Hamidi Ou Ces Miroirs Que Nous N’Avons Pas Vus
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La Rétrospective Exposition Rétrospective de Hamidi Ou ces miroirs que nous n’avons pas vus. Hassan Bourkia - 2011 « La peinture, c’est un œil, un œil aveuglé, qui son atelier situé au quatrième étage rue des Fleurs continue de voir, qui voit ce qui l’aveugle.. » à Casablanca. Il marche comme s’il retourne vers Bram Van Velde un autre moment, vers Azemmour, vers le portrait de sa mère accroché à l’un des murs de son petit Cette exposition rétrospective organisée par la atelier, bien rangé et propre, comme si le monde Galerie 38 à Casablanca ambitionne d’hono- avait cessé d’exister autour de lui. Cela me rappelle rer l’ami Mohamed Hamidi. Cet artiste le mérite ce que Matisse avait dit dans l’une de ses célèbres amplement à plus d’un niveau. Un itinéraire ar- interviews en 1949 : «L’artiste se domine, plus ou tistique fertile et diversifié s’étalant sur plus d’un moins selon les cas, mais c’est la passion qui do- demi-siècle. Sa vie artistique récapitule l’histoire mine son œuvre. » du Maroc contemporain, depuis l’indépendance à nos jours. Il incarne l’archive artistique de cette Nous rentrons à l’atelier et nous regardons com- époque, de ses artistes et de ses générations de ment se développent ses travaux suivant leur lo- lauréats. Les moments de cette histoire n’étaient gique interne. Il ne les appuie pas avec la parole ni pas sereins et le monde n’était nullement aisé. ne les défend ou les explique. Face à eux, il garde Mais pour lui et pour certains de ses rares collè- souvent le silence, comme si trop parler est suscep- gues alors poètes, artistes et intellectuels, qui ont tible de nuire à la « vérité. » Nous regardons en- vécu au Maroc ou choisi de migrer ailleurs, échap- semble les photographies des débuts de l’art plas- per à l’étouffement fut la condition de survie de tique au Maroc ainsi que les photographies de ses même que la créativité permettait un itinéraire travaux artistiques passés et actuels. J’ai constaté individuel débouchant sur le salut collectif. Il avait que dans certains de ses travaux artistiques avan- été comme ça et il l’est encore, il respire les choses cés, certaines formes sont récurrentes sur divers à plein poumons. Nous nous sommes retrouvés et supports – peau, bois, tissu et papier – telle que la parlés à maintes reprises. Il dessine passionnément main ouverte ou les yeux avec lesquels, associés à tel que je l’ai toujours connu. Calme et lent comme d’autres interprétations liées à une tradition parti- l’est sa façon de marcher, il monte l’escalier de culière, l’artiste se découvre lui-même ainsi que le 5 monde autour de lui. Ce sont eux qui attirent un de grande dimension le confirment car, malgré leur flot d’informations et de connaissances provenant simplicité apparente ils touchent quelque chose de soit de l’intérieur ou de l’extérieur… où les doigts très proche et très humain, qui tremble dans la ressemblent à des lanternes qui garantissent cette couleur et qui devient en elle-même lumière, dans opération de découverte et complètent la compré- une échelle de couleurs peu commune, tantôt hension par le biais de l’œil. Ils traduisent tous les proches tantôt contradictoires, lumière et obscu- deux la soif de l’artiste, ou de l’homme passionné, rité se stabilisent, la transparence et l’épaisseur, la pour accéder à la connaissance du monde qui l’en- platitude et la plénitude, la chaleur et la froideur, toure. Celui qui regarde trouve également que la les contradictions que font naître les zones colo- main coupée ou dessinée est toujours ouverte rées et leurs limites claires ou flottantes face à des sur le monde afin de le comprendre et d’absor- couches où les couleurs sont superposées…et qui ber sa lumière et ses marques. Ces marques sont donnent ensemble au spectateur l’impression que souvent des écrits qui réunissent le réel et le fic- Hamidi est le seul artiste de sa génération et de tionnel et où s’entrecroisent le local et l’universel ses contemporains qui pratique cette haute tech- comme le croisement entre la culture de son pays nique dans la création de la lumière à l’intérieur et d’autres cultures universelles où le symbole est des couleurs. Il y est resté fidèle, c’est-à-dire qu’il une manifestation commune. Et même lorsqu’il dessine ce qu’il veut dessiner lui, loin de la lumière s’agit, apparemment, du corps ou de certains de passagère de la presse, du réseau de relations, de ses membres, ou du corps de la femme que nous l’aveuglement des éloges futiles et des « critiques » trouvons rarement complet dans ses travaux, mais rémunérés d’avance. Il ne s’intéresse que ce à quoi sous forme de fragments d’un être paradisiaque le conduisent son intérieur et ses émotions contra- que l’on recherche dans le plaisir de l’illusion et dictoires et difficiles. Il crée la proximité entre les du symbole comme le seul principe de guérison et couleurs avec d’autres sans lien entre elles dans le unique énergie capable d’assurer le maintien de la cercle des couleurs connues. C‘est ce qui explique durabilité. Le fragment corporel est ce qui traduit sa maitrise exceptionnelle dans l’échelle expressive ici la volonté de résister à la mort bien que cette des couleurs. résistance soit désespérée, elle reste nécessaire, parce que c’est le lieu qui unit le début et la fin, ce Depuis les années soixante-dix du siècle dernier qui était et ce qui devrait être. C’est pour cela que jusqu’aux années quatre-vingt-dix en particulier, nous trouvons un plaisir sensoriel en travaillant sur cette technique a commencé à émerger. Hamidi de- ce « sujet », un plaisir que réalisent les formes et vait alors trouver la formule et la couleur capables notamment les couleurs que Hamidi choisit avec de traduire des visions. Et pour ne pas comprendre une maitrise peu commune où il conserve les pro- que ses travaux tendent à une violence directe avec portions des tailles et des couleurs, et entre elles des couleurs pures qui font face à la violence de la quelque chose de magique qui incite le regard à réalité vécue, il a développé une structure symbo- entrer dans le tableau et s’y perdre… Ses travaux lique doté d’un autre langage esthétique. Le résul- 6 tat fut des travaux basés sur des contradictions de par de vrais dirigeants politiques, des intellectuels, couleurs surprenantes qui adjoignent à leurs sur- des écrivains, des poètes, des musiciens et des ar- faces l’élégance de la calligraphie et de la forme ain- tistes en général. Peut-être que Hamidi a voulu si que les proportions de la lumière et de l’ombre ; dans ce contexte que son œuvre soit nouvelle ou et la touche superbe reste encore présente de nos comme telle, qu’elle décrive un « sujet » ou un jours dans ses travaux, c’était également cette « événement » donnés sous un autre angle. A partir liberté qu’il laissait à son imagination et la capa- de là sont intervenues certaines formes de dimen- cité de créativité de cette dernière. C’est ce qui a sion symbolique qui faisaient référence à l’époque conféré à sa création artistique un pouvoir de sé- à un type de percée figurative du sacré…comme duction permanent qui prouve qu’un artiste talen- les parties du corps féminin ou masculin aussi, la tueux est talentueux et que ni les expositions, ni les double main, le masque africain, la colombe, signes instructions, ni les relations ne peuvent être d’au- d’une suggestion sexuelle et, entre elles toutes un cun secours pour créer une valeur durable pour un lien esthétique qui obéit à une vision esthétique peintre donné. donnée du monde sous l’emprise de laquelle Ha- midi demeure encore de nos jours. Ce lien esthé- Parmi les signes qui ont conféré une autre di- tique confirme que l’élément fondamental dans mension aux travaux de Mohamed Hamidi et ont l’art – comme c’est le cas chez les Africains et les conduit à une sorte d’incidence poétique, il y a ces peuples « primitifs » - n’est pas représenté dans lignes tracées sous forme d’une échelle ou d’un l’imitation d’un quelconque sujet sacré ou distin- arc-en-ciel multicolore, qui se fondent dans le fond gué, mais plutôt dans le symbolisme qu’il implique. du tableau. Cette technique donne l’impression de Et avec une simplicité convaincante, ce type d’art l’existence d’une profondeur d’où jaillit la lumière dépasse le diagnostic optique et la translittération cachée sous les couleurs ; et cette rigueur de lignes pour éveiller en nous des impressions liées à la vie et des formes qui place sa peinture dans le rang et à la mort, à l’immortalité et la disparition, à la des agréables abstractions, reflètent ce monde sublimation et la régression. Pour cette raison, il «utopique» possible dont il rêvait, lui et les rares rejette l’effet esthétique réel ressemblant au « pri- artistes à l’époque, un monde qui contredit le vécu mitif » - comme le dit Roland Penrose – qu’il jette et la violence du quotidien qu’a connu notre pays à un bref regard sur les événements quotidiens, mais cette époque-là. C’est pour cette raison peut-être qu’il atteint la notion de la continuité éternelle. que leurs travaux étaient soumis à des approches Peut-être cette volonté commune de détecter cer- idéologiques en premier lieu.