ENTRETIEN LE CHEMIN DU ROY (1re partie) Au début de la colonie, il n’existait pas de réseau routier, mis à part quelques sentiers, tels ce chemin de bois, dit grande allée ou grande ligne, qui reliait dès 1650 la pointe ouest du Cap-aux-Diamants et Cap-Rouge1. Pour se déplacer, on utilisa d’abord la route fluviale, puis des chemins de grève, tracés sur terre battue à 12 mètres environ en deçà de la ligne des plus hautes marées, conformément à cette ordonnance du Conseil souverain, datée du 13 mai 1665 : …il est nécessaire que les clotures… soient… apposées à deux perches au dessus des plus haultes marées… pour la liberté tant du passage des charrettes et bestiaux que de la navigation. Enjoinct à toutes personnes de reformer celles qui sont plus que les dites deux perches… à peyne de tout despens d’hommages et intérests et mesmes d’amendes… Durant plus de 80 ans, des charrettes tirées par des bœufs puis des chevaux franchiront ces routes rudimentaires, ancêtres du chemin royal. Nous ne croyons pas faire fausse route en prétendant, comme plusieurs auteurs, que l’actuelle route 138 sur la rive nord du fleuve suit, dans son ensemble, le parcours original du chemin du Roy, sauf lorsqu’on a dû bifurquer par l’intérieur des terres. À l’origine, cette voie de communication fut entreprise sous l’impulsion de quelques grands voyers, à qui fut conférée la charge des voies publiques. LES GRANDS VOYERS L’office de grand voyer est attribué en 1657 par la Compagnie des Cent-Associés à René Robineau (de Bécancour). Mais le besoin des routes ne paraissant pas si nécessaire, on ne mentionne pas ses devoirs. Le sieur de Bécancour, baron de Portneuf... se contente de recevoir son salaire en oubliant les routes... Bien plus, en 1663, la… compagnie des Indes Occidentales lui donne de nouveau le dict office2. Robineau décède en 1699, et le poste échoit à son fils Pierre. Bien que toute la rive nord du fleuve Saint-Laurent ait été concédée en seigneuries depuis 1681, Pierre Robineau s’occupa peu de ses fonctions. En effet, après son décès en 1729 dans son manoir de Bécancour, on ne relèvera de lui que 82 interventions en 28 ans (10 en 1710, et ensuite 4 par année)2 – soit moins de trois par année! Pourtant, le 2 février 1706, le Conseil supérieur stipulait par règlement qu’on construirait une route qui longera le fleuve, là où se trouvent les habitations. Il précisait aussi les tâches du grand voyer : (1) se rendre sur les lieux où il doit tracer le chemin; (2) rédiger, dans un procès-verbal, les décisions prises : où passer et où ponter; (3) organiser le travail et répartir les tâches; (4) fixer la date des travaux. Et il ordonne au sieur de Bécancour, grand voyer de se transporter dans toutes les seigneuries pour... régler de concert avec les propriétaires des seigneuries, les officiers de milice… et six des plus anciens… habitants du lieu pour suivant leurs avis régler où passeront... les chemins publics qui auront au moins vingt-quatre pieds de largeur... et des fossés de deux pieds et demi de creux et de large3 pour l’écoulement des eaux. Signalons ici qu’en 1706, seulement 14 des 37 seigneuries concédées entre Québec et Montréal ont des bouts de route et quelques parcours locaux susceptibles d’être intégrés à la construction du grand chemin royal. L’Ancêtre, numéro 284, volume 35, automne 2008 3 L’homme d’action derrière le tracé du chemin du Roy Selon la documentation que nous avons consultée, est Jean-Eustache Lanoullier de Boisclerc (contrôleur de nous décrirons comment s’est présentée, à chaque endroit la Marine installé à Québec depuis 1729) qui succède à et à divers moments, la construction du chemin royal. Pierre Robineau. Peu après sa nomination en 1730, un Nous chevaucherons particulièrement sur les mandats de différend avec le commissaire de la Marine en Nouvelle- Pierre Robineau et de J. E. Lanouillier de Boisclerc. France, Jean-Baptiste Silly, lui coûte son emploi. Alors, de Boisclerc repasse immédiatement en France et fait DE QUÉBEC À TROIS-RIVIÈRES valoir ses idées auprès du ministre. Le 10 avril 1731, il Pierre Robineau trace le chemin royal, de la rivière du est à nouveau nommé grand voyer par l’intendant Gilles Cap Rouge jusqu’à Neuville, et même plus loin. Hocquart (1731-1748). Ces deux nominations permettront Cependant, on rapporte très tôt que le grand chemin qui de concrétiser un objectif vital pour la colonie : relier par sort de Québec à L’Ancienne-Lorette n’avait pas Esté voie terrestre Québec, Trois-Rivières et Montréal, et fait de trente six pieds de large comme… spécifié, mais qu’il conséquemment l’ensemble des seigneuries du côté nord n’a que douze pieds8. En 1732, de Boisclerc informe qu’il du fleuve. Ceci assurait non seulement une liaison entre est de nostre charge de prendre connaissance des ponts… elles, mais aussi la mise sur pied d’un service de sur le Grand Chemin qui conduit de la ville à L’Ancienne messagerie dès 1734 (service quotidien à partir de 1816), Lorette… de pourvoir au rétablissement de Ceux qui seront 9 grâce à une trentaine de relais postaux à tous les 9 milles mauvais et à la Construction de nouveaux travaux . environ (14,5 km); de courrier express dès 1760; de En 1713, les habitants de Cap-Rouge s’excusent chaises ou calèches de poste (en hiver, des carrioles – en fait, des calèches montées sur patins) à partir de 1765; et de diligences (voitures diligentes ou à relais, pour le transport du courrier et des voyageurs) – service qui connut son apogée entre 1810 et 1850. Soutenu par Hocquart qui, à partir de novembre 1729, avait émis plusieurs ordonnances concernant la voirie, dont celle de placer aux premières neiges des balises d’au moins 6 pieds de hauteur, de Source : http://cheminduroy.connexion-lanaudiere.ca/circuit.htm 24 pieds en 24 pieds le long de leurs 4 terres, à peine de 10 livres d’amendes , de Boisclerc auprès de l’intendant Bégon : …quoiqu’il y ait un chemin dresse, en 1731, devant témoins chargés de les appliquer, de roi marqué… depuis la rivière du Cap-Rouge jusqu’à 34 procès-verbaux où il note que presque tous les celle de Dombourg,… le dit chemin n’a pas… été fait; les habitans… laissaient à peine le passage d’une charrette habitants n’ayant pu y travailler, à cause des travaux faits entre les grains labourant… ce qui forme des ornières et l’année dernière pour les fortifications (de Québec)10. bourbiers... le dit chemin estant par endroits 5 Dans ce village, sur les hauteurs près du fleuve, le impraticables . Y sont également consignées les amélio- chemin correspondait à la rue Saint-Félix et au corridor rations routières à réaliser, les tâches à accomplir, les du littoral actuels jusqu’à la terrasse Saint-Félix où il se corvées générales à soutenir, le tout renforcé de menaces prolongeait par la Route Verte. d’amendes en cas de refus d’agir, pour contrer l’insou- À Saint-Augustin (-de-Desmaures), la voie ciance de quelques officiers de milice et l’opposition de carrossable, terminée dès 1716, puis élargie à 30 pieds certains habitants. après 1759, empruntait le chemin du Lac et passait à l’est Par ces ordonnances, de Boisclerc peut faire de la route Tessier. Sur une partie de son parcours, soit de entreprendre les travaux, sous le principe des corvées du la rue Moisan à la côte Gagnon, le chemin faisait Roy, qui impose des réalisations concrètes. Et il avise pratiquement corps avec la batture et serpentait près de la que des bacs avec passeur serviront maintenant, là où un falaise (maintenant, le chemin du rang de la Butte). Plus pont de bois de largeur de 12 pieds ne peut être jeté, à tard, la maison de Brigitte Allard (au cœur du village, côté franchir une douzaine de rivières : Saint-Maurice, Sainte- sud du chemin) servit de relais pour diligences. Dans la Anne, Batiscan, des Prairies, Grand-Yamachiche (rivière section acquise ultérieurement par l’Université Laval Yamachiche), Rivière-du-Loup (rivière du Loup à pour y établir sa ferme, on retrouvait, à une certaine Louiseville), Maskinongé, Grand et Petit-Chicot, Berthier époque, les familles Côté, Couture, Fluet, Gingras, Girard, (rivière Bayonne), Champlain et L’Assomption6. En réalité, Juneau, Martel et Thibault 11. il accomplira en trois ans plus de besogne que ses deux 7 En s’approchant de Neuville, le chemin du Roy passe prédécesseurs en soixante ans . 4 L’Ancêtre, numéro 284, volume 35, automne 2008 sur la terre ancestrale des Gingras (plaque du 19 juin Perrot, à la construction, par corvées, des premiers ponts 1960) qui s’y fixèrent en 1671, franchit la rivière des sur les rivières La Chevrotière et Belle-Isle. Le chemin Roches et gravit une côte à pic. Dans le village, la rue du Roy, qui longeait le fleuve (1er Rang), a conservé son des Érables suit en partie le tracé original; au numéro 500 tracé original jusqu’en 1937, année où furent corrigées, se trouve l’actuel manoir Édouard-Larue construit en vu la circulation automobile grandissante, la longue 1834 et classé le 18 novembre 1976. courbe à l’est du village et deux autres courbes près de la Sur les abords de la rivière Jacques-Cartier, à région escarpée de l’embouchure desdites rivières. Au Donnacona, on a continué le tracé avec quantité d’arbres 258, chemin du Roy, dans le « haut du village », se et de roches.