Assemblage Dossier de Presse sur Pippo Delbono Fait debut mai 2004 (depuis plusieurs articles ont été publiés, don’t celui, élogieux, de Libération.)

Revue Mouvement / th. La rage à fleur de peau La Rabbia, de Pippo Delbono. La Rabbia emprunte son titre au film de Pasolini. Dédicace au poète sous forme de correspondances intimes où, toujours à fleur de peau et de voix sur le fil acéré d’un désespoir rageur, Pippo Delbono nous livre des images d’une subtile et sublime poésie.

Retrouvez le dossier Pippo Delbono sur www.mouvement.net

… D'autant qu'El suicidio reste à mi-chemin d'une liquidation plus radicale de certaines conventions théâtrales. Comme si Daniel Veronese, Ana Alvarado et Emilio Garcia Webhi avaient hésité à « suicider » vraiment leur spectacle. Ce n'est pas « raté », c'est juste un peu à côté ; El suicidio passe légèrement à côté de son sujet et le rendez-vous que nous attendions, sans être foncièrement déplaisant, laisse un goût de partie remise.

Une impression semblable nous cueille à la sortie d'Il silenzio, de Pippo Delbono, déjà consacré comme étant la « révélation » de ce festival d'Avignon avant même que les trois spectacles qu'il va y présenter n'aient été vus. Il silenzio part aussi d'un drame collectif, le tremblement de terre qui a secoué la Sicile en 1968, ravageant totalement la petite ville de Gibellina. D'emblée, on est séduit par le vaste espace nu d'une cour d'école, où se joue le spectacle, avec une étendue de sable en office de scène. On est séduit par la douceur extrême de la voix de Pippo Delbono, venant s'adresser au public dans un français approximatif pour évoquer en quelques mots ce tremblement de terre. Mais comment occuper ce retrait, cette dévastation ? Pippo Delbono lance sa vingtaine d'acteurs dans une farandole qui, dans son épatante simplicité, vous arrache le cœur. Un petit orchestre la joue classique, et un guitariste pousse la chansonnette, sirupeuse. Et après ? Pippo Delbono ne semble plus très bien savoir s'il doit vider la scène, en jetant par- dessus bord les maigres accessoires (tables, chaises), ou la combler. Des miniatures plutôt réussies (le repas d'un vieil homme, un combat de boxe burlesque...) alternent avec des fresques tout aussi réussies (un banquet de village avec maire évêque, une parade de majorettes...). Et pourtant, là aussi, cela prend et ne prend pas, comme si Pippo Delbono courait en vain après ce « silenzio » (qu'en hispanisant, on pourrait trouver dans la corrida ou le flamenco) qu'il rêve d'atteindre. Au début du spectacle, il est fait mention d'une inscription notée au camp de Buchenvald : « Quand tu es ici, fais silence. Une fois dehors, ne reste pas silencieux ». Certes, mais entre la parole qui doit témoigner et le vain bavardage, il y a un abîme. Or, les incursions de Pippo Delbono dans le spectacle, en maître d'œuvre agité, deviennent de plus en plus bavardes, vocalement et gestuellement. La touchante humanité de ses acteurs semble alors ramer à contre-courant. Les ficelles apparaissent alors pour ce qu'elles sont : des emprunts à Pina Bausch, un peu à Tadeusz Kantor, à l'Odin Teatret d'Eugenio Barba, à la danse excentrique d'un Fellini... L'art est fait de pillages, pourquoi pas ? Sauf qu'ici, le collage ne se transforme pas en montage, et le cinéma de Pippo Delbono s'enraye. On ne jugera certes pas le metteur en scène italien sur un seul spectacle, dans l'attente de Guerra et de La rabbia, qui viendront prendre le relais en Avignon. Mais ce premier rendez-vous laisse, à son tour, un goût de partie remise.

Avignon, 12 juillet 2002. Jean-Marc ADOLPHE Publié le 13-07-2002 h.Pippo DELBONO Impressions festivalières - Extrait Bruno Tackels, Journal de la Chartreuse Bruno Tackels, en résidence d'écriture à La chartreuse de Villeneuve-lez-Avigon pour Mouvement, tient un carnet de bord du festival. Extrait sur Pippo Delbono

11 Juillet Il Silenzio, de Pippo Delbono. Histoires de fils Une cour d'école, laissée à son ordinaire de cour d'école. Quelques arbres, puissants, qui rappellent la cour des Célestins, un sol sablé, quelques pupitres pour les musiciens. Arrive le Monsieur Loyal de la soirée, à mi-chemin entre un coryphée laïcisé et un Kantor revisité par la faconde sicilienne. C'est Pippo Delbono qui parle. Il accompagne le voyage des comédiens, en lisant des textes infiniment doux, souvent poignants, parfois sur le bord sentimental, bien vite renversés, par une pirouette d'humour ou de dérision. Là aussi les corps construisent leur propre texte. Allégorie d'eux-mêmes, ils ne prennent sens que dans l'architecture que les scènes dessinent entre elles. A peine des scènes d'ailleurs, plutôt des actions, petites ou grandes: ratisser le sable, commander un verre de vin, faire la noce, la révolution, un enterrement, les majorettes, une petite danse, un grand numéro, une Madone en procession. C'est à peine une architecture, d'ailleurs, plutôt de l'ordre d'un tricotage qui ne paie pas de mine. A force de navettes, les fils ténus se mettent à dessiner des silhouettes. Un monde englouti surgit de sous la terre On commence à voir. C'est le village de Gibbelina, en Sicile, complètement détruit par un tremblement de terre en 1968. Et c'est pleinement la Sicile qui se met en branle devant nous. Le plus troublant dans ce spectacle tient à la force d'exposition de ce monde absolument ancré, terriblement sicilien. A la manière de Kantor, mais avec l'humour en plus, Pippo Delbono agite son monde enfoui, avec tendresse, entre journal intime et délire fellinien. Il faut croire que ce soir, le public français était davantage du côté de l'introspection, et fort peu sensible à l'humour camp de Pippo et sa bande. Nous n'étions pas nombreux à rire aux furieuses apparitions de ces êtres jubilatoires. Eux par contre s'amusaient, bien, c'était visible. Une vraie fête, pas vraiment partagée. «On est tous en train de mourir, Chaque minute qui passe, on est un peu plus proche de la mort». C'est Lucia qui lance cette adresse au public silencieux. Pas de quoi s'affoler. Dans le texte de présentation, Pippo dit qu'il ne sait plus vraiment d'où elle vient. Peut-être d'un film avec Marilyn Monroe. Les mots et les gestes n'appartiennent à personne, la propriété marchande, celle des biens comme des idées, s'est trop longtemps prise pour la vérité. La scène de Pippo Delbono fait le rêve silencieux d'un monde «commun», rêves et bribes du passé mêlés, pour tous. Comme tout ce qu'il met sur la scène, on assiste à vue au passage des souvenirs, à la fois doux et forts, qu'il fait sien pour nous les rendre. «La course sur un fil a toujours été le chemin de notre théâtre». Là c'est Pippo qui parle. Et j'aurais pu l'écrire, à l'identique, si j'y avais pensé. C'est un signe qui ne trompe pas: un grand moment de théâtre.

Bruno TACKELS Publié le 07-08-2002 th.Le théâtre italien en friche

Qu'est-ce qu'un théâtre à l'italienne? Mouvement fait un état des lieux remis en friche, un théâtre où la vie circule à nouveau, loin du pourpre et du velours.

Et voilà qu'à nouveau, le théâtre italien est en friche. Avec, en tête de chantier, trois metteurs en scène qui appartiennent précisément à cette génération des années soixante-dix-quatre-vingt: Mario Martone, à qui vient d'être (très provisoirement?) confiée la direction du prestigieux Teatro di Roma ; Giorgio Barberio Corsetti, désormais responsable de la section théâtre de la Biennale de Venise; et Romeo Castellucci, dont les spectacles avec la Socìetas Raffaello Sanzio propagent une onde de choc à travers toute l'Europe. De (Centre de recherche théâtrale) à Bari (Teatro Kismet), le théâtre italien frémit de lieux où la vie semble à nouveau circuler; on investit des espaces à l'abandon : friches industrielles à Bologne (le projet Link), à Florence (Fabrica Europa), à (Teatro ), à Catane ou encore à Palerme avec les exemplaires Cantieri alla Zisa (9 000 mètres carrés des anciennes usines Ducrot reconvertis en un site culturel qui abrite notamment salles de spectacles et de répétition, médiathèque, musée d'art contemporain. . .) et l'installation de Carlo Cecchi au Teatro Garibaldi, un édifice totalement délabré de la capitale sicilienne. Les compagnies ne sont pas en reste: outre les Castellucci, Corsetti et Martone sus-nommés, voici venir le Teatrino Clandestino de Pietro Babina, une troupe de Bologne invitée à par le Festival d'Automne en 2000 avec «L'Idéaliste Magique»; l'étonnant Pippo Delbono qui joint à son travail des «marginaux», «théâtre d'intégration» que pratique également Mario Martinelli; jusqu'à de plus jeunes compagnies parfois extravagantes: le Masque Teatro près de Forli, Motus et Kinkaleri à Bologne, le Teatro del Lemming (installé à Rovigo) dont le dernier spectacle, «Edipo», se joue pour un spectateur à la fois! La danse reste dans une structuration beaucoup plus fragile. Mais les «anciens» du groupe Sosta Palmizi sont toujours là: «Quoeur» de Raffaella Giordano est un régal; Caterina Sagna à Venise, Virgilio Sieni près de Florence, le surprenant Roberto Castello (récemment associé à un spectacle d'images de Studio Azzuro, pionniers du «vidéo-théâtre»), mais aussi Adrianna Boriello, Monica Casadei, etc. . ., montrent que l'Italie ne manque pas de talents chorégraphiques. . . scandaleusement sous-traités dans leur propre pays. La friche est certes fragile. En ce moment-même, Mario Martone est poussé à la démission du Teatro di Roma par une partie de la gauche et l'extrême-droite, étrangement coalisées. Mais ouvrons les yeux: un nouveau «théâtre à l'italienne» est en train de prendre date. Les Rencontres franco-italiennes du théâtre, de la danse et de la musique (octobre 2000); mais aussi l'accueil réservé à certaines compagnies (la Socìetas Raffaello Sanzio et le Teatrino Clandestino) par le Festival d'automne à Paris (2000), la présence de Pippo Delbono au Centre dramatique de Caen, et bien d'autres manifestations, justifient amplement ce dossier que consacre «Mouvement» au renouveau du théâtre italien. Bon vent, en italien, ça se dit comment?

Jean-Marc ADOLPHE Publié le 01-01-2000 mouvement

L’invité de la semaine Pippo Delbono Metteur en scène Je suis dans le RER qui roule vers Paris. J’ai pris ce train plusieurs fois, ce jour, pour aller et venir du théâtre où je présente le spectacle, vers le centre de Paris. Autour de moi, beaucoup de gens, beaucoup de personnes de couleur, beaucoup plus qu’en Italie, je crois. Face à moi, un jeune homme avec un casque, il écoute de la musique. Aujourd’hui, j’ai vu beaucoup, beaucoup de personnes marcher seules, dans les rues, écoutant de la musique avec un casque. Les yeux de ce jeune homme rient. Ma mère me dit toujours que pour comprendre une personne, il suffit de regarder les yeux. Les yeux curieux des enfants, les yeux de beaucoup de personnes dans les rues, les yeux des politiciens, les yeux des militaires, des hommes de pouvoir. Les yeux de ces gros hommes assis aux tables de fast-food, que je voyais quand je jouais aux USA, des hommes qui se remplissaient obsessionnellement de sandwichs... C’était des yeux embrumés. Ces yeux que j’ai vus en Inde, des personnes qui mouraient de faim. Les ventres gonflés, les bras atrophiés, mais les yeux vifs, profonds, qui parlaient d’une mémoire ancienne, qui regardaient avec lucidité le monde. Maintenant, autour de moi, il y a beaucoup d’yeux qui regardent le vide, qui regardent tout et rien, des yeux fatigués. L’autre soir, me promenant avec une amie dans Paris, nous parlions de la guerre, des puissants de ce monde, quand soudain je lui demande pourquoi le métro est si souvent arrêté. Elle me répond que c’est, peut-être, parce que chaque jour, des gens se jettent dessous. Puis nous avons continué à parler d’autres choses, plus lointaines. Cette nuit j’ai rêvé que dans le métro jaillissait un liquide rouge qui se répandait dans les rues, me montait sur les pieds et je n’arrivais plus à marcher. " Cours, cours, fuis ! " Je crie comme un DJ déchaîné dans la cabine d’une radio, dans le spectacle Gente di Plastica. " Cette civilisation se déchire ? Nous sommes des millions, des millions, gras et pervertis. Je suis obsédée, déséquilibrée, je te fais croire que je suis délicieuse avec tout ce que je dis ", je hurle sous les notes de Frank Zappa. Puis cette absurde folie, comique, devient plus noire, plus sombre. Je n’arrive plus à rêver. Mes yeux ne voient plus, mes yeux se sont éteints. Il n’y a plus de lumière, 0 % est la lumière. " I Want People ", hurlait une danseuse de Pina Bausch, dévorant une pomme. Je veux des gens, je veux des gens. Il y a une solitude dans les yeux des gens, ici, autour de moi. Seul ce jeune homme avec le casque dans les oreilles, dansait avec les pieds, les mains, les yeux, mais soudainement, comme un éclair, s’est échappé. Humanité Article paru dans l'édition du 27 mars 2003.

Les éclats de vie de Pippo Delbono LE MONDE | 03.05.04

L'acteur et metteur en scène italien présente en mai, à Paris, au Théâtre du Rond-Point, six spectacles qu'il a créés avec sa compagnie, rassemblée au fil de rencontres, dans des stages, sur les places, dans les asiles. Depuis ses débuts, il s'inscrit dans la recherche d'un théâtre de l'émotion.

Le 9 juillet 2002, à Avignon, dans la cour d'une école hors des remparts, Pippo Delbono s'est avancé vers le public installé sur des gradins, autour du terrain recouvert de sable, et il a dit : "Bonsoir. Le spectacle que nous allons jouer a été créé à Gibbelina, le village du sud de la Sicile victime d'un tremblement de terre en 1968." Pendant qu'il parlait de ce village détruit qu'un sculpteur a recouvert d'un linceul de pierres blanches, un grondement tellurique a envahi la cour, jusqu'au déchirement. Il Silenzio venait de commencer, qui ferait entendre le silence des pierres, celui des mots et de la mort, du temps à vif et de l'absence sans fin, porté par des gens comme seul Pippo Delbono sait en mettre sur scène : des acteurs de la vie, venus du théâtre ou de la rue.

Ce soir-là, une histoire s'est scellée entre le public d'Avignon et l'homme de théâtre italien, invité pour la première fois au Festival, avec trois spectacles (Il Silenzio, Guerra et La Rabbia). Dès le lendemain, les places s'arrachaient, alors que les réservations n'avaient pas été folichonnes. Depuis, Pippo Delbono a sillonné la France. Cette année, il sera l'invité du Festival d'Avignon. En attendant, il s'arrête un mois au Théâtre du Rond-Point, où il présente six spectacles - les trois d'Avignon 2002, plus Il Tempo degli assassini, Barboni et Gente di plastica -, qui sont comme un voyage : ils suivent le chemin de la vie de Pippo Delbono, indissociable de ses créations.

Au départ, il y a une terre, la Ligurie, une petite ville, Varazze, et un petit garçon aux boucles blondes, né en 1959, qui joue l'enfant Jésus sur les scènes paroissiales. Le père de Pippo Delbono, un descendant de Paganini, travaille dans un hôpital et pratique avec ferveur le théâtre amateur. Le fils s'en souviendra. C'est à l'adolescence que tout bascule, quand Pippo Delbono rencontre Vittorio, et, avec lui, les voyages furieux, l'alcool, le sexe et l'héroïne. L'histoire durera huit ans. Jusqu'à la mort de Vittorio, après un accident de moto. A ce moment-là, la vie de Pippo Delbono bascule.

UN ENGAGEMENT ABSOLU

Il a déjà commencé à apprendre le théâtre, à l'école d'art dramatique de sa province, à Savona. Mais ce sont surtout deux expériences, typiques des années 1970, qui l'ont formé : un stage avec Ryszard Cieslak, le grand acteur de Jerzy Grotowski, et le travail avec le groupe Farfa, disciple de l'Odin Teatret d'Eugenio Barba. Cieslak pratique l'"être-acteur", qui réclame un engagement absolu de soi-même, quitte à être réveillé en pleine nuit pour reprendre un exercice. L'Odin est adepte d'un entraînement physique et vocal intensif, lié à l'improvisation, qui impose d'aller au bout de sa résistance, s'il le faut en tournant et tombant pendant des heures. C'est dans le groupe Farfa que Delbono rencontre l'Argentin exilé Pepe Robledo, qui aujourd'hui encore accompagne son travail. Et c'est avec lui qu'il crée son premier spectacle, Il Tempo degli assassini (Le Temps des assassins). Pina Bausch est passée par là. Les deux amis ont vu Bandoneon, et Pippo a pleuré quand une danseuse est arrivée avec une souris, disant : "J'ai une souris." C'est cette simplicité proche de la vie qui l'a bouleversé. Elle l'a libéré des expériences quasi monastiques qu'il venait de vivre. Alors il est parti pour Wuppertal, où Pina Bausch donnait Arien.

"A l'époque, se souvient-il, j'avais d'énormes problèmes aux yeux, liés à ma séropositivité. Pina m'a caressé les yeux et m'a dit : 'Tu as ton histoire, tu dois la raconter.'" Ainsi naît Le Temps des assassins, avec lequel Pippo et Pepe s'en vont en Amérique du Sud pour un de ces longs voyages qui, désormais, tiendront lieu de "training". Un an plus tard, en 1988, ils créent Morire de musica, avec 300 petits bateaux en papier sur la scène, et une seule phrase : "Y a-t-il quelqu'un ici ?", cette phrase qu'on entend si fort dans Il Silenzio quand la dit Nelson Lariccia, passé de la rue de où il vivait aux plateaux du théâtre, où il revit.

BOBO, STAR

C'est en organisant des stages que Pippo Delbono a rencontré ceux qui sont devenus les premiers membres de sa compagnie, comme Lucia Della Ferrera, qui était pharmacienne, Gustavo Giacosa ou Simone Goggiano. Et c'est la vie qui a fait arriver les autres. En 1995, après avoir créé son spectacle en hommage à Pasolini, La Rabbia (La Rage), Pippo Delbono tombe "dans un trou noir", alors que sa maladie a miraculeusement regressé. Pour s'en sortir, il décide d'aller voir, sur les places et dans les asiles, des gens qui comme lui souffrent. C'est ainsi qu'il rencontre celui qui, depuis, est devenu l'emblème de la compagnie, Bobo.

Bobo, microcéphale et sourd-muet, était enfermé depuis quarante-cinq ans dans l'asile psychiatrique d'Aversa quand Pippo Delbono l'en a fait sortir. Il n'avait jamais vu la rue, les gens, les feux rouges, sauf à la télévision. Les médecins disaient de lui : "Il est destiné à être pour toujours un enfant." Pippo, lui, dit qu'il sait "regarder avec son dos". Il a une façon unique d'être là, et de faire qu'on le regarde. A sa manière, c'est une star.

Bobo s'est imposé à Pippo Delbono, comme les autres, Gianluca le mongolien au visage de lune, un ancien élève de sa mère, M. Puma et ses béquilles, ou Angelo Guerci, qui a choisi d'être clochard pour des raisons politiques. Guerci quitte parfois la gare de Milan, où il a élu domicile, pour rejoindre la troupe et faire l'ange dans une séquence de La Rabbia ; et aussitôt après, il repart pour Milan et sa gare.

Pippo Delbono n'a jamais eu l'intention de travailler avec des "fous", des "exclus" ou des "handicapés". Mais avec des personnes, oui. Parce qu'il s'agit, pour lui, d'aller toujours plus vers un théâtre qui se confond avec la vie. Un théâtre où la psychologie, qui lui fait tellement peur, est bannie au profit d'instants, d'éclats, de jeux, de gestes et de scènes montées comme au cinéma, travaillées par la musique et portées par une émotion qui cherche la lumière dans le combat solitaire d'Enrico V (Henri V, d'après Shakespeare), le monde en guerre (Guerra) ou les illusions détruites (Gente di plastica). Dans ce théâtre où les mots de peu côtoient ceux de Sarah Kane, Pasolini, Shakespeare ou Beckett, la musique de Pink Floyd ou de Frank Zappa - le héros de Pippo Delbono - répond à des airs populaires.

Et c'est ainsi que s'allient le grand et le petit, sur la scène d'un monde dont Pippo Delbono est le gardien, souvent à la lisière du plateau, à regarder ses acteurs, intervenir s'il le faut, et, toujours, être là, simplement. Dans le mouvement de la vie.

Brigitte Salino

Myriam Blœdé et Claudia Palazzolo ont conçu un livre hautement recommandable, paru en février, Pippo Delbono, mon théâtre (Le Temps du théâtre/Actes Sud, 233 p., 22 €).

"Urlo" (Le Cri) sera créé au Festival d'Avignon

Pendant le Festival d'Avignon, Pippo Delbono va investir la Carrière Boulbon, où il créera Urlo (Le Cri), du 13 au 27 juillet. Pour ce nouveau spectacle, qui s'annonce comme "un poème sur la question du pouvoir", deux invités rejoignent la compagnie : l'acteur Umberto Orsini, qui a joué sous la direction du cinéaste Luchino Visconti et du metteur en scène Luca Ronconi, et la chanteuse Giovanna Marini. Les 26 et 27 juillet, au Théâtre municipal, seront données deux représentations d'Enrico V (Henri V), d'après Shakespeare. Des gens d'Avignon formeront le chœur muet de ce spectacle, que Pippo Delbono a créé en 1993, en limitant l'action à quelques moments-clés de l'histoire du roi anglais qui "voulait la France".

ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU 04.05.04

Il faudra sans doute le voir pour le croire. Sur les planches. Là où l’on sait que peut opérer la magie. Celle de son histoire s’y inscrit hors des volumes du répertoire, en marge des rigueurs du verbe et de l’écrit. Pippo Delbono s’offre des héros nouveaux, campés dans des réalités que l’homme ordinaire fuit mais que lui convie, dans ses propos, avec une éloquence dont le sens pour nous ne deviendra évidence que lorsque nos yeux de spectateurs curieux auront identifié leur personnalité. A l’écouter, on sait déjà que sous la carcasse bien charpentée de ce baladin italien vibrent à l’unisson une énergie et un esprit nourris d’une foi en l’humain d’un genre peu commun. Et avant qu’il ne la formule, on jurerait déjà en préambule que sa dualité préférée repose sur un affrontement répété entre force et fragilité. Pippo Delbono ne cache pas que la dernière a pris le pas, dans sa vie d’hier, sur la première. Mais que depuis, au hasard des expériences de l’existence, il a beaucoup appris à regarder et à aimer les gens, autrement. Il l’exprime à sa façon : “On ne peut se satisfaire des apparences, le meilleur est à l’intérieur”. Chaque spectacle fourbi avec sa compagnie le dit depuis quelque dix-huit années passées à se coltiner avec les planches. “Depuis “Le temps des assassins”, le premier qui raconte les déboires d’un rescapé de la dictature militaire argentine, et après mes histoires de jeunesse avec la drogue, le rock…, le théâtre s’est imposé à moi dans une dimension nouvelle au gré des rencontres. Comme celle de Bobo”. Voilà prononcé un nom clé. Celui qui baptise au sein de la compagnie un homme qui l’a aidé, comme il dit “à secouer les cocotiers d’un théâtre un peu figé”, pour trouver le filon d’un jeu fort et généreux basé sur les douleurs de l’exclusion. Maladie, handicap, schizophrénie, errance…, les plaies de la vie sont devenues les arguments d’une matière humaine très dense sur laquelle Pippo a fondé son art.

“Comme des diamants trouvés dans la boue”

“Parce que pour faire exister le théâtre et les acteurs, sans faire du social, il faut rester ouvert”, explique ce metteur en scène sans œillères. Et quand Bobo, sourd-muet, a quitté l’hôpital où il avait passé la plus grande partie de sa vie, et qu’il lui a fallu découvrir un monde dont il n’avait pas la moindre expérience Pippo l’a accompagné dans sa découverte. Il lui a donné sa place dans la troupe et Bobo y est devenu indispensable. “Il nous a apporté des conditions uniques qui ont tout bouleversé. Si au début les gens ont pu nous trouver bizarres, une fois qu’on leur a expliqué que notre démarche n’était pas une vue de l’esprit ou une idée qui nous était simplement passée par la tête mais que la vie elle-même était porteuse de cette possibilité d’expression, alors on a senti que notre travail (qui s’est multiplié et diversifié avec d’autres types de… marginaux?) commençait à être compris puis apprécié. Sûr que ça a pris du temps et qu’il a fallu que les gens fassent une concession énorme pour accepter, par exemple, que la photo de Gianluca, l’un de nos acteurs, trisomique, soit à l’affiche d’un spectacle” … se souvient Pippo Delbono. Il a réussi à donner une belle popularité à une théâtralité ainsi résumée “Chercher les gens dans les lieux de douleur pour trouver le bonheur. Des gens qui sur scène sont des personnes, pas des personnages. Ce sont eux-mêmes qu’ils interprètent et qui peu à peu perdent leur condition de malade, ou d’exclu pour devenir des poètes. Une communauté de personnes qui se mélange et dont les plus fous au final pourraient bien être les plus normaux”, ajoute en riant ce metteur en scène (l’un des plus remarqués actuellement non seulement en Europe mais dans le monde) qui trouve en ses acteurs “La justesse spontanée d’une gestuelle qu’un comédien lambda doit passer au moins vingt cinq ans, à cultiver !” Ce qui ne fait pas l’économie d’un apprentissage de haute précision pour ne pas risquer de briser la poésie jaillie de faiblesses que Delbono préfère nommer “fragilité” et leur challenger “la force”. “Ce qui permet au public de te regarder un peu l’âme…”, conclut cet étonnant baladin italien.

• Paroles d’un artisan du théâtre … “Mon itinéraire artistique est comme un voyage vers un théâtre de plus en plus essentiel, plus nu, plus proche de la vie. À l’image de la rencontre de gens qui ne vivent pas l’art comme un métier mais comme une expérience fondamentale à la survivance. Pour eux l’expression artistique n’est pas un travail mais une nécessité de vie. C’est pourquoi j’ai provoqué la rencontre entre la compagnie, des acteurs qui suivent notre travail depuis longtemps, et ces gens qui vivent l’art comme l’unique raison pour être, pour avoir une identité, pour vivre… “Dans mes spectacles, les mots sont très importants, mais ils ne sont pas tout. Je pense que le théâtre, comme l’écrit Artaud, c’est une peste : il doit te prendre avec les yeux, le nez, la bouche, avec tous les sens, avec le cœur…” Pippo Delbono

Compagnie hors norme Installés depuis quinze ans à Modène en Italie, Pippo Delbono et sa compagnie créent un théâtre des corps meurtris appris chez Eugenio Barba et Pina Bausch. Les spectacles de Pippo Delbono rassemblent une communauté de personnes dites marginales qui rejoignent la compagnie de projet en projet. Une rencontre entre l’art et la vie qui bouscule les repères et les codes de bienséance du théâtre. “Le Théâtre de Pippo Delbono n’est pas voyeur, sa démarche est un engagement, un choix de vie, une aventure humaine autant qu’artistique,” explique Ahmed Madani qui a choisi pour le Théâtre du Grand Marché deux spectacles révélateurs, Barboni et Guerra. Ce soir, demain et dimanche en fin de journée c’est Barboni (l’équivalent de Clochard), qui ouvre les festivités. Un spectacle né de la rencontre entre Delbono et des artistes de rue, un chanteur de rock, des patients de l’hôpital psychiatrique d’Aversa en Italie. L’unijambiste Armando, croisé dans une rue de Naples, ou encore Bobo, sourd-muet microcéphale, se mêlent aux autres comédiens, clochards et clowns dans une ambiance de fête foraine.

• Guerra sur tous les fronts Le second spectacle que Pippo et sa compagnie présenteront en live les 16, 17 et 18 avril au Grand Marché, Guerra est également le titre du premier défi relevé par Delbono au cinéma (à voir également le 13 avril au CDR). Un documentaire visiblement exemplaire, réalisé sans hasard en Israël et en Palestine, sur les combats qui dans des lieux de conflits se livrent aussi au cœur de leurs acteurs ou spectateurs… Ce film a déjà été couronné à la Mostra de Venise et au festival du Caire ; Il va recevoir la semaine prochaine en Italie le Prix Donatella, équivalent du César pour les films de fiction. http://www.clicanoo.com/articles/article.asp?id=75841

2000. Il Silenzio (Le Silence). Comme toujours dans le théâtre de Pippo Delbono, il ne s'agit pas, dans ce spectacle, de raconter l'histoire de Gibbelina, le village sicilien détruit par un tremblement de terre le 14 janvier 1968. En marchant sur le sol recouvert par l'artiste italien Alberto Burri d'un linceul de pierres, Il Cretto, Delbono s'est souvenu de tous les moments où la vie tremble, où le sol s'ouvre sous les pas. "Quand tu es ici, fais silence. Quand tu sortiras d'ici, ne reste pas silencieux", dit Lucia Della Ferrara dans Il Silenzio. C'est la phrase qui est écrite dans le cimetière où sont enterrés les enfants, à Buchenwald. Trente-deux acteurs sont sur le plateau d'Il Silenzio, pour faire entendre tous les silences de la terre.

La guerra di Pippo Delbono Conversazione con Oliviero Ponte di Pino ("il manifesto", luglio 1998)

ASTI. In questi anni Pippo Delbono esplora una terra di nessuno, che per certi aspetti è ancora teatro e per altri pare negarlo. La sua esperienza – dall’apprezzatissimo Barboni a La guerra, che debutta il 16 luglio ad "Astiteatro" – sembra affermare che il teatro è troppo importante per abbandonarlo alla finzione e alle sue facili illusioni. Con la sua antiretorica e la sua passione, Pippo Delbono insegue la verità del teatro: può farla esplodere nella bellezza quotidiana di un gesto (che è danza, come insegna Pina Bausch), nell’atto di denuncia o nel grido di rabbia, nell’esposizione della propria diversità, del proprio io. Ecco, i protagonisti dei suoi spettacoli – come per essenza l’attore – sono spesso segnati dalla diversità: Bobò, microcefalo e sordomuto, "liberato" sul palcoscenico dopo decenni di reclusione manicomiale con effetti di struggente deriva poetica, il poliomielitico Armando, che si presenta in scena con le stampelle e la sua anima di uomo libero. C’è un potente effetto-verità in queste presenze, ma anche qualche possibile equivoco.

Sicuramente non mi piace il teatro dei personaggi. Ho bisogno che chi sta in scena sia innanzitutto se stesso. Non perché non sia in grado di fare un personaggio, ma voglio una certa sobrietà e la consapevolezza di quello che sta facendo, una certa lucidità. Per me lo spettacolo è un po’ una conferenza. In questi anni ho fatto diverse conferenze nelle università. Arrivavo lì senza niente, raccontavo delle cose, facevo dei pezzi dei miei spettacoli e riprendevo a raccontare. Questo creava grandi emozioni. Così ho scoperto che per creare emozioni forti non ci vuole un enorme apparato illusionistico. Mi dà fastidio la finzione, che si respira ovunque. Nel teatro, nei ruoli… Non parliamo della televisione! Ma quando vedo la presentatrice tutta azzimata, e a un certo punto mi accorgo che magari ha i tacchi un po’ sporchi, ecco, mi interessa di più quel particolare, oppure lo sfilacciamento della gonna che lei cerca di nascondere. A me piace un teatro che sia tutto lì, che succeda tutto lì, chiaramente con un rischio, perché corre sempre su un filo.

Per La guerra hai coinvolto altre persone, rispetto al cast di Barboni?

C’è Nelson, un signore mezzo americano e mezzo italiano, che ho conosciuto dalle suore di Madre Teresa di Calcutta, a Napoli, quando lavoravo su Barboni. Sembra il personaggio di Paris-Texas, quello totalmente stralunato che vaga per il deserto. All’inizio pareva una figura del tutto anomala, poi ha iniziato a tirar fuori un suo mondo, la sua storia, il suo rapporto con la California, l’ironia, il fatto che conosce quattro lingue. Mi ha molto colpito la sua presenza: tra i numerosi barboni che ho incontrato, è l’unico con cui ho lavorato. Poi c’è un ragazzo down che era stato alunno di mia mamma. Sua madre voleva fargli fare una scuola di teatro, mi chiedeva consigli su dove mandarlo, ha insistito a lungo. Così alla fine le ho detto: "Ma, non so proprio cosa consigliare. A questo punto, che venga con me". È stato un bell’incontro: famiglia ricca, classe sociale opposta a Nelson, molto bene educato. Ora stanno vivendo tutti insieme, in questa carovana, con i loro mondi opposti, chi puzza e chi si lava quattro volte al giorno, chi parte in tournée senza neppure un ricambio e chi ha le mutande firmate Calvin Klein.

Che cosa caratterizza le persone che lavorano con te?

Hanno tutti essenzialmente delle storie di lotta, ognuno a suo modo. Hanno dei rapporti forti e allo stesso tempo ironici con la vita. Siamo un gruppo molto allegro, ci si diverte molto, ognuno di noi porta qualcosa di vitale e molto interessante. Anche se ormai penso che tutte le persone portino qualcosa di vitale e molto interessante. Forse è solo un mio modo di guardare le persone.

Qual è il tuo rapporto di autore e regista, oltre che attore, con i tuoi compagni di scena?

Da una parte c’è il mio personale, e poi quello degli altri, la loro storia. Io faccio sempre la parte di chi è un po’ fuori e un po’ dentro. Il mio monologo iniziale in Barboni è un io che si racconta, ma nello stesso tempo non lo è, perché c’è anche una ricerca linguistica, e un modo di narrare e di costruire un testo che lascia sempre con una sospensione leggera. Chi mi vede si chiede: "Ma è vero o è finge?". Mi piace che rimanga sempre questo dubbio. Alla fine, c’è chi viene a chiedermi: "Ma quel monologo che fai all’inizio, dove l’hai preso? È pubblicato?". È un filo leggero, pericoloso, sul quale amo correre. È questo che dà vita al teatro: io corro sul filo, ma voglio che sul quel filo corra anche il pubblico.

Qual è la chiave per arrivare dall’io alla teatralità?

Non voglio fare teatro-verità… C’è sempre un filtro. In Barboni il pezzo che faccio con Bobò è Beckett. A me piace quell’incontro, non tanto portare in scena direttamente l’io… Ma certe volte c’è bisogno di tirar fuori una specie di confessione, chiaramente nella teatralità, non certo per cercare il compatimento… Voglio comunicare, riuscire a trovare la poesia in cose estremamente semplici. L’eccesso di mediazione mi dà fastidio. È la poesia secondo me che salva…

Barboni era costruito per numeri, per frammenti. La guerra riprende questa struttura?

A me interessa l’individuo. Fino a oggi non avevo mai voluto bruciare una persona per una coreografia, per un momento corale. La struttura a numeri è la conseguenza del fatto che a ogni persona viene stato lasciato il suo spazio, perché ha qualcosa da raccontare. Ma chi ha visto le anteprime della Guerra a Castiglioncello mi ha detto che ci sono dei momenti corali molto intensi.

Perché un titolo come La guerra?

Come sempre, all’inizio è stata una scelta un po’ casuale, anche se poi questo titolo per me ha un senso. Quando faccio uno spettacolo, è perché ho una domanda. Per me fare uno spettacolo non significa avere una chiarezza, ma un momento d’inquietudine. Lo spettacolo è l’effetto di quest’inquietudine, che non sai bene che cos’è. Un titolo come La guerra riassume un po’ tutto quello che stiamo vivendo. Per cominciare, la nostra vita è stata una lotta tra tutti questi stati vitali.

Che cosa intendi per "stati vitali"?

Mi viene in mente un concetto buddista: portiamo in noi tutti i mondi, l’inferno e la buddhità, e poi bisogna vedere quello che tiriamo fuori. E naturalmente ci sono le guerre reali, quelle che abbiamo sempre vicino, che respiriamo.

C’è anche una presa di posizione personale?

Viene sempre da filtrare attraverso la propria esperienza. "Perché la gente nel mondo si sta uccidendo?". Vista la mia vicenda personale – anche se adesso sto bene e sono anche molto felice – è una domanda che mi tocca nel profondo. Dopo aver lottato tanto per continuare a vivere, dopo essermi aggrappato per anni alla vita, dopo che mi è sembrato di morire e avevo perso tutte le speranze, dopo che ho ricominciato ad amarmi e ad amare tutta la vita, comprese le piccole cose, vedo tutte queste guerre e la gente che si distrugge. La mia non è certo una grande ispirazione sociale, ma forse sono più sincero di chi ripete che la guerra è una cosa brutta e che bisogna essere buoni. Vedo retorica ovunque, e invece bisogna che le cose che diciamo ci attraversino davvero. Faccio le mie considerazioni su questa mia lotta e sulla gente che si distrugge, e mi sembra quasi di essere io a provocare questa guerra, in questo spettacolo, e forse divento il tramite di qualcosa più grande di me. Non è poi così importante, la mia vita.

http://www.trax.it/olivieropdp/Delbono-Guerra.htm

http://www.magazine-litteraire.com/ifram/i-chroniques.htm :

Humbles lyriques

Par Gilles Costaz Magazine littéraire n°431 Mai 2004

« Pour construire mes pièces, je procède comme pour le montage d’un film, j’assemble des éléments autonomes, dit-il. C’est pourquoi il n’y a aucun dialogue entre les acteurs » Pippo Delbono

Théâtralement, le mois de mai est, à Paris, le mois de l’Italien Pippo Delbono. Cet homme de théâtre pas comme les autres s’installe au Théâtre du Rond-Point, du 4 au 28, et y donne, au cours d’un cycle, cinq de ses spectacles : Le Temps des assassins, La Rage, Barboni (Clochards), Guerre, Le Silence, Gens de plastique, qui correspondent à des étapes différentes de la vie de sa compagnie, depuis 1986. Il s’exprime aussi dans un livre d’entretiens réalisé par Myriam Bloedé et Claudia Palazzolo, Mon théâtre, où il définit sa différence, qui est grande ! Car cet éternel nomade s’est formé à partir d’idées et de pédagogies du corps existantes (il est proche du « théâtre pauvre » de Grotowski, a emprunté des solutions aux traditions orientales et à Pina Bausch) mais, loin de respirer l’expérimentation, ses spectacles sont plutôt une geste de la vie des humbles transfigurée par un jeu très physique, une parole poétique et des pulsions musicales. Il peut donner l’impression de sortir d’un film de Pasolini - l’artiste qu’il cite le plus souvent - mais le style de ces moments théâtraux, dont les acteurs sont Pippo lui-même, des miséreux et des handicapés, a quelque chose de plus aérien dans la quête d’une émotion sociale et lyrique à partager. « Pour construire mes pièces, je procède comme pour le montage d’un film, j’assemble des éléments autonomes, dit-il. C’est pourquoi il n’y a aucun dialogue entre les acteurs. Chacun est seul à côté des autres. » Tout est simple et tout est métaphore (Le Silence, inspiré par le tremblement de terre de Gibellina, parle ainsi de tous les bouleversements sociaux et guerriers) chez ce baladin important, qu’on verra aussi, dans un nouveau spectacle, au festival d’Avignon.

Mon théâtre, Pippo Delbono. Éd. Actes Sud, 22 euros.

Pippo Delbono Mon théâtre Actes Sud (4 février 2004) "Mon théâtre, c'est le livre d'un artiste qui fait du théâtre à la première personne. Il suit le parcours de cet aventurier épris du voyage qui le conduit de Bolivie à Pina Bausch et de Grèce à Eugenio Barba. Le théâtre de Pippo Delbono porte la marque des expéditions dont il se nourrit et qu'il intègre sans cesse. Ses choix de vie, il se les remémore et les commente ici avec une liberté propre à son identité. Pippo Delbono ne dissocie jamais l'expérience de son utilisation scénique : elles se confondent. Mon théâtre, un livre concret où ce "baladin du théâtre occidental" parle de maladie et de déroute, de Pasolini et de l'Albanie, de sa mère et de ses amis. C'est d'un autoportrait en acte qu'il s'agit, d'une parole qui saisit le réel et en jouit, d'un théâtre qui se fait en mouvement. Théâtre direct, vital, choral. "Théâtre brut", pour rappeler la célèbre formule de Peter Brook. Mon théâtre, récit de la constitution d'une équipe où se retrouvent des personnages marginaux, handicapés et rejetés, indispensables à Pippo Delbono, ce Dubuffet des temps modernes. Il raconte, sans impudeur ni complaisance, comment un artiste se met à l'écoute, parle, agit au sein de cette communauté qui réunit les exclus du monde. C'est elle qui sert d'assise à son théâtre. Mon théâtre, un livre qui se lit comme un poème de François Villon." Georges Banu

Pippo Delbono est un bien curieux ovni théâtral. Entre Pina Bausch pour les interventions sous forme de sketches, les Deschamps pour ses personnages “d’en bas”, mâtiné de l’hystérie comique de Roberto Benigni, le créateur italien est capable de tout : jouer tout seul mais en lisant ses notes, rameuter une troupe d’acteurs professionnels ou non, enrôler sur scène des gens rencontrés dans la rue ou au sortir d’hôpitaux psychiatriques… Delbono a le goût de la provoc et un sens artistique spécial, voire spécieux pour ceux qui ne raffolent pas. Mais il faut aller se faire une idée par soi-même : le Rond-Point lui ouvre son théâtre avec pas moins de six “pièces” dont certaines avaient déclenché une ovation au festival d’Avignon. Alors, pipeau ou non, le Pippo ? http://www.yanous.com/pratique/culture/culture020802.html : Handicap sur planches. L'édition 2002 du Festival de théâtre d'Avignon a permis de découvrir plusieurs troupes de comédiens handicapés ou mettant en action le handicap : vu pour vous...

Pippo Delbono s'en va-t-en guerre. Le dramaturge italien est arrivé à Avignon nimbé d'un mystérieux prestige, et ses trois spectacles ont fait salle comble. Nous avons vu le second, Guerra. Pippo Delbono nous présente divers personnages et saynètes, liant le tout dans une logorrhée encombrante. Ce ne serait pas si grave si l'auteur érigé en Monsieur Loyal et muni d'un micro n'insistait à nous faire découvrir la puissance de la sonorisation que le Festival d'Avignon (In) a eu l'amabilité de lui fournir. Se faisant consciencieusement crier dessus, comme à la grande époque du théâtre de dénonciation sociale, le public assiste aux numéros de comédiens "blessés de la vie". Certains se contentent d'être ce qu'ils sont, tel ce poliomyélitique qui traverse le plateau de droite à gauche puis de gauche à droite pour finalement s'asseoir en fond de scène et faire l'oiseau en levant ses béquilles : vue une fois en début de pièce, la scène est empreinte d'onirisme, mais ce n'est pas assez pour Pippo Delbono qui nous inflige un deuxième passage quelques dizaines de minutes plus tard. Autre personnage phare, Bobbo est l'une de ces "trognes" dont Fellini aimait ponctuer ses films, distillant une poésie immédiate, suscitant une grande empathie avec le public. Effets gâchés, là encore, par la répétition et les propos lénifiants hurlés par l'auteur. Que reste- t-il de Guerra ? Une vingtaine de minutes de théâtre, dont une scène époustouflante de destruction guerrière d'un intérieur bourgeois, remarquablement mise en action... et une heure de bla- bla assourdissant. En assénant son verbiage au public, Pippo Delbono fait passer au second plan la maîtrise et la richesse du travail de ses comédiens, comme s'il ne leur faisait pas confiance. Pour autant, suffit- il de mettre sur une estrade un trisomique (au demeurant très bon comédien et que l'on aimerait voir dans un autre contexte), un polio, un zonard rescapé de la galère, un microcéphale sourd- muet et quelques autres pour émouvoir le public et l'inviter à porter un autre regard sur des êtres "différents" ? Pippo Delbono le clame, la vision de Guerra permet d'en douter...