Chapitre II. Unité Et Diversité Des Pratiques Tauromachiques
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Jean-Baptiste Maudet Terres de taureaux Les jeux taurins de l'Europe à l'Amérique Casa de Velázquez Chapitre II. Unité et diversité des pratiques tauromachiques Éditeur : Casa de Velázquez Lieu d'édition : Casa de Velázquez Année d'édition : 2010 Date de mise en ligne : 8 juillet 2019 Collection : Bibliothèque de la Casa de Velázquez ISBN électronique : 9788490962459 http://books.openedition.org Référence électronique MAUDET, Jean-Baptiste. Chapitre II. Unité et diversité des pratiques tauromachiques In : Terres de taureaux : Les jeux taurins de l'Europe à l'Amérique [en ligne]. Madrid : Casa de Velázquez, 2010 (généré le 02 février 2021). Disponible sur Internet : <http://books.openedition.org/cvz/7712>. ISBN : 9788490962459. chapitre ii Unité et diversité des pratiques tauromachiques Les planches photographiques présentées en introduction (fig. 1-36, pp. 15-29) donnent à voir des pratiques tauromachiques très diverses. Il existe assurément plusieurs façons de les classer selon les propriétés formelles que l’on souhaite mettre en valeur. Le tableau 1 (pp. 9-12) de présentation des pratiques tauromachiques par pays complète ce que la synthèse cartographique ne per- met pas de faire apparaître en détail. Ce tableau met également en exergue un élément de différenciation fondamental des jeux taurins en tant qu’activité de divertissement. Dans le champ des loisirs, la tauromachie relève de deux réalités sociologiques distinctes, celle du spectacle professionnel et celle du jeu à parti- cipation collective. Cette distinction mérite d’être analysée en profondeur pour rendre compte de la nature des différents jeux taurins et des différents acteurs y prenant part. Un second niveau d’analyse appréhende les différentes modalités d’affronte- ment entre les hommes et les bovins en fonction des règles du jeu et des lieux de mise en scène. Les règles du jeu varient en fonction du nombre de protago- nistes en lice, de l’utilisation ou non du cheval, du type d’animal combattu, de l’utilisation ou non d’artefacts tenus par l’homme (cape, poncho, carton déplié, parapluie ouvert, journal roulé, banderilles, piques, épée, lasso) ou d’artefacts ajoutés au taureau (armatures métalliques supportant des boules de feu, cordes pour conduire l’animal ou pour faciliter sa monte, récompenses qu’il s’agit de décrocher : cocarde, colcha, enjalma, vincha). La tauromachie investit des types de lieux très différents, depuis des édifices spécialisés (les arènes de corrida, de course landaise, de course camarguaise, les enceintes de rodéo : manga des toros coleados, lienzo ou rancho de la charreada, medialuna du rodéo chilien, parque de vaquejada) jusqu’aux lieux les plus divers de la vie et des activités quotidiennes, les rues, les places publiques, les enclos, les champs, les terrains vagues, les chemins de campagne, etc. On observe, sur l’ensemble des pratiques, une corrélation forte entre le degré de professionnalisation de la tauromachie et la spécialisation des lieux de mise en scène. La portée d’une telle opposition est aisément perceptible entre d’un côté les jeux d’arènes (la tauromachie pro- fessionnelle pratiquée au sein d’équipements spécialisés) et de l’autre les jeux de Terre des taureaux.indb 69 16/09/10 08:55 70 jeux taurins d’europe et d’amérique rue (la tauromachie participative pratiquée au sein des espaces publics). Cepen- dant la distinction entre jeux d’arènes et jeux de rue n’est pas aussi radicale qu’il n’y paraît. La première raison tient au fait que la tauromachie participative s’accommode en réalité de tout type d’espace et a fortiori des arènes construites pour la tauromachie professionnelle, dès lors qu’elle est autorisée à y pénétrer. La seconde tient à la nécessité, commune à la plupart des divertissements taurins participatifs, de circonscrire une aire de jeu pour des raisons évidentes de sécu- rité. Il faut comprendre l’expression de jeux de rue au sens où l’on parle parfois de sport de rue ou de théâtre de rue pour désigner des pratiques qui sortent des cadres conventionnels des spectacles professionnels. La rue doit ainsi être considérée dans sa dimension sociologique, tout autant que dans sa dimension spatiale, rassemblant ainsi des espaces hétéroclites servant occasionnellement de lieu de mise en scène tauromachique. À l’inverse, on peut considérer que l’arène constitue une structure élémentaire de l’affrontement entre l’homme et le tau- reau, quelle que soit sa forme et quelle que soit sa matérialité. On retrouve une idée proche chez le critique taurin et écrivain Jacques Durand qui s’interroge sur la formation des arènes et la logique qui leur donne forme : Un taureau galope au milieu de la foule puis s’immobilise. Un cercle de coureurs se forme spontanément à une certaine distance autour de lui. On peut considérer cet espace brut comme la plaza de toros primitive, une sorte de degré zéro de l’architecture taurine qui aboutira plus tard à l’auto-invention d’un édifice spécialisé1. I. — Tauromachie professionnelle – tauromachie participative Une opposition fondamentale dans le registre des divertissements En tant qu’activité, la mise en scène réelle de l’affrontement entre l’homme et le taureau fait partie de la catégorie des divertissements sous la forme de deux réalités distinctes : le spectacle professionnel et la pratique participative. Dans les spectacles de la tauromachie professionnelle, il existe une frontière scénique stricte et une différence de statut entre les acteurs du jeu taurin et les spec- tateurs. Généralement, la configuration spatiale de l’arène ou de toute autre enceinte spécialisée dans le jeu taurin matérialise physiquement cette sépara- tion. Les professionnels sont en piste, les spectateurs sont sur les gradins, séparés par des barrières. Les règles du jeu sont codifiées et définissent le rôle de cha- cun des protagonistes. Dans la tauromachie à participation collective, acteurs et spectateurs du jeu taurin sont plus souvent confondus et chacun peut librement 1 J. Durand, Humbles et phénomènes, p. 112. Terre des taureaux.indb 70 16/09/10 08:55 unité et diversité des pratiques tauromachiques 71 éprouver son courage, son adresse ou sa témérité face au risque que constitue toujours, à quelque degré que ce soit, cette rencontre entre l’homme et l’animal. À la différence des spectacles taurins régis par un cérémonial fixe et des règles prescriptives, les jeux taurins à participation collective se caractérisent par une plus grande informalité et des normes plus lâches. Cette opposition fondamen- tale ne résiste pas totalement à l’analyse de certains cas intermédiaires. Le terme de spectacle possède une ambivalence qui n’aide pas à la distinc- tion des types de divertissements tauromachiques puisqu’il est couramment employé non seulement pour désigner ce qui relève d’une représentation (théâ- trale, musicale, ici tauromachique) mais aussi pour désigner « un ensemble de choses ou de faits qui s’offre au regard, capable de provoquer des réactions »2. On retrouve cette ambivalence dans le règlement taurin espagnol dont la clas- sification fait apparaître plusieurs types de « spectacles tauromachiques ». Le règlement différencie huit catégories de « spectacles et festivités taurines » (espectáculos y festejos taurinos) : corridas de toros ; novilladas con picadores ; novilladas sin picadores ; rejoneo ; becerradas ; festivales ; toreo cómico ; espec- táculos o festejos populares3. Les sept premières relèvent bien d’un spectacle au sens d’une représentation payante où interviennent des spécialistes, la dernière prend la forme d’un divertissement ouvert à tous, le plus souvent gratuit, ici qualifié de « populaire » pour bien insister sur sa dimension collective et parti- cipative. Les spectacles tauromachiques « populaires » sont parfois qualifiés de « traditionnels », entérinant l’idée que la forme professionnelle du jeu consti- tuerait une tauromachie « savante » et « moderne » en rupture, sur un plan sociologique et historique, avec la tauromachie participative. Ensuite, on pourrait être surpris de voir qualifiés de professionnels certains spectacles tauromachiques exécutés par des amateurs. Ici, le professionnel n’est pas tant celui qui perçoit un salaire pour un travail que celui qui maîtrise une technique spécifique sur laquelle repose le spectacle ou la représentation. Par exemple, la charreada et le rodeo chilien sont des sports équestres revendiqués comme non professionnels. Il n’en demeure pas moins que les cavaliers mexi- cains (les charros) et les cavaliers chiliens (les huasos) possèdent une technique acquise par un entraînement assidu et que les meilleurs d’entre eux participent aux championnats et compétitions de haut niveau4. De même, les forcados de la corrida portugaise sont fiers de constituer une corporation d’amateurs qui n’engage le plus souvent aucune autre contrepartie financière que les frais de transport, le gîte et le couvert. Pour autant, ils participent aux spectacles pro- 2 « Spectacle » dans A. Rey, Dictionnaire culturel en langue française, pp. 960-963. 3 Règlement taurin espagnol, article 25 « espectáculos y festejos taurinos » (spectacles et festi- vités taurines). Dans le langage taurin les termes espectáculo et festejos sont le plus souvent utilisés sans distinction alors même que le Diccionario de la Real Academia Española n’accorde au mot festejos aucune équivalence du mot spectacle. Nous reviendrons sur ce point apparemment anodin qui est d’un intérêt certain pour l’analyse de la dimension festive de la tauromachie. 4 Pendant longtemps le rugby relevait d’une logique