Le territoire présaharien marocain entre gouvernance et émergence

Mohamed BEN ATTOU, Enseignant chercheur, Faculté des Lettres et Sciences Humaines, Agadir Résumé

L’article est un essai conceptuel et étymologique sur le rapport de la gouvernance et de l’émergence d’une société tribale au territoire. Ce rapport évolue aujourd’hui dans un contexte de régionalisation voulue élargie. L’éveil du local est-il alors une question d’adaptation sociétale face à l’enjeu de la nouvelle régionalisation institutionnelle ou c’est le fait d’une réorientation dans la politique publique du géopolitique vers le géostratégique et la durabilité par anticipation sur le projet de l’autonomie des provinces sahariennes dans le but de consolider davantage la souveraineté nationale? L’analyse précise des faits économiques, sociopolitiques et territoriaux des villes de et de permet de comprendre les mécanismes de fonctionnement et les stratégies mettant en rapport l’action de l’Etat à la la promotion sociale et territoriale tantôt via la verticalité politique tantôt via la mobilisation culturelle et la régulation territoriale.

Abstract: The Moroccan presaharian territory between the governance and the emergence

This article is a conceptual and an etymologic approach concerning the relationship between the governance and the evolution of a tribal society in a given territory. This alliance is currently progressing in an expanded regionalism. The local appearance is then a social adaptation concern inserted in recent institutional regionalism issue or it is the fact of a public policy reorientation toward the geostrategic sustainability using the technique of project anticipation, saharian provinces autonomy instead of the geopolitics in order to strengthen the national sovereignty? The precise analysis of the economic facts, sociopolitical and territoriality of the cities: Guelmim and Bouizakarne allow us to understand the functional mechanisms and the strategies relating between the government’s actions and the territorial social promotion at the same time toward the vertical politic and the cultural mobilization for the territorial regulation. يهخص : انًدال انشبّ انصحزأ٘ انًغزبٙ بٍٛ انحكايت ٔاإلَبثاق

انًمال يماربت يفاًْٛٛت ٔ إحًٕٛنٕخٛت نهؼاللت انخٙ حزبظ حكايت ٔاَبثاق انًدخًغ انمبهٙ بانًسأنت انخزابٛت. ْذِ انؼاللت حخفاػم انٕٛو فٙ إطار خٕٚٓت أرٚذ نٓا أٌ حكٌٕ يٕسؼت. فُٕٓض اإلطار انًحهٚ ٙفضٙ بانضزٔرة إنٗ شزٛػت انسؤال: ْم حك اإلػالٌ انًحهٚ ٙسخدٛب إنٗ يسأنت انًالءيت االخخًاٛػت فٙ ظم خٕٚٓت يؤسساحٛت خذٚذة، أو ٚخؼهك األيز بخٕخّ ٙػَٕ نهسٛاست انؼًٕيٛت يٍ يًارست خٕٛسٛاسٛت حكًج انًداالث شبّ انصحزاٚٔت بٕاد٘ ٌَٕ نؼمٕد، فٙ احداِ َٓح خٕٛاسخزاحٛدٚ ٙٓذف االسخذايت اإلسخبالٛت نًشزٔع انحكى انذاحٙ نأللانٛى اندُٕبٛت بٓذف انزبظ انًخٍٛ نهسٛادة انٕطُٛت؟ انخحهٛم انذلٛك نهٕالغ االلخصاد٘ ٔانسٕسٕٛ- سٛاسٙ ٔانًدانٙ نًذٌ كهًٛى ٔبٕٛسكارٌ ًٚكٍ يٍ فٓى

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يٛكاَٛشياث ٔاسخزاحٛدٛاث ػاللت فؼم انذٔنت باإلؼَاش االخخًاٙػ ٔانخًُٛت انخزابٛت ٔفك يُظٕر يشدٔج حارة ححكًّ انؼًٕدٚت انسٛاسٛت ٔحارة أخزٖ انخدُٛذ انثمافٙ ٔانًٕاسَت انخزابٛت.

Introduction

L’article est un essai sur la gouvernance et l’émergence dans une société tribale qui évolue dans un contexte où l’enjeu territorial est important aussi bien sur le plan géopolitique que sur le plan géostratégique. La ville de Guelmim (porte du Sahara) et tout le territoire présaharien de l’oued Noun font l’objet d’une recomposition socioculturelle, économique et politique portée par un Etat économiquement entrepreneurial et politiquement de providence. Comment réagit la société locale à la gouvernance et à l’émergence ? Dans quelle mesure son référent culturel forge son identité, régule ses rapports de force par rapport au territoire, à l’appropriation du sol, aux acteurs et à l’Etat ? Le territoire présaharien constitue-t-il une zone tampon de sécurité ou une charnière du territoire favorable à l’émergence? Que recouvre le concept de l’émergence lui-même dans les pays en développement ?

Le territoire est un construit social certes, mais, plus particulièrement, dans les pays en voie de développement et/ou émerge l’effacement progressif du local face aux dédales du système politique n’est pas l’aboutissement d’une révolution culturelle. Le territoire n’est pas, non plus, le reflet d’un ordre religieux, naturel ou spontané. L’ordre politique véhicule des priorités, des normes, de l’indécision parfois et des valeurs elles-mêmes subites dans un contexte de globalisation et de défis de sécurité dans lesquelles les sociétés locales ne se retrouvent pas. Dans un territoire, les identités locales, en l’occurrence tribales, sont instrumentalisées et récupérées dans des configurations sociopolitiques dont les rapports de domination (MOLENA, 2013), et la centralité de la société civile l’emporte sur les interactions ou la rationalité des individus (CROZIER, 1977).

Ce même système politique n’est cependant pas figé ; il évolue aux rythmes des processus géostratégiques, sociopolitiques et territoriaux, que celles-ci soient endogènes ou exogènes. L’être politique dans ce système est à la fois, l’initiateur, l’acteur institutionnel, le précurseur de l’émergence durable et le responsable de l’acte administratif et territorial. L’espace présaharien marocain de l’oued Noun et du Bani, en l’occurrence à travers sa capitale régionale, la ville de Guelmim, témoigne bien du rôle important que le système politique affecte à la « construction territoriale ». D’une zone tampon de sécurité dans le conflit à propos du Sahara marocain, Guelmim et sa zone d’action vont se repositionner progressivement en tant que cordon ombilicale entre le Sahara marocain et le reste du Royaume. Désormais, la ville se construit autour de son territoire. Elle est entrain de se désengager d’un modèle militaire monofonctionnel ayant longtemps articulé la dimension tribale et l’appropriation foncière comme mécanisme d’auto-régénération de l’approche sécuritaire.

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Aujourd’hui, à la veille de la mise en place du projet de la régionalisation élargie, le « mode de développement de Guelmim » paraît, pour la première fois, plus à caractère durable. D’une part, le nouveau contexte géopolitique et sécuritaire se cristallise désormais autour de « l’intégrisme », c’est-à- dire vers des zones plus excentriques par rapport à l’oued Noun, c’est la priorité des priorités1. Le Maroc est trop engagé vis-à-vis de ses partenaires européens, américains et africains. D’autre part, dans le contexte de la « régionalisation élargie », le Sahara atlantique se trouve progressivement inséré dans un redéploiement stratégique qui vise de faire des Provinces sahariennes des hubs d’interface vers l’Afrique subsaharienne. La création progressive des Provinces de Tata, de Tarfaya et d’Ifni ainsi que la redéfinition de la région de Guelmim-oued Noun sur le triangle Tan-Tan-Ifni-Guelmim et la main levée sur les projets touristiques structurants de la plage blanche et de l’oued , confirment bien le début d’une certaine territorialisation émergente. Celle-ci permet d’inverser la tendance sociopolitique à caractère régionaliste reposant sur les faveurs d’un Etat providence vers une « complémentarité territoriale » en mesure de forger de nouvelles identités locales et vers une citoyenneté plus « structurée » et « durable ».

Bien que cette communication se construit sur les principes de la théorie de l’évolution et de la bonne gouvernance urbaine (GODARD, 1997) qui repose sur certains principes de l’action publique au niveau local, sur la régulation politique et la mobilisation des acteurs et des relations plus contractuelles entre collectivités publiques, on est amené à adopter ici une approche chronologique des diagnostics et évolutions qui ont marqué l’espace, la société et le politique. Cette approche s’articulant sur le champ de la géopolitique et de la géostratégie est nouveaux au Maroc. L’appui sur des rapports des assemblées municipales, sur l’évaluation de la gouvernance pratiquée à partir des débats de la société civile et des études d’impact de la pertinence des documents officiels d’urbanisme permettent d’analyser, de démontrer et d’argumenter minutieusement la question spécifique de la communication à savoir le passage des territoires présahariens marocains d’un contexte géopolitique à un contexte géostratégique producteur de l’émergence durable. Parmi les principales conclusions de la communication on peut affirmer qu’un même territoire présaharien peut basculer entre intégration et désintégration selon la manière dont il est volontairement ou involontairement inscrit dans les champs géopolitique ou stratégique. Le référent culturel et l’identité ethnique ne constituent pas des entités figées et non réceptives à l’émergence durable. Ce référent constitue un dispositif à la fois réceptif et récupérable. Il est réceptif à l’action du changement elle-même. Lorsque le développement du territoire présaharien est affiché

1 La priorité n’est pas conçue à oued Noun en termes « d’intégrisme-terrorisme » en soi comme articulation sur le système monde quoi que cela est officiellement affiché. A notre sens, il s’agit plutôt, dans la logique des pouvoirs publics, d’un positionnement par anticipation sur le glissement séparatiste à partir d’une « zone de turbulence ».

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sur l’agenda d’une orientation stratégique volontaire au niveau supérieur de l’Etat, le même référent culturel s’intègre totalement ou partiellement dans le nouvel ordre.

I- La ville présaharienne dans l’ordre géopolitique, Territoire émietté et « militarisation de l’espace urbain : cas de Guelmim et de Bouizakarne

1-La tribalisation de la vie urbaine Guelmim: enjeu du pouvoir ou enjeu de la société ?

L’un des principaux clivages qui a toujours dominé le rapport de la société à la ville dans les Provinces sahariennes et présahariennes est le dilemme du tribalisme. S’agit-il d’une ville dans la société tribale ou d’une société tribale dans la ville ? Le tribalisme est un fait de société ou c’est un fait politique dans un contexte de “périphérisation territorial” ? La réponse est mitigée. C’est à la fois un fait sociétal et politique instrumentalisé de part et d’autres par le fait et/ou dans le fait urbain donc territorial. Guelmim, dans l’oued Noun, est le terrain le plus fertile d’une revendication tribale socio-territoriale. D’une part, l’oued Noun est limitrophe à la fois à la société amazigh et celle hassanie. D’autre part, il est l’acheminement historique de la grande confédération Tekna dont les tribus les plus puissantes, à l’échelle du Sahara, sont représentées en tant qu’identité guerrière ayant contribué dans la lutte armée contre les colonisateurs français et espagnol. Identité instrumentalisée, en ville, comme pouvoir d’identification sociale et comme revendication politico-économique de rattachement aux Provinces sahariennes.

Dans la gestion de la ville, est ce que c’est le fait tribal qui configure l’action politique ou, au contraire, c’est la dimension politique qui régule le fait tribal ? Ni l’un ni l’autre, les deux se combinent dans un contexte où c’est le pouvoir public qui régule verticalement le fait sociopolitique selon une obsession sécuritaire, dont le jeu politique et assujetti au fait tribal. Cependant, il s’agit d’un fait tribal, lui-même construit sur les rivalités ethniques dominantes qui se partagent le pouvoir selon la conjoncture politico- sécuritaire et les évènements. En fait, il est plus question d’un pouvoir politique central qui dépasse, dans la réalité, les clivages tribaux dans l’organisation de l’ordre et du fait administratif sans pour autant entraver, dans le déroulement quotidien, la machine tribale, élément essentiel de mise en équilibre sociétale et de légitimité de gouvernance. Tantôt ce sont les Ait-Moussa Ou Ali qui gouvernent la Ville, tantôt se sont Ait Oussa. (Figure 1).

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Figure : 1 Les quartiers de Guelmim selon la domination tribale 1960-2000

Les tribus minoritaires servent à équilibrer l’échiquier politique souhaité à un moment donné. Lorsque les rivalités deviennent difficiles à gérer, ce sont les tribus minoritaires comme les Ait Baâmrane qui vont gouverner. L’action de la société civile va dans le sens de l’ordre politique préétabli. Tout se fait pour assurer une pérennité dans les formes politiques et sociétales d’encadrement de la population. L’évolution du fait tribal dans les quartiers de Guelmim entre 1960 et 2013, montre son encrage dans les formations

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sociales. Cependant, au niveau de la dominance tribale, il paraît que le phénomène est très changeant d’une période à l’autre en fonction de la régulation du pouvoir central du moment.

Figure : 2. Les quartiers de Guelmim selon la domination tribale 2001-2013

En effet, la dominance des Zouafet et d’Ait Moussa Ou Ali jusqu’en 2000, s’est estompée en 2013 en faveur des Ait Oussa, des Ait Baâmrane et des tribus composites. Les fonctions administrative et militaire polarisent un contingent important issu des Sraghna, Rhamna, Ouarzazate et Demnate ; alors que l’extension tribale sur le sol

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urbain fonctionne sous l’effet du « frieg »2 au sein de la cellule tribale elle-même. L’émiettement de l’espace urbain à cause des conflits à propos de l’appropriation foncière tribale est inévitable. La tribalisation de la vie urbaine est rythmée, en fonction du pouvoir municipal et de la mobilisation foncière, sur des bases ethniques (Figure 1). Sur une période de plus de 20 ans, la moyenne annuelle des demandes d’enregistrement s’est située à 424.7 pour une production moyenne annuelle de 199.2 titres fonciers, soit un taux de satisfaction de 46.8% seulement. Le contentieux à propos du foncier concerne 28.5% des demandes d’enregistrement, soit, une moyenne annuelle de 121 oppositions sur la période allant de 1988 à 2009. Il est à noter que 81.7% du contentieux restent, juridiquement, en instance (Tableau 1).

Tableau 1- Evolution des enregistrements fonciers à Guelmim et situation des assiettes foncières 1988-2009 Années Demandes Titres Contentieux d’enregistrement fonciers Affaires Affaires Affaires en produits enregistrées jugées instances 1988 189 21 1 1 - 1999 267 127 12 5 7 2000 321 210 12 - 12 2001 315 185 20 - 20 2002 470 192 37 2 35 2003 720 257 60 13 47 2004 854 248 122 13 99 2005 312 171 146 36 110 2006 494 132 188 29 159 2007 511 263 247 38 209 2008 394 454 321 47 247 2009 250 130 287 44 243 Sources : Service de la Conservation Foncière, Registre des Affaires Civiles du Tribunal de 1ère Instance de Guelmim, 2010.

Ceci est le fait conjugué de plusieurs facteurs. Premièrement, les oppositions prennent un caractère communautaire qui concerne symboliquement et socialement le « frieg » et la famille plus que l’individu opposant. Deuxièmement, le fait que les actes de propriété

2 Unité regroupant par essaimage les membres descendants de plusieurs branches au sein de la tribu. Autrefois, le « frieg » constituait la base de la cellule militaire constituant le corps du dispositif de lutte contre le colonialiste. Le système du « frieg » est utilisé à Guelmim pour revendiquer le droit d’appropriation foncière communautaire et passe avant le droit de la propriété privée du sol. Ce qui explique le nombre important des oppositions de propriétés enregistrées par le tribunal de Guelmim.

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fournis par les pétitionnaires et/ou oppositionnaires montrent clairement que l’origine de la propriété des terrains provient essentiellement d’actes de continuité affirmés communautairement par des témoignages, d’actes sous seing privés et d’actes « adulaires ». Les transactions passées devant les notaires sont quasiment absentes (Figure 3).

Le passage vers la nouvelle loi 39/08, exigeant la formulation des actes de transfert ou de création des droits réels par les notaires et les avocats semble difficile à réaliser dans le contexte foncier de Guelmim.

Figure : 3. Situation foncière à Guelmim entre 2005 et 2009

Troisièmement, le manque du foncier public (11% seulement de l’assiette foncière totale de la ville en 2009 contre 85% pour la propriété privée), associé au retard de l’instauration de la conservation foncière de Guelmim (1998), augmente la proportion du foncier non enregistré qui représente 60% contre seulement 25% pour le foncier enregistré. En 2009, le taux d’opposition foncière se situe à 15%. L’examen détaillé des demandes d’enregistrement et des titres fonciers délivrés, selon qu’il s’agit d’un foncier construit ou non construit, montre l’état d’instabilité qui pèse sur le foncier non construit. En effet, les demandes d’enregistrement les plus importantes concernent le foncier non construit (53%), mais le taux de satisfaction de ces demandes ne dépasse pas 33%. Alors que les demandes d’enregistrement à propos du foncier construit, qui ne dépasse pas dans l’ensemble 47%, connaissent un taux de satisfaction de 67%. Cette situation d’impasse est le fait de nombreuses oppositions à caractères communautaires, mais qui finissent par être récupérées dans des enjeux de pouvoir municipal. Ce dernier, tire aussi sa légitimité du fait foncier devenant un fait politique. Lequel par la mobilisation tribale devient un enjeu électoral, dont la solution réside dans la “non-solution”, le gel et/ou la régulation foncière par décision politique et non administrative. C’est un jeu de pouvoir local qui n’échappe pas au contrôle, aux

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enjeux d’équilibrage territorial et à la question sécuritaire du pouvoir central. L’examen du profil tribal des Assemblées municipales qui ont gouverné la ville de Guelmim au cours des différents mandats politiques confirment bien cette hypothèse (Tableau 2) et (Figure 3).

Tableau 2- Assemblées municipales de Guelmim selon l’appartenance tribale des membres (1960-2015) Mandats Formations 1960- 1977- 1983- 1992- 1997- 2003- 2009- P.V Total tribales 1964 1983 1992 1997 2003 2009 2015 Ait 3 6 5 3 7 6 10 8 46 Baâmrane Zouafet 2 3 4 8 4 7 7 10 45 Ait Lahssen - 4 3 5 3 4 4 5 28 Ait Oussa - 2 1 3 7 2 5 2 22 A.Moussa 3 5 5 4 4 1 2 3 27 Ou Ali Tarkez 1 - - - 3 1 1 1 7 Lakhssas - - - - - 1 1 2 4 Ait Bouhou - 1 - - 1 1 - - 3 Ait Hmad - - - - 1 1 - - 2 Autres - - 3 1 - 8 5 2 19 Source : Site électronique de la Municipalité de Guelmim, Trikzi, 2009 P.V : Nombre de Présidents et vice-présidents d’Assemblées Municipales élues par mandat et formation tribale.

La domination tribale du fait municipal s’inscrit dans des cycles de pouvoir dans lesquels, la représentation politico-tribale se renforce, s’estompe, se recompose et s’efface selon des équilibres qui se construisent, se négocient et s’éclipsent en fonction d’un ordre stratégique préétabli dans lequel le pouvoir local est assujetti au pouvoir public selon le rôle affecté à l’oued Noun : tampon de sécurité ou “cordon ombilical”. Ainsi, le pouvoir des Zouafet qui ont dominé la scène politique locale pendant les années 60 et 70 s’est effacé en faveur des Ait Lahsen et Ait Moussa Ou Ali jusqu’au début des années 90. Cette formation sociale va depuis, essayer de réinvestir le champ politique dominé, désormais, par les Ait Oussa et les Ait Baâmrane. Le passage au pouvoir se fait selon deux éléments régulateurs : la gouvernance urbaine par l’activation des verrous fonciers selon des stratégies instrumentalisant le fait foncier comme cheval de bataille qui mène au pouvoir de la ville et la capacité d’insertion dans le fait territorial au politique.

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Tout en restant dans la logique du référent culturel, la reconduction des Ait Baâmrane à la tête du 10ème Conseil Municipal de Guelmim, met en évidence la stratégie des pouvoirs publics d’amortir les rivalités tribales autour du foncier pour asseoir l’environnement favorable d’abord à la promotion des programmes de développement portés par l’Agence du Sud et les partenaires sociaux : PVSB, INDH, la qualification urbaine des quartiers sous-intégrés, l’initiative de la promotion de l’emploi et du développement… Le passage d’un contexte de « zone tampon de sécurité » à un contexte de « régionalisation élargie » est un fait qui se prépare. En effet, le projet de l’autonomie des Provinces sahariennes sous la notoriété nationale est une nouvelle donnée. Le passage des Ait Baâmrane d’une tribu minoritaire à Guelmim pendant les deux premières décennies de l’indépendance, à une tribu presque dominante aujourd’hui, n’est pas le fait du hasard ni celui d’une mobilité spontanée. Les Ait Baâmrane sont moins impliqués dans l’enjeu foncier que les autres rivalités. Ce qui a permis de mener plusieurs projets dans la ville. Dans cette orientation, la fonction administrative et commerciale a permis un brassage culturel durant les deux dernières décennies. La part des origines diverses et non tribales dans la formation sociale de Guelmim devient progressivement importante.

Quand la planification et l’aménagement sont compromis par l’enjeu foncier. L’étude d’évaluation du Plan d’Aménagement de Guelmim effectuée par l’Agence urbaine en 2010 permet de rendre compte de l’importance de l’instrumentalisation sociopolitique de l’enjeu foncier dans la planification urbaine. En effet, lancé en 1995, mais homologué en 2001, ce plan s’est vu transgresser de fond et de forme par la spéculation et l’obsession foncière tribale portée comme projet politique et élément d’identification/hiérarchisation sociales. Le manque d’assainissement foncier jusqu’en 2010 a induit une planification articulée plus sur des suppositions techniques construites sur la base d’un potentiel démographique que sur la maîtrise du fait foncier.

Résultat, globalement, le taux de réalisation de l’ensemble des actions sectorielles programmées est réduit à des proportions alarmantes (moins de 6%). D’une part, ce plan a programmé un besoin en espace de près de 500 ha partagés entre zone nouvelle d’habitat (presque entièrement de type économique) et zone d’activités et d’infrastructures publiques sur la base de 50 logements/ha. Ce qui traduit un besoin en activités et en espace public de 218 ha. Les concepteurs de la « planification urbaine » souvent des bureaux d’études étrangers ont conçu le plan d’Aménagement selon leur convenance (étalement, modernisation…) et non selon la demande caractérisée de la société urbaine locale, où le foncier à une double utilisation dans les champs de pouvoir et de la société. Dans leur orientation, les concepteurs ont ignoré la réalité que le foncier à Guelmim, de par son instrumentalisation culturelle et politique, est un cheval de bataille (TRIKZI, 2009). Au contraire, le plan va adopter un zonage démesuré, très injustement optimiste et non bien conçu qui s’étendra sur plus de 2400 ha programmés

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sur un foncier, le moins qu’on puisse qualifier, de contentieux3. Un zonage de 2447 ha articule le plan d’aménagement de la manière suivante: 70.6% pour l’habitat, 20.4% pour les activités et près de 7% comme réserve foncière stratégique. Le reste (2%) est déclaré zone industrielle.

Ce zonage ne correspond pas aux besoins réels de la ville. A titre indicatif, la programmation d’une zone d’activité agricole de 500 ha dans le périmètre urbain en l’absence de toute activité agricole productive, ne peut se concevoir. L’objectif non déclaré c’est la constitution de « réserves foncières préventives ». C’est-à-dire, le contrôle du « trab » et à travers lui le contrôle de la présence tribale sur le sol urbain afin de garder les « équilibres politiques fonctionnels ». Pour ce faire, l’instrumentalisation du droit d’expropriation pour l’utilité publique reste envisageable. Les orientations du plan vont à l’encontre des processus de construction de la ville. En effet, au moment où la tendance générale des pratiques de constructions épouse la logique de la ville intensive, répondant à un besoin social sur le logement familial (R+2) à faible coût pour supporter les risques d’un foncier non immatriculé et revendiqué par le domaine, le plan tend vers la ville extensive. Il programme 820 ha pour le logement R+1 et 217 ha d’habitat dispersé. C’est à dire dans le sens d’un nouveau conflit foncier plus conséquent. Résultat, la ville qui se fait ne répond pas à la ville programmée. Dès lors, c’est la ville réelle qui s’impose réduisant au maximum les actions programmées dans un processus de fabrication urbaine incertaine, où les modes de régulations sociales et la spontanéité l’emportent sur les ratios techniques d’appropriation et/ou d’utilisation du sol (NAVEZ BOUCHANINE, 2005).

Sur le plan sectoriel, l’état des lieux en 2010 rend compte de beaucoup de dysfonctionnements et de glissements. En effet, selon les travaux initiés par le Ministère des Equipements et Travaux publics, le taux de réalisation se situe à 24% pour un taux de glissement de 10%, ce qui signifie que le taux d’actions non réalisées avoisine les 66%. Pour les Ministères de la Santé et de l’Education Nationale, les taux enregistrés des équipements sociaux sont situés entre 23 et 47%.Le Ministère de la Culture n’arrive pas à atteindre un seuil de réalisation de 20%. Ce qui signifie que 80% des actions programmées dans le Plan d’Urbanisme n’ont pas vu le jour. Le foncier réservé pour certaines actions culturelles a glissé vers d’autres affectations. L’incommodité du plan prend un caractère général. Elle touche également le secteur commercial et l’Administration publique. Pour le premier secteur, le seuil de réalisation se limite à 16% pour un glissement à niveau de 11% et un taux de non réalisation de 73%. Pour le deuxième, sur un ensemble de 14 actions, quatre ont été réalisées pour un taux de glissement et de non réalisation de 71%.

3Pour des raisons de complexité de structures foncières et de processus d’auto-construction et du stigmate social, le zonage du plan d’aménagement de Guelmim a exclu le quartier El Fila au Sud de la ville de la zone de restructuration (182 ha).

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Sur le plan environnemental, le constat est plus inquiétant, sur 106 espaces verts programmés, le taux de réalisation se limite à 15%. L’examen détaillé de l’état des lieux de la programmation permet de s’imprégner de l’impact négatif d’une programmation bureaucratique qui se fait à l’insu des populations et hors de tout processus de négociation, de participation et/ou de gouvernance de proximité (Tableau 3). Sur 52 km programmés comme voirie urbaine, 12 km, sont réalisés, soit seulement 23%. Une moyenne de 18.5% des actions ne sont pas réalisées parce que les sites programmés sont occupés par des constructions. Le détournement vers d’autres affectations4et les réalisations hors des sites programmés par complications de situations foncières, ainsi que les réalisations inachevées ou sous dimensionnées par manque de ressources et/ou de convergence, ne sont pas moins importantes. Elles concernent 6.3 % des actions programmées.

Tableau 3 :Etat des lieux de la planification « bureautique » à Guelmim (2001-2010)

Etat des lieux des actions (2009)

Affectations

(équipements)

programmées

Réalisées Réalisées aménagement partiellement Réalisées sans site sur un autre Réalisées Encours Réaffectées réalisées Non Occupées constructions par Non les Actions (2001) programmées Espaces verts 2 81 18 1 102 Parkings 2 2 55 21 4 84 Places publiques 1 31 16 48 Eq. commerciaux 2 13 3 18 Eq. scolaires 5 1 1 10 17 Administration et éq. publics 2 5 1 5 13 Eq. socio-culturels 2 8 10 Eq. sanitaires 1 1 3 5 Dans le cadre de l’INDH 1 1 2 4 Source : Agence urbaine de Guelmim, 2010.

4 A titre indicatif, une action programmée comme équipement sanitaire fut détournée vers la construction d’un arrondissement. De même, les équipements sanitaires programmés dans le cadre de l’INDH, sont affectés pour la plupart sur les sites déjà programmés parking ou espace vert dans le Plan d’Aménagement.

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Aussi faut-il noter que près de 2% des actions définies dans le Cahier des Charges ne sont pas du tout programmées par le plan. Des fois c’est le programme INDH qui récupère le site et efface ainsi l’action du plan. Dans d’autres cas, ce sont les partenaires qui ne répondent pas présents sur le plan de financement. Plus souvent, ce sont la Municipalité, la Région ou les particuliers qui assurent un équipement en voirie qui, initialement, n’était pas programmé dans le plan d’urbanisme. Il n’est pas rare aussi de transformer un parking en un espace vert, ou bien de considérer les espaces séparant les cimetières des habitations comme espaces verts sans le moindre équipement conséquent. Ceci rend davantage les conflits fonciers plus tendus et les solutions plus compliquées, des fois insolubles5 en dehors d’un compromis conclu à travers de médiations officielles6. Sur l’ensemble de 21 demandes (dont 14 sont formulées par l’Agence de Promotion et du Développement Economique et Social des Provinces du Sud) pour bénéficier, en 2008, de certaines exceptions permettant la réalisation des projets d’investissements socio-économiques sur les espaces déjà affectés par le Plan d’Aménagement, la réponse du Comité Régional chargé d’examiner ces demandes est unanime :« Oui mais, à condition de régulariser la situation foncière ». En 2009, la plupart des demandes d’exception (7 sur 10)7 insistent sur le changement du zonage et la possibilité de réaffectation des actions programmées par le Plan d’Aménagement sur d’autres sites.

Il faut préciser que le Plan d’Aménagement manquait aussi de pertinence. Comment peut-on programmer démesurément dans une ville semi-aride à aride plus de 100 actions d’espaces verts ? Ceci, sachant que dans un tel climat, un parc urbain arborisé demande au moins 35 m3/jour d’eau d’irrigation par ha en saison sèche,ce qui exige des dotations en eau d’irrigation qui ne sont pas disponibles. Si l’on rajoute les transferts estimés à 45 litres/seconde qui sont effectués vers la ville de Tan-Tan et environ 6 L/S vers les douars périphériques, il est clair que la programmation n’est pas adaptée à la réalité.

5 Dans certaines mesures, l’homologation d’un plan d’urbanisme pour des villes comme Guelmim où le taux d’immatriculation est relativement faible est synonyme de déstabilisation psychologique poussant les usagers de certains espaces de la ville, les quartiers Tiyert et Al Fath en l’occurrence, à se presser de vendre « ourfis » leurs immobiliers de peur qu’ils soient expropriés pour des raisons d’utilité publique. Cette passation de propriété qui se fait souvent à la hâte cause d’importants glissements fonciers. Il n’est pas rare qu’une même et unique propriété se trouve sujet de conflits parce qu’elle a été vendue à plusieurs propriétaires en même temps. 6. Dans le souci et la volonté de filtrer les assises foncières, la conservation foncière de la région de Guelmim- Es-Smara procède, depuis quelques années à travers un Comité Provincial, à organiser des réunions de concertation avec les propriétaires de titre de « moulkia » demandeurs d’enregistrement (dans les quartiers Al Fath et Tiyert), et les dépositaires de demandes d’opposition de propriété dans le but de chercher des solutions à l’amiable face au blocage juridique de deux lois opposés d’une part, et face à la légitimité de l’action d’expropriation pour l’utilité publique qui pose énormément de problèmes dans un contexte d’urbanisation extensive d’autre part. 7 Procès-verbal du Comité Régional chargé d’examiner les demandes d’exception pour investissement.

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En somme, les risques fonciers impactent bien la société urbaine, la territorialité, et altèrent l’action de la planification dans sa globalité. Mais, rien de plus faux que de croire que l’origine de ces risques n’émane que des seuls acteurs tribaux. Ces derniers sont totalement absorbés dans le tissu social, culturel et politique, mais c’est le contexte géopolitique et géostratégique (porte du Sahara) qui a longtemps activé des processus d’urbanisation structurés sur la portée démographique, la frontière sécuritaire, mentale et territoriale, sur l’attentisme, le militarisme, la rivalité et la notion du « trab »8 pour faire jouer les équilibres sociaux-territoriaux souhaités(COMITÉ RÉGIONAL CHARGÉ D’EXAMINER LES DEMANDES D’EXCEPTION POUR INVESTISSEMENT). Cette hypothèse se confirme avec l’éclaircissement géopolitique et le projet d’autonomie des Provinces sahariennes et le chantier de la « régionalisation avancée ». Le problème foncier, depuis peu, n’entrave plus l’action de l’aménagement. Désormais Guelmim est une ville en mouvement qui oriente l’oued Noun dans une nouvelle phase de son évolution. Celle où oued Noun est plus un cordon ombilical de nécessité qu’un tampon de sécurité. Le Maroc est désormais plus réceptif au débat sur les droits de cultures (UNESCO, 2003).

2- La tribu, un dispositif sociopolitique pesant dans la gouvernance des petites villes présahariennes, Bouizakarne ou la « militarisation « de l’espace urbain

Le système oasien en tant qu’unité de production, d’identification et de pratiques sociales régulées sur le fait communautaire et la durabilité est relativement révolu. Or, le mode d’appartenance sociale et culturel ayant forgé l’identité tribale sur une longue période demeure, dans les zones de marges présahariennes, un dispositif transposable du rural à l’urbain. Bien évidement, il a perdu sa cohésion sociale naturelle, voir sa légitimité mais, il est souvent affiché comme une revendication territoriale, foncière et sociétale. Cette revendication prend, sur les marges sahariennes, toute sa vivacité et sens. Selon les enjeux et les contextes, cette vivacité prend des ampleurs différentes d’un territoire à l’autre et d’une société ethnique à l’autre9. Bouizakarne ne fait pas exception.

« La militarisation urbaine » n’est pas seulement une fonction parmi autres. Elle impacte profondément la société et l’espace en introduisant des éléments hétérogènes dans un territoire circonscrit. Ce qui mobilise un système réactionnel de revendication territoriale via le groupe social, l’ethnie, l’alliance politique et l’émission excessive dans la gestion du fait urbain d’un positionnement tribal qui s’inscrit dans le territoire et

8 La notion du « trab » est plus forte que celle de l’appropriation foncière. Le « trab » est un droit de propriété individuelle qui permet l’acquisition d’une propriété donnée revenant de fait à une appartenance ethnique faisant valoir le droit de propriété dans un contexte de rivalité tribale. La confédération Tekna est une coalition politique qui n’exclue pas la distinction ethnique au niveau du foncier. 9 Sur cette question voir, M Ben Attou et Ahmed Belkadi, 2014.

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dans la société. Cependant, au fil du temps, ce dispositif est coupé de son environnement, de ses bases arrières et donc progressivement en décomposition.

L’analyse du référent tribal dans les structures de la gestion urbaine de la ville de Bouizakarne nous permet de comprendre le fonctionnement de la « société oasienne », du territoire de marge dans la réalité de tous les jours. Plus, elle rend compte du processus de transformations qui traverse les sociétés traditionnelles dans le contexte d’aujourd’hui. Un contexte subit, régulé sur des impératives exogènes qui finissent par êtres appropriées ou refusés par certains plus que par d’autres selon des projets de vies individuels et des aspirations différentielles de la société. Ce qui rend un territoire initialement communautaire et d’usage collectif, un espace conflictuel à plusieurs échelles.

Dans cette optique, le cas de Bouizakarne présente un intérêt particulier pour étudier l’interaction entre la « militarisation urbaine » et le fait tribal à l’échelle de la petite ville. En effet, le recoupement de l’origine tribale avec les différents usages de l’espace permet de comprendre les jeux de domination sociale mais aussi les différentes stratégies mises en place pour amortir, niveler et/ou réguler la société urbaine. Tout d’abord, il existe une relation entre les types de quartiers et les fractions tribales. La tribu dominante de Lakhssas se concentre dans le tissu traditionnel et au centre ville. Alors que les Aït Oussa occupent le tissu informel de Hay Al Massira qui constitue un bassin d’exode rural tribal notamment chez les Ait Brahim et les Ait Rkha entourés par des tribus d’origine composite. Les équipements de scolarisation, sanitaires et récréatifs exercent une certaine influence au niveau de l’attraction démographique de ce tissu informel. L’ensemble des équipements situés au centre-ville constituent avec les quartiers militaires et administratifs une barrière de séparation intertribale. Il est à noter le caractère conflictuel de la stratégie et les rapports de forces qui naissent autour de l’appropriation et/ou de l’usage du sol urbain. En effet, la tribu Lakhssas essaye d’investir le champ informel de Hay Al Massira pour renforcer son poids politique dans la gestion du fait municipale. Cependant, à travers les autorisations de construire et la création de nouveau lotissements, l’autorité public va dans le sens d’affaiblir le poids dominant de ce dispositif socio-territorial. Les tribus d’origine composites, les militaires issus de la région de Demnate ainsi que les équipements de commerce et services servent de tampon de sécurité pour équilibrer le champ social urbain structuré sur trois grands morceaux épousant le réseau routier.

L’approche de la gouvernance locale via la constitution des Conseils Municipaux dans le temps et dans l’espace, permet de rendre compte de l’articulation et de la mobilité du fait tribal et des rapports de forces sous-tendant la gestion urbaine.

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Tableau 4 : Structures tribales comparées et appartenance politique des conseillés municipaux à Bouizakarne

Tribus 2013 Partis Elections Tissu Tissu politiques 2003 2009 traditionnel d’extension Ait Brahim 8 % 14% Travailliste 9 5 Ait Rkha 4% 7% PAM 1 7 Demnat 3% 4% UC 2 - Ait Oussa 11% 20% USFP 1 2 Lakhssas 27% 14% PRE 2 1 Tribus 47% 41% Composites Source : Travail de terrain, Ben Attou, Tamouh, Municipalité de Bouizakarne, 2013 La comparaison de l’appartenance tribale du Conseil Municipal de Bouizakarne pour le mandat actuel montre que le fait tribal aujourd’hui, n’est pas homogène même à l’échelle d’une petite ville. En effet, les structures sociales dominantes sont beaucoup affaiblies mais non effacées. C’est-à-dire que c’est la hiérarchie socio-tribale qui change d’un moment à l’autre, d’un espace à l’autre en fonction des événements sociaux, de la légitimité des chefs de files et de la faiblesse et/ou le retour du pouvoir public. Ainsi, la tribu dominante dans le tissu traditionnel reste bien LaKhssas (27%) mais son pouvoir n’est pas absolue, il est régulé par la présence en force des tribus d’origine composite (47%). Dans le reste de la ville, la tribu la Khssas n’est pas du tout dominante, elle est mise en perte de vitesse par les Aït Oussa (20%) et les autres tribus composites (41%). Dans ce jeu de pouvoir, le rôle des parties politiques reste important mais il est relégué en seconde position. Le fait tribal comme fait de mobilisation sociale l’emporte sur l’encadrement politique proprement dit. Mais, il s’agit d’un pouvoir tribal amorti, désormais reconfiguré par le pouvoir public. La balkanisation est un fait très pratiqué dans la petite ville présaharienne10. Les deux formations politiques à savoir le parti des Travaillistes (60% de l’ensemble des conseillés) et le PAM (46%) qui dominent la scène politique à Bouizakarne lors des deux derniers mandats montrent clairement que la mobilisation politique n’est pas un fait lié au processus d’évolution de l’espace et de la société présaharienne. Ce qui met directement en rapport de force la tribu et le pouvoir public. La stratégie utilisée dans ce rapport de force s’articule autour de la « Asabia11 »,

10 Il s’agit d’une balkanisation qui ne repose pas sur des principes partisantes puisque la proportion des élus locaux disposant d’un niveau d’étude supérieur ne dépasse pas 6% en 2013. 11 La notin de « Asabia » a beaucoup évolué depuis la définition d’Ibn Khaldoun qui repose sur le lien de sang, l’alliance et des mécanismes internes qui font perdurer la Asabia dans le temps et dans le groupe ethnique. Selon V. Bisson 1994 et 2005, L’Asabia permet de distinguer, entre autres, des lobbys moyennant le lien de sang non pas dans le sens de partage d’un même mode de vie collectif mais pour des influences individuelles et d’ambition politique. D’après nos études récentes sur la société saharienne marocaine, la notion de la Asabia au sein de la population commence à s’estomper en faveurs de la société civile toujours d’origine ethnique mais plus tourner vers la revendication du développement et des avantages sociaux.

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la notabilité locale et le financement des campagnes électorales. Dans ce contexte, la planification urbaine devient un jeu de pouvoir plus qu’un outil d’organisation et de gestion de l’espace. Quand la planification urbaine est un enjeu de domination dans la petite ville présaharienne : L’une des problématiques essentielles de la planification urbaine dans les zones de marges c’est le décalage qui existe entre l’élaboration des documents d’urbanisme et la mise en place des organismes de tutelle en matière de planification. En effet, le Plan d’Aménagement de Bouizakarne fut homologué en 2002 alors que l’Agence urbaine de Guelmim n’a vu le jour qu’en 2004. De ce fait, le Plan n’a pas été consolidé en termes d’appuis financier, de suivie et de ressources humaines nécessaires. L’intervention de l’Agence de Promotion et de Développement Economique et Sociale des Provinces de Sud quoique importante pour les zones de marges, elle reste, verticalement, déconnectée d’un projet urbain structuré et concerté à Bouizakarne. Les ressources financières dont dispose la commune urbaine restent bien en déca des moyens nécessaires12 pour la mise à niveau et la restructuration de la ville. Le tissu associatif qui se compose de 85 associations et coopératives manque de formation, de soutien et de professionnalisme pour pouvoir articuler le développement urbain par le bas. D’une part, 80% de ce tissu est constitué d’associations embryonnaires à caractère social (enfance, genre). D’autre part, au sein du tissu associatif, le tribalisme est sous-jacent à l’action sociale. De ce fait, même lorsqu’il existe des associations dynamiques, rodées dans le civisme, l’environnement local ne leurs permet pas de se produire dans des domaines porteurs comme le patrimoine, l’infrastructure, l’habitat, le tourisme. Ceci ne veut pas dire que l’action sociale n’impacte pas la société, seulement, elle le fait dans des proportions très réduites et dans des domaines plus à caractère culturel, artistique et/ou folklorique qui n’arrivent pas à mobiliser la société devenue éparse.

12 Lorsque la Commune Urbaine de Bouizakarne affiche, pour l’année 2012, un budget communal de 21 millions de DH, cela ne reflète pas la réalité de la budgétisation communale qui est beaucoup moins importante à l’échelle des zones de marges. Il s’agit plutôt d’un report de budgets précédents mal dépensé. Dans la réalité, la production de la TVA communale est engloutie par le budget de fonctionnement. A titre de comparaison, le budget communal de la ville de Tata ne dépasse pas 10 millions de DH en 2010 ; alors que cette ville occupe le 4ème rang dans la région de Guelmim-Es-Semara.

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Le plan d’Aménagement de Bouizakarne homologué en 2002 était trop ambitieux. Il a programmé la restructuration de tout l’ensemble informel de Hay Al Massira ainsi qu’une partie à Hay Amal. Pour lutter contre l’empiètement sur l’Oasis, il a proposé une zone touristique comme barrière entre l’extension de Hay Al Madaris. Il a pensé aussi à rendre la ville plus compacte grâce au remplissage des hiatus urbains par une zone d’habitat R+1 encadrée au niveau de l’axe routier par de bandes d’immeubles résidentiels et à usage professionnel. En même temps, il a essayé d’accompagner la demande en matière d’habitat sur le front d’urbanisation autour de l’axe de Tata par une zone d’habitat R+2. Les lotissements en chantier, El Baraka et L’oasis s’inscrivent dans cette vision.

Afin de créer une sorte de mixité sociale, le plan a prévu deux zones villas de type moyen sur le front d’urbanisation spontanée en direction de Tata et comme jonction spatiale entre le tissu traditionnel à valoriser et Hay Al Amal. En matière d’équipement, le plan a programmé de renforcer et de moderniser le centre carrefour d’activité au tour de Hay Lakhssasi et Madaris ainsi que sur l’axe d’urbanisation vers Tata. Vu le développement en parallèle d’un axe d’urbanisation orientée vers l’axe de Tiznit- Agadir, une zone villa de type standing fut programmée. L’axe d’urbanisation en direction de Guelmim a été déclarée zone de réserve foncière.

Pour une ville ne disposant d’aucun document d’urbanisme, cette planification aurait permis une certaine organisation et requalification de l’espace urbaine. Cependant, un élément essentiel n’a pas été estimé à juste valeur : c’est le foncier militaire, Ce dernier a influencé la valeur foncière du sol et altéré le projet de ville compacte. La question du foncier militaire à Bouizakarne s’inscrit dans un enjeu plus important que le cadre local. Cet enjeu est lié au contexte actuel des provinces sahariennes, au projet de la régionalisation élargie, à l’autonomie de gestion sous souveraineté marocaine et au-delà pour des raisons géostratégiques. C’est pourquoi, il est prévu une extension, au sein du périmètre urbain, de nouvelles installations militaires conséquentes 13. Le blocage du

13 Rappelons que le Conseil du Gouvernement a approuvé le 4 mars 2013, le projet de décret n° 2-12-662 changeant et complétant le décret n° 2-94-763 du 25 novembre 1994 pour l’application du projet de loi n° 2-94-

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lotissement l’Oasis depuis 5 ans exprime deux faits. D’une part, la complexité de la contrainte foncière et de l’ambigüité que recouvre la notion de réserves foncières en matière d’usage et de bénéficiaires. D’autre part, l’oasis est relativement située loin de l’agglomération, elle constitue une offre non conforme à la demande sociale. C’et pourquoi elle a été doublée par l’habitat spontané de Hay Al Massira accueillant aussi les jeunes couples qui ne peuvent plus vivre avec leurs familles dans le tissu traditionnel saturé et/ou délabré. En équipant depuis 2008, plus de 23 Ha comme première tranche loin de l’agglomération, l’Erac-Sud puis l’Oumrane ont voulu créer une ville-nouvelle d’une consistance de 650 lots d’immeubles (R+2 et R+3), 245 lots pour usage professionnel (2- 3-4 niveaux) en plus des équipements collectifs et de proximité. Le prix moyen de 60 milles DH le lot, apparaît, a priori, accessible. En réalité, ce prix n’est pas à la portée d’un bon nombre parmi la population à revenu limité. Malgré cela, le prix n’est pas la raison principale qui explique la faible demande sur ce produit. C’est plutôt, la situation foncière non encore assainie qui se dresse devant l’acquisition des lots. La population, selon ses moyens, se tourne vers la partie restructurée dans les quartiers Al Amal et Al Massira ou directement vers le marché foncier non structuré dominé par les lotisseurs tribaux. Il est à signaler que l’accessibilité au marché locatif (500 DH en moyen/ Mois) à Hay Al Massira limite l’accès à la propriété jugée instable en raison des problèmes d’assainissement foncier.

En terme d’équipements collectifs, jusqu’à maintenant, le plan d’urbanisme n’arrive pas à équilibrer l’équipement de la ville en fonction de la disposition des quartiers et des hiatus spatiales. L’Agence Urbaine qui n’est pas concernée par le Plan de 2002, pense déjà à un autre document plus cohérent. Les différents départements ministériels ne gèrent pas leurs actions sur le terrain d’une manière concertée et à partir d’une planification de base. Lorsqu’il agit, chaque organisme le fait d’une manière verticale. En matière d’infrastructure scolaire dans le primaire, les deux extrémités Est-Ouest de la ville ne sont pas équilibrées. Le plan a prévu la construction de deux établissements à Hay Al Amal et l’Oasis. 11 ans après, elles n’ont pas encore vu le jour. Si au niveau des collèges, le problème ne se pose pas, il est à souligner que pour le secondaire, le seul lycée de la ville de suffit plus. Sa localisation à Hay Al Amal rend son accès par rapport à l’ensemble de la ville, plus difficile. Ce problème n’a pas été traité dans le plan d’urbanisme proposé. L’unité de formation professionnelle programmée n’a pas été réalisée non plus. Lorsqu’on compare le taux d’encadrement scolaire, on trouve que le collégial et le secondaire semblent mieux disposés avec respectivement 16.5 et 18.8 élèves pour chaque enseignant ; alors que le primaire se situe à 22.3 élèves pour un enseignant.

498 du 23 septembre 1994 relatif la création d’une Agence de Logements et d’Equipements Militaires. Le nouveau projet proposé par le Ministre Délégué auprès du Premier Ministre chargé de la Défense consiste à accélérer la création de casernes militaires et à alléger la procédure administrative en matière de délivrance d’autorisation de construire et de livraison de permis d’habiter relatifs aux projets de logements militaires. La nouvelle agence a pour mission aussi de faciliter la procédure d’enregistrement du foncier et de l’immobilier militaire.

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En fait, ceci exprime un autre phénomène : c’est l’abandon scolaire au niveau de l’enseignement secondaire pour différentes raisons.

Au niveau de l’encadrement sanitaire, Bouizakarne affiche un taux de 1195 personnes pour un médecin-pharmacien. C’est un taux qui se situe bien en déca de la moyenne nationale. La ville ne dispose que d’un seul hôpital militaire de chirurgie dont la compétence a été presque totalement transférée à Guelmim. Les deux centres de santé situés aux quartiers Al Massira et Lakhssasi datent de l’époque coloniale et sont dans un état de délabrement avancé. Ce niveau inférieur d’encadrement sanitaire a poussé les pouvoirs publics à entamer la construction d’un nouvel hôpital14 d’une superficie de 3Ha sur l’axe d’urbanisation Tiznit-Agadir. L’hôpital et destiné aussi à recevoir les malades des oasis voisines : , Timoulay, Aït Boufaln, Tagant. Cet hôpital est en train de se construire sur une zone qui avait été décrétée dans le plan d’aménagement comme zone résidentielle de type villas. Ce qui pose le problème de la pertinence de ce type de documents ainsi que du cadre institutionnel dans son ensemble. Le système des élites locales est fragilisé dans son propre enjeu tribal et politique face à l’administration locale, aux pouvoir foncier d’une ville à prépondérance militaire et face à plus d’un organisme et acteur-intervenants en matière de planification urbaine.

Après l’expiration de la durée de vie du Plan d’Aménagement en 2012, les espaces verts programmés n’ont jamais été réalisés. Ils restent sous forme de terrains vides à l’intérieur et aux extrémités du périmètre urbain. Ceci nous amène à se questionner sur les intensions du plan d’aménagement en matière de programmation généreuse des espaces verts qui ne se réaliseront pas. S’agit-il d’une forme quelconque de consolidation, non déclarée, des réserves foncières permettant de faire accepter la procédure de l’expropriation pour l’utilité publique ? Ne s’agit-il pas plutôt d’un transfert de la propriété privée vers le patrimoine foncier municipal pour consolider les ressources de fonctionnement de la municipalité ? La programmation des espaces verts dans les extrémités du périmètre urbain et non à travers les quartiers en fonction du besoin donne l’impression qu’il s’agit bien d’une réserve foncière déguisée en espace vert. Le contexte climatique ainsi que le stress hydrique ne l légitiment pas ce genre de programmation. Des points d’interrogation restent posés à propos de l’usage réel de ces espaces programmées.

Sur le plan touristique, le site de Bouizakarne n’a pas vraiment été mis en valeur dans le plan d’Aménagement. La valorisation des sites historiques au sein de la médina-Ksar n’a pas été abordée en termes de préservation matérielle et immatérielle. Ni la muraille, ni les Sabats ni le Ksar de Caïd Al Madani n’ont été insérés dans une approche touristique quelconque. Non plus, l’étude commanditée par l’Agence du Sud en 2009 sur la mise en valeur des sites à potentialités touristiques dans la région de Guelmim-Es-

14 Il s’agit d’un petit hôpital d’une capacité de 45 lits dont le coût d’investissement ne dépasse pas les 30 millions de DH.

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Semara n’a pas intégré le site de Bouizakarne parmi les 40 sites d’intérêt touristiques répertoriés dans la région. Dans la province de Guelmim, dix sites ont été classés pour faire l’objet de trois circuits locaux au départ de Guelmim. Le premier de trois nuitées reliant Guelmim- l’oasis de Tighmert- le site d’Asrir- les sources thermales d’Abaynou- Guelmim. Le deuxième circuit de deux nuitées relie Guelmim-L’oasis d’Ifran de l’Anti- Atlas- la vallée Kasbah d’Amtoudi-L’oasis de Taghjijt-Les sources thermales d’Aday- Guelmim. Le troisième circuit d’une nuitée reliant Guelmim à la Plage Blanche. Ainsi Bouizakarne s’est trouvée deux fois à la périphérie des grands projets de développement : une fois comme oasis dans le programme POS, une autre fois comme ville d’étape sur le deuxième circuit touristique local. S’agissant pour la plupart de circuits touristiques oasiens et de découverte, Bouizakarne a sa place.

II- Guelmim dans l’ordre géostratégique : Une ville en mouvement structurante de son territoire, la régionalisation avancée au Maroc oblige

Guelmim dans l’ordre géostratégique : une ville en mouvement structurante de son territoire Bien avant les nouvelles perspectives de la « régionalisation avancée » et la politique de la ville, les pouvoirs publics recourent à une mise au point territoriale en matière du développement dans l’oued Noun. Réceptifs à la question sécuritaire, parfaitement conscients des enjeux territoriaux qui peuvent en découler et/ou de glissements sociaux dans les zones frontalières et le pré-Sahara en général, ils ont entamé une série de mesures incitatives au développement territorial, humain et social. En effet, Guelmim, en tant qu’ossature de l’urbanisation présaharienne et plate-forme de diffusion du développement, a bénéficié de plusieurs initiatives portées par l’ensemble des acteurs et partenaires socio-économiques. La couverture en documents d’urbanisme, la régulation entamée du marché foncier, le renforcement des équipements de base, la mise en place d’une station d’épuration et la création d’une décharge publique, sont autant de mesures qui ont commencé à faire sortir la ville de sa marginalité.

1- La mise à niveau territoriale

La mise à niveau de Guelmim passe par la recomposition du système tribal et le déblocage foncier La ville n’a pas encore retrouvé le rythme d’investissement qu’elle mérite à cause de la complexité des procédures d’assainissement foncier, avec tout ce que cela comporte en termes de production informelle de l’économie et du tissu urbain. L’intervention publique s’efforce de gagner le pari d’un espace présaharien stratégiquement sécurisé, et ce, à coups d’investissements. En dépit de ce que cela implique en termes de prolifération de la facture du développement, l’objectif l’emporte désormais sur les moyens.

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L’analyse de la situation foncière du principal lotissement de la ville, à savoir Al Qods, permet de saisir les efforts déployés dans le nouveau contexte stratégique de gestion publique du fait foncier. En effet, lancé en 1989 sur une superficie de 29 ha avec une consistance de 1000 lots, dont 75% comme espace résidentiel, avec un taux de villas de 31% et 25% comme espace commercial, ce lotissement souffre de beaucoup d’informalités juridico-foncières. Englobant aussi un bon nombre d’infrastructures administratives de commandement régional, Al Qods a connu beaucoup de difficultés en termes d’enregistrement, d’opposition de propriétés et de multiplication de prétendants de droit à la même propriété. Ceci a pris des dimensions importantes surtout avec le prolongement et la lourdeur des procédés et processus juridiques, agissant directement sur la main levée foncière. Cette situation est, en grande partie, liée à l’acteur promoteur, jadis unique, dans les villes sahariennes à savoir l’ERAC-Sud. Cet établissement a injecté dans ce projet une valeur d’investissement de près de 37 millions de DH. L’attribution des lots par l’ERAC s’est faite sans assainissement foncier (enregistrement, conflits) et sans livraison de titres fonciers (Tableau 4).

En 2002, les pouvoirs publics ont essayé de résoudre administrativement le problème par la promulgation d’un décret d’expropriation foncière (Décret n° 16.07.2002). Bien que cette procédure suscite des réactions sociales quant à son injustice foncière, presque 30% de l’ensemble de l’assiette foncière du lotissement a été assaini et l’activation de la livraison des titres fonciers est déclenchée. Le reste est soumis à des procédures juridiques activées ou fait l’objet de compromis à l’amiable entre les opposants. Tableau 5 : Projets de développement territorial inscrits à Guelmim et à oued Noun (2005-2010) Investis Programmes Période sement en 106

DH 2007- Qualification des infrastructures 193,9 2009 Qualification des quartiers sous intégrés 2005 184,0 2007- Initiative pour le développement et l’emploi 95,0 2008 Qualification urbaine 2011 80,0 2005- INDH-Quartiers de Guelmim 57,0 2009 Lutte contre la désertification et promotion des 2006- 32,0 oasis 2010 2006- Mise en place de l’infrastructure de base 29,5 2008

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Réhabilitation et requalification du Ksar 2006- 29,0 d’Assa 2007 Projets de proximités 2008 18,5 Création : plate-forme pour l’économie 2008- 15,0 portuaire à 2010 2005- Création d’un complexe touristique à Assa 8,0 2006 2005- Création d’un complexe touristique à Zag 8,0 2006 Développement du trafic aérien Casablanca- 2007- 7,0 Guelmim 2008 2005- Création d’une station de forage à Aday 4,0 2007 Développement du trafic aérien Casablanca- 2005- 3,7 Tan-Tan 2006 2007- Promotion des Jef Crédits 3,0 2009 2005- Elaboration du Plan d’Aménagement Régional 3,0 2008 2006- Mise en place du complexe artisanal de Tata 2,5 2007 Electrification rurale 2007 2,3 2008- Création d’une zone industrielle à Assa 2,0 2010 Etude du Plan d’assainissement solide de Tan- 2005- 0,7 Tan 2007 Projets d’irrigation à Laksabi 2006 0,4 2005- Total 857,9 2010 Sources : Atlas des chantiers des Provinces du Sud, oued Noun, 2009 ; Municipalité de Guelmim, 2009 ; Agence du Sud, 2009 ; Service Economique et Social de la Wilaya de Guelmim, 2009.

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Cette dernière procédure donnera naissance Figure 5. Population de la ville de Guelmim par à une vraie action de civisme qui a permis, par la suite, l’apparition des widadiyats et quartier 2009-2010 coopératives d’habitat. Celles-ci vont exploiter le référent culturel et le nouveau contexte stratégique de Guelmim pour contourner la question foncière en l’approchant comme ressource territoriale1 et non comme objet de discordance. Ce même dispositif va être mobilisé pour réaliser des projets structurants aussi bien pour la ville que pour sa zone d’action. Projets qui ne pouvaient pas être portés dans le contexte antérieur à 2005. La qualité de la production d’un nouveau tissu urbain tant sur le plan morphologique qu’au niveau de la fonctionnalité témoigne de l’évolution des mentalités et d’un volontarisme sans précédent. La mixité sociale progressive du tissu urbain et le renouvellement générationnel au niveau des quartiers constituent un brassage vers l’intégration socioculturelle qui passe par le développement humain, la qualification urbaine et la reconversion de la géopolitique vers plus de la géostratégique.

2- Le projet urbain, la porte d’entrée d’une gouvernance citoyenne au politique La mise à niveau de la ville s’insère dans le principe d’un projet urbain qui passe nécessairement par le renforcement des capacités, l’éducation-formation et l’égalité des chances en matière d’emploi et d’accès aux études supérieures. Ceci, afin d’éviter l’exclusion et la fracture sociale au sein d’une population jeune, qui à défaut d’une bonne insertion socio-économique, se refuge, politiquement, dans le tribalisme et le régionalisme, si non dans le séparatisme. En effet, l’ouverture d’une Faculté Pluridisciplinaire à Guelmim, d’un Institut de Technologie Appliquée relevant de l’Université Ibn Zohr d’Agadir, ainsi que le renforcement de la formation professionnelle (OFPPT) par deux instituts spécialisés, l’un en Hôtellerie et Tourisme, l’autre en Technologie Moderne des Medias et Communications contribuent dans l’effort de l’intégration socio-territoriale de Guelmim par le biais d’un changement de mentalités. Spatialement, la partie nord de Guelmim, donnant sur la route de ,

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offre désormais un espace « Irfan » en phase de structuration en pôle d’orientation d’une urbanisation qualitative. Cet espace forme avec l’aménagement de la corniche de l’oued Oum Lâachar, un paysage urbain référentiel. Ce fait est d’importance, Guelmim ne présente pas aujourd’hui une simple morphologie linéaire axée sur un seul axe d’urbanisation dominant à savoir celui vers Agadir, mais celle d’une ville « inclusive » mieux structurée. Cependant, cet espace « Irfan » nécessite, dans le futur immédiat, une bonne articulation en système modal de transport en commun pour le rendre davantage accessible. De même que la corniche nécessite des installations de protection contre les inondations de l’oued Oum Laâchar.

Bien évidemment, tout en s’inscrivant dans une logique de promotion et de recompositions territoriales, visant à intégrer l’ensemble du Maroc présaharien dans la dynamique socio-économique nationale, la stratégie est restée centrée sur la multipolarité de la ville de Guelmim. De la promotion de l’activité urbaine pour absorber une part du chômage chez les jeunes à l’encadrement par les services urbains, en passant par la qualification des espaces sous intégrés et la promotion foncière, force est de reconnaître que l’oued Noun, malgré les facteurs de dépassement qui persistent encore, n’a jamais fait l’objet d’autant d’attention particulière au plus haut niveau de la sphère politique. La notion de stratégie urbaine dans le pré-Sahara a ses limites certes, puisque nous n’avons pas encore réussi à atténuer l’effet territorial « centre-périphérie » qui semble encore aujourd’hui une caractéristique de l’organisation de l’espace marocain. La notion en soi n’est pas originale.

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Figure : 6. Localisation des projets structurants réalisés récemment à Guelmim

Il est bien clair que pour l’ensemble du Maroc, il est difficile d’asseoir une politique urbaine efficiente et durable à cause du décalage qui existe entre les besoins socio-économiques exponentiels et les ressources insuffisantes. L’originalité de cette notion provient cependant, du contexte stratégique actuel dans lequel évolue oued Noun et le Maroc saharien. Désormais, Guelmim, principal enjeu de la stratégie territoriale publique, ne peut se distinguer que par sa vocation d’encadrement et accessoirement par un certain dynamisme socio-économique.

Comme stipulé dans le SRAT, Guelmim devra acquérir une nette dominante reproductive avec prédominance de la reproduction élargie (assez bon niveau de l’intervention de l’Etat) (SRAT DE LA REGION DE GUELMIM-ES-SEMARA, 2010). Les projets réalisés, ou en cours de réalisation1, ne consistent pas seulement à faire l’alignement d’initiatives de développement, mais ils insistent sur la qualité de l’urbanité, la bonne gouvernance et la régulation du rapport formalité/informalité.

Guelmim entame aujourd’hui une nouvelle étape de son développement. Celle-ci est marquée par une recomposition territoriale stratégique articulée sur la polarisation urbaine de la ville « motrice » comme locomotive de développement dans le pré- Sahara15. En effet, le nouveau processus de réappropriation territoriale régulée sur la présence de l’Etat selon ses priorités, ses capacités à inverser les tendances, à mobiliser le dispositif sociétal, à redynamiser les ressources territoriales et à niveler la demande sociale, est, sans doute, en mesure de repositionner le territoire et la société présahariens. La nouvelle constitution, le nouveau code de l’urbanisme, la

15 Il est à signaler que la visite royale à Guelmim a activé le processus du changement et la levée de nombreux blocages. L’inauguration en 2007 du noyau universitaire par sa majesté le Roi tient lieu d’un signal fort de la volonté du changement stratégique des espaces présahariens.

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régionalisation avancée et la politique de la ville devront suffire pour garantir le passage de la marginalité à l’intégrité socio-territoriale dans les espaces de marges présahariennes. Les projets de mise à niveau urbaine et de requalification des espaces traditionnels sont là pour témoigner de la « fausse problématique » du foncier. L’Etat providence/ entrepreneurial est en mesure de négocier, de gérer et de promouvoir le territoire lorsqu’il décide de le faire verticalement ou horizontalement, sur les bases d’une « gouvernance citoyenne » ou « territoriale » qui s’inscrit à son tour dans un contexte de « régionalisation intégrée ».

Tableau 6 : Structure du projet de ville de Guelmim Estimation Projets structurants du Coût en 106 DH Acquisition des assiettes foncières pour les équipements 738,0 structurants Construction et aménagement du pôle universitaire 500,0 Nouveau pôle urbain « Reg Lasfar » 320,0 Achèvement de la qualification urbaine 320,0 Construction d’une canalisation pour alluvions et 300,0 élargissement du réseau d’assainissement Construction et aménagement du centre hospitalier 250,0 régional Nouveau Centre urbain 203,0 Achèvement de la rocade urbaine 200,0 Construction d’un stade et d’une salle d’entraînement 150,0 Protection de la ville contre les inondations 100,0 Construction du siège de la Municipalité et ses annexes 86,0 Aménagement d’une zone industrielle 70,0 Construction de 20 équipements de proximité 60,0 Construction du pôle religieux 50,0 Construction de 8 piscines de quartiers 48,0 Programme de qualification des établissements scolaires 40,0 et annexes Construction d’un Abattoir moderne pour viande rouge 40,0 Construction de 4 centres commerciaux de quartiers 40,0 Aménagement du cimetière Rahma (mosquée et annexes) 32,0 Réhabilitation du tissu urbain traditionnel 30,0

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Enfouissement des câbles électriques de tension moyenne 30,0 et branchement des habitations Achèvement de la décharge publique contrôlée et aménagement d’un centre de tri pour la valorisation des 30,0 déchets Construction d’un Abattoir moderne pour volaille 25,0 Reconstruction de la Kasbah d’Agouider 20,0 Extension de la ceinture verte 20,0 Aménagement d’une zone de logistique 16,0 Aménagement d’une zone touristique 14,0 Qualification des autres cimetières 8,5 Construction d’un marché de gros pour produits 3,0 halieutiques TOTAL 3743,5 Source : Commune Urbaine de Guelmim, 2010

Le réaménagement du jardin Touaghil dans le centre historique de Guelmim sous un nouveau concept environnemental, ainsi que le réaménagement-extension du Souk Amhirich constituent les éléments essentiels d’un projet urbain intégré. L’aménagement et l’embellissement de la corniche de l’oued Oum Lâachar et la mise en place d’une infrastructure d’enseignement supérieur (Faculté pluridisciplinaire, Institut de Technologie, (OFPPT) dans le Nord-Ouest de la ville, ainsi que l’espace récréatif structuré au sud-est de la ville autour d’un complexe sportif sur la route d’Assa, forment avec la réalisation de la rocade reliant la route d’Agadir à celle d’Assa et la construction des portes d’entrées de la ville, autant d’exemples inscrivant désormais Guelmim dans une nouvelle phase de son développement comme tête de pont vers le contexte du nouveau modèle du développement régional des Provinces du Sud (C.E.S.E, 2013).

Reg Lasfar, l’enjeu de l’aménagement stratégique de Guelmim d’aujourd’hui : le système des Widadiyats et coopératives pour désactiver l’obstacle foncier L’un des faits symboliques de la recomposition socio-territoriale de Guelmim en particulier et de l’oued Noun est, sans doute, l’élaboration par l’Agence Urbaine du plan d’aménagement sectoriel de la zone Reg Lasfar (Fig. 5). Ce plan constitue avec la réalisation des projets structurants, le profil d’un projet urbain à l’échelle d’une ville présaharienne comme Guelmim. En effet, ce lieu est chargé de symbolique d’une volonté de changement partagée à la fois par les formations sociales qui se trouvent de moins en moins dans l’enjeu politico-tribal et les pouvoirs publics soucieux de sécuriser, une fois pour toute, cette zone stratégique.

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Le fait que Reg Lasfar se trouve relativement à proximité de l’aéroport16 est important. Ceci atteste de la main levée de la stratégie défensive adoptée jusqu’ici par les pouvoirs publics en matière de renforcement de la fonction militaire17. Aujourd’hui, les widadiyats et les coopératives acquièrent des assiettes foncières dans la zone limitrophe à l’aéroport selon le zonage adopté par le nouveau plan de Reg Lasfar. Ce qui confirme l’hypothèse d’une volonté publique de renforcement de la dynamique urbaine. D’ailleurs, la mise à niveau de la ville a reposé essentiellement sur le budget de l’Etat. Sur un coût d’équipement, d’aménagement et de construction à Guelmim qui s’élève à 1477 millions de DH, c’est la Direction Générale des Collectivités Locales et l’Agence du Sud qui injecteront l’essentiel du financement, soit 54.3% pour une contribution de 16.7% de la Commune urbaine de Guelmim et 6.4% seulement pour le Ministère de l’Habitat et la Politique de la Ville. Le reste est assuré par les différents partenaires sociaux18. Ces même partenaires sociaux vont soutenir le PCD de Guelmim (BUREAU D’ETUDES REJJES, 2010) et s’inscrivent dans un programme de financement estimé à 1 500 millions de DH pour la période 2010-2015.

Le nouveau plan de zonage est aussi une expression-revendication des Collectivités locales à marquer le changement et dénoncer l’irrationalité du plan d’urbanisme, souvent accaparé par des bureaux d’études siégeant loin des territoires et sociétés sujets de la planification. Il s’agit d’une étude élaborée en 2011 par l’Agence urbaine19 selon une concertation locale et par des moyens propres. Il est certain que Reg Lasfar constitue une valeur immobilière et des placements d’investissements sécurisés qui interpellent différents acteurs et promoteurs parapublics et privés. Les actions d’embellissement de la corniche, les projets d’immeubles et villas, ainsi que la promotion de l’habitat social à Guelmim constituent des potentialités de création de la valeur ajoutée. L’université, les autres structures d’enseignement supérieur et technique garantissent et légitiment la dynamique et l’investissement dans cette zone. Déjà, les synergies et la négociation commencent à se mettre en place. En effet, face aux manques de moyens permettant de relier Reg Lasfar au réseau d’assainissement de la ville de Guelmim dans le cadre d’un Plan Directeur d’Assainissement élaboré par l’ONEP, le holding Al Oumrane s’est proposé d’assurer un financement de 14 millions de DH à cet

16 Malgré la programmation de quelques vols civils reliant Guelmim aux villes du Sud en particulier et les Iles Canaries, l’activité de l’aéroport reste principalement de type militaire. Bien que le positionnement de la partie militaire sur le zonage ne soit pas officiellement clair, les Services de la Direction de l’Aviation civil n’ont formulé aucune opposition. La seule condition c’est que les logements qui se localiseront à proximité de l’aéroport ne dépassent pas R+3. Il faut signaler aussi que dans ce sens, l’Agence urbaine a dépêché trois écrits (2928.13.2012 ; 830.9.12 et 13076.3.12) respectivement aux autorités militaires, Services de l’Habitat, de l’Urbanisme et de la politique de la ville et enfin le Ministre délégué auprès du premier Ministre. 17Rappelons que le Plan d’aménagement homologué en 2001 a décrété l’entourage de l’aéroport comme zone non ædificandie. 18 Il s’agit du Ministère de la Jeunesse (10%), le Service des Eaux et Forêts, ONE, ONEP, Secrétariat d’Etat à l’Eau, Conseil Régional et INDH. Tous réunis, ces derniers ont participé à un niveau de 12%. 19 L’Agence Urbaine de Guelmim a restitué pour concertation sa conception du plan le 06 juin 2011. Après 5 mois, le plan a été élaboré sur les caractéristiques des besoins locaux et soumis à l’approbation.

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effet, à condition, bien évidement, d’amortir l’investissement au moment des dépositions des demandes de constructions qui seront présentées par les différents promoteurs, widadiyats et coopératives.

Des obstacles existent encore, la taille des investissements nécessaires est importante. Certains problèmes itinérants relatifs au raccordement au réseau d’électricité demeurent, et des revendications sont portées par les widadiyats à propos du retard enregistré en matière de livraison de leurs lots20. Cependant ce qui est intéressant ici c’est de rendre compte comment l’urbanisation commence à mobiliser le champ social d’une manière organisée en dehors de l’enjeu foncier et tribal. La constitution de ces widadiyats et ces coopératives d’habitat témoigne d’un profond changement qui commence à investir le champ socio-politique.

Tableau 7 : Les Widadyats et coopératives d’habitat à Guelmim selon la consistance et la situation actuelle des projets de construction Porteurs de Projets Lotissements Aire Nbre de Situation en m² Bénéficiaires actuelle Coopérative Al Houda 1 Al Houda 32079 64 TA& LD Coopérative Annour Annour 11000 39 TA & LD Widadiyat Charaf Charaf 50000 153 PAE Association des fonctionnaires Municipalité 25000 124 PAE de la Municipalité Widadiyat Al Baraka Al Baraka 23815 59 TA & LD Widadiyat Ferdaous Villas Ferdaous (V) 12422 43 PAE Widadiyat Al Majd Al Majd 10850 50 FAF Coopérative Achifa Achifa - 44 FAF Widadiyat Ferdaous Takadoum 55000 180 FAF Takadoum Widadiyat oued Noun oued Noun 11000 60 FAF Widadiyat Takadoum Takadoum 2 46000 200 AVL Coopérative Al Houda 2 Al Houda 2 26600 130 AVL Widadiyat Wifaq Wifaq 2 17200 95 AVL Al Oumran Al Janoub Al Waha 115000 600 PAE Widadiyat Nakhil Nakhil 40000 220 FAF Widadiyat Al Bassatin Al Bassatin 36500 190 FAF Widadiyat Al Inbiât Al Inbiât 37764 196 FAF

20 C’est le cas notamment des Widadiyats du lotissement l’Oasis.

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Widadiyat nouveau Ferdaous Ferdaous (N) 20000 105 FAF Widadiyat Assalam Assalam 37400 190 FAF Secteur Privé Al Baraka (HS) 140000 750 FAF Al Oumran Al Janoub Bab Sahra 165000 850 AVL Widadiyat Al Massira Al Massira 20000 110 FAF Secteur Privé Riad 19690 100 FAF Widadiyat Al Bassatin 2 Al Bassatin 2 16690 100 FAF Secteur Privé Talbi 50000 250 FAF Widadiyat Chourouq Chourouq 17500 95 FAF Widadiyat Miftah Al Khaïr Miftah Al 24544 120 FAF Khaïr Widadiyat Al Moustakbal Al Moustakbal 59900 200 FAF Widadiyat Narjiss Narjiss - - PRAF Widadiyat Al Khaïr Al Khaïr - - PRAF Widadiyat Al wafaa Al wafaa - - PRAF Widadiyat Al Kaoutar Al Kaoutar - - PRAF Widadiyat Al Andalouss Al Andalouss - - PRAF Widadiyat Al Jamiâa Al Jamiâa - - PRAF Widadiyat Al Moustakbal 2 Al Moustakbal - - PRAF 2 Source : Fédération des Widadiyats et Coopératives pour l’Habitat, Guelmim, 2013 Abréviations :PRAF = En phase de recherche d’assiette foncière, AVL = En attente de la validation du Lotissement, FAF = Finalisation de l’acquisition foncière, PAE = Phase d’Achèvement de l’équipement, TA = Travaux achevés, LD = lots distribués.

Les widadiyats et les coopératives sont porteurs de projets à la fois économiques et sociaux. Leur investissement engagé jusqu’à maintenant représente une masse de 217 000 000 DH. Chiffre qui franchira le seuil des 580 millions de DH une fois l’achèvement de l’ensemble des projets autorisés. Ce qui représente la création de nombreux emplois et une participation dans la reconstruction de la ville du droit. Le plafond à construire par l’action des widadyats et coopératives avoisinera les 800 000 m² avec un coût de construction inférieur ou égal à 2000 DH/m²,bien que l’on puisse formuler beaucoup d’interrogations quant à la procédure administrative à propos de l’orientation de l’urbanisation vers Reg Lasfar et l’octroi de l’autorisation de construire avant même d’homologuer le nouveau plan d’aménagement. Ce qui peut ouvrir le champ à de nouveaux glissements et articulations individuelles. Cependant, il est important de souligner que vu l’efficience de la planification à distance, conjuguée aux dédales administratifs doit réorienter désormais vers un urbanisme de concertation appuyé par la gouvernance locale et de proximité. C’est là où l’exemple de Guelmim prend toute sa

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signification. Porter l’urbanisation dans un contexte étudié d’intercommunalité urbaine ou rurale est peut être une solution plus adaptée que le jeu politique d’extension des périmètres urbains à l’infini. Ceci invite à penser l’aménagement en dehors des stéréotypes hérités qui ne correspondent plus au projet de ville qui doit d’abord être un projet de société.

Conclusion

Au terme de cette analyse, on est en droit de se demander si la petite ville présaharienne est le fait spontané d’un processus d’évolution endogène d’une société oasienne et nomade vers une société sédentarisée ou bien, la résultante de choix exogènes procédant d’un appareil de pouvoir et d’intervention verticale. Si, sous l’impulsion d’une fonction militaire héritée et consolidée après l’indépendance, les formations sociales de Bouizakarne font preuve de capacités d’adaptation, de résistance ou de stratégie de contournement. Une autre question a retenue notre attention, tout au long de cet article, le modèle d’organisation tribale comme appropriation et usage communautaire de l’espace public et privé est capable de se régénérer uniquement dans les espaces de marges présahariennes selon des mécanismes sociétales, des procédures de gouvernance et/ou le jeu d’acteur-élite locale est fondamentale. Force est de constater par ailleurs, que même dans les petites villes présahariennes, le modèle oasien constitue un système dont l’altération de l’un des composants peut engendrer la décomposition de tout le système articulé sur l’équilibre homme-ressource-territoire. Agissant sur l’économie locale, c’est agir directement sur la société toute entière et sur le territoire qui commence à perdre sa cohésion sociale, ses principes de production, d’appropriation et de gestion communautaire du territoire. Le monde de médina-Ksar, des sabats, des lieux de cultes, de l’artisanat et de la cohabitation sociale est un fait organique qu’on ne peut inventer partiellement sans risques de folklorisassions ou de banalisations.

L’article montre clairement à travers l’exemple de Bouizakarne, que le tribalisme dans la petite ville présaharienne n’est pas- plus un fait de revendication sociopolitique menée dans un contexte de rapport de force pour l’accès à la gouvernance urbaine- qu’un fait de société, encore profondément enraciné, jusqu’à aujourd’hui, dans l’identité de l’individu local, le fait tribal peut faire surface momentanément sous forme de mobilisation sur une demande sociale particulière et non pas comme identification territoriale. Ce qui confirme notre hypothèse selon lequel, la société communautaire n’est pas en phase de transition mais peut être en voie de disparition. Nous avons vu comment les élites tribales s’insèrent dans l’enjeu du pouvoir local. Nous avons vu comment, la fonction militaire configure et reconfigure l’espace urbain, l’accès à la propriété et comment, ses priorités et prorogatifs passent avant la planification et la production urbaine. L’émigration internationale, la mixité sociale, l’introduction des groupes sociaux hétérogènes et la relégation administrative sont autant de dispositifs faisant prévaloir une évolution des mentalités, l’affirmation de nouvelles valeurs sociales

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et une assimilation territoriale autre que lignagère même à l’échelle des petites villes. Dans les espaces de marges présahariennes, L’Etat central régule la question du développement selon des priorités géopolitiques et géostratégiques qui prennent en charge le territoire, la société et l’urbanisation. Ce mode de gouvernement des villes et territoires peut changer, voire s’améliorer avec le projet de la régionalisation avancée et l’autonomie des provinces sahariennes sous souveraineté marocaine. L’exemple de Guelmim en deux phases : Géopolitique et géostratégique.

Nous confirmons les changements importants ayant affecté la société et le territoire de Guelmim. L’éveil du local est le fait d’une action simultanée sur l’individu et sur l’espace. Dans cette entreprise, l’autorité publique détient la clé du développement dans le pré-Sahara marocain. L’exemple de l’oued Noun est dans ce contexte très édifiant. Il permet de saisir comment un même territoire peut basculer entre intégration et désintégration selon la manière dont il est volontairement ou involontairement inscrit dans les champs géopolitique ou stratégique. Il montre, en plus, qu’aussi bien le référent culturel que l’identité ethnique ne constituent nullement des entités figées et non réceptives. Il est certain que les événements historiques et les parcours individuels pèsent beaucoup dans l’identité communautaire. Cependant, le comportement foncier de la société et/ou de l’élite guelmimi à propos du foncier dans les deux phases de l’évolution de la ville, ainsi que l’organisation sociétale permettent de soutenir l’hypothèse selon laquelle le référent culturel serait un dispositif à la fois réceptif et récupérable. Il est réceptif à l’action du changement elle-même.

On ne pourra pas confirmer que l’urbanisation, lorsqu’elle est bien conçue, n’influence nullement les sociétés tribales. La preuve c’est qu’elle ne reste pas à la marge de l’action sociale (widadiyats, coopératives) ; au contraire, elle est absorbable dans les tissus associatifs. Le référent culturel est également récupérable par les forces en place que celles-ci soient d’origine politique, religieuse ou même ethnique. Ce sont ces forces qui instrumentent le référent culturel dans un sens ou dans un autre. Dans un contexte d’Administration territoriale construite sous une logique sécuritaire, la promotion de Guelmim en chef-lieu de région n’a pas aisément amené la paix sociale qu’elle a attiré plus de rivalités ethniques, rappelant toujours l’organisation tribale d’une entité Tekna qui, en réalité, est dissoute au sein de la société. Ce qui va activer l’obsession foncière entre Rguibat et tribus locales à travers le retour au « frieg » d’appuis. Obsession récupérée dans un contexte géopolitique soucieux de maintenir un équilibre social dans une région aussi large et problématique. Cependant, lorsque le développement territorial est affiché sur l’agenda d’une orientation stratégique volontaire au niveau supérieur de l’Etat et anticipant sur la « régionalisation avancée », ce même référent culturel s’intègre totalement ou partiellement dans le nouvel ordre.

Partant de ce qui précède, le concept d’émergence quoiqu’il soit récupéré différemment par chaque pays en développement selon son propre contexte, il reste du moins pour le cas marocain, une sorte de récupération volontaire conditionnée par le positionnement

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politique de l’Union Européenne vis-à-vis de la place du Maroc dans le marché capitalistique européen. Les exemples traités dans cet article montrent bien comment cette récupération peut être adaptée et/ou instrumentalisée. Force est de reconnaître que même récupérer, ce concept est capable de régénérer un développement local et un affichage territorial si l’action de l’Etat est orienter vers le sens de la durabilité sociale et territoriale.

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L‘Afrique : Un demi-siècle de développement chimérique NACHOUI Mostafa, Enseignant chercheur, Faculté des Lettres et Sciences Humaines Ben Msik, Casablanca

RESUME : Après un demi-siècle des indépendances en Afrique, la réalité du développement est caractérisée par l‘instabilité politique, la mauvaise gouvernance, le sous développement socio économique, le sous emploi et le chômage chronique… Face à cette réalité douloureuse, l‘Afrique est obligée de s‘ouvrir à l‘international avec ses opportunités et ses risques. Malgré cette ouverture méfiante, l‘Afrique est toujours à la traine au niveau international. L‘article propose une vue croisée du pourquoi de cette situation tout en classant l‘Afrique au premier stade de développement selon les étapes de la croissance économique de Rostow, Mots -clés : Afrique, développement, partenariat, coopération internationale. ABSTRACT: After half a century of independence in Africa, the reality of development is characterized by political instability, bad governance, socio-economic under development , underemployment and chronic unemployment... Faced with this painful reality, Africa is forced to go international with its opportunities and risks. Despite this suspicious opening up, Africa is still lagging behind the international level. The paper proposes a cross-view of the reason of this situation while placing Africa at the early stage of development according to the steps of economic growth set forth by Rostow, Keywords: Africa, development, partnership, international cooperation. يهخض: بعذ اصٚذ يٍ َصف قشٌ عهٗ اسخقالل اغهب انذٔل االفشٚقٛت فاٌ ٔاقع انخًُٛت بٓزِ انذٔل يا صال ٚطبعّ عذو االسخقشاس انسٛاسٙ ٔ سٕء انحكايت ٔ انخخهف سٕسٕٛاقخصاد٘ ٔ االيشاض انًخفشٛت ٔ سٕء انخشغٛم ٔ انعطانت انًضيُت ٔانٓجشة انسشٚت....اياو ْزِ انحقٛقت انًؤنًت داخهٛا انضو عهٗ انبهذاٌ االفشٚقٛت االَفخاح انذٔنٙ بًا ٚحًهّ رنك يٍ فشص قهٛهت ٔ يخاطش عذة. نقذ اظٓش االَفخاح انحزس اٌ افشٚقٛا يا صانج حصُف فٙ انًشاحب االخٛشة عهٗ انًسخٕٖ انذٔنٙ. انًقال ٚقخشح َظشة يخقاطعت نًارا ْزا انٕضع يع حصُٛف افشٚقٛا فٙ انش االٔنٙ عهٗ سهى انخًُٛت كهًاث انًفاحٛخ: أفشٚقٛا، أنخًُٛت، انششاكت، انخعأٌ انذٔنٙ

Introduction A l‘occasion des cinquantièmes des Indépendances en Afrique, plusieurs rapports et constats des chercheurs, organismes nationaux et internationaux et autres ont souligné presque unanimement le retard, les problèmes, et l‘échec du développement de la plus grande partie des pays africains. De notre côté, nous essayons de dresser un tableau d‘ensemble et non exhaustif des réalités de développement en Afrique, dans son modèle global, qui explique le pourquoi du sous développement et les entraves au développement. Côté théorique, nous essaierons de classer le niveau de développement en Afrique selon le modèle de Rostow, à savoir à quelle étape des cinq étapes de la croissance économique l‘Afrique peut être classé ?

Développement et sous développement

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Dans son sens et vision nobles, Le mot développement provient du verbe développer, qui sous entend la croissance économique, l‘ascension sociale des populations et la démocratisation politique de l‘Etat. Autrement dit, le passage d‘une situation à une autre positivement, par l‘amélioration des conditions de vie des populations, au stade ou on qualifie le développement généralement et globalement, de réussite économique, d‘ascension sociale et d‘harmonisation de l‘être humain avec son environnement. Pour comprendre le sens du développement, il faut le mettre dans le contexte et le rapport analogique du développement et sous développement.

Pour échapper au sous développement et ses horreurs horribles et intégrer le monde développé et ses bonheurs, obligation est de passer par des étapes de croissance et développement de la croissance. Toute personne, société et Etat désir et s‘acharne à emprunter les voies pénibles, dans son voyage développementaliste, pour sortir de la sobriété et les malheurs du sous développement, dans l‗objectif d‘atteindre les heurs , lueurs et lumières du développement, … Delà, l‘humanité est entrée dans une course effrénée, imposée et obligée, voir impitoyable, avec tous les moyens et les voies, pour améliorer les indicateurs de son développement, car le développement est avant et après tout, des indicateurs quantitatifs et qualitatifs, qu‘il faut coute que coute développer, l‘améliorer, du fait qu‘à partir et sur la base de ces indicateurs on classifie les pays et selon ce qu‘ils ont réalisé de croissance de ces indicateurs et autres. A l‘heure de la mondialisation actuelle, une course mondiale rapide est imposée, imposant des listes de classification de pays et peuples selon la dynamique de croissance d‘indicateurs quantitatifs et qualitatifs. Ainsi, le principe du développement noble tant recherché, cède la place de plus en plus au nouveau principe ignoble, d‘esclavagisme et d‘exploitation, du fait que ces indicateurs sont limités et dictés par le monde développé, ses organismes et assimilés. Plus encore, on recommande, on demande, voir on impose et on oblige les pays sous développés à orienter leurs efforts pour les améliorer, s‘ils veulent grimper dans les classements internationaux et améliorer leur scores en course, et satisfaire les organismes mondiaux et ceux qui les commandent. Ainsi, les voies du développement ne sont plus choisis par les pays dominés et impuissants, mais imposés par les dominants et les organisations internationales, misent à cet égard. Le but du développement qui était la réalisation de l‘indépendance dans les décisions, les principes, les choix et l‘orientation des pays faibles, s‘est renversé du tout pour tout à l‘aliénation et la soumission aux pays du monde développé. Quel est le résultat du renversement du dit principe de développement et de ses objectifs en Afrique ?

I : Réalités africaines L‘Afrique riche en ressources naturelles très convoitées (Bauxite, cuivre, cobalt, manganèse, tantale, or, diamant, pétrole, uranium…. ), s‘oppose contrastement avec son instabilité politique, son sous développement économique et la pauvreté de ses populations. On observe donc, que malgré ses multiples richesses, l‘Afrique ne réalise pas encore son développement et le dynamisme de sa croissance est faible en général.

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I.1 : L‘instabilité politique Les pays africains une fois indépendants, n‘ont pas tardé à rentrer dans le cercle infernal de l‘instabilité politique, suite aux coups d‘états, rébellions, guerres interétatiques ou internes et autres complots. Ainsi, les premières années des « indépendances », sont marquées par des figures emblématiques, imbues de vraies idées d‘indépendance totale, de valeurs panafricanistes et de projets viables pour une Afrique unie et prospère : citons entre autres, Mamadou Dia, Nkwame Nkrumah , Patrice Lumumba, Amilcar Cabral, Thomas Sankara. Malheureusement, ils ont tous été éliminés, très souvent avec la complicité de l‘ancienne puissance coloniale. (Les interventions de Bob Dinard et ses mercenaires à renverser les régimes sur le continent en témoigne de cette page noire). Depuis, le sang n‘a cessé de couler et continue encore de couler partout sur le continent. Première face d‘instabilité politique, les coups d‘État dans tous les sens, citons entre autres en Guinée Bissau, aux Îles Comores, au Niger, en Mauritanie, en Côte d‘Ivoire, au Mali, au Tchad, au Centrafrique, en Ouganda, au Niger, en RDC, etc. Deuxième face d‘instabilité politique, les contestations violentes des élections soit disant libres, transparentes et démocratiques au Togo, au Kenya, au Gabon au Liberia, à Sierra Leone, l‘Angola, le Burundi, le Rwanda, la République Démocratique du Congo, le Congo, la Centrafrique, l‘Ouganda, le Zimbabwe, le Tchad… Ces pays et bien d‘autres conservent encore les stigmates de plusieurs décennies de guerre civile et de génocide et vivent dans une fragilité politique manifeste. I.2. La mauvaise gouvernance Le continent est victime de la rapacité de ses dirigeants qui transfèrent d‘importantes sommes d‘argent pour les cacher dans des banques en Occident. Selon une étude de l'ONU en 2004, plus de 400 milliards $ US sont stoqués par des africains dans des paradis fiscaux, dont plus 131 milliards $ US proviennent de la zone franc, et plus de 86 milliards pour les seuls pays de l‘Union Économique et Monétaire Ouest Africaine (UEMOA). Sur les 500 milliards $ US qui sortent chaque année des pays pauvres, 400 milliards proviennent du continent africain, dont, 300 milliards issus de délits (la corruption pour 50 milliards et les activités criminelles pour 250 milliards). Cette fuite des capitaux représente 13 à 14 % du PIB de la zone franc. Selon The Financial Times (2004) Selon le dernier rapport de Global Financial Integrity , un think tank américain, les flux financiers illicites sortant d'Afrique ont représenté au moins 29 milliards de dollars par an entre 1970 et 2008 (hors inflation) . Avec la forte croissance économique des années 2001-2008 (5% à 7% par an), tirée par la hausse des matières premières, le mouvement a pris des proportions inédites: l'Afrique aurait perdu près de 54 milliards de dollars par an en moyenne durant cette période, et même 90 milliards en 2007 et 2008. Le cumul de ces montants depuis 2001 représente deux fois la dette extérieure du continent. Les auteurs du rapport Global Finance Integrity estiment l‘ensemble des fuites illicites en provenance des 53 pays africains à 1 800 milliards de dollars. Les pays d‘Afrique de l‘Ouest et du centre sont les plus touchés. De sa part, la Banque africaine de développement dans son rapport 2012 sur les « Perspectives économiques en Afrique », estime à 700 milliards de dollars, la fuite des capitaux en Afrique entre 2000 et 2008,

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I.3. Le sous développement socio économique Les pays africains combattent toujours pour leur développement socio économique. Mais, Il semble que ce combat est malheureusement perdu pour l‘instant. Après plus d‘un demi siècle des indépendances, les différents modèles de développement importés /imposés ont fini dans l‘impasse. Face aux échecs des modèles de développement économiques, les problèmes sociaux se posent avec acuité et ne cessent de se complexifier chaque jour avec l‘augmentation rapide de la population, notamment dans les centres urbains. 54 % de la population est jeune (moins de 20 ans) ; 46 % vivent dans l‘extrême pauvreté avec moins de 1 $ US/jour. La mortalité maternelle et infantile reste plus élevée en Afrique que partout au monde (916 femmes perdent la vie pour 100 000 naissances ; 30 000 enfants meurent chaque jour avant d‘atteindre leur cinquième anniversaire)… La pandémie du Sida continue de faire des ravages sur le continent, dont les enfants et les femmes sont les plus exposés (70 % des 40 millions de personnes infectées par le VIH dans le monde vivent en Afrique). Outre le Sida, le paludisme reste encore la première cause de mortalité sur le continent, auquel s‘ajoute la poliomyélite, le choléra, la méningite, la bilharziose, etc La sous alimentation (30 % des enfants de moins de 5 ans sont malnutris, 40 % de la population survivent sous la menace d‘une crise alimentaire)… Plus de 2/3 de la population urbaine vivent dans un habitat précaire (72 %) sans services essentiels (seulement 36 % de la population disposent d‘un système d‘assainissement ; 44 % ont accès à une eau potable)…

A partir des années 80 du 20è siècle, les pays africains, sous l‘injonction des Institutions Financières Internationales (IFI) et à la suite du consensus de Washington, sont obligés d‘adopter les Plans d‘Ajustements Structurels (PAS), dont une des conditionnalités était la privatisation des secteurs rentables et de ne plus investir dans les secteurs sociaux (éducations, santé, notamment). Le contexte actuel dans lequel l‘Afrique et les Africains se débattent aujourd‘hui, à savoir, le sous‐développement endémique dans laquelle vit l‘écrasante majorité des peuples du continent et son corolaire de maux qui gangrènent leur quotidien et hypothèquent leur avenir, pousse des milliers de ses fils et filles vers un exode suicidaire en bravant les dangers de la mer ou du désert pour une hypothétique meilleure condition de vie ailleurs?

I.4. Le sous-emploi et le chômage chronique Ces dernières années, les problèmes des pays africains se sont vus aggravés encore plus avec le sous‐emploi de la main-d‘œuvre qualifiée. Dans tous les pays, il y a paradoxalement un taux de chômage et de sous‐emploi élevé parmi les jeunes diplômés, notamment des universités et grandes écoles d‘ingénieurs et de gestion. . Ainsi, à la question de la pauvreté et du chômage, est venue se greffer celle du sous‐emploi des compétences. En l‘absence de perspectives, nombre d‘entre eux choisissent l‘exil. Ce qui est inquiétant dans cette émigration, c‘est l‘exode massif de la matière grise, alors que l‘émigration clandestine se pose comme un autre défi majeur. Ce qui fait que le continent s‘appauvrit, aussi bien de ses bras que de ses cerveaux, de sa jeunesse avec tout son dynamisme et toute sa créativité.

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Selon l'Organisation Internationale pour les Migrations (OIM), depuis 1990, chaque année, environ 20 000 Africains hautement qualifiés, partent du continent vers les pays du Nord. II. L‘Afrique et le monde L´Afrique est elle vraiment intégrée ou non à la mondialisation ? Sa contribution dans le commerce mondial est très faible, et en déclin permanent. La part de l'Afrique dans les exportations mondiales a chuté de 4,5 % en 1990 à 1,1 % en 2008 et ses exportations sont constituées à 80 % de pétrole, des minerais et des produits agricoles. Les investissements étrangers directs ont chuté de 5,8 % en 1990 à 1 % en 2008, selon un communiqué de la FAO. Selon l‘IDH 2011, on trouve 30 pays africains classés derniers sur les 187 pays au monde. Tous les rapports mondiaux classent l‘Afrique, comme le continent le plus sous développé au monde. II.1. Eurafrique La coopération Europe – Afrique tire son origine de la Convention de Lomé, puis des Accords de Cotonou, conclus pour une durée de 20 ans en l‘an 2000, initiant une « nouvelle forme de partenariat dont en première ligne le renforcement de la dimension politique ». Les accords consacrent le renforcement des principes démocratiques et des droits de l‘homme, en « accord avec les valeurs sociales et politiques européennes » dans le cadre d‘un dialogue et de procédures de consultation.

Ainsi, l‘Europe est devenue un acteur majeur en termes de sécurité pour les zones en conflit du continent africain.

Le 09 décembre 2007, les 52 pays membres de l‘Union africaine plus le Maroc et les 27 pays européens ont adopté, au sommet de Lisbonne au Portugal, la « Déclaration de Lisbonne », pour une « stratégie conjointe » dans le cadre d‘un partenariat « d‘égal à égal » à travers un plan d‘action sur trois ans. Les Accords de Partenariat Économique (APE) étaient censés, à compter du 1er janvier 2008, consacrer l‘ouverture progressive d'au moins, 80 % des marchés des pays d‘Afrique, des Caraïbes et du Pacifique (ACP) aux produits européens, sur une période transitoire de 25 ans, mettant ainsi fin au régime préférentiel et se conformer aux règles édictées par l‘Organisation Mondiale du Commerce (OMC). Les APE visent à terme, l‘instauration du libre échange entre les pays ACP et l‘UE, une situation que les Africains, mal préparés ont manifesté leur désapprobation, compte tenu de leur niveau de développement et de la faible compétitivité de leurs économies. Ainsi, ces Accords qui se voulaient l‘aube d‘une nouvelle ère dans les relations Europe Afrique, ont été rejetés par une majorité de pays africains. Aujourd‘hui, l'Union peine à mettre en place le caractère politique de sa coopération avec les pays africains, au détriment de la dimension économique et humanitaire, déjà bien exploitée.

Les africains constatent que c‘est à l‘Europe qu‘il revient de revoir la copie de sa politique africaine, en vu des divergences des membres de l‘UE d‘un coté et de l‘autre, certains dirigeants européens ferment les yeux sur les pratiques politiques dans des pays où des guerres interminables sévissent et déciment des populations entières. Le Darfour,

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la Somalie, l‘Ethiopie, le Congo-Kinshasa, l‘Angola, le Congo-Brazzaville, la Côte d‘Ivoire, etc. Dans ce jeu de pillages, de détournements de fonds…., le grand bénéficiaire, c‘est l‘Europe. II.2.Françafrique La politique africaine de la France tire ses racines de l‘époque coloniale. Mue par la volonté de préserver des intérêts stratégiques forts sur le continent, la politique africaine a engendré de nombreuses dérives et nourri des pratiques occultes. La politique africaine de la France a ainsi été très critiquée et communément désignée sous le terme de Françafrique. Le discours de la Baule de François Mitterrand prononcé en juin 1990 à l‘occasion de la 16e conférence des chefs d‘Etat de France et d‘Afrique devait marquer un tournant décisif dans les relations entre l‘ancienne puissance coloniale et son pré-carré en posant les premiers jalons du principe d‘une conditionnalité de l‘aide française à la mise en œuvre par les pays africains de processus de démocratisation. Jusqu‘a présent, les discours n‘ont pas été suivis d‘effets. L‘arrivée de Nicolas Sarkozy à la présidence française en Mai 2007 marque une volonté de rupture avec la politique menée jusqu‘à présent sur le continent. Le 26 juillet 2007, il entame une tournée des pays africains et prononce le discours de Dakar, dans lequel il invite les puissances africaines à « prendre en main leur destin ». Le discours a été très controversé, voire qualifié de raciste : « le drame de l‘Afrique, c‘est que l‘homme africain n‘est pas assez entré dans l‘histoire ». Pour autant, ce discours constitue la première marque de cette volonté de rupture : « ce que veut faire la France avec l‘Afrique, c‘est regarder en face les réalités. C‘est faire la politique des réalités et non plus la politique des mythes ». Le 28 février 2008, il énonce dans son discours du Cap : « la relation de la France avec l‘Afrique, particulièrement avec l‘Afrique sub-saharienne se distend.. ». Il ajoute « aujourd‘hui l‘ancien modèle de relations entre la France et l‘Afrique n‘est plus compris par les nouvelles générations d‘Africains comme d‘ailleurs par l‘opinion publique française ». Tandis qu‘en France, la politique de lutte contre l‘immigration clandestine se durcit avec l‘instauration de quotas de reconduites à la frontières, le constat d‘une faillite de la politique africaine de la France, en raison du soutien des régimes corrompus et d‘un problème de gouvernance endémique en Afrique, fait à présent l‘unanimité, toutes tendances politiques confondues. Selon Sarkozy : « L‘Afrique a sa part de responsabilité dans son propre malheur », « La renaissance dont l‘Afrique a besoin : vous seuls, jeunes d‘Afrique, pouvez l‘accomplir, parce que vous seuls en aurez la force ». Ainsi, l‘Afrique est laissée seule à son sort politique malheureux, malgré les intérêts économiques énormes de la France en Afrique. De son coté, François Holland consacre la politique de son prédécesseur sur le plan discours et n‘hésite pas à intervenir par la force si les intérêts de la France sont menacés. La scission du Nord du Mali en 2012 (Azawad) prouve l‘impuissance du Mali et le désintérêt international du sort du pays. Le bilan de la Françafrique ? « Les puissances coloniales ont pillé l‘Afrique jusqu‘en 1960, avant de pérenniser leurs intérêts en y soutenant ses régimes les plus brutaux. C‘est trop facile de chercher toujours du côté de l‘autre les causes de son mal être. Le développement de l‘Afrique passe nécessairement par les Africains eux mêmes. Désormais, le destin de l‘Afrique est entre les mains des africains en premier lieu.

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II.3.Américafrique

L‘Afrique sujette à de multiples intrusions terroristes et tensions, interpelle les autorités américaines qui y voient désormais, l‘une de leurs frontières extérieures. Ainsi, après Djibouti, sur la Corne de l‘Afrique, dans un premier temps, le Pentagone avait envisagé l‘installation dans plusieurs pays africains des bases de ravitaillement (Sénégal, Ouganda notamment) et l‘implantation de centres périodiques de formation (au Mali et en Algérie). Cette option semblait aller vers une présence militaire non permanente, en installant des bases temporaires tournantes. Avec les développements des risques terroristes et tensions et pour permettre une meilleure harmonisation de leurs programmes de sécurité et de développement sur le continent, les autorités américaines envisagent une présence plus pérenne à travers l'AFRICOM, qui est venue s‘ajouter aux autres commandements militaires US dans le monde. Ce dernier‐né du dispositif militaire des États‐Unis dans le monde gère 52 des 53 pays du continent. Ce commandement qui devait voir le jour à partir d‘octobre 2008, après différentes tentatives, les autorités américaines n‘ont pas réussi à faire accepter le transfert du siège de l'AFRICOM initialement à Stuttgart en Allemagne, vers un pays africain, et semblent finalement renoncer à ce projet. Obama demande aux jeunes Africains d‘assumer « la responsabilité de [leur] avenir » en évoquant dans le détail les « maux » du continent, qui vont de « la corruption policière à la rapacité des élites, de l‘utilisation des enfants soldats dans les conflits à la complaisance envers les trafiquants de drogue ». Ainsi, les Etats Unis s‘intéressent en premier lieu à la sécurité, en responsabilisant les africains de leur état des lieux. Pour les africains, Les Etats Unis un partenaire dur mais honnête, contrairement aux ex puissances coloniales. Les américains responsabilisent les africains, pour leur plus grand bien. Pour eux d‘abord sécurité, démocratie et développement. II.4.Chinafrique

Jusqu‘en 1980 les échanges commerciaux sino‐africains étaient inexistants. Rapidement, dès 2005 la Chine se classait au troisième rang des partenaires commerciaux du continent après les États‐Unis et la France. En 2009, la Chine a dépassé les États-Unis et est devenue le principal partenaire commercial de l‘Afrique. Les exportations de ressources naturelles de l‘Afrique vers la Chine sont passées, de 3 milliards $ en 2001 à 22 milliards $ en 2006, dont 80 % pour le pétrole. Le volume des échanges entre la Chine et l‘Afrique atteignait 55 milliards $ en 2010 ; 166 milliards $ en 2011. La Chine est un acteur très important et très actif sur le continent africain, aussi bien du point de vue géopolitique (Construction du siège de l‘Unité africaine à Adis Abeba ; crises au Darfour et au Zimbabwe) que commercial (30 % de son pétrole vient d'Afrique). Selon le ministère du Commerce chinois, les investissements directs chinois en Afrique ont atteint 14,7 milliards de dollars à la fin 2011 et 2000 sociétés chinoises seraient déjà présentes sur le continent.

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Pour soutenir cette dynamique, les autorités chinoises ont mis en place une multitude de mécanismes, qu‘on retrouve dans le Livre Blanc "Politique de la Chine à l'égard de l'Afrique" publié en début d‘année 2006 : qui a posé les principes de son action en Afrique. « La Chine œuvre à établir et à développer un nouveau type de partenariat stratégique marqué par l'égalité et la confiance mutuelle sur le plan politique, la coopération dans un esprit gagnant-gagnant sur le plan économique». La Chine consacre 45% de son aide au développement à l‘Afrique. Selon le département Afrique du Ministère chinois des Affaires Etrangères, l‘aide se fait sous trois formes : - Le prêt bonifié préférentiel ; - Les projets d‘entreprises à cogestion ou à capitaux mixtes : en combinant l‘extraction des ressources et le développement des infrastructures nécessaires (routes, chemins de fer, ports …) ; - L‘aide sans contrepartie, à l‘opposition du modèle occidental qui conditionne l‘aide à la réforme. Les autorités chinoises aiment brandir le principe « gagnant-gagnant » par opposition aux « donneurs de leçons » occidentaux, et présentent leur coopération comme dépourvue de toute intention mercantiliste ou d‘exploitation. A titre d‘exemple : L‘engagement de la Chine, à l‘issue du sommet Chine-Afrique de novembre 2006, de construire gratuitement un siège pour l‘Union Africaine à Addis- Abeba. L‘aide sans contrepartie s‘accompagne également d‘annulations périodiques de dettes et de la mise en place de coopérants. A : Au niveau économique, la Chine œuvre pour la création d‘une zone de libre échange avec le COMESA (Common Market for Eastern and Southern Africa) et développer les zones de coopération économique et commerciale dans des pays africains. Pékin cherche clairement à se mettre en pied d‘égalité avec l‘AGOA (American Growth Opportunity Act, lancé par les Etats-Unis en 2006) ou les Accords Union Européenne – Afrique Caraïbes Pacifique (UE-ACP). B ; Dans le domaine financier, « En juillet 2007 a été créé la China Investment Corporation (CIC) qui a donné la fièvre au monde entier parce que les réserves de la Chine dépassaient les 1 000 milliards de dollars (…). Le gouvernement chinois a décidé de mettre une toute petite partie -240 milliards de dollars- à disposition de cette nouvelle société pour investir dans le monde entier, sans distinction : en Europe, en Afrique. C : Dans le domaine diplomatique, La Chine a mis en place des missions diplomatiques : Ambassades, Consulats généraux et multiplication des visites d‘Etat. En 2006, Pékin a réunit 48 pays sur 53 au total. C‘est la première fois qu‘un pays réunit le plus grand nombre de dirigeants africains. D : Au niveau de la coopération, la Chine encouragea les Fora, sortes d‘espaces consultatifs, de dialogue, réunissant la Chine et 49 pays africains ainsi que de nombreuses organisations internationales et régionales et des représentants du secteur privé. Ces fora sont établis par Pékin afin d‘entretenir un partenariat durable avec l‘Afrique, et de promouvoir la coopération économique Sud-Sud, E : Au niveau militaire, La vente d‘armement est effectuée par la NORINCO (China North Industry Cooporation) et la Polytech Industries. La formation du personnel : la Chine s‘est engagé à former 15 000 africains dont une bonne partie de militaires, entre 2008-2010.

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Malgré l‘embellie et l‘enthousiasme auprès des autorités africaines de cet échange, qu‘apporte réellement en apport ce renouveau pour les pays du continent dans leur processus de coopération internationale et de développement sur la base d‘une relation gagnant gagnant, comme l‘aime à souligner les autorités de Pékin ? Selon le Président Chinois, le Sommet Chine Afrique de 2012 a pour objectif de consolider les acquis et ouvrir de nouvelles perspectives pour un nouveau partenariat stratégique entre la Chine et l‘Afrique. A cet égard, il a révélé que dans les trois années à venir, la Chine prendra des mesures au profit de l‘Afrique dans les domaines tels que l‘élargissement de la coopération dans les investissements, avec la mise en place de ligne de crédit de 20 milliards de $ ; le resserrement des liens d‘amitié entre les peuples chinois et africains et le soutien à l‘instauration de la paix et de la stabilité dans les Etats Africains. Depuis la présence croissante de la Chine en Afrique, les occidentaux ne cessent de s‘alarmer. Ils accusent la Chine de tous les maux africains, en volant des terres aux pauvres paysans ; commerçant avec des régimes ‗‘parias‘‘ ; offrant des prêts sans demander de contreparties en termes de démocratie ou de gouvernance, ce qui détruit des décennies de travail de la Banque Mondiale et des agences de développement. La Chine se défend de toutes ces mauvaises accusations, tout en multipliant ses promesses pour les africains. Parmi ces promesses, A Johannesburg, au Sommer Chine/Afrique en 2015, la Chine dévoila sa nouvelle stratégie de développement/coopération avec l‘Afrique dans un document en cinq parties et dix programmes, les principales orientations de sa politique africaine pour les dix prochaines années. Dès l‘ouverture du Forum, le Président chinois Xi Jinping annonça La somme de 60 milliards de dollars de financement en faveur de l‘Afrique, dont environ 35 milliards de dollars de prêts concessionnels et lignes de crédit à l‘exportation, 10 milliards de dollars pour le Fonds de coopération chino-africain pour les capacités de production, 5 milliards de dollars en aide et en prêts à taux zéro, 5 milliards de dollars de financement supplémentaire pour le Fonds de développement Chine-Afrique et 5 milliards de dollars pour le développement des PME africaines. Cette somme est trois fois supérieure aux aides promises lors du précédent sommet en 2012. Education La stratégie d‘intervention de la Chine, basée sur le développement du soft power chinois, à savoir sa capacité d‘obtenir ce qu‘elle veut non par la coercition mais par son influence, s‘opère largement par la promotion de la culture chinoise en Afrique à travers la création de centres Confucius qui promeuvent la culture chinoise en Afrique. En même temps, la Chine projette la création des centres de formation pour 200 000 techniciens africains et 40 000 d‘entre eux iront en stage en Chine. La Chine offrira également 30 000 bourses à des étudiants africains et 200 chercheurs qui seront invités chaque année à poursuivre leurs travaux en Chine. Selon les chiffres du ministère chinois de l‘éducation, 41 677 étudiants africains étaient Chine en 2014. Ces bons étudiants qui seraient autrefois allé étudier en France, au Royaume-Uni ou aux Etats- Unis. Infrastructures

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La Chine se concentre sur la construction d‘infrastructures afin de gagner les faveurs des gouvernements africains. Dans le même temps, le gouvernement chinois incite ses entreprises et entrepreneurs à s‘installer en Afrique. La Chine projette la construction de trois réseaux d‘infrastructures ferroviaire à grande vitesse, réseau autoroutier et réseau aérien régional et industrialisation. Comme exemples 12 milliards de Dollars pour la construction par CRCC d‘une voie ferrée au Nigéria ; 10 milliards de financés par l‘Eximbank pour relier le port de Mombasa à Nairobi. Le coût du fret pourrait ainsi être divisé par trois au Kenya…

En 2013, la Chine est devenue le quatrième investisseur en terre africaine derrière la France, les Etats-Unis et le Royaume Uni et le premier investisseur émergent, selon la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement. Le nombre de sociétés chinoises implantées en Afrique serait de 2 500. En 2014, le premier ministre chinois, Li Keqiang annonçait la somme de 400 milliards de dollars, que la Chine voulait atteindre en 2020 dans ses échanges commerciaux avec l‘Afrique. Ce qui constituerait un doublement du volume de ces échanges, Lutte contre la pauvreté

Pour l‘Afrique, la Chine est un modèle dans la lutte contre la pauvreté. Le gouvernement chinois projette de lancer deux cents projets de « vie heureuse » (« happy life projects ») qui s‘adresseront en priorité aux enfants et aux femmes. Sécurité La Chine a annoncé une aide « sans contrepartie » à l‘Union africaine de 60 millions de dollars pour financer ses opérations de maintien de la paix, dont le budget représente 750 millions de dollars par an. Devant ces promesses chinoises, les gouvernements africains accueillent à bras ouverts les investissements chinois qui créent des emplois et relancent souvent des économies oubliées par l‘Occident. A ce propos, on cite les propos du Président zimbabwéen qui avait profité du Focac (Forum de coopération sino-africain) pour s‘en prendre aux « colonisateurs » en disant « Voici un homme, (Président chinois), qui représente un pays décrit un temps comme pauvre, un pays qui n‘a jamais été notre colonisateur, fait ce que nous attendions de la part de ceux qui nous ont colonisés. » De son coté, le Président sud-africain Jacob Zuma avait estimé que le partenariat Chine/Afrique ne peut produire que des résultats positifs pour l‘Afrique.

II.5. Canadafrique Le Canada est une puissance mondiale secondaire, prônant un capitalisme non impérialiste et plus respectueux des règles internationales, œuvrant pour un développement humain durable… Le Canada, qui n‘a pas de passé colonial (hormis la participation à la guerre Anglo- Boers en Afrique du Sud en 1880), livre une compétition internationale en Afrique, d‘abord feutrée dans les années 1970 et 1980, plus prégnante dès la décennie 1990. On note donc un plus grand activisme du Canada, relevant de la realpolitik et de son intégration positive au processus de la mondialisation. Les mécanismes du partenariat Afrique- Canada

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Le Canada ne cesse de mettre en place les mécanismes nécessaires pour un partenariat fructueux avec les pays africains. On cite entre autres : A. Partenariat Afrique -Canada (PAC) Créé en 1986 à titre de mécanisme de financement, grâce au soutien d‘organisations non gouvernementales canadiennes et africaines, ainsi que de l‘Agence canadienne de développement international. La mission du PAC consiste à 1 : Renforcer les efforts des Africains et des Canadiens en matière de recherche et de dialogue politique par rapport au développement humain durable en Afrique 2 : Faciliter chez les décideurs africains, canadiens et internationaux l‘adoption et la mise en œuvre de politiques qui favorisent le développement humain durable en Afrique 3 : Susciter une meilleure compréhension du développement humain durable en Afrique et un engagement plus important envers celui-ci. Pour la réalisation de ces objectifs, le PAC a financé beaucoup de projets innovateurs en vu d‘un développement durable en Afrique subsaharienne, de même que des activités d‘engagement du public au Canada. De plus, le PAC a facilité des initiatives de dialogue sur les politiques entre des organisations et des gouvernements du Canada et de l‘Afrique. En 1996, le PAC s‘est donné un nouveau mandat de façon à se concentrer sur la recherche et le dialogue sur les politiques. Ainsi, le PAC a concentré ses efforts sur des pays en crise en Afrique, tels que la Sierra Leone, où le secteur de l‘extraction (des diamants) servait à alimenter une guerre meurtrière. B : Des politiques incitatives Cette stratégie comprend des mesures qui visent aussi bien les entreprises que les investisseurs. Dans ce cadre, depuis les années 1990, sous l‘influence des associations industrielles, le Canada a mis en œuvre une vaste stratégie pour soutenir l‘expansion des investissements et des activités à l‘étranger, surtout en Afrique, dans le domaine minier, conformément aux orientations de la Banque mondiale qui a défini le secteur extractif comme moteur principal du développement pour de nombreux pays et a recommandé la libéralisation du secteur et la privatisation des entreprises d‘Etat, pour permettre l‘entrée des investissements étrangers, qui ouvrent la porte aux entreprises étrangères. Ainsi, les Canadiennes vont s‘activer, particulièrement les petites entreprises d‘exploration, mieux connues sous le nom de « juniors » dans ce domaine. (Plus de 80% des entreprises minières inscrites à la Bourse de Toronto, la plus importante au pays, sont des juniors!). Au niveau des investissements, selon le Ministère des Ressources naturelles du Canada (RNC), la valeur des actifs miniers canadiens s‘est développée en Afrique de 233 M$ en 1989; à 635 M$ en 1995; 2,8 milliards$ en 2001; 6,08 milliards$ en 2005; 14,7 milliards$ en 2007; et 21 milliards$ en 2010. En 2001, les entreprises canadiennes menaient des opérations dans 24 pays africains, ce nombre s‘est accru à 35 pays en 2007et à 38 en 2010. Ainsi, la présence marquée des minières canadiennes est relativement récente en Afrique, mais très actives et en évolution rapide, malgré l‘importance grandissante des investissements chinois et autres dans le domaine. C. Bourse de risque L‘Afrique connue par son instabilité politique et risques de tout genre, alors le Canada, durant les années 1990, a réaménagé les activités de la Bourse de Toronto (TSX) pour permettre l‘entrée des juniors et offrir ce type de capital à risques (TSX Venture). Les

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avantages y sont nombreux : financement pour les phases initiales, conversion des dettes, placements privés, balance de dettes lorsque les projets sont avancés,

Ces politiques vigoureuses de soutien expliquent en partie l‘arrivée très rapide des minières canadiennes dans tous les pays africains qui se sont ouverts aux investissements étrangers : autant dans les pays de tradition minière comme le Ghana et la Tanzanie, que dans ceux qui viennent de découvrir leur potentiel minier, comme le Mali. Mais également dans des pays en guerre où les risques sont grands, comme la R D du Congo.

Le Canada est maintenant une superpuissance du secteur minier africain, position qu‘il entend conserver et développer en usant des moyens à sa disposition. D : Le soutien diplomatique La diplomatie canadienne s‘est également activée, pour assurer les intérêts des entreprises et étendre l‘influence du Canada dans ce domaine… Pour assurer de manière plus formelle les acquis obtenus dans le secteur, le Canada signe des Accords de protection des investissements étrangers (APIE) (Foreign Investment Protection Agreement (FIPA)) avec plusieurs pays miniers africains. E. Le Fonds africain de garantie et de coopération économique (FAGACE) Pour garantir ses investissements, le Canada crée un Fonds africain de garantie et de coopération économique (FAGACE), organisme regroupant 13 pays d‘Afrique de l‘Ouest et du Centre, qui fournit des garanties financières aux entreprises, lui permettant de réduire les risques financiers des investissements canadiens en Afrique. (Les 13 pays membres sont le Sénégal, le Mali, le Burkina-Faso, la Gambie, la Sierra Leone, la Côte d‘Ivoire, le Togo, le Bénin, la Guinée-Bissau, le Cameroun, le Rwanda, République centrafricaine et le Niger).

F. Annulation des droits de douane et contingents aux produits africains admissibles au Canada.

La période d'investissement du Fonds s'étant terminée au 31 décembre 2008, alors le Canada prend l‘initiative à compter du 1er janvier 2009, en accordant l'accès en franchise de droits et hors contingent à toutes les importations, sauf les produits laitiers, la volaille et les œufs, en provenance de 48 pays moins avancés, dont 34 pays africains. Cette mesure entraînera l'annulation des droits de douane imposés sur toutes les importations admissibles provenant de ces pays, ainsi que l'élimination de tous les contingents appliqués aux produits admissibles.

Le Canada, parmi les pays avancés, jouit d‘une image respectable, le respect des droits humains étant une valeur civique bien constitutive de l‘identité canadienne. L‘ordre capitaliste répugne à se doter de mécanismes contraignants contre les exactions des multinationales. Alors comment le Canada peut il concilier entre ses principes et les exactions des multinationales ?

Est-ce que le modèle de partenariat canado africain peut servir le développement durable en Afrique ?

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II.6.Autres partenaires

Les partenaires traditionnels assurent encore la plus grande partie des échanges commerciaux (62 %), de l‘investissement (80 %) et de l‘aide publique au développement (90 %) de l‘Afrique. Par ailleurs, la part des échanges de l‘Afrique avec les pays émergents a sensiblement augmenté au cours des dix dernières années, passant de 23 % à 39 %. Les cinq pays émergents partenaires de l‘Afrique les plus importants sont dorénavant la Chine (38 %), l‘Inde (14 %), la Corée (7,2 %), le Brésil (7,1 %) et la Turquie (6,5 %).

Les nouvelles voies de coopération créées entre l‘Afrique et les pays émergents sont prometteuses. Toutefois, on assiste à une course pour attirer les investissements et les aides des partenaires des pays émergents à n‘importe quel prix. Certes, de nouveaux partenaires amènent de nouvelles opportunités aux pays africains, mais à quel prix ? Dans ce contexte, des voies africaines réclament le resserrement des liens transfrontaliers et le renforcement de l‘intégration économique, afin de tirer pleinement les bénéfices des relations avec leurs partenaires traditionnels et les pays émergents, et ainsi favoriser leur croissance durable et inclusive. II.7.Africafrique Après les indépendances, en 1963 les africains crièrent l‘Organisation de l‘Unité africaine dans l‘espoir d‘une intégration des pays africains. Depuis, l‘organisation connue des mutations, dont l‘Union africaine lancée à Syrte en Libye en mars 2001, voulant revivre l‘idée tant désirée par les fondateurs de l‘OUA, à savoir la marche irréversible vers « les États‐Unis d‘Afrique ». La transformation de la Commission de l‘UA en une Autorité de l‘Union en février 2009 à Addis‐Abeba, renforçait également cette idée. Au Sommet de 2009, l‘élection de Mouammar Kadhafi à la tête de l'Union Africaine, défenseur farouche des États Unis d‘Afrique, se proclamant « roi des rois traditionnels d'Afrique », se posait la question du Leadership. Un petit nombre d‘États membres, avec à leur tête la Libye, principal initiateur du concept et le Sénégal, ont plaidé pour la création d‘un « Gouvernement d‘union africaine », D‘autres pays, composés essentiellement des pays d‘Afrique australe et de l‘Est, dont le leadership était incarné par l‘Afrique du Sud et l‘Ouganda, jugeaient trop hâtive cette initiative. Ces derniers prônaient plutôt une intégration par étapes avec le renforcement des communautés sous‐régionales d‘abord. Après une menace de scission de l‘Union des « vingt », finalement un compromis est intervenu entre les deux parties, se traduisant par un renforcement du pouvoir de l‘exécutif continental sur le plan de la coordination entre les États membres, notamment sur les dossiers majeurs et le remplacement de la Commission, par l‘African Union authority (AUA), le choix du Président Bingu wa Mutharika du Malawi à la tête de l'Union africaine (UA), lors du 14e sommet en janvier 2010 à Addis Abeba, contrecarrant les désires de Kadhafi qui souhaitait assumer un deuxième mandat d'un an en violation du principe de présidence tournante et permettant ainsi de tourner la page d'une année chaotique,

Outre l‘Union Africaine (UA), de nombreuses Organisations sous‐régionales ont été instituées dans toutes les régions du continent : UMA, CEDEAO, UEMOA, CEMAG, SADC, l‘IGAD…. l‘objectif premier visé à travers ces organisations est le renforcement

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de l‘intégration entre les pays d‘Afrique. Les faits montrent plutôt des désintegrations et maigre solidarité entre les membres de ces organisations et les organisations entre eux. Le faible taux d‘échanges commerciaux entre les pays africains témoigne de cette amère réalité. III : Développement raté en Afrique La plupart des pays africains ont eu leur indépendance après la 2e guerre mondiale. Un monde conflictuel, instable politiquement, sous développé économiquement, arriéré socialement, marginalisé au niveau de la politique internationale, presque insignifiant géopolitiquement. À croissance démographique galopante, souffrante de l‘ignorance et des maladies. A économie extravertie, basée sur l‘exploitation brute des ressources naturelles. Sous domination des puissances étrangères, essentiellement anglaise et française d‘un coté et de l‘autre sous pressions des organisations financières internationales. III.1 : Course à la croissance, retard de développement. Comme le reste des pays du monde, les pays africains ont expérimenté toutes les politiques de développement envisagées et recommandées par la communauté internationale. A savoir, favoriser les exportations, substituer les importations, industrialisation locale, industrialisation industrialisante, les industries de transformation, développement de la consommation, endettement extérieur, privatisations, investissements directs extérieurs, développement durable, développement humain…. Malheureusement aucune politique n‘a abouti à la réussite économique souhaitée et voulue, l‘ascension sociale enchantée et la stabilité politique tant recherchée. Tous les indicateurs de développement classent l‘Afrique au dernier rang des continents et ses pays aux derniers rangs des pays les plus pauvres et sous développés au monde. Carte 1 : Les pays les moins avancés au monde.

En Janvier 2011 l‘Afrique compte 33 PMA.

Selon le PNB/H et l‘IDH, les 20 derniers pays au monde, sont des pays africains.

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Ces deux indicateurs parmi bien d‗autres prouvent réellement que le développement en Afrique est vraiment dans l‗impasse Tableau n° 1 PNB/H en $ US et indice de développement humain dans certains pays africains. Voici quelques cas de pays africains qui montrent cette situation fichue

Pays PNB/H PNB/H PNB/H RNB/H IDH Rang 1976 1999 2005 2011 mondial Cote 610 750 840 1387 170 d‘Ivoire Ethiopie 100 100 160 971 174 Burundi 120 120 100 368 185 Congo (ex 140 80 120 280 187 zaïre) Ghana 580 390 450 1584 135 Nigéria 330 260 560 2069 156 Sierra 200 130 220 737 180 Léone Zambie 440 320 490 1254 164 Malawi 140 180 160 753 171 Libéria 450 120 130 265 182 Somalie 110 150 110 ------

En comparant l‘évolution du PNB/H sur près de 30 ans (1976-2005) on se rend compte de l‘amère réalité de ces pays africains. D‘abord une évolution très lente, ensuite très contrastée avec des hauts et des bas et il y a même des pays qui ont vu leur situation se dégrader considérablement (Libéria, Zaïre et Ghana…). L‘Africain au sud du Sahara, excepté l‘Afrique du Sud, vivait mieux en 1972 qu‘en 2005, selon la Banque Mondiale Selon le rapport mondial sur le développement humain de 2006, les 20 derniers pays au monde au niveau du développement humain (IDH) et de l‘égalité des sexes et développement humain (ISDH) sont des pays de l‘Afrique subsaharienne, et 30 pays africains sont classés derniers sur les 187 pays au monde, selon l‘IDH en 2011. (Congo ex Zaire dernier pays au monde). III.2 Regards croisés L‘Afrique est devant le fait réel d‘un espace qui s‘épuise, un temps qui se mirage, une économie perturbée qui se dégringole, une société qui perd son identité, un hiatus qui se creuse et s‘approfondie entre le monde riche et pauvre….Tout cela, en continuant d‘importer ces théories de développement, qui ne trouvent et trouveront une réalité propice pour germer, se développer sainement, face à une réalité qui ne trouve du bien dans la pensée de ces intellectuels, l‘élite de ses politiciens, et les lobbys de ses économistes… Les pays d‘Afrique subsaharienne sont les plus perdants des politiques d‘endettement à l‘époque de la NDIT et des investissements extérieurs à l‘époque de la mondialisation et des NTIC.

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En rapport avec leurs capacités, ils se sont surendettés à l‘ère de la NDIT, sans pouvoir se développer, et ils sont délaissés par les IDE à l‘ère des NTIC, au profit d‘autres destinations, considérées plus stables, propices et rentables. En Afrique, au lieu de parler développement à l‘ère de la NDIT et développement durable à l‘ère des NTIC, il vaut mieux parler de dérision et déréliction. L‘Afrique mal partie, mal menée, déroutée, traîne toujours bien loin derrière les autres continents. Les africains qui sont les victimes de l‘endettement à l‘ère de la NDIT, sont les damnés de la terre. Sont oubliés des investissements étrangers à l‘ère des NTIC, sont les plus malheureux de la planète, devront attendre un autre round, qui ne sera pas le prochain, car ils ne sont pas inscrits sur la liste des prochains pays à intégrer à l‘ordre mondial établi par les pays du centre. Ils ont perdu une autre fois une étape importante dans leur histoire malheureuse. Le développement en Afrique est devenu un mythe, un mirage, des hallucinations qui ont trompé les pays africains, les ont rendu victimes du fait qu‘ils ont cru de l‘efficacité des politiques de développement et ses voies aboutissantes. De cet état des lieux, plusieurs critiques se sont acharnées sur les politiques de développement en Afrique, les mettant en doute. Certains ont crié même fort du refus pure et simple des politiques de développement appliquées en Afrique et pour l‘Afrique. Pourquoi ce refus, méfiance et pessimisme eu égard des politiques de développement en Afrique ? Ne fallait-il pas se méfier de ses tromperies et prendre toutes les précautions nécessaires pour éviter et esquiver les pièges tendues des politiques de développement? La réalité de l‘application de ces mêmes politiques de développement dans d‘autres pays hors l‘Afrique prouve que les pays qui savaient bien mener le jeu et qui avaient excellé dans la direction de leurs affaires et avaient choisie les meilleurs voies… ont réussi de s‘échapper et trouver une issue aboutissante, en réalisant leur développement, voir même émergent en puissance. Donc, on ne doit pas mentir les politiques de développement et les poignarder dans le dos gratuitement. Incriminer l‘extérieur et innocenter l‘intérieur n‘est pas le bon jugement. Il est vrai qu‘on peut critiquer sévèrement les théorisations des centres de décision internationaux hégémoniques et leurs experts qui n‘ont rien à voir avec la réalité de plusieurs pays ; comme il est vrai qu‘on peut critiquer encore plus sévèrement l‘application de la part des pays de ces théories de développement , avec plus de déviance et moins de précisions, sans prendre la peine de chercher d‘autres modèles locaux, originaux et originels de développement, qui répondent réellement aux spécificités propres à eux. Les pays africains n‘ont pas beaucoup cherché les modèles réussit et réussissant et les ont appliqué avec rigueur et persévérance. Ils n‘ont pas non plus essayé d‘éviter les modèles défaillants et défectueux. On a critiqué sévèrement les modèles de développement importés et on a oublié totalement ses mauvaises applications à l‘intérieur des pays qui ont échoué leur développement. L‘accusation, toute l‘accusation aux autres. L‘innocence, toute l‘innocence aux nôtres. En réalité, la réussite ou l‘échec d‘une politique de développement diffèrent d‘un pays à l‘autre et d‘une société à une autre. Pour cela, considérer un certain nombre d‘éléments et agissements responsables de l‘échec de tous les pays qui ont échoué, chose qui va à l‘encontre de la réalité.

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Croire qu‘un modèle de développement peut servir pour tous les pays et peuples est une croyance erronée et totalement éronisante. Oublier les erreurs qui ont entaché les modes d‘application des politiques de développement par les pays, nous trompe. La responsabilité dans les échecs des politiques de développement est partagée entre les orientations extérieures non commodes et les applications intérieures non commandites. Les pays africains ont considéré que le processus de développement est une chose acquise et sans équivoque. Ils ont cru que la politique du développement sectoriel mène directement au développement global. Cette vision naïve et utopiste a rendu le voyage de la croissance sectorielle au développement global, pénible, fatiguant et plein d‘embuches et risques. Dirons même, menant à la dérive et donnant de mauvais, à très mauvais résultats dans la plupart des pays africains. Echec de la politique de développement, berne de la croissance économique, montée des mouvements sociaux de protestations, coups d‘états et destabilité politique. Bref, le projet de développement politico-socio-économique des Etats africains se voit compromis et remis en cause. D‘où la crise structurelle qui menace sérieusement le destin de plusieurs pays et peuples africains. Les pays africains ont considéré la réalisation de projets de développement humainement élitique, économiquement ponctuel et spatialement ségrégatif est la méthode la plus apte et commode dans le long et pénible processus de développement. C‘est la méthode de la locomotive qui doit trainer derrière elle l‘ensemble du pays. Malheureusement la locomotive africaine est la plupart du temps en panne et le train est très en retard, roule lentement, déraille de temps en temps. Malheureusement encore, cette méthode a donné des poches de modernisation a- modernisante, qui sont apparues comme des rapiècements neufs sur un vieux tissu délabré qui se déchire aux moindres mouvements. Les pays africains ont considéré le développement de cette manière comme la panacée contre le poison des morsures de l‘environnement extérieur et un vaccin contre le sous développement intérieur. Malheureusement, le poison était mortel et le vaccin inefficace. Les pays africains ont considéré que leur destin est concomitant de la réussite de leur croissance économique. Pour eux, il faut réaliser la croissance avec tous les moyens disponibles et les voies possibles, sans prendre en compte les handicapes, les contraintes et les limites des politiques de développement importées. Dans les faits et le concret, la communauté internationale et les centres de décision dominants qui établissent la hiérarchie des pays au niveau international, ont laissé une maigre marge de manœuvre pour les pays africains. Cette contrainte internationale a pesé et pèse toujours pour le sort du développement en Afrique. Les organisations financières internationales imposent des politiques de développement avec des conditions très exigeantes. Les pays développés maintiennent des pressions de toute sorte sur les gouvernements des pays africains… Autant de contraintes extérieures et d‘impuissances intérieures menant de facto à l‘échec des politiques de développement, au développement inégal, voir pour certains pays au développement du sous développement. La crise que vivent les pays africains est une crise de système, de processus et d‘environnement international. Enfin, le sésame qui ouvre les portes hermétiquement fermées, n‘est pas encore trouvé pour un bien grand nombre de pays africains.

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III.3 : Le yin, le yang et le tao africain. Chez les chinois, le Yin est le versant ombreux de la vallée, avec son froid et son humidité. Le Yang, au contraire, est le versant ensoleillé, avec sa chaleur et sa sécheresse. Le Tao est la voie sinueuse pleine d‗embuches à travers cette vallée. Le Yin et le Yang sont les contraintes complémentaires. Le Tao est le défi des contraintes par le travail, l‘acharnement et les énergies, justement pour harmoniser les contraintes du yin et du yang. Cette harmonisation est la source de toute fécondité, production et reproduction. Le tao dans ce cas serait l‘alternance créatrice. Résultat de cette vision des choses et ce modèle de développement, la Chine s‘est réveillée et a bougé durant l‘ère de la NDIT et de la politique d‘endettement. Emerge en puissance à l‘ère de la mondialisation et ses corollaires les NTIC et l‘investissement direct étranger. La Chine sans doute avait secouée le monde auparavant, maintenant, elle le tremble sûrement. Est-ce que les pays africains connaissent leur yin, yang et tao ? Est-ce qu‘ils ont un modèle de développement propre à eux, et œuvrent avec acharnement pour le faire appliquer, voir même le réussir ? La réponse est sans équivoque : Absolument pas. III.4 Traditionalisme et modernité Il paraît que les modèles de développement sont conçus comme des concepts intrus, impropres, imaginaires, irréelles, imposés à l‘Afrique. Alors que l‘Afrique à sa réalité propre, originale et originelle, héritée, qui ne trouve pas de concepteurs et de bons manageurs locaux. Les africains déboussolés et mauvaisement orientés, ont préféré et favorisé, sous contraintes ou délibérément, les projets de développement venus de l‘extérieur, et les ont appliqué très mauvaisement. Ils ont délaissé et recalé leurs modèles sociétaux et sociétales propres à eux, hérités et originaux. Ils sont allés même jusqu‘à mépriser leur identité, au détriment de la modernité. Le mariage catholique espéré entre l‘originalité et la modernité n‘a pas réussi. Il a fait même place à un divorce plus prononcé. Il y a un désaveu et une non commodité entre la réalité africaine héritée et le modèle de développement intrus. La société africaine voit du mauvais œil le modèle de développement intrus, qu‘elle n‘a pas voulu solliciter son bienvenu. La société héritée est alors aliénée par le développement intrus, et le modèle de développement non adapté et mauvaisement appliqué a échoué par la suite, menant à l‘effondrement du projet sociétal, d‘où la crise politico-socio-économique devient inéluctable, menaçant la stabilité de plusieurs pays africains, rendant brumeux et noircis leur avenir. Au lieu de la complémentarité et l‘interchangeabilité entre la modernité non adaptée et l‘archaïsme figé, la confrontation et la non assimilation entre les deux a fait perdre à un nombre très important de pays africains l‗occasion de sortir de leur sous développement. On peut traduire schématiquement ce processus malheureux de sous développement de l‘Afrique de la manière suivante.

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IV Processus de sous développement en Afrique L‘Afrique ne s‘est pas endormie et ne s‘est pas rendue non plus comme on le croit. Elle a perdu certes le combat du développement, parce que les forces étaient complètement inégalées, mais pas par forfait comme le font croitre certains.

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IV.1 Processus historique

On peut résumer le processus de sous développement en Afrique comme suit :

Période Volonté des Etats Volonté des Résultat peuples Colonisation Indépendance Emancipation Réussite politique Indépendance I Indépendance Développement Echec économique Indépendance II Stabilité politique Démocratie,dignité Crise Indépendance III Aides Expatrier,fuir Menace du destin internationales Indépendance IV Protection survie Soumission internationale

Indépendance I ( années 50/60 du 20é s) Indépendance II( Années 60/70 du 20é s) Indépendance III (Années 70/80 du 20é s) Indépendance IV( Années 90 du 20è s à l‘heure actuelle IV.2 Processus politique Le développement sans idéologie du Japon des années 70/80 du 20é siècle, n‘a intéressé personne et l‘idéologie sans développement des soviétiques, durant la bipolarité, a hanté tout le monde ou presque en Afrique. Après l‘effondrement de l‘URSS, la plupart des pays africains soutenus par le socialisme soviétique se sont retrouvés orphelins. Plus de protection du père et sans affection de la mère (Les anciens colonisateurs et les nouveaux idéologues). Ces pays africains sont laissés à leurs sorts malheureux. D‘autant plus que les politiques de développement qu‘ils ont mené sont vouées à l‘échec. Le développement interne et endogène est compromis, tout l‘espoir est resté accroché à l‘extérieur à l‘ère de la mondialisation et des NTIC. Les pays africains sont contraints d‘ouvrir leurs portes et territoires à l‘étranger, tout en donnant le maximum de facilités et plus de rétrocessions / concessions. Parallèlement et en même temps, leurs peuples aventurent de leurs âmes et tout ce qu‘ils possèdent pour quitter leurs pays et trouver refuge ailleurs, plus au Nord. (L‘émigration clandestine). IV.3 Processus technologique Face au développement de l‘émigration clandestine, la réaction des pays du Nord sera basée sur deux principes. Le premier : fermer les terres pour arrêter l‘émigration sudiste en se barricadant et dressant un rideau de protection, sorte de Lims romain, en fermant les frontières, les contrôlant par tous les moyens, et employant les techniques les plus sophistiquées pour contrer l‘émigration déferlante des personnes du Sud et faire face à ce que sera appelé l‘invasion humaine du Sud. Le deuxième : ouvrir les cieux, sans aucune entrave ou obstacle, aux images et informations développées par les NTIC, justement pour fixer les populations du Sud sur place. Par ces NTIC, les pays du Nord bombardent, voire envoient des déluges d‘images et informations aux pays du Sud, pour une nouvelle invasion intellectuelle. Ainsi, la

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mondialisation et les NTIC ont remplacé l‘idéologie d‘antan par la médiologie d‘aujourd‘hui. Le nouveau danger de la consommation virtuelle excessive de la médiologie des NTIC, à laquelle les peuples africains n‘étaient pas bien formés ni bien préparés, est l‘affaiblissement de la force de travail -déjà faible- et de la productivité réelle, par le gaspillage d‘un temps énorme devant les écrans de Télévisions, ordinateurs, portables et autres jeux, sachant incontestablement que le travail et la productivité, seules qui peuvent engendrer la croissance économique et par delà le développement global. Ainsi, après l‘ère de l‘exploitation excessive des ressources naturelles africaines au temps de la NDIT, sans développement, vient l‘exploitation des ressources humaines sans développement durable au temps de la mondialisation et des NTIC. IV.4 Constat d‘échec Ce que la nature a constitué en des millions d‘années, a été exploité dans un laps de temps, en une génération ou deux, au nom du développement introuvable. Plusieurs pays africains commencent à contempler leurs erreurs fatales commises avec peine et amertume, sans pouvoir repentir. Même plus, ces pays pleurent en voyant la catastrophe de lapidation de leurs ressources naturelles, non renouvelables, alors qu‘ils n‘ont pas réussi leur développement prévu et souhaité et ne peuvent assurer le destin des générations futures. Ces pays restent maintenant perplexes en regardant des territoires qui étaient prospèrent il y a peu de temps, conservant leurs équilibres pendant des siècles, se dégrader d‘une façon catastrophique et rapide ces temps maudits. Ces pays restent maintenant impuissants devant l‘émigration qui touche de plus en plus leurs populations, pauvres, riches et intellectuelles, de tout genre. Epuisement des ressources naturelles, matérielles et humaines, voilà le drame d‘un développement raté dans bon nombre de pays africains. Ces pays qui cherchaient et voulaient l‘indépendance politico-économique, se sont engouffrés dans les labyrinthes tumultueux et sombres du développement et ont fini par tomber dans la dépendance tout azimut. Ils ne constituent pas la périphérie du centre. Ils sont maintenant à la marge de la périphérie du centre et pour combien de temps ? Peut-être tout simplement, parce qu‘ils ne constituent pas un enjeu géopolitique international majeur pour les grandes puissances et les instances internationales. La politique des endettements à l‘époque de la NDIT a instauré dans le monde capitaliste la dualité centre périphérie et a élargit le hiatus entre eux, impliquant une géopolitique internationale basée sur l‘exploitation à outrance des richesses du tiers monde par les pays du centre. La politique des IDE à l‘époque de la mondialisation a fait surgir un monde intermédiaire, appelé monde des pays émergents, qui a fait oublier les pays de la périphérie. Ces pays émergents constituent un monde intercalaire entre la richesse du monde développé et la pauvreté du monde sous développé. Très rapidement, ce monde intercalaire, prend le devant de la scène internationale. Ainsi la géopolitique internationale d‘antan, doit se conformer à cette nouvelle réalité, d‘où les bouleversements, suite aux bousculades des pays, pour se repositionner dans le nouvel ordre international. Dans cette lutte entre les Etats, soit pour la domination ou la survie, s‘est développé en parallèle et avec le consentement et l‘appui des pays développés essentiellement, des

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lobbys et réseaux qui jouent le fer de lance des politiques des dits Etats et qui influencent même sur la géopolitique internationale. Ces lobbys et réseaux devenus très riches et puissants, ont développé leurs propres stratégies pour se prémunir d‘éventuels retournement de situation, en plaçant leurs richesses dans des abris, appelés paradis fiscaux, ou places off-shore. Dans ce nouveau système monde, l‘Afrique est ballottée entre un développement interne qui s‘affaiblis et se rétrograde, et une invasion extérieure qui se développe et s‘accroit. C‘est çà la dépendance et la colonisation nouvelles. Ce qui est nouveau de cette dépendance et colonisation, c‘est qu‘elles ne sont pas imposées directement, mais se sont les pays africains qui ont cherché et cherchent toujours cette soit disant protection internationale, en accordant des facilités successives aux individus, sociétés et pays du monde riche. Plus encore, les pays africains sont entrés en concurrence entre eux, pour attirer les IDE en leurs offrant la protection et la sécurité, pour obtenir la protection des pays du nord et se couvrir de ses sociétés multinationales. Ainsi, ils sont tombés dans une nouvelle dépendance et colonisation.

Conclusion

René Dumont avait dit : L‘Afrique mal parti au début des indépendances, nous disons à l‘occasion des cinquantaines de l‘indépendance : L‘Afrique mauvaisement développée, ou plutôt connait un développement chimérique. Si on applique à l‘Afrique actuelle la théorie des cinq étapes de la croissance économique de Rostow, on ne peut s‘empêcher de la classer à la première étape, à savoir, une société traditionnelle, agricole, fragile et cloisonnée, souffrant des trois fléaux ( maladie, famine et guerre) et bien d‘autres à l‘ère de la mondialisation. N‘est-ce pas une honte pour l‘Afrique et le monde à l‘heure de la mondialisation ? Comment peut-elle passer à la deuxième étape, à savoir les conditions préalables au décollage. Etape qui se caractérise par de profondes mutations dans les trois secteurs non industriels : les transports, l‘agriculture et le commerce extérieur. ?, à un moment ou le monde développé est au cinquième étape, à savoir celle de la consommation de masse ?. Les africains doivent reconnaitre leur part de responsabilité dans leur propre malheur. La renaissance de l‘Afrique ne pourra s‘accomplir qu‘avec la force des africains.. Selon Forbes (2011), Les 10 pires économies africaines, qui sont les plus pires au monde sont : 10 Cote d‘ivoire ; 9 Bénin ; 8 Lesotho ; 7 Erythrée ; 6 Comores ; 5 Swaziland ; 4 Guinée ; 3 Angola ; 2 Guinée équatoriale ; 1 Madagascar. Selon le Global Peace Index(2011), les 10 pays les plus dangereux d'Afrique sont : 10 Ethiopie ; 9 Burundi ; 8 Zimbabwe ; 7 Tchad ; 6 Nigéria ; 5 Libye ; 4 République centrafricaine ; 3 République démocratique du Congo ; 2 Soudan ; 1 Somalie Au niveau prospective, le Rapport 2011 sur le développement humain prévient que les progrès constants accomplis par les pays d‘Afrique sub-saharienne en matière de développement humain risquent de stagner, voire de s‘inverser, si des mesures audacieuses ne sont pas prises pour réduire les risques environnementaux et les inégalités au sein de la région et à l‘échelle planétaire. Le Rapport met en garde contre le fait que les « enjeux environnementaux » de plus en plus probables, dont l‘aggravation de la pollution de l‘eau et de l‘air et des effets du changement climatique, sont susceptibles de réduire de 12 pour cent la croissance de

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l‘IDH dans la région d‘ici la moitié du XXIe siècle. Un scénario plus pessimiste de « catastrophe écologique ».

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Les enjeux de la politique africaine du Maroc EL KHAYAT Sami, Diplômé de l’Institut des Relations Internationales et Stratégies (IRIS)-Paris & de l’Institut des Etudes Européennes Université Paris 8 Résumé La politique africaine du Maroc à l’aube du 21ème siècle est un sujet d’actualité. Quels sont les liens du pays avec son continent ? Pourquoi cet intérêt nouveau pour l’Afrique alors que le continent a toujours été relativement écarté de la vision internationale du Maroc en faveur de la Méditerranée et des partenaires occidentaux et arabes ? Quelle est cette politique africaine ? Répondre à ces questions a été notre travail de recherche au sein de l’IRIS. Il s’agit d’une analyse géopolitique et géoéconomique de la place du Maroc dans le monde mais surtout vis-à-vis de son voisinage africain. Mots clés : Maroc, Afrique, Géopolitique, Géoéconomique, repositionnement Abstract: ’s African policy on the threshold of the 21st century is a topical issue. What are the links of the country with its continent? Why this new interest for Africa when the continent has always been somewhat overlooked in Morocco’s international vision in favour of the Mediterranean and its Western and Arab partners ? What is the nature of this African policy? My research work at IRIS was an attempt to answer these questions. It is a geopolitical and geo economic analysis of the place of Morocco in the world and mainly within its Keywords: Morocco, Africa, geopolitics, geoeconomic, repositioning

مهخص :

مغ بذاٌت انقشن انُادذ َ انؼششٌه اطهق انمغشة صٍبصت جذٌذة حجبي افشٌقٍب نذسجت اصبذج مُضُع انضبػت. ػهى ٌزا األصبس وطشح أصئهت مه قبٍم مبٌٍت انؼالقبث انمغشبٍت األفشٌقٍت ؟ نمبرا ٌزا االٌخمبو انجذٌذ ببنىظش نالٌخمبو االقم نهمغشة نؼالقبحً مغ افشٌقٍب مه مىضُس دَنً نصبنخ انمخُصظ َ ششكبءي االَسبٍٍه َ انؼشة ؟ مب ًٌ ٌزي انضٍبصت انمغشبٍت انجذٌذة حجبي افشٌقٍب ؟

كبوج اجُبخىب ػه ٌزي أألصئهت مُضُع بذثىب انزي اوجزوبي بمؼٍذ انؼالقبث انذَنٍت َ االصخشاحٍجٍت بببسٌش َ انزي نخصىبي فً ٌزا انمقبل مؼخمذٌه ػهى حذهٍم جٍُبُنخٍكً َ جٍُاقخصبدي مه خالل مُقؼت انمغشة ػبنمٍب َ نكه كزانك فً ػالقبحً مغ جٍشاوً االفبسقت.

كهمبث انمفبحٍخ: انمغشة، افشٌقٍب، جٍُبُنخٍك، جٍُاقخصبد، اػبدة انخمُقغ Introduction : Depuis plusieurs années la presse marocaine et les cercles intellectuels économiques et politiques et surtout le palais se sont saisis du sujet de la politique africaine du Maroc et de l’implication du pays avec le continent. En effet le sujet est un débat actif et intense dans la société marocaine et le continent est vu comme la nouvelle frontière économique et géopolitique du Maroc. Mais quels sont les liens du pays avec son continent ? Pourquoi cet intérêt nouveau pour l’Afrique alors que le continent a toujours été relativement écarté de la vision internationale du Maroc en faveur de la Méditerranée et des partenaires occidentaux et arabes ? Quelle est cette politique africaine ? Ce sujet mérite d’être abordé car il s’avère être stratégique pour l’avenir du Maroc et pour sa place géopolitique dans le monde. Il s’agit d’un travail d’analyse géopolitique et géoéconomique de la place du Maroc dans le monde mais surtout avec son voisinage

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immédiat. Ce sujet vient compléter le travail commencé lors d’une première étude réalisée au sein de l’IRIS qui avait pour but de comprendre les dynamiques qui lient le Maroc et plus globalement le Maghreb à l'espace européen au travers de l'Union pour la Méditerranée et du processus de Barcelone. Dans le cadre de cette recherche, nous avons pu comprendre que le Maroc était limité dans son intégration au Maghreb, mais également à l'espace européen vers lesquels il est pourtant résolument tourné et attaché. Le but de la présente étude sur la politique africaine du Maroc est de continuer un travail de mise en lumière des relations internationales, et de la place du Maroc et du Maghreb dans son continent, mais également dans le monde et dans l'économie globalisée. L’objectif est surtout de montrer que l’Afrique est l'avenir du développement du Maroc face aux blocages des relations avec le Maghreb et l'Europe et que le continent est sa seule marge d'expansion internationale. En effet les perspectives du Maroc à l’Est avec le Maghreb sont compromises avec l’existence du conflit larvé entre le Maroc et l’Algérie concernant le Sahara Occidental, mais également à cause des perturbations qu’a connues la Tunisie suite à la révolution mais surtout à cause de l’effondrement de la Lybie et de l’émergence du terrorisme au Sahel. Mais ce sont aussi les perspectives du Maroc au Nord avec la Méditerranée et l’Europe qui sont compromises avec l’avènement de la crise économique et budgétaire européenne, ce qui a conduit a une baisse des exportations vers l’Europe et une baisse des investissements européens au Maroc. Cependant il est également évident que des tensions politiques et économiques avec certains pays opposés politiquement au Maroc sur le dossier du Sahara mais aussi sur l’ouverture du marché agricole européen aux produits marocains sont un frein au développement des relations avec l’Union Européenne. Malgré leur importance, ces relations sont dans une impasse et il est donc urgent pour le Maroc de se tourner vers d'autres espaces, d'autant que le pays a clairement fait le choix de s’insérer dans l'économie globale et veut devenir un noeud majeur des échanges mondiaux avec le développement de grandes plateformes industrielles et portuaires comme Tanger Med et d'autres projets qui visent à l'inscrire dans les chaînes de valeur mondiales et l'économie globalisée. En effet le pays a construit sa stratégie de développement économique internationale sur la concrétisation du rôle du Maroc comme Hub de l’économie et des flux régionaux mais également mondiaux. Il est important de comprendre que malgré les blocages, le Maroc est très proche de l'espace européen et s’est également rapproché d'autres espaces comme les pays du Golfe, la Turquie, les Etats-Unis et de plus en plus l'Asie. Cependant, nous devons nous interroger sur la pérennité et la rentabilité de cette approche, car bien que ces liens aient constitué une opportunité de développement pour son économie, les perspectives semblent limitées pour les acteurs économiques marocains qui sont restreints par des accords de libre-échange peu égalitaires et réciproques qui n'avantagent pas forcément l'économie du pays sur le long terme. Il est dès lors très important pour le pays de se tourner vers des espaces où il peut maîtriser l'évolution de ses relations et la construction de partenariats équitables et mutuellement bénéfiques. Le Maroc s'étant déjà tourné vers le Nord en Europe, à l'Ouest vers l’Amérique et à l'Est vers le Maghreb, le Moyen-Orient et l’Asie, il ne reste plus qu'une seule frontière et opportunité de développement au pays, il doit regarder vers son Sud, vers l’Afrique. En effet la recherche d'espaces nouveaux permettant de perpétuer le développement économique et social du pays est centrale, alors que celui-ci s’interroge sur les conditions qui lui permettraient de devenir une économie émergente. Bien que le pays ait parcouru

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beaucoup de chemin depuis les années 80, période des grands plans d'ajustement structurel, il reste encore plusieurs obstacles et barrières qui se dressent face à cette ambition. Le Maroc a réussi, malgré les méandres de la conjoncture économique internationale, à se construire une voie vers le progrès, ce dernier avançant résolument depuis maintenant deux décennies et ayant permis de rattraper le retard de développement malgré quelques contretemps. Le développement du pays s'est clairement accéléré sous les impulsions royales qui ont donné une dynamique et une rapidité d’exécution des réformes si nécessaires. Ces réformes et les évolutions qu'a connues le pays lui ont permis de garantir sa résilience face à un contexte international défavorable et peu encourageant qui a malgré tout fini par impacter ses équilibres budgétaires et extérieurs et qui a révélé les faiblesses structurelles du modèle de développement. Le Maroc a réalisé d'importants efforts qui ont donné des résultats probants et encourageants, mais il est nécessaire de persévérer et de continuer à traiter les causes profondes du retard de développement. L’effort doit principalement être orienté vers une consolidation de la croissance et de ses impacts sur l'amélioration du développement humain et la réduction des inégalités, quelle que soit leur nature. Ces objectifs de développement sont clairement inscrits dans la nouvelle constitution marocaine qui a pour but de transformer le pays en un espace de développement humain, économique, en une démocratie ouverte sur le monde et respectueuse des droits de l'homme. La croissance économique doit réformer ses bases afin d’être construite sur des fondamentaux plus solides, ce qui nécessite une accélération des réformes et surtout leur mise en place efficace. Il convient à ce titre de diversifier les sources de croissance, tant en développant de nouveaux secteurs porteurs qu'en prospectant de nouveaux marchés et surtout en Afrique, marchés prometteurs pour le développement des agents économiques du pays. Il est nécessaire d'agir rapidement car les mutations et les opportunités présentes dans une économie globalisée sont éphémères et il faut être proactif et agir avec célérité afin de prendre le train en marche et éviter les menaces : rude concurrence internationale et chocs extérieurs. Les mutations et les transformations actuelles sont tout autant des opportunités de création de richesses et d'emplois que des risques si elles ne sont pas saisies, maîtrisées et exploitées rapidement et efficacement, et il en est de même pour l'ouverture sur l’Afrique. Le Maroc doit consolider son développement industriel qui devra autant être tourné vers son partenaire historique européen que vers le monde, mais surtout il doit s'imposer sur le marché africain où il dispose de réels avantages et opportunités qui doivent être saisis afin de réduire la dépendance du pays face à son voisin européen. Ce développement industriel passe par une amélioration de la compétitivité du pays et de sa productivité qui sont les conditions sine qua non pour réellement ancrer l'industrie dans le pays. Une compétitivité accrue aurait d’ailleurs des effets positifs sur le développement et l'amélioration des performances des secteurs agricoles et de services qui ont un poids prépondérant dans l'économie nationale. Il est ainsi nécessaire de développer l'innovation et d’améliorer les facteurs de compétitivité de l’économie nationale pour être capable de survivre dans un espace mondialisé concurrentiel. Il faut surtout construire une stratégie concrète, précise et crédible de développement à l’échelle nationale mais également internationale. Dans cette logique d'ouverture internationale il semble que le continent africain soit une des opportunités les plus crédibles pour soutenir le développement de l'économie nationale et il est donc impératif d'établir une stratégie sur ce sujet. Ainsi le but de cette étude est d'identifier les actions politiques, économiques, sociales, culturelles et religieuses menées dans le cadre de cette

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ouverture du pays au sud sur son espace économique africain. Mais qu'en est-il des relations entre le Maroc et son continent d’appartenance ? Le pays entretient des liens historiques, culturels et religieux importants avec l'Afrique et ce depuis des siècles. L'Histoire des relations Maroco Africaines : Le professeur John O. Hunwick définit ainsi le Maroc du VIIème aux XVIIIème siècles; « le Maroc » de cette période comprend le royaume actuel, mais également une région plus vaste qui englobe, par exemple, la région de Tlemcen qui était rattachée historiquement au Maroc par des liens culturels et parfois politiques. On y trouvait également l’Andalousie pendant les siècles Almoravide et Almohade et l'ensemble de ces régions formaient un seul Etat Islamique… ». Nous pouvons ajouter que l’étendue du Maroc, à certains longs moments historiques, allait jusqu’au fleuve du Sénégal. Le Maroc a une relation historique avec l’Afrique Subsaharienne. Cette histoire est caractérisée par un triple facteur : le facteur religieux avec l’influence des confréries Tijani, le commerce et les migrations. Le phénomène religieux est d’ailleurs intimement lié aux flux migratoires et au commerce. L’influence profonde du Maroc sur l’Afrique Sub-saharienne est essentiellement religieuse. Les confréries, les zawiyas, ont permis au Maroc d’introduire l’islam sunnite malékite en Afrique Subsaharienne. Cette pénétration du religieux était intimement liée à l’activité commerciale. Plusieurs itinéraires existaient entre le Maroc et l’Afrique Subsaharienne. Un premier itinéraire commençant dans le Wadi Dra et passant par l’Adrar mauritanien et qui se termine dans le pays du Delta Intérieur du Niger. Un deuxième itinéraire qui traverse le Sahara central à partir du sud tunisien. C’est tout près des terminus de ces routes que se trouvent les noyaux des premiers états soudanais-le Ghana et le Kawkaw. Dès l’ère islamique au Maroc, on trouve des signes incontestables d’un commerce transsaharien auquel participent des marocains. Les Kharagistes de la secte Soufie fondèrent au VIIIème siècle la vile de Sigilmâssa dans la région de Tafilalt. Cette ville allait servir de point de départ pour les caravanes sahariennes et de noeud commercial pour les marchandises venant de l’Afrique occidentale et entrant au Maroc. Dans le Wadi Dra des villes fortifiées furent construites pour servir d’entrepôts pour le commerce caravanier se dirigeant vers l’Afrique de l’Ouest. La ville de Tlemcen, qui faisait partie du Maroc, était le centre d’un réseau routier qui reliait le Maroc à l’Afrique subsaharienne avec d’autres routes qui menaient à la côte méditerranéenne jusqu’à Almeria en Andalousie au Nord, et enfin à l’ouest, vers Fès et Meknès. Au XIIIème siècle une nouvelle route s’établit partant de Sigilmâssa vers le Tghaza en plein Sahara, menant en direction du Sud vers l’oasis de Walt. Celle-ci était située dans l’extrême sud de la Mauritanie actuelle, devant la porte de l’empire du Mali. A la fin du XIVème siècle. Tombouctou prend son essor. Sa liaison avec le Maroc était assurée par les routes qui passaient par le Tuwât et le Gurâra pour se terminer à Tlemcen, ou bien par Taghaâza pour aboutir à Sigilmâssa ou aux villes de la vallée du Dra. Au XVIème siècle et même avant, il y avait des liens commerciaux entre le Maroc et les grandes villes du Nigéria du Nord, telles que Kano et Kastina. Dans la haute période médiévale, les migrations des Sanhâga du Sahara créèrent une série de liaisons entre le désert mauritanien, jusqu’aux bords du fleuve Sénégal, la bande du Niger et la région de l’Aîr (république du Niger actuelle). Des migrations plus vastes avaient lieu entre le Maroc et l’Afrique subsaharienne entre le XIVème et le XVIème siècle : les tribus arabes dites Banü Hassân (une branche des Ma’qil) sont parties du sud du Maroc pour s’installer au Sahara occidental en déplaçant les Sanhâga

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vers le sud. Par conquête, colonisation, mariage, ces tribus se sont intégrées à la population d’origine berbère et subsaharienne pour créer une culture nouvelle, culture bidân ou maure. D’autres fractions de Zawâyâ du sud de la Mauritanie étaient allés vers les pays du sud en diffusant l’influence marocaine arabo-islamique en Sénégambie, en Guinée et jusqu’aux forêts de l’Afrique tropicale (prédicateurs, maîtres d’écoles coraniques, etc.). Ces Zawâyâ exerçaient également leur influence dans la vallée du Niger où circulaient librement les marchands et les hommes religieux maures du Maroc. A partir du XVIème siècle, les Kunta nomades revendiquant une origine arabe fournissaient une nouvelle liaison transsaharienne entre le Maroc et l’Afrique subsaharienne. L’avènement des puissances maritimes portugaise, puis espagnole et hollandaise ont opéré un contournement de ce commerce saharien, lui faisant perdre son intensité même s’il demeura relativement vivace jusqu'à la colonisation. Comme aujourd'hui, déjà par le passé les dirigeants du Maroc ont compris toute l'importance et l’intérêt du continent africain. En effet, les Almohades dans un premier temps mais surtout les Saadiens se sont intéressés à la région. Il est important de voir, que comme aujourd'hui, les Saadiens se sont tournés vers l’Afrique car ils étaient limités dans leur expansion au nord et à l'est par des puissances qui constituaient un blocage pour le pays. Comme aujourd’hui ces espaces du nord et de l'est, bien que non hostiles, contrairement à cette époque, ne semblent pas constituer vraiment une zone de développement contemporaine sûre et surtout durable sur le long terme pour le Maroc. En effet les Saadiens ont entrepris de vastes conquêtes des territoires sahariens mais également subsahariens allant jusqu'au Mali et même jusqu'aux régions de la Côte d'Ivoire et du Burkina Faso actuels dans leur expansion maximale. Comme nous l'avons vu plus haut, l'objectif pour les Saadiens était de contrôler les routes caravanières du sel, de l'or et des esclaves qui firent la richesse du pays et lui permirent de tenir tête et de garantir son intégrité territoriale face aux ambitions des grandes puissances de ce temps, l’Espagne, le Portugal et l'Empire Ottoman. Le Maroc trouve son identité en Afrique. En effet plusieurs dynasties, dont la dynastie actuelle, viennent du Sahel et ont dirigé le pays. C'est l'Islam prêché par ces tribus nomades du désert saharien qui est l'essence même de l'Islam pratiqué aujourd'hui au Maroc. Ces tribus qui ont dominé le Maroc sont profondément africaines car elles sont le lien entre l’Afrique et l'espace méditerranéen et ont toujours entretenu des relations proches, par le commerce, les échanges culturels et religieux avec l’Afrique Subsaharienne. Nous serions même tentés de dire que ce sont des africains qui ont construit le Maroc et lui ont apporté sa culture et ses traditions. Ainsi le Maroc est un pays enraciné dans son continent d’appartenance et surtout dans l'espace sahélien, ce qui explique d'autant plus l'engagement du pays pour la récupération de son Sahara qu'il considère comme une partie intégrante de la nation et surtout son lien avec ses origines sahariennes et africaines. Cette profonde dimension historique, religieuse, culturelle et même commerciale ne fait que renforcer l'idée que le continent est naturellement une zone où le pays peut s'implanter et se développer pour assurer son avenir économique et sa prospérité sur le long terme. L'Afrique est-elle l'avenir du Maroc ? Cependant, nous devons nous interroger pour savoir si le pays peut réellement trouver ces opportunités aujourd'hui en Afrique, car le monde et surtout le continent ont énormément changé. Est-ce que l'Afrique est toujours l’Eldorado du développement

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économique marocain ? Si oui quelles sont les actions menées par le Maroc pour renforcer son influence en Afrique ? Le pays est-il réellement capable d'aborder le continent et d'y étendre ses activités et ses relations commerciales ? Quelle est la situation aujourd'hui ? Qu'est-ce que l’Afrique contemporaine ? Quelles sont les opportunités et les menaces que le continent représente pour le Maroc ? Ces questions sont des interrogations nécessaires et importantes pour savoir si la stratégie du Maroc a un avenir, mais surtout elles nous permettent de déterminer si la stratégie marocaine en Afrique est capable d'offrir un espace de croissance économique. Enfin répondre à ces questionnements nous permet surtout de comprendre la nature de la politique africaine du Maroc. Toutes ces questions sont particulièrement intéressantes car l’Afrique comme le Maroc a connu de nombreuses mutations, a vu son développement s’accélérer et a de fortes chances d’être le continent au centre de l’attention mondiale au XXIème siècle et ce pour de nombreuses raisons. C’est pourquoi il est nécessaire d’analyser les relations entre le Maroc et son continent à l’aune de cette nouvelle époque qu’est le XXIème siècle. En effet l’Afrique est le continent de la croissance et du changement, sa population augmente, la classe moyenne croît rapidement, c’est une formidable réserve de ressources naturelles et de main d’oeuvre et pour toutes ces raisons elle est destinée a être la dernière frontière de la mondialisation, du développement industriel et de la croissance mondiale. L’Afrique est aujourd’hui dans une meilleure santé économique et ne correspond plus au cliché du sous développement chronique encore présent dans les esprits, même s’il y a encore clairement des retards. Enfin l’Afrique est au centre des intérêts et des investissements des grandes puissances internationales et des investisseurs internationaux avec en tête la Chine, les Etats Unis, l’Inde et l’Europe. L’Afrique est donc très certainement un continent d’avenir mais nous devons à présent nous demander s’il existe des complémentarités et des opportunités de coopération et d’affaires entre le Maroc et les pays africains. Le Maroc un futur émergent mais avec des défis importants : Les recherches conduites montrent que le Maroc a su garantir une économie et une croissance stables et a amorcé les réformes nécessaires afin d’impulser une modernisation du pays et de son économie et de créer les conditions nécessaires à un développement économique stable et continu basé sur l’export et la sous- traitance des grandes chaînes de production mondiales. Ce développement s’appuie également sur une politique budgétaire et d’investissements intelligents et sur le renforcement de partenariats avec des alliés clefs (l’Europe, les USA, le Golfe et la Turquie). Les résultats du modèle de développement marocain sont probants (équilibre macro économique, croissance, réduction du chômage et de la pauvreté) malgré un contexte international crisogène et fragile. Le Maroc est sur la bonne voie, les échanges progressent, principalement les exports et surtout dans de nouveaux secteurs, mais aussi la consommation intérieure et la croissance ainsi que les IDE où le pays se positionne en 2ème place sur le continent africain. Cependant la crise a révélé les faiblesses du modèle marocain. En effet les accords de libre échange signés, bien qu’ayant eu des effets bénéfiques sur les exports, sont défavorables, inégaux et sous utilisés, ce qui favorise les imports plus que les exports. En outre le Maroc dispose encore d’une trop faible diversification de ses exports, ces derniers ont une trop faible valeur ajoutée et restent encore trop concentrés sur le marché de l’Union Européenne. Ces faiblesses retardent

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l’accession du Maroc au statut de nouvel émergent et rendent le pays sensible à la conjoncture de l’UE qui est en crise. Ces faiblesses viennent entraver les efforts du Maroc en termes de développement et de réduction de la pauvreté car le pays a besoin d’entretenir une bonne croissance des exports et des investissements pour garantir un développement continu qui permettra de résorber les déficiences de développement (pauvreté, chômage et précarité). C’est pourquoi le pays s’est engagé dans plusieurs réformes sectorielles pour moderniser les secteurs clefs de l’économie et les rendre plus compétitifs afin qu’il répondent aux contraintes imposées par l’environnement international concurrentiel (plan industriel, plan énergies renouvelables, plan export, plan logistique transport, plan agricole, etc.). Cependant ces plans ne seront pas suffisants à eux seuls : il est décisif que le Maroc commence une période de développement international, même si ce dernier accède à peine au statut de pays émergent. Il est important pour le pays de sortir de sa zone de confiance et de partir à la conquête de nouveaux marchés et de nouvelles sources de croissance loin de ses partenaires habituels qui sont actuellement en crise. La clef de l’avenir du Maroc est le développement international en dehors des partenaires traditionnels et le renforcement de ces derniers par la mise en place d’industries modernes et compétitives. Il est stratégique pour la pérennité du modèle marocain que le pays soit en grande partie indépendant de l’Europe et qu’il saisisse les opportunités que lui offrent d’autres marchés et l’Afrique semble être la réelle opportunité de développement international pour le Maroc. L'Afrique un continent avec d'important besoins de développement et donc de nombreuses opportunités : L’Afrique est vaste, peuplée et dispose d’une croissance démographique importante. Mais le continent dispose surtout d’une population jeune, nombreuse, de plus en plus éduquée et d’une classe moyenne en croissance qui en feront sûrement le futur atelier du monde et donc une formidable réserve de travailleurs demain et puis de consommateurs dans le futur. De plus il est particulièrement riche en ressources naturelles qui seront nécessaires aux industries nouvelles du Maroc. Cependant il ne faut pas oublier que ce continent reste une zone complexe, très crisogène avec encore de nombreux conflits, instabilités et violences. Malgré la modernisation et la démocratisation de certains pays, l’Afrique reste caractérisée par le post colonialisme qui en a formé le visage actuel, mais ce visage change sous l’influence de la mondialisation et de la croissance démographique. Ce qui définit le plus l’Afrique aujourd’hui c’est sa bonne santé économique et sa forte croissance. Les marchés en croissance sont surtout l’agriculture, qui est très importante car elle fait vivre une bonne partie du continent et le nourrit, mais aussi l’industrie (principalement activités liées à l’extraction de matières premières, à savoir pétrole et minéraux). Malgré l’émergence d’activités liées aux services, le continent reste très dépendant à l’export de matières premières et les économies africaines sont encore peu diversifiées et développées. On y trouve très peu d’industrie et de services, la création de valeur ajoutée est faible et les états sont encore assez fragiles avec peu de moyens et souvent instables. Ces états n’ont pas encore totalement la capacité de gérer leurs problèmes seuls, tant ces derniers sont importants et les dépassent, même si sur ce point il existe d’importantes différences entre pays africains. C’est principalement le retard de développement social et humain qui est criant sur le continent. En effet la sécurité alimentaire n’est pas encore assurée dans de nombreux pays, les services de santé restent inefficaces, ce qui cause de nombreuses maladies et décès. Les logements sont souvent précaires et ne disposent pas de services

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d’assainissement corrects, entraînant des problèmes d’insécurité, des risques sanitaires et un fort retard de développement. La pauvreté est évidemment la raison de plusieurs de ces maux, mais c’est surtout la mauvaise gestion des pouvoirs publics qui cause ces situations. La pauvreté est principalement due au chômage, surtout pour les jeunes et au manque d’emplois formels et qualifiés. En effet l’importance du secteur informel sur le continent démontre le retard des ces pays et toutes les déficiences de l’état dans tous les domaines. Une bonne partie de la population qui est désoeuvrée trouve une solution de survie dans le travail informel mais ce secteur retarde le développement de ces pays car il prive l’état de rentrées fiscales pourtant si nécessaires. Le manque d’éducation est un autre des problèmes de l’Afrique car elle ne dispose pas d’une main d’oeuvre qualifiée suffisante pour attirer des activités, il en est de même pour les infrastructures stratégiques qui restent très déficientes (routes, électricité, eau, ports, trains, etc…). Enfin la présence d’un chômage de masse surtout chez les jeunes et leur frustration sont un important vecteur d’insécurité et d’instabilité dans ces pays. Cependant malgré toutes ces déficiences, le continent reste une région d’avenir avec une forte croissance économique stimulée par la croissance urbaine et démographique. La hausse du prix des matières premières permet aux états de disposer de plus de moyens pour financer le développement économique et les réformes et ainsi mettre à niveau l’économie et les infrastructures. Ces éléments, outre la dépense publique, attirent les investisseurs internationaux qui installent de nouvelles activités sur le continent, génèrent de la croissance et distribuent du pouvoir d’achat qui contribue à l’émergence d’une nouvelle classe moyenne consommatrice. Le continent se développe vite et est en train de pallier ses déficiences et construire une croissance durable, surtout si les réformes sont menées à bout et que les économies africaines passent de l’export de ressources naturelles à la production et la consommation intérieure. De plus l’Afrique est multiforme, elle dispose de plusieurs types d’économies, les plus intéressantes sont les économies diversifiées et en transition, ce sont elles qui concentrent le plus de perspectives de développement et de modernisation du continent. Les PMA sont en retard et dépassés et les pays d’export de ressources sont rentiers, toujours dépendants d’un paradigme fragile et dépassé. Le développement et la croissance du continent sont principalement poussés par certains pays clefs comme le Nigéria, le Ghana, l’Ethiopie, le Kenya et l’Angola. En dehors de l’amélioration relative de la situation interne du continent, une conjoncture internationale favorable a aidé au développement économique, et ce avec l’augmentation du prix des matières premières et le ralentissement de l’économie mondiale qui a redirigé les IDE vers l’Afrique qui offre de très forts rendements sur les investissements. Cependant c’est surtout la classe moyenne qui stimulera la croissance dans l’avenir et sur le long terme par l’augmentation de la consommation intérieure. Cette classe moyenne est en forte augmentation et ses besoins le sont également, ce qui stimulera la demande de produits, d’infrastructures, de services de santé, d’éducation, de téléphonie et de services bancaires. Les investisseurs ont d’ores et déjà pris note de cette nouvelle tendance et investissent de plus en plus dans des secteurs qui répondent aux besoins de cette classe moyenne et offrent de plus en plus d’emplois que demande cette nouvelle classe sociale. Il ne faut toutefois pas oublier que les activités extractives et les matières premières en général restent la principale source des investissements étrangers. Le continent offre donc une combinaison de facteurs avec une main d’oeuvre peu chère abondante, une croissance de la consommation intérieure, la construction de meilleures infrastructures

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et le tout proche d’importants gisements de matières premières, ce qui rend les investissements intéressants. Les principaux gisements de croissance du continent et les investissements les plus rentables se trouvent dans les secteurs de l’agriculture et l’agro industrie, les infrastructures, l’industrie (principalement liée aux activités extractives), la téléphonie et les banques. L’émergence d’une réelle intégration régionale sur le continent est un nouveau vecteur fort pour la promotion des investissements car elles permettent l’accès à de plus grands marchés et favorisent un meilleur climat des affaires. D’un autre côté les barrières à l’entrée, les cadres réglementaires non aboutis, la corruption, la bureaucratie, les barrières non tarifaires, l’intégration régionale non aboutie, le manque d’infrastructures de transport et de personnel qualifié productif sont les freins à l’investissement encore présents dans le paysage économique africain. Le partenariat Maroc Afrique des complémentarités existent : Au vu des éléments d’information économiques et politiques concernant le Maroc et l’Afrique, nous pouvons déterminer que le Maroc a de réelles opportunités en Afrique et l’Afrique peut bénéficier de l’expertise, de l’aide et des investissement du Maroc pour assurer le développement dans de nombreux secteurs. Une réelle complémentarité existe et des interdépendances peuvent se créer. Il y a une corrélation entre l’expertise des secteurs marocains ayant besoin de s’exporter et les besoins que l’Afrique doit satisfaire pour son développement. Le Maroc a les moyens techniques et financiers et l’expertise nécessaire pour offrir les services dont a tant besoin l’Afrique et proposer une offre adaptée aux besoins spécifiques de ces pays en voie de développement grâce à une longue expérience acquise lors du développement du Maroc. Le Maroc a des opportunités et les moyens d’investir dans plusieurs secteurs comme l’agriculture (irrigation, engrais, agro industrie), les matières premières (mines et industries liées), les infrastructures et la construction (routes, aéroports, ports, rail, eau, assainissement, déchets), dans les transports (aérien, routier, portuaire, logistique, maritime), dans l’eau et l’électricité, dans les télécoms (mobile, internet, 3 G), dans l’industrie (textile, biens de consommation courants, agri business, câbles, métaux), dans le secteur bancaire, dans la construction et gestion immobilière, dans le BTP, dans l’éducation (écoles privées, lycées, formation professionnelle technique et ingénierie) et enfin dans le tourisme. Il y a effectivement une grande corrélation entre les besoins de l'Afrique et ceux du Maroc mais surtout entre les besoins de l'Afrique et l'expérience cumulée par les acteurs économiques et publics marocains. L’Afrique a besoin de l'expérience et de l'expertise du Maroc pour son développement, c’est pourquoi l'internationalisation de l'économie marocaine devra forcément passer par une coopération et une aide du Maroc à l'Afrique, au moyen d'un transfert de compétences et d'expérience dans le but d'aider au développement des pays africains et c’est exactement sur ce point que réside tout l’avantage compétitif du Maroc. "L'offre Maroc", c'est la coopération et l’aide d’un pays émergent vis-à-vis de pays aspirant à se développer. Elle doit être un modèle de coopération Sud- Sud axée sur l'aide au développement par le partage d’expérience et par des aides financières mais également par des relations mutuellement bénéfiques. Le Maroc pourra ainsi développer ses relations avec le continent, améliorer son image, s’ouvrir de nouveaux marchés et fidéliser ces derniers par une relation durable et mutuellement profitable tout en évitant au maximum la féroce concurrence internationale qui règne sur le continent.

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Les relations Maroco Africaines : Ayant identifié les prospects des partenariats africains, leur nécessité et l’esprit qui doit animer cette nouvelle politique africaine du Maroc, nous devons mieux définir les relations maroco africaines. Où en est la coopération Maroc Afrique ? Comme nous avons pu le voir, les relations entre le Maroc et le continent sont constituées de liens multiséculaires, d’une histoire commune et du partage de valeurs que sont l’islam et les zaouias. Dès l’indépendance du Maroc, le pays a construit une politique africaine inspirée de l’esprit de Bandung dans le respect de la coopération Sud - Sud. Le Maroc étant l’un des premiers pays indépendants d’Afrique, il a initié l’Unité Africaine et en est un de ses pères fondateurs avec l’organisation de la conférence de Casablanca en 1961 qui fut une date clef dans la construction de l’OUA, l’ancêtre de l’Union Africaine. Le Maroc s’est également inscrit avec ses pays frères africains dans la lutte contre le colonialisme, particulièrement en soutenant financièrement et logistiquement l’ANC en Afrique du Sud, le MPLA en Angola et le FLN en Algérie. Dès le début sous le règne de Mohamed V le Maroc a initié une intense coopération avec des pays comme la Guinée et le Mali en signant des accords de coopération dès 1960, avant même la création de l’OUA. Cependant tous ces premiers efforts furent mis à mal avec l’émergence du problème de l’unité territoriale marocaine avec la volonté d’indépendance de la Mauritanie et puis l’arrivée de la question du Sahara Occidental. L’opposition de plusieurs pays africains sur ces dossiers conflictuels a fortement compliqué les rapports du Maroc avec certains pays africains et de ce fait compliqué l’insertion du Maroc dans l’Unité Africaine et le développement d’une plus grande coopération avec le continent. Malgré tout cette relation plus tendue avec plusieurs pays africains n’a pas empêché le Royaume de créer des liens plus proches avec un certain nombre de pays alliés en Afrique comme le Sénégal, la Côte d’Ivoire, le Gabon et le Congo avec lesquels le Maroc a développé une relation très particulière. C’est sous le règne du Roi Hassan II que vont être développées des relations avec les pays amis du Maroc, et ce principalement grâce aux relations d’amitié entre le souverain et les dirigeants de ces pays. Le rôle du Roi s’est ainsi imposé comme ayant tout son importance dans les relations maroco - africaines. Les pays qui constituent les principaux opposants politiques du Maroc sur la scène africaine sont le Nigéria, l’Algérie et l’Afrique du Sud. Sous le règne du Roi Hassan II les domaines de coopération se limitaient avant tout aux questions sécuritaires, militaires et politiques et surtout à la question de la défense mutuelle de l’intégrité territoriale. Aujourd’hui ces relations sont plus orientées vers la coopération Sud- Sud et surtout les questions économiques et sociales et la coopération technique. Malgré de très bonnes relations avec certains pays amis, on peut dire que le Maroc a vécu une réelle crise diplomatique avec l’OUA et cette dernière s’est aggravée au point que le Maroc s’est retiré de cette organisation à cause de la tournure des événements concernant le dossier du Sahara Occidental. Ce départ a globalement isolé le Maroc sur l’échiquier diplomatique africain et a limité son implication dans l’intégration africaine et son poids politique sur le continent, ce qui l’a conduit à s’orienter davantage vers ses partenaires occidentaux (Europe et USA) pour plus de soutien politique. Les relations maroco africaines sont caractérisées par 3 grandes périodes : la période sous le Roi Mohamed V avec un partenariat renforcé avec les pays africains dans l’effort de lutte anticoloniale dans l’esprit de Bandoeng. Une deuxième période, sous le Roi Hassan II, caractérisée par l’émergence de tensions et un refroidissement des relations avec le continent dû à la guerre d’indépendance mauritanienne, à la guerre contre l’Algérie et au dossier du Sahara Occidental. De plus durant la même période la rivalité

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Est-Ouest s’est invitée dans les relations du Maroc avec l’Afrique. En effet le Maroc étant dans le camp occidental, il était donc opposé idéologiquement aux pays socialistes d’Afrique comme le Bénin et l’Angola mais surtout à l’Algérie. C’est ainsi que le Maroc s’est rapproché des pays africains pro occidentaux et s’est confronté aux pays dans le camp communiste. La troisième et dernière période, celle que nous vivons actuellement, est caractérisée par un réchauffement des relations avec la mise en place par le Maroc d’une Realpolitik avec ses partenaires africains dans le but d’établir une coopération économique efficace visant à dépasser les problèmes posés par le dossier du Sahara Occidental. La fin de la guerre froide, la crise des finances publiques des pays africains et leur ouverture à la mondialisation ont favorisé cette politique de rapprochement. La politique qui prime donc aujourd’hui est l’établissement de bonnes relations de coopération Sud –Sud, de codéveloppement, l’Afrique devant faire confiance à l’Afrique pour s’aider dans la marche du progrès. Le but du Maroc est de participer le plus possible dans un cadre multilatéral aux opérations de maintien de la paix des NU sur le continent afin de rétablir les conditions préalables au développement économique et social des pays africains. Il cherche également à élargir son éventail de pays partenaires tout en diversifiant de plus en plus les domaines de la coopération. Le Maroc a développé une politique de bilatéralisme sélectif qui vise à prospecter un maximum de partenaires et à faire avancer le plus possible la coopération avec ceux qui sont les plus intéressés et à continuer de garder la porte ouverte aux autres, tout en faisant respecter les droits du Maroc sur le Sahara Occidental. Le Maroc a développé un processus de coopération bien établi avec les pays africains. Dans un premier temps il y a une ouverture des relations diplomatiques, puis une implication du Roi dans les négociations qui sont généralement suivies de la signature d’accords. Ensuite des commissions mixtes avec les représentants des deux pays sont créées afin de réaliser le suivi des accords et enfin ces accords sont concrètement mis en place. Le modèle de ce processus est la coopération technique mise en place dans les années 60 entre le Maroc et le Mali et la Guinée lors de la création du Groupe de Casablanca à la suite de la Conférence de Casablanca. Les accords furent d’abord très généraux et de plus en plus ils devinrent sectoriels, spécialisés et précis ce qui renforce le caractère concret de la coopération. C’est dans la coopération technique sectorielle que le Maroc arrive à réellement s’illustrer en réalisant un partage d’expérience avec ses partenaires africains, ce qui est particulièrement apprécié dans ces pays. La majorité des efforts de coopération du Maroc sont concentrés sur l’Afrique de l’Ouest et Centrale. Parallèlement à cette politique de coopération économique et technique, le Maroc continue de faire du lobbying pour la question Saharienne afin de sortir de son isolement et revenir sur la scène africaine. Le Maroc a décidé d’adopter la même tactique concernant le Sahara Occidental que la Chine concernant Taiwan. En effet il favorise l’ouverture pragmatique envers les autres pays africains afin de faire de la coopération technique et économique, des échanges, des investissements et du co- développement le réel sujet de la diplomatie maroco africaine, réduisant ainsi la question saharienne à un non sujet de discussion dans sa diplomatie africaine. Le but est de créer des interdépendances économiques, techniques et politiques qui marginaliseront ce sujet et feront qu’à long terme la question saharienne se réglera d’elle même tant les points de vue sur le sujet seront semblables à la position marocaine. La politique marocaine en Afrique se caractérise par 5 grandes dimensions.

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La dimension sécuritaire et le respect des conditions de vie minimum pour le développement humain qui se traduit concrètement par la participation du Maroc aux opérations de maintien de la paix des Nations Unies et donc par la présence de ses troupes en Afrique. Mais également par la coopération pour la lutte contre le terrorisme, la médiation dans des conflits et enfin la coopération dans la lutte contre les migrations illégales. La dimension du développement humain avec les aides humanitaires financières, logistiques, matérielles et sanitaires lors de crises humanitaires et pour soutenir les régions peu développées. La dimension de la coopération et des partenariats, de manière plus approfondie, dans plus de domaines et avec toujours plus de partenaires, comme la coopération dans le domaine de l’eau, l’électricité, l’assainissement, les grands travaux, la coopération administrative, etc… La dimension de la coopération triangulaire. La coopération triangulaire implique des partenariats entre deux ou plusieurs pays en développement et un pays tiers partenaire, le plus souvent un partenaire fournisseur de ressources et/ou une organisation multilatérale. Le Maroc s’insère dans cette logique avec des partenariats avec plusieurs pays européens, le Japon et des organisations internationales comme la FAO, la BAD, les NU, etc… pour aider ces pays partenaires dans des projets structurants de développement humain et dans l’agriculture. La dimension de la stratégie royale. En effet la stratégie marocaine est fédérée autour de la stratégie royale qui rassemble tous les acteurs nationaux publics et privés, investissant en Afrique ou désirant y investir. Cette stratégie est définie par les quatre points ci dessus. Ces 5 dimensions se conjuguent avec comme chef d’orchestre le Souverain afin de créer une « Marque Maroc » attractive et concurrentielle qui sera l'avantage compétitif du Maroc sur le continent et lui permettra donc d'accéder de plus en plus au marché africain et de soutenir la croissance et le développement du Maroc, tout en transformant le pays en Hub Régional de l'Afrique de l'Ouest et Atlantique. Cette position de Hub permettra au Maroc de se positionner comme leader d'une future intégration régionale, de l’Afrique Occidentale et Atlantique et éventuellement du Maghreb. Cette stratégie bien pensée et efficace comporte néanmoins plusieurs faiblesses comme le manque de moyens financiers. En effet le Maroc étant lui même un pays en voie d’émergence, il lui manque les moyens de ses ambitions. Il lui faut donc trouver des partenaires pour financer sa politique africaine par la coopération triangulaire et dégager un compromis avec ses alliés pour le soutenir. Les accords commerciaux donnent un cadre aux relations assez abouti, mais malheureusement encore insuffisant et qui ne favorise pas assez de libre échange et de protection des IDE marocains sur le continent. Cela a pour conséquence une croissance rapide des échanges, surtout des exports marocains, mais ces derniers sont encore insuffisants et sous exploités. En effet les échanges maroco africains sont typiques des échanges Sud- Sud car ils sont faibles et peu diversifiés et cela est dû à de trop fortes contraintes institutionnelles, politiques et logistiques. Les produits échangés sont de faible valeur ajoutée et ne comportent encore que trop peu d’échanges de services. Le Maroc reste également trop concentré sur la zone Afrique de l’Ouest et sur certains pays (Sénégal, Mali, Côte d’Ivoire, Gabon). Ce constat contraint le Maroc à dépasser le cadre bilatéral pour passer au cadre multilatéral avec la signature d’accords avec l’UEMOA et la CEDEAO et à diversifier

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ses partenaires vers l’Afrique centrale, orientale et australe en dehors de sa zone de confort, d’autant que de nombreux pays en forte croissance se trouvent dans cette zone. Signer des accords avec les organisations régionales présentes est stratégique, car cela permettrait au Maroc de résorber les contraintes juridiques, institutionnelles, politiques et logistiques, qui sont tant de barrières tarifaires et non tarifaires dressées face à l'émergence des échanges. En ce qui concerne les IDE, ces derniers sont concentrés dans certains pays et certains secteurs et touchent plusieurs secteurs nécessaires au développement du continent. Ces derniers sont le monopole des grands groupes marocains et leur action est accompagnée et aidée par l’implication du Roi qui vient garantir la sécurité de ces investissements par son poids politique. Les IDE marocains en Afrique sont une stratégie de contournement des barrières aux échanges, ils créent des interdépendances et renforcent la coopération technique et sont des pré requis à l’augmentation des échanges commerciaux. Comme les échanges, les IDE sont principalement concentrés sur la région de l’Afrique de l’Ouest. Le bilan de la coopération Maroco – Africaine : Quel bilan pouvons- nous donc tirer de cette stratégie africaine du Maroc ? Il est clair que la question saharienne et le retrait du Maroc de l'OUA ont toujours un impact négatif sur cet héritage commun ancien qu’est la relation entre le Maroc et l’Afrique. Cependant le Maroc a fait le choix stratégique de s'ouvrir à tous les pays du continent, même ceux avec qui il existe des tensions politiques. Cette intense diplomatie en Afrique a multiplié les partenaires, ce qui a conduit à la mise en place d'un cadre juridique de coopération, surtout avec l’Afrique de l’Ouest. Malgré d'importantes avancées, ce cadre de coopération reste encore incomplet et les efforts doivent être intensifiés pour qu'il soit achevé. La logique qui domine cet esprit de coopération est celle du co-développement, de l'aide, du partage d'expérience et d'expertise dans une logique gagnant-gagnant dans un pur esprit de coopération Sud-Sud. Le Maroc veut ainsi faire bénéficier l’Afrique de sa jeune expérience en termes de développement socio-économique et humain et ainsi poursuivre l’oeuvre commencée au Maroc dans le reste du continent. Etant absent des instances africaines, le Maroc base uniquement sa coopération sur une coopération bilatérale forte mais qui reste limitée car le pays ne peut capitaliser sur l'ensemble de ses efforts de coopération et certaines zones économiques sont encore peu accessibles. Pour corriger cela le pays négocie actuellement des accords globaux avec la CEDEAO et l'UEMOA en Afrique de l'Ouest. Bien qu’en cours d’élaboration et ouvrant de nombreuses opportunités, le cadre juridique reste incomplet car peu de pays sont concernés. Les accords ne prévoient pas encore un libre-échange total et surtout on trouve encore peu de protection des investissements. Pour finir, souvent ces accords ne sont pas encore mis en application ou ratifiés. Nous devons cependant reconnaître que la vision royale ouvre de nouvelles perspectives car elle est globale, concrète et pragmatique et donne un poids important au volet économique, bien qu'on ne puisse le dissocier des volets diplomatique, humanitaire, culturel et religieux. On comprend bien que tous les volets de la politique africaine viennent en soutien à une politique axée sur les échanges économiques. L'économie est ici vue comme le meilleur moyen de faire avancer la coopération, l'ouverture et l'ancrage du Maroc avec l’Afrique car elle crée des synergies, des liens qui rendent les économies partenaires interdépendantes. Ainsi le rapprochement est irréversible et ce dernier point revêt toute son importance. L'économie est le moyen d'aider les pays africains tandis que le but affiché de la coopération est l'amélioration de la condition humaine et la modernisation des pays partenaires. Dans ce cadre,

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l'implantation marocaine est surtout axée sur la mise en place de projets structurants (eau, assainissement, BTP, électricité, transports et logistique), ce qui permet l'implantation d'entreprises dans les pays africains. En accompagnement de cette implantation, on comprend la présence stratégique des banques marocaines qui sont établies de longue date sur le continent et qui jouent le rôle d'acteurs de soutien. Le Maroc organise son action de coopération avec le continent au travers de 5 organes principaux : le MAEC (les affaires étrangères), l'AMCI (l’agence de coopération), Maroc Export (CMPE) (la promotion des exportations), la CGEM (le patronat marocain) et la SMAEX (l’assurance export). Le Roi se place quant à lui comme un facilitateur de la coopération et un fédérateur des agents économiques. Il est important de noter que les échanges commerciaux entre le Maroc et l’Afrique sont structurellement moins dynamiques que les investissements marocains. Les investissements d'aujourd'hui viennent donc préparer l'arrivée des exports de demain et en toute logique nous devrions assister à une hausse des exportations marocaines en Afrique dans les décennies à venir, mais seulement si en parallèle les contraintes tarifaires et non tarifaires ne cessent de diminuer. Les principales faiblesses de la présence marocaine sur le continent résident dans la mentalité de méfiance avec laquelle un certain nombre d’acteurs économiques marocains, surtout les PME, abordent l’Afrique. Il faut également mettre l’accent sur le manque de connaissances de la culture et du terrain africains. Ces faiblesses sont d’ordre éducatif et organisationnel et elle ne mettent donc pas en danger l'initiative marocaine dans sa globalité à court terme. Cependant elles peuvent l’endommager à long terme et ralentir la progression de la coopération qui doit au contraire s'accélérer. En ce qui concerne la concurrence internationale, le Maroc devra clairement faire face à une extrême concurrence sur le continent. Cependant sa position stratégique, sa vision de la coopération avec l’Afrique, son ouverture internationale et ses alliances peuvent transformer ses concurrents en partenaires si une habile politique de diplomatie, et surtout de diplomatie économique, est mise en place. La principale critique que l’on pourrait faire au Maroc est qu’il ne dispose pas d'une réelle stratégie africaine, ou du moins cette dernière n'est pas définie et explicite. En effet ses objectifs précis et chiffrés, ses moyens et son calendrier ne sont pas clairement mis en avant. Cependant sa doctrine repose sur sept piliers essentiels que le pays doit maîtriser pour pérenniser sa stratégie africaine, l'accélérer et lui permettre de prospérer à long terme. Le premier pilier est la maîtrise d’une stratégie étatique cohérente organisée et efficace. Puis le rapprochement politique et diplomatique avec des pays éloignés politiquement du Maroc. Le développement plus intense de la coopération en termes de développement humain. Le développement de la coopération culturelle et religieuse. L’augmentation des efforts logistiques, réglementaires et financiers pour placer le Maroc comme Hub de l’Afrique. Le soutien à la stratégie d’implantation des banques et de la finance marocaines sur le continent. L’intensification du rôle du secteur privé dans les relations maroco africaines et surtout des PME. A la lumière de ce bilan, des facteurs de succès et d’échec de la politique africaine du Maroc sont clairement identifiables. Facteurs de succès : - Les banques marocaines en Afrique et Casa Finance City - Le développement de la grande distribution marocaine en Afrique

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- Les 3 partenaires clefs (Sénégal, Côte d’Ivoire, Gabon), la porte d'entrée du Maroc en Afrique - Les plateformes industrielles en Zones Franches, comme Tanger Med - L'implantation des sièges africains des multinationales au Maroc - La nouvelle stratégie industrielle 2014/2020 - La coopération triangulaire Facteurs d’échecs : - Une stratégie avec des objectifs, des moyens et un calendrier peu clairs - Une prépondérance des grandes entreprises, un manque d’entrepreneuriat et peu de PME - Un manque d’intérêt évident pour la culture africaine et une méconnaissance du terrain - Un manque criant de lignes de transport maritime marocaines - Une promotion du Maroc en Afrique insuffisante - Un manque de financements - Un cadre législatif et légal insuffisant et qui n’évoluerait pas ou peu Conclusion : Pour conclure, tout indique que le Maroc a amorcé une réelle dynamique d'implication, d'ouverture et d’investissement vers l'Afrique Subsaharienne. Nous l'avons vu, de nombreuses initiatives sont en cours, de nombreuses avancées ont été effectuées et la situation progresse rapidement et globalement l'initiative est encourageante. Afin de répondre à nos questionnements, tout d’abord nous pouvons dire que le continent semble bien être cet Eldorado économique et commercial du Maroc, comme il le fut par le passé du temps des routes caravanières, même si la situation est aujourd'hui complètement différente et que le continent, comme le monde, a énormément évolué depuis. Le pays semble également capable d'aborder le continent africain et il a déjà commencé à le faire. Il dispose des moyens techniques, humains et financiers (même si le volet financier est à nuancer) pour mener sa politique africaine, et surtout il dispose d'une réelle volonté politique de la mettre en oeuvre. A ce titre les différentes initiatives engagées sont une preuve de cette dynamique qui est encourageante. Il semble également que le continent offre exactement les opportunités économiques que recherche l'économie marocaine pour perpétuer son développement socio-économique et ainsi faire entrer le pays parmi les nouvelles économies émergentes. Le Maroc semble avoir arrêté une vision claire, intéressante et originale pour sa politique africaine et il y consacre des moyens importants et en croissance. Cependant le pays ne dispose pas encore d'une réelle stratégie organisée, structurée, évaluable et efficace et il y a encore des faiblesses et des déficiences dans certains aspects des actions conduites. Ces déficiences expliquent largement le fait que le Maroc ne soit pas encore totalement un acteur incontournable en Afrique ; néanmoins il est déjà un acteur majeur en Afrique de l'Ouest qui est sa priorité actuelle. Il est toutefois nécessaire d’être réaliste, le Maroc ne peut pas encore être un acteur incontournable de la scène africaine car il n'est pas encore une puissance économique régionale, il n'a pas encore les moyens de ses ambitions et il ne peut réussir en quelques années des projets qui prendront des décennies à porter leurs fruits. De plus l'action du Maroc, dans sa définition même, s’inscrit dans la durée et donc on ne pourra évaluer sa politique africaine qu’à long terme. Mais cela ne nous empêche pas de souligner un certain nombre de facteurs déterminants dans sa capacité à réussir où échouer dans ses ambitions futures.

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En effet il doit consolider ses efforts dans la concrétisation de sa position de Hub financier africain et l'implantation de son système bancaire sur le continent. Il doit également continuer ses efforts de consolidation de la coopération avec ses trois partenaires stratégiques qui lui serviront de porte d'entrée continentale et de vitrine pour ses réalisations. Il doit poursuivre la consolidation de ses zones franches industrielles et logistiques qui lui assureront une position de Hub. Il doit encourager l’implantation des sièges régionaux africains des multinationales dans le pays et attirer toujours plus d'IDE. Il doit arriver à atteindre les objectifs de sa « Nouvelle Stratégie Industrielle 2014/2020 » et réussir à faire réellement décoller la logique de la coopération triangulaire. Il est également nécessaire d'arriver à impliquer davantage les PME et diversifier les types d'entreprises marocaines qui s'installent en Afrique afin de tourner l'ensemble de l'économie et du secteur privé vers cette nouvelle frontière. De même il faut rapprocher culturellement les citoyens marocains de l’Afrique en développant une curiosité pour et une connaissance des cultures africaines et de leurs partenaires subsahariens. Il faut également trouver une solution pour améliorer les transports reliant le Maroc à l’Afrique et surtout les liaisons maritimes et en assurer un contrôle étroit afin de ne pas être victime des opérateurs étrangers, car le transport est stratégique pour la compétitivité dans le commerce international. Il est souhaitable d’améliorer la promotion commerciale qui est déficiente malgré les efforts en s'inspirant des pays qui réussissent dans le domaine. Enfin il convient de combler les manques de financement en attirant toujours plus de partenaires, d'IDE et d'APD pour réaliser les projets. Si tout ceci est fait, alors la présence du Maroc en Afrique pourra être pérenne et surtout la coopération pourra s'accélérer et avoir plus rapidement des effets bénéfiques sur l'économie nationale et celles de ses partenaires. Globalement nous pouvons dire que les efforts déjà mis en oeuvre devraient permettre au Maroc, dans un avenir proche (10 à 20 ans), de devenir un acteur incontournable de la région, voire une puissance régionale. Ce destin est capital pour le pays car c'est uniquement ainsi qu'il pourra sécuriser son ancrage à son continent et assurer la sécurité de son développement économique. En effet il est important de comprendre que sans ces nouveaux débouchés, le Maroc pourrait rapidement se retrouver isolé, surtout dans un environnement mondial rude et compétitif. Donc nous pouvons dire qu’effectivement la politique marocaine en Afrique est capable d'offrir un espace de croissance économique au pays, mais seulement si elle se mue en stratégie et qu'elle corrige ses faiblesses et pérennise ses forces. Le Maroc devrait réussir à s'imposer dans l'espace africain mais il est nécessaire de rappeler que pour autant cette stratégie reste axée sur un continent fragile où la situation tant économique que politique est souvent incertaine et soumise à des changements brutaux. A ce titre il est nécessaire de surveiller le marché des matières premières dont dépendent encore énormément l’Afrique et la politique de la FED. Cette dernière est pour l'instant accommodante pour les pays en voie de développement, mais sa politique pourrait bien changer dans les mois ou les années qui viennent, ce qui pourrait avoir des effets néfastes sur les économies africaines. Il faut également noter que le Maroc semble manquer d'un poids critique pour vraiment s'imposer rapidement sur la scène africaine et cette faiblesse l'expose à la concurrence internationale. De plus ce manque de poids lui complique la tâche lors des négociations multilatérales et régionales. C'est ici que l'on comprend toute l'importance d'un éventuel Maghreb uni qui permettrait de peser sur le continent et de négocier dans une meilleure position, sans

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compter que la puissance de frappe financière n'en serait que démultipliée, ce qui rendrait possible la mise en place d'actions réellement structurantes. La faiblesse du Maghreb mais aussi de l'espace méditerranéen affaiblit la position du Maroc en Afrique, car elle ne lui permet pas d'occuper pleinement une position de hub entre plusieurs espaces économiques bien intégrés. La situation géopolitique en Europe (crise européenne et crise migratoire) et dans les pays arabes (guerres civiles en Libye et Syrie, terrorisme en Egypte et Tunisie) ne semble pas ouvrir des opportunités de consolidation de l'espace méditerranéen. Par ailleurs la position de l’Algérie reste un obstacle majeur à l'intégration maghrébine. Cependant avec les difficultés que traverse le pays actuellement, avec la baisse du prix du baril, peut-être que nous assisterons à une ouverture vers le Maroc, la coopération devenant plus enviable que la concurrence étant donné que le pays disposera de moins de moyens financiers. L'avenir nous dira si ces intégrations peuvent être réalisées, mais cela ne semble pas possible à court ou moyen terme. Quoi qu'il en soit, cette stratégie marocaine en Afrique trouve tout son intérêt face à ces blocages car elle permet au Maroc de diversifier ses partenaires, de réduire sa vulnérabilité face aux turbulences européennes et méditerranéennes et elle lui permet de s'ouvrir sur un nouvel espace. Ceci est d’autant plus utile que les espaces au nord et à l'est semblent moins prometteurs aujourd'hui. C’est donc une stratégie intelligente et qui a de beaux jours devant elle si le pays renforce son action sur le long terme.

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Les relations ville-port à travers le tourisme de croisière. Cas d’Agadir

OUARMASSI EL MATI : Doctorant, Faculté des Lettres et Sciences Humaines, Agadir HNAKA ATMANE : Enseignant chercheur, Faculté des Lettres et Sciences Humaines, Agadir

Résumé :

Le tourisme de croisière est une activité en plein expansion et ses impacts sont remarquables au niveau du port et de la ville. Le Maroc a accordé dernièrement une importance à ce secteur en se concentrant sur quelques villes portuaires dont Agadir. Cette dernière dispose de potentialités énormes qui sont susceptibles de la rendre l’une des escales incontournable de la croisière. Toutefois, en l’absence d’infrastructures adaptées, l’activité du port est largement perturbée par les flux de paquebots. Par conséquent, si la croisière est une activité bénéfique pour la ville, son développement met en danger la compétitivité du port.

Mots clés : croisière, Agadir, port, ville portuaire, compétitivité

Abstract:

Cruise tourism is an expanding activity and its impacts are remarkable at the port and the city. Morocco has recently given importance to this sector by focusing on a few port cities including Agadir. This city has enormous potential that may make it one of the essential stops of the cruise ships. However, in the absence of appropriate infrastructure, the port's activity is largely affected by the flow of ships. Therefore, if the cruise tourism is a beneficial activity for the city, its development endangers the competitiveness of the port.

Keywords: cruise, Agadir, port, port city competitiveness

ملخص :

جعشف سياحة الشحالت البحشية اصدهاسا بمخحلف مىاطق العالم، وجمس جأثيشاجها الميىاء والمذيىة علً حذ السىاء. وقذ أعطً المغشب مؤخشا اهحماما لحطىيش هزا القطاع بمجمىعة مه المذن الميىائية مه بيىها أكاديش الحي جحىفش علً إمكاويات هائلة كفيلة بجعلها إحذي المحطات الشئيسية لهزا الىىع مه السياحة. لكه، وفي غياب البىيات الحححية المالئمة، فئن جذفق السفه السياحية يعشقل وشاط الميىاء. فئرا كاوث سياحة الشحالت البحشية وشاطا مشبحا بالىسبة للمذيىة، فئوها بالمقابل جهذد جىافسية الميىاء.

كلمات المفاجيح: سياحة الشحالت البحشية، أكاديش، الميىاء، المذيىة الميىائية، الحىافسية

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Introduction

La croisière est un type de tourisme qui permet à sa clientèle de découvrir plusieurs villes dans des pays différents en utilisant un paquebot comme moyen de transport. C’est un phénomène relativement nouveau, mais en croissance remarquable. Avec un taux de croissance annuelle de 7,5% depuis 1980, ce secteur ne connaît pas de crise (Dehoorne et al., 2011). La croissance de la demande restera très forte grâce aux possibilités de captation par la croisière d’autres produits touristiques (Cappato, 2011). Conscient de l’importance de ce secteur, le Maroc a lancé dernièrement des stratégies pour développer ses infrastructures portuaires afin de s’adapter à l’évolution de la demande et de profiter de sa position géostratégique, notamment sa proximité à la Méditerranée, deuxième marché international de la croisière. En effet, l’essor de cette activité en Méditerranée offre au Maroc une opportunité pour enrichir son offre touristique surtout dans les villes portuaires abritant un patrimoine touristique riche et varié. Parmi les quatre destinations concernées par ces stratégies, on trouve la ville d’Agadir qui s’affirme de plus en plus comme une des escales importantes pour les paquebots de croisières. L’objectif de cet article est d’étudier la dynamique de ce type de tourisme à Agadir tout en analysant ses avantages et ses contraintes au niveau du port et de sa ville-support. Bien évidemment, le très vaste sujet de la relation entre les ports et les villes ne se limite pas au secteur de croisière (Torbianelli, 2011). Toutefois, il semble intéressant d’étudier un phénomène nouveau et jusqu’à maintenant négligé par les chercheurs nationaux malgré son importance.

1- Tourisme de croisière au Maroc : un secteur prometteur 1.1- Villes portuaires et tourisme de croisière au Maroc

Au niveau touristique, l’existence du port dans une ville est une condition sans la quelle le tourisme de croisière ne peut y exister. Le port est donc une aménité primordiale pour la ville portuaire et son arrière pays par rapport à d’autres villes touristiques dépourvues de cet équipement. Toutefois, l’existence du port ne garantit pas, à elle seule, le développement de l’activité de croisière. Au Maroc, on trouve ce type de tourisme dans quatre villes portuaires seulement : Tanger, Casablanca, Agadir et, dans une moindre mesure, Safi. D’autre part, contrairement à d’autre pays du Maghreb, comme l’Algérie par exemple1, le Maroc a accordé une grande importance au tourisme balnéaire. Par conséquent, les villes portuaires marocaines bénéficient du développement de ce secteur pour diversifier leur économie. Ce n’est pas donc uniquement la fonction portuaire qui les anime. En plus du tourisme de séjour, la croisière est également un moyen adapté pour découvrir les villes portuaires marocaines. Chacune d’entre elles offre une occasion de

1 Mohamed-Chérif Fatima Zohra, 2007, « Les ports algériens à l’heure du désengagement de l’État », La Revue Maritime N° 480, pp. 1-5.

138 visiter un visage différent du pays. En dépit de la durée de leur visite, les croisiéristes contribuent au développement économique de ces villes et de leurs arrières pays. Pendant l’année 2014, les dépenses totales des croisiéristes dans les villes portuaires marocaines ont dépassé 383 millions de dirhams, dont plus de 60% sur Casablanca, le reste se partageant entre Tanger et Agadir (Observatoire du tourisme, 2014). En plus des services rendus aux croisiéristes, les villes portuaires et leurs hinterlands peuvent tirer profit de cette activité via la mise en place d’une variété d’activités et des excursions. La croisière est donc une véritable locomotive du développement économique et un outil de promotion touristique des territoires (Conseil National du Tourisme (France), 2010)

1.2- Des stratégies optimistes contre des résultats médiocres Le nombre de croisiéristes ayant transité par les ports marocains est de l’ordre de 418.000 au titre de l’année 20142. Un chiffre largement en deçà d’un fort potentiel dont dispose le pays (situation géographique, capacité hôtelière, climat et diversité des paysages,…). Le Maroc a lancé donc plusieurs stratégies visant le développement de la croisière afin de saisir le potentiel de ce marché et profiter de ces atouts dans ce cadre notamment la proximité de la méditerranée, deuxième marché international de la croisière, et de l’Europe, l’un des principaux marchés émetteurs3. En effet, parmi les facteurs du choix de la destination Maroc par les croisiéristes, le critère de proximité joue beaucoup pour les principaux clients (espagnols et britanniques) même si le climat et le dépaysement interviennent également dans la décision (Observatoire du tourisme, 2011). Les plus importantes stratégies de développement de cette activité au Maroc sont la vision «croisière 2015 » et la « stratégie portuaire 2030 ». La première a comme objectif principal d’accueillir 2 millions de croisiéristes et d’ériger le pays en tant que destination de croisière à l’horizon 2015 tout en se concentrant sur les ports de Tanger, Casablanca, Agadir et Safi. Alors que la deuxième a accordé une importance au développement de la croisière dans les ports marocains en programmant la création des quais dédiés spécifiquement à cette activité notamment dans les ports de Tanger, Casablanca et Agadir. Toutefois, au niveau des réalisations, on constate que les objectifs fixés sont loin d’être atteints du fait que le nombre des croisiéristes n’a guère dépassé 500 000, ce qui est encore largement loin des 2 millions croisiéristes visés par la vision 2015. De plus, à l’exception du port de Tanger, promu au rang de premier port de croisière au Maroc, les autres ports ne disposent pas encore des infrastructures adaptées, voire dédiées à l’activité de croisière.

2 Agence Nationale des Ports, 2014 « Rapport d’activités », p3 3 En 2011, 6,2 millions d’Européens ont opté pour la croisière. Ils représentent désormais 30% de l’ensemble des croisiéristes embarqués dans le monde contre 23% en 2006 (Dehoorne et al. 2011)

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2- Tourisme de croisière à Agadir : un potentiel énorme à mieux exploiter 2.1- Atouts touristiques de la destination Agadir La richesse de l’offre touristique d’Agadir est bien connue. La ville dispose des potentialités susceptibles d’attirer les croisiéristes de différentes zones du monde. Son port, son positionnement naturel vis à vis des marchés de la croisière (la méditerranée, les îles canaries), sa plage et son arrière pays riche et diversifié en termes de produits touristiques sont autant d’éléments qui peuvent rendre la ville une destination idéale pour la croisière. D’autre part, s’il est évident de dire qu’Agadir est un pôle de tourisme international, le balnéaire constitue son principal produit touristique. Or, celui-ci devient aujourd’hui moins opérant face à la concurrence et à l’évolution de la demande. Par conséquent, en plus du tourisme balnéaire qui est entrain d’être revitalisé en réalisant de nouveaux grands projets (Taghazout, Founty, Imi N’Ouaddar), il est également primordial de valoriser les produits touristiques assez riches et variés qu’offre l’arrière pays de la ville dont l’objectif d’améliorer la satisfaction des touristes et d’améliorer l’image de la destination Agadir. La diversification de l’offre touristique est, en effet, indispensable pour affronter la forte concurrence et rester compétitif dans un marché en perpétuel évolution. Pour cette raison, il convient de développer d’autres types de tourisme comme la croisière qui est un outil permettant de faire connaitre les richesses touristiques de la région sachant que les croisiéristes d’aujourd’hui peuvent devenir des touristes (de séjour) de demain. Pour les croisiéristes, les circuits et les excursions proposés doivent être riches et variées comprenant à la fois la ville elle-même mais également son arrière pays tout en prenant en compte la contrainte du temps puisque, contrairement au tourisme de séjours, la durée moyenne des excursions des croisiéristes varie entre 8 et 9 heures seulement. L’enjeu est donc crucial pour les zones d’accueil qui doivent satisfaire leurs clients dans un laps de temps. Dès l’avènement du paquebot jusqu’à son départ, le processus doit être donc réalisé sans faute.

2.2- Infrastructures et services dédiés aux croisiéristes Plusieurs équipements et services sont mises à disposition des paquebots de croisière par l’autorité portuaire d’Agadir: deux passerelles pour les paquebots, des bouches pour le ravitaillement des navires, un parking pour autocars touristiques, une navette (petits taxis) au centre ville et à la corniche, trois dalots pour abriter les services d’accueil et de contrôle,…etc. En termes de sécurité, le port d’Agadir dispose d’un service de sûreté relevant de l’autorité portuaire et d’un service de police aux frontières relevant de la sureté nationale. Il dispose également d’une cellule de protection civile équipée de deux camions d’incendie ; des équipements de lutte contre l’incendie et la pollution marine ainsi qu’une ambulance. En ce qui concerne l’accessibilité, le port peut recevoir des navires d’un triant d’eau de 13m et d’une longueur de 250m. Il peut aussi, après accord du commandant et assistance du remorqueur, recevoir des navires de 300m de longueur et de 15m de triant d’eau. Mais, généralement, ce sont les paquebots de taille moyenne (500 à 1 500

140 passagers) qui font escale au port d’Agadir, alors que les grandes compagnies sont moins fréquentes. La création d’un terminal dédié pourrait permettre de recevoir des paquebots plus grands.

3- Port d’Agadir dans les stratégies de développement de la croisière

3.1- Port d’Agadir dans la vision « Croisière 2015 » À court terme, la vision « croisière 2015 » vise à se concentrer sur les ports de Tanger, Casablanca, Agadir et Safi. Alors qu’en moyen et long termes, l’importance sera donné à étudier la faisabilité de l’activité de croisière dans les ports de Laâyoune, Dakhla, Tantan au Sud marocain puis dans ceux de Nador et Al Hoceima au Nord. Pour le port d’Agadir, déclaré comme port d’attache, la vision a pour objectifs la mise à niveau de la destination, l’implication des opérateurs de la croisière, le développement de l’infrastructure de réception et l’amélioration de la qualité d’accueil et des prestations de service. La réalisation de ces objectifs permettra au port de recevoir 300 000 des croisiéristes en 2015 et de s’imposer comme l’une des principales destinations dans les circuits des îles canaries. Toutefois, en termes de réalisations, on constate que ces objectifs sont loin d’être atteints: le nombre de croisiéristes à Agadir n’a jamais dépassé le seuil de 100.000 que dans l’année 2005 et 2009 et les conditions d’accueil des croisiéristes sont jusqu’aujourd’hui non adaptées.

3.2- Port d’Agadir dans la stratégie portuaire 2030 La stratégie portuaire 2030 a pour principal objectif d’améliorer la performance et compétitivité des ports marocains. Mais elle a également donné une importance au développement du tourisme de croisière en programmant un ensemble de quais dédiés à cette activité. Selon la stratégie, ce secteur pourrait être très fort et diversifié si une stratégie nationale volontariste, notamment pour mettre en place les conditions d’accueil portuaire, est adoptée, comme cela semble se dessiner aujourd’hui sur Tanger ville et sur Casablanca. Cela permettra de doubler, voire tripler les flux des croisiéristes à l’horizon 2030. En effet, avec ses atouts en matière de tourisme et des terminaux portuaires adaptés à cette activité, le Maroc doit prendre sa place dans le marché international en général et méditerranéen en particulier4. Ce dernier, plus proche du Maroc, est le deuxième bassin de la croisière après les Caraïbes. Pour le port d’Agadir, qualifié port régional par ladite stratégie, il peut devenir aussi un port majeur pour les escales de croisière de la sous-région, en appui de la stratégie nationale de développement touristique5. Il restera donc un grand port polyvalent avec une forte composante ‘conteneurs’. Mais sa vocation touristique sera plus confirmée par la création d’un nouveau terminal dédié à la croisière. En effet, la création d’un

4 Ministère de l’équipement et des transports, « La stratégie portuaire nationale à l’horizon de 2030 », p14 5 Idem, p48

141 terminal de croisière extérieur a été programmée au Sud-ouest à proximité de la marina et de la zone touristique dont le but d’améliorer les conditions d’accueil et de faciliter l’accès des croisiéristes à la ville. Toutefois, l’appel d’offres pour la réalisation de l’étude relative à la construction de ce terminal a été annulé pour des raisons, jusqu’à maintenant, méconnues.

4- Tourisme de croisière : opportunité pour la ville, contrainte pour le port Pour la ville d’Agadir, le tourisme de croisière est un secteur prometteur permettant d’ouvrir de nouveaux horizons pour l’activité touristique. Il est également un véritable outil de promotion de son image et de la diversification de son offre touristique. Tableau 1- Evolution du nombre des croisiéristes accostant au port d’Agadir

Année 2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013 2014

Paquebots 93 79 76 91 101 78 81 - 55 67

Croisiéristes 100175 80999 82380 98091 103466 99150 94514 99150 51726 82408

Variation 12,68 -19,14 1,7 19,07 5,48 -4,17 -4,68 4,91 -47,83 59,32 (n+1/n) %

Source : Agence Nationale des Ports, 2015

Grâce à son port, la ville reçoit chaque année des dizaines de milliers de croisiéristes qui y dépensent d’importantes sommes contribuant ainsi largement à son développement économique. Ainsi, en appliquant la moyenne des dépenses qui est de l’ordre d’environ 1040 Dirhams par croisiériste6, les dépenses des croisiéristes (restaurant, artisanat, transport,…) au niveau de la ville d’Agadir ont dépassé 85 690 000 Dirhams en 2014. En termes des arrivés, l’année 2009 est la plus importante puisque le nombre de paquebots qui ont fait escale au port d’Agadir dans cette année s’élève à 101 alors que le nombre de passagers a atteint 103 466, soit environ 1025 croisiéristes par paquebot. En 2014, Agadir a reçu 82400 croisiéristes répartis sur 67 paquebots, soit environ 20% du nombre total des croisiéristes qui ont visité le Maroc durant cette année. Force est de signaler la saisonnalité de l’activité de croisière au niveau d’Agadir. Ce sont, en fait, les périodes de Mars-Avril et d’Octobre-Décembre qui sont les plus importantes en termes d’arrivés. Tandis que la période d’été est la moins creuse. Le tourisme de croisière constitue donc une véritable alternative au tourisme balnéaire moins demandé dans les périodes hors été.

6 Les dépenses par croisiériste sont de l’ordre de 1224 dirhams au port de Casablanca, 822 à l’escale de Tanger et 1040dhs à celui d’Agadir (Observatoire du tourisme, 2014).

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Toutefois, si pour les acteurs de la ville, le tourisme de croisière est un secteur à encourager, l’autorité portuaire, quant à elle, le considère comme une activité subie. En effet, face au manque de la vocation touristique dans l’infrastructure du port, les paquebots de croisière sont traités comme des navires de commerce puisqu’ils accostent au terminal commercial qui n’est pas adapté à ce genre d’activité. L’accostage se fait donc devant les marchandises (charbon, bois,…), ce qui impacte négativement la qualité d’accueil des croisiéristes. De plus, l’absence de gare maritime, le problème de sécurité et de sureté dans le port, le problème de circulation à l’intérieur du port, l’absence des panneaux d’information pour les croisiéristes et d’un système de transport en commun efficace…etc. sont autant de problèmes dont souffre le tourisme de croisière au port d’Agadir. Les acteurs du port considèrent également la croisière comme une activité non rentable. L’accueil des paquebots de croisière peut bloquer le port en retardant toute une chaine de navires de commerces qui sont forcés parfois d’attendre jusqu’à dix heures pour accoster au port après le départ du paquebot de croisière. Ce qui contribue largement à l’affaiblissement de la performance du port. En termes de recettes, l’institution de gestion chargée d’accueil des paquebots (Marsa Maroc) ne reçoit que 11dhs/croisiériste, soit un total de l’ordre de 906 400 Dirhams pour l’année 2014. Ce qui est largement faible par rapport aux efforts octroyés pour garantir le bon déroulement du processus d’accueil des croisiéristes du quai jusqu’à la sortie du port. De ce fait, si le tourisme de croisière est une activité bénéfique pour la ville, son développement peut mettre en danger la compétitivité du port de commerce. De ce fait, le port participe au développement de la ville alors que la ville contraint le développement du port. Nous pouvons affirmer, à travers le cas de la croisière, que les relations entre la ville et le port au niveau d’Agadir sont loin d’être idéales. La création d’un port dédié spécifiquement à l’activité de croisière permettra de promouvoir cette activité au niveau de la ville tout en mettant fin à ses impacts négatifs sur le port. Certes, la construction des infrastructures coûteuses de terminaux ne garantit pas, à elle seule, le développement de tourisme de croisière dans une destination (Torbianelli, 2011), mais l’existence des quais dédiés spécifiquement à cette activité est nécessaire pour améliorer la qualité d’accueil et maintenir la place du port dans le marché. En effet, les compagnies de croisières sont très exigeantes sur la qualité de l’accueil et des prestations de leurs clients. Elles sont en position de force sur le marché puisque le choix est dans leurs mains. Elles ont donc la possibilité de changer un port par un autre où la qualité de prestation est relativement meilleure. En ce qui concerne l’appréciation des escales au Maroc, une enquête de satisfaction réalisée par l’observatoire du tourisme (Observatoire du tourisme, 2011) montre que les croisiéristes sont moins satisfaits par la qualité de services dans l’escale d’Agadir par rapport à celle de Casablanca. En effet, comme l’on a déjà signalé, le port d’Agadir est loin de satisfaire les exigences des compagnies de la croisière. L’absence d’un service d’information performant et de panneaux d’affichage des tarifs des taxis, le manque d’animation sur place et la défaillance du système du transport sont autant de problèmes signalés par les croisiéristes et dont il faut faire face pour encourager ce type de tourisme à Agadir. Un autre problème soulevé au niveau d’Agadir est le fait que les activités liées au tourisme tournent le dos au port. C’est le cas par exemple de la promenade ‘Tawada’

143 aménagée tout au long de la baie sans accès direct au port. L’installation du port de plaisance (Marina) constitue une autre barrière entre l’espace balnéaire et l’espace portuaire. Grosso modo, il n’existe pas de véritable ouverture de port sur la ville. Conclusion

La croisière est l’un des principaux moteurs du développement du marché touristique international au Maroc et à Agadir en particulier. Elle peut être bénéfique pour les ports comme les villes grâce à l’animation économique qu’elle crée si des infrastructures d’accueil adéquates sont mises en place et si les prestations de services, de l’arrivée du paquebot jusqu’à son départ, sont optimales. Pour être plus compétitif, le port d’Agadir doit donc relever le défi de l'adaptation de ses infrastructures à la demande des compagnies internationales de croisière. D’où l’importance de joindre l’acte à la parole en améliorant les infrastructures et les services liés à cette activité comme prévu dans les différentes stratégies mises en place dont l’objectif final est d’accueillir les croisiéristes dans les meilleures conditions.

Bibliographie

Cappato Alberto, 2011, « Croisières et Plaisance en Méditerranée », Plan bleu, Université Sophia Antipolis, 74p Conseil National du Tourisme (France), section de l’économie touristique, 2010, « Essor prometteur des croisières en France », Paris, 112p Dehoorne Olivier, Petit-Charles Nathalie et Theng Sopheap, « Le tourisme de croisière dans le monde : permanences et recompositions », Études caribéennes [En ligne], mis en ligne le 14 août 2013, consulté le 16 décembre 2015. URL : http://etudescaribeennes.revues.org/5629. Observatoire du Tourisme, 2011, « Etude sur le suivi de la demande touristique », 67p. Observatoire du Tourisme, 2014, « Etude portant sur le suivi de la demande touristique », 57p. Torbianelli Vittorio, 2011, « Les croisières en Méditerranée, des promoteurs d’investissements et de relations entre les ports et les villes », Revue Economie et Territoire, pp 286-291

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L’aménagement du territoire, facteur du développement économique et social marocain, entre l’héritage colonial et la globalisation économique EL BOUZAIDI Amine, doctorant BOUDOUAH Mhamed, Enseignant chercheur, Faculté des Lettres et Sciences Humaines Kénitra Résumé Après l’indépendance, le Maroc a accordé une attention forte au développement économique et social pour lutter contre le déséquilibre territorial engendré par la période du protectorat. Le choix de certaines politiques publiques et l’absence d’une réelle coordination entre les différents intervenants ont accentué ces inégalités territoriales. Cela est dû au dispositif de planification spatiale de chaque époque qui a basculé d’une doctrine à l’autre ; du protectionnisme à l’économie de marché a réalisé, sous l’effet de différents facteurs historiques et socio-économiques, un développement inégal. Les mécanismes de la décentralisation et de la déconcentration n’ont pas modifié réellement les méthodes d‘intervention de l‘Etat et n’ont pas contribué à maîtriser les inégalités. À présent, le pays se trouve à la croisée des chemins, inscrite par une transition démographique, économique, sociale, politique et territoriale, dans la mesure où la mondialisation et la globalisation des échanges lui impose de mettre de l’ordre dans son territoire en renforçant la compétitivité de ses villes et de ses régions. L’aménagement du territoire est soumis à des logiques nouvelles, celles du libéralisme et de la mondialisation accompagnée par un modèle adéquat de gouvernance territoriale.

Mots-clés : développement, politiques territoriales, aménagement du territoire, mondialisation, gouvernance. Abstract: Spatial planning, a factor in economic and social development of Morocco, between colonial heritage and economic globalization After the independence, Morocco has paid strong attention to economic and social development in the fight against territorial imbalance caused by the period of the protectorate. The choice of certain public policies and the lack of effective coordination between the various stakeholders have highlighted these territorial inequalities. This is due to spatial planning device for each epoch that rocked from a doctrine to another; the market economy has achieved protectionism, due to various historical and socio- economic uneven development. The mechanisms of decentralization and devolution have not really changed the state intervention methods nor helped to control inequality. Now the country is at a crossroads, registered a demographic, economic, social, political and territorial transition, to the extent that globalization and trade globalization requires it to put order in its territory strengthening the competitiveness of its cities and its regions.

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The reconstruction of the territory is subject to new logics, those of liberalism and globalization accompanied by an adequate model of territorial governance.

Keywords: territorial development, regional policy territorial development, regional policy, land use, globalization, Développement Territorial Durable, governance.

يهخص االعذاد انرشاتٍ، عايم نهرًُُح االلرصادَح واالجرًاعُح نهًغشب، تٍُ اإلسز االسرعًاسٌ وانعىنًح االلرصادَح تعذ االسرمالل، خصص انًغشب اهرًايا لىَا نهرًُُح االلرصادَح واالجرًاعُح يٍ أجم يكافحح انخهم اإللهًٍُ انُاجى عٍ فرشج انحًاَح. إٌ اخرُاس تعض انسُاساخ انعايح وعذو وجىد انرُسُك انفعال تٍُ يخرهف انجهاخ انًعُُح أدي إنً هزِ انرفاوذاخ اإللهًُُح. وَشجع رنك إنً َضاو انرخطُظ انًجانٍ انذٌ َرغُش فٍ كم يشج، يٍ انسُاسح انحًائُح إنً الرصاد انسىق، ذحد ذأشُش عذج عىايم يُها انراسَخُح واالجرًاعُح وااللرصادَح غُش انًرىاصَح. آنُاخ اناليشكضَح وانالذشكُض نى ذغُش حما أسانُة ذذخم انذونح، ونى ذساعذ عهً انسُطشج عهً انفىاسق. اٌِ انثهذ َعُش فٍ يفرشق طشق حُس َىاكة انرحىل انذًَغشافٍ وااللرصادٌ واالجرًاعٍ وانسُاسٍ واإللهًٍُ، هزِ انرحىالخ، فٍ ضم انعىنًح ذحرى إعادج ذُظُى ذشاتها وذعضَض انمذسج انرُافسُح نًذَها ويُاطمها. االعذاد انرشاتٍ َخضع إنً يُطك جذَذ هى انهُثشانُح وانعىنًح يصحىب .تًُىرج يالئى نهحكايح انرشاتُح كهًاخ انًغاذُح: انرًُُح، سُاساخ ذشاتُح، االعذاد انرشاتٍ، وانعىنًح، وانحكايح

Introduction Depuis son indépendance, le Maroc a connu de profondes transformations qui ont rendu indispensable la révision de la politique d'aménagement du territoire. Cette dernière a suivi les grandes étapes économiques et politiques que le pays a connues. La planification économique a toujours précédé l’aménagement du territoire, ce dernier s’annonce progressivement dans les années 1960, sans être vraiment établi sous forme d’un programme planifié. Durant les trente premières années après l’indépendance, l’aménagement du territoire s’inscrivait dans une approche sectorielle de l’action de l’Etat et d’une planification économique verticale. Les disparités entre les régions héritées de la période coloniale s’amplifient. En effet, les disparités des dynamiques des métropoles connaissent un affaiblissement de leur capacité de production et dépendent de plus en plus des emplois publics. Il a fallu attendre 1996 pour assister à la naissance du premier schéma national d’aménagement du territoire, et des schémas régionaux. Le changement politique de l’époque a eu des répercussions sur les politiques nationales de développement. En effet, dans les années 2000 : ateliers et forums du Débat national sur l’aménagement du territoire, élaboration de la Charte nationale de l’aménagement du territoire et du schéma d’aménagement du territoire, 2001 : création du Conseil supérieur de l’aménagement du territoire (CSAT) ; 2004 : première session du CSAT présidée par Sa Majesté Mohammed VI ; 2004 : validation du SNAT, cela a généré un mouvement sur l’aménagement du territoire par des investissements économiques, l’équipement et la promotion administrative des villes. Les transformations politiques et institutionnelles liées à l'augmentation de l’aide internationale ont introduit des changements significatifs de la structure administrative. Actuellement, le développement des villes marocaines, et particulièrement celui des plus dynamiques d’entre elles, est en

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train de se concevoir pour faire face aux enjeux de la globalisation. Les documents d’urbanisme et les schémas d’aménagement actuels adoptent des choix qui renforcent le développement sélectif. Cette orientation d’ouverture et d’insertion dans libre échange a impliqué une politique de réforme dite de « mise à niveau intégrale ». Les politiques et actions urbaines doivent faire une part à aux facteurs de compétitivité économique. Comment alors les politiques territoriales et urbaines qui essayent d’instaurer une organisation spatiale et territoriale équilibrée et conforme aux enjeux du développement durable sont-elles construites pour introduire les contraintes de la mondialisation ? On ca essayer d’analyser les grandes étapes de l’aménagement du territoire depuis l’indépendance, pour aborder ensuite les enjeux de gouvernance territoriale face à la mondialisation. La construction nationale et l’aménagement du territoire Le Maroc, à la veille de la colonisation, était faiblement peuplé (près de 3 millions d’habitants) et très faiblement urbanisé (moins de 5% de population urbaine). La pénétration coloniale, l’instauration progressive d’une économie de marché tournée vers la satisfaction des besoins de la Métropole et surtout la création du port de Casablanca et le transfert de la capitale du pays vers Rabat, vont dorénavant consacrer le déplacement du centre de gravité du Maroc de l’intérieur (Fès- Marrakech) vers le littoral atlantique. Pour institutionnaliser cette nouvelle configuration territoriale du pays, le Résident Général (Lyautey) décréta la division du territoire soumis à la colonisation française en « Maroc utile » : Fès, Casablanca- Marrakech qui correspond à la zone agricole et minière et « Maroc inutile » : était alors le reste du territoire, où les modes de production étaient rudimentaires. C’est à partir de cette date que l’axe urbain Casablanca-Rabat-Kenitra se formera et s’imposera comme un pôle concentrant l’essentiel des équipements, des richesses et une bonne partie de la population urbaine. La période coloniale a connu aussi la création de nombreuses villes qu’avaient le rôle des centres de collecte des produits miniers et agricoles (Khouribga, Louis Gentil, Port- Lyautey, Petit Jean, etc.) pour être conduits par la suite vers la Métropole. Cette période sera également marquée par une croissance économique et une forte croissance démographique des villes, connaissant un exode rural massif, ce qui génère une modification dans le tissu urbaine, la taille et les structures socio spatiales des villes. Les années 50 ont été marquées par la désignation de Michel Écochard comme responsable du Service d’Urbanisme. Il avait comme idée principale de décongestionner Casablanca qui concentrait 75% de l'industrie du Maroc. Écochard défendait le principe d'une décentralisation industrielle en faveur de nouveaux pôles qu'il faudrait créer principalement dans le Sud comme Agadir et Safi. La décentralisation profiterait également à d'autres petites et moyennes villes comme Meknès, Marrakech, Petit Jean (Sidi Kacem actuellement), Berkane, Beni Mellal, Sidi Slimane, etc (Vermeren, 2006). Difficultés de traitement des disparités spatiales (1956-1969) Constitution du premier plan quinquennal national

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Après l’indépendance, les pouvoirs publics Marocains se sont trouvés devant l’obligation de gérer les disparités entre les différentes régions. Ils ont arrêté des objectifs visant la réalisation d’une croissance économique suffisante et soutenue en vue d’améliorer le niveau. C’est ce qui est matérialisé par des plans de développement économique et social établis à partir de 1960. C'est dans ce contexte socio-économique que le gouvernement d'Union Nationale élabora le premier plan quinquennal 1960-19641, dans sa première version, qui s'est défini comme un plan de transition d'une économie coloniale à une économie nationale. Cependant, les résultats réalisés n’ont été pas en général à la hauteur des aspirations du royaume et des objectifs fixés et ce, malgré les différentes stratégies et mesures entreprises à cet effet. Ce plan mettait l’accent sur des priorités constantes et fixes. Il avait fixé comme objectif la réalisation d'un taux de croissance économique de 6,2%. Il projetait le développement de l’agriculture et la mise en place d’une industrie de base grâce à l’intervention de l’Etat en vue d’instaurer l’indépendance économique du pays et de valoriser ses ressources nationales. Toutefois, cette politique n’a pu être concrétisée en totalité et certains projets ont été annulés ou reportés en raison des contraintes financières. Ce document a souligné également des fortes disparités régionales, tant au niveau de la répartition des activités que de la population. L’orientation politique a pour objectif de faire face aussi bien aux déséquilibres et aux dysfonctionnements territoriaux qu’à la course à l’urbanisation, qui obligent de plus en plus l’Etat à équiper et à aménager les villes. Le Découpage administratif et l’aménagement du territoire comme action politique En 1956 le Maroc a procédé à la création de deux niveaux de collectivités territoriales (alors dénommées collectivités locales), en premier lieu les communes, puis les préfectures et provinces (la dénomination dépendant respectivement de leur dominante urbaine ou rurale). Engagée dès les premières années de l'indépendance, la décentralisation renvoyait à trois niveaux de collectivités territoriales depuis le dahir no 1-59-351 du 1er joumada II 1379 (2 décembre 1959), relatif à la division territoriale du Royaume) : les régions, les préfectures (issues des anciens départements sous le protectorat), et les communes. L’existence de ces collectivités territoriales fut consacrée pour la première fois par la Constitution de 1962. En 1976, le Dahir no 1-76-583 relatif à l’organisation communale abroge et remplace le Dahir no 1-59-315. Cela modifie le fonctionnement des communes et il a élargi leurs pouvoirs. La loi no 47-96 de 1997 relative à l'organisation de la région a réduit son rôle au plan administratif pour transférer les compétences des 16 régions aux wilayas traditionnelles acquérant le statut de collectivité territoriale en lieu et place de la région.

1 Le plan quinquennal 1960-1964 constitue la première étape d’un développement concerté de l’économie marocaine. Pour la première fois au Maroc, en effet, le développement économique est envisagé dans son ensemble, des orientations et des objectifs sont formulés dans le cadre d’une politique de développement portant sur plusieurs années. Pour la première fois également, grâce à l’organisation institutionnelle qui a présidé à l’élaboration du plan, les représentants des groupements professionnels et des syndicats ont pu collaborer étroitement avec l’administration et décider de l’avenir économique du pays. À ce titre le plan quinquennal peut être considéré comme une œuvre collective.

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En effet, ce découpage administratif a permis de dépasser les cadres traditionnels des tribus et de renforcer la cohésion sociale. Pourtant, la multiplication des collectivités locales et l’amélioration des services administratifs et d’équipement n’ont pas contribué à réduire les disparités régionales. Les stratégies instaurées par l’administration centrale ont fait l’objet de critiques dans sa forme et dans son contenu (géographiques, économiques, institutionnelles…), toutes, elles insistent sur les disparités inter et intra régionales des régions au Maroc, qu’elles soient à caractère administratif ou économique. Ces logiques ont produit des découpages spatiaux inégalitaires, soulignés par l’importance relative d’un milieu rural défavorisé, dispersé et peu peuplé. La pauvreté apparaît ainsi plus forte dans les campagnes que dans les villes. Selon l’ENVM 1998/99, le taux de pauvreté est, en milieu rural, plus de deux fois plus élevé qu’en milieu urbain : 27,2 % contre 12 %. Ces disparités caractérisaient déjà le pays à la veille de l’indépendance. Les politiques de développement humain n’arrivent pas à réduire les écarts, à cause des dynamiques régionales. Les variations dans la répartition spatiale de la population s'expliquent à la lumière d'un héritage territorial colonial : fonctionnement expansif du système urbain, macrocéphalie urbaine notamment de la capitale économique, sous-équipement de certaines zones demeurées en marge, etc. (Vermeren, 2006) Suite à des changements au niveau des politiques de l’Etat, la décision a été prise pour abandonner les orientations globales du premier plan quinquennal dans un contexte de crise financière en 1964. C'est le début de l'intervention des institutions internationales (FMI et BIRD) dans les orientations économiques du pays. Le 25 juin 1964, le Maroc a signé une convention avec le FMI donnant un accord de facilité de 1,3 millions de dollars. Le Plan Triennal 1965-1967 présenté comme un plan de stabilisation inspiré de l'idéologie de la BIRD. Les options économiques libérales sont affirmées, l'industrie n'est plus une priorité, elle vient après l'agriculture, le tourisme et la formation des cadres. Le taux de croissance économique prévu est de : 3,7% par an. Le second Plan Quinquennal 1968-72 reprend les mêmes options que le plan triennal 1965-67 en fixant un taux de croissance de 4,3% par an, la part des investissements publics et semi-publics reste dominante (80%). L'accent sera mis toujours sur l'agriculture et aussi vers l'exportation et l'industrie légère. Le Plan 68–72 a été le premier qui a posé la question de « l’Aménagement du Territoire » comme politique publique, en l’adoptant comme une politique de développement régional. L’aménagement, jusque-là rattaché à la planification économique, devient en 1968 autonome par la création du Comité Interministériel de l’Aménagement du Territoire (CIAT). Mais, c’est en 1971 que le Maroc a mis en place un projet de régionalisation progressive, avec la création de sept Régions Économiques, reparties en collectivités locales par la Constitution de 1992 et de 1996. Ce changement a provoqué une ouverture sur le Maroc appelé jusqu’au là « inutile ». L’effort entrepris dans cette période a permis d’élargir le champ d’application dont l’objectif est de promouvoir le développement économique et lutter contre les inégalités qui n’ont cessées de s’accroitre depuis la période coloniale.

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Si les interventions en faveur d’une organisation spatiale des agents et des services ont permis à cette politique d’aménagement du territoire « par le haut » de répartir les emplois sur beaucoup de régions défavorisées, elles n’ont pas pu atteindre un certain équilibre spatial. En fait, au cours de cette période, la caractéristique principale résidait dans la préservation de la structure urbaine, exclusivement effectuée à l’initiative de l’Etat. Mais, compte tenu des héritages coloniaux c’est le secteur de l’industrie qui a été le moteur de l’urbanisation. En 1971 le Maroc a mis en place le premier projet de régionalisation. L’association entre aménagement du territoire, agriculture et tourisme traduit la nécessité d’un aménagement spatial sectoriel spécifique. Le changeant vers le libéral et la transformation de l’organisation territoriale (1971-1990) Au début des années soixante-dix, une stratégie de promotion économique basée sur l’exportation remplace celle basée sur le marché intérieur. Ce changement du moteur principal de croissance a nécessité la mise en place d’un projet de régionalisation, la création en 1996 de 16 régions. Cette orientation territoriale été appuyée par le mouvement libéral qu’a connus l’économie mondiale. Les migrations rurales des années 1970 expriment la libéralisation économique et le résultat d’un assemblage de facteurs : étatisation des domaines coloniaux, privatisation des terres, forte croissance démographique. Tout cela, dans un contexte de réformes agraires successives qui a accéléré cette ouverture économique. L’essor de l’industrie, le développement du tourisme, le mouvement spontané d’urbanisation consécutif à l’occupation irrégulière des terres publiques et privées, ont créé et provoquée l’expansion plusieurs villes (Ben Mami, 2008). Cette situation a rendu nécessaire l’élaboration d’un cadre de référence, traduisant l’intérêt des pouvoirs publics pour l’aménagement du territoire. Dans cette optique, malgré le bon sens des gouvernements qui se sont succèdes à la création d’un Fonds Spécial de Développement Régional, la promulgation du premier Code des Investissements industriels accordant certains avantages fiscaux aux créations d’entreprises et délocalisations selon le lieu d’implantation dans le but d’encourager la décentralisation industrielle au profit des zones intérieures, la mise en place d’un Programme National d’Aménagement des Zones Industrielles (PNAZI) en 1981, l’aménagement du territoire n’est pas sorti de la sphère du discours politique. Les quelques actions concrétisées durant les années 80 et 90 étaient souvent d’une portée ponctuelle et locale (Adidi, 2010). La culture et les idées de la période coloniale se retrouvent toujours dans les textes réglementaires et dans les institutions concernées par l’aménagement du territoire. Malgré l’effort entrepris durant les années 70 par le pays elle était une période difficile pour l’économie Marocaine : la guerre au Sahara, les années de sécheresse, l’endettement du Maroc, la chute des cours du phosphate et des recettes du tourisme, l’augmentation de la facture pétrolière, sont également des facteurs qui ont tardé la réalisation des grands projets structurants du territoire. Cette logique d’organisation de l’espace a créé de nouveaux rapports entre le cadre urbain et le monde rural et relativisé la place de l’agriculture dans le développement des espaces ruraux. Le Maroc « Inutile » est demeuré à l’écart des investissements privés tout en bénéficiant d’un mince effort de l’Etat. Au milieu des années 1980, la crise

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économique et politique (crise de la dette, la réduction voir la suppression de certaines subventions aux produits de première nécessité qui provoquent « la révolte du pain ») (Olivier Pironet, 2008). A noter que la mise en œuvre du Programme d’Ajustement Structurel (PAS) à partir de 1983 a réduit l’effort de l’État en matière de développement économique et social. L’aménagement du Territoire comme un vecteur de compétitivité et du développement et la nouvelle approche du développement (1991) : L’année 1997 a connu la création du Ministère de l’Aménagement du Territoire, de l’Environnement, de l’Urbanisme et l’Habitat. Cet évènement a été le fruit du Débat National sur l’Aménagement du Territoire entre 1999 et 2001 dont l’objectif majeur est la décentralisation, devenue un discours dominant, portent sur un développement régional équilibré et sur une mise en valeur des régions peu peuplées. Pourtant, la décentralisation demeure un processus très encadré. La dépendance des collectivités locales vis-à-vis de l’administration centrale n’est pas seulement juridique, elle est aussi financière. La tutelle est plus lourde. En effet, les programmes de développement local doivent être conformes avec le plan national. Au Maroc, le processus de décentralisation a pris, à partir de 2002, une nouvelle dimension avec la révision complète du régime juridique des collectivités locales pour réduire la tutelle de l’Etat. Le caractère du système politique privilégie une déconcentration partielle plutôt qu’une véritable décentralisation. Selon Ben Mami (2008), « cette déconcentration a apporté seulement des aménagements superficiels à la centralisation ». D’ailleurs, la médiocrité des résultats obtenus a amené les responsables à une réflexion sur l’aménagement du territoire basée sur des investissements économiques via l’équipement au niveau régional. L'objectif était de remédier à la faiblesse, tout d’abord directement, à travers l'encadrement administratif et indirectement, à travers la promotion du secteur touristique et agricole. Cependant, ces processus de déconcentration et de décentralisation ont posé le problème des échelons de la gouvernance, à plusieurs niveaux notamment communal. La croissance des flux des ruraux a multiplié l’habitat autour des grandes villes. Cette situation a poussé l’Etat à changer sa politique envers son rôle de créateur d’emplois pour entamer d’autres actions dans des secteurs stratégiques (formations universitaires, nouvelles technologies d’information, etc.). L'adoption du Plan d'ajustement structurel en 1986, l’adhésion au GATT en 1990, les accords avec l’OMC en 1994 et la création d’une Zone de Libre-échange avec l’Union Européenne ont signé l’entrée du royaume dans un processus d’ouverture aux marchés mondiaux impliquant un écrasement de la machine de production étatique, une incitation à la compétitivité des entreprises et une privatisation des entreprises publiques. Cette nouvelle réalité a rendu nécessaire l’amélioration de la compétitivité des territoires, d’où des changements se sont répercutés sur la politique d’aménagement du territoire en 2004 (Jacques Barbier, 2012). Le Maroc disposera de deux documents de référence : il s’agit de la Charte Nationale d’Aménagement du Territoire et du Schéma National d’Aménagement du Territoire (SNAT). Aussi, des Inspections

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Régionales d’Aménagement du Territoire sont mises en place à l’échelle des 16 Régions. Trois Agences de Développement sont créées pour couvrir les Provinces du Nord, l’Oriental et les Provinces du Sud. Des Centres Régionaux d’Investissement fonctionnant comme des guichets uniques sont institués dans les 16 régions. Une attention particulière est accordée au « Maroc inutile » ; le Rif, les Provinces sahariennes et l’Oriental. Ceci dit, une nouvelle philosophie du développement et de l’aménagement du territoire voit le jour. La lutte contre toutes les formes de pauvreté et d’exclusion est hissée au rang de cause nationale. Avec la création de la Fondation Mohamed VI pour la Solidarité et la mise en place de l’Initiative Nationale de Développement Humain (INDH). Le discours sur la région et la régionalisation est présenté comme une nouvelle forme de conciliation entre unité nationale et aspirations régionalistes qui commencent à s’exprimer à travers certains partis politiques et associations à caractère culturel et régional. « L’Aménagement du Territoire n’est plus présenté comme une politique visant à gommer, ou du moins à réduire les inégalités régionales, mais comme une approche globale publique, transversale et de long terme » (Adidi, 2014). Face aux risques associés au creusement des déséquilibres territoriaux, les pouvoirs publics tentent de rapprocher davantage l’administration du citoyen et de stimuler l’effort de développement des régions. Les jeux d'acteurs et les grands chantiers actuels : Un système territorial en mutation L’intégration de l’économie Marocaine aux échanges internationaux depuis les années quatre-vingt-dix a produit de nouveaux défis : recomposition spatiale et sectorielle de l’activité économique, cohérence des politiques, protection de l’environnement, etc. La mondialisation actuelle se traduit par l’émergence de nouveaux acteurs et de nouvelles pratiques d’aménagement et d’urbanisme. Le désengagement de l'Etat, à travers la liquidation du secteur public de production des biens et des services est le fait marquant de ce nouveau contexte. Les institutions internationales s’imposent de plus en plus comme des acteurs et contribuent à une redéfinition des normes et des outils de l’aménagement à travers des directives (questions environnementales, développement durable, bonne gouvernance) (PNUD, 1999). La nouvelle politique d’aménagement du territoire approuve cette situation. Les documents officiels et les schémas d’aménagement actuels semblent opter pour des choix renforçant les tendances de développement sélectif à travers une métropolisation de plus en plus forte. Ceci a aggravé la dispersion territoriale. Aussi, la démarche de privatisation de la gestion des biens publics a connu, ces dernières années, une forte expansion. Le Maroc a encaissé environ 94 milliards de DH, fruit des différentes opérations de privatisations entre 1993 et 2006. Soit pratiquement le budget d’investissement pour ce dernier exercice (Boushaba. A, 2014). Une somme qui a permis d’alimenter les caisses et a évité le recours momentanément et provisoirement, aux dettes pour cette. En réalité, face à une situation budgétaire difficile et que certaines fractions du territoire peuvent offrir une attractivité satisfaisante, les projets d’aménagement touchent inégalement les agglomérations. Dans ces conditions, un

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rééquilibrage est difficile à réaliser dans le court et le moyen terme. La tendance à la concentration des pouvoirs économiques, politico-administratifs et culturels dans les grandes villes reste une réalité. Ainsi organisé, l’espace géographique Marocain sert à satisfaire les demandes des investisseurs privés, nationaux ou extérieurs plutôt que d’améliorer le bien-être du citoyen. La nouvelle approche de l’aménagement territoriale : limites et opportunités La transformation de l’espace urbain et la désorganisation d’une grande partie de l’espace rural sont le fait remarquable. Les paysages urbains et ruraux affichent des disproportions de plus en plus repérées au niveau des infrastructures et de l’accès aux services de base. Certaines villes ont des conditions de vie dégradées et cumulent de nombreuses insuffisances (pollution, délabrement des voies de circulation et des trottoirs, état du bâti, etc.). Les grandes villes offrent aussi un mélange de morceaux urbains composites produits selon des logiques souvent contradictoires (médinas, cités de recasement, quartiers coloniaux, modernes, zones d’habitat non réglementaire, etc.). Les grandes agglomérations, notamment Casablanca, rabat Salé souffrent de l'importance de l'habitat illégal, et de l'asphyxie due à un urbanisme souvent peu conforme aux exigences de la circulation (transport collectif, motorisation). Les plus hautes instances de l’Etat sont conscientes de ces. Les réflexions faisais naitre une organisation d’un Débat National sur l’Aménagement du Territoire entre 1999 et 2001 dont le fruit été la réunion de la première session du Conseil Supérieur de l’Aménagement du Territoire en 2004. A cet effet, le Maroc a eu de deux documents de référence ; la Charte Nationale d’Aménagement du Territoire et du Schéma National d’Aménagement du Territoire (SNAT).En même temps, des Inspections Régionales d’Aménagement du Territoire ont été mises en place au niveau des Régions, trois Agences de Développement ont été créées dans les Provinces du Nord, l’Oriental et les Provinces du Sud et des Centres Régionaux d’Investissement dans les 16 régions. Une attention particulière est accordée au « Maroc inutile » ; le Rif, les Provinces sahariennes et l’Oriental. Actuellement, une nouvelle stratégie du développement et de l’aménagement du territoire voit le jour, basée sur la lutte contre toutes les formes de pauvreté et d’exclusion, avec la création de la Fondation Mohamed VI pour la Solidarité, la mise en place de l’Initiative Nationale de Développement Humain (INDH) et le discours sur la régionalisation avancée. L’Aménagement du Territoire n’est plus considéré comme un action visant à réduire les inégalités spatiales, mais comme une approche globale, transversale et de long terme d’un territoire assurant le développement durable, et la recherche de l’équité sociale. La fonction de l’Aménagement du Territoire a pour mission la réunion des acteurs sur un objectif commun sur les différentes échelles de la territorialité. Il est donc le nouveau style de gouvernance réorganisant les rapports entre l’État, les acteurs et les territoires.

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La nouvelle approche de l’Aménagement du Territoire considère la ville comme moteur de développement économique, l’espace de création de richesses et le vecteur de changement social. La gestion des villes n’a pas de soucis que pour la gestion des ordures, d’eau, d’assainissement et de logement, c’est aussi un cadre de concertation et de participation des différents acteurs territoriaux. Les collectivités locales, considérées comme l’acteur principal, sont appelées à développer leurs compétences pour devenir des animateurs économiques, des gestionnaires qui travaillent en partenariat avec le secteur privé, ONG, association et l’Etat, comme le cas de la gestion déléguée des services publics. La ville est un cadre de création de richesses économiques, culturelles, scientifiques et artistiques. C’est un centre de diffusion des valeurs de partage, de démocratie, de justice… Elle est la clé du développement. Casablanca est perçue, aujourd’hui plus que jamais, comme la véritable porte d’entrée du Maroc à la mondialisation. Le discours porte aujourd’hui sur la nécessité de renforcer sa capacité, son attractivité et sa compétitivité. La nouvelle approche de l’Aménagement du Territoire est considérée comme une vision intégrée du développement basée sur la lutte contre la pauvreté et l’exclusion. Pour atteindre cet objectif la politique sociale publique doit être remise en cause, d’où l’objectif de l’Initiative Nationale de Développement Humain (INDH) qui propose une nouvelle démarche. « Les leçons tirées des expériences passées démontrent la pertinence de la démarche ciblée, du développement local intégré, de la programmation participative, de l’appropriation communautaire, de l’intégration des actions sectorielles » (INDH plateforme pour un plan d’action, Juin 2005 p.7). Elle doit « s’affirmer en tant que cadre prospectif de réorganisation des solidarités sociales et territoriales et de garanties d’efficacité des politiques et des programmes publics » (Rapport sur le développement humain au Maroc " l’avenir se construit et le meilleur est possible " p.39). Sur le plan opérationnel, l’INDH devrait constituer un instrument d’innovation en matière d’ingénierie sociale des besoins des populations. L’exécution des programmes de l’INDH qui s’étalent sur cinq ans dite « phases » a démarré par l’institution de comités locaux pour le développement humain (CLDH). Ces comités composés d’élus, de représentants de la société civile, des services extérieurs ainsi que de l’autorité locale sont appelés à élaborer de manière concertée des projets et des actions de développement bien définis dans le cadre d’un plan de développement local intégré (initiative locale pour le développement humain (ILDH)). Ces comités seront également chargés de l’exécution et du suivi du plan, après sa validation par la commission préfectorale. La maîtrise d’œuvre des projets sera confiée de manière contractuelle aux responsables des services déconcentrés, aux établissements publics concernés, aux collectivités locales et aux Associations. Ces différentes structures seront appelées à renforcer la capacité de leur ressources humaines en matière d’élaboration des plans de développement locaux, de montage, suivi et évaluation des projets, la médiation sociale, etc. Pour chaque Province et Préfecture une Division de l’Action Sociale (DAS) est mise en place pour le suivi et l’assistance technique de l’initiative. Un programme de formation et d’assistance technique prévu par l’initiative au profit des comités locaux dans les communes et les

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quartiers, des associations impliquées dans le développement humain, des élus locaux. Une enveloppe de 500 millions de Dirhams sur cinq ans est consacrée à cette action. La nouvelle approche de l’Aménagement du Territoire considère la contractualisation comme cadre d’intégration des politiques sectorielles. L'INDH et l'exemple marquant : La démarche contractuelle permet dans tous les cas de construire progressivement une démarche de connaissance, de responsabilisation et d’apprentissage collectif. De l’Aménagement du Territoire au Développement Territorial Durable : L’an 2007, lors du changement de gouvernement, a connu la création du Ministère de l’Habitat, de l’Urbanisme et de l’Aménagement de l’Espace (MHUAE) et d’un Secrétariat d’État chargé du Développement Territorial. Le regroupement des trois domaines stratégiques, urbanisme, habitat et développement territorial au sein d’un même département confirme la volonté de l’État de donner une autre dimension à l’appréhension des problématiques socio-économiques du pays en les repositionnant par rapport à leur cadre territorial (Adidi, A. 2010). Le Développement Territorial passe principalement et obligatoirement par l’Aménagement du Territoire. Les recommandations de la Charte et du SNAT se réalisent à travers les Schémas Régionaux d’Aménagement du Territoire (SRAT) qui sont des déclinaisons des orientations du SNAT à l’échelle régionale. Le SRAT qui doit être élaboré sur la base de la concertation et de la participation de tous les acteurs influents de la région pour l’identification des projets territoriaux. Lesdites recommandations se réalisent également par « la Stratégie Nationale de Développement Rural » (SNDR) : Cette stratégie vise à répondre à une série d’ajustements pour les territoires ruraux : Améliorer l’attractivité du milieu rural, Promouvoir la compétitivité de l’économie rurale et Assurer les conditions de durabilité environnementale. La Stratégie Nationale de Développement Urbain (SNDU) compte aussi parmi les recommandations du SNAT : Pilotée par le Ministère de l’Intérieur et le Ministère de l’Habitat, de l’Urbanisme et de l’Aménagement de l’Espace, cette stratégie a pour objectif de promouvoir la culture de participation en remplaçant les approches centralisées et sectorielle qui ont prédominé jusqu’à présent. Cette stratégie a pour but le développement urbain qualitatif et durable, créant une ville compétitive considérée le levier de la croissance économique nationale qui permet d’aboutir à une véritable cohésion sociale. Le développement territorial repose sur un concept nouveau « le projet de territoire ». Ce qui distingue un projet de territoire des autres projets est une méthodologie nouvelle en rupture avec les approches sectorielles et centralisées du développement (Elkadiri,N., 2007). Il s’appuie sur la participation des acteurs locaux et de l’ensemble des acteurs concernés à toutes les étapes du projet. Un projet de territoire est un projet global : il mobilise les potentialités de développement permettant de structurer le territoire. Il répond à une stratégie dont les objectifs se concrétisent à long terme dont personne ne peut se prononcer sur l’efficacité et la capacité des projets. La démarche est expérimentée en 2009 dans quatre régions du Royaume : Doukkala-Abda, Chaouia- Ourdigha, Gharb-Chrarda-Beni-Hssen et Taza-Al Hoceima-Taounate. Ces régions se

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distinguent par une forte ruralité et offrent de grandes potentialités. Elles sont caractérisées par le Schéma National de l'Aménagement du Territoire en zones d’ombres qui souffrent de grandes défaillances en terme de services publics de base, de sous-emploi, de faiblesse de l’investissement, etc. Pour matérialiser cette nouvelle approche participative, le Ministère de l’Intérieur, à travers la Direction Générale des Collectivités Locales (DGCL) a engagé un ensemble d’actions visant à développer « La Planification Stratégique Participative » des Plans Communaux de Développement à l’échelle locale selon une démarche participative. Le lancement de l’idée à la fin 2007 par la DGCL a élaboré un kit de planification stratégique de façon concertée et partagée avec des partenaires nationaux et internationaux (HCP, DFCAT, UNICEF, USAID, GLM/ACDI, ADS et l'Union Européenne) constitués en un Groupe de travail spécifique. Les PCD peuvent constituer de véritables instruments de développement local s’ils sont réellement élaborés dans la concertation. Cela ne veut pas dire que la démarche participative est la solution inévitable et qui donne la garantie de la réussite d’un projet territorial. En effet, le Maroc a connu la réalisation de grands équipements structurants qui auront un impact considérable sur le territoire national et les différents secteurs productifs. Tous les acteurs publics ont contribué (CDG, OCP, Al Omrane, ONCF, ADM, ...) pour réaliser des projets de grande envergure comme Tanger Med, du programme autoroutier, de la ligne TGV Tanger– Casablanca, la construction des villes nouvelles, l’aménagement de la vallée de Bouregreg, … ces projets sont, sans aucun doute, bénéfiques pour l’amélioration de la compétitivité du territoire national, et malgré qu’ils ne sont prévus dans aucun document d’aménagement du territoire et leur conception a été effectuée sans concertation avec les acteurs des territoires concernés. A travers ces expériences, n‘est-il pas nécessaire de commencer à pense sérieusement, de donner l’occasion aux acteurs locaux de définir les méthodes basées sur une démarche participative ascendante, avec un accompagnement Etatique, qu'ils estiment le plus convenable pour l’émergence des projets ? Au Maroc, le concept de développement centralisé semble dépassé. En France, depuis les lois de décentralisation de 1982, les décisions sur l’aménagement du territoire sont le résultat d’accords entre les collectivités territoriales, les régions et l’Etat, où les acteurs locaux ont une influence de premier plan. Reste à savoir comment de tels principes pourraient être promus dans un contexte Marocain. CONCLUSION Les politiques de développement et d’aménagement élaborées depuis la période coloniale n’ont pas réussi à réduire les disparités spatiales, aggravées par l’ouverture de l’économie mondiale. Ce nouveau paramètre mondial, qui privilégie les lieux, les activités et les secteurs les plus cotés par rapport à l'extérieur, est en train d’accentuer les déséquilibres territoriaux, tout en engendrant de nouveaux problèmes environnementaux et sociaux. En même temps, la politique de métropolisation est devenue source d’iniquité et d’inefficacité (Davezies Estèbe, 2007). Par ailleurs, Le modèle central, bureaucratique en matière de gestion du territoire ne fait qu’alimenter

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d’avantage la marginalité, notamment après l’ouverture mondiale, qui discrédite ces modes de gouvernement. Face à cette situation, le Maroc s'est engagé dans le processus libéral depuis les années quatre-vingt-dix, lorsqu’il a constaté qu’il n’a pas pu de lutter, d’une manière efficace, contre le sous-développement et aussi le déficit de gestion publique des biens et services. Au contraire, le néo- libéralisme, qui « ne signifie en rien le retrait de l’Etat et la fin de l'interventionnisme, mais un redéploiement des modalités d'exercice du pouvoir » (Hibou, 2006), dont le Maroc a fait ses preuves mais sans favoriser et promouvoir un réel développement. Pour cette raison, La régionalisation et la territorialisation de l’action publique constituent aujourd’hui un véritable défi et une réelle opportunité pour le Maroc. En effet, cela impose de revoir et réviser d’une façon permanente les rapports entre l’État, le territoire, le citoyen et une adaptation des capacités techniques. Ce qui exige davantage de partage de responsabilité entre acteurs, de synergie et de fusion des politiques. Il est clair que le discours politique sur l’aménagement du territoire a évolué depuis une cinquantaine d’année et que les acteurs du développement déclarent aujourd’hui qu’une bonne gouvernance territoriale fondée sur la décentralisation, la participation et la coordination des acteurs est le secret pour réussir à développer le pays. Toutefois, la rupture avec l’approche centrale, sectorielle, qui a primé depuis l’Indépendance du pays s’avère difficile, en raison d’absence d’une culture de partage et de l’écoute de l’autre chez de nombreux décideurs et acteurs.

Références

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Le système marocain des retraites: une crise sociale temporisée nécessitant une refonte globale et inéluctable

HASNAOUI Rachid 1 et MALAININE Cheklekbire 2, Enseignants chercheurs , Faculté Polydisciplinaire, Béni Mellal, Université Sultan Moulay Slimane

« La retraite est le port où il faut se réfugier après les orages de la vie ». Voltaire 1755

Résumé Le système marocain des retraites est confronté à des problèmes financiers qui compromettent à terme son efficacité et sa viabilité. Ces problèmes sont liés entres autres à la mauvaise gouvernance du système, à l’absence d’une loi cadre qui organise ce domaine, au cloisonnement des régimes se traduisant par la multiplicité des intervenants et à un mode de fonctionnement ne permettant pas de financer suffisamment les prestations.

L’objectif de cette étude est de montrer les dysfonctionnements du système de retraite au Maroc. Elle porte particulièrement sur la CMR. Elle s’intéresse d’une part à l’évaluation des différents scénarios de la réforme proposés et d’autre part montre, à l’instar de certaines expériences mondiales en matière de réforme des retraites, les traits d’une réforme pertinente à la marocaine. Néanmoins, la question qui surgit immédiatement : comment peut-on rationnaliser le fonctionnement du régime des retraites au Maroc dans le cadre d’une réforme globale qui protège les acquis de la population active sans pour autant porter atteinte à l’équilibre financier et la pérennité du système.

Mots clés : Régime marocain des retraites, déséquilibres financiers, expériences mondiales ; modèle de réforme approprié.

Abstract

The Moroccan pension system suffers from financial problems that threatenits long term efficiency and viability. These problems are related mainly to bad governance, lack of a legal framework that organizes this system, disconnect of departments resulting in

99 the proliferation of the stakeholders involved, and an inefficient operating mode that is unable to fully fund the retirement benefits.

The objective of this study is to show the shortcomings of the pension system in Morocco. It focuses on the Moroccan Pension Fund. The paper firstly focused on evaluating the different reform scenarios proposed, and secondly, shows, following some global experiences in pension reforms, the features of a relevant reform for the Moroccan case.

Nevertheless, the question that immediately arises: how can we streamline the functioning of the pension system in Morocco as part of a comprehensive global reform that protects the gains of the working population without undermining the financial balance and the viability of the pension funds?

Keywords: Moroccan pension system, financial imbalances, global experiences; appropriate reform model.

يهخض

إٌ َظاو انحقاعذ فٙ انًغشب ٕٚاجّ يشاكم يانٛة جٓذد فعانٛحّ ٔاسحًشاسٚحّ. جشجثط ْزِ انًشاكم ٔغٛشْا تسٕء انذكاية ٔعذو ٔجٕد قإٌَ إطاس ُٚظى ْزا انًجال، ٔكزا جشحث األَظًة يًا أدٖ إنٗ جعذد انًحذخهٍٛ ٔٔضع ال ٚسًخ تحًٕٚم كافٙ نهخذيات.

إٌ انٓذف يٍ ْزِ انذساسة ْٕ إظٓاس أٔجّ انقظٕس فٙ َظاو انحقاعذ تانًغشب. ٔتشكم خاص انظُذٔق انًغشتٙ نهحقاعذ دٛث َٓحى يٍ جٓة تًخحهف سُٛاسْٕٚات اإلطالح انًقحشدة، ٔيٍ جٓة أخشٖ ٔعهٗ غشاس ججاسب دٔنٛة فٙ يجال أَظًة انحقاعذ، ياليخ اإلطالح رات انطاتع انًغشتٙ.

ٔيع رنك، فئٌ انسؤال انز٘ ٚطشح َفسّ عهٗ انفٕسْٕ كٛف ًٚكُُا عقهُة سٛش انعًم فٙ َظاو انحقاعذ تانًغشب فٙ إطاس إطالح شايم ٚذًٙ يكحسثات انساكُة انُشٛطة دٌٔ جقٕٚض انحٕاصٌ انًانٙ ٔكزا اسحًشاسٚة ْزا انُظاو.

كهًات انًغاجٛخ : انُظاو انًغشتٙ نهحقاعذ، االخحالالت انًانٛة، انحجاسب انذٔنٛة، ًَٕرج اإلطالح انًُاسة

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1. Introduction

Le régime des retraites marocain est caractérisé par la coexistence de régimes de retraite multiples et diversifiés : la CMR et le RCAR pour le secteur public et para public, la CNSS et la CIMR pour le secteur privé ainsi que d’autres régimes internes pour certains établissements publics. Cette coexistence est assortie d’un cloisonnement qui fait que l’un ne sait pas ce que font les autres. Par rapport à ce paysage national en matière des retraites, il est claire que l’état de la CMR est la plus critique aujourd’hui. Sa situation financière ressemble à un patient en réanimation qui nécessite une intubation pour se réanimer avant de prévoir une thérapie pour tout le système.

La réforme des caisses de retraite au Maroc est considérée aujourd’hui comme l'un des chantiers de réforme urgents en matière social. Le retard dans la réforme amplifiera le coût à la fois pour les fonctionnaires et l’Etat. Bien entendu, le problème de la retraite est étroitement lié au reste des aspects de la politique de protection sociale dans son ensemble. A cet égard, faut il souligner que le Maroc est engagé dans une dynamique de création et d’extension d'autres mécanismes de couverture sociale comme par exemple l’indemnité pour perte d’emploi, le système d’assurance maladie obligatoire, le « RAMED », la pension pour vieillissement et bien d’autres réformes. La réforme liée aux régimes marocains de retraite ne peut être traitée en dehors de cette dynamique mais plutôt dans un cadre global, harmonieux et durable.

L’une des raisons de la faillite du système d’après le gouvernement, c’est le déséquilibre de la tarification appliquée. En effet, le système de retraite verse deux dirhams de pension contre un dirham de cotisation recouvré. Parmi les explications de ce déséquilibre, on trouve la durée de la pension qui s’est allongée avec l’augmentation de l’espérance de vie qui est 21 ans après 60 ans de départ à la retraite sans oublier la durée du travail qui a changé puisqu’en 1980 par exemple les gens intégrait la fonction publique à l’âge de 24 ans en moyenne, par contre aujourd’hui, on intègre celle-ci à 28 ans en moyenne. Donc, il faut noter que les actifs cotisent dans une période de plus en plus courte.

Devant cette situation, le gouvernement envisage d’entamer une réforme paramétrique dont les axes sont les suivants : soit couper dans la prestation c'est-à-dire que l’Etat

101 reçoit 1dirham de cotisation doit remettre 1dirham de pension seulement au lieu de 2 dirhams actuellement, soit agir sur l’âge et là quant on touche à l’âge on réduit la durée de prestation qui concerne à la fois le montant de la pension de retraite principale qui va avec l’espérance de vie de 21 ans après la retraite mais aussi la réversion qui concerne les ayants droits : veuve et orphelins, soit enfin agir sur la cotisation et là il faut augmenter les contributions des fonctionnaires et de l’Etat employeur. Dans cette réforme paramétrique envisagée, toute l’action consiste donc à trouver en fin de compte la meilleure adéquation entre ces trois paramètres pour pouvoir arriver à un résultat normatif et acceptable par tout le monde.

En matière de réforme du système marocain des retraites, il existe un grand débat et des positions différentes et parfois controversées en matière des solutions proposées que ce soit par l’Etat, les centrales syndicales et la CGEM. Toutefois, quelle que soit la variété et la divergence de vues concernant le modèle de la réforme qui serait approprié au Maroc, l'intervention des autorités publiques à travers une réforme globale s’impose.

Ce papier de recherche s’intéresse à l’évaluation de la situation financière de la CMR et des différents scénarios possibles en matière de réforme. La question qui nous préoccupe dans cette étude est de savoir quel est le modèle de réforme approprié dans le contexte marocain et ce à l’instar des expériences internationales en présence. La démarche adoptée pour traiter ce sujet est une démarche comparative.

2. Le contexte général justifiant l’urgence de la réforme des systèmes de retraite

Le système des retraites au Maroc comporte quatre régimes de base et un régime complémentaire : en effet il s’agit tout d’abord d’un régime de retraite civil géré par la CMR appliqué aux fonctionnaires civils de la fonction publique et au personnel des collectivités locales et certains établissements publics. Un régime de retraite pour les militaires géré par la CMR appliqué aux forces armées royales et aux forces auxiliaires. Un régime qui concerne les employés des établissements publics et ouvriers contractuels avec l’Etat et les collectivités locales et qui est géré par le RCAR, un régime de base appliqué aux salariés du secteur privé géré par la CNSS et enfin un régime complémentaire au profit des salariés du secteur privé géré par la CIMR.

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Comme le montre le tableau 1, à la fin de 2013, le nombre de bénéficiaires de la couverture des régimes de retraite au Maroc a été de l’ordre de 1 138 467 bénéficiaires, soit presque 30% de la population active. Dans la même année 2013, on estime la valeur totale des réserves pour toutes les caisses à 228 515 millions de dirhams et la valeur totale des produits financiers de ces caisses à 9 659 millions de dirhams.

Tableau 1 : la situation des systèmes de retraite-2013

Régimes CMR CNSS RCAR CIMR Total Nombre de 961 198 2 872 426 194 895 304 193 4 028 519 cotisants (actifs) Nombre de 578 127 452 325 108 015 150 725 1 138 467 bénéficiaires Cotisations en 21 119 8 522 2 307 5 324 37 272 Millions Dhs Remboursements en Millions Dhs 20 924 7 944 4 040 3 246 36 154 Réserves en 81 208 31 947 83 375 31 985 228 515 Millions Dhs Produits financiers en 2 471 1 079 4 200 1 909 9 659 Millions Dhs Source : Comité technique chargé de la réforme du régime des retraites-2013.

Aussi, d’après l’étude prospective réalisée par le HCP, « la dépense totale en matière des retraites représenterait 10% du PIB à l’horizon 2050 contre 3% en 2010, alors que les recettes s’élèveraient à 2,6% du PIB, engendrant par la même occasion des déficits importants de l’ordre de 7,4 % »1. Ainsi, les pouvoirs publics à eux seuls ne pourraient pas logiquement se substituer aux régimes pour le maintien des pensions de retraite aux pensionnés car cela induirait une pression insoutenable sur les finances publiques déjà en déséquilibre. D’un autre coté, l’épuisement des réserves des caisses de retraite aura un impact économique néfaste sur l’économie, et même sur le financement du trésor dont une partie significative de la dette est détenue par les organismes de retraite. Dans ce contexte, il est à souligner que les régimes marocains de retraite sont tous en crise aujourd’hui et cette crise est appelée à s’accentuer dans le futur avec le rythme important des départs à la retraite (plus de 25.000 départs déjà enregistrés en 2015). En

1 CGEM, Commission emploi et relations sociales (2010). « La réforme des régimes de retraite vue par la CGEM». Casablanca, Page 8.

103 effet, dans les prochaines années, des milliers de retraités et leurs familles risquent de ne plus bénéficier de leurs pensions : 400 000 retraités bénéficiaires en 2021. De manière ramassée, la situation de la retraite au Maroc est critique et pourrait s’aggraver davantage si les « mesures » adéquates ne sont pas introduites d’urgence par le gouvernement. Néanmoins, la crise de la CMR reste la plus grave de nos jours. En cas de non réforme, son déficit atteindra 135 milliards de dirhams en 2023 ce qui la rendra incapable de payer les pensions aux fonctionnaires bénéficiaires. Le tableau 2 qui porte sur l’évolution des réserves financières permet une lecture prédictive alarmante de la situation financière de la CMR.

Tableau 2 : Réserves financières des pensions civiles- en milliards de dirhams

Année 2014 2015 2016 2017 2018 2019 2020 2021 2022 Réserves 81 78,90 74,45 67,17 56,63 42,45 24,27 2,01 0 Source : Caisse Marocaine de Retraite- Octobre 2014

Par la langue des chiffres, d’après les données de ce tableau, les réserves financières vont connaitre une baisse inquiétante. Elles passeront en effet de 81 milliards de dirhams pour l'année 2014 à près de 2 milliards de dirhams en 2021. Ces réserves se solderont à zéro l’an 2022.

Aussi, de point de vue juridique, il ne reste que 2 années pour boucler la boucle avant que les taux de cotisations soient augmentés d’une manière automatique en vertu des dispositions de la loi 1996 portant sur le fonctionnement de la CMR. En effet, comme le montre le tableau 3, en 2018 les réserves de ce régime ne suffiront que pour desservir aux retraités deux années des pensions et c’est la condition engendrant l’augmentation automatique des cotisations d’après les dispositions de l’article 7 de la loi sur la CMR2.

Tableau 3 : durée de couverture mesurée en nombre d’années

Année 2014 2015 2016 2017 2018 2019 2020 2021 2022 Réserves 4,5ans 3,9ans 3,3ans 2,6ans 2ans 1,3an 0,7an 0,05an 0an Source : Caisse Marocaine de Retraite- Octobre 2014

2 Loi n° 43-95. Caisse Marocaine des Retraites. Rubrique législation. Adresse consultée : http://www.cmr.gov.ma/

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3. Diagnostic des causes de la Crise de la CMR

Le travail en présence est focalisé sur l’étude du système de la CMR étant donnée sa situation financière critique comparativement aux autres. A ce titre, plusieurs questions se posent par rapport à son système de fonctionnement et de gestion : quelles sont les causes de la crise? Quelle est l'efficacité de la formule actuelle de calcul de la pension de retraite ? Le régime par répartition est-il le mode de fonctionnement efficace ? Par quel moyen peut-on sortir de la situation de crise, et quelles sont les solutions proposées pour assurer la viabilité des retraites au Maroc?

3.1. Evolution et fonctionnement de la CMR

La CMR est un établissement public sous la tutelle du Ministère des Finances. Ce programme gère le régime des pensions civiles, le régime des pensions militaires, les régimes et allocations des Anciens Résistants et Anciens Membres de l’armée de Libération et certaines rentes, pensions et allocation instituées, pour la plupart, avant l’Indépendance. La CMR sert les prestations suivantes: 1) Pension de retraite 2) Pension d’invalidité 3) Pension de réversion (conjoint et orphelins) 4) Pension d’ascendants 5) Allocation familiale.

Pour bien assimiler la situation financière actuelle de la CMR, il faut remonter à ses origines et comprendre sa structure et son fonctionnement. Aussi, l'analyse de l'institutionnalisation progressive du système de retraite au Maroc permet de comprendre les enjeux et les contraintes qui sont derrière la crise actuelle du régime de la CMR.

Soulignons tout d’abord que la CMR est l’un des premiers régimes de la protection sociale au Maroc en raison du nombre important des adhérents et retraités qui en dépendent. Cette institution a été créée en vertu du Dahir de 2 Mars 1930, et après une longue durée, précisément en 1996, cette institution a été restructurée par la création de la loi n° 43-95 promulguée par le Dahir n° 1-96-106 et visant la réorganisation de cette institution pour être en phase avec le contexte socio-économique et ses mutations.

Le financement du régime des pensions civiles s’effectue actuellement (avant la réforme) comme suit :

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Cotisations salariales : 10% du traitement de base indiciaire + l’indemnité de résidence (10% du traitement de base) + la totalité des indemnités et primes statutaires ; Contributions patronales : 10% des mêmes éléments pris en considération pour les cotisations salariales.

La couverture de retraite CMR fonctionne sous le mode de la répartition par opposition à la capitalisation3. En effet, la répartition consiste à redistribuer aux retraités les cotisations sociales (obligatoires) perçues sur le revenu des actifs. C’est donc un système qui introduit une solidarité intergénérationnelle en partageant les richesses produites entre actifs et retraités. Autrement dit, le paiement d’une cotisation obligatoire en pourcentage de revenu ouvre le droit de bénéficier plus tard d’une pension de retraite.

Ce mécanisme de répartition est très compliqué de point de vue juridique car selon le référentiel juridique régissant ce régime, « ce mécanisme est actionné lorsque le montant de la réserve de prévoyance baisse jusqu’à atteindre l’équivalent de deux fois la moyenne des dépenses constatées au cours des trois derniers exercices. A ce moment, les cotisations doivent être ajustées de manière à garantir l’équilibre sur une période minimale de 10 ans et qu’un excédent pouvant alimenter la provision y afférente soit dégagé »4. L’application de ce mécanisme signifie donc qu’il est nécessaire d’attendre jusqu’à la quasi-faillite du régime (moins de 2 années de service des prestations) pour réagir par un ajustement qui se limitera à rétablir la trésorerie du régime pour 10 ans. Concernant le régime des pensions civiles de la CMR, l’âge de départ à la retraite est fixé à 60 ans sauf pour les magistrats et les enseignants du supérieur (65 ans). Toutefois, les affiliés au régime peuvent bénéficier, avant d’atteindre l’âge légal de mise à la retraite, d’une pension de retraite anticipée à condition d’avoir accompli 21 ans de service pour les hommes et 15 ans pour les femmes. Quant au calcul de la pension de retraite au moment du départ à la retraite, dans le régime géré par la CMR, la pension est calculée sur la base du salaire perçu pendant la dernière année d’activité :

3 La capitalisation est aussi un mode de financement des pensions des retraités en application dans le monde. Celui-ci consiste à placer les cotisations versées par les employés en actifs (actions et obligations, biens immeubles…). Les sommes versées et les revenus produits constituent un capital qui sera versé sous forme de pension. Celle-ci est calculée dépendamment de l’espérance de vie. 4 Article 13 de la Loi n°43-95 et article 7 du Décret n°2-95-749 pris pour l’application de la loi n°43-95.

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Pens CMR = taux d’annuité fixé à 2,5% en cas de départ à la retraite à l’âge normal et à 2% en cas de départ anticipé × nombre d'années d'affiliation, n, (plafonné à 40 années) × le dernier salaire perçu par l'affilié. Donc comme nous allons démontrer ci-après, ces paramètres liés à la méthode de calcul, au référentiel juridique et bien d’autres ont tous contribués à la crise de la CMR. De même il faut souligner que ces déséquilibres financiers ne sont pas récents et ne datent pas d’aujourd’hui. 3.2. Causes de la crise de la CMR

En ce qui concerne les causes de la crise, elles sont nombreuses : la plupart des chercheurs sont tout à fait d’accord que les sources de la crise ont trait à la période de la gestion de la caisse par l’Etat à savoir 1956-1996. En fait, depuis l’indépendance, l’Etat ne versait pas ses parts de cotisations, cumulant ainsi des arriérés de centaines de millions de dirhams dont une partie a été réglés et l’autre partie est encore en attente. La crise est également le fruit d’une évolution historique marquée par la domination de la gestion de courte durée au détriment d’une vision à moyen et long terme

Au cours de cette période, en plus des faiblesses en matière de gestion et de gouvernance, l’Etat n’a pas honoré ses engagements financiers vis-à-vis de la CMR. En effet, le montant des arriérés ont été estimées à 11 milliards de dirhams.

Toutefois, il est à noter que dans le cadre de l’évaluation de certaines politiques publiques, rares sont les études qui prennent également en compte l’opération de départ volontaire à la retraite (DVR) comme une cause importante de la crise de la CMR. En effet, selon une étude réalisée à l’Université Mohamed V de Rabat en 2010, « le coût global du DVR sur la CMR est de 7,483 milliards de Dhs. Cette opération a réduit le taux de la population active au Maroc d’environ 39 000 personnes, ce qui a conduit à la baisse des recettes de la CMR pendant le temps que ses charges se sont de plus en plus amplifiées»5. Il en découle que suite à cette opération, la CMR a été privée du total des contributions qui auraient été versées par les participants si elles ont continué à

5 Othman MOUDEN (2010). « Le départ volontaire de la fonction publique : une étude des causes et des conséquences ». Mémoire (en arabe) pour l’obtention du master en droit public, Faculté des Sciences Juridiques, Economiques et Sociales, Rabat, 2010-2011 p. 54. Voir aussi, Al malya (2007). « Le système de retraite au Maroc », n°40 Page 32, Mars, Rabat Maroc.

107 travailler jusqu'à ce qu'ils arrivent à l'âge normal de départ à la retraite. Dans le même temps, cette caisse a continué à prendre en charge le paiement des pensions en faveur des retraités bénéficiant de l’opération DVR.

Outre le départ volontaire, la « générosité » de la méthode de liquidation de la pension dans le cadre de la CMR peut être pointée du doit comme une deuxième cause de la crise. Comparativement aux modalités de calcul de la pension appliquées dans certains pays, le calcul de la pension dans le cadre du régime des pensions civiles est marqué par une « générosité exagérée ». En effet, alors qu’en Espagne la retraite d’un fonctionnaire se calcule sur la base du salaire des 25 derrières années de son service, le régime appliqué dans le cas marocain au niveau de la CMR offre pour chaque année de cotisation une annuité de 2,5%, soit un taux de remplacement 6 qui peut atteindre 100% du dernier salaire. Ce mode de calcul a été l’un des principaux facteurs d’aggravation de la crise de la CMR. Le régime de la CMR a tendance à servir au fonctionnaire presque la totalité de son salaire après avoir passé 31 ans de travail. A titre de comparaison également, un fonctionnaire français ne peut atteindre un tel seuil qu’après avoir passer au travail au moins 44 ans. A ce titre, il est à noter que le dernier salaire est généralement la rémunération la plus élevée de toute la carrière des fonctionnaires, par conséquence, la liquidation de la pension sur cette base a pour effet d’aggraver le déséquilibre du système des pensions civiles parce que cela entraine des pensions assez élevées à payer aux pensionnés. Si on continue dans ce schéma, la viabilité du régime serait mise en cause dans le futur car la population des futurs retraités a tendance à comprendre de plus en plus de cadres qui terminent leur carrière dans les échelles de rémunération les plus élevées dans la fonction publique. A titre illustratif, l’effectif des cadres parmi les retraités qui était de 6% en 1986 est passé à 45% en 20117. Cette crise a été aggravée aussi par le fait que le régime de la CMR n’est pas soumis à une harmonisation des cotisations avec le reste des autres caisses concernant les parts respectives de l’Etat et du fonctionnaire.

6 Le taux de remplacement est un indicateur qui permet à tout un chacun de mesurer son niveau de vie futur et au départ à la retraite afin de mieux s'y préparer. Il se calcule ainsi : Taux de remplacement = Montant estimatif de la pension de retraite Montant estimatif du dernier salaire d’activité. 7 Cour des comptes (2013). « Système de retraite au Maroc : diagnostic et propositions de réformes » Page 27.

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La question du financement du déficit du régime militaire de retraite par des intérêts annuels produits par le régime des pensions civiles est une troisième cause de la crise sachant que les dispositions de l’article 12 de la « loi 43-95 »8 insistent sur le contrôle de l'équilibre financier des deux régimes d’une manière séparée.

Les rapports officiels qui existe notamment celui du HCP9, introduisent un quatrième facteur très important à savoir le facteur démographique comme cause du déséquilibre du régime de la CMR. Ce facteur consiste en une augmentation de l’espérance de vie moyen chez les marocains qui a passé de 47 ans en 1962 à 72,4 ans entre 2010 et 2015 pour atteindre les 75 ans entre 2020 et 2025 et ce grâce notamment aux progrès de la médecine et à la baisse des taux de fécondité. A ce titre, il est aussi à noter que nous sommes passées de 12 personnes actives qui cotisaient pour payer la retraite d’une seule personne en 1986, puis à 6 personnes actives en 2001 pour arriver en 2012 à 3 personnes seulement qui cotisent pour faire face à la pension de retraite d’une seule personne. D’après les prévisions du HCP, il est probable que ce coefficient atteindra un seul actif contre un seul retraité en 2024. Enfin, un dernier facteur important de crise peut s’ajouter à savoir une fiscalité généreuse et non neutre. En effet, les pensions de retraite bénéficiaient avant 2013 d’un abattement fiscal de 40%, alors que les rémunérations des actifs sont soumises à un abattement, au titre de frais inhérents à la fonction ou à l’emploi, pour un taux de 20%. Toutefois, avec la loi des finances de l’année 2013, le taux d’abattement pour les retraités a été augmenté et porté à 55%. Cette augmentation de l’abattement fiscal à 55% sur les pensions a eu un impact négatif non seulement sur les recettes fiscales de l’Etat au titre de l’impôt sur le revenu puisque « l’abattement a engendré un manque à gagner pour l’Etat en recettes fiscales de 412 millions DH au titre de la seule année 2013, dont 320 millions DH de manque à gagner enregistré par la CMR »10 mais également sur les régimes de retraite.

8 Selon les dispositions de l’article 12 de la loi n° 43-95 promulguée par dahir n° 1-96-106 du 21 rabii I 1417 (7 août 1996), portant réorganisation de la Caisse Marocaine des Retraites- BO n° 4432 du 21 novembre 1996. p: 751 : « L'équilibre financier des régimes de retraite civil et militaire est vérifié annuellement, par régime, à travers les bilans comptable et actuariel établis à la fin de chaque exercice ». 9 HAUT-COMMISSARIAT AU PLAN, PROSPECTIVE Maroc 2030. (2005). « Changement démographique et ses répercussions à long terme sur les charges de protection sociale : cas des retraites ». Rapport, Page 56 et suivant. 10 Cour des comptes (2013). « Système de retraite au Maroc : diagnostic et propositions de réformes » page 17

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Bien qu’elle apparaisse comme neutre pour les régimes de retraite, ce type de mesure a un impact négatif indirect sur le comportement des actifs envers l’adhésion ou non à certaines mesures envisagées dans le cadre de la réforme paramétrique que propose le gouvernement comme la prolongation de l’âge de départ à la retraite. En effet, avec un abattement fiscal de 55% sur les pensions, certains actifs pourraient décider de partir à la retraite de façon anticipée tout en bénéficiant d’un taux de remplacement conséquent ce qui aura pour effet en fin de compte d’influencer négativement l’équilibre des régimes. A titre d’illustration, pour disposer d’une pension équivalente au dernier salaire net, l’augmentation de l’abattement a pour effet de réduire la durée d’activité et de cotisation nécessaires. Celle-ci peut atteindre dans le cas de la CMR entre 30 et 34 ans selon le niveau de rémunération qui est bien loin des 40 années d’activités nécessaires pour atteindre le plafond du régime. 4. Evaluation des scénarios possibles en matière de réforme

Les scénarii d’équilibre tournent autour de plusieurs points qui sont principalement en contradiction avec les principales causes de la crise des retraites au Maroc à savoir la mauvaise gouvernance et la mauvaise gestion du système des retraites. En effet, les voies de la réforme proposées sont de manière générale: procéder à l’amendement du taux de cotisation et du taux d’indemnisation, atténuer les effets négatifs du vieillissement via l’expansion de la couverture pour les nouveaux employés et le relèvement de l'âge légal de la retraite et aussi améliorer le taux d'emploi dans la fonction publique qui est une piste difficile à emprunter par le Maroc vu que les organisations internationales conditionnent le fait de continuer à faire bénéficier le Maroc des lignes de crédit par la capacité du gouvernement à réduire la masse salariale et les postes budgétaires dans la fonction publique.

4.1. Analyse des solutions proposées par les acteurs impliqués

Dans cette section, trois positions seront analysées et commentées en matière de réforme: la vision du gouvernement et qui est appuyée par la Banque Mondiale, la position des centrales syndicales et de la CGEM ainsi que l’avis du Conseil Economique, Social et Environnemental en matière des retraites.

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4.1.1. La vision du gouvernement comparée à d’autres pays

La vision du gouvernement peut être tirée à la fois de l’étude réalisée et présentée en 2010 par le cabinet français « ACTUARIAT », du rapport de la cour des comptes et de la dernière version du projet de réforme adopté par le conseil du gouvernement du 07 janvier 2016. En effet, d’après le gouvernement, la réforme devrait se pencher sur deux axes essentiels:

- le premier axe c’est une réforme paramétrique portant à la fois sur le relèvement de l'âge de départ à la retraite, la durée et le montant des cotisations.

- Le deuxième axe concerne une réforme globale qui portera, à terme, sur tous les régimes de retraite. A ce niveau, le gouvernement procèdera en matière de réforme par une unification des systèmes de retraite en les intégrant dans deux pôles principaux: un pôle public (CMR et RCAR) et un pôle privé (CNSS et CIMR).

Aujourd’hui, la réforme proposée par le gouvernement marocain au parlement pour adoption est bel et bien une réforme paramétrique c'est-à-dire une réforme jouant sur l’âge qui sera, d’après la version adoptée par le conseil du gouvernement du 07/01/2016, relevé progressivement à 63 ans comme suit :

Date d’application Age de départ à la retraite 1er janvier 2017 61 ans 1er janvier 2018 62 ans 1er janvier 2019 63 ans Bien entendu, l’augmentation de l’âge à 65 ans à été finalement abandonné.

Quant au taux de cotisation, il sera relevé de 20% actuellement à 28% en 2019. Cette augmentation de contribution sera partagée entre l’Etat (4%) et les affiliés à la CMR (4%). Dans le choix proposé par le gouvernement marocain, c’est le salaire moyen des 8 dernières années qui va servir comme base de calcul de la pension à compter de la date de la réforme. En troisième lieu, le gouvernement propose une baisse du ratio d’annuité pour le calcul des pensions de 2,5% actuellement à 2% à partir du 1er janvier 2017. En dernier lieu, on propose un relèvement progressif du seuil minimal des pensions civiles et militaires et en faveur du RCAR de 1000 dhs actuellement à 1500 dhs par mois.

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Cette réforme paramétrique propre à la CMR, par opposition à la réforme systémique globale pour tous les régimes de retraite, a été décidée par plusieurs autres pays. Ainsi, pour accompagner le facteur démographique, plusieurs pays ont relevé l’âge de départ à la retraite comme le Danemark et l’Autriche qui ont décidé en 2014 de faire passer l’âge de départ en préretraite de 60 ans à 62 ans. D’autres pays ont misés sur des taxes appliquées sur les pensions pour alimenter les caisses: par exemple, le Portugal a majoré les taxes pour les hauts revenus et abaissé le seuil de taxation. En Finlande, les retraites supérieures à 45 000 euros par an ont été taxées de 6%. En France, on a également changé l’âge légal de départ à la retraite par une réforme adoptée en 2010. En effet, l’âge minimum de départ à la retraite en France est de 62 ans pour les personnes nées à partir du 1er janvier 1955. En Espagne, on a passé de la moyenne des 15 dernières années pour le calcul de la pension à la moyenne des 25 dernières années.

Néanmoins, une telle comparaison de la situation du Maroc avec d’autres pays qui adoptent le même mode de fonctionnement (répartition) est une chose qui peut être pertinente sauf qu’ailleurs, en Europe, ils ont un système de protection sociale qui couvre pratiquement tout le monde car parfois les caisses privées compensent les caisses publiques et inversement. Par contre au Maroc nous avons plusieurs régimes cloisonnés avec un mode de fonctionnement et de gestion différents.

D’après la vision du gouvernent, il est impossible de concevoir une telle réforme sans toucher à tous les paramètres à la fois : l’âge, les cotisations et la valeur de la pension. En effet, une réforme sans toucher à l’âge et à la valeur de la pension engendrerait l’augmentation des cotisations à 50%. Aussi, une réforme sans toucher aux cotisations et à la valeur de la pension augmenterait l’âge de départ à la retraite à 77 ans. Enfin une réforme sans révision de l’âge et des cotisations entrainerait la réduction de la valeur de la pension à 50%.

Pour illustrer les effets potentiels de la réforme sur les pensions desservies aux fonctionnaires, nous allons nous baser sur quelques simulations. Nous prendrons le cas de trois fonctionnaires âgés de 55 ans en 2014: le fonctionnaire (A) qui touche actuellement 3000 dhs, le fonctionnaire (B) 7000 dhs, et le fonctionnaire (C) 15 000 dhs.

Tableau 4 : effets de la réforme sur les fonctionnaires de la CMR

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Fonctionnaire A Fonctionnaire B Fonctionnaire C 3000 dhs, 35ans de 7000 dhs, 35ans de 15000 dhs, 35ans de service service service Dernier Pension à Dernier Pension à Dernier Pension à salaire la retraite salaire la retraite salaire la retraite avant la avant la avant la retraite retraite retraite Situation 3565 3119 8319 7279 17 826 15 598 actuelle DH DH DH DH DH DH (retraite 60ans) Après la 4236 3423 9886 7987 21 185 17 114 réforme DH DH DH DH DH DH proposée (ex.retraite 64ans) Source : nous même- données de la CMR et Ministère de la fonction publique

D’après les données présentées dans ce tableau, il est clair que tous les trois fonctionnaires vont voir leur pension de retraite s’améliorer mais auront à fournir plus de temps dans l’administration publique chose qui posera éventuellement le problème de leur « rentabilité » notamment dans certains secteurs tels que l’éducation nationale et la santé publique.

Néanmoins, il faut souligner qu’une simple action sur les paramètres, en conservant l’architecture actuelle, pourrait allonger l’horizon de viabilité des régimes de retraite et en particulier celui de la CMR pendant quelques années, mais ne pourrait pas résoudre la problématique de la viabilité de tous les régimes. Il est donc nécessaire que toute réforme paramétrique soit introduite comme une étape vers une réforme globale de l’ensemble du système de retraite au Maroc.

4.1.2. La position des représentants des partenaires socio-économiques

Assez souvent, les centrales syndicales ont exprimé leur mécontentement quant à la stratégie gouvernementale en matière de réforme des retraites. En effet, le mouvement syndical au Maroc accuse le gouvernement marocain de son incapacité à innover et à proposer une réforme complète et globale pour sauver la retraite et assurer la viabilité du système. D’après les syndicats, le gouvernement a choisi en effet la facilité car il ne s’agit pas de réforme mais « des mesures » qui sont au détriment des fonctionnaires et

113 des salariés. D’ailleurs les réformes entreprises par le gouvernement dans d’autres contextes sont également caractérisées par la facilité. En effet, le mot réforme surgit à chaque occasion, presque chaque année : « On réforme les réformes pour les reréformer ». A titre d’exemple, dans le domaine fiscal, la réforme est limitée à la réduction du nombre de taux de TVA par exemple. Même démarche pour résoudre le problème de la caisse de compensation.

Pour les syndicats, ils refusent carrément le triangle maudit proposé par le gouvernement à savoir i) l’augmentation de l’âge de départ à la retraite à 63 ans au lieu de 60 ans actuellement, ii) l’augmentation du taux des cotisations de 20% à 28% ; d’après les centrales syndicales, ce taux est loin des standards internationaux : l’effort de contribution de l’Etat-employeur soit équivalent à 2 fois celui des employés, iii) la diminution des pensions à travers la révision à la baisse de la base de calcul de la pension (de 2,5% à 2%). Ces mesures paramétriques auront comme effet, selon les syndicats, une diminution du taux d’emploi et du pouvoir d’achat tant des actifs que des retraités.

Alors, quelles sont les solutions proposées par les syndicats ? En effet, certaines centrales syndicales proposent que le rééquilibrage de la situation financière de la CMR doive passer d’abord par l’augmentation des salaires et la lutte contre la fraude et l’évasion fiscale ainsi que le ciblage du contrôle fiscale pour pouvoir améliorer les recettes publiques. Ensuite, creuser dans les origines du problème et poursuivre les responsables impliqués dans la crise financière actuelle des retraites au Maroc parce que « la crise n’est pas une force majeure produite par la nature ».

Par contre d'autres appellent à la nécessité de pomper les fonds provenant des dons octroyés par les pays du Golfe dans les caisses de retraite comme une solution à la crise du financement du système. Toutefois, à notre sens, cette proposition manque de pertinence dans la mesure où l’aide n’est qu’une ressource provisoire et exceptionnelle. De même, ces aides sont affectées à des dépenses spécifiques et à des investissements spécifiques. Le gouvernement ne peut pas imposer l’affectation de l’aide pour financer la retraite. La solution devrait donc s’inscrire dans le long terme pour procurer au régime des retraites des ressources stables.

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Ils recommandent aussi la création d’un impôt sur la fortune pour le financement de la retraite. C’est une piste qui pourrait être envisageable mais reste difficile à appliquer dans le contexte marocain vu que l’économique au Maroc est pris en otage par le politique.

Pour ce qui est de l’âge de départ à la retraite, les syndicats préconisent que le relèvement de l’âge soit facultatif, en estimant que « 70% des fonctionnaires vont opter pour le rallongement de la durée de leur service pour avoir une retraite pleine ». Car la face cachée du relèvement de l’âge de départ à la retraite c’est que l’État ne va plus recruter pendant 3ans ou 4ans. Ils estiment également que si une telle augmentation devrait être nécessaire, il devrait augmenter dans certains contextes seulement, notamment pour les militaires. L’âge pour les militaires pourrait passer de 50 ans actuellement à 60 ans parce avancent-ils que parmi les facteurs déclencheurs de la crise : le financement, pendant des années, du déficit accusé par le régime des pensions militaires par les excédents enregistrés par le régime des pensions civiles. Il en découle que par souci d’équité, il serait judicieux d’augmenter l’âge de retraite pour les militaires. Il serait également important d’obliger dorénavant l’Etat, les collectivités locales et les établissements publics de verser leurs contributions à temps11.

Quant à la CGEM, ses positions sont jugées, par ses responsables, non négociables. En fait, dans toute réforme future des retraites, il est obligatoire d’observer les exigences suivantes : en premier lieu, assurer une totale « étanchéité » entre le système couvrant le secteur public et celui couvrant le secteur privé sans pour autant solliciter les salariés du secteur privé pour financer les déficits des régimes du secteur public. En deuxième lieu, la CGEM préconise une réforme dont la mise en place devrait être progressive. 4.1.3. L’avis du Conseil Economique Social et Environnemental (CESE)

Concernant la réforme paramétrique, les mesures proposées par le CESE assureraient au système actuel une viabilité minimale de seulement 5 ans. En premier lieu, le CESE recommande un départ à la retraite à 63 ans. En effet, Concernant l’obligation de prolonger la durée de contribution des affiliés au régime des pensions civiles, le Conseil recommande de relever l’âge de la retraite à 63 ans, à raison

11 D’ailleurs cela est devenu obligatoire avec le nouveau projet de la Loi Organique relative à la Loi de Finances LOLF.

115 de 6 mois par an pendant les six prochaines années. Cette approche doit aussi ouvrir la possibilité à ceux qui le souhaitent d’opter pour l’option de départ à la retraite à l’âge de 65 ans en accompagnant cette mesure par l’introduction d’un échelon supplémentaire dans la grille de la fonction publique, permettant aux affiliés d’améliorer la base de calcul de leurs pensions. Dans ce sens, le CESE appelle à évaluer, au bout de deux ans, les résultats des mesures mises en place, et à en évaluer l’impact sur la viabilité du régime.

En deuxième lieu, une répartition de la cotisation globale est proposée. Ainsi, En relation avec la proposition d’augmentation du taux de cotisation de 20 à 28%, le CESE va dans le sens d’une répartition de la cotisation globale des 28%, pour les salaires inférieurs au plafond, à raison de 12,5% pour l’employé et de 15,5% pour l’Etat/employeur, et ce en application du principe de l’équitable répartition des efforts (principe de répartition d’un tiers pour l’affilié / deux tiers pour l’Etat-employeur pour les régimes de base), et en préparation de la distinction au sein du régime des pensions civiles entre une tranche de base et une tranche complémentaire, ce qui faciliterait la fusion, à terme, avec le RCAR.

Enfin, le CESE appelle à instaurer les principes de gouvernance participative et de transparence basée sur une clarification des prérogatives de gestion et de gouvernance en s’assurant de la représentativité effective de toutes les parties prenantes, notamment de l’Etat, des employeurs et des centrales syndicales les plus représentatives.

4.2. Quel modèle de réforme le plus approprié pour le Maroc

Chaque année, la réforme de la retraite remonte à la surface, avec de multiples annonces d’échéances tout en essayant de s’inspirer de certaines expériences jugées par le gouvernement comme réussies et des avis de certaines institutions constitutionnelles comme le CESE. Toutefois, la question qui se pose est la suivante : sommes-nous toujours obligés de copier des modèles ? Quelles sont les traits d’une réforme pertinente à la marocaine ?

De prime à bord, il convient de souligner qu’on ne peut pas se référer à un modèle qui serait considéré comme universel et applicable à tous les pays car il n’existe nul part. Par contre, toute réforme visant à stopper la crise des retraites au Maroc et en

116 particulier celle de la CMR doit être la résultante d'une démarche ayant examinée le problème dans toutes ses ramifications.

Le point majeur qui est beaucoup plus soulevé dans le débat sur la question des retraites est en rapport avec le modèle de fonctionnement du régime des pensions civiles qui est un régime par répartition. La retraite par répartition signifie que la personne active λ paie, par le biais d’un prélèvement obligatoire, la pension du retraité d’aujourd’hui. La retraite de cette personne λ serait payée par les actifs du futur. Ce régime de répartition est depuis 1996 est provisionné c'est-à-dire quand les cotisations excèdent les prestations, on met l’excèdent dans des réserves. A la base de création du régime des pensions civiles de la CMR en 1930, c’était un régime par capitalisation et ce n’est qu’en 1950 qu’il a été transformé en système par répartition12. A l’inverse de la répartition, le régime par capitalisation est un régime où les actifs constituent eux même leur propre retraite et qui vont en profiter par la suite. C’est un système qu’on trouve aux Etats-Unis par exemple.

Dans le débat actuel sur quel mode de fonctionnement est le plus fiable pour le Maroc entre la répartition et la capitalisation, certains avancent que la capitalisation est la solution meilleure. Toutefois, on ne peut pas aller à l’heure actuelle au système par capitalisation car il est difficilement soutenable. Car il faut a priori avoir un PIB important. Il faut qu’on aille au Maroc des revenus individuels importants pour passer à ce système. La capitalisation peut être adoptée comme un complément mais au vu des problèmes structurels et des déficits techniques des différents régimes, la capitalisation ne peut pas être une solution réaliste et pertinente. Car lorsqu’on voit les chiffres, on s’aperçoit que la moyenne de la retraite dans le public est de 6000 dhs. Au niveau du RCAR, elle est de 4000 dhs. Aussi, au Maroc, ⅓ uniquement de la population ont accès à la retraite, ce qui fait un taux de couverture de 33% alors que 8 millions d’habitants n’ont pas de retraite selon les chiffres officiels.

Dans ces conditions, il faut dire que la capitalisation peut être bonne pour un pays comme la Suède qui a un revenu individuel de 127 SPA13 (c’est à dire plus de 20 000

12 A l’instar de la France, le régime par capitalisation a été adopté au Maroc pour la première fois en 1930. En copiant le modèle de la France qui a passée à la répartition en 1947, le Maroc adopte, lui aussi, le régime par répartition depuis 1950 jusqu’à aujourd’hui. 13 D’après les données d’Eurostat 2013.

117 euros pas individu et par an) mais pas pour le Maroc puisque le revenu est de moins de 3000 $ par individu et par an.

Dans le débat sur comment retrouver l’équilibre financier des systèmes de retraite, certains voient également que le gouvernement aurait pu trouver une solution que le citoyen pourra accepter facilement loin de la réforme paramétrique envisagée tel qu’un impôt sur la fortune, comme le Portugal l’a fait, et affecter une partie de cet impôt pour les retraites. Mais cela semble difficile à mettre en place car le citoyen ne peut pas accepter de payer l’impôt pour financer la retraite d’une telle ou telle personne14.

Dans ce sens, certains ne cessent de faire des comparaisons avec des pays qui n’ont pas la même structure budgétaire qu’au Maroc. Un impôt sur la fortune peut être prévu pour financer la construction des écoles et des hôpitaux mais pas pour la retraite. De plus, si on sait que l’Etat s’endette pour faire des investissements publics dans plusieurs domaines du développement économique et social du pays, alors comment demander au gouvernement de consacrer l’impôt sur la fortune juste pour payer la retraite des fonctionnaires ?

Aussi, en matière de la réforme paramétrique proposée par le gouvernement, plusieurs recommandations sont tout à fait nécessaires : il est d’abord fondamental d’introduire des mesures visant l’amélioration des règles de gestion et le développement du processus d’extension de la protection sociale. Il est en effet important de procéder à une rapide mise en place de schémas devant intégrer la population des actifs non salariés selon une démarche progressive et en se focalisant d’abord sur les catégories professionnelles faciles à intégrer comme les professions libérales et de manière générale les employeurs non salariés.

Ensuite, pour toute réforme, il est d’une importance extrême d’observer et prendre notamment en considération l’évolution de l’espérance de vie, le pouvoir d’achat des cotisants et pensionnés ainsi que la compétitivité économique du Maroc. Une étude quantitative dans ce sens sur l’impact d’une telle réforme paramétrique sur les acteurs concernés par cette réforme est nécessaire pour mieux agir en connaissance de cause.

14 Il faut distinguer ici entre un prélèvement obligatoire telle la cotisation de retraite et les prélèvements fiscaux.

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En troisième lieu, il serait très judicieux d’harmoniser autant que possible les paramètres de l’âge, du taux de cotisation, de la base de liquidation et taux de remplacement dans tous les régimes publics et privés de manière à en rapprocher les règles de fonctionnement et, à terme, faciliter la convergence vers une réforme plus large du système de retraite dans son ensemble avec deux pôles performants : un pôle public et un autre privé.

Pour terminer, il est important de prendre quelques précautions en matière de réforme : tout d’abord, pour le relèvement de l’âge il devrait être obligatoire dans la fonction publique mais devrait être effectué progressivement suivant une cadence trimestrielle par exemple. Ensuite, pour le secteur privé, le prolongement de l’âge de départ à la retraite devrait être optionnel. Enfin, un traitement particulier devrait être réservé aux cas des cotisants ayant travaillé dans des activités impliquant une pénibilité et pour des interruptions de carrière telles que celles liées à la maternité et au chômage.

5. Conclusion

Les systèmes de retraite au Maroc sont aujourd’hui sur le bord de l'effondrement. Comme nous l’avons démontré plus haut, la situation financière de ces régimes est très critique. La réorganisation du système de retraite au Maroc est plus que nécessaire pour le rendre plus homogène et plus rentable. Ceci passe par la fusion des caisses de retraite en deux pôles un pôle public et un pôle privé qui fonctionneront dans le cadre d’une approche solidaire et complémentaire. Ainsi, pour assurer l’équité entre toutes les composantes de la population active au Maroc, toutes les personnes appartenant à ces deux nouveaux systèmes seront soumises aux mêmes règles concernant les cotisations et pensions. Grâce à cette harmonisation, la situation financière de ces régimes ne peut que connaitre une nette amélioration comparativement à la situation financière de chaque caisse lorsqu’elle fonctionne individuellement. L’objectif est de converger vers un solide système social qui uniformise en quelque sorte les visions des acteurs sociaux autour d'un projet social d'avenir, en vue d’inscrire le pays dans une stratégie sociale intégrée s'appuyant sur des programmes et des mécanismes efficients au service du progrès social.

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Néanmoins, les scénarii de réforme envisagés par le gouvernement seraient très coûteux pour les fonctionnaires et les salariés à court et moyen terme car la réforme est mise en place trop tard. Il est clair que c’est les fonctionnaires et les salariés qui seront les grands perdants de la réforme dans la mesure où le gouvernement leur propose de travailler plus, de cotiser plus mais de toujours toucher moins. Aussi, d’un point de vue macro-économique, l’augmentation de l’âge de départ à la retraite aboutit à l’allongement de la durée de contribution, à la réduction de la période de service de la pension et à l’augmentation de la masse des cotisants.

Pour conclure, le problème de la retraite n’est pas démographique lié à l’augmentation du nombre de retraités comme il est toujours rappelé par le gouvernement puisque même dans plusieurs pays industrialisés la pyramide des âges est marquée par un vieillissement de la population sans précédent, mais c’est plutôt un problème de redistribution de richesse. Christiaan Poortman, vice-président de la Banque Mondiale l’avait souligné à juste titre : « dans les pays du Moyen orient et d’Afrique du Nord, dans lesquels les jeunes représentent 60% de la population, les régimes de retraite sont en crise financière et le problème est plutôt structurel et non pas démographique ».

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Références bibliographiques

[1] Al Maliya (2007). « Le système de retraite au Maroc », n°40 Page 32, Mars, Rabat Maroc. [2] CGEM (2010). Commission emploi et relations sociales. « La réforme des régimes de retraite vue par la CGEM». Casablanca-Maroc. [3] Conseil d’orientation des retraites- Direction de l’information légale et administrative, Paris. Adresse consultée : http://www.cor-retraites.fr/ [4] Conseil Economique, Social et Environnemental, (2014). Avis au sujet des Projets de lois relatives au régime des pensions civiles, Saisine n° 10. Rabat Maroc. [5] Cour des comptes (2013). « Système de retraite au Maroc : diagnostic et propositions de réformes » Rapport, Rabat-Maroc. [6] Haut-Commissariat Au Plan, Prospective Maroc 2030. (2005). « Changement démographique et ses répercussions à long terme sur les charges de protection sociale : cas des retraites ». Rapport, Rabat-Maroc. [7] Loi n° 43-95. Caisse Marocaine des Retraites. Rubrique législation. Adresse consultée : http://www.cmr.gov.ma/ [8] Othman MOUDEN (2010). « Le départ volontaire de la fonction publique : une étude des causes et des conséquences ». Mémoire pour l’obtention du master en droit public, Faculté des Sciences Juridiques, Economiques et Sociales, Rabat- Maroc. [9] Salah-Eddine BENJELLOUN (2012). « Une première évaluation des réformes des retraites au Maroc : Redistribution, inégalités et pauvreté ». Bordeaux-France. [10] Union Générale des Travailleurs du Maroc (UGTM), http://www.ugtm.ma/ [11] Union Marocaine du Travail, http://www.umt.ma/ [12] Union Syndical des Fonctionnaires, http://www.umt.usf.com

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Circuits de distribution des produits pharmaceutiques: opportunités logistiques et contraintes réglementaires

AMRI Mostapha, Enseignant – Chercheur, E.N.C.G, Université Hassan II -Casablanca. Résumé:

Le produit pharmaceutique est un produit particulier. Cette particularité se justifie à plusieurs niveaux: -c’est un produit qui est destiné à un consommateur qui se trouve dans des circonstances particulières (un patient en situation de souffrance ou de danger), et donc son manquement, aussi bien en termes de quantité que de qualité et dans les délais, ne pourrait que mettre en jeu la vie de ce consommateur, voire son décès; -c’est un produit, dans la consommation, touche directement le corps humain (organisme), et donc toute éventuelle erreur dans sa fabrication ou dans sa distribution (utilisation du médicament périmé, prescription erronée d’un médicament,...) aurait des conséquences très graves sur la santé du malade (accentuer le mal plutôt que de le guérir). C’est dans ce sens que l’intervention du législateur et l’encadrement de cette activité sont bien marquantes. Cette réglementation concerne aussi bien le processus de la production que celui de la distribution. Dans le cadre du présent article, nous essayerons d’identifier les spécificités de la chaîne logistique de ce genre de produits, et voir comment la logistique (en tant que démarche de maîtrise des flux informationnels et flux physiques) pourrait soutenir cette chaîne logistique des produits spécifiques destinés à la santé publique. Mots clés : Chaîne logistique, produit pharmaceutique, réglementation, circuit de distribution. Abstract: The pharmaceutical product is very particular. This feature is justified on several levels: - It is a product that is intended for a consumer who is in special circumstances (a patient experiencing pain or danger), and therefore the failure of the product, both in terms of quantity than quality and also in term of time, could endanger the life of the consumer, or even his death.

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- that a product which its consumption directly affects the human body, and therefore any errors in its manufacture or distribution (use of expired medication, incorrect prescription of a drug, ...) would affect very seriously health of the patient (accentuate the sickness rather than cure). It is in this sense that legislative intervention and supervision of this activity are significant. This regulation applies both to the production process as that of the distribution. In the context of this article, we will try to identify the specific supply chain of these products, and how logistics (as carefully managing the information flows and physical flows) could support this supply chain products specific for public health.

Keywords: Supply Chain, pharmaceuticals, regulation, distribution circuit.

ملخض: مساراث تُسٔع المىتُجاث الظٕذلٕت: الفزص اللُجستٕكٕت َ اجبارٔت التقىٕه

المىتُج الظٕذلٓ ٌُ مىتُج تتجلّ خظائظً فٓ:

اوً مىتُج مُجً لمستٍلك ُٔجذ فٓ ظزَف خاطت )مزٔغ فٓ دالت عالج ...( فقذاوً كمٕا َ وُعٕا َ سماوٕا ٔمكه ان ٔعزع المذتاج للخطز بل المُث.

اوً مىتُج ٔستٍلكً الجسم البشزْ مباشزة َ بالتالٓ كل خطا فٓ اوتاجً َ تُسٔعً ٔمكه ان تكُن لً وتائج خطٕزة علّ طذت المُاطه.

علّ ٌذي األسس ٔظبخ لشاما تقىٕه َ تاطٕز ٌذا الىشاط المٍىٓ المٍم جذا علّ مستُِ سلسلت االوتاج َ التُسٔع َ ٌىا ٔطزح دَر اللُجستٕك َ تذبٕز الشبكت اللُجستٕكٕت مه االوتاج الّ المعلُماتٕت َ التُسٔع مما ٔذسه طذت المُاطه َ قطاع الظذت العامت.

كلماث المفاتٕخ: المىتُج الظٕذلٓ، ألتقىٕه، شبكت التُسٔع، السلسلت اللُجستٕكٕت Introduction La logistique, comme une démarche de gestion des flux informationnels et des flux physiques, a connu son essor vers les années 40 dans le secteur militaire (victoire des alliés contre les troupes allemandes). Le secret de ce succès était bien justifié, en grande partie, par le bon suivi de l’intendance (ravitaillement en munition et en alimentaire sur mesure) de l’armée sur les fronts de la bataille. C’est grâce à cette réussite importante que les principes logistiques ont été fortement recommandés et appliquer, dorénavant, dans tout genre d’activité à marché aléatoire1. Le management logistique s’est développé pour répondre, justement, à une problématique d’adaptation de l’offre à une demande qui fluctue dans tous les sens (éviter de se retrouver dans des situations de sous ou de surcapacité). Le secteur de la

1 FIVET. G.G. «De la stratégie militaire à la stratégie d’entreprise», Inter Edition, Paris, 1992.

84 santé, et dans toutes ces composantes, ne sera pas épargné de ces mutations de caractère universel. Dans cet article, nous essayerons de clarifier en quoi consiste l’importance de la logistique dans la maîtrise de la chaîne de distribution de l’entreprise comme celles opérant dans le secteur des produits pharmaceutiques? Pour répondre à cette problématique, nous proposons les hypothèses et la méthodologie suivantes: Hypothèses retenues: -La performance de la logistique de distribution a un impact direct sur la compétitivité de l’entreprise; -Le produit pharmaceutique est un produit relativement complexe, dans son processus de «production- distribution», en comparaison aux autres produits de nature différente (produits industriels,…). Cette complexité s’explique, en grande partie, par la forte réglementation du secteur des produits pharmaceutiques, en tant que condition nécessaire, pour garantir la disponibilité d’un produit vital (médicament) pour la santé humaine. Dans le traitement de cette problématique et pour confirmer ou infirmer les hypothèses proposées, nous allons nous référer aux principes du management logistique et à un cas pratique sur une société de répartition des produits pharmaceutiques opérant sur l’espace marocain2. Le plan de notre écrit sera organisé comme suit: -dans un premier temps, nous rappelons le rôle de la logistique et particulièrement la logistique de distribution sur la performance de l’entreprise; -dans un deuxième temps, nous présenterons, de manière succincte, quelques données sur l’activité de l’industrie pharmaceutique au Maroc; -Et en fin, nous étudierons le circuit de distribution d’une société de répartition des produits pharmaceutiques tout en essayant d’analyser les propos de ses clients, et de voir comment une bonne pratique des principes de la logistique pourrait améliorer sa chaîne de distribution.

2 Il s’agit d’une société de distribution des produits pharmaceutiques implantée sur la ville d’Agadir (cette société a été retenue comme champ d’application dans le cadre d’une recherche de Master en Management stratégique et logistique au sein de la faculté F.S.J.E.S d’Agadir, travail qui a été réalisé par Mme Nima Hassan MIGUIL, sous l’encadrement du Professeur Mostapha AMRI au titre de l’année universitaire 2009-2010).

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1-En quoi consiste l’importance de la logistique dans la performance de l’entreprise?

La logistique, comme une démarche récente de gestion, s’est développée pour donner assez de souplesse à l’entreprise opérant, ces dernières décennies, dans un contexte caractérisé par des changements rapides et incertain. L’enjeu de la compétitivité réside, surtout aujourd’hui, dans la maîtrise de la gestion de la circulation/distribution (ère de la production est révolue). C’est dans le cadre de cette gestion de distribution qu’on pourrait soutenir l’offre (quantitativement et qualitativement) pour s’adapter à une demande fortement exigeante (quantité variante, prix réduit, délai précis,…)3. Pour y répondre à telle situation, la logistique a connu plusieurs innovations et renforcements dans sa démarche et ses principes. Actuellement, on parle de la logistique amont, de la logistique de production, de la logistique de distribution, de la logistique de retour, etc. Toutes ces composantes forment une chaine logistique qui devra être maîtrisée de bout en bout dans le sens du supply chain management (SCM)4. Alors quel est le rôle de la «logistique de distribution»? Et quel est son poids dans la chaîne logistique globale?

1.1-L’évolution de la notion de distribution: d’une vision marketing restrictive à une conception logistique élargie.

La notion classique de la distribution constitue une des quatre composantes formant le marketing Mix (Produit, Prix, Communication et Distribution). Selon cette vision, la distribution de l’entreprise complète les autres composantes du Marketing – Mix (produit, prix et communication). Elle a pour mission d’assurer le déplacement du produit fabriqué auprès du consommateur (le rendre accessible spatialement). Il s’agit d’une opération pure et simple d’acheminement ou du transport. Mais avec les nouvelles exigences du client, notamment en matière de délai, de conditionnement, de coût, etc., la distribution, dans sa conception classique, est devenue incapable pour soutenir l’entreprise à surmonter les nouveaux aléas du marché (éviter de se retrouver dans des

3 AMRI.Mostapha, «Management logistique», Support du cours, Master en Management stratégique et logistique au sein de la faculté F.S.J.E.S d’Agadir, Années Universitaires 2009-2012. 4 SAMII A.K., «Supply Chain Management», 3ème Edition, Dunod, 2006.

86 situations de rupture de stock, de surstock,…). La distribution devra s’ouvrir à de nouvelles missions ayant des impacts directs sur tout déplacement ou circulation comme les opérations du conditionnement, d’entreposage, d’emballage, d’étiquetage, de groupage, d’envois express de petits lots, etc. De même, la nouvelle fonction de la distribution ne devra pas se limiter juste à l’opération de livraison, c'est-à-dire après la production, mais l’acte de déplacement devra être bien maîtrisé en amont, pendant et après l’opération de la production. Ceci étant, quel serait l’impact de cette logistique de distribution sur la rentabilité de l’entreprise?

1.2-La logistique de distribution: une fonction créatrice de la valeur.

Effectivement, aujourd’hui, on mesure le progrès des entreprises et même des pays sur la base des indicateurs logistiques (à titre d’exemple, le coût logistique marocain représentait, en moyenne 20% de son B.I.P selon les données de 2006 et ne s’est amélioré que très faiblement jusqu’à présent, alors que celui des pays développés est, en moyenne, entre 10 et 15%)5. Donc, tout l’enjeu de la compétitivité se joue sur la maîtrise de ce coût énorme lié à la gestion de la circulation (transport) et tout ce qui va avec (stockage, entreposage, conditionnement,…). Dans ce sens, et avec l’éclatement du système productif (intervention de plusieurs acteurs dans une opération de production pour en profiter de la compétence des uns et des autres) et la mondialisation des marchés (fournisseurs et clients mondiaux), le produit, se trouvera en plein mouvement dans toutes ses étapes de production et de commercialisation. C’est donc dans la maitrise des coûts de ces mouvements que se crée la valeur (par la recherche de la spécialité et les marchés internationaux) et la différence entre les entreprises. Les représentations suivantes illustrent bien cette augmentation en nombre de déplacements (et donc de circulation/distribution) dans le cadre du nouveau système de production par comparaison à celui existait auparavant6.

La pace du transport/distribution dans le système de production classique:

5 Rapport de la banque mondiale, 2006. 6 Mostapha AMRI, op.cit.

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Après avoir rappelé l’importance de la logistique de distribution dans l’adaptation de l’offre à la demande d’une manière générale, nous allons, dans ce qui suit, étudier ses apports pour le cas du secteur des produits pharmaceutiques en prenant comme champ d’application le cas de la distribution des médicaments au Maroc. 2-Quelques données sur le secteur pharmaceutique marocain: Le marché pharmaceutique marocain est animé par de nombreux acteurs aussi bien nationaux qu’internationaux. Le tableau suivant, présente quelques données caractéristiques sur le secteur. Données caractéristiques sur le secteur Chiffres clés pharmaceutique marocain Nombre de laboratoires membres de l’AMIP 28 Nombre de laboratoires au Maroc 32 Nombre de pharmacies au Maroc 12.000 Nombre de grossistes 50 Importations 35% de la demande Exportation 7 à 8% de la production Nombre d’unités produites 293 Millions d’unités Source : site Web AMIP7, Janvier 2013.

7 AMIP : Association Marocaine de l’Industrie Pharmaceutique.

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Mais comment s’organise –t- elle la distribution des médicaments entre ces différents intervenants?

2.1-La distribution des médicaments au Maroc:

La distribution des médicaments se fait par le biais des laboratoires fabricants, de grossistes (appelés répartiteurs) et des détaillants (pharmaciens d’officine). Environ 80 % des produits sont distribués selon le circuit suivant:

Laboratoire Grossistes Pharmacie Consommateur (patient).

Pour le reste (soit 20%) des produits, leur distribution est effectuée directement entre les laboratoires, les pharmacies et les cliniques. D’une manière générale, la distribution des médicaments au Maroc se répartit entre les intervenants du secteur comme l’indique le schéma suivant.

Source : S.I.C Consultants (étude au profit du Conseil de la Concurrence), « Etude sur la concurrentiabilité du secteur de l’industrie pharmaceutique », Rapport de synthèse, 2011, p.11.

Les activités des différents intervenants dans le secteur des médicaments (fabricant, distributeur) sont bien réglementées. Mais qu’on est –il des apports et des limites de cette réglementation?

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2.2- Encadrement juridique du secteur des médicaments au Maroc:

Le secteur des médicaments au Maroc (comme ailleurs) est régi par plusieurs textes juridiques encadrant les activités des différents acteurs intervenant dans le secteur (laboratoires, distributeurs grossistes, pharmacies,…)8. Cette réglementation concerne le produit «médicament» dans toutes ses étapes de réalisation, et touche par conséquent pleinement l’opération de distribution (réglementation des prix, réglementation du stockage, réglementation du transport, réglementation de l’emballage,…). Dans le point suivant, nous allons nous limiter au cas de la réglementation des prix et du stockage, et voir son impact sur le fonctionnement de l’entreprise de distribution.

2.2.1-Réglementation du prix du produit «médicament» et son impact sur sa logistique de distribution:

La réglementation du prix des médicaments est justifiée par le fait que c’est un produit de première nécessité, et qui devra être accessible et à la disposition de tout citoyen en cas de besoin. L’Etat intervient, souvent, pour assurer cette accessibilité en subventionnant les médicaments dont le prix de revient est jugé élevé. Dans la structure du prix, certaines composantes touchent directement le transport, l’emballage et la marge réservée aux distributeurs, et donc tout le volet de la logistique de distribution. Dans le cadre de la loi marocaine9, ces composantes sont réglementées et le distributeur est tenu de les respecter. A titre d’exemples:

8 On pourrait noter parmi ces textes juridiques : -Dahir n°1-06-15 du 22 novembre 2006 portant promulgation de la loi n°17-04 (code du médicament et de la pharmacie) ; -Dahir portant loi n°1-75-453 du 17 novembre 1976 instituant l’ordre des pharmaciens ; -Dahir du 14 janvier 1950 réglementant la fabrication, la vente et la distribution des vaccins, des sérums thérapeutiques et divers produits biologiques ; -Décret n°2-72-373 du 24 avril 1974, portant création d’un laboratoire national de contrôle des médicaments et des spécialités pharmaceutiques ; -Dahir portant loi n°1-75-286 du 17 décembre 1976, créant l’Office National des produits pharmaceutiques et du matériel médical. 9 -Arrêté du Ministre de la santé publique n°465-69 (1er décembre 1993) fixant le mode de calcul des prix des spécialités pharmaceutiques fabriquées et conditionnées au Maroc ;

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-Le coût du transport et d’emballage, qui dépasse au Maroc les 5% du Chiffre d’affaires (C.A) hors taxe des médicaments commercialisés, est majoré selon des coefficients réglementés. Dans ce sens, le coût du transport et d’emballage sera majoré de 1% si ce coût atteindra une valeur entre 5 et 6% du C.A Hors taxes, et il sera majoré de 2% s’il atteindra un montant entre 6 et 7 % du C.A, etc. -La réglementation fixe, aussi, les marges réservées aux distributeurs: un taux de 30% sur le prix public10 est réservé au pharmacien d’officine et 10% sur le prix pharmacien11 au profit des grossistes répartiteurs.

2.2.2-Réglementation du stock de sécurité et son impact sur la performance de l’entreprise de distribution:

Par application des dispositions de la loi marocaine n° 009-74112, toute société de fabrication et d’importation des produits pharmaceutiques est tenue de constituer, en permanence, un stock de sécurité. Ce stock doit être égal à 25% des ventes de l’année précédente. De même pour les établissements de répartition (distribution), ils devront détenir un stock au moins égal à 50% du total de leurs ventes réalisées durant l’exercice précédent. Cette réglementation fixant les prix du transport, de l’emballage, de la distribution et du stockage constitue, en dehors de sa portée de protection du consommateur, un handicap majeur pour les intervenants dans la chaîne de distribution et ce à plusieurs titres: -avoir un stock de sécurité, en permanence, de 25% pour les pharmacies et de 50% pour les distributeurs sur la base de leurs ventes précédentes, constitue certainement une charge importante en matière du capital investi et des frais de stockage pour un produit sensible et de durée de vie limitée (date limite de validité du médicament). La logique, et pour réduire davantage ces coûts, se veut le contraire et propose d’éviter la possession de tout éventuel stock, et pour toutes les étapes du processus de réalisation du produit (stock de matière première, stock du produit semi-fini, stock du produit fini et stock de

-Arrêté du Ministre de la santé publique n°2365-93 (1er décembre 1993) fixant le mode e calcul des prix des spécialités pharmaceutiques d’origine étrangère admises à l’importation et destinées à l’usage de la médecine humaine et vétérinaire. 10 Prix Public Maroc=Prix Pharmacien + marge Pharmacien. 11 Prix Pharmacien= Prix grossiste + marge grossiste. 12Loi relative au stock de sécurité.

91 leurs emballages). La logistique envisage, en contre partie, des solutions alternatives plus importantes permettant aussi bien de protéger le consommateur que de réduire, au maximum, le coût de distribution au profit des différents intervenants de la chaîne de distribution. Parmi ces solutions, on pourrait envisager à titre d’exemples:

*la création des plates formes internationales/nationales ou régionales de distribution à l’image de ce qui se fait dans la grande distribution: existence des centrales d’achat qui se chargent de l’achat regroupés et du ravitaillement des différents supermarchés au fur et à mesure de la déclaration de leur besoin;

*des collaborations entre les pharmacies par région/ville (complémentarité et coordination en matière de gestion de stock: chaque entité complète l’autre en cas de besoin) ;

*le redéploiement du moyen de transport (transport sur mesure, rapide et de qualité) entre le fabricant et le grossiste et le pharmacien.

*le redéploiement du moyen de production (rentabilité et fiabilité du système de production: travail en réseau entre les producteurs, pour faire face à tout éventuel problème de capacité, par exemple en cas de besoin urgent et en quantité importante);

*De même la possession d’un stock de sécurité sur la base des données du passé n’a pas de sens du fait que les besoins sont relativement instables (si on fait exception de quelques épidémies qui se répètent par période ou saison –comme la grippe durant l’hivers- et auxquelles il faudrait préparer, d’avance, les vaccins nécessaires).

* Et il serait aussi intéressant de classer les articles de stocks par ordre de priorité (produit trop demandé, produit rare et de provenance lointaine, produit à prix élevé,…).

Dans le point suivant, nous essayerons d’analyser le circuit de distribution adopté par une société de répartition des médicaments sur l’espace marocain.

3- Analyse du circuit de distribution des médicaments de la Société de Répartition des Médicaments d’Agadir (SOREMED):

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La société SOREMED13 est un grossiste répartiteur des produits pharmaceutiques et parapharmaceutiques. Elle propose plus de 10.000 références à ses 1200 clients (en grande partie des pharmacies -99%-). Le processus logistique de la société SOREMED se compose des sous processus suivants:

-Le processus d’approvisionnement se charge des achats. Le responsable achat détermine les quantités à commander toutes les trois semaines en se basant sur l’historique des ventes mensuelles et sur le stock de sécurité exigé par la réglementation. -Le processus Magasin et Stock: Ce service se charge du stockage et de l’approvisionnement des rayons du magasin selon certains critères d’organisation comme la date de péremption, etc. -Le processus de préparation des commandes: ce processus a pour mission la prise des commandes, leur gestion et leur livraison. Les commandes sont regroupées et imprimées en fonction des heures de départ des tournées. -Le processus d’expédition et de livraison: pour assurer sa mission de distribution, la société est dotée de son propre parc composé d’environ 90 véhicules et 12 motos, et de

13 SOREMED (Société de Répartition des Médicaments d’Agadir) : société S.A, crée en 2012 et ayant un effectif d’environ 300 salariés.

93 trois sites de distribution répartis sur le territoire marocain (site de la société SOREMED implanté sur Agadir et qui ravitaille la clientèle de toute la région du Sud, le site de Casablanca supervisé par sa filiale GPM et qui approvisionne la clientèle de la région centrale du Maroc et le site de Fès assuré par sa filiale CPRE qui se charge de l’approvisionnement de la clientèle des régions du Nord et de l’Oriental). Ceci dit, mais que pense-t- elle la clientèle (les pharmacies) des prestations de distribution offertes, à présent, par la société SOREMED? Pour connaître leur avis sur ces prestations, plusieurs questions leur ont été posées14 sur les délais de livraisons (commandes normales, commandes urgentes), sur les disponibilités des produits, sur l’emballage, sur les réclamations du client, etc. Nous présentons, ci-après, quelques exemples de réponses déclarées par la clientèle : -A propos du délai de livraison des commandes normales: 80% des clients ont déclaré satisfaits. Les clients non satisfaits sont souvent les plus lointains du site de distribution, cela veut dire que la société ne maîtrise pas assez ses circuits longs (problème de transport). -A propos du délai de livraisons des commandes urgentes: le taux de satisfaction n’a pas dépassé 73%. Alors que pour ce genre de commandes, les livraisons devront être satisfaites à 100% (produit de première nécessité). En effet, la non disponibilité du médicament pour ces situations urgentes aura des conséquences lourdes aussi bien sur le consommateur (la vie du patient pourrait être en danger) que sur l’image de marque de la pharmacie distributrice. Pour faire face à ce genre de problèmes, la société SOREMED a intérêt à développer des partenariats avec d’autres distributeurs pour la remplacer dans les zones difficilement à ravitailler en cas d’urgence (pharmacies lointaines,…). -Concernant la question sur la disponibilité des médicaments: 88% des sondés sont satisfaits. Pour améliorer ce taux, la société SOREMED devra revoir sa logistique amont (améliorer ses circuits de transport avec ses fournisseurs, tisser des relations de

14 Dans le cadre d’une étude de recherche de Master (Nima Hassan Miguil, « Etude de l’impact de la logistique sur la rentabilité de l’entreprise : cas de la société de répartition des médicaments d’Agadir (SOREMED)», Master en management stratégique et logistique, F.S.J.E.S d’Agadir, sous l’encadrement du Professeur AMRI Mostapha, A.U 2009-2010).

94 partenariats avec d’autres distributeurs, encourager des collaborations entre ses clients - pharmacies- par région, etc.). -Une dernière question a été posée aux pharmacies sur les critères de choix sur lesquels se baseront pour retenir leurs fournisseurs. Le tableau suivant, présente les principaux critères cités. Critère Poids (en %) Disponibilité des produits 32,30 Traitement des avoirs 15,10 Facilité de paiement 10,90 Respect du délai de livraison 9,8 Rapidité dans le traitement des 7,4 commandes urgentes Le relationnel 5,6 Traitement des réclamations 4,2 Autres critères 14,7

Il ressort de ces données que le client (pharmacie), dans son choix des fournisseurs, se base beaucoup plus sur les critères logistiques comme la disponibilité du produit, le respect du délai de livraison, le traitement rapide des commandes urgentes, etc., critères difficile à satisfaire en l’absence d’une stratégie logistique claire et touchant tous les intervenants du processus «production – distribution» du produit médicament. Conclusion En guise de conclusion, nous pouvons dire que: -La logistique de distribution contribue efficacement dans l’adaptation de l’offre logistique aux mutations rapides de la demande afin d’éviter l’entreprise de se trouver dans des situations de sous ou de sur capacité. Cette contribution pourrait être envisagée dans plusieurs actions: actions sur les moyens de transport mobiles, actions sur l’infrastructure fixe par la création, par exemple, des plates formes de groupage et de distribution, actions en matière de gestion et d’organisation dans le cadre de partenariats et de coopérations entre les différents acteurs de la chaîne logistique de distribution, etc. -Le secteur des produits pharmaceutiques est fortement réglementé en vue d’assurer en permanence la disponibilité du produit médicament et donc protéger le consommateur (rendre le médicament, en tant que produit stratégique et de première nécessité, accessible à tout le monde). Pour répondre à cette réglementation, l’entreprise se

95 trouvera confronter à plusieurs contraintes de caractère logistique et qu’il faudrait surmonter (dotation d’un stock de sécurité obligatoire, réglementation des prix du transport,…). Dans ce contexte, l’application des principes logistiques par l’entreprise de distribution pourrait jouer un rôle crucial dans la maîtrise de ces contraintes, et donc filtrer les effets indésirables de la réglementation (réduire davantage le stock de sécurité et les coûts du transport et de distribution). -La compétitivité entre les distributeurs des produits pharmaceutiques se joue, particulièrement, dans la qualité de leurs stratégies logistiques (stockage, transport, disponibilité, conditionnement,….) du fait qu’ils se trouvent, tous, sur les mêmes pieds d’égalité aussi bien du point vue règlementation à appliquer que du point de vue produit (médicament) proposé à la commercialisation. Références bibliographie : Ouvrages, supports de cours et mémoires: -AMRI M., «le transport et la logistique», Support de cours, F.S.J.E.S d’Agadir, (A.U 2009-2012). -FIVET G.G., «De la stratégie militaire à la stratégie d’entreprise», Inter Editions, Paris, 1992. -HASSAN MIGUIL.N, «Etude de l’impact de la logistique de distribution sur la rentabilité de l’entreprise: cas de la société de répartition des médicaments d’Agadir», Master spécialité Management stratégique et logistique, Faculté F.S.J.E.S d’Agadir (A.U 2009-2010). -Rapport de la Banque Mondiale 2006. - SAMII A.K., «Supply Chain Management», 3ème Edition, Dunod, 2006. - S.I.C Consultants (étude au profit du Conseil de la Concurrence), « Etude sur la concurrentiabilité du secteur de l’industrie pharmaceutique », Rapport de synthèse, 2011. Textes juridiques et Webographie: -Dahir n°1-06-15 du 22 novembre 2006 portant promulgation de la loi n°17-04 (code du médicament et de la pharmacie) ; -Dahir portant loi n°1-75-453 du 17 novembre 1976 instituant l’ordre des pharmaciens ; -Dahir du 14 janvier 1950 réglementant la fabrication, la vente et la distribution des vaccins, des sérums thérapeutiques et divers produits biologiques ;

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-Décret n°2-72-373 du 24 avril 1974, portant création d’un laboratoire national de contrôle des médicaments et des spécialités pharmaceutiques ; -Dahir portant loi n°1-75-286 du 17 décembre 1976, créant l’Office National des produits pharmaceutiques et du matériel médical. -Arrêté du Ministre de la santé publique n°465-69 (1er décembre 1993) fixant le mode de calcul des prix des spécialités pharmaceutiques fabriquées et conditionnées au Maroc ; -Arrêté du Ministre de la santé publique n°2365-93 (1er décembre 1993) fixant le mode e calcul des prix des spécialités pharmaceutiques d’origine étrangère admises à l’importation et destinées à l’usage de la médecine humaine et vétérinaire. -Loi 009-741 du 1é octobre relative au stock de sécurité. -WWW.amip.org.ma.

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