suivi quelques individualités : Sun Ra, Monk, Sur le principe du « vous êtes plutôt Stones ou plutôt Eric Dolphy, Albert Ayler… Mais je déteste le public des festivals de jazz. J’ai quand même Beatles ? », nous avons soumis Pascal Comelade au petit jeu vu, tiens-toi bien, Sun Ra Arkestra se faire sif - fler dans les arènes de Nîmes parce qu’ils arri - des références. Rencontre avec un artiste animé par le riff et vaient avec leurs combinaisons spatiales et la répétition au moment où paraissent un livre et des disques. tout leur attirail… Bob Dylan / Neil Young Je ne suis jamais rentré dans l’œuvre de Neil cent écoutant du rockabilly. J’ai perpétuelle - Young (comme de Nick Cave). Même quand lvis Presley / Johnny Burnette ment été le cul entre deux chaises : trop jeune “Harvest” était un hit que l’on entendait partout, Ma préférence va plutôt vers Eddie pour le rock’n’roll originel et, plus tard, trop même chose pour “Imagine” de Lennon Cochran, pour l’évidence de ses riffs vieux pour le punk. Vers la fin des années 1970, d’ailleurs. Paradoxalement, moi qui pratique la implacables et vers Gene Vincent, sur - grâce aux Cramps et aux compilations, on a musique ins - tout Vincent, pour sa voix et cette découvert cette production frénétique. Les trumentale, je période avec son guitariste Cliff Gallup, l’in - disques sont devenus plus faciles à trouver. suis très sen - venteur du Rock. Elvis, c’est le cas Mais plus encore que les seconds sible aux voix typique, pour moi, d’une carrière couteaux du rockabilly, ce sont les et pour Neil que j’ai écoutée à l’envers, en troisièmes qui m’intéressent. Des Young, je commençant par la fin : Las types comme Hasil Adkins ou The n’accroche Vegas, le retour télévisé de 1968, Phantom. De ce dernier, je ne pas à cause de les 45 tours chez Sun. Malgré moi, connais que “Love me”, de la pure ça, comme je dirais. J’ai acheté mon premier « pataphysique appliquée ». pour Bowie, 45 tours à 11 ans, vers 1966-67. A mis à part ses l’époque, les disques étaient ven - Ellington / Sun Ra premiers dus dans les magasins d’électro - albums, jus - ménager et il y avait peu de relais J’ai surtout écouté du free jazz et qu’à Aladdin presse. On était tributaire de la du vieux jazz (King Oliver, Mezz Sane. Par contre, je suis fasciné par certains radio, des succès de hit-parade. Mezzrow), et des pianistes grains de voix, comme celles de Tim Buckley Mais on tombait aussi bien sur comme Fats Waller. Monk, c’est ou de Nick Drake. J’ai malgré cela repris un Creedence, Led Zeppelin que sur un monde à part, rien que de le titre de Neil Young sur l’album avec Jaki le plus pénible de la variété fran - voir jouer, on dépasse la question Liebezeit (“Prime of Life” sur oblique Sessions , çaise. En 1969, j’ai découvert Rock du jazz. Au final, peu importe que 1997). Pourtant, Dylan, qui peut avoir une voix & Folk. Je n’ai pas de passé adoles - cela soit du jazz ou du rock. J’ai irritante, m’a énormément influencé. Sur

12 FACE 154 • JUIN 2020 scène, il gère son répertoire de façon exemplaire. Avec le Bel Canto Orchestra, on ne répé - tait jamais, juste pendant les balances avant les concerts. Quand on voit Dylan, on a l’impression qu’il procède de même, qu’il ne répète pas au sens habituel. Il est dans le refus absolu des conventions. Comme ces Link Wray / Dick Dale musiciens traditionnels qui véhiculent quelque chose dans leur interprétation. On a Link Wray pour sa ligne crade. affaire au genre artistique le plus humain et qui durera. Le rock souffre de sa fulgurance du The Seeds / 13th Floor Elevators début. Aujourd’hui, ça stagne ou on se répète. Les Seeds, à cause de l’orgue acide, de ses riffs Mais un de ces quatre, ça va repartir. On pâtit répétitifs et de Sky Saxon. Dans le milieu gara - de la dictature de la variété comme pendant les giste, on se dispute sur le meilleur riff, entre années 1960 d’ailleurs. “Louie Louie” et “You really got me”. Par moment j’hésite plutôt entre “All right now” de Can / Neu! Free et “Whole lotta love”. Free est un groupe Neu!, c’est indispensable ; j’ai acheté leurs trois un peu injustement oublié ; il y a une compli - premiers albums à la sortie. Can, on peut tout cité dans ce groupe comparable à l’alchimie écouter jusqu’à Landed (1975). J’ai eu la chance Camarón de la Isla / Tomatito (allez voir Free de les voir 5 ou 6 fois en concert, c’était très en concert sur YouTube). impressionnant. Un morceau pouvait durer Pour ce qui est du riff, j’ai monté depuis une heure, une véritable transe. C’est à la quelques années le “Riffifi”, un concert pour 2 même période que j’ai découvert la musique orchestres similaires (basse, batterie, orgue et répétitive américaine (La Monte Young, Terry au moins 5 guitaristes par orchestre) qui jouent Riley, Charlemagne Palestine…) en pleine en simultané et en stéréo véritable les plus mode du rock progressif ! Et il y a Faust, qui n’a grands riffs de l’histoire du Rock. rien à voir avec Can et Neu! Mais je tiens Jean- Sur la scène de la fin des années 60, The Godz Hervé Péron comme l’égal d’un Captain a été une influence majeure, en particulier leur Beefheart en termes de créativité, d’intensité et deuxième album, Godz 2 (1967), grâce à l’éner - de lyrisme perverti. Il m’a invité une paire de gie jubilatoire de ces grands agités. Dans le

même genre de groupes sous-estimés de cette n fois à intervenir en concert avec Faust. Avec sa a i

période, il faut parler de The Keggs et de leur s s

simple guitare espagnole et le batteur Zappi, ils a G

pépite de 45 tours, “To Find Out” et de The produisent un mur du son qui fait passer l’inté - e d

Modds (deux groupes qui ont une double u a gralité de la scène bruitiste actuelle pour un l C

consonne dans leur nom !) avec “Leave my combo de majorettes aphones et anémiques. ©

o

House” et son solo de guitare le plus dégueu de t o h

l’histoire du rock, qui fait penser aux solos p d’harmonica de Dylan sur scène.

FACE 154 • JUIN 2020 13 blues, baser sa cause sur Rien, l’ins - The Stooges / MC5 tinct et la spontanéité, aucune pré - MC5 sans hésitation. occupation pour la justesse ou les Même si Funhouse reste aspects techniques, le lyrisme dans un des grands albums le bruit, le détournement des cli - de l’histoire. Quand chés... Quand on me dit que c’est du j’étais petit, c’est le grou - blues, je crois que l’on n’a jamais pe qui m’a le plus mar - écouté du vieux blues. qué. J’ai littéralement passé la journée à écou - Les Vierges / The Limiñanas ter le 45 tours “Kick out the Jams” lorsqu’il est Je dirais Les Vierges : le début des sorti en 1969. C’est aussi années 80, à Montpellier, c’est la une question de son : la période où j’ai le plus rigolé et, du combinaison des 2 gui - point de vue capillaire, je n’avais même si pour Warhol, sa relation au rock et ses taristes, Fred “Sonic” Smith et Wayne Kramer pas encore besoin de la collection complète de pochettes de disques sont essentielles. A la fin reste le plus beau son qui existe. perruques de Phil Spector... J’ai fait quelques concerts avec Les Vierges comme pianiste. des années 70, il y avait beaucoup de types qui Nous avions aussi monté un trio de musique dessinaient sur les trottoirs avec des craies de Pink Floyd / Pink Fairies de genre avec Samy Surfer (le batteur des couleur des reproductions de tableaux à partir Les Pink Fairies et surtout leur troisième album Vierges) et Didier Banon (le batteur d’OTH). de simples cartes postales. Tu voyais des trucs (Kings of oblivion en 1973), plus facile à trouver incroyables, La Cène de Vinci à la craie de cou - que les deux premiers. Comme les deux pre - Huit et demi / Mamma Roma leur ! Ils alliaient rapidité et spontanéité. Cela a miers Kevin Ayers. Pink Fairies c’est tout une totalement disparu. Je me réclame de l’art du galaxie qui a donné plein d’autres choses : J’ai passé une grande partie de ma vie comme graffiti dans les pissotières plus que de l’Art. Il Twink a joué dans les Pretty Things comme amateur de la vie des cafés. Peu à Paris, mais faut donner quelques noms tout de même : Dick Taylor (à l’origine des Rolling Stones) qui a plutôt à Barcelone, dans les années 70, dans les Gary Panter, Asger Jorn, Clovis Trouille, James produit le premier . Avant, il y avait cabarets, les cafés. Ce qui me rappelle Fellini. Ensor, ou encore Mingering Mike qui réalisa des les Deviants, Nick Farren… Ça a complètement disparu aujourd’hui, cette fausses pochettes de groupes de rhythm’n’blues histoire des cabarets, on n’est plus que dans la sur du carton, il faut bien que je cite mes Punk US / Punk UK reconstitution désormais. sources ! On est à la limite de l’art brut, là. Je n’ai rien écouté du punk anglais à l’époque. Bourvil / Louis de Funès Will Eisner / Moebius C’est venu plus tard, dans les années 90. Mais avant, je suis passé à côté des Buzzcocks, des Je serai tenté de dire ni l’un ni l’autre. J’aurai Will Eisner, pour l’Âge d’or de la BD américaine Adverts… C’est à cause du MC5 qui m’amène même préféré Chuck Norris / Bruce Lee ou (le noir et blanc, Krazy Kat, Dick Tracy, aux Stooges, à Kim Fowley, au premier Alice Barbara Steele / Martine Beswick. Concernant Mandrake le magicien, le Fantôme du Cooper, aux New York Dolls et donc aux États- le cinéma, on peut opposer Woodstock , le film Bengale...). J’ai été un lecteur assidu de revues Unis, à Television, Alan Vega et Suicide, les et The Cramps. Live at The Napa State Mental comme Spirou, Tintin, Pilote, Charlie Mensuel. Residents… Ça part de tous les côtés le punk Hospital. Le premier marque le début de la ges - La BD, comme le rock, est une aventure qui a américain. Mais je n’ai jamais aimé les Talking tion de la musique sous forme de grands produit des milliers d’informations en un Heads, à cause de la voix de David Byrne. messes. Je suis allé le voir trois fois quand il est temps relativement bref, sur la deuxième moi - sorti. Maintenant, je ne peux plus le voir en tié du vingtième siècle. Une frénésie et un peinture ! Dans le second, on ne sait plus à un chaos jamais égalé dans l’histoire de l’humani - Éric Satie / John Cage moment qui est musicien et qui est patient, té. Je n’ai aucune ligne esthétique, ça part de Je recommande les Écrits de Satie (Editions toute cette énergie dans un espace réduit, à tous les côtés : Franquin, Tillieux, Willem, Champ Libre) qui sont tout à fait nécessaires l’opposé de la plaine boueuse de Woodstock, et Charles Burns... Aujourd’hui, j’aime le travail de quand on parle du monde de la musique, du vide le matin lorsqu’Hendrix joua. Thomas Ott ou celui de mon ami Max, un des spectacle, de la représentation, de produire de piliers historiques de la revue espagnole El la musique. Comme il est nécessaire d’avoir lu Dashiell Hammett / Raymond Chandler Vibora. J’ai fait beaucoup de « concerts en des - Alfred Jarry et Alphonse Allais. Au même titre sin » avec Max, avec Berberian et avec Hervé di que l’on ne peut pas parler d’humour si l’on n’a Ce sont des auteurs que je relis, comme Tintin, Rosa. Je n’ai jamais fait de distinction de valeur pas vu la série des Monty Python (Flying assez régulièrement et à chaque fois, contraire - entre la BD et le monde de l’art, qui n’a le plus Circus). Satie décortique les théories et les ment à Tintin, je suis de plus en plus déçu par souvent que mépris pour la BD. Pour une illus - dogmes et comment s’en dépêtrer. Moondog Hammett. Avec Jonathan Latimer, Jim tration perverse de l’inutilité à débattre de ce (ce musicien de rue new-yorkais coiffé d’un Thompson ou Goodis, je ne suis jamais déçu, genre de chose, regardez le tableau d’Antonio casque de viking et immense compositeur) par contre. La Série Noire est un des lieux litté - Mancini, il Prevetariello : c’est un bel exemple avait une démarche similaire à celle de Satie : raires que j’ai le plus fréquenté. Avec les 45 tours, involontaire d’art pompier proto-Topolino. un solitaire qui ne se préoccupe ni du passé, du c’est l’objet de consommation courante que j’ai Pour ce qui est des influences, je dois citer présent ou du futur, qui invente son propre lan - le plus utilisé. Dans la Série Noire, il y a des toutes ces couvertures de publications des gage et qui se fout royalement de savoir s’il est auteurs à un seul livre (le Londres express de années 60, du genre Akim, Rodeo, Zembla, dans la marge, l’avant-garde ou je ne sais quoi Peter Loughran, Les Forbans de la nuit de Gerald Satanik, et toutes les publications gratinées de postures obligées du monde du spectacle. Kersh...) presque équivalents aux « one hit won - Elvifrance ; sans oublier les cases de BD der » du 45 tours. Je dois bien dire que j’ai été détournées par les situationnistes et l’under - influencé, en ce qui concerne ma politique du ground US (S. Clay Wilson et Robert Williams). / Captain Sensible titre musical, par des titres de polars comme il Beefheart, comme peintre également. Sans gèle en enfer, Les Spaghettis par la racine, une Beatles / Stones oublier les musiciens du Magic Band, surtout valda pour Cendrillon ... et aussi par des titres de son guitariste , une influence chapitres de Gaston Leroux, le roi du roman- Les Stones. J’ai repris beaucoup de leurs titres majeure pour moi : le primitivisme du vieux feuilleton frénétique : La Main mystérieuse, La (“Honky Tonk Women”, “Brown Sugar”...) et j’ai singulière attitude d’une épingle de nourrice... écouté en boucle des albums comme Beggar’s banquet et Let it bleed . Des Beatles, j’ai repris “I’m the walrus”, en catalan, avec le poète Enric Greil Marcus / Nick Tosches Casasses. Je n’aime pas ce qui précède l’album Tosches : l’un de mes livres préférés sur la rubber soul (que j’ai écouté sur le tard, je le musique est sa biographie de Dean Martin reconnais). Un jour, j’ai pu me faire signer la (dino) avec celle de Dee Dee Ramone (Morts pochette de revolver par l’auteur de la photo - aux ramones), Please kill me et le Glenn Gould graphie, Robert Whitaker. Comme on dit, il par Glenn Gould sur Glenn Gould. vaut mieux les avoir en photo qu’en pension.

Dalí / Picasso n JEAN -F rANçoiS BourdiC J’ai une certaine affection pour des gens et des * L’album deviationist Muzak est paru à Barcelone à lieux qui ont intéressé Dalí, comme le philo - l’automne 2019, (chroniqué dans notre précédent sophe Francesc Pujols ou la région de la ville de numéro) et devrait faire l’objet d’un pressage français Figueres. De Picasso, rien ne m’intéresse. J’ai différent dans les prochains mois. En février, Les Fondeurs de Briques ont publié la première monogra - même pensé un moment qu’ils étaient plusieurs. phie des œuvres graphiques de Pascal Comelade (Le Rien illustré. 96 pages tout couleur + CD 25 titres – 30 euros). Sortent également Les Mémoires d’un ventri - Basquiat / Warhol loque, un double 25 cm de ses titres chantés (avec C’est compliqué. J’ai plus d’affection pour Robert Wyatt, PJ Harvey, Miossec, Alex Barbier, Marc Basquiat, dont le côté crade me correspond. Si Hurtado…) et un 45 tours avec un titre de son dernier Pascal Comelade & The Limiñanas on parle de productions, c’est d’abord Basquiat double album et 3 reprises (Ramones, MC5 et Lords of the New Church), les deux chez Cougouyou Music.

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