemées au sein de Mère- Solitude. De manière parfois subtile, mais non moins profonde, ces descriptions mettent en scène un enveloppement matriciel (ou du moins son désir) qui correspond encore une fois à ce que François Vigouroux nomme la « maison-mère », comme l’illustre ce passage : Et me voilà! Moi, Narcès Morelli, parti à la recherche de l’image de ma mère, sans bagages, sans flûte enchantée, ni rime, ni raison, mais au fur et à mesure que je m’avance dans l’épaisseur historique et matérielle de cette terre, je découvre que rien n’a changé dans ce pays, rien absolument rien n’a changé.29 ÀlireÉmileOllivier,ilyaeneffetunerelationinversementproportionnelle entre la densité de la trame historique et le portrait de la mère, portrait pour ainsi dire immatériel, qui compose une géographie imaginaire (parfois fantasmée) de l’espace du corps. La migration mène donc l’écrivain à questionner, de manière inlassable, l’identité, ses racines (la famille, son lien à la mère, etc.) et, avec elles, toute la société haïtienne.

La place du témoin À lire Émile Ollivier, nous devons retenir cette actualité du revenant qui surgit à la mémoire tel un mauvais souvenir qui dévide, devant nous, son cortège d’humeurs. Le revenant, dans l’œuvre d’Émile Ollivier, est le fantôme du paysage natal (Haïti) qui s’impose où que le narrateur porte ses pas. Où que l’on aille, semble nous dire le narrateur, on traîne sa terre avec soi comme un spectre obsédant. Ilyalàuneactualité de la revenance qui caractérise la déambulation des traumatisés de la mémoire. Et l’œuvre d’Ollivier est tout entière consacrée à cette question tant elle fait valoir que le paysage de la mémoire est ici fragile, sinon effiloché : Le Cuba auquel elle référait était un pays lointain, irréel, onirique. Cuba à travers les brumes des réminiscences d’une fillette. Elle regardait un rivage oublié, situé au-delà de l’horizon. Elle regardait au loin, en direction de son île et elle se demandait quand elle pourrait la revoir. […] Le souvenir qu’elle avait conservé de la Havane, c’est celui d’une fête foraine : le bourdonnement des guitares, la foule, les flâneries, la paresse des tropiques, la vie des rues mêlée à la vie des boutiques, une rumeur de ruches, la Havane illimitée, éclatante de blancheur et mangée de soleil.30 En effet, à parler comme nous le faisons de l’écriture migrante, nous ne pouvons nous permettre de négliger la place des morts qui incarnent un horizon fugitif, celui des absents et des déplacés. Encore une fois, l’œuvre d’Émile Ollivier propose un regard sensible sur ces problématiques31 dans la mesure où le territoire géopolitique (on pensera sur ces questions au roman Passages, qui met en jeu une déambulation menant le narrateur de Port-au-Prince à Montréal) donne toute sa place aux absents.

92 L’écrivain-témoin : déplacements, transferts culturels et expérience de l’habitabilité dans les romans d’exil d’Émile Ollivier

Le statut de l’écrivain public fait valoir la place du témoin qui tente, du mieux qu’il peut, de rendre compte du monde qui défile sous ses yeux. Mais la place du témoin, aussi nécessaire qu’elle soit, est une activité à double- détente.Lesujetveuttémoignerdecequ’ilobserve,decequ’ilentend,mais ce témoignage, du fait de la position énonciative adoptée, le place dans une position excentrique, dans une posture d’outre-tombe dirait Blanchot. Mais témoigner, c’est aussi ravir la parole de l’autre. À cet égard, le statut de l’écrivain public chez Ollivier est ambivalent. Dans plusieurs passages, l’écriture semble être la forme même de la déception et de la désillusion. Par exemple,dansPassages,lenarrateuraffronteleclinquanttechnologiquede Miami, l’inertie violente de son Haïti natal pour avouer, en fin de parcours, la nécessité du retour à Montréal. Retour difficile, il est vrai puisqu’il se fait dans la contemplation d’un échec existentiel. Vivre à Haïti n’est pas chose possible : le sujet s’anéantirait dans un monde où la répétition du traumatique fait partie intégrante de la vie sociale, où la décomposition de la trame urbaine tient lieu d’esthétique quotidienne. Il faut quitter ce lieu de perdition qui condamne le sujet à une telle fatigue psychique que la faculté d’exister en est réduite à sa plus simple expression. Miroir et reflet de cette fatigue, l’écriture se traduit alors par une chute dans le silence, la parole ne parvenant plus à témoigner. Que reste-t-il alors de ce témoignage nécessaire et désiré qui se veut une parole solidaire, authentique, soucieuse de rendre compte de la complexité du monde social? Le sujet, qui se voudrait écrivain-rapporteur, est condamné à l’imposture. Car on le sait, l’écriture marque, enferme, identifie le sujet à partir de balises dont la forme spatiale est relativement contrainte.

L’éprouvé douloureux logé dans les plis de la mémoire Il faut tenir compte, dans la lecture de l’œuvre d’Émile Ollivier, de cette mise en scène particulière et difficile de l’espace qui semble, chez lui, toujours trop réel, trop puissant, capable, somme toute, de tuer par son intensité. Il y a dans cette œuvre un aveu réaliste : le trauma bute sur un point de fuite qui est la détresse de l’enfant abandonné par sa mère; enfant esseulé dont le prolongement logique se situe ensuite du côté de la figure de l’amant solitaire, forcé à errer sans finalité précise : Leur trajet [aux voyageurs], à la limite, ne dessinera qu’une boucle, tant les événements sont jetés là, orphelins, les attendant, pareils à des quais de gares. Ils erreront sans fin, animés du même désir fou que celui qui hante le destin implacable des saumons : ils tâtent des fleuves, des océans, pour retrouver à la fin l’eau, même impure, où ils sont nés et y pondre en une seule et brusque poussée, une réplique d’eux-mêmes et mourir. Il est dans l’existence des éclipses où il nous semble avoir tout perdu, des temps de silence où l’on se trouve plongé dans un brouillard, une nuit en deuil d’étoiles. Nul reflet n’éclaire la route. De l’enfermement de l’île à la prison de Krome, de l’inventaire des

93 International Journal of Canadian Studies Revue internationale d’études canadiennes

ratés au catalogue des renoncements, le même délicat problème de la migrance, un long détour sur le chemin de la souffrance. Passagers clandestins dans le ventre d’un navire, nous visitons non des lieux, mais le temps. Entre Mère-Solitude, récit de la détresse infantile (où le narrateur parle de son enfance avec les yeux et le regard de celui qui a été abandonné), et Passages, une accentuation de la douleur se fait sentir. On ne peut s’empêcher de noter, dans l’expression de cette peur, la présence d’une douleur qui croît jour après jour, amplifiant sans cesse la détresse du narrateur qui tente de rendre compte, pour soi et pour les autres, de l’itinéraire singulier d’une migrance. Qui disait que le voyage est illusoire? On a beau se déplacer d’un endroit à l’autre, se livrer à une agitation sans relâche, en réalité, on ne fait que marquer le pas, tant les lieux restent inchangés. Dans leur soif de départ, les voyageurs ignorent souvent qu’ils ne feront qu’emprunter de vieilles traces. Mus par une pulsion, quand ils ont mal ici, ils veulent aller ailleurs. Ils oublient que le mieux être est inaccessible puisqu’ils portent en eux leur étrangeté.34 L’œuvre d’Émile Ollivier utilise des voies de traverse afin de dire la singularité de ce désir. En ce sens, le lyrisme demeure un moment (et une forme) exemplaire de cette narration dans la mesure où le sujet est happé par la forme du désir qui échappe à l’indifférence. Qu’on lise cet extrait de Passages pour prendre le pouls de cette mémoire désirante dont le paysage (sensoriel) s’échafaude bien souvent à partir de simples éléments perceptifs (odeurs, bribes de conversations, etc.) : Et surtout revoir Port-au-Prince, sa ville, qu’il avait figée dans le temps et dans sa mémoire, espace complice, espace aux mille facettes. Existent-elles encore ces rencontres sur les galeries des maisons? Existent-ils encore ces petits temples de l’amitié où la fumée des cigarettes tenait lieu d’encens?35 Le panorama offre ici l’occasion d’une écriture-palimpseste qui donne sens à la mémoire, qui tente de révéler le truchement de cette mémoire : figure, personnage, ou encore événement porteur d’une signification ponctuelle et qui permettrait de donner sens au déplacement.

L’exil : mouvement de l’angoisse et de l’accablement traumatique Suivre Émile Ollivier à travers ses pages-paysages (J.-P. Richard), à travers les différents chemins de traverse tracés par le souffle de cette écriture baroque et frénétique, c’est saisir la sensorialité douloureuse du monde diasporique. C’est surtout comprendre que le rappel mémoriel est une forme active de cette écriture qui tente de mettre un terme aux traumatismes des déplacements, à la douleur des délogés : sans-abri, réfugiés politiques,

94 L’écrivain-témoin : déplacements, transferts culturels et expérience de l’habitabilité dans les romans d’exil d’Émile Ollivier déserteurs et exilés de toutes sortes. Plusieurs extraits de Passages sont particulièrement révélateurs de cette tension relative au phénomène migratoire où le lieu d’origine est volontairement mis à mal pour adoucir et conforter le sujet dans son élan migratoire : Je veux quitter ce pays d’immondices, d’égouts à ciel ouvert, de crottes; je veux quitter ce pays où les sentes boueuses empestent l’urine rancie; je veux m’en aller loin des aisselles et des vagins qui n’ont plus mémoire d’eau claire. Je veux quitter ce nid de vermines où blattes, tiques, morpions, punaises, maringouins mâles et femelles font la loi. Je veux échapper à la malaria, au pian, au choléra. Ah! Seigneur! Échapper aux griffes des tigres, ne plus patauger dans cette plaie grouillante de vers, cette gangrène, cette gonorrhée chronique. Un pays ça? Pays mon cul! Il faudrait vivre le nez pincé, tant ça fouette, tant ça schlingue. Quatre siècles de mauvais air, de mauvaises races, de mauvaises nations…36 Ce rappel mémoriel, on le retrouve dans la description d’un paysage-corps, paysage qui met en relief encore une fois cette densité sensorielle de la représentation : mélange où s’entrechoquent mort et naissance, bâtardise et lyrisme. L’art d’Émile Ollivier fait alterner l’excès et le trop peu : figures traumatiques de la perte et de la surprésence hallucinée de l’objet maternel. Son œuvre nous montre que la littérature est l’expérience d’un deuil premier, un deuil originaire qui ne laisse d’autre choix au sujet que de se mouvoir dans un monde contraint, un monde hanté par ces fantômes et revenants qui habitent l’écriture. La notion d’« habitabilité psychique »37 prend ici tout son sens. En effet, si l’espace est une fiction, si sa trajectoire est imprécise et incertaine, à l’inverse la littérature semble tenir lieu, chez Ollivier, de boîtier d’écriture. L’écrituredevient ainsi une forme contenante qui permet de faire jouer les résonances d’un mode narratif qui emprunte l’essentieldesaformeàlarencontredel’aversetdel’envers,del’intériorité et de l’extériorité, du soi et de l’autre. En lisant Mille eaux, récit autobiographique qui prend acte de l’impossibilité d’un retour au pays natal en proposant plutôt une réconciliation avec le passé, on se rend compte à quel point l’écriture fait figure de contenant, commémorant la place des disparus. Être lyrique, c’est dans cette perspective lutter contre l’emprise de lamort.LadisparitiondelamèredansMère-Solitudeestaccompagnéedela disparition précoce du père dans Mille eaux dont le sujet se rappelle la physionomie imposante, bien que celle-ci ne s’actualise que par le biais d’une silhouette vue de dos. Cet éprouvé de douleur qui traverse l’œuvre d’Émile Ollivier, sous forme parfois de traces discrètes, transmigre dans la parole même de l’écrivain. Plusieurs passages de l’œuvre d’Ollivier font écho à ce phénomène comme dans cet extrait où il est dit : Normand était très peu bavard sur sa vie. Quand il lui arrivait d’en parler, il ne restait que des traces, des trous, quelques scènes, quelques lieux, blocs opaques. Normand aimait voyager.38

95 International Journal of Canadian Studies Revue internationale d’études canadiennes

Comme le laisse entendre ce passage et de nombreux autres qui parsèment l’œuvre d’Ollivier, on constate que bien souvent la figure de la mobilité laisse place à l’infiguration et au silence du trauma. Dans Mille eaux, le récit d’enfance est l’aveu d’une urgence vitale puisque le sujet tente de nommer avec des mots incertains le lieu même de sa naissance et de sa généalogie. L’écriture diasporique serait-elle alors une façon d’en finir avec les mots de la mère? Serait-elle par ailleurs une façon de nommer la disparition du père, sa fuite hors de la cellule familiale alors que le sujet habite encore les territoires de son enfance? À adopter ce point de vue, l’écriture migrante serait encore une façon de composer avec la perte, la séparation et la disparition. L’œuvre d’Émile Ollivier a ceci de particulier qu’elle permet de prendre la mesure des lieux-dits de l’angoisse. Lorsque l’écrivain fait valoir l’importance des repérages identitaires qui permettent à tout un chacun d’exister, lorsqu’il fait appel à l’écrivain public, Émile Ollivier interroge le destin de la parole39 qui n’est pas seulement la revendication solitaire du récit de soi. Pas de lyrisme inutile dans l’œuvre d’Émile Ollivier; le propos y est à la fois âpre, disparate et amoureux tant l’engagement nécessite, pour chacun de nous, la reconnaissance toujours multiple de ce qui nous fait résidants sur la terre. Est-ce là un vain moralisme, une vision du monde romantique et sans grande promesse d’avenir? En tous les cas, l’œuvre d’Ollivier propose une vision tout à fait particulière du rapport au lieu dont l’énonciation (souvent tactile et sensuelle) tend, selon nous, à restituer « par » et « à travers » le langage cette expérience subjective de la traversée de l’espace et des cultures. Plus que jamais, le sens prend forme ici selon une cartographie à la fois psychique et ancrée dans l’espace. Entrer dans l’œuvre d’Ollivier, c’est accepter de nouer une relation d’intimité au lieu dont nous sous-estimons souvent l’emprise et la puissance d’enracinement. Les romans d’Émile Ollivier sont consacrés à l’Haïti natal, ce qui explique en partie qu’on lise cette œuvre comme une autobiographie déguisée. Le propos est réducteur : il masque la densité formelle de ces romans au profit d’un discours anecdotique sur l’appartenance et les méfaits de l’exil. Il faut voir que l’œuvre d’Émile Ollivier, bien qu’il fasse référence au pays natal, ne cesse d’interroger l’imprégnation émotionnelle de la relation au lieu. Qu’on pense au titre de l’un de ses ouvrages : Les urnes scellées. À l’instar du titre, la structure du roman fait valoir la puissance d’enveloppement de la sexualité féminine qui rejoint le rêve d’une maison qui accueille, protège, loge le sujet dans la forme élémentaire de la matière vivante. Les urnes scellées, c’est la revendication d’un fondement qui fait référence au natal. Mais le titre nous rappelle aussi un enveloppement étouffant, une puissance d’engendrement qui est forclose. Dans Les urnes scellées, les femmes sont à leur manière les génies du lieu, figure mytholo- gique dont on aurait tort de sous-estimer l’importance. L’œuvre d’Ollivier propose, sans afféterie, une réflexion de fond sur les conditions de l’exil.

96 L’écrivain-témoin : déplacements, transferts culturels et expérience de l’habitabilité dans les romans d’exil d’Émile Ollivier

Haïti semble l’intime toile de fond d’un monde promu au désastre. Que ce soit Cayes ou Trou-Bordet, l’espace public de la ville – son agora – est théâtralisé comme si la raison pratique de ses habitants était réduite à sa plus simple expression.

Poétique du lieu impur La ville est l’espace du multiple contrarié. Elle ne correspond d’aucune manière à l’harmonie du foisonnement cosmopolite. Nous ne pouvons parler à cet égard de la mise en forme d’une différence qui est exemplifiée par la création d’un nouveau pacte social. La trame sociale de Trou-Bordet ou des Cayes impose sa démesure coloniale : personnages fantoches qui font valoir une préciosité de pacotille qui masque à peine l’intolérable violence des relations interpersonnelles. L’écrivain public prête son attention aux personnages sans voix dont il relate la chronique : l’histoire d’une dévastation. C’est dans cette perspective que les notions de mouvance et de migrance prennent sens. Pérégriner, pour Ollivier, c’est accepter une impureté (quasi ontologique) qui constitue le sujet dans sa fragilité, mais aussi dans sa relation intime au lieu habité. Lisons, à cet égard, ce passage de Mère- Solitude : Mais d’où me vient cette tenace impression que je retire de ma mémoire? Un lieu purifié comme si, avant de tracer le carré de la maison dont les orifices s’ouvrent sur les quatre points cardinaux, le terrain avait dû être déblayé de ses cailloux, de ses arbres, de tous les restes organiques qui pouvaient s’y trouver. Il est en effet plat, uni et, par son aspect, il souligne qu’il s’agit là d’un lieu purifié de tous les signes ou symboles qui favorisent la chute ou l’atta- chement à la vie, un espace incorruptible où s’accomplit le passage de l’un au tout, de la nuit à la lumière. Les divisions fondamentales de la superficie intérieure sont tracées en suivant deux lignes principales qui vont du nord au sud et de l’est à l’ouest. Le centre, un carré, une pièce qui tient office de salon. Au-dessus des portes, sur les quatre murs, au plancher, on trouve, peintes en couleurs vives, les réalités les plus hétéroclites, le président de la République etsonépouse sontreprésentés avecdesyeuxrougevif, la tête en bas, mains et pieds rongés, déformés, on y trouve, sans ordre aucun, des organes de perception, d’évacuation ou de génération. Mais au plancher, au centre de la pièce, bien incrusté dans le sol, un miroir de pur style chinois décoré de dessins cabalistiques. Au plafond, un trou irradie de la lumière. Est-ce un cadran solaire ou simplement des schémas de l’univers?40 Comme on peut le constater, il y a chez Émile Ollivier une soif de sublimation, d’expression du pulsionnel qui est aussi soif de sens. Ilyaen effet chez cet écrivain une glorification incarnée de l’instinctuel qui se donne à lire dans la révélation de l’informe. La description du lieu purifié

97 International Journal of Canadian Studies Revue internationale d’études canadiennes maintient de manière parfois inquiétante ces points cardinaux qui situent la mémoire des lieux, l’idée même d’un point de vue organisateur entre l’ici et l’ailleurs. Parler de ce lieu purifié peut laisser entendre l’idée d’une pensée habitacle : mise en scène du corps dans l’espace; et création d’une corporéité sensorielle dont le narrateur est l’agent. C’est ce que laisse entendre ce passage de Mère-Solitude qui permet la conjugaison de la sublimation et de la sensorialité, dans une transincarnation de la forme qui n’est pas sans résonance mystique. Pourtant, ce lieu purifié n’a rien à voir avec la démesure d’une utopie. Il nous mène en d’autres lieux où la forme révélée n’est pas autre chose que l’infiguration de l’abjection. Il faut sur cette question envisager des voies de traverse entre le lyrisme et cette asso- ciation du corps et du lieu. À sa manière, Émile Ollivier ne cesse de dire qu’on n’immigre pas vraiment ou jamais totalement, que le sujet de l’immobilité traumatique (de cette fatigue que l’on retrouve exprimée dans Passages) est condamné, de manière paradoxale, à l’errance. En fait, chez Ollivier, l’imaginaire corporel est convoqué pour donner forme à cet accablement qui gangrène le sujet de l’intérieur.

Pour un nouvel imaginaire du lieu? Avec Émile Ollivier, la littérature migrante se construit comme un nouveau palimpseste mémoriel qui recourt aux formes du cosmopolitisme, de la citadinité, du choc et du croisement des cultures. Il faut prendre la juste mesure de cette écriture dans le contexte des lettres québécoises contemporaines. Il faut aussi prendre acte de cette œuvre qui met en relief la raison pratique du territoire et les déambulations contraintes des sans-abri de la mémoire officielle. Qui est mandaté afin de nommer et arpenter ce territoire, qui peut en dire les formes et les reliefs? Qui peut décrire les paysages de nos lieux habités? C’est ici que l’œuvre d’Émile Ollivier trouve tout son sens, comme si le fait de repérer des territoires diasporiques était le contrepoint implicite d’une interrogation persistante sur l’avenir du Québec contemporain.

Notes 1. Nous tenons tout particulièrement à remercier Cindy Baril et Claudine Landreville pour leurs lectures attentives et leurs précieux commentaires. 2. Émile Ollivier, Passages, Montréal, L’hexagone, coll. « Fictions », 1991, p. 40-41. 3. Pour approfondir cette notion d’espace potentiel, lieu médian entre l’intériorité du sujet et le principe de réalité incarné par l’environnement social, on se reportera aux travaux menés par D.W. Winnicott et plus particulièrement à ses ouvrages en traduction : L’enfant et le monde extérieur : le développement des relations, Paris, Payot, coll. « Petite bibliothèque Payot / Sciences de l’homme »

98 L’écrivain-témoin : déplacements, transferts culturels et expérience de l’habitabilité dans les romans d’exil d’Émile Ollivier

(1975) et Jeu et réalité : l’espace potentiel, Paris, Gallimard, coll. « Connaissance de l’inconscient » (1975). 4. Par cette expression, nous faisons référence au caractère potentiellement enveloppant du rapport au lieu réconfortant (ou à la matrice) que nous aurons l’occasion de définir et d’exemplifier au cours de cet article en l’associant notamment à la notion de chôra telle que l’entend Julia Kristeva. 5. Avec quelques-uns de ses homologues haïtiens nouvellement arrivés au Québec, Ollivier joindra les rangs du mouvement « Haïti Littéraire » qui permettra des échanges intéressants avec plusieurs écrivains québécois au moment même où bouillonne la Révolution tranquille. C’est notamment par le biais de ces échanges qu’émergera le volet anti-colonial de l’histoire des idées au Québec, volet qui sera d’ailleurs relayé (et alimenté) par des revues comme Parti pris dans laquelle on trouvera plusieurs analyses inspirées de l’œuvre de Frantz Fanon. 6. Émile Ollivier, Repérages, Montréal, Leméac, coll. « L’écritoire », 2001, p. 119. 7. Ollivier n’aura de cesse de revenir sur ce sentiment ambigu, inhérent au processus migratoire, selon lequel le sujet en « exil », où qu’il se trouve, a toujours l’impression de traîner sa terre avec lui. Ainsi le passage vers l’ailleurs, la découverte de nouveaux lieux ne cède pas le pas à un processus d’effacement (ou d’oubli) de la terre natale, mais permet plutôt de voir à distance ce que l’on a quitté : « J’ai quitté Haïti; en revanche, Haïti ne m’a jamais quitté tant toute mon œuvre est obsédée par la mémoire du pays natal. Mon être haïtien, même mâtiné de plusieurs sédiments d’errance et de socialisation en terre étrangère, se révèle à ma conscience tenace, vivace. Je crois au travail de mémoire, à l’exhumation de ces paroles enfouies dans le corps et le cœur qui portent les pas dans la pierraille de l’errance et qui projettent hors de soi, sans limite » (Ollivier, Repérages, 2001, p. 94). 8. Émile Ollivier, Mère-Solitude, Paris, Éditions Albin Michel, 1983, p. 11-12. 9. Cf. Francine Bordeleau, « Émile Ollivier : l’écriture pour desceller la mémoire. Entrevue avec Émile Ollivier » dans Lettres québécoises,no 102 (été 2001), p. 9. 10. Émile Ollivier, Mère-Solitude, Paris, Éditions du Serpent à plumes, coll. « Motifs », 1999 [1983], p. 107. 11. Émile Ollivier, Passages, op. cit., p. 129-130. 12. La référence à la psychosomatique relève d’une longue tradition psychanalytique qui fait appel à la médecine. Rappelons que de Georg Groddeck à Sandor Ferenczi, tous deux contemporains de Freud, l’enjeu était de débusquer, dans les brutales atteintes à l’intégrité corporelle, le symptôme d’un pâtir défaillant. Ce n’est pas un hasard si des psychanalystes herméneutes, tel Ludwig Binswanger, ont, dans cette foulée, élaboré une clinique psychanalytique qui fait du symptôme le signe d’une difficile intégration du sujet dans le monde. À suivre cette perspective, toute référence à l’ordre psychosomatique ferait intervenir le statut central de l’écotopie ou encore de l’oïkos (ce sentiment d’appartenance à un lieu pour soi). La réflexion sur l’ordre psychosomatique peut être prolongée dans le cadre de travaux sur le processus migratoire. En effet, sur ces questions, la littérature offre un matériau particulièrement riche. Ainsi est-il aisé et frappant de constater, à la suite de la lecture des œuvres d’Ollivier, de quelle manière l’écriture met en scène une configuration corporelle implicite, pas si éloignée de la sphérologie revendiquée par Peter Sloterdjik. De fait, les romans d’Ollivier font alterner les figures du trauma et du nostos (de cette nostalgie pour le monde natal). C’est que le processus migratoire n’est pas fonction d’une trajectoire rectiligne qui s’effectuerait sans heurts et sans bouleversements. En fait, il faut imaginer que le

99 International Journal of Canadian Studies Revue internationale d’études canadiennes

corps (matrice première de cette écotopie) subit les contrecoups de ces migrations imprévues qui mettent à mal la sécurité narcissique du sujet. Dans cette perspective, on ne saurait sous-estimer la manière dont le corps incorpore les détresses silencieuses, l’amertume et les deuils difficiles qu’imposent les différents processus migratoires. Pour les cliniciens, la psychosomatisation trouve un terrain favorable, une prédisposition lors de situations où le sujet fait l’impasse sur l’existence d’un noyau psychique potentiellement pathogène. En d’autres termes, le dérèglement psychosomatique intervient dans les situations où une neutralité de façade, une indifférence émotionnelle et une désaffectation tiennent lieu de paravent, masquant une détresse psychique importante. Dès lors, les postulats énoncés par les tenants de la clinique psychosomatique sont très clairs : l’absence de symbolisation (par le langage, forme première de la communication entre humains) se traduit, dans des situations potentiellement pathogènes, par un dérèglement de la fonction écotopique. À un niveau plus fondamental, la psychosomatique pose la question importante qui consiste à savoir quelle est la relation du corps avec l’écoumène? Cette interrogation est vitale en même temps qu’elle complexifie les enjeux de la psychosomatique. Bien souvent, les travaux écotopiques mettent l’accent de manière outrancière sur le monde visible, ou sur ce que Michel de Certeau nomme les « récits d’espace ». La tentation est alors forte d’associer sponta- nément l’espace vécu (Gisela Pankow) aux représentations spatiales établies. Mais si, sous certaines facettes, l’écotopie peut prendre la forme d’une nouvelle discipline apte à comprendre la « sphérologie » du monde sensible, ce sera à la condition d’abandonner la mise en relation de la spatialité (comme récit d’espace) et de la signification. Les dispositifs écotopiques, s’ils sont sensibles, fortement investis par des affects, ne sont pas toujours des représentations spatiales. Prenons pour exemple le sujet angoissé qui est, d’une certaine manière, enclavé par une forme immatérielle de la sensibilité. Ne lui demandez pas si ce qu’il ressent est vrai. La question sera reçue avec dédain, comme si vous, l’interlocuteur, adoptiez un détachement tout philosophique à propos de la nature représentative de l’angoisse. Il en va de même du rêve ou des hallucinations motrices qui animent le sujet et le forcent à habiter une sphérologie inconsciente. C’est que l’acte d’écrire engage véritablement une psychosomatique du « lieu dit » dont nous ne pouvons faire l’économie à propos de nos propres investigations. Qu’il s’agisse de la faculté de contenance, de la définition du Moi-peau chez les psychanalystes ou encore de nos propres travaux sur le « boîtier d’écriture » ou le « récit de soi », il semble bien, d’un point de vue psychanalytique, que le texte littéraire s’érige souvent comme une représentation analogique du corps-psyché. Que veut dire, en ces termes, une écriture psychosomatique? Nous croyons, pour notre part, y voir une activité qui donne libre cours aux médiations des sphères consciente et inconsciente du sujet. À penser l’écriture psychosomatique sous cette forme, elle incarnerait donc une mise en relation féconde et durable de l’image du corps traduite en représentation graphique. 13. Émile Ollivier, Mère-Solitude (1999), op. cit., p. 27. 14. Émile Ollivier, Passages, op. cit., p. 150-151. 15. Nous nous référons ici au sens qu’a pris ce concept notamment à la suite des lectures attentives du Timée de Platon par Luc Brisson, mais également au prolongement psychanalytique que tendent à conférer à cette notion certains théoriciens post-structuralistes tels Julia Kristeva et, dans le champ plus

100 L’écrivain-témoin : déplacements, transferts culturels et expérience de l’habitabilité dans les romans d’exil d’Émile Ollivier

spécifiquement géographique, Augustin Berque. De manière audacieuse, Kristeva, par exemple, tente de montrer que la relation qui unit le langage au texte fait écho à celle de la mère et du corps, le texte littéraire permettant de faire surgir les traces pulsionnelles, une rythmique en somme, qui fait écho à l’espace matriciel où le sujet était en symbiose avec un espace à la fois protecteur et nourricier. Poursuivant les réflexions de Platon qui concevait la chôra comme un tiers espace étranger aux formes prédéfinies, sorte de lieu intangible, hybride, constamment en mouvement tout en étant fondateur, originaire et en lien direct avec le monde des sensations, Kristeva confère cependant à cette notion une résonance littéraire et psychanalytique en montrant comment les traces de ce rapport privilégié à un lieu premier peuvent ressurgir, sous forme pulsionnelle, dans la matérialité de l’écriture. C’est là ébaucher les grandes lignes de cette « chora sémiotique » dont Kristeva dit qu’elle est étroitement associée aux rythmes, aux sons, à ce qui constitue le bagage nécessaire à toutes possibilités de signification. Dès lors, dans cette conception du texte et de ses tensions, Kristeva opposera deux forces en présence que sont le sémiotique (langage antéprédicatif d’avant l’émergence du nom, qui nous rappelle notre rapport symbiotique à la mère) et le symbolique qui, au contraire, désigne le langage instrumental, celui des relations sociales, codifiées et normalisées. De manière tout à fait surprenante, Ollivier semble faire référence, dans ses réflexions, à cette dualité du sémiotique et du symbolique qu’il associe à la double influence, chez lui, du créole et du français. Écoutons le:«Jecrois le créole enfoui en moi, dans une crypte; il est pour moi un réservoir de rythmes, de sons et d’images. Sur cette crypte, j’ai bâti avec le français une nouvelle demeure et j’y séjourne, corps et âme. » (Ollivier, 2001, p. 64). 16. La corporéité du lieu nous traverse donc dans la mesure où elle s’impose sans que nous ayons notre mot à dire. Nous pourrions tout aussi bien évoquer une logique du « tiers espace » (Bhabha; 1994) : formulation contemporaine qui met en relief cette porosité du lieu et que nous expliciterons plus à fond dans les pages qui suivent. 17. Émile Ollivier, Mère-Solitude (1999), op. cit., p. 28-29. 18. idem, p. 171-172. 19. Émile Ollivier, Mère-Solitude (1999), op. cit., p. 110. 20. Comme le fait bien remarquer Francine Bordeleau, Ollivier fait référence par cette appellation au premier nom donné à Haïti : « nom aussi ironique que peu flatteur » (Bordeleau, 2001, p. 9). Bordeleau montre bien qu’à travers certaines expressions et sobriquets, Ollivier injecte dans ses références faites à Haïti, à sa terre natale, « une certaine dose de cynisme et d’images négatives » (Ibid.,p.9). 21. La psychosomatique des lieux que l’on retrouve dans les divers romans d’Émile Ollivier correspond, sur cette question, à la mise en place d’un pare-excitations, d’un bouclier narratif qui permet de contrer et de pallier la détresse essentielle, de lui offrir un contour qui serait l’incarnation d’un signifiant vital. 22. Émile Ollivier, Passages, op. cit., p. 151. 23. Les manifestations concrètes des dispositifs écotopiques adoptent différentes formes à travers l’architecture, l’aménagement urbain, l’anthropologie des manières de faire (De Certeau), ou des interactions quotidiennes (E. Goffman). La « sphérologie » chère à Peter Sloterdijk, et sur laquelle nous nous sommes attardés plus tôt, serait elle aussi une forme dérivée relative aux dispositifs écotopiques. Sans pour autant élargir inutilement l’éventail de ces manifes- tations – mais toujours en étroite relation avec cette forme protectrice que représente l’écotopie – il ne faudrait pas oublier les travaux psychanalytiques qui

101 International Journal of Canadian Studies Revue internationale d’études canadiennes

traitent de l’enveloppe psychique, du self. Sur ces questions, les contributions de Didier Anzieu, de René Kaës et des psychanalystes post-kleiniens sont absolument déterminantes. De tous ces travaux, il ressort que l’intégration du sujet à l’espace est problématique; Sloterdijk et Anzieu insistent sur le caractère constitutif de la sphérologie. Encore que Didier Anzieu met l’accent sur les faillites de l’organisation psychosomatique. Les écrits de ce psychanalyste sur Beckett et Francis Bacon sont pertinents dans la mesure où ils insistent sur la porosité des représentations analogiques du Moi-peau. De la même manière que nous insistons sur l’importance de l’alocativité dans toute réflexion sérieuse sur l’écotopie, Didier Anzieu fait valoir que les œuvres de fiction dignes d’attention se caractérisent par la grande fragilité des repères spatiaux organisateurs de la trame écotopique. Du cyberself aux hybridités culturelles contemporaines, c’est la volonté de sortir hors-de-soi qui est manifeste. C’est une volonté maligne, à sa manière cruelle, qui impose d’en finir avec la cloison du lieu sous prétexte que ce dernier incarnerait une raison pratique par trop dérangeante et aliénante. Or rien ne nous dit que cette exotopie (qui consiste à se voir comme un autre) soit autre chose qu’une fadaise d’époque. Rien ne nous dit que la désinstallation, contre-discours de l’identité, ne soit pas autre chose que son banal complément. Il serait préférable d’aborder cette question en faisant appel à la notion fort ancienne de « génie du lieu ». Cette notion, qui constitue une sorte de chimère poétique, est intéressante en raison de son pouvoir d’indétermination, dans la mesure où elle suscite en chacun de nous des rêveries singulières liées à l’expérience de l’habitabilité. Si ce « génie du lieu » semble parfois avoir mauvaise presse tant le discours journalistique (que nous consommons jour après jour) insiste sur la désaffection de nos lieux de vie, l’expression n’en demeure pas moins stimulante : nous n’y voyons pas la forme redoutée, pour tout dire honnie, du réenchantement du monde que les intellectuels rejettent du revers de la main. Nous n’y voyons pas non plus une utopie tribale (à la Maffesoli, ou à la Tobie Nathan). Le génie du lieu, ce serait plutôt une forme d’ensorcellement qui nous protège contre la rage du monde. Voilà ce qu’est pour nous l’écotopie. 24. Émile Ollivier, Mère-Solitude (1999), op.cit., p. 36-37. 25. Ibid., p. 58-59. 26. François Vigouroux, L’âme des maisons, Paris, Presses universitaires de France, coll. « Perspectives critiques », 1996, p. 60. 27. À ce sujet, l’écrivain ne se leurre pas, déclarant récemment, dans un entretien avec Francine Bordeleau, publié peu de temps avant sa mort dans le mensuel Lettres québécoises : « la mémoire n’est pas une résurrection du passé, mais une reconstruction ». Cf. Francine Bordeleau, « Émile Ollivier : l’écriture pour desceller la mémoire. Entrevue avec Émile Ollivier », op. cit., p. 10. 28. Le lyrisme de l’œuvre d’Émile Ollivier est bien connu. Il ne faut donc pas se surprendre que l’on ait voulu faire de cet écrivain l’un des artisans du « réalisme magique » dont on affuble bien (et trop) souvent la littérature antillaise et sud-américaine. Par contre, il y a effectivement chez Ollivier présence d’un imaginaire débridé où les contraires se chevauchent et se fusionnent. Stanley Péan montre bien que l’Haïti dont rêve Ollivier est ce « territoire privilégié de la cohabitation des contraires, une île magique où l’improbable et le vraisemblable, le cauchemardesque et le chimérique, le cocasse et le tragique se juxtaposent, se confondent, s’amalgament (Péan, 2001, p. 11). Péan fait ainsi d’Ollivier un héritier, bien que beaucoup moins engagé, de cette figure haute en couleur que fut l’écrivain Jacques Stephen Alexis. Personnalité incontournable de l’histoire

102 L’écrivain-témoin : déplacements, transferts culturels et expérience de l’habitabilité dans les romans d’exil d’Émile Ollivier

politique et littéraire haïtienne, Alexis invitait, dans son Prolégomènes à un manifeste du réalisme merveilleux des Haïtiens (1956), ses « compatriotes artistes et écrivains à traduire dans leurs œuvres la part indicible de la réalité haïtienne […], cette part du réel et de l’Histoire qui ne se laisse pas appréhender par l’esprit cartésien » (Ibid., p. 11). 29. Émile Ollivier, Mère-Solitude (1999), op. cit., p. 214-215. 30. Émile Ollivier, Passages, op. cit., p. 33. 31. C’est un peu pour cette raison – et pour cette importance accordée à certaines sensations limites telles le rapport à la mort et à l’immonde – que l’écriture d’Émile Ollivier nous semble faire partie des rares œuvres au Québec qui posent, de manière aussi vive, la question fondamentale de la fragilité et de la porosité des enjeux migratoires. 32. Rappelons la double trame de ce roman : on y suit, sous forme de récit imbriqué, la quête identitaire de Normand Malavie, un québécois d’origine haïtienne qui rêve d’un retour aux racines alors que, simultanément, Ollivier nous présente le récit épique d’Amédée Hosange et de ses compagnons haïtiens qui décident d’immigrer en Amérique, direction la Floride. 33. Ibid, p. 129-130. 34. ibid., p. 129. 35. Ibid.,p.55. 36. Ibid.,p.43. 37. Cette notion d’habitabilité telle que nous l’entendons ne désigne pas seulement la manière dont un énonciateur, un narrateur, puis des personnages configurent et habitent le monde de la fiction, mais également – et de manière foncièrement différente – la manière dont l’œuvre est empêchée d’exister, dont elle est interdite de séjour par ces « revenants » de l’écriture que nous avons mis en valeur un peu plus tôt. 38. Émile Ollivier, Passages, op. cit., p. 62. 39. Cette résistance est d’une actualité brûlante dans la mesure où elle s’inscrit, plus que jamais, dans le discours actuel sur l’inscription (et le statut) du territoire géopolitique. Certes, nous avons pu croire, à la suite des travaux de Morin et Bertrand (1979), que l’imaginaire avait droit de cité, qu’il permettrait de mieux comprendre les croisements identitaires en vigueur aujourd’hui. Mais c’était là une illusion commode et nous savons désormais que la notion de transculture, tout comme celles d’hybridité et de métissage, correspond à une survalorisation de la culture. Comme si ces configurations de sens permettaient de renouveler notre compréhension du monde actuel. Face à ce constat, le propos d’Émile Ollivier est fort différent et propose, de ce fait, de nouvelles perspectives. Bien sûr, il recourt à l’imaginaire diasporique, mais le monde dont il est question chez lui demeure sceptique à l’égard de toute réappropriation utopique. L’hybridité n’est pas un nouvel horizon de sens. Ce sont plutôt les bâtards, les éclopés et les sans-logis qui habitent cette écriture et qui posent, de manière lucide et cruciale, la question de la place du témoin au cœur des discours contemporains. 40. Émile Ollivier, Mère-Solitude (1999), op. cit., p. 110-111.

Bibliographie Ouvrages littéraires Kattan, Naïm, La fortune du passager, La Salle, Hurtubise HMH, coll. « L’arbre », 1989, 343 p.

103 International Journal of Canadian Studies Revue internationale d’études canadiennes

Naipaul, Vidiadhar Surajprasad, Une maison pour Monsieur Biswas, trad. de l’anglais par Louise Servicen, Paris, Gallimard, 1964 [1961]. Ollivier, Émile, La discorde aux cent voix, Paris, Éditions Albin Michel, 1986, 266 p. ———. Les urnes scellées, Paris, Éditions Albin Michel, 1995, 294 p. ———. Mère-Solitude, Paris, Éditions Albin Michel, 1983, 209 p. ———. Mère-Solitude, réédition française, Paris, Éditions du Serpent à plumes, coll. « Motifs », 1999 [1983], 241 p. ———. Mille eaux, Paris, Gallimard, 1999, 172 p. ———. Passages, Montréal, L’Hexagone, coll. « Fictions », 1991, 171 p. ———. Passages, réédition française, Paris, Éditions du Serpent à plumes, coll. « Motifs », 2001 [1991], 246 p. ———. Repérages, Montréal, Leméac, coll. “L’écritoire”, 2001, 129 p. Poe, Edgar Allan, « La chute de la maison Usher », dans The Complete Tales and Poems of Edgar Allan Poe, introd. de Hervey Allen, New York, Random House, 1965. Robin, Régine, L’immense fatigue des pierres, Montréal, XYZ, coll. « Étoiles variables », 1996, 189 p.

Ouvrages théoriques et analytiques Alexis, Jacques Stephen, « Prolégomènes à un manifeste du réalisme merveilleux des Haïtiens ». Conférence donnée au Premier Congrès des écrivains et artistes noirs en 1956 à la Sorbonne. Reprise dans Dérives,no 12 (1970), pp. 27-55. Anzieu, Didier, Le moi-peau, Paris, Dunod, coll. « Psychismes », 1985, 254 p. Bachelard, Gaston, Poétique de l’espace, Paris, Presses universitaires de France, 1957. Benjamin, Walter, « Le narrateur » dans Essais II (1935-1940), Paris, Denoël, 1983, p. 55-85. Berouet-Oriol, Robert et Robert Fournier, « L’émergeance des écritures migrantes et métisses au Québec » dans Quebec Studies,no 14 (spring/summer 1992), pp. 7-22. Berque, Augustin et Michel Collot (dir. publ.), Les enjeux du paysage, Bruxelles, Ousia, coll. « Recueil », 1997, 368 p. Berque, Augustin, Cinq propositions pour une théorie du paysage, Seyssel (France), Champ Vallon, coll. « Pays/Paysages », 1994, 122 p. ———. La mouvance : du jardin au territoire : cinquante mots pour le paysage, Paris, Éditions de la Villette, 1999, coll. « Passage », 99 p. ———. Logique du lieu et dépassement de la modernité, Bruxelles, Ousia, coll. « Recueil », 2000, 2 volumes. Berque, Jacques. Dépossession du monde, Paris, Éditions du Seuil, 1964, 214 p. Bertrand, Claude et Michel Morin. Le territoire imaginaire de la culture, Lasalle/ Québec, Hurtubise HMH, coll. « Brèches », 1979, 184 p.. Bhabha, Homi K., The Location of Culture, London, Routledge, 1994, 285 p. Bordeleau, Francine, « Émile Ollivier : l’écriture pour desceller la mémoire. Entrevue avec Émile Ollivier » dans Lettres québécoises,no 102 (été 2001), pp. 8-10. Brière, Éloise, « Mère solitude d’Émile Ollivier : apport migratoire à la société québécoise » dans International Journal of Canadian Studies/Revue internationale d’études canadiennes,no 13 (printemps 1996), pp. 61-70. Bruckner, Pascal, Parias, Paris, Éditions du Seuil, coll. « Points », 1985. Caccia, Fulvio. La république Métis, Montréal, Éditions Balzac/Le griot, coll. « Le vif du sujet », 1997, 156 p. Certeau, Michel de, La prise de parole, pour une nouvelle culture, Paris, Desclée de Brouwer, 1968, 167 p. ———. L’invention du quotidien, Paris, Gallimard, coll. « Folio Essais », 1990 [1980]. Desrosiers, Joël, Théories caraïbes : poétique du déracinement, Montréal, Triptyque, 1996, 224 p. Eigen, Michael, Psychic Deadness, Northvale, N.J., Jason Aronson Ed., 1996, 233 p. Flahault, François, La parole intermédiaire, préf. de Roland Barthes, Paris, Éditions du Seuil, coll. « Psychologie », 1978, 233 p. Freud, Sigmund, Malaise dans la civilisation [Das unbehagen in der kultur], trad. de l’allemand par Charles et J. Odier, Paris, Presses universitaires de France, coll. « Bibliothèque de psychanalyse », 1971, 107 p.

104 L’écrivain-témoin : déplacements, transferts culturels et expérience de l’habitabilité dans les romans d’exil d’Émile Ollivier

Gauthier, Louise, La mémoire sans frontières : Émile Ollivier, Naïm Kattan et les écrivains migrants au Québec, Québec, Les Presses de l’Université Laval, coll. « Culture et société », 1997, 143 p. Ghitti, Jean-Marc, La parole et le lieu : topique de l’inspiration, Paris, Minuit, coll. « Paradoxe », 1998, 256 p. Goffman, Erving, La mise en scène de la vie quotidienne, Paris, Éditions de Minuit, coll. « Le sens commun », 1973. Harel, Simon. Le voleur de parcours. Identité et cosmopolitisme dans la littérature québécoise contemporaine, Montréal, XYZ éditeur, réédition en collection de poche, 1999, 334 p. Heidegger, Martin, « Bâtir, habiter, penser » dans Essais et conférences, trad. de l’allemand pas André Preau, Paris, Gallimard, coll. « Tel », 1988 [1954], pp. 170-193. Kattan, Naïm, L’écrivain migrant : essai sur des cités et des hommes, Montréal, Hurtubise HMH, coll. « Constances », 2001, 203 p. Kristeva, Julia, « La rotation de la chora » dans Polylogue, Paris, Éditions du Seuil, coll. « Tel Quel », 1977, pp. 79-91. ———. « Le dispositif sémiotique du texte » dans La révolution du langage poétique, Paris, Éditions du Seuil, coll. « Point », 1985 [1974], pp. 205-358. Loubier, Pierre, Le poète au labyrinthe. Ville, errance, écriture, Fontenay-aux-Roses, Presses de l’E.N.S., 1998, 443 p. Maffesioli, Michel, Du nomadisme, vagabondages initiatiques, Paris, Le livre de Poche, coll. « Biblio-Essais », 1997, 190 p. Mons, Alain, La traversée du visible : images et lieux du contemporain, Paris, Les Éditions de la Passion, coll. « Histoire et théorie de l’art et de l’architecture », 2002, 219 p. Péan, Stanley, « Émile Ollivier : entre nostalgie et lucidité » dans Lettres québécoises, no 102 (été 2001), pp. 11-12. Richard, Jean-Pierre, Pages paysages, Paris, Éditions du Seuil, coll. « Poétique », 1984, 255 p. Simmel, Georg, Les pauvres, Paris, Presses universitaires de France, coll. « Quadrige », 1998, 102 p. ———. La tragédie de la culture, Paris, Rivages, coll. « Petite bibliothèques Rivages », 1988, 253 p. Spivak, Gayatri Chakravorty, « Psychoanalysis in left field and fieldworking : Examples to fit the title » dans Speculations after Freud: Psychoanalysis, Philosophy and Culture, sous la dir. de Sonu Shamdasani et Michael Muenchow, Londres/Florence (KY), Taylor and Francis/Routledge, 1994, p. 44-71. Tassinari, Lamberto, Utopies par le hublot, Outremont, Les Éditions Carte Blanche, 1999, 153 p. Trigano, Shmuel, Le temps de l’exil, Paris, Payot, coll. « Manuel Payot », 2001, 113 p. Tustin, Frances, Le trou noir de la psyché : barrières autistiques chez les névrosés, Paris. Éditions du Seuil, coll. « La couleur des idées », 1989, 274 p. Vigouroux, François, L’âme des maisons, Paris, Presses universitaires de France, coll. « Perspectives critiques », 1996, 180 p. ———. Le secret de famille, Paris, Presses universitaires de France, coll. « Perspectives critiques », 1996, 127 p. Winnicott, Donald Woods, L’enfant et le monde extérieur : le développement des relations, Paris, Payot, coll. « Petite bibliothèque Payot/Sciences de l’homme », 1975, 177 p. ———. Jeu et réalité : l’espace potentiel, trad. de l’anglais par Claude Monod et Jean Bertrand Pontalis, Paris, Gallimard, coll. « Connaissance de l’inconscient », 1975, 218 p.

105

Sherry Simon

Hybridity Revisited: St. Michael’s of Mile End1

Abstract St. Michael’s Church in the Mile End district of Montreal offers a rich example of cultural hybridity. A close reading of the architecture and social history of the church suggests, however, the complexity of the elements and values of cultural mixing and the need for careful contextualization. The article argues that, if the term hybridity is to be useful, its parameters must be continually redefined.

Résumé L’église St. Michael dans le district du Mile End de Montréal constitue un riche exemple d’hybridité. Un examen attentif de son histoire architecturale et sociale fait ressortir cependant la complexité des éléments et des valeurs du mélange culturel et la nécessité d’une mise en contexte soignée. L’article soutient que le mot « hybridité » ne sera utile que si ses paramètres sont redéfinis constamment.

From Mount Royal, as you look towards the north end of Montreal, you can see a broad turquoise mushroom of a dome, flanked by what looks like a minaret. Despite its size and distinctive shape, few Montrealers are able to identify the building that stands under the dome. One gray March Sunday, I tracked down the stem of the mushroom and entered what turned out to be a church. I was surprised to see the church crowded, and even more to see gaudy green lightbulbs on the altar, tracing out a shamrock and a harp. Was this an Irish church, then? The priest was reciting the Mass in a language I could not identify. Neither English nor French. When the time came for the credo, the whole congregation joined together. It was Polish. Now I noted the family groupings, the attentive children, the Eastern-bloc leather jackets and hairdos. This explained the packed church, so unusual in Quebec today. When the Poles filed out, they were replaced by a handful of parishioners for the English mass at noon. These were mostly Italians that I recognized from the local grocery store. An Irish church in the Byzantine style, frequented by Poles and Italians, towering over a cosmopolitan and culturally diverse neighbourhood: Saint Michael’s is a compelling image of cultural hybridity. It is an apt symbol of theneighbourhooditself,anurbanvillagewhichisacrossroadsofcultures.

International Journal of Canadian Studies / Revue internationale d’études canadiennes 27, Spring / Printemps 2003 International Journal of Canadian Studies Revue internationale d’études canadiennes

The concept of hybridity has become the object of both enthusiasm and critique over the last years in the human sciences. Celebrated as the mark of new, fluid identities, it has more often been used as a positive evaluatory term than as an instrument of analysis. To what extent can terms like hybridity, métissage, cosmopolitanism or creolization account for specific transcultural encounters, the historical significance and differential cultural weightings of mixed forms? The recent Métissages by Alexis Nouss and François Laplantine is a symptom of this difficulty. If all the objects in the encyclopedia are “métis” (the volume contains hundreds of entries, across historical periods, artistic genres and cultures), what is the specificity of the cultural configurations which produced them? What the concept of métissage gains in philosophical depth, it loses in analytical precision. The Church of St. Michael the Archangel in Mile End will allow me to investigate the messages of hybridity in the evolving context of Montreal’s Mile End neighbourhood–from the building of the church in 1915 to the dramatic changes which have occurred largely over the last thirty years. Hybridity here is not a banner but an exploratory device, a trail leading me back towards the sources of the Church’s odd mixtures and then forward to the wider field through which the cultural meanings of this object emerge today. The Church is a meeting-place of stories, a knot of questions we are invited to unravel, the opportunity to speculate on cultural identities in today’s Montreal.

An Irish Church... Why an Irish church? This question is puzzling to today’s Montrealers who are much more likely to associate the Mile End area with immigrants from central and south Europe–Yiddish-speaking newcomers from the first decades of the twentieth century, or the Italian, Portuguese and Greek immigrants of mid-century. Few remember the Irish presence here. But in fact, when Saint Michael’s was completed in 1915, it was designed to accommodate what was to become the largest English-speaking Irish parish in Montreal at that time. Mile End around 1910 was a construction site. The city was prosperous and pushing vigorously north beyond Mount Royal park. Flats were going up with great speed along the newly created avenues of “the North End,” advancing into tracts of farmland (Germain, 93-96, Marsan). The church was to stand as the centre of a network of conventsandschools,thesuburbanadjuncttodowntownSaintPatrick’s. The city is so forgetful. Once the Irish community began to migrate across town to the western parts of the city, few traces of the Irish remained in Mile End. The only obvious reminder is the name of the neighbourhood school, Luke Callaghan. In 1964, with the population of the parish dwindling, Cardinal Léger decreed a merger between St. Michael’s and the Polish Franciscan community of St. Anthony’s.

108 Hybridity Revisited: St. Michael’s of Mile End

How does a city remember? The list of things forgotten in Mile End is rich and colourful. Just blocks away from St. Michael’s there was once a Crystal Palace, built in honour of the visit of the Prince of Wales in 1865, and a major railway station, with trains leaving for all the big cities in Canada. There are no traces of either structure today. Not so many years ago, the storefronts of the neighbourhood were covered with Greek, Yiddish and Hebrew script. These inscriptions have now been erased, sponged out by Law 101. In a short time: the work of centuries. Yet the neighbourhood is not lacking in memories. The Jewish community has left behind monuments and institutions that fuel a busy nostalgia industry. It is not so much the buildings themselves as the work of writers like Mordecai Richler, A.M. Klein, Irving Layton, Shulamis Yellin and others that sustains historical memory. Where are the Irish writers who would have given us a permanent memory of their world around St. Michael’s church? Their words would have served the function of the figures originally embossed on Saint Michael’s roof–shamrock-like shapes in green and white that suggested the identity of the church. These disappeared when the roof was repaired. The church is now an enormous cipher, a question mark on the horizon of the city.

...In the Byzantine Style The pamphlet published to celebrate the twenty-fifth anniversary of St. Michael’s parish (founded in 1902) is expansive in praise for the “superb temple which flings its mosque-like dome to the skies” (St. Michael’s Church, p.12). The parish was indeed proud of its “headquarters,” not only “the most artistic and the most original in a city noted for the magnificence of its places of worship” but “one of the most interesting of ecclesiastical buildings in the Dominion, and the first Church in Canada in the Byzantine style” (p. 12). Why the Byzantine style? The author of the pamphlet suggests that the choice was made under the influence of Pope Pius X (1903-1910), who actively promoted early Christian styles. Pope St. Pius X is known for his role in reviving Gregorian chant; his love for early architecture can be traced to the same enthusiasm for early forms.2 He advocated a return to the mystery and purity of the primitive Christian church. The symbolic dimensions of this choice seem obvious: the Byzantine style reaches back to the purer faith of the very first days of the Church, as well as to the oriental roots of Christianity. Byzantium is the midpoint between East and West,the encounter of opposing and yet reconciled traditions. With the neo-Gothic vogue on the wane in the early years of the new century, new styles were needed. The neo-Byzantine style–which gained some currency throughout North America–would recall the spiritual truth of the Church, as well as its universality.

109 International Journal of Canadian Studies Revue internationale d’études canadiennes

Butwhatwastrueattheturnofthecenturyremainstruetoday.Theauthor of the pamphlet complains that the average worshipper does not understand the “surpassingly lovely and symbolic” qualities of the structure (p. 14). And even though the Byzantine style is now more familiar in North America, confusion is increased by the fact that the style is used not only for churches but for mosques and synagogues as well. Byzantium remains mysterious–it spills across categories that are usually recognizably secure. Caught between two strongly defined moments in European history, the fall of Rome, the beginning of the Renaissance, the Byzantine Empire is situated, for us, in an in-between historical space. The empire at its most extensive makes a neat circle around the Mediterranean, just jumping part of the coastline in France and Spain. Its centre is at the mouth of the Bosphorus, Europe’s periphery, the starting point of Asia. The Empire extended east and west, from Antioch in the East to the pillars of Hercules. What are we to make of the ring around the Mediterranean, drawing together East and West, hemispheres of the world we have been taught to consider separate? Byzantium is a dark stain, bleeding across the boundaries that frame the landscape of European history. Saint Sophia in Istanbul played a special role in influencing the church’s architect, Aristide Beaugrand-Champage (1876-1950). When it was first built in 537, Saint Sophia was admired for the perfect harmony of its proportions but also admired for the technical feat of its construction, the enormous dome that seemed to be floating in the air, suspended from the skies and filled with light. “Rising on high into the boundless air,” says a poet of the time, “the great helmet enfolds all on every side, just as though the radiant heaven had become the church’s covering” (Milburn, p. 184-6). The dome of Saint Michael’s was also considered an architectural feat, using reinforced concrete for the first time in Quebec to sustain an enormous surface. The area under the vast dome is free of pillars. But what is most remarkable about Aristide Beaugrand-Champagne’s “replica” of Saint Sophia is this. When Constantinople fell to the Ottomans on May 23, 1453 Mehmet II converted the church into the Mosque of Aya Sofya, putting up a temporary wooden minaret which was replaced in later years by tall permanent minarets at the four corners.3 These delicate minarets, an afterthought, are now the very source of Hagia Sofia’s dignified and expansive beauty. The pencil-shaped towers at the four corners of the building counterbalance and set off the weighty roundness of the church. When Beaugrand-Champagne used Saint Sofia as a model, he took the church and minarets together as his source. His inspiration was not just a church, but a building where Islamic and Christian features were fused. A church with a minaret? It is difficult to imagine what Aristide Beaugrand-Champagne had in mind when he sent out this mixed message. Beaugrand-Champagne was a well-known figure in Montreal cultural history–a teacher, landscape architect and passionate amateur historian. His most popular architectural

110 Hybridity Revisited: St. Michael’s of Mile End design is radically different in style and sensibility from St. Michaels. This is the Chalet on Mount Royal, built in 1932, an elegant and warm construction of stone and wood, much loved by Montrealers. His lifelong quest was to prove that the actual site of the Iroquoian village of Hochelaga was in the current city of Outremont. He wrote numerous articles on Iroquois culture in Les Cahiers des Dix, the journal of a circle of Montreal intellectuals. Could Aristide have anticipated the increasingly mixed character of the neighbourhood? Prominent on the Montreal horizon, Saint Michael’s is a monument whose meaning is still difficult to interpret. The church recalls the turbulence of past ages, the acts of violence through which sacred sites are appropriated by the victors–the Roman and then the Christian appropria- tion of Egyptian temples, the Moslem takeover of Hindu sites in India. The monuments of conquered peoples are not destroyed, but “converted” symbolically to serve their new rulers. In the case of Saint Sophia and its copy, Saint Michael’s, the melding of religious symbols–the church with minarets–becomes a powerful new symbol of its own, a hybrid which looks forward to a time of reconciliation. The recycling of architectural styles continually reactivates new meanings. Today the coupling of Christian and Islamic references is especially provocative. The minaret of Saint Michael’s is no longer an isolated sign of Islam in the city–the sight of mosques is now becoming familiar, whether it be in Park Extension or outside the city in the suburbs. And so the church today points to the intermixing of histories which were once very distant, but which today inhabit the same territory, add to the repertoire of proximate differences that make up a cosmopolitan city. The church joins a new network of references, enters a new history, as it becomes an ever more familiar sight, printed on T-shirtsthat celebrate the recently discovered neighbourhood pride of Mile End. The church also speaks of the optimism of a city entering the twentieth century, responding to massive waves of immigration. The very size of the church is a gesture of hope. If Pope Pius X wanted the church’s Byzantine style to speak of the universality of the Catholic church, however, he would be disappointed today. The Byzantine style hardly evokes the nowhere- everywhere of universality. What the church tells us about is particularism. It is the materiality of the church that is impressive, its enigmatic foreignness.

Entering the Church The interior design of the church is the work of Guido Nincheri (1885- 1973). Nincheri was an Italian immigrant who became the most famous church decorator in Canada, especially known for his stained glass windows. Nincheri produced thousands of windows and decorated many of the most important churches in Montreal, including Saint-Viateur d’Outremont, Saint-Léon of Westmount, and among his rare profane

111 International Journal of Canadian Studies Revue internationale d’études canadiennes settings–the Chateau Dufresne (Labonne). Like many elements of Montreal’s cultural history, Nincheri and his work are only recently being rediscovered by professional and amateur historians. As a beneficiary of contracts granted by the Catholic church for many years, as the painter of the notorious fresco portraying Benito Mussolini in the Nostra Donna de la Difesa church, Nincheri was very much a popular and populist artist. Much of his work today seems stereotyped and naive. However, there are aspects of his work which are provocative and astonishing–most notably the “Fallen Angels” in Saint Michael’s church. Among Nincheri’s realizations, the decorations of St. Michael’s are outstanding in their vividness and sensuality. Here are particularly evident the influence of the English PreRaphaelites–in the depiction of women’s bodies and in the deployment of angels’wings. Botticelli and Michelangelo are also suggested in some of the women’s heads or the muscle-bound bodies of the damned (Labonne, p. 36). Nincheri was given the contract to decorate the church some ten years after the structure was completed in 1915. Many of the features of the decoration (frescoes and stained glass windows) seem to clash with the church’s interior architectural components: the rows of Romanesque windows ringing the cupola, the four Moorish balconies looking down from the dome. The windows are entirely unconventional for a church. Neither geometric decorations nor the usual Biblical scenes, they are flaming, oversized flowers. The glare of the morning light brings out the brash orange and green of the Art Deco style petals that take up half the side walls. The colour scheme contrasts violently with the more modest blue and red painted motifs in the church, the huge prisms of flower pulsing aggressively against the tiny detailed patterns.4 Saint Michael looks down from the very centre of the dome. The great warriorangelstands,youngandblank-faced,withhisfootontheneckofthe dragon. He is a bland figure, especially in contrast to his enemies–who are astounding. They are painted in Art Deco peacock and gold on the sides of the dome, about mid-way between ceiling and floor. Eight gorgeous figures are crumpled into the shapes of falling angels. They are going down, head first, in a flurry of wing and robe, gossamer capes flying, their muscled backs exposed. By their grace, by their artful tumbling, they far outdo the stolid Michael. They are sexualized beings, their bodies a glorious torment of conflicting signs. Nincheri seems to be inspired by the daring forms of the church. His decorations are especially fanciful, in comparison with his work in other churches. At the same time, his work disregards many of the imposing architectural features of the church. Rather than blending in with the oriental theme, the painted frescoes and stained glass windows struggle against it. There is no sense of unity, no quiet harmony. Hybridity seems to have dissolved into disorder. Nincheri seems to be contributing his own

112 Hybridity Revisited: St. Michael’s of Mile End willful version of stylistic hybridity– a mixture closer to heterogeneity than to the artful combination of forms. This heterogeneity is echoed by the proliferation of images throughout the church. Churches can be “kataphatic” or “apophatic,” says Margaret Visser. (Visser, p. 172) They rejoice in the stimulation of visual imagination or they deliberately choose to encourage the emptying of the mind. Saint Michael’s, like most parish churches in Quebec, belongs to the first category. It has a rich panoply of saints, its own variegated collection chosen from among the thousands of possible candidates, “fellow Christians,” says Visser, “who are thought of as ready and willing to offer inspiration, support, company, a sense of history, and even simple narrative interest and variety, if it is desired.” The lined-up figures of the saints in churches, Visser suggests, form a kind of procession, “both of the living and of the lined-up-and-remembered dead,” a process which recalls “the continuous but itinerant character of Christianity. The Church is experienced as a huge crowd of people, past as well as present, on the march, pressing on towards the day when God’s kingdom will reign upon earth” (p. 173). There is a special connection to be drawn between the archetypal journey of Christendom and a church such as Saint Michael’s. Most of the church’s parishioners are immigrants, more or less recent. Their saints have also travelled to join them in this new land. And, once established here, these saints serve as conduits back to the stories and histories of each community. In Saint Michael’s we find Saint Patrick and Saint Anne, Saint Peter, Lawrence, Agnes, Saint Anthony, Theresa of Lisieux, Saint John the Baptist, San Marziale, Our Lady of Czestechova and Maximilian Kolbe, the Polish Franciscan worker priest executed at Auschwitz. Most of these are stand-up models except for Our Lady of Czestechova, an icon, a relic of Byzantium and a reminder of pre-Christian days, it is said, when pagan goddesses guarded holy sites. Kolbe is depicted in an oil painting, hand on heart, in tones of dark brown and sepia, sitting without frame on the altar dedicated to the parish war dead of 1939-1945, bringing a note of dark intensity to these side alleys of the church, ledges strewn with candles, fake flowers, greeting cards or crucifixes deposited ex voto, the bric-a-brac of piety. Each of these saints carries a history, making the church an intersection of narratives, each telling of the pathos of migration. These migrations tell of the catastrophes of history, the Irish famine, the forced migration of the peasantry of southern Italy, the dramas of Communism and its struggles with the Church in Poland. Together, they speak of the mixed languages of this neighbourhood, which is a traditional buffer zone between the French and English sectors of the city, a zone which has experienced successive waves of immigration, each one leaving behind fragments and traces as yet more recent newcomers arrive. Can we imagine the dissonance of their

113 International Journal of Canadian Studies Revue internationale d’études canadiennes stories recited in chorus? We would hear a fabric of strange harmonies, an echo of the voices outside, the soundscape of the neighbourhood. Not all the saints have the same status. There are the “national” saints, Saint Patrick, Saint Jean-Baptiste. Saint Michael is of course the titular saint and Saint Francis reminds us that the church is now run by a Polish Franciscan community. What of San Marziale? He is a visitor, brought to the church in 1968 because the Italians of the neighbourhood had no church of their own. San Marziale is the patron saint of the village of Ischa sull’Ionio, in Calabria. He was ordered from Italy, and flown over by airplane by a group of fourteen men–il Comitato–including Rocco who is the owner of Café Olympia (known as Open da’ Night), the now cultish Italian café on the corner across the street from the church. They obtained permission from Saint Michael’s (with an agreement to hand over the collection gathered at special masses) to place him in the church. He stands in his glass case, a painted Roman soldier, waiting for his yearly procession on the shoulders of his paesani from Calabria. He has a certain Italian elegance to him, the shine of lacquer brightening up the painted colours of his tunic, his knee-high boots, the palm fronds he carries in his hand. For many years there was a bicycle race to accompany his feastday and the neighbourhood would wake on Sunday morning to a swarm of buzzing, as the bikes raced by, taking the corner at a synchronized tilt. The home-made races are over now. Each year the crowds dwindle, the ancient musicians are more wrinkled, their step a little less martial as they balance their antique brass instruments. Still rows of women, dressed in black, walk slowly behind the saint, arms joined, singing their shy hymns. Andeveryyeartheprieststandsonthebalconyofthechurch,withtheodour of sausages wafting up from the pavement, to tell of the story of a young Roman soldier who became a martyr.

… In a Culturally Diverse Neighbourhood Mile End has always been a place of passage, a stopover on the way to better things. The name probably refers to the distance of a mile which separated Sherbrooke street, the northern limit of Montreal in the 18th century, from Mile End Road, today’s Mont-Royal avenue. Like its counterpart in London, Mile End is a border area. The neighbourhood occupies a space between the two dominant identities in Montreal, the Anglophone west and the Francophone east. It is an in-between space, a no man’s land, a territory of uncertainty in a city where identity counts. Salman Rushdie says of Bombay that it is a “city of remakes” (Rushdie, Moor’s Last Sigh, p. 187). We could say the same of Mile End, that it is a neighbourhood of makeovers. As each new wave of immigration washes over the plateau, it refashions the features of the neighbourhood in its own image. There were once some sixty synagogues in this neighbourhood, and the episodes of their transformation over the course of almost a century

114 Hybridity Revisited: St. Michael’s of Mile End chronicle the destiny of public architecture (Bronson, 2002). The transfor- mations are diverse: the small synagogues have been turned into alternative venues like a mime theatre, a yoga centre or evangelical churches; the larger buildings taken over by other immigrant religious groups, Russian Orthodox and Ukrainian, some welcoming a number of religious groups in succession. Previous religious symbols, like carved Jewish stars, are sometimes ignored, sometimes awkwardly transformed. While some changes are congruent, esthetically or culturally, others are distressing. One synagogue has become an apartment building, the large noble edifice punctured by tiny square windows and ringed by the gruesome, coloured panels of 1950s balconies. While St. Michael’s church dominates the landscape of Mile End, two other structures compete for symbolic importance. Consider the Collège français on Fairmount street, two blocks down from St. Michael’s. The Collège français was once the Bnai Jacob Synagogue, a distinguished and beautiful building. During the 1960s, the Collège français bought the synagogue and covered its front with a new facade of yellow bricks. The brick and glass frontage of the college hides the face of the synagogue, leaving in view only the top fringe, with its scroll of Hebrew letters, squaring the graceful curve of the building. This defacing is a product of the era of what was known as “urban renewal” of the 1960s–a period when history was disregarded in the name of a brash sense of entitlement on the part of urban authorities and property owners. The Jewish past of Mile End was ignored, the brick and stone put to better use. The crude treatment of the Bnai Jacob Synagogue was compensated, years later, by the respect given to the recent renovation of an Anglican church on Park avenue. When this building was deserted by its Anglophone parishioners in the 1990s, it was transformed into the local municipal library, the wooden beams and commemorative windows gracefully integrated into the building’s new functions. These three buildings are all hybrids: each combines disparate cultural and architectural elements. Yet each delivers a different message. St. Michael’s uses exotic forms of cultural difference in an attempt to neutralize the power of specificity. If its aim was to promote universality, its function today is to draw attention to the diversity of cultural mixings that now prevails in the neighbourhood. The current facade of Bnai Jacob was designed to express the opposite intention. It does not express the accumulation of identities but rather the desire to cancel out competing identities. The facade is a blatant expression of disrespect, the product of a period which saw a great deal of reckless demolition across Montreal. Bnai Jacob stands as an example of architectural profiteering, the spoils of the vanquished passing to the victors. As for the Anglican church, it represents the contemporary form of recycling, where the religious elements of the building’s past are neutralized. The Anglican identity of the church is de-fused, and it is the pure esthetics of the past which remain. The library

115 International Journal of Canadian Studies Revue internationale d’études canadiennes recalls not the specific identity of the previous occupants but rather the vocation of the church. No longer the home of a single community, it is now a place for a new community to gather. As landscapes thicken with history, we are increasingly aware of the overlay of meanings left by a succession of stories and languages. The natural horizon, the architecture of cities, and the literature we read: all are marked by competing voices. To walk the city streets is to hear these conversations, to be attentive to the alliances and frictions they produce.

Inter vs. Trans: La fête de la Saint-Jean At the very foot of St. Michael’s church, the Fête de la Saint-Jean is celebrated in Mile End every year. For some twenty years now, each 24th of June, the festivities take on a special character in this neighbourhood. Why? Because it was here that it first became possible to celebrate Quebec’s national day on the basis of a new kind of allegiance. When the Mile End celebration was inaugurated in the 1980s, it represented a new way of celebrating Quebec nationalism. From this site, within a multiethnic neighbourhood, it was possible to send a new kind of salute to the Quebec collectivity–one that flouted both the traditional Anglo boycott of June 24 and the exclusivism of traditional nationalism. It is both fitting and ironic that this celebration originated in a neighbourhood where French-Canadians had always lived (for many because of the proximity of large clothing factories) but whose presence was not very visible. The celebration usually follows the same plan. In the late afternoon there is family entertainment, often folkdancing groups. Then there is a meal where you get to fill your plate with a selection of ethnic foods–African meatballs, fried food from the Caribbean, Indian rice dishes, etc. This is classic multiculturalism, diversity on display. Each kind of food is labelled by its origin, represented as “typical” of the group it represents. You have your culture, I have mine, but on this special occasion we’ll share. When I fill my plate with a selection of national foods, I become a cosmopolitan freed from the bounds of my singularity. But tomorrow morning will find me back at my own cultural breakfast table. Later in the evening there will be dancing to Latin or African beats of fusion music. Here the multicultural model breaks down, differences melding one into the other. If multiculturalism treats cultures as autono- mous and closed, distinct, recognizable as spectacle and as objects of consumption, the music speaks of mixture. It is closer to the identities of the spectators. In fact, many of the participants in this festival will have difficulty identifying themselves within one single cultural frame. Multiculturalism suggests that cultures live in peaceful coexistence and tolerance, egalitarian pluralism, tolerance and mutual recognition. In a hybrid regime, on the other hand, cultural traits enter into modes of

116 Hybridity Revisited: St. Michael’s of Mile End circulation, interaction and unpredictable fusions. Identities are set into motion. Hybridity signals the beginning of an era where the prefix used to describe cultural relations passes from “inter” to “trans.” Commerce between cultures is not of the order of exchange, but of interpenetration and contamination. How to account for today’s increasingly complex forms of cultural contact and forms of identity? The vocabulary which has been available to describe cultural contact has, until recently, been limited. Acculturation and assimilation are mirror images (negative and positive) of the same process: the loss of distinctive cultural traits to a host culture which is assumed to remain intact and stable. Hybridity, créolité, métissage refer to forms of mixing, each recalling a vexed history, where cultural mixing has been associated with a legacy of violence and racism. Increasingly used to refer to the changing character of Quebec society, these terms are also unsatisfactory for the way in which they conflate process and result. We need to distinguish the ways in which identities come together, the values that these fusions represent, the different forms they take. One of the overarching questions of our time is how to account for new forms of cultural contact and interaction. When different realities came together, what kind of shapes did they produce? How durable is this new formation? What kind of terms could be used to describe the couplings, fusions, interpenetrations which come about as a result of cultures, languagesandindividualsmeetinginthespaceofcities?Toengagewiththe complexities of contact is to explore the “fractures and entanglements” asymmetries, ethics, histories, interdependencies, distributions of power and accountability” (Pratt, p. 33), which play themselves out in intercul- tural interactions. Cosmopolitan cities offer models of interaction which are different from those imposed by national frames. To choose the neighbourhood as a frame for analysis is to propose a different map, a crisscrossing of motives and desires, a continual flow of cross-cultural traffic. In Montreal, Mile End now represents a neighbourhood of old immigration. The neighbourhood is increasingly gentrified, its population more and more professional. This is but one of the many changes occurring very rapidly in a newly prosperous city, where construction is booming and renovation rampant. The edges of the city, once ragged and disheveled, have become neat, smoothed into parks and condo developments. Many neighbourhoods are far more varied and mixed than Mile End. Large communities of immigrants have moved to the suburbs, and there are important groups of East Asians on the West Island, for instance, and many immigrants living on the South Shore. For sheer heterogeneity of immigrant groups, you must look to Park Extension or to Côte-des-Neiges, rather than to Mile End.

117 International Journal of Canadian Studies Revue internationale d’études canadiennes

Still, hybridity lives in a heightened form in Mile End. Hybridity is not only a feature of the architecture–it exists on many planes: in mixed affiliations and loyalties, in imaginative creations, in the languages which circulate on its streets. If a neighbourhood can be said to have a sensibility, then Mile End’s has to do with polyglot interaction, passage and exchange. While French is increasingly the language of public communication, the filter through which the public world is accessed, English and other languages are commonly heard on its streets. The culture of the neighbour- hood takes shape through this movement across languages. To live in Montreal is to experience a double consciousness. All language is shadowed by another tongue, haunted by another code beneath or beyond the language one speaks. Translation becomes the active principle through which we can understand cultural mixing. Writers have put translation to use, opening up new paths across the city, finding stimulation in this contact. But translation often exceeds its conventional role and expands intoformsofcreativeinterference.Translationgiveswaytohybridformsof communication, writes new chapters in the city’s social history. These forms of hybridity and translation are inscribed in the memory of the neighbourhood, its historical consciousness of marginality (Germain, 2000, p. 246). Cosmopolitan consciousness is sustained by a set of practices and symbols–the celebration of the Saint-Jean, the many religious buildings “in transition” (Bronson), the memories contained in St. Michael’s Church. But will the neighbourhood forget, as the city continues to evolve? Like any hybrid assemblage, these memories and their symbols have provisional meanings, continually open to reinterpretation.

Notes 1. With thanks to Kevin Cohalan, for years of enthusiasm and generous inform- ation-sharing, and to Robbie Schwartzwald, for this particular instance of encouragement among many others. This article is a development of ideas introduced in my Hybridité culturelle, Montréal, Île de la tortue, 1999. 2. Cohalan refers to Pius X’s papal decree of November 22, 1903 on Sacred music and his encyclical on Pope Gregory the Great, Iucunda Sane, which appeared four months later, March 12, 1904. See http://www.vatican.va/holy_father/ pius_x/encyclicals/documents/hf_p-x_enc_12031904_iucunda-sane_en.html. 3. This is how Rowland Mainstone (Hagia Sophia, Thames and Hudson, 1988) describes the process of conversion: “The initial adaptation probably involved little more than the removal of the principal Christian liturgical furnishings, their replacement by a mihrab and mimbar oriented towards Mecca, and the construction of a temporary wooden minaret. The cross over the dome was replaced by a crescent … Externally the silhouette was progressively changed in later years by the building of tall permanent minarets in the four corners … By the early nineteenth century most of the high-level mosaic figures in the nave had been painted over, large square panels bearing inscriptions had been hung against the faces of the piers, and the richest colour must have been that of the prayer rugs which covered the whole floor. The light from these lamps, the vastness of the space under the dome, and the strange effect of the skew alignment

118 Hybridity Revisited: St. Michael’s of Mile End

of the prayer rugs and furnishings and the rows of the turbaned congregation were what most impressed the few non-Muslims who then gained admittance.” (pp. 11-12) 4. There is some possibility that Aristide was himself responsible for the stained glass windows. Kevin Cohalan found a sketch of the window design on the back of one his architectural drawings.

References Bronson, Susan, “Mile End’s Religious Heritage: Places of Worship in Transition,” brochure prepared for the Mile End Historical Society, 2002. Germain, Annick and Damaris Rose, Montréal. The Quest for a Metropolis. Toronto, John Wiley & Sons, 2000. Germain, Annick, coor. Cohabitation interethnique et vie de quartier, Collection Études et recherches, no. 12, INRS-Urbanisation, septembre 1995. Labonne, Paul, dir. Guido Nincheri. Un artiste florentin en Amérique. Ouvrage produit à l’occasion de l’exposition au Château Dufresne, juin à octobre 2001. Atelier d’histoire d’Hochelaga-Maisonneuve, 2001. Laplantine, François et Alexis Nouss, Métissages. Paris, Fayard, 2002. Mainstone, Rowland, Hagia Sophia, London, Thames and Hudson, 1988. Marsan, Jean-Claude, Montréal en évolution, Historique du développement de l’architecture et de l’environnement urbain montréalais. Montréal, Méridien, 1994. (3e édition). Milburn, Robert, Early Christian Art and Architecture, Berkeley, University of California Press, 1988. Pratt, Mary Louise, “The Traffic in Meaning: Translation, Contagion, Infiltration,” Profession 2002, Modern Language Association, 2002, pp. 25-36. Rushdie, Salman, The Moor’s Last Sigh. Toronto, Knopf Canada, 1995. Saint Michael’s Church, Montreal. 1902-1927. Pamphlet published for the Jubilee anniversary of the Parish, reprinted 2002 for the Parish Centennial Year. Simon, Sherry, L’Hybridité culturelle. Montréal, Île de la Tortue, 1999. Vachon, André, “Le neuvième fauteuil, Aristide Beaugrand-Champagne,” Les cahiers des Dix, no. 51, 1966, pp. 173-179. Visser, Margaret, The Geometry of Love. Toronto, Harperflamingo Canada, 2001.

119

Sirma Bilge

La construction politique de l’ethnicité et les enjeux de la représentation de la « communauté » à travers l’étude d’une fête turque à Montréal

Résumé S’appuyant sur une enquête de terrain effectuée dans le milieu immigré turc à Montréal et sur un cadre d’analyse scindant la notion de communauté ethnique en trois piliers distincts : identitaire, organisationnel et politique, cet article examine la construction politique d’une communauté et sa mise en représentation à travers une célébration spécifique, la Fête des enfants. Enjeu des discours dominants internes et externes sur la «turcité», le multiculturalisme et l’interculturalisme, la mise en représentation de la communauté immigrée lors de cette fête, érigée par les membres en tradition, apparaît alors comme un espace d’enchevêtrement de l’identitaire et du politique – agissant également sur l’aspect organisationnel, étant donné le rôle structurant des pratiques festives dans l’associationnisme immigré. Au-delà des aspects identitaire et organisationnel, se dessine toutefois, à travers cette pratique festive, un projet collectif résolument politique, tourné à la fois vers la société d’établissement dont la communauté recherche la reconnaissance, vers la société d’origine, notamment vers l’État, dont le groupe immigré reproduit et propage la vision historique, et vers la diaspora pour en actualiser l’imaginaire collectif.

Abstract Based on a field study conducted among Turkish Montrealers, this paper operates through an analytical framework splitting the notion of ethnic community into three distinctive pillars (identity, organization and politics). More precisely, it focuses on the political construction of an émigré community and on its public performance through a specific festive activity: Children’s festival. This annual reenactment of a Turkish national holiday, celebrating the foundation of the National Assembly and the declaration of sovereignty, by Turkish Montrealers reveals itself as a cultural re-processing worked by power relations located at multiple levels and shaped by internal and external dominant discourses on «Turkishness», multiculturalism and interculturalism. This celebration becomes a site where identity and politics intermingle, and influence the organizational dimension, thanks to the structuring role played by rituals and celebrations on émigré associationism. Yet, beyond the issues of collective identity and organization, an explicit political agenda reveals itself throughout this celebration, one that speaks both to the settlement society, from which the community seeks to obtain recognition, and to the home society, whose historical visions the community

International Journal of Canadian Studies / Revue internationale d’études canadiennes 27, Spring / Printemps 2003 International Journal of Canadian Studies Revue internationale d’études canadiennes intends to reproduce and disseminate, as well as to the Turkish diaspora, in order to activate its communal imaginary.

Introduction L’étude des fêtes et rituels en contexte post-migratoire vise non seulement la compréhension de la capacité des acteurs à préserver, à transmettre et à réinventer des éléments de leur culture et de leur histoire, mais aussi la saisie des rapports que ces pratiques permettent d’établir avec le nouveau contexte. La célébration ou la commémoration devient alors un acte d’appartenance inscrivant la mémoire spécifique du groupe dans la société d’établissement. Si les dimensions culturelles et sociales de ces célébrations minoritaires1 ne font aucun doute, leur dimension politique semble moins évidente. Pourtant, la communauté, dite ethnique ou culturelle, ne saurait se résumer à une entité sociale, culturelle ou économique si et tant bien que les processus politiques2 participent grandement à forger sa structure, son évolution, ainsi que les relations sociales qui la tissent (Breton, 1983). Exploitant certains résultats d’un travail de terrain3 effectué dans le milieu immigré turc à Montréal, cet article s’applique à explorer les manières dont le politique s’exprime à travers une fête communautaire spécifique, la Fête des enfants. L’objectifest d’examiner les enjeux internes et externes de la mise en représentation de la communauté à travers cette fête et de cerner les motifs qui la sous-tendent. La fête sera appréhendée comme une activité collective qui est à la fois l’expression vers l’extérieur d’une ethnicité distincte et un facteur de cohésion interne, une activité significative permettant au groupe de parler de lui vers l’extérieur, mais aussi de se parler à lui-même. On découvrira que la visée politique de cette fête dépasse les confins du local pour atteindre un espace public transnational, étant tournée conjointement vers la société d’établissement dont le groupe recherche la reconnaissance, vers la société d’origine, plus particulièrement vers l’État d’origine pour reproduire et propager la vision historique officielle, et enfin, vers la diaspora4 pour en tisser l’imaginaire collectif.

La fête comme expression et ciment de l’ethnicité Les pratiques festives ou commémoratives des groupes immigrés offrent une base à l’identité collective qui exprime un héritage historico-culturel spécifique toujours réinterprété (Hilly et Meintel, 2000), une base où s’opère également sa transmission aux générations futures. Ces célébrations participent, en outre, à l’appropriation à la fois matérielle et symbolique de l’espace, constituant des actes d’appartenance, des performative belongings (Fortier, 2000), qui inscrivent la mémoire spécifique du groupe dans le nouvel environnement.

122 La construction politique de l’ethnicité et les enjeux de la représentation de la « communauté » à travers l’étude d’une fête turque à Montréal

Que cette spécificité soit décrite en termes mnémoniques ou patrimoniaux (mémoire, histoire, culture…), elle fait appel à la notion d’ethnicité. Celle-ci se circonscrit ici au contexte post-migratoire5 et renvoie à une identité collective minoritaire et à une organisation sociale constituées sur une base ethnique au sein d’une population comprenant les migrants originaires de Turquie et leurs descendants. Nous nommons ethnicité le sens collectif que les individus ont de la spécificité historique et culturelle de leur groupe6, ce qui implique la croyance en une communauté d’ancêtres réels ou supposés (Weber, 1922) et un sentiment de responsabilité collective (Wirth, 1928) concernant leur destin historique et leurdevenirentantquegroupedistinct.Cesentimentd’appartenance,forgé en premier lieu au sein de la famille par la socialisation primaire effectuée principalement par le travail des mères (Juteau-Lee, 1983), sert aussi de base à l’action collective et se consolide au cours de la même action qui l’a rendu en premier lieu socialement significatif. Parfaite illustration du retournement sociologique, l’action sociale est donc à la fois le socle et le cimentdel’ethnicité,etl’ethnicité,autantsonproduitquesonactivateur.7 Les fêtes en tant que pratique sociale permettent aux groupes d’exprimer une identité ethnique distincte reconnaissable en vertu de ses frontières sociales, même si le contenu de cette identité fluctue selon les époques, les acteurs et les situations d’interaction (Barth, 1969). La sélection, à partir de cecontenuculturelfluctuant,desvaleursetdespratiquesquireprésenteront favorablement le groupe vers l’extérieur engendre des débats internes sur l’identité et l’authenticité. Or, ces tensions, au lieu d’affaiblir le groupe ethnique, dynamisent sa vie collective, renforçant l’intérêt que portent les membres aux affaires internes au détriment de l’intérêt porté vers l’exogroupe (Breton, 1964). Certaines pratiques collectives des groupes immigrés, englobés dans un grand ensemble institutionnel majoritaire auquel ils sont liés par une relation d’interdépendance inégale découlant de l’immigration8, acquièrent une dimension politique capable de générer un espace public transcendant les limites de leur communauté locale. Cet espace pourrait être désigné comme une sphère publique diasporique dans laquelle sont interprétés et disputés différents imaginaires transnationaux et où les fables esthétiques et morales de la diaspora sont formulées, la mobilisation politique générée (Werbner, 1998). La Fête des enfants, en tant qu’unique mise en représentation élaborée de la communauté turque de Montréal tournée vers la société d’établissement, fait clairement partie de ce type de pratiques collectives dotées d’une dimension politique. La communauté s’efforce de la célébrer avec l’exogroupe et vise la participation active autant des tiers minoritaires que du groupe majoritaire. Toutefois, on verra que l’orientation publique de cette célébration ne fait pas l’unanimité au sein de la communauté, certains privilégiant une fête qui serait célébrée dans l’« entre-soi » de l’espace communautaire, et d’autres cherchant à accroître la visibilité de leur groupe dans l’espace public en y organisant

123 International Journal of Canadian Studies Revue internationale d’études canadiennes une grande fête. Se profilent alors, derrière cette célébration, non seulement les divergences d’opinions internes, mais aussi deux espaces politiques parallèles qui interagissent : celui des affaires internes et celui des affaires externes. D’emblée, on a établi que la mise en représentation d’une communauté à traverslafêteconstitueunprocessusàlafoisidentitaireetpolitique,quiagit également sur l’aspect organisationnel, étant donné le rôle structurant des pratiques festives dans l’associationnisme immigré. L’objet d’analyse privilégié dans cet article est la dimension politique. Avant d’examiner comment une fête communautaire se transforme en un espace d’action collective motivée par des objectifs politiques complexes, un espace où seront réactualisés certains grands thèmes historiques de l’identité nationale turque, il convient d’offrir un bref aperçu de ce milieu immigré largement méconnu dans l’espace canadien9 et plus particulièrement des courants politiques qui l’investissent.

Le milieu immigré turc à Montréal : aperçu des tendances et des clivages socio-politiques L’espace migratoire turc reflète l’hétérogénéité de la société d’origine, segmentée le long des lignes ethniques, confessionnelles, sociales et politiques, sous l’apparence unitaire de l’État-nation de type jacobin. À partir des années 1970, les milieux immigrés turcs et kurdes en Europe se radicalisent sous l’effet de l’arrivée des militants de gauche, des mouve- ments pro-kurdes et, dans une moindre envergure, des fondamentalistes islamistesentantquedemandeursd’asile.Setransplantentalorsdemanière durable, dans l’immigration, ces forces politiques dissidentes au régime d’Ankara, renforçant par ce fait même une situation de dissymétrie par rapport au paysage politique en Turquie qui s’était établie à partir des années 1960 (Bozarslan, 1992). En l’absence de l’État turc10 et face aux besoins accrus des familles immigrées, les forces politiques marginalisées enTurquieinvestissentdoncl’espaceimmigréturcenEuropeoccidentale11 alors que les forces dominantes du paysage politique de Turquie y restent marginalisées. La situation en Amérique du Nord diffère considérablement de cette configuration : les forces dissidentes qui foisonnent dans l’espace européen y sont négligeables et le discours dominant parmi les Turcs d’Amérique reste essentiellement patriotique et pro-étatique. Cette différence s’explique entre autres par les caractéristiques propres au mouvement migratoire turc vers ce continent, initialement composé des professionnels urbains qui ont établi en grande partie les repères normatifs de l’univers communautaire (Bilge, 2002), dont l’examen dépasse le cadre du présent article. Les efforts déployés par l’État turc, à partir des années 1980, pour encadrer ses ressortissants expatriés trouvent donc un allié de choix parmi

124 La construction politique de l’ethnicité et les enjeux de la représentation de la « communauté » à travers l’étude d’une fête turque à Montréal cette élite urbaine établie en Amérique du Nord. À Montréal, leur établissement remonte aux années 1950 et 60. En fait, dès la fin des années 1940, l’immigration turque vers les États-Unis et le Canada devient une migration essentiellement composée de professionnels, comprenant surtout des médecins et des ingénieurs. Si les États-Unis et le Canada n’avaient pas, à l’époque, imposé de mesures restrictives à l’endroit de certains pays d’origine, comme la Turquie, jugés incompatibles avec le tissu ethnico-culturel de la société – le quota était fixé à 100 professionnels par an jusqu’au milieu des années 1960 –, leur nombre aurait été considérablement plus élevé (Halman, 1980). Avec l’abolition des critères raciaux dans les politiques d’immigration canadienne et américaine, respectivement à partir de 1962 et de 1965, et la libéralisation du droit à l’émigration en Turquie en 196112, la migration professionnelle s’accélère jusqu’au milieu des années 1970 pour ne s’affaiblir qu’avec la crise pétrolière de 1973-74 et la mise en place des barrières professionnelles à l’endroit des médecins et ingénieurs diplômés à l’étranger. À Montréal, l’arrivée de ces professionnels coïncide avec l’expansion du secteur tertiaire de l’économie québécoise résultant des réformes institutionnellesentreprisesparl’Étatquébécoisdanslessecteurspublicset parapublics (hôpitaux, écoles, etc.) et créant un besoin accru en personnel qualifié (Labelle, et al. 1983). Il ressort non seulement que cette cohorte comprenait des travailleurs hautement qualifiés, mais aussi que son arrivée et son établissement se situaient dans une conjoncture socioéconomique résolument favorable à l’intégration en emploi des immigrants. Par conséquent, les conditions d’existence matérielles et symboliques des migrants de cette cohorte ont peu de similitudes avec celles de la cohorte suivante, composée, elle, des demandeurs d’asile issus de la campagne anatolienne. Il importe de souligner que l’arrivée de ce segment rural et faiblement scolarisé ne découlait ni des politiques de recrutement officielles, ni des programmes de parrainage familial, mais s’était réalisée par le recours à l’asile politique, et ce, dans un contexte de récession économique. Ainsi, entre septembre 1986 et janvier 1987, survint à Montréal une vague de quelque 2000 demandeurs d’asile turcs, dont environ un cinquième était d’origine kurde. Arrivés à une époque où le Canada n’exigeait pas de visa de visiteur des ressortissants de la Turquie, ceux-ci réclamèrent aussitôt le statut de réfugié pour des raisons essentiellement économiques. Le rejet de leur demande par les autorités fédérales quelque 18 mois après leur arrivée engendra une mobilisation soutenue et haute en couleur qui culmina en avril 1988 avec « la marche sur Ottawa ». Sous la vaste couverture des médias où ils étaient représentés d’abord comme des faux réfugiés abusant du système canadien, ensuite comme des victimes de la lenteur du même système, leurs péripéties devinrent « l’affaire des Turcs ».13 Au terme de la controverse, environ la moitié d’entre eux se firent expulser, mais la plupart parvinrent à retourner au Québec dans les deux années suivantes, munis du statut d’immigrant permanent obtenu grâce aux certificats de sélection délivrés par les

125 International Journal of Canadian Studies Revue internationale d’études canadiennes autorités québécoises. Il ressort qu’à la différence de la cohorte ancienne, ces demandeurs d’asile ont rencontré d’importantes difficultés d’insertion économique. Aussi ont-ils souffert, pendant une période au moins, d’une certaine stigmatisation sociale associée à leur représentation collective en tant que « faux réfugiés ». Sur le plan de la structuration communautaire, ces deux différentes vagues migratoires, porteuses de différences liées à la classe, au mode de vie, aux convictions politiques et religieuses, ont engendré, dans l’établissement, une segmentation génératrice de rivalités et de conflits plutôt que de solidarités.14 L’arrivée, en tant que demandeurs d’asile, d’un groupe deux fois plus nombreux et foncièrement dissemblable de la communautédéjàenplace,aulieudesusciterunevaguedesolidarité,ajoué un rôle accélérateur sur les relations sociales préexistantes, révélant des conflits latents et des clivages internes. Un contrecoup discernable de l’arrivée des « ruraux » demandeurs d’asile s’est observé dans la vie associative : leur recrutement par un sous-groupe s’opposant à la mainmise de l’ancienne élite sur l’administration de l’unique association turque de l’époque a vite fait de provoquer une scission au sein de celle-ci. Un an et demi après l’arrivée de ces demandeurs d’asile, une nouvelle organisation, la Maison populaire de Turquie, a été formée à Montréal par une centaine de Québécois d’origine turque décidés à lutter contre la décision ministérielle d’expulser leurs compatriotes et désireux d’offrir à la population une organisation parallèle, différente de l’autre association turque de Montréal qu’ils jugeaient discriminatoire et antidémocratique. Affirmant que leur association était ouverte à toutes les minorités originaires de Turquie, les fondateurs accusèrent les dirigeants de l’autre association de s’adonner à des pratiques religieuses et politiques discriminatoires et de ne pas avoir suffisamment défendu les droits de leurs compatriotes menacés de déportation (La Presse, « Les Turcs trouvent refuge dans une église », 20 mars 1988). Pour clore cette brève topographie du milieu immigré turc à Montréal, on soulignera que 40 ans après la création de la première association turque à Montréal, les Turcs constituent une population de 5160 personnes à Montréal, qui reçoit 95 p. 100 du phénomène migratoire turc au Québec. À l’échelle canadienne, la taille de cette population se chiffre, selon le recensement de 2001, à 25 000 personnes. Aussi le groupe turc reflète-t-il, malgré sa taille réduite et son faible degré d’institutionnalisation15, l’hétérogénéité de la société d’origine avec ses clivages ethniques, confessionnels, régionaux et sociaux, lesquels se doublent de nouveaux facteurs de différenciation liés au contexte d’établissement, tels que l’antériorité, les comportements linguistiques, les trajectoires résidentielles et professionnelles, autant d’éléments producteurs de nouvelles hiérarchies internes. À cet égard, l’intérêt d’analyser la Fête des enfants réside dans le fait que cette célébration est vécue par les membres comme une des rares occasions permettant à la communauté de passer

126 La construction politique de l’ethnicité et les enjeux de la représentation de la « communauté » à travers l’étude d’une fête turque à Montréal outre, ne serait-ce que temporairement, certains de ses clivages internes et de s’unir autour d’une activité exaltant les sentiments patriotiques. Mais en même temps, son organisation cristallise le débat normatif sur la « turcité » où se confrontent et se creusent les clivages politiques et idéologiques internes.

Le patriotisme en tant que pôle central de l’identité expatriée turque L’examen de l’histoire de l’immigration turque à Montréal permet de comprendre comment le noyau ancien se posa comme le dépositaire de l’identité collective. Avant 1986, la présence turque à Montréal se résumait à un millier d’individus, comprenant majoritairement des professionnels et des gens d’affaires d’origine urbaine. Ce noyau initial affichait un fort degré de cohésion du fait de son homogénéité socioprofessionnelle, générationnelle et, dans une certaine mesure, politique : ils étaient les fils et les filles de la République laïque, en rupture avec le passé ottoman et ses valeurs islamiques. Ils avaient structuré leur micro-communauté autour de l’unique association, la Turkish Canadian Cultural Association, fondée en 1964 et renommée dans les années 1970, dans un contexte de recrudescence du nationalisme québécois, l’Association culturelle turque du Québec. Leur vie sociale était comparable à celle prônée dans les premières décennies de la République; alors que l’espace urbain en Turquie se transformait sous l’effet de l’exode rural, ces anciens avaient pu se préserver de l’irruption des traditions anatoliennes et disaient « vivre en Occident comme des Occidentaux ». Ce tableau relativement homogène était agrémenté d’un petit groupe d’immigrés semi-étudiant, semi-ouvrier, fortement politisé et souvent de gauche, arrivés à partir de la seconde moitié des années 1970, ainsi que quelques familles d’origine urbaine mais d’observance religieuse qui avaient du mal à trouver une plate-forme d’expression communautaire du fait de la domination du sous-groupe laïc. Les tensions latentes entre ces différents sous-groupes prirent une toute autre envergure avec l’arrivée des demandeurs d’asile qu’un journaliste montréalais désignait à juste titre comme « l’irruption dans la belle société du paysannat anatolien » (Leblanc, 1997). Une des conséquences intracommunautaires de l’arrivée d’un groupe réputé pour son traditionalisme fut l’élargissement du bassin de recrutement du sous-groupe conservateur et religieux. Nonobstant l’accroissement de l’influence de ce sous-groupe, l’espace public communautaire demeure encore dominé par le sous-groupe laïc (pro- occidentaliste) qui rassemble « anciens et assimilés » autour de l’association Turquébec. Celle-ci, fondée en 1992 « parce que l’ancienne association était envahie par l’autre camp », assume l’organisation de la célébration de la Fête des enfants qui constitue l’événement le plus spectaculaire produit par la communauté turque de Montréal.

127 International Journal of Canadian Studies Revue internationale d’études canadiennes

On notera que la production d’un spectacle de grande envergure à l’occasion d’une fête nationale dédiée aux enfants contribue non seulement à la transmission des valeurs patriotiques aux jeunes générations, mais qu’elle permet aussi au noyau ancien, qui contrôle le pouvoir dans l’association organisatrice de l’événement, de consolider son influence intracommunautaire. Ce noyau, en dépit de sa faiblesse numérique, sert de groupe de référence intracommunautaire et jouit d’un pouvoir symbolique lui permettant d’attirer, à l’intérieur de ses frontières sociales, des migrants arrivés ultérieurement mais dont les caractéristiques socioprofessionnelles et normatives s’apparentent aux siennes. L’orientation occidentaliste mais résolument patriotique et pro-étatique de ce sous-groupe dirigeant marque ainsi profondément la vie festive des Turcs à Montréal, dont la Fête des enfants est le point culminant. Cette fête joue, on le verra, un rôle à la fois interne et externe dans la construction et le maintien de la communauté turque à Montréal. À l’occasion de la Fête des enfants, l’association Turquébec, assume donc la production d’un grand spectacle « interculturel » composé des danses folkloriques sur une grande scène montréalaise. Afin de faciliter la participation, cet événement est toujours organisé un samedi autour du 23 avril, date de la fête nationale. En 1998, le spectacle eut lieu le 26 avril au théâtre Saint-Denis, dans le centre-ville de Montréal, et a suscité la participation de nombreuses communautés culturelles. À part les troupes de danse des associations turques de Montréal – celles de Turquébec et de l’Association culturelle turque du Québec –, on a pu découvrir, lors de cet événement, les spectacles de 14 « communautés culturelles » représentant les « nations » suivantes, telles qu’énumérées dans le programme du spectacle : la Corée, la Hongrie, la République dominicaine, la Pologne, le Vietnam, l’Écosse, l’Irlande, le Mexique, la Bulgarie, le Guatemala, l’Inde, la Barbade, l’Israël et le Québec. Il est intéressant de noter que les organisateurs turcs, pour qui la célébration de la culture d’origine rime avec l’exaltation de la nation et de l’État d’origine, projettent cette configuration sur les autres groupes participant en les imaginant comme les émissaires de l’État dont ils représenteraient la culture, et en agençant l’espace de cette célébration comme une mini société des nations, où l’interculturel recèle implicitement l’international. Cette fête met ainsi en scène une iconographie composée essentiellement des symboles nationaux : lors du spectacle de 1998, la scène était décorée des drapeaux des « nations » participantes; trois drapeaux – turc, québécois et canadien – se distin- guaient toutefois par leur plus grande taille et leur emplacement. Aussi observait-on une grande toile surplombant ces drapeaux et représentant Atatürk, le père des Turcs, suivie d’un de ses adages transcrit en turc, en anglais et en français : « paix dans le pays, paix dans le monde ». Cette année-là, chaque troupe de danse a fait une seule présentation, à l’exception de la troupe de l’association organisatrice, Turquébec, qui, en tantquevedettedel’événement,enafaitsix.L’auditoirecomprenaitplusde

128 La construction politique de l’ethnicité et les enjeux de la représentation de la « communauté » à travers l’étude d’une fête turque à Montréal

600 personnes, majoritairement des familles turques dont les enfants figuraient parmi les danseurs. Il appert que, contrairement à la conception commune des fêtes populaires comme des espaces de liberté propices à l’expression des discours identitaires marginalisés, minoritaires et contestataires (Cohen, 1982; Ribart, 1999), la dimension contestataire semble faire défaut à la vie festive des Turcs de Montréal qui traduit la prédominance d’une idéologie patriotique et pro-étatique dans ce milieu immigré. On soulignera que l’activité contestataire caractérise davantage les milieux minoritaires du contexte d’origine (kurde, alévi), alors que les groupes issus de la majorité sociale, ethnique, confessionnelle et politique semblent adhérer à une position pro-statu quo par rapport à l’État d’origine. Bien que la population turque dans toutes ses couches sociales soit réputée pour sa grande sensibilité à l’image que projette la Turquie à l’étranger (Copeaux, 1997), l’importance accordée à la défense de l’image de la nation – et de l’État –, de son histoire, de son intégrité territoriale, ainsi que de la légitimité de ses actions, s’avère amplifiée en contexte postmigratoire au sein de l’élite patriotique qui s’expose davantage à l’activisme des groupes perçus comme antiturcs.16 Il est intéressant de noter qu’à l’origine de la fondation, en 1964, de la première association turque à Montréal par l’élite immigrée résidait un besoin partagé de « faire le contrepoids à la propagande antiturque qui dominait la scène internationale lors de la crise chypriote ». Pour combattre « l’antiturcisme ambiant véhiculé par les médias et la diaspora grecque », une poignée de professionnels décidèrent de se constituer en association et de diffuser le point de vue turc dans l’espace public. Depuis lors, les motifs incitant ces migrants patriotes à s’organiser et à se mobiliser selon des critères ethniques, même s’ils visent des adversaires diversifiés, ne semblent pas avoir changé beaucoup, la préoccupation majeure demeurant la défense de l’image de l’État et de l’honneur de la nation à l’étranger. Nos résultats d’enquête montrent qu’en contexte montréalais, c’est l’activisme arménien qui est vécu par les acteurs comme une atteinte constante à la dignité nationale, alors que dans d’autres contextes, comme en Europe occidentale où la présence kurde est importante, ce sont les revendications kurdes qui constituent un « danger national » prioritaire. À Montréal, comme ailleurs, la mobilisation ethnopolitique contre ces « lobbies hostiles » devient un champ de construction de l’ethnicité immigrée turque et d’actualisation des liens avec la nation ou l’État d’origine. En substance, ces « patriotes » entretiennent des liens avec les organisations politiques turques en Amérique du Nord17 et s’imaginent être sur la ligne de front. Leur rhétorique abonde des thèmes de vigilance constante, de mission patriotique et de devoir national. Certains chefs de file associatifs vont jusqu’à s’attribuer une fonction diplomatique officieuse, se définissant comme des ambassadeurs de bonne volonté :

129 International Journal of Canadian Studies Revue internationale d’études canadiennes

We Turkish Canadians are proud of our homeland and yet happy to liveheresharingmanybenefitswithotherethnicgroupsofferedby this country. […] Everyone of us is or should be a goodwill ambassador for Turkey.18 Ce discours récurrent en milieu immigré révèle que les contentieux non résolus du pays d’origine sur le plan international (comme la question chypriote, la controverse du génocide19, la situation kurde, etc.) affectent la vie des Turcs à l’étranger. Bien entendu, seulement les plus zélés d’entre eux vont jusqu’à se définir comme des émissaires de bonne volonté de l’État turc et à faire de sa défense symbolique à l’étranger un élément définissant de l’ethnicité turque en migration. Leur ferveur patriotique s’active chaque fois que sont mises en doute les certitudes sur lesquelles reposent les principes fondateurs de l’identité nationale turque et que se produisent des situations perçues comme diffamatoires pour la dignité nationale. On verra plus loin que de telles situations perçues comme menaçantes pour l’identité collective (comme la cause arménienne) influent sur l’orientation de la Fête des enfants et de l’engagement des acteurs dans son organisation. Pour saisir cet aspect relationnel avec l’exogroupe et cerner la portée de l’opposition arméno- turque dans la mise en représentation de la communauté turque à travers cette fête, il convient de jeter un bref regard sur notre conceptualisation des relations sociales identifiées comme consubstantielles à la formation et au maintien des communautés ethniques en contexte postmigratoire (Bilge, 2002).

La mise en scène de la communauté à travers la Fête des enfants : les forces en jeu Les facteurs participant à la mise en représentation de la communauté immigrée à travers les pratiques culturelles sont multiples et interactifs. Ces facteurs tombent généralement sous trois catégories de relations sociales qui sont centrales aux processus de construction d’une communauté sur une base ethnique, processus que nous désignons, nous inspirant de Weber, comme les communalisations ethniques postmigratoires. Ces trois catégories sont des relations majoritaires-minoritaires, des relations inter- minoritaires et des relations intracommunautaires. L’examen de la mise en représentation de la « turcité » à travers la Fête des enfants montre le rôle joué par chacune de ces trois catégories de relations sociales.

La dimension intracommunautaire ou les enjeux internes de la reproduction de la nation en contexte postmigratoire Pour commencer, on soulignera que la célébration de la Fête des enfants n’est pas une nouvelle manifestation festive propre à la communauté turque de Montréal. Elle fait partie des trois fêtes nationales célébrées officiellement dans le pays d’origine20. Ces dates marquent le calendrier

130 La construction politique de l’ethnicité et les enjeux de la représentation de la « communauté » à travers l’étude d’une fête turque à Montréal festif national aussi bien à l’extérieur du pays qu’à l’intérieur. En contexte postmigratoire, ces célébrations se font parfois sous les auspices des missions étrangères turques et suscitent la participation de la diaspora et des délégations venues de Turquie.21 Ces célébrations et commémorations constituent un gage d’allégeance nationale, inégalement partagé par les sous-groupes constitutifs de la catégorie immigrée turque. Dans les milieux minoritaires, comme chez les Kurdes, les fêtes nationales turques riment surtout avec la mémoire de la répression étatique et n’emportent pas l’adhésion, tandis que dans les milieux religieux sunnites, en opposition avec l’idéologie kémaliste fondatrice de la république, les fêtes nationales sontvuescommeunoutildepromotiondesvaleursrépublicaineslaïques,et non islamiques, et sont rarement célébrées. À Montréal, la faiblesse numérique et institutionnelle de ces sous-groupes et la domination de l’élite patriotique et pro-étatique font que tant les fêtes religieuses que nationales sont célébrées, et ce, conformément à la nouvelle orientation idéologique que l’État turc s’est donnée depuis les années 1980, soit la synthèse turco-islamique. À cet égard, on notera que depuis l’intervention militaire de 1980, l’importance accordée par l’État turc à la célébration des fêtes nationales s’est considérablement accrue, comme en témoigne l’internationalisation de la Fête des enfants datant aussi de cette période. Depuis lors, l’État turc reçoit, à l’occasion de cette fête, les délégations étrangères comprenant des troupes de danse folklorique composées d’enfants et d’adolescents. Les spectacles « nationaux » produits par ces délégations invitées, à côté de ceux des troupes turques, permettent à l’État de véhiculer son idéologie nationaliste, dans la mesure où l’ensemble de ces spectacles compose une allégorie internationale où chaque troupe représente « une nation = un État = une culture ». Le fait que l’ensemble de ces festivités s’étalant sur plusieurs jours soit transmis par les chaînes de télévision nationale est aussi éloquent. En substance, à travers cette fête nationale dédiée aux enfants et appréciéeparlapopulationdufaitdesspectaclescolorésetexotiques,l’État diffuse à grande échelle son idéologie exaltant les valeurs familiales sur lesquelles la nation est imaginée. Derrière les danses folkloriques turques représentatives des sept régions géographiques de Turquie, se profile le principe de l’unité nationale où la diversité interne se trouve réduite à ses composantes régionales et administratives, mais réprimée dans ses dimen- sions ethniques et religieuses. En immigration, la célébration de cette fête dans un contexte pluriethnique donne des messages ambivalents : alors que les pays d’origine des troupes de danse participant à ce spectacle interculturel sont représentés selon le principe « un pays = une nation », le pays d’établissement est honoré pour son pluralisme, pour être « une nation des nations », comme décrit dans le discours inaugural. Force est de constater qu’aucune troupe folklorique ne représente en particulier le Canada, alors que le Québec est symbolisé par une troupe distincte. Cela étant dit, la

131 International Journal of Canadian Studies Revue internationale d’études canadiennes représentation du Québec à travers cette fête n’est pas homogène : on retrouve à la fois l’ethnicité canadienne-française qui se produit à travers sa troupe de danse folklorique et moult références dans la bouche des organisateurs à un Québec interculturel. Il ressort que cette célébration permet aux immigrés turcs d’activer leur allégeance nationale, de satisfaire leur sens de responsabilité collective en s’imaginant représenter l’État et la nation turcs sur la scène internationale, mais aussi d’intégrer l’idéologie dominante du pluralisme culturel de la so- ciété d’accueil (multiculturalisme canadien, interculturalisme québécois) en se produisant en tant que communauté culturelle. Cette production est largement l’œuvre des leaders communautaires et des membres actifs des associations qui jouent un rôle majeur dans la détermination des valeurs à mettre en relief et des façons de promouvoir l’identité collective dans l’espace public. Ces élites dirigeantes exercent une influence sur la production de l’identité du groupe en orientant l’action collective qui l’exprimera. Derrière leurs choix concrets concernant les éléments à mettre de l’avant et ceux à estomper, se profilent des idées et des pratiques dotées d’une signification sociale capable de re-imaginer un « nous » dans le nouveau contexte d’établissement. La production et la diffusion d’une identité collective favorable par des activités socialement significatives, telles les fêtes, constituent un processus traversé par des tensions et une compétition symbolique entre diverses conceptions de la « turcité ». Si la Fête des enfants constitue, pour la communauté turque de Montréal, la date la plus importante de son calendrier communautaire, le point culminant des relations publiques qu’elle établit avec l’extérieur, cela résulte d’un choix politique conscient des élites et des dirigeants associatifs. À l’occasion de cette fête surinvestie pour différentes raisons, l’association Turquébec organise, l’a-t-on souligné préalablement, au nom de la communauté turque de Montréal, un grand spectacle public annuel qui est reconnu par les acteurs comme une tradition locale. La préparation de ce spectacle requiert la mobilisation d’importantes ressources sociales et économiques de la communauté. Aussi, sa réussite devient-elle un objectif collectif réunissant hebdomadairement les familles participantes dans le local associatif. Les préparatifs de ce spectacle planifié pour la troisième semaine du mois d’avril commencent plusieurs mois à l’avance, à l’automne. Dès la détermination du programme préliminaire et le choix des régions qui seront en vedette dans le spectacle, les membres du comité de folklore élaborent un plan d’action et supervisent son exécution. Au cours de ces réunions hebdomadaires, les mères habiles en couture se mettent à confectionner les costumes, pendant que dans la salle adjacente les enfants pratiquent les danses sous la supervision de l’instructeur. Les pères se chargent du transport et restent rarement présents sur les lieux, préférant socialiser entre eux dans un café voisin. À la fin des répétitions, les familles prennent un goûter collectif préparé à tour de rôle. Il appert que l’organisation de ce spectacle, qui mobilise plusieurs familles, et ce,

132 La construction politique de l’ethnicité et les enjeux de la représentation de la « communauté » à travers l’étude d’une fête turque à Montréal régulièrement, constitue une action collective génératrice des situations d’interactions intracommunautaires soutenues non seulement entre individus mais aussi entre générations. Le rôle de l’organisation de ce spectacle dépasse toutefois le niveau des relations informelles intracommunautaires et touche aussi la structuration du pouvoir et du leadership interne. Le succès de ce spectacle, auquel participent de nombreuses troupes de danse représentant diverses communautés culturelles du Québec et du Canada et où sont invitées des personnalités politiques locales et nationales, consolide autant la place de l’association organisatrice de l’événement au sein de la communauté que la légitimité interne de ses dirigeants. Cette pratique festive remplit donc de multiples fonctions internes, autant au niveau des relations inter- personnelles qu’au niveau de la gouvernance intracommunautaire, des rapports de pouvoir et de compétition. À titre d’exemple, la qualité artistique du spectacle constitue un moyen d’affirmer dans la diaspora, auprès des autres associations turques à Montréal et dans les autres villes canadiennes22, le prestige de l’association organisatrice, Turquébec. Ainsi, la troupe folklorique de cette association se fait régulièrement inviter aux fêtes multiculturelles des autres villes, notamment au festival des tulipes qui se déroule au mois de mai dans la capitale fédérale. Parfois les rivalités ont raison de l’objectif d’épater la galerie avec un spectacle professionnel; l’association locale décide alors de prendre l’initiative et de faire une présentation de moindre envergure avec sa troupe plutôt que de faire appel à celle de Turquébec. En outre, il convient de souligner que la production d’un spectacle coûteux et « pompeux » n’est pas du goût de tous. Toutefois, les partisans d’une célébration plus modeste, qui serait réservée à l’espace commu- nautaire, n’étant ni assez nombreux, ni assez influents pour changer l’orientation de l’événement, celui-ci demeure un grand spectacle public tournéversl’extérieur,entreautres,unedémarchederelationspubliques. Extrêmement soucieux de l’image projetée vers l’extérieur à travers ce spectacle, les membres actifs de l’association débattent énergiquement de son contenu, qui exposera la communauté aux regards étrangers. Ce débat dépasse l’espace associatif et rejoint d’autres acteurs intéressés par la vie communautaire. L’organisation du spectacle devient alors le théâtre des polémiques internes sur les menus détails, tels le choix des costumes, l’élaboration du répertoire (les régions de Turquie devant y figurer, etc.), à travers lesquels s’expriment différentes conceptions de l’identité collective et se perpétuent les clivages idéologiques majeurs de la société turque, notamment celui entre les pro-occidentalistes laïcs et les traditionalistes religieux. Certains membres voudraient par exemple inclure des danses occidentales dans le répertoire, alors que d’autres défendent plutôt l’« authenticité » des danses traditionnelles turques. Même le choix des costumes devient un lieu de confrontation idéologique : pendant que certains trouvent les costumes traditionnels pour les filles trop couverts et

133 International Journal of Canadian Studies Revue internationale d’études canadiennes craignent la projection vers l’extérieur d’une image d’une Turquie « arriérée et islamiste », d’autres critiquent les tenants de ce discours qu’ils jugent comme « prêts à vendre leur âme pour se faire apprécier des Occidentaux ». Un spectacle antérieur, ayant intégré des shows modernes dans son répertoire, avait été vivement critiqué par certains parents traditionalistes en raison des vêtements des filles jugés trop révélateurs : « ils ont fait danser nos filles comme si elles étaient des danseuses de cabaret » confiait un père visiblement offusqué. Il convient de signaler à cet égard que comme le sous-groupe « nanti » et pro-occidentaliste, qui est d’établissement ancien, est exsangue de jeunes générations – leurs enfants anglicisés ayant massivement abandonné le Québec – la survie des activités culturelles de leur association, Turquébec, est tributaire de la participation des enfants des familles conservatrices issues du monde rural. Les dirigeants associatifs ne peuvent donc risquer d’aliéner ces familles plutôt traditionnelles. Ainsi, l’année suivant celle dont le spectacle incluait des danses modernes, l’association a enregistré une chute notable dans la participation des enfants, notamment des filles, et ce, malgré le rétablissement d’un répertoire traditionnel avec des costumes authentiques (couverts). Pour d’autres, la tentative d’intégrer des danses occidentales était critiquable à d’autres égards : ils trouvaient « franchement ridicule », voire « humiliant », de faire faire aux enfants turcs de « fausses danses de cow-boys à l’américaine » ou du « french cancan » au lieu d’« afficher avec fierté la richesse de notre culture ». Un informateur déplorait que par ces spectacles navrants, les Turcs aient montré au grand public à quel point leur communauté était complexée. Dans le même ordre d’idées, le nouveau responsable du spectacle – un spécialiste du folklore turc – relate avoir eu de la difficulté à faire accepter les costumes traditionnels. Cette fois-ci, c’étaient les pro-occidentalistes qui critiquaient les costumes trop couverts et craignaient de diffuser une image des Turcs comme un « peuple obscurantiste ». Une mère exprimait son inquiétude en ces termes : « déjà qu’ils nous confondent avec les Arabes, avec des vêtements comme ça sur les enfants, nous allons passer pour des nomades arriérés ». Ce genre de désaccords au moment d’établir les marqueurs du groupe n’est pas étranger aux autres communautés immigrées. Ce qui peut sembler plus inhabituel, c’est l’intérêt que suscitent ces polémiques expatriées dans la société d’origine, fait montrant une fois de plus une population extrêmement soucieuse de l’image des Turcs à l’étranger. Ces débats du monde expatrié sont connus du lectorat national grâce à la couverture qu’en font occasionnellement certains journaux turcs.23 Ces « Turcs de l’extérieur » ou de l’étranger font parler d’eux notamment à l’occasion de la parade annuelle turque à New York,qui est devenue une tradition depuis 20 ans et dont l’émergence est liée, selon l’un de ses concepteurs, à la volonté de « dénoncer le terrorisme arménien qui frappait à l’époque les diplomates turcs »24. Cette activité, vantée comme la plus grande organisation des

134 La construction politique de l’ethnicité et les enjeux de la représentation de la « communauté » à travers l’étude d’une fête turque à Montréal

Turcs de l’étranger et à laquelle participent diverses communautés et associations turques des États-Unis et du Canada, ainsi que des troupes de danse folklorique et des artistes invités, pour l’occasion, de Turquie, attire l’attention des médias nationaux qui ne manquent pas d’exposer les conflits de coulisses. Un tel conflit a eu lieu au sujet de la participation au défilé d’une fanfare militaire ottomane, les mehteran, composée d’hommes aux moustaches impressionnantes et habillés en janissaires. L’évocation, par les journalistes,del’existencedesfrictionsentrelespartisansetlesopposantsà la participation de cette fanfare a déclenché un vaste débat sur la fierté nationale et la définition de la vraie « turcité ». Alors que les opposants essayaient de faire valoir que la participation d’une telle troupe véhiculerait à grande échelle « le stéréotype négatif du guerrier turc, le grand moustachu sanguinaire, armé de son yatagan », les partisans affirmaient « douter de la turcité de ceux qui ne souhaitent pas voir notre troupe de mehteran aux États-Unis » et soutenaient qu’il était temps de « se réconcilier avec son héritage historique, de s’en réjouir ». Des déclarations enflammées sur la moustache en tant que marqueur de fierté nationale se faisaient entendre : « Ceux qui croient que la moustache des mehteran est préjudiciable à l’image des Turcs ont honte de leur turcité. Qu’ils déclarent une fois pour toutes qu’ils ne sont pas turcs et qu’ils cessent de se mêler de nos affaires! »25 Après l’examen de la dimension interne des enjeux de la mise en représentation de la communauté par la pratique festive, il sera question de sa dimension externe qui sera scindée en deux sous-catégories : relations interminoritaires et relations majoritaires-minoritaires.

La dimension interminoritaire Constatant le surinvestissement de la célébration de la Fête des enfants, qui se déroule chaque année autour du 23 avril et qui coïncide avec la commémoration du génocide arménien (24 avril), il est pertinent de s’interroger sur les raisons poussant la communauté à mettre en relief cette fête nationale plutôt qu’une autre. Un facteur pouvant expliquer l’importance accordée à cette célébration en particulier pourrait émaner de la condition existentielle propre au déracinement.Souventéprouvéesparl’angoissedelapertedesorigines,les familles immigrées cherchent à transmettre les valeurs qu’ils considèrent primordiales parce qu’emblématiques, à leurs yeux, de leur appartenance ethnico-nationale ou religieuse. L’amour de la patrie en fait partie. La célébration d’une fête dédiée par le fondateur de la république, Atatürk, aux enfants de la nation constitue une occasion de promouvoir les sentiments patriotiques auprès des jeunes générations, pour qu’« ils sachent d’où ils viennent, qu’ils valorisent leurs origines et qu’ils soient fiers de leur histoire ». Or, la raison principale de l’orientation publique de cette

135 International Journal of Canadian Studies Revue internationale d’études canadiennes célébration semble émaner de l’extérieur de la communauté, soit du contexte des rapports interminoritaires. Notre enquête de terrain a permis d’identifier la dynamique conflictuelle des mobilisations arménienne et turque comme un élément important de la construction politique de l’ethnicité turque en contexte montréalais, et plus généralement comme un facteur conditionnant le déroulement de la vie communautaire des deux groupes adverses, ainsi que la pérennité de leurs frontières sociales. Le rôle rassembleur du conflit avec l’exogroupe dans la propagation des sentiments communautaires a déjà été exposé en détail (Smith, 1981, 1986). Nos résultats vont dans le même sens et font montre du rôle mobilisateur et unificateur des conflits récurrents entre les Arméniens et les Turcs pour leurs communautés locales respectives : à diverses occasions, la controverse sur le génocide est apparue comme un facteur de cohésion interne et un activateur du sentiment communautaire. Les revendications arméniennes sont perçues par la plupart des Turcs comme des attaques identitaires, en ce sens qu’elles remettent en question les certitudes sur lesquelles repose leur identité nationale. La force identitaire de ce conflit réside dans le fait qu’il heurte, dans les deux cas, le rapport spécifique que le groupe entretient avec son histoire et sa mémoire collective. L’effet homogénéisant de cette interaction conflictuelle est donc valable pour les deux groupes dont l’identité ethnique se forge et se consolide à travers deux causes nationales antithétiques. L’interaction conflictuelle entre Arméniens et Turcs conduit ainsi au raidissement des identités collectives exclusives, renforçant les tendances totalisantes articulées autour de la diabolisation de l’autre et de la construction du soi comme le peuple élu. L’aspect conflictuel des relations arméno-turques dépasse le cadre montréalais et s’observe dans tous les contextes de cohabitation, de Melbourne à Marseille. Concrètement, la commémoration du génocide par la diaspora arménienne au cours de la semaine du 24 avril donne lieu à des frictions annuelles entre ces deux groupes un peu partout dans le monde où ils coexistent en statut minoritaire. Le paroxysme de ce calendrier spécifique des tensions intercommunautaires est atteint durant la semaine du 24 avril où l’on observe une intensification périodique des mobilisations du côté arménien en vue d’obtenir la reconnaissance du génocide. Dans le milieu turc, certains acteurs expriment leur angoisse concernant les célébrations arméniennes et se déclarent atteints du « syndrome du 24 avril », date qu’ils n’hésitent pas à nommer « Hate-the-Turk Armenian Day »26. Au cours de cette semaine, la diaspora arménienne commémore l’événement considéré comme le socle de sa mémoire contemporaine, le temps zéro de sa conscience collective en diaspora, soit le génocide (Hovanessian, 1995). Diverses communautés organisent des cérémonies commémoratives religieuses et séculières, et proposent des motions de reconnaissance du génocide aux législatures de leur pays de résidence, tant

136 La construction politique de l’ethnicité et les enjeux de la représentation de la « communauté » à travers l’étude d’une fête turque à Montréal au niveau local que national.27 À cette même date, certaines communautés turques célèbrent l’anniversaire de la souveraineté nationale, la Fête des enfants. À Montréal, la production, à l’occasion de cette fête, d’un grand spectacle public, le seul événement communautaire, soulève l’éventualité que ce choix recèle une stratégie collective visant à redresser l’image des Turcs et de la Turquie dans une période où celle-ci est sérieusement mise à mal. Force est de reconnaître que cette forme de célébration permet à la communauté turque de faire parler d’elle d’une manière positive dans l’espace public, notamment dans les médias locaux. Derrière la célébration de la Fête des enfants se profilent donc en toile de fond les craintes d’une communauté concernant l’activisme arménien et la reconnaissance du génocide. Pourtant, la primauté de l’adversité arménienne dans la construction de la communauté turque n’apparaît pas de prime abord dans les discours. Les leaders communautaires font, au besoin, usage d’un terme générique de lobbies antiturcs. Lorsqu’on leur demande de préciser, ils évoquent un certain triumvirat greco-arméno-kurde auquel d’autres ajoutent les Arabes – notamment les Syriens – « qui nous ont trahis dans le passé en s’alliant aux Anglais et qui abritent aujourd’hui la guérilla kurde ». Cela dit, au niveau des pratiques et des discours spontanés – en dehors des entretiens formels – il s’avère que le talon d’Achille est bel et bien la question arménienne, et ce, d’autant plus que les organisations arméniennes de Montréal semblent être leferdelancedelamobilisationdecegroupeàl’échellepancanadienne. L’opinion dominante sur la question arménienne, façonnée largement par le discours officiel de l’État turc, est que les allégations arméniennes relatives au génocide seraient inexactes. Cette conviction partagée par la majorité des Turcs à Montréal – qui n’ont eu accès qu’à la version officielle des faits, à l’école et dans les médias – crée une obligation morale, une responsabilité commune, de contre-manifester chaque fois que la diaspora arménienne expose publiquement sa mémoire collective. À cet égard, on notera que l’espace immigré témoigne d’une plus grande sensibilité à la question arménienne que la société turque. La locomotive de cette conscientisation est indubitablement l’élite immigrée qui est plus exposée, de par sa position socioprofessionnelle et ses compétences linguistiques, aux thèses arméniennes les plus radicales, qui revendiquent, en sus de la reconnaissance, une réparation territoriale. Cette revendication réveille la peur historiquement ancrée du démembrement de la Turquie vécue avec plus d’intensité en migration, du fait, probablement, de la condition existentielle propre au déracinement où l’individu vivrait l’angoisse de l’assimilation qui serait synonyme, pour certains, d’un anéantissement symbolique. Aussi l’État turc encourage-t-il de maintes façons l’organisation d’un mouvement civique de base (grassroots) en milieu immigré qui œuvrera pour la défense de ses intérêts à l’étranger.28 Gage d’appartenance aux « vrais Turcs » pour certains, le sentiment patriotique s’enflamme lorsque confronté aux patriotismes antagoniques,

137 International Journal of Canadian Studies Revue internationale d’études canadiennes précisément à la cause arménienne. L’activisme arménien crée chez les immigrés turcs, notamment au sein de l’élite, un sentiment d’être injustement attaqué, de subir une discrimination et une diffamation nationale, qui devient une conscience collective transnationale où se joignent la nation et la diaspora. Ce grief collectif se transforme parfois en action dont l’objet est de faire valoir le point de vue turc et de renverser la situation perçue comme discriminatoire. La célébration de la Fête des enfants, au-delà de sa dimension culturelle et identitaire, constitue donc un exemple de ce type de stratégies politiques. En substance, il ressort que la mise en représentation d’une communauté pourrait difficilement être dissociée du contexte de cohabitation interculturelle et de l’état des relations entre les groupes constitutifs du milieu d’établissement, mais aussi plus généralement de l’état des relations internationales. Afin de mieux illustrer l’environnement compétitif des relations interethniques et le pouvoir du groupe majoritaire, il est pertinent d’apporter d’autres exemples que la Fête des enfants. Un tel cas s’observe dans la controverse des parcs dont le paroxysme a été atteint à l’automne 1997, au moment où le Conseil exécutif de la ville de Montréal allait voter le projet d’ériger un monument commémoratif du génocide arménien au parc Marcellin-Wilson à Montréal. Les périples politiques entourant cette controverse sont trop longs pour être repris ici (Bilge, 2002), on se contentera de souligner qu’à l’origine du conflit, qu’un journal montréalais décrit judicieusement comme le « mauvais ménage entre tulipes turques et génocide arménien »29, se trouve la mobilisation turque contre ce projet arménien. Soutenu par le Comité national arménien du Canada (CNAC) – siégeant à Montréal –, ce projet a d’abord trouvé un écho favorable auprès du pouvoir municipal. Lorsque le projet a été rendu public, l’élite dirigeante de la communauté turque s’est mobilisée dans une campagne de lobbying, et des signes avant-coureurs d’incidents diplomatiques entre la Turquie et le Canada sont apparus. L’administration municipale a fini par suspendre le dossier pendant plus de trois ans, au cours desquels les deux communautés ont cherché à faire pression en faveur de leurs intérêts, sur les instances décisionnaires. Pour les militants turcs, qui renient catégoriquement la véracité du génocide et épousent sans distance critique la thèse officielle de l’État turc, le projet du monument arménien est vécu comme une diffamation publique faisant de leurs ancêtres des meurtriers. La menace identitaire ressentie par ce projet est telle qu’elle permet aux divers sous-groupes de passer outre à leurs divergences politiques afin d’empêcher la construction du monument commémoratif du génocide. Dans une lettre ouverte publiée dans La Presse, trois leaders associatifs s’adressent à leurs concitoyens montréalais, les priant de ne pas prendre parti dans « une controverse historique sans rapport avec notre pays d’adoption, le Canada, en faveur d’une communauté et aux dépens de l’autre ».30

138 La construction politique de l’ethnicité et les enjeux de la représentation de la « communauté » à travers l’étude d’une fête turque à Montréal

Finalement, l’administration municipale résout le conflit en attribuant des terrains aux deux communautés pour qu’elles y construisent leur lieu de mémoire respectif, un monument du génocide pour les Arméniens et un jardin de tulipes pour les Turcs. À travers la controverse du monument s’est ainsi dessiné l’enjeu de l’inscription physique de la mémoire du groupe sur le terrain montréalais. L’examen de ce cas a aussi permis d’identifier certaines stratégies encourues par ces deux groupes minoritaires en compétition pour faire valoir leur cause respective et antithétique auprès du groupe majoritaire, ce qui nous amène au dernier contexte à considérer : celui des relations majoritaires-minoritaires.

La dimension majoritaire-minoritaire Si l’activisme arménien est perçu par les migrants turcs comme une atteinte à leur identité nationale, la contre-mobilisation qu’il suscite s’inscrit dans une logique ethnique aussi bien en termes de procédés empruntés, de finalité et d’acteurs participants. L’objectif de combattre l’activisme « ennemi » – d’une autre minorité – va de pair avec la promotion de sa cause auprès du majoritaire dont le groupe recherche la reconnaissance. Dans un contexte de cohabitation pluriethnique où les minorités en quête de reconnaissance sont en compétition, voire en conflit comme c’est le cas ici, lespratiquesculturellestelleslesfêtesetlescommémorationsrecèlentainsi des relations complexes qui dépassent la dynamique interminoritaire et impliquent le groupe majoritaire. Faire parler de sa communauté de manière favorable, comme une communauté qui agit et entre en interaction harmonieuse avec d’autres communautés, devient un enjeu important, et ce, même si dans les faits, la présence du groupe dans l’espace public prend souvent la forme d’une anti-group mobilization, comme en témoigne la dynamique conflictuelle des relations arméno-turques. L’organisation de la Fête des enfants offre chaque année, à la communauté turque de Montréal, l’occasion de faire parler favorablement d’elle et de consolider ses relations instituées avec diverses instances gouvernementales, de la municipalité jusqu’au pouvoir fédéral. Certains leaders s’enorgueillissent même d’avoir inspiré, par cette tradition nationale turque, l’ancien maire de Montréal, Pierre Bourque, à établir un festival montréalais pour les enfants. La vocation pluraliste de cette célébration, en ce sens que les organisateurs invitent les autres troupes folkloriques à participer à la production d’un spectacle interculturel, permet également à la communauté turque de faire bonne figure en réitérant son adhésion à l’idéologie pluraliste qui caractérise la société d’accueil. Les dirigeants associatifs se montrent par ailleurs assez sensibles à la tension Québec- Canada et trient les invités soigneusement pour ne créer aucun incident diplomatique. La même sensibilité s’observe dans les usages linguistiques : les discours inauguraux sont ainsi prononcés en trois langues (turc, anglais et français), de même que l’animation de tout l’événement. Les invités

139 International Journal of Canadian Studies Revue internationale d’études canadiennes politiques comprennent généralement les élus municipaux et provinciaux, quelques sénateurs et délégués ministériels au niveau provincial ou fédéral en lien avec l’administration du pluralisme culturel (Patrimoine Canada, MRCI), des journalistes, des représentants des milieux communautaires et caritatifs. Parfois la cérémonie commence par une donation. Lors de la cérémonie de 1998 le président d’une organisation caritative montréalaise, The Sun Youth, a ainsi reçu un don fait par l’association Turquébec au nom de la communauté turque de Montréal. Quant aux représentants de l’État turc, ils comprennent généralement les attachés consulaires, l’émissaire turc à l’organisation internationale de l’aviation (IATA), dont le siège international se trouve à Montréal, et le consul honoraire de Montréal. OnavuquelaFêtedesenfantsavaitacquisunevocationinternationaliste en Turquie depuis les années 80 et qu’elle accueillait les délégations de jeunes venues de divers pays. L’internationalisme de la fête originelle se transforme en pluralisme dans le contexte d’établissement, conformément au modèle dominant la société d’accueil. Cependant, l’idéologie jacobine qui sous-tend la fête en contexte d’origine demeure prépondérante dans celle célébrée en établissement, et se matérialise entre autres dans le maintien de l’équation « un pays = une nation » comme principe organisateur des festivités. Autrement dit, la conception qui passe en filigrane l’ensemble des spectacles associe chaque troupe de danse à une communauté culturelle homogène, qui serait elle-même représentative d’un État-nation. Enoutre,l’intégrationdesidéologiesdelasociétéd’établissementàcette pratique festive produit un discours combinant l’interculturalisme québécois et le multiculturalisme canadien et fédéral. Ainsi, le discours inaugural invoque l’adhésion de la communauté turque à l’inter- culturalisme; en revanche, la clôture de l’événement réunit toutes les troupes participantes sur la scène, et les animateurs honorent, dans un message final, à la fois l’origine et l’établissement, unissant la métaphore de la « mosaïque anatolienne » et celle de la « mosaïque canadienne », et intégrant par ce fait même le discours fédéral sur le multiculturalisme. Toutefois, le pluralisme joue parfois des tours aux patriotes turcs, lorsqu’il va à l’encontre de leurs intérêts et conduit à la reconnaissance de l’histoire arménienne, donc du génocide. C’est en vertu des politiques pluralistes (multiculturalisme et interculturalisme) que divers groupes de pression arméniens revendiquent, par exemple, l’inclusion dans les programmes scolaires l’histoire du génocide. Au Canada, cette intégration aurait été évitée de justesse en 1988 avec l’intervention de la diplomatie turque.31 L’établissement des calendriers officiels donne également lieu à des tensions. Ainsi, lorsque l’édition 2001 du calendrier interculturel de la ville de Montréal a omis de marquer le 24 avril comme la journée commémorative du génocide arménien, même si son conseil municipal invite depuis 1997 les Montréalais à « commémorer l’anniversaire en solidarité avec la communauté arménienne » (La Presse, « Un calendrier

140 La construction politique de l’ethnicité et les enjeux de la représentation de la « communauté » à travers l’étude d’une fête turque à Montréal interculturel truffé d’erreurs et d’oublis », 1er juin 2001), la communauté arménienne a protesté, pendant que les leaders turcs se félicitaient comme si cet oubli revenait à épouser leur vision. Bref, lorsque le devoir de mémoire arménien œuvre dans une société où l’intégration des histoires minoritaires dans l’historiographie nationale est possible et négociable, cela donne de quoi cauchemarder aux immigrés turcs pro-étatiques. En substance, on soulignera que l’organisation de l’action collective reposant sur les sentiments ethniques s’avère, dans le cas turc, moins déterminée par les politiques et les pratiques publiques québécoises et canadiennes que par la présence des tensions avec d’autres minorités. Cela étant dit, le fait que le système politique canadien permet la participation politique selon les lignes ethniques et la pratique du lobbying a un effet stimulant sur la compétition interethnique (Nagel, 1986) ainsi que sur les stratégiesdesminoritéspourdéfendreleursintérêts.Ilestclairqueleconflit arméno-turc devient un terrain de lobbying pour les deux groupes qui tentent d’influer les instances décisionnaires en leur faveur. Le rôle d’arbitrage et le pouvoir de reconnaissance du groupe majoritaire pèsent donc indubitablement sur l’orientation des mobilisations ethnopolitiques des minorités et peuvent accentuer tant l’ethnicisation des modes de participation civique que la politisation des processus sociaux ethniques.

Conclusion La mise en représentation d’une communauté est un processus complexe influencé conjointement par des facteurs liés à l’histoire du groupe, à sa trajectoire migratoire, à la place de l’État d’origine sur la scène internationale, ainsi qu’aux conditions socioéconomiques et à la structure desrapportssociauxquiprévalentdanslasociétéd’établissement.Lesfêtes communautaires participent pleinement à ces processus de représentation collective. Ces pratiques festives ou commémoratives célèbrent une identité collective reposant, certes, sur un dénominateur historico-culturel commun, mais dont le contenu ne fait pas l’unanimité au sein du groupe. En effet, celui-ci est interprété différemment selon les époques, les acteurs et les interlocuteurs, et les tensions relatives à sa définition semblent attisées lors des événements hautement investis par le groupe pour diverses raisons. La Fête des enfants constitue donc une de ces pratiques socialement significatives pour la communauté turque de Montréal et se révèle comme un laboratoire d’observation intéressant des multiples enjeux de la représentation collective et des tensions que celle-ci est à même d’engendrer à plusieurs niveaux, soit aux niveaux intracommunautaire, interminoritaire et majoritaire-minoritaire. La transformation de cette fête en une action politique, porteuse de vraie « turcité », se fait, on l’a vu, sous l’influence de l’élite communautaire patriotique, soutenue aussi par l’État turc. Le fait que la préoccupation de combattre les diffamations antiturques, dont l’activisme arménien, soit partagée par un ensemble de représentants communautaires patriotiques dispersés dans l’espace immigré turc génère

141 International Journal of Canadian Studies Revue internationale d’études canadiennes une sphère politique transnationale qui fonctionne surtout grâce aux nouvelles technologies d’information et de communication comme Internet et qui bénéficie également de l’appui matériel et symbolique de l’État turc. De l’examen des enjeux politiques qui se profilent derrière la célébration de la Fête des enfants, il ressort que l’ethnicité turque en milieu montréalais n’est pas la simple expression d’un héritage historico-culturel spécifique et qu’elle répond à un besoin organisationnel et politique dans un environ- nement compétitif, voire conflictuel. Ce constat permet en outre de mettre en évidence une dynamique interethnique peu connue, impliquant une situation de conflit où se confrontent deux récits nationaux antithétiques, deux rapports à l’histoire mutuellement exclusifs, qui sont aussi en compétition pour la reconnaissance du majoritaire. En plus de sa dimension culturelle qui exprime un héritage spécifique, et au-delà de la question de sa transmission aux générations futures, la pratique festive, s’avère donc une stratégie ethnopolitique. L’intérêt de cette analyse axée moins sur le contenu spécifique des pratiques promouvant une identité historico-culturelle spécifique que sur le rapport que les individus entretiennent avec cet héritage et l’interprétation qu’ils en font dans un environnement conflictuel, est de montrer l’imbrication des forces en jeu dans ces processus sociaux ethniques. On retiendra en outre la diversité interne des rapports au passé (histoire, culture,mémoire,etc.)qu’entretiennentlessous-groupesconstitutifsd’une communauté, et l’effet homogénéisant du conflit avec l’extérieur, qui unifie, ne serait-ce que temporairement, ces différents modes de rapport au passé. En dernier lieu, on soulignera que dans l’espace nord-américain, où être turc ne s’accompagne pas d’une discrimination substantielle exercée de la part du groupe majoritaire qui contrôle les principaux leviers de la société, c’est dans les relations avec les minoritaires que semblent se trouver les éléments permettant au groupe de maintenir ses frontières sociales. C’est comme si pour se perpétuer, le groupe ethnique avait besoin d’une interaction compétitive, voire conflictuelle, avec l’exogroupe qui lui permettrait de produire son grief collectif, sa cause, et de s’y fixer.

Notes 1. Nous utilisons les notions de minorité et de majorité dans leur sens sociologique qui est affranchi d’une considération numérique et renvoie à la question du pouvoir (Simon, 1995). Le groupe majoritaire pourrait donc être minoritaire au sens statistique mais le fait qu’il détermine le cadre institutionnel (juridique, politique, économique et culturel) et établit les normes de la société dans son ensemble fait de lui une majorité sociologique. En revanche, les groupes minoritaires sont ceux dont les conditions objectives d’existence, le statut dans la stratification sociale, voire les représentations collectives, dépendent, pour une bonne part, du groupe majoritaire (Guillaumin, 1972). Il importe toutefois

142 La construction politique de l’ethnicité et les enjeux de la représentation de la « communauté » à travers l’étude d’une fête turque à Montréal

d’appréhender ces rapports de pouvoir dissymétriques entre majoritaires et minoritaires non comme une situation de domination inaltérable, mais comme des rapports d’interdépendance inégale dont la teneur et l’amplitude varient selon les époques, les groupes et les acteurs. 2. Le politique réfère ici aux événements ayant trait à la détermination et à la réalisation d’objectifs publics ou à la distribution différentielle du pouvoir et à son utilisation dans les groupes intéressés par ces objectifs (Breton, 1983: 24). 3. Menée dans le cadre d’une recherche doctorale, l’enquête de terrain s’étale sur deux ans et comprend trois volets : entretiens approfondis menés avec 54 primo-migrants (31 hommes, 23 femmes), observation participante et recherche documentaire. Ces trois méthodes d’enquête (entretiens, observation et analyse documentaire) correspondent grosso modo aux trois niveaux d’analyse – macrosocial, microsocial et symbolique – privilégiés dans la thèse : les entretiens ont davantage servi à dégager les représentations collectives des acteurs (niveau symbolique), pendant que les observations ont permis l’examen des relations interpersonnelles et des réseaux de sociabilité (niveau microsocial). Enfin, l’analyse macrosociologique a été effectuée sur un corpus constitué à partir de la recherche documentaire. 4. Le terme diaspora est utilisé dans son acception large et non traditionnelle qui conditionne la dispersion géographique aux persécutions et à l’absence, du moins initiale, d’un territoire national (Rigoni, 1997). 5. Le fait ethnique, tant au niveau de la catégorisation qu’à celui de la formation des communautés sur cette base, ne saurait se résumer aux mouvements migratoires. Schermerhorn (1968) compte parmi les rapports fondateurs des différenciations ethniques autant les mouvements migratoires – incluant la migration forcée et l’esclavagisme – que le colonialisme et l’annexion. On note, dans tous les cas, le caractère inégalitaire des rapports de pouvoir entre les groupes. 6. « A shared sense of peoplehood », un sens collectif d’une humanité distincte, disait Gordon (1964: 24) dans une définition de l’ethnicité qui la rapproche de la nation. Juteau-Lee (1983) ajouterait à cette humanité distincte son aspect inégalitaire, soulignant que l’ethnicité serait davantage l’humanité moindre réservée aux groupes dominés. Notre définition s’inspire aussi d’Isajiw (1974) et de Meintel (1993). Pour la communauté ethnique, nous avons rendu opérationnelle l’approche de Yancey, Ericksen et Juliani (1976) qui la repose sur trois piliers distincts : identitaire, organisationnel et politique. 7. Le fait social étant caractérisé par l’interaction entre le processus et le produit, le sentiment commun qui sert en premier lieu de base à l’action collective se consolide et se cristallise au cours de cette même action (Schnapper, 1998 : 88). Pour le rôle central de l’action collective dans l’émergence du sentiment ethnique, voir Weber, [1922] 1971: 423. 8. Toute migration ne conduit pas toutefois à la subordination du groupe migrant, comme en témoigne le statut dominant des colonisateurs (Lieberson, 1961). 9. L’état des connaissances sur les Turcs dans l’espace nord-américain demeure largement lacunaire (voir, Bilge, 2002). 10. L’État turc, après une période d’indifférence à la fin des années 1950, reconnaît l’émigration comme un fait de société et l’intègre dans ses plans de développement quinquennaux à partir de 1961. Son intérêt demeure toutefois longtemps de nature purement économique. C’est surtout à partir du putsch militaire en 1980 que la population expatriée commence à être considérée d’une perspective politique et, explicitement, comme une force politique par les pouvoirs publics.

143 International Journal of Canadian Studies Revue internationale d’études canadiennes

11. Ce qui représente 90 p. 100 du phénomène migratoire turc au monde qui se chiffre à 4 millions d’individus. 12. L’article 18 de la réforme constitutionnelle de 1961. L’État turc contribue à son insu à cette migration en envoyant les cadres pour formation. Les années 1950 constituent en Turquie une ère de libéralisation politique et économique : l’établissement du régime multipartite en 1946 amène au pouvoir le Parti démocrate, fervent partisan de la privatisation de l’économie et réputé pour son pro-américanisme, comme en témoigne sa devise de développement écono- mique : « transformer l’Asie mineure en Amérique mineure ». Le gouvernement met en place des programmes de formation des cadres aux États-Unis; le Canada s’y trouve inclus un peu comme le prolongement du rêve américain. 13. Pour P.-A. Comeau, alors rédacteur en chef du Devoir, il s’agit d’« un épisode navrant » faisant des Turcs « des héros populaires de certains quartiers de la métropole » et « des acteurs involontaires de certains mini-drames qui jalonnent la chronique » de la fin des années 1980 (Comeau, 1990 : 8). 14. D’autres groupes immigrés sont également traversés par des tensions liées à la différence de cohorte et de classe. Les études mentionnent par exemple l’attitude négative des élites italienne et haïtienne à l’arrivée des compatriotes ruraux. 15. Contrairement aux groupes immigrés établis avant 1960, les Turcs ne disposent pas de réseau institutionnel développé : à Montréal, leur communauté ne possède ni banque, ni école, ni hôpital. On note cependant une diversité associative, certaines s’affichant sous l’enseigne culturelle, d’autre religieuse ou encore économique. Cette faiblesse institutionnelle s’explique en partie par le fait que l’établissement des premiers Turcs coïncide avec le renforcement de l’État québécois et la mise en place de mesures centralisatrices récupérant le pouvoir des communautés. Ce transfert de pouvoir agit considérablement sur l’autonomie des communautés (minoritaires) par rapport à la société, étant donné que l’autonomie est proportionnelle à leur complétude institutionnelle (Breton, 1964). Plus leurs institutions sont diversifiées, plus grands sont leur capacité organisationnelle et leur pouvoir d’intégrer de nouveaux migrants. 16. Le patriotisme exacerbé de l’élite immigrée semble receler une certaine mauvaise conscience du fait d’avoir émigré au lieu de servir la société d’origine où ils ont été formés à grands frais. Le discours et éventuellement la mobilisation patriotique contre les lobbies antiturcs pourraient être un moyen de la sublimer. Des recherches ciblées, menées sur des échantillons homogènes, sont nécessaires pour vérifier cette hypothèse. 17. On citera ces organisations fédératrices : l’ATAA, Assembly of Turkish- American Associations, est fondée en 1979 et regroupe 54 associations turco- américaines (y compris certaines associations turcophones : azéris, turkmènes, karaçay, etc.). Siégeant stratégiquement à Washington, D.C., elle agit comme un groupe d’intérêt et entreprend des activités de lobbying, en veillant notamment à la participation des bases (grassroots) et à la fondation de coalitions stratégiques. La FTAA, Federation of Turkish-American Associations, est fondée en 1956 à New York et regroupe plus de 40 associations turques et turcophones à travers les États-Unis. Elle est responsable du plus grand événement des Turcs en diaspora : il s’agit du Festival culturel turc qui se tient au mois de mai à New York. Cette année la 22e parade annuelle turco-américaine qui constitue le point culminant de ce festival a eu lieu un samedi, le 17 mai 2003, et a débuté comme les autres années du cœur de Manhattan (56th street, Madison avenue). Finalement la FCTA, Federation of Canadian-Turkish Association, est fondée en 1985 à Toronto et chapeaute 19 organisations turques implantées dans 4 provinces

144 La construction politique de l’ethnicité et les enjeux de la représentation de la « communauté » à travers l’étude d’une fête turque à Montréal

canadiennes, dont l’association Turquébec de Montréal évoquée dans cet article. L’État turc accorde beaucoup d’importance à la représentation unifiée de l’espace immigré turc, qu’il espère voir s’organiser en un lobby transnational défendant ses intérêts. La formation en 1992 d’une superstructure, World Turkish Congress, à New York témoigne de ces efforts. . 18. S. Çinar, président de la Island Turkish Canadian Friendship Society, à Victoria, C.-B. Propos parus dans Merhaba, été 2000. Les discours des leaders montréalais rencontrés en entrevue traduisaient le même engagement pour représenter au mieux la nation et la patrie à l’étranger. 19. Une stratégie importante adoptée par les organisations immigrées pro-étatiques sur cette question est la publication et la diffusion des pamphlets politiques soutenant la thèse officielle de l’État turc. L’ATAA a ainsi publié en 1982 et en 1987 deux opuscules : Setting the Record Straight: On Armenian Propaganda Against Turkey et Armenian Allegations Myth and Reality. En 1987, la FCTA a publié un opuscule intitulé Armenian Issue. La dernière publication de la FCTA, parue en avril 2000 à Toronto, porte également sur la question arménienne : Perpetuating the Genocide Myth. Armenian Forgeries and Falsifications.Il convient de mentionner un ouvrage publié en avril 2002 d’un auteur américain, Sam Wees, pour lequel les organisations turques, notamment le Turkish Forum qui s’opère sur Internet (www.turkishforum.com) ont mené d’intenses campagnes publicitaires. La publication de ce livre à l’intitulé racoleur, Armenia: the Great Deception. Secrets of a “Christian” Terrorist State, a suscité beaucoup d’animosité du côté arménien. En 2002, le Turkish Forum diffusait régulièrement des extraits de ce livre dans son bulletin électronique et offrait la possibilité d’acheter un exemplaire signé par l’auteur sur son site Internet. 20. Chacune de ces fêtes représente une étape de l’historiographie nationale turque : la Fête des enfants (23 avril) commémore la déclaration de la souveraineté nationale et la fondation de l’Assemblée nationale, la Fête de la jeunesse (19 mai) marque le début de la Guerre de libération, et celle de la République (29 octobre), la proclamation de la république. Une autre date importante est le 10 novembre qui commémore la mort d’Atatürk, fondateur de la Turquie moderne. 21. Notons qu’à New York les immigrés turcs organisent depuis 1982 un événement pour marquer cette période et qui a été reconnu par les autorités municipales comme le Festival culturel turc. Certains Turcs de Montréal (association, troupe folklorique), à l’instar d’autres délégations de la diaspora ou de Turquie, se rendent à New York pour participer à ce festival dont l’activité majeure est la parade annuelle sus-mentionnée (voir, la note 17). 22. Le responsable artistique de ce spectacle (un instructeur de danse) est sollicité par les autres associations turques : en 1997, il avait dirigé à la fois la troupe de Turquébec à Montréal et celle d’une association turque à Ottawa. 23. Voir l’article apparu dans un grand quotidien national : Dogan Uluç, Hürriyet, 21.04.2002. 24. E. Buyukataman, Président de la Fédération des associations turco-américaines (FTAA), Turkish Forum, avril 2002. 25. C. Toprak, Yeni Vatan, 23.04.2002. 26. Turkish Forum Newsletter, janvier 2001. 27. L’ensemble de ces stratégies collectives constitue la cause arménienne qui renvoie à une revendication politique poursuivant un double objectif : obtenir la reconnaissance, par le gouvernement turc, du génocide des Arméniens et une réparation territoriale et monétaire pour les torts causés. L’importance attribuée à

145 International Journal of Canadian Studies Revue internationale d’études canadiennes

la demande territoriale varie en fonction des affiliations politiques et s’avère plus ancrée dans la diaspora qu’en Arménie (Libaridian, 1991). Cette revendication territoriale porte atteinte au principe fondateur de la république turque, soit l’intégrité territoriale et le caractère unitaire et indivisible de l’État, d’où la virulence des réactions qu’elle suscite. Copeaux (1997) rappelle que toute la politique extérieure turque est formulée selon ce principe jacobin. 28. L’action patriotique émigrée est soutenue matériellement ou symboliquement par l’État, comme en témoigne la distinction officielle reçue par un leader communautaire de Montréal. Cofondateur de la première association turque de Montréal, ce leader a reçu en mai 2002 une médaille de reconnaissance décernée par le ministère turc des affaires étrangères « pour ses valeureux services à l’État et à la communauté turque locale ». Il est le premier Turco-canadien à recevoir cet honneur, qui lui a été remis lors d’une cérémonie officielle à Montréal à laquelle ont participé l’ambassadeur de Turquie à Ottawa, ainsi que les notables de la communauté. L’ambassadeur a loué cette personnalité comme un « défenseur des intérêts de la Turquie » et « une personne qui contribue à sa communauté ». 29. « Tulipes turques et génocide arménien font mauvais ménage dans la métro- pole », La Presse, 12 août 1997. Voir aussi, « Les Arméniens veulent leur monument et s’impatientent », Le Journal de Montréal, 30 octobre 1996; « Armenian holocaust memorial okayed, but proponents furious that monument won’t mention number of people killed », The Montreal Gazette, 24 octobre 1997 : A3 ; « Les Arméniens de Montréal crient enfin victoire », La Presse,24 avril 1998. 30. Yaman Bölük, Orhan Ketene et Halit Sözen, « Les Turcs de Montréal indignés et attristés : “Vivons ensemble en paix et en harmonie au Canada” », La Presse, 26.04.1996 : B3. Respectivement, les trois co-signataires étaient alors les présidents de Turquébec, de l’Association culturelle turque du Québec et de la Communauté islamique turque du Québec. 31. G. Basmadjian, Président du Comité national arménien du Canada, Gamk/ Horizon, 13 mars 1996. 32. On reconnaîtra l’influence des approches instrumentalistes (le choix rationnel, par exemple) dans cette interprétation mettant en relief le rôle incitatif joué par certaines structures politiques et institutionnelles d’une société dans le choix par les groupes minoritaires de l’ethnicité comme une base pour la mobilisation collective. L’ethnicité devient ainsi la base de l’organisation collective lorsqu’un tel choix offre un avantage social, politique ou économique.

Bibliographie Barth, Fredrik, 1969. « Introduction », in F. Barth (éd.), Ethnic Groups and Boundaries: the Social Organization of Cultural Difference, Boston: Little- Brown, 9-38. Bilge, Sirma, 2002. Communalisations ethniques post-migratoires : le cas des « Turcs » de Montréal, Thèse de doctorat, Sorbonne Nouvelle, 671 p. (À paraître aux Presses de l’université Paris III.) Bozarslan, Hamit, 1992. « État, religion, politique dans l’immigration », Peuples méditerranéens, (60) : 115-33. Breton, Raymond, 1983. « Communauté ethnique, communauté politique », Sociologie et Sociétés, XV(2) : 23-37. ___ 1964. « Institutional Completeness of Ethnic Communities and the Personal Relations to Immigrants », American Journal of Sociology, (70) : 193-205. Cohen, A., 1982. « A Polyethnic London Carnival as a Contested Cultural Performance », Ethnic and Racial Studies, 5(1) : 23-41.

146 La construction politique de l’ethnicité et les enjeux de la représentation de la « communauté » à travers l’étude d’une fête turque à Montréal

Comeau, Paul-André, 1990. « Préface » in J. Langlais, P. Laplante et J. Levy, Le Québec de demain et les communautés culturelles, Montréal : Éditions du Méridien. Copeaux, Étienne, 1997. Espaces et temps de la nation turque : analyse d’une historiographie nationaliste, 1931-1993, Paris : CNRS. Fortier Anne-Marie, 2000. Migrant Belongings. Memory, Space and Identity, Oxford/New York: Berg. Gordon, Milton, 1964. Assimilation in American Life. The Role of Race, Religion and National Origins. New York : Oxford UP. Guillaumin, Colette, 1972, « La catégorisation », Idéologie raciste. Genèse et langage actuel, Paris : Mouton, 1972 : 161-184. Halman, Talat, 1980. « Turks », in S. Thernstrom (éd.), Harvard Encyclopedia of American Ethnic Groups. Cambridge, Ma. : The Belknap Press of Harvard University Press, 992-96. Hilly Marie-Antoinette et Deirdre Meintel, 2000. « Célébrer la “communauté” », Éditorial. REMI, (16) : 7-8. Hovanessian, Martine, 1995. Le lien communautaire : trois générations d’Arméniens. Paris : Armand-Colin. Isajiw, W. Wselovolod, 1974. « Definitions of Ethnicity », Ethnicity (1) : 111-124. Juteau-Lee, Danielle, 1983. « La production de l’ethnicité, la part réelle de l’idéel », Sociologie et Sociétés, 15(2) : 39-54. ___ 1979. « La sociologie des frontières ethniques en devenir », in Juteau-Lee (éd.), Frontières ethniques en devenir, vol. 7, Ottawa : Les Éditions de l’Université d’Ottawa : 3-18. Labelle Micheline, et al., 1983. « Émigration et immigration : les Haïtiens au Québec », Sociologie et sociétés, 15.2 : 73-89. Leblanc, Gérard, 1987. « Anciens et nouveaux Turcs », La Presse, 20 février 1987 : A5. Libaridian, Girair, 1991. Armenia at the Crossroads, Watertown, Mass. : Blue Crane Books. Lieberson, Stanley, 1961. « A Societal Theory of Race and Ethnic Relations », American Sociological Review, 26 : 902-910. Meintel, Deirdre, 1993. « Introduction : nouvelles approches constructivistes de l’ethnicité », Culture, XIII (2) : 10-16. Nagel, Joane, 1986. « The Political Construction of Ethnicity », in S. Olzak et J. Nagel (éds.), Competitive Ethnic Relations, Orlando : Academic Press : 93-112. Ribart, F., 1999. Le carnaval noir de Bahia. Ethnicité, identité, fête afro à Salvador, Paris : L’Harmattan. Rigoni, Isabelle, 1997. « Les migrants de Turquie : réseaux ou diaspora? », L’Homme et la Société (125) : 39-57. Schermerhorn, Richard, 1968. « Les relations interethniques, un essai de typologie (1) », Cahiers internationaux de sociologie, vol. XLIV : 145-156. Schnapper, Dominique, 1998. La relation à l’autre, au cœur de la pensée sociologique, Paris : Gallimard. Simon, Pierre-Jean, 1995. « Minorité », Pluriel-recherches. Vocabulaire historique et critique des relations interethniques, (3) : 50-61. Smith, Anthony, 1986. « Conflict and Collective Identity: Class, Ethnie, and Nation », in E. Azar et J. Burton (éds.), The Theory and Practice of International Conflict Resolution, Brighton : Wheatsheaf : 63-84. ___ 1981. « War and Ethnicity: The Role of Warfare in the Formation, Self-Image and Cohesion of Ethnic Communities », Ethnic and Racial Studies, 4(4) : 375-397. Weber, Max, [1921-1922] 1971. Économie et Société, tome 2, Paris : Plon Pocket- Agora. Werbner, Pnina, 1998. « Diasporan Political Imaginaries: A Sphere of Freedom or a Sphere of Illusion », Communal/Plural, 6(1) : 11-31. Wirth, Louis, 1980 [1928]. Le Ghetto, Presses universitaires de Grenoble, Coll. Champ urbain. Yancey, William L., Eugene P. Ericksen, et Richard N. Juliani, 1976. « Emergent Ethnicity: A Review and Reformulation », American Sociological Review, (41) : 391-403.

147

Claire Poitras

La nouvelle économie à la rescousse des métropoles industrielles. Analyse comparée des stratégies publiques à Montréal et à Glasgow1

Résumé En tant que grandes villes industrielles, Montréal et Glasgow ont connu d’importantes difficultés de reconversion économique depuis les années 1960. Au cours des 20 dernières années, les acteurs économiques et politiques des deux métropoles ont élaboré des stratégies de relance afin d’appuyer de nouveaux secteurs économiques en émergence, notamment les secteurs des services, de la culture et des nouvelles technologies de l’information et des communications. À partir d’une analyse des moyens promotionnels et des actions entreprises par les acteurs publics – souvent en partenariat avec les acteurs privés –, nous dégageons les processus par lesquels les acteurs publics ont réussi à changer l’image de ces villes industrielles en déclin contre celle de villes post-industrielles qui bénéficient d’une riche vie culturelle et d’une économie dynamique.

Abstract Since the 1960s, as large industrial cities, Montréal and Glasgow have been confronted with the challenges of economic restructuring. In the last twenty years or so, economic and political actors of both cities have implemented regeneration strategies aimed at facilitating the shift from a manufacturing- based economy to an economy based on services, cultural activities, and new information and communication technologies. This paper does a comparative analysis of marketing strategies and actions undertaken by public actors– sometimes in partnership with private-sector actors–and highlights the process by which these public actors have managed to change the image of declining industrial cities to one of dynamic post-industrial cities with a thriving cultural life and vibrant economy.

La restructuration des économies urbaines préoccupe aussi bien les gouvernements que les entreprises privées. Depuis la seconde moitié des années 1990, la plupart des villes tentent de se positionner parmi le peloton de tête des agglomérations où se déploie la nouvelle économie. Selon certains observateurs de la scène urbaine, la présence d’entreprises de haute technologie serait favorable à la relance des villes et, en particulier, des quartiers péri-centraux (Kotkin, 2000, p. 20; Wolfe, 1999). Il en va de même des activités et équipements culturels et autres installations récréatives qui sont désormais considérés comme des générateurs du

International Journal of Canadian Studies / Revue internationale d’études canadiennes 27, Spring / Printemps 2003 International Journal of Canadian Studies Revue internationale d’études canadiennes développement urbain (Clark, Lloyd, Wong et Jain, 2002). D’après plusieurs chercheurs, nous vivons résolument à une époque où la créativité et la culture sont des facteurs de développement (Clark, 2001; Florida, 2002;Landry,2000;Saint-Pierre,2002;VerwijnenetLehtovuori,1999). Notre définition de la nouvelle économie inclut les domaines qui produisent ou utilisent de façon intensive les nouvelles technologies et en particulier les technologies de l’information et de la communication. À cet égard, elle rejoint celle proposée par Castells et Hall (1994) selon lesquels les modes de production ont été transformés par les nouvelles technologies de l’information et de la communication, favorisant de ce fait le redéploiement des activités économiques dans l’espace métropolitain. Selon Clarke et Gaile, la nouvelle géographie résultant de la valeur ajoutée que procurent les technologies avancées reposerait d’abord et avant tout sur le capital humain et non plus sur les facteurs de localisation traditionnels (proximité des ressources, faible coût de la main-d’œuvre, etc.). En ce sens, le capital humain serait au cœur de la globalisation, ce qui s’explique, d’un côté, par la croissance du secteur tertiaire et le déclin de la production manufacturière et, de l’autre, par l’émergence de l’industrie du savoir et le rôle accru des technologies de l’information dans l’économie (Clarke et Gaile, 1998, p. 6). Certes, l’apport des technologies de l’infor- mation et de la communication est fondamental dans la mise en forme de la nouvelle économie, mais cette dernière comprend également les secteurs de la culture, des arts, du tourisme et du divertissement qui occupent désormais une place de choix dans le développement économique des villes (McNeil et While, 2001, p. 298). Les investissements récents dans ces secteurs constituent sans doute les preuves les plus tangibles que les villes ne sont plus des machines à produire; elles ont été transformées en machines à se divertir et en temples de la consommation symbolique (Baudrillard, 1970). Dans ce contexte, certains facteurs, qui étaient auparavant considérés comme essentiels à l’essor d’un milieu, deviennent désormais désuets. Comment des villes dont le développement s’est largement appuyé sur l’économie industrielle dans le passé peuvent-elles de nos jours renouveler leur position dans la hiérarchie urbaine? Dans cet article, nous nous intéressons à deux grandes villes industrielles qui ont dû faire face à la désindustrialisation, Montréal au Canada et Glasgow en Écosse. L’accent est mis sur les interventions des pouvoirs publics. Spécifiquement, nous nous concentrons sur un ingrédient de la stratégie de reconversion portant surlatransformationdel’imagedelaville.Àl’èredelamondialisationetde la compétitivité accrue entre les villes pour attirer des entreprises, notamment dans les secteurs de la nouvelle économie, cette stratégie consiste à afficher clairement la position privilégiée de certaines villes dans le domaine. Quelles stratégies les pouvoirs publics de Montréal et de Glasgow ont-ils retenues pour les inscrire dans le palmarès des villes qui appartiennent résolument au XXIe siècle? D’entrée de jeu, il faut

150 La nouvelle économie à la rescousse des métropoles industrielles. Analyse comparée des stratégies publiques à Montréal et à Glasgow mentionner que les stratégies publiques récentes font écho à des approches et à des initiatives mises en œuvre au début des années 1980. Quels ont été les effets du déploiement de la nouvelle économie au cours des dernières décennies sur les stratégies de développement économique des villes? Comment deux villes comme Montréal et Glasgow, dont l’histoire a été marquée par l’omniprésence du secteur secondaire, ont-elles réussi à prendre le virage de la tertiarisation et de l’économie du savoir? Notre objectif est de faire une analyse comparative des stratégies employées par les acteurs publics, notamment les gouvernements supérieurs et les gouvernements locaux, pour faciliter la réinsertion contemporaine de Montréal et de Glasgow dans les nouveaux espaces de la nouvelle économie. De manière spécifique, à partir d’une analyse des moyens promotionnels et des actions entreprises par les acteurs publics depuis le début des années 1980 – souvent en partenariat avec les acteurs privés–,nouscherchonsàdégagerlesprocessusparlesquelscesacteursont réussi à changer l’image de ces villes industrielles en déclin contre celle de villes post-industrielles qui bénéficient d’une riche vie culturelle et d’une économie dynamique. À cet égard, la transformation du cadre physique de la ville au moyen de projets de réaménagement urbain est au cœur de cette approche. Ce texte est divisé en deux parties. Dans un premier temps, nous présentons les conditions d’émergence des stratégies de revitalisation à l’aide d’une synthèse des changements économiques et démographiques survenus aux lendemains de la Seconde Guerre mondiale dans les deux villes. Dans un deuxième temps, nous nous attardons aux pratiques de revitalisation à l’œuvre dans les deux métropoles à partir d’une série d’exemples de projets d’aménagement urbain. Pour conclure, nous effectuons un bref bilan de la portée des interventions sur le développement récent des deux villes.

Des métropoles contestées En tant que grandes villes industrielles, Montréal et Glasgow ont connu d’importantes difficultés de reconversion économique depuis les années 1960.Aumomentdeleurapogée,cesdeuxvillesontétélemoteurindustriel d’un vaste territoire. Après avoir joué le rôle de métropole industrielle à partir de 1850 et ce, jusqu’aux lendemains de la Seconde Guerre mondiale, les deux agglomérations ont vu leur base économique manufacturière s’effondrer, entraînant des pertes massives d’emplois. Aux prises avec un passé industriel lourd de conséquences et ce, tant sur le plan social que sur celui de la dynamique spatiale – un taux de chômage élevé, une population sous-scolarisée, des terrains contaminés par d’intenses activités indus- trielles et des espaces abandonnés à proximité du centre de la ville – les autorités publiques et les citoyens de Glasgow et de Montréal ont dû revoir leur vision du développement urbain, à la lumière d’importants changements économiques.

151 International Journal of Canadian Studies Revue internationale d’études canadiennes

Montréal en quête de fierté AprèsavoirétélamétropoleduCanada,Montréaldétient,depuislesannées 1960, le rôle de métropole du Québec (Linteau, 1992, p. 443). À partir du début des années 1970, plusieurs observateurs de la scène économique locale n’hésitent pas à parler du déclin de Montréal2 en raison du déplacement des activités économiques vers l’ouest et en particulier vers la région de Toronto. Par ailleurs, au début des années 1970, les acteurs locaux sont lents à saisir l’ampleur de la tâche qui les attend. Il faut dire qu’entre le milieu des années 1960 et des années 1970, plusieurs grands projets initiés par le maire Jean Drapeau, notamment l’Exposition universelle de 1967 et les Jeux Olympiques, créent un faux sentiment de confort. Or, la fin des années 1970 est marquée par une prise de conscience du rétrécissement de l’empire économique montréalais, voire le processus de « provinciali- sation » de son économie, la perte des sièges sociaux, le taux de chômage élevé, en particulier par rapport à Toronto, la fuite d’une bonne partie de l’élite anglophone, le déclin démographique de la ville-centre au profit de la banlieue, de même qu’une reconversion économique difficile en raison du poids de certains secteurs industriels dans l’économie, comme le textile et le vêtement. Au cours des trente dernières années, l’économie montréalaise a fait l’objet d’un nombre impressionnant d’études, de commissions et de sommets socio-économiques. Que peut-on dégager, d’une manière synthétique, de ces différentes analyses? Avec le recul, des économistes ont souligné que le déclin de Montréal a été somme toute relatif puisque, depuis le début des années 1960, d’une part, le niveau de vie des Montréalais s’est amélioré et, d’autre part, le nombre d’emplois a connu un accroissement significatif (Coffey et Polèse, 1993, p. 419). Certes, le déclin a touché certains secteurs économiques, notamment le secteur secondaire. Du coup, il a fragilisé des quartiers centraux (par exemple le Centre-Sud et le Sud-Ouest) et des populations spécifiques qui dépendaient largement des activités et des emplois manufacturiers. Cependant, à l’échelle de l’agglomération,lacroissanceéconomiques’estmaintenue.Autrementdit, le déclin industriel a d’abord et avant tout touché la ville de Montréal, et non l’ensemble de la région, comme on peut le voir au tableau 1. Sur le territoire métropolitain, l’emploi n’a cessé de croître. En ce qui a trait aux changements survenus sur le plan de la structure de l’emploi dans la région métropolitaine, on constate rétrospectivement que le tableau n’est pas complètement sombre. Ainsi, entre 1971 et 1991, le nombre d’emplois dans le secteur secondaire a continué de croître dans la région métropolitaine – avec un certain repli entre 1981 et 1991 – et les emplois reliés au secteur tertiaire ont connu une expansion substantielle. En fait, les principaux éléments qui ont contribué au soi-disant déclin de Montréal sont la perte massive d’emplois dans le secteur traditionnel du vêtement et la relocalisation des emplois industriels à l’extérieur des limites de la ville-centre.

152 La nouvelle économie à la rescousse des métropoles industrielles. Analyse comparée des stratégies publiques à Montréal et à Glasgow

Leconceptderetournementspatialaétéproposépourmettreenévidence les changements intra-métropolitains qui sont survenus en trente ans eu égard au processus de relocalisation des emplois manufacturiers : « Les vieux quartiers se sont vidés en l’espace d’une génération, tournant à la friche, au repoussoir, à la zone d’évitement, tandis que s’épanouissaient de nouveaux espaces industriels autour de parcs d’activités suburbains » (Manzagol, 1998, p. 128). Parallèlement à ce déclin, des emplois manufacturiers ont été créés dans des secteurs associés aux nouvelles technologies comme l’aéronautique, la biopharmaceutique et les télécom- munications.

Tableau 1

Changements à la structure de l’emploi dans la région métropolitaine de Montréal, 1971-1991 1971 1981 1991 Secondaire 283 300 320 889 310 312 Tertiaire 593 900 876 500 1 037 500 Total 877 200 1 197 389 1 347 812 Source : Statistique Canada.

Auplandémographique,entre1961et1991,undestraitsmarquantss’est révélé la diminution du poids relatif de la population de la ville-centre à l’intérieur de la région métropolitaine, qui est passé de 56 p. 100 à 31 p. 100 (tableau 2). La contraction de la population habitant dans la ville de Montréal a été considérable – bien qu’elle se soit stabilisée depuis le début des années 19903 – mais la grande région de Montréal a connu un essor démographique sans précédent. Compte tenu des changements économiques et démographiques qui affligeaient la ville-centre, à la fin des années 1980, un climat généralisé de morosité régnait sur la métropole québécoise. Malgré un portrait peint à grands traits foncés, quelques zones de lumière apparaissaient au tableau. Ainsi, plusieurs rapports ou études identifiaient certains secteurs promet- teurs, notamment l’aéronautique, les biotechnologies, les transports et les télécommunications pour lesquels le grand Montréal disposait de bases solides4. De plus, certaines caractéristiques clés comme sa position géogra- phique enviable, le coût de la vie modéré et le biculturalisme sont constamment mises de l’avant pour faire la promotion de Montréal. Ainsi, à partir des années 1980, différents acteurs publics et privés se sont efforcés de vendre les atouts de Montréal aux investisseurs étrangers ou aux entreprises canadiennes qui opteraient pour Toronto, sa principale rivale.

153 International Journal of Canadian Studies Revue internationale d’études canadiennes

Tableau 2

Population de la ville de Montréal et de la région métropolitaine de Montréal, 1961-1991 1961 1971 1981 1991 Ville de Montréal 1 191 062 1 214 352 980 354 1 017 665

Région métropolitaine 2 109 506 2 743 208 2 828 348 3 290 792

Pourcentage de la population de la ville-centre par rapport à la région 56 44 35 31

Source : Statistique Canada.

En raison des problèmes particuliers qui affectaient la ville-centre dans les années 1980, les politiciens locaux se sont engagés dans une démarche de promotion visant à redonner à Montréal ses lettres de noblesse. Comme tel, Montréal n’a pas fait l’objet d’une campagne destinée à lui donner une nouvelle image. En effet, il est rare de retrouver, dans les villes nord- américaines, une approche de type marketing urbain ou branding telle qu’employée par les acteurs locaux européens depuis les années 1980 (Ashworth, 1990). Il n’en reste pas moins qu’en dépit de la venue de grands événements, au cours des années 1960 et 1970, les images de Montréal projetées dans les médias n’étaient pas toutes très reluisantes. Ainsi, en 1975, le président du Bureau de recherche et de développement économique de Montréal soulignait le fait que les autorités publiques se préoccupaient peu de la qualité de vie, un facteur clé de la rétention des ménages et des entreprises : Ville vivant d’une politique de grandeur depuis une décennie, on a laissédétériorerletissuurbain.Eneffet,c’estpar15000personnes par année que la population fuit une des villes les plus polluées du pays. Polluée par l’air, le bruit, le sol, l’eau, Montréal est un pauvre spectacle où l’on constate que les efforts sont orientés vers un seul endroit : les Jeux olympiques. (…) Montréal est une ville où l’on travaille et où l’on s’amuse mais où l’on ne veut plus vivre. (Déry, 1975, p. 138) Les campagnes de publicité qui ont été élaborées dans l’histoire récente de la métropole s’adressaient avant toute chose aux Montréalais. Ainsi, un premier slogan fut adopté par l’administration Drapeau en 1983, « La fierté a une ville : Montréal ». Cette campagne municipale cherchait à redonner confiance aux Montréalais et à réactiver leur fierté en rehaussant l’image de la ville et de son administration, tout en les persuadant qu’ils avaient fait le

154 La nouvelle économie à la rescousse des métropoles industrielles. Analyse comparée des stratégies publiques à Montréal et à Glasgow bon choix en habitant Montréal. Quelques années plus tard, en raison des difficultés économiques vécues par un nombre accru d’individus, il est clair que l’adoption d’une telle vision était nettement insuffisante pour convaincre les Montréalais du bien-fondé de leur choix : Montréal tombe en ruines. Promenez-vous rue Sainte-Catherine, vous en apprendrez plus sur la métropole québécoise que dans le plus percutant des rapports. Un magasin sur dix est vide (27 % des locaux commerciaux de Montréal sont vacants!) et les com- merçants, surtaxés, crient famine. L’entretien des chaussées et des trottoirs est négligé et un itinérant vous aborde tous les 3 mètres. Pourtant, jamais ville n’aura été aussi auscultée, étudiée, consultée. Le diagnostic peut être résumé en deux mots : pauvreté et chômage. (Duhamel, 1992, p. 28) Pour faire face aux problèmes d’image dont souffre Montréal et qui a fait fuir la population et les entreprises vers les villes de banlieue, en 1996, l’administration du maire Pierre Bourque récidive avec la campagne de publicité « Montréal, c’est toi ma ville ». Le but avoué du maire est alors de mobiliser la population pour la relance de Montréal. En raison des difficultés économiques et sociales que vit la population montréalaise, les médias réagissent vivement à cette campagne qualifiée de « jovialiste ». Selon eux et des experts en relations publiques, l’image qui est donnée de la ville est totalement fausse et cherche à camoufler ses vrais problèmes : Cette campagne, c’est en fait un hiatus. Un hiatus entre la réalité, la brutale réalité que nous enseignent les faits, et la représentation que devraient s’en faire les Montréalais. C’est un détour de sens. Dans son dernier bulletin complet concernant le chômage, Statistique Canada rappelle que le rapport emploi/population à Montréal est le plus faible des grandes villes canadiennes. Il est de 56,9 % contre 58,7 % pour Québec, 61 % pour Toronto, 69,6 % pour Calgary, etc... [sic] Or, cela, le commun des mortels le sait comme il sait que le taux d’inoccupation des logements est très élevé, que les revenus sont proportionnellement plus bas qu’ils ne l’étaient il y a une dizaine d’années et que les nids de poule s’y comptent par centaines. (Truffaut, 1996, p. A1) À partir de 1997, la représentation de Montréal dans les médias commence à changer. On ne peut certainement pas attribuer cette évolution au succès des campagnes de promotion auprès des Montréalais. En fait, les nombreuses initiatives publiques et privées s’appuyant sur les forces de la métropole québécoise – le support au développement des industries de l’aéronautique et de l’aérospatiale, des biotechnologies et de la pharma- ceutique, la stratégie d’internationalisation de la ville – commençaient à porter fruit. Dorénavant consacré capitale économique et culturelle du Québec, Montréal projetait l’image d’une ville énergique et innovante. Mentionnons aussi l’apport de grands événements comme le Festival international de jazz de Montréal depuis 1978 et les Floralies interna-

155 International Journal of Canadian Studies Revue internationale d’études canadiennes tionales de Montréal tenues en 1980. De plus, comme nous le verrons plus tard, un certain nombre de projets d’aménagement promus par les acteurs publics sont élaborés pour transformer son visage de métropole industrielle en déclin. Tant et si bien qu’en 2002, lors d’un symposium organisé par la Chambre de commerce de Montréal, un ancien président de la Chambre de commerce énonce avec confiance que la situation s’est complètement transformée : La morosité et le misérabilisme des années 80 et du début des années 90 ont cédé la place à un dynamisme et à un renouveau qui ont permis de créer une masse critique dans des secteurs de pointe comme la haute technologie, les industries culturelles, les activités internationales et le tourisme. (Roy, 2002, p. 4) Le développement de Montréal baigne désormais dans un optimisme renouvelé, et les acteurs voient dans plusieurs programmes et projets l’explication de cette réussite.

Glasgow en quête de notoriété Deux éléments majeurs se dégagent d’un portrait des principaux change- ments économiques et démographiques qui ont marqué l’agglomération de Glasgow depuis les années 1960. Le premier concerne l’écroulement du secteur secondaire au profit du secteur tertiaire (tableau 3). Le second est l’important déclin démographique de la ville-centre et de la conurbation (tableau 4).

Tableau 3

Changements à la structure de l’emploi dans la conurbation* de Glasgow, 1971-1991 1971 1981 1991 Secondaire 306 531 188 534 121 000 Tertiaire 405 029 430 032 452 000 Total 711 560 618 566 573 000 Source : Gomez, 1998, p. 108. * Le territoire couvert par ce tableau est plus petit que celui de la région de Strathclyde; il comprend la ville-centre et cinq municipalités environnantes.

Dès les années 1950, l’économie de la région urbaine connaît d’importants changements. Les secteurs industriels traditionnels qui ont fait la renommée de Glasgow – houille, aciéries, construction navale, chimie, matériel de forage – se sont effondrés (Lever et Mather, 1986). De plus, à l’instar de ce qui se produit dans la région de Montréal, les entreprises de production industrielle préfèrent s’établir dans des zones

156 La nouvelle économie à la rescousse des métropoles industrielles. Analyse comparée des stratégies publiques à Montréal et à Glasgow périphériques(villesnouvellesouespacesnonurbanisés)etce,mêmesides sitesindustrielssontdisponiblesdanslaville-centre(Maver,2000,p.218).

Tableau 4

Population de la ville de Glasgow et de la conurbation de Glasgow, 1961-1991 1961 1971 1981 1991 Ville de Glasgow 1 055 017 897 485 774 068 688 600

Conurbation (Strathclyde 2 583 991 2 573 544 2 404 155 2 184 380 Region)

Pourcentage de la population de la ville-centre par rapport à la région 41 35 32 32

Source : UK Census of Population

Le principal trait marquant de la période est le virage tertiaire pris par l’économie. Par contre, en dépit de la croissance de nouveaux secteurs comme celui des services, la perte des emplois manufacturiers est massive. Entre 1971 et 1991, les emplois du secteur secondaire diminuent. Ils passent de 306 531 à 121 000 (voir le tableau 3). Dès lors, le taux de chômage demeure élevé chez les anciens travailleurs des chantiers navals. Même en tenant compte de la croissance du secteur tertiaire à partir des années 1970, le déclin des emplois dans la région de Glasgow est absolu et non pas relatif. C’est pourquoi cette agglomération est affectée par des problèmes de chômage chronique. La conurbation de Glasgow se démarque par rapport à Montréal, où le déclin démographique de la ville-centre s’est accompagné d’un exode massif vers la banlieue, puisque tant la ville-centre que les espaces périphériques ont fait l’objet d’une baisse démographique absolue. Ainsi, entre 1971 et 1991, la conurbation de Glasgow a perdu 15 p. 100 de sa population. Le déclin démographique a particulièrement touché la ville- centrequiaperduplusde35p.100desapopulationentre1961et1991etce, même si quelques quartiers, notamment la Merchant City5 et le West End ont vu leur population sensiblement augmenter entre 1981 et 1991. La déconcentration démographique a été partiellement engendrée par les programmes de démolition des logements décrépis et par la politique de colonisation des villes nouvelles dans les années 1960 et 1970 (Keating, 1988, p. 19). Mais le trait le plus marquant est le départ volontaire de nombreux ménages (Baily, Turok, Docherty et al., 1999, p. 49). En 1973, le West Central Scotland Plan réalisé par le gouvernement écossais reconnaît l’ampleur des pertes d’emplois (Robertson, 1998, p. 55).

157 International Journal of Canadian Studies Revue internationale d’études canadiennes

L’initiative de revitalisation urbaine Glasgow Eastern Area Renewal Project (GEAR) découle du constat présenté dans le plan régional, et son principal objectif est de revitaliser les quartiers affectés par la perte d’emplois industriels (Boyle, 1993). À partir de ce moment, les acteurs locaux, appuyés par la nouvelle agence de développement relevant du palier supérieur du gouvernement, la Scottish Development Agency créée en 1975 (qui devient en 1990 la Scottish Enterprise), entament une campagne de promotion qui mise sur la réinvention de la ville (Maver, 2000, p. 220). Les 30 dernières années de l’histoire de Glasgow ont été marquées par une stratégie de « réinvention de la ville » basée sur la culture et les services, rompant avec son passé industriel. Selon plusieurs chercheurs, les principales images accolées à la ville étaient celles d’une métropole violente, aux prises avec de graves problèmes sociaux (pauvreté, violence, militantisme ouvrier radical, vastes zones polluées, chômage de longue durée, alcoolisme) et une économie périclitante (Keating, 1988, p. 174). Dans les termes d’un observateur de la scène urbaine, l’image projetée par Glasgow était sombre : « Glasgow was seen as the City of mean streets and mean people, razor gangs, the Gorbals slums of smoke, grime, and fog, of drunks, impenetrable accents and communists. » (Taylor, 1990, p. 2, cité par Boyle et Hughes, 1991, p. 220). En réaction au processus de désindustrialisation, les pouvoirs publics supérieurs et locaux ont élaboré des stratégies qui visaient à attirer des investissements pour revitaliser la ville. Un élément clé de la stratégie des acteurs locaux était la campagne de marketing destinée à convaincre les gens que Glasgow était autre chose qu’une ville industrielle en déclin. À défaut de réussir à transformer rapidement la réalité, il a été décidé de s’attaquer d’abord à l’image de la ville. Selon Boyle et Hughes (1991, p. 220), dès le début des années 1970, les acteurs locaux ont entrepris de transformer l’image de Glasgow. Toutefois, c’est dans les années 1980 que la stratégie s’est concrétisée avec la campagne initiée par le maire, le Lord Provost Michael Kelly, en 1980 avec son célèbre slogan, « Glasgow’s Miles Better » (Keating, 1988, p. 174; Maver, 2000, p. 22; Paddison, 1993). Tablant sur le caractère sympathique de la ville, les promoteurs de la ville ont cherché à redonner confiance à ses habitants, mais surtout à faire rayonner Glasgow à l’échelle nationale et internationale. Pour plusieurs observateurs de la scène urbaine, cette campagne destinée à attirer des touristes et des investissements représente un point tournant dans l’histoire de la ville et de la revitalisation de ses quartiers centraux. Cette campagne a été accompagnée de programmes visant à faire émerger des nouveaux secteurs économiques et à donner une vocation inédite à la ville, notamment en développant le commerce de détail au centre-ville et en le dotant d’équipements culturels de classe internationale. Ainsi, l’admi- nistration municipale a choisi de soutenir la réhabilitation du patrimoine architectural victorien au centre de la ville.

158 La nouvelle économie à la rescousse des métropoles industrielles. Analyse comparée des stratégies publiques à Montréal et à Glasgow

Comme l’a mentionné l’historienne Helen Meller, au cours des années 1980, dans les villes britanniques, la croissance économique devient intimement reliée à la promotion de la culture. En raison de la forte tradition civique prévalant à Glasgow dans le domaine de la promotion des arts, la ville avait une longueur d’avance (Meller, 1997, cité par Maver, 2000, p. 221). Par exemple, en 1983, la Ville a inauguré la nouvelle galerie Burrell qui abritait une collection de plusieurs milliers d’objets d’art offerts par un armateur philanthrope. Ce musée est rapidement devenu une attraction touristique. À cette campagne d’image, il faut ajouter la mise sur pied, à la fin des années 1980, de deux événements culturels, Mayfest International (un festival d’arts annuel) et le Glasgow’s Garden Festival, en 1988, qui attire quatre millions de personnes (OCDE, 2002, p. 95). En 1990, l’événement European City of Culture vient couronner les actions précédemment entreprises en matière de développement culturel. Cette initiative compte plus de neuf millions d’inscriptions (OCDE, 2002, p. 95). De plus, l’infra- structure culturelle de la ville est complétée grâce à l’inauguration de nouveaux musées et de salles de spectacle, notamment le Royal Concert Hall en 1990. Au début des années 1990, d’autres slogans sont employés pour témoigner du dynamisme de la ville : « There is a lot of Glasgowing on » et « Glasgow’s Alive » (Gomez, 1998, p. 111). En raison de l’effervescence culturelle dont Glasgow fait l’objet, son image projetée en Grande- Bretagne et à l’étranger est celle d’une ville en pleine renaissance, jeune, cool, dynamique et innovante. Ainsi, sur le plan du développement touristique, la campagne de promotion se révèle un véritable succès comme en atteste le nombre de visiteurs. En outre, les efforts consentis en matière d’équipements culturels sont récompensés lorsque la ville est sélectionnée, en 1999, pour recevoir le prix de la ville britannique d’architecture et de design (British City of Architecture and Design Award). Il faut dire que Glasgow était déjà inscrite au circuit des grandes villes architecturales en raison du caractère exceptionnel des bâtiments construits à l’époque géorgienne et victorienne et de ceux conçus par les représentants du mouvement Arts & Crafts au tournant du XXe siècle, en particulier Charles Rennie Macintosh. Bien qu’on ne puisse nier que l’approche promotionnelle a été favorable à l’image de Glasgow, des chercheurs ont néanmoins fait ressortir ses limites (Keating, 1988). Une telle pratique n’a pas réussi, notamment, à faire diminuer le taux de chômage des populations les plus touchées par la disparition des emplois manufacturiers (Paddison, 1993). On n’efface pas l’hypothèque et les traces laissées par un passé industriel simplement en changeant l’image d’une ville : « Glasgow is seen as torn between its industrial past and efforts to promote a post-industrial future. Using image and culture to promote sustainable economic regeneration and satisfy an unequal population is difficult » (Baily, Turok, Docherty et al., 1999, p. 47).

159 International Journal of Canadian Studies Revue internationale d’études canadiennes

De plus, il a été noté par certains chercheurs que la revitalisation du centre-ville n’a pas eu des retombées manifestes sur les quartiers périphériques en difficulté (Keating, 1988, p. 195; Robertson, 1998).

Les acteurs de la revitalisation urbaine et leurs projets Au cours des 20 dernières années, les acteurs politiques et économiques des deux métropoles ont élaboré des stratégies de relance afin d’appuyer des secteurs économiques en émergence, notamment ceux des services, de la culture et des nouvelles technologies. Dans les deux cas, les interventions ont surtout porté sur le réaménagement du cadre physique au moyen de la réalisation de projets combinant développement immobilier et création d’emplois. Les programmes ont mis l’accent sur la transformation du paysage urbain à la faveur d’une nouvelle vision de la ville qui s’appuie sur les caractéristiques de l’économie urbaine contemporaine où les technologies numériques, les loisirs, le divertissement et la consommation occupent une place privilégiée. À cet égard, tant à Montréal qu’à Glasgow, depuis le milieu des années 1980, une panoplie de projets ont servi de catalyseur à cette transformation. Dans le but d’illustrer la diversité des stratégies publiques employées, nous nous concentrons sur un certain nombre d’exemples portant sur des espaces spécifiques. Dans le cas de Montréal,nousavonsretenuleréaménagementduVieux-Portetdesabords du canal de Lachine, ainsi que les projets de « cités industrielles » du gouvernement du Québec. Dans le cas de Glasgow, nous considérons les actions municipales portant sur le centre-ville, les initiatives des agences du Scottish Office eu égard à la création de zones destinées à l’accueil d’entreprises de haute technologie et le projet multipartite de revitalisation des berges de la rivière Clyde.

Montréal : des projets urbains mis en œuvre par les trois paliers de gouvernement La réhabilitation du Vieux-Port de Montréal et des abords du canal de Lachine constituent les principaux projets d’aménagement qui ont joué un rôle clé dans la revitalisation de Montréal et qui ont contribué à lui accoler une image de ville post-industrielle. Pilotées par le gouvernement fédéral, ces interventions ont transformé le paysage urbain de la métropole industrielle. Le gouvernement du Québec a aussi été très entreprenant dans les opérations de revitalisation urbaine. Dans la seconde moitié des années 1990, sa présence a été manifeste grâce à ses projets de création de « cités industrielles » destinées à accueillir les travailleurs de la nouvelle économie. L’approche des projets urbains retenue pour ces différentes interventions aménagistes comporte de prime abord une démarche de marketing, de fabrication d’une image de marque qui est révélatrice des intérêts et des enjeux sous-jacents (Ingallina, 2001, p. 27). C’est pourquoi les instigateurs de ces différents projets se sont engagés dans un processus de transformation de l’image d’un morceau de ville.

160 La nouvelle économie à la rescousse des métropoles industrielles. Analyse comparée des stratégies publiques à Montréal et à Glasgow

À partir des années 1960, le recours à de nouvelles méthodes de manutention des marchandises, notamment la généralisation de la conteneurisation, a eu pour effet de rendre inutile la zone portuaire située au cœur historique de Montréal. Après un processus de consultation publique, au milieu des années 1980 (Comité consultatif du Vieux-Port de Montréal, 1986), les autorités fédérales, en collaboration avec l’administration municipale, ont opté pour un aménagement accessible, où les rapports sociaux ne reposaient pas en priorité sur les relations marchandes. Forts des expériences de reconversion des paysages portuaires nord-américains qui ont soit « privatisé » soit « marchandisé » les espaces riverains, les acteurs montréalais interpellés par le réaménagement du Vieux-Port ont choisi de mettre en valeur le site en faisant appel à l’idée d’espace public (Vermeersch,1998). À cette fin, les anciennes installations portuaires (silos à grain, tour de manutention) ont été préservées à titre de vestiges d’une période révolue. Il s’agissait de créer des paysages résolument post-industriels qui marient quelques traces historiques avec des signes de la postmodernité : espaces de déambulation, pistes cyclables, cafés- terrasses, animateurs publics, cinéma IMAX et plus récemment centre interactif des sciences ont été mis à la disposition des flâneurs d’une nouvelle ère. L’autre projet d’importance visant à redonner vie à une vaste zone industrielle en déclin est le réaménagement des berges du canal de Lachine. Depuis les années 1980, les abords du canal ont fait l’objet de plusieurs interventions. Fermé à la navigation au début des années 1970 à la suite de l’ouverture de la Voiemaritime du Saint-Laurent en 1959, le canal (long de 11 kilomètres) et ses abords composaient les reliquats du Montréal industriel. L’importantpatrimoine industriel qui y subsistait était un témoin privilégié de ce qui fut jadis le berceau de l’industrialisation au Canada (Desloges et Gelly, 2002). Propriété du gouvernement fédéral, le canal a d’abord fait l’objet d’un programme de réaménagement physique et paysager, notamment avec la réalisation d’une piste cyclable longue de 14 kilomètres. À la fin des années 1980, l’administration montréalaise, en concertation avec les groupes communautaires des quartiers ouvriers adjacents au canal (Pointe-Saint-Charles, Saint-Henri et Petite- Bourgogne), a mis en avant une politique destinée à la relance de l’emploi local grâce à l’implantation de petites et de moyennes entreprises industrielles et au maintien en place des populations à l’aide d’une politique de logement (Sénécal et Michel, 2002, p. 160). Ambitieuse, cette politique n’est pas parvenue à contrer les tendances lourdes qui marquaient alors l’économie de Montréal, notamment la suburbanisation des activités industrielles. Ainsi, la réalisation d’un parc industriel n’a jamais pris son envol. En effet, les entreprises préféraient nettement se localiser à proximité des grands axes autoroutiers ou de l’aéroport : les berges du canal étaient vues comme une localisation d’un autre âge. Quant à la politique de logement qui s’adressait à la population locale, elle a été mise à l’écart lors de l’arrivée au pouvoir du maire Pierre Bourque en 1994. Ce dernier était

161 International Journal of Canadian Studies Revue internationale d’études canadiennes beaucoup plus ouvert que son prédécesseur à l’idée de laisser le marché libre aux promoteurs immobiliers et, du coup, occasionner l’embour- geoisement des quartiers environnants. En 1997, la Ville de Montréal propose un nouveau plan de revitalisation qui valorise le potentiel résidentiel, récréo-touristique et patrimonial des berges. Elle y définit son rôle comme un facilitateur du développement urbain et s’engage à améliorer les espaces et les infrastructures publics. Depuis la fin des années 1990, plusieurs centaines d’unités d’habitation ont étéconstruites.En2002,laréouvertureducanalàlanavigationdeplaisance grâce à l’appui financier du gouvernement fédéral a constitué le dernier épisode de l’histoire de la réinsertion du canal de Lachine dans le Montréal post-industriel. À la fin des années 1990, le gouvernement du Québec, avec la Ville de Montréal, est également intervenu dans l’aménagement urbain en créant deux secteurs destinés à recevoir les travailleurs de la nouvelle économie, la Cité Multimédia et la Cité du commerce électronique (Bordeleau et al., 2001, p. 15; Manzagol, Robitaille et Roy, 2000, p. 214). La particularité de son approche repose sur une stratégie qui combine développement immobilier et création d’emplois. Cette stratégie consiste à regrouper des entreprises dans des zones ou des immeubles désignés. L’aménagement de cesensemblesimmobiliersvise,d’unepart,àstimulerlacréationd’emplois à l’aide d’avantages fiscaux6 et, d’autre part, à favoriser la relance d’espaces urbains en attente de redéveloppement. Avec le projet de la Cité Multimédia, les promoteurs ont tenté de créer une image forte de Montréal et ce, pour faire oublier les images négatives associées aux anciens quartiers industriels et en particulier celui où elle se trouve (Poitras, 2002a; Poitras 2002b). En fait, tout un imaginaire a été élaboré autour du projet et de la personnalité des gens qui y travaillent. L’identité nouvelle de la Cité est fondée sur l’imaginaire de l’économie reliée à l’Internet et de ses acteurs : les entreprises, les travailleurs « branchés » et leur mode de vie, les types de services offerts, de même que l’organisation fonctionnelle du quartier. Également initié par le gouvernement du Québec, cette fois en partenariat avec le Mouvement Desjardins et des sociétés immobilières privées, le projet de la Cité du commerce électronique n’a pas connu le même succès que celui réservé au multimédia. Présenté par le maire de Montréal, lors de son lancement en mai 2000, comme la nouvelle Baie-James du Québec (Cardinal, 2000, p. A3), cet important projet immobiliercomptaitaudépartneuftourssituéesenpleincœurducentredes affaires sur le boulevard René-Lévesque Ouest totalisant plus de 100 000 mètres carrés d’espace locatif où travailleraient jusqu’à 20 000 personnes. Le principe pour y attirer des occupants était le même que celui de la Cité Multimédia : des crédits d’impôt par emploi créé accordés aux entreprises locataires. En se transformant en promoteur immobilier avec son projet de

162 La nouvelle économie à la rescousse des métropoles industrielles. Analyse comparée des stratégies publiques à Montréal et à Glasgow

Cité Multimédia, le gouvernement du Québec s’était déjà attiré les foudres des promoteurs privés qui dénonçaient la situation de concurrence déloyale créée par la construction d’immeubles où les entreprises obtenaient des subventions à la création d’emplois. Face à ces critiques, le gouvernement a réajusté le tir en élargissant le périmètre de la cité, lui donnant le nom de « zone » qui couvre désormais l’ensemble du centre-ville. En dépit des changements apportés au programme, jusqu’à maintenant, deux tours ont été érigées. Pour l’heure, l’avenir du projet demeure incertain. Il faut souligner que peu de temps après son lancement, l’économie reliée à l’Internet présentait des signes d’essoufflement. De plus, ce projet révèle les limites d’une approche qui mise d’abord sur le développement immobilier pour créer des emplois rattachés à la nouvelle économie.

Glasgow : l’entrepreneuriat urbain piloté par les gouvernements supérieurs À l’instar du cas montréalais, on constate qu’à Glasgow, les principaux acteurs de la reconversion économique de la ville sont les pouvoirs publics supérieurs. Certes, les acteurs municipaux sont intervenus mais plusieurs chercheurs s’entendent pour dire que les agences du Scottish Office, notamment la Scottish Development Agency (créée en 1975 et devenue la Scottish Enterprise en 1990 et la Scottish Enterprise Glasgow quelques années plus tard) ont assumé un rôle stratégique dans la revitalisation de Glasgow (Gomez, 1998, p. 110; Kantor, 2000). Leur principal mandat est d’attirer des investisseurs dans des zones industrielles en déclin ou de mettre en œuvre des projets de revitalisation urbaine. Comme nous l’avons souligné, les principales interventions en vue de favoriser la relance de Glasgow ont porté, au cours des années 1980 et 1990, sur l’art, la culture et le commerce de détail. Pour attirer les visiteurs, l’administration municipale a fortement soutenu l’aménagement des galeries marchandes au centre-ville. Ses interventions se sont aussi concentrées sur la réhabilitation de la Merchant City pour accueillir des bureaux et des logements. Au début des années 1990, selon le directeur de la planification du District Council, les efforts de promotion ont porté fruit. En misant sur le tourisme et le secteur des services, il estime que les autorités publiques ont réussi à faire connaître Glasgow à l’échelle internationale comme une ville à l’avant-garde des innovations urbaines : « one of the first examples of a post-industrial city… regarded in knowledgeable circles as a model for economic regeneration » (Rae, 1993, cité par Maver, 2000, p. 222). En raison du succès de la stratégie misant sur le commerce de détail, Glasgow est devenu une destination populaire de chalandage, arrivant en Grande- Bretagne, au deuxième rang après Londres. Dans sa stratégie de développement économique de 1997 (Glasgow City Council, 1997), la Ville de Glasgow continue d’affirmer que la promotion d’une image positive de la ville demeure centrale. Tout en maintenant l’image d’une

163 International Journal of Canadian Studies Revue internationale d’études canadiennes ville sympathique, l’administration municipale prévoit, grâce à l’appui du gouvernement écossais, développer l’industrie touristique, soutenir les activités métropolitaines dans la secteur culturel (cinéma, musique, artisanat, design, architecture), accroître l’attrait du centre-ville et renforcer les liens internationaux. Dès les années 1980, l’agence de développement du gouvernement écossais a pris un virage entrepreneurial très net. Dans le contexte du démantèlement de l’État-providence britannique, ses directeurs ont dû s’associer à des entrepreneurs privés pour revitaliser le centre-ville. Parmi les principaux projets réalisés, on peut rappeler plusieurs galeries marchandes et la conversion en habitation d’un nombre important d’immeubles industriels et commerciaux. L’idée d’attirer des entreprises de la nouvelle économie à l’aide d’incitatifs fiscaux est également présente à Glasgow. Une agence relevant du Scottish Office – l’agence Locate in Scotland établie en 1981 – a pour mandat de faire de la prospection internationale auprès d’entreprises qui souhaitent s’établir en Écosse. Par contre, contrairement à Montréal, les entreprises de la nouvelle économie ont été, jusqu’à maintenant, peu attirées par une localisation urbaine. Dès lors, c’est la région connue sous le nom de Silicon Glen située à l’est de Glasgow et englobant le West Lothian, le Lanarkshire et le Renfrewshire qui est sortie particulièrement gagnante des programmes d’aide. Plusieurs entreprises multinationales d’informatique et de matériel électronique s’y sont établies : Sun Microsystems, Compaq, Motorola, etc. Il en va de même de centres d’appel. Ainsi, les entreprises rattachées à la nouvelle économie ont opté pour une localisation périphérique car elles préfèrent les espaces non urbanisés (greenfields). Par ailleurs, la création du West of Scotland Science Park à Glasgow en 1983 par la Scottish Enterprise a tenté d’attirer des entreprises de haute technologie en valorisant la proximité des universités locales et les possibilités de transfert d’idées. Plus récemment, Scottish Enterprise Glasgow a lancé une autre initiative immobilière, CityScience, un quartier multifonctionnel destiné aux sciences et aux technologies (logiciel, optique, commerce électronique, sciences de la vie) qui a pour objectif de revitaliser une zone centrale de Glasgow (OCDE, 2002, p. 95). À l’instar des projets de « cités » montréalaises, ces initiatives immobilières sont sensibles aux aléas du marché immobilier et leur objectif est d’abord et avant tout de donner une image de marque à un quartier ou à une zone. En 2002, les acteurs publics – locaux, régionaux et nationaux – du développement urbain à Glasgow ont reconnu le caractère unique de la rivière Clyde (OCDE, 2002; Clyde Waterfront Working Group, 2002) dont les berges sont demeurées en grande partie inoccupées à la suite du départ des chantiers navals et des aciéries. S’inspirant des expériences étrangères, on prévoit désormais la conquête de ce vaste espace industrialoportuaire en y établissant des activités culturelles et de divertissement ainsi que des

164 La nouvelle économie à la rescousse des métropoles industrielles. Analyse comparée des stratégies publiques à Montréal et à Glasgow entreprises de la nouvelle économie. Le mouvement de réhabilitation des berges a été amorcé en 1983 lors de l’inauguration du Scottish Exhibition and Conference Center. En 1988, la tenue du Glasgow Garden Festival avait aussi favorisé sa reconquête. Depuis la tenue de cet événement, un complexe immobilier tertiaire dont la Scottish Enterprise est le promoteur, Pacific Quay, occupe l’espace. Enfin, la construction d’un centre commercial et de divertissement à Braehead ainsi que l’ouverture du Glasgow Science Centre sont venues renforcer la tendance. Selon la stratégie retenue par l’agence tripartite incluant le gouver- nement écossais, la Ville de Glasgow et d’autres municipalités de la région, la transformation des abords de la rivière pourrait augmenter la compétitivité de la région en créant 35 000 emplois. L’approche multisectorielle préconisée comprend la création d’emplois dans les secteurs des biotechnologies et du multimédia, la revitalisation des com- munautés riveraines, le tourisme, l’implantation de nouveaux équipements culturels et la mise en valeur du patrimoine. Dans cette perspective, les promoteurs misent à la fois sur des concepts aménagistes et architecturaux avant-gardistes et sur le développement d’un réseau de transport efficace (Clyde Waterfront Working Group, 2002). Bref, on cherche à redonner à la rivière Clyde le rôle essentiel qu’elle a joué dans l’histoire de la région métropolitaine, tout en faisant le pont entre l’ancienne et la nouvelle économie.

Conclusion Dans les deux villes étudiées, les indicateurs économiques récents montrent une nette amélioration de la santé économique, notamment en ce qui a trait aux emplois créés, à la valeur des ventes au détail, à la vigueur du marché immobilier, aux mises en chantier et aux investissements publics et privés (Glasgow City Council, 2002; Ville de Montréal, 2002) par comparaison à la situation qui prévalait jusqu’au milieu des années 1990. Peut-on conclure que les stratégies déployées par les pouvoirs publics ont porté fruit? Pour apporter quelques éléments de réponse à cette question, nous reviendrons sur deux aspects : le cadre à l’intérieur duquel s’élaborent ces stratégies et leur effet sur la population locale. Les choix politiques effectués pour soutenir la relance des deux métropoles s’inscrivent dans un cadre politico-institutionnel marqué par des contraintes et des occasions qui sont à même de les influencer. Le principal défi des pouvoirs publics des deux métropoles a été de répondre simultanément, d’un côté, aux exigences de la globalisation de l’économie et de la culture et, de l’autre, aux besoins locaux exprimés par une population en difficulté. Tant à Montréal qu’à Glasgow, les acteurs publics ont assumé le leadership de la reconversion, tout en mettant à contribution les entrepreneurs privés. Dans les deux villes, les espaces anciennement consacrés aux activités manufacturières de l’industrie lourde sont désormais convoités par les promoteurs immobiliers qui cherchent à en

165 International Journal of Canadian Studies Revue internationale d’études canadiennes faire des lieux résidentiels de prestige. On peut également souligner l’omniprésence du gouvernement du Québec dans les projets de reconversion de l’économie montréalaise depuis 1997. En investissant massivement dans de grands projets urbains visant à inscrire la métropole québécoise dans le circuit international des villes high-tech,le gouvernement du Québec a joué le rôle de nouveau producteur de la ville. En ce sens, les pouvoirs publics supérieurs, en collaboration avec les élus locaux, ont utilisé l’espace à titre de support expérimental pour élaborer des stratégies devant répondre aux mutations socio-économiques engendrées par la mondialisation. Il en va de même du gouvernement écossais. Il faut souligner que, dans le contexte britannique, les stratégies retenues par les agences du Scottish Office sont inhabituelles. Ainsi, l’interventionnisme dans le champ économique est plus marqué en Écosse qu’ailleurs en Grande-Bretagne, notamment en Angleterre. Sociétés distinctes, l’Écosse et le Québec ont développé des traditions politiques différentes dans leurs contextes gouvernementaux respectifs et cela se reflète dans leurs choix en matière de re-développement urbain. Les moyens mis en œuvre pour favoriser la reconversion économique s’inscrivent dans l’approche de la ville entrepreneuriale telle qu’elle a été présentée par des chercheurs comme Harvey (1989) et selon laquelle les élus locaux ont délaissé leur approche gestionnaire traditionnelle orientée en priorité vers la fourniture des services à la population, au profit d’une approche qui cherche d’abord et avant tout à attirer les investissements privés. Par contre, dans les cas qui nous intéressent, ce sont en premier lieu les pouvoirs publics supérieurs qui ont pris le virage entrepreneurial. Il n’en reste pas moins, qu’à l’échelon local, les acteurs politiques locaux n’ont pas hésité à utiliser certains éléments de cette approche. Ainsi, comme le soulignentSavitchetKantor(2002,p.299),àGlasgow,unnouveaulangage a été élaboré par les pouvoirs publics pour convaincre les gens que la ville s’était transformée en milieu jeune et dynamique. En fait, les acteurs publics ont essentiellement retenu de la vision entrepreneuriale du développement l’idée de place marketing (Jessop, 1998). À Glasgow, des chercheurs ont montré que les pouvoirs publics supérieurs ont joué un rôle majeur dans les stratégies de régénération. Il reste que la portée de ces interventions a été limitée. Dans le cadre du programme Cities financé par l’Economic and Social Research Council, des chercheurs du département d’études urbaines de l’université de Glasgow ont procédé à une analyse comparative de Glasgow et d’Édimbourg en matière de cohésion sociale et de compétitivité urbaine. Leurs conclusions quant à la revitalisation de Glasgow sont sans équivoque. Bien que la situation économique de la ville se soit améliorée au cours des années 1990, les défis à relever demeurent importants : « (…) the human and physical problems from decades of decline are substantial and will not be resolved easily at current rates of progress. The biggest challenges in this respect appear to be unemployment and derelict land »

166 La nouvelle économie à la rescousse des métropoles industrielles. Analyse comparée des stratégies publiques à Montréal et à Glasgow

(Baily,Turok,Dochertyetal.,1999,p.v).Plusieurschercheursconsidèrent que l’image de Glasgow a bel et bien changé mais que la relance économique n’a pas été au rendez-vous pour tous (Gomez, 1998, p. 114). Pour plusieurs habitants, la ville représente désormais un milieu de vie plus attrayant et dynamique. Cependant, pour un nombre encore trop élevé de personnes, le chômage de longue durée et le peu d’offres d’emploi constituent des obstacles sérieux à l’insertion dans une économie urbaine renouvelée (Maver, 2000, p. 222). À cet égard, à la fin des années 1980, Keating (1988, pp. 193-199) notait que Glasgow était devenu une ville duale et ce, tant sur le plan socio-économique que spatial. Il dénotait un contrastemarquéentrelavitalitédusecteurtertiaireparrapportaudéclindu secteur secondaire et une différenciation des réinvestissements au centre par rapport au manque de ressources dans les quartiers périphériques. Cette dualisation résulte en bonne partie de circonstances qui échappent aux autorités locales, notamment la transformation radicale de l’économie britannique aux lendemains de la Seconde Guerre mondiale. En ce sens, le processus de changement qui est survenu à Glasgow s’est également manifesté dans plusieurs villes anglaises comme Liverpool, Manchester ou Birmingham. En dépit de succès indéniables en ce qui a trait à sa capacité à reconvertir son économie et à métamorphoser des zones industrielles abandonnées en espaces ludiques et attrayants pour la classe moyenne, parmi les grandes métropoles canadiennes, Montréal demeure la plus pauvre. Les stratégies retenues qui ont misé sur les idéaux véhiculés par les protagonistes de la nouvelle économie ont peu affecté les conditions de vie des populations en difficulté. Certes, les données de Statistique Canada ont montré une amélioration de la situation entre 1995 et 2001 alors que la proportion de la population vivant sous le seuil de faible revenu est passée de 34,8 p. 100 à 29 p. 100 (Leduc, 2003, p. A1). Il reste que dans d’autres grandes villes comme Ottawa, les stratégies de développement misant sur la haute technologie ont été plus fructueuses compte tenu, notamment d’un passé industriel moins lourd. Les deux métropoles ont utilisé les mêmes arguments pour attirer des entreprises : disponibilité d’une main-d’œuvre qualifiée avec des compétences linguistiques qui les distinguent, coûts de la main-d’œuvre compétitifs, faible mobilité de la main-d’œuvre, caractère multiculturel, coûts immobiliers avantageux, réseaux de télécommunication très perfor- mants, accès à des installations aéroportuaires de calibre international, population jeune en raison de la présence de plusieurs universités. Les changements survenus dans les deux villes ont eu des effets différenciés sur les populations locales. Pour les travailleurs de la nouvelle économie et les habitants des nouveaux quartiers revitalisés, les deux villes sont devenues des milieux stimulants offrant une urbanité exceptionnelle en raison de la richesse de leur patrimoine bâti qui date de l’ère victorienne et édouardienne. En ce qui a trait aux travailleurs de l’ancienne économie

167 International Journal of Canadian Studies Revue internationale d’études canadiennes qui n’ont pas réussi à prendre le virage de la haute technologie, les quartiers centraux ou péri-centraux n’offrent pas les mêmes atouts sans compter que les possibilités de revoir les activités industrielles lourdes rythmer la vie de ces quartiers sont révolues. En dernière analyse, il faut reconnaître que la trajectoire historique d’une ville, sa structure économique, son organisation sociale et les valeurs qui sous-tendent son développement ne se redéfinissent pas aisément. En rompant avec le passé industriel de la ville et de ses habitants, les acteurs publics à Montréal et à Glasgow veulent tourner la page. Cependant, pour qu’un nombre accru de citadins puissent profiter des bienfaits de la nouvelle économie, les acteurs du développement urbain doivent maintenant penser la ville et son aménagement non plus en fonction des demandes des touristes ou des exigences des investisseurs étrangers, mais plutôt en se préoccupant davantage de sa principale force, à savoir ses propres habitants.

Notes 1. Ce texte est tiré d’une communication présentée dans le cadre du colloque interdisciplinaire « Montréal-Glasgow » qui s’est tenu à l’université de Glasgow en mars 2003. Je remercie les évaluateurs anonymes, les membres du comité de rédaction de la Revue internationale d’études canadiennes, ainsi que Pierre Hamel pour leurs commentaires sur une première version de ce texte. Je tiens également à remercier le Fonds québécois de la recherche sur la société et la culture et le Conseil de recherches en sciences humaines du Canada pour leur soutien financier. 2. En 1970, le rapport Higgins-Martin-Raynauld est le premier à avoir sonné l’alarme à cet égard (Higgins, Martin et Raynauld, 1970). 3. Selon le dernier recensement, en 2001 la population de la ville de Montréal était de 1 039 534 personnes, ce qui représente une hausse de 2 p. 100 par rapport à 1991. La population de la région métropolitaine a également crû pour atteindre 3 426 350 personnes, soit une hausse de 4 p. 100. En 2001, la part de la population de la ville-centre par rapport à la région était de 30 p. 100. 4. C’est le cas notamment du rapport Picard paru en 1986. 5. Au début des années 1980, l’administration locale de Glasgow (Glasgow District Council) met sur pied un programme de revitalisation de ce quartier historique localisé au centre. Propriétaire du tiers des immeubles qui s’y trouvent – et dont les deux tiers sont inoccupés –, la municipalité, et éventuellement la Scottish Development Agency, offrent des subventions à la conversion d’édifices industriels et commerciaux en habitation. Cette initiative permet de réintroduire des habitants dans un quartier qui était demeuré inhabité pendant des décennies. Au début de l’année 1994, plus de 1 000 nouvelles unités résidentielles avaient été mises sur le marché (Jones et Watkins, 1996, p. 1132; Rosenburg et Watkins, 1999). Un processus similaire de repeuplement a marqué le Vieux-Montréal à partir des années 1970. 6. Le gouvernement du Québec rembourse 40 p. 100 des salaires versés à des employés, jusqu’à concurrence de 15 000 $CAN par an par emploi admissible. Ce remboursement prend la forme d’un crédit d’impôt remboursable, égal à 40 p. 100 des salaires. Cette aide est renouvelable annuellement, jusqu’en 2010. À la

168 La nouvelle économie à la rescousse des métropoles industrielles. Analyse comparée des stratégies publiques à Montréal et à Glasgow

fin de 2002, dans son plan d’action en matière économique, le gouvernement du Québec annonçait le gel de plusieurs programmes d’incitatifs fiscaux visant l’installation d’entreprises dans des sites désignés. Par conséquent, bien qu’ils ne remettent pas en cause les engagements déjà pris, ces modifications viennent mettre un terme hâtif à la construction de nouveaux édifices dans les « cités » montréalaises (Gouvernement du Québec, 2002, p. ix).

Bibliographie Ashworth, G. J. (1990). Selling the City: Marketing Approaches in Public Sector Urban Planning, Londres et New York, Belhaven Press. Bailey, N., I. Turok et I. Docherty et al. (1999). Edinburgh and Glasgow. Constrasts in Competitiveness and Cohesion, Interim Report of the Central Scotland Integrative Case Study, Glasgow, University of Glasgow, Department of Urban Studies. Baudrillard, J. (1970). La société de consommation, Paris, Gallimard. Bordeleau, D. et al. (2001). « La trajectoire récente du Faubourg des Récollets », Revue Organisations et Territoires, vol. 10, n° 1, pp. 15-23. Boyle, M. et G. Hughes. (1991). « The Politics of Representation of “the Real”: Discourse from the Left on Glasgow’s Role as European City of Culture, 1990 », Area, vol. 23, n° 3, pp. 217-228. Boyle, M. et R. J. Rogerson. (2001). « Power, Discourse, and City Trajectories » in R. Paddison (dir.), Handbook of Urban Studies Sage, Londres, Sage, pp. 402-416. Boyle, R. (1993). « Changing Partners: The Experience of Urban Economic Policy in West Central Scotland, 1980-90 », Urban Studies, vol. 30, n° 2, pp. 309-324. Cardinal, F. (2000). « Québec versera un milliard à la Cité du commerce électronique », Le Devoir, vendredi 12 mai, p. A3. Castells, M. et P. Hall. (1994). Technopoles of the World: The Making of 21st Century Industrial Complexes, Londres, Routledge. Clark, J., (2001). Glasgow the Learning City: Lifelong Learning & Regeneration, Bruxelles, Scotland Europa. Clark, T.N., R. Lloyd, K.K. Wong et P. Jain. (2002). « Amenities Drive Urban Growth », Journal of Urban Affairs, vol. 24, n° 5, pp. 493-515. Clarke, S.E. et G.L. Gaile. (1998). The Work of Cities, Minneapolis, University of Minnesota Press. Clyde Waterfront Working Group. (2002). Clyde Rebuilt. A National Development Opportunity, juin. Coffey, W. et M. Polèse. (1993). « Le déclin de l’empire montréalais : regard sur l’économie d’une métropole en mutation », Recherches sociographiques, vol. 34, n° 3, pp. 417-437. Comité consultatif du Vieux-Port de Montréal. (1986). Le Vieux-Port de Montréal. Consultation publique, rapport final 1986, Montréal. Danson, M.W. (dir.) (1999). « Urban Regeneration in Scotland: An Agenda for the Scottish Parliament», Regional Studies, vol. 33, n° 6, pp. 559-566. Déry, J. (1975). « Région de Montréal ». Revue Commerce. Le Point, pp. 132, 135, 136, 138. Desloges Y. et A. Gelly. (2002). Le canal de Lachine. Du tumulte des flots à l’essor industriel et urbain, 1860-1950, Sillery, Septentrion. Ducas, M.-C. (1996). « Campagne publicitaire de Montréal. Jean Coutu, Via Rail, la motoneige : c’est ça ma ville ? », Le Devoir, samedi 24 août, p. B4. Duhamel, P. (1992). « La faillite Doré. Montréal dépense des centaines de millions pour redevenir une grande ville industrielle. Enquête sur le “vrai” scandale de l’administration Doré », Journal Les Affaires Plus, vol. 15, n° 3, avril, p. 28. Florida, R. L. (2002). The Rise of the Creative Class, New York, Basic Books. Germain, A. et D. Rose. (2000). Montréal. The Quest for a Metropolis, Londres, John Wiley & Sons. Glasgow City Council. (1997). Regenerating the Economy, 1997-2000, Glasgow, Glasgow City Council.

169 International Journal of Canadian Studies Revue internationale d’études canadiennes

Glasgow City Council. (2002). Glasgow Economic Monitor, Glasgow, Glasgow City Council, été. Gomez, M.V. (1998). « Reflective Images: The Case of Urban Regeneration in Glasgow and Bilbao », International Journal of Urban and Regional Research, vol. 22, n° 1, pp. 106-121. Gordon, D.L.A. (1997). « Managing the Changing Political Environment in Urban Waterfront Redevelopment », Urban Studies, vol. 34, n° 1, pp. 61-83. Gouvernement du Québec. (2002). Horizon 2005. Vers le plein emploi, Québec, Gouvernement du Québec. Harvey, D. (1989). « From Managerialism to Entrepreneurialism: The Transformation of Urban Governance in Late Capitalism », Geografiska Annaler, Series B : Human Geography, vol. 71, nº 1, pp. 3-17. Higgins, B., F. Martin et A. Raynauld. (1970). Les orientations du développement économique régional du Québec, Ottawa, Ministère de l’Expansion économique régionale. Imrie, R., S. Pinch et M. Boyle. (1996). « Identities, Citizenship and Power in the Cities », Urban Studies, vol. 33, n° 8, pp. 1255-1261. Ingallina, P. (2001). Le projet urbain, Paris, PUF. Jessop, B. (1998). « The Enterprise of Narrative and the Narrative of Enterprise. Place Marketing and the Entrepreneurial City » in T. Hall et P. Hubbard (dirs.), The Entrepreneurial City, Chichester, Wiley, pp. 77-99. Jones, C. et C. Watkins. (1996). « Urban Regeneration and Sustainable Markets », Urban Studies, vol. 33, n° 7, pp. 1129-1140. Kantor, P. (2000). « Can Regionalism Save Poor Cities? Politics, Institutions, and Interests in Glasgow », Urban Affairs Review, vol. 35, n° 6, pp. 794-820. Keating, M. (1988). The City that Refused to Die. Glasgow: The Politics of Urban Regeneration, Aberdeen, Aberdeen University Press. Kotkin, J. (2000). The New Geography: How the Digital Revolution Is Reshaping the American Landscape, New York, Random House. Landry, C. (2000). The Creative City. A Toolkit for Urban Innovators, Londres, Earthscan. Leduc, L. (2003). « La pauvreté régresse partout à Montréal », La Presse, jeudi 23 octobre, p. A1. Lever, W. et J. Mather. (1986). « The Changing Structure of Business and Employment in the Conurbation » in W. Lever et C. Moore (dirs.), The City in Transition. Policies and Agencies for the Economic Regeneration of Clydeside, Oxford, Clarendon Press. Linteau, P.-A. (1992). Histoire de Montréal depuis la Confédération, Montréal, Boréal. Manzagol, C., É. Robitaille et P. Roy. (2000). « Le multimédia à Montréal : le high-tech à la rescousse des espaces fatigués » in G. Sénécal et D. Saint-Laurent (dirs.), Les espaces dégradés. Contraintes et conquêtes, Sainte-Foy, Presses de l’Université du Québec, pp. 201-218. Manzagol, C. (1998). « La restructuration de l’industrie » in C. Manzagol et C.R. Bryant (dirs.), Montréal 2001. Visages et défis d’une métropole, Montréal, Presses de l’Université de Montréal, pp. 119-133. Maver, I. (2000). Glasgow, Edinburgh, Edinburgh University Press. McNeill, D. et A. While. (2001). « The New Urban Economies » in R. Paddison (dir.), Handbook of Urban Studies Sage, Londres, Sage, pp. 402-416. Meller, H. (1997). Towns, Plans and Society in Modern Britain, Cambridge, Cambridge University Press. OCDE. (2002). Urban Renaissance–Glasgow: Lessons for Innovation and Implement- ation, Paris, OCDE. http://www1.oecd.org/publications/e-book/0402111E.PDF. Pacione, M. (1995). Glasgow. The Socio-Spatial Development of the City, Londres, John Wiley & Sons. Paddison, R. (1993). « City Marketing, Image Reconstruction and Urban Regeneration », Urban Studies, vol. 30, n° 2, pp. 339-350.

170 La nouvelle économie à la rescousse des métropoles industrielles. Analyse comparée des stratégies publiques à Montréal et à Glasgow

Picard, L. (1986). Rapport du comité consultatif au Comité ministériel sur le développement de la région de Montréal, Montréal, ministère de l’Expansion industrielle régionale, Coordonnateur fédéral du développement économique. Poitras, C. (2002a). « La Cité du Multimédia à Montréal : la fabrication d’un nouveau quartier » in G. Sénécal, J. Malézieux et C. Manzagol (dir.), Grands projets urbains et requalification, Sainte-Foy et Paris, Presses de l’Université du Québec, Publications de la Sorbonne, pp. 143-155. Poitras, C. (2002b). « New Technologies in Old Neighbourhoods: Breaking off with History? A Montréal Case Study », Paper presented at the XVth Congres of the International Sociological Association, Brisbane, Research Committee on Regional and Urban Development, RC21, Session 12, « Cities, Representation and Memory », juillet. Rae, J.H. (1993). « Glasgow: A City of Change », The Planner, vol. 79, June, pp. 3. Robertson, D.S. (1998). « Pulling in Opposite Directions: The Failure of Post War Planning to Regenerate Glasgow », Planning Perspectives, vol. 13, n° 1, pp. 53-67. Rosenburg, L. et C. Watkins. (1999). « Longitudinal Monitoring of Housing Renewal in the Urban Core: Reflections on the Experience of Glasgow’s Merchant City », Urban Studies, vol. 36, n° 11, pp. 1973-1996. Roy, B. (2002). « Le Rapport Picard 15 ans plus tard », in Montréal 2017. Une cité du monde de 375 ans, Actes du symposium, Montréal, Chambre de commerce du Montréal métropolitain, pp. 3-5. Saint-Pierre, D. (2002). La culture comme facteur de développement de la ville : les expériences étrangères, Québec, ministère de la Culture et des Communications, Direction de l’action stratégique, de la recherche et de la statistique, mai. Savitch, H.V. et P. Kantor. (2002). Cities in the International Marketplace. The Political Economy of Urban Development in North America and Western Europe, Princeton, Princeton University Press. Scottish Enterprise Glasgow et Glasgow City Council. (2001). Upbeat Glasgow. Positive Messages and Indicators for Glasgow, Scottish Enterprise Glasgow. Sénécal, G. et G. Michel. (2002). « Le réaménagement de la zone du canal Lachine à Montréal. Un grand projet urbain sous tension » in G. Sénécal, J. Malézieux et C. Manzagol (dir.), Grands projets urbains et requalification, Sainte-Foy et Paris, Presses de l’Université du Québec, Publications de la Sorbonne, pp. 157-170. Truffaut, S. (1996). « La publicité “jovialiste” », Le Devoir, mardi 13 août, p. A1. Vermeersch, L. (1998). La ville américaine et ses paysages portuaires entre fonction et symbole, Paris, L’Harmattan. Verwijnen, J. et P. Lehtovuori. (1999). Creative Cities: Cultural Industries, Urban Development and Information Society, Helsinky, University of Art and Design Helsinky. Ville de Montréal. (2002). L’économie de Montréal, Montréal, Ville de Montréal, Service du développement économique et urbain, 2e trimestre, vol. 15, n° 2. Wolfe, M. R. (1999). “The Wired Loft. Lifestyle Innovation Diffusion and Industrial Networking in the Rise of San Francisco’s Multimedia Gulch,” Urban Affairs Review, vol. 34, no 5, p. 707-728.

171

Ravi de Costa

Treaties in British Columbia: The Search for a New Relationship*

Abstract For the last decade, Native peoples in British Columbia have been engaged in comprehensive treaty negotiations with the provincial and federal governments. This paper considers the achievements so far, to question the integrity of the stated goal, to create “a new relationship between peoples.” The current process began as a response to a set of related pressures on the state that raised doubts about its political legitimacy and effectiveness. Native peoples saw this as an opportunity for recognition of their autonomy, which in their view was never properly recognized. Though the process attempts to place constraints on that autonomy, some find this acceptable, as their acute need for economic and social development can only be financed and supported through treaty settlements. Constraints, however, must also apply to the two governments’ powers over issues comprising such settlements. Yet it is far from evident that the governments of Canada and of British Columbia will allow their own authority to be curtailed to enable the full enjoyment of Native autonomy. Moreover, a number of issues crucial to the decolonization of the relationship are simply not open for negotiation. Other Native groups reject the premises of treaty-making, seeing simply another chapter in the subjugation of Native people. In the circumstances, it appears that, rather than create new relationships between peoples, the main function of the treaty process is to renew the political legitimacy of the state.

Résumé Depuis une décennie, les peuples autochtones de la Colombie-Britannique sont engagés dans des négociations globales visant à la conclusion de traités avec les gouvernements fédéral et provincial. Dans cet article, on examine les résultants obtenus jusqu’à maintenant, afin de remettre en question l’intégrité de l’objectif avoué qui est de créer « une relation nouvelle entre les peuples ». Le processus actuel a commencé par être une réponse à un ensemble de pressions connexes qui s’exerçaient sur l’État et qui soulevaient des doutes quant à sa légitimité et à son efficacité. Les peuples autochtones y ont vu une occasion de faire reconnaître leur autonomie, ce qui, à leur avis, n’avait jamais véritablement eu lieu. Même si le processus tente d’imposer des contraintes à cette autonomie, certains le jugent acceptable, car leur besoin aigu de développement économique et social ne peut être satisfait que s’ils jouissent du financement et du support que leur accordent les règlements de traité. Ceci dit, des contraintes devraient également s’appliquer aux pouvoirs des deux ordres de gouvernement dans les dossiers couverts par ces règlements. Et pourtant il est loin d’être évident que les gouvernements du Canada et de la Colombie-Britannique accepteront de voir réduire leur

International Journal of Canadian Studies / Revue internationale d’études canadiennes 27, Spring / Printemps 2003 International Journal of Canadian Studies Revue internationale d’études canadiennes propre autorité pour permettre à des autochtones de jouir d’une pleine autonomie. De plus, plusieurs dossiers essentiels à la décolonisation de la relation ne sont tout simplement pas un objet de négociation. D’autres groupes autochtones rejettent les prémisses de la conclusion de tels traités : ils n’y voient qu’un chapitre de plus dans l’histoire de la subjugation des peuples autochtones, la principale fonction du processus de traité étant de reconfirmer la légitimité de l’État.

Introduction Treaty-making in British Columbia began with the goal of ending the colonial relationship and building a new relationship between peoples equal in recognition and respect. With such an ambition, it is perhaps unjust to criticize a mere decade’s work given the centuries of dispossession and abuse that went into creating the “old” or ongoing relationship. However, certain fundamental patterns of the treaty process in British Columbia are now becoming visible. In fact, this is a process that is beginning to suffer serious political fatigue. This paper argues that in a process that ostensibly seeks indigenous consent, the inability of the provincial and federal governments to secure that consent on key issues has had a corrosive effect on the stated goal of building new relationships between peoples. It may not be controversial to assume the following: for a relationship to be healthy, even vibrant, it must be based on some truthful understanding of how it has come to be–its history. Lies and denial make for suspicion and hostility. Moreover, good relations require acknowledgment of the present circumstances of the parties, both absolutely and relative to each other–with power comes responsibility. Finally, the ability of the parties to retain control over their separate identities and futures is important in a good relationship. In this sense, good relationships, whether between individuals or peoples, occur in time and rely on respectful understandings of the other’s past, present and future. As it is taking place in British Columbia, treaty-making involves precisely these questions, using the tool of comprehensive negotiations in order to end the colonial relationship and seek one that can meet these tests of recognition, respect and justice. However, on crucial issues, of compensation, governance and certainty for example, Native peoples feel that they have not been recognized, treated with respect and justice. In what follows, this argument is pursued. However, it is first necessary to establish the historical context of treaty-making and to provide an outline of the process of negotiations over the last ten years. The questions central to relationship-building can then be addressed. Finally, recent developments in jurisprudence and provincial politics are considered along with an overview of the current status of treaty-making in British Columbia.

174 Treaties in British Columbia: The Search for a New Relationship

The Context of Treaty-Making in British Columbia There is a long and complex history of treaty-making in Canada. Treaties were reached in various periods: “Peace and Friendship” treaties were reached soon after the earliest contacts between Natives and Europeans; as the colonial state was consolidated, treaties increasingly became mechanisms for land purchase. Abandoned in the early twentieth century, treaties returned to government policy after a Supreme Court finding of unextinguished Aboriginal title in the Calder case of 1973. With few exceptions, that history of treaties did not encompass British Columbia until Calder.1 An explanation for this can be found in the differing interpretations made by colonial elites of the 1763 Royal Proclamation, which reserved all lands west of the Rocky Mountains as the hunting grounds for Indians. Without recounting that entire history, it is important to note that the colony (and province after 1871) of British Columbia observed neither the intention of the Proclamation nor the facts of Native possession. In effect, British Columbia was considered terra nullius or empty land. As in much of the New World, the first markers of identity were natural resources, the industries which extracted them and their solidity as a political base: “Historically, provincial governments have been little concerned with a broader vision of what B.C. might become, were they to venture beyond the immediate demands of a resource-based economy” (Barman: 356). Challenges to that vision were frequently made by Native peoples.2 However, these representations were largely ignored and from 1927-51 landclaimsactivitybyNativeswasprohibitedbyamendmentstotheIndian Act. Soon after the prohibition was lifted, the exceptionalism of British Columbia, in not having negotiated the status of Native peoples through treaties, began to come under increased pressure from three related sources: direct action by Native peoples; more favourable jurisprudence; and shifts in federal policy (de Costa). From 1951 there was a rapid evolution of organizational structures and political strategy for Native land claims. Arange of bodies emerged to make their claims, including the Native Brotherhood of British Columbia, the Union of British Columbia Indian Chiefs, the British Columbia Association of Non-Status Indians, the Alliance of British Columbia Indian Bands and the United Native Nations (Tennant; McFarlane). Though the styles and goals varied, land was a crucial issue for all. Government intransigence in the face of these developments was soon reflected in a rise in direct action across the province. Tennant suggested that 1973 saw the start of “the contemporary era of B.C. Indian political protest,” the timing influenced by events at Wounded Knee in South Dakota (174). Activities soon mushroomed: blockades of logging roads and government offices; protest marches; obstruction of railway development; and, particularly the assertion of traditional resource

175 International Journal of Canadian Studies Revue internationale d’études canadiennes rights (179-80). George Manuel, a highly influential British Columbia Native leader called for “sophisticated civil disobedience,” referring to an “army” of activists who would take up arms in the struggle if necessary (McFarlane: 249-50). By the early 1980s, direct action targeted resource industries systematically. Such was their effect through that decade that in 1989, David Mitchell, a member of the provincial Cabinet and Vice-President of the lumber company Westar, described provincial authority as having in some areas broken down completely: “it is no longer certain who controls the forests in north-west British Columbia.”3 This was a crisis in an economy so heavily dependent on the resources sector for jobs and export earnings. Forestry products are especially important: Canada is the world’s largest exporter of forest products, a third of which come from British Columbia (Council of Forest Industries 2000: 11; 21). This equates to over CAN$15B in export revenue, half of the total value of exports from the province, and nearly 5% of total exports from the whole of Canada. Though employment levels are declining, over 100,000 people are still directly employedbythesectorinaworkforceof1.9M(BritishColumbia2001). Secondly, the jurisprudence around Aboriginal rights and title started to change rapidly (de Costa). Initially the province responded to land claims by refusing any acknowledgment and mobilizing denials such as the “tense” argument (the view that Confederation had annulled Aboriginal title), and the “implicit extinguishment” position (the argument that any provincial assertion through legislation automatically extinguished title).4 In 1973 the title claim of the Nisga’a, litigated since the 1960s, reached the Supreme Court of Canada. The Calder decision found that the Nisga’a had held Aboriginal title before settlers came, though the judges split over the question of the continuing existence of their title. In their obiter dicta, the judges decided that Aboriginal title did not depend upon the 1763 Royal Proclamation, but on proof of occupation since “time immemorial”; extinguishment by the Crown must be “clear and plain.” Abusy period of litigation ensued which extended the scope of potential Aboriginal title while increasingly developing its content. The provincial assertion that its territory was terra nullius was becoming increasingly untenable. The British Columbia Supreme Court deepened the doubts over government authority and tenure, granting injunctions against resource activities in various corners of the territory: on Vancouver Island, in the remote Northeast of the province, in the southern Okanagan Valley and on the North Coast, injunctions allowed for the possibility of continuing title. At McLeod Lake, a protest that involved unsanctioned Native logging gave rise to a ruling that allowed the band to sell their “illegal” timber (Tennant: 225).

176 Treaties in British Columbia: The Search for a New Relationship

A direct consequence of increased judicial sensitivity to Indigenous rights–and the third source of pressure on provincial exceptionalism–was federal policy reform. After Calder, Prime Minister Trudeau established an Office of Native Claims to deal with both comprehensive claims, such as that of the Nisga’a, as well as Native grievances under the historical treaties (Miller: 344). Foster calls this the “third period” of treaty-making in Canada.5 A range of settlements have been reached under that process, though it must be pointed out that none of these deal with the heavily settled regions of Canada. Federal policy was to negotiate only one claim at a time, resulting in a situation where although many British Columbia Native groups had joined up through the 1980s, “the line had not moved” (Tennant: 206-7). As a bilateral set of negotiations between Native communities and Canada, comprehensive claims presented a vexed question over land: more than 90% of Crown land in British Columbia is vested in the province, and the courts had determined that federal appropriations of Crown land must be done with provincial agreement. However, by the 1980s, these pressures, as well as the rise of the conservation movement and the declining market for forestry commodities were clearly making the foundations of British Columbia’s prosperity less sure. Still, as late as 1986, an old guard could be seen maintaining the rage over Native land claims: “British Columbians have always felt they are on proper legal ground.”6 It was not until the election of the Vander Zalm government in 1986 that the Social Credit party became more pragmatic and by 1989, figures like and Eric Denhoff were revealing fresh thinking within the conservative party. In Weisgerber’s speech endorsing the treaty process in 1993, he acknowledged this prior “strategy of denial” at length: “Wemaintained that there was no issue there to discuss. If there was, it was in our minds clearly a federal responsibility and shouldn’t involve the province, and we tended to avoid it.”7

New Relationships in British Columbia? This brief history outlines the variety of challenges to the provincial refusal to deal with the claims of Native peoples for recognition and justice. These were political, from the rapidly developing political movement supporting Native claims. Additionally, the pressure was moral, with an emerging political value amongst the British Columbia and Canadian public that treaty negotiations were a matter of honour and justice. The pressure was also legal, as the hierarchy of Canadian courts grew more amenable to Native claims, thereby forcing federal policy shifts. This created economic pressure, as doubtful provincial tenure and authority made new investment in resource industries less attractive, while allowing the profitability of existing ventures to be threatened by direct action. The

177 International Journal of Canadian Studies Revue internationale d’études canadiennes history of denial in British Columbia was now bringing the legitimacy and effectiveness of the provincial government into doubt. At its inception, provincial rhetoric expressed the difficulties that a treaty process had to resolve: “(We must) forge a new relationship with the first nations people of this province, a relationship based on trust and mutual respect, a relationship that will enable first nations communities to move forward toward greater self-reliance and self-determination; and a relationship that will allow us all–aboriginal and non-aboriginal–to move beyond conflict and confrontation.”8 However, the initial openness to radically new “nation-to-nation” relationships has long receded. Of the many pressures on the political legitimacy of the province and the Canadian state as a whole, resolving legal uncertainty and economic insecurity dominate treaty negotiations. The governments have used the process of treaty-making to lock First Nations into an expensive and time-consuming process in which the recognition of their legal rights–particularly rights to govern themselves–is heavily constrained by the requirement that these negotiations set out the terms of all future interactions between indigenous peoples and the state, thereby foreclosing the effects of reformist jurisprudence, political developments or major demographic shifts. Moreover, the aspects of economic development promised by the process appear unbalanced by the refusal to deal substantively with the historical sources of economic marginalization. The variety of pressures noted above acted to invalidate the colonial distribution of power, lands and resources in the province. The treaty process appeared to be a way to manage their redistribution, bringing Native peoples in as recognition of their prior occupation and using the idea of relationships between peoples as the new basis for governing the territory. What has emerged is a policy of modest concessions on lands and resources and fewer still on political powers. New relationships implied that legitimacy would be renewed through the recognition and inclusion of indigenous peoples. While First Nations are absorbed in negotiations, politically and financially, the pressures on provincial political legitimacy have been reduced.

The Process of Treaty-Making The British Columbia Treaty Commission Agreement (the Agreement) was reached in 1992 between three “principals”: the governments of Canada and British Columbia, and the First Nations Summit (FNS), a body bringing together the leadership of communities representing some 70% of British Columbia’s Native population. It in turn endorsed an earlier report commissioned by the provincial government, the British Columbia Claims Task Force Report (the Report), which is the foundational and substantive text of modern treaty-making in British Columbia (British Columbia

178 Treaties in British Columbia: The Search for a New Relationship

1991). It made nineteen recommendations, and most unusually for a report of its type, all were quickly adopted by both governments and the FNS. Under the terms of the agreement, a framework for the British Columbia Treaty Commission (the Commission) was set out. There would be five treaty commissioners: two appointed by the FNS, one by British Columbia and one by Canada; the Chief Commissioner appointed by mutual consent of the principals. The Report recommended that the parties negotiate any issues of interest to them and described explicitly how tripartite negotiations would proceed between the province, Canada and individual First Nations: each set of negotiations in the process–each treaty “table”–would go through six stages (BCTC 1999c). First Nations initiate the process, each Native group indicating their voluntary participation, setting out who they are and the extent of their traditional territory (Stage 1). This is known as a Statement of Intent (SOI). Then the First Nation and the two governments have to demonstrate their “mandate,” their capacity to negotiate and ratify agreements9, and the measures for public consultation they intend to put in place (Stage 2). Once the Commission was satisfied each treaty table was declared ready. Initial discussions could then begin: what would be the table structure– would there be side-tables to deal with wildlife or taxation issues, for example? The main aim is to get an agenda for future negotiations, a “Framework Agreement” (Stage 3). This needed to be ratified according to the procedures set out at Stage 2. Substantive negotiations could then begin, working towards drafts of chapters that would become the final text of the treaty. Acollection of draft chapters is an “Agreement-in-Principle” (AIP), which again, requires ratification (Stage 4). Finally, negotiations would arrive at the final text of Agreement. Here a process of constitutional and legal review is undertaken in addition to further discussions at the table (Stage 5). Effectively the conclusion of negotiations, this document naturally requires ratification by all three parties, using the approach they had committed to at the outset. After this, only implementation of the Final Agreement remains (Stage 6). Once complete, the Final Agreement has the status of an Aboriginal Treaty under section 35 of the Constitution Act (1982). While the structure of the process invites few criticisms, in practice, its operations are the source of considerable frustration. It is worth considering the issues of interest-based negotiations and debt.

Funding One of the key decisions taken by the principals had been to make First Nations’ access to funds (for lawyers, anthropologists, oral history studies, etc.) largely dependent on loans. Negotiation Support Funding, as it is known, is 80% a loan from Canada, and 20% a grant which Canada and

179 International Journal of Canadian Studies Revue internationale d’études canadiennes

British Columbia split 60/40. Throughout the process, this system has been managed by the Commission: as of September 2002, $222M had been disbursed, $177M as loans. In 2002-2003, $38M was available (BCTC 2002b: 29). Loans are due seven years after a table reaches an AIP, and 12 years after the first loan if talks break down. Yet many First Nations object to the very principle of loans. Why, they ask, should Native people go into debt so that settler governments can rationalize Native rights into the dominant political system? It is a reasonable criticism, made compelling by the fiscal weakness of most Native communities in the province. The consequences of indebtedness are well explained by Bernard Schulmann, treaty analyst with the Ts’kw’aylaxw (Pavilion) Band: … the indebtedness issue is worst for those that did not have their treaty office completely separated from their regular office. That was the case with Ts’kw’aylaxw, … So the band in one year went from you know a typical band, moderately solvent, not doing well, but not bankrupt, to being on paper, completely bankrupt. The treaty debts make the band look like it has a net liability not net assets.TheBandisnowunabletogotothebankandconvincethem that they are a good credit risk, because the band now has this $1.7 million debt to the federal government on their books (Schulmann).

Interest-Based Negotiations A second issue concerns the way in which negotiations are conducted. In addition to a commitment that all issues of interest to the parties would be “on the table,” the principals decided at the outset of the treaty process that negotiations would adopt an “interest-based” form of negotiation. A participant in the process explained the rationale: Essentially there’s two models of negotiation, there’s interest- based, and there’s the typical competitive labour-union kind of model. And we came into the process saying “no, we don’t want to compete, we don’t want to hide our cards and only put the ones out on the table that we think we should” (Didluck). So, an “interest” for Natives might be something like ensuring that zoning or resource decisions were highly sensitive to concerns for traditional burial grounds. This contrasts with the “position” that Native groups must control the zoning or resource allocation processes themselves. One of the intentions of this alternative model of negotiation was to help create good will and trust among the parties (Govier). It often seems not to have arisen. Although relations between individuals on tables are often good, it has been the view of First Nations that the two government’s negotiators do not come and negotiate, but calculate their bottom-line away from treaty tables. Rick Krehbiel, analyst with the

180 Treaties in British Columbia: The Search for a New Relationship

Lheidli T’enneh Band, summarized the disappointment felt over the crucial issue of land and cash “quantum”: …[T]he first big lie! … if I ever get involved in litigating this process, the first issue I will raise on the bad faith issue is the myth of interest-based negotiations… One of the real problems with the process is that the land and cash stuff is never negotiated. It comes out of a cost-sharing formula, it’s created by shadowy people who live in the basement in Victoria and Ottawa. It’s not made by the treaty process, it’s simply a financial tug-of-war between the lowest forms of bureaucrat … those 2 key things, the key to the whole process, are never negotiated (Krehbiel). Such criticism takes on a new force after the 1999 British Columbia Supreme Court ruling in Luuxhon, which confirmed the requirement that negotiations, once commenced by government, must be continued in good faith (at para. 71-75). Accusations of negotiating in “bad faith” now encourage a legalistic interpretation, and though the definition of “good faith” is still unclear, this may be the foundation on which First Nations build their criticisms of the British Columbia treaty process in years to come.10 However, as I discuss below, questions of good faith and interest-based negotiation may be lesser challenges than the governments’ refusal to discuss some issues at all.

The Issues These problems in the structure of the negotiating process, though not insurmountable, have drained much of the initial euphoria; it was a sense of optimism and trust that had been thought crucial to the timely conclusion of treaties.However,minimalprogressonthesubstantivequestionshasraised doubts amongst many observers about whether comprehensive agreements may ever be reached: momentum continues to erode, while alternatives are being explored. As noted above, theoretically nothing is ruled out on treaty tables, though this is far from the reality. I will demonstrate this, and explore some of the associated tensions, by briefly considering several of the issues the parties have been failing to resolve over the last ten years: land “quantum” and interim measures; compensation; and “certainty.”

Quantum and interim measures Quantum refers to the package comprising both what the governments envisage as “treaty settlement lands,”11 as well as cash to fund Native administration and development. The provincial government has repeatedly excluded all “fee simple” or privately-owned lands from discussion; and originally canvassed a “5% solution”–that when all treaty-making was concluded “the amount of land held by First Nations… will be about five percent of British Columbia, a figure proportionate to

181 International Journal of Canadian Studies Revue internationale d’études canadiennes their population” (British Columbia 1996). They have been reluctant to indicate quantum before Stage 4. However, First Nations wanted a clear indication of quantum early in the process. As Schulmann pointed out, … the issue for (Pavilion) Band is regaining control of the land, regaining control over probably about 30-45,000 hectares of land. If they can get that then most of the other stuff can probably be lived with. If they can’t get that scale of land it doesn’t matter what the rest of it says, it’s irrelevant (Schulmann). Pavilion were offered less than ten per cent of that in March 2000 and voted to disband their negotiations in July that year. Though this response is not typical, the gulf over quantum at treaty tables across the province is significant. The First Nations Summit meanwhile has vigorously put its own absolute positions, arguing, “we will not allow British Columbia to use the treaty process to acquire jurisdiction where none now exists” (FNS 1996: 2). Further proof of the tension over land can be seen in the implementation of the interim measures policy. The Report had recognized that treaties would take time, explicitly recommending a process for the protection and sharing of lands and resources before each treaty was concluded. Arange of interim measure options was contemplated: 1) notification of potential impacts on issues that may be discussed at treaty tables, particularly unilateral action on lands and resources; 2) consultation over that action; 3) consent for such initiatives; 4) joint management processes requiring consensus;and5)restrictionsormoratoriaonlandandresourceuse(British Columbia 1991: Recommendation 16). The Supreme Court ruling in Delgamuuk’w (dealt with below) clearly confirms the wisdom of this policy, and as McNeil has argued, characterized resource activities as requiring Native involvement (McNeil 1998: 13). Yet First Nations have been extremely dissatisfied with the interim measures policy. Again, the province has been reluctant to contemplate interim arrangements until tables reach Stage 4. Chief Treaty Commissioner Miles Richardson pointed out the problem with such policy: First Nations are largely saying, and I think quite legitimately that, “it’s just not on that we continue sitting negotiating at treaty tables accumulating huge amounts of debt when the very assets, the very resources that we’re talking about are rolling by our offices on logging trucks” (Richardson). A raft of interim measures was reached through late 1999 and 2000, in part a response to the then New Democratic Party government’s deep unpopularity and the perception that the treaty process was achieving nothing other than continued public expenditure and mounting First Nation indebtedness. Yet on examination, there is little immediate substance to these agreements and certainly not the Native participation in the resource sector envisaged in the Report. Some of the measures provide basic

182 Treaties in British Columbia: The Search for a New Relationship infrastructure to Native communities, such as the maintenance of access roadsinwinter(BCTC2001a).TheinnovationofTreatyRelatedMeasures, meanwhile, was clearly designed to keep First Nations in treaty discussions, with small amounts of funding to do studies of economic ventures that may come to fruition after a treaty is concluded (BCTC 2001a). In its 2001 review of the process, Looking Back, Looking Forward, the Commission pointed out that, of 60 recently agreed measures, only one was a land protection agreement (BCTC 2001c: 11). The 2002 First Nations EconomicMeasuresFundof$30Mkeepsentirelywithintheseparameters. More recently there has been some discussions about “incrementalism,” which would see the constitutional protection of some aspects of an agreement before others, as a way of testing out agreements and building good faith. This could mean “fast-tracking” some parts of an agreement through Stages 4-6, leaving areas of disagreement for future negotiations. As yet, no concrete proposals for this have emerged from the principals. Land is certain to be an ongoing matter for the relationships between Native and non-Native peoples. In some cases, agreements on quantum have been reached at tables which have then not gained community acceptance. The reasons for this may be found deeper, in Native attitudes to their history of subjugation and to particular visions of their future, of entitlements based in ongoing identities.

Compensation The Task Force Report clearly contemplated that compensation would be discussed, recommending discussions without “unilateral restriction.” Moreover, it noted that negotiations may “include consideration of a financial component to recognize past use of land and resources and First Nation’s ongoing interests … The task force encourages the parties to reach a negotiated solution by bargaining with good will and good faith in the determination of compensation” (British Columbia 1991). First Nations have maintained that compensation is one of the fundamental reasons they are involved in the comprehensive process. The FNS resolved in May 1998 that no Final Agreements would be reached that did not clearly set out the wrongs committed against First Nations and offer compensation for them (FNS 2001). Their position is certainly representative of many First Nations on this issue: All the time the people have been in our territory, making money, building businesses, there’s been no compensation for our people, and it will not be discussed in the treaty process (Smith). Canada maintains that “history has been dealt with”12 through its response to the Royal Commission on Aboriginal Peoples: Gathering Strength – Canada’s Aboriginal Action Plan provided an official apology (particularly to the victims of the residential schools policy) and $350M as a

183 International Journal of Canadian Studies Revue internationale d’études canadiennes

“healing fund” (Canada 1997). Canada insists that the cash component of treaty settlements is an exchange of “value for value”–that is, the purchase of legal certainty.13 British Columbia allows for a “blend of approaches,” recognising that while Natives will probably see cash settlements as compensation, the province sees them as providing the basis of future development (Lovick 1998). We might reflect on the kind of relationship that allows parties to openly differ on this matter: at one level it might appear an appropriate recognition of difference in community values. However, it ignores both the disparities of power between the parties, and the central historical rationale for treaty-making: First Nation’s desires, steadfastly maintained since contact, for recognition and justice. The tacit agreement-to-disagree over compensation is disingenuous in the extreme; such an attitude toward compensation for past injustice defeats its purpose. The Summit maintains that this is an issue for which there is little or no negotiating space. Compensationisfundamentallyapositiverecognitionofthedifferencethat originally justified Native dispossession and abuse, and which now underpins their ongoing predicament of marginalization.

Certainty There were differences in the meaning of the term “certainty” used by witnesses (British Columbia 1997: “Certainty”). If “certainty” means extinguishment of Native rights, few Native groups in British Columbia are likely to want it. In Canada, a rich vocabulary has been developed to take overt extinguishment phrases out of the language in which agreements are reached. From “Cede, release and surrender”–the earliest phrasing–to the language of the James Bay & Northern Quebec Agreement (1975) in which the First Nation “releases” all and then is “granted-back” some of its rights, this has been a productive field. In 1998, the province revised its stance, adopting a certainty policy known as “modify and release.”14 This is the approach taken in the Nisga’a Final Agreement (NFA), which is the only example of certainty language available from British Columbia, given the lack of concluded treaties. Two of the commissioners submitted that such a “modification (of Aboriginal title) removes uncertainty” (BCTC 1999b: 4). Osgoode Hall scholar Gordon Christie has pointed out, however, that in “a process of modification some of the properties of a thing alter, while others remain the same.Thesamethingexistsafterthemodification…”(Christie2000:28). Sections 26-31 of the general provisions of the NFA then invite comment. Here the two governments are “released from future claims”; they have “a duty to consult” only under the terms of the NFA itself; they gain one indemnity against all “acts or omissions” that may have infringed Aboriginal title before the agreement comes into effect; and gain another

184 Treaties in British Columbia: The Search for a New Relationship against any infringements or still existing rights not protected and set out in the NFA (BCTC 2000b: Chapter 2). Such provisions are what governments call non-extinguishment, even though the denial of potential future rights while so many legal doubts remain seems egregious. The last Minister for Aboriginal Affairs in the NDP government, , told Natives who suggested it was indeed extinguishment, that they “misunderstood” (Lovick). The current government has a more transparent agenda. While in opposition in 1997, members of the now-governing Liberal party penned a minority report on the Nisga’a AIP, in which they stated: “Whether a more benign legal technique for achieving certainty can be agreed upon remains to be seen, for the issue is not really about the phraseology, but the requirement for extinguishment” (British Columbia 1997). Faced with an absolutist approach to certainty, many Natives are looking for something altogether different. During the Senate hearings as part of the federal government’s ratification of the NFA in early 2000, a Gitanyow elder spoke of their desire for “a set of living agreements,” of partnerships between peoples that were flexible and respectful.15 No concept in Native-settler relations is more fetishized than certainty–but the British Columbia treaty process lays bare the question: is “certainty” the recognition of Native rights, or an indemnity against their future assertion? Clearly, some in British Columbia feel that the modification of their rights envisaged by the governments is tantamount to a negation of their inherent status as Native peoples.

Delgamuuk’w and Beyond In December of 1997, the Supreme Court of Canada gave its judgment in the case known as Delgamuuk’w.16 While there was no determination on the specific question of the Aboriginal title of the Gitskan-Wetsuweten (a First Nation in northern British Columbia), the ruling had major ramifications for the treaty process which continue to be grappled with. Formally ordering a new trial, the court encouraged “negotiated settlements with good faith and give and take on all sides” (at para. 186). The judgment then established a new context for such negotiations by developing a clearer definition of Aboriginal title: neither an inalienable form of fee simple nor mere usufructuary (usage) rights, it is “somewhere in between these positions.” Aboriginal title is a right in land itself, and can encompass a range of practices “not all of which need be … integral to the distinctive cultures of Aboriginal societies.” The opening provided here is the source of ongoing dispute, though such practices cannot include those which would threaten the Aboriginal way of life itself (at para. 110-11). This elaboration of Aboriginal title gives further content to s.35. However, it is certain that title is not immune from infringement by the federal government:

185 International Journal of Canadian Studies Revue internationale d’études canadiennes

[T]he development of agriculture, forestry, mining, and hydroelectric power, the general economic development of the interior of British Columbia, protection of the environment or endangered species, the building of infrastructure and the settlement of foreign populations to support those aims, are the kinds of objectives that are consistent with this purpose and, in principle, can justify the infringement of Aboriginal title (at para. 165). Persky suggested that the wide scope of the phrase “general economic development” may be minimized by the requirement to consult and an obligation to pay compensation where infringement occurs (Persky: 20). The exhortation of the court for parties to negotiate rather than litigate is notable, although it has many precedents, such as in the widely-cited Martin case in the British Columbia Court of Appeal, which provided injunctive relief against logging activity to a First Nation on Vancouver Island in 1985. The judge remarked that the people of British Columbia were entitled to think that their leadership would negotiate reasonable outcomes on their behalf without the accumulating costs and the enmity of litigation. Several points may be raised, however: exhortations from the bench to negotiate, like those for peace, can often elide questions of power, a fact not lost on First Nations, governments or observers of the treaty process. Moreover, the judgment downplayed a number of issues that have proven consistently beyond the abilities of negotiating teams. These include the range of activities and the character of Aboriginal jurisdiction or self-government over title lands; the specifics of good faith consultation; and an appropriate level of compensation for extinguished title. Consequently, litigation is likely to be an active part of First Nation strategy for some time. In recent jurisprudence in the British Columbia Court of Appeal, First Nations gained a recognition they had long sought on treaty tables without success: the right to be consulted over resource allocation decisions on lands the legal status of which remains in dispute. Both the Haida and Taku River Tlingit judgements saw the duty of the provincial government to consult made more concrete: in the former, the court pointed to an infringement of that duty and extended it to the corporation involved, lumber multinational Weyerhauser.17 Such recognition has been at the centre of Native demands since they realized that Europeans intended to settle in their traditional territories. Indeed, part of the energy created by the treaty process at its inception was its apparent openness to Native interests over resource allocation decisions in advance of final determinations of title. The interim measures process, as pointed out, leaves much to be desired.

186 Treaties in British Columbia: The Search for a New Relationship

So, in the absence of widespread confidence in negotiations, litigation is seen by First Nations as one way of extending their recognition within Canadian institutions. Their resources, numbers and politically marginal status, will, I suggest, ensure that this remains the case. In fact, the Xeni Gwitlin case currently before the Supreme Court (and involving title) has seen a preliminary finding awarding costs in advance to the First Nation plaintiff, because in the view of the court, the treaty process did not offer a reasonable alternative to litigation (BCTC 2003: 2). Conversely, governments may be able to approach hortatory judicial instructions with indifference. It is the view of one scholar, Gurston Dacks, that governments may simply continue to make a safe bet on litigation: [Governments] anticipate that Aboriginal title will be recognized only over modest areas of land. Bolstering this confidence is their calculation that First Nations will be reluctant to test the Aboriginal title waters for fear of an unfavorable judicial decision that will weaken their position at the claims negotiating tables. This reticence may well counter the momentum that the Delgamuuk’w decision created in favour of First Nations’ claims … if the option is to alter their negotiating positions in the face of court judgements, they may prefer to tough it out by using the uniqueness of each First Nation’s circumstances to compel a very large number of them to take their claims to court … Governments can take considerable comfort in the Delgamuuk’w decision. While their resources are not endless, they are better able to fight a war of legal attrition than are most First Nations. There are good reasons for First Nations to avoid litigation (Dacks). It is difficult to see such a strategy, if it is real, as “good faith.” However, even leaving aside such issues, some First Nations see the entire context of negotiations as having the potential to lead away from the vision that they have for their communities. Theirs is a hostility to the rationale of treaties as “bills of sale” resulting in certainty; this contrasts with an understanding of the earliest treaties as acts of recognition ensuring shared access to resources (Williams 1997: 126-37). Important for such positions is the renewal of traditional identities and the assertion of traditional rights. A key thinker in this mode is Taiaiake (Gerald) Alfred, whose work emphasizes “self-conscious traditionalism” (Alfred 1995: 68-87; Alfred 1999: 80-88). This is not simply the self-con- sciousness of a Native display, but the coming to awareness of self through Native traditions; the formation of identity through the renewal of culture; an expression of personal freedom through the practice of Native social, economic and political norms. From this position, negotiating with the settler society takes a back seat to community-based activities.

187 International Journal of Canadian Studies Revue internationale d’études canadiennes

It is possible that such tactics may have a new legal basis. Legal scholar Kent McNeil has suggested that, notwithstanding its many defects, Delgamuuk’wmayseeareversaltothe“burdenofproof”intitlelitigation: If an Aboriginal nation is primarily in possession of land, there does not seem much reason for them to bring on action for declaration of their title to it. They can generally act as landholders do,andusethelandsfortheirownpurposes,inaccordancewiththe collective needs of their community … if an Aboriginal nation brought an action, not for a declaration of Aboriginal title, but for trespass on that Aboriginal title lands, the evidential requirements wouldbedifferentaswellbecauseinthatsituationtheywouldonly havetoprovepresentpossession,nottheirtitle(McNeil1999:30). Others do not disavow negotiations but are seeking to situate those within a coherent range of activities.18 The Delgamuuk’w/Gisday National Process, conducted by the Assembly of First Nations, aims to “provide assistance and organizational capacity for First Nations considering asserting their title consistent with the Delgamuuk’w decision” (AFN 2000: 1). Six basic principles comprise a complete post-Delgamuuk’w assertion of Native title, rights and interests: community participation and public education; pre-litigation and political negotiation; litigation; policy development; direct action; and finally, an international campaign–to challengeCanada’simageasaninternationaldefenderofhumanrights.19 There is coherence to this: community education about what the law is, development of practices appropriate to it, and the use of traditional resources all form an affirmation of Native identities, indeed are measures to bind and stabilize them. The other three strategies, openness to negotiation, pursuit of litigation where necessary, and organization at an international level, all indicate growing indigenous political confidence in diverse modes of engagement with Canadian and provincial institutions. The conscious assertion of traditional rights has been the basis of major political mobilization amongst Native peoples across Canada. In fact, direct action is largely what led to the treaty process in the first place. While negotiated outcomes seem preferable and in keeping with the rhetoric of new relationships between peoples, they are not the sole method for pursuing Native claims. Government intransigence at treaty tables ensures this is likely to remain the case.

Provincial Unilateralism Though the gestation of the treaty process was undoubtedly during the final Social Credit government of the late 1980s and early 1990s, carriage of the process was indelibly associated with the NDP, which held government from October 1991. Their electoral liquidation in May 2001 (they went from government to holding two seats in a legislature of 79; the Liberal party holds the other 77) created disquiet among pro-treaty First Nations.

188 Treaties in British Columbia: The Search for a New Relationship

Mainly, this was due to the Liberals’ promise to hold a provincial referendum on the government’s mandate at treaty tables. Since at least the initialling of the Nisga’a Agreement-in-Principle in 1996 (in negotiations substantially similar to the British Columbia treaty process but conducted outside it) the Liberals railed against a lack of transparency and accountability in treaty-making. Moreover, they acted as a conduit for harsh critics in the resources sector, such as the Council of Forest Industries and the B.C. Fisheries Survival Coalition. In government they quickly kept their promise, establishing a committee to hear public views on the content of the referendum, then holding a poll within a year of taking office. Eight questions were asked, to provide clear instructions to members of the provincial negotiating teams (British Columbia 2002b). The referendum was held under the British Columbia Referendum Act, which meant that if approved, the eight issues would become legally binding on the government under provincial law. All eight were given overwhelming approval (British Columbia 2002a). Partly this was due to the concerted boycott of the referendum by nearly all Native peoples and their supporters. There was thinly-veiled criticism of it by the Treaty Commission, which felt a referendum was neither “cost-ef- fective nor efficient” (BCTC 2002a: 2). One issue exemplifies the new politics around treaties: self-government. As with their right to be consulted over resource decisions, Natives have been claiming recognition for traditional modes of government since contact. Only in 1995 did the federal government finally recognize self-governmentasaninherentright(Canada1995).Inarangeofdecisions, Canadian courts have encouraged this position, most explicitly in a 2001 British Columbia Supreme Court ruling in Campbell (an action brought by the current Premier), which rejected the proposition that all power in Canada resides with the federal and provincial governments, stating that self-government was a s.35 Aboriginal right (BCTC 2002b: 21).20 However, the British Columbia government chose to ask residents of the province whether they agreed with the proposition that “Aboriginal self-government should have the characteristics of local government, with powers delegated from Canada and British Columbia” (emphasis added). As is common in federal systems, local government exists “at the pleasure” of the province through legislation. Now, 87% approval of that question means that provincial negotiators are obliged to discuss only delegated models of self-government at treaty tables. While the exact meaning of the words remains in many ways unclear, no one thinks that “delegated” and “inherent” might mean the same thing. Anathema to the origins of the process in First Nations demands for recognition of their unique status, it contradicts the rhetoric of “interest-based negotiations,” as well as judicial orthodoxy, federal

189 International Journal of Canadian Studies Revue internationale d’études canadiennes government policy and widely-regarded recent scholarship from the United States linking economic development in Indian country with substantial self-government arrangements (Cornell and Kalt). It has been justified as a timely act of democracy for all peoples in the province. While the stance is unlikely to survive a constitutional challenge, it does beg the question, exposing the contradictions between provincial political legitimacy and the broad philosophical intentions of treaties as attempts to build new relationships between peoples. In another sense, the serious policy divergence between them raises considerable doubt over whether the governments of British Columbia and of Canada can enter into new relationships on behalf of the same “people” at all.

The Status of the Process There are some suggestions that negotiations, however, are proceeding. Before considering these claims, an overview of the status of negotiations is warranted. As of May 2003, there are no modern treaties in British Columbia other than the NFA,negotiated from 1976-2000 under the federal comprehensive claims policy. A decade into the British Columbia treaty process, 53 First Nations, representing approximately two-thirds of Native peoples in the province, are in negotiations with the two governments at 42 treaty tables (some neighbouring First Nations negotiating at common tables). The overwhelming majority of tables remain in the first substantive phase of talks, Stage 4, obstructed by the structural and fundamental problems discussed above. The Commission noted recently that treaty tables had “struggled to sustain momentum …. Substantive negotiations were disrupted … many tables met infrequently, some did not meet at all” (BCTC 2002b: 7). The referendum was blamed for this loss of impetus. Only one First Nation has joined the process since 1997 (the year of the Delgamuuk’w judgment), the Hupacasath First Nation having left the collective Nuu-chah-nulth Tribal Council (NTC) negotiations on the edge of Stage 5 to pursue its own treaty agenda. Another band, at McLeod Lake near the province’s north-east border with Alberta, reached an “adhesion” to one of the early 20th century numbered treaties–Treaty 8, one of the openly colonial extinguishment treaties. It secured a significant land quantum and resource access through bilateral negotiations with Canada (BCTC 2000a). As Krehbiel noted: Certainly the outcome of McLeod Lake was far better than … that (neighboring Lheidli was offered in 2000) in terms of land and resources … it would provide a large land quantum and a larger cash quantum, tax exemption, and a clear hunting and fishing right. That isn’t easy to achieve in the other process (Krehbiel).

190 Treaties in British Columbia: The Search for a New Relationship

Those tables that have reached Stage 5 so far have faced a community backlash: the Sechelt community rejected its AIP in July 2000, in favour of a return to litigation; the Nuu-chah-nulth AIP, initialled on March 10, 2001 was rejected during the ratification process by Nuu-chah-nulth communities; and finally the Sliammon table, which also reached an AIPin March 2001, is still to have that ratified by the Sliammon community. Some tables have been effectively disbanded by First Nations, in addition to two First Nations–Ts’kw’aylaxw, and the Xaxli’p–that have formally withdrawn from the British Columbia treaty process.21 Progress is rumoured to be taking place on several tables, with press releases indicating a new will in the provincial government to make progress. The 2003 Throne Speech, setting out provincial government priorities, included a statement regretting “years of paternalistic policies that fostered inequity, intolerance, isolation and indifference,” though rhetorical concessions are hardly new nor likely to convince First Nations of anything in particular. Recent developments on the Snuneymuxw table on Vancouver Island have been hailed as a breakthrough: though only a summary of a draft is available, it suggests some agreement on quantum (approximately 5000 hectares and $64M) and over revenue-sharing on resources taken from traditional territories (Snuneymuxw, British Columbia and Canada 2003). However, on the thorny issue of self-government there is little more than a restatement of positions with the delegated/inherent question not considered, let alone resolved; compensation and certainty are not discussed at all. Such developments may be a sign that the parties feel an “incremental” approach may rebuild confidence in the process. Recently, “high-level talks” between the principals on the obstacles to treaties have apparently been frank but without outcomes (BCTC 2003: 6). Undoubtedly, we can expect some First Nations to succumb to the superior power and resources of the governments, and reach agreements that provide them with access to new funding sources enabling development in their communities. However, clear resolution about the fundamentals of the new relationships between Native and non-Native remains remote.

Conclusion It has been a normative assumption of this paper that the claims of Native peoples for recognition and justice deserve to be acknowledged. I hold to this view because of Native peoples’ distinct status, not because such an acknowledgment would serve as a legitimation of the province of British Columbia, though that would likely be the eventual outcome of appropriate recognition. Yet in crucial respects, the current treaty process allows the governments to achieve legitimation without–in the view of Native peoples–adequate recognition. In part, this is the consequence of inadequate funding and the

191 International Journal of Canadian Studies Revue internationale d’études canadiennes weaknesses of a process for distributing justice that has no ways to manage existing power imbalances between the parties. More than this, however, the goal and rhetoric of “new relationships between peoples” has become a trope,disconnectedfromanysensibleunderstandingoftheoldandongoing relationships of dispossession and abuse. It is an attitude clearly manifest in government positions on compensation and interim measures. Similarly, the governments’obsession with legal and economic certainty is crafted largely at the expense of an honest understanding of Native traditions of governance, and by the dogmatic assertion that this process should be the end. At the start of the 21st century, Native peoples are expected to define themselves and set out explicitly their needs for all time: without this, non-Native peoples are thought to be held in perpetual uncertainty. Rather than an ongoing and mature relationship that is consciously situated in time, governments in Canada have a vision of a relationship that is yet to struggle free of older patterns of domination.

Notes * This research was supported by a grant from the International Council for Canadian Studies. 1. The main exceptions are the Douglas treaties reached on Vancouver Island in the 1860s. Other agreements are the source of some historical interest, notably the Barricade treaties reached between authorities and the Carrier peoples around the Prince George area in the early 1900s. The 1899-1900 agreement, Treaty 8, straddled the Alberta-British Columbia border. It was the subject of an adhesion by the McLeod Lake Band in 2000, an issue I discuss below. The only “modern” treaty is the Nisga’a Final Agreement (NFA) also concluded in 2000 but reached through a separate process known as the comprehensive claims policy. 2. For clarity, I use the term Native(s) to refer to all indigenous peoples in the province; First Nation(s) is restricted to those peoples involved in the treaty process. 3. Terry Glavin, “Westar joins Northwest timber protest,” The Vancouver Sun (February 23, 1990). 4. See Tennant, pp. 216-218. 5. The first being the pre-Confederation treaties made prior to 1867; the second the “numbered treaties” from Treaty 1 in southern Manitoba in 1871 to Treaty 11 in the Northwest Territories in 1921 (Foster: 358). There have been various adhesions, including the McLeod Lake Band’s adhesion to Treaty 8 in the Northeast part of British Columbia in 2000. 6. British Columbia Minister for Intergovernmental Relations, Garde Gardom: “Land claims: harmony must begin in Ottawa,” The Vancouver Sun (September 9, 1986). 7. Jack Weisgerber, British Columbia Legislative Assembly Hansard (May 19, 1993). 8. Andrew Petter (Minister for Aboriginal Affairs), British Columbia Debates of the Legislative Assembly (May 19, 1993) (emphasis added). The policy language of “new relationships” or partnerships between peoples was long entrenched in Indian Affairs and now has become the operational idiom. (Canada, House of Commons Special Committee on Indian Self-Government, and Penner 1983: 41;

192 Treaties in British Columbia: The Search for a New Relationship

Canada, Task Force to Review Comprehensive Claims Policy, Coolican, Canada, and Indian and Northern Affairs Canada 1985: iv; Hamilton, A. C., Canada, and Indian and Northern Affairs 1995: 71; Canada, Royal Commission on Aboriginal Peoples 1996: Volume 2; Richardson; First Nations Education Steering Committee 1998: 3). 9. First Nations decided that ratification would be by community referendum. British Columbia and Canada decided that agreements would be ratified by passage through the Legislature and Parliament respectively. 10. The Snuneymuxw, for example, appeared awake to the strategic value of the “bad faith” line in their negotiations during 2000. See Wagg, 2000. 11. That is, land that after treaties will be under the exclusive ownership and jurisdiction of First Nations. 12. Eric Denhoff, Canada, Gitanyow Main Table Meeting (Vancouver, September 17, 1999). 13. Tom Molloy, Chief Negotiator, Federal Treaty Negotiation Office. Quoted in Lewis 1998. 14. Craig McInnes, “British Columbia changes treaty approach,” The Globe and Mail (May 14, 1998). 15. Elmer Derrick, Canada, Proceedings of the Standing Senate Committee on Aboriginal Peoples, Issue No. 4, Bill C-9, An Act to give effect to the Nisga’a Final Agreement 1999-2000 (Ottawa, February 23, 2000). 16. For a comprehensive analysis of the judgment see the range of scholarly articles available at http://www.delgamuukw.org/. 17. It should be noted that both these cases are the subject of appeal by the province. The government is seeking to have the Supreme Court find that constitutional authority over resource decisions is retained by the province. 18. Dene Moore, “Bands grow weary of treaty process,” The Canadian Press (July 13, 1999). 19. Interior Alliance News, “New Delgamuuk’w Plan of Action,” (July 2000). 20. The Supreme Court of Canada is yet to provide a definitive judgment on self-government. 21. The In-SHUCK-ch/N’Quat’qua withdrew but have since rejoined the process. 22. CBC News (February 12, 2003).

References Alfred, Gerald R. (1995). Heeding the Voices of our Ancestors: Kahnawake Mohawk Politics and the Rise of Native Nationalism, Oxford University Press, New York. Alfred, Taiaiake (1999). Peace, Power, Righteousness: An Indigenous Manifesto, Oxford University Press, New York. Assembly of First Nations (2000). “The Delgamuuk’w/Gisday’wa National Process: Questions and Answers,” http://www.delgamuukw.org/news/qa.pdf [accessed November 12, 2001]. Asch, Michael (1992). “Political Self-Sufficiency,” in John Bird and Diane Engelstad (eds.). Nation to Nation: Aboriginal Sovereignty and the Future of Canada, Anansi, Concord Ont. Barman, Jean (1996). The West beyond the West: A History of British Columbia, University of Toronto Press, Toronto. British Columbia (1993). Treaty Commission Act [RSBC 1996] Chapter 461, http://www.qp.gov.bc.ca/statreg/stat/T/96461_01.htm [accessed November 12, 2001]. ––— (1991). Ministry of Aboriginal Affairs (MAA). The Report of the British Columbia Claims Task Force (June 28), http://www.aaf.gov.bc.ca/pubs/ bcctf/toc.htm [accessed September 24, 2001].

193 International Journal of Canadian Studies Revue internationale d’études canadiennes

––— (1996). “British Columbia’s Approach to Treaty Settlement Lands and Resources” (June 12), http://www.aaf.gov.bc.ca/aaf/pubs/context.htm [accessed January 12, 2001]. ––— (1997). Select Standing Committee on Aboriginal Affairs. Towards Reconciliation: Nisga’a Agreement-in-Principle and British Columbia Treaty Process First Report (July), Appendix II, Minority Opinions, http://www.legis.gov.bc.ca/CMT/36thParl/CMT01/1997/1report/index.htm [ac- cessed November 12, 2001]. ––— (2000a). “Overview of the Final McLeod Lake Adhesion to Treaty No. 8 and Settlement Agreement,” http://www.aaf.gov.bc.ca/news-releases/2000/ mcleodover.stm [accessed January 14, 2001]. ––— (2000b). “Nisga’a Final Agreement,” http://www.aaf.gov.bc.ca/treaty/nisgaa/ docs/nisga_agreement.stm [accessed August 16, 2001]. ––— (2001). British Columbia Statistics. A Guide to the British Columbia Economy & Labour Market (April). ––— (2002a). Elections British Columbia, “Referendum Final Results,” http://www.elections.bc.ca/referendum/finalresults.pdf [accessed March 19, 2003]. ––— (2002b). “Instructions to Negotiators,” http://www.gov.bc.ca/tno/negotiation/ instr_for_negotiatiors.Htm [accessed March 16, 2003]. British Columbia Treaty Commission (BCTC) (1996). Update (April), http://www.bctreaty.net/updates/april96release.html [accessed November 12, 2001]. ––— (1999a). “Interim Report: Strengthening First Nations for Treaty Purposes” (January 7, 1999). ––— (1999b). “Speaking Notes for Kathleen Keating, Commissioner and Debra Hanuse, Commissioner, to the Prime Minister’s Caucus Task Force on the Four Western Provinces” (Vancouver, May 17), http://www.bctreaty.net/files/task force.pdf [accessed November 12, 2001]. ––— (1999c). “Policies,” http://www.bctreaty.net/files/policies.html [accessed Nov- ember 12, 2001]. ––— (2000). Annual Report 2000, http://www.bctreaty.net/annuals/2001 Annual Report.pdf [accessed November 12, 2001]. ––— (2001a). Update (March), http://www.bctreaty.net/updates/march01/mar01interim.html [accessed November 12, 2001]. ––— (2001b). Annual Report 2001, http://www.bctreaty.net/annuals/2001 Annual Report.pdf [accessed November 12, 2001]. ––— (2001c). Looking Back Looking Forward, http://www.bctreaty.net/annuals/ Review.pdf [accessed November 12, 2001]. ––— (2001d). Submission to Select Standing Committee on Aboriginal Affairs (October 18, 2001), http://www.bctreaty.net/files/Submission to Select Standing Committee.pdf [accessed November 12, 2001]. ––— (2002a). Update (May), http://www.bctreaty.net/files/May Update.pdf [accessed March 11, 2003]. ––— (2002b). Annual Report 2002, http://www.bctreaty.net/files/2002 Annual.pdf [accessed March 11, 2003]. ––— (2003) Update (January), http://www.bctreaty.net/files/January03Update.pdf [accessed March 17, 2003]. Calder v. Attorney General of British Columbia [1973]. S.C.R. 313. Canada (1995). The Government of Canada’s Approach to Implementation of the Inherent Right and the Negotiation of Aboriginal Self-Government (Minister of Public Works and Government Services, Ottawa). ––— (1997). Gathering Strength – Canada’s Aboriginal Action Plan, DIAND, Ottawa. Canada, House of Commons Special Committee on Indian Self-Government, and Penner, K. (1983). Indian Self-Government in Canada Report of the Special Committee, Queen’s Printer for Canada, Ottawa. Canada, Task Force to Review Comprehensive Claims Policy, Coolican, M., and Indian and Northern Affairs Canada (1985). Living Treaties, Lasting Agreements:

194 Treaties in British Columbia: The Search for a New Relationship

Report of the Task Force to Review Comprehensive Claims Policy, DIAND, Ottawa. Canada, Royal Commission on Aboriginal Peoples (1996). The Report of the Royal Commission on Aboriginal Peoples, Ottawa: Minister of Supply and Services. Christie, Gordon (2000). “Delgamuuk’w and Modern Treaties,” http://www.delgamuukw.org/ research/moderntreaties.pdf [accessed November 12, 2001]. Cornell, Stephen and Joseph P. Kalt. Reloading the Dice: Improving the Chances for Economic Development on American Indian Reservations (Harvard Project on American Indian Development), http://www.ksg.harvard.edu/hpaied/docs/ reloading the dice.pdf [accessed March 29, 2003]. Council of Forest Industries. 2000. Factbook, COFI, Vancouver. Dacks, Gurston (2000). “Litigation and Public Policy: Lessons from the Delgamuukw Decision,” Joint Annual Meeting of the Canadian Political Science Association and the Société québécoise de science politique, Quebec City, Quebec. de Costa, Ravi (2003). “Treaty How?” The Drawing Board: An Australian Review of Public Affairs 4(1) (July), 1-22, http://www.econ.usyd.edu.au/drawingboard/ [accessed November 18, 2003]. Delgamuukw v. British Columbia [1997]. 3 S.C.R. 1010. Didluck, David (2000). Executive Director Lower Mainland Treaty Advisory Committee, Interview (Burnaby, August 14). First Nations Education Steering Committee and British Columbia Teachers’ Federation (1998). Understanding the British Columbia Treaty Process: An Opportunity for Dialogue, FNESC, Vancouver. First Nations Summit (1996). Treaty-Making: The First Nations Summit Perspective (June). ––— (2001). “The Road to Treaty Negotiations in British Columbia,” http://www.fns.bc.ca/files/t-chronology.html [accessed November 12, 2001]. First Nations Summit, Union of British Columbia Indian Chiefs and Interior Alliance (2000). “Consensus Statement” (January 29). Reproduced in Interior Alliance News (July 2000). Foster, Hamar. 1999. “Indian Administration from the Royal Proclamation of 1763 to Constitutionally Entrenched Rights,” in Havemann, P. Indigenous Peoples’ Rights in Australia, Canada & New Zealand, Oxford University Press, Auckland. Govier, Trudy (2000). “Trust, Acknowledgment and the Ethics of Negotiation,” in Speaking Truth to Power: A Treaty Forum, http://www.lcc.gc.ca/en/ress/ part/200103/govier.html#govier-e [accessed November 12, 2001]. Haida Nation v. B.C. and Weyerhaeuser [2002]. BCCA 462. Hamilton, A. C., Canada, and Indian and Northern Affairs Canada (1995). A New Partnership, Minister of Public Works and Government Services Canada, Ottawa. Haythornthwaite, Gabriel (2000). “Tossing the Template: British Columbia Natives Reject Nisga’a-style Treaties,” Canadian Dimension 34(5) (September/October), 33-36. Krehbiel, Rick (2000). (Treaty Analyst, Lheidli T’enneh First Nation) Interview. (Prince George, August 26). Lewis, Burke (1998). “Into the Billions and Beyond,” British Columbia Report (February), http://www.axionet.com/bcreport/web/980202f.html [accessed Nov- ember 12, 2001]. Lovick, Dale (1998). “Address to First Nations Summit” (Squamish Recreation Center, October 29, 1999), http://www.aaf.gov.bc.ca/news-releases/1999/Summit-Oct.29.stm [accessed January 15, 2001]. Luuxhon et al v. HMTQ Canada et al and Nisga’a Nation [2000]. BCSC 1332. Martin et al. v. The Queen in right of the Province of British Columbia et al. [1985]. 3 Western Weekly Reports, 583-593. McFarlane, Peter. (1993). Brotherhood to Nationhood: George Manuel and the Making of the Modern Indian Movement, Between the Lines, Toronto. McNeil, Kent (1998). “Defining Aboriginal Title in the 90s: Has the Supreme Court Finally Got it Right?,” 12th Annual Roberts Lecture (Robarts Centre for Canadian Studies, York University, Toronto, March 25, 1998),

195 International Journal of Canadian Studies Revue internationale d’études canadiennes

http://www.delgamuukw.org/perspectives/defining.pdf [accessed November 12, 2001]. ––— (1999) “The Onus of Proof of Aboriginal Title,” http://www.delgamuukw.org/ research/onus.pdf [accessed November 12, 2001]. Miller, James R. (2000). Skyscrapers Hide the Heavens, University of Toronto Press, Toronto. Persky, Stan. (1998). Delgamuukw: The Supreme Court of Canada Decision on Aboriginal Title, Greystone, Vancouver. Richardson, Miles. (2000). (Chief Treaty Commissioner of British Columbia) Interview (Vancouver, October 12). Schulmann, Bernard (2000). (Policy Analyst Ts’kw’aylaxw First Nation) Interview (Vancouver, August 23). Smith, Denise (2000). (Sliammon Chief) “Summary of Proceedings/Treaty Panel,” Island Coast Summit, http://www.islandcoastsummit.gov.bc.ca/ (August 9). , British Columbia and Canada (2003). Snuneymuxw Treaty Negotiations: Draft Consultation Agreements-in-Principle Summary (April), http://www.idv8.com/snuneymuxwtreaty/images/sfn_aipsummary.pdf [accessed April 22, 2003]. Switlo, Janice (1996). B.C. Treaty Process–“Trick or Treaty?: Giving Effect to the ‘Spirit and Intent’ of Treaties–Abandoning Treaty Rights, Union of BC Indian Chiefs, Vancouver. Taku River Tlingit First Nation v. Ringstad et al [2002] BCCA 59. Tennant, Paul (1991). Aboriginal People and Politics in British Columbia, University of British Columbia Press, Vancouver. (2000). Presentation of Treaty Negotiation Proposal (July 28), http://www.tsawwassen-fn.org/tre/comp2/part_a.html#Formula [accessed November 12, 2001]. Wagg, Dana (2000). “Treaty Process Breaking Down,” in Raven’s Eye (February 14), http://www.ammsa.com/raven/FEB2000.html#anchor3541703 [accessed November 12, 2001]. Williams, Robert (1997). Linking Arms Together: American Indian Treaty Visions of Law and Peace, 1600-1800, Oxford University Press, New York. Xeni Gwet’in First Nations v. British Columbia [2002] BCCA 434.

196 Research Note

Note de recherche

Margery Fee

The Sapir-Whorf Hypothesis and the Contemporary Language and Literary Revival among the First Nations in Canada

Introduction Whorf spoke of “a new principle of relativity, which holds that all observers are not led by the same physical evidence to the same picture of the universe, unless their linguistic backgrounds are similar, or can in some way be calibrated” (Whorf 1956: 214). A contributor to the Linguist chat room discussing the Sapir-Whorf hypothesis comments that “[t]he view that one’s world view is determined by the language one speaks is nearly universally accepted by educated people who aren’t linguists.” This certainly seems true of First Nations peoples. Mi’kmaq writer Marie Battiste writes: “Aboriginal languages are the basic media for the trans- mission and survival of Aboriginal consciousness, cultures, literatures, histories, religions, political institutions, and values. They provide distinctive perspectives on and understanding of the world …” (Battiste 2000: 199). This view that language and cultural consciousness are related is held by the settler cultures as well as by Aboriginal peoples in Canada–an obvious example being Quebec sovereigntist attitudes to French. Indeed, the grounding of national identity in national language dates at least as far back as the mid-eighteenth century (see Gumperz and Levinson 1996: 1-18). In a local Vancouver newspaper account of the Aboriginal language revivals in Canada, English is depicted as both the modernizer and the colonizer: “English is vibrant and powerful, endlessly complex. It has the ability to assimilate new concepts and generate new forms. It is, in fact, a bit of a bully” (Scott 2001: 17). Minority languages are depicted as inherently resistant, with features that are difficult to assimilate into English: “But English cannot absorb all the idiosyncrasies of the Sechelt language” (Scott 2001: 17). The languages and their associated cultures are rightly depicted asinextricable.Thedebatebetweenthosewhobelievelanguageandculture are inextricable and those who do not is important for understanding the move towards Aboriginal language revitalization in Canada, because the beliefs of everyone in Canada, not just those of the scholarly experts or the remaining speakers, affect the future of Aboriginal languages.

International Journal of Canadian Studies / Revue internationale d’études canadiennes 27, Spring / Printemps 2003 International Journal of Canadian Studies Revue internationale d’études canadiennes

The Sapir-Whorf Hypothesis Today As Randy Allen Harris notes in The Linguistics Wars (1993), the dominant school of linguistics in North America is founded on the ideas of Noam Chomsky. Chomsky posits that all human brains are hard-wired for language, and although this hard-wiring must be triggered by exposure to an actual language, the underlying hard-wiring provides all languages, however varied, with some important “super-rules.” Thus, the possibility of a universal grammar exists, which can be discovered by comparing languages, and this constitutes the paradigm in which many linguists work. As Harrris says, however, “Chomsky defines linguistics in a way that leaves recalcitrant data on the extreme periphery, … that leaves the aesthetic elements of language in some cold and distant stretch of the galaxy … [and] … in a way that draws on literary criticism as a negative example … (Harris 1993: 246). Steven Pinker, in his best-selling Chom- skyan account of linguistics, The Language Instinct: How the Mind Creates Language (1995), gives an overview of the Sapir-Whorf hypothesis. In a chapter, he argues that “[p]eople do not think in English or Chinese or Apache; they think in a language of thought,” which he terms “mentalese” (81). He states that “[l]inguistic relativity came out of the Boas school, as part of a campaign to show that nonliterate cultures were as complex and sophisticated as European ones. But the supposedly mind-broadening anecdotes owe their appeal to a patronizing willingness to treat other cultures’ psychologies as weird and exotic compared to our own” (Pinker 64). For Pinker, linguistic relativism is “wrong, all wrong” (Pinker 67). He makes it appear not only unscientific, but also colonizing, to assume that there might exist important language-based differences among cultures. George Lakoff, a dissident student of Chomsky’s and a “leading figure in themostrapidlyexpandinglinguisticapproachof thelastdecade,cognitive grammar” (Harris 1993: 247), devotes a chapter of his Women, Fire, and Dangerous Things to examining Whorf’s theories and contemporary tests of them. He concludes that “detailed empirical studies have convinced me in a way that Whorf’s cursory studies did not, that these [Amerindian] languages differ from English and from each other in the way they conceptualize spatial location. These differences are largely differences in conceptual organization” (Lakoff 1987: 334). He continues, Whorf was right in observing that concepts that have been made part of the grammar of a language are used in thought, not just as objects of thought, and that they are used spontaneously, automatically, unconsciously, and effortlessly … I am convinced by Whorf’s arguments that the way we use concepts affects the way we understand experience; concepts that are spontaneous, automatic, and unconscious are simply going to have a greater (though less obvious) impact on how we understand everyday life than concepts that we merely ponder. (Lakoff 1987: 335)

200 The Sapir-Whorf Hypothesis and the Contemporary Language and Literary Revival among the First Nations in Canada

John A. Lucy, in “The Scope of Linguistic Relativity: An Analysis and Review of Empirical Research” notes that “[w]e still know little about the connections between particular language patterns and mental life–let alone how they operate or how significant they are” (Lucy 1996: 37). He accounts for the paucity of empirical research on the tendency of both physical and social scientists to disregard the symbolic aspects of language and to carry on “as if language had … an unproblematic ‘mapping’ relationship to perception, cognition, emotion, social interaction, etc.” (39) Dan Alford gives a stirring account of the misrepresentation of Whorf’s ideas, arguing that deterministic linguistic theories can be connected to Newtonian physics, while Whorf read Einstein’s theory of relativity and connectedtoithisthinkingonlanguage.Whorf,accordingtoAlford, “from his acquaintance with physics, moved from Newtonian monocausal deter- minism as an ideal into systems thinking–where sometimes the opposite of one profound truth is another profound truth, where everything is INTERdependent, multicausal, interconnected: Language shapes culture while culture is shaping language; language shapes thinking while thinking is shaping language” (Linguist List 1995). Alford also examines the ideas of the late David Bohm, author of Wholeness and the Implicate Order (1980) and former Professor of Theoretical Physics at Birbeck College, London, who examined the disparity between widespread Western world views and the way in which quantum theory sees the world. Interestingly, at this time, Bohm had apparently not heard of Sapir, Whorf, or Amerindian languages. However, he argues that the subject-verb-object structure of modern languages implies that all action arises in a separate subject, and acts either on a separate object, or reflexively on itself. This pervasive structure leads in the whole of life to a function that divides the totality of existence into separate entities, which are considered to be essentially fixed and static in their nature. We then inquire whether it is possible to experiment with new language forms in which the basic role will be given to the verb rather than to the noun. Such forms will have as their content a series of actions that flow and merge into each other without sharp separations or breaks. Thus, both in form and content, the language will be in harmony with the unbroken flowing movement of existence as a whole. (Bohm 1980: xii) And just in case you take the last phrase as implying he thought that this existence as a whole could be clearly defined, he notes that “my attitude from the beginning [has] been that our notions concerning cosmology and the general nature of reality are in a continuous process of development” (xiv), which accords with the view of movement in quantum mechanics as “discontinuous, not causally determinate and not well defined” (xv). Before he died in 1991, Bohm had discovered that some Amerindian languages in fact did work the way he had proposed as a new way of using language.

201 International Journal of Canadian Studies Revue internationale d’études canadiennes

What follows outlines ways in which researchers are now examining linguistic relativism. In Philosophy in the Flesh: The Embodied Mind and its Challenge to Western Thought, George Lakoff and Mark Johnson examine how metaphors embedded in language affect worldviews. For example, the idea that time represents a resource holds true in Western capitalist culture because “our culture happens to have a great many institutions that reify the Time Is A Resource and Time Is Money metaphors” (Lakoff and Johnson 1999: 164) including time clocks, payment by the hour, appointment books and deadlines. They note that “Cultures in which time is not conceptualized and institutionalized as a resource remind us that time in itself is not inherently resourcelike. There are people in the world who live their lives without even the idea of budgeting time or worrying that they are wasting it” (165). From a different perspective, Dan Slobin argues that “research on linguistic relativity is incomplete without attention to the cognitive processes that are brought to bear, online, in the course of using language” (Slobin 2001: 2, his emphasis). Thus he notes that different languages require speakers to remember different information. We are familiar with the difference between English and French in the treatment of the second person (a difference found in many other languages). English pronoun choice does not tell us anything about the speaker’s relationship to an addressee or to others in a narrative, while the French speaker’s choice between familiar “tu” or more formal “vous” does. Some languages, Slobin notes, do not permit speakers simply to say something was behind something else, but rather “use absolute systems, in which, for example, one would say, ‘There’s a rabbit north of the tree,’ or ‘seaward from the tree,’ rather than ‘behind the tree’” (21). Thus people using particular linguistic systems become habituated to noting and remembering particular aspects of the social or physical world. Slobin points out, “It is unlikely that people experience events in their lives differently because of the language they speak. But events quickly become part of a personal narrative, and then language can begin to shape those memories” (21). Several of these writers have examined the ethical consequences of our attitudes to language. Lakoff speaks against the idea that if we accept linguistic relativism, we are faced with ethical chaos: “Conceptual relativism of the sort that appears to exist does not rule out universal ethical standards of some sort–at least as far as I can determine. Nor does it seem to tell us very much about what such standards should be. However, a refusal to recognize conceptual relativism where it exists does have ethical consequences. It leads directly to conceptual elitism and imperialism–to the assumption that our behaviour is rational and that of other people is not, and to attempts to impose our way of thinking on others” (337). Indeed Lucy makes the case that testing the ideas of linguistic relativism can lead us to insights about the ways in which our own naturalization of Western standard languages can blind us to certain ethical positions:

202 The Sapir-Whorf Hypothesis and the Contemporary Language and Literary Revival among the First Nations in Canada

Bloom, Cohn, Bourdieu, and others have noted that although this [Western] mode of rationalized, decontextualized discourse achieves certain advantages in terms of scientific theory construc- tion, it brings concomitant disadvantages insofar as it separates speakers from sensitivity to actual situations. Such an alienation from concrete realities can result in failed ethical engagement and moralactionintheworld.Thecrucialpointinthis,ofcourse,isthat this mode of orientation to the world is now richly embodied in the lexical and grammatical structure of the language itself–especially in the standard language of the dominant class strata. And as Whorf noted long ago, speakers will, quite predictably, take the elements of their language as “natural” and “given” in the world. (61) The history of linguistic imperialism is the whole focus of Alistair’s Pennycook’s English and the Discourses of Colonialism (1998), which argues that views of English as a language are carried in a discourse of colonialism that sees English as the language of progress, reason and modernity (compare the newspaper comment I cited at the beginning of this paper as well as Parakrama 1995). Although a great deal more can be (and has been) said on linguistic relativity versus universality, perhaps Deborah Cameron’s remarks on this issue can provide perspective on why this discussion is valuable: Like “what is truth?” “how shall we live?,” “does God exist?” and so forth, the question of language and reality is not generally posed in the hope that someone will come up with a definitive answer. The point of posing problems of this kind is not to find a solution so you can move on to something else; on the contrary, it is to enable conversation to continue on subjects we think important for the understanding of our condition. We deepen that understanding by reflecting on the questions themselves, and the last thing we need is for our reflections to be cut short by a scientist saying: “but we know the answer to that one.” (156)

First Nations Writers and Language Beliefs One does not have to speak a language fluently, or even know more than a few words, to deploy it to reveal one’s cultural affiliations and legitimate one’s right to assert cultural difference. Thus, Thomas King uses Cherokee headings in Green Grass, Running Water (1994), even though he himself does not speak the language. That Tomson Highway uses Italian musical terms as section headings in Kiss of the Fur Queen (1999) asserts something else: that a fluent Cree speaker can also master the complexities of classical music. The political message of both authors is the same: we can master modern Western culture and claim our traditional culture at the same time, asserting a freedom to choose denied them by those who apply tests like the

203 International Journal of Canadian Studies Revue internationale d’études canadiennes so-called“pizzatest”–youeatpizza,soyoucan’tbeIndian.InGreenGrass, Running Water, one White character challenges Eli, a Blackfoot: You guys aren’t real Indians anyway. I mean you drive cars, watch television, go to hockey games. Look at you. You’re a university professor.” That’s my profession. Being Indian isn’t a profession. And you speak as good English as me. Better, said Eli. And I speak Blackfoot, too. My sisters speak Blackfoot. So do my nieces and nephew. (141) Marilyn Dumont, a descendent of Gabriel Dumont who fought with Louis Riel against the encroachment of a Protestant English-speaking state at Red River, says of English, “it’s had its hand over my mouth since my first day of school” (54) and turns around the usual insistence that standard English be the norm: my father doesn’t read or write the King’s English says he’s dumb but he speaks Cree how many of you speak Cree? correct Cree not correct English (54) Eden Robinson’s first fiction collection, Traplines (1996), showed no evidence, apart from the title and the author’s picture, that she is Aboriginal. She explicitly wanted to avoid the trap that awaits First Nations people in contemporary Canada: Either you are a traditional Indian, born on a trapline (asTomsonHighwayactuallywas)oramodernpizza-eating Canadian. Her next novel, Monkey Beach (2000), asserts that she can be both. This novel is framed by the : On the first page, Lisamarie wakes up to hear the crows who “sit in our greengage tree. Half-awake I hear them speak to me in Haisla. La’es, they say, La’es, la’es” (1). It is as if her world speaks Haisla, even though she does not have more than a fragmentary knowledge of it. Her grandmother tells her stories and she thinks “[b]ut to really understand the old stories, you had to speak Haisla. She would tell me a new Haisla word a day, and I’d memorize it. But, I thought dejectedly, even at one word a day, that was only 365 words a year, so I’d be an old woman by the time I could put sentences together” (Robinson 2000: 211). Her grandmother teaches her the word for an especially sweet blueberry that means “blueberry with white mould on it”–slightly disgusted, she tastes it. From then on, instead of throwing those berries out as spoiled, she sees that they are better than the others. These flips in perspective are the result of her learning to categorize differently through another language. At the end of the novel, she has a vision of her dead relatives: “They are blurry, dark figures against the firelight. For a moment, the singing becomes clear. I can understand the words, even though they are in Haisla, and it’s a farewell song” (373-74). Tomson Highway writes from a modern Cree perspective,

204 The Sapir-Whorf Hypothesis and the Contemporary Language and Literary Revival among the First Nations in Canada where the aircraft landing in a remote northern community is described as landing “in flawless Cree” (187) and where conversations between the Cree characters and the ostensibly Cree-speaking priest make clear that “on matters sensual, sexual and therefore fun, a chasm as unbridgeable as hell separates Cree from English” (190). He repeatedly connects linguistic gender with sexuality. In Kiss of the Fur Queen, his character Gabriel says “if Native languages have no gender, then why should we?” (298). Many of hischaractersaregay–othersareambiguous,andhisTricksterissometimes gay. Certainly the Cree, like many other Native North American cultures, permitted, even encouraged or celebrated, a much wider range of sexual roles than traditional Western culture (Roscoe 1998). However, this has not been linked specifically to language. Will Roscoe, in Changing Ones: Third and Fourth Genders in Native North America, notes that “knowledge of berdaches’ anatomical sex was never denied, and the sexual acts performed with them were recognized (with distinct terms) as different from heterosexual acts” (10). He also notes that “few [Western theorists of sexuality] have ever considered cross-cultural evidence; many show a marked disinclination for empirical evidence of any kind. Consequently, certain elements of Western beliefs and epistemology have been essentialized as universal features of human societies” (5). Presumably, more work on the connections between language and sexuality in Cree and other Native North American cultures might well support the connections that Highway asserts.

Language Beliefs and Language Revitalization At one time I was rather skeptical about the promotion of language revival for the First Nations in Canada. At a little over 3% of the population (2001 Census, www.statcan.ca), Aboriginal people (defined as Indian, Inuit and Metis people of Canada, under the 1982 Constitution Act) are a small group. It seems language revival might simply work against pan-Abo- riginal political action and continue a long history of “divide and conquer” tactics used against them. I believed in translatability and shared the resistance of many Chomskyan linguists to the idea that speaking a different language meant that one held a different world view. I noted that the Queen, a Jamaican taxi driver and I were all first language English speakers, and yet clearly held very different world views. I also felt the insistence of some First Nations speakers on language as a test of authenticity offensive– “If you don’t speak Ojibway, you aren’t Ojibway.” Finally, I felt that the time and energy expended on language revival might be better put to use on a more direct attempt to change the colonial power structure. However, lately, I have begun to change my mind. At the University of British Columbia, located on traditional Musqueam territory, we are now offering courses in the Musqueam dialect of Halq’eméylem, the language spoken from Yale to Vancouver, and on Vancouver Island from Malahat to Nanoose. The English words for

205 International Journal of Canadian Studies Revue internationale d’études canadiennes coho, sockeye–types of salmon–and for Sasquatch, come from Halq’eméy- lem. It has three dialects: only around a dozen speakers of all three survive. Tragically, the odds of reviving the language to the point that it becomes a first language for anyone ever again are minuscule, since the counter- example of Hebrew required a set of cultural and historical conditions that are unlikely to be replicated (see Harshav 1993). Nonetheless, Hebrew survived due to a wide range of uses that had great symbolic, religious and political importance, and it seems likely that the many endangered First Nations languages in Canada may survive to serve a variety of similar cultural purposes. Already I have noticed that First Nations people do not announce that they are from a particular cultural group as they once might have done, but simply use a phrase in their language as a powerful assertion of cultural and political affiliation which identifies and legitimates simultaneously. For many, the process of learning their language provides healing of a traumatic break in families and communities caused by the imposition of English at residential schools. The actual process of language renewal means that Elders who are speakers become an even more precious cultural resource and integrates a huge amount of disconnected anthropological and linguistic research back into community life. For example, at Musqueam, there is now a website where one can hear the voices of people dead for many years telling stories that are used in the language program. Halq’eméylem is already being used more in ceremonies. Old ways of praying (holding hands), gesturing (raising both hands, palm up, from the elbows, in thanking others), and speaking in public are all now being revived or expanded. Halq’eméylem also now appears on fridge magnets, mouse pads, and calendars, produced in the community in order to integrate the distinctive alphabet used for the language into daily life. Students break down at graduation ceremonies as they try to explain how important the chance to take the course is to them, and their parents and grandparents are also taking them. The force of this use of one’s indigenous language connects to Deborah Cameron’s point about the importance of using non-sexist language, even though, as some have argued, this is unlikely in itself to change the thinking of sexist people: [T]he movement for so-called “politically correct” language does not threaten our freedom to speak as we choose, within the limits imposed by any social and public interaction. It threatens only our freedom to imagine that our linguistic choices are inconsequential, or to suppose that any one group of people has an inalienable right to prescribe them. (33) In using their language, First Nations people assert their right to choose what language they speak against a history that forced them to speak English.

206 The Sapir-Whorf Hypothesis and the Contemporary Language and Literary Revival among the First Nations in Canada

At the political level, the insistence on the need to teach the traditional language allows for better justification to the dominant society of the need for First Nations control over education from day care on up. In Canada, in fact, much of the work of making this argument has already been done by Quebec sovereigntists. This connection of sovereignty and language is almost inevitable in Canada–and a powerful political tool to legitimate identity at both the community and personal level. Arguments derived from linguistic relativism can also be used in land claims. Just as Slobin notes that some languages require absolute orientation with respect to the directions or some physical aspect of the landscape, so Keith Basso notes of the Navajo (quoting Harry Hoijer) that “[e]ven the most minute occurrences are described by Navajos in close conjunction with their physical setting, suggesting that unless narrated events are spatially anchored their significance is somehow reduced and cannot be properly addressed” (Basso 1996: 45). The same is true of the Western Apache; he remarks “[l]osing the land is something the Western Apaches can ill afford to do, for geographical features have served the people for centuries as indispensable mnemonic pegs on which to hang the moral teachings of their history. Accordingly, such locations present them- selves as instances of what Mikhail Bakhtin has called chronotopes. As Bakhtin describes them, chronotopes are ‘points in the geography of a community where time and space intersect and fuse’”(Basso 1996: 62). It is the job of humanists, those who believe language has functions beyond one-to-one mapping between word and thing and who believe that equality does not mean that everyone should become the same (that is, like us) to continue to examine how language connects to culture without assuming that standard English is the place to start. For First Nations peoples, that is too much like the perspective of colonial administrators. Of course it is far more time-consuming to study languages comparatively, but it is not a waste of time for those who believe in the importance of working transculturally.

Works Cited Alford, Dan. “Sapir-Whorf and what to tell students these days.” Linguist List, Sun. 20 August 1995. Basso, Keith H. Wisdom Sits in Places. Albuquerque: University of New Mexico Press, 1996. Battiste, Marie, ed. Reclaiming Indigenous Voice and Vision. Vancouver: UBC Press, 2000. –––––. “Maintaining Aboriginal Identity, Language, and Culture in Modern Society.” In Battiste, ed. p. 192-208. Bohm, David. Wholeness and the Implicate Order. London: Routledge & Kegan Paul, 1980. Cameron, Deborah. “Linguistic Relativity: Benjamin Lee Whorf and the Return of the Repressed.” Critical Quarterly 41.2 (1999): 153-56. –––––. Feminism and Linguistic Theory. London: Macmillan, 1985. Carlson, Keith Thor, ed. A Stol: lo Coast Salish Historical Atlas. Vancouver: Douglas & McIntyre, 2001.

207 International Journal of Canadian Studies Revue internationale d’études canadiennes

Dumont, Marilyn. A Really Good Brown Girl. London, ON: Brick, 1996. Gumperz, John J. and Stephen C. Levinson, ed. Rethinking Linguistic Relativity. Cambridge: Cambridge University Press, 1996. Harris, Randy Allen. The Linguistics Wars. New York: Oxford University Press, 1993. Harshav, Benjamin. Language in Time of Revolution. Berkeley: University of California Press, 1993. Highway, Tomson. Kiss of the Fur Queen. Toronto: Doubleday, 1999. King, Thomas. Green Grass, Running Water. Toronto: HarperPerennial, 1994. Lakoff, George. Women, Fire, and Dangerous Things: What Categories Reveal about the Mind. Chicago: University of Chicago Press, 1987. Lakoff, George and Mark Johnson. Philosophy in the Flesh: The Embodied Mind and Its Challenge to Western Thought. New York: Basic, Perseus, 1999. Lucy, John A. “The Scope of Linguistic Relativity: An Analysis and Review of Empirical Research,” in J.J. Gumperz and S.C. Levinson 1996, pp. 37-69. Parakrama, Arjuna. De-Hegemonizing Language Standards: Learning from (Post) Colonial Englishes about “English.” London: Macmillan, 1995. Pennycook, Alastair. English and the Discourses of Colonialism. London: Routledge, 1998. Pinker, Stephen. The Language Instinct: How the Mind Creates Language. New York: HarperPerennial, 1995. Robinson, Eden. Monkey Beach. Toronto: Knopf, 2000. –––––. Traplines. Toronto: Alfred A. Knopf, 1996. Roscoe, Will. Changing Ones: Third and Fourth Genders in Native North America. New York: St. Martin’s, 1998. Scott, Andrew. “The Seeds of a Language.” Georgia Straight (Vancouver). January 18-26, 2001: 17-71. Slobin, Dan I. “Language and Thought Online: Cognitive Consequences of Linguistic Relativity.” Advances in the Investigation of Language and Thought. Eds. D. Gentner and S. Goldin-Meadow. Cambridge, MA: MIT Press, forthcoming. Draft 19 Jan. 2001. Whorf, Benjamin Lee. Language, Thought and Reality: Selected Writings. Ed. and introd. by John B. Carroll. Cambridge, Mass. MIT Press, 1956.

208 Review Essays

Essais critiques

Stéphane Kelly

Mémoire, politique et nation au Québec

Ronald Rudin, Faire de l’histoire au Québec, Québec, Septentrion, 1998, 279 p. Jocelyn Létourneau, Passer à l’avenir. Histoire, mémoire, identité dans le Québec d’aujourd’hui, Montréal, Boréal, 2000, 194 p. Joseph-Yvon Thériault, Critique de l’américanité. Mémoire et démocratie, Montréal, Québec/Amérique, 2002, 374 p. Jacques Beauchemin, L’histoire en trop. La mauvaise conscience des souverainistes québécois, Montréal, VLB éditeur, 2002, 212 p.

Depuis cinq ans, les écrits sur la mémoire collective ont occupé une place de choix dans les débats intellectuels québécois. Une vaste réflexion sur ce thème traverse maintenant les diverses disciplines des sciences humaines. Les ouvrages récents de Ronald Rudin, Jocelyn Létourneau, Joseph-Yvon Thériault et Jacques Beauchemin en témoignent. La lecture de ces ouvrages donne à penser qu’une nouvelle façon d’appréhender le passé québécois est en train de naître. Ce sont des essais audacieux et significatifs qui marqueront probablement la vie intellectuelle québécoise dans les prochainesannées.Onseproposeicidefournirquelquespistesdelectures. S’inspirant du livre That Noble Dream1 de Peter Novick sur l’historio- graphie américaine, Ronald Rudin propose dans Faire de l’histoire au Québec un long commentaire sur les moments clés et les figures marquantes de la profession historienne au Québec. Les premiers chapitres du livre, consacrés aux écrits historiques de l’abbé Lionel Groulx, sont surprenants. Rudin reproche aux historiens contemporains de le boycotter pour cause d’antimodernisme. Or, il montre que la pratique historienne de Groulx était aussi rigoureuse du point de vue scientifique que celle des historiens québécois qui ont marqué les années 1960 et 1970. Les exemples cités par Rudin sont éloquents. Ils tendent à montrer qu’en dépit de ses vues religieuses et politiques, le chanoine avait toujours obéi à un idéal scientifique. Cette réhabilitation de l’historien Groulx, dans les premiers chapitres, permet à Rudin de poser les jalons d’une critique dévastatrice de l’historiographie québécoise (francophone) contemporaine. L’œuvre de Groulx serait l’archétype du récit historique canadien- français qui a prédominé jusqu’à la fin des années 1960 : l’histoire d’un

International Journal of Canadian Studies / Revue internationale d’études canadiennes 27, Spring / Printemps 2003 International Journal of Canadian Studies Revue internationale d’études canadiennes peuple relatée sous le signe du drame, du parcours singulier et du destin atypique. Qu’il s’agisse de Garneau ou de Bibaud, de Groulx ou de Chapais, de Séguin ou de Ouellet, la trame narrative traçait invariablement le récit d’un peuple qui avait ses caractéristiques propres et un destin singulier à l’échelle de l’Amérique du Nord ou de l’Occident : Durant les sept premières décennies de ce siècle, l’historiographie québécoise fut dominée par des individus – aussi méthodologi- quement et politiquement divers que l’abbé Lionel Groulx et Fernand Ouellet – qui mettaient d’abord en relief la spécificité de l’expérience francophone et qui, dans l’ensemble, ne s’inquié- taient pas outre mesure de ce que leurs opinions politiques soient parfaitement décelables. (p. 15) Or, souligne Rudin, une génération d’historiens abandonnera ce récit à partir de la fin des années 1960. Ces historiens, Rudin les nomme « révisionnistes ». C’est à l’occasion d’un séjour en Irlande qu’il s’aperçoit que l’historiographie québécoise, comme l’historiographie irlandaise, a définitivement rejeté les anciennes représentations : Revenu au Canada avec le vague projet d’une étude comparative de ces deux histoires, je me lançai dans la lecture d’ouvrages irlandais et compris bientôt ce que voulaient dire mes collègues [irlandais] en parlant de renonciation à certains aspects du passé. Livre après livre, je me trouvai en présence d’historiens attentifs à minimiser l’importance de phénomènes aussi centraux à l’histoire de l’Irlande que le catholicisme et le colonialisme. Ces auteurs tentaient même de marginaliser la tradition de violence de ce pays. Voilà qui ressemblait fort à ce qu’accomplissaient les révision- nistes au Québec. (p. 9) Quelles sont les principales figures de l’école révisionniste? Rudin identifie Paul-André Linteau, Jean-Claude Robert, Normand Séguin, Serge Courville et Jacques Rouillard, qui, nés à la fin des années 1940 et ayant atteint l’université à la fin des années 1960, se sont intégrés au corps professoral au début des années 1970. Les travaux révisionnistes ont fortement nuancé le récit du Québec moderne brossé par les révolution- naires tranquilles. L’industrialisation et l’urbanisation s’étant déployées graduellement sur l’ensemble du XXe siècle, la Révolution tranquille ne représenta pas une rupture brutale et totale. Pour les principaux révision- nistes, le Québec était déjà moderne dans plusieurs secteurs, souvent depuis les années 1930. Les révisionnistes reprochèrent aux révolutionnaires tranquilles de s’être attribué le beau rôle dans leur récit de l’histoire récente du Québec contemporain. Les révisionnistes se démarquent aussi, écrit Rudin, par leur conception du travail scientifique. Ils sont critiques à l’égard de leurs prédécesseurs, les accusant d’avoir manqué d’objectivité et d’avoir manifesté des biais politiques. Les révisionnistes embrassent donc une conception étroite de

212 Mémoire, politique et nation au Québec l’objectivité et adhèrent sans réserve au mouvement de profession- nalisation du métier d’universitaire. En se cramponnant d’une façon exagérée à un idéal scientifique, les révisionnistes ont négligé de maintenir ce lien précieux entre l’académie et le public. C’est d’ailleurs là le grand défi pour ceux qui tentent de définir un regard post-révisionniste : réduire le fossé entre la mémoire et l’histoire. À ce sujet, Rudin manifeste à la fin de son livre de l’enthousiasme pour deux historiens, Jocelyn Létourneau et Gérard Bouchard. Il voit dans les écrits de ceux-ci le germe d’une vision historique qui dépasserait les apories de l’école révisionniste. Ces auteurs ont lancé des appels pour l’écriture d’une histoire du Québec qui ne serait pas réduite à ses dimensions structurelles, matérielles et rationnelles. Dans Passer à l’avenir, Jocelyn Létourneau réfléchit sur l’avenir de l’histoire et de la mémoire au Québec. Il se propose d’analyser moins le passé québécois en soi que sa mise en narration. Cette dernière devrait viser à produire une société meilleure et un héritage émancipateur pour le Québec de demain. Pour y arriver, il juge souhaitable l’abandon des principaux paramètres du grand récit national franco-québécois, celui d’une collectivité inachevée, misérable, empêchée d’être : « Le défi que doivent relever les Québécois n’est pas d’opter pour une mémoire fondée sur la démission ou le mépris envers le passé. Ce défi est plutôt de discerner ce qui, dans l’ayant-été, doit être assumé ou déassumé au nom des valeurs et des contextes du présent » (p. 20). L’historien déplore l’hégémonie intellectuelle de ce grand récit relatant les déboires, les oppressions et les échecs d’un petit peuple vivant au sein d’un environnement hostile. Depuis François-Xavier Garneau jusqu’à Fernand Dumont, ce récit est rédigé sous le signe de la mélancolie et du tragique : « Pour exister maintenant et demain, les Québécois ont pour devoir de se souvenir de leurs misères, de porter à leur tour la souffrance des anciens, une souffrance immémoriale stigmatisée par autant d’événements tragiques » (p. 20). Ce récit fait état d’une incapacité des Franco-Québécois à tirer parti de leur situation en Amérique du Nord. Pire, ils ignoreraient qu’ils sont une collectivité brimée, dominée par un Autre (le Canada, les États-Unis, le clergé). Létourneau souligne que ce récit est déconnecté de l’expérience historique concrète des Franco-Québécois. Cette dernière s’avèrerait beaucoup moins négative; elle serait composée tantôt de défaites, tantôt de victoires. Le Québécois serait un être pragmatique et opportuniste, capable de tirer son épingle du jeu grâce à un attentisme bien dosé, à une ambivalence réaliste. L’incapacitéde la classe intellectuelle québécoise à sortir des paramètres déprimants de ce récit national tient à son rapport à la mémoire. L’intellectuel mélancolique, se considérant comme solidaire de « sa petite nation », veut rester fidèle à ses ancêtres. Dans son travail de pensée, il accorde la primauté à la mémoire. En faisant de la fidélité aux ancêtres un absolu, il se coupe de la complexité historique québécoise. Par un curieux retournement, il en vient àdouter que le Québec se souvient des oppressions

213 International Journal of Canadian Studies Revue internationale d’études canadiennes du passé et de celles du présent. Pour décrire l’apathie du peuple, il invente des concepts : la survivance, la société globale, la fatigue culturelle. Ces concepts traduisent une impatience face à une collectivité qui refuse de s’engager dans la voie du millénarisme souverainiste. Létourneau propose de « révolutionner la mémoire québécoise » en réinventant l’épistémè historique québécoise. Il s’agirait d’impenser le pays, en sortant des paramètres dominants du récit national largement déterminés par le triptyque classique, misère-mélancolie-refondation : le passé des Québécois serait marqué par la misère; la narration de celui-ci aurait adopté un style mélancolique; corriger et achever ce destin historique exigerait une refondation nationale. La nouvelle épistémè proposée par Létourneau rejette l’idée de nation, jugée impropre à saisir la réalité changeante et multiforme de la collectivité franco-québécoise. Létourneau identifie deux tâches concrètes pour réaliser cette révolution. Premièrement, les rapports entre les héritiers et les ancêtres doivent être redéfinis. Les premiers ne disposent pas d’une licence complète envers les anciens et ne peuvent jeter le bébé avec l’eau du bain : «leshéritiersont,auregarddeleurspères,lachargeparticulièrementlourde de faire fructifier un legs initial, c’est-à-dire de tirer parti de l’apport des ancêtres en vue d’accroître le bénéfice accumulé de bonté » (p. 26). Les ancêtres, de leur côté, ont la responsabilité « de savoir mourir », en refusant deconclurel’histoiredanslaquelleilsontjouéunrôle:«Lesancêtresonten effet pour obligation de laisser les héritiers en prise sur leur destin. Ils doiventenvisagerleurdisparitionouleurmortcommeunmomentderachat ou de libération » (p. 25-26). Deuxièmement, Létourneau propose le rejet de la métaphore proposée par Serge Cantin, « porter son pays comme un enfant ». Cette métaphore laisse entendre que le destin québécois serait inachevé, et que cette société tarderait à accéder à la vie adulte et à assumer ses responsabilités. L’ambivalence, écrit Létourneau, n’est pas trahison des ancêtres, fausse conscience ou aliénation. C’est plutôt la poursuite de la ligne du risque calculé. Dans son essai Critique de l’américanité, Joseph-Yvon Thériault propose une analyse ambitieuse d’un concept clé de la pensée québécoise contemporaine. Selon les principaux penseurs de cette dernière, l’américanité ne serait pas une simple dimension de l’identité québécoise, mais son caractère déterminant. Le Québec adhérerait avec le reste de l’Amérique à une même culture continentale, différenciée de la vieille culture des sociétés européennes. Être américain signifierait non pas seulement partager une même civilisation technique et économique, mais aussi un ethos. Il serait impossible d’y échapper, elle serait un impératif. Le Canada français aurait commis l’erreur de ne pas assumer son destin continental. La culture québécoise contemporaine, depuis la Révolution

214 Mémoire, politique et nation au Québec tranquille, aurait amorcé un virage salutaire, en proposant une rupture avec l’idéal européen canadien-français. La pensée de l’américanité, selon Thériault, propose un rapport au passé et à l’avenir inadéquat, trop lié à l’esprit de la modernité radicale. Selon elle, la question du Québec ne se poserait plus dans l’ordre de la filiation, mais de la nouveauté; la compréhension de cette société serait moins à scruter dans son histoire que dans son appartenance continentale; elle penserait son avenir moins dans l’ordre du projet que dans une soumission aux impératifs continentaux. Selon le sociologue, le rapport à la mémoire des partisans de l’américanité est problématique. Comme Rudin, il déplore le fossé entre l’histoire et la mémoire. Il y aurait d’une part l’absence de référence à la question nationale dans la production historienne savante; il y aurait d’autre part l’omniprésence de la question nationale dans les discours publics. Cette dissociation aurait des effets néfastes, car c’est en conférant une histoire à la mémoire qu’on peut prévenir d’éventuels débordements identitaires. « Ce n’est donc pas par excès d’histoire que l’identitaire et l’utilitarisme s’affirment au cœur des nationalismes contemporains, mais, au contraire, par une mémoire laissée à elle-même, sans modérateurs intellectuels ou historiques » (p. 180). Sur le plan de la démarche scientifique, la génération des historiens révisionnistes aurait adopté de façon inconditionnelle la démarche explicative. Trois facteurs ont contribué durant les années 1960 à discréditer la démarche compréhensive : 1) l’engouement pour les méthodes quantitatives; 2) la montée du marxisme; et 3) l’influence de l’histoire sociale et de l’école des Annales. En se dissociant de l’histoire compréhensive, les historiens révisionnistes voulaient échapper à l’accusation de perpétuer une tradition de conservatisme, de dogmatisme religieux et de xénophobie. Ce faisant, ils firent le pari, impossible, d’expliquer l’histoire du Québec en faisant fi de sa représentation. Thériault souligne une certaine ironie dans le travail historiographique québécois. L’histoire explicative a continué à fleurir au Québec pendant que l’on assistait ailleurs en Occident à un retour de l’événement et du politique. Si les historiens révisionnistes s’appliquaient à décrire la normalité du parcours historique du Québec, ils insistaient néanmoins pour noter le cheminement anormal des générations précédentes d’historiens québécois. Ainsi, en restant attachés de façon viscérale à la démarche explicative, ils continuent aujourd’hui à se distinguer du « développement normal » de la discipline historique en Occident. « L’historiographie québécoise contemporaine est radicale et singulière par son incapacité à réintégrer l’univers du compréhensif dans sa démarche explicative » (p. 204). En dépit de sa profession de foi objectiviste, l’école révisionniste n’est pas neutre en soi, selon Thériault. Sa conception radicale de la modernité vise à marginaliser la mémoire. Cette visée alimente la thèse des

215 International Journal of Canadian Studies Revue internationale d’études canadiennes antinationalistes, selon laquelle les intellectuels québécois cacheraient une mémoire honteuse. Or, selon Thériault, l’historiographie québécoise souffre plutôt d’amnésie. C’est la raison pour laquelle il propose de retrouver dans l’histoire du Québec « le lieu d’une intention significative particulière, une tradition politique, une mémoire, que l’on peut assumer et qui mérite d’être retransmise » (p. 208). Une telle tradition ne se trouve ni dans une généalogie, ni dans une essence nationale, ni encore dans un quelconque déterminisme continental. Elle se situe plutôt dans l’entrecroi- sement des réponses données à la question nationale : le républicanisme de Papineau, la nation spirituelle de Parent, le libéralisme de Dessaulles, l’ultramontanisme de Bourget, le nationalisme canadien d’Henri Bourassa, la nation française de Lionel Groulx, les deux nations d’André Laurendeau, l’antinationalisme québécois de Pierre Elliott Trudeau. Ces réponses, faites de négations, de piétinements, d’hésitations, forment la trace d’une tradition qui se structure génération après génération. Dans L’histoire en trop, Jacques Beauchemin approfondit la réflexion sur la forme que pourrait prendre une sensibilité post-révisionniste québécoise. Il le fait en assumant d’entrée de jeu une position politique : la défense de la souveraineté du Québec. Contrairement aux trois auteurs penseurs précédents, il place au début de sa réflexion l’adhésion à un projet politique précis. Pour développer son argument, il se donne une double tâche. Premièrement, il veut prendre au sérieux le défi que lance le pluralisme identitaire à la légitimité du souverainisme québécois. Les partisans de ce projet politique devraient mieux intégrer les nouvelles conceptions de la démocratie et de la citoyenneté. Deuxièmement, les souverainistes devraient rester sensibles à la préservation de la mémoire et de l’héritage communautaire des Franco-Québécois. Beauchemin réagit contre les excès du révisionnisme. Si la tradition intellectuelle québécoise a généralement défendu l’idée d’un destin historique singulier, les révisionnistes l’ont complètement abandonné : « Il est remarquable que les tentatives contemporaines, vouées à ce même travail d’élucidation, paraissent se méfier de la présence de l’histoire, comme si le fait de la rappeler pouvait avoir pour effet de refermer l’histoire du Québec sur les particularités de la collectivité canadienne-française » (p. 12). Aux yeux des révisionnistes, l’histoire canadienne-française devrait être camouflée dans le but de ne pas nuire à l’affirmation d’un souverai- nisme ouvert à l’altérité : « Le nationalisme francophone semble, en effet, traversé par une mauvaise conscience qui lui interdirait le rappel trop insistant de cette histoire. Je crois qu’il faut essayer d’échapper au refus de soi qui s’exprime dans cette mauvaise conscience et d’assumer ce que porte, de loin, la conscience historique francophone » (p.13). Selon lui, la volonté des souverainistes de récuser les traces de la mémoire canadienne-française prolongerait une tendance au refus de soi qui traverse toute la pensée politique depuis la Révolution tranquille. Dans les années 1960, les nouveaux Québécois ont voulu se distancier des

216 Mémoire, politique et nation au Québec

Canadiens français traditionalistes et conservateurs. Depuis les années 1980, les Québécois redoublent cette critique en effaçant les traces qu’ils ont laissées dans l’histoire. Ce jugement porté sur la tradition canadienne- française serait trop sévère. Le sociologue ne cherche pas à réhabiliter ses facettes conservatrices ou ethniques. Mais cette tradition, rappelle-t-il, était le véhicule grâce auquel les francophones ont justifié leur existence nationale. Une collectivité ne peut construire ses représentations collec- tives sur un refus de soi. Cette tradition canadienne-française porte même des éléments communautaristes susceptibles aujourd’hui d’inspirer une éthique de solidarité sociale. Selon Beauchemin, la pertinence de la souveraineté diminue lorsque ses défenseurs s’éloignent d’une définition communautariste de la nation québécoise. Il critique par exemple la perspective de l’historien Gérard Bouchard, qui tend à marginaliser la dimension communautaire. Celui-ci marginalise la présence d’éléments communautaristes au sein de sa vision nationale : « pour parvenir à la superposition heureuse des dimensions communautaristes et civiques, Gérard Bouchard a d’abord dû réduire la dimension culturelle de l’“être ensemble” québécois à la commune utilisation du français et ensuite réinterpréter la notion de tradition dans les termes d’une éthique politique faite d’adhésion aux grandes valeurs à portée universaliste de la modernité. » (p. 148) À la suite de Fernand Dumont, Beauchemin souligne qu’un projet éthico-politique repose, en dernière analyse, sur des fondements commu- nautaristes. D’abord, on ne peut éluder la question de l’appartenance au nom de laquelle peut se justifier l’idéal souverainiste. À trop vouloir faire du projet souverainiste celui de tous les Québécois inclusivement, on tend à nier le fait qu’il intéresse d’abord les francophones et ceux qui ont décidé de faire route avec eux. Ensuite, tout projet politique est le fait d’un sujet de culture et de mémoire : « Les valeurs de la communauté se sont lentement formées dans le cours de l’existence sociale et font partie de la mémoire à côté des grands événements, des coutumes et de certaines pratiques culturelles à travers lesquelles la communauté fait l’expérience de sa singularité » (p.170). Cette mémoire informe les acteurs politiques d’une certaine continuité. Le sociologue invite ainsi ses collègues à assumer la subjectivité qui traverse la conscience historique franco-québécoise. Cette subjectivité permettrait de conserver les éléments de communautarisme (entraide, sens de la justice, affabilité) des Franco-Québécois, nécessaire à la défense d’une éthique sociale de solidarité. Ces quatre essais, s’ils ont chacun une visée spécifique, participent néanmoins d’une visée commune : 1) définir une nouvelle sensibilité historico-politique affranchie de la lecture révisionniste; 2) établir un pont entre l’histoire savante et la mémoire collective; 3) réaffirmer le rôle central de la subjectivité, des idées et du politique dans l’histoire; 4) souligner la pertinence de l’intellectuel public dans le débat démocratique au Québec. Ces auteurs ne se sont donc pas contentés d’interpréter le passé québécois.

217 International Journal of Canadian Studies Revue internationale d’études canadiennes

Comme intellectuels publics, ils ont proposé des voies pour nourrir la conscience historique québécoise. Avant de conclure, attardons-nous à ces différentes voies proposées, qui laissent voir des divergences notables. Celles-ci ont principalement trait à trois points précis : le récit national canadien-français, le pluralisme identitaire et le projet de souveraineté du Québec. Jocelyn Létourneau souhaite que le Québec s’affranchisse du récit national canadien-français. Le jugeant défaitiste, dépressif et mélan- colique, il esquisse des voies pour en sortir. Pour y parvenir, il cherche dans le passé québécois des éléments discordants, dissonants, capables d’inspirer les Québécois, désormais affirmatifs et compétitifs, que la Révolution tranquille a libérés. Thériault et Beauchemin sont en désaccord avec cette lecture qu’ils jugent modernisante et utilitariste. Tous les deux cherchentplutôtàréintroduireundialogueaveccerécitnational,danslebut d’inspirer un destin singulier en Amérique du Nord. Cet impératif de dialogue est plus radical chez Thériault que chez Beauchemin, la critique de la modernité y est plus sévère. Rudin reconnaît que ce récit national a ses côtés sombres, mais il prône la recherche d’un équilibre qui ferait place autant aux traits singuliers qu’aux traits universels de l’expérience historique québécoise. Thériault propose une critique sévère du pluralisme identitaire promue par la modernité radicale américaine. Celle-ci cherche à éliminer les aspects mémoriels incompatibles avec les impératifs du pluralisme contemporain. Sur cette question, Beauchemin et Létourneau sont plus souples, tentant de définir une position de compromis : le premier en demandant aux partisans du pluralisme de reconnaître la légitimité de l’héritage franco-québécois; le second en exigeant l’abandon du projet de création d’une mémoire québécoise unitaire, qui lamine les autres mémoires, réfractaires au projet souverainiste. Rudin note que le Québec, sur cette question, est encore distinct. Contrairement aux historiens canadiens-anglais et américains, les partisans de l’histoire nationale restent nombreux et réfractaires à l’idée de faire une plus grande place au pluralisme identitaire. Cette réflexion historiographique n’est pas étrangère au débat sur la question nationale. Dans la première version de sa critique, Rudin écrivait que les révisionnistes étaient motivés par des desseins souverainistes2. S’il ne prend pas position sur la question nationale, ses sympathies penchent indéniablement vers l’école historique de Laval (associée au camp fédé- raliste). Létourneau est plutôt explicite face au projet souverainiste québécois. Il le voit comme un inutile rêve d’achèvement du destin historiquefranco-québécois.Thériaultneprendpasformellementposition; mais il laisse entendre qu’il y serait sympathique s’il était formulé dans des termes plus sympathiques au passé du Canada français. À l’instar de Létourneau, Beauchemin défend explicitement une position politique,

218 Mémoire, politique et nation au Québec affichant d’entrée de jeu ses convictions souverainistes et les plaçant au cœur de son argumentation. Laquelle de ces voies séduira les Québécois dans les prochaines années? Peut-être que l’avenir n’empruntera aucune de ces voies; peut-être aussi qu’il suivra une voie intermédiaire, au carrefour de ces positions. En attendant de le savoir, il faut apprécier la pertinence de ces essais et reconnaître que le silence des intellectuels québécois a été définitivement rompu.

Notes 1. Peter Novick, That Noble Dream: The Objectivity Question and the American Historical Profession, Cambridge : Cambridge University Press, 1988. 2. Ronald Rudin, “Revisionism and the Search for a Normal Society: A Critique of Recent Quebec Historical Writing”, Canadian Historical Writing, 1992, vol. 73, p. 30-61. À notre avis, Rudin n’avait pas tort d’associer le révisionnisme à une volonté d’affirmation nationale. Cette thèse provoqua un tel tollé que, dans ses textes subséquents, Rudin la nuança. Voir « L’éclipse du national dans la nouvelle histoire du Québec », in Michel Sarra-Bournet (éd.), Les nationalismes au Québec, Québec : Presses de l’Université Laval, 2001, p. 277-306.

219

Charlotte Sturgess

Between the Imaginary and the Real: Cultural Encounters in Northern Space

Grace, Sherrill, Canada and the Idea of North (Montreal & Kingston: McGills-Queen’s University Press, 2001). Hulan, Renée, Northern Experience and the Myths of Canadian Culture (Montreal & Kingston: McGills-Queen’s University Press, 2002). Bastedo, Jamie, Reaching North: A Celebration of the Subarctic (Red Deer: Red Deer College Press, 1998).

Since Lacan, we know that the Real (in the sense of an entirely knowable, unmediated reality) is both behind and beyond us. We know that the condition for identity of any kind (personal, national or communal) lies in the acceptance that representation mediates our access to the world. However, given the plethora of studies on the forms and constraints of representation, and its complicity with power structures, we also know that representation itself is not a level playing field. In this respect, the cost of our founding myths, romances and nostalgia structuring our imaginary sense of self is paid by those whom such myths, romances and nostalgia exclude or repress. Yet positing inclusiveness without challenging the very foundations of our representations is not recognition of difference but means homogenization; the result of such imaginary appropriations is merely reproduction of the same. These remarks establish the scope of the problems raised by the Canadian North as an “idea” (to borrow from the title of Sherrill Grace’s book, Canada and the Idea of North, echoing Glen Gould’s The Idea of North–which wanders like a leitmotif through her text). The North as struc- turing the Canadian imaginary, as integral to a national self-representation, is questioned (and challenged in varying degrees) in the three texts reviewed in this essay. What has resulted from my reading of these texts in fact is a profusion of questions. The Canadian North I had initially envisaged, naïvely, as a geographical region I have never visited and only “know” through my readings of Canadian literature, becomes here a concept. North, an ill-defined region/area/place on my mental map, thus becomes a discursive space: a “North” of literary history and cultural encounter, a “North,” which presents a whole field of speculation on the links between texts and nationhood, between narratives of the nation and the nation as narrative.

International Journal of Canadian Studies / Revue internationale d’études canadiennes 27, Spring / Printemps 2003 International Journal of Canadian Studies Revue internationale d’études canadiennes

Ethnography, Ideology and the Constructing of Canada In Northern Experience and the Myths of Canadian Culture, Renée Hulan questions, in a way, the type of conflation (that of narrative and nation), I have just suggested. Central to her argument, as I understand it, is the way the North and its people have become the “North” as a literary object, an object which masks the ideological conditions of its inception. Hulan pairs nineteenth-century realistic ethnography with literary realism. She links the disembodied, authoritative voice, which described, and thus “created,” therealityofindigenousNorthernpeoplethroughtheeyesofthe(Southern) observer with the disembodied narrator of realism. These two authorities ostensibly occupy a position outside the universe they relate (and in fact create). She thus puts the complicity between literature and our constructions of the ethnic Other at the centre of her thesis. Her firm line of reasoning traces the observer’s eye/experiencing “I” historically from the era of colonial contact with the North and its indigenous peoples to that of the contemporary postmodernist blurring of those observer/observed distinctions. In this way, Hulan sets out to challenge the politics of experience that implicitly legitimizes non-indigenous writings of the North. She also debates whether postmodern ethnography really dismantles the transcendent logic underpinning realism. She demonstrates that breaking with an absent, authoritative vision does not automatically evacuate the transcendent, and appropriative premises on which such vision relies. As Hulan indicates, how are such non-indigenous writings to promote the claims to representation of First Nations if the premises of representation per se have not been examined? Increasingly, at the theoretical centre of Canadian critical thinking, stands the complex relation between those writings, which foreground a will to non-appropriation of their Northern subject matter (Robert Kroetsch and Rudy Wiebe are discussed in this context by both Grace and Hulan, if from differing perspectives), and the “authentic” representation, which such empathetic fictions seem to construct. If the aestheticizing of the North concerns Hulan, one could say that Grace’s wide-reaching and erudite study concerns the North as aesthetics, that is, the North as “North.” Grace begins from the premises that in each and every Canadian resides a, or several versions of “North,” (whatever form such representations take) which in some way defines him/her as Canadian. She then postulates the ultimately discursive and heterogeneous nature of this “North,” framing her examination of multiple Canadian artistic and literary forms within both Foucault’s theory of discursive formations and Bakhtinian dialogics. If I understand Grace’s argument, the point of intersection between Foucault’s and Bahktin’s theories is their mutual centring of ideology in “language as constitutive of social relations instead of as instrumental” (Grace, 25). Thus, the semiotic systems studied in Grace’s text are made to release those tropes and other discursive

222 Between the Imaginary and the Real: Cultural Encounters in Northern Space symptoms which speak of the social constraints (ideologies, power relations and mythologies) within which they came into being, and through which they “mean” as North. As Grace confronts us with an astounding array of cultural artefacts and processes, she also offers an ethnographic perspective, which emerges from the signifying patterns of plays, fictions, music and art under scrutiny. For the drive of the study is what such discourses have to say about the historical, literary and social construction of the North as a Canadian self-representation (even if such a representation remains for Grace contingent, plural and provisional). Yet the argument also relies on an a priori capacity to identify, and therefore limit, the play of those sign systems as descriptive of the North: to place them perhaps within a frame which attests to Grace’s particular ideas of what the North represents. For, and here I am back again at the hard face of representation and its problems, the maintaining of those oppositions North/South, inside/ outside, dominated/dominating which underpin the study, even as it shows the blurring of such boundaries, keeps in place a stable premise supporting such oppositions. Moreover, despite Grace’s rigorously analytic and distanced standpoint, and her emphasis on diversity, one sometimes has the feeling that there exists an all-inclusive “us” to be rescued from these oppositions, and that such an “us” will be situated within the common cultural, epistemic ground of a “North” as collective, unproblematic and ideal.Forexample,the“cold,snow,silence,fur,andaparadoxicalwarmth” seen as “what is missing in the South” (Grace, 202), although attributed to the writer Elizabeth Hay, contributes to a vision which seems to express Grace’s own view. The continual situating of an ideal discursive “North” within North/South oppositions runs the risk of fixing it as an alternative orthodoxy. The capacity of the “North” to implicitly serve as “native land” in the national imaginary, tends to undermine the ideological or political thrust of Foucault’s discursive formation or Bakhtin’s dialogics. As Hulan very rightly points out, “in a plural society, cultural differences can always be tolerated and assimilated without conceding much power while political differences cannot” (Hulan, 18).

Mythologizing the North Jamie Bastedo’s North is not Grace’s Arctic but the sub-Arctic, and he explores, in anecdotal/journalistic fashion those tropes (snow, trees, insects and plants) associated with the kind of Canadian wilderness discourse which Margaret Atwood has made her fictional trade-mark. But Bastedo is not concerned with representation, nor with the relevance of the North to a Canadian national identity or pedagogy. In his book, latter day explorers, Japanese tourists in search of the Northern lights, self-styled naturalists and prospectors take the wilderness trail from Yellowknife in search of adventure. The occasional Indian appears on the horizon to serve as an authentic source of tradition or wilderness know-how, for example when we learn that the glaciologist, Bill Pruitt, “turned to the native peoples of the North, whose rich vocabulary of snow words reflects an intimate and

223 International Journal of Canadian Studies Revue internationale d’études canadiennes practical knowledge of snow” (Bastedo, 47), or when we are informed that “Aboriginal leaders across the top of the continent have personally congratulated Pruitt for his liberal use of native languages to portray snow phenomena” (48). Undoubtedly, the individual (White, male, his credentials legitimized by in-depth experience of the terrain) stands at the centre of this North, a North that seems to enact that masculine quest-for-the-self through knowledge of, and confrontation with the potentially hostile Other. Yet pioneer stories such as Bastedo risking frostbite to make radio programmes in the wild, or Bill, the field man for The Imperial Oil Company, “navigating through a virtually unmapped landscape” (109) hold no deliberate hint of irony. Framing the individual experiences of this exploration into the nature of snowflakes or the logistics of forest fire control is a body of institutional authorities (corporate, governmental and academic), regularly invoked to legitimize the individual exploits. Thus, true to the adventure genre, although pen-pushing bureaucrats are shown to be fools, these heroes of endurance and self-sufficiency are portrayed as finally gaining recognition from the powers that be, and in that context Bastedo is not remiss at institutional name dropping. A certain type of narrative of the nation emerges from this North and situates wilderness as an individual frontier experience within a myth of Canadian nation-building. In this way the masculine quest discourse of Reaching North imitates those Canadian literary quests dealing in the attaining of masculinity through the “separation, initiation, and return,” which create and sustain myths of the North as “an ideal racial and gender identity” (Hulan, 135-137). We also have in Bastedo’s text the North as that territorial encounter through which penetrating and embracing the land (gendered as female) goes hand in hand with the act of naming. For at one point Bastedo’s Arctic becomes that supine, virgin territory, conferred identity through the signature of the geologist/naturalist Bill McDonald: “A colossal series of cliffs towering above the East Arm of Great Slave Lake bears Bill’s surname: the McDonald Fault. So does a large body of water … McDonald lake. Back in Yellowknife one of Bill’s favorite haunts, … became known as the McDonald Café … And to this day a lakeshore road named McDonald Drive winds through the heart and soul of a community built on gold” (Bastedo, 122). I also hasten to say that Bastedo provides the reader with many pleasures of initiation; those, for example, of learning about the mechanics of productionofasnowflakeortheparticularvarietiesofNorthernlakeplants. It is precisely the “human interest” perspective fostered by the book, informed by Bastedo’s extensive knowledge of the territory and his professional ability to take the reader with him up the trail, which contributes to the pulling power of this adventure narrative and to the way we desire to participate in the adventure.

224 Between the Imaginary and the Real: Cultural Encounters in Northern Space

In the context of the North as a masculine adventure narrative, both Grace and Hulan deal extensively with the way the Arctic has been ideologically and discursively conflated with masculine frontier ideals, which came to represent the image of Canada itself as a new country. In “re-viewing the Klondike,” Grace tells the fascinating account of Kate Carmack, a Native woman from a Tagish/Tlingit family, who, having married Carmack, an American prospector, participated in the Gold Rush of 1896-1898. Grace’s perspective involves retrieving a “voice, a presence, aposition”fortheNativewomanwhobecamethetravestyofamiddle-class Victorian wife to the gold-rich Carmack before being abandoned as racially undesirable when Carmack returned to the United States, leaving her penniless and taking their child with him. The account, along with the extraordinary and troubling photographs of the “cross-dressed” Native woman, required to pass as middle-class Victorian White, demonstrates not only the sexism of the male frontier adventure narrative of which the Gold Rush was emblematic, but shows also the North as a vehicle for the Canadian national ideal “of purification and white supremacy” (Grace, 96). When Grace speaks of Rudy Wiebe and Robert Kroetsch–whose works are heavily identified with the North–I have to agree with her verdict that their works present a feminine-gendered North. I concur in thinking that Wiebe’s Discovery of Strangers, despite the meticulous historical documentation, his focalizing the narrative through a Native female character, and the obvious care and sympathy for his subject matter, signifies as “the Mother of Canadian northern narrative,” while Kroetsch’s northern novels “chart a search for the North-as-Mother” (Grace, 190). If both writers, in their particular ways, are concerned with remythologizing the North in order to do justice to history and to the peoples who have been subjected to that exploitative colonial history, I would hold, along with both Grace and Hulan, that the Arctic as the fantasized, desired, mysterious, ideal space of representationcontinuestobeencodedasfemininebyWhite,malewriters. In this respect, Bastedo’s preoccupation, as it will already have become clear, is not to challenge representations of the North as the fantasized, feminine Other. The frame within which his heroes do what they do in the “real” world (that is, the world of men) offers no opening for an alternative view or even evidence that he considers such an alternative view viable. His work does not question the historical, political or epistemological relevance of exploring, pioneering or rushing around on snowmobiles. Bastedo loves the thrill and the spill of technology, which in his words: “allows us to sprout wings and streak across the sky like a peregrine falcon, to acquire fins and plumb the ocean depths like a bowhead whale” (Bastedo, 97). This does not mean however that, within the anecdotal, masculine adventure narrative presented by Reaching North, Native traditions and knowledge are not respected. The passage describing the technology and usefulness of Dene snowshoes is a case in point. But the frame of interpretation established by the observing eye (and the narrating “I”) is never thrown open to question. As a result, Bastedo’s experience of the

225 International Journal of Canadian Studies Revue internationale d’études canadiennes

North expresses belief in unmediated access to knowledge of the North. The North in turn can be completely known because the observer as experiencing self legitimizes the authority of the observer’s/narrator’s focus as a “true” one.

Writing Back: The Possibility of Politics MuchhasbeensaidandtheorizedinthedomainofCanadianliterarystudies about the necessity for multiple “re”s such as “revision,” “rewriting,” “retrieval” and so on. The Inuit voices found in the last section of Grace’s study, which engages with a range of texts (cartoons and photographs, narratives and works of art), are a case in point. Grace puts the focus on the Inuits’ “writing back” to both historical and contemporary exclusions. Whereas this cultural riposte is situated at the end of her volume (giving slightly the impression that in the field of unequal power relations amply explored throughout the study, everything will nonetheless turn out right in the end), Hulan places her interrogations within the framework of the political meanings surrounding the emergence of Inuit writings in the cultural mainstream. In this respect she questions the apparently welcome reception of indigenous works and points to the constraints to which such works are subjected. That is, the value of the work is assessed on criteria, which have more to do with constructions of the Inuit themselves according to their allotted place in non-indigenous versions of “Canadianness.” Hulan speaks of the role of Inuit literary productions in the eyes of the largely non-Inuit editors and cultural deciders. She concentrates not only on the Inuits’ “writing back” but on how the reception of such posited “writing back” is constrained, since its reception is determined within already established frames and demands made of the Inuits and not by the Inuits. Hulan stresses the fact that primary interest is given to the indigenous literature’s capacity to provide an “authentic” voice of tradition. Such interest in the indigenous “voice of tradition” has led to publishing predominantly pre-contact works and has in turn fostered a particular view of Native culture as a dying culture. “Writing back,” as Hulan makes clear, thus risks falling prey to the accommodation of indigenous cultural products within a national context, which is unwilling to challenge its own frames of reference or the pre-suppositions underlying such accom- modations. As she points out, “Inuit culture can be considered a sort of apex ofCanadian nordicity.” Itsroleinnational myth articulates both“the idea of North in the Canadian identity” and “the difference that multiculturalism claims to accommodate” (Hulan, 95). The question becomes whether Inuit cultures can participate actively in the Canadian identity they serve. Hulan convincingly maintains that the vested interests in creating and maintaining the myth of the North as an index of Canadian identity have ramifications that influence and derive from the culture industry, but which have little to do with the Inuits themselves, who do not identify with a North packaged as Canadian national heritage. That a politics of all-inclusiveness

226 Between the Imaginary and the Real: Cultural Encounters in Northern Space obfuscates political claims to fundamental changes in power distribution, and makes of difference the “managed” confirmation of the non-Native norm, is a convincing thesis. That, on the other hand, Grace invokes Carib- bean-Canadian Dionne Brand’s writing at the end of her study in support of such all-inclusiveness seems surprising. To my knowledge, Brand’s writing constantly ironizes and plays upon the tropes of Canadian “Northerness” in order to suggest the prejudice embedded in such national representations. The Canada that is constructed in themes and tropes throughout Brand’s work seems rather to lend itself to positing the suspect nature of “Canadianness” itself. I would concur with Hulan that for the characters in Brand’s fictions, “the whiteness of winter stands as a metaphor for the many ways in which their lives lack colour” (Hulan, 164). In the same way, for other contemporary writers, for example those of Asian extraction like Sky Lee, Evelyn Lau or Hiromi Goto, the North as a structuring myth does not seem to play a part in their sense of Canadianness. Their work rather problematizes the necessary negotiations made on the level of identity within those topographies they actually inhabit (the city of VancouverortheCanadianWest).“Canadianness”itselfforsuchwritersas Brand remains a concept fraught with political and economic difficulties overlayed with those of prejudice and sexism. Seen from this angle, the imaginary journey to the North-in-the-self can only be evaluated as a marker of Canadian identity when the politics of “Canadianness” that lies embedded within that identity is problematized. Yet, as Grace states so clearly and thoroughly, we have access to representation but not the Real. There is no bottom line in authenticity in the area of representation. I offer a very simplistic proposition: perhaps when the North ceases to be the “North,” the desired object of Canadian imaginary self-identifications, it will have become what it is, incredibly cold, extremely hard to live in–unless one has the experience and know-how of those who do live there–and unbelievably different from the places that most people inhabit whether inside or outside Canada. But that will of course just be my idea. It will say something about me, not the North. I will doubtless continue to take my imaginary identifications for the Real because we all do. But the “all” is important here for if (to take up the strand of Grace’s initial interrogations) Southerners cease to dominate the field of Canadian representation, it will be because they have become “Southerners.” In other words, that definition will also have yielded the complex overlapping of class interests, gender and race involved in the construction of nationhood and in the quest for the North. In concluding and at the risk of sliding into idealism, I suggest that perhaps increased political and economic power will enable the indigenous peoples to level that playing field in the domain of the imaginary and their “writing back” will put the “South” in South.

227

Graciela Martínez-Zalce1

Borders North of the Americas: Transcultural Spaces of Changing Identities

The main objective of this essay is to explore the subject of North American borders through recent films produced in the three countries of the region. Even though the differences between the Northern and the Southern border of the USA are empiricallyobvious (simplifying, of course, the complex economic, political and cultural relations that Mexico and Canada have with the United States, through and besides NAFTA), the fact of living side by side with the most powerful country in the world is a definitive one in both countries. Why recent films? Mainly because, quite apart from the importance of the border in “real” life, there is still much to say about how this provocative space has been portrayed in a medium that can reach wide audiences. Although much has been written about literary representations of the Canada-US border –for example, the works of W.H. New or of those engaged with the borderlands project–Canadian films dealing with the subject have not been assembled as a corpus. On the Mexican side, researcher Norma Iglesias carried out an exhaustive compilation of border filmsinordertodefinethegenre,butshestoppedwiththe1980s.Duringthe nineties, literature was analyzed and interpreted while border films were left aside. The border is a place where transcultural phenomena are probably more evident than in any other geographical region. Anyone who has seen Steven Soderbergh’s Traffic has learned that the border constitutes a paradoxical, dazzling and arid space, sometimes drawn in ochre, sometimes in sepia. So, this essay is arbitrary, a term I borrow from essayist Adolfo Castañón. It is a collection of cinematographic visions coming from the two borders that the United States shares with Mexico and Canada, and what transpires on them: the traffic of illegal substances and human beings; a life where cultures clash and intermingle, where some want out, others want in, and others simply want to linger. How are these spaces represented? Who are these charactersinhabitingthem?Itisfarfromanexhaustivereview.Thepurpose has been to include movies that, though not free from the dangers of stereotyping, are inevitably linked to the representation of the border and that have value not only as a cultural, but also as an aesthetic product.2 It is also arbitrary because, for the time being,3 though I acknowledge their importance, I have not included Chicano movies, the ideal example of transcultural phenomena. Most of this production is not only of a superb

International Journal of Canadian Studies / Revue internationale d’études canadiennes 27, Spring / Printemps 2003 International Journal of Canadian Studies Revue internationale d’études canadiennes quality, but also an accurate description of life on the border and deserves a separate study. According both to Norma Iglesias4 and to David Maciel and María Rosa Acevedo,5 when we see a movie about the border we are looking at a genre in itself. It should be noted here that in these two texts, “the border” refers to the border separating Mexico from the United States, as if this were the border by antonomasia or, maybe, because for us Mexicans it actually is. How do these specialists define the genre? Iglesias states that a border movie is one that satisfies the following requirements: the plot, or an important part of it, takes place in one of the border cities found between Mexico and the United States; it deals with a border character, regardless of where the plot takes place; it concerns a population living in the United States but with Mexican origins; it is filmed in a border town, even if the plot does not make this evident; and an important part of its story line refers to the border or to national identity problems. So, according to Iglesias (Cf. Op. cit., p. 17), it is therefore a subject, a character style, a genre, a type of production, and a cultural identity problem. Since the subject here is broader, as it includes not only Mexican productions, but also American and Canadian ones, I will extend this definition so that it includes the border between the United States and Canada. Regarding Mexican border films, Iglesias notes that, in three different stages of the 20th century, it is possible to distinguish variations on the following subjects: migration to the United States; the border as a sinful place or the cabaret melodrama; the creation of border stereotypes such as the pocho and folkloric nationalism; the western; the ranchero comedy and, afterwards, the sex-comedy; migration linked to the Chicano population; the border as the ideal place for action adventures and police stories related to drug dealing. In addition, Maciel and Rosa Acevedo concentrate on analyzing the subject of migration in Mexican cinema. It is their contention that the subject is far from dead. They also include a vision regarding “The control of our border according to Hollywood”6 where they assert that: North American films [sic] about this issue follow a basic discourse formula, a modified version of the western in which the hero bravely fights against bands that deal with undocumented workers, that they always end beating. […] They are a vehicle for a traditional action story for the main star, […]. They have a clear political message: the importance of controlling the South border and the need to start a campaign against the clandestine transportation of migrant labourers to the USA. They reveal the concerns and worries of the US on the migration issue. (Op. cit., pp. 211-212)7

230 Borders North of the Americas: Transcultural Spaces of Changing Identities

Moreover, when dealing with the creation of stereotypes, Maciel and Rosa Acevedo accurately point out that from the earliest productions, archetypal Mexican characters appear in these movies, portraying villains, cowards and buffoons.8 Both Iglesias and Maciel note that in border movies women always hold supporting roles. Even in the case of cabaret melodramas, female characters are always subordinated to male ones. Perhaps it could be stated that there is not a sufficient number of Canadian border films to constitute a genre in itself. Furthermore, it could be said that most border movies (Mexican or Canadian) at the end of the twentieth century could also be classified as road movies.9 It seems interesting to note that, of the five points that form Iglesias’ definition of a border movie, the only one that cannot apply to the northern border of the US is the one about a population of Mexican origin. Oddly enough, the subjects, character styles, genre and cultural identity appear both in the north and the south. Finally, I must note that of the 20 movies reviewed for this paper, 15 were filmed in the nineties and, therefore, there are some substantial differences compared to the analysis of previous years in both Iglesias and Maciel.

Two Borders Separated by One Country In similar undertakings, two chroniclers, Tom Miller10 (from the US) and Marian Botsford Fraser11 (from Canada), travelled along both US borders. There is great variation in what they saw and, therefore I would like to use their words to begin my analysis of the film corpus. Miller defines the Mexican-US border: Every year [… ] in the spirit of international amistad,12 politicians on both sides proclaim their mutual and eternal goodwill. On other days they might take issue over the problems of migration, drugs, pollution, and smuggling, but on this day the abrazo,13 the embrace, is in order. [… They are separated by a] seven-foot link fence separating the United States from Mexico, topped by three strands of barbed wire which slant toward Mexico.On the barbs shreds of clothing are visible, left by Mexicans who have tried to scale the barrier. […] Alas, the fence turns the “hand of friendship extended” into a most delicate problem. […] Such ironies and contradictions thrive along the border between the United States and Mexico, a region that does not adhere to the economic, ethical, political or cultural standards of either country. […] The border [is a] third country, a strip two thousand miles long and no more than twenty miles wide. […] The symbiotic relationships shared by the many pairs of border towns […] are born of necessity. The cities couple like reluctant lovers in the night, embracing for fear that letting go could only be worse.

231 International Journal of Canadian Studies Revue internationale d’études canadiennes

The general impression of border towns is that they are sleazy and sleepy, dusty and desolate, places where the poor and the criminal mingle. In truth, many are like that. But the border is also sexy and hypnotic, mysterious and magical, self-reliant and remarkably resilient. It changes pesos into dollars, humans into illegals, innocence into hedonism. No other international boundary juxtaposes such a poor but developing nation with such a wealthy and industrialized one. (Op. cit., pp. xi-xii) Meanwhile, Fraser writes: Like many North Americans, I have a family history that moves freely back and forth across the Canada/US border. […] I grew up with ideas about funny little differences north and south of the line. The border is “the line”; it is always called the line by the people who live there and the people who put it there. The 49th parallel is a metaphor we use casually in North America, probably more frequently in Canada than in the United States. It signals many things to us, north and south of the 49th–an accent, a cold front, a style in television programming, the look of a face, the cut of a coat. When we talk about the 49th parallel, we visualize a map with a dotted line drawn across the belly of North America. The line, or an approximation of it, is indelibly printed on our imaginations […]. The total length of the line is more than 5500 miles, or 8891 kilometers. […] The border in a sense runs tangentially to two national identities. […] To most North Americans, the border is several things. It is the momentary uneasiness we feel as we approach the Customs and Immigration building at an official border crossing. […] The border is also the scene of our smuggling mythology. […] But the Canada/US border is also a series of local cultures that in some places embrace the line and in others are isolated by it. […] Visually, it is a long, long line of numbered monuments. […] The story of laying down the line is a record of endurance, precision and co-operation […]. The Canada/US border is a peculiarly vital strip of shared mythology and landscape. […] (Op. cit., pp. 1-4) [S]mall differences between two cultures. Monuments recalling challenges to a thin line of distinction between two countries. Images of people whose daily lives are structured by proximity to the line but who are far removed from the game of borderline diplomacy that defines and regulates it. Images of the boundary vista, which must be tended like a garden or it will disappear. (Id., p. 203)

232 Borders North of the Americas: Transcultural Spaces of Changing Identities

These long quotes are very eloquent about the different perspectives of the border that can be sensed on the Río Bravo (or Grande) and the 49th Parallel. As journalistic chronicles, they are not to be read as fictional narration, since their main aim is to describe a reality, not to build a mythology around it. Although the borderlands pictured in them seem to be realities quite diverse from each other, they are both describing–of course with a very different nuance–the fear of what comes from the south: in one case, a government builds a fence in order to stop migration; in the other, people underline their differences in order not to be absorbed by the giant. Both attitudes relate to the border as a limit, as a barrier that separates and delimits in a real sense on one side and in a metaphorical sense on the other. The crossing of geographical frontiers, as described by the chroniclers, also implies a cultural crossing; and even though regional communities have developed a sense of friendship and cooperation, mental and governmental barriers would have to disappear in order to be able to talk about a real integration and a radical change in the mythologies involved with the ideas of the border, as embraced by Mexicans and Canadians. Therefore, if in the south of the US a peculiar culture arises, in spite of a real wall being tangible proof that borders do exist, and the fear that certain sectors of the population feel when facing the possibility of cultures mixing, in the north there exists the opposite concern, that the border might disappear, taking along with it the few differences separating two national cultures. Because these paradoxes are alive in the contact zones described here, it is impossible to forget, at least in the North American context, that transborder spaces imply simultaneously mingling and rejection. For example, despite NAFTA, Mexican citizens are still required to have a visa to cross the border, and after September 11, Fraser’s cheerful view of a freewheeling crossing might no longer be true. At the beginning of the 21st century, the fact is that, once more in spite of NAFTA, the United States has chosen to “refrontierize.”14 The Bush administration considers border controls to be vulnerable, even more on the Canadian side, because of the lack of data bases that could render precise information about people travelling from one side of the line to the other, a consequence of the longstanding, amicable policy towards Canadian citizens evoked in Fraser’s chronicle. But the fact is also that everyday, on the Mexico-US border, one million people cross in both directions and that 208,932,840 vehicles cross to the US through Mexico. This means that each year, the southern border of the US allows in more than 300 million people, and approximately 90 million cars and 4.3 million truck crossings; while in the north, in terms of people traffic, over 200 million two-way border crossings take place a year at 130 border crossing points between the US and Canada.15 This part of the chronicle, related to intelligent borders, scanned fingerprints and foreign countries filled with the usual suspects who still

233 International Journal of Canadian Studies Revue internationale d’études canadiennes have to travel and work on either of the “other” sides, has yet to be interpreted by writers and filmmakers.

Crossing Borders Touch of Evil, El callejón de los milagros, Mujeres insumisas, Santitos, Bajo California, El jardín del Edén, Perdita Durango, Traffic, The Untouchables, Highway 61, Niagara, Niagara A significant detail in the first sequence of Touch of Evil by Orson Welles is that the action takes place exactly on the borderline and that a famous Mexican cop, recently wed to an American citizen, crosses the line at the same moment as a car explodes. A 2,200-mile border, he says, that has been calm until now. During the rest of the film, policemen and bad guys go back and forth between Mexico and the US: justice is served in the end. The plot of the border genre has been compacted here, masterfully: the borderline is explosive because, unwillingly, it allows the mingling of different people. It is a sort of no man’s land where everything is available; therefore, it must be surveyed and mistrusted. Despite Welles’ genius, the stereotypes persist. Why is the Mexican-US border crossed? In El callejón de los milagros,16 the border never appears on screen. However, two young male characters dream of getting there; one to work on theotherside,savesomemoneyandmarrytheleadingfemalecharacter;the other, to run away from his father. The spectator sees them leave, forced by circumstances, when the former almost kills his father’s lover and has to run away. The spectator is also present for their return; the former now married to a Chicano woman and with a baby; the latter now successful. In Mujeres insumisas17 the border also remains off screen. Here a group of starving women–beaten, unsatisfied, exploited–runs away looking for a new life, a dignified life that, as suggested by the filmic discourse, is only possible in another country. Women alone. This is the first movie in our corpus that could fit into the road movie genre: from Colima to Los Angeles, the women travel by bus, train and airplane. Guadalajara is a kind of vestibule for the border; it is a large city where a person can get lost, where transition is possible, and where some stereotypical traits from the border city can already be found. Aside from being a way station on their journey north, there is action in this city that takes place in a bar familiar with murder and drug dealing. However, the fact that the referential border is never present makes the ending, narrated partially through postcards, implausible: from Tijuana they travel to Los Angeles, a city where they buy a successful Mexican restaurant and, in the end, are able to break free financially and spiritually. Is it that happiness lies in another place? Both these films were widely shown, and their view of migration seems quite naïve. It is interesting that their stories of success are only present in

234 Borders North of the Americas: Transcultural Spaces of Changing Identities films where the border is only a word in the characters’ dialogues, where it exists only off-screen. Only then are Mexican migrants successful; only then do they fulfil their dreams and fill their wallets and purses with dollars; only then does the fantasy become true. In the first case, they return to Mexico City where their dreams clash; in the second one, the fantasy survives because the characters choose not to look back. In Santitos,18 also a road movie, the main character is once again a woman on her own. In this case, faith is the engine behind the trip. With the aid of magical realism, Esperanza (an obviously symbolic name) travels by bus from Tlacotalpan to Tijuana looking for some pimps because she believes her daughter is not dead but that she has been kidnapped. “¿Qué vas a hacer a Tijuana?”19 she asks her neighbour, “Ps lo que todo mundo va a hacer a Tijuana.”20 As it turns out, everybody goes there to work in whatever job is available to get money. Crossing the border, Esperanza’s journey is an initiation: prostitution in Tijuana, and working by day and by night in Los Angeles, lead her to accept the reality of the death of her daughter. In order to get to this point, she has to pass some initiation tests: she is robbed; she has to become a prostitute; by miracle, she crosses the border in the trunk of a car helped by Juan Soldado;21 she finds her hero behind a wrestler’s mask–like Santo,22 though this one is an angel–and she rejects him to find herself again in the house she left at the beginning of her journey. This “magical realism” interpretation of the border culture on the US side, an interpretation of the Chicano popular culture, might be seen as involuntarily parodic, since it simplifies the question of the crossing, the appropriation of some Mexican icons as an expression of Chicano hybridity, and the fact of Mexicans being rejected by other minorities in the US. HowistheborderseeninSantitos?Tijuanaisaplacewherethestreetsare lighted by neon announcing cabarets and sleazy motels, a city with taco stands sporting bare light bulbs, with kitsch handicrafts and with its own religious imagery where Juan Soldado prevails. What we see of every day life in Tijuana are brothels and dimly or artificially lit interiors;23 Esperanza’s spiritual life must be solved by phone. In Tijuana, the devil himself lives at the Atolladero Hotel incarnated in a woman.24 In contrast, Los Angeles does somehow live up to its name. Even though it seems in some ways like an extension of Tijuana in the north, there are some generous human beings represented by Chicanos. The presence of Chicano culture can be felt in the wrestling scenes and the murals: it provides Esperanza with her avenging angel and with the virgin of Guadalupe who makes it clear that happiness is not to be found in a different place, but within oneself. She recognizes her miracle in the street murals. Although there is a comic side to Santitos, one of the most discussed issues nowadays at the Mexico-US border at Ciudad Juárez, Chihuahua, is that of the more than 300 very young women who have disappeared, some of whose corpses have been found in the desert, and whose murders have

235 International Journal of Canadian Studies Revue internationale d’études canadiennes not yet been solved. Although the urban legend underlying Esperanza’s search will be resolved in the film with a happy ending, which involves love and laughter, the issue of women disappearing along the border has been a serious one dealt with in several documentary films and chronicles.25 Another journey of initiation is the one undertaken by the main character of yet another road movie, Bajo California, el límite del tiempo,26 where a Chicano artist runs away from himself towards the south looking both for his roots and for redemption. We find out through flashbacks that he accidentally ran over a pregnant woman, probably an illegal Mexican alien. His woman’s voice-off talks to him in English in a tape he plays in his pick up truck. There is an undifferentiated transition from one language to another–there are no subtitles–as a symbol of the border. In this film, the road is represented in three ways: filmed (the referential road) symbolized by contemporary maps, and marked with footprints as in the pre-Hispanic codex. In the same sequence, the three symbolizations of the road are alternated: the first one is linked to the present time of the protagonist, who being a US citizen, will have no problem crossing to Mexico; the second one is the guide he will use to get to know the country: to go to the source of his life he needs this abstraction to guide him to a reality yet unknown to him; the third one is the hint that solves the clue: the unknown territory is not only geographical, it is also mythical, since it deals with the past. Because the protagonist’s journey is not only physical, but also spiritual, the footprints in the codex are a metaphor of the imagination linked to the reconstruction of the past, be it individual or collective. Roads can be interpreted as non-places,27 only used for moving from one place to another, where icons are “universal” and serve as indications to the people passing through; the referential border, another non-place, where proving one’s identity is necessary to cross over, where staying makes no sense. Here, however, as opposed to the previous movies, the journey is southward bound, towards the desolation of the desert, where a motor vehicle bears little usefulness because contact with the soil is what matters. The main character leaves a mark with his ephemeral art built with rocks and fire. As a pilgrim would, he seeks purification. What are the risks of crossing the border in the opposite direction? Those that stem from coming face to face with one’s true self. As he travels looking for caves, for prehistoric paintings, for his grandmother’s grave, for his unknown relatives, for the remains of the known regional history, he is back on his life’s track; he has a daughter far away; his schedule includes a return trip because he has achieved inner peace. In El jardín del Edén28 the border is crossed both ways, from the south to the north and the other way around.29 From the initial sequence, the border is presented as the main scenario for very diverse characters inhabiting the border region. Traffic symbols, real symbols: signals and a wall scribbled-full of graffiti: “If the Berlin wall fell, why can’t this one?”30

236 Borders North of the Americas: Transcultural Spaces of Changing Identities

On one hand, the border is described as some sort of limbo for those who wait and wait for the right time to cross. A single individualized character, among a mass of men and women with lost gazes: a farmer looking for a job to help his family in Michoacán. On the other, the border is a refuge for Americans who cannot adapt to their own country: brother and sister, dysfunctional artists; he, a frustrated writer, obsessed with whale behaviour–an animal that, in turn, symbolizes migrants–and totally isolated from the Mexican community; she, a perpetual teenager with many vocations, fascinated by the otherness represented by some natives of Oaxaca who do not speak Spanish. We never learn how or why they ended up in the north. In addition, it is the ideal working environment for this Chicano artist that tries to approach her Mexican roots by putting on an art show reaffirming her Chicano status. For the most part, women on their own are the ones crossing the border back south. And, in this direction, it is possible to cross without any problems because these characters coming from the north are already settled in Tijuana at the beginning of the story. Quite the opposite from crossing in the opposite direction. We see groups doing it by night and by day, alone or guided by polleros31 and always being sent back by the border patrol. Asuccessful crossing, though only partial, occurs again with the aid of Juan Soldado and in the trunk of the car of an American citizen who is not overly questioned by the officer at the gate: where no difference is apparent, no suspicion arises. The presence of the border patrol is another representative symbol of the border: it is there, watching, not only over possible migrants, but also over the day-to-day affairs of those living in Tijuana.32 Hence, not every person that crosses is an immigrant, or a criminal, in spite of what the following movies state. Perdita Durango,33 for example, is a fun inventory of all the violent stereotypes associated with the borderline. Another road movie, filmed in Tijuana, Sonora and Arizona, based on a tabloid story of narcosatánicos, foetuses, drugs, corpses, mugging and black magic. These are just some of the horrors in this film’s repertoire that Perdita and Romeo practice just for the heck of it. The border is described both referentially and symbolically. Here, the barely discernible transition between English and Spanish is also used to mirror the space inhabited by the characters. Working here as metonymy, the border is symbolically represented in the first sequence by the airport. Then, once more, the road and its signals; the wall and its graffiti. Again, crossing from north to south is not difficult even when carrying a dead body and the loot from a bank robbery in the back seat. When Perdita asks Romeo if he lives in Mexico, he answers “Not exactly,” and it is true. In Perdita Durango, the border is a space of confrontation between Hispanics and Anglos. Violence is the prevalent emotion in this environment. The characters inhabiting it are robbers or

237 International Journal of Canadian Studies Revue internationale d’études canadiennes petty thieves, murderers, devil worshippers or naive and despicable gringos. Crimes are committed on the American side, and the Mexican side is a refuge. Irony is what saves the film from falling into caricature. And, nonetheless, stereotyping is its most outstanding feature. Meanwhile, in Traffic34 the very title says it all. The border is a place for undertaking, as well as fighting, the traffic of illegal substances. There is corruption on both sides, though there is more on the Mexican side. However, drug use is limited to the US side, and not only in marginal populations, but more so among the privileged classes, among teenagers whose parents could care less about what their children do, or who are just too busy to notice. Could this be the reason why the movie plays with colouredfilters?Couldthisbewhytheborderissepiaandthenorth,blue? Traffic is also plagued by stereotypes:35 the honest cop, the corrupt army, the colluded system, the ethical judge, the Hispanic dealers, the ochre border, the connecting site for international drug trafficking. As in Perdita Durango, but without the black humour, Tijuana is represented as a city where criminals hide behind a uniform or at some bar. There are also taco stands lighted by a bare light bulb and a baseball park where children play, not to mention large deserted fields where small aircraft land loaded with smuggled drugs. Given its ambiguity, the ending–be it ironic, be it a fairy tale–leaves the spectator sceptical. Can we really believe that, somewhere, there is a judicial that chooses, as a reward for his bravery, to receive a baseball field he can donate to the community? Is there some place where a high-ranking politician who, as penance for his bad parenting skills, quits his position to support his daughter in a rehab clinic? Nevertheless, international crime does not only take place on the southern border of the United States. It should suffice to remember that long sequenceinTheUntouchables36 whereElliotNessandhisboysarewaiting, aided by the mounted police, for a shipment of alcohol, which will turn out to be the beginning of the end for Al Capone. The border here is an iron bridge, a huge field with only a little cabin in sight: desolation is the perfect scenario for concluding illicit deals. As Mariane Botsford Fraser pointed out in her definition of the US-Canadian border, there is a contraband mythology in the region. It is a known fact that at least one of the great contemporary Canadian fortunes originated from US prohibition and alcohol smuggling along the northern border. The black humour comedy Highway 6137 also plays with the smuggling mythology, though in this case, involuntarily. Another road movie in this already long list, where the ingredients are sex, drugs, rock and roll and death. Even though stereotypes are also present here–the small town barber also a wannabe musician, dazzled by the unscrupulous and promiscuous city-savvy roadie, the American professional musicians addicted to drugs, violence and sex–the ironic tone of the movie that even includes the devil in

238 Borders North of the Americas: Transcultural Spaces of Changing Identities the shape of a wish-granter that nobody takes seriously when they sign their soul away through a contract, saves it from caricaturizing the characters. The border is represented by Pickerell Falls, a town in Ontario, the last stop on the bus line. The main character, who has never gone to the city or crossed the border, in spite of living right next to it, begins a journey that, as we have seen in other cases, has a lot of initiation ritual. While remaining innocent, he gets involved in corpse and cocaine trafficking. Given that he ignores his real situation, the journey south–“New Orleans, the birthplace of jazz […], a chance to drive down the highway, hear the music, meet the people, see America. A dream come true”–to this far away country that is yet so near, implies becoming a master of his own destiny, following his dream, his vocation. With his ever-ready suitcase, the corpse is the perfect excuse for going down the legendary and Dylanian Highway 61 with his “ideal” woman by his side. As in this genre’s classics, the car is of great importance to the movie: the only thing his parents left him, the orphaned hero has never used it for transportation; it has only served as a bedroom and confessional. He was saving it for his great trip: the search for his destiny–seeing the world, in other words, travelling to the United States. The sequence where they cross the immigration and customs gate is interesting because it could hardly ever be depicted in a similar fashion in a Mexican movie. The American guards are threatening, or at least they should be, given the circumstances. The musician’s partner has a long criminal record; she knows that they are carrying the dead body of a stranger filled with cocaine in the van (and they’re being followed by the devil who wants to claim his property) and, with unsurpassable cynicism, she listens to the guard’s sermon that, far from eliciting respect, becomes ridiculous with its predictable epilogue: “Welcome to America.” And then, in an ironic punch line: a large billboard that reads: “Sign up for America’s Drug Free Decade.” It would be very interesting to develop a further interpretation of this irony under the perspective of the new “intelligent borders” policy. The last road movie in this section is the independent film Niagara, Niagara38 where, as in El jardín del Edén, the ones that choose to cross the border are the misfits of American society. In this case, a couple of marginalized teenagers–one who is mentally ill, her parents filthy rich by way of human waste, and the other, a petty thief that lives in poverty with his handicapped father–suffer from a monotonous and unsatisfactory life. They head north in hopes of finding something unattainable on their side of the border: a society that is not racist or prejudiced, symbolized by the sale of black Barbies. The restrictions on alcohol and drug sales for minors are characteristic of the United States side of the border. Therefore, what starts as a trip looking to fulfil an absurd wish or a childish whim, turns into flight after the characters are driven to crime.

239 International Journal of Canadian Studies Revue internationale d’études canadiennes

Two borders appear in the movie. First, the natural ones, the falls, a wall of water separating the two countries that can bury violence and leave a certain way of life behind.39 Before being purified by the water, the characters throw their van down a cliff and their weapons into the falls, a prelude to their entrance into the foreign country on foot. The second border is the legal one, where their bags are checked and they are allowed in without a problem even though both are minors. The premise that where no difference is apparent, no suspicion arises, is met again. Now, in this case, fulfilling their wish was not possible due to cultural differences and stereotypes such as, to begin with, the accent. Stereotypes clash: Americans represent disorder, violence, whim, the imposition of their will; Canadians represent cultural diversity, rigid order, good manners and intolerance to a certain extent. The confrontation ends in tragedy, with a shooting and death. And the ending takes us back to the water border, open, withthepossibilityofstilllivingthefantasybecauserealityisunbearable.

Borders Lived Hasta morir, El jardín del Edén, Gas Food Lodging, Lone Star, Bordertown Café It becomes apparent that there are more borders crossed than borders lived. However, the latter have many common traits: women on their own, cafés, truck drivers, dressing styles, arid landscapes, loneliness, culture clash. In Hasta morir,40 the fringes of Mexico City, personified by gang members, come together with one of the dominant cultures of Tijuana, the cholos. Delinquency, in both cases, is shown as the only way for young people to get their hands on some monetary resources. The main characters, a couple of childhood friends, exchange places so that the cholo settles down in Mexico City and the gang member flees north after killing a cop. Tijuana is described through metonymy, through emblematic settings: the bus station, the beach, the dog track, the graffiti; but it is also a set of dusty sloping streets, with a culture so strong it absorbs anyone that comes to live there. The transformation in the character’s wardrobe confirms it. Nobody there wants to cross the border.41 The film is interesting because it settles the border as a place for outcasts. Even though gangs also exist in Mexico City, their “natural” space seems to be the border, which operates as sort of a no man’s land: a hideaway where misfits find brotherhoods that will embrace them; a place where people can be reborn, where they can build an identity from scratch and fit in. Youngpeople’s culture is focused as the centre of the film, but it has nothing to do with the teenage expectations of going to school and living carefree; these young people struggle for their lives, literally, in a territory where the border not only separates two nations, but situates them in the margins because of their outfits, their decorated cars, their knives, their music.

240 Borders North of the Americas: Transcultural Spaces of Changing Identities

The same happens for many of the characters in El jardín del Edén.Ithas a series of women on their own, with children, and living on the border. There is a widow, with her three sons, who opens a photographic studio in order to support her family; there is the aunt, a speculator dilettante, who helps the newly arrived get settled; and there is a Chicano mother with an aphasic daughter who works at installing an art show. These are all working women and they dissolve the stereotype of women created in previous border films (the prostitute or crook, always subordinated to the male character) in order to create a new one: the single mother. The city of everyday life is the one in the photographic studio, the aunt’s storage house where she sells objects discarded by the gringos, the parking lots where the cholos take their jumping cars, the sloping streets and the antechamber to migration, next to the wall. The city of everyday life is, in this movie, two cities: one for those who came to stay and another one for those that are there involuntarily, always waiting for an opportunity to get out. None of them had been present as a constant before in Mexican film and theydissolvethestereotypeofthebordertownasabigbrothelorcantina. Gas Food Lodging42 takes place on the border, in Laramie, New Mexico. Again transitioning from English to Spanish is a symbol of the place. Movies are another, more important, symbol: the supposedly Mexican melodramas that the female Anglo teenage main character watches and from which she gets not only her sentimental education, but also her ability to free herself of prejudice and understand the Mexican-American population that shares the town with the Anglos. The contempt the latter feel for the former is only mentioned a couple of times and the confrontation does not appear as something violent, but rather as unawareness and ignorance from the Anglo characters. The roadside café is another symbol of the place, because people only stop there when they are going elsewhere, which is one of the most important leitmotifs in the film. Atown that is made up of a few streets and surrounded by an arid landscape, millenary caves and, once more, a population of women on their own that state: “That’s what men do: they walk away.” For the main character’s sister, success lies in leaving town and going to Houston, the great city. For her, it is accepting her life just as it is, with an absent, alcoholic father and a run-down mother with a Chicano lover. The difficulties of sharing the contact zone and the transcultural space are embodied in the bicultural couple. The communities, in this film, are not shown and the conflict takes place in a more private space: the one of the Anglo protagonist and her Mexican-American boyfriend. In Lone Star,43 a movie that takes place in the Rio county near Perdido, the problems of living in a multi-racial community (Anglos, African- Americans and Chicanos) determined not to intermingle can be explicitly summarized in one of the lines from its fantastic script. The sheriff, when

241 International Journal of Canadian Studies Revue internationale d’études canadiennes talking about everyday life, says: “Business is booming. Got your drugs. Got your illegals.” Once again, the presence of Spanish and English in the dialogues; the café serving as a meeting place; the few streets that make up the town; and, the surrounding millenary desert are an ideal place for paleonthological research. Meanwhile, in a school, a class about regional history, or more specifically, about the Alamo episode, serves as an excuse for the members of the different communities to test their strength: what the students should learn, how history is defined, how historical facts diverge, given their deep-seated nature in each region, depending on who is speaking. Based on the resolution of a crime committed many years back, by a racist, corrupt and exploiting sheriff, the characters start untangling stories where their origins go hand in hand with their destinies. We see the successful restaurant owner who, in an attempt to erase the fact of her recently acquired nationality, tells the border patrol about the migrants and speaks of them with disdain as mojados. The old Anglos that refuse to lose their privileges. The African-American soldiers, whose only opportunity to get away from ghetto life is the army. The mixed couple that could never get married because of their parent’s disapproval. Here the stereotype is broken with an intelligent blow at the end of the story: this disapproval is not based on racism, but incest. The only thing that Mexican spectators could fault in Lone Star is that, in striving for realism, migrants–Chicano actors and actresses–are made to speak in Spanish with a poorly translated dialogue…The effect is, thus, counterproductive. And, finally, Bordertown Café,45 where the similarity of the scenery of Warren, Manitoba, with the landscapes of the two previous movies is amazing. A town with a single main road, open fields, plains, with only a signal marking the border, where everything is identical on both sides. Again, a woman on her own with her son. The absent father, a truck driver, an American. Once more, the confrontation of two cultures: Canadians looking down on Americans for being noisy, for being indiscreet–or so they feel. Here, however, there is something really different: the immigration gate. Both cars and trailers go through, honking their horns, and the guards that spend their free time painting or sunbathing wave to travellers and do not make them stop for the routine inspection that prevails in other places. In the teenager’s room, border life is symbolized on the walls: an American flag and a hockey poster. And the conflict in this character’s life: choosing between his mother and his father; between life in the café on the Canadian border or a stable life with a stepmother living south. Here the characters are stuck in a rut; the border is a symbol of the immovable, of the desperately ineluctable: the chosen destiny.

242 Borders North of the Americas: Transcultural Spaces of Changing Identities

But in this film we can also sense what Fraser describes in her chronicle: there is a similarity, a friendliness, between the communities that share this arid, almost void space; and paradoxically, there is some antagonism, the desperate desire not to become a reflection of what they are.

Symbolic Borders Borderlines/Territoire, Cube There are no movies in Mexican filmmaking that refer to the border as a symbolic space; maybe because the referential border to be allegorized is extremely concrete. Two examples are found, however, in Canadian cinema. One of the starting points of this analysis was that, as Maciel and Rosa Acevedo have stated, Mexican and U.S. film-makers are still concerned with migration. They say that there is a peculiar Hollywood perspective on controlling the border in which U.S. films are a vehicle to state a very clear political message: it is important to control the southern border, because the importance of the migration issue must not be overlooked. So, when seeing this genre we must stress the idea that the border must also be reinforced: quite a contradictory message during the nineties, when globalization is supposedly the rule and borders are supposed to be more porous for various reasons, economic and cultural ones. Therefore, I dare to suggest that this is the reason why Mexican films can never refer to the border as a symbolic space: the referential border up North is too concrete for us to either allegorize it or ironize about it. A traditional idea of the border is always linked to the idea of division, separation and difference; not only does the border exist as a line on a map, but as a sensitive area where two countries or two political systems confront each other. Contemporary theorists, though, define borders as in-between spaces where regional culture is always conscious of its unique status as crossroads.46 Both are present in the border genre. Why, then, include these two films that apparently have nothing to do with the aforementioned definitions? Mostly, because I find it quite interesting that Canadian films do represent border spaces or frontier territories in a symbolic and ironic way. Borderlines/Territoire,47 a title that is itself very evocative, firstly because the translation is not literal–in English it refers to border limits; in French to the territory–and because it gives us an idea of another border present in the culture of this country that might have been explored in this essay: the border between Anglophones and Francophones, or maybe, the border between Quebec and the rest of Canada. However, this animated short refers to the limits existing between individual human beings that decide to live as a couple, the difficulties of

243 International Journal of Canadian Studies Revue internationale d’études canadiennes cohabitation, the voluntarily shared spaces where, sometimes, we do not know where to stand so as to not get in the way of each other. In the dim light of a bedroom, the territory of intimacy, a blue man plays a guitar when a red woman storms in, filling the room with light, becoming orange. Thus placing a line between them. As Spener and Staudt point out (p. 5), borderlines exist in different dimensions of human experience–not only the ones dealing with nation states. Dividing lines reflect opposite interests and identities, including gendered ones. The animation short provides us, in a sort of watercolour sketch, with an affirmation of this: men want something, women want something else. Within territories, Spener and Staudt state48 closed relations are created for several reasons; an example are those based on intimate affection, erotic links and couples. It is no accident that so many institutions continue to be based on closed relations in which the participation of others has been excluded, limited or subject to certain conditions (such as marriage). Even though the establishment of these closed partnerships is characteristic of sociability and identity formation, paradoxically, conflict almost always arises around this process. The irony lying under this paradox is the main characteristic of Gauthier’s short film. The two characters portrayed share a territory, but day to day life leads them to subdivide it. He wants to make his music, she wants to read; he feels harassed, she feels expelled; a guitar, the newspaper, a cigarette are elements of disagreement. As long as there are no words, body language is the only means of establishing some sort of agreement to share this territory once more; but utopia will never be possible as long as borders exist: in the midst of caressing, his hand finds the remote control and installs the ultimate frontier: television rises as an unmerciful killer of intimacy. Two characteristics stress the impossibility of sharing territories: each of the characters is painted with a different primary colour; and the musical score that underlines the couple’s action is interrupted by the loud noise that comes out of the TV set. We can interpret this noise as the roaring of the massesduringsomesportsmatchthatweareunabletosee,butthattheycan. Cube49 is a more radical example in this sense. Trapped inside some sort of Rubik’s cube, the characters in this sci-fi film have to find a mathematical way to exit each of the cubic rooms where they are mysteriously imprisoned and surrounded by mortal traps. Each wall is a border, a limit. To cross it, an unknownpasswordhastobedeciphered,whichcanonlybedonebyanidiot savant, an autistic mathematical genius. The cube is an allegory of a faceless power that destroys and that kills. Nevertheless, logic, created by human beings (in this case mathematics) is able to decipher its mysteries and, to some degree, conquer the absurd of such absolute power. The cube is an allegory of the violence that all borders imply and also of the fierce safeguard of territories. Does it mean that the outside is just the same as the

244 Borders North of the Americas: Transcultural Spaces of Changing Identities inside? That borders only divide similar realities: violence, authoritari- anism, stupidity? That the cube is merely a mirror of the world?

Paradoxical Spaces: NAFTA, 9-11, Intelligent Borders. How Can We Be Neighbours in North America? Throughout the twentieth century, the 49th parallel claimed the right to be called the world’s longest undefended border. Not anymore. Since the terrorist attacks, now known as “9-11,” and unbelievably to us south of the US border, the Canadian porous line is now perceived as dangerous. But nowadays: Scores of pundits singled out for blame Canada’s “permissive” refugee laws and its more liberal non-visa requirement policies with a variety of countries, among them nations that the United States opposes. […] The rhetoric connecting terrorism to “foreigners” who abuse differences in national immigration legislation could then also be used to pressure Canada into changing its policies and to articulate demands for more U.S. Border Patrol agents and stricter immigration policies in the United States itself.50 From a Mexican perspective, this is not surprising. As stated before, we can never forget that the Tijuana-San Diego border is fenced, closely surveyed and, paradoxically, the most crossed point of entry in the whole world. Mexicans can never forget the northern border: el río Bravo, to us. During the Iraq war, much was said about the US reaction to a migration treaty, and how it would affect Mexican migrants. The lines outside the US embassy seem to be longer and fewer visas are being granted, presumably not only to Mexican citizens. NAFTA of course has facilitated the transportation of Mexican goods to the US, but we still need a visa to visit that country. In the year 2004, while government institutions celebrate the tenth anniversary of NAFTA, while the goods needed by US markets continue to freely cross North American borders, entry to the USA will be more difficult for some people, Mexicans for sure: fewer visas will be issued, pictures will be taken at customs offices, eyes and fingerprints will be scanned. As the Tijuanense novelist Luis Humberto Crosthwaite has written:51 to cross the US border will require an intellectual effort, the knowledge that nations have doors that open or close. In this case, the door will open or close depending on who you are or who they think you are. While paradoxically adhering to the belief of free trade, the US will fiercely keep its gates closed to the usual suspects. Over this same decade, the Mexican film industry has almost died. Wheneveritseemstoregainitshealth,it’simpossiblenottowonderifthisis merely a last sigh. But while almost nothing was being filmed, border moviesremainedprominentintheinventory.52 So,withsuchasmalloutput, the fact that more than a half a dozen films deal with border issues only

245 International Journal of Canadian Studies Revue internationale d’études canadiennes highlights the relevance of this topic in contemporary popular culture, including in literature and music, in Mexico. And why is that? Because, as stated before, after oil, it is the income in dollars from migrant workers that has kept our economy alive (their revenues are higher than the ones we receive for the tourism industry). For a long time, the city with the second largest population of Mexicans has been Los Angeles, California (it is said that it is the same with Canadians); because in spite of being a partner in NAFTA, Mexicans still need a visa costing 100 dollars and that will only be approved after you have proven that you are employed and have a bank account; because during summer, every day, there are government spots on the media warning people that crossing illegally can cost them their lives; because in Arizona the new sport of ranchers deerhunting for migrants is, unfortunately, no urban legend; because of the drug trafficking and the tunnels and the FBI most wanted list with Mexican names; because of the more than 300 women murdered in Ciudad Juárez; because of the fence. Mexicans cannot seem to take their eyes off the American border. Which reminds us of the always presentsayingthatmightsoundlikeacliché,butahundredyearsafteritwas invented by a politician can still make sense to a lot of people: Poor Mexico, so far from God, so close to the United States. Saying that, of course, takes us back to the unavoidable stereotypes, or at least so it seems from the corpus reviewed. Why can’t filmmakers avoid stereotyping in the border genre? There is a significant difference between how Mexican films on the one handandCanadianorUSfilmsontheotherdepicttheborder,anditislinked to the fact that Mexican filmmakers have not allowed themselves to be ironic about this subject because the issue still makes our culture angry.53 Filmmakers translate the crossing of the border as the possibility of making a dream come true, the American dream: a safe job, higher income, becoming middle class: the US as a source for wealth (and not only to migrant workers, but also to smugglers, drug dealers, crooks). So it is quite interesting that these success stories are only present in films like El callejón de los milagros or Mujeres insumisas, where the border is a discourse, a word in the characters’ dialogues, where it exists only off screen. Only then are Mexican migrants successful; only then do they fulfil their dreams and fill their wallets and purses with dollars; only then does the fantasy become true. Perhaps closer to the truth is the interpretation of border life given to us by Lone Star, where migrants are sub-employed, and where second or third generation ones show mixed feelings towards the newly arrived. El jardín del Edén shows some humour in its title (no one of course, considers Tijuana a garden of Eden), but the film on the whole is more on the melodramatic side and, in spite of a couple of other ironic hints (the reference to the Berlin wall, the smuggling of the men by the naïve

246 Borders North of the Americas: Transcultural Spaces of Changing Identities

American woman), the conclusion of the film, with its ensemble of anonymous men waiting for a chance to cross, is discouraging. Stereotypes recreate our fears. They are the embodiment of our defensiveness. Stereotypes exist all across the corpus, be it Canadian, Mexican or independent US productions: the good Americans, mostly misfits in love with either Mexican or Canadian culture; the bad Americans, mostly government officials or Mexican Americanized migrants, or just men without any scruples; the good Mexicans (exploited migrants); the good Canadians (innocent citizens who will be abused by smart Americans); the bad Mexicans (polleros, drug dealers, police officers), although, quite interestingly, I would not dare to say that I could find the stereotype of the bad Canadian. The reinforcement of borders–not only international, but domestic too– has been wisely translated by a polemical documentary, filmed by an American director, but with Canadian investments. Bowling for Columbine is a different type of border story, one that explains why the once world’s longest undefended border will no longer be so: Moore, in trying to understand youth violence and its roots, translates this reinforcement in terms of fear, too. Fear of the other, of the unknown, of the one you do not want to mingle with. So the nation locks itself in: by reinforcing the real borders, but also the symbolic ones. And, in a lighter tone, this unavoidably reminds us of the animation film that claims to be bigger, longer and uncut, the South Park movie, which (in an intertext with another Michael Moore film Canadian Bacon, the one that made him an honorary Canadian) has an interesting take on this set of depictions of the border because it inverts the “American as enemy” stereotype and reaches its climax in the lyrics of “Blame Canada, blame Canada, they’re not even a country, anyway.” Lyrics that remind us, once more, of the observation made by Fraser when she states that, up north, the fear is that the border might just dissolve. Borders are places of great political, social and cultural complexity. What happens when they are charged with symbolism? Frontier spaces are represented as paradoxical, whether it’s the porous one dealing with the life of a couple or the rigid and concrete ones of a cubic prison; whether it’s everyday life or borders controlled by power. Spener and Staudt state that for the State, borders are necessary fictions that represent purity and the legitimate. In other words, they are a semi permeable membrane knit by officials and the state apparatus of surveillance. To divide, to confront would be the main reason of this type of border. But the opposite may result: danger can produce a close community. In both Canadian films which can be read as allegories of borders, situations of inclusion and exclusion are linked to the individuals who are its protagonists. The portrayal of borderlands is linked to confrontation, but also to the building of communities.

247 International Journal of Canadian Studies Revue internationale d’études canadiennes

We have yet to receive an interpretation from filmmakers of the regional geography of North America after the “refrontierization” of the US following September 11. Whether their perspective will be melodramatic, comic or ironic is still to be seen. Whether the filters they use are sepia or blue, we still can’t know. The borders still dazzle us as spectators whether as fictional representation or as actual realities. And this, we don’t only know because of Soderbergh.

Notes 1. The author wishes to thank the Government of Canada, through the Department of Foreign Affairs and International Trade, and the Embassy of Canada in Mexico, for a Faculty Research Program fellowship, 2003, which made this essay possible. Also the team of the PAPIIT project at CISAN-UNAM (Elizabeth Gutiérrez, Alejandro Mercado and Silvia Vélez), who gave me valuable ideas for this text and the longer project into which it will develop. 2. Thus, there is a radical difference between this investigation and the one by Norma Iglesias, who aside from having carried out an exhaustive compilation, states in the second chapter of her book--symptomatically called “La visión de la frontera a través del cine mexicano. Un paseo entre churros” (Visions of the border through Mexican cinema; a walk among churros–churro, a greasy, extremely sweet pastry, is the Mexican term for a very, very bad picture) that an aesthetic review is a waste of time. 3. This text is the beginning of a much longer project, that will hopefully become a book, which will include more theoretical reflections about the border, as well as Chicano film examples. 4. Cf. Entre yerba, polvo y plomo. Lo fronterizo visto por el cine mexicano, 2 vols., Tijuana, Mexico, El Colegio de la Frontera Norte, 1991. 5. Cf. “El inmigrante del celuloide. El cine narrativo de la inmigración mexicana,” in Cultura al otro lado de la frontera, David R. Maciel and María Herrera-Sobek, coords., Mexico, siglo veintiuno, 1999, pp. 191-253 and David R. Maciel, El bandolero, el pocho y la raza, Mexico, CONACULTA/siglo veintiuno, 2000. 6. “El control de nuestra frontera según Hollywood” 7. “Los filmes norteamericanos [sic] sobre el tema siguen una fórmula discursiva básica, una versión modificada del western en la que el héroe lucha valientemente contra bandas implicadas en el tráfico de trabajadores indocumentados, a las que siempre acaban por derrotar. […] son un vehículo para una historia de acción tradicional para la estrella principal, […] Tienen un mensaje político claro: la importancia del control de la frontera sur y la necesidad de poner en práctica una campaña contra el transporte clandestino de trabajadores migratorios a EU. Revelan las preocupaciones e inquietudes de EU acerca del tema de la migración […].” The translation to English is mine. 8. “Desde las primeras producciones, personajes mexicanos arquetípicos aparecían sin cesar en el cine en papeles de villanos, cobardes y bufones.” (Id., p. 213) 9. As will be seen in the forthcoming analysis. 10. On the Border. Portraits of America’s Southwestern Frontier, USA, University of Arizona Press, 1989. Emphasis added. 11. Walking the Line, Vancouver/Toronto, Douglas & McIntyre, 1989. Emphasis added. 12. Friendship.

248 Borders North of the Americas: Transcultural Spaces of Changing Identities

13. Hug, embrace. 14. Cf. Patricia Vázquez, “Fronteras ¿inteligentes,” Revista mexicana de estudios canadienses, nueva época, núm. 4, otoño 2002, pp. 47-56. 15. http://www.state.gov./www/regions/wha/0012_cusp_report.html (06/11/03); http://www.usembassy-mexico.gov/sataglance1.htm (05/11/03). 16. Dir. Jorge Fons. Production: Mexico. 17. Dir. Alberto Isaac. Production: Mexico. 18. Dir. Alejandro Springall. Production: Mexico / US. 19. “What will you be doing in Tijuana?” 20. “Course, what everyone does in Tijuana.” 21. Juan Soldado was a soldier killed by one of his superiors when he saved a woman from being raped by this man. His grave has become a shrine where this laysaint is worshipped by migrants who feel protected by his image while illegally crossing the border. 22. El Santo, the Saint, is another important figure for Mexican popular culture; he was a wrestler with a silver mask, who embodied goodness, courage and honour, and became very famous because he was the star of cheesy action movies for around two decades. 23. In the movie there is an intertext with El lugar sin límites (Place without limits) by Arturo Ripstein, because the owner of the “service house,” Doña Trini, is no other than Roberto Cobo, la Manuela, in that other film (which, fortunately, has been already issued in DVD). 24. A similarity with Highway 61, where the devil is also a travel companion or unwanted guide, this element will be further explored regarding this character. 25. Cf. Señorita extraviada, dir. Lourdes Portillo, production: México; Víctor Ronquillo, Las muertas de Juárez, México, Planeta, 1999; Sergio González Rodríguez, Huesos en el desierto, México, Anagrama, 2002. 26. Dir. Carlos Bolado. Production: Mexico. 27. Cf. Marc Augé, Los no lugares, espacios de la sobremodernidad, Barcelona, Gedisa, 1994. 28. Dir. María Novaro. Co-production: Mexico / Canada. 29. Other aspects of this movie will be analyzed in the following section. 30. “Si el muro de Berlín cayó, ¿por qué éste no?” 31. Pollo in Spanish means chicken; polleros are people who traffic in illegal migrants who in turn are compared to chickens, all packed in the back of trucks. 32. This scene is repeated also in Traffic. 33. Dir. Alex de la Iglesia. Co-production: Spain / Mexico. 34. Dir. Steven Soderbergh. Production: US. 35. One that is especially irksome for spectators on this side of the border is the Mexican stereotype. In order to give an effect of authenticity and to have them speak Spanish, some Latin actors were hired to represent the Mexicans. For the Mexican spectator, it is obvious that the Spanish-speaker has a peculiar accent, which decreases the effect of realism and fails to be effective. Something similar happens in Lone Star and it will be further analyzed. 36. Dir. Brian de Palma. Production: US. 37. Dir. Bruce McDonald. Production: Canada. 38. Dir. Bob Gosse. Production: US. 39. Fraser points out in her text that part of the border mythology is a sign advising American citizens crossing the border to leave their weapons at home before entering Canada. 40. Dir. Fernando Sariñana. Production: Mexico.

249 International Journal of Canadian Studies Revue internationale d’études canadiennes

41. The border is home in this film, meaning that it is a film mainly about born Tijuanenses, not about the great population of migrants who are waiting to cross the border and who will develop a split sense of home: the place where they inhabit as migrants versus the place that they left and where they long to go back to some time, as it happens in films like Santitos or El jardín del Edén. 42. Dir. Allison Anders. Production: US. 43. Dir. John Sayles. Production: US. 44. The movie is actually filmed on location along the border between Eagle Pass and Piedras Negras. 45. Dir. Norma Bailey. Production: Canada. 46. David Spener and Kathleen Staudt, “The view from the frontier: theoretical perspectives undisciplined,” The US-Mexico Border: Transcending Divisions, Contesting Identities, USA, Lynne Rienner 1998, p. 3-35. 47. Direction, Script, Animation and Camera, Vincent Gauthier, prod. Studio d’animation programme français, NFB/ONF, 1992, 3’50”. 48. “The motives for closure of in-group relationships vary widely from the intimately affectual in the case of erotic relationships to the spiritual in the case of shared religious belief, to the cultural and historical in the case of ethnic group and nationalities, to pecuniary interest in the case of the business enterprise,” Op. cit.,p.10. 49. Dir. Vincenzo Natali. Production: Canada. 50. Claudia Sadowski-Smith, “Reading across Diaspora: Chinese and Mexican Undocumented Immigration across U.S. Land Borders, in Sadowski-Smith, ed., Globalization on the Line. Culture, Capital and Citizenship at U.S. Borders, USA, Palgrave, 2002, pp. 69-70. 51. “Piensa en esto: de preferencia no lo hagas. […] La verdad es que no vale la pena el ajetreo. […] Atravesar una línea divisoria requiere de un esfuerzo intelectual, un conocimiento de que las naciones tienen puertas que se abren y se cierran; una idea fija de que un país, cualquiera que éste sea, se guarda el derecho de admisión a sus jardines y podría echarte de ellos a la primera provocación.” Luis Humberto Crosthwaite, Instrucciones para cruzar la frontera, México, Joaquín Mortiz, 2002, p. 9. 52. We can read the enormous amount of titles in Norma Iglesias’ book, filled with reviews of pictures written, directed, produced and/or acted by the Almada brothers, tough action heroes with moustaches and cowboy hats who fought dealers or polleros, or by Rosa Gloria Chagoyán, the very famous Camelia la texana or Lola la trailera, sometimes drug-dealer, sometimes smuggler, sometimes female action heroine. Their films are so bad that they never allow us to believe they are ironic or parodies; and, of course, all they did was to perpetuate the stereotype of the border as a place of vice and evil, as the road to perdition. 53. The same happens with some Chicano films from the eighties, for example. In Zoot Suit the leitmotif of the film is discrimination towards pachucos, just because of ethnicity and looks; in La Bamba, Ritchie Valens is rejected by his Anglo girlfriend’s family, even though he is a successful rock idol; in the more recent Stand and Deliver the turning point of the film deals with suspicion: no one can believe in the intelligence and will power of teenagers from the Chicano community.

250 Borders North of the Americas: Transcultural Spaces of Changing Identities

Extended filmography Bajo California, el límite del tiempo, dir. Carlos Bolado, prod. IMCINE, producciones Sincronía, Carlos Bolado, Salvador Aguirre, script Carlos Bolado, Ariel García, photography Claudio Rocha, Rafael Ortega, editor Carlos Bolado, with Damián Alcázar, Jesús Ochoa, Gabriel Retes, Claudette Maille, 1998, 96 mins., Pelimex VHS Bamba, La, dir. Luis Valdez, prod. Taylor Hackford, Bill Borden, script Luis Valdez, with Esaí Morales, Lou Diamond Phillips, Rosana de Soto, Elizabeth Peña, 1985, 109 mins., Columbia DVD Beyond the Frontier, dir. Dale Phillips, 1983, NFB, VHS Borderlines/Territoire, dir. Vincent Gauthier, prod. NFB, Yves Leduc, animation, 1992, 3:59 mins., VHS Bowling for Columbine, dir. Michael Moore, prod. United Artists, Alliance Atlantis, Salter Street Films, VIF2, Dog Eat Dog Films, script Michael Moore, jefe de archivo Carl Deal, editor asociado T. Woody Richman, photography Brian Danitz y Michael McDonough, Animation Harold Moss, 2002, 1:59 mins., MGM DVD Bordertown Café, dir. Norma Bailey, prod. NFB, Norma Bailey, Joe MacDonald, Stephen J. Rothe, Ches Yetman, 100:35 mins., 1993, NFB VHS Callejón de los milagros, el, dir. Jorge Fons, prod. Alameda Films, IMCINE, Fondo de Fomento a la Calidad Cinematográfica, UdeG, Arturo Ripstein, script Vicente Leñero basado en la novela homónima de Naguib Mahfouz, photography Carlos Marcovich, editor Carlos Savage, 1994, 140 mins., Alameda Films DVD Canadian Bacon, dir. Michael Moore, prod. Propaganda Films, David Brown, Maverick Picture Co., script Michael Moore, photography Haskell Wexler, editor Wendey Stanzler y Michael Berenbaum, with John Candy, Alan Alda, Rea Perlman, Kevin Pollack, Rip Torn, 1995, 1:35 mins., MGM DVD Cube, dir. Vicenzo Natale, prod. Cube Libre, Telefilm Canada, Notario Film Development, Mekra Mek, Betty Orr, script André Bijelic, Vincenzo Natale, photography Derek Rogers, editor John Sanders, efectos especiales y animation CORE Digital Pictures, with Nicole DeBoer, Nicky Guadagni, David Hewlett, Andrew Miller, Julian Richings, Wayne Robson, Maurice Dean Wint, 1997, 90 mins., Trimark DVD De ida y vuelta, dir. Salvador Aguirre, prod. CCC, FOPROcine, CONACULTA/ IMCINE, Ángeles Castro Gurría, Hugo Rodríguez, script Salvador Aguirre, Alejandro Lubezki, photography Gerónimo Denti, editor Moisés Ortiz-Urquidi, 90 mins., Quality Films DVD Desperado, dir. Robert Rodríguez, prod. Los Hooligans Productions, Bill Borden, script Robert Rodríguez, photography Guillermo Navarro, with Antonio Banderas, Salma Hayek, Steve Buscemi, Cheech Marin, 1995, 103 mins., Columbia DVD From Dusk Till Dawn, dir. Robert Rodríguez, prod. Los Hooligans Productions, Quentin Tarantino, Robert Rodríguez, Lawrence Bender, script Quentin Tarantino basado en una historia de Robert Kurtzman, photography Guillermo Navarro, editor Robert Rodríguez, with Harvey Keitel, George Clooney, Quentin Tarantino, Juliette Lewis, 108 mins., 1996, Dimension DVD Gas Food Lodging, dir. Allison Anders, prod. Cineville, Daniel Hassid, Richard Peck, Carl-Jan Colpaert, script Allison Anders, photography Dean Lent, editor Tracy S. Granger, with Brooke Adams, Ione Skye, Fairuza Balk, 1991, 102 mins., Columbia Tristar VHS Hasta morir, dir. Fernando Sariñana, prod. IMCINE, Fernando Sariñana, script Marcela Fuentes Beráin, photography Guillermo Granillo, editor Carlos Bolado, with Demian Bichir, Juan Manuel Bernal, Verónica Merchant, Vanessa Bauche, 1994, 100 mins., Vanguard DVD Highway 61, dir. Bruce McDonald, prod. Telefilm Canada, Ontario Film Development, Shadow Shows Productions, script Don McKellar, photography Miroslaw Baszak, editor Michael Pacek, with Valerie Buhagiar, Don McKellar, Earl Pastko y Peter Breck, 99 mins.,1992, Cineplex Odeon Video VHS Invasion from the South, John Howe, 1956, NFB

251 International Journal of Canadian Studies Revue internationale d’études canadiennes

Jardín del Edén, el, dir. María Novaro, prod. IMCINE, Verseau, Jorge Sánchez, script Beatriz Novaro, María Novaro, photography Eric A. Edwards, editor Sigfrido Barjau, with Renee Coleman, Bruno Bichir, Gabriela Roel, Rosario Sagrav, 1995, 104 mins., Vanguard DVD Lone Star, dir. John Sayles, prod. Rio Dulce Inc., R. Paul Miller, Maggie Renzi, script John Sayles, photography Stuart Dryburgh, editor John Sayles, with Ron Canada, Chris Cooper, Kris Kristofferson, Frances McDormand, Elizabeth Peña, 1995, 135 mins., WB DVD Mariachi, el, dir. Robert Rodríguez, prod. Los Hooligans, Robert Rodríguez, Carlos Gallardo, script Robert Rodríguez, with Carlos Gallardo, Consuelo Gómez, Peter Marquiardt, 1993, 81 mins., Columbia Tristar DVD Milagro Beanfield War, the, dir. Robert Redford, 1988 Mi vida loca/My Crazy Life, dir. Allison Anders, prod. HBO, Film Four International, Cineville, Daniel Hassid, Carl-Jan Colpaert, script Allison Anders, photography Rodrigo García, editor Kathryn Himoff, Tracy S. Granger, with Angel Avilés, Seidy López, Jacob Vargas, Panchito Gómez, Jesé Borrego, 1994, 100 mins., HBO, Sony Pictures Classics VHS My Family/Mi familia, dir. Gregory Nava, prod. American Zoetrope-Anna Thomas– Newcomm, script Gregory Nava, Anna Thomas, photography Edward Lachman, editor Nancy Richardson, with Jimmy Smits, Wsaí Morales, Eduardo López Rojas, Jenny Gago, Elpidia Carrillo, Edward James Olmos, 1995, 126 mins., New Line Cinema VHS Mujeres insumisas, dir. Alberto Isaac, prod. Televicine, UdG, U. de Colima, Alberto Isaac, with Patricia Reyes Spíndola, Regina Orozco, Lourdes Elizarrarás, Juana Ruiz, 1994, Videocine VHS Neighbours, dir. Norman McLaren, 1952, NFB Best of the best strange tales of the imagination, NFB DVD Neighbours and Other Strangers, dir. Wendy Tilby, prod. NFB (Palm d’Or for Best Short Film), 3 shorts, 1999, 27:12 mins., VHS Niagara Niagara, dir. Bob Gosse, prod. The Shooting Gallery, David L. Buschell, Daniel J. Victor, Larry Meistrich, script Matthew Weiss, photography Michael Spiller, editor Rachel Warden, with Robin Tunney, Henry Thomas, Michael Parks, 1997, 93 mins., Artisan VHS North by Northwest, dir. Alfred Hitchcock, prod MGM, script Ernest Lehman, with Cary Grant, Eva Marie Saint, James Mason, 1959, 136 mins., WB DVD North of 60, dir. John Howe, 1956 Perdita Durango, dir. Alex de la Iglesia, based on the homonimous novel by Barry Gifford, with Javier Bardem, Rosie Perez Piedras Verdes, dir. Angel Flores Torres, prod. Videocine, De cuernos al abismo Films, CONACULTA/IMCINE, dirección de arte Mirko von Berner, editor Damián Méndez, Angel Flores Torres, with Vanesa Bauche, Angel Flores Marini, Juan Carlos Retes, 2000, Quality films DVD Santitos, dir. Alejandro Springall, prod. Springall Pictures, John Sayles, Alejandro Springall, Claudia Florescano, script María Amparo Escandón basado en su novela homónima, photography Xavier Pérez Grobet, editor Carol Dysinger, with Dolores Heredia, Demián Bichir, Alberto Estrella, Fernando Torre Lapham, 2000, 150 mins., Nuvision DVD Sin dejar huella, dir. María Novaro, prod. Tabasco Films, Altavista Films, Tornasol Films, Dulce Kuri, script María Novaro, photography Sergei Saldívar Tanaka, editor Angel Hernández Zoido, 2000, 110 mins., Nuvision DVD South Park, Bigger, Longer and Uncut, dir. Trey Parker, prod. Scott Rudin, Trey Parker, Matt Stone, dir. animation Eric Stough, 1999, 78 mins., Comedy Central DVD Stand and Deliver, dir. Ramón Menéndez, prod. American Playhouse Theatrical, Tom Musca, script Ramón Menéndez, Tom Musca, with Edward James Olmos, Lou Diamond Phillips, Rosana de Soto, Andy García, 1988, 103 mins., WB DVD Touch of Evil, dir. Orson Welles, prod. Albert Zugsmith, script Orson Welles based on the novella Badge of Evil by Whit Masterson, with Charlton Heston, Janet Leigh,

252 Borders North of the Americas: Transcultural Spaces of Changing Identities

Orson Welles, Marlene Dietrich, Zsa Zsa Gabor, 1958, 111 mins., Universal DVD Traffic, dir. Steven Soderbergh, prod. Bedford Falls, Laura Bickford, script Stephen Gaghan, editor Stepeh Mirrione, with Benicio del Toro, Michael Douglas, Luis Guzmán, Dennis Quaid, Catherine Zeta-Jones, 2000, 147 mins., Criterion Collection DVD Untouchables, the, dir. Brian de Palma, prod. Art Linson, script David Mamet, photography Stephen H. Burum, editor Jerry Greenberg, with Kevin Costner, Charles Martin Smith, Andy García, Robert de Niro, Sean Connery, 1987, 119 mins., Paramount DVD.

253

Zilá Bernd

Les métamorphoses comme figures de l’américanité

Martel, Yann. Life of Pi, A Novel. Vintage Canada, 2001. Scliar, Moacyr. Max e os felinos. Porto Alegre : L&PM Pockets, 2001. (Primeira edição 1981). Pour l’édition en français : Max et les félins. Montréal : Les Intouchables, 2003.)

Et sais que je suis un homme maintenant, car je suis la plus dangereuse des bêtes. Erri De Lucca, Trois chevaux

Le présent essai a comme principal objectif de mettre en parallèle Life of Pi, A Novel (2001)1, de l’écrivain canadien Yann Martel (1963-), et Max e os felinos (1981)2, de l’écrivain brésilien Moacyr Scliar (1937-). Nous ne prétendons pas reprendre la polémique instaurée par la presse vers la fin de 2002 concernant l’accusation de plagiat par l’auteur brésilien contre le Canadien. Ce qui nous intéresse ici, c’est l’analyse des convergences existant entre les deux œuvres et les figures de l’américanité qui s’en dégagent. Les thématiques de la traversée de l’océan, du naufrage et des survivants adolescents qui arrivent au Nouveau Monde reprennent les mythes du renouvellement, constitutifs de l’américanité. La traversée imite le voyage inaugural de Christophe Colomb, et les bateaux de sauvetage qui permettent aux adolescents d’arriver au Canada ou au Brésil symbolisent l’arche de Noé, mythe du recommencement et de la restauration cyclique par excellence. On soulignera les métamorphoses des personnages pendant le voyage et leurs rapports avec les félins (un tigre et un jaguar) qui survivent avec eux et qui symbolisent à la fois les forces du subconscient et lamémoiredupasséquelesimmigrantsapportentaveceuxenAmérique.

Avant la traversée Dans le livre de Scliar, Max et les félins, l’adolescent Max, fils d’un commerçant de fourrures juif, a vécu entouré de toutes sortes de peaux d’animaux les plus diverses : renards, visons, castors, etc. Le magasin « Au tigre du Bengale » était décoré d’un tigre que son père avait lui-même chassé en Inde et qu’il avait fait empailler. Depuis son enfance, Max craignait cet animal, à tel point qu’il faisait de violents cauchemars même s’il ne s’agissait que d’un élément décoratif. Il avait été traumatisé par un

International Journal of Canadian Studies / Revue internationale d’études canadiennes 27, Spring / Printemps 2003 International Journal of Canadian Studies Revue internationale d’études canadiennes ordre de son père d’aller chercher tout seul, un soir, le journal qu’il avait oubliédanslemagasin.Pourobéir,l’enfantavaitdûtraverserleterritoiredu père, – la boutique à fourrures, – faire face au plus puissant des carnassiers, le tigre du Bengale, qui lui faisait terriblement peur. Il était si nerveux qu’il s’étaitblessélatête;ilétaitrentréchezluiensanglotantaprèsavoirvécuune expérience qu’il n’oublierait jamais. Quelques années plus tard, quand le régime nazi commence à émerger en Allemagne, Max, qui avait participé à des manifestations antinazies alors qu’il était à l’université, doit quitter Berlin par le premier bateau pour ne pas se faire arrêter. Un naufrage force le jeune homme à se trouver une place dans une embarcation de sauvetage déjà occupée par le plus terrible des carnivores, un jaguar originaire d’Amérique latine! Si Max associe pour le reste de sa vie l’image du tigre empaillé à l’autoritarisme de son père, le jaguar, qu’il doit nourrir pendant toute la traversée pour ne pas se laisser dévorer, restera comme une rémanence de l’autoritarisme politique représenté par le régime nazi, qui l’a obligé à quitter sa famille et son pays natal. Dans Life of Pi, A Novel de l’écrivain canadien Yann Martel, Piscine Molitor Patel (dit Pi) aura, à Pondichéry, ancien chef-lieu de canton en Inde française, une expérience tout autre avec les bêtes, ayant vécu une enfance heureuse en compagnie de sa famille qui était propriétaire d’un zoo. Il a passé son enfance entouré d’animaux sauvages (vivants et non pas empaillés) de toutes espèces, minutieusement décrits par l’auteur, qui révèle une connaissance importante de la zoologie. L’enfant tiendra de son père l’art d’apaiser les animaux, se sentant très à l’aise, même encore tout jeune, lorsqu’il les nourrit et les soigne. Un détail important à souligner : Piscine développe, au-delà de son intérêt pour la zoologie, une grande curiosité pour l’étude des religions, voulant devenir en même temps chrétien, musulman et hindou, préparation symbolique et présage du multi- culturalisme du Canada, pays vers lequel son père a décidé d’immigrer. Il faut également noter l’habileté de Yann Martel à conférer les pouvoirs narratifs : l’auteur cède sa place de narrateur à Piscine Patel adulte qui, vivant à Toronto, raconte l’histoire de Pi, sa fantastique traversée de l’océan Pacifique, le naufrage du bateau dans lequel il voyageait avec toute sa famille et, finalement, sa résidence pendant 227 jours dans une embarcation de sauvetage avec un tigre du Bengale. « We’ll sail like Columbus! » (Life of Pi, p. 97) « Nous allons naviguer comme Christophe Colomb », a dit le père, vers un nouveau pays, vers une vie nouvelle, une utopie nouvelle. La vente du zoo était indispensable pour que la famille obtienne des moyens financiers nécessaires au recom- mencement en Amérique. Avec à son bord une partie des animaux vendus aux zoos des États-Unis, le Tsimtsum part de Madras, en Inde, en 1977.

256 Les métamorphoses comme figures de l’américanité

La traversée Tandis que Max traverse l’Atlantique pour arriver au Brésil, Pi fait la traversée du Pacifique pour arriver au Mexique, puis au Canada, sa destination finale. Le naufrage de leurs bateaux entraîne la disparition de tous les passagers. Les seuls rescapés sont les héros, Max (Scliar) et Pi (Martel), qui réussissent à se sauver grâce à de précaires embarcations de sauvetage dont ils partagent l’espace exigu avec des animaux sauvages échappés des cales des bateaux et qui ont réussi, eux aussi, à survivre au désastre. Cet épisode nous rappelle d’emblée le texte biblique de l’arche de Noé (Genèse, 6, 17), mythe de la restauration cyclique par excellence. Après le déluge, Noé, sa famille et un couple de chaque espèce animale et végétale, resteront 40 jours et 40 nuits dans l’arche, en attente de la décrue des eaux pour recommencer le monde à neuf. Ce sera donc seulement après le passage initiatique qu’ils seront prêts à donner naissance à une nouvelle forme de vie sur la planète. Les deux romans, en tant que textes emblématiques de l’immigration vers les Amériques, réécrivent curieusement ce fameux passage de la Genèse, pour représenter symboliquement le fait que les immigrants vivent eux aussi un rituel d’initiation, présenté par l’entremise de l’imagerie de la traversée et du naufrage, avec la perte de leurs biens et de leurs références, pour arriver nus, tels de nouveaux Adam, prêts à (re)commencer un nouveau cycle existentiel. Ce qui est intéressant de noter dans les deux textes, c’est l’importance que les auteurs accordent au « trans » (préfixe inscrit dans traversée) qui renvoie au passage à l’au-delà, à la sortie de soi-même. L’océanest l’espace intermédiaire, l’entre-deux; les personnages y resteront à la dérive dans un espace-temps suspendu où ils feront face à leurs démons, représentés par des animaux féroces comme le tigre, le zèbre, l’orang-outan et la hyène, dans le cas de Life of Pi, et le jaguar, dans le cas de Max e os felinos. Partis à la dérive, les personnages s’écarteront de leur route, ils perdront de vue la rive et seront emportés au gré des vents et des courants. Le passage d’un continent à l’autre et le temps passé à la dérive constituent un espace interstitiel qui n’est plus ni le pays natal ni le pays d’arrivée. Cet espace impose aux personnages le temps de faire le « deuil de l’origine », selon la belle expression de Régine Robin, de faire l’expérience de l’étrangeté et de figurer à nouveau les utopies américaines. Pendant la traverséeilfaudrafairepreuvedecourageetdedébrouillardise pourassurer sa survie dans cet entre-lieu. Dans le sillage de Christophe Colomb, les personnages vivent le passage du connu à l’inconnu, du civilisé à la barbarie, et comme le conquérant de 1492, ils devront faire face aux monstres et aux êtres fantastiques qui, selon l’imaginaire de l’époque des conquêtes, peuplaient la « mer ténébreuse ». Le principal défi qui se présente aux personnages est de dépasser les situations-limites et de se

257 International Journal of Canadian Studies Revue internationale d’études canadiennes maintenir vivants malgré les menaces constantes des tempêtes, des vagues et des animaux affamés. Ils sortent tous les deux vainqueurs de l’expérience de la perte, de la solitude et surtout de l’incertitude. Les techniques du récit fantastique, empruntés au journal de bord de Colomb, matrice textuelle incontestable de ce procédé esthétique, invitent les lecteurs à partager l’expérience insolite des migrants qui, tout en laissant derrière eux leur héritage culturel, doivent se mesurer aux fantasmes et aux démons de leur subconscient avant de commencer une vie nouvelle dans le pays d’adoption. En réalisant en même temps la rupture (avec le passé) et la liaison (avec l’avenir), les naufragés vivent à la limite de leurs résistances physiques et mentales. Vivre à la frontière de ses propres limites produit des effets curieux : les actions des bêtes et des humains se confondent; le réel et la fiction se distinguent difficilement. Le besoin de rester en vie mobilise toutes les forces des naufragés, qui n’ont d’autre motivation que la survivance. La survie physique est une métonymie des efforts que les migrants devront accomplir dans leur nouvelle vie pour ne pas laisser mourir leur mémoire et leur héritage culturel. Mentionnons ici la réflexion de Margaret Atwood concernant les éléments qui symbolisent et synthétisent certaines nations. Selon l’écrivaine canadienne, les frontières symbolisent les Amériques, tandis que l’île serait le mot synthèse pour l’Angleterre, et survivance, le véritable symbole centralisateur pour le Canada (Atwood, p. 32). Le thème de la survivance présent pendant toute la traversée de l’océan préfigure l’effort de survivre matériellement et culturellement en pays étranger. Comme le souligne Atwood, « la survivance pourrait être le vestige d’un ordre ancien qui s’arrangerait pour durer comme le ferait le reptile d’une espèce primitive » (p. 33).

L’arrivée au Nouveau Monde Le livre de Scliar accorde une place importante à l’arrivée au Nouveau Monde et à l’inscription de Max dans le contexte de Porto Alegre, ville située à l’extrême sud du Brésil. Tout d’abord on observe une métamor- phose du personnage qui, au moment de quitter son pays, était encore adolescent et qui, dès l’arrivée au Brésil, affiche un comportement adulte. Malgré ses espoirs par rapport à la nouvelle terre, le personnage commence à se sentir persécuté : il pense que ses voisins l’espionnent et qu’un jaguar le guette, même en sachant que le sud du pays n’est pas l’habitat préféré des jaguars... Il est nécessaire ici de rappeler les thèses de Gérard Bouchard sur les Amériques comme siège et objet d’une nouvelle utopie. Bouchard constate l’échec des grandes utopies américaines tels que le melting pot et la démocratieracialebrésilienne,entreautres,etreconnaîtuncertaindéclin(il parle même de fatigue) « de l’américanité comme espace de rêve et de remplacement » (Bouchard, 2000, p. 182). Le destin de Max relève en quelque sorte de cette vision pessimiste des Amériques comme espace voué

258 Les métamorphoses comme figures de l’américanité

à la mort ou à l’échec des utopies, car le personnage n’arrive pas à se libérer des fantasmes qui l’habitaient à Berlin. Ce ne sera que plusieurs années plus tard, après avoir essayé de tuer un supposé membre du parti nazi et d’avoir purgé une peine de quelques années de prison, qu’il se sentira enfin véritablement « en paix avec ses félins » (Scliar, p. 116). Si chez Scliar, tout un chapitre du livre est consacré à l’arrivée au Brésil ainsi qu’aux difficultés du personnage à se tailler une place dans la société d’accueil, chez Martel, le livre finit au moment où le naufragé arrive en terre ferme, se fait soigner à l’hôpital et raconte ses péripéties de deux façons différentes. Néanmoins, le lecteur sait dès le début que l’adaptation à Toronto de Piscine Molitor Patel, dit Pi, a été très réussie, car il est lui-même le ou un des narrateurs de cette histoire insolite. On sait par exemple qu’il a réussi à finir ses études dans deux domaines différents, en zoologie et en histoire des religions, et qu’il a chez lui une statue de Ganesh, qui renvoie à l’hindouisme, religion pratiquée par sa famille en Inde, une Vierge de la Guadeloupe, qui évoque la religion catholique, et une photo de Kaaba, figure sacrée de l’Islam. Il est donc pleinement dans le transculturel, et cette ouverture aux différents modes de rapport au monde fait peut-être partie des stratégies de survivance du personnage. Dans ce récit plein d’humour, le message sous-jacent renvoie incessamment à la thèse selon laquelle on peut trouver la ou les vérités en suivant des chemins différents. Chez Scliar les passages transculturels sont moins évidents dans la mesure où le personnage est en train de résoudre des conflits existentiels préalables; chez Martel, les passages transculturels sont nets et clairement montrés : le savoir empirique sur les animaux que tient Pi de son pays natal et qu’il réactualise pendant le voyage se transforme en savoir scientifique après ses études en zoologie. Les dialogues entamés en Inde à propos des différences qui existent entre les religions, deviennent, à Toronto, un savoir formel assuré par l’université. On observe dans les phénomènes de la transculture que les différents apports culturels entrant en contact passent par un processus de transmutation et deviennent quelque chose de neuf qui permet à l’immigrant de devenir autre sans cesser d’être lui-même.

Les figures de l’américanité Les deux romans exploitent les figures et les mythes de l’américanité dans la mesure où ils se construisent à partir de voyages, de passages, de traversées et de migrations. S’ils projettent des dystopies, ils projettent surtout des utopies de recommencement et de renouvellement. Les deux personnages revivent l’expérience de Christophe Colomb, sa pulsion de voyager et le dépassement de sa crainte face aux monstres qui peuplaient, croyait-on, la mer et les terres à découvrir. Ces animaux sauvages représentent aussi l’« autre » des personnages, et les différents récits présentés montrent qu’en situation-limite – comme la lutte pour la survivance –, les hommes peuvent se comporter pareillement aux bêtes les plus féroces.

259 International Journal of Canadian Studies Revue internationale d’études canadiennes

Cette interface homme-bête se trouve cryptée dans les deux œuvres. Dans le roman de Scliar, en épigraphe, on trouve cette citation de Francisco Macia Ngueme, dictateur de la Guinée équatoriale : « Le tigre n’a peur de personne... Le tigre invisible. Mon âme. » Dans le roman de Martel, il s’agit d’un jeu de personnification; le narrateur peut facilement fabriquer une autre version de son récit en remplaçant les animaux par des êtres humains : l’hyène devient le cuisinier, le zèbre à la jambe cassée devient un des marins du bateau, l’ourang-outan, la mère de Pi, et le tigre est le garçon lui-même ou un humain nommé Richard Park avec qui dialogue Pi pendant la longue dérive, ce qui l’empêche de devenir fou. Deux récits, c’est-à-dire deux possibilités de représenter les faits sont fournies aux premiers sauveteurs qui viennent en aide des naufragés. Dans le cas de Life of Pi, les enquêteurs de la compagnie d’assurances, qui viennent connaître les circonstances du naufrage du Tsimtsum et des conditions presque miraculeuses de la survie du héros, font face à deux récits différents. Les fonctionnaires qui viennent interviewer Pi à l’infirmerie Benito Juarez, à Tomatlán au Mexique, ont du mal à croire au récit – qu’ils considèrent fantastique – selon lequel le jeune homme a réussi à survivre pendant 227 jours en compagnie de quatre animaux qui peu à peu s’entre-tuent et dont il ne reste à la fin que le tigre. Face à l’incrédulité des fonctionnaires, Pi leur présente sa deuxième version selon laquelle il s’est retrouvé dans le bateau de sauvetage avec quatre humains. Les fonctionnaires trouvent cette deuxième version, où il est question d’une pratique anthropophage, encore plus terrible que la première, qu’ils avaient considérée comme le fruit de l’imagination et de l’excitation du personnage resté si longtemps seul. Dans leur rapport, ils optent, prudemment, pour la première version. Dans Max et os felinos, le jeune homme parle du jaguar qui lui a tenu compagnie après le naufrage du Germania aux marins venus le sauver. Les marins attribuent l’histoire du jaguar à l’imagination de Max qui est bouleversé par la longue exposition au soleil, à la solitude et à l’extrême fatigue. Ce jeu de récits doubles signale l’impossibilité, dans l’espace des Amériques, de l’univocité, des vérités et des certitudes indiscutables. Les deux auteurs envisagent l’espace américain comme un lieu de négociation de l’identitaire et nous transmettent une leçon d’une importance fonda- mentale : il n’y a pas de faits; ce qui existe, ce sont des récits. Il s’agit en fait d’une allusion très claire à l’histoire des Amériques où chaque événement a au moins deux versions : celle des colonisés et celle des colonisateurs, celle des vaincus et celle des vainqueurs. Ceux qui sont en mesure de raconter l’histoire – les vainqueurs – choisissent le point de vue, les personnages principaux et les épisodes; ils ont presque toujours tendance à oblitérer les circonstances, la résistance et le courage des vaincus.

260 Les métamorphoses comme figures de l’américanité

Comme nous avons voulu montrer, les deux livres se construisent à partir d’une même intrigue – un garçon et une bête essayant de survivre sur un bateau en dérive –, la plus vieille idée du monde, selon Sarah Schmidt (National Post, 2002). Selon l’auteure, cette thématique émerge dans le roman de Tarzan, d’Edgar Rice Burroughs, et dans d’autres œuvres dont l’énumération serait fastidieuse. Burroughs a construit un récit similaire dans son livre The Lad and the Lion (1914), inspiré par un imaginaire religieux où des personnes partent à la dérive avec des animaux, dont l’exemple le plus connu est celui de l’arche de Noé, et par une tradition de la littérature enfance-jeunesse basée sur des liens privilégiés entre les enfants et les animaux. Sara Schmidt rappelle, dans le même article, l’exemple de The Jungle Book, de Rudyard Kipling, où tout un chapitre est consacré au récit d’un garçon et d’un lion en dérive, pendant des années, à bord d’un bateau délabré. Les romans qui font l’objet de la présente étude gardent pourtant leur originalité si on les lit dans la perspective des transferts culturels3,en essayant de les interpréter comme étant des récits emblématiques de l’immigration, et leurs personnages, comme étant des personnifications de la survivance. La traversée de l’océan se constitue comme l’espace intermédiaire qui n’est ni le nouvel horizon, ni l’abandon de ce qui a été. La longue dérive sur les vagues, constitue l’entre-lieu – incontournable pour les migrants – où « présent et passé, intérieur et extérieur, inclusion et exclusion s’entrecroisent pour produire des figures complexes de la diversité et de l’identitaire »4. C’est dans cet entre-lieu aquatique, mouvant et instable, que sont mises en scène les luttes des personnages avec leurs propres démons, avec l’autre aspect d’eux-même. Ce rituel initiatique s’avère indispensable avant d’arriver à un monde qui s’est construit jusqu’ici sans eux. Les deux personnages, après avoir fait un voyage abracadabrant, arrivent à ce qui commence : une nouvelle vie en Amérique. Il semble que les deux auteurs, réécrivent le poème-synthèse de l’américanité qui ouvre le recueil L’homme rapaillé de Gaston Miron. Ils sont en quelque sorte eux aussi des hommes rapaillés, car ils vont, dans le contexte du Nouveau Monde, recueillir des matériaux déjà utilisés pour leur conférer un nouvel usage, assurant ainsi la survie des traces et des fragments de leur mémoire qui ont survécu au naufrage. Miron a employé l’expression homme rapaillé « comme un symbole de la reconstruction de l’humain sous les décombres de la colonisation »,5 dans un moment marqué par une crise profonde des utopies et dans l’espoir de pouvoir les éveiller. Moacyr Scliar et Yann Martel, écrivains des Amériques, ont eu besoin de relancer le thème des utopies de recommencement à partir du point de vue des immigrants, peut-être imbus du même désir d’inciter au rêve, essentiel aux humains et fonction primordiale de la littérature.

261 International Journal of Canadian Studies Revue internationale d’études canadiennes

Les auteurs ont choisi, comme stratégie narrative, l’appel au récit fantastique, qui cache un certain nombre d’énigmes et de mystères. Ils laissent aux lecteurs la tâche de pénétrer à l’intérieur du récit pour en décrypter certaines opacités, comme le nom que s’est attribué le personnage, Pi, seizième lettre de l’alphabet grec, qui renvoie à periphereia (périphérie) et qui désigne la circonférence du cercle. Ce nombre étrange désigné par une lettre, est chargé de mystères qui défient l’intelligence de l’humanité depuis l’antiquité la plus reculée.

Notes 1. Yann Martel a reçu le Man Booker Prize de 2002, un des prix littéraires européens les plus prestigieux. Il a également été finaliste des prix du Gouverneur général du Canada et du Commonwealth Writers Prize pour le meilleur livre de l’année. La version française date de 2003. 2. Né à Porto Alegre en 1937, Moacyr Scliar est un auteur très connu au Brésil où il a déjà publié plus de 40 ouvrages de fiction (contes, romans, chroniques, etc). La plus grande partie de son œuvre a été traduite en différentes langues, dont l’anglais, le français et l’allemand. L’auteur a été reçu à l’Académie brésilienne des Lettres en 2003. 3. Le concept de transculturation a été d’abord décrit en Amérique latine, à Cuba, par Fernando Ortiz, vers les années 1940. En français, où le mot ne fait pas encore partie des dictionnaires, on fait souvent appel à une périphrase, transfert culturel, pour évoquer le même ensemble notionnel. Étant donné qu’elle opère sur le mode du dialogue entre les communautés culturelles, la perspective transculturelle inaugure des voies de réciprocité dans les relations culturelles en se portant garante de la fertilité des échanges. Le concept de transculture a été théorisé au Québec surtout entre 1983 et 1996 par le groupe de la revue trilingue Vice Versa. Comme nous le rappelle Robert Dion, le concept de transculture, qui a été développé par Lamberto Tassinari, Fulvio Caccia et Antonio d’Alfonso, garde des rapports très étroits avec d’autres concepts en circulation dans Vice Versa comme ceux d’hybridation culturelle, de hors-lieu et de métissage culturel. Pour ces auteurs, trans (de transculture) « se révèle particulièrement riche de connotations; il renvoie à la translation, à la transgression, à la transition, à ce qui est latéral et tangentiel ». (Tassinari et Dion, 2003, p. 209) 4. Pour le concept d’entre-lieu, consulter le texte de Nubia Hanciau : « O conceito de entre-lugar e as literaturas americanas no feminino » publié dans Bernd, Z., org. Americanidade e transferências culturais. Porto Alegre : Movimento, 2003. p. 109-119. 5. Préface de Flávio Aguiar à l’édition brésilienne de L’homme rapaillé de Gaston Miron. Éd. Brasiliense, 1994, p. 7.

Bibliographie Atwood, Margaret. « La survivance ». Dans Essais sur la littérature canadienne. Montréal : Boréal, 1987. p. 25-41 (original en anglais, 1972). Bernd, Zilá. « Américanité : les transferts du concept ». Interfaces Brasil/Canadá. Porto Alegre : ABECAN, 2002. No 2, p. 9-26. ———. « Figures et mythes de l’américanité ». Brésil@Montréal : penser les transferts culturels (cd-rom). Brasilia : UNB/UQAM/CELAT, ICCS-CIEC, 2003.

262 Les métamorphoses comme figures de l’américanité

Bíblia Sagrada. Trad. Padre Antônio Pereira de Figueiredo. Edição Barsa, 1968. Impression : Catholic Press. Gênesis, p. 57. Gênesis 6,I 7; 6,I 8; 8,II; 8, I2; 9, 29. Bhabha, Homi K. « Disseminação, o tempo a narrativa e as margens da nação moderna ». Dans O local da cultura. Belo Horizonte : editora da UFMG, 1998. p. 198-238. Bouchard, Gérard. « Le Québec, les Amériques et les petites nations : une nouvelle frontière pour l’utopie? Dans Cuccioletta et alii, éds. Le grand récit des Amériques. Éditions IQRC, 2001. p. 179-190. ———. Genèse des nations et cultures du Nouveau Monde; essai d’histoire comparée. Montréal : Boréal, 2000. Chevalier, J. & Gheerbrandt, A. Dictionnaire des symboles. Paris : Seghers, 1969. Colomb, Christophe. La découverte de l’Amérique. I. Journal de bord 1492-1493. Paris : La Découverte, 1991. Cunha, Rubelise. « Yann Martel’s Life of Pi, A Novel ». Dans Interfaces Brasil/Canadá, No 3, Porto Alegre : ABECAN, juin 2003. Dion, Robert. « Um Quebec inter-, multi- ou transcultural? a ambiguïdade de certos anseios de “organização cultural” ». Dans Bernd, Z., org. Americanidade e transferências culturais. Porto Alegre : Movimento, 2003. p. 195-213. Miron, Gaston. O homem restolhado. São Paulo : Brasiliense, 1994. Trad. de L’homme rapaillé par Flavio Aguiar. Morency, Jean. Le mythe américain dans les fictions d’Amérique : de Washington Irving à Jacques Poulin. Québec : Nuit Blanche, 1994.

Articles de journaux et de revues sur la polémique Scliar/Martel « Brazilian author contends Canadian who won Booker Prize stole his plot ». National Post, Canada, 7 nov. 2002. « A Fronteira do que é original » (entrevista). Porto Alegre, Zero Hora, Cadernos de Cultura, 9 nov. 2002, p. 2. Verissimo, L. Fernando. « Copiando Scliar ». Porto Alegre, Zero Hora, 6 nov. 2002, p. 3. Schmidt, Sarah. « Boy and beast on a boat : oldest idea in the world », National Post, Canada, 9 nov. 2002, p. A13. « Só um empréstimo? » Veja, 6 nov. 2002, p. 128. Mendonça, Renato. « Scliar inspira vencedor de prêmio literário ». Zero Hora, 11 nov. 2002, p. 37.

Sites Web Site consulté pour le nombre Pi, le 14 avril 2003, http://www.sciam.com/askexpert_question.cfm?articleID=0006E2E9-B355- 1C71-9EB7809EC588F2D7&catID=3.

263

Barbara Pell

Contemporary Canadian Religious Novels: Postmodern Faith and Fiction

Birdsell, Sandra. The Russländer. Toronto: McClelland and Stewart, 2001. Hood, Hugh. Near Water. Toronto: Anansi, 2000. Martel, Yann. Life of Pi. Toronto: Vintage, 2001. Ricci, Nino. Testament. Toronto: Doubleday, 2002. Schoemperlen, Diane. Our Lady of the Lost and Found. Toronto: HarperCollins, 2001. Wiebe, Rudy. Sweeter Than All the World. Toronto: Knopf, 2001.

Despite an apparently increasing secularity in Canadian society, there exists strong evidence of a growing interest in religion and spirituality in contemporary Canadian fiction. Marie Vautier, in a chapter of Is Canada Postcolonial? Unsettling Canadian Literature, says that her earlier work, New World Myth, had convinced her that “postmodern techniques such as parody and self-reflexive irony in the service of postcolonial strategies in [Canadian] novels of the 1970s and early 1980s had sufficiently demythol- ogized the question of religion in contemporary culture, and that religion per se would not necessarily be a primary concern of what is called ‘second wave postcolonial fiction’” (Vautier 270). However, as Margaret Atwood has ironically demonstrated with the Crakers in her recent Oryx and Crake, religion seems to be too instinctive to be deprogrammed from humanity. Therefore, Vautier now concludes that, in a self-proclaimed post-religious era, “very many contemporary novels explore the trope of religiosity” (Vautier 270). In her article she cites, among others, Barbara Gowdy’s The White Bone, Thomas King’s Green Grass, Running Water, Tomson Highway’s Kiss of the Fur Queen, and Ann-Marie MacDonald’s Fall on Your Knees. Critical books dealing with religion and Canadian fiction are relatively few: William Closson James’Locations of the Sacred: Essays on Religion, Literature andCanadianCulture,andmyFaithandFiction:ATheological Critique of the Narrative Strategies of Hugh MacLennan and Morley Callaghan focus on modern Canadian novels and traditional definitions of religion and transcendence. Jamie S. Scott’s two critical anthologies, And the Birds Began to Sing: Religion and Literature in Post-Colonial Cultures

International Journal of Canadian Studies / Revue internationale d’études canadiennes 27, Spring / Printemps 2003 International Journal of Canadian Studies Revue internationale d’études canadiennes and Mapping the Sacred: Religion, Geography & Postcolonial Literatures, include essays on more recent Canadian novels and some consideration of “the postcolonial challenge to the colonial imposition of the discourse of Christianity in settler-invader colonies” (Vautier 272). This “postcolonial challenge” to Christianity might seem to place Northrop Frye’s statement that “[Christian] religion has been a major–perhaps the major–cultural force in Canada, at least down to the last generation or two” (Frye 832) as a historicalobservationtiedtoits1965deliveryanditsreferencetofiftyyears earlier. However, as I have pointed out in other articles, Christianity itself can be a site of contestation of the dominant colonial mentality (“Postcol- onial Place” 54) and, while Canada has progressively become “pluralistic in religion as well as culture, Christianity, nonetheless, continues to be the dominant frame of religious reference” (“Religion and Literature” 955). Therefore, the depiction, subversion and conflation with personal spirituality of traditional Christianity–previously the dominant master- narrative, but now most frequently interrogated and demythologised– characterise several important contemporary Canadian novels that will be considered here. The five novels I will concentrate on have been published within the last three years by well-known Canadian writers. They are written for a contemporary secular audience but clearly reference a Christian worldview. They all (to a greater or lesser extent) invoke a postmodern metafictional conception of “story,” which attempts to transcend a postmodern “incredulity toward metanarratives” and reaches toward a faith living in the interstices between fact and fiction. Of the six novelists, Hugh Hood is the most traditional in faith and fiction and, probably because of this stance, the least popular. A conservative Roman Catholic, Hood published his twelve-volume roman fleuve, The New Age/Le nouveau siècle from 1975 to 2000: “The most ambitious literary undertaking to date in English-speaking Canada” (Keith 3). This brilliant, epic Christian allegory has always frustrated the critics because of its unfashionable narrative genre, demanding theological allusions, and general lack of postmodern scepticism, irony and conflict. Depending on one’s perspective, Volume 12, Near Water, is the best–or the worst–of the series. On a mid-summer day in the second decade of the twenty-first century (The New Age), the narrator of the entire series, Matthew (Matt) Goderich, dies in his early eighties of a “cerebrovascular accident” (a stroke: coinci- dentally and poignantly, the cause of Hood’s own death just one month before the publication of this volume). This Book of Revelation consists solely of Matt’s twenty-eight hours stream-of-consciousness before death; it represents an extreme example of all the idiosyncratic features of the previous eleven volumes. There is practically no plot; for 250 pages the reader is immersed in the theological meditations of a highly intelligent, pleasantly charming and decent, but oddly pedantic narrator. Hood clearly demonstrates here that he does not write modern realism or postmodern

266 Contemporary Canadian Religious Novels: Postmodern Faith and Fiction metafiction any more than Homer, Dante or St. John of Patmos did–this is apocalyptic eschatology: “Novel turning into allegory from Homer to Dante, the greatest of endings, the essential arrival, SAFE AT HOME! … The deepest narrative of all with the supreme usefulness of high allegory. Safe at home in Eden, … the history of our salvation, periplum!” (9). At the beginning of the novel, Matt returns to the Goderich family cottage (allegorically Godes rice–“God’s kingdom”) to await a reunion with his estranged wife Edie (the lost Eden). After one-third of the novel, Matt has a stroke while lying on a recliner by the shore; the rest of the book consists of his laborious attempts to fall out of the recliner and crawl across the ground and up the nine stairs to the porch where he dies in an old swing (completing the circle begun in Volume I, The Swing in the Garden, with symbolic allusions to the Fall and the Cross of Christ). Matt has spent his life as a near-celebrity: son of a Nobel Prize winner; husband of a popular painter; father of an astronaut; and friend of a famous actor. His final reflections and memories embrace all the major characters of the series in a benediction of hope and love. But the majority of the book is an allegory of faith structured (with a couple of Hoodian revisions) according to the standard fifth century textbook of mysticism, The Celestial Hierarchy by Pseudo-Dionysius the Aeropagite (15). The nine chapters parallel the nine ascending orders of the angels that mediate between humanity and God: Angels, Archangels, Powers, Virtues, Principalities, Dominions, Thrones, Cherubim, and Seraphim. Matt’s passage from physical reality to spiritual transcendence is marked by his progression through this “triad of triads” toward knowing God: philosophy, theology, and narrative; discipline, reason, and suffering; and finally, divine action, thought, and love as he enters into the “Divine Presence” (251). Lawrence Mathews defends Hood (“our country has produced no better writer of prose”) and Near Water (“It’s prose. It’s fiction. It’s didactic without being polemical”) against the “species of provincialism” that insists on defining all the best contemporary novels as “characterised by horror, and anger, and by the secular philosophical positions inspired by such emotions” (112). Hood’s novels draw on an older (he would say eternal) religious tradition for his parables of faith and love; his stories privilege a contemporary subjectivity and spirituality, but within a traditional Christian metanarrative. Rudy Wiebe’s Sweeter Than All the World may also seem like traditional religiousfiction,modelledpartlyonthe17thcenturyTheBloodyTheatreor Martyrs Mirror of the Defenseless Christians. But Wiebe, a devout Mennonite and winner of two Governor General’s Awards for novels that sensitively depicted First Nations religious traditions, has returned to his ethnic roots in another historiographic metafiction combined with a post- modern quest for spiritual meaning. This epic portrayal of a marginalised and persecuted people is as contemporary as today’s headlines, although Wiebe’s pacifist theme does not constitute the usual political response.

267 International Journal of Canadian Studies Revue internationale d’études canadiennes

The novel’s contemporary protagonist, Adam Wiebe, has rejected his Mennonite traditions for wealthy materialism and secular morality. But whenhiscasualaffairsdestroyhismarriageandalienatehischildren,Adam becomes obsessed with discovering his ancestral history, seeking in the stories of Mennonite suffering and faithfulness the meaning and integrity he has lost. In ten chapters interspersed with Adam’s contemporary spiritual pilgrimage, Wiebe depicts the persecutions of a religious minority over five centuries and four continents. In roughly chronological order the novel presents horrific first person narratives of suffering, most often from a female perspective: The sixteenth-century women Weynken Wybe and Maeyken Wens, with silencing screws on their tongues, burned at the stake for their Anabaptist beliefs; the nineteenth-century Anna Wiebe, sacrificially serving her family on a brutal trek to the Russian steppes to save her brothers from Prussian Army conscription; the ninety-year-old Katarina Loewen Wiebe, in 1941 recounting all of her family dead in a lifetime of Ukrainian wars and ghettos; and, most terribly, Elizabeth Katarina Wiebe’s story of the rape and murder of nurses caught in East Prussia in 1945 when the advancing Red Army took its revenge. The men’s tales are more political and indicate their relative power in a patriarchal culture even under persecution: Enoch Seeman, exiled by his own church’s narrow legalism, who finds success as a portrait painter in London; and–framing the novel–the story of the earlier, archetypal Adam Wiebe (Wybe Adams van Harlingen 1584-1652) whose engineering inventions saved the city of Danzig and earned him, if not equal citizenship, at least a comfortable life and future hope for later Wiebes. In his prosperous present, the new Adam Wiebe has to repossess his past, translating his historical voyeurism into personal commitment and family love. He finally achieves this at his sister’s funeral, making himself vulnerable when he confesses her love, forgives his brother, and begs his wife for absolution. At the end of the novel he shares his repossessed family history with his reunited “family” in “the conviction of their enduring love” (420). However, despite the protagonist’s secular scepticism, the ironic subversion of religious authority, and the privileging of female and First Nations narratives (a Dogrib elder foreshadows Adam’s final lesson), the theological themes of the novel go beyond global politics and humanistic love. They explore the complex and irresolvable connections between sin, suffering, grace, and (quoting Graham Greene) “the appalling strangeness of the mercy of God” (376) with biblical archetypes of the first and second Adam and the story of Cain and Abel. The title, echoing the old Mennonite hymn, expresses the essence of Wiebe’s theme and the divine source of love: “Christ will me His aid afford/ Never to fall, never to fall”–“Sweeter than all the world to me/Sweeter than all, sweeter than all” (351, 356). In a remarkable coincidence, another Canadian novel about Mennonite history was published at the same time as Wiebe’s (and, consequently,

268 Contemporary Canadian Religious Novels: Postmodern Faith and Fiction frequently compared with it): Sandra Birdsell’s The Russländer, short- listed for the 2001 Giller Prize. Birdsell, who rejected her “judgmental” maternal Mennonite heritage as a teenager, returns to it with a more sympathetic view of the history of her grandmother, whose family fled the aftermath of the Russian Revolution in 1923 to come to Canada, part of the Mennonite diaspora called the Russländers (Bergman 71). In the novel the eponymous protagonist, fifteen-year-old Katherine Vogt, escapes the rape of her sister and the massacre of her family and friends by hiding in a hole in the ground. This trauma and countless other atrocities of the Civil War–including terror, disease, and starvation–reduce Katya and her compatriots from affluent, comfortable, somewhat secularised but religiously legalistic collaborators with the Tsarist regime to desperate, persecuted aliens in a cruel, chaotic world (like twentieth- century ethnic minorities in Germany, Uganda, Sri Lanka, Rwanda, and elsewhere, as Birdsell points out). Katya, now almost one hundred years old and living in Winnipeg, tells her story to a young researcher who (like Birdsell) is preserving the stories of Ukrainian Mennonite history for future generations. He cites the Russian proverb: “Dwell on the past and you’ll lose an eye, … ignore the past and you’ll lose both of them” (302). In a rare happy ending for a Birdsell novel, Katya has married her saviour, Kornelius, learned that “love prevails” (342) over all evils, and “by the grace of God” produced seventy-three offspring that “no accidents or heartbreak” have yet touched (349). Therefore, to her usual themes of loss, betrayal, and discrimination, Birdsell has now added love, hope, redemption, and the triumph of the human spirit. The mainly chronological structure of the novel traces the Fall of the Mennonite community, with the archetypal imagery of the Twenty-Third Psalm, from an idyllic Eden (Part I: “In Green Pastures”), to the evils of Paradise Lost (Part II: “In the Presence of Enemies”), to the hope of the Exodus (Part III: “Surely Goodness and Mercy”). Birdsell sacrifices suspense for significance, however, by giving a November 15, 1917 newspaper report of the massacre of Katya’s family on the first page of the novel; the next 235 pages of childhood delight and naivety about the impending disaster (from 1910-1917) are ironically contextualised by this frame. The last fifty pages of the novel are similarly framed by the metafictional device of Katya’s story to the young archivist; the result is a (somewhat belated) reminder of the subjectivity of the story. With her usual portrayal of strong, survivor women within a patriarchal society, Birdsell foregrounds the intimate female stories of domestic life (through recipes, letters and journals). Although her geographical and historical scope is not as great as Wiebe’s, she also gives a complex, nuanced portrait of a Mennonite culture that includes churchmen whose legalism masks hypocrisy and landowners whose greed incites violence, as well as faithful Christians and courageous, sacrificial coreligionists. Perhaps because of her own position as a “person of faith” who does not

269 International Journal of Canadian Studies Revue internationale d’études canadiennes belong to a church and “doesn’t feel any more like a Mennonite” (Bergman 71), Birdsell emphasises sociological vulnerability and religious scepticism more than Wiebe’s historical persecution and religious suffering. Neither Diane Schoemperlen nor Nino Ricci demonstrated any interest in writing religious novels before their latest books. Perhaps because of their freedom from religious traditions, they have written extraordinary revisionings of the central characters in Christianity–Jesus and Mary–that demythologise, familiarise, and humanise these icons of the faith. Schoemperlen writes reverently of Mary’s divinity and her own spirituality; Ricci writes sceptically of Jesus’ humanity and his ethical impact. Both authors foreground the creed of postmodern metafiction: the indeterminacy of story and the need for faith in the fictionalising of fact. Schoemperlen, an admittedly autobiographical writer, describes in the “Author’s Notes and Acknowledgements” for Our Lady of the Lost and Found her growing fascination with “Marian apparitions” and their connection, in her mind, with postmodern philosophical and theological ideas about “the uncertainty principle, quantum physics, irony, narrative, fact, fiction, and both/and possibility over either/or opposites” (339). The result is a spiritual autobiography, which transforms a novelist’s life. In a simple plot, a middle-aged writer (like Schoemperlen) in an Ontario city (like Kingston) on a Monday morning in April encounters the Virgin Mary in her living room wearing “a navy blue trench coat and white running shoes” (30). Mary asks to stay with the narrator for a week of rest before her demanding May schedule. The 25 chapters alternate their ordinary daily activities (cooking, eating, reading, talking, walking, and shopping) with “History” chapters that recount a selection from the 20,000 visions of Mary over the past two thousand years. Mary is the ideal guest, friend, mother and confidante–kind, wise, sensitive, sensible and very funny. Confronted with the “miracle” of the latest “anti-aging face cream” at the mall, she mutters “Imagine what that stuff could do for me. I’m two thousand years old and don’t look a day over two hundred” (193-94). When she leaves, the narrator is deeply bereft but significantly changed. Her meditations form the substance of this account that she has promised Mary to disguise as “a work of fiction” (62). The themes of the novel are inherent in the spiritual development of the narrator. Near the end, she quotes Diarmuid O’Murchu’s Quantum Theology: In terms of faith, what brings meaning and integration to one’s experience, the facts are quite secondary. It’s the story (and not the facts) that grips the imagination, impregnates the heart, and animates the spirit within (304). Thus, her chapter titles move from “Signs” and “Facts” at the beginning to“Faith”and“Grace”attheend. LikemostofSchoemperlen’sreaders,her

270 Contemporary Canadian Religious Novels: Postmodern Faith and Fiction narrator begins as a “not … particularly religious or spiritual person. … a neoagnostic” (51), apparently content and controlled in her life. But her week with Mary causes a revisioning of her daily world, a reversal of “seeing” and “believing” in her modern sceptical mind. Once sensitised to the holy in the daily, she finds her “blinders have been removed” and evidence of the spiritual everywhere (225). The narrator’s meditations on historical Marian visions may begin as “amused, superior, or cynical,” but they end with tears for the pain of the world (215) and an understanding that in “talk[ing] to God … we are also talking to ourselves” and vice versa (214). In the turning-point chapter, “Doubt,” she recognises that her lack of faith is a result of the age-old “conundrum of theodicy”: If God is all-good, all-powerful, all-knowing, then why do [evil] things happen?” (246). And her epiphany is surrender to the “Negative Capability” of “not knowing”: “I finally understood that my uncertainty and my doubt were gifts that made me the perfect candidate for faith” (253). Before Mary departs, the narrator confesses her losses and her loneliness and finds a very postmodern and indeterminate faith: “It is time now to venture out of the comforting land of either/or opposites and travel into the uncertain territory of both/and. Time to realize that irony is not cynicism, paradox is not chaos, and prayer is not wishful thinking” (327). When Mary leaves her the gift of all her milagros, the petitions of the faithful, “the holy relics of the lost and found” and the promise “I am with you always” (329-30), the narrator begins to write her story, knowing that “writing is an act of faith” and “[her] own salvation” and that, in contem- porary religious narratives, there are no absolutes, no answers, no closure: “There is no way of knowing how the story will end: her story, my story, yours. … That, in itself, is an unspeakable gift” (338). Throughout the novel, Schoemperlen uses Werner Heisenberg’s uncertaintyprincipleasametaphorforfaithversusfacts. Nowthat“science can no longer be regarded as the method by which all the mysteries of the universewilleventuallybedispelled,”scienceitself“hasbeguntoasksome of the same questions as religion: questions of faith, meaning of God” (298). Shoemperlen connects scientific indeterminism with historical subjectivity in the narrator’s contemplations of the “stories” of Mary in eight “History” chapters; she concludes that facts are no more true than fiction. Marian apparitions, like all postmodern religious novels, constitute “prayers” that are, as “Heisenberg said of the probability wave, ‘standing in the middle between possibility and reality.’It is in that still point … between fact and fiction that faith not only survives but thrives” (266). It is also the “thin place” where imagination and literature originate (270). Like Schoemperlen, Nino Ricci in Testament has written a postmodern revisioning of one of the central characters in Christianity. Unlike Schoemperlen, Ricci–a lapsed Catholic “who lost his faith in his late teens”– (Bethune 75) has problematised Jesus Christ as a wholly human character and rationalised all his “supernatural” miracles. Nevertheless,

271 International Journal of Canadian Studies Revue internationale d’études canadiennes

Ricci depicts the uniquely charismatic power of this man who shaped Western history in his image. Strongly influenced by the social anthro- pology of the “Jesus Seminar” and John Dominic Crosson’s The Historical Jesus: The Life of a Mediterranean Jewish Peasant, Ricci characterises his postmodern Christ by simultaneously foregrounding the historical/ political context of his life with first-century Jews and Gentiles, and the social/ethical importance of his relevance for twenty-first century non- believers. Ricci structures Testament in four interlocking and overlapping sections like the Gospel narratives. However, Ricci’s narrators are all significantly marginalised outsiders who illustrate Jesus’radical inclusivity: Two men (a rebel Jew and a Syrian shepherd) and two women (normally excluded from rabbinic circles). He further defamiliarises the bible stories by using the original semitic spelling for names and places rather than the Greek translations common to the New Testament and demythologises the miracles by providing plausible naturalistic explanations (for example, Lazarus is not raised from the dead but awakened from a coma), usually illustrating a revolutionary ethical principle. Ricci’s most radical revision, however, concerns the character of Jesus. This Jewish Yeshuais not the divine incarnation of immaculate conception, but the illegitimate product of a Roman legate’s rape of Mary, who was then married off to an elderly, hypocritical Joseph to avoid scandal (a legend from ancient Talmudic commentaries). This Jesus is a moody, rebellious son who abandons conventional Jewish family and society to follow John the Baptist and, after his death, to preach his own anti-authoritarian, egalitarian and inclusive doctrines. A quintessential outsider and charis- matic revolutionary, he empowers his community of marginalised men and silenced women to think independently, act ethically, and challenge orthodox prejudices and injustices. Therefore, his crucifixion is a result of his social defiance of Jewish and Roman powers. And his legacy is not spiritual resurrection (Ricci suggests that his followers stole Jesus’ body from the tomb) but ethical inspiration. In the four narratives that comprise this novel, Ricci foregrounds the subjectivity and indeterminacy of stories that reflect their narrators’ preoccupations and perspectives, often regarding the same events, in the construction oftheJesusmyth. Thefirstthreesections parallel theSynoptic Gospels (of Matthew, Mark and Luke) in their overview of Jesus’ life. In Book I, Yihuda of Qiryat (Judas Iscariot), the archetypal villain of Christianity, is recuperated as a political zealot who initially joins Yeshuaas a spy, hoping to persuade him to revolutionary violence, but eventually attempts to protect him from his political naivety. Yihuda admires Yeshua’s ethical teachings about the kingdom of God on earth and his compassion towards lepers and outcasts, but sceptically argues against his idealism. At the end of his chapter, however, Yihuda recognizes the destructive “irrelevance” and “folly” of political struggles and the “hope of something

272 Contemporary Canadian Religious Novels: Postmodern Faith and Fiction new” that Yeshua represents: “if there was someone whose vision was truly more than hope for his own gain or greater glory, then perhaps God had not made us simply animals” (122). Miryam of Migdal (Mary Magdalene) in Book II reflects the sensitivity to social conventions of a merchant’s daughter but is liberated by Yeshua’s egalitarian treatment of women in his community. Even his patriarchal followers come to understand his radical inclusivity: “You’re saying that the women are like us fishermen and peasants. No one bothers with us because they think we’re nothing, and that’s why you’ve come to us” (130). She finally recognises that Yeshua’s consistent modelling of forgiveness and humility, while negating their hopes for political leadership, have given them a “newness of vision,” an “aliveness” that awakens wonder in everything, and destroys every ambition “except the one, which was to be near him” (223). Ricci’smosticonoclasticreworkingoftheChristianstorycomesinBook III, told by Miryam, His Mother. A victim of patriarchal society by rape, forced marriage, and humiliation, she spends her life in paranoid bitterness, urging social conformity and protective silence on her son. In her desper- ation to escape her “sin” and “God’s judgement,” she unwittingly makes Yeshua “the scapegoat,” driving him away from her respectability to minister to outcasts. However, as she shares the vigil before his crucifixion with Miryam of Migdal, she glimpses through the faith of the “simple girl of Galilee” the unique inspiration of the son she has never really known: “The wonder I heard in her voice was not so different from what I myself had felt, that sense of a doorway Yeshuastood before, to some new understanding … for those who had eyes to see it” (315). Book IV parallels John’s Gospel in its Greek-influenced perspective and concentration on the last week of Jesus’life. Ricci invents the character of Simon of Gergesa, a disenfranchised shepherd from the Decapolis, whose discipleship foregrounds the gentile perspective and Jesus’ acceptance of other races and religions. Simon befriends an ironic foil to Jesus: The charlatan Jerubal who pretends to teach lepers, cast out devils, multiply fishes, and perform wonders “like your friend Jesus” (337). However, this parody of false miracles foregrounds Jesus’ real transformations of people’s lives. The naïve narrator becomes “Simon the wise” (364), believing in Jesus when Peter recants. Even Jerubel is reformed by Jesus’ example from a selfish cynic to a self-sacrificial martyr. With postmodern scepticism Ricci’s alter-ego muses on the crucifixion: “[H]owever things get remembered, you can be sure it won’t be how they actually were”; they will be changed “to make a better story of it” (454). Nevertheless, despite narrative indeterminacies, Simon realises that he has experienced, through Jesus, a “vision” of wisdom, beauty, and wonder, and a “glimpse … through a gateway or door” of a “further realm there might be that we see nothing of” (455-56). Thus, Ricci, while demythologising and

273 International Journal of Canadian Studies Revue internationale d’études canadiennes humanising his Jesus, leaves a space for the transcendent to enter the human narrative. In 2002 Yann Martel became only the third Canadian ever to win the (Man) Booker Prize for Life of Pi, “a story to make you believe in God”(x). The international success of this book demonstrates, for me, three key things about contemporary religious novels. First, spirituality is still at the heartofhumanexistence,despitecontemporaryscepticismandsecularism. The novels analysed here are representative of many more that explore faith from a variety of belief perspectives. It may even be that the postmodern deconstruction of the enlightenment project of humanism and rationalism has opened a door to the transcendent (using Ricci’s imagery) that was closed for three centuries. Secondly, Canada is no longer a predominantly European Christian society. Like Martel’s wonderfully ecumenical narrator, Pi Patel, who is “a practicing Hindu, Christian and Muslim” (71), Canada boasts a plurality of religious adherents. In his enthusiastic devotion, Pi dismisses all the negative stereotypes of religion, celebrating their core values and ultimate unity: “Hindus, in their capacity for love, are indeed hairless Christians, just as Muslims, in the way they see God in everything, are bearded Hindus, and Christians, in their devotion to God, are hat-wearing Muslims” (54-55). After he satirises the violence of “interfaith dialogue,” Pi essentialises all religion as “‘All religions are true.’ I just want to love God” (76). Although I have, in five novels, surveyed the Christian tradition I am familiar with, there are many contemporary Canadian writers that “draw on Islam, Hinduism, Parsi, Buddhism, Sikhism and other world beliefs” including First Nations Mythologies (Pell, “Religion” 959). In addition to Jewish Canadian novelists, such as Matt Cohen and Anne Michaels, and First Nation writers like Thomas King and Tomson Highway, a selection would include Wayson Choy (Buddhism), Rohinton Mistry (Parsi), Anita Rau Badami (Hinduism) and M. G. Vassanji (Islam). Thirdly, spirituality has always been best conveyed as story (one might say, as God did). Here again, Pi Patel shares his religious wisdom: “I cannot think of a better way to spread the faith. No thundering from a pulpit, no condemnation from bad churches, no peer pressure, just a book of scripture quietly waiting to say hello, as gentle and powerful as a little girl’s kiss on your cheek” (230). At the end, when the authorities disbelieve his creation parable about surviving 227 days in a lifeboat with a Bengal tiger, Pi denounces scientific scepticism and secular rationalism: “Love is hard to believe, ask any lover. Life is hard to believe, ask any scientist. God is hard to believe, ask any believer. What is your problem with hard to believe?” (330). Since every “telling about something” is “already something of an invention,” the supposed facts of scientific theory and the acknowledged subjectivity of religious parable are equally fallible. The question is: which tells us about “the world”; which reflects “reality” (335)? Or, as Pi asks,

274 Contemporary Canadian Religious Novels: Postmodern Faith and Fiction

“which is the better story?” Even the rational businessmen interrogators admit a preference for his original allegory of the courage of humanity, the faithfulness of God, and the wonders of Creation: “Yes. The story with the animals is the better story.” Martel’s theme is the suspension of disbelief in the wonders of faith as Pi replies “Thank you. And so it goes with God” (352). And so it goes with us.

Works Cited Bergman, Brian. “Pacifist and doomed: Two Canadian novelists of Mennonite background look to their people’s past.” Maclean’s, 22 Oct. 2001: 68-72. Bethune, Brian. “The Gospel of Nino Ricci: An author crafts a fine novel from the Good Book.” Maclean’s, 13 May 2002: 75. Frye, Northrop. “Conclusion.” Literary History of Canada. Ed. Carl F. Klinck. Toronto: University of Toronto Press, 1965, p. 821-49. Keith, W.J. Canadian Odyssey: A Reading of Hugh Hood’s “The new Age/ Le nouveau siecle.” Montreal and Kingston: McGill-Queen’s, 2002. Mathews, Lawrence. “Last Things.” Essays on Canadian Writing 72 (Winter 2000): 109-17. Pell, Barbara. “Postcolonial Place/Sacred Space in Hugh Hood’s Christian Allegories.” Mapping the Sacred: Religion, Geography and Postcolonial Literatures. Ed. Jamie S. Scott and Paul Simpson-Housley. Amsterdam: Rodopi, 2001, p. 53-70. –––––. “Religion and Literature.” Encyclopedia of Literature in Canada. Ed. W. H. New. Toronto: University of Toronto Press, 2002. 955-59. Vautier, Marie. “Religion, Postcolonial Side-by-sidedness, and la transculture.” Is Canada Postcolonial? Unsettling Canadian Literature. Ed. Laura Moss. Waterloo: Wilfrid Laurier UP, 2003.

275

Tribute

Hommage

Dorit Naaman

Edward Saïd (1935-2003) The Gift of a Public Intellectual

Let us start from the beginning. Or at least, let us start from Beginnings, the beautiful book Saïd published in 1975 that has unfortunately been overshadowed by the infamous and influential Orientalism (1978). Beginnings grounds itself in literary criticism, but in fact is a philosophical essay about the nature of ideas, a criticism of teleology and a meditation about changing directions in the study of the humanities in the 20th century. In this early book, Saïd already reveals his intellectual mark: an extensive theoretical project firmly grounded in thorough textual analysis. Saïd tackles the idea of a beginning both as a practice (the first line on the page), and as an intellectual endeavour. Saïd identifies origin as a divine and passive notion, while the beginning is historical and active, marking and making difference, “from the beginning, despite any one beginning.” Writing against the culturally dominant notion of a linear progression from a beginning, Saïd charts out beginnings as moments that mark intention. Tied in as they are with processes that are not of a linear, historical trajectory, they can be identified mostly in retrospect. Beginnings are rarely the origin of an intellectual river, but the point at which one jumps in to start one’s own journey. Looking back at Orientalism–a book that is widely considered one of the founding texts for post-colonial theory–through the perspective of Beginnings, one starts to grasp the enormity of Edward Saïd’s intellectual production. Orientalism concerns itself with knowledge and power, or how knowledge about a topic is also, and maybe foremost, knowledge about the collector and provider of that knowledge. That is, knowledge can never be purely objective, but is always affected by the ideological framework in which it is collected and represented. Moreover, knowledge is not neutral, but is a tool in political systems of control, thus produced according to certain needs that can never be reduced to simple intellectual curiosity. What generations of European Orientalists produced was not knowledge about the Middle East, but knowledge about how a European (self) sees the Middle-Eastern (other), which, Saïd argues forcefully, informs us more about the representing self than about the represented other. Colonial discourse offered simple dichotomies such as self/other (civilized/ primitive; subject/object; modern/under-developed; etc.), all supported by scientific “knowledge.” Saïd’s analysis exposes the problematic nature of such binary propositions, since the “other” is never just the opposite of the

International Journal of Canadian Studies / Revue internationale d’études canadiennes 27, Spring / Printemps 2003 International Journal of Canadian Studies Revue internationale d’études canadiennes self, but is in fact a representation of the self’s fears, fantasies, etc. To that extent, Saïd offered the budding field of post-colonial studies an analytic tool, as well as a pragmatic methodology. While Saïd’s own universalism was often at odds with some post-colonial critics’ emphasis on cultural subjectivity, Orientalism still stands as a foundational text in the field. In the coming years, with identity politics increasingly present in the public arena, issues of self-representation, access to the means of representation, and an understanding of the ways knowledge is being produced, would be revisited often, and Saïd’s formulations would become instrumental for both analysis and activism. By 1981, with the publication of Covering Islam, (following The Question of Palestine, 1979), Saïd’s trilogy made an overwhelming case for how journalism, media and cultural institutions work to cover-up, and thus produce knowledge that serves ideological needs, rather than to neutrally and objectively “cover” or represent a topic. The work was novel and naturally influential, and yet looking at Orientalism from the perspective of Beginnings, one must wonder about the intransitive beginnings in Saïd’s own intellectual processes, since after all, for many Arabs, the awareness of their representations by the West did not start with Saïd’s book. Furthermore, the historical forces that marked a text like Orientalism as an original birth point for the field of post-colon- ialism should be examined. Needless to say, most Orientalist departments (many of which still consider Saïd an enemy of the discipline) changed their name to Middle East studies programs at about the same time. Undoubtedly, the irony of the status of Orientalism as an original text did not escape Saïd. Covering Islam focuses on American media representations of post-revolutionary Iran during the prolonged American hostage crisis. Unlike much political analysis written before the collapse of the USSR, the firstGulfWarof1991,andtherecentwarsinAfghanistanandIraq,thebook isstillprofoundlyrelevant.Moreover,readingthebooktoday,post9/11and with some awakening by Americans to the ramifications of American (and first world) foreign policy in the region, the book explains how much Islam, Arabs and the Middle East are still vilified and mystified in North American discourse. Like much of Saïd’s later writing, the book marks him as a public intellectual, one who is equipped to perform an intellectual analysis, but who harnesses his intellect not for the benefit of elitist academic spheres, but instead for the larger public. In his political writing Saïd tried to avoid academic jargon, to be accessible, humanist and yet not simplistic. His political writing was controversial to many, but even those who disagreed with his opinions respected his elegance, clarity and intellectual honesty. Saïd’s later writing (for instance Culture and Imperialism, 1993) focuses more broadly on marginalized cultures, and makes strong claims for the impossibility of pure or idiosyncratic cultures. Culture is always based on borrowings and appropriations, so originality,or ownership, are futile terms of discussion. Clearly,this

280 Edward Saïd (1935-2003) The Gift of a Public Intellectual work is of great interest to those who look at the hybrid nature of the contemporary nation-state as it functions under the conditions of a global economy with immigration, and migration, ever-present. Canadian culture, for instance–being bilingual legally, but multiethnic and multilingual in effect–is a great corpus for such analysis. Saïd saw his role as an intellectual not limited to his desk, books and publishing. Saïd took part in political processes, particularly those relevant to the fate of the Palestinian-Israeli conflict. A tireless spokesperson on behalf of the Palestinian people, he published in books, journals and newspapers, spoke on countless radio and television shows, and used every opportunity to draw attention to the plight of a severely under-represented tragedy. As a political figure, Saïd was unique as well, directing his fire not only at Israel (in his words a colonial power), but attacking Arab leaders for abandoning the Palestinians, and the Palestinian leadership (particularly after the Oslo accord) for its policies and corruption. An ardent opponent of the Oslo accord, he sat as an independent on the Palestinian National Council, always advocating for the rights of everyday people. His political stance bought him many enemies, but his successful efforts, with Daniel Barenboim, to bring together Israeli and Palestinian young musicians is one example of his humanism and care for a shared and dignified future for Palestinians and Israelis. I cannot end this tribute without a personal note. In the weeks since Saïd’s death, I have been reading obituaries filled with stories from friends and colleagues. Unlike them, I have never met Edward (as they tend to refer to him), but he has been enormously influential on my personal, intellectual and political growth. I clearly remember the first time I read an article by Saïd, although I cannot remember which article it was. At the time I was a filmmaking student in the U.S., and I was slowly investigating the Zionist ideologyofmyupbringinginIsrael.Ihadsomeintuitions,andsincethefirst days in the U.S. I had sought communication with Arabs, but Saïd named things for me, articulated historical processes, offered an alternative narrative to the one I have known. I did not take him in wholesale. I had some problems, issues and disagreements, but his careful, un-vehement writing encouraged me to ask more questions and find more answers. In the years to come I could see him standing there, like a sane lighthouse in a sea of mostly irrational and emotional responses, saying loud and clear what he thought. I did not always agree with the content, but I always felt that his opinion never negated my right to exist, that it graciously invited me to be ethical, political, intellectual and creative. I have since gone on with an academic career, writing about Middle Eastern cinema, and making documentaries. I have also found my political voice and activism, and I am trying to work towards a future for our two peoples. Throughout my journey, I always considered Edward Saïd to be a role model of a public intellectual, an inspiration in merging intellectual and political life, in

281 International Journal of Canadian Studies Revue internationale d’études canadiennes taking an ethical stance in the face of wrath and disapproval, in struggling for a more humane world. Like many others I will miss Saïd’s insights and guidance, but in the spirit of the gift that he gave me, I will continue to struggle for a better future. Let me close with the words of Edward Saïd from an interview with Israeli journalist Ari Shavit in 2000: “Why do you think I am so interested in a bi-national state? Because I want a rich fabric of some sort, which no one can fully comprehend, and no one can fully own. I never understood the idea of this is my place and you are out. I do not appreciate going back to the origin, to the pure. I believe that major political and intellectual disasters were caused by reductive movements that tried to simplify and purify. […] I don’t believe in all that. I wouldn’t want it for myself. Even if I were a Jew. And it won’t last. Take it from me, Ari. Take my word for it. I’m older than you. It won’t even be remembered.” You sound very Jewish. “Of course. I’m the last Jewish intellectual. You don’t know anyone else. All your other Jewish intellectuals are now suburban squires. From Amos Oz to all these people here in America. So I’m the last one. The only true follower of Adorno. Let me put it this way: I’m a Jewish-Palestinian” (Power, Politics, and Culture: Interviews with Edward Saïd, New York: Pantheon, 2001).

282 Authors / Auteurs

Zilá BERND, Praça Julio de Castilhos 64 ap. 92, Porto Alegre - RS, 90430-020 Brasil. Sirma BILGE, chercheure postdoctorale, Université de Montréal, CEETUM/CRI-VIFF Case postale 6128, Succursale Centre-ville, Montréal, Québec, H3C 3J7. Daniel CHARTIER, Professeur, Études littéraires, Université du Québec à Montréal, Case postale 8888, Succursale Centre-ville, Montréal, Québec, H3C 3P8. Ravi DE COSTA, Research Fellow, Institute on Globalization and the Human Condition, McMaster University, 1280 Main Street West, Hamilton, Ontario L8S 4L8. Margery FEE, PhD, Associate Dean of Arts, Students, University of British Columbia, Buch C-154, 1866 Main Mall, Vancouver, British Columbia, V6T 1Z1. Simon HAREL, Directeur, CELAT, Université du Québec à Montréal, Département d’études littéraires, Local J-4775, Case postale 8888, Succursale Centre-ville, Montréal, Québec, H3C 3P8. Mathieu-Alexandre JACQUES, doctorant à l’Université du Québec à Montréal et à l’Université de Paris III (Sorbonne Nouvelle), France. Courriel : [email protected]. Stéphane KELLY, chercheur associé, CELAT, Université Laval, Québec, Québec, G1K 7P4. Józef KWATERKO, Professeur, Institut d’études romanes, Université de Varsovie, rue Obozna 8, 00-927 Varsovie, Pologne. Graciela MARTÍNEZ-ZALCE, Researcher, Centro de Investigaciones sobre América del Norte, Universidad Nacional Autónoma de México, Torre II de Humanidades piso 10, Ciudad Universitaria, 04510, DF. México. Dorit NAAMAN, Department of Film Studies, Queen’s University, 99 University Avenue, Kingston, Ontario, K7L 3N6.

International Journal of Canadian Studies / Revue internationale d’études canadiennes 27, Spring / Printemps 2003 International Journal of Canadian Studies Revue internationale d’études canadiennes

Barbara PELL, Trinity Western University, Department of English, 7600 Glover Road Langley, B.C. V2Y 1Y1. Claire POITRAS, Université du Québec, INRS-Urbanisation, Culture et Société, 3465, rue Durocher, Montréal, Québec, H2X 2C6. Sherry SIMON, Département d’études françaises, Concordia University, S-LB 638 3, 1455, de Maisonneuve Blvd West, Montreal, Quebec, H3G 1M8. Charlotte STURGESS, Département d’anglais, Université Marc Bloch, 22, rue René Descartes, 67084 Strasbourg Cedex, France. Roland WALTER, Programa de Pós-Gracuaçao em Letras/EFPE, Universidade Federal de Pernambuco, Centro de Artes e Comunicaçao, Campus Universitário-Dep. de Letras, Recipe-PE-CEP: 57040-530, Brazil. Canadian Studies Journals Around the World Revues d’études canadiennes dans le monde

The American Review of Canadian Studies. Quarterly/Trimestriel. $60; $25 (Student/Étudiant; retired membership/membres retraités); $105 (Institutions). Association for Canadian Studies in the United States, 1317 F Street NW, Suite 920, Washington, DC, 20004-1105, U.S.A. Editor/Rédacteur: Robert Thacker (St. Lawrence University). The Annual Review of Canadian Studies. Yearly/Annuel. Japanese Association for Canadian Studies, Department of English Literature and Languages, Tsuda College, 2-1-1 Tsuda-machi, Kodaira-shi, Tokyo 187, Japan. Editor/Rédactrice: Masako Iino (Tsuda College). Australian-Canadian Studies. Biannual/Semestriel. Subscription information to be obtained from/Pour tout renseignement sur les abonnements, veuillez contacter: Associate Professor Jan Critchett, School of Australian and International Studies, Faculty of Arts, P.O. Box 423, Warmambool, Victoria, Australia, 3280. Editors/Rédacteurs: Hart Cohen (University of Western Sydney Nepean), Wendy Waring (Macquarie University). British Journal of Canadian Studies. Biannual/Semestriel. Available through membership to the British Association for Canadian Studies/Disponible aux membres de l’Association britannique d’études canadiennes. BACS, 21 George Square, Edinburgh EH8 9LD, Scotland. Editor/Rédacteur: Colin Nicholson (University of Edinburgh). Interfaces Brazil/Canadá. Anual.15$ Cdn. Revista da Abecan. ABECAN/ Associaçao Brasileira de Estudos Canadenses. Av. Bento Gonçalves, 9500, Instituto de Letras, sala 114, 91540-000 Porto Alegre (RS), Brasil. Editora: Nubia Jacques Hanciau, Fundação Universidade do Rio Grande (Brasil). Canadian Issues/Thèmes canadiens. Annual/Annuel. $Can15 per copy/ l’exemplaire (plus 7% GST in Canada/TPS de 7 p. 100 en sus au Canada). Association for Canadian Studies, P.O. Box 8888, Station Centre-Ville, Montreal, Qc, H3C 3P8/Association d’études canadiennes, C.p. 8888, succ. Centre-Ville, Montréal (Qc) H3C 3P8. Études canadiennes : revue interdisciplinaire des études canadiennes en France. Semestriel/Biannual. 45 euros. Association française d’études canadiennes, Maison des sciences de l’homme d’Aquitaine, Domaine Universitaire, 33405, Pessac, France. Rédacteur en chef/Editor-in-Chief: André-Louis Sanguin (Université de Paris-Sorbonne). Indian Journal of Canadian Studies.Yearly/Annuel. Indian Association of Canadian Studies, 32A, Gandhi Road, P.O. T.V. Koil, Tiruchirapalli - 620005 (T.N.), India. Publisher/Éditeur: Chandra Mohan (University of Delhi). The Journal of American and Canadian Studies. Yearly/Annuel. The Journal of American and Canadian Studies. Sophia University, Institute of American and Canadian Studies, 7-1 Kioicho, Chiyoda-ku, Tokyo 102, Japan. Editor/Rédacteur: Kazuyuki Matsuo (Sophia University). Journal of Canadian Studies/Revue d’études canadiennes. Quarterly/ Trimestriel. $Can35; $Can15 (Student/Étudiant); $Can55 (Institutions). Plus 7% GST in Canada/TPS de 7 p. 100 en sus au Canada. Outside Canada, payment is required in American dollars/À l’extérieur du Canada, les frais sont en dollars américains. Journal of Canadian Studies, Trent University, P.O. Box 4800, Peterborough, Ontario, K9J 7B8. Editor/Directeur: Stephen Bocking (Trent University). The Korean Journal of Canadian Studies. Biannual/Semestriel. Articles are published in Korean/Publication de langue coréenne. Institute of East and West Studies, Yonsei University, Room 528, Seoul 120-749, Korea. Editor/Rédacteur: Myung Soon Shin (Yonsei University). Korean Review of Canadian Studies. Annual/Annuel. Articles are published in Korean/Publication de langue coréenne. Korean Association for Canadian Studies (KACS), Centre de recherches sur la francophonie, Faculté des Sciences Humaines, Université Nationale de Séoul, 56-1 Shinrim-dong Kwanak-ku, Séoul, Corée du Sud. Editor/Rédacteur: Jang, Jung Ae (Université nationale de Séoul). Québec Studies. Biannual/Semestriel. US$45; US$35 (Student/ Étudiants); US$50 (Libraries/Bibliothèques). Outside the U.S., please add US$6/ Abonné à l’extérieur des É.-U., prière d’ajouter 6$US. Professor Jane Moss, French Department, Colby College, Waterville, ME 04901 USA. Editor/Rédacteur: Patrick Coleman (University of California at Los Angeles). Revista Española de Estudios Canadienses. Yearly/Annuel. 4.000 ptas; 8.000 ptas (Institutions). Asociacion española de estudios canadienses, Espronceda, 40, 28003, Madrid, Spain. Editor/Rédacteur: Kathleen Firth (Universidad de Barcelona). Revista Mexicana de Estudios Canadienses. Biannual/Semestriel. 70$. Asociación Mexicana de Estudios Canadienses. RMEC, Coordinación de Relaciones Internacionales, Facultad de Ciencias Políticas y Sociales, Ciudad Universitaria, UNAM, C.P. 04500, México. Directora: María Cristina Rosas (Universidad Nacional Autónoma de México). Revista Venezolana de Estudios Canadienses. Biannual/Semestriel. 500 Bs. Asociacion Venezolana de Estudios Canadienses. Subscriptions/ Abonnements: Embajada de Canadá, Torre Europa, Piso 7. Ave. Francisco de Miranda. Apartado 63.302. Caracas 1060, Venezuela. Editor/Rédacteur: Vilma E. Petrash (Universidad Central de Venezuela). Revue internationale d’études canadiennes/International Journal of Canadian Studies. Biannual/Semestriel. $Can40 (Institutions); $Can30 (Regular/ régulier); $Can20 (ICCS Members, retirees and students/Membres du CIEC, retraités et étudiants). Outside Canada, please add $Can5/Abonnés à l’extérieur du Canada, prière d’ajouter 5$can. Plus 7% GST in Canada/TPS de 7 p. 100 en sus au Canada. IJCS/RIÉC, 75 Albert, S-908, Ottawa, Canada K1P 5E7. Rédacteur en chef/Editor-in-Chief: Robert Schwartzwald (University of Massachusetts Amherst). Rivista di Studi Canadesi. Annual/Annuel. 30.000 lire; Foreign/Étranger, 40.000 lire. Rivista di Studi Canadesi, Grafischena, n. 13147723, Viale Stazione 177-72015 Fasano di Puglia, (Br-Italia). Director/Directeur: Giovanni Dotoli (Università di Bari). Zeitschrift für Kanada Studien. Biannual/Semestriel. DM25. Zeitschrift für Kanada Studien, Pädagogische Hochschule, Kunzenweg 21, D-79199 Freiburg, Germany. Editors/Rédacteurs: Udo Kempf (Universität Freiburg), Reingard Nischik (Universität Konstanz). INTERNATIONAL JOURNAL OF CANADIAN STUDIES

Call for Papers

Health and Well-Being in Canada

Volume 29 (Spring 2004)

The Canadian State has, from time to time, come to the defense of “real” Canadian values, based on public involvement and a sense of community. Over the past several years, however, health care has become an area of confrontation between the federal government and one provincial government in particular. The Government of Alberta has proposed nothing less than an attempt to reshape Canadian identity by developing a new health care system patterned on the U.S. model that leans heavily toward private sector involvement. In this confront- ation, we see how the issue of health touches on a variety of complex questions that go far beyond the specific dimension of managing health care services insofar as two sometimes contradictory logics of Canadian identity are at loggerheads.

The issue of health also extends to the concept of well-being in the broader sense. What do we mean when we say that someone is “doing all right” in Canada? On the other hand, is it possible to speak of Canadian malaises? In what ways do discourses on Canadian rights, immigration, ageing, youth, leisure, women’s health issues, sexuality, and work relate to the overall issue of health in a Canadian context? In what ways are these issues of health and well-being represented through academic, political, and cultural (including literature, the media, and the visual arts) channels?

The IJCS invites submissions that address issues of health and well-being in a variety of dimensions, including comparative studies that evaluate the Canadian experience in relation to other experiences throughout the world.

Please forward paper (and an abstract of 100 words max.) before January 15, 2004 to: IJCS, 75 Albert, S-908, Ottawa, Ontario, Canada K1P 5E7. Tel.: (613) 789-7834; fax: (613) 789-7830; e-mail: [email protected]. REVUE INTERNATIONALE D’ÉTUDES CANADIENNES

Soumission de texte

La santé et le bien-être au Canada

Numéro 29 (printemps 2004)

L’État canadien s’est parfois porté à la défense des « vraies » valeurs canadiennes, fondées sur l’engagement public et un sens de la communauté. Or, le domaine de la santé a fait l’objet au cours des dernières années d’un affrontement entre le gouvernement fédéral et une province en particulier, l’Alberta. À l’opposé de la vision du fédéral, le gouvernement provincial de l’Alberta prétend ni plus ni moins renouveler l’identité canadienne en développant un nouveau système de santé inspiré du modèle américain où le recours au secteur privé deviendra une voie importante.

Cette question de la santé touche donc des aspects complexes qui débordent la seule dimension de la gestion des services de santé dans la mesure où deux logiques identitaires « canadian » parfois contradictoires s’y affrontent. Puis elle s’étend au bien- être dans le sens le plus large. Qu’est-ce qu’est « être bien dans sa peau » au Canada? En revanche, y a-t-il des « malaises » canadiens ? Comment les discours sur les droits, les loisirs, la jeunesse, le vieillissement, l’immigration, la santé des femmes, la sexualité et le travail visent-ils la santé dans le contexte canadien ? Quels sont les modes de représentation de ces questions de santé à travers la production culturelle (littérature, médias, arts visuels), scienti- fique et étatique question.

La RIÉC invite donc les soumissions qui s’adressent à la question de santé dans ces multiples dimensions, y compris les études comparées qui mettent l’expérience canadienne à l’épreuve d’autres expériences autour du monde.

S.v.p. faire parvenir votre texte (et un résumé de 100 mots max.) d’ici le 15 janvier 2004 au Secrétariat de la Revue internationale d’études canadiennes : 75, rue Albert, S-908, Ottawa, Canada, K1P 5E7. Tél. : (613) 789-7834; téléc. : (613) 789-7830; courriel : [email protected]. INTERNATIONAL JOURNAL OF CANADIAN STUDIES

Call for Papers

Security / Insecurity

Volume 29 (Fall 2004)

The events of September 11, 2001 brought the issue of security to the forefront of western consciousness and caused it to loom large over the American political landscape. Security would appear to be an issue driven exclusively by the successes of international terrorism. But is this really the case? Is it not true that western societies nurture a fascination for security, which, in the final analysis, stems from their profound sense of insecurity in the modern world?

In an era of market restructuring, globalization, and the erosion of geo-political landmarks that had become familiar to us since the Second World War, are we not being assailed by a pervasive sense of anomie that could lead to an abiding sense of insecurity?

On the other hand, have not a number of social and “identitarian” movements made great strides in recent years, in effect challenging the myriad forms of insecurity to which traditional norms and values had subjected them? In what way would this dialectic between security and insecurity manifest itself in Canada in the 21st century, and more particularly in those areas whose scope extends beyond the “war on terrorism?”

The IJCS invites submissions that deal with this question within the following frameworks: politics, the social sciences, the communication sciences, the arts, literature and any other relevant discipline.

Kindly submit your paper (including an abstract of 100 words or less) before April 1, 2004 to the IJCS Secretariat, 75 Albert Street, Suite 908, Ottawa, Canada, K1P 5E7. Tel: (613) 789- 7834; Fax: (613) 789-7830. E-mail: [email protected]. REVUE INTERNATIONALE D’ÉTUDES CANADIENNES

Appel de textes

Sécurité / Insécurité

Numéro 29 (automne 2004)

Les événements du 11 septembre 2001 ont fait de la sécurité le thème dominant des sociétés occidentales et, en particulier, l’aspect principal de la politique américaine. La sécurité apparaît donc comme un thème accentué uniquement par les réussites du terrorisme international. Mais est-ce si sûr? N’y a-t-il pas dans les sociétés occidentales une fascination pour la sécurité qui est au fond provoquée par la profonde insécurité du monde moderne? Dans le contexte de ce nouveau siècle de restructuration et de globalisation des marchés, ainsi que d’érosion et de perte des points de répère en place depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale, nous retrouverions-nous devant une impression générale d’anomie qui pourrait conduire à un profond sentiment d’insécurité? En revanche, n’est-il pas le cas que certains mouvements sociaux et identitaires ont réalisé des gains importants au cours des années récentes qui les sécurisent vis-à-vis des normes traditonnelles ébranlées par la (post)modernité? Quelles seraient, justement, au Canada, les manifestations de cette dialectique entre la sécurité et l’insécurité au 21e siècle, par ailleurs dans des domaines qui débordent largement la seule dimension de la lutte au “terrorisme?” La RIEC invite des soumissions qui s’adressent à cette problé- matique du point de vue de la politique et des sciences sociales, des sciences de la communication, des arts, de la littérature et toute autre perspective pertinente. S.v.p. faire parvenir votre texte (y compris un résumé de 100 mots max.) d’ici le 1er avril 2004 au secrétariat de la RIÉC : 75, rue Albert, S-908, Ottawa, Canada, K1P 5E7. Tél. : (613) 789-7834; télécopieur : (613) 789-7830; courriel : [email protected]. INTERNATIONAL JOURNAL OF CANADIAN STUDIES

Call for Open Topic Articles

The Editorial Board of the IJCS has decided to broaden the format of the Journal. While each future issue of the IJCS will include a set of articles addressing a given theme, as in the past, it will also include several articles that do not do so. Beyond heightening the general interest of each issue, this changeshouldalsofacilitateparticipationintheJournalbytheinternational community of Canadianists. Accordingly, the Editorial Board welcomes manuscripts on any topic in the study of Canada. As in the past, all submissions must undergo peer review. Final decisions regarding publication are made by the Editorial Board. Often, accepted articles need to undergo some revision. The IJCS undertakes that upon receiving a satisfactorily revised version of a submission that it has accepted for publication, it will make every effort to ensure that the article appears in the next regular issue of the Journal. Please forward paper and abstract (one hundred words) to the IJCS at the following address: 75 Albert, S-908, Ottawa, Ontario K1P 5E7. Fax: (613) 789-7830; e-mail: [email protected].

REVUE INTERNATIONALE D’ÉTUDES CANADIENNES

Soumission d’articles hors-thèmes

La Revue internationale d’études canadiennes a adopté une politique visant àmodifierquelquepeusonformat.Eneffet,laRevuecontinueraàoffrirune série d’articles portant sur un thème retenu, mais dorénavant elle publiera aussi des articles hors-thèmes. Le Comité de rédaction examinera donc toute soumission qui porte sur un sujet relié aux études canadiennes indépendamment du thème retenu. Bien entendu comme toute soumission, celle-ci fera l’objet d’une évaluation par pairs. La décision finale concernant la publication d’un texte est rendue par le Comité de rédaction. Une décision d’accepter de publier un texte est souvent accompagnée d’une demande de révision. Une fois qu’elle aura reçu une version révisée qu’elle jugera acceptable, la Revue essaiera, dans la mesure du possible, d’inclure cet article dans le numéro suivant la date d’acceptation finale. S.v.p. faire parvenir votre texte et un résumé (100 mots maximum) au Secrétariat de la RIÉC : 75, rue Albert, bureau 908, Ottawa, Canada, K1P 5E7. Téléc. : (613) 789-7830; courriel : [email protected]. INTERNATIONAL JOURNAL OF CANADIAN STUDIES REVUE INTERNATIONALE D’ÉTUDES CANADIENNES

SUBSCRIPTION/ABONNEMENT Rates per year (for subscriptions in Canada, please add 7 % GST; for subscriptions outside Canada, please add 5 dollars)/Tarif par année (au Canada, prière d’ajouter 7 p. 100 de TPS; les abonnés à l’étranger prièrent d’ajouter 5 dollars: $40 Institutions $30 Regular subscription/abonnement régulier $25 Members of associations affiliated with the Learned Societies/membres des associations affiliées aux Sociétés savantes $20 Members of ICCS Associations, retirees or students, include proof/membres des associations du CIEC, retraités ou étudiants, joindre une preuve

Please indicate year of subscription/Veuillez indiquer l’année d’abonnement désirée : 1997 No15 Time, Space and Place/Le temps, l’espace et le lieu No 16 Nationalism and Globalization/Nationalisme et mondialisation 1998 No17 Representation/La représentation No 18 Diaspora and Exile / La diaspora et l’exil 1999 No19 Articles from Foreign Canadian Studies Journals / Articles de revues d’études canadiennes à l’étranger No 20 Rebellion and Resistance / Rébellion et résistance 2000 No 21 Sexuality / La sexualité No 22 Canada and the World in the Twentieth Century / Le Canada et le monde au XXe siècle 2001 No 23 Spirituality, Faith, Belief / Spiritualité, foi et croyance No 24 Territory(ies) / Territoire(s) 2002 No 25 Post-Canada No 26 Performing Canada / Le Canada mis en scène 2003 No 27 Transculturalisms / Les transferts culturels No 28 Health and Well-Being in Canada / La santé et le bien-être au Canada 2004 No 29 Security - Insecurity / Sécurité - Insécurité No 30 The North / Le Nord Name/Nom ......

Address/Adresse ......

...... o Credit card #/N decartedecrédit:...... MasterCard Visa

Expiry Date/Date d’expiration ......

Signature......

Please return coupon and payment to/S.v.p., retourner ce coupon accompagné du paiement à :

IJCS/RIEC 75 Albert, S-908, Ottawa, Ontario, K1P 5E7, Canada Ê (613) 789-7830 ¿ [email protected] http://www.iccs-ciec.ca