et ArmesÉPÉES Blanches | L'épée, en tant qu'arme, n'est plus guère utilisée. Pourtant, elle garde son auréole de puissance et de beauté, grâce à sa noble allure et aux symboles qu'elle représente. Cet ouvrage, réalisé par une équipe de spé- cialistes, couvre près de 4 000 ans de l'histoire des épées; il débute au IIIe millénaire avant Jésus-Christ, et suit la floraison des armes blanches à travers l'histoire, tant comme instruments de combat que comme œuvres d'art. L'accent est mis sur les épées européennes, japonaises et islamiques en raison de l'excellence de leur fabrication, de leur signification culturelle et de leur évolution remarquable. Néanmoins, les épées des peuples d'Afrique, d'Amérique centrale, de Chine, d 'Asie centrale et d'Indonésie, de types et de stylesdétaillés. divers, font l'objet de développements Le texte fournit des appréciations d'experts sur les armes elle-mêmes tout en donnant au contexte historique la place qu'il mérite. Plus de 400 illustrations accompagnent le texte — dessins réalisés spécialement et photogra- phies en couleurs. Les épées ainsi mises en valeur dans l'ouvrage viennent de collections privées, de marchands et de musées du monde entier. Cet ouvrage, qui allie l'esthétique et la rigueur scientifique, s'adresse aux collectionneurs et aux experts en armes anciennes, mais aussi à tous les amateurs d'art et d'histoire.

Couverture : Didier Thimonier. Illustration du 1er plat : Poignée d'une arme allemande du XVIIe siècle Illustrations(Wallace Collection, du 4e plat Londres). : Procession impériale, dynastie Ming (en haut à gauche). JambiyaKukri népalais arabe (en bas).haut à droite).

ÉPÉES et armes blanches Michael D. Coe Thom Richardson Professeur d'anthropologie, musée Peabody d'histoire Conservateur en chef des armures, The Royal Armouries, naturelle, université de Yale musée de la Tour de Londres Peter Connolly Anthony North Chercheur associé honoraire à lInstitut d'archéologie, Maître de recherches au département des ouvrages de université de Londres métal, Victoria and Albert Museum Anthony Harding Christopher Spring Chargé de cours en archéologie, université de Durham Chercheur au Muséum of Mankind, département Victor Harris ethnographique du British Museum Conservateur du département des antiquités japonaises, Frederick Wilkinson British Muséum Président de la Arms and Armour Society Donald J. LaRocca Conservateur adjoint du département des armes et armures, Metropolitan Museum of Art ÉPÉES

et a rmes bla nches

Bordas L'édition française de cet ouvrage a été réalisée avec la collaboration de Édition originale : and Hilt Weapons Gilles Baud Berthier, @ Multimedia Books Limited, Londres, 1989 historien, spécialiste de l'Extrême-Orient First published in the UK by George Weidenfeld & Nicolson Limited pour la traduction des chapitres 8, 12 et 13 Édition : Anne Cope Hélène Chew, Maquette : Alan Moore conservateur au musée des Antiquités nationales de Saint-Germain-en-Laye, Recherche iconographique : Charlotte Deane et Jenny de Gex pour la traduction du chapitre 2 Production : Arnon Orbach et Hugh Allan Jean-Pierre Debaeker pour la traduction des chapitres 7,10, 11 et 15 Elisabeth Fortunel pour la traduction du chapitre 14 Edith Galdemar, étudiant chercheur au Centre de recherches en archéologie précolombienne, université de Paris I, pour la traduction des chapitres 9 et 16 Catherine Louboutin, conservateur au musée des Antiquités nationales de Saint-Germain-en-Laye, pour la traduction du chapitre 1er Paul Verguyse, pour la traduction des chapitres 3, 4, 5 et 6 Florence Berthelot pour la coordination technique Marc Baudoux pour la traduction de l' Introduction et pour la coordination générale @ Bordas, Paris, 1990 ISBN : 2-04-018472-4 Dépôt légal : Septembre 1990 Composition, montage et films : Photocomposition franc-comtoise, Dole Imprimé en Italie par Imago -avants Toute droit, représentation ou ayants cause,ou reproduction, est illicite - intégrale(loi du 11 ou mars partielle, 1957 alinéafaite sans 1 " dele consentementl'article 40). Cette de l'auteur,représentation ou de sesou suivantsreproduction, du Code par pénalquelque La procédéloi du 11 que mars ce soit,1957 constitueraitn'autorise, aux une termes contrefaçon des alinéas sanctionnée 2 et 3 de par l'article les articles 41, que 425 les et copies ou les reproductions strictement réservées à l'usage privé du copiste et non destinées à une utilisation d'illustration...collective, d'une part et, d'autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d'exemple et Sommaire

INTRODUCTION 10 LES DEUX GUERRES MONDIALES Victor Harris 6 Frederick Wilkinson 122 1 LES ÂGES DE IA PIERRE, DU BRONZE ET DU FER 11 ARMES BLANCHES DU MONDE ISLAMIQUE Anthony Harding 8 Anthony North 136 2 LA GRÈCE ET ROME 12 LES JAPONAIS Peter Connolly 20 Victor Harris 148 3 BARBARES ET CHRÉTIENS 13 CHINE ET ASIE CENTRALE Anthony North 30 Thom Richardson 172 4 L'ESPRIT DE LA RENAISSANCE 14 INDE ET ASIE DU SUD-EST Donald J. LaRocca 44 Frederick Wilkinson 186 5 DE LA RAPIÈRE À LA PETITE ÉPÉE 15 ARMES AFRICAINES Anthony North 58 Christopher Spring 204 6 LE XVIIe SIÈCLE EN EUROPE 16 L'AMÉRIQUE AVANT LA CONQUÊTE Anthony North 72 Michael D. Coe 218 7 L'EUROPE DES XVIIIe ET XIXe SIÈCLES Anthony North 84 8 LES ARMES COMBINÉES Principales collections d'armes blanches 226 Anthony North 96 Bibliographie 227 9 ÉPÉES, SABRES ET COUTEAUX AMÉRICAINS Sources des illustrations 230 Frederick Wilkinson 104 Index 235 INTRODUCTION

Victor Harris

e livre traite de l'histoire des épées et des poignards dans le Mais quelle joie dans la vie de tout jeune garçon que son premier monde. Il aspire toutefois à plus qu'à une simple description canif, avec sa lame bien aiguisée, secrète, brillante et qui n'appartient c des formes et de la fabrication de ces objets. Il entend fournir à nul autre ! Une longue lame pour l'usage courant, une lame plus au lecteur un aperçu de ces traits essentiels de l'épée qui l'ont, au petite et plus coupante pour on ne sait quel usage à venir. Avec ce petit cours des temps et dans la plupart des sociétés, élevée à une position couteau, on peut couper une ficelle et graver le bois, se faire une flûte éminente parmi toutes les armes. d'une baguette de sureau et rogner une canne pour la rendre lisse et Les armes tranchantes à poignée ont dû se développer à partir de douce. Il y a aussi la menace que représente la lame, la crainte d'une la hache de pierre taillée et du bâton pointu, probablement utilisés entaille et du sang rouge vif ; peut-être le secret espoir d'une cicatrice comme outils et comme armes de chasse dès avant qu'éclatent les blanchâtre. Il y a là une dignité qui manque aux autres jouets. De premières guerres. Ensuite, vers 3000 avant J.-C., apparut la lame de même, il y a une dignité dans les épées et les dagues, même si les jeux bronze. Vinrent enfin le fer, matière magique, et l'acier, de la trempe des soldats sont plus mortels et leurs plaies plus profondes que le des héros. petit garçon n'imagine. À l'abri de leur fourreau, certaines épées sont des objets décoratifs Épées et poignards évoquent des rêves semblables dans des de toute beauté, avec leur poignée incrustée de métaux précieux et civilisations très éloignées entre elles. L'arme blanche est matière à sertie de pierreries. D'autres ont une monture de simple métal ou de poème et symbole d'action virile dans la société. Il en a été ainsi de bois, parfois gainé de tissu ou de cuir. Le pommeau peut être façonné tout temps, dans la paix comme dans la guerre. Il en a été ainsi chez en memento-mori, pour rendre claire la finalité meurtrière de l'arme. tous les peuples et en tout pays, que l'anne survive depuis belle lurette À l'inverse, l'épée du chevalier chrétien, avec sa garde cruciforme, peut à son utilité pratique ou bien qu'on la dégaine encore chaque jour devenir l'emblème du véritable amour de Dieu. pour se défendre. Parfois et chez certaines nations, l'épée a fait partie du costume de Arme symbolique, l'épée exerce de nombreuses fonctions sans tous les jours. Ailleurs, on l'a gardée sous le manteau ou sous le pour autant répandre le sang. Elle est la marque du pouvoir et, à ce boisseau, loin du regard des enfants trop enclins à répondre à l'appel titre, on la porte solennellement en procession dans les cortèges des armes. Aujourd'hui encore, elle est portée par les militaires en officiels où elle représente aux yeux de tous la loi et l'autorité. C'est signe de leur grade, conservée par les nostalgiques d'une gloire passée par l'attouchement d'une épée sur l'épaule que le chevalier reçoit ou collectionnée par des connaisseurs sensibles à sa beauté et à sa l'investiture. C'est en brisant son épée que l'on dégrade un officier. La signification archéologique. remise d'une épée peut signifier la reddition d'une année. Dans Mais quand l'épée est dégainée et brandie, tout change. La lame l'ancien Japon, le passait pour matérialiser l'âme même du luisante a de quoi faire peur, sa forme éveille d'étranges sentiments samouraï. Le poignard assurait le respect de l'étiquette dans les actes par son élégance fonctionnelle, son tranchant acéré ne souffre pas de les plus graves : pour expier son déshonneur, le samouraï se suicidait compromis. Le propos est de tailler et de tuer. Cela ne peut qu'impres- en s'en perçant les entrailles ; sa femme, en s'en sectionnant la veine sionner même celui qui ne connaît rien ni ne s'intéresse à l'histoire de jugulaire. Des épées factices ont été utilisées comme monnaie, comme cette arme, à l'art ou aux techniques de l'artisan qui l'a faite. moyen de guérison et dans quantité de rituels. En Afrique, différents Bien entendu, toute lame présente un danger. Il faut entretenir une types de lames d'apparat représentent, chez les Achantis, les différents lame soigneusement si l'on veut qu'elle garde son tranchant, mais niveaux de l'autorité ; la décoration de chacune d'elles constitue un même une lame émoussée doit être maniée avec précaution. Même si message compréhensible uniquement à ceux qui occupent le rang l'épée a fait son temps comme arme, on ne peut ignorer ses redouta- auquel elle est destinée. bles potentialités. Comme le dit le proverbe : « Donner une épée à un Des danses de l'épée survivent çà et là. C'étaient à l'origine des rustre, c'est donner un couteau qui coupe à un enfant. » exercices militaires, comme le reel des Highlanders écossais par- dessus des sabres croisés. Le caractère magique de l'épée subsiste anglais et qui lui a sûrement été prise au combat il y a deux siècles : dans des jeux folkloriques où les lames se déploient en « roses » ou emmanchée d'ivoire et de cuivre, elle est devenue un skean dhu, cette s'entrechoquent par-dessus la tête d'un pseudo-décapité. « dague noire - que les Écossais portent dans leur bas. Ainsi d'une Durant des millénaires, la technique du fourbisseur est restée à chachka russe à garde dorée provenant d'un sabre européen du l'avant-garde de la science. Cet artisan bénéficiait au sein de la société xviir siècle, avec adjonction d'une tête de Christ : elle a été dérobée au d'un statut en rapport avec l'importance de son activité. Car la force cadavre d'un cavalier sur un champ de bataille du xxe siècle, où les armée a toujours été l'ultime moyen d'asseoir le pouvoir. À quoi sabres n'auraient pas dû trouver place... Ou encore cette épée s'ajoute que la découverte du fer et de l'acier a confirmé l'épée dans européenne ancienne, montée en Inde dans le style firangi. sa fonction d'arme de taille la plus efficace. Instrument qui ôte ou qui sauve la vie, l'épée est souvent décorée Dans diverses civilisations s'est développée la technique consistant d'un memento-mori ou d'une inscription religieuse. Des noms de à renforcer la lame en forgeant ensemble plusieurs couches de métal saints sont parfois gravés dans les rainures des rapières européennes ; différemment structurées et en incorporant du carbone à leurs beaucoup de lames japonaises portent des invocations bouddhistes extrémités pour que le tranchant soit de bon acier. Les Vikings ont en sanskrit ; des « nombres magiques - sont incrustés en or, près de fabriqué ainsi des épées de facture complexe, qu'ils ont enrichies de la garde, sur les lames des sharnshir perses. métaux précieux. On a fait à Damas et ailleurs en Syrie des lames à Chez certains peuples, l'épée est même considérée comme un grain fin, dont certaines portent la généalogie de Mahomet inscrite objet magique : certaines, comme au Tibet le purbhu à poignée , dans les replis du fer. À l'autre bout du monde, au Japon, il y a un n'étaient utilisées qu'au cours de cérémonies religieuses. Dans l'ancien millénaire, on forgeait des sabres magnifiques en repliant le fer assez Japon, le sabre est l'instrument de purification et d'exorcisme de la de fois pour former des milliers de couches et en en durcissant le religion shinto. bord pour pouvoir lui donner le tranchant d'un rasoir. En Occident, on dit que la plume est plus puissante que l'épée. Bien des épées ont passé de main en main car elles étaient les plus Napoléon aurait affirmé : " Il n'y a que deux puissances dans le monde, somptueux des présents. D'autres ont été considérées, de génération le sabre et l'esprit. À la longue, le sabre est toujours battu par l'esprit. » en génération, comme le bien le plus prestigieux d'une famille. Mais au Japon le proverbe dit - bumbu no ichi ,,, ce qui signifie « que D'autres encore ont été enterrées avec un mort pour le protéger dans la plume et le sabre s'accordent ,,. Pour l'homme d'armes japonais, les l'au-delà. Une bonne lame dure plus longtemps que les guerriers qui exercices d'escrime étaient et restent un effort intellectuel. Il pratique la manient : c'est là un thème récurrent dans la littérature héroïque. les techniques traditionnelles avec un sabre de bois jusqu'à ce qu'il On lit, par exemple, dans la Saga de Njal, que Sharphedin, prisonnier soit capable de déjouer toutes les ruses de son adversaire, en se des flammes et les jambes brûlées jusqu'aux genoux, n'ayant plus mouvant avec naturel et en allant avec son arme au cœur même des qu'un moment à vivre, enfonce profondément sa précieuse hache choses. Le savant escrimeur japonais du xixe siècle Yamaoka Tesshu d'armes dans le mur de bois, pour préserver de la chaleur la trempe déclarait que le vrai sabre était celui de l'esprit et, f011 de cette vérité, du tranchant. Et qui ne frissonnerait à la description que fait Tennyson il se montrait invincible au combat. L'étude de l'escrime transcende de la façon dont le roi Arthur s'empara de l'épée Excalibur, dans La donc la simple habileté aux armes. Son but ultime est de « se vaincre Mort d'Arthur ? soi-même » et de s'élever au-dessus de la conception courante de la vie Et Arthur traversa à la rame et la prit, riche et de la mort. C'est l'une des nombreuses voies que peut suivre celui De tous ses joyaux, la garde d'un éclat féerique qui pratique le zen. Émerveillant le cœur et l'œil, la lame si étincelante En Inde et dans tout l'Orient bouddhiste, l'épée, attribut des Que l'on en restait aveuglé. Une lame où, d'un côté, bodhisattvas et des rois divins, représente la séparation entre le Dans la plus ancienne langue de ce monde est gravé : monde de l'illusion et le monde de la réalité dernière. Son maniement - Prends-moi ». Mais retourne-la et tu verras, Écrit dans la langue que tu parles toi-même : lui-même est la clé du progrès spirituel. "Jette-moi au loin ». Et sombre était Arthur... Il n'y a donc rien d'étonnant à ce que l'épée demeure un symbole d'excellence physique et mentale et soit aujourd'hui encore au centre Les épées survivent à leur propriétaire et font le tour du monde, de cette noble étude qu'est la recherche du sens de la vie et de la mort. dotées de nouvelles montures pour obéir à d'autres coutumes. J'ai L'épée représente l'effort de l'homme pour s'améliorer lui-même et près de moi plusieurs exemples des croisements constants qu'a subis améliorer la société, par la technique et par la justesse de l'action, ainsi l'arme noble. Ainsi d'une baïonnette à bouchon qui armait un soldat que pour dompter le mal qui rôde en nous et parmi nous. 1 LES ÂGES DE LA PIERRE, DU BRONZE ET DU FER

Anthony Harding

e toutes les armes de guerre et de destruction, l'épée est celle qui offre le meilleur précis de l'histoire de l'inhumanité de l'homme envers l'homme. À toute époque et à tout stade techniqueD - au moins depuis le 3e millénaire avant J.-C. -, métaphores et aphorismes ont reflété cette situation : l'arme meurtrière par excellence, tenue à la main et brandie contre l'ennemi, était munie d'un manche et d'une lame et spécialement conçue pour poignarder, transpercer, tailler en pièces. Avant de travailler le métal, l'homme a façonné des armes offensives en bois et en pierre, et il ne faudrait pas sous-estimer la puissance meurtrière d'instruments aussi « primitifs ». Poignard, dague, rapière ou épée remontent tous à la nuit des temps et sont antérieurs à l'invention de l'écriture qui permit de consigner les événements sur l'argile ou le papyrus. Les premiers poignards et les premières épées n'étaient pas tous conçus pour un usage guerrier, loin de là. Dans l'équipement d'un soldat, encore actuellement, nombreux sont les éléments purement ostentatoires ; ainsi en allait-il dans l'Antiquité. Le rôle de nombreuses armes était non de blesser ou de tuer mais de manifester la richesse, le rang social, la puissance des uns, le savoir-faire technique ou artistique des autres ; ou encore de terroriser l'ennemi. Nous avons tendance à oublier que de tels objectifs ont dû jouer, autrefois, un rôle majeur dans la conception et l'utilisation des objets, mais nous allons voir qu'il est capital de s'en souvenir. La typologie des armes anciennes est un sujet de controverse car il n'existe aucun écrit qui leur soit contemporain et nous décrive leur mode d'utilisation. Toutefois un certain nombre de spécialistes ont classé ces épées et ces poignards en plusieurs groupes, en fonction de leur longueur. Le colonel D.H. Gordon, officier de l'armée britanni- que, était, avant la Première Guerre mondiale, expert dans le maniement du sabre et de la baïonnette. Il a étudié de près les épées anciennes et leurs fonctions possibles, et a proposé un classement prenant en compte leur longueur. En dessous de 35,5 cm, on peut parler de poignards ; entre 35,5 et 51 cm, de dagues ; entre 51 et 71 cm, d'épées courtes, et au-delà, d'épées longues. De fait, la majorité des poignards préhistoriques mesurent moins de 30,5 cm et sont manifestement conçus pour transpercer ou balafrer l'adversaire dans un combat rapproché. En revanche, la fonction précise des armes 8 plus longues dépend plutôt de la forme de leur lame. Les « rapières », figures animales et humaines. Un autre exemple a, sur le manche, des par exemple, à lame étroite et pointue, étaient probablement des plaquettes en or décorées de serpents sur une face et d'animaux sur armes pour frapper d'. Les épées « de taille et d'estoc », à lame l'autre. Cependant, l'aspect général de ces armes, à lame large et plate, plus large et plus résistante, ont dû servir aussi bien à écharper ou plaide pour un usage cérémoniel plutôt que belliqueux. balafrer qu'à transpercer. Toutefois la guerre n'était pas toujours conduite, en ces temps-là, à coups d 'épée ou de poignard. Les Les premières armes métalliques Assyriens, par exemple, utilisaient des armes tout à fait différentes. Le premier métal utilisé un peu couramment pour fabriquer des outils et des armes fut le cuivre pur. Les poignards en cuivre sont Les premières armes blanches généralement plats et à soie simple, reflet d'une technique relative- Les premières armes conçues pour attaquer l'homme étaient en ment élémentaire. Quand on sut allier le cuivre à d'autres métaux, silex ou en une autre pierre, comme l'obsidienne. Un tranchant notamment à de l'étain pour donner du bronze, le bronzier put aiguisé était obtenu au moyen de ce qu'on appelle une retouche par obtenir un métal beaucoup plus résistant, surtout en le travaillant à pression : de fines écailles de pierre sont détachées par la pression chaud. L'âge du bronze, qui désigne l'époque de la première réelle d'une pièce pointue, en bois dur ou en andouiller. Déjà au début du maîtrise du métal par l'homme, fut donc un âge de grands progrès Paléolithique supérieur, la retouche par pression était un art abouti : techniques dans le domaine de la fabrication des armes. le tailleur de pierre pouvait produire un tranchant acéré, au profil Le début de l'histoire des armes de poing métalliques, dans les parfaitement contrôlé. On peut juger de cette habileté grâce aux premiers centres de civilisation, concerne presque uniquement des pointes en forme de feuille de laurier de l'époque solutréenne armes courtes : ce sont en fait des poignards, même si l'on parle (Solutré est un site préhistorique près de Mâcon, en Bourgogne), mais souvent d 'épées. Comme nous le verrons, l'épée n'apparaît réellement rien n'assure que ces pièces eurent un usage guerrier ni même qu'au 2e millénaire, et quelques régions, en particulier l'Égypte, n'y simplement utilitaire, ni qu'elles furent emmanchées. On doit atten- recourent que fort peu jusqu'à l'âge du fer, préférant s'en tenir à un dre, pour cela, le Néolithique et les débuts de l'agriculture. armement dans lequel dominent l'arc, la lance et des armes plus Une série de belles pointes de flèche et de poignards retouchés par locales. Le poignard était utilisé seulement dans le combat au corps à pression ont été trouvés à Çatal Hôyiik, village des premiers agricul- corps, sans doute pour infliger le coup de grâce à un adversaire déjà teurs d'Anatolie centrale. Une des pointes conservait des lambeaux mis à mal par des armes de plus longue portée. d'un fourreau en cuir : peut-être était-ce un des premiers poignards, Les poignards courts, de formes variées, se répandent largement au mais le mode d'emmanchement n'est pas clair. D'autres poignards - Proche-Orient, aux 3e et 2e millénaires. Sur les plateaux iraniens, des définis comme tels grâce à l'existence d'une large soie et aux restes poignards étaient déjà en usage au 4e millénaire. Ces formes précoces d'un manche en os maintenu sur la lame par de la glu, ou un mélange étaient munies d'une languette sur laquelle était souvent rivée une de glu et de résine, et un enroulement de liens - sont beaucoup plus poignée. Celle-ci devait être généralement en matière organique, bois Ci-dessus : poignard de silex à manche impressionnants. Leur lame est large, retouchée par pression sur une ou os. On a ainsi trouvé à Kish, près de Babylone, en Mésopotamie, serpentiforme en os. Çatal Hôyiik, Turquie face et plane sur l'autre. Un exemplaire complet a un manche en un manche de poignard en ivoire. En Mésopotamie, les tombes de centrale, 6" millénaire av. J.-C. forme de serpent, dont la peau écailleuse est évoquée par un décor l'époque de la Ire dynastie contiennent souvent de tels poignards, Page de gauche : couteau de silex à pointillé. généralement en cuivre. On n'a que rarement fabriqué des armes en manche d'ivoire. Gebel el Arak, vallée du métal précieux ; toutefois les tombes royales d'Ur (fin du 3e millé- Nil, 4e millénaire av. J.-C. Sur le manche est De tels chefs-d'œuvre existent aussi dans l'Égypte prédynastique et figurée une bataille opposant sans doute protodynastique, mais ils sont malheureusement dépourvus de naire) ont livré deux superbes poignards en or. L'un a un manche en Égyptiens (crâne rasé et bateaux en forme contexte archéologique précis. De Gebel el-Arak, au nord de Louxor, lapis-lazuli décoré de grains d'or, et son fourreau est magnifiquement d'arc) et Orientaux (longs cheveux et provient un poignard dont le manche en os est savamment décoré de ajouré. L'autre a un manche aux côtés incurvés, sans doute pour bateaux à haute proue). Ci contre : poignard d'or et son fourreau. arme véritablement royale, porte le cartouche d'Ahmosis lui-même. Le Tombe royale PG/580, Ur, sud de la Mésopotamie, milieu du 3" millénaire manche en bois est recouvert d'une feuille d'argent avec des incrusta- av. J.-C. la lame, le décor du manche et le tions d 'électrt-im, de cornaline et de lapis-lazuli ; quatre têtes fémini- fourreau sont en or ; le manche est en nes, en feuille d'or avec des incrustations, décorent le pommeau ; la lapis-lazuli. garde porte une tête de bovin en feuille d'or, et la lame est en or avec En bas, à gauche : poignard d'or. Tombe une nervure axiale incrustée. Un fourreau de cuir orné d'une feuille d'Ahhotep, mère du pharaon Ahmosis Ier, d'or complète l'effet. En raison de la parenté, technique et esthétique, Thèbes. Le manche, en bois sculpté avec les poignards des tombes à fosse de Mycènes, certains ont recouvert d'argent, porte un décor suggéré qu'il pouvait s'agir d'une œuvre égéenne parvenue en Égypte triangulaire cloisonné avec incrustations d 'éle(-tr-um, de cornaline et de lapis-lazuli. par la voie commerciale ou diplomatique. Une deuxième lame de la La lame est en or avec incrustations de tombe d'Ahhotep allie l'or et le bronze, et sa poignée en or, de section nielle et d'un fil d'or dessinant le nom et la ronde, se termine par un disque. Un troisième poignard, plus court, titulature d'Ahmosis (règne : 1570-1546 a des côtés arrondis en haut de la lame, pour une prise plus av. J.-C.). Les têtes du pommeau confortable, car il n'y a pas de véritable manche mais seulement un représentent peut-être la déesse Hathor. pommeau large, fixé à une extrémité en forme d'aile. La lame est en En bas, à droite : poignard de bronze à bronze et or, le « manche » en or et le pommeau en bois plaqué pommeau d'ivoire. Égypte, première d'argent. moitié du 2e millénaire av. J.-C. Encore plus magnifiques sont les poignards, en or et en fer, de Toutankhamon (mort vers - 1350). La lame en or est décorée de simples rainures centrales, terminées au sommet par des motifs végétaux. Le manche, dont le mode d'attache à la languette est invisible, porte un décor en bandes alternées de motifs géométriques en grenetis d'or et de motifs naturalistes en cloisonné d'or incrusté de pierres précieuses et de verre. Un fil d'or torsadé, à la base du manche, rappelle les liens utilisés pour les poignards en silex. Le pommeau porte les cartouches en or du roi et des motifs cloisonnés en or. Le splendide fourreau, également en or, est décoré sur une face d'une plume et sur l'autre d'animaux et de plantes stylisés. Certains cher- cheurs voient dans cette pièce des influences étrangères, peut-être syriennes ou égéennes. Les célèbres reliefs rupestres du sanctuaire de Yazilikaya, près de Bogazkôy, capitale des Hittites en Anatolie centrale, représentent, à la fin du 2e millénaire, un autre type de poignard ou d 'épée. La lame n'est pas entièrement visible puisqu'elle est sculptée enfoncée en terre, mais le manche est clairement constitué d'une tête humaine accompa- gnée de quatre lions couchés, deux parallèlement et deux perpendi- culairement à la lame. Il s'agit peut-être de l'évocation d'une divinité chthonienne hittite. Des poignards innombrables et variés, à languette et à rivets, existaient donc dans l'ancien Proche-Orient : c'étaient des armes s'adapter à la main, et un pommeau hémisphérique. Un poignard utilitaires, mais pas au point d'exclure tout embellissement. Par la d'Ur, en cuivre, se termine par un très grand pommeau en forme de suite, c'est dans le domaine technique qu'un pas important a été croissant. D'autres ont la lame pointue et des languettes triangulaires, franchi quand on sut fondre ensemble la lame et la poignée de ces ou la lame en forme de feuille, renforcée par une nervure axiale. armes. Manche et lame devenaient ainsi plus fermement et durable- Des poignards courts à rivets de même type ont été trouvés dans ment solidaires, et on finit par marteler les bords de la poignée pour l'Ancien Empire égyptien ou en Syrie-Palestine, et ils étaient encore en dresser des rebords. Les premières armes à poignée à rebords usage au 2e millénaire. Certains portent une décoration très élaborée. apparaissent au début du 2" millénaire. Elles deviennent ensuite Plusieurs exemplaires superbes ont été trouvés à Byblos, au Iiban, courantes dans toute la Méditerranée orientale et au Proche-Orient, dans une des cachettes proches du temple de l'Obélisque. Leur lame jusqu'au Bronze final iranien, durant lequel les fameux bronzes du et leur fourreau sont ornés de processions et d'animaux héraldiques. Luristan en offrent certaines versions. Il arrive que le manche fondu Trois magnifiques spécimens proviennent de la tombe d'Ahhotep, soit non pas une plaque plate à rebords, mais un élément plein, de mère du pharaon Ahmosis Ier (vers 1570 à 1546 av. J.-C.). L'un, une section ronde, parfois terminé par une extrémité ronde ou en forme de T pour recevoir un pommeau. Un certain nombre de ces armes en prestige des tombes d'Alaca pour témoigner de l'émergence d'une À gauche ■ . relief rupestre. Sanctuaire de Yazilikaya, près de Bogazkôy, capitale des bronze d'une seule pièce - la plupart sans localisation précise, sauf classe privilégiée, peut-être adonnée aux arts de la guerre. Par la suite, Hittites, Turquie centrale. La poignée de une sans doute trouvée dans la grotte de Kermanshah - proviennent les véritables épées se font rares au Proche-Orient. Une pièce du l'épée est formée d'une tête humaine et de du Luristan, au nord-ouest de l'Iran. Certaines portent le nom des rois début du 2e millénaire a été trouvée à Byblos (Liban) avec de très quatrè lions ; la lame disparaît dans le sol. de Babylone de la fin du 2e millénaire et peuvent donc être des nombreuses épées à languette, plus courtes : elle mesure 57 cm et une Il s'agit, pense-t-on, de la représentation produits babyloniens ; on peut se demander comment elles ont atteint nervure axiale lui donne plus de poids et de rigidité. De longs d'une divinité chthonienne. xme siècle ces coins reculés de l'Iran. Elles se caractérisent par un pommeau en poignards droits, ou dagues, ont également été découverts dans des av. J.-C. T, en forme de croissant, et un cran (échancrure) en haut de la lame, tombes du Bronze moyen à Jéricho, sur la rive nord de la mer Morte. Ci-dessou,s : épée-faucille. Gezer, Palestine. sur le bord. Certaines ont également une garde. Mais l'histoire de l'épée commence réellement en Crète. Les exem- Des armes similaires sont souvent Nous avons vu que les armes courtes, du type poignard, étaient la plaires plus tardifs d'Ugarit (Syrie) ou d'autres sites du Proche-Orient représentées dans l'art de l'ancien norme dans l'Égypte et le Proche-Orient du 3e millénaire. Durant le sont simplement des échos de l'âge du bronze des régions plus Proche-Orient et sont, en Égypte, un 2' millénaire, des armes plus longues apparaissent, peut-être en raison occidentales et nordiques. symbole de pouvoir. XIVe siècle av. J.-C. de nouvelles méthodes de combat liées à l'utilisation du cheval pour Avant de quitter l'ancien Proche-Orient, mentionnons l'« épée-fau- En bas : poignard d'or. Tombe de la guerre. Les premiers signes du changement remontent à la fin du cille », ou cimeterre, et son parent plus banal, l'épée recourbée. Des Toutankhamon, vallée des Rois, Thèbes. La lame est en or et le manche porte un 3e millénaire et aux tombes royales d'Alaca Hôyiïk, en Anatolie figurations d 'épées à lame courbe, sans doute du 3e millénaire, ont été décor granulé et cloisonné, en or avec centrale. La plus longue épée d'Alaca Hôyiik mesure 82 cm. Comme trouvées à Tello, site de la Ire dynastie babylonienne. Et une tombe de incrustations de verre et de pierres les autres, elle a une lame plate à bords rectilignes ; elle est trop légère Byblos (Liban), datée du règne d'Amménémès in (1842-1797 av. précieuses. XIV' siècle av. J.-C. et sa poignée n'est pas assez solide pour une réelle efficacité. Ces J.-C.), a livré plusieurs épées magnifiques de ce type. L'une a une lame épées, cependant, s'ajoutent aux nombreux autres beaux objets de en bronze renforcée par une nervure centrale qui se termine par un En bas, el droite : poignard ; tombe en urxus (serpent sacré) en or incrusté d'argent, et une poignée en bois armes des tombes à fosse, elles portent un décor élaboré, en or, sur tholos de Rutsi, près de Pylos ( eli haut). décorée de rosettes en or. À cette époque, toutefois, les lames la poignée et le haut de la lame, avec parfois un décor incisé sur la Vue des deux faces d'un poignard semblable ; tombe à fosse IV de Mycènes recourbées semblent limitées à l'Asie occidentale. Plus tard, les nervure axiale. Les épées plus courtes et effilées, de section ovale ou (en bus), xvr siècle av. J.-C. Les lames en Égyptiens l'adoptent, et la tombe de Toutankhamon en contient deux en losange, ont le manche nettement séparé de la lame par une garde bronze étaient fixées à un manche en splendides exemples, à poignée plate en bois. Les lames recourbées aux extrémités pointues. Des rebords sont aménagés par martelage matière organique par des rivets étaient manifestement des armes de taille, mais la très faible courbure sur le manche et la garde, pour maintenir des plaquettes en outre recouverts d'une feuille d'or. Des motifs incrustés en or, argent et nielle, d'une des lames de Toutankhamon suggère une utilisation possible assurées par des rivets. Enfin, il existe des poignards courts, à manche représentent des nautiles nageant, une également comme arme d'estoc. Il existe aussi en Anatolie une version riveté et lame effilée mais solide. Certaines lames sont damasquinées : chasse au lion et des léopards attaquant de l'« épée-faucille » : les guerriers en marche des reliefs rupestres des figures, en divers alliages d'or et d'argent, sont fixées à de fines des gazelles. Ces magnifiques poignards d'Yazilikaya portent sur l'épaule des lames recourbées. Les figures plaques de cuivre, les interstices étant remplis de nielle, un émail noir sont manifestement des armes de parure sculptées sur la porte du Roi à Bogazkôy et sur la façade à Alaca à base de cuivre, de plomb et de soufre ; ensuite les plaques de cuivre plus que de combat. portent à la ceinture les mêmes lames dotées en sus d'une extrémité sont insérées dans des évidements pratiqués sur la lame. Parmi les Ci-dessous : peinture sur pierre. Le recourbée, typiquement hittite. scènes figurées, mentionnons un léopard guettant des canards au pharaon Ra ^nsès III (règne : 1198-1166 milieu des papyrus d'un marais, une chasse au lion, un lion attaquant av. J.-C.) brandit une épée recourbée Le monde égéen contre les Cananéens. des gazelles, des léopards dans un paysage rocheux et des nautiles À l'opposé des grands centres urbains et étatiques d'Égypte et du nageant. Proche-Orient, les brillantes civilisations grecques de l'âge du bronze Ces belles pièces sont des chefs-d'œuvre à la fois techniques et jugèrent inadaptés à leurs besoins les poignards ou les épées courtes. esthétiques : les armes de guerre ont souvent des fonctions qui sont Au 3e millénaire, les courts poignards à rivets dominent mais aux loin d'être seulement utilitaires. Elles nous disent aussi que les princes premiers siècles du 2e millénaire les bronziers grecs, suivant peut-être mycéniens employaient les artisans les plus habiles de leur temps. la même inspiration que les artisans du Levant, commencent à allonger considérablement leurs épées. Ces changements sont difficiles à dater précisément mais, en Crète du moins, ils semblent coïncider avec le développement de l'adminis- tration et avec la complexification de l'habitat de la période dite des Palais. Les épées trouvées dans le palais de Mallia, au nord de la Crète, et dans la grotte-sanctuaire d'Arkalokhori, dans les montagnes du centre, sont probablement du xvir siècle avant J.-C., avant la fin de la première grande période de construction des palais, dite paléopala- tiale. Ces armes magnifiques, à la poignée parfois ornée de feuilles d'or, mesurent près d'un mètre. Mais leur aspect meurtrier (profil long et mince, nervure axiale marquée) est illusoire. Une petite languette et deux rivets à la garde sont des attaches de poignée précaires pour un usage violent. La parade était-elle la fonction première de ces armes élégantes ? Elles devinrent, en tous cas, vite démodées. L'absence de fortification des palais crétois et le mode de vie minoen décrit par les peintures murales ont conduit à considérer les Minoens comme pacifiques. Mais la découverte récente, dans une habitation de Cnossos, d'ossements de quatre enfants portant d'évi- dentes traces de découpe (s'agit-il de cannibalisme ?) rappelle que même les Minoens, peuple « civilisé ", utilisaient des armes tranchantes contre leurs semblables. Peut-être le tableau brossé par sir Arthur Evans et d'autres archéologues est-il trop rose ? Contrairement aux « pacifiques » Minoens, les Grecs continentaux, ou Mycéniens, apparus vers 1600 av. J.-C. et maîtres de l'Égée depuis 1450 environ, étaient clairement belliqueux. Sceaux, bagues et autres bijoux portent fréquemment des scènes de chasse ou de combat, et toutes sortes d'armes, particulièrement des épées et des poignards, existent en grand nombre. Les armes trouvées dans les fameuses tombes à fosse de Mycènes ( xvr-xv siècles avant J.-C.), sont de trois types. Les épées longues et fines, ou « rapières », ont leur équivalent en Crète. Comme toutes les Ensuite, les Mycéniens, comme les Hittites, prirent soin de se À gauche : •• panoplie (armure complète). Dendra, tombe à chambre mycénienne, protéger derrière de massives fortifications dont Mycènes ou Tyrinthe vers - 1400. Le casque est en dents de nous offrent encore le spectacle ; la crainte des attaques se manifeste sanglier et la cuirasse en bronze. Une si par les précautions prises contre d'éventuels sièges, en particulier lourde armure devait être gênante pour pour disposer d'eau à l'intérieur des citadelles. En outre, ils dévelop- combattre. pèrent un armement complet, comme l'illustre la panoplie provenant En bas, à gauche : poignard à manche en d'une tombe de Dendra, près de Mycènes. Cet équipement est fort or ajouré. Demeure privée, quartier Mu, pesant et encombrant, et l'on souhaite à son propriétaire de n'avoir Maffia, Crète. Minoen moyen II. La lame est pas dû le porter au combat. rivée au manche qui était en matière Les épées des XIVE et XIIIe siècles - époque où l'influence mycénienne organique recouverte d'une gaine ajourée en or. L'arme est complétée par un est à son apogée en Égée et en Méditerranée orientale - ont toutes pommeau discoïde. une poignée à rebords d'une seule pièce ; le pommeau est parfois en une seule pièce mais plus souvent en forme de T sur lequel se greffe Ci-dessous : poignée d'épée. Tombe en une boule en ivoire, en pierre ou en bois. Il existe plusieurs variantes ruche, Dendra, près de Mycènes, vers - 1400. Le plat de la poignée et le de la poignée à rebords, dont celle « à cornes » qui possède une garde pommeau sont entièrement recouverts aux branches arquées à la jonction de la lame et de la poignée. d'une feuille d'or au décor ouvragé. Certaines de ces épées à longue lame et à poignée à rebords, dont celle trouvée dans la tombe en ruche (ou tholos) de Dendra, sont très décorées. Certaines ont également été découvertes en association avec des poignards courts à lame large. Ces derniers sont, semble-t-il, à l'origine de l'épée courte typique du Mycénien récent (1200-1100 av. J. -C.). Celle-ci a une lame large de 30 à 40 cm de longueur s'amincissant brusquement à la pointe, une garde à rebords carrée, une poignée à rebords rectilignes et un pommeau d'une seule pièce, en forme de T. Ce n'est pas une arme magnifique, mais elle semble avoir eu un large rayonnement. On en connaît un exemplaire en Italie méridionale et un fragment est même conservé au musée Truro, en Cornouailles : il a été trouvé, paraît-il, dans un tumulus près du village de Pelynt. Ces armes ont-elles été emportées dans ces lointaines contrées par des aventuriers, des commerçants au long cours ou des collectionneurs modernes ? C'est difficile à dire mais il y a, par ailleurs, de bons témoignages d'une liaison directe, à l'âge du bronze, entre la Grèce et les rivages d'Albion. Des grains d'ambre de type britannique ont, par exemple, été trouvés dans les tombes à fosse de Mycènes. En tout cas, ces épées courtes et robustes constituent le dernier sursaut de l'histoire des épées inventées en Grèce. Les temps changent et l'étape suivante de l'histoire de l'épée se déroule en Europe centrale. La dimension européenne L'invention de l'épée en Europe continentale fut, très probable- ment, indépendante des innovations proche-orientales ou égéennes. La datation des événements est d'autant plus difficile qu'on s'éloigne de la Méditerranée orientale et des civilisations pour lesquelles l'écrit permet l'établissement d'une chronologie absolue. Cependant les premières épées de l'Europe « barbare - furent sans doute exécutées dans le centre-est vers le milieu du 2e millénaire, au moment même où la civilisation mycénienne commençait à dominer l'Égée. Nous avons vu que le silex ou d'autres pierres avaient été utilisés pour fabriquer les premières armes tranchantes, et où le silex abondait on en a fabriqué beaucoup. Au Danemark, par exemple, les À droite : poignard de silex. Hindgavl, superbes lames en silex retouchées par pression sont courantes. La Danemark, probablement 3e millénaire taille du silex était d'ailleurs un art et une tradition si profondément av. J.-C. L'exceptionnelle virtuosité des tailleurs de pierre nordiques a permis la ancrés que les premiers poignards et épées de métal importés en réalisation d'armes très efficaces, en silex, Europe septentrionale y furent servilement copiés en silex, et ce longtemps après que le métal fut devenu jusqu'aux rivets, parfaitement imités mais non fonctionnels. Détail d'usage commun plus au sud. intéressant, les armes nordiques en silex copient même les épées à Ci-dessous : épées en métal et en silex. extrémité recourbée, spécifiques des Hittites. Les épées courbes de Danemark, 2" millénaire av. J.-C. L'arme la métal existent seulement en Scandinavie, où un exemple fameux, plus longue, l'épée de bronze, provient de provenant de Rorby en Sjælland, est orné d'un bateau ; une trouvaille Torupgarde, Lolland ; la seconde est isolée a été faite à Nikolaïev, à l'embouchure du Boug méridional, en l'imitation en silex d'une épée de métal, provenant d'Atte, Jutland. De telles Ukraine. imitations étaient la réponse des régions Dès le début du Chalcolithique européen - connu surtout par ses nordiques, dépourvues de métal, aux différents types de céramiques -, les poignards en cuivre à languette nouvelles techniques déjà en œuvre plate ou à rivets ont été largement utilisés. Bien que sans doute à peine au sud. plus efficaces que leurs homologues en silex ou en pierre, ils avaient l'avantage de s'ébrécher moins facilement et de pouvoir être refondus et retravaillés. Le réaffûtage devait être également plus commode. L'utilisation et la popularité des poignards en cuivre se sont vivement accrues durant les 3e et 2e millénaires. Au Bronze ancien, les poignards à languette ou à rivets étaient nombreux et chaque région d'Europe en produisait un type particu- lier. Souvent la lame est triangulaire, fixée à la poignée par une rangée de rivets, et elle se rétrécit régulièrement de la poignée à la pointe. Dans le nord-ouest de l'Europe, la poignée est parfois soigneusement décorée. C'est le cas particulièrement en France, comme à Saint- Adrien, en Bretagne, mais aussi dans le fameux tumulus de Bush

Barrow, près de Stonehenge, au sud de l'Angleterre : la poignée en bois porte des milliers de clous minuscules en or, qui dessinent des zigzags. Les clous sont si petits qu'on a supposé que l'orfèvre avait eu recours à une lentille de cristal de roche pour les mettre en place. Ailleurs, on coulait une poignée métallique directement sur la lame, ou on ornait la lame de motifs géométriques. Des représentations de guerriers, souvent très schématiques, sur des statues-menhirs ou d'autres pierres gravées de cette époque, nous donnent une idée de l'allure de l'homme de guerre au Bronze ancien. Avant d'abandonner les poignards du Bronze ancien, il faut mentionner l'extraordinaire dérivé du poignard - ou de la hache de combat ? - qu'est la « hallebarde » de l'âge du bronze. Ce n'est pas une hallebarde au sens propre, mais une sorte de poignard dont le manche est perpendiculaire à la lame. Celle-ci est lourde, générale- ment asymétrique et munie d'un bourrelet axial large et proéminent ; au talon, de gros trous de rivet sont disposés en triangle. Dans une lame et la poignée d'une épée ? On imagine facilement - et le nombre En bas, à gauche : épée de bronze partie de l'Europe du Nord, la poignée est parfois en métal et cerclée richement décorée ; Hajdusamson, de bandes factices qui imitent des lanières de cuir. On a trouvé dans d'épée aux trous de rivets brisés est parlant - que la durée de vie Hongrie (en haut). Hallebardes ■■ de des tombes du Bronze ancien, au sud de l'Angleterre, ce qu'on pense moyenne des poignards, épées et rapières devait être très courte. Si la bronze ; Dieskau, RDA ( eii bas). L'épée, être des copies en miniature de ces armes : ce sont peut-être des poignée et la lame se désolidarisaient pendant le combat, l'issue devait qui date du milieu du 2" millénaire avant jouets, qui avaient des liens en or ! De toutes les armes de guerre en être fatale ou, pour le moins, problématique. Fixer efficacement la J. -C., est gravée d'arceaux concentriques : la poignée métallique a été fondue et rivée jamais inventées, la hallebarde de l'âge du bronze est sûrement une poignée était tout à fait essentiel. sur la lame. Les hallebardes, un peu plus des plus étranges. Elle doit avoir été particulièrement inadaptée au La solution adoptée en fin de compte est fondamentalement la récentes, ont un manche fondu sur la combat, car la lame a une extrémité trop grosse pour être réellement même qu'en Égée : la lame et la poignée furent coulées ensemble et lame. Notez les liens factices sur le pénétrante, et on pouvait difficilement user avec efficacité du bord des trous de rivet furent percés dans la poignée et la garde ; celles-ci manche. tranchant. Il n'est pas étonnant que cette invention extraordinaire ait furent munies de rebords dressés par martelage pour maintenir Ci-de,çsota : " statues-menhirs ". eu une vie très brève, apparaissant et disparaissant au début du fermement les plaquettes de la poignée. Après une première phase Pontevecchio, nord-ouest de l'Italie, 2" millénaire. d'expérimentation, avec différentes formes de lame et de languettes, Bronze ancien. Ces monuments Du poignard riveté devaient provenir de grandes réalisations. Tout naquit l'épée à poignée à rebords de type classique, ou épée à représentent de façon stylisée deux d'abord, la lame est devenue plus longue, sans changement fonda- « poignée en languette -. Il s'agit d'une longue lame élargie en une hommes et une femme. Les hommes mental dans le mode d'attache de la poignée. Les armes longues, ou garde grossièrement triangulaire, prolongée par une poignée en portent à la ceinture un poignard à lame « rapières », devinrent courantes dans de nombreuses régions d'Eu- forme de languette. Des rivets, parfois une douzaine ou plus, fixent les triangulaire. rope occidentale au Bronze moyen, c'est-à-dire vers le milieu du plaquettes de la poignée sur la garde et la languette. À l'extrémité de 2e millénaire. Mais les bronziers européens n'avaient pas encore la poignée, la languette s'évase souvent en saillies ou « cornes » pour résolu leur plus grand casse-tête : comment assembler solidement la maintenir le pommeau. À droite : épées à poignée en languette. Avec le temps, les bronziers européens élaborent des variantes sur Bavière, Bronze final. Les deux épées de ce thème. Au lieu d'avoir des côtés parallèles, la lame peut être gauche ont des poignées métalliques pistilliforme, gagnant en poids et en force pour frapper. Le long des pleines. côtes anglaises, françaises et ibériques, s'est développée une curieuse lame - en langue de carpe ». Les premiers typologistes étaient souvent des chasseurs ou des pêcheurs, comme le reflète le choix de ce terme : dans sa partie inférieure, la lame, longue, résistante et à bords droits, s'amincit soudainement. La section des lames varie également. La forme de base est lenticu- laire mais parfois il existe, probablement pour réduire le poids, un bourrelet central anguleux ou à degrés, souvent flanqué de rainures ou - canaux à sang ». Les derniers centimètres en haut de la lame sont souvent denticulés - forme primitive du ricasso - pour éviter que l'épée de l'adversaire glisse vers la main. Parfois les lames portent un décor incisé, généralement des arcs concentriques dessinant des motifs géométriques. La famille des épées qu'on vient de décrire devint courante en Europe au Bronze final, ou période des champs d'urnes, quand l'incinération et le dépôt des cendres dans une urne devinrent presque universels. De l'Ukraine et de la Roumanie, à l'est, jusqu'en Irlande et en Espagne, à l'ouest, de la Suède au nord à l'Italie au sud, tous utilisent un type d 'épée à poignée en languette. Et, chose intéressante, même la Grèce du Minoen récent cède à la mode. Après 1200 av. J.-C., l'épée à poignée en languette de type « européen » devient l'épée longue, ordinaire en Grèce, bien que les courtes épées indigènes soient toujours fabriquées. L'épée à poignée en languette apparaît aussi à Chypre, en Égypte et à Ugarit (Syrie). Un spécimen provenant de Tell Firaun, dans le delta du Nil, porte le cartouche du pharaon Séti II (vers 1223 à 1217 av. J.-C.). Une trouvaille similaire, d'une forme un peu différente, faite à Ugarit, porte le cartouche du prédécesseur de Séti II, Méneptah (1236-1223 av. J.-C.). Toutefois on ne sait si cette arme est de fabrication européenne. Les archéologues ont longtemps cherché une explication satisfai- sante à la large répartition des épées à poignée en languette ; la présence de celles-ci au sein des riches civilisations du Proche-Orient a fait supposer que des mercenaires européens pouvaient les avoir emmenées dans leurs campagnes en Méditerranée. C'est l'époque où les textes égyptiens mentionnent les peuples de la mer, groupes d'envahisseurs qui déstabilisèrent la Méditerranée orientale et causè- rent peut-être la chute d'Ugarit, de Tyr et de Sidon, puis d'une partie de l'empire égyptien. Ils s'opposèrent assurément aux Égyptiens, au moins en deux occasions, mais la première fois un des groupes, les poignée s'évase généralement en un disque, souvent surmonté d'une Shardanes, combattait du côté égyptien. La présence en Égypte et au protubérance cylindrique - bouton ou boule -, pour empêcher l'épée Levant de mercenaires venus du nord avec leurs propres armes n'a de glisser de la main. Au début, la poignée était décorée de motifs rien d'invraisemblable. géométriques incisés, surtout de spirales formant des bandes entre L'épée à poignée en languette n'était pas la seule réalisation des des nervures en relief. Puis d'autres techniques décoratives, tels les bronziers de l'Europe de l'âge du bronze. Techniquement plus au motifs ajourés, furent utilisées, surtout en Scandinavie. Ces épées à point, l'épée à poignée métallique est en apparence pratiquement poignée métallique sont restées souvent complètes et intactes, et elles identique à l'épée à poignée en languette, jusqu'au détail des têtes de donnent l'impression d'une très grande maîtrise technique. Savoir rivet factices, mais l'emmanchement diffère. Un tube de métal de fondre l'un par-dessus l'autre ou souder ensemble deux éléments, section ovale était coulé directement sur la partie supérieure de la cela représentait un grand pas en avant et ces armes étaient plus lame et ne formait qu'un avec la garde triangulaire. L'extrémité de la fiables qu'avec le simple rivetage antérieur. Les conflits entre groupes furent un aspect important de l'âge du Ci-contre : trois épées. Nord-ouest de l'Iran (Luristan et Azerbaïdjan), xe-ixe siècle bronze et les fortifications apparaissent en nombre à partir du av. J.-C. Ici, la poignée a été fondue en 3e millénaire. Ces ouvrages défensifs, qui ont nécessité plusieurs même temps que la lame, notable progrès milliers d'heures de travail, illustrent bien le fait que des armes technique sur les poignées à languette ou toujours plus efficaces les ont rendus nécessaires pour la sécurité des à rivets. villages. En bas : relief d'orthostate. Karkemish, période néohittite (rxe-VIII' siècle L'âge du fer av. J.-C.). Le roi Katuwas tient un bâton On a longtemps pensé que le travail du fer n'était connu que de et porte une épée au côté gauche. certaines cultures anciennes, et notamment des Hittites d'Anatolie et des Philistins du Levant. Aujourd'hui, nous savons que c'est faux. La technique du travail du fer était clairement connue, quoique peu répandue, dans de nombreux États du Proche-Orient. Des objets en fer étaient fabriqués et utilisés à l'âge du bronze, quoique en petit nombre, mais à partir de 1200 av. J.-C. le stock de fer disponible semble avoir considérablement augmenté, surtout en Syrie-Palestine, à Chypre et en Grèce. En Europe, le fer devint peu à peu plus courant au Bronze final, et il est présent partout après 700 environ. Le fer est beaucoup plus abondant que le cuivre et plus également réparti dans le monde. Il permet de forger des armes beaucoup plus solides et plus tranchantes que le cuivre ou le bronze. Toutefois le bronze continua à être utilisé de préférence pour des objets très ornés. Les objets en fer peuvent avoir été décorés mais leur mauvais état de conservation rend toute supposition hasardeuse. Souvent les épées du début de l'âge du fer diffèrent peu de celles de l'âge du bronze. Au Proche-Orient, les témoignages de l'utilisation d'épées sont assez contradictoires. À propos du peuplement de la Palestine et de la fondation de Jérusalem, la Bible fait souvent référence aux épées. Ehoud le gaucher « se fit faire un poignard [épée courte] à deux tranchants, long d'une coudée, et l'attacha sous son vêtement, à sa cuisse droite ». Il voulait tuer Eglon, roi des Moabites, et le troisième livre des Juges donne une description très vivante de l'épisode. David utilise la propre épée de Goliath pour lui trancher la tête (I, Samuel 17-51) ; pourtant, contrairement à la lance et à la cuirasse, l'épée du champion des Philistins n'est pas spécialement décrite. Saùl, mis en déroute par les Philistins dit à son écuyer : « Prends ton épée et tue-moi, sinon ces hommes qui ne sont pas circoncis viendront me tuer et m'insulter ,>. Son écuyer ayant refusé, Saùl « prit une épée et se jeta dessus » (I, Samuel 31-4). Toutefois les faits archéologiques sont rares qui confirment les constantes référen- ces de l'Ancien Testament aux épées ,< qui frappent - ou « qu'on ceint ", même dans l'aire de domination des Philistins. Les bas-reliefs du temple funéraire de Ramsès III (mort en 1153 av. J.-C.) à Medinet Habou, sur la rive occidentale du Nil, face à Louxor, montrent les peuples de la mer défaits lors d'une grande bataille dans le delta du Nil. Certains personnages portent des épées de taille moyenne, à lame nettement triangulaire, peu différentes de certains exemples archéo- logiques qui ont une lame effilée à forte nervure axiale et à une languette. Mais les informations fournies par les reliefs égyptiens sont pauvres en regard de celles qu'offrent les reliefs assyriens des grands palais de Nimrud, Khorsabad ou Ninive, qui célèbrent les conquêtes des rois assyriens du IXe au VII" siècle. Les Assyriens, guerriers les plus accomplis de l'âge du fer proche- Les Celtes oriental, utilisaient beaucoup les épées et les poignards pour l'arme- Les épées du début de la civilisation de Hallstatt (700-600 av. J.-C.), ment ordinaire, tant des cavaliers que des fantassins. Les armes période qui doit son nom à un cimetière de l'âge du fer et aux mines offensives les plus importantes étaient la lance, l'arc et la fronde, mais de sel voisines, à Hallstatt, près de Salzbourg, en Autriche, sont avant le namsaru, une épée à bords parallèles et à lame fine, est souvent tout des variantes de celles de l'âge du bronze, en plus long et en plus montré, accroché à la ceinture ou éventuellement porté par un lourd, avec des pommeaux sophistiqués, de forme grossièrement baudrier. Les détails plus petits sont difficiles à saisir mais la poignée conique. La plupart avaient des fourreaux dont il ne reste générale- semble soigneusement décorée et le fourreau est terminé par une ment que l'extrémité, à ailettes ou naviforme, dite bouterolle. Certai- bouterolle en volute ou ornée d'un lion. Les épées figurent seulement nes épées sont magnifiques, même en l'absence de décor. En dans les combats au corps à corps, peut-être parce que les artistes posséder une était l'indice d'un statut de guerrier. Au Hallstattien final, s'intéressaient surtout au spectacle ordonné des forces assyriennes les morts sont moins souvent munis d'une épée, mais plutôt d'une marchant au combat, en rangs bien formés. Les sculptures contempo- arme plus courte, comme un poignard. La lame en est large mais raines, un peu frustes, des sites néohittites de Karkemish et Zincirli mince, à double tranchant et, comme la majorité des armes en fer montrent également des guerriers portant de longues épées. d'après 700, en fer aciéré et à tranchant rapporté. En Grèce, les premières épées de l'âge du fer étaient tout à fait Malheureusement, ces armes sont souvent corrodées et ensevelies semblables à celles du Bronze final et sans doute aussi à celles qui à jamais à l'intérieur du fourreau décoré. Le pommeau, fixé à la fine sont figurées sur une fameuse amphore de style géométrique prove- languette de la lame, prend souvent la forme de deux bras incurvés nant du cimetière du Dipylon, à Athènes. Y sont présentées une vers le haut, appelés - antennes », qui sont dans le même plan que la procession funéraire complète - le mort sur sa couche, les parents en lame. Ces armes peuvent appartenir à de riches tombes princières pleurs, les guerriers en rang sur leur char - et plusieurs armes à la lame comme celle de Hochdorf (Bade-Wurtemberg), fouillée en 1978. Là, assez courte, dont le pommeau est seulement indiqué par une ligne vers 550 av. J.-C., un chef celtique fut inhumé, porteur d'un collier en qui barre le haut de la poignée. On connaît quelques armes à un seul or, d'un bracelet en or, d'une ceinture et de chaussures garnies d'or tranchant de l'époque géométrique, peut-être les ancêtres du et d'un superbe poignard en or. La banquette de bronze sur laquelle des périodes classiques (cf. chapitre 2), mais peut-être avaient-elles un il reposait était décorée au repoussé de danseurs, pour certains armés usage plus domestique que militaire. d'une épée. L'évolution est plus complexe et plus variée en Italie qu'en Grèce, À l'époque de la Tène - le site celtique de La Tène, sur le bord du peut-être en raison des rivalités entre les diverses tribus qui se lac de Neuchâtel, en Suisse, est éponyme d'une riche civilisation qui constituent à l'âge du fer et qui donneront naissance aux Étrusques et s'étend de 500 environ au Ier siècle avant J.-C. -, le goût celte pour les à Rome. Les grandes nécropoles étrusques datant des xe, IXe et VEP siè- motifs curvilignes sophistiqués et les abstractions fantastiques à partir cles ont livré de nombreuses armes, dont des épées. Les épées à de thèmes naturalistes commence à s'affirmer. L'épée typique de La poignée en languette, de type varié, en bronze ou en fer, sont Tène est en fer ou en acier, souvent damassée grâce à l'habileté du courantes. Elles sont généralement très courtes, elles ont des tran- forgeron à assembler différentes bandes de métal. Elle est longue, à chants bordés de multiples lignes, une poignée profilée pour s'adap- double tranchant, à bords parallèles, et plutôt mince ; une languette ter à la main et un pommeau d'une seule pièce en forme de T. Les longue et étroite porte des garnitures en bronze, sans doute insérées fourreaux, conservés en grand nombre, sont très ornementés, particu- dans des matériaux organiques. Mais le fourreau est la pièce maîtresse lièrement de motifs géométriques disposés le long de la tranche et de ces épées, avec son décor de dragons, de couples d'oiseaux, de parfois peuplés d'animaux ou de personnages stylisés. À côté de ces triscèles et autres motifs géométriques, floraux ou zoomorphes... épées à poignée en languette existent des épées à poignée métallique, Beaucoup sont en bronze et garnis de ferrures (petites barrettes de parfois avec un simple pommeau discoïde mais plus souvent avec un maintien, en fer), de plaques de renforcement, de croisières, de pommeau à antennes qui fait écho aux pièces contemporaines du plaques de suspension et de bouterolles. nord des Alpes. Ce sont ces armes que les Celtes ont introduites en Grande- Au vir siècle, quand la civilisation étrusque commence à se former Bretagne et en Belgique. En 390 av. J.-C., les Celtes de Gaule en Italie centrale, presque toutes les armes commencent à être en fer, envahirent l'Italie et saccagèrent Rome, capitale de la toute nouvelle extrait en partie des mines de l'île d'Elbe ; mais la corrosion et république romaine. L'historien grec Polybe, décrivant les Gaulois à la l'oxydation ont prélevé leur tribut et il est souvent difficile d'être sûr bataille de Télamon, en 225, écrit : « Très terrifiants également étaient de la forme originelle des objets. Tout ce qu'on peut dire, c'est que l'aspect et les gesticulations des guerriers nus du premier rang ; tous les épées droites conduisent généralement aux poignards et aux étaient jeunes et bien bâtis, et les guerriers d'élite portaient des épées à tranchant courbe, également connues en Grèce. Les lames torques et des bracelets d'or ». Denys d'Halicarnasse, un autre histo- courbes sont assurément d'influence perse, l'empire perse étant à son rien grec vivant à Rome et dont le récit de l'histoire de Rome remonte apogée vers 500 av. J.-C. jusqu'en 264, raconte, à propos de la manière de combattre des Pendant ce temps, l'Europe « barbare », ou celtique, crée ses Gaulois : « Ils lèvent haut leur épée et frappent comme des sangliers, propres formes. mettant tout le poids de leur corps dans le coup, comme des bûcherons ou des manieurs de pioche ; ensuite ils frappent à Ci-contre : poignée d'épée gauloise. nouveau, en travers, sans but précis, comme pour tailler en pièces leur Châtenay-Macheron (haute-Marne), La Tène II (me-ne siècle av. J.-C.). Remarquez la adversaire, cuirasse comprise... ». tête humaine au sommet du pommeau, La société des Celtes était héroïque et tribale, et les exploits des entre les antennes. grands guerriers étaient célébrés par les poètes et les bardes. Les épopées nous en transmettent un écho comme le cycle d'Ulster Tain En bas, à gauche : épée et fourreau. La Tène, lac de Neuchâtel. De tels dépôts ont Bo Cuailgne (la razzia de Cooley). été trouvés en nombre sur les bords du Avec les Celtes s'achève notre exposé sur les épées et les armes de lac. Le site était peut-être un pont ou un poing préhistoriques, car à la fin de La Tène nous sommes déjà ponton d'où l'on jetait rituellement des presque dans l'histoire, et les développements ultérieurs de l'épée armes dans l'eau. -- appartiennent au monde gréco..-romain. Page de gauche : mobilier de la tombe princière de Hochdorf, Bade-Wurtemberg, 2e moitié du vr siècle av. J.-C. Le poignard (en haut) a une lame en fer mais un manche et un fourreau en bronze plaqué d'or. La finèsse de l'objet suggère une fonction d'apparat. La banquette funéraire en bronze et fer (au centre), entièrement restaurée, repose sur huit statuettes féminines. Les bras levés, elles sont montées chacune sur une petite roue en fer. Les guerriers dessinés en pointillé au repoussé sur le dossier de la banquette (en bas) dansent, l'épée au poing.

19 2 LA GRÈCE ET ROME

Peter Connolly

orsque la civilisation mycénienne s'effondra au xir siècle av. J.-C., la Grèce entra dans une époque obscure. Mais de cette période L Imal connue émergea, quatre siècles plus tard, une nouvelle civilisation qui devait éclipser Mycènes ; une civilisation dont les armes étaient en fer plutôt qu'en bronze. Quand apparaissent les premières cités-états grecques, vers la fin du IXe siècle av. J.-C., les armes de bronze sont cependant loin d'avoir disparu. Mais le fer était bien plus difficile à travailler que le bronze et ne pouvait être coulé. La technolo- gie de l'époque ne permettait que de réduire le minerai en un métal assez impur, mêlé de scories. Celles-ci devaient alors être éliminées par martelage avant que le métal puisse être forgé en une lame satisfaisante. Pendant la fonte, en principe effectuée avec du charbon, une certaine quantité de carbone imprégnait le fer et en transformait À droite : trois épées à languette. Les deux automatiquement certaines parties en acier - l'acier étant du fer de gauche, en bronze, proviennent de additionné d'un faible pourcentage de carbone. Cependant, bien que Kallithea, en Grèce. Mycénien récent (vers l'extrême résistance de l'acier imprégné de carbone ait été observée 1200 av. J.-C.). La longueur des lames est et appréciée, le processus d'imprégnation était très difficile à maîtriser. respectivement de 55 et de 68 cm. L'épée Le résultat était habituellement un bloc de métal de consistance très de droite provenant de Kerameikos, en Grèce, est de fer et plus récente (vers inégale, variant du mou au dur en l'espace de quelques centimètres. 820 av. J.-C) ; la lame en est longue de Pour obtenir une solidité plus uniforme, le forgeron devait battre le 72 cm. Les deux poignées appartiennent métal en longues bandes, le replier, le réchauffer jusqu'à ce qu'il soit aussi à des épées à languette ; celle de blanc, le battre en nouvelles bandes, les replier, les réchauffer et ainsi gauche est en os et vient d'Italie, l'autre est en bronze. de suite, jusqu'à ce qu'il ait obtenu une barre de métal uniformément dure. Les traces de ces repliages sont visibles sur beaucoup d'objets À l'evtrême-di-oite : épée de type archéologiques. hoplitique provenant de Vergina, dans le nord de la Grèce (ancienne Macédoine). La Grèce archaïque et classique Fin du IV" siècle av. J.-C. La lame est longue de 42 cm et la garde est décorée d'une À la fin du xc siècle av. J.-C., les épées à languette (également feuille d'or. Bien qu'elle soit visiblement appelées épées de type 2 dans les milieux archéologiques) étaient apparentée au type de Campovalano, c'est fabriquées en fer. On se souviendra que le type de l'épée à languette une arme bien plus courte et plus légère. provenait d'Europe centrale et fit sa première apparition en Grèce vers À droite, en bas : épée hoplitique de la fin du XII" siècle av. J.-C. Les armes à languette sont toujours Campovalano. Italie, vr-v siècle av. J.-C. La fabriquées pendant les « siècles obscurs » et se transforment peu à peu lame est longue de 63 cm et la poignée, en épée hoplitique, cette épée portée par l'hoplite, le fantassin grec du type à languette, est prise en sandwich entre deux morceaux d'os et couverte lourdement équipé de l'époque classique. d'une mince feuille de fer. Le fourreau, en L'épée hoplitique avait une lame à double tranchant, longue fer, est orné d'une incrustation d'os à d'environ 60 cm, rétrécie sous la garde, s'élargissant graduellement, l'entrée et à la bouterolle. atteignant sa largeur maximale juste au-dessous des deux tiers de sa longueur avant de s'effiler vers la pointe. La soie était plate et très semblable à celle de l'épée de l'âge du bronze, son profil étant aussi celui de la garde. La fusée était formée en prenant la soie en sandwich entre deux morceaux d'os ou de bois et en les couvrant, complète- ment ou partiellement, avec une mince feuille de métal. L'épée hoplitique était essentiellement une arme de taille, bien que certaines, dotées de longues pointes, aient pu être des armes de taille et d'estoc très efficaces. Elle était portée à un baudrier passé sur l'épaule droite, de sorte qu'elle pendait presque horizontalement sur la hanche gauche. L'épée hoplitique, exportée par les colons grecs tout autour de la Méditerranée, fut adoptée par de nombreux peuples. Presque univer- sellement acceptée en Italie, elle fut utilisée jusqu'à ce que les Romains adoptent l'épée « espagnole » au nr siècle av. J.-C. En fait, les plus belles épées hoplitiques proviennent de la nécropole de Campovalano di Campli, sur le versant adriatique de l'Italie. Ces épées possèdent des fourreaux en fer, incrustés d'os. Il est paradoxal que l'épée la plus populaire de l'ère classique ait été mise au point par des gens qui n'étaient pas des escrimeurs. Pour les Grecs, l'épée ne fut jamais qu'une arme de second plan ou de soutien. Homère, au VIIIe siècle av. J.-C., décrit les usages de son temps lorsqu'il arme ses héros de lances de jet et d'épées de taille ; une fois qu'ils avaient jeté leurs lances, ils coupaient et taillaient en pièces avec leurs épées. accomplir un acte désespéré, puisqu'il fallait pour cela ouvrir le mur Pendant le vir siècle av. J.-C. les Grecs mirent au point la tactique de de boucliers. À l'exception des Spaitiates, peu osaient se battre de la phalange, une méthode bien adaptée au système politique naissant cette manière. de la cité-état. La théorie était que chaque citoyen valide devait L'épée hoplitique se voit souvent sur les vases grecs de la période pouvoir, après un entraînement minimal, prendre les armes pour archaïque et classique, c'est-à-dire entre 800 et 400 av. J.-C., mais à défendre sa cité. « Défendre » étant le mot clé. Bien que les Grecs aient partir d'environ 500 av. J.-C. apparut un nouveau type d 'épée, assez remporté plusieurs victoires notables sur les Perses en les attaquant, différent de l'arme hoplitique. C'était la kopis, une arme à simple la phalange, formation rigide et serrée de lanciers lourdement équipés tranchant, légèrement en S. Peu de kopis ont été trouvées en Grèce, de grands boucliers ronds, était essentiellement un système défensif. mais un grand nombre en a été mis au jour en Italie et en Corse. La Même si la phalange était obligée de reculer et de céder du terrain à plupart des vases qui montrent ce type d 'épée viennent également Ci-de,ç,çii,,; : Alexandre le Grand (356 323 l'ennemi, les pertes étaient faibles lorsque la formation avait tenu. Les d'Italie, ce qui suggère une origine italienne ou peut-être asiatique, par av. J.-C.) représenté sur la mosaïque de la lances grecques avaient un talon pointu : si la pointe se brisait, le talon le biais des contacts étrusques en Orient. Les armes de la colonie bataille d'Issos, à Pompéi. À son côté gauche, on peut voir la poignée de l'épée pouvait la remplacer. étrusque d'Aléria, en Corse, ont des lames longues d'environ 60 cm, hoplitique typique, probablement de type Ce n'était que lorsque le talon se brisait à son tour que l'épée était élargies aux trois quarts de leur longueur. court et léger, semblable à 1 épée de utilisée. Pour le phalangiste moyen, combattre à l'épée revenait à La kopis était une arme lourde, de coupe et de taille, probablement Vergina. Les épées, \ei . @teaux et les poignards d'Amérique, d'Afrique, du monde ic ? uque, d'Europe, d'Asie, d'Inde, de Chine et du Japon, du ..A millénaire avant notre ère jusqu'à nos jours.

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