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Jean-Baptiste Maudet Terres de taureaux Les jeux taurins de l'Europe à l'Amérique Casa de Velázquez Chapitre IV. Limites et discontinuités de l’espace tauromachique Éditeur : Casa de Velázquez Lieu d'édition : Casa de Velázquez Année d'édition : 2010 Date de mise en ligne : 8 juillet 2019 Collection : Bibliothèque de la Casa de Velázquez ISBN électronique : 9788490962459 http://books.openedition.org Référence électronique MAUDET, Jean-Baptiste. Chapitre IV. Limites et discontinuités de l’espace tauromachique In : Terres de taureaux : Les jeux taurins de l'Europe à l'Amérique [en ligne]. Madrid : Casa de Velázquez, 2010 (généré le 02 février 2021). Disponible sur Internet : <http://books.openedition.org/cvz/7720>. ISBN : 9788490962459. chapitre iv Limites et discontinuités de L’espace tauromachique La question des limites et des discontinuités des pratiques tauromachiques pose le problème des décalages entre les frontières historiques de leur diffusion, les frontières légales des jeux aujourd’hui autorisés ou interdits, et les frontières réelles de leur extension. La question peut ainsi être appréhendée à travers les cadres juridiques qui autorisent, tolèrent ou interdisent la pratique de tel ou tel jeu taurin. En tant que spectacle, et en raison d’une interaction mettant en jeu l’intégrité physique des hommes et/ou des animaux, les jeux taurins impliquent fortement les pouvoirs publics. Sur ce plan, les divertissements tauromachiques européens ont suscité depuis toujours de vifs débats conduisant les autorités à exercer un contrôle sur les conditions de leur déroulement. Les rodéos, perçus comme étant issus de la sphère du travail et dont l’émergence en tant que spec- tacle moderne est plus tardive, n’ont généralement pas connu la longue histoire des interdictions à laquelle la corrida a été confrontée. Cela étant, les rodéos aujourd’hui n’échappent pas aux critiques formulées par les mouvements de protection animale, de mieux en mieux organisés à l’échelle mondiale. La divi- sion entre les pays où la corrida est autorisée et les pays où elle est interdite ne correspond à aucun découpage régional évident, pas plus en Europe qu’en Amé- rique. Les pays où les pratiques tauromachiques sont autorisées ont aujourd’hui un point commun fondamental : elles sont légalement exclues du champ d’ap- plication des lois de protection des animaux qui pourraient en condamner l’exercice. I. — Les limites européennes des pratiques tauromachiques En Europe, les limites externes des pratiques tauromachiques sont celles de la corrida, ou plutôt, on observe qu’aucune autre pratique ne déborde son aire d’extension. Tout se passe comme si la corrida bornait l’espace tauromachique à l’intérieur duquel se distinguent des régions taurines aux profils différents. La seule exception européenne, que chacun pourra juger anecdotique ou non, serait les jeux taurins d’Interville qui montrent que d’un point de vue juridique Terre des taureaux.indb 145 16/09/10 08:55 146 la configuration de l’espace tauromachique rien n’empêcherait certaines pratiques de s’exporter ailleurs, en France et dans d’autres pays où le programme télévisé a déjà été imité. Les limites des jeux tau- rins résultent de la rencontre d’une délimitation d’un cadre juridique territorial, définissant une aire d’extension légale de telle ou telle pratique avec celle d’une aire culturelle de la passion taurine. Précisons que la régulation des spectacles publics et des fêtes populaires n’en- trent pas directement dans les compétences du droit communautaire européen même si les traités, par la voix de la politique agricole commune et de la régle- mentation sur « la protection et le bien-être des animaux », ont des conséquences sur les pratiques taurines1. Lors de la conférence intergouvernementale préparant le traité d’Amsterdam, les représentants espagnols ont fait valoir leurs arguments en faveur de la préservation des spectacles taurins. Associé à des intérêts conver- gents sur d’autres sujets que les questions taurines, le Protocole n° 10 établit que l’Union et les États membres doivent tenir compte pleinement des exigences en matière de bien-être animal, en respectant à la fois les dispositions légales et les coutumes des États membres relatives aux rites religieux, aux traditions culturelles et au patrimoine régional. Les situations diffèrent dans les trois États membres concernés par la tauromachie : l’Espagne, le Portugal et la France. Le cadre juridique et territorial de la tauromachie en Espagne En Espagne, l’ensemble des jeux taurins s’inscrit aujourd’hui dans un cadre législatif défini par une loi votée au Parlement le 10 avril 1991. Cette loi taurine, dite « loi Corcuera » du nom du ministre de l’Intérieur de l’époque, est entéri- née par un décret royal le 10 mars 1992. Un « Règlement des spectacles taurins » permet l’application de cette loi. Cette loi taurine vient remplacer le règlement de 1962, adopté par décret, qui n’avait été complété qu’en 1982 pour légiférer et reconnaître officiellement l’existence des spectacles taurins populaires. Dans le cadre d’un transfert de compétences prévu dans la Constitution de 1978 et des attributions administratives définies dans la loi taurine, ce sont désormais les Communautés autonomes qui légifèrent en matière de spectacles taurins. Quand aucun règlement régional n’existe, la norme étatique a valeur supplé- tive2. Soulignons qu’avant 1982, les jeux taurins populaires n’avaient aucune existence légale et ont toujours fait l’objet de nombreuses interdictions. Pour ne mentionner ici que les périodes les plus récentes, rappelons que tout au long du xixe siècle et du xxe siècle, les interdictions de courir les taureaux dans la 1 Sur cette question, voir le colloque CEDECE organisé par l’université de Limoges les 7 et 8 avril 2005 intitulé « Les animaux et les droits européens », en particulier les communications sur le thème de la corrida prononcées par les professeurs de droit Jean-Claude Gautron, Christine Hugon et Jacques Leroy. Nous remercions Bénédicte Langue pour nous avoir transmis le contenu de ces conférences. 2 Pour un commentaire complet de la réglementation espagnole voir P. Plasencia, La fiesta de los toros. Terre des taureaux.indb 146 16/09/10 08:55 limites et discontinuités de l’espace tauromachique 147 rue se sont multipliées : en 1833, en 1908 par ordre royal, renouvelé en 1924, puis en 1928 à l’initiative de Primo de Rivera, en 1932 sous la République, ainsi que dans le règlement taurin de 1962 sous le franquisme. Cette énumération montre, en retour, à quel point l’éviction de la tauromachie populaire fut, dans les faits, irréalisable. L’éloignement du pouvoir central résiste souvent assez mal aux diverses stratégies locales de contournement de la loi et de travestissement des jeux taurins qui ont continué, de fait, à se dérouler. La plupart des Communautés autonomes, en s’appuyant sur tout ou partie du Règlement national de 1991, ont élaboré un règlement régional par l’adop- tion de mesures visant à légiférer spécifiquement tel ou tel aspect des spectacles taurins. Et ce sont les spectacles taurins populaires qui ont prioritairement fait l’objet des nouvelles réglementations régionales, étant donné le caractère trop général du texte de 1991 sur ce sujet. Seules les régions du Pays Basque, de la Navarre et, en 2007, de l’Andalousie ont adopté un règlement taurin complet. Sans forcément contredire les normes du règlement national, ces règlements témoignent d’une forte volonté de réappropriation régionale de la culture tau- rine. À l’inverse, seules Les Canaries, dès 1991, ont interdit dans leur territoire la pratique de la corrida et de tout type de spectacle taurin. Contrairement à une idée fausse qui gagne du terrain, les corridas ne sont pas interdites en Catalogne bien qu’elles y soient menacées par un projet de loi déposé au Parlement. On trouve à l’origine de ce projet de loi une déclaration de rejet de la corrida adop- tée par le conseil municipal de Barcelone en avril 2004 par 21 voix contre 15. De plus la Catalogne a déjà pris des mesures restrictives interdisant la construction de nouvelles arènes et interdisant l’entrée aux corridas aux mineurs de moins de 14 ans. En ce qui concerne les jeux taurins populaires (les corre bous), la Cata- logne a également restreint les autorisations par une ferme application de la loi régionale 3/1988 sur la protection des animaux, qui n’accorde de dérogation qu’aux municipalités ayant constitué un solide dossier pour faire valoir l’an- cienneté de la tradition. Aussi existe-t-il une réglementation homogène sur l’ensemble du territoire pour ce qui est des spectacles professionnels et des réglementations régionales différentes pour ce qui est des festejos taurinos populares. Pour ces derniers, non seulement les réglementations diffèrent d’une région à l’autre, mais prévoient également des dispositions particulières pour un certain nombre de traditions et de fêtes taurines locales, répertoriées et validées par les autorités compétentes. Les différences régionales concernent principalement le traitement des bovins en piste et les modalités autorisées pour les affronter. La réglementation natio- nale prévoit l’abattage systématique du bétail ayant participé à un spectacle taurin. Cet abattage a lieu hors de la présence du public et dans les conditions sanitaires prévues par les réglementations nationales et européennes. Cette loi, qui ne manque pas de paraître cruelle à certains, a pour objectif de réduire les risques d’accidents provoqués par des animaux qui parviendraient à acquérir une expérience du combat, mettant alors excessivement en danger les nombreux participants inexpérimentés des jeux taurins populaires. Au cours de l’histoire, le danger que représente l’affrontement de bêtes déjà courues a entraîné de Terre des taureaux.indb 147 16/09/10 08:55 148 la configuration de l’espace tauromachique nombreuses interdictions, en particulier celles concernant les capeas de villages et autres lâchers de taureaux sur la voie publique.