ACTUALITÉS FORUM Raf 2014, état des lieux et prospectives Les Rencontres Animation Formation (20 et 21 novembre 2014, à Angoulême) ont fait, une nouvelle fois, un état des lieux pertinent du secteur et de ses besoins.

RECA, LA FORCE DE LA COMMUNAUTÉ Le réseau Reca compte vingt-quatre écoles. Dernières arrivées, l’Esma de Toulouse et l’Esra de Rennes. Faire partie du réseau permet de mettre à jour ses complémentarités, d’échanger des intervenants et de se positionner comme un interlocuteur de poids vis-à-vis des éditeurs ou des studios. Aussi, quand Buf décide de diffuser gratuitement une partie de sa suite logicielle propriétaire, c’est au Reca qu’il réserve la primeur. « Leur pipe line est atypique, note Cédric Plessiet (ATI). Des outils “standard” comme Blend Shape n’existent pas ! Mais l’approche de l’animation basée sur les muscles est originale. Comme nous sommes à la recherche d’alternatives, cela nous intéresse beaucoup. Mais nous ne savons pas com - ment ces briques vont communiquer avec nos outils dont certains sont open source . »

les films à gros budgets et ceux infé- écoles n’ont plus la maîtrise de leur rieurs à 5 millions d’euros. Il faut pipeline. « Qu’ils soient jeunes ou plus trouver une voie médiane et redimen- historiques, les studios se posent des sionner les outils existants (crédit questions et commencent à chercher d’impôt, etc.). » des alternatives aux logiciels com- Entre le rappel des dernières données merciaux », remarque René Broca. sur le secteur de l’emploi, le régime Pour sa part, Autour de Minuit, de l’intermittence et la formation qui s’est lancé dans la production

© Vincent Leclercq © Vincent professionnelle, les Raf lancent aussi de séries d’animation, n’a pas hé- Une table ronde sur les logiciels open source très suivie lors des Raf. des pistes (comme le télé-ensei- sité longtemps : « Il nous arrivait gnement), mobilisent sur d’autres… d’être obligés d’arrêter un film Parmi celles-ci, les logiciels libres. parce que le studio d’animation ous venons à Angoulême Sans oublier de livrer un cas d’école venait de recevoir une commande d’abord pour nous rencon- à l’expertise des nombreux studios plus importante , explique Nicolas Ntrer, explique Thierry Melac, et écoles présents. Le producteur Schmerkin. Nous avons décidé de directeur général de Bellecour ESIA exécutif de s’est prêté fabriquer nous-mêmes ces films à 3D. Échanger sur les problématiques au jeu en présentant le pipeline de l’économie risquée. » Le réalisateur de formation et d’emploi vécues par son premier film en 3D, Astérix – Le Mathieu Auvray, des séries Babioles les studios… C’est indispensable. » Domaine des dieux (Lire page 78) , et Jean-Michel, Super Caribou, étant Organisées par René Broca pour le un projet très franco-gaulois qui a un fin connaisseur de Blender, c’est Pôle Image Magelis, les journées recouru à presque tous les talents donc tout naturellement que le pro- débutent par un traditionnel état du réseau Reca. ducteur a intégré le logiciel libre des indicateurs du secteur. Points dans sa chaîne de fabrication de forts et faiblesses sont passés au L’OPEN SOURCE POUR la série hybride Babioles , du court crible des analyses du CNC, de BOUGER LES LIGNES Jean-Michel, le caribou des bois et l’Afdas, d’Audiens et du SFPA. « Nous Introduite lors des Raf 2013, la ques- de la série de 52 fois 11 minutes constatons que la série TV, dont le tion du logiciel libre revient, avec (en cours de développement). « Avec marché s’est stabilisé, ne peut plus force, dans les débats. Présents à Blender, que nous utilisons de la mo- constituer un relais de croissance, la table ronde, des acteurs recon- délisation jusqu’au montage, nous rappelle Stéphane Le Bars, délégué nus, comme les studios d’animation gagnons en qualité. Le logiciel étant général du SPFA. Seule, la produc- Illumination et Autour de développé par une petite équipe aux tion de long-métrage peut l’assurer. Minuit, le centre de formation ATI Pays-Bas, nous bénéficions en plus Or celui-ci n’est pas suffisamment 8 et Cap Digital. Leur constat d’une mise à jour constante. » Pour financé et connaît, depuis deux ans, est unanime : le cloud s’imposant pratique et efficace qu’il soit, le lo- une bipolarisation excessive entre dans le paysage, les studios et les giciel libre n’en revêt pas moins un

SONOVISION BROADCAST • 18 • N°601 - DÉCEMBRE 2014 que ces logiciels libres représentent en temps de formation mais aussi d’intégration. Notre chaîne de fabri- cation comporte aujourd’hui 50 % d’outils du marché et 50 % d’outils propres développés par la R&D. Une part non négligeable de son temps passe à faire fonctionner tous ces outils ensemble ! » Dans l’assistance, Raul Prado, du studio d’animation In Efecto (à Montpellier), qui avait présenté l’an dernier son expérience avec Blender sur le pilote Le Jour et la nuit , faisait remarquer qu’il venait d’intégrer le logiciel libre dans le pipeline de fabrication de la série hybride Vlad & Louise (52 fois 13 minutes). Si le recours à Blender l’a obligé lui

© Autour de © Minuit Autour aussi à assurer des formations en Produit par Autour de Minuit, Jean-Michel, le caribou des bois fait largement appel à Blender. interne, le logiciel libre a eu le mé- rite de les faire s’engager dans la certain coût. Le manque d’anima- continuant à travailler avec la suite un film 3D avec de tels outils, re- R&D : « Nous avons testé le moteur teurs compétents a ainsi obligé Au- Adobe… et à mettre en adéquation marque Jacques Bled. J’aurais trop de rendu photoréaliste Cycles de tour de Minuit à assurer eux-mêmes les outils avec les exigences artis- peur de ne pas arriver au terme de Blender afin qu’il soit compatible des formations (de 1 à 2 semaines). tiques du projet. la production. Mais cette alterna- avec notre chaîne de fabrication ba- Le producteur entend néanmoins , en revanche, tive peut être envisagée pour des sée sur Maya. Nous restons toujours « professionnaliser » son utilisation se montre plus circonspect : « Je ne projets différents. Il ne faut pas tou- pragmatiques ! Mais nous regrettons de logiciels open source tout en prendrai pas le risque de fabriquer tefois sous-estimer l’investissement qu’en les logiciels libres soient

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aussi peu connus. Les animateurs es- pagnols, confrontés à une économie drastique des budgets, sont beau- coup plus nombreux que les Français à connaître Blender. Il ne faudrait pas que la France, saluée à l’international pour la qualité de ses productions et de son enseignement, s’endorme sur ses lauriers. » Afin de mutualiser ces expériences, René Broca suggère d’établir un état des lieux des logiciels libres et de leur accompagnement institutionnel. Pour l’heure, seuls l’école des Gobe- lins, qui vient récemment de mettre en place une formation continue sur Blender, ArtFX et surtout ATI (Arts et technologies de l’image), qui initie entre autres à Natron, Krita et Gimp (des alternatives à Nuke et © Marathon Vlad & Louise Photoshop), permettent d’appré- Série hybride, le projet de série (production Marathon) sera réalisé sous Blender par In Efecto. hender de tels logiciels. Stéphane Singier, délégué général de Cap Di- que le pipeline se construisait », d’emblée mise en relief par un cas- culées), Nicolas Trout est en mesure gital, parle de favoriser les proposi- résume avec humour le directeur de ting de voix françaises, enregistrées de dresser un bilan de cette copro- tions open source au sein des projets production, Nicolas Trout. Pour son avant les voix anglaises. Un procédé duction de 80 minutes, et de reve- soumis à financement : « Chez Cap premier film 3D relief, Mikros Image facilitant l’actorisation, les anima- nir sur des points critiques du film : Digital, nous avons soutenu plus de n’est auréolé que de son unique teurs étant massivement franco- « L’aménagement du temps de travail 600 projets dont le projet collaboratif référence en animation, Logorama phones. Le choix des outils logiciels des réalisateurs (ici secondés par le HD3D. Les parties logicielles de ce de H5 (oscar du meilleur court-mé- (Maya, Nuke, Katana et Arnold, Hou- directeur de l’animation, Patrick De- projet, lesquelles continuent à être trage d’animation en 2010). « Les dini) est dicté par l’obligation de lage, et le directeur artistique, Thierry développées par les studios ( comme enjeux étaient élevés. Nous avions à générer une animation de qualité : Fournier) est crucial. Sur Astérix , ils TuttleOFX chez Mikros, ndlr), corres- construire un pipeline quasiment de « Ces outils devaient être capables devaient valider chaque étape, soit en pondent pour l’essentiel à des briques toutes pièces. Chaque image inter- de traiter un nombre important de tout 17 000 points ! » open source . » polée devait être interprétée comme personnages à l’écran (en moyenne Importance aussi de la mise en place un trait d’Uderzo ! Enfin, nous étions 5,7 sur un total de 157, y compris de procédures de test sur les fichiers ASTÉRIX, UN PIPELINE MONTÉ DE TOUTES dans une logique d’enveloppe fer- leurs déclinaisons). Et de n’occasion- de rigging à partir du moment où PIÈCES… SANS POTION MAGIQUE mée pour une sortie impérative en ner, lors du compositing , pas plus de la production est délocalisée. Le di- S’il repose sur une franchise cé- décembre 2014. » quatre à cinq couches par scène. » recteur de production rappelle qu’il lèbre, Astérix – Le Domaine des Dès le début de la fabrication (en L’autre parti pris affirmé concerne ne faut pas hésiter à changer de fu- dieux d’Alexandre Astier et Louis septembre 2012), l’équipe décide la gestion des équipes du film (plus sil d’épaule quand l’approche n’est Clichy s’est élaboré sur un pipeline de donner la priorité à l’animation. de 200 personnes en France) : « Nous pas satisfaisante : « La végétation (la qui partait d’une feuille blanche. « Le Confiée à Patrick Delage, la caracté- avons opté pour une organisation forêt) représente un défi majeur sur film était fabriqué en même temps risation forte des personnages est structurée, à l’anglo-saxonne, avec le film. Nous avions commencé à la des chefs de départements. Le ratio mettre au point de manière classique d’encadrement se montre élevé (de (crayonnés artistiques…), mais sa tra- l’ordre de un pour trois ou un pour duction en 3D, trop réaliste, ne corres- quatre) et équivaut à ce qui se pra- pondait pas au style de l’animation. tique dans les plus grands studios. » La direction artistique a donc décidé Pour suivre la production du film, de travailler directement en 3D sur la dont une partie de la fabrication est clairière. Une fois validée, la scène a délocalisée en Belgique (chez Grid, été déclinée sur l’ensemble des décors DreamWall et Nozon), pas d’outils végétaux. Pour cela, la R&D a déve- magiques qui résoudraient tout : loppé un outil procédural permettant l’équipe de Mikros Image recourt de distribuer les éléments naturels donc à son asset manager , Octopus, (répertoriés dans une banque de don- issu du projet de logiciel collabo- nées) à partir d’un outil de peinture. » ratif HD3D et Shotgun. « En cours Enfin, il résume : « La production exé- de fabrication, nous y avons ajouté cutive d’un long-métrage revient sur- d’autres couches et un nombre consi- tout à gérer une somme importante

© Mikros Image © Mikros dérable de fichiers Excel ! » d’imprévus. » Mikros Image a assuré la production exécutive d’ Astérix – Le Domaine des dieux Sept cents jours de production plus de Louis Clichy et Alexandre Astier (production M6 Studio/M6 Films). tard (et 233 000 images finales cal- Annik Hémery

SONOVISION BROADCAST • 20 • N°601 - DÉCEMBRE 2014 INTERVIEW ACTUALITÉS Animation & VFX : deux écoles croisent leur vision

À l’occasion des RAF, Gilbert Kiner, directeur d’ArtFX (Montpellier), et Gérard Raucoules, responsable de la section cinéma d’animation, à l’ESMA (Montpellier), échangent leurs points de vue sur les formations appliquées à l’animation et VFX.

Sonovision. Quelle est votre percep- SNV. Ne constate-t-on pas de la part partie des demandes des studios. tion de l’emploi en animation ? des studios la volonté d’embaucher Nous réfléchissons actuellement Gérard Raucoules. On sent depuis des personnes polyvalentes, bonnes à une évolution de notre cursus, quelque temps un regain d’em- en tout ? avec un tronc commun sur deux bauche de la part des studios français G.K. Il y a une double problématique ans et demi et non plus deux ans, et étrangers. Illumination MacGuff, qui apparaît depuis quelques années, suivis de dix-huit mois de spécia- TeamTO ou encore Mikros Image illustrée par le film de fin d’études. On lisation, soit dans le rendu, avec se sont mis à produire des longs- constate que des studios sont très toutes les options possibles, soit le métrages. Par ailleurs, la série connaît critiques sur certains films issus de rigging . Le film de fin d’études sera une embellie et, à l’étranger, la de- plusieurs écoles, car les responsables le moment de choisir une « surspé- mande est toujours constante. Il faut et futurs recruteurs souhaitent à cialisation ». Ces évolutions seront avouer que cet appel d’air est une la fois juger la qualité artistique de effectives dès la rentrée 2015 pour © © D.R. bonne nouvelle pour nos étudiants. l’œuvre, à l’aune d’un court-métrage les étudiants intégrant notre école Gilbert Kiner, fondateur d’ArtFX. Et je pense que c’est également le cas de création, tout en voulant pouvoir en première année. au sein des autres écoles. évaluer les compétences techniques G.K. Demander à la fois une démo des étudiants. Cette contradiction reel et une œuvre personnelle aux SNV. Discernez-vous une évolution est de plus en plus visible. C’est pour- étudiants est complexe. Au sein de dans les demandes des studios en quoi nous misons sur la polyvalence, notre volet effets spéciaux numé- matière de profils ? en alliant rigueur et créativité. riques par exemple, nous propo- G.R. En effet, en ce moment, on re- G.R. Nous sommes face à un para- sons, après une année préparatoire, çoit beaucoup de sollicitations pour doxe : avoir des profils généralistes deux années sur les fondamentaux des profils plus techniques, avec un aptes à maîtriser l’ensemble de la et leurs perfectionnements. Ce accent porté notamment sur le rig- chaîne… mais qui possèdent égale- n’est qu’en quatrième année que ging ou le character FX . Nous avons ment une hyper spécialisation. En ré- l’on touche aux spécialisations avec également des demandes en scrip- alité, cela dépend un peu de l’ampleur Maya et Zbrush, HDRI, le composi- ting , une meilleure approche des des studios. Dans le cas de structures ting d’images sur Nuke, et autres différents moteurs de rendu. Enfin, moyennes, le besoin de profils géné- matte painting , caméra mapping , des logiciels comme Houdini com- ralistes est majeur pour des raisons tracking , lighting , rendu. Enfin, la mencent à faire partie des besoins évidentes de taille des équipes. En cinquième année est une année des studios. Cela ne veut pas dire professionnalisante avec le film de

© © D.R. ce qui concerne les grands studios, Gérard Raucoules, responsable de la qu’on les intègre automatiquement qui emploient plusieurs centaines fin d’études. Cette approche donne section animation de École supérieure dans notre cursus, mais nous pre- de personnes, la tendance est au de très bons résultats en termes des métiers artistiques de Montpellier. nons ces évolutions en considéra- cloisonnement sur des tâches très d’employabilité, avec des étudiants tion pour intégrer des modules au précises, ce qui implique une surspé- aux profils uniques. Par exemple, cœur de la pédagogie. cialisation. tous ceux qui sont spécialistes Gilbert Kiner. De notre côté, nous des fluides et particules trouvent avons fait de l’apprentissage des nou- SNV. Dans les écoles que vous re- un emploi immédiatement… et le velles applications et des nouveaux présentez, avez-vous choisi l’option conservent. Je pense que ces outils métiers notre marque de fabrique. géné raliste touche-à-tout ou l’hyper- vont bientôt faire partie de nos Qu’il s’agisse de logiciels comme VRay, spécialisation ? futurs enseignements. Il convient Arnold et toute la palette pédagogique G.R. Notre pédagogie s’appuie sur donc d’échanger au maximum qui répond aux demandes des studios. un tronc commun visant à former entre les différents responsables Pour cela, nous sommes en contact des généralistes. C’est l’année de d’écoles pour voir comment bien constant avec eux, car il faut plus que leur film de fin d’études que nos gérer ces nouvelles évolutions, tou- répondre aux besoins ; il convient de étudiants peuvent choisir de se jours au profit de nos étudiants. les anticiper si l’on veut que nos étu- spécialiser sur telle ou telle étape diants arrivent en phase avec le sec- de production. En cela, nous conti- Propos recueillis par teur sur le marché de l’emploi. nuons de répondre à la majeure François Chevallier

SONOVISION BROADCAST • 21 • N°601 - DÉCEMBRE 2014