LA TÊTE QUI TOURNE Dans La Même Collection DARIUS MILHAUD, Ma Vie Heureuse
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LA TÊTE QUI TOURNE Dans la même collection DARIUS MILHAUD, Ma vie heureuse. FRANCIS PICABIA, Ecrits 1913-1920. Ecrits 1921-1953. JEAN RENOIR, Ecrits 1926-1971. JOHN CAGE, Les Oiseaux. JEAN WIÉNER, Allegro appassionato. MARCEL L'HERBIER LA TÊTE QUI TOURNE LES BATISSEURS DU XX SIECLE PIERRE BELFOND 3 bis, passage de la Petite-Boucherie 75006 Paris Si vous souhaitez recevoir notre catalogue et être tenu au courant de nos publications envoyez vos nom et adresse en citant ce livre Editions Pierre Belfond 3 bis, passage de la Petite-Boucherie 75006 Paris ISBN 2.7144.1215.7 © Belfond 1979 A Marie-Ange, providence de mes yeux malades, dont l'esprit et le cœur se sont si bien glissés entre les lignes de ce livre. PRELIMINAIRE FINAL Ce livre vient bien tard... Les souvenirs aujourd'hui s'écrivent au présent. Cueillis sur le vif. Servis crus. Sans aucune des concoctions de la mémoire. De l'écriture diététique. Reste à savoir — ces pages le diront peut-être — si des souvenirs-souvenirs, même recrus d'âge et recuits à l'ancienne, ne tirent pas finalement avantage d'être, plutôt que des amuse- gueule avalés en hors-d'œuvre, l'extrême pièce montée servie au dessert d'un long repas existentiel ? Après tout le lecteur, espérons, sera là pour le dire. Mais prenons-lui déjà avec amitié la main, en lui précisant que ce préliminaire paradoxalement final est préliminaire parce qu'il est une ouverture sur un livre qu'on va découvrir et qu'il s'inscrit à la fois en finale d'une partition copieuse de films, d'écrits, d'images, composée durant les soixante ans où j'ai servi avec une fidélité volontaire ce capricieux cinématographe, et en l'invi- tant surtout à goûter sans trop d'arrière-pensées ce qui fut l'assaisonnement quotidien de toute une vie de gourmandise spectaculaire. Oui, ce livre vient bien tard... Mais je lui dois une faveur : il me donne — enfin — la parole. Et je n'hésite pas à la prendre. Je l'attendais, figurez-vous, depuis quinze ans ! C'est en fait le 27 mai de 1963 — abordons les confidences — que M. Flammarion (Henri) me laissa aimablement entendre qu'il « envisageait » de publier ce que j'appelais le livre de bord de ma traversée professionnelle, un livre qui évoquait, en fan- faronnant un peu, « cinquante ans d'action cinématographique POUR ou CONTRE ». Le sommaire, d'ailleurs, explicitait claire- ment cette alternance Hélas... A quelques décades de cet espoir, Flammarion, retombé de ses nues où l'oncle Camille veille sans doute au grain, me reprochait (de plus en plus aimablement, ça va de soi) d'avoir, dans mes POUR et CONTRE, trop donné le pas aux problèmes ardus du métier sur les problèmes ardents de la création. Or seuls ces derniers, bien enrobés d'anecdotes dosées à point, pouvaient, d'après lui, captiver le lecteur. C'est pour- quoi, « avec quel regret ! », il renonçait à « envisager ». Faut-il le dire : je ne lui donnais pas immédiatement raison... J'étais jeune (soixante-quinze ans !), obstiné. Je tenais à la rigueur pro- fessionnelle de mon ouvrage. Pourtant je ne me leurrais pas : qui se risquerait à le publier ? Le virus Flammarion avait proba- blement contaminé toute la gent éditoriale. J'en eus vite la preuve. Mon manuscrit, à peine parti, me revenait en boomerang. Porteur, sous de brillantes signatures (Sabatier, Buchet-Chastel, Mistler), des plus chaleureux refus. Somme toute c'était bon signe, si on voulait jouer à qui perd gagne. Mais je m'irritais malgré moi du temps que ça me ferait perdre. Heureusement une diversion vint... sous forme d'opération chirurgicale grave, où je me jouai littéralement à pile ou face. Face l'ayant emporté, je respirais un peu. Longtemps conva- lescent, je me mis à repasser ma vie, à faire mes comptes de fin de moi. Et pourquoi n'en donnerais-je pas ici (entre nous) une vue cavalière ? Après mon temps de Faculté, mes premiers essais littéraires et musicaux (deux livres et des morceaux publiés, une pièce jouée), une plongée dans la Grande Guerre, s'achevant par mon affectation à la Section Cinématographique de l'Armée, j'entrais dans un métier qui n'existait pas. Et ce furent quarante ans de servitudes et de bonheur filmiques (plus de 60 films), suivis de dix ans de chaînes télévisuelles (près de 200 émissions), suivis encore — retour aux sources — de la création de films salubre- ment culturels (Hommage à Debussy, Le Cinéma du Diable), sans compter, nous y sommes, la rédaction de ce livre-message qui ne trouva pas d'emblée son éditeur-messie... Mais nous ne sommes pas encore au bout du chemin. 1. POUR que le cinéma français soit français et qu'il soit du ciné- matographe. CONTRE l'invasion sauvage du film étranger. POUR la conquête du Droit d'auteur. CONTRE l'anarchie professionnelle. POUR la formation des cinéastes. CONTRE la politique cinématographique française. POUR la défense et l'illustration du Cinéma Total. 1974 surgit au calendrier : un événement surprise. Dès janvier, un nouveau livre paraît sur moi, bien différent d'esprit et de compréhension de celui que me consacra, vingt ans plus tôt, la si affectueuse lucidité de Jaque Catelain Il était signé Noël Burch, diplômé franco-américain de l'IDHEC et grand expert en filmologie. C'était un livre choc. Il me portait çà et là des coups susceptibles, selon lui, de me réanimer au fond quitte à m'assassiner (un peu) sur les bords. Et il joua suprêmement bien ce jeu dialectique. Il m'aida finalement à sortir de ce que Langlois appelait « le tunnel », les criticologues « le purga- toire », lui « le ghetto ». Néanmoins, pourquoi le cacher, le livre à brûle-pourpoint de Burch me déchaîna. Soudain l'envie m'en- vahit de remettre sur le métier le récit de mon métier. De repren- dre en main l'épure trop dépouillée que j'avais tirée de ma profession, et de l'humaniser en l'amenant au plan palpitant du vécu. En quelque sorte en donnant d'une certaine façon raison aux exigences d'un Flammarion, à condition qu'elles soient dépoussiérées du pragmatisme de la commercialisation à tout prix qui les avilissait à mes yeux. Je repris donc mon ouvrage où je remis mes souvenirs dans le droit-fil d'une réalité trop souvent travestie, ajoutant à ce qu'ils ont de professionnel ce qu'ils gardent avant tout d'attractif. En outre — pourquoi ne pas l'avouer — l'esprit à sac, le cœur à sec, j'avais alors surtout soif de la fraîcheur sentimentale de mon passé. Et le voici enfin cet ouvrage. On verra que j'y ai juxtaposé des écrits d'époque qui viennent attester, en procès-verbaux successifs, les événements de mon parcours, et que j'y ai enfin disposé aux haltes de ma randonnée des images qui en illustrent les aspects typiques. Ainsi, SOUVENIRS, ECRITS, IMAGES, complices de l'expres- sivité, forment le triptyque idéal qui encadre une tête qui « tourne » mais aussi — pardonnez-moi — qui pense. Ce livre qui vient si tard ne vient pas seul. Intelligence du Cinématographe, qui date de trente ans déjà, l'annonçait. C'était une anthologie de textes filmiques, puisés dans un large éven- tail d 'auteurs, que j'avais rassemblés surtout pour faire compren- dre à tous les cinéphiles et singulièrement aux étudiants de l'IDHEC les aspects majeurs de la révolution universelle que constituait l'invention capitale de Lumière. J' avais ainsi donné la parole aux autres. Ce livre-ci me la donne à moi. N'empêche qu'ils sont faits, l'un et l'autre, pour se compléter. Mais surtout pour aller plus loin, c'est-à-dire pour 1. Jaque Catelain présente Marcel L'Herbier, Ed. Vautrain, Prix Canudo 1955 (épuisé, en instance de réédition). jeter sur les arcanes de ce nouveau mode d'expression, après le regard d'autrui, le regard de ma propre expérience. C'est pour- quoi j'ai doté mon ouvrage de ce titre en jeu de mots La Tête qui tourne, où je fais en même temps sentir qu'en « tournant » (des films) dans ce monde vertigineux de l'image, la tête m'avait symboliquement tourné. Ainsi ce mémorial à trois voies, ou plutôt à trois vocabulaires parallèles de souvenirs vécus, écrits, photographiés, assume la même vocation essentielle que Intelli- gence du Cinématographe, qui est de rendre plus intelligible à tous — quelle tâche ! — le miracle à mille faces du cinéma- tographe, cette prodigieuse machine à imprimer la vie. Que je connaisse le cinématographe depuis quatre-vingts ans et le pratique depuis soixante me vaudra peut-être d'être pris pour un cinéaste des premières lunes. Mais j'ai été de la seconde à partir de sa majorité et, depuis le parlant, de toutes les autres. Et mon rôle dans notre profession a été plutôt mené sous le signe d'une croisade — celle de la Croix de Malte — qui visait les intérêts de la création d'un art et ceux de la création d'un métier. Dès 1917, j'avais compris que nous entrions dans cette ère filmique où l'image animée allait prendre une place substantielle à la culture verbale. Je l'imaginais comme une nourriture inespé- rée où le visible humaniserait, socialiserait l'intelligible. Mais ce pain d'images qui m'aura été si longtemps quotidien, c'est bien le moment que je le partage avec le lecteur, dans un bel élan de fraternité filmique et dans la foi que je garde à ce qui fut mon indéfectible dévotion à la cause « immensément popu- laire » du cinématographe, ce « nouvel âge de l'humanité ».