MYTHE HISTORISÉ DE L'ÉPOQUE ISLAMIQUE AU LURISTAN

LA GESTE DU ROI KHOCHIN, LE CAVALIER DE LA MONTAGNE

Études d'ethno-lexicologie (deuxième partie)

PAR

MOHAMMAD MOKRI*

RÉSUMÉ L'archaïsme de certaines expressions utilisées dans les compilations de textes des «Gens de Vérité» avait rendu complexes et ardues un certain nombre d'idées. Le déchiffrement de ces documents et le décryptage de ces notions, amorcés par l'auteur il y a plusieurs décennies, ont mis au jour un trésor nourri de cultures locales et populaires, propres à ces deux provinces iraniennes que sont le Kurdistan et le Luristan. Les textes rédigés en anciens dialectes kurdo-gouranis, par la rareté de leur lexique et l'étrangeté des formes linguistiques, ont ainsi pu préserver leur au- thenticité, n'ayant pas subi les transformations et manipulations de ces œuvres dont la langue résistait moins à la compréhension. Cette deuxième partie d'une étude ayant pour objet les mythes historisés de l'époque islamique, est focalisée sur la deuxième version de la Geste du Cava- lier de la montagne. Plusieurs fragments et épisodes, d'une portée inédite et d'un charme insolite, ponctuent le déroulement de ces événements mythico-his- toriques. Ils font ici l'objet d'un traitement particulier qui s'ajoute aux complé- ments thématiques et linguistiques apportés à la première partie. Ces mots archaïques et idiomatiques, disséminés ça et là dans les ouvrages tant épiques et littéraires que religieux, font entendre les voix des habitants de ces montagnes et de ces plaines, avec une intensité et une naïveté que peu de langues peut contenir ou rendre. Pour apprécier les faits à leur juste mesure, disons que la littérature des F. de V. (Ahl-i Îaqq) ne forme qu'une goutte dans le vaste océan de ces contes et de

* Directeur de Recherche honoraire au CNRS.

Journal Asiatique 287.1 (1999): 9-190 10 M. MOKRI ces traditions populaires. Elle a cependant le mérite de conserver quelques rési- dus précieux de ce riche et fécond patrimoine dont l' est le dépositaire. Mots clés: Ahl-i Îaqq, gourani, Chah Khochin, ethnologie, mythologie, contes populaires, linguistique, dialectes anciens.

SUMMARY The archaic quality of certain expressions in the compilation of texts by “People of Truth” made a certain number of ideas difficult and complex. The decipher- ing of these documents and the understanding of these notions, begun by the author several decades ago, have brought to light a treasure nourished by local and popular cultures, indigenous to the two provinces of Iran: Kurdistan and Luristan. The texts written in ancient kurdo-gurani dialects, because of the rare nature of the vocabularly and the strangeness of the linguistic forms, have thus been able to conserve their authenticity; they have not undergone the transformations and manipulations of those works whose language was less incomprehensible. The purpose of the second part of this study, was to focus on the historical myths of the islamic period and examines the second version of “the Tale of Knight on the Mountain”. Several fragments and episodes, never before re- ported and utterly charming, underline these mythic historical events. They are here handled in an unusual way which is added to additional thematic and lin- guistic elements from the first part. The archaic and idiomatic vocabularly found here and there in literary and epic as well as religious works, allows us to hear the inhabitants of these moun- tains and plains, speaking with an intensity and a simplicity found and rendered in few languages. To truly appreciate the facts in their entirety, let us say that the literatury of “People of Truth” is but a drop in the immense ocean of these popular tradi- tions. Their merit lies in the conservation of precious bits of this rich and fecund legacy found in Iran. Key-words: Ahl-i Îaqq, gourani, Chah Khochin, ethnology, mythology, contes populaires, linguistique, dialectes anciens.

Journal Asiatique 287.1 (1999): 9-190 MYTHE HISTORISÉ DE L'ÉPOQUE ISLAMIQUE 11

Fragments intrus et cycles nostalgiques**

«Nous étions quatre frères et un vieux père, «Trois d'entre nous étaient archers et portaient un carquois avec une flèche. «Sur les montagnes nous étions les léopards et dans les bosquets nous étions les lions. «Nous étions les anges dans le ciel et les émirs à la cour.» Tel est le contenu d'un fragment composé en persan, inséré dans le texte gourani du B.- Kh. P. (verset 97). Lorsqu'un paléontologue ou un archéologue découvre au cours de ses fouilles un fossile ou l'éclat d'une pièce en terre cuite ou en pierre, terni par le temps et la poussière, il se peut qu'il ignore d'emblée la valeur exacte de ce simple objet et le message historique qu'il transmet. Mais, alors que de retour dans son laboratoire, il le dépoussière et en scrute toutes les parties avec sa loupe, c'est avec joie qu'il en déchiffre le code par lequel un monde effacé se met à vibrer. Ainsi se dégage-t-il du style même de ce morceau insolite, une atmos- phère étrangère à l'ensemble du texte, dans lequel pourtant il s'intègre fortuitement. Je ne saurais dire par quel miracle ces quelques lignes sin- gulières ont pu trouver place ici ni d'où elles ont pris leur envol pour venir se joindre à ces versets. Ce fragment de bonne facture est composé dans un style narratif qui rappelle les anciens contes nostalgiques. En connaissance de cause, je peux éprouver la puissance évocatrice de ces mots. Ils forment en quelque sorte la substance et l'essence du méca- nisme de ces contes, grâce aux deux volets fondamentaux qu'ils mettent en place, le cadre familial en ouverture et la performance dévolue aux sujets, préalables au déroulement de l'histoire. Ces deux traits constituent, en effet, les éléments préalables nécessai- res à ce type de récits. La famille patriarcale descend, dans les mythes et ** Ces études, comme il a été auparavant précisé, s'attachent à déceler des phénomè- nes culturels et à en cerner les diverses expressions. Comme tout observateur neutre et extérieur, je me suis uniquement concentré sur les appareils lexicologiques et thémati- ques — dans lesquels se lit l'inscription de traditions populaires et classiques — sans aucun parti pris. Voir aussi 1ère partie, note 1.

Journal Asiatique 287.1 (1999): 9-190 12 M. MOKRI les traditions, d'une souche commune. C'est pourquoi, elle est le plus souvent figurée par l'image d'un père et de ses fils, l'indice d'un retour emblématique aux origines. A la tête d'une tribu, d'une dynastie ou d'un groupe d'hommes, se trouve le plus souvent un père éponyme qui, sou- tenu de ses enfants, s'est illustré en asseyant les forces guerrières ou morales de la famille. L'insistance sur ce thème ne relève pas de la dissertation sur un sujet somme toute très vaste, mais est dictée par la simplicité originelle des motifs évoqués. La solidarité touchante qui unit ces frères dont trois sont archers, mu- nis d'un carquois et d'une seule flèche, est le propre d'un état de com- munauté à ses débuts et dont les germes ne sont pas encore éclos: les contes ne l'ignorent pas. De nombreux écrits populaires font état de plu- sieurs frères ou amis ne possédant qu'un outil, qu'une arme, qu'une charrue ou qu'une monture en commun, chacun l'utilisant à tour de rôle. Ces divers instruments et supports concentrent une force interne, de sorte que leurs possesseurs entretiennent avec eux des relations intimes. Les héritages symboliques, contenant des objets ou lots énigmatiques, que lèguent les pères à leurs progénitures, sont propres à ces catégories de récits. Les générations postérieures préservent ces dons comme un signe distinctif familial, sacré et précieux. Ces objets orientent les des- cendants vers une voie qu'ils sont conviés à suivre. Ainsi, le père met à l'épreuve la capacité de ses enfants à respecter ses directives. Le nombre des enfants varie selon les cas, entre neuf, sept et quatre. Ici, le chiffre quatre, imité du modèle des quatre éléments de la nature, a l'avantage d'être un chiffre rond et aussi complet que le carré. Cette forme géométrique correspondait à l'architecture des maisons de l'époque dont chaque angle est en relation avec l'un des quatre coins du terrain hérité, puis du royaume. Le deuxième hémistiche ne fait plus mention que de trois frères archers. La contradiction entre les deux pre- miers hémistiches n'est qu'apparente, car ces trois sont censés se mettre sous le commandement de l'aîné (ou exceptionnellement du fils qui pré- sente le plus de qualité). Le tarkas (carquois) et le tir (flèche) passent, dans leur représentation, d'une dimension technique à une dimension mythique. L'un et l'autre prennent une ampleur magique au sein du conte. C'est plus tard que se

Journal Asiatique 287.1 (1999): 9-190 MYTHE HISTORISÉ DE L'ÉPOQUE ISLAMIQUE 13 superpose à ces couches, un sens plus métaphysique, que les F. de V. reprendront en conférant à ces objets une nature céleste. Bien que l'in- tervention de ce dernier groupe soit tardive, elle peut s'être inspirée des hérésies anciennes dont quelques miettes ont survécu à l'ouest et au sud de l'Iran. Pour en revenir à ces frères, c'est leur vaillance et leur lutte qui auto- risent les métaphores de ces félins fréquentant les monts et les forêts du Luristan1. Leur puissance s'étend aussi bien dans l'espace céleste que sur la terre. La répartition de ces félins (lions et léopards) sur le territoire (bosquet et montagne) est reconnue même dans les textes anecdotiques. Une lé- gende populaire ancienne rapportée par NeÂami, raconte qu'une sorcière jeta rapidement sur un chemin son miroir et son peigne. Le miroir se transforma alors en montagne et le peigne en bosquet2. Ces deux bêtes sont de surcroît souvent mentionnées ensemble3. Jusqu'ici l'universalité de ces deux thèmes, la famille et le talent, ne dépassait pas le domaine des mythes et des légendes. Les F. de V., en ajustant ces vers populaires anciens à leur propre récit, ont pu faire de ces quatre frères, les quatre anges (Pir-Binyamin, Pir-Dawud, Pir-Musi

1 La renommée des montagnes du Luristan pour leur peuplement de léopards et de lions est telle qu'un poète lur comme Baba-™aher Hamadani a pu s'inspirer de cette faune pour se plaindre de la tyrannie de son cœur, semblable à un lion et à un léopard, en guerre contre lui. Il espère parvenir un jour à verser le sang de son cœur, pour en déterminer la couleur. 2 Le Khosraw-o Chirin de NeÂamî, éd. de Moscou, 1960, p. 143. Le passage, cité ici, ne figure pas dans l'édition de V. Dastgerdi, publiée à Téhéran. 3 - «Je détruis ton pays et tes villes, «Je les transforme tout entier en repaires de léopards et de lions» (vers éventuelle- ment tirés du Chahnama, cité dans le Marzban-nama de Marzban ibn Rostam ibn Cher- vin, écrit en tabari vers les dernières années du IVe siècle de l'Hégire et traduit en persan par Sa¨d ad-Din Varamini, dans les premières années du VIIe siècle de l'Hégire. 3e éd. Téhéran, 1367 H.s., p. 202. - «Les léopards s'abritent dans le pays des montagnes (Kuhestan), comme les requins dans la mer» (Le Khosraw-o Chirin de NeÂami, éd. de VaÌid Dastgerdi, Téhéran, 1313 H. s., p. 246). Le sens de Kuhestan est ici équivoque, le mot signifiant à la fois le pays de Djibal (Kurdistan, Luristan, Hamadan, Zandjan, Qazvin, Rey et EÒfahan,…) et une contrée montagneuse, plus particulièrement le Luristan. - «Fit son apparition un vigoureux lion élevé à l'abri du bosquet, «Avec sa queue, il soulevait la poussière de la montagne» (Le Khosraw-o Chirin, éd. de Moscou, 1960, p. 232).

Journal Asiatique 287.1 (1999): 9-190 14 M. MOKRI et MuÒ†afa) dont les trois derniers sont dotés des forces exécutives. La flèche ne serait que la force divine, voire d'après une autre interprétation traditionnelle, l'Essence même de l'être divin. Si ces quatre frères incarnent les quatre anges, il va de soi que la fi- gure du «vieux père» correspond à Ch. Kh. lui-même. C'est plutôt une filiation céleste qui relie ces entités au père suprême, avec une touche de sensibilité se rapportant aux convictions chrétiennes et manichéennes, et s'écartant par sa structure des dogmes islamiques. Ce commencement de conte, typiquement iranien, paraît ainsi avoir fait l'objet d'une véritable transposition.

* *

Néanmoins, les A. Î. possèdent un autre récit, plus précis et plus dé- veloppé, qui relate l'apparition de Ch. Kh. Cette histoire est en accord, dans ses grandes lignes, avec le principe des groupes hétérodoxes qui divinisent la personne de ¨Ali (les ¨Ali-Allahis, les NuÒayris, les Musa¨sa¨is, les Baktasis, les Qezel-basis, ainsi que les anciens et les néo- ba†inites de plusieurs tendances, jusqu'au XVIIIe siècle): «Le Roi du monde, ¨Ali, avait promis à Salman-i Farsi qui incarnait à son époque K.- Rada, qu'il réapparaîtrait dans ce monde le jour où le soleil descendrait par trois fois sur la terre et où transhumerait la tribu de Mirza-Amana laissant derrière elle une femme et un boeuf. K.- Rada durant 360 années guetta la venue du Roi et quand les événements atten- dus survinrent, il descendit de son point d'observation et proféra ces pa- roles: Un Roi-Cavalier est apparu sur le col de la montagne, C'est un bon cavalier sorti de Buluran pour nous secourir. J'ai exercé mon métier de chasseur pendant trois cents ans, J'ai aperçu mon gibier, j'ai connu mon bonheur.» (S.-Î. A., ch. II/2) Cette histoire est reproduite dans plusieurs manuscrits inédits persano- gouranis, à l'endroit où il est question de la naissance de Ch. Kh. L'allu- sion à la triple descente du soleil se rapporte au jeu de balle de l'Enfant- Khochin avec cet astre, passage intégralement traduit dans la première partie de cette étude.

Journal Asiatique 287.1 (1999): 9-190 MYTHE HISTORISÉ DE L'ÉPOQUE ISLAMIQUE 15

La promesse du retour d'une Théophanie est inspirée dans ses grandes lignes de l'attente du Messie, que ce soit chez les zoroastriens, les juifs ou les chrétiens, et, chez les musulmans (Qa'em-e al-e MuÌammad), du douzième Imam chi¨ite qui apparaîtra lorsque le monde sera envahi par la corruption, l'iniquité et la tyrannie. Cette assurance de la venue d'un justicier-sauveur émane du besoin de recouvrir l'espoir. Mais les mys- tiques musulmans et les sectes extrémistes ont inscrit cette attente dans une autre dimension dont l'interprétation diffère selon la sensibilité et l'appartenance à tel ou tel courant. Étant donné que les Ìululites et les incarnationnistes étaient vivement et violemment attaqués par les canonistes et les jurisconsultes sunnites et chi¨ites, la mystique (avant sa dégénérescence et son déclin, accélérés aux XVIIe-XVIIIe siècles), pour s'épargner ce genre d'accusations et ne pas s'éloigner démesurément de la chari¨ah, a adopté une ligne de conduite plus spirituelle, plus souple. Selon elle, les attributs de l'Essence divine peuvent se projeter comme des rayons sur la personne arrivée à proximité du champ du rayonne- ment et disposée à les recevoir. Le point culminant serait «l'unicité de l'Existence» et la participation des êtres et objets à l'Entité divine, dont la représentation la plus élégante, la plus profonde et enrichissante aurait été donnée par Ibn ¨Arabi (560- 638 H. / 1164-1240). Ces interprétations subtiles, propres aux écoles mystiques, ne sont pas envisagées sous le même angle dans l'hétérodoxie tissée autour de l'Is- lam. Ni la sensibilité, ni la terminologie de ces derniers groupes ne sui- vent exactement celles des mystiques. Mais, aux yeux des profanes n'ayant accès ni à leurs pensées ni à leurs écrits, ils ne manquent pas d'endosser certains aspects mystiques, échappant ainsi aux sentences de leurs opposants. En somme, la prise de position de ces sectes est étrangement nuancée et par voie de conséquence moins franche, plus ba†inite que la mystique traditionnelle (taÒawwuf-e tachri¨i). A titre de comparaison des formules annonçant une prochaine appari- tion, on peut citer un passage mystérieux, attribué au grand mystique ira- nien, Abu-Sa¨id Abi'l-Khayr (357-440 H./967-1048) dans le Asrar at- TawÌid , écrit vers 559 H. /1163 par MuÌammad ibn Munawwar4: «Un jour, ces mots bénis sortirent de la bouche de notre Cheikh (Abu-Sa¨id): 4 Éd. du Dr. Z. Safa, Téhéran, (5e éd.), 1361 H. s., p. 352.

Journal Asiatique 287.1 (1999): 9-190 16 M. MOKRI

Après nous, dans cent et quelques années une personne apparaîtra pour que ressuscite cette Voie. Elle sera de nous, elle sera comme nous sans être comme nous». —U s« v b¬ bbÄ v ¨U uÇ t ¨U Ë U “« r ‰U b« Ë bB U “« bF œœdÖ Áb“ ÈË Xœ d Bien qu'Abu-Sa¨id ne soit pas un ba†inide, mais un mystique respec- tueux des lois canoniques, ce texte, intentionnellement elliptique, recèle une pensée insolite que le locuteur s'efforce de masquer, préservant ainsi toute liberté d'interprétation. C'est là un trait commun avec la pratique du secret chez plusieurs groupes considérés comme hérétiques et ba†inites, malgré les nombreuses divergences qui les séparent des mys- tiques. Ce texte, parmi les documents de type prophétique, constitue l'un des rares cas où la date de l'apparition du prochain Maître (ou Guide) est spécifiée avec une relative précision. Ces dates prémonitoires sont certes fictives, mais la similitude de ces deux démarches différentes — celle d'Abu-Sa¨id et celle des F. de V. — est frappante.

L'existence de Ch. Kh. n'est pas attestée historiquement, mais les A. Î. dans leurs élaborations relativement tardives la situe pourtant grosso modo au IVe siècle de l'Hégire (= Xe s.). En dehors des affirmations des fidèles aucun document historique ou manuscrit ancien ne confirme la validité de cette date. On peut à la rigueur supposer qu'une légende courait sur un certain «Cavalier de la montagne» dont les traits et la bravoure peignaient l'image du vaillant lur. D'autant plus que le nom de Khochin, se référant à une espèce d'aigle, et plusieurs autres indices abordés dans ces investigations, sont en accord avec le climat et la conduite des habitants de ces montagnes. A ces pâles souvenirs, transmis oralement, les F. de V. ont dispensé de nouvelles teintes plus vives pour étayer leur cause. Si sur ce point, on peut admettre l'influence de quelques réminiscences à demi effacées, en revanche, nul espoir de dénicher dans la mémoire collective une source expliquant le choix de ces dates fictives. Du reste, les décomptes des années demeurent approximatifs, puis- qu'on parle tantôt de 360, tantôt de 330 ou même de 300 ans pour mesu- rer l'intervalle qui sépare les périodes de ¨Ali et de Chah-Khochin. Les

Journal Asiatique 287.1 (1999): 9-190 MYTHE HISTORISÉ DE L'ÉPOQUE ISLAMIQUE 17 ouvrages du Ve au VIIIe siècles de l'Hégire, traitant des sectes et des hé- résies, ne fournissent même aucune indication au sujet de ce dernier ava- . Le seul indice biographique selon lequel le poète lur Baba-™aher fe- rait partie — comme tendent à l'affirmer quelques propos récents et non certifiés — de la suite des personnages entourant Ch. Kh., s'avère être bien maladroit et artificiel. Le RaÌat-aÒ ∑udur de Rawandi note que le roi seldjoukide ™oghrol, au cours de sa visite à Hamadan en 447 H. / 1055 (ou en 450 H. /1058), a rencontré ce poète. Or, non seulement Rawandi ne fait aucune allusion à Ch. Kh., mais de surcroît la date de la rencontre avec ™oghrol qui situe l'époque de Baba-™aher, marque un écart de près d'un siècle avec les dates avancées à l'intérieur de la secte par ces dernières rumeurs. A l'exception de la version plus tardive des Atech-beiguis (S.- Î. A.), ni le D.- S. D. (source de Dinawar), ni le B.- Kh. P. (source de Pirdiwar) ne font allusion à cette rencontre supposée entre Baba-™aher et Chah-Khochin. Le nom du Roi-Khochin et le groupe des F. de V. ne sont apparus que bien plus tard. Le scandale est d'autant plus flagrant que, ces dernières années, à partir de ces bruits mal fondés, des faussaires (assistés par quelques médiocres biblio- graphes et marchands de livres, propagateurs des mensonges) ont inventé, entre autres, de toute pièce un recueil de poèmes en faux gourani attribué à Baba-™aher, bafouant l'honnêteté et détruisant les normes historiques et scientifiques. Quant au Chah- Nama-y Îaqiqat, texte persan versifié que j'ai publié en 1966-1971 (en deux vol.) et en 1982 (en un seul vol.), les informa- tions qu'il donne à ce sujet, ne sont certes pas dignes de crédit, étant is- sues, en partie, de la seule imagination de l'auteur: les commentaires destinés à la critique de ce texte n'ont pas été publiés5. Depuis le déchif-

5 J'ai rétabli le texte et j'ai tenté de corriger les innombrables fautes et anomalies tex- tuelles de ce Chahnama-y Îaqiqat, texte persan que j'ai tâché de rendre accessible à l'époque, à défaut des documents de premier ordre écrits en gourani ancien. Toutefois, il me fut impossible de modifier toutes les impropriétés grammaticales et lexicales (déjà mentionnées en partie dans la préface), sous peine de composer un autre ouvrage sans rapport avec le texte de base. En bref, il s'agit là d'une versification fort commune et de bas style, le lecteur un peu averti quant à la langue et la poésie persanes, le sentirait aisé- ment. Deux ans après le 2e tirage du Chahnama-y Îaqiqat (publié par l'Institut franco- iranien, Paris-Téhéran, 1982), une édition pirate du texte seul a été faite à mon insu à Téhéran, par un membre de la famille de l'auteur. L'apport de mes propres corrections fut entièrement négligé et des fautes ahurissantes furent glissées. Bafouant les règles de l'hon-

Journal Asiatique 287.1 (1999): 9-190 18 M. MOKRI frement et la publication que j'ai effectués de nombreux documents gouranis, persano-gouranis et kurdes, à la suite de cette première mise à jour, le Ch. Î. apparaît comme un texte de moindre intérêt pour le pro- grès des connaissances et la recherche de sources authentiques. En dépit de ses failles, ce texte versifié demeure d'une lecture agréable pour les profanes et non-spécialistes, pourvu que les faits rapportés soient soumis à un examen sérieux et perdent de leur caducité. Le traité de ¨Alam-i Îaqiqat «Le Monde de la Vérité» [manuscrit en ma possession, établi et annoté pour une éventuelle édition], version of- ficielle des gourans sur l'histoire des Fidèles, écrit à Tut-Chami ( ancien Dul-Dalan) vers 1942 par les hautes instances de la secte, affiche, en dehors de l'ambiguïté des dates fantaisistes, une position plus cohérente et assez plausible. Cette version des gourans aborde ainsi le passage de Ch. Kh. dans ce monde: «Selon toute vraisemblance, le premier cycle [après ¨Ali] qui vit apparaître l'appellation de»Vérité«pour des A. Î. est l'époque de Chah-Khochin. Bien que ce dernier vécût à la manière des derviches, il était de la tendance de la ™ariqat «Voie mystique». Pourtant, ses gestes étaient en harmonie avec le fondement [de la Vérité ]. On ne connaît pas la date exacte de sa naissance ni de son avè- nement, mais le Daftar énonce: «Quand vint le marchand de ce trésor prééternel? «Ce fut en trois cent trente». Quant à la visite de Chah-Khochin à Ban-Zarda situé à 2 farsakh (= 12 km.) à l'ouest de Sarpol-i Zihab, le Daftar précise encore: «Ce Pira-Marda était mort, déjà depuis trois cent soixante ans». Lorsque les arabes attaquèrent l'Iran au temps du califat de ¨Omar, Pira- Marda fut tué à Ban-Zarda. Le laps de temps qui s'est écoulé entre la mort de celui-ci et la Manifestation de Ch. Kh. est de 330 ans, ce qui s'explique par le fait que Ch. Kh. avait déjà un certain âge. Il était le fils de la fille de Mirza Amana, le chef d'une partie du Luristan. Sa fille Djalala, vierge, fut mise en- ceinte par un rayon de lumière, mais son père l'accusa d'adultère. Il l'écarta de sa tribu et l'abandonna au cours de la transhumance. Djalala, innocente, pleurait et gémissait sur la montagne où passa Kaka-Rada, l'un de ceux qui attendaient l'apparition de Ch. Kh. Quand il la vit en cet état, il la consola et lui annonça de bonnes nouvelles sur l'Essence de l'enfant qu'elle allait mettre au monde. Chah-Khochin vécut longtemps sous l'apparence d'un derviche, négligeant et insouciant. Il passait sa vie en compagnie d'un grand nombre de personnes et nêteté et de la transparence, l'éditeur inculte et sans scrupule n'a pas osé signer l'ouvrage de son nom. Ce ne fut pourtant ni le premier, ni le dernier cas de pillage de mes travaux.

Journal Asiatique 287.1 (1999): 9-190 MYTHE HISTORISÉ DE L'ÉPOQUE ISLAMIQUE 19 de musiciens jouant de divers instruments et psalmodiant des chants et des can- tiques. Ses Pages ont changé leurs «revêtements humains» et de nouveau se sont ralliés à ses principes; ils s'appellent NohÒad-NohÒada (= Neuf cents- Neuf cents [disciples ])». Ainsi se termine cet extrait centré sur la vie de Ch. Kh. Le texte a mi- nimisé le prétendu rôle historique joué par ce dernier dans l'instauration d'une nouvelle Voie, pour réserver plus tard cette mission à Sul†an- Sihak. Ce document ne fait aucune allusion aux légendes postérieures étoffant l'histoire de Ch. Kh. L'histoire des Fidèles ayant trois grandes étapes, ™ariqat «Voie mystique», Ma¨rifat «Voie de la Connaissance» (ou la Gnose) et enfin, Îaqiqat «Voie de la Vérité», c'est uniquement la première qui marque, d'après ce traité des gourans, l'époque de Chah- Khochin. Les incertitudes chronologiques touchent aussi l'avènement de S.- Sihak qui succède, selon ces textes, à celui de Ch. Kh. Ce dernier pro- blème a été soulevé dans une étude dont un résumé figure dans l'E. I. (2e éd.) sous l'entrée de Sul†an Sehak.

**

Un deuxième fragment, ouvragé et amenagé sur cette toile de fond, est un récit (inséré dans le B.-Kh. P., v. 70) d'importance majeure, censé retracer un épisode de la vie de Chah-Khochin. Il relève de cette pratique du collage et du montage artisanaux, destinés à préserver une certaine discrétion. Il ajoute ainsi quelques pièces commémoratives à ces annales officieuses. «En un temps où le monde était bouleversé et dans le plus grand désordre, Ch. Kh. s'éleva du Luristan et pénétra avec son armée des «Neuf cents-Neuf cents» dans la région de Gawaran (très probablement Guran [= Gouran]). Il choisit Qal¨a-Chahin pour champ de bataille et en délimita la frontière par la rivière de Mereg (= Mirig). Les basses terres de Gandoman furent le cimetière des hommes». En dépit du camouflage mythique, ce document précieux porte l'em- preinte de faits historiques. A en croire les rapports officiels, à plusieurs reprises les conflits ont opposé d'un côté les représentants locaux du gouvernement central ainsi que les docteurs chi¨ites des lois canoniques, et de l'autre les adeptes de cette Voie. Ces mouvements de subversion

Journal Asiatique 287.1 (1999): 9-190 20 M. MOKRI ont laissé, ça et là, quelques échos parmi les générations postérieures et nombre de traces dans les mémoires écrits, dont nous avons là un spéci- men. Le récit du B.- Kh. P. fait une allusion voilée à une insurrection qu'on peut reconnaître pour être celle survenue dans la province de Kirmanchah et étouffée en 1267 H. / 1850 par Emam-Qoli Mirza (le pe- tit-fils de FatÌ-¨Ali Chah), le gouverneur de cette province. La source la plus fiable qui expose la version officielle et gouvernementale, est le Nasekh at-Tawarikh, dans le tome concernant la dynastie des rois Qadjars, écrit par Mirza-Taqi khan Sepehr Lesan al-Molk (Tabriz, 1319 H. /1901, pp. 551-552). Ce prince Qadjar était le fils de MoÌammad-¨Ali Mirza qui avait lui-même gouverné toute la partie occidentale de l'Iran, depuis Maku jusqu'au Khouzistan et à la limite du Golfe-Persique, et s'était révélé être un vaillant chef militaire défendant courageusement l'ouest de l'Iran face aux convoitises et revendications infondées de l'administration ottomane. Emam-Qoli Mirza surnommé ¨Emad ad- Dawla, comme son père, avait établi le centre de son gouvernat dans la ville de Kirmanchah et jouissait d'une influence considérable dans ces régions kurdes ainsi qu'au Luristan, au Khouzistan, en Bakhtiari, à Kangawar et à Hamadan. Grâce à sa connaissance du pays et des secrets de l'État, ce gouverneur parvenait à résoudre les intrigues menées par les pays étrangers (russe, anglais et ottoman), surtout au sein de la popula- tion. Les pachas turcs manipulant, avec le soutien des autres puissances, les tribus Djaf, Badjalan et celles de Solaymani, considéraient de nom- breuses étendues de terres et de pâturages iraniens comme faisant partie de leur propre domaine. Pour mettre fin à ces agissements et à ces troubles, Emam-Qoli Mirza avec une armée de sept mille cavaliers et fantassins installa son camp à Zihab et rétablit l'ordre. Un nommé Molla ¨Ali-AÒghar, adepte de Mirza ¨Ali-MoÌammad Bab, troublait, au dire de Lesan al-Molk, les esprits en propageant les idées hérétiques de la secte des Babis, ce qui pouvait provoquer des émeutes et des hostilités sanglantes dans la ville de Kirmanchah. Ce gouverneur écarta le danger sans effusion de sang; il sépara Molla ¨Ali-AÒghar avec adresse et sagesse, de ses partisans, l'enchaîna et l'expédia à Téhéran. Une autre émeute résolue par Emam-Qoli Mirza et correspondant étroitement au récit du B.- Kh. P., s'est déroulée ainsi, d'après un épi- sode de ce même Nasekh at-Tawarikh dont je viens de parler:

Journal Asiatique 287.1 (1999): 9-190 MYTHE HISTORISÉ DE L'ÉPOQUE ISLAMIQUE 21

«Un nommé Taymur, de la tribu des gourans de Qal¨ah-Zandjir, mit au point une grande ruse et se fit passer pour le représentant de l'Imam Caché (= le Douzième Imam). Il rassembla de nombreuses tribus autour de lui et leur an- nonça qu'il était chargé de mettre fin à tous les États du monde, de vaincre les rois et d'asseoir son emprise sur eux. Il ajouta:«au 15ème jour du mois Djomada 1, de l'année 1267 H. /1850, je surgirai en brandissant mon sabre et par ce signe, je convoquerai les tribus pour recevoir leur pacte d'adhésion». Femmes et hommes de ces tribus se soumirent à ses ordres et lui obéirent de bon gré. Ils s'attachèrent si fermement à lui qu'ils ne lui refusèrent pas le sacrifice de leur vie, de leurs enfants ni de leur famille. Un véritable désastre guettait de nou- veau cette contrée, semblable à celui de Bab, qui menaçait le pays. Emam-Qoli Mirza ne faisait pas une entière confiance à son armée, soupçonnant la pré- sence d'éléments dissidents parmi ses officiers et ses soldats. Il avait également remarqué que des personnes arrivaient groupes par groupes de tous côtés, de Kirmanchah, du Kurdistan, du Luristan et de Solaymani, pour se mettre au service de Taymur et qu'«elles se couvraient le front de la poussière de ses pas», ce qui laissait supposer l'existence de quelque conspiration fomentée. Le gouverneur ne se risqua donc pas à engager avec son armée à Zihab une guerre ouverte contre les insurgés, mais il fit montre de prudence et d'ingénio- sité; il ordonna à quelques militaires de confiance de pénétrer discrètement dans la demeure de Taymur et, avant que n'en soient averties les tribus, de l'enchaîner et de le lui apporter à Kirmanchah. Dès qu'il le vit devant lui, sans délai et avant que les esprits aient eu le temps de tergiverser sur son compte, il donna l'ordre qu'on lui tranchât la tête et qu'on le jetât en dehors sous les yeux de tous. Ainsi, la foule comprit que Taymur n'était qu'un simple mortel, que ses propos concernant le monde caché et l'avenir n'étaient que purs mensonges». Ainsi, le dernier en date des heurts socio-idéologiques avec le gouver- nement fut bien celui de Taymur lors de la troisième année du règne de NaÒer ad-Din Chah Qadjar. Dans le B.- Kh. P., Chah-Khochin n'est qu'un prête-nom, une forme de camouflage pour rendre moins claire l'allusion à ces événements. D'ailleurs, par un fait paradoxal, le D.- S. D. (dans le verset 74) en plein cœur de l'éloge du cavalier Khochin, évoque tout d'un coup Yar-Tamir en tant que véritable Yar et qu'habit de Khawan- dikar, la Manifestation de Dieu dans la Perle prémondiale. Ce Yar-Tamir n'est autre que le Taymur en question dont la présence ici paraît d'em- blée insolite. De fait, l'évocation d'un personnage historique du milieu du XIXe siècle, dans un texte concernant l'époque de Ch. Kh. (IVe s. H. / Xe s.) relève du pur anachronisme, inexplicable torsion de l'histoire. Ce fait paradoxal constitue une preuve supplémentaire quant à la date tar-

Journal Asiatique 287.1 (1999): 9-190 22 M. MOKRI dive de la rédaction de ces récits ou des interventions assez récentes ajoutées aux textes post-sahakiens. Ayant hissé Taymur Qal¨a-Zandjiri (= Yar-Tamir) sur un piédestal, les auteurs ont fait de lui un Chah- Khochin ou plutôt selon leur terme une incarnation de ce dernier.

Ces deux documents, celui du B.- Kh. P. et celui de Nasekh at- Tawarikh, ont chacun rendu compte des faits selon leur terminologie et leur climat de pensées. Il est vrai que ces sectes et ces hérésies se protè- gent face aux chi¨ites et aux sunnites, en faisant valoir l'étiquette mys- tique, et en se référant à l'apparition du Douzième Imam et même à l'attachement pour ¨Ali en tant que manifestation de Dieu. Mais ces représentations extérieures ne reflètent pas fidèlement leur système de pensées intérieures. Chose étrange, le secret fut si bien gardé que les profanes ne soupçonnèrent rien à cette époque ni plus tard, des concep- tions politico-religieuses particularisant ces groupements. J'ai tenté de mon mieux de me documenter à ce sujet en 1946 auprès des instances et des chefs de tribus de Kalhor, Gouran, Ghalkhani et Walad-beigui qui conservaient encore, à cette époque, quelques souve- nirs du soulèvement de Taymur. Ce dernier était originaire du village de Qal¨ah-Zandjir à 44 km. au nord-ouest de la bourgade de Gahwara (cen- tre du district de Gouran), au sud de Dacht-i Layl et à l'ouest de la ri- vière de Zimkan. Les habitants de cette localité sont de la branche Espari Qalkhani appartenant à la tribu des Gourans. L'émeute, organisée par Taymur et assistée par certains courants politiques de ce temps, gagnait du terrain, surtout dans les localités sui- vantes: Au Biwanidj: Biama, Deh-kohna, Kanahar (=Kandahar), Odjaq-lu, Sar-Tang. Au Gouran: Baba-Kusa, Bagh-Khani, Ban-Chirwan, Ban-Yaran, Bar- wand, Berya-Khani, Biama ¨olya, Bimuch, Chahmar, Dara-Maran, Dja- maseb, Gahwara, Kabud-Djuy (Kabud-Djub), Kamar-zard, Naylak, Pari- chah (Bar-chah), Takht-gah. Au Kerend: Halata, Hirkani, Kula-Dju (Kula-Djub), Misala, Sar-Mil, Yaran. Ainsi, le champ de bataille a été fixé, non au Luristan, mais dans la province de Kirmanchah au sein de la population kurde et surtout gou-

Journal Asiatique 287.1 (1999): 9-190 MYTHE HISTORISÉ DE L'ÉPOQUE ISLAMIQUE 23 rane. A en croire le plan sommairement tracé dans le B.- Kh. P., v. 70, l'étendue de ce lieu de combat se limitait à l'est, à la rivière de Mereg, traversant l'actuel district de Sandjabi, lequel faisait auparavant partie de la circonscription de Gouran. Le centre était dans l'ancienne circonscrip- tion de Dira comprenant Qal¨ah-Chahin, le département de Kerend, le district de Gouran et enfin Sar-Pol-i Zihab et Pa-™aq, deux célèbres bourgades dont les cols et les vallées pouvaient protéger les insurgés. Ce sont les pâturages de l'est et du sud de QaÒr-i Chirin qui délimitaient l'ouest de la zone agitée. Dans les régions de Pocht-Darband, Payra- wand, Mian-Darband, se trouvaient des éléments de renforts en effectifs quoiqu'un peu éloignés et apparemment à l'écart. Contrairement à ce qu'avançait la version officielle, une émeute géné- ralisée a donc, pendant plusieurs mois, troublé la région et les attaques réciproques ont causé beaucoup de morts. Ces rebellions ont été calmées par la tactique et la sagesse de Emam-Qoli-Mirza, empêchant ainsi une extension dont les conséquences auraient été désastreuses. Disons une fois encore que l'attribution de ces événements historiques tardifs à Chah-Khochin permet de masquer le déroulement réel des faits, pour éviter d'irriter les sensibilités de la majorité de la population, oppo- sante, ainsi que la position gouvernementale et religieuse des chi¨ites et des sunnites de la région.

Thèmes mythico-sociaux La connaissance d'une contrée, comme on l'a déjà évoqué dans la première partie de cette étude, ne repose pas exclusivement sur celle des événements contingents et aléatoires qui s'y sont déroulés, qu'ils soient d'ordre idéologique et convictionnel ou non. Mais, elle s'appuie plus es- sentiellement sur les héritages de fonds immuables constitués par l'oro- graphie et la géologie. Partout, le cerveau humain est conditionné, dans les multiples phases de son développement, par le milieu naturel dans lequel il se trouve et a fortiori lorsqu'il s'agit d'un pays fermé, par les montagnes peu franchissables, tel que le Luristan. Ce nom de «Luristan» est composé avec le suffixe -istan, équivalent de -land dans les langues nordiques européennes, ne donnant qu'une in- dication de localisation. Cet outil de lieu, ajouté à des noms de peuples

Journal Asiatique 287.1 (1999): 9-190 24 M. MOKRI pour en désigner «le pays», est d'une renommée universelle, comme tant d'autres suffixes géographiques iraniens (-abad, -darya / derya, tal, tapa / tappa, dara / darra, / dul. / do¬,…) parsemés sur une vaste super- ficie continentale depuis l'Asie centrale jusqu'aux confins occidentaux de l'Eurasie, en passant par la grande presqu'île de l'Inde6. Plusieurs hypothèses non résolues ont été posées auparavant quant à l'étymologie du mot lur et par conséquent de Luristan. Quelle que soit l'origine de ce vocable, c'est avant tout un pays recouvert de montagnes qu'il désigne. En dehors de toute considération linguistique, j'ajouterais que l'on peut donner comme apposition à ce nom, le terme Kuhistan par excellence (région aux innombrables chaînes de montagnes). L'auteur du Tarikh-e Gozida7 n'a probablement pas tort de rapporter un avis selon lequel le vocable lur signifierait «le mont boisé». Il fait aussi remonter ce mot à la forme, à mon sens fictive, lir, le i s'étant transformé selon lui en u / o pour adoucir l'articulation de la consonne r. Tous les anciens géographes arabo-persans sont unanimes pour situer le Luristan dans la région de Djibal ou Kuhistan, autrement dit, dans la Médie. Dès lors, qu'il s'agisse de la foi des F. de V., du chi'isme (ancienne- ment sunnisme) ou du zoroastrisme pour l'époque anté-islamique, c'est avant tout le sol et le relief de cette province typique qu'il convient de prendre en compte. Le contenu du mythe de Ch. Kh. est un échantillon du type de repères que l'on peut tracer entre le relief et la pensée, si mi- nime soit la corrélation démographique entre le Luristan et les A. Î. L'aspect numérique et politique de tout groupement peut d'ailleurs se modifier au fil des temps, tandis que le Luristan reste le Luristan comme les autres composantes provinciales purement iraniennes. Certes, la remise à jour des études concernant la géologie, les corps minéraux et la nappe phréatique par des procédés plus performants, ap- porterait un enrichissement notable, mais notre champ de vision n'englo- bant pas actuellement ces points, la charge en incombe aux nombreuses équipes scientifiques disposant du matériel approprié.

6 Voir M. Mokri, Le nom de «vallée» dans les toponymes iraniens. Éditions Peeters, Paris-Louvain, 1997. 7 L'ouvrage composé en 730 H. / 1329 par Îamdu'llàh Mustawfí-l-Qazwìnì. Éd. de Edward G. Brown, Leyden, Brill, 1910, pp. 535-536.

Journal Asiatique 287.1 (1999): 9-190 MYTHE HISTORISÉ DE L'ÉPOQUE ISLAMIQUE 25

C'est donc à la lumière de cette conception dans laquelle l'influence du socle et du terrain occupe une place centrale, que je présente cette classification restreinte des thèmes mythico-sociaux, en complément de la première partie.

1. Monts et hauts rochers

Les montagnes ont toujours cet attrait naturel qui pousse l'homme à les parcourir, à les contempler et à les exploiter. Dans tous ces cas, c'est l'homme qui se meut à l'intérieur de ces remparts et adapte son mode de vie aux aspérités du relief. Les lurs ont toujours été réputés pour la sur- prenante agilité avec laquelle ils escaladaient (et escaladent encore occa- sionnellement) les monts. Certains paysans lurs imitent en quelque sorte les chevreuils et les bouquetins en s'aidant de leurs doigts de pieds et de leurs mains, pour grimper les parois escarpées et les pentes abruptes. J'ai moi-même pu observer quelques lurs, jeunes et d'âge mûr, franchir les- tement les falaises et les sommets avec une habileté vertigineuse. Les plantes de leurs pieds et les talons endurcis et légèrement entaillés par le contact permanent avec la rugosité du sol, facilitaient la montée. De leurs orteils adroitement écartés, les grimpeurs se cramponnaient aux saillies, de telle sorte que les doigts de pieds portaient le poids du corps. Mais cela est déjà un souvenir ancien. Dans une anecdote que rapporte Shihab ad-Din al-¨Umari, cité par V. Minorsky dans l'E. I. (Lur) [2e éd.], «Sala- din (564-580 H./1169-1194) alarmé par la dangereuse aptitude des lurs à escalader les remparts les plus escarpés, les fit exterminer en masse». C'est peut-être une des raisons, selon Minorsky, de leur émigration de la Syrie vers le Luristan, au début du XIIIe siècle. Cette anecdote ne me paraît pas avoir une grande portée historique, dans la mesure où Saladin était lui- même un kurde et où, à cette époque, les kurdes et les lurs ne formaient pas des ethnies radicalement différenciées, d'autant plus que l'auteur du Charafnama et d'autres historiens affirmaient la répartition des kurdes en quatre principales branches: les kurdes, les kirmandjs (/ kurmandjs), les lurs et les gourans. De surcroît cette information unique n'a été ni confirmée ni mentionnée nulle part. Cette anecdote souligne pourtant bien la souplesse des lurs et leur faculté à bondir de rocher en rocher.

Journal Asiatique 287.1 (1999): 9-190 26 M. MOKRI

Le caractère accidenté de ces rochers, touchant les plaines et les val- lées, produit un effet de contraste manifeste. Dans un tel paysage, les points de repère les plus saillants ne peuvent qu'être les hauteurs et les sommets. Bien que ces textes gouranis ne soient pas rédigés, dans leur entier, au Luristan, les auteurs cependant se sont évertués à tracer quel- ques lignes majeures du relief. Le vocable signifiant «montagne» en gourani est plus proche du per- san kuh que des mots kurdes kew et cia (= caqa). Les kü / kuy / ku en usage dans ces textes sont des formes intermédiaires entre le persan et le kurde. En effet, le gourani enrichi par les unités lexicales pour les unes kurdes et persanes pour les autres, a affiché dans maints domaines, comme d'ailleurs la langue lure, sa prédilection pour un persan influencé par les formes et la phonétique kurdes. Le vocable barz (en persan borz, «à la haute taille») peut être utilisé comme nom ou épithète et désigne «la hauteur» et par extension «la montagne». Il entre en composition avec le mot kuh pour signifier soit une haute montagne, soit le nom propre d'une haute montagne. Puisque ces textes remontent, originairement, à une tradition orale, le choix de prononciation des formes citées est fonction de l'appartenance ethnique-familiale et du niveau culturel du locuteur ou du récitant. Le pluriel, kuan, correspond au persan kuh-ha, le suffixe - an (comme en gourani et en persan) remplace ici le persan - ha (autre suffixe du plu- riel). Ainsi la forme kuan est proscrite en persan, tandis que kuh-ha ne se rencontre pas en kurdo-gourani. «Avant les autres kuan (montagnes), c'est sur elle (= Sindirwe), en premier, que l'Essence divine s'est projetée» (D.- S. D., v. 69/2). «Je détruirai toutes tes hautes montagnes (= barza-kuan)» (S.- Î. A., ch. II/ 7 et B.- Kh. P., v. 78/1). Dans ce dernier exemple est ajouté au mot barz le suffixe -a donnant à ce mot composé une nuance d'élément défini et facilitant la prononcia- tion des deux consonnes juxtaposées. Tandis que la forme persane kuh, incluse dans l'hémistiche 3, verset 7 du D.- S. D., est manifeste dans le nom de Yafta-kuh, l'expression barza-kuh «haute montagne», équivalent à barza-ku (déjà mentionnée sous la forme du pluriel) et barza-kü (B.- Kh. P., v. 77/1), apparaît éga- lement dans le D.-S. D., v. 35/1 et v. 36/1.

Journal Asiatique 287.1 (1999): 9-190 MYTHE HISTORISÉ DE L'ÉPOQUE ISLAMIQUE 27

Le vocable désignant le sommet de la montagne et conforme à la syntaxe persane est sar-i kuh (D.- S. D., v. 9/1) et sar-i kuy (B.- Kh. P., v. 12/1). Une autre occurrence équivalente est sar-kas (D.- S. D., v. 26/1-2). Le sar-band-i yalan est une expression gouranie qui dénote elle aussi lexicalement «une cime dominant une ligne de montagnes» (D.- S. D., v. 32/4). D'une façon globale, le mot barz (D.- S. D., v. 1/2 et v. 27/2) se réfère à un endroit situé en hauteur, autrement dit à une mon- tagne.

Toponymes (les montagnes) La toponymie, appliquée aux montagnes mentionnées dans ces trois versions, a été amorcée dans la première partie de cette étude. Le recen- sement ci-dessous a pour vocation d'apporter d'autres éléments de con- naissance pour une meilleure intelligence de ces textes.

Balamu est le nom d'une petite chaîne de montagne incluse dans le Dalahu (voir D.- S. D., v. 75/2). Elle est située dans la région d'Aw- raman, loin du Luristan. Plus qu'à un parcours de Ch. Kh., Balamu ap- partient au passage de S. Sihak, dont on sait qu'il habitait la contrée. Ce fait est rétrospectivement utilisé pour l'époque de Ch. Kh.

Bala-™a est une forme apocopée de Bala-™aq (‚U ôU). Aucune indi- cation géographique précise ne situe l'emplacement de cette colline / montagne au Luristan. En règle générale, les toponymes portant comme premier composant le vocable bala «supérieur» (=¨olya), laissent at- tendre en contrepartie l'existence d'un autre lieu, dont le nom est pré- cédé par un des vocables zir, pa, payin «inférieur» (= sofla). Il existe par exemple un Zir-™aq, village du district de Bas†am-o-Hanam dans la circonscription de Selselah dépendant du département de Khorram-abad, dans la province du Luristan. Une autre localité, Pa-™aq, se trouve dans la circonscription de Sar-Pol-e Zehab du département de Kerend (dans la province de Kirmanchah). Au nord de ce dernier bourg, se trouve un Bala-™aq, à 9 km. du sud de Ridjab. Le ™aq «arcade» se réfère à un col ayant une forme arquée ou cour- bée. Bien que les F. de V. soient dispersés principalement dans les deux

Journal Asiatique 287.1 (1999): 9-190 28 M. MOKRI provinces kurde et lure, il est exclu que le Bala-™aq en question corres- ponde à celui qui se situe dans la contrée de Kirmanchah, un peu trop éloignée pour les scènes se déroulant dans ces textes. En revanche, on peut admettre qu'un Bala-™aq ait été la contrepartie de Zir-™aq dans la circonscription de Selselah. Le mythe retrace le trajet de Ch. Kh. depuis le mont Buluran jusqu'au Bala-™aq, non loin de Yafta-kuh, qui est pré- senté ici comme le dernier col descendu et au pied duquel Ch. Kh. a dé- voilé le secret de son Essence divine auprès de ses compagnons. Ce lé- gendaire Bala-™aq se situe donc en quelque endroit au nord de Khorram- abad et à l'est du district de Delfan au sommet d'une montagne domi- nant une vallée retirée. Le Kalam-i Khazana-y Dinawari (inséré dans le D.- S. D.), sans citer le nom de son locuteur, dit qu'un cavalier est apparu de Bala-™a[q] et qu'il est Khochin de Khata. Son épée tranche depuis le taureau [qui tient sous la mer le globe terrestre], jusqu'au Poisson du ciel (v. 53). Au ver- set 60, ce même texte ajoute que ce cavalier descendant de ce lieu élevé tient d'une main le glaive à double tranchant du Roi[-¨Ali] et de l'autre, le Document de la possession du royaume. C'est RayÌana, un autre membre de la haute hiérarchie qui énonce dans le verset 15 du B.- Kh. P., la même idée. La réalité effective de cette apparition et de cette ren- contre est ainsi stipulée par le texte qui les situe au pied de ce mont. Toutefois, le nom Bala-™a[q] «haute arcade» peut toujours être inter- prété dans un sens métaphorique, l'arcade désignant ici la voûte céleste, donc «l'au-delà». Quant à la forme écrite de ce toponyme, elle est enregistrée tantôt par Bala-™a, tantôt par Bala-Ta. La deuxième graphie n'ayant guère de sens, c'est la première (avec un † emphatique) qui correspond à une forme abrégée de Bala-™aq; le -q est omis pour que la terminaison soit con- forme à la sonorité finale des autres hémistiches et préserve le système des rimes. L'usage permet le recours à de tels procédés prosodiques dans les cas similaires. L'existence de quelques autres noms ™aq-s, en composition ou non, dans ces régions, ne doit pas prêter à équivoque.

Buluran. Ce mont qui a été pris comme le point de départ du par- cours de Ch. Kh., se situe dans la circonscription de ™arhan (ancien

Journal Asiatique 287.1 (1999): 9-190 MYTHE HISTORISÉ DE L'ÉPOQUE ISLAMIQUE 29

™arÌan), à l'ouest de Selselah et de Khorram-abad et au sud de Delfan. Il est entouré de nombreux cols escarpés et auparavant peu franchis- sables. Le D.- S. D., v. 78 signale qu'un bon cavalier est venu de Buluran, pour prêter assistance [aux compagnons]. Le B.- Kh. P., v. 60 énonce une information semblable, mais Ch. Kh. est présenté plutôt comme un Juge (Dawar) que comme un cavalier secourable (Yawar). Enfin, le S.- Î. A., ch. II/2, précisant le point de départ de ce cavalier, n'évoque nul- lement ces qualités. La reconnaissance de cette chaîne de montagne, Buluran, ne vaut pas seulement pour le repérage de l'histoire de Ch. Kh., mais aussi pour la clarification d'un relief varié et complexe, autour duquel se greffait tout un monde de souvenirs et de mythes. Les chants de bergers et des hom- mes solitaires flânant dans ces vallées sont remplis des sentiments d'at- tente de l'inconnu et de l'irréalisé. Ils chantent encore l'attachement aux rochers, ne se concrétisant qu'à travers d'infimes débris de petites pier- res brisées, pour amortir les souffrances éprouvées. Chindirwe / Chinirwe. Cette montagne de l'ouest du Zagros se situe en Awraman, parmi les monts qui séparent l'Iran de l'actuel Irak. La lit- térature religieuse des F. de V. la rend illustre, par le passage de S. Sihak en ce lieu. Elle est privilégiée entre toutes les montagnes, car l'Essence de Dieu s'est projetée avant tout sur elle (D.- S. D., v. 69). C'est la mon- tagne qui dominait la région de Pirdiwar où S. Sihak s'est installé après avoir quitté le bourg de Barzandja, pour établir les lois et les institutions des F. de V. Dans le verset 41/4 de ce dernier texte, Mir-Hindu au cours de sa rencontre avec Ch. Kh., prédit même l'avènement de S. Sihak, en annonçant qu'un Aigle de chasse se posera un jour sur Chindirwe. Mal- gré la cohérence perceptible dans la succession des faits, ce style d'aver- tissement ne dissimule pourtant pas la nature et la date postérieure de leur présentation. Dalahu. C'est un autre nom des chaînes de montagnes du Zagros chez les kurdes. J'ai amorcé un traitement de ce nom, probablement issu de dal- (= darra) «vallées», dans mon ouvrage Le nom de «vallée» dans les toponymes iraniens, Paris-Louvain, Éditions Peeters, 1997, p. 42. Il

Journal Asiatique 287.1 (1999): 9-190 30 M. MOKRI n'est pas non plus impossible qu'il tire son origine du mot dal, au sens de l'aigle, à l'instar du nom du mont et de la forteresse Alamut (du per- san archaïque ala / ola «aigle» + mut: «le nid de l'aigle»). De toute manière, ce toponyme appartient à l'époque et aux textes post-sihakiens et n'était pas répandu auparavant au Luristan. Il est à noter que plusieurs noms de montagnes de la zone centrale du Zagros se terminent par le suffixe diminutif affectif - u (Balamu, Chahu, Dalahu, Manhu), ainsi que la ville de Sina (/ Sinah), parfois nommée improprement Sinahu. Le h de Dalahu est une consonne intercalée entre les deux voyelles pour éviter un hiatus. Quand le Bien-aimé céleste, sous la forme d'un aigle, se pose sur ces montagnes, toutes se parent et se mettent à briller (D.- S. D., v. 75/1). La musique sacrée a gardé plusieurs chants émouvants consacrés à ces montagnes.

Dul-deraz (litt. «longue vallée»). D'après le S.- Î A., ch. II/16, c'est un endroit (au Luristan) qui abri- tait la tombe de Pira-Marda (décédé à l'époque de ¨Ali) que le Roi du monde avait promis de ressusciter lors de sa prochaine apparition. Sur l'ordre de Ch. Khochin, K.- Rada se serait rendu en ce lieu, et après avoir donné vie à son cheval, il aurait appelé cet homme que le Roi res- suscita ensuite. Ce fut selon l'estimation du S.- Î. A.(ch. II/16), 360 ans après la mort de Pira-Marda. La prononciation authentique kurde de ce nom de lieu, reprise par les lurs, est Dula-drez / Do¬a-drez, équivalent du persan Deraz-darra / Darra-deraz. Si aucun vallée-village, à ma connaissance, ne porte ce nom, en revanche, c'est à la disposition orographique des montagnes que peut renvoyer l'expression Dul-deraz. Les montagnes du Zagros, surtout au Luristan, suivent la direction du nord-ouest au sud-est selon des lignes parallèles. C'est pourquoi, bien que les chemins ne fussent pas tracés, le voyageur pouvait traverser du nord au sud en se faufilant dans les vallées par les chemins naturels et sinueux, sans nul obstacle et sans escalader les cols. Une certaine connaissance de la région facilitait, bien sûr, un si long trajet se poursuivant de vallée en vallée. Indubitablement, le plan naturellement géométrique de cette voirie est à la source de ce nom signifiant «longue vallée».

Journal Asiatique 287.1 (1999): 9-190 MYTHE HISTORISÉ DE L'ÉPOQUE ISLAMIQUE 31

Les sources des A. Î. varient quant à l'emplacement exact de la tombe de Pira-Marda. Le traité manuscrit du ¨Alam-i Îaqiqat (voir su- pra) localise cet endroit à Ban-Zarda qui se trouve actuellement à 6 km. à l'ouest du bourg de Sarpol-e Zehab, lui-même situé à 30 km. à l'est de la ville de QaÒr-e Chirin et à 147 km. à l'ouest de la ville de Kirmanchah. C'est en ce lieu, selon ce dernier document, que Pira- Marda a été tué à l'époque de ¨Omar, le deuxième calife, aux tous pre- miers temps de l'Islam, lors de l'offensive des arabes contre l'empire Perse. C'est uniquement les textes tardifs et traditionnels des F. de V. qui font mention de cette mort, sans qu'on puisse en retrouver la moin- dre trace dans les textes historiques concernant cette période.

Gardangah-i NohÒada «col de N.» (D.- Î. A., ch. II/15). Il s'agit sans nul doute d'un sommet de la montagne de NohÒada.

Gardangah-i Wamarz «col de W.». Toponyme mentionné dans le S.- Î. A., ch. II/7, où le Roi Khochin distribue les charges des contrées à quelques compagnons dont la mission sera de l'y attendre.

Kasa-mas, litt. «bol de yaourt». Si au cours du récit, il est question d'un «bol de yaourt» posé sur la montagne nommée Tas-i Horin à la- quelle je renvoie, en revanche aucune des trois versions étudiées ici ne mentionne la montagne nommée Kasa-mas. Celle-ci se situe en effet au Luristan, non loin de Kabir-kuh, dans la partie montagneuse de l'est du district de Dehloran faisant partie actuellement du département de Post- kuh (Ilam). C'est un de ces monts parallèles qui caractérisent la région où se trouvent Dinar-kuh, Siah-kuh au nord-ouest du Khouzistan. Le Kasa-mas est encore relativement proche de la route qui mène d'Andimesk à Ahwaz. De nombreuses collines côtoient cette montagne, toutes en ligne parallèle. Ce toponyme dérive fort probablement de cette légende populaire sur ce prodigieux bol de yaourt, exploitée entre autres par les Fidèles de Vérité. Un petit cours d'eau, du nom de Mila-Mas «le col de Mas», s'écoule à travers le district de Dinawar pour se jeter finalement dans la rivière de Gamasiab.

Journal Asiatique 287.1 (1999): 9-190 32 M. MOKRI

La bizarrerie de ce toponyme (Kasa-Mas / Kasa-Mast), si bien inté- grée à ces légendes, peut être levée par une explication d'ordre linguisti- que. A la rigueur, dans la logique du «merveilleux», il n'est pas surpre- nant de rencontrer un bol de yaourt dont la pérennité est de trois siècles et demi ou un morceau de pain dont la chaleur est encore sensible au bout de trente ans. Mais l'attribution d'une montagne ou d'une rivière à ce prodigieux yaourt entre déjà dans un mécanisme beaucoup plus rare et incertain. Une fausse étymologie censée clarifier le sens d'un toponyme, peut au contraire susciter bien des légendes. C'est même un phénomène relativement courant qui se révèle à l'analyse de ces types de récits. Le vocable mas / mah (en pahlavi et en persan), en dehors de son sens adjectival «grand», est une forme archaïque se trou- vant dans de nombreux toponymes à l'ouest de l'Iran: Mahi-Dacht, Mah-abad [= le pays des Mèdes, d'après le Vis-o Ramin], Mas-badhan, Mah al-BaÒrah (= Nahavand, Hamadan, Qom), Mah al-Kufah (= Dinawar), en sont quelques exemples. L'équivalent persan de ce vocable est Mad, et sa signification est «Mède». Bien entendu, la forme dialec- tale (kurde, gouranie, lure) du persan mast «yaourt» est aussi mas. Une montagne et une rivière recevant le complément de nom «mède» reste dans l'ordre des appellations toponymiques. L'erreur pourrait venir de la confusion entre ces deux origines lexicales de mas, l'un se référant à l'iranien mas / mah «mède» et l'autre à la forme dialectale mas, issue du persan mast. Une fois la légende forgée, on a vraisemblablement ajouté le vocable kasa «bol» — qui s'accorde avec le sens du nom de ce pro- duit laitier — remplaçant un terme à l'initiale homophone, tel que kuh «montagne». Ainsi, les réalités étymologiques et sémantiques sont-elles parfois dé- tournées par des représentations légendaires et fictives, dégageant néan- moins un charme particulier.

Kuh-i NohÒada (litt. «la montagne des Neuf cents [disciples]»). La tradition mettant l'accent sur le faste et l'opulence du Roi Khochin, lui a attribué une suite nombreuse, composée entre autres de «neuf cents» membres pour chaque catégorie de musiciens (joueurs de tanbur, de kamanca, de flûtes,…). Le mythe met en relief une montagne sur la- quelle une telle armée aurait pu se rassembler. Une localisation précise

Journal Asiatique 287.1 (1999): 9-190 MYTHE HISTORISÉ DE L'ÉPOQUE ISLAMIQUE 33 n'en a pas été fournie, mais les Fidèles de plusieurs districts du Luristan ont voulu se l'approprier en vain. Le Roi Khochin dévoile son Essence divine et montre le Document du Secret Indicible à ses disciples sur ce mont de NohÒada (S.- Î. A., ch. II/ 9). L'histoire se remémore plusieurs avènements et des insurrections idéologiques, qui se sont produits dans différentes régions de l'Iran sous l'action d'une poignée d'hommes juchés sur la haute esplanade d'une colline à l'abri des montagnes. Un prototype historique de ces insurrec- tions hétérodoxes par rapport à la foi officielle serait celle de Sayyed MuÌammad Nurbakhch mise en œuvre sur un mont près d'une forteresse de Khatalan en l'an 826 H. / 1422, à l'époque de Charokh, fils de Tamerlan. Ce modèle a été réitéré à maintes reprises dans des situations similaires. Bien entendu, ces mythes tardifs se sont permis une imitation libre en le projetant dans le passé.

Kuh-i Palangan (litt. «la montagne des léopards»). Selon le D. S.- D., v. 24/1-2, Yafta-kuh et cette montagne ne font qu'une. Il est possible que ce syntagme mis en apposition à Yafta-kuh, décrive une propriété de cette montagne sans en être pour autant le nom propre. Il existe néan- moins plusieurs toponymes (simples ou composés) dont le mot principal est Palang, tels que Palangan, Palang-abad, Palang-Dar, Palang-Dez, Palangin, au Kurdistan, au Luristan, au Pocht-kuh et dans d'autres pro- vinces et pays iraniens, proches ou lointains. On ne peut exclure que cette montagne, fréquentée jadis par les léopards, soit l'un des monts de Yafta-kuh, à l'ouest du district de Cegeni. A partir du moment où la geste signale que les Fidèles se sont réunis sur ces montagnes, ce sont les amis et leurs adversaires qui sont supposés avoir disputé autour de leurs convictions réciproques. Dès lors, le toponyme Palangan a pris un sens ambivalent, se référant tant à ce groupe d'hommes entreprenants par le biais de la métaphore qu'à un toponyme portant le nom de cette espèce de félins. Le D.- S. D., v. 9/1 et le B.- Kh. P., v. 12/1, rapportant les paroles de Kaka-Rada, font état d'une discussion houleuse entre ces «guerriers virils» que sont les antagonistes.

Kuh-i Yar (litt. «la montagne de l'Ami»). C'est sur cette montagne, supposée être dans le pays de Murdin, que Pirali aurait reçu de Ch. Kh.

Journal Asiatique 287.1 (1999): 9-190 34 M. MOKRI la recommandation d'attendre avec vigilance son passage (S.- Î. A., ch. II/19). La tradition rapporte que Pirali ayant attendu de longues années du- rant, sans quitter son poste d'observation, vivement sollicité par sa fa- mille pour aller se laver, aurait finalement cédé la place à son fils, ¨Alala, pour quelques courts moments. Au cours de cette absence, ¨Alala s'endormit d'épuisement, tandis que Ch. Khochin traversait ce lieu comme une brise matinale. Lorsque Pirali revint, il sentit l'odeur du Roi, car tout alentour était embaumé. De colère et de déception Pirali se rua sur son fils et lui trancha la tête.

Ku-y Biwar (litt.: «mont des dix-mille»). Au sein de la hiérarchie céleste établie par S. Sihak, la tradition mentionne un rang occupé par les Pages au nombre de dix-mille. Ils sont indiqués par le terme de Biwar golam, ou Biwar golaman. Une montagne (apparemment fictive) a été attribuée à ces Pages, dont l'institution se rapporte plutôt au temps de S. Sihak qu'à celui de Ch. Khochin. Mais, dans le B.- Kh. P., v. 53/2, c'est Ch. Khochin lui-même qui fait allusion à cette montagne. Il se peut encore que le nombre de biwar (= dix mille) soit ici un chiffre arrondi correspondant aux fameux «Neuf cents-Neuf cents» de Ch. Kh. (voir Kuh-i NohÒada).

Ku-y Hawa'i (dans le B.- Kh. P., v. 30/1-2), litt. «mont de l'at- mosphère». C'est le mont Yafta-kuh, lui-même, qui se qualifie par ce nom. A première vue Ku-y Hawa'i est une autre appellation de Yafta- kuh, utilisée en tant qu'apposition ou deuxième nom. Mais, on a de bonnes raisons d'avancer qu'il s'agit, non pas d'un nom de lieu à part entière, mais d'une épithète précisant une propriété de Yafta-kuh sur laquelle le Roi Khochin s'est installé. Ku-y hawa'i signifierait alors à juste titre «le mont céleste», le contexte le confirme indubitablement.

Mehrab-kuh (ou MiÌrab-kuh). C'est une célèbre montagne qui s'étend dans le district de Delfan et à l'est de la rivière de ∑aymara. Elle est couverte de noyers et de poiriers forestiers. Au milieu de cette mon- tagne rocheuse, se trouvait auparavant un château dans lequel se réunis- saient les rebelles pour fomenter des intrigues et des subversions contre

Journal Asiatique 287.1 (1999): 9-190 MYTHE HISTORISÉ DE L'ÉPOQUE ISLAMIQUE 35 le pouvoir en place. On ne pouvait s'introduire dans cette montagne que par quelques étroits accès si peu franchissables qu'ils bloquaient toute intervention extérieure. La répartition actuelle des villes et des districts de l'ouest de l'Iran et des anciennes provinces orientales de l'empire ottoman, a entraîné quel- ques modifications quant aux noms et aux rattachements géographiques. Toutes les régions du nord-ouest du Luristan et de l'ouest de la province de Kirmanchah, avoisinait l'ancienne province de Chahrezur (actuelle Sulaymani - Kurdistan irakien). Le D.- S. D., v. 24/8 en a gardé la mé- moire. Le texte révèle encore le rôle de point de ralliement conféré à cette montagne impénétrable. Le mont de Mehrab sert ainsi de nisan- gah (ÁU~UA) «lieu signalé, point de repère». J'ajoute que dans l'Awraman de Zawarud, se trouvait déjà un village portant ce nom Mi- hrab/MiÌrab.

Tas-i Horin. C'est une montagne pour laquelle la tradition et les textes attachent beaucoup d'importance. Le «Document du Secret Indi- cible» avait été caché, avec un «Bol rempli de yaourt» fermé et scellé, dans un trou ou endroit secret sur cette montagne dont la hauteur, d'après le S.- Î. A., ch. II/18 et 19, dépassait les cent mille gaz (= mètres). Ce chiffre hyperbolique accentuant une certaine tonalité légendaire, dési- gnerait simplement «une hauteur élevée». Le Roi avait dit qu'après lui un homme viendrait en compagnie de «sept personnes» et s'assiérait sur un Mil-i diza-dar (—«œ Áeœ qO)8. Il lirait pour ses compagnons le contenu du Document et partagerait avec eux le yaourt conservé dans le bol. Il plongerait son doigt béni dans le bol. Ses compagnons devraient lui être soumis. Le Roi ajouta encore: «Lui est moi, et moi je suis Lui». Ce passage est rapporté dans l'édition non corrigée de W. Ivanow9 avec la variante suivante: «Le Roi du monde (Ch. Kh.) entra dans la mosquée de Koufa, comme le lui avait auparavant recommandé ¨Ali. Il mit son épaule gauche contre une colonne de la mosquée et de la main gauche, il la souleva. De sa main droite, il retira le «Document du

8 Sur ce problème délicat et mystérieux, voir mon étude sur Le secret indicible et la pierre noire… 9 W. Ivanow, The Truth-Worshippers of Kurdistan. Leyden, 1953 (textes persans, Bombay, 1950, pp. 50 et 53).

Journal Asiatique 287.1 (1999): 9-190 36 M. MOKRI secret indicible», caché sous cette colonne, qui recouvrait le «Bol de yaourt»10. Il présenta aux compagnons le sceau des «Douze Imams» qui scellait cet acte. Puis, il prononça ces mots: «C'est moi Ch. Khochin, le Maître du ciel et de la terre». A la vue de ce prodige, tous se montrèrent obéissants». Un peu plus loin, cette version de l'édition d'Ivanow, re- prend à peu près le même thème, lorsqu'elle décrit l'occultation de Ch. Kh.: cette nouvelle scène ressemble fort à celle de la version de S.- Î. A., mentionnée plus haut. Bien que certains toponymes actuels semblent préserver le souvenir de ces récits, il est néanmoins inutile et peu fondé de vouloir toujours en rechercher une localisation exacte. Certains maires (= kad-khoda) et chefs (= kalantar) de la fin du XIXe et du début du XXe siècles ont donné — sous l'effet de quelque recommandation (?) — à plusieurs monts et villages des noms issus de la terminologie ahl-i Î.. La modifi- 10 C'est ce motif du «bol de yaourt», à la surface duquel une couche de crème com- pacte s'est formée, qui concentre en lui l'idée de «la merveille» et du miracle. La crème a conservé intacts les sceaux des Imams qui y avaient été imprimés. En dépit du caractère périssable de cette matière qu'est le yaourt ou le lait caillé, le texte lui accorde une pro- priété hors de commun pour toucher les populations paysannes et les éleveurs fabriquant quotidiennement ces produits. Cette idée n'est pas sans précédent. Un paragraphe d'Asrar at-TawÌid (loc. cit., note 4) décrit «un pain d'orge», déposé sur une haute niche ayant préservé durant trente ans sa fraîcheur et sa chaleur pour la personne digne de le recevoir. Voici le contenu de ce passage (p. 17): «Le Cheikh Abu-Sa¨id déclara:» à l'époque où j' étais enfant et j'apprenais le Coran, mon père, Abu'l-Khayr, m'emmenait avec lui pour que nous participions à la prière du vendredi. Un jour, sur le chemin menant à la mos- quée, nous rencontrâmes le Pir Abu'l-Qasim Busr Yasin, l'un des grands cheikhs du temps, résidant en Meyhana. Quand ce Pir nous aperçut, il demanda à mon père: «A qui appartient cet enfant?». Mon père répondit: «C'est mon fils». Il s'approcha et s'assit face à nous. Ses yeux étaient remplis de larmes. «Jusqu'à présent», dit-il à mon père, «il m'était impossible de quitter ce monde, car il ne serait resté personne pour diriger cette Voie dans ce pays. Les efforts des disciples auraient été vains. Mais aujourd'hui que je vois cet enfant, mon esprit est rassuré; tous les pays jouiront des bienfaits de cet enfant». Il ajouta encore: «Lorsque les rangs de la prière seront rompus, apporte cet enfant chez moi». Ainsi fit mon père. Nous nous assîmes auprès de lui. Dans cette pièce, il y avait une niche assez haute. Le Pir ordonna à mon père de me prendre sur ses épaules afin que j'attrape un pain déposé dans la niche. Quand je le pris, c'était un morceau de pain d'orge, si chaud encore que nos mains sentaient sa chaleur. Le Pir Abu'l-Qasim Busr s'empara du pain et ses yeux se remplirent de larmes. Puis, il le coupa en deux, m'en donna une moitié et mangea l'autre lui-même sans que mon père pût prendre part au par- tage. «O Cheikh, s'exclama-t-il, pourquoi ne m'as-tu pas accordé de cette bénédiction?» Le Cheikh répondit: «O Abu'l-Khayr, il y a trente ans que nous avons déposé ce pain dans la niche. On nous a promis que quand ce pain dégagerait de la chaleur dans la main de quelqu'un, alors, ce serait par cette personne que le monde ressusciterait».

Journal Asiatique 287.1 (1999): 9-190 MYTHE HISTORISÉ DE L'ÉPOQUE ISLAMIQUE 37 cation de toponymes est un phénomène à présent courant qui subit l'in- fluence d'orientations politico-sociales. Malgré ces considérations, cer- tains lieux possèdent des toponymes relativement anciens, dignes d'inté- rêt. La montagne Kasa-mas «Bol de yaourt» (voir supra) n'est pas très éloignée de la montagne de Îumrin sdL Áu dont le nom peut se rap- procher formellement de Horin, bien que ces deux mots soient étymolo- giquement différents. Or, Îumrin, mot arabe, signifiant littéralement «montagne rouge», est le nom des chaînes traversant plusieurs régions en Irak actuel et au sud-ouest de l'Iran. Le Horin (s—u), de souche visi- blement iranienne, présente la forme d'une attribution à hur (= khvar) «le soleil». Les seuls lieux que je connais, portant ce nom, sont au nom- bre de deux: l'un est le nom d'un village (et d'une montagne) dans le district de Kuh-dast, faisant partie de la circonscription de ™arhan, au sud de Delfan; l'autre, celui d'une localité située, d'après Cl. J. Rich11, entre Îalabja (en Irak) et Zehab (en Iran) en passant par le chemin de Ban-i Khili. Le Sarandjam-i Îaqiqat (version publiée par W. Ivanow sous le titre de Tadhkira-y a¨la p. 53) cite le toponyme Tas-i Horin, sous la forme Tas-i Îuri È—u ‘U , ce qui résulte soit d'une faute d'or- thographe soit d'une simple variante, sans causer de modification nota- ble. Le vocable turc tas / das «pierre» remplace le persan kuh et l'arabe djibal et figure à la tête d'un certain nombre de toponymes, en particu- lier dans les noms de montagnes. Il est question dans le B.- Kh. P., v. 104/3 d'une montagne, Tas-i Kaw, sur laquelle Ch. Kh. a mis son Document, qui n'est autre que Tas- i Horin. Le vocable kaw, considéré, par quelques lexiques kurdes obs- curs et peu crédibles, comme équivalent du persan kuh, désigne exacte- ment une fente au milieu ou dans la partie supérieure d'une falaise ou d'une montagne, mot appliqué parfois par extension à la grotte. Le kaw ËU est de la même origine lexicale que le persan sekaf ·UJ et a le 11 Cl. J. Rich, Narrative of a Residence in Koordistan and on the Site of Ancient Nineveh with journal of a voyage down the Tigris to Baghdad and an accoust of a visit to Shiraz and Persepolis, London, 1836. Je ne dispose malheureusement pas du texte origi- nal anglais, mais je me suis référé à sa traduction arabe, RiÌlah Ridj fi'l- ¨Iraq, ¨am 1820 «Le voyage de Rich en Irak en l'an 1820», t. I, par Baha' ad-Din Nuri, Baghdad, 1951, p. 325, sous la forme s—u.

Journal Asiatique 287.1 (1999): 9-190 38 M. MOKRI même sens. Le verset 108/4 de ce dernier texte dont le locuteur est Nisa', fait allusion à ce mont qu'il appelle Tas- Mu¨af. Le Mu¨af peut être une variante de Mu¨aw, la syllabe finale -af remplaçant -aw pour des raisons prosodiques. Le sens ne me paraît pas évident et j'ignore la pro- venance de cette forme. Il existe certes une forme arabe mu¨af signifiant «exempté, exonéré», mais elle est sans rapport avec ce toponyme.

Autres toponymes (mers, cours d'eau, pays, villes, localités):

Ab-i Amuy (= Amou-Daria), équivalent de l'arabe DjayÌun. Ce der- nier s'applique en plus, dans certains contextes, à n'importe quelle mer ou rivière. Ici, ce nom correspond à la rivière de Gamasiaw (en persan Gamasiab) ou à celle de ∑aymara. Puisque le Gamasiab, déjà grossi par les eaux du Qara-Su et de la rivière de Dinawar, se jette — à la fin de son parcours à travers les régions Camcamal12, Harsin et les villages de l'est de Duru-Faraman —, dans le ∑aymara, ces deux cours d'eau se confondent. Le ∑aymara, s'écoulant vers le sud (Khouzistan), prend plus bas le nom de Karkha. Dans le B.- Kh. P., v. 80/2, Kaka-Rada prétend

12 Anciennement Sul†an-abad-e Camcamal, ville construite par Sul†an MuÌammad Khoda-banda Ouldjaytu (régnant de 703 à 716 H. /1303-1316) de la dynastie des Ilkhanides mongoles de l'Iran (voir Tarikh-e Gozida de Îamdallah Mostawfi (op. cit. p. 596). Non loin de cette ville, un district, Khoda-banda-lu, fait actuellement partie de la circonscription de Qurwa, entre les départements de Hamadan et Sanandadj. Se trouvent encore plusieurs villages dans cette région, appelés Sul†an-abad, dont l'un appartient au district de Dinawar, un deuxième à celui de Kangawar, un troisième à celui de Sard-rud (dans la circonscription de Rezan, du département de Hamadan), un quatrième à celui de Car-Dawli (de la circonscription de Qurwa, du département de Sanandadj). On peut ajou- ter à cette liste, le village de Sul†an-abad Anudj, situé dans le district de Samen (du dépar- tement de Malayer) et celui de Sul†an-abad Kala-bura dans le district central du départe- ment de Malayer. Le nom de certains de ces villages pourrait remonter à l'époque de Sul†an-MuÌammad Khoda-banda Ouldjaytu, lequel avait soin de la prospérité du pays et se montrait soucieux de faire construire des villes et des villages nouveaux. Ce Sul†an ayant une fois baptisé une ville de son propre nom, il est aussi possible que d'autres l'aient imité, appliquant le titre de leur souverain (comme cela se pratiquait habituellement) à plusieurs villages. Rappelons que l'ancienne belle ville de Sul†aniyah, avait été construite par ce même Ouldjaytu et était devenue en quelque sorte sa capitale et celle de ses successeurs. C'était sur les vastes prés de Sul†aniyah (tÒOUDK) que jusqu'à l'époque des Qadjars, une grande partie de l'armée de l'Iran résidait et effectuait ses parades multiples et ses traditionnels défilés.

Journal Asiatique 287.1 (1999): 9-190 MYTHE HISTORISÉ DE L'ÉPOQUE ISLAMIQUE 39 avoir nagé dans cette rivière, pour affirmer ses prérogatives. Ce serait une allusion rétrospective à l'histoire de l'occultation de Chah-Khochin dans la mer et de sa courte conversation avec Pir-Binyamin (= Kaka- Rada). Cette mer correspond, dans l'esprit des auteurs de ces textes, à Gamasiab. Cette référence serait alors prémonitoire, conformément à un certain mécanisme propre à l'irrationnel que l'on retrouve dans les contes et les fictions populaires. Un événement dont on sait qu'il se produira nécessairement plus tard au cours de l'histoire, est exposé par- fois par avance, comme s'il était déjà arrivé. Il ne s'agit pas là d'une maladresse, mais plutôt d'une projection précipitée dans le temps. La connaissance de ce procédé délicat aide au dénouement de mystères rendant obscure la progression de récits irréalistes.

Baghda, prononciation kurdo-gouranie de Baghdad, avec la chute de -d final. Les trois textes (D.- S. D., 32/5; B.- Kh. P., v. 87/3; S.- Î. A., ch. II/7) évoquent le pillage de Baghdad, dont les circonstances sont rap- pelées ici dans la rubrique «Cavalier Khochin et ses acolytes».

Basu. Le B.-Kh. P., v. 69/1-2, utilise ce mot comme un nom de lieu, dont l'emplacement est impossible à identifier. Le Roi Khochin exhorte les compagnons à se présenter ensemble à Basu, qui est tranchant comme le sabre et aussi mince qu'un cheveu. Il ajoute que personne ne passera avant Hindu [le joueur de rebec]. Une telle description permet de supposer que Basu est le nom d'un pont semblable au Pol-e ∑ira†.

Bulgar. C'était le nom d'un pays situé au nord, dans les contrées oc- cupées par les slaves (Òaqalibah) en Asie Centrale. Ses habitants ont em- brassé, d'après le Mu¨djam al-Buldan de Yaqut, la foi musulmane à l'époque d'al-Muqtadir, le calife ¨abbasside (de 295 à 320 H. / 907 à 932). Plus tard, conservant ce nom, les communautés de race turque ont fondé deux États, l'un aux environs du Danube et l'autre aux environs de la Volga. Actuellement, le nom Bulgar désigne la Bulgarie à l'ouest de la Mer Noire dans la presqu'île des Balkans. Malgré le faible nombre des membres des sectes Biktachis et Qizilbachs en Bulgarie, l'existence de quelques adeptes F. de V. n'est pas totalement exclue. Les textes ne précisent pas de quel Bulgar il s'agit.

Journal Asiatique 287.1 (1999): 9-190 40 M. MOKRI

Dans les versets 15/1-2 du D.- S. D. et 94/1 du B.- Kh. P., il est écrit que l'enfant Khochin possède une maison en Bulgar, sans d'avantage de précision. Peut-être le mot khana «demeure, maison» est-il une abrévia- tion de khanaqah / khanagah «monastère, lieu de retraite»?

Buq¨ah (S.- Î. A., ch. II/19). Terme générique arabe, signifiant à l'origine «pays», «contrée» et s'appliquant par la suite au mausolée et au khanaqah, un bâtiment offrant un lieu de retraite. Le Roi Khochin, avant de quitter ses compagnons, leur recommande de se rendre chacun dans son buq¨ah (pays natal ou contrée de prédilection) et d'y attendre sa prochaine apparition dans ce monde. Pir-¨Ali, par exemple, retourna à Murdin, guettant sur une montagne le passage de son Maître.

Cal-i Gandoman ÊUbMÖ ‰UÇ (B.- Kh. P. 70/8), litt. «les basses terres du village de Gandoman». Il s'agissait d'une localité entourée de vastes champs de blé dans la région de Zihab, non loin de Qal¨ah-Chahin. Cet endroit a servi de champ de bataille à Ch. Kh. et son armée — ou plus exactement à Taymur Qal¨a-Zandjiri en lutte contre l'armée gouverne- mentale, et fut le théâtre d'un terrible massacre entre les deux partis. Gandoman a pour sens «les blés» et a servi de toponyme pour plusieurs villages où cette céréale était particulièrement prospère. Aucun village actuellement ne porte ce nom aux alentours de Zihab. Un peu plus au loin de cette circonscription, on trouve un village nommé Gandoman dans le district de Zawarud d'Awraman et dans le district de Sandjabi un autre nommé Gandom-ban. Dans le district de Badra faisant partie du département d'Ilam (Pocht-kuh), il existe une localité du nom de Gandom-zar et dans le district de Mir-deh dépendant du département de Saqqiz, un village appelé Gandoman. Une autre localité encore nommée Gandom-ban se situe au Luristan, dans le district de Delfan (à 12 km. au sud-est de Nur-abad). Mais loin de ces régions, dans la province d'Ispa- han, à l'ouest de Chahr-e Kord et Semirom-e bala dans le district de Borudjen, il existe une localité nommée Gandoman, située au cœur d'une vaste campagne du nom de ∑aÌra-y Gandoman ÊUbMÖ È«d (ou Caman-e Gandoman, ÊUbMÖ sLÇ). Celle-ci est dominée par des chaînes de monta- gnes dans la direction du nord-ouest au sud-est. De nombreux cols et vallées sillonnent cette région. Bien que ce lieu soit sans rapport avec

Journal Asiatique 287.1 (1999): 9-190 MYTHE HISTORISÉ DE L'ÉPOQUE ISLAMIQUE 41

Cal-i Gandoman, l'ironie de l'histoire voulut qu'en 850 H. / 1446, ∑aÌra-y Gandoman d'Ispahan soit le centre d'un grand rassemblement d'armées dirigé par Chahrokh (fils de Tamerlan), contre son petit fils Amir-zada Sul†an-MoÌammad (fils de Bay-Sunqur ibn Chahrokh). Le prince MoÌammad échauffé par quelques mauvais conseillers, tenta d'extirper le trône à son grand-père, alléguant le grand âge de ce dernier. Chahrokh mena une grande armée depuis sa capitale Hirat jusqu'à cette vaste cam- pagne choisie pour champ de bataille. Amir-zada MoÌammad renonça alors au siège de Chiraz; ses soldats furent dispersés et lui-même s'en- fuit à ¨Araq-¨adjam, via Chulestan et Kuh-Kiluya (voir Fars-nama NaÒeri, t. 1, p. 75, éd. lithogr. 1313-1314 H. / 1895-1896)13. Il ne s'agit pas d'avan- cer que l'histoire des F. de V. (rédigée certainement après ce conflit) ait été calquée sur celle de Chahrokh. Car il reste certain que les événe- ments concernant Chahrokh et Taymur Qal¨a-Zandjiri se sont déroulés en des temps et des espaces différents. Pourtant, on ne peut passer sous silence la grande conformité de ces deux scènes ayant eu lieu sur des champs de bataille désignés par un même nom. Qui sait si le locuteur du verset 70 du B.- Kh. P. n'a pas mentionné Cal-i Gandoman (variante de ∑aÌra-y Gandoman) simplement parce que ce nom évoquait pour lui un célèbre champ de bataille? Quand l'histoire se mêle au mythe, de tels rapprochements et de telles confusions sont naturellement de mise. Qu'il s'agisse en effet de cal, de caman «pré» ou de ÒaÌra «campa- gne», c'est toujours une vaste étendue qui est désignée, avec cette diffé- rence que cal s'applique, dans ce contexte, à une vaste dépression du sol, en forme de cuvette. 13 De tout temps, cet endroit a été réputé soit pour l'étendue de son espace, soit pour son terrain de chasse, soit encore pour la route qui le traversait, menant d'un côté à Fars (Chiraz), de l'autre à ¨Araq ¨adjam. Le Fars-nama-y NaÒeri (op. cit., éd. lithogr., t. 1, p. 484) en rapportant les événements de l'année 1070 H. / 1659, précise que le Chah ¨Ab- bas II safavide, revenant de Mazandaran à Ispahan, séjourna à Caman-e Gandoman durant l'été. Voir aussi le supplément de Raw∂at aÒ-∑afa, t. 8, pour l'année 1069 H. / 1658 du- rant laquelle Chah ¨Abbas II se rendit à Gandoman pour la chasse. Reza-Qoli -khan Hedayat, lorsqu'il rapporte dans le tome 8 du Supplément de Raw∂at aÒ-∑afa, les événements ayant touché le règne du Chah ™ahmasp safavide, ajoute que le premier jour de l'année 937 H. / 1530, le roi se rendit d'Ispahan à ¨Araq et à Gandoman, lieux appréciés durant l'été pour leur climat frais (yaylaq). En 1204 H. / 1789, le roi Aqa-MoÌammad-khan, fondateur de la dynastie des Qadjars, après avoir passé le printemps à Caman-e Gandoman, dirigea ses pas sur Qazvin (t. 9 du Supplément de Raw∂at aÒ-∑afa).

Journal Asiatique 287.1 (1999): 9-190 42 M. MOKRI

Chahrazül qË“ ÁdN (D.- S. D., v. 24/8), équivalent du kurdo-gourani Charazur —Ë“ Á—U (prononciation persane et arabe: Chahr-i Zur), nom d'une ancienne ville et région faisant partie de l'actuelle province de Sulaymani, au Kurdistan irakien. Les anciens géographes et historiens musulmans situaient Chahr-i Zur entre Hamadan et Erbil (actuelle ville kurde Hawler). Le chemin menant de Chahrezur à QaÒr-i Chirin, en pas- sant par Diz-Korran, s'étendait, selon Ibn Khordadh-bih14, sur une dis- tance de 20 farsakhs (environ 120 km.). Chahrezur, toujours d'après ce géographe du troisième siècle de l'Hégire, se trouvait à mi-chemin entre Mada'in (Ctésiphon) et le Temple du Feu de Chiz (en Azerbaïdjan). Le fait à noter est qu'Ibn Khordadh-bih exprime, dans son ouvrage en langue arabe, cette notion de «mi-chemin» par l'expression persane nim az rah Á«— “« rO qu'il fait suivre de sa traduction en langue arabe niÒf a†- †ariq odDÃ«Ò nB, mais Ibn Rusta, dans son Kitab al-Aghlaq an-Nafisah (éd. de J. De Goeje. Lugduni Batavorum, 1892, p. 164) en langue arabe, a préféré à son tour employer la locution nima-rah Á«dLO (avec un fatÌah sur la lettre mim), pour situer ces deux lieux. Pour sa part, al-Idrisi, l'his- torien-géographe du VIe siècle de l'Hégire, dans son Nuzhat al-Muchtaq (éd. de ¨Alam al-Kutub, Beyrouth, 1409 H. / 1989, p. 669), utilise lui aussi nim-rah Á«— rO (avec plusieurs variantes relevées par l'éditeur dont la plus caractéristique est Á«— “« r, qu'on doit lire Á«— “« rO). L'auteur ajoute comme ses prédécesseurs la traduction arabe niÒf a†-†ariq. Quant à Îamdallah Mostawfi, dans son Nuzhat al-Qulub, écrit en 740 H. /1340 (op. cit., p. 107), il remplace la forme enregistrée ci-dessus, par une va- riante un peu obscure, nim aradah Áœ« —« rO, qui n'est qu'une copie erro- née de nim az rah, restée inaperçue auprès de ses éditeurs. Il semble que les anciens géographes écrivant en langue arabe n'ont pas voulu substi- tuer la traduction arabe à ces locutions figées (nim-rah / nima-rah / nim az rah) de la langue darie (persane): ils l'ont appréciée comme un terme géographique précieux, plus expressif et propre que le niÒf a†-†ariq, qui pouvait à leurs yeux prêter à équivoque. Le persan contemporain préfère dar nima-rah Á«— tLO —–15. Chahrezur a toujours été une ville kurde quasi-

14 Kitab al-Masalik wa'l-Mamalik, éd. de J. De Goeje, Lugduni-Batavorum, 1889, p. 19. 15 La position géographique de Chahrezur, ville implantée approximativement à mi- chemin entre deux endroits très renommés à l'époque sassanide, à savoir Ctésiphon et le

Journal Asiatique 287.1 (1999): 9-190 MYTHE HISTORISÉ DE L'ÉPOQUE ISLAMIQUE 43 indépendante et d'après ibn Îawqal16 et IÒ†akhri17, aucun représentant ou haut fonctionnaire n'a été envoyé par le Sul†an pour contrôler la marche des affaires et la régularisation des finances et impôts dûs à l'État. Pour- tant, cette ville et cette région fort convoitées passèrent à maintes reprises d'une main à l'autre. La dynastie kurde des Îasanuya, régnant de 400 à 434 de l'Hégire (= 1009-1042), avait fait de ce lieu l'un de ses bastions. Tamerlan y mit le feu en 803 H. / 1401. Cette ville était circonvoisine de Suhraward, toutes deux, selon Ibn Îawqal, étant prospères et habitées par les kurdes. «Autrefois, la plus grosse partie des habitants [de Suhraward] étaient des hérétiques, qui l'ont abandonnée; toutefois, ceux qui ont manqué de courage et ont ac- cepté une situation diminuée sont restés par amour du sol natal et de leur patrie. Ces deux villes sont entourées d'une muraille» (Configuration de la terre, Kitab ∑urat al-Ar∂, traduit par J. H. Kramers et G. Wiet. Tome II, Paris, 1964, pp. 360-361). C'est un lieu d'importance pour les A. Î., puisqu'il sera le siège du Jugement Dernier où les âmes seront ressuscitées et jugées. Le Farsnama d'Ibn al-Balkhi18 rapporte une rumeur selon laquelle Alexan- dre Macédonien aurait fini ses jours dans cette ville. Après la première Guerre Mondiale et les défaites des Ottomans, peu à peu le nom de Chahrizur a cessé de s'appliquer à un département pré- cis. C'est la province de Sulaymani qui a englobé toutes ces régions du Temple du Feu de Chiz (en Azerbaïdjan), pourrait avoir donné à ce terme précis, nima- rah, une définition inséparable de Chahrezur. C'est pourquoi ces géographes et historiens attentifs ont essayé de le préserver dans leurs textes arabes. Il est moins probable que la répétition de cette expression d'un ouvrage à l'autre ait eu pour cause une naïve reproduc- tion insoucieuse de l'étrangeté du terme. Ce procédé par lequel une locution descriptive se soude à un toponyme et finit même par le remplacer n'est pas si exceptionnel qu'on pourrait le croire. Un exemple, encore vivant, en est celui de Mian-rahan ÊU«— ÊUO «Entre plusieurs chemins», appliqué à un endroit dans le district de Dinawar faisant partie du département de ∑aÌnah (dans la pro- vince de Kirmanchah). Ce lieu est en effet une sorte de carrefour où se croisent plusieurs cours d'eau (rivières de Kangar-chah, Djamichan, et d'autres cours s'écoulant dans les vallées de Kandula, Armani-djan et Chahpur-abad). Mian-rahan est par la suite devenu également le nom d'un village dans ce même district de Dinawar, par sa position géogra- phique. Ce n'est là qu'un cas parmi d'autres. 16 Le ∑urat al-Ar∂, éd. de J. De Goeje, texte arabe, 2e éd. 1939, p. 369. 17 Abu-IsÌaq Ibrahim ibn MuÌammad al-Farsi al-IÒ†akhri, Kitab Masalik al-Mamalik. Éd. de De Goeje, Lugduni-Batavorum, 1927, p. 200. 18 Edited by G. Le Strange and R. A. Nicholson, London, 1921, p. 58.

Journal Asiatique 287.1 (1999): 9-190 44 M. MOKRI

Kurdistan irakien. Pourtant, le centre de cette ancienne province, nommé Îalabdja, a vu s'étendre sa réputation. Mais les habitants de cette dernière ville ont été radicalement massacrés, au moyen de bombes chimiques par le gouvernement irakien lui-même. Ce fut un douloureux désastre pour les kurdes de ces régions, bombardés par leur propre gouvernement.

Cin-u Macin (S.- Î. A., ch. II/5): Chine et Grande Chine.

Chir-bang. Le S.- Î. A., ch. II/1 est la seule version qui désigne le lieu de résidence de Mirza-Amana (père de Djalala) et de sa tribu. Ce lieu est nommé d'après ce texte Deh-¨Ali et se trouve au sein d'une région appelée Chir-bang. Nulle trace au Luristan de ces deux toponymes. Il faut tenir compte toutefois des changements de noms de lieux effectués à toute époque. Même si ces récits sont à dominante légendaire, il serait hâtif de conclure que de tels noms de lieux soient le fruit de l'imagina- tion. Le nom Chir-bang signifie littéralement «le rugissement du lion». Or, quantité de toponymes à travers toutes les contrées du plateau iranien sont composés avec le vocable Chir- «lion». Dans cette même province du Luristan, il existe actuellement une localité du nom de Chir-kach (litt. «Mont du lion») dans le district Somaq dépendant de la circonscription de Cegeni, à l'ouest de Khorram-abad et au sud-est de Delfan. Mais il est malaisé de circonscrire l'emplacement de Chir-bang et de Deh-¨Ali, ou de définir les liens qui les rapprochent éventuellement de Chir-kach.

Darya-ye Hurmuz (S.- Î. A., ch. II/8) «la Mer de Hormuz», partie du Golfe-Persique entourant l'île et le détroit de Hormuz. Ici, Baba-™aher, pour évoquer sa profonde sincérité, déclare être cette mer illimitée.

Darya-ye ¨Omman (D.- S. D., v. 35/4 et 36/4) «la Mer d'Oman». Les termes darya «mer» et oqyanus «océan» étaient employés méta- phoriquement pour caractériser un savant ayant une vaste connaissance. Baba-Faqih, un adversaire non encore adepte, reprend cette image lors- qu'il prétend être la Mer d'Oman sans borne ni limite.

Darya-ye Qurzum “dÁ ÈU—œ (B.- Kh. P., v. 77/2 et v. 78/3). Ce nom est une forme dialectale de Qulzum ÂeKÁ ÈU—œ, qui correspondait aupara-

Journal Asiatique 287.1 (1999): 9-190 MYTHE HISTORISÉ DE L'ÉPOQUE ISLAMIQUE 45 vant à la Mer Rouge. Baba-Faqih, pour étaler son savoir, se compare à cette mer qu'il dit être sans limite.

Dira Ádœ (D.- S. D., préambule du chapitre 4). C'était auparavant le nom d'une vaste circonscription à laquelle étaient attachés Qal¨a-Chahin et Ridjab. Actuellement, ce nom est appliqué à un district au nord-ouest de Gilan-i Gharb du département d'Islam-abad (= Chah-abad). Ce dis- trict correspond à une partie de l'ancienne étendue géographique dési- gnée par ce toponyme.

Dukan. Dans un passage du S.- Î. A., ch. II/2, Kaka-Rada saluant Da-Djalala enceinte, lui demande qui est son «hôte», considéré par les khalq-i Dukani (ou khalq-i dugani ) comme un bâtard. Si on choisit la lecture khalq-i dugani, il s'agit des «hommes à double face», hypo- crites. Le contexte n'exclut pas cette possibilité. Mais, si on opte pour la lecture khalq-i Dukani, celle-ci signifie alors «habitants de la localité de Dukan (ou Dukani)», ce qui paraît préférable et fera la contrepartie de khalq-i Luristan (B.- Kh. P., v. 3/3) «gens du Luristan», eux-mêmes accusant Ch. Kh. de n'être qu'un bâtard. Cette localité, auparavant très connue, est aujourd'hui disparue. Ibn Rusta, le géographe du troisième siècle de l'Hégire, note ainsi à propos de ce lieu, dans son al-Aghlaq an-Nafisah (éd. de J. De Goeje, Lugduni Batavorum, 1892, p. 166): «La distance qui sépare le Qarmachin (va- riante de Qarmasin, forme arabisée de l'actuel Kirmanchah) de Dukan est de 8 farsakhs (env. 48 km.). Le chemin qui mène de l'un à l'autre lieu traverse des terrains plats jusqu'à un pont construit près d'une vallée et aboutit à Khiavin. Puis, il se poursuit jusqu'à la montagne de Bihistun. Au pied de ce mont se trouve une vaste vallée près de laquelle il existe une source. Le volume d'eau en est assez important pour faire tourner cinq pierres de moulin. Cette source s'écoule dans un canal fait de pierres jusqu'au village d'Abu-Ayyub. En fin d'après-midi, l'ombre de la montagne de Bihistun se projette sur ce chemin. Dukan est un mo- nument de gypse et de briques, édifié par les rois sassanides. C'est une bâtisse de pierre qui mesure 400 dhar¨ de long et 400 de large. Le sol est recouvert de marbre. Une rivière coule aux environs de Dukan, irrigue les champs et fournit les habitants en eau. Celui qui désire se rendre à

Journal Asiatique 287.1 (1999): 9-190 46 M. MOKRI

Nahavand et à EÒfahan, prend la direction à droite de Dukan jusqu'à ce qu'il parvienne à Madharan puis à Nahavand. Ces deux dernières villes font partie de la région de Djibal de laquelle dépendent les grandes cir- conscriptions de Masbadhan, Mehrdjan-qadhaq, Mah al-Kufah, c'est-à- dire Dinawar, et Mah al-BaÒrah, c'est-à-dire Nahavand, Hamadan et Qom. De Dukan à QaÒr al-LuÒuÒ (= Kangawar), on compte 7 farsakhs (env. 42 km.).» L'emplacement de la localité est difficile à cerner. On a émis l'hypo- thèse qu'il pourrait s'agir de Takht-i Chirin, dans la circonscription de Camcamal. Ce dernier village se situe à 19 km au sud-ouest de la ville de ∑aÌnah et à 3 km. au sud de la route qui va de Kirmanchah à Ha- madan (Farhang-e Djoghrafiayi Iran, t. 5). Mais les avis sont partagés quant à cette supposition. Voir également, Mas¨ud Golzari, Kerman- chahan-Kordestan, Téhéran, s. d., (Andjoman-e Athar-e Melli, no 147) t. 1, p. 426. Il existe, dans la circonscription de Duru-Faraman, située au sud-ouest de ∑aÌnah et de Camcamal, ainsi qu'à l'ouest du département de Harsin, un village nommé Du-kana [prononcé aussi par les habitants Du-kani] (à 2 km. au sud de la rivière de Qara-Su). Non loin du Luristan, cette zone abrite des ethnies kurdes, lures et lak mélangées. Il est possible que l'en- droit mentionné par le S.- Î. A., corresponde à ce village dont la popula- tion est mixte. Ces deux toponymes, Dukan et Du-kana, signifient «irrigué par deux sources». Or, les différentes formes dialectales kan, kana, kani / khani, keni / kyani remontent toutes à une même origine linguistique. Une deuxième racine iranienne a donné lieu à un paradigme de vocables si- gnifiant à la fois «oeil» et «source» qui est cam (kurde, gouranie, lure). [Comp. avec les formes persanes casm / cesm / ces et casma / cesma]. Le radical cam connaît lui-même d'autres variantes dialectales kurdes caw / caw / cow / ca¨v utilisées cette fois-ci uniquement pour l'oeil. L'interchangeabilité des phonèmes -m et -w / -v à l'intérieur des dia- lectes de l'ouest de l'Iran (fréquente notamment dans les particules fina- les formant des radicaux issus d'une même racine), explique l'existence du couple cam / caw et de ses variantes. Un grand nombre de noms de localités du Kurdistan et du Luristan portent dans leur composition l'une de ces diverses formes. C'est surtout

Journal Asiatique 287.1 (1999): 9-190 MYTHE HISTORISÉ DE L'ÉPOQUE ISLAMIQUE 47 dans d'autres provinces que plusieurs toponymes (villages et sources) sont aussi pourvus du mot khani. En somme, l'hypothèse selon laquelle Kaka-Rada fait allusion aux habitants de Dukan (ou Dukani) peut être tout-à-fait recevable. Dans ce sens, le locuteur de ce verset mettrait l'accent sur l'incrédulité de ces vil- lageois, sceptiques quant aux affirmations des F. de V. concernant cette histoire de la naissance de Chah-Khochin.

EÒfahan ou Ispahan. On trouve dans le S.- Î. A., ch. II/9, l'histoire d'un nommé Khosraw, emprisonné dans cette ville et sauvé par les con- seils que lui avait prodigués Ch. Kh. dans un songe.

Gawaran Ê«— ÁËUÖ. Le B.- Kh. P., dans l'hémistiche 5 de son important verset 70, cite Gawaran comme la direction vers laquelle se dirigèrent Ch. Kh. et son armée des «Neuf cents-Neuf cents», en quittant le Luristan. Après avoir longuement commenté cet épisode au commencement de cette deuxième partie de l'étude sur ce mythe, je rappelle simplement que Gawaran n'est qu'une forme archaïque de Guran (Gouran). Cette région était donc habitée par plusieurs branches de la tribu gourane et renfermait la localité de Qal¨a-Chahin et le bourg de Sarpol-e Zehab ainsi que leurs dépendances. Dans le S.- Î. A., ch. II/13, le Roi du monde promet à Baba-Yadigar de lui faire don des troupeaux de la tribu des gourans.

Hamadan (ancienne Ecbatane, capitale des Mèdes). Dans le S.- Î. A., ch. II/8, Chah-Khochin est censé se rendre dans cette ville pour y rencontrer le poète mystique Baba-™aher, auquel les traditions tardives font assumer le rôle d'un de ses compagnons angéliques. Or, le chapitre 5 du D.- S. D., évoque également le passage de Chah-Kochin à Hamadan où il rencontre cette fois Yar-Hindu, le joueur de rebec.

Kawa ÁËU, prononciation kurdo-gouranie de l'arabe Ka¨bah (tF), édifice cubique vénéré dans la ville de la Mecque, dans la direction du- quel se tournent les musulmans lors de leur prière. Dans le verset 44/4 du D.- S. D., Yar-Hindu assure à Ch. Kh. qu'il représente pour lui la

Journal Asiatique 287.1 (1999): 9-190 48 M. MOKRI

«Kawa». Dans le verset 45/2 de ce même texte, le Roi lui répond: «Hindu ne sois pas hypocrite envers la Kawa!», pour l'exhorter à être véritablement sincère. Les versets 61/3 et 62/2 du B.- Kh. P. exposent le même échange entre Hindu et Chah-Khochin. Dans le verset 64 du D.- S. D., la Kawa représente la foi des Fidèles dont le secret est d'être éclai- rés par la lumière de Ch. Kh. Pour les A. Î., le vrai pèlerinage est de visiter leurs lieux saints, no- tamment Pirdiwar. La Ka¨ba (Kawa) n'est donc pas prise chez eux dans sa réalité matérielle, mais est réinterprétée d'après sa portée religieuse dans un sens qui leur est propre. D'ailleurs, les mystiques, les premiers, avaient déjà comparé et assi- milé le cœur fervent de l'Amoureux à la Ka¨bah réelle. Les pieux mys- tiques attachaient une grande importance au pèlerinage de la Mecque et de la visite à la Ka¨bah. De tels propos s'expliquent donc de la part des mystiques et des hommes de cœur, par les exactions que mènent les cou- rants du fanatisme et par la pratique de cérémonies machinales et pure- ment formelles. C'est pourquoi, les anciens mystiques mettaient l'accent sur la nécessité de se rendre à la Ka¨bah dans une disposition de cœur, sincère et profonde.

Kufa, ville de l'actuel Irak. C'est dans sa mosquée que ¨Ali (le 4e ca- life / le premier Imam chi¨ite) fut assassiné en l'an 40 H. / 660. D'après le S.- Î. A., ch. II/18, Chah-Khochin, accomplissant la promesse de ¨Ali, soulève une colonne de cette mosquée et en retire le Document du Secret Indicible posé sur un bol de yaourt resté encore frais.

Lew-i Ab »¬ uOÃ, forme écrite, prononcée nécessairement Lew-i Aw ˬ uOà (équivalent du persan Lab-e Ab) «au bord de l'Eau». Dans le B.- Kh. P., v. 73/2, «Faqih, irrité, se rend “au bord de l'Eau” pour répliquer aux reproches de Kaka-Rada». Ce cours d'eau ne peut qu'être la rivière de Gamasiaw (= Gamasiab) ou celle de ∑aymara dans laquelle la première se jette. Ces deux cours d'eau ont inspiré des récits et des légendes contés par les anciens des villages, dont j'ai pu recueillir quelques échantillons. Il était de coutume que les noms des cours d'eau et des rivières soient simplement désignés par les riverains, Lab-e Ab (= Bord de l'Eau).

Journal Asiatique 287.1 (1999): 9-190 MYTHE HISTORISÉ DE L'ÉPOQUE ISLAMIQUE 49

C'est ainsi qu'à maintes reprises Amu-Darya est nommée dans certains ouvrages Lab-e Ab ou Kenar-e Ab. A Kirmanchah, la rivière de Qara-Su (coulant auparavant à 6 km au nord de la ville et à présent dans son en- ceinte même) était appelée par les habitants Lab-e Ab en persan et Law- i Aw en kurde.

Mada'in (Ctésiphon). Dans le S.- Î. A., ch. II/9, il est question d'une vieille femme, intercédant auprès du Roi du monde pour son fils. Ce der- nier, un nommé Khosraw, était en effet prisonnier à Ispahan. Il reçut l'ordre en songe de sortir sans crainte de prison et de se rendre dans son pays natal, à savoir Mada'in.

Mereg / Mirig ¯d, plus connu sous la forme Aw-e Mereg / Aw-i Mirig (pers. Ab-e Mereg ¯d »¬). C'est le nom d'un petit cours ali- menté par les eaux printanières et coulant dans de nombreux villages et vallées. Ces eaux se réunissent à proximité du Caravansérail de Mahi- dacht. Celles-ci, devenues une seule petite rivière, passent à travers le district de Sandjabi et se jettent près de Chah-Godar dans la rivière de Qara-Su. La rivière de Razawar, après avoir traversé elle-même le dis- trict de Mian-Darband, se jette à son tour dans le Qara-Su. Mereg et Razawar ont un débit faible en été et si fort au printemps que la circula- tion entre le district de Sandjabi et Kirmanchah était auparavant entravée faute de pont. Vers les années 1329-1331 H. s. / 1950-1952, un pont fut enfin construit sur le Mereg19. Le B.- Kh. P., v. 70/7, prend cette rivière pour point de repère afin de délimiter le champ de bataille de Ch. Kh. à l'est (voir supra).

Murdin (S.- Î. A., ch. II/18-19). Fort probablement la prononciation kurdo-gouranie de Mardin (< Maridin). D'après la tradition, il s'agirait de la contrée d'origine de Pir-¨Ali. Dans le district central du départe- ment de Sirdjan, on trouve actuellement un village qui porte le nom de Murdin, mais celui-ci est trop éloigné des lieux fréquentés par les A. Î. et ne peut donc pas avoir de lien avec le Murdin en question. Dans le verset 8 du B.- Kh. P., énoncé par Ch. Kh., apparaît la forme obscure Martin, impossible à identifier. Ce verset est si brouillé et altéré 19 Voir M. Mokri Les tribus kurdes I, Tribu de Sandjabi, 3e éd., Paris-Louvain, 1993, pp. 7-8 et 212.

Journal Asiatique 287.1 (1999): 9-190 50 M. MOKRI que le sens en est difficilement compréhensible. Il y est question d'une bague (angochtar) que Djalala devait apporter, comme un signe, à Martin. Pir-Khidir attrapa cet objet qui tomba dans la mer, celle-ci se mettant alors à bouillonner et à rugir, comme pour annoncer la fin du monde. On ne peut assurément distinguer si Martin est un nom de lieu, d'animal, de personne ou d'objet. Le nom Murdin correspond donc plutôt à celui de Mardin, appliqué à une ville située près de NaÒibin (selon le Mu¨djam al-Buldan de Yaqut al-Îamawi) ou entre les villes de Sindjar et de Baghdad (selon ar-RiÌlah d'Ibn Ba†u†ah). Mardin (/ Maridin) compte, d'après le Nuzhat al-Qulub (op. cit. p. 102-105), parmi les 29 villes d'une grande région que délimi- tent la haute Mésopotamie et l'Azerbaïdjan, et dont le nord touche la source de l'Euphrate et l'Arménie. Ce pays est nommé par les anciens géographes musulmans, soit «Contrée de Diar-i Bakir et Rabi¨ah», soit, selon une autre appellation confirmée par le ∑uwar al-Aqalim, «Contrée de Djazirah»20, car Djazirah était la grande ville de cette région, cons- truite par Ardachir Babakan (le fondateur de la dynastie des Sassanides). Le Nuzhat al-Qulub ajoute encore que ces contrées sont de climat garmsir (très chaud en été et tempéré en hiver), et entourées par les départements d'Anatolie, l'Arménie, le Cham (Syrie, Liban et Palestine), le Kurdistan et l'Irak arabe. La ville de Maridin est bâtie sur une colline et renferme en ses murs une haute forteresse qui domine la ville. Ses jardins et ses enclos étaient irrigués par une rivière, du nom de ∑ur au débit égal à celui de Zandjan-rud. Le ∑ur, d'une longueur de dix farsangs (environ 60 km.), est formé par les eaux des montagnes; il arrose les terres de ce département, puis se jette dans l'Euphrate (le N. Q., p. 226). La ville de Maridin est surtout connue pour ses montagnes (Djibal-i M.), son su- perbe château, ses mines de fines matières vitrifiantes, la silice et l'anhy- dride borique à l'état pur, et enfin pour les serpents venimeux de ses montagnes21.

20 La plupart des géographes comptent Mardin parmi les ville de Djazirah, faisant par- tie des régions de Rabi{ah. Ibn Rusta est le seul qui ne localise pas, dans son al-Aghlaq an-Nafisah, cette ville parmi celles de Djazirah, certainement par oubli. Voir texte arabe du livre susmentionné, édité par J. De Goeje; Lugduni Batavorum, p. 106, 1892. 21 Al-Idrisi, Nuzhat al-Muchtaq fi Ikhtiraq al-afaq, Beyrouth,1409 H. / 1989, t. 2, p. 62.

Journal Asiatique 287.1 (1999): 9-190 MYTHE HISTORISÉ DE L'ÉPOQUE ISLAMIQUE 51

Par un fait étrange, al-Idrisi, le grand géographe du VIe siècle de l'Hé- gire, signale dans son Nuzhat al-Muchtaq l'existence à Maridin d'un fort (qal¨ah) construit par Îamdan ibn al-Îasan et nommé al-Bazi al-Ashab, littéralement «Aigle dont les plumes blanches sont teintées de bleu et mêlées de plumes noires», ce que traduit exactement Baz-i khachin (> Baz-i Khochin). La plupart des anciens lexiques persans définissent ainsi ce Baz-e khachin: «Un aigle aux plumes blanches, teintées de gris-bleu (kabud), et de vert et noir». D'après le Borhan-e Qa†e¨, «le dos de cet aigle est noir et sombre, et la couleur de ses yeux est rouge (sorkh); il est nommé par les turcs Qizil Quch». Le mot khochin, une prononciation de khwachin est égal au persan khachin / khachina. De cette même racine, le kurde possède le vocable chin 5 (avec la chute du phonème initial khw- (xw- / xv-), utilisé surtout pour la verdure. Le toponyme Mardin est enregistré, dans les anciens ouvrages des géographes, Maredin / Maridin, forme qui peut être le pluriel arabe de Mared / Marid «rebelle, révolté» et même «excommunié ou déchu». Il se trouvait dans les localités dépendant de Djazirah, deux autres lieux appelés Mared / Marid, dont l'un était une forteresse (ÌiÒn) appartenant à la ville de Dumat al-Djandal (ou Dawmat al-Djandal). Le Mu¨djam al- Buldan n'ignore pas le sens de ce mot et signale que Maridin a la même signification et qu'il paraît être le pluriel de Marid. Bien entendu, ces noms de lieux existaient déjà à l'époque pré-islamique, au temps des dynasties des ¨Amaliqah et Bani-Lakhm, alors sous l'emprise de By- zance et surtout de l'Iran. La forteresse de Maridin et la ville de ™ur- ¨Abdin (actuelle ™ur-¨Abidin, près de NaÒibin) de la région «Rabi¨ah et Diar-i Bakir» ont été vaincues et islamisées en l'an 19 jusqu'au mois de MuÌarram de l'an 20 de l'Hégire / 640, sous le 2ème calife, ¨Omar ibn al- Kha††ab, par ¨Eya∂ ibn Ghanam. Quand le collecteur de la dîme au mo- ment de relever l'impôt, aperçut combien Maridin était fortifiée, il fit al- lusion au sens du toponyme de Marid déjà mis en exergue par une parole de la reine Zabba'22 et il ajouta qu'il voyait là des Maridin et non un seul

22 Na'ilah, surnommée Zabba', était la fille de ¨Amr(w) ibn ™arab ibn Îassan, de la famille de Bani-Ayad faisant partie des Bani-Lakhms. Voir Tarikh-e Îabib as-Siar de Ghiath ad-Din ibn Homam al-Îosayni, Téhéran, éd. de Khayyam, t. 1, pp. 255-259; et Mu¨djam al-Buldan de Yaqut al-Îamawi (mot Maridin).

Journal Asiatique 287.1 (1999): 9-190 52 M. MOKRI

Marid. Ces propos rapportés par Yaqut, suggèrent une étymologie dans laquelle l'idée de rebellion ou «hérésie» est présente. La forme Mardin est sans doute issue de Maridin, donc postérieure. En somme, le nom d'une forteresse ressemblant à celui de Chah- Khochin (qui représente Baz-i Khachin ou Baz-i Khochin) et le nom d'une ville dont le sens est en adéquation avec la position délicate de ces groupements hétérodoxes, l'attente enfin de l'apparition de Ch. Kh. par l'un de ses disciples en ce lieu (sur la montagne de Yar), font supposer la présence d'une communauté «hérétique» en un temps non déterminé encore et sont à soumettre à la réflexion. Il est vrai que faibles sont les données socio-religieuses des minorités musulmanes à l'époque des dy- nasties des Artuqids et des Îamdanites qui gouvernèrent ces régions avant et après les Croisades, et pendant l'apogée et le déclin des Seld- joukides. On sait toutefois que ces familles régnantes étaient en conflits permanents contre les Byzantins et quelques sectes musulmanes déjà connues, comme les Kharidjites. Pour sa part, le Îudud al-¨Alam (l'ouvrage écrit en 372 H. / 982)23 ajoute qu'en la contrée de Djazirah se trouvent deux montagnes, petites et isolées (borida), l'une est celle de Djudi, sur laquelle aurait échoué l'arche de Noé, et l'autre celle de Mardin (Maridin), près de NaÒibin. Mais, IÒ†akhri24 propose une autre hauteur, quoiqu'exagérée, pour la montagne de Maridin: il écrit que depuis la terre jusqu'au sommet de cette montagne, on compte 2 farsakhs (environ 12 km.). Il a probable- ment pris ces mesures à partir des chemins qui mènent au sommet en serpentant autour du col.

Pirdiwar —uœdÄ [< Pird «pont» + - i, marque d'izafat + war «soleil»] (D.- S. D., v. 70/2), nom d'un centre religieux à proximité du village Chaykhan à droite de la rivière de Sirwan qui traverse Awraman Luhun. C'est ici que Sul†an Sihak a installé le siège de ses activités et de ses enseignements. A présent, ce nom a disparu de la liste des toponymes de ces régions habitées par les musulmans sunnites, mais on peut grosso modo connaître l'étendue de son emplacement.

23 Translated and explained by V. Minorsky, 1937, p. 66. 24 Le Kitab Masalik al-Mamalik, éd. de J. De Goeje, Lugduni Batavorum, 1927, p. 73.

Journal Asiatique 287.1 (1999): 9-190 MYTHE HISTORISÉ DE L'ÉPOQUE ISLAMIQUE 53

Qal¨ah-Chahin. Nom d'un important district dans la circonscription de Sarpol-i Zihab dépendant du département de QaÒr-i Chirin (dans la province de Kirmanchah). Entre ce district et celui de Gilan-i Gharb, si- tué plus au sud, s'étend la chaîne de Dana-khuchg. Au nord, la monta- gne Barza-kuh délimite le district de Qal¨ah-Chahin de celui de Pa-™aq. Le village se trouvant sur le centre actuel de ce district, celui d'Anzala et leurs dépendances étaient au Xe s. de l'Hégire (= XVIe s.) un vaste do- maine offert aux A. Î. Un acte de propriété datant de 933 H. / 1526, très précieux pour les dates qu'il fournit, élucidant les ambiguïtés chronolo- giques, a été traduit, étudié et publié par moi-même dans le J. A., 1963, pp. 229-256. Ce lieu fut le théâtre d'un combat entre le soi-disant Chah-Khochin (en réalité Taymur Qal¨ah-Zandjiri Gouran) et les autorités locales, comme le rappelle le B.- Kh. P., v. 70/6.

Qala-y Kangawar —Ë t~M ÈöÁ (pers. —ËU~M ¡tFKÁ Qal¨a-y Kangavar). Cette ville, située au sommet d'une colline, a été de tout temps l'endroit le plus dangereux des chaînes du Zagros, entre Kirmanchah et Hamadan, sur la grande route de Kirmanchah à Téhéran. Dès les premiers siècles de l'Hégire, Kangavar a reçu pour nom, par les arabes, QaÒr al-LuÒuÒ «Palais des brigands». Le château a été détruit plusieurs fois pour d'évi- dentes raisons de sécurité. Des fouilles relativement récentes ont permis de découvrir des colonnes et des chapiteaux dans le quartier Gatch-kan de ce bourg et de remettre à jour le temple d'Anahita. De toute évidence, il fut un temps où les iraniens luttant contre l'armée arabe et non encore convertis à l'Islam, se postaient par intermittence sur ce sommet propice aux guets et à la résistance. En minimisant la portée de ces actions patriotiques d'une partie de la population, les nouveaux maîtres de la région ont dénommé ce point stratégique le QaÒr al-LuÒuÒ. L'existence du temple d'Anahita sur cette colline sacrée explique ces mouvements sporadiques de défense. Une fois l'épuration religieuse achevée par les propagateurs de la nouvelle foi, les bandits de grands chemins se sont réfugiés de temps à autre, dans cette enceinte naturelle où ils dévali- saient les caravanes. Sur les distances qui séparent Kangawar des autres villes et localités, les géographes-historiens n'ont pas été avares d'indications précises.

Journal Asiatique 287.1 (1999): 9-190 54 M. MOKRI

Mais la description la plus détaillée a été donnée par Ibn Rustah dans son Kitab al-Aghlaq an-Nafisa (éd. de J. De Goeje. Lugduni Batavorum, Brill, 1892, pp. 166-167): «De Dukan à QaÒr al-LuÒuÒ, on compte 7 farsakhs (environ 42 km.). Le che- min passant de plaines en collines et de collines en plaines, traverse les mon- tagnes, jusqu'à ce qu'il atteigne le pont et le village de Nu¨man. Ensuite, il poursuit son trajet jusqu'à l'éminence de Madharan. Sur la gauche de cette route s'étendent des champs irrigués par les eaux de pluie. De là, le chemin parvient à l'extrémité d'une vallée, et après avoir franchi un pont, il aboutit à QaÒr al-LuÒuÒ. C'est un palais de gypse et de briques, construit par les rois sassanides. Le palais domine un village et possède de nombreuses chambres. Pour aller de QaÒr al-LuÒuÒ à Khondad, il faut parcourir 7 farsakhs (env. 42 km.) à travers plaines et collines. C'est une région dangereuse et effrayante autour de laquelle rôdent les voleurs. Ensuite, le chemin débouche sur les champs et les plantations, et franchit un pont. Ici aussi, on peut voir un palais nommé ∑andj, bâti par les rois sassanides. De là, dans la direction de Khondad, se trouve sur la gauche le bourg d'Asad-abad. De Khondad jusqu'à Hamadan, la distance est de 8 farsakhs (env. 48 km.), en comptant le haut col qu'il faut monter. Au milieu de ce col, les marchands vendent des dattes et des fromages. Un caravansérail s'y trouve au sommet. Il fait toujours un temps froid et glacial. En descendant ce col, on traverse une vallée et un pont. Derrière cette vallée est situé le village de Za¨faraniyah. On poursuit ensuite la route jusqu'à Hamadan». Le palais de Kangawar (du moins une partie) était encore sur pied au IIe siècle de l'Hégire, puisque Harun ar-Rachid en l'an 189 H. / 804 en allant de Rey à Baghdad, y descendit et assista à la fête de Qurban25. Dans les versets 35/2 et 39/6 du B.- Kh. P., Chah-Khochin déclare avoir lui-même détruit le château de Kangawar. Au verset 36/1-2 de ce même texte, Kaka-Rada supplie Ch. Kh. de raser ce château, de sorte qu'il n'en reste nulle trace. Le verset suivant (37/3), énoncé par Sul†an- Calabi, avance sur un autre plan que les ruines de Kangawar symbolisent le monde d'ici-bas où tout est périssable. Un autre personnage, Chahriar [Falak ad-Din], après avoir lui aussi exhorté le Roi d'anéantir le palais et d'en jeter les pierres dans la campagne, donne ainsi le motif d'un tel souhait: le monde est à l'image de Kangawar, que le monde ne soit plus que poussière (B.- Kh. P., v. 40/3-4).

25 Voir Abi-Îanifah AÌmad ibn Dawud ad-Dinawari, Al-Akhbar a†-™iwal. Le Caire, 1380 H. / 1960, p. 391.

Journal Asiatique 287.1 (1999): 9-190 MYTHE HISTORISÉ DE L'ÉPOQUE ISLAMIQUE 55

Il est vrai qu'à plusieurs reprises, le palais de Kangawar a été saccagé, surtout dans les guerres intertribales, en dehors des expéditions punitives envoyées par les gouvernements successifs. Les anciens vestiges du temple préislamique de ce lieu, lui avaient déjà procuré une réputation d'espace en ruine, gardant la mémoire de fastes effacés par le temps. Les nombreuses tentatives de construction de nouvelles forteresses sur cette colline ont échoué en raison des guerres. Plus tard, cependant, à côté du caravansérail une bourgade a pu être fon- dée en dépit de ces multiples péripéties. La répugnance exprimée dans ce document à l'égard du palais de Kangawar, devrait remonter à quelques événements malheureux surve- nus au détriment de plusieurs tribus et groupements hétérodoxes, ayant touché les A. Î. Kangawar symbolise ainsi le temporel face à l'intempo- rel.

Redjaw (pers. Ridjab / Rizab)[autres prononciations kurdo-persanes: Rizaw / Rizab], nom d'un village et d'un district (rassemblant les trois localités Redjaw, Zarda et Yaran) dans le département de Kerend, dé- pendant de la province de Kirmanchah. Ce village se situe à 9 km. du nord de Bala-™aq et à 40 km. du nord-ouest de la ville de Kerend (Farh. djoghr. Iran t. 5). La source qui jaillit et s'écoule dans cette région est à l'origine de la rivière d'Alwand qui traverse la ville de QaÒr-i Chirin. Cette source irrigue les nombreux champs qui la bordent. Les grands défilés de cette région ont toujours formé une partie des forts et des rem- parts naturels du Zagros, empêchant les assauts et les invasions menés contre l'Iran. Les habitants de ces montagnes et vallées sont des sunnites entourés de villageois chi¨ites et ahl-i Îaqq. Selon la tradition, Baba-Faqih, un sunnite convaincu devenu plus tard un fervent ahl-i Îaqq, était origi- naire de cette localité. Son désaccord avec Kaka-Rada et Chah-Khochin, puis son adhésion à la foi de ses interlocuteurs, ont été considérés comme un événement retentissant (voir D.-S. D., v. 4).

Rum-chekan (litt. «l'endroit où on a mis en déroute l'armée de Roum), nom légendaire d'un lieu où Chah-Khochin aurait repoussé l'at- taque d'un corps de bataille de Roum (S.- Î. A., ch. II/3).

Journal Asiatique 287.1 (1999): 9-190 56 M. MOKRI

Sarana t«d (S.- Î. A., ch. II/13). Un des principaux centres gourans des A. Î. qui abrite le mausolée de Baba-Yadigar. Il est situé au pied de l'ancien Qal¨a-y Yazddjerdi, dont les vestiges (les murs de briques et les restes des canaux) étaient encore visibles en 1948 lorsque j'ai visité ce lieu. Les grandes fêtes et les Assemblées rituelles sont célébrées sous la coupole du mausolée et sur la terrasse qui s'étend au devant. C'est dans une forêt du village de Sarana que s'écoule la source de QaÒlan, si véné- rée et respectée par les Fidèles.

Zabul / Zabulistan, centre de la province de Sistan au sud-est de l'Iran, près de la frontière de l'actuel Afghanistan. Mir-Hindu (ou Yar-Hindu), le joueur de rebec, chargé d'insulter Chah-Khochin lors de son passage à Hamadan, adhère d'emblée à la cause des Fidèles et devient l'un des fervents compagnons de ce roi. Dans le D.- S. D., v.49/2 et le B.- Kh. P., v. 66/3, Mir-Hindu prétend être originaire de Zabul.

Remarque — Quelques autres toponymes ont des formes incertaines et sont difficiles à localiser ou à identifier: Djelaw-khani: S.- Î. A., ch. II/16. Sarin: S.- Î. A., ch. II/17. Zir-band-e Asiab: S.- Î. A., ch. II/16. Le ch. II/16 du S.- Î. A. possède, de plus, un nom de lieu suivi de quelques termes incompréhensibles et très altérés. Telle est la retrans- cription approximative de ces mots: ›œu¤ buO —U luÁ ÁU~ÃU ›—œ Ë« V«¤ … Malgah-e qufa¨ kebar bivand … «son cheval gisait dans…»

2. Cavaliers des montagnes

Les chemins étroits et les rares sentiers relativement larges, entaillés ça et là, traversent naturellement les vallées et les chaînes, en suivant une ligne sinueuse. Dans les cas extrêmes et urgents, les messagers et les éclaireurs au service des chefs, choisis parmi ces habitués de l'escalade, s'acquittaient de leur devoir en gravissant en toute hâte ces montagnes. La vie active et les besoins de la communication ne se limitaient pas néanmoins à ces tâches ingrates qui allaient disparaître avec la progres-

Journal Asiatique 287.1 (1999): 9-190 MYTHE HISTORISÉ DE L'ÉPOQUE ISLAMIQUE 57 sion du semi-sédentarisme des éleveurs de la montagne, lequel a subi de nombreuses interruptions au cours des siècles. Le climat et l'évolution de la vie sociale ont incité les tribus à faire accroître le nombre de leurs mulets et de leurs chevaux pour assurer la communication, les échanges et les approvisionnements en vivres de la population. Le Luristan était la région où le croisement en vue de la reproduction des mulets se faisait à un taux élevé. Il fournissait ainsi les étables de l'armée des rois par di- zaines de milliers. Qu'il s'agisse du bardot (hybride provenant de l'accouplement du cheval et de l'ânesse) ou de la mule et du mulet (engendrés par l'âne et la jument), c'étaient des animaux de bât et de trait, de taille relativement haute en comparaison avec ceux des autres régions. La diversité de leur pelage décidait de leur prix de vente. Les mulets isochromatiques, d'une rare beauté, étaient considérés comme de véritables trophées. L'un des Étabaks du Petit Lur, nommé Sayf ad-Din Rustam MuÌammad, réputé pour son équité, arrêta soixante voleurs qui comptaient parmi les hom- mes les plus vaillants du Luristan. Ces cavaliers des montagnes, bandits de grands chemins, répandaient la crainte et l'horreur, et causaient de grands malheurs si bien que les gouverneurs des autres provinces limi- trophes n'étaient pas en mesure de rétablir l'ordre dans leurs gouverne- ments. Au moment de leur mise à mort par Sayf ad-Din Rustam, les amis de ces voleurs offrirent de les racheter au prix de soixante mulets isochromatiques pour chacun d'entre eux. Bien que la valeur de ces races de mulets composât une somme considérable, l'Étabak refusa de corrompre la loi de la justice et de devenir dans l'histoire, selon ses pro- pres paroles, «un marchand de voleurs». C'est à l'époque de ce même Étabak qu'une femme lure se permit de chauffer son four à pain avec des épis d'orge, si recherchés dans un pays de montagnes et de peu de cul- tures céréalières. Convoquée par l'Étabak et accusée de gaspiller des denrées, elle justifia son acte comme étant le signe d'une abondance, d'une sécurité et d'une prospérité si exceptionnelles que les femmes du Luristan faisaient cuire leurs pains, non avec les broussailles et les bran- ches sèches, mais avec les épis d'orge. Elle n'avait d'autre intention, dit- elle, que d'inscrire dans l'histoire les marques d'un bonheur et d'une confiance dûs à l'équité de cet Étabak. Il est vrai que le Luristan était florissant en ces temps.

Journal Asiatique 287.1 (1999): 9-190 58 M. MOKRI

Les lurs étant de célèbres producteurs de mulets et de chevaux, ils ont laissé dans l'histoire de nombreux souvenirs attestant, en marge de leurs incursions sporadiques et de leurs activités militaires, de l'ampleur de leur industrie mulassière qui constituait des débouchés et revenus impor- tants pour cette province. C'est pourquoi le roi safavide, Chah Tahmasp (régnant de 930 H. / 1523 à 984 H. / 1576) après avoir condamné en 949 H. /1542 Djahangir, le fils fratricide de Rustam Chah, et après avoir con- fié en 974 H. / 1566 le gouvernement du Luristan à un notable nommé Djahangir Bakhtiari, exigea de recevoir en plus de la dîme, dix mille mulets par an. Le fils de Djahangir ibn Rustam Chah, à savoir MuÌam- madi, fut emprisonné pendant dix ans dans la forteresse d'Alamut près de Qazvin, la capitale de l'Iran à cette époque. Pour s'échapper de la pri- son, celui-ci s'engagea à livrer à l'État trente mille mulets, chevaux et moutons, et promit de rester fidèle au royaume. Le roi selon les conseils que lui prodiguèrent les notables du pays et pour résoudre les troubles du Luristan, accepta le marché. Mais MuÌammadi trama une ruse et sur son ordre, dix mille bêtes furent, dans un premier temps, rassemblées par ses fils. Une fois les mulets et les chevaux arrivés au village Charaf-abad (évent. actuel Charif-abad) près de Qazvin, MuÌammadi sortit de la pri- son sous la surveillance d'un général. Prenant pour prétexte l'heure tar- dive, il invita cet officier à n'examiner la qualité des bêtes que le lende- main au grand jour. Le soir, à la dérobée, MuÌammadi monta avec ses fils sur les chevaux frais et accoutumés à la guerre et, abandonnant les dix mille têtes présentées, ils prirent en hâte le chemin du Luristan. Ils mirent quatre jours pour y parvenir au lieu de dix. En vain, les envoyés de Chah Tahmasp tentèrent de les rattraper, ne disposant pas de si excel- lentes montures. Ainsi, MuÌammadi put-il s'installer au Luristan en tant que gouverneur indépendant et soutenu tantôt par le roi de l'Iran, tantôt par le Sultan Murad-khan ottoman. A l'époque des Safavides, puis lors du règne de Nader-Chah et même jusqu'au premier quart de ce siècle, le Luristan avait donc à charge de fournir un nombre élevé de mulets et de chevaux à l'armée de l'État cen- tral. Les mulets, par leur résistance et leur endurance, facilitaient le transport des équipements et des provisions dans les régions montagneu- ses, à travers les chemins escarpés.

Journal Asiatique 287.1 (1999): 9-190 MYTHE HISTORISÉ DE L'ÉPOQUE ISLAMIQUE 59

Pourtant le mulet étant considéré comme un animal peu noble, c'est le cheval qui est illustré par la poésie et les mythes. Le cheval lui-même, par sa noblesse, est devenu la monture à la fois indispensable et de faste, parfaitement adaptée à un relief tel que celui du Luristan. Il a non seule- ment fait partie intégrante du mode de vie propre à cette région, mais il a été rehaussé au rang des mythes épiques et des récits religieux. Évidem- ment, la mythologie iranienne et les traditions chevaleresques ont ré- servé une vaste place pour le cheval et son dompteur, le cavalier. Le Chahnama de Ferdawsi est une mine de motifs et de scènes qui exposent ces deux êtres inséparables, le cheval et le cavalier. De même, les mythes épiques et les récits relatant les hauts faits des héros ne man- quent pas de qualifier ces derniers par les termes persans yak-savara «cavalier unique», cabok-savar «cavalier preste», tagavar / takavar «galopant, à la course rapide», nabarda-savar «cavalier guerrier», yak- tana-savar «cavalier seul contre tous» ou yakka-savar «unique cava- lier»26. Les cavaliers qui accompagnent ce héros sont appelés, à leur tour, ham-tag savaran «les cavaliers galopant ensemble». Leurs che- vaux sont les tiz-gam «aux pas rapides», tiz-tag «au galop rapide», garm-khiz «sautant avec fougue», sabok-khiz «sautant avec légèreté», rah-navard «qui parcourt promptement le chemin». Le soleil, par exem- ple, a été décrit comme yak-savara-y carkh «l'unique cavalier de la roue céleste» qui monte chaque matin sur le dos de son leste cheval. La vie citadine en Iran n'a gardé de tous ces trésors que l'aspect pratique sans commune mesure avec l'étendue des mythes millénaires. Toutefois, le Kurdistan et en particulier le Luristan n'ont pas pu facilement se déta- cher de ces univers mythico-sociaux. Ces deux provinces forment toutes deux les grandes chaînes de fortifications naturelles du Zagros, mais le Luristan, délimité par son Kabir-kuh et ses nombreuses chaînes serrées et étroitement parallèles, a eu ce privilège d'emmagasiner dans la mé- moire collective tout un ensemble de mythes et de légendes fortement présents dans l'atmosphère qui en émane. Tout cela côtoyant les préoc- cupations de la vie quotidienne et l'intérêt porté à la faune et à la flore qui caractérisent cet espace rocheux.

26 Voir mofrad-savar (équivalent de yakka-savar) chez NeÂami dans le Charaf-nama, éd. de Bertels, Bakou, 1947, p. 139, dist. 5 et p. 164, dist. 11 de l'éd. de VaÌid Dastgerdi, Téhéran.

Journal Asiatique 287.1 (1999): 9-190 60 M. MOKRI

En faisant abstraction des époques préislamiques et pour ne tenir compte que de la période islamique plus proche de l'ère contemporaine, on peut souligner la permanence du rôle dévolu au cheval dans l'histoire du Luristan.

Pour en revenir à cette famille d'Étabaks lurs, Fa∂luya, dont certains exploits viennent d'être passés en revue, j'ajoute qu'elle s'est mise au commencement au service des Étabaks de Fars. Abu-™ahir, un descen- dant d'Abu'l-Îasan Fa∂luya, après avoir connu plusieurs succès mili- taires au profit d'Étabak Sunqur et avoir triomphé des gouverneurs de Chabankara, fut, selon le Tarikh-i Gozida27 et le Charafnama28, l'objet d'une grande sympathie de la part de cet Étabak. Ce dernier en signe de reconnaissance lui déclara: «Demandez-moi ce que vous désirez». Abu- ™ahir ne souhaita d'abord recevoir de Sunqur qu'une flèche, puis, ce qui importe davantage, un cheval: il fut exaucé sur-le-champ. De nouveau l'Étabak de Fars lui offrit d'exprimer un souhait. Abu-™ahir désira être nommé l'Émir du Luristan afin d'occuper entièrement cette province pour le compte d'Étabak Sunqur. Celui-ci le lui accorda et le fit accompagner par une grande armée. Abu-™ahir sortit victorieusement de cette épreuve et peu à peu s'éveilla en lui le désir de se rendre indépendant et de se faire à son tour appeler «Étabak». Ses successeurs continuèrent l'œuvre de leur père et c'est ainsi que naquit la dynastie des Étabaks du Luristan rivalisant avec les Étabaks de Fars, comme l'histoire le relate bien. Or, Abu-™ahir, mort en 555 H./ 1160, avait choisi pour successeur son fils aîné, Hazar-Asf (équivalent du persan Hazar-Asb) «possesseur de mille chevaux». Il fut un Étabak lur apprécié pour son intelligence et son équité, et son règne transforma le Luristan, toujours selon l'auteur du Tarikh-i Gozida et d'autres historiens proches de son époque, en une sorte de paradis. En son temps, une deuxième vague de groupes kurdes quittant la Syrie se joignit à son royaume. Il prit le département de Chulistan et étendit ses territoires jusqu'à une ligne située à 24 km. d'Is- pahan. C'est lui qui déjà mit en œuvre le processus de sédentarisation incitant ses sujets à ensemencer les terres cultivables. Il fit construire des villages et y loger des familles convenables, ne laissant nul lieu en ruine. 27 Éd. d'Edward G. Browne, Leyden, Brill, 1910, p. 538. 28 T. 1 (texte persan), éd. de V. Vélaminof-Zernof. St.-Pétersbourg, 1860, p. 25.

Journal Asiatique 287.1 (1999): 9-190 MYTHE HISTORISÉ DE L'ÉPOQUE ISLAMIQUE 61

Il chargea son fils, Tukla, de se rendre à Baghdad pour solliciter auprès de NaÒir, le calife abbasside, l'autorisation officielle pour sa dynastie de porter le titre d'Étabak, ce qui lui fut accordé. Bien qu'on connaisse une ville de Transoxiane nommée Hazar-Asb / Hazar-Asf, l'objet des désaccords entre le ghaznavide Sul†an-MaÌmud et Abu'l-Îarith Farighun, puis entre le seldjoukide Sandjar et Atsiz, le roi de Khvarazm (Chorasmie), ce nom donné par Atabak Abu-™ahir à son premier fils est révélateur de l'étroite complicité qui lie les lurs et le che- val, ce dernier étant l'attribut de leur puissance. Les chevaux de combat, entraînés avec un soin extrême, était l'un des secrets de leurs victoires guerrières, à quoi s'ajoutait l'habile maniement des arcs et des flèches: deux motifs de succès exploités par les mythes dans lesquels puise le ré- cit du Roi Khochin. Le choix de Hazar-Asf, purement iranien, révèle une sourde résistance aux noms en langue arabe ainsi qu'aux noms turcs (seldjoukides et mon- goles), alors en pleine expansion. Le fils de Hazar-Asf, Étabak Tukla, un vaillant lur, a symbolisé jus- que dans les légendes et les jeux populaires, le type du parfait cavalier, du cavalier par excellence. Suar suar, Tukla-suar, c'était une formule qu'on prononçait pour honorer un cavalier passant. Dans une des ver- sions anciennes d'un conte pour enfant, intitulé Khala-Suska «Tante Scarabée», on retrouve la trace de cette expression respectueuse adres- sée au cavalier, faisant partie du domaine du folklore. La tante scarabée interpelle ainsi un cavalier de passage: «Suar-suar, Tukla-suar, te rends-tu dans les cuisines du roi? Avertis le maître souris (Aqa Musak) qu'il accoure à mon secours, car je me noie». L'écho de ce très lointain souvenir du cavalier Tukla ne s'est jamais éteint et depuis le Luristan, s'est répandu à travers l'Iran entier. A l'époque où le mongole Hulaku détruisit les villes de l'Iran et mas- sacra leurs habitants, ce fameux Tukla, Étabak du Luristan, choisit de se mettre au service du Khan mongole pour épargner la vie de ses sujets. Il avait exprimé au cours d'une réunion privée son ressentiment à propos du massacre général des habitants de Baghdad et de la mise à mort du dernier calife abbasside par l'ordre de Hulaku. Un rapport secret dévoila à ce chef mongole ces propos considérés comme désobligeants et rendit Tukla suspect. Ayant perçu le léger changement d'attitude de Hulaku

Journal Asiatique 287.1 (1999): 9-190 62 M. MOKRI envers lui, il quitta en cachette Baghdad et alla au Luristan pour échap- per à la sentence. Dès que le Khan mongole prit connaissance de sa fuite, il dépêcha des hommes à sa poursuite. Finalement, ce valeureux Cavalier-Étabak fut jugé et exécuté à Tabriz. Ses gestes chevaleresques ajoutés à sa vaillance et à sa maîtrise parfaite pour dompter le cheval, ont contribué à l'élaboration d'une si glorieuse image. Dans l'histoire et le folklore de l'Iran, c'est un fait reconnu que les actes héroïques et la bonté ne sont jamais vaines causes: ils s'éternisent malgré les vicissi- tudes du temps et l'emprise des forces du Mal.

Le Charafnama29 rapporte encore qu'Afrasiab, fils de Yusuf-chah, l'Étabak du Lur-i Bozorg, voulut, pour étendre son influence, s'emparer des villes de ¨Araq en s'insurgeant contre les Mongols. Gikhatu (régnant de 690 H./1291 à 694 H./1294 en Iran) chargea une armée d'un tuman (10000) guerriers et surtout l'armée des gouverneurs du Lur-i Kucik composée de «dix-mille valeureux cavaliers» lurs, montant de lestes chevaux, d'arrêter cet Étabak. On pourrait multiplier ces exemples dans lesquels l'attachement des Lurs pour le cheval joue un rôle non négligeable. Les légions de soldats que la province du Luristan donnait à l'armée de l'État, étaient accompa- gnées d'un nombre convenu et relativement élevé de mulets et de che- vaux. En somme, le recours au cheval s'effectue à tous les niveaux et fait partie intégrante de la vie de l'homme entouré de montagnes, lesquelles imposent ces choix comme des éléments vitaux.

Le cavalier Roi-Khochin et ses acolytes Aucun clivage ne peut délimiter ces données historiques et psychi- ques, exploitées partiellement et plus tard par les F. de V., d'avec le mythe du roi Khochin, «Cavalier des montagnes». Un texte gourani (re- produit dans une étude précédente30), inspiré des mythes locaux et des contes populaires appartenant au monde rural, représente la Divinité sous les traits d'un noble cavalier, dont le pied est posé sur un soc d'or et

29 Cité dans la note précédente. Voir p. 30. 30 M. Mokri, De la distinction des différents groupes d'hommes et de leurs attitudes, in JA. Paris 1995, pp. 275-350 (voir en particulier pp. 348-350).

Journal Asiatique 287.1 (1999): 9-190 MYTHE HISTORISÉ DE L'ÉPOQUE ISLAMIQUE 63 dont la main répand des grains de perles. C'est une image empruntée, comme tant d'autres, par les F. de V. aux paysans lurs et kurdes et en aucun cas à la pensée islamique ni aux thèmes mystiques et ba†inites. En revanche, le suar apparaît sous un angle nouveau, propre aux Fidèles de Vérité: habité par une «Essence divine ou angélique», il chevauche cette monture qu'est le corps humain. Le Roi-Khochin, se manifestant dans sa splendeur, est monté sur un cheval jaune étincelant (asb-i zard) à la couleur du soleil. Il affirme d'ailleurs lui-même être né des rayons de cet astre, faisant allusion à la conception de sa mère Mama Djalala par une parcelle de lumière et pou- vant ainsi se dénommer khvara-za «né du soleil» (S.- Î. A., ch. II/7). Il conduit son cheval si lestement même sur la mer qu'aucune poussière ni goutte ne se soulève sous les sabots (D.- S. D., v. 54). Ce cavalier émé- rite, dont le cheval est kara-gos «aux petites oreilles», le fait galoper de telle sorte que «le martèlement des fers de ses sabots fait bouillonner le sol» (D.- S. D., v. 66). Le verset 65 de ce dernier texte esquisse le ta- bleau d'un roi, cavalier solitaire, venu du lointain Luristan, pour retrou- ver ses amis et renouveler avec eux le pacte. Il est noblement vêtu, le harnais et la selle d'or de sa monture sont dignes d'un roi et parés pour de telles retrouvailles. L'expression lijam-i gulistan «le mors fleuri» est un des rares exemples dans lesquels un substantif (gulistan : «jardin de roses») prend la fonction d'un adjectif qualificatif («fleuri ou à la cou- leur de rose»). De plus, cette monture possède de petites oreilles (v. 55/ 1-2) et de petits sabots (v. 58/1-2), deux caractéristiques peut-être consi- dérées comme propres aux chevaux de race. Le point de départ du trajet du Roi-Khochin est un lieu en hauteur, Bala-Ta [Bala-™aq?] (D.- S. D., v. 53/1-2 et v. 60/1-2), allusion à l'ap- partenance à la fois géographique et céleste de ce cavalier de la mon- tagne. C'est pourquoi le verset 59 de cette version souligne encore qu'il descend du «haut barrage», sa couronne ayant touché «le septième ciel». Puisque l'Essence de Dieu habite en lui, d'une main il porte le glaive à double tranchant de ¨Ali (lui-même, l'incarnation plus ancienne de Dieu) et de l'autre, le Document du royaume céleste (D.- S. D., v. 60/3-4). Le Roi-Khochin est traité, selon Kaka-Rada (B.- Kh. P., v. 60/3-4), comme un suar-i gil 31 «cavalier valeureux» qui est aussi Dana-y asrar «le 31 Le texte porte kil (?).

Journal Asiatique 287.1 (1999): 9-190 64 M. MOKRI savant par excellence qui connaît les secrets», le Îakim-i Hind «le Sage venant d'Inde» et enfin le Sirr-nigah-dar «le Gardien du secret». Ainsi Ch. Kh. rassemble en lui-même, à l'instar de l'Imam ¨Ali, les attributs tant du guerrier que du sage, ce qui le rapprocherait assez des héros accom- plis des contes populaires. Ce parfait cavalier n'est d'ailleurs autre que le Chah-e Mardan «Roi des héros» (= ¨Ali) et son écuyer est ¨Abdullah (D.- S. D., v. 59/3). Le verset 66/3 de ce même texte, nomme quant à lui, cet écuyer Khamuch (un éponyme auquel se rattache la «famille» (khanidan) des Khamuchis). Les vocables désignant l'écuyer sont dans le premier cas, cha†ir (mot arabe), et dans le second, piada (mot persan). Le verset 19/3 du B.- Kh. P., proféré par Chahriar [Falak ad-Din], in- forme que ce cavalier qui a poussé la boule de polo vers le but était le Roi-Khochin, tandis que le verset 20/3 de ce même texte, proféré par Me-zard, déclare que le cavalier qui a attrapé la boule dans la lice était le Roi-Khochin. Le mythe emprunte l'image d'un sport traditionnel et po- pulaire de l'Iran, pour représenter l'efficacité et l'adresse de cette éma- nation divine en compétition. C'est exactement, dans cet esprit de com- pétition et de sublimité que les anges incarnés sous les noms de Sul†an- Calabi (ou S.-Calawi), Chahriar et Me-zard, dans le B.- Kh. P., versets 18/1; 19/1; 20/1 et 23/2, affirment que «mille cavaliers» sont apparus; un seul d'entre eux possédait les attributs de Chah-Khochin. Quand ce dernier descend de la montagne de Buluran, il est traité comme le Niku- suar (v. 78 du D.-S. D. ou Nik-suar selon S.- Î. A., ch. II/2) «un bon cavalier», épithète qui marque sa prééminence sur d'autres cavaliers. Lorsque Baba-Bozorg lance au commencement un défi à Ch. Kh., il pré- tend qu'«aucun des Nik-suaran ne saurait parvenir à suivre la poussière de ses pas». Même dans ce cas, l'expression désigne Ch. Kh., étant sim- plement employée à un pluriel de respect. Il y a une divergence d'attribution concernant le cavalier qui a livré en pillage la ville de Baghdad. Dans le D.- S. D., v. 32/5, Kaka-Rada af- firme être l'auteur de cet acte, tandis que dans le B.- Kh. P., v. 87/3, c'est le Roi-Khochin qui s'attribue le saccage de Baghdad. La version S.- Î. A. (ch. II/7) nuance cette dernière déclaration: le roi du monde (Chah-e ¨Alam) précise «avoir accompagné» ce même cavalier qui avait déclenché le ravage. Tous ces passages, insérés dans ces trois textes, ne sont, à mon sens, qu'une allusion voilée aux événements ayant eu lieu à

Journal Asiatique 287.1 (1999): 9-190 MYTHE HISTORISÉ DE L'ÉPOQUE ISLAMIQUE 65 l'époque de Djahanchah Qara-Quyunlu dont certains proches parents avaient sympathisé avec les chi'ites extrémistes. Les Musa¨sa¨is, fondant leur pouvoir et leur doctrine sur la divinité de ¨Ali, constituaient alors la colonne vertébrale de toutes les tendances ba†inites et ¨Ali-Allahites. Au cours de leurs insurrections en Mésopotamie méridionale (Wasi†, Djaza'ir ou Ba†ayeÌ et Bassora) et au Khouzistan, ils se réfugiaient par- fois dans les montagnes du Luristan et agissaient au sein de la popula- tion. En 858 H. /1454, Pir-Budagh qui gouvernait à Baghdad, quitta l'Irak (¨Araq-i Arab) à la suite d'une discorde avec son père Djahanchah, et se rendit chez les Timourides de Chiraz. Mettant à profit la situation, les Musa¨sa¨ites dirigés par Mawla-¨Ali, fils de Sayyed MuÌammad Musa¨sa¨, occupèrent Nadjaf et attaquèrent Baghdad. Ils pillèrent cette ville et mirent le pays à feu et à sang. Dès qu'ils apprirent que Dja- hanchah s'apprêtait à venir en aide aux habitants de Baghdad, ils quit- tèrent ces villes et se dirigèrent vers Huwayzah au Khouzistan. Dans le passage qui évoque le pillage de Baghdad comme un triomphe, les A. Î. reprennent cet assaut mené par les Musa¨sa¨ites à leur propre compte, soit que quelques uns de leurs membres y aient participé, soit en raison de l'affinité doctrinale entre ces groupes. Mais c'est au prix d'une distor- sion de dates et d'un anachronisme époustouflant (!), puisque le ravage de Baghdad soi-disant effectué par les compagnons de Ch. Kh. remonte, non pas au IVe siècle de l'Hégire, mais au IXe s. Ceci démontre, une fois de plus, qu'une bonne portion de l'histoire de Ch. Kh. est une reconstitu- tion de l'époque post-sihakienne. Un autre paragraphe, révélateur à ce propos, se trouve dans le S.- Î. A., ch. II/19: «Après l'occultation de Ch. Kh., ses compagnons se mi- rent à sa recherche et le trouvèrent dans la mer en pleine conversation avec le peuple marin. Ils le supplièrent de revenir parmi eux. Le Roi posa une condition à son retour: «Si Binyamin est le Pir (Guide) et moi le †alib (chercheur ou disciple), et si je lui confie ma tête, alors je revien- drais parmi vous». En réponse à leur étonnement, le Roi déclara que le disciple devait être en mesure d'exécuter l'ordre de son maître. Or, il était impossible pour Binyamin d'exécuter les ordres de son maître». Ces propos semblent être en totale contradiction avec l'état des relations entre les compagnons lors de l'apparition supposée de Ch. Kh. En effet, comme le raconte la tradition, à cette époque, Binyamin assumait déjà sa

Journal Asiatique 287.1 (1999): 9-190 66 M. MOKRI fonction de Pir (Guide). La condition posée par le Roi s'avère donc su- perflue et permet de supposer que ces textes ont été compilés après l'avènement de Sul†an-Sihak, lequel a institué les fondements et la hié- rarchie des Fidèles. Lui ou ses successeurs ont adapté le mythe de Ch. Kh. à leur guise32. Du point de vue linguistique, je peux confirmer que le langage et le vocabulaire utilisés conservent les traces de leurs natures archaïques, mais en raison de plusieurs anachronismes, on ne peut pas pour autant affirmer que le texte et la compilation remontent assurément à cette époque présumée du IVe siècle de l'Hégire. Ajoutons enfin que l'enregistrement des dates chez les A. Î. est lacunaire, en vertu de l'élasticité de leur conception du temps que j'ai déjà exposée dans plu- sieurs études antérieures. Le roi Khochin déclare, en employant la 1ère pers. du pluriel (soit qu'elle se rapporte à lui et à ses compagnons, soit qu'elle ne se rapporte qu'à lui, en tant que forme du pluriel de Majesté): «Nous sommes les cavaliers, les cavaliers du haut du barrage» (D.- S. D., v. 77/1). Ce même énoncé figure dans le B.- Kh. P., v. 6/1 et le S.- Î. A., ch. II/1, avec une variante digne de remarque: «Nous sommes les cavaliers, les cavaliers de l'au-delà». Les vocables sarband et sarayand ont en persan des graphies proches. Le sarband «haut de barrage» ou «lisière supé- rieure d'une vallée» se réfère au point de départ géographique de Ch. Kh., précisé ailleurs comme étant la montagne de Buluran. Le sarayand, quant à lui, pourrait désigner «le haut lieu d'où l'on vient, l'au-delà». Il n'est pas exclu qu'il y ait eu une confusion entre ces deux mots, l'un ayant été pris pour l'autre. L'expression qui accentue l'activité à la fois équestre et transcendan- tale en l'inscrivant comme une propriété de cette Théophanie, est celle

32 Le verset 53/5 du D.- S. D. annonce l'hécatombe qui s'abattra sur les Afchars et les Kermandjs. Il est clair que ce verset fut rédigé après l'assassinat de Nader-chah Afchar en 1160 H. /1747 et le massacre de ses proches qui suivit cet événement: plus de sept siècles séparent la date présumée de l'avènement de Chah-Khochin et les malheurs mentionnés dans ce verset. Il est vrai qu'au commencement du règne des Lur-i Bozorg (Grand Lur) et Lur-i Kucek (Petit Lur), des Afchars de Chulestan et de ses environs ont été en désaccord avec eux. Mais il ne me semble pas que l'allusion du texte aux Afchars fasse référence à cette époque. C'est encore une preuve de plus de croire que les auteurs anonymes ont ex- ploité le mythe de Ch. Kh. et ont adapté rétrospectivement ces contes à leur convenance aux périodes post-sihakiennes.

Journal Asiatique 287.1 (1999): 9-190 MYTHE HISTORISÉ DE L'ÉPOQUE ISLAMIQUE 67 de chah-suar (abréviation du chah-suar kurdo-gourani ou du persan chah-savar), signifiant exactement «le roi-cavalier». «Je suis ce même roi-cavalier qui a posé [sur le mont ] le Document du Se- cret», dit Ch. Kh. (D.- S. D., v. 17/10). «Je suis le roi-cavalier de la Mecque et l'Émir de Médine» (B.- Kh. P., v. 7/4), à savoir ¨Ali, l'incarnation divine précédant Ch. Kh. «Khochin est descendu de la montagne de Buluran; sois certain que c'est le roi-cavalier, celui qui rend la justice, qui est venu», dit Kaka-Rada [= Binyamin, incarnant l'Ange Gabriel] (B.- Kh. P., v. 60/2). «Il est apparu un roi-cavalier qui est d'un grand prix des pieds à la tête», profère Mir-Hindu (B.- Kh. P., v. 39/3). «Un roi-cavalier est venu [dans ce monde], observe ses lois qui se transmet- tent de génération en génération», conseille Kaka-Rada (S.- Î. A., ch. II/ 16). «Nuls roi-cavaliers ne peuvent atteindre la poussière soulevée par mes pas», ainsi Baba-Bozorg défie Ch. Kh. avant de se rallier à sa cause (D.- S. D., v. 20 et B.- Kh. P., v. 44/4). Le Kalam-i Khazana-y Dinawari, faisant partie du D.- S. D., annonce: «Un roi-cavalier viendra, il libérera les enchaînés» (v. 63/2). «C'est bien de nos tentes qu'est apparu un roi-cavalier» (v. 78/1). Pourtant dans la mesure où les cavaliers sont prisés dans les mon- tagnes du Luristan, le titre du «cavalier» (suar) est étendu à d'autres compagnons de Ch. Kh.: «Un cavalier a surgi devant la porte de la cour. Il incarne Pir-Musi, posses- seur du cheval sombre. C'est lui qui impose le sceau de la royauté sur le Docu- ment [céleste]» (D.- S. D., v. 57/1-4). «Un cavalier apparut du sommet de la montagne; il incarne MuÒ†afa [Dawudan] et possède un cheval noir. C'est lui qui porte dans son carquois les flèches de la royauté» (D.- S. D., v. 56/1-4). «Le cavalier sage» (suar-i dana) est un titre approprié à Kaka-Rada: «O Kaka-Rada, ô sage cavalier, ce commandement est descendu du haut des sept cieux», dit Djalala, la mère de Ch. Kh. (B.- Kh. P., v. 3/1-2); «O Kaka-Rada, soyez sage; depuis quand suis-je l'enfant de Mirza Amana?», demande Ch. Kh. (D.- S. D., v. 5/1-2). Il dit encore: «Tu es Kaka-Rada, le sage cavalier. Moi, je suis Dieu, personne ne le sut» (D.-S. D., v. 10/1-2).

Journal Asiatique 287.1 (1999): 9-190 68 M. MOKRI

Dans le verset 16/1 du B.- Kh. P., un compagnon du Roi, nommé Pir- Khidir, qualifie RayÌana, de «vaillant cavalier».

Le cheval La couleur de la robe du cheval n'est pas ici sans rapport avec le rôle et la mission du cavalier qui le chevauche. Si le Roi Khochin incarne en lui-même la lumière et le soleil (et même la lueur de la bougie), il va de soi que sa monture soit de couleur jaune, à l'éclat de l'astre du jour (voir D.- S. D., v. 54/1-2; B.- Kh. P., v. 21/3). Le Roi Khochin est nommé en l'occurrence Cha-y Zarda-suar «le Roi au coursier jaune»33 (B.- Kh. P., v. 37/2). Le vocable Zarda peut encore être le nom de son cheval. Le Zarda (le cheval jaune) est un cheval rapide et leste auquel est comparé le calame (kelk) agile des scribes habiles34 ou même les rayons du soleil35. Les traditions iraniennes se rapportant aux corps célestes, attribuent le jour du dimanche et la couleur jaune au soleil. C'est ainsi que le roi Bahram allait loger, selon l'œuvre de NeÂami, le Haft-paykar, les diman- ches dans la coupole jaune-or. Il revêtait à cette occasion la tunique do- rée et demeurait en compagnie d'une princesse de Roum (Rom / By- zance), elle-même parée de voiles de cette couleur. NeÂami compare en- core le soleil à «une fleur jaune»: «Des milliers de narcisses (= astres) de cette roue céleste qui parcourt l'uni- vers, «Ont disparu afin que seule apparaisse une fleur jaune (= soleil)36 «Il buvait le vin rouge, assis sur le tapis de la verte prairie, «Jusqu'à ce que cette «fleur jaune» (= le soleil) eût tourné le dos»37 33 Il existe dans le district ™arhan (situé au sud de Delfan et à l'ouest de Cegeni) une montagne appelée Zard(a)-suar. Plus précisément, elle se trouve à l'ouest de la chaîne de Na¨l-sekan et Hizom-abad, et un peu plus au nord de la rivière de Kaskan. C'est une mon- tagne très rocheuse et peu praticable: elle constitue en cela un repaire discret et un bon refuge. Dans les anciennes croyances populaires de ces régions de l'ouest et du sud-ouest de l'Iran (que j'ai pu relever en 1946), un «puissant cavalier courroucé», galopant à travers le ciel, flagelle ces démons noirs que sont les nuages. La trajectoire de son fouet produit l'éclair, tandis que le claquement provoque les roulements du tonnerre. La pluie n'est que les larmes versées par les nuages. 34 Voir Le Marzban-nama, Téhéran, 3e éd. 1367, p. 5. 35 Voir le Marzban-nama, op. cit. p. 205. 36 Le Khosraw-o Chirin, éd. de Moscou, 1960, p. 144. 37 Le Khosraw-o Chirin, éd. de Moscou, p. 80.

Journal Asiatique 287.1 (1999): 9-190 MYTHE HISTORISÉ DE L'ÉPOQUE ISLAMIQUE 69

Lorsque le nom de la couleur jaune suit le mot soleil comme une épi- thète, aftab-e zard, ce vocable décrit plus particulièrement «la teinte pâle» du soleil de la fin de l'après-midi: «Ma lampe est morte, c'est pourquoi mon souffle est froid, «Ma lune s'est éclipsée, c'est pourquoi mon soleil a pris la teinte jaune (= mon soleil a pâli)»38. «Un vieux roi dit à ses fils: Aujourd'hui l'étoile de mon existence a noirci et le jour de ma vie a pris la teinte du soleil jaune de la mort»39

Le scribe Pir-Musi incarne l'astre Mercure, lui-même considéré comme le scribe du firmament (dabir-e falak) et auquel sont attribués en prin- cipe la teinte turquoise et le jour du mercredi (= jour de Mercure)40. Mais la robe de son cheval ne pouvant raisonnablement être de couleur tur- quoise, elle prend ici une teinte sombre. Le vocable précis désignant cette teinte est tal (de la même racine et du même sens que le persan talkh), litt. «amer», que l'on peut traduire par «sombre» ou «gris sombre». Pour sa part, MuÒ†afa [- Dawudan] incarne le courroux de Dieu et châtie les coupables. Il monte un cheval noir. L'Ange Dawud qui incarne Mika'il, est un cavalier au coursier gris (Dawud-i kaw-suar). Cette monture n'est autre que le vent: ainsi Dawud est qualifié comme le «Dompteur du vent». En chevauchant le vent, il vient au secours de quiconque l'implore dans la détresse. Ce cavalier du vent accomplissant de nombreuses prouesses est un libérateur et un con- quérant non assimilé au «conquistador» selon l'emploi hispano-améri- cain du terme, mais plutôt à un envoyé du Roi du monde. Une étude in- dépendante a été consacrée à ce sujet, développant plusieurs motifs (che- val, couleur grise, vent,…) ainsi que le rôle et la représentation de l'ange Dawud41.

38 Le Khosraw-o Chirin, éd. de VaÌid Dastgerdi, Téhéran, 1313 H.s., p. 257, dist. 8. 39 Le Marzban-nama, op. cit. p. 34. 40 Pour le symbolisme des couleurs lié aux noms des sept planètes et des jours de la semaine qui leur correspondent, voir NeÂami, Haft-paykar, éd. de V. Dast-gerdi, Téhéran, pp. 145 et s. 41 Voir M. Mokri, Le cavalier au coursier gris, le Dompteur du vent, dans JA. Paris, 1974, pp. 47-93, repris dans Persico-Kurdica, Études d'ethnomusicologie, de dialectolo- gie, d'histoire et de religion, Louvain-Paris, 1995, pp. 322-368. Voir encore M. Mokri, Les vents du Kurdistan, dans JA. Paris, 1959, pp. 472-505, repris dans Contribution scien- tifique aux études iraniennes. Paris, Klincksieck, 1970, pp. 231-258.

Journal Asiatique 287.1 (1999): 9-190 70 M. MOKRI

Jadis, les enfants lurs et kurdes s'exerçaient très tôt à monter à cheval ou participaient au domptage de cet animal. Cette coutume se reflète ainsi dans ces textes: lorsque l'armée de Roum (Byzance) attaqua le pays, l'Enfant-Khochin ordonna de seller un poulain âgé de sept jours pour aller combattre l'ennemi. Ce poulain est qualifié, d'après le S.- Î. A. (de l'édition de V. Ivanow, sous le titre de Tadhkira-y a¨la, p. 37), Korraye nila-rang «le poulain à la couleur indigo (= bleu violacé)», âgé de sept jours. Le Nila pourrait être le nom de ce cheval, appelé confor- mément aux nuances supposées bleuâtres de sa robe. Étant donné que les teintes vert et bleu sont fréquemment confondues, le ciel ou le firma- ment, parfois perçu dans la littérature comme un cheval vert (sabz- kheng)42, est en d'autres circonstances, peint comme nilgun «de couleur indigo», donc «bleu» ou «lapis-lazuli». Le nom Nila n'est ainsi pas dé- pourvu d'une note poétique. Dans la détermination des couleurs du che- val, le symbolisme cosmique entre en jeu. C'est ainsi que le cheval aux deux couleurs (ablaq), noir et blanc, représente le jour et la nuit43. Le meilleur cavalier était celui qui parvenait à monter sur un très jeune poulain et à le maîtriser. C'est un exercice d'une bonne adresse que de saisir parmi les troupeaux le poulain avec un lasso et d'essayer de le monter, avant même qu'il soit en âge de porter une selle. C'est pour- quoi chevaucher un kurra-y naw-zin «un poulain nouvellement sellé» était un art et demandait une certaine bravoure. Le kurra-y tawsan «le poulain farouche», étant donné son caractère indocile, était monté par les cavaliers habiles. Pour domestiquer et adoucir un jeune poulain, on le caressait et on le brossait. On sellait même sous ses yeux un poulain déjà 42 «Le firmament monte un cheval vert (sabz-kheng), «Il sied à l'âme de s'enfuir sur son passage» (le Khosraw-o Chirin, éd. de Moscou, 1960, p. 288). 43 NeÂami, toujours habile à créer une infinité de motifs avec une grande finesse, écrit ainsi: «De ce ciel demi-nègre chevauchant un ablaq, cheval aux deux couleurs (= le jour et la nuit), «Méfie-toi! Il a le caractère haineux du léopard. «Il ne sera jamais sincère avec toi, enfin tu te heurteras à ses deux couleurs» (le Khosraw-o Chirin, éd. de V. Dastgerdi, p. 197). Il écrit plus loin: «Celui-ci est un leste cavalier chevauchant sur sa monture blanche et noire, «Qui se trouve dans l'arène de l'amour, faisant montre d'un grand trouble». (le Khosraw-o Chirin, éd. de V. Dastgerdi, p. 214).

Journal Asiatique 287.1 (1999): 9-190 MYTHE HISTORISÉ DE L'ÉPOQUE ISLAMIQUE 71 apprivoisé. L'aspect mythique et légendaire de ces textes relatant la geste de Ch. Kh., explique l'exagération quant à l'âge du poulain monté par Ch. Kh. et avec lequel ce dernier remportera la victoire (S.- Î. A., ch. II/3). Un cheval ruant et indocile, telle est la part d'un homme déso- béissant. Dans le B. Kh. P., v. 54/2, Sul†an Calabi déclare au Roi: «Ce- lui qui ne supporte plus ton fardeau, tu le fais monter sur un cheval fa- rouche et rétif»44. L'odeur du cheval de Ch. Kh. est particulièrement reconnaissable. Au moment où Pirali recherche les traces du Roi du monde, il prend la forme d'un surani (petit chien) et renifle l'odeur de sa monture près d'une motte de terre. Avec ses griffes, il gratte la terre et à chaque coup de patte, il soulève une couche de terre jusqu'à atteindre la mer où il re- trouve le Roi en pleine conversation avec les habitants de la mer (S.- Î. A., ch. II/19). Lors du rapt du troupeau de Mirza-Amana, Khochin ordonne à Kaka- Rada de lui seller et de lui apporter le cheval Lara-lar (B.- Kh. P., v. 11/ 1). Ce dernier nom pourrait avoir pour sens «le cheval maigre et étiré». Dans une autre anecdote, alors que Ch. Kh. a dessein de quitter son dis- ciple Îamzah Bara-chahi, il commande qu'on selle son cheval Chukh «beau et folâtre» (S.- Î. A., ch., II/12). Le synchrétisme des F. de V. a emprunté de nombreux thèmes à di- verses traditions religieuses déjà bien connues. L'heureuse arrivée du Prophète MuÌammad à Médine et le choix de sa demeure dans cette ville, orienté par les doux pas de son chameau, ont été repris dans le récit de l'arrivée de Ch. Kh. à Hamadan. Pour ne pas blesser le cœur des ha- bitants de la ville en choisissant l'un d'eux pour hôte au détriment des autres, Ch. Kh. lâcha la bride de son cheval et se laissa guider par ses pas. Le cheval s'arrêta finalement devant le Khanaqah (Lieu de retraite) de Baba-™ahir Hamadani selon le texte plus tardif du S.- Î. A., ch. II/8. 44 La bien-aimée indocile et à l'abord difficile est traditionnellement qualifiée de tur- que tawsan-khuy «beauté au caractère de cheval peu maîtrisable». Tandis que navand s'appliquait à un «cheval leste», le cheval aux pas rapides et posés avait pour nom asb-e yurgha. Les chevaux turkémens venant du Dacht-e Qeptchaq comptaient parmi les plus beaux coursiers, mais les belles femmes de Qeptchaq chevauchant ces montures n'étaient- elles pas étrangères à la propagation de cette réputation? Les lurs avaient pour prétention de dresser leurs chevaux de sorte qu'ils fassent preuve d'un grand nombre de qualités et qu'ils surpassent ceux des autres régions. Il paraît que le déclin de l'élevage et du dres- sage des chevaux, au Luristan, a commencé il y a environ une centaine d'années.

Journal Asiatique 287.1 (1999): 9-190 72 M. MOKRI

Par ailleurs, pour rehausser le tempérament fougueux du cheval, la lit- térature épique kurdo-gouranie a créé une métaphore devenue courante en donnant au cheval le nom de bawr (pers. babr «tigre»). La littérature religieuse a adopté cette convention et nomme souvent le cheval par le terme bawr. «Par ordre du Roi, selle ton bawr», dit Khochin à Chahriar Falak ad-Din (B.- Kh. P., v. 39/4). «Celui qui ose aujourd'hui se battre contre le Roi Khochin, «Ni lui, ni son bawr, ni sa famille, ne s'en retourneront sain et sauf» (B.- Kh. P., v. 76/3). «Conduis ta monture avec modération, maintiens ton bawr à l'arrière», or- donne K.- Rada à Pir-Marda (S.- Î. A., ch. II/16). «Resserre la sangle de ton bawr, ne crains rien, ne tremble pas» (S.- Î. A., ch. II/16). «Serre la sangle de ton bawr par deux ou trois épaisseurs» (S.- Î. A., ch. II/16).

3. Peuple chasseur et chasse mystique

Disposant de peu de terres cultivables, au moins sur une surface im- portante du Luristan, le peuple nomade a procédé au développement de l'élevage et de la chasse, pourvoyant ainsi à ses besoins. Rien ne prouve que sous l'effet du relief du pays, les habitants n'aient pas été dans un temps très reculé un peuple chasseur. Les montagnes parallèles, caracté- ristiques de ces zones zagrossiennes, forment des corridors conduisant le gibier de la montagne vers les plaines et les espaces verts des piémonts. A cela se joint la fameuse faculté des Lurs à se déplacer avec aisance le long des rochers escarpés. Les multiples espèces de mammifères et d'oi- seaux séduisent ces audacieux aventuriers des montagnes et les incitent à courir sur les traces des bêtes convoitées. Les prompts cavaliers, grâce à leurs chevaux agiles et familiarisés avec les passages accidentés, ne man- quent guère de s'adonner à la chasse à travers les plaines et les collines. Si on parvient à distinguer les catégories des quadrupèdes courant et bondissant sur les monts et dans la campagne, il n'en est pas de même pour certaines sortes d'oiseaux rares, aperçus fugitivement. Bien en-

Journal Asiatique 287.1 (1999): 9-190 MYTHE HISTORISÉ DE L'ÉPOQUE ISLAMIQUE 73 tendu, ces montagnards versés dans l'art d'identifier des oiseaux, ont l'œil sûr vis-à-vis de la plupart des volatiles; mais la nature se montre parfois si riche et prodigieuse qu'elle surprend l'homme flânant à l'im- proviste ou vaquant à ses occupations journalières. Dans un ciel bleu et transparent dominant les cols et les sommets, de temps à autre plane, les ailes déployées, quelque splendide et rare oiseau aux plumes de couleurs chatoyantes. De telles observations chatouillent l'imagination et donnent libre cours aux sensations merveilleuses, qui fécondent l'inspiration créatrice. La beauté et l'harmonisation des nuances chromatiques de ces rares créatures qui se posent un instant sur un pic et scrutent d'un oeil perçant les alentours avant de prendre leur envol, est au-delà de toute expression poétique. Elles suscitent plutôt l'adhésion à une croyance spontanée et informelle en l'Absolu. C'est à l'issue de telles expérien- ces, qu'une quête s'engage pour découvrir les secrets tant de la création que du monde environnant ainsi que du monde intérieur de l'être hu- main. C'est sans doute encore de telles expériences qui sont à l'origine de quelques explications légendaires dotant des oiseaux d'une essence mystérieuse. Les F. de V. n'ont probablement rien inventé, se contentant de puiser quelques gouttes de ces vastes océans. Poètes, mystiques et re- ligieux ont butiné dans des milliers de fleurs embaumées ce nectar, le secret de jouvance pour perpétuer la fraîcheur des idées relatives au mystère. Le parcours ainsi tracé, depuis la sphère de la chasse jusqu'au secret d'un univers caché auquel participent ces oiseaux rares, fait appa- raître un lien étroit entre une activité physique (la chasse) et la pensée mystique, cette dernière entendue dans son sens le plus épuré des consi- dérations triviales des temps modernes. Au cours des études accom- pagnant Le Dawra-y Damyari45, j'ai abordé largement le thème de cette chasse mystique ainsi que l'expression baz-i khachin «l'aigle blanc-vert aux reflets éclatants» qui est à l'origine du nom de Chah-Khochin.

Lorsqu'on donnait à l'enfant le nom du Prophète ou de l'un des Imams, on ajoutait (et on ajoute encore sporadiquement), par ferveur re- ligieuse et par amour, les «pré-noms» [ou mieux les «pré-prénoms»] ¨Abd- (=serviteur) ou Gholam (= valet, esclave). C'est ainsi que l'ono-

45 Le Chasseur de Dieu et le mythe du Roi-Aigle. Wiesbaden, Otto Harrassowitz, 1967.

Journal Asiatique 287.1 (1999): 9-190 74 M. MOKRI mastique musulmane comporte des noms composés tels que ¨Abd al- MoÌammad, ¨Abd al-¨Ali, ¨Abd al-Îosayn et Gholam-MoÌammad, Gho- lam-¨Ali, Gholam-Îosayn, etc. Un troisième substantif, employé comme «pré-prénom» et qui n'a ja- mais été relevé jusqu'à présent, est dû à une initiative à laquelle les lurs ont pris une grande part: il s'agit de ∑ayd- (et de son abréviation ∑ay-). Le nom ∑ayd-¨Ali par exemple est construit sur le modèle de ¨Abd al¨Ali, mais avec cette différence que la nouvelle composition signifie «le gibier de ¨Ali», à savoir «le gibier sacrifié à ¨Ali». Le choix de ce vocable ∑ayd- se conçoit, tant la pratique de la chasse était ancrée dans la vie quotidienne de ce peuple montagnard. Cette invention pouvait s'appliquer à la quasi-totalité des prénoms, désignant alors «l'être sacri- fié à Dieu ou à la communauté, et dans certains cas à la tribu ou à la fa- mille». En revanche, ¨Abd- et Gholam- étant réservés exclusivement aux noms du Prophète et des Imams, il était en principe hors de question, en Iran et dans les pays arabes, de composer des noms comme ¨Abd al- Morad / Gholam-Morad, ¨Abd al-ManÒur / Gholam-ManÒur, ¨Abd ar- Rostam / Gholam-Rostam, etc. Grâce à cette ingénieuse invention, tous les prénoms ont pu entrer dans ce système de nomination, quelle que soit leur origine linguistique et religieuse. Au-delà du Luristan, quelques illustres personnalités du Khorassan et de l'Asie Centrale ont porté ce nom: A la suite d'une plainte des notables de la province de Fars, déposée auprès du roi de l'Iran, Chah-Rokh (fils de Tamerlan), contre leur gou- verneur Cheikh MuÌibb ad-Din Ab'ul-Khayr, vers 841 H. /1437, un nommé Amir-∑aydi lui succéda, mais fut lui aussi désapprouvé en raison de sa dureté. Avant que la cour de Harat eût désigné Khvadja Mu¨izz ad- Din Semnani comme nouveau gouverneur, Amir-∑aydi fut emporté par une mort subite et sa dépouille fut transportée à la ville sainte, Mashad (Machad). Avant d'être nommé le gouverneur de Chiraz (Fars), cet homme jouissait d'une grande renommée et avait la réputation de con- duire sa vie avec sagesse et piété. Son véritable nom n'a pas été cité, mais le titre d'Amir-∑aydi vient peut-être de la considération dont on l'entourait46. 46 Voir le Fars-nama-y NaÒeri de Mirza Îasan Îosayni Fasa'i, éd. lithogr. 1313- 1314 H. / 1895-6 [rééd. offset, Ketabkhana Sana'i, Téhéran, s. d.], Goftar I, p. 74.

Journal Asiatique 287.1 (1999): 9-190 MYTHE HISTORISÉ DE L'ÉPOQUE ISLAMIQUE 75

Le gouverneur de Hirat (= Harat), un allié proche, soumis à l'Iran à l'époque de NaÒer ad-Din Chah Qadjar, se nommait Yar-MuÌammad- khan Åahir ad-Dawlah. Son pouvoir s'étendait, d'après le Nasekh at- Tawarikh (op. cit., pp. 531-532) jusqu'aux terres orientales du Grand Khorassan. En 1267 H. / 1850, alors qu'il se trouvait à Sabzavar, il con- tracta une maladie qui l'emporta au bout d'un jour et d'une nuit. Les habitants de Hirat choisirent ∑ayd-MuÌammad-khan, son fils, pour lui succéder. Åahir ad-Dawlah, à l'encontre de son fils, ne portait les titres ni de Sayyed ni de ∑ayd, mais celui de Yar-. Bien que ce dernier type de dénomination (Yar-) puisse être employé en toute circonstance, ce sont, en particulier, certaines familles de tendance mystique pré-chi¨ite ou ex- trémiste (dans l'adoration de ¨Ali) qui l'utilisent. Mais, dans cette fa- mille de Hirat, un père dont le prénom est précédé de Yar et un fils dont le prénom est précédé de ∑ayd-, ne sauraient être uniquement un fruit du hasard. De plus, la grande sympathie pour l'Iran chi¨ite de cette famille vivant dans un milieu sunnite, est un facteur à compter. Voir également, Supplément du Raw∂at aÒ-∑afa de Reza-Qoli-khan Hedayat, Téhéran 1274 H. / 1857, t. 10 (sans pagination), chapitre dans lequel il est ques- tion de ∑ayd-MoÌammad-khan Åahir ad-Dawlah dONÿ ÊU bÒL bO tÃËÒbë, le gouverneur de Hirat, ainsi que le chapitre concernant ∑ayd- Sa¨id-khan, l'Imam de Mascate ÊUÒL Ë jI ÂU« ÊU bOF bO. Le tome 9 de ce même ouvrage, donne le titre de ∑ayd à Morad-khan ÊU œ«d bO b“, fils de Dja¨far-khan, l'un des successeurs du roi Zand, Karim-khan, le fondateur de la dynastie. Ce roi ∑ayd-Morad-khan est apparemment le seul à avoir porté ce titre. Deux autres personnages d'Asie Centrale, signalés eux aussi par le Nasekh at-Tawarikh (op. cit., p. 527), se nommaient ∑ayd-MaÌmud Tura et ∑ayd-AÌmad Naqib Khvadja de Boukhara. Ces derniers sont cités dans le N. T., chapitre concernant la visite du Khvarazm de Re∂a-Qoli- khan Hedayat, l'envoyé du Chah de Perse en 1267 H. / 1850 à Khivaq (capitale du Khvarazm). C'est à cette époque que le chef d'une armée iranienne, sous l'influence des conseillers du roi, décapita MuÌammad- Amin Khvarazm-chah. Affaiblissant ainsi les dirigeants de ces provinces tributaires de l'Iran et de culture persane, il les livra, influencé par la politique malhabile et suspecte de la cour du chah, à la domination de l'empire colonisateur russe.

Journal Asiatique 287.1 (1999): 9-190 76 M. MOKRI

Les noms de ces deux personnalités khvarazmiennes, ont également une résonnance mystique, renforcée dans le cas de ∑ayd-AÌmad de Boukhara par les surnoms de Khvadja et Naqib47. Une prononciation populaire lure de ∑ayd- est ∑ed- (avec un e long, ou un ya' majhul), dont l'articulation est parfois abrégée sous la forme ∑ed-. Les deux abréviations ∑ay- et ∑ed- sont aussi courantes que ∑ayd- et ∑ed-. Pour la majorité des lurs, ce terme possède une connotation de cour- toisie et de piété. Il a presque la valeur d'un titre. Mais chez les F. de V., le ∑ayd- revêt une signification plus complexe et mystique. Le Fidèle, honoré depuis sa naissance par ce «pré-prénom», est à la fois le gibier amoureux de son chasseur qu'est Dieu, et le gibier bien-aimé et recher- ché. C'est dans la lignée d'une ancienne pensée mystique selon laquelle «le chercheur» et «le recherché», comme «l'amant» et «l'aimé» ne font qu'un48.

47 Par contre, le Sefaratnama-ye Khvarazm de Reza Qouly Khan (Relation de l'Am- bassade au Kharazm), publié par Charles Schefer, Paris, 1876, pp. 79-80, transcrit ce nom sous la forme Sayd (= Sayyed) AÌmad (et non ∑ayd-AÌmad). Cette graphie appa- remment douteuse peut recevoir plusieurs explications: 1°. L'auteur de cette Relation (Re∂a-Qoli-khan), peu préoccupé par ces détails, s'est contenté de reproduire d'oreille le titre en question, écrivant ainsi Sayd (< Sayyed) au lieu de ∑ayd. 2°. Le manuscrit de cet ouvrage ne m'étant pas accessible, il est possible que la trans- cription soit ∑ayd, mais qu'à sa reproduction par l'éditeur (Ch. Schefer), elle se soit trans- formée en Sayd, à défaut d'une connaissance assez précise de ce sujet. 3°. C'est au niveau de la rédaction de l'auteur du N. T. ou de l'impression de son livre à l'époque, que l'erreur s'est glissée (cette fois-ci, ∑ayd au lieu de Sayd), ce qui me paraît moins probable. 48 Pour illustrer ce propos, on peut nommer parmi les lurs célèbres qui ont joué quel- que rôle pendant et après la première Guerre Mondiale dans ces régions: ∑ayd-Îosayn-khan fils de MoÌammad-RaÌim-khan, l'un des chefs de la branche d'Assad-Allah-khan de la tribu Bayrana-vand, ∑ayd-Hachem-khan fils de ManÒur-khan, l'un des chefs des tribus de Bala-Geriwa, ∑ayd-MoÌammad-khan, l'un des chefs de la tribu Bayrana-vand. De surcroît, près d'une vingtaine de villages et de lieux de campements d'été, tirent leur nom d'un ancêtre éponyme dont le nom commence par ∑ayd-. Ces toponymes sont plus précisément issus des noms de branches des tribus lures qui occupent ces espaces. Les plus connus sont: 1. Dans le district de Bahma'i-SarÌaddi, dépendant de la circonscription de Kuh- Kiluya (Behbahan): ∑aydan. 2. Dans le district de Djaploq dépendant de la circonscription d'Aligudarz: ∑ayd-abad. 3. Dans le district de Lireyayi faisant partie de la circonscription de Papi: ∑ayd Nar.

Journal Asiatique 287.1 (1999): 9-190 MYTHE HISTORISÉ DE L'ÉPOQUE ISLAMIQUE 77

Il convient encore de noter que le mot Òayd est homophone avec sayd [avec sin] (forme courante et abrégée de sayyed «descendant du Pro- phète»), ce qui à l'oreille peut prêter à confusion49: un auditeur non averti risque d'attribuer une origine illustre à une personne ne faisant pas partie des descendants du Prophète. Le nom même ∑aymara / Saymara50 de la rivière qui sépare le Luri- stan septentrional actuel de Pucht-kuh (Ilam) pourrait être une défor- mation ou une forme populaire de ∑ayd-Murad (nom d'une personne à laquelle sont attribuées cette rivière et une ville de même appellation), le ∑ayd se prononçant dans la langue parlée ∑ay / ∑ed / ∑ad. Cette hy- pothèse paraît d'autant plus crédible que le nom de la ville et du ram- part de ∑aymara (d'où vient celui de la rivière) a aussi été enregistré sous la graphie de ∑ed-Mara / ∑ad-Mara dans plusieurs ouvrages dont le tome 8 du Supplément au Raw∂at aÒ-∑afa, dans le chapitre traitant de la rebellion de Chahverdi-khan, le gouverneur du Luristan et de sa fuite à Baghdad. Quoi qu'il en soit la palatalisation d'une dentale sourde ou sonore, ou en d'autres termes la mutation de t / d en y est fréquem- ment observable au niveau des changements interdialectaux et même intradialectaux des vocables iraniens. Mais cette canalisation naturelle étant de formation très ancienne, une telle étymologie se rapportant à l'époque islamique ne saurait pour le moment être suggérée qu'à titre provisoire, en attendant des investigations complémentaires. Aucun sou- venir ou témoignage historique ne permet de savoir si cette rivière por- tait à l'origine et à l'époque anté-islamique un autre nom, ou si ∑aymara (éventuellement orthographe arabisée de Saymara ou même Simara) re-

4. Dans le district de Mir-beig dépendant de la circonscription de Delfan: ∑ayd Morad-abad. 5. Dans le petit canton d'Alachtar: ∑ayd Îasan, ∑ayd RaÌman. 6. Dans le petit canton de Bas†am: ∑ayd-Mirza. 7. Dans le petit canton de Îanam et Parask: ∑ayd AÌmad, ∑ayd Dja¨far, ∑ayd MoÌammad. 8. Dans le petit canton de Kayan: ∑ayd-abad, ∑ayd Morad. 9. Dans le petit canton de Kawli-vand: ∑ayd AÌmad. 49 Les iraniens n'articulent pas le Ò emphatique arabe (Òad) selon le phonétisme arabe; ils prononcent les deux phonèmes (Ò et s) à partir d'un seul point d'articulation: il s'agit d'une consonne dentale spirante sourde. 50 La deuxième orthographe est plus récente et correspond à une graphie normalisée.

Journal Asiatique 287.1 (1999): 9-190 78 M. MOKRI présente réellement une forme millénaire dont la racine lexicale nous échappe51.

Je ne souhaite pas réexposer ici l'ensemble des techniques et procédés de chasse et de poursuite, déjà décrits dans des travaux antérieurs aux- quels j'ai fait allusion ci-dessus. L'attention est uniquement portée sur les occurrences qui figurent dans ces trois textes que nous étudions. Le thème de la chasse structure une partie de la vision mythique du monde au sein de la population, ce qui réapparaît partiellement chez les F. de V. En effet, le Òayd utilisé dans le sens de «gibier, objet de la chasse» n'est autre que Dieu lui-même. Dans le D.- S. D., v. 79/2, un locuteur, non identifié par le texte (certainement Kaka-Rada, «Manifes- tation» de Pir-Binyamin), déclare qu'il fut trois siècles durant chasseur

51 Le nom de la rivière de ∑aymara tire son origine du nom de la ville de ∑aymara cité par Ibn Khordadhbih, mort vers 300 H. / 912 [Kitab al-Masalik wa'l-Mamalik, éd. de J. De Goeje, Lugduni-Batavorum, Brill, 1889, pp. 41 et 244], qui était le chef-lieu du dé- partement de Mehrajan-qadhaq, non loin de la ville de Sirawan [Cette ville a aussi donné son nom à la rivière de Diala, sur son parcours en Iran, dans les régions kurdes où elle prend sa source]. C'est la citation la plus ancienne. Pour sa part, al-IÒ†akhri (mort en 346 H. /957) [Kitab al-Masalik wa'l-Mamalik, éd. de J. De Goeje, Lugduni-Batavorum, Brill, 1927, p. 197] précise que l'on compte cinq étapes (5 marÌalah) entre les villes de ∑aymara et Dinawar. Îamdallah Mostawfi dans son Nuzhat al-Qulub [Éd. de G. Le Strange, Leyden, Brill, 1915, p. 71], écrit en 740 H. / 1340, rapporte que c'était une belle ville, en ruine à son époque, et qu'elle était la seule ville productrice de dattes pour toute la région de Kuhestan. Le mérite revient à Yaqut al-Îamawi (mort en 626 H. / 1228) d'en fournir de plus amples informations dans son Mu¨jam al-Buldan [Éd. de Dar ∑adir, Bey- routh, 1374 H. / 1955]. Tout d'abord, il précise que c'est un nom a¨jami (d'origine non arabe, «iranienne») et mentionne deux villes, non loin l'une de l'autre, appelées aÒ- ∑aymara. La première se situe dans la région de Bassora, à l'embouchure de la rivière Ma¨qal. Plusieurs villages lui étaient rattachés. C'est dans cette ville même qu'un homme du nom d'Ibn Chabbas apparut en 450 H. / 1058 et prétendit qu'il incarnait Dieu. Appa- remment la région présentait un terrain favorable au déploiement de ces sortes d'hérésies. De nombreux savants, de toutes disciplines, ressortissant de cette ville ou y habitant, por- taient le nom d'aÒ-∑aymari (attribué à aÒ-∑aymara), dont la liste est dressée par Yaqut. La deuxième ville de ce nom se situait entre le pays de Djabal (pays de montagnes dans le- quel était inclu le Luristan) et celui du Khouzistan. Elle appartenait au département de Mehrajan-qadhaq, sur la gauche du chemin menant de Hamadan à Baghdad. Yaqut cite encore al-IÒ†akhri au sujet des deux petites villes aÒ-∑aymara et as-Sirawan, bâties essen- tiellement à l'aide du gypse et de la pierre (al-jaÒÒ wa'l-Ìijarah) et dans lesquelles on cul- tivait le limon, la noix et tout ce qui pousse dans les pays froids et chauds. C'étaient deux villes agréables, dans les maisons desquelles coulait l'eau et poussaient des arbres. Ces deux villes, actuellement disparues, ont donné leurs noms aux deux longues rivières tra- versant le Luristan et une partie du Kurdistan méridional et central.

Journal Asiatique 287.1 (1999): 9-190 MYTHE HISTORISÉ DE L'ÉPOQUE ISLAMIQUE 79 et qu'il lui a suffi d'apercevoir son «gibier» (Òayd) pour être heureux. Puisque la Divinité est représentée sous les traits d'un aigle royal, le Dawra-y Damyari met en image l'attitude de l'homme sous la forme du Chasseur Binyamin qui, filet en main, tente à travers les siècles d'attra- per son gibier. Ce dernier s'échappe d'ailleurs face à un chercheur non- chalant, signifiant par là qu'il attend du Chasseur une quête assidue et continue. L'équivalent du vocable Òayd est en persan et en gourani naxjir / naxcir. Cet «aigle de chasse» (Baz-i naxjir ) se posera, selon Yar-Hendu (D.- S. D., v. 41/4) sur le mont Chinirwe (/Chindirwe) [en Awraman]. Un autre synonyme de ces deux précédents vocables est sekar / sikar (B.- Kh. P., v. 23/3). Dans le S.- Î. A., ch. II/16, Kaka-Rada, satisfait de sa fonction de chasseur et de son triomphe, se glorifie de ce que «la chasse de l'amoureux» (sikar-i ¨asiq) est un succès qui ne s'obtient pas tous les jours. Le dam destiné à attraper les oiseaux (filet) et les animaux (lasso) ainsi qu'à prendre des bêtes par un dispositif camouflé (piège), est l'ins- trument typique auquel a recours le chasseur, lui-même appelé damyar52 (< dam- d ar) «le possesseur du dam». Baba-Bozorg défiant au début le Roi-Khochin, prétend pouvoir échapper au lasso de tout chasseur (D.- S. D., v. 20/3; B.- Kh. P., v. 44/3; S.- Î. A., ch. II/5). Le damyar et le Naxjirwan / naxcirwan / naxjirawan ont exactement le même sens, mais le premier est propre aux textes gouranis de la secte, tandis que le se- cond est une variante du persan naxjir-ban. «O Baba [- Bozorg] si tu es un onagre (gur), moi je suis un chasseur (naxjirawan)», dit le Roi (D.- S. D., v. 21/1 et 4; B.- Kh. P., v. 45/1 et 4). «Pendant trois cents ans, j'ai exercé mon métier de chasseur» (naxcirawan), déclare Kaka-Rada (D.- S. D., v. 79/1; S.- Î. A., ch. II/2, II/5). «Je suis cet heureux chasseur (naxjirawan) qui a conduit l'onagre vers la li- sière», profère Kaka-Rada (S.- Î. A., ch. II/16).

52 L'emploi de damyar au sens de «chasseur» est rare en persan, pourtant NeÂami, entre autres poètes, l'a bien utilisé dans ce sens (Le Haft-Paykar, op. cit., p. 205, dist. 3). Dans les usages actuels, les damyar et damdar signifient possesseur ou conducteur de troupeaux.

Journal Asiatique 287.1 (1999): 9-190 80 M. MOKRI

Onagre Parmi les mammifères cités, l'onagre est le gibier le plus mentionné, éventuellement en raison de sa prolifération, à l'époque, au pied des montagnes de Kabir-kuh non loin du long cours d'eau de ∑aymara. Attraper un onagre au lasso ou l'assommer avec une flèche décochée, voire avec une lance, selon une méthode plus ancienne, exigeait plus de force et d'habileté que pour une gazelle, un bouquetin ou un mouton sauvage. De plus, l'allusion à la chasse de l'onagre se réfère à une prati- que enracinée dans les traditions iraniennes. L'exemple le plus fameux est celui de Bahram- e Gur (le roi sassanide, mort en 438 ap. J. C.) ayant même reçu le titre de «chasseur d'onagres»53. Durant les périodes de paix et d'avant-guerres, les soldats exerçaient et entretenaient leur vivacité en participant à de nombreuses chasses et en particulier à celle de l'onagre. Hormis la province de Fars, les cam- pagnes et collines de Îirah (en Mésopotamie, au nord de Ctésiphon), qu'administraient les roitelets arabes investis par les rois sassanides,

53 A cause de son extrême ardeur à la chasse du gur «onagre», ce roi trouva finale- ment la mort en suivant la piste d'un troupeau de cet animal, ayant disparu soit dans les mares, soit dans une grotte profonde. C'est lui qui avait décrété une loi interdisant la chasse de jeunes onagres de moins de quatre ans. Une autre légende (racontée toujours par NeÂami dans le Haft-Paykar, op. cit. p. 104, dist. 15) rapporte que le pays étant ra- vagé par une disette de quatre années, Bahram assura les vivres et les denrées de la popu- lation en puisant dans ses trésors. La légende dit encore qu'aucun décès n'a été enregistré pendant quatre années au cours de son règne. Ce chiffre quatre sera-t-il dans ces rumeurs un leit-motiv caractéristique du style des contes? Deux contes célèbrent l'adresse et la dextérité de Bahram dans la chasse à l'onagre, dont quelques anciennes miniatures dressent la scène: 1° Un jour le roi aperçut un lion attaquant un onagre et agrippé à son dos et à son cou. Faisant preuve d'adresse, Bahram décocha une flèche et atteignit d'un seul coup les épau- les des deux bêtes, de sorte qu'elles s'effondrèrent ensemble. Les notables en furent éba- his et le roi arabe Mundhar qui faisait partie de sa suite, ordonna qu'un tableau figurant cet exploit ornât le château de Khawarnaq. (Voir NeÂami, le Haft-paykar, op. cit. p. 70- 71) 2° Un jour le roi Bahram, accompagné d'une belle courtisane, se trouva face à un ona- gre. Il demanda à sa compagne «de quelle manière souhaites-tu que je l'abatte?». Celle- ci désira que le sabot de cette bête fût cousu, d'un coup de flèche, à l'oreille. Bahram fit entrer à l'aide d'une sorte de lance-pierre, une boule dans l'oreille de l'animal, si bien que celui-ci, pris de vertige, porta instinctivement son sabot à l'oreille pour l'extraire. Le roi tira une flèche si promptement que le sabot de l'onagre demeura attaché à l'oreille (le Haft-paykar, p. 109, dist. 5-10).

Journal Asiatique 287.1 (1999): 9-190 MYTHE HISTORISÉ DE L'ÉPOQUE ISLAMIQUE 81 contenaient des espaces protégés et réservés, afin que princes et nobles puissent y chasser l'onagre. Le Chulestan de Fars et plusieurs domaines du Luristan jusqu'aux bords montagneux du Khouzistan constituaient des terrains propices à la chasse de l'onagre. La poésie persane, épique et lyrique, offre une grande richesse de références à cet équidé originaire de la Mer Cas- pienne. Sa ressemblance avec d'autres mammifères de cette famille, en particulier avec l'âne, a donné lieu, pour une sous-catégorie d'onagres, au nom de gur-e khar «onagre-âne». Cette espèce sauvage d'«onagres de Perse» pourvus de grandes oreilles et de sabots assiniens, est simple- ment appelée gur en persan et dans d'autres parlers iraniens54.

Cet animal, dont la capture est à elle seule une prouesse, est recherché par un ou plusieurs cavaliers, ce qui dénote le prix qui lui est accordé dans une partie de chasse. Dans le verset 20/2 du D.- S. D. et dans le ch. II/5 du S.- Î. A., Baba-Bozorg se flatte d'être pareil à un onagre pour- suivi par un groupe de cavaliers. Le Roi réplique (D.- S. D., v. 21/1; B.- Kh. P., v. 45/1; S.- Î. A., ch. II/5): «Si tu prétends être comme un ona- gre, sache-le, moi je suis un habile chasseur [de tous les temps]».

54 NeÂami n'ignore pas la parenté de ces équidés que sont l'âne, le cheval et l'onagre, tous pourvus de sabots asiniens. Lorsqu'il décrit dans plusieurs vers l'asqar (cheval à la robe, la crinière et la queue bordeaux) de Bahram, il le qualifie de gur-som «aux sabots d'onagre» (voir le Haft-paykar, op. cit., p. 69 dist. 3, 9; p. 107, dist. 4). Il utilise égale- ment un mot, composé par lui-même, madian-gur «la jument-onagre», pour un onagre femelle. Une description de la couleur et de la raie d'un onagre femelle (madian-gur), pour- suivi par Bahram, a été ainsi tracée par NeÂami (sans doute à partir d'un modèle vivant qu'il avait sous ses yeux): «C'était un animal au si beau corps qu'on eût dit une vision de l'esprit. Il avait un large front. Le dos charnu, lisse et brillant comme un lingot d'or. Une raie noire tracée de la tête à la queue et des taches parsemées de la croupe aux sabots. La jambe droite comme la flèche du guerrier, l'oreille relevée et pointue comme un poignard aussi tranchant que le diamant. Le poitrail ne se ressentait pas de la pointe des épaules et le cou n'était pas entravé par le bord des oreilles. Deux bandes noires se joignaient sur son dos [… ]. La côte était remplie de suif et le cou irrigué par le sang, celle-ci peinant sous le poids de tant d'agates et celui-là de tant de perles: telle était la vigueur de sa force et de sa jeunesse. Il avait une robe de soie rouge tissée sur son corps: son sang versé était le prix de sa beauté. Il avait une veine dont le sang circulait dans le cou, comme une courroie plus jolie que les cordes des jongleurs. Sa croupe jouait de complicité avec sa queue, et son cou avec ses sabots. L'onagre aperçut Bahram et bondit avec force, tandis que ce dernier se lançait à sa poursuite» (Ibid, p. 72-73).

Journal Asiatique 287.1 (1999): 9-190 82 M. MOKRI

Le mystérieux verset 46/1-3 du B.- Kh. P. et les ch. II/5 et II/16 du S.- Î. A. font allusion à une anecdote selon laquelle Baba-Bozorg pour pé- nétrer dans un troupeau d'onagres, se métamorphose en animal de cette espèce; si le Roi se montrait apte à le distinguer sous cette apparence, alors B.-Bozorg reconnaîtrait sa puissance et se soumettrait à lui. Le Roi du monde n'hésita pas à le montrer du doigt. Le défi qui oppose B.-Bozorg et le Roi-Khochin s'appuie ainsi de manière répétitive sur les motifs de la chasse et de l'onagre.

Boeuf de montagne

Le boeuf de montagne est un des nombreux autres animaux prisés par les chasseurs. Signalons simplement que les textes mythiques de portée didactique lui octroient, de plus, un archétype céleste. Il s'agit indubita- blement du gawazn «cerf / biche», faisant partie de la famille des gaw-i kuhi «cervidés». Une longue histoire concernant un fidèle compagnon, Chah-Kaka- AÌmad, est relatée dans le S.- Î. A., ch. II/6, et raconte la transforma- tion de ce Fidèle sous la forme d'un «boeuf de montagne» (gaw-i kuhi / gab-i kuhi). Cette histoire a été entièrement traduite dans la première partie de cette étude, dans une rubrique où il est question de Îasan Gaw- dar. On attribuait au cerf une thériaque (pers. taryak, forme arabisée taryaq) qui se concentrait au coin de l'œil et se mêlait aux larmes. Cette substance servait d'antidote contre les morsures des serpents et des in- sectes vénimeux. Le Roi déclare (dans le S.- Î. A., ch. II/4) disposer parmi de multiples remèdes d'un tel expédient. Plusieurs vers de Khaqani (mort en 582 H./1186), de NeÂami (530- 614 H./1135-1217), de Roumi (604-672 H./1207-1273), etc., évoquent cet électuaire naturel localisé dans l'oeil du cerf (ou de préférence, de la biche): «Ne sais-tu pas que la force de la thériaque dans l'oeil des gawazn est infini- ment supérieure à celle de la dent des dragons?» (Khaqani). «Cette lèvre est la boule magique du serpent, je n'ai cure de son poison. «O, toi semblable au gawazn, ne suis-je pas nourri de ta thériaque?» (Khaqani).

Journal Asiatique 287.1 (1999): 9-190 MYTHE HISTORISÉ DE L'ÉPOQUE ISLAMIQUE 83

«Grâce à lui, les serpents sont pourvus de taryaq (thériaque) et les gawazn de la boule magique» (Khaqani).

Léopard Les léopards, véritables dangers pour les paysans montagnards, fai- saient parfois rage en maints lieux, mais les braves de la région n'en avaient cure et étaient assez intrépides pour s'affronter à cette redoutable menace. La haine du léopard a toujours été connue de ces montagnards qui avaient constaté un redoublement d'agressivité chez cet animal, cha- que fois qu'on le frappait55. Des villageois et éleveurs de montagnes at- testaient que quelques-uns d'entre eux étaient venus à bout de ce fauve rusé et dans certains cas avec un bloc de pierre, pendant la nuit56. Parmi les Compagnons de Ch. Kh., c'est Kaka-Rada qui est muni des attributions du léopard (palang), en raison de sa force. Le verset 16 du B.- Kh. P., énoncé par Pir-Khidir, hiérarchise, en recourant à des méta- phores, la puissance des Compagnons: RayÌana est un vaillant cavalier, Kaka-Rada est le léopard et le Roi, le lion. Le verset 93/1 de ce même texte est plus direct quant à la comparaison de Kaka-Rada avec le léo- pard:

55 Ce potentiel de haine se reflète dans maintes œuvres littéraires et poétiques: «C'est lorsqu'il voit sa proie à son chevet, que le léopard se tord sur lui-même par haine» (le Marzban-nama, op. cit. p. 283). Cette caractéristique se retrouve chez un autre félin, calika cu-khur. C'est une sorte de chat sauvage, de petite taille, mais qui possède l'étonnante faculté de se développer sous l'effet des coups reçus. Ses nerfs, en effet, se dilatent et il se transforme alors en une bête très dangereuse. Les jeunes bergers et gardiens de vergers, manquant d'expérience, cou- rent des dangers lorsqu'ils s'avisent de la frapper. 56 L'efficacité exemplaire du léopard dans la chasse ou contre l'homme, vient, selon l'avis de ces montagnards, de la tactique de son attaque centrée sur le guet. Il se retire derrière un arbre ou un rocher et dès que sa proie s'approche, il bondit sur elle. Les re- cueils de légendes et les œuvres littéraires ne méconnaissent pas cette forme de vigilance propre à cet animal. Un conte évoque un conseil de guerre entre le lion et les animaux pour se défendre face à l'armée des éléphants, dans lequel le léopard s'oppose à l'attaque ouverte et vote pour une stratégie du guet et de l'embuscade qui va s'avérer être un succès (le Marzban- nama, op. cit. p. 187). C'est à cause de cette manière d'agir qu'on l'appelle aussi palang- e do-rang «le léopard aux deux couleurs», c'est-à-dire hypocrite, bien que l'aspect bi- garré de la peau de léopard ne soit pas exclu dans cette expression. Lorsqu'un léopard attend son gibier, il se rassemble sur lui-même et diminue sa taille [dans son lieu d'embuscade] (le Marzban-nama, op. cit., p. 41).

Journal Asiatique 287.1 (1999): 9-190 84 M. MOKRI

«O Kaka [- Rada] tu es un léopard dans les lois qui se transmettent de géné- ration en génération; à chaque cycle d'incarnation, tu nous accompagnes». Kaka-Rada lui-même affirme (dans le verset 97/3 du B.- Kh. P.): «Nous étions le léopard dans les montagnes et le lion au sein des bosquets». La puissance du léopard est condensée essentiellement dans ses griffes et ses dents. Le panja-y palang «griffes de léopard» qui s'en- fonce dans la chair de sa proie est un moyen d'attaque redoutable dont l'effet effraie l'imagination. Puisque K.- Rada est comparé au palang, cette arme lui est logiquement attribuée d'une manière discrète et méta- phorique. Chah-Khochin déclare: «Celui qui ne goûte pas au fruit de cet arbre du paradis, «Il subira la piqûre des griffes du léopard», c'est-à-dire «il sera châtié par K.- Rada». (B.- Kh. P., v. 53/4). Pour la morsure de léopard, ces textes gouranis ont forgé un terme composé, typiquement expressif et propre à cette langue. Le vocable gaz qui exprime l'action de mordre suit le mot palang dans la compo- sition palang-gaz. La rencontre de deux occlusives sonores postpalatales a normalement entraîné une contraction et la suppression de l'une d'entre elles, pour aboutir à la forme de palangaz. La terminologie gouranie utilise indifféremment ces deux mots, bien que le second soit plus élégant. «Quiconque pose le pied de travers dans ta lice, «Reçoit [de moi] un palangaz sans remède», telle est la menace de K.- Rada (D.- S. D., v. 11/3-4). Cette même idée est exprimée par le même personnage dans le B.- Kh. P., v. 92/3-4, de la manière suivante: «Quiconque met en doute son œuvre (c'est-à-dire l'œuvre de Khochin), «Il recevra de moi un palang-gaz dont la blessure ne se refermera jamais». Or, dans le D.-S. D., v. 13/4-5, et v. 15/4-5, cette affirmation est attri- buée à Ch. Kh. Dans la mesure où l'on sait que K.- Rada est comparé au léopard, il est permis de supposer qu'une confusion a été commise par inadvertance. Les versets 13 et 15 composaient probablement à l'origine chacun deux versets, les trois premiers hémistiches étant énoncés par Ch. Kh. et les deux derniers par K.- Rada. Le vocable iranien gaz signifie l'action de mordre et est réservé à l'homme et plus largement à tous les mammifères (léopard, lion, che- val,…) qui entament la chair à l'aide des incisives. En revanche, le terme

Journal Asiatique 287.1 (1999): 9-190 MYTHE HISTORISÉ DE L'ÉPOQUE ISLAMIQUE 85 spécifique gaz, avec un -a- bref (dont l'infinitif est gazidan), s'applique à la piqûre vénimeuse du serpent, du scorpion, de la guêpe, et de quel- ques autres insectes. A ce propos, signalons que le persan kazdom «scor- pion» (équivalent de l'arabe ¨aqrab) signifiant littéralement «à la queue courbée ou de travers», est une forme issue d'une fausse étymologie, remplaçant en réalité gaz-dom «qui pique avec la queue». La langue lit- téraire préfère la tournure plus fine gazidan, lorsque l'amoureux mord les lèvres de la bien-aimée, gaz-gereftan ayant une connotation plus sen- suelle et voluptueuse. On emploie également gaz- pour la morsure du «chien enragé» dans l'expression sag-gazida «mordu par le chien» à cause du virus qu'il transmet. Une autre composition, persane cette fois et forgée par NeÂami, est celle de Palangar. C'est le nom d'un redoutable chef de l'armée des Zangis (les nègres de Zanzibars). Le nom Palangar (< palang + gar «qui affronte le léopard») ou Palanger (*palang-gir «qui capture le léopard») met l'accent sur la férocité et la cruauté de ce guerrier noir, à moins qu'il ne provienne d'une altération d'un nom grec ou d'un quelconque parler africain, que NeÂami aurait rencontré dans ses documents écrits ou oraux57.

Aigle royal En dehors de la sphère des F. de V., dans les différents ordres et con- fréries mystiques (y compris les sunnites Naqchbandi et Qadiri), le terme de chahbaz / chahbaz «roi-aigle» désignait communément «le Maître», «un grand mystique». L'ornithologie iranienne possède une vaste terminologie pour identi- fier et nommer les différentes espèces d'aigles et de faucons. Elle compte ainsi à son actif les vocables chahin, baz et chahbaz «faucon et aigle royal». Les particularités zoologiques et les propriétés des espèces connues en Iran ainsi que les appellations dialectales ont été en partie définies dans mon Dictionnaire des noms des oiseaux en kurde, persan et d'autres dialectes iraniens58. 57 Voir NeÂami, Charaf-nama, éd. de Bertels, Bakou, 1947, pp. 103 (dist. 6), 107 (dist. 9), 108 (dist.6 et 14), 125 (dist.15), ou éd. de VaÌid Dastgerdi, Téhéran, pp. 122 (dist. 2), 127 (dist. 3 et 14), 128 (dist. 9), 150 (dist. 3). 58 M. Mokri, Namha-ye parandagan dar lahjaha-ye garb-e Iran,…, Téhéran 1ère éd., 1326 H. S. / 1947, 3e éd. Téhéran (éd. Amir-Kabir), 1361 H. S. / 1983.

Journal Asiatique 287.1 (1999): 9-190 86 M. MOKRI

La naissance miraculeuse des avatars et l'apparition de l'aigle divin avant et au moment de l'accouchement de leur mère ont été également suffisamment abordés dans la première partie de cette étude, à laquelle j'ajoute encore celles du Chasseur de Dieu et le mythe du Roi-Aigle, déjà mentionnée, et du Kalam sur l'aigle divin et le verger de Pirdiwar (in JA. Paris 1967, pp. 361-374). Les lecteurs intéressés y trouveront quel- que matière en complément. Un antagonisme, dû à la nature et à la représentation d'un aigle blanc et d'un aigle noir (ou plus précisément d'un vautour noir), a opposé K.- Rada et B.- Faqih, ce dernier étant un fervent opposant sunnite qui se rallie finalement à la cause de Chah-Khochin. Le terme sefida-baz «blanc-aigle» est ainsi l'antonyme de rasa-dal «noir-aigle», avec des nuances relatives à l'antéposition des épithètes sefid et ras.

Sefida-baz / Sepida-baz «blanc-aigle» La rareté et le prestige d'un aigle blanc sont en adéquation avec la position d'un compagnon céleste. Le dos des ailes de cet aigle est de teinte turquoise, autrement dit lapis-lazuli, couleur du ciel: «Je suis un aigle blanc, le dos de mes ailes est de couleur turquoise», dit K.- Rada (D.-S. D., v. 28/1). Cette couleur (firuza que le texte emploie sous la forme firuz) peut porter le nom de kawu / kawuy (autres formes du kurdo-gourani kaw et du persan kabud) «gris, gris bleu», qui est une teinte proche. Mais dans ce cas, c'est le bout des ailes de cet aigle qui est qualifié ainsi (voir D.- S. D., v. 80/1; B.- Kh. P., v. 89/1)59. Pourtant, dans le B.- Kh. P., v. 76/1, K.- Rada insiste sur la teinte turquoise du bout de ses ailes. B.- Faqih, pour irriter son rival, prétend lui aussi être un aigle blanc, et avoir de surcroît l'avantage de posséder une poitrine broyant comme la lime (D.- S. D., v. 31/1) et des griffes dures comme le fer (S.- Î. A., ch. II/7). Mais K.- Rada réassure sa supériorité en rétor- quant aux propos de B.- F., qu'il est le blanc-aigle, au-dessus de tous les noirs-aigles (D.- S. D., v. 32/1). Il ajoute que son aile se déploie au som-

59 Quant à la poitrine du «blanc-aigle», NeÂami lui assigne l'adjectif do-rang «bico- lore», à savoir blanc et noir. Les grecs blancs semblables au faisan et les nègres africains semblables au corbeau noir, ressemblaient, quand ils étaient mêlés, à la poitrine du sepida-baz. Voir le Charaf-nama, éd. de Bertels, p. 106, dist. 3.

Journal Asiatique 287.1 (1999): 9-190 MYTHE HISTORISÉ DE L'ÉPOQUE ISLAMIQUE 87 met de l'atmosphère, que son nid est construit dans les hautes montagnes et qu'il se nourrit des grains du monde éternel (B.- Kh. P., v. 82/1-2). Cette joute verbale se fonde ainsi sur une terminologie locale, celle des rapaces, les adversaires mesurant leurs forces à l'aide d'un langage figuré. Au cours d'un de ses déplacements, Ch. Kh., lui-même, le blanc-aigle par excellence, pour impressionner ses compagnons, s'envole vers le mont Yafta-kuh et se livre à un jeu de démonstration spectaculaire dans l'air (S.- Î. A., ch. II/11 et ch. II/15). Il est annoncé dans le D.-S. D., v. 75/1-2, que l'Aigle Royal (= l'Es- sence divine) s'est posé au sommet de Balamu. C'est pourquoi dans le D.-S. D., v. 75/1, les montagnes de Dalahu se sont parées de couleurs lumineuses. Dans le B.- Kh. P., v. 78/5 et v. 80/6, K.- Rada conseille à B.-Faqih de ne pas se rebeller ni de disputer avec le Roi des rois-aigles. L'un des chefs-d'œuvre de la langue persane (Le Marzban-nama, op. cit., p. 158) fait du «blanc aigle» (sepid-baz) la métaphore du soleil dans une description du lever de cet astre. «A l'aube, le blanc-aigle du Levant fondit, dans un seul envol, sur les colom- bes abritées dans la tour du firmament». Ce n'est là qu'un exemple parmi tant d'autres. Selon la classification des anciens traités d'ornithologie, l'aigle (ou l'aigle royal) fait partie des oiseaux chasseurs zard-casman, litt. «à l'oeil jaune».

Rasa-dal «noir-aigle» Dans les catégories d'oiseaux chasseurs à l'oeil noir (siah-casman), on comptait les chahin (faucon), cilaq, et même kacal-karkas, qezqun et enfin dal60. Les trois dernières sortes correspondent plutôt aux vautours. 60 «Le dal (dans les dialectes lur, kirmasani, sorani et kurmanji) est un rapace environ trois fois plus gros qu'une perdrix. Il paraît grand lorsque ses ailes sont déployées. La couleur de ses plumes est d'un brun tirant sur le rouge et le noir. Mais ces nuances n'ap- paraissent pas de loin, c'est pourquoi il semble noir. Le dessous de ses ailes est orné de dessins formés par des lignes enchevêtrées. On le voit planer dans l'air, au-dessus des vil- lages et des champs. Il fond sur les poussins, mais sa nourriture essentielle consiste en souris, insectes et serpents. Son hostilité à l'égard des serpents est connue: il les enlève et arrivé en hauteur, les jette à terre, répétant cette opération jusqu'à ce que sa proie soit

Journal Asiatique 287.1 (1999): 9-190 88 M. MOKRI

Le dal désigne indifféremment un aigle ou un vautour aux plumes noires, mais souvent ces textes gouranis l'utilisent dans le sens d'«aigle noir» et font précéder le nom de cet oiseau de l'épithète rasa (ras + a) «noir». L'ordre syntaxique courant aurait été dal-i ras, mais l'antéposition de l'épithète «noir» implique la caractérisation d'une con- duite morale. Le ras kurdo-gourani — équivalent au persan siah et au turc qara, lesquels précèdent souvent un substantif ou un nom propre — spécifie les notions de bravoure et de fermeté ou de cruauté et de mé- chanceté. C'est à partir de la tournure rasa-dal, qu'a été, je crois, forgé exceptionnellement le syntagme sifida-baz au lieu de baz-i sifid. Dans ce dernier cas, les idées mises en relief sont celles de «pureté, sainteté, etc.». L'opposé de blanc étant naturellement le noir, Baba-Faqih qui s'oppose aux desseins de K. -Rada, lui-même représentant de Ch. Kh., ne peut être qu'un «noir-aigle aux griffes de fer» (D.- S. D., v. 33/10; B. -Kh. P., v.81/1), aussi sombre qu'un hindu «hindou» (D.- S. D., v. 27/1, S. -H. A., v. II/7) ou qu'un hindi «indien» (B.- Kh. P., v. 79/1- 2). Il construit son nid où se trouve une haute montagne (D. -S. D., v. 27/2). Dans le B.- Kh. P., v. 83/1, B.-Faqih prétend qu'il s'asseoit sur un dan (éventuellement «rocher» ou «falaise») et dans le S. -H. A., ch. II/7, sur un wand «montagne (?)», tandis que K.-Rada rétorque fer- mement qu'il est le blanc-aigle, supérieur aux dalan «aigles noirs» (D. -S. D., v.32/1).

4. Le guerrier, porteur d'armes

L'organisation de la défense était une autre composante majeure de la vie sociale au Luristan. Elle se rapportait aux conditions du relief et assurait la survie, luttant en premier lieu, contre les obstacles créés par morte. Le spectacle de son tournoiement, durant plusieurs heures de l'après-midi, est fas- cinant: ses ailes demeurent longtemps déployées, leur battement étant moins fréquent que pour les autres oiseaux. Le dal possède un bec puissant de sorte qu'il peut déchiqueter les cadavres des chameaux, des chevaux et des ânes. Dans les lexiques persans, le dal est synonyme de l'arabe ¨oqab, sorte de grand aigle». (Extrait de mon lexique persan sur les noms d'oiseaux dans les dialectes de l'ouest de l'Iran)

Journal Asiatique 287.1 (1999): 9-190 MYTHE HISTORISÉ DE L'ÉPOQUE ISLAMIQUE 89 la nature. Qui dit défense, dit aussi attaque du camp opposé. L'esprit guerrier s'entretient aussi par le désir de protection d'un domaine ances- tral plus ou moins vaste. La disposition du terrain rocheux dans lequel sont encastrés des endroits retirés et d'accès difficile, encourage grandement les actions subversives et le cantonnement dans les abris non pénétrables. La dispersion de plusieurs clans lurs à travers les zones forestières et montagneuses a attisé les divergences d'intérêts soit entre eux, à l'inté- rieur de ces parois montagneuses, soit contre la convoitise des puis- sances extérieures. Les lurs, comme de nombreuses autres ethnies iraniennes, sont restés de vaillants guerriers, la dureté de la nature les ayant entraînés à la lutte et les ayant fortifiés dans leur caractère belli- queux. L'apparition d'un héros mythique, le Roi-Khochin, avant que celui-ci ne soit une figure de la secte des A. - Î., reflétait déjà ces qualités de bravoure et d'intrépidité. Mais il a fallu une touche de sainteté et de ma- jesté d'ordre divin, conforme aux pensées des extrémistes de l'époque islamique, pour cadrer cette ardeur guerrière. Les F. de V. ont vrais- semblablement dépouillé la geste du Roi-Khochin de cet aspect militaire ou plutôt l'ont transposé d'un registre humain à un registre divin. «Nous sommes des valeureux, mais des valeureux de Dieu», déclare K.- Rada au Roi-Khochin (B.- Kh. P., v. 6/2). «Les guerres des virils ont lieu sur le mont Palangan» (B.- Kh. P., v. 12/1), c'est un des différents lieux où Ch. Kh. a rassemblé ses fidèles compagnons pour leur faire part de son Essence divine. L'expression «les guerres des virils» (jang-i naran) prend alors un sens métaphorique et évoque l'ardeur et la hâte des hommes se regroupant en ce point. En aucun cas, il ne saurait s'agir d'une guerre dans le sens courant du terme. C'est pourquoi l'hémistiche 4 de ce même verset ajoute que «le fléau repose sur l'épaule des lions virils», que c'est par conséquent aux hom- mes forts d'assumer une défense salubre de ces chaînes de montagnes. Lorsque Pir-Khidir s'adresse à RayÌan, «vaillant cavalier», il lui dit «prends garde, tu es en présence d'un lion (héros)» [qui a la force de te dévorer] (B.- Kh. P., v. 16/2). Le Roi est ainsi caractérisé comme un guerrier puissant, non dans le sens d'une énergie dangereuse et agres- sive, mais dans celui d'une force interne s'élevant au-dessus du commun des mortels.

Journal Asiatique 287.1 (1999): 9-190 90 M. MOKRI

Si K.- Rada prétend (dans le B.- Kh. P., v. 97/3) que lui et ses compa- gnons étaient les léopards dans les montagnes et les lions au sein des bosquets, c'est moins dans un esprit de combativité et de férocité que dans un souci de valoriser leur force supra-terrestre. Le Roi lui-même profère ces mots: «Je suis ce même tigre qui chasse hors du bosquet le lion» (S.- Î. A., ch. II/8). D'une manière générale, les images de nahang «requin» (B.- Kh. P., v. 75/4 et v. 78/3; S.- Î. A., ch. II/7), palang «léopard» (S.- Î. A., ch. II/8), comme celles de sir «lion» et babr «tigre», sont des métaphores codées renvoyant toutes aux héros et aux guerriers. Elles reflètent les traditions de la vie sociale, en particulier celles des provinces de l'ouest et du sud-ouest de l'Iran. Toutefois, dans ce contexte, comme je l'ai ex- pliqué, elles se colorent d'un sens plus religieux.

Pour leur part, les armes traditionnelles ne visent pas les corps, mais les cœurs. Le Roi possède cent flèches (sad tir) dans un carquois, mais ces armes, comme lui-même le précise, appartiennent bien au monde ca- ché (ba†in), et non au monde apparent (voir le D.-S. D., v. 13/3; le B.- Kh. P., v. 92/2; et le S.- Î. A., ch. II/4 et ch. II/8). Le chasseur habile est celui dont la flèche (tir) se fiche dans le pied de son gibier. C'est du moins la preuve par laquelle Ch. Kh. démontre être un véritable chasseur (voir B.- Kh. P., v. 45/1-4). Mais sa flèche n'abat pas le gibier, au contraire, elle a la faculté de le rendre docile et soumis. Le kaman «arc» (B.- Kh. P., v. 12/2 et v. 51/1), le nayza «javelot» (B.- Kh. P., v. 75/3 et v. 110/3; S.- Î. A., ch. II/7), le tig «glaive» (D.- S. D., v. 55/4; B.- Kh. P., v. 15/4), le samser «sabre» (B.- Kh. P., v. 12/ 2), le tir-kas / kis «carquois»61 (D.S. D., v. 56/4; S.- Î. A., ch. II/4) et le sipar «bouclier» (S.- Î. A., ch. II/7) constituent l'équipement classique des guerriers et servent à ces derniers d'instruments symboliques en adé- quation avec leurs pensées.

61 Le tarkas / ter-kas (< tir-kas) [en persan] est équivalent de l'arabe ja¨bah (litt. «boîte à flèches»): «on ne tourne pas bride dans le combat avant que la dernière flèche (= tir) ne soit retirée du carquois (= ja¨bah) et décochée contre l'adversaire» (le Marzban- nama, op. cit., p. 90).

Journal Asiatique 287.1 (1999): 9-190 MYTHE HISTORISÉ DE L'ÉPOQUE ISLAMIQUE 91

Les arcs étaient fabriqués à partir de tiges en bois de chêne vert flexi- ble (ou avec une sorte de roseau ou même de bambou). Pourtant, dans le ch. II/8 du S.- Î. A., le Roi déclare qu'il possède un arc fait de fer d'un bout à l'autre, décrivant ainsi sa composition métallique et exposant sa puissance. Le guerrier, quel qu'il soit, a toujours l'oreille aux aguets: gus bi- dangim «nous prêtons l'oreille à chaque bruit», dit Kurra-Faqih à Kaka- Rada, dans le B.-Kh. P., v. 75/2 et le S.- Î. A., ch. II/7, pour signaler l'état d'alerte dans lequel il se trouve. Cette même idée apparaît dans les expressions ispar bi-dus «avoir le bouclier sur l'épaule» (B.- Kh. P., v. 75/2) et Ìa∂ir-markab «disposer d'un cheval harnaché» (B.- Kh. P., v. 13/6). Une image exprimant au plus près cette disposition à l'action est celle de pa dar rikab «avoir les pieds dans les étriers» (B.- Kh. P., v. 75/ 3; S.- Î. A., ch. II/7)62.

62 L'arabe rikab (de la racine trilitère RKB) est un mot collectif (sans singulier) qui désigne plusieurs chameaux avec lesquels on voyage. C'est par le Prophète que les arabes ont été encouragés à élever des chevaux pour remplir diverses tâches, y compris les cour- ses de compétition. Le désert d'Arabie ne favorisait guère que la multiplication des cha- meaux. C'est grâce à l'observation des modes de vie byzantin et surtout iranien que l'éle- vage des chevaux a pu, après bien des oscillations, se mettre en route, de sorte qu'à partir du XVIIe siècle «la race du cheval arabe» fut introduite en Europe. L'emploi de rikab pour «étrier métallique» en arabe mérite des investigations à part, bien que cette partie du harnais existât déjà en des temps reculés. L'étrier en fer avait suc- cédé à celui de cuir de fabrication plus primitive et de caractère rudimentaire. L'al- Aghani d'Abu'l-Faradj d'al-AÒfahani (10e éd. Dar ath-Thaqafah, Beyrouth, 1990, t. VIII, p. 47) fait allusion à «l'étrier en cuir» qu'il nomme —ÚeÓ (gazr). L'expression de «cavalier aux longs étriers» (pers. rekab-deraz) suggère la haute taille de celui qui monte le cheval. Le palefrenier ou le valet qui tenait l'étrier au moment où le cavalier s'asseyait sur son cheval, était appelé rekab-dar. Le legam-gir «celui qui tient la bride du cheval lorsque le cavalier descend» et le legam-giri, action ou fonction de tenir la bride, appartenaient au vocabulaire de la cavalerie et de la réception courtoise. «Il l'a accueilli comme la terre accueille son hôte; il a tenu le ciel par la bride» (H.- P., op. cit. p. 325). C'étaient des gestes courants en usage dans ces régions où le poids de la cavalerie était dominant. Dès qu'un cavalier de marque arrive auprès de la maison ou de la tente, les valets et les domestiques ou les fils de la maison, courent pour le recevoir avec res- pect. Un poète persan de grand talent, Åahir Faryabi (mort en 598 H./1201 à Tabriz), est allé dans la louange adressée à son maître (Qezel-Arsalan, Étabak seldjoukide d'Azerbaïdjan, régnant de 582 H./ 1186 à 587 H./ 1191), jusqu'à dire: «la pensée met sous ses pieds les neuf sphères célestes, afin de parvenir à poser un baiser sur l'étrier de Qezel-Arsalan». Sa¨di (VIIe H./ XIIIe s.), écœuré par cette hyperbole, rétorque plus tard: «Quel besoin as- tu de mettre les neuf sphères célestes devant les pieds de Q. A.?».

Journal Asiatique 287.1 (1999): 9-190 92 M. MOKRI

5. Réifications

Une figure de poésie, métonymique à la base, a pu aboutir dans les milieux populaires à l'incarnation d'une personne dans un objet, la plupart du temps, dans les équipements des guerriers. La tradition orale, miroir d'une pensée ingénue, a tramé toute une sé- rie de réifications des êtres sublimes. Le bâtinisme tardif a voulu soit exploiter ce terrain, soit s'en attribuer l'origine et l'originalité, mais la base populaire et rhétorique ne fait pour moi aucun doute. Les exemples les plus courants de réification que j'ai pu relever sont ceux du «fouet de Buhlul» (= l'Ange MuÒ†afa), du «filet de Pir-Binya- min» (= Loth), de «l'épée de Rustam» et du «glaive de ¨Ali» (= l'Ange MuÒ†afa), du «chaton de la bague de Salomon» (= le Roi Khochin), du «rubis incrusté dans le bracelet de Madjnun» (= Dieu-Roi)63. Dans le B.- Kh. P., v. 110/3, «le nayza (la lance) de ¨Ali» représente la réifica- tion d'un personnage nommé Îaydar. Celui-ci prétend être l'incarnation de la lance maintenue entre les doigts de l'Amir (= ¨Ali).

6. Appartenance linguistique et propriétés métriques dans le B.- Kh. P.

Les versets gouranis: Décasyll.: v. 2; v. 3; v. 7; v. 9; v. 11; v. 13 (hémist. 5-7); v. 15; v. 18 (dans l'hémist. 1, le mot suar fait l'objet d'une synérèse et se pro- nonce swar); v. 19 (dans les hémistiches 1 et 3, le mot suar se prononce swar); v. 20 (dans les hémistiches 1 et 3, suar se prononce swar); v. 21; v. 22; v. 23 (dans l'hémist. 1, swar au lieu de suar); v. 24; v. 25; v. 27; v. 28; v. 30; v. 31; vs. 33-43; v. 61; v. 64; v. 66; v. 67; v. 69; v. 70; v. 78; v. 99; vs. 100-104; vs. 107-111; vs. 113-115. Hendécasyll.: v. 1; v. 6; v. 62; v. 68; v. 79; v. 80. Dodécasyll.: v. 10. De 13. Syll.: v. 4.

63 Voir M. Mokri, Cycle des Fidèles Compagnons à l'époque de Buhlul. Paris-Bey- routh, 1974 (cf en particulier pp. 28-29).

Journal Asiatique 287.1 (1999): 9-190 MYTHE HISTORISÉ DE L'ÉPOQUE ISLAMIQUE 93

Le verset 8 (hémistiches 1-10) est très brouillé, il garde éventuelle- ment les traces d'un mélange de vers et de phrases rimées.

Les versets mixtes (persan et gourani): Octosyll.: v. 72; v. 73; v. 75; v. 118. Décasyll.: v. 12; v. 55; v. 56; v. 59; v. 65; v. 83; v. 85; v. 87; v. 92; v. 95; v. 116. Les versets 71 et 120 sont composés en prose rimée et non en vers syllabiques ou métriques.

Les versets persans: Octosyll.: v. 74; v. 117. Décasyll.: v. 13 (hémist. 5-7); v. 16; v. 45; v. 47; v. 50 (hémist. 1-2); v. 52 (hémist. 1-2); v. 53 (hémist. 3-4); v. 57 (hémist. 1-2); v. 60; v. 63; v. 82; v. 93. Hendécasyll.: v. 14; v. 44; v. 46; v. 48; v. 49; v. 50 (hémist. 3-4); v. 51; v. 52 (hémist. 3-4); v. 53 (hémist. 1-2); v. 54; v. 58; v. 76; v. 81; v. 84; v. 88; v. 89; v. 90; v. 91; v. 94; v.96. Dodécasyll.: 57 (hémist. 3-4); v. 97. De 13 syll.: v. 13 (hémist. 1-4). Les versets 26, 29 et 32 sont composés en prose rimée et non en vers syllabiques ou métriques.

Ainsi, sont ici majoritaires les vers décasyllabiques propres à la quasi- totalité des légendes versifiées, lyriques et épiques gouranies, ainsi qu'à la plupart des chants et des chansons populaires (gouranis, kurdes et mixtes). En deuxième lieu, viennent les vers hendécasyllabiques, mètre spécifique aux Fahlaviyat. Quant aux vers dodécasyllabiques, proches des divers rythmes métriques des roba¨i persans (genre de quatrains), imités par la poésie arabe, kurde et même turque et ordou, etc., leur nombre est, cela va de soi, restreint. Apparaissent également quelques vers octosyllabiques, si en usage dans les chants populaires et poèmes chantés kurdes. A titre de rappel, je signale qu'il existe dans la métrique traditionnelle arabo-persane, un baÌr «cadre métrique», nommé rajaz, reprenant 8, 6 ou même 4 fois le modèle prosodique mustaf¨ilon sKFH (de 4 syllabes: - ∪ - - [lire ici de droite à gauche selon l'écriture arabo-

Journal Asiatique 287.1 (1999): 9-190 94 M. MOKRI persane]). Chaque hémistiche de deux mustaf¨ilon, possède donc 8 syl- labes. Ce baÌr a pour nom le rajaz-e murabba¨ (rajaz carré), car chaque distique (= 2 hémistiches)64 reproduit quatre fois la formule mustaf¨ilon. C'est le seul rapprochement de la quantité (et non de la durée) des syl- labes que l'on peut poser entre les hémistiches octosyllabiques de ces textes gouranis et ceux à deux mustaf¨ilon du baÌr rajaz murabba¨ lÒd e— d. Il est possible d'observer quelques hémistiches conformes à la disposition des syllabes longues et brèves du mustaf¨ilon, sans que ce soit une règle générale. Pour compléter solidement ces données, voici le détail des disposi- tions de ces versets.

[La transcription des durées syllabiques est établie ici selon l'écriture de base, de droite à gauche] Le D.- S. D., v. 19/8-9: - - ∪ - - - - - / - ∪ - - - - ∪ - Le B.- Kh. P., v. 72/1-3: - ∪ - - - ∪ - - / - ∪ - - - ∪ - - - ∪ - ∪ - ∪ ∪ - Le B.- Kh. P., v. 73/1-3: ∪ - ∪ - - ∪ - - / ∪ - ∪ - - - - ∪ ∪ - ∪ - - - - - Le B.- Kh. P., v. 74/1-3: - ∪ ------/ ------∪ ------Le B.- Kh. P., v. 75/1-5: ------/ - - ∪ - - ∪ - - - - ∪ - - ∪ - - / - - ∪ - - - ∪ - - - ∪ - - - - - Le B.- Kh. P., v. 117/1-5: - - - ∪ - - - - / ------∪ / - ∪ - ∪ - ∪ - - - - ∪ - - - ∪ - 64 Les terminologies de la prosodie orientale (arabe, persane, turque, kurde,…) et cel- les des langues européennes diffèrent quelque peu et peuvent prêter à confusion: un hé- mistiche (miÒra¨, lenga) [t~Mà ¨Ÿ«dB] de la poésie de ces langues (par exemple persane) correspond à un vers de la poésie française. Ainsi, un distique (bayt) [XO] arabe, persan, turc, et ici dans les dialectes kurdo-gouranis, est un distique composé de deux hémistiches et non de deux vers. Ces hémistiches ont une rime commune, excepté dans les odes (ghazal et qaÒida) où la rime n'apparaît qu'à la fin de chaque distique après avoir ponctué toutefois les deux premiers hémistiches.

Journal Asiatique 287.1 (1999): 9-190 MYTHE HISTORISÉ DE L'ÉPOQUE ISLAMIQUE 95

Le B.- Kh.P., v. 118/2-5: - ∪ - - - ∪ - - / - - - - - ∪ - - - ∪ - - - ∪ - ∪ / - - - ∪ - ∪ - -

Parmi ces 24 hémistiches, trois (72/1-2 et 118/1) seulement sont par- faitement identiques à la norme du mustaf¨ilon. Cette proportion minori- taire rend caduque la tentative de mesurer ces vers syllabiques selon des étalons de la métrique traditionnelle.

Répartitions syllabiques B.- Kh. P. D.- S. D. Octosyll. 6 vs. 1 v. Décasyll. 74 vs. 74 vs. Hendécasyll. 26 vs. 16 vs. Dodécasyll. 3 vs. 3 vs. De 13 syll. 2 vs. 5 vs. De 15 syll. - 2 vs. (pour l'analyse du S.- Î. A., voir la 3e partie de cette étude)

Une ambiguïté, brouillant depuis longtemps déjà non seulement la lecture et l'enregistrement de ces vers dialectaux, mais aussi ceux des Fahlaviyat, peut être levée grâce à l'analyse de deux hémistiches persans de 13 syllabes, pris au hasard comme spécimens (versets 12/1-2 du B.- Kh. P. et 6/1-2 du D.- S. D.): «— t— +U Áb—œ ¯dÖ “« «— tœ —«Ó —b Ê«—UN d« “« az abr-e baharan be-dar-aram dama ra az gorg-e darandä 65 be-setanam rama ra 65 Dans la prononciation dialectale (et même archaïque du persan), le - a final de daranda est allongé, et, ainsi que je l'ai déjà amplement expliqué dans mes notes métri- ques [cf. Études métriques et ethnolinguistiques…, Paris-Louvain, Éditions Peeters, 1994, pp. 15-16], il a la valeur d'une syllabe longue. Sa véritable transcription est donc darandä (ici ä = a allongé). Dans le cas des substantifs à finale - a (comme jama, banda, daranda, …), il convient d'éviter cette terrible prononciation actuelle en - e (- é / - è) due à l'accent téhéranien et que certains courants phonétiques veulent généraliser, au détriment d'autres pays persanophones. Cette tendance arbitraire et forcée va en effet à l'encontre d'une évo- lution naturelle de la phonétique traditionnelle. Pour mieux mesurer le poids métrique et syllabique de ce - a final ( ou plutôt - ä final), on peut mettre en équivalence, du point de vue du rythme, les vocables darandä (∩ - ∪:

Journal Asiatique 287.1 (1999): 9-190 96 M. MOKRI

Le découpage syllabique de ces hémistiches se transcrit de la fa- çon suivante (de droite à gauche): - ∪ ∪ - - ∪ ∪ - - ∪ ∪ - - - ∪ ∪ - - ∪ ∪ ∩ - ∪ ∪ - -

Il se trouve que ce distique peut aussi cadrer du point de vue de la métrique arabo-persane avec l'une des ramifications d'akhrab, à savoir maf¨ulo / mafa¨ilo / mafa¨ilo / fa¨al. Il existe une variante du deuxième hémistiche qui remplace be-setanam par setanam, ébranlant ainsi la ré- gularité du rythme syllabique. En effet, avec un tel changement, le 2e hé- mistiche ne comporte plus que 12 syllabes (= - ∪ ∪ - - ∪ ∩ - ∪ ∪ - -) au lieu des 13 exigées par les règles de la prosodie syllabique. Or, ce baÌr, dont le nom exact est akhrab-e makfuf-e makfuf-e maj- bub, peut avoir une variante prosodique permise (ziÌaf), telle que akhrab-e makfuf-e akhrab-e majbub, c'est-à-dire substituer au deuxième makfuf (mafa¨ilo) un akhrab (maf¨ulo). Ainsi l'hémistiche comportant la lecture setanam est parfaitement conforme, sur le plan de la métrique à la formule maf¨ulo / mafa¨ilo / maf¨ulo / fa¨al, laquelle peut se combiner avec celle de l'hémistiche précédent. Par conséquent, si cette variante apparemment bancale est inadmis- sible pour la poésie syllabique, elle entre en revanche dans le cadre des licences autorisées de la poésie métrique traditionnelle. Il est évident que les vers de 13 syllabes ne sont pas tous susceptibles de se soumettre à ce double rythme syllabique et métrique. Inversement, ce double aspect n'est pas propre qu'aux vers de 13 syllabes, on peut le relever dans des vers de mesures différentes. Toutefois, cet exemple de distique ayant une variante gênante, la quantité de syllabes ou le schéma métrique n'étant pas celle ou celui attendu(e), prolifère aussi bien dans ces vers que dans les Fahlaviyat. C'est pourquoi il s'avère dans certains cas nécessaire de tester les deux analyses possibles pour savoir à quel type prosodique obéit la structure du vers. La mise à jour du fonctionnement de ces variantes mettra éven-

Áb—œ) et setamgar ( - - ∪: d~L), - dä et - gar ayant tous deux la valeur d'une syllabe longue. Je fais figurer conventionnellement cet- ä dans la translitération syllabique par (∩) qui est de la même durée qu'une voyelle longue ( -) en particulier dans la prononcia- tion archaïque et dialectale.

Journal Asiatique 287.1 (1999): 9-190 MYTHE HISTORISÉ DE L'ÉPOQUE ISLAMIQUE 97 tuellement fin aux nombreuses disputes qui ont opposé les textologues et savants rhétoriciens sur ce genre de problèmes. Jusqu'alors consternés par les multiples variantes issues de sources différentes, les chercheurs- éditeurs pourront plus facilement trancher pour le choix des leçons exac- tes et légitimes, après avoir, naturellement éliminé les fautes d'ortho- graphe. C'est par une bonne pratique de la métrique traditionnelle jointe à une maîtrise suffisante de la rhétorique qu'on peut lever le rideau sur une partie des mystères qui entourent les textes.

7. Paradigmes récapitulatifs des désinences personnelles dialectales (cas relevés uniquement dans les 3 versions étudiées ici) Signes: ⊃: radical présential; ⊇: radical prétérital; [ ]: quelques désinences relevées dans d'autres textes, à titre de comparaison.

Les copulatifs enclitiques du présent: 1ère pers. du sg.: ⊃ - ana / ⊃ - na // ⊃ - anan / ⊃- nan // ⊃ - anani / ⊃ - nani // ⊃ - ani / ⊃ - ni // ⊃ - im / ⊃ - m // ⊃ - an / ⊃ - wan. 2e pers. du sg.: ⊃ - ani / ⊃ - ni // ⊃ - i / ⊃ - iwa,. 3e pers. du sg. ⊃ a / ⊃ - -a // ⊃ - an / ⊃ - n // ⊃ - awan / ⊃ - wan // ⊃ - a / ⊃- na (négat. nia ) // ⊃ -wa // ⊃ - wan. 1ère pers. du pl.: ⊃ - im .

Désinences verbales du prétérit. 1ère pers. du sg.: ⊇ - im / ⊇ - m // - im ⊇ / - m ⊇ // ⊇ - an / - an ⊇ . 2e pers. du sg.: - t ⊇ / - it ⊇ [// ⊇ - i // ⊇ - it / ⊇ - t ].

Journal Asiatique 287.1 (1999): 9-190 98 M. MOKRI

3e pers. du sg. ⊇ - ø (zéro) //- is ⊇ [ / s ⊇ // ⊇ - is / ⊃ - s ]. 1ère pers. du pl.: ⊇ - me / - me ⊇ // ⊇ - ym (< - im ) // - man ⊇ [ / ⊇ - man ]. 3e pers. du pl. - san ⊇ / ⊇ - san [ // ⊇ - an ].

Remarques: - La désinence usuelle de la 3e pers. du sg. est ø (zéro). Toutefois, il existe (dans le B.- Kh. P., v. 8/8) une forme rifana t½U— dans laquelle le - a final est exceptionnellement ajouté, pour renforcer le sens du verbe. - A la 1ère pers. du pl., la terminaison typiquement gour. / awr. est - me. Cependant, lorsque par l'influence d'autres sous-dialectes, -im rem- place - me, et lorsque dans ce cas le radical est terminé par le son - a (ex. gour. luan / awr. luay «aller»), la voyelle postérieure - i se palatalise lé- gèrement et se transforme en - y: luaym (à la place de *lua'im). - L'une des étrangetés du gourani de ces textes est une similitude par- fois entre les 3e pers. du sg. et du pl. On observe ainsi que la forme néga- tive na-zana, du verbe zanan «savoir», s'applique aussi bien à la 3e pers. du sg. (B.- Kh. P., v. 5/2) qu'à la 3e pers. du pl. (D.- S. D., v. 59/4). Voir la répétition de ce procédé exceptionnel pour ce même verbe, à l'indic. présent.

Désinences verbales du parfait 1ère pers. du sg.: -im ⊇- an / - m ⊇ - an. 2e pers. du sg.: ⊇ - ani / ⊇ - ni // - it ⊇ - an. 3e pers. du sg.: ⊇ - an // ⊇ - anis // - s ⊇ - an // ⊇ - in (dans amin du verbe aman) 1ère pers. du pl.: - man ⊇ - an // - man ⊇ - a. 3e pers. du pl.: [ ⊇ - an // ⊇ - an ].

Journal Asiatique 287.1 (1999): 9-190 MYTHE HISTORISÉ DE L'ÉPOQUE ISLAMIQUE 99

Remarques: - Excepté à la 3e pers. du sg. pour laquelle les désinences sont - ø (zéro) au prétérit et - an au parfait, la majorité des terminaisons sont identiques pour ces deux temps, la distinction étant marquée uniquement par l'accent mis sur la dernière syllabe au parfait: amam «je vins» / amam «je suis venu». Il va de soi que cet accent du parfait concerne aussi la 3e pers. du sg. (en - an ). - La désinence - an (3e pers. du sg.) devient - a dans le verbe suffixal (en - awa / - wa, indiquant le retour ou la répétition, et équivalent au fran- çais re-) kaftan-awa «retomber»: kaftawa (à la place de *kaftanawa, litt. «il est retombé» (B. Kh. P., v. 83/6). Cette réduction pourrait être calquée sur le persan dont le participe passé est formé par l'adjonction de - a au radical du passé. - La forme - t ⊇ - an pour la 2e pers. du sg. est due à l'antéposition courante de la désinence. Voir - t dian «tu as vu» (B.- Kh. P., v. 2/2) du verbe din «voir». - Dans le relevé des verbes kurdo-gouranis, on observe une particula- rité propre au verbe dan «donner» qu'il est intéressant d'expliciter. Une des désinences de la 2e pers. du sg. étant normalement - ani, un - n euphonique est interposé entre - a final du radical du passé et le a initial de la terminaison; on obtient ainsi la forme danani «tu as donné». Or, le D.- S. D., v. 22/3 emploie la variante dadani à la place de danani. Le participe passé persan dada n'est certes pas indifférent à la composition de cette forme insolite et mixte, d'où la substitution de la dentale - d au - n euphonique. Il en est de même pour - s dadan (forme à désinence antéposée, 3e pers. du sg. dans le B.- Kh. P., v. 38/2), mis pour - s danan (<*dananis ).

Désinences verbales de l'impératif: 1ère pers. du sg.: ⊃ - ø (zéro) // ⊃ - a. Les désinences des 2e et 3e pers. du pl. sont similaires aux 2e et 3e du pl. du subj. présent: 1ère pers. du pl.: ⊃ - im // ⊃ - me.

Journal Asiatique 287.1 (1999): 9-190 100 M. MOKRI

2e pers. du pl.: ⊃ - an // ⊃ - ani // ⊃ - in / ⊃ - win // ⊃ - de ( / ⊃ - di ).

Remarques:

- L'impératif est formé sur le radical du présent, avec en réalité l'ad- jonction de la désinence ø (zéro) pour la 2e pers. du sg. et de désinences similaires à celles du subj. présent pour les 1ère et 2e pers. du pl. Pour la 2e pers. du sg., plusieurs combinaisons secondaires sont possibles, selon les nécessités de la prosodie ou la tonalité de la conversation: 1° Adjonction ou non du préfixe verbal bi- / bi. 2° Adjonction ou non d'un - a final, ce qui est le cas de la plupart des verbes. Néanmoins, les verbes dont les radicaux se terminent par - a, n'acceptent naturellement pas ce - a final: gelan (inf.) «circuler, tourner» / gela (bi-gela), impér. kesan (inf.) «tirer, traîner» / kesa (bi-kesa), impér. Toutefois, il arrive que l'un de ces verbes au radical en - a, possède à l'impératif une variante en - a, ce qui paraît brouiller cette loi phoné- tique. Or, cette apparente distorsion disparaît dès qu'on fait remonter le radical à une deuxième forme de l'infinitif, cette fois-ci sans - a. C'est le cas, par ex., du verbe kesan dont l'infinitif alterne avec celui de kesin. De kesin découle l'impér. kesa (/bi-kesa). Le verbe zanan / zanin «sa- voir» connaît les mêmes constructions à l'impératif: zana «sache» / ma- zana «ne sache pas, ne considère pas». Cette observation donne une ré- ponse à de nombreuses anomalies apparentes. Le S.- Î. A., ch. II/16 emploie l'impér. prohibitif ma-larz (du verbe larzan «trembler»). L'absence du -a du radical s'explique soit par l'existence du deuxième infinitif larzin, soit par l'influence de l'environ- nement phonétique, c'est-à-dire la proximité de la syllabe ma- (particule de prohibition). - L'impér. de nian / nan (persan nehadan) «mettre, poser», a été em- ployé dans le B.-Kh. P., v. 114/2, sous la forme binyar / bi-nyar ( < * be- niar) [2e pers. du sg.]. Cet impér. résulte d'un emprunt fait aux autres dialectes (sinayi, kirmachani,…) dans lesquels la forme véritable de l'in- finitif est niardin / niyardin (avec l'allongement postérieur de a en a, dans niardin / niyardin). Le radical du passé en est niard et celui du pré-

Journal Asiatique 287.1 (1999): 9-190 MYTHE HISTORISÉ DE L'ÉPOQUE ISLAMIQUE 101 sent, niar / niyar (binyar / binyar). L'infinitif proprement gourani est niardan. Il faut toutefois signaler qu'il n'y a aucun rapport étymologique entre niardan / niardan «envoyer» et nian (niyan) / nan «mettre, poser». C'est par une confusion sémantique que le texte a utilisé l'impér. binyar, en lui donnant le sens de «mets», emploi qui peut cependant être justifié par la lecture d'une acception métaphorique: pa binyar wa pes gOÄ Ë dOM UÄ «mets ton pied devant…», signifiant lit- téralement «envoie ton pied devant…». Ce type de glissement sémanti- que n'est pas sans précédent. - L'impér. (2e pers. du sg.) du verbe aman «venir», étant formé sur le radical du présent, est normalement a «viens», mais dans la pratique, il se présente sous la forme baw / bawa (< bi / b + a + w / wa ). Le - w / - wa est un suffixe verbal dont la forme intégrale est - awa, qu'on ajoute habituellement à la fin de l'infinitif, pour marquer la répétition d'une action. Qu'il s'agisse de aman «venir» ou de aman-awa «revenir», l'impér. est toujours baw / bawa «viens, reviens». Mais le fait inso- lite est cet impératif wara «viens, reviens» d'un emploi fréquent et synonyme de baw / bawa. Cette forme wara , d'une souche différente, n'a évidemment aucun lien étymologique avec les verbes aman / aman- awa. - L'impér. du verbe cirin / ci®in «appeler» est bicir, mais l'adjonction courante d'un - a final à la 2e pers. du sg. entraîne une modification de la durée de la voyelle du radical: bicir devient bicira / bici®a. - L'impér. du verbe dan «donner, frapper,…» oscille dans tous ces sous-dialectes entre bi-dar et bia / biya. Deux occurrences bi-darim (1ère pers. du pl. impér. et subj. présent) [D.- S. D., v. 26/2] et biayme (1ère pers. du pl. impér. et subj. présent) [B.- Kh. P., v. 34/2] illustrent parfaitement dans ces textes cet état de fait. C'est le gourani utilisé dans la région de Kirmanchah et sous l'influence de ses ramifications dialec- tales qui accorde la préférence à la forme bia et à ses dérivés, tandis que les parlers usités plus au nord pratiquent plutôt la forme bi-dar. Pour tou- cher un plus large public, les textes gouranis, quel que soit le genre auquel ils appartiennent, emploient indifféremment ces deux formes, comme c'est le cas d'ailleurs pour d'autres vocables ayant plusieurs va- riantes.

Journal Asiatique 287.1 (1999): 9-190 102 M. MOKRI

Désinences verbales de l'indic. présent et du subj. présent: 1ère pers. du sg.: /⊃ - u // ⊃ - ( o ) // ⊃ - i // [ ⊃ - im / ⊃ - m ] 2e pers. du sg.: ⊃ - i // ⊃ - e.// voir ⊃ - wi dans la forme buwi ( < bu + w + i , du verbe bun «être»). 3e pers. du sg.: ⊃ - o // voir ⊃ - y dans la forme kay, synonyme de ⊃ - o dans la forme karo, du verbe kardan «faire». 1ère pers. du pl.: ⊃ - im // [ ⊃ - an ] // ⊃ - me // voir ⊃ - wume dans la variante ancienne buwume, au lieu de bume. (du verbe bun «être») 2e pers. du pl.: ⊃ - in // voir ⊃ - win dans la forme buwin ( < bu + w + in, du verbe bun «être») // ⊃ - de // ⊃ - an / - an ⊃ // ⊃ - tan / - tan ⊃. 3e pers. du pl.: ⊃ - an // ⊃ - an // ⊃ - on // ⊃ - inan.

Remarques: - Le formatif du présent est ma, la voyelle - a se réduisant ou s'éclip- sant parfois devant le radical du présent. Cette particule correspond au persan mi -, et est équivalente du mokri da - et du sulaymani a -. Le sinay, le lur et plusieurs sous-dialectes parsemés entre Kirmanchah et le Luristan possèdent également un éventail de formes variées a -, e-, i -, aw -, maw -, ü -, u -. L'emploi de ce formatif ma - n'est pas obligatoire dans la pratique, pour un certain nombre de verbes. La voyelle de la particule bi- qui se place devant le verbe à l'impér. et au subj. présent, peut également être réduite ou omise: bi- / bi- / b-.

Le présent du verbe gourani watan (kirmasani watin, sorani wutin / watin, awr. watay) offre une curiosité intéressante. Sans qu'il soit néces- saire dans le cadre de ce traitement, de se référer à l'ensemble des va-

Journal Asiatique 287.1 (1999): 9-190 MYTHE HISTORISÉ DE L'ÉPOQUE ISLAMIQUE 103 riantes de la conjugaison de ce verbe, on peut relever quatre formes usi- tées dans ces textes, à savoir: maco (3e pers. du sg. de l'indic. présent) [B.- Kh. P., v. 10/2]. bacme (1ère pers. du pl. du subj. présent) [B.- Kh. P., v. 70/2]. macan (3e pers. du pl. de l'indic. présent) [D.- S. D., v. 43/6 et 8]. naci (2e pers. du sg. de l'impér. ou du présent négat.) [B.- Kh. P., v. 107/3]. Dans ces quatre emplois, la chute de la labiale w (proche d'une semi- consonne) et la fusion de - a - et de - a - en - a - a dû être motivée par une tendance à la simplification de la langue. Ce qui implique que les formes comportant le w d'origine, sont plus archaïques. Plusieurs dialectes gouranis (kandulayi, yarani,…) confirment cette évolution phonétique. Hormis l'impératif, peu de sous dialectes gouranis et awramanis ont gardé, sous sa forme apparente, ce - w - de la racine. - La similitude déjà signalée pour le prétérit, entre les 3e pers. du sg. et du pl., a aussi été observée pour le présent. Voir ma-zana (3e pers. du pl.) [D.- S. D., v. 3/5 et B.- Kh. P., v. 3/3] qui est identique à la 3e pers. du sg. du verbe zanan «savoir». - Le verbe luan «aller, marcher, partir» possède des formes particuliè- res du subj. présent qui sont les suivantes: 1° bilme (bilme / bi¬me) à la 1ère pers. du pl. (B.- Kh. P., v. 11/2). 2° bili (bi¬i) à la 2e pers. du sg. (D.- S. D., v. 51/3; B.- Kh. P., v. 68/4). 3° bi¬a (< bile) à la 3e pers. du sg. (B.- Kh. P., v. 112/3). 4° bi-le / bi-¬e à la 3e pers. du sg. (D.- S. D., v. 41/3). Dans ces exemples la chute d'un - u - médian a été motivée (comme le - aw dans le cas du verbe watan) par une tendance à la réduction, dans plusieurs sous-dialectes gourano-awramaniens. Le même phénomène s'est produit en persan (dans la langue parlée), pour le verbe raftan (équivalent de luan et de la même étymologie) qui perd son - av - mé- dian aux présents de l'indic. et du subj. (ex.: mi - ravi → mi - ri / be - ravi → be - ri ). Les terminaisons des trois dernières occurrences, à savoir - i, - a, - e, sont naturellement des variantes pour désigner la 3e pers. du sg. de l'in- dic. présent et du subj. présent, dont la forme typiquement gouanie est - o. Ces variantes proviennent d'emprunts des désinences aux différents dialectes (et sous-dialectes) kurdes.

Journal Asiatique 287.1 (1999): 9-190 104 M. MOKRI

- Le radical du présent sinaw se rapporte plutôt à l'infinitif gourani sinawan qu'aux infinitifs zinaftan et sinaftan (pers. sanidan / sonudan / senaftan «entendre» dont l'impératif est senaw). - Il existe une alternance dialectale en ce qui concerne le présent du verbe kardan (kurde: kirdin / kirin; pers. kardan) «faire». Les formes régulières des 3e pers. en gourani sont karo au sg. et karon / karan au pl. Les variantes kay (3e pers. du sg.) et kan (3e pers. du pl.) sont emprun- tées à la conjugaison de ce verbe en kurde. Cette alternance apparaît dans plusieurs sous-dialectes du kirmasani et du sinayi.

**

- On relève dans ces textes des formes particulières du verbes bun / bin «être», employé spécifiquement pour exprimer l'optatif: bam (1ère pers. du sg.): S.- Î. A, ch. II/17. naba [< na, adv. de négat. + ba] (3e pers. du sg.): D.- S. D., v. 51/2. nawa [< na, adv. de négat. + wa] (3e pers. du sg.): D.- S. D., v. 47/4.

- Le plus-que-parfait est construit, comme en persan, à partir du par- ticipe passé suivi du verbe être au passé-simple: nista-bi (3e pers. du sg., du verbe nistan (kurde nistin / da-nistin) «s'asseoir» [S.- Î. A., ch. II/2]. - Le subjonctif passé est construit, comme en persan, à partir du parti- cipe passé suivi du verbe bun / bin «être» au subj. présent.: kafta-bo (3e pers. du sg. du verbe kaftan «tomber») [D.- S. D., v. 38/4]. - On relève aussi dans le D.- S. D., v. 3/2, une forme passive du verbe wastan «projeter, faire tomber»: wastara (3e pers. du sg.).

**

Pour clore ces remarques lexicales, un relevé sommaire de certaines particularités phonétiques peut élucider quelques obscurités et formes confuses. - Le parfait (passé composé) gourani est en principe formé à partir du radical du passé, auquel on ajoute la désinence - ani (ou sa variante - ni) pour la 2e pers. du sg. Or le B.- Kh. P. (v. 84/5) porte, pour le verbe dan

Journal Asiatique 287.1 (1999): 9-190 MYTHE HISTORISÉ DE L'ÉPOQUE ISLAMIQUE 105

«donner» la forme insolite dadani, non conforme à la règle générale, au lieu de danani (< da-, radical du passé + n, euphonique + ani). La forme composite dadani résulte d'une combinaison du participe passé persan du verbe dadan «donner», à savoir dada, et de la désinence gouranie - ani. Cette occurrence n'est ainsi ni le persan dada'i, ni le gourani danani. - Une anomalie analogue à celle du verbe précédent s'est produite pour jumin (pers. jonbidan) «bouger, trembler». En effet, en gourani comme en persan, le prétérit se construit, pour la 3e pers. du sg., avec le radical du passé suivi de la désinence ø (zéro). Or le B.- Kh. P., v. 72/1, porte la forme composite jumid qui n'est ni le gouran jumi, ni le persan jonbid.: un - d final a été ajouté au radical du passé gourani par analogie avec le radical persan de ce verbe. Un autre verbe a subi ce même traitement: il s'agit de manan (kurde: manin, pers. mandan) «rester, demeurer». La 3e pers. du sg. est conju- guée sous la forme mand (B.- Kh. P., v. 83/4; S.- Î. A., ch. II/7) au pré- térit. Les formes authentiques en seraient man en gourani et mand en persan. De même, le parfait mandan (3e pers. du sg., dans le B.- Kh. P., v. 1/2 et dans le D.- S. D., v. 63/1) résulte d'un mélange entre le gourani manan et le persan manda-ast. - Dans le cas du verbe jian / jayin (pers. javidan) «mâcher», la 2e pers. du sg., à l'indic. présent, est devenue ma-jyani (B.- Kh. P., v. 68/2) au lieu de *ma-jiani, sous l'influence de l'entourage phonétique. - La mutation de l'occlusive labiale sonore (b) en semi-consonne (w) est un phénomène courant, non seulement dans les formes nominales, mais aussi dans les formes verbales, une alternance subsistant parfois même à l'intérieur d'un seul verbe. Voir ma-bo / na-wo / ni-ma-wo ap- partenant tous trois au verbe «être», relevé dans la rubrique des formes verbales. Voir aussi ma waro, du verbe burin / brin «couper, trancher».

Additif: Il convient de rectifier, dans la première partie, sous la rub- rique du verbe dan, la forme daro en daro (3e pers. du sg., indic. présent). De même, la forme - man hurda (< - man hurdan), du verbe hurdan, ne se rapporte pas à la 3e pers. du pl., mais à la 1ère pers. du pl.

**

Journal Asiatique 287.1 (1999): 9-190 106 M. MOKRI

L'analyse historique et la répartition régionale des différentes dési- nences personnelles (et de leur aspect apparemment oscillatoire) à l'inté- rieur de ces paradigmes usuels, soudant entre eux plusieurs idiomes con- génères, sont décrites dans d'autres études. Une nouvelle mise au point sera éventuellement insérée dans la 3e partie de cette triade ethno-lexi- cale. Il est vrai que j'ai longuement insisté sur ces subtilités grammaticales et phonétiques, élucidant certaines confusions et anomalies lexicales des formes verbales et des formes nominales. Mais la résolution de ces pro- blèmes linguistiques — qui exige une confrontation systématique de plusieurs dialectes — offre une clef essentielle pour la compréhension des pensées et notions transmises par les paroles écrites.

8. Mots-outils

Prépositions, suffixes et particules enclitiques nominales, adverbes, conjonctions, interjections.

- a, désinence ayant le sens de l'article défini. (D.- S. D., v. 54/2; v. 62/1; B.- Kh. P., v. 113/4). - a, désinence du compl. de nom précédé par un dém. (D.- S. D., v. 40/1-2; v. 42/1-2; v. 62/2; B.- Kh. P., v. 68/4). - a, désinence du vocatif. (D.- S. D., v. 7/1-2; B.- Kh. P. v. 2/1). - a, désinence d'un nom précédé par une prép. (B.- Kh. P., v. 9/3; v.11/2; v. 73/2). - a, prép. désinencielle, dans les expressions telles que gos-a dang-im (équivalent de gos wa dang-im) «nous prêtons l'oreille à une voix [que nous attendons depuis si longtemps]» (B.- Kh. P., v. 75/2). Comp. avec gos ba [har] dang-im (D. S. D., v. 29/2). - a (= an), marque du pluriel: nuh-Òad tamir-dana «neuf cents joueurs de tanbur» (S.- Î. A., ch. II/7). - a, désinence ayant le sens de l'article défini (B.- Kh. P., v. 21/3). - a, désinence d'un nom précédé par une prép. (D. - S. D.,v. 22/3; v. 3/2-4; 10/3-4; B.- Kh. P., v. 3/2; v. 11/2; v. 18/2; v. 53/4; S.-Î. A., ch. II/2; ch. II/7).

Journal Asiatique 287.1 (1999): 9-190 MYTHE HISTORISÉ DE L'ÉPOQUE ISLAMIQUE 107

- a, voyelle euphonique et sans valeur sémantique. (D.- S. D., yari-s-a v. 39/4; galla-s-a, v. 40/3; asb-is-a zard-an: B.- Kh. P., v. 21/3). agar, conj. (prononcée dans certaines zones lako-lur: ayar): «si». (B.- Kh. P., v. 25/3; v. 31/3). aw, prép.: «à». (B.- Kh. P., v. 25/4; D.- S. D., v. 3/3); «sur» (D.- S. D.,v. 73/1; 75/2; B.- Kh. P. v. 1/1); «vers, à» (B.- Kh. P., v. 19/3; v. 39/ 8; v. 43/3; v. 69/1-2; v. 100/2; 102/4; S.- Î. A., ch. II/16). - awa (après consonne), désinence du compl. de nom et d'un nom pré- cédé par une prép. (D.-S. D., v. 57/1-2; B.- Kh. P., v. 23/4; v. 24/2; v. 79/2). ay, interj. exprimant l'invocation: «ô». (D.- S. D., v. 2/1; v. 5/1; v. 24/4; v. 77/3-4; et dans les premiers hémistiches des versets 61 à 64 et des versets 67, 68, 73, 74, 75; B.- Kh. P., v. 33/5). awsa (< aw-sa), adv.: «à ce moment, alors». (D.- S. D., v. 43/8). ba, prép.: «avec». (D.- S. D., v. 26/1-2). ba, conj. «comme, à titre de» (S.- Î. A., ch. II/7). bala-y, prép.: «supérieur à», «sur». (32/1 et 3). baw (< ba + aw), prép. + dém.: «par ce: je jure par ce…». (D.- S. D., v. 10/3). baw (< ba + aw), prép. + dém.: «à ce», dans l'expression harda baw harda «de cette campagne à l'autre campagne, d'un lieu à l'autre» (= dans toutes les campagnes, de tous les lieux): (D.- S. D., v.14/5). ca (lur et lak za, et avec la variante dialectale ja en gourani), prép.: «de» (au sens ablatif) ou «dans», selon le contexte. (B.- Kh. P., v. 1/1-2; v. 3/2; v. 9/1; v. 15/1, 2, 4; v. 18/2; v. 19/2; v. 20/2, 3; v. 64/5; v. 66/1-2; v. 68/4; v. 80/2); S.- Î. A., ch. II/2; ch. II/7; ch. II/17; ch. II/19; D.- S. D., v. 3/2; v. 10/4; v. 27/1-2; v. 35/6; v. 43/2; v. 46/5; v. 49/2; v. 51/2; v. 52/2; v. 53/1, 2, 4; v. 56/1-2; v. 57/1-2; v. 59/1-2; v. 60/1-2; v. 64/1; 65/1; v. 73/2; et v.1/3; dans l'expression cawara [< ca + hawar + a, litt. elle est dans le cri «elle crie»]. Cette même locution se trouve dans le B.- Kh. P. v. 1/2 sous la forme ca hawar litt. dans le cri, «criant». Voir war-tar ca). Comp. av. haca (A. Bartholomae, Alti. Wb. 1746/1), pahl. hac, pers. az, plusieurs vers de Fahlaviyat portent ac ı«Ó et aj Ã«Ó . ca lay, loc. prép.: «du côté de». (D.- S. D., v. 65/1). cani, prép., sens principal marquant l'accompagnement: «avec» (D.- S. D., v. 26/4; S.- Î. A., ch. II/7); «face à» (D.- S. D., v. 7/2; v. 36/

Journal Asiatique 287.1 (1999): 9-190 108 M. MOKRI

7; v. 37/2; S.-Î; A., ch. II/7). canman (< cani + man, litt. «avec nous»: B.- Kh. P., v. 6/3). cani (pers. cand, candin), adj. ind.: «quelques, plusieurs». (D.- S. D., v. 29/1; v. 39/1-2; v. 40/2; v. 42/2). caw (< ca + aw), prép. + dém.: «de cela». (D.- S. D., v. 51/3). cay (< ca + i), prép. + dém.: «de ceci». (D.- S. D., v. 42/4). ci / ce (pers.), conj. équivalant à cun «comme» (dans l'expression ce gul-i rayÌana «elle est pareille à la rose et à la fleur»). (S.- Î. A., ch. II/2). cis, pron. interrog.: «quoi, quelle chose, que». (D.- S. D., v. 27/3; v. 36/7). Voir pay-cis. cun / cün, conj.: «comme, à l'instar de» (B.- Kh. P., v. 22/3; v. 68/2). - da, désinence d'un nom précédé par une prép. (41/4). daman, adv.: «bas, dessous». (B.- Kh. P., 9/3). dar-bala, adv. «au-dessus». (D.- S. D., v. 17/1-2). duma, adv.: «derrière» (D.- S. D., v. 28/3; S.- Î. A., ch. 11/16). - e, désinence ayant le sens de l'article indéfini. (D.- S. D., v. 27/1-2; v. 35/6; v. 39/3; v. 40/3; v. 43/2; v. 48/3; v. 53/2; B.- Kh. P., v. 18/2; v. 19/2; v. 20/2). esa / isa, adv.: «maintenant» (B.- Kh. P., v. 108/3; S.-Î. A., ch. 11/ 19). gird, adj. exprimant la totalité: «tous» (B.- Kh. P., v. 21/4; v. 78/1; S.- Î. A., ch. II/7; D.- S. D., v. 69/2: warja gird kuan «avant toutes les montagnes»); girdi (B.- Kh. P., v. 8/3 et 6). gist, adj.: «tout». (D.- S. D., v. 36/1). ha (comp. pers. han), interj. exprimant la mise en garde: «ô», «sache- le», «ainsi». (D.- S. D., v. 7/3; v. 22/1-2; B.- Kh. P., v. 25/1-2; 28/1-2; v. 31/1-2; 34/4; S.- Î. A., ch. II/7 ). hani, adv. exprimant un événement qui n'a pas eu lieu jusqu'ici, mais qui devrait avoir lieu bientôt (comp. pers. hanuz): «encore, plus». (D.- S. D., v. 63/1). har, adv.: «toujours, sans cesse», dans har â'i «qu'il vienne toujours» (S.- Î.- A., ch. II/5). har, adj.: «chaque», dans har saw «chaque nuit». (S.- Î. A., ch. II/5). har-ci, loc. conj.: «tout ce que». (D.- S. D., v. 46/4). har-ko / har-ku, loc. adv.: «où; partout». (D.- S. D., v. 27/2; S.-Î. A., ch. II/7).

Journal Asiatique 287.1 (1999): 9-190 MYTHE HISTORISÉ DE L'ÉPOQUE ISLAMIQUE 109

hay, interj. exprimant l'invocation: «ô». (D.- S. D., dans les premiers hémistiches des versets 69 à 72); hay: «ô, au secours». (B.- Kh. P., v. 42/1-2). hay, adv.: «encore, encore», «successivement», «sans cesse». (B.- Kh. P., v. 24/3). hay (onomatopée), cri de mise en route (B.- Kh. P., v. 25/4). hay-hay (onomatopée), cri de poursuite (S.-Î. A., ch. II/6). - i (kasrah), conj. «et»: tan- i puy «chaîne et trame». (B.- Kh. P., v. 4; ce gul-i rayÌana S.- Î. A., ch. II/2). - i (- y, après une voyelle), signe d'izafat (particule enclitique entre le déterminé et le déterminant): «de». (D.- S. D., v. 10/3; v. 27/1; v. 39/4; v. 43/ 3 et 7; B.- Kh. P., v. 12/1-2; 13/5). ja (variante dialectale de ca), prép.: «de». (D.- S. D., v.48/3; B.- Kh. P., v. 64/5). Voir war-ja. - la, suffixe nominal diminutif. (D.- S. D., v. 44/2; v. 49/1-2). - n - (son euphonique entre un mot finissant par une voyelle et un autre mot commençant par une voyelle): tu -n - i «tu es» (B.- Kh. P., v. 118/1); wa-n - is, litt.«à lui, sur lui» (D.- S. D., v. 69/2). na, adv. de négat. «ne, non». (D.- S. D., v. 7/2; v. 8/4; v. 50/1; v. 51/1). na, prép.: «dans». (D.- S. D., v. 22/4; v. 25/3; v. 66/2; B.- Kh. P., v. 13/5; v. 17/2; v. 109/3; v. 113/2; S.- Î. A., ch. II/7); «de» (B.- Kh. P., v. 107/4). nay (< na + i), prép. + dém. «dans ce» (B.- Kh. P., 24/4); «de ce» (B.- Kh. P., v. 108/4); na i «de ce» (B.- Kh. P., v. 107/4). pa, prép. suivi d'un n euphonique devant une voyelle: «avec, dans, à». (D.- S. D., v. 44/1-2; v. 46/1, 2, 4). Voir panim (pa + n + im) «à moi» (B.- Kh. P., v. 108/3). pari (pers. baray), prép.: «pour». (B.- Kh. P., v. 13/7; v. 21/1- 2; v. 99/3; v. 101/3; v. 102/4; 105/2; v. 107/3; v. 109/4; 112/3; v. 113/ 4). pay, prép.: «pour, sur la trace de» (litt. «à la suite de»). (D.- S. D., v. 20/1; B.- Kh. P., v. 10/3; v. 11/2; v. 13/6; v. 44/1-2); pay / pe «pour»: lara-lar-im pay (ou pe) bawara «apporte-moi le cheval lara-lar» (B.- Kh. P., v. 11/1). pay-cis, adv. interrog.: «pourquoi». (D.- S. D., v. 18/3).

Journal Asiatique 287.1 (1999): 9-190 110 M. MOKRI

pisa ( / pesa), conj. et adv.: «comme, à l'instar de». (D.- S. D., v. 53/ 4 et 7). posa ( / pawsa), conj. et adv.: «ainsi, de cette façon». (D.- S. D., v. 54/3; v. 55/3; S.- Î. A., ch. II/2). sun-i / dar-sun-i, loc. prép.: «à la suite de». (B.- Kh. P., v. 17/1); wa sun-i «à la suite de» (S.-Î. A., ch. II/17). ta, prép.: «jusqu'à». (B.- Kh. P., v. 18/2; v.19/2). u / o (après une consonne), conj.: «et». (D.- S. D., v. 49/2). - w -, particule euphonique entre un mot finissant par une voyelle et un autre commençant par une voyelle. (B.- Kh. P., v. 18/2; v. 19/2; v. 20/2). - w (après une voyelle), conj.: «et» (D.- S. D., v. 50/2; v. 51/2). wa, prép.: «à, vers» (D.-S. D., v. 7/3; v. 26/4; v. 65/3; B.- Kh. P., v. 114/2). wa, prép.: «à, jusqu'à», indiquant le but ou point final. (B.- Kh. P., v. 34/4). wa, prép. «dans». (B.- Kh. P., v. 28/1-2; 101/1). wa, prép.: «sur, au rythme de» wa hay wast, hay wast (B.- Kh. P., v. 24/3). wa, prép.: «transformé en» (D.- S. D., v. 3/4). wa, prép.: «à, à la suite de» (D.- S. D., v. 17/6; S.- Î. A., ch. II/17). wa, prép.: «avec», dans l'expression de wa xayr biani «ils viendront avec le bonheur» (D.- S. D., v. 71/2). Wa + un substantif joue la fonc- tion d'un adverbe: wa-zar «pleurant incessament et abondamment» (B.- Kh. P. v. 2/1). wa, prép.: «avec, par», dans l'expression wa dida-w gyan «avec / par l'oeil et l'âme» (B.- Kh. P., v. 70/2). wa, prép.: «pour, devant». (B.- Kh. P., v. 24/3). wa, prép.: «à titre de, pour, comme» (D.- S. D., v. 5/2; v. 44/4; B.- Kh. P., v. 109/2; v. 110/4; v. 115/3). wa, prép.: «dans, à» (D.- S. D., v. 14/5; v. 41/3; v. 51/3; B.- Kh. P., v. 28/1-2; v. 101/1; S.- Î. A., ch. II/17). wa, prép.: «par l'amour de, je te demande par, au nom de» (B.- Kh. P., v. 32/2; v. 102/2; le v. 91/3 de cette même version utilise le pers. be comme équivalent de ce wa). wa, prép.: «pour, envers» (B.- Kh. P., v. 68/3).

Journal Asiatique 287.1 (1999): 9-190 MYTHE HISTORISÉ DE L'ÉPOQUE ISLAMIQUE 111

wa, prép.: «selon, par». (B.- Kh. P., v. 23/4; v. 24/2; v. 39/4). wa, prép.: «d'une manière, en» (B.- Kh. P., v. 13/6). wa, prép.: «avec, au moyen de, à l'aide de» (B.- Kh. P., v. 100/2). wanis (wa + n + is), prép. + pron.: «à lui, sur lui». (D.- S. D., v. 69/2). was, adv.: «assez». (B.- Kh. P., v. 27/4). waw (< wa + aw), prép. + dém.: «dans ce». (D.- S. D., v. 41/4). waraw (< war-aw), loc. prép.: «vers, dans la direction de». (D.- S. D., v. 38/1). warja (

9. pronoms et adjectifs déterminants

a-, adj. dém.: «ce», dans le mot a®o / aru «ce jour-là» (B.- Kh. P., v. 68/4). amin, pron. 1ère pers. du sg., cas sujet (S.- Î. A., ch. II/2). ana, pron. dém.: «celui-là». (D.- S. D., v. 4/2; B.- Kh. P., v. 104/4). aw, adj. dém.: «ce… là». (D.- S. D., v. 32/5; v. 62/1; B.- Kh. P., v. 83/2). az, pron. pers. 1ère pers. du sg., cas sujet: «je, moi» (D.- S. D., v. 10/2; v. 27/3; B.- Kh. P., v. 39/2,5; v. 79/3; v. 99/2; S.- Î. A., ch. II/7 deux fois). Cas objet (accusatif): az-i-san kiast: Ils m'ont envoyé (D.- S. D., v. 44/3); az we zana litt. «je connais moi-même…» (S.- Î. A., ch. II/2.) ed / id, dém. et adv.: «cela», «ainsi». (B.- Kh. P., v. 63/4). ema, pron. pers. 1ère pers. du pl.: «nous». (D.- S. D., v. 43/2; B.- Kh. P., v. 23/3; v. 67/2; ema-y «nous le…»: B.- Kh. P., v. 35/2; 39/6-8; v. 43/3).

Journal Asiatique 287.1 (1999): 9-190 112 M. MOKRI

- i, adj. poss. enclitique de la 3e pers. du sg.: «son, sa». (D.- S. D., v. 74/2: Yar-Tamir yurt- i Khawandigar-an «Y.-T., sa “demeure” est visitée par Khawandigar»). i (pers. in ), pron./ adj. dém. sg.: «ce». (D.- S. D., v. 38/1; v. 39/1-2; v. 40/1-2; v. 42/1-2; B.- Kh. P., v. 104/3; v. 107/4; S.- Î. A., ch. II/17 dans l'expression i walaweta «ce choix bien fait» et ch. II/19 dans l'ex- pression i -m nadhr bi «cela est mon oblation») et dans la locution na ina (na + in + a) «c'est pour ceci, c'est pourquoi» (S.-Î. A., ch. II/7). - it / - t, adj. poss. enclitique, 2e pers. du sg. (D.- S. D., v. 2/2-3; v. 4/1; v. 36/1-6; B.- Kh. P., v. 102/3 ). kul (< ar. kull), pron. ind.: «tout». (D.- S. D., v. 40/4). - m (après voyelle), - im (après consonne), adj. poss. enclitique, 1ère pers. du sg. (D.- S. D., v. 28/1; v. 46/3; v. 49/3; v. 62/2; v. 71/2; B.- Kh. P., v. 22/2-3; v. 24/4; v. 76/1; v. 80/1; v. 82/2; v. 101/1). - m (après voyelle), pron. pers. enclitique accusatif, 1ère pers. du sg. (D.- S. D., v. 10/5; S.- Î. A., ch. II/19: ki zima'i-m «que tu m'éprou- ves»); - im (après consonne): dost-im-e ma-bo «il me faut un ami» (S.- Î. A., ch. II/5, et dans l'expression i -m nadhr bi «cela m'était une obla- tion», ch. II/19). Cas c. o. i.: -im pe bawara, litt. «apporte pour moi» (B.- Kh. P., v. 11/1). - man, pron. pers. enclitique, 1ère pers. du pl., accusatif (S.- Î. A., ch. II/19: rezna-man / rezina-man «il nous fait tomber»). min, pron. pers. 1ère pers. du sg., cas sujet «je, moi». (D.- S. D., v. 32/ 4); c. o. i. (datif), dans ca min «de moi». (D.- S. D., v. 35/6; v. 50/2); cas objet: min barzi wa ja «que tu me laisseras ici». (D.- S. D., v. 51/3). - s (après voyelle), - is (après consonne), adj. poss. enclitique de la 3e pers. du sg.: «son, sa». (D.- S. D., v. 1/4; v. 4/ 1 et 3; v. 38/4; v. 39/3, 4; v. 40/3-4; v. 42/3; v. 53/4; v. 54/1-2; v. 65/2; v. 77/3-4; B.- Kh. P., v. 15/4; v. 18/1; v. 19/1-2; v. 20/1-2; v. 22/4; v. 103/4). - s / is, pron. pers. enclitique accusatif, 3e pers. sg. (D.- S. D., v. 43/6; B.- Kh. P., v. 22/4; v. 37/4; v. 79/3; v. 110/4). - t, pron. pers., 2e pers. du sg., cas objet (D.- S. D., v. 3/1; 37/5-6; B.- Kh. P., v. 44/3). tu / tu (prononcé parfois «ta», dans certaines zones lures), pron. pers. 2e pers. du sg. cas sujet: «tu, toi». (D.- S. D., v. 36/7; v. 42/4; v. 46/1-2; v. 51/2-3; B.- Kh. P., v. 25/3).

Journal Asiatique 287.1 (1999): 9-190 MYTHE HISTORISÉ DE L'ÉPOQUE ISLAMIQUE 113

u, pron. pers., 3e pers. du sg.: «il, lui». (D.- S. D., v. 30/ 3, 4, 8). wanis (< wa + n + is, pron. pers.), litt. «à lui»: B.- Kh. P., v. 24/4. way (< wa + i adj. dém.): «je jure par ce…» (S.-Î. A., ch. II/2). wem, forme renforcée du pron. pers., 1ère pers. du sg.: «moi-même». (D.- S. D., v. 32/4). wesan (< we-san), forme renforcée du pron. pers., 3e pers. du pl.: «eux-mêmes». (D.- S. D., v. 43/7). wet (< we-t), forme renforcée du pron. pers., 2e pers. du sg.: «toi- même». (D.- S. D., v. 8/4; 37/4; B.- Kh. P. v. 8/2; S.- Î. A., ch. II/16; ch. II/17).

10. Substantifs et adjectifs

ada: «mère». (D.- S. D., v. 50/1; 51/1). aftaw (pers. aftab): «soleil». (B.- Kh. P., v. 22/4). alas: «jour prééternel» [< ar. alast, partie d'une expression coranique (VII, 172)]. (D.- S. D., v. 49/2; B.- Kh. P., v. 105/1). angustari: «bague» (B.- Kh. P., v. 8/1, 3, 8, 9). arama: «ordre, commandement». (B.- Kh. P., v. 39/4). a®o / aru: «ce jour», «ce jour-là» (B.- Kh. P., v. 68/4). asrin, équivalent de asr «larme». (D.- S. D., v. 1/4; B. Kh. P., v. 1/3; S.- Î. A., ch. II/2). aya (< ada): «mère». (B.- Kh. P., v. 67/1). ba: «père». (D.- S. D., v. 50/1; 51/1. Le B.- Kh. P., v. 67/1, dans l'hé- mistiche correspondant, rapporte le vocable nia «grand-père»). babu [< bab «père» + -u, suffixe diminutif affectif]: «père». (D.- S. D., v. 49/3; B.- Kh. P., v. 66/3). bal: «aile, bras». (D.- S. D., v. 37/6). balg (pers. barg): «feuille». (S.- Î. A., ch. II/7). bana (< pers. banda): «homme, créature de Dieu». (D.-S. D., v. 46/5; B.- Kh. P., v. 64/5). band: «barrage». (D.- S. D., v. 38/1; v. 59/1; S.- Î. A., ch. II/7); ban (B.- Kh. P., v. 83/2). band: «attache». (B.- Kh. P., v. 87/1). bang-i Yari: «appel à la foi de la Voie de l'Ami». (D.-S. D., v. 43/8).

Journal Asiatique 287.1 (1999): 9-190 114 M. MOKRI

bani: «enchaîné, prisonnier». (D.- S. D., v. 63/2). bar: «charge», «grossesse». (D.- S. D., v. 40/4). bar (< ar. baÌr): «mer». (B.- Kh. P., v. 18/2; v. 106/3). ba®a: «branche, tribu» (S.- Î. A., ch. II/2). bard: «pierre». (B.- Kh. P., v. 40/3). bar-i Chah-nahad: «chargement posé par le Chah». (B.- Kh. P., v. 120/1). barza-mili q Á“d, litt. «au cou haut» (équivalent du persan gardan- faraz “«d ÊœdÖ): «orgueil». (S.- Î. A., ch. II/17). bas: «part». (D.- S. D., v. 68/2). bas (pers. beh): «mieux, supérieur» [ne pas confondre avec le turc bas «tête»] (B.- Kh. P., v. 78/2; v. 87/2); bon (B.- Kh. P., v. 98/4; v. 112/1). bas-kar: «le distributeur». (D.- S. D., v. 68/2). bawr: «cheval, monture». (B.- Kh. P., v. 39/4; v. 76/3; S.- Î. A., ch. II/16). bazayi: «pitié, compassion». (S.- Î. A., ch. II/19). beband-beband-a (expression persane + copule gouranie - a «est»): «on arrête, on arrête». (D.- S. D., v. 41/2). be-gard, litt. «sans poussière»: «sans défaut, intègre» (B.- Kh. P., v. 39/5). begir-begir-a (expression persane + copule gouranie -a «est»): «on s'empare, on s'empare». (D.- S. D., v. 41/1-2). biaz, mot obscur, éventuellement «obstacle», dans l'injonctif makara biaz «ne fais pas obstacle» (B.- Kh. P., v. 101/2). bo «odeur, parfum» (D.- S. D., v. 7/1-2; v. 8/1, 2, 4). brindar: «blessé», «au cœur blessé». (B.- Kh. P., v. 62/3). bulur-dan: «connaisseur du bulur, joueur de bulur». (S.- Î. A., ch. II/ 7). cam rÓÇ (mot commun au lur et au gourani): «oeil». (D.- S. D., v. 1/ 4; B.- Kh. P., v. 1/3; S.- Î. A., ch. II/2). comp. avec pers. casm, kurde caw ËUÇ (sor.) / caw uÓÇ (kirmasani) / cav et ca¨v íFÓÇ (kurm.). casm-dast (au sens du persan casm-dar / dida-dar): «voyant», «qui a l'oeil sur» (S.- Î. A., ch. II/12). cawasan (= cawusan): «les hérauts». (D.- S. D., v. 43/4). cina: «graine». (B.- Kh. P., v. 82/2).

Journal Asiatique 287.1 (1999): 9-190 MYTHE HISTORISÉ DE L'ÉPOQUE ISLAMIQUE 115

cina wa cina: litt.«d'une couche de brique de terre à l'autre» (= d'un habit corporel à l'autre) (D.- S. D., v. 17/6). cira (< pers. cerag): «flambeau, lampe». (B.- Kh. P., v. 47/2). cis (pers. ciz): «chose». (B.- Kh. P., v. 78/4). -ci: «connaisseur du daf, joueur de daf». (S.- Î. A., ch. II/7). daman: «bas, partie basse» (ja sar ta damana «de haut en bas», «to- talement»: B.- Kh. P., v. 9/3). dam-i Yari: «le chant et la musique des yar (F. de V.)» (S.- Î. A., ch. II/7). dan ( / dang): «voix»: nisastam bar sar-i dan «je me suis assis dans l'attente d'une «Voix» [qui devrait retentir]» (B.- Kh. P., v. 83/1) dana: «sage». (D.- S. D., v. 5/1; v. 10/1; S.- Î. A., ch. II/2). dang: «voix». (D.- S. D., v. 29/2; B.- Kh. P., v. 75/2; S.- Î. A., ch. II/7). dar (pers. deraxt): «arbre» (S.- Î. A., ch. II/7). darband: «forteresse, endroit difficile d'accès dans une montagne» (S.- Î. A., ch. II/17). darya-baran, signifie en persan «les mers ou les rivages de la mer». Mais dans le S.- Î. A., ch. II/7, le vocable bar est une prononciation kurdo-gouranie de l'arabe baÌr (équivalent du persan darya). La forme redondante darya-baran signifie donc «grandes mers». darz (dans la locution wa-darz), forme elliptique, équivalant au kurdo- persan darzi «le tailleur»: «Mille cavaliers sont apparus, l'un d'entre eux connaissait l'art de la couture» (B.- Kh. P., v. 19/1). das / dast (pers. dast): «main» (B.- Kh. P., v. 28/1-2). dast-u dar: «les plaines et les vallées». (D.- S. D., v. 70/1). daw: «guerre, aventure». (B.- Kh. P., v. 104/1-2). dawa (ar. da¨wa): «querelle, dispute» (B.- Kh. P., v. 78/5). dayr: «temple». (D.- S. D., v. 39/1-2; v. 40/1-2; v. 42/1-2). dhat (ar.): «Essence». (D.- S. D., v. 69/2). diar (forme populaire du persan didar, mais au sens de padidar): «ap- parent» (B.- Kh. P., v. 21/3 et 22/2). dida: «oeil». (D.- S. D., v. 26/1-2; B.- Kh. P., v. 70/2). dida-dar: «voyant, celui qui a l'oeil aux aguets» (S.- Î. A., ch. II/ 19). dida-dari, action et préoccupation du dida-dar. (S.- Î. A., ch. II/19).

Journal Asiatique 287.1 (1999): 9-190 116 M. MOKRI

dida-wani (pers. dida-bani): «garde, observation à partir d'une tour». (B.- Kh. P., v. 10/2). dil (pers. del): «cœur» (S.- Î. A., ch. II/8). Diwan-i a¨la: «l'Assemblée suprême». (D.- S. D., v. 17/3); Diwan-i naw: «Nouvelle Assemblée» (D.- S. D., v. 64/2). du-dam: «à double tranchant». (B.- Kh. P., v. 103/4). du-hu, mot obscur, mais d'après le contexte «action de différer»: «Binyamin déclara: ô Roi, grâce, tu as du-hu [= tu repousses l'accom- plissement de tes promesses], mais tu n'as pas durug [= mais tu ne mens pas]». (S.- Î. A., ch. II/19). dun (mot d'origine turque) «habit dans lequel on s'incarne» (B.- Kh. P., v. 93/2; S.- Î. A., ch. II/1 et II/17). dun wa dun: «d'un habit à l'autre», «d'une incarnation à l'autre». (D.- S. D., v. 17/6). dur (ar. durr): «perle» (S.- Î. A., ch. II/3). durr-i na-sufta: «perle intacte». (D.- S. D., v. 32/3). duxt / doxt (déformation du persan duxta): «cousu» (B.- Kh. P., v. 47/3). falaxan: «fronde, lance-pierres». (S.- Î. A., ch. II/14). fard (terme technique): «registre, note, fiche de recensement fiscal» (B.- Kh. P., v. 39/8; v. 43/3). feroz [forme négligée de feroza, pers. firuza / piruza «turquoise»]: «à la teinte turquoise; bleu-vert». (D.- S. D., v. 28/1; B.- Kh. P., v. 76/1). gala / galla (pers. galla): «troupeau» (D.- S. D., v. 40/3). gard: «poussière». (D.- S. D., v. 54/2; B.- Kh. P., v. 40/4). gas: «goût âpre» (B.- Kh. P., v. 1O3/4), mais la lecture kas (= per- sonne) est plus probable dans le B.- Kh. P., v. 24/4. gaw (pers. gav, kurde gaw): «boeuf» (B.- Kh. P., v. 15/4). gawahi: «témoignage». (B.- Kh. P., v. 105/2). gaw-i kuhi, litt. «boeuf de montagne, bouquetin». (D.- S. D., v. 15/3; B.- Kh. P., v. 94/2). gaw-yar (pers. gav-dar): «bouvier» (S.- Î. A., ch. II/6). Comp. avec le kurde sor. gawan. gaw-yari (pers. gav-dari), métier et occupation du bouvier. (S.- Î. A., ch. II/6). gaz: «morsure» (S.- Î. A., ch. II/7).

Journal Asiatique 287.1 (1999): 9-190 MYTHE HISTORISÉ DE L'ÉPOQUE ISLAMIQUE 117

gej-i †af: «tourbillon de tempête». (B.- Kh. P., v. 108/2). girma (onomatopée): «le son retentissant» (D.- S. D., v. 43/3). gul:«la fleur; la rose» [dans l'expression gul-u sammama ] (B.- Kh. P., v. 107/2; v. 109/2; v. 111/3; v. 112/2; v. 115/3; v. 119/4): nom se- cret de Musi / Muqbil. gulaman: «les Pages». (D.- S. D., v. 77/2; B.- Kh. P., v. 104/1-2). gyan: «âme, vie,…». (D.- S. D., v. 26/1-2; B.- Kh. P., v. 70/2). ham-dam (pers. ham-dam): «compagnon» (B.- Kh. P., v. 115/3). Îaq-bin: «celui qui voit la Vérité» (B.-Kh. P., v. 64/5); Îaq-binan: «ceux qui voient la Vérité». (D.- S. D., v. 37/3). hard (pers. ard): «farine, poudre». (B.- Kh. P., v. 40/3). harda: «campagne, lieu». (D.- S. D., v. 14/5). hasan: «pierre à affûter». (D.- S. D., v. 31/2). hawar —«u ‚ «cri, gémissement, cri de secours». (B.- Kh. P., v. 1/2; S.- Î. A., ch. II/2); hawar «secours, cri de secours» —«ËU ( B.- Kh. P., 11/2). hay wast - hay wast (litt. «il s'est projeté continuellement, il s'est pro- jeté continuellement»), nom d'un chant à la gloire de Sultan-Sihak (B.- Kh. P., v. 24/3). hindi: «de l'Inde», allusion à Mir-Hindu. (D.- S. D., v. 42/3); «de couleur sombre [comme les habitants de l'Inde]» (B.- Kh. P., v. 79/1). homayun, utilisé improprement pour homa, nom d'un oiseau semi-lé- gendaire et de bon augure (S.- Î. A., ch. II/17). Ìukm-i mur-i mar: «commandement sur les fourmis et les serpents». (D.- S. D., v. 15/3). huz: «tribu, famille». (B.- Kh. P., v. 76/3). ija (< ar. ijad): «créé». (B.- Kh. P., 50/1). iqrar (en ar. et pers.: «aveu»): «promesse» (S.- Î. A., ch. II/19). jam (ar. jam¨): «assemblée rituelle» (B.- Kh. P., v. 115/1, 2, 4; S.- Î. A., ch. II/17). jam-i mastan: «Assemblée des ivres [de Dieu]». (D.- S. D., v. 67/2). jasad (mot arabe): «corps, chair». (D.- S. D., v. 39/4). jaxt (< ar. jahd): «[destrier] rapide». (D.- S. D., v. 39/4). juft: «paire de boeufs attelés avec le joug, pour labourer la terre» (S.- Î. A., ch. II/6). juft / joft (pers.): «égal, pair» (B.- Kh. P., v. 10/1).

Journal Asiatique 287.1 (1999): 9-190 118 M. MOKRI

kabatayn (< ar. ka¨batayn), litt. les deux os des chevilles: «les deux dés» (S.- Î. A., ch. II/8). kac-bin (comp. pers. kaj-bin): «celui qui voit de travers». (B.- Kh. P., v. 64/5). kala: «marchandise». (D.- S. D., v. 17/4; B.- Kh. P., v. 62/4; v. 96/3). kalla-gaw: «tête de boeuf» (B.- Kh. P., v. 46/1). kama (équivalent du persan kami) «défaut» (B.- Kh. P., v. 22/4). kaman: «arc». (B.- Kh. P., v. 51/1). kamancan: «les kamantcha». (D.- S. D., v. 43/3). kamar: «falaise; paroi rocheuse» (B.- Kh. P., v. 79/2). kandu (kurde kirmansani kanu): «ruche» (S.- Î. A., ch. II/7). kasa-mast: «pot de yaourt». (S.- Î. A., ch. II/18). kas-nazan: «lieu dont personne ne connaît l'emplacement». (S.-Î. A., ch. II/2). kas: «montagne». (B.- Kh. P., v. 82/2). kaw: «grotte, fissure dans la montagne». (B.- Kh. P., v. 104/3). kawuy [= kaw / kawu] (pers. kabud): «grisâtre, bleuâtre». (B.- Kh. P., v. 80/1). kinacan: «les filles». (D.- S. D., v. 43/7). kica-jaf: «jeune fille de la tribu Djaf». (B.- Kh. P., v. 108/3). kis (pers. tarkas: tir-kas): «carquois» (B.- Kh. P., v. 115/4). ko (= kaw): «grotte, fissure de la montagne, montagne, colline». (B.- Kh. P., v. 107/4). kuran: «les aveugles». (D.- S. D., v. 59/4; B.- Kh. P., v. 90/4). kur-ba†inan: «les aveugles du cœur». (D.- S. D., v. 77/3; B.- Kh. P., v. 6/3). kurra (< kur / kurr / ku® «fils» + -a, particule finale vocative). Le B.- Kh. P. v. 2/1 l'utilise en s'adressant à Djalala, mère de Ch. Kh.: dans ce cas, il a le sens plus général d' «enfant». laka-dar: «taché» (S.- Î. A., ch. II/16). lalan: «les cornalines». (D.- S. D., v. 32/3; B.- Kh. P., v. 87/2; S.- Î. A., ch. II/7); la¨lan «les cornalines» (B.- Kh. P., v. 47/3). lara-lar, nom d'un cheval dans la tribu de Mirza-Aman. (B.- Kh. P., v. 11/1). law-i †ufan: «limons déposés par la tempête». (D.- S. D., v. 48/3). lew / liw [et liw] (pers. lab): «bord, rive». (B.- Kh. P., v. 73/2).

Journal Asiatique 287.1 (1999): 9-190 MYTHE HISTORISÉ DE L'ÉPOQUE ISLAMIQUE 119

lu (pers. la): «pli», dans les expressions du-lu et si-lu «plié en deux» et «plié en trois». (S.- Î. A., ch. II/16). mah-i saywan (comp. pers. mah-ca-y sayaban): «petit croissant sur- montant ou ombrelle» (B.- Kh. P., v. 20/2). mal: «oiseau». (B.- Kh. P., v. 94/2). mal: «maison, demeure». (D.- S. D., v. 57/1). malawan: «nageur». (D.- S. D., v. 47/3; B.- Kh. P., v. 65/4). malawani: «natation». (B.- Kh. P., v. 80/2); milwani (S.- Î. A., ch. II/8). manand (signifiant en pers. «comme, à l'instar de»): «égal à» (S.- Î. A., ch. II/7). maqam-i Yari: «mélodie de la foi des compagnons» (S.- Î. A., ch. II/ 17). mardan-i Òarraf: «hommes experts distinguant le bon aloi du mau- vais» (B.- Kh. P., v. 62/4). marz: «limite, frontière». (B.- Kh. P., v. 19/3; S.-Î. A., ch. II/16). maydan / maydan (ar.): «lice, terrain de polo» (B.- Kh. P., v. 20/3). mazyu ue (B.- Kh. P., v. 8/10), forme archaïque défectueuse et figée dont la représentation serait en ancien gourani ma-zanyan ou plutôt ma- zanyu «je supposerais», de l'infinitif zanian / zanyan (actuellement zanistin, zanin, zanan) «savoir». Mazyu possède un équivalent, tu-maz eu Ø e9, en kirmasani, de même origine et qui signifie «tu supposes, tu imagines». Ces deux mots exprimant des nuances de probabilité et de supposition sont d'origine verbale et ont été lexicalisés. La chute des syllabes -an- dans ma-zanyu et - ani - dans tu mazani remonterait à des dates anciennes. mil, forme gouranie apocopée de milwan, dans l'expression Milwani - mil, au lieu de Milwani - milwani «natation, natation» (S.- Î. A., ch. II/8). milwani: «nage, natation» (S.- Î. A., ch. II/8). mird / merd: «homme». (D.- S. D., v. 45/3); mirdan / merdan: «les hommes» (D.-S. D., v. 30/2; v. 43/7); merd-i nahang: «l'homme capa- ble d'affronter les requins». (D.- S. D., v. 29/4). mizgani:«bonne nouvelle». (D.- S. D., v. 26/5; v. 41/5; B.- Kh. P., v. 71/1 et 3). molaq (de l'ar. mu¨allaq) «culbute» (B.- Kh. P., v. 100/3).

Journal Asiatique 287.1 (1999): 9-190 120 M. MOKRI

muhr (dans l'expression persane muhr gardidan, litt. «être scellé»): «s'achever, prendre fin» [pour une conversation ou une Assemblée] (S.- Î. A., ch. II/19). muhr-i padsahi: «le sceau du royaume». (D.- S. D., v. 57/4). nahang: «requin». (D.- S. D., v. 14/5; B.- Kh. P., v. 75/4). nala: «gémissement». (D.- S. D., v. 43/3). naqd: «monnaie, capital» (S.- Î. A., ch. II/4). naxt (< ar. naqd «argent comptant, richesse»): «valeur, fortune». (D.- S. D., v. 39/3; dans S.- Î. A., ch. II/4: naqd). nay: «roseau, flûte». (D.- S. D., v. 43/3; S.- Î. A., ch. II/7). naz: «douceur affectée, minauderie». (D.- S. D., v. 32/2; B.- Kh. P., v. 91/3; v. 100/2; v. 112/1). Dans le vocabulaire religieux et mythique, ce mot signifie «amour, sainteté, respect». naz-bas: qui inspire un amour suprême ou qui manifeste un bon amour (B.-Kh. P., v. 112/1). naz-kes, cette expression est ici employée dans un sens passif: «dont on sollicite l'amour» (B.- Kh. P., v. 114/1). wa naz-i Khochin: «[je jure] par la sainteté de Kh. et par l'amour qu'il inspire» (B.- Kh. P., v. 100/2; v. 102/2). nazar: «qui fait des minauderies», «cher, saint». (B.- Kh. P., v. 99/1; v. 100/2). ner (pers. nar): «viril, mâle» (D.- S. D., v. 40/3-4). nigin: «chaton» (B.- Kh. P., v. 8/5). nil: «indigo» (S.- Î. A., ch. II/8). nisan ÊUAO: «signe» (B.- Kh. P., v. 20/1); nisan ÊUA (B.- Kh. P., v. 14/3). nisani: «signe». (D.- S. D., v. 61/2; v. 72/2). pal (sor. palamar): «attaque». (B.- Kh. P., v. 18/2; v. 19/2; v. 20/ 2). palang: «léopard». (B.- Kh. P., v. 93/1; v. 97/3). palangaz (< palang-gaz): «morsure de léopard». (D.- S. D., v. 11/4; v. 13/5; v. 15/5; S.- Î. A., ch. II/4); palang gaz (B.- Kh. P., v. 52/4; 92/ 4). parcin: «haie». (D.- S. D., v. 18/3). parmin. Mot de sens obscur, probablement «dispute, querelle» (B.- Kh. P., 78/5).

Journal Asiatique 287.1 (1999): 9-190 MYTHE HISTORISÉ DE L'ÉPOQUE ISLAMIQUE 121

paygam: «message». (D.- S. D., v. 43/2). picwapic êOÄ«uâOÄ (pers. picapic): «sinueux, tortueux» (S.- Î. A., ch. II/7). pemza ÁeLOÄ, ce mot m'est inconnu; d'après le contexte, il désigne éventuellement une plante contenant une substance adragante. (B.- Kh. P., v. 68/2). Pir: «guide». (D.- S. D., v. 41/5). pirsing @M dÄ: «éclat, éclaboussure» (S.- Î. A., ch. II/19). po / pu: «chaîne». Cf. tan-i po. Qabala: «Document». (D.-S. D., v. 17/10; v. 57/4; B.-Kh. P., v. 98/ 1; 99/3; 100/3; 101/3; 102/4; 104/2 et 3; v. 106/4; v. 107/3-4; v. 108/ 4; v. 109/4; v. 112/3; v. 113/4; v. 114/3; v. 115/2; v. 116/4; v. 117/4; 118/4; S.- Î. A., ch. II/18); Qabala-y qadim: «Ancien Document» (D.- S. D., v. 41/3); Qabala-y Sirr «Document du Secret» (B.- Kh. P., v. 114/3; v. 115/2);Qabala-y sahi «Titre de possession du royaume» (D.- S. D., v. 60/4); Qabala-y Chah-nahad «Document posé par le Chah» (B.- Kh. P., v. 116/4); Qabala-y Chah-naha'i «Document posé par le Chah» (B.- Kh. P., v. 117/4). qapan: «romaine, balance formée d'un fléau à long bras». (D.- S. D., v. 30/ 2, 7; B.- Kh. P., v. 85/2; v. 86/2; S.- Î. A., ch. II/4). qawl-ga: «lieu de promesse». (B.- Kh. P., v. 117/3). qaymaq: «crème épaisse à la surface du yaourt» (S.- Î. A., ch. II/ 18). qirr: «massacre, ravage public». (D.- S. D., v. 43/5). qiÒa-y avval: «oracle ancien». (D.-S. D., v. 43/6). quc-i zard: «bélier jaune». (S.- Î. A., ch. II/19). rama-zan: «voleur du troupeau» (B.- Kh. P., v. 10/1). rama-zani: «rapt du troupeau» (B.- Kh. P., v. 21/1-2). rawar (sor. raw-kar): «chasseur»; «guide» (pers.: rah-bar). (B.- Kh. P., v. 48/2). rizq (ar.) ‚“—: «nourriture, provisions de vivres» (D.- S. D., v. 38/4). Le B.- Kh. P., v. 83/6 l'emploie sous la forme rixÒ (= rikhÒ) h—, avec la mutation de z en Ò et de q en x (= kh), puis la métathèse des deux der- nières consonnes. ®o / ru: «jour». (D.- S. D., v. 51/3; B.- Kh. P., v. 80/3). ro / ru: «enfant». (D.- S. D., v. 50/1; v. 51/1; B.- Kh. P., v. 67/1).

Journal Asiatique 287.1 (1999): 9-190 122 M. MOKRI

rociar / rociyar: «soleil» (B.- Kh. P., v. 74/3, pour des questions de rythme, il se prononce ici en 3 syllabes avec une diérèse). roft / ruft: «rapt». Mot forgé dans le B.- Kh. P., v. 10/3, à partir de l'infinitif persan robudan «ravir, dérober», et pris comme la racine du passé de ce verbe. roz (pers. ruz): «jour». (D.- S. D., v. 29/4; B.- Kh. P., v. 80/3). rubab: «rebec». (D.- S. D., préambule du ch. 5; v. 44/1-2). ruju (< ar. ruju¨): «référence», «retour». (D.- S. D., v. 42/4). safaq-kes, litt. «qui tire au crépuscule»: le responsable des ten- tes, préparant le départ de la suite du Roi au crépuscule. (B.- Kh. P., v. 41/4). sa¨at (mot arabe): «heure», «temps». (D.- S. D., v. 39/2; v. 40/2; v. 42/2). safta-saft / sifta-sift, au sens incertain. Peut-être «troublé, brouillé» (B.- Kh. P., v. 70/3). ∑aÌib-zaman: «Maître du temps». (D.- S. D., v. 4/3). sah-malawan (chah-malawan), litt.«le roi-nageur»: «meilleur na- geur». (D.- S. D., v. 35/6; v. 36/6; v. 48/2; B.- Kh. P., v. 68/1; v. 77/3; S.- Î. A., ch. II/7). sahpara, signifie «papillon» en persan et «abeille» dans le S.- Î. A., ch. II/7. saj-i Nar (litt. «poêle enflammé»), nom d'un arbre sous lequel le Roi a renouvelé son pacte avec ses compagnons (S.- Î. A., ch. II/19). Cette histoire a déjà été traitée dans le commentaire du verset 15 du Dawra-y guruh-guruh (J. A., 1995, p.328 et suiv.). salamali, forme populaire de l'arabe salam ¨alaykum«salut à vous!» (S.- Î. A., ch. II/2). sam (saam), avec un a bref prolongé (< ar. sam¨) «bougie», métapho- riquement «lumière», nom secret de Ch. Kh. (B.- Kh. P., v. 22/3; sam¨ v. 23/4; v. 115/4). sammama, sorte de petite pastèque ronde et parfumée qu'on malaxe dans la main pour embaumer les doigts. (B.- Kh. P., v. 102/3; v. 103/3; v.105/3; v. 107/2; v. 109/2; v. 110/4; v. 111/3; v. 112/2; v. 115/3; v. 119/4; v. 120/4): nom secret de Rada, Muzin. sang-dana (?), éventuellement une cachette dans un rocher (S.- Î. A., ch. II/16).

Journal Asiatique 287.1 (1999): 9-190 MYTHE HISTORISÉ DE L'ÉPOQUE ISLAMIQUE 123

sar†: «promesse», «loi par laquelle les Fidèles sont liés par leur enga- gement» (B.- Kh. P., v. 70/2). sar†-u sun «les lois et les traditions» [= l'engagement d'adhésion et le respect des traditions] (B.- Kh. P., v. 93/1). sar-u pacan: «les nobles et les vilains». (D.- S. D., v. 42/4; v. 43/1-2). saw: «affûtage». (D.- S. D., v. 31/2). saw (pers. sab): «nuit». (D.- S. D., v. 62/1; B.- Kh. P., v. 80/3; S.- Î. A., ch. II/5 et II/16). saxt: «dur, difficile». (B.- Kh. P., v. 70/2). Òayd: «gibier, chasse». (D.- S. D., v. 79/2; S.- Î. A., ch. II/2). saz: «instrument de musique». (D.- S. D., v. 42/3). sazanda: «musicien». (D.- S. D., v. 42/3). ser: «lion». (B.- Kh. P., v. 97/3). simat UL (de l'arabe sima† ◊UL «la nappe»), ici, la surface de la terre (B.- Kh. P., v. 109/4). su: «lueur». (D.- S. D., v. 8/4). suan (pers. saban:): «berger». (D.- S. D., v. 40/3). suma'in 5zUu (?) (S.- Î. A., ch. II/17). sun: «trace, piste» (S.- Î. A., ch. II/16). sun-baran: «dépisteurs, ceux qui étaient habiles à retrouver les ani- maux volés ou les êtres humains en les suivant à la trace» (S.- Î. A., ch. II/17). sur: «rouge». (D.- S. D., v. 18/6). surani: «petit chien». (S.- Î. A., ch. II/19). sutun «la colonne, l'appui; le support». (B.- Kh. P., v. 93/3). swen / swin su (?), probablement «feuille, habillement» (S.- Î. A., ch. II/19). ta (pers. ta): «fond» (B.- Kh. P., v. 39/7). ta / ti, déformation de l'arabe †ay «parcouru» (S.- Î. A., ch. II/17). †af «tempête» (B.- Kh. P., v. 108/2). talan: «pillage». (D.- S. D., v. 32/5; B.- Kh. P., v. 87/3; S.- Î. A., ch. II/7). tamira-dan: «connaisseur du tanbur, joueur de tanbur» (S.- Î. A., ch. II/7). tan-i puy (pers. tar-o pud): «chaîne et trame» (B.- Kh. P., v. 80/4; tan-i pu, v. 107/2).

Journal Asiatique 287.1 (1999): 9-190 124 M. MOKRI

tar-i muy: «un seul cheveu». (D.- S. D., v. 37/10; B.- Kh. P., v. 50/ 4); tay muy (B.- Kh. P., v. 49/3; v. 89/3). tas: «bassin». Dans le B.- Kh. P., v. 101/1, il s'agit plutôt du mot apocopé tasa / tasa «attente mêlée d'espoir et d'inquiétude». tas (mot d'origine turque): «montagne; pierre». (B.- Kh. P., v. 98/1; v. 104/3; v. 107/4; v. 108/4; v. 112/3; v. 113/4). tay / ta (pers. tar): «un brin de cheveu» (B.- Kh. P., v. 49/2). tayar / tayyar: «prompt, prêt». (B.- Kh. P., v. 84/3). tir-i ba†ini: «flèche appartenant au monde caché». (S.- Î. A., ch. II/3). tuba, nom d'un arbre du paradis (B.- Kh. P., v.53/2; v. 54/4; v. 56/2). wada (< ar. wa¨dah): «promesse; lieu de rendez-vous». (S.- Î. A., ch. II/7). wala-weta: «passé au crible, le meilleur choix». (S.- Î. A., ch. II/17). wand, équivalent de band: «barrage, haut de vallée, embouchure d'une vallée, mont» (S.- Î. A., ch. II/7). was (pers. xos): «joie, plaisir,…». (D.- S. D., v. 68/1). was-bo / was-bu: «embaumée». (D.- S. D., v. 7/1; v. 8/1-2). wazmin 5“Ë, déformation dialectale de l'ar. wazin «lourd» (B.- Kh., P., v. 85/3; v. 86/3). Le D.- S. D., v. 30/4 et 8, a utilisé ce vocable sous la forme persane sangin. wilat / wulat (< ar. wilayat): «le pays». (D.- S. D., v. 26/3). wer / wir: «dans la mémoire», «mémorisé». (D.- S. D., v. 41/3; S.-Î. A., ch. II/16). wurda: «lentement»; il est aussi équivalent du persano-arabe jarida «seul, cavalier seul et écarté des autres cavaliers». (S.- Î. A., ch. II/ 16). xakestar-nesin (pers.), litt. «qui s'assoit dans les cendres»: «qui vit dans l'indigence». (S.- Î. A., ch. II/19). xalkan (< ar. xalq «peuple, gens» + - an, suffixe marquant le pluriel): «gens, hommes». (B.- Kh. P., v. 33/5; v. 59/1); xalqan (B.- Kh. P., v. 68/3). xaraba (mot d'origine arabe): «injure, insulte». (D.- S. D., v. 44/3; B.- Kh. P., v. 61/2). xayma (ar.): «tente». xayma-kasidan «monter la tente». (S.- Î. A., ch. II/17). xudawand: «Dieu». (B.- Kh. P., v. 83/3; xuda v. 83/4 et 5).

Journal Asiatique 287.1 (1999): 9-190 MYTHE HISTORISÉ DE L'ÉPOQUE ISLAMIQUE 125

xud-rang: «porteur de sa propre couleur» ou «coloré par soi-même». (D.- S. D., v. 29/3); xud-naqqas «peintre du portrait de soi-même» (B.- Kh. P., v. 98/2). xwar (= khwar): «soleil» (S.- Î. A., ch. II/7). xwara-za (= khwara-za): «né du soleil» (S.-Î. A., ch. II/7). xwas-bo / xwas-bu: «embaumé». (D.- S. D., v. 7/2). yakran: «cheval noble et racé». D'après le Borhan-e Qa†e¨, «cheval rouge-brun à la crinière et à la queue blanches». (S.-Î. A., ch. II/7). yana, litt. «maison, tente», équivalent du turc yurt. (B.- Kh. P., v. 4/3 et 9/2). yara-jasnan: «fêtes des yars». (D.- S. D., v. 64/2). yaran, litt. «les amis»: «les compagnons, les Fidèles». (B.- Kh. P., v. 13/7; v. 17/1; S.- Î. A., ch. II/4; II/5; II/6; II/9; II/11; II/14; II/15; II/17; II/19). yaran-i jam: «compagnons ou Fidèles participant à l'Assemblée ri- tuelle» (B.- Kh. P., v. 118/4). yaran-i xod-naqqas: «compagnons qui se sont peints par eux-mêmes» (B.- Kh. P., v. 98/2). yari: «la Voie de l'Ami». (D.- S. D., v. 39/4). yar-i soxt: «compagnon ou Fidèle au stade de la perfection». Le vocable soxt est une forme apocopée du persan soxta / suxta «brûlé», qu'on peut traduire dans ce cas par «accompli». (B.- Kh. P., v. 47/2). yaw / yawi: «un». (D.- S. D., v. 1/4; B.- Kh. P., v. 1/3; v. 18/1; v. 20/ 1; v. 23/1). Comp. pers. yak. yawar: «aide, secours». (D.- S. D., v. 78/2). yuma (pers. jama): «habit dans lequel on s'incarne» (B.- Kh. P., v. 2/1). yurt (mot d'origine turque «tente»): «revêtement corporel, corps dans lequel on s'incarne». (D.- S. D., v. 4/3; v. 37/4; v. 74/2). zal (kurde zar, pers. zahr): «poison», dans zal-andu, litt. enduit par le poison, «empoisonné». (S.- Î. A., ch. II/7). zil (comp. pers. del): «cœur». (B.- Kh. P., v. 70/1). zimah ÁU“ , forme dialectale ancienne, issue de l'awramanien et du gourani. (awr. et gour. zama, kurde zawa, pers. damad): «gendre» (B.- Kh. P., v. 41/4). zu / zü, adv. signifiant «vite, tôt», mais ici le vocable désigne «le temps ancien» (D.- S. D., v. 42/1-2).

Journal Asiatique 287.1 (1999): 9-190 126 M. MOKRI

zuan (comp. pers. zaban): «la langue». (B.- Kh. P., v. 70/1). zün / zwen (?). Mot de sens et d'origine incertains. Probablement «auparavant, en des temps anciens» (S.- Î. A., ch. II/19).

11. Anthroponymes (recensement et fréquence)

Un certain nombre de personnages portent plusieurs noms et titres. Par commodité, le relevé en suit de préférence l'ordre alphabétique. Ici ne seront pris en compte que les noms qui figurent dans les trois versions.

¨Abidin: S.- Î. A., ch. II/10. ¨Abdallah (Écuyer de Ch. Kh.): D.- S. D., v. 58/3. Afsar (le massacre des…): D.- S. D., v. 43/5. Aftaw «Soleil» (nom allusif de Ch. Kh.): B.- Kh. P., v. 22/4. Akhi «Frère» (= Kaka-Rada): S.- Î. A., ch. II/5. ¨Alala (fils de Pirali): S.- Î. A., ch. II/19 (4 fois). ¨Ali (1er Imam): D.- S. D., v. 4/3; v. 16/4. Aman / Aman. Voir Mirza-Amana. Amir-Khusraw: S.- Î. A., ch. II/9. Voir Khusraw, fils de vieille femme. Arkhon: B.- Kh. P., v. 118/2. ¨Ayna: B.- Kh. P., v. 108/2. Baba-Adam: B.- Kh. P., v. 28/4; 39/8; 43/3; S.- Î. A., ch. II/7 (2 fois). Baba-Bozorg / Baba-Buzurg66: D.- S. D., préambule en prose du ch. 3; Baba-y Buzurgan: D.- S. D., v. 24/3. Baba-y Buzurgah: B.- Kh. P., v. 33/3. Baba-y xos-gawa «B. au bon témoignage»: B.- Kh. P., v. 50/2. Baba-y Bozorg: S.- Î. A. ch. II/5 (11 fois); ch. II/6; ch. II/7. Baba: D.- S. D., v. 21/1; B.- Kh. P., v. 30/4; v. 45/1. Baba-Buzurg / Baba-y Buzurg en position de locuteur des versets: D.- S. D., v. 20; v. 22; B.- Kh. P., v. 25; v. 28; v. 31; v. 44; v. 46; v. 49; v. 51. Baba-Faqi (= Baba-Faqih): D.- S. D., préambule en prose du ch. 4; (en position de locuteur des versets: D.- S. D., v. 31; v. 33; v. 35; v. 38). 66 Il incarne chez les F. de V. l'Ange Gabriel / Pir-Binyamin.

Journal Asiatique 287.1 (1999): 9-190 MYTHE HISTORISÉ DE L'ÉPOQUE ISLAMIQUE 127

Baba-Faqih: D.- S. D., préambule du ch. 4 (3 fois); (en position de locuteur des versets: D.- S. D., v. 27; v. 29). Baba-Îasan (surnommé Gawyar «le Bouvier»): S.- Î. A., ch. II/6. Voir Îasan Gawyar.- Baba-Khochin: B.- Kh. P., v. 70/4; S.- Î. A., II/7 (2 fois); (en posi- tion de locuteur des versets: B.- Kh. P., v. 7; v. 8; v. 10; v. 11; v. 13; v. 17; v. 26; v. 29; v. 32; v. 57; v. 58; v. 59; v. 98). Baba-MuÒ†afa. Voir MuÒ†afa. Baba-™aher: S.- Î. A., ch II/8 (6 fois); Baba-™aher Hamadani: S.- Î. A., ch. II/8; ™aher: S.- Î. A., ch. II/8 (4 fois); (en position de locuteur des versets: S.- Î. A., ch. II/8, 5 fois). Baba-Yadigar: S.- Î. A., ch. II/13; Baba- Yadigar -i Sarana: S.- Î. A., ch. II/13 (2 fois). Bala-set67 XO tK: S.- Î. A., ch. II/17. Na¨udhah Seta tO Á–uF: (éventuellement Nawusa-seta tO tËËU) S.-Î. A., ch. II/17. Bara-chahi (nom d'une tribu au Luristan). Voir Îamza-y Bara-chahi, Fa†ma-Arra-y Bara-chahi Bara-y Mirza-Amanan: «sous-tribu de M.- A.»: D.- S. D., v. 3/3. Barza-mil. Voir Cha-y Barza-mil. Binyamin (= Pir-Binyamin): D.- S. D., v. 41/5; v. 67/2; v. 68/2; S.- Î. A., ch. II/16; ch. II/18; ch. II/19, 8 fois. 67 Bala-set / Bala-se†, litt. «ignorant-fou» est le nom d'une personne très chère, mais d'aspect misérable et pitoyable, à la fois sourde et muette. C'est grâce à sa présence mira- culeuse que l'ensemble des instruments de musique, désaccordés, des Neuf cents-Neuf cents musiciens de Chah-Khochin, retrouvèrent une belle harmonie et purent majestueu- sement retentir. Un profond mystère entoure ce personnage dont le nom paraît tout d'abord insolite et mal approprié. Comment un être de talent — surpassant par son art les mortels — peut-il avoir une telle apparence et un tel nom? Ce paradoxe ne peut se résoudre que par le recours à un vocable asurite (parler des chrétiens assyriens de l'Iran et de l'Irak) sous forme brasit et signifiant «le premier fils», donc par extension «le premier fils de Dieu (ou de la création)». La cohabitation des kur- des et des assyriens essentiellement autour du lac d'Ourmiah et, auparavant dans la ville de Sanandadj ainsi que dans quelques petits ilôts au sein de Kirmanchah, favorisait les emprunts lexicaux réciproques. La logique du secret exigeait des F. de V. qu'ils établis- sent leur système de pensée en se cachant derrière des analogies et des emprunts incom- préhensibles aux profanes. La découverte du sens latent de Bala-set donne ainsi une pers- pective plus profonde à l'intervention du précieux accordeur d'instruments. Quant au changement vocalique de la vibrante r en une latérale l, c'est un phénomène communément reconnu. La mutation de r en l s'effectue le plus souvent par l'adjonction d'une voyelle brève (a / a, e / e, i / i) qui précède la latérale. Cet ajout a un rôle compensa- toire par rapport au trait vibratoire du r.

Journal Asiatique 287.1 (1999): 9-190 128 M. MOKRI

Cahar-Djasad «les Quatre corps» (= les Quatre Anges): préambule précédant le verset 9. Cahar-Malak «les Quatre Anges»: D.- S. D., préambule en prose du ch. 2. Calabi: B.- Kh. P., v. 22/1; v. 38/2; v. 41/1; v. 56/3. Voir Calawi et Sul†an-Calabi. Calawi (= Calabi): B.- Kh. P., v. 10/1. Voir Calabi et Sul†an-Calabi. Cha «le Roi» (= Ch. Kh.): B.- Kh. P., v. 21/1-2. Chafaq-kes (= Calabi): B.- Kh. P., v. 41/4. Chah «le Roi» (= Ch. Kh.): B.- Kh. P., v. 94/3. Chah «le Roi» (= Chah-Khochin): D.- S. D., préambule en prose des ch. 2 (7 fois), 3, 4 (4 fois), 5 (2 fois) et avant le verset 9; v. 11/1 et 10; v. 24/6 et 7; v. 26/5; v.28/2; v. 36/7; v. 48/1; B.-Kh. P., v. 6/1; v. 9/1 et 3; v. 10/1; v. 34/4; v. 39/4; v. 49/1; v. 51/1; v. 52/1; v. 54/1; v. 55/1; v. 61/1; v. 63/1; v. 68/1; v. 71/1; v. 72/1; v. 78/5; v. 80/6; v. 84/6; v. 88/1; v. 91/1 et 4; v. 113/3; v. 114/2; v. 116/1 et 3; v. 118/1; S.- Î. A., ch. II/2; ch. II/3 (3 fois); ch. II/4 (3 fois); ch. II/5 (5 fois); ch. II/6; ch. II/7; ch. II/8 (7 fois); ch. II/10 (3 fois); ch. II/11 (2 fois); ch. II/12 (5 fois); ch II/13; ch. II/15; ch. II/17 (3 fois); ch. II/19 (7 fois); (en posi- tion de locuteur des versets: D.- S. D., v. 10; v. 13; v. 14; v. 15; v. 16; v. 18; S.- Î. A., ch. II/2; ch. II/3 (2 fois); ch. II/5; ch. II/7; ch. II/8). Chahanchah (= Chah-Khochin): D.- S. D., v. 25/2; B.- Kh. P., v. 27/ 3; v. 50/3; v. 59/2; v. 71/3; S.- Î. A., ch. II/1; (en position de locuteur des versets: D.- S. D., v. 23; v 25; v. 37; v. 47); Chahancha: D.- S. D., v. 77/3 et 4; B.- Kh. P., v. 115/4. Chah-Îaydar: S.- Î. A., ch. II/4. Voir Îaydar. Chah-i ¨alam «le Roi du monde» (= Ch. Kh.): S.- Î. A., ch. II/1; ch. II/2 (2 fois); ch. II/3; ch. II/4 (11 fois); ch. II/5 (5 fois); ch. II/6; ch. II/8 (6 fois); ch. II/12; ch. II/13; ch. II/16; ch. II/17 (3 fois); ch. II/ 18 (2 fois); (en position de locuteur des versets: S.- Î. A., ch. II/7; ch. II/8 (3 fois)) Chah-i chahbazan (= Ch. Kh.): D.- S. D., v. 75/2. Chah-i Mardan «Roi des héros» (= ¨Ali): S.- Î. A., ch. II/18. Chah-i Wilayat «Roi de l'Amitié avec Dieu» (= ¨Ali): S.- Î. A., ch. II/18. Chah-Kaka-AÌmad: S.- Î. A., ch. II/4 (11 fois); ch. II/6 (2 fois). Voir

Journal Asiatique 287.1 (1999): 9-190 MYTHE HISTORISÉ DE L'ÉPOQUE ISLAMIQUE 129

Kaka-AÌmad. Chah-Khochin (Ch.-Kh.): D.- S. D., préambule des ch. 2 (4 fois); 3 et du verset 8; v. 13/4; v. 15/4; v. 24/5; v. 26/2-3; v. 27/3; V. 54/4; v. 55/ 4; v. 59/4; v. 60/5; v. 65/3; v. 66/3; B.- Kh. P., v. 10/2; v. 19/3; v. 20/ 3; v. 33/4; v. 70/2; v. 76/2; S.- Î. A., ch. II/4 (2 fois); ( en position de locuteur des versets: D.- S. D., v. 5; v. 8; v.12; v. 17; v. 19; v. 43). Chah-Khochin-i khwachnam «Ch. Kh. à la bonne renommée»: D.- S. D., à la fin du verset 79. Chah-Malawan «le Meilleur Nageur» (= Ch. Kh.): D.- S. D., v. 48/2; B.- Kh. P., v. 68/1. Chahriar68: B.- Kh. P., v. 10/1; v. 24/1; v. 38/3; v. 39/5; Chahriar Falak [ad-]Din: B.- Kh. P., v. 39/1-2; (en position de locuteur des ver- sets: B.- Kh. P., v. 19; v. 22; v. 40). Chahsuar-i Makka: D.- S. D., v. 17/7. Cham [de l'ar. Cham¨] (nom allusif de Chahanchah / Ch Kh.): B.- Kh. P., v. 22/3; v. 115/4; v. 118/5; Cham¨: B.- Kh. P., v. 22/4. Chamal «vent du nord» (nom allusif de Calabi): B.- Kh. P., v. 38/2. Chammama (nom allusif de Kaka-Rada): B.- Kh. P., v. 102/3; v. 103/

68 L'identité historique de cette figure (comme tant d'autres d'ailleurs) est obscure et incertaine, mais étant donné le caractère syncrétique de la foi des F. de V., il est possible qu'elle soit empruntée à l'histoire du Luristan. Le nom d'un roi lur, en effet, Îasan Falak ad-Din, mort en 692 H. / 1292, sous le règne de Guikhatu, souverain mongol de l'Iran, pourrait bien être à l'origine de Chahriar. Ce dernier nom signifiant «le roi», il apparaît surtout dans le verset 39/1-2 du B.- Kh. P., suivi de Falak ad-Din. Le roi lur était célèbre pour sa piété, son intelligence et sa perspicacité. Il gouvernait, en collaboration avec son frère, sur une vaste région de Hamadan à Tostar (= Chuchtar) et d'Ispahan jusqu'aux con- fins des terres habitées par les arabes au sud de l'Iran. Le Luristan était à cette époque très prospère, ces deux rois toujours liés, ayant vaincu leurs ennemis et rétabli à l'extrême l'ordre et la justice. Ces deux frères disposaient d'une armée de 17000 guerriers à leur service (cf. Îamdallah Mustawfi, Tarikh-e Gozida, éd. de E. G. Brown, London, 1910, pp. 554-555; Charaf Bidlisi, Charafnama, t. I (texte persan), éd. de V. Véliaminof- Zérnof, St.- Pétersbourg, 1860, p. 42). Que les F. de V. aient emprunté leur Chahriar à la personne du vertueux roi Falak ad- Din n'est pas un fait improbable, ni ne serait un cas unique dans la conception de leur histoire. Le verset 38/3 du B.- Kh. P. fait de lui une incarnation de Sa¨di, le grand poète persan, mais pour conserver son prestige royal, il souligne que l'on joue du tambour devant sa cour. Le S.- Î. A., ch. II/14, évoque de manière imprécise un mausolée au nom de Falaki en l'intégrant à une histoire fictive et très embrouillée. Bien que ce dernier texte n'ait pas précisé l'emplacement du mausolée, c'est peut-être une allusion à la tombe aujourd'hui disparue de ce roi lur.

Journal Asiatique 287.1 (1999): 9-190 130 M. MOKRI

3; v. 105/3; v. 107/2; v. 109/2; v. 110/4; v. 111/3; v. 112/2; v. 115/3; v. 119/4; v. 120/4. Voir Gul-u Chammama. Charr-chah: S.- Î. A., ch. II/16; ch. II/17 (4 fois). Cha-y barr-u baÌr «le Roi de la terre et de la mer» (= Ch. Kh.): B.- Kh. P., v. 106/2. Cha-y Barza-mil «Roi au cou haut»/ fier et dominant (= Chah- Khochin): B.- Kh. P., v. 119/3. Cha-y Hazar-Cil «Roi des Mille et Quarante Pages»: B.- Kh. P., v. 119/1. Cha-y Mardan «Roi des héros»: D.- S. D., v. 58/3. Cha-y Pirdiwar: D.- S. D., v. 73/2. Cha-y ÒaÌib-sar†. Roi, instaurateur des lois du Pacte (dont Binyamin est le Maître et le dépositaire). (= Ch. Kh.): B.- Kh. P., v. 40/1-2. Chirin (princesse arménienne, pour laquelle Farhad éprouvait un pur amour): S.- Î. A., ch. II/8. Chuan (pers. chaban / cupan) (= Ch. Kh.): D.- S. D., v. 39/3. Da-Djalala (= Mama-Djalala, mère de Ch. Kh.): S.- Î. A., ch. II/1; ch. II/2 (3 fois). Dana-y asrar «qui sait les secrets» (= Ch. Kh.): B.- Kh. P., v. 60/3. Dawud (= Pir-Dawud / Ange Mika'il): S.- Î. A., ch. II/19. Dhat-i be-zawal «l'Essence non périssable» (= Ch. Kh.): S.- Î. A., ch. II/19. Dhat-i Ilahi «l'Essence divine» (= Ch. Kh.): D.- S. D., v. 60/5. Dhat-i Mu†laq «l'Essence Absolue» (= Ch. Kh.): D.- S. D., 14/3. Dhat-i na-marda «l'Essence Éternelle»: B.- Kh. P., v. 95/3. Dilfan (†ayfa-y…) «la tribu Dilfan», habitant au nord-ouest de la pro- vince du Luristan: S.- Î. A., ch. II/5. Djaf, nom d'une célèbre tribu kurde (B.- Kh. P., v. 108/3). Dja¨far (le 6e Imam chi¨ite): D.- S. D., v. 16/3; S.- Î. A., ch. II/4. Djalala (= Mama-Djalala, mère de Ch. Kh.): D.- S. D., v. 7/1-2; v. 8/ 1-2; v. 17/5 et 8; v. 77/4; v. 78/2; B.- Kh. P., v. 4/1; v. 5/4; v. 6/4; v. 7/ 1; v. 8/1; S.- Î. A., ch. II/1; ch. II/2; (en position de locuteur des ver- sets: B.- Kh. P., v. 3); Djalala-y was-bo «Dj. embaumée»: D.- S. D., v. 7/1; v. 8/1-2; Djalala-y xwas-bo: D.- S. D., v. 7/2. Du-dam «le Glaive à double tranchant» (nom allusif, réification de MuÒ†afa): B.- Kh. P., v. 103/4.

Journal Asiatique 287.1 (1999): 9-190 MYTHE HISTORISÉ DE L'ÉPOQUE ISLAMIQUE 131

Dukhtar-dhat «à l'Essence de Vierge» (= Nisa / Ramzbar): B.-Kh. P., v. 116/2. Dukhtar-Djaf «jeune fille de la tribu des Djafs» (= Nisa / Ramzbar): B.- Kh. P., v. 117/1. Dukhtar Sunni «jeune fille sunnite» (= Nisa / Ramzbar): B.- Kh. P., v. 118/3. Falak ad-Din. Voir Chahriar. Falaki: S.- Î. A., ch. II/14. Faqi (= Baba-Faqih): D.- S. D., v. 30/1 et 6. Faqih (= Baba-Faqih): D.- S. D., préambule du ch. 4; v. 26/2 et 5; v. 37/2, 4 et 6; v. 38/2 et 4; B.- Kh. P., v. 71/1 et 3; 72/3; 73/1; 74/1; v. 78/4; v. 80/5; 82/3; 85/1; 86/1; 89/1; (en position de locuteur des versets: B.- Kh. P., v. 75; v. 77; v. 79; v. 81; v. 83; v. 88; v. 91; v. 93). Voir Baba-Faqih et Kura-Faqih. Farhad (l'Amoureux de Chirin): S.- Î. A., ch. II/8. Fa†ima: S.- Î. A., ch. II/8 (5 fois); Fa†ima Arra [ou Larra (?)] Bara- chahi: S.- Î. A., ch. II/8. Gawra-kinaca «noble fille» (= Mama-Djalala): B.- Kh. P., v. 1/2. Ghulaman «les Pages»: D.- S. D., v. 77/2; B.- Kh. P., v. 56/1; S.- Î. A., ch. II/4; ch. II/8. ch. II/16. Ghulaman-i daw «les Pages volontaires»: B.- Kh. P., v. 104/1. Gul (nom secret de Pir-Musi / Muqbil): B.- Kh. P., v. 111/3; v. 119/4. Gul-u Chammama (les noms secrets de Pir-Musi et Kaka-Rada): B.- Kh. P., v. 105/3; v. 107/2; v. 109/2; v. 112/2; v. 115/3. Îakim-i Hind «Sage de l'Inde» (= Ch. Kh.): B.- Kh. P., v. 60/4. Hacht-u Car «les Huit et les Quatre» (les douze Imam): B.- Kh. P., v. 91/3. Haftad-u du-tan «les Soixante-douze Compagnons»: S.- Î. A., ch. II/ 19. Îamza-y Bara-chahi: S.- Î. A., ch. II/12 (4 fois). Îasan-Gawyar: S.- Î. A., ch. II/6. Voir Baba-Îasan. Îawa (= Ève): S.- Î. A., ch. II/7. Hawach [< Îabach] (= Calabi / Qammar / Siqam): B.- Kh. P., v. 56/ 3; v. 120/3. Îaydar: D.- S. D., v. 16/4; B.- Kh. P., v. 103/3; v. 120/1; (en po- sition de locuteur des versets: B.- Kh. P., v. 100; v. 102; v. 105;

Journal Asiatique 287.1 (1999): 9-190 132 M. MOKRI v. 107; v. 109; v. 111; v. 113. v. 115; v. 119). Îaydar-i Nazar: B.- Kh. P., v. 99/1-2; v. 101/2. Îaydar-i Naz-bas: B.- Kh. P., v. 112/1. Îaydar-i Naz-kes: B.- Kh. P., v. 114/1. Îaydar-i ∑arraf: B.- Kh. P., v. 108/1. Hazar-Cil. Voir Cha-y Hazar-Cil et Khwadja-y Hazar-Cil. Îaydar: D.- S. D., v. 16/4. Voir Chah-Îaydar. Hindu (/ Mir-Hindu / Yar-Hindu «joueur de rebec»): D.-S. D., préambule du ch. 5; v. 27/1; v. 45/1-2; v. 47/1; v. 50/1; v.52/2; B.- Kh. P., v. 61/1; v. 62/1-2; v. 65/1; v. 66/2; v 67/1; v. 69/4; (en position de locuteur des versets: D.- S. D., v. 51; B.- Kh. P., v. 61; v. 63; v. 64; v. 66; v. 68); Hindula: D.- S. D., v. 44/2; 49/1-2. ¨Isi (= Cheikh ¨Isi, père de Khatun Dayrak): S.- Î. A., ch. II/19 (2 fois). Kad-Khoda Chahr-Amir (= Kad-Khoda-Chah-Mir): S.- Î. A., ch. II/ 5. Kafil: B.- Kh. P., v. 16/3. Kaka-AÌmad: S.- Î. A., ch. II/4 (6 fois). Voir Chah Kaka-AÌmad. Kaka-Rada, le nom de l'ange Gabriel (= Pir-Musi, le Maître du Pacte, auquel les Fidèles prêtent serment). Cette Entité prend différents noms selon les différentes apparitions des avatars. Le vocable kaka «frère» possède d'autres formes, kaki, kak, ka. Seul un fidèle connu, mais au rang inférieur à celui de Kaka-Rada, est nommé Chah Kaka-AÌmad, nom dans lequel Kaka se prononce avec deux a brefs: cela permet de marquer la différence entre ces deux personnages. Dans la province de Fars, à Chiraz, le mot kaku (Kak + - u, particule de diminutif affectif) s'emploie dans le même sens. A Mazandaran (dans les villages de Sari) en revanche, il signifie da'i «oncle maternel». Étant donné que les F. de V., sur le modèle de plusieurs confréries mystiques et ba†inites, se considèrent formellement comme frères, on les a surnommés en Irak, les Kaka'iyah, titre qu'ils ont eux-mêmes admis sans difficulté. En Iran aussi le terme Kaka'i permet parfois de les dési- gner, à côté de ¨Ali-Allahi, et en marge de leurs propres appellations, ™ayfa, Yaristan et Ahl-i Îaqq69.

69 On utilise les diminutifs ka et kak pour kaka, tandis que kaka a une résonance plus affective et est aussi employé comme vocatif. Toutefois, les enfants kurdes interpellent aussi leur père à l'aide du vocable kak (en sorani). Il existe une variante de qaqa tÁUÁ‚ en

Journal Asiatique 287.1 (1999): 9-190 MYTHE HISTORISÉ DE L'ÉPOQUE ISLAMIQUE 133

La forme Rada est une prononciation kurdo-gouranie du nom propre arabe Ra∂a / Ri∂a (Riza). Un secteur d'une dizaine de villages porte le nom de Kaka-Rada (voir supra, 1ère partie). Kaka: D.- S. D., v. 12/1; v. 17/5; v. 17/8; B.- Kh. P., v. 5/1; v. 7/1; v. 11/1; v. 16/3; v. 35/1; v. 71/1-2; v. 72/1; v. 73/3; v. 74/2; v. 93/1. Kaka: S.- Î. A., ch. II/17. Kaka-Rada: D.- S. D., v. 5/1; S.- Î. A., ch. II/2 (2 fois); B.- Kh. P., v. 3/1. En position de locuteur des versets: D.- S. D., v. 1; v. 4; v. 9; v. 11; v. 26; v. 28; v. 30; v. 32; v. 34; v. 36; B.- Kh. P.,v. 1; v. 2. v. 4; v. 6; v. 12; v. 14; v. 36; v. 41; v. 52; v. 60; v. 74; v. 76; v. 78; v. 80; v. 82; v. 92; v. 94; v. 95; v. 96; v. 97. Kaka-Rada: D.-S. D., préambule des chapitres 1 et 4; v. 5/1; v. 10/1; S.- Î. A., ch. II/2; ch. II/3; ch. II/4 (3 fois); ch. II/7 (3 fois); ch. II/14; ch. II/16 (2 fois); ch. II/17 (4 fois); Kaka-Radah: B.- Kh. P., v. 72/2. Voir aussi Rada. Kaybe® «glaive» (nom allusif, réification de MuÒ†afa): B.- Kh. P., v. 113/4. Khaliq «le Créateur»: B.- Kh. P., v. 1/4; v. 95/3; S.- Î. A., ch. II/5; Khaliq-i Akbar «Grand Créateur»: D.- S. D., v. 37/2. Khamuch: D.- S. D., v. 55/4; v. 66/3. Khawandigar / Khawandikar (le nom de la première apparition de l'Essence divine dans la Perle prémondiale): D.- S. D., v. 74/2; B.- Kh. P., v. 13/7. Khochin (= Chah-Khochin): D.- S. D., préambule du ch. 5; v. 3/3; sorani, équivalant au kurmandji kukim / kokim «frère aîné» (cité par Kurdoev) ou kako «personne vénérable». En sorani (mokri, sinayi,…), kaka signifie «le frère aîné», tandis que kaki est équivalent de kaka «frère». Le kaka désigne aussi en persan «un nègre». Dans la plupart des dialectes kurdes (en particulier sorani et kirmasani), on fait suivre le mot ka- du vocable bra «frère», pour désigner une personne que par discrétion on ne peut nommer, bien que la signification de chacun des composants soit exactement la même. Un équivalent en est, en kirmasani, kalpa, et en persan yaru (diminutif de yar «ami / amie»). Cette composition a aussi le sens de «un tel», «une telle». J'ajoute encore que le mot kak (transcrit et cité par Kurdoev kek) signifie à la fois «on- cle» (frère du père) et «frère aîné». Pour d'autres emplois du vocable kek, voir Ferdinand Justi et August Jaba, Dict. kurde-franç. St-Petersbourg, 1879. Une forme équivalente au kurde kaka / kaku a été relevée dans le dialecte lur de Bakhtiari, à savoir gegu. Le Loghat-e Fors donne au mot kak le sens de mard «homme» dans le dialecte persan de Transoxiane.

Journal Asiatique 287.1 (1999): 9-190 134 M. MOKRI v. 4/2; v. 38/3; v. 53/2; B.- Kh. P., v. 6/4; v. 11/3; v. 15/3; v. 21/4; v. 23/1-3; v. 30/3-4; v. 32/2; v. 34/1-2; v. 36/1;v. 38/1; v. 42/1-2; v. 46/3; v. 60/1; v. 70/3; v. 74/3; v. 75/5; v. 79/3; v. 80/4; v. 83/5; v. 93/3; v. 95/3; v. 100/2; v. 101/1; v. 102/2; v. 103/2; v. 104/4; v. 110/ 1-2; S.- Î. A., ch. II/2; (en position de locuteur des versets: B.- Kh. P., v. 5; v. 35; v. 39; v. 43; v. 45; v. 47; v. 48; v. 50; v. 53; v. 56; v. 62; v. 65; v. 67; vs. 69-71; vs. 84-87; v. 89; v. 90; v. 104; v. 110; v. 117; v. 120). Khochin-i Alast «Kh. qui existe depuis la prééternité: B.-Kh. P., v. 105/1. Khochini-Baca «Enfant Khochin»: D.- S. D., v. 13/2; v.14/2; v. 15/2; v. 16/2; v. 17/2; B.- Kh. P., v. 92/1; v. 94/1; v. 95/1; v. 96/1; S.- Î. A., ch. II/4 (3 fois). Khochin-i Bas «Kh. le Meilleur»: B.- Kh. P., v. 98/4. Khochin-i Bidar «Kh. l'Éveillé»: B.- Kh. P., v. 106/1-2. Khochin-i Bina «Kh. le Clairvoyant»: B.- Kh. P., v 37/1-2. Khoda / Khuda «Dieu»: D.- S. D., préambule en prose du ch. 3; v. 2/ 2; v. 4/3; v. 23/2; v. 38/3; B.- Kh. P., v. 7/3; v. 26/2; v. 29/2; v. 34/1-2; v. 68/3; v. 83/5; S.- Î. A., ch. II/7 (3 fois). Khodawand / Khudawand «Dieu»: D.- S. D., v. 38/2; v. 77/2; B.- Kh. P., v. 83/3; S.- Î. A., ch. II/7 Khusraw, fils d'une vieille femme: S.- Î. A., ch. II/9. Khwadja U«u «Maître» (= Chah-Khochin): B.- Kh. P., v. 21/3-4; v. 22/2; v. 24/4; v. 103/2; Khwadja-y Hazar-Cil «Maître des Mille et des Quarante Pages» (= Ch. Kh.): B.- Kh. P., v. 119/2. Khwadja-Salman (Manifestation de Kaka-Rada / Pir-Binyamin à l'époque de ¨Ali): S.- Î. A., ch. II/2. Kica-Djaf «jeune fille de la tribu des Djafs» (Nisa / Ramzbar): B.- Kh. P., v. 108/3; v. 117/2. Kirmadjan (les Kirmandjs): D.- S. D., v. 43/5. Kora-Faqi vI Ád «le jeune homme Faqi» (= Baba-Faqih): S.- Î. A., ch. II/7 (5 fois). En position de locuteur des versets: S.- Î. A., ch. II/7 (5 fois), Kura-Faqi vI Á—u: S.- Î. A., ch. II/7 (en position de locuteur des versets). Korda-zan / Kurda-zan [< Kurda-zin] (= Mama-Djalala): S.- Î. A., ch. II/2.

Journal Asiatique 287.1 (1999): 9-190 MYTHE HISTORISÉ DE L'ÉPOQUE ISLAMIQUE 135

Kurd-kinaca «jeune fille kurde» (= Mama-Djalala): D.- S. D., v. 1/3. Layli (la bien-aimée de Madjnun, dans la littérature arabo-persane): D.- S. D., v. 11/7; S.- Î. A., ch. II/8. Madjnun (l'amoureux de Layli, dans la littérature arabo-persane): D.- S. D., v. 11/7; S.- Î. A., ch. II/8. Mama-Djalala (Mère de Ch. Kh.): D.- S. D., préambule du ch. 1; v. 3/ 1; S.- Î. A., ch. II/1; ch. II/2. Me (= Me-Zard): B.- Kh. P., v. 43/1. Me-Zard (en position de locuteur des versets: B.- Kh. P., v. 20; v. 23; v. 24; v. 38; v. 42; v. 55). Mir «émir» (= Ch. Kh.): S.- Î. A., ch. II/4. Mirdan-i azal «les hommes prééternels»: D.- S. D., v. 45/4. Mir-Hindu: D.- S. D., préambule du ch. 5; (en position de locuteur des versets: D.- S. D., v. 39; v. 46; v. 48). Mir-i Madina (= ¨Ali / Ch. Kh.): B.- Kh. P., v. 7/4. Mirza-Amana / Mirza-Amana UU¬ «“dO: D.- S. D., préambule en prose du ch. 2 (2 fois); v. 3/3-4; v. 5/2; Mirza-Aman ÊU¬ «“dO: B.- Kh. P., v. 4/3; v. 9/2; v. 11/2; Mirza-Mana UU «“dO: S.- Î. A., ch. II/2 (2 fois); ch. II/3; Mirza-Ma¨na UMF «“dO: S.- Î. A., ch. II/1 (8 fois); ch. II/2; Amana tU¬: B.- Kh. P., v. 11/3; Aman ÊU¬: B.- Kh. P., v. 5/4; v. 17/2. MuÌammad (probablement, s'agit-il de Chah-MuÌammad / Cha-Ma- ma): S.- Î. A., ch. II/5. Muqbil (= Pir-Musi): B.- Kh. P., v. 119/4. Murta∂a-¨Ali: S.- Î. A., ch. II/16. Musi (= Pir-Musi): B.- Kh. P., v. 111/3. MuÒ†afa (Prophète MuÌammad): D.- S. D., v. 14/4; B.- Kh. P., v. 95/2. MuÒ†afa (= MuÒ†afa-Dawdani): D.- S. D., v. 37/10; v. 56/3; B.- Kh. P., v. 50/4; v. 103/4; S.- Î. A., ch. II/17; Baba-MuÒ†afa: B.- Kh. P., v. 89/3. Muzin (= Chammama / K.- R.): B.- Kh. P., v. 102/3. Nawa: B.- Kh. P., v. 53/1-2. Nisa (une des nombreuses apparitions de Ramzbar). Nisa: B.- Kh. P., v. 99/3; 103/1-2. (en position de locuteur des ver- sets: B.- Kh. P., v. 99; v. 101; v. 103; v. 106; v. 108; v. 114; v. 116; v. 118).

Journal Asiatique 287.1 (1999): 9-190 136 M. MOKRI

Nisa-y Dukhtar-dhat «N. à l'Essence de Vierge»: B.- Kh. P., v. 116/2. Nisa-y mast-i Dhat «N. enivrée par l'Essence de Dieu»: B.- Kh. P., v.109/1. Nisa-y mast-i Djam «N. enivrée par la présence dans l'Assemblée»: B.- Kh. P., v.115/1-2. Nisa-y mast-i din «N. enivrée par la foi»: B.- Kh. P., v. 102/1. Nisa-y mast-i Îaqq «N. enivrée par Dieu de la Vérité»: B.- Kh. P., v.100/1. Nisa-y mast-i Hu «N. enivrée par Lui»: B.- Kh. P., v. 107/1. Nisa-y Ramzbar: B.- Kh. P., v. 106/4. NuhÒada «les neuf cents disciples musiciens»: S.- Î. A., ch. II/11; ch. II/17; NuhÒada-ha: S.- Î. A., ch. II/17. NuhÒad Bulur-danã [avec -a final nasal]«les neuf cents joueurs de bulur»: S.- Î. A., ch. II/7. NuhÒad Daf-ci «les neuf cents joueurs de daf»: S.- Î. A., ch. II/7. NuhÒad-NuhÒada «les Neuf cents-Neuf cents disciples et musiciens»: D.- S. D., v. 26/4; B.- Kh. P., v. 70/5; S.- Î. A., ch. II/8. NuhÒad Tamira-dana (= N. Tamira-danan) [avec -a final nasal] «les neuf cents joueurs de tanbur»: S.- Î. A., ch. II/7. ¨Omar (le deuxième Calife): D.- S. D., v. 37/4. Padicha «le Roi» (= Ch. Kh.): D.- S. D., v. 18/5; v. 62/2; v. 71/2. Padichah «Roi» (Ch. Kh.): D.- S. D., préambule du ch. 4; S.- Î. A., ch. II/2: ch. II/10; ch. II/19; (en position de locuteur des versets: D.- S. D., v. 6; v. 21; v. 45; v. 50; v. 52; v. 76). Padichah-i ¨alam «le Roi du monde» (Ch. Kh.): S.- Î. A., ch. II/2; ch. II/5 (2 fois); ch. II/6; ch. II/8; ch. II/9; ch. II/10; ch. II/13; ch. II/15; ch. II/17 (2 fois); ch. II/18; ch. II/19. Padicha-y Pirdiwar: D.- S. D., v. 70/2. Pir (= Binyamin): D.- S. D., v. 41/5; v. 71/2; B.- Kh. P., v. 110/4. Pirali: S.- Î. A., ch. II/19 (11 fois). Pira-Marda / Pir-Marda: S.- Î. A., ch. II/16 (9 fois). Pir-Dawud: D.- S. D., v. 72/2. Pir-i pis-qadam «Maître précurseur» (= Kaka-Rada): B.- Kh. P., v. 35/1. Pir-i sar-bas «Maître qui a la première part du partage de l'offrande» (= Pir-Binyamin): B.- Kh. P., v. 120/4.

Journal Asiatique 287.1 (1999): 9-190 MYTHE HISTORISÉ DE L'ÉPOQUE ISLAMIQUE 137

Pir-Khidir Caka «le Bon P.- Kh.»: B.- Kh. P., v. 8/7; (en position de locuteur des versets: B.- Kh. P., v. 9; v. 16). Pir-Musi (Manifestation de l'Ange Séraphin): D.- S. D., v. 57/3; S.- Î. A., ch. II/19. Qamar / Qammar [< Qanbar] (= Calabi / Hawach): B.- Kh. P., v. 56/3. Rada: B.- Kh. P., v. 22/3; v. 32/2; v. 34/3; v. 43/2; v. 111/3; v. 119/ 4; S.- Î. A., ch. II/2. Ramz (= Ramzbar, l'Ange mère de Dieu,…): B.- Kh. P., v. 117/2. Ramzbar (= Ramz): B.- Kh. P., v. 106/4. RayÌana: B.- Kh. P., v. 16/1; v. 17/1; (en position de locuteur des versets: B.- Kh. P., v. 15). RayÌana-Caka «le Bon R.»: B.- Kh. P., v. 13/5. Sa¨di (= Chahriar Falak ad-Din): B.- Kh. P., v. 38/3. ∑afiya-khatun (mère de Baba-Faqih): D.- S. D., dans le préambule en prose du ch. 4. ∑aÌib-karam «Maître de générosité» (= Roi du monde): S.- Î. A., ch. II/19 (5 fois); en position de locuteur des versets: D.- S. D., v. 77. ∑aÌib-kasti «possesseur ou maître du navire» (= Ch. Kh.): D.- S. D., v. 48/2; B.- Kh. P., v. 68/1. ∑aÌib-zaman «Maître du Temps» (= ¨Ali / Ch. Kh.): D.- S. D., v. 4/4. ∑aÌib-Sar†. Voir Cha-y ÒaÌib-sar† (= Ch. Kh.): B.- Kh. P., v. 40/1-2. Sattar «qui dissimule les péchés des hommes» (= Dieu): D.- S. D., v. 37/7; B.- Kh. P., v. 89/2. Sazanda «Musicien» (= Ch. Kh.): D.- S. D., v. 42/3. Sayyed-AÌmad (nom du copiste ahl-i Îaqq du Daftar-i Sarandjam-i Dinawari, en 1257 H. /1841): D.- S. D., à la fin du verset 79. Se-Nafar «les Trois Pir» (= Binyamin, Dawud et Pir-Musi): S.- Î. A., ch. II/19. Siqam ÂUI (nom allusif de «Glaive» / MuÒ†afa): B.- Kh. P., v. 103/4; v. 111/1; v. 113/1 et 3; v. 115/4; v. 116/3; v. 120/3; (en position de lo- cuteur des versets: B.- Kh. P., v. 112). Sirr-Nigah-dar «Protecteur du Secret» (= Chah-Khochin): B.- Kh. P., v. 60/4. Sul†an-Calabi (en position de locuteur des versets: B.- Kh. P., v. 18; v. 21; v. 37; v. 54). Voir Calabi et Calawi. Sutun (= Kaka-Rada): B.- Kh. P., v. 93/3.

Journal Asiatique 287.1 (1999): 9-190 138 M. MOKRI

Yafta-kuh (en position de locuteur des versets: D.- S. D., v. 24; B.- Kh. P., v. 27; v. 30; v. 33). Yar «Ami» (= Ch. Kh..): B.- Kh. P., v. 23/4; v. 24/3. Yar-Dawud: D.- S. D., v. 61/2. Yar-Hindu: D.- S. D., préambule du ch. 5; (en position de locuteur des versets: D.- S. D., v. 44). Yaran-i Cahar-Malak (= Gabriel / Pir-Binyamin, Séraphin / Pir-Musi, Mika'il / Pir-Dawud, ¨Izra'il / Pir-MuÒ†afa): S.- Î. A., ch. II/18; Cahar- Malak: S.- Î. A., ch. II/19. Yar-i Sirr «Confident du Secret» (= Calabi): B.- Kh. P., v. 41/3. Yar-Tamir d9 —U ( < Yar-Taymur): D.- S. D., v. 74/1-2. Yazdan «Dieu»: D.- S. D., v. 10/2; v. 18/3-4; B.- Kh. P., v. 5/2.

12. Traduction du texte persano-gourani70 version du B.- Kh. P. (Extrait du Kalam-i Khazana-y Pirdiwari, ms. personnel, pp. 94-119) 1. Kaka-Rada déclare: «Sur le col de Mila-Gaw, j'ai penché ma tête du côté de la plaine. J'ai vu une noble fille demeurée seule, criant . De son œil s'écoulaient mille larmes. Son fardeau n'est autre que le Dieu Créateur, son boeuf n'en supporte pas la charge». 2. Kaka-Rada déclare: «J'ai dit Viens ô «habit» du Maître! Que t'est-il arrivé pour que tu verses tant de larmes?» 3. Djalala déclare: «O Kaka-Rada, ô sage cavalier! 70 Cette version fait naturellement apparaître de nombreux éléments et thèmes en commun avec la première version, concernant l'évocation et le déroulement des faits, par- fois même par des reprises textuelles. Toutefois, les divergences, voire les contradictions, ne doivent pas choquer le lecteur, puisque les événements sont relatés selon un autre point de vue. Les lignes essentielles ne s'en retrouvent pas moins d'un texte à l'autre. Ainsi ces témoignages s'enrichissent mutuellement, sur les plans tant idiomatiques que thématiques. La compilation présente englobe maintes locutions et périphrases elliptiques dans une naïveté de style qui n'est pas sans calquer les écrits religieux anciens.

Journal Asiatique 287.1 (1999): 9-190 MYTHE HISTORISÉ DE L'ÉPOQUE ISLAMIQUE 139

Cet ordre est descendu du septième ciel. Les gens du Luristan considèrent cet enfant comme un bâtard». 4. Kaka-Rada déclare: «O Djalala! Ton nimama71 n'est pas un bâtard, ne le considère pas comme tel. Il est le Maître de Duldul72 et de Dhulfaqar73, il est le lion rugissant. C'est Lui qui fut notre hôte dans la maison de Mirza Amana74». 5. Khochin déclare: «O Kaka, tu es dans l'erreur, tu as lu par erreur. Je suis Dieu, personne ne le sait. Je possède les sept couches de la terre et les sept cieux. Djalala est sa «monture», il est l'hôte [dans la maison] d'Amana74». 6. Kaka-Rada déclare: «O Roi! Nous sommes les cavaliers, les cavaliers de l'au-delà. Nous sommes les preux, les preux de Dieu. Que les aveugles du cœur ne nous nuisent pas! Djalala est vierge, Khochin est son enfant». 7. Baba-Khochin déclare: «Ma mère est Djalala, mon Kaka [- Rada] est rayonnant. Je suis venu [dans ce monde] revêtant un «habit» après l'autre, pas- sant d'une couche d'argile à l'autre. Celui qui connaît Dieu en vérité, il lui faut se purifier de toute haine. Nous sommes le Roi-cavalier de la Mecque et l'Émir de Médine».

8. Baba-Khochin déclare: «O Djalala, apporte la bague à Martin!

71 nimama tU/: tige d'arbre mince. Ce mot est employé traditionnellement dans la poésie pour les jeunes adolescent(e)s élégant(e)s et sveltes, mais dans ce verset, il désigne l'enfant porté par Djalala. 72 Duldul, nom du cheval de ¨Ali. 73 Dhulfaqar «sabre à double tranchant», nom du glaive de ¨Ali. 74 Ces deux hémistiches ont très certainement été inversés par inadvertance. Étant donné la répartition des pronoms personnels, l'hémistiche 3 du verset 4 doit être interverti avec l'hémistiche 4 du verset 5.

Journal Asiatique 287.1 (1999): 9-190 140 M. MOKRI

C'est ainsi pour toi…75 Elle est le remède à toute plaie et toute morsure. O Djalala, apporte la bague à Martin! Elle a l'effet du Negin76. Elle est le remède pour tous les malades. Le bon Pir-Khidir était présent. Il a saisi la bague. La bague tomba dans la mer, la mer se mit à mugir; Le mugissement de la mer semble annoncer la fin du monde77». 9. Pir-Khidir déclare: «O Roi! Un tumulte se produisit en ces lieux. La demeure de Mirza-Amana fut attaquée. Tu es le Roi de la terre et de la mer, de haut en bas». 10. Khochin déclare: «Le ravisseur du troupeau est Calawi, Chahriar est son complice. Du haut de leur observatoire, ils guettent Chah-Khochin; ils préfèrent des paroles insensées ceux qui ne voient que l'apparence. C'est pour [rencontrer] Chah-Khochin qu'ils ont ravi le troupeau». 11. Baba-Khochin déclare: «O Kaka, apporte-moi Lara-lar! On a ravi le troupeau de Mirza-Aman, allons à son secours. «Khochin est [toujours] éveillé» a dit Amana. 12. Kaka-Rada déclare: «Sur le mont de Palangan, a lieu le combat des virils. On entend le cliquetis des sabres, le claquement des arcs. Là où les hommes fuient la guerre, Le malheur tombe sur les lions valeureux».

75 Les points de suspension remplacent aza, mot qui m'est inconnu; il s'agit éventuel- lement d'un vocable défectueux. 76 Negin: litt. «chaton». Dans ce verset, le mot désigne le chaton de la bague de Salo- mon, et par un procédé de réification, le roi Khochin. 77 Ce verset mystérieux et lacunaire paraît faire référence à d'importants événements encore mal connus.

Journal Asiatique 287.1 (1999): 9-190 MYTHE HISTORISÉ DE L'ÉPOQUE ISLAMIQUE 141

13. Baba-Khochin déclare: «Du nuage printanier, je tire la brume. Au loup féroce, je retire le troupeau. Je n'évalue pas le faste des deux mondes à un demi grain d'orge. C'est moi qui étalonne l'or du monde, je connais tout. Le Bon RayÌana était là, en présence de Yar (= Ami), Prêt et monté sur son cheval, il vint pour la chasse, Afin de conduire les compagnons vers Khawandgar (= Dieu)». 14. Kaka-Rada déclare: «Je suis ivre de la caverne, mais pas du vin. Mon récit entier est [doux comme] une friandise; je suis sans égal. O gens du monde, apportez-moi de Lui un signe. Le monde entier m'appartient, mais je n'appartiens pas au monde». 15. RayÌana déclare: «Du haut d'une montagne, Un cavalier est apparu du haut d'une montagne. C'est Khochin de Khata, Khochin de Khata. Son sabre tranche depuis le Taureau soutenant la terre jusqu'au Pois- son du ciel». 16. Pir-Khidir déclare: «O RayÌana, RayÌan, ô valeureux cavalier! A l'instant même où tu t'es mis en présence du Lion (= Khochin), [Tu as reconnu] Kaka, ce léopard, et [la force de] la main de Kafil». 17. Baba-Khochin déclare: «O RayÌana, prépare [les bagages] que nous suivions la trace des Compagnons. On a conduit le troupeau d'Aman vers d'autres villes Afin que nous puissions voir l'oeil de Khochin». 18. Sul†an-Calabi déclare: «Mille cavaliers sont apparus, un seul était visible. Il a frôlé la terre de son aile78 jusqu'à la mer. 78 Dans les versets 18/2, 19/2 et 20/2, l'expression complexe de pal- i wis rama est sujette à une double interprétation lexicale et sémantique.Tout d'abord, le vocable pal si- gnifie à la fois «plume» (donc aile) et «attaque», palmar étant la forme complète pour ce

Journal Asiatique 287.1 (1999): 9-190 142 M. MOKRI

Ce cavalier est Chah-Khochin; il possède mille noms».

19. Chahriar déclare: «Mille cavaliers sont apparus, un seul connaissait l'art de la couture. Il a frôlé le ciel de son aile78 jusqu'à la terre. Ce cavalier est Chah Khochin; c'est lui qui conduisit la balle [de polo] à son but».

20. Me-zard déclare: «Mille cavaliers sont apparus, un seul d'entre eux possédait le signe. Il a frôlé de son aile78 la lune qui surmontait l'ombrelle79 [royale]. Ce cavalier est Chah Khochin; c'est lui qui conduisit la balle [de polo] vers la lice». 21. Sul†an-Calabi déclare: «Je l'ai fait pour le Roi. Ce rapt du troupeau, je l'ai fait pour le Roi. Mon Maître est apparu, son cheval est jaune. Mon Maître est Khochin, il est le remède à tous les maux». 22. Chahriar déclare: «O Calabi, le troupeau! Mon Maître est apparu, ne fais plus marcher le troupeau. dernier sens. En effet, dans maints textes (y compris les recueils lyriques et épiques), pal a été employé comme une variante dialectale de palmar / palamar / palamar. En second lieu, le prétérit rama qui est issu du verbe polysémique raman (voir la 1ère partie de cette étude, «Formes verbales») est susceptible de désigner aussi bien l'action de «frôler» que celle de «engager» ou «précipiter sur». L'équivoque a mérité d'être ici relevée. N'oublions pas que l'évocation de «l'aile» confirme l'aspect mythique de Chah Khochin, «Aigle Royal». 79 Le vocable saywan Ê«uO, archaïque et typiquement gourani, demeuré si mystérieux, même pour les anciens vétérans gourans de cette tradition (que j'ai eu l'occasion de ren- contrer en 1945 et les années suivantes) ne peut que signifier «ombrelle» et être une forme ancienne, équivalente au persan sayban ÊUU (< saya-ban / saya-wan) «dispositif qui protège des rayons du soleil en répandant «l'ombre». Il répond exactement à la même construction lexicale que le français «ombrelle». C'est un exemple précieux d'une simili- tude du fonctionnement linguistique entre deux vocables remontant chacun à travers sa propre filière à une origine, initialement commune. A partir de ce sens étymologique, l'emploi du mot saywan s'est étendu, surtout dans les œuvres lyriques et épiques gouranies, à la désignation d'une tente royale de grande dimension, le vocable devenant même un synonyme du aywan / iwan persan «le palais», «la terrasse ombragée».

Journal Asiatique 287.1 (1999): 9-190 MYTHE HISTORISÉ DE L'ÉPOQUE ISLAMIQUE 143

Son [Kaka-] Rada est auprès de lui; mon Maître ressemble à une flamme de bougie. Sa bougie est le soleil, il est sans défaut». 23. Me-zard déclare: «Khochin est le Tout-Puissant. Mille cavaliers sont apparus, un seul d'entre eux est le Tout-Puis- sant. Le Tout-Puissant est Khochin, nous sommes son gibier. Avec [sa] miséricorde, jouez de vos instruments pour l'amour de Yar (= Ami)». 24. Me-zard déclare: «O Chahriar, [soyons] ivres. Par [sa] miséricorde, soyons ivres. Pour l'amour de Yar (= Ami), chantez le chant de hay-wast hay-wast (= Il s'est projeté, Il s'est projeté [en tout lieu]). Mon Maître, par sa majestueuse splendeur, n'a pas d'égal». 25. Baba-Bozorg déclare: «Elle sera manifeste. La loi de ta Divinité, elle sera manifeste. Si c'est toi qui as fixé la terre et le firmament, Donne l'ordre que le mont Yafta-ku prenne la parole». 26. Baba-Khochin déclare: «O Yafta-ku, sois éloquent, parle! C'est l'ordre du Dieu des deux mondes». 27. Yafta-ku déclare: «Le lieu des pas du secret. Je suis Yafta-kuh, le lieu des pas du secret. C'est sur mon sommet qu'était assis le Roi des rois de l'époque de la Perle. Baba [-Bozorg], c'est assez, ne fais plus de ruse!» 28. Baba-Bozorg déclare: «Elle sera reconnue. Ta mission divine sera reconnue.

Journal Asiatique 287.1 (1999): 9-190 144 M. MOKRI

Si c'est toi qui as créé Adam, Incite Yafta-ku à se mettre en parole!» 29. Baba-Khochin déclare: «O Yafta-ku sois éloquent, mets-toi en parole! C'est un ordre de la part du Dieu Puissant». 30. Yafta-ku déclare: «Le mont de l'au-delà. Je suis Yafta-ku, le mont de l'au-delà. Il s'est assis sur mon sommet, Khochin, le Dieu unique. Khochin est sans égal, ô Baba [- Bozorg], j'en témoigne». 31. Baba-Bozorg déclare: «Elle sera prise en compte. Ta mission divine, elle sera prise en compte. Si c'est toi qui as créé la terre et le firmament, Incite Yafta-ku à te donner la réplique». 32. Baba-Khochin déclare: «O Yafta-ku sois éloquent, parle! Par ordre de Khochin et pour l'amour de [Kaka-] Rada». 33. Yafta-ku a dit: «Le mont Palangah (= Palangan). Je suis Yafta-ku, le mont Palangah (= Palangan). Il s'est assis sur mon sommet, le Maître des nobles. [Je suis] le trône de Chah-Khochin, le siège des requins. Prosternez-vous, ô gens du pays!» 34. Baba-Bozorg déclare: «Khochin est Dieu. Témoignons tous que Khochin est Dieu. Nul n'est son égal, [Kaka-] Rada est son compagnon. Sur le mont de Yafta-ku, voilà que nous nous sommes joints au Roi». 35. Khochin déclare: «O Maître (Pir) vétéran (pich-qadam), ô preux Kaka [- Rada]! C'est nous qui avons détruit le fort de Kangawar».

Journal Asiatique 287.1 (1999): 9-190 MYTHE HISTORISÉ DE L'ÉPOQUE ISLAMIQUE 145

36. Kaka-Rada déclare: «O Khochin, source du Paradis (Kawther)! Anéantis les traces [de Kangawar], qu'il n'en reste plus nul vestige». 37. Sul†an-Calabi déclare: «O lucide (bina) Khochin! O cavalier au cheval jaune, ô lucide Khochin! La ruine est périssable, Kangawar est ce monde. Si telle était ta volonté, tu le ferais identique». 38. Me-zard déclare: «Khochin n'a qu'une parole. Calabi est le Chimal80, il parcourt le monde entier. Chahriar incarne Sa¨di, on demande de battre du tambour [devant sa cour]». 39. Khochin déclare: «O Chahriar Falak [ad-] Din! Je m'adresse à toi, ô Chahriar Falak [-ad] Din! Par devant [nous] est le sabre à double tranchant (du-dam) et dans notre main repose le chaton (nigin). Par ordre du Roi, selle ton cheval. Je m'adresse à toi, ô Chahriar sans défaut! C'est nous qui avons démoli le fort de Kangawar. C'est nous qui avons fait surgir du fond de la mer la Perle [pré- mondiale]. C'est nous qui avons fait inscrire dans le Registre le nom de Baba- Adam». 40. Chahriar déclare: «O Roi, l'Instaurateur des lois et du Pacte! Grâce, grâce, ô Roi, l'Instaurateur des lois et du Pacte! Kangawar est ce monde, réduis en poussière ce monde. Anéantis ses traces, mets en poudre ses pierres!»

80 Chemal, litt. «vent du nord», la tradition représente ce vent comme le coursier gris de Pir-Dawud (ici, incarné dans «l'habit» de Calabi).

Journal Asiatique 287.1 (1999): 9-190 146 M. MOKRI

41. Kaka-Rada déclare: «O Calabi sois prêt! En présence du Roi, sois prêt sur-le-champ! Tu es le compagnon du secret, tu as une pensée dans la tête. C'est toi [qui plies les tentes du Roi] au crépuscule, c'est toi le gendre». 42. Me-zard déclare: «O notre Khochin, ô toi! Grâce, grâce, ô notre Khochin, ô toi! Tu as parcouru le monde de haut en bas. Ta splendeur est parfaite, jusqu'à quand cette splendeur?» 43. Khochin déclare: «O Me-zard sans défaut! J'ai confié à toi la vérité, à [Kaka-] Rada le Pacte. C'est nous qui avons fait inscrire dans le Registre le nom de Baba- Adam». 44. Baba-Bozorg déclare: «Les cavaliers poursuivent la trace. Je suis cet onagre dont les cavaliers poursuivent la trace. Nul chasseur ne m'a pris au lasso. Nul Roi-cavalier ne parvient à suivre la poussière de mes pas». 45. Khochin déclare: «O Baba [- Bozorg], si tu prétends être l'onagre, je suis le chasseur. Je te joue plusieurs tours. Pour dépiter l'ennemi, je décoche une flèche, Afin que tu saches ainsi que je suis le [véritable] chasseur». 46. Baba-Bozorg déclare: «Je suis cet onagre; je porte sur la tête le crâne du boeuf. Sur le mont de Yafta, cette nouvelle est arrivée jusqu'à moi. Je suis cet onagre, c'est Khochin qui s'appuie sur moi». 47. Khochin déclare: «Je suis ce bouquetin dans le troupeau des êtres verts (kham) et mûrs (pukht‹a›). Je suis cette lampe dans le cœur du compagnon ardent (sukht‹a›).

Journal Asiatique 287.1 (1999): 9-190 MYTHE HISTORISÉ DE L'ÉPOQUE ISLAMIQUE 147

Je suis cette cornaline cousue (dukht‹a›) au-dessus de toutes les cor- nalines». 48. Khochin déclare: «Je suis cette perle qui s'est posée sur toutes les menues perles. Si tes paroles sont erronées, c'est moi qui suis dans cette plaine le guide (le chasseur). Si tu aspires ce monde en une seule bouffée, Je te traîne [à mort] comme le tyran Zahhak (= ∆aÌÌak)». 49. Baba-Bozorg déclare: «O Roi! Je suis cette personne enregistrée sous ton ordre. Si j'ai évalué ce monde à un seul grain d'orge, Je me repens; tu me pardonnes pour l'amour d'un seul cheveu [de MuÒ†afa]». 50. Khochin déclare: «Ce cheveu qui fut créé de la plante de mon pied, Ce cheveu n'est autre que toi-même, ô Baba [-Bozorg] au bon témoi- gnage. Si tes paroles sont erronées en présence du Roi des rois, Je te pardonne pour l'amour d'un seul cheveu [de MuÒ†afa]». 51. Baba-Bozorg déclare: «O Roi! [Malgré] cet arc que tu tiens dans ta main, Quiconque a dévié son chemin, n'éprouve nulle crainte dans ta lice. [Puissé-je] tomber de nouveau dans le crochet de ton souffle!» 52. Kaka-Rada déclare: «Il n'y avait aucune crosse pour guider ta balle. Il n'y avait aucune limite à ta lice. Quiconque entre dans ta lice et y pose le pied de travers, Reçoit une morsure de léopard à laquelle il n'existe nul remède». 53. Khochin déclare: «Je suis cette balle dont la crosse était Nawa. Sur le mont de Biwar, Nawa devint ™uba (arbre du Paradis). Quiconque ne goûte pas la saveur du ™uba,

Journal Asiatique 287.1 (1999): 9-190 148 M. MOKRI

Recevra de nouveau un coup des griffes acérées du léopard». 54. Sul†an-Calabi déclare: «O Roi, celui qui ne porte pas ton fardeau, Tu le fais monter sur un cheval rétif. Il ne goûtera pas en vérité la saveur du ™uba». 55. Me-zard déclare: «O Roi, une balle qui ne connaît pas sa [véritable] crosse, Si elle ne dévie pas dans cette lice sans limite, Elle n'éprouvera pas en vérité la saveur du ™uba». 56. Khochin déclare: «Fais des Pages les tuteurs de ce lieu d'ancrage. Expulse de ta pensée la saveur du ™uba. Mon Hawach est à présent Calabi, je le nommais auparavant Qammar (= Qanbar)». 57. Baba-Khochin déclare: «O vous semblables aux perles, ô vous semblables aux perles, la [vraie] perle gît dans notre cœur. Depuis le fond des mines jusqu'au non-espace s'étend notre demeure. Ma beauté est telle que je ne suis épris du visage de personne. Je m'éprends du visage de celui qui est captif de ma face de lune». 58. Baba-Khochin déclare: «O vous semblables aux perles, ô vous semblables aux perles, notre demeure est au sein de la Perle. Si notre main est vide, en revanche notre oeil est plein. Au sein du monde caché, notre demeure est dans le secret. Quiconque a surgi de la Perle, sa demeure est dans la Perle». 59. Baba-Khochin déclare: Les gens par insouciance ont perdu le chemin. Je possédais mille et un noms, l'un de ces noms est Chahanchah. Neuf cent quatre-vingt-dix-neuf de mes noms sont gravés dans le Re- gistre. Six [de mes Manifestations?] sont déjà passées, la septième est parve- nue à sa fin».

Journal Asiatique 287.1 (1999): 9-190 MYTHE HISTORISÉ DE L'ÉPOQUE ISLAMIQUE 149

60. Kaka-Rada déclare: «Khochin est arrivé du mont de Buluran. Sois assuré qu'il est le Roi-Cavalier, le Juge, celui qui vient d'arriver. C'est le cavalier monté sur le cheval gris, celui qui connaît tous les secrets. Il est le sage de l'Inde, le gardien du secret». 61. Hindu déclare: «O Roi! Je suis Hindu, je possède un rebab. Les suzerains des villes m'ont envoyé pour t'injurier. Tu m'as révélé la Vérité, tu m'as fais [connaître] la Ka¨bah». 62. Khochin déclare: «O Hindu, ne sois pas hypocrite! O Hindu, ne fais pas [connaître] la Ka¨bah par hypocrisie! Si tu es un homme au cœur blessé, que tes plaintes soient pures! Les experts en or pur connaissent ta marchandise». 63. Hindu déclare: «O Roi! Tu étais mon Commencement, tu seras ma Fin. Tu nous as peint avec une goutte de sperme. Je n'ai cure de ton Paradis, ni de ton Enfer. Mon espoir se résume à ta présence parmi nous». 64. Hindu déclare: «Une parcelle de ton Essence est en moi. Je suis le possesseur du Capital, une parcelle de ton Essence est en moi. Mon cœur est un dépôt, il renferme un trésor. En tout ce que je fais, c'est ta main qui agit. Quiconque voit la vérité, voit que tout vient de Dieu, quiconque a une vue déformée, voit que tout vient de l'homme». 65. Khochin déclare: «Hindu, toi-même tu sais. Ne marche pas sur une route où tu ne peux marcher. Ne profère pas une parole dont tu ne maîtrises pas le sens. Ne monte pas sur une barque, si tu es un nageur inexpérimenté.

Journal Asiatique 287.1 (1999): 9-190 150 M. MOKRI

Que ne chavire pas la barque, tu serais pris dans la tempête!» 66. Hindu déclare: «Depuis le jour du Pacte prééternel. Je suis Hindu, depuis le jour du Pacte prééternel. Ma demeure est à Zabulistan, personne n'est mon père». 67. Khochin déclare: «O Hindu! Que tu n'aies ni progéniture, ni descendance, ni mère, ni aïeul! Hormis nous (= moi), que tu n'aies personne». 68. Hindu déclare: «O Roi! Tu es à la fois le possesseur de la barque et le meilleur nageur. Comme les bienheureux, tu mâches du pemza. Pour les profanes tu n'es qu'un humain, pour les Compagnons tu n'es autre que Dieu. Je crains ce jour où tu partiras sans nous mener quelque part». 69. Khochin déclare: «O Compagnons à Basu! O Compagnons, venez à Basu! Il est plus aiguisé qu'un sabre et plus mince qu'un cheveu. Personne ne le franchira avant que le franchisse Hindu». 70. - «Que nos langues témoignent pour ce miroir du cœur! Prononçons l'éloge du Roi Khochin avec l'oeil et l'âme! Baba-Khochin a soulevé une émeute dans le pays du Luristan. Avec l'armée des Neuf cents-Neuf cents [disciples], il s'est dirigé vers le Gawaran (= Gouran). Il a choisi le Qal¨ah-Chahin pour champ de bataille. Il a fait de la rivière de Mirig sa ligne de démarcation. Il a transformé les terres de Cal-i Ganduman en cimetière des hommes». 71. Khochin déclare: «O Kaka [- Rada], va annoncer à Faqih: Bonne nouvelle! le Roi est venu, il est ton hôte. O Kaka [- Rada], lève-toi et chevauche le filet du secret (dam-i sirr),

Journal Asiatique 287.1 (1999): 9-190 MYTHE HISTORISÉ DE L'ÉPOQUE ISLAMIQUE 151

Va annoncer à Faqih la venue du Roi des rois, du Roi de la Perle». 72. «Kaka [- Rada] s'est empressé auprès du Roi. Il s'est mis en route, Kaka-Radah. Afin de porter son témoignage à Faqih». 73. «Faqih après avoir entendu ce message. S'est rendu, emporté, au bord de la rivière. Tenant avec Kaka [- Rada] ce discours». 74. Kaka-Rada déclare: «O Faqih, bonne nouvelle pour ce pays. Il est venu auprès de toi, Kaka [- Rada], habile en toute chose. Khochin est venu semblable au soleil». 75. Faqih déclare: «Voilà de longues années, voilà de longs mois, que nous sommes dans cette étroite vallée. Le bouclier sur l'épaule, l'oreille aux aguets, Le pied dans l'étrier, la lance dans la main: Le jour du combat, nous serons des requins. Qui donc est ce Khochin, pour que nous l'adoptions». 76. Kaka-Rada déclare: «Je suis un aigle blanc, le bout de mon aile est de couleur turquoise. Quiconque ose aujourd'hui venir combattre Khochin, Ne s'en retourneront indemnes, ni lui, ni son cheval, ni sa famille». 77. Faqih déclare: «Je suis une haute montagne (Barza-kuh), je domine tous les monts. Je suis [comme] la Mer de Qurzum (= Qulzum) et je ne suis bordé d'aucune rive. Nul roi-nageur ne peut me traverser». 78. Kaka-Rada déclare: «Je détruis tes hautes montagnes (Barza-kuan-it). J'arrache81 les bras de tes maîtres nageurs. 81 Le verbe employé est s—U marin (= malin) signifiant littéralement «malaxer» ayant dans ce contexte une idée de violence, d'où la traduction «arracher».

Journal Asiatique 287.1 (1999): 9-190 152 M. MOKRI

J'aspire entièrement ta Mer de Qurzum. O Faqih, dis-moi, qu'es-tu? quoi? Pour disputer, pour chercher querelle avec le Roi, avec le Roi des aigles?» 79. Faqih déclare: «Je suis un aigle noir, parmi les noirs-aigles, noir comme un hindou. Sur les durs rochers des montagnes, je construis mon nid. Qui donc est Khochin, qui, pour que je l'admette?» 80. Kaka-Rada déclare: «Je suis un aigle blanc, le bout de mes ailes est turquoise. Nous avons nagé dans la Mer d'Oxus (Amuy)82. Nous avons fait du jour une nuit et de la nuit un jour. Cette tunique est dépourvue de trame et de chaîne. O Faqih, qu'es-tu donc, quoi, en ce lieu? Pour chercher querelle et hostilité avec le Roi des aigles?» 81. Faqih déclare: «Je suis un aigle noir, un aigle noir, aux griffes de fer. La nuit, je m'enivre, et le jour je combats. Un mort glorieux vaut mieux qu'un vivant déshonoré». 82. Kaka-Rada déclare: «Je suis le blanc-aigle, mon aile effleure le ciel. Mon nid est construit à la cime des montagnes; mes grains me vien- nent du monde éternel. O Faqih, qu'es-tu, dis? ouvre tes yeux». 83. Faqih déclare: «Je suis un aigle noir, juché sur les rochers. Je formai des voeux sur chacune de ces montagnes. J'ai retiré le voile et j'ai entrevu Dieu. Quiconque a vu Dieu, ne se prosternera plus. Celui qui ne s'écrie pas «ô Khochin, tu es Dieu», Que sa femme soit répudiée, et que Dieu n'assure plus sa subsis- tance».

82 Amou-Daria.

Journal Asiatique 287.1 (1999): 9-190 MYTHE HISTORISÉ DE L'ÉPOQUE ISLAMIQUE 153

84. Khochin déclare: «C'est nous qui apparaissons, c'est nous qui sommes, c'est nous qui sommes. Ceux qui témoignent dans le monde, affirment que c'est nous qui som- mes. La taille juste et ceinte, nous sommes pareils au roseau. Pour ceux qui s'acheminent sur la Voie, nous montrons la voie. C'est nous qui avons enseigné aux médecins les remèdes. Au commencement, nous étions le Roi, à la fin nous sommes encore le Roi. Lorsqu'on exige des hommes le détail des comptes, Celui qui n'entre pas dans les comptes, c'est nous».

85. Khochin déclare: «O Faqih, approche, que nous et toi, soyons ensemble. Apportons une romaine et pesons les hommes. Le plus lourd d'entre nous, c'est lui le guide».

86. Khochin déclare: «O Faqih, approche, que nous et toi, ne nous offensions pas! Apportons une romaine, pesons les hommes. Le plus lourd d'entre nous, c'est lui le trésor». 87. Khochin déclare: «Nous sommes83 pareil aux premiers jour et mois de l'année, au com- mencement de toutes les années. Nous sommes la perle intacte, la plus prestigieuse parmi les cornalines. Nous sommes ce cavalier qui mit au pillage la ville de Baghdad». 88. Faqih déclare: «O Roi, j'étais dans le néant, tu m'as rendu à l'existence. Avec une goutte de sperme, tu as créé mes mains et mes pieds. Je ne connaissais guère la juste Vérité. C'est toi qui m'as fait l'adorateur de Vérité».

83 Ce «nous» employé par Ch. Kh., correspond à un pluriel de majesté, mis pour la 1ère pers. du sg. L'accord de l'adjectif est effectué en français selon le sens.

Journal Asiatique 287.1 (1999): 9-190 154 M. MOKRI

89. Khochin déclare: «O Faqih, c'est nous qui t'avons créé. Puisque nous couvrons les péchés, nous n'avons pas fendu le rideau de ton secret. Nous t'avons absous pour l'amour d'un seul cheveu de Baba- MuÒ†afa». 90. Khochin déclare: «Je suis cette perle, ce trésor au sein des ruines. Je suis un maître de paroles, je pèse profondément les paroles. Nous sommes au sommet du cercle des dix et deux (les douze Imams), des quatre et des cinq. Nous ne nous offensons pas de ces aveugles qui ne voient rien». 91. Faqih déclare: «O Roi, c'est toi qui nous a créé. Je commettais maints péchés, tu les voyais tous. Viens, pour l'amour de tes huit et quatre (les douze Imams), pardonne mes péchés. O Roi, tu as vu les péchés, fais semblant de ne les avoir pas vus». 92. Kaka-Rada déclare: «Mon enfant Khochin est un noble derviche. J'ai dans ce carquois plusieurs flèches du monde caché (ba†in). Quiconque met en doute l'œuvre de Khochin, Recevra une morsure de léopard telle que jamais la plaie ne se refer- mera». 93. Faqih déclare: «O Kaka [- Rada], tu es le léopard gardant les lois et le pacte. Cycle après cycle, tu nous as accompagné, vêtu d'un «habit» humain. Khochin est Chahanchah (= Roi des rois), tu en es la colonne». 94. Kaka-Rada déclare: «Mon enfant Khochin possède une demeure en Bulghar. Je dispose de l'antidote secrété par le boeuf de montagne, j'ai entre les mains le commandement sur l'oiseau, la fourmi et le serpent. Quiconque met en doute l'œuvre du Roi, Sera conduit en Enfer, bon gré, mal gré».

Journal Asiatique 287.1 (1999): 9-190 MYTHE HISTORISÉ DE L'ÉPOQUE ISLAMIQUE 155

95. Kaka-Rada déclare: «Mon enfant Khochin est un libéré. C'est nous qui avons mené MuÒ†afa derrière le voile. Khochin est le créateur, l'Essence éternelle». 96. Kaka-Rada déclare: «Mon enfant Khochin possède une demeure dans les hauteurs. Lorsque le Roi s'assiéra sur le trône suprême, Je serai l'expert en or pur, je connaîtrai toutes les marchandises». 97. Kaka-Rada déclare: «Nous étions quatre frères et un vieux père, Trois d'entre nous étaient archers et portaient un carquois avec une flèche. Sur les montagnes, nous étions les léopards et dans les bosquets, nous étions les lions. Nous étions les anges dans le ciel et les émirs à la cour». 98. Baba-Khochin déclare: «C'est nous qui avons déposé ce Document (Qabala) sur cette monta- gne. O amis qui vous êtes peints vous-mêmes, écoutez: Celui qui descend le Document, Qu'on sache que celui-ci est le Bon Khochin». 99. Nisa déclare: «O aimé Îaydar! Je m'adresse à toi, ô aimé Îaydar! Pour le Document, ne me contredis pas. C'est Nisa qui le descendra, reste tranquille». 100. Îaydar déclare: «O Nisa, ivre de Dieu! Secouru par l'amour de Khochin, je remonte les sept cieux. Pour descendre le Document, je m'empresse84 en faisant des roulades». 84 Dans les vs. 100/3, 101/3 et 102/4, les verbes sont respectivement mawari, makari et mari qui représentent à la fois la 1ère et la 2e pers. du sg. de l'indic. présent et du subj. On peut également traduire ces trois occurrences par: «Pour descendre le Document, tu veux t'empresser en faisant des roulades», «Pour descendre le Document, tu veux pren- dre ton envol» et «Le Document c'est toi qui veux le déposer à terre». Ces tournures

Journal Asiatique 287.1 (1999): 9-190 156 M. MOKRI

101. Nisa déclare: «Khochin est l'objet de mon espoir. O cher Îaydar, ne me fais pas obstacle! Pour descendre le Document, je prends84 mon envol». 102. Îaydar déclare: «O Nisa, enivrée par la foi! Je t'en prie pour l'amour de Khochin, sois sûre [de mon entreprise]. Tu es femme, de ce sexe inapprochable, ton Chammama (= Kaka- Rada) habite [en ces temps] dans la personne de Muzin. Le Document, c'est moi qui le dépose84 à terre». 103. Nisa déclare: «Ma féminité est inscrite dans mon nom Nisa85. Mon Maître est Khochin, ma féminité est inscrite dans mon nom Nisa84. O Îaydar, Chammama s'est joint à toi. Siqam représente MuÒ†afa, un être [cher] réside dans son glaive à dou- ble tranchant». 104. Khochin déclare: «O Pages ne vous querellez pas! J'ai déposé le Document dans la pierre de cette grotte. Quiconque peut le descendre plaît certes à Khochin». 105. Îaydar déclare: «O Khochin, maître du jour du Pacte, Pour témoigner, tu montres ton souffle. La Rose (= Pir-Musi) et le Chammama (= Kaka-Rada) sont tous deux entre tes mains». sous-entendent une forte opposition de la part du locuteur à l'intervention de son rival. Le double sens à la limite de la contradiction est dû à la désinence - i, commune aux 1ère et 2e pers. Bien entendu, cette désinence reste en premier lieu, comme en persan, la marque de la 2e pers. du sg., ce qui ne doit pas masquer certains emplois propres au gourani, pour marquer la 1ère pers. du sg. 85 Le mot nisa' (d'origine arabe) signifie «femme». Khayr an-nisa' et Omm an-nisa' sont parmi d'autres, deux surnoms de Fa†imah, fille du Prophète. Ici, Nisa est le nom pro- pre d'une femme qui incarne une fidèle disciple de Chah-Khochin, dans un de ses cycles de réapparition.

Journal Asiatique 287.1 (1999): 9-190 MYTHE HISTORISÉ DE L'ÉPOQUE ISLAMIQUE 157

106. Nisa déclare: «O Khochin l'éveillé! O Roi de la Terre et de la Mer, ô Khochin l'éveillé! Si tu me donnes l'ordre d'apporter le Document, fût-il dans la mer, J'irai et je l'apporterai, moi Nisa [qui ne suis qu'un «habit» de] Ramzbar86». 107. Îaydar déclare: «O Nisa, ivre de Lui! Ma Rose et mon Chammama sont l'un à l'autre ce que la trame est à la chaîne. Pour ce qui est du Document, je ne discute pas. J'apporterai le Document, caché dans la pierre de cette montagne». 108. Nisa déclare: «O Îaydar, ô connaisseur de l'or pur! Il fut un temps où j'habitais dans la personne de ¨Ayna, prise dans le tourbillon d'une tempête. On me nomme, à présent, «la jeune fille de la tribu des Djafs». J'apporterai le Document caché au creux de ces rochers de Mu¨af». 109. Îaydar déclare: «O Nisa, ivre de l'Essence divine! Ce sont la Rose et le Chammama qui m'ont sauvé. On a imputé les torts à l'Agneau dans la cour 87. Le Document, je le déposerai à terre». 110. —88. «Mon Khochin fut attrapé. Avec une corde, je m'étais ceint la taille; mon Khochin fut attrapé. Je suis lié à la lance entre les doigts d'Émir (=¨Ali). Chammama est [Kaka-] Rada, estimez-le en Maître».

86 La Mère de Dieu, Ange de la miséricorde. 87 Cet hémistiche étant lacunaire et confus, la traduction en demeure approximative. 88 Le nom du locuteur de ce verset n'est pas mentionné. L'apparente allusion à une réification sous la forme d'une «lance», contenue dans le 3e hémist., invite à penser qu'il s'agit de Îaydar. Ce dernier étant déjà le locuteur du verset précédent, cela expliquerait l'omission de la proposition introductive.

Journal Asiatique 287.1 (1999): 9-190 158 M. MOKRI

111. Îaydar déclare: «O Siqam89, Constance de ce monde! C'est toi qui as illuminé le ciel et la terre. Mon Chammama est [Kaka-] Rada, ma Rose est [Pir-] Musi». 112. Siqam déclare: «O très cher Îaydar! La Rose et le Chammama sont entre tes mains de peintre. Pour apporter le Document, vas vers la montagne». 113. Îaydar déclare: «O Siqam, lance un appel! Pour qu'ils se présentent au Roi, lance un appel aux compagnons. O Siqam du Roi90, ton Essence est le Kay-bi® (le Glaive de ¨Ali). Voici je me suis dirigé vers la montagne pour apporter le Document du secret». 114. Nisa déclare: «O Îaydar, objet d'amour! En présence du Roi, mets-toi en marche91! C'est le Document du secret, prends-y garde!» 115. Îaydar déclare: «O Nisa, ivre de l'Assemblée des Fidèles! C'est le Document du secret, o Nisa ivre de l'Assemblée! Ma Rose et mon Chammama s'accompagnent l'un l'autre. Siqam est dans la gaine, le Roi des rois (Chahanchah) est mon flam- beau92». 116. Nisa déclare: «O Roi! Que tu me nommes «la jeune fille Djaf» ou Nisa, habitée par l'Es- sence de cette même jeune fille, 89 Siqam, nom mystérieux, apparemment la personnification de la notion de «Constance». Il n'est pas impossible non plus que Siqam soit une réification par un objet défini. Cet objet pourrait être le Glaive de Dieu, qui garantit la fermeté et la puissance de Dieu dans le monde. Ce mot, d'origine arabe, signifie «la constance, la fermeté, la résis- tance». 90 Le texte porte chah-i Siqam, mis sans doute pour Siqam-i chah «Siqam du roi». 91 Litt. «pose ton pied devant». 92 Le texte porte le vocable sam (< ar. sam¨) «bougie».

Journal Asiatique 287.1 (1999): 9-190 MYTHE HISTORISÉ DE L'ÉPOQUE ISLAMIQUE 159

Ce Siqam qui est devant le Roi, il viendra à mon secours, Alors, je rapporterai ce Document d'où Dieu l'a déposé». 117. Khochin déclare: «O jeune fille Djaf, aux bonnes pensées! En tout lieu, on te donne le nom de Ramz [-bar], Annonce-le aux compagnons dans un lieu de promesse, Quand tu apporteras ce Document, Ce Document déposé par le Roi». 118. Nisa déclare: «O Roi! C'est toi qui sais. Dans le non-espace, je suis comme Arkhon93. On m'appelle la «jeune fille sunnite»94. Si les compagnons présents dans cette Assemblée viennent à mon se- cours, C'est alors que j'apporterai ce Document lumineux». 119. Îaydar déclare: «O Roi de Mille et de Quarante [Pages]! O toi qui as créé le monde, ô Maître de Mille et de Quarante [Pages]! Tu me donneras l'absolution, ô Roi glorieux95. Mon Chammama est [Kaka-] Rada, ma Rose (= Pir-Musi) «habite» dans la personne de Muqbil». 120. Khochin déclare: «O Îaydar, porte ces charges déposées par le Roi. Si tu proclames: «je porte ces charges», Alors, ce don du Paradis, ce Siqam qui représente mon Hawach, Et à la tête de tous, ce Chammama Maître Dispensateur des Biens, [C'est à leurs soins que] je te confierai». Mon Commencement et ma Fin sont Yar (= Ami). 93 Dans le texte, cun Arkhuni, qu'on peut traduire aussi par «tu es comme Arkhun», la désinence archaïque - i étant commune aux 1ère et 2e pers. du sg. 94 Cette dernière appellation est légitime, la tribu Djaf étant sunnite dans sa quasi-tota- lité. 95 Barza-mil q Á“d, litt. «au cou haut» a pour sens «à la tête haute», «fier», «glo- rieux». C'est l'un des plus prestigieux surnom de ¨Ali, et de manière générale, de toutes les Théophanies.

Journal Asiatique 287.1 (1999): 9-190 160 M. MOKRI

5uUU ¡Á—Ëœ

©π¥ ≠±±π UH ¨vB vDÒ ¡t ÆÈ—uœdÄ ¡t«e Âö “« Ãd®

∫ud «œ— UU Ʊ —Uœ ÚË«Ó ÚœÚdÓ Âd ¨ÂËUÖ tKÓ  tÇ —«uÓ tÇ ÊÓbÚMÓ ¡tÇUM ÁÓ—ÚuÖÓ .œ —«eÓ sAMd«Ó ¨«uuÓ gL ÓÇ —U ËÔdÓÚLÓ ‘ËUÖ ¨UIÃU ‘—U ∫ud «œ— UU Æ≤ —ôU tÓuÔ È« æÁdº ÁÓËÓ—ÓË r «Ë —«“ ÓË ÈËÓd~Ó Ó ¨sœ XOÃU tÇ ∫ud tÃö Æ≥ U«œ —«uÔ ¨«œ— UU È« UULÚ¬ XH tÇ ¨U¬ tLJ Í≈ U«eÓ gÃËÔ“ æ˺ ÊUdà pK ∫ud «œ—UU Æ¥ ° tÃö t«eÓ gÃË“ ÓË tO ‰ËÔ“ u ¡tULÓ t«Òd dO —UIHë˖ Ë ‰bÃœ V U tU¬ «“dO ¡tU ÊULN ÓË œd ÚvÓ1« ÆåsAMd«ò ÈU$ ¨ågMd«ò 7 —œ ∫≥ ¡t~Mà ¨± bM Æœu v kÒHK rO ÊuJ ÈdF —Ëd{ XUM0 ËÔdÓÓ/ ¡tLK ∫¥ ¡t~MÃ

Journal Asiatique 287.1 (1999): 9-190 MYTHE HISTORISÉ DE L'ÉPOQUE ISLAMIQUE 161

∫ud 5 u Ƶ U«Ë XDK ¨jK u UU U«e fJâO æÊ«œeº ÊU t«œe s UUL¬ XH ¨æ5“º o XH V U UU¬ æȺ ÊULNæÓ˺ tÃö VdæÓ˺

∫ud «œ— UU Æ∂ ° ÁU U bM«d Ê«—«u ¨rO«—«u bË«b Ê«dOÃœ ¨rO«dOÃœ beÖ Ê«dJ ÊULMÇ ÊUMU—u b“d gMO u ¨«dJ Ó tÃö

∫ud 5 uUU Æ∑ tMO~— ÂUU ¨tÃö ÂUU tMOÇ ÓË tMOÇ ¨ÂU¬ ÊËÔœ ÓË ÊËÔœ tMO uÔ gUÄ æÚuÓº ¨uÔUMA æo ÓË È«bº fd tMb dO ÊUMJÒ æ—«uÔº ÁU 

∫ud 5 uUU Æ∏ tMO —U ÓË ÁdO ÈdA~« tÃö Á“¬ Á—uÄ XË

Ëœ U® dJ ¥ t~Mà ¨∂ bM ≠ Æ+U¬ «“dO ¡tU ÊULN Ë —«u tÃö Vdd vMF ∫¥ ¡t~Mà Ƶ bM rE ∫∏ bM ≠ ÆåÊU tJòÒ ÈU$ åÊU tOJòÒ 7—œ ∫¥ ¡t~Mà ¨∑ bM ≠ ÆÁdU ∫©·U dJ ¨U$ d¬ ¡t~Mל® åueò ¡Á˛«Ë ÆX« vz«b«Ë lÒ$d( vu ÈUUI ôUL «Î öLË ‘uAG U t~Mà ÆX« ©È—«bMÄ ¨vuÖ Ω® åÚeÓLÔ ò v«—u Ë Èœd qF r« ‰œUFË .bÁ ÈdÃÔ `KDB ©∏ bM

Journal Asiatique 287.1 (1999): 9-190 162 M. MOKRI

Á“UÖ Ë r“ ÈœdÖ ÈUH tMO —U ÓË ÁdO ÈdA~« tÃö t«—«œd 5~ t«—ULO ÈœdÖ ÈUH v d{U tUÇ —b dOÄ tU— ÈdA~« U¬ ‘Ëd U—œ U—b ÚXÚHÓ ÈdA~« tU“ d¬ ue U—œ ‘Ëd

∫ud —b dOÄ Æπ ° U U tUO È« tÇ ¨UOL ›v¤ wÃUÁ tU¬ «“dO æ¡tUº ¡t— ÓË ÊU «œ tU«œ U dætº ævº d Ë ÒdÓ ÈU u

∫ud 5 uUU Ʊ∞ XH ‘—UdN ¨UuKÇ Ê“ t— XH uÇU dUÿ Ê«dJÓ Ó æ5 u ÁU º v«Ë Ábœ X— Ê«dÓ t— ÊöO~Ó ›5 u¤ ÁU vÄ

∫ud 5 uUU Ʊ± Á—ËU vÄ Â—ô Á—ô UU Á—«ËU vÄ vLK ÊUd æÊU¬ «“dOº t— Á—«bO 5 u s Ë tU¬

ÆåÍ« tÇò ÈU$ åvÇò 7—œ ¨± ¡t~Mà ¨π bM

Journal Asiatique 287.1 (1999): 9-190 MYTHE HISTORISÉ DE L'ÉPOQUE ISLAMIQUE 163

∫ud «œ—UU Ʊ≤ t«d @M ¨ÊU~MKÄ Èu d tUL »d{ æ—UǺ ¨dOAL „UÇUUÇ t«d dO ¨ÚÊœdÖ —œ ö bedÖ @M “« Ê«œd t › vz ¤ U$¬

∫ud 5 uUU Ʊ≥ «— tœ —¬ —b Ê«—UN d« “« «— Ád +U ÁbÒ—œ ¯dÖ “« Âd u rO ætº ÊUNËœd ¡tbœ «— tL rUM v ¨+UN ·«Òd —U —uC t æv d{U º tUÇ tU— —UJ vÄ U¬ Vdd{U ÓË —UÚbËU ÈdÓÄ ËÔ—ÓËU Ê«—U ∫ud «œ—UU Ʊ¥ t v “« vÃË ¨U«d “ 櫺 r t v rHd X« qI tL rKI ÈË “« b—UO ÊUA ¨ÊUO*U æÈ«º t ÈË “« s X« s“« tL rÃU

∫ud tU— Ʊµ vzU ôU tÇ

7 —œ ¥ Ë ≥ ÈU t~Mà vUUÄ ULK ±¥ bM ≠ Æå—¬ —bò ÈU$ å—«dò 7—œ ∫± ¡tJMà ¨±≥ bM «dUÿbMÎ s« ÆåtLò ÈU$ åÊULò 7—œ ≤ t~Mà ÆX« vUOÁ Áb Áœu/ —u U$M« —œ Ë U«uU Æœ—«œ eO vzU$ dF U vdA tË ¨Ê“Ë ÿU(“«ÆX« ‰uIMË vU—

Journal Asiatique 287.1 (1999): 9-190 164 M. MOKRI

vzU ôU tÇ È—«uÔ U¬ vzUD 5 u ¨5 u vzUD vU U ËUÖ tÇ Ë—u gGO

∫ud —b dOÄ Æ±∂ dOÃœ —«uÔ ¨ÊU— ¡tU— dO —uC —œ Èb¬ Âœ s« qOH ¡t$MÄ ¨UU @MKÄ

∫ud 5 uUU Ʊ∑ Ê«—U Êu —œ .d ægJº tU— Ê›«—¤UAÓ ÊU¬ ¡t— ÚÊÓœÚdÓ ÊUAu ¡Ábœ rMO t ›t¤ U

∫ud vKÇ ÊUDK Ʊ∏ «—Uœ ‘u ¨U¬ —«u —«e «—U U Òd tÇ ¨U«— ‘uOKÄ «—«e gL« 5 u ÁU —«uÔ

∫ud —UdN Æ±π “—œ Ë U u ¨U¬ —«u —«e ÷—« U UL tÇ U«— ‘uOKÄ qÒ t vU{« ÈU$ pU X« Áb j{ ©vUD qJA® åtU— tU—ò 7—œ ± ¡t~Mà ¨±∂ bM ¨± ¡t~Mà ¨±∏ bM ≠ Æb— vdEMdUM t « ÁbOM åÊU— ¡tU—ò g«dË ¡«dÁ —œ vÃË è“Ë Æœu v kÒHK 5 ÊuJ vMF ¨›—«uÚ¤ U$ p U U$M«—œ å—«uò ¡tLK

Journal Asiatique 287.1 (1999): 9-190 MYTHE HISTORISÉ DE L'ÉPOQUE ISLAMIQUE 165

“d ÚË«Ó œ—ˬ ‘uÚ ÖÔ ¨5 u ÁU —«u ∫ud œ—“ v Æ≤∞ ÊUAO U u U¬ —«u —«e Ê«uO ÁU tÇ U«— ‘uOKÄ Ê«bO tÇ œd ‘uÖÔ 5 u ÁU —«u

∫ud vKÇ ÊUDK Æ≤± ÊÓœd ÂU ÈdÄ ÊÓœd ÂU ÈdÄ v“ t— È« ÊÓœ—“ UA« ¨«—Uœ ÂU«u ÊÓœ—œ œdÖ ÈUH UMO u ÂU«u ∫ud —UdN Æ≤≤ t— vKÇ t— t«d ¨«—Uœ ÂU«u tL ÊuÇ ÂU«u UAOÄ—œ ‘«œ— tLÖ gMO ¨ÊÓËU¬ gFL ∫ud œ—“ v Æ≤≥ —UÒ 5 u —UÒ U u ¨U¬ —«u —«e —UJ U t1« ¨UMO u —UÒ —UË Èbó ¨ÁË tL — ÓË Æœdò ÈU$ådò 7 —œ ¨≥ ¡t~Mà ¨≤∞ bM Æå‘uOKÄò ÈU$ å‘Ë vKÄò 7—œ ¨≤ ¡tJMà ¨≤∞ bM Æœu v kÒHK U$ pU Ë 5 ÊuJ å—«uò ¡Á˛«Ë Ê“Ë U«d È«d ∫≤ ¡t~Mà ¨≤≥ bM

Journal Asiatique 287.1 (1999): 9-190 166 M. MOKRI

∫ud œ—“ v Æ≤¥ Xd —UdN Xd vËu ÁË tÓL — ÓË XË v XË v ÓË Èbó —U ÓË fÖÓ uO gË XLA v ÂU«u

∫ud ¯—e UU Æ≤µ —UNÿ« uÔÓ U —UNÿ« uÔÓ U ¨XOz«b rJ —«dÁ v«œ u ‘d Ë ‘ddÖ« —UHÖ ÚË«Ó uÔOÓ u tU ÚdÓ ÚvÓ

∫ud 5 u UU Æ≤∂ ÊUe UO u oU u tU ÊUN Ëœ d È«b “« b rJ

∫udÓ u tU Æ≤∑ Òd ÈU~bÁ Òd ÈU~bÁ ¨ÊUMÓu tU Ò—œ ÈUAMN  ¨Âd d tA vMF0Ë v«eë tË® åvËÔuÔò bU p ÊËb Ë X« Áb t u åvuò 7—œ ∫≤ ¡t~Mà ¨≤¥ bM Áœu È—U oU ÈU t«d “« vJ ÂU åÚXÚÓË ÚvÓ XÓË wÓò ¨≥ ¡t~Mà Ɯu kÒHK ©åÂuA U år Uò œdH h rO® XË ¡tLK ÆåbMJ«u dÄ ¨bMJ« u dÄ ›UNu s«d¤ ÊUò ∫X« 5MÇ Ê¬ vMF X« Æœd kÒHK eO å”Ëò Ê«u v«— ©åÊbMJ«—uò «“U$Î Ë ÊbMJ« ¨7«b« vMF0 7Ë —bB“« oKD w{U —œ ©≤ ¡t~Mà ¨≥∞ bM Ë® ≤ ¡t~Mà ¨≤∑ bM ≠ Æ≤ Ë ± ÈU t~Mל åfd Ø X dò X« 5MâL Áb X4 åtAò v—U qJA 7 —œ ∫©≥ ¡t~Mà ¨≥∞bM Ë® ≥ ¡t~Mà ¨åÊUMÓuò ÈU$ åÊU Áuò 7 Æœu v ¡«dÁ åtAÚ ò ʬ Èœd qJ ¨v~MULU“« »UM« È«d wÃË ¨X«

Journal Asiatique 287.1 (1999): 9-190 MYTHE HISTORISÉ DE L'ÉPOQUE ISLAMIQUE 167

ÒdJ Áu ”ÓË ¨sÓOU UU

∫ud ¯—e UU Æ≤∏ Xœ ÓË uÔOÓ U Xœ ÓË uÔOÓ U XOz«b rJ f vœdÖ u Âœ¬ UU dÖ« fH ÚË«Ó uÔOÓ u tU ÚdÓ ÚwÓ

∫ud 5 u UU Æ≤𠉫u t UO u oU uÔ tU —UÒ È«b“« b rJ

∫ud u tU Æ≥∞ vz«u Èu vz«u Èu ¨ÊUMÓu tU vzUJ 5 u Âd d tA vz«uÖ UU ÊUL v 5 u

∫ud ¯—e UU Æ≥± »U uÔÓ U »U uÔÓ U XOz«b rJ ËU vœd u ‘d Ë ‘d dÖ« Ë«u ÚË«Ó uÔOÓ u tU dÓ ÚvÓ vœdÖò —U ∫≥ ¡t~Mל Æœu tF«d ≤¥ bM tå X Ø ”ò t Âu ÈU Á˛«Ë È«d ∫≤∏ bM åX vœdò U åfÓ vœdò ∫b U 5MÇbU ôuLFΠʬ ‰uIF qJ Æb— w dEM ÂuNHU åf ÆX UUB« ÊUL qU Ë ≤∂ bM“« Èd~œ qJ ≤πbM Æ©Í« Ábd¬ ∫È« Áœd X Ω®

Journal Asiatique 287.1 (1999): 9-190 168 M. MOKRI

∫ud 5 u UU Æ≥≤ UO ÊUe u oU uÔ tU «œ— “U ËÓ ¨5 u rJ ËÓ

∫œd ÷d u tU Æ≥≥ ÁU~MKÄ Èu ÁU~MKÄ Èu Ô ¨ÂuÔ tÓU ÁUÖ—e ÈUU tA Âdd ÁU~MN ÈU 5 u ÁU X ÊUJK tKL È«Ó Ê«—ËUÓ œu$

∫ud ¯—e UU Æ≥¥ «b UMO u «b UMO u ¨vLOO v«uÖ UL U «œ— ¨UO f ‘UL æÁº U Ë .«ËU U uÔ tU Èu—œ

∫ud 5 u Æ≥µ —Ëôœ ÈUU ¨ÂÓbÓÁ gOÄ dOÄ —Ë t~M ÈöÁ œd »«d v1«

∫ud «œ— UU Æ≥∂ d4u 5 u d4« ‘uU/ ¨—¬d ‘—U4¬

Æ©œu tF«d ≤∑ bM q– X «œœUO® åtAò ÈU$ åtAò 7—œ ∫≥ ¡t~Mà ¨≥≥ bM

Journal Asiatique 287.1 (1999): 9-190 MYTHE HISTORISÉ DE L'ÉPOQUE ISLAMIQUE 169

∫ud vKÇ ÊUDK Æ≥∑ UMO 5 u UMO 5 u —«uÔ Áœ—“ ÈU UOœ —Ë t~M vU t«d UL gdJÓ Ó ¨uÔ XKO dÖ«

∫ud œ—“ v Æ≥∏ ‰ÚuÓÁ p 5 u ‰ÚuÓ ÊÓœ«œ ‘UOœ ‰UL vKÇ q Êœd VK UbF—UdN

∫ud 5 u Æ≥π Æsœ pK —UdN sœ pK —UdN su vMÓÇ “« 5~ sÓ Xœ ÓË ¨Âœ Ëœ uK s“ ÁÓdÓ —ÚuÓ ¨ÁU ÈU Á—«Ó ÓË œdÖ v —UdN su vMÇ “« œd Ë«d v1« —Ë t~M ÈöÓÁ œ—ˬd v1« U—œ ÈU t Ò—œ œd ÚË«Ó œÚdÓ v1« Âœ¬ UU ÂU

U$M«—œ Æè« ‰uÓ Ø ‰ÚuòÓ Èœd ¡Á˛«Ë vœ« Ë v—U ‰œUF åqÚòÓ ¡Á˛«Ë ∫≥ ¡tJMà ¨≥∏ bM s« —œ ÆX« tOUÁ r ©Êôu Ω® ‰uË ‰uÁ ULK U Ëœu w kÒHK å‰ÚuòÓ Ê¬dUÿ qJ œuËU t® å—UÚ—U ò d~œ ÈUbM Ë bM s«—œ «d¬ UÃUËÎ œu v kÒHK U$ Ëœ UË ¡«— ÊuJ å—UdN ò Ÿ«dB åÂœ¬ UUò ∫π ¡t~Mà ÆåXœò ÈU$ åÁuœò 7—œ ∫≥π bM ≠ ÆbMM v ¡«dÁ ©X¬ Èœd qJ Æœu v kÒHK åÂÓœUUò U$M«—œ

Journal Asiatique 287.1 (1999): 9-190 170 M. MOKRI

∫ud —UdN ¥∞ ◊d V U ÈU U ◊d V U ÈU U ÊU¬ sÓU¬ œÚdÓ ÓË ÚdÓ ‘œ ÚdÓ ¨—¬ d ‘—U4¬ œÚdÖÓ ÓË ÚdÓ ‘UOœ ¨UOœ —Ë t~M

∫ud «œ— UU Æ¥± dÓ d{U vKÚ ÓÇ dÓd{U Âœ—œ ¨ÁU —uCÓ d t U «u ¨v ÁÒd —U æu º du ÁU“ ¨vMAOÓ oH

∫ud œ—“ v Æ¥≤ vÓ U 5 u vÓ U 5 u ¨sÓU¬ ÊU¬ vÓ Êœd UOœ UÄ ÓË U d t vÓ U XLA ¨sÓOU XLA

∫ud 5 u Æ¥≥ œdÖÓ v v È« œdÓ È«œ— rd  u ÓË «œ rÒI

Æœu w kÒHK vKÚ ÓÇ qJA Ë Âô ÊuJ U$M«—œ åvKÓ ÓÇò ÂU dF Ê“Ë U«d È«d ∫± ¡t~Mà ¨¥± bM —U bM s«—œ ÆX« Áb j{ ©U$ p U® å—Uò ÈU$ ©U$Ëœ U® å—ËUò UU «Î 7—œ ∫≥ ¡t~Mà U vKÇ vÓÓ X«dÁ“« vU Ë b U ådu Ë U«“ò nB t œ—«œ ‰UL « ¨ådu ÁU“ò s Ë—dO œU«œ Ë ©Èœd®Ô «Ë«“ ¡tAdL Ë ‰œUF v«—uÖË vU«—Ë«—œ åU«“ò ÆX« lL$ s«—œ d{U œ«d«“« vJ ÆX« ©v—U®

Journal Asiatique 287.1 (1999): 9-190 MYTHE HISTORISÉ DE L'ÉPOQUE ISLAMIQUE 171

œd ÚË«Ó œdÓ v1« Âœ¬ UU ÂU

∫ud ¯—e UU Æ¥¥ Ê«—«u œœdÖ rOÄ Ê«—«u œœdÖ rOÄ Â—uÖ Ê¬ s Ê«—UO«œ êO œ—ËU 3«b Ê«—«uN êO bd Âœd~

∫ud 5 u Æ¥µ +«ËÚdOâÓ s È—uÖu ædÖº UU +UL u U qL Xœ ›s¤bMÇ dO +“ UÄ d ¨sL œ È—uJ +«ËÚdOâ s t v«b U

∫ud ¯—e UU Æ¥∂ «d d ÂËUÖ tKÒ Â—uÖ Ê¬ s «d s« ÂbO— tÓÚU Èu —œ «d~Mà —œ rMO u rÓ—uÖ Ê¬

∫ud 5 u Æ¥∑ XÔÄ uU ¡tKÒ —œ rKÒ Ê¬ s XÔ —U ¡tMO—œ «dÇ Ê¬ s XÔœ ÚÊöFà ÈôUd rKFà ʬ s U$M« —œ Ê«—UO«œ ¡tLK XN 5LN Ë X« vzU$ Áœ“U åUÒuKNò dU dOE bM s« ∫¥¥ bM È—uJò ÈU$ åÊUML œ È—u“«ò 7—œ ∫≥ ¡t~Mà ¨¥µ bM ≠ Æœu v kÒHK ©U$ —UNÇ U® rOdJ ÆåsL œ

Journal Asiatique 287.1 (1999): 9-190 172 M. MOKRI

∫ud 5 u Æ¥∏ rA ›UN—Ôœ ∫ÿ¤ U tÇ—Ôœ —œ ÂÒ—œ ʬ s —˫— ÚÈ«d s«—œ vzuÖ ZdÖ Âœ p t«— UOœ s« vAJÓ dÖ r d vUÒ{ ÊuÇ XLAÓ “U

∫ud ¯—e UU Æ¥π ÁU U u X4 ÊUd —œ rM ʬ s u pO «— UOœ s« rAJÓ dÖ u ÈU  t ÈbOA ÂbœdÖ “U

∫ud 5 u Ƶ∞ U$« b ÂUÄ n “« vzu ʬ «uÖ ‘u ÈUU È« vzu u ʬ ÁUAMN —uC —œ vzuÖ Z dÖ ÁUHDB Èu —U t XÚLA“U

∫ud ¯—e UU Ƶ± ÁU U Xœ —œ Áœuu t vUL ʬ bd X«bO —œ v Z d XÓHÓ »U KÁÒ —œ r«“U ›—«¤ ¡tU{« ¡Ád ·c U ≥ ¡t~Mà ¨µ∞ bM ≠ ÆårA UNÇË—œ —œ ÂÒ—œ ʬ sò 7—œ ∫± ¡t~Mà ¨¥∏ bM ¡t~Mà ¨µ≤ bM ¨≤ ¡t~Mà ¨µ± bM ¨≥ ¡t~Mà ¨µ∞ bM ÆdF Ê“Ë U«d È«d ¡«dÁ—œ å—uC ò ¡tLK ÆåZò ÈU$ tDI t rOÇU åêò 7—œ ∫≤ ¡t~Mà ¨µµ bM ¨≥

Journal Asiatique 287.1 (1999): 9-190 MYTHE HISTORISÉ DE L'ÉPOQUE ISLAMIQUE 173

∫ud «œ— UU Ƶ≤ ° ÁU U œu gUÖuÇ › êO ¤ u ÈuÖ ʬ œu gUUÄ æêOº u Ê«bO s« Z bN ægº UÄ æb¬º u Ê«bO —œ fd œu gU—œ æêOº œ—u È“UÖ @MKÄ

∫ud 5 u Ƶ≥ «u t œu +UÖuÇ ÂÓuÖÔ Ê¬ s Uu b «— «u ¨—uO Èu —œ bAâ ›«—¤ Uu ¡Áe fd U~MKÄ ¡t$MÄ gO œ—u “U ∫ud vKÇ ÊUDK Ƶ¥ bAÓ JÓ u —U v ʬ ÁU U bAd ›t¤ V« ʬ —«u gOMÔ bAÓ Óâ Uu ¡Áe XIOI —œ ∫ud œ—“ v Ƶµ t«b gUÖuÇ t ævzºuÖ Ê¬ ÁU U tUUÄ v Ê«bO æs«º “« bA Z ædÖº t«b Uu ¡Áe XIOI —œ

∫ud 5 u Ƶ∂ d~Mà s« rÒOÁ dJÓ ÚÊUö

ÈU$ åg« Áb«uò 7—œ ¨≥ t~Mà ¨µ∂bM ÆårÒOÁdJÓ ò ÈU$ årOÁd~ò 7—œ ¨± ¡t~Mà ¨µ∂ bM

Journal Asiatique 287.1 (1999): 9-190 174 M. MOKRI

—uO —œ d “« Uu ¡Áe dLÁ ætº g Áb«u ¨vKÇ r ÓuÓ æʬº

∫ud 5 u UU Ƶ∑ X« U ‰œ —œ Ò—Ôœ æÊUH Ò—Ôœº ÊUH Ò—Ôœ È« XU ‰eM ÊUJ0 U ÊU “« rO f ÈË— o U vzË— »u “« X« U æt ÊuÇ ÍË—º o U ¨rÓO ÈË— o U

∫ud 5 u UU Ƶ∏ X« Ò—Ôœ U ‰eM æÊUK Ò—Ôœº ÊUK Ò—Ôœ È« X« dÔÄ U rAÇ ævÃ˺ ›X¤ vN U Xœ dÖ X« Òd U È«ËU ‰eM wMU —œ X« Ò—Òœ Ë« È«ËQ ¨b¬ ædº Ò—Ôœ “« fd

∫ud 5 u UU Ƶπ Á«— b« Áœd rÖ vKU “« ÊUJK ÁUAMN vU ¨œu 3U p —«e dœ t æUJOÄ ÂºÂU tÔ Ë œuË bBNÔ d X— rH ¨›Ë ¤ v ÂU9 rA

∫ud «œ— UU Æ∂∞ b¬ d d Ê«—uK “« 5 u bM t s« pÃcF b« vÒHI µπ Ë µ∏ ¨µ∑ ÈUbM—œ UN«dB vUUÄ ÈU Á˛«Ë tJ¬U ÆågÓ Áb«u XN 5LN Ë X« å—Ë«œò XF å—«uN ò ¡Á˛«Ë ¨≤ ¡t~Mà ¨∂∞ bM ≠ Æb—«œ XU d( t dAO ÆX« ©œu V« —«u Ω® åq V« —«uò vMF0 qOÓ —«u ¨≥ ¡t~Mל Æœu v ¡«dÁ ¡«— ÊuJ

Journal Asiatique 287.1 (1999): 9-190 MYTHE HISTORISÉ DE L'ÉPOQUE ISLAMIQUE 175

b¬ —Ë«œ Ú—«uN Ê«œ 5I —«d« ÈU«œ ›Ê¬¤ qOÓ —«u —«bN~ Òd s« Ë bM rOJ ∫ud ËbM Æ∂± ° U U tU— sÓLÚMÓÄ vU ÁËbM t«d vÇ«Ë ¨ÊU vUO › s ¤ æÈdN Ê«—UdN º tF ÓË .œd ÈUU r=I ÓË ∫ud 5 u Æ∂≤ XÃUÓ Ë— ËbM XÃUÓ Ë— Ë tF ¨ÁÓdJÓ Ó ËbM XÃUÓ u „UÄU ¨vÓ—«bMd —« ôU ÊUUMA ·«Òd Ê«œd ∫ud ËbM Æ∂≥ ÁU U v U u d¬ ¨Íœu u æÂ≠º ‰ÒË« v UÒI Èœdæ«—UºvM滬º ¡ÁdDI .—«b È—U æ ≠ºŒ“Ëœ æ˺ XAN U æUº v U U U u ¨ÊÓb« ÂbO« ∫ud ËbM Æ∂¥ tÓMÓÄ Âu ¡tU ÆX« Áb t u årK–ò jKG årK“ò ÈU$ 7 —œ ≥ ¡t~Mà ¨∂¥ bM

Journal Asiatique 287.1 (1999): 9-190 176 M. MOKRI

tÓMÓÄ Âu ¡tU ¨ÊUÓ—«œ tU tÓMÓÇ sÓ g$MÖ ¨t«e rK“ tÓMÓÇ ‘u Xœ ÈdJÓ Ó vÇd tÓMÓ tÇ 5 ê ÊUMuÓ o t æ5 o º

∫ud 5 u Æ∂µ v«œ œu ËbM v«uÚ gÚMÓ— ¨Ëd v«— —œ v«b ‘UMF ›t¤ u~ vM v«uK v U 5AM vA d vUu ÈuÔ ¨œœdÖd vA «uÓ

∫ud ËbM Æ∂∂ XÃÓ «Ó q« tÇ XÃÓ «Ó q« tÇ vU ÁËbM f UO ÂuU æUU≠º q«“ +UJ

∫ud 5 u Æ∂∑ ËbM UO Ë U« t ¨b“d t æuº Ë— t «u XJâOd œU“ t1« tÇ

¡t~Mל Æœu Ÿu— ≤¥ bM q– X «œœU t® Æœu w kÒHK åfëò bM s«—œ åXëò ¡tLK ¨∂∂ bM Ω® åUOò ¡Á˛«Ë ± ¡t~Mà ¨∂∑ bM ≠ ÆX« dF Ê“Ë qËÒ X—œU q«“ ÈU$ ÊUK«“ ¡tLK j{ ¨≥ åt1« tÇò dF Ê“Ë U«d È«d ¨bM 5L —œ ≤ ¡t~Mà —œ ÆX« Áb t u åU tò qJA jKG ©Òb Æœd ¡«dÁ åtÓLÚOÓÇò —uB Ë në nOH U bU «—

Journal Asiatique 287.1 (1999): 9-190 MYTHE HISTORISÉ DE L'ÉPOQUE ISLAMIQUE 177

∫ud ËbM Æ∂∏ ÁU U v«uKÓ Ó ÁU r ¨vA V U r æu º vUO$ ÁeLOÄ ÊU œ«“¬ suÇ vz«b Ê«—U Ë ÁbM ÊUIK ÓË vzU ÊU1—U ¨vK u vd æÁË—¬ tǺ

∫ud 5 u Æ∂π u Ë« Ê«—U u Ë« ÊUO r vMÇ Ê«—U u vJ—U ÓË dOAL ÈeO ÓË ËbM tÇ d —Ë Ëdu fJâO

Ê«Ë“ æ˗˺ v—ÓËU ¨vK“ ¡tM¬ Æ∑∞ ÊUOÖ ÓË Ábœ ÓË ævLÇUº ¨5 uæÁº U ÈUM4 Ê«bO UMO u ¨XH UH ÊUN ÊUdà æ¡tJÃ˺ tÇ œd gAL 5 u æUUº Ê«— ÁËUÖ æ˗˺ U«— ‘bBN æbBNº vMÇ Ê«bO ÓË ÊÓœd ¨gMOU tFKÁ ÊUAO ›Ë tDI Óˤ Êœd gÖdO ÊUœd —uÖ ¨›Ê¤UbMÖ ‰UÇ

∫ud 5 u Æ∑± ÊULN U¬ U vUÖe tOI u~ Ëd UU

UË ÈËd u rd v È“Ë— ʬ “« Ω® åUË È“U t1« vKu vd ÁË—¬ tÇò 7—œ ¨d¬ ¡t~Mà ¨∂∏ bM ÆåÊ«— ÁËUÖò ÈU$ åÊ«Ë— ÁËUò 7—œ Ƶ ¡t~Mà ¨∑∞ bM ≠ Æ©È—«c~U$ «—

Journal Asiatique 287.1 (1999): 9-190 178 M. MOKRI

dÒ Â«œ È—«u eO d UU —œÒ ÁUAMN b¬ vUÖe tOI u~ Ëd

ÁU gOÄ —œ bOLÔ UU Æ∑≤ Á«œ— UU XdÖ Á«— Ë« Á«uÖ bœ tOI gOÄ

›tUD s« ∫Æÿ¤ t«u s« bOM tOI Æ∑≥ t¬ uOà b¬ kOG t«u s« œd UU U

∫ud «œ— UU Æ∑¥ —Uœ s« d æœUº Áœó tOI —U qÔ ÈUU XAOÄ b¬ —UOÇË— ÊuÇ b¬ 5 u

∫ud tOI Æ∑µ rO~M s« —œ X« æÁU bMǺ ‰U sbMÇ rO~œ t uÖ ¨‘Ëb dá« rO~MÇ æ  »º ÁeO ËU— —œ UÄ rO~MN U «uœ “Ë— æ—œº tLK s« vK« qJ wÃË ¨X« Áb t u ©w ·d d“U® åÓ»«u ¨åt«uò ÈU$ ± ¡t~Mà ¨∑≥ bM ≠ ÆX« Áb X4 åiOGò jK ¡ö« U åkOGò ¡tLK ¨bM s« ≤ ¡t~Mל Æb U åtUDò bU UUOÁÎ ©rOz«bB ‘uÖ Ω® årO~bÓ ‘uÖò “« Èd~œ qJ Ë ‰œUF årO~œ t uÖò —U ≤ ¡t~Mà ¨∑µ bM —U 7—œ ¨å.bMÄ Uò ÈU$ ¨µ ¡t~Mà —œË årO~MN Uò ÈU$ årO~MN œdò ¥ ¡t~Mל ÆX« ÆX« Áb t u årOMÄ «—Uò ‘uAG

Journal Asiatique 287.1 (1999): 9-190 MYTHE HISTORISÉ DE L'ÉPOQUE ISLAMIQUE 179

.bMÄ U æXÓOº XÓO 5 u ∫ud «œ— UU Æ∑∂ “ËdO rÃU d “U ÁbOH “Ëd« b¬ 5 u æÁU º @M$ fd “u t ‘—uÓ t œÓdÓ fÄd 摺 œu t ∫ud tOI Æ∑∑ È—Uœ u œdÖ tÇ ¨ÊU Áuu Á“d Í—UM ÂuOÄ t ¨ÊU ÁË v“dÁ æÈU—œº Í—UuÓ rMÇ v«Ë tKÓ Ó ÁU êO ∫ud «œ— UU Æ∑∏ tMuMd œdÖ X«uÔ Á“d tMË]—U2 ‰U U«Ë tK ‘U tMu ULÓ—Ë X“dÁ ÈU—œ æ@MN ÈËœ tº gOÇ ›rMÄ tǫˤ vMAOÇÓ æu º tOI tMO dÄ Ë«Ë«œ ÈdÓ æ» Ê«“U ÁU ˺ ÁU vMÇ

∫ud tOI Æ∑π ÈbM Êô«œ t — ¨rëœ t — ›ÈbÚÓuÓ ∫kÒHK ¤ vÓu tô ¨ÁÓuÓ ÚdÓLÓ ÓË t —ò 7—œ ¨± ¡t~Mà ¨∑π bM ÆX« Áb j{ å.uOÄ t/ò —uB UU «Î 7—œ≤ ¡t~Mà ¨∑∑ bM s«—œ ÆdF Ê“Ë U«d È«d tU{« ¡Ád ·c U ¨≤ ¡t~Mà ÆåÈbM Êô«œ t —ò ÈU$ åÈbM ‰«œ XOÇò 7—œ ¨≥ ¡t~Mà Ɯd ¡«dÁ åÈbÚÓuÓò bU«— åvÓuÓò ¡tLK v«—uÖ vU èÒM o t~Mà ‘“«ò Æœu t u åX« ÓvÇ X« ÓvÇò qJA X« dN kÒHK —œ ÂUN« l— È«d U$M«—œ t åXOÇ ÆX« vzU$ Áœ“U bM s« ÈUN«dB“« pd ÆÂbMÄ«—Ë« s ›t¤ ∫åÈbMÄ

Journal Asiatique 287.1 (1999): 9-190 180 M. MOKRI

ÈbMÄ ‘“« ¨X« vÇ X« vÇ 5 u ∫ud «œ— UU Æ∏∞ ÈËÔuÓ rÃUÚd ›Ë¤ “U ÁbOH ÈuÔ«Ó »¬ tÇ æʺ œd ÊULO«Ë tK ÈËÔ— æ˺ Êœd ÊUu ¨u ÓË Êœd ÊU˛Ë— ÈuÔÄ ÊU  v ›ÓË ÚÊ≠¤5 uÓ ¡tÁd ›È«¤ ›ÈuÔ ÚvÓ v≠¤gOÇÓ ¨vMAOÇÓ u tOI ÈËb ÔË «uœ ÈdJÓ  æÊ«“U ÁU ˺ ÁU vMÓÇ

∫ud tOI Æ∏± @MÇ rÓM¬ ¨‰«œÚ t — ¨rëœ t — @MdN“« “Ë— ›Â≠¤Êœ—uÓ v —œ V @M t Áb“ “« t ¨”uUM Áœd

∫ud «œ— UU Æ∏≤ «u —œ rÃU ¨Â“U ÁbOH UI U ©Â tMOÇ Ω® rMOÇ ¨ÊUA —œ ©Â tô Ω® +ô UAÖ«Ë XLAÇ vHÖ tÇ tOI

∫ud tOI Æ∏≥ ÊÓœ d d rA rëœ t — ©ÊuO Ω U—œ u¬® Èu¬ ¡tLK—œ —«œ ÁÒb në ·d ∫≤ ¡t~Mà Ɯu ∫åÚÈËÔuòÓ ¨± ¡t~Mà ¨∏∞ bM ¡Ád ¨¥ ¡t~Mל ÆX« Áb t u åV Ëò 7—œ åu Ó ÓËò ÈU$ ¨≥ ¡t~Mל Æœu v kÒHK t U Ω® ÈÔËÔbÓ nÒH åÈËbò ¡Á˛«Ë ¨r$MÄ ¡t~Mל ≠ ÆX« nD Ë«Ë d~UA åÈuÄ ÊU  vò —œ tU{« ¥ ¡t~Mà ¨∏≥ bM Æ@M t ¡Áb“ “« dN ”uUM ¡Áœd ∫7 —œ ¨≥ ¡t~Mà ¨∏± bM ≠ ÆX« ©vzËb Ë åË« f—ò vMF X« åg—ò jK ¡ö« ågB—ò ¡tLK ¨∂ t~Mà ¨åbMÓLÓò ÈU$ åbM tò 7—œ ÆX« å‚“—ò ¡tLK v«—uÖ Ø Èœd kÒHK Ë ·Òdœu ¡tuM åf—ò ¡Á˛«Ë

Journal Asiatique 287.1 (1999): 9-190 MYTHE HISTORISÉ DE L'ÉPOQUE ISLAMIQUE 181

sÓ Ë«Ó Ë sÓ È« Âœd v UÒM9 bË«b Âbœ ›Ë¤ r «œd ÁœdÄ bMLÓ ‘œu$ Èœ ‘«b ›t¤ fd vz«b 5 u bu~ › t ¤ fd vzUO gB— ¨›Á¤uH gÁö

∫ud 5 u Æ∏¥ rOzU Ë rOzU t rOzU/ rOzU rOzU U bMuÖ ÊUN ÈUNULMO rOzU ÊuÇ ærº —UO ÊUO ¨X—œ dL rOzULM— U Ê«Ëd— È«d rOz«œ ÊUA U ÊUO t «Ëœ rOU r d¬ .œu ÁU ‰Ë« —œ bMK v Ê«œd ¡tÔ ›t¤ XÁu¬ rOzU bUO vU —œ tJ¬

∫ud 5 u Æ∏µ rOz¬ r U u Ë U UO tOI rOzU“UO Ê«œd .—ÓËU ÊUáÁ

∫`OIM “« qÁ U t~Mà 7 ∏¥ bM rOzU rOzU t rOzU t rOzU ∫‰ÒË« ¡t~Mà rOzUU t bMu~O ÊUN ÈUNULMO ∫ÂËœ ¡t~Mà rOzU ÊuâL —UO ÊUO X—œdL ∫rO ¡t~Mà rOzUN U Ê«Ëd«— È«d Á«— ∫—UNÇ ¡t~Mà rOz«œ ÊUA U ÊUO d «Ëœ ∫r$MÄ ¡t~Mà ÆrOzU bUO vU êO —œ rN¬ ∫rA ¡t~Mà ÆårOzU“UOò `O qJ ÈU$ årOzUeò 7 —œ ¨≤ ¡t~Mà ¨∏µ bM

Journal Asiatique 287.1 (1999): 9-190 182 M. MOKRI

rOzULM— Ë« æX«º d 5“Ë Â«bd

∫ud 5 u Æ∏∂ rO$d r“« æu Ë Uº ›t¤ UO tOI rO$M Ê«œd .—ËU ÊUáÁ rO$MÖ æË Áº «—Ë« æX«ºd 5“Ë Â«bd

∫ud 5 u Æ∏∑ ÊôU tL bM ¨rOU Á“Ë—u Êôô tL ‘U ¨. tHÔ =—Ôœ ÊôU t .«œ œ«bG .—«u ʬ U

∫ud tOI Æ∏∏ Èœd r u Âœu vO æsº ÁU U Èœd rœ Ë UÄ vM 滬º ¡ÁdDI rUM v/ o «— ›XI¤o Èœd rdÄ ›XI¤o o ›t u ¤

∫ud 5 u Æ∏π .bd¬ «— u › .œu ¤ U tOI .bÒ—b  æ“«—º ÁœdÄ ¨.œu —UÒ ætº ÊuÇ .bOA UHDB æUUº Èu ÈU t «— u

å.œ«œò v—U qF 7—œ ¨≥ ¡t~Mà Æå. tH =—Ôœò ÈU$ å.« tH Ò—Ôœò 7—œ ¨≤ ¡t~Mà ¨∏∑ bM Æ©Êœ«œ ∫åÊ«œò —bB“«® Èœd å.«œò ÈU$

Journal Asiatique 287.1 (1999): 9-190 MYTHE HISTORISÉ DE L'ÉPOQUE ISLAMIQUE 183

∫ud 5 u Æπ∞ r$MÖ æUº t«dË —œ › t ¤ ÂÒ—Ôœ ʬ s r$M tUU s +«bM r$MÄ Ë —UÇ ¨Ëœ Ë Áœ ¡tIK d r$d UMOU Ê«—u s“«

∫ud tOI Æπ± Èbd¬ «—U › Èœu ¤ u ÁU U Èbœ v › «— tL ¤ æu º Âœd æÊ«ºÁUMÖ æbMǺ œdÖd ÂUMÖ “« æº —UÇ Ë XA “U t æUOº Èbb Èbœ ›v«¤ÁUMÖ › ÁU U ¤

∫ud «œ— UU Æπ≤ gË—œ Áœ«“¬ ¨Â« tÒâ vMO u gO s«—œ —«œ vMU dO bMÇ gOÄ œ—ˬ p Ë« —U —œ v g— ËÔuÓ gU œ—u È“UÖ @MKÄ

∫ud tOI Æπ≥ vu › Ë ◊d ¤ @MKÄ u UU vËœ t U U ¨Á—Ëœ ›t¤ Á—Ëœ vu ‘u ¨ÁUAMN 5 u

Æ©Ê“Ë qÒ vU{« ÈU$ p U® r$M s Ë rN s Ë Ê«bM ∫7—œ ¨≤ ¡t~Mà ¨π∞ bM ≠ ÆåÂUMÖò ÈU$ åU ÁUMò 7—œ ¨≥ ¡t~Mà ¨π± bM ≠ Ær$— v/ ÊUUMOU Ë —u“« ∫7—œ ¨¥ ¡t~Mà vò ÈU$ å5 u ÁU —U—œ fdò 7—œ ¨≥ ¡t~Mà ÆåbMÇò ÈU$ åtÇò 7—œ ≤ ¡t~Mà ¨π≤ bM ÆåË«—U—œ

Journal Asiatique 287.1 (1999): 9-190 184 M. MOKRI

∫ud «œ— UU Æπ¥ —UGKÔ —œ tU rÓ tÒâ vMO u —U æË —uº Ë qÓ rJ ¨Â—«œ ævuº ËUÖ „UdÓ —U œÓ—Óˬ p t —U —œ ʬd —UÇU › Ë ¤ —UÇ ‘bd ›v¤ 摺ڌ“Ëb ∫ud «œ— UU Æπµ Áœd Áœ«“¬ « tÒâ vMO u ÁœdÄ XAÄ U vHDB .œd ÁœdÓLÓ «– UIÃU 5 u ∫ud «œ— UU Æπ∂ ôU tU ¨Â« tÒâ vMO u ö« X bMOA t XÁu¬—œ ôU q= Ô rUM v«ÒdB ∫ud «œ— UU Æπ∑ dOÄ ÈUU p .œu —œ«d U —UNÇ dO Ë gd p .œu —«bUL U t dO U tAO—œ .œu @MKÄU ›Á¤u—œ dO U fK$ —œ .œu pKÓ Ó ÊUL«—œ ∫ud 5 u UU Æπ∏ ‘U s«—œ .œUN tÃUÁ ʬ œ«e UIÃU «– 5 u ∫7—œ ¨≥ ¡t~Mà ÆÁœdÄ XAÄ—œ .œd U vHDBUU ∫7—œ ¨≤ ¡t~Mà ¨πµ bM ·«Òd ∫7—œ ¨≥ ¡t~Mà Æö« X —œ bMOA v ÁU XÁu¬ ∫7—œ ¨≤ ¡t~Mà ¨π∂ bM ≠ÆÁœd/ Æå«d¬ò ÈU$ å—œò 7—œ ≥ ¡t~Mà ¨π∏ bM ≠ ÆôU rUM v +UNËœ

Journal Asiatique 287.1 (1999): 9-190 MYTHE HISTORISÉ DE L'ÉPOQUE ISLAMIQUE 185

‘UÒI œu Ê«—U È« Ê«uMA 5zUá «d¬ œÓ—Óˬ fd ‘U 5 u ›sÓ¤ æȺ f ʬ bM«b ∫ud ¡U Æππ —«“U —bO —«“U —bO su vMÇ “« —UJ« ÁdJÓ Ó ¨tÃUÁ ÈdÄ —«dÁ ÁdO~ ‘ËÔ—ÓËU ∆U ∫ud —bO Ʊ∞∞ o X ÈU o XHË« rO 5 u“U ÓË oÃu È—ÓËU ¨tÃUÁ ÈdÄ ∫ud ¡U Ʊ∞± ”U Ë rMO u “UO ÁdJÓ Ó —«“U —bO “«ËdÄ ÈdJÓ Ó tÃUÁ ÈdÄ ∫ud —bO Ʊ∞≤ sœ X ÈU 5I ÁdO~ 5 u “U ÓË seÔ © tUL Ω® XÓUL v —u Òb 5“ Ë« È—U tÃUÁ ÈdÄ

Æåbò ÈU$ åbò 7 —œ ¨≥ ¡t~Mà ¨±∞≤ bM

Journal Asiatique 287.1 (1999): 9-190 186 M. MOKRI

∫ud ¡U Ʊ∞≥ ÚsÓÓ rOzU ÚsÓÓ rOzU UMO u ÂU«u 7uOÄu ÓË tUL —bO s gœËœ vHDB ÂUI

∫ud 5 u Ʊ∞¥ Ë«œ ÊUö Ë«œ È«Ë«œ sJÓ Ó tÃUÁ ÈdÄ ËU ‘U Í≈ t ÊUO ©Â tÃUÁ Ω® rÃUÁ ËU 5 u t¬ œÚ—Óˬd fd

∫ud —bO Ʊ∞µ Xë 5 u fÓHÓ vULM ¨v«uÖ ÈdÄ Xœ t U Ëœd ¨©Â tUL Ω® 3UL › Ë ¤ qÖ

∫ud ¡U Ʊ∞∂ —«bO 5 u —«bO 5 u ¨d Ë Òd ÈU U —U t ©Â tÃUÁ Ω® rÃUÁ ¨ÈUdH dÖ« —U e— ÈU ¨‘ËÔ—ÓËU uKÔ Ó

∫ud —bO Ʊ∞∑ u X ÈU

Journal Asiatique 287.1 (1999): 9-190 MYTHE HISTORISÉ DE L'ÉPOQUE ISLAMIQUE 187

uÄ ÊU 5 ¨©Â tUL Ω® 3UL Ë qÖ u~HÖ vÇU ¨tÃUÁ ÈdÄ u ‘U  È« t ¨È—U tÃUÁ

∫ud ¡U Ʊ∞∏ ·«Òd —bO ·U ZOÖ t rO tMO t ÈbMÇ ·U tâ rMÄ ÊUÇ«u U« ·UF ‘U  v ¨È—U tÃUÁ

∫ud —bO Ʊ∞π «– X ÈU U$ ÓË 5 ©Â tUL Ω® 3UL Ë qÖ UË ÈUÖ—œ t ÊU«uÓ ÁÒd ©◊UL Ω® UL Ë« È—U tÃUÁ ÈdÄ

dOÖ ÓË rMO u Ʊ±∞ dOÖ ÓË rMO u dL t ÂbM dO« XB  t ÁeOË rKË dOÄ ÓË gb«u «œ— tUL

∫ud —bO Ʊ±± UOœ ÂUI UO{ Ëb u 5“ Ë ÊUL¬ UOu rKÖÔ ¨«œ— ©Â tUL Ω® 3UL

Journal Asiatique 287.1 (1999): 9-190 188 M. MOKRI

∫ud ÂUI Ʊ±≤ ‘U “U —bO ‘UÒI Xœ—œ tUL Ë qÖÔ ‘U ÈdÄ tK ¨tÃUÁ ÈdÄ

∫ud —bO Ʊ±≥ Ádâ ÂUI Ádâ Ê«—U ¨ÁU —uCÓ ÁÒd v X «– ¨ÂUI ÁU › È« ¤ ÁÒd ¡tÃUÁ ‘U ÈdÄ Â«uÃÔ

∫ud ¡U Ʊ±¥ gO“U —bO gOÄ ÓË dOM UÄ ÁU —uCÓ gb« ÁdJ ¨«Òd tÃUÁ

∫ud —bO Ʊ±µ r X ÈU r X ÈU ¨«Òd tÃUÁ Âœ ÂU ÓË 5 ©Â tUL Ω® 3UL Ë qÖÔ r Ó sÓUAMN ¨gOJÓ sÓUI

∫ud ¡U Ʊ±∂ ÁU U UË ·U æuOº ʬ ê ætº rÓO«u dÖ

Journal Asiatique 287.1 (1999): 9-190 MYTHE HISTORISÉ DE L'ÉPOQUE ISLAMIQUE 189

«– dœ ¡U ʬ vzu~ dÖ U$ bb ÁU gOÄ —œ ÂUI ʬ œUN ÁU ¡tÃUÁ ʬ —¬ v “U

∫ud 5 u Ʊ±∑ vz«— › ‘u ¤ ·U dËœ È« vzUd—œ bM«u ævº e— vzU~ÃuÁ —œ uÖ Ê«—UO «— tÃUÁ ȗˬ v vzUN ÁU ¡tÃUÁ ʬ

∫ud ¡U Ʊ±∏ ÁU U vu U«œ vM—« ÊuÇ ¨ÊUJô —œ vÒMÔ dËœ ¨+ t«uO rÓ Ê«—U bMœ U$ ædÖº r ¡tÃUÁ Âӗˬ v ∫ud —bO Ʊ±π qÇ —«e ÈU U qÇ —«e ÈU«u UOœ ¡ÁœUN q Á“d ÈU U rMÄ vA qIÔ sÓLK ÖÔ ¨«œ— ©Â tUL Ω® 3UL rOÄ vA ∫7—œ ≥ ¡t~Mà ¨±±π bM ≠ ÆåvzUdò ÈU$ åvzU tLò 7 —œ ≤ ¡t~Mà ¨±±∑ bM Æq Á“d ÈU œUÄ

Journal Asiatique 287.1 (1999): 9-190 190 M. MOKRI

∫ud 5 u Ʊ≤∞ œUN ÁU —U s« gJ —bO rA —U vzu~ dÖ ¨r Ó ÓuÓ ÂUI s« ¨vzUu ʬ rAÓ Ód dOÄ Ê¬ Âœ«œ u tUL ʬ

Æ—U Âd¬ Ë ‰ÒË«

Journal Asiatique 287.1 (1999): 9-190