La Langue Berbere. Recueil De Textes De S
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INTRODUCTION Salem Chaker, éminent universitaire algérien, docteur en lettres, spécialiste de linguistique berbère, est professeur de langue berbère à l’Université d’Aix-Marseille. Après avoir exercé une dizaine d'années à l'Université d'Alger (1973-1981) et à Aix-en- Provence (CNRS et Université de Provence : 1981-1989), il devient professeur de langue berbère à l'Institut national des langues et civilisations orientales (INALCO) de Paris jusqu'en 2008. Il succède notamment à André Basset et Lionel Galand. Il crée en 1990 le Centre de recherche berbère "André Basset" (INALCO) qu'il dirige jusqu'en 2009. Il rejoint en 2008 l'Institut de Recherches sur les Mondes Arabes et Musulmans d'Aix-en-Provence2. Il est l'auteur de nombreux ouvrages et de nombreuses études de linguistique et sociolinguistique berbères. Depuis 2002, suite au décès de Gabriel Camps, il dirige l'Encyclopédie berbère. Le présent recueil de textes intitulé « La langue Berbère » réalisé sous la forme d’un Ebook GRATUIT par Tala u Maziɣ pour des raisons pratiques, regroupe un certain nombre d’articles, de communications et de notices écrits par le docteur Salem Chaker et parus sur divers supports. Ce recueil couvre tous les aspects relatifs à la langue Berbère et fournit des réponses argumentée à des questions et des positions récurrentes du type : C’est un dialecte et non une langue. Pourquoi ne pas utiliser la graphie arabe ? Beaucoup d’emprunts aux autres langues… Tala u Maziɣ (adrar-inu.blogspot.com) est un blog dédié à la culture et à la langue Amazighes. Nous faisons nôtres ces célèbres citations de Dda Lmulud At Maεemmar « Vous me faites le chantre de la culture berbère et c'est vrai. Cette culture est la mienne, elle est aussi la vôtre. Elle est une des composantes de la culture algérienne, elle contribue à l'enrichir, à la diversifier, et à ce titre je tiens (comme vous devriez le faire avec moi) non seulement à la maintenir mais à la développer. » - « Win yebɣan tamaziɣt, ad yissin tira-s ». Les documents constituant ce recueil sont destinés à un usage individuel ; toute utilisation ou reproduction à caractère commercial ou collectif, sans l'autorisation préalable de l'auteur ou du CRB, est strictement interdite. SOMMAIRE Documents généraux (présentation de la langue) 01 La langue berbère 01 Amazigh (Berbère) 10 Les bases linguistiques de la parenté chamito-sémitique du berbère 16 Linguistique historique (comparatisme, libyque…) 35 A propos de l’origine et de l’âge de l’écriture libyco-berbère 35 L’écriture libyco-berbère 49 La terminologie libyque des titres et fonctions 61 La Question Berbère 74 La notion de dialecte 74 L’arabisation linguistique 79 La revendication berbère entre culture et politique 89 La question berbère en Algérie : état d'un défi (1998) 100 La question berbère dans le Maghreb contemporain 117 La codification graphique du berbère 123 Enseignement du berbère 141 La langue berbère en France 146 La notation usuelle du berbère à base latine 157 Propositions pour la notation usuelle à base latine du berbère 1996 157 Aménagement linguistique de la langue berbère 1998 176 Sur la notation usuelle du berbère – Eléments d’orthographe 2002 197 Linguistique descriptive (phonologie, syntaxe) 206 Genre grammatical 206 L’état d’annexion du nom 208 Quelques faits de grammaticalisation dans le système verbal berbère 217 L’aspect verbal 232 Remarques préliminaires sur la négation en berbère 241 Adjectif (qualificatif) 249 Fonctions syntaxiques 256 Dérivation 263 Diathèse 265 Eléments de prosodie berbère. L'accent et l'intonation en kabyle 271 Sociolinguistique 300 Les études berbères 300 Résistance et ouverture à l’autre 309 La naissance d'une littérature écrite 322 [paru sous le titre : « Le berbère », in Les langues de France (sous la direction de Bernard Cer- quiglini), Paris, PUF, 2003, p. 215-227.] LA LANGUE BERBERE * par Salem CHAKER I. LA LANGUE BERBERE : QUELQUES TRAITS LINGUISTIQUES Le berbère est l'une des branches de la grande famille linguistique chamito-sémitique (ou "afro-asiatique", selon la terminologie américaine initiée par J. Greenberg), qui comprend, outre le berbère : le sémitique, le couchitique, l'égyptien (ancien) et, avec un degré de parenté plus éloigné, le groupe "tchadique"1. Le berbère peut être considéré comme la langue "autoch- tone" de l’Afrique du Nord et il n’existe actuellement pas de trace positive d’une origine exté- rieure ou de la présence d’un substrat pré-/non-berbère dans cette région. Aussi loin que l’on puisse remonter2, le berbère est déjà installé dans son territoire actuel. La toponymie notam- ment n’a pas permis jusqu’ici d’identifier un quelconque sédiment pré-berbère. Dans la présentation linguistique qui suit, on a sélectionné quelques points clefs du sys- tème linguistique berbère : d'autres, non moins importants, pourraient bien sûr être pris en considération. Le système phonologique Le consonantisme Le système phonologique (consonantique) fondamental du berbère a été dégagé depuis longtemps par A. Basset (1946 et 1952 ; Cf. aussi : Galand 1960 et Prasse 1972). Il ne s'agit que d'un système "minimum", que la comparaison interdialectale permet de postuler comme étant commun et primitif à tous les systèmes dialectaux particuliers attestés. Les systèmes phonologiques effectifs peuvent être beaucoup plus riches et divers : en plus des phonèmes empruntés à l'arabe (principalement les consonnes pharyngales /², í/ et certaines emphati- ques) et de la tendance à la spirantisation évoquée ci-dessous, les phénomènes de "mouillure" (palatalisation) et de labio-vélarisation, plus ou moins étendus, contribuent à donner à chaque parler une identité phonétique, voire phonologique particulière. Ce système fondamental "ber- bère" s'organise autour de quelques grandes corrélations : la tension, le mode de franchisse- ment, la voix, la pharyngalisation, la nasalité. 1. Une opposition de tension (tendue/non-tendue) traverse tout le système. Tout pho- nème berbère à un correspondant tendu, caractérisé par une énergie articulatoire plus forte et, souvent, une durée plus longue. De nombreux indices phonétiques et phonologiques poussent à considérer cette opposition comme une corrélation de tension (mode de franchissement du * Professeur de berbère à l’INALCO. [email protected] 1 Qui comprend notamment le haoussa. 2 C’est-à-dire dès les premiers témoignages égyptiens ; Cf. O. Bates 1914 (1970). 1 second degré) et non de gémination (Galand 1953 (3)). Cette corrélation demeure partout la véritable "colonne vertébrale" du système consonantique des dialectes berbères, même là (Cf. point n° 2) où les occlusives simples ont tendance à connaître un affaiblissement de leur mode d'articulation. 2. Le mode de franchissement oppose des constrictives (continues) à des occlusives (non-continues) : f s z å š ž h b t d Ÿ k g C'est sans doute sur ce point que le berbère présente les évolutions et les divergences les plus importantes. Tous les dialectes de la bande méditerranéenne du Maghreb (Aurès, Kaby- lie, Algérie centrale et occidentale, Rif, la majeure partie du Maroc central...) connaissent, à des degrés divers, une forte tendance à la spirantisation des occlusives ; /b, t, d, Ÿ, k, g/ y de- viennent respectivement [b, t, d, ™, k, g]. Dans de nombreux dialectes (Aurès, Algérie cen- trale, Maroc central, Mzab), le phénomène va encore plus loin : la fricative [t] peut aboutir au souffle laryngal [h] ou disparaître totalement (Aurès), et les fricatives palatales [k] et [g] finis- sent souvent en chuintantes [š] et [ž] ou en semi-voyelle palatale [y] (API [j]). Les mêmes lexèmes peuvent donc se rencontrer sous trois ou quatre formes différentes : akal > akal > ašal = "terre" tam¥tt¥ ut > tam¥tt¥ ut > ham¥tt¥ ut > am¥tt¥ ut = "femme" argaz > argaz, arÞaz > aržaz, aryaz = "homme" Le vocalisme Le système vocalique berbère, très simple, est fondamentalement ternaire : /i/ /u/ /a/ Les phonèmes d'aperture moyenne (/e/, /o/, /ä/) qui existent dans certains dialectes "orientaux" (touareg, Libye, Tunisie) sont d'apparition récente (Prasse 1984) et proviennent certainement de la phonologisation d'anciennes variantes contextuellement conditionnées. Et, malgré les travaux de K.G. Prasse, on peut douter de leur pertinence réelle en synchronie : quand il ne s'agit pas de simples variantes régionales (ce qui est souvent le cas pour [é] et [o]), il n'est pas exclu que leur apparition soit en fait conditionnée, soit par le contexte phonétique (présence d'une consonne ouvrante, notamment vélaire ou pharyngalisée : /i/ > [é] et /u/ > [o]), soit par le contexte accentuel. Si oppositions il y a, leur rendement fonctionnel est en tout état de cause très limité. Il en va probablement de même pour la durée vocalique qui a statut distinctif dans les dialectes "orientaux" (notamment le touareg). Ses conditions d'apparition et sa liaison privilé- giée avec un contexte grammatical bien déterminé (le "prétérit intensif" touareg) permettent de penser qu'elle est de formation secondaire et qu'elle procède de la phonologisation d'un allongement expressif ou de la réinterprétation quantitative de phénomènes accentuels. Le système verbal : un système d’oppositions thématiques à valeurs aspectuelles (3) Plusieurs recherches de phonétique instrumentale (Omar Ouakrim et Naïma Louali/Gilbert Puech) confirment cette analyse. 2 A la suite des travaux d’André Basset (1929, 1952), la majorité des berbérisants ad- mettent un système "berbère commun" ternaire, opposant trois thèmes fondamentaux marqués par un jeu d’alternances vocaliques et/ou consonantiques : Aoriste Intensif ~ Aoriste ~ Prétérit [itératif/duratif/inaccompli] [neutre/indéfini] [ponctuel/défini/accompli] i-kerrez y-krez (y-kraz ?) > y-krez y-ttak°er y-ak°er y-uker krez = "labourer" ; ak°er = "voler, dérober" ; i-/y- = 3e pers. masc. sing. (= "il") Il existe deux autres thèmes, un prétérit négatif (ou "thème en /i/") et, localement, un aoriste intensif négatif, mais ces deux formes n’ont plus d’existence fonctionnelle autonome en synchronie ; ce ne sont que les allomorphes (en contexte négatif) respectivement du prété- rit et de l’aoriste intensif.