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Séquences La revue de cinéma

Hommages posthumes François Vallerand

Number 174, September–October 1994

URI: https://id.erudit.org/iderudit/49815ac

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Publisher(s) La revue Séquences Inc.

ISSN 0037-2412 (print) 1923-5100 (digital)

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Cite this article Vallerand, F. (1994). Hommages posthumes. Séquences, (174), 56–58.

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m, rmmwBmmm mm. wwitn l était sans conteste l'un des son temps libre à jouer en amateur RENRÏ MANCINI musiciens de cinéma les plus de la flûte dans la fanfare locale, Iconnus et les plus célèbres. The Sons of Italy. Mancini se remé­ raouan , qui est mort au morera avec affection cette époque début de l'été le 14 juin à l'âge de heureuse en composant la musique 70 ans, après une longue lutte avec du What Did You Do in the War, un cancer du pancréas, avait accu­ Daddy? de dont l'ac­ mulé au cours de sa longue carrière tion raconte les pantalonnades de popularité et gloire grâce à des soldats américains en Italie durant pièces devenues des .«classiques» la guerre. Féru de musique, et sen­ de la musique populaire améri­ tant des talents chez son jeune fils, caine. Des titres comme Moon le père Mancini le force donc à River, Charade et le très célèbre apprendre le piccolo et la flûte dès thème de La Panthère rose sont le l'âge de huit ans et l'inscrit à de témoin de ses dons mélodiques et nombreux cours de musique. Le demeurent l'expression nostalgique compositeur avouera plus tard de l'époque insouciante et soi- n'avoir vraiment pris goût à la mu­ disant heureuse des années 60 qui a sique qu'après avoir découvert, vu leur naissance. On l'a oublié grâce à Max Adkins, l'arrangeur- aujourd'hui, mais Henry Mancini chef d'orchestre du théâtre Stanley fut le premier musicien de cinéma à de Pittsburgh avec qui il étudie, devenir une véritable vedette à part toutes les possibilités et les richesses entière. Comme preuve, on fit en de l'orchestration et de l'arrange­ HENRY MANCINI 1963 la promotion du film Charade ment. En 1942, il entre à l'école de Stanley Donen avec le slogan: Juilliard à sa sortie du high school LS, VOLUMh «Le lieu... Paris! Le film... génial! La mais il ne tarde pas à se voir recruté musique... Mancini!» dans les forces armées l'année suivante. Démobilisé en 1945, Un rude apprentissage Mancini se joint comme pianiste- Né le 16 avril 1924 à Aliquippa arrangeur à l'orchestre de Glenn (Pennsylvanie) dans une famille Miller qu'a repris Tex Beneke qui a d'immigrants italiens originaires des succédé au célèbre chef d'orchestre Abruzzes, Enrico Mancini sera très après la tragique disparition du roi vite initié à la musique par son père. du swing. C'est là qu'il fait la con­ Celui-ci, ouvrier des hauts fourneaux naissance de Ginny O'Connor, une sidérurgiques de la région, utilise des chanteuses de l'ensemble, qui

56 Séquences compositeurs Ernst Krenek et Mario petite formation instrumentale, une Castelnuovo Tedesco. douzaine de musiciens tout au plus. Le milieu nocturne beatnik dans Une collaboration remarquable lequel évolue l'élégant détective En 1958 cependant, l'ère des privé, des boîtes de jazz et des grands services musicaux de studio «coffee-houses», en vogue à l'épo­ tire à sa fin. Mancini sait qu'il sera que sur la côte ouest américaine où congédié sous peu quand il travaille se déroule l'action, dicte le style de avec Orson Welles sur ce qu'on a la musique. Sans le vouloir, Mancini appelé par la suite le meilleur des déclenche dans le monde de la films de série B, Touch of Evil. L'ap­ musique de film une révolution proche musicale peu convention­ stylistique dont il ne pouvait prévoir nelle de ce film génial, où la musi­ ni l'ampleur, ni les conséquences. que procède littéralement de l'ac­ Le jazz avait déjà été utilisé avec tion scénique en accentuant par son bonheur au cinéma auparavant, une côté volontairement vulgaire et po­ première fois par Alex North en pulaire la décrépitude d'une petite 1951 dans A Streetcar Named ville frontière et la corruption de Desire d'Elia Kazan, puis par Elmer son shérif, attire l'attention de Blake Bernstein dans The Man with the Edwards qui est alors à la recherche Golden Arm (1955) d'Otto Premin­ deviendra sa femme. C'est elle qui d'un musicien pour la série télé- ger. D'autres musiciens comme lui fait aborder la musique de film Franz Waxman dans Crime in the quand, en 1951, il réalise les arran­ Streets de Don Siegel, Leith Stevens gements d'un film à la Universal où the music from dans The Wild One ou Leonard elle a été engagée avec son groupe. Rosenman dans Rebel Without a Joseph Gershenson, le directeur du Cause avaient certes utilisé des Service de la musique du studio, PETER formes jazzistiques, mais ces expé­ impressionné par le travail du jeune riences avaient été épisodiques et Mancini, lui propose alors un con­ sans lendemain. L'approche de trat d'engagement au sein de son GUNN Mancini diffère des précédentes: à équipe. Mancini rejoint alors les cause du nombre réduit d'instru­ musiciens-maison , mentistes mis à sa disposition, il Hans J. Salter, Herman Stein, dont il doit innover au niveau de l'orches­ deviendra l'assistant, un peu tration et il réalise des combinaisons rornira^ti arid conducted by comme homme à tout faire. Durant originales pour l'époque. Il insiste sept ans, jusqu'en 1958, Mancini HENRY MANCINI aussi pour modifier les techniques apprendra son métier de musicien d'enregistrement en vigueur en met­ de cinéma en travaillant sur plus tant l'accent sur des prises de son d'une centaine de films comme individuelles des divers groupes arrangeur, orchestrateur, composi­ d'instruments solistes. Cette nou­ teur ou en confectionnant des tra­ LIVING STEREO fc r velle façon de concevoir et de réa­ mes sonores à partir de musique liser l'illustration musicale des films tirée de la musicothèque du studio. ques consacrés à deux géants de visée qu'il prépare pour allait à l'encontre de tout ce qui Il passera allègrement, au gré des l'ère du swing, The Glenn Miller le réseau NBC. En fait, Edwards et s'était fait jusqu'alors dans ce productions qu'on lui assigne, sou­ Story et The Benny Goodman Story. Mancini se connaissent depuis quel­ domaine. Mais elle allait dès lors vent sans être cité au générique, Henry Mancini ne regrettera jamais que temps déjà par l'entremise de s'imposer et devenir la règle, à la d'une comédie d'Abbott et Costello ces années de formation, et il ira Ginny. Le jeune scénariste vient en grande surprise de Mancini lui- ou de Francis la Mule qui parle à jusqu'à déplorer plus tard qu'on ne effet d'aborder la réalisation et, bien même qui déplora par la suite les une série B de science-fiction ou puisse plus donner aujourd'hui une que son nom n'apparaisse pas au nombreux abus qu'elle entraîna. d'épouvante comme Tarantula, It telle expérience aux musiciens qui générique, Mancini a œuvré sur la Pendant trois ans, Peter Gunn et sa Came From Outer Space ou The se destinent à l'art complexe de la musique de (1957), musique allaient connaître un suc­ Creature From Black Lagoon, à musique de film. «J'ai utilisé tous (1958) et Ope­ cès sans précédent que confirme moins que ce ne soit sur une comé­ les clichés du métier, avouera-t-il, et ration Petticoat (1959). Peter Gunn bientôt la vente des deux disques die musicale pour «teenagers» je les ai ensuite éliminés de mon allait lancer les carrières du cinéaste que Mancini réalise chez RCA Vic­ comme Summer Love ou Rock système!» D'ailleurs, durant toute et du musicien. La faiblesse des tor. Cette série inaugure de plus Pretty Baby. On utilise à profit son cette période, il poursuit de moyens de production oblige le l'une des plus remarquables et uni­ expertise sur deux films biographi- sérieuses études musicales avec les compositeur à opter pour une très ques collaborations entre un cinéas-

No 174 — Septembre/octobre 1994 57 te et un musicien. Blake Edwards et tique, les partitions de White Dawn, il était, malgré une solide formation nait dans la salle à dîner toute une Henry Mancini travailleront ensem­ The Molly Maguires, The Ha- classique, l'un des plus importants série de disques 78 tours qu'il pos­ ble jusqu'à la mort du compositeur, waiians, et celles surtout de Life- musiciens populaires grecs. Son sédait. Outre la découverte de la soit pendant 36 ans et sur 27 films! force et The Glass Menagerie pour implication avec le cinéma remonte musique, je lui dois aussi celle du On retrouve dans cette immense fil­ comprendre qu'Henry Mancini au début des années 50 au cours cinéma. Très tôt, il commença à mographie, qui contient bien sûr n'était pas qu'un compositeur de desquelles il composa la musique m'emmener voir des films où je pris des ratages, de petits bijoux qui sont musique légère. Universellement d'une dizaine de films grecs dont bien sûr conscience de la dimen­ la source de la musique la plus po­ connu, récipiendaire de plusieurs Stella (1955) de Michael Cacoyan­ sion musicale qui échappait à bon pulaire du compositeur. Est-il bien prix Grammy grâce à une immense nis. La célébrité internationnale lui nombre. Plus tard, je compris un utile de les citer: Breakfast at Tiffa­ discographie, quatorze fois mis en vint en 1961 grâce à la musique, peu ce que devait être le travail de ny's (1961), et nomination aux Oscars, gagnant de mais surtout à la chanson de Never musicien de cinéma quand je le Days of Wine and Roses (1962), trois statuettes (pour les chansons on Sunday de Jules Dassin, inter­ voyais composer, des soirées en­ The Pink Panther et A Shot in the Moon River tirée de Breakfast at prétée par Melina Mercouri, et pour tières, des partitions éphémères (plus Dark (1964), Tiffany's et Days of Wine and Roses laquelle il remporta un Oscar. Il d'une cinquantaine) pour des dra­ (1965), The Party (1968), Darling ainsi que pour la partition de Break- poursuivit un temps une carrière matiques radiophoniques à Radio- Lili (1969), Victor, Victoria (1982)... Canada. Mon père ne composa la À cette collaboration unique, com­ musique que d'un seul film: La Fin ment ne pas aussi associer le doux des étés d'Anne-Claire Poirier, réa­ visage d'Audrey Hepburn qui inspi­ lisé en 1961, fut aussi le tout pre­ rera à Mancini ses mélodies les plus mier film de Geneviève Bujold. J'ai mémorables dans quatre films, eu le privilège à l'époque d'assister Breakfast... bien sûr, mais aussi à une séance de repérage à l'ONF Charade (1963) et Two for the Road lors d'un visionnement sur une mo­ (1967) de Stanley Donen, ainsi que viola. Je voyais enfin le début de ce Wait Until Dark (1967) de Terence mystérieux processus de la mise de Young. la musique sur des images. Comme moi, la cinéaste se souvient avec émotion de ce moment créateur Musique populaire comme l'un des plus marquants de Produit typique des années 60, sa vie. Bien qu'au tout début de ma la musique de Mancini possède la passion, mon père ait eu de nettes joie de vivre et l'insouciance qui réserves sur mes goûts et mes choix marquèrent le début de cette décen­ musicaux, il finit par développer nie. On lui a reproché une certaine avec le temps un préjugé plus que facilité et une propension à un mer­ favorable envers la musique de film: cantilisme éhonté. Nul doute que souvent il me signalait une partition l'habitude du compositeur de retra­ Henri Mancini qui lui avait plu dans un film; je vailler ses partitions et de les réen­ m'empressais aussitôt de la lui faire fast...), Henry Mancini était chéri de pour le cinéma américain en tra­ registrer avec l'unique optique entendre quand j'avais le disque, ce d'une édition commerciale a beau­ ses pairs. Sa dernière apparition vaillant sur The 300 Spartans (1962) qui ne manquait jamais de susciter coup joué dans cette perception. Il publique fut pour assister à un gala de Rudolph Maté, America, Ame­ une discussion. Je crois qu'il aurait y a aussi le fait que Mancini n'a monstre que ses collègues et amis rica d'Elia Kazan et le joyeux aimé faire ce travail, n'eut été de ses e peut-être pas toujours reçu les films lui offrirent à l'occasion de son 70 Topkapi (1964) de Jules Dassin. On nombreuses et très accaparantes que son talent commandait. J'en­ anniversaire. Il y est apparu terri­ lui doit en outre la partition de occupations. Mais il admirait en tends par là qu'il fut, plus souvent blement diminué, miné par son l'étrange western Blue (1968) ainsi toute modestie les artisans de cette qu'à son tour, cantonné dans des cancer: il regretta à cette occasion que celle de Sweet Movie (1974) de discipline, conscient de ne pouvoir comédies aux dépens de films plus que la maladie l'empêchât de tra­ Dusan Makavejev. les émuler, lui qui composait lente­ sérieux ou plus dramatiques. Quand vailler à ce qu'il voulait être le cou­ ment et avec soin. Que je sois deve­ l'un de ceux-ci croise sa route, sa ronnement de sa carrière, une Hommage filial nu aujourd'hui, un peu malgré moi, musique ne le cède en rien à la adaptation pour Broadway, avec Le lecteur me permettra ici une un défenseur de cet aspect de la musique légère du genre muzak à son vieux et fidèle ami Blake note plus personnelle. Mon père création musicale contemporaine, il laquelle certains l'associent volon­ Edwards, de Victor, Victoria. Il était le compositeur, musicologue et ne m'en aurait pas voulu si je lui tiers. Il suffit pour s'en convaincre n'échappa à personne que cet critique Jean Vallerand. Il est décé­ avais dit qu'il en a été grandement d'écouter certains passages d'Expe- hommage allait être le dernier. dé le 24 juin dernier. L'univers fami­ responsable. Je lui en serai éternel­ riment in Terror ou d'Hatari! par lial, on s'en doute, était rempli de lement reconnaissant. exemple, ou alors ce que je consi­ Manos Hadjidakis (1925 - 1994) musique. Tout jeune enfant, j'aimais dère parmi ses plus grandes réus­ On a aussi appris la disparition écouter pendant des heures sur un sites sur les plans musical et drama­ de Manos Hadjidakis. Né en 1925, monumental phonographe qui trô­ François Vallerand

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