UNIVERSITÉ PARIS I PANTHÉON-SORBONNE

ECOLE DOCTORALE : ED 113 IRICE (UMR 8138) Doctorat d’histoire et civilisations

Discipline : Histoire contemporaine

AMÉLIE REGNAULD

La RDA en Egypte, 1969-1989 : la construction d’une politique étrangère

De la « solidarité anti-impérialiste » aux « avantages réciproques »

Thèse dirigée par Robert Frank

Date de soutenance : le 10 juin 2015

JURY :

M. Tewfik ACLIMANDOS, chargé de cours à l’Université du Caire et à l’Université française du Caire, chercheur associé au Collège de France (rapporteur) M. Robert FRANK, professeur émérite, Université Paris I Panthéon-Sorbonne M. Henry LAURENS, professeur, Collège de France (codirecteur) Mme Chantal METZGER, professeur émérite, Université de Lorraine (Nancy) (rapporteur) M. Pierre VERMEREN, professeur, Université Paris I Panthéon-Sorbonne

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Résumé

Cette thèse s’inscrit dans le cadre du double renouvellement historiographique des études sur la politique étrangère des démocraties populaires et des recherches transnationales sur le bloc de l’Est. Elle montre comment la RDA construit en Egypte une politique extérieure souveraine, qui passe progressivement d’un impératif dominant, la « solidarité anti-impérialiste », à un autre, l’ « avantage réciproque ». La thèse analyse le processus de déplacement des objectifs politico-idéologiques aux priorités économiques de la RDA, de la mise en place de ses relations diplomatiques avec le Caire, en juillet 1969, aux prémices de sa disparition, en 1989. Après un prologue qui présente les structures et les fondements de l’activité est-allemande en Egypte, la thèse s’organise autour de trois grands axes. Le premier reconstitue le cadre chronologique et politique de la relation bilatérale et met en lumière le passage progressif de l’euphorie révolutionnaire au pragmatisme économique. Le second montre que la coopération militaro-économique et culturelle devient le champ privilégié de l’autonomie est-allemande en Egypte : la prise en compte croissante des intérêts nationaux de Berlin-Est invite à nuancer le primat de l’idéologie dans la mise en œuvre de sa politique étrangère. Le dernier axe s’intéresse aux interlocuteurs de la RDA en Egypte. Si l’influence de l’idéologie décline à l’échelle étatique, cette dernière se redéploie aux échelons local et régional, Berlin-Est identifiant de nouveaux partenaires anti-impérialistes. Ce travail inclut l’examen des modes de réception, d’appropriation et d’instrumentalisation de la phraséologie socialiste en vigueur chez les acteurs égyptiens.

Mots-clefs : histoire, relations internationales, RDA, Egypte, politique étrangère, anti-impérialisme, idéologie, économie, culture, gauche, communisme.

In a context of historiographical reassessment both in the field of people’s democracies foreign policy studies and transnational research on the Eastern bloc, this thesis explores how the GDR built a two-phase sovereign foreign policy in , with an overarching motive gradually shifting from the concept of « anti-imperialistic solidarity» to that of « reciprocal advantage ». The present work analyses this shift in agenda from political- ideological to economic priorities, beginning with the GDR’s establishment of diplomatic relationship with in 1969, and ending in 1989 with the early signs of its demise. After an introduction on the funding and structures of East-German activities in Egypt, the study proceeds along three major lines. The first aims at reconstructing the bilateral relationship along a timeline – from revolutionary euphoria to economic pragmatism. The second shows how military-economic-cultural cooperation proves to be a perfect terrain of autonomy in Egypt for the GDR : in this perspective, East-Berlin’s gradual taking into account of its own national interests forces to downplay ideological motives as a key to its foreign policy. The third and last part focuses on the GDR’s network of partners in Egypt. While ideology declines at state level, it gains momentum at regional level as East Berlin spots new anti-imperialist supporters at local scale. Finally, this work analyses how the Egyptians receive, take possession and eventually advantage of, socialist phraseology.

Keywords : history, international relationships, GDR, Egypt, foreign policy, anti-imperialism, ideology, economy, culture, left, communism.

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Remerciements

A l’issue de mes recherches, je souhaite exprimer ici ma reconnaissance à tous ceux qui, par leurs conseils et leurs encouragements, m’ont aidée à réaliser cette thèse.

Je tiens, en premier lieu, à remercier les professeurs Robert Frank et Henry Laurens, qui ont accepté de guider mes recherches et de me soutenir tout au long de mon parcours de doctorante.

Je suis très sensible à l’honneur que me font Tewfik Aclimandos, Robert Frank, Henry Laurens, Chantal Metzger et Pierre Vermeren d’avoir accepté d’examiner ce travail et de participer au jury de cette thèse.

Je remercie également les chercheurs rencontrés au cours de mes années de thèse et qui ont pris le temps de me conseiller : Tewfik Aclimandos, Antoine Marès, Ulrich Pfeil, Fritz Taubert, Massimiliano Trentin. Ma plus vive gratitude va aussi à Laurence Badel, dont les remarques et indications bibliographiques m’ont été particulièrement utiles.

Ma reconnaissance va, plus généralement, à tous ceux qui m’ont permis de bénéficier d’un environnement de travail stimulant et de valoriser mes propres travaux en m’insérant dans des réseaux de recherche interdisciplinaires : Houda Ben Hamouda, Pierre Blanc, Elena Calandri, Laurence Guillon, Augustin Jomier, Michèle Lerclerc-Olive, Simone Paoli, Grazia Scarfo, Katja Schubert. Je remercie tout particulièrement Elise Lanoe, qui a relu avec une grande attention un article en allemand, m’évitant ainsi de commettre bien des erreurs d’orthographe ou de syntaxe. Merci enfin à Inès et Saphia pour leurs relectures d’articles ou d’extraits de la thèse.

Ce travail est également l’aboutissement de longues et fructueuses années de formation. Il n’aurait pu être réalisé sans l’aide des institutions suivantes. L’ENS de Lyon m’a aidée à construire un projet de thèse cohérent. L’Université Paris I Panthéon-Sorbonne m’a accordé un contrat doctoral entre 2009 et 2012, ce qui m’a permis de mener mes premières années de recherche dans des conditions optimales. L’UFR d’histoire de Paris I m’a également donné l’occasion de m’initier au professorat. Enfin, j’ai eu la chance de pouvoir financer plusieurs de mes séjours de recherches en Allemagne grâce aux aides à la mobilité proposées par le Centre interdisciplinaire d’études et de recherches sur l’Allemagne (CIERA), dont j’ai bénéficié en novembre 2010 et novembre 2011.

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Il me faut aussi, bien sûr, adresser toute ma gratitude aux hommes et femmes qui m’ont guidée avec bienveillance au sein des archives à Berlin, Fribourg et Amsterdam.

J’aimerais enfin remercier très chaleureusement tous ceux qui, dans mon entourage, m’ont encouragée à mener mon doctorat à son terme. Je leur sais gré de m’avoir toujours incitée à concilier la rédaction de ma thèse et mon investissement dans l’enseignement secondaire, deux tâches exigeantes certes, mais complémentaires et passionnantes.

Parmi ces derniers, je remercie tout particulièrement les personnes qui ont relu ma thèse avec soin et qui m’ont fait part de leurs conseils avisés, en particulier dans la phase finale de la rédaction: Anne-Claire, Bettina, Hassan, Sarah, Solenn. Merci aussi à mon frère Irénée et à Jean-Pierre Cerquant pour leur aide précieuse en traduction anglaise.

Je souhaite également remercier Bettina, Cosima et Diallo de m’avoir accueillie chez eux avec une extrême générosité lors de mes nombreux passages à Berlin : leur hospitalité a contribué à rendre mes séjours de recherche particulièrement profitables.

Merci enfin à Hassan pour son indéfectible soutien et la confiance qu’il m’a toujours témoignée.

Je lui dédie cette thèse.

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Table des matières

Résumé ...... 3 Remerciements ...... 5 Table des matières ...... 7 Table des illustrations ...... 17 Tableaux ...... 17 Photographies ...... 18 Illustrations ...... 18 Introduction ...... 21 Objet de la recherche ...... 21 Etat de la recherche ...... 32 Sources et méthode ...... 41 Les archives du MfAA (Ministerium für Auswärtige Angelegenheiten) ...... 43 Les archives du SED et des organisations de masse (SAPMO-Barch) ...... 45 Les archives de la Stasi ...... 49 Les archives militaires ...... 52 La documentation égyptienne : les archives des organisations égyptiennes de gauche ...... 54 Les fonds de la BDIC ...... 55 La presse ...... 56 Les mémoires ...... 57 Plan de la thèse ...... 57 Prologue – Structures et fondements de la politique étrangère est-allemande en Egypte...... 61 Peut-on parler d’une politique étrangère est-allemande indépendante ? ...... 65 « La guerre Est-Ouest se poursuit au Caire… avec la concurrence des deux Allemagnes » ...... 69 Les rouages de la politique étrangère est-allemande en Egypte : structures institutionnelles et répartition des compétences ...... 73 Les moyens de l’implantation idéologique : « présenter la RDA par elle-même » ...... 79 Les structures de diffusion du socialisme scientifique en Egypte : ligues d’amitié, syndicats, organisations de jeunesse et instituts d’études socialistes ...... 79 Le travail de l’ADN (Allgemeiner Deutscher Nachrichtendienst) et la coopération égypto-est- allemande dans le domaine de la presse et des médias ...... 87 Pemière partie – La RDA et l’Egypte, du partenariat anti-impérialiste au pragmatisme économique : les évolutions de la relation étatique...... 93

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Chapitre 1 - L’ « expérience commune » de la lutte anti-impérialiste : les relations entre Berlin-Est et le Caire avant la reconnaissance diplomatique ...... 97 A. Des « alliés naturels »? ...... 97 B. Les contacts commerciaux, tremplin vers la mise en place des relations diplomatiques (octobre 1953-juillet 1969) ...... 104 C. La consolidation des relations bilatérales après la visite de Walter Ulbricht au Caire, en 1965 ...... 106 D. La rhétorique d’une expérience partagée de l’ « ennemi proche »: Israël pour l’Egypte, la RFA pour la RDA (1956-1967) ...... 110 Chapitre 2 - De la mise en place des relations diplomatiques à la mort de Nasser : l’Egypte, un « avant-poste du système socialiste » au Moyen-Orient ? (juillet 1969- octobre 1970) ...... 113 A. La reconnaissance du 10 juillet 1969 ...... 114 1. L’accréditation des ambassadeurs ...... 116 2. L’Egypte, un partenaire possible pour soutenir la RDA devant les institutions internationales ? ...... 118 B. L’Egypte, un terrain favorable à la diffusion du socialisme ? ...... 122 1. Un « climat favorable » à la pénétration des idées socialistes en Egypte depuis la révolution nassérienne de 1952 ...... 122 2. Approximations doctrinales et développement d’une « théorie de classes non antagoniste » : l’exemple des festivités organisées en Egypte en 1970, à l’occasion du 100ème anniversaire de la naissance de Lénine ...... 124 C. La guerre d’usure israélo-égyptienne à l’épreuve de la solidarité est-allemande (1969-1970) ...... 129 1. Le soutien politique et militaire des Etats socialistes dans la lutte contre Israël . 129 2. La manifestation du soutien est-allemand à l’occasion des attaques israéliennes sur Abu Zabaal en février 1970 et Bahr el-Bakr en avril 1970 ...... 134 D. La mort de Nasser : quel héritage pour l’Egypte ? ...... 138 Chapitre 3 - Sadate et le « virage à droite » de l’Egypte : l’abandon du « socialisme importé » (1970-1981) ...... 143 A. « Ils ne m’ont jamais fait confiance » : Sadate prend ses distances avec les Etats socialistes ...... 144 1. La « révolution correctrice » de mai 1971 : le remaniement gouvernemental et l’éviction des « vieux amis » de la RDA ...... 144 2. Le renvoi des experts militaires soviétiques d’Egypte en juillet 1972 : différentes lectures ...... 148 3. Le traité d’amitié et de coopération soviéto-égyptien, de la signature à la résiliation unilatérale par l’Egypte, 1971- 1976 ...... 153 B. La « trahison de Sadate » : vers la normalisation des relations israélo-égyptiennes158 1. La guerre d’octobre 1973 et ses conséquences ...... 158

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2. L’accord Sinaï II, septembre 1975 ...... 163 3. Vers la paix de Camp David, 1977-1979 ...... 167 a) « Nous devons d’abord penser à nous-mêmes » : le soutien d’une partie de la population égyptienne à la paix séparée ...... 167 b) L’isolement diplomatique de l’Egypte et la critique de Camp David ...... 171 C. « L’Egypte est devenue un appui essentiel de l’offensive impérialiste au Proche Orient » : développement capitaliste et crises sociales ...... 174 1. L’Infitâh ou la politique de la « Porte ouverte » ...... 174 2. Difficultés économiques et remises en cause du régime : les manifestations de 1972-1973, mars 1975 et janvier 1977 ...... 177 D. La politique extérieure de Sadate : une tentative de « balance entre les deux systèmes mondiaux » ...... 181 1. Une « politique de diversification » des alliances : le rapprochement avec les Etats-Unis, l’Europe de l’Ouest et les « Etats arabes réactionnaires »...... 181 2. Les relations sélectives de l’Egypte avec les Etats socialistes ou la stratégie de « traitement différencié » ...... 185 Chapitre 4 – Hosni Moubarak au pouvoir : « la stabilité plutôt que l’ébranlement ». La RDA « abandonne ses illusions » (1981-1989) ...... 189 A. « Moubarak a su transformer la colère en attente pleine d’espoir » : la restauration du consensus national ? ...... 189 1. L’arrivée de Hosni Moubarak au pouvoir : une libéralisation de surface pour désamorcer l’opposition ...... 189 2. Contenir l’instabilité sociale : une structure de pouvoir inchangée ...... 192 B. Le retour de l’Egypte sur la scène internationale ...... 193 1. La continuité de la politique étrangère égyptienne, de Sadate à Moubarak : l’irréversibilité du processus de paix avec Israël ...... 193 2. La réintégration de l’Egypte dans le giron arabe ...... 195 C. Des « relations internationales équilibrées » : pragmatisme et flexibilité de la politique étrangère égyptienne ...... 198 1. Les « relations spéciales » entre les Etats-Unis et l’Egypte ...... 198 2. Des relations dépassionnées avec l’URSS et les Etats socialistes ...... 201 Deuxième partie – Les relations économiques et culturelles, vecteurs de l’autonomie est-allemande ? ...... 205 Chapitre 5 – La coopération économique entre l’Egypte et la RDA : des « relations aux avantages réciproques » ...... 209 A. La RDA possède des « intérêts économiques considérables » en Egypte ...... 215 1. Les échanges de biens entre la RDA et l’Egypte : nature, volumes, modalités ... 217 a) Les exportations est-allemandes en Egypte : équipements électrotechniques, machines agricoles et biens de consommation ...... 217 b) Les exportations égyptiennes en RDA : pétrole, coton, riz ...... 219

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c) L’organisation concrète des échanges de biens : volumes, modalités d’acheminement et de paiement ...... 221 2. Des relations aux avantages mutuels ? ...... 224 a) Pour la RDA : ...... 224 i.Obtenir des devises : des contrats négociés en dollars ...... 224 ii. Compenser la diminution des livraisons de pétrole soviétique ...... 225 iii. La foire commerciale de Leipzig : une vitrine de la RDA ...... 226 b) Pour l’Egypte : ...... 227 i. Le savoir-faire est-allemand : des produits de qualité et « bon marché » ...... 227 ii. Des crédits avantageux ...... 229 3. L’Egypte : un marché concurrentiel...... 232 a) La concurrence accrue des « Etats industrialisés capitalistes » ...... 232 b) Retards de livraisons et insuffisances de l’offre est-allemande : les limites de la coopération économique bilatérale ...... 238 4. La coopération économique : une diplomatie du pragmatisme ...... 242 a) Les relations économiques : une base pour le développement d’autres types de relations ? .... 242 b) Des objectifs politiques aux priorités économiques ...... 245 B. Les « relations spéciales du commerce extérieur » ou le fonctionnement de la coopération militaro-économique bilatérale ...... 248 1. L’Egypte : « la première ligne de défense pour le camp socialiste »? ...... 248 2. L’institutionnalisation des relations militaires entre la RDA et l’Egypte ...... 250 3. L’organisation de la coopération militaro-économique ...... 253 a) Les organes compétents ...... 253 i.Les exportations d’armes relèvent de la compétence de la KoKo (Kommerzielle Koordinierung) ...... 253 ii. Intermédiaires et entreprises commerciales : le rôle des IM (Inofizieller Mitarbeiter) et des entreprises de commerce extérieur ITA et IMES ...... 255 b) Les domaines de la coopération militaro-économique bilatérale ...... 258 4. La coopération militaro-économique bilatérale, instrument des politiques nationales ...... 264 a) La coopération militaro-économique avec l’Egypte : un facteur de souveraineté pour la RDA ? 264 i.Une source de devises. Le rôle croissant de la KoKo, un moyen de contourner la discipline de bloc ? ...... 264 ii. L’alignement sur l’Union soviétique n’est pas systématique : les relations militaro-économiques, champ privilégié de l’autonomie est-allemande ? ...... 267 b) La politique est-allemande dans le cadre de la Détente : comment concilier coopération militaire et désarmement ? ...... 276 c) « Le plus important pour l’Egypte, c’est d’obtenir des livraisons d’armes ». Les objectifs nationaux de l’Egypte : renforcement du régime, autosuffisance et réexportation d’armes ...... 277 Chapitre 6 - Coopération culturelle et technico-scientifique : les limites du « remodelage socialiste »...... 283 A. Le fonctionnement du « travail culturel » bilatéral : des relations asymétriques .... 286 10

1. Coopération culturelle et technico-scientifique : la mise en œuvre de la « formation populaire » ...... 286 a) Une « crise de la culture » en Egypte ? ...... 286 b) L’institutionnalisation des relations universitaires ...... 290 c) La formation des Egyptiens en RDA : « spécialités prioritaires », conditions d’éligibilité et essai de quantification ...... 295 i.Des migrations encadrées ...... 295 ii. Les domaines de la coopération ...... 297 iii. Critères de sélection ...... 305 iiii. Clauses financières et matérielles ...... 312 iiiii. Essai de quantification ...... 316 d) Les experts est-allemands en Egypte : enseignement technique et général, projets agricoles et industriels, santé ...... 321 i.Enseignement technique et général ...... 322 ii. Activités d’expertise et savoir-faire technique, dans les domaines industriel et agricole ...... 326 iii. Conditions d’accueil et désaccords financiers ...... 330 iiii. L’encadrement politico-idéologique des ressortissants est-allemands en Egypte ...... 331 2. La culture, « arme » de promotion des régimes ...... 336 a) De Brecht à Isis et Osiris : expositions, ballets et pièces de théâtre, une culture choisie pour façonner une image internationale ...... 338 b) Festivals sportifs et cinématographiques: « solidarité internationale » ou « fiasco politico- culturel » ? ...... 345 c) Les manifestations culturelles est-allemandes en Egypte : une audience limitée ...... 350 B. « Les conversations sur la politique ne sont pas nécessaires ». Entre collaboration et confrontation, la coopération technico-scientifique et culturelle nourrit des attentes divergentes ...... 351 1. Formation idéologique ou formation technique ? ...... 351 a) Pour la RDA : former des « activistes expérimentés » et de futurs partenaires. Les objectifs extra-scientifiques de la coopération culturelle ...... 351 i.Morale et conscience politique. Les Egyptiens diplômés en RDA : des émissaires de Berlin-Est à l’étranger? ...... 351 ii. Les limites de la formation idéologique ...... 358 b) Pour l’Egypte : profiter d’un savoir-faire technique et de facilités matérielles ...... 361 2. Interactions culturelles et gestion des imprévus ...... 366 a) Stasi, police et renseignements : la surveillance réciproque des étrangers en RDA et en Egypte ………………………………………………………………………………………………….366 b) Mécanismes d’adaptations socio-culturelles : entre pragmatisme et préjugés ...... 368 c) Mobilisations et initiatives à caractère politique dans le pays d’accueil : critiques du régime et « activités subversives » ...... 371 d) L’intrusion de la sphère privée dans les programmes d’échanges officiels ...... 375 e) Les réponses institutionnelles à l’ingérence du politique dans les relations culturelles : l’exemple de la fermeture des centres de culture et d’information est-allemands au Caire et à Alexandrie en 1977 ………………………………………………………………………………………………….383

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C. Les relations culturelles doivent être des relations « utiles »...... 391 1. « Encourager les relations entre la RDA et l’Egypte sur le plan culturel pour favoriser les exportations de la RDA » ...... 391 a) La coordination entre les acteurs culturels et le ministère du Commerce extérieur ; le rôle de Limex ...... 391 b) Projets culturels et intérêts financiers : des aspects qui ne coïncident pas toujours. L’exemple de la foire internationale du livre au Caire en 1977-1978 ...... 393 2. Contrer les « activités concurrentes » des pays capitalistes et de la RFA pour accroître la visibilité de Berlin-Est ...... 396 a) La culture, « troisième dimension » de la politique extérieure ouest-allemande ...... 396 b) L’ « action politico-culturelle » des Etats capitalistes en Egypte ...... 405 3. Les relations culturelles et scientifiques : un moyen de compenser la diminution des relations politiques ? ...... 406 Troisième partie – Quel(s) interlocuteur(s) pour la RDA ? A la recherche de nouveaux partenaires anti-impérialistes...... 411 Chapitre 7 - Le SED et les gauches égyptiennes, entre idéologie et pragmatisme ...... 415 A. Les gauches égyptiennes entre légalité et clandestinité : stratégies politiques et divisions internes ...... 418 1. Le mouvement communiste égyptien sous Nasser : « un parcours semé d’embûches » ...... 418 a) La formation du mouvement. Rappel historique ...... 418 b) Des organisations qui restent fragiles jusqu’à l’autodissolution, 1957-1965 ...... 421 2. La « nassérisation » du marxisme égyptien ...... 424 a) Les justifications théoriques du ralliement des communistes égyptiens au nassérisme ...... 424 b) La « tactique léniniste du front uni » : l’URSS encourage les communistes égyptiens à coopérer avec le régime nationaliste et militaire de Nasser ...... 426 3. Les communistes égyptiens entre vagues de répression et aspiration à l’unité ... 429 a) La refondation du PCE en 1975 : vers la fragmentation ? ...... 429 b) Les campagnes d’arrestation de 1977 et 1981 et les « procès des communistes » ...... 434 4. Le dilemme des communistes égyptiens sous Hosni Moubarak : rester dans l’illégalité ou fusionner avec le Parti du rassemblement national progressiste unioniste (PRNPU) ? ...... 438 a) « Le PCE ne veut pas de confrontation avec Moubarak ». La stratégie de Hosni Moubarak : rassembler la nation, désamorcer l’opposition ...... 438 b) La double affiliation PCE/PRNPU : accès à la sphère institutionnelle ou compromission idéologique ? ...... 440 B. Le choix d’un interlocuteur légitime pour le SED : orthodoxie idéologique ou raison d’Etat ? ...... 446 1. L’institutionnalisation des liens entre le SED et l’Union Socialiste Arabe : une parenté idéologique entre les deux partenaires ? ...... 447 2. Les relations entre le SED et les forces progressistes extra-parlementaires ...... 454 a) Le SED peut-il aider le PCE à restaurer son unité ? ...... 454

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b) Le rôle des associations d’avocats et de journalistes ...... 459 c) Les forces progressistes égyptiennes : quelle portée contestataire ? ...... 462 3. Entre marxisme, nassérisme et nationalisme: itinéraires de quelques-uns des interlocuteurs privilégiés de Berlin-Est ...... 463 C. L’émergence du pluralisme politique en Egypte et le développement d’une « opposition constructive » : les partis gouvernementaux, des acteurs incontournables pour le SED ? ...... 471 1. La réglementation de l’activité des partis politiques en Egypte (1976-1978): un cadre légal pour l’action de l’opposition ? ...... 471 a) L’ouverture du jeu politique à partir de 1976 : vers un système multipartite ...... 471 b) Le démantèlement de l’USA et la création du PND en 1978 ...... 474 2. L’ambivalence de la position est-allemande : du refus de s’aliéner le régime à la mise en place de relations avec le parti présidentiel ...... 475 a) Les relations entre le SED et les partis de l’opposition légale ...... 475 b) Premiers contacts entre le SED et le Parti National Démocratique en 1988-1989 ...... 478 Chapitre 8 - « L’esprit complète le savoir ». Le glissement du potentiel contestataire de l’opposition égyptienne de gauche au militantisme islamiste : critiques, concessions et instrumentalisations est-allemandes...... 485 A. Les mouvements islamistes : une « masse réactionnaire » ...... 488 1. L’islam pour Berlin-Est : un outil politique de la contre-révolution ...... 488 a) L’islam au prisme de la tradition marxiste de la critique des religions ...... 488 b) L’ « islamisation » de la société égyptienne au cours des années 1970 ...... 489 2. Le régime égyptien face au militantisme religieux : entre instrumentalisation et répression ...... 490 a) Nasser : un mouvement de sécularisation au service des aspirations nationales, anti-impérialistes et modernisatrices de l’Egypte ...... 490 b) Un mouvement de sécularisation légitimé par l’islam institutionnel : le rôle d’el-Azhar ...... 494 c) Sadate : vers une « diplomatie religieuse » ? La renaissance des mouvements islamistes pour contrer l’opposition de gauche ...... 495 d) « Le plus grand défi pour la démocratie est l’extrémisme religieux ». L’appareil répressif du PND de Moubarak ...... 500 3. Les Frères musulmans, relais de l’anticommunisme égyptien ? Le soutien est- allemand à l’Egypte dans la lutte contre la confrérie ...... 503 B. Le potentiel contestataire de l’opposition islamiste : stratégies de « front » et luttes de pouvoir ...... 505 1. Les gauches égyptiennes et les islamistes : un « dialogue » sans « concessions idéologiques » ? ...... 505 a) « Fronts patriotiques » et alliances électorales ...... 506 b) « L’humeur des masses est religieuse » : les concessions du PRNPU au discours islamiste .... 512 c) Lieux et sociabilités contestataires : rivalité pour le contrôle des espaces de mobilisation ...... 514 2. L’ambiguïté de la position est-allemande vis-à-vis de l’opposition islamiste : entre concessions et instrumentalisations ...... 517

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a) La dimension sociale du discours islamiste ...... 517 b) Logiques d’accommodation et adaptation au terrain égyptien : les relations avec el-Azhar, figure de l’islam institutionnel ...... 518 Chapitre 9 - Une « collusion terroriste » entre la RDA et l’OLP ? Le remplacement progressif de l’Egypte par l’OLP, nouveau partenaire anti-impérialiste au Moyen- Orient ...... 525 A. L’OLP pour l’URSS : de l’ « instrument de la grande bourgeoisie arabe » au « mouvement de libération nationale » ...... 527 1. De la méfiance à la reconnaissance du statut diplomatique, 1964-1981 ...... 527 a) Moscou ignore l’OLP jusque 1967 ...... 527 b) 1967 : un tournant dans les relations entre l’URSS et Israël. La question de l’émigration des juifs soviétiques ...... 528 c) Première reconnaissance en tant que « mouvement de libération nationale » : le tournant de 1969-1970...... 530 d) L’OLP, seul représentante légitime du peuple palestinien : un partenaire assumé ? 1974-1981 ………………………………………………………………………………………………….532 2. Terrorisme ou « lutte de libération nationale » ? L’ambiguïté de la position soviétique face aux initiatives armées des factions palestiniennes ...... 533 3. Le rôle de l’URSS et du bloc de l’Est dans les règlements de paix au Proche- Orient ...... 535 4. La chronologie des relations RDA/OLP suit celle des relations URSS/OLP ...... 536 a) L’évolution des rapports entre la RDA et l’OLP ...... 536 b) La volonté est-allemande de désamorcer les accusations d’antisémitisme ...... 539 B. L’Egypte, intermédiaire entre les Etats socialistes et l’OLP ...... 543 1. La prise de contact entre le bloc de l’Est et l’OLP se fait par l’Egypte ...... 543 2. « Eliminer le contenu anti-impérialiste de l’OLP » pour en faire un « partenaire acceptable » : l’Egypte cherche à garantir ses intérêts nationaux ...... 544 a) Quel statut pour la délégation palestinienne lors de la conférence de Genève ? Les ambiguïtés de la position égyptienne ...... 544 b) Pour le PCE, pas de règlement politique sans action militaire ...... 547 3. L’Egypte après Camp David : un médiateur possible dans le processus de paix israélo-palestinien ? ...... 548 C. L’OLP, une « alternative constructive » au déclin des relations politiques égypto-est- allemandes ? ...... 551 1. Le soutien de Berlin-Est à l’OLP : aides financières, offres de formation et soins médicaux ...... 552 a) L’OLP : un possible catalyseur de la radicalisation du Moyen-Orient ?...... 552 b) Le développement des relations bilatérales avec l’OLP: coopération technico-culturelle et ventes d’armes ...... 553 2. Les Etats socialistes, bases avancées des activistes palestiniens ? Des hôtes encombrants, des itinéraires surveillés ...... 559

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3. L’évolution des relations entre la RDA et Israël : de l’intransigeance au rapprochement de 1986-1987 ...... 563 Conclusion ...... 567 Rappel analytique des résultats ...... 567 La RDA en Egypte : héritages historiques, perspectives scientifiques ...... 577 Liste des sigles et abréviations ...... 579 Sources ...... 581 Archives ...... 581 Ministerium für Auswärtige Angelegenheiten der DDR (Berlin) - MfAA ...... 581 Stiftung Archiv der Parteien und Massenorganisationen der DDR im Bundesarchiv (Berlin) -- SAPMO-BArch ...... 585 Behörde der Bundesbeauftragten für die Unterlagen des Staatssicherheitsdienstes der ehemaligen DDR (Berlin) - BStU ...... 588 Bundesarchiv Militärarchiv (Freiburg) ...... 590 International Institute of Social History (Amsterdam) – IISH ...... 591 Sources imprimées ...... 592 Fonds de l’Institut Historique Allemand (Paris) ...... 592 Fonds de la Bibliothèque de Documentation Internationale Contemporaine (Nanterre) - BDIC ...... 592 Presse ...... 593 Mémoires ...... 597 Ouvrages et articles est-allemands ...... 598 Bibliographie ...... 599 Ouvrages généraux ...... 599 Ouvrages spécifiques et articles ...... 602 Annexes ...... 619 Annexe 1: Cartes : le Delta du Nil, l’Egypte ...... 621 Annexe 2: Dates de la mise en place des relations diplomatiques de la République Démocratique Allemande avec les autres Etats (1990) ...... 623 Annexe 3 : « Vive l’amitié entre la République démocratique allemande et la République arabe unie ! ». La célébration de la mise en place des relations diplomatiques par le quotidien Neues Deutschland, le 12 juillet 1969 ...... 627 Annexe 4 : Discours de Saad Badawi el-Fatatry lors de sa prise de fonction en tant que premier ambassadeur d’Egypte en RDA, juillet 1969 ...... 629 Annexe 5 : Télégramme de solidarité envoyé par l’Alliance démocratique des femmes d’Allemagne (DFD) aux associations de femmes arabes en Egypte, après les bombardements israéliens d’avril 1970 ...... 631 Annexe 6 : projet de réponses à l’interview radiophonique du ministre de la Défense nationale de RDA, le Général Heinz Hoffmann, à l’occasion du séjour en Egypte d’une délégation militaire est-allemande, du 13 au 31 octobre 1971 ...... 633

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Annexe 7 : Examen des possibilités de livraisons d’armes et d’équipement militaire à l’Egypte par la firme de commerce extérieur ITA, 1972-1973 ...... 637 Annexe 8 : Soutien militaire de la RDA à la République arabe de Syrie durant la guerre d’octobre 1973 ...... 639 Annexe 9 : Pamphlet annonçant la reconstitution du Parti communiste égyptien, 1er mai 1975 ...... 645 Annexe 10 : Exportations égyptiennes en RDA en 1978 (liste A) ; exportations est- allemandes en Egypte en 1978 (liste B) ...... 649 Annexe 11 : Effets du traité séparé israélo-égyptien sur la poursuite des relations bilatérales entre la RDA et l’Egypte. Conclusions des recommandations formulées par les collaborateurs politiques de l’ambassade est-allemande au Caire, à destination du ministère des Affaires étrangères de RDA, 19 avril 1979 ...... 655 Annexe 12 : Télégramme d’Etat adressé par Anouar el-Sadate à Erich Honecker, à l’occasion du 30ème anniversaire de la fondation de la RDA, 6 octobre 1979 ...... 657 Annexe 13 : Note du général Streletz au ministre de la Défense nationale, 26 février 1983 ...... 659 Annexe 14 : Télégramme adressé par le PCUS au PCE, à l’occasion de la 2ème conférence générale du parti, en 1985 ...... 661 Annexe 15 : « The Red Major ». Interview de Khaled Mohieddine, leader du PRNPU, Cairo Today, novembre 1988 ...... 663 Annexe 16 : Les communistes égyptiens Nabil Hilali, Michel Kamel, Youssef Derwiche et Nabil Yacoub informent la RDA de leur volonté de former un parti communiste indépendant du PCE, le « Parti révolutionnaire du travail », 18 juillet 1989 ...... 665

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Table des illustrations

Tableaux

Tableau 1: Les principaux acteurs de la politique étrangère est-allemande en Egypte, 1969- 1989 ...... 74

Tableau 2 : Liste des ambassadeurs de la RDA en Egypte, de 1969 à 1989 ...... 116

Tableau 3 : Part du commerce avec l’Egypte dans le commerce soviétique, de 1955 à 1976 (en millions de dollars) ...... 211

Tableau 4 : Aperçu des échanges de biens entre la RDA et l’Egypte en 1970 (Données en TVM, milliers de marks est-allemands) ...... 216

Tableau 5 : Evolution du volume d’affaires commercial RDA-République arabe d’Egypte, de 1966 à 1987 (Mio VM, millions de Valuta-Marks) ...... 224

Tableau 6 : Evolution des relations économiques égypto-allemandes, de 1965 à 1991 (en millions de DM) ...... 233

Tableau 7 : Orientation du commerce égyptien (en %) ...... 235

Tableau 8 : Commerce extérieur de la République arabe d’Egypte, 1982-1985, structure par pays, d’après la direction des statistiques commerciales du FMI ...... 237

Tableau 9 : Structuration du commerce extérieur est-allemand par pays, en 1971...... 241

Tableau 10 : Conventions bilatérales entre les grands établissements d’enseignement supérieur est-allemands et égyptiens ...... 291

Tableau 11 : Nombre d’Egyptiens présents en RDA au titre de la coopération culturelle et technico-scientifique, 1971-1989 ...... 318

Tableau 12 : Nombre d’étudiants et de scientifiques égyptiens dans les établissements est- allemands d’enseignement supérieur, au titre de la formation populaire (1969-1980) ...... 320

Tableau 13 : Recettes et coûts générés par la participation de la firme Buchexport à la foire internationale du livre au Caire, de 1974 à 1977 ...... 394

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Photographies

Photographie 1 : Rencontre entre Walter Ulbricht et au Caire, février 1965 ...... 107

Photographie 2 : La visite de Walter Ulbricht au Caire, 27 février 1965 ...... 108

Photographie 3 : « Ses idées sont partout », photographies publiées à l’occasion du 100ème anniversaire de la naissance de Lénine ...... 126

Photographie 4 : « République arabe unie : dans une solidarité fraternelle, les spécialistes du pays de Lénine et les travailleurs égyptiens édifient ensemble la centrale électrique d’Assouan »...... 127

Photographie 5 : Marins soviétiques en Egypte, 1970 ...... 132

Photographie 6 : Produits est-allemands, techniciens est-allemands en Egypte : « image de la véritable Allemagne » ...... 218

Photographie 7 : Grue mobile fabriquée par l’entreprise Kirow Leipzig et utilisée dans une raffinerie de l’Alexandria Petrol Company ...... 328

Photographie 8 : Michel Kamel ...... 430

Photographie 9 : Michel Kamel lors de la conférence « Karl Marx et notre temps : la lutte pour la paix et le progrès social », avril 1983 ...... 458

Photographie 10: Khaled Mohieddine ...... 465

Photographie 11 : Yasser Arafat reçu par Erich Honecker à Berlin, mars 1982 ...... 539

Illustrations

Illustration 1 : « Syrie, Irak, Soudan, Cambodge, Yémen – Egypte ». La doctrine Hallstein mise à mal par les reconnaissances de 1969...... 71

Illustration 2 : « L’Afrikakorps d’Honecker » ...... 265

Illustration 3 : « Des sauveteurs rouges pour l’Afrique Noire. Nombre de conseillers militaires de RDA dans les Etats africains (2720 en tout) » ...... 266

Illustrations 4, 5, 6 et 7 : Quatre des Acht Skizzen aus Ägypten de Gerhard Stengel, 1975 ... 342

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Illustration 8 : Rapport du Parti communiste égyptien sur « L’Egypte de la torture », avril 1985 ...... 437

Illustration 9 : Annonce publiée par le secteur de l’industrie, du pétrole et des ressources minières, à l’occasion de la fête du travail, 1er mai 1971 ...... 450

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« La RDA ? A quoi rime-t-elle, cette RDA ? Il ne s’agit même pas d’un véritable Etat. Elle ne survit que grâce aux troupes soviétiques, même si nous l’appelons la ″République Démocratique d’Allemagne″ »1.

Propos attribués par Andreï Gromyko à Lavrenti Pavlovitch Beria, lors de l’une des réunions du Politbüro soviétique, entre mars et septembre 1953.

Introduction

Objet de la recherche

« Longtemps, la possibilité d’une politique extérieure de la RDA a été niée »2, écrit Walter Osten en 1969, constatant la situation lacunaire de la recherche historique consacrée à l’Etat socialiste allemand. « Pouvoir sans mandat »3, démocratie populaire depuis 19494, dont l’adhésion au Pacte de Varsovie en 1955 a parachevé l’intégration au bloc soviétique, l’Allemagne démocratique est un Etat dépendant. Comment envisager, dès lors, qu’elle soit compétente en matière de politique étrangère ?

Jusqu’à la fin des années 1960, l’idée selon laquelle l’histoire de la RDA « n’est qu’un chapitre parmi d’autres dans l’évolution du communisme soviétique »5 explique le relatif désintérêt que suscite, parmi les scientifiques occidentaux, l’activité est-allemande à l’étranger. De fait, la liaison étroite avec l’Union soviétique, tout comme la solidarité de bloc

1 GROMYKO, Andreï, Mémoires, Paris, Pierre Belfond, 1989, p. 295. 2 OSTEN, Walter, Die Aussenpolitik der DDR im Spannungsfeld zwischen Moskau und Bonn, Opladen, C.W. Leske Verlag, 1969, p. 21. 3 Pour reprendre le titre de l’ouvrage de Ernst Richert et Martin Draht. Voir : RICHERT, Ernst, DRATH, Martin, Macht ohne Mandat : der Staatsapparat in der Sowjetischen Besatzungszone Deutschlands, Cologne, Opladen, Westdeutscher Verlag, 1963. 4 Entre 1945 et 1949, la zone d’occupation soviétique en Allemagne orientale adopte progressivement un régime comparable à celui des autres démocraties populaires d’Europe centrale et orientale. En avril 1946, le SED, le parti socialiste allemand unifié (Sozialistische Einheitspartei Deutschland), naît de la fusion entre le SPD et le KPD. A partir de 1948, il connaît une soviétisation accélérée de ses structures. Le 7 octobre 1949 a lieu la proclamation officielle de la République démocratique allemande. Pour un rappel historique de la création de la RDA et du SED, voir : FRITSCH-BOURNAZEL, Renata, L’Allemagne depuis 1945, Paris, Hachette Supérieur, 1997 et : SOLCHANY, Jean, L’Allemagne au XXe siècle, Paris, PUF, 2003. 5 WEBER, Hermann, « L’état de la recherche sur l’histoire de la RDA », in : SAINT SAUVEUR-HENN, Anne, SCHNEILIN, Gérard (dir.), La mise en œuvre de l’unification allemande, 1989-1990, Asnières, Publications de l’Institut allemand, 1998, p. 18.

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au sein du camp socialiste, limitent la marge de manœuvre de Berlin-Est, qui apparaît comme le relais de la « politique étrangère votée »6 du bloc de l’Est.

Une périodisation plus fine de l’activité internationale de la RDA fait pourtant apparaître la nécessité de nuancer une telle conception, d’autant qu’on « ne peut faire a priori l’économie d’une recherche sur la question d’une absence de politique étrangère sous prétexte que les Etats en question ont été absorbés dans le bloc soviétique »7.

L’année 1969 constitue une césure importante dans la définition de la politique étrangère est-allemande. La première « vague de reconnaissances »8 diplomatiques dont la RDA fait l’objet par cinq Etats arabes9 (annexe 2), parmi lesquels l’Egypte le 10 juillet 1969, sort Berlin-Est de son isolement international et contribue à élargir son champ d’action dans le Tiers-monde. Pour la RDA, « l’option du Sud »10 apparaît comme le moyen de fonder l’entreprise de légitimation de sa politique extérieure, notamment face à la RFA, d’affirmer sa visibilité internationale et d’assurer la diffusion mondiale du socialisme scientifique. Tout en admettant le rôle déterminant de « l’écran protecteur »11 du Pacte de Varsovie dans la garantie de sa propre sécurité, cette nouvelle audience permet néanmoins à Berlin-Est de se libérer de l’emprise de l’URSS et de poser les jalons de sa propre souveraineté. Pour le Caire, le développement des relations bilatérales avec la RDA est un moyen de s’émanciper à la fois des tutelles héritées - les anciennes puissances coloniales - et des subordinations nouvelles, nées dans le cadre de la Guerre froide - représentées par les deux Grands, Etats-Unis et URSS. L’Etat égyptien entend profiter du savoir-faire est-allemand en matière technico-scientifique et militaire, contourner ainsi sa dépendance à l’égard de Moscou et, jusqu’en 1979, trouver un allié dans sa lutte contre Israël.

6 SCHWARZ, Hans-Peter (dir.), Handbuch der deutschen Aussenpolitik, Munich, R. Piper, 1975, p. 771. 7 MARES, Antoine, « Archives et étude de la politique étrangère des démocraties populaires », in: COMBE, Sonia (dir.), Archives et histoire dans les sociétés post-communistes, Paris, BDIC, 2009, p. 116. 8 D’après le terme allemand « Annerkennungswelle ». 9 Il s’agit de la République d’Irak (10 mai 1969), de la République démocratique du Soudan (5 juin 1969), de la République arabe de Syrie (10 juillet 1969), de la République démocratique populaire du Yémen (10 juillet 1969) et de l’Egypte (10 juillet 1969), dont le nom officiel est « République arabe unie » jusqu’en 1971. A l’exception des régimes d’Europe de l’Est, peu d’Etats, à cette date, ont déjà reconnu la RDA : la Chine, la République populaire de Corée, le Vietnam, la Mongolie, Cuba et le Cambodge. Se reporter à l’annexe 2, p. 607. 10 HAFEZ, Kai, « Von der nationalen Frage zur Systempolitik: Perioden der DDR-Nahostpolitik, 1949-1989 », in: Orient, deutsche Zeitschrift für Politik und Wirtschaft des Orients, 1995, n° 36, p. 77-95. 11 LAMM, Hans Siegfried, KUPPER, Siegfried, DDR und Dritte Welt, Munich/Vienne, R. Oldenbourg, 1976, p.40.

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Si l’on admet la définition que donne Philippe Moreau-Desfarges de la notion de « politique étrangère », selon laquelle cette dernière « couvre l’ensemble des éléments par lesquels une entité (par exemple un Etat) s’affirme vis-à-vis de l’extérieur […], des relations diplomatiques classiques aux rapports de toutes sortes, commerciaux, financiers, monétaires, culturels… »12, il faut bien reconnaître que la RDA n’est pas dépourvue d’une telle activité. Au contraire, Berlin-Est tient à développer ses relations avec l’étranger dans le but de servir les « intérêts légitimes de l’Etat socialiste allemand »13 et considère qu’il est nécessaire d’ « expliquer les expériences de l’URSS et de la RDA dans leurs différentes étapes du développement socialiste, ainsi que le contenu et la méthode de leurs conceptions »14. L’Allemagne de l’Est peut, dès lors, « transmettre des aspects qui lui sont propres [et] qui résultent de son développement spécifique »15, sans nier cependant que les directives soviétiques déterminent les grandes lignes de sa politique étrangère. Pour les dirigeants est- allemands, il n’y a pas de contradiction entre le respect des intérêts de bloc et la recherche des intérêts nationaux : la RDA estime que sa mission prioritaire en matière de politique étrangère est de construire une coopération amicale étroite avec l’URSS et les autres « pays frères » socialistes16. La question de la dépendance est en quelque sorte « un faux problème, dans la mesure où [l’intervention soviétique] n’est pas nécessaire pour que la RDA s’aligne : elle sait parfaitement s’auto-aligner parce que c’est son intérêt et qu’elle adhère à la vulgate [marxiste- léniniste] »17.

Les liens de dépendance entre Berlin-Est et Moscou n’invalident donc pas l’existence possible d’une politique étrangère est-allemande. Cette dernière constitue au contraire un objet de recherche doublement intéressant pour l’historien. Son analyse conduit, d’une part, à

12 L’expression de Philippe Moreau-Desfarges est citée par Marie-Claude Smouts dans : SMOUTS, Marie- Claude, « Que reste-t-il de la politique étrangère ? », in : Pouvoirs, 1999, n°88, p. 9. 13 MfAA, L 187, C 1641/76 : Abt. Naher u. Mittlerer Osten. Sektor Ägypten, Sudan, Libyen. Ausarbeitungen der Abt. Über die Beziehungen zwischen der DDR und der VAR. 1969-1974. I. Quartal 1970. Beziehungensbericht VAR-DDR. Schlussfolgerungen für die weitere Gestaltung der Beziehungen zwischen der DDR und der ARÄ, p. 48. 14 Ibid., p. 51: « Das Interesse der ägyptische Führungskräfte an praktikablen, effektiven Methoden und Organisationsformen zur Bewältigung ihrer politischen, ökonomischen und sozialen Probleme nutzend, sind die Erfahrungen der UdSSR und der DDR in den verschiedenen Etappen der sozialistischen Entwicklung in ihrer inhaltlich-konzeptionnellen und methodischen Aussage zu erläutern ». 15 « Neben diese Erfahrungen, die allen Volksdemokratien gemeinsam sind, glaubt die DDR noch spezifische Einsichten vermitteln zu müssen, die sich aus den Besonderheiten ihrer Entwicklung ergeben haben ». Voir : LAMM, Hans Siegfried, KUPPER, Siegfried, DDR und Dritte Welt, op.cit., p. 36. 16 Aussenpolitik der DDR – für Sozialismus und Frieden, Institut für Internationale Beziehungen an der Akademie für Staats- und Rechtswissenschaft der DDR (dir.), Autorenkollektiv, Berlin (-Est), 1974, p. 61. 17 JARDIN, Pierre, « Nouvelles archives, nouvelle histoire ? La politique étrangère de la RDA », in : COMBE, Sonia (dir.), Archives et histoire…, op.cit., p. 143.

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s’intéresser à la marge de manœuvre dont dispose l’Etat-satellite et à ne pas négliger, dès lors, les interstices qui existent entre les discours officiels et la mise en œuvre des directives centrales. Dans la mesure où « tout ce qui ne contredi[t] pas les intérêts soviétiques [est] permis »18, il s’agit d’évaluer jusqu’où il est possible d’aller avant d’atteindre ce que Wilhelm Bruns nomme le « seuil d’irritation » (Reizschwelle)19 admis par l’URSS. D’autre part, comme l’ont montré les apports successifs de l’historiographie des relations internationales depuis les années 1970, la politique étrangère n’est pas seulement une pratique diplomatique20 : des pans entiers de son champ d’action peuvent alors se soustraire au contrôle de l’appareil étatique, ou du moins s’en éloigner. De ce point de vue, la « dépendance » d’un Etat ne signifie pas que tous les circuits de construction de sa politique étrangère sont inexistants ou strictement encadrés. Alors que l’orthodoxie « réaliste » faisait des relations interétatiques le cœur de la vie internationale, les travaux de Pierre Renouvin et Jean-Baptiste Duroselle21 ont montré l’importance des « forces profondes » dans le déploiement des relations internationales, et la nécessité d’adopter une vision plus « sociétale » des rapports interétatiques que ce que permettait la stricte approche diplomatique. Les études transnationales22 ont en outre mis en valeur le rôle des acteurs non- étatiques dans la mise en œuvre des politiques étrangères et invitent en ce sens à élargir le champ d’étude de la recherche historique dans ce domaine. Même si la RDA est un Etat autoritaire et fortement centralisé, les vecteurs de sa politique étrangère sont multiples et ne sont pas tous identifiés ni contrôlés de la même manière par le pouvoir central ou le grand frère soviétique. L’un des piliers de l’activité de Berlin-Est à l’étranger est par exemple l’exécution de sa mission internationaliste de propagation du marxisme-léninisme : or, si le

18 LEMKE, Michael, Die Berlinkrise 1958 bis 1963: Interessen und Handlungsspielräume der SED im Ost- West-Konflikt, Berlin, Akademie Verlag, 1995, p. 41. 19 BRUNS, Wilhelm, Die Aussenpolitik der DDR, Beiträge zur Zeitgeschichte, Vol. 16, Herausgegeben von Peter Haungs und Eckhard Jesse, Colloquium Verlag Berlin, 1985, p. 41. 20 SMOUTS, Marie-Claude, « Que reste-t-il de la politique étrangère? », op.cit., p. 6. 21 Voir, par exemple, l’ouvrage suivant : RENOUVIN, Pierre, DUROSELLE, Jean-Baptiste, Introduction à l’histoire des relations internationales, Paris, Armand Colin, 1964. Les auteurs analysent les « influences profondes » qui commandent les relations internationales, comme les transformations économiques, les dynamiques démographiques, l’impact du sentiment national ou des courants pacifistes, ainsi que la figure de l’ « homme d’Etat ». 22 Voir notamment les travaux de Marcel Merle, qui insiste sur la nécessité de ne pas réduire la politique étrangère à l’activité des Etats : « […] des solidarités transnationales, économiques ou idéologiques, s’ébauchent et entrent en compétition avec l’autorité de l’Etat. Ces coalitions ne sont généralement pas assez fortes pour fournir une alternative au pouvoir d’Etat, qui conserve en sa faveur la force de l’habitude et l’avantage incomparable de la durée. Mais elles sont parfois assez puissantes pour neutraliser l’action de ce pouvoir et lui retirer le contrôle absolu du champ politique ». MERLE, Marcel, La politique étrangère, Paris, PUF, 1984, p. 205.

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parti du SED23 est à l’origine de la ligne idéologique à suivre, les courroies de transmission peuvent aller des ligues d’amitié24 aux foires aux livres, en passant par les associations syndicales. Elles mobilisent donc quantité d’acteurs, dont la place dans la hiérarchie sociale et partisane, la formation et les objectifs varient. De même, le rôle croissant de l’économie dans la mise en œuvre des relations avec l’étranger fait intervenir des organismes différents au cours des décennies 1970-1980, parmi lesquels se trouvent des firmes commerciales non- étatiques, qui disposent d’une plus grande marge d’action vis-à-vis de Moscou que les administrations traditionnelles. Si l’alignement de la RDA sur le partenaire soviétique est une constante dans la construction de sa politique étrangère, l’analyse des sources est-allemandes montre ainsi que des « adaptations conjoncturelles »25 sont possibles, qui manifestent « le souhait d’une certaine autonomie de choix »26.

Dans le cadre de l’appartenance au bloc socialiste, l’un des vecteurs de l’élaboration de la politique étrangère est-allemande est précisément le développement des relations bilatérales avec des Etats extra-européens, dont on considère qu’ils suivent une « voie de développement non capitaliste »27. La diffusion de cette notion, qui a remplacé depuis le début des années 1960 la théorie stalino-jdanovienne des « deux camps »28, permet à l’URSS et aux démocraties populaires d’élargir le spectre des forces progressistes mondiales susceptibles de rallier la lutte anti-impérialiste. La théorie du « développement non capitaliste » présente non

23 Sozialistische Einheitspartei Deutschlands, Parti socialiste unifié est-allemand, né en 1946 de la fusion entre le Parti social-démocrate et le Parti communiste, dans la zone d’occupation soviétique en Allemagne. 24 « […] les travaux sur les sociétés d’amitié [au sein du bloc de l’Est] ont montré que, dès les années 1960, elles ont été localement réinvesties comme des associations festives et clairement dépouillées de leur dimension idéologique ». Voir : KOTT, Sandrine, FAURE, Justine, « Présentation », in : Vingtième Siècle. Revue d’histoire. Spécial : Le bloc de l’Est en question, Paris, Presses de Sciences Po, 2011/1, n° 109, p. 6. 25 JARDIN, Pierre, « Objectifs et outils de l’action culturelle à l’étranger de la République démocratique allemande (1949-1969) », in: MARES, Antoine (dir.), Culture et politique étrangère des démocraties populaires, Paris, Institut d’Etudes Slaves, 2007, p. 24. 26 Ibid. 27 Une « voie de développement non capitaliste » est définie principalement par les critères suivants : destruction du vieil appareil d’Etat colonial ; mise en place d’une alliance ferme entre la classe des travailleurs et la paysannerie ; création ou consolidation de partis révolutionnaires et orientation de ceux-ci vers le socialisme scientifique ; lutte contre toutes les formes d’apparition d’une démocratie bourgeoise ; élévation planifiée du niveau de vie et du niveau de culture et de l’éducation des masses populaires ; combat anti-impérialiste en matière de politique extérieure ; alliance ferme avec le socialisme mondial et le mouvement international des travailleurs. Une telle politique n’est suivie par aucun pays du Tiers-monde. Le développement d’un pays est en fait décrit comme « non capitaliste » à partir du moment où quelques-uns seulement de ces aspects existent. En réalité, les structures internes d’un pays paraissent moins importantes pour caractériser son orientation politique que son programme politique intérieur et surtout, que son comportement vis-à-vis du camp soviétique. Voir : LAMM, Hans Siegfried, KUPPER, Siegfried, DDR un Dritte Welt, op.cit., p. 36-37. 28 Le 22 septembre 1947, Andreï Jdanov formule la théorie des deux camps, retenue sous le terme de « doctrine Jdanov », qui entérine la division bipolaire du monde et fonde la politique étrangère soviétique.

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seulement les leaders nationalistes et les partis « petits-bourgeois » du Tiers-monde comme les alliés tactiques des organisations communistes, mais les considère en outre comme les véhicules majeurs de la transition vers le socialisme29. Ce contournement de la lutte des classes par l’alliance des forces nationalistes et progressistes justifie idéologiquement le rapprochement du bloc de l’Est avec les Etats en développement. Or, parmi ces derniers, l’Egypte revêt une place déterminante dans la stratégie diplomatique des pays socialistes : à la fin des années 1960, outre son rôle de leader parmi le groupe afro-asiatique et non-aligné, le régime nassérien apparaît comme l’expression du bouleversement des rapports de forces politiques qui est en train de s’opérer au Moyen-Orient, à la faveur du socialisme. Etat stratégique du point de vue géopolitique, au centre du conflit israélo-arabe, géant démographique, partenaire économique et militaire attractif, l’Egypte fait figure de terrain relativement favorable au communisme depuis la révolution nassérienne de 195230. Après avoir « débarrassé le pays de la féodalité »31 et nationalisé le canal de Suez en 1956, Nasser semble en effet poser les premiers jalons du développement d’une économie socialiste planifiée. Enfin, aux yeux des régimes socialistes, la structure socio-économique du pays, où il existe, contrairement aux autres Etats moyen-orientaux, « un prolétariat urbain relativement important »32, crée « une certaine base économique susceptible d’alimenter le combat anti- impérialiste »33. Ainsi, bien que le gouvernement égyptien lui-même ne se définisse pas

29 HOSSEINZADEH, Esmail, Soviet non capitalist development. The case of Nasser’s Egypt, New York, Praeger, 1989, p. 41. 30 Le 23 juillet 1952, le coup d’Etat des Officiers Libres, dont Gamal Abdel Nasser est l’un des artisans principaux, renverse la monarchie du roi Farouk. En juin 1953, la République égyptienne est proclamée et en octobre 1954, Nasser prend la tête de l’Etat égyptien après avoir éliminé ses adversaires et notamment Mohamed Néguib. 31 « Mit der von ihm geführten, unblutigen Revolution im Jahre 1952 hat er Ägypten wieder Würde und Selbstvertrauen verliehen, indem er das Land vom Feudal- und Halbkolonialstatus in die moderne Zeit führte und einen den Erfordernissen des 20. Jahrhunderts angemessenen Staat formte ». MfAA, L 187, C 1333/76- C 1334/76 : Abt. Naher u. Mittlerer Osten. Sektor Ägypten, Sudan, Libyen. Wirtschaftliche Entwicklung der VAR bzw. Ägyptens. Aussenwirtschafts- und –handelsbeziehungen der VAR (Ägyptens) zu anderen Staaten einsch. der DDR. 1967-1974. Deutsch-Arabische Handelskammer in der VAR, Informationsdienst, Nr. 36, Oktober 1970 : « Zum Tode von Staatspräsident Gamal Abdel Nasser », p. 32-33. 32 IBRAHIM, Salah Kamel, Grundelemente und Bedigungsfaktoren der ägyptischen Aussenpolitik (1952-1970) unter besonderer Berücksichtigung der Beziehungen Ägyptens zur Sowjetunion während des Nahostkonflikts, Thèse de doctorat soutenue à la faculté de Philosophie de l’Université rhénane Friedrich Wilhelm de Bonn, 1979, p. 266. Il faut toutefois prendre garde à cette terminologie, car s’il existe une large population urbaine précaire en Egypte, l’absence de « prolétariat ouvrier » à proprement parler est souvent une raison avancée pour expliquer, en partie, le faible écho des idées communistes sur place. Voir : HEIKAL, Mohammed, Le sphinx et le commissaire, heurs et malheurs des Soviétiques au Proche-Orient, Paris, Editions Jeune Afrique, 1980. 33 « Die Erfüllung des Fünfjahrplanes kann wesentlich dazu beitragen, eine feste ökonomische Grundlage für den antiimperialistischen Kampf zu schaffen […] ». MfAA, L 187, C 1111/75 – 1117/75 : Abt. Naher u. Mittlerer Osten. Sektor Ägypten, Sudan, Libyen. Informationsberichte der Botschaft der DDR in Kairo über die Innen- und Aussen-, die Wirtschafts- und Aussenwirtschaftspolitik Ägyptens. 1969-1973. Informationsbericht 7/70, Konschel, Botschaftsrat. Zur Wirtschaftslage der VAR, p. 172.

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comme « marxiste-léniniste » et interdise l’existence d’un parti communiste sur son sol, il est pourtant présenté comme un interlocuteur légitime.

Dans ce contexte, l’Egypte apparaît assez naturellement comme un allié potentiel pour la RDA, qui voit dans le développement des relations bilatérales avec le régime nassérien un double avantage : si la légitimité idéologique d’un tel rapprochement répond aux intérêts de bloc, l’accroissement des liens bilatéraux consolide en retour la politique étrangère nationale. En ce sens, l’Egypte apparaît comme le terrain privilégié de l’exercice de la souveraineté est- allemande : la relation bilatérale devient le moyen politiquement réaliste de construire une politique étrangère spécifique. A cet égard, tout en s’inscrivant étroitement dans le contexte bipolaire, le mode de relation bilatéral « apparaît comme une condition indispensable du mode multilatéral »34, puisqu’il permet de rehausser la position de la RDA sur la scène internationale en créant et en entretenant « l’illusion de puissance »35, y compris face à l’URSS. Jusque 1974, l’Egypte est ainsi le premier partenaire commercial de la RDA dans le Tiers-monde36. Enfin, comme l’Allemagne de l’Est n’est pas en mesure de faire naître le consensus intérieur qui lui permettrait d’assurer la stabilité de son régime, elle tente de compenser son manque de légitimité interne par la légitimité extérieure que lui apporte la reconnaissance diplomatique d’un Etat non-socialiste comme l’Egypte37.

C’est l’idée avancée par cette thèse : le développement des relations bilatérales entre la RDA et l’Egypte est le moyen pour Berlin-Est de fonder une politique étrangère souveraine, dont les modalités d’exercice reposent sur des emboîtements d’intérêt, qui voient leur caractère prioritaire évoluer, voire se modifier au cours des années. L’activité est-allemande en Egypte s’articule autour d’un double objectif : mener à bien la mission politico-idéologique de diffusion du socialisme et répondre aux exigences économiques nationales. En ce sens, la mise en œuvre de la politique étrangère de Berlin-Est recoupe le plus souvent la dialectique

34 GOMART, Thomas, « La relation bilatérale: un genre de l’histoire des relations internationales », in: Matériaux pour l’histoire de notre temps, 2002, n° 65-66, p. 66. 35 Ibid. 36 PLATE, Bernard von, « Der Nahe und der Mittlere Osten sowie der Maghreb », in: JACOBSEN, Hans-Adolf, LEPTIN, Gert, SCHEUNER, Ulrich, SCHULZ, Eberhard (dir.), Drei Jahrzehnte Aussenpolitik der DDR, Bestimmungsfaktoren, Instrumente, Aktionsfelder, Munich, R. Oldenbourg, 1979, p. 682. En 1974, l’Egypte perd la première place dans le commerce extérieur de la RDA avec les pays arabes, au profit de l’Irak. Voir : WENTKER, Hermann, Aussenpolitik in engen Grenzen: die DDR im internationalen System, 1949-1989, Munich, Veröffentlichungen zur SBZ/DDR – Forschung im Institut für Zeitgeschichte, Munich, R. Oldenbourg, 2007, p. 469. 37 WENTKER, Hermann, « Entre concurrence, cohabitation et coopération. Les deux Etats allemands dans l’arène internationale », in : CAHN, Jean-Paul, PFEIL, Ulrich (dir.), Allemagne 1974-1990. De l’Ostpolitik à l’unification, vol. 3/3, Villeneuve d’Ascq, Presses Universitaires du Septentrion, 2009, p. 32.

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évoquée plus haut entre les contraintes de bloc et les intérêts nationaux. Une telle superposition n’est toutefois pas systématique, précisément parce que l’idéologie n’est pas simplement le vecteur de la domination soviétique, mais aussi une composante essentielle de l’action souveraine de la RDA. A ce titre, elle est mobilisée par Berlin-Est comme un outil majeur de son action en Egypte. Inversement, la recherche des intérêts économiques, bien qu’elle conduise les acteurs est-allemands à user de pragmatisme, voire à s’éloigner de l’orthodoxie idéologique, est presque toujours présentée comme un moyen de défendre les exigences de bloc.

En Egypte, cette tension permanente entre les différents pôles de la politique étrangère est-allemande se pose avec d’autant plus d’acuité que les gouvernements successifs et les acteurs sociaux jouent eux-mêmes, en fonction de leurs intérêts, de l’équilibre précaire entre fermeté politico-idéologique et impératifs économiques. Tous s’approprient et instrumentalisent tour à tour les slogans porteurs diffusés par les Etats socialistes, comme l’anti-impérialisme, soit parce que ces derniers peuvent alimenter des revendications nationales, soit parce que la récupération de la phraséologie socialiste permet de se concilier les faveurs du bloc de l’Est - et donc de faire pression sur les Etats-Unis. En ce sens, l’étude de la politique étrangère est-allemande menée en Egypte invite obligatoirement à considérer les interactions suscitées par une telle activité. Loin d’être un simple récepteur, l’Egypte est également acteur à part entière de la relation. Un tel constat conduit à s’intéresser aux mécanismes de transferts, de circulations et d’échanges qui accompagnent nécessairement le développement des contacts bilatéraux.

Cette double tension entre le bilatéral et le multilatéral d’une part, l’orthodoxie idéologique et le pragmatisme économique d’autre part, caractérise ainsi la construction de la politique étrangère est-allemande en Egypte, de la mise en place des relations diplomatiques, en 1969, à la disparition de l’Allemagne démocratique, en 198938. Elle justifie le choix des termes du sujet : en effet, il s’agit à la fois de définir l’activité de la RDA en Egypte comme le processus de construction d’une politique étrangère souveraine, et de montrer d’emblée son articulation autour de deux pôles clés, parfois complémentaires, parfois rivaux : la « solidarité

38 La RDA disparaît le 3 octobre 1990. Les sources que nous avons consultées ne concernent pas, cependant, la dernière année d’existence de l’Etat est-allemand, qui va de la chute du Mur de Berlin, en novembre 1989, à la réunification allemande, en octobre 1990. En outre, on peut considérer, avec Christian Wenkel, qu’il est difficile de parler d’une véritable « politique étrangère » durant cette année de transition. Voir : WENKEL, Christian, « En quête permanente d’une reconnaissance internationale. La politique étrangère de la RDA et ses marges de manœuvre », in : Relations internationales, PUF, 2011/4, n° 148, p. 57.

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anti-impérialiste » (anti-imperialistische Solidarität) et la recherche des « avantages réciproques » (gegenseitige Vorteile).

La politique étrangère est-allemande se décline en trois axes majeurs : la consolidation du système mondial socialiste autour de l’URSS, le soutien aux partis communistes dans les Etats industriels non socialistes et l’alliance avec les mouvements de libération nationale dans les pays en développement39, par le biais de la « solidarité anti-impérialiste ». Cette dernière est donc l’un des piliers de l’activité est-allemande à l’étranger et désigne le type de relation qui unit la RDA aux mouvements de libération nationale ou aux Etats décolonisés40, comme l’Egypte. Même si les pays en développement sont eux-mêmes classés en fonction de leurs orientations politiques et sociales41, ils sont réunis sous le concept commun de « mouvement de libération nationale » et représentent ainsi le « troisième courant révolutionnaire », à côté du « système mondial socialiste » et du « mouvement international des travailleurs »42. Cette terminologie crée une identité d’intérêts qui légitime idéologiquement le développement des liens bilatéraux et nourrit des objectifs politiques : arrimer les Etats ainsi qualifiés au bloc de l’Est et mettre en œuvre une coopération profitable dans tous les domaines. En Egypte, c’est sous la bannière de l’anti-impérialisme que se nouent les relations diplomatiques en juillet 1969, « la victoire de la révolution […] de 1952 » ayant donné « une violente impulsion au mouvement anti-impérialiste dans l’ensemble du monde arabe »43. L’emploi d’une telle rhétorique permet à Berlin-Est de justifier le développement de ses relations avec un gouvernement nationaliste et militaire, puisque conformément à la conception léniniste du communisme dans le monde sous-développé, la conscience nationale est considérée comme

39 SCHWARZ, Hans-Peter (dir.), Handbuch…, op.cit., p. 769. 40 WENTKER, Hermann, Aussenpolitik in engen Grenzen…, op.cit., p. 124. 41 Dans les années 1980, la RDA distingue ainsi quatre groupes parmi les Etats en développement, ou en construction, avec lesquels elle entretient des relations. Le premier groupe est constitué des pays qui « construisent le socialisme », comme le Mozambique, l’Ethiopie, l’Angola ou le Yémen. Le deuxième groupe est composé des mouvements de libération nationale qui existent en Namibie, en Afrique du Sud ou en Palestine. Le troisième groupe correspond aux « pays à orientation socialiste », comme l’Algérie, le Congo, le Bénin, la Guinée-Bissau et le Cap-Vert. Le dernier groupe, dont l’Egypte fait partie, rassemble les Etats avec lesquels les relations bilatérales sont considérées comme moins « prioritaires ». Voir : SAPMO-BARch, DY 30/ IV B 2- 9.05-80 : Abteilung Volksbildung des ZK der SED. Int. Zusammenarbeit. Zusammenarbeit der DDR mit Entwicklungsländern (Ägypten), 1972-75 ; 1978-80. 24 Oktober 1980, Abteilung Volksbildung. 42 SIEBS, Benno-Eide, Die Aussenpolitik der DDR, 1976-1989: Strategien und Grenzen, Paderborn, Schöningh, 1999, p. 46. 43 BATOR, Wolfgang und Angelika (dir.), Die DDR une die arabischen Staaten. Dokumente 1956-1982, Berlin (Est-), Staatsverl. der deutschen demokratischen Republik, 1984, p. 38.

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une étape nécessaire vers l’anti-impérialisme44. Du côté égyptien, l’anti-impérialisme offre un arsenal conceptuel fédérateur, susceptible de matérialiser la lutte pour l’affranchissement des tutelles extérieures. Henry Laurens rappelle ainsi que pour les peuples colonisés ou anciennement dominés, cette « idéologie mondiale de libération » exprime une « forme d’universel différente de celle promue par l’Occident capitaliste », à même d’incarner la lutte pour l’indépendance, puis l’affirmation de la souveraineté45.

Cette notion de « solidarité anti-impérialiste » est indissociable de l’un des objectifs majeurs affichés par la rhétorique est-allemande : développer la relation bilatérale sur la base de l’« avantage réciproque ». Tandis que la « solidarité anti-impérialiste » repose avant tout sur une entente politico-idéologique, le concept d’ « avantage réciproque » revêt une dimension nettement plus économique. Les deux termes se nourrissent pourtant mutuellement, l’autonomie des jeunes Etats nationaux comme l’Egypte « ne pou[vant] se réaliser que si l’indépendance économique sui[t] l’indépendance politique »46. La RDA définit d’emblée sa politique étrangère comme un modèle de « coopération dans le cadre de la solidarité anti-impérialiste, visant des avantages réciproques »47.

Les deux pôles autour desquels s’articule l’activité est-allemande en Egypte ne doivent pas, toutefois, être considérés de manière tout à fait concomitante : l’analyse des sources montre que l’emploi du concept d’ « avantage réciproque » se généralise surtout à partir du début des années 1980, tendant même à remplacer l’usage traditionnel du terme de « solidarité anti-impérialiste » pour qualifier la nature des liens bilatéraux. Ce glissement terminologique est à replacer dans l’évolution générale des relations bilatérales, caractérisée par un déplacement flagrant des intérêts d’ordre politico-idéologique aux impératifs économiques, de manière discontinue à partir de l’arrivée de Anouar el-Sadate au pouvoir en septembre 1970, puis de façon plus dépassionnée sous Hosni Moubarak, qui prend la tête de l’Etat égyptien en octobre 1981. Entre 1969 et 1989, la relation égypto-est-allemande se construit dans le cadre de cette tension permanente entre solidarité politico-idéologique et priorités économiques. Notre thèse repose sur l’idée selon laquelle la politique étrangère est-allemande en Egypte

44 GOLAN Galia, Soviet Policies in the Middle East. From World War 2 to Gorbachev, Cambridge, Cambridge University Press, 1990, p. 210-212. 45 LAURENS, Henry, L’empire et ses ennemis. La question impériale dans l’histoire, Paris, Editions du Seuil, 2009, p. 207-208. 46 BATOR, Wolfgang und Angelika (dir.), Die DDR une die arabischen Staaten…, op.cit., p. 38. 47 WILLERDING, Klaus, « Die Aussenpolitik der DDR und die Länder Asiens, Afrikas und Lateinamerikas », in: Asien, Afrika, Lateinamerika, Zentraler Rat für Asien,-, Afrika- und Lateinamerikawissenschaft, Berlin Akademie-Verlag, 1979, n°4, p. 570.

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passe, au cours de cette période, d’un objectif dominant, la « solidarité anti-impérialiste », à un autre, l’ « avantage réciproque ». Cette évolution progressive et non linéaire s’apparente au processus de maturation d’une politique étrangère propre, qui s’adapte de façon extrêmement pragmatique au terrain égyptien en s’accommodant peu à peu, et de manière parfois douloureuse, de l’éloignement de l’Egypte du bloc socialiste. Le passage de l’euphorie révolutionnaire au pragmatisme politique s’explique avant tout par le rôle croissant joué par les contraintes économiques nationales au cours des années 1980 : la recherche de débouchés commerciaux et le besoin d’importer des matières premières48 conduisent Berlin-Est à faire preuve de réalisme et de flexibilité pour ne pas s’aliéner un partenaire aussi important que l’Egypte. La configuration internationale contribue également à « désidéologiser » la nature des relations bilatérales, puisque la signature du traité de paix israélo-égyptien à Camp David en 1979 marque en quelque sorte la fin du mythe est-allemand selon lequel l’Egypte était en voie de devenir un Etat révolutionnaire. Enfin, dès lors que Berlin-Est a atteint son but prioritaire, à savoir la reconnaissance diplomatique, la mobilisation de l’idéologie dans le déploiement de sa politique étrangère cède aussi le pas à l’exécution de missions plus « traditionnelles », comme la construction de liens économiques privilégiés.

Le prisme choisi ici permet de poser la question de l’ampleur et de l’influence effectives de l’idéologie marxiste-léniniste dans la mise en œuvre de la politique étrangère est-allemande. Soulignant qu’une telle idéologie est le « point de référence officiel » de l’action de Berlin-Est à l’étranger, Benno-Eide Siebs rappelle toutefois qu’en matière de politique étrangère, « la contrainte de l’ajustement aux conditions du cadre existant est bien plus forte qu’en politique intérieure »49. La spécificité du champ d’action égyptien et les impératifs économiques contraignent les acteurs est-allemands à agir de façon pragmatique. La question majeure qui se pose à l’historien est alors la suivante : « comment, en pratique, les maximes idéologiques influencent-elles les buts et la mise en œuvre de la politique étrangère [est-allemande] ? »50. La formulation d’une telle interrogation suppose de ne pas considérer comme acquise l’adéquation parfaite entre politique extérieure est-allemande et orthodoxie idéologique. Cette position a le mérite d’élargir le champ de recherche sur l’activité à l’étranger de la RDA, dans la mesure où celle-ci ne peut se concevoir exclusivement dans le cadre de l’affrontement bipolaire. Dans une perspective « post-guerre

48 Et notamment du pétrole après la réduction massive des livraisons soviétiques en 1982. 49 SIEBS, Benno-Eide, Die Aussenpolitik…, op.cit., p. 44. 50 Ibid., p. 46.

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froide »51, une telle réflexion invite à prendre en compte les possibles objectifs nationaux de la démocratie populaire, les stratégies d’adaptation qu’implique la confrontation à l’altérité égyptienne, ainsi que les circulations Est-Sud, qu’elles soient de type conceptuel, économique ou migratoire.

Etat de la recherche

Jusqu’à la fin des années 1960, l’idée domine selon laquelle il n’existe pas de politique étrangère indépendante de la RDA : pour les chercheurs occidentaux, celle-ci n’est que la manifestation de la soumission est-allemande aux directives soviétiques. Cette conception rejoint la thèse totalitaire, qui s’impose au sein des sciences sociales jusqu’au début des années 1970 et considère que les Etats socialistes sont caractérisés par la domination d’un parti unique exerçant un pouvoir absolu sur l’appareil d’Etat et sur la société52. Tout en ayant le mérite de rappeler la prégnance du système de domination politique instauré dans les pays de l’Est, une telle vision contribue néanmoins au développement tardif et relativement restreint des travaux consacrés à l’activité internationale de la RDA. Elle est corroborée par la présentation que le régime est-allemand fait lui-même des buts de sa politique étrangère.

Conformément à l’acception marxiste-léniniste de la politique extérieure socialiste, la RDA revendique en effet le caractère internationaliste de ses missions à l’étranger : l’article 6 de la Constitution du 9 avril 1968 affirme que « la RDA prend soin et développe, en accord avec les principes de l’internationalisme socialiste, la coopération réciproque et l’amitié avec l’Union des Républiques Soviétiques Socialistes et les autres Etats socialistes »53. Le 7 octobre 1974, une révision constitutionnelle54 renforce encore le principe de l’internationalisme prolétarien en soulignant que « la RDA est liée pour toujours et de manière irrévocable à l’URSS »55.

51 Pour reprendre la terminologie employée par les récentes études sur le bloc de l’Est. Voir : KOTT, Sandrine, FAURE, Justine, « Présentation », op.cit., p. 3. 52 Pour un rappel historique de la controverse suscitée par la thèse totalitaire et la notion de „pouvoir absolu“, voir : KOTT, Sandrine, « Introduction thématique », in : Revue d’histoire moderne et contemporaine, 2002/2, n° 49-2, p. 5-7. 53 SCHWARZ, Hans-Peter (dir.), Handbuch…, op.cit., p. 770. 54 La révision constitutionnelle du 7 octobre 1974 supprime toute référence à l’Allemagne dans son ensemble, contrairement à la Constitution du 9 avril 1968 qui définissait encore la RDA comme un « Etat socialiste de nation allemande ». En 1974, l’Allemagne de l’Est est désormais qualifiée d’ « Etat socialiste des ouvriers et des paysans » (article 1er du nouveau préambule). Voir : FRITSCH-BOURNAZEL, Renata, L’Allemagne depuis 1945, op.cit., p. 76. 55 SCHWARZ, Hans-Peter (dir.), Handbuch…, op.cit., p. 770.

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Le parti-Etat du SED impulse et organise la politique étrangère est-allemande, en liaison étroite avec le partenaire soviétique. En juin 1971, lors du VIIIe Congrès du parti, il formule ainsi les missions de l’action est-allemande à l’étranger :

« Créer les conditions extérieures favorables pour la construction du socialisme, contribuer à la consolidation de la communauté des Etats socialistes, exercer la solidarité internationale avec les peuples qui luttent pour leur liberté, introduire les principes léninistes de la coexistence pacifique entre les Etats d’ordres sociaux différents, et mener activement la lutte contre l’impérialisme agressif »56.

Dans ce contexte, la vocation première de la recherche historique est-allemande est de légitimer la dictature du SED et d’ « étayer l’axiome central de l’idéologie stalinienne selon lequel le parti [a] toujours raison »57. Selon Hermann Weber, une telle politisation conduit la science historique est-allemande à n’être que la « rétroprojection du présent »58. Le Bureau politique et le Comité central sont en effet les véritables initiateurs de la recherche en sciences sociales, celle-ci ayant pour mission fondamentale de soutenir la politique extérieure de la RDA. Les revues consacrées à l’action est-allemande à l’étranger ou spécialisées en sciences régionales, comme Deutsche Aussenpolitik ou Asien, Afrika, Lateinamerika, ne proposent guère d’espace ouvert à la discussion scientifique. Même si la production historique en provenance de RDA apporte un certain nombre d’informations sur les positions officielles du régime et sur la manière dont il se présente à l’étranger, la recherche scientifique est- allemande ne peut toutefois se déployer que dans un cadre extrêmement limité.

Par conséquent, du côté ouest-allemand et occidental en général, les travaux est- allemands sont moins considérés comme l’émanation d’une discipline scientifique que comme l’instrument d’une propagande étatique mise en place par le SED pour fonder une politique au service du « développement et de la propagation de la science marxiste- léniniste »59. Les monographies est-allemandes en sciences régionales ou les publications sur la politique étrangère de la RDA, coordonnées par les organes du parti et de l’Etat, se limitent souvent à des ouvrages d’une valeur scientifique restreinte. C’est le cas par exemple du travail publié en 1984 par Angelika et Wolfgang Bator, Die DDR und die arabischen Staaten, qui présente l’Allemagne de l’Est comme un Etat dont la mission est de propager « la démocratie,

56 Ibid. 57 WEBER, Hermann, « L’état de la recherche… », op.cit., p. 14. 58 Ibid. 59 HAFEZ, Kai, Orientwissenschaft in der DDR : zwischen Dogma und Anpassung, 1969-1989, Hambourg, Deutsches Orient Institut, 1995, p. 90.

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la paix et l’amitié avec tous les peuples » et de combattre la politique impérialiste menée par les puissances occidentales au Moyen-Orient60.

Paradoxalement, c’est à la recherche ouest-allemande qu’il incombe alors de représenter la RDA, en écrivant son histoire, malgré l’impossibilité d’accéder aux archives de l’Est. Les premières analyses globales de la politique étrangère est-allemande sont publiées à l’Ouest à partir de la fin des années 196061 : la détente et le poids croissant de la RDA dans les relations internationales conduisent à l’émergence d’une nouvelle tendance historiographique qui reconnaît l’existence et l’importance du second Etat allemand. Walter Ulbricht, premier Secrétaire du SED et Président du Conseil d’Etat de RDA jusqu’à son retrait en mai 1971, multiplie les déclarations qui érigent l’Allemagne de l’Est au rang de modèle pour le camp socialiste62 : ce qui s’apparente à la remise en cause de la prééminence idéologique de l’URSS contribue à accroître l’intérêt suscité à l’Ouest par la politique étrangère est-allemande. Surtout, la « vague de reconnaissances » diplomatiques dont la RDA fait l’objet à partir de 1969 met en échec l’exigence de représentation exclusive ouest- allemande, telle qu’elle avait été formulée dans la doctrine Hallstein en 195563. En mettant un terme à l’isolement international de Berlin-Est, les « gains spectaculaires »64 enregistrés par l’activité est-allemande à l’étranger « réveillent […] l’intérêt des chercheurs »65 et deviennent un objet de recherche légitime.

Dans le domaine des sciences sociales, le modèle totalitaire est progressivement remis en cause : en RFA, des sociologues et des politistes comme Peter Christian Ludz66 et Gert-

60 BATOR, Wolfgang und Angelika (dir.), Die DDR und die arabischen Staaten…, op.cit., p. 35-36. 61 On peut citer notamment le travail de Karl-Heinz Woitzik qui évoque en 1967 l’idée d’une certaine spécificité de l’activité est-allemande à l’étranger, tout en considérant néanmoins que la RDA n’est qu’un Etat « provisoire ». Voir : WOITZIK, Karl-Heinz, Die Auslandsaktivität der sowjetischen Besatzungszone Deutschlands: Organisationen-Wege-Ziele, Mayence, Hase und Koehler, 1967. 62 SOLCHANY, Jean, L’Allemagne…, op.cit., p. 418. 63 La doctrine Hallstein est la règle de conduite énoncée par le chancelier ouest-allemand Konrad Adenauer le 22 septembre 1955, lors d’un discours prononcé devant le Bundestag. La RFA se considérant comme seule entité habilitée à représenter l’intégralité de l’Allemagne, toute reconnaissance diplomatique de la RDA par les pays tiers crée un précédent pour la rupture des relations diplomatiques avec Bonn. 64 SIEBS, Benno-Eide, Die Aussenpolitik…, op.cit., p. 19. 65 Ibid. 66 Voir: LUDZ, Peter Christian, Parteielite im Wandel, Funktionsaufbau, Sozialstruktur und Ideologie der SED- Führung, eine empirisch-systematische Untersuchung, Opladen, Westdeutscher Verlag, 1968. L’auteur insiste sur la spécificité de l’ « élément national » en Allemagne de l‘Est et considère que l’un des buts du SED est d’utiliser son intégration au bloc de l’Est pour « obtenir des positions avantageuses » hors d’Europe. Voir aussi : LUDZ, Peter Christian, Die DDR zwischen Ost und West. Politische Analysen 1961 bis 1976, Munich, Verlag C.H. Beck, 1977, p. 247 et p. 262-263.

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Joachim Glaessner67 postulent l’existence d’une société est-allemande autonome du parti et de l’Etat et insistent sur la nécessité d’étudier la RDA dans son contexte propre68. En 1969, Walter Osten publie l’une des premières grandes études consacrées à la politique étrangère est-allemande, qui met en exergue les buts particuliers de cette dernière. Il souligne l’intérêt croissant que la RDA accorde aux pays arabes, et notamment à l’Egypte, depuis la mise en place des relations diplomatiques entre l’Allemagne de l’Ouest et Israël en 196569. Dans la même lignée, Heinrich End70 étudie les spécificités de la politique étrangère est-allemande, qui se déploie dans le cadre du conflit germano-allemand. D’autres auteurs, comme Anita Dasbach Mallinckrodt ou Johannes Kuppe, définissent également la politique extérieure est- allemande comme étant avant tout une fonction de la politique intérieure71 : en effet, tant que la RFA est « jugée comme le danger le plus important »72, toute politique étrangère est d’abord une politique allemande. Ainsi, dans l’ensemble de ces travaux, même lorsqu’il s’agit d’étudier spécifiquement les liens entre la RDA et les Etats non-socialistes ou du Tiers-monde, ce sont toujours les relations germano-allemandes qui restent au centre des préoccupations des scientifiques73.

Au cours des années 1970-1980, on constate un certain essor des publications occidentales consacrées à l’activité est-allemande à l’étranger ; parmi elles, un nombre non négligeable d’études porte sur les relations entre la RDA et les pays arabes. Ces dernières sont regroupées en 1971 dans le sixième tome de la série d’ouvrages intitulée Die Tätigkeit der

67 Voir par exemple: GLAESSNER, Gert-Joachim, Sozialistische Systeme: Einführung in die Kommunismus- und DDR-Forschung, Opladen, Westdeutscher Verlag, 1982. 68 KOTT, Sandrine, « Introduction thématique », op.cit., p. 6. 69 OSTEN, Walter, Die Aussenpolitik der DDR…, op.cit., p. 82. 70 END, Heinrich, Zweimal deutsche Aussenpolitik : Internationale Dimensionen des innerdeutschen Konflikts, 1949-1972, Cologne, Wissenschaft und Politik Berend von Nottbeck, 1972. 71 Voir les contributions de ces auteurs lors de la quatrième session de la série de congrès sur l’état de la recherche est-allemande, organisée par l’Académie de culture politique de Tutzing, en RFA, en juin 1971, et qui a pour thème la politique étrangère de la RDA. « Aussenpolitik und Aussenbeziehungen der DDR ». Vierte Tagung zum Stand der DDR-Forschung in der Bundesrepublik, 1. bis 4. Juni 1971, Referate, Deutschland Archiv, 4. Jg.; Sonderheft, Cologne, Verlag Wissenschaft und Politik, 1971. 72 WENKEL, Christian, « En quête permanente… », op.cit., p. 53. 73 De ce point de vue, voir le titre emblématique de l’ouvrage suivant: SPANGER, Hans-Joachim, BROCK, Lothar, Die beiden deutschen Staaten in der Dritten Welt : die Entwicklungspolitik der DDR- eine Herausforderung für die Bundesrepublik Deutschland?, Opladen, Westdeutscher Verlag, 1987 (Les deux Etats allemands dans le Tiers-monde: la politique de développement de la RDA –un défi pour la République fédérale d’Allemagne?).

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DDR in den nicht kommunistischen Ländern74 : ce volume, dirigé par Siegfried Kupper, s’intéresse spécifiquement aux liens existant entre la RDA, les pays arabes et Israël. Hormis cette publication, l’ouvrage de référence sur la politique extérieure est-allemande reste le recueil dirigé par Hans Adolf Jacobsen et publié en 1979, qui revient sur trente ans d’activité de la RDA à l’étranger. La contribution de Bernard von Plate y traite spécifiquement de la présence de Berlin-Est au Moyen-Orient et propose une première périodisation de son action dans la région. L’auteur souligne notamment la place croissante des impératifs économiques dans la mise en œuvre de la politique étrangère est-allemande au cours des années 197075. La synthèse dirigée par Hans-Adolf Jacobsen doit pourtant composer avec l’absence de sources est-allemandes.

De ce point de vue, la disparition de l’Allemagne de l’Est marque un tournant majeur. Après l’effondrement du bloc communiste et la réunification allemande76, l’ouverture des archives de l’ancienne RDA dans la première moitié des années 1990 et l’accès très large dont elles font l’objet, apportent une quantité d’informations qui « permettent de passer des hypothèses aux certitudes »77. Les formules ne manquent pas pour qualifier le « changement de paradigmes »78 dont bénéficie à partir de ce moment-là la recherche consacrée à l’histoire de la RDA : véritable « révolution archivistique »79, la soudaine profusion de sources à laquelle est confronté l’historien ouvre la voie à une « nouvelle situation interprétative »80, l’Allemagne de l’Est devenant désormais objet d’histoire. La recherche sur la politique étrangère de la RDA peut dès lors s’appuyer sur un corpus documentaire extrêmement abondant, dont Sandrine Kott rappelle qu’il « serait d’ailleurs illusoire de vouloir venir à bout »81. Les sources soviétiques restant inaccessibles, l’historien ne peut néanmoins répondre que partiellement à la question de la marge de manœuvre réelle dont dispose le régime de

74 KUPPER, Siegfried, unter Mitarbeit von YENAL Alparslan und ZASTROW Roswitha, Die Tätigkeit der DDR in den nichtkommunitischen Ländern, VI. Arabische Staaten und Israël, Bonn, Forschungsinstitut des Deutschen Gesellschaft für Auswärtige Politik, 1971. 75 PLATE, Bernard von, « Der Nahe und der Mittlere Osten…», op.cit., p. 676. 76 Celle-ci a lieu le 3 octobre 1990. 77 JARDIN, Pierre, « Nouvelles archives, nouvelle histoire ? … », op.cit., p. 135. 78 SCHOLTYSECK, Joachim, Die Aussenpolitik der DDR. Enzyklopädie deutscher Geschichte, Band 69, Munich, R. Oldenbourg, 2003, p. 55. 79 FRANCOIS, Etienne, « Révolution archivistique et réécriture de l’histoire : l’Allemagne de l’Est », in : ROUSSO, Henry (dir.), Stalinisme et nazisme. Histoire et mémoire comparées, Bruxelles, Complexe, 1999, p. 331-352. 80 ROWELL, Jay, « L’étonnant retour du ″totalitarisme″. Réflexions sur le ″tournant″ de 1989 et l’historiographie de la RDA », in : Politix, 1999, vol. 12, n°47, p. 131-150. 81 KOTT, Sandrine, « Introduction thématique », op.cit., p. 7.

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Berlin-Est au sein du Bloc de l’Est. Si le tournant des années 1990 permet d’enrichir la recherche historique consacrée à la RDA, il convient toutefois de rappeler que les travaux scientifiques sont « loin de manifester le même intérêt pour tous les domaines de recherche et pour toutes les phases de [l’] histoire [est-allemande] »82. Ulrich Mählert ou Hermann Weber rappellent ainsi que depuis 1990, la recherche consacrée à l’ancienne Allemagne de l’Est privilégie certains pans de l’histoire politique, économique et sociale, mais reste beaucoup plus lacunaire en ce qui concerne le domaine de la de politique étrangère83. De même, les travaux délaissent les années 1960-1970 au profit d’études consacrées aux phases initiale et finale de la RDA. L’ensemble des chercheurs allemands et étrangers s’accorde alors à reconnaître que l’analyse de la politique extérieure de la RDA, tout comme celle des démocraties populaires, « reste à faire »84. Dans le cadre de cette étude, deux axes retiennent désormais l’attention des historiens. Le premier insiste sur la nécessité d’élargir une vision qui s’était focalisée sur les structures internes de la RDA, afin de mettre en lumière les relations entretenues par le régime avec les acteurs soviétiques et est-européens. Cette approche vise d’une part à reconstituer le processus décisionnel en matière de politique étrangère, en s’intéressant aux circuits de transmission des directives et à l’articulation des pôles de pouvoir, et d’autre part à apprécier les éventuels décalages et les possibles conflits d’intérêts entre les acteurs impliqués (diplomates, idéologues, industriels…). Le second axe cherche à évaluer le rôle de l’idéologie marxiste-léniniste dans la mise en œuvre de la politique étrangère et la défense des intérêts nationaux. Il s’agit ainsi de déterminer si l’idéologie s’apparente davantage au fondement de la prise de décision politique ou à l’instrument de la domination du SED.

Dans ce cadre, les premières grandes synthèses réalisées sur la politique étrangère de la RDA sont celles de Benno-Eide Siebs en 1999 et d’Ingrid Muth en 2000. Fondée sur l’analyse systématique des archives est-allemandes et notamment des sources orales, l’étude de Benno- Eide Siebs reste une référence incontournable dans la recherche sur l’activité à l’étranger de la RDA. Le travail d’Ingrid Muth, ancienne collaboratrice au ministère des Affaires étrangères

82 WEBER, Hermann, « L’état de la recherche… », op.cit., p. 24. 83 Voir à ce sujet la recension faite par Hermann Weber des travaux de recherche consacrés à l’histoire de la RDA depuis 1990 ainsi que l’évaluation des besoins et des perspectives dans ce domaine dans WEBER, Hermann, « L’état de la recherche… », op.cit., p. 22-27. Hermann Weber s’appuie notamment sur la première recension effectuée par Ulrich Mählert dans : MÄHLERT, Ulrich (dir.), Vademekum der DDR-Forschung. Ein Leitfaden zu Archiven, Forschungseinrichtungen, Bibliotheken, Einrichtungen der politischen Bildung, Vereinen, Museen und Gedenkstätten, Opladen, Leske und Budrich, 1997. 84 MARES, Antoine, « Archives et étude… », op.cit., p. 116.

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est-allemand (Ministerium für Auswärtige Angelegenheiten, MfAA), possède une valeur scientifique reconnue par l’ensemble des spécialistes de l’Allemagne de l’Est, qui lui reprochent néanmoins d’avoir surestimé le poids politique du MfAA dans le système de domination du SED. Hormis ces grandes synthèses, quelques ouvrages spécialisés s’intéressent plus précisément aux relations qui existent entre la RDA et certains pays ou aires régionales. Le bilan de l’état de la recherche sur la politique étrangère est-allemande dressé en 2003 par Johannes Kuppe recense les principaux travaux publiés dans ce domaine85. Les analyses consacrées à la politique est-allemande dans les Etats non socialistes ou le Tiers- monde restent peu nombreuses ; parmi elles, les liens de Berlin-Est avec l’Afrique, les pays arabes et Israël sont les plus étudiées. Un certain nombre de travaux, comme ceux de Michael Lemke86, Jan Lorenzen87, Kai Hafez88, Wolfgang Schwanitz89 ou encore Franck Müller90, s’intéresse tout particulièrement aux relations entre la RDA et les pays moyen-orientaux, tandis que d’autres publications, comme celles de Stefan Meining91, Angelika Timm92 ou Peter Ullrich93, étudient plus spécifiquement la position est-allemande à l’égard du conflit israélo-arabe. Globalement néanmoins, la politique moyen-orientale de la RDA reste à la périphérie de la recherche sur l’ancienne Allemagne de l’Est. Les travaux consacrés à ce domaine restent peu nombreux lorsqu’on les compare à ceux qui portent sur la politique

85 KUPPE, Johannes L., « Die Aussenpolitik der DDR », in : EPPELMANN, Rainer, FAULENBACH, Bernd, MÄHLERT, Ulrich, (dir.), Bilanz und Perspektiven der DDR-Forschung, Paderborn, Schöningh, 2003, p. 318 et suivantes. 86 LEMKE, Michael, « Der Nahe Osten, Indien und die Grotewohlreise von 1959. Zur Anerkennungspolitik der DDR in der zweiten Hälfte der fünfziger Jahre », in: Asien, Afrika, Lateinamerika, 1993, n° 20, p. 1027-1042. 87 LORENZEN, Jan, « Die Haltung der DDR zum Suez-Krieg. Das Jahr 1956 als Zäsur in der Nahost-Politik der DDR », in: Deutschland-Archiv, 1995, n° 28, p. 278-285. 88 Voir par exemple : HAFEZ, Kai, « Von der nationalen Frage…», op.cit., p. 77-95. 89 Voir, entre autres : SCHWANITZ, Wolfgang G. (dir.), Berlin-Kairo : Damals und Heute. Zur Geschichte deutsch-ägyptischer Beziehungen, Berlin, DÄG, 1991 ; SCHWANITZ, Wolfgang G. (dir.), Comparativ. Deutschland und der mittlere Osten im Kalten Krieg, 2006/2. 90 MÜLLER, Franck, « Ägypten und DDR : Parallelen einer Entwicklung », in : SCHWANITZ, Wolfgang G. (dir.), Berlin-Kairo : Damals und Heute…, op.cit., p. 19-29. 91 MEINING, Stefan, Kommunistische Judenpolitik. Die DDR, die Juden und Israel, Hambourg, Lit. Verlag Münster, 2002. 92 TIMM, Angelika, Hammer, Zirkel, Davidstern : das gestörte Verhältnis der DDR zu Zionismus und Staat Israel, Bonn, Bouvier Verlag, 1997. 93 ULLRICH, Peter, Begrenzter Universalismus : Sozialismus, Kommunismus, Arbeiter(innen)bewegung und ihr schwieriges Verhältnis zu Judentum und Nahostkonflikt, Berlin, AphorismA-Verlagsbuchhandlung, 2007.

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ouest-allemande dans la région : Sven Olaf Berggötz propose d’ailleurs une bibliographie conséquente des études s’intéressant aux liens entre la RFA et le monde arabe94.

Depuis 1990, le développement de publications « désidéologisées »95 concernant l’activité est-allemande au Moyen-Orient témoigne cependant d’un regain d’intérêt notoire pour ce champ d’étude et inaugure toute une série de pistes de recherches : les liens diplomatiques, économiques et culturels entre les pays du Pacte de Varsovie et les Etats moyen-orientaux, la formation de techniciens et de militaires arabes en Allemagne de l’Est, la propagation des idées socialistes au Moyen-Orient, le rôle du bloc de l’Est dans le financement et le soutien du terrorisme international ou encore l’influence de l’arsenal conceptuel socialiste et « anti-impérialiste » sur les futurs « islamistes »96.

Notre thèse s’insère dans la continuité de tels axes de recherches. Elle s’inscrit dans le cadre d’un double renouvellement historiographique : celui des études sur la politique étrangère des démocraties populaires, et plus particulièrement de la RDA, et celui des recherches transnationales sur le bloc de l’Est, nées dans un contexte « post-guerre froide »97 et qui s’intéressent notamment aux « transferts culturels »98.

En France, le renouvellement des études historiques consacrées aux démocraties populaires et à la Guerre froide constitue « une pièce importante apportée aux rapports Est/Ouest »99. Les chercheurs s’intéressent tout particulièrement à la mise en œuvre des politiques étrangères des pays de l’Est et aux formes de réappropriations nationales du modèle soviétique. Antoine Marès rappelle ainsi que l’économie et la culture sont souvent les

94 BERGGÖTZ, Sven Olaf, Nahostpolitik in der Ära Adenauer, Möglichkeiten und Grenzen, 1949-1963, Forschungen und Quellen zur Zeitgeschichte, vol. 33, Düsseldorf, Droste Verlag, 1998, p. 473-513. 95 HAFEZ, Kai, Orientwissenschaft in der DDR…, op.cit., p. 55. 96 François Burgat notamment évoque ces liens, dans l’ouvrage suivant : BURGAT, François, L’islamisme en face, Paris, La Découverte, Edition 2002 mise à jour. 97 KOTT, Sandrine, FAURE, Justine, « Présentation », op.cit., p. 2. 98 En ce qui concerne les démocraties populaires, ce chantier est encore très récent. Voir : MARES, Antoine, « Introduction », in : MARES, Antoine (dir.), Culture et politique étrangère des démocraties populaires, op.cit., p. 12. Il faut toutefois rappeler que Michel Espagne et Michael Werner avaient déjà théorisé la notion de transfert culturel, dans le sillage des recherches historiques portant sur les relations entre culture et relations internationales. Voir : ESPAGNE, Michel, WERNER, Michael (dir.), Transferts : les relations interculturelles dans l’espace franco-allemand (XVIIIe et XIXe siècle), Paris, Ed. Recherche sur les civilisations, 1988, référence citée dans : FRANK, Robert, « Penser historiquement les relations internationales », in : Annuaire français de relations internationales, vol.4, Bruxelles, 2003, p. 47. 99 MARES, Antoine (dir.), Culture et politique étrangère des démocraties populaires, op.cit., p. 8.

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vecteurs privilégiés de l’autonomie des Etats socialistes100. Dans le cas précis de notre étude, le choix de la relation bilatérale offre un point d’observation opérant : à partir des liens spécifiques entre la RDA et l’Egypte, il est en effet possible de « mettre en lumière les articulations du niveau local et du niveau international »101, puisque « dans tout rapport bilatéral intervient, sous une forme ou une autre, une médiation »102. La construction et l’évolution des relations égypto-est-allemandes ne peuvent se comprendre sans avoir recours à l’articulation des appartenances régionales et internationales, qui font intervenir simultanément la RFA, l’URSS, les Etats-Unis et Israël. Un tel travail permet ainsi de dépasser la lecture Est/Ouest de la Guerre froide, en choisissant un angle encore peu exploré, celui des relations Est/Sud103.

Parallèlement, le développement des études transnationales permet d’élargir les perspectives de la recherche sur la Guerre froide. Selon Sandrine Kott, l’approche en termes de transferts culturels est utile en ce qu’elle « privilégie l’analyse des médiateurs et les formes de réappropriation des biens et des modèles »104 et met en lumière la nécessité d’étudier aussi bien le « contexte d’accueil » que le « contexte émetteur ». En s’intéressant aux processus de transmissions et de réappropriations de slogans mobilisateurs ainsi qu’aux mécanismes de circulations et d’échanges (qu’ils soient syndicaux, culturels ou commerciaux), notre étude entend évaluer, dans la mesure du possible, les effets suscités par le développement des relations bilatérales, en RDA et en Egypte. De ce point de vue, ce travail est aussi une contribution à l’histoire des gauches en Egypte, puisque les sources dont nous disposons nous permettent surtout d’apprécier les relations qui existent entre les acteurs est-allemands et les sympathisants des différents courants de la gauche égyptienne. En France, les travaux consacrés à la politique étrangère égyptienne restent relativement peu nombreux et concernent principalement la période nassérienne, notamment en raison de la difficulté d’accès aux sources. Toutefois, des études récentes s’intéressent à l’histoire des gauches en Egypte et mettent en lumière son inscription dans les mouvements internationalistes des XIXe et XXe

100 MARES, Antoine, « Introduction », op.cit., p. 8. Voir aussi les contributions de Aniko Macher et Petr Zidek lors du colloque organisé par l’IRICE : « La politique étrangère de l’URSS et des démocraties populaires après 1945 », 27 et 28 mai 2011, Paris, Institut d’Etudes Slaves. 101 GOMART, Thomas, « La relation bilatérale… », op.cit., p. 68. 102 Ibid. 103 Sur ce thème, voir les apports du colloque international organisé par l’UMR IRICE et le Réseau international de jeunes chercheurs en histoire de l’intégration européenne : « De Moscou à Madrid, du Caire à Berlin-Est. Les pays d’Europe orientale et la Méditerranée. Relations et regards croisés, 1967-1989 », Paris, Maison de la Recherche, 2 et 3 février 2012. 104 KOTT, Sandrine, FAURE, Justine, « Présentation », op.cit., p. 4.

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siècles105. De telles recherches soulignent les formes d’articulation entre luttes nationalistes, mobilisations socialistes ou marxistes et islamisme politique106, dans la lignée de travaux de Maxime Rodinson qui pointait les mécanismes ponctuels de « concordisme » entre le communisme et l’islam107. Finalement, ce travail invite à reconsidérer la pertinence de la catégorie d’analyse « Guerre froide », du point de vue des pays du Sud108 : la politique de l’Egypte n’est pas guidée en premier lieu par l’antagonisme des blocs, mais par des intérêts nationaux qui résultent de ses spécificités historiques, de son passé colonial et de ses nouveaux impératifs économiques. D’ailleurs, quelle que soit l’échelle considérée (Etat, partis, mouvements associatifs et syndicaux), les acteurs instrumentalisent le contexte international pour répondre à leurs propres aspirations. L’analyse des relations bilatérales entre la RDA et l’Egypte apporte un éclairage possible sur ces questions car elle conduit nécessairement à s’interroger sur les effets des interactions idéologiques entre deux Etats et deux sociétés aux présupposés historiques, culturels et/ou religieux souvent radicalement différents.

Sources et méthode

Notre travail s’est fondé sur l’analyse et la confrontation de plusieurs types de sources109. Notre corpus principal est constitué par les archives est-allemandes, consultables à Berlin et à Fribourg : archives du ministère des Affaires étrangères, du parti du SED et des organisations de masse, de la Stasi et du ministère de la Défense. Nous avons aussi utilisé les

105 Voir notamment l’ouvrage collectif « Les Gauches en Egypte, XIXe-XXe siècles », in : Cahiers d’histoire, revue d’histoire critique, n°105-106, juillet-décembre 2008, et plus particulièrement les travaux de Didier Monciaud sur les archives des gauches égyptiennes : MONCIAUD, Didier, « Un travail de mémoire de la gauche égyptienne. Entretien avec Ramses Labib, coordinateur du Comité des archives du mouvement communiste (jusqu’à 1965) », in : Cahiers d’histoire. Revue d’histoire critique, 2002, n° 86, p. 115-123 ; « Le fonds Moyen-Orient de l’Institut international d’histoire sociale à Amsterdam », in : Cahiers d’histoire. Revue d’histoire critique, 2002, n° 89, p. 101-109. 106 A ce sujet, voir par exemple les analyses de : DOT POUILLARD, Nicolas, « Rapports entre mouvements islamistes, nationalistes et de gauche au Moyen-Orient arabe », in : DUTERME, Bernard (dir.), Monde arabe : Etat des résistances dans le Sud-2010, Paris, Syllepse, janvier 2010, p. 150-160. 107 RODINSON, Maxime, Marxisme et monde musulman, Paris, Editions du Seuil, 1972, p. 167. 108 Wiebke Bachmann remet par exemple en cause la pertinence de la notion de « Guerre froide » pour éclairer les politiques intérieures et internationales des pays du Sud. Voir : BACHMANN, Wiebke, « Tel Aviv, 1948 : Nationale Interessen und sowjetischer "Antiimperialismus" », in: HILGER, Andreas, Die Sowjetunion und die Dritte Welt. UdSSR, Staatsozialismus und Antikolonialismus im Kalten Krieg, 1945-1991, Schriftenreihe der Vierteljahrshefte für Zeitgeschichte, Munich, R. Oldenbourg, 2009, p. 19. 109 Dans la mesure du possible, nous avons fait en sorte de citer le texte original, en allemand, en notes infrapaginales. Cela n’est pas systématique cependant. En effet, en fonction du type de sources, les copies ou photographies ne sont pas toujours autorisées dans les centres d’archives : pour des raisons évidentes de temps, nous avons dans ces cas-là privilégié une traduction directe, sur place. De même, tous les documents n’ayant pas de titre explicite, nous avons pris le parti, ponctuellement, de préciser leur teneur en français, en sus de la référence à la cote.

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fonds des organisations égyptiennes de gauche qui sont déposés à l’International Institut of Social History (IISH) d’Amsterdam et certains des fonds collectés par la Bibliothèque de Documentation Internationale Contemporaine (BDIC) de Nanterre (fonds Jacques Delarue et discours de Sadate notamment). Parmi la presse, nous avons consulté des journaux est- allemand (Neues Deutschland, quotidien de référence du régime de Berlin-Est), ouest- allemand (l’hebdomadaire der Spiegel) et égyptiens (en arabe, comme al-Ahram, al- Goumhouria, Rose al-Youssef ou en français, comme Le Progrès égyptien). Enfin, nous avons pu profiter de la publication des mémoires de nombreux acteurs politiques de notre période, impliqués d’une manière ou d’une autre dans les relations égypto-est-allemandes.

La constitution d’un corpus de sources cohérent et susceptible de fonder l’étude de la politique étrangère est-allemande en Egypte se heurte d’emblée à un certain nombre d’écueils.

Le premier concerne la nature des archives provenant de la RDA. Celles-ci ont bien évidemment constitué notre corpus principal, puisque notre thèse porte sur les modalités, les spécificités et les évolutions de la politique est-allemande en Egypte. Si l’accès à ces sources se révèle crucial pour mener à bien une telle recherche, deux obstacles condamnent cependant l’entreprise de l’historien à rester fragmentaire : d’une part les restrictions d’accès dont font l’objet les archives soviétiques et d’autre part le fait que, contrairement aux documents de la RDA, les archives de la RFA soient soumises au délai d’interdiction de trente ans, véritable « anomalie » selon Hermann Weber110.

Comme le rappelle Pierre Jardin111, l’étude des relations extérieures de la RDA peut se faire à partir de trois grands ensembles de sources, dont la valeur et l’accessibilité sont certes inégales mais qu’il importe de confronter néanmoins : les archives de l’ancien MfAA, déposées au politisches Archiv de l’Auswärtiges Amt112, les archives du parti du SED, des ministères et des organisations de masse, rassemblées aux archives fédérales de Berlin- Lichterfelde et administrées par la fondation SAPMO113, et enfin les archives du ministère de la Sécurité d’Etat (Ministerium für Staatsicherheit, MfS), la fameuse Stasi114. On peut ajouter à ce corpus les archives militaires, déposées à Fribourg, dans une partie autonome du

110 WEBER, Hermann, « L’état de la recherche… », op.cit., p. 16. 111 JARDIN, Pierre, « Nouvelles archives, nouvelle histoire ? … », op.cit., p. 137. 112 Le service des archives du ministère des Affaires Etrangères, à Berlin. 113 Stiftung Archiv der Parteien und Massenorganisationen. 114 Les archives de la Stasi sont placées sous l’autorité d’un chargé de mission nommé par le gouvernement fédéral, le Bundesbeauftragte für die Unterlagen der Staatssicherheit der ehemaligen deutschen demokratischen Republik. Elles se situent à Berlin.

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Bundesarchiv qui conserve notamment les documents de l’armée populaire nationale (Nationale Volksarmee) et du ministère de la Défense nationale (Ministerium für Nationale Verteidigung, MfNV).

Si ces archives sont de natures variées, elles constituent néanmoins un corpus unique, en raison du caractère autoritaire et centralisé du régime est-allemand. En dernière instance, ce sont en effet le Bureau politique et le Comité central du SED qui décident de l’orientation de la politique étrangère est-allemande, à tous ses niveaux. Les archives institutionnelles, diplomatiques, policières, ainsi que les documents émanant des organisations de masse est- allemandes (ligues d’amitié, syndicats) reflètent donc tous, à divers degrés, les grandes lignes politiques déterminées en amont par le SED. Face à un tel constat, deux possibilités s’offrent à l’historien. La première consiste à confronter ce corpus avec d’autres types de sources. C’est ce que nous nous sommes efforcé de faire, bien que cette entreprise soit compliquée par les restrictions d’accès dont font l’objet les archives russes et égyptiennes. La seconde consiste à comparer les documents est-allemands entre eux, en tentant de voir si la confrontation entre les documents issus d’administrations ou d’organisations différentes - et parfois rivales -, fait apparaître une parfaite concordance de vues ou au contraire d’éventuelles divergences ou de possibles conflits d’intérêts. De même, au sein d’une même institution, il s’agit d’étudier la transmission d’informations d’un échelon à l’autre et de voir si l’ensemble des acteurs partage la même vision de l’activité est-allemande en Egypte, poursuit les mêmes buts et s’accorde sur les méthodes à employer. En effet, « à l’arrière-plan des structures décisionnelles centralisées, la coopération entre [l]es différentes institutions étatiques ne va pas toujours sans difficultés »115. Un tel travail nécessite cependant une grande prudence : les décalages de points de vue ou les conflits d’intérêts sont rares et difficilement visibles dans les archives produites par une dictature. Cela les rend d’autant plus repérables et conduit facilement le chercheur à vouloir les mettre en valeur. Il convient alors de ne pas leur donner une place disproportionnée, ce qui reviendrait à donner la priorité aux exceptions, dans un contexte où la mise en œuvre de la politique étrangère est très généralement conforme aux directives du régime central.

Les archives du MfAA (Ministerium für Auswärtige Angelegenheiten) Les archives de l’ancien MfAA sont les seules sources est-allemandes à être régies par la règle d’ouverture soumise au délai de trente ans. Nous n’avons donc pu les consulter que

115 SIEBS, Benno-Eide, Die Aussenpolitik…, op.cit., p. 90.

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jusqu’au début des années 1980. Cette restriction est cependant relative, puisqu’un certain nombre des documents concernés a en réalité circulé d’une administration à l’autre et se trouve également dans des fonds accessibles, comme ceux du SED ou de la Stasi. Le MfAA est l’un des acteurs incontournables de l’activité est-allemande à l’étranger : chargé de la « préparation scientifique » des décisions, de la rédaction des traités et de l’organisation du service diplomatique est-allemand116, il a pour mission de préparer et de coordonner la mise en œuvre de la politique étrangère. Le ministère se compose de nombreux départements, qui se subdivisent à leur tour en domaines de compétences fonctionnels et régionaux. Parmi ces derniers, celui qui nous a tout particulièrement intéressé est le département du Proche- et du Moyen-Orient, et notamment le secteur Egypte, Soudan, Libye (Abteilung Naher- und Mittlerer Osten, Sektor Ägypten, Sudan, Libyen), dont les archives sont réunies au sein de la série L 187117. Le département du Proche- et du Moyen-Orient rassemble tous les documents ayant trait aux relations entre la RDA et l’Egypte, qu’il s’agisse de ceux qui émanent directement des acteurs est-allemands présents en Egypte ou de ceux élaborés par les fonctionnaires du MfAA, à Berlin. Les archives se composent ainsi des correspondances entre les diplomates est-allemands au Caire et le MfAA, des rapports d’information de l’ambassade, des comptes-rendus de conversations entre les acteurs est-allemands et leurs homologues égyptiens, des analyses de la situation en Egypte et des relations bilatérales élaborées en interne au sein du MfAA, après consultation et reconstitution des informations collectées auprès de l’ambassade du Caire et enfin des propositions et plans d’actions établis pour définir les actions prioritaires en Egypte. Elles contiennent également un certain nombre de documents liés à la pratique diplomatique, comme les échanges de vœux officiels et les télégrammes de félicitations ou de condoléances.

Au sein du MfAA, le département du Proche- et du Moyen-Orient collabore bien sûr avec l’ensemble des autres départements. Par conséquent, les archives regroupent aussi des documents à destination ou en provenance de l’ensemble des secteurs mobilisés par l’activité est-allemande en Egypte, comme le département des relations culturelles avec l’étranger (notamment lorsqu’il s’agit d’élaborer les plans annuels de travail culturel), le département de l’information à l’étranger ou encore le département du protocole.

116 Ibid., p. 91. 117 MfAA Akten, Hauptgruppe 2 : Auswärtige Politik der DDR, Abteilung Naher und Mittlerer Osten, L 187 : Sektor Ägypten, Sudan, Libyen.

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Enfin, puisque le MfAA a pour mission de coordonner l’action des autres organes ministériels ou associatifs, lorsqu’ils sont impliqués dans l’exécution de la politique étrangère, on trouve parfois au sein des archives du département du Proche- et du Moyen-Orient des documents à destination ou en provenance des services des affaires extérieures des différentes organisations avec lesquelles il correspond, par exemple ceux des ministères du Commerce extérieur et de la Culture, ou encore ceux des Ligues d’amitié.

En plus de la série L 187, consacrée tout particulièrement aux relations entre la RDA et l’Egypte, nous avons aussi consulté un certain nombre de documents issus du secteur Palestine (Sektor Palästina) du département du Proche- et du Moyen-Orient, rassemblés sous la série L 198118, lorsque ces derniers nous semblaient pouvoir éclairer notre travail. Toutes ces archives sont accessibles en microfiches.

En réalité, le MfAA a surtout un rôle de coordination : il est chargé de relayé les directives du SED, véritable organe exécutif et dirigeant. Les discussions menées au sein du Comité central du Parti sont à l’origine des orientations fondamentales de l’activité est- allemande à l’étranger, les différentes sections dépendant du Secrétariat du Comité central doublant les ministères. Le rôle du Conseil des ministres est au fond relégué à celui de chambre d’enregistrement et les ministres font surtout figure d’agents d’exécution de la ligne décidée par le Secrétaire général et ses conseillers. Dès lors, l’étude de l’activité est- allemande en Egypte ne peut faire l’économie de la consultation des archives du parti.

Les archives du SED et des organisations de masse (SAPMO-Barch) Ces fonds d’archives absolument considérables sont tout à fait déterminants pour notre travail car le « parti tient en mains les clés de la décision, alors que les ministères ont [seulement] un rôle de conseil et d’exécution »119. En outre, l’accès à de tels documents permet de compléter la chronologie des relations bilatérales égypto-est-allemandes, puisque contrairement aux archives du MfAA, ces derniers ne sont pas soumis au délai de trente ans et sont donc consultables jusque 1989-1990.

La majorité des documents est constituée d’originaux, sous forme imprimée. On trouve néanmoins de temps en temps certains ajouts ou notes manuscrits, en marge des sources principales. Certaines archives sont accessibles sous forme de microfilms et microfiches, en

118 MfAA Akten, Hauptgruppe 2 : Auswärtige Politik der DDR, Abteilung Naher und Mittlerer Osten, L 198 : Sektor Palästina. 119 JARDIN, Pierre, « Nouvelles archives, nouvelle histoire ? … », op.cit., p. 140.

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particulier les documents issus du ministère du Commerce extérieur. Face à la formidable masse documentaire représentée par ces sources, les moteurs de recherches en ligne du site des archives fédérales allemandes (bundesarchiv.de) permettent d’effectuer une première recension des documents évoquant, de près ou de loin, la question de l’Egypte (ARGUS, Findbücher online).

Parmi les documents que nous avons consultés, on peut différencier plusieurs échelons de compétences. La série DY 30 s’est révélée capitale pour notre travail, car elle concerne les organes centraux de la politique étrangère est-allemande.

Le premier niveau de décision est celui du Comité central (Zentralkomitee) du SED et des organes qui en dépendent, le Bureau politique (Politbüro) et le Secrétariat (Sekretariat). Pierre Jardin rappelle qu’il est « souvent difficile, voire impossible, de reconstituer les étapes du processus et de cerner les raisons qui amènent au choix d’une option parmi d’autres possibles »120, car les décisions sont prises en amont des réunions entre le Premier Secrétaire et les membres du Bureau politique concernés par la question examinée. Toutefois, les documents émanant du Comité central (ZK der SED), du Bureau politique (Politbüro ; Protokolle Politbüros des ZK der SED), et des bureaux de certains dirigeants (Büro Erich Honecker, Büro Egon Krenz, Büro Margaret Müller, Büro Werner Felfe, Büro Werner Jarowinsky, Büro Günter Mittag) permettent de connaître les questions à l’ordre du jour dans le domaine des relations avec l’Egypte et de reconstituer ainsi la chronologie détaillée des prises de décision. Il est vrai néanmoins que ces archives ne sont pas celles qui apportent le plus d’informations, ni en ce qui concerne le contenu des relations bilatérales, ni en ce qui concerne la collaboration entre les différents organes est-allemands impliqués dans la mise en œuvre de la politique étrangère.

Le second niveau de décision est celui des sections de l’appareil administratif du Comité central : toutes sont impliquées, à différents titres, dans les affaires étrangères, mais la plus importante est la section des relations internationales (Abteilung Internationale Verbindungen im ZK der SED), également appelée département IV (Abteilung IV). Tandis que le MfAA est compétent pour les aspects étatiques de la politique étrangère, le département IV s’occupe en priorité des relations entre le SED et les autres partis121, qu’il s’agisse des partis- frères dans les Etats socialistes ou capitalistes ou des partis progressistes des Etats en

120 Ibid. 121 A l’exception des partis de RFA. Voir : SIEBS, Benno-Eide, Die Aussenpolitik…, op.cit., p. 91.

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développement. Le rôle du département IV est essentiel dans la mise en œuvre de la politique étrangère est-allemande, en Egypte comme ailleurs, puisque le ministre du MfAA doit d’abord obtenir son approbation, avant de soumettre ses propositions au Bureau politique et au Secrétaire du Comité central pour les relations internationales122. De ce point de vue, les archives du département IV revêtent un intérêt majeur : elles apportent des informations abondantes et souvent plus précises que celles du Bureau politique, en particulier sur les relations existant entre le SED et les différents partis égyptiens. Elles permettent ainsi de comprendre quels sont les interlocuteurs privilégiés de Berlin-Est en Egypte et d’évaluer la part de l’idéologie dans la mise en œuvre de la politique étrangère : selon la période et les enjeux, la RDA donne la priorité aux contacts avec les partis progressistes d’opposition légale ou au contraire avec les organisations communistes clandestines, réprimées par le pouvoir égyptien. Globalement néanmoins, l’étude des relations entre le SED et les partis progressistes égyptiens permet de mettre en lumière le pragmatisme de la politique extérieure est-allemande et la priorité donnée au compromis plutôt qu’à l’idéologie.

Outre les archives du département des relations internationales, nous avons aussi dépouillé les archives de l’ensemble des départements du Comité central où apparaissait l’occurrence « Egypte » : les archives du département de la Culture (Abteilung Kultur im ZK der SED), du département de la formation populaire (Abteilung Volksbildung des ZK der SED), du département scientifique (Abteilung Wissenschaften), du département des Sports (Abteilung Sport des ZK der SED) et du département du commerce extérieur (Abteilung Handel, Versorgung und Aussenhandel des ZK der SED), toutes également rassemblées sous la cote DY 30. Ces documents recoupent ponctuellement les informations contenues dans les archives du MfAA, permettent donc de les compléter et de reconstituer parfois les circuits de transmission des propositions et des décisions, sur des points précis de la coopération.

En dehors des documents du parti, les archives de la SAPMO conservent aussi les sources provenant du Conseil des ministres de RDA (Ministerrat der DDR) et de plusieurs ministères. Parmi ces dernières, nous avons sélectionné l’ensemble des sources consacrées aux relations avec l’Egypte. Nous avons consulté les archives du Conseil des ministres, rassemblées sous la cote DC 20, celles du ministère de la Science et de la Technique (Ministerium für Wissenschaft und Technik, cote DF 4), du Ministère de l’Intérieur (Ministerium des Innern, cote DO 1), du Ministère de la formation populaire (Ministerium für Volksbildung, cote DR 2) et du Ministère du Commerce extérieur (Ministerium für

122 Ibid., p. 96.

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Aussenhandel, cote DL 2). La part des documents consacrés aux relations égypto-est- allemandes dans ces archives est relativement restreinte. Les sources produites par le Conseil des ministres et le ministère du Commerce extérieur apportent néanmoins un certain nombre d’informations intéressantes du point de vue de la mise en œuvre concrète des relations bilatérales. Les archives du Conseil des ministres abordent des pans extrêmement divers de la coopération, dont le commerce des armes, tandis que les archives du commerce extérieur contiennent notamment les contrats conclus par les entreprises de commerce extérieur est- allemandes avec l’Egypte (Verträge der AHB, cote DL 2 MF). Ces sources offrent donc un éclairage ponctuel sur certains points concrets de la coopération bilatérale. Elles se distinguent du mode de discours officiel et généralement très rhétorique employé par l’ensemble des acteurs diplomatiques et politiques. Elles délivrent des informations aussi bien sur la nature de l’aide technique est-allemande à l’Egypte que sur les modes de paiement privilégiés pour de telles transactions et permettent ainsi de mieux comprendre les méthodes employées par Berlin-Est pour développer sa souveraineté commerciale et monétaire.

Enfin, les archives administrées par la SAPMO regroupent les documents émis par les organisations de masse, comme la FDJ123 (Freie Deutsche Jugend, cote DY 24), la FDGB124 (Freier Deutscher Gewerkschaftsbund, cote DY 34) ou la Ligue pour l’amitié entre les peuples (Liga für Völkerfreundschaft, cote DY 13). Ces archives sont tout à fait intéressantes dans la mesure où elles mettent en lumière la dimension sociale et idéologique des relations bilatérales, qui se déploient ici hors du cadre strictement étatique : on y trouve par exemple des comptes-rendus d’échanges de délégations syndicales et d’associations de jeunesse, ainsi que des rapports sur la formation d’Egyptiens en RDA. Ces documents permettent de comprendre que la coopération idéologique s’effectue souvent à un niveau non- gouvernemental, précisément parce qu’elle est ainsi moins visible et moins contraignante.

Ponctuellement, nous avons aussi recensé quelques informations au sein des archives des services de presse, notamment celles de l’organe éditorial de la FDGB, Verlag Tribüne (cote DY 78) et celles de l’agence de presse est-allemande, l’ADN (Allgemeiner Deutscher Nachrichtendienst, cote DC 900), puisque des conventions étatiques régissent la coopération bilatérale en matière d’information. Enfin, nous avons consulté les archives du Secrétaire d’Etat pour les questions d’Eglise (Staatssekretär für Kirchenfrage, cote DO 4), car les

123 Freie Deutsche Jugend (Jeunesse allemande libre), organisation de la jeunesse est-allemande. 124 Freier Deutscher Gewerkschaftsbund, alliance syndicale est-allemande.

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associations chrétiennes est-allemandes sont tenues d’informer les autorités de RDA des relations qu’elles entretiennent avec les communautés copte et musulmane d’Egypte.

L’abondance des sources conservées par la SAPMO est à la fois extrêmement utile et embarrassante pour le chercheur: si elle offre un panorama élargi des types de relations égypto-est-allemandes (politiques, idéologiques, économiques, associatives et culturelles), elle ne permet pas forcément pour autant de reconstituer systématiquement les étapes du processus de décision, ni de trouver une cohérence globale à la répartition des types de documents (et donc de mesurer le rôle des analyses dites « scientifiques » dans l’élaboration des propositions puis des prises de décision).

Les archives de la Stasi Ces archives constituent une source importante pour l’histoire des relations extérieures de la RDA : « ministère éminemment politique »125, le MfS (Ministerium für Staatssicherheit) est en effet une instance politique centrale qui joue un rôle clé dans la définition de la ligne idéologique est-allemande et assure la protection du régime. Le ministère est « chargé en particulier de veiller à ce que les engagements internationaux de la RDA soient bien compatibles avec son idéologie et ses intérêts d’Etat membre de la communauté socialiste […] »126.

En raison du caractère sensible de tels documents et en vertu des règles de protection des personnes, ce sont les archivistes qui sélectionnent et préparent les documents pour le chercheur, même si ce dernier peut leur présenter une recension indicative des sources qui sont susceptibles de l’intéresser.

La Stasi étant présente partout (elle est impliquée dans tous les domaines et quadrille les autres administrations, y compris le MfAA et les ambassades), elle est composée de nombreuses structures aux compétences multiples, dont la responsabilité incombe soit au ministre Erich Mielke, soit à l’un des adjoints du ministre. On trouve donc des informations sur les relations avec l’Egypte dans toute une série de services internes au MfS, qu’il s’agisse des départements principaux (Hauptabteilung), des groupes de travail (Arbeitsgruppe), des bureaux (Büro) ou des départements (Abteilung).

Nous avons d’abord eu accès aux documents du département des relations internationales du ministère, le département X (Abteilung X, Internationale Verbindungen) :

125 JARDIN, Pierre, « Nouvelles archives, nouvelle histoire ? … », op.cit., p. 141. 126 Ibid.

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ce dernier est chargé de coordonner la coopération entre les services du MfS et les organes de sécurité des autres pays, notamment ceux du Moyen-Orient.

Nous avons ensuite consulté l’ensemble des documents produits par les différentes sections du ministère et qui traitent de l’Egypte au cours de la période qui nous intéresse. Cela nous a conduit à balayer les archives d’un très grand nombre de services internes au MfS, tous impliqués, de près ou de loin et à un moment ou à un autre, dans les relations bilatérales égypto-est-allemandes. Leur énumération est longue : le département principal du travail de défense au sein de l’armée populaire nationale et des troupes frontalières (HA I, Abwehrarbeit in der Nationalen Volksarmee und den Grenztruppen), le département principal de l’espionnage (HA II, Spionageabwehr), le département principal de la sécurité de l’économie populaire (HA XVIII, Sicherung der Volkswirtschaft), le département principal des transports, de la poste et des informations (HA XIX Verkehr, Post- und Nachrichtenwesen), le département principal de l’appareil d’Etat, de la culture, de l’Eglise et de la clandestinité (HA XX Staatsapparat, Kultur, Kirche, Untergrund), l’administration chargée du renseignement à l’étranger et du contre-espionnage (Hauptverwaltung Aufklärung), le groupe de travail central pour la protection du secret (ZAG, Zentrale Arbeitsgruppe Geheimnisschutz), le groupe central d’information et d‘évaluation (ZAIG, Zentrale Auswertungs- und Informationsgruppe), le secteur opérationnel et technique (OTS,Operativ-technischer Sektor), le bureau opérationnel central (ZOS, Zentraler Operativ Stab), le Secrétariat du ministre Mielke (SdM, Sekretariat des Ministers), le groupe de travail du ministre (AGM, Arbeitsgruppe des Ministers) et le groupe de travail pour la coordination commerciale (AG BKK, Arbeitsgruppe Bereich Komerzielle Koordinierung, plus souvent appelée KoKo).

La présence ponctuelle de la question des relations avec l’Egypte dans l’ensemble de ces documents n’est pas tant le reflet de l’importance des liens bilatéraux que la marque de l’implication systématique de la Stasi dans tous les domaines de la politique étrangère : administration, diplomatie, surveillance en RDA de résidents étrangers etc.

La consultation de ces archives apporte un éclairage crucial sur la mise en œuvre concrète et les objectifs prioritaires de la politique étrangère. Les documents contiennent des informations sur des aspects souvent confidentiels de la coopération bilatérale, notamment en matière d’espionnage et de commerce d’armes. Ils permettent donc d’appréhender les décalages éventuels entre la posture internationale du régime de Berlin-Est (la coexistence pacifique et le maintien de la détente) et son action concrète (la vente d’armes), mais aussi de reconstituer un tant soit peu les circuits de livraisons d’armes entre Berlin-Est et le Caire,

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notamment grâce aux télégrammes d’intermédiaires et d’entreprises chargés des transactions. Les documents mettent ainsi en lumière le rôle croissant de la KoKo (le département de la coordination commerciale au sein du MfS) au cours des années 1970 et 1980 : l’organisme joue un rôle clé dans le commerce extérieur et en particulier dans le commerce de l’armement, activité qui lui permet de rassembler le plus de devises possibles en dehors des circuits de l’économie étatique et donc de garantir la solvabilité de la RDA127.

De même, la lutte anti-impérialiste de la RDA n’étant pas exclusivement une pratique politique, mais également une pratique policière, la Stasi surveille les acteurs égyptiens venus se former en RDA. Les étudiants ou associations étudiantes font par exemple l’objet d’une surveillance étroite, par le biais de collaborateurs non officiels, les IM (informeller Mitarbeiter), qui rendent comptent au MfS des opinions politiques de ceux qu’ils épient. De ce point de vue, les archives du MfS contiennent des informations souvent plus concrètes que celles du MfAA ou du SED sur les Egyptiens présents en RDA. Elles sont tout particulièrement utiles pour avoir accès aux éventuels dysfonctionnements de la coopération, au décalage des attentes entre acteurs est-allemands et égyptiens et aux limites des transferts idéologiques, puisque les informateurs de la Stasi sont justement chargés d’évaluer le degré de familiarisation avec le marxisme-léninisme des personnes surveillées.

Enfin, une partie de ces archives aborde plus spécifiquement la question des réseaux d’activistes palestiniens128. Ces documents font état du soutien de la RDA à des groupes armés, comme celui d’Abu Daoud, dont elle condamne pourtant officiellement la politique : aide matérielle et surtout protection des militants armés, qui sont suivis à la trace, soignés et acheminés d’un pays à l’autre en cas de besoin. Les trajectoires des activistes palestiniens font l’objet d’une coopération étroite entre la RDA et les autres démocraties populaires (Hongrie, Bulgarie, Pologne, Tchécoslovaquie), ce qui nécessite de replacer l’action est-allemande dans le cadre plus global de celle du bloc de l’Est. Après la signature du traité de Camp David entre l’Egypte et Israël en 1979, ces relations infra-étatiques entre la RDA et les groupuscules palestiniens interfèrent bien évidemment dans les contacts entre le Caire et Berlin-Est. Dans le contexte de détente internationale, la rhétorique pacificatrice est-allemande et le soutien affiché à une solution politique du conflit au Proche-Orient, défendue également par l’Egypte, contrastent avec le silence de la RDA devant l’utilisation de son territoire comme base

127 LORRAIN, Sophie, « La RDA dans les années 1980 », in : SAINT SAUVEUR-HENN, Anne, SCHNEILIN, Gérard (dir.), La mise en œuvre…, op.cit., p. 102. 128 Notamment dans les fonds du département X, chargé des relations internationales, les sous-séries consacrées à la surveillance des individus et au terrorisme. Voir par exemple : BStU, Abt. X/ 483, 204, 206-208, 268.

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avancée du terrorisme international. En outre, avec l’abandon progressif du mythe d’une Egypte post-nassérienne révolutionnaire, cultiver les contacts avec des groupuscules revendiquant leur posture anti-impérialiste permet à Berlin-Est de compenser, en un sens, la fin de ses relations privilégiées avec le Caire.

Les archives militaires Au sein des archives militaires de la RDA, conservées à Fribourg, toute une série de documents aborde également la question des relations égypto-est-allemandes pour la période 1969-1989. Ces documents se divisent en plusieurs groupes.

Parmi les sources du MfNV (Ministerium für Nationale Verteidigung), nous avons trouvé des informations dans les documents de l’administration du renseignement (Verwaltung Auklärung), rassemblés sous la cote DVW 1, et dans les documents de la section des Relations internationales (Internationale Verbindungen), réunis sous la cote DVW 3. L’ensemble de ces sources fait l’objet d’une recension informatisée, accessible sur le site des archives fédérales allemandes.

D’autres documents en revanche n’ont pas encore été soumis à un tel classement : il s’agit des sources référencées dans les registres manuscrits, rassemblées sous les cotes VA-01 et AZN. Parmi elles, nous avons sélectionné les documents ayant trait aux relations entre la NVA (Nationale Volksarmee, Armée populaire nationale de RDA) et l’Egypte et l’OLP.

La consultation de ces archives est d’autant plus importante que le ministère de la Défense est « partie prenante obligatoire de certaines grandes négociations » et qu’il « exerce lui aussi un magistère idéologique »129. Les documents auxquels nous avons eu accès contiennent en effet de précieuses informations sur la coopération entre l’armée et la Stasi, sur le renseignement militaire à l’étranger (et notamment le rôle des attachés militaires), sur le lien entre le MfNV et les organes du commerce extérieur et enfin sur la situation militaire dans le monde et le rôle de la NVA au sein des forces armées du Pacte de Varsovie. Leur confrontation avec les archives de la Stasi permet de compléter certains pans de la coopération égypto-est-allemande : les transactions militaires avec l’Egypte associant le MfNV, la Stasi et les départements du commerce extérieur, la guerre du Kippour en octobre 1973, la présence des attachés militaires est-allemands en Egypte (qui jouent souvent le rôle d’observateurs pour l’ambassade de RDA au Caire), le rôle de la RDA et de l’Egypte durant

129 JARDIN, Pierre, « Nouvelles archives, nouvelle histoire ? … », op.cit., p. 145.

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la guerre Iran-Irak de 1980 à 1988, les analyses est-allemandes concernant le potentiel nucléaire israélien et enfin la formation de cadres militaires étrangers en RDA.

Le corpus constitué par les archives est-allemandes est donc extrêmement riche et varié, mais présente néanmoins des caractéristiques communes. L’analyse de ces sources conduit en effet à prendre en compte deux aspects particuliers du mode d’énonciation : d’une part, la dimension formelle et codifiée propre à tout langage officiel130 et d’autre part, l’usage de normes linguistiques et contextuelles imposées par un acteur essentiel, le SED, qui possède le monopole de la communication publique131. En ce sens, le travail sur de tels documents revient souvent à effectuer un décodage de la langue officielle en vigueur dans le régime est- allemand, qui apparaît véritablement comme la langue du Parti (Partei-jargon). Sans récuser le fait qu’elle puisse véhiculer des informations, Michel Kaufmann explique comment l’analyse de la terminologie est-allemande nécessite au préalable un certain travail de décodage132. Il montre que le SED crée un véritable idéolecte et en relève les spécificités lexicales et syntaxiques : tendance à l’impersonnel et à l’abstraction, stéréotypie langagière, emploi d’adverbes et d’adjectifs vagues, nominalisation tendant à la non-référentialité, effets de flou référentiel et enfin caractère totalisant de l’énonciation, autant d’outils permettant d’éluder les références à des faits précis qui pourraient faire l’objet d’une vérification critique.

Le second écueil est lié au déséquilibre inévitable entre les types de sources consultées : il convient en effet de rappeler que les archives ministérielles et diplomatiques égyptiennes ne sont pas accessibles au chercheur pour la période postérieure à 1967. En plus de sa bibliothèque, le ministère des Affaires Etrangères égyptien possède un service d’archives propre133. Toutefois, les registres de sources accessibles à l’historien ne concernent pas la période très contemporaine : les documents du Foreign Office ne sont pas consultables après 1966, quant à ceux du ministère lui-même, ils ne sont pas accessibles au public pour la période postérieure aux années cinquante. Ces restrictions s’expliquent en grande partie par la nature autoritaire du régime égyptien et par la longévité au pouvoir des acteurs politiques. De

130 De ce point de vue, les archives de la Stasi, destinées à un public plus restreint, sont paradoxalement moins concernées que les autres par la dimension formelle du mode de discours employé. 131 MALLINCKRODT, Anita M., Die Selbstdarstellung der beiden deutschen Staaten im Ausland. « Image Bildung » als Instrument der Aussenpolitik, Cologne, Verlag Wissenschaft und Politik, 1982. 132 KAUFMANN, Michel, « La langue de bois comme fait de civilisation et objet d’enseignement », in : FABRE-RENAULT, Catherine, GOUDIN, Elisa, HÄHNEL-MESNARD, Carola (dir.), La RDA au passé présent, relectures critiques et réflexions pédagogiques, Paris, Presses Sorbonne Nouvelle, 2006, p. 83-101. 133 Wizara’t al-Khaligia, Corniche el-Nil.

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ce point de vue, la chute de Hosni Moubarak en février 2011 sera peut-être le prélude à des changements, mais il est encore trop tôt pour en augurer.

Devant l’impossibilité de confronter les archives officielles est-allemandes à leur équivalent égyptien, il est dès lors exclu de prétendre analyser dans cette thèse les relations bilatérales égypto-est-allemandes : la spécificité de notre corpus nous conduit à privilégier un angle plus précis, celui de l’étude de la politique étrangère est-allemande en Egypte. Cela ne nous exonère pas pour autant de tenter de compenser le décalage entre l’origine des sources à notre disposition, en diversifiant, dans la mesure du possible, les documents consultés.

La documentation égyptienne : les archives des organisations égyptiennes de gauche Du côté égyptien, nous avons pu avoir accès à un certain nombre de documents issus des organisations égyptiennes de gauche et conservés à l’International Institute of Social History d’Amsterdam134. Nous avons consulté deux fonds en particulier : le premier, celui du parti communiste égyptien (PCE) se divise lui-même en deux types de documents distincts, les archives issues du parti communiste égyptien reconstitué clandestinement en 1975135 et les papiers de Michel Kamel, « principal animateur d’un courant de gauche au sein du PCE »136 qui finit par faire scission et créer un nouveau parti clandestin, le Hizb al-Cha’b al-Ichtiraki (le parti socialiste du peuple)137. Le second est le fonds du parti du Tagammu (Rassemblement)138, le seul parti de gauche légal en Egypte, fondé en avril 1976. Ces fonds sont incomplets mais apportent néanmoins des informations non négligeables sur les stratégies des mouvements de gauche égyptiens. Bien que ces documents n’abordent guère la question des relations avec la RDA, ils sont d’autant plus précieux pour notre étude que les organisations dont ils émanent, le PCE et le Tagammu, sont les interlocuteurs privilégiés de Berlin-Est en Egypte. Comprenant surtout des documents de congrès, des résolutions, des communiqués de parti, des brochures, des articles de journaux ou encore du matériel

134 Pour une description plus détaillée des collections de l’Institut, voir en particulier l’article suivant : MONCIAUD, Didier, « Le fonds Moyen-Orient… », op.cit., p. 101-109. 135 Après l’autodissolution des deux principales tendances du PCE en 1965, le Parti se reconstitue clandestinement en 1975. Le fonds dont il est question ici a été transmis par le Dr. Rif’at al-Sa’id et transféré en 1995 de Minsk en Biélorussie, où il était caché. Il s’agit probablement d’une réserve des archives du PCE. Voir : MONCIAUD, Didier, « Le fonds Moyen-Orient… », op.cit., p. 105. 136 MONCIAUD, Didier, « Le fonds Moyen-Orient… », op.cit., p. 105. 137 Ibid. 138 Le fonds du parti Tagammu (de son nom complet, le Hizb al-Tagammu’ al-Watani al-Taqaddumi al- Wahdawi, le Parti du Rassemblement National Progressiste Unioniste) a été donné en 1997 par Bertus Hendriks, chercheur néerlandais ayant travaillé sur ce parti entre 1977 et 1990. Il contient également de nombreuses notes du chercheur. MONCIAUD, Didier, « Le fonds Moyen-Orient… », op.cit., p. 106.

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d’analyse et d’information, ces fonds sont pour leur grande majorité imprimés et en langue arabe. On y trouve cependant quelques traductions en anglais ou en français. Dans la mesure du possible, nous avons tenté de privilégier la lecture des documents en arabe, afin d’éviter de superposer les niveaux de traduction. Nous n’avons toutefois pas procédé à l’analyse systématique des documents qui étaient manuscrits (notes ou comptes-rendus de réunions), en raison des difficultés de lecture induites par un tel travail.

Afin de diversifier autant que possible notre corpus, nous avons aussi consulté, ponctuellement, d’autres archives susceptibles d’éclairer les relations égypto-est-allemandes durant la période de notre étude.

Les fonds de la BDIC La Bibliothèque de documentation internationale contemporaine, située à Nanterre, conserve un très grand nombre de sources sur l’histoire du XXe siècle. Les fichiers « RDA » et « Egypte » du catalogue manuel de la BDIC ne contiennent cependant guère de documents consacrés à notre période, et encore moins aux relations bilatérales égypto-est-allemandes.

En revanche, le catalogue en ligne de la Bibliothèque139, de même que la base de recherches CALAMES (Catalogue collectif national des archives et manuscrits)140, recensent un certain nombre de sources imprimées, qui nous ont semblé intéressantes à plusieurs titres.

Il s’agit tout d’abord d’une partie des discours prononcés par Anouar el-Sadate entre 1971 et 1976 : ces derniers sont rassemblés au sein de brochures imprimées, publiées par le Ministère égyptien de l’Information, traduites en français141 et qui ont fait l’objet d’une donation récente (postérieure à 1992). Ces documents sont tout à fait intéressants dans la mesure où ils donnent un certain nombre d’informations sur l’état officiel des relations entre le Caire et Moscou, du point de vue égyptien, sous le gouvernement de Sadate. Ils permettent d’appréhender le tournant effectué par l’Egypte lors de la première moitié de la décennie 1970, période charnière au cours de laquelle le Caire oscille continuellement entre l’alliance soviétique et le rapprochement avec Washington. Ils rappellent enfin qu’au plus haut niveau de l’Etat égyptien, les relations avec la RDA n’occupent nullement une place dominante, le premier interlocuteur socialiste de l’Egypte restant le régime soviétique.

139 http://aleph.u-paris10.fr/F/?local_base=bdi01&con_lng=bdi 140 Catalogue des archives de la BDIC, en ligne : http://www.calames.abes.fr/pub/bdic.aspx. 141 Il est probable que ces brochures aient été destinées à être diffusées auprès des ambassades étrangères et notamment de l’ambassade française au Caire.

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Il s’agit ensuite des documents personnels conservés dans le fonds Jacques Delarue142, qui contient en particulier un dossier consacré au néonazisme en Allemagne et dans le monde, et notamment en Egypte. Numériquement très limités, ces fonds nous ont néanmoins permis de diversifier un tant soit peu notre corpus de sources, en abordant un aspect certes circonscrit des relations égypto-est-allemandes, mais qui n’en reste pas moins régulièrement mobilisé dans le cadre de l’affrontement germano-allemand et du conflit israélo-arabe, celui de l’héritage nazi.

La presse Nous avons d’abord consulté les archives du quotidien de référence du régime est-allemand, Neues Deutschland143. La Bibliothèque Nationale de France, à Paris, possède une collection presque complète du journal, depuis la seconde moitié des années cinquante. Les numéros du quotidien sont presque tous conservés pour la période 1969-1985.

Nous avons également pu avoir accès à l’hebdomadaire ouest-allemand Der Spiegel, dont l’intégralité des numéros est disponible en ligne sur le site du journal, depuis la date de sa création en 1947. La consultation de ce journal nous a permis de confronter les visions est- allemandes et ouest-allemandes des relations avec le Moyen-Orient et l’Egypte, telles qu’elles sont véhiculées par la presse nationale au cours de notre période, de chaque côté du Mur.

Enfin, ponctuellement, nous avons consulté une partie de la presse arabe à la Bibliothèque Nationale du Caire, Dar el-Kûtub, ainsi qu’à la bibliothèque du CEDEJ au Caire et à la Bibliothèque Nationale de France, qui possède les collections presque complètes de plusieurs journaux, notamment al-Ahram et al-Goumhouria. L’intégralité des numéros du quotidien Al-Ahram est disponible pour la période 1969-1989. Le quotidien al-Goumhouria est quant à lui conservé en intégralité de 1969 au mois de janvier 1974, puis du mois d’avril 1979 au mois d’octobre 1985. En revanche, l’hebdomadaire Rose al-Youssef, organe de la gauche égyptienne, n’est disponible à la BNF que jusque décembre 1970. Enfin, pour des

142 Né en 1919, ouvrier puis policier, Jacques Delarue s’engage dans la Résistance en 1942, avant d’être arrêté par la Gestapo. Après la guerre, il est réintégré dans la police puis est appelé en 1946 à la Direction centrale de la police judiciaire, afin de traiter les séquelles de la Libération et lutter contre ce qui deviendra l’OAS. Il enquête également sur les criminels nazis et rassemble à ce titre une large documentation sur les groupements néonazis en Allemagne et dans le monde. Il devient commissaire divisionnaire puis vice-président de l’Association pour des Etudes sur la Résistance Intérieure (AERI). Voir à ce sujet le site de la BDIC. Le fonds consacré au néonazisme est conservé sous la cote F delta res 0894 et rassemble des documents allant de 1946 à 1988. 143 A l’époque de la RDA, le quotidien Neues Deutschland est l’organe de presse du SED. Depuis la réunification allemande, il est proche du parti de gauche Die Linke.

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raisons linguistiques évidentes, nous avons privilégié la consultation du quotidien Le Progrès Egyptien, publié en langue française et disponible à la Bibliothèque de France144.

Les mémoires Le dernier type de sources que nous avons consultées est constitué par les mémoires des différents acteurs ayant joué un rôle dans les relations entre l’Egypte et le bloc de l’Est au cours de notre période. Il s’agit d’anciens hommes d’Etat, acteurs politiques ou agents du renseignement, de nationalités est-allemande, soviétique, américaine, égyptienne ou israélienne. Ces récits, souvent écrits a posteriori des évènements et tous motivés par le souhait de légitimer une action politique et/ou un engagement personnel, sont évidemment à manier avec précaution. Ils apportent toutefois des informations éclairantes sur le contenu des relations bilatérales ou multilatérales ainsi que sur les considérations stratégiques des différents acteurs, telles qu’ils souhaitent du moins les faire passer à la postérité. Ils permettent enfin de rappeler l’importance des liens personnels et humains dans le déroulement des tractations politiques et diplomatiques.

Plan de la thèse

Alors que la prise de contact entre la RDA et l’Egypte se fait en grande partie par un biais idéologique, celui de la référence commune à l’ « anti-impérialisme », la période couverte par notre thèse voit le recul progressif d’un tel paradigme au profit d’une relation bilatérale fondée sur le pragmatisme économique et l’acceptation des antagonismes doctrinaux. En pleine Guerre froide, et dans des Etats marqués par la centralisation autoritaire, une telle évolution peut sembler paradoxale ; elle est pourtant au cœur de la relation bilatérale entre Berlin-Est et le Caire.

Pour étayer notre argumentaire, nous avons organisé notre travail de la façon suivante.

La thèse débute par un prologue, qui permet de présenter les éléments théoriques et contextuels nécessaires à la bonne compréhension du sujet. Etat né en 1949, la RDA ne peut, en effet, déployer son activité à l’extérieur de ses frontières sans prendre en compte les structures historiques, institutionnelles et idéologiques qui ont présidé à sa création même.

Ce prologue s’attarde, par conséquent, sur le contexte immédiat de l’émergence de la relation bilatérale égypto-est-allemande. Il rappelle que la politique étrangère de la RDA, en

144 Le quotidien Le Progrès égyptien est fondé en 1893. Sa ligne éditoriale reflète les grandes orientations du régime égyptien.

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pleine Guerre froide, s’insère avant tout dans le cadre du bloc de l’Est. Ce constat nous mène naturellement à aborder l’influence déterminante de la rivalité germano-allemande dans l’élaboration de la politique étrangère de Berlin-Est. Si la concurrence interallemande met en lumière les intérêts proprement nationaux de l’activité de la RDA à l’étranger, le prologue entend cependant rappeler que ces derniers sont, en dernière instance, définis par un acteur clé de la politique extérieure est-allemande, le SED. De ce point de vue, l’action de la RDA en Egypte repose sur des structures institutionnelles extrêmement centralisées et soumises à un organe essentiel dans la mise en œuvre de la politique étrangère, le Parti. Cela explique, et c’est ainsi que s’achève le prologue, l’importance dévolue à la question de l’idéologie dans le déploiement initial de l’action est-allemande en Egypte. Les moyens mis en œuvre pour assurer le rayonnement de la RDA sur place vont de la coopération entre syndicats et organisations de masse à la mise en place de partenariats entre les acteurs médiatiques.

A l’issue de ce prologue, nous introduisons les résultats de notre recherche en les organisant autour de trois grands axes.

La première partie de la thèse présente l’évolution chronologique et politique de la relation bilatérale égypto-est-allemande. Elle replace d’abord cette dernière dans le temps long des contacts arabo-allemands, puis s’intéresse spécifiquement à la période qui va de 1969 à 1989. Cette partie s’articule autour de quatre chapitres. Les trois derniers recoupent la succession à la tête de l’Etat égyptien des trois leaders que sont Gamal Abdel Nasser, Anouar el-Sadate et Hosni Moubarak. Une telle périodisation s’impose assez logiquement, puisqu’à chaque présidence en Egypte correspond une vision dominante de la nature du régime égyptien et de la relation bilatérale, à Berlin-Est comme au Caire. L’objectif de cette partie est de montrer comment, de Nasser à Hosni Moubarak, la RDA passe progressivement de l’euphorie de la reconnaissance diplomatique, dans un contexe d’émulation révolutionnaire, à l’abandon de ses impératifs idéologiques en Egypte. Une telle analyse de la relation égypto- est-allemande ne peut faire l’économie, bien entendu, des intérêts stratégiques proprement égyptiens, ni de l’articulation entre le bilatéral et le multilatéral, au sein d’un système international largement déterminé par l’affrontement bipolaire.

Dans un premier temps (chapitre 1), nous étudions la relation égypto-est-allemande à la lumière de l’histoire des liens arabo-allemands, en montrant que l’anti-impérialisme a constitué une référence commune et mobilisatrice, susceptible d’alimenter les contacts réciproques. Le second temps de l’analyse (chapitre 2), qui va de juillet 1969 à septembre 58

1970, repose sur l’idée selon laquelle la fin de l’époque nassérienne est pour Berlin-Est celle de tous les espoirs : la relation bilatérale est fondée sur la volonté de mettre sur pied, en Egypte, un véritable Etat anti-impérialiste. La troisième phase du propos (chapitre 3), qui va d’octobre 1970 à octobre 1981, analyse les soubresauts de la relation égypto-est-allemande sous le régime de Sadate, jusqu’à la rupture irréversible de Camp David. Enfin, le dernier temps de la démonstration (chapitre 4), qui traite la période 1981-1989, entend montrer que, sous Hosni Moubarak, la RDA s’accommode d’autant plus des divergences idéologiques avec l’ancien partenaire anti-impérialiste qu’elle s’est recentrée sur des impératifs économiques.

La deuxième partie de notre thèse détaille, précisément, la façon dont les relations économiques et culturelles bilatérales deviennent peu à peu le champ privilégié de l’autonomisation de la politique étrangère est-allemande en Egypte. A partir de l’examen minutieux des déclinaisons concrètes de l’activité de la RDA en Egypte, il s’agit ainsi de vérifier la validité de notre hypothèse de départ, selon laquelle l’Allemagne de l’Est parvient peu à peu à construire et affirmer une politique étrangère propre. Cette partie s’attache à étudier les ressorts de la coopération bilatérale, sous toutes ses formes, en montrant que cette dernière passe progressivement d’un impératif dominant, celui de la « solidarité anti- impérialiste » à un intérêt supérieur, celui de la satisfaction des nécessités économiques. Enfin, elle met en lumière les mécanismes ponctuels de contournement des directives centrales mis en œuvre par certains acteurs de la politique étrangère est-allemande, ainsi que les marges de manœuvre qui aparaissent dans les interstices de la coopération bilatérale.

Cette partie est composée de deux chapitres, qui mettent en exergue le changement de paradigme qui s’opère au cours de la période 1969-1989 : le recul des priorités idéologiques au profit d’une acception plus flexible de la politique étrangère, recentrée autour d’impératifs nationaux – et notamment économiques. Dans un premier temps (chapitre 5), il s’agit d’analyser la façon dont la coopération économique et militaire avec l’Egypte offre peu à peu à la RDA les outils de construction de son autonomie sur la scène internationale. Dans la seconde phase de l’exposé (chapitre 6), nous tentons de montrer que les relations technico- scientifiques et culturelles sont conçues, du côté est-allemand, comme l’instrument privilégié de la construction d’une image spécifique et souveraine, en Egypte. L’analyse met également en exergue les limites de l’entreprise est-allemande de « remodelage socialiste », pourtant identifiée initialement comme l’un des objectifs majeurs de la coopération bilatérale.

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Enfin, prenant acte des impératifs économiques croissants qui guident la politique étrangère est-allemande en Egypte, la troisième et dernière partie de notre thèse s’intéresse à la façon dont Berlin-Est identifie, légitime et assume ses interlocuteurs politiques dans le pays. L’objectif de cette partie est de montrer que si l’influence de l’idéologie, en tant que moteur de l’activité de la RDA en Egypte, décline à l’échelle étatique, cette dernière ne disparaît pas, cependant, des priorités est-allemandes. Bien au contraire, les intérêts doctrinaux se redéploient à d’autres échelles, notamment locales (liens associatifs, contacts ou alliances conjoncturelles avec des groupes ou partis clandestins) ou régionales (identification de nouveaux acteurs « anti-impérialistes » au Moyen-Orient). En outre, en RDA même, le rôle dévolu aux questions idéologiques peut varier en fonction du type d’acteur considéré (diplomates, militaires, entrepreneurs…).

Cette partie s’articule autour de trois chapitres. Le premier (chapitre 7) montre la posture éminemment pragmatique adoptée par le SED dans l’élaboration de ses relations politiques avec les différents acteurs égyptiens, qu’ils soient institutionnels ou clandestins. Le deuxième (chapitre 8) étudie les stratégies de collaboration progressivement mises en place par la RDA avec les institutions et organisations religieuses égyptiennes, qui témoignent de la capacité d’adaptation doctrinale est-allemande aux spécificités du terrain. Enfin, le troisième (chapitre 9) entend montrer que si la RDA s’accommode progressivement d’une relation bilatérale vidée de sa dimension idéologique, elle n’abandonne pas, pour autant, ses impératifs doctrinaux au Moyen-Orient : au contraire, elle parvient à esquisser les contours d’une politique étrangère flexible, qui identifie tour à tour des partenaires économiques, comme l’Egypte, et de nouveaux alliés politico-idéologiques dans la région, comme l’Organisation de Libération de la Palestine (OLP).

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Prologue – Structures et fondements de la politique étrangère est-allemande en Egypte.

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Avant d’entamer notre analyse, il est nécessaire de présenter les fondements historiques, les structures institutionnelles et les principes idéologiques sur lesquels repose l’activité est-allemande à l’étranger. C’est l’objectif de ce prologue. L’absence de légitimité historique de la nation est-allemande a en effet conduit à l’amplification du facteur idéologique dans la mise en œuvre de sa politique étrangère. Christian Wenkel rappelle que c’est de la rupture proclamée avec l’histoire allemande et de la volonté affichée de proposer un modèle alternatif antifasciste que la RDA a tiré sa légitimation145. Et de fait, en Egypte, c’est d’abord sous les auspices du discours anti-impérialiste que se développe la présence est- allemande. Par conséquent, celle-ci se déploie dans le cadre de l’appartenance de bloc et se définit en réaction au repoussoir idéologique que constitue la RFA. Le prologue met en évidence les structures qui commandent l’émergence de la politique étrangère est-allemande ; il conviendra, dans la suite de la thèse, de confronter les déclinaisons pratiques de cette dernière au discours qui la fonde.

145 WENKEL, Christian, « En quête permanente… », op.cit., p. 48.

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Peut-on parler d’une politique étrangère est-allemande indépendante ?

Indéniablement, l’intégration à l’Est de la RDA détermine les grandes lignes de sa politique étrangère146. Pour commencer, c’est bien le déploiement de l’activité soviétique au Moyen-Orient, dans les années 1950-1960, qui facilite l’implantation est-allemande dans la région. Kai Hafez estime ainsi que c’est le développement de la coopération soviétique avec les Etats moyen-orientaux, au cours de la phase de « découverte des pays en développement », qui a offert à la RDA des possibilités d’élargissement de ses activités à l’étranger147. Conformément à l’alignement du SED sur l’URSS depuis 1948148, il est de toute façon évident, pour les dirigeants est-allemands, que seule une « alliance ferme avec l’Union soviétique » peut permettre à la RDA d’apporter « sa contribution à la mise en place de la paix, au développement de relations égales en droit avec les autres Etats et au soutien des mouvements de libération nationale des Arabes et des autres peuples »149. Le « traité d’amitié, de coopération, et d’assistance mutuelle » de Varsovie, conclu le 14 mai 1955 entre l’URSS et sept Etats du bloc de l’Est (parmi lesquels la RDA), en réponse à l’entrée de la RFA au sein de l’OTAN, le 9 mai 1955, est d’ailleurs au fondement de toute la politique étrangère est- allemande. Du point de vue des représentants est-allemands, en effet, seule une alliance militaire de ce type est susceptible de garantir l’intégrité territoriale de leur Etat150. Par conséquent, même si la souveraineté de la RDA a été officiellement reconnue par Moscou dans le traité du 20 septembre 1955151, cette dernière dépend étroitement, en réalité, de la protection militaire soviétique.

Le début du processus de détente permet cependant à la RDA d’affirmer ses ambitions propres en matière de politique étrangère, en particulier dans les pays du Tiers-monde. Les traités signés le 12 août 1970 par la RFA et l’URSS, puis le 7 décembre 1970 par la RFA et la Pologne, en admettant le statu quo territorial européen né de la fin de la Seconde Guerre mondiale, créent les conditions d’une normalisation des relations entre Bonn et Berlin-Est et,

146 Aussenpolitik der DDR – für Sozialismus und Frieden, op.cit., p. 61. 147 HAFEZ, Kai, « Von der nationalen Frage… », op.cit., pp. 77-95. 148 Le 3 juillet 1948, le SED s’est rangé officiellement aux côtés de l’URSS. En octobre 1948, une résolution du SED renforce encore l’alignement sur Moscou, en affirmant le soutien du parti à l’Armée rouge. Voir : FRITSCH-BOURNAZEL, Renata, L’Allemagne depuis 1945, op.cit., 49-50. 149 BATOR, Wolfgang und Angelika(dir.), Die DDR und die arabischen Staaten…, op.cit., p. 42. 150 Ibid. 151 Sur le traité du 20 septembre 1955, voir notamment : FRITSCH-BOURNAZEL, Renata, L’Allemagne unie dans la nouvelle Europe, Bruxelles, Editions Complexe, 1991, p. 129.

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partant, d’une reconnaissance de la RDA par les Occidentaux152. De fait, la signature du Traité fondamental entre les deux Allemagnes le 21 décembre 1972153, leur entrée à l’ONU l’année suivante et la vague de reconnaissances qui en découle, modifient considérablement la place de la RDA sur la scène internationale154. L’Etat est-allemand s’est désormais pleinement inséré « au sein d’un ensemble européen maintenant stabilisé »155 : Berlin-Est peut donc, désormais, « accroître son poids en matière de politique étrangère »156.

Tout en admettant la poursuite des buts internationalistes communs au bloc de l’Est, la RDA entend ainsi défendre les « intérêts légitimes de l’Etats socialiste allemand »157. En plus des expérimentations communes à toutes les démocraties populaires (planification économique, « centralisme démocratique », révolution culturelle158…), la RDA ne néglige donc pas de mettre en avant ses « spécificités »159. Auprès de ses partenaires égyptiens, elle insiste par exemple sur l’implication de larges couches de la population non prolétarienne, et notamment de la bourgeoisie antifasciste, dans l’édification du socialisme est-allemand160 : cet argumentaire semble d’autant plus séduisant que la théorie de la lutte des classes ne rencontre guère d’écho en Egypte161. Sur place, les interlocuteurs de la RDA reprennent d’ailleurs à leur compte une telle rhétorique, rappelant à quel point l’expérience est-allemande est précieuse pour leur Etat, en particulier du point de vue de l’insertion des « éléments petits- bourgeois » dans le processus de construction du socialisme162.

152 Voir notamment : BRETTON, Philippe, « Le traité germano-soviétique du 12 août 1970 », in : Annuaire français de droit international, 1970, vol. 16, n° 16, p. 141. 153 Ce traité entérine la reconnaissance mutuelle des deux Etats allemands. Voir :WERTH, Nicolas, Histoire de l’Union soviétique, de l’Empire russe à la Communauté des Etats indépendants, 1900-1991, Paris, PUF, 5ème édition, 2001, p. 520. 154 JARDIN, Pierre, « Nouvelles archives, nouvelle histoire ? … », op.cit., p. 143. 155 Ibid. 156 WENTKER, Hermann, « Entre concurrence, cohabitation et coopération… », op.cit., p. 31. 157 MfAA, L 187, C 1641/76, op.cit., I.Quartal 1970. Beziehungensbericht VAR-DDR. Schlussfolgerungen für die weitere Gestaltung der Beziehungen zwischen der DDR und der ARÄ. 158 Voir : LAMM, Hans Siegfried, KUPPER, Siegfried, DDR und Dritte Welt, op.cit., p. 33-38. 159 BATOR, Wolfgang und Angelika (dir.), Die DDR und die arabischen Staaten…, op.cit., p. 38. 160 LAMM, Hans Siegfried, KUPPER, Siegfried, DDR und Dritte Welt, op.cit., p. 65-80. 161 A ce propos, voir infra, partie I, chapitre 2, p. 117-122. 162 Ismaïl Sabri Abdalla hält « die gesammelten Erfahrungen der DDR, insbesonders hinsichtlich ihrer Mittelstands- und Intelligenzpolitik (Einbeziehung des kleinbürgerlichen Elements beim Aufbau des Sozialismus) und der ökonomischen Politik (wobei er das territoriale Moment betont) für die VA besonders für wertvoll ». MfAA, L 187, C 641/73 : Abt. Arabische Staaten/ Ägypten. Vermerke über Gespräche mit Vertretern Ägyptens in Ägypten. 1968-1970. Anlage zur VD B 56/69, Botschaft der DDR in der VAR, Kairo, den 17.9.1969. Annexe concernant Ismaïl Sabri Abdallah, nouveau directeur de l’Institut National de la Planification, p. 47. 66

Selon Hans Siegfried Lamm et Siegfried Kupper, la volonté de la RDA de transmettre certaines « particularités », liées à sa propre histoire, traduit la motivation clairement idéologique de la politique étrangère est-allemande dans les pays en développement163. De fait, à la fin des années 1960, il est incontestable que les Allemands de l’Est souscrivent à la théorie d’un possible « développement progressiste »164 de l’Egypte nassérienne ; les sources en attestent165. Cependant, même lorsque la rupture doctrinale entre le Caire et les Etats socialistes sera consommée, la RDA ne cessera pas de bénéficier d’une image particulière en Egypte. Les « spécificités » que le régime est-allemand ne manque pas d’exploiter visent alors des intérêts nettement plus pragmatiques, comme nous aurons l’occasion de le démontrer166.

La véritable prise de distance de la RDA vis-à-vis de l’Union soviétique en matière de politique étrangère n’a lieu, cependant, qu’à partir de la seconde moitié des années 1980. L’arrivée au pouvoir en URSS de Mikhaïl Gorbatchev167 marque en effet une « césure cardinale »168 pour Berlin-Est. La « nouvelle pensée » soviétique, qui prône une politique de non-ingérence et libère les Etats socialistes de la discipline de bloc169, inquiète fortement le SED, qui entreprend de se démarquer de l’URSS. Le refus est-allemand d’engager des réformes telles que celles qui ont été amorcées par Moscou est patent : en mai 1987, par exemple, lors de la visite de Gorbatchev à Berlin-Est, les banderoles qui proclament « vive Gorbi » sont proscrites170. En revanche, « à contre-courant de toute l’évolution de bloc »171, la RDA se lance dans une politique d’ouverture sur le plan international, qui privilégie indiscutablement ses intérêts économiques.

163 LAMM, Hans Siegfried, KUPPER, Siegfried, DDR und Dritte Welt, op.cit., p. 36. 164 SAPMO-BArch, DY 30, IV B 2-20 345, op.cit., Remarques du camarade Akopov, chargé d’affaires de l’URSS au Caire, pendant une conversation avec le camarade Grüneberg, membre du Bureau politique et secrétaire du Comité central du SED, le 14 février 1974, à l’ambassade de la RDA , le Caire, 14 février 1974. 165 A ce sujet, voir infra, partie I, chapitre 1, p. 115-117. 166 La deuxième partie de la thèse entend analyser, précisément, le passage d’une politique étrangère est- allemande motivée par des impératifs idéologiques à une activité qui s’est recentrée sur des intérêts stratégiques et économiques. 167 Le 11 mars 1985, Mikhaïl Gorbatchev devient secrétaire général du PCUS. Il entreprend de réduire la course aux armements, dont le coût est trop élevé pour l’URSS, d’intensifier les échanges économiques et de reconnaître le statu quo territorial dans le monde entier. Voir : WERTH, Nicolas, Histoire de l’Union soviétique…, op.cit., p. 563. 168 LORRAIN, Sophie, « La RDA dans les années 1980 », op.cit., p. 108. 169 Ibid. 170 MATHIEU, J.-P., MORTIER, Jean (avec la collaboration de BADIA, Gilbert), La RDA, quelle Allemagne ?, Paris, Messidor - Editions sociales, 1990, p. 146. 171 LORRAIN, Sophie, « La RDA dans les années 1980 », op.cit., p. 110.

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En Egypte, cette politique coïncide avec les mesures d’apaisement engagées par Hosni Moubarak, qui, depuis le début des années 1980, entend consolider ses échanges commerciaux avec les Etats socialistes172. C’est de toute façon une constante de la politique égyptienne que de prôner le maintien des liens bilatéraux avec la RDA, « indépendamment de l’URSS »173. L’Allemagne orientale, « petit Etat »174 parmi les puissances internationales, tout comme l’Egypte, représente en effet une alternative ponctuelle à l’Union soviétique, lorsque les liens avec Moscou se distendent175.

A ce titre, il est intéressant de noter que les seules désignations véritablement singulières dont les Allemands de l’Est font l’objet en Egypte visent à les différencier de leurs partenaires soviétiques, mais nullement à les distinguer de leurs homologues ouest-allemands. Ainsi, il apparaît que « les Russes ne sont pas bons », tandis que « les Allemands sont meilleurs »176. En revanche, le même lexique est employé par les Egyptiens pour désigner les citoyens de RDA et de RFA : le Caire conserve ainsi une « grande estime pour le peuple allemand »177 ou pour l’ « Allemagne », en raison de son savoir-faire technique, de sa « discipline » ou de sa « puissance »178. Si les Egyptiens ne manquent pas de vanter les qualités est-allemandes, c’est en effet souvent pour mieux les opposer aux travers des Soviétiques, accusés tour à tour d’être corrompus179, insouciants ou trop gros180. Du point de vue est-allemand pourtant, cette indifférenciation peut aisément passer pour un manque

172 Pour une présentation détaillée de cette politique, voir infra, partie II, chapitre 3, p.13-15. 173 « Er möchte daher die Beziehungen mit der DDR auf dieser Grundlage fortsetzen, unabhängig wie sie zur UdSSR sein mögen ». MfAA, L 187, C 767/75 : Ministerbüro Winzer. Konsultation zwischen dem Minister für Auswärtige Angelegenheiten der DDR, Otto Winzer, und dem Aussenminister Ägyptens, Dr. Mohamed Hassan Zayyat, zur Nahostproblematik. Okt., Nov. 1972. Vermerk über eine Unterredung des Ministers für Auswärtige Angelegenheiten der DDR-Genossen Otto Winzer, mit dem Minister für Auswärtige Angelegenheiten der ARÄ, Dr. Mohamed Hassan El-Zayyat, ab 31. Oktober 1972 in der SAR, Berlin, den 2. November 1972. 174 Ibid. 175 SAPMO-BArch, DY 30/ IV B 2/20 430, op.cit., Note sur une conversation avec Michel Kamel, al-Talia, le 22 juin 1972, le Caire, 27 juin 1972, p. 100. 176 « Russen sind nicht gut, Deutsche besser ». MfAA, L 187, 21 – L 159, C 1307/76 : Abt. Naher u. Mittlerer Osten. Sektor Ägypten, Sudan, Libyen. Beziehungen zwischen Ägypten und der UdSSR. 1972-1974. Meinungen zur Beendigung der Tätigkeit des sowjetischen Militärpersonals in der ARÄ, Botschaft der DDR in der AR Ägypten, Kairo, den 26.7.1972, p. 24. 177 SAPMO-BArch, DY 30/ IV B 2/20 345, op.cit., Note sur une conversation entre le membre du Bureau politique et secrétaire du Comité central du SED, le camarade G. Grüneberg, et le ministre des finances, de l’économie et du commerce extérieur, le Dr. Abdul Aziz Hegazy, le Caire, 14 février 1974. 178 « Die deutschen Waffen töten uns », Der Spiegel, 25 octobre 1971, interview accordée par Mohammed Hassanein Heikal au journal ouest-allemand. 179 SAPMO-BArch, DY 30/ IV B 2/20 430, op.cit., Information sur le séjour du Dr. Rifaat el-Saïd, secrétaire du Conseil mondial de la paix, du 19 au 21 septembre 1972, Friedensrat der DDR, vertraulich, Berlin, 27.9.1972. 180 Le Progrès égyptien, 19 juillet 1982, p. 3.

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d’égards ou une approximation terminologique contrariante. En novembre 1979 par exemple, dans un télégramme qu’il adresse à Erich Honecker, le président Anouar el-Sadate salue le « peuple d’Allemagne »181. On peut supposer que l’expression a suscité une certaine irritation chez le(s) destinataire(s) : le terme « Allemagne » a en effet été souligné à la main, deux fois. Or, assurément, la politique étrangère est-allemande en Egypte ne peut être dissociée des efforts que la RDA entreprend pour se démarquer de son adversaire ouest-allemand, même après qu’elle a fait l’objet d’une reconnaissance officielle. A aucun moment en effet, « la politique de la RDA […] ne peut être séparée de la politique de la RFA »182 : au contraire, la concurrence entre les deux Etats allemands est l’un des éléments structurants de l’activité est- allemande sur le terrain égyptien.

« La guerre Est-Ouest se poursuit au Caire… avec la concurrence des deux Allemagnes »183

Jusqu’en 1969, l’offensive de la RDA sur la scène internationale vise avant tout à obtenir la reconnaissance de sa souveraineté. La question germano-allemande est donc au fondement de l’activité de Berlin-Est au Moyen-Orient : la RDA cherche en effet à obtenir la légitimité étatique qui lui fait défaut en Europe, afin de contrer l’exigence de représentation exclusive ouest-allemande, formulée en 1955 dans la doctrine Hallstein184. Cette « concurrence interallemande »185 a longtemps été considérée par l’historiographie comme l’élément central de toute la politique étrangère de la RDA, finalement réduite à une simple fonction de la politique intérieure186. Et de fait, jusqu’à la fin des années 1960, la RFA et la RDA, ces « deux frères en profond désaccord »187, se livrent une compétition opiniâtre sur la

181 « Meinen tiefempfundenen Dank möchte ich mit dem Wunsch für Glück und Wohlergehen für Sie persönlich und für das Volk Deutschlands [le terme est souligné deux fois à la main] verbinden ». MfAA, L 187, C 6506 : Abt. Naher u. Mittlerer Osten. Austausch von Glückwünschen, Beileidschreiben und Danksagungen zwischen der DDR und Ägypten. 1977-1979. Staatstelegramm.Télégramme d’Etat adressé par Anouar el-Sadate à Erich Honecker, le Caire, 25 novembre 1979, 14h02, en anglais, p. 64. 182 KUPPER, Siegfried, Die Tätigkeit der DDR…, op.cit., p. 11. 183 L’Orient, Beyrouth, 26 novembre 1955. Référence citée dans : TRIMBUR, Dominique, De la Shoah à la réconciliation ? La question des relations RFA-Israël (1949-1956), Paris, Editions du CNRS, 2000, p. 366. 184 Pour une brève définition de la doctrine Hallstein, se reporter à l’introduction de la thèse, p. 32. 185 WENTKER, Hermann, « Entre concurrence, cohabitation et coopération… », op.cit., p. 32. 186 La politique étrangère est-allemande a longtemps été considérée comme étant d’abord une politique allemande. Peter Ludz défend par exemple l’idée selon laquelle la politique étrangère de la RDA, jusqu’en 1973, est entièrement déterminée par les agissements de la RFA. Voir : LUDZ, Peter Christian, Die DDR zwischen Ost und West…, op.cit., p. 205. En outre, pour un rappel des enjeux historiographiques de la question, se reporter à l’introduction de la thèse, p. 29-38. 187 L’expression est de Hermann Wentker. Voir : WENTKER, Hermann, « Entre concurrence, cohabitation et coopération… », op.cit., p. 27.

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scène internationale, en particulier dans les pays du Tiers-monde. Bonn n’admet aucune représentation est-allemande dans les pays avec lesquels elle entretient des relations diplomatiques. Le régime de Berlin-Est développe, quant à lui, une stratégie flexible et entreprend peu à peu d’édifier avec les Etats du Proche-Orient, d’Afrique ou d’Asie des relations commerciales ou consulaires supposées aboutir, à terme, à sa reconnaissance officielle.

Dans l’ensemble, la doctrine Hallstein est bien respectée par les Etats du Tiers-monde, qui ne veulent pas risquer de froisser le partenaire économique ouest-allemand188, ni de voir son aide au développement s’interrompre189. Les pressions ouest-allemandes sont relativement efficaces. Ainsi, après que Nasser a accepté le principe de l’ouverture d’un consulat général de la RDA en Egypte, à la suite de la visite d’Otto Grotewhol en janvier 1959, l’ambassadeur de Bonn au Caire, Walter Becker, obtient du président égyptien ce que l’on nomme la « formule du Caire » : selon cette dernière, « chacune des attributions d’un consul de Berlin-Est mentionnera[ ] dorénavant que sa patente consulaire ne constitue ni une reconnaissance de jure, ni une reconnaissance de facto »190.

Au fur et à mesure que s’amorce la détente cependant, la doctrine Hallstein est de plus en plus remise en cause. Surtout, la généralisation des relations de la RDA avec les Etats du Tiers-monde achève de vider une telle politique de sa substance.

188 THOREL, Julien, « Les stratégies tiers-mondistes des deux Allemagnes », in : CAHN, Jean-Paul, PFEIL, Ulrich (éd.), Allemagne, 1974-1990…, op.cit., p. 45. 189 Le 6 septembre 1961, la RFA annonce que tout pays qui reconnaîtra la RDA verra son aide au développement interrompue. Voir : WENTKER, Hermann, Aussenpolitik in engen Grenzen…, op.cit., p. 276. 190 SCHWANITZ, Wolfgang, « La politique moyen-orientale de Berlin-Est. Grotewohl en Irak, Ulbricht en Egypte et Honecker au Koweït », in : METZGER, Chantal (dir.), La République démocratique allemande. La vitrine du socialisme et l’envers du miroir (1949-1989-2009), Bruxelles, P.I.E. Peter Lang, 2010, p. 282.

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Illustration 1 : « Syrie, Irak, Soudan, Cambodge, Yémen – Egypte ». La doctrine Hallstein mise à mal par les reconnaissances de 1969191.

Les liens que tissent les deux Etats allemands avec les pays en développement restent néanmoins largement dictés par leur propre antagonisme. Au début du mois de juillet 1969, quelques jours avant la reconnaissance officielle du régime est-allemand par l’Egypte, l’évocation d’une éventuelle revalorisation du consulat de la RDA à Alexandrie en « consulat général » suscite ainsi de fortes tensions entre Bonn et le Caire192. Un tel changement de statut aurait en effet pour conséquence d’octroyer à la représentation consulaire est-allemande un rang plus élevé que celui du consulat ouest-allemand à Alexandrie. Si les représentants de la RDA y voient un moyen remarquable d’isoler une Allemagne de l’Ouest « impérialiste et revancharde », la RFA, elle, ne manque pas de faire connaître son mécontentement face à un tel affront193.

Or, au tout début des années 1970, la crainte des représailles ouest-allemandes reste palpable : le 12 juillet 1969, alors que le Caire vient à peine de reconnaître le régime de Berlin-Est, le ministre égyptien de l’économie et du commerce extérieur, Hassan Abbas Zaki,

191 Caricature publiée par le Deutsches Allgemeines Sonntagsblatt et reprise par le Spiegel, 29/1969, 14 juillet 1969. 192 MfAA, L 187, C 640/73 : Abt. Arabische Staaten/ Ägypten. Einrichtung und Status des Konsultats der DDR in Alexandria. 1966-1970. Betr. : Erhöhung des Status des Konsulats in Alexandria in ein Generalkonsulat. Alexandria, den 7.7.1969, p. 14. 193 Ibid.

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s’inquiète des menaces brandies par la RFA de stopper ses livraisons de blé et d’interrompre l’octroi de ses crédits à l’Egypte194. Soucieux de voir que la RDA, au contraire de sa rivale, « ne livre pas de blé », il anticipe des « ralentissements » dans la coopération économique égypto-ouest-allemande, et par conséquent des « difficultés » pour l’Egypte195. C’est pourquoi il avertit les représentants est-allemands : « si l’Allemagne de l’Ouest retire ses experts, il faudra en parler avec la RDA ou d’autres pays amis »196.

Après l’officialisation des relations diplomatiques entre Berlin-Est et le Caire, la rivalité interallemande se poursuit en Egypte. Certes, ses objectifs ne sont plus les mêmes : la RFA a dû consentir à l’abandon de la doctrine Hallstein ; la RDA peut désormais se consacrer à l’élaboration d’une politique étrangère débarrassée de la question de la reconnaissance. Pourtant, la concurrence subsiste. Elle prend dorénavant « le caractère d’une confrontation entre deux systèmes sociaux, qui mesur[ent] leurs potentiels de mobilisation politique et économique respectifs, dans le champ de la politique extérieure […] »197. A une autre échelle, la RDA et la RFA font aussi figure d’ « avant-postes de leurs pactes respectifs au Moyen- Orient »198. Wolfgang Schwanitz rappelle ainsi qu’à l’intérieur du quadrilatère Bonn - Jérusalem-Ouest / Berlin - le Caire, « le bilatéral devient multilatéral » : en effet, derrière chacun de ces quatre acteurs se tiennent fermement Washington et Moscou199.

A partir de 1972-1973, la concurrence interallemande devient moins déterminante dans la politique étrangère de la RFA et de la RDA200. Le Traité fondamental de reconnaissance mutuelle signé par les deux Etats allemands le 21 décembre 1972, suivi par leur entrée

194 « Staatliche Massnahmen sind im Budget der VAR enthalten, Westdeutschland aber erklärt, dass alle Erleichterungen gestoppt werden sollen ». MfAA, L 187, C 641/73, op.cit., Niederschrift über ein Gespräch mit dem Minister für Wirtschaft und Aussenhandel der VAR, Hassan Abbas Zaki, am 12.7.1969, p. 49. 195 « Was die westdeutsche Haltung angeht, so ist auch ihm klar, dass Westdeutschland die witschaftlichen Beziehungen nicht abbrechen wird, aber es muss damit gerechnet werden, dass Verzögerungen eintreten und daraus für die VAR Schwierigkeiten entstehen ». Ibid., p. 49-50. 196 « Wenn Westdeutschland seine Experten abzieht, dann müsse man sie aber von der DDR oder anderen befreundeten Ländern anfordern ». Ibid., p. 50. 197 HAFEZ, Kai, „Von der nationalen Frage… », op.cit., p. 77-95. 198 SCHWANITZ, Wolfgang, « La politique moyen-orientale de Berlin-Est… », op.cit., p. 283. 199 SCHWANITZ, Wolfgang, « Deutschland und der Mittlere Osten… », op.cit., p. 14. 200 WENTKER, Hermann, « Entre concurrence, cohabitation et coopération… », op.cit., p. 41. L’analyse des sources est-allemandes montre néanmoins que la question nationale ne disparaît jamais totalement des priorités de la RDA ; dans le domaine de la culture notamment, la compétition interallemande reste réelle en Egypte. A ce propos, voir : infra, partie II, chapitre 6, p. 386-395.

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simultanée à l’ONU, le 18 septembre 1973201, contribuent en effet à normaliser les relations. Du point de vue ouest-allemand, la détente prend le pas sur la question de la réunification202. Du point de vue est-allemand, la politique de démarcation203 avec l’Ouest perd de son acuité. Au tournant des années 1980, l’Union soviétique étant de moins en moins en mesure de subventionner son économie, la RDA devient en outre plus dépendante des crédits ouest- allemands204.

A partir du moment où la RDA est en mesure d’étendre son activité diplomatique, il importe de savoir dans quelle mesure les dirigeants est-allemands ont cherché à utiliser la nouvelle marge de manœuvre dont ils disposaient. Au début des années 1980, la politique étrangère est-allemande prend davantage en compte les intérêts nationaux ; de ce point de vue, elle connaît bel et bien une impulsion inédite. Cette évolution traduit-elle pour autant une véritable émancipation du processus décisionnel est-allemand à l’égard des directives soviétiques, en matière de relations internationales ? L’analyse des archives de la RDA montre que ce n’est pas tant sur le plan institutionnel que se manifestent les stratégies proprement « nationales » en matière de politique extérieure, mais davantage dans les interstices de la coopération bilatérale, et de manière souvent informelle. De fait, le fonctionnement institutionnel de la politique étrangère est-allemande n’offre guère d’espace aux initiatives personnelles.

Les rouages de la politique étrangère est-allemande en Egypte : structures institutionnelles et répartition des compétences

En RDA, comme dans les autres démocraties populaires, les différentes phases de l’élaboration de la politique étrangère relèvent avant tout du parti et des organismes gouvernementaux qui lui sont subordonnés. Le SED est en effet à la fois un parti politique et un parti d’Etat, étroitement lié à l’appareil administratif, ce qui le conduit d’ailleurs à « incarne[r] la souveraineté de l’Etat au niveau international »205. L’organigramme suivant

201 Mario Bettati rappelle que la double admission à l’ONU est à la fois un constat et un facteur de la normalisation des relations germano-allemandes. Voir : BETTATI, Mario, « L’admission des deux Allemagnes à l’O.N.U. », in : Annuaire français de droit international, 1973, vol. 19, p. 212. 202 WENTKER, Hermann, « Entre concurrence, cohabitation et coopération… », op.cit., p. 30. 203 La politique de démarcation (Abgrenzung) politique, idéologique et culturelle face à la RFA, menée par Erich Honecker, est étroitement liée à la volonté de reconnaissance internationale de la RDA. 204 WENTKER, Hermann, « Entre concurrence, cohabitation et coopération… », op.cit., p. 31. 205 Voir : CHRISTIAN, Michel, « Les partis communistes du bloc de l’Est : un objet transnational ? L’exemple des écoles supérieures du parti », in : Vingtième Siècle. Revue d’histoire, 2011/1, n° 109, Paris, Presses de Sciences Po, p. 31.

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présente les institutions et organisations est-allemandes qui jouent un rôle-clé dans l’élaboration et la mise en œuvre de la politique étrangère de la RDA en Egypte :

Tableau 1: Les principaux acteurs de la politique étrangère est-allemande en Egypte,

1969-1989

Sekretariat/ Secrétariat

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Parallèlement au déclin de l’approche réaliste et stato-centrée des relations internationales, le courant libéral a insisté sur la nécessité de prendre en compte les pratiques et le processus décisionnel dans l’étude des politiques étrangères206. De ce point de vue, il a mis en exergue le rôle des acteurs et de leurs perceptions dans l’élaboration et la mise en œuvre de l’activité internationale. En RDA cependant, en raison de l’extrême centralisation du pouvoir, c’est le SED qui donne l’orientation stratégique en matière de politique extérieure, de l’information à l’exécution, en passant par la prise de décision. Le Comité central du SED et les deux organes qui en dépendent, le Bureau politique et le Secrétariat, forment le véritable « centre décisionnel »207, tandis que les autres organismes sont plutôt chargés de collecter les informations et d’appliquer la politique choisie208. Au niveau étatique, c’est le conseil des ministres, le gouvernement de la RDA, qui est chargé de mettre en œuvre la politique étrangère nationale, « sur la base des décisions du SED »209. Les ministères compétents, en particulier le ministère des Affaires étrangères (MfAA) et le ministère du Commerce extérieur210, sont chargés d’exécuter la ligne impulsée par le parti. Au sein du MfAA, différentes sections (Abteilungen) sont elles-mêmes subdivisées en domaines de compétences fonctionnels et régionaux, par exemple le département du Proche- et du Moyen-Orient, responsable de l’activité en Egypte211. Ces ministères sont d’autant plus soumis à la direction du SED qu’ils sont doublés de départements au sein du Comité central du parti qui leur font concurrence212, notamment le département IV, responsable des relations internationales213. Ce dernier est par exemple chargé d’analyser les évolutions en cours dans chaque pays et au sein des partis politiques et de préparer les visites mutuelles214. En outre, les

206 Sur la notion de « politique étrangère », voir le rappel historiographique de Frédéric Charillon dans : CHARILLON, Frédéric (dir.), « Introduction », in : Politique étrangère. Nouveaux regards, Paris, Presses de Sciences Po, 2002, p. 16. 207 SCHWARZ, Hans-Peter (dir.), Handbuch…, op.cit., p. 771. 208 POIDEVIN, Raymond, L’Allemagne et le monde au XXe siècle, Paris, Masson, 1983, p. 254. 209 SCHWARZ, Hans-Peter (dir.), Handbuch…, op.cit., p. 772. 210 Jusqu’en janvier 1974, le ministère du Commerce extérieur (Ministerium für Aussenhandel) est appelé ministère de l’Economie à l’étranger (Ministerium für Aussenwirtschaft). Voir : SCHWARZ, Hans-Peter (dir.), Handbuch…, op.cit., p. 773. 211 Le directeur du département du Proche- et du Moyen-Orient au MfAA est Klaus Willerding. 212 SIEBS, Benno-Eide, Die Aussenpolitik…, op.cit., p. 90. 213 Sur les liens entre le département IV (Abteilung Internationale Verbidungen im ZK der SED) et le ministère des Affaires étrangères, se reporter à l’introduction de la thèse, p. 43-44. Le département IV est lui-même subdivisé en sections (pour les pays socialistes, les pays capitalistes et les pays en développement), qui correspondent aux départements du MfAA et travaillent en étroite coordination avec ces derniers. Voir : SIEBS, Benno-Eide, Die Aussenpolitik…, op.cit., p. 95. 214 SIEBS, Benno-Eide, Die Aussenpolitik…, op.cit., p. 95.

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services du MfAA sont également surveillés par la Sécurité d’Etat, qui possède un bureau caché au sein du ministère depuis 1972 et ne manque pas de contrôler les communications entre le ministre des Affaires étrangères et les ambassadeurs215. Dans les années 1960 et 1970, environ 60 collaborateurs de la Stasi, les Offiziere im besonderen Einsatz (OibE), sont présents au sein du MfAA216. C’est pourquoi Ingrid Muth désigne finalement le ministère des Affaires étrangères de RDA comme un « organe fonctionnel du parti », et ses membres comme de véritables « travailleurs du parti » (Parteiarbeiter)217. De fait, les missions du MfAA ont été redéfinies en février 1970 :

« Le ministère réalise ses missions en appliquant la constitution de RDA et de façon conforme aux décisions du SED, aux lois et décisions de la Chambre du Peuple, aux règlements et décisions du Conseil d’Etat, aux décrets et décisions du Conseil des ministres »218.

A partir de la fin des années 1960, le ministère des Affaires étrangères gagne cependant en importance : après la vague de reconnaissances dont le régime de Berlin-Est fait l’objet, les représentations commerciales sont incorporées dans les ambassades et la diplomatie prend le pas sur les instances de commerce extérieur219. De plus, le développement des relations internationales de la RDA conduit nécessairement à l’élargissement du champ d’action du MfAA220.

Malgré tout, au-delà des structures décisionnelles extrêmement centralisées, « la coopération entre ces différentes institutions étatiques ne va pas toujours sans difficultés »221 : Benno-Eide Siebs rappelle ainsi que, malgré la bonne atmosphère qui prévaut en général entre les membres du MfAA et ceux du département des relations internationales du Comité central du SED, il règne parmi eux une « méfiance réciproque », liée à la fonction de contrôle exercée par le département IV222. En effet, le MfAA est considéré comme un « organe soumis » : dès lors, on confie plutôt les questions les plus ardues au département IV223. L’ancien représentant

215 WENTKER, Hermann, Aussenpolitik in engen Grenzen…, op.cit., p. 382. Le MfAA se compose d’environ 3000 collaborateurs dans les années 1980, dont 1000 sont en poste à l’étranger. Voir : WENTKER, Hermann, Aussenpolitik in engen Grenzen…, op.cit., p. 386. 216 Ibid., p. 382. 217 MUTH, Ingrid, Die DDR-Aussenpolitik, 1949-1972, Berlin, Ch. Links Verlag, 2001, p. 73. 218 SCHWARZ, Hans-Peter (dir.), Handbuch…, op.cit., p. 773. 219 WENTKER, Hermann, Aussenpolitik in engen Grenzen…, op.cit., p. 382. 220 RADDE, Jürgen, Die aussenpolitische Führungselite der DDR. Veränderungen der sozialen Struktur aussenpolitischer Führungsgruppen, Cologne, Bibliothek Wissenschaft und Politik, vol. 13, 1976, p. 167. 221 SIEBS, Benno-Eide, Die Aussenpolitik…, op.cit., p. 90. 222 Ibid., p. 96. 223 Ibid., p. 97.

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du ministre est-allemand des Affaires étrangères, Horst Grunert224, critique dans ses mémoires225 la faible autorité du MfAA : selon lui, l’existence de doublons dans l’appareil d’Etat, outre la perte d’énergie qu’elle a entraînée, a conduit au renforcement du SED226.

Et pourtant, de même qu’il est presque impossible de mesurer, à l’aide des seules archives de la RDA, l’impact des directives soviétiques sur la mise en œuvre de la politique étrangère est-allemande227, il est rare de voir émerger dans les documents de véritables désaccords entre les différents types d’acteurs impliqués dans la conduite de la politique étrangère. Si des conflits d’intérêts apparaissent ponctuellement et mettent en lumière, de ce point de vue, les décalages de perceptions qui peuvent exister entre les différents pôles de pouvoir compétents en matière de politique extérieure, ces dernières restent toutefois peu fréquentes.

La situation évolue quelque peu, néanmoins, au tournant des années 1980 : la « vieille garde » dirigeante de la RDA s’efface progressivement, laissant la place à des hommes de la nouvelle génération, « moins liés à l’appareil soviétique » et qui « paraissent plus à même de défendre les intérêts nationaux de la RDA »228. Dans les années 1960, les collaborateurs du MfAA sont en effet de « vieux communistes », qui ont vécu l’entre-deux-guerres et sont restés des « inconditionnels de Moscou »229. En outre, la formation des diplomates est-allemands est encore rudimentaire à cette époque230. A partir de 1964 en revanche, ces derniers sont formés à l’institut des relations internationales (Institut für Internationale Beziehungen, IIB) de l’Académie des sciences juridiques et étatiques de RDA (Akademie für Rechts- und Staatswissenschaft der DDR)231, fondée en 1952 à Potsdam-Babelsberg232. Cette « nouvelle

224 Horst Grunert occupe cette fonction de 1974 à 1978. Voir sa biographie dans la banque de données en ligne de la Bundesstiftung zur Aufarbeitung der SED-Diktatur : http://bundesstiftung-aufarbeitung.de/wer-war-wer-in- der-ddr-%2363%3B-1424.html?ID=1143 225 GRUNERT, Horst, Für Honecker auf glattem Parkett. Errinerungen eines DDR-Diplomaten, Berlin, Editions Ost, 1995. 226 SIEBS, Benno-Eide, Die Aussenpolitik…, op.cit., p. 97. 227 Pierre Jardin pointe l’ « absence de l’URSS » dans les archives de la RDA : les documents, en effet, « ne laissent jamais soupçonner la main de l’URSS ». Voir : JARDIN, Pierre, « Nouvelles archives, nouvelle histoire ? … », op.cit., p. 142. 228 POIDEVIN, Raymond, L’Allemagne et le monde…, op.cit., p. 254-255. 229 Ibid., p. 254. 230 Ingrid Muth explique ainsi qu’avant d’être des diplomates, les coopérants est-allemands à l’étranger sont surtout considérés comme œuvrant au service du parti. Voir : MUTH, Ingrid, Die DDR-Aussenpolitik…, op.cit., p. 73. 231 WEILEMANN, Peter R., « Aussenpolitik », in : EPPELMANN, Rainer, MÖLLER, Horst, NOOKE, Günter, WILMS, Dorothee (dir.), Lexicon des DDR-Sozialismus. Das Staats- und Gesellschaftssystem der Deutschen Demokratischen Republik, Paderborn, Schöningh, 1996, p. 81.

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élite de la politique étrangère »233 est souvent expérimentée : les fonctionnaires actifs au sein du MfAA ou du département IV sont ainsi presque systématiquement soumis au principe de rotation, qui veut qu’ils aient également travaillé dans les ambassades à l’étranger234. Ils sont en outre capables de jouer le rôle de traducteurs, lorsque des délégations étrangères séjournent à Berlin-Est. Peter Rabenhorst, ambassadeur en République populaire démocratique du Yémen, de 1978 à 1981, maîtrise ainsi suffisamment l’arabe pour faire office d’interprète, lorsque des représentants égyptiens se rendent en RDA235. Après 1970, la majorité des collaborateurs du MfAA est issue des couches d’employés et de fonctionnaires ; peu d’entre eux ont exercé une autre profession auparavant236. Au cours des années 1980, les nouvelles cohortes de diplomates contiennent de plus en plus d’enfants de fonctionnaires de l’appareil de parti ou d’Etat237.

Globalement, ces diplomates restent extrêmement loyaux à l’égard du régime est- allemand. Benno-Eide Siebs estime qu’au-delà de la possible crainte de la relégation, ces individus sont surtout convaincus de la « supériorité de l’ordre social socialiste »238. Hermann Wentker fait la même analyse, lorsqu’il affirme que les diplomates est-allemands s’identifient avec les idéaux et les buts proclamés du socialisme réel239. Dès lors, ils n’ont pas de raison de s’opposer aux directives du Bureau politique du SED, qui de toute façon leur laissent peu d’initiative personnelle. L’étude des archives est-allemandes enseigne en outre que l’articulation des pouvoirs entre les trois différents pôles qui coexistent au sein des représentations diplomatiques en Egypte (appareil diplomatique, structures du parti et dispositif policier)240, semble fonctionner la plupart du temps sans dissensions majeures. L’analyse des sources montre que, ponctuellement, les diplomates chevronnés comme les acteurs non-étatiques impliqués dans la coopération avec l’Egypte, parviennent à trouver des

232 OSTEN, Walter, Die Aussenpolitik der DDR…, op.cit., p. 106. 233 WEILEMANN, Peter R., « Aussenpolitik », op.cit., p. 81. 234 SIEBS, Benno-Eide, Die Aussenpolitik…, op.cit., p. 94. 235 SAPMO-BArch, DY 30/ IV B 2-20 345, op.cit. Séjour d’une délégation du comité central de l’Union Socialiste Arabe, sous la direction du premier secrétaire du comité central, Sayed Marei, en RDA, du 16 au 21 mars 1973. Abteilung Internationale Verbindungen, Berlin, 20.2. 1973. 236 WENTKER, Hermann, Aussenpolitik in engen Grenzen…,op.cit., p. 386. 237 Ibid. 238 SIEBS, Benno-Eide, Die Aussenpolitik…, op.cit., p. 94. 239 WENTKER, Hermann, Aussenpolitik in engen Grenzen…,op.cit., p. 386. 240 Antoine Marès identifie ces trois niveaux de décision au sein des représentations diplomatiques est-allemandes à l’étranger. Voir : MARES, Antoine, « Archives et étude… », op.cit., p. 118.

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marges de manœuvre qui leur permettent de s’émanciper des directives soviétiques ou des contraintes imposées par une institution concurrente241. Cependant, l’idéologie reste bien souvent un moteur fondamental de l’action des diplomates est-allemands en Egypte, telle du moins que ces derniers la rapportent dans les documents. D’après eux, idéal socialiste et compréhension de l’intérêt national se recoupent d’ailleurs sans contradiction majeure. De ce point de vue, il est impossible de présenter les fondements de l’activité est-allemande en Egypte, sans rappeler que celle-ci s’appuie sur un réseau actif de structures d’encadrement et de diffusion idélogique, soucieuses d’œuvrer au rayonnement international de la RDA.

Les moyens de l’implantation idéologique : « présenter la RDA par elle- même »242

Les structures de diffusion du socialisme scientifique en Egypte : ligues d’amitié, syndicats, organisations de jeunesse et instituts d’études socialistes L’une des missions qui incombe aux diplomates est-allemands est de veiller à la façon dont l’image de leur Etat est diffusée à l’étranger243. En Egypte, la section Presse et Culture de l’ambassade de RDA expose ainsi les buts qui doivent fonder la coopération avec les organisations de masse et les médias égyptiens :

« Présentation de la RDA par elle-même […]. Présentation de la RDA comme une composante indéfectible de la Communauté des Etats socialistes, avec l’URSS à sa tête. Présentation de la RDA comme un partenaire des peuples en lutte contre l’impérialisme, sur la base de la solidarité anti-impérialiste »244.

Jusqu’en 1969, toute la communication politique internationale de la RDA dans les pays en développement, et notamment en Egypte, vise à obtenir sa reconnaissance

241 Voir infra, partie II, chapitre 5, p. 257-265 et chapitre 6, p. 383-385. 242 MfAA, L 187, C 1304/76- C 1305/76 : Abt. Naher u. Mittlerer Osten. Sektor Ägypten, Sudan, Libyen. Informationsberichte der Botschaft der DDR in der VAR zur Innen- und Aussenpolitik dr VAR und zu den Beziehungen der VAR bzw. Ägyptens zu anderen Staaten. Enthält u.a.: Haltung der VAR im Nahostkonflikt. 1969-1974. Jahresabschlussbericht 1972, Botschaft der DDR in der AR Ägypten, Sektion Presse, Sektion Kultur, Kairo, den 29.1.1973. Aktivitäten gegenüber den Massenmedien. 243 Anita M. Mallinckrodt utilise l’expression d’ « Image Bildung » (construction de l’image) pour désigner la façon dont la RDA entreprend de façonner sa propre représentation à l’étranger. Voir : MALLINCKRODT, Anita M., Die Selbstdarstellung…, op.cit. 244 « Selbstdarstellung der DDR […]. Darstellung der DDR als untrennbarer Bestandteil der sozialistischen Staatengemeinschaft mit der UdSSR an der Spitze. Darstellung der DDR als Bündnispartner der im antiimperialistischen Kampf stehenden Völker auf der Basis der antiimperialistischen Solidarität ». MfAA, L 187, C 1304/76- C 1305/76, op.cit., Jahresabschlussbericht 1972, Botschaft der DDR in der AR Ägypten, Sektion Presse, Sektion Kultur, Kairo, den 29.1.1973. Zu den auslandsinformatorrischen Positionen der DDR in der Arabischen Republik Ägypten, p. 16.

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diplomatique245. Après que l’Allemagne de l’Est a atteint cet objectif, il lui importe surtout d’apparaître comme un Etat antifasciste et socialiste, moralement supérieur à la RFA246. Pour cela, elle peut s’appuyer sur plusieurs types d’instances, dont la tâche est précisément de façonner son image à l’étranger : ligues d’amitié, organisations de jeunesse ou syndicats. Le département de l’information à l’étranger au sein de l’appareil du Comité central (Abteilung Auslandsinformation im Apparat des Zentralkomitees) coordonne l’activité de telles structures, la propagande étant conçue comme un véritable outil de la politique étrangère est- allemande247. Les organisations de masse et « organes d’agitation »248 participent donc pleinement de l’entreprise de diffusion et de représentation du modèle est-allemand, en RDA et à l’étranger.

La ligue pour l’amitié entre les peuples (Liga für Völkerfreundschaft) joue de ce point de vue un rôle majeur : structure de propagande, qui possède des ramifications dans 90 pays249, elle soutient les centres de culture et d’information est-allemands à l’étranger250 et « contribu[e], grâce à son action d’information à l’étranger, à créer des conditions favorables à la construction du socialisme […] »251. Fondée en décembre 1961, la Ligue est chargée de consolider les relations culturelles de la RDA avec différents Etats, et œuvre par conséquent au renforcement de la visibilité est-allemande à l’étranger252. En Egypte, elle impulse notamment l’activité de la société d’amitié arabo-allemande, créée en février 1969.

Les organisations de masse, comme les syndicats et les sociétés de jeunesse, constituent le second type de vecteur susceptible de diffuser une image positive de la RDA au sein de la société civile égyptienne. C’est d’ailleurs en partie par leur intermédiaire que se sont développés les contacts bilatéraux, avant même la mise en place des relations diplomatiques

245 Anita M. Mallinckrodt étudie les ressorts de cette « communication politique internationale » (internationale politische Kommunikation) menée par la RDA dans les pays en développement. Voir : MALLINCKRODT, Anita M., Die Selbstdarstellung…, op.cit., p. 224. 246 WENTKER, Hermann, Aussenpolitik in engen Grenzen…, op.cit., p. 389. 247 GRIESE, Olivia, Auswärtige Kulturpolitik und Kalter Krieg. Die Konkurrenz von Bundesrepublik und DDR in Finnland, 1949-1973, Wiesbaden, Harrassowitz Verlag, 2006, p. 42. 248 PICAPER, Jean-Paul, « La politique extérieure de la RDA » in : Politique étrangère, 1975, vol. 40, n°5, p. 472. 249 Ibid. 250 WENTKER, Hermann, Aussenpolitik in engen Grenzen…, op.cit., p. 389. 251 SAPMO-BArch, DY 13/ 2723 : Liga für Völkerfreundschaft. Büro des Generalsekretärs. Ägypten, April-Mai 1976. Décision sur le développement futur de la politique des médias et action à l’égard des médias de la Ligue pour l’amitié entre les peuples. 252 Pour une présentation complète de la Ligue pour l’amitié entre les peuples, consulter le site des archives fédérales allemandes, bundesarchiv.de : http://www.argus.bstu.bundesarchiv.de/dy13/index.htm

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officielles entre Berlin-Est et le Caire. L’Alliance syndicale libre allemande (FDGB, Freier Deutsche Gewerkschaftsbund), qui représente, depuis sa création en 1946, la plus grande organisation de masse de RDA253, entretient ainsi des liens avec les syndicats égyptiens depuis 1957254. Son but proclamé est de soutenir la classe des travailleurs dans les pays arabes et de travailler en coordination avec les syndicats, afin d’ancrer au sein de la population les « idées du prolétariat international »255. En Egypte, la FDGB collabore avec la Fédération égyptienne indépendante des syndicats (Egyptian Trade Union Federation, ETUF), l’alliance syndicale égyptienne contrôlée par le pouvoir256. Créée en 1957 par Nasser, l’ETUF possède le monopole de la représentation des travailleurs en Egypte257. En 1985, la fédération regroupe 21 syndicats et possède environ 2,5 millions de membres258. Après la reconnaissance de la RDA par l’Egypte, les relations entre la FDGB et l’ETUF s’approfondissent nettement. Le département des relations internationales de la FDGB envoie des ouvrages spécialisés en marxisme-léninisme aux différents syndicats affiliés à l’ETUF259 et organise la formation de cadres syndicaux à l’école supérieure Fritz Eckert de Bernau260 . Du 27 mars au 7 mai 1972, plusieurs syndicalistes égyptiens participent par exemple aux cours proposés par l’école261. Ces sessions sont régulièrement reconduites les années suivantes : du 2 avril au 17 mai 1973, dix places sont réservées aux Egyptiens pour suivre les séminaires de l’école de Bernau ; du

253 Voir le site des archives fédérales allemandes : http://www.argus.bstu.bundesarchiv.de/dy34ges/index.htm 254 BATOR, Wolfgang und Angelika (dir.), Die DDR und die arabischen Staaten…, op.cit., p. 44. 255 Ibid. 256 El-SAÏD, Rifaat, ISMAEL, Tareq Y., The communist movement in Egypt, 1920-1988, Syracuse, Syracuse University Press, 1990, p. 142. 257 Sur la relation entre le syndicat et l’État égyptien, voir : EL SHAFEI, Omar, Workers, Trade Unions and the State in Egypt, 1984-1989, le Caire, American University in Cairo Press, 1995 ; BEININ, Joel, LOCKMAN, Zachary, Workers on the Nile: Nationalism, Communism, Islam and the Egyptian Working Class, 1882-1954, Princeton, Princeton University Press, 1987, chapitre XIII. 258 SAPMO-BArch, DY 45/ 1408 : Gewerkschaft der Mitarbeiter der Staatsorgane und der Kommunalwirtschaft. IVG Öffentliche Dienste. Ägypten, 1976-1987. AW Informationen für Auslandsreisen, ARÄ, Nr. 6, Januar 1985, ZIDA, Berlin. 259 SAPMO-BArch, DY 34/ 10 526 : FDGB. Abteilungen. Ägypten. Berichte 1969-1975. FDGB Bundesvorstand, Abt. Int. Verbindungen, Schriftverkehr, Berichte und Einschätzungen, Ägypten, 1969-1974, lettre de M. Krausse, attaché à l’ambassade de RDA en Egypte, à M. Lamprecht, département des relations internationales de la FDGB, le Caire, 26 septembre 1974. 260 L’école supérieure de Bernau forme l’ « élite des syndicats » de RDA et propose des cours d’histoire, de philosophie, d’économie et de politique sociale. Voir : BAFOIL, François, « La formation des cadres syndicaux : l’école de Bernau », in : Revue d’études comparatives Est-Ouest, 1989, vol. 20, n° 20-4, p. 107-109. 261 SAPMO-BArch, DY 34/ 10 526, op.cit., lettre de M. Linke, premier secrétaire de l’ambassade de RDA en RAE, à M. Köhler, adjoint du directeur du département des relations internationales de la FDGB, le Caire, 9 mars 1972.

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28 mai au 13 juillet de la même année, 20 places leur sont attribuées262. Inversement, des délégations de cadres syndicaux est-allemands de Bernau peuvent participer aux formations proposées par l’Institut de la formation des travailleurs au Caire263. Ces échanges se maintiennent, avec plus ou moins de régularité, jusqu’à la fin des années 1980 : de juin à août 1989, dix membres de l’ETUF participent ainsi au camp d’été organisé par la FDGB dans la station thermale de Zechliner Hütte264.

Pour autant, il n’est pas certain que la coopération syndicale soit très efficace en termes de diffusion idéologique du modèle marxiste-léniniste : « l’alignement de l’ETUF sur le gouvernement »265 et la désolidarisation du syndicat unique des grands mouvements de contestation sociale au cours des années 1970266 compliquent le développement de ses relations avec la FDGB. Les relations entre le mouvement syndical et l’Etat en Egypte ont été bien étudiées par les politologues ; Eric Gobe rappelle d’ailleurs utilement comment ces derniers ont analysé, depuis les années 1970, le « corporatisme autoritaire »267 dans le monde arabe, et en particulier dans l’Egypte nassérienne268. La vision organique de la société qui prévaut en Egypte « refuse le conflit, ainsi que l’idée de lutte des classes »269 ; elle justifie par conséquent l’interdiction des grèves et des manifestations dans le pays, ainsi que la soumission des structures syndicales au parti dirigeant270. Lors des manifestations qui se déroulent au Caire en janvier 1975, l’ETUF condamne ainsi vigoureusement le mouvement de contestation sociale, désignant les individus qui en sont à l’initiative comme des « éléments

262 SAPMO-BArch, DY 34/ 10 526, op.cit., lettre de M. Köhler, adjoint du directeur du département des relations internationales de la FDGB, à l’ambassade de RDA au Caire, 9 novembre 1972. 263 SAPMO-BArch, DY 34/ 10 526, op.cit., lettre de M. Köhler à l’ambassade de RDA au Caire, 9 mars 1973. 264 SAPMO-BArch, DY 34/ 14 119 : FDGB. Sekretariats- und Präsidiumsvorlagen. Bd. 5 : Delegationen aus Ägypten, Sept.-Dez. 1989. FDGB Bundesvorstand, Abt. Int. Verbindungen, Vorlagen für Präsidiums- und Sekretariatssitzungen, Septembre-décembre 1989, Information sur la session internationale de repos pour la jeunesse de la FDGB en 1989. 265 CLEMENT, Françoise et al., « Le rôle des mobilisations des travailleurs et du mouvement syndical dans la chute de Moubarak », in : Mouvements, 2011/2, n° 66, p. 71. 266 Sur les grèves de 1972-1973, 1975 et 1977, voir infra, partie I, chapitre 3, p. 169-172. 267 L’expression vient de Philippe Schmitter et désigne un type de régime populiste, dont l’objectif est d’encadrer des groupes sociaux « dans des structures verticales de mobilisation au profit d’un projet national de développement se réclamant du socialisme ». Voir : GOBE, Eric, « Les syndicalismes arabes au prisme de l’autoritarisme et du corporatisme », in : DABENE, Olivier GEISSER, Vincent, MASSARDIER, Gilles (dir.), Autoritarismes démocratiques. Démocraties autoritaires au XXIe siècle, Paris, La Découverte, 2008, p. 268. 268 Voir : GOBE, Eric, « Les syndicalismes arabes… », op.cit., p. 267-284. 269 Ibid., p. 268. Sur le peu de succès que rencontre la théorie de la lutte des classes en Egypte, voir infra, partie I, chapitre 2, p. 117-122. 270 SAPMO-BArch, DY 34/ 10 526, op.cit., Information sur la position des directions de plusieurs syndicats de RAE, au sujet des manifestations au Caire du 1er janvier 1975, Botschaft der DDR in ARÄ, Kairo, den 7.1. 1975.

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irresponsables », dont il convient de se démarquer271. Sous le gouvernement de Sadate, l’ETUF refuse à plusieurs reprises d’envoyer des cadres syndicaux participer à des formations en RDA272 : les Etats socialistes sont en effet soupçonnés de soutenir les mouvements de masse qui se multiplient dans les années 1970 et que les forces communistes et les partis de gauche égyptiens sont accusés d’avoir fomentés273. Ces tensions mènent au refroidissement des relations entre la FDGB et l’ETUF dans la seconde moitié des années 1970 : du point de vue est-allemand en effet, l’alliance syndicale égyptienne défend une ligne « social- réformis[te] », issue du « néo-libéralisme bourgeois », qui consiste à atténuer les divisions sociales, et nullement à proposer une alternative à l’orientation capitaliste du régime274.

L’autre pan de la coopération entre les organisations de masse est-allemandes et égyptiennes concerne le développement des liens entre les associations de jeunesse. Le 1er juillet 1969, quelques jours à peine avant l’officialisation des relations diplomatiques, la FDJ (Freie Deutsche Jugend)275signe une convention avec la SYO (Socialist Youth Organization)276, qui institue notamment l’organisation annuelle d’une semaine de l’amitié de la jeunesse277. Fondée en 1966, la SYO, l’organisation de jeunesse de l’Union Socialiste Arabe, a pour mission d’encadrer les jeunes Egyptiens de 15 à 25 ans278. En 1972, elle compte environ 220 000 membres279.

271 Ibid. 272 SAPMO-BArch, DY 34/ 10 526, op.cit., Information sur la situation actuelle au sein du syndicat des travailleurs du commerce de RAE, Botschaft der DDR in ARÄ, 11.11.1975. 273 Voir infra, partie I, chapitre 3, p. 169-172. 274 SAPMO-BArch, DY 34/ 14 036 : FDGB. Präsidium. Delegationen in Ägypten, Sept.-Dez. 1988. Précisions sur la ligne de l’ETUF. 275 Jeunesse libre allemande. La FDJ est l’organisation de jeunesse de RDA, née en mars 1946, avant même la constitution de l’Etat est-allemand. Dirigée successivement par Günter Jahn (1967-1974), Egon Krenz (1974- 1983) et Eberhard Aurich (1983-1989), elle doit encadrer les jeunes de 14 à 25 ans. Voir : DROIT, Emmanuel, « L’éducation en RDA ou la quête de l’homme socialiste nouveau (1949-1990) », in : Histoire de l’éducation, janvier-mars 2004, n° 101, p. 3-35. [En ligne], 101 | 2004. URL : http://histoire-education.revues.org/723 ; DOI : 10.4000/histoire-education.723 276 Organisation de la jeunesse socialiste d’Egypte. Dirigée par Mufid Shehab, elle dépend de l’Union Socialiste Arabe. 277 MfAA, L/ 187, C 1641/76, op.cit., Zum Stand der Beziehungen DDR-Vereinigte Arabische Republik, 9.7.1970. 278 SAPMO-BArch, DY 30/ IV B 2-20 344 : Abteilung Internationale Verbindungen im ZK der SED. ASU : Informationen über die Politik der ASU, 1972-75. Bd. 1 : 72-73. Rapport sur le séjour en RDA de la délégation de la SYO de RAE, du 5 au 11 juin 1972. 279 Ibid.

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Au début des années 1970, en RDA et en Egypte, « l’éducation politique de la jeunesse »280 est une préoccupation commune aux deux régimes : selon Emmanuel Droit, l’école en RDA doit relayer de façon ludique le « pouvoir hypnotique de la domination »281 ; en Egypte, alors que la reprise de la guerre contre Israël est imminente, il s’agit surtout de « préparer la jeunesse à une confrontation ouverte avec l’ennemi »282. En outre, convaincus que le sort d’une révolution dépend inévitablement de l’avenir de la jeunesse, les dirigeants du SED et de l’Union Socialiste Arabe voient dans la coopération entre la FDJ et la SYO un moyen de renforcer l’encadrement idéologique de leurs populations. Selon Shaarawi Gomaa, ministre égyptien de l’Intérieur, il importe d’autant plus de former la jeunesse égyptienne que cette dernière est l’une des cibles privilégiées de l’ « impérialisme » :

« Le fait est que la jeunesse d’Egypte, aujourd’hui, n’a pas connu l’exploitation et le capitalisme. Il est donc facile à l’impérialisme de démoraliser la jeunesse et de détruire son moral combatif. Etant donné que la lutte contre l’impérialisme est un long combat, on doit éduquer la jeunesse dans un esprit révolutionnaire et la protéger des influences de l’impérialisme. Cette question doit unir la jeunesse égyptienne à la jeunesse des pays socialistes »283.

Tout comme dans le domaine syndical cependant, la coopération entre les organisations de jeunesse suscite rapidement l’insatisfaction de la RDA. Les diplomates est-allemands déplorent le manque de coordination étatique sur les questions de la jeunesse en Egypte : chaque gouvernorat est en effet responsable de la politique de la jeunesse à son échelle, sans qu’aucune ligne de conduite ne soit véritablement édictée par le pouvoir central284.

280 « Die politische Erziehung der Jugend ». MfAA, L 187, C 1775, op.cit. Aktenvermerk über eine Unterredung des Kandidaten des Politbüros und Sekretärs des ZK der SED, Genossen Werner Lamberz, mit dem Sekretär für Organisationsfragen des ZK der ASU, Stellvertreter des Ministerpräsidenten und Innenminister der VAR, Shaarawi Gomaa, am 27.3.1971 in der Zeit von 19.00 bis 20.40 Uhr. Botschaft der DDR in der VAR, Kairo, den 29.3.1971. 281 DROIT, Emmanuel, « L’éducation en RDA ... », op.cit., p. 7. 282 SAPMO-BArch, DY 30/ IV B 2-20 344, op.cit., Rapport sur le séjour en RDA de la délégation de la SYO de RAE, du 5 au 11 juin 1972. 283 « Heute sei die Sache so, dass die Jugend auch in der VAR keine eigenen Erfahrungen mit der Ausbeutung und dem Kapitalismus gemacht habe. Mitunter falle es dem Imperialismus leicht, die Jugend zu demoralisieren und ihre Kampfmoral zu zerstören. Da der Kampf gegen den Imperialismus ein langer Kampf sei, müsse man die Jugend im revolutionären Geiste erziehen und vor den Einflüssen des Imperialismus schützen. Es sei eine dringende Frage, wie die Jugend der VAR gemeinsam mit der Jugend der sozialistischen Länder zum Siege geführt werden könne ». MfAA, L 187, C 1775, op.cit., Aktenvermerk über eine Unterredung des Kandidaten des Politbüros und Sekretärs des ZK der SED, Genossen Werner Lamberz, mit dem Sekretär für Organisationsfragen des ZK der ASU, Stellvertreter des Ministerpräsidenten und Innenminister der VAR, Shaarawi Gomaa, am 27.3.1971 in der Zeit von 19.00 bis 20.40 Uhr. Botschaft der DDR in der VAR, Kairo, den 29.3.1971. 284 SAPMO-BArch, DC 4/ 1992 : Amt für Jugendfragen. Internationale Zusammenarbeit. Afrikanische, arabische, asiatische und amerikanische Staaten. Zusammenarbeit mit Ägypten (VAR), 1966-1973. Bd. 4 : 1970-72. Lettre du centre culturel est-allemand à Alexandrie à Helmut Oppermann, directeur du bureau pour les questions de la jeunesse au Conseil des ministres de RDA, Alexandrie, 28 juin 1972.

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De fait, si le tout début des années 1970 mène indéniablement à l’intensification des relations entre les organisations de masse est-allemandes et égyptiennes, il ne donne pas lieu, pour autant, à un véritable essor de la coopération idéologique bilatérale. Les liens que nouent les instituts socialistes dans les deux pays témoignent, comme pour les syndicats et les organisations de jeunesse, de l’essoufflement rapide de la collaboration dans ce domaine. Dans la seconde moitié des années 1960, l’école du Parti « Karl Marx » (Parteihochschule Karl Marx)285 de RDA noue des liens étroits avec le Higher Institute of Socialist Studies du Caire286. Ce dernier, né sous les auspices de l’Union Socialiste Arabe, afin de promouvoir sa politique et de former idéologiquement ses cadres287, reçoit les dirigeants est-allemands bien avant la mise en place des relations diplomatiques officielles. Après la guerre de juin 1967, Hermann Matern, membre du Bureau politique du SED, donne ainsi une conférence à l’Institut égyptien ; cette dernière est publiée en 1968 par le journal Einheit, organe de presse diffusé par le SED288. Soucieux de démontrer les points communs qui existent entre les révolutions menées en RDA et en Egypte, Hermann Matern définit comme suit le rôle que doit jouer, selon lui, le Higher Institute of Socialist Studies :

« L’activité de votre Institut repose sur la mission, ardue mais noble, qui consiste à éduquer les hommes de façon responsable et consciente, dans l’esprit du socialisme scientifique. Votre Institut n’est pas seulement un établissement scientifique, mais c’est aussi le centre spirituel de l’avant- garde du peuple égyptien. Le Higher Institute of Socialist Studies est l’institut d’éducation principal de l’USA, une organisation politique dont la transformation en parti est désormais la base nécessaire à la poursuite de la révolution dans votre pays »289.

A la fin des années 1960, les représentants est-allemands sont confiants dans l’évolution future de l’Egypte nassérienne, encouragée à former un « véritable parti révolutionnaire »290. Le rôle dévolu au Higher Institute of Socialist Studies dans un tel processus est limpide : ce dernier doit « faire en sorte que les masses laborieuses acquièrent une conscience socialiste et fassent confiance aux idées du marxisme-léninisme », afin de les

285 L’école supérieure du Parti « Karl Marx », fondée en 1946, est subordonnée au SED. 286 LAMM, Hans Siegfried, KUPPER, Siegfried, DDR und Dritte Welt, op.cit., p. 86. 287 Sur le Higher Institute of Socialist Studies, voir notamment : GORMAN, Anthony, Historians, State and Politics in Twentieth Century Egypt. Contesting the Nation, Londres, Routledge Curzon, 2003, p. 65. 288 MATERN, Hermann, « Die Gemeinsamkeiten der SED und der ASU im Kampf um Frieden, Demokratie und gesellschaftlichen Fortschritt », in : Einheit, Berlin Dietz Verlag, 23 (2), 1968, p. 205-215. 289 Ibid., p. 205. 290 Ibid., p. 213.

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« préparer » à la grande révolution socialiste291. Il s’agit donc de « gagner les cœurs et les cerveaux […] à la cause de la paix, de la démocratie et du socialisme »292.

Pourtant, bien que les relations entre l’école du Parti de RDA et le Higher Institute of Socialist Studies se maintiennent après la mise en place des relations diplomatiques bilatérales293, l’Institut égyptien perd rapidement son statut de « centre de la pensée radicale »294 après la défaite de juin 1967, et plus encore après la mort de Nasser. Le Centre for Political and Strategic Studies, créé au tout début des années 1970 sous l’impulsion de Mohammed Hassanein Heikal, prend alors le relais295. Chargé de produire des analyses de politique étrangère, ce nouvel institut se distingue néanmoins du précédent par une orientation politique nettement moins à gauche. Sans remettre en cause la coopération en matière d’idéologie et de communication avec les établissements est-allemands, comme en témoignent les relations que noue le Centre for Political and Strategic Studies avec l’Institut für Internationale Beziehungen296 de Babelsberg297, une telle réorientation s’inscrit malgré tout dans le mouvement plus général de refroidissement des relations entre le Caire et les Etats socialistes, qui a lieu sous le gouvernement de Sadate298. De toute façon, si l’Institut für Internationale Beziehungen est une courroie de transmission utile entre le ministère est- allemand des Affaires étrangères et les instituts étatiques égyptiens299, son rayonnement reste limité. De fait, la seule action des organisations de masse est-allemandes ne suffit pas à

291 Ibid., p. 212. 292 Ibid. 293 En avril 1970, le directeur adjoint de l’école du Parti Karl Marx visite l’Institut égyptien. Un projet de coopération est évoqué, qui vise à créer quatre instituts régionaux affiliés au Higher Institute of Socialist Studies ; il est également question d’intensifier les échanges de délégation entre les établissements est-allemands et égyptiens. Voir : MfAA, L 187, C 1111/75 – 1117/75, op.cit., Informationsbericht 8/70, 4.Higher Institute for Socialist Studies (Wegricht), Botschaft der DDR in der VAR, Kairo, den 31.4.1970. 294 GORMAN, Anthony, Historians, State and Politics…, op.cit., p. 65. 295 Ibid., p. 66. 296 L’Institut für Internationale Beziehungen, qui fait partie de l’Académie des sciences juridiques et étatiques de RDA, forme les diplomates est-allemands depuis 1964. Voir supra, prologue, p. 66. 297 MfAA, L 187, C 6461 : Abt. Naher u. Mittlerer Osten. Ausarbeitungen (Vorstellungen, Konzeption, Jahresorientierung) zur weiteren Entwicklung der Beziehungen zwischen der DDR und Ägypten. 1978. Gedanken für die Konzeption zur Entwicklung der Beziehungen DDR-ARÄ, 1979-80. Botschaft der DDR in der AR Ägypten, Kairo, den 21.09.1978. 298 Voir infra, partie I, chapitre 3. 299 L’IIB est compétent pour transmettre, par exemple, la documentation publiée par la RDA, aux différents instituts égyptiens avec lesquels le régime est-allemand coopère. Voir : MfAA, Département du Proche-et du Moyen-Orient, secteur Egypte, Soudan, Libye, L 187, C 6461, op.cit., Gedanken für die Konzeption zur Entwicklung der Beziehungen DDR-ARÄ, 1979-80. Botschaft der DDR in der AR Ägypten, Kairo, den 21.09.1978.

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garantir l’efficience du travail d’« information à l’étranger »300 : la « construction de l’image » passe aussi, bien évidemment, par le vecteur médiatique.

Le travail de l’ADN (Allgemeiner Deutscher Nachrichtendienst) et la coopération égypto-est- allemande dans le domaine de la presse et des médias Dans le domaine de la presse et des médias, c’est à l’ADN (Allgemeiner Deutscher Nachrichtendienst), l’agence d’information est-allemande, qu’il appartient de définir l’image du régime de Berlin-Est, telle qu’elle doit être véhiculée à l’étranger. Fondée en 1946, la société ADN est devenue une institution étatique en 1953301. Aux côtés du MfAA, l’ADN impulse la recherche est-allemande en sciences régionales, qui fonde à son tour la politique étrangère de la RDA302. En Egypte, l’ADN du Caire (ADN Kairo) a pour mission d’influencer les forces progressistes du pays et de proposer une alternative crédible aux informations diffusées par les organes de presse occidentaux, et notamment ouest-allemands. Berlin-Est accorde une grande importance à la coopération entre l’ADN et les agences d’information égyptiennes : en effet, ce sont ces dernières qui « façonnent bien souvent la pensée de millions d’individus »303. Depuis le 12 janvier 1959, l’ADN travaille donc en étroite collaboration avec l’agence d’information égyptienne officielle, la Middle East News Agency (MENA)304. Cette coopération se maintient de façon durable, puisqu’un nouvel accord est conclu le 13 août 1975 et complété dix ans plus tard, en août 1985, par les directeurs des deux agences, Günter Pötschke et Mustafa Naguib305. L’ADN, qui se déclare « prête à soutenir la MENA dans ses efforts de modernisation », entreprend notamment de former des membres de l’agence d’information égyptienne en RDA. De ce point de vue, elle est en concurrence avec l’activité

300 Ibid. 301 « ADN. Allgemeiner Deutscher Nachrichtendienst », in : HERBST, Andreas, RANKE, Winfried, WINKLER, Jürgen, So funktionierte die DDR. Band 1: Lexikon der Organisationen und Institutionen Abteilungsgewerkschaftsleitung (AGL)- Liga für Völkerfreundschaft der DDR, Hambourg, Rowohlt, 1994, p. 50. 302 HAFEZ, Kai, Orientwissenschaft in der DDR…, op.cit., p. 70. 303 Die Nachrichtenagenturen sind « Schlüsselpositionen, da die erste Nachricht oft das Denken von Millionen Menschen bestimmt ». MfAA, L 187, C 1775, op.cit., Aktenvermerk über eine Unterredung des Kandidaten des Politbüros und Sekretärs des ZK der SED, Genossen Werner Lamberz, mit dem Minister für Information der VAR, Mohamed Fayek, am 30.3.1971 in der Zeit von 10.20 Uhr-11.45 Uhr. Botschaft der DDR in der VAR, Kairo, den 31.3.1971, p. 6. 304 MfAA, L 187, C 1449/78 : Abt. Naher u. Mittlerer Osten. Sektor Ägypten, Sudan, Libyen. Arbeitsplan zwischen der Regierung der DDR und der ägyptischen Regierung über die kulturelle und wissenschaftliche Zusammenarbeit in den Jahren 1975 und 1976 und Protokoll über die 3. Tagung des Kulturkomittezs DDR- Ägypten 1976. Juni 1975, März 1976. Arbeitsplan zwischen der Regierung der Deutschen Demokratischen Republik und der Regierung der Arabischen Republik Ägypten über die kulturelle und wissenschaftliche Zusammenarbeit in den Jahren 1975 und 1976 – Artikel 57. 305 SAPMO-BArch, DC 900/ 889 : Allgemeiner Deutscher Nachrichtendienst (ADN). Internationale Beziehungen (HG 4) ; Ländern A-Z. Ägypten. Vereinbarungen ADN-MENA, 1959 ; 1968 ; 1975. Protocole signé par Günter Pötschke et Mustafa Naguib, Berlin, 24 août 1985.

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des agences occidentales en Egypte, notamment Reuters, l’Agence-France-Presse (AFP) et la Deutsche Presse Agentur (DPA)306, qui s’apparentent toutes, selon Berlin-Est, à des agences « impérialistes », incapables de fournir des informations objectives307 :

« Il est inquiétant de voir que certains journaux, [en Egypte], se renseignent sur la politique est- allemande à l’aide d’informations provenant de Reuters ou d’autres agences occidentales, et non de l’ADN. Cela revient à présenter la RDA d’un point de vue impérialiste »308.

Dès lors, l’ « amélioration du matériel d’information »309 à destination des médias égyptiens est l’une des priorités qui doit guider l’action de la RDA dans le pays. L’un des moyens dont cette dernière dispose pour y parvenir est la publication de journaux et de périodiques, en langue arabe et diffusés par l’intermédiaire de ses centres culturels310.

A partir de 1970, le journal FDGB-Rundschau, revue internationale publiée par la Fédération allemande syndicale libre et qui paraît aux éditions Verlag Tribüne, est également distribué dans une version en langue arabe, deux fois par an311. La revue est envoyée aux différents syndicats égyptiens et à l’ambassade d’Egypte en RDA312. Il est certain que sa traduction en arabe a contribué à élargir son lectorat dans le pays, comme en témoignent les quelques lettres de remerciements adressées à sa rédaction par des individus isolés ou des unions de travailleurs :

« Cher rédacteur en chef du journal de la FDGB, c’est pour moi une grande joie de vous féliciter pour le premier exemplaire de votre rédaction en arabe. C’est un signe de l’amitié grandissante entre les pays arabes et la RDA. J’aimerais acheter régulièrement ce journal et vous demande cordialement de m’envoyer les exemplaires parus, depuis le tout premier. Avec tous mes remerciements, Hassan Abdel Latif, ingénieur dans les hauts-fourneaux d’Hélouan »313.

306 La DPA est une agence de presse ouest-allemande. 307 MfAA, L 187/ C 1775, op.cit., Aktenvermerk über eine Unterredung des Kandidaten des Politbüros und Sekretärs des ZK der SED, Genossen Werner Lamberz, mit dem Minister für Information der VAR, Mohamed Fayek, am 30.3.1971 in der Zeit von 10.20 Uhr-11.45 Uhr. Botschaft der DDR in der VAR, Kairo, den 31.3.1971. 308 Ibid., p. 7. 309 « In der Kommission Auslandsinformation sind Vorschläge zu entwickeln, wie die eingesetzten Informationsmaterialien inhaltlich verbessert werden können ». MfAA, L 187, C 1304/76- C 1305/76, op.cit., Jahresabschlussbericht 1972, Botschaft der DDR in der AR Ägypten, Sektion Presse, Sektion Kultur, Kairo, den 29.1.1973. Schlussfolgerungen, p. 26. 310 WENTKER, Hermann, Aussenpolitik in engen Grenzen…, op.cit., p. 389. 311 SAPMO-BArch, DY 78/ 2959 : Verlag Tribüne. Redaktion « Rundschau des FDGB ». Bd. 1 : Ägypten, 1956- 1970, Lettre de Günter Klebba, rédacteur en chef de la revue FDGB-Rundschau, à Abdel Aziz Sadek, bureau des écrivains afro-asiatiques au Caire, 29 juillet 1970. 312 Ibid., lettre de l’ambassadeur égyptien en RDA, Saad Badaoui el-Fatatry, à Günter Klebba, rédacteur en chef de FDGB-Rundschau, ambassade de la RAE, Berlin, 7 juillet 1970. 313 Ibid., lettre de Hassan Abdel Latif, ingénieur à Hélouan, adressée à la rédaction du FDGB-Rundschau, 31 août 1970.

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Au-delà des publications en langue arabe, la RDA encourage la constitution de partenariats entre ses organes de presse et des éditions égyptiennes. Au début de l’année 1972, le mensuel Sozialistisches Studium publie ainsi une brochure en coopération avec les éditions Dar al-Hilal, situées au Caire, après avoir obtenu l’approbation de l’Union Socialiste Arabe314. Une telle publication est soutenue activement par l’ambassade de RDA en Egypte, qui entend promouvoir une vision positive du socialisme scientifique au sein de la population, et en particulier auprès des cadres de l’USA et des organisations de masse315. Le secrétaire pour l’idéologie au sein du Comité central de l’Union Socialiste Arabe, Gaber Gad, commande ainsi 1000 exemplaires de la brochure, destinés à être diffusés aux différents échelons de l’USA316. De son côté, Salah Gharib, le président de la fédération syndicale égyptienne, commande 100 exemplaires de la revue317.

C’est dans la même perspective que les journaux Neues Deutschland et al-Goumhouria, organes des régimes en place, et qui connaissent une audience bien plus vaste, signent en 1972 un traité d’amitié318. En acceptant un tel accord, le quotidien égyptien se montre « prêt à publier des rapports sur et pour la RDA » : du point de vue est-allemand, c’est un moyen non négligeable de freiner les attaques croissantes dont les Etats socialistes font l’objet sous Sadate.

La portée de l’activité est-allemande en matière d’information à l’étranger est cependant confrontée à un certain nombre d’obstacles. Les publications est-allemandes traduites en langue arabe font par exemple l’objet d’une censure systématique. La traduction en arabe du discours prononcé par Erich Honecker lors du VIIIe congrès du SED, en juin 1971, est ainsi interdite par le département de la presse du ministère égyptien des Affaires étrangères, qui condamne les attaques formulées à l’encontre la RFA et la République populaire de Chine319. La diffusion de textes en arabe fait d’ailleurs l’objet d’une censure bien plus forte que les documents publiés en langue étrangère : les diplomates est-allemands

314 SAPMO-BArch, DY 30/ IV B 2-20 430, op.cit., Lettre de M. Goldenbaum, chargé de mission à l’ambassade de RDA en RAE, à Wolfgang Schüssler, département des relations internationales du Comité central du SED, le Caire, 17 février 1972. 315 Ibid. 316 Ibid. 317 Ibid. 318 MfAA, L 187, C 1304/76- C 1305/76 op.cit., Jahresabschlussbericht 1972, Botschaft der DDR in der AR Ägypten, Sektion Presse, Sektion Kultur, Kairo, den 29.1.1973. Zu einigen Tendenzen im Informationswesen der ARÄ. 319 MfAA, L 187, C 1641/76, op.cit., Überblick über die Entwicklung der Beziehungen zwischen der DDR und der Arabischen Republik Ägypten, Abt. Arabische Staaten, Berlin, Januar 1972.

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estiment ainsi que, parmi les imprimés en arabe, « beaucoup de choses sont refusées »320. Pourtant, malgré les difficultés, l’ambassade de la RDA au Caire maintient ses efforts dans le domaine de l’information à l’étranger. En 1978, elle appuie par exemple la prise de contact entre le quotidien est-allemand Berliner Zeitung am Abend et le journal cairote al-Missa321. En outre, elle s’efforce de multiplier les supports de la coopération médiatique, en l’élargissant à la radiodiffusion et à la télévision.

En réalité, ce type de collaboration est bien antérieur à l’instauration des relations diplomatiques officielles. Dès 1954, la RDA a entrepris de nouer des relations avec les radios égyptiennes, en réponse aux émissions ouest-allemandes diffusées en Egypte322. Depuis avril 1955, Radio Berlin International (RBI), le service international de la radiophonie est- allemande, diffuse ainsi un vaste programme en plusieurs langues, dont l’arabe, adressé aux pays européens et d’Outre-mer323. A partir de 1959-1960, les émissions en arabe commencent à occuper la plus grande part des diffusions de RBI en langue étrangère. La coopération bilatérale dans le domaine radiophonique intéresse d’autant plus Berlin-Est que presque toutes les familles égyptiennes sont désormais équipées d’un transistor ; ce média connaît un grand succès dans le pays, de même qu’en Syrie, au Liban ou en Jordanie324.

De même, le 2 août 1962, le comité étatique pour la radio de RDA (Staatliche Rundfunkkomitee der DDR) et le service de télévision égyptien (United Arab Republic Broadcasting System and Television Service) signent un accord de coopération325, qui prévoit l’échange de matériel et d’émissions consacrées à la vie quotidienne des populations égyptienne et est-allemande, ainsi que la formation en RDA d’un personnel égyptien

320 MfAA, L 187, C 6465 : Abt. Naher u. Mittlerer Osten. Schliessung des Konsulats der DDR in Alexandria und der Kultur- und Informationenzentren der DDR in Kairo u. Alexandria. Enthält auch : Vorschlag (aus dem Jahr 1974) zur Umwandlung des Konsulats der DDR in Alexandria in ein Generalkonsulat. 1974, 1977-1978. Schlussfolgerungen für die weitere Zusammenarbeit auf staatlicher Ebene in den Bereichen KWZ und WTZ sowie Auslandsinformation, die sich aus der Schliessung der KIZ in Kairo und Alexandria ergeben. Botschaft der DDR in der AR Ägypten, Kairo, 4.1.1978, p. 33. 321 MfAA, 187, C 6461, op.cit., Gedanken für die Konzeption zur Entwicklung der Beziehungen DDR-ARÄ, 1979-80. Botschaft der DDR in der AR Ägypten, Kairo, den 21.09.1978. 322 WISSA-WASSEF, Cérès, « Les relations entre l’Egypte et les deux Etats allemands depuis la seconde guerre mondiale », in : Politique étrangère, 1972, vol. 37, n° 5, p. 625. 323 LAMM, Hans-Siegfried, KUPPER, Siegfried, DDR und Dritte Welt, op.cit., p. 66. 324 MfAA, L 187/ C 1775, op.cit., Aktenvermerk über eine Unterredung des Kandidaten des Politbüros und Sekretärs des ZK der SED, Genossen Werner Lamberz, mit dem Minister für Information der VAR, Mohamed Fayek, am 30.3.1971 in der Zeit von 10.20 Uhr-11.45 Uhr. Botschaft der DDR in der VAR, Kairo, den 31.3.1971. 325 MfAA, L 187, C 1449/78, op.cit., Arbeitsplan zwischen der Regierung der Deutschen Demokratischen Republik und der Regierung der Arabischen Republik Ägypten über die kulturelle und wissenschaftliche Zusammenarbeit in den Jahren 1975 und 1976 – Artikel 56.

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spécialisé dans le domaine télévisuel326. Au cours des années 1970, la RDA cherche cependant à développer ce champ de la coopération :

« L’Egypte prépare la télévision en couleurs, la RDA dispose déjà d’une expérience [en la matière] d’un an et demi. Elle est prête à soutenir la télévision égyptienne grâce à la formation de cadres et à l’installation de programmes en couleurs. L’échange de programmes pourrait être approfondi. On pourrait discuter des possibilités de productions communes »327.

L’Allemagne de l’Est revendique en effet la maîtrise de ces nouveaux canaux d’information. En 1969, la tour de télévision de Berlin-Est a été inaugurée avec fierté328. Selon les diplomates est-allemands, « le besoin d’information grandit », ce qui explique l’essor formidable des nouveaux médias : « 70% des ménages de RDA disposent [par exemple] de leur propre appareil de télévision »329. Face à l’inflation des moyens de communication, de nouvelles exigences en matière de « travail idéologique » apparaissent. Le même constat s’impose à l’étranger : en Egypte, il y a environ 610 000 appareils de télévision, dont l’usage est souvent commun à plusieurs familles330. Pour Berlin-Est, il importe donc de ne pas laisser les puissances occidentales, et en particulier la RFA, investir ce champ médiatique. La dimension idéologique de la coopération est-allemande avec l’Egypte revêt ainsi, d’emblée, un objectif proprement national : il s’agit d’œuvrer au rayonnement de la RDA et à la construction maîtrisée de son image à l’étranger.

326 LAMM, Hans-Siegfried, KUPPER, Siegfried, DDR und Dritte Welt, op.cit., p. 232-234. 327 Ibid. 328 SOLCHANY, Jean, L’Allemagne au XXème siècle, op.cit., p. 427. 329 MfAA, L 187/ C 1775, op.cit., Aktenvermerk über eine Unterredung des Kandidaten des Politbüros und Sekretärs des ZK der SED, Genossen Werner Lamberz, mit dem Minister für Information der VAR, Mohamed Fayek, am 30.3.1971 in der Zeit von 10.20 Uhr-11.45 Uhr. Botschaft der DDR in der VAR, Kairo, den 31.3.1971. 330 Ibid.

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Nous avons tenté, au cours de ce prologue, de présenter les conditions de possibilité de l’émergence, puis de l’affirmation, d’une politique étrangère est-allemande. Indéniablement, une analyse approfondie de l’activité de la RDA en Egypte ne peut faire l’économie de la prise en compte du « code idéologique »331 en vigueur dans le bloc oriental, qui détermine en grande partie les orientations de politique étrangère. Le contexte marxiste implique la superposition d’une politique étrangère étatique et d’une politique étrangère du parti ; il repose en outre sur l’emploi d’une rhétorique anti-impérialiste suffisamment abstraite pour mobiliser et se rallier des forces disparates, en Egypte même. C’est ce qui a conduit Jean-Paul Picaper à désigner la RDA comme étant « davantage un Etat-idéologie qu’un Etat-nation »332.

Et pourtant, au-delà du cadre théorique, il apparaît que l’étude de la relation égypto-est- allemande, telle qu’elle se construit progressivement de 1969 à 1989, ne peut être uniquement appréhendée à l’aune de l’hégémonie soviétique ou de la domination idéologique du marxisme-léninisme. D’abord, parce qu’il serait erroné de considérer l’idéologie comme un simple vecteur de l’influence soviétique : bien souvent, elle est mobilisée par les acteurs est- allemands eux-mêmes comme une composante majeure de l’action souveraine de leur propre Etat. Ensuite, parce qu’une analyse approfondie de l’évolution de la relation égypto-est- allemande montre qu’à l’épreuve du terrain, la doctrine marxiste-léniniste décline nettement en tant que moteur de la politique étrangère est-allemande. De Gamal Abdel Nasser à Hosni Moubarak, la relation bilatérale connaît des inflexions notables, qui mettent en lumière la capacité d’adaptation aux contraintes du milieu égyptien et invitent à repenser la hiérarchie des intérêts stratégiques de la RDA dans le déploiement de sa politique étrangère. C’est l’objet de la première partie de cette thèse.

331 PICAPER, Jean-Paul, « La politique extérieure de la RDA », op.cit., p. 470. 332 Ibid.

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Pemière partie – La RDA et l’Egypte, du partenariat anti-impérialiste au pragmatisme économique : les évolutions de la relation étatique.

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En retraçant la mise en place et l’évolution de la relation bilatérale entre la RDA et l’Egypte, la première partie de notre thèse entend montrer le passage progressif des intérêts d’ordre idéologique aux impératifs d’ordre économique. Divisée en quatre chapitres chronologiques, cette partie s’intéresse à la dimension étatique de la relation bilatérale et présente les jalons politiques majeurs qui scandent cette dernière. Elle rappelle d’abord l’héritage sur lequel reposent les liens entre Berlin-Est et le Caire (chapitre 1). Elle analyse ensuite les transformations de la relation bilatérale, de Gamal Abdel Nasser à Hosni Moubarak (chapitres 2 à 4). Cette première partie montre ainsi comment, de 1969 à 1989, l’euphorie révolutionnaire cède le pas au constat de l’échec de l’offensive idéologique est-allemande en Egypte.

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Chapitre 1 - L’ « expérience commune »333 de la lutte anti- impérialiste : les relations entre Berlin-Est et le Caire avant la reconnaissance diplomatique

A. Des « alliés naturels »334?

Le 28 juillet 1969, Martin Bierbach est reçu par le président de la République arabe unie, Gamal Abdel Nasser, à l’occasion de la remise de sa lettre d’accréditation, en tant qu’ambassadeur plénipotentiaire de la RDA. A la fin de la cérémonie, Nasser le convie à un premier entretien officiel. La mise en place de la convention entre la RDA et l’Egypte, instaurant des relations diplomatiques entre les deux pays, est l’occasion, pour le diplomate est-allemand, de rappeler que cette dernière est le « symbole des relations d’amitié entre deux peuples, longues de plusieurs années et qui trouvent leur fondement commun dans la lutte contre l’impérialisme, le néocolonialisme et la réaction »335.

L’officialisation des liens entre l’Allemagne de l’Est et l’Egypte en 1969 donne en effet une base institutionnelle à des contacts déjà existants. Si l’entrée de la RDA sur la scène proche-orientale se fait plus tardivement que celle de la RFA, il n’en reste pas moins que les diplomates est-allemands, une fois en fonction, se réapproprient, tout comme leurs homologues de l’Ouest, la rhétorique d’une « amitié traditionnelle » entre les Arabes et les Allemands. Cette dernière se fonde sur des liens anciens, dont Mohammad Abediseid rappelle qu’ils remontent au Moyen-Âge336: parmi les premiers contacts officiels entre Arabes et

333 Voir l’annexe 6, p. 613-615. « Die gemeinsame Erfahrung und Erkenntnis, dass wir –ob in Europa, in Indochina oder hier im Nahen Osten – in fester Freundschaft mit der Sowjetunion und den Staaten der sozialistischen Gemeinschaft, in Solidarität mit allen antiimperialistischen Kräften den Kampf mit dem Imperialismus erfolgreich bestehen können, bildete ein sicheres Fundament bei all unseren Begegnungen und Gesprächen in den drei arabischen Ländern ». MfNV, DVW 1/ 115 673, Militärdelegation der DDR nach Syrien, Ägypten, Irak (okt. 1971), nach Algerien (juni 1972), nach Syrien (mai 1983; mai 1987). Palestinensischen Befreiungsorganisation (PLO) in der DDR, nov. 1987. Anlage. Betr.: Vorschläge und Gedanken zu den Antworten für Abschluss-Interview, 26. Okt. 1971, projet de réponses à l’interview du ministre de la Défense nationale de RDA, le général d’armée Heinz Hoffmann, à l’issue du séjour en Egypte d’une délégation militaire est-allemande, du 13 au 31 octobre 1971, p. 1. 334 Pour reprendre l’expression de Mohammad Abediseid (natürliche Verbündete), dans : ABEDISEID, Mohammad, Die deutsch-arabischen Beziehungen: Probleme und Krisen, Stuttgart, Seewald Verl., Zeitpolitische Schriftenreihe, 1976, p. 45. 335 « Zugleich sei die Vereinbarung ein Ausdruck der souveränen Rechte beider Staaten und ein Symbol der langjährigen freundschaftlichen Beziehungen zwischen beiden Völkern, die ihre feste Grundlage in den Gemeinsamkeiten des Kampfes gegen Imperialismus, Neokolonialismus und Reaktion haben ». MfAA, L 187, C 602/73 : Abt. Arabische Staaten/ Ägypten. Vermerke über Gespräche mit Vertretern Ägyptens in Ägypten. 1969- 1970. Aktenvermerk übereine Unterredung mit dem Präsidenten der Vereinigten Arabischen Republik, Gamal Abdel Nasser, anlässlich der Überreichung des Beglaubigungsschreibens an 28.7.1969, Botschaft der DDR in der VAR, Kairo, den 3.8.1969. 336 ABEDISEID, Mohammad, Die deutsch-arabischen Beziehungen…, op.cit., p. 12-14. 97

Allemands, attestés par les sources latines, figure notamment l’alliance contre Byzance de l’empereur Charles le Grand avec le calife arabe Haroun al-Rashid, en l’an 800337. Les deux souverains encouragent les échanges de délégations et débattent des possibilités de coopération politique et militaire en Europe occidentale. Mais ce sont surtout les grands courants commerciaux qui permettent d’étoffer les contacts : les relations se nouent principalement par le biais des marchands, puis se diversifient et s’étendent notamment aux domaines spirituel et scientifique. Qu’elle passe par l’échange ou la confrontation militaire, la mise en relation des espaces arabes et germaniques alimente les transferts culturels : durant la première moitié du XIIIe siècle par exemple, l’empereur Frédéric II338 maîtrise la langue arabe, reçoit régulièrement des savants arabes à la Cour et fait traduire les ouvrages de ces derniers en latin. Le Coran est quant à lui traduit pour la première fois en allemand en 1616339.

La proclamation de l’empire allemand en 1871 marque la naissance d’une véritable politique étrangère allemande340. Bismarck développe une rhétorique anti-occidentale destinée à rassembler les composantes extrêmement hétérogènes du Reich autour d’un ennemi commun - la France et ponctuellement, l’Angleterre ou les Etats-Unis. Parallèlement, l’empire décide de s’engager fortement au Proche-Orient, ce dont témoigne la construction spectaculaire du Bagdad-Bahn en 1903 : en reliant Constantinople au Golfe arabo-persique via Bagdad, ce dernier doit concurrencer le Canal de Suez contrôlé par les Britanniques341. Dans le contexte de course aux colonies que se livrent les puissances européennes, la phraséologie anti-occidentale développée par l’empire allemand pose les fondements d’un argumentaire susceptible de coïncider avec les revendications nationalistes des peuples arabes. Parallèlement, le XIXe siècle voit le véritable développement des études orientalistes en Allemagne342.

337 De nombreux travaux s’intéressent aux liens tissés entre les souverains francs et les califes abbassides, et en particulier aux relations entre Charlemagne et Haroun al-Rashid. Voir notamment, en français : SENAC, Philippe, « Les Carolingiens et le califat abbasside (VIIIe-IXe siècles) », in : PROUTEAU, Nicolas, SENAC, Philippe (textes réunis par), Chrétiens et musulmans en Méditerranée médiévale (VIIIe-XIIIe siècle). Échanges et contacts, Poitiers, Centre d’études supérieures de civilisation médiévale, 2003, p. 56-57. 338 Frédéric II de Hohenstaufen règne sur le Saint-Empire romain germanique de 1220 à 1250. 339 ABEDISEID, Mohammad, Die deutsch-arabischen Beziehungen…, op.cit., p.13. 340 NIES, Susanne, « Des fondements de la politique étrangère allemande », in : Revue internationale et stratégique, 2006/1, n° 61, p. 16. 341 HAUSER, Stefan R., « Deutsche Forschungen zum Alten Orient und ihre Beziehungen zu politischen und ökonomischen Interessen von Kaiserreich bis zum Zweiten Weltkrieg », in: SCHWANITZ, Wolfgang (dir.) Deutschland und der Mittlere Osten, Leipzig, Leipziger Universitätsverlag, 2004, p. 46. 342 Stefan R. Hauser explique comment, sous Guillaume II (1888-1918), l’empire allemand, soucieux de jouer un rôle nouveau à l’échelle mondiale, s’engage fortement au Proche-Orient. Les études sur l’Orient se 98

Néanmoins, c’est surtout au cours des deux conflits mondiaux que se développent les contacts arabo-allemands. Lors de la Première Guerre mondiale, les Arabes combattent certes aux côtés des puissances occidentales, contre l’Empire ottoman et son allié allemand, dans le but d’obtenir leur indépendance nationale. Mais après la guerre, le maintien de la domination coloniale des Français et des Britanniques au Proche-Orient, incarnée par les mandats et protectorats qu’ils établissent dans la région, suscite la rancœur des peuples arabes. La politique coloniale des deux puissances européennes contribue alors partiellement au rapprochement arabo-allemand. Au cours du second conflit mondial, alors que les pays arabes sont propulsés dans la guerre, comme l’ensemble du monde colonial, les autorités allemandes reçoivent le soutien de certains nationalistes arabes en lutte contre la domination britannique et le sionisme343.

Depuis le début des années 2000, les ouvrages consacrés aux relations entre le monde arabo-musulman et l’Allemagne nazie, à la politique arabe du Troisième Reich, ainsi qu’à la réception arabe de la Shoah se sont d’ailleurs multipliés. De telles publications sont venues alimenter le débat sur la nature du rapprochement qui s’est effectué entre Berlin et certains Arabes au cours de la Seconde Guerre mondiale :

« L’alliance est-elle conjoncturelle, l’Allemagne voyant dans les Arabes des alliés contre les juifs, les Arabes dans l’Allemagne une alliée pour le grand projet d’une indépendance ? Ou cette alliance est-elle l’illustration d’une idéologie commune, fondée essentiellement sur l’antisémitisme et une lutte exterminatrice contre les juifs, où qu’ils soient ? »344

La question, loin d’être anodine, soulève un véritable enjeu historiographique, celui de la part de responsabilité des Arabes et des musulmans - et en particulier des Palestiniens - dans la mise en œuvre de la Shoah. Un article de Nora Benkorich, publié en 2010, revient très utilement sur la construction de ce « champ historiographique encore trop largement voué aux caricatures »345. Ces clarifications sont d’autant plus nécessaires qu’à la suite des « printemps arabes » de 2011, un certain nombre de publications s’empare à nouveau du thème de développent à cette époque et sont intimement liées à l’accroissement des intérêts économiques, politiques et culturels de l’empire au Proche-Orient. Voir: HAUSER, Stefan R., « Deutsche Forschungen zum Alten Orient…», op.cit., p. 46. 343 La collaboration de ces « panislamistes intégristes ou nationalistes » avec l’Allemagne nazie, comme Antoun Saadeh en Syrie, l’organisation Misr al-Fatât en Egypte ou certains ultranationalistes irakiens, est cependant restée marginale et n’est pas parvenue à rencontrer l’assentiment des populations. Voir : BENKORICH, Nora, « Hitler, les Arabes et les Juifs », laviedesidees.fr, 28 juin 2010. 344 La question est formulée par Dominique Trimbur, chercheur associé au Centre de Recherche français de Jérusalem dans le compte-rendu de l’ouvrage de Klaus-Michael Mallmann et Martin Cüppers, Croissant fertile et croix gammée : le Troisième Reich, les Arabes et la Palestine, publié en français en 2009. Voir : TRIMBUR, Dominique, « Librairie », in : Vingtième Siècle. Revue d’histoire, 2010/2, n° 106, p. 275-277. 345 BENKORICH, Nora, « Hitler, les Arabes et les Juifs », op.cit., p. 1.

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l’influence nazie dans l’élaboration idéologique d’un « islamisme révolutionnaire » au Moyen-Orient346. Dans la lignée de l’ouvrage des journalistes Roger Faligot et Rémi Kauffer, paru en 1990 et qui postule une alliance secrète entre milieux nationalistes arabes, extrémistes islamistes et agents nazis347, tout un courant de pensée soutient en effet l’idée d’une collusion accablante entre Arabes et nazis, liés par un « atavisme antisémite » qui aurait justifié leur collaboration dans l’extermination des juifs348. Ces travaux se concentrent en particulier sur la figure du mufti de Jérusalem, Amin al-Husseini, celui-ci ayant entretenu des relations privilégiées avec le Troisième Reich et ne s’étant pas privé de propager dans le monde arabo- musulman ses idées antisémites. Un certain nombre d’historiens spécialistes de l’Allemagne et du Moyen-Orient dénonce cependant le goût du « sensationnalisme » de telles publications et les présupposés méthodologiques qui les fondent : recours insuffisant aux archives349, essentialisation des acteurs, figés par une description uniforme et monolithique350. Gilbert Achcar, notamment, s’est employé à montrer, dans un ouvrage très documenté, que la relation qui unit le monde arabe à la tragédie juive est extrêmement complexe, en raison de la « diversité des tendances et des sensibilités politiques » qui traverse ce dernier351. Surtout, il rappelle qu’il y a eu bien plus d’Arabes combattant dans les armées alliées ou internés dans les camps de concentration nazis qu’engagés aux côtés de l’Axe352.

346 Voir par exemple : RUBIN, Barry, SCHWANITZ, Wolfgang, Nazis, Islamists, and the Making of the Modern Middle East, Yale University Press, 2014. 347 FALIGOT, Roger, KAUFFER, Rémi, Le croissant et la Croix gammée : les secrets de l’alliance entre l’islam et le nazisme d’Hitler à nos jours, Paris, Albin Michel, 1990. 348 Parmi les ouvrages soutenant cette thèse, on peut citer les suivants : CÜPPERS, Martin, MALLMANN, Klaus-Michael, Croissant fertile et croix gammée : le Troisième Reich, les Arabes et la Palestine, Lagrasse, Editions Verdier, 2009 ; KÜNTZEL, Matthias, Jihad et haine des Juifs : le lien troublant entre islamisme et nazisme à la racine du terrorisme international, Paris, L’œuvre éditions, 2009 ou encore : RUBENSTEIN, Richard L., Jihad and Genocide, Lanham, Rowman and Littlefield, 2010. 349 Dominique Trimbur regrette par exemple l’usage quasi exclusif de documents nazis ou émanant du mufti Amin al-Husseini dans l’ouvrage de Martin Cüppers et Klaus-Michael Mallmann, ainsi que la « fâcheuse manie [des auteurs] de terminer leurs chapitres en extrapolant sur la base des planifications nazies […] ». Voir : TRIMBUR, Dominique, « Librairie », op.cit., p. 275-277. 350 C’est ce que regrette Gilbert Achcar dans l’avant-propos de son ouvrage, Les Arabes et la Shoah : « Il y a, certes, beaucoup d’attitudes grotesques et odieuses vis-à-vis de la Shoah dans le monde arabe ; mais il y aussi des interprétations caricaturales et globalisantes de la réception arabe de la Shoah, tant en Israël que dans le monde occidental ». Voir : ACHCAR, Gilbert, Les Arabes et la Shoah. La guerre israélo-arabe des récits, Paris, Sindbad, 2009, p. 16. 351 ACHCAR, Gilbert, Les Arabes et la Shoah…, op.cit., p. 14. 352 Ibid., p. 232-233.

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De son côté, Henry Laurens a confronté les mémoires d’Amin al-Husseini aux documents allemands353 pour rappeler que si le mufti reconnaît avoir été informé par Himmler de la mise en place de la « solution finale » en 1943, il a joué la carte allemande « par pur pragmatisme »354. S’il est indéniable qu’Amin al-Husseini a repris à son compte les grandes thématiques de l’antisémitisme européen, afin de fonder son combat pour la Palestine355, la « médiocrité morale »356 du personnage, devenu complice du génocide des juifs, ne suffit pas pour autant à étayer l’argumentation selon laquelle il en est à l’origine.

En s’appuyant en particulier sur les archives allemandes et françaises, Chantal Metzger revient également sur les contacts durables établis entre le mufti de Jérusalem et les dirigeants du Troisième Reich : l’historienne souligne à son tour l’extrême pragmatisme qui fonde ces relations, les Allemands ayant identifié comme but prioritaire poursuivi par Amin al-Husseini celui d’obtenir « l’indépendance des peuples arabes »357. Elle met d’ailleurs en lumière les dissensions qui existent à la fin des années 1930 entre les Affaires étrangères et les services de renseignements nazis quant à l’utilité de consolider des liens avec les nationalistes arabes, en raison de la crainte qu’un tel rapprochement ne détériore les relations avec la Grande-Bretagne358. Elle montre enfin que le régime nazi se rapproche surtout d’Amin al-Husseini à la suite du débarquement allié en Afrique du Nord en novembre 1942, les troupes allemandes ayant besoin de renforts359.

Ces travaux, s’ils témoignent des liens durables qui se sont noués entre certains mouvements nationalistes arabes et l’Allemagne nazie, ont le mérite de rappeler qu’un tel rapprochement n’est pas le seul fruit d’une connivence idéologique, nourrie par une prédisposition commune à l’antisémitisme, mais qu’il s’inscrit à la croisée d’intérêts stratégiques multiples. En outre, ils montrent à quel point les liens entre réseaux nazis et

353 Henry Laurens a étudié scrupuleusement les relations nouées entre le mufti de Jérusalem et les hauts dignitaires nazis. Voir en particulier les pages mentionnées des ouvrages suivants : LAURENS, Henry, Le retour des exilés. La lutte pour la Palestine de 1869 à 1997, Paris, Robert Laffont, 1998, p. 543-561 et : LAURENS, Henry, La question de Palestine, tome 2, 1922-1947, une mission sacrée de civilisation, Paris, Fayard, 2002, p. 464-470. 354 LAURENS, Henry, La question de Palestine, tome 2, 1922-1947, une mission sacrée de civilisation, op.cit., p. 467. 355 Ibid., p. 469. 356 Pour reprendre l’expression de Nora Benkorich dans : BENKORICH, Nora, « Hitler, les Arabes et les Juifs », op.cit., p. 4. 357 METZGER, Chantal, « Amine el-Husseini, Grand Mufti de Jérusalem, et le Troisième Reich », in : Les Cahiers de la Shoah, 2007/1, n° 9, p. 108. 358 Ibid., p. 95. 359 Ibid., p. 106-107.

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nationalistes arabes, pendant et après la Seconde Guerre mondiale, constituent encore un champ historiographique à explorer. Bien que la reconversion d’anciens nazis à des postes de conseillers auprès du gouvernement de Gamal Abdel Nasser, dans les années 1950-1960, soit éminemment connue360, aucune synthèse rigoureuse n’existe par exemple à ce sujet361. Enfin, la consultation d’archives arabes semble d’autant plus fondamentale que les analyses varient grandement, selon le type de locuteur considéré. L’ancien conseiller de Nasser, Mohammed Hassanein Heikal, a ainsi vigoureusement rejeté la thèse d’une adhésion idéologique de l’Egypte au nazisme : « on a reproché à l’Egypte d’avoir soutenu Hitler. Cela ne correspond pas à la vérité. La vérité est bien plutôt que l’Egypte et l’Allemagne combattaient le même ennemi et que cela a créé des liens entre les deux pays »362. De même, Khaled Mohieddine, l’un des artisans de la Révolution de 1952, qui deviendra le dirigeant du seul parti de gauche légal dans les années 1970, explique dans ses mémoires que « la haine des Britanniques et de l’occupation était souvent confondue avec l’admiration pour Hitler, qui remplissait les cœurs anglais de crainte »363.

A la fin de la Seconde Guerre mondiale, malgré leur défaite, les Allemands profitent d’ailleurs toujours de cette image d’« alliés naturels des peuples arabes »364, solidaires dans la lutte contre la domination coloniale. Non seulement l’Allemagne apparaît comme un Etat dénué de tout passé colonial, mais en outre, sa situation en 1945 en fait un pays « exploité », avec lequel il paraît naturel de s’allier de nouveau, afin de poursuivre la lutte pour l’indépendance. Dès lors, il est relativement facile, pour l’Allemagne, de construire une

360 Le Comité des experts de l’Union Internationale de la Résistance et de la Déportation (UIRD) pour la lutte contre le néonazisme publie en 1965 une liste d’anciens nazis ayant trouvé refuge en Egypte, après 1945. Parmi eux, on trouve notamment Johann von Leers (Omar Amin), conseiller au ministère égyptien de l’Information, Wilhelm Farmbacher, conseiller militaire auprès de l’armée égyptienne de 1951 à 1958, Bernard Bender (Ben Salem), actif au sein de la police secrète égyptienne à partir de 1958, Heinrich Selimann (Hassan Hamid Suleiman), employé par les services de sécurité égyptiens à partir de 1962, et Joachim Daeumling, conseiller au ministère égyptien de l’Intérieur en 1954. Voir : BDIC, F delta res 0894/2, Néonazisme en Allemagne et dans le monde, « Le néonazisme en Egypte », collection rassemblée par Jacques Delarue. L’espion israélo-allemand, Wolfgang Lotz, explique d’ailleurs dans ses mémoires qu’il avait été chargé par Israël d’espionner les anciens nazis réfugiés en Egypte, comme Johann von Leers. Voir : LOTZ, Wolfgang, L’Espion au champagne. Le maître des agents du Renseignement d’Israël raconte son histoire, Paris, Robert Laffont, 1973, p. 63-79. 361 Dans son étude sur la population juive d’Egypte, Joel Beinin consacre toutefois un chapitre important à l’influence du nazisme en Egypte, après la Seconde Guerre mondiale. Voir : BEININ, Joel, The dispersion of Egyptian Jewry : culture, politics and the formation of a modern diaspora, Berkeley, University of California Press, 1998. 362 « Die deutschen Waffen töten uns », Der Spiegel, 25 octobre 1971, interview accordée par Mohammed Hassanein Heikal au journal ouest-allemand. 363 MOHI EL DIN, Khaled, Memories of a Revolution. Egypt, 1952, le Caire, The American University in Cairo Press, 1995, p. 10. 364 ABEDISEID, Mohammad, Die deutsch-arabischen Beziehungen…, op.cit., p. 45.

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« communauté d’intérêts arabo-allemands »365 : l’approfondissement des relations réciproques est conçue, de part et d’autre, comme un moyen de passer du rôle d’objet de la politique internationale, à celui d’acteur souverain. C’est dans cette perspective qu’à l’occasion d’un voyage en RFA, le prince égyptien Abbas Halim366 déclare que « l’Egypte offre à l’Allemagne la clé du Proche-Orient »367. En Allemagne, ces idées trouvent un écho favorable : après sa défaite, le pays a besoin d’alliés. Très vite cependant, la division allemande, l’intégration de la RFA au monde occidental et sa dépendance financière vis-à-vis des Etats-Unis, modifient le développement des relations arabo-allemandes. A Bonn, l’appartenance au bloc occidental devient désormais l’une des représentations fondamentales qui structure l’action du gouvernement fédéral en matière de relations extérieures368. A l’inverse, soucieuse de profiter de « l’estime traditionnelle dont bénéfici[ent] les Allemands au Proche-Orient »369, la RDA mobilise une rhétorique anti-occidentale et se présente comme la juste héritière de l’amitié traditionnelle entre les populations allemande et arabe, contrairement à une Allemagne de l’Ouest qui a choisi, selon elle, de pérenniser la domination coloniale. Les diplomates est-allemands légitiment l’implantation de la RDA au Proche-Orient par le « caractère anticolonial de la politique »370 de leur Etat. D’après Wolfgang Bator, ambassadeur est-allemand en Libye de 1980 à 1985, puis en Iran de 1987 à 1989371, c’est à partir des « principes fondamentaux » de « libération nationale » et de lutte pour l’indépendance, que la RDA développe ses relations avec les pays arabes, dès la première moitié des années 1950. Le premier accord gouvernemental sur la circulation des biens et des paiements signé entre la RDA et l’Egypte en 1953 prouve, à ses yeux, « que la RDA [est] l’alliée de [ce] pays dans [son] combat contre le colonialisme et le néocolonialisme, et pour l’indépendance politique et économique ». En ce sens, « les relations entre la RDA et les Etats arabes se différencient fondamentalement de celles qu’entretenaient l’ancienne Allemagne impérialiste avec ces derniers, et de celles qui existent entre la RFA et

365 Ibid. 366 Le prince Abbas Halim (1897-1978) a fait ses études en Allemagne et a été pilote au service de cette dernière durant la Première Guerre mondiale. Voir : GOLDSCHMIDT, Arthur, Biographical dictionary of modern Egypt, Boulder, L. Rienner, 1999, p. 69. 367 ABEDISEID, Mohammad, Die deutsch-arabischen Beziehungen…, op.cit., p. 45. 368 Ibid., p. 46-47. 369 BERGGÖTZ, Sven Olaf, Nahostpolitik in der Ära Adenauer…, op.cit., p. 421. 370 BATOR, Wolfgang und Angelika (dir.), Die DDR und die arabischen Staaten…, op.cit., p. 41. 371 ROBBE, Martin (dir.), « Die DDR in Nah- und Mittelost. Eine Begegnung und ihre Spuren. Eine Rundtischgespräch mit Diplomaten », April 1993, in Asien, Afrika, Lateinamerika, 1994, 21, p. 551-601.

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les peuples arabes »372. L’Allemagne de l’Est revendique donc une double posture dans ses relations avec les pays proche-orientaux : d’une part, la continuité avec la tradition d’une amitié arabo-allemande, et d’autre part, la rupture avec le passé « impérialiste » du Reich allemand373, dont elle n’assume pas l’héritage, au contraire de la RFA, qui en est à ses yeux l’évident successeur. Le gain de visibilité apporté à la RDA par une telle rhétorique reste néanmoins limité, puisque dans les années 1950, la RFA est l’un des partenaires économiques privilégiés de l’Egypte : le 18 février 1956, un accord commercial et de paiement est ainsi conclu entre Bonn et le Caire374.

B. Les contacts commerciaux, tremplin vers la mise en place des relations diplomatiques (octobre 1953-juillet 1969)

La mise en place des relations entre la RDA et l’Egypte se déroule conformément au développement des contacts est-allemands avec presque tous les Etats du Proche-Orient : « les relations se [développent] logiquement, en commençant par la représentation commerciale et le consulat général, jusqu’à la normalisation »375 des liens, par le biais de la création d’ambassades. Aux contacts économiques succède donc une institutionnalisation qui débouche sur des accords commerciaux gouvernementaux, dès le début des années cinquante. Sur cette base sont érigées des représentations commerciales de Berlin-Est, qui doivent, grâce à l’élargissement progressif de leurs compétences « être revalorisées comme consulats et consulats généraux »376, afin de faciliter par la suite la création d’ambassades, nécessaires à l’officialisation des relations diplomatiques entre la RDA et l’Egypte.

Les premiers acteurs est-allemands œuvrant pour la représentation de la RDA au Proche-Orient sont donc des acteurs économiques. En octobre 1953, la première

372 BATOR, Wolfgang und Angelika(dir.), Die DDR und die arabischen Staaten…, op.cit., p.43. 373 BERGGÖTZ, Sven Olaf, Nahostpolitik in der Ära Adenauer…, op.cit., p. 426. Les acteurs est-allemands refusent l’idée de continuité juridique et historique héritée d’un seul Etat allemand et élaborent à la place la thèse de l’effondrement du Reich et de sa succession réalisée en deux Etats allemands différents. Voir : HAFEZ, Kai, « Von der nationalen Frage…», op.cit., p. 77-95. 374 Archives politiques de l’Auswärtiges Amt, Bonn, B 13/ Abteilung 2/ Referat 200, Band I, citées dans : TESSON, Sandrine, La doctrine Hallstein entre rigueur et pragmatisme, 1955-1969, maîtrise d’histoire sous la direction de Robert Frank, Laurence Badel et Hartmut Kaelble, Université Paris I Panthéon-Sorbonne, juin 2000, p. 48. 375 « Er [Nasser] hob besonders hervor, dass die Beziehungen in den zurückliegenden Jahren zielstrebig und logisch, beginnend mit Handelsvertretung und Generalkonsulat, bis zur Normalisierung auf Botschafterebene zwischen der DDR und der VAR entwickelt wurden ». MfAA, L 187, C 602/73 : Abt. Arabische Staaten/ Ägypten. Vermerke über Gespräche mit Vertretern Ägyptens in Ägypten. 1969-1970. Aktenvermerk über eine Unterredung mit dem Präsidenten der Vereinigten Arabischen Republik, Gamal Abdel Nasser, anlässlich der Überreichung des Beglaubigungsschreibens an 28.7.1969, Botschaft der DDR in der VAR, Kairo, den 3.8.1969. 376 BERGGÖTZ, Sven Olaf, Nahostpolitik in der Ära Adenauer…, op.cit., p. 421-426.

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représentation commerciale est-allemande est érigée au Caire377. En février 1954, Kurt Enkelmann s’établit ainsi dans la capitale égyptienne en tant que « représentant permanent du ministère est-allemand du Commerce intérieur et extérieur »378. A ses côtés, un « mandataire du gouvernement est-allemand spécialisé pour le Proche- et le Moyen-Orient » coordonne l’action politique au sein de la représentation commerciale de la RDA au Caire.

C’est seulement à partir de la visite au Caire en novembre 1955 du ministre est- allemand du Commerce intérieur et extérieur, Heinrich Rau, que l’action de la RDA en Egypte commence à revêtir une orientation plus politique379. Paradoxalement, cette visite a lieu deux mois à peine après la proclamation de la doctrine Hallstein par Konrad Adenauer, selon laquelle la RFA est la seule représentante légitime de l’Allemagne à l’étranger380. Le voyage de Heinrich Rau aboutit à la conclusion d’accords commerciaux bilatéraux entre la RDA d’un côté et l’Egypte et la Syrie de l’autre : de ce point de vue, il constitue un succès non négligeable pour Berlin-Est et met à mal la volonté ouest-allemande de l’enfermer dans un « ghetto diplomatique »381 par le biais de la doctrine Hallstein. Surtout, il inaugure un processus de rapprochement politique qui, à plus ou moins long terme, semble inéluctable. En janvier 1959, Otto Grotewohl, président du Conseil des ministres de RDA, entreprend un voyage au Proche-Orient : il est reçu avec tous les honneurs étatiques par les gouvernements du Caire et de Bagdad382. A la suite d’un long entretien avec le président égyptien Nasser, il annonce l’établissement de relations consulaires entre la RDA et la République arabe unie383. Malgré les avertissements de Bonn, un consulat est-allemand est inauguré officiellement au Caire, en septembre 1959384. Afin d’éviter les représailles économiques ouest-allemandes, Nasser déclare néanmoins publiquement qu’une telle initiative ne s’apparente nullement à la reconnaissance officielle de la RDA par l’Egypte385. Et de fait, malgré la désapprobation

377 Chronologie de la lutte de libération anti-impérialiste de la RAE, Neues Deutschland, 12 juillet 1969, p. 6. 378 BERGGÖTZ, Sven Olaf, Nahostpolitik in der Ära Adenauer…, op.cit., p. 424. 379 JACOBSEN, Hans Adolf (dir.), Drei Jahrzehnte Aussenpolitik…, op.cit., p. 680. 380 Sur la proclamation de la doctrine Hallstein, voir l’introduction de la thèse, supra, p. 32. 381 WISSA-WASSEF, Cérès, « Les relations entre l’Egypte et les deux Etats allemands… », op.cit., p. 614. 382 BERGGÖTZ, Sven Olaf, Nahostpolitik in der Ära Adenauer…, op.cit., p. 425. 383 WISSA-WASSEF, Cérès, « Les relations entre l’Egypte et les deux Etats allemands… », op.cit., p. 615. 384 MfAA, L 187, C 1641/76 : Abt. Naher u. Mittlerer Osten. Sektor Ägypten, Sudan, Libyen. Ausarbeitungen der Abt. Über die Beziehungen zwischen der DDR und der VAR. 1969-1974. Überblick über die Entwicklung der Beziehungen zwischen der DDR und der Arabischen Republik Ägypten, Abt. Arabische Staaten, Berlin, Januar 1972, p. 16. 385 BERGGÖTZ, Sven Olaf, Nahostpolitik in der Ära Adenauer…, op.cit. p. 425-426.

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ouest-allemande, l’instauration d’un consulat est-allemand au Caire ne suscite aucune application de la doctrine Hallstein à l’encontre de l’Egypte. En revanche, en février-mars 1965, l’invitation par Nasser du premier secrétaire du SED et président du Conseil d’Etat de la RDA, Walter Ulbricht, entérine le rapprochement égypto-est-allemand et marque une nette dégradation des relations entre Bonn et le Caire.

C. La consolidation des relations bilatérales après la visite de Walter Ulbricht au Caire, en 1965

Plusieurs facteurs expliquent l’accélération des relations entre Berlin-Est et le Caire et la visite de Walter Ulbricht en Egypte. A la fin de l’année 1964, Nasser apprend de ses services secrets la livraison d’armes ouest-allemandes à Israël386. En décembre, il reçoit le vice-président du Conseil des ministres d’Union soviétique, Alexander Scheljepin, qui lui propose un crédit de 252 millions de roubles assorti d’un traité d’aide militaire387. Durant leurs entretiens, Scheljepin encourage le président égyptien à inviter Walter Ulbricht au Caire et soutient fermement la volonté de reconnaissance de la RDA. Dans son travail de maîtrise sur la doctrine Hallstein388, Sandrine Tesson a montré à quel point cette invitation, qualifiée d’ « acte hostile »389 à son égard avait scandalisé le gouvernement fédéral allemand:

« […] outre qu’il est le principal dignitaire de la RDA, [Ulbricht] est aussi la personnalité qui incarne, aux yeux des Allemands de l’Ouest, le régime de non-droit de la RDA, la soumission à Moscou, c’est l’homme qui a construit le mur et ce n’est pas trop dire qu’il est le personnage le plus haï en Allemagne après la Seconde guerre mondiale »390.

Les représentants est-allemands, à l’inverse, ne manquent pas de présenter une telle visite comme la manifestion évidente de l’adhésion égyptienne aux valeurs brandies par le bloc de l’Est :

« Lorsque le président de l’Egypte progressiste, Gamal Abdel Nasser, invite le Président du Conseil d’Etat de la RDA pour une visite officielle en Egypte, il n’exprime pas seulement, par-là, son refus d’une représentation exclusive ouest-allemande, mais se positionne en homme d’Etat progressiste, conscient de la responsabilité qui lui incombe dans la contribution à l’édification et au maintien de la paix »391.

386 ATEK, Wageh, Probleme der ägyptisch-deutschen Beziehungen, 1952-1965, Essen, Dissertation, 1983, p. 182. 387 TESSON, Sandrine, La doctrine Hallstein…, op.cit., p. 102. 388 Ibid., p. 102-110. 389 Ibid., p. 105. 390 Ibid., p. 103. 391 BATOR, Wolfgang und Angelika (dir.), Die DDR und die arabischen Staaten…, op.cit., p. 43.

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Photographie 1 : Rencontre entre Walter Ulbricht et Gamal Abdel Nasser au Caire, février 1965392

392 Source : dpa- Bildarchiv.

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Photographie 2 : La visite de Walter Ulbricht au Caire, 27 février 1965393

La venue de Walter Ulbricht au Caire conduit à une application relativement confuse de la doctrine Hallstein à l’égard de l’Egypte : la RFA suspend son aide économique à destination du Caire, sans restreindre pour autant les relations commerciales. Le chancelier Erhard estime en outre que le contexte est favorable pour nouer des relations diplomatiques avec l’Etat israélien. En mai 1965, à l’annonce de cette nouvelle, toute une série d’Etat arabes, parmi lesquels l’Egypte, rompt alors ses liens diplomatiques avec le gouvernement ouest- allemand394. Il n’en faut guère plus pour que la RDA s’engouffre dans la place vacante laissée par Bonn : le premier accord bilatéral sur la coopération technico-scientifique signé par Berlin-Est et le Caire date du 1er mars 1965 et sert de point de départ à une collaboration qui

393 Source : Bundesarchiv, Bild 183-D0227-D04. 394 Ce qui ne signifie pas pour autant l’arrêt des relations commerciales. Au contraire, dans ce domaine, c’est la politique du business as usual qui prédomine, comme le rappelle Mohamed Abediseid. Voir : ABEDISEID, Mohammad, Die deutsch-arabischen Beziehungen…, op.cit., p. 219-220. La coopération économique entre l’Egypte et la RFA se poursuit jusqu’au rétablissement des liens diplomatiques, en juin 1972.

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va en s’amplifiant395. Au début de l’année 1969, les relations entre Berlin-Est et le Caire s’accélèrent et s’étendent aux domaines de la science, de la formation professionnelle, de la santé et du sport. En janvier 1969, le journal égyptien Rose al-Youssef dénombre 52 experts est-allemands en Egypte, actifs dans les domaines sportif, culturel et scientifique396. Berlin-Est et le Caire signent des conventions judiciaires, postales et de radio-télévision397. Le 2 février 1969, les deux gouvernements signent un accord prévoyant des facilités pour les touristes est-allemands en visite en Egypte, ainsi que l’échange d’experts, de matériel de publicité et d’informations touristiques. L’association d’amitié arabo-allemande est créée le 10 février 1969398. Ainsi, pour les acteurs est-allemands, qui estiment que « les relations amicales étroites ne se limitent pas aux contacts officiels entre les gouvernements »399, la RDA et l’Egypte entretiennent déjà « des relations normales […] depuis 1965 »400, année de la venue au Caire de Walter Ulbricht.

La vague de reconnaissances, tant redoutée par la RFA et tant attendue par la RDA, se produit finalement durant la première moitié de l’année 1969 : entre avril et juillet 1969, l’Irak, le Soudan, la Syrie, la République populaire du Sud-Yémen et l’Egypte reconnaissent le régime de Berlin-Est401.

La RDA a donc su tirer parti de l’éloignement entre la RFA et les Etats arabes en faisant de la remise en cause de la doctrine Hallstein, instrument du « néocolonialisme »402 allemand, l’un des outils de sa politique étrangère dans le Tiers-monde. Afin de gagner de l’audience au Moyen-Orient, elle souligne d’ailleurs, depuis le milieu des années cinquante, la coïncidence de ses intérêts propres avec ceux des peuples arabes, en condamnant fermement

395 WISSA-WASSEF, Cérès, « Les relations entre l’Egypte et les deux Etats allemands… », op.cit. p. 627. 396 Rose al-Youssef, 27 janvier 1969. 397 WISSA-WASSEF, Cérès, « Les relations entre l’Egypte et les deux Etats allemands… », op.cit., p. 627. 398 MfAA, L 187, C 1641/76 : Abt. Naher u. Mittlerer Osten. Sektor Ägypten, Sudan, Libyen. Ausarbeitungen der Abt. Über die Beziehungen zwischen der DDR und der VAR. 1969-1974. Zum Stand der Beziehungen DDR-Vereinigte Arabische Republik, 9.7.1970, p. 34. 399 « Die engen freundschaftlichen Beziehungen seien ausgezeichnet und beschränkten sich nicht nur auf die offiziellen Kontakte zwischen den Regierungen ». MfAA, L 187, C 602/73 : Abt. Arabische Staaten/ Ägypten. Vermerke über Gespräche mit Vertretern Ägyptens in Ägypten. 1969-1970. Aktenvermerk über eine Unterredung mit dem Präsidenten der Vereinigten Arabischen Republik, Gamal Abdel Nasser, anlässlich der Überreichung des Beglaubigungsschreibens an 28.7.1969, Botschaft der DDR in der VAR, Kairo, den 3.8.1969, p. 16. 400 « Faktisch hätten ja bereits seit den Jahre 1965, den Besuch des Vorsitzenden des Staatsrates der DDR, Walter Ulbricht, in der VAR, normale Beziehungen bestanden ». Ibid., p. 16. 401 ABEDISEID, Mohammad, Die deutsch-arabischen Beziehungen…, op.cit., p. 218. 402 Selon les termes du ministre est-allemand des Affaires Etrangères, Otto Winzer. Voir : ABEDISEID, Mohammad, Die deutsch-arabischen Beziehungen…, op.cit., p. 100.

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la politique d’ « agression »403 de l’Etat israélien. Les acteurs est-allemands entretiennent ainsi soigneusement la comparaison entre la RDA et l’Egypte, unis dans leur lutte contre les « fers de lance […] de l’impérialisme » : « votre peuple, le peuple de République arabe unie, se dresse contre l’impérialisme israélien […]. Notre peuple, le peuple de RDA, fait face au système impérialiste de la RFA »404.

D. La rhétorique d’une expérience partagée de l’ « ennemi proche »405: Israël pour l’Egypte, la RFA pour la RDA (1956-1967)

La référence à une « lutte commune »406, en Egypte et en RDA, contre l’impérialisme, nourrit abondamment les interventions publiques et privées des acteurs est-allemands (annexe 6). Elle est également reprise par les Egyptiens, qui ne manquent pas d’exploiter la même phraséologie, afin d’encourager le renforcement du soutien des Etats socialistes, en particulier dans le contexte du combat contre Israël. L’ « ennemi commun »407, l’ « ennemi malfaisant »408, est tantôt nettement identifié : il désigne alors le « mouvement sioniste », « l’impérialisme américain et sa CIA », et « l’impérialisme de la RFA »409. D’autres fois, il recouvre une réalité suffisamment évasive, comme le « pouvoir de l’agression »410 ou les « cercles agressifs et rapaces de l’impérialisme »411, pour rassembler contre lui des intérêts

403 Le terme est récurrent dans l’ensemble des archives est-allemande, lorsqu’il s’agit de caractériser la politique israélienne. 404 SAPMO-BArch, DC 4/ 1602 : Amt für Jugendfragen. Internationale Zusammenarbeit. Afrikanische, arabische, asiatische und amerikanische Staaten. Zusammenarbeit mit Ägypten (VAR), 1966-1973. Bd. 3 : Jan. - April 1970. Vortrag zum Problem Europäische Sicherheit. Exposé prononcé à l’occasion de la semaine de l’amitié arabo-allemande, organisée en Egypte, en avril 1970. 405 « Naher Feind ». 406 SAPMO-BArch, DC 4/ 1602, op.cit., Rede von Dr. Mufid Schehab, Erste Sekretär der sozialistichen Jugendorganisation, zur Eröffnungsveranstaltung der Freundschaftswoche in der VAR vom 30. März - 10. Apr. 1970, p. 2. 407 « Wir kamen zu Freunden, die wie wir einem gemeinsamen Feind, dem Imperialismus, gegenüberstehen, wenne auch an einem anderen Abschnitt der weltweiten Auseinandersetzung mit diesem gefährlichen Gegner ». MfNV, DVW 1/ 11 5673, op.cit., Anlage. Betr.: Vorschläge und Gedanken zu den Antworten für Abschluss- Interview, projet de réponses à l’interview du ministre de la Défense nationale de RDA, le général d’armée Heinz Hoffmann, à l’issue du séjour en Egypte d’une délégation militaire est-allemande, du 13 au 31 octobre 1971, p. 1. 408 « Der bösartige Feind ». SAPMO-BArch, DC 4/ 1602, op.cit., Rede von Dr. Mufid Schehab, Erste Sekretär der sozialistichen Jugendorganisation, zur Eröffnungsveranstaltung der Freundschaftswoche in der VAR vom 30. März - 10. Apr. 1970, p. 3. 409 Ibid., p. 2-3. 410 SAPMO-BArch, DC 4/ 1602, op.cit., Rede des Jugendministers der VAR, Dr. Safue el-Din Abu el-Azz, auf der Eröffnungsveranstaltung der Freundschaftswoche in der VAR vom 30. März - 10. Apr. 1970, p. 1. 411 « Die aggressiven und raubgierigsten Zirkel des Imperialismus ». SAPMO-BArch, DC 4/ 1602, op.cit., Vortrag zum Problem Europäische Sicherheit. Exposé prononcé à l’occasion de la semaine de l’amitié arabo- allemande, organisée en Egypte, en avril 1970.

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extrêmement divers. Peu importe finalement, selon cette terminologie, que la lutte contre Israël ou la rivalité avec la RFA traduisent avant tout des préoccupations d’ordre national : elles sont l’expression, dans un cas comme dans l’autre, de l’ « affrontement mondial »412 contre l’impérialisme. Cette « expérience commune » fonde naturellement l’ « amitié » et la « camaraderie » qui unissent Berlin-Est et le Caire413 :

« Les ennemis de la RDA et de l’Egypte sont Brandt et Golda Meir […]. Israël s’efforce, avec le soutien de l’impérialisme américain, de combattre le régime progressiste en République Arabe Unie, en l’agressant. Brandt s’évertue, avec le soutien des Etats-Unis, à combattre la RDA, au moyen d’une ingérence économique et idéologique »414.

Selon l’historien Wolfgang Schwanitz, il existe de fait une véritable proximité entre la question nationale allemande (deux nations versus unification) et la question israélo- palestinienne (un ou deux Etats pour deux peuples ?)415.

En outre, si la RDA parvient à entretenir l’image, en Egypte, de « l’Etat socialiste qui campe fermement aux côtés des peuples arabes contre l’agression israélienne », c’est précisément parce qu’elle ne peut ignorer l’alliance qui s’est nouée entre son adversaire ouest- allemand et Israël416. Enfin, elle apparaît comme un Etat particulièrement légitime pour soutenir le processus de reconstruction de l’Egypte au sortir des guerres qui l’opposent à Israël, parce qu’elle-même s’est édifiée à l’issue d’un terrible conflit et qu’elle possède, par conséquent, l’expérience du relèvement417.

412 MfNV, DVW 1/ 11 5673, op.cit., Anlage. Betr.: Vorschläge und Gedanken zu den Antworten für Abschluss- Interview, projet de réponses à l’interview du ministre de la Défense nationale de RDA, le général d’armée Heinz Hoffmann, à l’issue du séjour en Egypte d’une délégation militaire est-allemande, du 13 au 31 octobre 1971, p. 1. 413 Ibid. 414 « Auch die Feinde der DDR und der VAR, z.B. Brandt und Golda Meir, stehen in einer Front gegen unsere Länder […]. Israel, mit Unterstützung des USA-Imperialismus, sei bemüht, das progressive Regime in der VAR mit Hilfe einer Aggression zu beseitigen. Brandt sei bestrebt, mit Unterstützung der USA die Beseitigung der DDR durch ökonomische und ideologische Durchdringung vorzubereiten ». MfAA, L 187, C 1775 : MB Willerding, Sekretariat. Aktenvermerke über Gespräche des Kandidaten des Politbüros u. Sekretärs des ZK der SED, Werner Lamberz, mit Funktionärer des ZK der ASU und Staatsfunktionären der VAR. März 1971. Aktenvermerk über eine Unterredung des Kandidaten des Politbüros und Sekretärs des ZK der SED, Genossen Werner Lamberz, mit dem Vizepräsidenten der VAR und Mitglied des HEK der ASU, Ali Sabri, am 27.3.1971 in der Zeit von 11.20 Uhr bis 12.30 Uhr ». Botschaft der DDR in der VAR, Kairo, den 28.3.1971, p. 28. 415 SCHWANITZ, Wolfgang, « Deutschland und der Mittlere Osten… », op.cit., p. 14. 416 SAPMO-BArch, DY 30/ IV B 2-20 430 : Abteilung Internationale Verbindungen im ZK der SED. Aussenpolitik der DDR und Beziehungen mit Staaten. Bd. 1 : 1972-1973. Information sur le séjour du Dr. Rifaat el-Saïd, secrétaire du Conseil mondial de la paix, du 19 au 21 septembre 1972, Friedensrat der DDR, vertraulich, Berlin, 27.9.1972., p. 116. 417 SAPMO-BArch, DY 30/ IV B 2-20 345 : Abteilung Internationale Verbindungen im ZK der SED. ASU : Informationen über die Politik der ASU, 1972-75. Bd. 2 : 1973-75. Note sur une conversation entre le chargé de mission spécial de la RDA, le camarade G. Grüneberg, et le président de la RAE, Anouar el-Sadate, le 17 février 1974, de 14 à 15h, dans la résidence du président, le Caire, 17 février 1974.

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La reconnaissance du régime de Berlin-Est par le Caire, en juillet 1969, entérine ainsi plus de quinze années de relations bilatérales, marquées – c’est ce qu’a montré le premier chapitre – par une relative stabilité et par la prédominance des intérêts économiques et militaires. La mise en place des relations diplomatiques officielles constitue néanmoins un véritable tournant dans l’élaboration de la politique étrangère est-allemande en Egypte. D’une part, elle donne une base proprement politique aux contacts bilatéraux, et renforce ainsi les conditions de possibilité d’une coopération idéologique. D’autre part, elle consacre le déplacement progressif des ambitions de la politique étrangère est-allemande en Egypte : cette dernière n’a plus tant vocation à réhabiliter l’image internationale de la RDA dans le contexte du conflit interallemand, qu’à répondre à des intérêts proprement nationaux, en particulier économiques.

Entre juillet 1969 et la fin de l’année 1989, le déploiement de la politique étrangère est- allemande en Egypte obéit à une chronologie relativement claire, qui recoupe la succession au pouvoir des trois leaders égyptiens : Gamal Abdel-Nasser, Anouar el-Sadate puis Hosni Moubarak. Chaque présidence peut être associée à une vision dominante, en RDA, de la nature du régime égyptien, même si une périodisation plus fine fait évidemment apparaître des évolutions indéniables au cours de chaque mandat. De la mise en place des relations diplomatiques, en juillet 1969, à la mort de Nasser, en septembre 1970, Berlin-Est peut croire à la possibilité de construire, en Egypte, un véritable Etat anti-impérialiste.

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Chapitre 2 - De la mise en place des relations diplomatiques à la mort de Nasser : l’Egypte, un « avant- poste du système socialiste »418 au Moyen-Orient ? (juillet 1969-octobre 1970)

La mise en place des relations diplomatiques en juillet 1969 vient couronner plus de quinze années d’efforts est-allemands, destinés à développer les liens bilatéraux : elle permet donc, a posteriori, de mettre en valeur le caractère progressiste et révolutionnaire du régime nassérien. Au début des années 1950, le « populisme autoritaire »419 de Nasser était en effet décrit par les Soviétiques comme un pouvoir « fasciste »420, « réactionnaire »421 et « antidémocratique »422. La perception qu’ont les Etats socialistes de la révolution égyptienne de 1952 change pourtant radicalement à partir de 1955, en raison de la résistance égyptienne au Pacte de Bagdad423 et de l’importance croissante que revêt l’Egypte au sein du monde arabe et du mouvement non-aligné424. Le gouvernement de Nasser est désormais considéré comme jouant un rôle majeur dans la lutte arabe contre l’impérialisme. En juillet 1969, la reconnaissance du régime est-allemand par le Caire est donc présentée par la RDA comme l’aboutissement cohérent d’un « développement progressiste »425 initié par la révolution de 1952. Dès lors, même si les archives de la RDA montrent que les acteurs est-allemands ne se

418 Pour reprendre l’expression d’Hélène Carrère d’Encausse dans : CARRERE D’ENCAUSSE, Hélène, La politique soviétique au Moyen-Orient, 1955-1975, Paris, Presses de la Fondation nationale des Sciences politiques, 1975, p. 216. 419 Pour reprendre l’expression de Carrie Rosefsky Wickham dans : ROSEFSKY WICKHAM, Carrie, Mobilizing Islam. Religion, acitivism and political change in Egypt, New York, Columbia University Press, 2003, p. 22. 420 C’est ainsi que Nasser est décrit par une partie des Soviétiques au cours des années 1950, selon M. Apokov, chargé d’affaires soviétiques au Caire en 1974. Voir : SAPMO-BArch, DY 30/ IV B 2-20 345, op.cit., Remarques du camarade Akopov, chargé d’affaires de l’URSS au Caire, pendant une conversation avec le camarade Grüneberg, membre du Bureau politique et secrétaire du Comité central du SED, le 14 février 1974, à l’ambassade de la RDA , le Caire, 14 février 1974. 421 ISMAEL, Tareq Y., The Communist Movement in the Arab World, New York, Routledge Curzon, 2005, p. 23. 422 Ibid. 423 Alliance militaire établie en février 1955 autour de la Turquie, du Pakistan et de l’Irak, par le secrétaire d’Etat américain à la Défense, John Foster Dulles. Voir infra, partie II, chapitre 5, p. 201. 424 ISMAEL, Tareq Y., The Communist Movement…, op.cit., p. 22. 425 SAPMO-BArch, DY 30/ IV B 2-20 345, op.cit., Remarques du camarade Akopov, chargé d’affaires de l’URSS au Caire, pendant une conversation avec le camarade Grüneberg, membre du Bureau politique et secrétaire du Comité central du SED, le 14 février 1974, à l’ambassade de la RDA , le Caire, 14 février 1974.

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départissent jamais d’une certaine distance critique vis-à-vis de Nasser426, le leader égyptien est cependant crédité d’un statut particulier en Allemagne de l’Est, faisant figure de « personnalité la plus éminente de l’histoire arabe du dernier millénaire »427. On peut affirmer à ce titre que la période qui va de la reconnaissance de juillet 1969 à la mort de Nasser, en septembre 1970, concrétise, aux yeux des acteurs est-allemands, la lente élaboration d’une relation bilatérale fondée sur l’expérience commune de la lutte anti-impérialiste. La disparition soudaine du président égyptien renforce vraisemblablement, a posteriori, l’aura singulière de cette phase très courte, qui voit les débuts d’une véritable politique étrangère est- allemande en Egypte.

A. La reconnaissance du 10 juillet 1969

Si la presse est-allemande comme la presse égyptienne relaient la mise en place des relations diplomatiques bilatérales, l’évènement n’est cependant pas interprété de la même manière par les différents protagonistes. Le quotidien est-allemand Neues Deustchland salue la dimension politique d’un tel accord, qui consacre l’ « amitié »428 entre le Caire et Berlin-Est (annexe 3) et marque « un grand succès pour la politique remarquable de la RDA »429. De fait, l’officialisation des contacts bilatéraux constitue une véritable victoire diplomatique pour l’Allemagne de l’Est, qui estime obtenir ainsi la reconnaissance de sa « politique de paix »430. Cette « étape décisive »431 est d’ailleurs l’occasion pour le président du Conseil d’Etat de la RDA, Walter Ulbricht, de transmettre ses vœux à Gamal Abdel-Nasser et de placer la nouvelle phase des relations bilatérales sous le signe de la « lutte de libération anti- impérialiste »432 :

« Je suis sûr que la mise en place des relations diplomatiques entre la RDA et la RAU va être saluée par les hommes pacifiques et progressistes du monde [entier], car cette étape sert la

426 La période qui va de 1952 à 1960 reste décrite comme celle d’une « orientation bourgeoise » de la révolution égyptienne. C’est seulement à partir des nationalisations de 1961 que l’Egypte est désignée comme un Etat ayant choisi une « voie de développement non-capitaliste ». Voir SAPMO-BArch, DY 30/ IV B 2-20 345, op.cit., « Egypte/ Union Socialiste Arabe. Indications générales », p. 123. Les analyses de l’ambassade est-allemande au Caire soulignent cependant le fait que, malgré le rapprochement soviéto-égyptien, Nasser ne « fermer[a] pas sa porte aux Etats-Unis ». Voir : MfAA, L 187, C 1111/75 – 1117/75, op.cit., Informationsbericht 8/70, Zur Nasser- Rede am 1.5.1970. Botschaft der DDR in der VAR (Konschel, Wegricht), Kairo, den 31.4.1970. 427 ROBBE, Martin (dir.), « Die DDR in Nah- und Mittelost… », op.cit., p. 551-601. 428 « Vive l’amitié entre la RDA et la RAU », Neues Deutschland, 12 juillet 1969, p. 6. 429 « Un grand succès pour la politique remarquable de la RDA », Neues Deutschland, 13 juillet 1969, p. 7. 430 « Reconnaissance de la politique de paix de la RDA », Neues Deutschland, 14 juillet 1969, p. 5. 431 « Forte approbation au pays du Nil », Neues Deutschland, 11 juillet 1969, p. 7. 432 Ibid.

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consolidation du front de toutes les forces anti-impérialistes et raffermit leur confiance en la réussite de la lutte contre l’impérialisme, le colonialisme et le néocolonialisme »433.

Du côté égyptien, la mise en place des relations diplomatiques est présentée de façon plus neutre, même si elle fait partie des grands titres de l’actualité : « Le Caire reconnaît l’Allemagne démocratique »434, « Rencontre au sommet entre le Caire et Berlin-Est »435, « Etape décisive à Berlin après la reconnaissance par le Caire de l’Allemagne démocratique »436. Plus que sa dimension politique, la presse nationale souligne les avantages économiques d’un tel rapprochement. Al-Goumhouria présente d’ailleurs très explicitement l’échange d’ambassadeurs comme un moyen d’accroître l’ « aide économique » de la RDA et de « favoriser l’augmentation des échanges commerciaux » bilatéraux437. Trois jours après la reconnaissance officielle de Berlin-Est par le Caire, Gerhard Weiss, représentant du président du Conseil des ministres de RDA, est même reçu par le ministre égyptien de l’Economie, Hassan Abbas Zaki438. Ce soutien économique revêt une importance particulière dans le contexte de la guerre d’usure israélo-égyptienne, comme le souligne Saad Badawi al-Fatatry, lors du discours qu’il prononce à l’occasion de sa prise de fonction, en tant que premier ambassadeur égyptien en RDA, à l’été 1969 (annexe 4) :

« Je me réjouis de vous transmettre […] les remerciements du gouvernement et du peuple de la République arabe unie, pour […] la position généreuse de la RDA dans le soutien apporté à la nation arabe dans sa juste lutte contre l’impérialisme et le sionisme et contre l’agression impérialiste d’Israël »439.

Dès juillet 1969, l’officialisation des contacts entre la RDA et l’Egypte répond donc à des objectifs nationaux propres : la reconnaissance internationale pour Berlin-Est ; le soutien au développement économique pour le Caire, notamment dans le cadre du conflit contre

433 « Walter Ulbricht à Gamal Abd-el-Nasser », Neues Deutschland, 11 juillet 1969, p. 1. 434 El-Ahram, 9 juillet 1969, p. 1. 435 Rose al-Youssef, 14 juillet 1969. 436 Al-Goumhouria, 10 juillet 1969, p. 1. 437 « Augmentation du niveau des échanges avec l’Allemagne démocratique », Al-Goumhouria, 13 juillet 1969, p. 6. 438 Ibid. 439 « Herr Vorsitzender ! Ich freue mich, Ihnen bei dieser Gelegenheit noch einmal meinen Dank sowie den der Regierung und des Volkes der Vereinigten Arabischen Republik für die aufrichtigen Gefühle und die grosszügige Haltung der Deutschen Demokratischen Republik bei der Unterstützung der arabischen Nation in ihren gerechten Kampf gegen Imperialismus und Zionismus und für die Beendigung der imperialistischen Aggression Israels zum Ausdruck zu bringen ». MfAA, L 187, C 928/77 : Protokollabteilung. Akkreditierung und Abberufung des ägyptischen Botschafters, Saad Badawi al-Fatatry, in der DDR. Juli 1969, Dez. 1971. Discours de Saad Badawi al-Fatatry à l’occasion de son accréditation en RDA, pas de date.

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Israël. L’accréditation des ambassadeurs marque pourtant une nouvelle étape dans les relations bilatérales, car elle leur donne désormais une dimension véritablement politique.

1. L’accréditation des ambassadeurs

Le 9 juillet 1969, Walter Ulbricht nomme Martin Bierbach ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire de la RDA en République arabe unie440. Le 28 juillet suivant, ce dernier est reçu par Gamal Abdel Nasser et devient officiellement le premier ambassadeur est-allemand en Egypte441. Comme le montre le tableau suivant, un nouvel ambassadeur est nommé tous les quatre ans au Caire, jusque 1989 :

Tableau 2 : Liste des ambassadeurs de la RDA en Egypte, de 1969 à 1989442

Ambassadeurs de la RDA en Egypte Date d’entrée en fonction Martin Bierbach 28 juillet 1969 Hans-Joachim Radde 24 avril 1973 Otto Becker 16 octobre 1977 Hans-Jürgen Weitz 5 avril 1981 Wolfgang Schüssler 3 décembre 1985

De son côté, en juillet 1969, Nasser choisit Saad Mohamed Badawi el-Fatatry pour occuper la fonction d’ambassadeur de l’Egypte à Berlin-Est443.

Lorsque Martin Bierbach et Saad Badawi el-Fatatry entrent en fonction, ils possèdent tous deux une certaine expérience du pays dans lequel ils sont nommés. Né en 1926, Martin

440 MfAA, L 187, C 6505 : Abt. Naher u. Mittlerer Osten. Aufnahme und Beendigung der Tätigkeit von Botschaftern der DDR in Ägypten u. ägyptischen Botschaftern in der DDR. 1969, 1977. Lettre de Walter Ulbricht, Président du Conseil d’Etat de la RDA, à Gamal abd-el-Nasser, Président de la République arabe unie, Berlin, 9 juillet 1969. 441 MfAA, L 187, C 602/73, op.cit., Aktenvermerk über eine Unterredung mit dem Präsidenten der Vereinigten Arabischen Republik, Gamal Abdel Nasser, anlässlich der Überreichung des Beglaubigungsschreibens an 28.7.1969, Botschaft der DDR in der VAR, Kairo, den 3.8.1969. 442 Données extraites de : MfAA, Protokollabt. Und Abt. Interne Information, Verzeichnis der Botschaften, Generalkonsulate, Konsulate und Ständgen Vertretungen der DDR im Ausland- herausgegeben von der Protokollabt. des MfAA 1989.

443 MfAA, L 187, C 928/77, op.cit., lettre de Gamal abd-el-Nasser, président de la République arabe unie, à Walter Ulbricht, Président du Conseil d’Etat de la RDA, le Caire, 30 juillet 1969. Ses successeurs sont Mustapha Mohamed Tewfik, entre 1975 et 1977, Salah Eddin Abu Gabal, à partir de septembre 1977, puis Salah Eddin Mohamed el-Shaarawy, à partir de 1981.

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Bierbach a été le premier consul général est-allemand au Caire, entre 1959 et 1962444, avant de devenir ambassadeur de RDA en République populaire de Chine de 1966 à 1968445. Saad Badawi el-Fatatry, né en 1921, a quant à lui occupé le poste de consul général d’Egypte à Berlin entre 1965 et 1969446. En mars 1969, il est devenu directeur de la mission d’Egypte en RDA447, avant d’être promu au rang d’ambassadeur l’été suivant.

D’après les archives de la RDA, Martin Bierbach et Saad Badawi el-Fatatry apparaissent comme des diplomates loyaux et expérimentés, qui ont personnellement contribué à créer une relation de confiance entre les régimes est-allemand et égyptien. En décembre 1971, à la fin de sa mission, l’ambassadeur égyptien est décoré par l’Etat est- allemand et reçoit l’ « étoile de l’amitié des peuples »448. Une telle distinction est à la fois l’occasion de rendre hommage à ses six années d’activité en RDA, mais également de consolider l’ « alliance anti-impérialiste avec l’Egypte »449. De même, Martin Bierbach est décoré en avril 1974 par le président égyptien, qui lui remet la médaille du mérite de première classe450 : le diplomate est récompensé pour avoir œuvré au « renforcement de l’amitié et de la coopération entre la RDA et la RAE »451. Martin Bierbach avait déjà obtenu la médaille du mérite de l’Armée nationale populaire de RDA pour avoir préparé la venue en Egypte d’une

444 MfAA, Protokollabt. Und Abt. Interne Information, Verzeichnis der Botschaften, Generalkonsulate, Konsulate und Ständgen Vertretungen der DDR im Ausland- herausgegeben von der Protokollabt. des MfAA 1989. 445 HERBST, Andreas, « Bierbach, Martin », in: Wer war wer in der DDR? 5. Ausgabe. Band 1. Ch. Links, Berlin 2010, http://www.bundesstiftung-aufarbeitung.de/wer-war-wer-in-der-ddr-%2363%3B- 1424.html?ID=282 446 MfAA, L 187, C 928/77, op.cit., courte biographie de Saad Badawi el-Fatatry. 447 Ibid. 448 MfAA, L 187, C 1121/75 : Abt. Naher u. Mittlerer Osten. Sektor Ägypten, Sudan, Libyen. Vorlage für das Politbüro des ZK der SED sowie für das Präsidium des Ministerrates der DDR zur Auszeichnung des Botschafters Ägyptens in der DDR, Saad Badawi El Fatatry, mit dem Orden « Stern der Völkerfreundschaft ». Dez. 1971. Vorlage für das Politbüro des ZK der SED. Betrifft : Auszeichnung des Botschafters der Arabischen Republik Ägypten, Saad Badawi el-Fatatry, mit dem Orden « Stern der Völkerfreundschaft » in Gold. Minister für Auswärtige Angelegenheiten, Abteilung Internationale Verbindungen, Berlin, 8.12.1971. 449 « Die DDR wird auch künftig das antiimperialistische Bündnis mit Ägypten festigen ». MfAA, L 187, C 1121/75, op.cit., Empfehlungen für das Gespräch des Vorsitzenden des Staatsrates, Genossen Walter Ulbricht, mit dem Botschafter der Arabischen Republik Ägypten, Saad Badawi el-Fatatry, am 6.12.1971. 450 MfAA, L 187, C 287/76 : Abt. Naher u. Mittlerer Osten. Sektor Ägypten, Sudan, Libyen. Ägyptische Auszeichnungen für Bürger der DDR. 1973. Lettre de l’ambassadeur égyptien en RDA, Mohamed Mustafa Tewfik, au chef du Protocole de RDA, Franz Jahsnowski, Berlin, 2 avril 1974. 451 Ibid.

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délégation militaire est-allemande, conduite par le général Heinz Hoffmann, ministre de la Défense nationale, en octobre 1971452.

Les liens de confiance qui se sont établis entre les autorités est-allemandes et Saad Badawi el-Fatatry se maintiennent même après que le diplomate égyptien a achevé sa mission en Allemagne de l’Est. Ce dernier, qui « s’est fait beaucoup d’amis en RDA »453, sa « seconde patrie »454, conserve des liens avec les représentants est-allemands. En 1973, il est directeur du département des Etats socialistes au ministère égyptien des Affaires étrangères455. A ce titre, il voyage en Europe de l’Est et rencontre régulièrement les émissaires des pays socialistes. En 1978, alors ambassadeur de l’Egypte au Soudan, il entretient toujours des contacts avec les diplomates est-allemands456 : auprès d’eux, il évoque avec nostalgie la période nassérienne et déplore la soumission actuelle de la politique égyptienne aux Etats- Unis et à l’Arabie Saoudite457.

2. L’Egypte, un partenaire possible pour soutenir la RDA devant les institutions internationales ?

Dès l’officialisation de leurs relations diplomatiques, Berlin-Est considère le Caire comme un allié susceptible de soutenir ses revendications sur la scène internationale. Les échanges bilatéraux sont explicitement conçus par la RDA comme une manière d’« accroître [son] autorité internationale et d’améliorer [son] image parmi les masses en Egypte »458. Pour les fonctionnaires est-allemands, c’est en effet l’occasion de présenter et de défendre la position de Berlin-Est sur les questions de la sécurité européenne et de la normalisation des

452 DVW 1/ 115 673, op.cit., Der Aufenthalt in der Arabischen Republik Ägypten, rapport sur la visite officielle de la délégation militaire de RDA en RAE, du 13 au 31 octobre 1971, p. 19. 453 MfAA, L 187, C 928/77, op.cit., Recommandations pour la conversation entre le secrétaire d’Etat, le camarade Peter Florin, et l’ambassadeur de RAE, Saad Badawi el-Fatatry, le 27 décembre 1971. 454 SAPMO-BArch, DY 30/ IV B 2-20 430, op.cit., Information à propos des déclarations de Khaled Mohieddine, Secrétaire général du Conseil de la paix d’Egypte, et de représentants du mouvement pour la paix en Egypte, au camarade W. Rümpel, lors du congrès du Conseil mondial de la paix, du 13 au 15 février 1973, au Caire. 455 Ibid. 456 MfAA, L 187, C 6464 : Abt. Naher u. Mittlerer Osten. Informationen über Gespräche von DDR- Diplomaten und Vertretern des Solidaritätskomitees der DDR mit ägyptischen Persönlichkeiten nach oder bei Besuchen im Gastland. Enthält u.a. : Information über ein Zusammentreffen des Stellvertreters des Aussenministers der DDR, Klaus Willerding, mit ägyptischen Politikern bei einem Transitaufenthalt im Juni 1978 in Ägypten. 1978. Zusammentreffen mit ägyptische Politikern. 457 Ibid. 458 « Sie haben zur weiteren Erhöhung der internationalen Autorität der DDR und zur Verbesserung des massenwirksamen Bildes über die DDR in der VAR beigetragen ». MfAA, L 187, C 1641/76, op.cit., IV. Quartal – Beziehungsbericht VAR/DDR, 28.1.1970.

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relations germano-allemandes459. En janvier 1970, Martin Bierbach, le premier ambassadeur est-allemand au Caire, formule des propositions destinées à organiser au mieux la visite en Egypte du président du Conseil d’Etat de la RDA, Walter Ulbricht460. Selon lui, un tel séjour est d’abord une opportunité majeure pour accroître les relations de Berlin-Est avec le monde arabe et les pays non-alignés. C’est, il est vrai, une analyse récurrente chez les diplomates est- allemands que d’estimer que l’Egypte est en mesure de « soutenir activement la RDA dans les efforts qu’elle entreprend afin de normaliser ses relations avec les autres pays arabes et les pays africains »461. Surtout, Martin Bierbach considère que la rencontre entre Ulbricht et Nasser doit mener au soutien explicite de l’Egypte à la lutte est-allemande contre « l’usurpation de la représentation exclusive » de la RFA462. Lui-même entreprend systématiquement de « dévoiler » à ses interlocuteurs égyptiens l’instrumentalisation par les Etats-Unis de la politique ouest-allemande, leur rappelant que la RDA « attend […], dans son combat contre l’exclusivité de Bonn, une aide solidaire des Etats amis, parmi lesquels [on trouve] l’Egypte »463.

Du point de vue des diplomates est-allemands, le soutien égyptien ne doit toutefois pas se limiter à la stricte question des relations germano-allemandes. Au cours de l’année 1970, ils organisent une série de rencontres avec les représentants égyptiens, afin de les persuader qu’il est dans leur intérêt de soutenir les demandes d’adhésion de la RDA aux différentes organisations internationales, et en particulier à l’ONU. Une première demande d’admission présentée par la RDA le 1er mars 1966 a en effet échoué, notamment parce que le caractère

459 MfAA, L 187, C 1317/76 : Abt. Naher u. Mittlerer Osten. Sektor Ägypten, Sudan, Libyen. Delegationsaustausch zwischen der DDR und der VAR bzw. Ägypten. Enthält u.a. : Bericht über den Besuch des Stellvertreters des Ministerpräsidenten der VAR, Dr. Mohamed Abdulkader Hatem, im Aug. 1966 in der DDR. Aufenthalt des Sonderbevollmächtigten der Partei- und Staatsführung der DDR, Gerhard Grüneberg, im Febr. 1974 in Ägypten. Delegationsaustausch auf Ministerebene. 1964-1966, 1969-1970, 1974-1975. Lettre du 19 janvier 1970, adressée par Martin Bierbach, ambassadeur de la RDA au Caire, au Dr. Wolfgang Kiesewetter, adjoint du ministre des Affaires Etrangères, Affaires Confidentielles, à Berlin. 460 Ibid. 461 MfAA, L 187, C 1641/ 76, op.cit., Zum Stand der Beziehungen DDR-Vereinigte Arabische Republik, 9.7.1970. 462 MfAA, L 187, C 1317/ 76, op.cit., Lettre du 19 janvier 1970, adressée par Martin Bierbach, ambassadeur de la RDA au Caire, au Dr. Wolfgang Kiesewetter, adjoint du ministre des Affaires Etrangères, Affaires Confidentielles, à Berlin. 463 « Die DDR erwarte deshalb in ihrem Kampf gegn die Bonner Ausschliesslichkeitanmassung auch die solidarische Hilfe der befreundeten Staaten, darunter auch der VAR ». MfAA, L 187, C 602/73, op.cit., Aktenvermerk über eine Unterredung mit dem Präsidenten der Nationalversammlung der VAR und Mitglied des Hohen Exekutivkomitees des ZK der ASU, Dr. Labib Shukeir, am 28.4.1970 in der Zeit von 9.30 Uhr bis 10.30 Uhr. Botschaft der DDR in der VAR, Kairo, den 29.4.1970.

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étatique de la République démocratique demeure contesté464. L’Egypte, qui est, quant à elle, entrée à l’ONU le 24 octobre 1945, fait partie des membres fondateurs de l’organisation465 : à ce titre, elle peut apparaître comme un relais utile de la volonté est-allemande d’y adhérer et d’être admise au sein de ses structures subsidiaires. En outre, Berlin-Est s’intéresse moins, désormais, à la reconnaissance des Etats du Tiers-monde, qu’à une adhésion rapide au sein des Nations Unies466.

Le 21 juillet 1970, l’ambassadeur Bierbach rencontre ainsi le ministre égyptien des Affaires Etrangères, Mahmoud Riad, et lui transmet une lettre de son homologue est- allemand, Otto Winzer, datée de la veille, « dans laquelle la République arabe unie est priée de soutenir, en tant que membre du Conseil Exécutif de l’UNESCO, la demande d’adhésion de la RDA [au sein de l’organisation] »467. Soulignant les « relations d’amitié étroites » qui prévalent entre les deux pays, Bierbach incite le ministre égyptien à « donner des directives allant dans ce sens lors du congrès du Conseil Exécutif de l’UNESCO »468. C’est l’occasion pour lui de rappeler le soutien égyptien à la demande d’entrée de la RDA au sein de l’OMS469, et d’ancrer ainsi cette nouvelle exigence dans la lignée d’une tradition d’aide mutuelle entre les deux pays. Selon Mahmoud Riad, un tel appui manifeste « la politique affichée de l’Egypte de soutenir les désirs légitimes [de la RDA] d’entrée au sein de l’ONU et de ses sous-organisations. L’Egypte est [d’ailleurs] prête à gagner d’autres Etats à cette cause [et] va agir en conséquence au sein du Conseil Exécutif de l’UNESCO ».

De son côté, la RDA n’hésite pas à présenter son entrée à l’ONU comme un outil supplémentaire pour renforcer la lutte politique contre Israël470 : une telle adhésion viendrait

464 BETTATI, Mario, « L’admission des deux Allemagnes…», op.cit., p. 223. 465 Voir le site des Nations Unies : http://www.un.org/fr/members/index.shtm 466 WENTKER, Hermann, Aussenpolitik in engen Grenzen…, op.cit., p. 354. 467 « Mit einer kurzen Erläuterung des Inhaltes, übergab ich an Aussenminister Riad das Schreiben von Minister Winzer vom 20.7.70, in dem die VAR als Mitglied des Exekutivsrates der UNESCO gebeten wurde, den Antrag der DDR auf Aufnahme in die UNESCO zu unterstützen ». MfAA, L 187, C 602/73, op.cit., Vermerk über eine Unterredung mit dem Aussenminister der VAR, Mahmoud Riad, am 21.7.1970 in der Zeit von 12.30 bis 13.15 Uhr. Botschaft der DDR in der VAR, Kairo, den 22.7.1970. 468 La RDA est admise à l’UNESCO le 21 novembre 1972. Voir : BETTATI, Mario, « L’admission des deux Allemagnes… », op.cit., p. 218. 469 Le gouvernement de RDA dépose une première demande d’admission à l’OMS en avril 1968, finalement rejetée. En mars 1970 et en mai 1971, la RDA renouvelle sa demande, sans succès. Elle y entre finalement le 8 mai 1973. Voir : ibid., p. 216-218. 470 Voir infra, p. 128-132.

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en effet accroître, au sein de l’organisation, le poids des Etats désireux de contraindre l’Etat hébreu à se retirer des territoires occupés471.

De fait, au début des années 1970, l’Egypte relaie certaines des revendications est- allemandes auprès des institutions internationales : le ministre égyptien des Affaires étrangères, Mohamed Hassan el-Zayyat472, assure ainsi à son homologue est-allemand qu’il a plaidé auprès du secrétaire général de l’ONU, Kurt Waldheim, la nécessité d’appuyer la demande d’admission de la RDA473.

Au cours des années qui suivent, les diplomates est-allemands n’hésitent pas à brandir le souvenir des efforts entrepris par l’Egypte pour soutenir la reconnaissance de leur Etat. En février 1974, G. Grüneberg, le chargé de mission spécial est-allemand, s’entretient avec le président Anouar el-Sadate : après les politesses d’usage, il ne manque pas de rappeler que la RDA est membre de l’ONU, « en particulier grâce à l’Egypte »474. Inversement, les acteurs égyptiens mobilisent volontiers cet argument pour justifier une demande d’aide auprès de leurs interlocuteurs est-allemands. En mars 1975 par exemple, le premier secrétaire du Comité central de l’USA, Mohamed Hafez Ghanem, évoque les risques qu’a pris son pays en soutenant la RDA:

« L’Egypte a joué un rôle [certain] dans l’obtention de la position internationale actuelle de la RDA, car elle appartient aux premiers Etats qui ont prôné sa reconnaissance internationale. En raison de cette position, l’Egypte, qui, en tant que pays pauvre, a un besoin urgent de crédits et d’autres aides, a subi des sanctions économiques de la part de la RFA »475.

En réalité, l’admission de la RDA au sein de l’ONU en 1973 est davantage le résultat de la normalisation des relations entre la communauté internationale et le bloc de l’Est, que

471 MfAA, L 187, C 767/75, op.cit., Vermerk über eine Unterredung des Ministers für Auswärtige Angelegenheiten der DDR-Genossen Otto Winzer, mit dem Minister für Auswärtige Angelegenheiten der ARÄ, Dr. Mohamed Hassan El-Zayyat, ab 31. Oktober 1972 in der SAR, Berlin, den 2. November 1972, p.14 et suivantes. 472 Mohamed Hassan el-Zayyat succède à Mohamed Mourad Ghaleb en tant que ministre égyptien des Affaires étrangères, en août 1972, après que ce dernier a lui-même succédé à Mahmoud Riad pour quelques mois à peine. Voir le site du ministère égyptien des Affaires étrangères : http://www.mfa.gov.eg/English/Minister/FormerMinisters/Pages/default.aspx 473 MfAA, L 187, C 767/75, op.cit., Vermerk über eine Unterredung des Ministers für Auswärtige Angelegenheiten der DDR-Genossen Otto Winzer, mit dem Minister für Auswärtige Angelegenheiten der ARÄ, Dr. Mohamed Hassan El-Zayyat, ab 31. Oktober 1972 in der SAR, Berlin, den 2. November 1972, p. 20. 474 SAPMO-BArch, DY 30/ IV B 2-20 345, op.cit., Note sur une conversation entre le chargé de mission spécial de la RDA, le camarade G. Grüneberg, et le président de la RAE, Anouar el-Sadate, le 17 février 1974, de 14 à 15h, dans la résidence du président, le Caire, 17 février 1974. 475 SAPMO-BArch, DY 34/ 10 526, op.cit., Information sur une conversation entre le directeur de la délégation syndicale s’étant rendue en Egypte du 12 au 24 mars 1975, Albert Enke, et le premier secrétaire du comité central de l’USA, Mohamed Hafez Ghanem, le 23 mars 1975, dans les bâtiments du CC de l’USA au Caire, Botschaft der DDR in ARÄ, Kairo, 24.3.1975.

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son instrument : le Traité fondamental du 21 décembre 1972 avait déjà amorcé le processus de rapprochement interallemand et entraîné l’entrée de la RDA au sein d’institutions internationales spécialisées. L’action de « lobbying » de l’Egypte telle qu’elle est vantée par les diplomates est-allemands doit donc être nuancée, le mouvement de reconnaissance internationale de la RDA étant largement entamé à cette période476. En outre, le soutien égyptien aux différentes candidatures est-allemandes n’est pas tant le fait d’une inscription commune dans la « lutte anti-impérialiste », comme le présente la RDA, que l’espoir d’obtenir, en retour, une aide morale et matérielle, notamment dans le cadre du conflit israélo- arabe. Au début des années 1970, c’est pourtant une grille de lecture idéologique qui prévaut pour justifier la solidarité égyptienne. Selon les acteurs est-allemands, cette dernière est en effet une conséquence logique du rapprochement doctrinal qui est en train de s’opérer entre l’Egypte et le bloc socialiste.

B. L’Egypte, un terrain favorable à la diffusion du socialisme ?

1. Un « climat favorable »477 à la pénétration des idées socialistes en Egypte depuis la révolution nassérienne de 1952

En RDA, la période qui suit immédiatement la mise en place des relations diplomatiques est marquée par l’idée selon laquelle il existe en Egypte des potentialités de développement susceptibles de faire triompher les « forces progressistes ». Les rapports de l’ambassade est-allemande au Caire soulignent avec satisfaction « l’industrialisation du pays » et le « renforcement du secteur étatique dans l’industrie », à même de « créer une base économique susceptible d’alimenter le combat anti-impérialiste »478. En URSS et en RDA, la presse rappelle ainsi que, suite à la révolution égyptienne de 1952, 85% des moyens de production dans l’industrie ont été nationalisés479. Le grand mouvement d’étatisation entamé en 1956480 et poursuivi en 1961481, ainsi que la mise en œuvre de la réforme agraire créent

476 Au début de l’année 1973, seize Etats supplémentaires entreprennent d’établir des relations diplomatiques avec la RDA : les Pays-Bas, le Luxembourg, l’Ouganda, le Costa Rica, le Danemark, l’Islande, l’Espagne, la Norvège, l’Afghanistan, l’Italie, la Mauritanie, la Gambie, l’Ethiopie, Malte, le Royaume-Uni et le Nigéria. Voir : BETTATI, Mario, « L’admission des deux Allemagnes à l’O.N.U. », in : Annuaire français de droit international, op.cit., p. 231. 477 ROBBE, Martin (dir.), « Die DDR in Nah- und Mittelost… », op.cit., p. 565. 478 « Die Erfüllung des Fünfjahrplanes kann wesentlich dazu beitragen, eine feste ökonomische Grundlage für den antiimperialistischen Kampf zu schaffen […] ». MfAA, L 187, C 1111/75 – 1117/75, Informationsbericht 7/70. Konschel, Botschaftsrat. Zur Wirtschaftslage der VAR, p. 172. 479 « République arabe unie : 10% de croissance dans la production industrielle. Des succès économiques significatifs au pays du Nil », Neues Deutschland, 10 juillet 1969, p. 7. 480 En 1956, la Compagnie du Canal de Suez est nationalisée.

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donc les conditions d’un changement profond dans les structures économiques nationales : « la grande bourgeoise égyptienne est privée de son pouvoir et les positions des forces semi- féodales du pays sont réduites »482.

En posant les jalons d’une économie socialiste planifiée, de tels bouleversements sont d’autant plus susceptibles de contribuer au développement d’une conscience ouvrière que la situation de guerre dans laquelle se trouve l’Egypte accentue le désarroi des catégories sociales les plus défavorisées : « le mécontentement s’exprime chez les classes laborieuses »483. Le « refus de la résignation » s’accroît également au sein des « classes moyennes et bourgeoises » et des « cercles éclairés » : « il y a, parmi les cercles d’étudiants – surtout à l’Université du Caire- des groupes de discussion qui se forment et qui constituent l’esquisse d’une opposition organisée »484. Le premier ambassadeur égyptien à Berlin-Est, Saad Badaoui el-Fatatry, relaie en outre auprès de ses interlocuteurs est-allemands l’idée selon laquelle le nassérisme crée les conditions d’émergence, en Egypte, d’une société progressiste. Dans ses mémoires, il explique ainsi que toutes les ambassades égyptiennes possèdent leur exemplaire de la Philosophie de la Révolution de Nasser485.

Constatant que les révolutions d’inspiration socialiste ne se produisent pas tant, comme l’avaient prévu Marx et Lénine, dans les pays d’économie capitaliste abritant un prolétariat urbain important, que dans les pays pauvres, les Etats socialistes entendent dès lors soutenir les stratégies révolutionnaires à l’œuvre dans les régimes non capitalistes, à l’instar de l’Egypte486. Une grande part de l’aide au développement, du soutien militaire et, dans une moindre mesure, des contacts technico-scientifiques et culturels que la RDA noue avec les pays du Tiers-monde, se concentre ainsi là où se conjuguent instabilité politique interne et

481 Les lois de juillet 1961 mènent à une série de nationalisations dans les secteurs de l’industrie, du commerce, des transports et des banques. 482 BATOR, Wolfgang und Angelika (dir.), Die DDR und die arabischen Staaten…, op.cit., p. 36. 483 MfAA, L 187, C 1111/75 – 1117/75, op.cit., Informationsbericht 7/70, Konschel, Botschaftsrat. Zur Wirtschaftslage der VAR. 484 « Ein gutunterrichteter Journalist informierte, dass es in Studentenkreisen –vor allem an der Kairoer Universität- Diskussionsgruppen gegeben hat, die Ansätze zu organisierter Opposition zeigten ». MfAA, L 187, C 1111/75 – 1117/75, op.cit., Informationsbericht 3/70. 2.Zur Reaktion der VAR-Bevölkerung auf die israelischen Luftangriffe. Botschaft der DDR in der VAR, Kairo, den 18.2.1970, p. 185. 485 D’après un extrait des Mémoires de Saad Badawi el-Fatatry, en arabe (Saadat al-Safîr), cité dans : SCHWANITZ, Wolfgang, « DDR-Ägypten : eine Rückschau », in : SCHWANITZ, Wolfgang (dir.), Berlin- Kairo…, op.cit., p. 61. 486 LAMM, Hans Siegfried, KUPPER, Siegfried, DDR und Dritte Welt, op.cit., p. 33-38.

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faiblesse économique, autrement dit, là où un bouleversement des rapports de forces politiques à la faveur du socialisme peut légitimement être attendu487.

Au début des années 1970, les Etats socialistes sont donc relativement favorables au « cap initié par le président Nasser »488. Cet optimisme ne les empêche pas, toutefois, de nuancer le caractère révolutionnaire des réformes entreprises depuis 1952 par Nasser. En 1974, par exemple, Akopov, le chargé d’affaires soviétique au Caire, qualifie certes la direction égyptienne de « progressiste », soulignant qu’il existe dans le pays un véritable « ABC du marxisme » et une solide « politique d’industrialisation », mais voit dans les transformations socio-économiques de 1952 des « réformes avec un contenu social […] et un caractère bourgeois démocratique », plutôt que de véritables « mesures socialistes »489. Ces analyses rejoignent en fait celles des diplomates est-allemands, rapidement contraints d’admettre que l’ « idéologie unificatrice »490 de Nasser a contribué à enraciner parmi la population égyptienne la négation de l’idée d’intérêt de classe.

2. Approximations doctrinales et développement d’une « théorie de classes non antagoniste »491 : l’exemple des festivités organisées en Egypte en 1970, à l’occasion du 100ème anniversaire de la naissance de Lénine

Au printemps 1970, lors des célébrations organisées en Egypte pour le centième anniversaire de la naissance de Lénine, les observateurs est-allemands mesurent à quel point le « travail idéologique systématique » fait défaut chez leurs partenaires égyptiens492.

487 HAFEZ, Kai, « Von der nationalen Frage… », op.cit., p. 77-95. 488 MfAA, L 187, C 1775, Aktenvermerk über eine Unterredung des Kandidaten des Politbüros und Sekretärs des ZK der SED, Genossen Werner Lamberz, mit dem Sekretär für Organisationsfragen des ZK der ASU, Stellvertreter des Ministerpräsidenten und Innenminister der VAR, Shaarawi Gomaa, am 27.3.1971 in der Zeit von 19.00 bis 20.40 Uhr. Botschaft der DDR in der VAR, Kairo, den 29.3.1971. 489 SAPMO-BArch, DY 30, IV B 2-20 345, op.cit., Remarques du camarade Akopov, chargé d’affaires de l’URSS au Caire, pendant une conversation avec le camarade Grüneberg, membre du Bureau politique et secrétaire du Comité central du SED, le 14 février 1974, à l’ambassade de la RDA , le Caire, 14 février 1974. 490 Pour reprendre l’expression d’Olivier Carré dans : CARRE, Olivier, « L’idéologie politico-religieuse nassérienne à la lumière des manuels scolaires », in : Politique étrangère, 1972, vol. 37, n°4, p. 550. 491 « Eine nichtantagonistische Klassentheorie nach bürgerlichem Vorbild ». MfAA, L 187, C 282/76 : Abt. Naher u. Mittlerer Osten. Sektor Ägypten, Sudan, Libyen. Vermerke über Gespräche zwischen DDR-Diplomaten und Repräsentanten und Vertretern staatlicher und gesellschaftlicher Institutionen Ägyptens zu innen- und aussenpolitischen sowie ökonomischen Fragen. Juli 1970, 1973-1974. Vermerk über ein Gespräch mit dem Sekretär für Ideologie der ASU, Rifaat Maghoub, am 10.9.1974 im Gebäude der ASU. Botschaft der DDR in der AR Ägypten, Kairo, den 15.9.1974, p. 2. 492 « Die durchgeführten Veranstaltungen […] waren noch nicht bestimmend für den Gesamtcharakter einer systematischen ideologischen Arbeit ». MfAA, L 187, C 1111/75 – 1117/75, op.cit., Informationsbericht 10/70, Zu den Feierlichkeiten und Aktivitäten anlässlich der 100. Wiederkehr des Geburtstages von W.I. Lenin in der VAR (Endesfelder, Konschel). Botschaft der DDR in der VAR, Kairo, am 1.6.1970.

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Ils soulignent certes « l’étendue des idées du socialisme scientifique en Egypte »493 et l’hommage rendu à Lénine par les différentes organisations affiliées à l’Union Socialiste Arabe. Les commémorations ont même justifié l’approvisionnement de l’Egypte en littérature marxiste : l’URSS a envoyé environ 250 000 livres dans le pays, dont 120 000 ouvrages de « littérature politique »494. Rifaat el-Saïd, l’une des principales figures de la gauche égyptienne495, se félicite d’ailleurs du fait que 16 000 exemplaires de l’Etat et la révolution496 aient été achetés dans le pays à cette occasion497. Une brochure intitulée Lénine et la question agraire a en outre été diffusée dans les régions agricoles : selon les sources est-allemandes, elle a été « largement achetée » par les paysans égyptiens, ce qui a parfois donné lieu à de violents affrontements avec « certaines forces réactionnaires »498. Plusieurs évènements artistiques et sportifs ont enfin été organisés dans les gouvernorats du Caire, d’Alexandrie et de Gizeh499. Les festivités organisées en Egypte s’inscrivent dans un mouvement plus vaste de commémorations, organisées dans le monde entier, et que le quotidien Neues Deutschland ne manque pas de reproduire.

493 Ibid. 494 Ibid. 495 Rifaat el-Saïd est un journaliste né en 1932, collaborateur au journal el-Ahram et sympathisant communiste. C’est aussi l’un des interlocuteurs privilégiés de la RDA en Egypte. Voir infra, partie III, chapitre 7, p. 456-457. 496 L'État et la Révolution : la doctrine marxiste de l'État et les tâches du prolétariat dans la révolution est rédigé par Lénine en 1917. 497 MfAA, L 187, C 641/73, op.cit., Zusammenfassung eines Gesprächs mit dem Präsidenten des Friedensrates der VAR Khaled Mohieddin, und dem Sekretär des Friedensrates Rifaa Sayed während eines Mittagessens bei Gen. Stange (AASK-Veretreter) am 24.3.1970. Botschaft der DDR in der VAR, Kairo, am 7.4.1970. 498 MfAA, L 187, C 1111/75 – 1117/75, op.cit., Informationsbericht 10/70, Zu den Feierlichkeiten und Aktivitäten anlässlich der 100. Wiederkehr des Geburtstages von W.I. Lenin in der VAR (Endesfelder, Konschel). Botschaft der DDR in der VAR, Kairo, am 1.6.1970. 499 Ibid.

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Photographie 3 : « Ses idées sont partout », photographies publiées à l’occasion du 100ème anniversaire de la naissance de Lénine500

500 Source : Neues Deutschland, 19 avril 1970 (numéro spécial), p. 16.

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Photographie 4 : « République arabe unie : dans une solidarité fraternelle, les spécialistes du pays de Lénine et les travailleurs égyptiens édifient ensemble la centrale électrique d’Assouan »501.

Les rapports de l’ambassade est-allemande au Caire déplorent cependant la qualité variable des déclarations politiques et les approximations idéologiques qu’ils constatent chez les fonctionnaires de l’USA s’exprimant à l’occasion des célébrations502. Globalement, « tous les aspects du léninisme [sont] traités », les thèmes privilégiés par les intervenants étant ceux de la « libération nationale » et de la « solidarité anti-impérialiste »503. Néanmoins, certains discours n’échappent pas aux « exagérations » ou aux « points de vue unilatéraux » et tentent, par exemple, de « réduire la portée de l’œuvre de Lénine dans le combat contre le

501 Ibid. 502 MfAA, L 187, C 1111/75 – 1117/75, op.cit., Informationsbericht 10/70, Zu den Feierlichkeiten und Aktivitäten anlässlich der 100. Wiederkehr des Geburtstages von W.I. Lenin in der VAR (Endesfelder, Konschel). Botschaft der DDR in der VAR, Kairo, am 1.6.1970. 503 Ibid.

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sionisme »504. Ainsi, il reste difficile, pour les observateurs est-allemands, de dresser un bilan complètement positif des effets de la propagation du marxisme-léninisme en Egypte : en effet, ces derniers ne peuvent « pas encore réellement être considérés comme un élément déterminant à l’intérieur [du pays] »505.

En réalité, les acteurs est-allemands sont très tôt confrontés à la disqualification, en Egypte, de la théorie de la lutte des classes. Le socialisme nassérien vise à en effet à saper les contradictions de classes en construisant l’unité nationale autour de l’idée d’un « peuple travailleur »506, guidé par l’alliance de toutes les forces progressistes. L’analyse de classe de type marxiste se révèle inopérante dès lors que Nasser parvient à lui substituer une politique nationale de front visant à éliminer toute révolte intérieure et à favoriser l’entraide entre riches et pauvres. Selon Mohamed Heikal, le président égyptien aime d’ailleurs à répéter : « je veux lutter contre les privilèges de classes et non contre les membres de ces classes »507. C’est ce qui conduit Olivier Carré à écrire que « Nasser a réussi à nationaliser, pour ainsi dire, la lutte des classes en Egypte »508. De fait, le dirigeant égyptien parvient à rassembler autour de lui des tendances idéologiques diverses et à recruter ses sympathisants au sein des mêmes catégories sociales que les communistes égyptiens : petite bourgeoisie, petits propriétaires, fonctionnaires509. De ce point de vue, l’Egypte de Nasser s’intègre pleinement dans la catégorie des Etats qui suivent une « voie de développement non capitaliste », telle que cette dernière a été définie par la conférence mondiale des partis communistes et de travailleurs, en 1960, à Moscou510. Selon cette théorie, la transition vers le socialisme dans un pays comme l’Egypte repose sur le leadership d’une « intelligentsia éclairée »511, jouant le rôle d’avant- garde au sommet d’une alliance qui regroupe aussi bien la paysannerie ou les couches prolétariennes que les secteurs « progressistes » de la bourgeoisie nationale. En l’absence de

504 Ibid. 505 Ibid. 506 SAPMO-BArch, DY 30/ IV B 2-20 345, op.cit., Evaluation du 3ème congrès national de l’USA. Botschaft der DDR in ARÄ, Kairo, den 29.7.1975, p. 94. 507 SAPMO-BArch, DY 30/ IV B 2-20 430, op.cit., Information n° 9/72 à destination des membres et candidats du Bureau politique. Concerne : article du journaliste égyptien de premier plan, Mohamed Hassanein Heikal, à propos du nassérisme. Abteilung Internationale Verbindungen, Berlin, 24.1.1972. 508 CARRE, Olivier, « L’idéologie politico-religieuse nassérienne… », op.cit., p. 550. 509 AL-SHALABI, Jamal, Mohamed H. Heikal entre le socialisme de Nasser et l’Infitah de Sadate (1952-1981), Paris, L’Harmattan, 2001, p. 99. 510 THOMAS, Clive Y., « "The Non-Capitalist Path" as Theory and Practice of Decolonization and Socialist Transformation », in : Latin American Perspectives, Caribbean/ Bolivia and Black Folklore, Spring, 1978, vol. 5, n° 2, p. 12. 511 HOSSEINZADEH, Esmail, Soviet non capitalist development…, op.cit., p. 56.

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polarisation claire des classes sociales, la théorie du « développement non capitaliste » a pour mérite de prôner un mode d’accès au socialisme capable de s’accommoder du contournement de la lutte des classes. En 1961, puis en 1963, un dispositif législatif prévoyant la représentation des salariés au conseil d’administration des entreprises publiques tente ainsi explicitement « d’évacuer le conflit en prohibant certains comportements comme "l’incitation à la lutte des classes" et l’organisation d’arrêts de travail […] »512.

Tant que Nasser est au pouvoir, les diplomates est-allemands semblent se satisfaire des déclinaisons de ce socialisme arabe qui « exclut les contradictions antagonistes et réunit les intérêts communs des différentes classes »513. Au-delà du crédit dont bénéficie le gouvernement de Nasser, une telle indulgence s’explique aussi par le fait que la solidarité anti-impérialiste ne se limite pas au strict domaine idéologique, mais se déploie dans d’autres champs des relations internationales. Depuis la guerre de juin 1967, les armes fournies par la RDA à l’Egypte514 témoignent du rapprochement entamé par les deux Etats sur le plan militaire et politique. Au début des années 1970, en pleine guerre d’usure israélo-égyptienne, la « solidarité anti-impérialiste » s’exprime au moins autant dans le cadre de la lutte contre l’ « agression »515 israélienne que sur le plan purement doctrinal.

C. La guerre d’usure israélo-égyptienne à l’épreuve de la solidarité est- allemande (1969-1970)

1. Le soutien politique et militaire des Etats socialistes dans la lutte contre Israël

Après sa lourde défaite lors de la guerre des Six Jours516, Nasser entend reconstituer les forces armées égyptiennes et fortifier ses défenses le long du canal de Suez, afin de maintenir la zone en état de tension militaire. C’est dans ce contexte qu’il déclenche, en mars 1969, une

512 GOBE, Éric, « Les syndicalismes arabes… », op.cit., p. 271. 513 « Die Arbeit der ASU schliesse die antagonistischen Widersprüche aus und vereine die gemeinsamen Interessen der verschiedensten Klassen und Schichten, wie z. B. der Arbeiter und Bauern ». MfAA, L 187, C 1775, op.cit., Aktenvermerk über eine Unterredung des Kandidaten des Politbüros und Sekretärs des ZK der SED, Genossen Werner Lamberz, mit dem Sekretär für Organisationsfragen des ZK der ASU, Stellvertreter des Ministerpräsidenten und Innenminister der VAR, Shaarawi Gomaa, am 27.3.1971 in der Zeit von 19.00 bis 20.40 Uhr. Botschaft der DDR in der VAR, Kairo, den 29.3.1971, p. 18. 514 SAPMO-BArch, DC 20/ 13 068 : Ministerrat der DDR. Länderakten Ägypten. 1973-1989. Spezieller Aussenhandel mit der VAR und Ägypten ; 1967-1971. Listes des armes fournies par la RDA à l’Egypte depuis le 10 juin 1967. 515 Le terme (Aggression) est récurrent dans les archives est-allemandes lorsqu’il s’agit de caractériser la politique israélienne au Proche-Orient. 516 L’Egypte a perdu Gaza et le Sinaï, qui sont désormais occupés par Israël. Le canal de Suez est quant à lui fermé à la navigation.

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guerre d’usure destinée à modifier le statu quo issu de juin 1967 et à obtenir notamment le retrait israélien du Sinaï. Au moment où la RDA salue la reconnaissance internationale dont elle fait l’objet, une telle configuration militaire mène au renforcement sans précédent de sa « solidarité […] avec la lutte des peuples arabes »517.

Au début de l’année 1970, les affrontements israélo-égyptiens se multiplient dans la région du canal de Suez. Les attaques israéliennes s’inscrivent dans le contexte d’une campagne de bombardements stratégiques à l’intérieur du territoire égyptien, qui débute le 7 janvier 1970 et est « destinée à détruire les installations militaires et le moral des populations civiles »518. Les archives est-allemandes s’attardent sur la destruction du potentiel militaire égyptien et déplorent la supériorité aérienne israélienne : « nous nous sommes dit entre nous qu’il était en effet extrêmement difficile pour l’Egypte d’affronter la terreur aérienne israélienne »519. « Les attaques israéliennes […] sont exclusivement dirigées contre des cibles militaires », y compris des « installations […] sous surveillance stricte ». « La précision des attaques et le choix des cibles, tout comme l’effet de surprise, renforcent l’idée selon laquelle l’adversaire est bien informé des moindres détails »520. Les diplomates est-allemands regrettent la mauvaise coordination du système de défense égyptien et craignent des répercussions psychologiques néfastes sur la population égyptienne :

« L’intention de l’adversaire semble être de démontrer à l’Egypte l’incapacité de son armée, de démoraliser celle-ci, de faire douter des capacités de défense de l’armée et de la direction de l’Etat. Dans le cas d’une nouvelle défaite, le peuple ne serait pas prêt à faire preuve de beaucoup de compréhension […], étant donné que l’on a beaucoup parlé ces derniers mois de l’armement de l’Egypte »521.

Le mécontentement de la population égyptienne inquiète d’autant plus les observateurs est-allemands qu’il s’accompagne de rumeurs selon lesquelles l’URSS n’est pas disposée à mettre en place avec les pays arabes une alliance du type de celle que les Etats-Unis ont nouée

517 « Entretien Winzer/ Riad », Neues Deutschland, 5 avril 1970, p. 7. 518 CLOAREC, Vincent, LAURENS, Henry, Le Moyen-Orient au XXe siècle, Paris, Armand Colin, 2000, p. 153. 519 MfAA, L 187, C 1111/75 – 1117/75, op.cit., Informationsbericht 3/70. 1.Bericht des Gen. Käubler über den israelischen Luftangriff auf Abu Zaabal. Botschaft der DDR in der VAR, Kairo, den 18.2.1970. 520 « […] der Gegner über Details aktuell informiert ist ». MfAA, L 187, C 1111/75 – 1117/75, op.cit., Informationsbericht 2/70. 1.Zu militärischen Situation (im Zusammenhang mit den israelischen Luftangriffe auf die VAR). Botschaft der DDR in der VAR, Kairo, am 4.2.1970. 521 « Die Absicht des Gegners sei, der VAR die Unfähigkeit der Abwehr zu demonstrieren, die Armee zu demoralisieren, zu zersetzen sowie an der Verteidigungsfähigkeit von Armee und Staatsführung zweifeln zu lassen. Eine erneute Niederlage se idem Volk nicht mehr mit Verständnis für die Umstände zuzumuten, zumal in den Monaten zuvor zuviel davon gesprechen wurde, die VAR sei gewappnet ». Ibid.

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avec Israël522. Et de fait, les fournitures d’armes soviétiques ne sont pas en mesure d’assurer aux Etats arabes une véritable supériorité militaire dans le cadre du conflit contre Israël523.

En janvier 1970, Nasser se rend à Moscou afin de négocier des fournitures d’armes et de personnel soviétique524. L’annonce du renforcement de l’aide militaire fournie par l’URSS a un effet psychologique considérable en Egypte : aux yeux de la population, les quelque 20 000 experts soviétiques présents sur le territoire national et les rampes de missiles installées autour de Port-Saïd, Alexandrie, le Caire et Assouan, devraient dissuader Israël de poursuivre ses raids525. Fin mars 1970, 60 à 80 pilotes et 4000 combattants spécialisés soviétiques sont envoyés sur des bases contrôlées par l’URSS en Egypte526. L’objectif de Nasser est de traverser le canal de Suez pour affronter les troupes israéliennes stationnées sur sa rive orientale, et de rejoindre le Sinaï. Aussi souhaite-t-il que sa couverture à l’arrière soit assurée par les Etats du Pacte de Varsovie527.

522 Ibid. 523 HALLIDAY, Fred, L’URSS et le monde arabe, Paris, le Sycomore, 1982, p. 60. 524 CLOAREC, Vincent, LAURENS, Henry, Le Moyen-Orient…, op.cit., p. 145. 525 CARRERE D’ENCAUSSE, Hélène, La politique soviétique…, op.cit., p. 208-209. 526 JAMES, Laura M., « Military/political means/ ends. Egyptian decision-making in the War of Attrition », in : ASHTON, Nigel J., The Cold War in the Middle East. Regional conflicts and the superpowers, 1967-1973, Londres, Routledge, 2007, p. 101. 527SCHWANITZ, Wolfgang, « Deutschland und der Mittlere Osten…», op.cit., p. 24.

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Photographie 5 : Marins soviétiques en Egypte, 1970528

Les diplomates est-allemands soulignent alors le bon accueil qui est fait en Egypte à l’annonce du renforcement de l’aide militaire fournie par Moscou. Le 30 mars 1970, le 2ème secrétaire de l’ambassade de la RDA au Caire, M. Glienke, rapporte une conversation qu’il a eue quelques jours auparavant avec Mahmoud Riad, ministre égyptien des affaires étrangères et Sabri el Kady, député de l’Assemblée nationale. Selon ces derniers,

« Le président Nasser a déclaré que les relations avec l’Union soviétique étaient très bonnes et étroites dans tous les domaines et a salué l’aide militaire de cette dernière. L’Union soviétique livre des armes modernes, comme les Mig 23 et des missiles d’un nouveau type. Nasser a dit que les experts militaires de l’Union soviétique seraient encore impliqués directement dans les actions de lutte »529.

Les militaires soviétiques présents en Egypte sont en effet directement impliqués dans les actions menées par l’armée égyptienne : ils déplorent même, ponctuellement, des pertes

528 Source : Der Spiegel, 7/1979, 12 février 1979. 529 « Präsident Nasser habe erklärt, dass das Verhältnis zur Sowjetunion in allen Bereichen sehr gut und eng sei, wobei die militärische Hilfe der SU besonders gewürdigt wurde. Die SU liefere die modernsten Weffen, wie die Mig-23 und Raketen neuesten Typs. Aus den Ausführungen Präsident Nassers könne auch geschlussfolgert werden, dass Militär-Experten der SU noch direkter in die Kampfhandlungen einbezogen werden ». MfAA, L 187, C 641/73, op.cit., Vermerk über ein Gespräch mit Sabri El Kady, Abgeordnet der Nationalversammlung, und Mahmoud Riad, Pressesekretär beim Jugendminister, am 26.3.1970. Innen- und Aussenpolitik. Kairo, am 30.3.1970, p. 21.

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humaines. Le 31 mars 1970, le premier secrétaire de l’ambassade est-allemande au Caire, M. Wegricht, évoque ainsi dans une note l’hommage rendu par Nasser à six conseillers militaires soviétiques « qui vivaient avec les membres de l’armée égyptienne »530 et qui viennent de mourir au combat. Nasser multiplie d’ailleurs les références au renforcement du soutien militaire soviétique dans ses allocutions. Le 20 juillet 1970, dans un discours qu’il adresse à l’exécutif de l’Union Socialiste Arabe immédiatement après son retour d’un voyage en Union soviétique, il reconnaît que « c’est le niveau de participation russe dans [les] forces militaires en Egypte » qui forcera Américains et Israéliens à rechercher une solution favorable aux Etats arabes531 :

« […] la probabilité de trouver une solution juste et pacifique dépendra toujours de notre capacité à impliquer les Russes sur le front égyptien […]. C’est pourquoi je crois que notre réussite à faire participer les troupes soviétiques à nos côtés peut avoir un effet dissuasif plus important que n’importe quelle opération militaire. Les Américains sont très effrayés par cette forme de présence russe dans la région et c’est pour cette seule raison qu’ils sont obligés de chercher sérieusement une solution pacifique qui n’accorderait pas à Israël des concessions ou des gains importants ».

Et en effet, c’est davantage l’implication des forces militaires soviétiques dans la région qui semble inquiéter les Etats-Unis, que les fournitures d’armes consenties par l’URSS à Nasser. Dans ses mémoires, Henry Kissinger, qui au début de l’année 1970 est conseiller à la sécurité nationale américaine, rapporte qu’il fait alors part au président Nixon de sa crainte de voir Moscou « impliquer du personnel soviétique » aux côtés de l’Egypte532. Comme il en a informé Nixon lors de l’appel qu’il lui a adressé le 1er mai 1970, Nasser est déterminé à faire pression sur les Etats-Unis afin que ces derniers cessent d’assurer leur soutien à Israël533. Menaçant de rompre définitivement les relations arabo-américaines, le président égyptien a précisé qu’il allait « demander l’aide de [ses] amis, l’aide des amis du progrès, de la paix et de la liberté, parce que [sa] lutte est celle du progrès, de la paix et de la liberté »534.

Enfin, le rapprochement soviéto-égyptien est facilité par le fait que la tentative américaine de règlement du conflit israélo-arabe se heurte aux réticences des protagonistes. Après l’échec du premier plan Rogers en 1968 comme solution diplomatique à la guerre des

530 « Dabei habe er auch auf den Tod von 6 sowjetischen Militärberatern hingewiesen, die gemeinsam mit VAR- Armeeangehörigen lebten ». MfAA, L 187, C 641/73, op.cit., Aktenvermerk über ein Gespräch mit A.T. (Ahmed Tahar) am 31.3.1970. Botschaft der DDR in der VAR. 531 LAURENS, Henry, Le retour des exilés…, op.cit., p. 967. 532 KISSINGER, Henry, White House Years, Little, Brown and Company, 1979, p. 562. 533 MfAA, L 187, C 6488 : Abt. Naher u. Mittlerer Osten. Telegramme gesellschaftlicher Organisationen der DDR zu den israelischen Aggressionen gegenüber Ägypten. Enthält auch : Appell des ägyptischen Präsidenten Nasser an den amerikanischen Präsidenten Nixon zu den israelischen Aggressionen. 1970. Appell von Präsident Gamal Abdel Nasser an Präsident Nixon vom 1.5.70. Übersetzung aus dem Englischen. 534 Ibid.

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Six Jours, le second plan Rogers, présenté le 19 juin 1970, est finalement accepté par Nasser le 23 juillet pour des raisons tactiques535. Le cessez-le-feu met un terme à la guerre d’usure, en août 1970, sans que les différentes parties ne renoncent pour autant à la préparation d’une reprise des opérations militaires536.

La guerre d’usure israélo-égyptienne de 1969-1970 consacre donc le rapprochement soviéto-égyptien. Dans ce contexte, la RDA n’hésite pas à mettre en valeur l’ « aide solidaire »537 qu’elle peut, elle aussi, apporter à l’Egypte, aussi bien sur le plan étatique que civil.

2. La manifestation du soutien est-allemand à l’occasion des attaques israéliennes sur Abu Zabaal en février 1970 et Bahr el-Bakr en avril 1970

Le 18 février 1970, le Général est-allemand Käubler rapporte à l’ambassade de la RDA au Caire la façon dont s’est déroulée, six jours plus tôt538, l’attaque israélienne sur Abu Zabaal, « petite ville du Delta du Nil » située à 20 km au nord du Caire et qui abrite un complexe d’industries métallurgiques539. Convié par le ministère égyptien de l’Information à se rendre sur place, le Général est guidé par le secrétaire de l’Union Socialiste Arabe « à travers les bâtiments endommagés », ce qui lui donne « l’occasion de faire [s]es propres observations » : « nous étions ainsi à l’entrée de la route du désert, témoins oculaires directs de la plus grande attaque aérienne israélienne ayant jamais eu lieu jusqu’ici »540. La conclusion à laquelle aboutit le Général Käubler est catégorique :

« Il est absolument exclu que l’attaque de l’usine soit une erreur. Les usines métallurgiques forment un complexe visible, qui se remarque facilement parmi les constructions uniformes de la ville. La fabrique était donc prévue comme cible de l’attaque aérienne et a été visée avec une grande précision. Il est [par conséquent] hors de question de dire qu’il ne s’agit pas d’une attaque militaire »541.

535 Ce plan, moins ambitieux que le précédent, propose à l’Egypte et à Israël un cessez-le-feu de trois mois et l’affirmation stipulant que les deux parties acceptent la résolution 242 de l’ONU et entreprennent des négociations. Mais la situation est telle que les négociations ne peuvent avoir lieu. Voir LAURENS, Henry, le retour des exilés…, op.cit., p 959 et p. 963. 536 Ibid., p. 967. 537 MfAA, L 187, C 1641/76, op.cit., I.Quartal 1970. Beziehungensbericht VAR-DDR. Schlussfolgerungen für die weitere Gestaltung der Beziehungen zwischen der DDR und der ARÄ. 538 L’attaque a eu lieu le 12 février 1970. Voir : SAPMO-BArch, DC 4/ 1602, op.cit., La fabrique métallurgique d’Abu Zabaal en RAU, 6 avril 1970. 539 MfAA, L 187, C 1111/75 – 1117/75, op.cit., Informationsbericht 3/70. 1.Bericht des Gen. Käubler über den israelischen Luftangriff auf Abu Zaabal. Botschaft der DDR in der VAR, Kairo, den 18.2.1970. 540 Ibid. 541 « Es ist gänzlich ausgeschlossen, dass der Angriff auf das Werk zur Schichtzeit auf ein Versehen zurückzuführen ist. Die Metallwerke sind ein weithin sichtbarer Komplex, der sich aus der eintönigen Bauart der 134

Le complexe industriel d’Abu Zabaal a été fondé en 1946, à l’origine pour produire des tuyaux de fer542. Nationalisé en 1961, il emploie 21 000 travailleurs en 1970543. Le 12 février, à 8h15 du matin, a lieu l’attaque israélienne544. Selon le secrétaire de l’USA, au moins quatre tirs de roquettes et « encore plus de bombes » ont touché l’usine, dans laquelle 1700 ouvriers étaient présents545. L’épais toit en béton s’est écroulé, tuant 50 personnes sur le coup et faisant 69 blessés546. Le bilan des autorités égyptiennes fait état de 83 victimes et 190 blessés ; les équipements techniques et électriques de l’usine sont quant à eux détruits547. Selon le général Käubler, une telle attaque va pourtant au-delà d’une « simple agression contre un objectif civil »548 : en effet, à trois kilomètres d’Abu Zabaal se trouve un important complexe de raffinerie pétrolière, au carrefour d’un système de pipelines, de douzaines de cuves à mazout et de dispositifs de filtrage. D’après lui, les bombardements contre Abu Zabaal s’apparentent donc à un véritable avertissement, avant une attaque de plus grande envergure susceptible de mettre « gravement en péril l’approvisionnement de l’Egypte en carburant »549.

L’attaque contre Abu Zabaal est fortement relayée par les médias est-allemands. En RDA, elle donne lieu à des manifestations de soutien, émanant aussi bien du gouvernement que de la société civile. C’est en effet l’occasion de rappeler la « solidarité de la RDA dans la lutte de l’Egypte contre l’agression impérialiste d’Israël »550 et de « mobiliser l’opinion mondiale contre l’agresseur [israélien] »551.

Du 3 au 10 avril 1970, deux mois après l’attaque d’Abu Zabaal, une délégation de la FDJ se rend en Egypte à l’occasion de la semaine de l’amitié de la jeunesse est-allemande et

Stadt deutlich heraushebt. Die Fabrik wurde als Punktziel im Tiefflug angeflogen und mit der bekannten Präzision getroffen. Es steht ausser Frage, dass es sic hum kein militärisches Objekt handelt ». Ibid., p. 181. 542 SAPMO-BArch, DC 4/ 1602, op.cit., La fabrique métallurgique d’Abu Zabaal en RAU, 6 avril 1970. 543 Ibid. 544 Ibid. 545 MfAA, L 187, C 1111/75 – 1117/75, op.cit., Informationsbericht 3/70. 1.Bericht des Gen. Käubler über den israelischen Luftangriff auf Abu Zaabal. Botschaft der DDR in der VAR, Kairo, den 18.2.1970. 546 Ibid. 547 SAPMO-BArch, DC 4/ 1602, op.cit., La fabrique métallurgique d’Abu Zabaal en RAU, 6 avril 1970. 548 MfAA, L 187, C 1111/75 – 1117/75, op.cit., Informationsbericht 3/70. 1.Bericht des Gen. Käubler über den israelischen Luftangriff auf Abu Zaabal. Botschaft der DDR in der VAR, Kairo, den 18.2.1970. 549 « […] einen Angriff […] sein könnte, der schlagartig die Treibstoffversorgung der VAR in Frage stellen würde ». Ibid., p. 182. 550 MfAA, L 187, C 1641/76, op.cit., I.Quartal 1970. Beziehungensbericht VAR-DDR. Schlussfolgerungen für die weitere Gestaltung der Beziehungen zwischen der DDR und der ARÄ. 551 MfAA, L 187, C 6488, op.cit., Telegramm des Friedensrates der DDR an den Friedensrat der Vereinigten Arabischen Republik. Berlin, 16. Februar 1970, p. 1.

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égyptienne. Elle en profite pour rencontrer les ouvriers, alors que le travail a repris dans l’usine552 et observe « une minute de silence pour les victimes de l’attaque »553. De son côté, la FDGB envoie une « aide solidaire » de 100 000 marks à l’Egypte554.

Les manifestations de soutien est-allemandes s’accentuent en avril 1970, après l’attaque aérienne israélienne contre une école de Bahr el-Bakr555, prise à tort pour une installation militaire556. Trente enfants égyptiens sont tués lors des bombardements, ce qui suscite l’indignation de l’Alliance démocratique des femmes de RDA (Demokratischer Frauenbund Deutschland, DFD). L’organisation joue le rôle de relais des institutions gouvernementales auprès de la société civile. Elle transmet au département des pays arabes du ministère est- allemand des Affaires étrangères les différents télégrammes de solidarité qu’elle a envoyés à des associations arabes557, comme l’Union des femmes palestiniennes, le Bureau des femmes afro-asiatiques ou la Fédération des femmes arabes. Dans ces télégrammes, la DFD dénonce « le meurtre bestial [des] enfants et les innombrables actes de terrorisme des agresseurs israéliens […] »558 et salue la « résistance héroïque »559 du peuple palestinien (annexe 5). Enfin, l’organisation envoie un télégramme au gouvernement israélien, afin de protester contre ce qu’elle considère comme une « atteinte inqualifiable aux droits de l’homme »560. Cette initiative est l’occasion de relayer la position officielle du régime est-allemand sur le conflit au Proche-Orient, en exigeant du gouvernement israélien qu’il ordonne le retrait de ses forces armées des territoires arabes et qu’il applique la décision du Conseil de sécurité de l’ONU du 22 novembre 1967561.

552 SAPMO-BArch, DC 4/ 1602, La fabrique métallurgique d’Abu Zabaal en RAU, 6 avril 1970. 553 « Une délégation de la jeunesse a visité Abu Zabaal », Neues Deutschland, 7 avril 1970, p. 1. 554 MfAA, L 187, C 1641/76, op.cit., I.Quartal 1970. Beziehungensbericht VAR-DDR. Schlussfolgerungen für die weitere Gestaltung der Beziehungen zwischen der DDR und der ARÄ. 555 Bahr el-Bakr se situe au nord-est de l’Egypte, dans le gouvernorat d’al-Charqiya. Le bombardement de l’école a lieu le 8 avril 1970. 556 « In Cold Blood », Time, 1er juin 1970. 557 MfAA, L 187, C 6488, op.cit. Lettre de l’Alliance démocratique des femmes de RDA au département des pays arabes du Ministère des Affaires étrangères, Berlin, 15 avril 1970. 558 MfAA, L 187, C 6488, op.cit., télégramme adressé par le bureau confédéral de la DFD au Comité exécutif de l’USA, au Bureau des femmes afro-asiatiques et à la Fédération des femmes arabes, 13 avril 1970. 559 MfAA, L 187, C 6488, op.cit., télégramme adressé par le bureau confédéral de la DFD à l’Union des femmes palestiniennes au Caire, 13 avril 1970. 560 MfAA, L 187, C 6488, op.cit., télégramme adressé par le bureau confédéral de la DFD au gouvernement israélien, 13 avril 1970. 561 Ibid.

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Les attaques israéliennes contre Abu Zabaal et Bahr el-Bakr participent, à plus long terme, à forger une mémoire collective de la guerre d’usure en Egypte, largement exploitée par les régimes égyptien et socialistes. Pour la RDA, la solidarité manifestée par le régime de Berlin-Est justifie, en retour, l’appui politique de l’Egypte sur la scène internationale. En juillet 1970, alors que l’ambassadeur Martin Bierbach sollicite auprès du ministre des Affaires étrangères, Mahmoud Riad, le soutien égyptien à l’entrée de la RDA au sein de l’UNESCO, il ne manque pas de rappeler l’aide est-allemande face à l’ « agression israélienne »562. De façon générale, les représentants de la RDA convoquent fréquemment le souvenir de l’aide que leur Etat a apportée à l’Egypte durant la guerre israélo-arabe de juin 1967, rappelant que les avions est-allemands ont alors été parmi les premiers à atterrir au Caire et à Alexandrie563. Quelques années plus tard, les observateurs est-allemands estiment d’ailleurs que, de ce point de vue, la politique solidaire de la RDA a porté ses fruits : en effet, « son attitude conséquente […] dans le conflit au Proche-Orient a été un facteur important dans le gain de visibilité de la RDA au sein du monde arabe » et a « grandement participé à l’approfondissement des relations bilatérales » avec l’Egypte564.

Inversement, le pouvoir égyptien ne se prive pas de faire référence aux évènements d’Abu Zabaal et de Bahr el-Bakr, au même titre qu’il évoque l’aide fournie par Moscou dans la construction du haut-barrage d’Assouan, afin de justifier la poursuite des livraisons d’armes des Etats socialistes à l’Egypte. Le 1er mai 1971, par exemple, le président Sadate ranime le souvenir de ces évènements lors d’un discours qu’il prononce à Hélouan, à l’occasion de la fête du travail :

« Je n’oublierai jamais ce qui est advenu à l’usine d’Abou Zabaal, et à mes fils dans l’école de Bahr el-Bakar. Les bombes qui y avaient été larguées étaient américaines, les avions américains et l’un des pilotes fait prisonnier chez nous [possède] une double nationalité, américaine et israélienne »565.

562 MfAA, L 187, C 602/73, op.cit., Vermerk über eine Unterredung mit dem Aussenminister der VAR, Mahmoud Riad, am 21.7.1970 in der Zeit von 12.30 bis 13.15 Uhr. Botschaft der DDR in der VAR, Kairo, den 22.7.1970. 563 MfAA, L 187, C 767/75, op.cit., Vermerk über eine Unterredung des Ministers für Auswärtige Angelegenheiten der DDR-Genossen Otto Winzer, mit dem Minister für Auswärtige Angelegenheiten der ARÄ, Dr. Mohamed Hassan El-Zayyat, ab 31. Oktober 1972 in der SAR, Berlin, den 2. November 1972. 564 BATOR, Wolfgang und Angelika (dir.), Die DDR und die arabischen Staaten…, op.cit., p. 50. 565 BDIC, S 71902, Discours et interviews du président Anouar el-Sadate, avril-décembre 1971, le Caire, RAE, Ministère de la Culture et de l’Information, Service de l’Etat pour l’information, Discours du président Anouar el-Sadate au meeting populaire organisé à l’occasion de la Fête des Travailleurs (Hélouan, le 1er mai 1971), p. 43.

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Le président égyptien en profite pour saluer le soutien des Etats socialistes durant la guerre d’usure, rappelant à son auditoire qu’à l’inverse, « lors des raids en profondeur en 1970, […] le plan de l’Amérique et d’Israël était [d’] abattre [l’Egypte] par l’aviation »566. Un mois après que Moscou a consenti à l’Egypte un prêt de 460 millions de dollars, Sadate rend hommage à l’ « ami » soviétique, qui maintient sa « noble attitude »567 depuis la mort de Nasser, survenue le 28 septembre 1970. Selon lui, l’URSS « n’a pas exploité comme l’autre partie cette occasion pour exercer des pressions sur [l’Egypte], afin que [cette dernière] capitul[e] et qu’Israël puisse [lui] dicter ses conditions »568.

Venant tout juste de parvenir au pouvoir, soucieux de continuer à bénéficier de l’aide économique et militaire de Moscou, Sadate veille à ne pas rompre trop vite avec le legs de son prédécesseur : il salue dès lors en Nasser l’ « architecte [d’une] amitié arabo-soviétique » nourrie par la solidarité anti-impérialiste569.

D. La mort de Nasser : quel héritage pour l’Egypte ?

La disparition de Nasser est une perte douloureuse pour les Etats socialistes : les relations qu’ils entretenaient avec ce dernier constituaient en effet l’un des fondements de leur politique proche-orientale. En RDA, les hommages rendus au « grand homme d’Etat »570 sont le fait des institutions étatiques aussi bien que des organisations de masses.

Walter Ulbricht et Willi Stoph adressent immédiatement un télégramme de condoléances au nouveau président égyptien, Anouar el-Sadate, élu à la tête de l’Etat le 15 octobre. A Berlin-Est, le bureau politique du SED, conduit par Ulbricht lui-même, se rend à l’ambassade d’Egypte, afin d’exprimer toute la « peine de l’Etat »571. Le 1er octobre 1970, le Conseil d’Etat et le Conseil des ministres de RDA organisent une cérémonie en l’honneur de Nasser, avec l’aide de la société arabo-allemande, présidée par Paul Scholz572. Les invités

566 Ibid., p. 52. 567 Ibid., p. 54. 568 Ibid., p. 52. 569 BDIC, S 71902, op.cit., Discours du président Anouar el-Sadate au dîner offert en l’honneur du président Podgorny (le Caire, le 26 mai 1971), p. 191 et p.194. 570 MfAA, L 187, C 1333/76- C 1334/76, op.cit., Deutsch-Arabische Handelskammer in der VAR, Informationsdienst, Nr. 36, Oktober 1970 : « Zum Tode von Staatspräsident Gamal Abdel Nasser ». 571 MfAA, 201 L/ 187, C 1641/76, op.cit., Bericht über die Beziehungen VAR/DDR im III. Quartal 1970, p. 25. 572 SAPMO-BArch, DY 30/ 9350 : Politbüro. Internationale Beziehungen zu Staaten und Parteien. Bd. 1 : 1970- 1988. Projet pour la fête organisée par le Conseil d’Etat de la RDA, le Conseil des ministres de RDA et la Société arabo-allemande en RDA à l’occasion du décès du président de RAU et président du Conseil des 138

écoutent du Beethoven et chantent les hymnes égyptien et est-allemand, avant d’assister aux discours de Walter Ulbricht et de Paul Scholz573.

De son côté, la FDGB entreprend de faire part de ses condoléances à l’ensemble des syndicats, unions de travailleurs, chambres de commerce et organes de presse avec lesquels il est en contact en Egypte. Les différents syndicats égyptiens (ports, textile, employés de banque…) répondent pour manifester leur gratitude : tous exaltent le « grand leader Gamal Abdel Nasser »574, « patriote, qui aimait la paix et l’humanité »575, « qui s’est battu contre l’impérialisme […] au Moyen-Orient [et] dans le monde entier »576.

Si les analyses divergent ponctuellement lorsqu’il s’agit d’apprécier, sur l’heure, l’héritage nassérien, elles n’en restent pas moins très généralement positives, aussi bien en Egypte que dans les Etats socialistes. Les funérailles de Nasser donnent lieu à un immense rassemblement de près de cinq millions de personnes au Caire577. Sur le moment, les fonctionnaires est-allemands ne tarissent pas d’éloges au sujet de cette « forte personnalité » qui

« […] a su réformer l’Egypte en profondeur, au cours des dix-huit années passées au gouvernement, comme personne ne l’avait fait depuis des centaines d’années. Avec la révolution pacifique qu’il a conduite en 1952, l’Egypte a retrouvé dignité et confiance en elle, car Nasser a débarrassé le pays de la féodalité et de son statut semi-colonial pour le faire entrer dans la modernité et construire un Etat du XXème siècle. Il a réalisé la réforme agraire, a insufflé un nouvel élan à l’industrie, a garanti la sécurité sociale des travailleurs, a mis en place un système de santé et de soins accessible à l’ensemble de la population, qui n’existait pas auparavant en Egypte, et a créé un système éducatif moderne pour toutes les catégories de la population »578.

ministres de RAU, G.A.Nasser, jeudi 1er octobre 1970 à 11h, au siège du Conseil d’Etat de la RDA –salle des fêtes, Département du Protocole, Berlin, 30 septembre 1970. 573 Ibid. 574 SAPMO-BArch, DY 78/ 2959, op.cit., Lettre du président de l’Union des travailleurs du commerce, A.R. Sherbini, à ma FDGB, le Caire, 3 novembre 1970. 575 SAPMO-BArch, DY 78/ 2959, op.cit., Lettre de M. F. Aldel, Chambre de commerce de Port-Saïd, à Inge Christ, FDGB, Port-Saïd, 26 octobre 1970. 576 SAPMO-BArch, DY 78/ 2959, op.cit., Lettre du président de l’Union des travailleurs du commerce, A.R. Sherbini, à la FDGB, le Caire, 3 novembre 1970. 577 « Naher Osten. Nasser. Es kann nicht sein », Der Spiegel, 5 octobre 1970, p. 130. 578 « Wie kein anderer seit hunderten von Jahren hat Gamal Abdel Nasser in den 18 Jahren seiner Regierung Ägypten geprägt und tiefgreifend reformiert. Mit der von ihm geführten, unblutigen Revolution im Jahre 1952 hat er Ägypten wieder Würde und Selbstvertrauen verliehen, indem er das Lnd vom Feudal- und Halbkolonialstatus in die moderne Zeit führte und einen den Erfordernissen des 20. Jahrhundert angemessenen Staat formte. Er verwirklichte die Agrarreform, dehnte die Industrialisierung in grossem Maßstab aus, führte die soziale Sicherung für Arbeiter und Angestellte ein, errichtete für die Masse der Bevölkerung und schuf ein modernes Erziehungssystem für alle Teile des Volkes ». MfAA, L 187, C 1333/76- C 1334/76, op.cit., Deutsch- Arabische Handelskammer in der VAR, Informationsdienst, Nr. 36, Oktober 1970 : « Zum Tode von Staatspräsident Gamal Abdel Nasser », p. 32.

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Du point de vue des Etats socialistes, si Nasser n’a pas entrepris dès 1952, de « modifier la structure sociale élitiste de l’Egypte »579, sa priorité alors étant surtout d’œuvrer pour l’indépendance de son pays, il a cependant pour mérite d’avoir reconnu par la suite que l’alliance avec Moscou, « sur une base anti-impérialiste »580, était la garantie de l’autonomie et du progrès social. Dans ses Mémoires, Andrei Gromyko présente Nasser comme un homme qui s’est toujours montré amical envers l’URSS : « Il appréciait l’aide que nous avions fournie pour la construction du barrage d’Assouan et qu’il considérait comme un geste noble de notre part. Il croyait en l’URSS. Du temps de Nasser, l’Egypte entretenait aussi des relations amicales avec d’autres Etats socialistes »581.

Les interlocuteurs égyptiens de la RDA, quant à eux, même lorsqu’ils souhaitent se démarquer du poids de l’héritage nassérien, n’entreprennent jamais de nier la dimension révolutionnaire du pouvoir de Nasser. Le PRNPU, seul parti de gauche légal à partir de 1976 et partenaire privilégié de Berlin-Est, entend par exemple s’approprier le legs nassérien, tout en refusant de s’y voir réduit :

« La base du parti est le nassérisme. On doit cependant distinguer deux courants dans le post- nassérisme : une orientation qui voit en Nasser une idole adorée, comme avant, et dont les idées doivent être suivies aujourd’hui encore sans être modifiées. Cette orientation résiste à tout changement. Le second courant poursuit les objectifs du nassérisme, mais prend toutefois en compte les nouvelles conditions [qui existent] en Egypte et dans la région arabe. Le PRNPU s’inscrit dans la seconde tendance »582.

Anouar el-Sadate, de même, reconnaît à son prédécesseur le mérite d’avoir fait de l’Egypte « une nation qui tient son livre d’histoire dans sa main droite et le flambeau de la Révolution dans sa main gauche »583. Le nouveau président égyptien entend bien présenter son propre régime comme « le prolongement naturel et légitime de la révolution »584.

579 GROMYKO, Andrei, Mémoires, op.cit., p. 260. 580 SAPMO-BArch, DY 30/ J IV 2-2J-7094 : Politbüro. Situation in Ägypten, jan. 1976. A propos de la situation en RAE. 581 GROMYKO, Andrei, Mémoires, op.cit., p. 260. 582 SAPMO-BArch, DY 30/ IV B 2/ 20/ 346, Institut für Geschichte der Arbeiterbewegung, Zentrales Parteiarchiv, SED, ZK, Internationale Verbindungen, « Note sur une conversation entre le camarade Friedel Trappen et le membre du bureau politique du PCE, Khaled Mohieddine, le 14 septembre 1977, dans les bâtiments du Comité central », p. 21. 583 BDIC, S 72251, Discours du président Anouar el-Sadate, juillet-décembre 1972, le Caire, République arabe d’Egypte, Ministère de l’Information, Service de l’Etat pour l’Information, « Discours du président Anouar el- Sadate au meeting organisé par le Comité central de l’USA à l’occasion du 2ème anniversaire du décès du leader immortel, 28 septembre 1972 », p. 161. 584 BDIC, 18031/5, Ministère de l’Information, Service de l’Etat pour l’information, RAE, « Discours du président Mohamed Anouar el-Sadate à l’Assemblée du Peuple », le Caire, le 14 mars 1976, p. 69.

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En réalité, la figure de Nasser, forte d’avoir instauré en Egypte les éléments d’un « compromis social populiste »585, conserve une aura particulière dans le pays, même auprès de ses détracteurs. Georges Corm rappelle que c’est justement parce que le nassérisme est porteur « autant d’une demande de dignité par rapport au colonialisme et à l’impérialisme que d’une demande de justice sociale et d’industrialisation accélérée » qu’il perdure après la mort de Nasser586. Plusieurs facteurs finissent cependant par avoir raison du nassérisme, qui décline en tant qu’idéologie mobilisatrice sous l’effet conjugué de l’expansion de la pensée religieuse conservatrice, financée par l’Arabie Saoudite, et de la politique de paix séparée avec Israël menée par Sadate587. Mohammed Anouar Moghira montre à quel point l’héritage laissé par Gamal Abdel Nasser reste finalement un sujet controversé dans l’Egypte actuelle, entre critique d’un pouvoir despotique et nostalgie d’un idéal nationaliste588.

Les archives de la RDA rapportent très tôt les inquiétudes des fonctionnaires est- allemands après l’arrivée au pouvoir de Sadate. Ces derniers redoutent de voir le « nouveau leader »589 rompre avec la politique anti-occidentale de son prédécesseur et considèrent, dès le printemps 1971, qu’ « avec les mesures déjà mises en places et celles qui engagent l’avenir, on porte l’"ère Nasser" à sa fin »590. Ce sera par la suite une accusation récurrente de la part des acteurs est-allemands que de reprocher à Sadate sa volonté systématique de « rompre avec l’idéologie du nassérisme »591. Très vite, en effet, les dirigeants socialistes « ont été convaincus qu’en perdant Nasser, ils [avaient] perdu leur seul allié plus ou moins stable »592 au Proche-Orient.

585 Pour reprendre l’expression d’Eric GOBE dans : GOBE, Eric, « Les syndicalismes arabes… », op.cit., p. 271. 586 CORM, Georges, « Première approche d'une contextualisation des révoltes populaires arabes », in : Confluences Méditerranée, 2011/4, n° 79, p. 95. 587 Ibid. 588 MOGHIRA, Mohammed Anouar, « Nasser, Sadate, Moubarak : chronique d’une utopie révolutionnaire détournée (1952-2011) », in : EurOrient, L’Egypte en marche : la voie étroite ?, n° 37, Paris, L’Harmattan, 2012, p. 50-57. 589 « [...] die kommende Zeit als Periode des "neuen Führers" […] darzustellen ». MfAA, L 187, C 1304/76- C 1305/76, op.cit., Lettre de l’ambassadeur est-allemand au Caire, Martin Bierbach, au ministre des Affaires étrangères, Otto Winzer, Kairo, den 8.6.1971, p. 22. 590 « […] die "Ära Nasser" zu Ende gegangen ist ». Ibid. 591 « […] mit der Ideologie des Nasserismus abzurechnen ». MfAA, L 187, C 1426/78 : Abt. Naher u. Mittlerer Osten. Sektor Ägypten, Sudan, Libyen. Jahresberichte der Botschaft der DDR in Ägypten. Enthält u.a. : Einschätzung des Kollektivs und der Leitungstätigkeit in der Botschaft. 1975-1977. Jahresbericht der Botschaft der DDR in der AR Ägypten für das Jahr 1975. « Zur innenpolitischen Entwicklung der ARÄ im Jahre 1975 », Kairo, den 13.1.1976, p. 27. 592 CARRERE D’ENCAUSSE, Hélène, La politique soviétique…, op.cit., p.226.

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Chapitre 3 - Sadate et le « virage à droite » de l’Egypte : l’abandon du « socialisme importé »593 (1970-1981)

Quelques mois seulement après son arrivée au pouvoir, Sadate entreprend de « corriger les erreurs de Nasser »594 et d’adapter sa politique à l’évaluation qu’il fait des nouveaux rapports de forces internationaux. Pour les observateurs est-allemands, un tel revirement s’apparente à l’abandon des transformations socio-économiques inaugurées par Nasser, son successeur se montrant désireux de remplacer le « socialisme importé » par « un socialisme du bien-être, qui possède des racines nationales et campe fermement sur ses deux pieds, le secteur étatique et le secteur privé »595. C’est d’ailleurs une constante dans les discours de Sadate que d’exalter le nationalisme égyptien pour se démarquer à la fois de l’arabisme nassérien et de l’internationalisme prolétarien, en rappelant à quel point son peuple « se considère comme une seule [et même] famille, partage[ant] les sentiments de son frère, comme c’est le cas, aujourd’hui, dans les villages »596. Aussi, bien que l’URSS réserve un accueil chaleureux au nouveau président égyptien, l’élection de Sadate, qui a toujours affiché sa méfiance à l’encontre du communisme et sa volonté de préserver l’indépendance de l’Egypte, « justifie abondamment les appréhensions de Moscou »597.

La rupture entre Sadate et les Etats socialistes n’est pourtant pas immédiate. En outre, si le nouveau président égyptien s’emploie rapidement à manifester son indépendance à l’égard de Moscou, il veille toujours, jusqu’à la guerre d’octobre 1973, à ménager un tant soit peu les susceptibilités soviétiques : ponctuellement, il sait exalter l’ « amitié permanente » qui unit l’Egypte à l’URSS « sur le front de la révolution anti-colonialiste mondiale »598.

593 SAPMO-BArch, DY 30/ J IV 2-2J-7094, op.cit., « A propos de la situation en RAE ». 594 Ibid. 595 Ibid. 596 BDIC, S 72251 : Discours du président Anouar el-Sadate, Juillet-décembre 1972. Le Caire, République arabe d’Egypte, Ministère de l’Information, Service de l’Etat pour l’Information. Discours du président Anouar el- Sadate au meeting organisé par le Comité central de l’USA à l’occasion du 2ème anniversaire du décès du leader immortel, 28 septembre 1972, p. 153. 597 CARRERE D’ENCAUSSE, Hélène, La politique soviétique…, op.cit., p.212. 598 BDIC, S 71902, op.cit., Message du président Anouar el-Sadate à la nation. Sur le programme de l’Union Socialiste Arabe et le fondement de l’action nationale, à l’occasion des prochaines élections pour la reconstruction de l’édifice politique avec ses différentes formations populaires, le Caire, 10 juin 1971, p. 210.

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A. « Ils ne m’ont jamais fait confiance »599 : Sadate prend ses distances avec les Etats socialistes

1. La « révolution correctrice »600 de mai 1971 : le remaniement gouvernemental et l’éviction des « vieux amis »601 de la RDA

Le 15 mai 1971, Sadate fait arrêter ses adversaires, les « principaux barons de la gauche nassérienne »602, éliminant ainsi le dernier centre de pouvoir concurrent au sommet de l’Etat. Au cours d’un « exposé dramatique »603, il s’adresse au peuple égyptien pour dénoncer une « conspiration »604 ourdie par une organisation secrète au sein de l’Union Socialiste Arabe605. Selon la presse officielle, c’est Ali Sabri, vice-président de l’Egypte, qui a été le principal « promoteur du complot »606 dirigé contre Sadate. A ses côtés, on trouve d’anciens proches de Nasser, parmi lesquels Shaarawy Gomaa, ministre de l’Intérieur, et Sami Sharaf607. Accusé d’avoir « exposé au danger l’intérêt de la patrie dans un des moments les plus critiques de son histoire »608, Ali Sabri était surtout un sympathisant de l’URSS et l’un des interlocuteurs privilégié de la RDA. C’est lui, qui à la fin de l’année 1970 et au début de l’année 1971, joue le rôle d’intermédiaire entre le Caire et Moscou, négociant les livraisons d’armes soviétiques à l’Egypte et se faisant l’avocat, au sein du gouvernement égyptien, d’une « orientation résolument favorable à l’URSS »609. Les archives est-allemandes le désignent d’ailleurs

599 SAPMO-BArch, DY 30/ IV B 2-20 431 : Abteilung Internationale Verbindungen im ZK der SED. Aussenpolitik der DDR und Beziehungen mit Staaten. Bd. 2 : 1972. « L’Egypte et les Russes », Herald Tribune, 31 juillet 1972. 600 MÜLLER, Frank, « Ägypten und DDR… », op.cit., p. 24. 601 MfAA, C 1775, op.cit., Aktenvermerk über eine Unterredung des Kandidaten des Politbüros und Sekretärs des ZK der SED, Genossen Werner Lamberz, mit dem Vizepräsidenten der VAR und Mitglied des HEK der ASU, Ali Sabri, am 27.3.1971 in der Zeit von 11.20 Uhr bis 12.30 Uhr ». Botschaft der DDR in der VAR, Kairo, den 28.3.1971. 602 POMMIER, Sophie, Egypte, l’envers du décor, Paris, La Découverte, 2008, p. 56. 603 Le Progrès égyptien, 15 mai 1971, p. 1 604 Ibid. 605 Les documents de la Stasi mentionnent l’existence d’une organisation secrète à l’intérieur de l’USA, appelée « Avant-garde des socialistes » et qui, après la mort de Nasser, se réunit dans le but de maintenir la politique initiée par ce dernier. Voir : BStU, MfS, Hauptverwaltung Aufklärung, n°173, Information sur la situation en RAU, 1970. 606 Le Progrès égyptien, 26 mai 1971, p. 1. 607 Ibid. 608 BDIC, S 71902, op.cit., Message du président Anouar el-Sadate à la nation. Sur le programme de l’Union socialiste arabe et le fondement de l’action nationale, à l’occasion des prochaines élections pour la reconstruction de l’édifice politique avec ses différentes formations populaires, le Caire, 10 juin 1971, p. 198. 609 CARRERE D’ENCAUSSE, Hélène, La politique soviétique…, op.cit., p.212. 144

comme un homme « connu en RDA pour être un grand ami de l’URSS »610. Quant à Sadate, il le décrit comme le « chef des agents prosoviétiques en Egypte »611.

Son éviction du pouvoir mène à de nouvelles élections au sein de l’USA et à un remaniement gouvernemental. Selon le régime, une telle réorganisation est destinée à préserver la vocation initiale de l’USA, qui doit faire figure de « tribune pour toutes les opinions du peuple »612. Pour les diplomates est-allemands cependant, les élections qui ont lieu en juillet 1971 au sein des différents comités de l’USA et de ses organes dirigeants sont clairement pilotées par les « forces de droite nationalistes »613, désireuses d’appliquer « leur programme national et religieux de développement national-démocratique »614, ainsi qu’une « politique extérieure pro-occidentale »615. Ils dénoncent notamment l’exclusion des listes électorales des candidats d’obédience nassériste ou marxiste616 et « l’immixtion très forte de l’appareil sécuritaire et de la police au sein des organes de surveillance électorale »617, ce que nie le secrétaire général de l’USA, Aziz Sidky. Selon ce dernier, les élections se sont déroulées au contraire dans la transparence la plus totale, « le superviseur du Comité [central] et le secrétariat général [de l’USA] [ayant] exclu 10% au maximum des candidats, parce que ces derniers n’avaient pas les qualifications requises pour diriger l’activité de [l’]organisation socialiste »618. Il évoque d’ailleurs le droit de l’USA « de se protéger contre la paralysie grâce

610 MfAA, C 1775, op.cit., Aktenvermerk über eine Unterredung des Kandidaten des Politbüros und Sekretärs des ZK der SED, Genossen Werner Lamberz, mit dem Vizepräsidenten der VAR und Mitglied des HEK der ASU, Ali Sabri, am 27.3.1971 in der Zeit von 11.20 Uhr bis 12.30 Uhr ». Botschaft der DDR in der VAR, Kairo, den 28.3.1971. 611 EL-SADATE, Anouar, A la recherche d’une identité. Histoire de ma vie, Paris, Fayard, 1978, p. 323. 612 SAPMO-BArch, DY 30/ IV B 2-20 345, op.cit., Rapport sur le séjour en RDA d’une délégation du Comité central de l’USA, sous la direction du premier secrétaire du Comité central, Sayed Marei, Berlin, 21 mars 1973. 613 MfAA, C 1304/76- C 1305/76, op.cit., Informationsbericht 13/71, « Zur ersten Tagung des II. ASU- Nationalkongresses (23.- 26.7.1971) », Botschaft der DDR in der VAR, Kairo, den 30.7.1971. 614 « Präsident Sadat war und ist bestrebt, in erster Linie seine persönliche Position als Präsident zu festigen, wogegen die rechten reaktionären Kräfte ihr nationalistisch und religiös verbrämtes Programm der national- demokratischen Entwicklung gegenüberstellen… ». MfAA,C 1304/76- C 1305/76, op.cit., Lettre de l’ambassadeur de la RDA au Caire, Martin Bierbach, au ministre est-allemand des Affaires étrangères, Otto Winzer, Kairo, den 22.7.1971. 615 « Prowestliche Außenpolitik ». Ibid. 616 MfAA, C 1304/76- C 1305/76, op.cit., Informationsbericht 13/71, « Zur ersten Tagung des II. ASU- Nationalkongresses (23.- 26.7.1971) », Botschaft der DDR in der VAR, Kairo, den 30.7.1971. 617 « Informationen, die die Botschaft insbesondere von progressiven Kräften erhielt, besagen, daß die zentral gesteuerte Einmischung durch den Sicherheits- und Polizeiapparat sowie durch die Wahlaufsichtsorgane in den gegenwärtigen ASU-Wahlen unvergleichbar größer und weitgehender waren […] ». MfAA, C 1304/76- C 1305/76, op.cit., Lettre de l’ambassadeur de la RDA au Caire, Martin Bierbach, au ministre est-allemand des Affaires étrangères, Otto Winzer, Kairo, den 22.7.1971. 618 MfAA, C 1304/76- C 1305/76, op.cit., Informationsbericht 13/71, « Ausgewählte Faktenmaterial zum II. ASU-Nationalkongreß », Botschaft der DDR in der VAR, Kairo, den 30.7.1971.

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à l’exclusion d’éléments inéligibles »619. Toutefois, aux yeux des acteurs est-allemands, les nouveaux représentants de l’USA, nommés par décret présidentiel620, sont désormais à la solde d’un pouvoir conservateur et hostile aux forces progressistes. Surtout, l’élimination des personnalités pro-soviétiques du gouvernement égyptien, avec lesquelles l’ambassade est- allemande au Caire entretenait de « très bons contacts »621, prive désormais la RDA de ses interlocuteurs privilégiés au sommet de l’Etat. Ainsi, « avec l’élimination de l’aile révolutionnaire-démocratique de la direction égyptienne en mai 1971, les relations entre l’Egypte et la RDA sont devenues, pour un temps, un fardeau »622.

Le 2nd Congrès national de l’USA, qui se déroule du 23 au 26 juillet 1971 et voit la réélection de Sadate à sa présidence, définit en outre un nouveau « programme d’action », qui ne manque pas d’inquiéter l’ambassade de la RDA au Caire623. Ce dernier prévoit notamment d’ « obtenir la victoire ; [d’]ériger un Etat moderne de citoyens libres sur la base de la technologie et de la foi ; [de] clarifier parmi la population le rôle des organisations politiques (USA, alliances professionnelles et syndicats) »624. Or, pour Berlin-Est, le concept même d’ « Etat moderne », abondamment mobilisé par Sadate625, recouvre une vision bourgeoise et libérale, dépourvue de ligne politico-idéologique626 :

619 Ibid. 620 MfAA, C 1304/76- C 1305/76, op.cit., Lettre de l’ambassadeur de la RDA au Caire, Martin Bierbach, au ministre est-allemand des Affaires étrangères, Otto Winzer, Kairo, den 22.7.1971 621 MfAA, C 1641/76, op.cit., Stand der Beziehungen zwischen der DDR und der ARÄ, Abt. Naher und Mittlerer Osten, Berlin, den 15.1.1974, p. 5. 622 « Mit der Ausschaltung des revolutionär-demokratischen Flügels in der ägyptischen Führung im Mai 1971 waren die Beziehungen Ägyptens zur DDR zeitwillig einer ernsten Belastung ausgesetzt […] ». Ibid., p. 5. 623 MfAA, C 1304/76- C 1305/76, op.cit., Informationsbericht 13/71, « Das Aktionsprogramm der VAR, angenommen auf der 1. Sitzung des 2. Nationalkongresses der ASU », Botschaft der DDR in der VAR, Kairo, den 30.7.1971. 624 « […] einen modernen Staat freier Bürger auf der Grundlage von Technologie und Glauben zu errichten, unter der Bevölkerung die Rolle der politischen Organisationen (ASU, Berufsverbände und Gewerkschaften klarzustellen […] ». Ibid. 625 Voir par exemple : BDIC, S 71902, op.cit., Discours du président Anouar el-Sadate aux Forces navales de la RAU, Alexandrie, 22 juin 1971. 626 « Im Programm wird vermieden, und das ist einer der Hauptmängel des Programms, eine politisch- ideologische Zielstellung zu definieren ». MfAA, C 1304/76- C 1305/76, op.cit., Informationsbericht 13/71, « Das Aktionsprogramm der VAR, angenommen auf der 1. Sitzung des 2. Nationalkongresses der ASU », Botschaft der DDR in der VAR, Kairo, den 30.7.1971.

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« A travers la création d’un "Etat moderne sur la base de la science et de la foi", on nourrit l’illusion selon laquelle le socialisme est un ordre social qui peut être atteint sans lutte des classes et sans poursuite d’un développement non capitaliste »627.

En effet, cet « Etat moderne », bien qu’il s’appuie sur le développement du secteur public, offre des garanties au secteur privé et ne remet pas en cause les rapports de propriété, en particulier dans le domaine agricole628 : la limite maximale de 100 feddans629 par famille ou de 50 feddans par personne reste inchangée. Surtout, il prône l’ « harmonie des classes »630, sapant par-là même toute possibilité de favoriser la « mobilisation politique et économique des masses laborieuses »631.

Le remaniement de mai 1971 consacre donc ce que les Allemands de l’Est désignent comme le « virage à droite »632 de l’Egypte et par conséquent, la détérioration des relations entre le Caire et les Etats socialistes. Entre juillet et septembre 1971, les contacts cessent même entre les gouvernements égyptien et soviétique633 ; ils ne reprennent qu’à partir de la visite à Moscou de Sadate, en octobre 1971634. Le président égyptien se rend à nouveau en URSS en février puis en avril 1972, où il obtient l’accord de Moscou pour continuer à renforcer la capacité de défense de l’armée égyptienne, dans le contexte de la lutte contre Israël635. L’éloignement entre le Caire et les Etats socialistes est pourtant déjà consommé. La

627 « Durch die Schaffug des "modernen Staates auf der Grundlage von Wissenschaft und Glauben" wird die Diskussion genährt, daß der Sozialismus die Gesellschaftsordnung sei, die ohne Klassenkampf, ohne Weiterführung der nichtkapitalistischen Entwicklung erreicht werden könne ». Ibid. 628 « Auch in der Landwirtschaft sollen die Besitzverhältnisse (Festlegung der Höchstgrenze 100 Feddan pro Familie, 50 Feddan pro Person) unverändert bleiben ». Ibid. 629 Unité de mesure utilisée en Egypte pour les surfaces agricoles. 630 « Klassenharmonie ». MfAA, C 1304/76- C 1305/76, op.cit., Informationsbericht 13/71, « Das Aktionsprogramm der VAR, angenommen auf der 1. Sitzung des 2. Nationalkongresses der ASU », Botschaft der DDR in der VAR, Kairo, den 30.7.1971. 631 « Zur Gesamteinschätzung des Aktionsprogrammes muß noch hinzugefügt werden, daß es in der jetzigen Form nicht die politische und wirtschaftliche Mobilisierung der werktätigen Massen gewährleistet ». MfAA, C 1304/76- C 1305/76, Ibid. 632 MfAA, C 1641/76, op.cit., Überblick über die Entwicklung der Beziehungen zwischen der DDR und der Arabischen Republik Ägypten, Abt. Arabische Staaten, Berlin, Januar 1972. 633 BDIC, S 72251, op.cit., Discours du président Anouar el-Sadate à la séance inaugurale du Congrès National général de l’Union Socialiste Arabe, 24 juillet 1972, p. 74. 634 MfAA, L 187/ 21- LG 4.4., C 283/76 : Abt. Naher u. Mittlerer Osten. Sektor Ägypten, Sudan, Libyen. Aussenpolitische, ökonomische, kulturelle bzw. Sportbeziehungen zwischen Ägypten und der Sowjetunion, Bulgarien, der CSSR, Jugoslawien, Rumänien und Ungarn. 1971-1974. Information über den Besuch des Präsidenten der Arabischen Republik Ägypten, Anwar El Sadat, in der UdSSR vom 11. bis 13. Oktober 1971. 635 « Auf militärischem Gebiet resultierte der Moskau-Besuch Sadats in einer Zusage der UdSSR, kontinuierlich zur weiteren Erhöhung der "Verteidigungskapazität der ägyptischen Armee" beizutragen… ». MfAA, L 187/21 – L 159, C 1307/76, op.cit., Information zu einigen Problemen der sowjetischen-ägyptischen Beziehungen (Januar- Februar 1972), Botschaft der DDR in der ARÄ, Kairo, den 2.3.1972.

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crise semble atteindre son apogée en juillet 1972, lors de l’expulsion des conseillers soviétiques hors d’Egypte, orchestrée par Sadate.

2. Le renvoi des experts militaires soviétiques d’Egypte en juillet 1972 : différentes lectures

Le 7 juillet 1972, la décision du renvoi des 20 000 techniciens et militaires soviétiques hors d’Egypte est notifiée à l’ambassadeur de l’URSS au Caire, Vladimir Vinogradov. Les experts soviétiques ont dix jours pour quitter le territoire636. Les équipements militaires dont ils étaient en charge deviennent la propriété de l’Egypte et sont désormais confiés aux forces armées nationales637. Le matériel soviétique doit être soit rapatrié en URSS, soit acheté par l’Egypte638.

L’ « expulsion » des conseillers soviétiques est traditionnellement présentée par l’historiographie occidentale comme la première étape de la rupture entre l’Egypte et l’URSS639. Il convient pourtant de nuancer cette lecture, dans la mesure où elle ne correspond pas forcément à celle qu’en font, à l’époque, les différents acteurs.

Il est vrai que la décision de Sadate s’inscrit dans un contexte où l’Egypte a ouvertement exprimé ses griefs à l’encontre des Soviétiques. D’abord, la rencontre de Nixon et Brejnev en mai 1972 à Moscou, au cours de laquelle l’URSS a accepté le principe de la fin de l’état de belligérance entre Israël et les pays arabes, a fortement irrité Sadate640. La négociation directe entre les deux Grands, dont il n’a pas été informé, achève de le convaincre que la priorité soviétique est la mise en place d’une politique de détente avec les Etats-Unis, et non la reprise des opérations militaires au Proche-Orient. Dans une interview qu’il accorde au quotidien américain International Herald Tribune, publiée le 31 juillet 1972, Sadate évoque les « promesses vides » que les Soviétiques lui ont faites lors de ses différents séjours à

636 La mission des conseillers soviétiques arrive à échéance le 17 juillet. Voir : Le Progrès égyptien, 19 juillet 1972, p. 1. 637 Ibid. 638 SAPMO-BArch, DY 30/ IV B 2-20 431, op.cit., « L’Egypte et les Russes », Herald Tribune, 31 juillet 1972. 639 GINOR, Isabella, REMEZ, Gideon, « The origins of a misnomer. The "expulsion of Soviet advisers" from Egypt in 1972 », in : ASHTON, Nigel (ed.), The Cold War in the Middle East…, op.cit., p. 136. 640 ULFKOTTE, Udo K., Interessenspezifischen Nahostpolitik der Grossmächte im Nahen Osten, 1948-1979. Sowjetische, amerikanische, französische und britische Waffenexporte an die Nahost-Staaten Israel und Ägypten in den Jahren 1948-1979, im Kontext der Nahostpolitik der Geberländer, unter besonderer Berücksichtigung der damit angestrebten Einflussnahme, Francfort-sur-le Main, Haag + Herchen Verlag, 1984, p. 49.

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Moscou, en octobre 1971, puis en février et en avril 1972641. Alors que le président égyptien souhaitait que l’URSS lui livre des Mig 23, afin d’ « équilibrer les livraisons de chasseurs Phantom à Israël par les Etats-Unis »642, il a dû se contenter d’armes de défense ne lui permettant aucunement de « conduire une guerre »643. L’idée selon laquelle l’URSS « n’a pas rempli la mission qui lui incombait, c’est-à-dire livrer des armes offensives modernes »644 trouve un certain écho dans le pays. Les diplomates est-allemands rapportent dans leurs analyses les propos critiques dont ils sont témoins au quotidien : la volonté de Sadate de mener une « bataille décisive » contre Israël à la fin de l’année 1971 « a été sabotée par l’URSS parce que celle-ci n’a pas livré les armes attendues […] » et parce que « l’aide du camp socialiste et de la RDA à l’Egypte est "ridicule" »645. Un ingénieur égyptien regrette ainsi le fait qu’aucune « bombe à longue portée pour attaquer Tel Aviv » n’ait été livrée au Caire646. Bien plus, l’URSS est parfois accusée d’être responsable de la défaite arabe de 1967, n’ayant apporté qu’une « fausse aide militaire » à l’Egypte :

« Au sein du peuple, il existe des doutes quant à la sincérité de l’Union soviétique à l’égard de la République arabe d’Egypte. Le peuple sait, par exemple, que dans la nuit de l’agression israélienne de 1967, à trois heures du matin, l’ambassadeur russe a parlé avec Nasser et lui a conseillé de ne pas commencer la lutte contre Israël. Tout aurait été entrepris, avec les Etats-Unis, afin d’aboutir à un règlement politique. Nasser a écouté ces conseils. Au lieu de cela, l’Egypte a été attaquée à six heures du matin par Israël. Cela prouve bien que l’URSS suit sa propre politique »647.

641 SAPMO-BArch, DY 30/ IV B 2-20 431, op.cit., « L’Egypte et les Russes », International Herald Tribune, 31 juillet 1972. 642 Ibid. 643 « Militärische Hilfe der UdSSR für ARÄ sei nicht so, daß ARÄ in der Lage wäre, einen Krieg zu führen ». MfAA, L 187/21 – L 159, C 1307/76, op.cit., Meinungen zur Beendigung der Tätigkeit des sowjetischen Militärpersonals in der ARÄ, Botschaft der DDR in der AR Ägypten, Kairo, den 26.7.1972., p. 21. 644 « Der Hauptgrund für die Entscheidung Sadats sei die Nichterfüllung der Verpflichtungen der Sowjetunion, moderne Angriffswaffen zu liefern ». Ibid., p. 18. 645 « Hilfe des sozialistischen Lagers mit der DDR für ARÄ sei "lächerlich", weil nur in Wort und Schrift ». Ibid., p. 22. 646 « Waffentechnik ist nicht, wie gefordert, geliefert, z.B., "Fernbomber zum Angriff auf Tel Aviv", sondern nur Verteidigungswaffen aufdiktiert worden ("Kurzstrecken-MIG" usw.) ». Ibid., p. 21. 647 « Im Volke gebe es allerdings auch Zweifel an der Aufrichtigkeit der Sowjetunion der ARÄ gegenüber. Dem Volke sei z.B. bekannt, daß in der Nacht vor der Israel-Aggression 1967 (03,00 Uhr) der sowjetische Botschafter mit Gamal Abdel Nasser gesprochen und diesen aufgefordert habe, den Kampf gegen Israel nicht zu beginnen. Mit den USA sei alles abgesprochen, damit es zu einer friedlichen Streitregelung komme. Gamal Abdel Nasser habe darauf gehört. Stattdessen sei Ägypten am Morgen um 06,00 Uhr von Israel angegriffen worden ». MfAA, L 187/21 – L 159, C 1307/76, op.cit., Information (Sadat-Rede), Botschaft der DDR in der ARÄ, Kairo, den 19.7.1972, p. 26-27.

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Or, face au mécontentement populaire648 et à des étudiants « à bout de patience »649, Sadate ne cesse de proclamer que l’année 1972 sera décisive650 et qu’il est résolu à engager la bataille qui lui permettra de « libérer chaque pouce de [son] sol »651. Il a d’ailleurs prévenu l’URSS que le peuple égyptien s’attend à ce qu’une offensive militaire ait lieu au cours de la seconde moitié de l’année 1972652. Le renvoi des experts soviétiques est donc un moyen d’accroître la pression sur Moscou, tout en renforçant la cohésion nationale en Egypte même, autour de l’idée de l’imminence d’une reprise des combats contre Israël. Sadate en appelle en effet aux « bras égyptiens »653 et exhorte son peuple à ne pas laisser les soldats soviétiques combattre à sa place : « ce qu’il me faut, ce sont des armes, rien de plus. La bataille, c’est moi qui l’engagerai »654.

Les diplomates est-allemands évoquent d’autres points de discorde qui ont pu, ponctuellement, justifier la décision de Sadate de renvoyer les conseillers soviétiques. Selon certaines analyses, le fait que Moscou ait demandé des comptes aux dirigeants égyptiens et « posé trop de questions idiotes » après le remaniement gouvernemental de mai 1971, a certainement contribué à exaspérer le Caire655. En outre, l’URSS est accusée d’avoir envoyé, au cours des dernières années, près de 250 000 scientifiques et techniciens juifs en Israël656.

D’autres analyses, en Egypte comme en RDA, proposent pourtant une lecture différente du départ des experts soviétiques. La presse égyptienne officielle prend bien soin de relayer le discours présidentiel, selon lequel cette décision n’affecte en rien l’amitié que porte l’Egypte

648 Le 18 janvier, des milliers d’étudiants égyptiens manifestent pour dénoncer l’incohérence du pouvoir et réclamer la mobilisation. Voir : MIREL, Pierre, L’Egypte des ruptures, l’ère Sadate, de Nasser à Moubarak, Paris, Sindbad, 1982, p. 25. 649 BDIC, S 72251, op.cit., Discours du président Anouar el-Sadate à la séance inaugurale du Congrès National général de l’Union Socialiste Arabe, 24 juillet 1972, p. 76. 650 Ibid., p. 75. 651 Ibid., p. 82. 652 SAPMO-BArch, DY 30/ 13 911 : Abteilung Internationale Verbindungen im ZK der SED. Abt. Int. Verb. 1946-90. Beziehungen der KpdSU mit Ägypten. 1971-78 ; 1988, Visite de Sadate en URSS, 9 février 1972, confidentiel. 653 BDIC, S 72251, op.cit., Discours du président Anouar el-Sadate à l’Université d’Alexandrie, 27 juillet 1972. 654 BDIC, S 72251, op.cit., Discours du président Anouar el-Sadate à la séance inaugurale du Congrès National général de l’Union Socialiste Arabe, 24 juillet 1972, p. 80. 655 MfAA, L 187/21 – L 159, C 1307/76, op.cit., Meinungen zur Beendigung der Tätigkeit des sowjetischen Militärpersonals in der ARÄ, Botschaft der DDR in der AR Ägypten, Kairo, den 26.7.1972. 656 « UdSSR hat in den letzten Jahren ¼ Million junger Juden, Wissenschaftler und Techniker nach Israel "geschickt" ». Ibid., p. 21.

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à l’Union soviétique657. A Berlin-Est et à Moscou, le « retour des experts en URSS »658 ne fait nullement les gros titres des journaux. L’URSS s’efforce bien plutôt de « dédramatiser la situation »659. Le personnel militaire soviétique a rempli sa mission en Egypte, il est donc « approprié »660 et « naturel »661 que cette dernière prenne fin, comme en ont convenu les deux parties au cours de plusieurs échanges. L’agence TASS, relayée par les médias officiels est-allemands, rapporte que les conseillers soviétiques ont été « fêtés par les militaires égyptiens » et remerciés par les journaux nationaux, comme al-Goumhouria662, avant de « repartir »663 à Moscou. De fait, il existe bien au sein d’al-Goumhouria une rubrique intitulée « Nous et l’Union soviétique », qui en juillet 1972 s’indigne des attaques contre l’URSS et rend hommage à l’aide des ingénieurs soviétiques pour développer le secteur industriel en Egypte, ainsi qu’aux bateaux de blé envoyés par Moscou depuis des années664.

Différentes sources est-allemandes et égyptiennes mentionnent, quant à elle, les discussions au sommet qui ont précédé l’annonce officielle du renvoi des conseillers soviétiques. Sans nier le renforcement de l’antisoviétisme dans leur pays, les personnalités égyptiennes de gauche qui s’entretiennent avec les diplomates est-allemands, tendent à minimiser la dimension unilatérale de la décision de Sadate. Rifaat el-Saïd, alors secrétaire du Conseil de la paix, évoque la façon dont le président égyptien a sollicité l’approbation des représentants soviétiques et s’est assuré de leur soutien futur, en dépit du départ de leurs techniciens665. Sadate lui-même semble avoir préparé l’opinion internationale à une telle décision : en décembre 1971, dans une interview qu’il accorde au New York Times, il affirme qu’il n’y a pas de soldats soviétiques sur le canal de Suez et que ce sont désormais des militaires égyptiens qui assurent la responsabilité opérationnelle des missiles sol-air666. Il ajoute qu’il doit user de toute sa force de persuasion pour que les Soviétiques demeurent en

657 Le Progrès égyptien, 19 juillet 1972, p. 1. 658 « Le personnel militaire soviétique en RAE a rempli ses fonctions », Neues Deutschland, 20 juillet 1972, p. 7. 659 CARRERE D’ENCAUSSE, Hélène, La politique soviétique…, op.cit., p.225. 660 « Le personnel militaire soviétique en RAE a rempli ses fonctions », Neues Deutschland, 20 juillet 1972, p. 7. 661 « Déclaration officielle de l’Egypte », Neues Deutschland, 21 juillet 1972, p. 7. 662 « Les conseillers soviétiques prennent leur congé et sont fêtés par les militaires égyptiens », Neues Deutschland, 22 juillet 1972, p. 7. 663 Ibid. 664 « Nous et l’Union soviétique », Al-Goumhouria, 10 juillet 1972, p. 3. 665 SAPMO-BArch, DY 30/ IV B 2-20 430, op.cit., Information sur une conversation avec Rifaat el-Saïd, RAE, secrétaire du Conseil mondial de la paix, confidentiel, Berlin, 2.11.1972, p. 126. 666 BDIC, S 71902, op.cit., Interview accordée par Sadate à M. C. L. Sulzberger, rédacteur en chef du New York Times, décembre 1971, p. 531.

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Egypte, car ces derniers, selon lui, n’y tiennent pas667. Le journal al-Goumhouria rapporte dès le mois de juin 1972 les discussions qui ont lieu au Caire puis à Moscou entre le ministre égyptien de la Défense, Ahmed Sadek et le Maréchal d’Union soviétique, Andrei Gretchko, sans en préciser le contenu668. L’idée du retrait des unités soviétiques a donc déjà bien été évoquée, au moins implicitement, au moment où Sadate annonce à l’opinion égyptienne leur départ d’Egypte, comme l’affirment Isabella Ginor et Gideon Remez, dans un article de 2007669. Ces derniers contestent l’utilisation du terme d’ « expulsion » pour désigner le départ des Soviétiques : ils estiment en effet que Moscou a donné son « consentement préalable » au retrait de ses hommes670. Ils distinguent en outre deux niveaux d’intervention de l’URSS en Egypte : les troupes de combat d’une part, les experts d’autre part. Selon eux, ce sont les militaires soviétiques stationnés en Egypte depuis la guerre d’usure de 1969-1970, dans le but d’instruire et de superviser les unités égyptiennes, qui sont directement visés par la décision de juillet 1972. A l’inverse, les « vrais conseillers »671 restent sur place, afin de préparer les forces armées à la traversée du canal de Suez, lors de la prochaine offensive.

Si l’article d’Isabella Ginor et Gideon Remez a le mérite de rappeler que le renvoi du personnel soviétique n’est nullement une surprise pour l’URSS, il convient toutefois de ne pas minimiser le mécontentement qu’une telle décision provoque à Moscou. Les documents soviétiques transmis à la RDA montrent que, dès l’automne 1972, les dirigeants égyptiens entreprennent d’apaiser les relations, le renvoi de ses conseillers ayant clairement contribué, pour l’URSS, à détériorer la coopération bilatérale672. Alors que les Egyptiens assurent qu’ils souhaitent « oublier le passé et parler de l’avenir », les Soviétiques n’entendent pas en rester là : « on ne se comport[e] pas ainsi avec des amis », d’autant que « l’on ne peut se préoccuper du futur que lorsqu’on a digéré le passé »673.

Ainsi, bien que l’URSS sache pertinemment que « la crise de 1972 s’achèvera finalement, comme les précédentes, par un nouveau dialogue avec l’Egypte parce que cette

667 Ibid. 668 « Les discussions entre Sadek et Gretchko ont commencé aujourd’hui », Al-Goumhouria, 9 juin 1972, p. 1. 669 GINOR, Isabella, REMEZ, Gideon, « The origins of a misnomer… », op.cit., p. 136-163. 670 Ibid., p. 139. 671 Ibid. 672 SAPMO-BArch, DY 30/ 13 911, op.cit., Visite du premier ministre égyptien, Aziz Sidky, en URSS, 30 octobre 1972, confidentiel. 673 « Sowjetische Seite betonte zu dieser Frage, daß man sich so zu Freunden nicht verhält und man nur dann die Zukunft gestalten kann, wenn die Vergangenheit bewältigt ist ». MfAA, L 187, C 767/75, op.cit., Telegramm vom 19. Oktober 1972, p. 2.

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dernière n’a pas d’alternative à l’alliance soviétique »674, il n’en reste pas moins que les évènements de juillet 1972 ont ouvert une brèche dans les relations entre l’Egypte et les Etats socialistes. C’est d’ailleurs ainsi que Henry Kissinger, ancien secrétaire d’Etat américain, présente les évènements a posteriori, lorsqu’il fait le lien entre l’activation du canal secret de négociations entre Sadate et la Maison Blanche en avril 1972 et l’ « expulsion » des Soviétiques d’Egypte quelques mois plus tard675. Moscou se retrouve en réalité dans une position extrêmement ambiguë : l’Egypte a certes renvoyé ses techniciens, mais accepte néanmoins ses armes676. Ce n’est pas là le moindre des paradoxes : jusqu’en 1979, la relation entre Sadate et l’URSS est ponctuée d’ajustements et de revirements apparents. Le traité d’amitié soviéto-égyptien, en vigueur de mai 1971 à mars 1976, illustre parfaitement les tergiversations continuelles qui scandent la relation bilatérale.

3. Le traité d’amitié et de coopération soviéto-égyptien, de la signature à la résiliation unilatérale par l’Egypte, 1971- 1976

L’annonce de la signature d’un traité d’amitié et de coopération entre l’Egypte et l’URSS, le 29 mai 1971, à l’issue du séjour au Caire de Nicolaï Podgorny, chef de l’Etat soviétique, et Andrei Gromyko, son ministre des Affaires étrangères, « éclate comme une bombe »677 : « comment en est-on venu à signer ce traité alors que les relations n’ont cessé de se dégrader ? »678. Cet accord, présenté par Sadate comme un moyen de renforcer « l’amitié dans la lutte »679, prévoit l’extension des relations politiques, militaires, économiques et technico-scientifiques pour une durée de quinze ans. En réalité, l’évènement ne parvient pas « à masquer les difficultés croissantes dans les relations entre les deux pays »680. Hélène Carrère d’Encausse a bien étudié les ressorts de ce traité d’amitié : elle en montre les ambiguïtés et les différences d’interprétation dont il fait l’objet, du côté égyptien et du côté soviétique681. Elle explique comment, pour l’URSS, il s’agit de « contraindre l’Egypte, par un

674 CARRERE D’ENCAUSSE, Hélène, La politique soviétique…, op.cit., p.226. 675 KISSINGER, Henry, White House Years, op.cit., p. 1276 et p. 1293. 676 DUROSELLE, Jean-Baptiste, KASPI, André, Histoire des relations internationales, tome 2 : de 1945 à nos jours, Paris, Armand Colin, 12ème édition mise à jour en 2001, p. 355-356. 677 CARRERE D’ENCAUSSE, Hélène, La politique soviétique…, op.cit., p.215. 678 Ibid. 679 BDIC, S 71902, op.cit., Discours du président Anouar el-Sadate au dîner offert en l’honneur du président Podgorny (le Caire, le 26 mai 1971), p. 198. 680 MENDRAS, Marie, « La logique de l’URSS au Moyen-Orient », in : Politique étrangère, 1983, n° 1, p. 134. 681 L’auteur évoque les différentes versions publiées au Caire et à Moscou, ainsi que la signification dont le traité est investi de part et d’autre. Tandis que l’URSS y voit un moyen de maintenir l’Egypte dans son orbite, en 153

geste spectaculaire, à reconnaître qu’elle ne peut pas se passer, pour l’instant, de l’appui soviétique »682, alors que pour Sadate, il importe de pousser Moscou à « prendre des engagements clairs »683, notamment du point de vue militaire. Selon elle, un tel engagement marque en tous les cas la reconnaissance implicite par le Caire de la fin du non-alignement684. Dans ses mémoires, Sadate présente au contraire la signature du traité d’amitié comme un simple instrument de négociation, destiné à prouver aux Soviétiques ses « bonnes intentions », en échange de livraisons d’armes685.

Si le traité est investi par la presse soviétique d’une portée considérable, les acteurs socialistes perçoivent très clairement, cependant, l’instrumentalisation dont il fait l’objet par le régime égyptien. Dès le mois de juin 1971, la Stasi rapporte à quel point la négociation du traité d’amitié a été difficile : « […] l’Egypte a essayé de s’assurer du soutien matériel de l’Union soviétique, mais en même temps n’a pas voulu trop s’engager politiquement, ne souhaitant pas donner l’impression, à l’étranger, d’une trop grande dépendance à l’égard de l’URSS »686.

Tant qu’il espère obtenir des armes de Moscou, Sadate assure à ses interlocuteurs soviétiques que le traité d’amitié est, selon lui, au fondement de ses relations avec l’URSS687. Quelques mois à peine après le départ d’Egypte des experts soviétiques, en octobre 1972, il affirme par exemple que son pays n’a « aucune perspective » sans le soutien des Etats socialistes : « nous ne pouvons rien faire sans vous »688. En revanche, lorsque le président égyptien estime, quelques années plus tard, que Moscou n’a en fait jamais véritablement permis le renforcement du potentiel militaire de son pays, il décide qu’il est temps de reconsidérer l’utilité d’un tel traité.

contraignant le régime à étendre les conquêtes du socialisme, Sadate affirme que le traité ne le lie aucunement, mais qu’il renforce au contraire l’engagement militaire de Moscou à ses côtés. Voir : CARRERE D’ENCAUSSE, Hélène, La politique soviétique…, op.cit., p. 216-218. 682 Ibid., p. 218. 683 Ibid. 684 Ibid., p. 219. 685 EL-SADATE, Anouar, A la recherche d’une identité…, op.cit., p. 328. 686 BStU, MfS, Hauptverwaltung Aufklärung, n° 182, Information sur les premières réactions concernant le traité d’amitié soviéto-égyptien et les autres problèmes de la politique égyptienne, 2 juin 1971. 687 « ARÄ betrachtet Vertrag als Grundlage der Beziehungen zur UdSSR ». MfAA, L 187, C 767/75, op.cit., Telegramm vom 19. Oktober 1972, p. 4. 688 « S. erklärte mit Nachdruck, daß ARÄ ohne Unterstützung seitens der UdSSR und anderer sozialistischer Staaten keine Perspektive habe (« Wir können ohne euch nichts machen »)… ». Ibid., p. 3.

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En mars 1976, alors que l’Egypte reçoit pour la première fois des armes américaines689, Sadate annonce ainsi sa décision d’abroger unilatéralement le traité d’amitié et de coopération avec l’URSS. Le 14 mars, il dénonce le traité devant l’Assemblée du Peuple690, qui « approuve sans réserve »691 le discours présidentiel. Sadate accuse l’Union soviétique de « jouer avec [lui] le jeu du chat et de la souris »692 et expose ses multiples griefs à l’encontre de Moscou : depuis 1970, les Soviétiques refusent de lui fournir les armes de dissuasion qu’il demande693 ; ils soumettent en outre leurs livraisons de matériel militaire à la présence de leurs propres soldats sur le sol égyptien694 ; ils rejettent tout rééchelonnement des dettes égyptiennes695 ; enfin, ils ne fournissent pas de pièces de rechange pour le matériel endommagé, si bien que « toutes les armes que [l’Egypte] possède se transforment en ferraille »696.

Le discours de Sadate provoque un « vaste retentissement »697 dans le monde, en raison de sa virulence. Le président égyptien achève son intervention en interpellant solennellement l’URSS, qu’il accuse de vouloir le voir s’agenouiller devant elle : « Non, je ne m’agenouille que devant Dieu »698. En Egypte, la presse salue assez unanimement la décision présidentielle de mettre un terme au traité avec Moscou. Le Progrès égyptien reproduit le discours de Sadate devant l’Assemblée du Peuple699, ainsi que des extraits d’analyses parues dans les grands quotidiens arabophones du pays. Dans al-Goumhouria, Abdel Moneim el-Sawi estime que l’abrogation du traité signifie avant tout le retour à une politique de non-alignement et de

689 « La vente d’armes américaines à l’Egypte soulève un grave débat entre Israël et les Etats-Unis », Le Progrès égyptien, 11 mars 1976, p. 1. 690 Le discours de Sadate est reproduit et traduit en français dans : BDIC, S 18031/5 : Ministère de l’Information, Service de l’Etat pour l’Information, RAE. Discours du Président Mohamed Anouar el Sadate à l’Assemblée du Peuple. Le Caire, le 14 Mars 1976. 691 « Le traité d’amitié égypto-soviétique dénoncé à l’unanimité des députés », Le Progrès égyptien, 16 mars 1976, p. 1. 692 BDIC, S 18031/5, op.cit., Discours du président Mohamed Anouar el-Sadate à l’Assemblée du Peuple, le Caire, le 14 mars 1976, p. 79. 693 Ibid., p. 74. 694 Ibid., p. 76. 695 Ibid., p. 79. 696 Ibid., p. 80. 697 « Le traité d’amitié égypto-soviétique dénoncé à l’unanimité des députés », Le Progrès égyptien, 16 mars 1976, p. 1. 698 BDIC, S 18031/5, op.cit., Discours du président Mohamed Anouar el-Sadate à l’Assemblée du Peuple, le Caire, le 14 mars 1976, p. 80. 699 « Sadate dénonce le traité d’amitié égypto-soviétique », Le Progrès égyptien, 15 mars 1976, p. 1 et p. 4.

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neutralité positive700. Al-Akhbar rappelle de son côté que les Soviétiques ont soutenu la fondation d’un Etat juif en Palestine701 et qu’ils ont, dans ce but, largement armé la Haganah702. Ismaïl Fahmy, qui est à cette époque ministre des Affaires étrangères, rapporte dans ses mémoires à quel point cette décision l’a étonné. Selon lui, Sadate n’avait jamais évoqué la possibilité de mettre un terme au traité avec l’Union soviétique auparavant703 : il réfute d’ailleurs les analyses américaines, et notamment celle de Henry Kissinger, qui présentent la décision égyptienne comme l’aboutissement de négociations avec Washington704. Pour Ismaïl Fahmy, même si cet accord contractuel entrait en contradiction avec le non-alignement prôné par l’Egypte, il était pourtant inutile d’humilier de la sorte les Soviétiques. Il impute cette décision à la seule volonté de Sadate, incapable de modérer son hostilité à l’égard de l’URSS705. D’après lui, « la goutte d’eau qui a fait déborder le vase »706 est certainement la lettre que Sadate a reçue d’Indira Gandhi, lui annonçant que l’Inde ne pouvait répondre favorablement à la requête de l’Egypte d’obtenir des armes et des pièces de rechange, parce que Moscou avait mis son veto contre la transaction. De fait, dans son discours, le président égyptien admet qu’il a attendu quatre mois avant que l’Inde ne lui signifie son refus de lui livrer des Mig-21, en raison de l’opposition de l’URSS707. Dans une interview qu’il accorde au Spiegel, Sadate explique qu’il avait préféré se tourner vers l’Inde pour obtenir les armes que lui refusaient les Soviétiques, plutôt que de s’adresser aux autres Etats socialistes, comme la Tchécoslovaquie ou la RDA, parce qu’il craignait de mettre ces derniers dans une position délicate vis-à-vis de Moscou708.

Pour Ismaïl Fahmy, si Sadate s’est détourné de l’Union soviétique, ce n’est donc nullement pour des raisons idéologiques, mais bien parce que les flux de livraisons d’armes

700 Le Progrès égyptien, 19 mars 1976, p. 2. 701 Ibid. 702 La Haganah était l’organisation de défense clandestine des juifs ayant émigré en Palestine, de 1920 à 1948. 703 FAHMY, Ismaïl, Negotiating for Peace in the Middle East, Londres et Canberra, Croom Helm, 1983, p. 172. 704 Selon certains analystes, Sadate aurait souhaité remplir les « deux conditions imposées par les Etats-Unis comme prix des bonnes relations avec Washington » : l’expulsion des experts soviétiques d’Egypte et l’abrogation du traité soviéto-égyptien. Voir : FAHMY, Ismaïl, Negotiating for Peace…, op.cit., p. 174. 705 Ibid., p. 175. 706 Ibid., p. 172. 707 BDIC, S 18031/5, op.cit., Discours du président Mohamed Anouar el-Sadate à l’Assemblée du Peuple, le Caire, le 14 mars 1976, p. 80. 708 « "Die Deutschen müssen Verantwortungtragen". Ägyptens Präsident Sadat über seinen Bruch mit Moskau und seine Hoffnungen auf Westeuropa », Der Spiegel, 29 mars 1976, p. 36.

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ont été trop souvent ralentis ou interrompus709. Selon lui, il faut désormais en finir avec la « diplomatie de supermarché », qui consiste à dénoncer des traités aussi facilement qu’on les a ratifiés710 et qui mettent les petits pays « à la merci des puissances »711.

L’analyse qui est faite des conséquences de l’abrogation du traité soviéto-égyptien varie selon le type d’acteurs considérés. D’après Ismaïl Fahmy, une telle décision a obligé les Soviétiques à reconsidérer leur position au Moyen-Orient712 : d’une part, parce qu’en maintenant une ligne dure à l’égard de l’Egypte, ils risquaient de perdre leur influence sur les autres pays arabes et africains ; d’autre part, parce qu’en acceptant de rompre avec le Caire, ils laissaient le champ libre aux Etats-Unis. Cette vision n’est toutefois pas partagée par tous les observateurs. Pour la politologue Marie Mendras, le « concept traditionnel d’alliance »713 ne qualifie que très imparfaitement les relations entre l’URSS et le Tiers-monde. Au début des années 1980, elle estime que la politique étrangère soviétique n’est nullement guidée par la recherche exclusive d’ « alliances stables »714, mais qu’elle est au contraire extrêmement pragmatique. Selon elle, la rupture soviéto-égyptienne, amorcée en 1972 puis en 1976, et consommée avec la signature des accords de Camp David en 1979, a davantage libéré Moscou de l’emprise égyptienne, que signifié la perte d’un allié715. Elle impute les « mesures hostiles à l’URSS prises par Sadate entre 1972 et 1977 » à la « mauvaise volonté évidente de Moscou », mais estime que le président égyptien a négligé un facteur déterminant : « la politique de détente entre les deux Grands, qui frein[e] l’activisme de l’URSS dans une "région chaude" du globe »716. Elle nuance donc très fortement l’ « échec » soviétique en Egypte et au Moyen-Orient à la fin des années 1970 et au début des années 1980.

L’abrogation du traité d’amitié et de coopération en 1976 marque néanmoins une nouvelle étape dans la relation soviéto-égyptienne. L’URSS comprend « qu’une entente entre l’Egypte et les Etats-Unis se dessin[e] à l’horizon »717, alors que Washington apparaît désormais comme l’arbitre principal du règlement israélo-arabe et livre des armes au Caire.

709 FAHMY, Ismaïl, Negotiating for Peace…, op.cit., p. 176. 710 Ibid., p. 175. 711 Ibid., p. 176. 712 Ibid., p. 177. 713 MENDRAS, Marie, « La logique de l’URSS…», op.cit., p. 137. 714 Ibid., p. 133. 715 Ibid., p. 136. 716 Ibid. 717 GROMYKO, Andrei, Mémoires, op.cit., p. 263.

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Pour Mohrez Mahmoud el-Husseini, les relations bilatérales entrent dans une impasse, le principal objectif de Sadate étant dorénavant de « sécuriser l’implication américaine directe dans les négociations de paix pour exclure l’Union soviétique autant que possible et trouver une solution rapide au conflit israélo-arabe »718.

L’évaluation qui est faite du conflit israélo-arabe par chacune des parties est en tout cas un facteur déterminant du refroidissement des relations soviéto-égyptiennes. Avant 1973, alors que Sadate se prépare explicitement à mener une « bataille de libération »719 contre Israël pour récupérer le Sinaï, il se heurte aux réticences des Soviétiques, soucieux d’éviter toute escalade au Moyen-Orient. Après la guerre d’Octobre, le président égyptien considère que Moscou n’a plus aucun rôle à jouer dans le règlement de la crise au Proche-Orient720. Malgré l’aide qu’apporte la RDA à l’Egypte lors de la guerre israélo-arabe de 1973, les diplomates est-allemands ne tardent pas à déplorer la volonté de Sadate de « faire en sorte que l’influence de l’URSS sur le règlement du conflit au Proche-Orient soit aussi faible que possible »721.

B. La « trahison de Sadate » : vers la normalisation des relations israélo- égyptiennes

1. La guerre d’octobre 1973 et ses conséquences

Le cessez-le-feu entre Israël et l’Egypte, entré en vigueur le 8 août 1970, a mis un terme provisoire aux combats. Pour Nasser cependant, il ne s’agit que d’un répit, une opération militaire destinée à franchir le canal de Suez pour récupérer le Sinaï étant maintenue pour le mois de novembre722. Sa mort, en septembre 1970, suspend le projet.

718 L’auteur distingue trois phases dans les relations soviéto-égyptiennes, sous le régime de Sadate. De 1970 à 1973, c’est la période des « compromis » : octroi de facilités navales en Méditerranée contre livraisons d’armes. De 1973 à 1976, c’est la course au désengagement. De 1976 à 1981, c’est l’impasse, chaque acteur cherchant à isoler l’autre. Voir : MAHMOUD EL-HUSSEINI, Mohrez, Soviet-Egyptian Relations, 1945-1985, Houndmills, MacMillan Press, 1987, p. 191. 719 BDIC, S 72251, op.cit., Discours du président Anouar el-Sadate à l’Université d’Alexandrie, 27 juillet 1972, p. 106. 720 Le Progrès égyptien, 5 décembre 1977, p. 1. 721 « […] und den Einfluß der UdSSR auf die Lösung des Nahostkonfliktes so gering wie möglich zu halten ». MfAA, C 1426/78, op.cit., Jahresbericht der Botschaft der DDR in der AR Ägypten für das Jahr 1976, « Die Entwicklung der Beziehungen der ARÄ zur UdSSR und der SSG insgesamt », Botschaft der DDR in der AR Ägypten, Kairo, den 10.1.1977, p. 12. 722 CLOAREC, Vincent, LAURENS, Henry, Le Moyen-Orient…, op.cit., p. 153.

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Dès la fin de l’année 1970, l’amorce de la détente est-ouest a pour conséquence d’amoindrir le soutien soviétique à ses alliés arabes723 : nous avons montré précédemment comment les priorités de Guerre froide interfèrent avec le règlement de la question israélo- arabe et mènent progressivement à la rupture soviéto-égyptienne. Après l’activation du canal Sadate-Kissinger en 1972, le conseiller de Nixon entame sa politique des « petits pas », proposant la reconnaissance de la souveraineté égyptienne sur le Sinaï, tout en insistant sur le droit d’Israël à y maintenir une présence militaire, afin de garantir sa sécurité724. Le président égyptien et les Soviétiques s’opposent à une telle initiative.

En réalité, dès la fin de l’année 1971, il est clair qu’ « une [nouvelle] guerre est inévitable »725. En octobre 1971, Sadate assure aux généraux est-allemands qu’il a maintes fois averti les dirigeants Soviétiques : les soldats égyptiens sont sur le front et « prêts au combat »726. Selon le président égyptien, aucune alternative n’est possible :

« Si seulement il y avait ne serait-ce qu’un demi pourcent de probabilité qu’une résolution politique [soit possible], alors les Egyptiens l’utiliseraient, mais ils ne peuvent pas attendre éternellement. Et si Golda Meir dit que les Arabes doivent reprendre leurs territoires avec les armes, alors il ne leur reste rien d’autre »727.

Les diplomates est-allemands rapportent en outre les propos que leur tiennent les dirigeants de l’Union Socialiste Arabe : « la patience égyptienne est à bout » et aucune solution politique ne se fait jour728. Le 29 juillet 1972, Sadate s’adresse aux officiers de la flotte égyptienne pour leur dire « qu’Israël n’évacuera les territoires occupés que par une bataille »729. Selon lui, les forces armées égyptiennes ont deux combats à engager : celui de la revanche et celui de la libération du territoire730.

723 Ibid., p. 152. 724 CLOAREC, Vincent, LAURENS, Henry, Le Moyen-Orient…, op.cit., p. 152-153. 725 SAPMO-BArch, DY 30/ IV B 2-20 344, Information sur une conversation entre le premier secrétaire de l’USA du gouvernorat de Gizeh, Abdel Fattag Azzam, et le premier secrétaire de l’ambassade, le camarade Dr. Linke, Botschaft der DDR in Ägypten, den 28.2.1972. 726 DVW 1/ 115 673, op.cit., Der Aufenthalt in der Arabischen Republik Ägypten, rapport sur la visite officielle de la délégation militaire de RDA en RAE, du 13 au 31 octobre 1971, p. 12. 727 Ibid. 728 SAPMO-BArch, DY 30/ IV B 2-20 344, Information sur une conversation entre le premier secrétaire de l’USA du gouvernorat de Gizeh, Abdel Fattag Azzam, et le premier secrétaire de l’ambassade, le camarade Dr. Linke, Botschaft der DDR in Ägypten, den 28.2.1972. 729 BDIC, S 72251, op.cit., Discours du président Anouar el-Sadate au cours de sa visite aux officiers de la flotte, 29 juillet 1972, p. 124. 730 Ibid.

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Malgré l’expulsion de ses conseillers d’Egypte, l’URSS maintient sa coopération militaire avec le Caire. La préparation de la guerre est même l’occasion d’adoucir les tensions bilatérales. En octobre 1972, la démission puis l’arrestation du ministre égyptien de la Défense, Ahmed Sadek, sont d’ailleurs présentées par la presse comme la conséquence des positions ouvertement anti-soviétiques de ce dernier731. Pour les militaires est-allemands, c’est après que Sadek a déclaré qu’il lui était impossible de prendre le canal de Suez que Sadate se décide véritablement à engager une nouvelle guerre contre Israël732. Le président égyptien lui-même explique dans ses mémoires avoir poussé Ahmed Sadek à la démission, en raison de son attitude « défaitiste » et de son incapacité à établir un plan d’offensive crédible733. Au début de l’année 1973, à l’occasion de son séjour au Caire, une délégation parlementaire est- allemande confirme en tout cas à l’Egypte son soutien contre les « attaques » israéliennes et le renforcement des relations politiques et économiques bilatérales734.

Le 6 octobre 1973, les armées égyptienne et syrienne lancent l’offensive. L’ampleur des succès arabes surprend l’opinion mondiale. Ces victoires sont cependant suivies d’une contre-offensive israélienne735. Les deux Grands, qui refusent l’escalade du conflit, entament des négociations le 20 octobre à Moscou736. Leur projet commun est soumis dès le lendemain au Conseil de Sécurité de l’ONU, qui l’adopte sans délai737 : le 22 octobre, la résolution 338 demande l’instauration d’un cessez-le-feu immédiat, l’application de la résolution 242738 et l’ouverture de négociations entre les deux parties739. Le 24 octobre, l’ensemble des belligérants accepte le cessez-le-feu.

731 Ahmed Sadek est remplacé à son poste par Ahmed Ismaïl Ali. Voir : « Ex-official of Egypt under arrest », The Milwaukee Sentinel, 30 octobre 1972, p. 2. 732 DVW 1/ 25 755: Sonderberichte Nr. 1/74 -44/74, Nr. 5a/74. Erste Werkungen der NATO zum 4. Nahostkrieg, 1974, Information sur une évaluation de la 4ème guerre proche-orientale par la direction de l’armée de RAE, MfNV, administration du renseignement, rapport spécial n°13/74, 11 avril 1974, information personnelle, p. 105. 733 EL-SADATE, Anouar, A la recherche d’une identité…, op.cit., p. 342-343. 734 « Hafez Ghanem rencontre une délégation d’Allemagne », Al-Goumhouria, 28 mars 1973, p. 2. 735 Vincent Cloarec et Henry Laurens ont bien résumé le déroulement de la guerre de 1973. Voir : CLOAREC, Vincent, LAURENS, Henry, Le Moyen-Orient…, op.cit., p. 154-156. 736 Ibid., p. 155. 737 CARRERE D’ENCAUSSE, Hélène, La politique soviétique…, op.cit., p. 266. 738 La résolution 242 a été adoptée le 22 novembre 1967 par le Conseil de Sécurité de l’ONU, à la suite de la guerre des Six Jours. Elle demande le « retrait des forces armées israéliennes des territoires occupés », la fin de l’état de belligérance entre Israël et les Arabes et la reconnaissance de l’intégrité territoriale de tous les Etats de la région.Voir : CLOAREC, Vincent, LAURENS, Henry, Le Moyen-Orient…, op.cit., p. 142-143. 739 Ibid., p. 155.

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Berlin-Est suit au jour le jour le déroulement des combats sur les différents fronts. Le général Streletz, secrétaire du Conseil national de sécurité de la RDA, rédige des rapports quotidiens sur les opérations militaires740. L’état-major de la NVA est sur le qui-vive741 et prend aussitôt des mesures destinées à soutenir les pays arabes. Dès le début des affrontements, la RDA envoie en Egypte et en Syrie des ambulances destinées au transport des blessés de guerre, ainsi que du matériel médical d’urgence : bonbonnes d’oxygène, bandages, médicaments742 et plasma sanguin collecté grâce aux dons de « nombreux citoyens » est-allemands743. Des pilotes de chasse est-allemands sont ensuite mobilisés et mis à disposition pour combattre auprès des forces syriennes744. Des équipes techniques sont également envoyées sur place, afin de décharger et monter les Mig-21 soviétiques livrés à la Syrie745. Les 18 et 19 octobre 1973, alors que l’armée israélienne a repris l’avantage, deux navires est-allemands quittent le port de Rostock pour celui de Lattaquié : le Klostefelde et le Freyburg transportent à eux deux 62 chars T-54, 300 lance-roquettes RPG-7, 30 000 mines TM-46 anti-chars et environ 1715 tonnes de munitions pour artillerie746 (annexe 8). Des unités spéciales, formées pour assister les forces armées syriennes, se trouvent également à bord747. En tout, le « commando d’accompagnement » mobilisé par la RDA comprend 46 membres, tandis que la « brigade de défense aérienne » qui l’accompagne se compose de 57 membres748. Les officiers et sous-officiers est-allemands sont présentés par leur hiérarchie comme des hommes politiquement fiables, parfaitement disposés à exécuter les ordres reçus et possédant d’excellentes connaissances749. En RDA, leurs familles sont encadrées, afin qu’elles comprennent bien les enjeux de la « mission accomplie par leurs époux ou fils »750.

740 Voir par exemple: SAPMO-BArch, DY 30/ J IV 2-2J-4953 : Informationsberichte über die Situation im Nahen Osten (1973). Informationsbericht Nr. 11 zur Lage im Nahen Osten. Stand : 16.10.1973, 05.00 Uhr. Informationsbericht Nr. 11 über die Situation im Nahen Osten, 16.10.1973. 741 Ibid., Informationsbericht Nr. 12 über die Situation im Nahen Osten, 17.10.1973. 742 « Deux ambulances offertes par la RDA à l’Egypte », Le Progrès égyptien, 11 octobre 1973, p. 3. 743 « Le mouvement de solidarité internationale avec l’Egypte et la Syrie prend une grande ampleur », Le Progrès égyptien, 12 octobre 1973, p. 3. 744 SAPMO-BArch, DY 30/ J IV 2-2J-4965 : Informationsberichte über die Situation im Nahen Osten (1973). Unterstützungsmassnahmen für die Syrische Arabische Republik, p. 9. 745 Ibid., p. 7 et 9. 746 Ibid., p. 8. 747 Ibid., p. 11. 748 Ibid., p. 10. 749 Ibid. 750 Ibid.

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En général, le « travail politico-idéologique » et l’ « éducation internationaliste » ont de toutes façons été renforcés au sein de la NVA, afin de bien « expliquer » la situation au Proche- Orient aux membres de l’armée et de s’assurer que ces derniers adoptent une « position politique claire »751. Les rapports d’information de la Stasi soulignent que la majorité des membres de la NVA soutient les « justes revendications des Arabes »752 et condamne fermement la politique israélienne753. Des critiques s’élèvent néanmoins au sein des rangs de l’armée. Quelques voix mettent ouvertement en doute, par exemple, l’efficacité de l’aide militaire fournie par les Soviétiques aux Arabes754. Gerhard Weisike, employé au centre de formation de la NVA à Halle, estime ainsi que l’aide militaire des Etats socialistes n’est certainement pas suffisante pour contrebalancer le soutien apporté par les Etats-Unis à Israël755.

Bien que la guerre d’octobre 1973 ne mène finalement pas à la victoire militaire des armées arabes, elle brise le mythe de l’invincibilité d’Israël et représente à ce titre un succès diplomatique pour l’Egypte et la Syrie. Forts de cette réussite, les dirigeants arabes acceptent donc d’engager des négociations de paix. Le rôle joué par les Soviétiques dans le déclenchement de cette guerre a fait l’objet de nombreuses controverses756 : quelques jours avant le début des opérations, l’URSS évacue en effet certains de ses ressortissants proches des zones de combats757, ce qui laisse supposer qu’ils étaient avertis de l’imminence d’une offensive. Toutefois, même si l’URSS a contribué à rendre une telle guerre possible, elle n’était pas en mesure de l’empêcher : « depuis 1971, les Egyptiens ont manifesté leur volonté de régler la situation, née de la guerre précédente, par des moyens militaires »758. En outre, Américains et Soviétiques font preuve de la même modération durant les opérations, chacun des deux Grands ayant intérêt à ne pas favoriser un déséquilibre trop criant entre les forces en

751 Ibid., p. 7. 752 BStU, MfS, HA I, Nr. 10337, Stimmungsbericht 11/73, Hauptabteilung I/ AG, Berlin, 29.11.1973. 753 BStU, MfS, HA I, Nr. 10 336, HA I, Grenzkommando Mitte, Bereich Abwehr, Berlin, 10.10.1973. 754 BStU, MfS, HA I, Nr. 10 337, Stimmungsbericht 11/73, Hauptabteilung I/ AG, Berlin, 29.11.1973. 755 Ibid., HA I, Rapport d’opinions conformément à l’ordre 2/73 du directeur du HA I pour le mois d’octobre 1973, Abteilung MfNV, 19.10.1973. 756 HALLIDAY, Fred, L’URSS et le monde arabe, op.cit., p. 60. 757 DUROSELLE, Jean-Baptiste, KASPI, André, Histoire des relations internationales…, op.cit., p. 355. 758 CARRERE D’ENCAUSSE, Hélène, La politique soviétique…, op.cit., p. 262.

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présence. La « connivence »759 américano-soviétique évite ainsi l’escalade du conflit et mise désormais sur la voie diplomatique pour clarifier ce qui ne l’a pas été sur le terrain.

En réalité, les négociations d’après-guerre consacrent progressivement l’éviction diplomatique de l’URSS du règlement du conflit israélo-arabe. Le président égyptien, qui annonce « une aube pour l’homme arabe nouveau, après une nuit ténébreuse », délaisse l’appui soviétique760. Le 7 novembre, l’Egypte et les Etats-Unis annoncent qu’ils vont rétablir leurs relations diplomatiques, rompues depuis la guerre de juin 1967761. Du 26 au 28 novembre 1973, le VIe sommet arabe d’Alger réaffirme les objectifs des Etats arabes et en décembre s’ouvre la conférence de Genève, sous co-présidence américano-soviétique762. Très vite cependant, Kissinger, le conseiller de Nixon, établit une médiation entre Israël et les pays arabes qui se passe de toute participation soviétique763. Malgré les efforts entrepris par Moscou pour convaincre le Caire que l’amitié soviéto-égyptienne « doit devenir aussi durable que les pyramides »764, les accords de désengagement signés de janvier à mai 1974 par Israël, l’Egypte et la Syrie sont le fruit de la seule diplomatie américaine765. Pour les observateurs est-allemands, ces rapprochements entérinent « la sortie officielle de Sadate du front anti- impérialiste »766.

2. L’accord Sinaï II, septembre 1975

Dès le mois de juillet 1975, les diplomates est-allemands constatent que « l’Egypte est prête à signer un accord de désengagement avec Israël, afin de faciliter la tenue de la

759 Ibid., p. 272. 760 BDIC, S 18031/4 : Ministère de l’Information, Service de l’Etat pour l’Information. Allocution du Président Anouar el Sadate à l’Assemblée du Peuple en hommage aux héros d’Octobre. Dialogue entre le Président et le commandant de la 3ème Armée au cours de la séance de l’Assemblée, le Caire, 19 février 1974, p. 5. 761 Le rétablissement des relations diplomatiques sera effectif en 1974. Voir : MIREL, Pierre, L’Egypte des ruptures…, op.cit., p. 32. 762 CLOAREC, Vincent, LAURENS, Henry, Le Moyen-Orient…, op.cit., p. 156. 763 Ibid. 764 Hélène Carrère d’Encausse rapporte les efforts menés par Andreï Gromyko en 1974 pour convaincre l’Egypte de la nécessité de restaurer ses relations avec l’URSS, en vain. Voir : CARRERE D’ENCAUSSE, Hélène, La politique soviétique…, op.cit., p. 277. 765 Ces accords, dits du « kilomètre 101 » et menés sous les auspices de Kissinger, aboutissent au désengagement des belligérants le long du canal de Suez et dans le Golan. Voir : CLOAREC, Vincent, LAURENS, Henry, Le Moyen-Orient…, op.cit., p. 156-157. 766 « Das offene Ausscheren Sadats aus der antiimperialistischen Front… ». MfAA, C 1426/78, op.cit., Jahresbericht der Botschaft der DDR in der AR Ägypten für das Jahr 1975. « Zur innenpolitischen Entwicklung der ARÄ im Jahre 1975 », Kairo, den 13.1.1976.

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conférence de Genève »767. Or, cette position contredit les déclarations du sommet arabe de Rabat d’octobre 1974, selon lesquelles il est hors de question de dissocier les négociations sur la Syrie et l’Egypte768, toute solution séparée étant considérée comme préjudiciable aux intérêts arabes, et surtout palestiniens769. Le 5 juin 1975, Sadate accepte pourtant la réouverture du Canal de Suez, signifiant par là qu’il n’envisage pas de reprendre les hostilités contre Israël770. Le 4 septembre 1975, il signe avec Israël le second accord de désengagement, dit « Sinaï II » : le cessez-le-feu est renouvelé et le Sinaï doit être restitué progressivement à l’Egypte, qui accepte en contrepartie de laisser transiter par le canal de Suez les cargaisons non militaires en provenance ou à destination d’Israël771.

Si l’Egypte s’empresse de justifier un tel accord, qui lui a permis d’obtenir « un nouveau retrait stratégique d’Israël, sans compromettre aucun droit arabe »772, les Etats socialistes, comme les Etats arabes, critiquent violemment la politique de Sadate. La RDA s’indigne de la désolidarisation arabe :

« La RDA prend parti contre tous les traités séparés et les solutions de partage parce que cela ne résoudrait en rien les questions principales et parce que les intérêts légitimes des peuples du Proche-Orient seraient ainsi soumis aux aspirations expansionnistes de l’impérialisme américain, ce qui ne pourrait conduire qu’à une aggravation du conflit »773.

Berlin-Est dénonce les clauses contenues dans l’accord Sinaï II, qui, tout en excluant la question du Golan et celle des réfugiés palestiniens, mettent en place un appareil de surveillance militaire contrôlé par les Etats-Unis dans la péninsule du Sinaï774. Alors que les

767 « Die ARÄ sei bereit, ein Disengagement-Abkommen mit Israel abzuschließen, um die Einberufung der Genfer Konferenz zu erleichtern… ». MfAA, L 187, C 1430/78 : Abt. Naher u. Mittlerer Osten. Sektor Ägypten, Sudan, Libyen. Vermerke über Gespräche von Vertretern des Aussenministeriums der DDR mit ägyptischen Diplomaten. 1975-1977, Vermerk über ein Gespräch des Leiters der Abt. NMO, Gen.Lugenheim, mit dem Botschafter der ARÄ in der DDR, Mostafa Mohamed Tewfik, am 25.7.1975, Abt. NMO, Berlin, den 31.7.1975. 768 Après la guerre d’octobre 1973, le règlement du conflit au Proche-Orient se focalise sur deux points majeurs : la participation de l’OLP à la reprise éventuelle de la conférence de Genève, convoquée pour la première fois en décembre 1973, et le refus arabe de dissocier les négociations entre l’Egypte et la Syrie, qui doivent faire l’objet d’un traitement global. Voir : CLOAREC, Vincent, LAURENS, Henry, Le Moyen-Orient…, op.cit., p. 157. 769 AZN 8477 : Zusammenarbeit der NVA/DDR mit den Streitkräften Ägyptens 1975-1989, courte information sur le deuxième accord Sinaï entre la RAE et Israël (état : 05.09.1975), p. 163. 770CLOAREC, Vincent, LAURENS, Henry, Le Moyen-Orient…, op.cit., p. 158. 771 MIREL, Pierre, L’Egypte des ruptures…, op.cit., p. 35. 772 « Durch dieses Abkommen hat Ägypten einen neuen strategischen Rückzug Israels ohne Beeinträchtigung irgendwelcher arabischer Rechte erreicht ». MfAA, L 187, C 1430/78, op.cit., Vermerk über ein Gespräch des Stellvertreters des Ministers für Auswärtige Angelegenheiten der DDR, Gen. Dr. Willerding, mit dem Boschafter der AR Ägypten in der DDR, Mustafa Mohamed Tewfik, am 12.9.1975, Abt. NMO, Berlin, 18.9.1975, p. 18. 773 BATOR, Wolfgang und Angelika (dir.), Die DDR und die arabischen Staaten…, op.cit., p. 48. 774 AZN 8477, op.cit., courte information sur le deuxième accord Sinaï entre la RAE et Israël (état : 05.09.1975), p. 163.

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Egyptiens se félicitent d’avoir récupéré les gisements pétroliers d’Abou Rodeis, le long du Golfe de Suez775, la RDA condamne l’installation d’un système d’alerte sur les cols de Mitla et de Gidi, dans le Sinaï : ces derniers doivent en effet être équipés de stations radios supervisées par 200 Américains, ce qui permettra aux Etats-Unis de contrôler la zone stratégique du canal de Suez776.

Enfin, les analyses est-allemandes dénoncent les accords complémentaires en vertu desquels les Etats-Unis s’engagent à fournir à Israël une aide économique annuelle de 2,5 à 3 milliards de dollars, assortie de livraisons d’armes modernes et d’approvisionnements en pétrole, destinés à compenser le retour des champs pétroliers d’Abou Rodeis à l’Egypte777. Pour la RDA, « la partie israélienne ne subit aucun préjudice militaire important », étant donné qu’elle contrôle encore 87% du Sinaï, ce qui ne lui interdit nullement d’envisager une nouvelle offensive en Egypte778. Surtout, Berlin-Est estime que l’accord Sinaï II a principalement servi à organiser la sortie de l’Egypte du « front d’opposition à l’agresseur israélien », ce qui permet désormais aux Etats-Unis et à Israël de « se concentrer sur la lutte contre l’OLP et la Syrie »779.

L’accord Sinaï II est également contesté par les partis communistes libanais et égyptien, qui publient un communiqué commun reprochant à Sadate de vouloir créer dans la région « une situation qui coïncide avec les intérêts stratégiques impérialistes »780.

Les représentants égyptiens démentent de telles accusations. Ils affirment que l’Egypte « mène une politique étrangère qui garantit son indépendance, sa liberté et son non- alignement » mais qu’elle n’a aucunement trahi « le Golan et la Palestine », comme on l’en a incriminée781. L’ambassadeur égyptien en RDA, Mustafa Mohamed Tewfik, assure à ses

775 Ibid., p. 161. 776 Ibid., p. 162-163. 777 Ibid., p. 162. 778 Ibid., p. 164. 779 « Mit diesem Abkommen ist es den USA und Israel gelungen, die ARÄ vorerst aus der gegen den Aggressor Israel gerichteten Front der arabischen Staaten herauszulösen. Die USA und Israel erhielten so die Möglichkeit, sich voll auf die Auseinandersetzungen mit der PLO und der SAR zu konzentrieren ». MfAA, C 1426/78, op.cit., Jahresbericht der Botschaft der DDR in der AR Ägypten für das Jahr 1975, « Die ägyptische Haltung zur Lösung des Nahostkonfliktes », Kairo, den 13.1.1976. 780 SAPMO-BArch, DY 30/ J IV 2-2J-7094, op.cit., à propos de la situation en RAE, janvier 1976. 781 SAPMO-BArch, DY 34/ 10 526, op.cit., Information sur une conversation entre le directeur de la délégation syndicale s’étant rendue en Egypte du 12 au 24 mars 1975, Albert Enke, et le premier secrétaire du comité central de l’USA, Mohamed Hafez Ghanem, le 23 mars 1975, dans les bâtiments du CC de l’USA au Caire, Botschaft der DDR in ARÄ, Kairo, 24.3.1975.

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interlocuteurs est-allemands que l’accord Sinaï II n’est en aucun cas un traité de paix, et leur certifie qu’en cas d’attaque israélienne contre « n’importe quel Etat arabe », l’Egypte « s’impliquerait directement dans la lutte »782. Les sacrifices égyptiens dans le conflit israélo- arabe sont brandis comme autant d’éléments justifiant la normalisation des relations avec Israël : « nous avons eu le plus grand nombre de victimes pendant la guerre, notre niveau de vie est moins bon que celui de la Syrie ou de l’Irak- nous devons enfin penser à nous »783. Sadate rappelle qu’il a hérité de Nasser une « politique extérieure déchirée avec le monde entier, avec la Nation arabe, avec l’Amérique, avec l’Europe occidentale et avec plusieurs Etats »784.

Après la guerre d’octobre 1973, le règlement du conflit israélo-arabe a clairement consacré l’éloignement soviéto-égyptien. Tout en dénonçant la politique menée par l’Egypte, qui a conduit à son isolement au sein du monde arabe, « le gouvernement égyptien ne parv[enant] pas à cacher qu’il est prêt à sacrifier les intérêts du peuple palestinien […] à ses propres buts nationalistes »785, Berlin-Est tente de préserver ses relations avec le Caire. Le régime est-allemand assume dès lors une position résolument pragmatique : « la RDA n’a pas encore adopté de position officielle, elle garde sa réserve afin de ne pas avoir de problèmes »786. Pour l’Allemagne de l’Est, le traité de paix séparé de Camp David ne fait que confirmer l’exclusion progressive de Sadate du front arabe anti-impérialiste.

782 « Ägypten würde sich direkt im Kampf befinden ». MfAA, L 187, C 1430/78, op.cit., Vermerk über ein Gespräch des Stellvertreters des Ministers für Auswärtige Angelegenheiten der DDR, Gen. Dr. Willerding, mit dem Boschafter der AR Ägypten in der DDR, Mustafa Mohamed Tewfik, am 12.9.1975, Abt. NMO, Berlin, 18.9.1975, p. 20. 783 SAPMO-BArch, DY 13/ 2349: Liga für Völkerfreundschaft. Büro des Generalsekretärs. Ägypten, 1975. Abteilung III, Aktennotiz, Berlin, 15.10.1975. 784 BDIC, S 18031/5, op.cit., Discours du président Mohamed Anouar el-Sadate à l’Assemblée du Peuple. Le Caire, le 14 mars 1976, p. 36. 785 « Es gelang der ägyptischen Führung nicht, darüber hinwegzutäuschen, daß sie bereit ist, die Interessen des palästinensischen Volkes und der anderen am Konflikt beteiligten Völker ihren eigenen nationalistischen Zielen zu opfern ». MfAA, L 187, C 1426/78, op.cit., Jahresbericht der Botschaft der DDR in der AR Ägypten für das Jahr 1975. « Die Entwicklung der Beziehungen zu den arabischen Staaten », Kairo, den 13.1.1976, p. 37. 786 « Die DDR habe weder offiziell, noch offiziös Stellung genommen : sie halte sich zurück, um komplizierte Probleme nicht zu belasten ». MfAA, L 187, C 1430/78, op.cit., Vermerk über ein Gespräch des Stellvertreters des Ministers für Auswärtige Angelegenheiten der DDR, Gen. Dr. Willerding, mit dem Boschafter der AR Ägypten in der DDR, Mustafa Mohamed Tewfik, am 12.9.1975, Abt. NMO, Berlin, 18.9.1975, p. 18.

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3. Vers la paix de Camp David, 1977-1979 a) « Nous devons d’abord penser à nous-mêmes »787 : le soutien d’une partie de la population égyptienne à la paix séparée

Depuis la guerre d’octobre 1973, le règlement du conflit au Proche-Orient achoppe sur la question de la participation de l’OLP à l’éventuelle reprise de la conférence de Genève. Alors que l’Egypte, la Syrie et la Jordanie ont accepté de venir à la table des négociations, Menahem Begin, devenu premier ministre israélien après la victoire électorale du Likoud en mai 1977, refuse la présence des Palestiniens788. Parallèlement, il ouvre un canal secret de pourparlers avec Sadate.

Après les émeutes populaires qui ont secoué son pays en janvier 1977789, le président égyptien mise en effet sur la recherche de la paix pour légitimer son régime790. Les difficultés économiques le contraignent « à trouver rapidement une solution au conflit du Proche- Orient »791. Et de fait, il existe une certaine lassitude au sein de la population, comme le relaient les diplomates est-allemands : « le peuple égyptien souffre depuis trente ans », le conflit a fait « beaucoup de victimes » et a occasionné de nombreuses dépenses d’armement792. Les organisations de masse soutiennent, pour la plupart, la normalisation des relations avec Israël. Pour le syndicat égyptien de la presse, par exemple, « chaque négociation est un progrès »793. Les dirigeants israéliens eux-mêmes comptent sur l’essoufflement égyptien pour parvenir à un accord bilatéral. Moshe Dayan, ministre des Affaires étrangères sous le gouvernement de Menahem Begin, raconte, dans ses mémoires,

787 « Wir müssen uns in erster Linie auf uns und dann auch auf unsere Freunde stützen : -zuerst jedoch auf uns ». MfAA, L 187, C 6505, op.cit., Vermerk über ein Gespräch des 1. Stellvertreters des Ministers für Auswärtige Angelegenheiten, Genossen Staatssekretär Herbert Krolikowski mit dem Botschafter der Arabischen Republik Ägypten in der DDR, Herrn Salah Eddin Abu Gabal, am 26.9.1977, p. 37. 788 CLOAREC, Vincent, LAURENS, Henry, Le Moyen-Orient…, op.cit., p. 158. 789 Voir infra, p. 170-173. 790 MIREL, Pierre, L’Egypte des ruptures…, op.cit., p. 44. 791 « Auch die schwierige ökonomische Lage zwinge Ägypten, endlich zu einer Lösung des NO-Problems zu kommen ». MfAA, L 187, C 1429/78: Abt. Naher u. Mittlerer Osten. Sektor Ägypten, Sudan, Libyen. Vermerke über Gespräche von DDR-Diplomaten mit Repräsentanten, Staatsfunktionären und anderen Politikern Ägyptens. Enthält u.a. : Antrittsbesuche des Botschafters der DDR in Ägypten, Becker, bei ägyptischen Repräsentanten, 1977. 1974-1977. Vermerk über ein Gespräch mit USS Saad Afra am 8.8.77 in Außenministerium der ARÄ, Botschaft der DDR in der AR Ägypten, Kairo, 10.8.77, p. 17. 792 BStU, MfS, HA XX, AKG Nr. 6680, Information. Opinions de diplomates égyptiens en RDA, HA XX, strictement confidentiel, Berlin, 22 décembre 1977. 793 « Objektiv sei jede Verhandlung und jedes Gespräch besser und vorteilhafter als eine kriegerische Auseinandersetzung ». MfAA, L 187, C 1429/78, op.cit., Kurzvermerk über ein Gespräch mit Hassan El Sharkawy, Generalsekretär des Pressesyndikats am 24.11.77, p. 64.

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avoir été averti par ses informateurs américains du fait que Sadate « était très proche de son peuple et sentait l’état d’esprit qui prédomine dans la masse »794. Selon lui, le président égyptien « savait l’Egypte fatiguée de la guerre et avide de paix […] »795.

Tout en rassurant leurs interlocuteurs socialistes sur la détermination de Sadate, qui, « en aucun cas, […] n’a pensé à engager des négociations directes avec Israël »796, les représentants égyptiens assument donc leurs priorités nationales : « nous devons en premier lieu penser à nous-mêmes, et ensuite seulement à nos amis – mais d’abord à nous-mêmes »797.

En novembre 1977, face à la lenteur des pourparlers en vue de la tenue d’une conférence internationale de la paix, Sadate déclare devant l’Assemblée nationale égyptienne qu’il est prêt à se rendre en Israël pour négocier la paix798. Le 19 novembre, il est à Jérusalem : c’est un choc psychologique considérable. La visite s’apparente à une reconnaissance de facto de l’Etat d’Israël et vaut à Sadate l’hostilité des autres Etats arabes. La presse égyptienne officielle salue pourtant une décision historique, « plus importante que celle de la guerre d’Octobre »799, et met en exergue les avantages économiques qu’apporterait la paix avec Israël : relèvement du cours de la livre égyptienne et stabilisation des prix800. Ces arguments sont d’autant plus percutants que les prix en Egypte ont augmenté de 15 à 45% au début de l’année 1977, suite à la suppression des subventions sur les produits de première nécessité801.

Le 2 décembre 1977, lors du sommet arabe de Tripoli, les participants décident de geler leurs relations diplomatiques avec l’Egypte. Un « front du refus », hostile aux relations égypto-israéliennes, se forme parmi les Etats arabes et comprend notamment la Libye, la

794 DAYAN, Moshe, Paix dans le désert. Compte-rendu personnel des négociations de paix égypto-israéliennes, Paris, Fayard, 1981, p. 118. 795 Ibid. 796 « Dabei sei in keinem Falle an direkte Verhandlungen mit Israel gedacht ». MfAA, L 187, C 1429/78, op.cit., Vermerk über ein Gespräch mit USS Saad Afra am 8.8.77 in Außenministerium der ARÄ, Botschaft der DDR in der AR Ägypten, Kairo, 10.8.77, p. 17. 797 MfAA, L 187, C 6505, op.cit., Vermerk über ein Gespräch des 1. Stellvertreters des Ministers für Auswärtige Angelegenheiten, Genossen Staatssekretär Herbert Krolikowski mit dem Botschafter der Arabischen Republik Ägypten in der DDR, Herrn Salah Eddin Abu Gabal, am 26.9.1977. 798 CLOAREC, Vincent, LAURENS, Henry, Le Moyen-Orient…, op.cit., p. 159. 799 Le Progrès égyptien, 5 décembre 1977, p. 1. 800 Le Progrès égyptien résume un article du professeur d’économie politique Gamal Eddine Sadek, paru dans al-Goumhouria. Voir : Le Progrès égyptien, 5 décembre 1977, p. 2. 801 MIREL, Pierre, L’Egypte des ruptures…, op.cit., p. 36.

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Syrie, l’Algérie, l’Irak et le Yémen du Sud802. Quelques jours plus tard, le Caire annonce la rupture de ses relations diplomatiques avec ces pays803.

Alors que Sadate rencontre à nouveau Begin à Jérusalem au cours du mois de décembre, l’Egypte est sommée par ses partenaires socialistes de clarifier sa politique proche- orientale. L’ambassadeur est-allemand au Caire, Otto Becker, demande une entrevue au chef du cabinet présidentiel, Hassan Kamel, qui a également accompagné Sadate en Israël. Otto Becker rapporte l’agacement de son interlocuteur, qui « a plusieurs fois mentionné le fait que l’Egypte ne signerait pas de traité séparé avec Israël » et a souligné, de même, la volonté égyptienne de « garantir les intérêts du peuple palestinien »804. Les diplomates est-allemands ne sont pas dupes et imputent les négociations séparées menées par Sadate à la pression de la bourgeoisie égyptienne, mécontente de voir le conflit au Proche-Orient peser sur le développement capitaliste du pays805 : « le fait que Sadate soit prêt à accepter un arrangement séparé avec Israël, au prix d’un isolement provisoire de la République arabe d’Egypte, reflète sa volonté d’obtenir la satisfaction, à court terme, des intérêts de la bourgeoisie égyptienne […] »806.

Le gouvernement égyptien dénonce, de son côté, l’immobilisme des Etats arabes. Selon Hassan Kamel, la ligne adoptée par le sommet arabe de Tripoli revient à refuser la politique de Sadate, sans proposer d’alternative :

« L’Egypte a perdu, jusqu’ici, beaucoup de victimes pour la cause arabe commune, et voilà comment elle est remerciée. Les attaques des représentants de ces pays sont injustifiées, car le président [Sadate] a toujours agi en prenant en compte les intérêts des Egyptiens, de même que ceux de la cause arabe. La solidarité ne signifie pas que le président du pays arabe le plus important doive demander l’accord de tous les dirigeants des autres Etats arabes, à chaque fois qu’il doit prendre une décision »807.

802 « Rupture avec les pays du Front du refus », Le Progrès égyptien, 6 décembre 1977, p. 1. 803 Ibid. 804 « Es muß ein Weg gefunden werden, die Interessen des palästinensischen Volkes bezüglich einer palästinensischen Einheit ebenfalls in einem solchen Papier festzuhalten ». MfAA, L 187, C 1429/78, op.cit., Vermerk über das Gespräch mit dem Chef des Kabinetts beim Präsidenten am 4.12.1977, Botschaft der DDR in der AR Ägypten, Kairo, 6.12.1977, p. 5. 805 MfAA, L 187, C 6513 : Botschaft der DDR in Ägypten. Jahresberichte 1977 u. 1978 der Botschaft der DDR in Ägypten über die innenpolitische Entwicklung und aussenpolitische Haltung Ägyptens sowie die Beziehungen des Gastlandes zur DDR und zu Drittstesten. Dez. 1977, Jun. 1979. Jahresbericht der Botschaft der DDR in der AR Ägypten für das Jahr 1977. Die ägyptische Haltung zur Lösung des NOK, Kairo, den 22.12. 1977. 806 « Die offene Bereitschaft Sadats, auch um den Preis einer möglichen zeitweiligen Isolierung der ARÄ im arabischen Raum, zu einer separaten Ausgleichslösung mit Israel zu kommen, widerspiegelt, daß seine bisherigen Bemühungen, kurzfristig eine Befreidigung bourgeoiser ägyptischer Interessen bei einer NO-Lösung zu erreichen, ohne die erhofften Ergebnisse geblieben sind ». Ibid., p. 34. 807 « Ägypten habe bisher große Opfer für die gemeinsame arabische Sache erbracht und diese Haltung sei der Dank dafür. Die Angriffe der Vertreter dieser Länder seien unberechtigt, denn der Präsident hat sowohl im 169

La rencontre Sadate-Begin aboutissant à une impasse, le chef d’Etat américain, Carter, invite les deux dirigeants à Camp David, son lieu de villégiature officiel. Le sommet dure treize jours, du 5 au 17 septembre 1978808, et aboutit à un accord tripartite. Moshe Dayan rapporte dans ses mémoires que « ce fut le stade le plus difficile et le moins plaisant dans les négociations égypto-israéliennes », les délibérations étant marquées par « des affrontements vifs et souvent âpres entre [les Israéliens] et les Egyptiens, et plus encore les Américains »809. Carter fait tout cependant, d’après Moshe Dayan, pour que la rencontre soit un succès : Camp David est une « charmante retraite, au cœur de montagnes boisées », qui dispose d’un court de tennis, d’une piscine, d’un billard et même d’un cinéma810. La cuisine, faite par des Philippins est apparemment délicieuse, et toujours kasher pour les membres de la délégation israélienne qui le souhaitent811. Les participants ne s’embarrassent pas d’un protocole trop rigide : tous exhibent un anorak bleu portant l’inscription « Camp David » en lettres dorées, « Carter porte des jeans fatigués, Vance812 un chandail trop grand » et « Sadate n’a pas de cravate »813. Moshe Dayan ne manque pas d’humour lorsqu’il résume son séjour à Camp David : évoquant la tenue de jardin qu’il arbore, il écrit que « le kaki n’allait peut-être pas très bien avec le bleu de l’anorak, mais [que] c’était l’un des rares problèmes [qu’il] pouvai[t] négliger en toute quiétude à Camp David »814. Il reste pourtant inflexible quant aux concessions qu’il est disposé à faire au cours de ces négociations :

« Il faudrait beaucoup plus que Camp David, malgré tout le respect dû à son importance, pour nous empêcher de garder Jérusalem comme capitale d’Israël. Celui qui voudrait le faire serait obligé de récrire la Bible, de bannir des prières juives l’antique cri de l’exil "l’an prochain à Jérusalem !" et d’effacer des chroniques du peuple juif trois mille ans d’histoire pendant lesquels Jérusalem a été pour lui une lumière dans les ténèbres »815.

Interesse der ägyptischen, als auch der arabischen Sache gehandelt. Solidarität dürfe nicht so verstanden werden, daß der Präsident des wichtigsten arabischen Landes jeden Schritt vorher mit den Führern der anderen arabischen Staaten abstimmen muß ». MfAA, L 187, C 1429/78, op.cit., Vermerk über das Gespräch mit dem Chef des Kabinetts beim Präsidenten am 4.12.1977, Botschaft der DDR in der AR Ägypten, Kairo, 6.12.1977, p. 5-6. 808 DAYAN, Moshe, Paix dans le désert…, op.cit., p. 196. 809 Ibid. 810 Ibid., p. 198. 811 Ibid. 812 Cyrus Vance est secrétaire d’Etat américain, de 1977 à 1980. C’est l’un des principaux artisans des accords de Camp David. 813 DAYAN, Moshe, Paix dans le désert…, op.cit., p. 198. 814 Ibid. 815 Ibid., p. 203.

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De fait, le traité de paix israélo-égyptien conclu le 26 mars 1979, laisse en suspens la question de l’autonomie palestinienne et celle des territoires occupés. L’accord entérine la reconnaissance officielle de l’Etat d’Israël par l’Egypte et prévoit l’évacuation du Sinaï sur une période de trois ans816. Israël obtient la liberté de navigation dans le canal de Suez. Pour la RDA, le régime de Sadate est officiellement devenu l’ « allié privilégié et [le] gendarme des Etats-Unis » au Proche-Orient817. b) L’isolement diplomatique de l’Egypte et la critique de Camp David

A la fin des années 1970, la question israélo-arabe, autrefois facteur d’unité du monde arabe, devient au contraire un élément de division818. Selon Henry Laurens, « après Camp David, avec la remise en cause du mythe de l’unité arabe, c’est l’arabisme qui entre en crise »819. La paix séparée israélo-égyptienne, qui vaudra le prix Nobel de la paix à Sadate820, mène en effet à l’isolement diplomatique et économique de l’Egypte au sein du monde arabe. Dès novembre 1978, le pays est exclu du 9ème sommet arabe, qui s’est déroulé à Bagdad et rejette à l’unanimité les accords de Camp David821. Le 12 mai 1979, lors de la conférence islamique de Fès, 33 Etats sur 40 rejettent le traité séparé822.

A l’Est, « tout un pan de l’histoire des rapports entre le Caire et Moscou vient de se terminer »823 : l’URSS s’indigne de « la politique de capitulation, de compromis et de collusion avec les forces de l’impérialisme et du sionisme »824. Pour les Soviétiques, de tels accords permettent notamment aux Etats-Unis de consolider leurs positions stratégiques au

816 POMMIER, Sophie, Egypte, l’envers du décor, op.cit., p. 60. 817 « Unter Berücksichtigung der Veränderung des regionalen Kräfteverhältnisses durch die Entwicklung im Iran, bestand die Zielstellung des Sadat-Regimes darin, durch die Absicherung der vereinbarungsgemäßen Realisierung des israelischen Rückzuges von Sinai seinen Anspruch auf die Übernahme der Rolle als "privilegierter Verbündeter und Gendarm der USA" in NO/ Afrika zu unterstreichen ». MfAA, L 187, C 6508 : Abt. Naher u. Mittlerer Osten. Jahresbericht der Botschaft der DDR in Ägypten über die Beziehungen zwischen der DDR und Ägypten sowie die Innen- u. Aussenpolitik des Gastlandes. Dez. 1979. Jahresbericht 1979, Zur außenpolitischen Entwicklung der ARÄ, Internationale und regionale Prioritäten, Botschaft der DDR in der AR Ägypten, Kairo, den 20.12.1979, p. 8. 818 CLOAREC, Vincent, LAURENS, Henry, Le Moyen-Orient…, op.cit., p. 160. 819 Ibid. 820 Sadate obtient le prix Nobel de la paix en 1978, après les accords de Camp David, tout comme Menachem Begin, le premier ministre israélien. 821 CLOAREC, Vincent, LAURENS, Henry, Le Moyen-Orient…, op.cit., p. 160. 822 MIREL, Pierre, L’Egypte des ruptures…, op.cit., p. 52. 823 KAMINSKY, Catherine, KRUK, Simon, La stratégie soviétique au Moyen-Orient, Paris, PUF, 1988, p. 56. 824 Ibid.

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Proche-Orient, après la chute du « régime impérial pro-américain en Iran », en février 1979825. La RDA, conformément à la ligne du bloc de l’Est, soutient désormais le front du refus826 : dès 1978, l’Egypte est bannie par le ministère est-allemand des Affaires étrangères du groupe des quinze Etats arabes et africains suivant une « orientation socialiste »827. A l’inverse, la Libye, le Yémen du Sud, l’Algérie, la Syrie et l’Irak, qui conduisent le front du refus, font partie intégrante de cette catégorie de partenaires828.

Les partis communistes arabes, réunis à Prague, condamnent dans la foulée la paix israélo-égyptienne829. En Egypte même, les partis de gauche sont parmi les rares à dénoncer le traité séparé israélo-égyptien. Pour le PRNPU, les accords de Camp David ne sont nullement des accords de paix, mais bien plutôt « une alliance entre l’Amérique, Israël et le gouvernement égyptien »830. Le 1er décembre 1978, un communiqué officiel du parti rejette le traité séparé : selon le PRNPU, ce dernier « impose à l’Egypte de faire fi de tous ses devoirs arabes », viole sa souveraineté et n’offre aucune réponse aux revendications palestiniennes831. Le 19 avril 1980, le congrès du parti, qui se tient au Caire et rassemble environ 600 personnes, proclame son opposition à la normalisation des relations avec Israël et critique ouvertement la politique de Sadate832. De même, le PCE a manifesté son rejet du traité Camp David, y voyant surtout un moyen de faire de l’Egypte un « client de l’impérialisme américain et d’Israël »833. De ce point de vue, les accords de Camp David entérinent bel et bien la sortie de l’Egypte du front anti-israélien et son rapprochement avec les Etats-Unis : ces derniers ont d’ailleurs accepté d’accorder une aide de près de 10 milliards de dollars aux deux parties, dont

825 En février 1979, l’Ayatollah Khomeini prend le pouvoir en Iran, ce qui met officiellement fin au régime du Shah. Voir : « Le président américain en visite en Egypte », Neues Deutschland, 9 mars 1979, p. 7. 826 WENTKER, Hermann, Aussenpolitik in engen Grenzen…, op.cit., p. 469. 827 Ibid., p 460. 828 Ibid. 829 KAMINSKY, Catherine, KRUK, Simon, La stratégie soviétique…, op.cit., p. 56. 830 SAPMO-BArch, DY 30/ IV B 2-20 346 : Abteilung Internationale Verbindungen im ZK der SED. ASU : Informationen über die Politik der ASU, 1972-75. National-progressive Partei Ägypten. 1975-1980. « Statement on the recent political developments », PRNPU, Secrétariat général, ADN du Caire, 21 mai 1980, p. 39. 831 IISH, Hizb al-Tagammu Cairo Collection, foundation and party programme, n° 9 : French publication of Tagammu, December 1978, « Communiqué du porte-parole officiel sur le projet américain », Parti du Rassemblement National Progressiste Unioniste, Bulletin d’information n° 1, décembre 1978. 832 SAPMO-BArch, DY 30/ IV B 2-20 346, op.cit., « Egypt, political opposition », The Middle East Reporter, 19 avril 1980. 833 El-SAÏD, Rifaat, ISMAEL, Tareq Y., The communist movement…, op.cit., p. 136.

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près de 4 milliards de dollars qui doivent prendre la forme de livraisons d’armes834. Les fournitures américaines à l’Egypte augmentent régulièrement les années qui suivent, Washington considérant désormais le Caire comme « un allié extraordinairement important dans le monde arabe »835. Les services de renseignement de la Stasi lient clairement le renforcement de la présence militaire américaine et Egypte et le développement de l’ « influence anticommuniste » sur place836. D’après leurs estimations, on compte 500 spécialistes militaires sur les 4000 citoyens américains installés dans le pays837. Ces derniers surveillent les installations portuaires égyptiennes et possèdent deux avions qui assurent en continu des missions de repérage au Moyen-Orient et dans l’Océan Indien, grâce à un système de localisation des satellites et de guidage électronique838. Selon les renseignements est-allemands, les forces armées égyptiennes soutiennent globalement la politique séparée menée par Sadate839.

Si la ligne solitaire adoptée par l’Egypte la conduit à la mise au ban du monde arabe, le préjudice subi est largement relativisé par le gain retiré du rapprochement avec les Etats- Unis840. Sophie Pommier évoque une véritable « prime à la paix », qui compense l’amenuisement de l’aide arabe et place l’Egypte, à plus long terme, sous perfusion américaine841. En plus de l’aide militaire et civile, les livraisons annuelles de blé, qui atteignent près de 27% de la consommation842, permettent de remédier momentanément aux difficultés économiques et aux crises sociales récurrentes, qui fragilisent le pouvoir. Le régime de Sadate est en effet traversé par de violents mouvements de masse, qui mêlent revendications territoriales et préoccupations économiques. La politique de libéralisation économique amorcée sous Nasser et largement développée par Sadate a un coût social élevé, qui se traduit par des émeutes répétées.

834« Etats-Unis : dix milliards de dollars pour la présence militaire au Proche-Orient », Neues Deutschland, 16 mars 1979, p. 7 835 Selon les termes du secrétaire d’Etat américain, Alexander Haig, tels qu’ils sont rapportés par Neues Deutschland en octobre 1981. Voir : « Les Etats-Unis augmentent leurs livraisons d’armes à l’Egypte », Neues Deutschland, 13 octobre 1981, p. 5. 836 BStU, MfS, ZAIG, Nr. 5974, Information sur la situation politico-militaire en RAE, administration du renseignement, ministère de la Défense nationale, 21 mai 1980. 837 Ibid. 838 Ibid. 839 Ibid. 840 POMMIER, Sophie, Egypte, l’envers du décor, op.cit., p. 59. 841 Ibid. 842 Ibid. 173

C. « L’Egypte est devenue un appui essentiel de l’offensive impérialiste au Proche Orient »843 : développement capitaliste et crises sociales

1. L’Infitâh ou la politique de la « Porte ouverte »

Quelques mois après la guerre d’octobre 1973, Sadate inaugure officiellement l’Infitâh844 économique, dont l’objectif est de réorienter l’Egypte vers une économie de marché. La première mesure d’application de cette politique de libéralisation est l’adoption, en juin 1974, de la loi n° 43 sur les investissements arabes et étrangers845 : elle permet plusieurs créations de zones franches, à Alexandrie, Nasr City, Suez ou Port-Saïd, destinées à attirer les capitaux et à stimuler les exportations846. La loi instaure en outre un cadre légal incitatif pour l’établissement de banques commerciales privées847. Pour Sadate, il s’agit de corriger ainsi les abus d’un « marxisme doctrinaire », qui ont empêché l’économie égyptienne de connaître une véritable croissance848. Selon lui, l’héritage économique légué par Nasser est misérable : « avec une stupidité insigne, nous avions servilement imité le schéma du socialisme de l’Union soviétique, alors que nous faisaient défaut les ressources nécessaires, les capacités techniques et le capital »849. Il dénonce la vision caricaturale dont pâtit le secteur privé en Egypte et qui présente toute entreprise libérale comme « l’émanation d’un capitalisme odieux »850. D’après son analyse, l’imitation du modèle soviétique a contribué à forger en Egypte l’image d’un Etat censé fournir aussi bien la nourriture que l’emploi, le logement et l’instruction851. Un tel système a brisé la notion d’effort individuel et a nourri une « terrible passivité » au sein du peuple :

843 MfAA, L 187, C 1426/78, op.cit., Jahresbericht der Botschaft der DDR in der AR Ägypten für das Jahr 1976, Botschaft der DDR in der AR Ägypten, Kairo, den 10.1.1977. 844 Le terme signifie « ouverture » en arabe. 845 La loi est amendée en 1977 et abrogée par la loi n°230 de 1989. Instrument essentiel de l’ouverture économique, elle accorde aux investisseurs des privilèges tels que l’exonération fiscale et douanière ou la dérogation à certains règlements de la législation du travail. Voir : WIPPEL, Steffen, « Réforme économique et investissements directs en Egypte. Le cas des relations égypto-allemandes », in : Égypte/Monde arabe, Première série, Une économie en transition, [En ligne]. URL : http://ema.revues.org/index1246.html. Consulté le 20 mars 2012, p. 50. 846 POMMIER, Sophie, Egypte, l’envers du décor, op.cit., p. 58. 847 Pour une étude approfondie des réformes du secteur financier en Egypte, dans le cadre du processus de libéralisation, voir : ABOU-HAIDAR, Elias, Libéralisme et capitalisme d’Etat en Egypte : l’impossible privatisation des banques publiques, Paris, L’Harmattan, 2000, p. 31. 848 EL-SADATE, Anouar, A la recherche d’une identité…, op.cit., p. 311. 849 Ibid., p. 310. 850 Ibid., p. 311. 851 Ibid.

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« On atteignit des sommets d’absurdité lorsqu’il fut demandé à l’Etat non plus seulement de planifier l’économie (alors qu’il avait déjà assez à faire pour gérer la politique étrangère et intérieure) mais encore de fournir à la population des œufs, des poulets et des douzaines d’autres marchandises que des entreprises privées auraient parfaitement pu produire »852.

Si Sadate est traditionnellement présenté comme le président qui a impulsé le mouvement de libéralisation en Egypte853, de nombreux auteurs nuancent pourtant l’idée d’une rupture brutale entre sa politique économique et celle menée par son prédécesseur : les premiers jalons d’une économie capitaliste sont en effets posés dès la fin des années 1960, même si le secteur étatique domine nettement à cette époque. Dans les années 1980, les chercheurs soulignent déjà le processus de « désétatisation »854 amorcé par Nasser et la mise en place d’un véritable « capitalisme d’Etat »855 : leurs analyses font assez unanimement remonter la première phase de libéralisation économique à la période de l’entre-deux-guerres (1967-1973)856. Après la défaite de juin 1967, l’économie égyptienne connaît en effet une crise sévère : les mesures de substitution aux produits d’importation n’entraînent que de maigres résultats et le gouvernement ne parvient plus à financer sa politique de subventions857. Selon Steffen Wippel, « un constat s’impose alors : le secteur public ne peut plus suffire à lui seul aux exigences du développement économique »858.

C’est néanmoins sous Sadate qu’est véritablement mis en place l’arsenal législatif visant à encourager les investissements en Egypte et à promouvoir la production destinée à l’exportation. La « dynamique de marché »859, soutenue par le FMI et la Banque mondiale, s’accompagne d’un mouvement de privatisations qui accroît l’inflation dans le pays860 : selon le PRNPU, cette dernière est de 25% en 1975, de 30% en 1977 et de 35% en 1978861. Pour

852 Ibid. 853 Cette vision est étayée par les analyses des Etats socialistes eux-mêmes, qui présentent la politique d’ouverture de Sadate comme l’œuvre d’un « petit bourgeois réactionnaire ». Voir : SAPMO-BArch, DY 30/ IV B 2-20 430, op.cit., Information sur une conversation avec Magdi Nassif, journaliste à el-Moussawar, le 7 mars 1973, lors d’une réception à la résidence tchécoslovaque, ambassade de la RDA en RAE, le Caire, 11 mars 1973. 854 Pour reprendre le terme employé par Fred Halliday dans : HALLIDAY, Fred, L’URSS et le monde arabe, op.cit., p. 55. 855 HOSSEINZADEH, Esmail, Soviet non capitalist development…, op.cit., p. 159. 856 Voir par exemple : MÜLLER, Franck, « Ägypten und DDR… », op.cit., p. 25. 857 WIPPEL, Steffen, « Réforme économique… », op.cit., p. 49. 858 Ibid. 859 SAPMO-BArch, DY 30/ J IV 2-2J-8139 : Politbüro. Gründung der National-Demokratische Partei in Ägypten, 11 Okt. 1978. 860 POMMIER, Sophie, Egypte, l’envers du décor, op.cit., p. 58. 861 SAPMO-BArch, DY 30/ IV B 2-20 346, op.cit., « Statement on the recent political developments », PRNPU, Secrétariat général, ADN du Caire, 21 mai 1980, p. 37.

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atténuer la hausse des prix, le gouvernement se voit contraint dans un premier temps d’augmenter les subventions sur les produits de première nécessité, avec un effet immédiat sur le service de la dette862. Dans un second temps, et sous la pression du FMI, il supprime ces subventions sur une large gamme de produits, comme la farine, l’huile, le sucre, le riz ou le gaz : en janvier 1977, les prix s’accroissent soudainement de 15 à 45%863 .

Les diplomates est-allemands reprennent à leur compte les analyses des partis de gauche égyptiens : tous estiment que la politique menée par Sadate est responsable de l’aggravation de la pauvreté en Egypte et qu’elle contribue à approfondir les inégalités sociales864. Selon Michel Kamel, principal animateur du PCE clandestin865, « la polarisation des rapports de classes est de plus en plus nette depuis la mort de Nasser »866. Le PCE dénonce l’emprise croissante du « capital spéculatif et parasitaire »867 et l’enrichissement soudain des sociétés nées grâce à l’Infitâh : d’après le parti, les exemptions de taxes douanières sur les importations de produits industriels et sur les marchandises de première nécessité ont sapé la compétitivité de l’industrie nationale868. En outre, du fait de ces importations non taxées, le Trésor égyptien a connu un manque à gagner de près de 3 millions de livres869. De son côté, le PRNPU condamne la liquidation du secteur public, qu’il assimile à une volonté d’anéantir les acquis de la révolution du 23 juillet 1952870. Les analyses est- allemandes vont dans le même sens : avec l’Infitâh, l’Egypte est devenue « un pays d’investissement pour les grands entrepreneurs capitalistes de l’étranger »871. Les disparités

862 POMMIER, Sophie, Egypte, l’envers du décor, op.cit., p. 58. 863 Ibid. 864 SAPMO-BArch, DY 30/ IV B 2-20 346, op.cit., Vermerk über ein Gespräch zwischen Genossen Friedel Trappen und Mitglied des Politbüros des ÄKP, Khaled Mohieddine, am 14.9.1977 im Gebäude des ZK, Berlin, 19.9.1977, Institut für Geschichte der Arbeiterbewegung, Zentrales Parteiarchiv, SED, ZK, Internationale Verbindungen, p. 23. 865 Journaliste né en 1925. Voir infra, partie III, chapitre 7, p. 418-420. 866 SAPMO-BArch, DY 30/ IV B 2-20 430, op.cit., Note sur une conversation avec Michel Kamel, al-Talia, le 22 juin 1972, le Caire, 27 juin 1972, p. 100. 867 IISH, Michel Kamel Papers, Studies by the Egyptian Communist Party, n° 254, The quest for change in Egypt, article, in French, no date, p. 7. 868 Ibid., p. 8. 869 Ibid. Le rapport du PCE reprend les chiffres évoqués par un article d’al-Ahram al-Iqtisadi, daté du 15 août 1983. 870 SAPMO-BArch, DY 30/ IV B 2-20 346, op.cit., United Progressive National Grouping Party, Central Committee, Third Session of meetings, 25-26 december 1980, p. 61. 871 SAPMO-BArch, DO 4/ 1036 : Staatssekretär für Kirchenfragen. Bd. 9 : Kirchenpolitische Kontakte der DDR zu Ägypten und Jordanien, 1983-85, Humboldt Universität, Sektion Theologie, Bericht über eine dienstliche Auslandsreise in die ARABISCHE REPUBLIK ÄGYPTENS, 27. März - 11. April 1984.

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sociales se sont donc accrues : de somptueuses propriétés foncières ont certes envahi les rives du Nil, mais la pauvreté a progressé bien plus vite encore que la richesse872. Il est vrai que l’augmentation continue des prix et l’aggravation des inégalités sociales entretiennent le mécontentement : la politique d’Infitâh économique donne lieu à plusieurs vagues de manifestations populaires au cours des années 1970, durement réprimées par le régime.

2. Difficultés économiques et remises en cause du régime : les manifestations de 1972-1973, mars 1975 et janvier 1977

De 1972 à 1977, le régime de Sadate est confronté à trois principaux cycles d’émeutes populaires, en grande partie déclenchés par l’instabilité économique. Le premier a lieu au cours de l’année 1972, à l’initiative notamment des étudiants de l’université du Caire et de l’université Aïn Shams873. Le mouvement se diffuse également dans le reste du pays, comme à l’université d’Assiout874. La mobilisation se construit surtout autour de revendications politiques et traduit l’impatience des étudiants face à l’occupation militaire israélienne875. Ponctuellement, ces derniers parviennent cependant à opérer la jonction entre leur mouvement et les protestations ouvrières876, ce qui ne manque pas d’inquiéter les représentants du pouvoir : « les étudiants veulent faire de leur mouvement un pont avec les travailleurs. Dieu merci, les travailleurs n’en sont pas là »877. Ces troubles ont certainement renforcé la volonté de Sadate de faire pression sur les Soviétiques afin d’obtenir les armes lui permettant de reprendre les combats contre Israël et, partant, de saper la « féroce campagne de sarcasmes »878 lancée contre son attentisme. Le mécontentement a en effet gagné les rangs de l’armée : en juillet puis en octobre 1972, des officiers et des soldats sont arrêtés pour avoir réclamé une action contre Israël879. En janvier 1973, l’opposition de gauche et les groupes islamistes sont une nouvelle fois dans la rue880.

872 Ibid. 873 Voir infra, partie III, chapitre 8, p. 503. 874 SAPMO-BArch, DY 30/ IV B 2-20 431, op.cit., Rapport d’information n°6 du 1er février 1972 sur les troubles étudiants au Caire, p. 30-32. 875 Ibid., p. 30. 876 Voir infra, partie III, chapitre 8, p. 502-505. 877 SAPMO-BArch, DY 30/ IV B 2-20 431, op.cit., Rapport d’information n°6 du 1er février 1972 sur les troubles étudiants au Caire, p. 33. 878 EL-SADATE, Anouar, A la recherche d’une identité…, op.cit., p. 331. 879 MIREL, Pierre, L’Egypte des ruptures…, op.cit., p. 26. 880 Ibid., p. 27.

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Si la guerre soude provisoirement la nation égyptienne autour d’un ennemi commun, le régime de Sadate est à nouveau confronté à de sévères remises en cause après 1973, cette fois- ci pour des motifs clairement économiques. En janvier 1975, les étudiants et les ouvriers manifestent au Caire, pour exiger la hausse de salaires881. Les différents syndicats égyptiens se désolidarisent du mouvement, qu’ils attribuent à des « éléments irresponsables, aux conceptions idéologiques floues »882. Le pouvoir accuse les forces de gauche et notamment les communistes d’orchestrer l’agitation883. La crise sociale prend une ampleur encore plus grande deux ans plus tard : en janvier 1977, le gouvernement égyptien supprime les subventions étatiques sur les produits de première nécessité, à la demande du FMI. Les 18 et 19 janvier, de violentes émeutes ont lieu dans toutes les grandes villes du Delta et de la vallée du Nil884. Les manifestants brandissent des slogans qui critiquent ouvertement la politique d’Infitâh menée par Sadate : « non à la libéralisation le ventre vide », « l’ouverture se fait sur le dos des pauvres »885. De fait, le rapport annuel de l’ambassade est-allemande en 1977 souligne l’état de crise dans lequel se trouve l’Egypte : accroissement de l’inflation, qui atteint 33 à 40% ; augmentation continue du chômage, avec 1,12 million de chômeurs ; émigration accrue des cadres scientifiques et spécialisés vers les Etats occidentaux ou arabes ; difficultés d’approvisionnement et recul relatif de la production par rapport à la consommation886.

Les forces de sécurité mettent trois jours à réprimer les troubles : on dénombre 79 morts et 800 blessés, 2000 personnes sont arrêtées887. Le traumatisme est considérable : Sadate est « extraordinairement nerveux et très inquiet »888. Redoutant d’autres actions de la part des étudiants, il ordonne la prolongation des vacances semestrielles889. Le 20 janvier, le

881 SAPMO-BArch, DY 34/ 10 526, op.cit., Information sur la position des directions de plusieurs syndicats de RAE, au sujet des manifestations au Caire du 1er janvier 1975, Botschaft der DDR in ARÄ, Kairo, den 7.1. 1975. 882 Ibid. Ces propos sont attribués par l’ambassade de RDA à Samir Farid, secrétaire général du Syndicat des travailleurs du pétrole et de l’industrie chimique. 883 Ibid. 884 MIREL, Pierre, L’Egypte des ruptures…, op.cit., p. 36. 885 Ibid. 886 MfAA, L 187, C 6513, op.cit., Jahresbericht der Botschaft der DDR in der AR Ägypten für das Jahr 1977, Zur innenpolitischen Entwicklung der ARÄ im Jahre 1977, Kairo, den 22.12. 1977. 887MIREL, Pierre, L’Egypte des ruptures…, op.cit., p. 37. 888 « Sadat ist außerordentlich nervös und unruhig ». MfAA, L 187, C 1429/ 78, op.cit., Vermerk über ein Gespräch mit Abdel Rahman Sadek, Generalsekretär für Auswärtige Angelegenheiten der Volksversammlung, am 2.2.1977, Botschaft Kairo, Kairo, 3.2.1977, p. 35. 889 Ibid.

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gouvernement égyptien annonce que l’application des prix majorés est finalement suspendue890.

Persuadé que les médias nationaux n’ont pas été en mesure d’expliquer la politique d’Infitâh à la population et que cette incompréhension a joué un rôle majeur dans la crise, Sadate révoque le ministre de l’Information et de la Culture, Gamal el-Oteifi891. La presse officielle a pourtant relayé les communiqués du ministère de l’Intérieur, accusant des « éléments marxistes » d’avoir incité les ouvriers à cesser le travail et à manifester : « constatant que la majorité des travailleurs demeurait insensible à leurs appels, ils se sont livrés à des attaques contre certains moyens de transport en commun et des voitures privées et ont détruit quelques véhicules »892. Pour le régime, ce sont les communistes qui ont fomenté de tels troubles, afin de renverser le pouvoir. Plusieurs membres du PCE et du PRNPU, ainsi que des journalistes, sont arrêtés et désignés comme les principaux « instigateurs des sabotages »893. Les partis de gauche nient pourtant toute implication dans les émeutes. Sabri Abdallah, membre du PRNPU, assure que son parti n’a pas participé au soulèvement et qu’il ne se laissera pas provoquer de la sorte894. Fouad Morsi, qui adhère également au PRNPU, estime que les attaques formulées à l’encontre des communistes et plus généralement des forces de gauche, sont infondées895. Les troubles qui se sont déroulés en janvier sont, d’après lui, « le fait de criminels de petite envergure » : « les gens emprisonnés sont pour l’essentiel des personnes ayant agi de façon isolée »896. La plupart des individus arrêtés ont d’ailleurs été

890 Le Progrès égyptien, 20 janvier 1977, p. 1. 891 « Die Absetzung Oteifis ist ein Ausdruck der Unzufriedenheit Sadats mit den Massenmedien. Sie waren nicht in der Lage, seine "Politik der offenen Tür" der Bevölkerung zu erklären. Die Kluft zwischen Presse und bevölkeung ist gewachsen ». MfAA, L 187, C 1429/ 78, op.cit., Vermerk über ein Gespräch mit Abdel Rahman Sadek, Generalsekretär für Auswärtige Angelegenheiten der Volksversammlung, am 2.2.1977, Botschaft Kairo, Kairo, 3.2.1977, p. 37. 892 « Exploitant les augmentations des prix décidées par le gouvernement, des éléments subversifs ont provoqué des désordres hier au Caire et à Alexandrie », Le Progrès égyptien, 19 janvier 1977, p. 1 et p. 4. 893 « Le calme rétabli : le couvre-feu renvoyé à 19h », Le Progrès égyptien, 21 janvier 1977, p. 1 et p. 4. 894 « Sabri Abdallah, der sich offen zum Programm der Linken Partei bekannte, erklärte, daß die Partei nicht an den Ausschreitungen beteiligt war und sich auch weiterhin nicht provozieren lasse ». MfAA, L 187, C 1429/78, op.cit., Vermerk über ein Gespräch mit Dr. Sabri Abdallah, Direktor des Nationalen Planungsinstituts und Mitglied des Sekretariats der Linken Partei, am 31.1.1977, Botschaft der DDR in der AR Ägypten, Kairo, 3.2.1977, p. 41. 895 MfAA, L 187, C 1429/78, op.cit., Vermerk über ein Gespräch des Botschafters, Genossen Dr. Radde, mit dem Mitglied des Sekretariats der Linken Partei, Dr. Fuad Morsi, am 6.8.77, Botschaft der DDR in der AR Ägypten, Kairo, 11.8.1977. 896 « Zu den Zeitungsveröffentlichungen über Verurteilungen, die im Zusammenhang mit den Januar-Ereignissen stehen, vertrat Dr. M. die Auffassung, daß es sich hierbei in der Mehrzahl um Kriminelle Dinge kleineren Ausmaßes handelt. Die Verhafteten der Januar-Ereignisse sind im wesentlichen alle auf freiem Fuß ». Ibid., p. 13.

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relâchés après décision du tribunal. Abdel Rahman Sadek, secrétaire général de l’Assemblée du Peuple, entreprend lui aussi de dédouaner les forces de gauche. Il évoque l’incendie criminel qui a touché les locaux de l’hebdomadaire Rose el-Youssef : selon lui, les auteurs de l’incident circulaient dans des « véhicules américains modernes, avec des numéros d’immatriculation inconnus » et appartiennent à des « bandes organisées, avec des lunettes de soleil et d’autres accessoires, destinés à dissimuler leur origine »897.

L’Union soviétique, qui a ouvertement critiqué la politique d’Infitâh898, fait quant à elle l’objet d’une véritable campagne de dénigrement :

« Nous devons nous rappeler que la gauche malade a essayé d’imposer ses visées sanguinaires au peuple, comme cela s’est produit les 18 et 19 janvier. Ils ont arrêté les voitures, battu leurs conducteurs, osant prétendre qu’il s’agit là de socialisme et de démocratie. […] ils veulent qu’on arrive à une situation pareille à celle de la capitale soviétique, où des quartiers sont réservés à des membres du parti. Ceux-ci se considèrent comme des dieux plutôt que des hommes »899.

Pour le régime égyptien, l’Infitâh économique est la manifestation d’une volonté d’indépendance et non la cause des difficultés sociales : « le déficit commercial étranger est-il vraiment causé par la politique relativement récente de la "porte ouverte" ou par les dettes à l’URSS pour fournitures d’armes ? »900. Depuis la résiliation unilatérale du traité d’amitié avec l’Union soviétique en mars 1976901, le régime égyptien ne s’embarrasse plus tellement d’égards envers Moscou : Sadate répète officiellement que « 99% des cartes du jeu [sont] entre les mains des Etats-Unis », que les Soviétiques le veuillent ou non902. La politique étrangère égyptienne se caractérise désormais par une volonté affichée de diversifier ses alliances. Inversement, l’Egypte ne fait plus figure de partenaire exclusif de Moscou et des Etats socialistes au Proche-Orient : « alliée nécessaire et longtemps unique, l’Egypte n’est plus […] qu’un des éléments de la présence soviétique au Moyen-Orient »903.

897 Auf Grund persönlicher Beobachtungen bei der versuchten Brandlegung im « Rose El Youssef - Gebäude », sei S. überzeugt worden, daß diese Kräfte nicht von links, sondern au seiner ganz anderen Richtung kommen (moderne amerikanische Fahrzeuge mit unkenntlichen Nummernschildern ; organisierte Trupps, die mit Sonnenbrillen u.a. Dingen ihre Hekunft verbergen wollten ; straffe Organisation und Verbindung der " Unruheherde" in Kairo untereinander) ». MfAA, L 187, C 1429/78, op.cit., Vermerk über ein Gespräch mit Abdel Rahman Sadek, Generalsekretär für Auswärtige Angelegenheiten der Volksversammlung, am 2.2.1977, Botschaft Kairo, Kairo, 3.2.1977, p. 36. 898 « Ceux qui en savent plus long… », Le Progrès égyptien, 28 janvier 1977, p. 2. 899 « Contre le modèle soviétique », Le Progrès égyptien, 26 juillet 1977, p. 4. 900 « Ceux qui en savent plus long… », Le Progrès égyptien, 28 janvier 1977, p. 2. 901 Voir supra, p. 146-151. 902 BDIC, S 18031/5, op.cit., Discours du Président Mohamed Anouar el-Sadate à l’Assemblée du Peuple, le Caire, 14 mars 1976, p. 66. 903 CARRERE D’ENCAUSSE, Hélène, La politique soviétique…, op.cit., p. 230.

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D. La politique extérieure de Sadate : une tentative de « balance entre les deux systèmes mondiaux »904

1. Une « politique de diversification »905 des alliances : le rapprochement avec les Etats-Unis, l’Europe de l’Ouest et les « Etats arabes réactionnaires »

Selon Ismaïl Fahmy, ministre égyptien des Affaires étrangères de 1973 à 1977, la fin de l’année 1976 marque un nouveau tournant dans les relations soviéto-égyptiennes906. En novembre, ce dernier rencontre Andreï Gromyko à Sofia, en Bulgarie, afin de négocier à nouveau des livraisons d’armes soviétiques à l’Egypte. Or, après la résiliation du traité d’amitié et de coopération et l’annonce de fournitures d’armes américaines à l’Egypte début 1976, Moscou a décidé de mettre un terme à la « relation spéciale »907 qui l’unissait au Caire. Désormais, l’Egypte doit payer cash si elle veut obtenir des armes soviétiques908. Selon Ismaïl Fahmy, cette initiative a deux conséquences majeures : d’une part, elle pousse l’Egypte à se rapprocher de l’Arabie Saoudite et des Etats arabes du Golfe, disposés à financer ses achats d’armes909. Et de fait, en 1976, c’est Riyad qui paie les six avions de transport militaire C-130 livrés par les Etats-Unis à l’Egypte910. D’autre part, elle achève de convaincre les dirigeants égyptiens qu’il est nécessaire de diversifier leurs sources d’armement, notamment en se rapprochant des Etats occidentaux911. Du point de vue américain, le rapprochement avec le Caire inauguré par les ventes d’armes est un facteur incontournable de la stabilisation du Moyen-Orient912. Pour Sadate, la diversification des sources d’approvisionnement en armes est surtout le moyen de faire entrer l’Egypte « dans l’ère de la technologie moderne »913.

904 « Balancepolitik zwischen den beiden Weltsystemen ». MfAA, L 187, C 1641/76, op.cit., Überblick über die Entwicklung der Beziehungen zwischen der DDR und der Arabischen Republik Ägypten, Abt. Arabische Staaten, Berlin, Januar 1972, p. 22. 905 MfAA, L 187, C 1426/78, op.cit., Jahresbericht der Botschaft der DDR in der AR Ägypten für das Jahr 1976, Die Entwicklug der Beziehungen zu den imperialistischen Hauptmächten, Botschaft der DDR in der AR Ägypten, Kairo, den 10.1.1977. 906 FAHMY, Ismaïl, Negotiating for Peace…, op.cit., p. 183. 907 Sur ce que recouvre l’expression « commerce extérieur spécial », voir infra, partie II, chapitre 5, p. 244. 908 Sur le fonctionnement des crédits accordés par les Etats socialistes à l’Egypte et les spécificités des accords de clearing, voir infra, partie II, chapitre 5, p. 220-222. 909 FAHMY, Ismaïl, Negotiating for Peace…, op.cit., p. 183. 910 Ibid. 911 Ibid. 912 D’après les propos attribués par Le Progrès égyptien à Donald Rumsfeld, secrétaire américain de la Défense. Voir : Le Progrès égyptien, 5 mars 1976, p. 1. 913 « La diversification des sources d’armement », Le Progrès égyptien, 2 juillet 1977, p. 1. 181

D’après lui, l’acquisition d’avions de chasse français Mirage lui permet enfin, par exemple, d’atteindre le niveau technologique que l’Union soviétique lui avait refusé914.

Les diplomates est-allemands prennent acte du rapprochement opéré entre le Caire et les Etats ouest-européens, et notamment la France : « le régime de Sadate a voulu renforcer ses relations avec les Etats d’Europe de l’Ouest, afin d’élargir le champ d’action de sa politique extérieure et d’accroître les sources de soutien politique, économique et militaire, dans le cadre de sa "politique de diversification" »915. Selon eux, l’Egypte cherche surtout à utiliser l’Europe de l’Ouest comme contrepoids à l’influence des Etats-Unis et d’Israël916. Le régime de Sadate est désormais désigné comme le « représentant des intérêts des Etats-Unis et des pays d’Europe de l’Ouest au Proche-Orient »917.

Il est vrai que depuis la crise pétrolière de 1973, le « dialogue euro-arabe »918 s’est largement développé, consacrant le recul du rôle des Soviétiques dans le monde arabe. Du côté européen, la mise en place de ce nouveau cadre régional de négociations peut être comprise comme l’une des réponses à la crise économique, amplifiée par la hausse des prix du pétrole919. Du côté arabe, la volonté de dialogue revêt un caractère nettement plus politique. Les Etats arabes souhaitent en effet créer les conditions d’une implication européenne plus forte dans le conflit du Proche-Orient920. Mahmoud Riad, secrétaire général de la Ligue arabe, explique ainsi à ses interlocuteurs est-allemands que, pour les Etats arabes, la modification de la position politique des Européens à l’égard d’Israël, et par conséquent la prise en compte des intérêts palestiniens, est une condition essentielle du développement de la

914 Ibid. 915 MfAA, L 187, C 1426/78, op.cit., Jahresbericht der Botschaft der DDR in der AR Ägypten für das Jahr 1976, Die Entwicklug der Beziehungen zu den imperialistischen Hauptmächten, Botschaft der DDR in der AR Ägypten, Kairo, den 10.1.1977. 916 « Die ARÄ verband - neben der o.g. generellen Zielstellung - damit offensichtlich die Absicht, Westeuropa in stärkerem Maße als Gegengewicht und Druckmittel gegenüber den USA und Israel zu nutzen ». Ibid., p. 36. 917 « Das Sadat-Regime führte seine Bemühungen verstärkt fort, sich als einer der Hauptvertreter imperialistischer Interessen im Nahen Osten bei den USA und den Staaten Westeuropas anzubiedern ». Ibid., p. 35. 918 Le dialogue euro-arabe est le fruit d’une initiative française. Il est lancé lors du Sommet européen de Copenhague, en décembre 1973, peu après le choc pétrolier. Dans l’esprit des Européens, il s’agit de consolider les liens avec le monde arabe, premier fournisseur d’énergie, et de renforcer la présence de la Communauté européenne sur la scène internationale, notamment afin de ne pas laisser aux deux Grands le monopole du règlement du conflit proche-oriental. 919 CORBINEAU, Bernard, « Le dialogue euro-arabe, instance du nouvel ordre international (1973-1978) », in : Revue française de science politique, 1980, vol. 30, n° 3, p. 562. 920 Ibid., p. 570.

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coopération économique euro-arabe921. Afin de convaincre la CEE d’instaurer un véritable partenariat avec eux, les Etats arabes s’emploient à montrer que les mêmes intérêts lient l’Europe et la Méditerranée922. L’Egypte tente notamment d’utiliser le premier sommet de la CSCE923, qui se tient à Helsinki en 1975, comme tribune pour promouvoir un règlement du conflit au Proche-Orient. Cependant, elle considère rapidement que la Conférence sur la sécurité européenne ne tient pas suffisamment compte des intérêts arabes : « à Helsinki, on fait de grands discours sur la paix en Europe, mais là où la paix serait nécessaire (au Proche- Orient), les grandes puissances se taisent »924.

D’après les dirigeants égyptiens, le dialogue euro-arabe s’impose donc comme un cadre spécifique, susceptible de relayer les priorités politiques des Etats arabes. En Egypte, il inaugure le développement d’une coopération technologique avec les pays ouest-européens, qui relègue les Etats socialistes à l’arrière-plan. En décembre 1975 par exemple, Valéry Giscard d’Estaing, le président de la République française, se rend au Caire925. Pour Sadate, la rencontre doit permettre de jeter les bases d’une défense commune en Méditerranée926.

Si la RDA regrette le tournant opéré par la politique étrangère égyptienne et reproche au Caire de privilégier désormais les équipements industriels ouest-européens à la technologie

921 « Als die Araber den angebotenen Dialog akzeptieren, machten sir klar, daß eine ökonomische Zusammenarbeit nur möglich ist, wenn die E.G.-Staaten ihre politische Haltung gegenüber den Arabern ändern. Z.B. würden politische Besuche in Israel, wie sie Brandt und andere durcheführten, mit der geäußerten Absicht nicht in Übereinstimmung stehen ». MfAA, L 187, C 1454/76 : Abt. Naher u. Mittlerer Osten. Sektor Ägypten, Sudan, Libyen. Konsultationen zwischen dem Stellvertreter des Aussenministers der DDR, Dr. Willerding, und dem Unterstaatssekretär im ägyptischen Aussenministerium, Mohamed Mustapha Shukri. 1974, 1975. Vermerk über ein Gespräch des Stellvertreters des Außenministers der DDR, Dr. Willerding, mit dem Generalsekretär der Arabischen Liga, Mahmoud Riad, am 12.4.75, Botschaft der DDR in der AR Ägypten, Kairo, den 12.4.1975, p. 39. 922 « […] der Frieden Europas mit dem Frieden im Mittelmeeraum eng verbunden ist […] ». MfAA, L 187, C 1454/76, op.cit., Niederschrift über die Konsultationsgespräche des Stellvertreters des Ministers für Auswärtige Angelegenheiten Genossen Dr. Willerding mit Unterstaatssekretär M. Riad, Botschaft der DDR in der AR Ägypten, Kairo, den 13.4.1975, p. 30. 923 La Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe (CSCE) doit permettre d’organiser le dégel des relations Est-Ouest en Europe. La signature de l’Acte final d’Helsinki, le 1er août 1975, qui clôt le premier sommet de la CSCE, vise à instaurer un dialogue paneuropéen et marque ainsi le début du processus de détente. Voir : REMACLE, Eric, « La CSCE. Mutations et perspectives d’une institution paneuropéenne », in : Courrier hebdomadaire du CRISP, 1992/ 3-4, n° 1348-1349, p. 3. 924 SAPMO-BArch, DY 13/ 2349, op.cit., Abteilung III, « Aktennotiz », Berlin, 22.8.1975. 925 BDIC, S 17.089 : La visite du président Giscard d’Estaing en Egypte du 10 au 15 décembre 1975. Les discours échangés entre le président Anouar el Sadate et le président Giscard d’Estaing. Ministère de l’Information, Service de l’Etat pour l’Information, N° 249/447, Décembre 1975. Allocution du président Anouar el-Sadate au banquet offert en l’honneur du président français Giscard d’Estaing, le Caire, 10 décembre 1975. 926 Ibid., p. 6.

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des Etats socialistes927, elle ne peut cependant que prendre acte de la diversification des alliances voulue par Sadate. En réalité, ni Berlin-Est ni Moscou n’ont les moyens d’empêcher les Etats arabes de développer leurs liens avec la Communauté européenne. En outre, « l’URSS peut difficilement prêcher la prudence aux Arabes alors qu’elle-même accroît sa coopération avec l’Occident »928.

La soumission de l’Egypte à la « stratégie impérialiste » se manifeste enfin, d’après les analyses est-allemandes, par la consolidation des relations entre le Caire et les « Etats arabes réactionnaires », en particulier l’Arabie Saoudite929. Le « renforcement de l’axe Riyad- le Caire » né de la dépendance croissante de l’Egypte vis-à-vis des sources de financement saoudiennes, est ainsi interprété comme l’un des fondements du « processus de consolidation de la réaction arabe globale »930. Pour la RDA, il est clair que le rapprochement entre l’Egypte et l’Arabie Saoudite va de pair avec le renforcement coordonné de la lutte contre les forces et les régimes « progressistes » de la région. Et c’est au Liban que se manifeste le mieux la défection égyptienne : alors que des accrochages sanglants opposent les fedayins palestiniens aux troupes libanaises et les milices chrétiennes aux milices musulmanes, entre 1973 et 1975931, Sadate fait figure de modéré et adopte une position de neutralité. Les diplomates est- allemands déplorent le manque de soutien dont bénéficient les « forces palestino- progressistes » et les « patriotes libanais »932 : selon eux, c’est le refus égyptien de s’impliquer dans les évènements libanais qui a rendu possible le « coup décisif porté par les forces libanaises de droite et l’armée syrienne contre l’OLP et les forces progressistes en 1976 »933.

927 « Zur Frage des Genossen Dr. Willerding, warum die arabischen Staaten ihre Erdölmilliarden zum Kauf von Anlagen ausschließlich in westeuropäischen Staaten benutzen, während sie gegenüber den sozialistischen Staaten bei Anlagenlieferungen Kreditforderungen erheben, erklärte Riad, daß diese Frage völlig berechtig sei […] ». MfAA, L 187, C 1454/76, op.cit., Vermerk über ein Gespräch des Stellvertreters des Außenministers der DDR, Dr. Willerding, mit dem Generalsekretär der Arabischen Liga, Mahmoud Riad, am 12.4.75, Botschaft der DDR in der AR Ägypten, Kairo, den 12.4.1975, p. 39. 928 MOGHIRA, Mohamed Anouar, L’Egypte, clé des stratégies au Moyen-Orient, trente ans de politique égyptienne et arabe sous Hosni Moubarak, Lausanne, L’âge d’homme, 2009, p. 80. 929 MfAA, L 187, C 1426/78, op.cit., Jahresbericht der Botschaft der DDR in der AR Ägypten für das Jahr 1976, Die Entwicklug der Beziehungen zu den arabischen Staaten, Botschaft der DDR in der AR Ägypten, Kairo, den 10.1.1977. 930 « Charakteristisch war die immer stärkere Ausprägung der Achse Riad – Kairo als Basis für den weiteren Konsolidierungsprozeß der gesamten arabischen Reaktion und als wichtiges Element der imperialistischen Nahost-Strategie ». Ibid., p. 15. 931 DUROSELLE, Jean-Baptiste, KASPI, André, Histoire des relations internationales…, op.cit., p. 353. 932 BATOR, Wolfgang und Angelika (dir.), Die DDR und die arabischen Staaten…, op.cit., p. 49. 933 « Die vorgebliche "neutrale" Haltug des Sadat-Regimes zu den Ereignissen im Libanon stellte eine notwendige Bedingung für einen erfolgreichen Schlag der libanesischen Rechtskräfte und der syrischen Armee gegen die PLO und die progressiven Kräfte dar ». MfAA, L 187, C 1426/78, op.cit., Jahresbericht der Botschaft 184

A la fin des années 1970, il semble en réalité que l’URSS et les Etats socialistes ont pris acte de la recomposition des alliances au Moyen-Orient. Nous avons vu quelles sont les étapes successives qui, de 1971 à 1977, scellent progressivement la rupture avec l’Egypte. Dans les autres Etats de la région, une redéfinition des rapports de forces s’impose également. En pleine guerre du Liban, alors que l’Union soviétique soutient officiellement les Palestiniens, elle voit son ancien allié syrien soutenir le gouvernement libanais dans sa lutte contre les fedayins934. En Irak, la répression des communistes nationaux s’accompagne d’un rapprochement du gouvernement de Saddam Hussein avec les Occidentaux935. Après l’invasion de l’Afghanistan en 1979, qui contribue en outre à dégrader son image sur la scène internationale936, Moscou ne peut donc plus guère compter que sur cet Etat relativement marginal dans la région moyen-orientale, et sur le Yémen du Sud937.

Au tournant des années 1980, la RDA maintient par conséquent des relations protocolaires avec l’Egypte (annexe 12), le plus ancien allié des Soviétiques en Méditerranée, mais elle a depuis longtemps fait le deuil de toute orientation « progressiste » du régime.

2. Les relations sélectives de l’Egypte avec les Etats socialistes ou la stratégie de « traitement différencié »938

Sans mettre un terme à ses relations avec le bloc de l’Est, Sadate opte pour une « politique de la différenciation »939, qui vise à restreindre strictement l’influence soviétique au Moyen-Orient, tout en maintenant des relations économiques avec Moscou. Lors de l’abrogation du traité d’amitié et de coopération en 1976, le président égyptien a déjà entrepris de supprimer les facilités portuaires octroyées à l’URSS. En décembre 1977, il ordonne la

der DDR in der AR Ägypten für das Jahr 1976, Die ägyptische altung zur Lösung des Nahostkonfliktes, Botschaft der DDR in der AR Ägypten, Kairo, den 10.1.1977, p. 11. 934 MENDRAS, Marie, « La logique de l’URSS…», op.cit., p. 135. 935 Ibid. 936 En Egypte, le PRNPU, interlocuteur privilégié des Etats socialistes, salue la révolution afghane d’avril 1978, qui a conduit à l’établissement d’un pouvoir communiste dans le pays. Le PRNPU estime que l’invasion soviétique, en décembre 1979, afin de maintenir le parti communiste afghan au pouvoir, est une « démarche regrettable, mais nécessaire ». Voir : SAPMO-BArch, DY 30/ 13 670 : Abteilung Internationale Verbindungen im ZK der SED. Ägypten. Arbeitsweise der Botschaft der DDR in Ägypten in Kairo ; 1977 ; 1981-89. Bd. 1 : 1981-1982. Matériel d’information sur le PRNPU d’Egypte. 937 MENDRAS, Marie, « La logique de l’URSS…», op.cit., p. 135. 938 SAPMO-BArch, DY 30/ IV B 2-20 345, op.cit., A propos des activités de l’USA en 1974, Département des relations internationales, Berlin, 27 janvier 1975. 939 MfAA, L 187, C 1426/78, op.cit., Jahresbericht der Botschaft der DDR in der AR Ägypten für das Jahr 1976, Die Entwicklung der Beziehungen der ARÄ zur UdSSR und der SSG insgesamt, Botschaft der DDR in der AR Ägypten, Kairo, den 10.1.1977.

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fermeture des consulats et des centres culturels soviétiques, est-allemands, tchécoslovaques et polonais940. En septembre 1981, il expulse l’ambassadeur soviétique Vladimir Polyakov et six de ses collaborateurs, ce qui met fin aux relations diplomatiques officielles941. En outre, les 1500 techniciens soviétiques en poste en Egypte sont sommés de quitter le territoire942.

Sadate n’adopte pourtant pas une ligne d’action unique à l’égard des pays du bloc de l’Est. Depuis 1972, les Allemands de l’Est soulignent la volonté du gouvernement égyptien de mettre en place une « politique de différenciation, quand cela est possible, entre les Etats socialistes » et de privilégier les relations avec les « Etats socialistes indépendants », « contre l’Union soviétique »943. Martin Bierbach, ambassadeur est-allemand en Egypte de 1969 à 1973 rapporte ainsi à ses supérieurs, en novembre 1972, quelques mois à peine après le renvoi des experts soviétiques, que le ministre égyptien des Affaires étrangères, Mohamed Hassan Zayyat, lui a fait part de sa volonté de maintenir la coopération avec la RDA, « indépendamment de la façon dont se développent les relations entre l’Egypte et l’URSS »944. En 1975, le Département des relations internationales du SED constate de même que l’Egypte privilégie nettement ses relations avec la Yougoslavie et la Roumanie, qui se sont plus ou moins affranchies de la tutelle soviétique945, alors qu’elle a tendance à limiter ses liens avec la Hongrie, la Bulgarie et la RDA946. Du point de vue égyptien, la perte d’influence soviétique au Moyen-Orient est de toute façon consommée. Mohammed Heikal, ancien conseiller de Nasser, résume ainsi la perte de crédit dont souffre l’URSS dans la région :

« De fait, en cet été 1977, on ne peut que constater l’échec de toute la politique de l’Union soviétique au Proche-Orient […] Il y a peu d’années encore, on considérait partout l’URSS comme le principal champion des droits des Arabes, mais aujourd’hui tous les chemins du monde arabe mènent à Washington. Mortification encore plus profonde pour les Soviétiques, ils réalisent qu’à

940 Pour une analyse de cet épisode, voir infra, partie II, chapitre 6, p. 374-381. 941 MIREL, Pierre, L’Egypte des ruptures…, op.cit., p. 58. 942 KAMINSKY, Catherine, KRUK, Simon, La stratégie soviétique…, op.cit., p. 57. 943 « Meines Erachtens muß in solchen Auffassungen der Versuch der ägyptischen Regierung gesehen werden, wenn möglich zwischen den einzelnen sozialistischen Ländern zu differenzieren, um erforderlichenfalls auch ein Ausspielen der Haltungen der einzelnen sozialistischen Staaten gegen die SU zu erreichen ». MfAA, L 187, C 1304/76- C 1305/76, op.cit., Lettre de l’ambassadeur est-allemand au Caire, Martin Bierbach, au ministère des Affaires étrangères de la RDA, 14.11.1972, p. 27-28. 944« Interessant waren für mich die Bemerkungen Zayyats hinsichtlich der Entwicklung der Beziehungen zur DDR, unabhängig davon, wie sich die ägyptisch-sowjetischen Beziehungen entwickeln ». Ibid., p. 27. 945 En 1979, au moment où l’URSS envahit l’Afghanistan, la Roumanie émet des doutes quant à la légitimité d’une telle intervention. La RDA, quant à elle, soutient pleinement l’initiative soviétique. Voir : CHIARI, Bernard, « Kabul, 1979 : militärische Intervention und das Scheitern der sowjetischen Dritte-Welt-Politik in Afghanistan », in: HILGER, Andreas (dir.), Die Sowjetunion und die Dritte Welt…, op.cit., p. 262. 946 SAPMO-BArch, DY 30/ IV B 2-20 345, op.cit., A propos des activités de l’USA en 1974, Département des relations internationales, Berlin, 27 janvier 1975.

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ce moment précis, le seul rôle important qu’ils peuvent encore jouer dans les décisions prises au Proche-Orient, résultera d’une proposition américaine d’agir en ce sens. Washington voit l’utilité que peut avoir son co-équipier à la présidence de la Conférence de Genève, mais pas les Arabes ! »947.

947 HEIKAL, Mohammed, Le sphinx et le commissaire…, op.cit., p. 14.

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Ainsi, lorsque Sadate est assassiné, en octobre 1981948, Berlin-Est a déjà réorienté sa politique étrangère en Egypte, délaissant ses impératifs idéologiques pour privilégier les échanges économiques et culturels. De ce point de vue, on peut considérer que l’évolution des relations bilatérales égypto-est-allemandes s’inscrit pleinement dans le processus, plus vaste, de démythification de l’expérience socialiste au sein des pays en développement949. Comme l’écrit Philippe Moreau Desfarges :

« En cette aube des années 1980, le tiers-mondisme entre en agonie. Les expériences socialistes en Asie et en Afrique, inspirées de l’Union soviétique et de la Chine (industrie lourde, planification centralisée, semi-autarcie…), sont des échecs. La décennie 1980 est celle du marché, de la libre entreprise, de la démocratie, du pluralisme, enfin de la compétition internationale »950.

Du point de vue des relations égypto-est-allemandes, l’arrivée au pouvoir de Hosni Moubarak marque le début d’une coopération plus pragmatique et nettement dépassionnée. Le régime de Berlin-Est, qui a pris acte de l’ « orientation pro-impérialiste »951 de son partenaire égyptien, témoigne d’ailleurs à son égard d’une plus grande bienveillance que celle dont il faisait preuve vis-à-vis de Sadate. C’est ce que montre le chapitre qui suit.

948 Sadate est assassiné par des membres du Jihâd islamique égyptien, le 6 octobre 1981. Ces derniers lui reprochent les campagnes d’arrestations menées au cours de l’année et condamnent la politique de paix séparée avec Israël. Voir infra, partie III, chapitre 8, p. 487. 949 Inversement, c’est aussi au tournant des années 1970-1980 que s’étiole la puissance mobilisatrice du mythe du Tiers monde pour la gauche radicale. Voir : KALTER, Christoph, « 33. Tiers monde et gauche radicale », in : Histoire des mouvements sociaux en France, Paris, La Découverte, 2014, p. 378-389. 950 MOREAU DESFARGES, Philippe, Relations internationales, 2. Questions mondiales, Paris, Editions du Seuil, 7ème édition mise à jour, 2007, p. 88. 951 SAPMO-BArch, DY 30/ 11 497 : Abteilung Internationale Verbindungen im ZK der SED. Abt. Int. Verb. 1946-90. Gestaltung der Beziehungen mit Ägypten ; politische situation in Ägypten, 1982. Information für das Politbüro des ZK der SED. Betr.: Entwicklung der ARÄ unter Mubarak und Stellung der ÄKP und der Tagammu, Abt. Int. Verb., Berlin, 19.1.1982.

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Chapitre 4 – Hosni Moubarak au pouvoir : « la stabilité plutôt que l’ébranlement »952. La RDA « abandonne ses illusions » (1981-1989)

A. « Moubarak a su transformer la colère en attente pleine d’espoir »953 : la restauration du consensus national ?

1. L’arrivée de Hosni Moubarak au pouvoir : une libéralisation de surface pour désamorcer l’opposition

Le 13 octobre 1981, une semaine après l’assassinat de Sadate, Hosni Moubarak, vice-président depuis 1975, est élu président de l’Egypte, après avoir obtenu le soutien de l’Assemblée du Peuple954. L’ « idéal second »955 de Sadate, un militaire formé en URSS, entreprend dès son accession au pouvoir de rétablir le consensus national en Egypte : il renoue les liens avec les principales figures de l’opposition de gauche, comme Khaled Mohieddine956, et libère les 1536 islamistes arrêtés sous Sadate957. Sa priorité est d’œuvrer à la réconciliation nationale, après la crise de régime qui vient de trouver son apogée avec l’assassinat de Sadate : les troubles confessionnels et la résistance croissante à la poursuite du processus de paix avec Israël avaient conduit ce dernier à emprisonner un millier et demi d’opposants en septembre 1981958.

952 SAPMO-BArch, DY 30/ 13 667 : Abteilung Internationale Verbindungen im ZK der SED. Ägypten. Bd. 1 : 1981-1986, « Note sur une conversation entre le camarade Trappen et des représentants du PCE, le 19 novembre 1983 ». 953 SAPMO-BArch, DY 30/ 11 497, op.cit., Information für das Politbüro des ZK der SED. Betr.: Entwicklung der ARÄ unter Mubarak und Stellung der ÄKP und der Tagammu, Abt. Int. Verb., Berlin, 19.1.1982. 954 MOGHIRA, Mohamed Anouar, L’Egypte, clé des stratégies…, op.cit., p. 19. Le président de la République égyptienne est élu au suffrage universel pour un mandat de six ans renouvelable. Cependant, pour pouvoir se présenter à une telle élection, il doit d’abord voir sa candidature proposée par un tiers des membres de l’Assemblée du Peuple et approuvée par au moins deux tiers des membres de cette Assemblée. Le choix du président est donc étroitement associé à l’existence d’une forte majorité au sein de l’Assemblée. Cela explique que l’Exécutif prenne toutes les garanties (législation restrictive ou changement des lois électorales, surveillance autoritaire…), au moment du renouvellement de l’Assemblée du Peuple, afin que l’opposition n’y dépasse jamais le tiers des membres. Voir : BEN NEFISSA, Sarah, « Les partis politiques égyptiens entre les contraintes du système politique et le renouvellement des élites », in : Revue du monde musulman et de la Méditerranée, 1996, n° 81-82, p. 79-80. 955 MOGHIRA, Mohamed Anouar, L’Egypte, clé des stratégies…, op.cit., p. 25. 956 KAMINSKY, Catherine, KRUK, Simon, La stratégie soviétique…, op.cit., p. 58. Pour une présentation de Khaled Mohieddine, dirigeant du PRNPU, voir infra, partie III, chapitre 7, p. 453-455. 957 MOGHIRA, Mohamed Anouar, L’Egypte, clé des stratégies…, op.cit., p. 25. 958 MARTIN, Maurice P., s.j., « L’Egypte après Sadate », in : Etudes, Paris, août-septembre 1982, p. 157.

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A son arrivée au pouvoir, Hosni Moubarak bénéficie d’une relative bienveillance de la part des forces de gauche égyptiennes et des Etats socialistes. Alors que le PRNPU s’était largement mobilisé contre les accords de Camp David, le parti de gauche adopte une ligne plus souple après la disparition de Sadate : le régime de Hosni Moubarak, qui entend poursuivre la politique de normalisation des relations israélo-égyptiennes, est présenté comme étant soucieux de trouver un règlement global au conflit proche-oriental959. Une partie des membres du PRNPU proclame même ouvertement son soutien à la politique de Hosni Moubarak et prône la « reconnaissance des traités de Camp David en tant que réalité historique »960. Le dirigeant égyptien, bien qu’ayant soutenu sans réserve la politique proche- orientale de Sadate961, jouit par conséquent du soutien d’une certaine partie de l’opposition égyptienne de gauche, qui au début des années 1980 peine grandement à s’imposer dans le paysage politique national962.

De même, le nouveau président égyptien est plutôt bien accueilli par Berlin-Est, qui maintient jusqu’à la fin des années 1980 une clémence durable à son égard. La RDA a admis que l’objectif de Hosni Moubarak était d’entretenir la « stabilité du régime bourgeois » en Egypte : dans ce cadre, elle souligne pourtant la « démocratisation partielle de la vie politique » nationale963. Les diplomates est-allemands estiment en effet que depuis son entrée en fonction, Hosni Moubarak s’est efforcé de « corriger les aspects les plus extrêmes de la politique de Sadate »964. Selon eux, il cherche surtout à réduire la dépendance de l’Egypte vis- à-vis des Etats-Unis et à retrouver, parallèlement, un rôle déterminant au sein du mouvement des non-alignés965. C’est pourquoi les fonctionnaires est-allemands estiment qu’« en général,

959 SAPMO-BArch, DY 30/ 13 671 : Abteilung Internationale Verbindungen im ZK der SED. Ägypten. Arbeitsweise der Botschaft der DDR in Ägypten in Kairo ; 1977 ; 1981-89. Bd. 2 : 1983-89. « Left of Center. The National Progressive Unionist Party is finding it difficult to garner support », article de Michael Georgy, Cairo Today, novembre 1988, p. 201. 960 SAPMO-BArch, DY 30/ 11 497, op.cit., Information für das Politbüro des ZK der SED. Betr.: Entwicklung der ARÄ unter Mubarak und Stellung der ÄKP und der Tagammu, Abt. Int. Verb., Berlin, 19.1.1982. 961 MOGHIRA, Mohamed Anouar, L’Egypte, clé des stratégies…, op.cit., p. 22. 962 Notamment face au succès croissant des partis islamistes en Egypte. Voir : SAPMO-BArch, DY 30/ 13 671, op.cit., « Left of Center. The National Progressive Unionist Party is finding it difficult to garner support », article de Michael Georgy, Cairo Today, novembre 1988, p. 200. Voir également infra, partie III, chapitre 8, p. 489- 496. 963 SAPMO-BArch, DY 30/ 13 669 : Abteilung Internationale Verbindungen im ZK der SED. Ägypten. Bd. 3 : 1988-1989. Informationsbericht über die NDP, die Nationale Demokratische Partei Ägyptens, vertraulich, juni 1988. 964 SAPMO-BArch, DC 20/ 4315 : Ministerrat der DDR. Länderakten Ägypten. 1973-1989. Bd. 3 : 1983-85. Informationsbericht, Ägypten, 1985, Abt. Naher u. Mittlerer Osten. 965 Ibid.

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les conditions de [leur] action politico-diplomatique se sont améliorées »966. Au début des années 1980, il semble en fait que la relation égypto-est-allemande ait trouvé un certain équilibre, entre apaisement et vigilance : les échanges bilatéraux se sont recentrés sur une coopération économique visant l’ « avantage réciproque »967 ; le régime est-allemand entend toutefois maintenir une capacité minimale à « résist[er] » contre les « forces pro- impérialistes » qui gagnent en influence dans le pays968.

Au sein de la gauche égyptienne, les seules véritables critiques émises à l’encontre du nouveau pouvoir émanent d’un groupe minoritaire au sein du PCE. Tandis que la « direction de l’intérieur »969, assumée par les membres dirigeants du PRNPU, refuse d’assimiler Moubarak à Sadate970 et insiste sur la proximité nouvelle qui unit le président égyptien à la classe des travailleurs971, la « direction de l’étranger », représentée notamment par Michel Kamel, considère que Hosni Moubarak est le représentant d’un système qu’il faut combattre et renverser972. Ce courant dénonce toute réconciliation avec le régime973. Il souligne la volonté du dirigeant égyptien de « neutraliser l’opposition » en s’attirant les sympathies de cette dernière, de façon à maintenir la population dans un « attentisme passif »974. De fait, Hosni Moubarak inaugure un style présidentiel qui rompt avec celui de son prédécesseur : il organise devant la presse des rencontres avec ses opposants, lors desquelles il paraît décontracté, voire ironique975. Il mène cependant une politique de libéralisation « prudente et parfaitement sélective »976, destinée à morceler les différentes composantes de l’opposition,

966 Ibid. 967 Voir infra, partie II, chapitre 5. 968 SAPMO-BArch, DC 20/ 4315 : Ministerrat der DDR. Länderakten Ägypten. 1973-1989. Bd. 3 : 1983-85. Informationsbericht, Ägypten, 1985, Abt. Naher u. Mittlerer Osten. 969 Le parti communiste égyptien (PCE), clandestin, est divisé entre un courant qui adhère en même temps au parti de gauche légal, le PRNPU, et un courant qui refuse cette double adhésion. Le premier courant est dirigé par les leaders du PRNPU, qui résident en Egypte, tandis que le second courant est surtout représenté par des individus exilés, comme Michel Kamel. Sur cette division au sein du PCE, voir infra, partie III, chapitre 7, p. 427-434. 970 SAPMO-BArch, DY 30/ 13 671, op.cit., Vermerk über ein Gespräch mit Dr. Fattah Haikal, den 4.5.1985, Botschaft der DDR in Aden, Volksdemokratische Republik Jemen, 6.5.1985, p. 26. 971 SAPMO-BArch, DY 30/ 13 667, op.cit., Remarques sur le développement récent du PCE, 8.7.1986, p. 3. 972 SAPMO-BArch, DY 30/ 13 671, op.cit., Vermerk über ein Gespräch mit Dr. Fattah Haikal, den 4.5.1985, Botschaft der DDR in Aden, Volksdemokratische Republik Jemen, 6.5.1985, p. 26. 973 SAPMO-BArch, DY 30/ 13 667, op.cit., Remarques sur le développement récent du PCE, 8.7.1986, p. 3. 974 IISH, Michel Kamel Papers, Studies by the Egyptian Communist Party, n° 254, The quest for change in Egypt, in French, no date, p. 12. 975 KEPEL, Gilles, « Les groupes islamistes en Egypte. Flux et reflux, 1981-1985 », in : Politique étrangère, 1986, vol. 51, n° 2, p. 431.

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afin de mieux les marginaliser. Tout en cherchant à donner à son gouvernement une image plus souple, le nouveau président égyptien choisit d’assumer totalement l’héritage de son prédécesseur et de contenir strictement les ferments de contestation au sein de la société civile.

2. Contenir l’instabilité sociale : une structure de pouvoir inchangée

Dès son arrivée au pouvoir, Moubarak décrète ainsi l’état d’urgence sur l’ensemble du territoire égyptien : celui-ci semble d’autant plus justifié qu’une insurrection a eu lieu à Assiout, en Moyenne-Egypte, du 9 au 13 octobre 1981, faisant passer la ville sous contrôle presque total des activistes de l’organisation du Jihâd locale977. Régulièrement reconduit, le maintien de l’état d’urgence en Egypte permet à Moubarak de consolider un arsenal répressif l’autorisant à arrêter tout « suspect », à contrôler la presse et à interdire des manifestations ou des réunions publiques. Le mécontentement populaire est ainsi facilement réprimé : malgré l’explosion démographique978 et les difficultés économiques du début des années 1980, le régime parvient à contenir l’effervescence sociale.

Bien qu’il ait affiché sa volonté de réguler la politique d’Infitâh de Sadate, Moubarak maintient l’ouverture économique de l’Egypte. Les observateurs est-allemands, tout comme leurs interlocuteurs égyptiens de gauche, déplorent le recul du secteur étatique dans le pays, la dépendance à l’égard du blé américain979, le démantèlement de la politique de logement social ou encore la baisse des subventions sur les denrées alimentaires980. Face à l’ampleur de sa dette (17 milliards de dollars en 1981) et notamment de sa dette militaire envers les Etats- Unis, l’Egypte a en effet dû consentir des ajustements sociaux très lourds, qui entraînent la dévaluation de sa monnaie981 et une forte inflation982. En octobre 1984, des manifestations ont

976 Ibid., p. 432. 977 CARRE, Olivier, SEURAT, Michel, Les Frères musulmans (1928-1982), Paris, L’Harmattan, 1983, p. 122. 978 En 1984, l’Egypte compte 46 millions d’habitants, 20,6% de la population vivant au Caire. Voir : SAPMO- BArch, DY 45/ 1408, op.cit., AW Informationen für Auslandsreisen, ARÄ, Nr. 6, Januar 1985, ZIDA, Berlin. 979 Selon les analyses de l’ambassade est-allemande au Caire, qui reprennent les données du PRNPU, 84% de l’aide économique américaine à l’Egypte est utilisée pour importer des biens et des denrées alimentaires, notamment du blé. Voir : SAPMO-BArch, DY 30/ 13 671, op.cit., Information sur le 12ème congrès du Comité central du PRNPU, les 23-24 janvier 1986, ambassade de la RDA en RAE, le Caire, 15.3.1986, p. 131. 980 Ibid., p. 130. 981 Selon Mohammed Anouar Moghira, en 1981, après l’accession de Moubarak au pouvoir, la monnaie égyptienne perd 90% de sa valeur. Voir : MOGHIRA, Mohammed Anouar, « Nasser, Sadate, Moubarak… », op.cit., p. 66. En 1985, la livre égyptienne est encore dévaluée de 8%. Voir : SAAL, Agnès, « Chronologie des faits internationaux d’ordre juridique-1985 », in : Annuaire français de droit international, 1985, vol. 31, n° 31, p. 1036.

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lieu à Kafr ek-Dawar, parmi les ouvriers du textile, contre l’augmentation des prix : elles font 3 morts et 26 blessés983. En février 1986, des émeutes éclatent au Caire : les conscrits de la police se soulèvent, afin de protester contre leurs conditions de travail984. Malgré l’intervention rapide des forces armées, elles dégénèrent rapidement en saccages des établissements touristiques et des boîtes de nuit de l’avenue des Pyramides, à Gizeh985. On dénombre une centaine de morts et près de 700 blessés986.

En somme, de Sadate à Moubarak, la structure du pouvoir ne change pas fondamentalement. Mohammed Anouar Moghira évoque l’« immobilisme positif »987 du nouveau président égyptien, qui maintient l’état d’urgence, entretient une alliance étroite avec les Etats-Unis et veille à la poursuite du processus de paix avec Israël. Les analyses est-allemandes soulignent néanmoins l’habileté de Hosni Moubarak, qui est parvenu à préserver une certaine « continuité dans les questions fondamentales », tout en endiguant l’ « atmosphère révolutionnaire » de la fin des années Sadate988. Ayant réussi à diviser l’opposition, des forces de gauche aux groupes islamistes, le président entame une politique active sur le plan international, qui vise à rétablir le rôle dirigeant de l’Egypte au Moyen-Orient.

B. Le retour de l’Egypte sur la scène internationale

1. La continuité de la politique étrangère égyptienne, de Sadate à Moubarak : l’irréversibilité du processus de paix avec Israël

Dès le lendemain de la mort de Sadate, Hosni Moubarak s’est empressé d’annoncer officiellement « l’attachement de l’Egypte à tous les traités et à tous les accords internationaux » qu’elle a conclus989. En janvier 1982, il reçoit au Caire le secrétaire d’Etat américain, Alexander Haig, et lui confirme sa volonté de maintenir l’Egypte dans le cadre de

982 POMMIER, Sophie, Egypte, L’envers du décor, op.cit., p. 58. 983 KEPEL, Gilles, « Les groupes islamistes en Egypte…», op.cit., p. 446. 984 AYEB, Habib, La crise de la société rurale en Egypte. La fin du fellah ?, Paris, Karthala, 2010, p. 47-48. 985 KEPEL, Gilles, « Les groupes islamistes en Egypte. Flux et reflux, 1981-1985 », in : Politique étrangère, op.cit., p. 443. 986 MOGHIRA, Mohammed Anouar, « Nasser, Sadate, Moubarak… », op.cit., p. 67. 987 Ibid., p. 49. 988 SAPMO-BArch, DY 30/ 11 497, op.cit., Information für das Politbüro des ZK der SED. Betr.: Entwicklung der ARÄ unter Mubarak und Stellung der ÄKP und der Tagammu, Abt. Int. Verb., Berlin, 19.1.1982. 989 « Le président Sadate est mort. Le grand témoin de la paix a succombé aux balles d’un traître », Le Progrès égyptien, 7 octobre 1981, p. 1.

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Camp David990. Pour les observateurs est-allemands, la priorité de Hosni Moubarak est de ne surtout pas mettre en danger la restitution complète du Sinaï à l’Egypte, prévue pour 1982991 : c’est dans ce but qu’il mène, selon eux, une politique de pacification intérieure et qu’il entreprend de tranquilliser ses interlocuteurs américains et israéliens992. De fait, le retrait israélien du Sinaï s’achève le 25 avril 1982993, à l’exclusion de la ville frontalière de Taba, située sur le golfe d’Aqaba, qui reste sous souveraineté israélienne jusqu’en mars 1989994.

Soucieux de réhabiliter le rôle de l’Egypte au Moyen-Orient, Hosni Moubarak s’efforce cependant de se présenter comme le restaurateur de l’indépendance nationale. La RDA souligne d’ailleurs les inflexions de la politique étrangère égyptienne, qui traduisent selon elle l’enracinement du sentiment d’appartenance au mouvement des non-alignés995 : le 15 décembre 1981, une déclaration gouvernementale condamne ainsi l’adoption par la Knesset, la veille, d’un projet de loi instituant la juridiction israélienne sur les hauteurs du Golan996. En avril 1983, Hosni Moubarak se rend en Corée du Nord, puis au Japon. A l’occasion de sa visite, Kim Il Sung, le dirigeant nord-coréen, demande le retrait israélien du Liban et de tous les territoires occupés997. Quelques jours plus tard, le premier ministre japonais, Yasuhiro Nakasone, condamne dans une déclaration publique la colonisation israélienne998.

Pour Berlin-Est, il semble en fait que l’Egypte essaie de « desserrer les obligations de Camp David », sans pour autant remettre en cause la fin de l’état de guerre avec Israël, favorable aux intérêts de la bourgeoisie égyptienne999. Ainsi, si le régime de Hosni Moubarak refuse d’accéder aux revendications de ses voisins arabes sur l’annulation des accords de

990 SAPMO-BArch, DY 30/ 11 497, op.cit., Information für das Politbüro des ZK der SED. Betr.: Entwicklung der ARÄ unter Mubarak und Stellung der ÄKP und der Tagammu, Abt. Int. Verb., Berlin, 19.1.1982. 991 Sur l’accord Sinaï II signé avec Israël, voir supra, partie II, chapitre 3, p. 156-159. 992 SAPMO-BArch, DY 30/ 11 497, op.cit., Information für das Politbüro des ZK der SED. Betr.: Entwicklung der ARÄ unter Mubarak und Stellung der ÄKP und der Tagammu, Abt. Int. Verb., Berlin, 19.1.1982. 993 EL-HUSSEINI, Mohrez Mahmoud, Soviet-Egyptian Relations, 1945-1985, MacMillan Press, 1987, p. 213. 994 MOGHIRA, Mohamed Anouar, L’Egypte, clé des stratégies…, op.cit., p. 75. 995 SAPMO-BArch, DY 30/ 11 497, op.cit., Information für das Politbüro des ZK der SED. Betr.: Entwicklung der ARÄ unter Mubarak und Stellung der ÄKP und der Tagammu, Abt. Int. Verb., Berlin, 19.1.1982. 996 La loi 5742/81, sur les hauteurs du Golan, étend la législation israélienne au Golan, occupé depuis 1967. Elle est condamnée immédiatement par les Etats arabes, les Etats socialistes et les Etats-Unis, qui y voient une violation des résolutions 242 et 338 du Conseil de Sécurité de l’ONU. Voir : COUSSIRAT-COUSTERE, Vincent, « Israël et le Golan : problèmes juridiques résultant de la loi du 14 décembre 1981 », in : Annuaire français de droit international, 1982, vol. 28, n° 28, p. 186. 997 « Demande de retrait des occupants israéliens », Neues Deutschland, 7 avril 1983, p. 5. 998 « Rencontre entre Moubarak et Nakasone », Neues Deutschland, 7 avril 1983, p. 5. 999 SAPMO-BArch, DC 20/ 4315, op.cit., Informationsbericht, Ägypten, 1985, Abt. Naher u. Mittlerer Osten.

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Camp David, il ne s’interdit pas, toutefois, de souligner ses divergences avec Israël au sujet du sort des Palestiniens1000. De cette façon, il entend surmonter l’isolement de l’Egypte et faciliter la « réconciliation arabe »1001.

2. La réintégration de l’Egypte dans le giron arabe

Dès 1982, Hosni Moubarak met en œuvre une politique régionale active : il envoie des représentants dans plusieurs pays arabes, afin de renouer le dialogue1002. Et de fait, les années qui suivent, il parvient à rétablir les contacts avec la Jordanie, l’Irak et l’Algérie, et l’OLP1003. En septembre 1984, le Caire et Amman rétablissent officiellement leurs liens diplomatiques1004.

Pour les observateurs est-allemands, l’Egypte a désormais fortement intérêt à obtenir la signature d’une convention garantissant l’autonomie des territoires palestiniens1005. La question palestinienne occupe en effet une place essentielle dans l’action diplomatique de Moubarak, qui y voit une façon de prouver son appartenance effective au camp arabe. Le président égyptien s’efforce donc de jouer le rôle de médiateur dans le conflit israélo- arabe1006, soutenant tour à tour le plan Reagan de septembre 19821007 et l’Intifada palestinienne, qui éclate en décembre 1987, contre l’occupation israélienne1008.

Paradoxalement, ce ne sont pas tant les négociations israélo-arabes qui vont permettre à l’Egypte de sortir de son isolement diplomatique, mais l’ouverture d’une nouvelle zone de conflit, au Liban1009. En effet, après l’invasion du Liban par l’armée israélienne en juin 1982,

1000 Ibid. 1001 MOGHIRA, Mohamed Anouar, L’Egypte, clé des stratégies…, op.cit., p. 62. 1002 SAPMO-BArch, DY 30/ 11 497, op.cit., Information für das Politbüro des ZK der SED. Betr.: Entwicklung der ARÄ unter Mubarak und Stellung der ÄKP und der Tagammu, Abt. Int. Verb., Berlin, 19.1.1982. 1003 SAPMO-BArch, DC 20/ 4315, op.cit., Informationsbericht, Ägypten, 1985, Abt. Naher u. Mittlerer Osten. 1004 EL-HUSSEINI, Mohrez Mahmoud, Soviet-Egyptian Relations…, op.cit., p. 213. 1005 SAPMO-BArch, DY 30/ 11 497, op.cit., Information für das Politbüro des ZK der SED. Betr.: Entwicklung der ARÄ unter Mubarak und Stellung der ÄKP und der Tagammu, Abt. Int. Verb., Berlin, 19.1.1982. 1006 Pour une analyse détaillée du rôle jouée par l’Egypte de Hosni Moubarak dans le règlement du conflit israélo-arabe, et ses relations avec l’OLP, voir infra, partie III, chapitre 9, p. 532-534. 1007 Le plan Reagan prévoit la totale autonomie des Palestiniens des territoires occupés, sans proposer toutefois de voie menant à la formation d’un Etat palestinien indépendant. Voir : CLOAREC, Vincent, LAURENS, Henry, Le Moyen-Orient…, op.cit., p. 174. 1008 L’Intifada (soulèvement) désigne un mouvement d’émeutes populaires, qui éclatent à Gaza en décembre 1987, et se propagent jusqu’à la Cisjordanie. Voir : CLOAREC, Vincent, LAURENS, Henry, Le Moyen-Orient…, op.cit., p. 176. 1009 POMMIER, Sophie, Egypte, l’envers du décor, op.cit., p. 65.

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qui vise à mettre un terme à la résistance palestinienne et à liquider la menace syrienne1010, l’Egypte renoue avec les dirigeants de l’OLP. En décembre 1983, une visite de Yasser Arafat au Caire scelle officiellement la réconciliation1011. Le ministre égyptien des Affaires étrangères, Boutros Boutros-Ghali, évoque l’assistance offerte à Yasser Arafat par une Egypte « généreuse et magnanime, oubliant les insultes et les offenses que lui [a] infligées [le leader de l’OLP] »1012. Pour le parti communiste égyptien, à l’inverse, le soutien égyptien à l’OLP reste largement freiné par le « fardeau de Camp David »1013 :

« L’agression israélienne contre le Liban a placé les autorités égyptiennes dans une situation délicate. Si elle est condamnée verbalement et si la pression des masses donne lieu à une protestation formelle, c’est pour mieux affirmer cette réserve : "quoi que fasse Israël, nous resterons fidèles à Camp David" et "nos engagements au titre du traité de paix ne sont pas discutables" »1014.

L’impasse libanaise inaugure néanmoins le retour de l’Egypte sur la scène arabe, le Caire parvenant à tirer profit des divisions arabes. Le pouvoir égyptien soutient d’abord les forces anti-syriennes au Liban1015, en leur fournissant des armes1016, puis se rapproche ensuite du gouvernement syrien, qui cherche à isoler Yasser Arafat, afin de garder la résistance palestinienne sous contrôle1017.

En même temps, le régime égyptien renoue avec l’un des chefs de file du Front du refus, l’Irak, en l’aidant militairement dans la guerre qui l’oppose à l’Iran depuis 19801018. Bien qu’elle s’efforce de se présenter comme un intermédiaire incontournable dans le conflit du Golfe persique, l’Egypte appuie officiellement le régime de Saddam Hussein1019. A partir

1010 CLOAREC, Vincent, LAURENS, Henry, Le Moyen-Orient…, op.cit., p. 169. 1011 POMMIER, Sophie, Egypte, l’envers du décor, op.cit., p. 65. 1012 BOUTROS-GHALI, Boutros, Entre le Nil et Jérusalem. Chroniques d’un diplomate égyptien, Editions du Rocher, 2011, p. 11. 1013 IISH, Michel Kamel Papers, Studies by the Egyptian Communist Party, n° 254, The quest for change in Egypt, in French, no date, p. 3. 1014 Ibid. 1015 Les forces armées syriennes sont entrées au Liban en 1976, après le déclenchement de la guerre civile libanaise, officiellement pour jouer le rôle de médiateurs entre les Phalangistes chrétiens et les milices palestiniennes. 1016 SAPMO-BArch, DY 30/ 13 671, op.cit., Vermerk über ein Gespräch mit dem Genossen Michel Kamel, Mitglied des Politbüros des ZK der ÄKP, den 4.6.1986, Botschaft der DDR in Syrische Arabische Republik, Damascus, 23.6.1986. 1017 SAPMO-BArch, DY 30/ 13 671, op.cit., Vermerk über ein Gespräch mit dem Genossen Fuad al-Tuheimi, Mitglied des ZK der ÄKP, den 7.1.1987, Botschaft der DDR in Syrische Arabische Republik, Damascus, 8.1.1987. 1018 POMMIER, Sophie, Egypte, l’envers du décor, op.cit., p. 66. 1019 SAPMO-BArch, DC 20/ 4315, op.cit., Informationsbericht, Ägypten, 1985, Abt. Naher u. Mittlerer Osten. L’Egypte et l’Iran n’entretiennent plus de relations diplomatiques depuis la signature des accords de Camp 196

de 1985-1986, soutenu par la gauche égyptienne qui voit dans la République islamique d’Iran un régime « réactionnaire »1020, Moubarak s’engage politiquement dans le conflit1021. Outre la crainte d’une contagion de la révolution iranienne en Egypte1022, son intervention est en grande partie motivée par des facteurs économiques. De fait, près d’un million et demi d’Egyptiens sont expatriés en Irak. Parmi eux, beaucoup sont employés dans le bâtiment : les devises qu’ils envoient en Egypte représentent une manne non négligeable pour l’économie nationale1023. En 1983, 16 000 officiers et soldats égyptiens servent dans les rangs de l’armée irakienne1024. De plus, l’Egypte livre à l’Irak les armes qu’elle a reçues de l’Union soviétique1025. En janvier 1988, Moubarak se rend en Irak1026. Selon la presse ouest- allemande, grâce au soutien conjugué de l’Egypte, de la RDA et de la Corée du Nord, Bagdad a réussi à doubler le nombre de ses missiles Scud-B1027.

Mais si l’URSS1028 et Berlin-Est fournissent également des armes à Saddam Hussein1029, la guerre Iran-Irak ne conduit nullement au rapprochement entre le régime égyptien et les Etats socialistes. En effet, les armes soviétiques fournies par le Caire à Bagdad ont avant tout vocation à être remplacées par des armes américaines, financées par l’Arabie

David, en 1979. En mai 1987, après que l’Egypte a accusé l’Iran révolutionnaire de financer des groupes musulmans extrémistes sur son territoire, les deux pays rompent tous leurs liens bilatéraux. A l’issue de la guerre Iran-Irak, en 1988, l’Egypte tente de faire libérer ses soldats prisonniers en Iran, sans succès. Il faudra attendre le décès de l’imam Khomeiny, en juin 1989, pour qu’ait lieu un premier rapprochement entre les deux Etats. Voir : MOGHIRA, Mohamed Anouar, L’Egypte, clé des stratégies…, op.cit., p. 82. 1020 SAPMO-BArch, DY 30/ 13 670, op.cit., Vermerk über ein Gespräch mit Mohamed Säid Ahmed, Mitglied des Generalsekretariats der VNPP (links), den 17.1.1981, Botschaft der DDR in ARÄ, Kairo, 19.1.1981. 1021 MOGHIRA, Mohamed Anouar, L’Egypte, clé des stratégies…, op.cit., p. 70. 1022 Sur la crainte que suscite l’écho de la révolution iranienne de 1979 en Egypte, voir infra, partie III, chapitre 8, p. 490-491. 1023 MOGHIRA, Mohamed Anouar, L’Egypte, clé des stratégies…, op.cit., p. 71. 1024 SAPMO-BArch, DY 30/ 13 671, op.cit., Abschlußinformation üben den DDR-Aufenthalt des Genossen Dr. Rifaat el-Saïd, stellvertr. General Sekretär der VNPP Ägyptens, anläßlich seiner Teilnahme an der Internationalen wissenschaftlichen « Karl-Marx Konferenz », Berlin, 20.4.1983. 1025 Ibid. 1026 BStU, MfS, Abt. X, Nr. 561, Information des organes de sécurité de Bulgarie au sujet de la visite du président égyptien Moubarak en Irak, Département X, Berlin, 15.2.1988. 1027 « Der Krieg beginnt mit Raketenschlag Die Dritte Welt rüstet mit“, Der Spiegel, 47/1988, 21 novembre 1988. 1028 Moscou est l’un des principaux fournisseurs d’armes de l’Irak durant la guerre de 1980-1988, aux côtés de la France, de la Chine et de l’Egypte. Voir : MOGHIRA, Mohamed Anouar, L’Egypte, clé des stratégies…, op.cit., p. 76. 1029 Militairement, la RDA soutient aussi bien l’Iran que l’Irak. Sur les ambiguïtés de la position est-allemande dans la guerre Iran-Irak, voir infra, partie II, chapitre 5, p. 267-268.

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Saoudite et les Etats du Golfe1030. Selon le PRNPU, au début du conflit, les Etats-Unis font d’ailleurs pression sur Moubarak pour que ce dernier s’implique davantage aux côtés de l’Irak1031. Berlin-Est estime ainsi que Washington utilise la guerre Iran-Irak pour renforcer sa présence militaire au Moyen-Orient et dans l’Océan Indien1032. Selon l’armée est-allemande, des groupes d’intervention américains ont même conduit des opérations militaires à partir du territoire égyptien, dès le mois de novembre 19801033.

La guerre du Liban et la guerre Iran-Irak permettent donc à l’Egypte de retrouver progressivement un rôle moteur au Moyen-Orient, sans remettre nullement en cause les acquis de Camp David. En 1986, le Caire réintègre la Conférence islamique1034. En mai 1989, l’Egypte redevient membre de la Ligue arabe, dont elle avait été évincée après les accords de Camp David, ce qui constitue un « grand succès » pour sa diplomatie1035. Hosni Moubarak parvient ainsi à normaliser les relations internationales de l’Egypte : en matière de politique étrangère, il affirme son attachement au non-alignement et prône l’ « équilibre » entre les deux superpuissances1036.

C. Des « relations internationales équilibrées »1037 : pragmatisme et flexibilité de la politique étrangère égyptienne

1. Les « relations spéciales »1038 entre les Etats-Unis et l’Egypte

Depuis les accords de Camp David, l’armée égyptienne est l’institution de l’Etat qui reçoit le plus de dividendes de la part des Etats-Unis1039. Au début des années 1980,

1030 SAPMO-BArch, DY 30/ 13 670, op.cit., Vermerk über ein Gespräch mit Rifaat el-Saïd, Generalsekretär der VNPP, den 2.5.1982, Botschaft der DDR in ARÄ, Kairo, 7.6.1982. 1031 Ibid. 1032 DVW 1/ 94 173: MfNV, Verwaltung Aufklärung. Operationsführung und Gefechteinsatz der Streitkräfte im irakisch- iranischen Konflikt, 1980. Stand: März 1981, p. 18. 1033 Ibid. 1034 POMMIER, Sophie, Egypte, l’envers du décor, op.cit., p. 66. 1035 BStU, MfS, ZAIG Nr.16220, Information sur les aspects actuels de la politique intérieure et extérieure de l’Egypte, strictement confidentiel, Berlin, 3.7.1989. 1036 IISH, Michel Kamel Papers, Studies by the Egyptian Communist Party, n° 254, The quest for change in Egypt, in French, no date, p. 2. 1037 SAPMO-BArch, DY 30/ 11 497, op.cit., Information für das Politbüro des ZK der SED. Betr.: Entwicklung der ARÄ unter Mubarak und Stellung der ÄKP und der Tagammu, Abt. Int. Verb., Berlin, 19.1.1982. 1038 SAPMO-BArch, DY 30/ 13 667, op.cit., Vermerk über ein Gespräch des Genossen Trappen mit Vertretern der ÄKP, den 19.11.1983. 1039 CHARTOUNI-DUBARRY, May, « Armée et nation en Egypte : pouvoir politique, pouvoir militaire, note de synthèse », in : CHARTOUNI-DUBARRY, May (dir.), Armée et nation en Egypte : pouvoir politique, pouvoir militaire, Paris, Les notes de l’IFRI, 2001, n° 31, p. 18.

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l’assistance militaire américaine annuelle à l’Egypte s’élève ainsi à 1,3 milliards de dollars1040. L’aide américaine est d’autant plus importante qu’en dépit du traité de paix avec Israël, le budget de la défense égyptien représente encore de 11,6% du budget général de l’Etat en 1979-19801041.

En plus d’être assorti de crédits militaires américains destinés à financer l’armement de l’Egypte1042, le traité de Camp David a permis l’installation de bases militaires américaines sur le territoire égyptien1043. Sous Sadate, la présence militaire américaine en Egypte a été fortement dénoncée1044. Sous Moubarak, les « relations spéciales » de l’Egypte avec les Etats- Unis font toujours l’objet des critiques de l’opposition de gauche et des forces islamistes, qui y voient une remise en cause de la souveraineté nationale : selon le PRNPU, l’Egypte est le maillon le plus faible de l’alliance tripartite entre Washington, Tel Aviv et le Caire1045. En présence de ses interlocuteurs est-allemands, Rifaat el-Saïd va même jusqu’à désigner Hosni Moubarak comme une « marionnette »1046, voire un véritable « esclave »1047, aux mains du président américain Ronald Reagan.

Le PCE est plus virulent encore et dénonce la dimension inégale des relations américano-égyptiennes. Selon lui, la diplomatie égyptienne se résume désormais à la formule très lapidaire qu’il attribue au ministre des Affaires étrangères, Kamal Hassan Ali : « en 1983,

1040 Ibid. L’aide militaire américaine atteint toujours cette somme en 1988. Voir : BStU, MfS, Abt. X, Nr. 561, Information des organes de sécurité de Bulgarie sur les relations égypto-américaines dans le domaine militaire, Département X, confidentiel, Berlin, 26.5.1988. 1041 Il représentait 10,12% du budget de l’Etat l’année précédente. Voir : MIREL, Pierre, L’Egypte des ruptures…, op.cit., p. 239. En 1980, les forces armées égyptiennes comprennent 350 000 hommes. Voir : BStU, MfS, ZAIG, Nr. 6204, A propos du développement politico-militaire en RAE, MfNV, Verwaltung Aufklärung, 30.12.1980. 1042 En septembre 1980, les Etats-Unis mettent à disposition de l’Egypte un crédit de 470 millions de dollars, destiné à financer des achats d’armes. Voir : BStU, MfS, ZAIG, Nr. 6204, A propos du développement politico- militaire en RAE, MfNV, Verwaltung Aufklärung, 30.12.1980. 1043 SAPMO-BArch, DY 30/ IV B 2-20 346, op.cit., United Progressive National Grouping Party. Central Committee, Third Session of meetings, 25-26 december 1980, p. 62. 1044 Voir infra, partie I, chapitre 3, p. 170. 1045 SAPMO-BArch, DY 30/ IV B 2-20 346, op.cit., United Progressive National Grouping Party. Central Committee, Third Session of meetings, 25-26 december 1980, p. 61. 1046 SAPMO-BArch, DY 30/ 13 667, op.cit., Vermerk über ein Gespräch des Präsidents des Sekretariats des Nationalrats der Nationalen Front der DDR, Werner Kirchhoff, mit dem Generalsekretär der VNPP Ägyptens, Dr. Rifaat el-Saïd, den 7.4.1983, Abt. Internationale Verbindungen, Berlin, 11.4.1983. 1047 SAPMO-BArch, DY 30/ 13 671, op.cit., Abschlußinformation über den DDR-Aufenthalt des Genossen Dr. Rifaat el-Saïd, stellvertr. Generalsekretär der VNPP Ägyptens, anläßlich seiner Teilnahme an der Internationalen wissenschaftlichen « Karl-Marx Konferenz », Berlin, 20.4.1983.

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nous donnerons toutes les cartes aux Américains et nous verrons ce qu’il en sortira »1048. Or, d’après les analyses du parti, les crédits américains ne profitent nullement à la population égyptienne : en effet, ils doivent être utilisés pour l’achat de biens américains, « à des prix exorbitants, qui sont de 30 à 50% plus élevés que les prix du marché mondial »1049. En outre, les relations commerciales bilatérales sont nettement défavorables à l’Egypte : les exportations de cette dernière à destination des Etats-Unis ne dépassent pas 40 millions de dollars, alors que les livraisons américaines dont elle bénéficie atteignent près de 3 milliards de dollars1050. Enfin, dans la seconde moitié des années 1980, le PCE estime que le pan le plus dangereux des « relations spéciales » entre les Etats-Unis et l’Egypte réside dans la participation des forces armées égyptiennes aux projets du Pentagone et de l’OTAN1051. Il dénonce en particulier le concours égyptien aux manœuvres américaines Bright Star, lors desquelles le territoire terrestre, marin et aérien de l’Egypte a été mis à entière disposition de l’armée des Etats-Unis1052. Les opérations militaires Bright Star désignent les manœuvres jointes des armées américaine et égyptienne : entamées en 1980, elles se sont considérablement développées sous la présidence de Moubarak, en particulier à partir de 19831053. Elles ont pour objectif de favoriser l’échange d’expériences et de techniques entre les deux forces armées et de développer les capacités de déploiement militaire américain au Moyen-Orient1054. Pour Berlin-Est, il est évident que de telles manœuvres ont aussi pour but de réduire la dépendance égyptienne à l’égard des techniques de combat et de l’armement soviétiques1055.

Pourtant, si Moubarak affiche sa volonté de développer ses liens avec l’Ouest, il est déterminé à améliorer ses relations avec Moscou. En outre, soucieux de ne pas compromettre

1048 Cette citation est extraite du journal al-Mussawar du 17 février 1982. Voir : IISH, Michel Kamel Papers, Studies by the Egyptian Communist Party, n° 254, The quest for change in Egypt, article, in French, no date, p. 4. 1049 SAPMO-BArch, DY 30/ 13 666 : Abteilung Internationale Verbindungen im ZK der SED. Ägypten. Arbeitsweise der Botschaft der DDR in Ägypten in Kairo, 1977, 1981-89. Parteitage der ägyptische Kommunistischen Partei, 1980-85. Beziehungen der SED mit Parteien in Ägypten, 1981-1989. Al-Intisâr, mars 1985, numéro spécial. 1050 Ibid. 1051 IISH, Michel Kamel Papers, Studies by the Egyptian Communist Party, n° 254, The quest for change in Egypt, article, in French, no date, p. 4. 1052 Ibid. 1053 SAPMO-BArch, DY 30/ 13 667, op.cit., Vermerk über ein Gespräch des Genossen Trappen mit Vertretern der ÄKP, den 19.11.1983. 1054 MfNV, DVW 1/ 101 363: Meldungen von Militärattachés. Bestand: ergänzung zur amerikanisch-ägyptischen Übung « Bright Star 89 ». Exercice joint américano-égyptien (Bright Star 89), 11-16.11.1989. 1055 MfNV, AZN 8477, op.cit., Information, 8.12.1984.

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la réconciliation de l’Egypte avec ses voisins arabes, il s’oppose à la construction de deux bases militaires américaines, destinées à accueillir une force de déploiement rapide, près d’Alexandrie et à Kena1056. Selon Rifaat el-Saïd, le président égyptien est resté ferme face aux pressions des Etats-Unis, qui n’ont pas manqué de brandir des documents signés par Sadate et approuvant l’édification de bases militaires américaines en Egypte1057. Ainsi, au moment où il négocie la réintégration de l’Egypte au sein de la Ligue arabe, Hosni Moubarak souhaite atténuer l’orientation pro-américaine de son régime1058. Il entreprend alors de réactiver ses liens avec l’URSS et les Etats socialistes, comme la RDA, la Tchécoslovaquie et la Hongrie, afin d’ « habituer » les Etats-Unis aux nouvelles déclinaisons de sa politique étrangère1059.

2. Des relations dépassionnées avec l’URSS et les Etats socialistes

Sans se nourrir d’illusions quant à l’orientation résolument « pro-impérialiste » et « bourgeoise » du régime de Moubarak, les Etats socialistes et le PRNPU mettent pourtant en avant la volonté du président égyptien de se « libérer de l’étreinte des Etats-Unis »1060. Le PCE n’est pas aussi indulgent et dénonce quant à lui les contradictions de la politique étrangère de Moubarak, qui promeut une diversification des alliances sur la scène internationale, « sans pour autant renoncer d’un iota à maintenir des "relations particulières" avec les Etats-Unis d’Amérique »1061. Selon le parti communiste, les dirigeants égyptiens n’entreprennent rien de sérieux pour rétablir des relations normales avec l’URSS1062.

Et pourtant, dès 1982, Moubarak annonce le retour imminent d’experts soviétiques en Egypte1063. En 1983, il relance les échanges commerciaux avec l’URSS1064. Le 27 juillet

1056 KAMINSKY, Catherine, KRUK, Simon, La stratégie soviétique…, op.cit., p. 59. 1057 SAPMO-BArch, DY 30/ 13 671, op.cit., Abschlußinformation über den DDR-Aufenthalt des Genossen Dr. Rifaat el-Saïd, stellvertr. Generalsekretär der VNPP Ägyptens, anläßlich seiner Teilnahme an der Internationalen wissenschaftlichen « Karl-Marx Konferenz », Berlin, 20.4.1983, p. 5. 1058 KAMINSKY, Catherine, KRUK, Simon, La stratégie soviétique…, op.cit., p. 59. 1059 Ibid., p. 4. 1060 SAPMO-BArch, DY 30/ 13 671, op.cit., Vermerk über ein Gespräch des Genossen Dr. Peter Bathke, Abteilungsleiter der Abteilung Internationale Verbindungen im ZK der SED, mit Genossen Khaled Mohieddin, Generalsekretär der VNPP Ägyptens, am 24.10.1986, Botschaft der DDR in ARÄ, Kairo, 25.10.1986, p. 159. 1061 IISH, Michel Kamel Papers, Studies by the Egyptian Communist Party, n° 254, The quest for change in Egypt, article, in French, no date, p. 2. 1062 Ibid. 1063 SAPMO-BArch, DY 30/ 11 497, op.cit., Information für das Politbüro des ZK der SED. Betr.: Entwicklung der ARÄ unter Mubarak und Stellung der ÄKP und der Tagammu, Abt. Int. Verb., Berlin, 19.1.1982. 1064 LAURENS, Henry, « L’URSS et l’Egypte de Nasser à Sadate », in : CHEVALLIER, Dominique (dir.), Renouvellements du monde arabe, 1952-1982. Pensées politiques et confrontations internationales, Paris, Armand Colin, 1987, p. 63.

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1984, il renoue les relations diplomatiques avec cette dernière, conformément à ce qu’il avait sous-entendu dans une interview accordée un an plus tôt au magazine Time : « Nous n’avons aucun intérêt à négliger l’Union soviétique »1065. Le 25 octobre 1987, un consulat soviétique peut à nouveau ouvrir au Caire1066 : quelques mois plus tôt, Moscou avait accepté de renoncer aux intérêts de la composante militaire de la dette égyptienne et d’étendre les paiements sur 25 ans1067. Enfin, en février 1989, la visite au Caire du ministre soviétique des Affaires étrangères, Edouard Chevardnadze, mène à la création d’une commission économique commune, destinée à encourager les échanges bilatéraux1068. Ces accords s’inscrivent dans le cadre de la nouvelle pensée politique en vigueur dans l’URSS de Gorbatchev : Moscou prône désormais la diversification de ses relations internationales, sans soumettre ces dernières à l’orientation idéologique des Etats1069. Au Moyen-Orient, L’URSS délaisse l’idée de lutte des classes au profit des échanges commerciaux1070. La traduction la plus emblématique de cette redéfinition de la politique étrangère soviétique dans la région est la restauration des relations avec l’Egypte, à nouveau considérée comme un Etat névralgique au sein du monde arabe.

Berlin-Est semble pouvoir tirer son épingle du jeu dans ce nouveau contexte international : en effet, désireux de donner des signes encourageants à Moscou, Hosni Moubarak a entrepris de développer ses relations avec la RDA, la Tchécoslovaquie et la Hongrie1071. Il approuve les initiatives est-allemandes visant à consolider une « coopération économique aux avantages réciproques » et s’efforce de laisser de côté les questions politiques sur lesquelles les positions de l’Egypte et de la RDA divergent1072. En 1983, les gouvernements est-allemand et égyptien signent un accord sur la coopération économique, industrielle et technique bilatérale1073. Au mois de novembre de la même année, le ministre

1065 EL-HUSSEINI, Mohrez Mahmoud, Soviet-Egyptian Relations…, op.cit., p. 214. 1066 KAMINSKY, Catherine, KRUK, Simon, La stratégie soviétique…, op.cit., p. 59. 1067 HELLER, Mark A., The dynamics of soviet policy in the Middle East, between old thinking and new, Jaffee Center for Strategic Studies, Tel Aviv University, 1991, N° 18, p. 75. 1068 Ibid., p. 76. 1069 Ibid, p. 75. 1070 NIZAMEDDIN, Talal, Russia and the Middle East, towards a new foreign policy, Londres, Hurts and Company, 1999, p. 47. 1071 SAPMO-BArch, DY 30/ 13 667, op.cit., Vermerk über ein Gespräch des Präsidents des Sekretariats des Nationalrats der Nationalen Front der DDR, Werner Kirchhoff, mit dem Generalsekretär der VNPP Ägyptens, Dr. Rifaat el-Saïd, den 7.4.1983, Abt. Internationale Verbindungen, Berlin, 11.4.1983. 1072 SAPMO-BArch, DC 20/ 4315, op.cit., Informationsbericht, Ägypten, 1985, Abt. Naher u. Mittlerer Osten. 1073 SAPMO-BArch, DY 30/ 17 842 : Abteilung Handel, Versorgung und Aussenhandel des ZK der SED (Afrikanische Ländern). Ministerium für Aussenhandel. Handelsabkommen DDR-Ägypten. Bd. 5 : 1977-1988. Berlin, 18 April 1977. Bericht über die Verhandlungen zum Abschluss von Vereinbarungen zur Durchführung 202

égyptien des Affaires étrangères, Boutros Boutros-Ghali, est invité en RDA par son homologue est-allemand, Oskar Fischer1074. Boutros-Ghali, qui prône le maintien des relations avec les « deux superpuissances », se targue d’ailleurs d’entretenir d’aussi bons contacts avec le parti démocrate américain qu’avec le PCUS1075.

Les observateurs est-allemands ne sont pas réellement dupes : ils mettent les efforts entrepris par le Caire pour renouer les liens avec la RDA sur le compte d’une volonté de manifester publiquement la position internationale « équilibrée » de l’Egypte1076. Il n’en reste pas moins que Berlin-Est s’accommode aisément d’une telle réorientation des relations bilatérales. Au début des années 1980, le régime est-allemand a déjà redéfini ses objectifs prioritaires : en Egypte, l’idéologie n’est plus le moteur principal de sa politique étrangère. Une « diplomatie économique » s’amorce, qui vise à promouvoir les exportations est- allemandes, afin de garantir la sécurité financière nationale1077. La partie suivante de cette thèse entend montrer que les relations égypto-est-allemandes bilatérales doivent alors être analysées à la lumière de cette tension permanente entre orthodoxie idéologique et impératifs économiques.

von Gegenseitigkeitsgeschäften mit der ARÄ. Liste A : 1978. Exporte aus der ARÄ in die DDR. Liste B : 1978. Exporte aus der DDR in die ARÄ. Mesures pour la poursuite de la construction des relations commerciales et économique avec la RAE, 21.3.1984. 1074 Ibid. 1075 SAPMO-BArch, DY 30/ 13 671, op.cit., lettre de Wolfgang Schüssler, ambassadeur est-allemand au Caire, à Günter Sieber, directeur du département des relations internationales du Comité central du SED, le Caire, 2.5.1987. 1076 MfNV, AZN 8477, op.cit., Vermerk über das erste Gespräch des Genossen W. Schüssler, Botschafter der DDR in Kairo, mit Marschall Abu Ghazala, Verteidigungsminister, am 23.12.1985, Botschaft der DDR in ARÄ, Kairo, 24.12.1985, p. 93. 1077 Sur l’amorce de cette « diplomatie économique » est-allemande en Egypte, voir infra, partie II, chapitre 5.

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La première partie de notre thèse a tenté de montrer comment, de la reconnaissance officielle de la RDA par l’Egypte en 1969, aux prémices de la réunification allemande, en 1989, Berlin-Est prend acte de la lente dégradation de sa relation avec le Caire et procède à la redéfinition des objectifs qui sous-tendent cette dernière. La mort prématurée de Gamal Abdel Nasser, en septembre 1970, met fin au mythe de la construction d’une Egypte post-coloniale révolutionnaire, à laquelle la RDA entendait contribuer. La période Sadate scelle l’éloignement définitif des deux partenaires. L’abandon des espérances que Berlin-Est avait placées en l’Egypte nassérienne ne se fait pas sans difficulté. Bien au contraire, il entérine d’amères désillusions, au premier rang desquelles le constat d’une insertion croissante de l’Egypte au sein du système économique capitaliste et celui de son renoncement à la lutte contre Israël. Pourtant, avec l’arrivée au pouvoir de Hosni Moubarak, en 1981, la RDA choisit de s’accommoder d’une telle recomposition des rapports de force en Egypte : au revers idéologique succède alors un partenariat économique, peu à peu vidé de toute dimension doctrinale. Au début des années 1980, ce pragmatisme s’impose dans tous les pans de la coopération étatique : il traduit l’adoption d’une politique étrangère recentrée autour d’impératifs nationaux, et notamment économiques.

La deuxième partie de notre thèse analyse, précisément, le processus d’autonomisation croissante de l’action est-allemande en Egypte, à travers l’étude de ses déclinaisons concrètes : les relations économiques et culturelles apparaissent progressivement comme le champ privilégié de la souveraineté est-allemande en matière de politique étrangère. L’objectif de cette partie est ainsi de montrer comment, à l’échelle étatique, l’influence de l’idéologie décline, au profit d’une acception plus flexible de la politique étrangère.

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Deuxième partie – Les relations économiques et culturelles, vecteurs de l’autonomie est- allemande ?

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Le deuxième temps de l’analyse constitue la pierre angulaire de notre démonstration : il entend en effet étudier les déclinaisons concrètes de l’activité est-allemande en Egypte, afin d’évaluer, dans la mesure du possible, l’articulation entre contraintes de bloc et impératifs nationaux. Une telle perspective implique, inévitablement, de prendre en compte la marge de manœuvre dont disposent ou que s’arrogent les acteurs est-allemands, dans l’exercice de leurs fonctions. A partir de l’examen minutieux des différents domaines de la coopération bilatérale (échanges économiques, assistance militaire, projets culturels communs), cette partie vise à démontrer que, de 1969 à 1989, l’influence de l’idéologie décline au profit d’une acception de plus en plus empirique de la politique étrangère. Ponctuellement, cette évolution fait apparaître des stratégies de contournement des directives centrales, qu’elles émanent de la puissance soviétique ou des institutions étatiques. Elle fait aussi émerger des conflits d’intérêts entre les différents types d’acteurs est-allemands, en fonction des objectifs que ces derniers ont identifiés comme prioritaires. Finalement, de tels mécanismes montrent que l’activité est-allemande à l’étranger est inséparable d’une certaine vision, chez ceux qui la mettent en œuvre, de l’intérêt national : ce dernier peut coïncider avec les principes de bloc, aussi bien que les concurrencer. Dans tous les cas, l’analyse met en lumière le processus indéniable d’autonomisation de l’activité est-allemande en Egypte.

Cette deuxième partie se divise en deux chapitres. Le premier temps de la démonstration (chapitre 5) montre comment la coopération économique et militaire apparaît comme le champ privilégié de l’autonomie est-allemande en Egypte. Il met également en lumière les rivalités internes qui émergent dans l’organisation des relations économiques et qui peuvent opposer différents types d’acteurs est-allemands (politiques, militaires, industriels) entre eux. Le second temps de l’analyse (chapitre 6) souligne les limites de l’entreprise est-allemande de « remodelage socialiste » en Egypte. Cette dernière avait pourtant été identifiée initialement comme l’un des objectifs majeurs de la coopération culturelle et technico-scientifique bilatérale.

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Chapitre 5 – La coopération économique entre l’Egypte et la RDA : des « relations aux avantages réciproques »1078

C’est dans le domaine économique que se nouent les premières relations entre la RDA et l’Egypte. Le 7 mars 1953, les deux Etats signent un accord sur la circulation monétaire et commerciale1079. Le 28 octobre suivant, une représentation commerciale est-allemande s’installe au Caire et en février 1958, l’Egypte inaugure à son tour sa propre représentation commerciale en RDA1080. Au début des années 1950, deux facteurs principaux motivent ce rapprochement. Le premier est de nature clairement stratégique : pour Berlin-Est, la mise en place de contacts commerciaux doit servir de tremplin au développement des liens diplomatiques. Comme dans tous les pays du Proche-Orient, les représentations commerciales est-allemandes sont vouées à « être revalorisées en tant que consulats et consulats généraux »1081 grâce à l’élargissement progressif de leurs compétences. Ce quadrillage institutionnel préfigure ainsi le réseau d’ambassades qui voit le jour à partir de la « vague de reconnaissances » dont le régime de Berlin-Est fait l’objet en 1969. Le second répond aux ambitions géopolitiques soviétiques telles qu’elles ont été redéfinies par Moscou après la Seconde Guerre mondiale. Jusqu’en 1945, le Proche-Orient joue en effet un rôle mineur du point de vue de l’URSS : traditionnellement, la région appartient à la sphère d’influence britannique et les intérêts soviétiques se concentrent plutôt sur les voisins proches, Iran et Turquie1082. Mais l’alliance entre l’URSS et les puissances occidentales dans la guerre marque un tournant décisif : elle met en lumière les besoins gigantesques en pétrole pour alimenter l’industrie de guerre ainsi que l’importance militaro-stratégique des pays riverains de la Méditerranée1083. Surtout, dans le cadre de la Guerre froide naissante, le Moyen-Orient suscite

1078 « Die beträchtlichen ökonomischen Interessen der DDR gegenüber der ARÄ, so wie sie im Beschluß des PMR vom 31.05.1976 umrissen sind, erfordern eine langfristige Absicherung und Gestaltung der ökonomischen Beziehungen zum beiderseitigen Vorteil ». D’après le titre d’un document publié par l’Institut des Relations Internationales de Babelsberg en 1979, à l’occasion du dixième anniversaire de la mise en place des relations diplomatiques avec l’Egypte. Voir : MfAA, L 187, C 6461, op.cit., Gedanken für die Konzeption zur Entwicklung der Beziehungen DDR-ARÄ, 1979-80. Botschaft der DDR in der AR Ägypten, Kairo, den 21.09.1978, p. 8. 1079 MfAA, L 187, C 928/77, op.cit., Überblick über die Entwicklung der Beziehungen zwischen der DDR und der VAR, p. 21. 1080 Ibid. 1081 BERGGÖTZ, Sven Olaf, Nahostpolitik in der Ära Adenauer…, op.cit., p. 424. 1082 BACHMANN, Wiebke, « Tel Aviv, 1948: Nationale Interessen…», op.cit., p. 20. 1083 Et en particulier du canal de Suez : en 1967, 70% du pétrole acheminé vers l’Europe de l’Ouest passe ainsi par le canal. Voir : MfNV, DVW 1/ 27 750: Lesematerial. Nur zur persönlichen Information. MfNV, 1967. 209

rapidement l’intérêt de Moscou : riche en pétrole, vaste marché potentiel pour les ventes d’armes, la région est aussi un carrefour à l’intersection de trois continents et qui commande l’accès à l’Océan Indien1084. La résistance égyptienne au Pacte de Bagdad, alliance militaire établie en février 1955 autour de la Turquie, du Pakistan et de l’Irak, par le secrétaire d’Etat américain à la Défense, John Foster Dulles, achève de convaincre Moscou qu’il existe au Caire une possibilité de contrecarrer les ambitions américaines1085. En accédant aux demandes égyptiennes d’achat d’armes soviétiques, Moscou se concilie un Etat, qui, même s’il est anticommuniste, n’en reste pas moins un client important et une porte d’entrée sur la Méditerranée et le canal de Suez (annexe 1).

C’est précisément la crise de Suez, en 1956, qui permet à l’URSS « de s’infiltrer dans une chasse gardée de l’Occident » : dès lors, Moscou « ne ménag[e] aucun effort pour étendre son influence dans une zone capitale de la géopolitique mondiale, à cause […] de la dépendance de l’Europe et du Japon à l’égard du pétrole arabe »1086. Au début des années 1960, la flotte soviétique se déploie en Méditerranée, à partir de la Mer Noire : il s’agit à la fois de développer la marine de guerre de l’URSS et de briser le monopole maritime occidental dans la région1087. L’aide de Moscou dans la construction du haut-barrage d’Assouan, « emblème de l’amitié arabo-soviétique »1088, symbolise le succès de la percée de l’URSS au Moyen-Orient, après la crise de Suez.

Une conjonction d’intérêts militaro-stratégiques et économiques motive donc l’implantation soviétique en Méditerranée et en Egypte. Les échanges commerciaux entre Moscou et le Caire s’accroissent nettement à la fin des années 1960 : en 1969, ils atteignent 220 millions de livres sterling1089 ; en 1970, 250 millions1090. En janvier 1970, Hassan Abbas Zaki, ministre égyptien de l’Economie, et M. Novikov, vice-président du Conseil de l’URSS, signent un protocole commercial à Moscou et mettent sur pied un plan quinquennal de

Lesematerial zum Thema: die israelische Agression gegen die arabische Staaten. Schlussfolgerungen für die Landesverteidigung der DDR. 1967. 1084 MOGHIRA, Mohamed Anouar, L’Egypte, clé des stratégies…, op.cit., p. 80. 1085 GOLAN, Galia, « Sinaï, 1967 : die sowjetische Politik und der arabisch-israelische Krieg », in : HILGER, Andreas (dir.), Die Sowjetunion und die Dritte Welt…, op.cit., p. 144. 1086 VAN REGEMORTER, Jean-Louis, La Russie et le monde au XXe siècle, Paris, Masson, 1995, p. 131. 1087 LEVESQUE, Jacques, L’URSS et sa politique internationale de Lénine à Gorbatchev, 2ème édition augmentée, Paris, Armand Colin, 1987, p. 242. 1088 Le Progrès Egyptien, 10 janvier 1970, p. 1. Voir aussi supra, p. 120-121. 1089 Le Progrès Egyptien, 5 janvier 1970, p. 3. 1090 Le Progrès Egyptien, 9 janvier 1970, p. 3.

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coopération économique1091. C’est dans ce cadre que l’URSS finance dès 1971 une partie des travaux de l’un des plus grands projets économiques égyptien du moment, la construction d’un complexe d’extraction de phosphate autour de Wadi el-Gedid1092, dans le désert libyen, au sud-ouest du pays.

Le tableau ci-dessous met en lumière la part croissante de l’Egypte dans le commerce extérieur soviétique, de 1955 à 1976 :

Tableau 3 : Part du commerce avec l’Egypte dans le commerce soviétique, de 1955 à 19761093(en millions de dollars)

1955 1960 1965 1970 1975 1976 Importations soviétiques venues des pays en voie de 185 638 1157 1788 6144 5771 développement Dont : Egypte 15 121 163 311 621 439 Total mondial des importations soviétiques 3061 5623 8051 11719 26671 38151 Exportations soviétiques vers les pays en voie de 91 412 1496 2682 6170 6753 développement Vers l’Egypte 11 70 209 363 363 265 Total mondial des exportations soviétiques 3468 5558 8166 12787 33316 26573

La présence de l’URSS dans la région moyen-orientale fournit à Berlin-Est l’occasion de développer ses relations commerciales avec le Caire dès le début des années 1950. Avant l’officialisation des liens diplomatiques en 1969, bien qu’ils s’insèrent dans la logique de bloc, ces contacts servent avant tout les objectifs nationaux de la RDA : les échanges économiques sont d’abord conçus comme l’instrument d’une influence politique. Entre août 1958 et mars 1965, Berlin-Est octroie ainsi cinq crédits à l’Egypte, d’une valeur globale de 136,6 millions de dollars1094, afin de faciliter les échanges de biens entre les deux pays. Pour le régime est-allemand, le développement de telles relations avec une « région économique non socialiste »1095 n’est d’ailleurs pas sans poser problème du point de vue idéologique. Après la reconnaissance de 1969 en revanche, et de façon accélérée à partir du début des années 1980, Berlin-Est reconsidère progressivement sa politique étrangère en Egypte. La « normalisation » dont la RDA fait l’objet au début des années 1970 sur la scène

1091 Le Progrès Egyptien, 7 janvier 1970, p. 3. 1092 Neues Deutschland, 24 mai 1971, p. 6, « Nikolai Podgorny visite la République arabe d’Egypte ». 1093 Source : DAWISHA, Karen, Soviet Foreign Policy towards Egypt, Londres, Macmillan, 1979. Le tableau est reproduit dans : LAURENS, Henry, « L’URSS et l’Egypte de Nasser à Sadate », op.cit., p. 55. 1094 OSTEN, Walter, Die Aussenpolitik der DDR…, op.cit., p. 82. 1095 D’après l’expression de Wolfgang Schwanitz. Voir : SCHWANITZ, Wolfgang, « Deutschland und der Mittlere Osten…», op.cit., p. 13.

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internationale se traduit par l’adoption d’une politique étrangère plus pragmatique. Surtout, la crise de 1973 accroît l’endettement du régime ainsi que sa dépendance à l’égard des livraisons de pétrole de l’URSS1096 : elle le contraint donc à donner la priorité aux questions économiques dans le déploiement de son activité à l’étranger, afin d’assurer son approvisionnement en matières premières et en énergie.

La politique étrangère est-allemande en Egypte se caractérise dès lors par un incessant mouvement d’accordéon entre deux priorités qui se recoupent certes le plus souvent, mais pas systématiquement : défendre les intérêts de bloc et répondre aux exigences économiques nationales1097. Au début des années 1980, la dimension économique et commerciale devient l’une des préoccupations grandissantes de la politique étrangère est-allemande dans le Tiers-monde. Et pourtant, peu de travaux scientifiques, à l’Est comme à l’Ouest, s’intéressent aux intérêts économiques propres aux Etats d’Europe orientale dans les pays en développement. A l’Ouest domine l’idée selon laquelle les relations commerciales entre l’Europe de l’Est et les pays du Sud « sont plus ou moins alignées sur la politique soviétique, mais avec des enjeux moins importants »1098. A l’Est, les institutions spécialisées dans la recherche sur le Tiers-monde privilégient des approches centrées sur la civilisation, la géographie ou la linguistique, et relèguent à l’arrière-plan la question de l’économie. Au milieu des années 1980, quelques chercheurs occidentaux s’attachent à combler cette lacune et s’intéressent aux relations Est-Sud dans l’économie mondiale1099. En raison du manque d’accès aux sources est-européennes cependant, les contributions ne mettent guère en valeur les contradictions ponctuelles entre la théorie politique - favoriser par le biais des échanges commerciaux l’orientation des pays du Sud vers une voie socialiste de développement - et l’activité économique - garantir l’afflux de devises convertibles et de biens non fournis par les Etats du CAEM, même quand cela contredit la solidarité de bloc.

Les recherches actuelles sur la politique étrangère des anciennes démocraties populaires mettent en avant le rôle de la diplomatie économique et culturelle comme

1096 LORRAIN, Sophie, « La RDA dans les années 1980 », op.cit., p. 101. 1097 Sur l’articulation de l’activité est-allemande autour de ce double objectif, se reporter à l’introduction de la thèse. 1098 DESPRES, Laure, « Eastern Europe and the Third World : economic interactions and policies », in : KANET, Roger E. (dir.), The Soviet Union, Eastern Europe and the Third World, Cambridge, Cambridge University Press, 1987, p. 141. 1099 En octobre-novembre 1985, un colloque intitulé « The Third World Congress for Soviet and East European Studies » est par exemple organisé à Washington. Une sélection des travaux présentés à l’occasion de ce colloque donne lieu à la publication citée plus haut: KANET, Roger E. (dir.), The Soviet Union, Eastern Europe and the Third World, Cambridge, Cambridge University Press, 1987.

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instrument politique au service d’une autonomie relative des régimes1100. Petr Zidek montre ainsi que la pénétration tchécoslovaque dans le Tiers-monde, et notamment en Egypte, permet à Prague d’acquérir une « position économique et culturelle de poids », qui prime selon lui sur les intérêts politiques du bloc de l’Est : « il existe beaucoup d’exemples dignes de foi qui démontrent que la Tchécoslovaquie essayait de faire passer ses intérêts économiques avant les intérêts politiques de son camp et qu’elle y est parvenue dans de nombreux cas »1101. Sans nier la soumission des régimes est-européens au centre moscovite, « les intérêts nationaux sont parfois pris en compte »1102, ne serait-ce que parce que les administrations centrales externalisent certains aspects de leur politique étrangère, délèguent une partie de leurs fonctions à des acteurs spécialisés et utilisent, ponctuellement, les voies informelles pour mener à bien leurs objectifs. Ainsi, bien que dans les pays socialistes, l’Etat ait le monopole du commerce extérieur et supervise la planification des échanges, l’organisation concrète des relations économiques est confiée à des organismes spécialisés - souvent des centrales d’import-export rattachées au ministère du Commerce extérieur ou à un ministère technique1103-, qui possèdent des intérêts propres. C’est pourquoi Antoine Marès rappelle qu’il faut « distinguer les politiques globales menées par les Etats (et là l’emprise soviétique est forte) et les politiques individuelles (ou de petits groupes) car il existe des lobbies nationaux naturels constitués souvent par les spécialistes de ces cultures qui ont un intérêt ou une appétence pour un développement des relations »1104. De même, les études récentes sur les relations internationales économiques dans l’espace européen socialiste nuancent fortement la théorie d’une soviétisation absolue des structures économiques des démocraties populaires. Le travail de Simon Godard sur le CAEM montre ainsi que l’organisation revêt une dimension transnationale et multilatérale, « à l’origine de nouvelles relations horizontales entre acteurs économiques du monde socialiste »1105.

1100 Se reporter à l’introduction de la thèse. 1101 ZIDEK, Petr, « La Tchécoslovaquie et le tiers monde dans les années 1950 et 1960 », in : MARES, Antoine (dir.), Culture et politique étrangère des démocraties populaires, op.cit., p. 134. 1102 MARES, Antoine, « Introduction », op.cit., p. 10. 1103 DESPRES, Laure, « Les ventes d’armes de l’URSS et des six pays socialistes européens aux pays en voie de développement », in : LAVIGNE, Marie, Les relations Est-Sud dans l’économie mondiale, Paris, Centre d’économie internationale des pays socialistes, Economica, 1986, p. 75. 1104 MARES, Antoine, « Introduction », op.cit., p. 10. 1105 GODARD, Simon, « Construire le bloc de l’Est par l’économie ? La délicate émergence d’une solidarité internationale socialiste au sein du Conseil d’aide économique mutuelle », in : Vingtième Siècle. Revue d’histoire, 2011/1, n° 109, p. 49.

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Le changement de stratégie économique impulsé en RDA, au début des années 1980, afin d’accroître les exportations en direction des pays du Sud et de privilégier les transactions en devises fortes, va de pair avec le développement de la rhétorique de l’ « avantage réciproque ». Cette expression, dont les occurrences dans les sources est-allemandes connaissent une nette inflation à mesure que les échanges économiques avec l’Egypte prennent le pas sur les accords politiques, tend à remplacer l’ancienne formule qui justifiait auparavant les traités bilatéraux, celle de « solidarité anti-impérialiste ». Pour la RDA, le principe de l’ « avantage mutuel » permet de donner à l’orientation de plus en plus pragmatique de sa politique étrangère en Egypte une coloration idéologique, puisqu’elle affirme ainsi que ses relations économiques avec les Etats du Sud sont de nature différente que celles qui existent entre les pays capitalistes et les pays du Tiers-monde. Les diplomates est-allemands estiment qu’en achetant les matières premières directement aux pays producteurs, la RDA « veille au respect du principe de l’égalité des droits, sur la base d’un avantage réciproque »1106. Surtout, ils soulignent le caractère particulier du commerce extérieur est-allemand, qui ne se limite pas, d’après eux, aux échanges de biens, mais contribue au développement des forces de production nationales et encourage le démantèlement des anciennes structures coloniales dans les pays du Sud : « la RDA accorde […] une grande attention à la formation de cadres nationaux dans les pays en développement car c’est un facteur réel de croissance »1107. Ainsi, « même les relations économiques deviennent l’expression de la lutte des classes internationale entre le socialisme et le capitalisme »1108.

Les exportations est-allemandes à destination du Tiers-monde se concentrent sur un nombre restreint de pays, dont la plupart sont d’ailleurs également des partenaires commerciaux de l’Ouest. Au début des années 1970, les Etats arabes reçoivent 62% des exportations de la RDA à destination des pays en développement et fournissent en échange le tiers des importations est-allemandes en provenance du Tiers-monde1109. En 1980, 73% des

1106 MfAA, C 6505, op.cit., Vermerk über ein Gespräch des Genossen Sindermann, Mitglied des Politbüros und Vorsitzender der Volkskammer, mit Salah Eddin Abu Gabal, Botschafter der ARÄ, am 3.10. 1977, Berlin, 17.10.1977. 1107 WILLERDING, Klaus, « Die Aussenpolitik der DDR… », op.cit., p. 571. 1108 SCHULZ, Brigitte H., « The German Democratic Republic and Sub-Saharan Africa: the Limits of East- South Economic Relations », in : HANSEN, William W., SCHULZ, Brigitte H. (dir.), The Soviet Bloc and the Third World. The Political Economy of East-South Relations, Westview Press, 1989, p. 215. 1109 A la même époque, la part de l’Amérique latine est de 11% pour les exportations et de 56% pour les importations (en raison des achats effectués au Brésil) et celle de l’Asie de 16% des exportations et de 15% des importations. Voir : POIDEVIN, Raymond, L’Allemagne et le monde…, op.cit., p. 268.

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exportations est-allemandes se dirigent vers onze pays seulement, dont l’Egypte1110. La balance commerciale de la RDA avec l’ensemble des pays en voie de développement est généralement positive et atteint près de 400 millions de dollars en 1987 et 19881111.

Jusqu’à la chute du mur de Berlin, il est difficile de dresser un tableau précis des volumes d’échanges entre la RDA et les Etats du Tiers-monde, car le gouvernement est- allemand ne publie aucune statistique complète sur ses exportations et ses importations pays par pays1112. En outre, Berlin-Est inclut sous la rubrique des « relations économiques » avec les pays du Sud non seulement le commerce extérieur, mais également les dépenses liées à la coopération technico-scientifique et militaire, ainsi que celles liées à l’aide au développement1113. L’accès aux archives de la RDA permet désormais d’avoir une idée plus précise de la nature des échanges, ainsi que des volumes en jeu.

A. La RDA possède des « intérêts économiques considérables »1114 en Egypte

Le Tiers-monde revêt un rôle majeur pour l’activité économique de la RDA car il est l’un des rares marchés où celle-ci peut vendre ses biens industriels1115 en espérant que ces derniers soient concurrentiels1116. La RDA est en effet le seul pays industriel développé du bloc de l’Est, avec la Tchécoslovaquie : les deux Etats sont confrontés à la surproduction de machines et de biens d’équipement et cherchent donc à écouler leurs stocks dans le Tiers-monde1117. L’Egypte « occupe une place de choix dans le commerce extérieur [est- allemand] avec les pays en développement »1118 jusqu’à la fin des années 1970.

1110 L’Angola, le Mozambique et l’Ethiopie reçoivent 15,9% des exportations est-allemandes à destination du Tiers-monde, tandis que le groupe des pays exportateurs de pétrole (Algérie, Irak, Iran, Libye et Nigéria) reçoit presque la moitié de ces exportations. Voir : SCHULZ, Brigitte H., « The German Democratic Republic and Sub-Saharan Africa…», op.cit., p. 215. 1111 MENUDIER, Henri (dir.), LA RDA, 1949-1990. Du stalinisme à la liberté, Publications de l’Institut d’Allemand d’Asnières, 1990, p. 137. 1112 HANSEN, William W., SCHULZ, Brigitte H. (dir.), The Soviet Bloc and the Third World…, op.cit., p. 218. 1113 Evaluée à environ 5% du commerce extérieur est-allemand. Voir : BRUNS, Wilhelm, Die Aussenpolitik der DDR…, op.cit., p. 46. 1114 MfAA, L 187, C 6461, op.cit., Gedanken für die Konzeption zur Entwicklung der Beziehungen DDR-ARÄ, 1979-80. Botschaft der DDR in der AR Ägypten, Kairo, den 21.09.1978. 1115 SCHULZ, Brigitte H., « The German Democratic Republic and Sub-Saharan Africa…», op.cit., p. 220. 1116 MÖLLER, Harald, Geheime Waffenlieferungen der DDR im ersten Golfkrieg an Iran und Irak, 1980-1988. Eine Dokumentation, Berlin, Verlag Dr. Köster, Beiträge zur Friedenforschung und Sicherheitspolitik, Bd. 3, 2001, p. 30. 1117 ZIDEK, Petr, « La Tchécoslovaquie et le tiers monde… », op.cit., p. 124. 1118 MfAA, L 187, C 6505, op.cit., Indications sur la RAE, état actuel des relations.

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Comme le montre le tableau ci-dessous, les échanges bilatéraux reposent essentiellement sur l’exportation de biens d’équipement de la RDA vers l’Egypte, qui fournit de son côté des matières premières, notamment du coton et du pétrole.

Tableau 4 : Aperçu des échanges de biens entre la RDA et l’Egypte en 19701119 (Données en TVM, milliers de marks est-allemands) Principales exportations de la RDA à destination Principales importations en provenance d’Egypte de l’Egypte en 19701120 et à destination de la RDA en 1970 (en TVM1121) (en TVM)

Machines-outils 8 665 Matières premières 90 071 Machines et 33 868 infrastructures textiles Equipements 2 300 agroalimentaires et denrées de luxe Equipement pour la 16 337 Denrées alimentaires 91 924 construction routière industrielles Equipement 33 183 électrotechnique Produits chimiques 25 191 Papier, y compris pour 9 475 Agriculture/ Sylviculture 53 409 l’impression des journaux Sulfate d’ammonium 2900 Films, matériel 2900 218 photographique

Total 134 819 Total 235 622

1119 Source : SAPMO-BArch, DC 4/ 1992, op.cit., Übersicht der Entwicklung des Warenhandels zwischen der DDR und der VAR, Statistisches Jahrbuch. 1953-1970. 1120 Les chiffres donnés dans ce tableau ne correspondent pas exactement aux estimations globales des importations et des exportations en 1970, données juste auparavant dans la même source. Pour l’année 1970, les statistiques globales indiquent que les importations en provenance d’Egypte ont atteint un volume total de 190 millions de Valuta-Marks et que les exportations est-allemandes à destination de l’Egypte ont atteint un volume total de 200 millions de Valuta-Marks. Le volume d’affaires global est donc estimé à 390 millions de Valuta- Marks. Ici, le détail des biens échangés entre la RDA et l’Egypte en 1970 fait apparaître un bilan commercial déficitaire pour la RDA, les importations ayant atteint un volume de 235,6 millions de Valuta-Marks et les exportations un volume de 134,8 millions de Valuta-Marks (en admettant la conversion milliers/ millions de Valuta-Marks – TVM/ Mio VM). Le volume d’affaires total est en revanche à peu près similaire à celui qui était estimé, à savoir 370,4 millions de Valuta-Marks. Le détail des biens échangés n’incluant pas les exportations d’armes et de matériel militaire est-allemand à destination de l’Egypte, il est probable que ces statistiques soient incomplètes. Elles donnent néanmoins une idée de la nature des biens privilégiés par la coopération économique bilatérale, ce qui nous intéresse ici. 1121 Tausend Valuta-Mark (milliers de marks est-allemands).

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1. Les échanges de biens entre la RDA et l’Egypte : nature, volumes, modalités a) Les exportations est-allemandes en Egypte : équipements électrotechniques, machines agricoles et biens de consommation

Les exportations est-allemandes en Egypte se concentrent sur trois domaines principaux (annexe 10). La RDA livre en premier lieu des biens d’équipement industriels et électrotechniques, dont elle peut d’ailleurs, ponctuellement, assurer la mise en exploitation sur place. L’Egypte est en effet un « marché important » pour la vente de matériel électrotechnique est-allemand1122 : en 1987, les exportations de biens électroniques et de matériel pour la construction de machines représentent 52% du total des exportations est- allemandes à destination de l’Egypte1123. De ce point de vue, le soutien est-allemand au processus d’industrialisation égyptien répond au projet soviétique de consolidation de l’appareil productif et du secteur industriel étatique dans le pays1124. C’est dans cette perspective que le fabricant est-allemand de véhicules ferroviaires, l’entreprise Lokomotivbau Elektrotechnische Werke (LEW) « Hans Beimler » Hennigsdorf équipe, dès 1970, la Société nationale des chemins de fer d’Egypte en locomotives électriques, qui sont destinées à étoffer le réseau ferré entre Le Caire et Hélouan1125. En décembre 1981, le combinat VEB Kombinat Elektroenergieanlagenbau de Leipzig s’engage à livrer à l’Egypte 200 kilomètres de lignes électriques aériennes, entre 1982 et 19831126. La valeur totale de l’équipement s’élève à 6 429 619 dollars. En 1987, l’entreprise de commerce extérieur Elektrotechnik import-export prend la tête du consortium ET/BBC, auquel participe la firme suisse, BBC Brown Boveri & Cie. Le consortium signe un contrat d’une valeur de 5 525 421 dollars avec l’Autorité égyptienne d’électricité, afin d’assurer la livraison, le montage et la mise en activité de deux sous-stations électriques dans la vallée du Nil1127. De même, la RDA fournit à l’Egypte du matériel destiné à équiper ses industries, et notamment ses filatures de coton. Dans les années

1122 BStU, MfS, HA XVIII, Nr. 21214, Information sur le voyage en république arabe d’Egypte du 15 au 20 avril 1985, le Caire, 20.4.1985, rapport de Günther Kleiber. 1123 SAPMO-BArch, DY 30/ 14 044 : Abteilung Internationale Verbindungen im ZK der SED. Ägypten. Arbeitsweise der Botschaft der DDR in Ägypten in Kairo, 1977, 1981-89. Stand und Entwicklung der wirtschaftlichen Beziehungen zwischen der DDR und der AR Ägypten. 1124 L’ambition soviétique se maintient jusqu’à la fin des années 1980. En 1987 par exemple, Moscou participe au plan égyptien de modernisation de l’industrie sidérurgique. Les usines soviétiques fournissent des pièces de rechange aux aciéries de Hélouan, dont la valeur totale s’élève à 6 millions de livres sterling. Voir : Le Progrès Egyptien, 3 janvier 1987, p. 3. 1125 MfAA, L 187, C 641/73, op.cit., Combinat LEW « Hans Beimler », Leipzig, 4.5.1970. 1126 SAPMO-BArch, DL 2 MF/ 1847 : 200 km Freileitung Ägypten, 13/12/1981. 1127 SAPMO-BArch, DL 2 MF/ 1821 : Lieferungen und Montage der Unterstationen in Selwa, 1987.

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1980, presque la moitié des métiers à filer utilisés dans les usines égyptiennes proviennent ainsi d’Allemagne de l’Est1128.

Photographie 6 : Produits est-allemands, techniciens est-allemands en Egypte : « image de la véritable Allemagne »1129

Les exportations est-allemandes en Egypte concernent en second lieu le matériel agricole. Les contrats peuvent inclure la livraison de fermes complètes, comme c’est le cas de celui qui est conclu entre le gouvernement égyptien et la firme est-allemande Transportmaschinen Export-Import1130: de 1978 à 1980, cette dernière prend en charge la fourniture d’une ferme entière destinée aux bovins, d’une valeur de plus de 400 000 dollars. Les infrastructures comprennent 1419 places pour le bétail et 384 places supplémentaires réservées aux veaux, ainsi qu’une laiterie, un moulin, un atelier de réparation et des équipements mobiles. La plupart du temps, les livraisons est-allemandes concernent des tracteurs et des machines agricoles ou du matériel spécialisé pour la construction de moulins, de silos ou de laiteries. De telles fournitures ont lieu dans le cadre de la coopération technico- scientifique bilatérale et sont notamment destinées à garantir le ravitaillement de l’armée égyptienne1131.

1128 SAPMO-BArch, DY 30/ 14 044, op.cit., Stand und Entwicklung der wirtschaftlichen Beziehungen zwischen der DDR und der AR Ägypten. 1129 Source : Der Spiegel, n° 48, 25 Novembre 1968. 1130 SAPMO-BArch, DL 2 MF/ 1849, Rinderfarm, 1977. 1131 BStU, MfS, HA XVIII, Nr. 21214, op.cit., Séjour du ministre est-allemand des Affaires Etrangères, Oskar Fischer, en RAE et au Yémen, 23-28 janvier 1985.

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Enfin, la RDA livre à l’Egypte des biens de consommation, dont une partie est également destinée à l’armée : en novembre 1984 par exemple, l’Allemagne de l’Est est chargée de fournir les forces militaires égyptiennes en uniformes1132. Les contrats sont maintenus les années suivantes : c’est la firme Textil Commerz qui livre au bureau d’approvisionnement de l’armée égyptienne du tissu, des uniformes en laine, des cravates et des casques1133. L’entreprise de commerce extérieur est-allemande est d’ailleurs confrontée, dans ce domaine, à la forte concurrence des Etats d’Europe de l’Ouest et d’Extrême- Orient1134. b) Les exportations égyptiennes en RDA : pétrole, coton, riz

D’Egypte, la RDA importe principalement des matières premières et des denrées alimentaires : du pétrole, du coton, du riz, des oignons, des fruits1135 ou encore des pommes de terre1136. Elle-même est en effet « pauvre en matières premières »1137.

L’approvisionnement régulier en pétrole est l’une des priorités du régime est-allemand dans la conduite des négociations commerciales avec le partenaire égyptien : dès le début des années 1970, la RDA ne consent l’octroi de crédits commerciaux, la fourniture de biens d’équipements et le maintien de son aide technique à l’Egypte qu’en échange de la garantie des livraisons de pétrole1138. Les projets de coopération économique bilatérale donnent d’ailleurs la priorité au développement de la prospection et de l’extraction de pétrole dans le pays1139. Berlin-Est insiste pour que les fournitures de pétrole égyptien aient lieu dans le cadre de conventions gouvernementales précises, fixant au préalable les quantités et la qualité des

1132 BStU, MfS, HA XVIII, Nr. 21529, Information (449), Abteilung XVIII/7, Berlin, 20.11.1984. 1133 SAPMO-BArch, DY 30/ 8966, op.cit., AHB Textil Commerz, 2.1.1986. 1134 Ibid. 1135 SAPMO-BArch, DC 4/ 1992, op.cit., Übersicht der Entwicklung des Warenhandels zwischen der DDR und der VAR, Statistisches Jahrbuch. 1953-1970. 1136 SAPMO-BArch, DC 20/ 16 890 : Ministerrat der DDR. Länderakten Ägypten. 1973-1989. Bd. 2 : 1975. Lettre du ministre du Commerce extérieur au Président du Conseil des ministres de RDA, Horst Sindermann, 11.3.1975. 1137 SAPMO-BArch, DY 30/ IV B 2-20 345, op.cit., Note sur une conversation entre le membre du bureau politique et secrétaire du Comité central du SED, le camarade G. Grüneberg, et le ministre des Finances, de l’Economie et du Commerce extérieur, le Dr. Abdul Aziz Hegazy, le Caire, 14.2.1974. 1138 SAPMO-BArch, DC 20/ 13 068, op.cit., Note sur une conversation avec le vice-président de RAU, Anouar el-Sadate, le 16.7.1970, ambassade de la RDA en RAU, le Caire, 19.7.1970. 1139 MfAA, L 187, C 641/73, op.cit., Vermerk über ein Gespräch zwischen dem Minister für Außenwirtschaft der DDR, Gen. Sölle, und dem Minister für Industrie, Petroleum und Bergbau der VAR, Dr. Aziz Sedky, am 20.10.69 von 17.00 bis 18.10 Uhr, Botschaft der DDR in der VAR, Handelspolitische Abteilung, Streng vertraulich, Kairo, 6.11.69.

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livraisons. Les négociations avec les entreprises pétrolières et le ministère égyptien du commerce et du ravitaillement sont « longues et compliquées »1140, mais la RDA parvient à ses fins. L’approvisionnement en pétrole a lieu en échange de fournitures de matériel électrotechnique, assurées par l’entreprise est-allemande Elektrotechnik1141. Le 3 avril 1977, par exemple, la firme signe avec la partie égyptienne un protocole commercial qui l’engage à livrer des transformateurs électriques, des câbles et des isolateurs, d’une valeur de 95 millions de dollars1142.

La RDA est également « dépendante » des importations de coton en provenance d’Egypte1143. Entre 1981 et 1990, la RDA importe environ 5000 tonnes de fils de coton égyptien chaque année1144. Les importations est-allemandes subissent toutefois les aléas de la production égyptienne, au grand dam du conseil commercial de l’ambassade de Berlin-Est au Caire. En 1973 par exemple, les surfaces cultivées consacrées au coton en Egypte sont réduites de 10% par rapport à l’année précédente, afin d’augmenter la production de blé1145. Chaque année, le pays doit en effet importer 3 millions de tonnes de blé, afin de nourrir sa population. Dans le but de réduire sa dépendance à l’égard des livraisons américaines, le régime égyptien s’est tourné vers l’URSS, qui lui fournit1/6ème de ses importations totales en blé. Mais le prix de la céréale connaît une augmentation vertigineuse au début des années 1970 : alors que Moscou garantissait le prix de la tonne de blé entre 60 et 70 dollars, ce dernier atteint 80 dollars en janvier 1973, puis 220 dollars en 1974. En outre, l’URSS privilégie désormais le partenaire indien, à qui elle livre en priorité ses excédents de blé. Face à ces difficultés d’approvisionnement, l’Egypte décide alors d’accroître sa propre production de céréales, au détriment d’autres cultures. La RDA s’inquiète des répercussions sur ses

1140 SAPMO-BArch, DY 30/ 17 842, op.cit., Bericht über die Verhandlungen zum Abschluss von Vereinbarungen zur Durchführung von Gegenseitigkeitsgeschäften mit der ARÄ. Ministerium für Außenhandel, Berlin, 18.4.1977, p. 4. 1141 Ibid., p. 3. 1142 Ibid., p. 4. 1143 SAPMO-BArch, DY 30/ IV B 2-20 345, op.cit., Note sur une conversation entre le membre du bureau politique et secrétaire du Comité central du SED, le camarade G. Grüneberg, et le ministre des Finances, de l’Economie et du Commerce extérieur, le Dr. Abdul Aziz Hegazy, le Caire, 14.2.1974. 1144 SAPMO-BArch, DY 30/ 17 842, op.cit., Echanges d’informations avec le directeur de la représentation commerciale d’URSS, p. 14. 1145 SAPMO-BArch, DY 30/ IV B 2-20 345, op.cit., Note sur une conversation entre le membre du bureau politique et secrétaire du Comité central du SED, le camarade G. Grüneberg, et le ministre des Finances, de l’Economie et du Commerce extérieur, le Dr. Abdul Aziz Hegazy, le Caire, 14.2.1974.

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importations de coton et craint les « effets négatifs »1146 de la réduction des livraisons égyptiennes. De plus, la régularité des échanges est facilement compromise durant les périodes de tension politique, car le gouvernement égyptien utilise les livraisons de matières premières comme un moyen de pression diplomatique. Ainsi, en août 1976, après le refus soviétique de restructurer la dette égyptienne, Sadate stoppe les exportations de coton en direction des Etats socialistes1147. Un an plus tard, en août 1977, face au refus soviétique de lui livrer des chars, le président égyptien met à nouveau un terme aux exportations de coton vers Moscou1148. Dans ce contexte, Berlin-Est redoute que le Caire interrompe également les fournitures de coton qui lui sont destinées.

L’Egypte n’hésite donc pas à faire de ses exportations en matières premières à destination des Etats socialistes un instrument de négociation politique et diplomatique, dont Berlin-Est craint les conséquences négatives. Inversement, la politique étrangère soviétique menée en Egypte peut, ponctuellement, gêner les intérêts économiques propres de la RDA. C’est pourquoi Berlin-Est tente d’encadrer strictement les échanges commerciaux bilatéraux avec le Caire, à l’aide de conventions gouvernementales qui engagent fermement les deux partenaires et sécurisent les modalités de transactions, quelle que soit la situation politique internationale. c) L’organisation concrète des échanges de biens : volumes, modalités d’acheminement et de paiement

Les échanges commerciaux entre la RDA et l’Egypte sont strictement encadrés par les acteurs étatiques : la nature des produits, les volumes en jeu ainsi que les modalités de transports et de paiements sont définis par les conventions bilatérales. En RDA, le ministère du Commerce extérieur et le Comité central du SED chapeautent la politique économique du pays. L’échange d’informations est constant avec l’ambassade est-allemande au Caire, qui coopère également avec la représentation commerciale soviétique sur place1149.

1146 SAPMO-BArch, DY 30/ 17 842, op.cit., Bericht über die Verhandlungen zum Abschluss von Vereinbarungen zur Durchführung von Gegenseitigkeitsgeschäften mit der ARÄ. Ministerium für Außenhandel, Berlin, 18.4.1977, p. 2. 1147 BEATTIE, Kirk J., Egypt during the Sadat Years, New York, Palgrave, 2000, p. 230. 1148 SAPMO-BArch, DY 30/ 17 842, op.cit., Information sur une publication de presse relayant la décision du président égyptien Sadate de mettre un terme aux livraisons de coton à l’URSS et à un autre pays socialiste, non nommé, Berlin, 18.8.1977. 1149 SAPMO-BArch, DY 30/ 17 842, op.cit., Echanges d’informations avec le directeur de la représentation commerciale d’URSS.

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Concrètement, les échanges commerciaux avec un pays tiers s’organisent par l’intermédiaire des entreprises industrielles d’Etat, les « entreprises propriété du peuple » (VEB, Volkseigene Betriebe). Ces entreprises d’Etat, fondées dès 1945, sont devenues la forme dominante puis hégémonique de l’industrie est-allemande1150, y compris dans l’armement. Dans les années 1970, Honecker entame la réorganisation de l’industrie nationale. Cette restructuration connaît une accélération au tournant des années 1979-1980 : les entreprises d’Etat, sous la responsabilité directe du ministère de l’Industrie (qui nomme leurs directeurs), sont en effet peu à peu regroupées au sein de combinats industriels géants. Ces derniers relèvent directement des autorités centrales et regroupent en moyenne entre 15 et 30 VEB1151. En 1988, l’industrie est-allemande comprend 126 combinats, incluant entre 20 et 40 entreprises chacun, et comptant plus de 20 000 travailleurs en moyenne1152. Il s’agit par-là de placer sous une direction unique le processus de production au sein du combinat, des secteurs de la recherche jusqu’à ceux de la production et de la vente1153. En ce qui concerne les échanges extérieurs, la mise en place des combinats abolit la séparation très stricte qui existait jusqu’ici entre la production et le commerce extérieur. Une grande partie des firmes de commerce extérieur (AHB, Aussenhandel Betriebe) et des entreprises spécialisées passe alors sous l’autorité des combinats, sous la double égide du ministère du Commerce extérieur et du ministère de l’Industrie, dans le but d’améliorer les résultats à l’exportation, de permettre des économies d’échelle et des gains de productivité. Au service d’une économie planifiée, ces combinats forment de grandes unités qui englobent une branche industrielle entière et bénéficient ainsi d’une vue d’ensemble sur le processus de production et de vente. Concrètement, ils se trouvent souvent en situation de monopole1154.

Les firmes est-allemandes qui négocient avec les entreprises égyptiennes sont relativement peu nombreuses. Dans le commerce du coton, deux entreprises de commerce

1150 KOTT, Sandrine, « Collectifs et communauté dans les entreprises de RDA : limites de la dictature ou dictature des limites ? », in : Genèses, juin 2000, n° 39, p. 29. 1151 ECK, Jean-François, « Les économies : deux modèles à l’épreuve des réalités », in : CAHN, Jean-Paul, PFEIL, Ulrich, Allemagne, 1974-1990…, op.cit., p. 105. 1152 CORNELSEN, Doris, « L’économie de la RDA durant l’ère Honecker », in : Revue d’études comparatives Est/Ouest, 1989, vol. 20, n° 20-4, p. 14. 1153 Ibid., p. 13. 1154 Le travail d’Agnès Arp sur les parcours biographiques des petits et moyens entrepreneurs en RDA montre cependant la persistance, jusqu’en 1990, du secteur privé au sein d’une économie étatisée. Voir : ARP, Agnès, « Le personnel des entrepreneurs privés de SBZ/RDA, 1945-1990 », in : Histoire@Politique, 2009/1, n° 7, p. 7.

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extérieur interviennent principalement : AHB Unitechna et AHB Textilcommerz1155. Les ventes de biens électrotechniques sont, elles, sous la responsabilité de la firme AHB Elektrotechnik. Enfin, c’est l’entreprise AHB Transportmaschinen qui est chargée d’organiser la livraison des équipements de transports à l’Egypte.

Le transport des biens d’équipement et des matières premières a lieu par mer et les navires transitent la plupart du temps entre le port de Rostock et celui d’Alexandrie1156, dans le cadre de la convention gouvernementale bilatérale sur la circulation maritime de septembre 19711157. Quant au paiement des équipements est-allemands, il se fait la plupart du temps en dollars, sur le compte de la banque de commerce extérieure AG Berlin, qui fait partie du consortium bancaire Bankers Trust, au nom de la firme ayant réalisé le contrat1158. La RDA possède en effet des comptes étrangers, sur lesquels elle stocke, entre autres, les crédits qui lui sont octroyés par les Etats occidentaux1159.

S’il est impossible de dresser des statistiques complètes sur les volumes d’échanges entre la RDA et l’Egypte, les sources est-allemandes donnent tout de même des indications globales sur le montant des exportations et des importations à destination ou en provenance d’Egypte. Le tableau suivant permet de constater que, de 1970 à 1987, les échanges avec le Caire procurent chaque année un excédent commercial à la RDA.

1155 SAPMO-BArch, DY 30/ 17 842, op.cit., Echanges d’informations avec le directeur de la représentation commerciale d’URSS, p. 14. 1156 SAPMO-BArch, DL 2 MF/ 1821, op.cit., Lieferungen und Montage der Untersationen in Selwa, 1987. 1157 BStU, MfS, Abt. X, Nr. 1102. 1158 SAPMO-BArch, DL 2 MF/ 1821, op.cit., Lieferungen und Montage der Untersationen in Selwa, 1987. 1159 LORRAIN, Sophie, « La RDA dans les années 1980 », op.cit., p.105.

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Tableau 5 : Evolution du volume d’affaires commercial RDA-République arabe d’Egypte, de 1966 à 19871160 (Mio VM, millions de Valuta-Marks)

1966 1967 1970 1977 1980 1981 1982 1983 1984 1985 1986 1987 Exportations x x 200,0 220,0 101,0 96,0 174,0 120,9 288,3 305,6 230,0 160,4 Importations x x 190,0 270,0 75,0 67,0 61,0 68,4 91,8 142,8 162,6 79,4 Volume 268,0 266,2 390,0 490,0 176,0 163,0 235,0 189,3 380,1 448,4 392,6 239,8 d’affaires Excédent x x x x 33,0 54,0 141,0 70,6 215,8 164,3 77,1 90,1 commercial en devises convertibles (KD)

La fin des années 1970 et le début des années 1980 voient néanmoins un certain repli des volumes d’affaires réalisés par la RDA, en raison de la diminution conjointe des exportations et des importations. Cette baisse coïncide avec la fin du mandat de Sadate et la signature des accords de Camp David en 1979, qui consacrent la rupture entre l’Egypte et les Etats socialistes. L’arrivée de Hosni Moubarak au pouvoir en 1981 et l’orientation nettement plus économique donnée à l’activité est-allemande en Egypte à partir de cette date, contribuent cependant à relancer la coopération économique entre les deux pays. En 1984, le volume d’affaires obtenu grâce aux échanges commerciaux bilatéraux dépasse le niveau qu’il avait atteint en 1970. La RDA s’assure ainsi un approvisionnement régulier en devises fortes.

2. Des relations aux avantages mutuels ? a) Pour la RDA : i.Obtenir des devises : des contrats négociés en dollars Du point de vue est-allemand, les livraisons d’équipements techniques et d’articles manufacturés constituent une source de devises d’autant plus importante que la monnaie utilisée pour ces échanges est une monnaie convertible sur le marché international. Les transactions se font en effet, au moins pour une partie, en dollars. Or, il faut rappeler que le système économique est-allemand est fondé sur deux unités monétaires de référence : le mark est-allemand et le valuta-mark (VM). Non convertible à l’étranger, le mark est-allemand est utilisé uniquement pour les transactions qui ont lieu en RDA même et ne peut être employé pour le commerce extérieur international. Les transactions internationales se font donc en monnaies étrangères, dollars, roubles ou deutsche marks et l’unité d’acompte pour le

1160 Le tableau a été constitué à l’aide de données collectées dans les archives suivantes : SAPMO-BArch, DY 30/ 14 044, op.cit., Stand und Entwicklung der wirtschaftlichen Beziehungen zwischen der DDR und der AR Ägypten ; SAPMO-BArch, DC 4/ 1992, op.cit.; MfAA, C 6505, op.cit. Les données pour 1966 et 1967 sont issues de l’ouvrage suivant: OSTEN, Walter, Die Aussenpolitik der DDR…, op.cit., p. 84. 224

commerce extérieur est le VM. Jean-François Eck rappelle d’ailleurs que les relations économiques extérieures de la RDA sont extrêmement liées à la nécessité de « trouver les devises nécessaires au service de la dette extérieure et au règlement des importations en provenance des pays non socialistes »1161. Et de fait, l’Allemagne orientale, tout comme les autres pays est-européens, se procure une partie substantielle de ses revenus en devises fortes grâce à ses échanges avec le Tiers-monde1162. La « très bonne rentabilité en devises »1163 garantie par de tels échanges explique le fait qu’à partir de 1981, l’activité est-allemande en Egypte donne la priorité aux « relations économiques stables, sur la base de l’avantage réciproque »1164. En outre, la coopération économique bilatérale permet de diversifier les sources d’approvisionnement en matières premières et de réduire, ponctuellement, les effets désastreux, et durables, de la crise de 1973 sur l’économie de la RDA. ii. Compenser la diminution des livraisons de pétrole soviétique La crise pétrolière de 1973 a surtout contribué à accroître la dépendance de la RDA vis- à-vis de l’URSS, son principal fournisseur de pétrole, et des Etats occidentaux industrialisés1165. Dans ce contexte, les relations économiques avec les Etats du Tiers-monde apparaissent comme une solution de rechange, susceptible de limiter, en partie, l’impact de la conjoncture internationale sur les affaires internes de la RDA. Au cours des années 1980, la nécessité de diversifier les partenaires économiques s’accentue, à mesure que s’opère, en Europe de l’Est, le découplage entre la solidarité de bloc et les politiques nationales. Dès 1975 en effet, Moscou change son mode de calcul des prix du pétrole et aligne ces derniers sur les prix mondiaux1166. Parallèlement, l’URSS refuse d’augmenter les quantités de livraison à la RDA. L’augmentation des prix du pétrole et du gaz soviétiques1167 contribue à modifier la nature des relations économiques de la RDA avec les Etats capitalistes et ceux du Tiers-monde1168 : au début des années 1980, alors que le régime de Berlin-Est tente à tout prix

1161 ECK, Jean-François, « Les économies… », op.cit., p. 108-109. 1162 DESPRES, Laure, « Eastern Europe and the Third World…», op.cit., p. 157. 1163 SAPMO-BArch, DC 20/ 13 068, op.cit., Lettre du Dr. Weiss au Secrétaire d’Etat, Dr. Dieter Albrecht, Ministère de l’Economie extérieure, Berlin, octobre 1970. 1164 « Pour la paix, le socialisme et la solidarité. Action de M. Erich Honecker en politique extérieure », in : Verlag Zeit im Bild, RDA, 1987, p. 259 1165 LORRAIN, Sophie, « La RDA dans les années 1980 », op.cit., p. 101. 1166 Ibid. 1167 Selon les sources est-allemandes, en 1986, la tonne de pétrole soviétique atteint 172 roubles et 1000 m³ de gaz soviétique valent 119,5 roubles. Voir : SAPMO-BArch, DY 30/ 8966, op.cit., Berlin, 19.12.1985. 1168 MÖLLER, Harald, Geheime Waffenlieferungen der DDR…, op.cit., p. 30.

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d’éviter la faillite, il conclut avec la RFA des accords lui octroyant d’importants crédits1169, tout en développant sa coopération économique avec des pays tiers, comme l’Iran et l’Irak1170. Une telle configuration explique le soin apporté aux négociations commerciales avec l’Egypte, notamment afin de garantir l’effectivité des livraisons de pétrole. Estimant que l’augmentation des prix imposée par Moscou « n’est pas justifiée »1171, le régime de Berlin-Est cherche à compenser la diminution des livraisons soviétiques par le renforcement des importations en provenance d’Egypte et du Moyen-Orient : « l’objectif principal est l’engagement de la partie égyptienne à livrer à la RDA un million de tonnes de pétrole au moment de la livraison par la RDA d’équipements électrotechniques (1978-1981/82) »1172 - la phrase est soulignée. Le déploiement de la politique est-allemande en Egypte met ainsi en lumière la primauté croissante accordée aux impératifs économiques, face à une discipline de bloc qui « agit de plus en plus à contre-courant de ses intérêts et renvoie la RDA à elle-même »1173. iii. La foire commerciale de Leipzig : une vitrine de la RDA Enfin, l’organisation de la coopération économique avec l’Egypte, comme avec les autres Etats du Tiers-monde, peut apparaître comme un moyen ponctuel de renforcer la visibilité internationale du régime est-allemand, par un biais qui n’est pas directement politique.

La foire commerciale de Leipzig1174, organisée chaque printemps, offre l’opportunité aux firmes est-allemandes de nouer ou de consolider des relations avec les entreprises des pays occidentaux ou du Tiers-monde. En 1976 par exemple, 9000 exposants appartenant à 60 pays participent à la foire1175. L’Egypte fait partie des Etats invités. Pour la RDA, cette

1169 En juin 1983 et en 1984, la RDA obtient deux crédits de la part de la RFA, d’une valeur de 1 milliard et 950 millions de marks, en échange desquels le SED s’engage à prendre des mesures « humanitaires ». Voir : LORRAIN, Sophie, « La RDA dans les années 1980 », op.cit., p. 105. 1170 MÖLLER, Harald, Geheime Waffenlieferungen der DDR…, op.cit., p. 30. 1171 SAPMO-BArch, DY 30/ 8966, op.cit., Berlin, 19.12.1985. 1172 SAPMO-BArch, DY 30/ 17 842, op.cit., Bericht über die Verhandlungen zum Abschluss von Vereinbarungen zur Durchführung von Gegenseitigkeitsgeschäften mit der ARÄ. Ministerium für Außenhandel, Berlin, 18.4.1977, p. 4. 1173 LORRAIN, Sophie, « La RDA dans les années 1980 », op.cit., p. 101. 1174 La foire de Leipzig est une plate-forme ancienne du commerce au cœur de l’Europe. Au XVe siècle, elle est notamment un lieu d’échanges majeurs pour des produits comme les métaux précieux ou la soie. Au début du XXe siècle, c’est là que naît le concept de « foire exposition ». Voir : WEINACHTER, Michèle, « Saxe : renaissance industrielle et excellence high-tech », in : Bulletin économique du CIRAC, Regards sur l’économie allemande, juillet 2006, n° 77, p. 29-36. 1175 Le Progrès Egyptien, 11 mars 1976, « Réception au centre RDA sous le signe de la foire de Leipzig », p. 3.

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manifestation est l’occasion de mettre en avant les performances, le « haut niveau d’automatisation » et la « force d’exportation » des combinats est-allemands auprès des entrepreneurs issus des « pays en développement d’Afrique, de la région arabe, d’Asie et d’Amérique latine »1176. Ces derniers peuvent ainsi « utilis[er] la foire de Leipzig pour développer leurs relations commerciales »1177, notamment parce que cette dernière fait figure de « porte d’entrée du marché est-européen »1178.

Du point de vue de la RDA, la foire commerciale permet non seulement de développer des relations économiques avec les pays présents, mais également d’entretenir des contacts politiques, de façon indirecte, avec leurs représentants. En mars 1971 par exemple, le ministre égyptien de l’Economie et du Commerce extérieur, Mohamed Abdullah Merzeban, se rend à la foire de Leipzig afin d’évoquer avec ses interlocuteurs est-allemands « la coopération planifiée dans le domaine économique »1179. En mars 1976, c’est au tour de son successeur, Zakaria Abdel Fattah, d’assister à l’inauguration de la foire, afin d’ « examiner[ ] les possibilités d’intensification des échanges entre les deux pays »1180.

De fait, l’Egypte maintient sa présence à la foire annuelle de Leipzig, quel que soit l’état de ses relations politiques avec la RDA : le Caire a en effet tout intérêt à préserver ses échanges économiques avec la République socialiste. b) Pour l’Egypte : i. Le savoir-faire est-allemand : des produits de qualité et « bon marché » L’Egypte encourage le développement de ses relations économiques avec la RDA car elle ne dispose elle-même que de « peu de biens d’exportation » et doit, par conséquent, accroître ses échanges avec l’étranger si elle veut résoudre ses difficultés économiques1181. Au début des années 1970, les acteurs politiques égyptiens ont tendance à brandir l’argument de la lutte contre Israël afin d’inciter la RDA à développer la coopération économique bilatérale :

1176 Neues Deutschland, 4-5 septembre 1982, n° 208, p. 1. 1177 Ibid. 1178 SCHWANITZ, Wolfgang, « La politique moyen-orientale de Berlin-Est… », op.cit., p. 285. 1179 MfAA, L 187, C 766/75 : Ministerbüro Winzer. Aktenvermerk über eine Unterredung des Ministers für Auswärtige Angelegenheiten der DDR, Otto Winzer, mit dem Stellvertreter des Ministerpräsidenten und Aussenminister der VAR, Riad, zur Lage im Nahen Osten während eines Zwischenaufenthalts in der VAR im Febr. 1971. März 1971. 1180« Notre ministre du Commerce se rend en RDA et en URSS », Le Progrès Egyptien, 5 mars 1976, p. 3. 1181 SAPMO-BArch, DY 30/ IV B 2-20 345, op.cit., Note sur une conversation entre le membre du bureau politique et secrétaire du Comité central du SED, le camarade G. Grüneberg, et le ministre des Finances, de l’Economie et du Commerce extérieur, le Dr. Abdul Aziz Hegazy, le Caire, 14.2.1974.

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après la guerre d’usure israélo-égyptienne de 1969-1970 et la guerre israélo-arabe d’octobre 1973, l’Egypte doit en effet entamer sa reconstruction et « plus que jamais être soutenue » dans cet effort1182. Pour le Caire, l’accroissement des échanges commerciaux avec la RDA apparaît en outre rapidement comme un moyen de diversifier ses partenaires économiques. Si la possibilité d’obtenir des technologies, des crédits ou tout autre type d’assistance économique de la part de l’URSS et du bloc de l’Est a d’abord offert aux pays du Sud, comme l’Egypte, l’opportunité d’œuvrer au développement national indépendamment de l’influence des puissances occidentales1183, la dépendance à l’égard de Moscou a toutefois pu être ressentie, à son tour, comme une entrave à l’exercice de la souveraineté nationale. Pour le Caire, le développement de la coopération économique avec un Etat comme la RDA est donc un moyen de contourner sa dépendance à l’égard de l’URSS. L’Allemagne de l’Est étant créditée d’un réel savoir-faire technique, l’Egypte peut espérer réduire ses liens avec le partenaire soviétique, sans que cela ne porte préjudice à la qualité des produits qu’elle doit importer. Les diplomates est-allemands ont d’ailleurs tout à fait conscience des raisons qui poussent leurs homologues égyptiens à œuvrer en faveur du développement des relations économiques bilatérales : « la tendance se confirme, selon laquelle la RAE veut réduire la coopération avec l’Union soviétique, avec l’aide de la RDA, et, certainement, d’autres pays […] »1184.

C’est ainsi que la RDA devient l’un des principaux fournisseurs de bien industriels et d’articles manufacturés importés par l’Egypte. Une grande partie des vêtements mis en vente sur le marché égyptien est par exemple confectionnée en RDA1185… grâce au coton que cette dernière a d’abord importé d’Egypte. De ce point de vue, la RDA, tout comme les autres pays d’Europe de l’Est, s’intègre progressivement dans la division capitaliste mondiale du travail1186 : elle exporte des biens manufacturés à faible valeur ajoutée vers les pays du Sud et importe en échange des matières premières, qu’elle revend sur le marché mondial pour obtenir des devises fortes, grâce auxquelles elle peut, enfin, payer sa dette à l’Ouest.

1182 Ibid. 1183 HOSSEINZADEH, Esmail, Soviet non capitalist development…, op.cit., p. 49. 1184 SAPMO-BArch, DC 20/ 13 068, op.cit., Lettre de M. Zorn, attaché commercial à l’ambassade de la RDA en RAE, à M. Schönherr, ministère du Commerce extérieur, 15.8.1972. 1185 Le Progrès Egyptien, 5 mars 1976, « Notre ministre du Commerce se rend en RDA et en URSS », p. 3. 1186 HANSEN, William H., « East-South Relations: an Introduction », in : HANSEN, William W., SCHULZ, Brigitte H. (dir.), The Soviet Bloc and the Third World…, op.cit., p. 3.

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Ainsi, jusqu’à la fin des années 1980, « la RDA est un partenaire très intéressant pour la RAE » car ses produits sont de « bonne qualité » et « bon marché »1187. Mais surtout, l’Allemagne de l’Est propose des crédits dont les modalités sont souvent plus avantageuses que celles qui sont offertes par les pays occidentaux. ii. Des crédits avantageux Les conditions qui régissent l’octroi des crédits est-allemands aux pays en développement sont en général semblables à celles qui sont appliquées par les autres Etats socialistes : le taux d’intérêt annuel est souvent fixé à 2,5%, le début du remboursement a lieu entre un et trois ans après la conclusion des livraisons d’équipements - ou, le cas échéant, de la mise en exploitation de l’usine - et sa durée oscille entre 12 et 15 ans1188. Jusqu’au début des années 1970, l’URSS et les pays du bloc de l’Est acceptent que les Etats du Tiers-monde auxquels ils ont consenti des prêts les remboursent en monnaies ou en produits nationaux1189 : ce type d’accord est extrêmement avantageux pour les pays en développement, qui possèdent peu de devises. Les échanges entre les Etats socialistes et les pays du Tiers-monde s’effectuent alors « non en devises, mais par le biais d’accords de troc, de compensation et de clearing »1190. Ce type d’accord consiste à conclure des transactions sans numéraire, mais en affectant le produit des exportations d’un pays au règlement de ses importations, dans la mesure où l’équilibre des échanges entre les deux partenaires est à peu près atteint1191. L’URSS propose également aux pays du Sud une assistance économique qui prend la forme de versements en roubles non convertibles: les bénéficiaires doivent donc acheter des produits et des services soviétiques1192.

1187 SAPMO-BArch, DY 30/ 2418 : ZK der SED, Büro Erich Honecker. Internationale Beziehungen der SED zu Staaten und Parteien. Beziehungen mit Ägypten 1971-1973-1986-1989. Télégramme de M. Schüssler à E. Honecker, sans date (le télégramme relate un entretien avec le président égyptien H. Moubarak, il est donc postérieur à 1981). 1188 OSTEN, Walter, Die Aussenpolitik der DDR…, op.cit., p. 83. 1189 DESPRES, Laure, « Les ventes d’armes de l’URSS… », op.cit., p. 63. 1190 GRAZIANI, Giovanni, Gorbatchev’s Economic Strategy in the Third World, New York, Praegers Publishers, The Washington Papers/142, 1990, p. 151. 1191 Né en Europe au lendemain de la crise financière des années 1930, ce système est abandonné avec l’Accord monétaire européen conclu en 1958. Seul le bloc soviétique et quelques autres pays, dont l’Egypte, continuent à utiliser les accords de clearing. En 1976, avec le passage de la RDA au paiement en devises libres, les relations commerciales bilatérales fondées sur le clearing disparaissent. Voir : MEIER, Martin, « Clearing », in : Historisches Lexicon der Schweiz, version du 18/12/2003, url : URL: http://www.hls-dhs- dss.ch/textes/d/D13779.php 1192 DANNEHL, Charles R., Politics, Trade and Development. Soviet Economic Aid to the Non-Communist Third World, 1955-1989, Dartmouth, 1995, p. 4.

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Pourtant, au cours des années 1970, les pays de l’Est sont de plus en plus confrontés à la nécessité de s’approvisionner en monnaie forte, notamment pour financer leurs importations en provenance de l’Ouest1193. Cela les conduit à abandonner progressivement le recours aux accords de clearing avec le Tiers-monde. La RDA donne elle aussi peu à peu la priorité aux transactions en devises fortes dans ses échanges commerciaux avec les pays du Sud. En avril 1975, le ministre égyptien des Affaires étrangères, Ismaïl Fahmy, et son sous-secrétaire d’Etat, Mohamed Riad, profitent du séjour au Caire du représentant du ministre est-allemand des Affaires étrangères, le Dr. Klaus Willerding, pour lui demander de maintenir les accords de compensation1194. Ils évoquent cette « nouvelle tendance » qui se développe chez les Etats socialistes et qui consiste à renégocier les conventions économiques bilatérales sur la base d’un paiement en devises convertibles1195. Estimant qu’il va être extrêmement difficile à l’Egypte de répondre aux nouveaux critères exigés par la RDA, ils font part de leur souhait de « maintenir le marché sur les bases existantes »1196. Le sous-secrétaire d’Etat Mohamed Riad mentionne la situation économique délicate dans laquelle se trouve l’Egypte et rappelle que si cette dernière s’est toujours acquittée de ses dettes dans les délais impartis, la RDA devra faire preuve de « patience » face à son incapacité éventuelle à garantir ses futurs remboursements1197.

Pour la RDA, la réorganisation dès 1980 des modalités de paiement qui président à ses échanges économiques avec l’Egypte, aussi bien en ce qui concerne les transactions commerciales que le remboursement des crédits, est néanmoins un véritable « succès », car elle conduit à un afflux de devises convertibles1198. Le 15 mars 1984, Berlin-Est et le Caire concluent un accord-cadre sur la garantie d’un crédit est-allemand à l’Egypte, d’un montant

1193 SCHULZ, Brigitte H., « The German Democratic Republic and Sub-Saharan Africa…», op.cit, p. 220. 1194 « Es bitte darum, das bestehende Clearingabkommen auch weiterhin beizubehalten ». MfAA, L 187, C 1454/76, op.cit., Bericht über die Konsultationen des Stellevertreters des Ministers für Auswärtige Angelegenheiten der DDR, Dr. Klaus Willerding, in der Arabischen Republik Ägypten vom 11.- 13.4.1975, Berlin, den 15.4.1975, Streng vertraulich, p. 19. 1195 MfAA, L 187, C 1454/76, op.cit., Niederschrift über die Konsultationsgespräche des Stellvertreters des Ministers für Auswärtige Angelegenheiten Genossen Dr. Willerding mit Unterstaatssekretär M. Riad, Botschaft der DDR in der AR Ägypten, Kairo, den 13.4.1975. 1196 « Für die kommenden Wirtschaftsverhandlungen im Mai bittet die ARÄ in Betracht zu ziehen, daß es bei einem gleichen Anliegen der DDR sehr schwierig für die ARÄ würde, diese Forderungen zu erfüllen. Die ARÄ ist interessiert, den mit der DDR geschaffenen Markt auf bisherigen Grundlage zu erhalten ». Ibid., p. 29. 1197 « M. Riad bemerkte weiter, daß die wirtschafliche Situation Ägyptens nicht gut ist. Sollte der Fall eintreten, daß man nicht in der Lage ist, erforderliche Rückzahlungen zu leisten, so hofft er (M. R.) auf Geduld und Zeitaufschub seitens der DDR ». Ibid., p. 28. 1198 SAPMO-BArch, DY 30/ 14 044, op.cit., Stand und Entwicklung der wirtschaftlichen Beziehungen zwischen der DDR und der AR Ägypten.

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de 100 millions de dollars1199. Cependant, malgré la réorientation de la politique économique est-allemande de façon à privilégier les paiements en monnaie forte, les accords de clearing se maintiennent: jusqu’en 1989, la RDA dispose ainsi, en Egypte, d’un quota annuel de « compensation » d’une valeur de 12 millions de dollars (soit 22,2 millions de VM)1200 : « ces biens seront employés pour les coûts de la représentation est-allemande en Egypte et pour l’achat de produits agricoles égyptiens, en particulier les oranges »1201. De son côté, l’intérêt de l’Egypte pour les crédits proposés par la RDA ne faiblit pas, malgré la réorganisation progressive des modalités de paiement : en effet, « les pays arabes amis des Etats socialistes sont pauvres et sont dépendants des crédits »1202.

Pour les représentants égyptiens, la garantie des crédits est-allemands est donc « l’expression d’une coopération économique étroite »1203, qu’ils souhaitent maintenir. Ces accords ne les empêchent nullement, toutefois, de chercher parallèlement à approfondir leurs relations économiques avec l’Europe de l’Ouest ou avec des Etats non socialistes, comme le Japon1204. Dans ce contexte, les Allemands de l’Est sont bel et bien contraints de faire face à la « concurrence capitaliste croissante sur le marché égyptien »1205.

1199 Ibid. 1200 Ibid. 1201 Ibid. 1202 « Er ließ dabei durchblicken, daß die reichen Erdölländer zur Zeit noch nicht bereit seien, ihre Gelder zu Käufen von Industrieanlagen in den sozialistischen Ländern zu benutzen, während andererseits die eng mit den sozialistischen Staaten befreundeten arabischen Länder arm und auf Kredite angewiesen seien ». MfAA, L 187, C 1454/76, op.cit., Vermerk über ein Gespräch des Stellvertreters des Außenministers der DDR, Dr. Willerding, mit dem Generalsekretär der Arabischen Liga, Mahmoud Riad, am 12.4.75, Botschaft der DDR in der AR Ägypten, Kairo, den 12.4.1975, p. 40. 1203 « Ausdruck einer engen wirtschaflichen Zusammenarbeit ». MfAA, L 187, C 6505, Vermerk über ein Gespräch des 1. Stellvertreters des Ministers für Auswärtige Angelegenheiten, Genossen Staatssekretär Herbert Krolikowski mit dem Botschafter der Arabischen Republik Ägypten in der DDR, Herrn Salah Eddin Abu Gabal, am 26.9.1977, p. 37. 1204 MfAA, L 187, C 1454/76, op.cit., Vermerk über ein Gespräch des Stellvertreters des Außenministers der DDR, Dr. Willerding, mit dem Generalsekretär der Arabischen Liga, Mahmoud Riad, am 12.4.75, Botschaft der DDR in der AR Ägypten, Kairo, den 12.4.1975. 1205 SAPMO-BArch, DY 30/ 17 842, op.cit., Bericht über die Verhandlungen zum Abschluss von Vereinbarungen zur Durchführung von Gegenseitigkeitsgeschäften mit der ARÄ. Ministerium für Außenhandel, Berlin, 18.4.1977, p. 5.

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3. L’Egypte : un marché concurrentiel a) La concurrence accrue des « Etats industrialisés capitalistes »1206

L’Egypte, comme les autres pays du Tiers-monde, constitue l’un des champs d’affrontement des puissances durant la Guerre froide. La RDA est coutumière de cet état de fait, puisque depuis le début des années 1950, elle fait face à la concurrence, sur place, de l’autre Etat allemand. La RFA a en effet, elle aussi, développé ses relations économiques avec l’Egypte : en 1969, Bonn a par exemple accordé au Caire un crédit de 36 millions de marks, destiné à financer l’achat de matériaux bruts et de biens de consommation1207. Le gouvernement ouest-allemand a en outre accepté de garantir des livraisons de blé, d’une valeur de 100 millions de marks et dont le paiement s’échelonne sur cinq ans1208. De même, la RDA est incapable de rivaliser avec les programmes d’aide ouest-allemands destinés aux pays du Sud: en 1968 par exemple, la RFA a mis 232 millions de deutsche marks à leur disposition, dans le cadre de l’aide au développement des Nations Unies, soit environ dix fois plus que l’aide du bloc de l’Est tout entière1209.

Le tableau ci-dessous montre l’augmentation continue des exportations et des importations ouest-allemandes à destination ou en provenance de l’Egypte, de 1970 à 1985 :

1206 Ibid., p. 2. 1207 MfAA, L 187, C 641/73, op.cit., Niederschrift über ein Gespräch mit dem Minister für Wirtschaft und Aussenhandel der VAR, Hassan Abbas Zaki, am 12.7.1969. 1208 Ibid. 1209 MEINING, Stefan, Kommunistische Judenpolitik…, op.cit., p. 305.

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Tableau 6 : Evolution des relations économiques égypto-allemandes, de 1965 à 19911210 (en millions de DM)

La coopération économique entre l’Egypte et les « pays industrialisés capitalistes » s’intensifie nettement sous le mandat de Sadate. La RDA déplore l’augmentation des programmes d’aide occidentaux et la mise à disposition de crédits étatiques dont les taux d’intérêts sont extrêmement faibles (entre 1 et 4% par an)1211. Selon le ministère est-allemand du Commerce extérieur, l’assistance économique des Etats capitalistes porte clairement préjudice aux relations économiques entre l’Egypte et les Etats socialistes : le Caire se retire en effet de certains projets d’investissements communs, pour se tourner vers des entreprises occidentales. En 1977 par exemple, la Société nationale des chemins de fer d’Egypte décide

1210 Tableau extrait de : WIPPEL, Steffen, « Réforme économique… », op.cit., p. 52. 1211 SAPMO-BArch, DY 30/ 17 842, op.cit., Bericht über die Verhandlungen zum Abschluss von Vereinbarungen zur Durchführung von Gegenseitigkeitsgeschäften mit der ARÄ. Ministerium für Außenhandel, Berlin, 18.4.1977, p. 2.

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d’importer des wagons frigorifiques des Etats-Unis et des véhicules ferroviaires de France1212, fragilisant du même coup l’activité de la firme est-allemande LEW « Hans Beimler » Hennigsdorf, qui lui fournissait, depuis le début des années 1970, une grande partie de ses équipements ferroviaires1213.

De fait, la RDA n’est pas en mesure de rivaliser avec les Etats occidentaux dans les domaines de la coopération et de l’assistance économiques, malgré sa volonté de « contrer le durcissement des conditions de concurrence sur le marché égyptien »1214. Au cours des années 1980, les échanges entre les pays capitalistes et l’Egypte s’accroissent fortement. Entre 1981 et 1982 par exemple, les exportations égyptiennes vers la RFA bondissent de 84%1215. A la même période, l’Egypte est le deuxième principal bénéficiaire de l’aide financière et technique ouest-allemande, après l’Inde : en 1981, ce soutien atteint 316,5 millions de marks, en 1982, il est de 300 millions de marks1216 et en mars 1983, Bonn accorde au Caire un prêt de 274 millions de marks est-allemands, remboursable sur 50 ans1217. La concurrence ouest- allemande est d’autant plus rude pour la RDA, que Bonn a identifié les mêmes domaines stratégiques : contrairement aux autres investissements étrangers réalisés en Egypte, qui s’exercent principalement dans les secteurs financier et tertiaire, 80 à 90% des investissements ouest-allemands effectués dans le pays concernent le secteur pétrolier1218. La RFA se concentre en outre sur la construction mécanique et de véhicules, l’industrie métallurgique, la chimie et l’industrie pharmaceutique1219.

De même, la coopération de l’Egypte avec la CEE s’accentue au début des années 1980 : en 1981, la Communauté européenne octroie une aide de 31,54 millions d’écus (soit 23,23 millions de dollars) au Caire, pour financer le projet « Hélouan », un programme d’assainissement des eaux sur la rive Est du Nil1220. En septembre 1984, la CEE débloque

1212 Ibid. 1213 Voir supra, p. 204. 1214 « Der Verschärfung der Konkurrenzbedigungen auf dem ägyptischen Markt ist durch weitere Intensivierung der Marktarbeit entgegenzuwirken ». MfAA, L 187, C 6461, op.cit., Jahresorientierung für die Botschaft der DDR in der AR Ägypten für das Jahr 1979, NMO, Berlin, 18.12.1978, p. 18. 1215 « Relations égypto-allemandes », Le Progrès Egyptien, 7 février 1983, p. 2. 1216 Ibid. 1217 « Coopération égypto-allemande et projets de loi sur le secteur public », Le Progrès Egyptien, 4 mars 1983, p. 1. 1218 Voir à ce sujet l’article extrêmement détaillé de Steffen Wippel : WIPPEL, Steffen, « Réformes économiques… », op.cit., p. 53. 1219 Ibid. 1220 « Coopération de la CEE avec l’Egypte », Le Progrès Egyptien, 12 septembre 1984, p. 1. 234

encore 15 millions d’écus (soit 11,1 millions de dollars) pour le même projet1221. Enfin, les Etats-Unis s’imposent peu à peu comme le principal partenaire économique de l’Egypte, dans le cadre des « relations spéciales »1222 que les deux pays entretiennent : ils s’impliquent aussi bien dans la construction de centrales électriques à Ismaïlia, Talka ou Hélouan1223, que dans la vente de plants de pommes de terre1224 ou de blé1225 et accordent enfin à l’Egypte des prêts financiers1226. En 1987, les principaux partenaires commerciaux de l’Egypte sont les Etats-Unis - qui fournissent 23% des importations totales de l’Egypte -, la France, la Grande-Bretagne, l’Italie et la RFA1227.

Le tableau suivant montre que, de 1960 à 1976, plus de la moitié des importations égyptiennes proviennent des Etats développés à économie de marché, tandis que les importations en provenance des Etats socialistes ne dépassent jamais 30% du volume total des importations :

Tableau 7 : Orientation du commerce égyptien (en %)1228

Années Pays développés à économie Pays socialistes Autres pays de marché Exportations Importations Exportations Importations Exportations Importations 1960 43 64,5 36,2 18,9 20,8 16,7 1965 32,2 57,8 43,4 19,4 24,4 22,8 1970 18,6 43,7 56,4 29,7 35 26,6 1974 30,8 51,7 55,4 24,1 13,8 24,2 1976 32 67,6 48,9 14,8 19,1 28,6

Enfin, le tableau 8 dresse le bilan du commerce extérieur égyptien entre 1982 et 1985, en distinguant le volume des exportations et des importations par pays et par année. Ces

1221 Ibid. 1222 SAPMO-BArch, DY 30/13 667, op.cit., Vermerk über ein Gespräch des Genossen Trappen mit Vertretern der ÄKP, den 19.11.1983. 1223 « Coopération économique et technique entre l’Egypte et les Etats-Unis », Le Progrès Egyptien, 6 janvier 1977, p. 3. 1224 Ibid. 1225 SAPMO-BArch, DY 30/13 667, op.cit., Vermerk über ein Gespräch des Präsidents des Sekretariats des Nationalrats der Nationalen Front der DDR, Werner Kirchhoff, mit dem Generalsekretär der VNPP Ägyptens, Dr. Rifaat el-Saïd, den 7.4.1983, Abt. Internationale Verbindungen, Berlin, 11.4.1983. 1226 En octobre-novembre 1975, par exemple, lors de sa visite aux Etats-Unis, le président Sadate obtient une aide financière de 750 millions de dollars. Voir : SAPMO-BArch, DY 30/ J IV 2/ 2J-7094, Bureau politique, janvier 1976, « A propos de la situation en RAE ». 1227 SAPMO-BArch, DY 30/ J IV 2-2J-7094, op.cit., Lettre du Secrétaire du Parti, Czmok, à Günter Sieber, Département des relations internationales du Comité central du SED, le Caire, 19.10.1987. 1228 Source : DAWISHA, Karen, Soviet Foreign Policy towards Egypt, Londres, Macmillan, 1979. Le tableau est reproduit dans : LAURENS, Henry, « L’URSS et l’Egypte de Nasser à Sadate », op.cit., p. 56.

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données font partie du matériel d’information qui circule entre l’ambassade de la RDA au Caire et le département des relations internationales du Comité central du SED, à Berlin. Elles ont été rassemblées à partir des statistiques publiées par le FMI et sont exprimées en millions de dollars1229. Le bilan commercial égyptien annuel est nettement déficitaire, le volume des importations étant en moyenne trois fois plus élevé que celui des exportations. Surtout, le tableau fait clairement apparaître la prédominance des Etats-Unis et des pays d’Europe de l’Ouest dans le commerce extérieur de l’Egypte et la place réduite, en comparaison, des volumes d’affaires réalisés avec les Etats socialistes1230.

1229 Les tableaux précédents, qui donnaient les volumes d’affaires échangés entre la RDA et l’Egypte durant la même période, sont construits à partir de données en milliers ou millions de Valuta-marks. 1230 La Roumanie, la Hongrie et la Yougoslavie ne sont pas comptabilisées dans les « pays socialistes » : les sources est-allemandes indiquent en effet que « dans les statistiques du FMI, la République populaire de Chine, la Hongrie, la Roumanie et la Yougoslavie sont considérées comme des pays en développement ». Les acteurs est-allemands ont en outre explicitement séparé ces Etats des « pays socialistes ». Voir : SAPMO-BArch, DY 30/ 14 044, op.cit., Stand und Entwicklung der wirtschaftlichen Beziehungen zwischen der DDR und der AR Ägypten.

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Tableau 8 : Commerce extérieur de la République arabe d’Egypte, 1982-1985, structure par pays, d’après la direction des statistiques commerciales du FMI1231 (Données en millions de dollars/ x= données inférieures à 0,5)

1982 1983 1984 1985 Exp. Imp. Exp. Imp. Exp. Imp. Exp. Imp.

Tous les pays 3120 9078 3215 10275 3140 10735 3714 9931

Pays industrialisés 1640 6433 1603 7137 1603 7295 1738 6863 capitalistes

Dont Etats-Unis 146 1727 212 1357 174 1228 34 1296 Canada 3 103 2 67 3 150 2 109 Australie X 213 x 186 x 279 x 336 Japon 79 412 84 511 100 383 114 515 Autriche 9 56 16 66 26 77 16 515 Belgique/ 14 131 36 191 44 159 37 138 Luxembourg Danemark 4 54 10 90 17 125 12 81 Finlande 2 109 2 119 6 128 2 209 France 219 681 305 710 206 837 430 701 RFA 126 890 70 1091 105 1099 81 954 Irlande X 110 1 118 3 138 1 105 Italie 689 687 583 822 541 920 657 757 Pays-Bas 170 318 127 359 163 376 152 357 Espagne 65 213 68 350 98 353 100 390 Suède 2 157 2 101 2 189 2 190 Suisse 36 175 40 215 58 165 58 174 Grande- 76 398 50 369 55 377 38 425 Bretagne

Pays en développement 1120 1634 997 2034 1074 2340 1421 2040

Afrique 113 96 46 122 39 190 30 193

Dont Soudan 67 43 16 76 30 117 18 151 Asie 69 293 154 390 136 413 114 393 Dont République populaire de 35 56 29 59 37 56 x 42 Chine

Europe 338 822 277 988 392 1094 607 1036

Dont Hongrie 13 30 16 22 12 44 12 53 Roumanie 184 198 120 272 263 316 434 370 Yougoslavie 55 134 33 181 32 225 27 214 Grèce 65 311 64 384 71 308 119 253

Moyen-Orient 583 169 520 360 506 402 631 236

Dont Israël 443 69 392 68 369 64 462 15 Arabie Saoudite 86 52 82 238 73 195 75 72

Amérique latine 17 254 - 175 x 240 38 182

Pays socialistes 211 519 336 543 264 528 323 638

Dont Bulgarie 8 19 6 31 7 54 15 46 Cuba - 56 - 35 - 14 x 29 Tchécoslovaquie 37 134 50 137 41 96 61 135 RDA 13 82 27 85 34 94 53 93 Pologne X 48 12 48 14 54 16 39 URSS 136 175 230 200 166 215 178 280

1231 Source : SAPMO-BArch, DY 30/ 14 044, op.cit., Stand und Entwicklung der wirtschaftlichen Beziehungen zwischen der DDR und der AR Ägypten.

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Si le tableau atteste bien de l’augmentation constante des échanges entre la RDA et l’Egypte au cours des années 1980, il met nettement en valeur, cependant, la distorsion qui existe entre les deux Allemagnes, dans leur commerce avec l’Egypte. Les exportations égyptiennes à destination de la RFA sont, en moyenne, deux à trois fois supérieures à celles qui se dirigent vers la RDA. Mais c’est surtout la différence des importations égyptiennes en provenance des deux Etats allemands, qui traduit de façon criante la supériorité économique de la RFA : l’Egypte importe en effet entre dix et douze fois plus de produits ouest-allemands que de biens est-allemands. Ce décalage reflète, en partie, celui qui existe entre les deux superpuissances : si l’Egypte exporte sensiblement les mêmes volumes à destination des Etats-Unis et de l’URSS, elle importe en revanche cinq à six fois plus de biens américains que soviétiques.

Si de telles différences expriment, en partie, le changement de stratégie politique qui s’est opéré progressivement en Egypte depuis le début des années 1970 et qui a conduit au rapprochement avec les Etats-Unis, elles mettent également en lumière la disproportion des forces, entre les deux blocs, en matière économique et financière. b) Retards de livraisons et insuffisances de l’offre est-allemande : les limites de la coopération économique bilatérale

L’URSS et les pays de l’Est peinent à jouer véritablement le rôle de partenaires économiques privilégiés des Etats en développement. En effet, « l’URSS est fondamentalement perçue dans le Tiers-monde comme un marché complémentaire utile à la diversification des échanges et non comme un partenaire alternatif aux pays à économie de marché »1232. Deux facteurs principaux expliquent que l’URSS reste, pour les pays en développement, un acteur marginal : son incapacité croissante à leur fournir le type de technologie qu’ils désirent et le rôle mineur qu’elle occupe dans les organisations commerciales et financières internationales1233. La RDA, quant à elle, a pris, dès sa création, un « mauvais départ au plan économique »1234 : petit Etat de 16 à 17 millions d’habitants, l’implantation industrielle y est peu dense et les sources d’énergie quasi inexistantes1235.

1232 LAÏDI, Zaki (dir.), L’URSS vue du Tiers-Monde, Paris, Editions Karthala, 1984, p. 37. 1233 DANNEHL, Charles R., Politics, Trade and Development…, op.cit., p. 20. 1234 SCHNEILIN, Gérard, « Les économies allemandes de 1982 à 1990 », in : SAINT-SAUVEUR-HENN, Anne, SCHNEILIN, Gérard (dir.), La mise en œuvre…, op.cit., p. 243. 1235 Ibid.

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Les archives est-allemandes évoquent d’ailleurs de façon récurrente les reproches adressés par les interlocuteurs égyptiens à leurs partenaires socialistes : ils dénoncent tour à tour la mauvaise qualité technique des équipements fournis, les quantités trop faibles de pièces détachées livrées, la rareté du service après-vente ou encore l’incapacité à ajuster l’offre en biens et en services aux besoins égyptiens. Le retard de certaines livraisons ou le faible tonnage des navires transportant des biens en provenance de RDA et à destination de l’Egypte sont autant d’aspects qui « ternissent la coopération économique »1236. Ponctuellement, certaines défaillances des appareils livrés par la RDA, notamment en ce qui concerne les équipements de transport, contribuent à refroidir les relations bilatérales. Au début de l’année 1973 par exemple, un avion Mig 21, qui venait de faire l’objet d’une révision en RDA et qui avait été réexporté vers l’Egypte en novembre 1972, s’écrase sur le sol égyptien1237. L’accident est suivi de près par le ministère est-allemand du Commerce extérieur et par le Conseil des ministres de RDA. En mai 1973, un groupe d’experts est-allemands se rend en Egypte, afin d’examiner les causes de la catastrophe : ils concluent au blocage du train d’atterrissage gauche de l’appareil, et donc à la responsabilité est-allemande. L’usine aéronautique VEB Flugzeugwerft de Dresde, spécialisée dans la réfection des pièces de Mig 21 endommagées, envoie son directeur au Caire afin de procéder au remplacement de l’avion1238. Face à la réaction rapide de Berlin-Est, la partie égyptienne renonce à demander des dédommagements1239. En 1977, un accident ferroviaire a lieu en Haute-Egypte : le drame est relayé dans la presse égyptienne, qui met en lumière la responsabilité de la RDA, le train étant équipé de wagons est-allemands. Un tel scandale nuit évidemment à l’image du régime de Berlin-Est en Egypte. Ses représentants dénoncent le traitement de la catastrophe qui est fait par les médias égyptiens : « lorsqu’il y a un problème, nous en parlons et cherchons à le résoudre. Mais ces déclarations dans la presse ne nous aident pas. L’affaire est suffisamment

1236 « Bestimmte Erscheinungen […] schmälern die Möglichkeiten der beiderseitig nützlichen ökonomischen Zusammenarbeit ». MfAA, L 187, C 6461, op.cit., Annexe jointe à la lettre de M. Mauersberger, chargé d’affaires à l’ambassade de RDA en RAE, à Wolfgang Konschel, directeur du Département du Proche- et du Moyen-Orient au Ministère des Affaires étrangères de RDA, le Caire, 22.5.1978, p. 5. 1237 SAPMO-BArch, DC 20/ 13 068, op.cit., Lettre du colonel Schönherr, directeur du Commerce extérieur spécial au ministère du Commerce extérieur, au Dr. Weisshuhn, Secrétariat du représentant du président du Conseil des ministres de RDA, Berlin, 18.6.1973. 1238 SAPMO-BArch, DC 20/ 13 068, op.cit., Lettre du colonel Schönherr au Dr. Weisshühn, 15.5.1973. 1239 SAPMO-BArch, DC 20/ 13 068, op.cit., Lettre du colonel Schönherr, directeur du Commerce extérieur spécial au ministère du Commerce extérieur, au Dr. Weisshühn, Secrétariat du représentant du président du Conseil des ministres de RDA, Berlin, 18.6.1973.

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tragique pour ne pas ajouter de l’huile sur le feu »1240. Erich Honecker, de son côté, fait part à Sadate de la « profonde compassion » du conseil d’Etat et du peuple de RDA1241.

La RDA n’est pas le seul pays socialiste à déplorer ce genre d’incidents. En 1985, les services de renseignements de l’armée est-allemande informent leur état-major de la détérioration des relations militaro-économiques entre l’Egypte et la Roumanie : le Caire a renvoyé 250 chars de type TR 800 livrés par Bucarest en raison de leur mauvaise qualité et a exigé le remboursement des sommes versées1242.

Les Allemands de l’Est reconnaissent volontiers qu’ils ne disposent que d’une marge d’action limitée dans l’assistance économique à destination de l’Egypte. Dès 1970, face au souhait du gouvernement égyptien d’obtenir des crédits spéciaux, Berlin-Est souligne l’effort que lui coûte une telle politique de « solidarité », en raison de ses propres difficultés économiques1243. En 1971, l’ambassadeur est-allemand au Caire, Martin Bierbach, conseille au représentant du Président du Conseil des ministres de RDA, le Dr. Weiss, de refuser d’accéder à la demande formulée par le ministre égyptien de la Guerre, qui souhaite la venue d’infirmières est-allemandes à l’hôpital militaire de , au Caire1244. L’ambassadeur explique s’être entretenu de ce sujet quelques mois auparavant, avec le représentant du ministre est-allemand des Affaires étrangères, le Dr. Kiesewetter, qui lui avait alors fait part du « manque extraordinaire de personnel » auquel la RDA devait elle-même faire face. En février 1974, quelques mois après la guerre du Kippour, l’armée égyptienne sollicite l’aide des Etats socialistes pour reconstruire les zones du canal de Suez dévastées par les combats : « l’URSS approuve mais la RDA dispose de moyens insuffisants »1245.

Dans de telles conditions, le volume d’affaires total des échanges entre la RDA et l’Egypte reste minime. En réalité, les relations économiques bilatérales reflètent l’état plus

1240 « Wenn es Probleme gibt, so werden wir darüber sprechen und sie lösen. Diesbezügliche unschöne Äußerungen in der Presse helfen uns jedoch nicht weiter. Die Sache sei tragisch genug, so daß man nicht das Feuer schüren solle ». MfAA, L 187, C 6505, op.cit., Vermerk über ein Gespräch des 1. Stellvertreters des Ministers für Auswärtige Angelegenheiten, Genossen Staatssekretär Herbert Krolikowski mit dem Botschafter der Arabischen Republik Ägypten in der DDR, Herrn Salah Eddin Abu Gabal, am 26.9.1977, p. 38. 1241 MfAA, L 187, C 6506, op.cit., Staatstelegramm. Télégramme adressé par Erich Honecker à Anouar el- Sadate, sans date. 1242 MfNV, AZN 8477, op.cit., Vermerk für den Verteidigungsminister, Lettre de Streletz, Général de corps d’armée, Berlin, 1985. 1243 SAPMO-BArch, DC 20/ 13 068, op.cit., Note sur une conversation avec le vice-président de RAU, Anouar el-Sadate, le 16.7.1970, ambassade de la RDA en RAU, le Caire, 19.7.1970. 1244 SAPMO-BArch, DC 20/ 13 068, op.cit., Lettre de M. Bierbach, ambassadeur de RDA en RAE, au représentant du Président du Conseil des ministres de RDA, le Dr. Weiss, le Caire, 2.1.1971. 1245 SAPMO-BArch, DC 20/ 13 068, op.cit., Lettre du colonel Schönherr au Dr. Weisshühn, 4.2.1974.

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général du commerce Est-Sud, qui ne propose pas de véritable alternative au modèle Nord-Sud. A la fin des années 1980, les relations économiques Est-Sud ne représentent que 1% des échanges mondiaux1246. Le commerce extérieur de la RDA avec l’ensemble des pays du Tiers-monde ne dépasse pas 4 à 5% de son commerce total1247 : ses échanges avec la RFA et les autres pays du CAEM comblent la plus grande partie de ses besoins commerciaux1248, comme le montre le tableau suivant :

Tableau 9 : Structuration du commerce extérieur est-allemand par pays, en 19711249

Berlin-Est fait pâle figure à côté de Bonn, dont près de 20% des importations proviennent des pays en développement, et qui réserve à ces derniers environ 14% de ses exportations1250. Enfin, l’Egypte perd sa place de premier partenaire arabe de la RDA dès 1974 : elle est remplacée par l’Irak, qui apparaît comme un fournisseur privilégié de pétrole1251. A la fin des années 1970, le commerce réalisé entre la RDA et l’Egypte ne représente plus que 20% du total des volumes échangés avec les pays arabes1252.

1246 LABOUZ Marie-Françoise. LAVIGNE, Marie, « Les relations Est-Sud dans l'économie mondiale », in : Politique étrangère, 1987, vol. 52, n° 1, p. 200. 1247 POIDEVIN, Raymond, L’Allemagne et le monde…, op.cit., p. 269. 1248 BARNETT, Thomas P.M., Romanian and East German Policies in the Third World. Comparing the Strategies of Ceaucescu and Honecker, Westport, Praeger, 1992, p. 105. 1249 Tableau extrait de : WILKENS, Herbert, « Un autre miracle économique allemand », in : Documents. Revue des questions allemandes, 1973, n° 2, p. 90 1250 POIDEVIN, Raymond, L’Allemagne et le monde…, op.cit., p. 269 1251 WENTKER, Hermann, Aussenpolitik in engen Grenzen…, op.cit., p. 469. 1252 Ibid.

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La RDA, tout comme ses alliés socialistes, n’est donc pas en mesure de rivaliser avec les « Etats industrialisés capitalistes » dans le Tiers-monde. Dès le début des années 1980, le poids des contraintes économiques - crise de l’endettement, besoins de crédits - conduit alors le régime est-allemand à faire preuve de pragmatisme : les accords de crédits commerciaux avec les pays en développement « sont assortis de conditions de rentabilité immédiate et limités à des projets lucratifs […] »1253. De même, ses critères d’attribution de l’assistance économique à destination des pays pauvres « se rapprochent de plus en plus de celles des pays capitalistes qui utilisent l’aide dans le but de favoriser les exportations »1254.

Sans abandonner les principes de « solidarité » et d’ « orientation socialiste », la RDA met désormais en avant le concept d’« avantage mutuel » dans la mise en œuvre de sa politique étrangère, ce qui invite à nuancer le primat de l’idéologie dans le déploiement de son activité économique.

4. La coopération économique : une diplomatie du pragmatisme a) Les relations économiques : une base pour le développement d’autres types de relations ?

La coopération bilatérale égypto-est-allemande s’est développée à partir des relations commerciales. Les représentants est-allemands et égyptiens partagent d’ailleurs l’idée selon laquelle les échanges économiques ont créé une « base solide » pour la mise en place des relations diplomatiques entre leurs pays1255.

A partir de 1969, la coopération économique bilatérale et les buts de politique étrangère propres aux deux Etats restent indéfectiblement liés. En août 1969, moins d’un mois après la reconnaissance officielle de la RDA par l’Egypte, le ministère est-allemand de l’Electrotechnique, déjà familier de la coopération technique avec le Caire, présente clairement cette dernière comme devant « soutenir la préparation du marché et la politique d’exportation »1256. De leur côté, les acteurs égyptiens n’hésitent pas à brandir des arguments politiques, afin d’encourager le développement des échanges économiques bilatéraux. Au

1253 THOREL, Julien, « Les stratégies tiers-mondistes… », op.cit., p. 55. 1254 Ibid., p. 56. 1255 MfAA, L 187, C 641/73, op.cit., Niederschrift über ein Gespräch mit dem Minister für Wirtschaft und Aussenhandel der VAR, Hassan Abbas Zaki, am 12.7.1969. 1256 SAPMO-BArch, DF 4/ 10 150 : Ministerium für Wissenschaft und Technik. Bd. 7 : Reise des Rektors der Hochschule für Verkehrswesen Dresden nach Ägypten, Februar 1972. Projet partiel pour la poursuite de la coopération dans les domaines de l’électrotechnique et de la technique de l’énergie avec les institutions de RAU, Département Science et Technique du ministère de l’Electrotechnique de RDA, 4.8.1969.

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début des années 1970 par exemple, le ministre de l’Industrie, Aziz Sidky, indique au ministre est-allemand de l’Economie, Horst Sölle, que « la menace israélienne permanente sur le pays doit surtout être combattue grâce au développement économique rapide et régulier »1257 de l’Egypte.

L’imbrication étroite entre intérêts politiques et impératifs économiques dans la mise en œuvre des relations bilatérales est mise en lumière de façon particulièrement flagrante lors de la décision unilatérale prise par le gouvernement égyptien de fermer le consulat est-allemand d’Alexandrie, en décembre 19771258. Alexandrie revêt une importance majeure dans les relations économiques entre la RDA et l’Egypte, car c’est autour du port méditerranéen que se concentrent les plus grands chantiers industriels et agricoles est-allemands1259. Or, c’est précisément le consulat qui était chargé de réaliser les missions économiques de la RDA dans la région, de la prise de contact avec les entreprises égyptiennes à la conclusion de traités avec ces dernières, aussi bien dans le domaine de la production de coton que dans celui des échanges maritimes1260. La fermeture du consulat est donc un terrible revers pour la diplomatie allemande, qui s’empresse de réorganiser son administration en Egypte, afin de poursuivre sans heurts ses activités commerciales. L’initiative égyptienne visant principalement à saper le caractère politique de l’activité est-allemande en Egypte, le gouvernement de Sadate autorise néanmoins la RDA à maintenir à Alexandrie des collaborateurs provenant du milieu économique, du moment que ces derniers ne disposent pas de fonctions diplomatiques. L’ambassadeur est-allemand, Otto Becker, propose alors d’envoyer à Alexandrie, pour coordonner l’ensemble des activités menées par la RDA, un

1257 « Letzlich hätte sich jedoch sein Standpunkt durchgesetzt, daß der ständigen israelischen Bedrohung des Landes vor allem durch eine schnelle und stabile ökonomische Entwicklung der VAR begegnet werden muß ». MfAA, L 187, C 641/73, op.cit., Auszug aus dem Bericht über den Besuch der Vereinigten Arabischen Republik durch den Minister für Außenwirtschaft, Genossen Horst Sölle, sans date, p. 31. 1258 Pour l’Egypte, il s’agit explicitement d’une mesure de représailles, face au soutien apporté par les Etats socialistes au sommet arabe de Tripoli, organisé en décembre 1977, et qui a condamné la visite de Sadate en Israël. Pour un exposé complet des évènements, voir infra, partie II, chapitre 6, p. 370-377. 1259 « […] Bedeutung Alexandrias für unsere bilateralen Beziehungen […] ». MfAA, L 187, C 6465, op.cit., Schlußfolgerungen aus der Schließung des Konsulates Alexandria für die Gestaltung der künftigen Arbeit, Botschaft der DDR in der AR Ägypten, Kairo, 3.1.1978, p. 20. 1260 « 1. Schwerpunktaufgaben, die bisher vom Konsulat bearbeitet bzw. unterstützt wurden. 1.1. Ökonomische Aufgaben. A) Abschluß von Verträgen mit im Raum Alexandria ansässigen Betrieben über Rohbaumwolle, Baumwollgarne, -gewebe und Untertrikotagen sowie kommerzielle Bearbeitung der einzelnen Vorgänge bis zur Realisierung der Verträge. B) Ständige Kontaktarbeit mit den ägyptischen Partnerbetrieben. C) Realisierung der Aufgaben auf dem Gebiet der Seeverkehrswirtschaft durch den Vertreter der Seereederei. D) Montage und Inbetriebnahme von der DDR zu liefernden Anlagenobjekten […] ». Ibid., p. 17.

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attaché commercial « au profil politique »1261. Ainsi, sans contrevenir aux exigences égyptiennes, les Allemands de l’Est auraient « la possibilité de prendre soin aussi bien des contacts avec les organes économiques qu’avec les organes étatiques d’Alexandrie ». De plus, le nouveau collaborateur serait en mesure de prendre en charge l’encadrement politico-idéologique des travailleurs est-allemands présents sur les chantiers égyptiens1262. Cet épisode met en lumière le pragmatisme et la réactivité dont font preuve les acteurs est-allemands. Face à la nécessité de préserver, à tout prix, les intérêts commerciaux de la RDA, sans abandonner pour autant leurs buts politico-idéologiques, ils renoncent à agir frontalement, préférant œuvrer à la marge et utiliser des circuits relationnels qui ne se limitent pas aux canaux étatiques traditionnels.

Au cours des années 1980, cette diplomatie économique s’étoffe, à mesure que les liens politiques entre le Caire et Berlin-Est se distendent. En 1983 par exemple, le Président du Conseil des ministres de RDA soutient le projet de nomination d’un chargé de mission permanent au Caire, dont le rôle serait de garantir la sécurité des exportations dans quelques pays partenaires : l’Egypte, la Syrie, l’Algérie, l’Irak et l’Iran1263. Ce dernier travaillerait en coopération avec les ambassadeurs des Etats concernés, ainsi qu’avec les directeurs des conseils commerciaux. En Egypte, il lui incomberait de veiller tout particulièrement à la viabilité du secteur sidérurgique et au maintien des livraisons de cimenteries, de laminoirs et de fonderies.

Les difficultés économiques internes croissantes au début des années 1980, contraignent ainsi le régime est-allemand à « une succession d’inflexions par rapport au projet politique initial »1264 qui guidait son activité dans les pays en développement depuis les années 1950. Dans ces conditions, « la qualité des relations politiques devient progressivement tributaire de l’approfondissement des relations commerciales »1265.

1261 « Im Interesse der Fortsetzung einer kontinuerlichen Arbeit auf den verschiedenen Gebieten unter Berücksichtigung der Bedeutung Alexandrias für unsere bilateralen Beziehungen wäre es notwendig, einen politisch profilierten Mitarbeiter aus dem ökonomischen Bereich einzusetzen (Handelsattaché) ». Ibid., p. 20. 1262 Sur l’encadrement idéologique des ressortissants est-allemands en Egypte, voir infra, partie II, chapitre 6, p. 318-322. 1263 SAPMO-BArch, DC 20/ 5076 : Ministerrat der DDR. Regierungen bis November 1989 ; Teil 1 : Ministerpräsident/ Vorsitzende des Ministerrats. Maschinenbau. Bd. 2 : 1983. « Projet » joint à la lettre du ministre est-allemand des équipements lourds, M. Kersten, au Président du Conseil des ministres de RDA, W. Stoph, Berlin, 11.4.1983. 1264 THOREL Julien, « Les stratégies tiers-mondistes… », op.cit., p. 54. 1265 Ibid., p. 55.

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b) Des objectifs politiques aux priorités économiques

L’historiographie a longtemps considéré que les facteurs économiques ne jouaient qu’un rôle « secondaire »1266 dans la mise en œuvre de la politique étrangère des Etats socialistes. L’ouverture des archives de la RDA après la chute du Mur de Berlin permet de nuancer une telle conception et surtout d’en affiner la périodisation. Charles R. Dannehl met ainsi en lumière le tournant qui s’opère à la fin de l’ère Khrouchtchev en URSS1267. Selon lui, jusqu’en 1964, le principal objectif soviétique dans le Tiers-monde est la construction d’une influence politique. L’aide économique est par exemple « attribuée selon des critères politiques et non économiques ». Peu convaincus par l’efficacité d’une telle politique, les successeurs de Nikita Khrouchtchev révisent cependant leurs stratégies d’influence. Entre 1970 et 1980, Charles R. Dannehl estime alors que la pénétration soviétique dans le Tiers-monde s’appuie avant tout sur la domination militaire. Au début des années 1980 toutefois, avec l’achèvement du processus de décolonisation et l’apaisement des relations soviéto-américaines qui a été impulsé par l’élection de Reagan, les instruments de la politique d’influence soviétique évoluent à nouveau. Le vecteur idéologique décline nettement au profit du développement des relations économiques.

Les travaux récents sur la politique étrangère des démocraties populaires nuancent le primat absolu de l’idéologie sur l’économie dans la mise en œuvre de l’activité de ces dernières à l’étranger. Les historiens de la RDA soulignent la « nouvelle stratégie est-allemande » qui se développe dans les années 1980 au Proche-Orient et en Afrique, où « le poids de l’économie s’est accru […] face à l’idéologie »1268. Un tel revirement s’explique par le poids croissant des contraintes économiques en RDA, qui dès 1981 conduit à l’adoption d’un « programme d’urgences en matière d’exportations »1269 : il s’agit de privilégier les relations économiques avec les pays en voie de développement disposant de solides ressources financières, afin de favoriser les exportations. La politique étrangère de la RDA est en effet de plus en plus dépendante de la situation intérieure du pays : afin de maintenir son économie et face à l’incapacité croissante de l’Union soviétique de répondre à ses exigences, le régime de Berlin-Est a besoin des crédits occidentaux et de devises fortes1270. Selon Julien

1266 Pour reprendre la formulation que Walter Osten emploie en 1969. Voir : OSTEN, Walter, Die Aussenpolitik der DDR…, op.cit., p. 86. 1267 DANNEHL, Charles R., Politics, Trade and Development…, op.cit., p. 14. 1268 WENTKER, Hermann, Aussenpolitik in engen Grenzen…, op.cit., p. 475. 1269 THOREL Julien, « Les stratégies tiers-mondistes… », op.cit., p. 54-56. 1270 WENTKER, Hermann, Aussenpolitik in engen Grenzen…, op.cit., p. 545.

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Thorel, cette réorientation de la politique est-allemande entre ainsi « en contradiction totale avec l’idéal prôné depuis le milieu des années 1970 de bâtir un nouvel ordre économique mondial »1271. Hermann Wentker pointe, de son côté, le décalage qui existe entre la direction du SED, toujours guidée par des impératifs idéologiques, et les experts en politique étrangère - diplomates ou organes spécialisés comme l’Institut pour la politique et l’économie, Institut für Politik und Wirtschaft -, bien plus soucieux du rapport investissement/profit1272.

De fait, en Egypte, un tel pragmatisme est de rigueur depuis la fin des années 1970. En décembre 1978, le ministère est-allemand des Affaires étrangères transmet à son ambassade au Caire les grandes lignes devant guider son action pour l’année à venir : les relations économiques sont désignées comme le « domaine actuellement essentiel » de la coopération bilatérale1273. Le rapport insiste notamment sur la nécessité d’intensifier le « travail de marché » (Marktarbeit) afin de répondre au durcissement de la concurrence sur le marché égyptien1274. Il définit deux priorités : maintenir le niveau des exportations est-allemandes en Egypte pour assurer le financement des importations et garantir la part des équipements industriels et électrotechniques dans le volume total des exportations1275. Les diplomates de la RDA insistent enfin sur la nécessité d’améliorer la compétitivité des produits et des services est-allemands, afin de répondre aux exigences de qualité formulées par la bourgeoisie égyptienne1276.

Les plus hautes autorités est-allemandes admettent elles aussi que la coopération bilatérale, et notamment économique, peut se développer « en dépit de deux ordres sociaux

1271 Ibid., p. 56. 1272 Ibid., p. 538. H. Wentker rapporte notamment les propos de l’ambassadeur est-allemand au Zimbabwe, Hans-Georg Schleicher, qui en 1983 estime que le pays ne « devrait pas être considéré comme un champ d’expérimentation du modèle de société socialiste ». Le diplomate fait la même observation pour l’Ethiopie et le Mozambique, qui sont pourtant les deux Etats les plus importants pour la politique africaine de la RDA depuis la fin des années 1970. 1273 « Die ökonomischen Beziehungen als das gegenwärtig wesentlichste Gebiet der zwischenstaatlichen Zusammenarbeit zwischen der DDR und der ARÄ […] ». MfAA, L 187, C 6461, op.cit., Jahresorientierung für die Botschaft der DDR in der AR Ägypten für das Jahr 1979, NMO, Berlin, 18.12.1978, p. 18. 1274 Ibid. 1275 « […] der hohe Anteil von Anlagen, Maschinen und Ausrüstungen einschließlich Ausrüstungen der Elektrotechnik am Export der DDR in die ARÄ erhalten bleibt ». Ibid. 1276 « Anknüpfen an die ökonomischen und politischen Interessen der ägyptischen Bourgeoisie (erfordert Verbesserung der « Konkurrenzbedigungen » unserer Waren und Dienstleistungen) ». MfAA, L 187, C 6489 : Abt. Naher u. Mittlerer Osten. Diskussion in der Botschaft der DDR in Ägypten über mögliche Auswirkungen und Folgeentwicklungen des Separatvertrages zwischen Ägypten u. Israel auf die regionale Lage im Nahen u. Mittleren Osten sowie die Innen- und Aussenpolitik Ägyptens. 1979. IV. Auswirkungen auf die künftige Gestaltung der bilateralen Beziehungen zwischen der DDR und der ARÄ, Botschaft der DDR in der Arabischen Republik Ägypten, Kairo, den 19.4.1979, p. 17.

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différents » : en juin 1986, c’est en ces termes qu’Erich Honecker s’adresse au ministre égyptien des Affaires étrangères, Ahmed Esmat Abdel Meguid, alors en visite à Berlin1277.

Les années 1980 voient donc l’amorce en RDA d’une véritable diplomatie économique : les relations avec l’Egypte obéissent à une stratégie réfléchie de rééquilibrage des objectifs prioritaires, visant à promouvoir les exportations est-allemandes et à compenser l’incapacité de Moscou à garantir la sécurité commerciale et financière nationale. Certes, l’étude de la dimension économique des politiques étrangères ne s’est imposée dans le champ des sciences sociales qu’à la fin des années 1990, la victoire de l’économie de marché à la fin de la Guerre froide ayant entraîné « le transfert de la conflictualité internationale du champ militaro-idéologique vers le champ économique et culturel »1278. Sans faire d’anachronisme, il nous semble cependant nécessaire de penser la diplomatie est-allemande comme un champ d’action qui n’est ni exclusivement guidé par des impératifs idéologiques, ni uniquement réductible au cadre étatique. La politique étrangère est-allemande n’est pas seulement, à notre sens, une « diplomatie d’Etat ». Elle s’apparente à ce que les chercheurs ont qualifié de « diplomatie à voies multiples »1279 : une forme d’activité internationale qui implique une diversité d’acteurs, de domaines d’interventions et de méthodes d’action. L’analyse des sources de la RDA montre ainsi que la politique étrangère est-allemande en Egypte répond à des considérations multiples, où se mêlent impératifs idéologiques et intérêts économiques, et qu’elle fait intervenir, ponctuellement, des acteurs non-étatiques. C’est tout particulièrement vrai dans un domaine clé du commerce extérieur : celui de la coopération militaire. Au-delà de la mise en pratique du concept de « solidarité anti-impérialiste », les ventes d’armes dans le Tiers-monde permettent en effet aux Etats socialistes, et notamment à la RDA, d’engranger des devises. Parce qu’elle est à la fois vecteur d’avancée technologique, source de profit et outil de construction - ou de représentation - de la puissance étatique, la coopération militaire

1277 SAPMO-BArch, DY 30/ 2418, op.cit., Anhang 2, Vermerk über ein Gespräch des Generalsekretärs des ZK der SED und Vorsitzender des Staatsrats der DDR, Genossen Erich Honecker, mit dem Außenminister der ARÄ, Dr. Ahmed Esmat Abdel Meguid, den 18.6.1986, im Staatsratgebäude. 1278 DENECE, Eric, « Diplomatie économique et compétition des Etats », in : Géoéconomie, 2011/1, n° 56, p. 71. 1279 Le concept de Multi-Track Diplomacy est formulé par Louise Diamond et John Mac Donald pour mettre en lumière les nombreuses interactions qui existent entre acteurs étatiques et acteurs non-étatiques dans un système diplomatique multilatéral. Voir : DIAMOND, Louise, MAC DONALD, John, Multi Track Diplomacy. A System Approach to Peace, West Hartford (Conn.), Kumarian Press, 1996. L’historiographie récente des relations internationales a abondamment repris le concept, en soulignant à la fois l’autonomie et l’interdépendance des différents types d’acteurs. Voir notamment : DEVIN, Guillaume, « Les diplomaties de la politique étrangère », in : CHARILLON, Frédéric (dir.), Politique étrangère. Nouveaux regards, Paris, Presses de Sciences Po, 2002, p. 235, voir encore : MARCHESIN, Philippe, Introduction aux relations internationales, Paris, Karthala, 2008, p. 186, et : BADEL, Laurence, « Introduction », in : Les Cahiers Irice. Diplomaties en renouvellement, 2009/1, n° 3, p. 6. 247

égypto-est-allemande se situe à l’intersection de plusieurs types d’intérêts, qui relèvent autant du champ politico-idéologique que du domaine économique et industriel. Elle mobilise par-là même une multiplicité d’acteurs, qu’il s’agisse de fonctionnaires, d’experts militaires, d’entreprises intermédiaires ou d’officiers de liaison chargés d’organiser les transactions commerciales, dont les motivations et le degré d’autonomie à l’égard du pouvoir central comme du partenaire soviétique varient grandement.

B. Les « relations spéciales du commerce extérieur »1280 ou le fonctionnement de la coopération militaro-économique bilatérale

1. L’Egypte : « la première ligne de défense pour le camp socialiste »1281?

La coopération militaire entre Berlin-Est et le Caire se développe de façon progressive depuis les années 1950. Cet essor est facilité par l’ouverture de la politique soviétique aux pays en développement. En 1955, après l’entrée de la RFA au sein de l’OTAN et la mise en place du Pacte de Varsovie, auquel la RDA adhère en mai de la même année, le monde se trouve partagé entre deux pactes militaires ennemis et les livraisons d’armes commencent à jouer un rôle croissant dans la répartition des influences internationales1282. Pour les puissances occidentales, il s’agit d’assurer le statu quo au Proche-Orient, d’empêcher la course aux armements entre Arabes et Israéliens et surtout d’arrimer les différentes parties de la région au pacte militaire occidental, par le biais des livraisons d’armes1283. Pour le bloc oriental, l’Egypte apparaît comme « un avant-poste du système socialiste européen »1284 au Moyen-Orient. De son côté, le Caire prône une neutralité positive et repousse l’alliance avec l’Ouest comme celle avec l’Est. Pourtant, la création du Pacte de Varsovie peut apparaître comme une alternative à la dépendance vis-à-vis de l’Occident en termes de soutien militaire et de livraisons d’armes. L’Egypte n’oublie pas que Londres ne lui a pas fourni les armes

1280 Les expressions « industrie spéciale » (spezielle Industrie) et « commerce extérieur spécial » (spezieller Aussenhandel) sont employées pour désigner l’industrie militaire et le commerce des armes. Voir : MÖLLER, Harald, Geheime Waffenlieferungen der DDR im ersten Golfkrieg an Iran und Irak, 1980-1988. Eine Dokumentation, Berlin, Verlag Dr. Köster, 2001, p. 31. Elles sont systématiquement utilisées dans les archives du ministère du Commerce extérieur ou de la Stasi. Voir par exemple : SAPMO-BArch, DC 20/ 13 068, op.cit., Lettre du Dr. Weiss au Colonel Schönherr, directeur du domaine du commerce extérieur spécial au ministère du Commerce extérieur, 30.11.1970. 1281 CARRERE D’ENCAUSSE, Hélène, La politique soviétique…, op.cit., p. 216. 1282 SCHWANITZ, Wolfgang, « Deutschland und der Mittlere Osten…», op.cit., p. 18. 1283 C’est le contenu de la Déclaration de Paris, Londres et Washington, le 25 mai 1950. Voir : SCHWANITZ, Wolfgang, « Deutschland und der Mittlere Osten… », op.cit., p. 16. 1284CARRERE D’ENCAUSSE, Hélène, La politique soviétique…, op.cit., p. 216.

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promises en 1948 lors de la guerre contre Israël1285. En septembre 1955, Nasser affiche sa volonté de se fournir en biens d’équipements auprès de l’URSS et de la Tchécoslovaquie. En 1956, lors de la crise de Suez, l’URSS et les pays socialistes apportent leur soutien à l’Egypte. La RDA envoie des pilotes est-allemands sur le canal de Suez, ce qui accroît nettement la visibilité de Berlin-Est dans les pays arabes. Puis, la guerre de 1967 est l’occasion pour la RDA d’intensifier ses relations avec l’Egypte : cela se traduit par le développement de la coopération militaire1286 et la mise en place de contacts entre les services secrets des deux Etats. Berlin-Est profite du vide laissé par Bonn lors de la rupture des relations diplomatiques entre la RFA et l’Egypte, le 12 mai 1965, après l’annonce de la livraison d’armes ouest- allemandes à Israël1287.

Tandis que du point de vue occidental, l’aide militaire fournie par Moscou et les pays socialistes aux Etats arabes est considérée comme un instrument de l’influence politique soviétique, de nombreuses voix s’élèvent cependant au Moyen-Orient qui critiquent l’insuffisance de l’appui militaire de l’Est. En Egypte, c’est un fait récurrent jusqu’à la signature du traité de paix avec Israël en 1979 : on estime que l’aide soviétique est trop faible et que cette insuffisance est responsable non seulement des défaites militaires arabes, mais également de l’incapacité des Etats arabes à peser réellement dans les négociations de paix1288. C’est d’ailleurs l’une des raisons pour lesquelles, dès 1976, Sadate se tourne vers les Etats-Unis afin d’obtenir des armements1289.

Au cours des années 1970, l’armée égyptienne étend son champ d’action aux activités extra-militaires et développe un caractère « quasi-entrepreneurial »1290. L’Etat égyptien lui octroie un budget de plus en plus important : les dépenses militaires sont financées à la fois par l’assistance militaire étrangère - en provenance des Etats-Unis1291 ou des Etats du

1285 SCHWANITZ, Wolfgang, « Deutschland und der Mittlere Osten…», op.cit., p. 17. 1286 La cote SAPMO-BArch, DC 20/ 13 068 contient des listes datant de 1967, qui font état des armes livrées par la RDA à l’Egypte. 1287 ABEDISEID, Mohammad, Die deutsch-arabischen Beziehungen…, op.cit., p. 164. 1288 Voir supra, partie I, chapitre 2, p. 123-125 et chapitre 3, p. 147-152. 1289 POMMIER, Sophie, Egypte, l’envers du décor, op.cit., p. 57. 1290 CHARTOUNI-DUBARRY, May, « Armée et nation en Egypte… », op.cit., p. 15. 1291 L’armée devient la principale institution égyptienne à bénéficier de l’aide américaine. Après la signature des accords de Camp David, l’assistance militaire américaine s’élève à 1,3 milliards de dollars. Voir : CHARTOUNI-DUBARRY, May, « Armée et nation en Egypte… », op.cit., p. 18.

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Golfe1292 - et par des prêts à faible taux d’intérêt ou des accords de troc concédés par les Etats socialistes1293. Les armes soviétiques, tchécoslovaques ou est-allemandes sont ainsi livrées en échange de fournitures de coton ou de produits agricoles. Pour l’Egypte, le développement des relations militaires avec la RDA est surtout un moyen de diversifier les sources d’approvisionnement en armes. Les fournitures est-allemandes ont aussi vocation à soutenir la construction de l’industrie militaire égyptienne, dans le but d’atteindre l’autosuffisance et de réduire la dépendance à l’égard de l’étranger1294. Pour Berlin-Est, la coopération militaire bilatérale est à la fois une composante essentielle du commerce extérieur et un élément clé de la représentation de puissance1295. En raison de la multiplicité d’acteurs qu’elle fait intervenir et de l’imbrication des intérêts qu’elle met en jeu, elle est surtout le domaine par excellence où le contrôle soviétique se desserre, laissant apparaître les limites de la solidarité de bloc. Ce sont ces aspects que le présent développement entend étudier : la dimension économique de la coopération militaire bilatérale et la diversité des acteurs qu’elle implique imposent de relativiser fortement l’idée selon laquelle la politique étrangère est-allemande s’aligne systématiquement sur les directives soviétiques. De même, la mise en œuvre des relations militaires bilatérales témoigne de la multiplicité des circuits de la politique étrangère, puisqu’elle mobilise aussi bien les traditionnels canaux étatiques que les voies les plus informelles.

2. L’institutionnalisation des relations militaires entre la RDA et l’Egypte

Dès 1967, Berlin-Est intensifie ses relations avec les pays arabes dans le domaine militaire. Celles-ci revêtent plusieurs formes : fournitures de matériel militaire - véhicules, uniformes ou équipements destinés à ravitailler l’armée -, formation technique, développement de la coopération avec les services secrets1296, livraisons d’armes et accréditations mutuelles d’attachés de défense. Les fournitures d’armes est-allemandes à

1292 Dans les années 1960-1970, l’aide militaire des Etats du Golfe est attribuée au titre de la contribution égyptienne à la confrontation avec Israël. Voir : DROZ-VINCENT, Philippe, « Armée et pouvoir politique en Egypte : la dimension économique du pouvoir de l’armée », in : CHARTOUNI-DUBARRY, May (dir.), Amée et nation en Egypte…, op.cit., p. 75. 1293 Sur le fonctionnement de ces accords de troc, voir supra, p. 220-222. 1294 DROZ-VINCENT, Philippe, « Armée et pouvoir politique en Egypte… », op.cit., p. 76. 1295 Les chercheurs ont largement abordé le rôle de la représentation et de la perception de puissance dans les relations internationales. Pour un résumé historiographique de la question, se reporter à la synthèse de Jean- Claude Allain et Robert Frank dans : ALLAIN, Jean-Claude, FRANK, Robert, « Les composantes de la puissance », in : FRANK, Robert (dir.), Pour l’histoire des relations internationales, Paris, PUF, 2012, p. 139-167. 1296 SCHWANITZ, Wolfgang, « Deutschland und der Mittleren Osten…», op.cit., p. 22.

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l’Egypte sont motivées par la guerre israélo-arabe de juin 1967 ; elles ont aussi été facilitées par la décision prise par le bureau politique du SED, le 10 janvier 1967, de livrer, pour la première fois, « des biens non civils à des mouvements de libération nationaux en Afrique »1297.

L’officialisation des relations diplomatiques accélère le processus. Le 27 juillet 1969, le ministre égyptien de l’Intérieur, Sharaawy Gomaa, s’entretient avec Erich Mielke, ministre est-allemand de la sécurité d’Etat, dans les bâtiments du ministère de la Stasi. A cette occasion, il salue l’aide des pays socialistes dans le processus de reconstruction de l’armée égyptienne entamé après 1967. Il estime que grâce à ce soutien, « l’armée a le moral » et que désormais, « tous les officiers et soldats souhaitent combattre »1298. Les livraisons est-allemandes de véhicules militaires à l’Egypte débutent dès le mois d’août 19691299.

En septembre 1970, Sharaawy Gomaa, envoie en RDA une délégation conduite par le lieutenant-colonel Lotfi Abdelfattah pour négocier des livraisons d’armes1300. Parallèlement, il ne manque pas d’informer Erich Mielke de sa démarche : « Cher ami, j’envoie le lieutenant-colonel Lotfi Abdelfattah pour une certaine mission dans votre pays. J’apprécierais grandement que vous puissiez intervenir auprès des autorités compétentes pour faciliter sa mission »1301. De son côté, le ministre est-allemand de l’Intérieur, Friedrich Dieckel, rend compte au ministre de la Sécurité d’Etat de la teneur des négociations et l’assure dès le mois d’octobre 1970 du succès de la mission1302. Ces contacts se maintiennent jusqu’à la fin des années 1980.

C’est notamment par le biais de leurs attachés militaires que Berlin-Est et le Caire assurent le suivi de la coopération militaro-économique bilatérale. En utilisant les possibilités d’information qui leur sont offertes, ces experts peuvent être une source de renseignements

1297 STOKMANN, Klaus, VAN DER HEYDEN, Ulrich, « L’aide militaire accordée par la République démocratique allemande aux mouvements de libération dans le sud de l’Afrique », in : METZGER, Chantal (dir.), « Présentation », in : Outre-Mers : revue d’histoire. Dossier thématique : Les deux Allemagnes et l’Afrique, Saint-Denis, Société française d’histoire d’outre-mer, 2e semestre 2011, tome 99, n° 372-373, p. 114. 1298 BStU, MfS, Abt. X, Nr. 111, Protokoll über ein Gespräch des Genossen Generaloberst Mielke mit dem Innenminister der ARÄ, Sharaawy Gomaa. Berlin, 3.7.1969. 1299 BStU, MfS, Abt. X, Nr. 111, op.cit., Abteilung X, Arbeitsgruppe des Ministers, Brigadegeneral Scholz, Berlin, 15.7.1969. 1300 BStU, MfS, Abt. X, Nr. 111, op.cit., Notes sur des lettres adressées par le ministre de l’Intérieur de République arabe unie, Sharaawy Gomaa, à des personnalités de RDA (remerciements pour l’accueil réservé à la délégation du Ministère de l’Intérieur de République arabe Unie en RDA, lors des négociations sur les livraisons d’armes). Berlin, 19.11.1970 1301 BStU, MfS, Abt. X, Nr. 111, op.cit., Lettre de Sharaawy Gomaa à Erich Mielke, 28.9.1970, en anglais. 1302 BStU, MfS, Abt. X, Nr. 111, op.cit., 30 octobre 1970.

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privilégiée pour les services de l’ambassade1303. Se situant à l’intersection des champs militaire et diplomatique, ils jouent en effet le rôle de conseillers militaires auprès de l’ambassadeur et bénéficient du statut de diplomate1304. Le 5 octobre 1981, le général de division Fathi Abbas Ahmed Soliman est le premier attaché militaire égyptien accrédité en RDA1305. Après lui, quatre attachés de défense égyptiens se succèdent dans le pays1306. Ils sont d’abord nommés auprès de l’ambassadeur d’Egypte à Varsovie, puis à partir de 1986 auprès de son homologue à Prague. Le ministère de la Défense de RDA veille tout particulièrement à ce que ces derniers soient informés des décisions du SED et visitent chaque année les infrastructures de l’armée est-allemande1307.

En RDA, les grandes orientations de la coopération militaire bilatérale sont impulsées par le ministère de la Défense (MfNV) et les chefs de l’état-major est-allemand, le ministère du Commerce extérieur et celui de la Sécurité d’Etat. Au sein de ce dernier, ce sont les départements spécialisés dans les relations économiques et commerciales avec l’étranger qui jouent un rôle déterminant dans la mise en œuvre des relations militaires : l’Hauptabteilung XVIII1308, chargé de la sécurité de l’économie nationale et du contre-espionnage économique, l’Arbeitsgruppe Bereich Kommerzielle Koordinierung, qui veille à la défense des intérêts commerciaux est-allemands et à la protection des entreprises nationales à l’étranger, et l’Abteilung X1309, le département des relations internationales, responsable des relations de la Stasi avec les organes de sécurité des pays socialistes ou dits « amis ». Au-delà des strictes questions de diplomatie ou de défense, la coopération militaire est surtout un pan majeur des relations économiques bilatérales, comme en témoigne la formule usuelle employée pour la

1303 LAMM, Hans Siegfried, KUPPER, Siegfried, DDR und Dritte Welt, op.cit., p. 80. 1304 Sur les différentes fonctions de l’attaché militaire, voir: VAÏSSE, Maurice, « L’évolution de la fonction d’attaché militaire en France au XXe siècle », in : Relations internationales, 1982, n° 32. 1305 MfNV, VA-01/ 42383 : MfNV, Stellv. Des Ministers und Chef des Hauptsabes. Verwaltung Internationale Verbindungen. Zusammenarbeit mit dem Militärattaché Ägyptens. 1981-1990, Entrée en fonction de l’attaché militaire égyptien auprès du Chef VIV, Note du lieutenant-colonel Mühlberg, 5.10.1981. 1306 Entre octobre 1981 et septembre 1989, cinq attachés militaires égyptiens sont accrédités par la RDA : Fathi Abbas Ahmed Soliman (5 octobre 1981), Hussam el-Din Helmy el-Wakkad (18 avril 1984), Mohamed Mokhtar E. el-Kandeel (29 octobre 1986), Mohamed el-Shafie M. Fawzi (6 octobre 1987) et Mohamed Ibrahim Emam (18 septembre 1989). Voir : MfNV, VA- 01/ 42 373: Pläne zur Durchführung zentraler Massnahmen für die in der DDR akkreditierten Militärattachés und ihren Gehilfen, 1980-1990, Liste des attachés militaires égyptiens accrédités en RDA, p. 166. 1307 MfNV, VA- 01/ 42 373, op.cit., Plan pour la mise en place de mesures centrales pour les attachés militaires accrédités en RDA, pour l’année de formation 1984-1985, note du lieutenant-colonel Streletz, administration des relations internationales du MfNV, 19.11.1984. 1308 Hauptabteilung XVIII ou Sicherung der Volkswirtschaft. 1309 Abteilung X ou Abteilung Internationale Verbindungen.

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désigner, celle de « commerce extérieur spécial ». C’est notamment au département de la coordination commerciale du ministère du Commerce extérieur, familièrement appelé KoKo, qu’il incombe de veiller à l’organisation des ventes d’armes.

3. L’organisation de la coopération militaro-économique a) Les organes compétents i.Les exportations d’armes relèvent de la compétence de la KoKo (Kommerzielle Koordinierung) Le département de la coordination commerciale est créé en 1964, au sein du ministère est-allemand du Commerce extérieur1310. Le Ministère de la Sécurité d’Etat exerce un contrôle étroit sur ce dernier, d’abord par l’intermédiaire de l’Hauptabteilung XVIII/ 7, puis par celui de l’Arbeitsgruppe Bereich Kommerzielle Koordinierung (AG BKK), organisme du MfS créé en 19831311. Le rôle de la KoKo est de rassembler le plus de devises possibles, en dehors des circuits de l’économie étatique1312 et « de contourner, par tous les moyens possibles, les règles de l’embargo édictées par le CoCom1313 »1314. Pour accomplir sa mission, la coordination commerciale se lance tour à tour dans la vente d’antiquités, les investissements dans des entreprises occidentales ou le commerce des armes1315. Au croisement de la politique, de l’économie et du renseignement, la KoKo s’apparente donc à un « conglomérat conspirateur d’activités commerciales »1316. Les instances de contrôle étatique n’ont d’ailleurs qu’un accès limité à l’organisme1317.

1310 BUTHMANN, Reinhard, « Die Arbeitsgruppe Bereich Kommerzielle Koordinierung », in: EISENFELD, Bernd, ENGELMANN, Roger, GIESEKE, Jens, NEUBERT, Ehrhart, SUCKUT, Siegfried, SÜSS, Walter (dir.), MfS-Handbuch. Anatomie der Staatssicherheit. Geschichte, Struktur, Methoden, Berlin, BStU, 2004, p. 3. 1311 Ibid. Pour une présentation complète de la structure de la KoKo-Zentrale, voir le travail extrêmement précis réalisé par la BStU : BUTHMANN, Reinhard, « Die Arbeitsgruppe Bereich Kommerzielle Koordinierung », op.cit., p. 3-27. 1312 D’après la décision 61/66 du Conseil des ministres du 1er avril 1966, la mission officielle de la KoKo est d’œuvrer à l’ « obtention maximale de valeurs capitalistes en dehors du plan étatique ». Voir : BUTHMANN, Reinhard, « Die Arbeitsgruppe Bereich Kommerzielle Koordinierung », op.cit., p. 19. 1313 Le CoCom ou Coordinating Committee for Multilateral Export Controls est un organisme fondé en novembre 1949 sous l’influence des Etats-Unis, afin de limiter les importations de matériel stratégique des Etats socialistes et de la République Populaire de Chine. 1314 MORTIER, Jean, « L’évolution du SED dans les années 80 », in : SAINT SAUVEUR-HENN, Anne, SCHNEILIN, Gérard (dir.), La mise en œuvre…, op.cit., p. 127. 1315 Ibid. 1316 BUTHMANN, Reinhard, « Die Arbeitsgruppe Bereich Kommerzielle Koordinierung », op.cit., p. 3. 1317 Ibid., p. 4.

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Le département de la coordination commerciale au sein du ministère du Commerce extérieur est compétent en matière de ventes d’armes. Il agit en concertation avec l’état-major est-allemand et le ministère de la Sécurité d’Etat, plus ponctuellement avec les ministères dits « techniques », impliqués dans un domaine particulier de la coopération, comme l’agriculture ou l’industrie. Erich Honecker est directement impliqué dans les négociations précédant les ventes d’armes1318. En octobre 1982, la KoKo organise par exemple la livraison d’équipements militaires et notamment de parachutes aux forces aériennes égyptiennes. Ces accords donnent lieu à la signature d’un protocole secret1319. En avril 1985, une délégation ministérielle est-allemande menée par le ministre de l’Agriculture, Günter Kleiber, se rend en Egypte1320. Tandis que ce dernier s’entretient avec le ministre égyptien de la Défense, Abdel Halim Abu Ghazala, son adjoint, Eberhard Seidel, négocie avec le général Ahmed Marzouk Mohamed, chef du département « armement » des forces armées1321. Les ministres s’entendent sur la livraison par la RDA de 5000 véhicules complets à l’Egypte1322 et sur la remise en état de pièces destinées aux avions soviétiques Mig 211323. Berlin-Est propose également de fournir des équipements médicaux mobiles et des complexes agricoles dédiés au ravitaillement de l’armée1324.

Le département de la KoKo est dirigé par Alexander Schalck-Golodkowski, secrétaire d’Etat au ministère du Commerce extérieur à partir de 1975 et collaborateur au MfS1325. Dans la seconde moitié des années 1970, l’importance de la KoKo dans la garantie de la solvabilité de la RDA s’accroît nettement : cette dernière est alors placée sous le contrôle direct de Günter Mittag1326 et Erich Honecker1327. En 1989, le rôle du commerce extérieur dans

1318 STOKMANN, Klaus, VAN DER HEYDEN, Ulrich, « L’aide militaire…», op.cit., p. 117. 1319 BStU, MfS, AG-BKK, Nr. 167, Bd. 1, Berlin, den 15.10.1982. 1320 BStU, MfS, AG-BKK, Nr. 167, Bd. 1, op.cit., Rapport de Weichert sur un séjour en République arabe unie, du 9 au 19.4.1985. 1321 BStU, MfS, AG-BKK, Nr. 167, Bd. 1, op.cit., Compte-rendu d’une conversation, 16.4.1985. 1322 BStU, MfS, AG-BKK, Nr. 167, Bd. 1, op.cit., Vermerk über ein Gespräch des Ministers Kleiber mit Minister Ghazala, Kairo, den 10.4.1985. 1323 BStU, MfS, AG-BKK, Nr. 167, Bd. 1, op.cit., Vermerk über ein Gespräch des Ministers Kleiber mit Minister Ghazala, Kairo, den 17.4.1985. 1324 BStU, MfS, AG-BKK, Nr. 167, Bd. 1, op.cit., Compte-rendu d’une conversation, 16.4.1985. 1325 Des indications biographiques sur Alexander Schalck-Golodkowski sont disponibles sur le site de la Bundesstiftung zur Aufarbeitung der SED-Diktatur : « Wer war wer in der DDR? Biographischen Datenbanken », Bundesstiftung zur Aufarbeitung der SED-Diktatur, http://www.bundesstiftung- aufarbeitung.de/index.html 1326 Günter Mittag est secrétaire d’Etat pour les questions économiques et la planification à partir de 1976. 1327 LORRAIN, Sophie, « La RDA dans les années 1980 », op.cit., p. 102.

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l’économie est-allemande est tel qu’il finance 50% du revenu national1328. Afin de mener à bien ses missions, la KoKo dispose alors de plus de 116 collaborateurs officiels et d’environ 180 informateurs (IM)1329. Elle rassemble plus de 150 sociétés commerciales et firmes spécialisées1330. Parmi ces dernières, deux entreprises sont responsables du commerce international des armes: ITA (Ingenieur-technische Aussenhandel), et IMES GmbH1331 (annexe 7). ii. Intermédiaires et entreprises commerciales : le rôle des IM (Inofizieller Mitarbeiter) et des entreprises de commerce extérieur ITA et IMES ITA est une entreprise de commerce extérieur compétente pour les exportations étatiques planifiées1332. Elle est dirigée par le colonel Möller1333. IMES, quant à elle, est une société commerciale spécialisée dans les ventes non officielles d’armes, de munitions et de matériel militaire1334. Créée le 1er janvier 1982, elle est spécialement conçue pour la réalisation d’ « affaires »1335 en dehors des procédures légales et en sus des commandes prévues par le plan1336. Elle est dirigée par Klaus-Dieter Uhlig, directeur du département de la politique commerciale au sein de la KoKo et collaborateur de la Stasi, dont le pseudonyme est « Henry »1337. En 1984, c’est Erhard Wiechert qui est à la tête de la firme IMES1338. Les principaux entrepôts de l’entreprise se trouvent à Kavelstorf, près du port de Rostock1339. Cette localisation est d’autant plus stratégique que la majorité des exportations est-allemandes à destination des pays du Tiers-monde, et notamment de l’Egypte, transitent par Rostock1340.

1328 SCHNEILIN, Gérard, « Les économies allemandes… », op.cit., p. 247. 1329 BUTHMANN, Reinhard, « Die Arbeitsgruppe Bereich Kommerzielle Koordinierung », op.cit., p. 4. 1330 Ibid., p. 3. 1331 HERBST, Andreas, RANKE, Winfried, WINKLER, Jürgen, So funktionierte die DDR…, op.cit., p.525. 1332 BStU, MfS, HA XVIII, Nr. 8673, « Bericht ARÄ », rédigé par l’IM « Henry », Berlin, 24.3.1983. 1333 SAPMO-BArch, DC 20/ 13 068, op.cit., Lettre du ministre de l’Economie extérieure à Gerhard Weiss, représentant du Président du Conseil des ministres, Berlin, 12.5.1969. 1334 BStU, MfS, HA XVIII, Nr. 8673, op.cit., « Bericht ARÄ », rédigé par l’IM « Henry », Berlin, 24.3.1983. 1335 Ibid. 1336 MÖLLER, Harald, Geheime Waffenlieferungen der DDR…, op.cit., p. 32. 1337 BUTHMANN, Reinhard, « Die Arbeitsgruppe Bereich Kommerzielle Koordinierung », op.cit., p. 15. 1338 Mf NV, AZN 8477, op.cit., Lettre adressée par Alexander Schalck-Golodkowski, secrétaire d’Etat au ministère du Commerce extérieur, au général Fleissner, adjoint du ministre de la Défense nationale et chef de la technique et de l’armement, Berlin, 13.9.1984. 1339 BUTHMANN, Reinhard, « Die Arbeitsgruppe Bereich Kommerzielle Koordinierung », op.cit., p. 59. 1340 Voir supra, p. 214.

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Les firmes ITA et IMES coopèrent avec les entreprises d’armement est-allemandes, regroupées sous l’égide du combinat VEB Kombinat Spezialtechnik de Dresde, lui-même dirigé par le général Siegfried Eschke1341. Parmi ces dernières, ce sont les entreprises Flugzeugwerft de Dresde et Instandsetzungswerk de Ludwigfelde qui sont chargées de procéder à la remise en état des avions soviétiques livrés à l’Egypte. L’usine de Dresde s’occupe de la réfection des pièces de Mig 21 endommagées et conçoit des hélices pour les hélicoptères soviétiques MI 8, ainsi que des pièces de rechange pour radars et avions1342.

Selon Harald Möller, il existe une véritable division du travail entre ITA et IMES1343. La première exporte surtout des armes vers l’Irak, la Syrie, l’Inde, l’Ethiopie, l’Angola, le Mozambique, le Yémen du Nord et du Sud, le Nicaragua et l’Algérie. La seconde exporte principalement à destination de l’Iran, de l’Egypte, de la Jordanie, de l’Ouganda, du Botswana, du Nigeria, du Pérou, de l’Afghanistan et de l’OLP. De fait, dans les archives que nous avons consultées, les livraisons d’armes est-allemandes à l’Egypte au cours des années 1980 sont presque toujours organisées par la firme IMES.

En RDA, le commerce des armes mobilise donc à la fois des acteurs étatiques et non- étatiques. Les négociations qui précèdent les transactions avec l’Egypte font apparaître l’existence d’un réseau relationnel officieux et reposant souvent sur des liens personnels, qui double le circuit diplomatique officiel. Au début des années 1970, le « commerce extérieur spécial » assurant à la RDA une « bonne rentabilité en devises »1344, les intermédiaires chargés de négocier les volumes des livraisons militaires sont récompensés de leur zèle par les autorités est-allemandes. En novembre 1970 par exemple, Gerhard Weiss, représentant du président du Conseil des ministres de RDA, offre 400 marks au colonel Schönherr, directeur du département du commerce extérieur spécial au ministère de l’Economie extérieure1345, pour le remercier de son « implication personnelle » dans le succès des tractations

1341 Le combinat regroupe les entreprises suivantes : Flugzeugwerft Dresden, Instandsetzungswerk Ludwigsfelde, Instandsetzungswerk Pinnow, Gerätebau Mittenwalde, Geräte- und Werkzeugbau Wiesa, Mechanische Werkstätten Königswartha, Spreewerk Lübben et Mechanische Werkstätten Radeberg. Voir: HERBST, Andreas, RANKE, Winfried, WINKLER, Jürgen, So funktionierte die DDR…, op.cit., p.504. 1342 BStU, MfS, HA XVIII, Nr. 8673, op.cit., « Bericht ARÄ », rédigé par l’IM « Henry », Berlin, 24.3.1983. 1343 MÖLLER, Harald, Geheime Waffenlieferungen der DDR…, op.cit., p. 32. 1344 SAPMO-BArch, DC 20/ 13 068, op.cit., Lettre du Dr. Weiss au Secrétaire d’Etat, Dr. Dieter Albrecht, Ministère de l’Economie extérieure, Berlin, octobre 1970. 1345 La dénomination « Ministère du Commerce extérieur » (Ministerium für Aussenhandel) ne date que de 1973. De 1967 à 1973, il s’appelle « Ministère de l’Economie extérieure » (Ministerium für Aussenwirtschaft).

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commerciales menées avec le ministère égyptien de l’Intérieur1346. Trois autres fonctionnaires est-allemands se voient attribuer chacun la somme de 300 marks parce qu’ils ont su négocier l’augmentation des volumes d’exportations militaires à destination de l’Egypte1347.

Les contrats de vente d’armes et d’équipements militaires sont négociés à plusieurs niveaux. Dirigeants est-allemands et égyptiens se mettent d’accord sur le principe des livraisons1348, par exemple autour d’un petit-déjeuner sur l’avenue Unter den Linden1349. C’est le cas en octobre 1970, lorsque Gerhard Weiss reçoit Sharaawy Gomaa, ministre égyptien de l’Intérieur : les deux hommes s’entendent sur le montant total des livraisons militaires est-allemandes à l’Egypte, ainsi que sur les modalités du crédit qui prélude aux transactions. La firme IMES veille ensuite à l’organisation concrète des fournitures militaires, en concertation avec ses interlocuteurs en Egypte, qu’il s’agisse de représentants étatiques comme les ministères de la Défense et de l’Intérieur, ou d’intermédiaires officieux, comme le « conseiller » Mogi, qui apparaît à plusieurs reprises dans les archives de l’AG BKK1350. Pour mener ses missions à bien, IMES emploie des IM chargés de conclure les transactions : « Kurt » et « Dora » 1351 ou « Wolfgang Wagner » et « Adler »1352. La firme n’hésite pas à utiliser des « pots de vin »1353 ou à se concilier ses partenaires égyptiens par toutes sortes d’expédients. Par exemple, « comme Nagaty, [l’assistant personnel du ministre égyptien de la Défense, responsable des questions d’armement], aime bien boire de l’alcool, la RDA fait en sorte que le fonds du conseil commercial soit toujours bien approvisionné par le camarade Mundkowski »1354. Ces pratiques ne sont pas l’apanage de la RDA : les sources est-allemandes font état de la corruption qui règne au sein de la représentation commerciale

1346 SAPMO-BArch, DC 20/ 13 068, op.cit., Lettre du Dr. Weiss au Colonel Schönherr, directeur du domaine du commerce extérieur spécial au ministère du Commerce extérieur, 30.11.1970. 1347 Ibid. Il s’agit du commandant Hans-Ulrich Metzler, du capitaine Dieter Kühne et de Günther Damisch. 1348 SAPMO-BArch, DC 20/ 13 068, op.cit., Lettre du général Dickel, ministre de l’Intérieur et chef de la Police, au Dr. Weiss, représentant du Président du Conseil des ministres, strictement confidentiel, Berlin, 2.3.1970 [la date est peu lisible]. 1349 Ibid. 1350 BStU, MfS, AG-BKK, Nr. 167, Bd. 1., op.cit. 1351 BStU, MfS, AG-BKK, Nr. 167, Bd. 1, op.cit., Berlin, den 15.10.1982. 1352 BStU, MfS, AG-BKK, Nr. 167, Bd. 1, op.cit., Treffen zwischen « Wolfgang Wagner » und « Adler », den 4.12.1984. Berlin, 11.12.1984. 1353 Schmiergelder. Voir : BStU, MfS, AG-BKK, Nr. 167, Bd. 1, op.cit., Rapport de Wiechert, Berlin, 11.12.1984. 1354 BStU, MfS, AG-BKK, Nr. 167, Bd. 1, op.cit., Treffen zwischen « Wolfgang Wagner » und « Adler », den 4.12.1984. Berlin, 11.12.1984.

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de l’URSS au Caire, certains coopérants soviétiques préférant « faire affaire avec des entrepreneurs privés » plutôt que de s’adresser aux institutions gouvernementales1355.

En mars 1984, IMES conduit des négociations portant sur la livraison de pistolets AKM aux forces armées égyptiennes1356. En 1985, la firme conclut un traité avec une société égyptienne, el Nasco Automotive Manufacturing Company, spécialisée dans l’importation de machines-outils soviétiques, de métal et d’équipement électronique1357. IMES s’engage à livrer 3000 poids lourds militaires W 50, 2000 véhicules utilitaires W 50 et 100 camions porte-containers1358. Enfin, malgré son statut non étatique, IMES contribue à représenter la RDA à l’étranger : en septembre 1984, par exemple, le directeur de l’entreprise, Erhard Wiechert, est mandaté par Alexander Schalck-Golodkowski pour conduire une délégation est-allemande à l’exposition militaire qui doit se tenir au Caire du 10 au 14 novembre 19841359. C’est au nom de la KoKo qu’il est délégué en Egypte, aux côtés du colonel Wolff, chef de l’administration technique du MfNV1360. Un tel rôle s’explique par l’importance accrue de la firme IMES au sein de la KoKo, au cours des années 19801361. b) Les domaines de la coopération militaro-économique bilatérale

La coopération militaro-économique entre Berlin-Est et le Caire comporte quatre volets majeurs : la fourniture de matériel et d’équipement à usage militaire, la réparation de pièces endommagées ou défectueuses, la livraison d’armes et la formation de cadres et de techniciens égyptiens.

Des traités de commerce lient les partenaires est-allemand et égyptien et détaillent la nature des équipements fournis par la RDA : uniformes pour l’armée égyptienne1362,

1355 SAPMO-BArch, DY 30/ IV B 2-20 430, op.cit., Information sur le séjour du Dr. Rifaat el-Saïd, secrétaire du Conseil mondial de la paix, du 19 au 21 septembre 1972, Friedensrat der DDR, vertraulich, Berlin, 27.9.1972. 1356 BStU, MfS, AG-BKK, Nr. 167, Bd. 1, op.cit., Rapport sur les futures activités de la firme IMES, Berlin, 9.3.1984. 1357 BStU, MfS, AG-BKK, Nr. 167, Bd. 1, op.cit., Compte-rendu d’une conversation, 16.4.1985. 1358 Ibid. 1359 MfNV, AZN 8477, op.cit., Lettre adressée par Alexander Schalck-Golodkowski, secrétaire d’Etat au ministère du Commerce extérieur, au général Fleissner, adjoint du ministre de la Défense nationale et chef de la technique et de l’armement, Berlin, 13.9.1984. 1360 MfNV, AZN 8477, op.cit., Lettre adressée par le général Fleissner, adjoint du ministre de la Défense nationale et chef de la technique et de l’armement, au général Heinz Hoffmann, ministre de la Défense nationale de RDA, Berlin, 28.8.1984. 1361 A la fin des années 1980, IMES fait partie des 27 firmes les plus importantes de la KoKo. Voir: BUTHMANN, Reinhard, « Die Arbeitsgruppe Bereich Kommerzielle Koordinierung », op.cit., p. 59. 1362 BStU, MfS, HA XVIII, Nr. 21529, op.cit., Information (449), Abteilung XVIII/7, Berlin, 20.11.1984.

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parachutes, véhicules utilitaires ou poids lourds, équipements médicaux mobiles, complexes agricoles destinés au ravitaillement des forces armées1363. Ces livraisons commencent dès la mise en place des relations diplomatiques, utilisant les circuits relationnels et commerciaux bilatéraux qui existent depuis le début des années cinquante. Le 15 juillet 1969, soit cinq jours seulement après la reconnaissance officielle de Berlin-Est par le Caire, le ministère de l’Intérieur de RDA informe le département des relations internationales du ministère de la Sécurité d’Etat qu’une livraison est-allemande d’un volume global de 535 tonnes doit avoir lieu en août en Egypte. Il s’agit principalement de fournir des wagons blindés, des poids lourds W 501364 et du matériel destiné à des tanks1365.

Les années suivantes voient l’accroissement des exportations est-allemandes : un accord sur la coopération économique et technique est signé entre l’Egypte et la RDA le 15 mars 19841366. En juillet 1984, les forces armées égyptiennes demandent au MfNV la livraison de pièces de rechange pour des missiles SAM-21367. En janvier 1985, lors de sa visite en Egypte, le ministre est-allemand des Affaires Etrangères, Oskar Fischer, doit s’entretenir avec le président Hosni Moubarak et le premier ministre Kamal Hassan Ali au sujet de la coopération bilatérale dans les domaines économique et technico-scientifique. Il souhaite notamment aborder la question des exportations de tracteurs et de machines agricoles, la réparation de moulins à blé et la construction de silos. La RDA livre alors 100 tracteurs par an à l’Egypte et aimerait accroître ce volume. Il est également question de mettre en place un projet assurant la livraison à l’Egypte d’infrastructures pour bétail laitier, destinées à ravitailler l’armée, entre 1985 et 19901368. Enfin, des essais ont lieu en RDA afin de tester la qualité de certains des produits fournis aux Egyptiens, comme les parachutes de freinage pour avions1369.

1363 BStU, MfS, AG-BKK, Nr. 167, Bd. 1, op.cit., Compte-rendu d’une conversation, 16.4.1985. 1364 Les camions militaires W 50 sont les véhicules standards utilisés par la NVA. Voir : MÖLLER, Harald, Geheime Waffenlieferungen der DDR…, op.cit., p. 5. 1365 BStU, MfS, Abt. X, Nr. 111, op.cit., Abteilung X, Arbeitsgruppe des Ministers, Brigadegeneral Scholz, Berlin, 15.7.1969. 1366 BStU, MfS, HA XVIII, Nr. 21214, op.cit., Accord entre la République arabe unie et la RDA sur la coopération économique et technique, signé le 15.3.1984. 1367 Mf NV, AZN 8477, op.cit., Lettre adressée par le général Krause, chef du renseignement au ministère de la Défense nationale, au représentant du ministre de la Défense et chef d’état-major, 21.7.1984. 1368 BStU, MfS, HA XVIII, Nr. 21214, op.cit., 23-28.1.1985. 1369 BStU, MfS, AG-BKK, Nr. 63, 5.10.1989.

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Au-delà des simples fournitures d’équipement, Berlin-Est procède également à la réparation et/ou au remplacement de pièces de véhicules ou appareils militaires endommagées. L’entreprise d’Etat, VEB Flugzeugwerft, usine aéronautique localisée à Dresde, assure la remise en état de pièces provenant des avions soviétiques Mig 21, pour le compte de l’Egypte1370 : en 1972-1973, elle répare ainsi 10 Mig 21 utilisés par les forces armées égyptiennes1371. La firme effectue également la réfection d’hélices d’hélicoptères MI 8 et de pièces détachés de radars.

Le troisième volet de la coopération militaire bilatérale concerne la livraison d’armes. Au sein du ministère de la Sécurité d’Etat, le département du renseignement à l’étranger (HVA, Hauptverwaltung Aufklärung) et les adjoints du ministre Erich Mielke, comme Rudi Mittig1372, communiquent avec le directeur de la KoKo, Alexander Schalck-Golodkowski, par le biais de télégrammes très laconiques. Ils évoquent la livraison aux forces armées égyptiennes de tanks t 54/55, d’hélicoptères MI 8 et d’avions Mig 21, mais également la fourniture d’armes légères ou plus lourdes. Des dirigeants est-allemands se rendent régulièrement au Caire pour « négocier concrètement avec la société IMES l’organisation du commerce des armes »1373.

Les ventes d’armes est-allemandes à l’Egypte sont assorties de « crédits spéciaux ». C’est le ministère du Commerce extérieur qui propose le montant de ces crédits, qu’il soumet ensuite au conseil des ministres de RDA1374. Le 2 juillet 1970, la RDA accorde ainsi à l’Egypte un crédit commercial spécial, destiné à faciliter l’exportation, entre 1970 et 1972, de 40 tonnes de pistolets AKM, d’une valeur de 376,65 VM pièce1375. En octobre 1989, Berlin-Est et le Caire s’entendent sur la livraison par la RDA de 4000 pistolets 9 mm, fournis avec 400 000 munitions, de 3000 munitions anti-tank et de 3000 mitrailleuses AKM, livrées

1370 BStU, MfS, HA XVIII, Nr. 8673, « Bericht ARÄ », rédigé par l’IM « Henry », Berlin, 24.3.1983. 1371 SAPMO-BArch, DC 20/ 13 068, op.cit., Lettre adressée par le secrétaire d’Etat au ministère du Commerce extérieur, Dieter Albrecht, au représentant du Président du Conseil des ministres, Gerhard Weiss, Berlin, 15.12.1971. 1372 Rudi Mittig est représentant du ministre de la Stasi de 1975 à 1989 et membre du Comité central du SED de 1986 à 1989. 1373 BStU, MfS, AG-BKK, Nr. 167, Bd. 1, op.cit., Rapport sur les futures activités de la firme IMES, Berlin, 9.3.1984. 1374 SAPMO-BArch, DC 20/ 13 068, op.cit., Lettre adressée par Horst Sölle, ministre de l’économie extérieure, à Gerhard Weiss, représentant du Président du Conseil des ministres, Berlin, 11.12.1972. 1375 SAPMO-BArch, DC 20/ 13 068, op.cit., Proposition de décision sur la garantie d’un crédit commercial spécial au gouvernement de RAE, pour la livraison de pistolets AKM en 1973-1974, destinée au représentant du Président du Conseil des ministres, le camarade Dr. Weiss. Rapport de Horst Sölle, ministre de l’Economie extérieure, 11.7.1972.

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avec trois millions de munitions et un million de balles traçantes. Les transactions se font en dollars et la livraison doit être assurée sous 19 à 21 jours1376. En novembre 1989, Alexander Schalck-Golodkowski se rend au Caire et évoque la reconduite possible des ventes à la marine égyptienne d’armes de calibre 30 mm1377.

Le dernier pan de la coopération militaro-économique bilatérale concerne la formation par la RDA de cadres et techniciens égyptiens. La RDA élabore des « bases de travail » annuelles dont le but est de fixer les grandes lignes de la « construction des relations militaires à l’étranger du ministère de la Défense nationale » dans le domaine de la formation1378. Des généraux et des officiers égyptiens se rendent ainsi en RDA pour y effectuer une partie de leur apprentissage1379. En mai 1973, par exemple, la formation de trois officiers et cinq soldats égyptiens en RDA s’achève : ils ont été familiarisés avec les techniques de dressage de chiens de combat1380. L’Egypte, qui « estime grandement le niveau du système d’éducation militaire de la RDA », est particulièrement intéressée par l’expérience est-allemande en matière de préparation des professeurs et des entraîneurs, d’organisation de la formation professionnelle1381, mais aussi de combat maritime et d’utilisation des mines1382.

Durant la période qui suit la guerre d’usure israélo-égyptienne, au début des années 1970, les transferts d’expérience entre la NVA et l’armée égyptienne sont très réguliers. Les militaires est-allemands ont bien conscience du fait que ces échanges ont lieu « à la veille d’évènements militaires décisifs »1383 : ils soulignent les efforts entrepris par l’armée égyptienne pour manifester sa puissance face à Israël. Du 24 au 31 octobre 1971, une délégation de la NVA conduite par Heinz Hoffmann, ministre de la Défense nationale, se rend

1376 BStU, MfS, AG-BKK, Nr. 63, op.cit., 2.10.1989. 1377 BStU, MfS, AG-BKK, Nr. 63, op.cit., 13.11.1989. 1378 BStU, MfS, HA I, Nr. 13676, Arbeitsgrundlage für Aufbau und Entwicklung der militärischen Beziehungen im Ausland, für das Ausbildungsjahr 1985-1986. 1379 BStU, MfS, ZAGG, Nr. 524, Bericht vom 5.4.1983. 1380 SAPMO-BArch, D 20/ 13 068, op.cit., Lettre adressée par le colonel Schönherr, ministère de l’Economie extérieure, au Dr. Weisshühn, secrétaire de Gerhard Weiss, représentant du Président du Conseil des ministres, Berlin, 17.5.1973. 1381 MfNV, AZN 8477, op.cit., Lettre adressée par l’attaché de Défense et Général de brigade aérienne, Mohamed el-Shafia M. Fawzi, au département des relations internationales du Ministère de la Défense égyptien, 2.10.1987. 1382 MfNV, VA- 01/ 42 421: Organisations- und Protokollangelegenheiten über den Austausch von Militärdelegationen mit Ägypten, 1971-72. Politische Gespräche und Eindrücke, rapport sur la visite d’une délégation de la NVA en RAE, du 24 au 31.10.1971. 1383 MfNV, DVW 1/ 115 673, op.cit., Der Aufenthalt in der Arabischen Republik Ägypten, rapport sur la visite officielle de la délégation militaire de RDA en RAE, du 13 au 31 octobre 1971, p. 15.

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en Egypte1384. Elle est reçue par le président égyptien, Anouar el-Sadate, le premier ministre, Mahmoud Fawzy, et le ministre de la guerre, le général Mohamed Ahmed Sadek1385. Les dirigeants égyptiens font part de leur souhait de coopérer avec la NVA et d’obtenir son soutien technico-scientifique dans le cadre de l’affrontement avec Israël. Ils assurent que leurs soldats sont « prêts au combat », qu’ils « n’ont pas l’intention de détruire le territoire d’Israël ni son Etat », mais qu’ils refusent d’abandonner « ne serait-ce qu’un centimètre de leur sol »1386. La délégation de la NVA entreprend alors de visiter les établissements de formation militaire égyptiens, notamment la Haute école de technique militaire, l’Académie de la Marine et l’Ecole de canons antiaériens1387. Ces visites sont l’occasion pour les militaires est-allemands de mettre en avant le bon niveau de préparation de l’armée égyptienne depuis la défaite de 1967, obtenu, selon eux, grâce à l’aide des Etats socialistes. L’Armée du Peuple tchécoslovaque a ainsi envoyé près de 160 hommes à la Haute école de technique militaire au Caire : présents sur place depuis 1958, ils se sont efforcés de réviser les méthodes d’apprentissage de l’armée égyptienne après 1967. La Marine égyptienne a, quant à elle, procédé au remplacement de son armement britannique par des navires et armes de fabrication soviétique. La délégation de la NVA est globalement satisfaite par le travail des unités de combat égyptiennes, qu’il s’agisse des troupes aériennes de la 3e armée, postées sur le Canal de Suez, ou de la flotte déployée sur les côtes d’Alexandrie1388. Elle déplore en revanche le temps exagérément long - 85 secondes - que prennent les élèves de l’Ecole de canons antiaériens pour procéder au transbordement des missiles des véhicules aux rampes de lancement1389. En juin 1972, c’est au tour d’une délégation des forces armées égyptiennes, conduite par le général Sadek, de se rendre en RDA1390. Jusqu’en octobre 1973, ces visites mutuelles s’inscrivent très explicitement dans le cadre du soutien technico-militaire que les Etats socialistes apportent aux Etats arabes, dans leur lutte contre Israël. La NVA de RDA entend améliorer le niveau de formation technique des soldats, sous-officiers et officiers

1384 Ibid. 1385 Ibid., p. 11. 1386 Ibid., p. 12. 1387 MfNV, VA- 01/ 42 421, op.cit., Politische Gespräche und Eindrücke, rapport sur la visite d’une délégation de la NVA en RAE, du 24 au 31.10.1971, p. 21. 1388 Ibid., p. 22. 1389 Ibid., p. 21. Selon la délégation, le temps moyen pour effectuer une telle manipulation, sur le Canal de Suez, est de 65 secondes. 1390 MfNV, VA- 01/ 42 421, op.cit., Lettre du colonel Rathmann, directeur du département des relations internationales, au général Streletz, représentant du ministre de la Défense nationale, Berlin, 7.6.1972.

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égyptiens et accroître la « capacité de défense » de l’Egypte1391 (annexe 6). Il s’agit de donner à l’armée égyptienne les moyens de remporter le « combat contre les conséquences de l’agression israélienne, dans la lutte pour un règlement de paix juste au conflit du Proche- Orient »1392.

La coopération technico-militaire bilatérale se poursuit néanmoins après la guerre israélo-arabe de 1973. En 1985, une délégation de 120 militaires égyptiens se rend à Dresde pour un court séjour, dans le cadre de la réalisation d’accords portant sur la formation d’ingénieurs techniques en commerce extérieur. Le rapport fourni au ministère de la Sécurité d’Etat par le général Horst Böhm, directeur de l’administration de district de Dresde, ne s’attarde guère sur le contenu du séjour. Le département VI du ministère de la Stasi, chargé des affaires touristiques, lui a simplement fait observer que les militaires ont profité de leur séjour pour s’approvisionner en articles de cuir de qualité, en articles de sport, en appareils électriques et en porcelaines. Le département a calculé qu’ils ont acheté, entre autres, 779 paires de chaussures et 181 cartables… et que le montant total de leurs achats s’élève à 311 829 marks1393.

La coopération militaro-économique égypto-est-allemande est donc mise en œuvre grâce à un réseau complexe d’acteurs, où se côtoient institutions étatiques, états-majors des armées, services de renseignement et sociétés commerciales. Pour l’Egypte, ces échanges sont un moyen de profiter du savoir-faire est-allemand en matière technico-scientifique, sans dépendre uniquement du fournisseur soviétique. Ponctuellement, traiter avec le partenaire est-allemand offre en effet des opportunités spécifiques, la politique de la RDA en matière de coopération militaire ne s’alignant pas systématiquement sur les directives soviétiques. Lors des phases de refroidissement qui ponctuent régulièrement les relations soviéto-égyptiennes, Berlin-Est peut apparaître comme un allié, sinon de substitution, du moins de compensation. De son côté, la RDA voit dans la coopération bilatérale un moyen de prouver « l’autorité

1391 MfNV, DVW 1/ 115 673, op.cit., Anlage. Betr.: Vorschläge und Gedanken zu den Antworten für Abschluss- Interview, 26. Okt. 1971, projet de réponses à l’interview du ministre de la Défense nationale de RDA, le général d’armée Heinz Hoffmann, à l’occasion du séjour en Egypte d’une délégation militaire est-allemande, du 13 au 31 octobre 1971. 1392 Ibid. 1393 BStU, MfS, HA I, Nr. 13676, Séjour de militaires égyptiens à Dresde, Dresde, 6.1.1986.

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internationale croissante » de son régime et d’ « accroître l’influence de l’armée populaire nationale »1394.

4. La coopération militaro-économique bilatérale, instrument des politiques nationales a) La coopération militaro-économique avec l’Egypte : un facteur de souveraineté pour la RDA ? i.Une source de devises. Le rôle croissant de la KoKo, un moyen de contourner la discipline de bloc ? Jean-François Eck considère que le développement du commerce des armes en RDA est un « expédient » parmi d’autres pour remédier au manque de compétitivité des exportations d’articles manufacturés1395. Celles-ci, encadrées depuis 1966 par le département de la coordination commerciale au sein du ministère du Commerce extérieur, se heurtent en effet à une vive concurrence sur le marché mondial et rapportent de moins en moins de devises. Les relations militaires sont alors explicitement conçues comme s’insérant dans le cadre des « décisions centrales pour l’acquisition de devises convertibles ». En mars 1983, le département XVIII du ministère de la Sécurité d’Etat, chargé de la sécurité de l’économie populaire, indique que l’activité de remise en état des pièces d’avions effectuée par l’entreprise d’Etat VEB Flugzeugwerft de Dresde représente une « part importante des volumes » monétaires acquis dans le cadre de la coopération militaire1396 : les traités conclus avec la firme atteignent environ 21 millions de VM1397. Les sources est-allemandes ne permettent pas de déterminer avec précision la part des revenus militaires dans le volume total des profits tirés du commerce extérieur avec l’Egypte. Il convient néanmoins de ne pas les surestimer. De 1981 à 1987, les exportations est-allemandes en Egypte rapportent chaque année entre 100 et 300 millions de VM1398 : même si l’on ne peut réduire la part des bénéfices provenant du commerce des armes au chiffre d’affaires réalisé par la seule usine de Dresde, il reste fort probable que les volumes atteints ne constituent qu’une part limitée du total des devises obtenues grâce au commerce extérieur. Il faut rappeler, en outre, que l’Egypte a perdu, au cours de la seconde moitié des années 1970, sa place de partenaire commercial

1394 MfNV, DVW 1/ 115 673, op.cit., Der Aufenthalt in der Arabischen Republik Ägypten, rapport sur la visite officielle de la délégation militaire de RDA en RAE, du 13 au 31 octobre 1971, p. 14. 1395 ECK, Jean-François, « Les économies… », op.cit., p. 108-109. 1396 BStU, MfS, HA XVIII, Nr. 8673, op.cit., « Bericht ARÄ », rédigé par l’IM « Henry », Berlin, 24.3.1983. 1397 Ibid. 1398 Voir supra, tableau n° 5, p. 215.

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privilégié de la RDA, tandis que la part de l’Irak dans les exportations d’armements à destination des Etats non socialistes s’est accrue d’année en année, passant de 31,8% en 1981 à 74,2% en 19861399. De 1980 à 1986, les livraisons d’armes est-allemandes à l’Irak ont ainsi rapporté 930 millions de VM1400 : les volumes d’affaires annuels sont autrement plus importants que ceux qui concernent l’Egypte. Enfin, les travaux récents sur l’aide militaire apportée par la RDA aux mouvements de libération nationale africains ont montré que les gains économiques tirés de la coopération militaire avec le Tiers-monde avaient été « fortement exagéré[s] dans le discours public des hommes politiques et des journalistes de l’Ouest »1401. Cette publication du Spiegel, en mars 1980, témoigne pourtant de la vigueur d’une telle représentation, à l’Ouest :

Illustration 2 : « L’Afrikakorps d’Honecker »1402

1399 MÖLLER, Harald, Geheime Waffenlieferungen der DDR…, op.cit., p. 19. 1400 Ibid. 1401 Ulrich van den Heyden et Klaus Stokmann ont rassemblé un certain nombre de titres de journaux européens et américains évocateurs : en avril 1980, le Spiegel fait référence à « l’Afrika-Korps d’Honecker », tandis que le Times s’intéresse aux activités est-allemandes dans le Tiers-monde en titrant : « Voilà les Cubains d’Europe ». STOKMANN, Klaus, VAN DER HEYDEN, Ulrich, « L’aide militaire… », op.cit., p. 107. 1402 Source : Der Spiegel, 1980/10, 3 mars 1980.

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Illustration 3 : « Des sauveteurs rouges pour l’Afrique Noire. Nombre de conseillers militaires de RDA dans les Etats africains (2720 en tout) »1403

Il n’en reste pas moins que les ventes d’armes à l’Egypte procurent à la RDA des revenus substantiels en devises fortes. Dès le début des années 1970, cet aspect de la coopération militaro-économique revêt une dimension majeure, qui nécessite de relativiser le rôle de l’idéologie dans le soutien technique apporté par Berlin-Est au Caire. Lors de la visite de la délégation de la NVA en Egypte, en octobre 1971, alors qu’il est clair pour la RDA que son aide militaire doit servir à renforcer la capacité de défense de son partenaire dans le cadre du conflit israélo-arabe1404, les profits tirés d’un tel soutien ne sont, pour autant, absolument pas négligés : « il est important que [l’Egypte, la Syrie et l’Irak] soient prêts à accepter la règle du paiement en devises fortes »1405.

Au cours des années 1970-1980, la coopération militaro-économique est progressivement identifiée comme l’un des domaines clés des relations bilatérales. En 1978, après la fermeture du consulat de la RDA à Alexandrie et des centres culturels est-allemands au Caire et à Alexandrie, l’ambassadeur de Berlin-Est au Caire, Otto Becker, cherche des

1403 Source : Der Spiegel, 1980/10, 3 mars 1980. 1404 Sur les buts de la visite de la délégation de la NVA en Egypte en octobre 1971, voir supra, p. 248-249. 1405 MfNV, DVW 1/ 115 673, op.cit., Der Aufenthalt in der Arabischen Republik Ägypten, rapport sur la visite officielle de la délégation militaire de RDA en RAE, du 13 au 31 octobre 1971, p. 17.

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solutions de remplacement pour compenser le déclin des activités de coopération induit par une telle décision1406. En effet, toute une série de mesures contenues dans le plan de travail culturel bilatéral conclu pour l’année 1977-1978 ne peuvent plus être appliquées. Or, pour Berlin-Est, il est clair que « la garantie des intérêts économiques de la RDA ne doit pas être menacée par la fermeture des institutions »1407. Les domaines qui jouent un rôle dans la « réalisation d[es] missions économiques » est-allemandes sont alors très explicitement ciblés : il s’agit des fabriques militaires et des industries textiles1408.

L’analyse des sources est-allemandes nous conduit donc à penser, dans la lignée des travaux de Petr Zidek consacrés à la pénétration tchécoslovaque dans le Tiers-monde dans les années 1950-19601409, que la RDA ne néglige pas ses intérêts économiques dans le soutien technico-militaire qu’elle apporte à l’Egypte. Le rôle croissant du commerce extérieur dans l’économie est-allemande mène au contraire à un processus d’autonomisation accrue de la KoKo, qui devient un élément majeur de la Sécurité d’Etat1410. L’étude des archives de la RDA met d’ailleurs en lumière l’indépendance croissante d’un petit nombre d’entreprises de commerce extérieur spécialisées à l’égard du partenaire soviétique aussi bien qu’à l’égard des acteurs étatiques traditionnels, en RDA même. ii. L’alignement sur l’Union soviétique n’est pas systématique : les relations militaro- économiques, champ privilégié de l’autonomie est-allemande ? Lorsque la situation le requiert, Berlin-Est agit aux côtés de Moscou. En octobre 1973, en pleine guerre israélo-arabe, le Comité central du PCUS sollicite l’aide de son partenaire est-allemand pour soutenir militairement l’Egypte et les Etats arabes impliqués dans le conflit :

« L’Egypte et la Syrie sont actuellement en lutte contre l’agresseur israélien, comme vous le savez. Les armées arabes ont subi des pertes importantes, surtout l’armée syrienne. Cette armée a besoin de chars. L’URSS a immédiatement pris des mesures pour envoyer des armes

1406 Pour le récit détaillé de cet épisode et ses conséquences, voir infra, partie II, chapitre 6, p. 374-381. 1407 « Die Sicherung der ökonomischen Interessen der DDR darf auch durch die Schließung der Institutionen nicht gefährdet werden ». MfAA, L 187, C 6465, op.cit., Vorschläge zur Lösung von Fragen, die sich aus der Schließung des DDR-Konsulats Alexandria und der Kulturzentren der DDR in Kairo und Alexandria ergeben (ausgehend von den Vorschlägen der Botschaft Kairo zu den diesbezüglichen Problemen), p. 36. 1408 Entsprechend der Situation sollte eine produktionstechnische Ausbildung von ARÄ-Bürgern in der DDR nur noch auf solchen Gebieten durchgeführt werden, die Einfluß auf die Erfüllung unserer Außenwirtschaftsaufgaben haben. Dies trifft zu auf die Gebiete Militärfabriken und Textilindustrie ». MfAA, L 187, C 6465, op.cit., Schlussfolgerungen für die weitere Zusammenarbeit auf staatlicher Ebene in den Bereichen KWZ und WTZ sowie Auslandsinformation, die sich aus der Schliessung der KIZ in Kairo und Alexandria ergeben. Botschaft der DDR in der AR Ägypten, Kairo, 4.1.1978, p. 31. 1409 ZIDEK, Petr, « La Tchécoslovaquie et le Tiers-monde… », op.cit., p. 134-137. 1410 MÖLLER, Harald, Geheime Waffenlieferungen der DDR…, op.cit., p. 31.

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supplémentaires, une aide technique et des munitions. Nous savons que vous vous préoccupez beaucoup des évènements au Proche-Orient. Le succès ou la défaite des Arabes va sérieusement affecter nos intérêts communs. C’est pourquoi nous nous adressons à vous en vous posant la question suivante : pensez-vous possible de mettre des chars à disposition de l’Egypte et de la Syrie, par solidarité avec ces pays ? »1411

En tant qu’Etat membre du pacte de Varsovie, la RDA est pour l’Egypte un allié privilégié en période de conflit armé1412. Les dirigeants égyptiens tentent d’ailleurs parfois d’utiliser leurs liens avec Berlin-Est pour contourner leur dépendance à l’égard des livraisons d’armes soviétiques ou pour relayer leurs propres exigences auprès de Moscou. En août 1972 par exemple, la section commerciale de l’ambassade de la RDA au Caire, informe le colonel Schönherr, à Berlin, que l’Egypte souhaite « réduire la coopération avec l’Union soviétique dans le domaine spécial, avec l’aide de la RDA et certainement d’autres pays »1413.

Si la politique égyptienne de différenciation entre les Etats socialistes peut favoriser, ponctuellement, les intérêts économiques de la RDA, cette dernière n’entend nullement, toutefois, jouer le rôle d’intermédiaire, en relayant les critiques formulées par l’Egypte à l’encontre de l’URSS. En avril 1975, le représentant du ministre des Affaires Etrangères de RDA, Klaus Willerding, séjourne en Egypte et s’entretient avec le ministre égyptien des Affaires étrangères, Ismaïl Fahmy, son sous-secrétaire, Mohamed Riad et le secrétaire général de la Ligue arabe, Mahmoud Riad1414. Ismaïl Fahmy renouvelle la demande égyptienne de voir la RDA « garantir son soutien militaire » au Caire. Parallèlement, il met en avant le souhait égyptien de voir se poursuivre l’aide militaire soviétique dans le contexte de la préparation d’une conférence de la paix, rappelant que « lors des négociations de Genève, l’Egypte [devra] être en position de force militaire ». La réponse de son interlocuteur est- allemand est sans équivoque : « la RDA ne peut être utilisée comme informateur ou comme intermédiaire. L’Egypte doit et peut aborder ces sujets directement avec l’URSS »1415.

1411 SAPMO-BArch, DY 30/ 13 911, op.cit., Lettre du Comité central du PCUS au Comité central du SED, 12.10.1973. 1412 Sur l’aide de la RDA au renforcement des capacités de défense de l’Egypte avant la guerre de 1973, voir supra, partie I, chapitre 3, p. 148-153. 1413 SAPMO-BArch, DC 20/ 13 068, op.cit., Lettre de M. Zorn, attaché commercial à l’ambassade de la RDA en RAE, à M. Schönherr, Ministère du Commerce extérieur, 15.8.1972. 1414 MfAA, L 187, C 1454/76, op.cit., Bericht über die Konsultationen des Stellevertreters des Ministers für Auswärtige Angelegenheiten der DDR, Dr. Klaus Willerding, in der Arabischen Republik Ägypten vom 11.- 13.4.1975, Berlin, den 15.4.1975, Streng vertraulich. 1415 « Gen. Willerding legte während der Konsultationen zu diesem Fragen unseren prinzipiellen Standpunkt dar und erklärte, daß die DDR nicht als Informant oder Vermittler in Anspruch genommen werden könnte. Ägypten müsse und könne diese Frage direkt mit der Sowjetunion beraten ». Ibid., p. 21.

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Si Berlin-Est refuse de joue le rôle d’intermédiaire entre le Caire et Moscou, ce n’est pas uniquement par refus de se désolidariser de l’URSS. C’est aussi que les acteurs est-allemands ne conçoivent pas leur action comme le simple relais de la politique soviétique. En effet, en d’autres circonstances, la RDA ne s’embarrasse pas d’égards à l’encontre du partenaire soviétique.

En novembre 1975, des négociations ont lieu entre Moscou et Berlin-Est afin de préciser la nature de l’aide soviétique à la RDA en matière d’approvisionnement en pièces de remplacement1416. Les discussions portent sur la question des réparations d’avions de combat de type M et MF assurées par la RDA au profit de l’Irak, de la Syrie et de l’Egypte. Pour Moscou, Berlin-Est doit stopper son activité de remise en état des avions en provenance d’Egypte. En effet, l’URSS ayant mis un terme à toutes les activités qui la liaient au Caire dans le domaine du commerce extérieur spécial1417, il n’est pas question que la RDA poursuive ses livraisons de son côté. Le général soviétique Rossichin, responsable des questions d’ingénierie, transmet les directives de Moscou au colonel Schönherr, directeur du commerce extérieur spécial est-allemand au MAH1418 : la RDA doit cesser ses livraisons de pièces de rechange destinées à la réparation des avions militaires égyptiens1419.

Les Soviétiques répètent à leurs interlocuteurs est-allemands que l’URSS « ne poursuivra[ ] plus d’activités avec la RAE dans le domaine spécial »1420 : les relations soviéto- égyptiennes se sont en effet fortement détériorées depuis l’arrivée de Sadate à la tête de l’Etat. Après la « révolution correctrice » de mai 1971 qui voit l’exclusion des forces de gauche du pouvoir et l’expulsion des experts soviétiques d’Egypte en juillet 19721421, les liens entre le Caire et Moscou se dégradent jusqu’à paralyser, ponctuellement, la coopération militaro- économique1422. En 1983, Ismaïl Fahmy condamne vigoureusement les retards soviétiques en matière de livraisons militaires, ce qui suscite l’indignation d’Andreï Gromyko. Ismaïl Fahmy présente ce dernier comme un homme ulcéré par les critiques égyptiennes au point de

1416 BStU, MfS, HA XVIII, Nr. 7604, Information sur les relations dans le domaine du commerce extérieur spécial, entre la RDA et la RAE, Berlin, 23.1.1976. 1417 Ibid. 1418 Ministerium für Außenhandel, ministère du commerce extérieur de RDA. 1419 BStU, MfS, HA XVIII, Nr. 7604, Information sur les relations dans le domaine du commerce extérieur spécial, entre la RDA et la RAE, Berlin, 23.1.1976. 1420 Ibid. 1421 Voir supra, partie I, chapitre 3, p. 141-146. 1422 Sur la manière dont Sadate interrompt, par exemple, les livraisons égyptiennes de coton à l’Union soviétique et aux Etats socialistes, voir supra, p. 211-212.

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« frapper la table avec rage, criant qu’il ne s’assiéra pas tranquillement en écoutant de telles accusations »1423. Pourtant, du point de vue de l’Egypte, l’URSS n’a pas rempli ses obligations :

« Conformément au contrat de maintenance signé par les deux parties, l’Egypte a envoyé un grand nombre d’engins aériens à l’URSS afin que cette dernière procède à leur révision. Ces avions, ces engins et le coût de la révision ont été entièrement payés par l’Egypte. Cependant, le gouvernement soviétique [a] refus[é] de renvoyer ces engins en Egypte pendant plus d’un an. Cela s’appelle une confiscation de la propriété. Le résultat, c’est que 92 avions égyptiens ont été immobilisés, en plus de ceux qui avaient été paralysés par le manque de pièces de rechange »1424.

De son côté, le colonel Schönherr convient avec ses collaborateurs que la RDA doit s’aligner sur la posture soviétique. Le ministre du commerce extérieur, Horst Sölle, approuve l’initiative, de même que le directeur de la firme ITA, le colonel Möller1425. Les autorités est- allemandes, tout comme les organisations étatiques, décident donc de stopper les achats de pièces de rechange destinées à la réparation des avions égyptiens. Les accords bilatéraux pour 1975 ont été remplis et dix avions égyptiens ont déjà été envoyés en RDA, afin d’être remis en état au cours de l’année 1976. Le ministère du Commerce extérieur est-allemand accepte de mener à bien la réparation de ces dix avions, mais indique en revanche que les traités bilatéraux portant sur la livraison de 5000 projectiles aériens lumineux et casques en acier seront abandonnés. Berlin-Est informe le Caire de sa décision et prévoit d’entamer des négociations sur place en janvier 1976, afin de ne pas s’aliéner le partenaire égyptien.

Officiellement donc, Berlin-Est s’aligne sur la conduite de Moscou (annexe 13). Après la rupture de l’accord existant entre l’URSS et l’Egypte en matière de coopération militaire1426, les pays membres du pacte de Varsovie se mettent d’accord sur le fait de cesser leur collaboration avec le Caire dans ce domaine1427. En 1983, « Henry », le directeur de la firme IMES, rapporte pourtant que si les traités ne doivent plus être exécutés par les fournisseurs étatiques est-allemands habituels - autrement dit, les entreprises de commerce extérieur (AHB, Aussenhandel Betriebe) comme ITA -, ils peuvent l’être en revanche par le biais de sa propre entreprise, spécialisée dans la conclusion d’affaires non officielles1428.

1423 FAHMY, Ismaïl, Negotiating for Peace…, op.cit., p. 180-181. 1424 Ibid. 1425 BStU, MfS, HA XVIII, Nr. 7604, op.cit., Information sur les relations dans le domaine du commerce extérieur spécial, entre la RDA et la RAE, Berlin, 23.1.1976. 1426 Le traité d’amitié et de coopération militaire entre l’URSS et l’Egypte, signé en 1971, est résilié unilatéralement par l’Egypte en 1976. Voir supra, partie I, chapitre 3, p. 146-151. 1427 BStU, MfS, HA XVIII, Nr. 8673, op.cit., « Bericht ARÄ », rédigé par l’IM « Henry », Berlin, 24.3.1983. 1428 Ibid.

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Moscou apprend d’ailleurs le maintien de tels contrats lors de la visite de spécialistes soviétiques à l’usine aéronautique de Dresde : ces derniers se rendent compte, en effet, que certains des avions qui se trouvent sur le site de l’usine arborent l’emblème égyptien1429. Les experts soviétiques soupçonnent en outre l’Egypte de poursuivre l’acheminement de pièces endommagées en RDA, puis leur rapatriement après remise en état1430.

Le rapport d’ « Henry » précise que l’Egypte a tenté de conclure des ententes similaires avec la Tchécoslovaquie et la Bulgarie, ne manquant pas de les informer du fait qu’elle a déjà réalisé de tels accords avec la RDA. Les deux Etats socialistes ont fait part de l’initiative égyptienne à Moscou, qui leur a signifié son refus de voir se poursuivre les transactions militaires. Moscou interroge alors le colonel Schönherr, qui nie avoir eu connaissance de tels traités. Ce dernier est donc maintenu à son poste.

Il semble en fait qu’il existe une conscience aiguë, parmi les plus hauts dirigeants est- allemands, des intérêts économiques fondamentaux de la RDA. L’organisation interne de la KoKo, qui rassemble des structures étatiques officielles et des organismes au fonctionnement beaucoup plus opaque, comme la firme IMES, autorise la conduite d’une politique extrêmement flexible : en fonction de l’état des relations politiques soviéto-égyptiennes, la RDA procède à la redistribution de ses objectifs militaro-économiques et confie la réalisation des traités commerciaux bilatéraux au type d’acteur qui lui paraît le plus adapté aux circonstances. Officiellement, « la direction de l’armée de défense nationale et les organes qui lui sont subordonnés, comme le département du commerce extérieur spécial » peuvent donc déclarer « qu’ils ne connaissent rien de ces opérations et n’ont rien à voir avec ces affaires »1431. Ils coopèrent pourtant avec la société IMES et se montrent soucieux de l’état du commerce extérieur est-allemand. En juin 1977, alors que le « commerce extérieur spécial » entre la RDA et l’Egypte connaît de nouveau une interruption, Horst Sölle, ministre du Commerce extérieur, alerte Willi Stoph, président du Conseil des ministres, des conséquences négatives que pourrait entraîner l’arrêt des traités conclus avec les forces armées égyptiennes1432. Il évoque l’interruption des réparations d’avions réalisées par la firme ITA. En juin 1975, celle-ci s’était engagée à livrer à l’Egypte 14 Mig 21 ; elle en a exporté 11 avant

1429 Ibid. 1430 Ibid. 1431 Ibid. 1432 SAPMO-BArch, DC 20/ 13 068, op.cit., Lettre de Horst Sölle à Willi Stoph, président du Conseil des ministres de RDA, Confidentiel, Berlin, 13.6.1977.

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que le contrat ne soit rompu. Selon Horst Sölle, un tel revirement aura « des effets négatifs sur les exportations des autres produits commerciaux » est-allemands dans le pays. Elle ne sera pas sans influence sur les « volumes et les résultats du commerce extérieur » de la RDA en Egypte. Or, et Horst Sölle ne manque pas de le rappeler, le solde commercial des échanges avec l’Egypte est pour le moment négatif. Surtout, la RDA a entrepris d’accroître ses exportations dans le pays. Le ministre du commerce extérieur estime donc que la position est-allemande est incohérente : il est d’avis qu’il faut autoriser la société ITA à remplir son contrat et à procéder au remplacement des trois avions restants, d’autant que de tels volumes n’ont, à son avis, que peu de « signification ». Il soumet enfin à Willi Stoph la demande formulée par le ministère égyptien de l’Intérieur, qui souhaite acheter à la RDA 14 500 pistolets AKM. Horst Sölle ajoute que le ministre des Affaires étrangères, Oskar Fischer, est favorable, comme lui, à la poursuite des « livraisons spéciales » à l’Egypte, « car une partie [des] exportations [est-allemandes] est dépendante de la RAE ».

La prise en compte des intérêts commerciaux proprement nationaux de la RDA apparaît donc clairement dans la mise en œuvre des relations militaro-économiques bilatérales. La souplesse des structures du commerce extérieur permet cependant à Berlin-Est de respecter, officiellement, les directives de Moscou. En mars 1984, l’Union soviétique fait savoir à la RDA que « la direction militaire de RAE ne doit pas voir ses demandes considérées avec bienveillance »1433. « Conformément à ce qui a été convenu avec Moscou »1434, la RDA interrompt donc ses relations commerciales avec l’Egypte dans le « domaine spécial ». Pourtant, une telle ligne de conduite ne signifie nullement l’arrêt de la coopération militaro- économique avec le Caire : « quelques mesures » ont toujours lieu, mais exclusivement dans le cadre de la KoKo. De la même manière, les membres des forces armées égyptiennes invités en RDA ne doivent plus être pris en charge par le MfNV, mais par les structures du commerce extérieur.

Berlin-Est n’est pas une exception : en 1976, alors que l’URSS a informé les Etats socialistes de sa décision de stopper provisoirement ses livraisons militaires à l’Egypte, la Tchécoslovaquie, la Pologne et la Roumanie poursuivent leurs activités sans modifier

1433 MfNV, AZN 8477, op.cit., Note pour le représentant du ministre et chef d’état-major, rédigée par le colonel Schuster, Berlin, 23.3.1984. 1434 MfNV, AZN 31 484 : MfNV, Abteilung Grundsatzfragen. Unterstützungsmaßnahmen für die Länder durch das MfNV. 7/4/1981 bis 27/4/1983. Zusammenarbeit mit der PLO, 1981-86. Lettre du colonel Fleissner, représentant du ministre et chef de la technique et de l’armement, au représentant du ministre et chef d’état- major, 14.3.1984.

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aucunement la teneur des contrats qui les lient aux forces armées égyptiennes1435. Les Tchécoslovaques affirment ainsi que « le travail va continuer comme d’habitude. L’Egypte a payé pour 200 tanks ». Les Polonais rappellent de leur côté « le grand intérêt économique des contrats »1436.

Ce genre d’incident met en lumière les intérêts propres de la RDA, qui ne coïncident pas toujours avec ceux de Moscou. Dans de tels cas, il arrive donc que Berlin-Est donne la priorité aux impératifs nationaux, stratégiques et commerciaux, plutôt qu’aux buts internationalistes. Le « plan de travail pour le développement et la construction des relations militaires à l’étranger du ministère de la Défense nationale, pour l’année de formation 1985-1986 » indique d’ailleurs très explicitement que les relations militaires avec l’Egypte vont se poursuivre « indépendamment […] de sa politique à l’égard de l’URSS »1437.

Il convient cependant de ne pas surestimer les velléités d’indépendance de la RDA à l’égard de l’URSS dans la mise en œuvre de sa politique étrangère. Les archives militaires et les documents du Commerce extérieur ou de la Stasi montrent que les autorités est-allemandes prennent spontanément l’initiative de consulter les partenaires soviétiques avant de modifier la nature de leurs relations avec l’Egypte. En avril 1987, par exemple, le général Streletz, représentant du ministre de la Défense nationale et chef d’état-major de la NVA, contacte le maréchal Achromejew, premier représentant du ministre de la Défense d’URSS et chef d’état-major des forces armées soviétiques, pour lui demander son avis au sujet d’une requête égyptienne1438. L’attaché de défense auprès de l’ambassade d’Egypte en RDA, Mohamed M. Kandell, a en effet demandé au MfNV s’il était possible de proposer à des officiers égyptiens une formation au sein des établissements de la NVA1439. Les dirigeants est-allemands semblent d’abord plutôt réceptifs à la demande égyptienne, comme en atteste la correspondance entre le général Streletz et le secrétaire d’Etat Herbert Krolikowski, représentant du ministre des Affaires étrangères : « s’il apparaissait qu’on retire de la formation militaire d’officiers

1435 SAPMO-BArch DC 20/ 13 068, op.cit., Rapport adressé par le Major Bendig au département du Commerce extérieur spécial du ministère du Commerce extérieur, Berlin, 19.1.1976. 1436 Ibid. 1437 BStU, MfS, HA I, Nr. 13676, op.cit., Arbeitsgrundlage für Aufbau und Entwicklung der militärischen Beziehungen im Ausland, für das Ausbildungsjahr 1985-1986. 1438 MfNV, AZN 8477, op.cit., Télégramme du général Streletz, représentant du ministre de la Défense et chef d’état-major, au maréchal d’Union Soviétique Achromejew, premier représentant du ministre de la Défense d’URSS et chef d’état-major des forces armées, Berlin, 14.4.1987. 1439 MfNV, AZN 8477, op.cit., Lettre du général Mohamed M. Kandelle, attaché de défense à l’ambassade de RAE à Berlin, au département des relations internationales du MfNV, Prague, 9.3.1987.

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égyptiens en RDA un aspect positif pour le développement des relations entre les pays socialistes et la RAE, un examen bienveillant de la requête égyptienne pourrait être envisagé […] »1440. Ils estiment cependant préférable d’engager une consultation entre le MfNV et les « partenaires soviétiques compétents » avant de prendre une décision définitive1441. Le général Streletz sollicite donc les conseils de l’état-major soviétique : « je vous serais reconnaissant, cher camarade Maréchal d’Union soviétique, de bien vouloir nous transmettre votre avis à ce sujet, afin que nous puissions préparer une proposition de décision conforme destinée au Parti et à la direction d’Etat de RDA »1442. Le maréchal Achromejew fait rapidement connaître à ses interlocuteurs est-allemands la position de l’URSS :

« [..] en raison des contacts existants entre les Etats-Unis et l’Egypte et de la nature des relations entre ces deux pays, qui ne devrait pas beaucoup se modifier dans l’avenir proche, le ministère de la Défense soviétique est d’avis que la formation réciproque de membres de l’armée des pays socialistes et de RAE dans de telles conditions n’est pas souhaitable »1443.

Conformément à l’orientation soviétique, le ministère est-allemand de la Défense décide alors de ne pas donner suite à la demande égyptienne et renonce à tout projet commun de formation militaire.

La mise en œuvre de la politique étrangère est-allemande fait donc apparaître des mécanismes conjoints d’alignement et/ou de distanciation à l’égard des directives soviétiques. L’analyse de la coopération militaro-économique est particulièrement éclairante car elle montre à quel point considérations internationalistes et priorités nationales s’entremêlent dans les décisions de politique étrangère. L’activité internationale de la RDA atteint enfin un nouveau niveau de complexité si l’on prend en compte les décalages de perception et les rapports de force qui opposent les différents types d’acteurs nationaux impliqués dans sa mise en œuvre.

La coopération militaro-commerciale entre l’Egypte et la RDA donne lieu, en effet, à une concurrence sévère entre les divers types d’acteurs est-allemands. C’est tout particulièrement vrai entre le MfNV et les structures qui lui sont liées d’une part, et les firmes

1440 MfNV, AZN 8477, op.cit., Lettre de Herbert Krolikowski, secrétaire d’Etat et représentant du ministre des Affaires étrangères, au général Streletz, représentant du ministre de la Défense et chef d’état-major, Berlin, 6.4.1987, p 23. 1441 Ibid. 1442 MfNV, AZN 8477, op.cit., Télégramme du général Streletz, représentant du ministre de la Défense et chef d’état-major, au maréchal d’Union Soviétique Achromejew, premier représentant du ministre de la Défense d’URSS et chef d’état-major des forces armées, Berlin, 14.4.1987. 1443 MfNV, AZN 8477, op.cit. Note pour le ministre de la Défense nationale, rapport du général Streletz, Berlin, 6.5.1987, présenté le 11.5.1987 au ministre, p. 19.

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commerciales « civiles », comme ITA ou IMES, d’autre part. A plusieurs reprises au cours de l’année 1971 par exemple, le ministre est-allemand de la Défense, Heinz Hoffmann, fait part au président du Conseil des ministres, Willi Stoph, et à son premier secrétaire, Horst Sindermann, de son extrême irritation quant à la concurrence que livre la firme de commerce extérieur Elektrotechnik à la NVA en matière d’exportations militaires1444. Heinz Hoffmann dénonce les contrats conclus en 1970 entre la firme Elektrotechnik et l’armée égyptienne, auxquels il n’a pas donné son agrément. Selon lui, ces derniers empiètent sur les prérogatives de la NVA : l’armée de RDA a notamment dû renoncer à la livraison de 22 stations de radios relais1445 RVG 950, après avoir appris que l’entreprise Elektrotechnik s’était déjà engagée de son côté à fournir de tels produits aux forces armées égyptiennes. De même, la livraison par la NVA de tenues de protection à l’armée égyptienne est menacée par l’existence de contrats d’exportation conclus par les firmes commerciales civiles. Heinz Hoffmann est indigné par cette concurrence qui, selon lui, met en danger la position de la NVA et porte atteinte à l’image de la RDA à l’étranger :

« Une telle pratique, qui revient à ce que les entrepreneurs des firmes civiles de commerce extérieur exportent des appareils militaires, au détriment des livraisons de la NVA, et concluent des contrats sans mon accord, contredit toutes les directives étatiques et les accords juridiques existants dans ce domaine »1446.

Une analyse un peu fine de l’activité est-allemande en Egypte dans le domaine militaro-économique atteste ainsi de l’imbrication permanente entre intérêts économiques et posture idéologique, et ce à toutes les échelles. Au niveau international, il serait erroné de réduire la politique étrangère est-allemande à l’exécution systématique des directives de bloc. Au niveau national, la mise en œuvre de l’activité est-allemande à l’étranger ne fait nullement l’objet d’un consensus immédiat entre les différents types d’acteurs considérés.

L’analyse des relations militaires met en lumière, comme celle des autres champs de la coopération bilatérale, l’existence de contradictions possibles entre les buts proclamés et les objectifs visés : en témoigne la dialectique compliquée entre le discours pacifiste officiel et les pratiques militaristes du régime est-allemand1447.

1444 SAPMO-BArch, DC 20/ 13 068, op.cit., Lettre du ministre de la Défense, Heinz Hoffmann, au premier secrétaire du président du Conseil des ministres, Horst Sindermann, Berlin, 5.10.1971. 1445 Selon le terme allemand « Richtfunk » : il s’agit d’une technique de télétransmission d’informations, au moyen d’ondes radio. 1446 SAPMO-BArch, DC 20/ 13 068, op.cit., Lettre du ministre de la Défense, Heinz Hoffmann, au premier secrétaire du président du Conseil des ministres, Horst Sindermann, Berlin, 5.10.1971. 1447 Pour reprendre les termes de Georges-Henri Soutou dans : SOUTOU, Georges-Henri, La guerre de cinquante ans. Le conflit Est-Ouest. 1943-1990, Paris, Fayard, 2001, p. 581.

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b) La politique est-allemande dans le cadre de la Détente : comment concilier coopération militaire et désarmement ?

Nous avons tenté de souligner l’importance croissante, à partir du début des années 1980, des considérations économiques dans la mise en œuvre de la politique étrangère est- allemande en Egypte. La coopération militaro-économique bilatérale est peut-être l’un des domaines où il est le plus délicat, pour les acteurs est-allemands, de concilier espoirs de profits et discours pacifiste. Un certain nombre de travaux scientifiques a déjà mis en avant la contradiction fondamentale sur laquelle se basait l’activité est-allemande dans le Tiers-monde, entre promotion affichée d’un ordre pacifique international et transactions militaires lucratives. Hermann Wentker montre ainsi que, depuis le début des années 1980, la RDA prône une résolution pacifique des conflits régionaux et tend dorénavant à présenter son action dans le Tiers-monde comme une « politique de paix »1448. Une telle posture n’empêche nullement Berlin-Est, toutefois, de maintenir ses conseillers militaires dans les différents Etats d’Afrique et du Proche-Orient et de poursuivre ses ventes d’armes. De son côté, Harald Möller a mis en évidence le double discours de la RDA lors du conflit qui oppose l’Iran et l’Irak, entre 1980 et 1988, soulignant à quel point cette guerre avait constitué une « bonne affaire » pour l’ « Etat de paix » (Friedenstaat) est-allemand1449. Alors que le discours est-allemand officiel accorde une importance déterminante aux principes de la paix, de la coexistence pacifique et du désarmement, la RDA soutient militairement l’Iran aussi bien que l’Irak1450. Les éditions Zeit im Bild, créées par le SED, relaient les déclarations publiques du régime :

« [La RDA] entretient depuis longtemps des relations avec les deux Etats et souhaite que les hostilités cessent le plus tôt possible, qu’une solution politique soit trouvée à l’aide d’une négociation respectueuse des principes du droit international et des intérêts légitimes des deux parties. Dans ses relations bilatérales avec chacun des deux pays, la RDA cherche à faire valoir cette optique et soutient tous les efforts internationaux et régionaux en vue d’un règlement pacifique du conflit »1451.

Les livraisons d’armes est-allemandes aux belligérants s’accroissent pourtant nettement au cours de la décennie 1980 : entre 1981 et 1986, la part de l’Irak dans les exportations d’armes est-allemandes à destination du « domaine non socialiste » passe ainsi de 31,8% à

1448 WENTKER, Hermann, Aussenpolitik in engen Grenzen…, op.cit., p. 539. 1449 MÖLLER, Harald, Geheime Waffenlieferungen der DDR…, op.cit., p. 5. 1450 Ibid., p. 7. 1451 Pour la paix, le socialisme et la solidarité. Action de M. Erich Honecker en politique extérieure, RDA, Verlag Zeit im Bild, 1987, p. 261.

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74,2%1452. En Iran, l’aide militaire est-allemande facilite le renforcement du corps des Pasdaran, les gardiens de la révolution islamique : à la fin des années 1980, celui-ci rassemble entre 250 000 et 300 000 hommes1453.

Officiellement neutre et favorable à des négociations de paix, la RDA développe ses relations militaires avec les Etats moyen-orientaux engagés dans des conflits régionaux. Elle adopte la même posture à l’égard du conflit israélo-arabe : tout en prônant la tenue d’une conférence de paix à Genève, elle arme l’Egypte et la Syrie et participe activement à la remise sur pied de l’armée égyptienne après la défaite de 19671454. En 1971, l’armée égyptienne dispose de 750 000 hommes1455.

Sans renoncer officiellement à ses principes idéologiques, la RDA voit pourtant dans la coopération militaro-économique une source de devises non négligeable : ses partenaires commerciaux ont d’ailleurs conscience des contraintes économiques qui la motivent et n’hésitent pas à en jouer, de manière à satisfaire leurs propres objectifs nationaux. De ce point de vue, l’analyse des archives est-allemandes permet d’entrevoir quelques-unes des priorités qui poussent l’Egypte à développer ses relations militaires avec la RDA. c) « Le plus important pour l’Egypte, c’est d’obtenir des livraisons d’armes »1456. Les objectifs nationaux de l’Egypte : renforcement du régime, autosuffisance et réexportation d’armes

Du point de vue égyptien, la coopération militaro-économique avec la RDA répond également à des impératifs nationaux. Les acteurs est-allemands semblent prendre conscience relativement tôt des objectifs propres qui motivent le partenaire égyptien : volonté d’atteindre l’autosuffisance en matière d’armement et de réduire ainsi la dépendance à l’égard de l’étranger ; souhait d’accroître le niveau d’efficience de ses forces armées afin de renforcer le régime et de peser sur la scène internationale. Dans quelle mesure les Allemands de l’Est pensent-ils alors que le soutien policier et militaire qu’ils apportent à un régime autoritaire comme celui du Caire se justifie par le fait d’œuvrer à l’édification progressive du

1452 MÖLLER, Harald, Geheime Waffenlieferungen der DDR…, op.cit., p. 19. 1453 Ibid., p. 12. 1454 Voir supra, partie I, chapitre 2, p. 128-132. 1455 MfAA, L 187, C 766/75, op.cit., Vermerk über ein Gespräch des Genossen Winzer mit VAR-Außenminister Mahmoud Riad am 28.2.1971 in Kairo. 1456 SAPMO-BArch, DY 30/ IV B 2-20 345, op.cit., « Projet », séjour d’une délégation du comité central de l’Union Socialiste Arabe, sous la direction du premier secrétaire du comité central, Sayed Marei, en RDA, du 16 au 21 mars 1973. Abteilung Internationale Verbindungen, Berlin, 20.2. 1973.

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socialisme ? Il est difficile d’évaluer la part de la conviction dans la mise en œuvre d’une telle coopération. Markus Wolf, chef du service des renseignements extérieurs de la Stasi (Hauptverwaltung Aufklärung, HVA), fait de la certitude idéologique l’un des moteurs de son action dans le Tiers-monde1457. En 1992, lors d’un entretien avec le journaliste Maurice Najman, il rejette l’idée d’une responsabilité est-allemande dans la constitution de pouvoirs dictatoriaux. Reconnaissant le fait que le soutien militaire et policier est-allemand a contribué à enraciner des structures autoritaires dans différents Etats du Tiers-monde, il estime néanmoins que de tels systèmes politiques auraient de toute façon existé sans la RDA. Surtout, il insiste sur la sincérité de l’engagement idéologique qui motivait alors les diplomates et les techniciens est-allemands :

« […] il est vrai que nous avons (mais c’était là une autre de nos erreurs) contribué le plus souvent non pas à établir le « socialisme », mais plutôt à consolider des régimes de dictature, qui se cachaient derrière la phraséologie socialiste pour s’attirer les faveurs du camp socialiste face aux Etats-Unis. Mais […] nos efforts étaient sincères et avaient pour buts officiels l’indépendance du pays, son développement économique et social »1458.

Quoi qu’il en soit, les archives militaires, comme celles de la Stasi et du Commerce extérieur, montrent que les acteurs est-allemands ont bien conscience de participer à la consolidation de l’appareil policier égyptien, de même qu’au renforcement de l’industrie militaire nationale.

Dès septembre 1969, les services de sécurité égyptiens envoient une délégation à Berlin-Est afin de nouer des relations étatiques dans le domaine de la sécurité et de l’ordre public. Cette délégation, conduite par le général Hassan Talaat, l’un des fondateurs des services secrets égyptiens, est reçue par le département VII du Ministère est-allemand de la Stasi, chargé du travail de défense. Elle s’intéresse notamment « à la construction et à la structure du ministère de l’Intérieur, aux services et aux méthodes du ministère de la Sécurité d’Etat et à la coopération avec [ce dernier] »1459. En Egypte, ces contacts s’inscrivent dans le processus de consolidation de l’Etat sécuritaire et des Mukhabarat, les services de renseignements chargés de préserver la révolution égyptienne de 1952. Tewfik Aclimandos a

1457 WOLF, Markus, L’œil de Berlin. Entretiens de Maurice Najman avec le patron des services secrets est- allemands, Balland, 1992, p. 176. 1458 Ibid. 1459 BStU, MfS, Abt. X, Nr. 111, op.cit., Lettre du directeur du département HA VII, Kitowski, au directeur du département X, 17.9.1969.

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montré que ces derniers se sont développés d’après le modèle américain1460 : néanmoins, dans le contexte du début des années 1970, il est probable que le gouvernement égyptien ait souhaité diversifier les transferts d’expérience en la matière, en s’appuyant notamment sur les spécificités d’un régime policier comme celui de la RDA1461. En 1989, dans leur correspondance interne, les Allemands de l’Est relaient d’ailleurs l’idée selon laquelle le régime de Hosni Moubarak a entrepris la consolidation d’un appareil sécuritaire au sein duquel l’armée assure la stabilité du régime1462. Dans ce contexte, les Mukhabarat et la Stasi semblent entretenir des relations stables et cordiales : en témoigne cette carte de vœux que le général Namer, qui vient de prendre la tête des renseignements égyptiens, envoie à Erich Mielke pour la nouvelle année, en janvier 1987. En guise de réponse, le destinataire charge à son tour un officier de liaison au Caire de transmettre ses remerciements au général Namer1463.

Du point de vue égyptien, la coopération militaro-économique avec la RDA doit donc permettre de renforcer l’assise du régime. Elle vise également à consolider l’industrie militaire nationale, dans le but d’atteindre, à terme, l’autosuffisance en matière de production d’armements. Les Allemands de l’Est sont conscients de cet état de fait : « l’Egypte poursuit […] le but suivant : mettre rapidement fin à la dépendance à l’égard de l’Union soviétique en matière de techniques d’armements »1464.

En 1970, Abdallah Ghoneim informe le conseil commercial de l’ambassade de la RDA au Caire du fait que l’Egypte a l’intention de produire elle-même les grenades éclairantes 82 mm que lui fournissait jusqu’ici Berlin-Est1465. Il sollicite l’aide est-allemande pour

1460 Voir l’intervention de Tewfik Aclimandos sur les origines des services secrets égyptiens, le 15/12/2010, lors du séminaire d’Henry Laurens organisé au Collège de France en novembre/décembre 2010 : « Autobiographie et culture politique dans l’Orient arabe contemporain ». 1461 C’est l’une des idées avancées par Frank Müller : selon lui, les régimes est-allemand et égyptien ont des points communs qui peuvent expliquer le développement de leurs relations, notamment le rôle central dévolu à l’appareil d’Etat et de sécurité et la forte militarisation des territoires nationaux. Voir : MÜLLER, Frank, « Ägypten und DDR…», op.cit., p. 19-29. 1462 BStU, MfS, ZAIG, Nr. 16220, op.cit., Information sur les aspects actuels de la politique intérieure et extérieure de l’Egypte, strictement confidentiel, Berlin, 3.7.1989. 1463 BStU, MfS, Abt. X, Nr. 111, op.cit., Lettre adressée par le directeur de l’Hauptverwaltung A, Abteilung III, au directeur de l’Abteilung X, le 15.1.1987. 1464 MfNV, AZN 8477, op.cit., Information, 8.12.1984, p. 103. 1465 SAPMO-BArch, DC 20/ 13 068, op.cit., Lettre adressée par Abdallah Ghoneim, ministère égyptien de la production militaire, à M. Schumann, conseil commercial de l’ambassade de RDA, le Caire, sans date (la lettre date vraisemblablement de 1970).

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soutenir une telle production au sein des fabriques militaires égyptiennes. En 1974, il renouvelle sa demande, cette fois au sujet de la fabrication de pistolets1466.

Dès 1972, la section commerciale de l’ambassade de la RDA au Caire estime en outre que l’Egypte devrait être capable de procéder elle-même, dès 1975, à la remise en état des avions de type M et MF dans ses propres usines1467. C’est en effet l’un des objectifs du régime égyptien que de pouvoir atteindre l’autosuffisance en matière de production de munitions, d’avions et de missiles1468. En plus de vouloir réduire sa dépendance à l’égard des fournisseurs étrangers, l’Egypte souhaite devenir elle-même un exportateur d’armes. Lors de la guerre Iran/Irak de 1980-1988, elle revend à l’Irak des chars, des avions et des munitions qu’elle a achetés à l’Arabie Saoudite1469, ainsi que du matériel soviétique ancien, dont elle cherche à se débarrasser pour le remplacer par des produits plus sophistiqués, souvent d’origine américaine1470.

Pour l’Egypte, la coopération militaro-économique avec la RDA vise donc également à satisfaire des priorités d’ordre national. Le Caire entend d’ailleurs diversifier ses exportations en direction de l’Allemagne de l’Est, comme le souligne le ministre égyptien de la Défense, en 1986 : « il ne faut pas s’intéresser seulement à l’achat du coton et du pétrole. La RAE a également une bonne réputation dans d’autres secteurs »1471.

1466 SAPMO-BArch, DC 20/ 13 068, op.cit., Lettre d’Abdallah Ghoneim, janvier 1974. 1467 SAPMO-BArch, DC 20/ 13 068, op.cit., Lettre de M. Zorn, attaché commercial à l’ambassade de la RDA en RAE, à M. Schönherr, Ministère du Commerce extérieur, 15.8.1972. 1468 DROZ-VINCENT, Philippe, « Armée et pouvoir politique en Egypte… », op.cit., p. 76. 1469 MfNV, DVW 1/ 94 173, op.cit., Stand: März 1981. 1470 DROZ-VINCENT, Philippe, « Armée et pouvoir politique en Egypte… », op.cit., p. 84. 1471 MfNV, AZN 8477, op.cit., Vermerk über ein Gespräch des Genossen Junker mit dem Marschall Abu Ghazala, Verteidigungsminister, Kairo, November 1986.

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Ce chapitre a montré qu’à partir de la fin des années 1970, la dimension économique apparaît comme l’une des priorités grandissantes de la politique étrangère est-allemande en Egypte. Jacques Lévesque soulignait la « revanche de l’économique sur le politique » dans l’URSS de Gorbatchev1472 : il semble nécessaire d’ajouter que ce phénomène n’épargne pas les démocraties populaires. En RDA, l’autonomie croissante des structures du commerce extérieur enseigne que l’idéologie n’est pas le moteur exclusif de la politique étrangère. De même, la coexistence de structures étatiques et privées dans le déploiement des relations économiques bilatérales, commerciales ou militaires peut nourrir des rivalités entre les différents acteurs de la politique extérieure est-allemande.

La priorité croissante donnée au versant économique des relations bilatérales va de pair avec l’adoption d’une politique de plus en plus flexible en Egypte, la proximité idéologique cédant progressivement le pas aux intérêts commerciaux. Les questions idéologiques ne sont pas, pour autant, évacuées des priorités est-allemandes en Egypte. Elles sont, bien plutôt, soumises à un redéploiement pragmatique des impératifs de politique étrangère : la coopération idéologique délaisse progressivement le cadre étatique pour se décliner, selon les périodes, à différentes échelles – infra-étatique, régionale. De ce point de vue, l’étude des relations culturelles et technico-scientifiques est particulièrement éclairante. Officiellement dépolitisées, ces dernières peuvent paraître offrir un terrain d’action a priori plus neutre, susceptible d’intégrer, précisément, les objectifs idéologiques est-allemands. Le même changement de paradigme affecte pourtant ce domaine de la coopération bilatérale : le « travail culturel » (Kulturarbeit) est progressivement soumis à des impératifs de rentabilité économique. Paradoxalement, l’intrusion croissante des contraintes économiques dans le déploiement de la coopération culturelle traduit aussi la préoccupation grandissante du régime de Berlin-Est : celle de répondre à des intérêts budgétaires, identifiés comme étant proprement nationaux.

Le chapitre qui suit a pour objectif de mettre en lumière les limites de l’entreprise de « remodelage socialiste » (sozialistische Umgestaltung1473), initialement assignée à la

1472 LEVESQUE, Jacques, « Essai sur la spécificité des relations entre l’URSS et l’Europe de l’Est de 1945 à 1989 », in : Relations internationales, Paris, PUF, 2011/4, n° 148, p. 14. 1473 Nous reprenons ici l’expression d’une analyse est-allemande de 1972, selon laquelle, « bien que les conceptions égyptiennes du socialisme se différencient de celles des pays socialistes », l’Egypte « emprunte la voie du remodelage socialiste de la société ». « Obwohl ägyptische Auffassungen über Sozialismus anders als Vorstellungen der sozialistischen Länder, ergibt sich aus Tatsache, daß Sozialismus überhaupt als Ziel gestellt wird, generelle Schlußfolgerung, Beziehungen zur ARÄ in weiterer Perspektive noch tiefer und umfassender zu entwickeln ». Voir : MfAA, L 187, C 767/75, op.cit., Information vom 19.10.1972 über die Lage in der ARÄ, Telegramm vom 19. Oktober 1972, p. 3.

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coopération culturelle et technico-scientifique avec l’Egypte. Il entend également montrer que ce domaine de la coopération apparaît progressivement comme l’un des champs privilégiés de l’autonomisation de l’activité est-allemande dans le pays, précisément parce que ce dernier se distingue, en apparence, de la sphère des relations politiques.

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Chapitre 6 - Coopération culturelle et technico- scientifique : les limites du « remodelage socialiste ».

Depuis le début des années 1960, la coopération culturelle et technico-scientifique est l’une des composantes principales de ce qui s’apparente à la stratégie est-allemande de constitution d’un « lobby en faveur la RDA »1474 en Egypte. Durant les années où Berlin-Est lutte pour sa reconnaissance, le travail culturel est un instrument important pour diffuser une image positive de la RDA auprès de l’opinion publique égyptienne1475. Le 27 février 1965, lors de sa visite en Egypte, le président du Conseil d’Etat de la RDA, Walter Ulbricht, inaugure le centre culturel est-allemand du Caire1476.

A la suite de cette initiative, Berlin-Est et le Caire concluent un accord sur la coopération économique et scientifique le 1er mars 19651477 : ce dernier donne lieu à la création d’une commission culturelle et d’un conseil scientifique communs ainsi qu’à la signature d’une série de conventions visant à organiser les relations culturelles et technico-scientifiques1478. En 1967, un second centre est-allemand de culture et d’information est créé à Alexandrie1479.

Après la reconnaissance de juillet 1969, le travail culturel joue le rôle de soutien actif de la diplomatie de Berlin-Est en Egypte : « la politique étrangère culturelle de la RDA a pour mission de représenter cette dernière comme l’Etat allemand socialiste pacifique et efficient aux plans économique et culturel »1480. Dans la droite ligne de la politique soviétique mise en œuvre depuis la fin des années 1950, l’offensive culturelle est-allemande alimente la rhétorique socialiste de l’amitié entre les peuples et de la solidarité internationale. De ce point de vue, elle conforte le principe de cohésion du bloc de l’Est tout en répondant à un impératif national fondamental : prouver l’efficacité de l’action souveraine de la RDA à l’étranger. Dans la lignée du rapprochement culturel initié entre l’URSS et le Tiers-monde par la

1474 LAMM, Hans Siegfried, KUPPER, Siegfried, DDR und Dritte Welt…, op.cit., p. 75. 1475 Ibid. 1476 WISSA-WASSEF, Cérès, « Les relations entre l’Egypte et les deux Etats allemands… », op.cit., p. 626. 1477 MfAA, L 187, C 1354/76 : Abt. Naher u. Mittlerer Osten. Sektor Ägypten, Sudan, Libyen. Verhandlungen, Abschluß und Erfüllung von Kulturarbeitsplänen zwischen der DDR und der VAR bzw. Ägypten. 1967-1969, 1971, 1973. Arbeitsplan. 1478 MfAA, L 187, C 928/77, op.cit., Überblick über die Entwicklung der Beziehungen zwischen der DDR und der VAR, p. 21-22. 1479 WISSA-WASSEF, Cérès, « Les relations entre l’Egypte et les deux Etats allemands… », op.cit., p. 627. 1480 WENTKER, Hermann, « Entre concurrence, cohabitation et coopération… », op.cit., p. 34.

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conférence de Tachkent en 19581481, Berlin-Est entend faire de l’éducation et de la formation populaire le champ d’exercice privilégié de la solidarité anti-impérialiste. En octobre 1958, à l’occasion de la première Conférence des écrivains des pays d’Asie et d’Afrique, organisée par l’Union des écrivains soviétiques, sous l’égide du PCUS, Nikita Khrouchtchev avait en effet exprimé sans ambages la vocation politique d’un tel rassemblement, insistant sur « le rôle actif des écrivains d’Asie et d’Afrique pour le développement de la conscience nationale des peuples qui luttent pour se libérer du joug des colonisateurs impérialistes »1482. Tribune internationale pour des artistes asiatiques et africains d’obédiences idéologiques variées, souvent anticommunistes mais tous unis dans une même condamnation de l’impérialisme colonial, Tachkent manifeste la volonté soviétique de conquérir « les cœurs et les esprits »1483. En promouvant un sentiment de familiarité culturelle entre les peuples socialistes et ceux du Tiers-monde, la rencontre pose les jalons d’un rapprochement politique possible. En effet, « c’est là qu’[est] initié l’effort soviétique pour coordonner l’action des intellectuels des pays postcoloniaux ou en voie de décolonisation contre l’ennemi commun : l’impérialisme »1484.

L’action culturelle de la RDA en Egypte revêt le même caractère politique, puisqu’elle s’apparente explicitement, du point de vue des acteurs est-allemands, à un « travail d’information » auprès des « cercles de l’intelligentsia », des « créateurs » et des « artistes influents »1485. Pour autant, les préoccupations culturelles et politiques des Egyptiens ne coïncident pas forcément avec celles de Berlin-Est : la coopération technico-scientifique et la collaboration dans le domaine de la formation populaire répondent à des besoins spécifiques et à des objectifs différents.

Si les sources permettent de reconstituer à peu près clairement le fonctionnement de l’activité culturelle et technico-scientifique est-allemande en Egypte, elles restent, en raison de leur nature, plus lacunaires en ce qui concerne l’impact réel de cette coopération et ses effets en termes de pénétration idéologique. Les plans de travail culturel (Kulturarbeitsplan)

1481 Voir à ce sujet : KATSAKIORIS, Constantin, « L’Union soviétique et les intellectuels africains. Internationalisme, panafricanisme et négritude pendant les années de la décolonisation, 1954-1964 », in : Cahiers du monde russe, 2006/1, vol. 47, p. 15-32. 1482 Référence citée par : KATSAKIORIS, Constantin, « L’Union soviétique et les intellectuels africains… », op.cit., p. 19. 1483 Ibid., p. 21. 1484 Ibid. 1485 MfAA, L 187, C 6499 : Abt. Naher u. Mittlerer Osten. Außenkulturbezeichnungen zwischen der DDR u. Ägypten. Enthält u. a.: Vorbereitung des Kulturarbeitsplanes 1979/80. Enthält auch: Kulturpolitische Entwicklung Ägyptens 1978/79. – BRD-Aktivitäten im Kulturbereich Ägyptens 1979. Analyse der kulturpolitischen Entwicklung in der AR-Ägypten 1978/79, Kulturattaché, Kairo, den 31.10.79.

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élaborés annuellement par le MfAA1486 apportent des informations précieuses quant aux domaines privilégiés par la coopération bilatérale. Ils permettent de quantifier un tant soit peu les échanges, sans qu’il ne soit néanmoins possible de dresser des statistiques précises, d’autant que ces plans de travail culturel ne sont pas accessibles pour les années 1980, à cause du délai de 30 ans qui régit la consultation des archives du MfAA. Le croisement d’un certain nombre de documents permet cependant de collecter des informations sur les effets de la migration en Egypte ou en RDA, ainsi que sur les conséquences de la mise en relation des populations. Les archives du syndicat unique est-allemand (FDGB), qui organise les transferts de travailleurs, les rapports des informateurs de la Stasi, qui espionnent les stagiaires égyptiens présents en RDA aussi bien que les experts est-allemands en Egypte et enfin les analyses ponctuelles de la presse, mettent en lumière certains effets très concrets de la coopération culturelle. Pour autant, en raison du caractère extrêmement dispersé et irrégulier des informations glanées dans les archives, et en l’absence de sources émanant directement des acteurs, il faut préciser d’emblée que notre étude ne prétend pas remplacer l’apport d’un travail anthropologique reposant sur l’observation « par le bas ». Il s’agit plutôt ici, en étudiant les ressorts de la coopération culturelle et technico-scientifique, de tenter de voir dans quelle mesure cette dernière a pu jouer le rôle, pour Berlin-Est, d’outil de la politique étrangère, en tant que vecteur de pénétration idéologique et substitut indirect des relations politiques bilatérales. Face aux contraintes spécifiques du terrain égyptien, il s’agit de mettre en lumière les mécanismes d’adaptation, voire de concessions, qui ont été adoptés par les acteurs est-allemands pour mener à bien leurs projets culturels, ainsi que la façon dont leurs homologues égyptiens ont pu s’approprier, instrumentaliser ou remettre en cause certaines des pratiques socio-culturelles est-allemandes.

1486 Ministerium für auswärtige Angelegengeiten der DDR ou ministère des Affaires étrangères de RDA.

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A. Le fonctionnement du « travail culturel » bilatéral : des relations asymétriques

1. Coopération culturelle et technico-scientifique : la mise en œuvre de la « formation populaire »1487 a) Une « crise de la culture »1488 en Egypte ?

La coopération technico-scientifique et culturelle bilatérale est tout particulièrement encouragée par les partenaires égyptiens pour deux raisons. La première, qui contredit d’emblée les ambitions est-allemandes, est qu’elle peut s’organiser indépendamment des relations politiques, puisque « les conversations sur la politique ne sont pas nécessaires » aux yeux des représentants culturels1489. La seconde est qu’elle répond à un besoin réel de formation en Egypte et à un véritable manque de moyens pour la mettre en œuvre. Les gouvernants égyptiens reconnaissent que l’aide et l’expérience est-allemande sont extrêmement utiles à l’Egypte, aussi bien en matière de préparation des enseignants que de mise à disposition de moyens matériels et financiers1490. La coopération bilatérale est orientée avant tout de façon à encourager les transferts de technologie, le processus d’industrialisation et la mise en valeur des ressources naturelles de l’Egypte. Elle se spécialise notamment dans l’industrie lourde et l’hydro-électricité, comme le veut la « logique industrielle du socialisme soviétique »1491. Dans le domaine agricole, la recherche fondamentale privilégie avant tout des programmes visant à « réso[udre] les problèmes de ravitaillement », à « accro[ître] la production agricole » et à garantir l’approvisionnement en énergie1492. Dans le domaine industriel, l’Egypte admet « l’importance de la coopération pour la modernisation de

1487 D’après le terme allemand Volksbildung. 1488 « Kulturkrise ». MfAA, L 187, C 6499, op.cit., Information über ein Symposium über die « Kulturkrise » in der arabischen Welt, Kulturattaché, Kairo, den 8.12.79. 1489 Pour reprendre les termes du directeur du musée des Beaux-Arts d’Alexandrie : « Er äußerte u.a. die Auffassung, daß unter Vertretern der Kultur, Gespräche über Politik nicht nötig seien –die Kultur sei das Mittel, das die Völker verbindet- ». Voir : MfAA, L 187, C 1346/76 : Abt. Naher u. Mittlerer Osten. Sektor Ägypten, Sudan, Libyen. Antrittsbesuche von Konsuln der DDR in der VAR/ Alexandria. Stellung des Konsuls der DDR in Konsularkorpe in Ägypten. 1971-1973. Kurze Einschätzung der Antrittsbesuche, Konsulat Alexandria, Alexandria, den 23.11.1971, p. 10. 1490 « Hier seien gerade die Erfahrungen der DDR äußerst nützlich für sein Land ». MfAA, L 187, C 6500 : Abt. Naher u. Mittlerer Osten. Beziehungen zwischen der DDR und Ägypten auf dem Gebiet des Hochschulwesens. 1978-1979. Vermerk über das Gespräch mit dem Minister für Erziehung der ARÄ, Dr. Mustafa Kamal Helmi, am 17.9.1979, Botschaft der DDR in der AR Ägypten, Kairo, den 19.9.1979, p. 16. 1491 LAURENS, Henry, « L’URSS et l’Egypte de Nasser à Sadate », op.cit., p. 55. 1492 SAPMO-BArch, DY 30/ 8259 : Abteilung Wissenschaften. Internationale wissenschaftlich-technische Zusammenarbeit (Ägypten), 1981-85, Rapport sur les résultats du séjour d’une délégation de l’Académie des sciences de RDA au Caire, RAE, Académie des Sciences de RDA, Berlin, 26.1.1981.

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l’industrie [nationale] » et pour « la formation de cadres dirigeants dans le secteur industriel étatique »1493. Le savoir-faire technico-scientifique est-allemand est d’autant plus valorisé qu’il symbolise le succès d’une politique volontariste initiée par un pouvoir étatique fort. Comme le rappelle Zaki Laïdi,

« Le modèle soviétique de développement à marche forcée, fondé sur la centralisation, la planification et l’entraînement du secteur traditionnel (l’agriculture) par le secteur moderne (l’industrie), a largement imprégné l’idéologie développementaliste des élites du Tiers monde, hantées par l’idée de l’accumulation et du rattrapage historique »1494.

Les observateurs est-allemands décrivent de leur côté la « profonde crise »1495 dans laquelle se trouvent la science, l’art et la culture en Egypte. En 1988, le Ministère est-allemand de la Formation populaire dresse le bilan d’une décennie de lutte contre l’analphabétisme menée par le président Hosni Moubarak1496 : bien que depuis 1952, l’école soit gratuite et obligatoire pour les enfants de six à quinze ans, 50% de la population âgée de plus de dix ans ne sait ni lire ni écrire, soit 17,16 millions de personnes. 60% des femmes sont analphabètes, les écoles manquent de personnel qualifié et les classes accueillent souvent plus de 70 élèves. Le ministère est-allemand déplore le nombre trop faible d’écoles techniques, ainsi que la désertion des universités par les professeurs et les scientifiques. Ces derniers émigrent vers les pays arabes voisins pour des raisons économiques ; ils cumulent parfois les fonctions en se consacrant à des activités de conseil ou en travaillant au sein d’entreprises privées. Le constat est tout aussi sévère dans le domaine culturel : « il n’y a pas d’argent »1497 pour les artistes égyptiens, qui sont contraints de « partir à l’étranger »1498. En 1979, l’attaché culturel de l’ambassade de la RDA au Caire, Rudolf Kaliess, dressait déjà un tableau peu complaisant de la situation :

« Il n’y a que peu de théâtres, de salles de concerts et de lieux d’expositions [en Egypte]. La technique cinématographique est dépassée dans une grande mesure. Les artistes formés se

1493 SAPMO-BArch, », DY 30/ 2418, op.cit., Conceptions communes sur le développement des relations bilatérales entre la RDA et la RAE à l’occasion de la visite officielle du représentant du Premier ministre et ministre des Affaires étrangères de RAE, le Dr. Ahmed Esmat Abdel Meguid, en RDA, en juin 1986. 1494 LAÏDI, Zaki, « A quoi sert l’Union soviétique ? », op.cit., p. 34. 1495 MfAA, L 187, C 6499, op.cit., Analyse der kulturpolitischen Entwicklung in der AR-Ägypten 1978/79, Kulturattaché, Kairo, den 31.10.79. 1496 SAPMO-BArch, DR 2/ 13 989 : Ministerium für Volksbildung. Sekretariat. Informationen zum Bildungswesen in Ägypten. 1982-1988. 1497 MfAA, L 187, C 1902 : Abt. Kulturelle Auslandsbeziehungen. Vorbereitung und Abschluss des Kulturarbeitsplanes für 1979/80 zwischen der DDR und Ägypten. 1978-1979, Lettre adressée par Rudolf Kaliess, attaché culturel à l’ambassade de la RDA au Caire, à Kurt Merkel, directeur du Département des relations culturelles à l’étranger au Ministère des Affaires étrangères, 8.10.1978. 1498 MfAA, L 187, C 6499, op.cit., Analyse der kulturpolitischen Entwicklung in der AR-Ägypten 1978/79, Kulturattaché, Kairo, den 31.10.79, p. 27.

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plaignent du manque de matériel, d’ateliers et de possibilités d’exposition. Les écrivains déplorent le manque de papier et les difficultés de publication. Depuis deux ans, il n’y a eu aucune création de pièce de théâtre ou de ballet. Les compositeurs ne peuvent pas monter de grande œuvre car il n’existe pas d’orchestre symphonique. Les conditions matérielles désastreuses dans le domaine de la culture contraignent la masse des artistes à avoir une autre activité afin d’assurer leurs conditions d’existence. Très peu d’artistes égyptiens peuvent vivre de leur art »1499.

Face à de telles difficultés, les « organisations d’artistes en RAE ne sont [pourtant] pas très organisées » et sont minées par une « corruption largement généralisée »1500. « Beaucoup de membres dirigeants des associations d’artistes utilisent leur statut pour obtenir des avantages matériels personnels » : en effet, « il est connu dans les cercles d’artistes que ces derniers doivent donner de grosses sommes d’argent ou des œuvres d’art en guise de "cadeaux" à certains représentants des autorités égyptiennes, afin de pouvoir exposer en Egypte ou à l’étranger ». D’après les analyses de Rudolf Kaliess, de tels problèmes sont structurels et renvoient plus globalement à la place dévolue à la culture en Egypte : « depuis plusieurs années, l’importance de la culture pour le développement social du pays est sous-estimée et négligée par ses élites dirigeantes […] »1501. L’attaché culturel pointe notamment la transformation en 1976 du ministère de la Culture en un « ministère de la Culture et de l’Information », ce qui a eu pour conséquence « une surévaluation de l’information et l’abandon du domaine culturel ». En effet, près de « 90% des moyens de financement du ministère [ont été] employés pour l’information », au détriment de l’art et de la culture1502. Face au mécontentement des milieux culturels, le président Sadate a certes ordonné le remaniement du ministère en 1978, qui est devenu le « ministère de la Formation, de la Recherche scientifique et de la Culture »1503. Mais l’essentiel du budget du nouveau ministère est cependant resté alloué à la formation et à la recherche, délaissant les projets culturels.

1499 « Es gibt nur wenige Theater, Konzertsäle und Ausstellungeräume. Die Film- und Kinotechnik überaltert in zunehmenden Maße. Die bildenden Künstler klagen über Materialmangel, Ateliers und Ausstellungsmöglichkeiten. Die Schrifsteller klagen über Papiermangel und fehlende Möglichkeiten der Veröffentlichung. Seit zwei Jahren gab es keine Uraufführung eines Theaterstückes oder Balletts. Komponisten können keine größeren Werke aufführen, weil es keine Sinfonieorchester gibt. Die mangelnden materiellen Voraussetzungen im Kulturbereich wang die überwiegende Masse der Künstler, eine Tätigkeit in einem artfremden Beruf aufzunehmen, um sich das Existenzminimum zu sichern ». Ibid., p. 26. 1500 « Korruption und Bestechung sind weit verbreitet ». Ibid., p. 26. 1501 « Der Kulturbereich wurde von der Führungsspitze um Präsident Sadat bereits seit mehreren Jahren in seiner Bedeutung für die gesamtgesellschaftliche Entwicklung des Landes unterschätzt und vernachlässigt ». Ibid., p. 24. 1502 « Über 90% der Finanzmittel des Ministeriums wurden für das Informationswesen verwendet ». Ibid., p. 24. 1503 En novembre 1979, un ministère de la Culture « indépendant » existe à nouveau. Voir : MfAA, L 187, C 6499, op.cit., Lettre de l’attaché culturel de l’ambassade de la RDA en RAE, Rudolf Kaliess, au Département du Proche- et du Moyen-Orient du Ministère des Affaires étrangères, 28.11.1979.

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En outre, plusieurs facteurs contribuent, selon Rudolf Kaliess, à accentuer le « caractère de classe » des établissements d’enseignement supérieur1504 : la volonté de favoriser l’autonomie des universités en retirant dès 1979 l’enseignement supérieur du champ de compétence du ministère de la Formation, de la Recherche scientifique et de la Culture, ou encore le développement de l’université privée. Le soutien au modèle privé est justifié du côté égyptien par le souhait de retenir en Egypte « les meilleurs scientifiques et professeurs » qui partent à l’étranger1505, en leur offrant une rémunération plus élevée que dans les établissements publics. Il répond aussi à la volonté d’offrir aux « riches Egyptiens » la possibilité de « donner à leurs enfants une formation universitaire du plus haut niveau », en Egypte1506. Face à l’afflux d’étudiants qui a résulté de l’ouverture de l’université à tous les diplômés de l’enseignement secondaire, les partisans de l’enseignement privé estiment que le niveau de la formation universitaire « recule d’année en année » : ils soutiennent donc la création d’établissements plus élitistes. Si certains professeurs voient dans cette initiative l’occasion d’être mieux payés, « la majorité » d’entre eux refuse une telle inégalité de rémunération et dénonce une opération qui risque d’accroître les différences de niveau entre les universités. Quelques-uns y voient une entreprise de formation de la future « élite » égyptienne « parmi les cercles de "riches" », les diplômés de l’université privée étant destinés à confisquer les places dirigeantes au sein de l’Etat.

Cet ensemble de facteurs contribue à alimenter le bilan souvent accablant dressé par les acteurs est-allemands lorsqu’ils analysent la place de la culture en Egypte. En même temps, les besoins égyptiens légitiment le développement de la coopération technico-scientifique et culturelle bilatérale. Les Etats socialistes et la RDA ont tout à gagner à s’attirer la gratitude des Egyptiens, puisque de leur point de vue, l’objectif premier de la coopération est d’ « établir un modèle soviétique de développement du Tiers-monde et [de] favoriser la croissance du secteur étatique et du prolétariat industriel, facteurs de renforcement du

1504 « Klassencharakter ». MfAA, L 187, C 6500, op.cit., Information über Veränderungen der Leitungsstruktur im Hochschulwesen der ARÄ, Kulturattaché, Kairo, den 25.02.79, p. 5. 1505 Selon les diplomates est-allemands présents en Egypte, les scientifiques égyptiens qui travaillent en Arabie Saoudite reçoivent un salaire mensuel moyen de 6000 dollars, c’est-à-dire 30 fois plus élevé qu’en Egypte. De telles différences de traitement expliquent que, 25% des 22 000 scientifiques égyptiens ayant un doctorat exercent dans un pays étranger. Voir : SAPMO-BArch, DY 30/ 8259, op.cit., Rapport sur les résultats du séjour d’une délégation de l’Académie des sciences de RDA au Caire, RAE, Académie des Sciences de RDA, Berlin, 26.1.1981. 1506 « Ihre Kindern, eine auf hohem Niveau stehende Universitätsausbildung in der ARÄ zu ermöglichen ». MfAA, L 187, C 6500, op.cit., Information über Veränderungen der Leitungsstruktur im Hochschulwesen der ARÄ, Kulturattaché, Kairo, den 25.02.79, p. 5.

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socialisme sur le plan local »1507. Dès 1970, l’accélération des échanges de délégations politiques donne une base institutionnelle aux projets culturels communs. Encouragés par l’Egypte, ces derniers servent le renforcement de la visibilité internationale de l’Allemagne de l’Est. En janvier 1970, le ministre est-allemand de la Science et de la Technique, M. Prey, et l’adjoint du ministre de l’Enseignement supérieur de RDA, le Dr. Oeser, se rendent au Caire. A l’occasion de ce séjour, ils concluent avec le ministre égyptien de la Recherche scientifique un protocole commun sur la coopération technique et scientifique, afin de renouveler l’accord culturel de 1965 qui vient d’arriver à expiration1508. Le premier volet de ce plan de travail culturel concerne la signature d’une série de mesures destinées à organiser l’échange d’experts et de scientifiques entre les principaux établissements d’enseignement supérieur de RDA et d’Egypte. Ces accords sont renégociés et complétés chaque année par les ministères des Affaires étrangères des deux pays, dans le cadre du renouvellement des plans de travail culturel1509. b) L’institutionnalisation des relations universitaires

Ce sont les grandes universités est-allemandes et égyptiennes qui inaugurent la coopération bilatérale en matière de recherche scientifique. Le prestige dont elles jouissent, et que leur confère pour certaines leur statut historique, est à la fois un facteur de publicité de l’institutionnalisation des relations scientifiques et un gage d’expérience en matière d’organisation des relations contractuelles avec des établissements tiers. Les grands centres universitaires des deux pays, Berlin, Halle, Leipzig et Rostock en RDA, Alexandrie et le Caire en Egypte, sont tous concernés par la signature de traités d’amitié bilatéraux. Le tableau qui suit dresse la liste des principales universités des deux pays, engagées dans la coopération bilatérale.

1507 LAURENS, Henry, « L’URSS et l’Egypte de Nasser à Sadate », op.cit., p. 55. 1508 MfAA, L 187, C 1641/76, op.cit., I.Quartal 1970. Beziehungensbericht VAR-DDR, Zum Stand der Beziehungen DDR-Vereinigte Arabische Republik, 9.7.1970. 1509 Chaque année, les plans de travail culturel sont signés par les représentants des Ministères des Affaires étrangères de RDA et d’Egypte.

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Tableau 10 : Conventions bilatérales entre les grands établissements d’enseignement supérieur est-allemands et égyptiens1510

Date de la signature de l’accord Etablissements d’enseignement de coopération bilatérale supérieur concernés

Université Humboldt de Berlin – Janvier 1970 Université du Caire

Université Karl Marx de Leipzig – Janvier 1970 Université Aïn Shams du Caire

Institut d’interprètes de l’Université Janvier 1970 Karl Marx de Leipzig – Ecole supérieure des langues de Zeïtoun

Université Wilhelm Pieck de Rostock - 1973 Université d’Alexandrie

Université Martin Luther de Halle – 1973 Université el-Azhar

L’Université Humboldt de Berlin est la plus grande université de RDA : à la fin des années 1980, elle accueille près de 20 000 étudiants1511, dont près de 650 étudiants étrangers1512. Il n’est donc pas étonnant qu’elle noue des liens dès janvier 1970 avec l’Université du Caire1513, l’université d’Etat la plus importante d’Egypte et qui fait figure de modèle pour l’enseignement moderne et sécularisé dans le pays1514. La convention de 19731515

1510 Les données sont issues des plans de travail culturels du MfAA pour les années correspondantes. 1511 A titre d’indication, en 1960, les 44 universités et établissements d’enseignement supérieur de RDA accueillent un total de 70 000 étudiants. Voir : JESSEN, Ralph, KALINOWSKI, Isabelle, « Dictature communiste et milieu universitaire. Etude d’histoire sociale des professeurs d’université de la RDA, 1945- 1961 », in : Annales, Histoire, Sciences Sociales, 1998, n° 1, p. 95. A la fin des années 1980, la population totale de RDA est estimée à environ 16,5 millions d’habitants. 1512 HERBST, Andreas, RANKE, Winfried, WINKLER, Jürgen, So funktionierte die DDR…, op.cit., p. 1055. 1513 MfAA, L 187, C 1641/76, op.cit., I.Quartal 1970. Beziehungensbericht VAR-DDR, Zum Stand der Beziehungen DDR-Vereinigte Arabische Republik, 9.7.1970. 1514 L’Université du Caire est créée en 1908: d’abord université privée, elle devient université d’Etat en 1925 sous l’impulsion du roi Fouad. Voir : REID, Donald Malcolm, and the Making of Modern Egypt, Cambridge, Cambridge University Press, 1990, p. 1-4. 1515 MfAA, L 187, C 1641/76, op.cit., Stand der Beziehungen zwischen der DDR und der ARÄ, Abt. Naher und Mittlerer Osten, Berlin, den 15.1.1974.

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entre l’Université Martin Luther de Halle1516 et l’Université islamique d’el-Azhar1517 apparaît en quelque sorte comme le pendant de la coopération entre l’Université Humboldt et l’Université du Caire. En Egypte, el-Azhar est en effet le « grand rival »1518 de l’Université du Caire. Chaque établissement se définit partiellement en opposition à son adversaire : l’Université du Caire entretient son image d’institution moderne et ouverte à l’Occident, tandis qu’el-Azhar revendique son égyptianité, qui passe selon elle par le respect de la tradition et de l’islam. Depuis les années 1930, les deux universités s’affrontent sur des questions aussi variées que l’attribution des ressources financières étatiques1519, le monopole de l’enseignement de l’arabe1520 ou encore le prestige dont elles bénéficient auprès des étudiants. La signature d’une convention entre l’Université Martin Luther de Halle et el-Azhar traduit la volonté de Berlin-Est de diversifier les vecteurs de la coopération scientifique et de ne pas négliger les liens avec une institution emblématique du rayonnement culturel et religieux égyptien. Le choix de l’Université Martin Luther pour initier le rapprochement avec la prestigieuse institution islamique n’est sans doute pas anodin, le nom du grand artisan de la Réforme protestante faisant figure de garde-fou symbolique face à l’accusation d’athéisme, éculée mais toujours vivace, dont la RDA fait régulièrement l’objet en Egypte.

Cette collaboration est malgré tout interrompue en 1977, puisqu’« en raison de la position extrêmement anti-communiste de la direction d’el-Azhar, il [n’est] plus possible de réaliser les intérêts de la RDA »1521. Face à un tel revers, la diplomatie active engagée par Berlin-Est afin de restaurer la coopération bilatérale témoigne de l’intérêt stratégique que revêt pour le régime est-allemand une institution comme el-Azhar. Au début des années 1980, le Secrétaire d’Etat pour les questions d’Eglise, Klaus Gysi, charge la section de théologie de l’Université Humboldt de renouer les liens bilatéraux avec l’Université el-Azhar en envoyant

1516 En 1985, l’Université Martin Luther de Halle accueille 300 étudiants étrangers sur un total d’environ 10 000 étudiants. Voir : HERBST, RANKE, WINKLER, So funktionierte die DDR…, op.cit., p. 1060. 1517 La mosquée el-Azhar est fondée en 969 par les Fatimides. En quelques années, elle devient un centre prestigieux d’enseignement des sciences islamiques. 1518 REID, Donald Malcolm, Cairo University…, op.cit., p. 139. 1519 Ibid., p. 140. 1520 Ibid., p. 144. 1521 « Die Zusammenarbeit mit der Al-Azhar-Universität wurde eingestellt, da es auf Grund der extrem antikommunistischen Haltung der Azhar-Führungskräfte nicht mehr möglich war, Interessen der DDR zu realisieren ». MfAA, L 187, C 1426/78, op.cit., Jahresbericht der Botschaft der DDR in der AR Ägypten für das Jahr 1976, Auslandsinformation und kulturell-wissenschaftliche Beziehungen, Botschaft der DDR in der AR Ägypten, Kairo, den 10.1.1977, p. 22.

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une délégation auprès de son recteur, le Cheikh Muhammad al-Saadi Ferhoud1522. En mars- avril 1984, le Professeur Bernhard, à la tête de la délégation, transmet au recteur une invitation à se rendre en Allemagne de l’Est1523. Les deux hommes abordent la question des relations entre el-Azhar et l’Université de Halle et envisagent la reprise de la coopération. Si des relations purement protocolaires se maintiennent entre les deux établissements, les sources ne font pas état, cependant, de la reprise d’échanges officiels.

Ces difficultés sont toutefois compensées par le maintien des relations avec les autres grands établissements d’enseignement supérieur d’Egypte, notamment l’Université Aïn Shams au Caire et l’Université d’Alexandrie.

L’Université Aïn Shams est liée à l’Université Karl Marx de Leipzig par un protocole de coopération signé en janvier 19701524. L’établissement est-allemand, rebaptisé ainsi en 1953 à l’occasion du 135ème anniversaire de la naissance du philosophe Karl Marx, s’est spécialisé dans la formation au journalisme et la recherche sur les pays en développement1525. Cette spécificité explique la proportion importante d’étrangers parmi ses étudiants, environ 1000 sur 15 000 dans les années 1980. Ces derniers fréquentent surtout l’Institut Herder, dont la mission est précisément de préparer à la maîtrise de l’allemand tous les étrangers qui souhaitent poursuivre des études supérieures ou une formation spécialisée en RDA. En 1971-1972, plus de 370 étrangers provenant de plus de 40 pays d’Europe, d’Asie, d’Afrique et d’Amérique Latine, étudient ainsi à l’Institut1526. En 1973, si la majorité de ces étudiants étrangers est originaire du Vietnam, les Arabes représentent le groupe le plus important parmi les étudiants issus de pays non communistes1527. Bien qu’il soit difficile de connaître la proportion exacte d’Egyptiens parmi eux, les sources du ministère des Affaires étrangères de RDA indiquent qu’une vingtaine de places est réservée chaque année à ces derniers1528. En

1522 SAPMO-BArch, DO 4/1036, op.cit., Humboldt Universität, Sektion Theologie, Bericht über eine dienstliche Auslandsreise in die ARABISCHE REPUBLIK ÄGYPTENS, 27. März - 11. April 1984. 1523 Ibid. 1524 MfAA, L 187, C 1641/76, op.cit., I.Quartal 1970. Beziehungensbericht VAR-DDR, Zum Stand der Beziehungen DDR-Vereinigte Arabische Republik, 9.7.1970. 1525 HERBST, RANKE, WINKLER, So funktionierte die DDR…, op.cit.,p. 1062. 1526 LAMM, Hans Siegfried, KUPPER, Siegfried, DDR und Dritte Welt, op.cit., p. 227. 1527 Ibid. 1528 MfAA, L 187, C 1354/76, op.cit., Arbeitsplan zwischen der Regierung der Deutschen Demokratischen Republik und der Regierung der Arabischen Republik Ägypten für kulturelle und wissenschaftliche Zusammenarbeit in den Jahren 1973 und 1974, Artikel 16, p. 27-28.

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1977, on dénombre au moins 19 étudiants égyptiens à l’Université Karl Marx de Leipzig1529, dont on peut supposer qu’ils suivent ou ont suivi en partie la formation linguistique proposée par l’Institut Herder. La coopération avec l’Université d’Aïn Shams est d’autant plus encouragée par Berlin-Est que l’établissement a été créé par Nasser afin de répondre aux exigences de l’ « idéologie développementiste » en vogue dans les années 19601530 : délivrer un enseignement technique et scientifique de masse, susceptible de former des ingénieurs, véritables « agents de l’Etat »1531 et du développement national. Dans ce contexte, l’aide de l’URSS et des Etats socialistes contribue en retour nettement à renforcer le caractère étatique de la fonction d’ingénieur en Egypte.

Enfin, après la signature d’une convention bilatérale en 1973, l’institutionnalisation de la coopération entre l’Université Wilhelm Pieck de Rostock et l’Université d’Alexandrie1532 constitue le versant culturel des liens déjà entretenus par les deux grands ports maritimes de RDA et d’Egypte. Le « partenariat urbain » qui existe entre le district de Rostock et le gouvernorat d’Alexandrie couronne en effet les relations commerciales et industrielles entre les deux ports de la Baltique et de la Méditerranée1533. Plus ancienne université du Nord de l’Europe, rebaptisée en 1976 du nom du premier chef d’Etat est-allemand, l’Université de Rostock a profité de sa localisation géographique pour se spécialiser en technique de la marine1534. En 1978, elle accueille une école d’ingénieurs en techniques de construction navale. Si l’établissement ne compte que 7000 étudiants dans les années 1980, il propose toutefois à partir de juillet 1988 une section en langues appliquées qui se décline en 17 langues, dont l’arabe.

Globalement, l’organisation de la coopération universitaire bilatérale traduit les attentes divergentes et les besoins singuliers de la RDA et de l’Egypte en matière d’enseignement supérieur. Les scientifiques est-allemands se rendent dans les établissements égyptiens afin de

1529 Ibid. 1530 EL KENZ, Ali, « Les ingénieurs et le pouvoir », in : Tiers-Monde, 1995, vol. 36, n° 143, p. 565. 1531 Ibid., p. 568. 1532 L’Université d’Alexandrie est fondée en 1938 sous le roi Farouk. D’abord constituée d’une faculté des Arts et d’une faculté de Droit, elle connaît un véritable élargissement disciplinaire au cours des années 1940. En 1952, elle prend le nom d’ « Université d’Alexandrie ». Voir le site officiel de l’Université : http://www.alexu.edu.eg/?q=node/2847 1533 « Städtepartnerschaft mit Rostock ». MfAA, L 187, C 6465, op.cit., Vorschläge zur Lösung von Fragen, die sich aus der Schließung des DDR-Konsulats Alexandria und der Kulturzentren der DDR in Kairo und Alexandria ergeben (ausgehend von den Vorschlägen der Botschaft Kairo zu den diesbezüglichen Problemen), p. 37. 1534 HERBST, RANKE, WINKLER, So funktionierte die DDR…, op.cit., p. 1065.

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transmettre un savoir-faire, de fournir une expertise ou de proposer une formation. A l’Université du Caire, à el-Azhar ou à l’Institut des langues de Zeïtoun, ils dispensent des cours d’allemand et de philologie allemande1535. Dans les écoles techniques d’Egypte, ils proposent un enseignement en mathématiques, physique, chimie, biologie et dans tous les domaines de la « formation professionnelle technique »1536. Les Egyptiens présents dans les universités est-allemandes sont quant à eux des étudiants désireux d’acquérir un diplôme ou des professionnels souhaitant compléter un cursus. Cette loi de « l’offre et de la demande » se manifeste plus généralement dans tous les domaines de la formation populaire. Comme les universités, les instituts spécialisés, les écoles techniques et les entreprises des deux pays échangent experts et conseillers, selon les règlements prévus par les plans de travail culturel annuels. c) La formation des Egyptiens en RDA : « spécialités prioritaires », conditions d’éligibilité et essai de quantification i.Des migrations encadrées Le nombre de places de formations ouvertes aux étudiants et travailleurs étrangers en RDA fait d’abord l’objet de longues négociations entre une série d’acteurs est-allemands impliqués dans la coopération bilatérale et leurs homologues dans le pays concerné. Le séjour des étrangers en RDA est en effet « très étroitement réglementé, y compris pour les ressortissants des autres pays du bloc »1537.

Les premiers décideurs sont les acteurs institutionnels et notamment les ministères impliqués dans la collaboration culturelle et scientifique : les Affaires étrangères, la Formation populaire, l’Enseignement supérieur ou la Culture, mais également les différents ministères chargés des secteurs industriels qui font l’objet d’un programme de coopération (transports, énergie, textile..). Le ministère est-allemand du Commerce extérieur prend toujours part aux négociations, car il assume la dimension financière des échanges.

Les acteurs culturels et sociaux prennent également part au processus décisionnel en matière de coopération professionnelle et organisent concrètement les relations. La Ligue

1535 MfAA, L 187, C 1354/76, op.cit., Arbeitsplan zwischen der Regierung der Deutschen Demokratischen Republik und der Regierung der Arabischen Republik Ägypten für kulturelle und wissenschaftliche Zusammenarbeit in den Jahren 1973 und 1974, Artikel 18, p. 29. 1536 « Technische Berufsausbildung ». Ibid., Artikel 5, p. 24. 1537 KOTT, Sandrine, LATTARD, Alain, VINCENT Marie-Bénédicte, Histoire de la société allemande au XXe siècle. Vol III. La RDA, 1949-1989, Paris, La Découverte », 2011, p. 87.

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pour l’amitié entre les peuples1538 coordonne par exemple le recrutement direct des étrangers désireux de venir étudier en RDA1539 : elle dispose d’un contingent total de places, qui sont ensuite réparties par pays. Elle négocie pour cela en permanence avec les autres institutions est-allemandes, ambassades, ministères, universités, organisations sociales (notamment le Comité pour les étudiants étrangers de RDA) et syndicales (la FDGB en RDA et l’EFL, l’Egyptian Federation of Labour1540 dans le cas de l’Egypte). Comme le ministère des Affaires étrangères, la Ligue est subdivisée en départements, chargés chacun des relations avec un ou plusieurs pays : cette structure permet de coordonner de façon horizontale l’action des sections des différentes institutions est-allemandes spécialisées dans la coopération avec le même Etat. Chaque pays partenaire de Berlin-Est dans le domaine de la formation populaire se voit ainsi attribuer un nombre précis de places d’études et rediscute éventuellement des modalités d’échanges au moment de la préparation annuelle des plans de travail culturel bilatéraux. Lors des négociations portant sur le plan de travail culturel pour l’année 1977-1978, l’Egypte exprime par exemple son souhait de voir Berlin-Est augmenter le nombre de places attribués à des doctorants et à des scientifiques égyptiens pour des séjours d’études et de recherches en RDA1541.

C’est seulement dans le cadre des accords interétatiques et après l’agrément des autorités compétentes en Egypte, ministères et universités, que l’ambassade est-allemande au Caire traite les dossiers d’étudiants, de scientifiques et de travailleurs égyptiens candidats à une émigration en RDA1542. Une fois tous les documents nécessaires réunis, ces derniers doivent déposer leur demande à l’ambassade de la RDA au Caire, qui, en accord avec les

1538 Fondée le 15 décembre 1961, la Ligue pour l’amitié entre les peuples est un organisme para-étatique qui joue le rôle d’outil de pénétration politique à l’étranger. Voir : JARDIN, Pierre, « Objectifs et outils de l’action culturelle à l’étranger de la République démocratique allemande (1949-1969) », op.cit., p. 31. 1539 SAPMO-BArch, DY 13/ 2349, op.cit., Décision du Secrétariat de la Ligue pour l’amitié entre les peuples de RDA sur le travail à mener avec les étudiants étrangers et les diplômés est-allemands dans les établissements scolaires de RDA, le 31.10 1975. 27.11.1975. 1540 Au début des années 1970, l’EFL est dirigé par Salah Gharib, également ministre égyptien du Travail. L’organisation regroupe l’ensemble des syndicats égyptiens et est strictement soumise au gouvernement. Tous les corps de métiers sont représentés au sein de l’EFL par l’intermédiaire des secrétaires généraux à la tête de chaque syndicat. Voir : SAPMO-BArch, DY 34/ 10 526, op.cit., Information sur une conversation avec plusieurs fonctionnaires de l’EFL, le 18.9.1974, dans les bâtiments de l’EFL au Caire, ambassade de la RDA en RAE, le Caire, 23.9.1974. 1541 « Die aufgetretenen Probleme ergaben sich aus Forderungen der ägyptischen Seite nach Erhöhung des Volumens im Bereich des Hoch- und Fachschulwesens […] ». MfAA, L 187, C 1876 : Abt. Kulturelle Auslandsbeziehungen. Kulturplanungsunterlagen zu den kulturellen Beziehungen zwischen der DDR und Ägypten. 1975-1977. Verhandlungen um Kulturarbeitsplan mit Ägypten für 1977 und 1978 (Quelle : Abteilung KAB), Berlin, 2.6.1977, p. 111. 1542 MfAA, L 187, C 6465, op.cit., Vermerk über ein Gespräch im Ministerium für Hochschulwesen am 21.12.77, Botschaft der DDR in der ARÄ, Kairo, den 28.12.77.

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institutions est-allemandes, accepte ou non de leur délivrer un visa pour l’Allemagne de l’Est. L’ambassade est-allemande déplore la « pratique égyptienne »1543 répandue chez les postulants, qui consiste à envoyer directement leurs dossiers au conseil culturel de l’ambassade égyptienne à Berlin, puis à se rendre à la représentation est-allemande au Caire en affirmant qu’ils ont bien obtenu une place d’étude en RDA et peuvent donc prétendre à l’obtention d’un visa.

Plus ponctuellement, l’envoi des travailleurs égyptiens pour une formation spécialisée dans une entreprise ou un établissement d’enseignement professionnel de RDA est strictement encadré par l’EFL, l’alliance des syndicats égyptiens. Le programme, la durée et les conditions de la formation sont définis à l’avance entre l’EFL et l’ambassade est-allemande. En 1972, Ahmed Rifai, vice-président de l’EFL1544 et président du syndicat égyptien des travailleurs agricoles1545, organise ainsi avec ses partenaires est-allemands les modalités de la formation des techniciens agricoles égyptiens en RDA pour l’année suivante. Entre février et juin 1973, ces derniers doivent d’abord suivre les cours d’allemand quotidiens dispensés par les centres de culture et d’information est-allemands au Caire ou à Alexandrie1546 avant de pouvoir se rendre en RDA pour une formation de deux ans en technique agraire. Cette dernière comprend des cours de physique et de chimie ainsi que l’apprentissage du travail des métaux et de la soudure, de la réparation et de la maintenance des machines agricoles et des tracteurs1547. ii. Les domaines de la coopération Les Egyptiens qui travaillent en RDA se répartissent entre les établissements d’enseignement supérieur, les instituts spécialisés et les entreprises est-allemandes. Ceux dont il est possible de retracer le parcours sont surtout originaires des villes de Basse-Egypte et du

1543 MfAA, L 187, C 6500, op.cit., Lettre adressée par M. Kaliess, ambassade de la RDA au Caire, à Mme Schubert, Ministère de l’Enseignement supérieur et spécialisé de RDA, Département étranger II, 15.10.1979. 1544 SAPMO-BArch, DY 34/ 10 526, op.cit., Note sur une conversation avec Abdel Rahman Darwish, adjoint du ministre de la Production, le 23 janvier, à l’occasion d’un cocktail à l’ambassade de RDA au Caire, ambassade de la RDA en RAE, le Caire, 24.1.1974. 1545 SAPMO-BArch, DY 34/ 10 526, op.cit., Lettre de Bühring, ambassade de la RDA au Caire, à Köhler, adjoint du directeur du département des relations internationales de la FDGB, le Caire, 18.10.1972. 1546 SAPMO-BArch, DY 34/ 10 526, op.cit., Lettre de Bühring, ambassade de la RDA au Caire, à Köhler, adjoint du directeur du département des relations internationales de la FDGB, le Caire, 29.11.1972. 1547 SAPMO-BArch, DY 34/ 10 526, op.cit., Lettre de M. Köhler, adjoint du directeur du département des relations internationales de la FDGB, à l’ambassade de RDA au Caire, 9.11.1972.

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Delta : le Caire, Alexandrie, mais aussi Tantah, Zagazig, Mansourah et Suez1548. Ponctuellement, il arrive néanmoins que certains d’entre eux soient issus de villes de Moyenne-Egypte, comme Assiout1549. D’après les archives, il est cependant impossible de savoir si tous ces individus sont partis des grandes villes d’Egypte parce qu’ils en étaient originaires ou parce qu’ils y avaient migré au préalable pour faire des études ou trouver un emploi. En 1978, le rapport d’une informatrice de la Stasi précise que les doctorants égyptiens de Berlin « viennent des petites villes »1550, sans davantage de précisions. Leur provenance géographique recoupe vraisemblablement la carte de l’implantation des grandes universités et des bassins d’emploi industriels et agricoles sur le territoire égyptien : le séjour d’études en RDA suppose en effet une formation ou une pratique professionnelle initiale, qui dans la plupart des cas a été effectuée dans la région de départ.

La très grande majorité des Egyptiens ayant migré en RDA suit une formation en sciences de l’ingénieur, en économie ou en technique agricole. Cette spécialisation correspond à l’essor des filières techniques dans tout le Tiers-monde, après la décolonisation : les systèmes éducatifs des jeunes Etats indépendants doivent former des ingénieurs au service du développement national. Véritables « agents techniques du progrès économique »1551, les ingénieurs, « "enfants gâtés" des nouveaux Etats »1552, sont encouragés à suivre des formations techniques et scientifiques à l’étranger.

Le 10 février 1973, les Académies des sciences1553 de RDA et d’Egypte signent une convention qui inaugure la coopération bilatérale1554. Les instituts de recherche organisent des échanges de scientifiques et mènent des projets communs, dans les domaines de la biochimie des plantes, de l’industrie textile ou de l’astrophysique. Du point de vue égyptien, la science a comme mission prioritaire de mettre en valeur les ressources nationales, afin de garantir le ravitaillement de la population et de réduire la dépendance alimentaire du pays vis-à-vis de

1548 MfAA, L 187, C 6500, op.cit., Lettre adressée par M. Kaliess, ambassade de la RDA au Caire, à Mme Schubert, Ministère de l’Enseignement supérieur et spécialisé de RDA, Département étranger II, 15.10.1979. 1549 Ibid . 1550 BStU, MfS, HA II, Nr. 28103, 14.11.1978. 1551 EL KENZ, Ali, « Les ingénieurs et le pouvoir…», op.cit., p. 569. 1552 Ibid., p. 568. 1553 Sur la concurrence accrue entre les instituts de recherche de l’Académie des sciences et les universités en RDA, voir : JESSEN, Ralph, KALINOWSKI, Isabelle, « Dictature communiste… », op.cit., p. 98. 1554 SAPMO-BArch, DY 30/ 8259, op.cit., Rapport sur la négociation du plan de travail pour la coopération scientifique entre l’Académie des sciences de RDA et l’Académie des sciences et de la recherche technique de RAE, pour l’année 1984 -1985.

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l’étranger1555. Les projets majeurs sont consacrés à l’agriculture, l’un des objectifs de l’Egypte étant d’accroître les rendements à l’hectare de la production céréalière (blé, mil et maïs)1556.

Entre 1965 et 1977, 1194 stagiaires égyptiens ont ainsi suivi une formation en RDA, allant de quelques semaines à plusieurs années, dans l’électronique, l’agriculture, la construction de machines ou encore l’industrie textile1557. Le plus souvent, cette formation a lieu au sein des universités ou des établissements spécialisés. A la fin de l’année 1977 par exemple, la Stasi recense 72 Egyptiens en formation en RDA1558 : parmi eux, 60 sont inscrits dans les différents instituts de recherche de l’Académie des Sciences1559, les universités de Halle, Berlin ou Leipzig, les universités techniques de Merseburg et Erfurt, l’école d’ingénieurs Breitenbrunn de Karl-Marx Stadt ou l’Ecole supérieure d’Economie de Berlin-Karlshorst. Les 12 individus restants travaillent quant à eux dans des entreprises propriétés du peuple (Volkseigene Betriebe) dispersées dans le pays, à Dresde, Gera ou Berlin. Ces entreprises accueillent des stagiaires pour des formations de plusieurs mois, après une mise à niveau obligatoire en allemand. Leur apprentissage se fait en réalité souvent selon un système dual : la moitié du temps en entreprise, l’autre moitié en salle de classe1560. En mai 1975 par exemple, la compagnie maritime est-allemande VEB Deutsche Binnenreederei de Berlin forme trois Egyptiens, âgés de 29 à 37 ans1561. Durant quatre mois, ces derniers suivent un programme spécialisé dans les domaines suivants : affrètement, direction de production,

1555 Ibid. 1556 En décembre 1983, l’Egypte produit 4,5 tonnes de céréales par hectare, selon les professeurs Abou E. Abdel Latif Mahmoud, vice-président de l’Académie des sciences et de la recherche technique d’Egypte et Moustafa al-Gabali, président du Conseil pour l’agriculture et le ravitaillement de l’Académie des sciences et ancien ministre de l’agriculture. Voir : SAPMO-BArch, DY 30/ 8259, op.cit., Rapport sur la négociation du plan de travail pour la coopération scientifique entre l’Académie des sciences de RDA et l’Académie des sciences et de la recherche technique de RAE, pour l’année 1984 -1985. 1557 BStU, MfS, SdM, Nr. 2495, Rapport sur l’état des relations économiques, culturelles et scientifiques entre la RDA et la RAE, 1978. 1558 BStU, MfS, HA XVIII, Nr.6855, Situation des citoyens de RAE qui se trouvent en RDA à long terme, dans le cadre de conventions étatiques, Berlin, 8.12.1977. 1559 L’Académie des Sciences regroupe plusieurs instituts de recherches disséminés dans le pays : l’Institut pour la biochimie des plantes de Halle, l’Institut pour la chimie de Teltow, le Centre de recherches de Rossendorf, l’Institut central pour la physique de la terre de Potsdam, l’Institut central pour la physique des matériaux et les matières premières de Dresde et l’Institut central d’histoire. Voir : BStU, MfS, HA XVIII, Nr.6855, op.cit., Situation des citoyens de RAE qui se trouvent en RDA à long terme, dans le cadre de conventions étatiques, Berlin, 8.12.1977. 1560 N’GUESSAN, Béchié Paul, NIEFIND, Petra, Le dialogue culturel entre Afrique subsaharienne et Allemagne. Hommage au Professeur Michel Kokora Gnéba, L’Harmattan-Côte d’Ivoire, 2012, p. 140. 1561 BStU, MfS, HA XIX, Nr. 4639, Stagiaires de RAE. Renvoi de documents concernant d’anciens stagiaires de RAE, mai 1984.

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statistiques, économie et sécurité. Entre janvier et mai 1976, un autre stagiaire égyptien, Ahmed Maher Mohamed, suit le même type de formation au sein de la compagnie du port fluvial de Magdebourg, la VEB Binnenhäfen1562. Il conçoit son séjour comme une occasion d’acquérir les compétences nécessaires à l’emploi qu’il convoite au Caire, un poste de professeur dans un institut spécialisé en technique d’extraction et en manutention pour le secteur portuaire. Plus ponctuellement, des entreprises d’Etat est-allemandes accueillent des stagiaires égyptiens pour des formations très spécifiques : en 1977 par exemple, un Egyptien travaille au sein de l’entreprise de fabrication d’appareils photographiques de Dresde, la VEB Pentacon1563.

Globalement, la coopération bilatérale dans le domaine de la formation populaire se poursuit sans heurts de 1969 à 1989. Au début des années 1980 toutefois, la dégradation des relations politiques entre l’Egypte de Sadate et les Etats socialistes contribue à ralentir, voire à interrompre, certains pans de la coopération. Au début de l’année 1979, les négociations des plans de travail culturel pour l’année 1979-1980 entre l’Egypte et les pays du bloc de l’Est sont particulièrement difficiles. Tandis que le projet de plan est achevé dès le mois de février du côté est-allemand1564, la partie égyptienne ne transmet ses propositions qu’au mois de mai1565. Les discussions bilatérales commencent seulement, quant à elles, au début du mois de juin1566. Le déroulement des négociations est tout aussi lent avec l’URSS, la Tchécoslovaquie ou la Hongrie, tandis que la Bulgarie déplore l’absence totale d’échanges1567. Les Etats socialistes ont pourtant eux-mêmes déjà procédé, de leur côté, au redéploiement de leurs priorités en matière de politique étrangère. Au début des années 1980, la RDA estime ainsi que si l’Egypte fait partie des Etats « avec lesquels il existe traditionnellement une bonne coopération dans le domaine de la formation populaire », au même titre que la Guinée, le Mali ou la Tanzanie, le pays n’appartient qu’au quatrième et dernier groupe de partenaires prioritaires1568. En octobre 1981, l’assassinat de Sadate complique encore l’exécution d’un

1562 Ibid. 1563 BStU, MfS, HA XVIII, Nr.6855, op.cit., Situation des citoyens de RAE qui se trouvent en RDA à long terme, dans le cadre de conventions étatiques, Berlin, 8.12.1977. 1564 MfAA, L 187, C 1902, op.cit., Vermerk über die Übergabe des DDR-Entwurfs des KAP zwischen der DDR und der ARÄ für die Jahre 1979/80, am 8. Februar 1979, Abt. Kulturelle Auslandsbeziehungen, 19.2.1979. 1565 MfAA, L 187, C 1902, op.cit., Lettre du Dr. Merkel, Abt. KAB (kulturelle Auslandsbeziehungen), 9.5.1979. 1566 Ibid. 1567 MfAA, L 187, C 6499, op.cit., Information über eine Beratung der Kulturattachés sozialistischer Länder in der ARÄ, Kulturattaché, Kairo, den 13.5.79. 1568 Le premier groupe est constitué des pays qui « construisent le socialisme » et bénéficient donc d’un « soutien inconditionnel » de la part de la RDA : le Mozambique, l’Ethiopie, l’Angola et le Yémen. Le second groupe est 300

certain nombre de projets communs. Le plan de travail bilatéral de 1981-1982 entre les Académies des sciences de RDA et d’Egypte n’est « pas complètement réalisé en raison des évènements [qui se sont produits] en Egypte en 1981 »1569. De même, dans le domaine de la coopération sportive, les relations sont provisoirement suspendues : à partir de 1982, le secrétariat d’Etat est-allemand pour la culture corporelle et le sport « s’efforce de réactiver les relations avec le Conseil supérieur pour la jeunesse et le sport en République arabe d’Egypte »1570. Dès 1983 toutefois, la coopération reprend normalement. En mars 1983, le plan de travail culturel pour l’année 1983-1984 est conclu sans difficultés1571. Cet accord a lieu dans le cadre plus global du rapprochement avec les Etats socialistes opéré par Hosni Moubarak : le 23 avril 1983, ce dernier met en place un programme d’échanges culturels et scientifiques avec l’URSS1572. Il demande en outre l’envoi de 66 techniciens soviétiques pour reprendre les projets de construction égypto-soviétiques qui avaient été délaissés au début des années 1980, en raison de la détérioration des relations politiques bilatérales. A la fin des années 1980, le Caire et Berlin-Est rendent hommage aux « bonnes relations » qui existent entre les universités et les écoles d’enseignement supérieur des deux pays1573 : celles-ci se maintiennent jusqu’à la disparition de la RDA, tout en restant nettement en-deçà du niveau de la coopération culturelle entre Berlin-Est et les Etats d’Afrique subsaharienne, comme l’Angola et le Mozambique1574. Du 6 au 17 mars 1989, l’Egypte envoie ainsi deux

composé des mouvements de libération nationale : le SWAPO en Namibie, l’ANC en Afrique du Sud et l’OLP en Palestine. Le troisième groupe concerne les « pays à orientation socialiste » : l’Algérie, le Congo, le Bénin, la Guinée-Bissau et le Cap-Vert. L’Egypte appartient au dernier groupe, aux côtés de la Guinée, du Mali et de la Tanzanie. Voir : SAPMO-BArch, DY 30/ IV B 2-9.05-80 : Abteilung Volksbildung des ZK der SED. Int. Zusammenarbeit. Zusammenarbeit der DDR mit Entwicklungsländern (Ägypten), 1972-75 ; 1978-80. Projet pour le développement des relations avec les jeunes Etats nationaux dans le domaine de la formation populaire, 24 octobre 1980. 1569 SAPMO-BArch, DY 30/ 8259, op.cit., Rapport sur la négociation du plan de travail pour la coopération scientifique entre l’Académie des sciences de RDA et l’Académie des sciences et de la recherche technique de RAE, pour l’année 1984 -1985. 1570 SAPMO-BArch, DY 30/ 5082 : Staatssekretariat für Körperkultur und Sport. Information über den gegenwärtigen Stand der Beziehungen DDR/ ARÄ auf dem Gebiet von Körperkultur und Sport sowie Entscheidunsvorschläge zur Reaktivierung der Beziehungen. Information sur l’état actuel des relations RDA/RAE dans le domaine de la culture corporelle et du sport, et propositions pour la réactivation des relations, sans date (le document est postérieur au mois de décembre 1985). 1571 SAPMO-BArch, DY 30/ 17 842, op.cit., Mesures pour la poursuite de la construction des relations commerciales et économique avec la RAE, 21.3.1984. 1572 KAMINSKY, Catherine, KRUK, Simon, La stratégie soviétique…, op.cit., p. 59. 1573 SAPMO-BArch, DY 30/ 2418, op.cit., Conceptions communes sur le développement des relations bilatérales entre la RDA et la RAE à l’occasion de la visite officielle du représentant du Premier ministre et ministre des Affaires étrangères de RAE, le Dr. Ahmed Esmat Abdel Meguid, en RDA, en juin 1986. 1574 En 1989, on dénombre mille ressortissants africains, en majorité issus d’Angola et du Mozambique, formés dans une centaine d’entreprises et d’établissements d’enseignement professionnels de RDA. Voir : N’GUESSAN, Béchié Paul, NIEFIND, Petra, Le dialogue culturel…, op.cit., p. 140. Les sources ne donnent pas 301

fonctionnaires employés au ministère de la Formation pour un séjour en RDA, dans le cadre du plan de travail culturel annuel1575. Le premier, Hamed Mohamed Gad, est directeur général de la formation industrielle, tandis que le second, Rushda Aziz, est directeur général de la formation agricole. L’objectif de leur voyage est d’ « apprendre à connaître les expériences de la RDA en matière de formation professionnelle, théorique et pratique », notamment dans les domaines de la production et de la transformation du plastique, du verre, de la céramique et de la porcelaine, et de l’impression offset. Accompagnés de traducteurs, les deux Egyptiens sillonnent la RDA et visitent des entreprises et des centres de formation professionnelle. Le 8 mars, ils découvrent l’imprimerie Interdruck de Leipzig, au sud du pays, le 14 mars, l’usine de transformation de plastique VEB Plastverarbeitungswerk de Schwerin Sacktannen1576, au nord de Berlin et le 16 mars, le combinat de construction Gesellschaftsbaukombinat de Francfort sur l’Oder, à l’est du Brandebourg. A Francfort sur l’Oder et Leipzig, ils visitent également les centres de formation professionnelle1577. En général, ces derniers sont en effet situés dans les entreprises elles-mêmes : conformément au fonctionnement de la formation professionnelle en RDA, l’entreprise remplit une véritable mission éducative, en tant qu’instance de socialisation et de contrôle politique1578.

Plus ponctuellement, la RDA propose aussi des bourses d’études à des médecins, sportifs et artistes égyptiens, pour des missions et des projets spécifiques.

Dans le domaine de la santé, la coopération bilatérale se développe sur la base de l’accord interministériel du 3 août 19661579 et d’un protocole commun signé au Caire le 20 septembre 19721580. Elle concerne tout particulièrement la recherche bactériologique et la

le nombre exact d’Egyptiens présents à la même époque en RDA, mais on peut supposer qu’ils ne sont pas plus de quelques centaines. 1575 SAPMO-BArch, DQ 400/ 985 : Zentralinstitut für Berufsbildung. Sekretariat des Direktors. Internationale Zusammenarbeit auf dem Gebiet der Berufsbildung, 1982-89. Bureau d’organisation du travail international pour la formation populaire, Berlin, 15.2.1989. 1576 Schwerin se situe dans l’actuelle région de Mecklembourg-Poméranie. 1577A Francfort sur l’Oder, il s’agit de la Betriebsberufschule (BBS) des VEB Wohnungs- und Gesellschaftsbaukombinat et à Leipzig, de la Betriebsschule Otto Grotewohl. 1578 KOTT, Sandrine, « Les services dans une société industrielle et socialiste : le cas de la RDA, 1949-1989 », in : Le Mouvement Social, 2005/2 n° 211, p. 88-89. 1579 MfAA, L 187, C 1354/76, op.cit., Arbeitsplan zwischen der Regierung der Deutschen Demokratischen Republik und der Regierung der Arabischen Republik Ägypten für kulturelle und wissenschaftliche Zusammenarbeit in den Jahren 1973 und 1974, Berlin, 25.5.1973. 1580 MfAA, L 187, C 1641/76, op.cit., Stand der Beziehungen zwischen der DDR und der ARÄ, Abt. Naher und Mittlerer Osten, Berlin, den 15.1.1974.

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médecine tropicale1581. En 1977, les ministères de la Santé de RDA et d’Egypte échangent chacun quelques scientifiques pour des séjours allant de six semaines à deux mois, afin de mener des recherches sur le diabète, les maladies du sang ou en endocrinologie1582. La même année, le ministère est-allemand de la Santé accueille quatre infirmières égyptiennes spécialisées dans les domaines de la dialyse et de l’anesthésie, pour une formation professionnelle de deux ans. A partir de 1978, les hôpitaux de RDA reçoivent des scientifiques égyptiens pour des séjours d’études spécialisés dans les domaines suivants : infections bactériologiques, leucémie, fabrication de vaccins, médecine tropicale ou encore pollution de l’eau par les insecticides ou le déversement des eaux industrielles1583. La RDA livre enfin à l’Egypte des équipements scientifiques et de la documentation spécialisée1584.

Outre le développement de la coopération en matière de santé, les relations sportives entre l’Egypte et la RDA « se sont continuellement développées »1585 depuis 1971. Berlin-Est salue la « circulation sportive réciproque intense » qui existe entre les deux pays. Cette dernière est d’autant plus souhaitable que, selon le secrétaire d’Etat est-allemand pour la culture corporelle et le sport, Günter Erbach, « le sport, aussi bien dans les relations bilatérales que dans les relations internationales, peut apporter une contribution importante à la lutte pour l’obtention de la paix et pour la compréhension entre les peuples »1586.

La RDA fait remonter les « fondements contractuels » de la coopération dans le domaine sportif à 19551587. En 1966, un protocole bilatéral inaugure la collaboration entre l’Ecole supérieure de culture corporelle de Leipzig (Deutsche Hochschule für Körperkultur, DHfK) et les instituts supérieurs d’éducation sportive du Caire et d’Alexandrie1588. Elle se développe notamment dans les domaines de la médecine du sport et de la formation des

1581 MfAA, L 187, C 1449/78, op.cit., Arbeitsplan zwischen der Regierung der Deutschen Demokratischen Republik und der Regierung der Arabischen Republik Ägypten über die kulturelle und wissenschaftliche Zusammenarbeit in den Jahren 1975 und 1976 – Artikel 42. 1582 MfAA, L 187, C 1876, op.cit., Verhandlungen um Kulturarbeitsplan mit Ägypten für 1977 und 1978 (Quelle : Abteilung KAB), Berlin, 2.6.1977. 1583 Ibid. 1584 Le Progrès Egyptien, 14 janvier 1970, « Les pourparlers scientifiques RAU-RDA ont commencé hier », p. 3. 1585 MfAA, L 187, C 1641/76, op.cit., Stand der Beziehungen zwischen der DDR und der ARÄ, Abt. Naher und Mittlerer Osten, Berlin, den 15.1.1974. 1586 SAPMO-BArch, DY 30/ 5082, op.cit., Rapport sur le séjour d’une délégation de la direction sportive de RAE en RDA (15-18 décembre 1987), Secrétariat d’Etat pour la culture corporelle et le sport, Berlin, 21.12.1987. 1587 SAPMO-BArch, DY 30/ 5082, op.cit., Annexe 1, statistiques sur les relations sportives avec la RAE, fondements contractuels de la coopération, 1955-1978, Secrétariat d’Etat pour la culture corporelle et le sport. 1588 Ibid.

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entraîneurs. En 1974, le Département du Proche- et du Moyen-Orient du ministère des Affaires étrangères est-allemand estime que 180 entraîneurs et doctorants, ainsi que quatre médecins du sport égyptiens, ont été formés en RDA depuis 19661589. Tous les ans, la DHfK de Leipzig propose des formations spécialisées de huit à dix mois en sports de combat, natation ou pédagogie du sport, à deux ou trois entraîneurs sportifs égyptiens1590. Ces derniers sont diplômés en RDA et obtiennent le grade académique de Bachelor of Arts1591. Comme dans les autres domaines de la coopération culturelle, les participants ont dû suivre une session intensive d’allemand avant de pouvoir débuter leur formation1592. De retour en Egypte, ils peuvent valoriser cette qualification supplémentaire : en 1969 par exemple, l’entraîneur de l’équipe nationale de football d’Egypte, Mohamed Abou Saleh, est un ancien étudiant de la DHfK de Leipzig, dont il est sorti diplômé dix ans auparavant1593. Des formations de huit mois sont également proposées en athlétisme, en football, gymnastique, volleyball, basketball, handball et haltérophilie1594. Dans le cadre de l’Aspirantur, des Egyptiens peuvent enfin préparer leur doctorat à la DHfK pendant trois ans, à l’issue duquel ils obtiennent le grade de docteur en pédagogie. Les formations en médecine du sport durent quant à elles deux à trois ans.

Entre 1966 et 1978, la RDA assure ainsi un « soutien gratuit » au développement du sport en Egypte, en investissant près de 15 millions de marks est-allemands dans ce domaine1595. La somme comprend la formation de cadres et de sportifs égyptiens à la DHfK de Leipzig, l’activité d’experts est-allemands en Egypte, les échanges d’équipes et l’aide matérielle et technique. Sur ces 15 millions, 13 millions sont alloués à la formation d’Egyptiens en RDA, 800 000 marks à l’activité de conseillers est-allemands en Egypte et 800 000 marks à l’échange d’équipes sportives. Durant la même période, 23 formateurs,

1589 MfAA, L 187, C 1641/76, op.cit., Stand der Beziehungen zwischen der DDR und der ARÄ, Abt. Naher und Mittlerer Osten, Berlin, den 15.1.1974. 1590 MfAA, L 187, C 1449/78, op.cit., Arbeitsplan zwischen der Regierung der Deutschen Demokratischen Republik und der Regierung der Arabischen Republik Ägypten über die kulturelle und wissenschaftliche Zusammenarbeit in den Jahren 1975 und 1976 – Artikel 53. 1591 MfAA, L 187, C 1876, op.cit., Angebot von Ausbildungsplätzen an der DHfK, Botschaft der DDR in der ARÄ, 1. Sekretär Gen. Winter, Kairo, 29.6.1976. 1592 Ibid. 1593 Neues Deutschland, 10 juillet 1969, « L’échange amical RDA-RAU s’est achevé 7-0 », p. 8. 1594 SAPMO-BArch, DY 30/ 5082, op.cit., Annexe 1, statistiques sur les relations sportives avec la RAE, Formation de cadres sportifs en RDA, Secrétariat d’Etat pour la culture corporelle et le sport. 1595 SAPMO­BArch, DY 30/ 5082, op.cit., Annexe 1, statistiques sur les relations sportives avec la RAE, fondements contractuels de la coopération, 1955-1978, Secrétariat d’Etat pour la culture corporelle et le sport.

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médecins du sport et entraîneurs est-allemands ont exercé des fonctions de conseil en Egypte dans le domaine du sport. Les relations sportives se maintiennent globalement jusqu’à la fin des années 1980 : le 17 décembre 1987, un protocole sur la coopération sportive pour les années 1988 et 1989 est signé au Caire entre la direction sportive de RDA et le Conseil supérieur pour la jeunesse et le sport d’Egypte1596.

Dans le domaine artistique en revanche, « les activités sont très limitées » : « la coopération […] est très sporadique […] et marche au ralenti » car, d’après les analyses est- allemandes, le gouvernement égyptien considère qu’il s’agit de projets de « moindre importance »1597. Les plans de travail culturel prévoient toutefois chaque année l’échange réciproque d’une petite dizaine d’artistes, dans des domaines aussi variés que le « théâtre d’enfants », le cirque, l’artisanat, l’écriture, l’archéologie ou le film documentaire1598. iii. Critères de sélection Les conditions requises pour suivre de telles formations sont à peu près toujours identiques : les étudiants et travailleurs égyptiens doivent séjourner en RDA sans leur famille, posséder des connaissances minimales en langue allemande et témoigner d’un cursus préalable.

La sélection des Egyptiens pour un séjour d’études en RDA leur impose d’abord de passer un « examen médical officiel »1599 certifiant qu’ils sont en bonne santé1600.

Les accords interétatiques qui encadrent les programmes de formation indiquent ensuite explicitement que les séjours ont lieu « sans les membres de la famille »1601. Si, ponctuellement, les plans de travail culturel bilatéraux prévoient la venue

1596 SAPMO-BArch, DY 30/ 5082, op.cit., Conseil des ministres de RDA, Secrétariat d’Etat pour la culture corporelle et le sport, 24.12.1987. 1597 MfAA, L 187, C 1641/76, op.cit., Stand der Beziehungen zwischen der DDR und der ARÄ, Abt. Naher und Mittlerer Osten, Berlin, den 15.1.1974. 1598 MfAA, L 187, C 1449/78, op.cit., Arbeitsplan zwischen der Regierung der Deutschen Demokratischen Republik und der Regierung der Arabischen Republik Ägypten über die kulturelle und wissenschaftliche Zusammenarbeit in den Jahren 1975 und 1976 – Artikel 25-Artikel 41. 1599 MfAA, L 187, C 1354/76, op.cit., Arbeitsplan zwischen der Regierung der Deutschen Demokratischen Republik und der Regierung der Arabischen Republik Ägypten für kulturelle und wissenschaftliche Zusammenarbeit in den Jahren 1973 und 1974, Artikel 17. 1600 Les dossiers administratifs des stagiaires égyptiens conservés par la Stasi contiennent des certificats médicaux. Voir: BStU, MfS, HA XIX, Nr. 4639, op.cit., Stagiaires de RAE. Renvoi de documents concernant d’anciens stagiaires de RAE, mai 1984. 1601 MfAA, L 187, C 1354/76, op.cit., Arbeitsplan zwischen der Regierung der Deutschen Demokratischen Republik und der Regierung der Arabischen Republik Ägypten für kulturelle und wissenschaftliche Zusammenarbeit in den Jahren 1973 und 1974, Artikel 59 c).

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d’ « infirmières »1602 ou le séjour d’une artiste en RDA au titre de la coopération culturelle1603, les documents est-allemands ne font pas état de la formation de femmes égyptiennes dans le pays. La formation populaire concerne presque exclusivement des hommes et en dehors des membres des missions diplomatiques, ces derniers ne peuvent pas venir sur place avec leur épouse. Cette clause fait l’objet de désaccords récurrents entre les autorités est-allemandes et les stagiaires égyptiens, qui renouvellent régulièrement leur souhait de faire venir leur famille auprès d’eux. En RDA, une association d’étudiants égyptiens, la Nasser Verband, relaie la demande de « nombreux doctorants » qui aimeraient que leurs épouses puissent les rejoindre en RDA le temps de leur formation1604. A l’occasion des négociations des plans de travail culturel bilatéral, les partenaires égyptiens raniment toujours le débat : en 1977, le rapport d’un fonctionnaire est-allemand indique ainsi que « comme par le passé, la partie égyptienne a essayé durant ces négociations d’obtenir des possibilités de séjour en RDA pour les membres de la famille des Egyptiens qui étudient [dans le pays] »1605. Tous les ans, la question se pose à nouveau : « dans tous les projets, le souhait suivant est exprimé : les membres des familles de doctorants et étudiants doivent venir avec eux »1606. A chaque fois pourtant, l’Egypte essuie un refus. La ligne est-allemande est très claire : le compromis est impossible et « aucune prestation supplémentaire ne doit être prise en charge en ce qui concerne les frais d’avion et les billets pour les membres des familles »1607.

Les plans de travail culturels conclus entre la RDA et l’Egypte précisent également que « la préparation linguistique pour les qualifications […] en RDA échoit aux centres culturels de RDA en RAE, [et revêt la forme de] cours particuliers, qui commencent à chaque fois un

1602 MfAA, L 187, C 1876, op.cit., Verhandlungen um Kulturarbeitsplan mit Ägypten für 1977 und 1978 (Quelle : Abteilung KAB), Berlin, 2.6.1977. 1603 En 1976 par exemple, Mme Leïla Gad participe au cours international de théâtre à l’occasion du festival de Berlin. Voir : MfAA, L 187, C 1876, op.cit., Lettre adressée par M. Winter, premier secrétaire à l’ambassade de RDA au Caire, à Mme Huber, ministère de la Culture de RDA, Haut département des relations internationales, 11.1.1977. 1604 SAPMO-BArch, DY 30/ IV B 2-20 431, op.cit., Note du comité pour les étudiants étrangers en RDA, Berlin, 16.3.1972. 1605 « Wie in der Vergangenheit versuchte die ägyptische Seite auch bei diesen Verhandlungen, Möglichkeiten für die Mitreise bzw. besuchsweise Einreise in die DDR von Familienangehörigen der in der DDR studierenden Ägypter durchzusetzen ». MfAA, L 187, C 1876, op.cit., Bericht über die Verhandlungen zum Kulturarbeitsplan mit Ägypten für die Jahre 1977 und 1978, Abt. Kulturelle Auslandsbeziehungen, Berlin, 29.6.1977, p. 117. 1606 « In allen Entwürfen wird die Forderung erhoben, die Familienangehörigen von Aspiranten, Studenten usw. mit entsenden zu dürfen ». MfAA, L 187, C 6499, op.cit., Information über eine Beratung der Kulturattachés sozialistischer Länder in der ARÄ, Kulturattaché, Kairo, den 13.5.79, p. 9. 1607 « Ebenso sollten keine zusätzlichen Leistungen übernommen werden, die die Flugkosten und Mitreise von Familienangehörigen betreffen ». MfAA, L 187, C 6499, op.cit., Lettre de Schurath, représentant du directeur de département, 16.5.1979, p. 7.

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an avant le séjour prévu en RDA »1608. Dans chaque plan de travail culturel bilatéral, la partie est-allemande prévoit donc de réserver aux futurs candidats égyptiens à une formation en RDA un quota de places pour suivre les cours d’allemand délivrés par les centres culturels du Caire et d’Alexandrie1609. De ce point de vue, la sélection des étudiants et travailleurs égyptiens est semblable à celle des autres étrangers : les Vietnamiens par exemple doivent suivre 200 heures de cours d’allemand avant de pouvoir participer à une formation spécialisée1610. Une autre façon d’acquérir les compétences linguistiques nécessaires à l’émigration en RDA est de participer aux cours d’été organisés chaque année dans les établissements est-allemands et pour lesquels un nombre de places précis est attribué à chaque nationalité par les plans de travail culturel. Le 1er août 1977, Le Progrès égyptien informe de l’inauguration annuelle de ces stages :

« Dix professeurs et étudiants égyptiens prennent part actuellement aux sessions internationales estivales de la langue et littérature allemandes, qu’organisent les Universités de l’Allemagne démocratique, sur la base du programme culturel exécutif pour les années 1977 et 1978 signé par les gouvernements de l’Egypte et de l’Allemagne démocratique. Il y a également 17 professeurs égyptiens qui participent à la neuvième session internationale estivale pour les professeurs de la langue allemande, qui est organisée à l’Institut supérieur de l’Education […] »1611.

Une fois en RDA pour débuter leur formation, les stagiaires égyptiens sont censés fournir un certificat attestant de leurs connaissances en langue allemande : ce document est joint à leur dossier administratif1612. En réalité, cette règle n’est pas strictement appliquée puisqu’elle est régulièrement rappelée. La phase de correction du plan de travail culturel prévu pour l’année 1979-1980 est par exemple l’occasion de reformuler précisément l’article concernant les compétences linguistiques exigées des Egyptiens : « dans le dernier

1608 « Die deutschsprachige Vorbereitung der in diesem Artikel genannten Qualifizierungen in der Deutschen Demokratischen Republik erfolgt an den Kulturzentren der Deutschen Demokratischen Republik in der Arabischen Republik Ägypten in Sonderkursen, die jeweils 1 Jahr vor der geplanten Ausreise in die Deutsche Demokratische Republik beginnen ». MfAA, L 187, C 1354/76, op.cit., Arbeitsplan zwischen der Regierung der Deutschen Demokratischen Republik und der Regierung der Arabischen Republik Ägypten für kulturelle und wissenschaftliche Zusammenarbeit in den Jahren 1973 und 1974, Artikel 4, p. 24. 1609 Ibid., Artikel 17. 1610 KRÜGER-POTRATZ, Marianne, Anderssein gab es nicht. Aussländer und Minderheiten in der DDR, Münster, Waxmann, 1991, p. 175. 1611 « Enseignants égyptiens en RDA », Le Progrès égyptien, 1er août 1977, p. 3. 1612 BStU, MfS, HA XIX, Nr. 4639, op.cit., Stagiaires de RAE. Renvoi de documents concernant d’anciens stagiaires de RAE, mai 1984.

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paragraphe, dans la phrase portant sur la preuve des bonnes connaissances en langue allemande, il faut ajouter entre parenthèses (certificats de langue) »1613.

En effet, malgré ces contraintes, le niveau de langue des étudiants égyptiens satisfait peu les formateurs est-allemands. Dans les dossiers des stagiaires conservés par les archives, les appréciations concernant la maîtrise de l’allemand sont rarement élogieuses. Si l’examinateur d’Abdallah Gafaar, stagiaire à la VEB Deutsche Binnenreederei de Berlin, note sur son certificat de langue que l’Egyptien « comprend bien quand on lui parle lentement » et « parle de façon compréhensible »1614, d’autres évaluations sont plus sévères : Abdelmohsen Khall Abou el-Ela, stagiaire dans la même entreprise qu’Abdallah Gafaar, « a besoin qu’on lui répète ou traduise les phrases, parle avec beaucoup de fautes, lit avec difficulté, écrit avec de nombreuses fautes », tout comme son collègue Ismaël Saleh Abd Elazin. De même, les rapports secrets des collaborateurs non officiels de la Stasi, les Inofizielle Mitarbeiter ou IM, qui évaluent les connaissances en allemand des Egyptiens formés dans certaines entreprises, les jugent souvent insuffisantes : en mai 1976, l’IM « Peter Kraus » chargé de surveiller Ahmed Maher Mohamed, stagiaire au sein de la compagnie maritime du port fluvial de Magdebourg, estime que ses « difficultés en allemand » compliquent la communication avec ce dernier1615. Quant à son directeur de stage, M. Hoffmann, il conclut dans son rapport final que si la formation de l’Egyptien s’est très bien déroulée, la langue est cependant restée une vraie « barrière »1616. En général, les évaluations est-allemandes font toujours le même constat : la « préparation linguistique […] est insuffisante et […] doit absolument être intensifiée »1617, aussi bien chez les stagiaires recrutés par les entreprises d’Etat que chez les scientifiques formés dans les instituts de recherche. En 1976 par exemple, cinq places d’études mises à disposition des Egyptiens à l’Ecole supérieure d’ingénieurs de Zwickau n’ont pas été pourvues, « en raison de leurs connaissances insuffisantes en langue

1613 « In vorletzten Absatz, bei dem Satz… sowie den Nachweis über gute Kenntnisse der deutschen Sprache ein- ist anzufügen, in Klammer gesetzt, « (Sprachzeugnisse) » ». MfAA, L 187, C 1902, op.cit., Stellungnahme zum Kulturarbeitsplanentwurf DDR-Arabische Republik Ägypten für die Jahre 1979 und 1980, Teil Hochschulwesen, p. 29. 1614 BStU, MfS, HA XIX, Nr. 4639, op.cit., Stagiaires de RAE. Renvoi de documents concernant d’anciens stagiaires de RAE, mai 1984. 1615 Ibid., Evaluation de l’activité du citoyen égyptien Ahmed Maher Mohamed, stagiaire à la VEB Binnenhäfen. 1616 Ibid., Rapport final sur le stage de Ahmed Maher Mohamed, 25.5.1976. 1617 « Hierbei muß jedoch festgestellt werden, daß die sprachliche Vorbereitung der Lehrer bezüglich der deutschen Sprache nicht ausreichend ist und unbedingt intensiviert werden muß ». MfAA, L 187, C 1876, op.cit., Lettre adressée par le haut département des relations internationales du ministère de la Formation populaire de RDA au premier secrétaire de l’ambassade de RDA en RAE, Horst Winter, 22.11.1976, p. 58.

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allemande »1618. La question de la maîtrise de la langue est abordée de façon récurrente lors de la négociation des plans de travail culturel, car du point de vue est-allemand, elle contribue à prolonger la durée moyenne des séjours de formations d’au moins un an1619 : outre le surcoût financier qu’une telle contrainte impose, cette donnée ralentit également la coopération scientifique bilatérale. En 1976, face à une telle situation, le ministère est-allemand de l’Enseignement supérieur et spécialisé, en accord avec le ministère de la Formation populaire, approuve la prise en charge par la RDA des coûts de la formation linguistique annuelle à l’Institut Herder de Leipzig de cinq diplômés égyptiens1620. Du côté égyptien, la question de la langue est parfois ressentie comme un obstacle un peu superflu au bon déroulement de la coopération technico-scientifique. En 1979, le ministre de l’Education, Mustafa Kamal Helmi, témoigne de cette impatience : s’« il comprend la volonté de la RDA [de voir] les candidats égyptiens à une formation [dans le pays] [posséder] quelques rudiments en langue allemande », il relaie néanmoins auprès de l’ambassadeur est-allemand au Caire, Otto Becker, les « plaintes d’une série de doctorants et de diplômés des établissements d’enseignement supérieur », qui estiment que leur préparation linguistique « n’a pas eu lieu assez rapidement » et que cela a retardé leur départ1621. Ponctuellement, l’ambassade de la RDA au Caire conseille aux institutions scientifiques est-allemandes d’assouplir leurs exigences afin de ne pas envenimer les relations bilatérales : lors de la signature de la convention de 1973 entre les Académies des sciences des deux pays, l’institution égyptienne refuse ainsi l’obligation faite à ses scientifiques de présenter un certificat de langue délivré par un centre culturel est-allemand en Egypte, afin de pouvoir séjourner en RDA. « Sur le conseil du département de la politique commerciale de l’ambassade [de RDA], [la] demande [est] abandonnée, on exige simplement une confirmation de la partie égyptienne assurant un niveau d’allemand suffisant »1622. Le pragmatisme est donc de rigueur lorsqu’il s’agit de garantir le bon déroulement de la coopération scientifique.

1618 « Die durch die DDR ab 1976 zur Verfügung gestellten weiteren 5 Studienpläte an der IHS Zwickau konnten durch die delegierten Absolventen infolge unzureichender Kenntnisse in der deutschen Sprache jedoch nicht belegt werden ». Ibid., p. 58. 1619 « Wir bitten Sie, den ägyptischen Partner auf die sich daraus ergebende Verlängerung des Gesamtstudienaufenthaltes der Absolventen um 1 Jahr aufmerksam zu machen ». Ibid., p. 58. 1620 Ibid. 1621 MfAA, L 187, C 6500, op.cit., Vermerk über das Gespräch mit dem Minister für Erziehung der ARÄ, Dr. Mustafa Kamal Helmi, am 17.9.1979, Botschaft der DDR in der AR Ägypten, Kairo, den 19.9.1979. 1622 SAPMO-BArch, DY 30/ IV B 2-9.04/ 66 : Abteilung Wissenschaften. Bd. 11 : Ägypten von 1973, 1975. Rapport (partie 1) sur les négociations entre l’Académie des sciences de RDA et l’Académie des sciences de RAE, pour la période du 20 janvier au 12 février 1973, au Caire.

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En plus de la maîtrise de l’allemand, les Egyptiens candidats à un séjour d’études en RDA doivent prouver qu’ils possèdent un niveau de formation scolaire minimal.

En 1972, M. Köhler, adjoint du directeur du département des relations internationales de la FDGB, informe l’ambassadeur est-allemand au Caire que l’apprentissage des techniciens agricoles égyptiens en Allemagne de l’Est requiert un niveau scolaire minimal de huit années1623. Le séjour d’études en RDA est en fait conçu comme un complément de formation, dont la durée est fixée à l’avance, soit pour entamer un doctorat, soit pour acquérir des compétences en pédagogie ou un savoir-faire technique.

Chaque année, la RDA accorde à l’Egypte un contingent d’une quarantaine de places parmi les quatre grandes universités du pays, à Berlin, Halle, Leipzig et Rostock pour mener un doctorat dans le cadre de l’Aspirantur1624 : ce programme, créé en 1951, est destiné à préparer à la carrière universitaire des scientifiques est-allemands ou étrangers, soumis à un examen politique et considérés comme loyaux envers le SED1625. De tels séjours de recherche sont proposés aux « jeunes scientifiques » étrangers qui ont déjà été diplômés en RDA ou ont obtenu une maîtrise à l’université, et qui souhaitent valider un doctorat1626. Les études dans le cadre de l’Aspirantur n’incluent toutefois nullement la délivrance systématique d’un grade académique en RDA1627. La possession d’un titre universitaire ou du grade de docteur ne garantit d’ailleurs pas l’obtention d’une place d’études dans un établissement est-allemand, comme le prouve le cas de l’ingénieur Beshra Dawoud Farah. En 1973, après quatre ans de recherches, ce dernier a soutenu sa thèse de doctorat à la faculté d’ingénieurs de l’Université technique de Karl Marx Stadt, sous la direction du Professeur Liebscher, pour laquelle il a obtenu la mention summa cum laude1628. Il est ensuite reparti en Egypte. Décrit par ses

1623 SAPMO-BArch, DY 34/ 10 526, op.cit., Lettre de M. Köhler, adjoint du directeur du département des relations internationales de la FDGB, à l’ambassade de RDA au Caire, 9 novembre 1972. 1624 MfAA, L 187, C 1449/78, op.cit., Arbeitsplan zwischen der Regierung der Deutschen Demokratischen Republik und der Regierung der Arabischen Republik Ägypten über die kulturelle und wissenschaftliche Zusammenarbeit in den Jahren 1975 und 1976 – Artikel 12-Artikel 15. 1625 JESSEN, KALINOWSKI, « Dictature communiste…», op.cit., p. 95. 1626 MfAA, L 187, C 1354/76, op.cit., Arbeitsplan zwischen der Regierung der Deutschen Demokratischen Republik und der Regierung der Arabischen Republik Ägypten für kulturelle und wissenschaftliche Zusammenarbeit in den Jahren 1973 und 1974, Artikel 17. 1627 MfAA, L 187, C 1449/78, op.cit., Arbeitsplan zwischen der Regierung der Deutschen Demokratischen Republik und der Regierung der Arabischen Republik Ägypten über die kulturelle und wissenschaftliche Zusammenarbeit in den Jahren 1975 und 1976, Artikel 14 a). 1628 Mention honorifique latine accordée aux meilleurs travaux universitaires dans certaines facultés européennes ou américaines. Voir : MfAA, L 187, C 1876, op.cit., Lettre adressée par Horst Winter, premier secrétaire de l’ambassade de RDA au Caire, au Haut département des relations internationales du Ministère de l’Enseignement supérieur et spécialisé, 22.11.1976.

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enseignants comme possédant « un grand zèle et une grande intelligence », appuyé par son directeur de thèse, il contacte l’ambassade de RDA au Caire en 1976 car il envisage de retourner en Allemagne de l’Est afin de préparer son habilitation. Le premier secrétaire de l’ambassade, M. Winter, étudie visiblement sa demande avec intérêt mais se trouve désemparé par un cas qui n’a pas été prévu par les plans de travail culturel. La durée de séjour des étrangers en RDA ne dépasse en effet jamais deux à cinq ans et en règle générale, toute prolongation est impossible1629. Un Egyptien présent au titre de l’Aspirantur ne peut pas rester plus de trois ans en RDA, quelles que soient les raisons qu’il invoque pour justifier l’obtention d’un délai supplémentaire1630. La rotation des étudiants et des travailleurs étrangers est ainsi garantie, ce qui évite leur installation durable dans le pays. M. Winter transmet alors la requête de Beshra Dawoud Farah au département des relations internationales du Ministère de l’Enseignement supérieur et spécialisé et en profite pour soulever la question plus générale des possibilités existant pour les Egyptiens de venir faire leur habilitation en RDA :

« Le plan de travail culturel ne propose aucune place d’étude dans cette perspective, ce qui est regrettable, car la possibilité que des doctorants formés viennent faire leur habilitation en RDA va vraisemblablement se renforcer dans le futur. Eventuellement, on pourrait penser à deux ou trois places dans le nouveau plan de travail culturel, afin de donner la possibilité à ceux qui possèdent déjà un emploi scientifique, de venir passer leur habilitation chez nous ».

En dehors des séjours d’études effectués dans le cadre de l’Aspirantur, un contingent annuel de places de formation en RDA est réservé à des Egyptiens déjà diplômés, qui souhaitent obtenir une qualification supplémentaire dans leur domaine. Du point de vue est- allemand, la coopération vise à faire en sorte que ces derniers soient « bien armés pour la pratique professionnelle »1631.

Dans le cadre des plans de travail culturel, 15 places sont ainsi proposées chaque année à des professeurs égyptiens pour un stage de dix mois à l’Ecole supérieure de Pédagogie de Güstrow. En 1975-1976, ce sont des professeurs de mathématiques et de physique qui suivent cette formation complémentaire, en 1976-1977 des professeurs de biologie et de chimie1632.

1629 KRÜGER-POTRATZ, Anderssein gab es nicht…, op.cit., p. 176. 1630 MfAA, L 187, C 1449/78, op.cit., Arbeitsplan zwischen der Regierung der Deutschen Demokratischen Republik und der Regierung der Arabischen Republik Ägypten über die kulturelle und wissenschaftliche Zusammenarbeit in den Jahren 1975 und 1976, Artikel 15 a). 1631 « Bien armés pour la pratique professionnelle », Neues Deutschland, 12 juillet 1977, p. 1. 1632 MfAA, L 187, C 1876, op.cit., Lettre adressée par Horst Winter, premier secrétaire de l’ambassade de RDA au Caire, au Haut département des relations internationales du Ministère de l’Enseignement supérieur et spécialisé, 22.11.1976.

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De même, cinq séjours d’études de dix mois, devant mener à l’obtention d’un diplôme d’ingénieur, sont prévus annuellement à l’Ecole supérieure d’ingénieurs de Zwickau pour des professeurs en école technique1633. En 1977, « 10 professeurs et représentants de l’Enseignement en Egypte particip[ent] [à] des études complémentaires à l’Académie des sciences éducatives [de] Potsdam »1634. Ces enseignants, directeurs d’école et employés des ministères suivent une formation de neuf mois consacrée à la planification et à la direction du système éducatif (Bildungswesen)1635. iiii. Clauses financières et matérielles Les clauses financières et matérielles régissant la coopération en matière de formation populaire sont strictement définies par les plans de travail culturel.

Dans le cas des « visites à court terme, allant jusqu’à un mois, la partie qui envoie assume les coûts de voyage aller-retour pour les individus ou les délégations, tandis que la partie qui reçoit assume tous les coûts de séjour, l’argent de poche et les coûts de transport à l’intérieur du pays, à condition que les voyages soient en lien avec l’objet de la visite »1636. En revanche, en ce qui concerne l’envoi à long terme de scientifiques, d’experts ou de lecteurs, « la partie qui reçoit assume tous les coûts de voyage. Ces personnes obtiennent une indemnité mensuelle, dont le montant est défini entre les services compétents des deux Etats […] »1637.

Le montant des bourses octroyées aux scientifiques qui participent à un programme d’échange en Egypte ou en RDA est renégocié chaque année entre les deux pays, mais reste globalement stable. Il varie selon le niveau d’études des personnes concernées et est plus élevé pour les diplômés des universités.

En RDA, en 1973, les étudiants égyptiens en magistère reçoivent ainsi une indemnité de 450 marks est-allemands par mois, les diplômés des établissements d’enseignement supérieurs qui préparent un doctorat 470 marks, les médecins et les jeunes scientifiques de

1633 Ibid. 1634 « Enseignants égyptiens en RDA », Le Progrès égyptien, 1er août 1977, p. 3. 1635 « Des pédagogues égyptiens achèvent leur séjour d’études », Neues Deutschland, 11 juillet 1972, p 4. 1636 MfAA, L 187, C 1354/76, op.cit., Arbeitsplan zwischen der Regierung der Deutschen Demokratischen Republik und der Regierung der Arabischen Republik Ägypten für kulturelle und wissenschaftliche Zusammenarbeit in den Jahren 1973 und 1974, Artikel 59 a). 1637 Ibid., Artikel 59 b).

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550 à 950 marks, selon leur niveau de qualification1638. A titre de comparaison, en 1990, le salaire mensuel net moyen en Allemagne de l’Est est de 1131 marks1639. Ponctuellement, ces rémunérations font l’objet d’un réajustement : le plan de travail culturel de 1975-1976 prévoit par exemple l’augmentation de l’allocation versée aux Egyptiens qui étudient en RDA dans le cadre de l’Aspirantur : ces derniers reçoivent désormais 500 marks par mois1640. En 1979-1980 cependant, le montant des bourses est sensiblement le même qu’en 1975-1976, puisque les assistants et lecteurs reçoivent comme avant 500 marks par mois, les professeurs- assistants 600 marks et les professeurs 700 marks1641. Le pays d’accueil assume en outre un certain nombre de coûts : « la partie qui reçoit met à disposition un logement, à ses frais »1642, participe aux dépenses alimentaires, prend en charge la couverture médicale, les frais de transport liés aux études, les frais d’examen ainsi que « le coût des machines à écrire pour la version définitive du doctorat »1643. Le niveau de ces bourses suffit donc à couvrir les dépenses courantes des Egyptiens formés en RDA. Rappelons qu’en 1981, tous les étudiants est-allemands qui suivent un cursus dans les établissements d’enseignement supérieur (Hochschule) de RDA reçoivent une indemnité de 190 marks par mois (205 à Berlin), indépendamment du revenu de leurs parents1644. De ce point de vue, la prise en charge des étudiants égyptiens par le régime est-allemand s’inscrit dans la continuité de la stratégie de séduction menée par les Etats socialistes auprès du Tiers-monde depuis le début des années 1960. Comme à l’Université de l’Amitié des Peuples de Moscou1645, où « l’aide concrète apportée à chaque étudiant sélectionné est appréciable : une allocation mensuelle, un

1638 Ibid., Artikel 59 c). 1639 Il s’agit en réalité du salaire net moyen des hommes. A la même date, le salaire net moyen des femmes est de 825 marks. Voir : HÜBNER, Peter, « Les ouvriers en RDA. Etude d’histoire sociale », in : Annales, Histoire, Sciences Sociales, 1998, vol. 53, n° 1, p. 50. 1640 MfAA, L 187, C 1449/ 78, op.cit., Arbeitsplan zwischen der Regierung der Deutschen Demokratischen Republik und der Regierung der Arabischen Republik Ägypten über die kulturelle und wissenschaftliche Zusammenarbeit in den Jahren 1975 und 1976 – Artikel 62. 1641 MfAA, L 187, C 1902, op.cit., Stellungnahme zum Kulturarbeitsplanentwurf DDR-Arabische Republik Ägypten für die Jahre 1979 und 1980, Teil Hochschulwesen. 1642 Ibid. 1643 MfAA, L 187, C 1354/76, op.cit., Arbeitsplan zwischen der Regierung der Deutschen Demokratischen Republik und der Regierung der Arabischen Republik Ägypten für kulturelle und wissenschaftliche Zusammenarbeit in den Jahren 1973 und 1974, Artikel 59 c). 1644 HERBST, RANKE, WINKLER, So funktionierte die DDR…, op.cit.,p. 1051. 1645 L’Université est fondée en 1960 et est spécialement destinée aux étudiants d’Asie, d’Afrique et d’Amérique Latine. En mars 1961, elle prend le nom de Patrice Lumumba, ex-premier ministre du Congo tout juste assassiné. Voir : COUMEL, Laurent, « Moscou, 1960 : la fondation de l’Université de l’Amitié des Peuples », in : Bulletin de l’Institut Pierre Renouvin, automne 2001, n° 12, p. 53-71.

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logement en foyer universitaire, et surtout un encadrement pédagogique impressionnant »1646, il s’agit de forger l’image d’un pays accueillant, généreux et solidaire. En réalité cependant, « les proclamations d’internationalisme participent [davantage] de l’autoreprésentation du régime »1647 que de la solidarité prolétarienne, la prise en charge matérielle des migrants étant souvent le meilleur moyen de les contrôler.

D’ailleurs, l’indemnisation mensuelle des Egyptiens moins qualifiés venus se former en RDA est plus réduite : en 1972 par exemple, les stagiaires en technique agricole ne reçoivent que 300 marks par mois, dont 100 marks sont destinés à payer le logement en internat1648. De même, en 1977, les infirmières en formation professionnelle en RDA reçoivent une bourse mensuelle de 300 marks1649. Ces différences de traitement font l’objet de longues discussions entre les partenaires égyptiens et est-allemands : en 1977, les premiers réclament l’augmentation du montant des bourses octroyées par la RDA aux infirmières égyptiennes de 300 à 450 marks mensuels, arguant du fait que ces dernières sont également diplômées de l’enseignement supérieur1650. Ils demandent aussi l’élévation de l’indemnité mensuelle versée aux assistants et aux professeurs égyptiens. Du point de vue de la RDA, la rémunération est liée au niveau de qualification des travailleurs. Les fonctionnaires est-allemands acceptent ainsi d’envisager une augmentation de la bourse des infirmières de 75 marks par mois, si ces dernières sont en mesure de présenter leurs diplômes1651. En fait, une telle augmentation est le fruit d’un compromis puisque pour la RDA elle n’est envisageable que si la rémunération des travailleurs est-allemands en Egypte fait également l’objet d’une revalorisation1652.

Au cours des années 1980, les conditions d’accueil des stagiaires égyptiens en RDA se modifient. La conjoncture économique difficile à laquelle est confrontée l’Allemagne de l’Est, conjuguée au déplacement des priorités en matière de politique étrangère, justifient la

1646 COUMEL, Laurent, « Moscou : 1960… », op.cit., p. 53-71. 1647 KOTT, Sandrine, LATTARD, Alain, VINCENT Marie-Bénédicte, Histoire de la société allemande…, op.cit., p. 86. 1648 SAPMO-BArch, DY 34/ 10 526, op.cit., lettre de M. Köhler, adjoint du directeur du département des relations internationales de la FDGB, à l’ambassade de RDA au Caire, 9 novembre 1972. 1649 MfAA, L 187, C 1876, op.cit., Verhandlungen um Kulturarbeitsplan mit Ägypten für 1977 und 1978 (Quelle : Abteilung KAB), Berlin, 2.6.1977. 1650 MfAA, L 187, C 1876, op.cit., Vermerk über ein Gespräch beim stellvertretenden Leiter der Abteilung Kulturelle Beziehungen und technische Zusammenarbeit des MfAA, Botschafter Ali Shawky El Hadidi, am 17.4.77, Kairo, den 19.4.1977. 1651 MfAA, L 187, C 1876, op.cit., Direktive für KAP-Verhandlungen DDR-ARÄ für 1977/78, von Abt. KAB an St II, Gen. Dr. Grunert, 20.5.77. 1652 Ibid.

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réduction de la part allouée à l’Egypte dans le budget de la coopération en matière de formation populaire. Les années 1980 voient par exemple l’accroissement de la prise en charge par l’Egypte des coûts suscités par la coopération sportive bilatérale. En 1984, cette dernière accueille une équipe de football est-allemande durant une semaine et un entraîneur est-allemand de handball durant trois semaines : elle finance l’intégralité des séjours1653. La même année, elle participe aux frais liés au voyage d’une équipe égyptienne de handball en RDA. En 1985, l’Egypte contribue au financement de tous les échanges sportifs, qu’il s’agisse de la formation mensuelle ou annuelle d’entraîneurs de football à la DHfK ou du séjour en RDA d’une équipe égyptienne de volleyball. De même, en 1986, la RDA propose que les séjours de formation pour les entraîneurs sportifs à la DHfK soient financés en partie par le Caire, « à hauteur de 2000 dollars par personne »1654. Cette initiative suscite le mécontentement de l’Egypte, relayé ouvertement par son tout nouvel ambassadeur à Berlin, Moustafa Ahmed Hanafi, devant le président du Conseil des ministres de RDA, Willi Stoph :

« Dans le passé, les étudiants et sportifs égyptiens qui allaient en RDA étaient formés gratuitement. Depuis 1983 ils doivent payer pour cela. Pour chaque place, l’Egypte doit payer 2000 dollars. Voilà pourquoi les autorités compétentes d’Egypte ne tiennent plus compte des offres est-allemandes. Actuellement, il n’y a en RDA que 14 Egyptiens en formation. Cela pourrait avoir des effets politiques négatifs »1655.

La RDA de son côté est consciente des conséquences possibles de sa nouvelle politique budgétaire en matière de formation populaire. En 1986, l’ambassadeur est-allemand au Caire impute clairement le ralentissement de la coopération sportive bilatérale à « l’importance des exigences financières de la RDA »1656.

Enfin, l’installation des travailleurs égyptiens en RDA est également strictement définie par les accords interétatiques, comme pour tous les étrangers séjournant dans le pays. Les Egyptiens, comme les Vietnamiens ou les Algériens, sont hébergés collectivement, soit en

1653 SAPMO-BArch, DY 30/ 5082, op.cit., Annexe 1, statistiques sur les relations sportives avec la RAE, mesures précises réalisées durant la période 1982-1985, Secrétariat d’Etat pour la culture corporelle et le sport. 1654 SAPMO-BArch, DY 30/ 5082, op.cit., Information sur l’état actuel des relations RDA/RAE dans le domaine de la culture corporelle et du sport, et propositions pour la réactivation des relations, sans date (le document est postérieur au mois de décembre 1985). 1655 SAPMO-BArch, DC 20/ 5048 : Ministerrat der DDR. Länderakten Ägypten. 1973-1989. Bd. 4 : 1985-89 ; politischer Dialog und Vertiefung der Zusammenarbeit. Note sur une conversation entre le président du Conseil des ministres de RDA, le camarade W. Stoph, et l’ambassadeur de RAE, Moustafa Ahmed Hanafi, à l’occasion de la première visite de ce dernier le 14 mai 1986. 1656 SAPMO-BArch, DY 30/ 5082, op.cit., Information sur l’état actuel des relations RDA/RAE dans le domaine de la culture corporelle et du sport, et propositions pour la réactivation des relations, sans date (le document est postérieur au mois de décembre 1985).

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internat, soit dans les logements des entreprises1657. Ils séjournent dans des appartements équipés de chambres de deux à quatre lits, où chaque habitant dispose au moins de 5 m², avec une salle de bains et une petite cuisine1658. Ces logements collectifs possèdent aussi des salles de télévision et une infirmerie, ainsi qu’un salon pour recevoir les visiteurs.

Si les sources font peu état des revendications émises par les Egyptiens à propos de leurs conditions de logement, on peut supposer qu’ils sont confrontés aux mêmes problématiques que leurs homologues asiatiques ou africains venus étudier ou travailler en RDA. En avril 1975, les Egyptiens formés à l’Ecole de technique agricole de Triptis, en Thuringe, « expriment tous leur insatisfaction en ce qui concerne le logement »1659. Marianne Krüger-Potratz rappelle ainsi que le confort relatif procuré par l’octroi systématique d’un logement ne doit pas faire oublier les problèmes nés de la promiscuité et de l’éloignement1660 : souvent logés en périphérie des villes, les étrangers sont isolés des Allemands de l’Est, ce qui ne facilite ni leur intégration, ni le bon accueil des habitants. Fritz Taubert évoque de son côté la pénurie de logements que doivent affronter les Algériens ayant migré en RDA : « la description des chambres dans lesquelles ils étaient logés, certainement à la hâte, est à la fois honnête et désolante : pas de chauffage, des lits trop courts ou même pas de lit, seulement une chaise longue […] »1661. Certains étudiants étrangers sont néanmoins logés dans le centre de Berlin, à l’image de ces Egyptiens qui, en 1977, vivent dans une résidence pour doctorants, Singerstrasse, une rue au nord de la Spree et parallèle à la grande avenue Karl Marx1662, en plein cœur de la capitale. iiiii. Essai de quantification En raison des informations très approximatives et extrêmement dispersées fournies par les archives, il est impossible de quantifier précisément le nombre d’Egyptiens présents en

1657 MfAA, Département du Proche- et du Moyen-Orient, Plan de travail entre le gouvernement de RDA et le gouvernement égyptien sur la coopération culturelle et scientifique dans les années 1975 et 1976, et protocole sur le 3ème congrès du comité culturel RDA-Egypte de 1976, « Plan de travail entre le gouvernement de RDA et le gouvernement de RAE, sur la coopération culturelle et scientifique dans les années 1975 et 1976 », article 64, L 187, C 1449/78. 1658 KRÜGER-POTRATZ, Marianne, Anderssein gab es nicht…, op.cit., p. 177. 1659 SAPMO, FDGB, Département des relations internationales, Etudiants et stagiaires d’Egypte, d’Algérie, du Maroc et de Bahreïn, « Note sur une conversation avec des stagiaires égyptiens le 9 avril 1975 », 15 avril 1975, DY 34/ 10 542. 1660 KRÜGER-POTRATZ, Marianne, Anderssein gab es nicht…, op.cit., p. 178. 1661 TAUBERT, Fritz, La guerre d’Algérie et la République Démocratique Allemande. Le rôle de l’ « autre » Allemagne pendant les « évènements » (1954 à 1962), Editions universitaires de Dijon, 2010, p. 147. 1662 BStU, AG Ausländer, Berlin, 6 décembre 1977, Information, Archiv der Zentralstelle, MfS, HA II, 28 103.

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RDA au titre de la coopération scientifique et de la formation populaire. En effet, Berlin-Est ne procède pas au recensement régulier et précis de cette population. On peut en revanche tenter de dresser une moyenne globale des effectifs, en croisant les différentes sources à disposition (plans de travail culturel, rapports de la Stasi, documents de la FDGB). Le pourcentage d’étudiants et de travailleurs égyptiens par rapport au nombre total d’étrangers en RDA reste globalement très réduit. En 1977, sur les 2300 étudiants qui sortent diplômés de l’Université technique de Dresde, une centaine est originaire « des pays socialistes frères d’Europe, de la République socialiste du Vietnam et des pays d’Afrique et d’Amérique latine »1663. Or, en 1977, les sources est-allemandes ne font allusion qu’à deux Egyptiens qui étudient à Dresde : le premier travaille à l’Institut pour la physique des matériaux et les matières premières1664, le second, le Dr. Nabil Yacub, est coopérant au département d’économie politique de l’université1665.

Le tableau suivant donne, quand cela est possible, une estimation du nombre d’étudiants et de travailleurs égyptiens présents chaque année en RDA dans le cadre des plans de travail culturel interétatiques. Précisons d’emblée que cet essai de quantification ne peut prétendre à l’exhaustivité, en raison des indications très lacunaires dont les sources font état.

Le nombre de places prévues annuellement par les accords bilatéraux n’étant jamais entièrement pourvu, nous avons distingué les contingents réservés par les conventions étatiques et le nombre d’Egyptiens recensés effectivement en RDA par les sources est-allemandes, notamment par celles de la Stasi. Il convient en outre de préciser que les chiffres donnés ici concernent aussi bien les séjours à long terme (de un à cinq ans) que les séjours à court terme (dont certains ne dépassent pas une ou deux semaines). Enfin, ce recensement rassemble aussi bien les experts engagés dans la coopération en matière de recherche scientifique que les travailleurs formés dans les entreprises est-allemandes, les sportifs ou les artistes, puisque tous ces domaines sont regroupés sous la dénomination commune de « travail culturel ».

1663 « Bien armés pour la pratique professionnelle », Neues Deutschland, 12 juillet 1977, p. 1. 1664 BStU, MfS, HA XVIII, Nr.6855, Situation des citoyens de RAE qui se trouvent en RDA à long terme, dans le cadre de conventions étatiques, Berlin, 8.12.1977. 1665 MfAA, L 187, C 1440/78 : Abt. Naher u. Mittlerer Osten. Sektor Ägypten, Sudan, Libyen. Delegationsaustausch der DDR mit Ägypten. 1974-1977. Enthält : Delegationsliste für den Besuch des Mitglieds des Politbüros des ZK der SED, Gerhard Grüneberg, 1974 in Ägypten.- Vorschlag zur Einladung des ägyptischen Ministers für Kultur und Information, Yousef El Sebai, in die DDR.- Aufenthalt des Präsidenten der Freundschaftsgesellschaft ARÄ – UdSSR, Abd al-Salam al-Zayat, in der DDR. Bericht über die Delegation III/16- ARÄ, Berlin, 20.1.1977.

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Tableau 11 : Nombre d’Egyptiens présents en RDA au titre de la coopération culturelle et technico-scientifique, 1971-19891666

Nombre minimal Nombre Nombre total Nombre total de places minimal d’Egyptiens en minimal réservées aux d’étudiants et RDA d’étudiants et de étudiants et travailleurs travailleurs travailleurs égyptiens étrangers en RDA égyptiens par les recensés en institutions est- RDA au titre de allemandes au la formation titre de la populaire par formation les sources est- populaire allemandes

1971 600 3000 1972 1973 124 1974 124 4200 1975 124 78 1976 124 105 1977 109 72 1978 116 220 1979 90 11 650 1980 90 1981 1982 1983 14 1984 1985 1986 1987 1988 1989 10 200 étudiants étrangers et 28 000 étrangers en formation professionnelle présents en RDA, en décembre 1989 (sur un total de 191 200 étrangers en RDA)1667.

1666 Les données sont issues des plans de travail culturels du MfAA, ainsi que des rapports de la Stasi et de la FDGB. 1667 Ces chiffres sont ceux donnés par Marianne Krüger-Potratz, en 1991, dans : KRÜGER-POTRATZ, Marianne, Anderssein gab es nicht…, op.cit., p. 171.

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Le second tableau dresse la liste plus détaillée du nombre de places réservées chaque année aux étudiants et scientifiques égyptiens au sein des établissements est-allemands d’enseignement supérieur, entre 1969 et 1980 (soit aux dates pour lesquelles nous disposons des plans annuels de travail culturel bilatéral). Ce dernier ne comptabilise donc pas les travailleurs égyptiens actifs au sein des entreprises est-allemandes. Il distingue en outre les doctorants des autres scientifiques, les premiers étant désignés par la lettre A (Aspirantur1668), les seconds par la lettre S (scientifiques).

1668 L’Aspirantur désigne les études suivies en vue d’obtenir un doctorat.

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Tableau 12 : Nombre d’étudiants et de scientifiques égyptiens dans les établissements est-allemands d’enseignement supérieur, au titre de la formation populaire (1969-1980)

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D’après les chiffres disponibles, on peut dire qu’en moyenne, une centaine de places d’études est attribuée chaque année en RDA aux étudiants et aux scientifiques égyptiens. La comparaison entre les deux tableaux fait d’emblée apparaître les difficultés de maniement des chiffres fournis par les archives est-allemandes. Pour l’année 1977 par exemple, les documents de la Stasi recensent 72 Egyptiens présents en RDA au titre de la formation populaire, qu’il s’agisse d’étudiants ou de travailleurs1669. La même année, le nombre total de places d’études réservées aux Egyptiens dans les établissements d’enseignement supérieur est-allemands, nombre qui ne comptabilise donc pas tous les individus actifs au sein des entreprises, est au minimum de 1101670. Un tel décalage dans les chiffres avancés par les différents documents peut s’expliquer de différentes manières : soit cette différence est imputable au fait que les rapporteurs de la Stasi ne comptabilisent que les Egyptiens séjournant longtemps en RDA1671, soit le nombre de bourses d’études réservées aux Egyptiens chaque année est bien supérieur au nombre réel d’individus qui les obtiennent, soit les méthodes de recensement sont tout simplement approximatives. Les trois arguments se conjuguent vraisemblablement. d) Les experts est-allemands en Egypte : enseignement technique et général, projets agricoles et industriels, santé

La coopération culturelle et technico-scientifique bilatérale inclut également l’activité d’experts est-allemands en Egypte. En dépit des vicissitudes politiques, l’Egypte reste un pays avec lequel la RDA maintient un haut niveau de collaboration en matière de formation populaire. En 1980, c’est le quatrième Etat qui accueille le plus grand nombre d’experts est- allemands dans ce domaine, après le Mozambique, l’Ethiopie et la Guinée1672.

1669 BStU, MfS, HA XVIII, Nr.6855, Situation des citoyens de RAE qui se trouvent en RDA à long terme, dans le cadre de conventions étatiques, Berlin, 8.12.1977. 1670 On parvient à ce chiffre en additionnant l’ensemble des places réservées aux Egyptiens au sein des établissements est-allemands d’enseignement supérieur en 1977, dont nous avons connaissance. 1671 Comme cela est précisé dans les archives. Cette méthode explique en partie le décalage entre les chiffres puisqu’en 1977, au moins vingt places d’études à l’Ecole supérieure de pédagogie de Güstrow ne concernent que des séjours de quatre semaines et n’ont donc vraisemblablement pas été pris en compte dans le recensement de la Stasi. 1672 SAPMO-BArch, DY 30/ IV B 2-9.05-80, op.cit., Vue d’ensemble sur l’intervention actuelle d’experts de RDA, dans le domaine de la formation populaire.

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i.Enseignement technique et général L’un des grands chantiers de la collaboration en matière de formation populaire concerne la construction de deux écoles dans la banlieue du Caire, celle de Shubra au Nord et celle de Medinet Nasr1673 à l’Est.

Le 8 juin 1970, la RDA et l’Egypte signent un accord intergouvernemental pour la construction de l’école technique Galal Fahmy de Shubra1674. Cette dernière est inaugurée le 6 décembre 1970 par la ministre est-allemande de la Formation populaire, Margot Honecker1675. La mission dévolue à l’école est de former des cadres et des techniciens en mesure de « diriger les travailleurs spécialisés et de conduire le processus de production, afin de créer les conditions de réalisation des étapes futures de l’industrialisation » en Egypte1676. Des pédagogues est-allemands et égyptiens élaborent ensemble les programmes de travail et les méthodes d’apprentissage. Les enseignants égyptiens sont en partie formés en RDA : chaque année, les plans bilatéraux de travail culturel leur réservent cinq places d’études pour une qualification complémentaire de dix mois en techniques de l’ingénieur à Zwickau1677. Des formateurs spécialisés et des enseignants du secondaire d’Allemagne de l’Est organisent aussi des cours en formation continue pour des professeurs égyptiens au sein de l’établissement1678. Selon les années, ils sont entre neuf et dix-neuf1679. Ils apportent leur savoir-faire en techniques de transport d’électricité en courant haute et basse tension, ainsi qu’en construction de machines et en maintenance1680.

L’école technique de Shubra se présente comme une école d’un type nouveau, qui part du principe selon lequel « les connaissances et les expériences de la formation polytechnique de RDA peuvent être créatrices pour le contexte égyptien »1681. Elle propose un enseignement

1673 Le quartier est également appelé Nasr City. 1674 MfAA, L 187, C 1876, op.cit., Bericht über die Durchführung der 8. Sitzung der Gemeinsamen Kommission des Ministeriums für Volksbildung der DDR und des Ministeriums für Erziehung der ARÄ in der Zeit vom 23.4. bis 29.4.1976 in Berlin. 1675 LAMM, Hans Siegfried, KUPPER, Siegfried, DDR und Dritte Welt, op.cit., p. 223. 1676 Ibid., p. 223-224. 1677 MfAA, L 187, C 1354/76, op.cit., Arbeitsplan zwischen der Regierung der Deutschen Demokratischen Republik und der Regierung der Arabischen Republik Ägypten für kulturelle und wissenschaftliche Zusammenarbeit in den Jahren 1973 und 1974, Artikel 4. 1678 LAMM, Hans Siegfried, KUPPER, Siegfried, DDR und Dritte Welt, op.cit., p. 224. 1679 D’après les chiffres indiqués par les différents plans de travail culturel du MfAA. 1680 MfAA, L 187, C 1876, op.cit., Anhang 1, Arbeitspapier, compléments aux travaux de la commission, du 23 au 29 avril 1976. 1681 Ibid.

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spécialisé de cinq ans en mathématiques, physique, chimie et dessin technique. Des cours d’allemand sont également dispensés par des professeurs égyptiens : deux places sont d’ailleurs réservées chaque année à ces derniers au cours estival international pour les professeurs d’allemand de l’Ecole supérieure de Pédagogie de Güstrow1682. Le modèle pédagogique qui régit l’enseignement dispensé au sein de l’école de Shubra s’inspire directement de la tradition éducative du mouvement ouvrier allemand du XIXe siècle1683 : Emmanuel Droit rappelle ainsi que Marx « définit le concept d’éducation polytechnique comme le fondement d’une éducation totale », intellectuelle, physique et susceptible de transmettre à l’élève « les principes généraux de tous les processus de production »1684.

Dans cette perspective, la RDA prend en charge l’équipement technique de l’école : elle fournit par exemple un laboratoire de langue, une bibliothèque spécialisée, une machine à écrire Optima 528 ainsi que des calculateurs électroniques pour la saisie de données1685. Elle assure aussi le remplacement des équipements usagés, une fonction cruciale aux yeux du ministre égyptien de l’Education, qui estime que « le niveau de la formation technique de l’école est nettement déterminé par ces livraisons »1686. En 1971, l’école accueille 300 élèves et professeurs1687. En 1974, elle est fréquentée par 1200 élèves.

Le développement de l’école technique de Shubra est globalement un succès. Si, ponctuellement, les formateurs est-allemands se plaignent de la réticence de leurs partenaires égyptiens « à accepter les conceptions de la RDA en matière de pédagogie »1688, l’expérience se poursuit néanmoins d’année en année. En 1976, le ministère égyptien de l’Education et le directeur de l’établissement, Ahmed Talaat Osman, expriment même leur souhait d’ajouter à l’ensemble des formations proposées par l’école de Shubra une filière en techniques de

1682 MfAA, L 187, C 1876, op.cit., Anhang 1, Arbeitspapier, compléments aux travaux de la commission, du 23 au 29 avril 1976. 1683 DROIT, Emmanuel, « L’éducation en RDA… », op.cit., p. 6. 1684 D’après les propos de Karl Marx cités dans FISCHER A., Das Bildungssystem der DDR. Entwicklung, Umbruch und Neugestaltung seit 1989, Darmstadt, Wissenschaftliche Buchgesellschaft, 1992, p. 8 et repris par DROIT, Emmanuel, « L’éducation en RDA… », op.cit., p. 9. 1685 LAMM, Hans Siegfried, KUPPER, Siegfried, DDR und Dritte Welt, op.cit., p. 224. 1686 « […] weil von diesen Lieferungen das Niveau der technischen Ausbildung an der Schule weitgehend bestimmt werde ». MfAA, L 187, C 6500, op.cit., Vermerk über das Gespräch mit dem Minister für Erziehung der ARÄ, Dr. Mustafa Kamal Helmi, am 17.9.1979, Botschaft der DDR in der AR Ägypten, Kairo, den 19.9.1979, p. 18. 1687 LAMM, Hans Siegfried, KUPPER, Siegfried, DDR und Dritte Welt, op.cit., p. 224. 1688 « Andererseits gibt es mitunter Schwierigkeiten, bei Übernahme von Erfahrungen z.B. Konzeptionen unserer […] Pädagogik zu akzeptieren ». MfAA, L 187, C 1641/76, op.cit., I.Quartal 1970. Beziehungensbericht VAR- DDR, Zum Stand der Beziehungen DDR-Vereinigte Arabische Republik, 9.7.1970, p. 37.

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transformation1689. La proposition n’est pas retenue par les protocoles complémentaires bilatéraux en raison de son coût. Le projet fait pourtant des émules. Dès 1971, Berlin-Est et le Caire envisagent de construire, sur le même modèle que l’école de Shubra, un établissement technique pour filles à Alexandrie1690. L’idée reste vraisemblablement à l’état de projet puisqu’en 1976, le ministère égyptien de l’Education renouvelle sa demande en précisant que l’Egypte est prête à assumer toutes les charges matérielles qu’implique une telle entreprise, « modifications architecturales » et « équipements »1691. La RDA refuse de se lancer dans cette nouvelle entreprise, notamment pour des raisons financières, mais la proposition égyptienne témoigne de l’intérêt que revêt pour le Caire l’aide des techniciens et des formateurs est-allemands. En 1979, le ministre égyptien de l’Education rend hommage « au travail fait depuis des années par la RDA dans cette école »1692. Enfin, une telle expérience initie aussi un mouvement plus vaste de création d’écoles techniques en Egypte, avec le soutien des Etats socialistes. En 1971, la Roumanie, la Hongrie et la Bulgarie envisagent de fonder des établissements sur le modèle de celui de Shubra, à Gizeh, Tantah et Mansourah1693. Ces écoles doivent proposer un enseignement spécialisé en mécanique, en optique, en chimie ou en technique agraire.

Après l’édification de l’école de Shubra, le ministère est-allemand de la Formation populaire et le ministère égyptien de l’Education signent le 25 mars 1972 une convention sur la construction de l’école expérimentale de Medinet Nasr1694. Cette dernière est un établissement d’enseignement primaire et secondaire qui propose une formation générale (allgemeinbildende Schule) pour des élèves de six à quatorze ans. Dans le cadre de la convention de 1972, trois conseillers est-allemands spécialisés en mathématiques, physique,

1689 MfAA, L 187, C 1876, op.cit., Bericht über die Durchführung der 8. Sitzung der Gemeinsamen Kommission des Ministeriums für Volksbildung der DDR und des Ministeriums für Erziehung der ARÄ in der Zeit vom 23.4. bis 29.4.1976 in Berlin. 1690 MfAA, L 187, C 1304/76, op.cit., Lettre de l’ambassadeur de la RDA au Caire, Martin Bierbach, au représentant du Président du Conseil des ministres, Gerhard Weiss, 13.9.1971. 1691 MfAA, L 187, C 1876, op.cit., Bericht über die Durchführung der 8. Sitzung der Gemeinsamen Kommission des Ministeriums für Volksbildung der DDR und des Ministeriums für Erziehung der ARÄ in der Zeit vom 23.4. bis 29.4.1976 in Berlin. 1692 « Er sehe hierin die Würdigung einer langjährigen erfolgreichen Arbeit der DDR an dieser Schule ». MfAA, L 187, C 6500, op.cit., Vermerk über das Gespräch mit dem Minister für Erziehung der ARÄ, Dr. Mustafa Kamal Helmi, am 17.9.1979, Botschaft der DDR in der AR Ägypten, Kairo, den 19.9.1979, p. 17. 1693 MfAA, L 187, C 1304/76, op.cit., Lettre de l’ambassadeur de la RDA au Caire, Martin Bierbach, au représentant du Président du Conseil des ministres, Gerhard Weiss, 13.9.1971. 1694 MfAA, L 187, C 1876, op.cit., Bericht über die Durchführung der 8. Sitzung der Gemeinsamen Kommission des Ministeriums für Volksbildung der DDR und des Ministeriums für Erziehung der ARÄ in der Zeit vom 23.4. bis 29.4.1976 in Berlin.

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chimie, biologie et polytechnique, assurent des cours à l’école de Medinet Nasr1695. Ils sont secondés par des professeurs égyptiens nommés chaque année par le ministère égyptien de l’Education1696. Avant chaque rentrée, ces enseignants doivent suivre un cours de formation de deux semaines1697. Ce dernier est organisé par les professeurs est-allemands de l’école de Medinet Nasr eux-mêmes, ainsi que par les fonctionnaires envoyés en Egypte par la RDA, dans le cadre de programmes de coopération interministérielle. Le cours a pour but de familiariser les enseignants égyptiens avec les méthodes pédagogiques et les objectifs de l’école. Le ministère est-allemand de la Formation populaire fournit en outre gratuitement à l’école plus d’une centaine de manuels pour apprendre l’allemand, destinés aux élèves des classes 7 et 8 (treize/quatorze ans)1698. Enfin, la RDA accueille chaque année des enseignants égyptiens de Medinet Nasr pour des études complémentaires en pédagogie, dont une partie a lieu en langue arabe1699.

En 1976, l’Egypte exprime son souhait de voir l’école de Medinet Nasr s’agrandir. Le ministère de l’Education aimerait voir l’établissement accueillir également des élèves de classes supérieures, âgés de quinze à dix-sept ans1700. Il propose de prendre en charge les transformations matérielles nécessaires à l’agrandissement de l’école. Arguant des « résultats positifs » de la formation technique, le ministère estime que le renvoi des élèves formés à Medinet Nasr dans les établissements d’enseignement secondaire égyptiens « normaux » revient à perdre l’avantage acquis durant leur parcours initial. Berlin-Est cependant n’est pas favorable à une telle initiative : de son point de vue, ce projet reviendrait à modifier complètement la nature de l’établissement, qui se veut « une école pour tous les enfants du peuple »1701. Medinet Nasr n’a pas vocation à proposer une formation technique comme l’école de Shubra, mais à dispenser un enseignement fondamental et général d’après le modèle pédagogique est-allemand. L’expérience est une réponse ponctuelle aux lacunes

1695 MfAA, L 187, C 1876, op.cit., Anhang 1, Arbeitspapier, compléments aux travaux de la commission, du 23 au 29 avril 1976. 1696 Ibid. 1697 Ibid. 1698 Ibid. 1699 MfAA, L 187, C 1449/76, op.cit., Arbeitsplan zwischen der Regierung der Deutschen Demokratischen Republik und der Regierung der Arabischen Republik Ägypten über die kulturelle und wissenschaftliche Zusammenarbeit in den Jahren 1975 und 1976 – Artikel 6. 1700 MfAA, L 187, C 1876, op.cit., Bericht über die Durchführung der 8. Sitzung der Gemeinsamen Kommission des Ministeriums für Volksbildung der DDR und des Ministeriums für Erziehung der ARÄ in der Zeit vom 23.4. bis 29.4.1976 in Berlin. 1701 « Schule für alle [le terme est souligné] Kinder des Volkes ». Ibid., p. 8.

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structurelles du système éducatif égyptien : en 1979, le ministre égyptien de l’Education estime d’ailleurs qu’ « un très bon travail est fait par les experts est-allemands […] à l’école expérimentale de Medinet Nasr »1702.

Outre les deux grands projets que représentent l’école technique de Shubra et l’école d’enseignement général de Medinet Nasr, la RDA renouvelle chaque année la présence d’une petite dizaine de germanistes au sein des établissements d’enseignement supérieur du Caire et d’Alexandrie1703. Plus ponctuellement, elle envoie des scientifiques se former en Egypte dans des domaines précis. En 1976 par exemple, Berlin-Est s’informe auprès du ministère égyptien de la Santé des possibilités de formation en médecine tropicale pour ses ressortissants1704. Le ministère approuve une telle initiative, à la condition qu’ « il n’y [ait] pas de charges financières pour la partie égyptienne ». Les hôpitaux et les instituts médicaux égyptiens accueillent ainsi pendant deux semaines des scientifiques est-allemands, qui participent à des recherches sur les parasites ainsi qu’à un projet de lutte contre la bilharziose dans le Fayoum. Dans le domaine artistique, la coopération est plus limitée, même si elle se maintient d’année en année. En 1975, un expert est-allemand séjourne deux mois au Caire en tant que conseiller au ministère de la Culture, où il collabore à un projet de centre théâtral pour enfants1705. La même année, deux Allemands de l’Est travaillent au Cirque national d’Egypte1706. ii. Activités d’expertise et savoir-faire technique, dans les domaines industriel et agricole La seconde grande mission qui incombe aux Allemands de l’Est présents en Egypte est une mission de conseil et d’aide technique pour la réalisation de projets industriels et agricoles. Entre 1965 et 1977, la Stasi recense 348 spécialistes est-allemands en Egypte, dans les domaines suivants : construction de machines, électrotechnique, industrie textile,

1702 « Von den DDR-Experten im Ministerium für Erziehung der ARÄ und an der Experimentalschule Medinet Nasr wird eine sehr wertvolle Arbeit geleistet ». MfAA, L 187, C 6500, op.cit., Vermerk über das Gespräch mit dem Minister für Erziehung der ARÄ, Dr. Mustafa Kamal Helmi, am 17.9.1979, Botschaft der DDR in der AR Ägypten, Kairo, den 19.9.1979, p. 16. 1703 MfAA, L 187, C 1449/78, op.cit., Arbeitsplan zwischen der Regierung der Deutschen Demokratischen Republik und der Regierung der Arabischen Republik Ägypten über die kulturelle und wissenschaftliche Zusammenarbeit in den Jahren 1975 und 1976 – Artikel 16. 1704 MfAA, L 187, C 1876, op.cit., Lettre adressée par M. Winter, attaché culturel à l’ambassade de la RDA en RAE, à M. Gloede, département Proche- et Moyen-Orient du MfAA, le Caire, 17.8.1976. 1705 MfAA, L 187, C 1449/78, op.cit., Arbeitsplan zwischen der Regierung der Deutschen Demokratischen Republik und der Regierung der Arabischen Republik Ägypten über die kulturelle und wissenschaftliche Zusammenarbeit in den Jahren 1975 und 1976 – Artikel 25. 1706 Ibid., Artikel 29.

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télévision, planification économique et agriculture1707. Selon la même source, ils n’étaient qu’une petite cinquantaine de 1967 à 1971. Depuis 1969, la coopération technico-scientifique bilatérale se manifeste notamment par le soutien est-allemand à l’Egypte dans le domaine de l’électronique et de l’énergie1708, mais aussi par la livraison d’équipements industriels aux grandes firmes nationales. Le quotidien est-allemand Neues Deutschland se fait d’ailleurs l’écho, photographies à l’appui, de ce soutien logistique destiné à consolider le développement industriel égyptien : en témoigne cette photographie d’une grue tournante mobile fournie par l’usine de construction de machines de Kirow-Leipzig à l’Alexandria Petrol Company, « l’une des plus grandes raffineries de pétrole » d’Egypte1709.

1707 BStU, MfS, SdM, Nr. 2495 Rapport sur l’état des relations économiques, culturelles et scientifiques entre la RDA et la RAE, 1978. 1708 SAPMO-BArch, DF 4/ 10 150, op.cit., Projet partiel pour la poursuite de la coopération dans les domaines de l’électrotechnique et de la technique de l’énergie avec les institutions de RAU, Département Science et Technique du ministère de l’Electrotechnique de RDA, 4.8.1969. 1709 Neues Deutschland, 10 juillet 1969, p. 7.

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Photographie 7 : Grue mobile fabriquée par l’entreprise Kirow Leipzig et utilisée dans une raffinerie de l’Alexandria Petrol Company 1710

Le relais médiatique permet de valoriser auprès de l’opinion publique est-allemande la compétence technique et la maîtrise industrielle de la RDA : « les grues de ce type, spécialement équipées pour l’intervention [en contexte] tropical, aident à agrandir la raffinerie ». Du reste, le savoir-faire est-allemand est grandement apprécié du côté égyptien : en 1972 par exemple, la RDA est choisie par l’Organisme national d’industrialisation pour mener à bien un projet de construction de maisons préfabriquées en Egypte, à hauteur de 20 000 logements par an1711.

1710 Source : Neues Deutschland, 10 juillet 1969, p. 7. 1711 « Nouvelles brèves », Le Progrès Egyptien, 12 juillet 1972, p. 3.

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En 1974, dans le district consulaire d’Alexandrie, qui regroupe les gouvernorats d’Alexandrie, de Beheira et de Kafr el-Cheikh, la RDA comptabilise plus de 100 ressortissants qui travaillent de façon permanente en tant qu’experts agricoles, monteurs, cadres ou techniciens spécialisés1712. Ces derniers séjournent en Egypte dans le cadre de traités conclus avec des « entreprises égyptiennes partenaires », en particulier des sociétés maritimes et des établissements spécialisés dans le travail du coton1713. Les contacts privilégiés entre le conseil de district de Rostock et le gouvernorat d’Alexandrie ont en effet favorisé le développement de missions économiques et culturelles communes. En décembre 1977, une convention est signée pour la première fois entre l’école supérieure d’ingénieurs de la Marine de Warnemünde/Wustrow (Ingenieurhochschule für Seefahrt Warnemünde/Wustrow), au nord de Rostock, et l’Arab Maritime Transport Academy d’Alexandrie1714.

En 1978, la RDA s’engage dans un projet de construction d’une filature de coton à Kafr el-Dawar, ville industrielle à l’est d’Alexandrie, spécialisée dans la fabrication du fil et du tissu de coton et qui alimente les échanges de troc avec les pays du CAEM1715. De 1978 à 1980, la RDA doit livrer, monter et mettre en exploitation 140 000 fuseaux destinés à équiper la future entreprise1716. Dans le cadre d’un tel chantier, 15 familles de travailleurs est-allemands doivent arriver à Alexandrie en janvier 1978 et être logées sur place. En 1979, il est prévu que 20 familles supplémentaires les rejoignent1717. La plupart des ouvriers sont chargés des travaux d’assemblage. En septembre 1980, à l’issue de leur mission, ces derniers quittent Kafr el-Dawar et repartent en RDA1718.

L’Allemagne de l’Est intervient également sur d’autres types de chantier. En 1987 par exemple, elle signe un contrat avec l’autorité égyptienne d’électricité (Egyptian Electricity

1712 MfAA, L 187, C 6465, op.cit., Lettre de l’ambassadeur de la RDA au Caire, Joachim Radde, au directeur du département du Proche- et du Moyen-Orient, Karl-Heinz Lugenheim, 27.5.1974. 1713 MfAA, L 187, C 6465, op.cit., Schlußfolgerungen aus der Schließung des Konsulates Alexandria für die Gestaltung der künftigen Arbeit, Botschaft der DDR in der AR Ägypten, Kairo, 3.1.1978. 1714 Ibid. 1715 CLEMENT, Françoise, « Péripéties et vicissitudes de la libéralisation du marché du travail en Egypte », in : Egypte/Monde arabe. Première série, L’Egypte en débats, 1994, n° 20, p. 143-153. 1716 MfAA, L 187, C 6465, op.cit., Schlußfolgerungen aus der Schließung des Konsulates Alexandria für die Gestaltung der künftigen Arbeit, Botschaft der DDR in der AR Ägypten, Kairo, 3.1.1978. 1717 Ibid. 1718 SAPMO-BArch, DY 30/ 14 096 : Abteilung Internationale Verbindungen im ZK der SED. Abt. Int. Verb. 1946-90. Informationen der SED-Grundorganisation der Botschaft der DDR in Ägypten in Kairo an die Abteilung Internationale Verbindungen, 1977, 1980-1989.

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Authority, EEA) pour la livraison de deux sous-stations électriques dans la vallée du Nil, à Salwa, au nord d’Assouan et à Tema, au sud d’Assiout1719. L’accord prévoit la prise en charge du transport des sous-stations jusqu’au chantier, leur montage, la formation du personnel, l’examen de leurs performances puis leur remise à l’Egypte par la RDA, à l’issue des travaux. La livraison d’usines « clé en mains » est l’une des spécificités de l’aide apportée par l’Allemagne de l’Est au Tiers-monde1720. iii. Conditions d’accueil et désaccords financiers Les scientifiques et les techniciens est-allemands qui se rendent en Egypte bénéficient également d’une indemnisation financière. La partie égyptienne assume leurs frais de séjour et leur verse une bourse mensuelle qui varie en fonction de leur qualification : au début des années 1970, les étudiants est-allemands reçoivent 15 livres égyptiennes par mois, les diplômés des établissements d’enseignement supérieur 30 livres, les médecins et les jeunes scientifiques de 30 à 60 livres1721. En 1975, ces indemnités sont légèrement augmentées : les étudiants reçoivent désormais 20 livres par mois, les diplômés de l’enseignement supérieur 35 livres et les scientifiques entre 70 et 80 livres1722. Du côté égyptien, on assure en effet que, même si « [L’Egypte] n’est pas un pays riche […], les scientifiques de RDA seront reçus par ceux de RAE avec bienveillance et amitié »1723. Pourtant, de telles indemnités ne couvrent vraisemblablement pas l’intégralité des frais suscités par le séjour des experts est-allemands. A titre d’indication, au début des années 1980, en Egypte, le salaire hebdomadaire moyen agricole est de 38,5 livres tandis que le salaire hebdomadaire moyen non agricole est de 51,1 livres1724. L’allocation mensuelle versée aux spécialistes est-allemands reste donc modeste.

1719 SAPMO-BArch, DL 2 MF/ 1821, op.cit., Lieferungen und Montage der Unterstationen in Selwa, 1987. Vertrag. 1720 POIDEVIN, Raymond, L’Allemagne et le monde…, op.cit., p. 268. 1721 MfAA, L 187, C 1354/76, op.cit., Arbeitsplan zwischen der Regierung der Deutschen Demokratischen Republik und der Regierung der Arabischen Republik Ägypten für kulturelle und wissenschaftliche Zusammenarbeit in den Jahren 1973 und 1974, Artikel 59 c). 1722 MfAA, L 187, C 1449/78, op.cit., Arbeitsplan zwischen der Regierung der Deutschen Demokratischen Republik und der Regierung der Arabischen Republik Ägypten über die kulturelle und wissenschaftliche Zusammenarbeit in den Jahren 1975 und 1976 – Artikel 62. 1723 SAPMO-BArch, DY 30/ 8259, op.cit., Rapport sur la négociation du plan de travail pour la coopération scientifique entre l’Académie des sciences de RDA et l’Académie des sciences et de la recherche technique de RAE, pour l’année 1984 -1985. 1724 D’après une étude de 1984-1985, citée par : ‘ABDAL-‘AZIM Mûsa, « Conséquences de la libéralisation du secteur agricole sur l’emploi », in : Egypte/ Monde arabe. Première série, Economie égyptienne et perspectives de paix au Proche-Orient, 1995, n° 21, p. 188-195.

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La prise en charge par l’Egypte des coûts de séjour de ces derniers fait d’ailleurs l’objet d’âpres négociations entre les partenaires. Lors de la préparation en interne des plans de travail culturel, les fonctionnaires est-allemands insistent sur la nécessaire vigilance dont ils doivent, selon eux, faire preuve : « dans les négociations, nous devons faire attention à ce que la partie égyptienne assume les coûts de logement » car ces derniers « sont bien plus élevés en Egypte que ce qui est dit dans le projet de travail culturel »1725. En outre, ils préconisent l’octroi aux ressortissants est-allemands d’un complément financier car « la République arabe d’Egypte n’est en aucun cas dans la situation d’assurer un logement acceptable pour les séjours à long terme de scientifiques, si bien que dans tous les cas un logement doit être mis à disposition par l’ambassade »1726. Les revendications est-allemandes sont visiblement partagées par l’ensemble des Etats socialistes : en mai 1979, les attachés culturels des ambassades des pays socialistes en Egypte se réunissent chez l’ambassadeur de Hongrie au Caire et s’entendent sur la nécessité de revoir les modalités financières de la coopération culturelle et scientifique1727. Selon eux, « les financements accordés jusqu’ici par l’Egypte ne coïncident plus avec les conditions de vie en RAE et ne garantissent plus la sécurité matérielle des séjours des délégués provenant des pays socialistes ». iiii. L’encadrement politico-idéologique des ressortissants est-allemands en Egypte La migration des experts et techniciens est-allemands en Egypte est en théorie strictement encadrée par le régime de Berlin-Est.

Un chantier de l’envergure de celui de la filature de Kafr el-Dawar en 1978 implique par exemple la prise en compte de contraintes logistiques conséquentes. Une partie des familles de monteurs est logée au sein des appartements de l’ancien bâtiment du consulat de la RDA à Alexandrie, après la fermeture de ce dernier en décembre 19771728. Le ministère est-allemand des Affaires étrangères continue en effet de louer l’immeuble, dans lequel il

1725 MfAA, L 187/ C 1902, op.cit., Stellungnahme zum Kulturarbeitsplanentwurf DDR-Arabische Republik Ägypten für die Jahre 1979 und 1980, Teil Hochschulwesen. 1726 « […] da die ARÄ in keinem Falle in der Lage war, bei langfristigen Wissenschaftleraufenthalten eine akzeptable Unterkunft zu sichern, so daß in jedem Falle von der Botschaft eine Wohnung zur Verfügung gestellt mußte ». MfAA, L 187, C 18/76, op.cit., Vermerk über ein Gespräch beim stellvertretenden Leiter der Abteilung Kulturelle Beziehungen und technische Zusammenarbeit des MfAA, Botschafter Ali Shawky El Hadidi, am 17.4.77, Kairo, den 19.4.1977, p. 97. 1727 MfAA, L 187, C 6499, op.cit., Information über eine Beratung der Kulturattachés sozialistischer Länder in der ARÄ, Kulturattaché, Kairo, den 13.5.79. 1728 MfAA, L 187, C 6465, op.cit., Schlußfolgerungen aus der Schließung des Konsulates Alexandria für die Gestaltung der künftigen Arbeit, Botschaft der DDR in der AR Ägypten, Kairo, 3.1.1978. Pour le détail des causes et des modalités d’une telle fermeture, voir infra, p. 369-376.

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maintient une représentation minimale. Surtout, le prix global de la location s’élève à 8000 livres égyptiennes par an, selon les termes du contrat qui lie le ministère à la ville d’Alexandrie jusque la fin de l’année 1979 : un prix « très intéressant, si on le compare aux autres loyers connus »1729. Les autres familles de monteurs sont regroupées dans une maison du quartier de Zezinia, également louée par le ministère des Affaires étrangères est-allemand. Elles doivent s’acquitter chacune du paiement du loyer de leur appartement et verser la somme « très avantageu[se] » de 27 livres par mois.

En plus de la question du logement, la RDA s’occupe aussi de la scolarisation des enfants des familles de monteurs est-allemands à Alexandrie1730. Dès le mois de janvier 1978, ils sont cinq à suivre leurs parents, mais il est prévu que de nouveaux arrivants les rejoignent au cours de l’année. Ces enfants sont regroupés au sein d’une école commune, dont les bâtiments sont loués par Berlin-Est au prix de 1222 livres par an. Plus globalement, l’encadrement (Betreuung) des citoyens est-allemands sur place fait l’objet d’une longue préparation entre l’ambassade de la RDA en Egypte et le ministère des Affaires étrangères à Berlin. Le suivi des ressortissants incombe normalement au consulat, qui doit notamment veiller à ce que ces derniers respectent les lois égyptiennes1731. Après sa fermeture en 1977, la tâche revient ensuite à l’ambassade du Caire, ce qui complique la surveillance des travailleurs résidant hors de la capitale. Mais « l’encadrement, d’ordre politico-idéologique en particulier, des groupes de citoyens est-allemands dans la région d’Alexandrie » reste une priorité1732. Des « contacts actifs » sont maintenus avec ces derniers, par l’intermédiaire de « collaborateurs compétents »1733. Comme dans les entreprises de RDA, les citoyens est- allemands d’Egypte sont répartis au sein de groupes de parti (Parteigruppe) constitués sur chaque chantier1734. Ces groupes de parti forment la cellule de base d’organisation du SED et assurent l’encadrement politico-idéologique des travailleurs est-allemands au sein de leur

1729 MfAA, L 187, C 6465, op.cit., Schlußfolgerungen aus der Schließung des Konsulates Alexandria für die Gestaltung der künftigen Arbeit, Botschaft der DDR in der AR Ägypten, Kairo, 3.1.1978. 1730 Ibid. 1731 Ibid. 1732 « Die Betreeung vor allem politisch-ideologischer Natur von Gruppe, von DDR-Bürgern im Raum Alexandria muß weiterhin gewährleistet werden ». MfAA, L 187, C 6465, op.cit., Vorschläge zur Lösung von Fragen, die sich aus der Schließung des DDR-Konsulats Alexandria und der Kulturzentren der DDR in Kairo und Alexandria ergeben (ausgehend von den Vorschlägen der Botschaft Kairo zu den diesbezüglichen Problemen), p. 36. 1733 Ibid. 1734 MfAA, L 187, C 6465, op.cit., Schlußfolgerungen aus der Schließung des Konsulates Alexandria für die Gestaltung der künftigen Arbeit, Botschaft der DDR in der AR Ägypten, Kairo, 3.1.1978.

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environnement professionnel. Selon le nombre de membres qu’ils rassemblent, ils peuvent être regroupés au sein d’une structure plus large, l’Abteilungsparteiorganisation (APO, organisation de parti d’un département de production)1735. Dans tous les cas, ils restent sous l’autorité du secrétaire de la Grundorganisation1736 du SED au Caire. Ce dernier siège à l’ambassade de la RDA, où son rôle est de superviser les élections internes aux structures de parti du SED en Egypte et d’élaborer des « programme[s] de lutte » idéologique1737. Courroie de transmission entre l’ambassade au Caire et le département des relations internationales du Comité central du SED à Berlin1738, la Grundorganisation a ainsi pour tâche de diffuser auprès des ressortissants est-allemands expatriés en Egypte les mots d’ordre du régime. En août 1980 par exemple, son secrétaire, Horst Neitzel, rappelle le slogan qui doit guider l’ensemble des citoyens est-allemands dans le cadre de la préparation du 10ème congrès du parti, prévu pour avril 1981 : « le meilleur pour le 10ème congrès ! Tout pour le bien-être du peuple ! »1739. Parmi les travailleurs est-allemands d’Egypte, ceux qui sont membres du SED doivent s’enregistrer auprès de la Grundorganisation1740. Les citoyens qui ont été élus au sein des structures de parti sur place participent aux assemblées des APO. Au Caire, les APO sont au nombre de trois et sont chargées de différents dossiers : la première est responsable de l’éducation communiste des enfants, la seconde supervise le travail politique de masse et le rôle des organisations syndicales, la troisième s’intéresse au rôle de l’islam dans la vie civile en Egypte1741. En juillet 1981, ces structures de parti rassemblent entre 150 et 200 signatures de citoyens est-allemands vivant en Egypte pour une pétition contre la décision du président

1735 SAPMO-BArch, DY 30/ 14 089 : Abteilung Internationale Verbindungen im ZK der SED. Abt. Int. Verb. 1946-90. Parteiwahlversammlung in der SED-Grundorganisation der Botschaft der DDR-Ägypten in Kairo, 1980-1988. Elections au sein des APO du Caire. 1736 La Grundorganisation est l’unité de base du parti du SED. Constituée d’un ou plusieurs groupes de parti, elle est dirigée par un secrétaire et revêt deux formes principales : cellule d’encadrement au sein des entreprises ou organisation de voisinage au sein des résidences. Voir l’entrée Grundorganisation (GO) proposée par le glossaire du site des archives fédérales allemandes, en ligne : http://www.bundesarchiv.de/sed-fdgb- netzwerk/glossar.html?q=Betriebsparteiorganisation+(BPO) 1737 SAPMO-BArch, DY 30/ 14 096, op.cit., Programme de lutte de la GO de la représentation à l’étranger du Caire, ambassade de la RDA en RAE, 9.9.1980. 1738 SAPMO-BArch, DY 30/ 14 044, op.cit., Lettre de Neitzel, secrétaire de la GO du SED au Caire, à Günter Sieber, 21.7.1981. 1739 SAPMO-BArch, DY 30/ 14 089, op.cit., Plan directeur électoral de la direction de la GO de l’ambassade de la RDA en RAE, pour la préparation et la mise en place des élections du parti, GO du SED, ambassade de la RDA en RAE, le Caire, 14.8.1980. 1740 SAPMO-BArch, DY 30/ 14 096, op.cit., Rapport du 1er avril 1980 sur le contrôle des documents du Parti et l’enregistrement des membres du Parti. 1741 SAPMO-BArch, DY 30/ 14 096, op.cit., Rapport de février 1981, 8.3.1981.

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américain Reagan de reprendre la production de bombes à neutrons1742. Les enfants ont signé comme leurs parents et les lettres maladroitement formées témoignent parfois de leur jeune âge.

En plus de l’encadrement de ses ressortissants par les structures de parti en Egypte, la RDA s’appuie sur un réseau local d’informateurs, chargés d’évaluer la manière dont les citoyens est-allemands s’acquittent de leurs missions sur place. A l’issue de la foire internationale du Caire qui se déroule du 8 au 21 mars 1986 et qui accueille les délégués d’une vingtaine d’entreprises est-allemandes, un IM transmet ainsi à la Stasi un rapport sur la qualité du travail effectué par les responsables, Harry Brühl et Friedhelm Schneider1743. Selon lui, ils « ont bien fait leur travail ». Ce rapport est très probablement rédigé par un diplomate est-allemand en poste au Caire, qui assume également la fonction d’OibE (Offizier im besonderen Einsatz), officier de liaison pour le MfS1744. La pratique est courante : le ministère de la Sécurité d’Etat noyaute les représentations est-allemandes à l’étranger à l’aide de ces informateurs spécialisés1745. La plupart du temps, les ambassadeurs ignorent tout de leurs activités.

L’encadrement de la population est-allemande vivant en Egypte est relativement aisé dans le cadre des migrations de travail groupées et ponctuelles, pour lesquelles l’ensemble des membres de la famille est pris en charge dès son arrivée. En janvier 1978, l’épouse d’un monteur employé dans le chantier de construction de la filature de Kafr el-Dawar occupe par exemple la fonction d’adjointe administrative au sein de la représentation est-allemande1746. Le système de surveillance des citoyens est-allemands en Egypte fait toutefois preuve de défaillances. En 1979, l’ambassade de la RDA au Caire transmet au département des affaires consulaires du ministère des Affaires étrangères, à Berlin, la liste des ressortissants est-allemands installés de façon permanente en Egypte et enregistrés comme tels par ses services. Le fonctionnaire en charge de ce travail constate à cette occasion que « certaines citoyennes est-allemandes n’ont plus de lien avec [la] représentation [est-allemande] à

1742 SAPMO-BArch, DY 30/ 14 096, op.cit., Protestation contre la décision de Reagan de reprendre la production de bombes à neutrons, juillet 1981. 1743 BStU, MfS, HA XVIII, Nr. 7444, Foire internationale du Caire. 1744 Ministerium für Staatsicherheit ou ministère est-allemand de la Sécurité d’Etat, plus communément appelé « Stasi ». 1745 WENTKER, Hermann, Aussenpolitik in engen Grenzen…, op.cit., p. 383. 1746 MfAA, L 187, C 6465, op.cit., Schlußfolgerungen aus der Schließung des Konsulates Alexandria für die Gestaltung der künftigen Arbeit, Botschaft der DDR in der AR Ägypten, Kairo, 3.1.1978.

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l’étranger depuis longtemps » et que « leur lieu de résidence […] est inconnu »1747. La date de validité du passeport de ces femmes, fixée au 30 juin 1977, a expiré sans que ces dernières n’entreprennent de démarche pour faire renouveler leurs papiers d’identité1748. Le suivi des dossiers de citoyens est-allemands recensés en Egypte semble en fait assez peu rigoureux. En janvier 1979, l’ambassade informe le ministère de l’Intérieur à Berlin que trois femmes est-allemandes inscrites sur les registres consulaires d’Egypte sont en réalité revenues en RDA trois ans auparavant1749. Deux d’entre elles se sont installées en Allemagne de l’Est avec leurs époux égyptiens et leurs enfants, après avoir obtenu l’accord des autorités compétentes. En revanche, si la troisième se trouve bien en RDA depuis le mois d’août 1976 avec ses enfants, les services de l’ambassade « n’[ont] pas pu obtenir de renseignements sur son époux ». Enfin, une quatrième citoyenne est-allemande a tout à fait disparu des circuits consulaires : l’ambassade sait que son conjoint et sa fille habitent désormais à Abu Dhabi mais elle ne connaît pas le lieu de résidence de cette ressortissante de RDA.

L’encadrement politico-idéologique des citoyens est-allemands est pourtant crucial car il s’insère dans la stratégie plus globale de promotion du régime de la RDA en Egypte : il s’agit de contrôler l’image que ce dernier véhicule dans le pays, notamment par l’intermédiaire de ses ressortissants. La coopération culturelle et technico-scientifique est l’un des vecteurs privilégié de diffusion du modèle est-allemand, parce qu’elle peut sembler se déployer indépendamment des vicissitudes politiques : dans le cas des relations avec un Etat non socialiste comme l’Egypte, cet avantage n’est pas des moindres. Dès lors, les manifestations culturelles communes jouent véritablement le rôle de vitrines du régime de Berlin-Est. L’Egypte a d’ailleurs pleinement conscience du rôle politique dévolu à l’action culturelle par la RDA. Elle n’hésite pas à instrumentaliser cette collusion d’intérêts quand cela peut servir ses objectifs. En 1979, le ministre égyptien de l’Education, Mustafa Kamal Helmi, rencontre l’ambassadeur Otto Becker et lui fait part de sa volonté d’obtenir des « moyens financiers supplémentaires » de la part de Berlin-Est : à cette occasion, il ne manque pas de rappeler à son interlocuteur qu’ « il a remarqué à quel point les performances de la RDA dans le domaine de la formation populaire et de l’enseignement supérieur servaient [l]a

1747 SAPMO-BArch, DO 1/ 14 333 : Ministerium des Innern. Bd. 3 : 1967-84 (Registrierung deutscher Staatsangehörige und Staatsangehöriger der DDR im Ausland), Lettre de M. Schlemel, attaché à l’ambassade de la RDA en RAE, au département des Affaires consulaires du MfAA, le Caire, 20.2.1979. 1748 Ibid. 1749 SAPMO-BArch, DO 1/ 14 333, op.cit., Lettre de M. Schlemel, attaché à l’ambassade de la RDA en RAE, au département des Affaires intérieures du ministère de l’Intérieur, le Caire, 15.1.1979.

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reconnaissance [de cette dernière] »1750. Les hauts fonctionnaires égyptiens aiment à souligner que la notoriété acquise par les scientifiques formés en RDA, à leur retour en Egypte, « est une bonne propagande (Propaganda) » en faveur de Berlin-Est1751. La « construction de l’image » (Image Bildung) est bel et bien un outil de la politique étrangère1752.

2. La culture, « arme »1753 de promotion des régimes

Avant même l’officialisation des relations diplomatiques en juillet 1969, la RDA a déjà noué des liens culturels avec l’Egypte, notamment dans le cadre de l’accord bilatéral sur la coopération économique et scientifique conclu en mars 1965. L’action culturelle étant conçue comme un « ersatz de politique extérieure »1754, cette « diplomatie de substitution »1755 est un moyen pour la RDA de donner une image positive d’elle-même et d’œuvrer pour sa propre reconnaissance. C’est d’ailleurs l’une des missions dévolues à la Commission des relations culturelles avec l’étranger, créée au sein du MfAA dès 19501756. Après le 10 juillet 1969, la coopération culturelle et technico-scientifique s’apparente toujours à une entreprise de publicité en faveur du régime est-allemand auprès de l’opinion publique égyptienne. Les diplomates est-allemands soulignent l’importance majeure du « domaine de la culture et de l’esprit »1757 dans le développement des relations étatiques et politiques : « l’image de la RDA est [par exemple] approfondie par le biais d’une série d’expositions à succès en Egypte » au cours de l’année 19701758. La coopération culturelle, véritable « machine de guerre »1759, « arme de la révolution socialiste mondiale »1760, est un outil de lutte idéologique qui vise à

1750 MfAA, L 187, C 6500, op.cit., Vermerk über das Gespräch mit dem Minister für Erziehung der ARÄ, Dr. Mustafa Kamal Helmi, am 17.9.1979, Botschaft der DDR in der AR Ägypten, Kairo, den 19.9.1979. 1751 « Das sei doch auch eine gute Propaganda für die DDR ». MfAA, L 187, C 6500, op.cit., Information über ein Treffen mit Partern des Hochschulministeriums der ARÄ, Kulturattaché, Kairo, den 28.11.79, p. 14. 1752 C’est la thèse d’Anita M. Mallinckrodt, qui étudie les ressorts de la « communication politique internationale » de la RDA dans les pays en développement. Voir : MALLINCKRODT, Anita M., Die Selbstdarstellung…, op.cit. 1753 D’après l’expression utilisée par l’ambassadeur est-allemand au Caire, Otto Becker, en 1979, pour qualifier la place de la culture dans la politique de Sadate. Voir : MfAA, L 187, C 6499, op.cit., Bemerkungen, Botschaft der DDR in der AR Ägypten, Kairo, den 18.11.1979, p. 35. 1754 JARDIN, Pierre, « Objectifs et outils… », op.cit., p. 15. 1755 Ibid. 1756 Ibid., p. 30. 1757 « Geistig-kultureller Bereich ». MfAA, L 187, C 1641/76, op.cit., I.Quartal 1970. Beziehungensbericht VAR-DDR, Zum Stand der Beziehungen DDR-Vereinigte Arabische Republik, 9.7.1970, p. 36. 1758 Ibid. 1759 JARDIN, « Objectifs et outils…», op.cit., p. 16. 1760 Ibid.

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présenter la RDA autrement que par le biais de « lunettes pro-impérialistes »1761. Face à un Etat non socialiste, elle se veut résolument culture de guerre froide puisqu’elle tente de répondre à la question suivante : « comment faire changer l’autre, ou, plus précisément, comment lui faire adopter un nouveau système de valeurs ? »1762. Pour étayer leur argumentaire, les représentations est-allemandes en Egypte doivent d’ailleurs « être équipée[s] régulièrement avec du matériel et des films sur la culture et l’art de RDA (série de diapositives, livres de photographies, reproductions, cassettes-audio) »1763.

De ce point de vue, les acteurs institutionnels est-allemands expriment très clairement leur objectif : les négociations des plans de travail culturel sont « utilisées pour la présentation de [leur] politique »1764. En 1977, le département des relations culturelles avec l’étranger du ministère des Affaires étrangères fixe explicitement le rôle dévolu à la coopération culturelle et technico-scientifique. Celle-ci doit permettre :

« D’expliquer la politique extérieure constructive de la RDA, comme étant conforme à la stratégie coordonnée de la communauté des Etats socialistes, pour la consolidation de la paix, l’introduction des principes de la coexistence pacifique et l’aspiration à la détente internationale ; de présenter la position de principe de la communauté des Etats socialistes quant à la résolution du conflit au Proche-Orient ; de rendre hommage aux relations contractuelles et à l’état de la coopération en tant qu’expression de la politique constructive de la RDA à l’égard de la RAE, et d’exprimer le fait que la RDA est prête à poursuivre cette coopération, dans un intérêt réciproque ; d’informer sur le développement intérieur de la RDA, en particulier sur le développement de la politique culturelle après le 9ème congrès du parti »1765.

1761 « In Westeuropa werden die VAR und die ASU immer durch die proimperialistischen Brille gesehen dargestellt ». MfAA, L 187, C 1775, op.cit., Aktenvermerk über eine Unterredung des Kandidaten des Politbüros und Sekretärs des ZK der SED, Genossen Werner Lamberz, mit dem Minister für Information der VAR, Mohamed Fayek, am 30.3.1971 in der Zeit von 10.20 Uhr-11.45 Uhr. Botschaft der DDR in der VAR, Kairo, den 31.3.1971, p. 5. 1762 GOMART, Thomas, Double détente. Les relations franco-soviétiques de 1958 à 1964, Paris, Publications de la Sorbonne, 2003, p. 15. 1763 « Für die Arbeit unter Künstlern und Kulturschaffenden der ARÄ müßte die AV Kairo regelmäßig mit Material und Filmen über die Kultur und Kunst der DDR ausgestattet werden. (Dia-Serien, Bildbände, Kunstdrucke, Musik-Kassetten) ». MfAA, L 187, C 6499, op.cit., Analyse der kulturpolitischen Entwicklung in der AR-Ägypten 1978/79, Kulturattaché, Kairo, den 31.10.79, p. 33. 1764 « Die 1979 stattfindenden Verhandlungen zum Jahresprotokoll über den Warenverkehr, zum Kulturarbeitsplan 1979/80 und zum WTZ-Abkommen werden von der Botschaft unterstützt und für die Darlegung unserer Politik entsprechend den vorgennanten Schwerpunkten genutzt ». MfAA, L 187, C 6461, op.cit., Jahresorientierung für die Botschaft der DDR in der AR Ägypten für das Jahr 1979, NMO, Berlin, 18.12.1978, p. 17. 1765 « Die Verhandlungen sind dazu zu nutzen, - die konstruktiven Außenpolitik der DDR, die entsprechend der koordinierten Strategie der sozialistischen Staatengemeinschaft auf die Festigung des Friedens, die Durchsetzung der Prinzipien der friedlichen Koexistenz und die Förderung der internationalen Entspannung gerichtet ist, zu erläutern ; - die prinzipielle Haltung der sozialistischen Staatengemeinschaft zur Lösung des Nahots-Konflikts darzulegen ; - die bestehenden vertraglichen Beziehungen und den erreichten Stand der Zusammenarbeit als Ausdruck der konstruktiven Politik der DDR gegenüber der ARÄ zu würdigen und die Bereitschaft auszudrücken, diese Zusammenarbeit zum gegenseitigen Nutzen fortzuführen ; - über die innere Entwicklung in der DDR, insbesondere über die kulturpolitische Entwicklung nach dem IX. Parteitag zu informieren ». MfAA, 337

Concrètement, la préparation d’évènements culturels communs est encouragée par la RDA parce que les acteurs égyptiens impliqués dans de telles initiatives peuvent « rapporter au Caire à quel point [la] vie culturelle [est-allemande] est grande »1766. Le ministère des Affaires étrangères soutient activement l’organisation de spectacles et les manifestations culturelles de toutes sortes. Il délègue une partie de ce travail à des structures non gouvernementales, comme le Comité de solidarité de la RDA, créé en 19731767, qui regroupe à la fois des représentants du SED et des personnalités issues des milieux scientifiques et artistiques1768. Véritable « investissement culturel »1769, les expositions, les pièces de théâtre, les ballets, les festivals cinématographiques ou sportifs sont les outils discrets de la pénétration politique : destinés à fonder une familiarité culturelle et idéologique entre Allemands de l’Est et Egyptiens, apparemment dépourvus de portée politique, ils véhiculent toutefois à la marge les orientations officielles du régime de Berlin-Est. a) De Brecht à Isis et Osiris : expositions, ballets et pièces de théâtre, une culture choisie pour façonner une image internationale

L’organisation d’expositions est le premier outil de diffusion des modèles culturels est-allemand et égyptien, tels que les régimes des deux pays veulent bien les présenter à l’étranger. Chaque Etat encourage l’exhibition d’œuvres visant à faire sa promotion. En janvier 1971 par exemple, le centre international des expositions de Berlin-Est inaugure un espace consacré à l’ « Art d’Alexandrie », avec le concours du musée des Beaux-Arts de la ville égyptienne1770.

La RDA reste cependant à l’initiative de la majorité des évènements artistiques organisés en commun. Ces expositions contribuent à entretenir une image stéréotypée du pays qu’elles mettent en scène. La présentation qui est faite de l’Egypte en RDA cultive le portrait

L 187, C 1876, op.cit., Direktive für KAP-Verhandlungen DDR-ARÄ für 1977/78, von Abt. KAB an St II, Gen. Dr. Grunert, 20.5.77, p. 106-107. 1766 SAPMO-BArch, DR 1/ 18 887 : Ministerium für Kultur. Rapport final sur le séjour d’une invitée, Madame Samiha Ayoub, actrice, RAU, Berlin, 10.11.1970. 1767 Le Comité de solidarité de la RDA prend son nom en 1973. En réalité, il est le successeur du Comité de solidarité avec les peuples d’Afrique, créé en juillet 1960, qui était lui-même devenu en 1963 le Comité de solidarité afro-asiatique. Voir : MOINE, Caroline, « LA RDA à l’heure de la "solidarité internationale", Berlin- Est, août 1973 », in : METZGER, Chantal (dir.), op.cit., p. 291. 1768 MOINE, Caroline, « LA RDA à l’heure de la "solidarité internationale", Berlin-Est, août 1973 », in : METZGER, Chantal (dir.), La République démocratique allemande…, op.cit., p. 291-292. 1769 JARDIN, « Objectifs et outils… », op.cit., p. 40. 1770 MfAA, L 187, C 1317/76, op.cit., Protokoll. Bilaterale Beziehungen DDR-ARÄ, Januar 1975, Kairo, 13.2.1975.

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d’une civilisation éternelle et traditionnelle : en janvier 1970, Berlin-Est accueille par exemple une exposition intitulée « Le Caire, une ville millénaire sur le Nil »1771. L’Allemagne de l’Est encourage en outre l’inauguration sur son sol d’expositions consacrées à l’artisanat égyptien : en 1976, l’initiative est prévue par le plan de travail culturel bilatéral et doit mettre en valeur le folklore national1772. D’autres types de manifestations culturelles, ballets ou pièces de théâtre, sont également organisées de façon conjointe et véhiculent de même une image archétypique de la RDA ou de l’Egypte. En 1975 par exemple, le ministère est-allemand de la Culture s’engage à soutenir un projet égyptien de mise en scène d’un ballet intitulé « Isis et Osiris », dont les premières représentations, en Egypte puis en RDA doivent avoir lieu l’année suivante1773. Les deux pays organisent dans cette perspective des échanges de chorégraphes et de scénographes.

De son côté, l’Allemagne de l’Est soigne son image de pays moderne, modèle en matière de pédagogie et « à l’avant-garde de la nouvelle révolution industrielle »1774. En mars 1970, elle organise ainsi une exposition sur l’hygiène dans la capitale égyptienne1775. A Alexandrie, le centre culturel de la RDA s’empare également des questions sanitaires pour valoriser le développement de la recherche est-allemande : en mars 1976 par exemple, il organise une conférence sur la formation médicale en Allemagne orientale, organisé sous l’égide du doyen de la faculté de médecine de Rostock, le Dr. Muecke1776. Les projets culturels ont également pour but de valoriser le modèle éducatif est-allemand, « creuset de l’homme socialiste nouveau »1777, destiné à façonner « des générations de patriotes socialistes aptes à perpétuer le régime »1778. En 1979, par exemple, à l’occasion du 30ème anniversaire de sa fondation, Berlin-Est se félicite de l’inauguration conjointe, par le représentant du ministre égyptien de la Culture, M. al-Heini et l’ambassadeur est-allemand en Egypte, Otto Becker,

1771 « Ausstellung Kairo – tausendjährige Stadt am Nil ». MfAA, L 187, C 1641/76, op.cit., I.Quartal 1970. Beziehungensbericht VAR-DDR, Zum Stand der Beziehungen DDR-Vereinigte Arabische Republik, 9.7.1970, p. 42. 1772 MfAA, L 187, C 1449/78, op.cit., Arbeitsplan zwischen der Regierung der Deutschen Demokratischen Republik und der Regierung der Arabischen Republik Ägypten über die kulturelle und wissenschaftliche Zusammenarbeit in den Jahren 1975 und 1976 – Artikel 28. 1773 Ibid., Artikel 23. 1774 JARDIN, « Objectifs et outils… », op.cit., p. 36. 1775 MfAA, L 187, C 1641/76, op.cit., I.Quartal 1970. Beziehungensbericht VAR-DDR, Zum Stand der Beziehungen DDR-Vereinigte Arabische Republik, 9.7.1970. 1776 « L’agenda de l’Alexandrin », Le Progrès égyptien, 16 mars 1976, p. 3. 1777 DROIT, Emmanuel, « L’éducation en RDA… », op.cit., p. 3. 1778 Ibid., p. 7.

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d’une exposition consacrée à « l’enfant dans l’art de la RDA » au Centre international pour la coopération culturelle du Caire1779. Dans la même perspective, la RDA organise l’envoi d’enfants égyptiens dans les camps de vacances de pionniers est-allemands. En 1970, des enfants d’Abu Zabaal1780 sont reçus en RDA pour un séjour estival1781. Après les bombardements israéliens sur cette petite localité industrielle du Delta du Nil, au nord du Caire, en pleine guerre d’usure israélo-égyptienne1782, l’accueil en camp de vacances des enfants de sinistrés est une occasion pour Berlin-Est de mettre en pratique le principe de « solidarité anti-impérialiste ».

Enfin, l’ambition de la RDA est de s’inscrire dans la continuité de la grande histoire politique et culturelle de l’Allemagne : elle reprend notamment à son compte l’héritage de la Renaissance allemande et le caractère subversif de la Réforme protestante du XVIe siècle. L’historiographie officielle du régime présente ainsi l’effervescence réformatrice et les troubles sociaux des années 1520 comme le fondement précurseur de la lutte révolutionnaire allemande, dont la RDA serait l’héritière. A ce titre, elle encourage la diffusion des œuvres des grands peintres contemporains de Luther, comme Albrecht Dürer1783 et Lucas Cranach l’Ancien1784, dont les toiles ont nourri l’iconographie protestante et la satire de la papauté. Plusieurs expositions sont consacrées à ces deux artistes au cours de l’année 1972 à Assouan, au Caire et à Alexandrie1785. En 1979, Berlin-Est encourage également la diffusion en Egypte du film de Bernhard Stephan, Georg Ratgeb, peintre, consacré à l’artiste allemand qui s’est

1779 MfAA, L 187, C 6499, op.cit., Lettre de Rudolf Kaliess, attaché culturel à l’ambassade de la RDA au Caire, à Gerhard Schröter, département des relations internationales du ministère de la Culture, le Caire, 6.9.1979. 1780 Voir supra, partie I, chapitre 2, p. 128-132. 1781 MfAA, L 187, C 1641/76, op.cit., Bericht über die Beziehungen VAR/DDR im III. Quartal 1970. 1782 MfAA, L 187, C 1111/75 – 1117/75, op.cit., Informationsbericht 3/70. 1.Bericht des Gen. Käubler über den israelischen Luftangriff auf Abu Zaabal. Botschaft der DDR in der VAR, Kairo, den 18.2.1970. 1783 Né en 1471 et mort en 1528. En 1971, à l’occasion du 500ème anniversaire de la naissance du peintre, la RDA émet des timbres à son effigie et des pièces de dix marks associant son monogramme à l’emblème de l’Etat est-allemand. Cette alliance entre une figure célèbre de la Renaissance et l’emblème de la RDA se retrouve également dans l’émission en 1975 de billets de cinq marks à l’effigie de Thomas Müntzer, ancien curé de Zwickau qui au début du XVIe siècle, élabore un idéal religieux et social d’une communauté mystique destinée à accomplir une grande réforme sociale. Voir la contribution de Bernard Vogler dans : FIGEAC, Michel (dir.), Les affrontements religieux en Europe. Du début du XVIe siècle au milieu du XVIIe siècle, Paris, Editions Sedes, 2008, p. 298. Voir aussi la thèse de Cécile VIGNEULLE : Historiographie et politique en RDA : l’exemple de Thomas Müntzer, thèse de doctorat en Etudes germaniques soutenue en 1997 à l’Université Marc Bloch de Strasbourg et publiée en 2001 à Lille. 1784 Né en 1472 et mort en 1553. 1785 MfAA, L 187, C 1304/76, op.cit., Jahresabschlussbericht 1972, Botschaft der DDR in der AR Ägypten, Sektion Presse, Sektion Kultur, Kairo, den 29.1.1973. Aktivitäten im kulturell-wissenschaftlichen Bereich.

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engagé dans la Guerre des Paysans en 15251786. A cette occasion, le réalisateur est-allemand participe même à une émission à la radio du Caire, afin de présenter son œuvre1787.

Dans la même perspective de construction de sa mythologie historique, la RDA promeut également la popularisation des œuvres d’artistes contemporains reconnus par le régime et considérés comme les meilleurs émissaires du modèle antifasciste et pacifiste est-allemand à l’étranger. En 1970, le réalisateur Kurt Veth met en scène au Caire la pièce de Bertolt Brecht créée à Berlin en 1954, Le Cercle de craie caucasien, dont le cadre narratif initial est celui d’un kolkhoze1788. L’actrice égyptienne Samiha Ayoub y joue le rôle de Groucha, une servante qui recueille un enfant noble, abandonné par sa mère après une révolution de palais. La RDA valorise aussi la production du peintre Gerhard Stengel : en 1975, « à l’occasion du 30ème anniversaire de la libération du fascisme » et de la fin de la Seconde Guerre mondiale, ce dernier se rend en Egypte pour exposer ses œuvres1789. Né en 1915 à Leipzig, maître de conférences en peinture à l’Académie des Beaux-Arts de Dresde en 1953, puis nommé Professeur en 1969, il est lauréat du prix artistique décerné par la FDGB en 19741790. Ce séjour lui inspire des croquis consacrés à l’Egypte, notamment les Acht Skizzen aus Ägypten1791, datés de 1975.

1786 MfAA, L 187, C 6499, op.cit., Information über das 4. Internationale Filmfestival Kairo, 17.-26. September 1979, Kulturattaché, Kairo, den 16.10.79. 1787 Ibid. 1788 SAPMO-BArch, DR 1/ 18 887, op.cit., Rapport final sur le séjour d’une invitée, Madame Samiha Ayoub, actrice, RAU, Berlin, 10.11.1970. 1789 MfAA, L 187, C 1449/78, op.cit., Arbeitsplan zwischen der Regierung der Deutschen Demokratischen Republik und der Regierung der Arabischen Republik Ägypten über die kulturelle und wissenschaftliche Zusammenarbeit in den Jahren 1975 und 1976 – Artikel 27. 1790 VOLLMER, Hans (dir.), Allgemeines Lexicon der bildenden Künstler des XX. Jahrhunderts, Leipzig, E.A. Seemann, vol. 4, 1953. Gerhard Stengel est mort en 2001. 1791 En français : « Huit croquis d’Egypte ».

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Illustrations 4, 5, 6 et 7 : Quatre des Acht Skizzen aus Ägypten de Gerhard Stengel, 1975

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De même, le régime est-allemand tire profit du séjour en Egypte du décorateur et costumier du Berliner Ensemble1792, Eduard Fischer, qui expose en 1976 au théâtre national de l’Ezbekiyya1793, au Caire1794.

Ces évènements culturels sont explicitement conçus comme les instruments de promotion des régimes est-allemand et égyptien. En 1970, la RDA soutient la formation d’un réalisateur égyptien, Mohamed Saïd Tarabik, à l’Ecole supérieure de théâtre de Leipzig, car une telle initiative « pourra contribuer à la visibilité de [la] République [est-allemande] »1795. En 1979, à l’occasion du 30ème anniversaire de la création de la RDA, l’ambassade s’investit dans une série de projets culturels en Egypte, destinés à rendre visible la présence est- allemande dans le pays : la représentation du ballet « Isis et Osiris », l’organisation d’expositions et la diffusion de films est-allemands sont en effet autant de « mesures [qui] vont être popularisées dans la presse égyptienne et à la radio du Caire »1796.

De la même façon, l’Etat égyptien attribue à la culture la fonction de support du régime en place. Dans les périodes de mésentente politique entre Berlin-Est et le Caire, une telle instrumentalisation est dénoncée par la RDA. A la fin de l’année 1979, alors que la rupture est presque consommée entre l’Egypte de Sadate, qui vient de signer la paix avec Israël1797, et les Etats socialistes, les diplomates est-allemands condamnent ce qu’ils considèrent comme la soumission de la culture égyptienne à l’orientation politique pro-impérialiste du gouvernement. Selon l’ambassadeur est-allemand au Caire, Otto Becker, « dans le cadre de la dictature présidentielle qu’il édifie, Sadate réprime toujours davantage la culture égyptienne nationale progressiste et en donne une image erronée. Il s’attache surtout aux temps "pré- arabes", afin d’appuyer sa politique idéologiquement chauvine »1798. D’après lui, la

1792 Le Berliner Ensemble est le théâtre fondé à Berlin en 1949 par Bertolt Brecht. 1793 Au Caire, le théâtre national est situé dans les jardins de l’Ezbekiyya, dans le quartier du même nom, au nord du centre-ville. 1794 MfAA, L 187, C 1876, op.cit., Einschätzung des Erfüllungsstandes des KAP 1975/76 DDR-ARÄ, Abt. Kulturelle Auslandsbeziehungen, Berlin, 23.5.1977. 1795 SAPMO-BArch, DR 1/ 18 887, op.cit., Lettre adressée par M. Winter, 2ème secrétaire à l’ambassade de RDA en RAE, à Mme Bambor, Département des relations culturelles au ministère de la Culture de RDA, le Caire, 18.1.1970. 1796 MfAA, L 187, C 6499, op.cit., Lettre de Rudolf Kaliess, attaché culturel à l’ambassade de la RDA au Caire, à Gerhard Schröter, département des relations internationales du ministère de la Culture, le Caire, 6.9.1979. 1797 Le traité de paix israélo-égyptien est signé en mars 1979, à la suite des accords de Camp David de 1978. Voir supra, partie I, chapitre 3, p. 160-167. 1798 « Sadat geht in Verbindung mit der weiteren Ausprägung seiner Präsidialdiktatur immer mehr dazu über, die progressive ägyptische Nationalkultur zu unterdrücken bzw. zu verfälschen. Dabei knüpft er vor allem an 343

« glorification de Ramsès II »1799 ou le projet de construction à Louxor d’un palais de la culture « dans le style pharaonique »1800 s’inscrivent clairement dans ce contexte. Pourtant, si Sadate délaisse incontestablement l’arabisme nassérien pour mieux valoriser une identité proprement égyptienne, en particulier par le recours fréquent aux références pharaoniques1801, les critiques est-allemandes s’expliquent davantage par des désaccords de nature politique que par des divergences de fond quant aux normes culturelles brandies par le régime : au moment même où elle condamne le « chauvinisme » en vogue en Egypte, la RDA participe sans scrupules au ballet « Isis et Osiris », qui emprunte son titre aux dieux du panthéon égyptien. Du point de vue est-allemand, la paix israélo-égyptienne de Camp David, parrainée par les Etats-Unis, a définitivement précipité l’Egypte dans le camp impérialiste : dès lors, la politique culturelle de Sadate ne peut être que l’outil d’un régime inique.

C’est à partir de cette grille de lecture que Rudolf Kaliess analyse les évènements culturels organisés en Egypte à la fin de l’année 1979. Selon lui, la présence d’Elisabeth Taylor, « invitée personnelle de la famille Sadate », au 4ème festival international du film du Caire en septembre 1979, « fait figure de démonstration politique pour le soutien au traité séparé » de Camp David1802. De même, le colloque organisé du 4 au 6 décembre 1979 par le Middle East Research Center de l’Université Aïn Shams, consacré aux transformations sociales et à la crise de la culture dans le monde arabe, s’apparente à « une mesure supplémentaire visant à rassembler les intellectuels égyptiens autour de l’orientation politique suivie par le régime de Sadate »1803. Rudolf Kaliess dénonce l’implication massive de « dirigeants politiques du PND1804 » et de spécialistes du Proche-Orient américains, ouest- allemands et britanniques dans l’organisation du colloque. Surtout, il évalue la rencontre

« vorarabische » Zeiten an, um seine chauvinistische Politik ideologisch zu untersetzen ». MfAA, L 187, C 6499, op.cit., Bemerkungen, Botschaft der DDR in der AR Ägypten, Kairo, den 18.11.1979, p. 35. 1799 « Glorifizierung von Ramses II. ». Ibid. 1800 MfAA, L 187, C 6499, op.cit., Analyse der kulturpolitischen Entwicklung in der AR-Ägypten 1978/79, Kulturattaché, Kairo, den 31.10.79. 1801 CLOAREC, Vincent, LAURENS, Henry, Le Moyen-Orient…, op.cit., p. 146. 1802 « Organisiert war lediglich der Auftritt Elisabeth Taylors, die ihren Auftritt als politische Demonstration der Unterstützung des Separatvertrages gestaltete ». MfAA, L 187, C 6499, op.cit., Information über das 4. Internationale Filmfestival Kairo, 17.-26. September 1979, Kulturattaché, Kairo, den 16.10.79, p. 13. 1803 « […] die ägyptische Intelligenz auf den politischen Kurs des Sadatregimes zu bringen ». MfAA, L 187, C 6499, op.cit., Information über ein Symposium über die « Kulturkrise » in der arabischen Welt, Kulturattaché, Kairo, den 8.12.79, p. 37. 1804 Parti National Démocratique, parti gouvernemental créé par Sadate en 1978.

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comme une « tentative du régime actuel de justifier scientifiquement et théoriquement la politique séparée et d’adapter les positions des intellectuels égyptiens à cette politique »1805.

En réalité, la RDA adopte exactement les mêmes méthodes que celles employées par le régime égyptien : l’ingérence du SED dans la vie culturelle est-allemande est totale1806, y compris dans le déroulement des manifestations artistiques à l’étranger. Dans un « système de contrôle absolu de la culture »1807, le ministère des Affaires étrangères encourage les initiatives susceptibles de diffuser les positions politiques officielles du régime. En octobre 1970 par exemple, Irène Gysi, fonctionnaire au département des relations culturelles du MfAA, soutient le projet de représentation en RDA d’une « pièce de théâtre [égyptienne] politique et d’actualité, contre le sionisme »1808. L’ambassade est-allemande au Caire se procure la version anglaise du scénario afin de la transmettre au dramaturge Hans Michael Richter, qui travaille à Leipzig. b) Festivals sportifs et cinématographiques: « solidarité internationale »1809 ou « fiasco politico-culturel »1810 ?

En Allemagne de l’Est, comme le rappelle Caroline Moine, la « solidarité internationale » est une thématique qui relève à la fois de la politique extérieure et de la politique intérieure1811 : le slogan est brandi aussi bien dans le cadre de l’offensive culturelle est-allemande menée dans le Tiers-monde qu’en RDA. Il s’agit autant de séduire l’étranger que de compenser le déficit de légitimité du régime est-allemand à l’intérieur de ses frontières, grâce à des manifestations qui mettent en scène le prestige international de la RDA. Dans cette perspective, la « forme festivalière »1812 apparaît comme l’incarnation divertissante, contrôlée et médiatisée de l’action internationale est-allemande. En Egypte

1805 « Das Symposium kann als weiterer wesentlicher Schritt des gegenwärtigen Regimes zur wissenschaftlich- theoretischen Rechtfertigung der Separat-Politik und zur Anpassung der Positionen der ägyptischen Intelligenz an diese Politik gewertet werden ». MfAA, L 187, C 6499, op.cit., Information über ein Symposium über die « Kulturkrise » in der arabischen Welt, Kulturattaché, Kairo, den 8.12.79, p. 37. 1806 FRITSCH-BOURNAZEL, Renata, L’Allemagne depuis 1945, op.cit., p. 50-51. 1807 MARES, Antoine, « Introduction », op.cit., p. 10. 1808 SAPMO-BARch, DR 1/ 18 887, op.cit., Lettre d’Irène Gysi à M. Schrader, 29.10.1970. 1809 Sur le travail de communication et de propagande réalisé par Berlin-Est à l’occasion des festivals internationaux, voir notamment les travaux de Caroline Moine. 1810 Das « internationale kulturpolitische Fiasko ». MfAA, L 187, C 6499, op.cit., Analyse der kulturpolitischen Entwicklung in der AR-Ägypten 1978/79, Kulturattaché, Kairo, den 31.10.79, p. 28. 1811 MOINE, Caroline, « LA RDA à l’heure de la "solidarité internationale"… », op.cit., p. 290. 1812 Ibid., p. 294.

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comme en Allemagne orientale, Berlin-Est investit activement ce type de manifestations publiques, notamment dans les domaines du sport et du cinéma.

Les compétitions sportives internationales sont des périodes stratégiques du point de vue de la construction de l’image à l’étranger et de la création d’un consensus social à l’intérieur. « Champ de concurrence entre les Etats »1813, ces dernières sont en effet un outil majeur de la diplomatie, puisqu’elles sont l’occasion glorifier le drapeau national et de populariser l’image du pays à l’extérieur. Elles mettent en relation les individus et contribuent ainsi à développer le sentiment de proximité culturelle. En juillet 1969, lors du festival international de la Mer Baltique (Ostseewoche)1814, le match entre les équipes nationales de football de RDA et d’Egypte à Rostock est salué par l’entraîneur égyptien, malgré sa défaite : « nous voulons apprendre de ces bons amis »1815. Les dirigeants ont d’ailleurs conscience du caractère rassembleur des rencontres sportives : en 1982, le président Hosni Moubarak sollicite l’appui de la RDA pour former les cadres sportifs et développer les clubs de sport dans les différents gouvernorats d’Egypte, afin de « poser les fondements d’un futur travail intensif avec la jeunesse »1816. En juillet 1983, à l’occasion de la 7ème édition du festival sportif et gymnique de Leipzig, la RDA profite de la bonne disposition du gouvernement égyptien pour inviter le ministre de la jeunesse et du sport de RAE, Abdel Ahad Gamal Eddine1817. En juillet 1987, ce dernier se rend à nouveau à Leipzig au moment du festival sportif1818.

Outre le sport, le cinéma est l’un des supports privilégiés de la propagande étatique : l’audience relativement large dont il bénéficie auprès des populations en fait un outil majeur de promotion des relations bilatérales. En septembre 1970, la semaine du film égyptien est par exemple introduite en RDA1819. En 1975, une délégation des archives filmiques d’Etat de la

1813 DE LABRUSSE, Jean, « La représentation est-allemande sur la scène sportive internationale, 1948-1968 », in : Bulletin de l’Institut Pierre Renouvin, automne 2003, n° 16, p. 135-148. 1814 Ce festival est organisé tous les ans de 1958 à 1975, dans le district de Rostock, et donne lieu à des manifestations politiques, culturelles et sportives. 1815 « L’échange amical RDA-RAU s’est achevé 7-0 », Neues Deutschland, 10 juillet 1969, p. 8. 1816 SAPMO-BArch, DY 30/ 5082, op.cit., Note sur une conversation avec le président du Haut Conseil pour la jeunesse et le sport de RAE, le ministre d’Etat, Dr. Abdel Ahad Gamal Eddin, 1.9.1982. 1817 SAPMO-BArch, DY 30/ 5082, op.cit., Lettre adressée par le secrétaire d’Etat pour la culture corporelle et le sport, Günter Erbach, au directeur du Département du sport du Comité central du SED, R. Hellmann, Berlin, 15.7.1983. 1818 SAPMO-BArch, DY 30/ 5082, op.cit., Lettre adressée par Ingolf Michalski, chargé d’affaires à l’ambassade de RDA au Caire, à M. Martinek, directeur du département des relations internationales au Secrétariat d’Etat pour la culture corporelle et le sport, le Caire, 6.7.1987. 1819 MfAA, L 187, C 1641/76, op.cit., Bericht über die Beziehungen VAR/DDR im III. Quartal 1970. 346

RDA se rend en Egypte pour aider le Visual Images Technical Centre de RAE à préparer une rétrospective sur le film documentaire arabe1820 : cette dernière doit être présentée lors du festival international annuel du film documentaire et du court-métrage, organisé à Leipzig depuis 1955. Dès 1956, l’Egypte est en effet devenue l’un des premiers pays du Tiers-monde à figurer dans la sélection des films retenus à Leipzig, aux côtés du Vietnam1821. Véritable arme diplomatique du régime est-allemand, le festival de Leipzig fait à la fois figure de tribune pour le Tiers-monde en RDA et de réceptacle d’ « un vaste ensemble de production documentaire politiquement largement exploité [par Berlin-Est], de la guerre du Vietnam au conflit israélo-palestinien […] »1822. Vitrine possible de la production cinématographique des Etats du Tiers-monde, l’évènement nourrit et légitime a posteriori la rhétorique est- allemande, qui présente la RDA comme le partenaire anti-impérialiste des peuples opprimés. Cette posture n’empêche nullement Berlin-Est de soumettre les films égyptiens à une censure préalable, avant leur diffusion éventuelle à Leipzig1823.

Inversement, l’Allemagne de l’Est s’implique fortement dans les manifestations organisées en Egypte : le développement de l’industrie cinématographique dans le pays accroît les possibilités, pour les Etats socialistes, « de montrer des films au public », notamment à l’occasion de leurs fêtes nationales respectives1824. En janvier 1971, la RDA participe au festival du film pour enfants qui se déroule au Caire1825. En 1979, elle est représentée, parmi 21 pays du monde entier1826, au 4ème festival international du film du Caire,

1820 MfAA, L 187, C 1449/78, op.cit., Arbeitsplan zwischen der Regierung der Deutschen Demokratischen Republik und der Regierung der Arabischen Republik Ägypten über die kulturelle und wissenschaftliche Zusammenarbeit in den Jahren 1975 und 1976 – Artikel 40. 1821 MOINE, Caroline, « Films documentaires et relations internationales. La création du festival de Leipzig, 1955-1964 », in : Bulletin de l’Institut Pierre Renouvin, printemps 2001, n° 11, p. 45-61. 1822 Ibid., p. 61. 1823 MfAA, L 187, C 1440/78, op.cit., Vermerk über ein Gespräch mit dem Minister für Kultur und Information, Yussef El Sebai, am 20.12. 1975, Botschaft der DDR in der AR Ägypten, Kairo, den 30.12.1975, p. 13-14. 1824 MfAA, L 187, C 6499, op.cit., Analyse der kulturpolitischen Entwicklung in der AR-Ägypten 1978/79, Kulturattaché, Kairo, den 31.10.79. 1825 MfAA, L 187, C 1317/76, op.cit., Protokoll. Bilaterale Beziehungen DDR-ARÄ, Januar 1975, Kairo, 13.2.1975. 1826 Il s’agit des pays suivants : Etats-Unis, Autriche, Hollande, France, Norvège, RFA, Grèce, Italie, Espagne, Sri Lanka, Suisse, Danemark, Turquie, Egypte, Chine, URSS, Pologne, Tchécoslovaquie, Hongrie, Yougoslavie et RDA. Les pays arabes ne participent pas à l’édition de 1979 du festival, qui a lieu quelques mois à peine après la signature de la paix séparée entre l’Egypte et Israël. Israël de son côté envoie une délégation d’observateurs. Voir : MfAA, L 187, C 6499, op.cit., Information über das 4. Internationale Filmfestival Kairo, 17.-26. September 1979, Kulturattaché, Kairo, den 16.10.79.

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qui se déroule du 17 au 26 septembre1827. Fondé en 1976, le festival a lieu tous les ans et est organisé par l’association égyptienne des réalisateurs et des critiques de cinéma, avec le soutien financier de l’Etat. La direction du festival, comme le ministère égyptien de la Culture, refusent pourtant de qualifier l’évènement d’initiative étatique et soulignent son entière indépendance. Le festival est l’occasion de présenter à l’étranger des films est-allemands qui ont été rigoureusement sélectionnés au préalable par les autorités de RDA. De ce point de vue, il offre au régime de Berlin-Est un gain de visibilité non négligeable : à l’issue de sa quatrième édition, l’attaché culturel Rudolf Kaliess estime que « les pays socialistes ont été bien traités » et que la projection du film de Bernhard Stephan, Georg Ratgeb, peintre, « a intéressé le public ». Après la clôture du festival, le film a d’ailleurs été à nouveau diffusé dans deux clubs cinématographiques et « a suscité l’intérêt des spectateurs ». Rudolf Kaliess souligne explicitement la dimension politique d’un tel projet culturel : s’il évalue positivement le résultat de la participation est-allemande en termes d’image, il estime que le festival pourrait être l’occasion de renforcer le « travail d’information » en Egypte, en profitant de sa concomitance avec l’anniversaire de la fondation de la RDA, puisque les deux évènements ont lieu à peu près à la même époque de l’année1828. L’attaché culturel propose ici une véritable stratégie de communication destinée à mieux ancrer dans les esprits l’image de la RDA. Il conseille d’accroître, durant cette période, la production de matériel publicitaire vantant les films est-allemands, ainsi que celle des expositions d’affiches de cinéma, afin de créer une familiarité temporelle entre le déroulement du festival en Egypte et la célébration de la fondation de la RDA.

Un tel dessein n’occulte pas cependant le caractère très idéaliste de la mise en œuvre, sur le terrain égyptien, de la « solidarité internationale ». Confrontée à l’épreuve du réel, cette notion apparaît rapidement comme un horizon utopique. Conscients des limites de leur action, les acteurs est-allemands prônent bien souvent la nécessaire « flexibilité »1829 de l’offensive culturelle et expriment ouvertement les difficultés auxquelles ils sont confrontés, même s’il est difficile d’évaluer la part des préjugés dans la description qu’ils font des obstacles mis à la conquête socialiste des esprits et des imaginaires en Egypte.

1827 MfAA, L 187, C 6499, op.cit., Information über das 4. Internationale Filmfestival Kairo, 17.-26. September 1979, Kulturattaché, Kairo, den 16.10.79. 1828 L’anniversaire de la fondation de la RDA est le 7 octobre. Le festival international du film du Caire a lieu, habituellement, en novembre. C’est toujours le cas aujourd’hui. 1829 MfAA, L 187, C 6461, op.cit., Jahresorientierung für die Botschaft der DDR in der AR Ägypten für das Jahr 1979, NMO, Berlin, 18.12.1978.

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La façon dont Rudolf Kaliess évalue le festival international du film organisé en 1979, témoigne de cette ambivalence et des résultats mitigés que revêt l’offensive culturelle de la RDA en Egypte. Si le festival offre, d’après lui, la « possibilité de présenter [des] film[s] à l’opinion égyptienne »1830, il estime toutefois que l’organisation et l’orientation idéologique de l’évènement ne sont pas optimales. L’attaché culturel va même jusqu’à qualifier le festival, de ce point de vue, de « fiasco politico-culturel international »1831. Il énumère les insuffisances matérielles et les failles politiques de l’entreprise. En raison de « moyens financiers trop limités », les projections ont eu lieu dans des « petits cinémas », le protocole n’a pas été respecté, les films n’ont pas été commentés et les organisateurs n’ont pris en charge ni les frais de boisson, ni les coûts de location des salles destinées à accueillir les conférences de presse1832. Par conséquent, un certain nombre d’incidents a émaillé le festival et contribué à ternir son image. Rudolf Kaliess déplore le fait que lors de l’inauguration, aucune place n’ait été réservée pour les invités étrangers ou les membres du corps diplomatique. Il décrit un joyeux désordre, où « les délégations étrangères cherch[ent] partout une place dans la salle ». Tentant de se frayer un chemin parmi la foule, « l’ambassadeur canadien a [même] été importuné par un officier de police » et « a quitté la salle en protestant ». Le Canada s’est finalement retiré du festival. Cette anarchie a vivement mécontenté les participants : « tous les invités […] étaient très insatisfaits et ont préféré aller visiter les curiosités du Caire ». Le relais médiatique a inévitablement été affecté par une telle confusion, puisque très peu de conférences de presse ont été organisées : « du côté des pays socialistes, seule la Hongrie [en] a donné [une] ». Plus grave, les retombées politico-idéologiques du festival restent mineures du point de vue est-allemand. « Tous les films du festival ont été soumis à la censure égyptienne et parfois, certains passages des films ont été supprimés », ce qui a notamment suscité le départ de la délégation yougoslave. En outre, la fédération internationale des associations de producteurs de films a refusé de reconnaître le festival, qui s’est retrouvé privé de jury international et n’a donc pas décerné de

1830 MfAA, L 187, C 6499, op.cit., Information über das 4. Internationale Filmfestival Kairo, 17.-26. September 1979, Kulturattaché, Kairo, den 16.10.79. 1831 MfAA, L 187, C 6499, op.cit., Analyse der kulturpolitischen Entwicklung in der AR-Ägypten 1978/79, Kulturattaché, Kairo, den 31.10.79. 1832 « Bei der Eröffnung des Festivals gab es keinerlei Protokoll. Weder für die ausländischen Gästen des Festivals noch für das Diplomatische Corps waren Sitzplätze reserviert werden. Der kanadische Botschafter z.B. wurde im Gedränge von einem Polizeioffizier belästigt. Er verließ unter Protest den Saal, und Kanada zog seinen Filmbeitrag zurück. Die ausländischen Delegationen suchten sich irgendwo im Saal Platz […]. Alle teilnehmenden Gäste waren unzufrieden und zogen vor, sich die Sehenswürdigkeiten Kairos anzuschauen ». MfAA, L 187, C 6499, op.cit., Information über das 4. Internationale Filmfestival Kairo, 17.-26. September 1979, Kulturattaché, Kairo, den 16.10.79, p. 13.

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prix. Finalement, Rudolf Kaliess dresse un bilan relativement lucide de la participation est- allemande au festival international du film en 1979 : si cette dernière a permis d’entretenir ou de susciter un certain intérêt « pour les activités culturelles des Etats socialistes […] parmi les intellectuels, les […] artistes […], les professeurs et les étudiants », la majorité de la population égyptienne n’a pas eu accès ou ne s’est pas sentie concernée par une telle initiative. c) Les manifestations culturelles est-allemandes en Egypte : une audience limitée

Si l’ambition affichée de la RDA est de promouvoir le « travail culturel parmi les masses »1833 en Egypte, le décalage est flagrant toutefois entre les principes énoncés et les résultats obtenus. Bien que

« Les nombreux sites historiques et musées occupent une place importante dans la vie culturelle égyptienne, la majorité des visiteurs […] sont cependant des touristes étrangers, des étudiants et des membres de la classe moyenne. La masse du peuple n’a pas accès à cette culture en raison des droits d’entrée trop élevés et du manque d’occasions. Des expositions artistiques ont souvent lieu, mais dans un cadre très restreint et non accessible à un large public. Il n’existe pas d’expositions permanentes. Les salles […] ne sont pas très attractives et sont trop petites »1834.

Les évènements organisés par les centres culturels est-allemands du Caire et d’Alexandrie sont dans l’ensemble peu relayés par les médias égyptiens. Le quotidien Le Progrès Egyptien, publié en langue française, informe régulièrement dans ses colonnes des manifestations culturelles organisées par les instituts étrangers. Mais la ligne éditoriale du journal, relais inconditionnel de la politique gouvernementale, subordonne l’image qui est véhiculée des pays socialistes à l’état des relations diplomatiques. En outre, la publication s’adresse à un lectorat extrêmement réduit en Egypte, alphabétisé et francophone, souvent issu des classes sociales les plus favorisées, ou aux expatriés1835. Tant que le contexte politique le permet, il reste néanmoins l’un des vecteurs d’information susceptibles de diffuser l’action culturelle est-allemande en Egypte. En janvier 1977 par exemple, il fait part

1833 « Kulturelle Massenarbeit ». MfAA, L 187, C 1449/78, op.cit., Arbeitsplan zwischen der Regierung der Deutschen Demokratischen Republik und der Regierung der Arabischen Republik Ägypten über die kulturelle und wissenschaftliche Zusammenarbeit in den Jahren 1975 und 1976 – Artikel 36. 1834 « Einen wichtigen Platz im Kulturleben Ägyptens nehmen die zahlreichen Museen und historischen Kulturstätten ein. Die Mehrzahl der Besucher dieser Stätten sind jedoch ausländische Touristen, Studenten und Angehörige des Mittelstandes. Der Masse des Volkes bleiben diese Kultureinrichtungen wegen des zu hohen Eintrittsgeldes und des Mangels an Gelegenheit veschlossen. Kunstausstellungen finden regelmäßig, aber in äußerst kleinem Rahmen und von der breiten Öffentlichkeit nicht wesentlich beachtet, statt. Es gibt keine ständige Kunstausstellung. Die Ausstellungeräume sind nicht sehr attraktiv und zu klein ». MfAA, L 187, C 6499, op.cit., Analyse der kulturpolitischen Entwicklung in der AR-Ägypten 1978/79, Kulturattaché, Kairo, den 31.10.79, p. 30. 1835 KRAEMER, Gilles, « La presse francophone en Méditerranée. Anomalie d’un média de masse national en langue non nationale », in : Réseaux, 2002/1, n° 111, p. 198.

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de la projection d’un film sur « la construction d’une ville nouvelle en Allemagne démocratique » au centre culturel de la RDA à Alexandrie, en présence du consul Werner Kempe1836. Le documentaire est commenté par le nouvel attaché de presse de l’ambassade est-allemande au Caire, Klaus Schteiher. A cette occasion, les diplomates est-allemands ont convié la presse égyptienne ainsi que « plusieurs personnalités alexandrines ».

L’impact relativement limité de l’action culturelle est-allemande en Egypte n’en fait pas un outil d’implantation idéologique très efficace. Relais utiles du politique, les manifestations culturelles sont strictement restreintes dès que la partie égyptienne estime qu’elles contreviennent à leur objectif affiché : l’aide au développement scientifique et industriel de l’Egypte. Les acteurs est-allemands sont régulièrement rappelés à l’ordre : du point de vue égyptien, la coopération culturelle bilatérale « n’a rien à voir avec la politique »1837. De ce point de vue, les buts ultimes de la RDA et de l’Egypte diffèrent grandement.

B. « Les conversations sur la politique ne sont pas nécessaires »1838. Entre collaboration et confrontation, la coopération technico-scientifique et culturelle nourrit des attentes divergentes

1. Formation idéologique ou formation technique ? a) Pour la RDA : former des « activistes expérimentés »1839 et de futurs partenaires. Les objectifs extra-scientifiques de la coopération culturelle i.Morale et conscience politique. Les Egyptiens diplômés en RDA : des émissaires de Berlin- Est à l’étranger? Du point de vue est-allemand, l’objectif explicite qui guide la coopération culturelle et technico-scientifique est de recruter, parmi les étudiants étrangers, les meilleurs ambassadeurs de la RDA : ces derniers doivent devenir, « une fois leurs études terminées, des activistes expérimentés du mouvement d’amitié dans leurs propres pays »1840. Comme le constate Fritz Taubert lorsqu’il analyse le processus de formation des ouvriers algériens en RDA au cours

1836 Le Progrès Egyptien, 25 janvier 1977, p. 3. 1837 « […] und habe nichts mit Politik […] zu tun ». MfAA, L 187, C 6465, op.cit., Vermerk, Kairo Universität, Prof. Dr. Ihlenburg, Kairo, den 4.1.78, p. 27. 1838 MfAA, L 187, C 1346/76, op.cit., Kurze Einschätzung der Antrittsbesuche, Konsulat Alexandria, Alexandria, den 23.11.1971, p. 10. 1839 SAPMO-BArch, DY 13/ 2349, op.cit., Décision du Secrétariat de la Ligue pour l’amitié entre les peuples de RDA sur le travail à mener avec les étudiants étrangers et les diplômés est-allemands dans les établissements scolaires de RDA, le 31.10 1975. 27.11.1975. 1840 Ibid.

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des années 1960, Berlin-Est caresse l’espoir, en renvoyant des travailleurs qualifiés dans leurs pays, « d’y importer des idées bien spécifiques d’organisation sociale »1841. La délivrance d’un diplôme ou d’un certificat à l’issue de la formation donne d’ailleurs lieu à une évaluation du niveau de conscience politico-idéologique atteint par les stagiaires. En 1975, Mahmoud Atef Mohamed Hessien Mandour, un Egyptien de trente ans qui vient de passer vingt-deux mois à l’école de technique agricole de Triptis, obtient la qualification d’ « économiste en maintenance ». Spécialisé dans l’entretien et la réparation de machines agricoles, titulaire du permis de conduire pour les tracteurs et les machines agricoles lourdes, il repart en Egypte, selon ses formateurs, « en situation de diriger un collectif, même s’il doit gagner en confiance »1842. L’un de ses collègues, Mohamed Abdel Moula M. Ali, qui a suivi la même formation, « pourra faire partie des conseillers [en Egypte] et transmettre son savoir »1843. Dans cette perspective, les institutions et les organisations sociales est-allemandes compétentes en matière de formation populaire et dans le domaine culturel, se disent ouvertement « responsables de l’influence idéologique [exercée] sur les étrangers qui étudient en RDA »1844. Le comportement et la « morale »1845 des Egyptiens formés en Allemagne de l’Est sont rigoureusement évalués par leurs formateurs et par les fonctionnaires du régime. Les étudiants doivent signer un « engagement » leur imposant quelques règles de conduite, comme le fait de ne pas s’adonner à des activités politiques ou commerciales et de « respecter les lois » en vigueur en RDA1846. Surtout, leur formation s’accompagne d’un encadrement idéologique supposé les convertir aux vertus du marxisme-léninisme. De ce point de vue, la mission des enseignants du supérieur en RDA est claire : en 1965, la « Loi sur l’unité du système d’éducation socialiste » leur demande de « donner une formation et une éducation socialiste » aux étudiants est-allemands et étrangers1847. Certains instituts sont spécialisés dans l’accueil des étrangers et mettent en œuvre cette « réorganisation révolutionnaire dans les

1841 TAUBERT, Fritz, La guerre d’Algérie…, op.cit., p. 143. 1842 SAPMO-BArch, DY 34/ 10 542 : FDGB. Studenten und Praktikanten. Ägypten, 1967-1975. Dossiers de stagiaires. 1843 Ibid. 1844 SAPMO-BArch, DY 13/ 2349, op.cit., Décision du Secrétariat de la Ligue pour l’amitié entre les peuples de RDA sur le travail à mener avec les étudiants étrangers et les diplômés est-allemands dans les établissements scolaires de RDA, le 31.10 1975. 27.11.1975. 1845 MfAA, L 187, C 1876, op.cit., Lettre adressée par Horst Winter, premier secrétaire de l’ambassade de RDA au Caire, au Haut département des relations internationales du Ministère de l’Enseignement supérieur et spécialisé, 22.11.1976. 1846 BStU, MfS, HA XIX, Nr. 4639, op.cit., Stagiaires de RAE. Renvoi de documents concernant d’anciens stagiaires de RAE, mai 1984. Lettre du 15 mai 1984. 1847 JESSEN, Ralph, KALINOWSKI, Isabelle, « Dictature communiste…», op.cit., p. 97-98. 352

domaines de la culture et de la formation »1848. C’est le cas de l’Institut Herder de l’Université Karl Marx de Leipzig, qui dispense aux étudiants étrangers des cours d’éducation politique. La vocation de l’Institut est d’« éduquer les jeunes gens issus des jeunes Etats nationaux […] pour qu’ils deviennent des individus qui ne considèrent pas leurs études comme une affaire privée, mais plutôt comme une contribution importante à la lutte pour l’indépendance de leur pays, et au combat contre l’impérialisme et la guerre »1849.

Grâce à cet encadrement, le régime est-allemand mise sur l’ensemble des acteurs impliqués dans la coopération culturelle pour œuvrer au rayonnement international de la RDA. Les artistes « qui ont fait confiance à la vie culturelle en RDA »1850 sont autant de représentants potentiels de Berlin-Est à l’étranger. A la fin de l’année 1970, l’actrice Samiha Ayoub se dit enchantée de son séjour en RDA : selon ses interlocuteurs est-allemands, elle a été « impressionnée par les contacts qu’elle a pu nouer avec les artistes et la presse » et « est ravie d’avoir appris à connaître la RDA »1851. Cette visite « sera [assurément] un grand atout dans la poursuite de son travail au Caire », mais elle est aussi un succès ponctuel pour la RDA et son ambitieuse entreprise de séduction à l’égard de l’Egypte. Cet enthousiasme ne doit pas occulter toutefois certaines pratiques plus prosaïques, destinées à s’assurer de la loyauté idéologique des Egyptiens formés en RDA. En novembre 1970, un danseur du Balloon Theater1852 du Caire, Aly Naguib, obtient l’autorisation de venir suivre une formation en chorégraphie à l’entreprise de radio-télévision est-allemande, le Deutscher Fernsehfunk. Comme le fait remarquer assez cyniquement un fonctionnaire en charge de son dossier : « en ce qui concerne ses conceptions politiques et morales, on devrait avoir beaucoup d’influence [sur lui], car un danseur égyptien perçoit rarement un cachet à la hauteur de ce qu’il va désormais recevoir de [la] part [du Deutscher Fernsehfunk] »1853.

1848 MATERN, Hermann, « Die Gemeinsamkeiten der SED und der ASU…», op.cit., p. 206. 1849 Référence citée par Walter Osten dans : OSTEN, Walter, Die Aussenpolitik der DDR…, op.cit., p. 85. 1850 « Die Ausstrahlung solcher Künstler, die sich mit dem Kulturleben der DDR und der sozialen Lage der DDR-Künstler vertraut gemacht haben, würde für die DDR und die Länder der sozialistischen Staatengemeinschaft von langandauernden Wert sein ». MfAA, L 187, C 6499, op.cit., Analyse der kulturpolitischen Entwicklung in der AR-Ägypten 1978/79, Kulturattaché, Kairo, den 31.10.79, p. 33. 1851 SAPMO-BArch, DR 1/18 887, op.cit., Rapport final sur le séjour d’une invitée, Madame Samiha Ayoub, actrice, RAU, Berlin, 10.11.1970. 1852 Le Balloon Theater est un théâtre d’Etat situé dans le quartier d’Agouza, au Caire, et spécialisé dans les spectacles de danse et de cirque. 1853 SAPMO-BArch, DR 1/ 18 887, op.cit., Lettre de M. Amme à Günter Jätzlau, Deutscher Fernsehfunk de RDA, le Caire, 24.11.1970.

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L’expérience prouve néanmoins que la stratégie pragmatique de la RDA porte ses fruits : la coopération culturelle est un moyen relativement efficace de nouer des relations durables avec les élites égyptiennes, et notamment avec les personnalités politiques de gauche. Si l’offensive culturelle est-allemande en Egypte ne touche guère les masses, en revanche, la plupart des interlocuteurs égyptiens privilégiés de Berlin-Est ont effectué une partie de leur formation en RDA ou dans un Etat socialiste, ou y ont séjourné ponctuellement. Souvent, « ils gardent un lien avec la RDA après leur retour au pays »1854. Le processus de familiarisation réciproque permis par l’immersion linguistique et culturelle est bien un facteur de rapprochement des élites politiques ou artistiques, même si ces liens n’excluent pas une imbrication d’intérêts, qui ne relèvent pas tous de l’idéologie.

En Egypte, les partenaires politiques de Berlin-Est, qu’ils soient membres du gouvernement ou qu’ils appartiennent à des organisations para-étatiques, ont en effet souvent une connaissance minimale de la RDA. L’antériorité des liens noués avec ces individus permet à Berlin-Est d’espérer pouvoir construire des relations privilégiées avec les institutions dont ils font dorénavant partie en Egypte. Le développement de liens particuliers avec les fonctionnaires de l’Institut national de la planification du Caire constitue un exemple significatif de cette stratégie d’ « infiltration » politique, par le biais de réseaux personnels savamment entretenus depuis des mois, parfois des années. Fondé en 1960, dirigé par un comité dont le président est également le ministre de la Planification, l’Institut coordonne des études qui lui ont été commandées par les organes d’Etat égyptiens1855. En coopération avec les grandes institutions internationales, comme la Banque mondiale, il évalue les programmes et les projets d’investissement et de développement en Egypte, menés dans les secteurs économiques et sociaux. En 1978, environ 70% des 55 collaborateurs scientifiques de l’Institut « ont reçu le grade de docteur dans les Etats socialistes »1856. En 1983, l’Institut est encore « un haut lieu des diplômés de RDA »1857. Du point de vue est-allemand, le recrutement sociologique de l’Institut national de la planification est un véritable atout diplomatique, car « les Egyptiens diplômés en RDA jouent [ainsi] un rôle significatif dans

1854 BASKE, Siegfried, ZIEGER, Gottfried (dir.), Die Dritte Welt…, op.cit., p. 37. 1855 MfAA, L 187, C 6464, op.cit., Vermerk über den Besuch des Instituts für Nationale Planung der ARÄ, Botschaft der DDR in der AR Ägypten, Kairo, 23.4.78. 1856 Ibid. 1857 SAPMO-BArch, DY 30/ 13 667, op.cit., Vermerk über ein Gespräch des Präsidents des Sekretariats des Nationalrats der Nationalen Front der DDR, Werner Kirchhoff, mit dem Generalsekretär der VNPP Ägyptens, Dr. Rifaat el-Saïd, den 7.4.1983, Abt. Internationale Verbindungen, Berlin, 11.4.1983.

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l’économie égyptienne »1858. Inversement, les acteurs égyptiens utilisent ces réseaux de connaissances pour mener à bien certains de leurs projets. La spécificité des missions dévolues à l’Institut encourage la coopération bilatérale : en avril 1978, le directeur, Kamal Ahmed el-Ganzoury, invite l’ambassadeur Otto Becker à venir visiter son établissement1859. Il lui fait part de sa volonté de collecter informations et savoir-faire auprès des Etats capitalistes et socialistes, afin de s’inspirer de leurs expériences en matière de développement régional dans l’industrie, l’agriculture, les transports, la santé et l’éducation. Cette curiosité s’explique par la mission que lui a confiée le premier ministre : « terminer une étude sur la planification […] du développement de la Haute-Egypte », territoire périphérique et délaissé par le pouvoir central. Kamal Ahmed el-Ganzoury entend mettre à profit les circuits diplomatiques qui ont été noués depuis une dizaine d’années entre l’Institut et Berlin-Est :

« Il viendrait bien en RDA pour sept à dix jours en octobre ou novembre 1978, afin d’étudier ce type de projet sur place. Ce qui l’intéresse en priorité, ce ne sont pas des discussions théoriques dans une grande école, mais des rencontres avec les autorités compétentes et [des] visite[s] […] ».

Pour Berlin-Est, l’Institut national de la planification fait ainsi figure de réservoir de personnalités progressistes, susceptibles de relayer les conceptions est-allemandes en matière d’organisation socio-politique. Cette proximité remonte à 1969, date de la nomination au poste de directeur d’Ismaïl Sabri Abdallah, économiste d’inspiration marxiste1860. En 1968-1969, ce dernier a voyagé en URSS puis noué des liens avec l’Ecole supérieure d’Economie de RDA et le Comité central du SED. La toute nouvelle ambassade de Berlin-Est au Caire accueille très favorablement cette nomination, estimant qu’Ismaïl Sabri Abdallah, en tant que défenseur de la « planification socialiste scientifique », se trouve en mesure d’exercer une « influence positive » sur le ministre de la Planification1861. En janvier 1972, il devient lui-même ministre de la Planification : à ce titre, il est l’un des rares membres du gouvernement égyptien à être considéré « comme un ami par la RDA »1862.

Ce sont véritablement ces réseaux relationnels étoffés par la coopération culturelle bilatérale qui offrent à Berlin-Est ses meilleurs interlocuteurs politiques en Egypte. En août

1858 Ibid. 1859 MfAA, L 187, C 6464, op.cit., Vermerk über den Besuch des Instituts für Nationale Planung der ARÄ, Botschaft der DDR in der AR Ägypten, Kairo, 23.4.78. 1860 MfAA, L 187, C 641/73, op.cit., Vermerk über ein Gespräch mit dem neuernannten Direktor des Nationalen Planungsinstituts der VAR, Dr. Ismail-Sabri Abdalla am 2.9.1969, Botschaft der DDR in der VAR, Kairo, den 2.9.1969. 1861 « Wissenschaftliche sozialistische Planung ». Ibid., p. 41. 1862 SAPMO-BArch, DY 30/ IV B 2-20 430, op.cit., Lettre de Fritz Weisshuhn au directeur du département des relations internationales du Comité central du SED, Paul Markowski, Berlin, 7.8.1972.

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1971, après sa prise de fonction, le consul de la RDA à Alexandrie, M. Hucke, inaugure son action diplomatique en rendant visite à des personnalités locales qui ont déjà séjourné en RDA1863. Cela lui permet d’entamer son travail sous de bons auspices, car l’évocation de référents partagés instaure d’emblée une atmosphère « polie et amicale ». Le sous-secrétaire de l’Union Socialiste Arabe à Alexandrie, Younes Omar, responsable de l’économie portuaire dans la ville, loue le « comportement sincère et cordial des citoyens de RDA », tandis que le sous-secrétaire de l’USA chargé des questions de la jeunesse, M. Latif, fait part de son enthousiasme après un séjour de quatre mois en RDA trois ans auparavant. Ce dernier a suivi en Allemagne de l’Est un « cours pour les fonctionnaires sportifs issus des pays africains et asiatiques ». Il dit avoir été particulièrement impressionné par « la ténacité avec laquelle tous les organes étatiques, les entreprises et les institutions encouragent le sport ». Selon le consul, l’expérience tout à fait positive qu’a vécue M. Latif en Allemagne de l’Est facilite grandement la prise de contact : « bien que sa visite remonte déjà à trois ans, les bonnes impressions sont encore si vives que les principaux thèmes évoqués pendant la conversation ont été ses expériences de la RDA et les succès de [notre République] ». S’il est difficile d’évaluer le degré de sincérité des interlocuteurs égyptiens et de savoir dans quelle mesure le diplomate enjolive leurs compliments dans le rapport officiel qu’il adresse à sa hiérarchie, il n’en reste pas moins que la stratégie diplomatique est-allemande vise à instaurer des liens prioritaires avec des individus un tant soit peu familiers de la RDA. Ces derniers, une fois rentrés en Egypte, trouvent souvent un emploi au sein des structures scientifiques, administratives ou politiques nationales : c’est par leur intermédiaire que les représentants est-allemands peuvent espérer nouer des contacts avec les institutions qu’ils ont investies. Le 24 novembre 1979, l’attaché culturel de l’ambassade de RDA convie ainsi des fonctionnaires du ministère de l’Enseignement supérieur et des scientifiques égyptiens à un dîner dans son propre appartement1864. Parmi eux se trouve M. el-Hanak, vice-président de l’Institut de physiothérapie à l’Université du Caire : celui-ci a obtenu son titre de docteur en RDA, tandis que son épouse poursuit ses études à l’Université Humboldt de Berlin. Rudolf Kaliess salue l’intérêt de ses invités pour la coopération avec la RDA. M. el-Hanak en particulier s’est toujours « efforcé de présenter [cette dernière] comme un partenaire politique et scientifique important pour la science égyptienne ».

1863 MfAA, L 187, C 1346/76, op.cit., Kurze Einschätzung der Antrittsbesuche, Konsulat Alexandria, Alexandria, den 23.11.1971. 1864 MfAA, L 187, C 6500, op.cit., Information über ein Treffen mit Partern des Hochschulministeriums der ARÄ, Kulturattaché, Kairo, den 28.11.79.

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Ponctuellement, Berlin-Est parvient ainsi à nouer des contacts durables avec certaines personnalités influentes dans le paysage politique égyptien. C’est le cas avec Rifaat el-Saïd, journaliste né en 1932, membre du PCE clandestin et du parti de gauche autorisé, le Tagammu. Ayant séjourné en RDA dans la première moitié des années 1970, ce dernier est diplômé de l’Université Karl-Marx de Leipzig, où il a soutenu un mémoire de maîtrise à l’Institut du marxisme-léninisme sur « le mouvement socialiste de RAE, de 1900 à 1925 »1865. Il a ensuite entamé une thèse de doctorat en histoire, à Leipzig, tout en poursuivant ses activités politiques en Egypte. Ce cursus lui a permis de nouer des liens avec des hauts fonctionnaires est-allemands et de jouer le rôle d’intermédiaire entre les organisations de gauche en Egypte et le régime de Berlin-Est. Lorsqu’il revient en RDA au cours des années 1970-1980, il est accueilli en « camarade » et ses entretiens avec les représentants est-allemands font figure de « conversation[s] privée[s] entre vieux amis »1866. Il inspire une totale confiance à ses interlocuteurs est-allemands. En 1972, Freimut Seidel, fonctionnaire au département des relations internationales du Comité central du SED, évalue ainsi une discussion qu’il vient d’avoir avec lui : « je connais Rifaat el-Saïd depuis plusieurs années. Il fait partie des forces marxistes fiables et honnêtes de RAE. Je n’ai aucun doute quant à ce qu’il avance »1867. La constitution d’un réseau relationnel dans le milieu scientifique est donc un moyen de nouer des liens avec des personnalités politiques et de créer un nouveau tissu de connaissances, qui vient se superposer au premier. En 1985, Rifaat el-Saïd accompagne Khaled Mohieddine1868 à Berlin, ce dernier ayant été convié par Erich Honecker à participer au Congrès du parti du SED1869. Rifaat el-Saïd est présent aux côtés du Secrétaire général du PRNPU1870 lors de ses entretiens politiques avec les représentants est-allemands. Il profite également de son séjour pour solliciter une rencontre avec le recteur de l’Université Karl Marx de Leipzig et les scientifiques de la section des sciences de l’Afrique et du Proche-Orient : le Comité central du SED la lui accorde volontiers, notamment dans le cadre

1865 BStU, MfS, Abt. X, Nr. 483, Rapport du colonel Damm sur Rifaat el-Saïd, 6.3.1975. 1866 SAPMO-BArch, DY 30/ IV B 2-20 430, op.cit., Information über ein Gespräch des Genossen Freimut Seidel mit Rifaat el-Saïd, Sekretär des Friedensrates von ARÄ, den 20.1.1972, vertraulich, Abt. Int. Verbindungen, Berlin, 1.2.1972. 1867 Ibid. 1868 Leader du parti Tagammu ou PRNPU, parti de gauche autorisé et créé en 1976. Voir infra, partie 3, chapitre 7, p. 453-455. 1869 SAPMO-BArch, DY 30/ 13 667, op.cit., Lettre de Wolfgang Schüssler, ambassade de la RDA en RAE, à Günter Sieber, directeur du département des relations internationales au Comité central du SED, le Caire, 29.12.1985. 1870 Parti du Rassemblement National Progressiste Unioniste, nom officiel du parti Tagammu.

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de sa promotion académique, qui doit lui voir attribuer le titre de docteur. En RDA, Rifaat el-Saïd se trouve ainsi au croisement de plusieurs circuits relationnels, ce qui lui permet de concilier objectifs politiques et ambitions professionnelles individuelles.

Si la coopération culturelle et technico-scientifique apparaît ainsi comme le meilleur moyen de nouer des liens de confiance avec un petit nombre de personnalités, dont certaines jouent un rôle politique non négligeable en Egypte, son efficacité en termes de formation idéologique reste néanmoins circonscrite à des individus déjà acquis aux idées socialistes. Berlin-Est s’efforce de gagner à sa cause les élites politiques et intellectuelles mais l’impact de son offensive culturelle sur la majorité de la population égyptienne est beaucoup plus restreint. De ce point de vue, la capacité de la RDA à tisser un réseau international d’activistes progressistes grâce au travail idéologique reste très limitée. ii. Les limites de la formation idéologique C’est d’ailleurs le constat que font régulièrement les acteurs est-allemands confrontés au terrain égyptien. Le « remodelage socialiste » des personnes qui séjournent en RDA reste bien souvent une gageure, soit parce que leur venue correspond à une démarche ponctuelle (qu’elle soit de nature politique ou qu’elle revête une dimension presque « romantique »), soit parce que leur mobilité répond à une stratégie professionnelle individuelle et ciblée. D’ailleurs, si le Caire encourage la formation de ses ressortissants en RDA, c’est aussi parce que ces derniers « [rentrent] toujours en Egypte » et ne sont guère tentés de s’établir durablement dans la République socialiste1871.

En 1972, la fonctionnaire Ruth Amme rencontre la peintre égyptienne Gazbia Sirry et déplore l’évolution de son parcours politique1872. Alors qu’en 1951, cette dernière était venue illégalement participer au festival mondial de la jeunesse à Berlin, portant le drapeau de la délégation égyptienne, se disant communiste et « pei[gnant] son peuple de façon réaliste », elle s’adonne désormais à l’art abstrait, vit de façon confortable et expose dans les capitales ouest-européennes. Gazbia Sirry est au fond représentative du hiatus qui existe entre les aspirations individuelles des Egyptiens venus en RDA dans le cadre d’une stratégie

1871 « Herr Samir brachte zum Ausdruck, daß Ägypten daran interessiert sei, wieder mehr Studenten und Aspiranten in der DDR und in anderen sozialistischen Ländern ausbilden zu lassen, weil diese Absolventen bisher immer nach Ägypten zurück kamen und in der Wissenschaft wirksam wurden ». MfAA, L 187 C 6500, op.cit., Information über ein Treffen mit Partern des Hochschulministeriums der ARÄ, Kulturattaché, Kairo, den 28.11.79, p. 14. 1872 SAPMO-BArch, DY 30/ IV B 2-20 430, op.cit., Lettre de Ruth Amme à Freimut Seidel, département des relations internationales du Comité central du SED, le Caire, 1.3.1972.

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professionnelle précise ou en raison de circonstances ponctuelles, et les objectifs idéologiques qui motivent les coopérants est-allemands. En mars 1976, Ahmed Maher Mohamed, stagiaire à la VEB Binnenhäfen de Magdebourg se montre « très intéressé » par sa formation, du moins tant qu’elle répond à ses besoins1873. Il n’est visiblement pas très sensible aux questions ayant trait au mode de direction des entreprises, tout simplement parce qu’il estime que les structures entrepreneuriales « sont différentes en Egypte ». Enfin, selon ses évaluateurs, « il ne comprend pas trop le socialisme » et ne se montre pas particulièrement curieux en la matière. Les différents informateurs soulignent tous son indifférence pour le modèle politique est-allemand : « ses informations sur la RDA sont sommaires » et « il ne connaît pas les mesures prises » dans le pays1874. Ce constat rejoint celui que les autorités est-allemandes dressaient dans les années 1960 à propos de l’encadrement idéologique des travailleurs algériens, puisque le SED déplorait déjà le manque de formation et d’éducation politique de ces derniers1875.

En réalité, le peu de réceptivité aux acquis du socialisme scientifique, que dénoncent les formateurs est-allemands, s’explique par un ensemble de facteurs. Pour leur plus grande part, les Egyptiens qui viennent en RDA n’envisagent pas de s’installer durablement dans le pays. Les plus jeunes d’entre eux appartiennent aux générations façonnées par la « théologie musulmane du socialisme », telle qu’elle a été diffusée par les manuels scolaires égyptiens à partir des années 19601876. La « politique socialiste de sécularisation »1877 initiée par le régime est-allemand ne correspond donc nullement au « socialisme islamique »1878, tel qu’il est mis en avant par le système éducatif égyptien. En outre, les étudiants et travailleurs égyptiens présents en RDA se trouvent parfois à la croisée de plusieurs systèmes d’allégeance politique, qui sont autant de contrepoids à l’encadrement idéologique est-allemand. Le gouvernement égyptien, tout comme les militants de gauche expatriés en Europe, entendent sinon contrôler, du moins influencer cette population émigrée. L’ambassadeur égyptien à Berlin-Est conserve

1873 BStU, MfS, HA XIX, Nr. 4639, op.cit., Stagiaires de RAE. Renvoi de documents concernant d’anciens stagiaires de RAE, mai 1984. Evaluation de l’activité du citoyen égyptien Ahmed Maher Mohamed, stagiaire à la VEB Binnenhäfen de Magdeburg, 11.5.1976. 1874 BStU, MfS, HA XIX, Nr. 4639, op.cit., Stagiaires de RAE. Renvoi de documents concernant d’anciens stagiaires de RAE, mai 1984. Rapport de Willi Werrang, Magdeburg, 29.4.1976. 1875 TAUBERT, Fritz, La guerre d’Algérie…, op.cit., p. 144. 1876 CARRE, Olivier, « L’idéologie politico-religieuse nassérienne… », op.cit., p. 538. 1877 NEUHEISER, Jörg, RÖDDER, Andreas, « Mutations des valeurs à l’Est et à l’Ouest? Perspectives historiques et sociologiques », in : CAHN, Jean-Paul, PFEIL, Ulrich (éds.), Allemagne, 1974-1990…, op.cit., p. 141. 1878 CARRE, Olivier, « L’idéologie politico-religieuse nassérienne… », op.cit., p. 538.

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un lien minimal avec ses concitoyens dans le pays : dans les années 1970, il s’adresse par exemple deux fois par an aux étudiants égyptiens de Halle1879. Selon lui, il est de toute façon évident que les ressortissants égyptiens de RDA soutiennent sans faillir leur gouvernement, même lorsque celui-ci mène une politique contraire aux intérêts de leur pays d’accueil1880 : c’est ce qu’il avance par exemple en décembre 1977, lors de la décision unilatérale de Sadate de fermer les centres culturels est-allemands en Egypte1881. Pourtant, certains Egyptiens de RDA sont vraisemblablement en contact avec des groupes politiques clandestins et hostiles à leur régime : ces derniers tentent eux aussi de se constituer des réseaux d’activistes à l’étranger, parmi les cercles d’étudiants expatriés. Après les arrestations massives d’opposants politiques lors des émeutes de janvier 1977, le PRNPU invite ainsi l’Union des étudiants égyptiens à prendre position contre la répression1882. Le parti de gauche coopère avec certaines associations étudiantes d’obédience nassérienne, comme le Club de la pensée socialiste, dont certains membres ont été incarcérés en janvier 19771883. En 1986, dans la même volonté de ralliement des associations étudiantes à l’opposition de gauche, des membres du PCE se rendent auprès des étudiants égyptiens de Slovaquie, afin de savoir comment se passe leur vie quotidienne et de connaître leurs éventuelles « requêtes »1884.

Enfin, au-delà des sollicitations politiques diverses dont les Egyptiens de RDA peuvent faire l’objet, leur désintérêt relatif pour la formation idéologique qui leur est dispensée s’explique par une raison extrêmement pragmatique : ces derniers viennent dans le pays pour profiter du savoir-faire technico-scientifique est-allemand et des facilités matérielles mises en œuvre afin d’encourager leur migration. De ce point de vue, les motivations individuelles rejoignent celles du régime égyptien, qui refuse d’accorder à la coopération culturelle toute dimension politico-idéologique.

1879 MfAA, L 187, C 1430/78, op.cit., Vermerk über ein Gespräch des Stellvertreters des Ministers für Auswärtige Angelegenheiten der DDR, Gen. Dr. Willerding, mit dem Boschafter der AR Ägypten in der DDR, Mustafa Mohamed Tewfik, am 26.8.1970, von 10.15 Uhr bis 11.10 Uhr. 1880 BStU, MfS, HA XX, AKG, Nr. 6680, op.cit., Information. Opinions de diplomates égyptiens en RDA, HA XX, strictement confidentiel, Berlin, 22 décembre 1977. 1881 Voir infra, p. 374-381. 1882 IISH, Michel Kamel Papers, Human Rights, N° 218: Reports on the trials of political detainees of the uprising of 1977, in French. Appel de Khaled Mohieddine, secrétaire du PRNPU, le Caire, 3 octobre 1977. 1883 IISH, Michel Kamel Papers, Human Rights, N° 219: News reports on human rights in Egypt, in French, 1977. Extrait d’un article du journal Le Monde, daté du 25 janvier 1977. 1884 IISH, Michel Kamel Papers, 2nd general conference of the CPE, N° 127: Report to the foreign section on Egyptian students in Eastern Europe, 1986. In Arabic.

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b) Pour l’Egypte : profiter d’un savoir-faire technique et de facilités matérielles

La RDA a bien conscience des intérêts qui motivent la coopération culturelle et technico-scientifique du côté égyptien : dans ce domaine, les relations bilatérales sont toujours encouragées car « l’Egypte est encline à réaliser des traités qui [lui] apporteront surtout des avantages matériels »1885. En revanche, la dimension politique de la coopération est vigoureusement freinée par le Caire, qui rejette le plus souvent les manifestations ayant un « impact médiatique »1886. Cette posture n’empêche pas l’Egypte, toutefois, d’adopter une ligne de conduite flexible lorsque cela sert ses intérêts. Globalement, tant que la coopération culturelle et technico-scientifique répond à ses attentes, elle refuse d’y voir des implications politiques. Inversement, lorsque Berlin-Est diminue ses aides, elle n’hésite pas à brandir l’argument diplomatique, en soulignant l’impact politique négatif d’une telle décision. En 1977 par exemple, Ali Shawky el-Hadidi, responsable des relations culturelles avec l’étranger au ministère égyptien des Affaires étrangères, s’indigne de la teneur du plan de travail bilatéral que lui a soumis l’ambassade est-allemande1887. Mécontent de la diminution du niveau de la coopération scientifique, il s’étonne du fait que Berlin-Est « répercute » ses difficultés sur « ses amis » et en conclut que le geste doit être « interprété politiquement ».

Cela dit, les intérêts du régime égyptien ne coïncident pas systématiquement non plus avec les motivations des ressortissants qu’il envoie travailler en RDA. Il arrive que ces derniers se montrent insatisfaits du contenu de leur formation et que l’EFL comme leur ambassade à Berlin leur enjoignent pourtant de s’y plier. En 1974-1975, un conflit tenace oppose les stagiaires égyptiens de l’Ecole spécialisée en technique agricole de Triptis et leurs formateurs est-allemands, créant une « mauvaise ambiance »1888 au sein de l’établissement. Arrivés en RDA en janvier 1974, ces treize Egyptiens doivent rester deux ans dans le pays afin d’obtenir une qualification en technique agricole1889. Après une remise à niveau en

1885 « Die ägyptische Seite ist daran interessiert, die in diesem Bereich bestehenden umfangreichen Vertragsbeziehungen, darunter besonders diejenigen, die der ägyptischen Seite materielle Vorteile bringen, zu realisieren ». MfAA, L 187, C 1641/76, op.cit., Stand der Beziehungen zwischen der DDR und der ARÄ, Abt. Naher und Mittlerer Osten, Berlin, den 15.1.1974, p. 2. 1886 Le terme allemand exact est « Öffentlichkeitswirkung ». MfAA, L 187, C 6499, op.cit., Information über eine Beratung der Kulturattachés sozialistischer Länder in der ARÄ, Kulturattaché, Kairo, den 13.5.79, p. 9. 1887 MfAA, L 187, C 1876, op.cit., Vermerk über ein Gespräch beim stellvertretenden Leiter der Abteilung Kulturelle Beziehungen und technische Zusammenarbeit des MfAA, Botschafter Ali Shawky El Hadidi, am 17.4.77, Kairo, den 19.4.1977. 1888 SAPMO-BArch, DY 34/ 10 542, op.cit., Lettre adressée par M. Krausse, attaché à l’ambassade de RDA en RAE, à M. Lamprecht, Bureau confédéral de la FDGB, le Caire, 26.9.1974. 1889 SAPMO-BArch, DY 34/ 10 542, op.cit., Lettre adressée par M. Franke à M. Beyreuther, 10.9.1974.

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allemand de janvier à avril 1974, ils suivent une formation technique au sein de l’école de Triptis, qui doit durer jusqu’au mois de décembre1890. En septembre 1974 cependant, ils constituent une véritable fronde car ils « ne veulent plus de la formation et […] souhaitent être envoyés tout de suite dans les entreprises pour un apprentissage pratique »1891. Les stagiaires, déjà munis de connaissances théoriques à leur arrivée en RDA, réclament l’interruption du programme pour suivre une formation pratique et spécialisée de trois à cinq mois dans divers domaines1892, notamment la réparation de machines agricoles1893 et l’hydraulique1894. Ils sont même disposés à repartir en Egypte sans diplôme est-allemand. Le conflit se prolonge au cours de l’année 1975, sans que les Egyptiens n’obtiennent visiblement gain de cause : « on leur répond que la formation a lieu selon la convention »1895. Malgré l’ampleur du désaccord, les stagiaires allant même jusqu’à contacter leur ambassade, le programme reste inchangé : l’EFL lui-même demande aux Egyptiens de poursuivre leur formation et ces derniers finissent par obtempérer. Cet épisode montre néanmoins à quel point le décalage peut être important entre les attentes des travailleurs égyptiens et les exigences des formateurs est-allemands, qui n’entendent pas sacrifier l’apprentissage théorique à la spécialisation technique. Il met également en lumière les motivations individuelles des stagiaires égyptiens, qui souhaitent rentrer chez eux munis d’un savoir-faire technique précis, indépendamment des clauses imposées par les conventions bilatérales. A cet égard, l’évaluation qu’ils font de leurs propres besoins ne correspond pas systématiquement aux ambitions de leur propre Etat.

Guidée par son intérêt national, l’Egypte négocie les plans de travail culturel de façon à obtenir chaque année le maintien ou l’augmentation du nombre de places de formation pour ses ressortissants en RDA, la prise en charge financière maximale des frais de coopération par Berlin-Est, et une participation minimale du Caire au défraiement des experts est-allemands. Ce pragmatisme suscite régulièrement l’irritation de Berlin-Est, qui estime faire l’objet de tentatives de manipulations de la part de l’Egypte. En réalité, ces tractations diplomatiques et

1890 SAPMO-BArch, DY 34/ 10 542, op.cit., Note sur une conversation avec des stagiaires égyptiens le 9 avril 1975, 15.4.1975. 1891 SAPMO-BArch, DY 34/ 10 542, op.cit., Lettre adressée par M. Franke à M. Beyreuther, 10.9.1974. 1892 SAPMO-BArch, DY 34/ 10 542, op.cit., Lettre adressée par M. Krausse, attaché à l’ambassade de RDA en RAE, à M. Lamprecht, Bureau confédéral de la FDGB, le Caire, 26.9.1974. 1893 SAPMO-BArch, DY 34/ 10 542, op.cit., Note sur une conversation à l’Ecole spécialisée en technique agricole de Triptis, le 22.10.1974. 1894 SAPMO-BArch, DY 34/ 10 542, op.cit., Note sur une conversation avec des stagiaires égyptiens le 9 avril 1975, 15.4.1975. 1895 Ibid.

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budgétaires révèlent surtout le décalage qui existe entre la prétention de la RDA à se présenter comme le chantre de l’aide au développement et la situation financière réelle dans laquelle elle se trouve. Ponctuellement, le régime est-allemand utilise d’ailleurs l’argument financier pour justifier son refus d’augmenter les quotas de bourses d’études réservées à l’Egypte dans le cadre de la coopération en matière de formation populaire. En 1977, le premier secrétaire de l’ambassade de la RDA au Caire, M. Winter, s’exprime très clairement :

« J’ai […] souligné que la RDA, en tant que petit pays, ne peut pas être efficace dans tous les domaines. J’ai aussi expliqué que les relations de la RDA à l’échelle internationale s’élargissaient nettement, en raison de la reconnaissance diplomatique [dont elle fait l’objet] mais que les capacités de nos équipements scientifiques sont limitées »1896.

Les représentants est-allemands savent parfaitement que la RDA n’est pas en mesure d’accroître le nombre de places d’études qu’elle propose à l’Egypte : elle dispose d’un contingent global qu’elle répartit par pays, en fonction des priorités politiques et elle « ne dispose pas de réserves »1897. Le redéploiement de sa politique étrangère vers l’Afrique Noire, à partir de la fin des années 1970, la contraint de choisir entre ses nouveaux partenaires et ses anciens alliés : en 1977, l’augmentation du nombre de doctorants égyptiens « ne peut pas être acceptée, en raison des missions internationales croissantes de la RDA (Angola, Mozambique, Ethiopie et organisations internationales) »1898. Les acteurs est-allemands sont lucides : « la capacité d’accueil est réduite ». En réalité, l’intégralité des places d’études disponibles est rarement pourvue. En 1975-1976 par exemple, seuls huit professeurs égyptiens ont suivi la formation de l’Ecole supérieure de pédagogie de Güstrow, alors que quinze places étaient disponibles1899. L’année suivante, ils sont treize professeurs et deux places sont toujours vacantes. A la même période, quatre places sur cinq seulement sont occupées à l’Ecole supérieure d’ingénieurs de Zwickau. La sous-utilisation des places d’études conduit ponctuellement au réajustement et à la réduction des effectifs prévus par les plans de travail

1896 MfAA, L 187, C 1876, op.cit., Vermerk über ein Gespräch beim stellvertretenden Leiter der Abteilung Kulturelle Beziehungen und technische Zusammenarbeit des MfAA, Botschafter Ali Shawky El Hadidi, am 17.4.77, Kairo, den 19.4.1977. 1897 « Eine Erweiterung der Kontingente ist nicht möglich, da weiteren Staaten aus außenpolitischen Erwägungen Studienplätze angeboten werden mußten und eine Reserve nicht besteht ». MfAA, L 187, C 1876, op.cit., Lettre adressée par M. Merkel, directeur du département des relations culturelles à l’étranger du MfAA, à Hans- Joachim Radde, ambassadeur de la RDA en RAE, sans date, p. 93. 1898 « Die gewünschte Erhöhung von 21 Aspirantueren auf 30 wie in KAP 1975/76 kann mit Hinweis auf die gewachsenen internationalen Verpflichtungen der DDR (Angola, Mocambique, Äthiopien u.a. einschließlich im Rahmen Internationaler Organisationen) und somit begrenzter Aufnahmekapazität nicht vorgenommen werden ». MfAA, L 187, C 1876, op.cit., Direktive für KAP-Verhandlungen DDR-ARÄ für 1977/78, von Abt. KAB an St II, Gen. Dr. Grunert, 20.5.77, p. 107. 1899 Ibid.

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culturel : en 1977-1978, l’Ecole supérieure de pédagogie de Güstrow n’accueille plus que douze Egyptiens chaque année en formation longue1900 :

« A la demande de la délégation est-allemande, le nombre de places d’étudiants pour des études complémentaires d’un an à l’Ecole supérieure de pédagogie de Güstrow a été réduit de quinze à douze (justification : sous-utilisation des places ces dernières années) »1901.

Finalement, la marge de manœuvre étroite dont dispose Berlin-Est en matière d’aide au développement déçoit les pays du Tiers-monde : alors que la RDA est l’Etat socialiste économiquement le plus solide, le soutien qu’elle apporte est des plus faibles1902. De ce point de vue, elle ne compense guère l’incapacité croissante des Soviétiques à fournir le type de technologie demandé par les pays en développement1903 : « les moyens de soutenir les Etats du Tiers-monde restent limités »1904. La RDA ne parvient pas davantage à répondre aux ambitions des Etats d’Afrique Noire, en direction desquels elle a pourtant réorienté sa politique d’aide au développement : Haile Gabriel Dagne montre par exemple que l’Ethiopie est rapidement insatisfaite de l’assistance technique et industrielle fournie par Berlin-Est1905.

Lors des négociations bilatérales, le leitmotiv de la RDA est le principe de stricte réciprocité. La coopération culturelle et technico-scientifique doit véritablement être conçue dans la perspective de l’intérêt commun : « au moment des négociations, il faut partir absolument du principe de réciprocité. Des dérogations sont possibles uniquement si elles sont favorables à la RDA »1906. Si la partie égyptienne ne garantit pas aux ressortissants

1900 MfAA, L 187, C 1876, op.cit., Vorschlag für den Teil Volksbildung eines Kulturarbeitsplanes mit der Arabischen Republik Ägypten für die Jahre 1977/78. 1901 « Auf Antrag der DDR-Delegation wurde die ahl der Studienplätze für ein 1-jähriges Zusatzstudium an der Pädagogischen Hochschule Güstrow von 15 auf 12 reduziert (Begründung : mangelnde Auslastung der Plätze in den letzten Jahren) ». MfAA, L 187, C 1876, op.cit., Bericht über die Durchführung der 8. Sitzung der Gemeinsamen Kommission des Ministeriums für Volksbildung der DDR und des Ministeriums für Erziehung der ARÄ in der Zeit vom 23.4. bis 29.4.1976 in Berlin, p. 10. 1902 LAMM, Hans Siegfried, KUPPER, Siegfried, DDR und Dritte Welt, op.cit., p. 49. 1903 DANNEHL, Charles R., Politics, Trade and Development…, op.cit., p. 20. 1904 WENTKER, Hermann, Aussenpolitik in engen Grenzen…, op.cit., p. 461. 1905 DAGNE, Haile Gabriel, Das Entwicklungspolitische Engagement der DDR in Äthiopien. Eine Studie auf der Basis äthiopischer Quellen, Münster, Lit Verlag, 2004, p. 101. 1906 « Bei den Verhandlungen ist strikt vom Prinzip der Gegenseitigkeit auszugehen. Abweichungen davon sind nur möglich, wenn diese für die DDR günstig bzw. wir an der Realisierung der entsprechenden Maßnahme besonders interessiert sind ». MfAA, L 187, C 1876, op.cit., Direktive für KAP-Verhandlungen DDR-ARÄ für 1977/78, von Abt. KAB an St II, Gen. Dr. Grunert, 20.5.77, p. 107.

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est-allemands les mêmes conditions d’accueil que celles dont bénéficient les Egyptiens en RDA, Berlin-Est refuse de financer les projets communs1907.

La coopération culturelle et technico-scientifique ne répond donc pas aux mêmes objectifs du côté est-allemand et du côté égyptien. Sur le terrain, ces divergences sont encore accrues par une « confrontation socioculturelle »1908 parfois brutale. La mise en œuvre concrète des relations produit des effets imprévus, imputables au décalage des attentes, aux présupposés culturels différents, aussi bien qu’à l’instrumentalisation ponctuelle du contexte politique. Le développement récent des travaux consacrés aux étrangers en RDA1909, et notamment aux populations vietnamienne1910, cubaine1911 ou africaines1912, apporte un « nouvel éclairage sur la solidarité internationale vécue au quotidien »1913 : il met notamment en lumière la contradiction entre « le discours politique de solidarité et la réalité du rejet »1914. De ce point de vue, la situation des Egyptiens de RDA ne semble pas différer grandement de celle des autres étrangers, même si les documents officiels n’attribuent jamais les difficultés induites par la coopération culturelle à la xénophobie ambiante.

1907 SAPMO-BArch, DY 30/ IV B 2-9.04/ 66, op.cit., Rapport (partie 1) sur les négociations entre l’Académie des sciences de RDA et l’Académie des sciences de RAE, pour la période du 20 janvier au 12 février 1973, au Caire. 1908 KATSAKIORIS, Constantin, « L’Union soviétique et les intellectuels africains… », op.cit., p. 16. 1909 Outre le travail de Marianne Krüger-Potratz, déjà mentionné, on peut citer l’ouvrage suivant : BEHRENDS, Jan, LINDENBERGER, Thomas, POUTRUS, Patrice, Fremde und Fremdsein in der DDR. Zu historischen Ursachen der Fremdfeindlichkeit in Ostdeutschland, Berlin, Metropol, 2003. 1910 Voir par exemple l’ouvrage suivant: DENNIS, Mike, WEISS, Karin (dir.), Erfolg in der Nische : die Vietnamesen in der DDR und in Ostdeutschland, Münster, Lit Verlag, 2005. 1911 On peut citer notamment les ouvrages suivants : CALA-FUENTES, Leonel R., Kubaner im realen Paradies : Ausländer-Alltag in der DDR : eine Erinnerung, Berlin, Dietz, 2007 et: VOGEL, Wolf-Dieter, Abenteuer DDR: Kubanerinnen und Kubaner im deutschen Sozialismus, Berlin, Dietz, 2011. 1912 De nombreux ouvrages sur les relations entre les Etats d’Afrique Noire et la RDA sont parus depuis le début des années 2000, qui abordent plus ou moins directement la question des liens culturels. On peut se reporter notamment aux travaux de Haile Gabriel Dagne et de Harald Möller sur les relations entre la RDA et l’Ethiopie, à ceux de Ulrich van der Heyden sur les liens entre la RDA et l’Afrique du Sud, et à ceux de Hans-Joachim Döring sur les contacts entre la RDA et le Mozambique. 1913 MOINE, Caroline, « La RDA à l’heure de la "solidarité internationale"…», op.cit., p. 299. 1914 KOTT, Sandrine, LATTARD, Alain, VINCENT Marie-Bénédicte, Histoire de la société allemande…, op.cit. p. 86.

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2. Interactions culturelles et gestion des imprévus a) Stasi, police et renseignements : la surveillance réciproque des étrangers en RDA et en Egypte

Les organes de la Stasi supervisent la surveillance des étudiants et des travailleurs égyptiens présents en RDA. Le département X du ministère de la Sécurité d’Etat, chargé des relations internationales, coopère avec le service des renseignements (Hauptverwaltung Aufklärung) pour collecter des informations sur ces derniers. Ponctuellement, la transmission des dossiers a également lieu entre Etats socialistes, par l’intermédiaire du département X, comme c’est le cas en 1975 entre la Tchécoslovaquie et la RDA1915.

A l’échelle locale, le matériel d’information brut est rassemblé par les administrations de district et par des « source[s] non officielle[s] »1916, les Inofizielle Mitarbeiter ou IM, dont le nombre total est estimé à 180 000 entre 1975 et 19891917. En 1975, l’administration du district de Leipzig transmet ainsi au MfS des informations sur Rifaat el-Saïd1918. En 1986, c’est l’administration du district de Karl-Marx Stadt qui renseigne le ministère de la Sécurité d’Etat sur les résidents égyptiens dont elle a la charge1919. Les IM, quant à eux, ont des profils variés, conformément au système de surveillance sociale instauré par la Stasi, qui veut que « chaque citoyen [soit] le flic de l’autre »1920. Il arrive que certains formateurs fournissent des rapports sur leurs propres stagiaires, comme c’est le cas en 1976 au sein de l’entreprise VEB Binnenhäfen de Magdebourg1921. Ces comptes-rendus se distinguent des évaluations qui ont lieu à l’issue des stages. Vraisemblablement élaborés à partir de conversations informelles avec le stagiaire, ils abordent des questions disparates, souvent sans lien avec la formation professionnelle : les préférences alimentaires, la pratique religieuse, la situation familiale et la vie personnelle. Les « amis » constituent parfois un autre réservoir utile d’informateurs : après

1915 BStU, MfS, Abt. X, Nr. 483, op.cit., Organisation « Septembre Noir », 13.1.1975. 1916 BStU, MfS, Abt. X, Nr. 483, op.cit., Rapport d’une source non officielle, 1978. 1917 Sonia Combe rappelle que selon les statistiques, un Allemand de l’Est sur trois a été amené à collaborer au moins une fois dans sa vie avec la Stasi, trois sur cinq d’après d’autres calculs. Voir : COMBE, Sonia, « La Stasi », in : BRODEUR, Jean-Paul, JOBARD, Fabien, Citoyens et Délateurs, Paris, Autrement, 2005, p. 54 et p. 57. 1918 BStU, MfS, Abt. X, Nr. 483, op.cit., Rapport du colonel Damm sur Rifaat el-Saïd, 6.3.1975. 1919 BStU, MfS, HA II, Nr. 28103, op.cit., Administration de district pour la Sécurité d’Etat, Karl-Marx Stadt, 29.4.1986. 1920 COMBE, Sonia, « La Stasi », op.cit., p. 57. 1921 Le stagiaire Ahmed Maher Mohamed fait l’objet de plusieurs rapports d’IM transmis à la Stasi, dont au moins un est rédigé par l’un de ses formateurs. Voir : BStU, MfS, HA XIX, Nr. 4639, op.cit., Stagiaires de RAE. Renvoi de documents concernant d’anciens stagiaires de RAE, mai 1984.

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avoir lié connaissance avec des Egyptiens, ils rapportent au MfS les renseignements qu’ils ont accumulés. En 1977-1978, « Inge » s’est visiblement constitué un petit réseau de camarades parmi les étudiants égyptiens de Berlin. Introduite auprès des membres de l’association étudiante Nasser Verband, elle fournit à plusieurs reprises des rapports à la Stasi, dont le contenu informatif est très relatif : on y apprend tantôt que l’un « porte des lunettes, […] est grand, musclé, très fort »1922, tantôt que l’autre « possède beaucoup d’argent et achète vraisemblablement ses cigarettes à l’Ouest »1923.

Si la RDA organise la surveillance des migrants égyptiens sur son territoire, l’Egypte procède quant à elle de façon similaire. Selon l’ancien espion Wolfgang Lotz1924, le Caire et Alexandrie s’apparentent à de « gigantesques souks aux renseignements »1925 où les Allemands de l’Est et de l’Ouest font l’objet d’une véritable surveillance de la part des Egyptiens. Le personnel de l’ambassade est-allemande au Caire estime ainsi que les organes de sécurité égyptiens « prêtent […] une grande attention aux activités de la RDA »1926. Dans les périodes de tensions politiques, cette surveillance est surtout un moyen de pression diplomatique. En juin 1972, un mois avant le renvoi par Sadate des conseillers soviétiques d’Egypte, le directeur du Conseil supérieur du Sport, Ahmed Soliman, contacte l’ambassade est-allemande au Caire. Il dénonce l’initiative de M. Ehrlich, directeur du centre est-allemand de la culture et de l’information au Caire, qui a entrepris de réunir des signatures de citoyens égyptiens au sein des centres de jeunesse, pour soutenir l’entrée de la RDA au sein de l’OMS1927. M. Ehrlich n’ayant pas sollicité l’autorisation des services compétents, les organes de sécurité ont exigé d’Ahmed Soliman qu’il mette un terme à cette pratique, puisqu’il est responsable des centres de jeunesse. L’entrevue est l’occasion pour ce dernier de rappeler à son interlocuteur est-allemand que « toute relation d’ordre privé avec des Egyptiens par l’entremise des diplomates doit être autorisée par les organes de sécurité de son pays ». Les représentations est-allemandes en Egypte font également l’objet d’une attention particulière.

1922 BStU, MfS, HA II, Nr. 28103, op.cit., Rapport de « Inge » au Capitaine Scholz, Berlin, 12.12.1977. 1923 BStU, MfS, HA II, Nr. 28103, op.cit., Rapport de « Inge », 20.2.1978. 1924 L’espion de double nationalité, allemande et israélienne, étudie pour le compte d’Israël le programme égyptien de fabrication de missiles. Il est démasqué en 1965. Voir : SCHWANITZ, Wolfgang, « La politique moyen-orientale de Berlin-Est…», op.cit., p. 280. 1925 LOTZ, Wolfgang, L’espion au champagne…, op.cit., p. 29. 1926 SAPMO-BArch, DY 30/ IV B 2-20 344, op.cit., Note sur une conversation avec le directeur des relations avec l’étranger du Supreme Council for Sports, M. Ahmed Soliman, 1.6.1972, rapport de M. Stelzer, second secrétaire pour la Culture à l’ambassade de RDA au Caire. 1927 Ibid.

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En juillet 1972, en pleine crise soviéto-égyptienne, le centre est-allemand du Caire est surveillé par des hommes en civil et reçoit des coups de téléphone anonymes1928. Le ministère égyptien des Affaires étrangères refuse de délivrer aux ressortissants de la RDA des autorisations de déplacement en province ; les délais d’examen des films est-allemands par la censure s’allongent et durent de trois à quatre mois1929.

La surveillance des étudiants, des travailleurs et des scientifiques étrangers sur leurs territoires respectifs est le fait aussi bien de la RDA que de l’Egypte, deux régimes policiers dont la pérennité repose sur le contrôle de leurs populations. Cette surveillance toutefois ne revêt pas le même caractère d’urgence selon qu’on est ressortissant du pays ou non: en Egypte, les Allemands de l’Est ne respectent pas tous leurs devoirs consulaires ; en RDA, les Egyptiens ne se privent pas de formuler des critiques à l’encontre du régime. Dès lors, la confrontation à l’altérité nécessite des mécanismes d’adaptations socio-culturelles, qui ne vont pas sans heurts et font souvent la part belle aux préjugés. La migration peut même produire de la politisation, les « interactions idéologiques »1930 favorisant des prises de position et des manifestations à caractère politique, que ce soit contre son pays d’origine ou contre son pays d’adoption. b) Mécanismes d’adaptations socio-culturelles : entre pragmatisme et préjugés

Les archives de la Stasi et du FDGB donnent ponctuellement des indications sur la façon dont se déroule le séjour des Egyptiens en RDA, du moins tel qu’il est perçu et/ou rapporté par les observateurs est-allemands responsables de leur encadrement et de leur surveillance. Si certains documents dressent un bilan tout à fait positif de leur séjour, d’autres néanmoins font état de difficultés entre les stagiaires et leurs formateurs, déplorent le comportement inapproprié des Egyptiens ou véhiculent des préjugés éculés. Il convient de prendre garde cependant à l’effet de sources, les documents ne rapportant « naturellement que les "mauvaises nouvelles" »1931. Ces derniers donnent à voir malgré tout le ressenti des évaluateurs est-allemands face à d’éventuels décalages de perception ou de possibles altercations.

1928 SAPMO-BArch, DY 30/ IV B 2-20 344, op.cit., 12.7.1972, Abteilung Auslandsinformation. 1929 Ibid. 1930 KATSAKIORIS, Constantin, « L’Union soviétique et les intellectuels africains… », op.cit., p. 16. 1931 TAUBERT, Fritz, La guerre d’Algérie…, op.cit., p. 144.

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Les reproches récurrents adressés aux Egyptiens concernent leur indiscipline, leur formation insuffisante et leur manque d’ardeur au travail. Les séjours à long terme de scientifiques sont perçus par les institutions est-allemandes comme un « surcroît de travail », notamment « pour assurer la discipline »1932. Au niveau diplomatique comme au niveau de la société civile, le discours est-allemand reprend souvent l’idée selon laquelle les Egyptiens entendent profiter du système social et des avancées technologiques et industrielles d’un pays plus développé que le leur. Pourtant, la RDA joue sur cette image et contribue elle-même à alimenter la conception instrumentale que les Egyptiens peuvent avoir de leur séjour dans le pays. A la fin de l’année 1975, une « discussion houleuse » a lieu entre les treize stagiaires égyptiens de l’Ecole de technique agricole de Triptis et les représentants du FDGB, qui encadrent leur venue1933. La formation des apprentis vient de s’achever et ils préparent leur retour en Egypte. Ils demandent alors au syndicat est-allemand de prendre en charge l’intégralité des coûts de transport des biens de consommation qu’ils ont achetés en RDA et qu’ils souhaitent rapporter chez eux : machines à coudre, essoreuses, robots-ménagers, bouilloires électriques et réfrigérateurs. Alors que le FDGB leur enjoint tout d’abord de payer eux-mêmes les frais de transport, le syndicat accepte finalement de prendre en charge les coûts d’empaquetage et de transit de leurs affaires personnelles, à hauteur de 200 kilos par personne. Les colis sont acheminés jusqu’au port de Rostock par le FDGB, et sont ensuite transportés par bateau jusqu’à Alexandrie.

La différence de niveau de développement entre leur pays et la RDA joue évidemment un rôle dans l’attrait que revêt cette dernière pour les Egyptiens. Berlin-Est entretient son image de pays industrialisé et prospère auprès du Tiers-monde, tout en regrettant l’intérêt accru que portent les Egyptiens aux produits de consommation plutôt qu’aux programmes culturels et aux formations idéologiques qui leur sont proposés. En 1976, la Ligue pour l’amitié entre les peuples invite Abd al-Salam al-Zayyat, président de la société d’amitié égypto-soviétique, ainsi que sa sœur, Latifa al-Zayyat, professeur de littérature anglaise, en RDA1934. Leur voyage de trois semaines est explicitement présenté comme un « séjour de travail et de repos » : les deux invités sont reçus dans une résidence cossue du Conseil des ministres à Gohrisch, en Saxe ; un chauffeur est mis à leur disposition. Le but de la Ligue est

1932 SAPMO-BArch, DY 30/ IV B 2-9.04/ 66, op.cit., Evaluation de la réalisation du plan de travail sur la coopération scientifique entre l’Académie des sciences de RDA et l’Académie des sciences de RAE, Berlin, 7.3.1975. 1933 SAPMO-BArch, DY 34/ 10 542, op.cit., Note sur une conversation avec 13 collègues égyptiens à l’Ecole spécialisée en technique agricole, le 12.11.1975. 1934 MfAA, L 187, C 1440/78, op.cit., Bericht über die Delegation III/16- ARÄ, Berlin, 20.1.1977.

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clair : il faut « leur donner confiance dans notre Etat et dans sa politique »1935. Un fonctionnaire du MfAA, Wolfgang Kliem, encadre leur séjour, les emmène à Dresde, à Leipzig et à Meissen et leur fait visiter les « curiosités » locales. Ils se rendent ensuite quatre jours à Berlin, où les attend un programme chargé, dans lequel les visites touristiques doivent côtoyer les entretiens politiques. Mais les invités refusent de se plier à l’itinéraire qu’on leur présente parce qu’ils préfèrent « faire des achats », « rencontrer des Egyptiens » et qu’ils ont prévu de passer des examens médicaux dans une clinique pour diplomates. Finalement, « malgré plusieurs tentatives », ils ne voient guère de Berlin que sa fameuse tour de télévision.

Ce bilan en demi-teinte est révélateur du nécessaire pragmatisme dont les interlocuteurs est-allemands et égyptiens doivent faire preuve au cours de leurs échanges. Nombre d’acteurs est-allemands regrettent le manque d’intérêt des Egyptiens pour leur modèle socio-politique, mais s’en accommodent : ils en concluent que ces derniers « ne sont pas mûrs et […] peu formés »1936. Ils pointent le caractère utilitaire de la migration en RDA avec un mélange de réalisme et de stéréotypes, à l’image de « Inge » qui en 1978 résume ainsi la démarche des doctorants égyptiens de Berlin : « ils veulent obtenir le titre de docteur sans faire trop d’efforts […]. Pour beaucoup, le système capitaliste leur plaît, mais à l’université ils montrent de l’enthousiasme pour le socialisme. Les plus brillants iront terminer leurs études aux Etats-Unis ou en Grande-Bretagne »1937.

Enfin, les observateurs est-allemands ne manquent pas d’évaluer le comportement des Egyptiens à la lumière de leur pratique religieuse, sans que cet aspect ne suscite visiblement de désaccords particuliers. En mai 1976, l’IM « Peter Kraus » qui surveille Ahmed Maher Mohamed, stagiaire à la VEB Binnenhäfen de Magdebourg, attribue le comportement ascétique de l’individu à sa grande religiosité1938. Très économe et réservé, extrêmement poli, toujours ponctuel au travail, l’Egyptien respecte scrupuleusement ses devoirs religieux : il accomplit ses obligations rituelles quotidiennement, ne mange pas de porc et ne cherche pas à rencontrer de femmes.

Les sources disponibles donnent beaucoup moins d’indications sur la manière dont l’Egypte s’adapte à la venue d’experts et de conseillers issus des Etats socialistes et de RDA.

1935 « […] sie mit unserem Staat und seiner Politik im Kahre des IX. Parteitages vertraut zu machen ». Ibid., p. 1. 1936 BStU, MfS, HA II, Nr. 28103, op.cit., Rapport de « Inge », 14.11.1978. 1937 Ibid. 1938 BStU, MfS, HA XIX, Nr. 4639, Evaluation de l’activité du citoyen égyptien Ahmed Maher Mohamed, stagiaire à la VEB Binnenhäfen de Magdebourg, 11.5.1976.

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Les archives se font surtout l’écho des incidents qui peuvent émailler ponctuellement la coopération, mais de ce point de vue, elles mettent surtout en exergue les difficultés, alors que ces dernières restent vraisemblablement occasionnelles. L’Egypte a pourtant tout intérêt à s’adapter aux demandes des visiteurs est-européens, non seulement afin de maintenir et renforcer l’aide technico-scientifique du bloc de l’Est, mais également parce qu’elle est une destination touristique prisée par ces populations. En mai 1971, le Progrès Egyptien rapporte l’augmentation constante du nombre de vacanciers soviétiques sur les plages d’Alexandrie1939.

En URSS, les autorités étatiques décident du contingent de visiteurs autorisés chaque année à se rendre en Egypte pour des vacances : au début des années 1970, à la faveur de la bonne entente politico-culturelle bilatérale, elles accroissent de 30% le quota estival de voyageurs et négocient les conditions de transport de ces derniers avec les partenaires égyptiens. La durée des séjours, qui jusqu’ici étaient de huit à dix jours, est allongée. Le développement des relations touristiques est l’occasion pour l’Egypte d’adapter ses structures d’accueil à la clientèle soviétique. Après les plaintes de cette dernière, fâchée de constater que les affiches publicitaires et l’organisation des spectacles son et lumière a lieu en français, en anglais ou en allemand, mais pas en russe, les autorités égyptiennes entreprennent de remédier à « cette lacune, de façon à augmenter le nombre de visiteurs soviétiques »1940.

L’adaptation mutuelle aux contraintes de la mise en relation est donc empreinte de pragmatisme. Elle est toutefois plus compliquée lorsque l’image du régime est remise en cause, que ce soit par le biais de déclarations ou par celui de manifestations publiques. Au-delà des préjugés, la coopération bilatérale conduit parfois à la formulation de véritables critiques, qui sont autant de fissures dans le système étatique de contrôle socio-politique, en RDA comme en Egypte. c) Mobilisations et initiatives à caractère politique dans le pays d’accueil : critiques du régime et « activités subversives »1941

Autrement plus menaçante que les décalages socio-culturels, la mise en scène publique et visible d’opinions ou de revendications à caractère politique apparaît comme un facteur de désordre potentiel pour les régimes en place. En RDA comme en Egypte, il n’est pas question

1939 « Les plages d’Alexandrie attirent les vacanciers soviétiques », Le Progrès Egyptien, 20 mai 1971, p. 3. 1940 Ibid. 1941 SAPMO-BArch, DY 30/ IV B 2-20 344, op.cit., 12.7.1972, Abteilung Auslandsinformation.

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que la coopération bilatérale donne lieu à des initiatives séditieuses, et encore moins que celles-ci servent de modèles à de possibles contestations. Bien que globalement circonscrit, ce risque semble toutefois plus réel en RDA qu’en Egypte, vraisemblablement en raison du profil des migrants. Tandis que la majorité des Allemands de l’Est qui séjournent en Egypte sont mandatés par le régime pour effectuer une mission d’ordre diplomatique ou technique, les Egyptiens qui viennent en RDA le font bien souvent dans une perspective plus individuelle. Bien qu’encadré par des conventions étatiques, leur séjour répond à une demande ciblée et à des motivations personnelles : cette démarche est peut-être plus propice à la formulation d’opinions ou de revendications d’ordre matériel et/ou socio-politique. En outre, comme c’est le régime est-allemand qui encadre leur venue, décide de leur répartition sur le territoire de la RDA en fonction de ses propres besoins et les soumet à un contrôle policier systématique, l’arbitraire dont ils sont l’objet peut renforcer le sentiment de dépossession et encourager l’expression du mécontentement. Surtout, les sources à disposition étant des sources est-allemandes, elles donnent évidemment davantage d’informations sur les « activités subversives » organisées par des ressortissants égyptiens en RDA que sur celles possiblement initiées par les citoyens est-allemands en Egypte.

En RDA, le discours tenu par certains stagiaires égyptiens contribue à véhiculer une image relativement négative du pays. Parfois anecdotiques, les critiques qu’ils formulent n’en revêtent pas moins une dimension politique, dès lors qu’elles remettent en cause l’idée selon laquelle la vie en RDA est forcément plus agréable que le quotidien dans un pays du Tiers-monde. La vision qu’Ahmed Maher Mohamed a de la République est-allemande, par exemple, est d’autant plus problématique que ce dernier est par ailleurs crédité d’une grande rigueur morale par ses interlocuteurs. Il blâme pourtant la qualité des produits de consommation : le riz égyptien est meilleur que celui que l’on trouve en RDA, le coton soviétique est quant à lui de moins bonne qualité que le coton égyptien1942. Il dit avoir été étonné de constater que la télévision en couleurs existait en Allemagne de l’Est, ce qui ne manque pas de vexer son interlocuteur. De ce point de vue, l’Egyptien ne fait que formuler à haute voix la réalité d’une économie de pénurie, visible même par les citoyens issus de pays du Tiers-monde. Enfin, il ne se gêne pas pour déplorer le fait qu’ « il y [ait] trop de choses interdites en RDA » et critique notamment le contrôle systématique du courrier1943.

1942 BStU, MfS, HA XIX, Nr. 4639, op.cit., Stagiaires de RAE. Renvoi de documents concernant d’anciens stagiaires de RAE, mai 1984. Rapport de Willi Werrang, Magdeburg, 29.4.1976. 1943 BStU, MfS, HA XIX, Nr. 4639, op.cit., Rapport final sur le stage de Ahmed Maher Mohamed, 25.5.1976.

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Ahmed Maher Mohamed n’est pas le seul à émettre de telles réserves sur la vie quotidienne en RDA. En 1978, le président de l’association étudiante Nasser Verband, Sayed Ali Abdel Nasser, est apparemment « très braqué contre la RDA »1944. Cette posture ne peut qu’embarrasser le régime est-allemand, qui n’a aucun intérêt à voir un représentant des étudiants égyptiens faire état d’opinions politiques qui le desservent. Il est difficile néanmoins d’évaluer dans quelle mesure le jeune homme possède réellement un pouvoir de nuisance, d’autant que les idées qui lui sont attribuées sont rapportées par une informatrice qui les a elles-mêmes obtenues d’un étudiant égyptien, qui n’adhère pas à l’association. Qu’elles soient instrumentalisées ou non, ces allégations, à partir du moment où elles sont exprimées, montrent cependant que la critique politique est conçue comme un outil de démarcation efficace entre alliés potentiels et opposants supposés du régime. Elle paraît en outre relativement répandue chez les partenaires égyptiens, qui ne semblent pas beaucoup pratiquer l’auto-censure, d’après ce que rapportent leurs interlocuteurs est-allemands. En 1984, une délégation de militaires égyptiens se rend à Berlin-Est et se montre visiblement « [mieux] disposée à l’égard des Etats-Unis qu’à l’égard de la RDA » : selon eux, en effet, « il y a plus de choses à faire aux Etats-Unis »1945.

Outre les prises de position verbales, certaines initiatives politiques organisées par les ressortissants est-allemands et égyptiens dans le pays d’accueil peuvent contribuer à refroidir les relations étatiques, tout en étant allègrement instrumentalisées par les régimes en place. Nous avons déjà évoqué le cas du directeur du centre culturel est-allemand du Caire, M. Ehrlich, qui en 1972 entreprend de rassembler des signatures de citoyens égyptiens en faveur de l’entrée de la RDA au sein de l’OMS1946. Les rassemblements collectifs de citoyens égyptiens en RDA constituent un autre exemple d’imbrication étroite entre les actions menées par les membres de la société civile et leur récupération politique par les gouvernements.

En novembre 1977, plusieurs manifestations ont lieu à Berlin-Est, à l’initiative d’étudiants arabes, afin de dénoncer le déplacement de Sadate à Jérusalem. Le 18 novembre, vingt-quatre étudiants arabes se rendent devant l’ambassade d’Egypte à Berlin pour exprimer leur mécontentement1947. D’après la Stasi, il s’agit surtout d’Irakiens, de Libanais et de

1944 BStU, MfS, HA II, Nr. 28103, op.cit., Rapport de « Inge », 20.2.1978. 1945 BStU, MfS, HA XVIII, Nr. 21529, op.cit., Information (449), Abteilung XVIII/7, Berlin, 20.11.1984. 1946 Voir supra, p. 358. 1947 BStU, MfS, ZAIG, Nr. 15727, Information n° 726/77 sur le déroulement d’une manifestation de protestation d’étudiants arabes en RDA, devant l’ambassade de RAE en RDA, strictement confidentiel, Berlin, 18.11.1977.

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Palestiniens venus de Potsdam, Rostock, Dresde et Leipzig. Ces derniers entreprennent de lire une résolution dans laquelle ils condamnent le voyage de Sadate en Israël, puis ils clament en chœur plusieurs slogans: « A bas Sadate ! », « A bas l’impérialisme ! ». Les sources ne précisent pas si parmi les manifestants se trouvent également des étudiants de nationalité égyptienne. Les diplomates égyptiens en fonction en RDA assurent quant à eux que leurs concitoyens approuvent la politique de Sadate, pour des raisons d’ailleurs parfois plus personnelles qu’idéologiques : « une grande partie des étudiants espère une rupture des relations diplomatiques entre la RAE et la RDA. Ils pensent qu’ainsi, ils pourraient aller continuer à étudier en RFA »1948. Pourtant, des sources est-allemandes rapportent les craintes de certains étudiants égyptiens : alors que les membres de l’association Nasser ont adressé une lettre de soutien à Sadate, les doctorants qui ne sont pas affiliés à l’organisme redoutent des mesures de représailles. Craignant d’être rappelés en Egypte pour effectuer leur service militaire, ils se méfient de leurs camarades adhérant à l’association, qui eux « ont de bonnes relations avec le gouvernement égyptien »1949. Quoiqu’il en soit, les troubles qui agitent les communautés d’étudiants arabes en RDA agacent fortement le régime égyptien, d’autant que les autorités est-allemandes n’entravent pas l’action des manifestants. En octobre 1980, le ministère égyptien de l’Education interdit aux étudiants, aux scientifiques et aux professeurs de se rendre dans les Etats socialistes1950. Officiellement, le régime justifie cette décision par la situation tendue qui prévaut en Europe de l’Est, face au large mouvement de contestation sociale initié par Solidarnosc en Pologne. Pour Berlin-Est, la véritable raison d’une telle interdiction est liée aux manifestations d’étudiants égyptiens qui se sont déroulées à Budapest au cours de l’année 1980 : ces derniers ont occupé leur ambassade afin d’obtenir une augmentation de leurs bourses, tout en formulant des critiques à l’encontre du régime de Sadate. Si ce type d’initiatives, mêlant revendications sociales et politiques, embarrasse le Caire, elles sont aussi instrumentalisées ponctuellement par Berlin-Est, qui, tout en les surveillant de près, y voit un moyen de pression autant qu’une légitimation a posteriori de sa propre politique.

Pourtant, si le caractère politique de la migration liée à la coopération culturelle et technico-scientifique affecte ponctuellement l’état des relations diplomatiques entre la RDA

1948 BStU, MfS, HA XX, AKG, Nr. 6680, op.cit., Information. Opinions de diplomates égyptiens en RDA, HA XX, strictement confidentiel, Berlin, 22 décembre 1977. 1949 BStU, MfS, HA II, Nr. 28103, op.cit., Information, Berlin, 6.12.1977. 1950 BStU, MfS, HA XX, Nr. 3893, Interdiction de sortie pour les étudiants, professeurs et scientifiques de RAE, 22.10.1980.

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et l’Egypte, les échanges restent numériquement trop faibles pour menacer réellement l’assise sociale des régimes. Au quotidien, la gestion des ressortissants égyptiens n’a vraisemblablement que peu d’impact directement politique. En revanche, des questions d’ordre privé se posent aux autorités publiques, et notamment celles des mariages entre ressortissants nationaux et étrangers. Loin d’être anecdotiques, la mixité sociale née de la migration peut contribuer à modifier ou à faire évoluer les « filtres idéologiques »1951 dominants dans le pays ; et de ce point de vue, indirectement, elle revêt un caractère politique. En RDA, les sources à disposition nous permettent de constater que les demandes de mariages entre hommes égyptiens et femmes est-allemandes font d’ailleurs l’objet d’un examen scrupuleux de la part des autorités étatiques. d) L’intrusion de la sphère privée dans les programmes d’échanges officiels

L’une des conséquences naturelles des circulations liées à la coopération culturelle et technico-scientifique bilatérale est la naissance, en RDA et en Egypte, de liaisons entre des ressortissantes est-allemandes et des citoyens égyptiens. En RDA, la migration égyptienne est en effet presque exclusivement une migration masculine, tandis qu’en Egypte, les sources ne font état que de mariages concernant des femmes d’Allemagne de l’Est avec des hommes égyptiens1952.

Les sources consultées ne permettent aucunement de dresser un bilan statistique fiable des mariages binationaux conclus entre 1969 et 1989, ni de quantifier précisément le nombre de ressortissants étrangers qui décident finalement de rester dans le pays où ils ont migré. Il semble globalement que l’installation durable de travailleurs égyptiens dans les pays socialistes, notamment par le biais du mariage, soit relativement restreinte. D’après les indications délivrées par les sources, la RDA ne semble pas faire figure de destination très attractive, contrairement aux Etats occidentaux. C’est ce que confirme en tout cas Mohamed Hassanein Heikal1953 qui estime que sous les gouvernements de Nasser et de Sadate, sur les 200 000 Arabes ayant séjourné en Union soviétique, moins de 1% ont épousé une Soviétique, tandis que sur 15 000 étudiants arabes présents aux Etats-Unis durant la même période, 7000

1951 FAURE, Justine, VERDERY, Katherine, « Les échanges universitaires, la logique de bloc et l’esprit de guerre froide », in : Vingtième Siècle. Revue d’histoire, Paris, Presses de Sciences Po, 2011/1, n° 109, p. 208. 1952 De ce point de vue, les sources reflètent vraisemblablement assez fidèlement la réalité, puisque l’islam proscrit toute union entre une musulmane et un non-musulman. 1953 Journaliste, rédacteur en chef d’al-Ahram en 1957, il devient ministre de l’Information en 1970 sous Nasser, dont il est l’un des conseillers.

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ont épousé une Américaine1954. Les archives du FDGB, du ministère de l’Intérieur et de la Stasi contiennent néanmoins un certain nombre de dossiers pour les années 1976, 1977 et 1979, qui donnent des indications ponctuelles tout à fait intéressantes sur les stratégies matrimoniales élaborées par les couples binationaux (telles du moins qu’elles sont présentées par les institutions étatiques), ainsi que sur les réponses administratives qui leur sont apportées.

En 1976-1977, le ministère est-allemand de l’Intérieur comptabilise au moins 51 demandes de mariages entre des ressortissantes de RDA et des Egyptiens travaillant ou ayant travaillé en Allemagne orientale1955. Ces demandes sont déposées auprès des conseils de districts de Rostock, Halle, Erfurt, Gera, Dresde, Karl-Marx Stadt, Leipzig et Berlin. Le ministère de la Sécurité d’Etat mène alors de petites enquêtes afin d’évaluer si la demande est recevable ou non : sur 51 demandes, 33 dossiers sont conservés dans les archives, dont 17 donnent lieu à une approbation. La totalité des femmes qui déposent une demande de mariage auprès des conseils de districts et dont nous pouvons consulter les dossiers possèdent un emploi ou sont étudiantes : elles sont souvent salariées dans une entreprise (imprimerie, ameublement, automobile…) ou employées (hôtels, restaurants, banques), mais parfois également professeurs, fonctionnaires, ingénieurs ou médecins.

Les motifs de l’autorisation ou du refus des mariages binationaux sont parfois confus. Certains dossiers délivrent toutefois des informations, qui sont autant de pistes permettant d’expliquer au moins partiellement la réaction des autorités administratives. Deux raisons majeures semblent justifier la prise de décision : la « moralité » supposée des individus concernés et l’évaluation qui est faite de leur rôle social et/ou politique en RDA. Les fonctionnaires de la Stasi cherchent tout d’abord à savoir si le couple se connaît bien ou si le mariage est simplement conçu comme un outil destiné à faciliter la migration. Lorsque la liaison est présentée comme éphémère ou libertine, la demande de mariage est systématiquement refusée. Les femmes est-allemandes sont ainsi soumises à une rapide sélection morale, fondée sur des critères relativement évasifs mais censés évaluer leur degré de fidélité et d’engagement. Pour celle qui souhaite épouser un Egyptien alors qu’elle continue à fréquenter son ancien époux1956, « change en permanence de partenaire »1957, « a

1954 LAURENS, Henry, « L’URSS et l’Egypte de Nasser à Sadate », op.cit., p. 60. 1955 SAPMO-BArch, DO 1/ 14 857 : Ministerium des Innern. Abt. Bevölkerungspolitik. Bd. 34, Eheschliessungen. 1976/1977-1987. Dossier Egypte. 1956 SAPMO-BArch, DO 1/ 14 857, op.cit., Dossier Hergert Hannelore/Abdel Fattah Ali Mohamed Mostafa.

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déjà divorcé plusieurs fois »1958, fréquente des individus « issus de pays capitalistes »1959, « a mauvaise réputation parce qu’elle a reçu plusieurs visites de citoyens turcs, qui ont causé du tapage nocturne »1960, « a déjà été amoureuse de deux citoyens étrangers »1961, ou fait preuve d’« un comportement instable »1962, il est vain d’espérer obtenir une autorisation de mariage.

La qualification morale de la relation n’est pas forcément le facteur décisif pour valider ou non une union, mais elle sert au moins de justification a posteriori auprès des citoyens qui essuient un refus. En revanche, l’évaluation politico-idéologique des individus semble déterminante dans la décision finale des autorités administratives. Si le mariage est pressenti comme un instrument destiné à faciliter l’émigration vers l’Ouest1963, il est automatiquement interdit. Helga Ströhmann, infirmière à l’hôpital de Dippoldiswalde, en Saxe, est par exemple suspectée de vouloir épouser l’Egyptien Samir Hanna afin de pouvoir émigrer à Berlin-Ouest. Peu d’arguments étayent ces soupçons, hormis le fait qu’elle a déjà reçu plusieurs visites d’un Iranien domicilié de l’autre côté du Mur1964. Inévitablement, « on suppose que son mariage est juste une occasion d’aller à Berlin-Ouest ». De même, les ressortissantes est-allemandes susceptibles d’entretenir des relations avec l’Ouest se heurtent à un refus, sans que les documents ne précisent clairement dans quelle mesure ce facteur a pesé. C’est le cas par exemple de Christine Zöllner, qui « est en contact avec son frère en RFA »1965, de Christel Barnewski, dont le conjoint égyptien habite à Berlin-Ouest et qui voit sa demande rejetée à deux reprises1966 ou de Petra Wagner, à qui l’on interdit d’épouser le père égyptien de sa fille, résidant à Berlin-Ouest1967. Un autre facteur de refus semble être l’anticipation par les institutions ou entreprises est-allemandes des conséquences négatives du départ possible de l’une de leurs salariées. La Stasi consulte en effet les employeurs ou les professeurs des

1957 Ibid., Dossier Hoschke Doris/Nabil Ahmed Abdel Mohamed. 1958 Ibid., Dossier Klose Anita/ Hassan Hassan Abdelaziz. 1959 Ibid., Dossier Rogowski Doris/ Al-Khtib Salama. 1960 Ibid. 1961 Ibid., Dossier Gnilke Gisela/ El-Masry Ahmed. 1962 Ibid., Dossier Wichmann Melitta/ Elsbrakawy S. Eldim Ahmed. 1963 Si l’émigration éventuelle vers l’Ouest semble constituer un obstacle définitif au mariage, en revanche, l’émigration hors de RDA n’est visiblement pas un facteur déterminant, puisque certaines ressortissantes est- allemandes sont autorisées à se marier et à suivre leur époux en Egypte. 1964 SAPMO-BArch, DO 1/ 14 857, op.cit., Dossier Ströhmann Helga/ Hanna Samir. 1965 Ibid., Dossier Zöllner Christine/ Maher Osman Ahmed. 1966 Ibid., Dossier Barnewski Christel/ Badawy Haney. 1967 Ibid., Dossier Wagner Petra/ Abu Samra Fouad Omar Youssef.

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femmes concernées, afin de connaître leur opinion quant à un éventuel mariage, puisque l’autorisation d’union peut aller de pair avec une autorisation d’émigration. Si la femme est spécialisée dans un domaine précis et que personne n’est en mesure de la remplacer, son mariage avec un étranger peut être conçu comme une menace pour l’employeur, qui n’hésite pas à s’opposer à son départ. C’est ainsi qu’à Wismar, au bord de la mer Baltique, les médecins refusent de voir partir le Dr. Gudrun Schmidt, infirmière pour enfants, arguant du fait qu’ils ont besoin de personnel qualifié sur place1968. De même, Isolde Dörnbrack, professeur d’histoire et d’éducation artistique à Markkleeberg, en Saxe, divorcée, mère d’un enfant né de son premier mariage, voit sa demande de mariage refusée, parce que le département de la Formation populaire du conseil de district ne souhaite pas l’interruption de son service d’enseignement1969. Enfin, le refus de la banque Sparkasse à Berlin de voir l’une de ses responsables quitter l’entreprise contribue vraisemblablement à expliquer pourquoi cette dernière n’obtient pas l’autorisation d’épouser un homme égyptien1970. Dans certains cas néanmoins, l’entreprise et son employée trouvent un compromis. L’employeur de Karin Ullrich, traductrice au sein de la firme Intertext, à Erfurt, accepte ainsi qu’elle se marie avec le père égyptien de son enfant, si elle s’engage à ne pas partir avant 19791971.

Enfin, le rôle socio-politique des membres de la famille des citoyennes est-allemandes est pris en compte dans la décision d’autoriser ou non le mariage avec un ressortissant égyptien. Lorsque certains parents sont considérés comme détenteurs d’informations confidentielles (Geheimnisträger) ou ayant trait à la sécurité du pays, la Stasi refuse systématiquement toute union avec un étranger. Chaque dossier précise donc si l’on dénombre ou non des Geheimnisträger dans la parentèle de la femme. Ainsi, Christine Ackermann, inspectrice dans le domaine de l’hygiène au conseil de district de Leipzig, ne peut épouser Hassan Mustafa, parce que son propre père est chimiste au centre technico- scientifique de Rosslau et détient selon la Stasi des savoirs et des compétences ayant trait à la sécurité nationale1972.

En revanche, si la citoyenne est-allemande est elle-même membre du SED ou appartient à une famille dont les membres font partie des institutions étatiques, la demande ne

1968 Ibid., Dossier Schmidt Gudrun/ El-Masry Tayez. 1969 Ibid., Dossier Dörnbrack Isolde/ Abdel Hamid Khadry. 1970 Ibid., Dossier Barnewski Christel/ Badawy Haney. 1971 Ibid., Dossier Ullrich Karin/ Ismaël Abdel Salam. 1972 Ibid., Dossier Ackermann Christine/ Mustafa Hassan.

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semble pas faire l’objet de difficultés : Hiltraut Oels, agent commercial et aide-cuisine, membre du SED et active dans sa municipalité (par ailleurs non précisée), obtient ainsi l’autorisation d’épouser Mohamed Abdel Motaleb et de le suivre en Egypte1973. De même, Petra Thiel, vendeuse d’articles ménagers dans une coopérative à Pritzwalk, qui « fait du bon travail », « est membre de la FDJ », « a une bonne réputation » et un frère « qui sert actuellement au sein de la NVA », peut épouser un Egyptien, ingénieur en production animale et stagiaire à Pritzwalk1974. Comme elle, Gerlinde Schmidt a un frère qui effectue son service dans une unité spéciale de la NVA : selon le ministère de la Défense, « rien ne s’oppose au mariage » et « il n’y a pas de raisons politiques de justifier un refus »1975. Mademoiselle Schmidt, qui n’a pourtant pas dissimulé son intention d’émigrer hors de RDA, obtient sans difficultés le droit d’épouser son compagnon égyptien.

Si des motifs politiques semblent en somme déterminer l’autorisation de mariage, certains cas paraissent pourtant contredire ces mêmes critères : ainsi, Sylvia Frücke, en prison jusqu’au mois de mars 1977 pour un délit non précisé, qui « par le passé, a eu des liens avec des étrangers de pays non socialistes » et qui cherchait à « quitter la RDA », se voit-elle autorisée à épouser un Egyptien, étudiant à l’Ecole d’ingénieurs en technique agricole de Nordhausen, à sa sortie de prison1976. Hormis cette exception, il semble généralement que l’autorisation de mariage dépende de la façon dont les organes de sécurité évaluent la conformité du comportement de la demanderesse à une norme socio-politique vaguement prédéfinie : un quotidien « stable », pas de relations connues avec l’Ouest, une parentèle ne détenant pas de compétences ou d’informations indispensables à la sécurité d’Etat.

Les dossiers élaborés par la Stasi s’attachent surtout à enquêter sur les mœurs et les opinions des ressortissantes est-allemandes. En revanche, ils ne donnent que peu d’informations sur les citoyens égyptiens eux-mêmes. Pourtant, le refus du mariage peut aussi être motivé par les clauses bilatérales qui règlementent le séjour des travailleurs égyptiens en RDA : officiellement, ces dernières sont en tout cas parfois brandies pour justifier l’interdiction du mariage. En février 1976, Ali Abed el-Cham Abdel Aziz, stagiaire depuis deux ans au sein d’une entreprise de construction d’équipements électroniques, la VEB Starkstrom Anlagenbau, à Erfurt, se présente au département des relations internationales du

1973 Ibid., Dossier Oels Hiltraut/ Abdel Motaleb Mohamed. 1974 Ibid. Dossier Thiel Petra/ Mohamed Ibrahim Hindy. 1975 Ibid., Dossier Schmidt Gerlinde/ el-Hello Ibrahim. 1976 Ibid., Dossier Sylvia Frücke/ Khadre Samir Zaki.

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FDGB1977. Accompagné de sa fiancée, il sollicite le droit de rester en RDA à la fin de sa formation, prévue pour juillet 1976, afin de pouvoir épouser cette dernière, avec laquelle il a eu un enfant1978. Il exprime son souhait d’obtenir un contrat de travail dans son entreprise, afin de « pouvoir s’occuper de son enfant ». Le syndicat fait savoir à l’intéressé qu’il s’est engagé à retourner en Egypte à l’issue de sa formation et lui assure qu’il ne peut approuver le mariage ou la prolongation du séjour « car il s’agit d’affaires privées ». Le verdict est sans appel : l’Egyptien « doit repartir le 31 juillet ». Les archives ne donnent malheureusement que trop peu d’informations pour déterminer clairement les critères qui préludent à la délivrance d’un permis de séjour. De même, il est à peu près impossible d’évaluer dans quelle mesure le mariage s’apparente à une stratégie migratoire ou à un projet personnel pour les travailleurs égyptiens. On peut supposer que drames familiaux et plans d’expatriation se côtoient, sans que les autorités est-allemandes ne définissent réellement de critères transparents préalables à l’autorisation des mariages. La confrontation des archives du FDGB et de la Stasi nous permet ainsi de reconstituer à gros traits le parcours d’un Egyptien diplômé de l’Ecole de technique agraire de Triptis en 1976, M. K.1979, qui est parvenu, lui, à obtenir un permis de séjour en RDA à l’issue de sa formation. Arrivé en RDA en janvier 19741980à l’âge de trente ans, il était prévu qu’il reparte en Egypte avec ses collègues en juin 1975. Sans que l’on sache s’il a bien quitté ou non la RDA en 1975, il est en tout cas devenu, en 1986, résident permanent à Karl-Marx Stadt et s’est marié à une Allemande de l’Est1981. Ingénieur dans une entreprise de bonification foncière, la VEB Meliorationsbau de Karl-Marx Stadt, et doctorant à l’Université technique de la ville, il a visiblement obtenu le droit d’épouser une citoyenne de RDA à l’issue de sa première formation, pourtant encadrée par le FDGB. Il réside donc de manière parfaitement légale en Allemagne de l’Est. Les sources ne nous permettent pas de comprendre si, dans le cas de M.K., le mariage a été l’outil préalable à l’obtention d’un permis de séjour. Néanmoins, ce parcours individuel montre que la migration de travail des Egyptiens en RDA, bien que strictement encadrée par des conventions bilatérales, peut être le

1977 SAPMO-BArch, DY 34/ 10 542, op.cit., Dossier de Ali Abed el-Cham Abdel Aziz, Berlin. 1978 SAPMO-BArch, DY 34/ 10 542, op.cit., Note sur une conversation avec le collègue Ali Aziz, RAE, stagiaire à la VEB Strakstrom Anlagenbau d’Erfurt, Berlin, 10.2.1976. 1979 Les archives de la FDGB donnent le nom du stagiaire, tandis que les archives de la Stasi l’ont noirci (il reste parfaitement lisible malgré tout, par transparence). Nous avons choisi de laisser le nom de cet Egyptien dans l’anonymat. 1980 SAPMO-BArch, DY 34/ 10 542, op.cit., Lettre adressée par M. Franke à M. Beyreuther, 10.9.1974. 1981 BStU, MfS, HA II, Nr. 28103, op.cit., Lettre du lieutenant-colonel Wiegand, directeur du Département II à l’Administration de district pour la sécurité d’Etat de Karl-Marx Stadt, au Département des étrangers du MfS, Berlin, 29.4.1986.

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point de départ d’une stratégie d’installation hors du pays d’origine, qu’elle ait été préméditée ou non. Ainsi, bien qu’en règle générale, les « [travailleurs] formés en RDA [rentrent] […] en Egypte »1982, l’installation en Allemagne orientale peut donner lieu à des recompositions imprévues et à la modification de projets professionnels, résidentiels et familiaux, ou être conçue comme une étape provisoire avant de migrer à l’Ouest.

L’obtention d’un permis de séjour en RDA n’est en tout cas pas le gage d’une installation durable. Le 11 avril 1986, l’Egyptien M. K. se rend de lui-même dans les bâtiments de la Sécurité d’Etat lors d’un déplacement à Berlin1983. Il explique avoir été verbalisé pour une « faute morale » commise lors d’un séjour à l’hôpital, dont il ne précise pas la teneur. Il évoque des difficultés au sein de son entreprise, fait part de son mauvais état de santé et de ses « grandes douleurs » malgré de nombreuses hospitalisations. Le rapport dressé par le lieutenant-colonel Wiegand présente l’homme dans un état de grande agitation : « il dit avoir de gros problèmes et ne pas savoir auprès de qui prendre conseil ». A la suite de son infraction, son ambassade lui a enjoint de repartir en Egypte s’il ne pouvait pas prouver son innocence, « mais pour lui, cela est hors de question ». En interne, les services de la Stasi qui suivent son dossier ne passent guère de temps à étudier sa situation. Le 27 mai, les organes de la Sécurité d’Etat du district de Karl-Marx Stadt écrivent au ministère de la Stasi à Berlin pour l’informer du fait que l’Egyptien « représente un danger pour la sécurité du territoire ». Un mois plus tard, le 27 juin 1986, le département responsable des étrangers au sein du MfS retire son permis de séjour à M. K.1984 puis fait part au district de Karl-Marx Stadt de sa décision de renvoyer le citoyen égyptien. Les motifs d’un tel renvoi restent relativement flous : le retrait du permis de séjour est-il un moyen de corriger a posteriori la possibilité qu’a eue le citoyen égyptien de s’installer durablement en RDA ? Est-il uniquement lié à l’infraction que ce dernier a commise et dont la nature n’est pas précisée clairement par les sources ? Il est probable que les « difficultés » dont il fait état au sein de son entreprise justifient en partie la décision de le renvoyer en Egypte. Dans tous les cas, le fait que le ressortissant égyptien ait construit sa vie dans le pays, soit marié avec une Allemande de l’Est et titulaire d’un contrat de travail, ne lui garantit aucunement le droit d’y rester.

1982 MfAA, L 187, C 6500, op.cit., Information über ein Treffen mit Partern des Hochschulministeriums der ARÄ, Kulturattaché, Kairo, den 28.11.79. 1983 BStU, MfS, HA II, Nr. 28103, op.cit., Lettre du lieutenant-colonel Wiegand, directeur du Département II à l’Administration de district pour la sécurité d’Etat de Karl-Marx Stadt, au Département des étrangers du MfS, Berlin, 29 .4.1986. 1984 BStU, MfS, HA II, Nr. 28103, op.cit., Abteilung Ausländer, Berlin, 27.6.1986.

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Le parcours des femmes est-allemandes qui s’installent en Egypte est beaucoup plus difficile à retracer, faute de sources. En outre, comme nous avons pu le constater plus haut, les archives montrent que le ministère de l’Intérieur de RDA lui-même ne procède pas au suivi rigoureux de ces ressortissantes. Au 31 janvier 1979, ce dernier recense 51 Allemandes de l’Est mariées à des Egyptiens et qui vivent de façon permanente en RAE1985. Seules huit d’entre elles exercent une profession : elles sont professeurs de langue, traductrices ou employées dans une agence de voyages ou à la radio du Caire. Les autres sont femmes au foyer, la plupart d’entre elles ayant des enfants. Elles vivent en majorité dans les quartiers huppés du Caire, à Héliopolis, Zamalek ou Maadi, mais certaines habitent aussi à Alexandrie, à Port-Saïd ou à Assiout. Leurs époux sont ingénieurs, scientifiques, journalistes, médecins, professeurs ou encore étudiants. Il est impossible néanmoins de savoir si, dans le cas de ces femmes, le choix du mariage avec un citoyen égyptien répond à une motivation sentimentale ou à une envie de fuir la RDA. D’après la liste que dresse en 1979 le ministère est-allemand de l’Intérieur, elles ont pour l’essentiel réussi à obtenir en Egypte un statut économique tout à fait correct. Les sources ne précisent pas la catégorie socio-professionnelle à laquelle elles appartenaient en RDA. Il est probable toutefois que certaines d’entre elles aient été employées dans les services, tout comme une bonne partie de leurs concitoyennes, qui en 1976, sollicitent une autorisation de mariage avec un ressortissant égyptien. Si c’est le cas, il faut rappeler qu’en RDA, les conditions de travail dans le « secteur non productif », très féminisé, sont « généralement peu favorables »1986. De ce point de vue, il est possible que l’installation en Egypte offre à ces femmes un statut social supérieur à celui qu’elles possédaient en RDA.

Ponctuellement, la coopération culturelle et technico-scientifique conduit donc les partenaires politiques est-allemands et égyptiens à prendre en compte les conséquences sociales de la mise en relation de leurs propres populations. Cette adaptation réciproque fait notamment l’objet d’une attention particulière lorsqu’elle met en jeu l’image des régimes. Afin de bien comprendre dans quelle mesure le contexte politique et diplomatique peut interférer avec la coopération culturelle et entraîner des recompositions, des adaptations et des concessions, il nous semble tout à fait intéressant de nous pencher maintenant sur une étude de cas emblématique de l’interpénétration des niveaux de relations : la décision unilatérale par

1985 SAPMO-BArch, DO 1/ 14 333, op.cit., Liste des citoyens est-allemands vivant de façon permanente dans le domaine consulaire de RAE (31 janvier 1979). 1986 KOTT, Sandrine, « Les services… », op.cit., p. 97.

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l’Egypte de fermer les centres culturels est-allemands du Caire et d’Alexandrie en décembre 1977. e) Les réponses institutionnelles à l’ingérence du politique dans les relations culturelles : l’exemple de la fermeture des centres de culture et d’information est- allemands au Caire et à Alexandrie en 1977

Le 8 décembre 1977, le gouvernement égyptien fait part de sa décision de fermer les consulats de la RDA, de la Tchécoslovaquie et de la Pologne à Alexandrie, les consulats soviétiques d’Alexandrie, de Port-Saïd et d’Assouan, ainsi que tous les centres de culture et d’information de l’URSS, de la RDA, de la Hongrie et de la Tchécoslovaquie sur son territoire1987. Le premier ministre égyptien, Mamdouh Salem, présente explicitement l’initiative comme une mesure de représailles, face au soutien apporté par les Etats socialistes au sommet arabe de Tripoli, qui a rassemblé les « chefs d’Etats arabes révolutionnaires et progressistes »1988 en Libye du 2 au 5 décembre 1977, afin de condamner la visite de Sadate en Israël. L’accusation de « haute trahison »1989 dont le président égyptien fait l’objet dans le communiqué final du sommet est d’autant plus mal accueillie par le Caire que jusqu’ici, l’Egypte a toujours officiellement proclamé qu’elle ne « signera[it] pas de traité séparé » avec Israël1990. Les pays socialistes ayant pourtant salué la « résistance des Etats arabes progressistes »1991 face à un rapprochement israélo-égyptien qu’ils désapprouvent, le Caire ne tarde pas à leur signifier son mécontentement : à cet égard, la décision de fermer les institutions socialistes « reflète[ ] la souveraineté égyptienne »1992. Berlin-Est dispose donc d’un délai de dix jours pour stopper les activités de ses centres culturels au Caire et à

1987 « Fermeture des consulats de Tchécoslovaquie, de la RDA et de Pologne à Alexandrie. Et certains centres culturels d’Europe orientale », Le Progrès Egyptien, 8 décembre 1977, p. 1. 1988 Le sommet est convoqué à l’initiative du colonel Kadhafi afin de réunir les adversaires de la politique égyptienne. Il rassemble la Libye, l’Algérie, la Syrie, la République démocratique du Yémen, l’Irak et l’OLP. Les participants décident de geler leurs relations diplomatiques avec l’Egypte, mais ne parviennent pas à s’entendre, ce qui entrave la constitution d’un front anti-égyptien. Voir : LAURENS, Henry, CLOAREC, Vincent, Le Moyen-Orient…, op.cit., p. 159. Sur la mésentente entre l’Irak et la Syrie à cette occasion, voir : RONDOT, Philippe, « L’Irak d’aujourd’hui, de la fermeté au réalisme », in : Politique étrangère, 1978, vol.3, n° 3, p. 316. 1989 Le communiqué final du sommet de Tripoli est disponible en ligne sur le site de la Maison méditerranéenne des sciences de l’homme (MMSH) de l’Université Aix-Marseille : http://aan.mmsh.univ- aix.fr/volumes/1977/1977/Documents-communs.pdf 1990 MfAA, L 187, C 1429/78, op.cit., Vermerk über das Gespräch mit dem Chef des Kabinetts beim Präsidenten am 4.12.1977, Botschaft der DDR in der AR Ägypten, Kairo, 6.12.1977. 1991 Ibid. 1992 MfAA, L 187, C 6465, op.cit., Vermerk über ein Gespräch mit dem stellvertretenden Leiter der Konsularabteilung im ägyptischen Außenministerium, Herrn Mahmoud Kamal Rifaat, Minister Plenipotentiary, am 18.12.77, Botschaft der DDR in der ARÄ, Kairo, den 19.12.77. 383

Alexandrie et organiser le rapatriement de ses collaborateurs en RDA1993. Du point de vue est- allemand, une telle décision s’apparente à la « limitation directe, pour la première fois, de la base institutionnelle des relations [bilatérales] »1994.

Tout en relayant les directives gouvernementales, les représentants officiels égyptiens se veulent néanmoins rassurants : selon eux, cette mesure « temporaire »1995 ne doit certainement pas mettre un terme à la coopération culturelle et technico-scientifique bilatérale. Le ministère égyptien des Affaires étrangères se dit ainsi « toujours intéressé par la poursuite des mesures étatiques […] et conventionnelles, dans le domaine culturel et scientifique »1996. A Berlin-Est, l’ambassadeur égyptien, Salah Eddin Abu Gabal, « espère sincèrement que l’état normal [des] relations […] va être restauré »1997.

Finalement, cet épisode, même s’il n’affecte pas fondamentalement l’application des conventions bilatérales, montre que la coopération culturelle n’est pas épargnée par l’état des relations diplomatiques. Du point de vue du Caire, la collaboration technico-scientifique et culturelle ne doit en aucun cas être le support indirect de l’activité politique d’une puissance étrangère en Egypte - du moins, pas tant qu’elle contredit les positions officielles du régime. Les représentants égyptiens brandissent d’ailleurs tous les mêmes arguments pour justifier la fermeture des centres culturels est-allemands : ces derniers sont accusés de jouer le rôle d’auxiliaires de l’activité subversive des Etats socialistes en Egypte. Comme l’URSS, qui « a incité ses agents à commettre des actes de sabotage en Egypte »1998, la RDA est accusée de soutenir les mouvements de gauche, hostiles au gouvernement de Sadate, par l’intermédiaire

1993 MfAA, L 187, C 1429/78, op.cit., Vermerk über ein Gespräch mit dem amtierenden Leiter der Abteilung kulturelle Beziehungen und technische Zusammenarbeit im Ministerium für Auswärtige Angelegenheiten der ARÄ, Botschafter Ali Shawki El Hadidi am 12.12.1977, Botschaft der DDR in der ARÄ, vertrauliche Dienstsache. 1994 Diese Entscheidung « hat erstmals zu einer direkten Einschränkung der institutionnellen Basis der Gesamtbeziehungen geführt ». MfAA, L 187, C 6513, op.cit., Jahresbericht der Botschaft der DDR in der AR Ägypten für das Jahr 1977, Gesamteinschätzung der staatlichen und gesellschaftlichen Beziehungen, Kairo, den 22.12. 1977, p. 38. 1995 MfAA, L 187, C 1429/78, op.cit., Vermerk über ein Gespräch mit dem amtierenden Leiter der Abteilung kulturelle Beziehungen und technische Zusammenarbeit im Ministerium für Auswärtige Angelegenheiten der ARÄ, Botschafter Ali Shawki El Hadidi am 12.12.1977, Botschaft der DDR in der ARÄ, vertrauliche Dienstsache. 1996 Ibid. 1997 MfAA, L 187, C 6465, op.cit., Vermerk, Note de M. Gloede (Sektorleiter) sur un entretien avec l’ambassadeur égyptien en RDA le 10 décembre 1977, sans date. 1998 « Fermeture des consulats de Tchécoslovaquie, de la RDA et de Pologne à Alexandrie. Et certains centres culturels d’Europe orientale », Le Progrès Egyptien, 8 décembre 1977, p. 1.

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de ses centres culturels1999. La formulation de tels griefs s’explique d’autant plus aisément qu’en décembre 1977, le souvenir des émeutes du début de l’année est encore vivace : à cette époque déjà, les communistes égyptiens avaient été accusés par le régime d’avoir fomenté le soulèvement populaire2000. Le directeur du département des relations culturelles au ministère égyptien des Affaires étrangères, Ali Shawky el-Hadidi, évoque ainsi les infractions faites au décret présidentiel de 1960, toujours en vigueur, qui s’impose aux représentations étrangères en Egypte et réglemente notamment la publication et la diffusion du matériel de propagande dans le pays2001. Selon lui, le directeur du centre culturel est-allemand d’Alexandrie, Wolfgang Skillandat, a largement outrepassé l’exercice de ses fonctions en entretenant « des contacts, sans autorisation, avec des entreprises, des syndicats, avec la jeunesse ou des institutions diverses »2002. En outre, ce dernier a également « instauré, de son propre chef, des relations avec les gouverneurs, ce qui n’est pas du ressort de ses compétences ». Il est vrai qu’en Egypte, les centres culturels est-allemands ont joué le rôle de plates-formes institutionnelles susceptibles de mener des activités à caractère politique2003 : c’est la mission qui est dévolue, plus généralement, à l’action culturelle de la RDA dans le pays2004. En 1975, en pleine visite d’une délégation gouvernementale chilienne en Egypte, deux ans après le coup d’Etat d’Augusto Pinochet, le centre culturel est-allemand d’Alexandrie s’est par exemple mobilisé pour dénoncer le pouvoir de la junte militaire à Santiago2005. Il a entrepris de diffuser auprès des partenaires progressistes égyptiens « des idées de solidarité à l’égard des démocrates chiliens », en particulier pour appuyer la demande de libération du dissident

1999 BStU, MfS, HA XX, AKG, Nr. 6680, op.cit., Information. Opinions de diplomates égyptiens en RDA, HA XX, strictement confidentiel, Berlin, 22 décembre 1977. 2000 Sur les manifestations de janvier 1977 en Egypte, voir supra, partie I, chapitre 3, p. 167-171. 2001 MfAA, L 187, C 1429/78, op.cit., Vermerk über ein Gespräch mit dem amtierenden Leiter der Abteilung kulturelle Beziehungen und technische Zusammenarbeit im Ministerium für Auswärtige Angelegenheiten der ARÄ, Botschafter Ali Shawki El Hadidi am 12.12.1977, Botschaft der DDR in der ARÄ, vertrauliche Dienstsache. 2002 « So hätte der Leiter des KIZ in Alexandria, Herr Skillandat, unberechtigter Weise Kontakte mit Betrieben, Gewerkschaften, der Jugend sowie Institutionen aufgenommen und seine Arbeit nicht auf das Zentrum beschränkt. Er habe, selbst persönlich Kontakte mit Gouverneuren hergestellt, was nicht zu seinen Kompetenzen gehörte ». Ibid., p. 3. 2003 Voir à ce sujet le travail de Nils Abraham, qui montre que le centre culturel est-allemand à Stockholm a été l’un des vecteurs de la construction d’une véritable « diplomatie publique » de la RDA en Suède. Voir : ABRAHAM, Nils, Die politische Auslandsarbeit der DDR in Schweden: zur Public Diplomacy der DDR gegenüber Schweden nach der diplomatischen Anerkennung (1972-1989), Berlin, Lit. Verlag, 2007. 2004 MfAA, L 187, C 1876, op.cit., Direktive für KAP-Verhandlungen DDR-ARÄ für 1977/78, von Abt. KAB an St II, Gen. Dr. Grunert, 20.5.77. 2005 SAPMO-BArch, DY 13/ 2349, op.cit., Note sur une information fournie par le directeur du centre culturel est-allemand à Alexandrie, M. Pischel, Berlin, 22.8.1975.

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communiste, Luis Corvalan. Le consulat est-allemand à Alexandrie avait de son côté pour tâche d’entretenir des relations avec l’université et les différents organes de presse de la ville2006. Les acteurs est-allemands d’ailleurs ne s’en cachent pas. En revanche, ils nient avoir enfreint la législation égyptienne : en décembre 1977, M. Winter, premier secrétaire de l’ambassade de la RDA au Caire, assure que les « centres culturels […] ont travaillé en accord avec le gouvernement égyptien [et] ont strictement respecté les lois du pays »2007. Ainsi, les publications et les films diffusés par ces derniers « ont [toujours] été approuvés par les organes égyptiens compétents ».

Malgré tout, les sanctions prises par l’Egypte à l’encontre des Etats socialistes et de la RDA obligent ces derniers à repenser l’organisation de leur action culturelle dans le pays. Berlin-Est doit s’atteler au redéploiement de tout un pan de son activité dans ce domaine et élaborer des stratagèmes institutionnels susceptibles de concilier les nouvelles conditions de sa présence en Egypte avec le maintien de ses missions économiques et politiques.

La fermeture des centres culturels du Caire et d’Alexandrie entrave en effet l’activité de la RDA en Egypte à plusieurs niveaux. Elle conduit tout d’abord à la réorganisation de ses propres services administratifs : comme les anciens employés des centres culturels ne possèdent pas le statut de diplomates, ils ne peuvent pas être réaffectés au sein de l’ambassade du Caire2008. L’Etat égyptien utilise cet argument statutaire pour demander le renvoi en RDA des coopérants qui jusqu’ici travaillaient à Alexandrie. Il laisse toutefois la possibilité à Berlin-Est de transférer certains de ses fonctionnaires à l’ambassade du Caire, à la condition que ces derniers soient employés en tant que « collaborateurs techniques », sans aucun statut diplomatique. Cette reconversion est pour l’Egypte la garantie que les acteurs concernés ne « seront […] pas habilités à mener des activités extérieures avec les partenaires égyptiens ». De cette façon, le Caire parvient à vider les prérogatives d’une partie du personnel est- allemand de tout contenu politique.

En effet, seuls les diplomates qui étaient en fonction au consulat d’Alexandrie avant sa fermeture sont réaffectés à l’ambassade du Caire, conservant ainsi leur statut. L’ancien

2006 MfAA, L 187, C 6465, op.cit., Schlußfolgerungen aus der Schließung des Konsulates Alexandria für die Gestaltung der künftigen Arbeit, Botschaft der DDR in der AR Ägypten, Kairo, 3.1.1978. 2007 MfAA, L 187, C 1429/78, op.cit., Vermerk über ein Gespräch mit dem amtierenden Leiter der Abteilung kulturelle Beziehungen und technische Zusammenarbeit im Ministerium für Auswärtige Angelegenheiten der ARÄ, Botschafter Ali Shawki El Hadidi am 12.12.1977, Botschaft der DDR in der ARÄ, vertrauliche Dienstsache. 2008 Ibid.

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consul, Werner Kempe, est désormais chargé, en tant que second secrétaire, de remplir les missions consulaires à l’ambassade, tandis que ses collaborateurs sont assignés à de nouvelles tâches dans les domaines de la culture, de la presse et des relations protocolaires2009. Les autorités est-allemandes doivent s’empresser de leur faire délivrer de nouveaux passeports, ainsi qu’à leurs épouses, afin d’actualiser leur statut : elles s’acquittent pour cela des formalités nécessaires auprès des organes égyptiens compétents2010. Le directeur du centre de la culture et de l’information d’Alexandrie, Wolfgang Skillandat, est quant à lui renvoyé à Berlin2011.

La deuxième conséquence majeure qui résulte de la fermeture des centres culturels du Caire et d’Alexandrie concerne le maintien des cours d’allemand qu’ils dispensaient aux Egyptiens, préalablement à leur émigration en RDA. Du point de vue égyptien, les cours de langue doivent pouvoir reprendre rapidement2012 et la fermeture des centres culturels ne doit pas affecter l’application des mesures prévues par le plan de travail culturel bilatéral2013. Dans l’immédiat, c’est au département de philologie allemande de la faculté de philosophie de l’Université du Caire qu’incombe la mission de délivrer les cours de langue, qui jusqu’ici étaient assurés par les centres culturels2014. Le directeur du département, le Professeur Ihlenburg, est chargé d’organiser la formation linguistique des Egyptiens ayant obtenu une bourse d’étude pour la RDA. L’Egypte approuve vivement cette réorganisation : désormais, les cours d’allemand ont lieu à son initiative, dans un établissement qu’elle contrôle davantage. En outre, après le renvoi en RDA des anciens employés est-allemands des centres culturels, un tel enseignement est presque exclusivement dispensé par des professeurs égyptiens. Au début du mois de janvier 1978, les cours reprennent donc à l’Université du

2009 MfAA, L 187, C 6465, op.cit., Lettre de l’ambassadeur est-allemand au Caire, Otto Becker, au représentant du ministre des Affaires étrangères, M. Willerding, le Caire, 15.12.1977. 2010 MfAA, L 187, C 6465, op.cit., Lettre de l’ambassadeur est-allemand au Caire, Otto Becker, au directeur du département des affaires consulaires du MfAA, M. Klobes, le Caire, 22.12.1977. 2011 MfAA, L 187, C 6465, op.cit., Vermerk über ein Gespräch mit Dr. Nabih El Dairouti, Minister Plenipotentiary, Beauftragter der Abteilung für kulturelle Beziehungen und technische Zusammenarbeit des ägyptischen Außenministeriums für alle Fragen, die im Zusammenhang mit der Schließung der Kulturzentren der UdSSR, DDR, CSSR und Ungarn stehen am 15.12.1977, Botschaft der DDR in der ARÄ, Kairo, den 20.12.77. 2012 MfAA, L 187, C 1429/78, op.cit., Vermerk über ein Gespräch mit dem amtierenden Leiter der Abteilung kulturelle Beziehungen und technische Zusammenarbeit im Ministerium für Auswärtige Angelegenheiten der ARÄ, Botschafter Ali Shawki El Hadidi am 12.12.1977, Botschaft der DDR in der ARÄ, vertrauliche Dienstsache. 2013 MfAA, L 187, C 6465, op.cit., Aktenvermerk über ein Gespräch mit dem amtierenden Leiter der Abteilung Kulturelle Beziehungen und Technische Zusammenarbeit in MfAA der ARÄ, Botschafter Ali Shawky El Hadidi am 21.12.1977, Botschaft der DDR in der ARÄ, Sektion Kultur, Kairo, den 3.1.76. 2014 Ibid.

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Caire : neuf étudiants sont formés, à raison de quatre cours hebdomadaires pendant vingt semaines2015. Ils ont lieu sous la responsabilité du Professeur Ihlenburg, qui est secondé par trois enseignants égyptiens, eux-mêmes inscrits en maîtrise sous la direction de professeurs est-allemands. Avec l’aide de sa femme, M. Ihlenburg entreprend de familiariser les professeurs au programme d’étude et à ses méthodes d’enseignement.

Pour Berlin-Est cependant, ce transfert de responsabilité entrave le bon déroulement de la formation linguistique des étudiants égyptiens et menace donc l’exécution des conventions étatiques bilatérales. En janvier 1978, il était prévu par le plan de travail culturel que 24 Egyptiens suivent une préparation linguistique, avant de se rendre un mois plus tard en RDA pour des formations dans le domaine militaire et dans les télécommunications2016. En février 1978, ils devaient être 25 à être formés en allemand, avant de partir en RDA pour effectuer des stages dans les usines militaires, les services postaux ou la planification industrielle. Enfin, de mars à mai 1978, 20 Egyptiens devaient suivre les cours des centres culturels pour préparer leur départ prévu au mois de juin, afin de suivre des formations dans l’industrie textile. Dès lors que les effectifs des cours de langue sont réduits, Berlin-Est redéfinit ses priorités : la formation des travailleurs égyptiens en RDA est maintenue « uniquement dans les domaines qui ont un impact sur la réalisation [des] missions économiques », c’est-à-dire les industries militaire et textile2017. Finalement, la fermeture unilatérale des centres culturels par l’Egypte est rapidement perçue par Berlin-Est comme une occasion de faire des économies, en « supprim[ant] [les] conventions qui [n’]apportent aucun intérêt financier »2018. La suppression des emplois au sein des centres culturels ainsi que l’allègement des budgets alloués à ces derniers, sont autant de moyens de réduire les dépenses liées à la coopération culturelle. De même, d’après le MfAA, « la fermeture du consulat pourrait […] permettre

2015 MfAA, L 187, C 6465, op.cit., Vermerk, Kairo Universität, Prof. Dr. Ihlenburg, Kairo, den 4.1.78. 2016 MfAA, L 187, C 6465, op.cit., Schlussfolgerungen für die weitere Zusammenarbeit auf staatlicher Ebene in den Bereichen KWZ und WTZ sowie Auslandsinformation, die sich aus der Schliessung der KIZ in Kairo und Alexandria ergeben. Botschaft der DDR in der AR Ägypten, Kairo, 4.1.1978. 2017 « Entsprechend der Situation sollte eine produktionstechnische Ausbildung von ARÄ-Bürgern in der DDR nur noch auf solchen Gebieten durchegeführt werden, die Einfluß auf die Erfüllung unserer Außenwirtschaftsaufgaben haben. Dies trifft zu auf die Gebiete : Militärfabriken und Textilindustrie ». Ibid., p. 31. 2018 « […] um die Realisierung solcher Vereinbarungen, die uns keinen ökonomischen Nutzen erbringen, einzustellen ». MfAA, L 187, C 6465, op.cit., Vorschläge zur Lösung von Fragen, die sich aus der Schließung des DDR-Konsulats Alexandria und der Kulturzentren der DDR in Kairo und Alexandria ergeben (ausgehend von den Vorschlägen der Botschaft Kairo zu den diesbezüglichen Problemen), p. 39-40.

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d’économiser trois emplois, ainsi que la plus grande partie des emplois autochtones »2019. La réaction des autorités est-allemandes face à la décision égyptienne révèle en fait un certain pragmatisme : les évènements de décembre 1977 sont l’occasion de redéfinir les objectifs de Berlin-Est en Egypte. « La garantie des intérêts économiques de la RDA ne doit pas être menacée par la fermeture des institutions »2020 et pour cela, il est nécessaire de respecter scrupuleusement les exigences égyptiennes. En effet, afin de préserver « de façon prioritaire » les intérêts économiques est-allemands, « la partie égyptienne ne doit pas avoir l’occasion d’accuser de quelque manière que ce soit la RDA de poursuivre ses activités par le biais du consulat ou des centres culturels »2021.

De ce point de vue, la RDA s’attache à concilier la protection de ses propres intérêts avec les directives soviétiques, qui incitent à l’apaisement. L’Allemagne de l’Est a en effet visiblement été rappelée à l’ordre par Moscou, après avoir exprimé un peu trop ostensiblement son irritation. En décembre 1977, à l’annonce de la fermeture de ses centres culturels, Berlin-Est a réagi promptement, ce qui a suscité le mécontentement des partenaires étatiques égyptiens. Le MfAA a immédiatement transmis à l’ambassadeur de RAE à Berlin plusieurs déclarations officielles condamnant le « geste inamical »2022 de son gouvernement. Parallèlement, l’ambassade est-allemande au Caire a informé ses partenaires égyptiens du fait qu’ils portaient « l’entière responsabilité des conséquences liées à la fermeture des centres culturels »2023. Ces réactions à chaud ont été condamnées par l’Egypte, qui s’est empressée de souligner que « ni l’URSS, ni la Hongrie, ni la Tchécoslovaquie n’[avaient] transmis de déclaration de cette teneur »2024. Et de fait, malgré les tentatives de « différenciation » 2025

2019 « Nach unseren Berechnungen könnte durch die Schließung des Konsulats eine Einsparung von 3 Planstellen […] sowie des größten Teils der einheimischen Angestellten erfolgen ». MfAA, L 187, C 6465, op.cit., Lettre de M. Willerding à Otto Becker, février 1978, p. 45. 2020 « Die Sicherung der ökonomischen Interessen der DDR darf auch durch die Schließung der Institutionen nicht gefährdet werden ». MfAA, L 187, C 6465, op.cit., Vorschläge zur Lösung von Fragen, die sich aus der Schließung des DDR-Konsulats Alexandria und der Kulturzentren der DDR in Kairo und Alexandria ergeben (ausgehend von den Vorschlägen der Botschaft Kairo zu den diesbezüglichen Problemen), p. 36. 2021 « […] daß im Interesse der Sicherung unserer Position in der ARÄ der ägyptischen Seite kein Anlaß gegeben werden darf, die DDR der Fortsetung der Tätigkeit von Konsulat und KIZ auch in verdeckter Form zu beschuldigen ». MfAA, L 187, C 6465, op.cit., Lettre de M. Willerding à Otto Becker, février 1978, p. 44. 2022 MfAA, L 187, C 6465, op.cit., Erklärung des Leiters der Hauptabteilung Konsularische Angelegenheiten des MfAA, Genossen A. Klobes, gegenüber dem Botschafter der Arabischen Republik Ägypten in der DDR, 10.12.1977. 2023 MfAA, L 187, C 6465, op.cit., Aktenvermerk über ein Gespräch mit dem amtierenden Leiter der Abteilung Kulturelle Beziehungen und Technische Zusammenarbeit in MfAA der ARÄ, Botschafter Ali Shawky El Hadidi am 21.12.1977, Botschaft der DDR in der ARÄ, Sektion Kultur, Kairo, den 3.1.78. 2024 Ibid.

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entre l’URSS et la RDA entreprises par le gouvernement égyptien, face à la possible détérioration des relations étatiques entre le Caire et les pays socialistes, l’ambassadeur soviétique au Caire a averti son homologue est-allemand, qui relate ainsi l’entrevue :

« […] le camarade Poljakov m’a dit explicitement que l’Union soviétique s’attendait à des mesures de la part de l’Egypte contre la présence de la Communauté des Etats socialistes au Caire et que, afin de n’avoir aucun reproche à subir de la part du régime, elle respectait strictement toutes les demandes émises par la RAE dans le contexte de la fermeture des centres culturels et des consulats, y compris le retrait de leurs directeurs. Le camarade Poljakov m’a conseillé de réfléchir encore à notre comportement, qui se distingue sur certains points de la position soviétique, et de prendre garde au fait que la poursuite des activités est-allemandes dans le cadre du travail des centres culturels pourrait mettre en danger la position de tous les Etats socialistes en Egypte »2026.

Dans une période où « la politique s’immisce directement dans les relations scientifiques »2027, Berlin-Est doit faire face à deux impératifs : maintenir des relations cordiales avec le régime égyptien, sans procéder toutefois à un « abandon irréfléchi des positions acquises laborieusement au cours de deux décennies »2028 et faire en sorte que la préservation de ses intérêts nationaux ne contrevienne pas à la ligne édictée par Moscou. A la fin des années 1970, l’épisode de la fermeture des centres culturels est-allemands au Caire et à Alexandrie est l’occasion pour la RDA d’assumer le réajustement des objectifs de sa politique étrangère en Egypte. Dans un contexte général d’éloignement politique entre le Caire et les Etats socialistes, et face aux contraintes économiques croissantes auxquelles elle doit faire face, la RDA admet que les relations culturelles doivent être des relations « utiles », délaissant la mission prioritaire qui leur était dévolue une décennie auparavant, celle de jouer le rôle de vecteur de diffusion idéologique du marxisme-léninisme. Les centres culturels et les consulats

2025 « Differenzierungspolitik der ARÄ gegenüber der SSG ». MfAA, L 187, C 6513, op.cit., Jahresbericht der Botschaft der DDR in der AR Ägypten für das Jahr 1978, Botschaft der DDR in der AR Ägypten, Kairo, den 2.1.1979, p. 35. 2026 « Der sowjetische Botschafter, Genosse Poljakov, erklärte mir in diesem Zusammenhang nochmals ausdrücklich, daß die Sowjetunion weiterhin mit möglichen ägyptischen Schritten gegen die Präsenz der SSG in Kairo rechnet un dalle Forderungen der ARÄ im Zusammenhang mit der Schließung der KIZ und Konsulate einschließlich das Abzuges ihrer Leiter strikt erfüllte, um dem Regime keine Verwände zu liefern. Genosse Poljakov empfehl mir persönlich, unser Vorgehen, das sich von der sowjetischen Haltung in einigen Punkten unterscheidet, nochmals zu überdenken und dabei zu berücksichtigen, daß besondere Aktivitäten der DDR in Fortführung der KIZ-Arbeit die Position aller sozialistischen Staaten in der ARÄ gefährden könnten ». MfAA, L 187, C 6465, op.cit., Lettre d’Otto Becker à M. Willerding, le Caire, 9.2.1978, p. 43. 2027 « […] daß sich gegenwärtig die Politik direkt in die wissenschaftlichen Beziehungen einmischt ». MfAA, L 187, C 6465, op.cit., Vermerk über ein Gespräch im Ministerium für Hochschulwesen am 21.12.77, Botschaft der DDR in der ARÄ, Kairo, den 28.12.77, p. 15. 2028 « Die richtige Forderung, bei den einzelnen Maßnahmen noch stärker den politischen und ökonomischen Nutzen für die DDR auszuweisen, darf jedoch nicht zu einer leichtfertigen Preisgabe in zwei Jahrzehnten mühsam erworbener Positionen führen ». MfAA, L 187, C 6465, op.cit., Lettre de M. Willerding à Otto Becker, février 1978, p. 46.

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de l’URSS et des Etats socialistes en Egypte ne rouvrent d’ailleurs qu’en 1988, en réponse aux livraisons militaires consenties par Moscou au début de l’année2029.

C. Les relations culturelles doivent être des relations « utiles »2030.

1. « Encourager les relations entre la RDA et l’Egypte sur le plan culturel pour favoriser les exportations de la RDA »2031 a) La coordination entre les acteurs culturels et le ministère du Commerce extérieur ; le rôle de Limex

L’implication des acteurs économiques dans la mise en place de la coopération culturelle et technico-scientifique entre la RDA et l’Egypte est déterminante. Avant l’officialisation des relations diplomatiques, ce sont eux qui sont investis des missions culturelles. En juillet 1969, c’est à partir des représentations commerciales déjà existantes que se créent les représentations diplomatiques2032. Surtout, l’organisation des relations culturelles fait systématiquement intervenir le ministère du Commerce extérieur (Ministerium für Aussenhandel, MAH) : comme il finance les projets culturels, c’est lui qui décide en dernier ressort d’approuver ou non le budget prévu pour l’exécution des plans de travail annuels2033.

Enfin, et de manière accélérée à partir de la fin des années 1970, la coopération culturelle et technico-scientifique est explicitement conçue par la RDA comme un outil au service de ses intérêts économiques : il faut « encourager les relations entre la RDA et la RAE au niveau culturel, afin de favoriser les exportations de la RDA »2034. Berlin-Est ne dissimule pas les objectifs commerciaux de la coopération technico-scientifique2035 et de ce point de vue, la « coordination [est] nécessaire » entre le département de la Culture du MfAA et le MAH2036. Ponctuellement, la RDA envisage même de confier à des cadres techniques des

2029 HELLER, Mark A., The dynamics of soviet policy…, op.cit., p. 76. 2030 MfAA, L 187, C 6461, op.cit., Gedanken für die Konzeption zur Entwicklung der Beziehungen DDR-ARÄ, 1979-80. Botschaft der DDR in der AR Ägypten, Kairo, den 21.09.1978. 2031 « Generell wird in verstärktem Maße die Nutzung bzw. der Ausbau bestimmter Positionen der DDR auf kulturellem Gebiet zur Förderung des DDR-Exports angestrebt ». Ibid., p. 14. 2032 JARDIN, Pierre, « Objectifs et outils… », op.cit., p. 22. 2033 MfAA, L 187, C 1876, op.cit., Kulturarbeitsplan DDR-ARÄ 1977/78, von Leiter der Abteilung Kulturelle Auslandsbeziehungen von St II, Gen. Dr. Grunert, 23.2.77. 2034 MfAA, L 187, C 6461, op.cit., Gedanken für die Konzeption zur Entwicklung der Beziehungen DDR-ARÄ, 1979-80. Botschaft der DDR in der AR Ägypten, Kairo, den 21.09.1978. 2035 MfAA, L 187, C 6513, op.cit., Jahresbericht der Botschaft der DDR in der AR Ägypten für das Jahr 1977, ökonomische Beziehungen, Kairo, den 22.12. 1977. 2036 MfAA, L 187, C 6461, op.cit., Gedanken für die Konzeption zur Entwicklung der Beziehungen DDR-ARÄ, 1979-80. Botschaft der DDR in der AR Ägypten, Kairo, den 21.09.1978.

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missions d’import-export2037. Plus généralement, la RDA considère que la coopération technico-scientifique avec les Etats en développement est un pan des relations économiques globales qu’elle entretient avec ces derniers2038.

Concrètement, les modalités financières des échanges et des projets culturels bilatéraux sont négociés du côté est-allemand par l’entreprise de commerce extérieur Limex : cette dernière est mandatée par l’Etat pour jouer le rôle d’intermédiaire entre les institutions et les entreprises de RDA et leurs partenaires égyptiens. La société Limex est chargée de conclure des contrats avec les firmes étrangères et d’organiser l’aide technico-scientifique. Elle peut également représenter des entreprises est-allemandes (VEB) lors d’éventuelles transactions avec des partenaires étrangers2039. En Egypte, c’est elle notamment qui négocie les indemnités mensuelles versées par le Caire aux scientifiques et aux experts est-allemands en mission dans le pays2040. Plus globalement, elle est chargée d’organiser toutes les mesures prévues au titre de la coopération technico-scientifique, à l’aide des fonds alloués à cet effet par le MAH2041. Le directeur de Limex en Egypte a le statut de représentant plénipotentiaire2042 : le grade le plus élevé de la carrière diplomatique qui lui est octroyé atteste de l’importance de sa mission.

Le rôle du MAH et de l’entreprise Limex dans le développement de la coopération culturelle et technico-scientifique témoigne de l’imbrication étroite entre les pôles culturel et économique. Nous nous interrogions en introduction sur l’influence effective de l’idéologie dans la mise en œuvre de la politique étrangère est-allemande2043 et pointions les mécanismes de va-et-vient permanents entre exigences idéologiques et impératifs économiques. De ce point de vue, la mise en place des relations culturelles bilatérales est révélatrice, du côté de la RDA, des dispositifs d’adaptation continus aux contraintes du terrain égyptien, en même

2037 MfAA, L 187, C 6513, op.cit., Jahresbericht der Botschaft der DDR in der AR Ägypten für das Jahr 1977, ökonomische Beziehungen, Kairo, den 22.12. 1977. 2038 SCHULZ, Brigitte H., « The German Democratic Republic and Sub-Saharan Africa…», op.cit., p. 214. 2039 OSTEN, Walter, Die Aussenpolitik der DDR…, op.cit., p. 80. 2040 Comme cela est précisé dans tous les plans de travail culturel bilatéraux. Voir par exemple : MfAA, L 187, C 1354/76, op.cit., Arbeitsplan zwischen der Regierung der Deutschen Demokratischen Republik und der Regierung der Arabischen Republik Ägypten für kulturelle und wissenschaftliche Zusammenarbeit in den Jahren 1973 und 1974, Artikel 59 b). 2041 MfAA, L 187, C 1876, op.cit., Lettre adressée par M. Streber, directeur du département de la Coopération technico-scientifique au MAH, à M. Merkel, directeur du département des relations culturelles avec l’étranger au MfAA, Berlin, 2.3.1977. 2042 MfAA, L 187, C 1902, op.cit., Lettre adressée par M. Streber, directeur du département de la Coopération technico-scientifique au MAH, à M. Merkel, directeur du département des relations culturelles avec l’étranger au MfAA, Berlin, 17.11.1978. 2043 Voir supra, p. 29-30.

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temps que des conflits d’intérêts entre les différents types d’acteurs impliqués, selon qu’ils défendent des priorités d’ordre idéologique ou économique. L’exemple du désaccord qui oppose la firme Buchexport et les diplomates est-allemands après la 9ème foire internationale du livre au Caire, en 1977, est une bonne illustration de l’emboîtement des niveaux d’intérêts en jeu dans la coopération culturelle. b) Projets culturels et intérêts financiers : des aspects qui ne coïncident pas toujours. L’exemple de la foire internationale du livre au Caire en 1977-1978

La première foire internationale du livre organisée au Caire a lieu en 1969. Les sources est-allemandes attestent de la participation de la RDA à l’évènement dès 19702044. L’entreprise de commerce extérieur AHB Buchexport, dont le siège est à Leipzig, se rend chaque année à la foire du Caire, afin de distribuer ses ouvrages en Egypte2045. Son objectif est clair : la société vise à « accroître les exportations de livres est-allemands » dans le pays. C’est dans ce but qu’elle a même entrepris de créer une agence de commercialisation avec la firme el-Ahram, sans succès. L’entreprise Buchexport admet volontiers, tout comme les diplomates est-allemands en fonction en Egypte, que la foire aux livres du Caire est la seule manifestation de masse organisée dans le pays susceptible d’offrir à la RDA une tribune pour se présenter elle-même à l’opinion égyptienne2046.

Pourtant, les objectifs de la société diffèrent de ceux des fonctionnaires est-allemands : en 1977, Buchexport estime que d’un point de vue économique, sa participation à la foire aux livres du Caire ne se justifie plus. En effet, chiffres à l’appui, la société estime que le ratio entre les coûts suscités par une telle initiative et les recettes tirées de la vente de livres n’est pas suffisamment intéressant pour maintenir l’activité. Selon les représentants de la firme, les dépenses générées par la participation à la foire ne cessent d’augmenter, tandis que les bénéfices, quant à eux, diminuent. Voici le tableau qu’ils dressent pour étayer leur propos :

2044 MfAA, L 187, C 1641/76, op.cit., I.Quartal 1970. Beziehungensbericht VAR-DDR, Zum Stand der Beziehungen DDR-Vereinigte Arabische Republik, 9.7.1970. 2045 MfAA, L 187, C 6474 : Abt. Naher u. Mittlerer Osten. Beteiligung der DDR an der Internationalen Buchmesse in Kairo. 1977, 1979. Lettre de M. Lange, représentant du directeur de l’AHB Buchexport, à M. Klinke, section Egypte du MAH, Berlin, 18.4.1977. 2046 Ibid.

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Tableau 13 : Recettes et coûts générés par la participation de la firme Buchexport à la foire internationale du livre au Caire, de 1974 à 19772047

Recettes (en TVM2048) Coûts (en TVM) 1974 18,7 16,5 1975 36,0 15,0 1976 29,3 14,5 1977 Moins de 102049 15,3

M. Lange, représentant du directeur de Buchexport, contacte donc le MAH, un mois après la clôture de la foire aux livres de 1977, pour lui faire part de son bilan : anticipant l’augmentation des coûts de participation pour l’année 1978, il informe le ministère que, du point de vue de la firme, il est plus judicieux de stopper cette activité. Le MAH transmet sa requête au conseil commercial de l’ambassade est-allemande au Caire, qui la soumet à son tour à l’ambassadeur, Hans-Joachim Radde2050. Visiblement sans opinion arrêtée sur la question, le MAH a en effet décidé, en accord avec le MfAA, de laisser l’ambassadeur apprécier la situation et statuer sur le bien-fondé ou non du maintien de la participation est- allemande à la foire aux livres du Caire2051. Or, pour ce dernier, il est impossible d’approuver la requête de Buchexport. Les arguments qu’il avance sont de nature politico-idéologique :

« Cette foire, qui a gagné en importance d’année en année grâce à la participation étrangère et à son action en termes d’effet sur les masses, offre aux pays socialistes et à la RDA de bonnes possibilités de gagner en efficacité dans le domaine de l’information à l’étranger. Il ne faut pas oublier qu’elle constitue actuellement la seule possibilité pour les citoyens égyptiens d’acheter des livres est-allemands. Cela concerne particulièrement les diplômés des écoles supérieures et spécialisées de RDA, mais aussi les étudiants des départements de philologie allemande de l’Université du Caire, auxquels enseignent des professeurs est-allemands »2052.

2047 Ces données sont issues de : MfAA, L 187, C 6474, op.cit. 2048 Tausend Valuta Mark : milliers de valuta-marks. Le valuta-mark est une monnaie non convertible à l’étranger, utilisée uniquement pour les transactions effectuées en RDA, et qui ne peut donc être utilisée pour le commerce extérieur. Voir supra, partie II, chapitre 5, p. 212. 2049 MfAA, L 187, C 6474, op.cit., Lettre de M. Lange, représentant du directeur de l’AHB Buchexport, à M. Klinke, section Egypte du MAH, Berlin, 18.4.1977. Le chiffre est illisible, mais il est inférieur à 10 (un seul chiffre). 2050 MfAA, L 187, C 6474, op.cit., Lettre de l’ambassadeur de RDA en RAE, Hans-Joachim Radde, à M. Orschel, directeur du département pays arabes au MAH, le Caire, 22.6.1977. 2051 MfAA, L 187, C 6474, op.cit., Lettre de M. Orschel, directeur du département pays arabes au MAH, à M. Lange, représentant du directeur de l’AHB Buchexport, sans date. 2052 « Die Internationale Kairoer Buchmesse, die von Jahr zu Jahr durch ihre ausländische Beteiligung wie auch durch ihre Massenwirksamkeit eine größere Bedeutung gewonnen hat, bietet den sozialistischen Ländern und so auch der DDR gute Möglichkeiten, auslandsinformatorisch wirksam zu werden. Dabei sollte auch nicht übersehen werden, daß diese Messe für ägyptische Bürger gegenwärtig die einzige Möglichkeit bietet, Bücher aus der DDR zu kaufen. Das trifft besonders für die Absolventen von Hoch- und Fachschulen der DDR, aber 394

En outre, l’ambassadeur rappelle qu’aucune décision n’a été prise par l’URSS et les autres pays socialistes indiquant leur souhait de se retirer de la foire aux livres. De son point de vue, le gain idéologique que peut retirer la RDA de sa participation à la foire est nettement plus déterminant que les profits économiques réalisés à cette occasion. En effet, le faible coût du billet d’entrée (dix piastres), peut inciter des familles entières à venir visiter la foire, en plus du public habituellement constitué par les étudiants2053.

Selon les acteurs concernés, l’évaluation des finalités de la coopération culturelle peut donc diverger, voire révéler des conflits d’intérêts. Les objectifs étatiques ne coïncident pas systématiquement avec ceux des individus ou petits groupes, parfois constitués en véritables « lobbies nationaux »2054. Les décalages de conception peuvent également s’expliquer par le degré de proximité entretenu par les acteurs avec le terrain considéré : en fonction en Egypte, confronté quotidiennement aux spécificités de la coopération bilatérale, l’ambassadeur Radde est sans doute plus soucieux que la firme Buchexport de la capacité de la RDA à saisir les rares opportunités qui lui sont offertes de présenter son propre modèle socio-politique.

Finalement, intérêts idéologiques et intérêts économiques se cumulent dans la mise en œuvre de la coopération culturelle. Sans toujours coïncider, ils mettent en lumière des rivalités institutionnelles ponctuelles et les objectifs divergents des acteurs. Les sources semblent montrer que lorsque les buts idéologiques et les nécessités économiques se contredisent, le choix dépend surtout du contexte, dans un mélange de pragmatisme et d’intuitions individuelles. Tandis qu’en 1977, la fermeture unilatérale des centres culturels est-allemands avait finalement été perçue par Berlin-Est comme une occasion utile de faire des économies2055, au risque de limiter l’audience des projets est-allemands, à la même période, la promesse d’un gain de visibilité permis par la foire aux livres du Caire l’emporte sur la réalité financière d’une telle mobilisation.

L’argument de la visibilité internationale est tout particulièrement invoqué à l’occasion des évènements culturels qui impliquent des Etats occidentaux, et notamment la RFA. Pour les représentants est-allemands, il est inconcevable de laisser le champ libre à la puissance

auch die Studenten der Germanistik-Abteilungen der Universitäten Kairos zu, an denen DDR-Gastprofessoren lehren ». MfAA, L 187, C 6474, op.cit., Lettre de l’ambassadeur de RDA en RAE, Hans-Joachim Radde, à M. Orschel, directeur du département pays arabes au MAH, le Caire, 22.6.1977, p. 3. 2053 MfAA, L 187, C 6474, op.cit., Information sur la 11ème foire internationale du livre au Caire en 1979, Botschaft der DDR in der AR Ägypten, 9.2.1979. 2054 MARES, Antoine, « Introduction », op.cit., p. 10. 2055 Voir supra, p. 374-381.

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allemande rivale. En janvier-février 1979, la foire internationale du livre au Caire accueille ainsi 150 maisons d’éditions originaires de 32 pays2056 : la RFA fait partie des plus gros exposants, aux côtés de l’Angleterre, des Etats-Unis, de l’Italie et l’Union soviétique. La présence de Bonn est un véritable défi pour Berlin-Est, d’autant que les exposants ouest-allemands n’ont pas lésiné sur les moyens de diffuser les 1350 ouvrages qu’ils exhibent sur leurs devantures : une gigantesque pancarte indique ainsi que « tous les livres seront offerts, après la foire, aux écoles et aux universités égyptiennes, en guise de cadeau ». L’action culturelle est-allemande en Egypte doit donc également être « utile » de ce point de vue : la RDA ne doit pas se faire devancer par sa concurrente occidentale.

2. Contrer les « activités concurrentes » des pays capitalistes et de la RFA pour accroître la visibilité de Berlin-Est a) La culture, « troisième dimension »2057 de la politique extérieure ouest-allemande

L’Egypte, comme le Tiers-monde en général, est le « théâtre d’une sévère compétition entre la RFA et la RDA »2058. Dans ce contexte, l’action culturelle est conçue par les deux Allemagnes comme le mode de confrontation idéal pour mettre en valeur une image « positive et conquérante »2059 de leurs modèles socio-politiques. Il s’agit véritablement d’obtenir la préséance auprès du pays d’accueil et de s’attirer ses faveurs.

Or, au début des années 1970, le contexte international contribue plutôt à améliorer l’image de la RFA en Egypte. Alors que le Caire avait rompu ses relations diplomatiques avec Bonn en 1965, après l’annonce de la livraison d’armes ouest-allemandes à Israël, la formation d’un gouvernement social-libéral après les élections de septembre 1969 et l’amorce de l’Ostpolitik menée par la coalition Brandt-Scheel, permettent de réhabiliter le régime ouest-allemand. L’Egypte salue la posture « antifasciste »2060 de Willy Brandt après une interview accordée par le chancelier fédéral au journal al-Ahram le 11 décembre 1969, dans laquelle il approuve la résolution du Conseil de sécurité des Nations Unies du 22 novembre

2056 MfAA, L 187, C 6474, op.cit., Information sur la 11ème foire internationale du livre au Caire en 1979, Botschaft der DDR in der AR Ägypten, 9.2.1979. 2057 MfAA, L 187, C 6499, op.cit., Einschätzung der BRD-Aktivitäten im Kulturbereich in der ARÄ, 1979, Kulturattaché, Kairo, den 16.12.79. 2058 POIDEVIN, Raymond, L’Allemagne et le monde…, op.cit., p. 269. 2059 MOINE, Caroline, « La RDA à l’heure de la "solidarité internationale"… », op.cit., p. 289. 2060 MfAA, L 187, C 1111/75 – 1117/75, op.cit., Informationsbericht 2/70, 6. Zu einem Forum im Kairoer Tahrir-Klub über « Die Entwicklung der Beziehungen zu Deutschland », Botschaft der DDR in der VAR, Kairo, am 4.2.1970.

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1967, qui prône notamment le retrait des forces israéliennes des territoires arabes occupés2061. Dans ce contexte, Bonn parvient à accroître considérablement ses activités culturelles en Egypte, notamment après le rétablissement des relations diplomatiques bilatérales, en juin 1972. Berlin-Est observe attentivement le déploiement de l’offensive culturelle ouest-allemande dans le pays : même après la signature du Traité fondamental le 21 décembre 1972, qui entérine le concept de « deux Etats, une nation » et instaure des relations étatiques entre les deux Allemagnes2062, la RDA considère que le but premier de la RFA en Egypte est d’ « étendre son influence », à son détriment2063.

En 1959, Bonn et le Caire ont conclu un premier accord culturel bilatéral2064. Le 11 novembre 1969, les deux gouvernements ont mis sur pied une « commission culturelle mixte »2065. Depuis, Berlin-Est estime que la RFA n’a cessé d’étendre ses activités de façon à se présenter comme l’« Etat culturel allemand »2066. La RDA dénonce ce qui s’apparente selon elle à l’appropriation illégitime de l’héritage culturel allemand progressiste par sa rivale :

« Tous les moyens […] sont utilisés afin de diffuser la conception d’une nation allemande unifiée, afin de nier et d’esquiver [la réalité de] l’existence de deux Etats allemands. La RFA a tenté […] de camoufler le développement de deux cultures différentes en RDA et en RFA, en essayant d’incorporer […] les traditions culturelles de la classe des travailleurs allemands et les performances culturelles de la RDA dans ses propres activités »2067.

Dans ce cadre, tout un pan de l’activité est-allemande en Egypte est consacré au « dévoilement »2068 des activités impérialistes de la RFA sur place. En mai 1970, un incident apparemment anecdotique a lieu au Caire, qui illustre particulièrement bien la façon dont la

2061 WISSA-WASSEF, Cérès, « Les relations entre l’Egypte et les deux Etats allemands… », op.cit., p. 619. 2062 FRITSCH-BOURNAZEL, Renata, L’Allemagne depuis 1945, op.cit., p. 108. 2063 MfAA, L 187, C 6499, op.cit., Einschätzung der BRD-Aktivitäten im Kulturbereich in der ARÄ, 1979, Kulturattaché, Kairo, den 16.12.79. 2064 Ibid. 2065 MfAA, L 187, C 1449/78, op.cit., Protocol of the Third Meeting of the Permanent Mixed Cultural Committee of the Arab Republic of Egypt and the Federal Republic of Germany held in Cairo from March 8 to 14, 1976. 2066 « Deutsche Kulturstaat ». MfAA, L 187, C 6499, op.cit., Einschätzung der BRD-Aktivitäten im Kulturbereich in der ARÄ, 1979, Kulturattaché, Kairo, den 16.12.79, p. 40. 2067 « Dabei wurden alle Mittel und Möglichkeiten genutzt ihre Auffassung von der « einheitlichen deutschen Nation » zu verbreiten und die Existen der beiden deutschen Staaten zu umgehen oder zu leugnen. In verstärktem Maße versuchte die BRD die Entwicklung der zwei unterschiedlichen Kulturen der DDR und der BRD zu verschleiern, indem sie versuchte, das progressive deutsche Kulturerbe, die Kulturtraditionen der deutschen Arbeiterklasse und Kulturleistungen der DDR in ihre Aktivitäten einzubeziehen und für sich in Anspruch zu nehmen ». Ibid., p. 40. 2068 D’après le terme allemand Entlarvung, abondamment utilisé dans les documents est-allemands pour désigner la volonté de démasquer les intérêts impérialistes de la RFA.

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rivalité germano-allemande interfère avec l’élaboration de la politique étrangère de la RDA en Egypte. En pleine préparation de la troisième foire internationale du Caire, qui doit débuter le 16 mai 1970, et alors que les Allemands de l’Est aménagent leur stand, ils constatent avec indignation que le pavillon de la RFA abrite une tour haute de vingt mètres où sont inscrits, « en grosses lettres d’imprimerie », le mot « Germany », et en « petites lettres d’imprimerie », le sigle « FRG » (Federal Republic of Germany)2069. Pour les représentants est-allemands, une telle initiative est une véritable provocation, qui manifeste l’arrogance de la RFA et s’apparente à une « nouvelle expression de l’usurpation de représentation exclusive de l’Allemagne de l’Ouest »2070. D’après eux, il est évident qu’il s’agit là d’une décision du gouvernement ouest-allemand, qui s’inscrit dans une entreprise délibérée de « discrimination de la RDA à l’étranger »2071.

L’ambassadeur Martin Bierbach s’empresse de contacter le président de l’Assemblée nationale égyptienne, Labib Shukeir, afin de lui rappeler que « l’Allemagne de l’Ouest n’a pas le droit de se désigner sous le terme de "Germany" »2072. Selon lui, il est évident que l’intention de la RFA est « d’utiliser le salon industriel du Caire pour manifester son exigence de représentation exclusive d’une façon provocatrice »2073. L’évènement suscite un tel mécontentement au sein de la communauté est-allemande que le directeur de l’exposition adresse, en accord avec le personnel de l’ambassade, une pétition au sous-secrétaire d’Etat à l’économie et au commerce extérieur, Mohamed A. el-Hamsawi, responsable de l’organisation des foires internationales. Le 11 mai 1970, le ministère égyptien des Affaires étrangères accepte d’intervenir pour apaiser les tensions. Le 13 mai, un jour avant que n’ait

2069 MfAA, L 187, C 1111/75 – 1117/75, op.cit., Informationsbericht 10/70, Zur provokatorischen Haltung der westdeutschen Ausstellungsleitung auf der 3. Internationalen Messe in Kairo, Botschaft der DDR in der VAR, Kairo, am 1.6.1970, p. 2-4. 2070 « Diese Aufmachung des westdeutschen Messestandes könne nur als erneuter Ausdruck der provokatorischen Alleinvertretungsanmassung Westdeutschlands verstanden werden ». MfAA, L 187, C 602/ 73, op.cit., Aktenvermerk über eine Unterredung mit dem Präsidenten der National-versammlung der VAR und Mitglied des Hohen Exekutiv-komitees des ZK der ASU, Dr. Labib Shukeir, am 28.4.1970 in der Zeit vom 9.30 Uhr bis 10.30 Uhr, Botschaft der DDR in der VAR, Kairo, den 29.4.1970, p. 10. 2071 « Diskriminierung der DDR im Ausland ». MfAA, L 187, C 1111/75 – 1117/75, op.cit., Informationsbericht 10/70, Zur provokatorischen Haltung der westdeutschen Ausstellungsleitung auf der 3. Internationalen Messe in Kairo, Botschaft der DDR in der VAR, Kairo, am 1.6.1970, p. 2. 2072 Ibid. 2073 Ibid.

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lieu la conférence de presse internationale destinée à présenter le salon, la fameuse inscription est recouverte de peinture noire2074.

Si l’incident s’achève sans plus de dommages, il montre à quel point la division allemande reste une question présente dans la mise en œuvre de l’activité de la RDA à l’étranger. Du point de vue est-allemand, la « provocation » de la RFA s’apparente à une véritable remise en cause de la souveraineté de la RDA et justifie l’arbitrage égyptien en sa faveur. Berlin-Est ne parvient pas réellement, toutefois, à imposer à l’Egypte sa vision de l’autre Etat allemand : Mohamed A. el-Hamsawi, visiblement « irrité » par une telle affaire, est d’avis que les réclamations est-allemandes empiètent sur les prérogatives des autorités égyptiennes. Les rapports de l’ambassade de la RDA indiquent d’ailleurs que les Egyptiens relativisent fortement la portée d’un tel incident. Assez logiquement, pour le gouvernement égyptien, les relations économiques avec les deux Allemagnes prennent le pas sur les « querelles germano-allemandes internes »2075. L’Egypte entend concilier le maintien de ses relations économiques avec la RFA2076 et la RDA. Après la mise en place des relations diplomatiques avec Berlin-Est, elle ne peut plus guère exercer de pressions sur Bonn en agitant la menace de la reconnaissance de la RDA. Pour l’Egypte, la question germano- allemande perd alors nettement de son intérêt.

La rivalité interallemande ne disparaît pas pour autant. En décembre 1977, Berlin-Est regrette par exemple que Bonn profite de la fermeture des centres de culture et d’information des Etats socialistes pour investir massivement le domaine culturel en Egypte. Dans ce combat, la RDA ne dispose guère des moyens de s’imposer. On retrouve, dans les archives est-allemandes, certains exemplaires des négociations conduites dans le domaine culturel entre la RFA et l’Egypte, que des acteurs est-allemands ont pu se procurer. Ces documents permettent de constater que l’offre culturelle et éducative proposée à l’Egypte par la RFA dépasse nettement celle de la RDA. Le protocole signé le 14 mars 1976 par le Caire et Bonn ne précise pas le nombre total de bourses d’études accessibles aux étudiants et professeurs égyptiens en RFA, mais il indique toutefois qu’au moins 276 places leur sont réservées, dans

2074 MfAA, L 187, C 1111/75 – 1117/75, op.cit., Informationsbericht 10/70, Zur provokatorischen Haltung dr westdeutschen Ausstellungsleitung auf der 3. Internationalen Messe in Kairo, Botschaft der DDR in der VAR, Kairo, am 1.6.1970, p. 2-4. 2075 HAFEZ, Kai, « Von der nationalen Frage… », op.cit., p. 77-95. 2076 Même après la rupture des relations diplomatiques entre l’Egypte et la RFA en 1965, la coopération économique se poursuit entre les deux pays, et ce jusqu’au rétablissement des liens diplomatiques, en juin 1972.

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l’enseignement supérieur, l’apprentissage de l’allemand et le sport2077. A la même période, l’offre est-allemande tourne autour de 124 bourses annuelles. Les archives de la Stasi elles-mêmes font état de ce décalage puisqu’elles rapportent qu’en 1978, on comptabilise 7000 ressortissants égyptiens en RFA, contre seulement 220 en RDA2078.

Il est d’autant plus difficile pour Berlin-Est de concurrencer l’action culturelle et technico-scientifique ouest-allemande que cette dernière revêt deux atouts majeurs : d’une part, elle dispose de moyens institutionnels, matériels et financiers plus importants, d’autre part, elle se déploie dans tous les domaines investis par la RDA, et notamment la formation technique et linguistique. Les deux Etats valorisent des spécialisations qui mettent en œuvre les mêmes compétences, ce qui ne peut qu’accroître la sévère rivalité qui les oppose.

En 1979, la RDA évalue les « points forts de l’activité de la RFA dans le domaine culturel en Egypte »2079. Elle recense les nombreuses institutions ouest-allemandes présentes dans le pays: outre l’Institut Goethe fondé au Caire et à Alexandrie en 19552080 et l’Office allemand d’échanges universitaires (Deutscher Akademischer Austausch Dienst, DAAD)2081, on compte quatre fondations de la RFA dans la capitale égyptienne2082, une société d’amitié germano-égyptienne, une Union commune pour la formation, un lycée évangélique allemand au Caire et deux écoles tenues par les Borromäerinnen2083, les Sœurs de la Charité, au Caire et à Alexandrie. Par le biais de ce réseau institutionnel actif, l’offre de formation linguistique proposée par la RFA est pléthorique : en 1979, l’institut Goethe dispense 250 cours de langue au Caire et à Alexandrie et organise sept séminaires à destination de 110 professeurs d’allemand égyptiens. Parallèlement, il propose des activités culturelles diverses, projections

2077 MfAA, L 187, C 1449/78, op.cit., Protocol of the Third Meeting of the Permanent Mixed Cultural Committee of the Arab Republic of Egypt and the Federal Republic of Germany held in Cairo from March 8 to 14, 1976. 2078 BStU, MfS, HA XVIII, Nr.6855, op.cit., Courte information sur l’Egypte, Berlin, 22.6.1978. 2079 MfAA, L 187, C 6499, op.cit., Schwerpunkte der BRD-Aktivitäten im Kulturbereich in der ARÄ im Jahre 1979. 2080 WISSA-WASSEF, Cérès, « Les relations entre l’Egypte et les deux Etats allemands… », op.cit., p. 625. 2081 L’organisme fait office de « centrale des échanges académiques » et est notamment chargé d’octroyer les bourses universitaires, au nom de toutes les universités allemandes qui lui sont affiliées. Voir : « 1976 : année de pointe des échanges universitaires entre la RFA et le monde arabe », Le Progrès Egyptien, 6 juillet 1977, p. 2. 2082 Il s’agit des fondations Friedrich Naumann, Conrad Adenauer, Friedrich Ebert et Hans Seidel. Voir: MfAA, L 187, C 6499, op.cit., Schwerpunkte der BRD-Aktivitäten im Kulturbereich in der ARÄ im Jahre 1979. 2083 L’ordre des Borromäerinnen, fondé au XVIIe siècle, tire son nom de Karl Borromäus (Charles Borromée en français), artisan de la Réforme catholique au XVIe siècle et canonisé en 1610.

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de films2084 ou concerts de musique classique2085. En 1976, la Fondation Humboldt octroie plus de 1000 bourses aux « candidats méritants », parmi lesquels on compte 28 « professeurs et savants égyptiens »2086. Des professeurs ouest-allemands sont présents dans 69 lycées égyptiens afin d’assurer des cours facultatifs de langue et forment à ce titre 9000 élèves2087.

De même, ils sont présents au sein des écoles professionnelles et des universités égyptiennes, où ils côtoient parfois directement leurs homologues est-allemands. Pour l’ambassade de la RDA au Caire, cette pénétration ouest-allemande dans le domaine de la formation linguistique s’apparente à une véritable entreprise de démolition de l’influence est-allemande. En 1979, Rudolf Kaliess, l’attaché culturel de l’ambassade, considère ainsi que la présence croissante des professeurs de langue originaires de RFA au sein du département d’allemand de l’Université du Caire et de l’institut des langues de l’Université d’Aïn Shams est un empiètement sur les prérogatives de la RDA2088. Le protocole culturel commun entre Bonn et le Caire signé en mars 1976 prévoit en effet que la RFA envoie chaque année deux lecteurs d’allemand à l’Université d’Aïn Shams, ainsi que de la documentation et des équipements destinés à l’installation de laboratoires de langue2089. A la même époque, l’Université accueille également deux professeurs est-allemands pour assurer des cours de langue. De tels accords contribuent donc à mettre en relation des professeurs de nationalités est-allemande et ouest-allemande au sein des mêmes établissements. Les sources ne délivrent que peu d’informations sur les effets d’une telle proximité. Il semble néanmoins que les rencontres occasionnelles soient plutôt cordiales : en janvier 1978, après la fermeture des centres culturels de la RDA en Egypte, le Professeur Ihlenburg, qui est chargé d’assurer le maintien des cours d’allemand au sein de l’Université du Caire, est contacté par ses collègues ouest-allemands :

2084 Annonce de la projection du film policier Der Kommissar à l’Institut Goethe, Le Progrès Egyptien, 5 juillet 1977, p. 3. 2085 « Au musée des Beaux-Arts. Brillant concert du trio ouest-allemand organisé par le Goethe Institut », Le Progrès Egyptien, 7 janvier 1977, p. 3. 2086 « 1976 : année de pointe des échanges universitaires entre la RFA et le monde arabe », Le Progrès Egyptien, 6 juillet 1977, p. 2. 2087 MfAA, L 187, C 6499, op.cit., Schwerpunkte der BRD-Aktivitäten im Kulturbereich in der ARÄ im Jahre 1979. 2088 MfAA, L 187, C 6499, op.cit., Einschätzung der BRD-Aktivitäten im Kulturbereich in der ARÄ, 1979, Kulturattaché, Kairo, den 16.12.79. 2089 MfAA, L 187, C 1449/78, op.cit., Protocol of the Third Meeting of the Permanent Mixed Cultural Committee of the Arab Republic of Egypt and the Federal Republic of Germany held in Cairo from March 8 to 14, 1976.

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« Comme je parlais hier avec les étudiants du groupe du centre culturel de la poursuite des cours au sein du département, les enseignants ouest-allemands, le Professeur Falk, le Professeur Fischer et le Dr. Hussein, sont venus me voir. Le Professeur Falk m’a dit que si j’avais des difficultés, il pouvait m’aider. Il a déjà pris contact avec l’Institut Goethe : on serait disposé à prendre le groupe là-bas et à organiser un cours intensif. Je l’ai remercié pour cet effort mais j’ai dû dire clairement que c’était au ministère égyptien de l’Enseignement supérieur de préparer ce groupe, avec l’aide d’enseignants est-allemands et pour un séjour en RDA. J’ai tout préparé dans ce sens. Par la suite, Mme Müller Tewfik, une citoyenne ouest-allemande mariée à un professeur égyptien qui donne des cours de langue dans notre département, a proposé d’intervenir dans le groupe avec cinq étudiants. J’ai également refusé cette offre, amicalement mais fermement, en disant que j’avais déjà tout organisé »2090.

Même si concrètement, les professeurs de RDA et de RFA parviennent vraisemblablement à se côtoyer sans trop d’hostilité, lorsque de telles rencontres sont rapportées, comme ici par le Professeur Ihlenburg, elles sont toujours désignées comme ayant été initiées par les Allemands de l’Ouest et n’ayant pas donné lieu à de contacts durables.

D’autres occasions de contacts existent pourtant entre les scientifiques et les experts des deux pays. La RFA participe en effet à toutes les grandes manifestations culturelles organisées en Egypte, notamment la foire internationale du livre et le festival international du film. En 1979, elle y présente le film de Volker Schlöndorff, Le Tambour, qui est d’ailleurs censuré par les autorités égyptiennes2091. Elle envoie des cadres, des scientifiques, des professeurs et des médecins en Egypte, qui proposent des formations dans des domaines similaires à ceux investis par la RDA, notamment dans les techniques de l’ingénieur, l’électricité2092 ou le journalisme2093. Au début des années 1980, la coopération technico- scientifique entre la RFA et l’Egypte se renforce. Le 15 juillet 1982, Hosni Moubarak reçoit au Caire Hans-Dietrich Genscher, ministre ouest-allemand des Affaires étrangères : le

2090 « Als ich gestern mit den ägyptischen Studenten der KIZ-Gruppe den Ablauf des Unterrichts an der Abteilung besprach, kamen die westdeutschen Lehrkräfte Prof. Falk, Prof. Fischer und Dr. Hussein auf mich zu. Prof. Falk sagte mir, wenn ich Schwierigkeiten hätte, könnte er mir helfen. Er habe bereits mit dem Goetheinstitut Kontakt aufgenommen, und man wäre bereit, die Gruppe dort aufzunehmen und einen Intensivkursus zu organisieren. Ich bedankte mich für diese seine Mühe, müßte aber eindeutig sagen, daß laut Beschluß des ägyptischen Hochschulministers diese Gruppe von seiner Lehrkraft aus der DDR auf ihre Aspirantur in der DDR vorbereitet werden sollten. Ich hätte in diesem Sinne bereits alles vorbereitet. Anschließend bot sich Frau Müller, Tewfik, eine mit ägypt. Professor verheiratete westdeutsche Bürgerin, die in unserer Abteilung Sprachunterricht erteilt, an, bei der Gruppe mit 5 Stunden eingesetzt zu werden. Auch dies habe ich freundlich, aber bestimmt mit dem Hinweis abgelehnt, daß ich bereits alles organisiert hätte ». MfAA, L 187, C 6465, op.cit., Vermerk, Kairo Universität, Prof. Dr. Ihlenburg, Kairo, den 4.1.78, p. 28. 2091 MfAA, L 187, C 6499, op.cit., Information über das 4. Internationale Filmfestival Kairo, 17.-26. September 1979, Kulturattaché, Kairo, den 16.10.79. 2092 MfAA, L 187, C 1449/78, op.cit., Protocol of the Third Meeting of the Permanent Mixed Cultural Committee of the Arab Republic of Egypt and the Federal Republic of Germany held in Cairo from March 8 to 14, 1976. 2093 MfAA, L 187, C 6499, op.cit., Schwerpunkte der BRD-Aktivitäten im Kulturbereich in der ARÄ im Jahre 1979. Wissenschaft.

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président égyptien se félicite des « relations étroites qui existent [entre les deux pays] »2094. A l’occasion de cette visite, Bonn consent un prêt de 282 millions de marks à l’Egypte, destiné à financer des « projets d’amélioration des réseaux de télécommunications des voies ferrées et de l’industrie de l’engrais »2095. Le Conseil égyptien de la Jeunesse et des Sports organise l’envoi de jeunes Egyptiens à Kassel, Francfort ou Munich, pour suivre des cours d’allemand ou des formations techniques2096. Dans le cadre des conventions bilatérales, de jeunes ouvriers égyptiens partent l’été en RFA pour visiter « des usines et des institutions de jeunesse [et] des organismes ouvriers […] »2097. L’Allemagne de l’Ouest est présente sur les grands chantiers égyptiens, dans des domaines où la RDA se targue traditionnellement d’apporter la qualité de son savoir-faire industriel : construction de transformateurs pour assurer l’alimentation des réseaux électriques d’Alexandrie, de cimenteries dans le Fayoum ou encore de ponts sur le canal de Suez2098. Les diplomates est-allemands accueillent particulièrement mal les initiatives ouest-allemandes en matière de formation économique et politique, qu’ils considèrent comme le domaine réservé de la RDA. En 1979, Bonn organise ainsi plusieurs conférences au sein des universités du Caire, sur « les problèmes de l’économie et la politique sociale en Egypte » ou sur « la jeunesse, l’intelligentsia et le tournant social » dans le pays2099. Le succès croissant de l’aide technico-scientifique et culturelle ouest-allemande est d’autant plus préjudiciable à Berlin-Est que la RFA met en avant une terminologie similaire à celle employée par la RDA, tout en proposant une offre de formation beaucoup plus riche : elle présente les échanges de jeunes comme un moyen d’œuvrer à la « compréhension entre les peuples » et organise dans cette perspective l’ « entraînement des dirigeants d’organisation de jeunesse » avec des « programmes, des séminaires, des conférences, des cours linguistiques pour inculquer aux participants la terminologie utilisée dans le domaine des échanges de jeunesse »2100.

2094 Le Progrès Egyptien, 16 juillet 1982, p. 1. 2095 Le Progrès Egyptien, 26 juillet 1982, p. 2. 2096 « Jeunes Egyptiens en Allemagne au mois d’août », Le Progrès Egyptien, p. 2. 2097 « Coopération technique égypto-allemande », Le Progrès Egyptien, 30 avril 1983, p. 2. 2098 « 250 millions de marks de la RFA en 1977 pour l’exécution des projets de développement et l’importation de diverses sortes de marchandises », Le Progrès Egyptien, 9 juillet 1977, p. 3. 2099 MfAA, L 187, C 6499, op.cit., Schwerpunkte der BRD-Aktivitäten im Kulturbereich in der ARÄ im Jahre 1979. Wissenschaft. 2100 « Dix ans d’échanges de jeunes entre l’Allemagne fédérale et le monde arabe », Le Progrès Egyptien, 7 juillet 1977, p. 2.

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Finalement, les étudiants et les travailleurs égyptiens qui suivent une formation dans les établissements est-allemands le font plus souvent par manque d’alternative qu’animés par le sentiment d’une proximité idéologique ou culturelle avec la RDA. Au Caire et à Alexandrie, il n’est pas rare que les lecteurs d’allemand égyptiens dispensent des cours en parallèle au sein des centres culturels de la RDA et de l’Institut Goethe2101. L’émigration en Allemagne de l’Est est parfois conçue comme un pis-aller, avant de passer en RFA ou dans un pays occidental2102, ou à défaut de pouvoir entrer à l’Ouest. L’orientation marxiste-léniniste des formations peut en outre conduire à ce que des étudiants interrompent leurs études afin de les poursuivre en RFA ou dans un pays non communiste2103. Fritz Taubert estime que même pour les Algériens « communisants », le choix de la RDA se fait par dépit lorsqu’ils ne peuvent se rendre en RFA2104. En 1970, l’attaché culturel de l’ambassade égyptienne en RDA, Mursi Sad Edin, souhaite envoyer son fils faire des études en Angleterre : après le refus des Britanniques, le diplomate se résout à demander aux autorités est-allemandes l’autorisation pour son fils d’étudier en RDA2105. Ponctuellement, l’Allemagne de l’Est elle-même essaie de faire venir sur son territoire des étudiants expulsés des Etats occidentaux et qui n’ont pas d’autre alternative, s’ils veulent poursuivre des études à l’étranger, que de le faire au sein d’un pays socialiste. En septembre 1972 par exemple, après la prise d’otage puis le massacre de l’équipe d’athlétisme israélienne par le groupe palestinien Septembre Noir lors des Jeux Olympiques de Munich, Bonn entreprend d’expulser de son territoire un certain nombre de ressortissants arabes, parmi lesquels figurent surtout des étudiants palestiniens. Cette initiative suscite le mécontentement des Etats arabes2106 : Berlin-Est profite de cette crise diplomatique pour proposer immédiatement aux étudiants palestiniens expulsés de RFA de poursuivre leur formation en RDA2107.

Une fois en Allemagne de l’Est, les étudiants et travailleurs égyptiens sollicitent parfois les autorités est-allemandes pour obtenir la possibilité de se rendre en RFA, à l’image de

2101 SAPMO-BArch, DY 13/ 2349, op.cit., Information sur la question de la formation continue de professeurs d’allemand égyptiens, qui exercent au sein des centres de culture et d’information de la RDA en RAE, Berlin, 4.6.1975. 2102 BStU, MfS, HA II, Nr. 28103, op.cit., Rapport de « Inge », 14.11.1978. 2103 OSTEN, Walter, Die Aussenpolitik der DDR…, op.cit., p. 85. 2104 TAUBERT, Fritz, La guerre d’Algérie…, op.cit., p. 164. 2105 BStU, MfS, HA XX, Nr. 18163, Lettre du Colonel Kienberg, directeur du département XX, au ministre Erich Mielke, 10.8.1970. 2106 ABEDISEID, Mohammad, Die deutsch-arabischen Beziehungen…, op.cit., p. 220-223. 2107 JACOBSEN, Hans Adolf, LEPTIN, Gert, SCHEUNER, Ulrich, SCHULZ, Eberhard (dir.), Drei Jahrzehnte Aussenpolitik…, op.cit., p. 676.

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Abdalla Gafaar qui, en mars 1976, demande à son directeur de formation le droit de pouvoir passer une semaine de l’autre côté du Mur2108. Si les sources ne donnent que peu d’indications sur la façon dont le régime parvient à gérer les circulations des ressortissants égyptiens, on peut supposer toutefois que celles-ci bouleversent les habitudes est-allemandes : « en RDA [en effet], même un déplacement personnel dans une autre ville d[oit] être annoncé à la préfecture »2109.

L’attrait qu’exerce la RFA sur les Egyptiens formés en RDA transparaît nettement à la lecture des archives. Les acteurs est-allemands eux-mêmes pointent la rude concurrence des Etats occidentaux dans le domaine culturel et technico-scientifique à laquelle ils sont confrontés. b) L’ « action politico-culturelle »2110 des Etats capitalistes en Egypte

Si, pour Berlin-Est, la menace la plus immédiate est incontestablement représentée par l’action culturelle ouest-allemande, ce sont, plus généralement, toutes les initiatives culturelles des Etats occidentaux en Egypte qui s’apparentent à une véritable contre-offensive idéologique.

En 1973, le consul est-allemand à Alexandrie, M. Hucke, mène une série d’entretiens avec ses homologues occidentaux2111. Dans le rapport qu’il rédige à l’issue de ces rencontres, il fait part des informations qu’il a collectées, notamment sur l’ampleur des relations culturelles et technico-scientifiques entre les Etats ouest-européens et l’Egypte. Cette dernière est notable : le centre culturel français d’Alexandrie initie 1500 Egyptiens par an à la langue française, l’Autriche accorde chaque année 2000 visas à des ressortissants égyptiens, tandis qu’en Angleterre, on ne dénombre pas moins de 1800 médecins égyptiens.

Pour Berlin-Est, cette influence croissante des Etats capitalistes facilite l’emprise culturelle de l’Occident en Egypte : les cinémas égyptiens distribuent désormais des films américains, italiens, japonais ou ouest-allemands2112. Au Caire, le cinéma Odéon, dont le bail

2108 BStU, MfS, HA XIX, Nr. 4639, op.cit., Note de M. Krusche, 5.3.1976. 2109 TAUBERT, Fritz, La guerre d’Algérie…, op.cit., p. 146. 2110 « Kulturpolitische Wirkung ». MfAA, L 187, C 6499, op.cit., Analyse der kulturpolitischen Entwicklung in der AR-Ägypten 1978/79, Kulturattaché, Kairo, den 31.10.79, p. 31. 2111 MfAA, C 1346/76, op.cit., Zusammenfaßter Bericht über meine Besuche bei den Generalkonsuln und Konsuln in Alexandria sowie deren Gegenbesuche, Konsulat der DDR in Alexandria, Alexandria, den 28.10.73. 2112 MfAA, L 187, C 6499, op.cit., Analyse der kulturpolitischen Entwicklung in der AR-Ägypten 1978/79, Kulturattaché, Kairo, den 31.10.79.

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était détenu par les Soviétiques jusqu’au printemps 1979, diffuse désormais « des films d’action provenant des pays capitalistes », au grand dam de l’attaché culturel est-allemand, Rudolf Kaliess. La « musique américaine et européenne » envahit les hôtels, les bars de nuit et les clubs, tandis que le « show-business » devient un art de vivre national. L’Université américaine du Caire, la nouvelle bibliothèque américaine d’Alexandrie, l’Institut Goethe, les centres culturels français et italiens sont autant d’institutions qui permettent aux Etats capitalistes d’ « accroître et élargir leur action politico-culturelle » en Egypte, surtout après la fermeture des centres culturels des Etats socialistes en décembre 1977.

Si la lutte contre « l’influence de la propagande ouest-allemande [et occidentale] »2113 dans le domaine culturel est une priorité pour Berlin-Est, c’est bien parce que la coopération culturelle et technico-scientifique est le dernier recours possible pour tenter d’élaborer une stratégie de « communication politique »2114 en Egypte lorsque les relations diplomatiques se distendent.

3. Les relations culturelles et scientifiques : un moyen de compenser la diminution des relations politiques ?

Dès l’arrivée de Sadate au pouvoir, Berlin-Est estime que « la tendance qui s’esquisse [est la suivante] : l’Egypte tente de restreindre le contenu politique des relations »2115. Le double mouvement de dégradation continue des relations politiques et de maintien global des relations culturelles peut s’expliquer par la volonté égyptienne de compenser la perte de contenu proprement politique des liens bilatéraux par la poursuite régulière de la coopération dans des domaines a priori plus neutres. C’est en tout cas de cette manière que les acteurs est-allemands perçoivent les efforts de l’Egypte pour assurer la continuité des liens en matière de culture et de formation populaire : « il est clair que la partie égyptienne s’efforce de réaliser ces activités, conçues comme apolitiques, pour trouver un moyen de compenser des relations politiques limitées »2116.

2113 MfAA, L 187, C 6513, op.cit., Jahresbericht der Botschaft der DDR in der AR Ägypten für das Jahr 1977, 3.3. Auslandsinformation und kulturell-wissenschaftliche Beziehungen, Kairo, den 22.12. 1977. 2114 Voir les travaux d’Anita Mallinckrodt sur la « communication politique internationale » de la RDA. Voir : MALLINCKRODT, Anita M., Die Selbstdarstellung…, op.cit., p. 224. 2115 « Es zeichnet sich die Tendenz ab, daß die ARÄ versucht, den politischen Inhalt der Beziehungen (Konsultationen, Erfahrungsvermittlung) zurückzudrängen, der früher unter Präsident Nasser erfolgreich praktiziert wurde und kennzeichnend für die Beziehungen war ». MfAA, L 187, C 1641/76, op.cit., Stand der Beziehungen zwischen der DDR und der ARÄ, Abt. Naher und Mittlerer Osten, Berlin, den 15.1.1974, p. 1. 2116 « Es war deutlich spürbar, daß die ARÄ-Seite sich bemühte, diese von ihr als unpolitisch verstandenen Aktivitäten als Ausgleich für die eingeschränkten politischen Beziehungen abzuwickeln ». MfAA, L 187, C 406

Pour Berlin-Est, le vecteur culturel peut pourtant faire office de substitut à la coopération strictement politique. Le département des relations culturelles avec l’étranger au MfAA encourage d’ailleurs l’ambassade est-allemande au Caire à étudier les possibilités de soutien des « forces progressistes » égyptiennes dans le cadre des liens culturels bilatéraux2117. La coopération scientifique peut en effet être l’occasion de conduire des entretiens à caractère politique. En novembre 1977 par exemple, M. Winter, secrétaire à l’ambassade de RDA, rencontre le vice-directeur de l’Université d’Aïn Shams, le Professeur Zaghloul2118. L’objet officiel de la rencontre est la préparation du séjour au Caire d’un professeur est-allemand. En réalité, la conversation prend rapidement une tournure politique puisque les deux hommes évoquent le séjour du président Sadate en Israël. Plus généralement, Berlin-Est ne conçoit pas son action culturelle et technico-scientifique en dehors du contexte politique : au début des années 1970, la coopération dans le domaine de la santé est par exemple largement encouragée par « les exigences médicales qui surgissent au moment des agressions israéliennes »2119. A l’occasion de la guerre d’octobre 1973, le ministère est-allemand de la Santé organise des donations de sang et des livraisons de médicaments à destination de l’Egypte2120 : les relations dans le domaine médical font figure de véritable soutien politique, car elles manifestent la « solidarité fraternelle » de la RDA dans la lutte contre « l’agression israélienne »2121. De même, au début des années 1980, les relations sportives sont conçues comme « une contribution importante au développement des relations politiques »2122. En juillet 1987, les diplomates est-allemands chargés de préparer la visite du ministre égyptien du Sport en RDA, estiment ainsi qu’ « il ne faut pas […] exclure le fait que [ce dernier] puisse utiliser son séjour pour évoquer des questions qui ne sont pas du

6513, op.cit., Jahresbericht der Botschaft der DDR in der AR Ägypten für das Jahr 1977, 3.3. Auslandsinformation und kulturell-wissenschaftliche Beziehungen, Kairo, den 22.12. 1977, p. 43. 2117 MfAA, L 187, C 6499, op.cit., Lettre de M. Merkel, directeur du département des relations culturelles avec l’étranger au MfAA, à Otto Becker, ambassadeur de la RDA en RAE, 1979. 2118 MfAA, L 187, C 1429/78, op.cit., Information. Gespräch mit Vizerektor der Ain Shams Universität Prof. Dr. Zaghloul, 26.11.77. Botschaft, Sektion Kultur, Kairo, den 30.11.77. 2119 MfAA, L 187, C 1641/76, op.cit., Stand der Beziehungen zwischen der DDR und der ARÄ, Abt. Naher und Mittlerer Osten, Berlin, den 15.1.1974. 2120 MfAA, L 187, C 290/76 : Abt. Naher u. Mittlerer Osten. Sektor Ägypten, Sudan, Libyen. Noten der ägyptischen Botschaft an das MfAA der DDR zur israelischen Aggression sowie zu den Hilfssendungen der DDR für Ägypten. Okt., Nov. 1973. Lettre de l’ambassade de RAE à Berlin, 14.11.1973. 2121 Ibid. 2122 SAPMO-BArch, DY 30/ 5082, op.cit., Lettre de l’ambassadeur de RDA en RAE, Hans-Jürgen Weitz, au Secrétaire d’Etat pour la culture corporelle et le Sport, M. Ehrbach, le Caire, 17.5.1982.

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ressort des relations sportives », et notamment le développement des liens entre le SED et le parti gouvernemental égyptien, le PND2123.

2123 SAPMO-BArch, DY 30/ 5082, op.cit., Lettre adressée par Ingolf Michalski, chargé d’affaires à l’ambassade de RDA au Caire, à M. Martinek, directeur du département des relations internationales au Secrétariat d’Etat pour la culture corporelle et le sport, le Caire, 6.7.1987.

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En étudiant les ressorts de la coopération culturelle et technico-scientifique égypto-est-allemande, ce chapitre a tenté de montrer que, pour Berlin-Est, cette dernière est l’outil d’une politique étrangère flexible et pragmatique, qui n’est pas seulement guidée par des impératifs idéologiques mais également par des facteurs économiques.

Le chapitre a mis en évidence les effets relatifs de la mise en relation des populations est-allemande et égyptienne : les circulations d’un pays à l’autre contribuent certes à diffuser le savoir-faire industriel et technique est-allemand, à façonner les représentations collectives d’autrui et à créer des réseaux relationnels étoffés, dans certaines branches de la coopération. Néanmoins, l’appropriation par l’Egypte de la « culture » est-allemande, telle que la RDA tente de la présenter à l’étranger, reste limitée à la transmission de compétences techniques et échoue en ce qui concerne la formation idéologique des partenaires égyptiens2124. Pour ces derniers, la migration en RDA, de même que la coopération culturelle bilatérale, restent déterminées par des facteurs socio-économiques ponctuels. De ce point de vue, les acteurs culturels est-allemands ne parviennent pas à ancrer l’idée, chez leurs homologues égyptiens, d’une culture de Guerre froide partagée, sous-tendue par une lutte commune contre l’ « impérialisme ». Limitée dans la durée, mettant en jeu des effectifs réduits, l’entreprise volontariste de création d’un socle culturel commun menée par Berlin-Est est assimilée par l’Egypte à une ingérence inconvenante. Elle ne conduit pas à de véritables « transferts culturels »2125, sauf chez une élite égyptienne politique et intellectuelle très minoritaire, qui se recrute principalement au sein des sympathisants des partis de gauche, légaux ou clandestins. Les acteurs est-allemands font preuve à cet égard d’une certaine lucidité, puisque la coopération culturelle et technico-scientifique bilatérale est perçue, dès la fin des années 1970, comme un vecteur utile pour maintenir des relations officiellement dépolitisées mais toujours actives dans le domaine économique.

2124 Le colloque Les relations culturelles internationales au XXe siècle. De la diplomatie culturelle à l’acculturation, organisé par le Centre d’Histoire sociale du XXe siècle (Université Paris I/ CNRS), l’UMR IRICE (Université Paris I-IV/ CNRS), le Centre d’Histoire de Sciences-Po et le Centre d’Histoire culturelle des sociétés contemporaines (Université de Versailles-St-Quentin en Yvelines) du 11 au 13 mai 2006, avait déjà rappelé que la circulation internationale des populations et des références culturelles ne menait pas forcément à de véritables « transferts culturels ». 2125 Le concept de « transfert culturel » a été introduit par Michel Espagne et Michael Werner. Voir : ESPAGNE, Michel, WERNER, Michael, « La construction d’une référence culturelle allemande en France : genèse et histoire (1750-1914) », in : Annales ESC, Paris, juillet-août 1987, n°4, p. 969-992 et ESPAGNE, Michel, Les transferts culturels franco-allemands, Paris, PUF, 1999.

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La deuxième partie de la thèse a tenté de montrer la place croissante des impératifs économiques dans la mise en œuvre de l’action est-allemande en Egypte. Ce processus constitue à la fois un facteur d’autonomisation de la politique étrangère est-allemande, contrainte de se recentrer sur des objectifs proprement nationaux, et un osbtacle à l’entreprise volontariste de réorganisation idéologique du pays.

C’est tout particulièrement vrai en ce qui concerne la coopération culturelle et technico-scientifique : dès lors qu’elle se décline à l’échelle étatique, celle-ci ne peut faire l’économie ni des contraintes budgétaires, ni des résistances sociales qui, en Egypte, freinent toute entreprise de « remodelage » idéologique.

Nous posions, en introduction2126, la question de l’ampleur et de l’effectivité de l’idéologie marxiste-léniniste dans le déploiement de la politique étrangère est-allemande en Egypte. Si l’analyse des modalités concrètes de la relation bilatérale semble mettre en lumière la nécessité de nuancer le primat de l’idéologie dans la mise en œuvre de la coopération, il serait erroné, néanmoins, de reléguer les questions doctrinales à l’arrière-plan des préoccupations est-allemandes. Il semble au contraire que, dans un souci constant d’équilibre entre la fidélité à une rhétorique anti-impérialiste fondatrice et la prise en compte de ses intérêts économiques, le régime de Berlin-Est montre une certaine capacité d’adaptation au terrain égyptien. Sans abandonner l’ambition d’identifier et d’entretenir des relations politiques avec des partenaires considérés comme « progressistes », les acteurs est-allemands admettent la nécessité de tisser, au gré de leurs priorités, des liens flexibles avec des interlocuteurs changeants.

2126 Se reporter à l’introduction, supra, p. 29.

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Troisième partie – Quel(s) interlocuteur(s) pour la RDA ? A la recherche de nouveaux partenaires anti-impérialistes.

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La troisième et dernière partie de notre thèse s’intéresse aux interlocuteurs privilégiés de Berlin-Est en Egypte. Elle montre que, selon les périodes, le contexte et les acteurs considérés, les partenaires de la RDA peuvent varier ; de même, Berlin-Est n’hésite pas à entretenir des liens avec des mouvements parfois rivaux. A l’échelle étatique, l’analyse des relations entre le SED et les différents acteurs politiques égyptiens, qu’ils soient légaux ou clandestins, souligne à quel point ces dernières sont tributaires, en dernier ressort, de considérations contextuelles et stratégiques (chapitre 7). La construction des liens entre le SED et les partis égyptiens montre ainsi que la coopération proprement politique n’est pas strictement déterminée par des intérêts partisans ou doctrinaux, mais qu’elle est soumise à des impératifs parfois très empiriques. Cette dernière partie étudie enfin le redéploiement progressif des objectifs idéologiques à d’autres échelles que la simple échelle étatique : associations, syndicats, partis clandestins, certes, mais aussi, et de façon peut-être plus étonnante de prime abord, acteurs religieux (chapitre 8) et mouvements « de libération nationale » régionaux, comme l’OLP ou des factions palestiniennes rivales (chapitre 9).

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Chapitre 7 - Le SED et les gauches égyptiennes, entre idéologie et pragmatisme

La décision est-allemande de nouer des relations avec un pays comme l’Egypte, où le gouvernement lui-même ne se définit pas comme marxiste-léniniste, interdit l’existence d’un parti communiste sur son sol et en réprime les membres, n’est pas évidente à justifier d’un strict point de vue idéologique. Le choix d’un interlocuteur politique légitime est néanmoins crucial pour maintenir, voire accroître, ses positions sur place.

Face à ce dilemme, la stratégie de Berlin-Est dans les pays en développement consiste d’abord à privilégier les relations économiques, culturelles et scientifiques et à repousser à l’arrière-plan les sujets sensibles, notamment celui du conflit Est-Ouest, afin d’aborder progressivement les questions politiques par le biais des relations diplomatiques2127. En Egypte, du fait du caractère dérisoire du parti communiste local2128, la RDA se concentre, dès le début, sur le soutien apporté à l’Union Socialiste Arabe (USA), organisation créée en 1962 par Nasser, qui forme « l’alliance des forces populaires représentant le peuple laborieux »2129 et dont les principes sont basés sur le socialisme arabe nassérien. En janvier 1953, après la révolution, tous les partis politiques égyptiens ont en effet été dissous2130. La constitution de 1956 a créé l’Union Nationale des Citoyens, dirigée par le président Nasser2131. En 1962, cette dernière est remplacée par l’Union Socialiste Arabe, dont les objectifs affichés coïncident, en partie, avec les intérêts des Etats socialistes : planification de l’économie nationale et mise en place d’un secteur étatique pour soutenir le processus de développement ; démocratie ; liberté de la foi et du culte2132.

En développant ses relations avec l’Egypte par ce biais, Berlin-Est cherche à étendre son système d’alliance à des pays non socialistes de la région moyen-orientale. Mais en raison de la faible importance des idées communistes dans le pays, la RDA en vient en fait

2127 HAFEZ, Kai, «Von der nationalen Frage… », op.cit., p. 77-95. 2128 Le parti communiste égyptien a été l’un des partis communistes les plus petits du monde arabe. Voir : GOLAN Galia, Soviet Policies in the Middle East…, op.cit., p. 223. 2129 BERNARD-MAUGIRON, Nathalie, « Les constitutions égyptiennes (1923-2000) : ruptures et continuités », in : Egypte/ Monde arabe, 2001, 2ème série, n° 4-5, p. 103-133. 2130 BEN NEFISSA, Sarah, « Les partis politiques égyptiens… », op.cit., p. 77. 2131 Ibid. 2132MÜLLER, Frank, « Ägypten und DDR…», op.cit., p. 20.

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paradoxalement à soutenir l’idéologie de partis et de mouvements égyptiens, comme l’USA, qu’elle qualifie par ailleurs de « petits-bourgeois »2133.

Au début des années 1970, la coopération politique entre Berlin-Est et le Caire se met donc en place sur un malentendu, plus ou moins assumé des deux côtés : si l’Union Socialiste Arabe se définit explicitement comme une organisation unifiée devant rassembler toutes les forces nationales d’Egypte, et non comme un « parti » (a fortiori encore moins comme un parti « communiste »), la RDA choisit de considérer que cette dernière « ne se différencie pas essentiellement, dans sa structure, des autres partis socialistes »2134. Du point de vue est- allemand, la coopération entre le SED et l’USA permettra de créer les conditions idéologiques favorables à la transformation de l’USA en parti révolutionnaire. En octobre 1967, une délégation conduite par Hermann Matern, membre du Bureau politique du SED, s’était déjà rendue au Caire afin d’évoquer la possible mise en œuvre de contacts avec l’USA2135. En juillet 1970 a lieu la signature de la première « convention pour la consolidation de l’amitié et de la coopération entre l’USA et le SED »2136.

Cette ligne de conduite perdure sous les mandats d’Anouar el-Sadate et de Hosni Moubarak : Berlin-Est adopte une posture pragmatique, qui privilégie souvent les relations avec les partis égyptiens légaux, afin de ne pas s’aliéner le pouvoir. La stratégie d’implantation est-allemande est à ce prix, bien que cela n’empêche pas la RDA de cultiver ses liens avec des forces « progressistes », parfois clandestines. En réalité, la faiblesse des courants marxistes-léninistes en Egypte et leurs divisions internes, la méfiance des populations et des gouvernements à leur égard et la crainte d’une « infiltration idéologique »2137 soviétique dans le pays sont autant de facteurs qui restreignent les possibilités de contacts durables entre les acteurs est-allemands et leurs interlocuteurs communistes égyptiens. Surtout, ces derniers ne représentant pas un groupe monolithique, Berlin-Est en vient finalement, à partir de 1976, à encourager les contacts avec les tendances qui prônent le rassemblement au sein du parti de gauche légal nouvellement créé, le Parti du

2133 SAPMO-BArch, DY 30/ IV B 2-20 345, op.cit., Egypte/ Union Socialiste Arabe. 2134 MfAA, L 187, C 1775, op.cit., Botschaft der DDR in der AR Ägypten, Kairo, 31.3.1971. 2135 MfAA, L 187, C 928/77, op.cit., Überblick über die Entwicklung der Beziehungen zwischen der DDR und der VAR. 2136 MfAA, L 187, C 1641/76, op.cit., Überblick über die Entwicklung der Beziehungen zwischen der DDR und der Arabischen Republik Ägypten, Abt. Arabische Staaten, Berlin, Januar 1972. 2137 « Ideologisches Eindringen ». MfAA, L 187, C 641/73, op.cit., Vermerk über ein Gespräch des 1. Sekretärs der Bostchaft, Gen. Wegricht, mit dem Sekretär des Friedensrates in der VAR, Mr. Rifaat Said, Kairo, 17.6.70, p. 1.

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rassemblement national progressiste unioniste (PRNPU) ou Tagammu2138, au détriment des relations avec les courants révolutionnaires clandestins. Cette politique ne fait que suivre, en réalité, celle prônée par l’URSS elle-même : afin de maintenir ses positions régionales au Moyen-Orient, Moscou favorise les relations entre Etats et ignore plus ou moins les partis communistes locaux2139, malgré les pressions que ces derniers tentent d’exercer sur le partenaire soviétique. Une telle position repose sur le postulat suivant : le Tiers-monde est préparé à la lutte anti-impérialiste, mais pas à la lutte des classes, encore prématurée en raison de la répartition intérieure des forces sociales. Dans ces conditions, il est cohérent que les groupes non communistes se maintiennent au pouvoir. L’intégration des communistes au sein des partis uniques à la tête des gouvernements nationaux, comme l’USA en Egypte, n’est quant à elle pas nécessaire.

Les liens ambigus entre le SED et les différents acteurs de la gauche égyptienne interrogent donc la place de l’idéologie dans la mise en œuvre des liens politiques bilatéraux. L’analyse de ces contacts suppose, en outre, de prendre en compte la déclinaison des relations politiques à plusieurs échelles : le SED est à la fois un parti politique et un organe de l’Etat tandis que les gauches égyptiennes peuvent, selon les périodes, se confondre avec le régime ou agir au contraire en dehors du cadre institutionnel. Selon le statut des acteurs impliqués et les échelons administratifs considérés, les intérêts prioritaires peuvent diverger : les impératifs idéologiques sont donc plus ou moins mis en valeur. Dans ce contexte, le choix d’un interlocuteur légitime est particulièrement délicat pour Berlin-Est : il s’agit de consolider les relations politiques étatiques et institutionnelles, sans renoncer toutefois au maintien de contacts avec les personnalités progressistes susceptibles de soutenir l’orientation socialiste du régime égyptien. Jusqu’à la mort de Nasser, les diplomates est-allemands peuvent croire à la possibilité de concilier ces deux objectifs.

2138 « Rassemblement » en arabe. Tagammu est le nom usuel donné au Parti du rassemblement national progressiste unioniste (PRNPU), parti de gauche légal, créé en 1976. Sur les conditions de la création du parti, voir infra, p. 462. 2139 CARRERE D’ENCAUSSE, Hélène, La politique soviétique…, op.cit., p. 226.

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A. Les gauches égyptiennes entre légalité et clandestinité : stratégies politiques et divisions internes

1. Le mouvement communiste égyptien sous Nasser : « un parcours semé d’embûches »2140 a) La formation du mouvement. Rappel historique

Le mouvement communiste égyptien n’a pas connu de développement linéaire. Son histoire, quant à elle, reste en partie à écrire2141 : les travaux sur l’histoire politique de l’Egypte moderne ont en effet longtemps privilégié les partis ou mouvements qui sont parvenus au pouvoir, et non les organisations communistes fragilisées par la clandestinité et les épisodes de répression gouvernementale2142. Depuis les années 1990 néanmoins, un important travail de collecte des fonds issus des mouvements communistes égyptiens a été réalisé, en particulier par des chercheurs égyptiens et européens. L’Institut international d’histoire sociale d’Amsterdam rassemble ainsi un inventaire substantiel de documents produits par les organisations de gauche égyptiennes, mais également soudanaises, irakiennes ou palestiniennes2143. Les fonds égyptiens ont principalement été déposés par d’anciens militants de gauche tels que Rifaat el-Saïd ou Michel Kamel, ou par des chercheurs ayant accumulé une base documentaire sur les partis d’opposition2144. Depuis 1995, en Egypte, le Comité des archives du mouvement communiste s’est lancé dans un véritable « travail de mémoire »2145 visant à collecter les sources de la gauche égyptienne et à écrire l’histoire de cette dernière jusqu’en 1965. D’anciens militants égyptiens avaient déjà entrepris un tel travail de compilation dans les années 19702146 : c’est le cas de Rifaat el-Saïd, à la fois membre du parti communiste égyptien (PCE) et premier secrétaire du parti d’opposition de gauche légal, le PRNPU, créé en 1976 et interlocuteur privilégié des diplomates

2140 SAPMO-BArch, DY 30/ 13 668, DY 30/ 13 668 : Abteilung Internationale Verbindungen im ZK der SED. Ägypten. Bd. 2 : 1987. « Un chemin semé d’embûches », Compte-rendu du livre de Rifaat al Saïd, Histoire du mouvement communiste égyptien (1957-1965), unité, division, dissolution, al Amal, le Caire, 1986, 360 pages. 2141 AMIN, Samir, « Le communisme égyptien face au défi de la modernité et de l’impérialisme », in : MROUE, Karim, AMIN, Samir, Communistes dans le monde arabe, Paris, Le temps des Cerises, 2006, p. 167. 2142 BOTMAN, Selma, The Rise of Egyptian Communism, 1939-1970, New York, Syracuse University Press, 1988, p. 9. 2143 Pour une présentation très complète des différents fonds de la gauche égyptienne à l’IISH, voir : MONCIAUD, Didier, « Le fonds Moyen-Orient… », op.cit., p. 115-123. 2144 Ibid., p. 120. Le fonds du parti Tagammu a par exemple été donné par le chercheur néerlandais Bertus Hendriks, en 1997. 2145 MONCIAUD, Didier, « Un travail de mémoire… », op.cit., p. 115-123. 2146 Ibid., p. 118.

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est-allemands. En 1986, Rifaat el-Saïd publie un ouvrage en langue arabe, intitulé Histoire du mouvement communiste égyptien (1957-1965), unité, division, dissolution et dont le SED fait le compte-rendu en interne2147. L’auteur y évoque l’alternance des phases de légalité et de clandestinité du mouvement, ainsi que ses nombreuses scissions internes, auxquelles lui-même d’ailleurs n’est pas étranger. L’histoire chaotique du mouvement explique en partie l’absence de liens stables et durables entre ce dernier et les « partis frères », dans le monde arabe ou dans les pays socialistes.

Les idées communistes se sont pourtant propagées en Egypte dès la fin du XIXème siècle. Elles se diffusent malgré les accusations des autres forces politiques égyptiennes, qui dénoncent l’appropriation par la gauche d’idées « importées » de l’Occident2148. La révolution bolchévique d’octobre 1917 donne une grande impulsion au mouvement socialiste égyptien. L’opposition à l’occupation britannique constitue sans doute un tournant dans la formation d’organisations communistes locales, qui disposent ainsi d’une certaine base populaire. En 1921 a lieu la création du parti socialiste. En 1922, ce dernier prend le nom de « parti communiste », après s’être rallié au Komintern. En 1924 cependant, sous le premier gouvernement patriotique dirigé par le Wafd2149, la direction du PCE est arrêtée. De petits groupes se maintiennent néanmoins au Caire et à Alexandrie, dans l’illégalité. Rifaat el-Saïd date de cette époque la « multiplicité » qui caractérise le mouvement communiste égyptien2150.

Dans les années 1940, de nouvelles organisations communistes se forment : elles sont appelées « le second mouvement communiste »2151. Ce dernier est fondé par des étrangers, souvent de confession juive2152, dont le plus célèbre est Henri Curiel2153. Les circonstances de

2147 SAPMO-BArch, DY 30/ 13 668, op.cit., « Un chemin semé d’embûches », Compte-rendu du livre de Rifaat el-Saïd, Histoire du mouvement communiste égyptien (1957-1965), unité, division, dissolution, al Amal, le Caire, 1986, 360 pages. 2148 YOUNIS, Sherif, « Marxisme et patriotisme dans les régimes militaires de libération nationale : les Officiers Libres et les communistes égyptiens », in : Cahiers d’Histoire, revue d’histoire critique. Les gauches en Egypte, XIXe-XXe siècles, juillet-décembre 2008, n°105-106, p. 146. 2149 Le Wafd est un parti nationaliste créé au début du XXe siècle, qui se caractérise notamment par sa volonté de résistance à l’occupation britannique. 2150 SAPMO-BArch, DY 30 13 668, op. cit. « Un chemin semé d’embûches », Compte-rendu du livre de Rifaat el-Saïd, Histoire du mouvement communiste égyptien (1957-1965), unité, division, dissolution, al Amal, le Caire, 1986, 360 pages . 2151 YOUNIS, Sherif, « Marxisme et patriotisme… », op. cit., p. 146. 2152 Le communisme égyptien fait face à deux attaques récurrentes au cours des années 1970-1980 : on lui reproche soit son athéisme, soit son origine, le mouvement s’étant notamment développé au sein de la communauté juive d’Alexandrie, au début des années 1920. Mohamed Hassanein Heikal estime ainsi que « le 419

la Seconde Guerre mondiale influent grandement sur la fondation de ce mouvement qui représente une force contre la propagande fasciste et nazie et qui est encouragé à ce titre par les autorités militaires britanniques et les gouvernements égyptiens alliés. Progressivement, le lien entre la défense de la sécurité nationale et les aspirations ouvrières permet aux communistes de gagner en influence dans l’opinion publique égyptienne. Les Egyptiens deviennent peu à peu majoritaires dans les organisations communistes, même si ces dernières restent liées aux mouvements syndicalistes et ouvriers internationaux. En témoigne le parcours du communiste Jimmy Jancovich, né en Egypte, de religion juive, et qui quitte son pays en 1946 afin de poursuivre ses études en Angleterre, où il devient ingénieur des mines2154. En 1958, son passeport égyptien n’est pas renouvelé en raison de son appartenance politique, il devient donc apatride, rejoint le syndicat des techniciens et scientifiques à Londres, noue des contacts avec des marxistes égyptiens à Paris2155, séjourne en Egypte où il se rapproche de l’alliance syndicale nationale et adhère, un temps, au parti communiste soudanais2156.

Sherif Younis montre toutefois comment, après la Seconde Guerre mondiale, le marxisme égyptien se colore peu à peu d’une empreinte nationaliste, dans le cadre de la confrontation avec le colonialisme, et se met à recruter en majorité au sein de l’intelligentsia2157. La « tâche historique » qui lui incombe est de se débarrasser du colonialisme et des rapports féodaux, et pour cela, l’alliance de la classe ouvrière et de la bourgeoisie nationale apparaît comme une nécessité patriotique.

Les différentes tendances communistes ne parviennent cependant nullement à s’unir. Dès le début des années 1940, plusieurs organisations communistes coexistent2158, parmi lesquelles on peut citer notamment le Mouvement égyptien de libération nationale fait que le communisme arabe ait trouvé son origine dans des minorités ethniques ou religieuses » est un « grand handicap ». Voir : AL-SHALABI, Jamal, Mohamed H. Heikal…, op.cit., p. 107. 2153 Henri Curiel est un militant communiste né en Egypte en 1914, issu d’une famille juive de nationalité italienne. C’est l’un des fondateurs du mouvement communiste égyptien. Il est assassiné le 4 mai 1978. Voir l’ouvrage de Gilles Perrault qui lui est consacré : PERRAULT, Gilles, Un homme à part, Paris, B. Barrault, 1984. 2154 SAPMO-BArch, DY 30/ IV B 2-20 430, op.cit., A propos de Jimmy Jancovich. 2155 SAPMO-BArch, DY 30/ IV B 2-20 430, op.cit., Vermerk über ein Gespräch mit Jimmy Jancovich, am 13.2.1972, Botschaft der DDR in AR Ägypten. 2156 SAPMO-BArch, DY 30/ IV B 2-20 430, op.cit., Note sur une visite chez Amina Shafik (collaboratrice à el- Ahram), le 10 février 1972, dans les bâtiments d’el-Ahram, ambassade de RDA en RAE. 2157 YOUNIS, Sherif, « Marxisme et patriotisme… », op. cit., p. 145-174. 2158 ACLIMANDOS, Tewfik, « Officiers Libres et officiers communistes : collaborations et confrontations », in : Cahiers d’Histoire, revue d’histoire critique, op.cit., p. 178.

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(MELN)2159, à la tête duquel se trouve Henri Curiel, l’Iskra2160, dirigée par Hillel Schwarz, le groupe al-Talia, formé à Alexandrie, et d’autres groupes comme « la Citadelle ». En mai 1947, le MELN et l’Iskra s’unissent au sein du HADITU, le Mouvement de libération nationale démocratique2161. En 1955, d’autres groupes se joignent à eux, le tout formant désormais le parti communiste unifié d’Egypte. En 1957, ce dernier est rejoint par le parti communiste égyptien al-Raya, formé en 1950 par des scissionnistes aux tendances plus radicales. Tous se rassemblent désormais sous l’étiquette « les communistes égyptiens unis » ou parti communiste égyptien uni.

Rifaat el-Saïd estime qu’à partir de 1957, les différentes organisations marxistes commencent à trouver un langage commun qui se fonde sur le soutien à la politique du président Nasser, conçue comme une politique nationale et anti-impérialiste. Des querelles de pouvoir entraînent cependant une dernière division, scindant les communistes égyptiens en deux organisations dominantes : HADITU et le parti communiste égyptien. b) Des organisations qui restent fragiles jusqu’à l’autodissolution, 1957-1965

Le rassemblement relatif des forces communistes égyptiennes au milieu des années 1950 a lieu parallèlement à l’émergence de la RDA sur la scène moyen-orientale. En 1956, la crise de Suez renforce les liens entre l’Egypte et l’URSS et c’est dans ce contexte que s’accroissent également les liens entre l’Egypte et la RDA. Le rapprochement progressif entre le bloc de l’Est et le Caire ne signifie pas pour autant un plus grand accès des communistes égyptiens au pouvoir. Le parti communiste égyptien est toujours un parti clandestin. Le coup d’Etat de 1952, qui mène les Officiers Libres au pouvoir, conduit à l’élimination de toutes les organisations politiques existantes. Alors même que l’ « intelligentsia rebelle »2162 - que son inclination aille à la mouvance communiste ou aux Frères musulmans - appuie le coup d’Etat, les Officiers Libres imposent la dissolution de tous les partis politiques et instaurent la censure. Aux yeux de Nasser, le parti communiste est, au même titre que le groupe des Frères

2159 D’après Mohamed Hassanein Heikal, le recrutement de ce mouvement est plus “égyptien” que celui des autres organisations communistes: on y trouve notamment des étudiants nubiens et soudanais. Voir : AL-SHALABI, Jamal, Mohamed H. Heikal…, op.cit., p. 106. 2160 Le nom du mouvement vient du journal marxiste révolutionnaire publié en Russie, à partir de 1900, sous la direction, entre autres, de Lénine. L’organisation égyptienne rassemble une partie de la communauté juive d’Egypte. Voir : AL-SHALABI, Jamal, Mohamed H. Heikal…, op.cit., p 106. 2161 ACLIMANDOS, Tewfik, « Officiers Libres et officiers communistes… », op.cit., p. 178. 2162 YOUNIS Sherif, « Marxisme et patriotisme…», op. cit., p. 151.

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musulmans, une organisation subversive2163. En 1959, il n’hésite pas à emprisonner des milliers de communistes égyptiens, en réponse à la vague de répression anti-nassérienne qui vient de sévir en Irak et qui a été menée par un gouvernement composé de baasistes et de communistes2164. Et pourtant, selon Rifaat el-Saïd, les communistes égyptiens, dans leur majorité, soutiennent alors la politique de Nasser : « les condamnés soutenaient la politique du régime et le régime lui-même et restaient cependant fidèles au marxisme »2165.

L’arrestation des communistes favorise l’essor d’un courant, au sein du régime nassérien, qui s’inspire du marxisme et conduit à l’élaboration de la « Charte d’action patriotique » adoptée en juin 19622166. L’importance de ce courant s’accroît surtout dans le cadre du conflit entre le pouvoir et le grand secteur privé, au moment des nationalisations de juillet 1961. Cette évolution a lieu parallèlement à l’approfondissement des liens entre le Caire et Moscou : Nasser affiche une forme de gestion socialiste de l’Etat qui pousse peu à peu le mouvement communiste à soutenir le régime. L’Union Socialiste Arabe, immense rassemblement des partisans du régime fondé en 19622167, reprend des slogans socialistes, affirme son caractère patriotique, défend la justice sociale et l’existence d’un Etat national fort. En 1964, peu avant la visite de Khrouchtchev au Caire, Nasser libère les communistes emprisonnés. En 1965, les deux principales organisations communistes décident leur auto- dissolution et fusionnent au sein de l’Union Socialiste Arabe. La même année, Walter Ulbricht, le président du Conseil d’Etat de la RDA, se rend au Caire pour une visite presque officielle, ce qui constitue un grand succès est-allemand en matière de politique extérieure2168.

Rifaat el-Saïd justifie la décision de dissolution en rappelant le contexte dans lequel cette dernière a été prise2169 : il présente les bouleversements sociaux en train de se produire dans le pays (notamment la réforme agraire et la nationalisation des banques et des industries)

2163 KAMINSKY, Catherine, KRUK, Simon, La stratégie soviétique…, op.cit., p. 51. 2164 Ibid., p. 51. 2165 SAPMO-BArch, DY 30/ 13 668, op. cit., « Un chemin semé d’embûches », Compte-rendu du livre de Rifaat al Saïd, Histoire du mouvement communiste égyptien (1957-1965), unité, division, dissolution, al Amal, le Caire, 1986, 360 pages. 2166 YOUNIS, Sherif, « Marxisme et patriotisme…», op. cit., p. 156. Sur la charte d’action patriotique élaborée par le régime nassérien, voir supra, partie I, chapitre 2, p. 116-118. 2167 En 1965, l’organisation compte 5 millions de membres. Voir : LAÏDI, Zaki, « A quoi sert l’Union soviétique ? », in : LAÏDI, Zaki (dir.), L’URSS vue du Tiers-Monde, op.cit., p. 30. 2168 WENTKER, Herrman, Aussenpolitik in engen Grenzen…, op.cit., p. 279. 2169 SAPMO-BArch, DY 30/ 13 668, op. cit., « Un chemin semé d’embûches », Compte-rendu du livre de Rifaat al Saïd, Histoire du mouvement communiste égyptien (1957-1965), unité, division, dissolution, al Amal, le Caire, 1986, 360 pages.

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comme la preuve qu’il n’y a plus de raison de s’opposer au « régime démocratique révolutionnaire de Nasser ». Ce dernier brandit les mêmes mots d’ordre que les communistes et se prononce en faveur de l’instauration d’une nouvelle société, fondée sur le socialisme scientifique. Il est alors légitime d’accepter le rassemblement de toutes les forces politiques au sein de l’Union Socialiste Arabe. En outre, en matière de politique étrangère, l’Egypte développe ses relations avec l’Union soviétique et les autres pays socialistes. Dans ce contexte, les communistes redoutent que le maintien de leur parti conduise à un conflit avec le régime patriotique, « qui, comme ils le dis[ent] tous alors, a adopté la voie du socialisme ». De toute façon, Nasser ne leur laisse pas tellement le choix : « soit la dissolution, soit le conflit ouvert ». Certains militants communistes se voient offrir des fonctions dans les médias, dans la culture, dans l’éducation ou au sein de l’Union Socialiste Arabe. Leur entrée au sein de l’organisation permet de « démanteler l’infrastructure souterraine du parti [communiste] »2170. S’ils obtiennent des positions influentes au sein de l’USA, aucun communiste ne se trouve cependant « près de la source réelle du pouvoir »2171. La disparition de l’activisme d’opposition au début des années 1960 n’est pourtant pas seulement le fruit de la coercition exercée par le régime : Nasser parvient réellement à faire émerger un « contrat social » qui jouit du soutien authentique d’une large partie de la société et repose pour une part sur son charisme personnel2172.

Enfin, l’auto-dissolution des partis communistes est facilitée par l’image souvent négative de ces derniers au sein de la population égyptienne2173. Ils sont en effet facilement identifiés à l’Union soviétique, et même si celle-ci n’est pas perçue comme une puissance impérialiste au Moyen-Orient, au contraire des Etats occidentaux, elle apparaît cependant comme une instance étrangère avec laquelle les communistes locaux entretiennent des relations privilégiées. Dans une période de fort nationalisme, c’est un reproche récurrent et difficile à combattre. Les communistes sont souvent perçus comme des étrangers, donc comme une menace pour la souveraineté nationale. La nature athée de l’idéologie communiste dans une société majoritairement musulmane est un facteur supplémentaire de méfiance.

2170 KAMINSKY, Catherine, KRUK, Simon, La stratégie soviétique…, op.cit., p. 51. 2171 VASSILIEV, Alexei, Russian Policy in the Middle East: from Messianism to Pragmatism, Reading, Ithaca Press Reading, 1993, p. 168. 2172 ROSEFSKY WICKHAM, Carrie, Mobilizing Islam…, op.cit., p. 23. 2173 GOLAN, Galia, Soviet Policies in the Middle East…, op.cit., p. 215.

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Les mouvements de gauche égyptiens relaient ainsi auprès des Allemands de l’Est « l’opinion de larges couches de la classe moyenne, qui sont convaincues qu’une aide renforcée de l’URSS irait de pair avec une infiltration idéologique renforcée »2174. En juin 1970, Rifaat el-Saïd, alors secrétaire du Conseil de la Paix de République arabe unie, s’entretient ainsi avec le premier secrétaire de l’ambassade de Berlin-Est au Caire : il souligne le paradoxe qui fait que « d’un côté, on est très enclin à accueillir l’aide soviétique, et que d’un autre côté, on craint que l’accroissement de l’aide soviétique n’entraîne une orientation trop pro-soviétique et pro-socialiste dans le peuple »2175. En réalité, si l’arsenal conceptuel du socialisme connaît un certain écho en Egypte, il est réinvesti d’une coloration proprement nationaliste, dans le cadre de ce que Sherif Younis nomme la « nassérisation »2176 du marxisme.

2. La « nassérisation » du marxisme égyptien a) Les justifications théoriques du ralliement des communistes égyptiens au nassérisme

Pour une partie des communistes, le ralliement au nassérisme est l’occasion de constituer au sein de l’USA un groupe de pression disposant d’une certaine marge d’action :

« L’idée d’une auto-dissolution [est] justifiée en partie par le fait que l’on souhait[e] s’unir à l’avant-garde des socialistes, dans le cadre de l’Union Socialiste Arabe, dans l’espoir de pouvoir la transformer, avec le temps, en un parti marxiste »2177.

Les communistes égyptiens acceptent dans leur majorité le rôle dévolu au régime nassérien, celui de représenter la bourgeoisie nationale, considérée comme apte à réaliser les tâches historiques du peuple égyptien. Surtout, ils prennent conscience de l’importance de la référence nationaliste dans le monde arabe, et du peu d’écho que rencontre au contraire l’internationalisme prolétarien2178. Une partie des intellectuels égyptiens de gauche théorise alors le rôle majeur des classes moyennes en tant qu’avant-garde nationaliste et hégémonique

2174 « Er sprach zunächst über die Meinung breiter Schichten der Mittelklasse, die davon überzeugt seien, daß mit der verstärkten Hilfe der UdSSR ein verstärktes ideologisches Eindringen gekoppelt sei […] ». MfAA, L 187, C 641/73, op.cit., Vermerk über ein Gespräch des 1. Sekretärs der Bostchaft, Gen. Wegricht, mit dem Sekretär des Friedensrates in der VAR, Mr. Rifaat Said, Kairo, 17.6.70, p. 1. 2175 « Die Situation in der VAR sei so, daß einerseits man zur sowjetischen Hilfe sehr aufgeschlossen sei, andererseits aber durch verstärkte sowjetische Hilfe eine zu stark prosowjetische, d.h. letzten Endes prosozialistische Reflektion im Volk befürchte ». Ibid., p. 2. 2176 YOUNIS, Sherif, « Marxisme et patriotisme…», op.cit., p. 160. 2177 SAPMO-BArch, DY 30/ 13 668, op. cit., « Un chemin semé d’embûches », Compte-rendu du livre de Rifaat al Saïd, Histoire du mouvement communiste égyptien (1957-1965), unité, division, dissolution, al Amal, le Caire, 1986, 360 pages. 2178 ISMAEL, Tareq Y., The Communist Movement…, op.cit., p. 33.

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dans l’émancipation de la nation2179. Cette évolution est facilitée par le rapprochement qui s’est opéré entre les Officiers Libres et les formations communistes, avant même le coup d’Etat de 1952. Tewfik Aclimandos a montré l’imbrication parfois étroite entre les officiers marxistes et l’organisation des Officiers Libres, héritage des années 1940 durant lesquelles les mouvements communistes ont activement recruté parmi les rangs de l’armée égyptienne2180.

Les Egyptiens « progressistes », interlocuteurs privilégiés de Berlin-Est, soulignent eux-mêmes le processus d’appropriation des mots d’ordre socialistes par la rhétorique nassérienne. En mars 1970, Khaled Mohieddine, ancien Officier Libre de tendance marxiste, président du Conseil de la paix d’Egypte, et Rifaat el-Saïd, alors secrétaire du même Conseil, s’expriment ainsi :

« Les anciens communistes se trouvent actuellement dans une étape de la lutte extraordinairement compliquée, car dans la situation actuelle, une alternative à la direction en place est impossible et conduirait à la catastrophe. Bien que la création d’un parti dirigeant reste à l’ordre du jour, beaucoup de représentants de la petite-bourgeoisie refusent par exemple la création d’un parti communiste, en donnant l’argument selon lequel de bonnes relations avec l’Union soviétique et les autres pays socialistes peuvent exister sans parti communiste »2181.

L’ « indigénisation »2182 de la référence soviétique permet en effet au régime de donner des « signes apparents de socialisme »2183 et donc de créer des convergences idéologiques entre communistes et nassériens : à ce titre, elle est parfaitement admise par Moscou. L’URSS adopte en Egypte une posture similaire à celle qui la guide dans les pays dont elle considère qu’ils se sont engagés dans une voie de « développement non capitaliste » et où elle encourage les partis communistes locaux à coopérer avec les régimes nationalistes et autoritaires. En avril 1978, dans le manifeste qu’ils publient ensemble, les partis communistes

2179 Sur la figure de l’intellectuel égyptien et l’évolution de l’historiographie marxiste égyptienne dans les années 1950, voir : MEIJER, Roel, « L’élaboration d’un modernisme autoritaire : les intellectuels de gauche et la réforme de la société égyptienne dans les années 1950 », in : Cahiers d’Histoire, revue d’histoire critique, op.cit., p. 212-215. 2180 ACLIMANDOS, Tewfik, « Officiers libres et officiers communistes… », op.cit., p. 175-193. 2181 « Die Haltung der ehemaligen Kommunisten sei in der gegenwärtigen Etappe des Kampfes außerordentlich kompliziert, da die jetzige Situation eine Alternative zur jetzigen Führung nicht möglich mache und in einer Katastrophe enden würde. Obwohl die Schaffung einer führenden Partei auf der Tagesordnung stehe, lehnen viele Vertreter des Kleinbürgertums beispielsweise die Schaffung einer kommunistischen Partei ab, mit dem Argument, daß gute Beziehungen zur Sowjetunion und zu anderen sozialistischen Ländern auch ohne eine kommunistische Partei bestünden […] ». MfAA, L 187, C 641/73, op.cit., Zusammenfassung eines Gesprächs mit dem Präsidenten des Friedensrates der VAR Khaled Mohieddin, und dem Sekretär des Friedensrates Rifaat Sayed während eines Mittagessens bei Gen. Stange (AASK-Veretreter) am 24.3.1970. Botschaft der DDR in der VAR, Kairo, am 7.4.1970, p. 15-16. 2182 LAÏDI, Zaki, « A quoi sert l’Union soviétique ? », in : LAÏDI, Zaki (dir.), L’URSS vue du Tiers-Monde, op.cit., p. 19. 2183 AL-SHALABI, Jamal, Mohamed H. Heikal entre le socialisme de Nasser et l’Infitâh de Sadate (1952-1981), op.cit., p. 102.

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arabes admettent d’ailleurs la nécessité d’intégrer des « fronts patriotiques et progressistes » au sein de leurs Etats respectifs2184. Selon Samir Amin, économiste franco-égyptien qui adhère au PCE en 19522185 et milite dans la clandestinité sous le nom de « Hassan Riad »2186, l’auto-dissolution du parti en 1965 lui a néanmoins été « fortement suggérée par l’ami soviétique », sans convaincre pour autant les militants communistes : « nous savions tous que l’Union Socialiste était ce qu’on appelle un peu vulgairement en français un "parti bidon" et qu’elle le resterait »2187. b) La « tactique léniniste du front uni »2188 : l’URSS encourage les communistes égyptiens à coopérer avec le régime nationaliste et militaire de Nasser

Il faut rappeler ici que l’attitude soviétique à l’égard du communisme au Moyen-Orient dérive de la conception léniniste du communisme dans le monde sous-développé2189. Selon cette conception, le marxisme est présenté comme une théorie construite pour l’Europe. Le monde sous-développé, encore féodal ou semi-féodal, n’est pas mûr pour une révolution socialiste, celle-ci ne pouvant se produire que dans une société parvenue à un stade avancé du capitalisme. En revanche, l’impérialisme, qui fait prospérer les métropoles capitalistes et endort les travailleurs en les faisant participer à l’exploitation des colonies, peut exporter la lutte des classes dans les empires coloniaux. La révolte des populations locales met en danger le niveau de vie des métropoles, doit « réveiller » les travailleurs et provoquer la révolution. Les régions sous-développées occupent donc une place importante dans l’effort révolutionnaire mondial. Mais d’après la conception léniniste, la première révolution dans les colonies n’est pas socialiste, elle est nationaliste. C’est le nationalisme qui est l’impulsion de la révolte. Il existe par conséquent dans la théorie de l’impérialisme l’idée d’une conscience nationale comme première étape de la conscience anti-impérialiste2190. Le nationalisme apparaît comme la bannière pouvant rallier les peuples contre le colonialisme, et en ce sens revêt, aussi, un aspect progressiste. C’est seulement lorsque la révolution pour la libération nationale aura été effectuée dans une ancienne colonie que cette dernière sera mûre pour la

2184 Le texte intégral est fourni en annexe dans l’ouvrage suivant : ISMAEL, Tareq Y., The Communist Movement…, op.cit., p. 163. 2185 AMIN, Samir, « Le communisme égyptien… », op.cit., p. 176. 2186 Ibid., p. 188. 2187 Ibid., p. 213. 2188 GOLAN, Galia, Soviet policies in the Middle East…, op.cit., p. 217 2189 Ibid., p. 210. 2190 Ibid., p. 212.

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révolution socialiste prolétarienne. Le programme du 22e congrès du PCUS, en 1961, réaffirme d’ailleurs la nature progressiste des mouvements de libération nationale dans les pays en développement :

« Les marxistes-léninistes font une différence entre le nationalisme des nations opprimées et le nationalisme des nations opprimantes. Le nationalisme des nations opprimées possède une teneur démocratique, dirigée contre l’oppression, et les communistes le soutiennent, le considérant comme historiquement justifié à cette étape donnée. Il est l’expression de l’aspiration des peuples opprimés à la libération de l’oppression impérialiste, pour l’indépendance nationale et le renouveau national. En même temps, le nationalisme d’une nation opprimante exprime l’idéologie et les intérêts du plus haut niveau de l’exploitation réactionnaire »2191.

La conception léniniste du nationalisme comme étape nécessaire vers l’anti- impérialisme fonde en partie la position des Soviétiques à l’égard des mouvements communistes au Moyen-Orient et en Egypte : en l’absence d’un prolétariat développé, les révolutionnaires doivent s’allier avec les nationalistes, même si ces derniers défendent un ordre bourgeois. Les communistes doivent assister les nationalistes bourgeois dans leur propre révolution avant de les mener ensuite vers la révolution socialiste. Du point de vue soviétique, les partis communistes locaux peuvent donc, certes, fournir un appui susceptible de diffuser l’influence de l’URSS, mais leur présence complique les relations entre Moscou et des gouvernements nationaux, souvent anti-communistes. C’est pourquoi, selon Galia Golan, la politique soviétique fondée sur « la tactique léniniste du front uni, appelant à la création de fronts nationaux avec les nationalistes bourgeois, a signifié pour de nombreux partis communistes moyen-orientaux une limitation sérieuse de leur taille, de leur recrutement, de leur propagande et de leur indépendance »2192. En effet, « l’URSS n’est pas prête à défendre un parti frère au prix d’une rupture dans les relations interétatiques »2193. Le souhait soviétique de préserver les relations d’Etat à Etat pousse Moscou à encourager la subordination des mouvements communistes locaux aux partis dominants, au sein de « fronts nationaux »2194. Les efforts de l’URSS pour maintenir des relations avec les Etats du Tiers-monde, tout en y soutenant simultanément les partis communistes, contribue souvent à exacerber les tensions entre les trois types d’acteurs2195. Il arrive d’ailleurs que Moscou choisisse de sacrifier un parti frère, comme c’est le cas au Soudan, en 1971, lors des mesures de représailles exercées par le régime Nimeiry à l’encontre des communistes, après la

2191 Mizan, n° 10, 1961, p. 6, extrait cité dans: ISMAEL, Tareq Y., The Communist Movement…, op.cit., p. 25. 2192 GOLAN, Galia, Soviet policies in the Middle East…, op.cit., p. 217. 2193 MENDRAS, Marie, « La logique de l’URSS…», op.cit., p. 139. 2194 LEVESQUE, Jacques, L’URSS et sa politique internationale…, op.cit., p. 296. 2195 DANNEHL, Charles R., Politics, Trade and Development…, op.cit., p. 13.

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tentative de coup d’Etat à laquelle ces derniers ont participé2196. Le soutien soviétique à des gouvernements activement engagés dans la répression des partis communistes locaux a donc contribué à affaiblir ces derniers. Maxime Rodinson estime ainsi qu’en Egypte, les groupes communistes, outre les multiples scissions, épurations et réunifications partielles auxquelles ils ont dû faire face, ont été peu soutenus par leurs homologues étrangers :

« Formés sur place, dans le cadre d’une illégalité quasi-permanente et d’une persécution policière impitoyable, ils ont cherché, le plus souvent en vain, le contact avec les grands PC extérieurs. Ceux-ci regardaient en général avec méfiance et hauteur ces groupes d’intellectuels ou de petits-bourgeois, à l’allure sectaire et inefficiente, au surplus toujours dénoncés par les autres groupes »2197.

Et de fait, la définition de stratégies d’alliances claires avec les gouvernements et/ou les partis des Etats du Tiers-monde fait l’objet de désaccords en URSS même, comme en témoigne l’évolution de la phraséologie visant à caractériser la multiplicité des processus de développement. Dans les années 1950-1960, les nouveaux Etats nés de la lutte nationaliste sont désignés comme des « démocraties nationales » ou « révolutionnaires » : ni capitalistes, ni socialistes, ils sont engagés dans une phase de transition, où ils mettent en place les conditions nécessaires à la construction du socialisme2198. En URSS, les théoriciens du « développement non capitaliste »2199 pointent l’absence de polarisation claire de « classes » au sein de ces jeunes Etats. Ils prônent donc l’alliance de toutes les forces progressistes et valorisent le rôle de la bourgeoisie nationale. Très vite, il apparaît pourtant que les « démocraties révolutionnaires » peuvent tout à fait s’approprier une terminologie marxiste, sans œuvrer aucunement à la transition vers le socialisme2200: l’Egypte en est un bon exemple. Le concept de « démocratie nationale » est alors abandonné au profit de la notion de « pays à orientation socialiste »2201, cette dernière recouvrant à nouveau une multiplicité de subdivisions, qui correspondent aux différents degrés de maturité des transformations

2196 FOWKES, Ben, BÜLENT, Gökay (dir.), « Unholy Alliance: Muslims and Communists. An Introduction », in: The Journal of Communist Studies and transition politics, mars 2009, vol. 25, n° 1, p. 21. 2197 RODINSON, Maxime, Marxisme et monde musulman…, op.cit., p. 430. 2198 GOLAN, Galia, Soviet policies in the Middle East…, op.cit., p. 213. 2199 Sur la théorie de la « voie de développement non capitaliste » et sa mise en œuvre dans le Tiers-monde, voir : GRAF, William D., « The theory of the non-capitalist Road », in : HANSEN, William W., SCHULZ, Brigitte H., The Soviet Bloc and the Third World…, op.cit., p. 27. Sur l’application de la doctrine en Egypte, voir l’ouvrage suivant: HOSSEINZADEH, Esmail, Soviet non capitalist development…, op.cit.. 2200 GOLAN, Galia, Soviet policies in the Middle East…, op.cit., p. 214. 2201 MENDRAS, Marie, « La logique de l’URSS…», op.cit., p. 140.

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révolutionnaires2202. Ces évolutions terminologiques vont de pair avec la redéfinition des buts stratégiques de l’URSS et des Etats socialistes au Moyen-Orient jusque dans les années 1980, et leur réorientation vers des considérations plus économiques qu’idéologiques. Marie Mendras estime ainsi qu’au début des années 1980, « l’implantation de régimes socialistes n’est pas - ou plus - une finalité de la stratégie soviétique » dans le monde arabe2203. Dans un tel contexte, les groupes communistes égyptiens peinent à constituer une avant-garde unifiée.

3. Les communistes égyptiens entre vagues de répression et aspiration à l’unité a) La refondation du PCE en 1975 : vers la fragmentation ?

Des organisations communistes se reconstituent presque immédiatement après l’autodissolution de 19652204, à l’initiative de militants opposés à cette décision. C’est la naissance du « troisième mouvement communiste »2205. Michel Kamel, journaliste né en 1925 et qui appartient à la « vieille garde »2206 des communistes égyptiens, fait partie de ceux qui ont toujours refusé d’intégrer l’Union Socialiste Arabe : selon lui, « si certains marxistes croient qu’ils pourront créer un noyau socialiste au sein d’une institution bourgeoise, c’est une illusion »2207.

2202 Zaki Laïdi analyse les différentes perspectives de l’ « orientation socialiste » des pays africains : LAÏDI, Zaki, « L’URSS et l’Afrique : vers une extension du système socialiste mondial ? », in : Politique étrangère, 1983, n°3, p. 681-683. 2203 Ibid., p. 140. 2204 SAPMO-BArch, DY 30/ IV B 2-20-79 : Abteilung Internationale Verbindungen im ZK der SED. Abt. Int. Verb. 1969-1981. Bd. 9 : 1972-1973, 1975 : Informationen über Beziehungen mit der ASU Ägypten, die Neugründung der ägyptischer kommunistischen Partei ; Beziehungen ASU mit der Sozialistischen Internationale (SI). Information n°62/75 pour le bureau politique, exposé du camarade Michel Kamel à propos de la refondation du parti communiste égyptien, confidentiel, Berlin, 21.7.1975. 2205 SAPMO-BArch, DY 30/ 13 669, op.cit., Fascicule du PCE de Michel Kamel, avril 1989. 2206EL-SAÏD, Rifaat, ISMAEL, Tareq Y., The comunist movement…, op.cit., p. 131. 2207 SAPMO-BArch, DY 30/ IV B 2-20 430, op.cit., Note sur une conversation avec Michel Kamel, al-Talia, le 22 juin 1972, le Caire, 27 juin 1972, p. 100.

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Photographie 8 : Michel Kamel2208

La défaite de 19672209 et le remaniement gouvernemental orchestré par Sadate en 19712210 persuadent la gauche égyptienne de la nécessité de s’organiser politiquement2211. Dès le début des années 1970, le PCE réapparaît donc dans la clandestinité, sous la forme de trois

2208 Source : IISH, Michel Kamel Papers, Interview and articles by Michel Kamel, N° 327: Press clippings of articles and interviews with Michel Kamel, in German, Russian and Greek, no date. 2209 La défaite arabe de 1967 contribue à jeter le discrédit sur les régimes nationalistes, y compris sur celui de Nasser. 2210 Voir supra, partie I, chapitre 3, p. 137-140. 2211 SAPMO-BArch, DY 30/ IV B 2-20-79, op.cit., Information n°62/75 pour le bureau politique, exposé du camarade Michel Kamel à propos de la refondation du parti communiste égyptien, confidentiel, Berlin, 21.7.1975.

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principaux courants2212. Michel Kamel anime lui-même l’un de ces groupes2213. Les Etats socialistes sont très rapidement informés de la volonté des militants égyptiens de refonder une organisation communiste2214 : « depuis trois ans, on travaille à la construction de l’organisation »2215. Soucieux de ne pas s’isoler de la « classe des travailleurs », les cercles marxistes se sont notamment reconstitués à partir des grands sites industriels égyptiens, comme les laminoirs et aciéries de la région d’Hélouan, ou les centres de transformation des produits agricoles du Fayoum2216. Un « bureau » coordonne l’activité des trois groupes communistes, qui rassemblent « plusieurs centaines » de militants : à sa tête se trouvent Rifaat el-Saïd et Khaled Mohieddine2217. Si les communistes égyptiens n’ont guère de contacts avec les partis frères à l’étranger, à l’exception du PC irakien et du PC soudanais, ils entretiennent néanmoins des « liens fermes » avec le PCUS, qui a été informé de leur volonté de mettre sur pied une organisation unifiée2218. Ils restent cependant extrêmement prudents, par crainte de la répression gouvernementale : les cadres communistes sont en effet, pour la plupart, « connus des organes d’Etat » et « surveillés »2219. Il importe donc « d’empêcher le régime d’être certain que l’organisation existe »2220. A partir de 1973, le PCE publie un journal clandestin intitulé al-Intisâr2221, reste en contact permanent avec le PCUS et lui transmet tous ses documents, mais ne sollicite pas d’emblée sa reconnaissance2222. En septembre-octobre 1973,

2212 Rifaat el-Saïd et Tareq Y. Ismael analysent les spécificités de chacun de ces courants. Voir: EL-SAÏD, Rifaat, ISMAEL, Tareq Y., The comunist movement…, op.cit., p. 129. Les archives est-allemandes font ells aussi reference à ces divisions internes. Voir : SAPMO-BArch, DY 30/ IV B 2-20 430, op.cit., Information über ein Gespräch des Genossen Freimut Seidel mit Rifaat el-Saïd, Sekretär des Friedensrates von ARÄ, den 20.1.1972, vertraulich, Abt. Int. Verbindungen, Berlin, 1.2.1972, p. 41. 2213 SAPMO-BArch, DY 30/ IV B 2-20-79, op.cit., Information n°62/75 pour le bureau politique, exposé du camarade Michel Kamel à propos de la refondation du parti communiste égyptien, confidentiel, Berlin, 21.7.1975. 2214 SAPMO-BArch, DY 30/ IV B 2-20 430, op.cit., Information über ein Gespräch des Genossen Freimut Seidel mit Rifaat el-Saïd, Sekretär des Friedensrates von ARÄ, den 20.1.1972, vertraulich, Abt. Int. Verbindungen, Berlin, 1.2.1972, p. 40. 2215 Ibid. p. 41. 2216 Ibid. 2217 Ibid., p. 42. 2218 Ibid. 2219 Ibid., p. 41. 2220 Ibid., p. 44. 2221 EL-SAÏD, Rifaat, ISMAEL, Tareq Y., The comunist movement…, op.cit., p. 129. 2222 SAPMO-BArch, DY 30/ IV B 2-20-79, op.cit., Information n°62/75 pour le bureau politique, exposé du camarade Michel Kamel à propos de la refondation du parti communiste égyptien, confidentiel, Berlin, 21.7.1975.

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par exemple, le PCE ne participe pas à la grande consultation des partis communistes arabes organisée à Moscou2223.

En 1972, Rifaat el-Saïd, alors secrétaire du Conseil de la paix d’Egypte, profite de son séjour à l’Université Karl Marx de Leipzig dans le cadre de sa thèse de doctorat2224, pour demander l’appui de la RDA et plaider la mise en place de liens entre l’organisation communiste égyptienne et le SED2225. Il justifie le choix de mettre Khaled Mohieddine à la tête du mouvement, en rappelant à quel point son nom est symbolique pour la gauche égyptienne. En tant que président du Conseil de la paix égyptien, ce dernier dispose d’une grande visibilité dans l’opinion publique et possède de nombreux contacts internationaux. Sa participation à la révolution de 1952 en a fait une « personnalité politique incontournable », si bien que « même le président Sadate ne nourrit pas de soupçon quant au fait [qu’il puisse] appartenir à une organisation communiste »2226. Rifaat el-Saïd fait part à son interlocuteur est-allemand de son souhait de voir un membre du PCE stationner durablement en RDA. Il demande en outre l’aide du SED pour la formation de cadres communistes égyptiens, en particulier dans le domaine des techniques d’écoute, ainsi que la livraison de machines à écrire2227. Freimut Seidel, fonctionnaire au département des relations internationales du Comité central du SED et qui connaît Rifaat el-Saïd depuis plusieurs années2228, encourage fortement le développement de la coopération entre le SED et le mouvement communiste égyptien, en lien avec le Comité central du PCUS.

La question de savoir si la reconstitution du PCE doit être rendue publique ou non divise véritablement les militants. Si certains d’entre eux estiment qu’il est nécessaire de faire connaître une alternative politique à la population égyptienne, d’autres redoutent que l’officialisation de la création du PCE ne contraigne l’URSS à choisir entre Sadate et les

2223 Les partis communistes de Jordanie, d’Algérie, de Syrie, d’Irak, du Liban et du Soudan sont représentés. Voir : SAPMO-BArch, DY 30/ IV B 2-20-79, op.cit., Information n° 68/73 pour le bureau politique, communiqué du parti communiste arabe, adopté lors de la consultation des partis communistes arabes à Moscou du 29.9. au 4.10.1973, Berlin, 17.10.1973. 2224 SAPMO-BArch, DY 30/ IV B 2-20 430, op.cit., Information über ein Gespräch des Genossen Freimut Seidel mit Rifaat el-Saïd, Sekretär des Friedensrates von ARÄ, den 20.1.1972, vertraulich, Abt. Int. Verbindungen, Berlin, 1.2.1972, p. 40. 2225 Ibid., p. 44-46. 2226 Ibid., p. 44. 2227 Ibid., p. 46. 2228 Ibid., p. 47.

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communistes égyptiens et n’entraîne une nouvelle campagne de répression contre la gauche dans le pays2229.

Le 1er mai 1975, les principaux groupes communistes proclament officiellement la naissance du parti communiste égyptien2230, également appelé parti du 8 janvier2231. En août 1975, le Comité central du PCUS reçoit certains marxistes égyptiens, qui l’informent de leur souhait d’instaurer des relations officielles avec les partis frères2232. Dans la brochure publiée à l’occasion de la fondation du PCE (annexe 9), le parti affirme que la base doctrinale sur laquelle il se fonde est le marxisme-léninisme2233. Rappelant le rôle déterminant des communistes égyptiens dans la lutte pour l’indépendance, la libération des terres arabes après 1967 et la garantie des droits nationaux du peuple palestinien, le PCE prône l’ « unité avec le mouvement révolutionnaire mondial […] et son avant-garde, le parti du grand Lénine, le parti communiste soviétique », de même que l’alliance avec « les autres pays socialistes »2234. Le PCE se présente comme une coalition gigantesque de travailleurs, de paysans, d’intellectuels révolutionnaires et de soldats, au service du peuple égyptien2235.

La reconstitution du PCE en 1975 ne parvient pas, cependant, à mettre un terme aux divisions internes. Plusieurs factions se maintiennent au sein du parti, qui, au-delà des divergences doctrinales et stratégiques, recoupent également des querelles de pouvoir. Michel Kamel, qui coordonne la section étrangère du PCE2236, de Beyrouth ou de Paris, s’oppose rapidement à la direction intérieure du parti, assumée par Rifaat el-Saïd2237. De même, des staliniens comme Mohamed Abbas Fahmi, Tahir al-Badri ou Ahmed al-Qassir, fondent un courant révolutionnaire, al-Tayyar al-Thawri2238. Ces dissensions internes ont tendance à

2229 BStU, MfS, Hauptverwaltung Aufklärung, Nr. 65, Information sur la création d’un parti communiste en Egypte, 4.3.1974. 2230 SAPMO-BArch, DY 30/ 13 668, op.cit., « Un chemin semé d’embûches », Compte-rendu du livre de Rifaat al Saïd, Histoire du mouvement communiste égyptien (1957-1965), unité, division, dissolution, al Amal, le Caire, 1986, 360 pages. 2231 Le parti du 8 janvier se nomme ainsi en référence au Parti communiste uni, formé le 8 janvier 1958. Voir : EL-SAÏD, Rifaat, ISMAEL, Tareq Y., The comunist movement…, op.cit., p. 145. 2232 SAPMO-BArch, DY 30/ 13 911, op.cit., 25.8. 1975, vertraulich. 2233 IISH, Communist Party of Egypt Collection, 1975, 1981-1987, 1996, N° 27: Foundation and programme. Pamphlet announcing the foundation of the CPE. 1 May 1975. A cover. In Arabic. 2234 Ibid. 2235 Ibid. 2236 VASSILIEV, Alexei, Russian Policy in the Middle East…, op.cit., p. 169. 2237 SAPMO-BArch, DY 30/ 13 666, op.cit., Opinions sur la discussion à propos de la situation du PCE, 6.9.1985. 2238 EL-SAÏD, Rifaat, ISMAEL, Tareq Y., The comunist movement…, op.cit., p. 147. 433

s’accroître au cours des années, à tel point qu’en 1989, les diplomates est-allemands soupçonnent le groupe al-Tayyar al-Thawri d’avoir formé un nouveau groupe, le « parti communiste démocratique », sans en être véritablement certains2239. Face à une telle profusion de tendances d’obédience marxiste, les Allemands de l’Est restent relativement méfiants : « dans le passé, les informations de certains partenaires sur le fonctionnement des partis se sont révélées fausses. L’ambassade ne peut garantir, pour le moment, la véracité des informations données »2240.

Extrêmement divisés et très minoritaires, les communistes ne parviennent jamais à constituer de force politique sérieuse en Egypte, même après la refondation de leur parti en 1975. Les conditions d’illégalité dans lesquelles ils se réunissent et la « terreur » que leur inspirent les services secrets égyptiens2241 contribuent en outre au faible retentissement de leurs activités. Ils représentent pourtant l’expression d’une volonté militante susceptible de critiquer les orientations du régime : à ce titre, ils font l’objet de campagnes de répression régulières, notamment sous le mandat d’Anouar el-Sadate. b) Les campagnes d’arrestation de 1977 et 1981 et les « procès des communistes »2242

La loi égyptienne réglemente de façon extrêmement stricte la création d’associations. Ce sont surtout les articles 98 du livre 2 du Code Pénal, consacrés aux « crimes et délits nuisant à l’intérêt général » et adoptés entre 1946 et 1970, qui font l’objet de vives critiques de la part des mouvements de gauche2243. Selon ces articles, la création ou la participation à des associations visant à « la domination d’une classe sociale sur les autres, à la liquidation d’une classe sociale, au renversement de l’ordre fondamental social et économique de l’Etat ou appelant à la haine des principes fondamentaux du gouvernement socialiste ou à la résistance aux autorités » sont qualifiés de « crimes »2244. Ces textes fournissent au régime un arsenal législatif lui permettant de verrouiller toute opposition politique, et en particulier celle

2239 SAPMO-BArch, DY 30/ 13 671, op.cit., Information, Botschaft der DDR in der AR Ägypten, Kairo, 27.2.1989, G. Päckert, Pressesprecher. 2240 Ibid. 2241 SAPMO-BArch, DY 30/ 13 666, op.cit., Le PCE et les résultats de son congrès de parti, extrait de al-Nida, 11.11.1980. 2242 SAPMO-BArch, DY 30/ 13 671, op.cit., Lettre de Wolfgang Schüssler, ambassadeur de RDA en RAE, à Günter Sieber, directeur du département des relations internationales du Comité central du SED, le Caire, 27.5.1986. 2243 IISH, Michel Kamel Papers, Human Rights, N°218, op.cit., Quelques remarques sur les articles 98 du Code Pénal, en français. 2244 Ibid.

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qui émane de la gauche. En janvier 1977, lors des grandes émeutes populaires qui ébranlent toute l’Egypte2245, Sadate accuse les communistes d’avoir fomenté les troubles. En février 1977, il soumet au plébiscite populaire un « décret sur la défense de l’Unité nationale »2246 qui interdit toute grève menaçant l’économie du pays2247, proscrit toute organisation « hostile à l’ordre social »2248 et condamne aux travaux forcés à perpétuité toute personne ayant participé à un rassemblement qui a entraîné « l’agitation des masses »2249. Près de 2000 personnes sont interpellées et les arrestations à domicile se multiplient, surtout chez les intellectuels et les étudiants d’obédience marxiste ou nassérienne2250.

En juin 1977, plus de 700 personnes sont traduites en justice, après les arrestations du mois de janvier2251. Parmi elles, 173 sont considérées par le gouvernement comme les véritables responsables des désordres2252 : 119 des 173 inculpés sont accusés d’avoir participé à la création d’organisations communistes clandestines destinées à renverser le régime et d’avoir distribué des tracts ; 54 autres sont accusés d’ « incitation » à la violence au moyen de slogans, affiches et propagation de rumeurs. Le 1er octobre 1977, Sadate ordonne par décret présidentiel que ces inculpés soient jugés devant des tribunaux militaires2253.

Les procès des personnes arrêtées en 1977 s’éternisent pendant des années. La principale accusation retenue est la formation d’un parti communiste égyptien. Le 19 avril 1980, la Haute-Cour de Sûreté de l’Etat rend son verdict et innocente la plupart des accusés, faute de preuves tangibles2254. Seules vingt personnes sont déclarées coupables2255. Le président Sadate s’oppose à cette décision et y apporte son veto : l’affaire est à nouveau

2245 Sur les causes et le déroulement de ces manifestations, voir supra, partie I, chapitre 3, p. 170-173. 2246 IISH, Michel Kamel Papers, Human Rights, N° 218, op.cit., Loi n°2/1977, Texte du décret présidentiel sur la défense de l’Unité nationale, en français. 2247 Ibid., article 7 de la loi n° 2/1977. 2248 Ibid., article 2 de la loi n° 2/1977. 2249 Ibid., article 6 de la loi n° 2/1977. 2250 IISH, Michel Kamel Papers, Human Rights, N° 219, op.cit. 2251 IISH, Michel Kamel Papers, Human Rights, N° 218, op.cit., « Quelque cinq cent personnes sont jugées au Caire et en province », extrait d’un article du Monde, daté du 3 juin 1977. 2252 Ibid. 2253 IISH, Michel Kamel Papers, Human Rights, N° 218, op.cit., Tract du Comité égyptien pour la défense des libertés et de la démocratie. 2254 IISH, Michel Kamel Papers, Human Rights, N° 229: Memorandums on the trial of Ahmed Nagib al-Hilali and his comrades, 1985. In French and Arabic. Note du Parti communiste égyptien, 8 avril 1985. 2255 IISH, Michel Kamel Papers, Human Rights, N° 224: Correspondence and reports on human rights in Egypt by the International Association of Democratic Lawyers. In French. 1981. « Sur une observation d’un jugement au Caire», rapport de John Platt-Mills.

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déférée devant la Haute Cour de Sûreté de l’Etat2256. En septembre 1979, puis de janvier à mars 1981, plusieurs arrestations ont encore lieu à travers tout le pays : en tout, une centaine de personnes est à nouveau accusée d’avoir participé à la formation d’un parti communiste2257, dont Michel Kamel ou l’avocat Ahmed Nabil el-Hilali2258. Ces vagues d’arrestations permettent en réalité à Sadate de museler l’opposition politique et les critiques toujours vives à l’encontre des accords de Camp David2259, qui émanent aussi bien des journalistes, des universitaires ou des avocats que de personnalités politiques des différents partis de gauche et de droite2260. Après l’assassinat de Sadate, en 1981, ces affaires sont renvoyées d’audience en audience, jusqu’à ce qu’au début de l’année 1985, la Haute Cour de Sûreté de l’Etat ordonne la tenue des procès2261. Pour le parti communiste égyptien, cette soudaine « volte-face » s’explique par la volonté du président Hosni Moubarak de raffermir son pouvoir, dans une période de fortes tensions économiques et sociales2262 : hausse continuelle des prix des denrées de base, succession de grèves parmi les ouvriers de la région industrielle de Kafr el-Dawar2263 et poursuite des manifestations populaires contre la normalisation des relations avec Israël. En fait, les grandes vagues d’arrestations qui frappent les milieux communistes ont lieu peu de temps après la tenue du congrès de leur parti, qui se tient illégalement, d’abord en septembre 19802264, puis en 19842265. En février 1985, des opposants politiques sont à nouveau arrêtés2266 : ils sont accusés d’appartenir à des organisations islamistes ou communistes. Les services de sécurité reprochent aux militants de

2256 IISH, Michel Kamel Papers, Human Rights, N° 229, op.cit., Note du Parti communiste égyptien, 8 avril 1985. 2257 Ibid. 2258 SAPMO-BArch, DY 30/ 13 671, op.cit., Lettre de Wolfgang Schüssler, ambassadeur de RDA en RAE, à Günter Sieber, directeur du département des relations internationales du Comité central du SED, le Caire, 27.5.1986. 2259 IISH, Michel Kamel Papers, Human Rights, N° 233: Declaration by the Egyptian Committee against Repression, in French, No date. Le collectif des Egyptiens contre la répression. Déclaration. 2260 IISH, Michel Kamel Papers, Human Rights, N° 233, op.cit., « Personnalités arrêtées ». 2261 IISH, Michel Kamel Papers, Human Rights, N° 229, op.cit., Note du Parti communiste égyptien, 8 avril 1985. 2262 Ibid. 2263 Cette région située à l’est d’Alexandrie possède une forte tradition de coopération technique et industrielle avec la RDA. Voir supra, partie II, chapitre 6, p. 320-325. 2264 SAPMO-BArch, DY 30/ 13 666, op.cit., Rapport sur la question de l’unité, d’après les documents de la Conférence générale du PCE, septembre 1980. 2265 SAPMO-BArch, DY 30/ 13 666, op.cit., A propos du développement du PCE après le second congrès du parti. 2266 IISH, Michel Kamel Papers, Human Rights, N° 225: Report on torture in Egypt by the Egyptian Communist Party, in French, 1985.225, « Rapport: l’Egypte de la torture », PCE, avril 1985.

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gauche d’avoir créé des organisations clandestines, soutenu les soulèvements ouvriers à Kafr el-Dawar, proposé une loi sur l’assurance sociale et enfin d’être en possession de machines à écrire et de tracts attaquant le gouvernement2267. Certains individus sont également arrêtés pour avoir participé à une manifestation devant le pavillon israélien à l’Exposition internationale du livre du Caire, lors de laquelle ils ont clamé des slogans hostiles au sionisme et brûlé le drapeau israélien2268. Le PCE dénonce le traitement réservé à ces militants, qui sont enfermés dans la prison de la Citadelle, la « Bastille égyptienne » et soumis à la torture, « du fouet soudanais jusqu’aux instruments les plus élaborés, en passant par la sauvagerie des chiens policiers dressés, la pendaison par les pieds et les agressions sexuelles contre l’inculpé, sa femme ou ses filles »2269.

Illustration 8 : Rapport du Parti communiste égyptien sur « L’Egypte de la torture », avril 19852270

2267 Ibid. 2268 Ibid. 2269 Ibid. 2270 Source : IISH, Michel Kamel Papers, Human Rights, N° 225, op.cit.

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En mai 1986, la Haute Cour de Sûreté de l’Etat rend son verdict : les jugements prononcés à l’encontre des individus arrêtés en 1977 et en 1981 sont relativement cléments, puisque seule une soixantaine d’entre eux est condamnée à des peines de prison allant de un à trois ans2271. Les diplomates est-allemands voient dans cette issue le signe de la volonté du régime de pacifier ses relations avec l’opposition de gauche2272. Bien qu’ils condamnent les mesures de répression à l’encontre des communistes, les Etats socialistes ne vont en effet jamais jusqu’à la rupture complète des relations étatiques avec l’Egypte. Face au traitement qui est réservé aux partisans du communisme dans beaucoup de pays arabes, l’URSS révise sa politique au cours des années 1970 : sans intervenir directement, elle cesse d’exiger que les partis communistes ne se dissolvent au sein des régimes à partis uniques et leur conseille de maintenir une existence séparée2273. Finalement, ces tergiversations stratégiques expriment le dilemme continuel auquel sont confrontées les forces de gauche en Egypte : faire le choix du compromis dans l’espoir d’intégrer le système parlementaire ou assumer le refus du légalisme afin de maintenir une ligne idéologique cohérente. Avec l’arrivée au pouvoir de Hosni Moubarak en 1981, la marge d’action des communistes égyptiens est d’autant plus réduite que le nouveau président entreprend d’apaiser le climat politique en restaurant le dialogue avec les forces de gauche : la restauration ponctuelle du consensus national achève donc de saper leur potentiel révolutionnaire.

4. Le dilemme des communistes égyptiens sous Hosni Moubarak : rester dans l’illégalité ou fusionner avec le Parti du rassemblement national progressiste unioniste (PRNPU) ? a) « Le PCE ne veut pas de confrontation avec Moubarak »2274. La stratégie de Hosni Moubarak : rassembler la nation, désamorcer l’opposition

L’ensemble des sources de notre corpus salue l’habileté de Hosni Moubarak à son arrivée au pouvoir et souligne la façon dont il est parvenu à atténuer les tensions sociales et politiques qui ébranlaient le pays depuis plusieurs années2275.

2271 SAPMO-BArch, DY 30/ 13 671, op.cit., Lettre de Wolfgang Schüssler, ambassadeur de RDA en RAE, à Günter Sieber, directeur du département des relations internationales du Comité central du SED, le Caire, 27.5.1986. 2272 Ibid. 2273 FOWKES, Ben, BÜLENT, Gökay (dir.), « Unholy Alliance…», op.cit., p. 22. 2274 SAPMO-BArch, DY 30/ 13 667, op.cit., Note. Le 15 avril 1983, Friedel Trappen, représentant du directeur du département des relations internationales du Comité central du SED, reçoit le membre du Bureau politique du PCE, Michel Kamel, Abt. Int. Verbindungen, Berlin, 16.4.1983. 2275 Voir supra, partie I, chapitre 4.

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A la fin de l’année 1981, une partie des militants ayant rallié le parti de gauche légal, créé en 1976, estime que le changement de contexte politique intérieur justifie la normalisation des relations avec le pouvoir2276. Lors du 3ème congrès de leur parti, en novembre 1981, les membres du PRNPU expriment leur volonté de se démarquer du PCE, toujours clandestin2277. Deux stratégies s’opposent : celle de la direction du PRNPU, incarnée par Khaled Mohieddine et Rifaat el-Saïd, qui privilégient la garantie de la légalité du parti de gauche, et celle des éléments marxistes au sein du parti, qui craignent « le danger d’une intégration au sein du régime »2278. Les partisans des deux courants adhèrent souvent conjointement au PCE illégal. Le 15 novembre 1981, Khaled Mohieddine rencontre Hosni Moubarak2279. Le président égyptien assure au secrétaire général du parti de gauche qu’il entend maintenir ses « possibilités légales de travail » et lui fait part de sa volonté de normaliser les relations étatiques avec l’URSS. Khaled Mohieddine promet en échange au dirigeant égyptien « d’aborder de façon constructive sa politique » et de « participer au dialogue national ».

Pour le parti communiste égyptien, il ne fait pas de doute que le président Hosni Moubarak « agit avec souplesse et intelligence »2280 : afin de rétablir la stabilité du pays après l’assassinat de Sadate, il consolide à la fois un arsenal législatif extrêmement répressif en instaurant l’état d’urgence, tout en se déclarant prêt à amorcer le dialogue avec les partis légaux2281. Bien que cette « légalité formelle »2282 ne s’apparente nullement, selon le PCE, à une véritable démocratisation de la vie politique, la tactique de Hosni Moubarak porte ses fruits et parvient plus ou moins à neutraliser l’opposition. C’est le constat que font d’ailleurs les diplomates est-allemands au cours des années 1980 : le régime égyptien est parvenu à assurer la stabilité dans le pays grâce à une politique ingénieuse de « louvoiement » entre les différentes composantes de la bourgeoisie nationale2283. Se présentant comme le « président

2276 SAPMO-BArch, DY 30/ 11 497, op.cit., Rapport de Günter Sieber, Abt. Int. Verbindungen, Berlin, 19.1.1982. 2277 Ibid. 2278 Ibid. 2279 Ibid. 2280 IISH, Michel Kamel Papers, Studies by the Egyptian Communist Party, N° 254, op.cit., Qu’est-ce qui a changé en Egypte ? Publication du parti communiste égyptien. 2281 Ibid. 2282 Ibid. 2283 SAPMO-BArch, DY 30/ 14 044, op.cit., La situation en matière de politique intérieure et la politique de l’Egypte dans la première moitié de l’année 1986, Botschaft der DDR in der AR Ägypten, Kairo, 1.6.1986.

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de tous les Egyptiens », Hosni Moubarak a fait en sorte, selon eux, de se placer au-dessus des conflits : il a profité de la division des forces sociales et de leur faible niveau d’organisation pour se faire accepter de la plupart d’entre elles2284. Pour Friedel Trappen, représentant du directeur du département des relations internationales du Comité central du SED, la mort de Sadate a même eu des conséquences négatives pour le PCE, car l’atténuation des oppositions de classe a réduit la portée des slogans communistes parmi la masse des travailleurs2285.

Moscou n’est pourtant pas insensible aux actes de conciliation du nouveau président égyptien : le journal Pravda, organe officiel du PCUS, souligne le changement d’atmosphère politique dans le pays après la prise de fonction de Hosni Moubarak2286. Malgré quelques épisodes de persécution isolés, les communistes égyptiens disposent désormais d’une certaine marge d’action. En réalité, la neutralisation de l’opposition politique au début des années 1980, grâce à l’intégration relative des partis légaux dans le jeu parlementaire, contribue à affaiblir le PCE. Le parti est toujours clandestin mais l’identité des leaders et des militants n’est en aucun cas un secret pour le régime2287. Surtout, le PCE a d’autant moins de visibilité dans l’arène politique égyptienne que le PRNPU, vitrine légale de la gauche, devient son principal rival. b) La double affiliation PCE/PRNPU : accès à la sphère institutionnelle ou compromission idéologique ?

Dans les années 1970-1980, les communistes égyptiens sont confrontés à un dilemme qu’ils ne parviennent pas à résoudre, celui de savoir s’ils doivent conduire leur combat de l’intérieur ou de l’extérieur du système institutionnel2288. La création du PRNPU, en 1976, dans le cadre de la mise en place du multipartisme instauré par Sadate, consacre le choix fait par toute une partie de la gauche égyptienne de s’insérer dans le système parlementaire. Le PRNPU, qui se veut « parti et coalition à la fois »2289, soutient le principe de la double affiliation PCE/PRNPU, estimant que seule l’intégration du PCE au parti de gauche légal lui

2284 Ibid. 2285 SAPMO-BArch, DY 30/ 13 667, op.cit., Note. Le 15 avril 1983, Friedel Trappen, représentant du directeur du département des relations internationales du Comité central du SED, reçoit le membre du Bureau politique du PCE, Michel Kamel, Abt. Int. Verbindungen, Berlin, 16.4.1983. 2286 KAMINSKY, Catherine, KRUK, Simon, La stratégie soviétique…, op.cit., p. 58. 2287 VASSILIEV, Alexei, Russian Policy in the Middle East…, op.cit., p. 170. 2288 AMIN, Samir, « Le communisme égyptien… », op.cit., p. 169. 2289 SAPMO-BArch, DY 30/ 13 670, op.cit., Vermerk über ein Gespräch mit Mohamed Said Ahmed, Mitglied des Generalsekretariats der VNPP (« links »), am 17.1.1981, Botschaft der DDR in der AR Ägypten, Kairo, 19.1.1981.

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permettra d’avoir accès à la sphère politique institutionnelle. Rifaat el-Saïd, secrétaire général du PRNPU, assume ainsi également la direction du PCE en Egypte, mouvement pourtant toujours clandestin. A l’inverse, Michel Kamel, le représentant des communistes exilés à l’étranger, est partisan d’une ligne idéologique stricte et refuse le principe de la fusion. Il dénonce les « idéologies aventureuses […] étrangères au marxisme-léninisme […] qui se sont infiltrées dans les rangs du mouvement communiste »2290, sans parvenir toutefois à briser le monopole de la représentation des forces progressistes égyptiennes que s’est arrogé le PRNPU. En 1985, le PCE compte environ 500 adhérents2291. Son Comité central est constitué de 28 membres, dont 7 occupent également des fonctions dirigeantes au sein du PRNPU, qui regroupe, quant à lui, 175 000 militants2292.

Les divergences s’accentuent au cours des années 1980 entre ceux qui s’appellent mutuellement les « dogmatiques » et les « opportunistes »2293. Les militants de gauche s’affrontent par pamphlets interposés, où se mêlent violence verbale et luttes de pouvoir. Le groupe de Michel Kamel impute la crise du PCE aux « tentatives de subversion » initiées par les « forces destructrices » de l’intérieur du parti, qui tentent d’en faire une « annexe de la bourgeoisie dominante »2294. La minorité marxiste déplore une opposition tenace, au sein du PCE, entre un courant marxiste-léniniste attaché à son indépendance vis-à-vis des partis non prolétariens et un « courant réformiste de droite », disposé à se contenter du champ d’action politique que les détenteurs du pouvoir veulent bien lui octroyer2295. Selon elle, un véritable « plan de liquidation » du PCE est à l’œuvre, qui vise à assurer la « fusion définitive du parti avec le PRNPU » et à en faire une « simple enseigne - sans contenu de classe ni action révolutionnaire »2296. Les militants comme Michel Kamel ou Nabil Yacoub, qui se disent « cadres révolutionnaires », considèrent que la politique d’alliance du PRNPU avec les partis

2290 SAPMO-BArch, DY 30/ 13 666, op.cit., Rapport sur la question de l’unité, d’après les documents de la Conférence générale du PCE, septembre 1980. 2291 SAPMO-BArch, DY 30/ 13 667, op.cit., Information sur des conversations entre le camarade Friedel Trappen, représentant du directeur du département des relations internationales du Comité central du SED, et des représentants du PCE, Berlin, 21.2.1986. 2292 Ibid. 2293 SAPMO-BArch, DY 30/ 13 666, op.cit., Opinions sur la discussion à propos de la situation du PCE, 6.9.1985. 2294 SAPMO-BArch, DY 30/ 13 669, op.cit., Fascicule du PCE de Michel Kamel, avril 1989, « La lutte pour un parti communiste véritablement indépendant et efficace – la mission décisive ». 2295 Ibid. 2296 Ibid.

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bourgeois s’apparente à une « altération de la théorie marxiste-léniniste »2297. Ils accusent le courant de Rifaat el-Saïd de mener une « croisade » contre les marxistes, de renoncer aux outils de la lutte révolutionnaire et de s’enthousiasmer pour les méthodes de l’activité légale : « les forces destructrices veulent un parti social réformiste, qui se satisfait de réformes partielles »2298. Eux sont d’avis, au contraire, que le maintien de l’illégalité est nécessaire à la conduite de la révolution sociale. Dans ces conditions, ils refusent catégoriquement que le PRNPU soit « la façade officielle » du PCE2299.

Les partisans de la double affiliation PCE/PRNPU, comme Rifaat el-Saïd, estiment de leur côté que seuls des liens étroits entre les deux partis peuvent permettre au PCE d’accroître sa visibilité parmi la population égyptienne, de recruter de nouveaux membres et d’arracher au gouvernement quelques concessions en faveur des travailleurs2300. Ils soulignent l’indépendance du PCE, qui dispose de sa propre structure d’organisation. Rifaat el-Saïd pointe en revanche le danger qui consisterait à transformer le PRNPU en un parti marxiste-léniniste : ce dernier, véritable « bassin collecteur »2301 de forces progressistes à la fois marxistes, nassériennes, nationalistes et religieuses, prône plutôt la coopération entre les différents courants, afin de ne pas s’isoler des masses2302. Les dirigeants du PRNPU reconnaissent pourtant qu’ils ont eux-mêmes hésité quant à la ligne politico-idéologique que devait adopter leur parti : au moment de sa création, alors que le PRNPU se divise sur le fait de savoir s’il doit prendre la forme d’un parti marxiste ou d’un parti progressiste au recrutement plus large, il s’inspire du modèle du Front National (Nationale Front) de la RDA2303. En Allemagne de l’Est, cette coalition regroupe tous les partis et organisations de masse autorisés, sous la direction du SED. Selon Rifaat el-Saïd, le PRNPU, qui se pense

2297 Ibid. 2298 Ibid. 2299 SAPMO-BArch, DY 30/ 13 669, op.cit., Vermerk über ein Gespräch zwischen Peter Bathke und kommunistischen Ägyptischer, Abt. Int. Verbindungen, Berlin, 18.7.1989. 2300 SAPMO-BArch, DY 30/ 13 667, op.cit., Information sur des conversations entre le camarade Friedel Trappen, représentant du directeur du département des relations internationales du Comité central du SED, et des représentants du PCE, Berlin, 21.2.1986. 2301 SAPMO-BArch, DY 30/ 14 044, op.cit., La situation en matière de politique intérieure et la politique de l’Egypte dans la première moitié de l’année 1986, Botschaft der DDR in der AR Ägypten, Kairo, 1.6.1986. 2302SAPMO-BArch, DY 30/ 13 667, op.cit., Information sur des conversations entre le camarade Friedel Trappen, représentant du directeur du département des relations internationales du Comité central du SED, et des représentants du PCE, Berlin, 21.2.1986. 2303 SAPMO-BArch, DY 30/ 13 667, op.cit., Vermerk über ein Gespräch des Präsidents des Sekretariats des Nationalrats der Nationalen Front der DDR, Werner Kirchhoff, mit dem Generalsekretär der VNPP Ägyptens, Dr. Rifaat el-Saïd, den 7.4.1983, Abt. Internationale Verbindungen, Berlin, 11.4.1983.

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davantage comme un « front » que comme un « parti », reprend à son compte ce type de rassemblement, afin « d’offrir à toutes les forces progressistes (musulmans et chrétiens, communistes et nationalistes, travailleurs et paysans), l’occasion de lutter dans ses rangs »2304. Enfin, la direction du PRNPU assume clairement une ligne légaliste : selon Ismaïl Sabri Abdallah, « la politique est l’art des vrais compromis »2305. Le président Hosni Moubarak est ainsi désigné comme un « représentant typique des couches moyennes égyptiennes », qui a besoin de soutien et qu’il est injustifié de combattre frontalement2306.

Les dissensions internes à la gauche égyptienne s’approfondissent à partir du second congrès du PCE, à la fin de l’année 1984. Le courant marxiste accuse les défenseurs de la double affiliation de confisquer la direction du PCE et d’exclure certains membres du parti des discussions2307. Le PCE est en réalité si divisé que la « question de l’unité »2308 paraît presque impossible à résoudre. Les militants de l’étranger se rassemblent au sein d’une section nommée « Danshoui », qui est elle-même subdivisée en plusieurs départements, dont les noms de code varient selon les pays au sein desquels ils sont actifs. Le département du PCE de RDA se nomme ainsi « Ibn Rashid » : l’un de ses représentants est Nabil Yacoub, à Dresde. La coordination entre les sections de l’étranger fait l’objet d’une correspondance interne, qui vise à consolider la discipline de parti2309. En 1984, certains cadres dirigeants de la section « Danshoui » sont destitués de leurs fonctions2310. La revue que Michel Kamel anime depuis Paris, al-Yasar al-‘Arabi2311, est interdite par la direction de l’intérieur2312. En 1985, Khaled Mohieddine et Rifaat el-Saïd demandent aux membres dirigeants du PCE qui

2304 Ibid. 2305 SAPMO-BArch, DY 30/ 13 671, op.cit., Information über ein Gespräch mit Dr. Ismaïl Sabri Abdalla, Leiter des « Third World Forum », am 2.2.1986 , Botschaft der DDR in der AR Ägypten, 3.2.1986. 2306 Ibid. 2307 SAPMO-BArch, DY 30/ 13 669, op.cit., Fascicule du PCE de Michel Kamel, avril 1989, « La lutte pour un parti communiste véritablement indépendant et efficace – la mission décisive ». 2308 SAPMO-BArch, DY 30/ 13 666, op.cit., Rapport sur la question de l’unité, d’après les documents de la Conférence générale du PCE, septembre 1980. 2309 IISH, Michel Kamel Papers, 2nd general conference of the CPE, N° 129: Foreign Sections. Internal letter on the meeting of the leading Committee, foreign sections, 1986. 2310 SAPMO-BArch, DY 30/ 13 669, op.cit., Fascicule du PCE de Michel Kamel, avril 1989, « La lutte pour un parti communiste véritablement indépendant et efficace – la mission décisive ». 2311 La Gauche arabe. Ce journal, animé par Michel Kamel, est d’abord publié à Beyrouth, puis à Paris. Voir : MONCIAUD, Didier, « Le fonds Moyen-Orient… », op.cit., p. 5. 2312 SAPMO-BArch, DY 30/ 13 669, op.cit., Fascicule du PCE de Michel Kamel, avril 1989, « La lutte pour un parti communiste véritablement indépendant et efficace – la mission décisive ».

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ont passé plus de dix ans à l’étranger de rentrer en Egypte2313. Ils leur reprochent de délaisser les problèmes internes de l’Egypte au profit de questions internationales, comme celle de la défense des droits nationaux des Palestiniens2314. Or, selon Michel Kamel, il est nécessaire que le PCE entretienne des représentations à l’étranger, à la fois dans les pays occidentaux et socialistes, afin de développer les relations internationales du parti2315. Il défend donc le maintien de sa présence à Paris, de même que celle de Youssef Darwish à Prague ou de Nabil Yacoub à Dresde. En 1987 et 1988, d’autres suspensions ont lieu, qui visent les leaders des différentes sections de l’étranger : ces derniers sont accusés de passer trop de temps hors d’Egypte et de mener des activités à caractère scissionniste2316.

En 1988, Michel Kamel est provisoirement exclu du Bureau politique et du Comité central du PCE, après avoir publié un article critiquant la double affiliation PCE/PRNPU dans le journal al-Nida2317. Selon les militants de la section « Danshoui », une telle décision trahit la volonté des dirigeants du PRNPU de rassurer le gouvernement égyptien : en faisant taire les voix séditieuses qui s’expriment à l’étranger, Rifaat el-Saïd veut montrer que le PCE n’outrepasse pas le champ d’action que le régime accepte de lui concéder2318. Il espère ainsi obtenir, à terme, la légalisation du parti, même si celle-ci semble compromise en raison des réticences de l’Arabie Saoudite et des groupes islamistes égyptiens.

Les deux camps, apparemment irréconciliables, tentent l’un et l’autre de convaincre leurs interlocuteurs socialistes du bien-fondé de leur position et de s’assurer du soutien des partis communistes internationaux. En février 1986, Nabil Yacoub, membre du PCE et partisan de l’indépendance du parti, est reçu par le Comité central du SED, à Berlin2319. Trois jours plus tard, c’est au tour de Rifaat el-Saïd, également membre du PCE et secrétaire

2313 SAPMO-BArch, DY 30/ 13 671, op.cit., Vermerk über ein Gespräch mit Dr. Fattah Haikal, den 4.5.1985, Botschaft der DDR in Aden, Volksdemokratische Republik Jemen, 6.5.1985. 2314 Ibid. 2315 SAPMO-BArch, DY 30/ 13 667, op.cit., Vermerk über ein Gespräch zwischen Friedel Trappen und Michel Kamel, Mitglied des Politbüros des ZK der ÄKP, am 1.4.1985, im ZK der SED, Abt. Int. Verbindungen, Berlin, 3.4.1985. 2316 SAPMO-BArch, DY 30/ 13 669, op.cit., Fascicule du PCE de Michel Kamel, avril 1989, « La lutte pour un parti communiste véritablement indépendant et efficace – la mission décisive ». 2317 SAPMO-BArch, DY 30/ 13 671, op.cit., Exposé de Nabil Yacoub sur la situation actuelle au sein du PCE, mars 1988. 2318 SAPMO-BArch, DY 30/ 13 669, op.cit., Fascicule du PCE de Michel Kamel, avril 1989, « La lutte pour un parti communiste véritablement indépendant et efficace – la mission décisive ». 2319 SAPMO-BArch, DY 30/ 13 667, op.cit., Information sur des conversations entre le camarade Friedel Trappen, représentant du directeur du département des relations internationales du Comité central du SED, et des représentants du PCE, Berlin, 21.2.1986.

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général du PRNPU, de s’entretenir avec les mêmes fonctionnaires est-allemands2320. Friedel Trappen, représentant du directeur du département des relations internationales du Comité central du SED, réalise la synthèse de ces deux conversations, dans un certain souci d’équilibre : tout en se méfiant du discours de Rifaat el-Saïd, qui présente la liaison étroite entre le PCE et le PRNPU comme faisant l’objet d’une large approbation de la part des membres du PCE, il souligne l’importance de maintenir des contacts avec les « personnalités expérimentées » du PRNPU2321. D’ailleurs, le SED ne dissimule pas son intention de développer des « relations amicales » avec le PRNPU : en 1986, les deux partis envisagent même de mettre en place une coopération politique et technique entre leurs organes de presse respectifs, al-Ahali2322 et Neues Deutschland2323. En réalité, face aux déchirements internes de la gauche égyptienne, la RDA n’adopte pas de position claire : elle approuve le fait que le PRNPU représente une plate-forme d’action légale pour les communistes égyptiens mais considère que ce parti « petit-bourgeois réformiste » ne peut remplacer pour autant un « parti marxiste-léniniste de la classe des travailleurs égyptiens »2324. Le choix d’un interlocuteur légitime en Egypte pose la question plus large des objectifs que le SED attribue à son action internationale : les relations extérieures du parti est-allemand ont-elles une vocation naturelle à l’ « exportation idéologique »2325 ou sont-elles le simple instrument de sa politique étrangère ?

2320 Ibid. 2321 Ibid. 2322 Al-Ahali est l’organe de presse du PRNPU : revue hebdomadaire, elle est tirée chaque semaine à 120 000 exemplaires en Egypte. 10 000 exemplaires supplémentaires paraissent dans les autres Etats arabes. Voir : SAPMO-BArch, DY 30/ 13 667, op.cit., Vermerk über ein Gespräch zwischen Genossen Werner Jarowinski, Mitglied des Politbüros und Sekretär des ZK der SED und Genossen Khaled Mohieddine, Generalsekretär der VNPP, am 21.4.1986, im Gebäude der ZK der SED, Berlin, 23.4.1986. 2323 SAPMO-BArch, DY 30/ 13 667, op.cit., Vermerk über ein Gespräch zwischen Genossen Werner Jarowinski, Mitglied des Politbüros und Sekretär des ZK der SED und Genossen Khaled Mohieddine, Generalsekretär der VNPP, am 21.4.1986, im Gebäude der ZK der SED, Berlin, 23.4.1986. 2324 SAPMO-BArch, DY 30/ 13 667, op.cit., Information sur des conversations entre le camarade Friedel Trappen, représentant du directeur du département des relations internationales du Comité central du SED, et des représentants du PCE, Berlin, 21.2.1986. 2325 KUPPE, Johannes L., « Die Parteiaussenpolitik der SED gegenüber Staaten „Sozialistischer Orientierung“ in Afrika», in: BASKE, Siegfried, ZIEGER, Gottfried (dir.), Die Dritte Welt und die beiden Staaten in Deutschland, Jahrbuch 1982, Stuttgart, Ed. Meyn, 1983, p. 111.

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B. Le choix d’un interlocuteur légitime pour le SED : orthodoxie idéologique ou raison d’Etat ?

La politique étrangère de la RDA s’exprime avant tout à travers les liens établis avec les partis communistes et progressistes du monde entier2326. Les relations entre le parti socialiste unifié est-allemand et les partis étrangers relèvent de la compétence du département des relations internationales du Comité central du SED (Abteilung Internationale Verbindungen beim Zentralkomitee), également appelé département IV. Celui-ci est successivement dirigé par Paul Markowski de 1966 à 1978, par Egon Winkelmann de 1978 à 1980 puis par Günter Sieber jusqu’en 19892327. Hermann Axen, secrétaire chargé des relations internationales au sein du Comité central du SED, supervise quant à lui le travail du département2328.

Ce dernier travaille en liaison étroite avec le ministère est-allemand des Affaires étrangères : un certain nombre de ses collaborateurs provient d’ailleurs du service diplomatique2329. C’est le département IV qui a cependant la plus grande influence dans les décisions de politique étrangère. A l’exception des relations avec les partis ouest-allemands, il organise les contacts du SED avec 140 partis du monde entier, prépare les consultations entre Erich Honecker et les secrétaires généraux des partis frères et prend en charge les échanges mutuels de délégations politiques2330. Il ne cultive pas seulement des liens avec les autres partis communistes mais également avec « la parentèle plus lointaine des cousins que forment les partis progressistes au pouvoir dans des Etats jugés proches de la communauté socialiste ou luttant pour accéder à ce pouvoir »2331. Il importe dès lors de nuancer la mission dévolue par le SED aux relations de partis : à partir du moment où celles-ci se déploient également en direction de partis non communistes, elles ne peuvent pas se concevoir uniquement comme un vecteur d’exportation de l’idéologie marxiste-léniniste à l’étranger. Dès le début des années 1980, Johannes L. Kuppe souligne d’ailleurs qu’une telle vision de la politique étrangère est-allemande est erronée, car elle suppose que le SED parvienne à créer un « parti frère », susceptible de s’approprier complètement les mots d’ordre socialistes2332. En réalité, les

2326 JARDIN, Pierre, « Nouvelles archives, nouvelle histoire ?... », op.cit., p. 145. 2327 SIEBS, Benno-Eide, Die Aussenpolitik…, op.cit., p. 94. 2328 Ibid., p. 96. 2329 Ibid., p. 94. 2330 Ibid., p. 95. 2331 JARDIN, Pierre, « Nouvelles archives, nouvelle histoire ?... », op.cit., p. 139. 2332 KUPPE, Johannes L., « Die Parteiaussenpolitik der SED…», op.cit., p. 111 et p. 118.

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relations du SED avec les partis progressistes étrangers prennent souvent la forme d’une aide à la formation des cadres, qui contribue au contraire à renforcer le caractère nationaliste des différentes formes d’organisations sociales en consolidant leur capacité de résistance et leur désir de souveraineté2333. De fait, en Egypte, les acteurs est-allemands abordent la question des relations de parti avec un certain pragmatisme, puisqu’ils maintiennent des contacts avec les partis légaux aussi bien qu’avec les forces extra-parlementaires illégales2334. Entre 1969 et 1989, le SED développe donc à la fois des liens avec le régime égyptien, par l’intermédiaire de l’USA puis du Parti national démocratique2335, et avec l’opposition de gauche légale2336 ou clandestine2337.

1. L’institutionnalisation des liens entre le SED et l’Union Socialiste Arabe : une parenté idéologique entre les deux partenaires ?

Au début des années 1970, du point de vue de la RDA, il n’existe pas seulement une communauté d’intérêts, mais une véritable parenté idéologique entre l’USA et le SED. C’est ce qui doit permettre, selon Berlin-Est, de transformer l’organisation égyptienne en parti marxiste-léniniste, bien que cette dernière se considère davantage « à mi-chemin entre l’organisation de masse et le parti »2338. Un certain nombre des interlocuteurs égyptiens de la RDA semblent en outre partager cet objectif. En mai 1970, Taher Abdel Hakim, journaliste égyptien, rédacteur de la rubrique « politique étrangère » du journal al-Goumhouria, informe l’ambassade est-allemande au Caire que le ministre de l’Intérieur, Sharaawy Gomaa, a convoqué des représentants du mouvement marxiste égyptien dans le but de « créer un large front unitaire réunissant toutes les forces anti-américaines en République arabe unie »2339. En

2333 Ibid., p. 120. 2334 L’étude de ces relations a fait l’objet de l’article suivant : REGNAULD, Amélie, « Le SED et les gauches égyptiennes, 1969-1989 : entre idéologie et pragmatisme », in : Les Cahiers Irice, 2013/1, n° 10, p. 39-54. 2335 L’USA est dissoute en 1978 après la mise en place du multipartisme. Sadate crée alors le Parti national démocratique (PND). Voir infra, p. 463-464. 2336 Représentée par le PRNPU à partir de 1976. 2337 Représentée par le PCE. 2338 « Was die innere Organisation anbetreffe, müsse man einschätzen, daß die ASU eine Zwischenlösung zwischen einer Massenorganisation und einer Partei sei ». MfAA, L 187, C 1775, op.cit., Aktenvermerk über eine Unterredung des Kandidaten des Politbüros und Sekretärs des ZK der SED, Genossen Werner Lamberz, mit dem Sekretär für Organisationsfragen des ZK der ASU, Stellvertreter des Ministerpräsidenten und Innenminister der VAR, Shaarawi Gomaa, am 27.3.1971 in der Zeit von 19.00 bis 20.40 Uhr. Botschaft der DDR in der VAR, Kairo, den 29.3.1971, p. 18. 2339 « Eine breite Einheitsfront aller antiamerikanischen Kräfte in der VAR zu schaffen ». MfAA, L 187, C 641/73, op.cit., Vermerk über ein Gespräch mit Taher Abdel Hakim, Außenpolitischer Redakteur von « Al Goumhouriya », am 25.5.1970, Botschaft der DDR in der VAR, Kairo, am 25.5.1970, p. 5.

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mars 1971, le même Sharaawy Gomaa, alors secrétaire pour les questions d’organisation du Comité central de l’USA, assure que le devoir qui incombe à un tel rassemblement politique est « de conduire la révolution nationale et de lutter contre l’impérialisme »2340.

Au cours de la période qui suit la mise en place des relations diplomatiques officielles entre Berlin-Est et le Caire, les diplomates est-allemands sont par conséquent relativement optimistes quant à l’évolution future des contacts entre le SED et l’USA :

« Le comportement d’une partie de la direction de l’USA à l’égard du marxisme-léninisme s’est amélioré. L’anticommunisme a été combattu. […] L’USA a reconnu officiellement le léninisme comme la "théorie mondiale révolutionnaire" de notre époque et a accepté le fait que cette doctrine apporte des impulsions et des exemples [utiles] à l’approfondissement de sa propre révolution. Après des années d’interdiction de toute forme du marxisme-léninisme (1952- 1960/1961), après des années de patience […], la pénétration du socialisme scientifique est de plus en plus importante »2341.

Cet enthousiasme apparent s’exprime au plus haut sommet de l’Etat : en janvier 1972, Erich Honecker écrit à Saïd Marei pour le féliciter de son élection au poste de premier secrétaire du Comité central de l’USA : il lui fait part de sa volonté d’œuvrer à la « coopération fraternelle » entre l’USA et le SED2342. Saïd Marei s’emploie de son côté à entretenir l’image progressiste de l’USA auprès de ses interlocuteurs socialistes. Reçu par Erich Honecker lors d’un séjour à Berlin, en mars 1973, il assure que « l’USA se considère elle-même comme une force de gauche, qui a des relations étroites avec beaucoup de partis communistes et socialistes dans le monde »2343. En RDA, le quotidien Neues Deutschland reproduit régulièrement les télégrammes échangés entre les dirigeants du SED et de l’USA et se fait l’écho des visites mutuelles de leurs délégations2344.

2340 Ibid. 2341 « Das Verhältnis eines Teiles der Führung der ASU zum Marx. Len. Hat sich –bei weiterhin vorhandenen Vorbehalten- verbessert. Der Antikommunismus wurde weiter abgebaut. Aufgrund eigener Erfahrungen und der Veränderung des Kräfteverhältnisses erkennt die ASU-Führung offiziell den Leninismus als eine der « revolutionären Welttheorien » unserer Zeit an und akzeptiert, daß diese Lehre auch für die Vertiefung der eigenen Revolution Anregungen und Beispiele bietet. Nach Jahren des Verbotes jeder Art marx.-len.- Propaganda (1952-1960/61), nach den sich anschließenden Jahren der eingschränkten Duldung ausgewählten Gedankengutes des wissenschaftlichen Sozialismus bedeutet die mit den Lenin-Feierlichkeiten regierungs- und ASU-offizielle Propagierung wichtiger Teile des wissenschaftlichen Sozialismus einen wichtigen Schritt vorwärts ». MfAA, L 187, C 1111/75 – 1117/75, op.cit., Informationsbericht 10/70, Zu den Feierlichkeiten und Aktivitäten anlässlich der 100. Wiederkehr des Geburtstages von W.I. Lenin in der VAR (Endesfelder, Konschel). Botschaft der DDR in der VAR, Kairo, am 1.6.1970, p. 6-7. 2342 SAPMO-BArch, DY 30/ IV B 2-20 344, op.cit., Lettre de Erich Honecker, premier secrétaire du Comité central du SED, à Saïd Marei, premier secrétaire du Comité central de l’USA, Berlin, 17.1.1972. 2343 SAPMO-BArch, DY 30/ IV B 2-20 345, op.cit., Rapport sur le séjour en RDA d’une délégation du Comité central de l’USA, sous la direction du premier secrétaire du Comité central, Sayed Marei, Berlin, 21 mars 1973. 2344 SAPMO-BArch, DY 30/ 9350, op.cit. : la cote rassemble les échanges de vœux entre les dirigeants du SED et de l’USA, qui sont presque systématiquement reproduits dans Neues Deutschland.

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Au début des années 1970, il apparaît clairement que ni le SED, ni l’USA, n’ont intérêt à s’attarder sur ce qui les oppose : bien au contraire, soucieuses de développer les relations politiques entre leurs Etats respectifs, les deux organisations préfèrent « se concentrer sur les points positifs »2345 de la coopération bilatérale. Le travail de Frank Müller montre d’ailleurs qu’à cette époque, les contacts politiques se fondent sur un véritable terreau politico-idéologique commun : l’auteur rappelle ainsi que les régimes est-allemand et égyptien ont connu un développement parallèle, se rejoignant en partie sous la bannière du socialisme2346. Les deux systèmes politiques attribuent un rôle central à l’appareil d’Etat et de sécurité, entrent en confrontation directe avec l’ « impérialisme » et procèdent à une forte militarisation à l’intérieur de leurs territoires nationaux respectifs. L’USA comme le SED sont des organisations politiques exclusives, fortement centralisées et hiérarchisées. Les deux régimes mettent en avant la représentation des travailleurs et des paysans dans les institutions étatiques. Le 1er mai 1971, le quotidien Le Progrès égyptien publie ainsi une annonce célébrant l’union des travailleurs du secteur industriel autour du président Sadate :

2345 SAPMO-BArch, DY 30/ IV B 2-20 344, op.cit., Note sur une conversation entre Hermann Axen, membre du Bureau politique et secrétaire du Comité central du SED et Ahmed Kamel Abul Magd, membre du secrétariat général de l’USA de RAU et premier secrétaire de l’organisation de jeunesse de l’USA, le 7 juin 1972, au Comité central du SED, département des relations internationale, Berlin, 15.6.1972. 2346 Voir: MÜLLER, Frank, « Ägypten und DDR…», op.cit.

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Illustration 9 : Annonce publiée par le secteur de l’industrie, du pétrole et des ressources minières, à l’occasion de la fête du travail, 1er mai 19712347

2347 Source : Le Progrès égyptien, samedi 1er mai 1971, p. 4.

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Enfin, les syndicats et les organisations de masse sont considérés comme des organes soutenant le pouvoir et contribuant à la formation idéologique des populations. Frank Müller estime que ces similitudes s’expliquent en réalité par un projet commun, intimement lié au problème de la démocratie : « dans les deux pays, on entreprend une mission finalement impossible : faire quelque chose pour le "peuple", sans faire participer la population à une prise de conscience démocratique »2348.

L’institutionnalisation des liens entre le SED et l’USA dès juillet 19702349 permet à Berlin-Est de développer d’emblée ses relations politiques avec l’Egypte au niveau gouvernemental. A partir du mois d’août 1969, les deux organisations procèdent chaque année à un échange mutuel de délégations2350. En mai 1971, l’élimination par Sadate de l’aile gauche de son gouvernement2351 conduit à l’interruption momentanée des relations, qui reprennent néanmoins dès le mois d’octobre suivant2352. En janvier 1974, une nouvelle convention sur la coopération entre le SED et l’USA est signée par Paul Markowski, directeur du département des relations internationales du Comité central du SED, et Mohamed Idris, directeur du département des pays socialistes au secrétariat de l’USA2353. Dans le cadre de cette convention, les deux parties reçoivent des délégations syndicales et d’associations de jeunesse, organisent des échanges d’expériences dans les domaines de l’information et de l’idéologie2354 et participent aux festivités officielles organisées par le partenaire2355. Enfin, le parti est-allemand, fort de son expérience du « centralisme démocratique »2356, aide l’USA à

2348 MÜLLER, Frank, « Ägypten und DDR…», op.cit., p. 22. 2349 En juillet 1970 a lieu la signature de la première « convention pour la consolidation de l’amitié et de la coopération entre l’USA et le SED », MfAA, C 1641/76, op.cit., Überblick über die Entwicklung der Beziehungen zwischen der DDR und der Arabischen Republik Ägypten, Abt. Arabische Staaten, Berlin, Januar 1972. 2350 SAPMO-BArch, DY 30/ IV B 2-20 345, op.cit., A propos du développement des relations entre le SED et l’USA, jusqu’en 1975. 2351 Voir supra, partie I, chapitre 3, p. 137-141. 2352 MfAA, L 187, C 1120/75 : Abt. Naher u. Mittlerer Osten. Sektor Ägypten, Sudan, Libyen. Delegationsaustausch zwischen der DDR und Ägypten. 1970-1971. Bericht über den Besuch einer Delegation in der Arabischen Republik Ägypten (11. Bis 16. Oktober 1971), Deutsche Demokratische Republik, Büro des Ministerrates, 8.11.1971. 2353 SAPMO-BArch, DY 30/ IV B 2-20 345, op.cit., Convention sur la coopération entre le SED de RDA et l’USA de RAE, paraphée le 23 janvier 1974. 2354 SAPMO-BArch, DY 30/ IV B 2-20 345, op.cit., Programme de travail pour la convention sur la coopération entre l’USA et le SED, pour l’année 1974/1975, articles 6 et 7, signé à Berlin le 23 janvier 1974, deux originaux, en allemand et en arabe. 2355 SAPMO-BArch, DY 30/ 432 : Büro Margarete Müller. Sitzungen des Politbüros und des Sekretariats des ZK. Beziehungen mit Ägypten. Bd. 5 : 1973. Projet. Convention sur la coopération entre le SED et l’USA (RAE) pour les années 1974-1975.

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consolider son implantation parmi les masses, en développant la coopération à l’échelle des districts égyptiens2357. En effet, l’USA, qui compte 5 à 6 millions de membres, est constituée d’environ 7500 organisations réparties sur tout le territoire égyptien et rassemblées au sein des gouvernorats, eux-mêmes dirigés par des secrétaires2358. L’Union Socialiste Arabe parvient ainsi à assurer sa présence à l’échelon local, notamment au sein des entreprises. De ce point de vue, le fonctionnement extrêmement hiérarchisé du SED, qui garantit l’encadrement des travailleurs au sein des entreprises est-allemandes, par le biais des groupes de parti (Parteigruppe)2359, peut véritablement faire figure de modèle d’organisation pour les fonctionnaires de l’USA.

Les espoirs que la RDA place en l’USA sont cependant rapidement freinés par les représentants égyptiens. Le refroidissement progressif des relations entre le régime de Sadate et les Etats socialistes à partir de mai 1971 puis de juillet 19722360, n’explique pas à lui seul la prise de distance qui s’opère entre les deux organisations politiques. Dès lors que la coopération bilatérale revêt des bases institutionnelles solides, l’emploi d’une terminologie commune destinée à fonder les relations étatiques sur des principes idéologiques partagés semble tout simplement moins nécessaire. Les dirigeants de l’USA entendent ainsi concilier le maintien de la coopération avec le SED et la préservation de ce qu’ils considèrent comme les spécificités nationales de leur système politique. En juin 1972, au cours d’un séjour en RDA, Ahmed Kamel Abul Magd, membre du secrétariat général de l’USA et premier secrétaire de l’organisation de jeunesse de l’Union, s’adresse de façon très explicite à ses interlocuteurs est-allemands : il insiste sur le fait que l’USA n’est nullement un parti marxiste-léniniste mais s’apparente plutôt au rassemblement de toutes les forces progressistes du pays2361. En février 1974, le premier secrétaire du Comité central de l’USA, le Dr. Hafez Ghanem, va plus loin en assurant à G. Grüneberg, membre du Bureau politique de RDA, que

2356 SOLCHANY, Jean, L’Allemagne au XXème siècle, op.cit., p. 419. 2357 SAPMO-BArch, DY 30/ IV B 2-20 345, op.cit., Programme de travail pour la convention sur la coopération entre l’USA et le SED, pour l’année 1974/1975, articles 6 et 7, signé à Berlin le 23 janvier 1974, deux originaux, en allemand et en arabe. 2358 MfAA, L 187, C 1775, op.cit., Aktenvermerk über eine Unterredung des Kandidaten des Politbüros und Sekretärs des ZK der SED, Genossen Werner Lamberz, mit dem Sekretär für Organisationsfragen des ZK der ASU, Stellvertreter des Ministerpräsidenten und Innenminister der VAR, Shaarawi Gomaa, am 27.3.1971 in der Zeit von 19.00 bis 20.40 Uhr. Botschaft der DDR in der VAR, Kairo, den 29.3.1971. 2359 Sur l’encadrement politico-idéologique des travailleurs est-allemands en Egypte, organisé d’après le modèle en vigueur en RDA, voir supra, partie II, chapitre 6, p. 322-327. 2360 Voir supra, partie I, chapitre 3, p. 141-146. 2361 SAPMO-BArch, DY 30/ IV B 2-20 344, op.cit., Rapport sur le séjour en RDA de la délégation de la SYO de RAE, du 5 au 11 juin 1972.

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« l’USA ne croit pas au marxisme » et entend se laisser guider par sa propre expérience politique2362. De ce point de vue, les analyses de Johannes L. Kuppe se révèlent précieuses2363 : dès le début des années 1980, l’auteur soulignait à quel point le rôle des relations de parti du SED en Afrique avait été surestimé par les observateurs occidentaux2364. Il relativisait fortement l’influence idéologique des Etats socialistes dans le Tiers-monde et insistait sur la nécessaire adaptation de la politique étrangère est-allemande au terrain africain, estimant que cette dernière s’apparentait, à bien des égards, à une « politique d’intérêt classique »2365. Et de fait, les diplomates est-allemands pointent eux-mêmes les efforts entrepris par l’USA afin de « désidéologiser » ses relations avec le SED et de limiter l’influence est-allemande sur le développement socio-économique de l’Egypte2366. A partir de 1974-1975, les analyses est-allemandes se font néanmoins plus sévères : elles accusent l’USA de n’être qu’un instrument de la politique gouvernementale2367. Elles y voient une émanation du « socialisme petit-bourgeois […] enrobé de dogmes nationalistes et islamiques », qui tente de mettre en place des relations différenciées avec les Etats socialistes, en se rapprochant de la Yougoslavie et de la Roumanie, au détriment des contacts avec la Hongrie, la Bulgarie et la RDA2368.

Au milieu des années 1970, on peut dire que les liens entre le SED et l’USA sont parvenus à un point de non-retour. Au même moment, le parti communiste égyptien se reconstitue dans la clandestinité. Conformément au choix fait par Moscou de réviser sa politique à l’égard des partis communistes des pays en développement2369, Berlin-Est réoriente son action en Egypte en direction des forces non-étatiques de gauche, tout en maintenant sa coopération politique avec le régime.

2362 SAPMO-BArch, DY 30/ IV B 2-20 345, op.cit., Note. Le 13 février 1974, le camarade G. Grüneberg a été reçu par le premier secrétaire du Comité central de l’USA, le Dr. Hafez Ghanem, pour une conversation amicale d’une demi-heure, le Caire, 14.2.1974. 2363 Voir supra, p. 435. 2364 KUPPE, Johannes L., « Die Parteiaussenpolitik der SED…», op.cit., p. 121. 2365 Ibid. 2366 SAPMO-BArch, DY 30/ IV B 2-20 345, op.cit., A propos du développement des relations entre le SED et l’USA, jusqu’en 1975. 2367 SAPMO-BArch, DY 30/ IV B 2-20 345, op.cit., A propos des activités de l’USA en 1974, Département des relations internationales, Berlin, 27 janvier 1975. 2368 Sur la stratégie de « traitement différencié » des Etats socialistes par l’Egypte, voir supra, partie I, chapitre 3, p. 178-182. 2369 Voir supra, p. 427.

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2. Les relations entre le SED et les forces progressistes extra-parlementaires a) Le SED peut-il aider le PCE à restaurer son unité ?

De sa reconnaissance officielle par le Caire à sa disparition, le régime de Berlin-Est veille à entretenir des liens avec les forces politiques égyptiennes qu’elle considère comme « progressistes », même lorsque celles-ci sont illégales. Le vocable recouvre pourtant une réalité mouvante : jusqu’au début des années 1970, il a pu désigner tour à tour l’USA ou certains membres du gouvernement égyptien ; à partir de 1976, les acteurs est-allemands l’emploient aussi bien pour qualifier certains partis d’opposition légaux que les groupes marxistes clandestins. Selon les périodes et en fonction de ses intérêts, la RDA privilégie en effet des interlocuteurs spécifiques. Au cours des années 1980, Berlin-Est entreprend de consolider ses relations avec le PCE, sans lui donner pour autant la préséance : le maintien du parti dans l’illégalité amène au contraire la RDA à modérer l’appui qu’elle peut lui apporter2370.

Les communistes égyptiens sont pourtant soucieux de développer leurs liens avec les Etats socialistes. Dès juillet 1972, ils chargent le journaliste M. Kamal el-Kelish de nouer des contacts avec le Comité central du SED, à Berlin2371. Les Allemands de l’Est envisagent d’ailleurs assez rapidement de proposer des formations en RDA aux membres du PCE en cours de reconstitution2372. Après la refondation de leur parti, les militants égyptiens sollicitent régulièrement l’aide du PCUS et du SED. En avril 1983, Michel Kamel demande au parti socialiste est-allemand une assistance en matière de formation2373. En avril 1985, en pleine crise interne du PCE, il lui réclame des conseils susceptibles de restaurer l’unité d’action du parti, de consolider les positions marxistes-léninistes de ce dernier et d’intervenir

2370 Pour des raisons qui sont d’ailleurs évoquées par une partie des communistes égyptiens eux-mêmes : ces derniers redoutent que la publicité faite autour de la reconstitution du parti ne force l’URSS à devoir choisir entre le régime de Sadate et le PCE. Voir : BStU, MfS, Hauptverwaltung Aufklärung, Nr. 65, op.cit., Information sur la création d’un parti communiste en Egypte, 4.3.1974. Voir supra, p. 420. 2371 SAPMO-BArch, DY 30/ IV B 2-20 430, op.cit., Note sur une conversation avec le journaliste de al- Goumhouria, M. Kamal el-Kelish et Mme Haak, née Mewis (son interprète), au Comité central, le 18 juillet 1972, Berlin, 27.7.1972. 2372 SAPMO-BArch, DY 30/ IV B 2-20 430, op.cit., Conversation du collègue Lamprecht avec le collègue Ahmed Rifai, vice-président de l’Alliance syndicale égyptienne, le 8 juillet 1972, Berlin, 20.7.1972. 2373 SAPMO-BArch, DY 30/ 13 667, op.cit., Note. Le 15 avril 1983, Friedel Trappen, représentant du directeur du département des relations internationales du Comité central du SED, reçoit le membre du Bureau politique du PCE, Michel Kamel, Abt. Int. Verbindungen, Berlin, 16.4.1983.

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pour empêcher l’interdiction de la publication du journal al-Yasar-al-‘Arabi2374. En juillet 1989, Michel Kamel et ses camarades, Ahmed Nabil al-Hilali, Youssef Darwiche et Nabil Yacoub, profitent d’un séjour en RDA pour s’entretenir avec le département des relations internationales du Comité central du SED2375. Ils informent leurs interlocuteurs de leur volonté de constituer un parti communiste unifié mais indépendant, qui se distingue du PCE actuel (annexe 16): dans l’attente de la tenue du congrès de leur parti, ils disent avoir formé le « parti révolutionnaire du travail » (Hizb al-Amal al-Thawri)2376 et expriment leur souhait de poursuivre l’échange d’informations et d’expérience avec le SED2377.

En règle générale, les membres du SED admettent la nécessité de soutenir les militants communistes égyptiens. La ligne de conduite du parti est-allemand est cependant prudente : « le SED soutiendra toujours la lutte des forces progressistes d’Egypte - si cela est possible - »2378. L’analyse des sources de la RDA montre ainsi que selon les périodes considérées et la place des interlocuteurs est-allemands dans la hiérarchie administrative, la prise en compte des requêtes de leurs partenaires égyptiens varie nettement. En avril 1981 par exemple, Michel Kamel écrit à Günter Sieber, membre du Comité central du SED et directeur du département des relations internationales, pour l’informer de son regret de ne pas avoir été invité au 10ème congrès du parti du SED, auquel tous les partis communistes arabes ont pourtant été conviés2379. Sieber transmet sa requête à Hermann Axen, secrétaire chargé des questions internationales au Comité central, et propose, en guise de compensation, de lire un court extrait du message de salutations envoyé par le PCE au SED, lors du congrès du parti. La réponse de Hermann Axen est sans équivoque : « non, le camarade Honecker est contre »2380. Un tel décalage dans la perception que les acteurs est-allemands ont de la forme

2374 SAPMO-BArch, DY 30/ 13 667, op.cit., Vermerk über ein Gespräch zwischen Friedel Trappen und Michel Kamel, Mitglied des Politbüros des ZK der ÄKP, am 1.4.1985, im ZK der SED, Abt. Int. Verbindungen, Berlin, 3.4.1985. 2375 SAPMO-BArch, DY 30/ 13 669, op.cit., Vermerk über ein Gespräch zwischen Peter Bathke und kommunistischen Ägyptischer, Abt. Int. Verbindungen, Berlin, 18.7.1989. 2376 IISH, Communist Party of Egypt Collection, 1975, 1981-1987, 1996, PCE, N° 33 : PCE. Internal affairs. Pamphlet on the unification of the Communist movement in Egypt. 28 February 1988. In Arabic. 2377 SAPMO-BArch, DY 30/ 13 669, op.cit., Vermerk über ein Gespräch zwischen Peter Bathke und kommunistischen Ägyptischer, Abt. Int. Verbindungen, Berlin, 18.7.1989. 2378 SAPMO-BArch, DY 30/ 13 667, op.cit., Vermerk über ein Gespräch zwischen Genossen Werner Jarowinski, Mitglied des Politbüros und Sekretär des ZK der SED und Genossen Khaled Mohieddine, Generalsekretär der VNPP, am 21.4.1986, im Gebäude der ZK der SED, Berlin, 23.4.1986. 2379 SAPMO-BArch, DY 30/ 13 667, op.cit., Lettre de Michel Kamel, bureau politique du PCE au Comité central du SED, Prague, 9.4.1981. 2380 SAPMO-BArch, DY 30/ 13 667, op.cit., Information für den Genossen Axen, 13.4.1981.

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que doit prendre la coopération avec leurs camarades communistes peut s’expliquer, en partie, par le degré de proximité qu’ils entretiennent avec ces derniers : les diplomates qui travaillent régulièrement au contact des militants égyptiens sont certainement plus soucieux de répondre du soutien de Berlin-Est à leur égard que les fonctionnaires qui ne les côtoient pas directement. Certains acteurs est-allemands sont ainsi familiers des entretiens avec les militants de gauche égyptiens et apparaissent comme leurs interlocuteurs privilégiés. C’est le cas par exemple de Friedel Trappen, représentant du directeur du département des relations internationales au Comité central du SED de 1974 à 1986 et chargé spécifiquement des contacts avec l’Afrique, l’Asie et l’Amérique Latine2381. Au cours des années 1980, ce dernier reçoit régulièrement Rifaat el-Saïd et Michel Kamel, lors de leurs séjours à Berlin. Tout en soutenant explicitement le PRNPU, Friedel Trappen se montre conciliant à l’égard des revendications formulées par le PCE : il insiste notamment, dans ses comptes rendus, sur la nécessité d’aider les communistes égyptiens, de renforcer le travail de liaison avec ces derniers et la formation idéologique des cadres du parti2382. Il estime en effet que le soutien du SED doit permettre au PCE de préserver l’unité de son parti. Le fonctionnaire va même jusqu’à conseiller officieusement à son supérieur hiérarchique, Günter Sieber, de faire preuve de prudence à l’égard de Rifaat el-Saïd : ce dernier « n’est pas, à nos yeux, le représentant du PC […]. Le seul représentant du PC pour nous, [est] Michel Kamel […] »2383. Les acteurs est-allemands ne sont donc pas complètement indifférents à l’aspect idéologique des relations politiques que la RDA entretient avec les partis étrangers. En interne, ils s’interrogent sur l’ « aide [qui] pourrait être apportée par le SED afin d’obtenir l’unité du PCE »2384. Tous ne fournissent pas, néanmoins, les mêmes analyses quant à la nature des partis de gauche en Egypte : tandis que Friedel Trappen fait preuve d’une certaine méfiance à l’égard du PRNPU, Hans-Jürgen Weitz, ambassadeur de la RDA en Egypte de 1981 à 1985, vante dans les rapports qu’il écrit à Günter Sieber le « caractère démocratique » du parti de gauche légal2385.

2381 DÖRING, Hans-Joachim, « Es geht um unsere Existenz »: die Politik des DDR gegenüber der Dritten Welt am Beispiel von Mosambik und Äthiopien, Berlin, Links, 1999, p. 280 (interview avec Friedel Trappen). 2382 SAPMO-BArch, DY 30/ 13 667, op.cit., Vermerk über ein Gespräch zwischen Friedel Trappen und Michel Kamel, Mitglied des Politbüros des ZK der ÄKP, am 1.4.1985, im ZK der SED, Abt. Int. Verbindungen, Berlin, 3.4.1985. 2383 SAPMO-BArch, DY 30/ 13 671, op.cit., Mot isolé de Friedel Trappen à Günter Sieber, 20.9.1984. 2384 SAPMO-BArch, DY 30/ 13 666, op.cit., Opinions sur la discussion à propos de la situation du PCE, 6.9.1985. 2385 SAPMO-BArch, DY 30/ 13 671, op.cit., Lettre de Hans-Jürgen Weitz, ambassadeur de RDA en RAE, à Günter Sieber, directeur du département des relations internationales du Comité central du SED, le Caire, 8.7.1985.

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Au cours des années 1980, les relations entre le SED et le PCE ont ainsi plutôt tendance à s’accroître, afin de compenser le refroidissement des contacts de nature politique avec le régime égyptien. Sans jamais aller jusqu’à la remise en cause de la coopération étatique bilatérale, le SED semble en fait procéder à une redistribution de ses objectifs de politique étrangère en Egypte. Avec l’arrivée de Hosni Moubarak au pouvoir, le SED assume désormais clairement la vocation économique des relations bilatérales. En revanche, ce n’est plus à l’échelon étatique que se déploie l’activité idéologique du parti est-allemand, qui entreprend plutôt, dans ce domaine, de développer ses liens avec les communistes égyptiens. De ce point de vue, le SED s’aligne sur la politique soviétique : au début des années 1980, le PCUS assume le soutien qu’il apporte au parti communiste égyptien, comme en témoigne le télégramme de félicitations qu’il envoie au PCE lors de la tenue de sa conférence générale, en 19852386 (annexe 14).

En avril 1983, le SED convie Michel Kamel à une conférence internationale organisée à Berlin, organisée en l’honneur du 165ème anniversaire de la naissance et du 100e anniversaire de la mort de Karl Marx2387. L’intervention de Michel Kamel à cette occasion est intégralement reproduite dans l’organe du SED, Neues Deutschland2388.

2386 IISH, Michel Kamel Papers, 2nd general conference of the CPE, 7. N° 58: Congratulations Telegram from CPSU, 2nd general conference, 1985. In Arabic. 2387 SAPMO-BArch, DY 30/ 13 667, op.cit., Note. Le 15 avril 1983, Friedel Trappen, représentant du directeur du département des relations internationales du Comité central du SED, reçoit le membre du Bureau politique du PCE, Michel Kamel, Abt. Int. Verbindungen, Berlin, 16.4.1983. 2388 IISH, Michel Kamel Papers, Interviews and articles by Michel Kamel, N° 327, op.cit., Article tiré de Neues Deutschland, 14 avril 1983, sur la conférence « Karl Marx et notre temps, la lutte pour la paix et le progrès social ».

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Photographie 9 : Michel Kamel lors de la conférence « Karl Marx et notre temps : la lutte pour la paix et le progrès social », avril 19832389

La volonté est-allemande d’aider le PCE à se constituer en parti indépendant se maintient jusqu’à la fin des années 1980. En janvier 1986, sept cadres de la direction de l’étranger du PCE, dont Michel Kamel et Youssef Darwish, sont accueillis dans la maison des invités du district de Dresde, afin d’y tenir une consultation interne sur le fonctionnement de leur parti2390. En mettant ses bâtiments à leur disposition, le SED leur permet de se réunir alors qu’ils viennent tous de villes différentes : Moscou, Paris, Prague ou Damas2391. En

2389 Source : IISH, Michel Kamel Papers, Interview and articles by Michel Kamel, N°327, op.cit. 2390 SAPMO-BArch, DY 30/ 13 667, op.cit., Lettre de Peter Bathke, directeur de secteur au département des relations internationales du Comité central du SED, à Bruno Mahlow, 20.12.1985. Outre Michel Kamel et Youssef Darwish, les membres du PCE qui participent à la rencontre sont les suivants : Id Saleh Mabrouk, Danyal Reizk, Ahmed Fouad el-Tohamy, Adib Dimitri Boulos et Abu Bakr Youssef Hussein. 2391 Ibid.

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juillet de la même année, Wolfgang Schwanitz, candidat du Comité central du SED, s’interroge sur la possibilité de voir ou non le PCE se « défaire de l’étreinte du parti Tagammu »2392. Il conseille notamment de renforcer les liens avec les communistes égyptiens de l’étranger, afin de soutenir le « processus de différenciation » qui s’opère entre le PCE et le PRNPU2393.

Dans la pratique, les relations que le SED entretient avec les partis égyptiens sont donc empreintes de pragmatisme. Au cours des années 1980, la priorité pour Berlin-Est est de maintenir des relations dépassionnées avec le régime de Hosni Moubarak, afin de ne pas fragiliser la coopération économique bilatérale. Le développement des liens avec les partis de l’opposition légale permet ensuite de compenser le déclin des contacts politiques au plus haut sommet de l’Etat, tout en s’insérant dans le cadre institutionnel. Enfin, le SED ne renonce pas à ses objectifs idéologiques, mais c’est désormais par le biais de ses contacts avec le PCE clandestin que le parti espère consolider l’arsenal conceptuel marxiste en Egypte. La coopération idéologique entre le SED et l’Egypte au cours des années 1980 ne s’exerce donc plus tant au niveau gouvernemental qu’au plan de la société civile. Le soutien du SED se redéploie en direction de partis, de mouvements ou d’associations qui disposent de plus ou moins de visibilité au sein de la population égyptienne. b) Le rôle des associations d’avocats et de journalistes

Friedel Trappen rappelle que le champ de compétence du département des relations internationales du Comité central du SED ne se réduit pas aux relations de parti, mais inclut également les contacts avec les organisations de masse, les comités de solidarité ou les associations sportives2394. Le SED peut donc également étoffer des réseaux relationnels de nature politique par le biais associatif. Un certain nombre des interlocuteurs « progressistes » de Berlin-Est, adhèrent, en tant qu’avocats ou journalistes, à des unions professionnelles égyptiennes ou internationales étroitement surveillées par le régime. Les membres du PRNPU, en particulier, sont souvent également affiliés aux organisations de masse et aux associations syndicales2395. Lors des grandes campagnes d’arrestations dirigées contre les

2392 SAPMO-BArch, DY 30/ 13 667, op.cit., Remarques sur le développement récent du PCE, 8.7.1986. 2393 Ibid. 2394 DÖRING, Hans-Joachim, « Es geht um unsere Existenz…», op.cit., p. 281. 2395 SAPMO-BArch, DY 30/ IV B 2-20 430, op.cit., Information über ein Gespräch des Genossen Freimut Seidel mit Rifaat el-Saïd, Sekretär des Friedensrates von ARÄ, den 20.1.1972, vertraulich, Abt. Int. Verbindungen, Berlin, 1.2.1972.

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forces de gauche en 1977, en 1981 puis en 1985, plusieurs associations égyptiennes organisent la défense des militants emprisonnés. En 1977, le PRNPU lance un appel à l’ordre des avocats et au syndicat des journalistes, par l’intermédiaire de Khaled Mohieddine : celui- ci les invite à se mobiliser contre la décision d’Anouar el-Sadate de renvoyer les personnalités arrêtées devant un tribunal militaire2396. L’ordre des avocats n’a lui-même pas été épargné par la répression : proche de l’association égyptienne des droits de l’Homme et du PRNPU, il fait également partie des cibles privilégiées du régime de Sadate2397. L’avocat Ahmed Nabil el-Hilali, membre du PCE clandestin, est par exemple arrêté cinq fois en quatre ans2398. En 1985, au moment de son procès, ses camarades communistes obtiennent l’appui de l’Association internationale des juristes démocrates (AIJD)2399. Youssef Darwiche, représentant à Prague du PCE de Michel Kamel, et qui fait partie des interlocuteurs de Berlin-Est, est en contact régulier avec le secrétaire général de l’AIJD, Amar Bentoumi2400. L’organisation mandate des observateurs judiciaires chargés d’obtenir des informations sur le déroulement du procès, maintient la liaison avec l’accusé et entreprend d’alerter l’opinion publique mondiale sur le sort réservé à ce dernier2401.

Comme les militants de gauche, les unions égyptiennes d’avocats, de journalistes, mais aussi d’intellectuels et d’artistes, font régulièrement l’objet de manœuvres d’intimidation de la part du régime. Le PCE et le PRNPU recrutent d’ailleurs une grande partie de leurs militants au sein de ces catégories socio-professionnelles. Le développement progressif des « relations spéciales » avec les Etats-Unis, sous les mandats de Sadate puis de Moubarak cristallise leur opposition au régime2402, de même que la normalisation des relations avec Israël. En janvier 1981, lors des manifestations contre le pavillon israélien à la Foire du livre au Caire, le

2396 IISH, Michel Kamel Papers, Human Rights, N° 218, op.cit., Appel de Khaled Mohieddine, secrétaire du PRNPU, le Caire, 3 octobre 1977. 2397 IISH, Michel Kamel Papers, Human Rights, N° 218, op.cit., Tract du Comité égyptien pour la défense des libertés et de la démocratie. 2398 MIREL, Pierre, L’Egypte des ruptures…, op.cit., p. 196. 2399 L’Association internationale des juristes démocrates (AIJD) est une association fondée à Paris en 1946 et qui jouit du statut consultatif auprès l’ONU. Son but est notamment d’œuvrer à l’échange de points de vue entre les juristes de tous les pays, de défendre les droits de l’Homme et de travailler à l’application de la Charte des Nations Unies. Ces informations sont disponibles en ligne sur le site de l’AIJD : http://aijd.free.fr/index.html 2400 IISH, Michel Kamel papers, Human Rights, N° 224, op.cit., Lettre de Amar Bentoumi, Secrétaire général de l’Association internationale des juristes démocrates, à Youssef Darwiche, Bruxelles, 23 août 1985. 2401 IISH, Michel Kamel papers, Human Rights, N° 224, op.cit., Lettre de Amar Bentoumi, Secrétaire général de l’Association internationale des juristes démocrates, à Ahmed Nabil el-Hilali, Bruxelles, 23 août 1985. 2402 EL-SAÏD, Rifaat, ISMAEL, Tareq Y., The communist movement…, op.cit., p. 142.

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président du syndicat égyptien des journalistes est arrêté2403. En juillet de la même année, le bureau de l’ordre des avocats est dissous par le parlement et un nouveau bureau est nommé d’office2404 : depuis 1977, l’ordre a en effet formulé des critiques de plus en plus vives contre la politique de paix séparée menée par Sadate, mais également contre les mesures répressives et les lois d’exception2405. Le PRNPU dénonce les attaques répétées du régime contre les unions professionnelles et notamment le syndicat du Barreau et celui de la presse2406. Ahmed el-Khawaga, bâtonnier du Barreau égyptien et vice-président de l’AIJD, est par exemple successivement arrêté en 1977 et en 19812407.

Si les unions professionnelles constituent un réservoir d’opposants au régime égyptien, les contacts entre le SED et ces dernières ne concurrencent guère les relations de partis, qui restent l’instrument privilégié de la politique étrangère est-allemande en Egypte. D’ailleurs, lors des grands procès de 1977, 1981 et 1985, les militants égyptiens de gauche espèrent surtout faire connaître leur sort dans les démocraties occidentales. Ils s’appuient donc sur un réseau international de solidarité, où les pays de l’Est n’ont pas la préséance. Après les émeutes de janvier 1977, ils peuvent notamment compter sur l’appui du Collectif de soutien aux forces progressistes arabes (CSFPA), constitué d’intellectuels français et arabes, et en particulier des professeurs Maxime Rodinson2408 et Jacques Berque. En mai 1978, ce dernier lance un appel destiné à dénoncer la « nature répressive » du régime de Sadate et la restriction des libertés démocratiques et des droits de l’homme en Egypte2409. Les personnalités égyptiennes de gauche sont également en contact avec leurs homologues des partis occidentaux : en avril 1985, par exemple, l’Association internationale des juristes démocrates envoie John Platts-Mills, avocat et membre du Parti travailliste britannique, en tant

2403 MARTIN s.j., M.P., « L’Egypte après Sadate », op.cit., p. 161. 2404 Ibid. 2405 MIREL, Pierre, L’Egypte des ruptures…, op.cit., p. 198. 2406 SAPMO-BArch, DY 30/ IV B 2-20 346, op.cit., Décisions du comité central sur l’activité du parti dans la période à venir », United Progressive National Grouping Party, Central Committee, Third Session of meetings, 25-26 december 1980. 2407 IISH, Michel Kamel papers, Human Rights, N° 224, op.cit., Communiqué de l’Association internationale des juristes démocrates, Bruxelles, 4 septembre 1981. 2408 Pour une biographie succincte de Maxime Rodinson, voir l’article suivant : DIGARD, Jean-Pierre, « Maxime Rodinson (1915-2004) », L’Homme. Revue française d’anthropologie, juillet-décembre 2004, n° 171-172, [En ligne] : URL : http://lhomme.revues.org/1546. 2409 IISH, Michel Kamel Papers, Human Rights, N° 220: Report on the human rights situation in Egypt by Arab Progressives Organizations in France, 1978. Lettre de G. Andrieux, Collectif de soutien aux forces progressistes arabes, Paris, 18 juillet 1978.

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qu’observateur judiciaire en Egypte2410. Celui-ci est chargé de collecter des informations sur le déroulement du procès d’Ahmed Nabil el-Hilali. A cette occasion, il rencontre des juristes égyptiens, dont Ahmed el-Khawaga2411, et informe Hosni Moubarak du retentissement de ce procès parmi les cercles juridiques internationaux2412. Si les analyses de John Platts-Mills n’apportent guère d’informations en lien direct avec le procès, comme le déplorent les dirigeants de l’AIJD2413, elles témoignent cependant de la multiplicité des liens que les forces égyptiennes de gauche entretiennent avec les progressistes du monde entier : de ce point de vue, les pays de l’Est n’ont pas le monopole de la solidarité avec ces dernières. En outre, les Etats socialistes semblent eux-mêmes relativement sceptiques quant au potentiel révolutionnaire des forces marxistes et extra-parlementaires en Egypte. En interne, les acteurs est-allemands s’interrogent sur l’influence réelle de ces partenaires non-institutionnels dans le pays. c) Les forces progressistes égyptiennes : quelle portée contestataire ?

Le SED et les organisations de masse qui lui sont subordonnées n’entendent pas sacrifier leurs relations avec les partis égyptiens légaux, au profit d’un mouvement communiste divisé et incapable de s’implanter durablement au sein des zones rurales et des banlieues urbaines pauvres. Ce type d’opposition extra-parlementaire fonctionne en effet à la périphérie de la société égyptienne car le marxisme ne parvient jamais à constituer une véritable force de mobilisation2414. D’après Samir Amin, le communisme égyptien s’apparente davantage, de ce point de vue, à « l’expression du nationalisme anti-impérialiste radical » qu’à celle des « revendications sociales révolutionnaires des classes populaires exploitées »2415.

Le PCE n’étant pas le cadre privilégié de la contestation sociale en Egypte, le SED cherche à la fois à maintenir ses liens avec les partis parlementaires traditionnels, tout en développant ses relations avec les syndicats et unions professionnelles, regroupés sous l’égide

2410 IISH, Michel Kamel papers, Human Rights, N° 224, op.cit., Lettre de Amar Bentoumi, Secrétaire général de l’Association internationale des juristes démocrates, à Ahmed Nabil el-Hilali, Bruxelles, 23 août 1985. 2411 IISH, Michel Kamel papers, Human Rights, N° 224, op.cit., Rapport de John Platts-Mills pour l’AIJD, 1er juillet 1985. 2412 IISH, Michel Kamel papers, Human Rights, N° 224, op.cit., Lettre de John Platts-Mills à Hosni Moubarak, 16 avril 1985. 2413 IISH, Michel Kamel papers, Human Rights, N° 224, op.cit., Lettre de Amar Bentoumi, Secrétaire général de l’AIJD, à Youssef Darwiche, Bruxelles, 8 juillet 1985. 2414 BOTMAN, Selma, The Rise of Egyptian Communism…, op.cit., p. 150. 2415 AMIN, Samir, « Le communisme égyptien… », op.cit., p. 214.

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de l’ETUF2416. L’influence de ces derniers reste cependant marginale2417, comme le révèle la faible capacité d’action dont dispose l’ordre des avocats au moment des grands procès de 1977, 1981 et 1985. C’est pourtant l’une des missions de la Ligue pour l’amitié des peuples de RDA que de sonder le niveau d’organisation et d’efficience des organisations partenaires de Berlin-Est à l’étranger, et notamment des unions professionnelles. Soucieuse de savoir quel type d’organisation politique dispose de la plus grande influence au sein de la société égyptienne, la Ligue cherche à évaluer la place qu’occupent les partis et les organisations de travailleurs dans le pays, à connaître leur composition sociale et à mesurer le rôle qu’y jouent les personnalités dirigeantes du pays2418.

La volonté de trouver des interlocuteurs fiables fait donc partie des objectifs guidant l’activité des fonctionnaires est-allemands. Mais en réalité, le cadre politico-institutionnel ne recouvre pas entièrement la multiplicité des liens tissés entre les membres du SED et les personnalités égyptiennes progressistes. Déçue par l’évolution de l’Union Socialiste Arabe, méfiante à l’égard du PCE en raison de ses divisions internes et de son manque de visibilité, peu satisfaite par la ligne idéologique de la gauche légale incarnée par le PRNPU, la RDA s’appuie en Egypte sur un réseau peu étoffé mais stable de militants expérimentés. Du début des années 1970 à la fin des années 1980, ces individus apparaissent comme des interlocuteurs fidèles et enclins à s’entretenir avec les diplomates est-allemands : ils se situent pourtant à la croisée de plusieurs appartenances politiques, qui oscillent entre nassérisme, marxisme et nationalisme, et peuvent même brandir, ponctuellement, la référence islamique. Finalement, ce sont ces individus rompus à l’exercice politique qui apparaissent comme les contacts privilégiés et les sources d’information les plus régulières des diplomates de la RDA, davantage que les partis aux contours doctrinaux flous qu’ils représentent.

3. Entre marxisme, nassérisme et nationalisme: itinéraires de quelques-uns des interlocuteurs privilégiés de Berlin-Est

Les archives est-allemandes permettent de retracer les itinéraires de certains des interlocuteurs privilégiés de la RDA : tous se situent à la croisée de plusieurs appartenances politiques (nassérisme, communisme, nationalisme)2419.

2416 Egyptian Trade Union of Labour. Voir supra, prologue, p. 77. 2417 MIREL, Pierre, L’Egypte des ruptures…, op.cit., p. 214. 2418 SAPMO-BArch, DY 13/ 2349, op.cit., Lettre du secrétaire Horst Brasch, Berlin, 28.5.1975. 2419 Sur l’itinéraire intellectuel d’anciens militants communistes égyptiens qui se sont ensuite tournés vers la mouvance islamiste, comme Târiq al-Bichri ou ‘Adîl Husayn, voir : BURGAT, François, (présentation, 463

L’une des figures « progressistes » de référence pour la RDA, tout au long des années 1970 et 1980, est Khaled Mohieddine. Ce dernier occupe une place importante dans les archives est-allemandes et ne perd jamais véritablement son statut de progressiste malgré ses appartenances politiques multiples et son attachement plus pragmatique que doctrinal aux doctrines marxistes. Il détient un rôle crucial dans la querelle des années 1980 qui oppose, au sein de la gauche égyptienne, les « dogmatiques » et les « opportunistes »2420 sur les questions de la légalité et du rapport au pouvoir.

Khaled Mohieddine rejoint les rangs des compagnons de Nasser au lendemain de la seconde guerre mondiale2421. Comme eux, c’est un militaire, un officier nationaliste, musulman pratiquant, qui adhère au mouvement des Frères musulmans en 19422422. Sous l’influence de son ami ‘Uthmân Fawzî, marxiste, il quitte ensuite la formation islamiste. En 1947, il est recruté par le mouvement communiste Iskra, dont il s’émancipe rapidement car il refuse l’athéisme du matérialisme dialectique. Mohieddine entend concilier la doctrine économique du marxisme et sa croyance en l’islam. Sans adhérer officiellement au mouvement communiste, il garde néanmoins contact avec ses membres. Il fait partie, avec Nasser, du petit groupe qui fonde en septembre 1949 les Officiers Libres. Ses contacts avec les marxistes suscitent très tôt la méfiance de Nasser. Malgré tout, Khaled Mohieddine fait allégeance à l’organisation des Officiers libres et joue un rôle essentiel dans le coup d’Etat de 1952. Il est rapidement écarté du pouvoir par la suite car il estime nécessaire de combiner réforme sociale radicale et démocratie parlementaire et s’oppose en ce sens à Nasser.

annotations et traduction), « Communisme, nationalisme, islamisme. Itinéraire d'un intellectuel égyptien, 'Adil Husayn », in : Egypte/ Monde arabe, Première série, 1991/5, p. 169-179. 2420 Sur l’opposition entre « dogmatiques » et « opportunistes » au sein du PCE, voir supra, p. 430. 2421 ACLIMANDOS, Tewfik, « Officiers Libres et officiers communistes… », op.cit. : l’historien s’est intéressé au parcours de certains « officiers activistes » comme Khaled Mohieddine. Nous reprenons ici la présentation biographique qu’il en fait dans son article. 2422 SAPMO-BArch, DY 30/ 13 671, op.cit., Extrait de l’article de Michael Georgy, « The Red Major », publié dans Cairo Today, novembre 1988.

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Photographie 10: Khaled Mohieddine2423

Surnommé « the red Major »2424 par la presse internationale (annexe 15), il est arrêté en 1959 avec les communistes, puis rapidement libéré. En 1965, il prend la tête du Comité de Presse de l’Union Socialiste Arabe, ce qui ne l’empêche pas de formuler auprès de ses interlocuteurs est-allemands des critiques à l’encontre de la politique de Nasser. En mars 1970 par exemple, il fait part à l’ambassade est-allemande des restrictions que Nasser impose, selon lui, à la révolution dans le domaine de l’agriculture, en redéfinissant les cadres de la propriété agricole et en créant ainsi « des conditions potentielles de restauration du capitalisme »2425.

2423 Source : IISH, Michel Kamel Papers, Interview and articles by Michel Kamel, N° 327, op.cit. 2424 VASSILIEV, Alexei, Russian Policy in the Middle East…, op.cit., p. 168. 2425 MfAA, L 187 C641/73, op.cit., Zusammenfassung eines Gesprächs mit dem Präsidenten des Friedensrates der VAR Khaled Mohieddin, und dem Sekretär des Friedensrates Rifaat Sayed während eines Mittagessens bei Gen. Stange (AASK-Veretreter) am 24.3.1970. Botschaft der DDR in der VAR, Kairo, am 7.4.1970.

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Khaled Mohieddine devient par la suite le dirigeant du PRNPU, le parti d’opposition de gauche légal créé en 1976. En 1977 et 1979 il est élu vice-président du Conseil mondial de la Paix2426.

Son parcours témoigne donc d’une imbrication étroite entre communisme et nassérisme et pose la question du rapport entre la sincérité de son engagement et l’opportunisme de ses choix politiques : en 1988, Catherine Kaminsky et Simon Kruk se basent sur l’étude des journaux soviétiques et arabes pour décrire Khaled Mohieddine comme un « communiste fervent » à l’origine d’une véritable entreprise d’infiltration visant à « forger un noyau opérationnel à l’intérieur de l’Union Socialiste Arabe »2427. Tewfik Aclimandos nuance fortement cette idée en s’appuyant sur les archives égyptiennes : il montre que Khaled Mohieddine, malgré ses contacts avec les marxistes, a toujours donné priorité à son allégeance aux Officiers Libres, jusqu’à la mort de Nasser2428. Quoiqu’il en soit, le parcours de cette figure de la gauche égyptienne illustre bien les interactions entre marxisme et nassérisme au début des années 1970, au moment où se développent les liens entre Berlin-Est et le Caire. Surtout, la complexité de l’itinéraire politique de Khaled Mohieddine n’entrave aucunement les liens qu’il tisse avec les plus hauts représentants de la RDA : en témoignent les échanges réguliers qu’il entretient avec Erich Honecker. Traduisant les « relations amicales » qui existent entre le SED et le PRNPU, la correspondance des deux dirigeants est reproduite dans le quotidien est-allemand Neues Deutschland2429. Le PRNPU maintient d’ailleurs ses contacts avec le régime de Berlin-Est jusqu’à la chute de ce dernier : le 9 octobre 1989, à l’occasion du 40ème anniversaire de la fondation de la RDA, Khaled Mohieddine écrit à Erich Honecker pour lui transmettre ses vœux, et lui fait part de son soutien inconditionnel face aux troubles sociaux qui agitent le pays : « nous savons que les campagnes mesquines qui sont dirigées contre vous et mises en scènes par les impérialistes, les défenseurs de la guerre et leurs partenaires, sont l’expression de la crainte qu’ils éprouvent quant au succès du modèle socialiste que vous êtes en train de construire »2430.

2426 SAPMO-BArch, DY 30/ 13 671, op.cit., Extrait de l’article de Michael Georgy, « The Red Major », publié dans Cairo Today, novembre 1988. 2427 KAMINSKY, Catherine, KRUK, Simon, La stratégie soviétique…, op.cit., p. 51. 2428ACLIMANDOS, Tewfik, « Officiers libres et officiers communistes… », op.cit., p. 187 2429 SAPMO-BArch, DY 30/ 9350, op.cit., Lettre de E. Honecker à K. Mohieddine, le 4 avril 1986, publiée dans Neues Deutschland le 10 avril 1986, transmise par le département des relations internationales à l’ambassade de RDA au Caire. 2430 SAPMO-BArch, DY 30/ 13 669, op.cit., Lettre de Khaled Mohieddine, secrétaire général du PRNPU, à Erich Honecker, secrétaire général du SED, 9.10.1989.

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On retrouve chez la plupart des personnalités progressistes égyptiennes avec lesquelles la RDA entretient des contacts réguliers cette tension entre plusieurs appartenances politiques, qu’il s’agisse de Rifaat el-Saïd, d’Ismaïl Sabri Abdallah, de Lutfi al-Kholy ou de Fouad Morsi.

Rifaat el-Saïd est un journaliste né en 1932, collaborateur au journal el-Ahram et sympathisant communiste. Arrêté à plusieurs reprises sous le gouvernement de Nasser en raison de son engagement communiste, il passe au total douze années en prison2431. C’est par le milieu de la presse qu’il fait la connaissance de Khaled Mohieddine, dont il devient par la suite le secrétaire attitré. Ayant séjourné en RDA au début des années 1970, il est diplômé de l’Université Karl Marx de Leipzig2432. Secrétaire du Conseil mondial de la paix, membre du PCE clandestin, il devient également l’une des figures dirigeantes du PRNPU, aux côtés de Khaled Mohieddine. Rifaat el-Saïd est l’une des personnalités de la gauche égyptienne qui entretient les contacts les plus fréquents avec les fonctionnaires est-allemands. Cette proximité est due à l’étendue du réseau relationnel qu’il s’est constitué, aussi bien dans les milieux scientifiques que dans les cercles politiques de RDA2433. Alors que pour les communistes égyptiens partisans de la fermeté idéologique et de l’indépendance du PCE, comme Michel Kamel, Rifaat el-Saïd incarne la compromission de la gauche égyptienne2434, ce dernier jouit pourtant de la confiance relative de ses partenaires est-allemands.

Le Dr. Ismaïl Sabri Abdallah2435, économiste de formation, devient directeur de l’Institut national de la planification à la fin de l’année 19692436. Son parcours est typique de celui des « progressistes » s’étant rallié au nassérisme après la dissolution des partis communistes égyptiens. Après avoir étudié l’économie à Paris et soutenu sa thèse de doctorat en 1951, il retourne en Egypte et enseigne successivement à l’Université d’Alexandrie puis à l’Université du Caire. Il affirme lui-même avoir eu des contacts avec le PCF au cours de son séjour en France et des membres du PCE assurent à leurs interlocuteurs est-allemands qu’il a adhéré à leur mouvement en Egypte. Les mêmes affirment qu’il a dirigé un cercle

2431 SAPMO-BArch, DY 30/ IV B 2-20 430, op.cit., Information sur le séjour du Dr. Rifaat el-Saïd, secrétaire du Conseil mondial de la paix, du 19 au 21 septembre 1972, Friedensrat der DDR, vertraulich, Berlin, 27.9.1972. 2432 Sur le cursus universitaire de Rifaat el-Saïd en RDA et les liens qu’il a noués à cette occasion avec des fonctionnaires du régime, voir supra, partie II, chapitre 6, p. 348-349. 2433 Ibid. 2434 Sur la stratégie de compromis avec le régime, incarnée par Rifaat el-Saïd, voir supra, p. 429-434. 2435 Sur Ismaïl Sabri Abdallah, voir supra, partie II, chapitre 6, p. 346. 2436 Ibid.

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d’ « économie marxiste » à l’Université d’Alexandrie et qu’il a occupé le poste de Secrétaire du Comité central du PCE. En 1957, après la crise de Suez, il devient conseiller économique au sein de l’Economic Development Organization, instance dont la mission est de créer en Egypte un secteur étatique capable d’absorber les entreprises anglaises et françaises. En 1959, lors des procès qui ont lieu à Alexandrie contre les membres du PCE, il est arrêté. Il est visiblement libéré en 1964, au moment de la grande vague de libération des communistes par Nasser. C’est à partir de 1968 que les Allemands de l’Est commencent à nouer des contacts avec lui. Il est alors rédacteur en chef de la maison d’édition Dar al Maaref, qui appartient au groupe el-Ahram. Il fait également partie du journal al-Taliya, l’organe légal de la presse égyptienne marxiste, dirigé par Lutfi al-Kholy, qui « maintient un équilibre judicieux entre les arguments théoriques proches du PCUS, l’idéologie éclectique du nassérisme et les doctrines variées originaires de Pékin, de la Havane et de Belgrade »2437. En 1968 et 1969, il voyage en Union soviétique, en Yougoslavie, en RDA et en Pologne. Dès octobre 1968, il entre en relation avec la Haute Ecole d’Economie de RDA et le Comité central du SED. Ses interlocuteurs est-allemands lui attribuent des déclarations vantant l’expérience et les spécificités de la RDA. En 1968, ce progressiste avec lequel Berlin-Est entend bien développer ses relations, rejoint les rangs du rassemblement patriotique orchestré par Nasser et présente sa candidature au Congrès national de l’USA. Il n’est pas retenu mais d’après les informations de l’ambassade de la RDA au Caire, en 1969, « il est depuis peu membre de l’organisation secrète au sein de l’USA ». Michel Kamel, membre du Comité central du PCE et œuvrant alors pour la refondation du parti, attire l’attention des Allemands de l’Est sur les « traits carriéristes » du personnage, l’accusant implicitement de collusion avec les organes du pouvoir2438 et inaugurant de la sorte l’affrontement qui divisera par la suite les progressistes radicaux et ceux qui prônent la coopération avec le régime. Membre du Secrétariat général du PRNPU, Ismaïl Sabri Abdallah fait en effet partie, au même titre que Lutfi al-Kholy et Fouad Morsi, de ces « anciens communistes, qui sont [dorénavant] complètement intégrés au système » et face auxquels les diplomates est-allemands admettent faire preuve de

2437 VASSILIEV, Alexei, Russian Policy in the Middle East…, op.cit., p. 168. 2438 L’analyse de Michel Kamel n’est pas tout à fait dénuée de fondement si l’on considère les choses a posteriori, puisqu’en 1972, après l’arrivée de Sadate au pouvoir, Ismaïl Sabri Abdallah devient Ministre de la Planification au sein du cabinet d’Aziz Sidqi. L’ancien communiste est maintenu à un poste important, ce qui permet vraisemblablement à Sadate de démentir les accusations d’anti-communisme dont il fait l’objet. Voir : VASSILIEV, Russian Policy in the Middle East…, op.cit., p. 169. En 1981, Ismaïl Sabri Abdallah est membre du secrétariat du Comité central du PRNPU et directeur du Forum du Tiers-monde. Voir : SAPMO-BArch, Vermerk über ein Gespräch mit Dr. Ismaïl Sabri Abdallah, Mitglied des Sekretariats des ZK der VNPP, am 20.1.1981, Botschaft der DDR, Kairo, 27.1.1981.

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prudence2439. Ismaïl Sabri Abdallah devient d’ailleurs ministre de la Planification en janvier 19722440.

Lutfi al-Kholy est quant à lui un intellectuel et journaliste communiste qui « capitule » très tôt devant le régime nassérien2441. Il se voit accorder en échange de son ralliement précoce à l’USA la charge de directeur de la revue mensuelle al-Taliya, qui a été créée en janvier 1965 et fait partie du groupe al-Ahram, le principal organe de presse du pouvoir. Parallèlement, il devient membre du Comité central de l’Union Socialiste Arabe2442. Il fait partie de ceux qui, selon Sherif Younis, cherchent à « fonder les bases intellectuelles de l’alliance entre les communistes et le régime »2443. Après la dissolution de l’USA en 1978, il adhère au PRNPU et devient membre du secrétariat du Comité central aux côtés de Khaled Mohieddine et Rifaat el-Saïd2444 : c’est l’un des principaux candidats du parti au début des années 1980 dans la ville de Shubra el-Kheima2445.

Enfin, tout comme les précédents, Fouad Morsi occupe une place de premier plan au sein du régime égyptien, au début des années 1970. Nommé ministre du ravitaillement et du commerce intérieur sous Sadate, en mai 19712446, il était pourtant à la tête du groupe communiste al-Raya jusqu’en 1958, avant de devenir membre du secrétariat du PCE unifié, jusqu’à la dissolution de 19652447. Il prône alors le rassemblement autour de Nasser et rompt

2439 SAPMO-BArch, DY 30/ IV B 2-20 430, op.cit., Information über ein Gespräch des Genossen Freimut Seidel mit Rifaat el-Saïd, Sekretär des Friedensrates von ARÄ, den 20.1.1972, vertraulich, Abt. Int. Verbindungen, Berlin, 1.2.1972. 2440 SAPMO-BArch, DY 30/ IV B 2-20 430, op.cit., Lettre de Fritz Weisshuhn au directeur du département des relations internationales du Comité central du SED, Paul Markowski, Berlin, 7.8.1972. 2441 Pour reprendre les termes de Sherif Younis dans : YOUNIS, Sherif, « Marxisme et patriotisme dans les régimes militaires de libération nationale : les officiers libres et les "communistes égyptiens" », in : Les Gauches en Egypte, Cahiers d’Histoire, revue d’histoire critique, op.cit., p. 159. 2442 SAPMO-BArch, DY 30/ IV B 2-20 430, op.cit., Information über ein Gespräch des Genossen Freimut Seidel mit Rifaat el-Saïd, Sekretär des Friedensrates von ARÄ, den 20.1.1972, vertraulich, Abt. Int. Verbindungen, Berlin, 1.2.1972. 2443 YOUNIS, Sherif, « Marxisme et patriotisme… », op.cit., p. 163. 2444 SAPMO-BArch, DY 30/ IV B 2-20 346, op.cit., United Progressive National Grouping Party. 2445 SAPMO-BArch, DY 30/ 13 671, op.cit., Vermerk über ein Gespräch mit Lutfi el-Kholy, Vorsitzender des arabischen Ausschusses im Generalsekretariat der VNPP, am 3.5.1984, Botschaft der DDR in AR Ägypten, 6.5.1984. 2446 SAPMO-BArch, DY 30/ IV B 2-20 430, op.cit., Information über ein Gespräch des Genossen Freimut Seidel mit Rifaat el-Saïd, Sekretär des Friedensrates von ARÄ, den 20.1.1972, vertraulich, Abt. Int. Verbindungen, Berlin, 1.2.1972. 2447 RAMSES, Basil, « Le Tagammu et les élections ou la conception de parlementarisme chez un parti de gauche », in : GAMBLIN, Sandrine (dir.), Contours et détours du politique en Egypte. Les élections législatives de 1995, Cedej, L’Harmattan, p. 177.

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avec les communistes opposés à la dissolution du parti2448. Après la création du PRNPU, il devient membre du secrétariat général du parti2449.

Au début des années 1980, toutes ces figures de la gauche égyptienne ont rallié le PRNPU. Passés des rangs du communisme clandestin à l’action gouvernementale, ces hommes sont critiqués par les diplomates est-allemands en raison de leur volonté de compromis avec le régime. Ils n’en restent pas moins les interlocuteurs privilégiés de Berlin-Est en Egypte. Tous sont arrêtés en 1981, au moment des grandes campagnes de répression dont les mouvements de gauche font alors l’objet2450.

Afin de préserver ses relations politiques avec l’Egypte sur le long terme, le SED s’appuie sur un nombre restreint de personnalités symboliques qui constituent finalement le centre-gauche du système partisan égyptien. Ces dernières revendiquent toutes leur volonté de concilier action politique et sens du compromis, fût-ce au prix de la cohérence doctrinale de leur engagement. En 1988, à la question « êtes-vous un marxiste ou un nassériste ? », Khaled Mohieddine répondait ainsi : « je suis du Tagammu. Cela signifie que je suis un socialiste. Je crois en l’Egypte. Je ne suis pas contre la religion. Je crois en l’unité arabe. Ils disent "marxistes" et "nasséristes". Pour moi, idéologiquement, cela ne veut rien dire »2451.

Pour le SED, la désignation d’un interlocuteur politique privilégié en Egypte n’obéit donc pas à des motivations purement idéologiques. Les partenaires égyptiens du parti est-allemand sont multiples et varient en fonction du type d’objectif mis en avant par ce dernier. Seules quelques figures de la gauche égyptienne semblent entretenir avec le régime de Berlin-Est des contacts durables. A l’exception de Michel Kamel, il s’agit plutôt de personnalités disposées à jouer le jeu du parlementarisme et qui ne se revendiquent pas à proprement parler du marxisme-léninisme : parmi elles, Khaled Mohieddine et Rifaat el-Saïd se distinguent tout particulièrement. Le SED fait preuve, par conséquent, d’une relative souplesse dans l’élaboration de ses relations politiques avec l’Egypte. Ce pragmatisme est à la fois révélateur d’un choix de politique étrangère, celui de ne pas s’aliéner le régime égyptien, et d’une certaine capacité d’adaptation à un système politique dont la RDA ne maîtrise ni les ressorts, ni le calendrier. A partir de 1976, l’émergence d’un multipartisme de façade,

2448 YOUNIS, Sherif, « Marxisme et patriotisme… », op.cit., p. 154. 2449 SAPMO-BArch, DY 30/ IV B 2-20 346, op.cit., United Progressive National Grouping Party. 2450 MIREL, Pierre, L’Egypte des ruptures…, op.cit., p. 208. 2451 SAPMO-BArch, DY 30/ 13 671, op.cit., Extrait de l’article de Michael Georgy, « The Red Major », publié dans Cairo Today, novembre 1988.

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étroitement contrôlé par Sadate, contraint les acteurs est-allemands à reconsidérer leur position face aux partis égyptiens et à réévaluer l’efficacité politique de leurs alliés communistes qui ont fait le choix de la clandestinité.

C. L’émergence du pluralisme politique en Egypte et le développement d’une « opposition constructive » : les partis gouvernementaux, des acteurs incontournables pour le SED ?

1. La réglementation de l’activité des partis politiques en Egypte (1976-1978): un cadre légal pour l’action de l’opposition ? a) L’ouverture du jeu politique à partir de 1976 : vers un système multipartite

En 1976, Sadate annonce la transformation des trois organisations politiques qui composent l’Union Socialiste Arabe en partis désormais indépendants : la gauche, le centre et la droite2452. Depuis 1974-1975, des tribunes (manabîr) politiques d’orientations diverses ont en effet été formées au sein de l’USA : souhaitant rompre avec le legs de Nasser, Sadate a entrepris d’affaiblir le parti unique en ouvrant le jeu politique2453. Le régime présente cette initiative comme un pas décisif « sur la voie de la liberté et de la démocratie », grâce auquel l’Egypte émerge enfin « d’une longue nuit de dictature et d’autocratie »2454. En réalité, le passage au multipartisme maintient l’hégémonie de l’exécutif, « le cadre constitutionnel perpétuant la tradition autoritaire du gouvernant autrefois représenté par le roi »2455. Les premières élections pluralistes de mars 1976 voient ainsi l’écrasante victoire de la tribune du centre, qui préfigure le parti présidentiel2456.

Les Etats socialistes réprouvent immédiatement la décision de Sadate, y voyant une manière de « détruire définitivement la superstructure nassériste encore présente au sein de l’Union Socialiste Arabe »2457. L’URSS estime en effet que l’initiative vise à restreindre la

2452 MfAA, C 1426/78, op.cit., Jahresbericht der Botschaft der DDR in der AR Ägypten für das Jahr 1976. Zur innenpolitischen Entwicklung der ARÄ im Jahre 1976, Botschaft der DDR in der AR Ägypten, Kairo, den 10.1.1977. 2453 POMMIER, Sophie, Egypte, l’envers du décor, op.cit., p. 60. 2454 « Un nouveau pas sur la voie de la démocratie », Le Progrès Egyptien, 2 juillet 1977, p. 1. 2455 G. Martin Munoz cité par Sarah Ben Nefissa. Voir : BEN NEFISSA, Sarah, « Les partis politiques égyptiens… », op.cit., p. 79. 2456 POMMIER, Sophie, « Egypte : le Parti national démocratique au cœur du dispositif de succession », in : Politique étrangère, 2007/1, p. 70. 2457 « […] wurde das Ziel verfolgt, ein wesentliches und formal noch existierendes Element des Überbaus des Nasserismus in Gestalt der ASU endgültig zu zerschlagen ». MfAA, C 1426/78, op.cit., Jahresbericht der Botschaft der DDR in der AR Ägypten für das Jahr 1976. Zur innenpolitischen Entwicklung der ARÄ im Jahre 1976, Botschaft der DDR in der AR Ägypten, Kairo, den 10.1.1977, p. 4.

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capacité de manœuvre des éléments de la gauche pro-soviétique qui agissent au sein de l’USA2458. Surtout, la réorganisation de l’appareil de parti remet en cause une structure que Moscou considère comme le principal véhicule du socialisme scientifique hérité de Nasser2459. Pour les observateurs est-allemands, l’ouverture du jeu politique a été dictée par « la pression de la bourgeoisie », qui aspire à « un développement "bourgeois-pluraliste" »2460. Par conséquent, « cette décision représente une avancée certaine dans le développement d’un ordre social bourgeois ». Enfin, le président égyptien a autorisé la création de partis politiques pour consolider la position du régime, son but premier étant de « prouver la stabilité intérieure [de l’Egypte] aux Etats occidentaux » afin d’y attirer le capital étranger. Une partie des interlocuteurs égyptiens de Berlin-Est critique d’ailleurs la formation de plates-formes politiques au sein de l’Union Socialiste Arabe, car elle y voit une manœuvre politicienne destinée à camoufler l’inefficacité de l’USA. C’est le cas de l’association des syndicats égyptiens, l’Egyptian Federation of Labour (EFL), qui en 1974 rejette explicitement la création de partis d’opposition et défend le maintien du principe selon lequel 50% des membres de l’USA doivent être composés de travailleurs et de paysans2461. De ce point de vue, les analyses des cadres du syndicat rejoignent celles de leurs interlocuteurs est-allemands : « la volonté de créer plusieurs partis est celle de quelques cercles de l’intelligentsia, qui ont assez de temps et d’argent pour s’asseoir au Parlement et discuter pendant des heures de telles questions. Les travailleurs eux, passent toute la journée dans l’entreprise »2462.

En mars 1976, le décret pris par Sadate entérine l’existence des trois forums déjà existants au sein de l’USA : l’aile droite, ou organisation libérale socialiste, l’aile centre, ou organisation socialiste arabe d’Egypte, et l’aile gauche, ou organisation unioniste nationale progressiste. Le 22 novembre 1976, Sadate proclame officiellement la transformation de ces trois organisations politiques en partis.

2458 KAMINSKY, Catherine, KRUK, Simon, La stratégie soviétique…, op.cit., p. 54. 2459 Ibid. 2460 MfAA, C 1426/78, op.cit, Jahresbericht der Botschaft der DDR in der AR Ägypten für das Jahr 1976. Zur innenpolitischen Entwicklung der ARÄ im Jahre 1976, Botschaft der DDR in der AR Ägypten, Kairo, den 10.1.1977. 2461 SAPMO-BArch, DY 34/ 10 526, op.cit., Information sur une conversation avec plusieurs fonctionnaires de l’EFL, le 18.9.1974, dans les bâtiments de l’EFL au Caire, ambassade de la RDA en RAE, le Caire, 23.9.1974. 2462 Ibid.

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L’aile droite devient le « parti social-libéral » : il est dirigé par Mustafa Kamel Mourad, qui est également nommé porte-parole de l’opposition au Parlement par Sadate 2463. Selon les diplomates est-allemands, le parti recrute ses adhérents « parmi les représentants de la bourgeoisie nationale, de l’intelligentsia, et des éléments petits-bourgeois ». Son but est de créer les bases d’un « capitalisme classique de la libre entreprise », c’est pourquoi il « se prononce en faveur d’un appel au capital privé [et] du contrôle des investissements étrangers ».

Le « parti socialiste arabe égyptien », qui remplace l’ancienne aile centre de l’USA, est dirigé par le premier ministre, Mamduh Salem, et représente « la première organisation politique », en termes d’effectifs2464. Il est constitué par ceux que la RDA considère comme « les représentants de la bourgeoisie bureaucratique, c’est-à-dire les cadres dirigeants de l’Union Socialiste Arabe et de l’Etat, les dirigeants des syndicats opportunistes, les représentants de la bourgeoisie commerciale et agraire, et une partie des intellectuels ». Pour Berlin-Est, le parti soutient, lui aussi, un « développement capitaliste accéléré ». Sa composition sociale offre une base favorable à la propagation des idées sociales-démocrates. La RDA estime donc qu’il existe une certaine « concordance […] entre les partis de Salem et de Mourad, en ce qui concerne les questions principales du développement capitaliste de l’Egypte » : « la différence est une question de degré et de tactique ».

Enfin, l’aile gauche donne naissance au parti du rassemblement national progressiste unioniste (PRNPU). Il est dirigé par Khaled Mohieddine, et s’appuie « sur des forces marxistes, nassériennes de gauche et sur d’autres forces nationales progressistes ». D’après Berlin-Est, son orientation en matière de politique intérieure correspond à la volonté de construire « un ordre social progressiste, sur la base de la propriété collective des moyens de production ». En matière de politique extérieure, le parti prône « l’amitié avec toutes les forces progressistes du monde arabe » et souhaite entretenir « de bonnes relations avec l’Union soviétique et les pays socialistes ». Selon les analyses est-allemandes, il regroupe environ 120 000 membres au moment de sa création, mais « n’a pas d’influence sur les organes de pouvoir de l’Etat, ni sur le Parlement ». La RDA dénonce en outre le fait que le parti serve de « réceptacle à toutes les forces démocratiques d’Egypte », ce qui s’apparente, selon elle, au meilleur moyen de diviser les forces de gauche, et en particulier les forces

2463 MfAA, C 1426/78, op.cit, Jahresbericht der Botschaft der DDR in der AR Ägypten für das Jahr 1976. Zur innenpolitischen Entwicklung der ARÄ im Jahre 1976, Botschaft der DDR in der AR Ägypten, Kairo, den 10.1.1977. 2464 Ibid.

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marxistes. De fait, le PRNPU, qui se veut « parti et coalition à la fois »2465, se présente lui-même comme une vaste alliance de forces progressistes, composées de nassériens, de nationalistes, de marxistes et de « musulmans éclairés »2466.

D’après les estimations des observateurs est-allemands, la réhabilitation des partis permet surtout à Sadate d’encadrer strictement les différentes formes d’expression politiques et de restreindre leurs conditions d’exercice. La mise en place d’un système multipartite au nom de la transparence politique participe en ce sens à la stabilisation du régime en place, d’autant que de nombreux moyens étatiques limitent la capacité d’action des partis et garantissent donc la mise au pas de l’opposition2467. Frank Müller estime ainsi que le multipartisme égyptien s’apparente à une « tentative d’institutionnaliser les divers courants [politiques] », tout en interdisant aux nassériens, aux communistes et aux islamistes de constituer des partis indépendants2468. Paradoxalement, l’instauration du pluripartisme ne contribue donc pas à la libéralisation de la vie politique mais fait émerger des rapports de force encore plus accentués qu’à l’époque de Nasser2469. Sadate est en effet soucieux de ne pas donner trop de pouvoir aux forces politiques nées de la recomposition de l’USA : en 1978, il dissout cette dernière et crée son propre parti, le Parti national démocratique (PND). b) Le démantèlement de l’USA et la création du PND en 1978

En juillet 1977, le comité central de l’USA décide de dissoudre l’organisation : la propriété des bâtiments et le budget de l’Union Socialiste Arabe sont divisés entre les partis nouvellement créés2470. En 1978, l’USA est définitivement démantelée et le PND devient le nouveau parti gouvernemental.

Après la création du PND, le parti du centre dirigé par le premier ministre Mamduh Salem est pratiquement vidé de sa substance, car dans leur très grande majorité, ses membres

2465 SAPMO-BArch, DY 30/ 13 670, op.cit., Vermerk über ein Gespräch mit Mohamed Säid Ahmed, Mitglied des Generalsekretariats der VNPP (links), den 17.1.1981, Botschaft der DDR in ARÄ, Kairo, 19.1.1981. 2466 MONCIAUD, Didier, « Khaled Mohieddine en campagne électorale. Mobilisation, discours et charisme d’une figure historique de la politique égyptienne », in : GAMBLIN, Sandrine (dir.), Contours et détours du politique en Egypte…, op.cit., p. 271. 2467 Sur les réglementations qui limitent la création de partis en Egypte, voir : POMMIER, Sophie, « Egypte : le Parti national démocratique au cœur du dispositif de succession », op.cit., p. 71. 2468 MÜLLER, Frank, « Ägypten und DDR…», op.cit., p. 26. 2469 TIBI, Bassam, « Schwache Institutionalisierung als politische Dimension der Unterentwicklung - der Fall Ägypten : eine Auseinandersetzung mit Huntingtons Praetorianismus-Theorie », in : Verfassung und Recht in Übersee, 1980, Jg. 13, H. 1, p. 3-26. 2470 « Le Caire : le comité central de l’USA a mis fin à son statut », Neues Deutschland, 22 juillet 1977, p. 7.

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rejoignent le parti de Sadate2471. Pour la RDA, le PND s’apparente à « l’organe de transposition directe des décisions de Sadate »2472 : son but est à la fois de satisfaire les ambitions de pouvoir personnel du président égyptien et de garantir le « cap pro-impérialiste » et la politique de paix séparée avec Israël, que ce dernier a initiés les années précédentes.

Dix ans après l’officialisation des liens diplomatiques entre Berlin-Est et le Caire, le système politique égyptien a été profondément modifié. L’USA de Nasser, qui constituait le principal vecteur institutionnel de la coopération politique entre la RDA et l’Egypte, a disparu, laissant la place à une opposition de façade, qui mime, selon les diplomates est-allemands, les « règles du jeu de la "démocratie bourgeoise" »2473. Dans ce contexte, nous avons vu de quelle manière le SED entreprend à la fois de développer ses liens avec le PRNPU légal et les mouvements marxistes combattus par le régime égyptien. Si les relations du SED avec les partis de droite restent quant à elles officiellement inexistantes jusqu’à la fin des années 1980, des contacts informels réguliers ont cependant lieu entre les représentants des partis est-allemand et égyptiens. A partir de 1988-1989, les liens sont officialisés, traduisant l’abandon définitif des impératifs idéologiques est-allemands en Egypte.

2. L’ambivalence de la position est-allemande : du refus de s’aliéner le régime à la mise en place de relations avec le parti présidentiel a) Les relations entre le SED et les partis de l’opposition légale

Si la mise en place du multipartisme à partir de 1976 fait l’objet de vives critiques de la part des observateurs est-allemands, elle apparaît également comme l’occasion de diversifier les contacts du SED avec les forces politiques égyptiennes. Dès 1977, c’est d’ailleurs la stratégie que Khaled Mohieddine conseille à Friedel Trappen d’adopter : alors que le fonctionnaire est-allemand cherche à savoir dans quels milieux l’opposition au régime se recrute, le dirigeant du PRNPU lui assure que cette dernière « traverse toutes les couches sociales, les travailleurs, les paysans, les employés du gouvernement, la petite bourgeoisie et

2471 MfAA, L 187, C 65/13, op.cit., Jahresbericht der Botschaft der DDR in der AR Ägypten für das Jahr 1978, Zur innenpolitischen Entwicklung der ARÄ im Jahre 1978, Botschaft der DDR in der AR Ägypten, Kairo, den 2.1.1979. 2472 Ibid. 2473 « Die Regeln des « bourgeoisen Demokratie-Spiels » zu akzeptieren ». MfAA, L 187, C 6508, op.cit., Jahresbericht 1979, Zur innenpolitischen Entwicklung der ARÄ, Botschaft der DDR in der AR Ägypten, Kairo, den 20.12.1979, p. 5.

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également la bourgeoisie productive »2474. Lorsque Friedel Trappen demande à son interlocuteur avec quelles forces politiques et sociales la RDA doit alors encourager la coopération, Khaled Mohieddine lui répond que Berlin-Est ne doit en aucune façon limiter ses relations : « on doit coopérer avec les différentes forces, aussi bien avec la bourgeoisie nationale productive qu’avec les éléments de l’intelligentsia qui ne sont pas à "gauche" ».

Officiellement, les liens entre le SED et les partis légaux du centre ou de droite, comme le PND, le Parti libéral2475 ou le Parti socialiste du travail2476, restent pratiquement inexistants jusqu’en 19882477. Après la dissolution de l’USA en 1978, les relations étatiques entre l’Egypte et la RDA se poursuivent en effet davantage aux niveaux économique et culturel qu’à l’échelon politique, conformément au développement de la théorie de l’ « avantage réciproque »2478. La RDA dénonce d’ailleurs les alliances électorales qu’ont nouées ces partis au moment des élections législatives d’avril 1987 : le Parti libéral et le Parti socialiste du travail se sont en effet coalisés avec les Frères musulmans2479, ce qui leur a permis de constituer le groupe d’opposition majoritaire au Parlement, avec 56 députés sur 4482480. Le PND lui, a obtenu 338 sièges2481.

Pourtant, à la fin des années 1980, les analyses est-allemandes pointent l’intérêt accru de ces partis pour le développement des relations avec les Etats et partis socialistes. Elles

2474 SAPMO-BArch, DY 30/ IV B 2-20 346, op.cit., Vermerk über ein Gespräch zwischen Genossen Friedel Trappen und Mitglied des Politbüros des ÄKP, Khaled Mohieddine, am 14.9.1977 im Gebäude des ZK, Berlin, 19.9.1977. 2475 Le parti libéral est fondé en 1976 à partir de l’aile droite de l’USA. Voir supra, p. 461. 2476 Hizb al-‘Umal al-Isthiraki. Le parti est créé en 1978, il est dirigé par Ibrahim Shukri et Hilmi Murad. Il rassemble, selon ses indications, 250 000 membres. Parti d’opposition légal, il représente, d’après la RDA, une pensée islamique et social-réformatrice, au nationalisme exacerbé et se présente comme le successeur de l’organisation « Jeune Egypte », un mouvement nationaliste qui a lutté pour l’indépendance égyptienne dans les années 1930/1940. Voir : SAPMO, DY 30/ 13 669, op.cit., Informationsbericht über die Sozialistische ägyptische Partei, vertraulich, juni 1988. Selon les diplomates est-allemands, Sadate fonde ce parti afin d’y circonscrire une « opposition constructive ». Voir : MfAA, L 187, C 65/13, op.cit., Jahresbericht der Botschaft der DDR in der AR Ägypten für das Jahr 1978, Zur innenpolitischen Entwicklung der ARÄ im Jahre 1978, Botschaft der DDR in der AR Ägypten, Kairo, den 2.1.1979. 2477 SAPMO-BArch, DY 30/ 13 669, op.cit., Informationsbericht über die Sozialistische ägyptische Partei, vertraulich, juni 1988, et : Informationsbericht über die NDP, die Nationale Demokratische Partei Ägyptens, vertraulich, juni 1988. 2478 Sur la notion d’ « avantage réciproque », se reporter à l’introduction de la thèse. Voir aussi : supra, partie II, chapitre 5. 2479 Sur les stratégies de front élaborées par Frères musulmans pour obtenir une représentation parlementaire, voir infra, partie III, chapitre 8, p. 494-499. 2480 SAPMO-BArch, DY 30/ 13 669, op.cit., Informationsbericht über die Sozialistische ägyptische Partei, vertraulich, juni 1988. 2481 SAPMO-BArch, DY 30/ 13 669, op.cit., Informationsbericht über die NDP, die Nationale Demokratische Partei Ägyptens, vertraulich, juni 1988.

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évoquent par exemple la volonté du Parti socialiste du travail de se rapprocher de l’Internationale socialiste et de l’Interafricaine socialiste2482, tout en se démarquant explicitement du marxisme-léninisme2483. D’ailleurs, même s’il n’existe pas de relations officielles de parti entre le SED et le Parti socialiste du travail, des contacts officieux existent toutefois entre leurs représentants. En 1984 par exemple, un collaborateur de l’ambassade de la RDA au Caire, Klaus Gloede, est reçu au Parlement égyptien par le président du parti, Ibrahim Shukri2484. Les deux hommes poursuivent « des échanges réguliers d’opinion », évoquant la situation internationale, le conflit israélo-arabe et la préparation des élections législatives de mai 1984. Et pourtant, les cadres est-allemands savent parfaitement que le Parti socialiste du travail incarne le courant islamiste légaliste en Egypte et que c’est par son intermédiaire que s’effectue « une partie du travail de communication et d’interaction entre les grandes familles politiques nationalistes-nassériennes et islamistes »2485.

Les archives de la RDA mettent en lumière le pragmatisme dont font preuve les acteurs est-allemands : si Berlin-Est veut développer ses relations politiques avec l’Egypte, il faut admettre comme présupposés la domination du système capitaliste dans le pays2486 et le fait que les partis d’opposition ne disposent d’aucune influence sur les masses susceptible de mettre le régime en danger2487. Et de fait, rassemblant 2 millions de membres, le PND est « une énorme machine au fonctionnement complexe et opaque »2488, qui doit sa suprématie à son assise étatique2489. Face à lui, les partis d’opposition sont « extrêmement divisés, peu

2482 L’Interafricaine socialiste est une forme de coopération régionale entre partis africains, qui se présente comme une « confédération de partis socialistes africains ». Elle est créée à Tunis le 28 février 1981 et son président est Léopold Sédar Senghor. Voir : ULYSSE, Xavière, « L’Interafricaine socialiste : une forme inédite de coopération régionale », in : Tiers-Monde, 1983, vol. 24, n° 96, p. 819-823. 2483 SAPMO-BArch, DY 30/ 13 669, op.cit., Informationsbericht über die Sozialistische ägyptische Partei, vertraulich, juni 1988. 2484 SAPMO-BArch, DY 30/ 13 671, op.cit., Vermerk über ein Gespräch des Genossen Klaus Gloede, Botschaftsrat, mit dem Vorsitzenden des sozialistischen Arbeitspartei, Ibrahim Shukri, am 12.1.1984, Botschaft der DDR in der AR Ägypten, 15.1.1984. 2485 BURGAT, François, « Islam, opposition politique et modernisation sociale en Egypte », in : Les Cahiers de l’Orient. Egypte : dérapage sous contrôle, 2007, n° 45, p. 65-79. 2486 SAPMO-BArch, DY 30/ 14 044, op.cit., La situation en matière de politique intérieure et la politique de l’Egypte dans la première moitié de l’année 1986, Botschaft der DDR in der AR Ägypten, Kairo, 1.6.1986. 2487 BStU, MfS, ZAIG, Nr. 16220, Information sur les aspects actuels de la politique intérieure et extérieure de l’Egypte, strictement confidentiel, Berlin, 3.7.1989. 2488 POMMIER, Sophie, « Egypte : le Parti national démocratique… », op.cit., p. 71. 2489 BEN NEFISSA, Sarah, « Les partis politiques égyptiens… », op.cit., p. 81.

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capables de se coaliser et aucun d’entre eux (pas même le PRNPU) n’est en mesure […] de gagner le soutien des masses »2490.

En 1986, prenant acte de la trop grande faiblesse de l’opposition intérieure, les rapports des diplomates est-allemands conseillent de développer les contacts bilatéraux en s’appuyant sur les « forces bourgeoises dominantes » et insistent sur la nécessité d’ « étudier toutes les possibilités de relations étatiques et sociales »2491. Les représentants de la RDA au Caire insistent sur l’indispensable adaptation au terrain égyptien : « il faut que nous acceptions ces faits nouveaux et que nous nous y adaptions : la RDA entretient bien des relations avantageuses avec des Etats impérialistes, sans avoir [pourtant] l’illusion de pouvoir influencer à court terme les rapports [de forces] internes à ces Etats »2492 (annexe 11). Cette position réaliste conduit à un certain décalage entre les objectifs affichés du régime est-allemand, les pratiques concrètes des différents acteurs de la diplomatie et les discours visant à les justifier. Tout en estimant que la sécurité des intérêts économiques est-allemands en Egypte « n’est possible que […] par le renforcement des contacts avec les forces agissant contre le développement capitaliste du pays », l’ambassade de la RDA au Caire prône l’accroissement des relations du SED avec le gouvernement et « les partis bourgeois », c’est-à-dire avec les représentants les plus actifs du capitalisme égyptien2493. En 1989, cette politique mène le SED à envisager sérieusement la mise en place de relations officielles avec le parti gouvernemental, après que le Dr. Sabri Taha, membre du secrétariat du PND, a relayé le souhait du président Hosni Moubarak de voir se développer les liens officiels entre les deux organisations politiques2494. b) Premiers contacts entre le SED et le Parti National Démocratique en 1988-1989

Des contacts informels existent déjà entre les représentants du SED et ceux du PND à partir de la fin des années 1980. Depuis l’arrivée de Hosni Moubarak au pouvoir, la RDA est

2490 SAPMO-BArch, DY 30/ 13 671, op.cit., Vermerk über ein Gespräch des Genossen Dr. Peter Bathke, Abteilungsleiter der Abteilung Internationale Verbindungen im ZK der SED, mit Genossen Khaled Mohieddin, Generalsekretär der VNPP Ägyptens, am 24.10.1986, Botschaft der DDR in ARÄ, Kairo, 25.10.1986. 2491 SAPMO-BArch, DY 30/ 14 044, op.cit., La situation en matière de politique intérieure et la politique de l’Egypte dans la première moitié de l’année 1986, Botschaft der DDR in der AR Ägypten, Kairo, 1.6.1986. 2492 MfAA, L 187 C 6489, op.cit., Lettre de l’ambassadeur de RDA en RAE au département du Proche- et du Moyen-Orient du MfAA, le Caire, 19.4.1979. 2493 MfAA, L 187, C 6461, Gedanken für die Konzeption zur Entwicklung der Beziehungen DDR-ARÄ, 1979- 80. Botschaft der DDR in der AR Ägypten, Kairo, den 21.09.1978. 2494 SAPMO-BArch, DY 30/ 13 669, op.cit., Vermerk über ein Gespräch mit Sabri Taha, Mitglied des Sekretariats der NDP und des Büros fur Jugendfrage der Partei, am 7.4.1989, im Gebäude des ZK der SED.

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en effet plus encline à entretenir des relations avec le parti qu’il préside : bien que le PND soutienne la politique de « porte ouverte » initiée par Sadate, prône la solidarité avec les Etats islamiques comme l’Arabie Saoudite et veuille se maintenir hors des zones d’influence des blocs2495, le dirigeant égyptien bénéficie d’une image plus positive que celle de son prédécesseur. Les différents rapports d’information élaborés par les diplomates est-allemands partagent d’ailleurs ce point de vue : « en général, sous Moubarak, les conditions de notre action politico-diplomatique se sont améliorées. La partie égyptienne est prête à dialoguer et [se montre] plus ouverte »2496. Les acteurs est-allemands ont d’ailleurs conscience de la volonté du gouvernement de Hosni Moubarak de développer ses liens avec les Etats socialistes. Boutros Boutros-Ghali, ministre des Affaires étrangères de 1977 à 1991 et membre du secrétariat du PND depuis 1980, est partisan de la diversification des relations internationales du parti gouvernemental2497, conformément à la politique étrangère menée par Hosni Moubarak. En 1984, celui-ci rétablit les relations diplomatiques de l’Egypte avec l’URSS2498, se tourne vers la France qui réalise et finance le métro du Caire2499, et accentue ses liens avec les pays d’Europe centrale comme la Hongrie et la Roumanie, ainsi qu’avec les Etats d’Afrique et d’Asie2500.

Selon Boutros Boutros-Ghali, les relations du PND ne doivent donc pas se limiter aux partis des Etats non-alignés2501. Le PND a d’ailleurs entrepris de nouer des contacts avec le parti démocrate américain en 1985 et avec le PCUS en 1986. En accord avec le secrétaire général du PND, Youssef Waly, le ministre égyptien des Affaires étrangères soutient le développement des relations avec les autres pays socialistes. Pour l’ambassadeur est-allemand au Caire, Wolfgang Schüssler, il est évident que la RDA sera « bientôt confronté[e] à cette problématique ».

2495 SAPMO-BArch, DY 30/ J IV 2-2J-8139, op.cit., 11.10.1978, Abt. Int. Verbindungen, Berlin. 2496 SAPMO-BArch, DC 20/ 4315, op.cit., Informationsbericht, Ägypten, 1985, Abt. Naher u. Mittlerer Osten. 2497 SAPMO-BArch DY 30/ 13 671, op.cit., Lettre de Wolfgang Schüssler, ambassadeur est-allemand au Caire, à Günter Sieber, directeur du département des relations internationales du Comité central du SED, le Caire, 2.5.1987. 2498 Voir supra, partie I, chapitre 4, p. 195. 2499 Le métro du Caire est inauguré en 1987. 2500 POMMIER, Sophie, Egypte, l’envers du décor, op.cit. , p. 67. 2501 SAPMO-BArch, DY 30/ 13 671, op.cit., Lettre de Wolfgang Schüssler, ambassadeur est-allemand au Caire, à Günter Sieber, directeur du département des relations internationales du Comité central du SED, le Caire, 2.5.1987.

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Le rapprochement entre le SED et le PND est donc anticipé par les observateurs est-allemands, d’autant qu’il coïncide avec le rétablissement des liens entre l’Egypte et l’URSS. La politique de diversification menée par Hosni Moubarak a été facilitée par l’arrivée de Mikhaïl Gorbatchev à la tête de l’URSS, en 1985, et celle d’Edouard Chevardnadze au poste de ministre des Affaires étrangères. En reconnaissant le statu quo territorial dans le monde entier, ces derniers admettent en effet la possibilité d’entretenir des relations avec tous les Etats menant une politique d’intérêts nationaux, sans privilégier nullement les pays marxistes-léninistes2502. La même ligne de conduite prévaut pour les démocraties populaires. En mai 1989, une délégation du PC de Bulgarie se rend en Egypte, à l’invitation du PND et signe avec ce dernier un protocole de coopération2503. La délégation est reçue par le président égyptien, le président du Parlement, le secrétaire général du PND et plusieurs ministres. Tous font part de leur intérêt à développer des relations avec les Etats socialistes. Au même moment, le PC de Tchécoslovaquie signe un protocole similaire avec le PND2504 : l’accord est signé le 28 mai 1989, pour trois ans, et doit être prolongé automatiquement si aucune des parties ne souhaite y mettre un terme. Il prévoit des échanges de délégations et la mise en place d’une coopération bilatérale dans les domaines de la formation des cadres et de la direction des masses.

Si l’on ne retrouve pas de protocole semblable concernant la coopération entre le SED et le PND dans les archives est-allemandes, les deux partis développent cependant considérablement leurs relations au cours des années 1988 et 1989. Le PND est par exemple intéressé par l’expérience de la RDA en matière d’organisation de la jeunesse : à ce titre, il encourage la coopération avec la FDJ2505. Ces contacts se maintiennent jusqu’aux derniers soubresauts de la République démocratique allemande, puisque les archives est-allemandes font état de rencontres entre les cadres des deux partis au moins jusqu’au mois de septembre

2502 WERTH, Nicolas, Histoire de l’Union soviétique…, op.cit., p. 563. 2503 SAPMO-BArch, DY 30/ 13 671, op.cit., Lettre de M. Graff, chargé de mission à l’ambassade de RDA en RAE, à Günter Sieber, directeur du département des relations internationales du Comité central du SED, le Caire, 4 .6.1989. 2504 SAPMO-BArch, DY 30/ 13 669, op.cit., Protocole sur la coopération entre le PND et le PC de Tchécoslovaquie. Rédigé en anglais, au Caire, le 20 mars 1989 et signé le 28 mai 1989 par Michel Stefanak, directeur du département des relations internationales du Comité central du PC tchécoslovaque et Youssef Waly, secrétaire général du PND. 2505 SAPMO-BArch, DY 30/ 13 671, op.cit., Vermerk über ein Gespräch mit dem Sekretär für die internationale Beziehungen der Jugendorganisation der NDP, Dr. Sabri Taha, am 12.6.1988, Botschaft der DDR in der AR Ägypten, Kairo, 16.6.1988.

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19892506. En 1988-1989, parallèlement à l’accroissement des contacts entre le SED et le PND, les interlocuteurs traditionnels de la RDA, comme le PRNPU, manifestent d’ailleurs leur inquiétude quant à la diminution des relations entre leur propre parti et le SED2507.

2506 SAPMO-BArch, DY 30/ 13 671, op.cit., Note sur une conversation avec le directeur de l’Union des diplômés et membre du secrétariat pour la jeunesse du PND, le Dr. M. Motawie, Botschaft der DDR in der AR Ägypten, Kairo, 25.9.1989. 2507 SAPMO-BArch, DY 30/ 13 671, op.cit., Note sur une conversation entre l’ambassadeur de RDA au Yémen, le camarade Freimut Seidel, et le secrétaire général du Comité central du PRNPU, le camarade Rifaat el-Saïd, le 7 avril 1988, dans la résidence de l’ambassadeur, Botschaft der DDR in Aden, Volksdemokratische Republik Jemen, 23.5.1988.

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Ce chapitre a montré que, de sa reconnaissance en droit par le Caire en 1969 à l’effondrement de son système politique en 1989, la RDA construit en Egypte les fondements d’une politique étrangère pragmatique et flexible. Les liens bilatéraux se développent notamment sur la base des relations entre partis, qui représentent pour le SED un gain de visibilité significatif à l’échelle internationale.

Berlin-Est encourage d’abord le grand mouvement de rassemblement patriotique sous l’égide de l’USA, voulant croire en la transformation révolutionnaire du nassérisme. Dès cette époque cependant, la diplomatie est-allemande met en œuvre des stratégies relationnelles souples, intergouvernementales ou extra-étatiques, qui lui permettent d’entretenir ses liens avec l’Egypte indépendamment des circonvolutions politiques internationales. Après Camp David et la mise en place des « relations spéciales » entre l’Egypte de Moubarak et les Etats-Unis, cette politique réaliste contribue à maintenir l’Egypte parmi les partenaires culturels et commerciaux de la RDA. Elle correspond en réalité à une redistribution des objectifs de politique étrangère du SED, qui à partir du début des années 1980 privilégie la dimension économique de ses relations avec l’Egypte, au risque de reléguer la coopération idéologique à un niveau infra-étatique. En 1988-1989, une telle posture conduit même le régime de Berlin-Est à envisager de nouer des contacts officiels avec le parti égyptien présidentiel, qu’il assimile pourtant à une variante arabo-islamique de la social-démocratie autrichienne ou ouest-allemande2508.

Une analyse approfondie des ressorts de la coopération politique bilatérale a montré que, de 1969 à 1989, l’idéologie délaisse progressivement le champ du politique et se déploie finalement dans les interstices de la relation étatique : entretien de réseaux relationnels interpersonnels ; collaboration avec le secteur associatif ou syndical ; soutien irrégulier au PCE illégal.

L’échec de constitution d’une culture anti-impérialiste commune et supranationale se mesure à l’aune du peu de succès que rencontrent les slogans socialistes au sein de la population égyptienne. La rhétorique de la lutte de libération nationale ou de l’anti-capitalisme, récupérée par l’idiome islamique au cours des années 1970-1980, apparaît nettement plus mobilisatrice. Les acteurs est-allemands ne s’y trompent pas, qui entreprennent

2508 SAPMO-BArch, DY 30/ J IV 2-2J-8139, op.cit., Information pour le Bureau politique du Comité central du SED. Concerne : information sur le nouveau parti fondé en Egypte, le parti national démocratique, Abt. Int. Verbindungen, Berlin, 11.10.1978.

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de tisser très tôt des liens avec les principaux représentants religieux d’Egypte, qu’ils soient chrétiens ou musulmans.

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Chapitre 8 - « L’esprit complète le savoir »2509. Le glissement du potentiel contestataire de l’opposition égyptienne de gauche au militantisme islamiste : critiques, concessions et instrumentalisations est-allemandes.

Les chapitres précédents ont montré avec quel pragmatisme se déployait l’activité est-allemande en Egypte. La posture qu’adopte le régime de Berlin-Est à l’égard de la question religieuse témoigne de cette capacité d’adaptation et impose, là encore, de reconsidérer la place de l’idéologie dans la conduite de sa politique étrangère.

De façon assez paradoxale au premier abord, ni les sources est-allemandes, ni les sources issues des partis de gauche égyptiens n’évoquent en profondeur la place de la religion, et notamment de l’islam, en Egypte. Deux raisons principales peuvent expliquer cette relative indifférence : d’une part, la grille d’analyse marxiste-léniniste des observateurs est-allemands repose sur des critères rationnels et économiques, qui, sans nier le facteur religieux, n’en font pas une force motrice des relations internationales. De ce point de vue, le discours est-allemand correspond aux représentations occidentales en vigueur au cours de la guerre froide, qui assimilent avant tout les relations internationales à un champ d’affrontement de deux idéologies séculières2510. Assez logiquement, le parti communiste et les mouvements d’inspiration marxiste en Egypte ont repris, ou tout du moins n’ont pas remis en cause, les théories de la sécularisation et l’idée du « déclin de la religion en tant que force sociale et politique comme inhérent à la modernité »2511. D’autre part, et cet argument vient nuancer le premier, il est probable que les acteurs communistes, Allemands de l’Est ou Egyptiens, aient fait en sorte d’éviter d’aborder de front la question religieuse. Si cette dernière est globalement écartée des analyses politiques et socio-économiques, ce n’est pas uniquement par idéologie, c’est aussi le résultat d’un mécanisme d’adaptation, pragmatique et conscient, aux réalités du terrain égyptien. La relégation de cette question au rang de préoccupation secondaire est l’expression d’une prudence salutaire, qui vise à ne pas entraver les relations entre, d’un côté, un Etat promouvant le matérialisme athée et, d’un autre côté, un

2509 SAPMO, DY 30/ IV B 2-20 345, op.cit., Note. Le 13 février 1974, le camarade G. Grüneberg a été reçu par le premier secrétaire du Comité central de l’USA, le Dr. Hafez Ghanem, pour une conversation amicale d’une demi-heure, le Caire, 14.2.1974. 2510 Sur le non-traitement de la dimension religieuse par les sciences sociales et notamment les relations internationales, voir l’article de Jonathan Fox : FOX, Jonathan, « Religion et relations internationales : perceptions et réalités », in : Politique étrangère, 2006/4 Hiver, p. 1059-1071. 2511 Ibid., p. 1061.

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Etat et une population qui restent attachés à l’héritage islamique - quelles que soient, par ailleurs, les déclinaisons de ce dernier.

Les sources est-allemandes témoignent de l’ambivalence de la posture de la RDA face à la question religieuse en Egypte : tout en percevant explicitement l’ « influence religieuse » comme un obstacle « au développement du prolétariat en tant que classe agissant de manière consciente et organisée »2512, elles pointent les mécanismes de « concordisme »2513 entre islam et communisme. A cet égard, elles s’inscrivent dans la continuité de la ligne politique soviétique mise en œuvre depuis le Congrès des peuples de l’Orient à Bakou en septembre 1920 : à l’initiative du comité exécutif de l’Internationale communiste, les représentants des régions musulmanes de Russie, d’Asie centrale et du Caucase, d’Arménie, de Géorgie et des pays limitrophes du Moyen-Orient, se réunissent afin de « proposer un projet de révolution orientale »2514. Confrontés à la nécessité d’intégrer les populations musulmanes soviétiques de Transcaucasie et d’Asie centrale au projet révolutionnaire national, les dirigeants de l’URSS prennent garde à ne pas « heurt[er] […] de front la religion musulmane »2515. Après la révolution bolchévique de 1917, la Russie compte en effet 16 millions de musulmans, soit 10% de sa population2516. La même ligne de conduite prévaut à l’extérieur des frontières nationales : dans les années 1950, afin de ne pas s’aliéner les pays musulmans, les Soviétiques théorisent les apports progressistes de l’islam, religion des opprimés et compatible avec l’idée de révolution sociale2517. La percée de l’URSS dans le monde arabe encourage ce phénomène d’aller-retour constant entre fidélité à la théorie communiste, qui voit la religion comme une survivance de la société de classes, et logique d’accommodation, en particulier afin de lutter contre l’image d’Etat athée de l’Union soviétique, largement exploitée par ses détracteurs. En Egypte, les acteurs est-allemands et leurs interlocuteurs de gauche font preuve de la même prudence à l’égard de la religion, pour une raison extrêmement pragmatique, ne pas se mettre à dos une population fortement religieuse, qu’elle soit musulmane ou copte : « si vous voulez

2512 SAPMO, DY 30/ J IV 2-2J-7094, op.cit., A propos de la situation en RAE, janvier 1976. 2513 Pour reprendre l’expression de Maxime Rodinson dans : RODINSON, Maxime, « Problématique de l’étude des rapports entre Islam et communisme », in : Marxisme et monde musulman, op.cit., p. 171. 2514 CHABRIER, Edith, « Les délégués au premier Congrès des peuples d’Orient », in : Cahiers du monde russe et soviétique, 1985, vol. 26, n° 26-1, p. 22. 2515 COMTOIS, Jean, « L’URSS et l’islam », in : Politique étrangère, 1948, n°5-6, p. 460. 2516 FOWKES, Ben, GÖKAY, Bulent (dir.), « Unholy Alliance…», op.cit., p. 2. 2517 Mohammed Heikal estime ainsi que Lénine « voyait dans l’islam et le bouddhisme les religions des opprimés et dans le christianisme celle des oppresseurs ». Voir : HEIKAL, Mohammed, Le sphinx et le commissaire…, op.cit., p. 41.

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conserver le contact avec les masses, vous devez parler le langage qu’elles comprennent »2518. Cette posture conduit à un décalage assez flagrant entre les prises de position théoriques, qui assimilent l’audience croissante des mouvements islamistes au basculement de l’Egypte vers la réaction, et les mécanismes constants d’adaptation, qui encouragent le dialogue entre mouvements de gauche et opposition religieuse.

Admettant la « puissance politique »2519 de la religion dans le champ international, ce chapitre étudie les relations égypto-est-allemandes sous un angle spécifique, celui du rapport au fait religieux. Il tente de mettre en lumière les types d’interactions que peuvent produire les échanges entre un pays se réclamant du matérialisme dialectique et un pays qui reconnaît (voire encourage) l’autorité morale de la religion, tant au niveau étatique qu’au sein de la société civile. Il n’a pas vocation, pour autant, à présenter le facteur religieux comme un élément déterminant des relations bilatérales. L’essor des analyses post-11 septembre 2001, incarnées par Samuel Huntington et sa théorie du « choc des civilisations »2520, qui ont fait du prisme religieux une composante décisive dans l’interprétation des relations internationales, nient en effet à notre sens la complexité des articulations entre le politique et le religieux. Face au « retour »2521 du facteur religieux dans la recherche en sciences humaines depuis plus d’une décennie, certains chercheurs en relations internationales entendent plutôt réhabiliter l’étude des « logiques du Sacré », sans isoler ces dernières de leurs traductions politiques et géopolitiques2522. Ce chapitre s’inscrit dans une telle démarche, en soulignant à la fois les stratégies d’adaptation réciproques dont font preuve les Allemands de l’Est et les Egyptiens lorsque le phénomène religieux interfère avec les relations bilatérales, et les allers-retours constants entre doctrines et/ou croyances a priori inconciliables. Au-delà de leurs divergences politiques, idéologiques et spirituelles, les différents types d’acteurs peuvent tour à tour instrumentaliser la référence religieuse dans des buts de politique intérieure ou extérieure, promouvoir le développement des relations bilatérales par le biais des organisations religieuses, ou encore encourager la constitution de fronts patriotiques mêlant revendications

2518 SAPMO-BArch, DY 30/ 13 671, op.cit., « Left of Center. The National Progressive Unionist Party is finding it difficult to garner support », article de Michael Georgy, Cairo Today, novembre 1988. 2519 FOX, Jonathan, « Religion et relations internationales… », op.cit., p. 1062. 2520 HUNTINGTON, S.P., The Clash of Civilizations and the Remaking of the World Order, New York, Simon and Schuster, 1996. 2521 MAYER, Jean-François, « Facteurs religieux et relations internationales : une approche théopolitique », in : Etudes et analyses, août 2005, n° 8. URL : http://religion.info/pdf/2005_08_theopol.pdf 2522 A ce sujet, voir la présentation que fait Barah Mikaïl de l’ « Observatoire géopolitique du religieux » lancé par l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS), sur le site de l’IRIS: http://www.iris- france.org/analyse/geopolitique-religieux-article.php?numeroGR=1

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sociales, politiques, nationalistes et religieuses. Les « alliances transversales multiples »2523 plus ou moins durables qui se nouent entre les acteurs est-allemands et les mouvements militants égyptiens, qu’ils soient de gauche, nationalistes ou islamistes, remettent en cause le primat de l’idéologie sur le politique. La référence religieuse s’insère dans un réseau complexe de présupposés, d’appartenances et d’objectifs où s’imbriquent convictions profondes, stratégies politiques et conscience nationale, et ce à tous les échelons considérés (étatique, extra-parlementaire, ou sociétal).

A. Les mouvements islamistes : une « masse réactionnaire »2524

1. L’islam pour Berlin-Est : un outil politique de la contre-révolution a) L’islam au prisme de la tradition marxiste de la critique des religions

Jusqu’à sa reconnaissance par les Etats arabes en 1969, le régime de Berlin-Est s’emploie à mettre en valeur les points communs qui l’unissent à ces derniers, quitte à occulter les points de discorde, comme la place de la religion dans la société. Après 1969, le développement des relations diplomatiques sous la bannière de la lutte anti-impérialiste implique de laisser de côté les éventuels désaccords. Dans ce contexte, les analyses est- allemandes ont tendance à appréhender la question religieuse sous le prisme global du développement socio-économique des Etats et non en tant que sujet d’étude en soi.

Une perspective similaire guide la recherche scientifique est-allemande sur le Proche- Orient et l’Afrique du Nord : cette dernière s’intéresse à l’essor de l’islam politique dans le cadre plus général de la critique socialiste des idéologies arabes, au même titre que le développement industriel et agricole, les rapports entre les classes ou la place des femmes dans la hiérarchie sociale2525. A un premier niveau d’analyse, la religion apparaît comme l’instrument politique de la contre-révolution2526. La théorie communiste la considère en effet comme « une idéologie fausse au service des classes dirigeantes [qui] endort ou mystifie la conscience révolutionnaire potentielle des classes opprimées »2527. A un second niveau d’analyse, et à la faveur de leur expérience sur le terrain, les acteurs est-allemands relèguent la

2523 DOT-POUILLARD, Nicolas, « Rapports entre mouvements islamistes… », op.cit., p. 150. 2524 SAPMO-BArch, DY 30/ IV B 2-20 346, op.cit., Vermerk über ein Gespräch mit Mohamed Said Ahmed, Mitglied des Generalsekretariats der VNPP Ägyptens, am 20.4.1981, Botschaft der DDR in ARÄ, Kairo, 22.4.1980. 2525 HAFEZ, Kai, Orientwissenschaft in der DDR…, op.cit., p. 6. 2526 IBRAHIM, Salah Kamel, Grundelemente und Bedigungsfaktoren…, op.cit., p. 266. 2527 RODINSON, Maxime, « Problématique…», op.cit., p. 164.

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lutte antireligieuse à l’arrière-plan de leur politique étrangère. Maxime Rodinson rappelle ainsi que, face à la place dévolue à la religion dans certains Etats non socialistes, l’une des thèses développées par les communistes met en exergue le caractère superstructurel de cette dernière et la décrit comme un phénomène dépendant avant tout de l’infrastructure2528. Dès lors, il est vain de lutter contre la religion sur le seul terrain idéologique, puisque « la seule méthode valable consiste à détruire [s]es bases infrastructurelles […] en démolissant la société de classes »2529. De ce point de vue, les rapports des acteurs est-allemands présents en Egypte témoignent de la représentation duale que ces derniers se font du rôle politique de l’islam dans le pays. Ils reprennent plus ou moins à leur compte les analyses de leurs interlocuteurs égyptiens de gauche, qui n’excluent pas d’emblée la coopération avec les forces islamistes :

« Le courant islamiste en Egypte n’est pas homogène. Il existe en tout environ quatre-vingt groupuscules, dont chacun représente des conceptions différentes. Quelques-uns de ces groupes emploient des méthodes terroristes, qui peuvent être instrumentalisées par des forces fascistes. D’autres groupes ont des points communs avec le mouvement national progressiste »2530.

Globalement néanmoins, les Allemands de l’Est ont tendance à assimiler le développement croissant des mouvements islamistes au cours des années 1970 au basculement progressif de l’Egypte vers la droite réactionnaire. b) L’ « islamisation »2531 de la société égyptienne au cours des années 1970

Les observateurs est-allemands partagent l’idée selon laquelle l’influence religieuse entretient la « servilité » naturelle des travailleurs égyptiens, au même titre que l’attachement au village natal, le manque d’éducation, le nationalisme exacerbé et l’anticommunisme ambiant2532. Cependant, le contexte politique égyptien de la fin des années 1970 est selon eux particulièrement « favorable à la création de conditions intérieures propices au renforcement des tendances extrémistes de droite, en particulier d’orientation islamique »2533. Certains des

2528 Ibid. 2529 Ibid. 2530 SAPMO, DY 30/ 13 667, op.cit., Vermerk über ein Gespräch des Genossen Trappen mit Vertretern der ÄKP, den 19.11.1983. 2531 « Islamisierung ». MfAA, L 187, C 1429/78, op.cit., Aktenvermerk über ein Gespräch mit Samir Farid, Filmkritik in der « Al Goumhouriya », Ort : Wohnung, Zeit :11.10.77, 20.00 Uhr, Botschaft der DDR in Kairo, 19.10.77, p. 96. 2532 SAPMO-BArch, DY 30/ J IV 2-2J-7094, op.cit., A propos de la situation en RAE, janvier 1976. 2533 « Die politische Entwicklung der ARÄ hat 1977 die inneren Bedigungen für die Verstärkung rechtsextremistischer Tendenzen, insbesondere islamischer Richtungen, begünstigt ». MfAA, L 187, C 6513, op.cit., Jahresbericht der Botschaft der DDR in der AR Ägypten für das Jahr 1977, Zur innenpolitischen Entwicklung der ARÄ im Jahre 1977, Kairo, den 22.12. 1977, p. 29.

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interlocuteurs égyptiens « progressistes » des diplomates est-allemands relaient cette conception : en octobre 1977, Samir Farid, critique de cinéma au journal al-Goumhouria, s’entretient avec M. Winter, premier secrétaire à l’ambassade de la RDA au Caire :

« Farid explique qu’il y a des initiatives pour faire progresser l’islamisation. La revendication principale est de prêter davantage attention aux lois coraniques. Cette campagne est aussi dirigée contre les vêtements „laïques‟ des filles et des femmes. On exige souvent d’elles qu’elles s’habillent de façon traditionnelle. On va même jusqu’à dire que celles qui ne le font pas (vêtements avec longues manches, voile) sont des prostituées. Il a pris position à ce propos dans al-Goumhouria et a essayé de montrer que cela était absurde. Il a reçu en réponse des lettres de menaces et des menaces de mort, aussi bien sur son lieu de travail que chez lui. Il a montré les lettres à la police qui a promis de faire des recherches à ce sujet »2534.

La condamnation par la RDA de l’audience croissante dont bénéficient les mouvements islamistes en Egypte s’accroît parallèlement à l’affaiblissement des vecteurs politiques, médiatiques et syndicaux traditionnels grâce auxquels elle disposait de plates-formes d’expression dans le pays. Globalement, la « réislamisation » de la société égyptienne est imputée à l’orientation de plus en plus réactionnaire de l’Etat au cours des années 1970 et à sa volonté de se concilier une population fortement religieuse. En réalité, de Nasser à Moubarak, le régime égyptien a continuellement oscillé entre phases de sécularisation et processus de réislamisation, au gré de ses besoins et de ses alliances politiques.

2. Le régime égyptien face au militantisme religieux : entre instrumentalisation et répression a) Nasser : un mouvement de sécularisation au service des aspirations nationales, anti-impérialistes et modernisatrices de l’Egypte

Le 23 juillet 1952, le coup d’Etat des Officiers libres, qui renverse la monarchie constitutionnelle du roi Farouk, est le fait d’une élite moderniste et laïcisante2535. Après la proclamation de la République égyptienne en juin 1953 et l’arrivée au pouvoir de Nasser en octobre 1954, le nationalisme arabe, anti-impérialiste, moderne et à tonalité laïque l’emporte

2534 « Farid informierte, daß es Bestrebungen gibt, die Islamisierung weiter voranzutreiben. Äußerlicher Ausdruck sei die erhobene Forderung, nach mehr Achtung vor den Gesetzen des Koran. Dabei zielt diese Kampagne auch gegen die zu « weltliche » Kleidung der Mädchen und Frauen ab. Es werden offen Forderungen erhoben, daß sich Frauen und Mädchen wieder traditionnell kleiden sollen. Man geht sogar soweit, alle diejenigen, die dies nicht tun (langärmlige Kleider, Kopfhaube) als Prostituierte zu verunglimpfen. Er habe in der « Goumhoriya » dazu Stellung genommen und versucht nachzuweisen, daß das Unsinn sei. Daraufhin habe er Drohbriefe und Morddrohungen sowohl an seine Arbeitsstelle als auch nach Hause erhalten. Er übergab diese Briefe der Polizei, die Nachforschungen versprach ». MfAA, L 187, C 1429/78, op.cit., Aktenvermerk über ein Gespräch mit Samir Farid, Filmkritik in der « Al Goumhouriya », Ort : Wohnung, Zeit :11.10.77, 20.00 Uhr, Botschaft der DDR in Kairo, 19.10.77, p. 96. 2535 DUBARRY-CHARTOUNI, May, « Egypte, la montée de l’islamisme révolutionnaire » in : Etudes, novembre 1987/11, n° 5, p 454.

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sur l’utopie d’Umma islamique2536. Pour autant, il n’y a pas de contradiction entre ce nationalisme sécularisé, qui se développe dans le cadre de l’Etat égyptien, et l’aspiration à des unités plus vastes, arabe ou musulmane, « dans la mesure où les uns et les autres remettent en cause la colonisation »2537. Le socialisme nassérien se situe au croisement de deux courants de pensée2538 : il reprend à son compte l’héritage du courant moderniste et libéral issu du penseur Tahtāwī2539, qui au XIXème siècle promeut la distinction entre le politique et le religieux2540 et s’approprie parallèlement les idées sociales des Frères musulmans, inspirées par le fondamentalisme islamique des réformistes arabes2541. C’est le cas par exemple lorsqu’il met en œuvre la réforme agraire, les nationalisations de 1961 ou encore prône l’éducation gratuite.

La sécularisation de la république égyptienne est donc avant tout l’expression d’une exigence nationaliste et moderniste, qui trouve dans le référent marxiste et dans le discours anti-impérialiste un « mode incontestable d’accès à l’universalité, contre le système colonial »2542. Plus qu’une appropriation des mots d’ordre laïcisants, ce processus reflète l’hégémonie idéologique, jusqu’au début des années 1970, du nationalisme séculier, en Egypte comme dans les autres Etats arabes ou du Tiers-monde2543. Il renvoie aussi certainement à un effet de sources : en pleine Guerre froide et à la faveur du rapprochement soviéto-égyptien opéré après la crise de Suez en 1956 et la Guerre des Six Jours en 1967, les partenaires est-allemands de l’Egypte ont tendance à mettre en exergue la proximité idéologique qui les unit au régime nassérien :

2536 SALAME, Ghassane, « L’islam en politique : les expériences arabes d’aujourd’hui », in : Politique étrangère, 1982, n° 2, p. 366. 2537 FREMEAUX, Jaques, La France et l’islam depuis 1789, Paris, PUF, 1991, p. 164. 2538 CARRE, Olivier, « L’idéologie politico-religieuse nassérienne… », op.cit., p. 550. 2539 Ibid., p. 550. 2540 En ce sens, ses idées s’insèrent dans le processus de diffusion des idées de gauche dans les villes de l’est de la Méditerranée, comme le Caire et Alexandrie, qui prônent l’éducation laïque de masse ainsi que l’imposition de contraintes aux autorités religieuses. Voir KHURI-MAKDISI, Ilham, « Intellectuels, militants et travailleurs : la construction de la gauche en Egypte (1870-1965) », in : Cahiers d’Histoire, revue d’histoire critique. Les gauches en Egypte, XIXe-XXe siècles, juillet-décembre 2008, n°105-106, p. 17. 2541 Mouvement prônant la renaissance spirituelle, politique, sociale et économique de l’islam, par un ressourcement au fondement originel, le Coran. Voir : CARRE, Olivier, « L’idéologie politico-religieuse nassérienne… », op.cit., p. 540. 2542 LAÏDI, Zaki, « A quoi sert l’Union soviétique ? », op.cit., p. 20. 2543 ROSEFSKY WICKHAM, Carrie, Mobilizing Islam…, op.cit., p. 34.

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« La direction de l’USA a reconnu officiellement le léninisme comme la "théorie mondiale révolutionnaire" de notre époque et a accepté le fait que cette doctrine apporte des impulsions et des exemples [utiles] à l’approfondissement de sa propre révolution. »2544

Le ralliement d’une partie des communistes égyptiens à l’Union Socialiste Arabe à partir de 19652545 contribue à diffuser les thèmes marxistes-léninistes en Egypte. Berlin-Est note toutefois avec réalisme que si certains mots d’ordre sont régulièrement brandis, comme le soutien aux « mouvements de libération nationale » (nationale Befreiungsbewegungen) ou la « lutte anti-impérialiste » (antiimperialistischer Kampf)2546, il ne faut pas « perdre de vue que, sur certains points fondamentaux du léninisme, comme la dictature du prolétariat, le rôle directeur du Parti […] et le rôle de la religion, aucune conception marxiste [n’est réellement] exprimée »2547. Les documents du PCE eux-mêmes reprennent abondamment les formules consacrées de la rhétorique marxiste : ils prônent l’« indépendance nationale » (al-Istiqlāl al- watani)2548, le soutien aux « mouvements de libération nationale » (Harakāt al-Tahrīr al- Watani)2549, l’union des « forces progressistes » (al-Qūwwa al-Taqaddumīa) 2550 et des « masses laborieuses » (al-Jamāhir al-Kādiḥa)2551, ainsi que la lutte contre les « conspirations impérialistes » (al-Mu’āmarāt al-Imbirīlīa)2552. En revanche, ils n’abordent pas la question de la religion.

L’appropriation d’une partie de la terminologie marxiste par le régime n’empêche d’ailleurs nullement ce dernier de faire arrêter conjointement les communistes et les Frères musulmans, considérés comme des éléments subversifs. En outre, si Nasser considère la question religieuse comme secondaire par rapport aux aspirations nationales et panarabes, il n’ignore cependant pas l’islam. Le positionnement idéologique de l’Union Socialiste Arabe

2544 « Aufgrund eigener Erfahrungen und der Veränderung des Kräfteverhältnisses erkennt die ASU-Führung offiziell den Leninismus als eine der « revolutionären Welttheorien » unserer Zeit an und akzeptiert, daß diese Lehre auch für die Vertiefung der eigenen Revolution Anregungen und Beispiele bietet » .MfAA, L 187, C 1111/75 – 1117/75, op.cit., Informationsbericht 10/70, Zu den Feierlichkeiten und Aktivitäten anlässlich der 100. Wiederkehr des Geburtstages von W.I. Lenin in der VAR (Endesfelder, Konschel). Botschaft der DDR in der VAR, Kairo, am 1.6.1970, p. 6-7. 2545 Voir supra, partie III, chapitre 7, p. 413-415. 2546 Ibid. 2547 Ibid. .IISH, Communist Party of Egypt Collection, 1975, 1981-1987, 1996, N° 27, op.cit ,ﺍﻻﺳﺘﻘﻼﻝ ﺍﻟﻮﻃﻨﻰ 2548 ,IISH, Michel Kamel Papers, Second General Conference of the CPE, Foreign Sections ,ﺣﺮﻛﺍﺕ ﺍﻟﺗﺤﺮﺭﺍﻟﻮﻃﻨﻰ2549 N° 129, op.cit. .Ibid ,ﺍﻟﻘﻮﻰﺍﻟﺗﻘﺪﻣﻴﺔ2550 .Ibid ,ﺍﻟﺟﻤﺎﻫﻴﺮﺍﻟﻛﺎﺩﺣﺔ 2551 .IISH, Communist Party of Egypt Collection, 1975, 1981-1987, 1996, N° 27, op.cit ,ﺍﻟﻣﺆﺍﻣﺮﺍﺖﻻﻣﺒﺮﻳﺎﻟﻴﺔ 2552

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est à cet égard évocateur. Tout en se reconnaissant des points de convergence avec l’idéologie communiste, l’organisation affiche ses points de désaccord :

« L’Union Socialiste Arabe ne croit pas au marxisme. Elle croit au socialisme, qui se fonde sur les principes de la liberté […]. Elle intègre la foi dans la lutte […]. L’USA s’appuie sur les aspects positifs de la religion, mais en refuse toutefois les aspects réactionnaires »2553.

Lors du congrès national de l’USA au Caire, en février 1972, le premier secrétaire de l’organisation affirme, dans son discours, la nécessité d’œuvrer en faveur d’un développement social qui soit « en accord avec la religion »2554. Cette position n’empêche en aucune façon l’Union soviétique et les Etats socialistes d’accorder leur soutien à l’USA. Le nationalisme nassérien, avec ses accents socialistes sécularistes mais non athées, coïncide plus ou moins avec les slogans anti-occidentaux du communisme soviétique2555.

Les orientations socialisantes de Nasser et son rapprochement avec l’URSS, dont l’idéologie communiste est de nature athée, suscitent néanmoins la méfiance de la population égyptienne. En juin 1970, Rifaat el-Saïd, alors secrétaire du Conseil de la Paix de République arabe unie, s’entretient ainsi avec le premier secrétaire de l’ambassade de Berlin-Est au Caire et relaie « l’opinion de larges couches de la classe moyenne, qui sont convaincues qu’une aide renforcée de l’URSS irait de pair avec une infiltration idéologique renforcée »2556. Il rappelle ainsi que dans les marchés aux livres, « à côtés des ouvrages religieux, les écrits et les volumes marxistes-léninistes sont ceux qui se vendent le mieux ». La politique nassérienne doit dès lors « être équilibré[e] par une plus grande "dose de religion", afin de ne pas prêter le flanc à l’accusation d’athéisme »2557.

2553 SAPMO-BArch, DY 30/ IV B 2-20 345, op.cit., Note. Le 13 février 1974, le camarade G. Grüneberg a été reçu par le premier secrétaire du Comité central de l’USA, le Dr. Hafez Ghanem, pour une conversation amicale d’une demi-heure, le Caire, 14.2.1974. 2554 SAPMO-BArch, DY 30/ IV B 2-20 430, op.cit., Einschätzung der nationalen Tagung in Kairo, von 16. Bis 18.2.1972, Botschaft der DDR in der AR Ägypten, Kairo, 2.3.1972. 2555 VASSILIEV, Alexei, Russian Policy in the Middle East…, op.cit., p. 160. 2556 « Er sprach zunächst über die Meinung breiter Schichten der Mittelklasse, die davon überzeugt seien, daß mit der verstärkten Hilfe der UdSSR ein verstärktes ideologisches Eindringen gekoppelt sei […] ». MfAA, L 187, C 641/73, op.cit., Vermerk über ein Gespräch des 1. Sekretärs der Bostchaft, Gen. Wegricht, mit dem Sekretär des Friedensrates in der VAR, Mr. Rifaat Said, Kairo, 17.6.70, p. 1. 2557 ACLIMANDOS, Tewfik, « L’islam politique égyptien », in : Confluences Méditerranée, automne 2010, n° 75, p. 169.

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b) Un mouvement de sécularisation légitimé par l’islam institutionnel : le rôle d’el-Azhar

Le pouvoir nassérien entreprend alors une véritable étatisation de l’islam égyptien2558. Ce processus se traduit notamment par la réforme d’el-Azhar et des confréries soufies, dans un double but : démocratiser et laïciser l’enseignement égyptien, mais aussi se concilier le « puissant levier de la piété populaire »2559. En 1961, la loi de modernisation d’el-Azhar met l’institution sous le contrôle de l’Etat, de même que les centres d’enseignement du Coran (kuttâb) et les associations religieuses2560. Les enseignants et les oulémas d’el-Azhar ont presque le statut de fonctionnaires religieux et « les instituts azharis doivent, du moins dans la forme, ressembler aux lieux de l’éducation civile laïque »2561.

Le contrôle de l’institution religieuse permet en fait à Nasser de donner une légitimation religieuse à son pouvoir, à l’intérieur, mais aussi d’assurer à l’Egypte un rayonnement islamique majeur, à l’extérieur. Au cours des années 1960 et 1970, l’union entre la religion et le socialisme est proclamée dans les fatwâs des hauts fonctionnaires d’el-Azhar, qui affichent ainsi leur appui au régime. Les acteurs de la société civile qui soutiennent la politique nassérienne relaient cette position, estimant que « la question de la religion n’entre pas en contradiction avec le socialisme ou avec l’alliance avec les Etats socialistes »2562.

Cette institutionnalisation de l’islam égyptien contribue paradoxalement à accroître l’audience du groupe des Frères musulmans, qui se développe indépendamment d’el- Azhar2563. Malika Zeghal explique ainsi que « le nouvel acteur islamiste, qui prend ses racines intellectuelles en dehors de la sphère de formation azharie, et s’oppose tant à l’Etat qu’à el- Azhar, qu’il stigmatise dans l’accusation de soumission au pouvoir, vient redéfinir les relations de l’institution religieuse avec le régime politique »2564.

2558 LUIZARD, Jean-Pierre, Laïcités autoritaires en terres d’islam, Paris, Fayard, 2008, p. 218. 2559 Ibid., p. 221. 2560 ZEGHAL, Malika, Gardiens de l’islam, les oulémas d’el-Azhar dans l’Egypte contemporaine, Paris, Presses de Siences-Po, 1996, p. 117. 2561 Ibid. 2562 « Der Gesprächspartner glaubt nicht, daß bei den genannten Schichten die Frage der Religion im Widerspruch zum Sozialismus oder Bündnis mit den sozialistischen Staaten steht ». MfAA, L 187, C 282/76, op.cit., Vermerk über Gespräche mit zwei Ägyptern am 26.9.1974 zur allgemeinen Lage, Botschaft Kairo, Sektion Konsular, Kairo, 29.9.1974, p. 5. 2563 MfAA, L 187, C 1429/78, op.cit., Vermerk über ein Gespräch mit Adel Hussein am 16.5.1977 in dessen Wohnung, Botschaft der DDR in der AR Ägypten, Kairo, den 18.5.1977. 2564 ZEGHAL, Gardiens de l’islam…, op.cit., p. 240.

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De fait, après la mort de Nasser en septembre 1970, l’arrivée de Sadate au pouvoir marque un revirement dans l’exploitation politique des valeurs religieuses, et en particulier islamiques. En pleine récession économique et face à la crise sociale et politique qui a suivi la défaite arabe de 1967, Sadate est confronté à la réactivation de l’activisme marxiste et islamiste. Il encourage alors la réislamisation de l’Etat et de la société, y voyant une idéologie alternative susceptible de désamorcer l’opposition de ses adversaires nassériens et communistes2565. c) Sadate : vers une « diplomatie religieuse »2566 ? La renaissance des mouvements islamistes pour contrer l’opposition de gauche

Après avoir conduit sous Nasser la répression des Frères musulmans, Sadate soutient la renaissance des organisations islamiques dans la société civile, tout en prenant soin de les écarter de la scène politique légale. En 1977, la loi sur les partis politiques précise en effet « qu’aucun parti ne peut se fonder sur une classe ou une religion »2567. Si l’instauration du multipartisme entre 1976 et 1978 permet la constitution légale d’un parti de gauche, le Parti du rassemblement national progressiste unioniste ou parti Tagammu 2568, cet arsenal législatif permet à Sadate de maintenir les communistes aussi bien que les Frères musulmans à l’écart de la sphère institutionnelle. Le nouveau président égyptien utilise à son tour les oulémas d’el-Azhar pour obtenir la légitimation religieuse nécessaire à son régime. Les mêmes qui avaient soutenu l’orientation socialiste du nassérisme, comme le Cheikh Muhammad al-Bahî, la rejettent désormais et approuvent le passage à la libéralisation économique2569. Afin de gagner la confiance des autorités religieuses, Anouar el-Sadate met en avant la culture islamique de l’Egypte. En période de crise, c’est aussi un moyen de souder la nation autour d’une référence commune. En septembre 1972, alors qu’une nouvelle guerre avec Israël semble imminente, Sadate s’adresse au Congrès des oulémas qui a lieu au Caire et évoque le conflit futur :

« La science seule sans la foi pourrait éviter l’invasion mais ne pourrait former les âmes selon les enseignements de la religion et les principes, les traditions et les valeurs qui se sont épanouis sur cette bonne terre. La foi à elle seule ne suffit pas pour affronter l’invasion parce que l’ennemi

2565 DUBARRY-CHARTOUNI, « Egypte, la montée de l’islamisme… », op.cit., p 456. 2566 HALLIDAY, Fred, L’URSS et le monde arabe, op.cit., p. 62. 2567 POMMIER, Sophie, Egypte, l’envers du décor, op.cit., p. 60. 2568 Sur la fondation du PRNPU, voir supra, partie III, chapitre 7, p.428 et p. 462. 2569 ZEGHAL, Gardiens de l’islam…, op.cit., p. 132-134.

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possède les équipements modernes de la science qui lui permettent de gagner les batailles l’une après l’autre »2570.

Le président égyptien brandit régulièrement la référence religieuse au cours de ses interventions publiques. Il n’est pas rare qu’il entame ses discours « au nom de Dieu »2571 et qu’il mette en scène sa piété personnelle, comme lors de l’allocution qu’il prononce en hommage aux héros de la guerre d’octobre, le 19 février 1974, devant l’Assemblée du peuple : « Dieu ! Ne nous abandonnez pas après nous avoir conduit dans la bonne voie, et accordez-nous Votre miséricorde, Vous qui êtes le Bienfaiteur »2572.

Le dirigeant égyptien parvient de la sorte à se concilier les représentants de l’institution azharie et à donner une assise religieuse à sa politique intérieure et extérieure. Après les émeutes des 18 et 19 janvier 1977 qui font suite à l’augmentation du prix des denrées alimentaires de base, Sadate dénonce un complot communiste, tandis que le grand imam Abdel Halim Mahmoud, Cheikh de la mosquée d’el-Azhar, « exhort[e] le gouvernement et les musulmans à "combattre le communisme avec une poigne de fer" »2573. Lors de son sermon du vendredi 21 janvier 1977, le Cheikh accuse la doctrine communiste de saper l’unité nationale en promouvant l’athéisme : « le communisme commence par tourner la religion en dérision avant de s’attaquer aux fondements mêmes de l’islam et de semer la haine et la discorde afin que notre société explose »2574.

Pour Samir Amin2575, Sadate a ainsi utilisé l’islam « comme arme pour faire avancer l’Infitâh »2576, la référence religieuse servant à justifier l’orientation économique libérale du pouvoir. La Constitution adoptée le 11 septembre 1971 renforce à la fois les pouvoirs du président et le caractère musulman du régime2577, en faisant de la sharî’a islamique une source principale de la législation. L’islamisation partielle de l’Etat introduit la question de l’application de la sharî’a dans le débat public, thème qui joue un rôle majeur dans les

2570 BDIC, S 72251, op.cit., Allocution du président Anouar el-Sadate au Congrès des Ulémas des pays islamiques. Le Caire, 15 septembre 1972, p. 137. 2571 BDIC, S 18031/5, op.cit., Discours du président Mohamed Anouar el-Sadate à l’Assemblée du Peuple, le Caire, le 14 mars 1976. 2572 BDIC, S 18031/4, op.cit., le Caire, 19 février 1974. 2573 IISH, Michel Kamel Papers, Human Rights, N° 219, op.cit., Extrait d’un article du journal Le Monde, daté du 25 janvier 1977. 2574 Le Progrès égyptien, 22 janvier 1977, p. 4. 2575 Sur l’économiste franco-égyptien Samir Amin, voir supra, partie III, chapitre 7, p. 415 et p. 451. 2576 AMIN, Samir, MROUE, Karim, Communistes dans le monde arabe, op.cit., p. 192. 2577 POMMIER, Sophie, Egypte, l’envers du décor, op.cit., p. 56.

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affrontements politiques entre 1970 et 19822578. L’amendement du 1er mai 1980 fait de la sharî’a « la » et non plus « l’une des » source(s) du droit2579. Dans le contexte de rapprochement entre l’Egypte et les Etats arabes conservateurs, comme l’Arabie Saoudite, cette politique permet de se démarquer des régimes laïques d’orientation socialiste de Syrie et d’Irak.

La confessionnalisation des lois sous Sadate suscite surtout l’opposition de la minorité copte, qui avait pu éprouver une certaine attirance pour l’orientation laïcisante de certains partis égyptiens, de gauche ou de droite, comme le Wafd. Les troubles confessionnels s’exacerbent en 1972, puis entre 1978 et 1981 : la minorité chrétienne dénonce les discriminations dont elle fait l’objet en Egypte2580, tandis que les musulmans lui reprochent de vouloir s’attirer la sympathie de la communauté copte américaine2581 et de coopérer avec la CIA2582. A la suite d’attentats anti-chrétiens en 1980, le patriarche copte Chenouda III entre en dissidence et se retire avec son synode dans le Wadi Natroun2583, ce qui lui vaut d’être destitué par Sadate un an plus tard2584. Les affrontements confessionnels donnent en fait au pouvoir l’occasion d’interdire toute activité politique dans les universités en 1980-81 et de décapiter les différents mouvements d’opposition : Sadate fait notamment arrêter les dirigeants de la confrérie des Frères musulmans, qu’il avait pourtant lui-même encouragée2585. Le 14 mai 1980, après un discours du président égyptien devant l’Assemblée du Peuple, le PRNPU s’étonne du fait que le président n’ait abordé presque exclusivement que la « sédition sectaire » qui sévit dans le pays et les attaques contre l’Eglise copte2586. Pour les membres du parti, il ne fait pas de doute que la minorité copte fait l’objet d’une instrumentalisation

2578 HELMY, Nourane, « Dire le politique par le religieux. Analyse du débat parlementaire du 4 mai 1985 sur la question de l’application de la sharî’a islamique en Egypte », in : Revue internationale de politique comparée, 2008/2, vol. 15, p. 237-238. 2579 POMMIER, Sophie, Egypte, l’envers du décor, op.cit., p. 61. 2580 SAPMO-BArch, DY 30/ IV B 2-20 431, op.cit., Informationsbericht Nr. 5/72, Botschaft Kairo. A propos des affrontements entre musulmans et coptes en Egypte. 2581 MIREL, Pierre, L’Egypte des ruptures…, op.cit., p. 227. 2582 SAPMO-BArch, DY 30/ IV B 2-20 431, op.cit., Informationsbericht Nr. 5/72, Botschaft Kairo. A propos des affrontements entre musulmans et coptes en Egypte. 2583 Située à environ 75 km au nord-ouest du Caire, dans le désert Libyque, cette vallée est un grand centre du monachisme chrétien en Egypte. 2584 POMMIER, Sophie, Egypte, l’envers du décor, op.cit., p. 64. 2585 IISH, Michel Kamel Papers, Human Rights, N° 233, op.cit., Le collectif des Egyptiens contre la répression. Déclaration. 2586 SAPMO-BArch, DY 30/ IV B 2-20 346, op.cit., « Statement on the recent political developments », PRNPU, Secrétariat général, ADN du Caire, 21 mai 1980.

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destinée à la radicaliser, à la fois pour « défier les groupes islamiques » et saper l’influence de la gauche.

La légitimation constitutionnelle du régime par le recours à la religion va de pair avec la mise en place d’un arsenal législatif conservateur et répressif. La « loi sur l’éthique » adoptée par le Parlement le 29 avril 1980 et rebaptisée « loi de la honte »2587, instaure une véritable surveillance morale des citoyens : désormais, les auteurs d’actes considérés comme immoraux ou honteux peuvent être traduits devant une Cour spéciale2588. Parmi les actes répréhensibles se trouvent aussi bien la négation des préceptes divins que les appels à la domination d’une classe. Cette loi est à l’origine de la formation à Paris du Collectif des Egyptiens contre la répression, soutenu par les exilés communistes, qui se fixe pour but d’alerter l’opinion publique contre les exactions du régime de Sadate. Le collectif dénonce notamment l’utilisation de la loi pour « appliquer aux personnes arrêtées une juridiction d’exception, pour muter un nombre impressionnant de journalistes et d’universitaires à des postes administratifs hors de leurs institutions et pour supprimer un grand nombre de publications […] »2589. L’instrumentalisation politique de l’islam se double enfin d’une exploitation sociale et culturelle de l’héritage islamique. En 1979 par exemple, Sadate inaugure une exposition d’exemplaires du Coran dans la nouvelle bibliothèque d’Etat2590.

Pourtant, si le pouvoir trouve de la sorte des alliés précieux au sein des forces islamiques, il renforce ce faisant leur audience, « de sorte qu’elles se sont posées en concurrents directs du régime »2591. L’assassinat en 1977 de l’ancien ministre des waqfs2592, le cheikh Dhahabi, est la preuve pour les observateurs est-allemands que « les concessions faites jusqu’ici par Sadate au clergé islamique n’ont pas suffi à empêcher les attaques ouvertes des

2587 La loi n° 95 du 15 mai 1980 sur la protection des valeurs contre la honte (qânûn himâyat al-qiyâm min al-'ayb) crée des juridictions chargées de traiter les atteintes aux valeurs de l’ordre social, économique et politique. Elle s’inscrit dans le contexte de forte opposition intérieure au régime de Sadate, due notamment à son initiative de paix avec Israël. Voir : BERNARD-MAUGIRON, Nathalie, « Les tribunaux militaires et juridictions d'exception en Egypte », in : LAMBERT, Abdelgamad E. (dir.), Juridictions militaires et tribunaux d'exception en mutation : perspectives comparées et internationales, Paris, AUF, Archives Contemporaines, 2007, p. 194. 2588 SAPMO-BArch, DY 30/ IV B 2-20 346, op.cit., « Statement on the recent political developments », PRNPU, Secrétariat général, ADN du Caire, 21 mai 1980, p. 197. 2589 IISH, Michel Kamel Papers, Human Rights, N° 233, op.cit., Le collectif des Egyptiens contre la répression. Déclaration. 2590 MfAA, L 187, C 6499, op.cit., Analyse der kulturpolitischen Entwicklung in der AR-Ägypten 1978/79, Kulturattaché, Kairo, den 31.10.79. 2591 MIREL, Pierre, L’Egypte des ruptures…, op.cit., p. 223. 2592 Les waqfs (legs pieux) désignent les biens inaliénables dont l’usufruit est réservé à une institution religieuse.

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forces islamistes extrémistes contre la politique extérieure, intérieure et de sécurité [du régime] »2593. Les rapports est-allemands pointent d’ailleurs l’influence croissante des « cercles islamistes extrémistes » en Egypte, dans un contexte de crise sociale et d’insatisfaction grandissante de la population2594. Ils constatent que la référence islamique est un facteur de rassemblement politique efficace, à tel point que les partis d’opposition islamistes « petits-bourgeois » constituent selon eux « les adversaires les plus aguerris de Sadate »2595. En effet, ces derniers « disposent d’une idéologie relativement unifiée, d’un système de communication intact, de bonnes relations avec l’étranger, d’expériences de la clandestinité contre le régime et ils rassemblent de larges couches de la société »2596. Les diplomates est-allemands estiment toutefois que le contrôle féroce exercé par le régime empêche ces groupes de constituer un véritable mouvement de masse2597. Une telle surveillance s’accroît après l’assassinat de Sadate le 6 octobre 1981, par des membres du Jihâd islamique égyptien, qui condamnent à la fois les campagnes d’arrestations menées au cours de l’année2598 et la politique de paix séparée avec Israël. En représailles aux actions des « extrémistes religieux »2599, Hosni Moubarak proclame l’état d’urgence et jette en prison des milliers de membres des différents courants islamistes2600. Une véritable « chasse aux khomeinistes » est lancée dans le pays, afin d’arrêter tous ceux qui sont suspectés de fomenter une « révolution islamique à la manière iranienne »2601.

2593 « Die bisherigen Zugeständnisse Sadats an die islamische Geistlichkeit reichten nicht aus, um erste offene Angriffe der extrem islamischen Kräfte gegen die Außen-, Innen- und Sicherheitspolitik zu verhindern (Entführung und Ermordung des ehemaligen Ministers für Religionsangelegenheiten, Sheikh Dahaby). MfAA, L 187, C 6513, op.cit., Jahresbericht der Botschaft der DDR in der AR Ägypten für das Jahr 1977, Zur innenpolitischen Entwicklung der ARÄ im Jahre 1977, Kairo, den 22.12. 1977, p. 29. 2594 SAPMO-BArch, DY 30/ 14 044, op.cit., La situation en matière de politique intérieure et la politique de l’Egypte dans la première moitié de l’année 1986, Botschaft der DDR in der AR Ägypten, Kairo, 1.6.1986. 2595 « Dabei sind die islamischen kleinbürgerlichen Gruppierungen die potentiell stärksten Gegener Sadats ». MfAA, L 187, C 6489, op.cit., Mögliche Wirkungen und Folgen des Separatsvertrages ARÄ-Israel, Arbeitsmaterial, 29.3.1979, p. 8. 2596 « Sie verfügen über eine relativ einheitliche Ideologie, ein intaktes Kommunikationssystem, gute Auslandsbeziehungen, Erfahrungen beim « gedeckten » Vorgehen gegen ein Regime, und sie erfassen breiteste Schichten der Gesellschaft ». Ibid. 2597 SAPMO-BArch, DY 30/ 14 044, op.cit., La situation en matière de politique intérieure et la politique de l’Egypte dans la première moitié de l’année 1986, Botschaft der DDR in der AR Ägypten, Kairo, 1.6.1986. 2598 Sur les campagnes d’arrestations menées par le régime de Sadate au sein de l’opposition politique, voir supra, partie I, chapitre 3, p. 170-173 et partie III, chapitre 7, p. 423-427. 2599 Le Progrès égyptien, 9 octobre 1981, « Les meurtriers de Sadate, des extrémistes religieux », p. 1. 2600 IISH, Michel Kamel Papers, Studies by the ECP, N° 254, op.cit., p. 12. 2601 Le Progrès égyptien, 20 octobre 1981, p. 3.

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d) « Le plus grand défi pour la démocratie est l’extrémisme religieux »2602. L’appareil répressif du PND de Moubarak

Après l’assassinat de Sadate en octobre 1981 et les troubles que ce dernier a suscités au sein de la société égyptienne, Hosni Moubarak s’efforce de rétablir progressivement le consensus national « en associant l’opposition de tous bords à ses efforts »2603. M. A. Moghira estime ainsi qu’ « en fonction des objectifs visés, souvent mal définis, le PND peut se transformer en un appareil d’Etat dirigiste ou libéral, laïque ou islamisant, prônant le panarabisme ou l’occidentalisation de la société égyptienne »2604. Désireux de placer son mandat sous le signe de la réconciliation nationale et de mettre un terme à l’état de crise qui s’est instauré entre le pouvoir et les Frères musulmans2605, Hosni Moubarak libère progressivement les islamistes. De même, afin de désamorcer « l’âpreté de l’opposition laïque »2606, il relâche les militants de gauche arrêtés sous Sadate. Il rencontre les dirigeants des différents courants d’opposition, pour obtenir l’apaisement avec l’ensemble des forces politiques du pays. En novembre 1981, une délégation du PRNPU s’entretient avec Hosni Moubarak et estime que ce « dialogue constructif » est un premier pas dans la garantie des droits de l’opposition politique2607. Le 2 juin 1982, le président égyptien rencontre Khaled Mohieddine, président du PRNPU et lui explique que l’Egypte a besoin de stabilité2608. Dans la même perspective, le président égyptien s’adresse aux oulémas d’el-Azhar en octobre 1981 et leur demande de le soutenir dans la lutte qu’il souhaite engager contre les fondamentalistes musulmans2609. Cette initiative s’apparente en fait à une « stratégie de découplage de l’islamisme et du politique, en séparant les éléments modérés de l’islam officiel des éléments radicaux "non récupérables" »2610. C’est l’analyse que font les observateurs est-allemands : selon eux, Hosni Moubarak a trouvé un consensus avec les dignitaires d’el-Azhar, en leur

2602 SAPMO, DY 30/ 13 669, op.cit., Abt. Int. Verbindungen, Berlin, 10.4.1989. 2603 MOGHIRA, Mohamed Anouar, L’Egypte, clé des stratégies…, op.cit., p. 24. 2604 Ibid., p. 32. 2605 Ibid., p. 39. 2606 MARTIN, Maurice P. s.j., « L’Egypte après Sadate », op.cit., p. 162. 2607 SAPMO-BArch, DY 30/ 13 670, op.cit., VNPP, Dritte Tagung des ZK, 19-20.11.1981, Dokument Nr. 1, Mitteilung. 2608 SAPMO-BArch, DY 30/ 13 670, op.cit., Vermerk über ein Gespräch mit Rifaat el-Saïd, Generalsekretär der VNPP, den 2.5.1982, Botschaft der DDR in ARÄ, Kairo, 7.6.1982. 2609 MOGHIRA, Mohamed Anouar, L’Egypte, clé des stratégies…, op.cit., p. 24. 2610 DUBARRY-CHARTOUNI, May, « Egypte, la montée de l’islamisme…», op.cit., p. 458.

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concédant une certaine marge d’action en échange de leur coopération avec le régime2611. Le soutien de l’institution religieuse lui permet à la fois de donner une coloration islamique à sa propre politique et d’affaiblir les groupuscules musulmans extrémistes qui s’inspirent du modèle iranien.

Tout en ménageant un espace limité d’action pour les Frères musulmans, qui investissent syndicats et associations professionnelles2612, devenant ainsi une force réelle d’opposition à l’autorité centrale, Hosni Moubarak réprime durement les émeutes de Haute-Egypte en 1986 et les manifestations du Caire en 1988. Les facteurs de mécontentement sont nombreux et partagés par l’ensemble de l’opposition, qu’elle soit religieuse ou non : l’identification croissante du parti gouvernemental au pouvoir exécutif verrouille l’espace politique ; le maintien de l’état d’urgence proclamé par Hosni Moubarak en 1981 et justifié par la lutte antiterroriste, consolide un arsenal répressif qui lui permet d’arrêter des « suspects », de contrôler la presse et d’interdire les manifestations ou les réunions publiques. Pour les communistes égyptiens, « sous prétexte de lutter contre les terroristes, cette loi est une arme contre toutes les forces d’opposition »2613. En avril 1985, le PCE de Michel Kamel publie un livret dénonçant la pratique de la torture en Egypte, qui frappe aussi bien les islamistes que les militants de gauche2614. En 1986, des activistes de gauche égyptiens qui avaient fait l’objet d’une arrestation en 1977 ou en 1981, avant d’être libérés, sont à nouveau jugés2615. En accord avec Hosni Moubarak et afin de ne pas aggraver la rupture entre le régime et les forces de gauche, la Cour supérieure de justice pour la sécurité d’Etat rend des jugements plutôt « cléments », la plupart des membres dirigeants du PCE ou du PNPU étant innocentés2616. Les acteurs est-allemands notent toutefois que « les choses sont plus dures à l’égard des cercles islamistes extrémistes que des […] communistes »2617. La dureté de la répression à l’encontre des Frères musulmans s’explique par deux facteurs

2611 SAPMO-BArch, DY 30/ 14 044, op.cit., La situation en matière de politique intérieure et la politique de l’Egypte dans la première moitié de l’année 1986, Botschaft der DDR in der AR Ägypten, Kairo, 1.6.1986. 2612 POMMIER, Sophie, Egypte, l’envers du décor, op.cit., p. 67. 2613 SAPMO-BArch, DY 30/ 13 667, op.cit., Vermerk über ein Gespräch des Genossen Trappen mit Vertretern der ÄKP, den 19.11.1983. 2614 IISH, Michel Kamel Papers, Human Rights, N° 225, op.cit. 2615 Sur les procès intentés par le régime égyptien aux opposants politiques en 1977 et 1981, voir supra, partie III, chapitre 7, p. 423-427. 2616 SAPMO-BArch, DY 30/ 13 671, op.cit., Lettre de Wolfgang Schüssler, ambassadeur de RDA en RAE, à Günter Sieber, directeur du département des relations internationales du Comité central du SED, le Caire, 27.5.1986. 2617 Ibid.

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principaux : d’une part, la crainte que suscite l’écho grandissant de l’opposition islamiste en Egypte et d’autre part celle de voir l’islamisme révolutionnaire iranien encourager le développement des fondamentalistes égyptiens, après la révolution islamique de 1979. En décembre 1988, le ministre de l’intérieur, Zaki Badr, ordonne l’arrestation de près de 60 membres d’organisations islamistes au Caire, qui s’étaient opposés à la politique étrangère du gouvernement2618. Pourtant, en dépit « des restrictions plus grandes encore en matière de démocratie que les autres partis ou forces laïques, les Frères musulmans [réussissent] un tour de force en tirant leur épingle du jeu politique national »2619.

C’est d’ailleurs en partie autour de la lutte commune contre la confrérie des Frères musulmans que se consolident les liens étatiques entre Berlin-Est et le Caire. La coopération bilatérale contre l’organisation islamiste met en lumière le caractère bien plus politique qu’idéologique de la position est-allemande à l’égard des groupes religieux en Egypte : en effet, si les organes de sécurité de la RDA s’entendent avec le régime égyptien pour assurer la surveillance des Frères musulmans, les diplomates est-allemands admettent de leur côté la constitution de fronts patriotiques regroupant communistes et islamistes égyptiens - le plus souvent représentés, précisément, par les Frères musulmans - contre le pouvoir en place. Cette contradiction apparente peut s’expliquer par deux facteurs, qui se conjuguent vraisemblablement : soit la posture est-allemande face aux mouvements islamistes égyptiens est dictée par des considérations opportunistes, autant que par des principes idéologiques, soit il existe un décalage de perception en fonction du type d’acteur pris en compte. La collaboration en matière de lutte sécuritaire contre les Frères musulmans est en effet impulsée par les fonctionnaires de la Stasi, tandis que les analyses qui envisagent la coopération ponctuelle entre les forces communistes et islamistes sont produites par des diplomates en charge des relations internationales du SED. Il est tout à fait possible qu’en fonction de leur place dans l’appareil de parti, ces cadres ne soient pas mus par les mêmes objectifs.

Pour le régime égyptien, en revanche, il est opportun de brandir l’argument selon lequel les Frères musulmans sont le principal vecteur de l’anticommunisme, en Egypte et à l’étranger, afin de persuader les dirigeants est-allemands de la nécessité de le soutenir dans sa lutte contre l’organisation. En 1983, l’ambassadeur égyptien à Berlin-Est estime ainsi que les

2618 MOGHIRA, Mohamed Anouar, L’Egypte, clé des stratégies…, op.cit., p. 75. 2619 Ibid., p. 43.

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Frères musulmans, très actifs depuis Berlin-Ouest, font en sorte de contrarier le développement positif des relations entre la RDA et l’Egypte2620.

3. Les Frères musulmans, relais de l’anticommunisme égyptien ? Le soutien est-allemand à l’Egypte dans la lutte contre la confrérie

S’il est erroné d’affirmer que l’histoire des relations entre les mouvements de gauche et les organisations islamistes égyptiennes est caractérisée par une continuelle « logique de l’hostilité », il n’en demeure pas moins que cette dernière reste marquée par une opposition violente et durable2621.

Le discours des courants islamistes égyptiens assimile volontiers le socialisme à une doctrine européenne introduite dans le monde musulman par des intellectuels soumis aux cultures étrangères2622. Suspectés de promouvoir des valeurs et des normes occidentales et d’être hostiles à la religion, les marxistes sont facilement identifiés à des agents de l’Union soviétique. Inversement, la rhétorique de gauche tend à désigner l’ensemble des mouvements islamistes sous l’appellation commune de « cercles extrémistes de droite »2623. Cette concurrence doctrinale entre activistes de gauche et militants islamistes peut fragiliser la position des Etats socialistes au Moyen-Orient : les Etats-Unis ne s’y trompent pas, qui voient dans l’influence croissante de l’islamisme en Egypte un vecteur possible de l’antisoviétisme2624, tout en redoutant qu’elle ne conduise à un mouvement social du type de celui qui s’est produit en Iran, lors de la révolution de 19792625. Du point de vue est-allemand, de telles divergences peuvent justifier, en partie, l’aide apportée au régime égyptien en matière de lutte contre l’un de ses opposants les plus structurés, le groupe des Frères musulmans.

2620 SAPMO-BArch, DY 30/ 13 671, op.cit., Abschlußinformation über den DDR-Aufenthalt des Genossen Dr. Rifaat el-Saïd, stellvertr. Generalsekretär der VNPP Ägyptens, anläßlich seiner Teilnahme an der Internationalen wissenschaftlichen « Karl-Marx Konferenz », Berlin, 20.4.1983. 2621 DOT-POUILLARD, Nicolas, « Rapports entre mouvements islamistes…», op.cit., p. 153. 2622 ABDELNASSER, Walid Mahmoud, The islamic movement in Egypt. Perceptions of international relations, 1967-1981, Londres, Kegan Paul International, 1994, p. 175. 2623 MfAA, L 187, C 6513, op.cit., Jahresbericht der Botschaft der DDR in der AR Ägypten für das Jahr 1977, Zur innenpolitischen Entwicklung der ARÄ im Jahre 1977, Kairo, den 22.12. 1977, p. 29. 2624 SAPMO-BArch, DY 30/ IV B 2-20 346, op.cit., Vermerk über ein Gespräch mit Khaled Mohieddine, am 30.10.1977, Botschaft der DDR in der AR Ägypten, Kairo, 30.11.1977. 2625 SAPMO-BArch, DY 30/ 11 497, op.cit., Information für das Politbüro des ZK der SED. Betr.: Entwicklung der ARÄ unter Mubarak und Stellung der ÄKP und der Tagammu, Abt. Int. Verb., Berlin, 19.1.1982.

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En 1970, la convention signée entre le ministère est-allemand de la Sécurité d’Etat et les organes de sécurité égyptiens implique une action de renseignement concertée visant les activités des Frères musulmans et celle des étudiants présents au sein des services d’information de l’organisation2626. Force d’opposition intérieure, le groupe des Frères musulmans est présenté par le Caire comme le premier ennemi du régime, en raison de sa capacité à rassembler la population. Dès juillet 1969, les renseignements est-allemands rapportent les propos du ministre égyptien de l’Intérieur, Sharaawy Gomaa, qui estime que :

« Les Frères musulmans représentent un grand danger pour la République arabe unie. Leurs centres européens sont en Allemagne de l’Ouest, à Genève et à Vienne. De là, ils s’activent parmi les citoyens égyptiens vivant en Europe. Saïd Ramadan, le chef des Frères musulmans, possède son bureau à Genève et est tout particulièrement soutenu par l’Arabie Saoudite et la RFA ».

Face à ce constat, « Gomaa demande quelles sont les possibilités dont dispose le Ministère de la sécurité d’Etat de RDA pour soutenir la défense de la République arabe unie contre les Frères musulmans »2627. Dans le cadre de la coopération bilatérale, le département XX du ministère de la Stasi se charge alors d’enquêter sur les activités des Frères musulmans en RFA, dont il estime le nombre sur place à environ 10 0002628. L’organisation est mise sur le même plan que les ennemis « réactionnaires » et « impérialistes », « sionistes » ou occidentaux2629. Du point de vue égyptien, il s’agit de présenter cette force d’opposition comme le vecteur principal de la réaction en Egypte, afin de justifier la mutualisation des activités de renseignement égyptiennes et est-allemandes. Pour la RDA, cette désignation revêt un aspect fort utile : outre les désaccords idéologiques qui peuvent opposer les socialistes et les courants islamistes, l’existence d’un ennemi commun garantit une communauté d’intérêts favorisant la coopération bilatérale. Le partage d’une expérience identique, à savoir la lutte contre un ennemi proche réactionnaire (la RFA pour la RDA, les Frères musulmans pour l’Egypte), apparaît comme un argument idéologique fondant la coopération réciproque.

Les organes de sécurité est-allemands coopèrent avec les services secrets des autres pays socialistes afin de récolter des informations sur l’organisation des Frères. Ces activités

2626 BStU, MfS, HA XX, Nr. 18163, op.cit., Lettre d’Erich Mielke au général Schröder, pour le directeur du département XX, le colonel Kienberg, Berlin, 25.6.1970. 2627 BStU, MfS, Abt. X, Nr. 111, op.cit., Protokoll über ein Gespräch des Genossen Generaloberst Mielke mit dem Innenminister der ARÄ, Sharaawy Gomaa. Berlin, 3.7.1969. 2628 BStU, MfS, HA XX, Nr. 18163, op.cit., Lettre du Colonel Kienberg, directeur du département XX, au ministre Erich Mielke, 10.8.1970. 2629 BStU, MfS, HA XX, Nr. 18163, op.cit., Lettre d’Erich Mielke au général Schröder, pour le directeur du département XX, le colonel Kienberg, Berlin, 25.6.1970.

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s’insèrent dans le cadre plus global du renseignement à l’étranger et de l’évaluation du rôle des mouvements d’opposition en Egypte. En mai 1988, après l’annonce par le gouvernement de Hosni Moubarak de la prolongation pour trois ans de l’état d’urgence, proclamé en 1981, les services de renseignement bulgares rapportent par exemple à leurs homologues est-allemands que les Frères musulmans se sont emparés du mouvement de résistance à cette initiative2630.

La Stasi participe donc de l’entreprise de consolidation de l’appareil policier et sécuritaire du régime égyptien, qui connaît un nouvel élan avec l’arrivée de Zaki Badr à la tête du ministère de l’Intérieur en 19862631. Les sources est-allemandes ne permettent pas véritablement de mesurer la part du facteur idéologique dans l’aide apportée par la RDA à la surveillance des sympathisants de la confrérie, d’autant qu’un tel soutien n’est évoqué que dans les archives de la Sécurité d’Etat. On peut supposer néanmoins que cet aspect de la coopération bilatérale est, de façon plus prosaïque, un instrument utile au service de la durabilité des relations étatiques entre la RDA et l’Egypte : Berlin-Est ne s’interdit nullement, par ailleurs, de prôner la coopération ponctuelle avec les forces islamistes. Au-delà des considérations doctrinales, la RDA peut aussi bien encourager les alliances qui se nouent entre mouvements de gauche et mouvements islamistes égyptiens que faire de la coopération avec des institutions religieuses un outil de sa propre politique étrangère.

B. Le potentiel contestataire de l’opposition islamiste : stratégies de « front » et luttes de pouvoir

1. Les gauches égyptiennes et les islamistes : un « dialogue »2632 sans « concessions idéologiques »2633 ?

Les sciences sociales se sont peu intéressées aux mécanismes d’alliances entre formations de gauche, nationalistes et islamistes qui se manifestent au Moyen-Orient arabe depuis les années 1970. Nicolas Dot-Pouillard regrette la focalisation de la recherche tour à tour sur l’objet politique ou religieux, qui conduit à valoriser de façon outrancière le phénomène islamiste, ou à l’inverse l’ « hegemon politique et militant », sans dégager les

2630 BStU, MfS, Abt. X, Nr. 561, op.cit., Information des organes de sécurité de Bulgarie sur les relations égypto- américaines dans le domaine militaire, Département X, confidentiel, Berlin, 26.5.1988. 2631 BStU, MfS, ZAIG, Nr. 16220, op.cit., Information sur les aspects actuels de la politique intérieure et extérieure de l’Egypte, strictement confidentiel, Berlin, 3.7.1989. 2632 SAPMO-BArch, DY 30/ 13 667, op.cit., Vermerk über ein Gespräch des Genossen Trappen mit Vertretern der ÄKP, den 19.11.1983. 2633 Ibid.

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phénomènes de transversalité créés entre ces mouvements2634. En Egypte, le partage d’une expérience commune, celle de l’exclusion politique, a pourtant contribué à faire émerger des stratégies conjointes entre les courants de gauche et les groupes islamistes2635. Les diplomates est-allemands soulignent d’ailleurs la jonction qui s’opère, ponctuellement, entre islamistes et communistes, maintenus « hors de l’ "unité nationale" » par le régime en place2636. a) « Fronts patriotiques » et alliances électorales

Depuis le début des années 1980, le pouvoir égyptien s’emploie à prévenir une éventuelle jonction entre le mouvement islamique et la gauche2637. Le PND dispose, « en tant que parti gouvernemental, de toutes les possibilités d’utiliser en sa faveur l’appareil d’Etat »2638 et « peut s’appuyer sur les différents conseils régionaux et locaux » pour imposer sa prééminence. Ponctuellement, les forces d’opposition de gauche et les mouvements islamistes adoptent alors la stratégie du rassemblement, car malgré les désaccords idéologiques, la constitution de fronts patriotiques peut apparaître comme une solution provisoire pour accéder à la reconnaissance politique. Cette stratégie s’inscrit dans la lignée des grandes mobilisations étudiantes et ouvrières de 1972-1973, lors desquelles nassériens, marxistes et islamistes avaient brandi les mêmes doléances : la reprise du conflit contre Israël pour récupérer le Sinaï occupé depuis 1967 et régler le sort de la Palestine, la nationalisation de toutes les sociétés américaines présentes en Egypte, la hausse du niveau de vie et le respect des droits à l’université2639. Ce mécanisme se reproduit régulièrement dans les années qui suivent.

2634 DOT-POUILLARD, Nicolas, « Rapports entre mouvements islamistes…», op.cit., p. 150-151. 2635 Les stratégies communes et les luttes de pouvoir entre gauches égyptiennes et mouvements islamistes dans les années 1970-1980 ont fait l’objet de l’article suivant : REGNAULD, Amélie, « Les gauches laïques et les mouvements islamistes en Egypte depuis les années 1970 : exclusion de l’appareil politique, stratégies de fronts et luttes de pouvoir », in : ELIAS, Amin, JOMIER, Augustin, KHATCHADOURIAN, Anaïs-Trissa (dir.), Laïcités et musulmans, débats et expériences (XIXe - XXe siècles), Bern, Peter Lang, 2014, p. 259-276. 2636 SAPMO-BArch, DY 30/ 11 497, op.cit., Information für das Politbüro des ZK der SED. Betr.: Entwicklung der ARÄ unter Mubarak und Stellung der ÄKP und der Tagammu, Abt. Int. Verb., Berlin, 19.1.1982. 2637 MIREL, Pierre, L’Egypte des ruptures…, op.cit., p 231. 2638 SAPMO-BArch, DY 30/ 13 671, op.cit., Vermerk über ein Gespräch des Genossen Klaus Gloede, Botschaftsrat, mit dem Vorsitzenden des sozialistischen Arbeitspartei, Ibrahim Shukri, am 12.1.1984, Botschaft der DDR in der AR Ägypten, 15.1.1984. 2639 SAPMO-BArch, DY 30/ IV B 2-20 431, op.cit., Berichtsinformation Nr. 1/72. Les troubles étudiants du 17 au 25 janvier 1972, résolutions des étudiants.

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Après les émeutes de janvier 1977, Fouad Morsi2640, l’un des membres dirigeants du PRNPU, estime que « l’opposition grandissante, de gauche comme de droite » fragilise le régime de Sadate. Il évoque la mise en place d’un « front démocratique national », qui représenterait selon lui « une véritable alternative »2641 politique.

Cette dynamique de rassemblement se renforce considérablement à partir de 1979, et ce pour plusieurs raisons. La première a trait à la politique de paix séparée avec Israël. Les accords de Camp David suscitent en effet le mécontentement conjoint de différents courants d’opposition, qui rejettent la normalisation des relations israélo-égyptiennes, alors que le Sinaï reste partiellement occupé2642. Les forces de gauche, sous l’égide du journaliste Lutfi el-Kholy, les libéraux menés par le député et avocat Momtaz Nassar et le mouvement islamiste, représenté par Kamal Eddine Hussein, ancien membre du Conseil de la révolution de 19522643, critiquent la paix israélo-égyptienne d’une seule voix.

Le second facteur expliquant le succès croissant de la tactique du front est l’écho formidable suscité par la révolution iranienne, qui bouscule les clivages politiques traditionnels. Nicolas Dot-Pouillard rappelle ainsi que celle-ci « déstabilise à l’époque les repères classiques des mouvements "anti-impérialistes" de gauche et séculiers, car la dynamique révolutionnaire dont les mouvements de gauche étaient orphelins se conjugue alors avec une rhétorique profondément religieuse […] »2644. En Egypte, ces deux évènements achèvent de convaincre les différents courants de l’opposition que la formation d’un « large front national » est le meilleur moyen de « mobiliser les masses »2645. Communistes, nationalistes et religieux sont d’autant plus enclins à unifier leur action au sein d’un front commun qu’ils se retrouvent autour d’un même paradigme, celui du patriotisme à coloration « anti-impérialiste ». Ce dernier se décline aussi bien en matière de politique étrangère que de politique intérieure : il justifie tout autant la résistance à la politique de paix séparée avec

2640 Sur Fouad Morsi et son rôle au sein du PRNPU, voir supra, partie III, chapitre 7, p. 458. 2641 MfAA, L 187, C 1429/78, op.cit., Vermerk über ein Gespräch des Botschafters, Genossen Dr. Radde, mit dem Mitglied des Sekretariats der Linken Partei, Dr. Fuad Morsi, am 6.8.77, Botschaft der DDR in der AR Ägypten, Kairo, 11.8.1977. 2642 Le Sinaï n’est complètement libéré qu’en avril 1982. 2643 MIREL, Pierre, L’Egypte des ruptures…, op.cit., p. 47. 2644 DOT-POUILLARD, Nicolas, « Rapports entre mouvements islamistes…», op.cit., p. 155. 2645 SAPMO-BArch, DY 30/ IV B 2-20 346, op.cit., United Progressive National Grouping Party, Central Committee, Third Session of meetings, 25-26 december 1980.

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Israël et le rejet des bases militaires américaines sur le territoire égyptien que la lutte contre le « capitalisme parasitaire et étranger » et la dénonciation de la répression policière2646.

Un troisième facteur peut expliquer les alliances qui s’opèrent à cette époque entre mouvements de gauche et courants islamistes : le partage d’une expérience commune, celle de la persécution dont ils font l’objet de la part du régime égyptien, depuis les années 1930. Les communistes font eux-mêmes le parallèle entre l’histoire de leur mouvement et celle des militants islamistes. Le PCE rappelle ainsi dans ses publications que depuis la période monarchique, la torture « n’a épargné aucune tendance politique en Egypte »2647 : après l’avoir subie en 1954 et en 1959, les Frères musulmans et les communistes sont à nouveau harcelés par le régime en 1985, au moment du jugement des meurtriers de Sadate et des grands procès intentés aux marxistes égyptiens2648. Pour ces individus, l’épreuve de la prison et/ou de la torture participe de la construction d’une identité militante commune : Ibrahim Abdel Halim, journaliste et membre du PCE, emprisonné dans un camp de 1954 à 1964, compare par exemple l’expérience carcérale au martyre des premiers musulmans2649.

Enfin, un dernier facteur a pu contribuer au processus d’identification entre les deux courants politiques réprimés par le régime : le soutien des puissances occidentales, y compris de celles du bloc de l’Est, au pouvoir égyptien2650. L’ambassadeur américain au Caire entre 1973 et 1979, Hermann Eilts, l’un des artisans des négociations israélo-égyptiennes de Camp David, résume ainsi la position de Washington: « il existe deux groupes très influents en Egypte : la ″gauche″ et les fondamentalistes islamistes. Les Etats-Unis ne peuvent accepter aucun des deux »2651. En réalité, comme le souligne Khaled Mohieddine, la répression continue exercée par le régime à l’encontre des mouvements de gauche, de la bourgeoisie

2646 Ibid. 2647 IISH, Michel Kamel Papers, Human Rights, N° 225, op.cit., « Rapport: l’Egypte de la torture », PCE, avril 1985. 2648 Voir supra, partie III, chapitre 7, p. 423-427. 2649 SAPMO-BArch, DY 30/ IV B 2-20 430, op.cit., Lettre de Ruth Amme à Freimut Seidel, département des relations internationales du Comité central du SED, le Caire, 1.3.1972. Au VIIe siècle, après leur conversion, les premiers musulmans de la Mecque sont persécutés par la tribu des Quraysh, qui domine la ville. 2650 Henry Laurens montre que les démocraties ont échoué à rendre attractives les « théories de la modernisation » durant la Guerre froide, notamment parce qu’elles se sont alliées à des régimes autoritaires et militaristes « dont la grande vertu était de pratiquer l’anticommunisme […] ». Voir : LAURENS, Henry, L’empire et ses ennemis…, op.cit., p. 205. 2651 SAPMO-BArch, DY 30/ 13 670, op.cit., Vermerk über ein Gespräch mit Dr. Ismaïl Sabri Abdallah, Mitglied des Sekretariats des ZK der VNPP, am 20.1.1981, Botschaft der DDR in der AR Ägypten, Kairo, 27.1.1981.

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nationaliste et des groupes religieux, produit l’effet contraire de celui qu’il escomptait2652, en encourageant la formation de larges fronts contre le PND.

Ce sont de tels regroupements qui permettent aux Frères musulmans d’entrer à l’Assemblée du Peuple à partir de 1984, bien que leur organisation soit théoriquement interdite. En 1984 et 1987, ils nouent des alliances « a priori contre nature » avec le néo- Wafd2653 puis avec le Parti socialiste du travail2654, qui ont pour résultat de « traduire […] sur la scène politique officielle une des forces politiques principales en Egypte, le courant islamiste »2655. Aux élections législatives de 1987, l’alliance dont font partie les Frères musulmans remporte plus de 10% des voix, tandis que le PRNPU en obtient moins de 3%. Ponctuellement, la confrérie approuve même « le fait de mener des actions avec le PCE »2656.

En mai 1988, l’annonce par le gouvernement d’Hosni Moubarak de la prolongation pour trois ans de l’état d’urgence, suscite une vive résistance. Les trois partis formant l’opposition parlementaire, le Parti libéral, le Parti socialiste du travail et le néo-Wafd, entament une campagne d’opposition. Les deux premiers de ces partis s’unissent aux Frères musulmans pour former l’Union islamique2657. Avec l’accord du PRNPU, les Frères musulmans appellent l’Union à encourager le rassemblement de l’opposition égyptienne afin d’activer les formes de résistance légales contre le régime de Moubarak. Un certain nombre d’intellectuels se rallient à eux.

De la même manière, les membres du PCE s’accordent en interne sur la nécessité d’engager un « travail de front » (al-‘mal al-Jubhū) avec des « partis, sociétés [et] organisations » d’obédiences variées : ils prônent d’ailleurs l’utilisation du terme de « coalition » (taḥāluf) plutôt que celui d’ « unité » (tawḥid)2658. En effet, seul « un pouvoir de

2652 BStU, MfS, Hauptverwaltung Aufklärung, Nr. 65, op.cit., Information sur les aspects actuels de la politique intérieure et extérieure égyptienne, 9.11.1979. 2653 Le néo-Wafd est un parti créé en 1978, à partir des structures de l’ancien parti nationaliste Wafd, dissous en 1953 après avoir mené au début du siècle la résistance à l’occupation britannique. 2654 Sur les partis d’opposition légaux, voir supra, partie III, chapitre 7, p. 460-463. 2655 BEN NEFISSA, Sarah, « Les partis politiques égyptiens…», op.cit., p. 59-60. 2656 SAPMO-BArch, DY 30/ 13 667, op.cit., Vermerk über ein Gespräch des Genossen Trappen mit Vertretern der ÄKP, den 19.11.1983. 2657 BStU, MfS, Abt. X, Nr. 561, op.cit., Information des organes de sécurité de Bulgarie sur le rôle des partis d’opposition dans l’aggravation de la situation en Egypte, confidentiel, 26.5.1988. 2658 IISH, Michel Kamel Papers, 2nd general conference of the CPE, N° 60, Paper presented to the conference concerning the tactics of the front, 1985. In Arabic.

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front national conduit par la classe ouvrière »2659 est susceptible de mener à l’amélioration de la situation socio-économique du pays. De plus, pour le PCE, l’alliance avec le PRNPU, le Wafd, le Parti libéral ou les Frères musulmans est un gage de visibilité croissante, même si le parti peine à obtenir une véritable audience parmi la population. A l’automne 1983, le PCE fonde un « comité pour la défense de la démocratie », qui comprend de « larges forces nationales, patriotiques, libérales et islamiques »2660. Le comité prône l’action commune en faveur de l’abrogation de l’état d’urgence et du droit pour tous les mouvements politiques de créer des partis indépendants. L’ensemble des courants politiques, qu’ils soient légaux ou non, approuve le fait de coopérer avec le PCE. Pour ce dernier, c’est un véritable succès : « avec la fondation de ce comité, on est parvenu, pour la première fois dans la récente histoire de l’Egypte, à rassembler un large spectre des forces politiques, des communistes aux représentants militants de l’islam »2661. L’adoption de la tactique du front est révélatrice de la position ambiguë du PCE à l’égard des forces islamistes. Tout en considérant que ces dernières ont été l’une des « armes » privilégiées du régime pour lutter contre le communisme, le parti défend une ligne de conduite relativement flexible :

« La ligne du PCE à l’encontre des forces islamistes est la suivante : sans faire de concessions idéologiques, les communistes sont prêts au dialogue avec les groupes islamistes, sur les questions économiques et politiques. Le PCE n’appelle pas, dans ses publications, à l’athéisme, et n’attaque pas l’islam. Le PCE prête attention au fait que le mouvement islamiste, multiple, repose en Egypte sur un large spectre social »2662.

Soucieux de maintenir sa cohérence idéologique, le PCE justifie la stratégie du front en se donnant pour mission d’intégrer à sa politique d’alliance les forces « progressistes » qui existent aussi bien parmi la bourgeoisie nationaliste que chez les nassériens ou les islamistes, et d’en isoler à l’inverse les « forces réactionnaires »2663. Les documents internes du PCE admettent que les réalités contemporaines peuvent être religieuses et que cela n’est pas incompatible avec le fait d’adhérer au parti2664.Un certain nombre d’intellectuels égyptiens de gauche défendent d’ailleurs le postulat selon lequel l’islam peut jouer un rôle dans

2659 IISH, Michel Kamel Papers, Studies by the Egyptian Communist Party, N° 254, op.cit., Qu’est-ce qui a changé en Egypte ? Publication du parti communiste égyptien. 2660 SAPMO-BArch, DY 30/ 13 667, op.cit., Vermerk über ein Gespräch des Genossen Trappen mit Vertretern der ÄKP, den 19.11.1983. 2661 Ibid. 2662 Ibid. 2663 SAPMO-BArch, DY 30/ 13 667, op.cit., Information über die inhaltlichen Hauptergebnisse des II. Parteitages der ÄKP, Akademie für Gesellschaftswissenschaften beim ZK der SED-Institut für Internationale Arbeiterbewegung, Berlin, August 1985. 2664 VASSILIEV, Alexei, Russian Policy in the Middle East…, op.cit., p. 170.

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l’élaboration d’une « pensée nationale progressiste » : en 1982, le sociologue Anouar Abdel Malek estime ainsi que le caractère unitaire de l’islam encourage les « stratégies […] de regroupement qui prévalent dans les pays orientaux-islamiques, contrairement à l’approche morcelée de la lutte des classes des pays à tradition prolétarienne occidentale »2665.

Si la tactique de front fait l’objet d’un large consensus parmi les différents mouvements d’opposition égyptiens, et notamment au sein des forces de gauche, elle ne contribue aucunement, cependant, à unifier ces dernières. Bien au contraire, les représentants du PRNPU et du PCE se reprochent mutuellement de multiplier les concessions doctrinales et politiques. Michel Kamel, représentant de la direction du PCE à l’étranger, accuse ainsi le PRNPU de participer à des « formes élitistes de fronts » qui incluent les forces islamistes, tout en refusant de coopérer avec les tendances marxistes extérieures au parti2666. Rifaat el-Saïd justifie de son côté la réorganisation de la direction du PCE2667 par le fait que ce dernier subit trop l’influence des courants idéologiques nassériens ou islamistes, et qu’il est donc nécessaire de mieux circonscrire les positions doctrinales du parti2668.

Et de fait, si la stratégie du front permet incontestablement aux Frères musulmans de s’imposer progressivement comme le vecteur principal de l’opposition égyptienne, elle contribue également à obscurcir les identités politiques. Le PRNPU, surtout, perd peu à peu le « coefficient oppositionnel »2669 dont il disposait dans la seconde moitié des années 1970. D’une part, son choix du légalisme à l’égard d’un système parlementaire largement discrédité contribue à l’identifier à l’aile gauche du régime en place, plus qu’à une véritable alternative politique. D’autre part, son manque de clarté idéologique le conduit à puiser de plus en plus dans le « réservoir de légitimité de la référence religieuse »2670, sans parvenir à dégager de ligne politique propre, susceptible de mobiliser les masses.

2665 ABDEL-MALEK, Anouar, « L’islam dans la pensée nationale progressiste », in : Tiers-Monde, 1982, n° 92, p. 847. 2666 SAPMO-BArch, DY 30/ 13 669, op.cit., Fascicule du PCE de Michel Kamel, avril 1989. 2667 A partir de 1984-1985, cette réorganisation prend la forme d’un rappel en Egypte des cadres dirigeants du parti et de suspensions prononcées à l’encontre de certains membres. Voir supra, partie III, chapitre 7, p. 432-433. 2668 SAPMO-BArch, DY 30/ 13 671, op.cit., Vermerk über ein Gespräch mit Rifaat Saïd am 21.5.85 zur Situation der KP Ägyptens, Botschaft der DDR in Aden, Volksdemokratische Republik Jemen, 28.5.1985. 2669 BURGAT, François, « Islam, opposition politique… », op.cit., p. 66. 2670 Ibid.

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b) « L’humeur des masses est religieuse »2671 : les concessions du PRNPU au discours islamiste

L’évolution doctrinale du PRNPU est révélatrice des concessions faites par la gauche au discours islamiste. Basil Ramsès a très bien étudié le phénomène de « coloration islamique » progressive des slogans du parti, dans le but de se concilier des franges plus larges de l’électorat égyptien2672. Il a montré comment, depuis les premières élections multipartites de 1976, le parti n’a eu de cesse « de se disculper de l’accusation d’athéisme et de communisme », notamment par l’abandon progressif de ses positions radicales. Khaled Mohieddine reconnaît en effet qu’il est difficile au PRNPU d’obtenir un véritable soutien populaire dans une société qui assimile aisément la gauche à l’athéisme2673 :

« C’est un problème. Ils disent que nous sommes marxistes et communistes. Marxistes et communistes, cela signifie athées. Or, nous, nous disons toujours que nous ne sommes pas marxistes et que nous respectons la religion. Mais ce n’est pas assez. Nous sommes pour une religion réformiste »2674.

Afin de désamorcer les accusations d’athéisme dont il fait l’objet, le PRNPU n’hésite pas à mettre en vedette des figures religieuses et à accentuer la tonalité islamique de son discours. Ses candidats, tout en défendant les droits de la classe ouvrière et la démocratie et tout en dénonçant les politiques de privatisations et d’ajustements structurels, impriment des affiches électorales qui débutent par des versets de l’Evangile et du Coran. Les statuts du parti eux-mêmes commencent par les formules religieuses consacrées, « au nom de Dieu, le miséricordieux, le charitable »2675 et les militants ne manquent jamais de débuter leurs meetings de la même manière. Anwar Mogith avait déjà souligné cette « piété exagérée » chez Rashîd al-Barawi, professeur d’économie et premier traducteur du Capital en langue arabe, en 1947. La traduction de l’œuvre de Marx, jugée dangereuse, s’apparentant à une entreprise condamnable, l’auteur avait accentué la fibre religieuse de sa préface pour mieux se dédouaner de toute accusation de tentative de déstabilisation de l’ordre établi2676.

2671 SAPMO-BArch, DY 30/ 13 671, op.cit., « Left of Center. The National Progressive Unionist Party is finding it difficult to garner support », article de Michael Georgy, Cairo Today, novembre 1988. 2672 RAMSES, Basil, « Le Tagammu et les élections… », op.cit., p. 165-195. 2673 SAPMO-BArch, DY 30/ 13 671, op.cit., « Left of Center. The National Progressive Unionist Party is finding it difficult to garner support », article de Michael Georgy, Cairo Today, novembre 1988. 2674 SAPMO-BArch, DY 30/ 13 671, op.cit., Extrait de l’article de Michael Georgy, « The Red Major », publié dans Cairo Today, novembre 1988. 2675 SAPMO-BArch, DY 30/ 13 670, op.cit., PNRPU, Congrès général, statut final, 9-10.4.1981. 2676 MOGITH, Anwar, « Marxisme égyptien et marxisme occidental : traduction et idéologie », in : Egypte/Monde arabe, 1997, n° 30-31, p. 71-91.

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En réalité, ce sont davantage les formes de l’activisme qui évoluent, au cours des années 1980, que les motifs qui le sous-tendent. Liberté politique et justice sociale, dénonciation du sionisme et de l’impérialisme restent les principes structurants et fédérateurs de l’opposition en Egypte, mais ils sont de plus en plus exprimés à l’aide d’un « idiome islamique »2677. Selon Khaled Mohieddine, le succès croissant du discours religieux au sein de la population est une réponse à la généralisation de la « corruption » et de l’ « immoralité »2678. Dans ce contexte, le PRNPU est d’avis que certains mouvements religieux, loin de s’apparenter à une « masse réactionnaire », revêtent au contraire une dimension protestataire2679. Confiant dans le « potentiel révolutionnaire » du peuple égyptien, le parti prône le renforcement des relations avec l’ensemble des forces « progressistes nationales, arabes et islamiques »2680. Il possède même un secrétariat aux affaires religieuses, qui en 1986 est dirigé par le cheikh Mustapha Eissa2681.

A partir de la seconde moitié des années 1970, le référent islamique devient donc « l’un des principaux éléments du positionnement idéologique de tous les partis politiques »2682. C’est la période où s’opère « le remplacement de la gauche par l’aile réformiste du mouvement islamiste, en tant que force dirigeante de l’opposition [égyptienne]»2683. François Burgat souligne à quel point la confrontation entre mouvements de gauche et courants islamistes a contribué à politiser les formes de l’activisme religieux : « selon une formule très fréquente dans la gestation du courant islamiste, le processus de passage au politique se parachève au contact du mouvement estudiantin nassériste qui sera le principal repoussoir idéologique et politique » de la jeune génération des militants islamistes2684. C’est

2677 ROSEFSKY WICKHAM, Carrie, Mobilizing Islam…, op.cit., p. 34. 2678 SAPMO-BArch, DY 30/ IV B 2-20 346, op.cit., Vermerk über ein Gespräch zwischen Genossen Friedel Trappen und Mitglied des Politbüros des ÄKP, Khaled Mohieddine, am 14.9.1977 im Gebäude des ZK, Berlin, 19.9.1977, Institut für Geschichte der Arbeiterbewegung, Zentrales Parteiarchiv, SED, ZK, Internationale Verbindungen. 2679 SAPMO-BArch, DY 30/ IV B 2-20 346, op.cit., Vermerk über ein Gespräch mit Mohamed Said Ahmed, Mitglied des Generalsekretariats der VNPP Ägyptens, am 20.4.1981, Botschaft der DDR in ARÄ, Kairo, 22.4.1980. 2680 SAPMO-BArch, DY 30/ IV B 2-20 346, op.cit., United Progressive National Grouping Party, Central Committee, Third Session of meetings, 25-26 december 1980. 2681 SAPMO-BArch, DY 30/ 13 671, op.cit., Information sur le 12ème congrès du Comité central du PRNPU, les 23-24 janvier 1986, ambassade de la RDA en RAE, le Caire, 15.3.1986. 2682 BEN NEFISSA, Sarah, « Les partis politiques égyptiens… », op.cit., p. 57. 2683 ROSEFSKY WICKHAM, Carrie, Mobilizing Islam…, op.cit., p. 34. 2684 BURGAT, François, « Islam, opposition politique…», op.cit., p. 11. 513

principalement autour des universités et de quelques sites industriels de la région du Delta que les groupes islamistes et marxistes s’opposent. c) Lieux et sociabilités contestataires : rivalité pour le contrôle des espaces de mobilisation

Les campus universitaires et les usines textiles sont les lieux privilégiés de la mobilisation des forces d’opposition, qui rivalisent sur le terrain et forment des coalitions changeantes. Dans les universités, et notamment à l’Université du Caire, des groupes de discussion se forment parmi les étudiants, qui constituent l’esquisse d’une opposition organisée. Au début des années 1970, les Frères musulmans gagnent en audience parmi eux. Les premières Gamaat islamiyya (associations islamiques) apparaissent en 1973 sur les campus2685 : une partie d’entre-elles fait scission avec les Frères musulmans à la fin des années 19702686. En 1977, les Gamaat remportent les élections universitaires, signifiant l’échec de la gauche.

Du 17 au 25 janvier 1972, de fortes mobilisations étudiantes ont lieu au Caire, dont l’objectif est notamment de dénoncer la politique menée par Sadate à l’égard d’Israël2687. Les étudiants condamnent l’enlisement de la situation depuis la guerre de juin 1967. Ils appellent au rassemblement des forces patriotiques et critiquent ce qu’ils appellent la « politique de l’espoir » menée par Sadate, qui a empêché selon eux toute préparation militaire de l’Egypte, face à l’éventualité de la reprise du conflit. Marxistes et nassériens condamnent d’une seule voix l’incapacité de Sadate à aller en guerre2688. Une grande partie de la mobilisation se construit autour de slogans anti-américains et anti-impérialistes2689. Les étudiants parviennent à occuper la place Tahrir, au centre du Caire, un jour durant, avant d’être délogés par la police. Ils forment des groupes de discussion en pleine ville afin d’exposer à la population leurs revendications2690.

2685 POMMIER, Sophie, Egypte, l’envers du décor, op.cit., p. 60. 2686 Le clivage entre une partie des Gamaat et les Frères musulmans s’explique par un désaccord autour du degré de radicalisation que doit revêtir l’activisme islamiste et par un conflit de générations. Voir : BURGAT, François, « Islam, opposition politique…», op.cit., p. 11. 2687 SAPMO-BArch, DY 30/ IV B 2-20 431, op.cit., Rapport d’information n°6 du 1er février 1972 sur les troubles étudiants au Caire. 2688 BEATTIE, Kirk J., Egypt during…, op.cit., p. 201. 2689 SAPMO-BArch, DY 30/ IV B 2-20 431, op.cit., Rapport d’information n°6 du 1er février 1972 sur les troubles étudiants au Caire. 2690 SAPMO-BArch, DY 30/ IV B 2-20 431, op.cit., Berichtsinformation Nr. 1/72. Les troubles étudiants du 17 au 25 janvier 1972, résolutions des étudiants.

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Pour Sadate, le contenu même des revendications brandies par les manifestants est la preuve du fait que « l’agitation estudiantine » a été « orchestrée par les communistes »2691. La plupart des grands mouvements de masse, entre 1972 et 1977 sont d’ailleurs imputés à ces derniers. Ce sont pourtant les cercles islamistes qui remportent le plus de succès parmi les étudiants, notamment chez ceux qui suivent les cursus les plus prestigieux, médecine ou études d’ingénieurs2692. A l’Université du Caire, étudiants marxistes et islamistes s’opposent au sein des amphithéâtres. Le 22 janvier 1972, alors que le président Sadate doit venir les rencontrer, la situation dégénère entre les différents groupes militants rassemblés au sein de l’auditorium « Nasser »2693. Les rapports est-allemands s’appuient sur le récit de leurs interlocuteurs de gauche, qui accusent les étudiants islamistes de la faculté d’ingénieurs d’avoir initié les provocations. Selon eux, les islamistes se sont regroupés au deuxième balcon de gauche et leurs slogans ont fusé dans les porte-voix : « nous ne voulons pas des communistes ! », « Allah Akbar ! ». Les étudiants marxistes les ont traités à leur tour de « traîtres » puis ont répondu que les seuls alliés de l’Egypte étaient les Etats socialistes. Les analyses est-allemandes soulignent la présence croissante des religieux musulmans au sein des universités2694. Et de fait, les campus apparaissent comme des sites importants de l’activisme d’opposition de tous bords2695. Si les observateurs est-allemands évoquent l’ « imbroglio idéologique » qui émane des revendications étudiantes, ils saluent cependant la forme « révolutionnaire démocratique » que prend la contestation2696. Cette dernière est en effet d’autant plus menaçante pour le régime en place qu’elle parvient, ponctuellement, à opérer la jonction avec un mécontentement populaire plus vaste. Lors des émeutes de janvier 1977, les étudiants de l’Université Aïn Shams sont ainsi rejoints sur la place Tahrir par les ouvriers de Hélouan2697.

Outre les universités, c’est en effet sur les grands sites de l’industrie textile du Delta du Nil que les militants islamistes et de gauche sont particulièrement actifs : Hélouan et Shubra

2691 EL-SADATE, Anouar, A la recherche d’une identité…, op.cit., p. 355. 2692 BEATTIE, Kirk J., Egypt during…, op.cit., p. 200. 2693 SAPMO-BArch, DY 30/ IV B 2-20 431, op.cit., Vermerk über ein Gespräch mit Khairy Aziz, al-Talia, am 25.1.1972, Botschaft der DDR in der AR Ägypten, Kairo, 27.1.1972. 2694 MfAA, L 187, C 6500, op.cit., Information über ein Treffen mit Partern des Hochschulministeriums der ARÄ, Kulturattaché, Kairo, den 28.11.79. 2695 ROSEFSKY WICKHAM, Carrie, Mobilizing Islam…, op.cit., p. 33. 2696 SAPMO-BArch, DY 30/ IV B 2-20 431, op.cit., Rapport d’information n°6 du 1er février 1972 sur les troubles étudiants au Caire. 2697 Le Progrès égyptien, 19 janvier 1977, p. 4.

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al-Khayma autour du Caire ou Kafr el-Dawwar, dans la région d’Alexandrie. Cette géographie de la contestation est cruciale pour les acteurs est-allemands, parce qu’elle coïncide plus ou moins avec l’implantation industrielle de la RDA en Egypte2698. Les différents mouvements d’opposition égyptiens ont identifié les centres de l’industrie textile comme des sites majeurs de mobilisation politique, car la concentration des ouvriers peut faciliter les phénomènes de jonction avec les masses populaires. Le PCE investit ainsi les syndicats professionnels dans les villes industrielles des environs du Caire, Giza, Hélouan et Shubra al-Khayma2699. Dans le reste du pays, le parti est également actif au sein des usines de filature et de tissage, comme à Minia, en Moyenne-Egypte2700. Les Frères musulmans sont quant à eux présents au sein des syndicats du textile depuis le début des années 19402701 , en partie en raison de la forte influence qu’y exercent les forces de gauche. Hostiles à la théorie de la lutte des classes, ils voient dans l’action des communistes parmi les travailleurs un gage de conflit social et de discorde entre les musulmans, davantage que la garantie de l’amélioration de leur niveau de vie2702. Au cours des années 1970-1980, le discours islamiste parvient ainsi à faire émerger une nouvelle forme de protestation politique, qui ajoute au substrat socialiste et nationaliste de la gauche égyptienne le référent religieux. Dans ce contexte, les acteurs est-allemands admettent volontiers que les forces islamistes peuvent revêtir une dimension contestataire, ou du moins offrir une porte d’entrée utile vers les masses. La position de la RDA à l’égard de ces mouvements n’est pas dénuée d’ambiguïté : en acceptant de coopérer avec des acteurs religieux, les fonctionnaires est-allemands reconnaissent que le pragmatisme est de rigueur dans le déploiement de la politique étrangère, mais trahissent en même temps leur persistance à vouloir développer de liens de nature politique avec des formations disposant d’une véritable assise populaire en Egypte. En outre, il convient de distinguer deux niveaux de coopération entre la RDA et les courants religieux, qui ne visent pas forcément les mêmes objectifs. Il existe d’une part une coopération directe et institutionnelle entre les autorités est-allemandes et les représentants d’un islam officiel, représenté par el-Azhar, qui s’inscrit dans une stratégie de consolidation des relations étatiques bilatérales. Il existe d’autre part une coopération indirecte entre la RDA et des

2698 Sur l’importance économique de la région d’Alexandrie pour la RDA, voir supra, partie II, chapitre 5, p. 234-235. 2699 SAPMO-BArch, DY 30/ 13 669, op.cit., Vermerk über ein Gespräch zwischen Peter Bathke und kommunistischen Ägyptischer, Abt. Int. Verbindungen, Berlin, 18.7.1989. 2700 « Le calme rétabli : le couvre-feu renvoyé à 19h », Le Progrès égyptien, 21 janvier 1977, p. 1. 2701 BEININ, Joel, LOCKMAN, Zachary, Workers on the Nile…, op.cit., p. 366. 2702 Ibid., p. 365.

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formations islamistes illégales, par l’intermédiaire du soutien que Berlin-Est apporte aux partis de gauche qui encouragent la constitution de fronts patriotiques incluant des militants religieux. Les acteurs est-allemands ne formulent jamais de critiques à l’égard d’une telle stratégie, et acceptent tacitement l’activisme de front : ils constatent en effet que ce dernier est un vecteur d’influence a priori plus neutre et donc plus efficace qu’un parti communiste2703.

2. L’ambiguïté de la position est-allemande vis-à-vis de l’opposition islamiste : entre concessions et instrumentalisations a) La dimension sociale du discours islamiste

Nous avons vu au cours d’un chapitre précédent que les interlocuteurs égyptiens privilégiés de Berlin-Est n’étaient pas les représentants des courants marxistes, mais plutôt des personnalités politiques aux parcours complexes et aux appartenances idéologiques mouvantes, qui finissent toutes par adhérer au PRNPU2704. Or, aucune d’entre-elles n’adopte de posture radicale quant à la place de l’islam militant dans la société égyptienne. Bien au contraire, toutes se font les porte-paroles de l’idée selon laquelle il est possible de fonder une continuité idéologique entre islam et socialisme. C’est le cas de Lutfi al-Kholy, qui entreprend de démontrer qu’il n’existe pas de contradiction entre les deux systèmes de pensée2705 : soulignant la « force de mobilisation populaire défensive et offensive » de l’islam, il estime nécessaire de prendre en compte le rôle de l’héritage religieux et des valeurs spirituelles dans l’histoire sociale2706. De la même manière, Ismaïl Sabri Abdallah assure en janvier 1977 à l’ambassadeur est-allemand en Egypte, Hans-Joachim Radde, qu’ « il y [a] dans les villages de nombreux cheikhs qui interprètent l’islam de façon "sociale" et qui ne sont pas d’accord avec la ligne du grand cheikh d’el-Azhar »2707. Les forces de gauche n’ont pas le monopole de cette présentation « progressiste » de l’islam : les acteurs religieux, tout comme le régime égyptien, se sont employés à mettre en avant la dimension sociale de la religion musulmane, lorsque cela servait leurs intérêts. En septembre 1972, à l’occasion d’un discours au congrès

2703 GOLAN, Galia, The Soviet Union and the Palestine Liberation Organization: an uneasy Alliance, New York, Praeger, 1980, p. 166. 2704 Pour un résumé des itinéraires politiques de Khaled Mohieddine, Rifaat el-Saïd, Ismaïl Sabri Abdallah, Lutfi el-Kholy ou Fouad Morsi, voir supra, partie III, chapitre 7, p. 452-460. 2705 GINAT, Rami, Egypt’s incomplete Revolution. Lutfi al-Khuli and Nasser’s Socialism in the 1960’s, Londres, Frabk Cass, 1997, p. 79. 2706 D’après les propos de Lutfi el-Kholy dans le numéro d’octobre et décembre 1966 de la revue al-Talî’a, cités dans : CARRE, Olivier, SEURAT, Michel, Les Frères musulmans…, op.cit., p. 90. 2707 MfAA, L 187, C 1429/78, op.cit., Vermerk über ein Gespräch mit Dr. Sabri Abdallah, Direktor des Nationalen Planungsinstituts und Mitglied des Sekretariats der Linken Partei, am 31.1.1977, Botschaft der DDR in der AR Ägypten, Kairo, 3.2.1977.

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des oulémas, Sadate rappelle ainsi que l’islam « a toujours été la cible de l’impérialisme et des envahisseurs »2708.

Les diplomates est-allemands ne font pas exception à la règle : certains rapports mettent en exergue la teneur anti-impérialiste de l’islam, afin d’élargir les possibilités de coopération bilatérale. C’est tout particulièrement vrai après la signature du traité de paix séparée entre Israël et l’Egypte, en mars 1979 : après ce qu’elle considère comme la « défection » de son partenaire, la RDA entame une réflexion sur la forme que doit prendre la coopération future avec l’Egypte2709. L’ambassadeur est-allemand au Caire, Otto Becker, énumère dans un document de travail qu’il soumet au ministère des Affaires étrangères les facteurs qui, selon lui, jouent en faveur et en défaveur de l’impérialisme en Egypte. Son analyse finale est soulignée trois fois à la main : « l’incompatibilité évidente entre l’islam et les principes fondateurs et les buts du sionisme va encore se renforcer et agir à l’encontre de la politique d’alliance avec Israël »2710. Face au revers diplomatique que représentent les accords de Camp David pour le bloc oriental, les diplomates est-allemands misent donc sur « l’insatisfaction religieuse ou nationaliste face au traité séparé » pour préserver les fondements de la coopération avec l’Egypte2711. Dans ce contexte, ils prônent la coopération de « tous les hommes de bonne volonté, et en particulier des marxistes et des forces religieuses »2712. b) Logiques d’accommodation et adaptation au terrain égyptien : les relations avec el-Azhar, figure de l’islam institutionnel

Le régime de Berlin-Est a déjà entrepris de créer des passerelles entre forces marxistes et représentants religieux sur son propre territoire : depuis les années 1960, il organise ainsi des « dialogues entre marxistes et chrétiens »2713, préfigurant la rencontre de mars 1978 entre

2708 BDIC, S 72251, op.cit., Allocution du président Anouar el-Sadate au Congrès des Ulémas des pays islamiques. Le Caire, 15 septembre 1972, p. 137. 2709 MfAA, L 187, C 6489, op.cit., Lettre d’Otto Becker, ambassadeur de RDA en RAE, à M. Konschel, département du Proche- et du Moyen-Orient du Ministère des Affaires étrangères, le Caire, 3.4.1979. 2710 « Die offensichtliche Unvereinbarkeit des Islam mit den Grundprinzipien und Zielen des Zionismus kann sich noch stärker profilieren und im regionale Maßstab hemmend gegen Allianzbemühungen mit Israel wirken ». MfAA, L 187, C 6489, op.cit., Mögliche Wirkungen und Folgen des Separatsvertrages ARÄ-Israel, Arbeitsmaterial, 29.3.1979, p. 7. 2711 « […] mit der religiös oder nationationalistisch bedingten Unzifriedenheit dieser Kreise mit dem Separatvertrag ». Ibid., p. 8. 2712 SAPMO-BArch, DO 4/ 1036, op.cit., Information, Berlin, 19.6.1985. 2713 SOLCHANY, Jean, L’Allemagne au XXème siècle, op.cit., p. 324.

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Erich Honecker et les principaux représentants des Eglises protestantes2714. Benoît Petit montre ainsi que l’athéisme d’Etat ne détruit pas toutes les formes d’organisation religieuse au sein de la société civile est-allemande :

« Les rapports entre les autorités d’Eglise et les marxistes ne sont pas que de combat et d’opposition frontale : quand il devient clair que le régime est appelé à durer, certains clercs et théologiens instaurent un dialogue avec les autorités politiques de l’Etat »2715.

Ainsi, même s’il se pose en « concurrent idéologique »2716 des institutions religieuses, le SED est contraint d’inclure les Eglises dans l’organisation de l’Etat, afin de ne pas s’aliéner une grande partie de la population2717.

En Egypte, les représentants du régime est-allemands ne peuvent pas opposer de manière frontale les principes matérialistes de la doctrine marxiste-léniniste aux référents religieux de leurs interlocuteurs, qu’ils soient étatiques ou sociétaux : par conséquent, une certaine souplesse est de mise. En réalité, la RDA n’adopte pas la même posture en fonction du type d’acteurs religieux auxquels elle est confrontée. Conformément à la ligne soviétique, qui assimile l’organisation des Frères musulmans à un « mouvement réactionnaire »2718, elle n’hésite pas à coopérer avec le régime égyptien dans la lutte contre la confrérie2719. En revanche, elle entreprend très vite de développer ses relations avec les autorités religieuses d’el-Azhar, au niveau universitaire2720 comme au niveau politique.

Les archives est-allemandes montrent que la RDA ne se prive nullement d’instrumentaliser le facteur religieux dans la mise en œuvre de ses relations internationales. Au moment du changement d’année dans le calendrier islamique, Erich Honecker veille à adresser ses vœux à ses interlocuteurs musulmans2721. Plus généralement, lorsque la RDA a besoin de lutter contre son image d’Etat athée, elle n’hésite pas à employer le parti

2714 TALANDIER, Catherine, Au-delà des murs. Les Eglises évangéliques d’Allemagne de l’Est, 1980-1993, Genève, Labor et Fides, 1994, p. 57. 2715 PETIT, Benoît, L’Allemagne de l’Est (1949-1989). Religion et politique en mutation, Montpellier, Presses universitaires de la Méditerranée, 2011, p. 203. 2716 Ibid., p. 204. 2717 Renata Fritsch-Bournazel rappelle qu’au début des années 1950, la RDA est protestante à 82% et catholique à 12%. Voir : FRITSCH-BOURNAZEL, Renata, L’Allemagne depuis 1945, op.cit., p. 98. 2718 Selon les propos d’Andreï Gromyko, ministre soviétique des Affaires étrangères de 1957 à 1985, dans ses Mémoires. Voir : GROMYKO, Andreï, Mémoires, op.cit., p. 262. 2719 Voir supra, p. 483-486. 2720 Sur la coopération avec l’université el-Azhar, voir supra, partie II, chapitre 6, p. 281-283. 2721 MfAA, L 198, C 7687 : Abt. Naher u. Mittlerer Osten. Austausch von Glückwünschen zwischen Repräsentanten der DDR und der Palästinensischen Befreiungsbewegung. Nov. 1970, Mai 1975, 1978-1979, Télégramme d’Etat adressé par Erich Honecker à Yasser Arafat, novembre 1979.

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chrétien-démocrate (CDU, Christlich Demokratische Union Deutschlands), membre du Front national dirigé par le SED2722. En 1970, le recteur de l’université islamique d’el-Azhar, le cheikh Abdel Latif, est par exemple l’invité de la CDU en RDA : à cette occasion, il est reçu par Gerald Götting, leader du parti et président de la Chambre du peuple de RDA. De tels liens permettent de créer une certaine familiarité entre les autorités d’el-Azhar et les représentants est-allemands. En 1985, c’est le SED qui est à l’initiative de l’invitation en RDA du recteur de l’université d’el-Azhar, le cheikh Mohamed el-Saadi Farhoud, par l’intermédiaire de son secrétariat d’Etat aux affaires religieuses, dirigé par Klaus Gysi2723. Il est prévu que le cheikh rencontre plusieurs évêques protestants et visite à Wittenberg les bâtiments où a vécu Martin Luther, afin de constater le soin que la RDA apporte à la préservation de son patrimoine religieux2724. Dans leur correspondance interne, les représentants est-allemands ne cachent pas la dimension politique que revêt à leurs yeux une telle visite : la venue du cheikh est en effet une « bonne occasion de sensibiliser un représentant dirigeant de la foi islamique […] à la politique […] de la RDA »2725. L’ensemble des collaborateurs du secrétariat aux affaires religieuses est sollicité pour préparer ce séjour, afin de transmettre au recteur « une impression positive de ce qu’est le socialisme réaliste en RDA »2726. Le cheikh occupe en effet une « position très importante » en Egypte et est extrêmement proche de la direction politique du pays2727 : pour la RDA, il s’agit donc de ne pas négliger le vecteur religieux dans la consolidation des relations étatiques. Les cadres est-allemands développent alors une véritable stratégie de communication, destinée à donner à leur invité « une bonne impression de la société socialiste de RDA »2728. Il est prévu que Mohamed el-Saadi Farhoud rencontre des représentants de la Confédération de l’Eglise protestante, ainsi que des dirigeants de l’Eglise catholique de RDA. Le secrétaire d’Etat aux affaires religieuses, Klaus Gysi, est quant à lui chargé d’expliquer au recteur les principes de la politique du SED à l’égard des croyances, des églises et des communautés religieuses, puis d’initier un échange d’opinions « sur la coopération entre les chrétiens et les musulmans et

2722 En RDA, le Front national (Nationale Front) est une coalition qui regroupe tous les partis et organisations de masse autorisés, sous la direction du SED. Cette forme d’organisation inspirera les fondateurs du PRNPU égyptien. Voir supra, partie III, chapitre 7, p. 431. 2723 SAPMO-BArch, DO 4/ 1036, op.cit., Lettre de Klaus Gysi, secrétaire d’Etat aux affaires religieuses, au recteur de l’université d’el-Azhar, le cheikh Mohamed el-Saadi Farhoud, 23.9.1985. 2724 Ibid. 2725 SAPMO-BArch, DO 4/ 1036, op.cit., Lettre de M. König à Klaus Gysi, Berlin, 18.6.1965. 2726 Ibid. 2727 SAPMO-BArch, DO 4/ 1036, op.cit., Information, Berlin, 19.6.1985. 2728 Ibid.

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entre les représentants religieux et les marxistes dans la lutte pour la paix et la solidarité anti-impérialiste »2729.

Le dialogue avec les dirigeants religieux est donc un outil explicite de la politique étrangère du SED en Egypte. Pour développer ses relations avec ce type d’acteurs, le parti s’appuie aussi bien sur les institutions cléricales est-allemandes que sur les départements de théologie des universités nationales. Cette politique s’inscrit dans la lignée de celle de l’URSS, qui utilise par exemple le Conseil islamique soviétique pour nouer des liens avec les personnalités religieuses égyptiennes : en juillet 1972, le Dr. Ibrahim al-Tahtaoui, président de l’association de la jeunesse musulmane, est ainsi reçu par le Conseil pour une visite de trois semaines à Moscou2730.

De la même manière, en mars-avril 1984, le professeur Bernhardt conduit une délégation de la section de théologie de l’Université Humboldt de Berlin en Egypte2731. Il est chargé de relayer auprès du recteur d’el-Azhar l’invitation du secrétaire d’Etat aux affaires religieuses, de promouvoir le rétablissement des relations entre l’institution islamique et l’université Martin Luther de Halle et de nouer des contacts avec l’Eglise copte orthodoxe d’Egypte. Selon le professeur Bernhardt, il ne fait pas de doute que

« La coopération dans le secteur religieux, et notamment avec la confession majoritaire, est profitable à long terme dans le domaine de la politique étrangère, et ce d’autant plus qu’elle ne peut pas être véritablement affectée par les changements de politique des gouvernements égyptiens »2732.

Il conclut son rapport sur le fait que les institutions islamiques et leurs représentants « méritent » d’être pris en compte par le régime est-allemand, car ils constituent des « forces constantes » susceptibles de diffuser largement les positions de la RDA2733.

Si le régime est-allemand accorde une attention particulière à ses relations avec l’institution azharie, en raison de son autorité morale en Egypte, il ne néglige pas pour autant ses liens avec les chrétiens. En 1972, Berlin-Est salue la visite du patriarche copte Chenouda III en Union soviétique, estimant que ce dernier « est un homme extrêmement important […] qui a étudié le marxisme et qui s’est montré très ouvert à l’égard des Etats

2729 Ibid. 2730« Nouvelles brèves », Le Progrès égyptien, 7 juillet 1972, p. 3. 2731 SAPMO-BArch, DO 4/ 1036, op.cit., Humboldt Universität, Sektion Theologie, Bericht über eine dienstliche Auslandsreise in die ARABISCHE REPUBLIK ÄGYPTENS, 27. März - 11. April 1984. 2732 Ibid. 2733 Ibid.

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socialistes »2734. En RDA même, la confédération de l’Eglise protestante, qui depuis les années 1970 se comprend comme « Eglise dans le socialisme » (Kirche im Sozialismus)2735, peut servir de vecteur relationnel entre Berlin-Est et les communautés chrétiennes d’Egypte. En 1984 par exemple, le pasteur d’Halberstadt, le Dr. Martin Gabriel, doit participer à la réunion du comité exécutif de l’Alliance réformée mondiale2736, qui se tient au Caire du 10 au 25 février 19842737.

2734 SAPMO-BArch, DY 30/ IV B 2-20 430, op.cit., Information sur une conversation avec Rifaat el-Saïd, RAE, secrétaire du Conseil mondial de la paix, confidentiel, Berlin, 2.11.1972. 2735 Cette dénomination permet à l’Eglise protestante d’obtenir une certaine autonomie face à l’emprise matérielle et spirituelle du SED. Voir : FRITSCH-BOURNAZEL, Renata, L’Allemagne depuis 1945, op.cit., p. 99. 2736 L’Alliance réformée mondiale (presbytérienne et congrégationaliste) a été fondée à Nairobi en 1970 à partir de la fusion de l’Alliance réformée mondiale fondée en 1875 à Londres et du Conseil congrégationaliste international fondé en 1891, également à Londres. Elle regroupe quelque 200 Églises nationales enracinées dans la tradition calviniste et congrégationaliste. Voir : WILLAIME, Jean-Paul, Sociologie du protestantisme, Paris, PUF, 2005, p. 31. 2737 SAPMO-BArch, DO 4/ 4307 : Staatssekretär für Kirchenfragen. Bd. 22 : 1983-84, Lettre du secrétariat de la Confédération des Eglises évangéliques de RDA au secrétariat aux affaires religieuses du SED, Berlin, 15.11.1983.

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Ce chapitre a tenté de montrer la flexibilité de la politique étrangère est-allemande face à l’évolution des formes de la contestation politique en Egypte, la RDA allant même jusqu’à prôner ce que Wolfgang Schwanitz nomme un « jeu opportuniste avec les forces de mobilisation de l’islam »2738.

Le sort commun réservé aux forces de gauche et aux courants islamistes en Egypte, tous maintenus à l’écart de la sphère institutionnelle et cibles de vagues de répression successives, a fait émerger des formes de stratégies politiques conjointes et notamment la constitution de fronts patriotiques. Les concessions de la gauche au discours islamiste et le passage de la radicalisation au compromis ont pourtant décrédibilisé ses mots d’ordre : le potentiel contestataire des forces d’opposition est ainsi passé des mouvements de gauche aux organisations islamistes. Face à ce phénomène, Berlin-Est a pu, ponctuellement, encourager des formes de coopération politique avec des organisations religieuses, islamiques ou chrétiennes, susceptibles de rallier les masses. La posture extrêmement pragmatique de la RDA s’aligne en fait sur la politique accommodante de l’URSS à l’égard des mouvements islamistes au début des années 1980 : soucieuse de se concilier le régime de Téhéran après la révolution islamique et de désamorcer le discours des moudjahidines luttant contre le régime soviétique en Afghanistan, cette dernière souligne les aspects progressistes de l’islam. Le discours de Brejnev au congrès du PCUS en 1981 est à cet égard évocateur :

« Nous, communistes, avons du respect pour les convictions religieuses des peuples professant l’islam ou n’importe quelle autre religion… La question principale est le but que poursuivent les forces proclamant des slogans variés. La bannière de l’islam peut mener à la lutte pour la libération ; cela s’est vérifié dans l’histoire. Mais l’on constate aussi que la réaction manipule les slogans islamiques et incite aux mutineries contre-révolutionnaires. Par conséquent, tout dépend de la teneur actuelle et réelle de tel ou tel mouvement »2739.

L’attitude de la RDA à l’égard des forces religieuses égyptiennes s’inscrit en outre dans un mouvement plus général de réorientation des relations politiques est-allemandes en direction de nouveaux interlocuteurs, au cours des années 1970 et de manière accélérée à partir des années 1980. En effet, si Berlin-Est s’accommode progressivement d’une relation bilatérale vidée de sa dimension idéologique, elle n’abandonne pas, pour autant, ses impératifs doctrinaux au Moyen-Orient. Bien au contraire, le régime est-allemand parvient à esquisser les contours d’une politique étrangère flexible, qui identifie tour à tour des partenaires économiques, comme l’Egypte, et de nouveaux alliés politico-idéologiques dans la

2738 SCHWANITZ, Wolfgang, « La politique moyen-orientale de Berlin-Est… », op.cit., p. 275. 2739 GOLAN, Galia, Soviet policies in the Middle East…, op.cit., p. 201.

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région, comme l’Organisation de Libération de la Palestine (OLP), aussi bien que des factions palestiniennes rivales.

Face à l’échec de la gauche en Egypte, Berlin-Est procède ainsi à une certaine diversification de ses partenaires, à plusieurs échelles. Dans le pays, la RDA se rapproche des acteurs religieux, comme nous venons de le montrer. A l’échelle régionale, l’Allemagne de l’Est admet le remplacement nécessaire de l’ancien partenaire égyptien par de nouveaux interlocuteurs anti-impérialistes : à la fin des années 1980, l’Intifada palestinienne semble ainsi offrir l’opportunité d’encourager de « formes de combat politique »2740 plus solides au Moyen-Orient. Pourtant, si les impératifs idéologiques se redéploient à l’échelon régional, la logique du compromis prévaut toujours : en Cisjordanie et à Gaza, Berlin-Est prône ainsi la coopération avec l’ensemble des « forces de résistance palestiniennes, parmi lesquelles des organisations fortement religieuses »2741.

Le chapitre qui suit met en lumière l’identification progressive des acteurs palestiniens comme nouveaux interlocuteurs anti-impérialistes au Moyen-Orient. Alors que la prise de contact entre Berlin-Est et les groupes palestiniens s’était effectuée par l’intermédiaire de l’Egypte, leurs liens s’intensifient nettement au cours des années 1980, à mesure que les relations avec le Caire se distendent.

2740 MfNV, DVW 1/ 42 568, op.cit., Über entscheidende Aspekte der Entwicklung der palästinensischen Frage p. 5. 2741 Ibid.

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Chapitre 9 - Une « collusion terroriste »2742 entre la RDA et l’OLP ? Le remplacement progressif de l’Egypte par l’OLP, nouveau partenaire anti-impérialiste au Moyen- Orient

En mai 1965, après la mise en place de contacts officiels entre la RFA et Israël et la livraison d’armes ouest-allemandes à l’Etat israélien, les Etats arabes rompent leurs relations diplomatiques avec Bonn. Cette initiative crée un vide politique qui donne à Berlin-Est l’occasion de s’implanter plus fermement dans la région. En juin 1967, la guerre israélo-arabe consacre l’ouverture de la politique soviétique aux Etats moyen-orientaux : Moscou se présente comme le porte-parole des intérêts arabes contre l’ « impérialisme » et le « sionisme », ce qui offre à la RDA des « possibilités d’élargissement de ses activités » au Moyen-Orient2743.

Le conflit israélo-arabe devient rapidement l’un des piliers de la politique extérieure est-allemande dans la région. Afin de gagner en audience parmi les Etats arabes et d’accroître sa visibilité internationale dans le cadre du conflit interallemand, la RDA développe la rhétorique d’une expérience partagée de l’ « ennemi proche » : Israël pour les Arabes, la RFA pour la RDA2744.

Pour autant, la RDA ne développe que tardivement ses relations avec les mouvements palestiniens, qu’il s’agisse de l’OLP2745, des tendances de gauche comme al-Ansâr2746, ou des factions armées2747. Ce faisant, elle s’aligne sur la position soviétique puisque jusque 1967, l’URSS reste extrêmement méfiante à l’égard de ces acteurs non-étatiques, dont elle condamne l’intransigeance. En pleine détente, la priorité soviétique est d’éviter toute confrontation avec les Etats-Unis : dans le règlement du conflit israélo-arabe, Moscou privilégie donc la solution diplomatique à l’escalade militaire. A partir du début des années

2742 D’après une expression du Spiegel (« terroristische Kollusion ») citée dans SAPMO-BArch, DY 30/ 14089, op.cit., Rechenschaftsbericht der Leitung der APO I auf der Berichtswahlversammlung, 15. April 1982, Anhang, Diskussionbetrag Gen. Schneider. 2743 HAFEZ, Kai, « Von der nationalen Frage…» , op.cit., p. 77-95. 2744 Berlin-Est refuse toute relation étatique avec Israël, ce qui conduit à une « non relation », pour reprendre l’expression de DITTMAR, Peter, « DDR und Israel, Ambivalenz einer Nicht-Beziehung », in : Deutschland- Archiv, 1977, n° 7, p. 676. Un premier rapprochement s’effectue néanmoins à partir de 1986-1987. 2745 Organisation de Libération de la Palestine, créée en 1964. 2746 « Les partisans » : organisation créée en février 1970 par les partis communistes arabes (Liban, Syrie, Irak et Jordanie). 2747 Affiliées à l’OLP, comme le groupe d’Abou Daoud ou ayant fait scission, comme le groupe d’Abou Nidal.

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1970 cependant, l’OLP fait figure de nouveau partenaire anti-impérialiste pour le bloc socialiste, catalyseur potentiel de la radicalisation du Moyen-Orient, susceptible de « compenser » l’éloignement de l’ancien allié égyptien. Surtout, le soutien apporté à l’organisation peut servir de contrepoids à la politique unilatérale menée par les Etats-Unis dans la gestion du conflit israélo-arabe. En 1974, Moscou et Berlin-Est reconnaissent l’OLP comme le seul représentant légitime du peuple palestinien.

Dès lors, l’OLP devient pour Berlin-Est un partenaire assumé, dont le mode d’action est qualifié de lutte de « libération nationale » et non plus de « terrorisme ». L’organisation palestinienne tend progressivement à remplacer l’ancien partenaire égyptien dans le déploiement de la politique étrangère est-allemande au Moyen-Orient. La RDA apporte à l’OLP un soutien politique et forme ses cadres2748. Soucieux de désamorcer les accusations d’antisémitisme à leur encontre, notamment après les évènements de Munich en 19722749, Berlin-Est et l’OLP présentent leur engagement antisioniste comme une expression politique de la lutte anti-impérialiste mondiale et mettent en avant leur coopération réelle ou envisagée avec le parti communiste israélien.

On constate néanmoins un certain décalage entre ce réalisme politique, qui conduit à soutenir le rôle international de l’OLP pour en faire un interlocuteur acceptable2750, et les impératifs idéologiques et économiques de Berlin-Est, qui l’amènent, officieusement, à soutenir les factions armées de l’organisation palestinienne. La RDA sert de base avancée pour les réseaux activistes palestiniens, comme celui d’Abou Daoud. Or, si elle qualifie les groupes dissidents de « terroristes », elle soutient en revanche les branches armées de l’OLP, auxquelles elle livre des armes par le biais de l’entreprise de commerce extérieur IMES2751, organisme non-étatique chargé d’acquérir des devises. La Stasi coopère avec les services de renseignements des autres Etats socialistes pour surveiller les itinéraires et les activités de ces militants sur son propre territoire. Face à des hôtes qu’elle considère souvent comme

2748 BStU, MfS, HA I, Nr. 13676, op.cit., Arbeitsgrundlage für Aufbau und Entwicklung der militärischen Beziehungen im Ausland, für das Ausbildungsjahr 1985-1986. 2749 En septembre 1972, lors des Jeux Olympiques organisés à Munich, le groupe palestinien Septembre Noir prend en otage l’équipe d’athlétisme israélienne, avant de la massacrer. 2750 De ce point de vue, les directives soviétiques sont claires : « soutenir les progressistes, contenir les extrêmes », SAPMO-BarchZ, NL 182/1333, source citée par Wolfgang SCHWANITZ dans : SCHWANITZ, Wolfgang, « Deutschland und der mittlere Osten… », op.cit., p. 23. 2751 BStU, MfS, AG-BKK, Nr. 167, Bd. 1, Rapport sur les futures activités de la firme IMES, Berlin, 9.3.1984.

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encombrants, elle adopte alors une attitude ambivalente qui va du refus de visas2752 à la fourniture d’armes et d’assistance médicale en cas de besoin2753.

Comme elle l’a fait avec l’Egypte quelques années auparavant, la RDA noue avec l’OLP et l’ensemble des acteurs palestiniens une relation fondée sur le pragmatisme et la recherche de ses intérêts nationaux2754.

A. L’OLP pour l’URSS : de l’ « instrument de la grande bourgeoisie arabe »2755 au « mouvement de libération nationale »2756

1. De la méfiance à la reconnaissance du statut diplomatique, 1964-1981 a) Moscou ignore l’OLP jusque 1967

Lorsque l’OLP est fondée en 1964, l’URSS se refuse tout d’abord à soutenir l’organisation palestinienne. Moscou considère en effet cette dernière comme l’incarnation de tous les aspects inacceptables de l’opposition arabe à Israël2757 : son programme politique est nationaliste, rejette tout accord politique, prône une solution militaire pour résoudre le conflit proche-oriental et appelle à la destruction de l’Etat israélien. Or, il convient de rappeler que l’URSS est la première puissance à reconnaître l’Etat israélien de jure en 1948, bien qu’elle ait dénoncé, en 1946 et en 1947, le sionisme comme un complot de l’impérialisme britannique contre les peuples arabes2758. Pendant la première guerre israélo-arabe, Moscou fournit même des armes à Israël, par l’intermédiaire de la Tchécoslovaquie. Le soutien apporté par l’URSS à Israël contribue à alimenter la méfiance des acteurs palestiniens à l’encontre du bloc soviétique et entretient « l’illusion […] selon laquelle il [existe] [une] conspiration entre les

2752 BStU, MfS, Abt. X, Nr. 266, Ministère de l’Intérieur de la République socialiste de Tchécoslovaquie, Information sur Ahmad Adih Fawas. 2753 BStU, MfS, Abt. X., Nr. 204, « Abu Daud », Notice rédigée par le « camarade Snarski », Berlin, 13.8.1981. 2754 L’ambiguité d’une telle relation fait l’objet de l’article suivant : REGNAULD, Amélie, « Ost-Berlin und die palästinensischen Bewegungen, 1967-1989 : "terroristische Kollusion" oder anti-imperialistische Partnerschaft ? Multilaterale Beziehungen zwischen Ideologie, Wirtschaftsinteressen und Realpolitik », in : SCHUBERT, Katja, GUILLON, Laurence, Deutschland und Israel/Palästina von 1945 bis heute, Königshausen & Neumann, 2014, p. 105-119. 2755 « Werk der arabischen Großbourgeoisie ». MfAA, L 198, C 7666 : Abt. Naher u. Mittlerer Osten. Entwicklung des Palästina-Problem und Schlussfolgerungen für die Politik der DDR zu diesem Problem. Nach 1975. III. Zur Haltung der PLO und der arabischen Staaten, p. 6. 2756 « Nationale Befreiungsbewegung ». Ibid., p. 6. 2757 DANNREUTHER, Roland, The Soviet Union and the PLO, New York, St. Martin’s Press, 1998, p. 33. 2758 FRITSCH Renata, « La politique de l’Union soviétique », in : Revue française de science politique, 1969, vol. 19, n° 2, p. 402.

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"sionistes" et les "communistes" »2759. Le fait que les premiers communistes palestiniens aient appuyé la colonisation sioniste au début du XXe siècle limite davantage encore la diffusion de leurs idées au sein de la population arabe de la région2760. La Stasi souligne d’ailleurs à quel point la position soviétique à l’égard du conflit au Proche-Orient rencontre peu d’écho parmi les peuples arabes, qui plébiscitent la reprise du conflit militaire contre Israël2761.

Jusque 1967, l’URSS ignore donc plus ou moins l’OLP. La proximité qu’entretient le président de l’organisation palestinienne, Ahmed Shukeiri, avec la République populaire de Chine nourrit en outre le scepticisme du camp socialiste2762, même s’il convient de nuancer la capacité de nuisance qu’une telle alliance représente pour Moscou2763.

La guerre israélo-arabe de juin 1967 vient toutefois modifier la position de l’URSS à l’égard de l’OLP : la victoire israélienne exacerbe le sentiment national des juifs soviétiques, qui demandent à nouveau le droit d’obtenir la liberté d’émigration hors d’URSS2764. b) 1967 : un tournant dans les relations entre l’URSS et Israël. La question de l’émigration des juifs soviétiques

La période qui suit la Guerre des Six Jours voit la mise en place par Moscou d’une véritable stratégie diplomatique destinée à rétablir ses positions au Moyen-Orient. En effet, si dans la première phase du conflit, les pays arabes ont pu croire que l’URSS soutenait leur cause, l’attitude de Moscou durant les hostilités militaires a rapidement confirmé que sa priorité était d’éviter toute confrontation directe avec les Etats-Unis2765. Pour les Etats arabes, une telle posture s’apparente à une « dérobade »2766 : ils critiquent le manque d’intransigeance de l’URSS à l’ONU et imputent leur défaite à la mauvaise qualité du matériel militaire soviétique qui leur a été livré.

2759 HALLIDAY, Fred, L’URSS et le monde arabe, op.cit., p. 60. 2760 VASSILIEV, Alexei, Russian Policy in the Middle East…, op.cit., p. 149. 2761 BStU, MfS, Hauptverwaltung Aufklärung, Nr. 65, op.cit., Information sur la création d’un parti communiste en Egypte, 4.3.1974. 2762 En mai 1965, l’OLP ouvre son premier bureau à Pékin. La Chine est alors l’un des plus grands fournisseurs d’armes de l’organisation palestinienne. Voir : MEINING, Stefan, Kommunistische Judenpolitik…, op.cit., p. 307. 2763 Selon Roland Dannreuther, les relations entre l’OLP et la Chine ne constituent pas une menace sérieuse pour l’URSS, la Chine n’étant pas en mesure de contrecarrer l’influence soviétique au Proche-Orient. Voir : DANNREUTHER, Roland, The Soviet Union and the PLO, op.cit., p. 33. 2764 DANNREUTHER, Roland, The Soviet Union and the PLO, op.cit., p. 36. 2765 FRITSCH Renata, « La politique de l’Union soviétique », op.cit., p. 407. 2766 Ibid., p. 409.

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Afin de restaurer son prestige auprès de ses partenaires arabes, l’URSS accentue sa propagande antisioniste, décide de rompre ses relations diplomatiques avec Israël et interdit aux citoyens soviétiques d’origine juive d’émigrer en Israël2767. Alors que l’Etat israélien mobilise les opinions publiques2768 et tente de faire pression sur Moscou, afin de favoriser l’installation des juifs soviétiques en Israël2769, l’URSS s’oppose fermement à cette idée : elle reconnaît l’existence d’une nation israélienne, mais pas celle d’une nation juive2770. En réalité, les juifs soviétiques qui décident de quitter leur pays préfèrent, pour la plupart, émigrer aux Etats-Unis, ce qui suscite à la fois l’irritation d’Israël et de l’URSS. La question alimente en tout cas la méfiance de l’OLP à l’égard de Moscou, l’organisation palestinienne redoutant que l’émigration massive des juifs soviétiques en Israël ne vienne modifier le rapport de force démographique entre les populations arabe et juive. Dans les années 1970-1980, c’est d’ailleurs l’une des requêtes récurrentes de l’OLP que de demander à Moscou de faire cesser l’émigration des juifs soviétiques vers Israël2771.

Bien que l’URSS ne revienne jamais sur sa reconnaissance de l’Etat israélien, son attitude à l’égard de l’OLP évolue nettement cependant à partir de l’été 1968, date à laquelle Yasser Arafat, le fondateur du Fatah2772, se rend à Moscou, au sein d’une délégation égyptienne conduite par Nasser. Si Yasser Arafat n’est pas reçu officiellement par les autorités soviétiques2773, le soutien que lui apporte désormais le président égyptien est l’un des facteurs qui pousse l’URSS à reconsidérer le mouvement palestinien2774. En février 1969,

2767 Ibid., p. 410. 2768 Les travaux de Pauline Peretz ont étudié les ressorts de la mobilisation américaine en faveur de l’émigration des juifs soviétiques. Ils ont mis en avant la mise en place d’un « réseau d’activisme humanitaire » liant organisations juives américaines, bureau secret créé par le gouvernement israélien (« Nativ ») et activistes juifs vivant en URSS. Voir : PERETZ, Pauline, « L'émigration des Juifs soviétiques : un objectif humanitaire pour la politique étrangère américaine durant la guerre froide », in : Relations internationales 2/2006, n° 126, p. 81-95. Voir aussi : PERETZ, Pauline, Washington-Moscou-Jérusalem. Le combat pour les Juifs soviétiques, Washington-Moscou-Jérusalem 1953-1990, Paris, Armand Colin, 2006. 2769 SELLA, Amnon, « The Soviet Union, Israel and the PLO : policy shift in the 1980’s », in : HOLLIS, Rosemary (dir.), The Soviets, their Successors and the Middle East. Turning Point, RUSI Defence Studies Series, St Martin’s Press, 1993, p. 20. 2770 Ibid., p. 21. 2771 GOLAN, Galia, Soviet Policies in the Middle East…, op.cit., p. 115. 2772 Le Fatah est créé en 1959 par Yasser Arafat. L’organisation prône la libération de la Palestine et la lutte armée contre Israël. En novembre 1967, elle noue des contacts avec Nasser. Ses combats lui confèrent un prestige inédit, qui permet à Arafat de prendre la tête de l’OLP en février 1969. Voir : LAURENS, Henry, CLOAREC, Vincent, Le Moyen-Orient…, op.cit., p. 211. 2773 Lors de ce premier voyage en URSS, Yasser Arafat a dû rester à l’intérieur de l’avion jusqu’à la fin des cérémonies officielles qui se déroulent sur la piste d’atterrissage, en l’honneur de Nasser. Voir : HALLIDAY, Fred, L’URSS et le monde arabe, op.cit., p. 60. 2774 GOLAN, Galia, Soviet Policies in the Middle East…, op.cit., p. 110.

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Ahmed Shukeiri est évincé de la direction de l’OLP : le Fatah de Yasser Arafat prend la tête du Comité exécutif de l’organisation, avec l’appui de Nasser. L’URSS approuve pleinement une telle restructuration. c) Première reconnaissance en tant que « mouvement de libération nationale » : le tournant de 1969-1970

En 1969, Moscou accorde à la résistance palestinienne le statut de « mouvement de libération nationale »2775. Ce tournant fondamental dans la stratégie soviétique au Proche-Orient traduit la volonté de l’URSS de préserver son influence sur place, en apparaissant comme le véritable protecteur des Etats arabes. C’est aussi un signal fort à destination des Etats-Unis, qui montre que les Soviétiques comptent désormais sur la radicalisation de la région2776. Au cours de l’année 1969, les pertes égyptiennes dues à la guerre d’usure contre Israël s’accroissent nettement, ce qui suscite l’inquiétude de l’URSS. La livraison de F-4 Phantom américains à Israël en septembre achève de convaincre Moscou qu’une collusion américano-israélienne peut mener à la capitulation de Nasser et donc menacer les positions soviétiques dans le monde arabe2777. Dans ce contexte, le soutien à la guérilla palestinienne apparaît comme un moyen de protéger l’influence de l’URSS dans la région : sans doute Nasser et Brejnev voient-ils dans les actions des francs-tireurs palestiniens l’occasion d’ouvrir un second front contre Israël2778.

Les Etats socialistes exigent la garantie des droits du peuple palestinien, le retrait des troupes israéliennes de tous les territoires occupés depuis juin 1967 et la création d’un Etat indépendant. L’OLP est désormais selon eux une « force anti-impérialiste importante », née d’un long processus de maturation politique2779 : l’ancien « instrument de la bourgeoisie arabe prônant la liquidation d’Israël » est ainsi devenu un véritable « mouvement de libération nationale », luttant pour l’autodétermination du peuple palestinien2780.

En février 1970, une délégation de l’OLP, conduite par Yasser Arafat, est invitée pour la première fois en URSS. Soviétiques et Palestiniens s’entendent sur le principe d’une

2775 DANNREUTHER, Roland, The Soviet Union and the PLO, op.cit., p. 42. 2776 Ibid. 2777 Ibid. 2778 MEINING, Stefan, Kommunistische Judenpolitik…, op.cit., p. 308. 2779 MfAA, L 198, C 7666, op.cit., III. Zur Haltung der PLO und der arabischen Staaten. 2780 Ibid.

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« coopération future », incluant des livraisons d’armes de l’URSS à l’OLP2781. Le rapprochement avec Moscou conduit à une redistribution des alliances politiques de l’OLP : en mars 1970, lors d’une conversation avec le personnel de l’ambassade est-allemande au Caire, Anwar A. Rahman, chef de l’information du Fatah, assure à ses interlocuteurs que Yasser Arafat n’entretient pas de liens avec Pékin2782.

Malgré ces garanties, les Etats socialistes restent relativement circonspects à l’égard de l’OLP. Ils dénoncent notamment la composition extrêmement hétérogène de l’organisation, qui rassemble plusieurs mouvements, souvent rivaux. Parmi eux, le Fatah de Yasser Arafat apparaît comme celui qui exerce l’influence dominante. Le PCUS et le SED s’en méfient néanmoins, l’organisation se présentant comme le rassemblement national de tous les courants politiques et non comme un mouvement communiste2783. Une certaine prudence prévaut également à l’encontre des autres organisations qui composent l’OLP2784 : al-Saïqa2785, le Front populaire pour la libération de la Palestine (FPLP) de George Habache2786, le Front démocratique et populaire pour la libération de la Palestine (FDPLP) de Nayef Hawatmeh2787 ou encore le Front de libération arabe (FLA) de Abd el-Wahab el-Kayyali2788. La préférence de Moscou et des Etats socialistes va donc d’abord au mouvement al-Ansâr, fondé en 1970 à l’initiative des partis communistes arabes syrien, libanais, jordanien et irakien2789, puis au Front National de Palestine (FNP), créé en août 1973

2781 MfAA, L 187, C 641/73, op.cit., Vermerk über ein Gespräch mit Anwar A. Rahman –Informationschef der Al-Fatah in Kairo, am 12.3.1970, Botschaft der DDR in der VAR, Sektion Innen- und Außenpolitik, Kairo, am 19.3.1970. 2782 Ibid. 2783 MEINING, Stefan, Kommunistische Judenpolitik…, op.cit., p. 310. 2784 MfAA, L 198, C 7666, op.cit., Anlage 4- Zusammensetzung der PLO, ihre Organe sowie die wichtigsten Massenorganisationen. 2785 L’organisation al-Saïqa (« foudre » en arabe) est fondée après la guerre de juin 1967 par le parti Baath syrien. Son siège est à Damas. Voir : MfAA, L 198, C 76/66, op.cit., Anlage 4- Zusammensetzung der PLO, ihre Organe sowie die wichtigsten Massenorganisationen. 2786 George Habache fonde le FPLP après la guerre de juin 1967. Le FPLP se fait connaître par une série de détournements d’avions qui commence en 1968. En 1972, George Habache adopte le marxisme-léninisme. De 1974 à 1981, son organisation quitte le Comité exécutif de l’OLP. Voir : LAURENS, Henry, CLOAREC, Vincent, Le Moyen-Orient…, op.cit., p. 219-220. 2787 En février 1969, Nayef Hawatmeh fait scission avec le FPLP et crée le FDPLP, qui devient le FDLP en 1974. Contrairement à Habache, Hawatmeh admet l’idée d’un dialogue avec les Israéliens, ce qui ne l’empêche pas de mener de nombreuses opérations terroristes contre Israël. Voir : LAURENS, Henry, CLOAREC, Vincent, Le Moyen-Orient…, op.cit., p. 220-221. 2788 Le Front de libération arabe est fondé en 1969 par le parti Baath irakien. Voir : MfAA, L 198, C 7666, op.cit., Anlage 4- Zusammensetzung der PLO, ihre Organe sowie die wichtigsten Massenorganisationen. 2789 L’organisation opère en Jordanie et disparaît en 1972. Voir : GOLAN, Galia, Soviet Policies in the Middle East…, op.cit., p. 120.

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sous l’égide du parti communiste jordanien2790. Les Soviétiques conçoivent le FNP comme un outil de coordination entre les forces nationalistes palestiniennes, incarnées notamment par le Fatah, et le mouvement communiste2791 : conformément à la « tactique léniniste du front uni »2792, une telle organisation apparaît comme le vecteur utile de l’influence soviétique, mais de façon plus neutre qu’un parti communiste2793.

Au milieu des années 1970 cependant, l’URSS et les Etats socialistes saluent l’affirmation croissante des tendances « progressistes » au sein de l’OLP, comme le Fatah, al-Saïqa, le FDPLP et le FNP, qui se caractérisent selon eux par une prise de distance avec le mode d’action terroriste2794. La RDA les distingue clairement du FPLP de George Habache, du Front populaire de la Palestine-Commandement général d’Ahmad Jibril ou du FLA d’el-Kayyali dont elle dénonce en revanche la « position extrémiste »2795.

La guerre israélo-arabe de 1973 modifie sensiblement la position soviétique à l’égard du mouvement palestinien. Alors que jusqu’ici la priorité de l’URSS était le retrait israélien des territoires occupés en 1967, Moscou considère désormais que la création d’un Etat palestinien indépendant est la clef de voûte de tout règlement du conflit. En outre, l’URSS ayant pris conscience du fait que la question palestinienne était le principal obstacle à la conduite unilatérale d’un accord de paix par les Etats-Unis, elle élève l’OLP au rang de nouvel allié stratégique dans la région2796. A une époque où l’Union soviétique est encore exclue de tout rôle dans le processus de paix, le soutien qu’elle apporte à la lutte palestinienne peut renforcer son crédit sur la scène internationale. d) L’OLP, seul représentante légitime du peuple palestinien : un partenaire assumé ? 1974-1981

Après la guerre de 1973, l’URSS entreprend de développer des relations officielles avec l’OLP. En juin 1974, une délégation palestinienne se rend en Union soviétique. A cette

2790 MfAA, L 198, C 7666, op.cit., Anlage 4- Zusammensetzung der PLO, ihre Organe sowie die wichtigsten Massenorganisationen. 2791 GOLAN, Galia, The Soviet Union and the Palestine…, op.cit., p. 166. 2792 A ce sujet, voir supra, partie III, chapitre 7, p. 416-418. 2793 La même tactique prévaut en Egypte et dans les autres Etats arabes. 2794 « Sie haben sich prinzipiell von Terroraktionen abgegrenzt, wobei sich die Abgrenzung zwischen militärischem Kampf und Terror in den okkupierten Gebieten und in Israel oft als schwierig erweist ». MfAA, L 198, C 7666, op.cit., Anlage 4- Zusammensetzung der PLO, ihre Organe sowie die wichtigsten Massenorganisationen, p. 27. 2795 Ibid. 2796 DANNREUTHER, Roland, The Soviet Union and the PLO, op.cit., p. 49.

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occasion, l’URSS donne son accord de principe pour accueillir une représentation de l’OLP à Moscou2797. Le 22 juin 1976, l’organisation peut ouvrir son bureau dans la capitale soviétique2798. En réalité, cette officialisation a lieu dans le cadre d’un processus de reconnaissance plus large, mobilisant les Etats arabes et les Nations Unies. En octobre 1974, le sommet arabe de Rabat affirme que l’OLP est le « seul représentant légitime du peuple palestinien »2799. Le 22 novembre 1974, la 29ème session de l’assemblée générale des Nations Unies reconnaît, dans la résolution 3236, le droit des Palestiniens à l’autodétermination2800. En accordant à l’OLP un statut d’observateur à l’ONU, elle reconnaît aussi sa qualité de représentant du peuple palestinien.

Galia Golan montre à quel point le rapprochement opéré par Moscou avec l’OLP est dicté par des considérations pragmatiques2801. En mars 1977, la mise en lumière par l’URSS de la question des réfugiés palestiniens apparaît comme un moyen de répondre à la déclaration du président américain Carter, qui vient de se prononcer en faveur de la création d’une « patrie » pour les Palestiniens. En avril 1977, la première réunion officielle entre Arafat et Brejnev fait figure de compensation pour l’OLP, au moment même où Moscou multiplie les concessions, face aux Américains, quant aux modalités de la participation palestinienne à la conférence de Genève. En 1981, le bureau de l’OLP à Moscou obtient un statut diplomatique, après que l’URSS a refusé d’accroître son soutien matériel aux forces de Yasser Arafat au Liban2802.

2. Terrorisme ou « lutte de libération nationale » ? L’ambiguïté de la position soviétique face aux initiatives armées des factions palestiniennes

Le rapprochement entre l’URSS et l’OLP s’accompagne d’un processus de différenciation des différents groupes composant l’organisation palestinienne. Les Soviétiques se refusent en effet à appuyer des mouvements qu’ils considèrent comme trop radicaux : leur priorité est d’éviter l’escalade de conflits locaux susceptibles de mener à une confrontation des superpuissances. Ce pragmatisme conduit Moscou à privilégier le Fatah de Yasser Arafat aux organisations marxistes de George Habache et Nayef Hawatmeh. Aux yeux des

2797 SELLA, Amnon, « The Soviet Union, Israel and the PLO… », op.cit., p. 40. 2798 Ibid. 2799 Ibid. 2800 Ibid. 2801 GOLAN, Galia, Soviet Policies in the Middle East…, op.cit., p. 112. 2802 Ibid., p. 113.

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Soviétiques, soutenir la « position extrémiste »2803 du FPLP mettrait en péril toute participation de l’URSS aux négociations de paix. De plus, le groupe de George Habache est condamné pour ses liens avec la « direction maoïste de Pékin »2804. Quant au FDPLP, s’il est plus enclin à dialoguer avec Israël, il ne semble pas suffisamment fort numériquement et militairement pour offrir une véritable alternative au Fatah. L’URSS accepte donc de s’accommoder des orientations nationalistes, parfois religieuses, et occasionnellement anti-communistes, du groupe dominant au sein de l’OLP, le mouvement de Yasser Arafat2805. Elle encourage la « clarification des fronts »2806 au sein de l’OLP, de façon à distinguer officiellement les éléments « modérés », comme le Fatah, des factions « extrémistes », comme le FPLP et le FDPLP2807. Moscou reproche à ces dernières d’employer des méthodes terroristes, comme les détournements d’avions civils, et de contribuer ainsi à l’escalade du conflit israélo-arabe.

Le soutien soviétique à l’OLP s’accompagne, par conséquent, d’efforts considérables pour faire de l’organisation palestinienne un interlocuteur acceptable sur la scène internationale, conformément à la directive formulée en août 1969 par le Kremlin : « soutenir les progressistes ; contenir les extrêmes ; plus d’aide et des armes »2808.

Ce rapprochement avec l’OLP contraint l’URSS à reconsidérer sa position à l’égard de la lutte armée. Tout en s’efforçant de convaincre l’organisation palestinienne de privilégier les négociations politiques, les Soviétiques admettent le fait que cette dernière, en tant que « mouvement de libération nationale », puisse avoir recours aux méthodes de la guérilla. Moscou justifie une telle posture en distinguant deux types de lutte armée : la guerre conventionnelle et la guérilla d’un côté, qui apparaissent comme des formes de combat « nobles », le sabotage et le terrorisme de l’autre, qui sont considérés comme contre-productifs et à ce titre, vivement critiqués2809. Le soutien soviétique aux unités armées

2803 MfAA, L 198, C 7666, op.cit., Anlage 4- Zusammensetzung der PLO, ihre Organe sowie die wichtigsten Massenorganisationen. 2804 Ibid. 2805 GOLAN, Galia, Soviet Policies in the Middle East…, op.cit., p. 118. 2806 « Klärung der Fronten ». MfAA, L 187, C 641/73, op.cit., Vermerk über ein Gespräch mit Anwar A. Rahman –Informationschef der Al-Fatah in Kairo, am 12.3.1970, Botschaft der DDR in der VAR, Sektion Innen- und Außenpolitik, Kairo, am 19.3.1970, p. 24. 2807 DANNREUTHER, Roland, The Soviet Union and the PLO, op.cit., p. 47. 2808 SAPMO-BarchZ, NL 182/1333 (19 août 1969), archives citées dans: SCHWANITZ, Wolfgang, « Deutschland und der mittlere Osten…», op.cit., p. 23. 2809 GOLAN, Galia, Soviet Policies in the Middle East…, op.cit., p. 117.

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de l’OLP vise donc à créer une armée régulière, et à transformer la guérilla palestinienne en une guerre conventionnelle2810. En réalité, la distinction opérée par l’URSS entre guérilla anti-impérialiste et terrorisme est surtout destinée à légitimer des alliances ou des oppositions politiques : du point de vue est-allemand, « dans les territoires occupés et en Israël, la différence entre lutte militaire et terrorisme [reste] souvent difficile à faire »2811.

Moscou ne renonce pas, toutefois, à l’espoir de faire de l’OLP une force unificatrice au Moyen-Orient : le renforcement de l’unité arabe autour d’une organisation palestinienne affermie lui apparaît comme un instrument utile de sa politique étrangère au Moyen-Orient2812. L’URSS souhaite en effet s’imposer face à la diplomatie américaine dans la région et jouer un rôle dans les négociations de paix : dans ce but, elle soutient la tenue d’une conférence internationale sur le règlement du conflit israélo-arabe, incluant la participation de l’OLP.

3. Le rôle de l’URSS et du bloc de l’Est dans les règlements de paix au Proche-Orient

En 1976, Moscou multiplie les initiatives diplomatiques destinées à reconduire la conférence de Genève, qui avait été convoquée à la fin de la guerre israélo-arabe d’octobre 19732813. Les communiqués du gouvernement soviétique désignent le problème palestinien comme la question clé du conflit au Proche-Orient. Ils exigent le retrait des troupes israéliennes de tous les territoires occupés depuis 1967, la reconnaissance des droits nationaux du peuple palestinien, ainsi que son droit à disposer d’un Etat propre, et la garantie pour les Etats arabes comme pour l’Etat israélien de pouvoir vivre en paix et en sécurité dans la région2814. Moscou demande la reconduction de la conférence internationale de Genève et soutient le principe de la participation égale en droit de l’OLP aux négociations politiques2815.

2810 Ibid., p. 118. 2811 MfAA, L 198, C 7666, op.cit., Anlage 4- Zusammensetzung der PLO, ihre Organe sowie die wichtigsten Massenorganisationen. 2812 SELLA, Amnon, « The Soviet Union, Israel and the PLO… », op.cit., p. 51. 2813 Ibid., p. 24. 2814 MfAA, L 198, C 7666, op.cit., I. Das Palästina-Problem im Rahmen der weltweiten Klassenauseinanderstzungen. 2815 Ibid., Das Palästina-Problem. II. Die Haltung der UdSSR/SSG.

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L’URSS tente en fait de concilier le soutien à l’OLP et l’acceptation des résolutions 242 et 338 des Nations Unies2816, qui appellent au cessez-le-feu et à des négociations, impliquant de fait la reconnaissance du droit d’Israël à exister2817. En 1988, c’est pourtant sous la pression américaine que l’OLP admet la résolution 181 du Conseil de Sécurité de l’ONU, adoptée en novembre 1947 et qui reconnaît le plan de partage de la Palestine en un Etat arabe et un Etat juif2818.

Par conséquent, c’est la prudence qui prévaut dans le soutien politique qu’apporte Moscou à l’OLP, ce qui invite d’emblée à nuancer l’entente idéologique qui peut unir les deux types d’acteurs. Berlin-Est adopte une posture similaire.

4. La chronologie des relations RDA/OLP suit celle des relations URSS/OLP a) L’évolution des rapports entre la RDA et l’OLP

La position de Berlin-Est à l’égard de l’OLP s’aligne sur celle de Moscou. Si les premiers contacts se sont noués dès la fondation de l’organisation palestinienne, en 1964, le SED refuse néanmoins d’accéder aux demandes de son président, Ahmed Shukeiri, qui réclame un soutien militaire et l’ouverture d’un bureau de l’OLP à Berlin-Est2819. Le 28 avril 1970, le bureau politique du SED clarifie par une série de mesures la nature de ses relations avec l’OLP : conformément aux directives du PCUS, Berlin-Est entend aider les peuples arabes à « surmonter les conséquences de l’agression impérialiste israélienne de juin 1967 », mais rejette toutefois les « conceptions du mouvement de résistance palestinien » au sujet de la « liquidation d’Israël »2820. La RDA souhaite en effet que la direction de l’OLP reconnaisse « la réalité de l’existence d’Israël »2821. Au début des années 1970, dans le cadre du rapprochement entre Moscou et l’OLP2822, le SED intensifie ses relations avec l’organisation

2816 La résolution 242 de l’ONU est adoptée le 22 novembre 1967. Elle demande le « retrait des forces armées israéliennes des territoires occupés », la cessation de l’état de bélligérance entre Israël et les Arabes, la reconnaissance de l’intégrité territoriale de tous les Etats de la région. Voir : LAURENS, Henry, CLOAREC, Vincent, Le Moyen-Orient…, op.cit., p. 142. La résolution 338 est adoptée le 22 octobre 1973 par le Conseil de sécurité de l’ONU : elle demande le cessez-le-feu immédiat et l’ouverture de négociations entre les parties impliquées dans la guerre d’octobre 1973. Voir : LAURENS, Henry, CLOAREC, Vincent, Le Moyen-Orient…, op.cit., p. 155. 2817 SELLA, Amnon, « The Soviet Union, Israel and the PLO… », op.cit., p. 42. 2818 SIGNOLES, Aude, Les Palestiniens, Paris, Le Cavalier Bleu, 2005, p. 74. 2819 MEINING, Stefan, Kommunistische Judenpolitik…, op.cit., p. 307. 2820 Ibid., p. 309. 2821 MfAA, L 198, C 7666, op.cit., Das Palästina-Problem. 2822 En février 1970, une délégation de l’OLP, conduite par Yasser Arafat, est invitée pour la première fois en URSS. Voir supra, p. 518.

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palestinienne2823 et décide de lui livrer des armes2824. Mais entre le groupe al-Ansâr et le Fatah d’Arafat, c’est le premier qui a sa préférence.

En février 1973, Yasser Arafat se rend à Berlin-Est, où il est reçu par Erich Honecker2825. En août 1974, il séjourne à nouveau en RDA2826. La même année, l’OLP peut ouvrir un bureau à Berlin-Est2827. Dès lors, les relations entre la RDA et l’OLP s’étoffent. Yasser Arafat compte explicitement sur l’action de Berlin-Est à l’ONU, afin d’activer les formes de soutien politique en faveur des revendications palestiniennes2828. Les échanges de lettres et de télégrammes entre les dirigeants est-allemands et palestiniens s’intensifient à partir de 1975. Les documents exaltent la lutte que mènent les peuples de RDA et de Palestine contre leurs « ennemis communs », les « conspirateurs impérialistes et réactionnaires »2829 ; ils valorisent l’expérience partagée de la « lutte d’un peuple pour sa libération »2830.

Le 11 mars 1978, le ministère des Affaires étrangères de RDA et l’OLP signent une convention visant à accorder à la représentation palestinienne le même statut que celui des autres missions diplomatiques2831. Le représentant de l’OLP à Berlin-Est, Nabil Koulailat, est remplacé en 1979 par Issam Kamil al-Salim2832. En février 1979, Abdel Menaem Mahmoud, ancien collaborateur du bureau de l’OLP2833, est nommé attaché militaire et responsable de la

2823 SCHWANITZ, Wolfgang, « Olivenzweig, Waffe und Terror. Deutsche und Palästinenser im Kalten Krieg », in: KAS Auslandinformationen, 2005, n° 21, p. 57. 2824 MEINING, Stefan, Kommunistische Judenpolitik…, op.cit., p. 310. 2825 SCHWANITZ, Wolfgang, « Olivenzweig, Waffe und Terror… », op.cit., p. 57. 2826 MfAA, L 198, C 7667 : Abt. Naher u. Mittlerer Osten. Noten und Schreiben aussenpolitischen Charakters zwischen der DDR und der Palästinensischen Befreiungsbewegung zur Unterstützung der PLO durch die DDR. 1972, 1974, 1978-1979. Lettre de Oskar Fischer à Erich Honecker, Berlin, 10.9.1974. 2827 SCHWANITZ, Wolfgang, « Olivenzweig, Waffe und Terror…», op.cit., p. 57. 2828 MfAA, L 198, C 7667, op.cit., Lettre de Yasser Arafat, président du comité exécutif de l’OLP, à Erich Honecker, premier secrétaire du comité central du SED, Beyrouth, 6.9.1974. 2829 « Unsere gemeinsamen Feinde », « Imperialistische und reaktionäre Verschwörungen ». MfAA, L 198, C 7687, op.cit., Lettre de Yasser Arafat à Erich Honecker, Beyrouth, 25.5.1975, p. 25. 2830 Ibid., Lettre de Farouk Kaddoumi, département politique de l’OLP, à Oskar Fischer, ministre est-allemand des Affaires étrangères, 21.9.1979. 2831 MfAA, L 198, C 4282 : Abt. UNO. Aktivitäten der DDR zum « Internationalen Tag der Solidarität mit dem paläsinensischen Volk », 1978-1979, Lettre de Peter Florin, représentant du ministre est-allemand des Affaires étrangères et représentant permanent de la RDA aux Nations Unies, à Erich Honecker, juillet 1978. 2832 MfAA, L 198, C 7667, op.cit., Lettre de Farouk Kaddoumi, département politique de l’OLP, au Comité central du SED, 12.4. 1979. 2833 MfAA, L 198, C 7687, op.cit., Lettre du département politique de l’OLP à l’ambassade de RDA à Beyrouth, 14.6.1978.

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sécurité de la représentation palestinienne2834. Les autorités est-allemandes consentent à ce que le directeur du bureau de l’OLP et ses agents de sécurité portent des armes à feu et les utilisent en cas de besoin2835. C’est d’ailleurs la RDA qui leur vend de telles armes2836.

La coopération entre Berlin-Est et l’OLP s’intensifie après les accords de Camp David et la signature de l’accord de paix israélo-égyptien. Dans une lettre qu’il adresse à Yasser Arafat le 30 mars 1979, Erich Honecker accuse le traité séparé d’ignorer les droits du peuple palestinien ainsi que les résolutions de l’ONU2837. Il promet à son interlocuteur que la RDA « va prendre position afin que l’OLP puisse participer, en tant que porte-parole légitime du peuple palestinien, à tous les débats ayant trait à son destin »2838. En 1980, la représentation de l’OLP à Berlin-Est est élevée au rang d’ambassade2839 et en mars 1982, Yasser Arafat se rend en RDA, où il est reçu par Erich Honecker.

2834 MfAA, L 198, C 7667, op.cit., Lettre de Ahmed al-Azhari, directeur du bureau du président de l’OLP, 7.4.1979. 2835 MfAA, L 198, C 7667, op.cit., Lettre n°71/78 du bureau de l’OLP en RDA à M. Teuscher, Conseil national du Front national de RDA, Berlin, 20.3.1978. 2836 Ibid. 2837 MfAA, L 198, C 7667, op.cit., Anlage 1, annexe 1 jointe à la lettre adressée par Erich Honecker, secrétaire général du comité central du SED, à Yasser Arafat, président du comité exécutif de l’OLP et commandant en chef des forces de la révolution palestinienne, 30.3.1979, p. 20-21. 2838 « Die DDR wird stets dafür eintreten, daß die Palästinensische Befreiungsorganisation als legitimer Sprecher des palästinensischen Volkes an der Erörterung aller Fragen seines Schicksals gleichberechtigt teilnehmen kann ». Ibid., p. 21. 2839 « Das Verhältnis der DDR zu Israel », Bundeszentrale für politische Bildung, http://www.bpb.de/internationales/asien/israel/45014/ddr-israel?p=all

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Photographie 11 : Yasser Arafat reçu par Erich Honecker à Berlin, mars 1982 2840

b) La volonté est-allemande de désamorcer les accusations d’antisémitisme

La coopération entre Berlin-Est et l’OLP participe d’une volonté commune aux deux partenaires de gagner en légitimité sur la scène internationale. Un tel rapprochement contribue pourtant à alimenter les accusations d’antisémitisme à l’encontre du régime est-allemand, condamné par Israël et les pays occidentaux pour son « alliance militante et fermement organisée » avec les « commandos terroristes » de l’OLP2841. Soucieuse d’entretenir sa crédibilité internationale, la RDA entreprend de désamorcer ce type d’accusations. En effet, conformément à la ligne soviétique, Berlin-Est ne remet pas en cause le droit d’Israël à exister mais soutient un règlement politique du conflit au Proche-Orient, ainsi que la participation égale en droit de l’OLP à la conférence de Genève2842. Parallèlement, la RDA défend une position clairement antisioniste, adoptant une rhétorique qui insiste sur la différence entre

2840 Source : Bundesarchiv, Bild 183-1982-0310- 027. 2841 Pour reprendre les formules employées par l’écrivain israélien Ephraim Kishon dans : « Die PLO, die Araber une Israel », in : Der Spiegel, 1982/13, p. 132. 2842 MfAA, C 7666, op.cit., VI. Schlußfolgerungen für die Politik der DDR.

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antisémitisme et antisionisme politique. Contrairement à la RFA2843, elle réfute la thèse d’une continuité historique entre le troisième Reich et un Etat allemand unifié2844 : elle refuse donc d’endosser la responsabilité des crimes commis par le national-socialisme à l’encontre des juifs et rejette les demandes de réparations formulées par Israël2845. Arguant du fait qu’il ne peut y avoir d’antisémitisme que là où il y a du fascisme, la RDA nie officiellement son existence sur son propre territoire2846. Selon Erich Honecker, l’Allemagne orientale a en effet déjà mis en œuvre les mesures définies par la Conférence de Potsdam, qui, à l’été 1945, ordonnaient « d’extirper le fascisme à la racine »2847. De plus, ce dernier estime que les exigences de réparations israéliennes n’ont aucun fondement, puisque l’Etat israélien n’existait pas encore à l’époque de la « lutte contre le fascisme hitlérien »2848. Erich Honecker dénonce alors vigoureusement les « milliards » versés par la RFA à Israël, qui d’après lui ont servi à financer l’armée du jeune Etat2849. Se refusant à signer un accord semblable au traité de réparations israélo-allemand du 10 septembre 19522850, il assure qu’ « Israël ne recevra pas un pfennig de la RDA »2851.

L’une des stratégies adoptées par le régime est-allemand pour se dédouaner de toute accusation d’antisémitisme est de comparer explicitement la politique de ses adversaires à celle mise en œuvre autrefois par les nazis. C’est d’ailleurs un procédé éprouvé au sein de la presse socialiste, et qui trouve un certain écho dans les pays arabes. Ainsi, en octobre 1973, en pleine guerre israélo-arabe, le Progrès égyptien ne manque pas de reproduire des extraits du quotidien yougoslave, publié à Belgrade, Politika : « C’est une atroce ironie qu’Israël imite le

2843 Le 27 septembre 1951, le chancelier Konrad Adenauer a reconnu la responsabilité allemande dans les crimes commis contre les juifs par le national-socialisme. Voir : TIMM, Angelika, « Der Faktor USA in der Entwicklung deutsch-israelischer Beziehungen während des Kalten Krieges », in: Comparativ, 16. Jahrgang, 2006, Heft 2, Leipziger Beiträge zur Universalgeschichte und vergleichenden Gesellschaftsforschung, p. 46. 2844 HAFEZ, Kai, « Von der nationalen Frage…», op.cit., p. 79. 2845 TIMM, Angelika, « Der Faktor USA in der Entwicklung deutsch-israelischer Beziehungen während des Kalten Krieges », in: Comparativ, op.cit., p. 46. 2846 DUCHAINE-GUILLON, Laurence, La vie juive à Berlin après 1945, CNRS Editions, p. 77. 2847 SAPMO-BArch, DY 30/ IV B 2-20 345, op.cit., Projet de rapport sur le séjour d’une délégation du comité central de l’Union Socialiste Arabe, sous la direction du premier secrétaire du comité central, Sayed Marei, en RDA, du 16 au 21 mars 1973. 2848 Ibid. 2849 Ibid. 2850 Sur le traité de réparations israélo-allemand, voir notamment : GINIEWSKI, Paul, « Allemagne et Israël. Le traité de réparations israélo-allemand du 21 septembre 1952 », in : Politique étrangère, 1954, vol. 19, n° 2, p. 211-226. 2851 SAPMO-BArch, DY 30/ IV B 2-20 345, op.cit., Projet de rapport sur le séjour d’une délégation du comité central de l’Union Socialiste Arabe, sous la direction du premier secrétaire du comité central, Sayed Marei, en RDA, du 16 au 21 mars 1973.

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modèle de guerre des nazis »2852. Le 11 octobre, dans son éditorial, le journal compare même les raids israéliens sur les villes arabes à ceux de la Luftwaffe hitlérienne durant la Seconde Guerre mondiale2853.

Les journaux est-allemands utilisent les mêmes tournures rhétoriques. En septembre 1982, dans le contexte de l’invasion du sud du Liban par l’armée israélienne, le quotidien Neues Deutschland se fait l’écho d’un « monde [qui] tremble devant des atrocités qui sont comparables avec celles commises par les nazis »2854. En Europe, « l’antisémitisme devient le cheval de bataille de l’offensive idéologique de la RDA contre la RFA »2855. En RDA même, le régime est-allemand met en scène sa lutte contre le fascisme et l’antisémitisme lors de cérémonies commémoratives : en janvier 1989, par exemple, la Jeunesse libre allemande (FDJ) convie une délégation de l’Alliance de la jeunesse progressiste d’Egypte (UPY) à venir honorer la mémoire des « victimes du fascisme » en déposant des fleurs au mémorial de l’ancien camp de concentration nazi de Sachsenhausen, au nord de Berlin2856.

Cette position officielle n’empêche pas l’expression d’opinions ouvertement antisémites dans certaines catégories de la population est-allemande, comme en témoignent les rapports des collaborateurs non officiels de la Stasi. En novembre 1973 par exemple, un informateur relate les propos antisémites qui circulent au sein de l’armée populaire nationale, dans le cadre du conflit israélo-arabe2857. Selon lui, un commandant de la NVA, Reinhold Becker, s’est exprimé de la sorte, sans que personne ne le contredise : « Les juifs d’Israël ont encore une fois provoqué une guerre contre l’Egypte. Si Adolf avait supprimé tous les juifs, ils n’auraient pas pu agresser l’Egypte aujourd’hui »2858.

Conscients du souhait des Etats socialistes de voir leurs interlocuteurs palestiniens reconnaître officiellement le droit d’Israël à exister, certains dirigeants de l’OLP prennent soin de clarifier leur position par rapport à la population juive, lors des conversations qu’ils mènent avec leurs homologues est-allemands. En juin 1976, le directeur du bureau de l’OLP à

2852 Le Progrès égyptien, 12 octobre 1973, p. 2. 2853 Ibid. 2854 « Comment un règlement peut-il être atteint au Proche-Orient ? », Neues Deutschland, 7 septembre 1982, p. 5. 2855 DUCHAINE-GUILLON, Laurence, La vie juive à Berlin…, op.cit., p. 78. 2856 SAPMO-BArch, DY 30/ 13 669, op.cit., Informationsbericht über die Sozialistische ägyptische Partei, vertraulich, juni 1988. Information sur le séjour d’une délégation de l’Alliance de la jeunesse progressiste d’Egypte (UPY) en RDA du 17 au 24 janvier 1989. 2857 BStU, MfS, HA I, Nr. 10337, op.cit., Stimmungsbericht 11/73, Hauptabteilung I/ AG, Berlin, 29.11.1973. 2858 Ibid.

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Damas, Mahmoud al-Khalidi, assure à la Ligue pour l’amitié des peuples de RDA que son organisation lutte activement contre les tendances anti-juives dans les pays arabes2859 :

« On a ainsi obtenu, après de longues négociations avec les gouvernements de nombreux pays, que les citoyens juifs puissent revenir et retrouver sans inquiétude leur travail, par exemple au Maroc, en Tunisie et au Soudan. L’OLP a organisé ce retour, en coopération avec le parti communiste israélien »2860.

Il précise que l’OLP ne se conçoit pas comme l’ennemie des juifs mais qu’elle prône au contraire la création d’un « Etat palestinien progressiste », susceptible d’offrir les conditions d’un vivre-ensemble et l’égalité des droits aux juifs et aux Arabes2861. Il insiste enfin sur la volonté de l’OLP d’atteindre une « véritable solution socialiste » pour la Palestine, justifiant la coopération avec le parti communiste israélien. Les relations entre l’OLP et le PCI, Rakah, restent cependant un point de discorde parmi les membres dirigeants de l’organisation palestinienne. Depuis le début des années 1970, l’OLP a certes noué des liens avec les Israéliens antisionistes de l’aile gauche du parti Rakah, le groupe Matzpen2862. La première rencontre entre l’OLP et Rakah a lieu en 1977, mais les différents groupes palestiniens ne parviennent pas à trouver de consensus fondant la légitimité de telles relations.

Comme dans le cas de la RDA et des Etats socialistes, la dénonciation de méthodes évoquant la « barbarie nazie » chez leurs adversaires peut cependant être un outil de communication utile à certains groupes palestiniens, qui cherchent à présenter leur lutte comme l’expression véritable de l’antifascisme et à désamorcer toute accusation d’antisémitisme à leur encontre. Le FPDLP emploie ainsi les mêmes stratégies verbales que celles de Berlin-Est, lorsqu’il condamne le soutien que « l’Allemagne de l’Ouest militariste et nazie » apporte à l’impérialisme et au sionisme2863.

2859 MfAA, L 198, C 7684 : Abt. Naher u. Mittlerer Osten. Grundsatz materialien zur historischen Entwicklung des Palästina-Problems. 1967, 1976. Niederschrift über eine Erklärung des Leiters der PLO-Delegation zur Lage im Nahen Osten (18.6.76), Liga für Völkerfreundschaft, Abteilung VIII. 2860 « So wurde z.B. nach langen Verhandlungen mit den Regierungen zahlreicher Länder erreicht, daß jüdische Bürger wieder zurückkehren können und ohne Angst und Sorge ihrer Arbeit nachgeben können, so z.B. Marokko, Tunesien, Sudan u.a. Länder ». Ibid., p. 10. 2861 Ibid. 2862 GOLAN, Galia, The Soviet Union and the Palestine…, op.cit., p. 175. 2863 « Die Politik der Imperialisten im nazistischen und militaristischen Westdeutschland ». MfAA, L 198, C 7687, op.cit., Télégramme du comité central du Front populaire démocratique de libération de la Palestine au président du Conseil d’Etat de la RDA et secrétaire du Comité central du SED, Walter Ulbricht, 6.11.1970, p. 26.

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B. L’Egypte, intermédiaire entre les Etats socialistes et l’OLP

1. La prise de contact entre le bloc de l’Est et l’OLP se fait par l’Egypte

Le rapprochement entre les Etats socialistes et l’OLP est nettement facilité par le changement d’attitude des Etats arabes, et notamment de l’Egypte, vis-à-vis de l’organisation palestinienne. C’est en effet par l’intermédiaire du Caire qu’est organisée la première prise de contact entre Yasser Arafat et la direction soviétique, en juillet 19682864. Jusqu’à cette date, l’URSS a d’ailleurs tendance à considérer l’OLP comme une structure entièrement subordonnée à la politique nassérienne2865.

Si l’Egypte joue un tel rôle, c’est d’abord en raison de l’influence qu’elle a eue dans la gestion de l’administration publique d’une partie des territoires palestiniens : de 1948 à 1967, Gaza est en effet sous son autorité2866, avant de passer sous occupation israélienne à la suite de la guerre des Six Jours. Wolfgang Schwanitz évoque la visite de représentants commerciaux est-allemands dans la bande de Gaza en 1958 et leur stupéfaction lorsqu’ils constatent que les autorités égyptiennes considèrent celle-ci comme un territoire étranger2867. La pauvreté y est extrême et les 250 000 réfugiés palestiniens qui y survivent sont presque tous sans emploi2868.

A la suite de la guerre de juin 1967, le soutien de l’Egypte à l’OLP s’accentue. En avril 1968, une rencontre entre Nasser et Yasser Arafat sanctionne la reconnaissance du Fatah par le Caire et sa prise de pouvoir sur les autres factions de la guérilla palestinienne2869. Durant l’été qui suit, Nasser invite le dirigeant de l’OLP à se joindre à une délégation égyptienne qui se rend à Moscou2870. Dès lors, les Soviétiques désignent les Palestiniens comme un « peuple » et se mettent à reconsidérer les liens qu’ils entretiennent avec l’OLP.

Au début des années 1970, c’est encore souvent par l’intermédiaire de l’Egypte que se nouent les contacts entre les représentants des Etats socialistes et leurs interlocuteurs palestiniens. En mars 1972 par exemple, Yasser Arafat convie l’ambassadeur de la RDA à

2864 MEINING, Stefan, Kommunistische Judenpolitik…, op.cit., p. 308. 2865 DANNREUTHER, Roland, The Soviet Union and the PLO, op.cit., p. 31. 2866 MfAA, C 7666, op.cit., Das Palätina-Problem. Anlage 2 –Zur Flüchtlingsfrage. 2867 SCHWANITZ, Wolfgang, « Olivenzweig, Waffe und Terror…», op.cit., p. 47. 2868 Ibid. 2869 DANNREUTHER, Roland, The Soviet Union and the PLO, op.cit., p. 41. 2870 GOLAN, Galia, Soviet Policies in the Middle East…, op.cit., p. 110.

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Damas à une conférence destinée à soutenir la révolution palestinienne et qui doit se dérouler le mois suivant, au Caire2871.

Du point de vue égyptien, ce rôle d’intermédiaire est un moyen utile de contrôler l’organisation palestinienne et de conserver un rôle déterminant dans le règlement du conflit israélo-arabe.

2. « Eliminer le contenu anti-impérialiste de l’OLP »2872 pour en faire un « partenaire acceptable »2873 : l’Egypte cherche à garantir ses intérêts nationaux a) Quel statut pour la délégation palestinienne lors de la conférence de Genève ? Les ambiguïtés de la position égyptienne

Au début des années 1970, les partenaires égyptiens de Berlin-Est assument très explicitement leur souhait de « gagner en influence sur l’OLP », notamment parce qu’il s’agit de l’une des organisations les plus importantes du monde arabe2874. Selon eux, une action renforcée de l’OLP permettrait en outre de « décharger » l’Egypte dans son effort de libération des territoires arabes occupés2875.

Tant que l’Egypte et les Etats socialistes entretiennent de bonnes relations, le contrôle qu’exerce le Caire sur l’OLP n’est nullement remis en cause par Berlin-Est. En revanche, à partir du moment où les liens commencent à se détériorer, au cours des années 1970, l’influence de l’Egypte sur l’organisation palestinienne est présentée par la RDA comme une tentative d’éradiquer les éléments progressistes qui constituent cette dernière, afin de les remplacer par une « direction bourgeoise » et réactionnaire2876. Au milieu des années 1970, les fonctionnaires est-allemands accusent très clairement l’Egypte de soutenir les « plans impérialistes »2877 destinés à éviter toute création d’un Etat palestinien indépendant :

« Des Etats arabes comme l’Egypte, l’Arabie Saoudite, la Jordanie et le Maroc, ainsi que d’autres forces syriennes influentes, sont prêts à éliminer le contenu anti-impérialiste de la

2871 MfAA, L 198, C 7667, op.cit., Lettre de Yasser Arafat, président du comité exécutif de l’OLP, à l’ambassadeur de RDA à Damas, 2.3.1972. 2872 MfAA, L 198, C 7666, op.cit., Das Palästina-Problem. V. Mögliche Varianten der weiteren Entwicklung. 2873 Ibid. 2874 MfAA, L 187, C 641/73, op.cit., Note sur une conversation avec Sabri el-Kady, député de l’Assemblée nationale, et Mahmoud Riad, secrétaire de presse auprès du ministre de la Jeunesse, le 26 mars 1970, le Caire, 30 mars 1970. 2875 Ibid. 2876 MfAA, L 198, C 7666, op.cit., Das Palästina-Problem. V. Mögliche Varianten der weiteren Entwicklung. 2877 Ibid.

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politique de l’OLP, afin de pouvoir en faire un partenaire acceptable pour les négociations avec Israël et les Etats-Unis »2878.

Après la reconnaissance de l’OLP en tant que représentant légitime du peuple palestinien par l’ONU en 19742879, l’organisation palestinienne devient pourtant un acteur essentiel du processus de paix, ce qui pose la question de sa participation à la reprise éventuelle de la conférence de Genève2880. Convoquée une première fois à la suite de la guerre israélo-arabe d’octobre 1973, la conférence internationale de paix a en effet été suspendue. Entre 1974 et 1977, l’Assemblée générale de l’ONU demande à plusieurs occasions la reprise de la conférence de Genève, mais la question de la participation de l’OLP empêche les différentes parties de se mettre d’accord sur les conditions d’une telle reprise2881. L’Egypte de Sadate, en particulier, bien qu’elle soit d’accord sur le principe de la convocation de la conférence de paix2882, se méfie de la participation d’une délégation palestinienne indépendante2883. « Genève n’est pas un dogme » déclare le ministre égyptien des Affaires étrangères, Ismaël Fahmy, au représentant de son homologue est-allemand, en avril 19752884. Selon lui, la priorité pour le Caire est d’éviter une nouvelle confrontation armée, afin de réduire les dépenses militaires du pays2885. Par conséquent, il se dit prêt à envisager positivement toutes les « propositions alternatives » à la conférence de Genève, si cette dernière venait à nouveau à échouer2886.

Cette position suscite les critiques des observateurs est-allemands, qui accusent l’Egypte d’exploiter les contradictions internes de l’OLP et de saper tout renforcement des

2878 « Solche arabische Staaten wie Ägypten, Saudi-Arabien, Jordanien, Marokko und bestimmte einflußreiche syrische Kräfte sind bestrebt, den antiimperialistischen Gehalt der Politik der PLO zu eliminieren, um sie zu einem akzeptablen Partner für Verhandlungen mit Israel und den USA machen zu können ». Ibid., p. 14. 2879 Sur les étapes successives qui conduisent à la reconnaissance internationale de l’OLP, voir supra, p. 515-521. 2880 CLOAREC, Vincent, LAURENS, Henry, Le Moyen-Orient…, op.cit., p. 157. 2881 Voir le site des Nations Unies sur « la question de Palestine », « Historique. La recherche d’un règlement pacifique et le rôle de l’ONU » : http://www.un.org/french/Depts/palestine/history7.shtml 2882 MfAA, L 187, C 1454/76, op.cit., Bericht über die Konsultationen des Stellevertreters des Ministers für Auswärtige Angelegenheiten der DDR, Dr. Klaus Willerding, in der Arabischen Republik Ägypten vom 11.- 13.4.1975, Berlin, den 15.4.1975, Streng vertraulich. 2883 SAPMO-BArch, DY 30/ 13 911, op.cit., Information à propos des négociations avec le ministre égyptien des Affaires étrangères, E. Meguid, au sujet des publications de la presse soviétique, Moscou, 6.6.1988. 2884 « Für ihn selbst sei jedoch Genf kein Dogma ». MfAA, L 187, C 1454/76, op.cit., Bericht über die Konsultationen des Stellevertreters des Ministers für Auswärtige Angelegenheiten der DDR, Dr. Klaus Willerding, in der Arabischen Republik Ägypten vom 11.- 13.4.1975, Berlin, den 15.4.1975, Streng vertraulich, p. 20. 2885 Ibid. 2886 Ibid.

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forces anti-impérialistes autour de Yasser Arafat2887. D’après eux, en distinguant « invitation » et « participation » de l’OLP à la conférence de Genève, le Caire veut surtout éviter que l’organisation palestinienne puisse se représenter elle-même2888. L’Egypte redoute en effet qu’une telle configuration permette aux « forces progressistes groupées derrière l’URSS, la Syrie et l’OLP » de jouer un rôle décisif dans les négociations2889. Même si des liens nombreux subsistent entre Yasser Arafat et la direction égyptienne2890, l’OLP considère ainsi les initiatives égyptiennes comme une tentative de l’exclure du règlement de paix et « proteste contre les plans égypto-jordaniens »2891.

Au Caire, la même méfiance à l’égard de l’OLP prévaut après la signature du traité de paix séparé israélo-égyptien, en 1979. Alors que les Nations Unies prônent la convocation d’une nouvelle conférence de paix, destinée à régler la question de la Palestine, ainsi que la participation égale en droit de tous les acteurs impliqués dans le conflit israélo-palestinien, l’Egypte soutient plutôt l’idée d’une délégation jordano-palestinienne2892. Selon le Caire, « il serait [en effet] irréaliste de faire participer une délégation palestinienne indépendante, face à la position américaine et israélienne »2893.

La posture officielle du régime égyptien quant au statut de l’OLP ne fait pourtant pas l’unanimité parmi toutes les formations politiques égyptiennes. Le PCE de Michel Kamel2894 notamment rejette les accords de Camp David et le traité séparé israélo-égyptien, une « solution politique » qui s’apparente selon lui à une véritable « capitulation »2895. Estimant

2887 MfAA, L 187, C 1454/76, op.cit., Ägyptische Haltung zu einigen wichtigen außenpolitischen Fragen. VII. Haltung zu PLO, April 1975. 2888 MfAA, L 187, C 1454/76, op.cit., Ägyptische Haltung zu einigen wichtigen außenpolitischen Fragen. II.Zur Genfer Konferenz, April 1975. 2889 Ibid. 2890 MfAA, L 198, C 7666, op.cit., Das Palästina-Problem. III. Zur Haltung der PLO und der arabischen Staaten. 2891 « L’OLP proteste contre les plans égypto-jordaniens », Neues Deutschland, 14 juillet 1977, n° 165, p. 7. 2892 En 1982-1983, l’Egypte approuve le rapprochement entre l’OLP et la Jordanie et le projet de confédération jordano-palestinienne. Hosni Moubarak voit dans cette initiative une occasion de confier à la Jordanie les négociations sur le sort des territoires palestiniens. Voir : SAPMO-BArch, DY 30/ 13 667, op.cit., Vermerk über ein Gespräch des Genossen Trappen mit Vertretern der ÄKP, den 19.11.1983. Cependant, le préalable à une telle confédération étant, du point de vue des Palestiniens, la reconnaissance d’un futur Etat palestinien indépendant, le projet est abandonné en avril 1983, à l’initiative du roi Hussein de Jordanie. Voir : CLOAREC, Vincent, LAURENS, Henry, Le Moyen-Orient…, op.cit., p. 174. 2893 SAPMO-BArch, DY 30/ 13 911, op.cit., Information à propos des négociations avec le ministre égyptien des Affaires étrangères, E. Meguid, au sujet des publications de la presse soviétique, Moscou, 6.6.1988. 2894 Voir supra, partie III, chapitre 7. 2895 SAPMO-BArch, DY 30/ 13 666, Premier congrès du PCE : à propos de la terreur exercée par les services secrets égyptiens, le Mossad et la CIA, 10.11.1980.

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qu’il doit « sauver l’Egypte de la trahison de Sadate »2896, il apporte alors « un soutien sans limites à la révolution palestinienne, sous la direction de l’OLP »2897. b) Pour le PCE, pas de règlement politique sans action militaire

Lors de son premier congrès de parti, le 10 novembre 1980, le PCE de Michel Kamel réaffirme son soutien à l’OLP et dénonce le traité de paix israélo-égyptien2898. En 1984, à l’occasion du second congrès du parti, il appuie l’initiative soviétique visant à convoquer une conférence internationale de paix, incluant la participation égale en droit de l’OLP2899. Il précise toutefois qu’il est nécessaire de poursuivre la lutte contre l’impérialisme et le sionisme, « à l’aide de toutes les méthodes »2900 :

« Une conférence internationale ne peut cependant en aucun cas être une alternative à la poursuite de la lutte armée pour libérer les territoires arabes de l’occupation israélienne et pour réaliser les aspirations nationales légitimes du peuple palestinien »2901.

Le PCE soutient donc l’initiative de paix soviétique tout en promouvant l’action militaire de la révolution palestinienne2902 : c’est la seule façon, selon lui, de modifier les rapports de force en vigueur dans la région et d’annuler, à terme, les mesures prévues par les accords de Camp David.

Au début des années 1980, le PCE de Michel Kamel développe surtout ses liens avec le parti communiste palestinien (PCP), fondé officiellement le 10 février 19822903, après s’être séparé du parti communiste jordanien2904. L’influence de ce dernier reste pourtant marginale par rapport à celle des autres organisations palestiniennes de gauche, comme le FPLP2905. Le PCE estime donc qu’il doit œuvrer au renforcement du PCP, d’autant plus que celui-ci

2896 SAPMO-BArch, DY 30/ 13 666, op.cit., Le PCE et les résultats de son congrès de parti, extrait de al-Nida, 11.11.1980. 2897 SAPMO-BArch, DY 30/ 13 666, op.cit., Premier congrès du PCE : à propos de la terreur exercée par les services secrets égyptiens, le Mossad et la CIA, 10.11.1980. 2898 Ibid. 2899 SAPMO-BArch, DY 30/ 13 666, op.cit., A propos du développement du PCE après le second congrès du parti. 2900 Ibid. 2901 Ibid. 2902 Ibid. 2903 SAPMO-BArch, DY 30/ 13 671, op.cit., Abschlußinformation über den DDR-Aufenthalt des Genossen Dr. Rifaat el-Saïd, stellvertr. Generalsekretär der VNPP Ägyptens, anläßlich seiner Teilnahme an der Internationalen wissenschaftlichen « Karl-Marx Konferenz », Berlin, 20.4.1983. 2904 ISMAEL, Tareq Y., The Communist Movement…, op.cit., p. 38. 2905 Ibid.

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représente à ses yeux « la position la plus équilibrée »2906. Contrairement à Michel Kamel, le PRNPU et les partisans de la double affiliation PCE/PRNPU entreprennent plutôt, autour de Rifaat el-Saïd, de développer leurs relations avec le Fatah de Yasser Arafat, dont les positions au sein de l’OLP leur paraissent bien plus solides2907.

Si le PCE, comme le PRNPU, dénoncent la politique séparée de l’Egypte et cherchent à ce titre à développer leurs relations avec les formations palestiniennes, ces initiatives n’ont que peu d’impact sur la politique du régime égyptien. Après la signature du traité de paix séparé, Anouar el-Sadate puis Hosni Moubarak entendent maintenir l’Egypte dans le cadre de Camp David et en faire un acteur majeur du processus de paix israélo-palestinien.

3. L’Egypte après Camp David : un médiateur possible dans le processus de paix israélo-palestinien ?

Pour la RDA et ses partenaires égyptiens, la politique menée par Hosni Moubarak, parvenu au pouvoir après l’assassinat de Sadate en octobre 1981, ne se distingue guère de celle de son prédécesseur. Le nouveau président égyptien souhaite en effet maintenir l’Egypte dans le cadre des accords de Camp David2908, afin de ne pas mettre en danger le projet de retrait du Sinaï des troupes israéliennes, qui doit s’achever en avril 19822909.

Après l’intervention militaire israélienne au Liban en juin 1982, le PCE dénonce la frilosité du régime égyptien : il l’accuse de se contenter de protester formellement, montrant ainsi que « quoi que fasse Israël, [il] rester[a] fidèle[ ] à Camp David »2910. Le PCE déplore également le soutien qu’apporte Hosni Moubarak au plan Reagan2911 : rendu public en septembre 1982, ce dernier propose d’adopter le principe d’autogouvernement des

2906 SAPMO-BArch, DY 30/ 13 667, op.cit., Vermerk über ein Gespräch mit dem Mitglied des Politbüros des ZK der ÄKP, Gen. Michel Kamel, am 21. März 1985, 25.3.1985. 2907 SAPMO-BArch, DY 30/ 13 671, op.cit., Abschlußinformation über den DDR-Aufenthalt des Genossen Dr. Rifaat el-Saïd, stellvertr. Generalsekretär der VNPP Ägyptens, anläßlich seiner Teilnahme an der Internationalen wissenschaftlichen « Karl-Marx Konferenz », Berlin, 20.4.1983. 2908 BStU, MfS, ZAIG, Nr. 6127, A propos de la visite du président égyptien Moubarak en RFA (7-8 février 1982, 4.3.1982. 2909 SAPMO-BArch, DY 30/ 11 497, op.cit., Information für das Politbüro des ZK der SED. Betr.: Entwicklung der ARÄ unter Mubarak und Stellung der KÄP und der Tagammu, Abt. Int. Verb., Berlin, 19.1.1982. 2910 Pour reprendre la formule attribuée au régime égyptien par le PCE. Voir : IISH, Michel Kamel Papers, Studies by the Egyptian Communist Party, N° 254, op.cit., p. 3. 2911 Ibid.

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Palestiniens des territoires occupés, tout en refusant qu’un tel processus conduise, à terme, à la formation d’un Etat palestinien indépendant2912.

Du point de vue de Berlin-Est, la position égyptienne à l’égard du conflit israélo-arabe vise à concilier deux priorités : ne pas remettre en cause la fin de l’état de guerre avec Israël, afin de satisfaire les revendications de la bourgeoisie nationale2913, et restaurer le rôle dirigeant de l’Egypte parmi les Etats arabes, celui-ci ayant été mis à mal par l’isolement subi après la signature du traité séparé2914. C’est dans le but de consolider son poids régional que le Caire s’efforce de mettre sur pied un plan d’autonomie des territoires palestiniens susceptible de contenter toutes les parties2915. Le régime tente donc d’unifier les propositions formulées par la Jordanie, les Etats-Unis et les Soviétiques2916. Il entreprend parallèlement de se rapprocher de Yasser Arafat, tout en exerçant des pressions sur l’OLP afin de préparer l’organisation à discuter avec les Etats-Unis et Israël2917.

Sous le régime de Hosni Moubarak, le traité de paix israélo-égyptien devient donc le cadre fondamental à partir duquel l’Egypte élabore sa politique à l’égard du conflit israélo-palestinien. Le Caire entend devenir l’un des acteurs majeurs du processus de paix2918 et tente de persuader l’OLP d’accepter le principe d’une confédération jordano-palestinienne, sur lequel s’appuie le règlement de paix américain2919. En février 1989, Hosni Moubarak s’entretient avec Abou Ayad, l’un des dirigeants de l’OLP2920. Selon les informations transmises par les services de renseignements hongrois à la Stasi, le président égyptien explique à son interlocuteur que les Etats-Unis n’envisagent pas réellement la création d’un

2912 Le plan Reagan propose également le principe de l’élection libre d’une autorité palestinienne autogestionnaire au bout de cinq ans. Il est rejeté par les Palestiniens lors du XVIe congrès national palestinien à Alger, en février 1983. Il est également refusé par Israël. Voir : CLOAREC, Vincent, LAURENS, Henry, Le Moyen-Orient…, op.cit., p. 174. 2913 SAPMO-BArch, DC 20/ 4315, op.cit., Informationsbericht, Ägypten, 1985, Abt. Naher u. Mittlerer Osten. 2914 SAPMO-BArch, DY 30/ 11 497, op.cit., Information für das Politbüro des ZK der SED. Betr.: Entwicklung der ARÄ unter Mubarak und Stellung der KÄP und der Tagammu, Abt. Int. Verb., Berlin, 19.1.1982. 2915 SAPMO-BArch, DC 20/ 4315, op.cit., Informationsbericht, Ägypten, 1985, Abt. Naher u. Mittlerer Osten. 2916 Ibid. 2917 SAPMO-BArch, DY 30/ 13 667, op.cit., « Note sur une conversation entre le camarade Trappen et des représentants du PCE, le 19 novembre 1983 ». 2918 Voir : EL-HUSSEINI, Mohrez Mahmoud, Soviet Egyptian Relations…, op.cit., p. 214 et : MOGHIRA, Mohamed Anouar, L’Egypte, clé des stratégies…, op.cit., p. 57. 2919 SAPMO-BArch, DY 30/ 13 667, op.cit., Vermerk über ein Gespräch des Genossen Trappen mit Vertretern der KÄP, den 19.11.1983. 2920 BStU, MfS, Abt. X, Nr. 264, Information des organes de sécurité hongrois à propos des plans de Washington pour le règlement de la situation au Proche-Orient, Abteilung X, Berlin, 20.4.1989 (traduit du russe).

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Etat palestinien souverain : dans de telles conditions, il lui conseille alors de réfléchir aux avantages que présenterait la solution d’une fédération jordano-palestinienne2921. D’après les fonctionnaires est-allemands, les liens qui existent entre l’Egypte et l’OLP n’empêchent nullement le Caire, en effet, de soutenir un règlement de paix favorable aux intérêts américains et israéliens : « pour Moubarak, le retrait des troupes israéliennes [des territoires occupés] est le résultat et non la condition préalable des négociations »2922.

De fait, bien que le régime égyptien s’efforce de prouver son « appartenance effective au camp arabe »2923, en soutenant par exemple l’Intifada déclenchée en 1987 dans les territoires palestiniens2924, il privilégie avant tout son intérêt national. Or, après les accords de Camp David, celui-ci est indéfectiblement lié à l’assistance américaine : une telle aide a notamment permis à l’Egypte de « pallier le coût politique et économique de la négociation avec Tel Aviv et du lâchage des Palestiniens »2925. Les observateurs est-allemands ont pris acte de cette évolution dès l’arrivée au pouvoir de Hosni Moubarak. Finalement, les initiatives égyptiennes dans le règlement du conflit israélo-palestinien au cours de la décennie 1980 ne font guère l’objet de critiques. Les archives de la RDA traduisent au contraire un certain pragmatisme : conformément au redéploiement de la politique étrangère est-allemande qui s’opère en Egypte à la fin des années 1970, Berlin-Est adopte une « diplomatie du pragmatisme »2926 en privilégiant explicitement la coopération économique et la recherche de l’ « avantage réciproque » au rapprochement idéologique2927. C’est désormais en direction d’autres Etats ou mouvements de libération nationale que le régime est-allemand entend mobiliser le principe de « solidarité anti-impérialiste » : l’OLP est l’un de ces nouveaux partenaires.

2921 Ibid. 2922 BStU, MfS, Abt. X, Nr. 264, op.cit., Information des organes de sécurité hongrois à propos des conversations entre une délégation de la Communauté européenne, la Syrie, la Jordanie et l’Egypte, Abteilung X, 28.4.1989, (traduit du russe). 2923 MOGHIRA, Mohamed Anouar, L’Egypte, clé des stratégies…, op.cit., p. 65. 2924 Ibid. 2925 Ibid., p. 58. 2926 Sur la réorientation de la politique étrangère est-allemande en Egypte à la fin des années 1970, au profit de la coopération économique, voir supra, partie II, chapitre 5, p.237-238. 2927 Ibid.

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C. L’OLP, une « alternative constructive » au déclin des relations politiques égypto-est-allemandes ?

Du point de vue de Berlin-Est, le rapprochement avec l’OLP peut apparaître comme un moyen de compenser le refroidissement des liens avec l’Egypte qui s’est opéré au cours des années 1970. Les relations entre Berlin-Est et le Caire se dissocient alors progressivement des contacts qui existent entre la RDA et l’OLP2928. En 1980, l’OLP fait partie des acteurs auxquels Berlin-Est décide d’accorder un soutien prioritaire, juste derrière les Etats qui « édifient le socialisme » et bénéficient à ce titre d’un « appui inconditionnel », comme le Mozambique, l’Ethiopie, l’Angola ou le Yémen2929. En tant que « mouvement de libération nationale », l’organisation palestinienne est le second type de partenaire privilégié par la politique étrangère est-allemande, avant les pays à orientation socialiste, comme l’Algérie, le Congo, le Bénin ou la Guinée-Bissau2930. Dans ce classement, l’Egypte n’appartient plus, quant à elle, qu’au quatrième type de partenaire. A cet égard, la politique est-allemande s’insère tout à fait dans le mouvement de réorientation du système d’alliances soviétique en direction de l’OLP et de l’Afrique Noire, après la « défection » du Caire2931.

Cette évolution révèle le pragmatisme et la flexibilité qui guident la politique étrangère des Etats du bloc de l’Est. Dès 1983, la soviétologue Marie Mendras remet en cause l’analyse fondée sur l’hypothèse selon laquelle l’URSS mène une politique de puissance visant avant tout à établir des alliances solides et exclusives avec les régimes socialistes du Tiers-monde2932. Elle souligne à quel point le partenaire égyptien a pu devenir un fardeau pour Moscou et comment, dès les années 1970, les Soviétiques songent déjà à « diversifier leurs points d’appui »2933 au Moyen-Orient. Selon elle, ces derniers « entrevo[ient] […] à cette époque la possibilité d'une meilleure distribution de leur influence dans la région, en misant sur des contacts plus étroits avec l'Irak, la Syrie, le Yémen du Sud et peut-être l'OLP »2934. En réalité, le remplacement progressif de l’Egypte par de nouveaux partenaires,

2928 SCHWANITZ, Wolfgang, « Deutschland und der mittlere Osten… », op.cit., p. 26. 2929 SAPMO-BArch, DY 30/ IV B 2-9.05-80, op.cit., Projet pour le développement des relations avec les jeunes Etats nationaux dans le domaine de la formation populaire, 24 octobre 1980. 2930 Ibid. 2931 DULLIN, Sabine, Histoire de l’URSS, Paris, La Découverte, 3e édition, 2008, p. 92. 2932 MENDRAS, Marie, « La logique de l’URSS… », op.cit., p. 133-148. 2933 Ibid., p. 136. 2934 Ibid.

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comme l’OLP, se situe à la croisée d’intérêts à la fois idéologiques, stratégiques et commerciaux.

1. Le soutien de Berlin-Est à l’OLP : aides financières, offres de formation et soins médicaux a) L’OLP : un possible catalyseur de la radicalisation du Moyen-Orient ?

Si les Etats socialistes encouragent les éléments « modérés » qui composent l’OLP2935, ils n’en soulignent pas moins la dimension anti-impérialiste du combat mené par le mouvement. A la fin des années 1970, les diplomates est-allemands font preuve d’une certaine prudence quant à l’orientation politique future de l’OLP, qui dépendra selon eux de l’évolution des rapports de force au sein de l’organisation2936. Ils soutiennent la création d’un Etat palestinien autonome, à côté d’Israël et de la Jordanie, estimant que ce dernier pourrait aussi bien « revêtir un caractère bourgeois démocratique » qu’un « caractère national révolutionnaire », dont le fondement serait l’ « anti-impérialisme »2937. Une telle analyse est étayée par les déclarations d’un certain nombre de dirigeants de l’OLP, qui assurent vouloir « une véritable solution socialiste pour la Palestine » et mettre sur pied un « Etat palestinien socialiste » à même d’ « approfondir […] le processus révolutionnaire dans [la] région [moyen-orientale] »2938. Les cadres de l’OLP reprennent abondamment le motif d’une expérience commune de la lutte de libération, afin de nourrir le sentiment de solidarité qui doit unir, selon eux, les populations est-allemande et palestinienne2939.

En 1987, le déclenchement de l’Intifada conforte la RDA dans le soutien qu’elle apporte à l’OLP2940. Le ministère est-allemand de la Défense souligne la réactivité de l’organisation face au mouvement de « résistance spontanée » qui a éclaté en Cisjordanie et dans la bande de Gaza, ainsi que sa capacité à prendre la direction d’un tel « soulèvement populaire »2941. Il salue l’action convergente d’un certain nombre de forces de l’OLP dans les

2935 Voir supra, p. 522. 2936 MfAA, L 198, C 7666, op.cit., Das Palästina-Problem. V. Mögliche Varianten der weiteren Entwicklung. 2937 Ibid. 2938 Selon les propos de Mahmoud el-Khalidi, directeur du bureau de l’OLP à Damas et membre du CNP. Voir : MfAA, L 198, C 7684, op.cit., Niederschrift über eine Erklärung des Leiters der PLO-Delegation zur Lage im Nahen Osten (18.6.76), Liga für Völkerfreundschaft, Abteilung VIII. 2939 MfAA, L 198, C 7687, op.cit., Lettre de Farouk Kaddoumi, département politique de l’OLP, à Oskar Fischer, ministre est-allemand des Affaires étrangères, 21.9.1979. 2940 MfNV, DVW 1/ 42 568, op.cit., Über entscheidende Aspekte der Entwicklung der palästinensischen Frage. 2941 Ibid.

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régions où sévit l’Intifada et qui représentent, selon ces dernières, la base territoriale du futur Etat palestinien. Le ministère est-allemand soutient alors le regroupement de plusieurs organisations palestiniennes, y compris religieuses, autour de « formes politiques de combat », tout en redoutant les actions armées de quelques commandos en Cisjordanie ou dans la bande de Gaza2942. De ce point de vue, la posture adoptée par Berlin-Est vis-à-vis du mouvement national palestinien est conforme à la ligne qui guide la politique étrangère est-allemande dans les Etats du Tiers-monde et qui encourage le développement de la tactique de front2943.

Comme en Egypte, ce cadre théorique permet à la diplomatie est-allemande de mettre en place des stratégies relationnelles flexibles avec ses interlocuteurs palestiniens et de légitimer le soutien logistique et financier qu’elle leur apporte. b) Le développement des relations bilatérales avec l’OLP: coopération technico- culturelle et ventes d’armes

La coopération entre la RDA et le mouvement palestinien revêt des formes multiples. Pour Berlin-Est, elle fait partie intégrante du règlement politique du conflit israélo-arabe. Lors de son 8ème congrès, en 1971, le parti socialiste unifié est-allemand a en effet souligné le rôle qu’il entendait jouer dans la résolution politique du conflit au Proche-Orient2944. Dans ce but, il prône la coopération entre les organisations sociales de RDA, et en particulier la FDGB, la FDJ et le DFD, avec l’OLP et les organisations de masse palestiniennes2945. En novembre- décembre 1988, une délégation de l’Alliance syndicale de Palestine, conduite par Hassan Haidar Ibrahim, séjourne ainsi en RDA : elle est reçue par le président de la FDGB, Harry Tisch2946. Les responsables syndicaux évoquent notamment la « lutte difficile des syndicalistes palestiniens dans les régions occupées par Israël »2947.

Berlin-Est accorde l’immunité diplomatique aux dirigeants palestiniens et à leurs représentants en RDA : ces derniers obtiennent le droit de hisser le drapeau palestinien, de

2942 Ibid. 2943 Sur la tactique de front et la conception léniniste du nationalisme comme étape nécessaire vers l’anti- impérialisme, voir supra, partie III, chapitre 7, p. 415-418. 2944 MfAA, L 198, C 7666, op.cit., Das Palästina-Problem. VI.Schlußfolgerungen für die Politik der DDR. 2945 Ibid. 2946 SAPMO, DY 34/ 14 036, op.cit., Information sur le séjour d’une délégation de l’Alliance syndicale de Palestine (PTUF), en RDA, du 27 novembre au 3 décembre 1988, Abt. Int. Verbindungen des FDGB, Berlin, 8.12.1988. 2947 Ibid.

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posséder un passeport diplomatique et d’être pris en charge par le département du protocole du ministère est-allemand des Affaires étrangères, au même titre que les délégués des autres Etats2948. Le régime est-allemand facilite également le séjour en RDA des familles des directeurs du bureau de l’OLP à Berlin-Est, Nabil Koulailat2949 puis Issam Kamil al-Salim2950.

Berlin-Est encourage enfin la formation de cadres palestiniens en RDA, ainsi que le développement de la collaboration économique, scientifique et culturelle avec l’OLP. En 1978, 28 étudiants palestiniens sont ainsi autorisés à venir étudier à l’Institut Herder de l’Université Karl Marx de Leipzig, en philosophie, marxisme-léninisme, médecine, chimie, agronomie ou électrotechnique2951. Le régime est-allemand offre aussi des traitements médicaux gratuits aux combattants palestiniens blessés et invite des enfants à séjourner dans les camps de vacances qu’il organise2952. En 1979, 53 enfants palestiniens passent ainsi les vacances d’été en RDA ; ils sont 55 en 19812953.

Dans le domaine culturel, l’Etat est-allemand organise plusieurs manifestations destinées à mettre en scène le soutien qu’il apporte au peuple palestinien. Du 5 au 11 juin 1978, le Comité de solidarité de la RDA décrète une « semaine de solidarité avec les forces anti-impérialistes du Proche-Orient pour la libération et le progrès social », à laquelle participe une délégation de l’OLP, conduite par Yasser Arafat2954. Diverses initiatives ont lieu à cette occasion, comme l’inauguration d’une exposition consacrée à l’art populaire palestinien au musée islamique de Berlin ou la tenue de meetings de soutien aux « forces progressistes arabes » à Francfort-sur-l’Oder et à Dresde2955.

En décembre 1978, Berlin-Est salue tout particulièrement la décision du 32e congrès de l’ONU d’instaurer une « journée internationale de la solidarité avec le peuple palestinien » le

2948 MfAA, L 198, C 7666, op.cit., Das Palästina-Problem. VI.Schlußfolgerungen für die Politik der DDR. 2949 MfAA, L 198, C 7667, op.cit., Lettre n° 29/79 de la représentation de l’OLP en RDA au département Proche- et Moyen-Orient du MfAA de RDA, Berlin, 19.6.1979. 2950 MfAA, L 198, C 7667, op.cit., Lettre n° 138/79 de la représentation de l’OLP en RDA au département Proche- et Moyen-Orient du MfAA de RDA, Berlin, 9.10.1979. 2951 MfAA, L 198, C 1866 : Abt. Kulturelle Auslandsbeziehungen. Beziehungen zwischen der DDR und der PLO auf den Gebieten der Kunst, Literatur, des Films und des Hoch- und Fachschulwesens. 1976-1978. Ambassade de la RDA au Liban, département étranger III, 31.8.1978. 2952 MfAA, L 198, C 7666, op.cit., Das Palästina-Problem. VI.Schlußfolgerungen für die Politik der DDR. 2953 Ibid. 2954 MfAA, L 198, C 4282, Compte-rendu de fin de mission en RDA. 5-11 juin 1978, rapport de Ben Saliah Kouyate, délégué de la Guinée au sein du Comité des Nations Unies pour l’exercice des droits inaliénables du peuple palestinien, New York, 20.6.1978 (en français). 2955 Ibid.

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29 novembre2956. A cette occasion, la radio et la télévision est-allemandes diffusent des programmes évoquant la politique menée par la RDA dans le cadre du conflit proche-oriental, ainsi que les interviews des représentants de l’OLP2957. Des journaux comme Neues Deutschland ou Horizont publient des éditions spéciales consacrées à la question palestinienne et reproduisent dans leurs colonnes les lettres échangées entre Erich Honecker et Yasser Arafat2958. Leurs titres relaient la position officielle du régime est-allemand à l’égard du conflit proche-oriental : « solidaires aux côtés du peuple palestinien »2959. Un certain nombre d’entreprises est-allemandes organise également des réunions de soutien à la « juste cause »2960 des Palestiniens. Outre la journée internationale de solidarité avec le peuple palestinien, la RDA célèbre enfin l’anniversaire de la naissance de la « résistance palestinienne », qu’elle fait remonter à 1964, l’année de la création de l’OLP2961.

Conformément au modèle soviétique, l’Etat est-allemand délègue en partie la mise en application de sa politique d’aide au Tiers-monde à des structures non gouvernementales, comme le Comité de solidarité de la RDA2962 ou la Ligue pour l’amitié des peuples. En 1977 et 1978 par exemple, cette dernière réserve dix places aux membres de l’OLP pour les séminaires qu’elle organise en Afrique et dans les Etats arabes2963. Pour des raisons à la fois financières et idéologiques, le régime est-allemand considère en effet que l’aide au Tiers-monde doit conserver la forme d’un « soutien solidaire » organisé par des comités2964. Estimant qu’il n’est pas responsable de la colonisation, il se refuse à institutionnaliser un tel soutien par le biais de la création d’un ministère dédié à la question de l’aide au développement2965. Le Comité de solidarité de la RDA est donc l’un des partenaires privilégiés du régime dans l’appui apporté aux mouvements de libération nationale, comme l’ANC ou l’OLP, même si d’autres organismes jouent un rôle dans cette « coopération

2956 MfAA, L 198, C 4282, op.cit., DDR-Aktivitäten zum « Internationalen Tag der Solidarität mit dem palästinensischen Volk », Abt. UNO, Berlin, dem 27.12.1979. 2957 Ibid. 2958 MfAA, L 198, C 4282, op.cit., Vorschlag. Maßnahmen der DDR aus Anlaß des « Internationalen Tagung der Solidarität mit dem palästinensischen Volk » am 29. November. 2959 Neues Deutschland, « Solidaires aux côtés du peuple palestinien », 1er septembre 1982, p. 6. 2960 Ibid. 2961 MfAA, L 198, C 7687, op.cit., Télégramme d’Etat envoyé par Erich Honecker à Yasser Arafat à l’occasion du 15ème anniversaire du début de la résistance palestinienne, 20.12.1979. 2962 MOINE, Caroline, « La RDA à l’heure de la "solidarité internationale"… », op.cit., p. 291. 2963 SAPMO, DY 13/ 2723, op.cit., Propositions pour les séminaires de 1977 en Afrique et dans les pays arabes. 2964 MOINE, Caroline, « La RDA à l’heure de la "solidarité internationale"… », op.cit., p. 291. 2965 Ibid.

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fraternelle »2966. L’Association des écrivains de RDA, par exemple, entretient des liens avec l’Union des écrivains et des journalistes de l’OLP : des délégués des deux organisations se rencontrent à Beyrouth ou Berlin, afin de discuter de leurs écrits et de promouvoir leurs « buts anti-impérialistes communs »2967.

La section artistique de l’OLP développe, elle, ses contacts avec le Comité de solidarité et le ministère de la Culture de RDA : en décembre 1977, interlocuteurs palestiniens et est-allemands évoquent la mise en place d’expositions et la publication de catalogues sur l’art populaire palestinien, devant inclure une partie consacrée à la « signification politique » de l’OLP2968. L’organisation palestinienne invite, de son côté, le photographe est-allemand Thomas Billhardt2969 à séjourner un mois au Liban, en Syrie et en Jordanie, dans le cadre de son travail sur les Palestiniens2970. En avril 1978, les mêmes partenaires entament la réalisation d’un documentaire intitulé « Cent ans de Palestine », qui doit s’accompagner d’un recueil de photographies2971. Selon les fonctionnaires est-allemands, l’initiative est destinée à « prouver au monde » que la Palestine possède une longue histoire et une « identité nationale » qui s’est forgée autour de traditions culturelles anciennes ; surtout, que le territoire n’est pas un désert humain, comme le proclame ce qu’ils nomment « la fausse historiographie des Sionistes »2972. Ismaël Shammout, le directeur de la section culturelle de l’OLP, coordonne le projet et confirme le choix du scénario retenu pour le documentaire2973. Les réalisateurs est-allemands qui participent au tournage sont contraints de se plier aux règles strictes que leur impose le régime : ainsi, ils « ne sont pas habilités à agir dans le domaine de

2966 MfAA, L 198, C 1866, op.cit., Lettre de Gerhard Henniger, 1er secrétaire de l’Association des écrivains de RDA, à l’Union des écrivains et des journalistes de Palestine, 8.8.1977. 2967 Ibid. 2968 MfAA, L 198, C 1866, op.cit., Aktenvermerk über ein Gespräch mit dem Leiter der Kunstsektion der PLO im Ministerium für Kultur am 1.12.1977. 2969 Thomas Billhardt est un journaliste et photographe. Né en 1937, il étudie à Leipzig et entre au SED en 1968. Il photographie notamment le Nicaragua, le Vietnam et la Palestine. En 1969 il reçoit le prix artistique de RDA. Pour des données biographiques plus complètes, voir : Biographische Angaben aus dem Handbuch. « Wer war wer in der DDR?», Bundesstiftung zur Aufarbeitung der SED-Diktatur, http://www.bundesstiftung- aufarbeitung.de 2970 MfAA, L 198, C 1866, op.cit., Aktenvermerk über ein Gespräch mit dem Leiter der Kunstsektion der PLO im Ministerium für Kultur am 1.12.1977. 2971 MfAA, L 198, C 1866, op.cit., Gespräch am 7.4.1978 im MfK mit dem Vertreter der Sektion Kultur der PLO. 2972 Ibid. 2973 MfAA, L 198, C 1866, op.cit., Aktenvermerk über ein Gespräch mit Ismail Shammout, Leiter der Sektion Kultur der PLO im Ministerium für Kultur am 17.4.1978.

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l’information à l’étranger, à donner des interviews, à s’exprimer à la radio ou à la télévision, à occuper d’autres fonctions, à accepter des invitations ou à faire des déclarations »2974.

La coopération culturelle bilatérale entre l’OLP et la RDA se poursuit les années suivantes : de novembre 1978 à janvier 1979, une exposition consacrée à l’art populaire palestinien est organisée au musée d’ethnologie de Leipzig2975. L’exposition est ensuite montée en Pologne, puis en URSS, à l’occasion des Jeux Olympiques de 1980. De tels échanges s’approfondissent à partir de 1979 : les projets culturels communs prévoient par exemple de former des cameramen palestiniens en RDA et d’envoyer des artistes est-allemands à Beyrouth « dans le but de créer des œuvres consacrées à la lutte de libération palestinienne »2976. Du matériel est mis à disposition des artistes palestiniens par Berlin-Est, comme des fours à céramique. Le régime est-allemand n’est pas en mesure, cependant, d’apporter à ces derniers un véritable soutien technologique. En 1979 par exemple, la RDA ne peut assurer la réalisation en couleur d’un documentaire intitulé « Palestine, histoire et présent », comme le souhaite l’OLP2977. De même, l’impression d’un ouvrage sur la vie des enfants palestiniens a lieu en Allemagne de l’Ouest, car les maisons d’édition est-allemandes ne disposent pas de capacités d’impression suffisantes pour achever le projet2978.

Si la coopération culturelle et artistique est l’un des biais privilégiés de la manifestation de la « solidarité » est-allemande à l’égard du peuple palestinien, son impact reste donc limité, en raison des difficultés matérielles et financières auxquelles est confronté le régime de Berlin-Est. En outre, le soutien est-allemand à l’OLP fait intervenir des considérations extrêmement pragmatiques, qui montrent à quel point la notion même de « solidarité » répond, du côté est-allemand, à des intérêts définis au préalable. La formation des étudiants palestiniens en RDA est ainsi soumise à des exigences académiques et financières strictes : en janvier 1978, la candidature de Jihad Aref Besisso, chef comptable à l’Université de Sanaa et membre de l’OLP, à un cursus de troisième cycle en économie à Berlin est ainsi refusée, au motif qu’il ne présente pas les qualifications requises2979. En août de la même année, les

2974 MfAA, L 198, C 1866, op.cit., Direktive zur Dienstreise in die Republik Libanon, VEB DEFA Studio, September 1978. 2975 MfAA, L 198, C 1866, op.cit., Aktenvermerk über Gespräche am 23.8. und 29.8.1978 mit Ismael Shammout im MfK, Ministerium für Kultur, HA Internationale Beziehungen, Berlin, August 1978. 2976 Ibid. 2977 Ibid. 2978 Ibid. 2979 MfAA, L 198, C 1866, op.cit., Studienplatz für Jihad Aref Besisso, PLO, Abteilung KAB, Botschaft Sanaa, 16.1.1978.

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candidatures de dix étudiants palestiniens sont encore rejetées, en raison des résultats insuffisants qu’ils ont obtenus au baccalauréat2980.

La coopération militaire constitue le second vecteur privilégié des échanges bilatéraux entre Berlin-Est et l’OLP. Le ministère de la Défense de RDA ravitaille l’OLP en armes et en équipements militaires. En 1977, les livraisons civiles et militaires du MfNV atteignent une valeur globale de 2248 TM2981 ; elles incluent du matériel médical aussi bien que des grenades2982. En juillet 1981, l’aide fournie à l’OLP atteint 564,3 TM et se compose de pistolets, de munitions et de médicaments2983. C’est l’entreprise de commerce extérieur IMES qui joue le rôle d’intermédiaire auprès de l’OLP, au cours des négociations précédant les ventes d’armes2984. De telles livraisons ne sont pas uniquement destinées à renforcer le potentiel militaire de l’OLP : l’organisation procède aussi à la revente d’armes dans la péninsule arabique, afin d’acquérir les devises nécessaires au financement de ses activités2985.

Enfin, l’armée nationale est-allemande assure la formation des cadres des « forces armées de la révolution palestinienne »2986, en RDA même. Vingt cadres palestiniens doivent ainsi être formés au sein de la NVA à partir d’octobre 1982, afin d’obtenir les grades d’officiers et de commandants dans l’artillerie2987. La formation de cadres militaires palestiniens en RDA se poursuit jusqu’à la fin des années 1980, conformément à l’accord gouvernemental conclu entre Berlin-Est et l’OLP, le 30 août 19882988.

Les étudiants palestiniens de RDA constituent un autre réservoir potentiel de soldats, puisqu’ils sont convoqués par l’OLP afin d’accomplir leur service militaire dans les

2980 MfAA, L 198, C 18/66, op.cit., Lettre de G. Schubert, département des relations culturelles à l’étranger, MfAA, 31.8.1978. 2981 Tausend-Valuta Mark, milliers de valuta-marks, le valuta-mark étant la monnaie de référence pour le commerce extérieur est-allemand. 2982 MfNV, AZN 31 484, op.cit., Mesures de soutien du MfNV aux pays tiers, 7 avril 1981 au 24 avril 1983, p. 37. 2983 Ibid. 2984 BStU, MfS, AG-BKK, Nr. 167, Bd. 1, op.cit., Rapport sur les futures activités de la firme IMES, Berlin, 9.3.1984. 2985 Ibid. 2986 BStU, MfS, HA I, Nr. 13676, op.cit., Arbeitsgrundlage für Aufbau und Entwicklung der militärischen Beziehungen im Ausland, für das Ausbildungsjahr 1985-1986. 2987 MfNV, AZN 31 484, op.cit., Mesures de soutien du MfNV aux pays tiers, 7 avril 1981 au 24 avril 1983, p. 37. 2988 BStU, MfS, HA I, Nr. 13676, op.cit., Arbeitsgrundlage für Aufbau und Entwicklung der militärischen Beziehungen im Ausland, für das Ausbildungsjahr 1985-1986.

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Territoires palestiniens2989. Dans ce cas, les autorités est-allemandes les autorisent à revenir en RDA pour achever leur cursus, à l’issue de leur service militaire.

La coopération militaire avec l’OLP et ses différentes composantes fait cependant l’objet d’une surveillance accrue de la part de la part du régime est-allemand. La position officielle de la RDA à l’égard du conflit israélo-arabe ne coïncide pas toujours, en effet, avec les motivations idéologiques qui la conduisent à soutenir officieusement un certain nombre de groupes armés palestiniens, parfois rivaux de la direction de l’OLP.

2. Les Etats socialistes, bases avancées des activistes palestiniens ? Des hôtes encombrants, des itinéraires surveillés

La posture est-allemande à l’égard des activistes palestiniens est extrêmement ambivalente. Le régime soutient certes officiellement les forces politiques « modérées », mais cette position affichée ne l’empêche nullement, par ailleurs, de contribuer au renforcement de leurs branches armées ou de venir en aide à des groupes plus radicaux. La stratégie est-allemande est de ce point de vue assez conforme à celle de Moscou : il s’agit d’unifier l’OLP sous la direction d’Arafat, tout en continuant à fournir des armes aux différentes composantes de l’organisation palestinienne, afin d’éviter toute division formelle entre ces dernières2990.

La Stasi surveille étroitement les allées et venues des membres des organisations palestiniennes présents sur le territoire est-allemand ou dans les autres Etats d’Europe de l’Est. Dans ce cadre, le ministère de la Sécurité d’Etat de RDA échange des informations avec les services de renseignement polonais, tchécoslovaques ou hongrois2991. Les dossiers d’espionnage constitués par la Stasi au sujet des partisans du FPLP mentionnent ainsi les hôtels où ces derniers séjournent, aussi bien que le nom des femmes qu’ils fréquentent2992. Dans la première moitié des années 1970, la transmission d’informations au sujet des organisations armées comme Septembre Noir donne parfois lieu à des pratiques peu transparentes : en mai 1974, un citoyen jordanien se rend ainsi à l’ambassade d’Argentine à

2989 BStU, MfS, HA XX, Nr. 3893, op.cit., Départ d’étudiants palestiniens de RDA pour le service militaire dans les forces armées palestiniennes, 22.10.1980. 2990 GOLAN, Galia, Soviet Policies in the Middle East…, op.cit., p. 122. 2991 BStU, MfS, Abt. X, Nr. 483, op.cit., Organisation Septembre Noir, transmission d’informations de la part du ministère de l’Intérieur polonais, 22.11.1976. 2992 BStU, MfS, Abt. X, Nr. 483, op.cit., Dossier de Nasser Rabee, membre du FPLP.

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Prague puis à l’ambassade de Malaisie à Belgrade, où il tente de faire monnayer les renseignements qu’il affirme posséder sur le groupuscule2993.

Dans les années 1980, la Stasi surveille tout particulièrement le groupe d’Abou Nidal2994, fondé en 19732995 et également appelé al-Assifa2996. Ce dernier, qui est né d’une scission du Fatah, rejette tout règlement politique du conflit proche-oriental et prône la lutte armée contre Israël et contre les représentants de l’OLP. D’après les informations est-allemandes, sur la centaine de membres du groupe, une cinquantaine de personnes est dispersée dans toute l’Europe2997 ; les autres se trouvent à Damas et Bagdad2998. L’organisation bénéficie tour à tour du soutien des services secrets irakiens, puis syriens. Elle dispose de points d’appui en Pologne, en Tchécoslovaquie et en Yougoslavie2999. Elle est responsable de l’assassinat de Heinz Nittel, le président de la société israélo-autrichienne, commis le 1er mai 1981 et de celui de Naïm Khander, le directeur du bureau de l’OLP à Bruxelles, commis un mois plus tard, le 1er juin 19813000.

La RDA dénonce le mode d’action « terroriste » du groupe d’Abou Nidal, auquel elle reproche d’instrumentaliser le territoire des Etats socialistes3001 et de vouloir assassiner Yasser Arafat, avec l’aide de la CIA et l’approbation de la Syrie3002. La Stasi coopère donc avec les organes de sécurité de Bulgarie, afin d’identifier les membres du groupe. En dépit de

2993 BStU, MfS, Abt. X, Nr. 483, op.cit., Information du département X, 10.5.1974. 2994 D’après les informations de la Stasi, le vrai nom d’Abu Nidal, né en 1941, est Hammad Mohamed el-Bann. Ce dernier est l’un des membres fondateurs du Fatah. Il est d’abord représentant de l’OLP au Soudan puis en Jordanie et en Irak, avant de s’attaquer à la direction de l’organisation et de fonder son propre groupe. Il s’oppose en effet à Yasser Arafat et Abu Iyad au sujet des négociations avec Israël et du retrait partiel des troupes israéliennes du Sinaï. Voir : BStU, MfS, Abt. X, Nr. 204, op.cit., Renseignements sur le groupe terroriste dirigé par Abu Nidal, Berlin, 10.2.1982. 2995 BStU, MfS, Abt. X, Nr. 204, op.cit., Information sur le groupe terroriste Abu Nidal, strictement confidentiel, 30.11.1981. 2996 BStU, MfS, Abt. X, Nr. 204, op.cit., Renseignements sur le groupe terroriste dirigé par Abu Nidal, Berlin, 10.2.1982. 2997 BStU, MfS, Abt. X, Nr. 204, op.cit., Information sur al-Assifa, traduit du russe. 2998 BStU, MfS, Abt. X, Nr. 204, op.cit., Renseignements sur le groupe terroriste dirigé par Abu Nidal, Berlin, 10.2.1982. 2999 BStU, MfS, Abt. X, Nr. 204, op.cit., Information sur le groupe terroriste Abu Nidal, strictement confidentiel, 30.11.1981. 3000 BStU, MfS, Abt. X, Nr. 204, op.cit., Renseignements sur le groupe terroriste dirigé par Abu Nidal, Berlin, 10.2.1982. 3001 BStU, MfS, Abt. X, Nr. 204, op.cit., Information sur le groupe terroriste Abu Nidal, strictement confidentiel, 30.11.1981. 3002 BStU, MfS, Abt. X, Nr. 204, op.cit., Renseignements sur le groupe terroriste dirigé par Abu Nidal, Berlin, 10.2.1982.

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cette collaboration, Abou Nidal participe à une « réunion de terroristes » à Berlin-Est le 16 septembre 1983, sous un nom d’emprunt, celui de Sabri el-Banna, sans être nullement inquiété par les autorités est-allemandes3003. Entre 1982 et 1989, le ministère de la Sécurité d’Etat surveille les déplacements d’Abou Nidal entre la Bulgarie, la Hongrie, la RDA et le Royaume-Uni. Il obtient même des informations à son sujet de la part des services du ministère ouest-allemand de la Défense3004. Début mai 1984 par exemple, il apprend de l’Office fédéral de protection de la Constitution qu’une organisation palestinienne envisage de commettre prochainement un attentat à Berlin-Ouest ou dans une ville ouest-européenne, probablement à l’occasion de l’anniversaire de la création d’Israël3005. En juillet 1988, la Stasi affirme savoir que le groupe d’Abou Nidal prévoit à son tour de perpétrer un attentat dans un pays européen3006. En août 1989, elle fait état, en interne, des efforts menés par un citoyen jordanien pour recruter des sympathisants parmi les cercles d’étudiants arabes de Berlin-Est, au profit de l’organisation d’Abou Nidal3007. Et pourtant, en mai 1987, lorsque les Etats-Unis accusent la RDA et la Pologne de soutenir le terrorisme international, la Sécurité d’Etat est-allemande s’indigne de la « gravité de telles accusations » et s’estime victime de « calomnies »3008. Un point en particulier nourrit la méfiance des pays occidentaux : les liens particulièrement étroits qu’entretiennent la Stasi, la KoKo et l’entreprise de commerce extérieure Imes avec la firme Zibado, une filiale de l’entreprise SAS Trade & Investment3009, contrôlée par Abou Nidal3010. La firme possède un bureau à Berlin-Est3011 : officiellement, il s’agit d’une entreprise commerciale comme une autre, qui vend aussi bien des pianos que du

3003 BStU, MfS, Abt. X, Nr. 204, op.cit., Télégramme de M. Mitew, Sofia, à Willi Damm, directeur du département X du MfS, Berlin-Est, 7.10.1983. 3004 BStU, MfS, Abt. X, Nr. 204, op.cit., Utilisation du territoire bulgare par les groupes terroristes. 3005 BStU, MfS, Abt. X, Nr. 206, Terrorisme jusque 1979 et documents sur des Arabes, Berlin, 11.5.1984. 3006 BStU, MfS, Abt. X, Nr. 204, op.cit., Information transmise par le ministère de l’Intérieur de Bulgarie au Département X, 20.7.1988. 3007 BStU, MfS, Abt. X, Nr. 204, op.cit., Département X, 4.8.1989, traduit du hongrois. 3008 BStU, MfS, Abt. X, Nr. 204 , op.cit., Information , Berlin, 26.5.1987. 3009 Le nom de l’entreprise SAS est constitué des initiales de ses trois fondateurs : Samir Najmeddin, le directeur de l’entreprise, Adnan al-Banna, vraisemblablement un parent d’Abu Nidal et Sahkir Farhan, sans doute un pseudonyme désignant Abu Nidal lui-même. La principale organisation de SAS est Al-Reem Trading, qui possède des succursales au Koweït, en Suisse, à Chypre, à Londres ou à Paris. SAS se spécialise dans le commerce des armes. Voir : RIEGLER, Thomas, Im Fadenkreuz : Österreich und der Nahostterrorismus 1973 bis 1985, Göttingen, V & R Unipress, 2011, p. 146. 3010BStU, MfS, Abt. X, Nr. 204 , op.cit., Information , Berlin, 26.5.1987. 3011 Ibid.

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poisson surgelé3012 ; en réalité, elle négocie presque exclusivement avec le vendeur d’armes IMES3013.

Bien qu’il dénonce officiellement l’usage de la force armée dans le règlement du conflit au Proche-Orient, le régime de Berlin-Est soutient un certain nombre de groupes palestiniens qui y ont recours. La RDA s’engage publiquement aux côtés de Yasser Arafat, tout en commerçant avec ses opposants les plus virulents, comme Abou Nidal. Elle prône le règlement politique de la question israélo-palestinienne mais protège l’un des principaux responsables des attentats de Munich, qui ont lieu lors des Jeux Olympiques de 1972, le Palestinien Abou Daoud3014. Ce dernier, membre du Fatah et proche d’Arafat3015, est étroitement surveillé par la Stasi, qui fait le compte-rendu en interne de ses déplacements entre Prague, Sofia, Budapest, Belgrade et Berlin-Est. Abou Daoud organise notamment des transferts d’armes et d’explosifs d’un pays à l’autre3016. Il est en contact avec des citoyens des Etats socialistes3017 aussi bien qu’avec des membres de l’OLP3018. En juin 1979, il rencontre Ilich Ramirez Sanchez, dit « Carlos », à Berlin-Est3019, dont la Stasi surveille également de près les déplacements et les activités3020.

Dans leur correspondance interne, les fonctionnaires est-allemands qualifient tour à tour le groupe d’Abou Daoud d’ « aile extrémiste de l’OLP »3021 et de force « progressiste »3022. En août 1981, lorsqu’Abou Daoud lui-même est victime d’une tentative

3012 HARMON, Christopher C., Terrorism Today, New York, Routledge, 2008, p. 85. 3013 RIEGLER, Thomas, Im Fadenkreuz…, op.cit., p. 146. 3014 BStU, MfS, Abt. X, Nr. 204, op.cit., Département X, annexe du document X/5241/78, ministère de l’Intérieur de Tchécoslovaquie, 21.9.1978, traduit du tchèque, strictement confidentiel. 3015 BStU, MfS, Abt. X, Nr. 204, op.cit., Information sur le séjour d’Abu Daoud dans la capitale de RDA, Berlin, 26.6.1979, strictement confidentiel. 3016 BStU, MfS, Abt. X, Nr. 204, op.cit., Télégramme du ministre de la Sécurité d’Etat de RDA au ministre de l’Intérieur de Tchécoslovaquie, M. Obzina, 25.4.1979. 3017 BStU, MfS, Abt. X, Nr. 204, op.cit., Lettre du directeur du département HA II au directeur du département X, Berlin, 17.1.1979. 3018 En août 1978, Abu Daoud rencontre par exemple le représentant du directeur du bureau de l’OLP à Prague, Mohamed Ali Allari, en Tchécoslovaquie. Voir : BStU, MfS, Abt. X., Nr. 204, op.cit., Département X, annexe du document X/5241/78, ministère de l’Intérieur de Tchécoslovaquie, 21.9.1978, traduit du tchèque, strictement confidentiel. 3019 BStU, MfS, Abt. X, Nr. 204, op.cit., Information sur le séjour d’Abu Daoud dans la capitale de RDA, Berlin, 26.6.1979, strictement confidentiel. 3020 BStU, MfS, Abt. X, Nr. 268. 3021 BStU, MfS, Abt. X, Nr. 204, op.cit., Lettre du directeur du département HA II au directeur du département X, Berlin, 17.1.1979. 3022 BStU, MfS, Abt. X, Nr. 204, op.cit., Information sur le séjour d’Abu Daoud dans la capitale de RDA, Berlin, 26.6.1979, strictement confidentiel. 562

d’assassinat à Varsovie, il est rapidement pris en charge par les autorités est-allemandes et transféré à Berlin-Est pour y être soigné3023. Le 1er août, aux alentours de vingt heures, alors qu’il se trouvait dans un café de l’hôtel Victoria, un jeune homme lui a en effet tiré dessus à une distance de cinq mètres environ, puis s’est enfui3024. Blessé au visage et au ventre, Abou Daoud est d’abord soigné en Pologne, puis, le 14 août, il est transféré à Berlin dans un avion gouvernemental3025.

A la fin des années 1980, l’évaluation politique que fait la RDA de l’OLP et des différents groupes palestiniens se modifie sensiblement. La « nouvelle pensée »3026 impulsée par Mikhaïl Gorbatchev vise à réduire l’engagement soviétique dans les zones de conflits du Tiers-monde, excessivement coûteux. Ce tournant coïncide avec la priorité donnée par Berlin-Est aux objectifs économiques de sa politique étrangère. Au Proche-Orient, tout en consolidant ses liens avec ses partenaires « anti-impérialistes », comme l’OLP, le régime est-allemand entreprend de normaliser ses relations avec Israël.

3. L’évolution des relations entre la RDA et Israël : de l’intransigeance au rapprochement de 1986-1987

A partir de 1986-1987, Berlin-Est conserve certes ses liens privilégiés avec l’OLP, mais tente, pour la première fois, de nouer des contacts avec Israël3027. Le ministère est- allemand des Affaires étrangères intensifie progressivement ses relations avec les représentants de l’Etat hébreu. Cette évolution est facilitée par le rapprochement qui s’est effectué depuis 1984-1985 entre les gouvernements israélien et soviétique3028. En effet, bien qu’ils restent divisés sur la question du rétablissement des relations diplomatiques avec Israël3029, les Soviétiques ont cependant développé des contacts politiques avec le

3023 BStU, MfS, Abt. X., Nr. 204, op.cit., Télégramme de Kiszczak à Erich Mielke, 7.8.1981. 3024 Ibid. 3025 BStU, MfS, Abt. X., Nr. 204, op.cit., Notice, 13.8.1981. 3026 Sur la « nouvelle pensée », voir supra, prologue, p. 63. 3027 WENTKER, Hermann, Aussenpolitik in engen Grenzen…, op.cit., p. 544. 3028 HOLLIS, Rosemary (dir.), The Soviets, their Successors…, op.cit., p. 23. 3029 NAUMKINE, Vitali, ZVIAGELSKAYA, Irina, « La politique soviétique à l’égard du règlement du conflit du Proche-Orient », in : Politique étrangère, 1990, n° 2, p.310-311.

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gouvernement de Tel Aviv3030. Les relations consulaires bilatérales reprennent en 1987 et 19883031.

Dans sa correspondance interne, le département X de la Stasi souligne l’amélioration des relations entre Israël et les Etats socialistes, parmi lesquels on peut notamment citer la Hongrie, au cours de l’année 19893032. Dans ce contexte, les analyses est-allemandes mettent dorénavant en exergue le nécessaire pragmatisme dont doit faire preuve Yasser Arafat dans le règlement du conflit israélo-palestinien, comme c’est le cas en octobre 1989 :

« En cas d’accord entre les Etats-Unis, l’Egypte et Israël, Arafat n’aura pas d’autre choix que d’accepter la voie tracée et d’ignorer la contradiction dans ses propres rangs. Si l’OLP ne saisit pas cette chance, elle pourrait être débordée par les évènements et ne plus exercer aucune influence sur le processus de règlement »3033.

3030 Ibid., p.309. 3031 Une délégation consulaire soviétique s’installe à Tel Aviv en juillet 1987, tandis qu’une délégation consulaire israélienne s’établit à Moscou en janvier 1988. Voir : CHAGNOLLAUD, Jean-Paul, Intifada, vers la paix ou vers la guerre ?, Paris, L’Harmattan, 1990, p. 200. Les relations diplomatiques complètes seront rétablies entre la Russie et Israël après la chute de l’URSS, en 1991. 3032 BStU, MfS, Abt. X, Nr. 264, op.cit., Information des organes de sécurité de Hongrie à propos des plans d’Israël au Proche-Orient, Abteilung X, Berlin, 9.5.1989, streng vertraulich. 3033 BStU, MfS, ZAIG, Nr. 8258, Exposé informatif n° 25/89, strictement confidentiel, 2.10.1989.

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En s’intéressant aux liens établis entre Berlin-Est et les acteurs palestiniens, ce chapitre a tenté de montrer la grande flexibilité de la politique étrangère est-allemande au Moyen-Orient. Contrainte d’admettre l’échec de son offensive anti-impérialiste en Egypte, la RDA entreprend de redéployer ses objectifs idéologiques en direction de nouveaux acteurs régionaux. Le chapitre a cependant mis en évidence les structures éminemment pragmatiques qui commandent l’activité est-allemande dans la région : dans le cadre du conflit israélo-palestinien, Berlin-Est noue en effet des contacts avec des interlocuteurs variés, parfois rivaux. Comme en Egypte, ce sont finalement les mêmes mécanismes qui gouvernent l’action de la RDA auprès des acteurs palestiniens : le développement de relations politiques avec un large éventail d’acteurs ; l’accent mis sur la coopération culturelle aussi bien que sur les transactions d’armes ; enfin, la recherche permanente et précaire d’un équilibre entre fidélité à l’idéologie « anti-impérialiste », visibilité politique et intérêts économiques.

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Prenant acte du fait que l’idéologie seule ne détermine pas la mise en œuvre de la politique étrangère est-allemande en Egypte, la troisième partie de la thèse s’est employée à montrer, d’une part, les stratégies relationnelles flexibles que la RDA adopte à l’égard de ses interlocuteurs politiques, et d’autre part, le redéploiement de ses buts anti-impérialistes en dehors du strict cadre étatique. En effet, si l’influence de l’idéologie, en tant que moteur de l’activité de Berlin-Est en Egypte, décline à l’échelle gouvernementale, cette dernière ne disparaît pas, pour autant, des priorités est-allemandes. Les intérêts doctrinaux se redéploient bien plutôt à d’autres échelles : au niveau local, la RDA noue des alliances plus ou moins conjoncturelles avec des partis clandestins (le PCE notamment), des associations ou syndicats qu’elle considère comme « progressistes » et des mouvements religieux, dont elle mesure l’impact sur les masses égyptiennes. Au niveau régional, elle identifie de nouveaux acteurs « anti-impérialistes », en particulier dans le cadre du conflit israélo-arabe ; c’est ainsi qu’elle développe des contacts à la fois avec l’OLP et ses factions rivales.

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Conclusion

Rappel analytique des résultats

Récapitulons, en premier lieu, les résultats de notre travail.

1. Nous avons tout d’abord dressé le cadre politique et chronologique d’une relation bilatérale qui se construit au sein d’un système international largement déterminé par l’affrontement bipolaire (chapitres 1 à 4). De ce point de vue, nous avons tenté de mettre en évidence la pertinence de l’échelon bilatéral pour appréhender les déclinaisons proprement nationales de politiques étrangères qui, tour à tour, cautionnent, instrumentalisent et/ou tentent de s’émanciper des contraintes internationales. 2. L’examen détaillé des sources nous a ensuite permis de montrer qu’il existe bel et bien une politique étrangère est-allemande en Egypte. Certes, « dans le monde communiste, la marge d’autonomie des diplomaties est structurellement faible »3034. De fait, en RDA, comme dans les autres démocraties populaires, la politique étrangère est définie par le parti communiste, en lien avec son homologue soviétique ; le ministère des Affaires étrangères reste un simple coordinateur. Il apparaît cependant que Berlin-Est dispose d’une certaine marge de manœuvre dans la mise en œuvre de sa politique étrangère en Egypte.

Ponctuellement, le régime est-allemand prend ainsi des initiatives destinées à satisfaire des intérêts propres, quand bien même ces derniers ne répondent pas aux intérêts de bloc. Nous avons montré, par exemple, comment l’Etat externalisait une partie de sa politique étrangère, déléguant certaines fonctions économiques à des structures de commerce extérieur spécialisées et indépendantes, afin de garantir l’afflux de devises convertibles3035. Les relations militaro-économiques entre la RDA et l’Egypte sont ainsi apparues comme l’un des champs privilégiés de l’autonomie est-allemande (chapitre 5) : au début des années 1980, alors que Moscou a demandé à Berlin-Est d’interrompre ses transactions militaires avec le Caire, la firme de commerce extérieur non officielle, IMES, prend le relais des fournisseurs étatiques traditionnels, sans que l’URSS n’en soit toujours informée3036. Les plus hautes autorités est-allemandes donnent leur accord pour que la coopération militaro-économique bilatérale se maintienne, en dépit des directives soviétiques, afin de garantir le niveau des

3034 MARES, Antoine, « La politique étrangère Tchécoslovaque : un cas généralisable ? », in : Relations internationales, 4/2011, n° 148, p. 66. 3035 Voir supra, partie II, chapitre 5, p. 215. 3036 Voir supra, partie II, chapitre 5, p. 258-266.

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exportations est-allemandes en Egypte. L’étude minutieuse des sources est-allemandes montre ainsi que, ponctuellement, Berlin-Est peut donner la priorité à des impératifs nationaux - maintenir un solde commercial positif en Egypte -, plutôt qu’aux directives de bloc - mettre un terme au « commerce extérieur spécial » entre les pays de l’Est et le Caire, afin de sanctionner le refroidissement des liens politiques. Antoine Marès, faisant lui aussi le constat de l’autonomie croissante dont bénéficie la Tchécoslovaquie au cours des années 1960, se demande cependant si cette dernière répond vraiment à des priorités nationales, identifiées comme telles, ou manifeste plutôt une « division concertée du travail diplomatique entre les pays du pacte de Varsovie »3037. Estimant nécessaire de ne pas sous-estimer la subordination des démocraties populaires à Moscou, il formule une première hypothèse : les différences entre les politiques étrangères des Etats est-européens pourraient s’expliquer par une répartition préalable de leurs missions internationales, plutôt que par une volonté nationale d’autonomisation3038. A l’issue de ce travail de thèse, il nous semble toutefois que l’échelon national reste une catégorie d’analyse pertinente au sein du « projet supranational communiste »3039 : dans le cas des transactions militaires entre Berlin-Est et le Caire, les directives de Moscou sont consciemment contournées par les acteurs est-allemands, qu’ils soient étatiques - Conseil des ministres, ministère du Commerce extérieur - ou officieux - la firme IMES. De plus, la RDA n’est pas la seule démocratie populaire à maintenir des contrats auxquels l’URSS lui a pourtant demandé de mettre un terme : la Tchécoslovaquie, la Pologne et la Roumanie font de même, ayant identifié l’intérêt purement économique d’une telle coopération3040. Enfin, l’analyse de la documentation est-allemande ne permet pas d’affirmer qu’il existe une division systématique des tâches d’ordre diplomatique entre les Etats du bloc de l’Est. Antoine Marès insiste d’ailleurs également sur la nécessité d’explorer les spécificités des diplomaties « nationales » des démocraties populaires, en tenant compte aussi bien de leurs héritages singuliers que de leurs sensibilités politiques propres3041. Le développement récent des recherches sur la politique étrangère des démocraties populaires a ainsi montré que l’action menée à l’égard du Tiers-monde constituait un « observatoire possible de

3037 MARES, Antoine, « La politique étrangère Tchécoslovaque… », op.cit, p. 68. 3038 Ibid., p. 72. 3039 CHRISTIAN, Michel, « Les partis communistes du bloc de l’Est… », op.cit., p. 31. 3040 Voir supra, partie II, chapitre 5, p. 263. 3041 MARES, Antoine, « La politique étrangère Tchécoslovaque… », op.cit, p. 72.

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l’autonomie »3042. L’activité de la RDA en Egypte témoigne indéniablement de la relative souplesse des structures de la politique étrangère est-allemande ; cette capacité d’adaptation atteste, à notre sens, de la « résistance du national » au cœur de l’ « idéal internationaliste »3043. Les archives de la RDA mettent d’ailleurs ponctuellement en lumière les divergences d’appréciation qui surgissent parfois entre les acteurs est-allemands et leurs homologues soviétiques : par exemple, en décembre 1977, au moment de la fermeture des centres de culture et d’information des Etats socialistes en Egypte3044 (chapitre 6) ; ou encore, en avril 1987, lorsque les autorités est-allemandes envisagent de former des officiers égyptiens au sein des structures de la NVA3045. Enfin, la « résistance du national » se mesure à l’aune des conflits d’intérêts qui opposent les différents types d’acteurs est-allemands entre eux, dans la politique mise en œuvre en Egypte3046. Nous avons tenté de montrer que, dans l’exercice concret de leurs fonctions, les individus ou organismes compétents en matière de politique étrangère, agissent sous l’effet de motivations parfois très divergentes. Selon les acteurs considérés (diplomates, militaires, entrepreneurs…), les objectifs poursuivis varient nettement : maintien à tout prix de l’orthodoxie idéologique, fût-ce au mépris des contraintes économiques3047 ; volonté de garantir la solvabilité de la RDA3048 ; préoccupations purement « entrepreneuriales »3049, voire

3042 Ibid., p. 71. 3043 Nous reprenons ici les expressions utilisées par Michel Christian lorsqu’il étudie le fonctionnement des écoles supérieures des partis communistes dans les démocraties populaires. Voir : CHRISTIAN, Michel, « Les partis communistes du bloc de l’Est… », op.cit., p. 31. 3044 Voir supra, partie II, chapitre 6, p. 374-381. 3045 Alors que le ministère des Affaires étrangères de RDA semble plutôt favorable à la demande du Caire de former des officiers égyptiens au sein de la NVA, l’état-major soviétique estime que le contexte international ne se prête pas à une telle collaboration. Voir supra, partie II, chapitre 5, p. 266. 3046 Nous renvoyons par exemple à la rivalité qui oppose la NVA et la firme de commerce extérieur Elektrotechnik dans le domaine des exportations militaires en Egypte. Voir supra, partie II, chapitre 5, p. 266. 3047 C’est la position de l’ambassadeur est-allemand au Caire, Hans-Joachim Radde, qui, en 1977, tente de convaincre le ministère du Commerce extérieur de la nécessité de maintenir la participation de la firme Buchexport à la foire aux livres du Caire, alors que celle-ci est déficitaire. Voir supra, partie II, chapitre 6, p. 384-387. 3048 En juin 1977, par exemple, Horst Sölle, ministre est-allemand du Commerce extérieur, redoute les conséquences négatives de la décision soviétique d’imposer à la RDA l’arrêt de la coopération militaro- économique avec l’Egypte : selon lui, une telle politique va, inévitablement, affecter l’ensemble des exportations est-allemandes dans le pays. Voir supra, partie II, chapitre 5, p. 262. 3049 En 1977, l’entreprise de commerce extérieur AHB Buchexport, responsable des exportations de livres est- allemands en Egypte, fait part au ministère du Commerce extérieur de sa volonté de mettre un terme à sa participation à la foire aux livres du Caire, l’activité lui semblant trop coûteuse, malgré les gains idéologiques qu’elle apporte. Voir supra, partie II, chapitre 6, p. 384-387.

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possibilité d’enrichissement personnel3050. De ce point de vue, l’étude de la politique étrangère est-allemande peut s’enrichir des apports de l’histoire sociale de la RDA, qui, en réhabilitant l’échelle infra-nationale, ont montré que le « centralisme démocratique » n’avait pas fait disparaître la capacité d’initiative des acteurs « périphériques »3051. De même, il paraît abusif de réduire toute l’activité est-allemande à l’étranger à la simple exécution des directives de bloc. Le projet initial de reconstitution du processus décisionnel de la politique étrangère est-allemande n’a pas pu, cependant, être réellement mené. Les seules sources est-allemandes ne permettent pas, en effet, de circonscrire rigoureusement la marge de manœuvre dont dispose le régime de Berlin-Est à l’égard des directives soviétiques, tant la présence de Moscou est rare dans les documents. A cet égard, la consultation systématique des archives soviétiques semble incontournable si l’on veut mesurer plus précisément la part d’autonomie dont les démocraties populaires ont pu bénéficier dans le déploiement de leur politique étrangère. 3. Nous avons également tenté de définir la place dévolue à l’idéologie dans la mise en œuvre de la politique étrangère est-allemande en Egypte. Le basculement accéléré de l’idéologique vers l’économique, à partir de la fin des années 1970, conduit à l’autonomisation croissante de Berlin-Est vis-à-vis de Moscou et partant, à la redéfinition des objectifs prioritaires de l’action est-allemande à l’étranger. Notre thèse montre comment le pragmatisme économique l’emporte progressivement sur l’orthodoxie idéologique, au tournant des années 1980, délaissant le principe de « solidarité anti-impérialiste » au profit de la théorie de l’ « avantage réciproque »3052. Dans les années 1960-1970, l’anti-impérialisme offre un cadre conceptuel fédérateur, distinct du référentiel occidental et susceptible de légitimer le rapprochement entre le régime communiste de RDA et le gouvernement nationaliste et militaire en Egypte. A la fin des années 1970, pourtant, la théorie de l’ « avantage réciproque » prend le pas sur le principe de « solidarité anti-impérialiste » : un tel glissement terminologique consacre le déplacement des intérêts d’ordre politico-

3050 Les négociations liées au commerce des armes entre la RDA et l’Egypte assurent à certains fonctionnaires est-allemands des rétributions financières ponctuelles, versées par les autorités étatiques. Voir supra, partie, chapitre 5, p. 241. 3051 Nous reprenons ici la terminologie employée par Jay Rowell, qui réévalue la relation entre les instances centrales et les acteurs « périphériques » en RDA. Voir : ROWELL, Jay, « Le pouvoir périphérique et le « centralisme démocratique » en RDA », in : Revue d’histoire moderne et contemporaine, 2002/2, n° 49-2, p. 102-124. 3052 Pour la définition des notions, se reporter à l’introduction de la thèse, p. 28-29.

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idéologique aux impératifs proprement économiques, dans la conduite de la relation bilatérale.

La consultation des archives couvrant la période 1969-1989 nous a permis, dans la lignée des travaux récents sur la politique étrangère des démocraties populaires3053, de nuancer le constat selon lequel « les motivations économiques jouent un rôle secondaire dans le choix des partenaires »3054 de la RDA. La grille de lecture qui préside à cette interprétation idéologique de l’action est-allemande à l’étranger nous semble en fait devoir être soumise à une chronologie plus fine. Comme le rappelle Antoine Marès à propos du cas tchécoslovaque, « si nous envisageons le temps long et les sociétés, il faut […] s’abstraire, au moins partiellement, de l’idéologique pour revenir au culturel et aux représentations »3055 - nous ajouterions également la dimension économique.

En Egypte, les inflexions de la politique étrangère est-allemande obéissent à une chronologie qui recoupe assez fidèlement la succession au pouvoir des trois leaders que sont Gamal Abdel Nasser, Anouar el-Sadate et Hosni Moubarak. Entre juillet 1969, date de la reconnaissance officielle de Berlin-Est par le Caire, et septembre 1970, date de la mort de Nasser, les relations bilatérales se développent dans le contexte de la guerre d’usure israélo-égyptienne. L’alliance égypto-est-allemande est alors motivée idéologiquement par l’expérience commune de la « lutte anti-impérialiste »3056. Durant cette période, les maximes idéologiques (« solidarité anti-impérialiste », « libération nationale », « anticapitalisme », « antisionisme ») semblent guider, indubitablement, la mise en œuvre de la politique étrangère est-allemande en Egypte3057 - ce qui n’exclut pas, par ailleurs, la formulation de motivations proprement nationales, parmi lesquelles le combat pour la reconnaissance internationale de la RDA3058.

Sous le gouvernement de Sadate, de la fin de l’année 1970 à octobre 1981, la RDA est progressivement contrainte de procéder à la redéfinition de son action en Egypte, sous l’effet de la dégradation de la relation soviéto-égyptienne. La décennie consacre la désillusion rapide des acteurs est-allemands, jusqu’à la rupture irréversible de Camp David, en 1979. Différentes

3053 Se reporter à l’introduction de la thèse. 3054 OSTEN, Walter, Die Aussenpolitik der DDR…, op.cit., p. 86. 3055 MARES, Antoine, « La politique étrangère Tchécoslovaque… », op.cit, p. 72. 3056 Voir supra, partie I, chapitre 1, p. 104-105. 3057 L’Egypte de Nasser étant considérée comme un terrain propice à la diffusion du socialisme. Voir supra, partie I, chapitre 2, p. 116-118. 3058 Voir supra, partie I, chapitre 2, p. 112-116.

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phases ponctuent cependant la période : elles ne recoupent pas exactement la chronologie des relations entre le Caire et Moscou, parce que la coopération avec Berlin-Est est précisément conçue, du point de vue égyptien, comme un moyen utile de contourner la dépendance à l’égard de l’URSS. Ainsi, de 1970 à la guerre israélo-arabe de 1973, la relation bilatérale reste marquée par le soutien logistique et militaire de la RDA à l’Egypte ; de ce point de vue, les mots d’ordre visant à fonder idéologiquement la coopération demeurent efficients. Les deux crises de mai 19713059 et de juillet 19723060 contribuent certes à éroder la confiance entre les deux partenaires, mais sont finalement plus révélatrices des antagonismes soviéto-égyptiens que de la détérioration de la relation égypto-est-allemande elle-même. La période qui suit la guerre d’octobre 1973 et se prolonge jusqu’en 1977 est marquée par l’entretien méfiant des relations bilatérales, dans un contexte de diversification des alliances égyptiennes - accord Sinaï II en septembre 1975 ; résiliation du traité d’amitié soviéto-égyptien en mars 1976. La rupture définitive entre Berlin-Est et le Caire a lieu entre 1977 et 1981: les accords séparés de Camp David, en 1979, consacrent la désunion amorcée en 1977, avec la fermeture unilatérale des centres de culture et d’information est-allemands en Egypte et le déplacement de Sadate en Israël. Les dernières années du régime de Sadate mettent en lumière l’échec patent de l’offensive idéologique est-allemande en Egypte : Berlin-Est subit clairement ce revers comme un affront.

De la fin de l’année 1981 à la fin de l’année 1989, tandis que Hosni Moubarak succède à Anouar el-Sadate, la RDA choisit alors de s’accommoder explicitement des divergences idéologiques avec l’ancien partenaire anti-impérialiste et de se focaliser sur ses impératifs économiques. De ce point de vue, nous nuancerions le découpage chronologique proposé par Christian Wenkel, qui affirme que la période 1973-1989 est celle de la « perte de la marge de manœuvre » de la RDA à l’étranger3061. En ce qui concerne l’Egypte, il nous semble au contraire que la décennie 1980 est celle de l’affirmation d’une politique étrangère recentrée sur des intérêts nationaux clairement identifiés. Il est indiscutable, néanmoins, que les difficultés économiques du régime de Berlin-Est limitent fortement sa capacité d’initiative sur la scène internationale3062.

3059 Voir supra, partie I, chapitre 3, p. 137-141. 3060 Voir supra, partie I, chapitre 3, p. 141-146. 3061 WENKEL, Christian, « En quête permanente… », op.cit., p. 54. 3062 Comme le rappelle Christian Wenkel dans la conclusion du même article : WENKEL, Christian, « En quête permanente… », op.cit., p. 56-57.

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L’analyse approfondie des ressorts de la coopération politique bilatérale sous Hosni Moubarak montre en outre que si l’idéologie délaisse peu à peu le champ du politique, elle ne disparaît pas pour autant des objectifs est-allemands. Elle se déploie bien plutôt dans les interstices de la relation étatique, par des biais officiellement dépolitisés : entretien de réseaux relationnels interpersonnels, collaboration avec le secteur associatif ou syndical, coopération culturelle et soutien irrégulier au PCE clandestin3063 (chapitre 7). Ce pragmatisme autorise le développement de liens avec les nouveaux types d’acteurs qui émergent au sein de la société civile égyptienne, en particulier les acteurs religieux3064. Au cours des années 1980, la RDA adopte en effet une attitude extrêmement flexible à l’égard des formes de contestation politique en Egypte : tantôt, elle seconde le pouvoir dans sa répression à l’égard des Frères musulmans ; tantôt elle encourage la constitution de fronts patriotiques incluant des organisations islamistes (chapitre 8). Enfin, à l’échelle régionale, le régime de Berlin-Est ne manque pas d’identifier de nouveaux acteurs « anti-impérialistes » : dans le cadre du conflit israélo-arabe, ce dernier développe ainsi des contacts avec l’OLP aussi bien qu’avec ses opposants les plus déterminés (chapitre 9).

A la lumière de ces analyses, il nous semble nécessaire d’extraire l’étude de la politique étrangère est-allemande de l’opposition binaire entre idéologie et pragmatisme. Nous évoquions, en introduction, une superposition probable entre intérêts nationaux et intérêts de bloc, entre impératifs doctrinaux et contraintes économiques3065. A l’issue de cette thèse, il semble bel et bien qu’idéologie et Realpolitik se mêlent dans la construction progressive d’une politique étrangère est-allemande. Les acteurs est-allemands eux-mêmes paraissent partager ce point de vue : Heinz-Dieter Winter, représentant du ministre des Affaires étrangères de RDA en 1986 et chargé des relations avec les pays en développement, reconnaît ainsi, lors d’un entretien avec Benno-Eide Siebs en 1996, que l’action politique est-allemande ne peut être réduite à une simple alternative entre idéologie et pragmatisme :

« Lorsque je dis que je pensais de façon pragmatique, cela ne veut pas dire absolument "anti- idéologique". Nous avons tout de même essayé de fonder idéologiquement notre position à l’égard de certains pays, dont nous étions certains qu’ils n’emprunteraient pas la voie de l’"orientation socialiste" »3066.

3063 Voir supra, partie III, chapitre 7, p. 443-448. 3064 Voir supra, partie III, chapitre 8, p. 506-510. 3065 Voir supra, introduction de la thèse, p. 25-26. 3066 SIEBS, Benno-Eide, Die Aussenpolitik…, op.cit., p. 47.

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En RDA, le facteur idéologique est vraisemblablement moins influent en politique étrangère qu’en politique intérieure. L’activité à l’étranger impose une capacité d’adaptation minimale aux spécificités du terrain, a fortiori dans un pays comme l’Egypte, qui abandonne rapidement la voie du « développement non capitaliste »3067. L’analyse des archives est-allemandes montre en fait que les intérêts idéologiques et économiques se conjuguent le plus souvent dans la mise en œuvre de la politique étrangère, sans toujours coïncider, certes, mais sans forcément se contredire pour autant.

4. Enfin, notre thèse a tenté de rendre compte des modes de réappropriations nationales du discours anti-impérialiste en Egypte. Malgré la ligne léniniste en vigueur dans le Tiers-monde, selon laquelle les forces communistes et les mouvements nationaux peuvent se coaliser dans la lutte anti-impérialiste, les Etats socialistes ne parviennent pas à imposer leur projet de passage d’une « voie de développement non capitaliste » au socialisme réel. Comme le rappelle Henry Laurens, « loin d’être manipulables, les mouvements nationaux utilisent de façon opportuniste le soutien soviétique et neutralisent, voire éliminent, les partis communistes locaux »3068. En Egypte, les mots d’ordre anti-impérialistes sont repris aussi bien par les régimes en place que par les forces d’opposition, quelle que soit, par ailleurs, leur inclination politique. S’inscrivant dans le « double paradigme, dominant de 1914 à 1975, de la lutte et de la libération »3069, l’anti-impérialisme apparaît comme une référence mobilisatrice dans le contexte de décolonisation et de Guerre froide. Nous avons tenté de montrer les ambiguïtés de la position de la RDA à l’égard des formes nationales de réappropriation des slogans anti-impérialistes en Egypte. Les acteurs est-allemands ont pleinement conscience de l’évolution des formes de l’activisme politique dans le pays3070 - le dialogue entre les diplomates est-allemands et les forces religieuses égyptiennes en témoigne. Au cours de la seconde moitié des années 1970, le remplacement progressif de l’opposition de gauche par l’opposition islamiste met en lumière une nouvelle forme de contestation politique, qui ajoute au substrat socialiste et nationaliste de la gauche égyptienne le référent religieux. ‘Adil Husayn, l’un des membres dirigeants du Parti socialiste du travail3071, ancien militant

3067 Pour une définition de l’expression, se reporter à l’introduction de la thèse, p. 23. 3068 LAURENS, Henry, L’empire et ses ennemis…, op.cit., p. 176. 3069 Ibid., p. 207. 3070 Voir supra, partie III, chapitre 8, p. 505-510. 3071 Le Parti socialiste du Travail est une formation qui s’allie d’abord au courant islamiste, avant d’être contrôlée par ce dernier à partir de mars 1989. Voir supra, partie III, chapitre 7, p. 465-466.

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communiste, présente d’ailleurs son « entrée en islamisme » comme une réponse cohérente à son « nationalisme attentif » :

« Après cette période marxiste, j'ai adopté une position que je qualifierais de « nationaliste ». Dans le marxisme, j'ai surtout renié les implications du communisme et notamment la dépendance qu'il instaurait entre les divers partis communistes et l'URSS ou la Chine. J'ai refusé la dépendance à l'égard de ces grandes puissances. Il m'était apparu clairement que ces pays prêchaient moins le marxisme comme doctrine que comme élément d'une stratégie internationale qui tendait à nous intégrer et, d'une manière ou d'une autre, à nous aliéner. De là m'est peu à peu venue la conviction que nous formions bien une nation qui avait sa civilisation propre et que rien, dès lors, ne justifiait que cette nation, qui disposait de ses propres présupposés – et d'un patrimoine tout à fait distinct – se trouvât dépendre de telle ou telle grande puissance. C'est cette conviction qui m'a fait refuser une formule communiste qui incorporait les partis, égyptien ou arabe, dans un réseau de relations internationales et dans une stratégie mondiale qui étaient en fait étrangers à nos intérêts […] »3072.

Il considère, par conséquent, que les marxistes ne possèdent nullement le monopole du combat contre les inégalités sociales : « Nous militons pour l’unité arabe, pour la justice sociale, nous voulons tout autant une indépendance effective mais tout ceci doit s’exprimer dans le cadre de l’idéologie islamiste »3073.

A travers l’étude des relations entre le SED et les partis égyptiens, qu’ils soient légaux ou clandestins, notre travail nous a permis d’apporter une contribution à l’histoire politique de l’Egypte, en faisant émerger les points de jonction entre le discours de la gauche nationaliste - nassériens, membres du Tagammu et dans une moindre mesure, du PCE - et celui des forces islamistes. Si l’argumentaire islamiste peut apparaître comme « la radicalisation efficace du discours révolutionnaire gauchisant des années 1960 »3074, c’est notamment parce que celui-ci s’est consolidé dans la confrontation avec les mouvements de gauche, et en particulier les nassériens, dans les années 19703075. De ce point de vue, il n’est pas surprenant de constater que la géographie de la révolution égyptienne de 2011 correspond assez fidèlement à celle de la contestation sociale et politique des années 19703076. Outre le Caire, les principaux lieux de la mobilisation sont en effet les villes et les bastions industriels du Delta : Alexandrie,

3072 BURGAT, François (présentation, annotations et traduction par), « Communisme, nationalisme, islamisme. Itinéraire d’un intellectuel égyptien, ‘Adil Husayn », in : Egypte/ Monde arabe, Première série, 5/1991, p. 169- 179. 3073 Ibid. 3074 LAURENS, Henry, L’empire et ses ennemis…, op.cit., p. 219. 3075 Voir supra, partie III, chapitre 8, p. 501. 3076 Nous avons montré que la révolution égyptienne de 2011 s’enracine dans une dynamique contestataire héritée des années 1970 dans l’article suivant : REGNAULD, Amélie, « Opposition de gauche et opposition islamiste en Egypte : concepts et pratiques révolutionnaires partagés », in : Confluences Méditerranée, n° 77, Printemps 2011, p. 37-50.

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Mahalla, Kafr al-Dawwâr, Tantâ, Mansûra, Zagazig3077. Ces centres industriels, où se sont implantés les experts est-allemands au cours des années 1970-1980, sont également ceux où s’affrontent les Frères musulmans et les communistes à la même époque3078. A l’échelle locale, la révolution de 2011 a réinvesti les mêmes lieux de protestation que durant la Guerre froide - la place Tahrir au Caire en est l’exemple emblématique3079. Les slogans révolutionnaires ont repris une « langue commune qui […] permet de partager des expériences historiques semblables, notamment les épreuves vécues à l’époque de l’impérialisme européen et de la décolonisation […] »3080. La révolution de 2011, bien qu’elle constitue une rupture indéniable dans l’histoire égyptienne, repose ainsi sur des mécanismes contestataires profonds.

Le régime égyptien a connu de nombreuses recompositions depuis février 2011 et le renversement de Hosni Moubarak : élection le 30 juin 2012 d’un président issu des Frères musulmans, Mohamed Morsi ; éviction de ce dernier par l’armée, en juillet 2013 ; victoire de l’ancien ministre de la Défense, le maréchal Abdel Fattah al-Sissi, aux élections présidentielles de juin 2014. Si l’élection, en 2012, d’un président islamiste à la tête de l’Etat, constitue l’aboutissement cohérent des rapports de forces en présence, sa chute rapide, sous la pression de la rue, témoigne néanmoins de la permanence d’une société civile égyptienne, plus sensible aux réponses apportées à ses revendications socio-économiques qu’à l’idéologie mobilisée par ses représentants politiques3081. Le discours des Frères musulmans, qui était parvenu à réunir les aspirations à la justice sociale et la puissance du sentiment nationaliste, en les exprimant à l’aide d’un idiome islamique, n’a pas empêché le président Mohamed Morsi de se mettre rapidement à dos les révolutionnaires aussi bien que les militaires3082. En un sens, ces revirements successifs témoignent de l’incapacité des acteurs égyptiens

3077 PAGES-EL KAROUI, Delphine, VIGNAL, Leila, « Les racines de la « révolution du 25 janvier » en Egypte : une réflexion géographique », in : EchoGéo [En ligne], Sur le Vif, p. 5-6. URL : http://echogeo.revues.org/12627 ; DOI : 10.4000/echogeo.12627 3078 Voir supra, partie III, chapitre 8, p. 502-505. 3079 La place Tahrir (place de la Libération), baptisée ainsi lors de la révolution de 1952, accueille notamment les grandes manifestations étudiantes de 1972. Voir supra, partie I, chapitre 3, p. 170-174 et partie III, chapitre 8, p.502-505. 3080 KIENLE, Eberhard, « Les « révolutions » arabes », in : Critique internationale, 2012/1, n° 54, p. 105. 3081 L’un des slogans qui domine les manifestations du 25 janvier 2011 est « pain, liberté et justice sociale ». 3082 Sur la période juin 2012-juillet 2013, voir l’article de Clément Steuer : STEUER, Clément, « Le mouvement thermidorien de la révolution égyptienne », in : Confluences Méditerranée, 4/2013, n°87, p. 165-181. 576

contemporains à mobiliser une idéologie intégratrice, au sens où l’entend Paul Ricœur3083, à même de susciter une adhésion populaire durable.

La RDA en Egypte : héritages historiques, perspectives scientifiques

Le 12 septembre 1990 a lieu à Moscou la réunion dite « 4+2 », qui met fin à la République de Bonn et « ouvre un nouveau chapitre de la politique étrangère allemande »3084. Le traité signé par les Alliés et les représentants de RFA et de RDA met un terme aux droits et aux compétences des quatre Alliés à Berlin et en Allemagne : le pays unifié dispose dorénavant d’une pleine souveraineté dans ses affaires intérieures et extérieures. Le 3 octobre 1990, les cinq Länder est-allemands adhèrent à la RFA : la RDA disparaît de facto.

Les dirigeants allemands affirment d’emblée la continuité de la politique étrangère allemande. Suzanne Nies pointe néanmoins la disparition rapide de la tradition est-allemande en matière de politique étrangère3085 : « en effet, on se pose rarement la question de savoir si l’expérience du vaincu a une valeur ajoutée »3086. De fait, il est intéressant de noter que, de nos jours, le site internet de l’ambassade allemande au Caire présente tous les ambassadeurs ouest-allemands ayant été en fonction en Egypte depuis 1954, sans mentionner aucunement leurs homologues est-allemands3087. L’action allemande en Egypte s’appuie pourtant, aujourd’hui, sur des structures héritées à la fois de la RFA3088 et de la RDA. Le partenariat instauré en janvier 1970 entre l’institut Herder de l’Université de Leipzig et l’Université d’Aïn Shams a par exemple été maintenu par le biais d’un mastère binational en « Allemand langue étrangère »3089 . De même, certains établissements est-allemands ont connu une postérité notable : l’école polytechnique Galal Fahmy de Shubra el-Kheima3090 existe toujours

3083 Ce dernier analyse l’idéologie comme la nécessité, pour tout groupe humain, de recourir à des médiations symboliques et de mettre en scène une identité collective. Selon lui, l’idéologie renvoie à « l’ensemble des mécanismes symboliques grâce auxquels l’homme se comprend dans une culture donnée ». Voir : MICHEL, Johann, « Le paradoxe de l’idéologie revisité par Paul Ricœur », in : Raisons politiques, 2003/3, n° 11, p. 149-172. 3084 NIES, Susanne, « Des fondements… », op.cit., p. 21. 3085 L’auteur met en avant la façon dont la tradition ouest-allemande de politique étrangère s’est imposée : multilatéralisme, formation générale des diplomates, tendance récente à la « dépacification ». Voir : NIES, Susanne, « Des fondement… », op.cit., p. 24-25. 3086 Ibid., p. 25. 3087 Consulter le site actuel de l’ambassade allemande au Caire : http://www.kairo.diplo.de/Vertretung/kairo/de/02/botschaftergalerie/galerie__botschafter.html 3088 Le Goethe Institut, la Deutsche Schule der Borromäerinnen, pour n’en citer que quelques-unes. 3089 Le partenariat entre les deux universités avait été mis en place sous la RDA, en janvier 1970. Voir supra, partie II, chapitre 6, p.284-285. 3090 Voir supra, partie II, chapitre 6, p. 313-314. 577

(Galal Fahmy Specialized Technical School) et depuis 2010, elle coopère avec le groupe européen Schneider Electric.

En 2013, l’Allemagne était le 3ème principal exportateur en Egypte, après la Chine et les Etats-Unis3091. Si jusqu’à la réunification, l’alliance atlantique et l’intégration européenne constituent la clef de voûte de la politique étrangère allemande, cette dernière commence à devenir plus active à la fin des années 1990. Au Moyen-Orient, le pays entend jouer un rôle de médiateur. La chancelière allemande, Angela Merkel, a certes affirmé à plusieurs reprises « que la sécurité d’Israël faisait partie de la raison d’Etat allemande »3092 ; Berlin reste cependant un interlocuteur crédible pour les Etats arabes, notamment en raison de son absence de passé colonial. L’image de la puissance anti-impérialiste, que la RDA brandissait allègrement en Egypte, n’est finalement pas si anachronique.

Dans un tel contexte, le développement des recherches sur la politique étrangère de la RDA apparaît comme un apport nécessaire à la construction d’une histoire allemande intégrant pleinement la période de la division. Le « plaidoyer pour une histoire différenciée de la RDA » de Konrad H. Jarausch, qui estime que cette dernière « se doit d’être intégrée à une histoire allemande commune de l’après-guerre »3093 nous semble ainsi toujours pertinent3094.

3091 « Commerce extérieur de l’Egypte », information diffusée par le service économique de l’ambassade de France en Egypte, juin 2014. http://www.diplomatie.gouv.fr/fr/IMG/pdf/EGYPTE_- _Le_commerce_exterieur_en_2013_cle8f8aaa.pdf 3092 NÜNLIST, Christian, « La politique étrangère allemande en 2014 », in : Politique du sécurité : analyses de CSS, mars 2014, n° 149, Centre d’études de sécurité (CSS), ETH, Zurich, p. 3. 3093 JARAUSCH, Konrad H., « Au-delà des condamnations morales et des fausses explications. Plaidoyer pour une histoire différenciée de la RDA », in : Genèses, 2003, n° 52, p. 94. 3094 Une telle démarche peut rejoindre celle de l’ « histoire intégrée », née au tournant du XXIe siècle, qui insiste sur la nécessité d’insérer la RDA et son héritage à l’histoire allemande, en s’élevant « à la fois contre une pure histoire contrastive et une nouvelle histoire nationale ». Voir la mise au point historiographique proposée par Laurence Duchaine-Guillon dans l’introduction de l’ouvrage suivant : DUCHAINE-GUILLON, Laurence, La vie juive à Berlin…, op.cit.

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Liste des sigles et abréviations

ADN Service général allemand d’information, Allegemeiner Deutscher Nachrichtendienst AHB Entreprise de commerce extérieur, Aussenhandel Betriebe APO Organisation de Parti d’un département de production, Abteilungsparteiorganisation BstU Mandataire fédéral pour la documentation du service de sécurité de la RDA, Bundesbeauftragte für die Unterlagen des Staatssicherheits-dienstes der ehemaligen DDR CDU Parti chrétien démocrate (RDA), Christlich Demokratische Union Deutschlands CSFPA Collectif de soutien aux forces progressistes arabes DAAD Office allemand d’échanges universitaires (RFA), Deutscher Akademischer Austausch Dienst DEFA Société étatique de production cinématographique de RDA, Deutsche Film- Aktiongesellschaft DFD Union démocratique des femmes de RDA, Demokratischer Frauenbund Deutschlands DHfK Ecole supérieure de culture corporelle (Leipzig), Deutsche Hochschule für Körperkultur ETUF Fédération égyptienne indépendante des syndicats, Egyptian Trade Union Federation FDGB Union allemande des syndicats, Freier deutscher Gewerkschaftsbund FDJ Jeunesse libre allemande, Freie Deutsche Jugend HADITU Mouvement de libération nationale démocratique (Egypte) IM Collaborateur non officiel, Informeller Mitarbeiter IMES GmbH Société commerciale à responsabilité limitée, spécialisée dans les ventes non-officielles d’armes ITA Entreprise de commerce extérieur, Ingenieur-technische Aussenhandel KoKo Coordination commerciale, Kommerzielle Koordinierung MAH Ministère du commerce extérieur, Ministerium für Aussenhandel MELN Mouvement égyptien de libération nationale MENA Agence d’information du Moyen-Orient, Middle East News Agency MfAA Ministère des affaires étrangères de RDA, Ministerium für Auswärtige Angelegenheiten MfNV Ministère de la Défense nationale de RDA, Ministerium für Nationale Verteidigung NVA Armée nationale populaire de RDA, Nationale Volksarmee

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OibE Collaborateur de la Stasi, Offiziere im besonderen Einsatz OLP Organisation de Libération de la Palestine PCE Parti communiste égyptien PCUS Parti communiste d’Union soviétique PND Parti national démocratique PRNPU Parti du rassemblement national progressiste unioniste RAE République arabe d’Egypte RAU République arabe unie RBI Radio Berlin International RDA République démocratique allemande, Deutsche Demokratische Republik (DDR) RFA République fédérale allemande, Bundesrepublik Deutschland (BRD) SAPMO-BArch Fondation des archives des organisations de parti et de masse en RDA, Stiftung Archiv der Parteien und Massenorganisationen SED Parti socialiste unifié d’Allemagne, Sozialistische Einheitspartei Deutschlands (SED) SYO Organisation de la jeunesse socialiste (Egypte), Socialist Youth Organization URSS Union des Républiques socialistes soviétiques USA Union Socialiste Arabe VAR République arabe unie, Vereinigte arabische Republik VEB Entreprise propriété du peuple, Volkseigene Betriebe ZK Comité central, Zentralkomitee

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Sources

Archives

Ministerium für Auswärtige Angelegenheiten der DDR (Berlin) - MfAA

1. L 187, C 603/7 : Abt. Arabische Staaten/ Ägypten. Vermerke über Gespräche mit Vertreter Ägyptens in der DDR, 1968-1970 2. L 187, C 1432/78 : Abt. Naher und Mittlerer Osten, Sektor Ägypten, Sudan, Libyen. Vermerke über Gespräche von DDR-Diplomaten mit Vertretern von Drittstaaten in Ägypten und anderen Ländern. 1975-1978. 3. L 187, C 1455/78 : Abt. Naher und Mittlerer Osten, Sektor Ägypten, Sudan, Libyen. Teilnahme einer ägyptischen Delegation am internationalen Frauenkongress in Berlin, 1975. 4. L 187, C 1775 : MB Willerding, Sekretariat. Aktenvermerke über Gespräche des Kandidaten des Politbüros u. Sekretärs des ZK der SED, Werner Lamberz, mit Funktionärer des ZK der ASU und Staatsfunktionären der VAR. März 1971. 5. L 187, C 6513 : Botschaft der DDR in Ägypten. Jahresberichte 1977 u. 1978 der Botschaft der DDR in Ägypten über die innenpolitische Entwicklung und aussenpolitische Haltung Ägyptens sowie die Beziehungen des Gastlandes zur DDR und zu Drittstesten. Dez. 1977, Jun. 1979. 6. L 187, C 861/77 : Abt. Naher u. Mittlerer Osten. Sektor Ägypten, Sudan, Libyen. Beziehungen Ägyptens zu sozialistischen Staaten. 1972-1975. 7. L 187, C 282/76 : Abt. Naher u. Mittlerer Osten. Sektor Ägypten, Sudan, Libyen. Vermerke über Gespräche zwischen DDR-Diplomaten und Repräsentanten und Vertretern staatlicher und gesellschaftlicher Institutionen Ägyptens zu innen- und aussenpolitischen sowie ökonomischen Fragen. Juli 1970, 1973-1974. 8. L 187/ 21- LG 4.4., C 283/76 : Abt. Naher u. Mittlerer Osten. Sektor Ägypten, Sudan, Libyen. Aussenpolitische, ökonomische, kulturelle bzw. Sportbeziehungen zwischen Ägypten und der Sowjetunion, Bulgarien, der CSSR, Jugoslawien, Rumänien und Ungarn. 1971-1974. 9. L 187, C 602/73 : Abt. Arabische Staaten/ Ägypten. Vermerke über Gespräche mit Vertretern Ägyptens in Ägypten. 1969-1970. 10. L 187, C 604/73 : Abt. Arabische Staaten/ Ägypten. Vermerke über Gespräche mit Vertretern von Drittstaaten über Fragen in Verbindung mit Ägypten. 1970. 11. L 187, C 605/73 : Abt. Arabische Staaten/ Ägypten. Vermerke über Gespräche mit Vertretern Ägyptens in Drittstaaten. 1970. 12. L 187, C 644/73 : Abt. Arabische Staaten/ Ägypten. Vermerke über Gespräche mit Vertretern Ägyptens in Drittstaaten. 1969. 13. L 187, C 1111/75 – 1117/75 : Abt. Naher u. Mittlerer Osten. Sektor Ägypten, Sudan, Libyen. Informationsberichte der Botschaft der DDR in Kairo über die Innen- und Aussen-, die Wirtschafts- und Aussenwirtschaftspolitik Ägyptens. 1969-1973. 14. L 187, C 1304/76- C 1305/76 : Abt. Naher u. Mittlerer Osten. Sektor Ägypten, Sudan, Libyen. Informationsberichte der Botschaft der DDR in der VAR zur Innen- und Aussenpolitik dr VAR und zu den Beziehungen der VAR bzw. Ägyptens zu anderen Staaten. Enthält u.a. : Haltung der VAR im Nahostkonflikt. 1969-1974. 15. L 187, 21 – L 159, C 1307/76 : Abt. Naher u. Mittlerer Osten. Sektor Ägypten, Sudan, Libyen. Beziehungen zwischen Ägypten und der UdSSR. 1972-1974.

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16. L 187, C 1317/76 : Abt. Naher u. Mittlerer Osten. Sektor Ägypten, Sudan, Libyen. Delegationsaustausch zwischen der DDR und der VAR bzw. Ägypten. Enthält u.a. : Bericht über den Besuch des Stellvertreters des Ministerpräsidenten der VAR, Dr. Mohamed Abdulkader Hatem, im Aug. 1966 in der DDR. Aufenthalt des Sonderbevollmächtigten der Partei- und Staatsführung der DDR, Gerhard Grüneberg, im Febr. 1974 in Ägypten. Delegationsaustausch auf Ministerebene. 1964- 1966, 1969-1970, 1974-1975. 17. L 187, C 1426/78 : Abt. Naher u. Mittlerer Osten. Sektor Ägypten, Sudan, Libyen. Jahresberichte der Botschaft der DDR in Ägypten. Enthält u.a. : Einschätzung des Kollektivs und der Leitungstätigkeit in der Botschaft. 1975-1977. 18. L 187, C 1428/76 : Abt. Naher u. Mittlerer Osten. Sektor Ägypten, Sudan, Libyen. Erfüllungsstand vertraglicher Vereinbarungen. 1975. 19. L 187, C 1429/78 : Abt. Naher u. Mittlerer Osten. Sektor Ägypten, Sudan, Libyen. Vermerke über Gespräche von DDR-Diplomaten mit Repräsentanten, Staatsfunktionären und anderen Politikern Ägyptens. Enthält u.a. : Antrittsbesuche des Botschafters der DDR in Ägypten, Becker, bei ägyptischen Repräsentanten, 1977. 1974-1977. 20. L 187, C 1430/78 : Abt. Naher u. Mittlerer Osten. Sektor Ägypten, Sudan, Libyen. Vermerke über Gespräche von Vertretern des Aussenministeriums der DDR mit ägyptischen Diplomaten. 1975- 1977. 21. L 187, C 1641/76 : Abt. Naher u. Mittlerer Osten. Sektor Ägypten, Sudan, Libyen. Ausarbeitungen der Abt. Über die Beziehungen zwischen der DDR und der VAR. 1969-1974. 22. L 187, C 6460 : Abt. Naher u. Mittlerer Osten. Sektor Ägypten, Sudan, Libyen. Informationen der Botschaft der DDR in Ägypten über Probleme der ägyptischen Nahostpolitik. 1978. 23. L 187, C 6462 : Abt. Naher u. Mittlerer Osten. Leiterbriefe von und an die Botschaft der DDR in Ägypten zu Fragen der Innen- ud Aussenpolitik Ägyptens sowie zur Orientierung der aussenpolitischen Tätigkeit der Botschaft. 1976-1979. 24. L 187, C 6493 : Abt. Naher u. Mittlerer Osten. Informationen zur Afrika-Politik Ägyptens. 1979. 25. L 187, C 6508 : Abt. Naher u. Mittlerer Osten. Jahresbericht der Botschaft der DDR in Ägypten über die Beziehungen zwischen der DDR und Ägypten sowie die Innen- u. Aussenpolitik des Gastlandes. Dez. 1979. 26. L 187, C 628/73 : Abt. Arabische Staaten/ Ägypten. Beziehungen der evangelischen Kirche der DDR zur coptischen Gemeinde in Ägypten. 1966-1969. 27. L 187/ C 763/75 : Ministerbüro Winzer. Aufenthalt des Ministers für Auswärtige Angelegenheiten der DDR, Otto Winzer, in der VAR vom 23.-30. Jan. 1969. Jan., Febr. 1969. Enthält u. a. : Gesprächs- und Verhandlungsvermerk. 28. L 187, C 1333/76- C 1334/76 : Abt. Naher u. Mittlerer Osten. Sektor Ägypten, Sudan, Libyen. Wirtschaftliche Entwicklung der VAR bzw. Ägyptens. Aussenwirtschafts- und –handelsbeziehungen der VAR (Ägyptens) zu anderen Staaten einsch. der DDR. 1967-1974. 29. L 187, C 1354/76 : Abt. Naher u. Mittlerer Osten. Sektor Ägypten, Sudan, Libyen. Verhandlungen, Abschluss und Erfüllung von Kulturarbeitsplänen zwischen der DDR und der VAR bzw. Ägypten. 1967-1969, 1971, 1973. 30. L 187, C 1876 : Abt. Kulturelle Auslandsbeziehungen. Kulturplanungsunterlagen zu den kulturellen Beziehungen zwischen der DDR und Ägypten. 1975-1977. 31. L 187, C 1902 : Abt. Kulturelle Auslandsbeziehungen. Vorbereitung und Abschluss des Kulturarbeitsplanes für 1979/80 zwischen der DDR und Ägypten. 1978-1979.

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32. L 187, C 6461 : Abt. Naher u. Mittlerer Osten. Ausarbeitungen (Vorstellungen, Konzeption, Jahresorientierung) zur weiteren Entwicklung der Beziehungen zwischen der DDR und Ägypten. 1978. 33. L 187, C 6464 : Abt. Naher u. Mittlerer Osten. Informationen über Gespräche von DDR- Diplomaten und Vertretern des Solidaritätskomitees der DDR mit ägyptischen Persönlichkeiten nach oder bei Besuchen im Gastland. Enthält u.a. : Information über ein Zusammentreffen des Stellvertreters des Aussenministers der DDR, Klaus Willerding, mit ägyptischen Politikern bei einem Transitaufenthalt im Juni 1978 in Ägypten. 1978. 34. L 187, C 6465 : Abt. Naher u. Mittlerer Osten. Schliessung des Konsulats der DDR in Alexandria und der Kultur- und Informationenzentren der DDR in Kairo u. Alexandria. Enthält auch : Vorschlag (aus dem Jahr 1974) zur Umwandlung des Konsulats der DDR in Alexandria in ein Generalkonsulat. 1974, 1977-1978. 35. L 187, C 6474 : Abt. Naher u. Mittlerer Osten. Beteiligung der DDR an der Internationalen Buchmesse in Kairo. 1977, 1979. 36. L 187, C 6488 : Abt. Naher u. Mittlerer Osten. Telegramme gesellschaftlicher Organisationen der DDR zu den israelischen Aggressionen gegenüber Ägypten. Enthält auch : Appell des ägyptischen Präsidenten Nasser an den amerikanischen Präsidenten Nixon zu den israelischen Aggressionen. 1970. 37. L 187, C 6489 : Abt. Naher u. Mittlerer Osten. Diskussion in der Botschaft der DDR in Ägypten über mögliche Auswirkungen und Folgeentwicklungen des Separatvertrages zwischen Ägypten u. Israel auf die regionale Lage im Nahen u. Mittleren Osten sowie die Innen- und Aussenpolitik Ägyptens. 1979. 38. L 187, C 6499 : Abt. Naher u. Mittlerer Osten. Aussenkulturbezeichungen zwischen der DDR u. Âgypten. Enthält u. a. : Vorbereitung des Kulturarbeitsplanes 1979/80. Enthält auch : Kulturpolitische Entwicklung Ägyptens 1978/79. – BRD-Aktivitäten im Kulturbereich Ägyptens 1979. 1979. 39. L 187, C 6500 : Abt. Naher u. Mittlerer Osten. Beziehungen zwischen der DDR und Ägypten auf dem Gebiet des Hochschulwesens. 1978-1979. 40. L 187, C 6505 : Abt. Naher u. Mittlerer Osten. Aufnahme und Beendigung der Tätigkeit von Botschaftern der DDR in Ägypten u. ägyptischen Botschaftern in der DDR. 1969, 1977. 41. L 187, C 6506 : Abt. Naher u. Mittlerer Osten. Austausch von Glückwünschen, Beileidschreiben und Danksagungen zwischen der DDR und Ägypten. 1977-1979. 42. L 187, C 287/76 : Abt. Naher u. Mittlerer Osten. Sektor Ägypten, Sudan, Libyen. Ägyptische Auszeichnungen für Bürger der DDR. 1973. 43. L 187, C 290/76 : Abt. Naher u. Mittlerer Osten. Sektor Ägypten, Sudan, Libyen. Noten der ägyptischen Botschaft an das MfAA der DDR zur israelischen Aggression sowie zu den Hilfssendungen der DDR für Ägypten. Okt., Nov. 1973. 44. L 187, C 640/73 : Abt. Arabische Staaten/ Ägypten. Einrichtung und Status des Konsultats der DDR in Alexandria. 1966-1970. 45. L 187, C 641/73 : Abt. Arabische Staaten/ Ägypten. Vermerke über Gespräche mit Vertretern Ägyptens in Ägypten. 1968-1970. 46. L 187, C 766/75 : Ministerbüro Winzer. Aktenvermerk über eine Unterredung des Ministers für Auswärtige Angelegenheiten der DDR, Otto Winzer, mit dem Stellvertreter des Ministerpräsidenten und Aussenminister der VAR, Riad, zur Lage im Nahen Osten während eines Zwischenaufenthalts in der VAR im Febr. 1971. März 1971. 47. L 187, C 767/75 : Ministerbüro Winzer. Konsultation zwischen dem Minister für Auswärtige Angelegenheiten der DDR, Otto Winzer, und dem Aussenminister Ägyptens, Dr. Mohamed Hassan Zayyat, zur Nahostproblematik. Okt., Nov. 1972.

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48. L 187, C 928/77 : Protokollabteilung. Akkreditierung und Abberufung des ägyptischen Botschafters, Saad Badawi al Fatatry, in der DDR. Juli 1969, Dez. 1971. 49. L 187, C 1120/75 : Abt. Naher u. Mittlerer Osten. Sektor Ägypten, Sudan, Libyen. Delegationsaustausch zwischen der DDR und Ägypten. 1970-1971. 50. L 187, C 1121/75 : Abt. Naher u. Mittlerer Osten. Sektor Ägypten, Sudan, Libyen. Vorlage für das Politbüro des ZK der SED sowie für das Präsidium des Ministerrates der DDR zur Auszeichnung des Botschafters Ägyptens in der DDR, Saad Badawi El Fatatry, mit dem Orden « Stern der Völkerfreundschaft ». Dez. 1971. 51. L 187, C 1346/76 : Abt. Naher u. Mittlerer Osten. Sektor Ägypten, Sudan, Libyen. Antrittsbesuche von Konsuln der DDR in der VAR/ Alexandria. Stellung des Konsuls der DDR in Konsularkorpe in Ägypten. 1971-1973. 52. L 187, C 1423/78 : Abt. Naher u. Mittlerer Osten. Sektor Ägypten, Sudan, Libyen. Auszeichnung von DDR-Bürgern mit dem Verdienstorden Ägyptens. 1974-1977. 53. L 187, C 1440/78 : Abt. Naher u. Mittlerer Osten. Sektor Ägypten, Sudan, Libyen. Delegationsaustausch der DDR mit Ägypten. 1974-1977. Enthält : Delegationsliste für den Besuch des Mitglieds des Politbüros des ZK der SED, Gerhard Grüneberg, 1974 in Ägypten.- Vorschlag zur Einladung des ägyptischen Ministers für Kultur und Information, Yousef El Sebai, in die DDR.- Aufenthalt des Präsidenten der Freundschaftsgesellschaft ARÄ – UdSSR, Abd al-Salam al-Zayat, in der DDR. 54. L 187, C 1449/78 : Abt. Naher u. Mittlerer Osten. Sektor Ägypten, Sudan, Libyen. Arbeitsplan zwischen der Regierung der DDR und der ägyptischen Regierung über die kulturelle und wissenschaftliche Zusammenarbeit in den Jahren 1975 und 1976 und Protokoll über die 3. Tagung des Kulturkomittezs DDR-Ägypten 1976. Juni 1975, März 1976. 55. L 187, C 1452/78 : Abt. Naher u. Mittlerer Osten. Sektor Ägypten, Sudan, Libyen. Glückwünsche, Danksagungen und Kondolenzen zwischen der DDR und Ägypten. 1974-1976. 56. L 187, C 1454/76 : Abt. Naher u. Mittlerer Osten. Sektor Ägypten, Sudan, Libyen. Konsultationen zwischen dem Stellvertreter des Aussenministers der DDR, Dr. Willerding, und dem Unterstaatssekretär im ägyptischen Aussenministerium, Mohamed Mustapha Shukri. 1974, 1975. 57. L 187, C 1507/76 : Abt. Kulturelle Auslandsbeziehungen. Vorbereitung und Auswertung der 7. Tagung der Gemeinsamen Kulturkomission DDR-ARÄ sowie Vorbereitung und Abschluss des Kulturarbeitsplanes DDR- ARÄ für die Jahre 1973/74. 1966, 1972-1973. 58. L 198, C 1866 : Abt. Kulturelle Auslandsbeziehungen. Beziehungen zwischen der DDR und der PLO auf den Gebieten der Kunst, Literatur, des Films und des Hoch- und Fachschulwesens. 1976- 1978. 59. L 198, C 4282 : Abt. UNO. Aktivitäten der DDR zum « Internationalen Tag der Solidarität mit dem paläsinensischen Volk », 1978-1979. 60. L 198, C 7666 : Abt. Naher u. Mittlerer Osten. Entwicklung des Palästina-Problem und Schlussfolgerungen für die Politik der DDR zu diesem Problem. Nach 1975. 61. L 198, C 76/67 : Abt. Naher u. Mittlerer Osten. Noten und Schreiben aussenpolitischen Charakters zwischen der DDR und der Palästinensischen Befreiungsbewegung zur Unterstützung der PLO durch die DDR. 1972, 1974, 1978-1979. 62. L 198, C 7677 : Abt. Naher u. Mittlerer Osten. Studie zu den Kommunalwahlen in « Westjordanien » vom Executivbüro für Angelegenheiten der besetzten Gebiete. Mai 1976. 63. L 198, C 7684 : Abt. Naher u. Mittlerer Osten. Grundsatz materialien zur historischen Entwicklung des Palästina-Problems. 1967, 1976.

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64. L 198, C 7686 : Abt. Naher u. Mittlerer Osten. Informationen über Inhalt und Ergebnisse von Tagungen des Palästinensischen Nation alrates sowie Zentralratstagungen der PLO. 1964, 1969-1971, 1973-1979. 65. L 198, C 7687 : Abt. Naher u. Mittlerer Osten. Austausch von Glückwünschen zwischen Repräsentanten der DDR und der Palästinensischen Befreiungsbewegung. Nov. 1970, Mai 1975, 1978-1979.

Stiftung Archiv der Parteien und Massenorganisationen der DDR im Bundesarchiv (Berlin) -- SAPMO-BArch

1. DY 30/ 261 : Büro Werner Felfe. Zusammenarbeit mit Regierunge und Parteien. Ägypten 1981, 1982, 1986-1988. 2. DY 30/ 432 : Büro Margarete Müller. Sitzungen des Politbüros und des Sekretariats des ZK. Beziehungen mit Ägypten. Bd. 5 : 1973. 3. DY 30/ 2418 : ZK der SED, Büro Erich Honecker. Internationale Beziehungen der SED zu Staaten und Parteien. Beziehungen mit Ägypten 1971-1973-1986-1989. 4. DY 30/ 5082 : Staatssekretariat für Körperkultur und Sport. Information über den gegenwärtigen Stand der Beziehungen DDR/ ARÄ auf dem Gebiet von Körperkultur und Sport sowie Entscheidunsvorschläge zur Reaktivierung der Beziehungen. 5. DY 30/ 8259 : Abteilung Wissenschaften. Internationale wissenschaftlich-technische Zusammenarbeit (Ägypten), 1981-85. 6. DY 30/ 8966 : Büro Werner Jarowinsky. Handels- und Versorgungspolitik der SED. Bd. 6 : 1984-1989. 7. DY 30/ 9350 : Politbüro. Internationale Beziehungen zu Staaten und Parteien. Bd. 1 : 1970- 1988. 8. DY 30/ 11 497 : Abteilung Internationale Verbindungen im ZK der SED. Abt. Int. Verb. 1946-90. Gestaltung der Beziehungen mit Ägypten ; politische situation in Ägypten, 1982. 9. DY 30/ 13 666 : Abteilung Internationale Verbindungen im ZK der SED. Ägypten. Arbeitsweise der Botschaft der DDR in Ägypten in Kairo ; 1977 ; 1981-89. Parteitage der ägyptische Kommunistischen Partei, 1980-85. Beziehungen der SED mit Parteien in Ägypten, 1981-1989. 10. DY 30/ 13 667 : Abteilung Internationale Verbindungen im ZK der SED. Ägypten. Bd. 1 : 1981-1986. 11. DY 30/ 13 668 : Abteilung Internationale Verbindungen im ZK der SED. Ägypten. Bd. 2 : 1987. 12. DY 30/ 13 669 : Abteilung Internationale Verbindungen im ZK der SED. Ägypten. Bd. 3 : 1988-1989. 13. DY 30/ 13 670 : Abteilung Internationale Verbindungen im ZK der SED. Ägypten. Arbeitsweise der Botschaft der DDR in Ägypten in Kairo ; 1977 ; 1981-89. Bd. 1 : 1981-1982. 14. DY 30/ 13 671 : Abteilung Internationale Verbindungen im ZK der SED. Ägypten. Arbeitsweise der Botschaft der DDR in Ägypten in Kairo ; 1977 ; 1981-89. Bd. 2 : 1983-89. 15. DY 30/ 13 911 : Abteilung Internationale Verbindungen im ZK der SED. Abt. Int. Verb. 1946-90. Beziehungen der KpdSU mit Ägypten. 1971-78 ; 1988. 16. DY 30/ 14 044 : Abteilung Internationale Verbindungen im ZK der SED. Ägypten. Arbeitsweise der Botschaft der DDR in Ägypten in Kairo ; 1977 ; 1981-89. 17. DY 30/ 14 089 : Abteilung Internationale Verbindungen im ZK der SED. Abt. Int. Verb. 1946-90. Parteiwahlversammlung in der SED-Grundorganisation der Botschaft der DDR-Ägypten in Kairo, 1980-1988.

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18. DY 30/ 14 096 : Abteilung Internationale Verbindungen im ZK der SED. Abt. Int. Verb. 1946-90. Informationen der SED-Grundorganisation der Botschaft der DDR in Ägypten in Kairo an die Abteilung Internationale Verbindungen, 1977, 1980-1989. 19. DY 30/ 17 841 : Abteilung Handel, Versorgung und Aussenhandel des ZK der SED (Afrikanische Ländern). Handelsabkommen DDR-Ägypten, 1971-1980. Bd. 4 : 1972-1976. 20. DY 30/ 17 842 : Abteilung Handel, Versorgung und Aussenhandel des ZK der SED (Afrikanische Ländern). Ministerium für Aussenhandel. Handelsabkommen DDR-Ägypten. Bd. 5 : 1977-1988. Berlin, 18 April 1977. Bericht über die Verhandlungen zum Abschluss von Vereinbarungen zur Durchführung von Gegenseitigkeitsgeschäften mit der ARÄ. Liste A : 1978. Exporte aus der ARÄ in die DDR. Liste B : 1978. Exporte aus der DDR in die ARÄ. 21. DY 30/ IV 2-2.039/ 24 : Büro Egon Krenz im ZK der SED. Sitzungen des Politbüros. Bd. 4 : 1985. 22. DY 30/ IV B 2-9.04/ 66 : Abteilung Wissenschaften. Bd. 11 : Ägypten von 1973, 1975. 23. DY 30/ IV B 2-9.06-137 : Abteilung Kultur im ZK der SED. Kulturelle Beziehungen und Projekte der DDR und SED. Afrika, 1973-1974. 24. DY 30/ IV B 2-20-79 : Abteilung Internationale Verbindungen im ZK der SED. Abt. Int. Verb. 1969-1981. Bd. 9 : 1972-1973, 1975 : Informationen über Beziehungen mit der ASU Ägypten, die Neugründung der ägyptischer kommunistischen Partei ; Beziehungen ASU mit der Sozialistischen Internationale (SI). 25. DY 30/ IV B 2-9.05-80 : Abteilung Volksbildung des ZK der SED. Int. Zusammenarbeit. Zusammenarbeit der DDR mit Entwicklungsländern (Ägypten), 1972-75 ; 1978-80. 26. DY 30/ IV B 2-20 344 : Abteilung Internationale Verbindungen im ZK der SED. ASU : Informationen über die Politik der ASU, 1972-75. Bd. 1 : 72-73. 27. DY 30/ IV B 2-20 345 : Abteilung Internationale Verbindungen im ZK der SED. ASU : Informationen über die Politik der ASU, 1972-75. Bd. 2 : 1973-75. 28. DY 30/ IV B 2-20 346 : Abteilung Internationale Verbindungen im ZK der SED. ASU : Informationen über die Politik der ASU, 1972-75. National-progressive Partei Ägypten. 1975-1980. 29. DY 30/ IV B 2-20 430 : Abteilung Internationale Verbindungen im ZK der SED. Aussenpolitik der DDR und Beziehungen mit Staaten. Bd. 1 : 1972-1973. 30. DY 30/ IV B 2-20 431 : Abteilung Internationale Verbindungen im ZK der SED. Aussenpolitik der DDR und Beziehungen mit Staaten. Bd. 2 : 1972. 31. DY 30/ J IV 2-2J-4953 : Informationsberichte über die Situation im Nahen Osten (1973). Informationsbericht Nr. 11 zur Lage im Nahen Osten. Stand : 16.10.1973, 05.00 Uhr. 32. DY 30/ J IV 2-2J-4965 : Informationsberichte über die Situation im Nahen Osten (1973). Unterstützungsmassnahmen für die Syrische Arabische Republik. 33. DY 30/ J IV 2-2J-7094 : Politbüro. Situation in Ägypten, jan. 1976. 34. DY 30/ J IV 2-2J-8139 : Politbüro. Gründung der National-Demokratische Partei in Ägypten, 11 Okt. 1978. 35. DY 34/ 10 542 : FDGB. Studenten und Praktikanten. Ägypten, 1967-1975. 36. DY 34/ 10 526 : FDGB. Abteilungen. Ägypten. Berichte 1969-1975. 37. DY 34/ 14 036 : FDGB. Präsidium. Delegationen in Ägypten, Sept.-Dez. 1988. 38. DY 34/ 14 119 : FDGB. Sekretariats- und Präsidiumsvorlagen. Bd. 5 : Delegationen aus Ägypten, Sept.-Dez. 1989. 39. DY 34/ 14 193 : FDGB. Vereinbarungen. Ägypten, 1980-1989.

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40. DY 24/ 8486 : Freie Deutsche Jugend. Sitzungen des Sekretariats des Zentralrates. Nach dem IX. Parlament Juni 1971-Mai 1976. 31/08/1972. 41. DY 45/ 1408 : Gewerkschaft der Mitarbeiter der Staatsorgane und der Kommunalwirtschaft. IVG Öffentliche Dienste. Ägypten, 1976-1987. 42. DY 78/ 2959 : Verlag Tribüne. Redaktion « Rundschau des FDGB ». Bd. 1 : Ägypten, 1956- 1970. 43. DY 13/ 2349 : Liga für Völkerfreundschaft. Büro des Generalsekretärs. Ägypten, 1975. 44. DY 13/ 2723 : Liga für Völkerfreundschaft. Büro des Generalsekretärs. Ägypten, April-Mai 1976. 45. DR 1/ 18 887 : Ministerium für Kultur. 46. DR 2/ 13 989 : Ministerium für Volksbildung. Sekretariat. Informationen zum Bildungswesen in Ägypten. 1982-1988. 47. DO 1/ 14 333 : Ministerium des Innern. Bd. 3 : 1967-84 (Registrierung deutscher Staatsangehörige und Staatsangehöriger der DDR im Ausland). 48. DO 1/ 14 857 : Ministerium des Innern. Abt. Bevölkerungspolitik. Bd. 34, Eheschliessungen. 49. DO 4/ 1036 : Staatssekretär für Kirchenfragen. Bd. 9 : Kirchenpolitische Kontakte der DDR zu Ägypten und Jordanien, 1983-85. 50. DO 4/ 3484 : Staatssekretär für Kirchenfragen. Bd. 2 : 1977-88. 51. DO 4/ 4307 : Staatssekretär für Kirchenfragen. Bd. 22 : 1983-84. 52. DC 900/ 889 : Allgemeiner Deutscher Nachrichtendienst (ADN). Internationale Beziehungen (HG 4) ; Ländern A-Z. Ägypten. Vereinbarungen ADN-MENA, 1959 ; 1968 ; 1975. 53. DC 4/ 1216 : Amt für Jugendfragen. Internationale Zusammenarbeit. Afrikanische, arabische, asiatische und amerikanische Staaten. Zusammenarbeit mit Ägypten (VAR), 1966-1973. Aug. 1970. 54. DC 4/ 1602 : Amt für Jugendfragen. Internationale Zusammenarbeit. Afrikanische, arabische, asiatische und amerikanische Staaten. Zusammenarbeit mit Ägypten (VAR), 1966-1973.Bd. 3 : Jan. - April 1970. 55. DC 4/ 1992 : Amt für Jugendfragen. Internationale Zusammenarbeit. Afrikanische, arabische, asiatische und amerikanische Staaten. Zusammenarbeit mit Ägypten (VAR), 1966-1973. Bd. 4 : 1970- 72. 56. DC 20/ 4315 : Ministerrat der DDR. Länderakten Ägypten. 1973-1989. Bd. 3 : 1983-85. 57. DC 20/ 5048 : Ministerrat der DDR. Länderakten Ägypten. 1973-1989. Bd. 4 : 1985-89 ; politischer Dialog und Vertiefung der Zusammenarbeit. 58. DC 20/ 5076 : Ministerrat der DDR. Regierungen bis November 1989 ; Teil 1 : Ministerpräsident/ Vorsitzende des Ministerrats. Maschinenbau. Bd. 2 : 1983. 59. DC 20/ 13 068 : Ministerrat der DDR. Länderakten Ägypten. 1973-1989. Spezieller Aussenhandel mit der VAR und Ägypten ; 1967-1971. 60. DC 20/ 16 890 : Ministerrat der DDR. Länderakten Ägypten. 1973-1989. Bd. 2 : 1975. 61. DC 20/ 16 891 : Ministerrat der DDR. Länderakten Ägypten. 1973-1989. Bd. 1 : 1973. 62. DF 4/ 10 150 : Ministerium für Wissenschaft und Technik. Bd. 7 : Reise des Rektors der Hochschule für Verkehrswesen Dresden nach Ägypten, Februar 1972. 63. DL 2 MF/ 1821 : Lieferungen und Montage der Unterstationen in Selwa, 1987. 64. DL 2 MF/ 1847 : 200 km Freileitung Ägypten, 13/12/1981. 65. DL 2 MF/ 1849 : Rinderfarm, 1977.

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66. DL 2 MF/ 1855 : Vertrag, AHB Fortschritt Landmaschinenbau, Festlegungsprotokoll Milchviehanlage Mansoura, 27/09/1984. 67. DQ 400/ 985 : Zentralinstitut für Berufsbildung. Sekretariat des Direktors. Internationale Zusammenarbeit auf dem Gebiet der Berufsbildung, 1982-89.

Behörde der Bundesbeauftragten für die Unterlagen des Staatssicherheitsdienstes der ehemaligen DDR (Berlin) - BStU

1. MfS, Abt. X, Nr. 111 : Zusammenarbeit mit den Sicherheitsdiensten der Mongolei, Ägypten und Kongos, 1969-1986. Enthält u.a. : materiell-technische Unterstützung. Qualifizierung von Personal durch das MfS. Berichte über den gegenseitigen Besuch von Delegationen. 2. MfS, Abt. X., Nr. 204 : Zusammenarbeit mit den Sicherheitsdiensten sozialistischer Staaten bei der Beobachtung und Kontrolle palästinensischer Terroristen (Abu Nidal, Abu Daud), 1978-1989. Enthält u.a. : Attentat auf Abu Daud in Warschau (Polen), August 1981, und dessen medizinische Versorgung in Polen und der DDR. 3. MfS, Abt. X, Nr. 206-208 : Zusammenarbeit mit den Sicherheitsdiensten sozialistischer Staaten bei der Beobachtung und Kontrolle palästinensischer und westeuropäischer Terrororganisationen, 1979-1987. Enthält u.a. : innerpalästinensische Auseinandersetzungen. Analysen und Mitgliederverzeichnisse der Organisationen ; Informationen zu den Organisationen « Schwarzer September », « Mudshaheddin ». 4. MfS, Abt. X, Nr. 264 : Informationsaustausch mit dem ungarischen Sicherheitsdienst. 1989. Enthält u. a.: Gebietsanspüche der Palästinensischen Befreiungsorganisation (PLO).- Chinesische Innenund Außenpolitik.- Verhältnis zwischen Kuwait und dem Irak.- Tätigkeit der CIA nach dem Amtsantritt von George Bush.- Problem der Exportzulassung in den USA.- Lage der Kirchen in Osteuropa. 1989. 5. MfS, Abt. X, Nr. 266 : Zusammenarbeit mit den Sicherheitsdiensten sozialistischer Staaten bei der Bekämpfung von Spionage und Terrorismus, 1971-1985. Enthält u.a. : Palästinensergruppen (« Carlos-Gruppe ») ; Vorbereitung und Durchführung von Agentenaustauschen. 6. MfS, Abt. X, Nr. 268 : Zusammenarbeitmit den Sicherheitsdiensten sozialistischer Staaten bei der Beobachtung und Kontrolle palästinensischen Terrorgruppe « Organisation Internationaler Revolutionäre » (« Carlos-Gruppe »). 1979-1984. 7. MfS, Abt. X, Nr. 483 : Zusammenarbeit mit den Sicherheitsdiensten sozialistischer Staaten bei der Überprüfung von Bürgern arabischer Staaten, 1973-1978. 8. MfS, Abt. X, Nr. 561 : Informationsaustausch mit dem bulgarischen Sicherheitsdienst, 1988. Enthält u. a.: Tätigkeit der NATO.- NATOInfrastrukturprogramm 1985-1990.- Entwicklungmilitärischer Technik.- Grundfragen der Ost-WestBeziehungen.- Reform des Wirtschaftssystems in China.- Ägyptisch-amerikanische Beziehungen auf militärischem Gebiet. 1988. 9. MfS, Abt. X, Nr. 849 : Abschluss von Abkommen der DDR mit Ägypten, Benin, Burkina Faso, Frankreich, Ghana, Guyana, Italien, dem Jemen, Kongo, Kuwait, Madagaskar, Mali, Malta, Österreich, Syrien, Uganda und Vietnam zum visafreien Reiseverkehr. 1979-1988. 10. MfS, Abt. X, Nr. 860 : Abschluss von Abkommen der DDR mit Brasilien, Äthiopien, Libyen, Ägypten und Algerien im Bereich der Handelsschifffahrt und des Seeverkehrs. 1971-1980. 11. MfS, Abt. X, Nr. 1599 : Zusammenarbeit der Zentralen Auswertungsund Informationsgruppe mit den Sicherheitsdiensten sozialistischer Staaten bei der Beauskunftung zu Personenüberprüfungsersuchen und thematischen Recherchen über das System der gemeinsamen Erfassung von Informationen über den Gegner (SOUD), Personennamen N. Enthält u.a. : Überprüfung wegen Verbindungen zur Terrororganisation « Carlos-Gruppe ». 1981-1989. 12. MfS, AG-BKK, Nr. 63 13. MfS, AG-BKK, Nr. 79 588

14. MfS, AG-BKK, Nr. 167, Bd. 1 15. MfS, HA I, Nr. 10337 16. MfS, HA I, Nr. 13676 17. MfS, HA II, Nr. 28103 18. MfS, HA XVIII, Nr.6855 19. MfS, HA XVIII, Nr. 7444 20. MfS, HA XVIII, Nr. 7604 21. MfS, HA XVIII, Nr. 7553 22. MfS, HA XVIII, Nr. 8673 23. MfS, HA XVIII, Nr. 21214 24. MfS, HA XVIII, Nr. 21529 25. MfS, HA XIX, Nr. 4639 26. MfS, HA XX, Nr. 3893 27. MfS, HA XX, Nr. 18163 28. MfS, OTS, Nr. 1534 29. MfS, SdM, Nr. 2495 30. MfS, Sekr. Neiber, Nr. 630 : Sicherung der Volkswirtschaft der DDR. Enthält u. a.: Befehl Nr.2/82 vom 24.02.1982 zur Sicherung der Errichtung einer Eisenbahnfährverbindung DDR (Mukran) - UdSSR (Klaipeda).-Befehl Nr. 12/82 vom 26.05.1982 zur Sicherung der Maßnahmen und Aufgaben zur Elektrifizierung der Deutschen Reichsbahn.- Dienstanweisung Nr. 1/82 vom 30.03.1982 über die Sicherung der Volkswirtschaft der DDR. 1979, 1981-1982. 31. MfS, Sekretariat des Ministers, Nr. 1172 32. MfS, ZAIG, Nr. 5974 33. MfS, ZAIG, Nr. 6127 34. MfS, ZAIG, Nr. 6204 35. MfS, ZAIG, Nr. 8258 36. MfS, ZAIG, Nr. 8309 37. MfS, ZAIG, Nr. 10423 38. MfS, ZAIG, Nr. 15727 39. MfS, ZAIG, Nr. 16220 40. MfS, ZAIG, Nr. 30463 41. MfS, Hauptverwaltung Aufklärung, Nr. 65 42. MfS, Hauptverwaltung Aufklärung, Nr. 76 43. MfS, Hauptverwaltung Aufklärung, Nr. 91 44. MfS, Hauptverwaltung Aufklärung, Nr. 92 45. MfS, Hauptverwaltung Aufklärung, Nr. 93 46. MfS, Hauptverwaltung Aufklärung, Nr. 105 47. MfS, Hauptverwaltung Aufklärung, Nr. 109 48. MfS, Hauptverwaltung Aufklärung, Nr. 162

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49. MfS, Hauptverwaltung Aufklärung, Nr. 173 50. MfS, Hauptverwaltung Aufklärung, Nr. 174 51. MfS, Hauptverwaltung Aufklärung, Nr. 182 52. MfS, HA XX, AKG, Nr. 6655 53. MfS, HA XX, AKG, Nr. 6680 54. MfS, ZOS, Nr. 2594 55. MfS, AGM, Nr. 1875 56. MfS, ZAGG, Nr. 524

Bundesarchiv Militärarchiv (Freiburg)

1. AZN 8477 : Zusammenarbeit der NVA/DDR mit den Streitkräften Ägyptens 1975-1989. 2. AZN 30 277 : MfNV, Sekretariat des Stellvertreters des Ministers und Chefs des Hauptstabes. Analyse der Kampfhandlungen im Nahen Osten (Oktober 1973). Informationen über Kampfhandlungen im Nahen Osten 1973 und in DRV 1965-1967. 21/7/1967 – 14.5.1974. 3. AZN 31 484 : MfNV, Abteilung Grundsatzfragen. Unterstützungsmassnahmen für die Länder durch das MfNV. 7/4/1981 bis 27/4/1983. Zusammenarbeit mit der PLO, 1981-86. 4. MfNV, AZN 31 487 : Ministerrat der DDR, MfNV, Stellvertreter des Ministers und Chef des Hauptstabes. Internationale Zusammenarbeit Unterstützung. 7.4.1980 bis 18.10. 1989. Zusammenarbeit der NVA der DDR mit Ägypten, 1980-1989. 5. DVW 1/ 25 755: Sonderberichte Nr. 1/74 -44/74, Nr. 5a/74. Erste Werkungen der NATO zum 4. Nahostkrieg, 1974. 6. DVW 1/ 27 750: Lesematerial. Nur zur persönlichen Information. MfNV, 1967. Lesematerial zum Thema: die israelische Agression gegn die arabische Staaten. Schlussfolgerungen für die Landesverteidigung der DDR. 7. DVW 1/ 42 568: MfNV, Stellv. Des Chefs des Hauptsabes für operative Fragen. Monatsaufklärung zur militärpolitischen und militärischen Lage in den aussereuropaïschen Räumen, juni 1988. 8. DVW 1/ 42 613: Monatsinformationen zur Sicherheits- und militärpolitischen Entwicklung und Aktivitäten der KSZE-Staaten, Mai 1990. 9. DVW 1/ 94 173: MfNV, Verwaltung Aufklärung. Operationsführung und Gefechteinsatz der Streitkräfte im irakisch- iranischen Konflikt, 1980. 10. DVW 1/ 94 704: Finanzökonomische Unterlagen der Militärattachés in Ägypten, 1988-1989. 11. DVW 1/ 101 363: Meldungen von Militärattachés. Bestand: ergänzung zur amerikanisch- ägyptischen Übung „Bright Star 89“. 12. DVW 1/ 115 673: Meldungen von Militärattachés. Militärdelegation der DDR nach Syrien, Ägypten, Irak (okt. 1971), nach Algerien (juni 1972), nach Syrien (mai 1983; mai 1987). Palestinensischen Befreiungsorganisation (PLO) in der DDR, nov. 1987. 13. DVW 3-3/ 125 754: UA 1, Bearbeiter f. mat.-techn. Planung. Haushalts-, Bedarfs- und Zuführungspläne. 1979-1990. 14. DVW 3-3/ 126 579: Aufenthalte in verschiedenen Ländern- Berichte und Direktiven, 1976- 1990. 15. VA- 01/ 42 421: Organisations- und Protokollangelegenheiten über den Austausch von Militärdelegationen mit Ägypten, 1971-72.

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16. VA- 01/ 42 373: Pläne zur Durchführung zentraler Massnahmen für die in der DDR akkreditierten Militärattachés und ihren Gehilfen, 1980-1990. 17. VA-01/ 42383 : MfNV, Stellv. Des Ministers und Chef des Hauptsabes. Verwaltung Internationale Verbindungen. Zusammenarbeit mit dem Militärattaché Ägyptens. 1981-1990.

International Institute of Social History (Amsterdam) – IISH

Communist Party of Egypt Collection 1975, 1981-1987, 1996 1. N° 1: Congresses and meetings of the Central Committee: Programme of the CPE adopted during its first congress in Septembre 1981, with documents of the congress. 1981. In Arabic. 2. N° 2: Minutes of the meeting of the Central Committee of the CPE held between 12 and 14 November 1984. In Arabic. 3. N° 27: Foundation and programme. Pamphlet announcing the foundation of the CPE. 1 May 1975. A cover. In Arabic. 4. N° 29: PCE. Particular. Foundation and programme. Internal affairs. Letter addressed to comrades in Dinshwai. May 1982. In Arabic. 5. N° 33 : PCE. Internal affairs. Pamphlet on the unification of the Communist movement in Egypt. 28 February 1988. In Arabic.

Hizb al-Tagammu Cairo Collection- foundation and party programme 6. N° 9 : French publication of Tagammu, December 1978.

Michel Kamel Papers, 2nd general conference of the CPE 7. N° 58: Congratulations Telegram from CPSU, 2nd general conference, 1985. In Arabic. 8. N° 60: Paper presented to the conference concerning the tactics of the front, 1985. In Arabic. 9. N° 64 : Circular concerning the report of the second general conference, 1985. In Arabic. 10. N° 118: Reports of the foreign section in the Soviet Union, 1984-1985. In Arabic. 11. N° 127: Report to the foreign section on Egyptian students in Eastern Europe, 1986. In Arabic. 12. N° 129: Foreign Sections. Internal letter on the meeting of the leading Committee, foreign sections, 1986. In Arabic.

Michel Kamel Papers, Human Rights 13. N° 217: Press release on a wide range of political arrests in Egypt after the uprising of 1977, in French and English, 1977. 14. N° 218: Reports on the trials of political detainees of the uprising of 1977, in French. 15. N° 219: News reports on human rights in Egypt, in French, 1977. 16. N° 220: Report on the human rights situation in Egypt by Arab Progressives Organizations in France, 1978. 17. N° 223: Press release issued by the Centre for human rights studies in Egypt, in French, 1981. 18. N° 224: Correspondence and reports on human rights in Egypt by the International Association of Democratic Lawyers. In French. 1981. 19. N° 225: Report on torture in Egypt by the Egyptian Communist Party, in French, 1985.

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20. N° 229: Memorandums on the trial of Ahmed Nagib al-Hilali and his comrades, 1985. In French and Arabic. 21. N° 233: Declaration by the Egyptian Committee against Repression, in French, No date.

Michel Kamel Papers, Interviews and articles by Michel Kamel 22. N° 327: Press clippings of articles and interviews with Michel Kamel, in German, Russian and Greek, no date.

Michel Kamel Papers, Personal letters and papers 23. N° 2: Letter to George Habash, 1985

Michel Kamel Papers, Studies by the ECP 24. N° 254: The quest for change in Egypt, article, in French, no date.

Sources imprimées

Fonds de l’Institut Historique Allemand (Paris)

1. Dokumente zur Aussenpolitik der DDR, 1985, Band XXXIII, 1. Halbband, Staatsverlag der Deutschen Demokratischen Republik, Herausgegeben vom Institut für Int. Bzg an der Akademie für Staats- und Rechtswissenschaft der DDR, Potsdam-Babelsberg, Berlin, 1985

Fonds de la Bibliothèque de Documentation Internationale Contemporaine (Nanterre) - BDIC

2. S 71902 : Discours et interviews du président Anouar el Sadate, Avril-décembre 1971. Le Caire, RAE, Ministère de la Culture et de l’Information, Service de l’Etat pour l’information. 3. S 72251 : Discours du président Anouar el-Sadate, Juillet-décembre 1972. Le Caire, République arabe d’Egypte, Ministère de l’Information, Service de l’Etat pour l’Information. 4. S 18031/4 : Ministère de l’Information, Service de l’Etat pour l’Information. Allocution du Président Anouar el Sadate à l’Assemblée du Peuple en hommage aux héros d’Octobre. Dialogue entre le Président et le commandant de la 3ème Armée au cours de la séance de l’Assemblée. 5. S 17.089 : La visite du président Giscard d’Estaing en Egypte du 10 au 15 décembre 1975. Les discours échangés entre le président Anouar el Sadate et le président Giscard d’Estaing. Ministère de l’Information, Service de l’Etat pour l’Information, N° 249/447, Décembre 1975. 6. S 18031/5 : Ministère de l’Information, Service de l’Etat pour l’Information, RAE. Discours du Président Mohamed Anouar el Sadate à l’Assemblée du Peuple. Le Caire, le 14 Mars 1976. 7. F delta res 0894 (1946-1988) : Néonazisme en Allemagne et dans le monde. Collection rassemblée par Jacques Delarue. F delta res 0894/2 : « Egypte (Le néonazisme en Egypte) »

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Presse

Les numéros des journaux apparaissant ici sont ceux qui, parmi les exemplaires que nous avons consultés, abordent, de près ou de loin, la question des relations entre la RDA et l’Egypte. Une telle liste n’a aucunement, cependant, la prétention d’être exhaustive.

Le Progrès égyptien

5 janvier 1970 6 janvier 1970 7 janvier 1970 8 janvier 1970 9 janvier 1970 10 janvier 1970 12 janvier 1970 14 janvier 1970 15 janvier 1970 16 janvier 1970 20 janvier 1970 22 janvier 1970 30 janvier 1970 19 janvier 1971 1er mai 1971 4 mai 1971 15 mai 1971 18 mai 1971 20 mai 1971 24 mai 1971 25 mai 1971 26 mai 1971 28 mai 1971 1er juillet 1972 3 juillet 1972 5 juillet 1972 6 juillet 1972 7 juillet 1972 12 juillet 1972 13 juillet 1972 14 juillet 1972 19 juillet 1972 21 juillet 1972 25 juillet 1972 7 octobre 1973 8 octobre 1973 9 octobre 1973 10 octobre 1973 11 octobre 1973 12 octobre 1973 13 octobre 1973 14 octobre 1973 593

15 octobre 1973 16 octobre 1973 2 mars 1976 5 mars 1976 9 mars 1976 11 mars 1976 15 mars 1976 16 mars 1976 19 mars 1976 20 mars 1976 29 mars 1976 31 mars 1976 4 janvier 1977 6 janvier 1977 7 janvier 1977 19 janvier 1977 20 janvier 1977 21 janvier 1977 22 janvier 1977 25 janvier 1977 28 janvier 1977 29 janvier 1977 1er juillet 1977 2 juillet 1977 4 juillet 1977 5 juillet 1977 6 juillet 1977 7 juillet 1977 8 juillet 1977 9 juillet 1977 18 juillet 1977 19 juillet 1977 21 juillet 1977 26 juillet 1977 29 juillet 1977 30 juillet 1977 1er août 1977 1er décembre 1977 2 décembre 1977 5 décembre 1977 6 décembre 1977 8 décembre 1977 9 décembre 1977 7 octobre 1981 9 octobre 1981 12 octobre 1981 13 octobre 1981 14 octobre 1981 20 octobre 1981 15 juillet 1982

594

16 juillet 1982 19 juillet 1982 20 juillet 1982 26 juillet 1982 27 janvier 1983 28 janvier 1983 29 janvier 1983 7 février 1983 4 mars 1983 9 mars 1983 30 avril 1983 12 septembre 1984 3 janvier 1987

Neues Deutschland

10 juillet 1969 11 juillet 1969 12 juillet 1969 13 juillet 1969 14 juillet 1969 15 juillet 1969 16 juillet 1969 7 août 1969 11 août 1969 4 avril 1970 5 avril 1970 7 avril 1970 10 avril 1970 11 avril 1970 12 avril 1970 16 avril 1970 19 avril 1970 24 mai 1971 26 mai 1971 27 mai 1971 28 mai 1971 29 mai 1971 11 juillet 1972 14 juillet 1972 15 juillet 1972 16 juillet 1972 17 juillet 1972 20 juillet 1972 21 juillet 1972 22 juillet 1972 23 juillet 1972 5 juillet 1977 12 juillet 1977 14 juillet 1977

595

16-17 juillet 1977 21 juillet 1977 22 juillet 1977 23-24 juillet 1977 26 juillet 1977 27 juillet 1977 6 mars 1979 7 mars 1979 8 mars 1979 9 mars 1979 12 mars 1979 13 mars 1979 14 mars 1979 15 mars 1979 16 mars 1979 17-18 mars 1979 6 octobre 1981 13 octobre 1981 15 octobre 1981 1er septembre 1982 2 septembre 1982 4-5 septembre 1982 6 septembre 1982 7 septembre 1982 2-3 avril 1983 4 avril 1983 5 avril 1983 6 avril 1983 7 avril 1983

Der Spiegel

25 novembre 1968 14 juillet 1969 12 janvier 1970 9 février 1970 24 août 1970 5 octobre 1970 22 octobre 1970 14 juin 1971 25 octobre 1971 22 octobre 1973 29 mars 1976 28 février 1977 11 juillet 1977 17 avril 1978 24 avril 1978 12 mars 1979 3 mars 1980 19 mai 1980

596

11 mai 1981 8 mars 1982 31 octobre 1983 3 février 1986 21 novembre 1988 Al-Ahram

10 novembre 1989 11 novembre 1989

Al-Goumhouria 10 juillet 1969 13 juillet 1969 9 juin 1972 10 juillet 1972 22 mars 1973 28 mars 1973

Rose al-Youssef 29 septembre 1969

Sources primaires

LENINE, Vladimir I., L’impérialisme, stade suprême du capitalisme, Paris, Éditions sociales, 1975. MARX, Karl, ENGELS, Friedrich, Manifeste du parti communiste, Paris, Flammarion, 1998.

Mémoires3095

ABOU DAOUD, avec la collab. de Gilles de Jonchay, Palestine, de Jérusalem à Munich, Paris, A. Carrière, 1999. BOUTROS-GHALI, Boutros, Entre le Nil et Jérusalem. Chroniques d’un diplomate égyptien, Monaco, Editions du Rocher, 2011. DAYAN, Moshe, Paix dans le désert. Compte-rendu personnel des négociations de paix égypto-israéliennes, Paris, Fayard, 1981. EL-SADATE, Anouar, A la recherche d’une identité. Histoire de ma vie, Paris, Fayard, 1978. FAHMY, Ismaïl, Negotiating for Peace in the Middle East, Londres, Croom Helm, 1983. GROMYKO, Andreï, Mémoires, Paris, Pierre Belfond, 1989. GRUNERT, Horst, Für Honecker auf glattem Parkett. Errinerungen eines DDR-Diplomaten, Berlin, Editions Ost, 1995. HONECKER, Erich, Aus meinem Leben, Berlin, Dietz Verlag, 1981. KISSINGER, Henry, White House Years, Little, Brown and Company, 1979.

3095 Nous avons choisi de faire apparaître les Mémoires dans la bibliographie des sources, aux côtés des archives, la plupart des auteurs étant en effet des acteurs clés de notre thèse.

597

LOTZ, Wolfgang, L’Espion au champagne. Le maître des agents du Renseignement d’Israël raconte son histoire, Paris, Robert Laffont, 1973. MOHI EL DIN, Khaled, Memories of a Revolution. Egypt, 1952, le Caire, The American University in Cairo Press, 1995. WOLF, Markus, L’œil de Berlin. Entretiens de Maurice Najman avec le patron des services secrets est-allemands, Paris, Balland, 1992.

Ouvrages et articles est-allemands3096

Aussenpolitik der DDR – für Sozialismus und Frieden, Berlin (-Est), Hrsg. Institut für Internationale Beziehungen an der Akademie für Staats- und Rechtswissenschaft der DDR, Autorenkollektiv, 1974. « Pour la paix, le socialisme et la solidarité. Action de M. Erich Honecker en politique extérieure », in : Verlag Zeit im Bild, RDA, 1987. BATOR, Wolfgang und Angelika (dir.), Die DDR une die arabischen Staaten. Dokumente 1956-1982, Berlin (Est-), Staatsverl. der deutschen demokratischen Republik, 1984. MATERN, Hermann, « Die Gemeinsamkeiten der SED und der ASU im Kampf um Frieden, Demokratie und gesellschaftlichen Fortschritt », in : Einheit, Berlin, Dietz Verlag, 1968, 23, 2, p. 205-215. RADDE, Jürgen, Die aussenpolitische Führungselite der DDR. Veränderungen der sozialen Struktur aussenpolitischer Führungsgruppen, Cologne, Bibliothek Wissenschaft und Politik, 1976, vol. 13. ROBBE, Martin (dir.), « Die DDR in Nah- und Mittelost. Eine Begegnung und ihre Spuren. Eine Rundtischgespräch mit Diplomaten », April 1993, in : Asien, Afrika, Lateinamerika, 1994, 21, p. 551-601. WILLERDING, Klaus, « Die Aussenpolitik der DDR und die Länder Asiens, Afrikas und Lateinamerikas », in Asien, Afrika, Lateinamerika, Zentraler Rat für Asien,-, Afrika- und Lateinamerikawissenschaft, Berlin Akademie-Verlag, 1979, n° 4.

3096 Nous avons choisi de faire apparaître ces ouvrages, contemporains des archives étudiées, dans la bibliographie des sources, car leurs auteurs occupent tous des fonctions diplomatiques au sein de la RDA.

598

Bibliographie

Nous n’avons indiqué ici que les ouvrages qui ont été directement utiles et qui figurent dans les notes infrapaginales. Nous avons pris le parti de ne pas mentionner la collection.

Ouvrages généraux

Relations internationales, politique étrangère

CHARILLON, Frédéric (dir.), Politique étrangère. Nouveaux regards, Paris, Presses de Sciences Po, 2002. DIAMOND, Louise, MAC DONALD, John, Multi Track Diplomacy. A System Approach to Peace, West Hartford (Conn.), Kumarian Press, 1996. DULPHY, Anne, ROBERT, Frank, MATARD-BONUCCI, Marie-Anne, ORY, Pascal (dir.), Les relations culturelles internationales au XXe siècle : de la diplomatie culturelle à l’acculturation, Bruxelles, P.I.E., Peter Lang, 2010. DUROSELLE, Jean-Baptiste, KASPI, André, Histoire des relations internationales, tome 2 : de 1945 à nos jours, Paris, Armand Colin, 12ème édition mise à jour, 2001. FRANK, Robert (dir.), Pour l’histoire des relations internationales, Paris, PUF, 2012. GIRAULT, René, FRANK, Robert, THOBIE, Jacques, Histoire des relations internationales contemporaines, Tome 3, La loi de géants, 1941-1964, Paris, Petite Bibliothèque Payot, 2005. HUNTINGTON, S.P., The Clash of Civilizations and the Remaking of the World Order, New York, Simon and Schuster, 1996. HUNTZINGER, Jacques, Introduction aux relations internationales, Paris, Editions du Seuil, 1987. LAURENS, Henry, L’empire et ses ennemis. La question impériale dans l’histoire, Paris, Editions du Seuil, 2009. LEGUM, Colin (dir.), Africa Contemporary Record. Annual Survey and Documents, 1975/1976, vol. 8, Londres, Rex Collings, 1976. MARCHESIN, Philippe, Introduction aux relations internationales, Paris, Karthala, 2008. MERLE, Marcel, La politique étrangère, Paris, PUF, 1984. MOREAU DESFARGES, Philippe, Relations internationales, 2. Questions mondiales, Paris, Editions du Seuil, 7ème édition mise à jour, 2007. RENOUVIN, Pierre, DUROSELLE, Jean-Baptiste, Introduction à l’histoire des relations internationales, Paris, Armand Colin, 1964.

Histoire de la Guerre froide et de l’URSS

COMBE, Sonia (dir.), Archives et histoire dans les sociétés post-communistes, Paris, La Découverte, 2009. DULLIN, Sabine, Histoire de l’URSS, Paris, La Découverte, 3e édition, 2008. FONTAINE, André, Histoire de la guerre froide, tome 2, De la guerre de Corée à la crise des alliances, 1950-1963, Paris, Editions du Seuil, 1983. LEVESQUE, Jacques, L’URSS et sa politique internationale de Lénine à Gorbatchev, Paris, Armand Colin, 2ème édition augmentée, 1987.

599

SIRINELLI, Jean-François, SOUTOU, Georges-Henri (dir.), Culture et Guerre froide [texte imprimé]: [actes du colloque organisé à la Sorbonne et à Sciences Po, les 20 et 21 octobre 2005], Paris, PUPS, DL, 2008. SOUTOU, Georges-Henri, La guerre de cinquante ans. Le conflit Est-Ouest. 1943-1990, Paris, Fayard, 2001. VAN REGEMORTER, Jean-Louis, La Russie et le monde au XXe siècle, Paris, Masson, 1995. WERTH, Nicolas, Histoire de l’Union soviétique, de l’Empire russe à la Communauté des Etats indépendants, 1900-1991, Paris, PUF, 5ème édition, 2001.

Histoire de l’Allemagne

CAHN, Jean-Paul, PFEIL, Ulrich (dir.), Allemagne, 1974-1990. De l’Ostpolitik à l’unification, vol. 3/3, Villeneuve d’Ascq, Presses Universitaires du Septentrion, 2009. COLSCHEN, Lars C., Deutsche Aussenpolitik, Paderborn, Wilhelm Fink, 2010. FRITSCH-BOURNAZEL, Renata, L’Allemagne unie dans la nouvelle Europe, Bruxelles, Editions Complexe, 1991. FRITSCH-BOURNAZEL, Renata, L’Allemagne depuis 1945, Paris, Hachette Supérieur, 1997. MENUDIER, Henri (dir.), L’Allemagne. De la division à l’unité, Asnières, Publications de l’Institut d’Allemand, 1991. POIDEVIN, Raymond, L’Allemagne et le monde au XXe siècle, Paris, Masson, 1983. SOLCHANY, Jean, L’Allemagne au XXe siècle, Paris, PUF, 2003.

Histoire des démocraties populaires et de la RDA

BRUNS, Wilhelm, Die Aussenpolitik der DDR, Beiträge zur Zeitgeschichte, Vol. 16, Herausgegeben von Peter Haungs und Eckhard Jesse, Colloquium Verlag Berlin, 1985. EPPELMANN, Rainer, MÖLLER, Horst, NOOKE, Günter, WILMS, Dorothee (dir.), Lexicon des DDR-Sozialismus. Das Staats- und Gesellschaftssystem der Deutschen Demokratischen Republik, Paderborn, Schöningh, 1996. GLAESSNER, Gert-Joachim, Sozialistische Systeme: Einführung in die Kommunismus- und DDR- Forschung, Opladen, Westdeutscher Verlag, 1982. JACOBSEN, Hans Adolf, LEPTIN, Gert, SCHEUNER, Ulrich, SCHULZ, Eberhard (dir.), Drei Jahrzehnte Aussenpolitik der DDR. Bestimmungsfaktoren, Instrumente, Aktionsfelder, Munich/Vienne, R. Oldenbourg, 1979. KOTT, Sandrine, Histoire de la société allemande au XXème siècle. Tome III : La RDA (1949-1989), Paris, La Découverte, 2011. LAMM, Hans Siegfried, KUPPER, Siegfried, DDR und Dritte Welt, Munich/Vienne, R. Oldenbourg, 1976. MÄHLERT, Ulrich (dir.), Vademekum der DDR-Forschung, Ein Leitfaden zu Archiven, Forschungseinrichtungen, Bibliotheken, Einrichtungen der politischen Bildung, Vereinen, Museen und Gedenkstätten, Opladen, Leske und Budrich, 1997. MARES, Antoine (dir.), Culture et politique étrangère des démocraties populaires, Paris, Institut d’Etudes Slaves, 2007. MATHIEU, J.-P., MORTIER, Jean (avec la collaboration de BADIA, Gilbert), La RDA, quelle Allemagne ?, Paris, Messidor - Editions sociales, 1990.

600

MENUDIER, Henri (dir.), LA RDA, 1949-1990. Du stalinisme à la liberté, Asnières, Publications de l’Institut d’Allemand, 1990. METZGER, Chantal, La République démocratique allemande. La vitrine du socialisme et l’envers du miroir (1949-1989-2009), Bruxelles, P.I.E. Peter Lang, 2010. METZGER, Chantal, La République démocratique allemande : histoire d’un Etat rayé de la carte du monde, Bruxelles, P.I.E., Peter Lang, 2011. MUTH, Ingrid, Die DDR-Aussenpolitik, 1949-1972, Berlin, Ch. Links Verlag, 2001. OSTEN, Walter, Die Aussenpolitik der DDR im Spannungsfeld zwischen Moskau und Bonn, Opladen, C.W. Leske Verlag, 1969. SCHOLTYSECK, Joachim, Die Aussenpolitik der DDR, Enzyklopädie deutscher Geschichte, Band 69, Munich, R. Oldenbourg, 2003. SCHWARZ, Hans-Peter (dir.), Handbuch der deutschen Aussenpolitik, Munich, R. Piper, 1975. SIEBS, Benno-Eide, Die Aussenpolitik der DDR, 1976-1989: Strategien und Grenzen, Paderborn, Schöningh, 1999. WENTKER, Hermann, Aussenpolitik in engen Grenzen: dir DDR im internationalen System, 1949-1989, Veröffentlichungen zur SBZ/DDR – Forschung im Institut für Zeitgeschichte, Munich, R. Oldenbourg, 2007.

Culture allemande

VOLLMER, Hans (dir.), Allgemeines Lexicon der bildenden Künstler des XX. Jahrhunderts, Vol. 4, Leipzig, E.A. Seemann, 1953. WILLAIME, Jean-Paul, Sociologie du protestantisme, Paris, PUF, 2005.

Monde arabe

CLOAREC, Vincent, LAURENS, Henry, Le Moyen-Orient au XXe siècle, Paris, Armand Colin, 2000. DERRIENNIC, Jean-Pierre, Le Moyen-Orient au XXe siècle, Paris, Armand Colin, 1980. LAURENS, Henry, Le retour des exilés. La lutte pour la Palestine de 1869 à 1997, Paris, Robert Laffont, 1998. LAURENS, Henry, La question de Palestine. Tome 2 : 1922-1947, une mission sacrée de civilisation, Paris, Fayard, 2002. PICAUDOU, Nadine, Le mouvement national palestinien ; genèse et structures, Paris, L’Harmattan, 1991. SIGNOLES, Aude, Les Palestiniens, Paris, Le Cavalier Bleu, 2005.

Egypte

BEATTIE, Kirk J., Egypt during the Sadat Years, New York, Palgrave, 2000. GOLDSCHMIDT, Arthur, Biographical dictionary of modern Egypt, Boulder, L. Rienner, 1999. KIENLE, Eberhard, A grand delusion: democracy and economic reform in Egypt, Londres, I.B. Tauris, 2001. MIREL, Pierre, L’Egypte des ruptures, l’ère Sadate, de Nasser à Moubarak, Paris, Sindbad, 1982. MOGHIRA, Mohamed Anouar, L’Egypte, clé des stratégies au Moyen-Orient, trente ans de politique égyptienne et arabe sous Hosni Moubarak, Lausanne, L’âge d’homme, 2009. POMMIER, Sophie, Egypte, l’envers du décor, Paris, La Découverte, 2008.

601

Ouvrages spécifiques et articles

Diplomatie, politique étrangère

BADEL, Laurence, « Introduction », in : Les Cahiers Irice. Diplomaties en renouvellement, 2009/1, n° 3, p. 5-19. CHARILLON, Frédéric, « Introduction », in : CHARILLON, Frédéric (dir.), Politique étrangère. Nouveaux regards, Paris, Presses de Sciences Po, 2002, p. 13-19. DENECE, Eric, « Diplomatie économique et compétition des Etats », in : Géoéconomie, 2011/1, n° 56, p. 71-78. DEVIN, Guillaume, « Les diplomaties de la politique étrangère », in : CHARILLON, Frédéric (dir.), Politique étrangère. Nouveaux regards, Paris, Presses de Sciences Po, 2002, p. 215-238. ESPAGNE, Michel, WERNER, Michael, « La construction d’une référence culturelle allemande en France : genèse et histoire (1750-1914) », in : Annales. Economies, Sociétés, Civilisations, juillet-août 1987, n°4, p. 969-992. ESPAGNE, Michel, WERNER, Michael (dir.), Transferts : les relations interculturelles dans l’espace franco-allemand (XVIIIe et XIXe siècle), Paris, Ed. Recherche sur les civilisations, 1988. ESPAGNE, Michel, Les transferts culturels franco-allemands, Paris, PUF, 1999. FOX, Jonathan, « Religion et relations internationales : perceptions et réalités », in : Politique étrangère, 2006/4 (Hiver), p. 1059-1071. FRANK, Robert, « La mémoire et l'histoire », in : Cahiers de l'IHTP, 1992, n° 21, p. 65-73. FRANK, Robert, « Penser historiquement les relations internationales », in : Annuaire français de relations internationales, vol.4, Bruxelles, 2003, p. 42-65. GOMART, Thomas, « La relation bilatérale: un genre de l’histoire des relations internationales », in: Matériaux pour l’histoire de notre temps, 2002, n° 65-66, p. 65-68. GOMART, Thomas, Double détente. Les relations franco-soviétiques de 1958 à 1964, Paris, Publications de la Sorbonne, 2003. ALLAIN, Jean-Claude, FRANK, Robert, « Les composantes de la puissance », in : FRANK, Robert (dir.), Pour l’histoire des relations internationales, Paris, PUF, 2012, p. 139-167. MARTIN, Laurent, « Contribution à l'étude des circulations culturelles transnationales », in : Histoire@Politique, 2011/3, n° 15, p. 1-3. MAYER, Jean-François, « Facteurs religieux et relations internationales : une approche théopolitique », in : Etudes et analyses, Institut Religioscope, août 2005, n° 8, p. 2-23. REMACLE, Eric, « La CSCE. Mutations et perspectives d’une institution paneuropéenne », in : Courrier hebdomadaire du CRISP, 1992/ 3-4, n° 1348-1349, p. 1-71. REVEL, Claure, « Diplomatie économique multilatérale et influence », in : Géoéconomie, 2011/1, n° 56, p. 59-67. SMOUTS, Marie-Claude, « Que reste-t-il de la politique étrangère? », in : Pouvoirs, 1999, n°88, p. 5-15. VAÏSSE, Maurice, « L’évolution de la fonction d’attaché militaire en France au XXe siècle », in : Relations internationales, hiver 1982, n° 32, p. 507-524.

602

Guerre froide, communisme, idéologie

CHRISTIAN, Michel, « Les partis communistes du bloc de l’Est : un objet transnational ? L’exemple des écoles supérieures du parti », in : Vingtième Siècle. Revue d’histoire, 2011/1, n° 109, Paris, Presses de Sciences Po, p. 31-43. COURTOIS, Stéphane, « Archives du communisme : mort d’une mémoire, naissance d’une histoire », in : Le Débat, 1993/5, n° 77, p. 129-140. FAURE, Justine, VERDERY, Katherine, « Les échanges universitaires, la logique de bloc et l’esprit de guerre froide », in : Vingtième Siècle. Revue d’histoire, Paris, Presses de Sciences Po, 2011/1, n° 109, p. 201-212. FAURE, Justine, KOTT, Sandrine, « Présentation », in : Vingtième Siècle. Revue d’histoire. Spécial : Le bloc de l’Est en question, Paris, Presses de Sciences Po, 2011/1, n° 109, p. 2-10. GODARD, Simon, « Construire le bloc de l’Est par l’économie ? La délicate émergence d’une solidarité internationale socialiste au sein du Conseil d’aide économique mutuelle », in : Vingtième Siècle. Revue d’histoire, Paris, Presses de Sciences Po, 2011/1, n° 109, p. 45-58. CHARLES, Bernard, « Le socialisme africain : mythes et réalités », in: Revue française de science politique, 1965, n°5, p. 856-884. KALTER, Christoph, « 33. Tiers monde et gauche radicale », in : Histoire des mouvements sociaux en France, Paris, La Découverte, 2014, p. 378-389. LAVIGNE, Marie (dir.), Les relations Est-Sud dans l’économie mondiale, Centre d’économie internationale des pays socialistes, Paris, Economica, 1986. LEVESQUE, Jacques, « Essai sur la spécificité des relations entre l’URSS et l’Europe de l’Est de 1945 à 1989 », in : Relations internationales, P.U.F., 2011/4, n° 148, p. 7-16. MARES, Antoine, « La politique étrangère Tchécoslovaque (1948-1989) : un cas généralisable ? », in : Relations internationales, 2011/4, n° 148, p. 59-74. MICHEL, Johann, « Le paradoxe de l’idéologie revisité par Paul Ricœur », in : Raisons politiques, 2003/3, n° 11, p. 149-172. RICHERT, Ernst, DRATH, Martin, Macht ohne Mandat: der Staatsapparat in der Sowjetischen Besatzungszone Deutschlands, Cologne, Opladen, Westdeutscher Verlag, 1963. SAAL, Agnès, « Chronologie des faits internationaux d’ordre juridique-1985 », in : Annuaire français de droit international, 1985, vol. 31, n° 31, p. 1036-1053. TESSON, Sandrine, La doctrine Hallstein entre rigueur et pragmatisme, 1955-1969, maîtrise d’histoire sous la direction de Robert Frank, Laurence Badel et Hartmut Kaelble, Université Paris I Panthéon-Sorbonne, juin 2000. THOMAS, Clive Y., « "The Non-Capitalist Path" as Theory and Practice of Decolonization and Socialist Transformation », in : Latin American Perspectives, Caribbean/ Bolivia and Black Folklore, Spring, 1978, vol. 5, n° 2, p. 10-28. WOITZIK, Karl-Heinz, Die Auslandsaktivität der sowjetischen Besatzungszone Deutschlands: Organisationen-Wege-Ziele, Mayence, Hase und Koehler, 1967. ZIDEK, Petr, « La Tchécoslovaquie et le tiers monde dans les années 1950 et 1960 », in : MARES, Antoine (dir.), Culture et politique étrangère des démocraties populaires, Paris, Institut d’Etudes Slaves, 2007. ZIDEK, Petr, « Le pragmatisme contre l’idéologie : la Tchécoslovaquie communiste et l’Iran de l’époque du Shah (1948-1979), in : Relations internationales, P.U.F., 2011/4, n°148, p. 75-80.

603

Guerre froide au Moyen-Orient et dans le monde arabe

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Relations URSS-Tiers-monde / URSS-Moyen-Orient

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Annexes

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Les annexes sont classées par ordre chronologique.

Annexe 1: Cartes : le Delta du Nil, l’Egypte3097

3097 Cartes extraites de : POMMIER, Sophie, Egypte, l’envers du décor, op.cit., p. 6.

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Annexe 2: Dates de la mise en place des relations diplomatiques de la République Démocratique Allemande avec les autres Etats (1990)3098

15.10.1949 : Union der Sozialistischen Sowjetrepubliken 17.10.1949 : Volksrepublik Bulgarien 18.10.1949 : Volksrepublik Polen 18.10.1949 : Tschechoslowakische Sozialistische Republik 19.10.1949 : Ungarische Volsrepublik 22.10.1949 : Sozialistische Republik Rumänien 25.10.1949 : Volksrepublik China 7.11.1949 : Koreanische Demokratische Volksrepublik 2.12.1949 : Sozalistische Volksrepublik Albanien 3.2.1950 : Sozialistische Republik Vietnam 13.4.1950 : Mongolische Volksrepublik 10.10.1957 : Sozialistische Föderative Republik Jugoslawien 12.1.1963 : Republik Kuba 8.5.1969 : Volksrepublik Kampuchea 10.5.1969 : Republik Irak 3.6.1969 : Demokratische Republik Sudan 5.6.1969 : Syrische Arabische Republik 10.7.1969 : Volksdemokratische Republik Jemen 10.7.1969 : Arabische Republik Ägypten 8.1.1970 : Volksrepublik Kongo 8.4.1970 : Demokratische Republik Somalia 18.4.1970 : Zentralafrikanisches Kaiserreich 20.5.1970 : Demokratische Volksrepublik Algerien 22.5.1970 : Republik Maldiven 16.6.1970 : Demokratische Sozialistische Republik Sri Lanka 9.9.1970 : Revolutionäre Volksrepublik Guinea 16.3.1971 : Republik Chile Die DDR hat am 21.9.1973 die diplomatischen Beziehungen untebrochen 14.4.1971 : Republik Äquatorial-Guinea 6.6.1971 : Republik Tschad 16.1.1972 : Volksrepublik Bangladesh 8.10.1972 : Republik Indien 15.11.1972 : Islamische Republik Pakistan 7.12.1972 : Islamische Republik Iran 7.12.1972 : Republik Burundi 13.12.1972 : Republik Ghana 17.12.1972 : Republik Tunesien 18.12.1972 : Republik Zaïre 18.12.1972 : Staat Kuweit 20.12.1972 : Schweizerische Eidgenossenschaft 20.12.1972 : Königreich Nepal 21.12.1972 : Republik Indonesien

3098 Diplomatische Beziehungen der Deutschen Demokratischen Republik zu anderen Staaten (mit Aufnahmedaten), Stand 1990, documents issus du MfAA.

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21.12.1972 : Königreich Schweden 21.12.1972 : Republik Österreich 21.12.1972 : Republik Zypern 21.12.1972 : Vereinigte Republik Tansania 21.12.1972 : Jemenistische Arabische Republik 21.12.1972 : Republik Sierra Leone 22.12.1972 : Australien 24.12.1972 : Republik Uruguay 24.12.1972 : Republik Libanon 27.12.1972 : Königreich Belgien 28.12.1972 : Republik Peru 29.12.1972 : Königreich Marokko 5.1.1973 : Königreich der Niederlande 5.1.1973 : Großherzogtum Luxemburg 5.1.1973 : Republik Uganda 7.1.1973 : Republik Finnland 9.1.1973 : Republik Kostarika 11.1.1973 : Spanischer Staat 12.1.1973 : Republik Island 12.1.1973 : Königreich Dänemark 15.1.1973 : Republik Gambia 17.1.1973 : Demokratische Republik Afghanistan 17.1.1973 : Königreich Norwegen 18.1.1973 : Italienische Republik 22.1.1973 : Islamische Republik Mauretanien 1.2.1973 : Sozialistisches Äthiopien 6.2.1973 : Republik Malta 8.2.1973 : Vereignigtes Königreich von Großbritannien und Nordirland 9.2.1973 : Französische Republik 10.2.1973 : Bundesrepublik Nigeria 14.2.1973 : Republik Rwanda 21.2.1973 : Republik Sambia 23.2.1973 : Sozialistische Republik der Union von Burma 23.3.1973 : Republik Kolumbien 4.4.1973 : Malaysia 13.4.1973 : Republik Obervolta 17.4.1973 : Koooperative Republik Guyana 18.4.1973 : Republik Togo 19.4.1973 : Republik Mali 15.5.1973 : Japan 25.5.1973 : Griechische Republik 5.6.1973 : Vereinigte Mexikanische Staaten 11.6.1973 : Sozialistische Libysche Arabische Volksjamahiriya 25.6.1973 : Republik Argentinien 28.6.1973 : Fürstentum Liechtenstein 21.7.1973 : Vereinigte Republik Kamerun 23.7.1973 : Republik Ekuador 24.7.1973 : Republik Venezuela 10.8.1973 : Republik Singapur 22.8.1973 : Republik Senegal

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14.9.1973 : Volksrepublik Benin 18.9.1973 : Republik Bolivien 21.9.1973 : Republik der Philippinen 28.9.1973 : Republik Liberia 8.10.1973 : Haschemitisches Königreich Jordanien 22.10.1973 : Föderative Republik Brasilien 26.11.1973 : Republik San Marino (konsularischen Beziehungen) 29.11.1973 : Demokratische Republik Madagaskar 11.1.1974 : Fidschi 28.1.1974 : Republik Panama 14.3.1974 : Bundesrepublik Deutschland 4.4.1974 : Republik Gabun 17.4.1974 : Republik Guinea-Bissau 27.5.1974 : Volksdemokratische Republik Laos 31.5.1974 : Neuseeland 1.6.1974 : Republik Türkei 19.6.1974 : Portugiesische Republik 3.9.1974 : Königreich Thailand 4.9.1974 : Vereinigte Staaten von Amerika 29.10.1974 : Mauritius 4.3.1975 : Republik Niger 19.5.1975 : Republik Kenia 25.6.1975 : Volksrepublik Moçambique 13.7.1975 : Demokratische Republik Sao Tome und Princip 1.8.1975 : Kanada 5.8.1975 : Republik der Kapverden 11.11.1975 : Volksrepublik Angola 14.2.1976 : Islamische Bundesrepublik Komoren 22.3.1976 : Königreich Lesotho 3.7.1976 : Republik Seychellen 21.3.1977 : Jamaika 13.5.1977 : Republik Botswana 30.6.1977 : Republik Djibouti 3.8.1978 : Republik Suriname 1.12.1978 : Papua-Neuguinea 15.4.1979 : Republik Nauru 20.7.1979 : Republik Nikaragua 9.10.1979 : Grenada 1.11.1980 : Republik Simbabwe 21.11.1980 : Irland 5.10.1984 : Republik Elfenbeinküste 9.10.1986 : Republik Vanuatu 16.10.1987 : Republik Trinidad und Tobago März/Apr. 1989 : Staat Palästina 21.3.1990 : Namibia

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Annexe 3 : « Vive l’amitié entre la République démocratique allemande et la République arabe unie ! ». La célébration de la mise en place des relations diplomatiques par le quotidien Neues Deutschland, le 12 juillet 19693099

3099 Source : Neues Deutschland, 12 juillet 1969, p. 6.

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Annexe 4 : Discours de Saad Badawi el-Fatatry lors de sa prise de fonction en tant que premier ambassadeur d’Egypte en RDA, juillet 19693100

Übersetzung

Herr Vorsitzender !

Es ist für mich eine große Ehre, der erste Botschafter der Vereinigten Arabischen Republik zu sein, der Ihnen, Exzellenz, sein Beglaubigungsschreiben überreicht, nachdem unsere beiden Regierungen den Austausch von Botschaftern zwischen unseren beiden Ländern vereinbart haben. Dieser natürliche Schritt zur Erweiterung der herzlichen Beziehungen wird zweifellos eine neue Etappe in den Beziehungen zwischen unseren beiden Ländern einleiten, die auf der Grundlage ihrer gemeinsamen Prinzipien der antiimperialistischen und antikolonialistischen Politik in so freundchaftlicher Weise miteinander verbunden sind. Die Gespräche Seiner Exzellenz Walter Ulbricht, des Vorsitzenden des Staatsrates der Deutschen Demokratischen Republik, mit Seiner Exzellenz, dem Präsidenten Gamal Abdel Nasser, während seines Besuches in der Vereinigten Arabischen Republik haben diese Prinzipien unterstrichen und sir mit Leben erfüllt.

Herr Vorsitzender !

Ich freue mich, Ihnen bei dieser Gelegenheit noch einmal meinen Dank sowie den der Regierung und des Volkes der Vereinigten Arabischen Republik für die aufrichtigen Gefühle und die großzügige Haltung der Deutschen Demokratischen Republik bei der Unterstützung der arabischen Nation in ihrem gerechten Kampf gegen Imperialismus und Zionismus und für die Beendigung der imperialistischen Aggression Israels zum Ausdruck zu bringen. Ich habe ebenfalls die Ehre, Ihnen, Exzellenz, zu versichern, daß die Vereinigte Arabische Republik der Vertiefung der freundschaftlischen Beziehungen und Zusammenarbeit zwischen unseren beiden Ländern auf dem politischen, wirtschaftlichen und kulturellen Gebiet zum Nutzen beider Staaten größte Aufmerksamkeit widmet. Gestatten Sie mir, Exzellenz, die Würdigung und Unterstützung meines Landes für die Bemühungen der Deutschen Demokratischen Republik um Frieden, Sicherheit und sozialen Fortschritt sowie für ihren Kampf gegen Imperialismus zum Ausdruck zu bringen. Außerdem möchte ich es nicht versäumen, meiner Freude darüber Ausdruck zu verleihen, daß ich Gelegenheit haben werde, den Feierlichkeiten zum 20. Jahrestag der Gründung der Deutschen Demokratischen Republik beizuwohnen, dieses Jahrestages, der die Fähigkeit des Volkes der Deutschen Demokratischen Republik beweisen wird, sein Land auf der Grundlage sozialistischer menschlicher Werte aufzubauen. Exzellenz ! Ich habe die Ehre, Ihnen die besten Wünche und Grüße meines Präsidenten, Seiner Exzellenz Gamal Abdel Nasser, zu überbringen, und wünsche Ihnen beste Gesundheit und dem Volk der Deutschen Demokratischen Republik Wohlergehen und Wohlstand.

3100 MfAA, L 187, C 928/77 : Protokollabteilung. Akkreditierung und Abberufung des ägyptischen Botschafters, Saad Badawi al Fatatry, in der DDR. Juli 1969, Dez. 1971. Discours de Saad Badawi al-Fatatry à l’occasion de son accréditation en RDA, pas de date.

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Annexe 5 : Télégramme de solidarité envoyé par l’Alliance démocratique des femmes d’Allemagne (DFD) aux associations de femmes arabes en Egypte, après les bombardements israéliens d’avril 19703101

DFD Bundesvorstand Telegramme 13.4.1970

An folgende Adressen : 1. Mrs. Hehmet Abu Zaid Executive Committee of ASU Cairo 2. Mrs. Bahia Karam Afro-Asian Women Bureau 89, Abdel Aziz Al Saoud Street Manial El Roda Cairo 3. Arab Women Federation 2 (A) Elwi Str. Kasr El-Nil Cairo

Mit aufrichtiger Anteilnahme trauern wir mit Ihnen, teure arabische Freundinnen, um die unschuldigen Opfer des grausamen Überfalls israelischer Luftpiraten, die das blühende Leben von 30 Kindern in Bahr el Bakr vernichteten. Voller Empörung verurteilen wir Frauen der DDR den bestialischen Kindermord und die umzähligen Terrorakte der israelischen Aggressoren an arabischen Frauen und Männern. Wir protestieren gegen die Unterstützung der Regierung Israels durch die amerikanischen und westdeutschen Imperialisten. In fester Freundschaft versichern wir Sie auch weiterhin unserer unerschütterlichen Solidarität im gerechten Kampf Ihres Volkes gegen die imperialistische Aggression.

DFD Bundesvorstand

3101 MfAA, L 187, C 6488 : Abt. Naher u. Mittlerer Osten. Telegramme gesellschaftlicher Organisationen der DDR zu den israelischen Aggressionen gegenüber Ägypten. Enthält auch : Appell des ägyptischen Präsidenten Nasser an den amerikanischen Präsidenten Nixon zu den israelischen Aggressionen. 1970.

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Annexe 6 : projet de réponses à l’interview radiophonique du ministre de la Défense nationale de RDA, le Général Heinz Hoffmann, à l’occasion du séjour en Egypte d’une délégation militaire est-allemande, du 13 au 31 octobre 19713102

3102 DVW 1/ 115 673: Meldungen von Militärattachés. Militärdelegation der DDR nach Syrien, Ägypten, Irak (okt. 1971), nach Algerien (juni 1972), nach Syrien (mai 1983; mai 1987). Palestinensischen Befreiungsorganisation (PLO) in der DDR, nov. 1987. Anlage. Betr.: Vorschläge und Gedanken zu den Antworten für Abschluss-Interview, 26. Okt. 1971.

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Annexe 7 : Examen des possibilités de livraisons d’armes et d’équipement militaire à l’Egypte par la firme de commerce extérieur ITA, 1972-19733103

3103 SAPMO-BArch, DC 20/ 13 068 : Ministerrat der DDR. Länderakten Ägypten. 1973-1989. Spezieller Aussenhandel mit der VAR und Ägypten ; 1967-1971.

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Annexe 8 : Soutien militaire de la RDA à la République arabe de Syrie durant la guerre d’octobre 19733104

3104 SAPMO-BArch, DY 30/ J IV 2-2J-4965 : Informationsberichte über die Situation im Nahen Osten (1973). Unterstützungsmassnahmen für die Syrische Arabische Republik.

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Annexe 9 : Pamphlet annonçant la reconstitution du Parti communiste égyptien, 1er mai 19753105

3105 IISH, Communist Party of Egypt Collection, 1975, 1981-1987, 1996, N° 27: Foundation and programme. Pamphlet announcing the foundation of the CPE. 1 May 1975. A cover. In Arabic.

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Annexe 10 : Exportations égyptiennes en RDA en 1978 (liste A) ; exportations est-allemandes en Egypte en 1978 (liste B)3106

3106 SAPMO-BArch, DY 30/ 17 842 : Abteilung Handel, Versorgung und Aussenhandel des ZK der SED (Afrikanische Ländern). Ministerium für Aussenhandel. Handelsabkommen DDR-Ägypten. Bd. 5 : 1977-1988. Berlin, 18 April 1977. Bericht über die Verhandlungen zum Abschluss von Vereinbarungen zur Durchführung von Gegenseitigkeitsgeschäften mit der ARÄ. Liste A : 1978. Exporte aus der ARÄ in die DDR. Liste B : 1978. Exporte aus der DDR in die ARÄ.

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Annexe 11 : Effets du traité séparé israélo-égyptien sur la poursuite des relations bilatérales entre la RDA et l’Egypte. Conclusions des recommandations formulées par les collaborateurs politiques de l’ambassade est-allemande au Caire, à destination du ministère des Affaires étrangères de RDA, 19 avril 19793107

C) Schlußfolgerungen :

1. Ausgehend von der langfristigen Zielstellung der DDR gegenüber Ägyptens (Berücksichtigung der politischen Bedeutung Ägyptens in NO/ Afrika wie auch der DDR-Wirtschaftsinteressen) ist die gesamte Tätigkeit der AV [Auslandsvertretung] darauf auszurichten, die Positionen der DDR bzw. ihre politische und wirtschaftliche Präsenz langfristig zu bewahren und zu festigen.

2. Die Durchsetzung der Prinzipien der Politik friedlicher Koexistenz in den Beziehungen zur ARÄ setzt voraus, daß wir

a) uns noch stärker freimachen von bestimmten Illusionen, auch künftig aus früheren Jahren herrührende Sonderrechte und Privilegien in Anspruch nehmen zu können (Behandlung als « befreundetes » Land, Absatz von Waren und Erzeugnissen, die nicht internationalen Qualitäts- und Service-Ansprüchen genügen etc.). b) die neuen Tatsachen als Fakten akzeptieren und uns darauf einstellen müssen (auch zu imperialistischen Staaten unterhält die DDR gegenseitig vorteilhafte Beziehungen ohne die Illusion, damit eine kurzfristige Veränderung der inneren Verhältnisse dieser Staaten beeinflussen zu können.). c) noch stärkere Maßstäbe an unsere eigene Arbeit setzen. Bei jedem Positionsverlust ist nicht nur nach einer veränderten Haltung des ARÄ oder imperialistischen Aktivitäten gegen uns zu suchen, sondern auch die Frage zu stellen, ob wir selbst alle Möglichkeiten ausgeschöpft haben, um unsere Positionen zu halten.

3. Daraus leitet sich für die unmittelbare Arbeit u.a. ab : - Maximale Nutzung der innen- und außenpolitischen Widersprüche der ARÄ für die Interessen der DDR/ SSG, jedoch davon ausgehend, daß kein automatischer Zusammenhang besteht zwischen der Ablehnung und Isolierung des Sadat- Regimes durch ander AS [Arabische Staaten] und der gegenwärtigen Haltung der entscheidenden Mehrheit in Ägypten zur proimperialistischen und Separatpolitik. - Nutzung der Möglichkeiten, die sich au seiner differenzierenden Politik Ägyptens gegenüber westlichen Staaten ergeben können.

3107 MfAA, L 187, C 6489 : Abt. Naher u. Mittlerer Osten. Diskussion in der Botschaft der DDR in Ägypten über mögliche Auswirkungen und Folgeentwicklungen des Separatvertrages zwischen Ägypten u. Israel auf die regionale Lage im Nahen u. Mittleren Osten sowie die Innen- und Aussenpolitik Ägyptens. 1979. Recommandations transmises par l’ambassadeur Otto Becker au département Proche- et Moyen-Orient du MfAA, 19 avril 1979.

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- Anknüpfen an die ökonomischen und politischen Interessen der ägyptischen Bourgeoisie (erfordert Verbesserung der « Konkurrenzbedigungen » unserer Waren und Dienstleistungen). - Mobilisierung und Einsetzen des Gesamtgewichts der Auslandsvertretung für die Interessen der DDR, Entwicklung einer komplexen, nicht nach Einzelbereichen ausgerichteten Kontaktarbeit. - Noch stärkere Einstellung der Kontakt- und Analysetätigkeit aller Bereiche auf die neuen Verhältnisse (welche Gruppierungen bzw. Kräfte entscheiden –was, warum, wann, aus welchem Interessen heraus, etc.).

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Annexe 12 : Télégramme d’Etat adressé par Anouar el- Sadate à Erich Honecker, à l’occasion du 30ème anniversaire de la fondation de la RDA, 6 octobre 19793108

Übersetzung aus dem Englischen

Staatstelegramm aus Kairo vom 6.10.79. 11 Uhr 10 :

Seine Exzellenz Erich Honecker Generalsekretär der Sozialistischen Einheitspartei Deutschlands und Vorsitzsender des Staatsrates der Deutschen Demokratischen Republik Berlin

Aus Anlaß der Feierlichkeiten zum Jahrestag der Gründung der Republik ist es mir eine große Freude, Ihnen, Exzellenz, in meinem Namen sowie im Namen des ägyptischen Volkes herzliche Glückwünsche übermitteln zu können und Ihnen beste Gesundheit und Glück sowie dem befreundeten Volk Deutschlands höchste Blüte und Größe zu wünschen.

Mit ausgezeichnetster Hochachtung !

Mohamed Anwar El Sadat

3108 MfAA, L 187, C 6506 : Abt. Naher u. Mittlerer Osten. Austausch von Glückwünschen, Beileidschreiben und Danksagungen zwischen der DDR und Ägypten. 1977-1979.

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Annexe 13 : Note du général Streletz au ministre de la Défense nationale, 26 février 19833109

3109 Indications pour la formulation d’une réponse à la demande égyptienne de coopération militaire avec la RDA, après consultation des autorités soviétiques. Source: Bundesarchiv Militärarchiv, AZN 8477 : Zusammenarbeit der NVA/DDR mit den Streitkräften Ägyptens 1975-1989.

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Annexe 14 : Télégramme adressé par le PCUS au PCE, à l’occasion de la 2ème conférence générale du parti, en 19853110

3110 IISH, Michel Kamel Papers, 2nd general conference of the CPE, n° 58: Congratulations Telegram from CPSU, 2nd general conference, 1985. In Arabic.

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Annexe 15 : « The Red Major ». Interview de Khaled Mohieddine, leader du PRNPU, Cairo Today, novembre 19883111

3111 Cairo Today, novembre 1988, p. 77-78. Source: SAPMO-BARch, DY 30/ 13 671 : Abteilung Internationale Verbindungen im ZK der SED. Ägypten. Arbeitsweise der Botschaft der DDR in Ägypten in Kairo ; 1977 ; 1981-89. Bd. 2 : 1983-89.

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Annexe 16 : Les communistes égyptiens Nabil Hilali, Michel Kamel, Youssef Derwiche et Nabil Yacoub informent la RDA de leur volonté de former un parti communiste indépendant du PCE, le « Parti révolutionnaire du travail », 18 juillet 19893112

3112 SAPMO-BArch, DY 30/ 13 669 : Abteilung Internationale Verbindungen im ZK der SED. Ägypten. Bd. 3 : 1988-1989. Vermerk über ein Gespräch des Genossen Peter Bathke mit ägyptischen Kommunisten, Abteilung Internationale Verbindungen, Berlin, den 18.7.1989.

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