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Khanh Toan Nguyen

La francophonie comme acteur des relations internationales contemporaines : enjeux et perspectives (1986-2010)

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Nguyen Khanh Toan. La francophonie comme acteur des relations internationales contemporaines : enjeux et perspectives (1986-2010), sous la direction de Michel Guillou. - Lyon : Université Jean Moulin (Lyon 3), thèse soutenue le 26 septembre 2012. Disponible sur : www.theses.fr/2012LYO30063

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DOCTORAT EN SCIENCES POLITIQUES

NGUYEN Khanh Toan

LA FRANCOPHONIE COMME ACTEUR DES RELATIONS INTERNATIONALES CONTEMPORAINES : ENJEUX ET PERSPECTIVES (1986-2010)

Présentée et soutenue publiquement le 26 septembre 2012

DIRECTEUR DE THÈSE (Michel GUILLOU, Professeur, Université Jean Moulin Lyon 3) CODIRECTEUR DE THÈSE (DUONG Van Quang, Professeur, Académie diplomatique du Vietnam)

MEMBRES DU JURY

DUONG Van Quang, Professeur, Académie diplomatique du Vietnam Michel GUILLOU, Professeur, Université Jean Moulin Lyon 3 Joëlle LE MORZELLEC, Professeur, Université Paris-sud XI Albert LOURDE, Professeur, Université Senghor d’Alexandrie Frédéric RAMEL, Professeur, Université Paris-sud XI ------

Université Jean Moulin Lyon 3

École doctorale de Droit

Institut pour l’Étude de la Francophonie et de la Mondialisation

Thèse de doctorat en Sciences politiques

NGUYEN Khanh Toan

LA FRANCOPHONIE COMME ACTEUR DES RELATIONS INTERNATIONALES CONTEMPORAINES : ENJEUX ET PERSPECTIVES (1986-2010)

Thèse dirigée par Michel GUILLOU, Professeur, Université Jean Moulin Lyon 3 DUONG Van Quang, Professeur, Académie diplomatique du Vietnam

Présentée et soutenue publiquement le 26 septembre 2012

Membres du jury :

DUONG Van Quang, Professeur, Académie diplomatique du Vietnam Michel GUILLOU, Professeur, Université Jean Moulin Lyon 3 Joëlle LE MORZELLEC, Professeur, Université Paris-sud XI Albert LOURDE, Professeur, Université Senghor d’Alexandrie Frédéric RAMEL, Professeur, Université Paris-sud XI ------

À ma famille,

À Thủy,

Remerciements

Au terme de cette recherche, je tiens à exprimer ma profonde gratitude à toutes les personnes qui m’ont apporté leur soutien pendant ces années.

À mes deux co-directeurs de thèse, le Professeur Duong Van Quang et le Professeur Michel Guillou dont les conseils avisés et la grande rigueur doivent être ici loués.

À tous mes collègues de l’Institut pour l’Étude de la Francophonie et de la Mondialisation (IFRAMOND) qui m’ont soutenu pendant ces années et en particulier à Madame Trang Phan-Labays, Maître de conférences associée, pour ses précieux conseils depuis le début de ma démarche.

À tous ceux qui m’ont apporté leur aide dans la réalisation de cette thèse.

À Madeleine et Marc Beaudet pour leur amitié et leur soutien.

Enfin, je remercie ma famille et Thủy qui sont toujours restées à mes côtés malgré la distance et qui m’ont encouragé tout au long de ce travail.

7

Sigles et abréviations

AAHJF Association africaine des Hautes Juridictions francophones

ACCPUF Association des Cours constitutionnelles ayant en partage l’usage du français

ACCT Agence de coopération culturelle et technique

ACP Groupe des États d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique

ADV Académie diplomatique du Vietnam

AEC Association des États de la Caraïbe

AFCNDH Association francophone des Commissions nationales de promotion et de protection des droits de l’Homme

AFD Agence française de Développement

AFE Agence francophone de l’Education

AIF Agence intergouvernementale de la Francophonie

AIJLF Association internationale des journalistes de langue française

AIMF Association internationale des maires francophones

AIPLF Association internationale des parlementaires de langue française

AIRF Association Internationale des Régions Francophones

ALECSO Organisation arabe pour l’éducation, la culture et les sciences

ALÉNA Accord de libre-échange nord-américain

AOF Afrique occidentale française

AOMF Association des ombudsmans-médiateurs de la Francophonie

APEC Coopération économique pour l'Asie-Pacifique

APD Aide publique au développement

APF Assemblée parlementaire de la Francophonie

9

ASEAN Association des Nations de l’Asie du Sud-Est

ASEM Dialogue Asie-Europe

AUF Agence universitaire de la Francophonie

AUPELF Association des universités partiellement ou entièrement de langue française

CCC Comité Consultatif Conjoint

CCNUCC Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques

CDD-ONU Commission du Développement durable des Nations-Unies

CEA Commission Économique des Nations Unies pour l'Afrique

CEN-SAD Communauté des États sahélo-sahariens

CILF Conseil international de la langue française

CIP Comité international préparatoire

CIRTEF Conseil International des Radios-Télévisions d'Expression Française

CIS Comité international du suivi

CMF Conférence ministérielle de la Francophonie

CNF Campus numérique francophone

CNUCED Conférence des Nations unies pour le commerce et le développement

COI Commission de l’Océan indien

COMESA Marché commun pour l’Afrique orientale et australe

CONFEJES Conférence des ministres de la Jeunesse et des Sports

CONFEMEN Conférence des ministres de l’Éducation nationale

CPF Conseil permanent de la Francophonie

CPI Cour pénale internationale

CSD Cadre stratégique décennal de la Francophonie (2005-2014)

DDHDP Délégation à la Paix, à la Démocratie et aux Droits de l'Homme

DPI Documentation politique internationale

10

FAO Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture

FFA Forum Francophone des Affaires

FFIDDHOP Fonds francophone d’initiatives pour la démocratie, les droits de l’Homme et la paix

FICDC Fédération internationale des coalitions pour la diversité culturelle

FICU Fonds international de coopération universitaire

FIPF Fédération internationale des professeurs de français

FMI Fonds monétaire international

FMU Fonds multilatéral unique

G20 Groupe des 20

GAF Groupe des Ambassadeurs francophones

GATT Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce

GIEC Groupe international d’experts sur l’évolution du climat

HCDH Haut-Commissariat aux droits de l’homme

ICG International Crisis Group

IDE Investissements directs étrangers

IDEF Institut international de droit d’expression française

IDH Indice de développement humain

IEPF Institut de l'Énergie et de l'Environnement de la Francophonie

IFADEM Initiative francophone pour la formation à distance des maîtres

IFN Institut de la Francophonie numérique

IFRAMOND Institut pour l’Étude de la Francophonie et de la Mondialisation

ISESCO Organisation islamique pour l’éducation, les sciences et la culture

OCAM Organisation commune africaine et malgache

OEI Organisation des États ibéro-américains

OHADA Organisation pour l’Harmonisation du Droit des Affaires en Afrique

11

OI Organisation internationale

OIF Organisation internationale de la Francophonie

OIT Organisation internationale du Travail

OING Organisation internationale non gouvernementale

OMC Organisation mondiale du commerce

OMM Organisation météorologique mondiale

OMP Opération de maintien de la paix

OMPI Organisation mondiale de la propriété intellectuelle

OMS Organisation Mondiale de la Santé

ONG Organisation non gouvernementale

ONU Organisation des Nations unies

ONUSIDA Programme commun des Nations unies sur le VIH/SIDA

OUA Organisation de l’unité africaine

PADL Programme d’appui au développement local

PIB Produit intérieur brut

PROFADEL Programme francophone d’appui au développement local

PSD Programme spécial de développement

PUF Presses universitaires de

RIFE Rencontres internationales de la Francophonie économique

RIPC Réseau international des politiques culturelles

RTBF Radio-télévision belge de la Communauté française

SODEC Société de développement des entreprises culturelles

TEL Trois espaces linguistiques

TLFQ Trésor de la langue française au Québec

TSR Télévision Suisse Romande

UAM Union africaine et malgache

12

UA Union africaine

UE Union européenne

UEMOA Union économique et monétaire ouest-africaine

UFAR Université française en Arménie

UIJPLF Union internationale des journalistes et de la presse de langue française

UNESCO Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture

UNICEF Fonds des Nations unies pour l’enfance

UPF Union internationale de la presse francophone

UREF Université des réseaux d'expression française

URSS Union des républiques socialistes soviétiques

USSH-HCM Université des sciences sociales et humaines de Ho Chi Minh Ville

13

SOMMAIRE

Remerciements ...... 7

Sigles et abréviations ...... 9

Sommaire ...... 15

Introduction générale ...... 17

I. Le cadre conceptuel : l’acteur Francophonie dans les relations internationales ...... 21

II. La Francophonie, un objet peu étudié en Relations internationales ...... 41

III. La délimitation du sujet et la démarche méthodologique ...... 55

IV. Les hypothèses et la problématique de recherche ...... 59

V. La présentation du plan ...... 65

Première partie : L’émergence de la Francophonie sur la scène internationale ...... 67

Chapitre I. La Francophonie dans les nouvelles relations internationales depuis la fin de la Guerre froide ...... 69

Section 1. Le « contexte temporel mondial » et ses enjeux ...... 71

Section 2. L’espace francophone face aux nouveaux défis ...... 89

Chapitre II. La Francophonie, un espace linguistique de langue française marqué par la diversité ...... 119

Section 1. Le français, le ciment du projet francophone ...... 121

Section 2. La diversité en Francophonie ...... 141

Chapitre III. La consolidation et le fonctionnement du système institutionnel de la Francophonie ...... 165

Section 1. L’institutionnalisation de la Francophonie ...... 167

Section 2. Le fonctionnement du système institutionnel francophone...... 181

Conclusion de la première partie ...... 203 15

Seconde partie : Les enjeux de l’acteur international francophone ...... 207

Chapitre IV. L’ambition de la Francophonie internationale et ses fondements ...... 209

Section 1. La Francophonie internationale et l’ambition d’être acteur influent des relations internationales ...... 211

Section 2. La Francophonie comme acteur des relations internationales, regards d’intérieur et d’extérieur ...... 231

Chapitre V. La Francophonie, un laboratoire du nouveau système multipolaire en formation ...... 255

Section 1. L’« idéal » francophone ...... 257

Section 2. La Francophonie comme un « attracteur » du système multipolaire ...... 267

Chapitre VI. La Francophonie comme un nouvel acteur et interlocuteur politique des États et gouvernements membres ...... 293

Section 1. La Francophonie, un acteur de plus en plus sollicité, mais qui manque de résultats concrets ...... 295

Section 2. Les grands enjeux des actions politiques francophones ...... 313

Conclusion de la seconde partie ...... 323

Conclusion générale ...... 327

Annexes ...... 345

Bibliographie générale ...... 423

Index général ...... 437

Liste des tableaux ...... 445

Liste des graphiques ...... 447

Table des matières ...... 449

16

INTRODUCTION GENERALE

En 1988, Michel Guillou, alors Recteur de l’Agence universitaire de la Francophonie (AUF) et Arnaud Littardi ont publié ensemble un ouvrage sur la Francophonie intitulé La Francophonie s’éveille1. Un an après, Jean-Louis Roy, Délégué du Québec à Paris et futur Secrétaire général de l’Agence de coopération culturelle et technique (ACCT), parlait de l’émergence d’une alliance francophone2. Aujourd’hui, la Francophonie est bien « éveillée » et l’alliance francophone bien réelle ; mais, on parle davantage de la Francophonie comme d’un acteur des relations internationales.

En effet, depuis 1970 et surtout depuis 1986, date de la première Conférence des chefs d’État et de gouvernement des pays ayant le français en partage (ou Sommet francophone), émerge sur la scène internationale une organisation originale : un regroupement d’États basé non pas sur des critères politiques ou économiques, mais sur le partage d’une langue commune, le français. Les participants de ce premier Sommet francophone ont dès le début souligné le caractère original de cette rencontre qui représente pour eux comme un « effort de concertation permanent sur les grandes questions contemporaines » et qui apporte par-là « une contribution significative à l’instauration d’un nouvel équilibre mondial »3. Peu à peu, ils ont doté ce regroupement de moyens d’action pour remplir son ambition : des instances politiques et des opérateurs de programmes. La création d’un poste de Secrétaire général comme représentant international unique de la Francophonie (en 1997) et le renforcement de son rôle (en 2005) marquent la volonté de donner à cette organisation une place plus importante sur la scène internationale.

1 Michel Guillou, Arnaud Littardi, La Francophonie s’éveille, Paris, Berger-Levrault, 1988. 2 Jean-Louis Roy, La Francophonie : l’émergence d’une alliance ?, Montréal, Hurtubise HMH, 1989. 3 Ministère des Affaires étrangères, Actes de la Conférence des chefs d’État et de gouvernement des pays ayant en commun l’usage du français, Paris, La Documentation française, 1986, p. 243.

17

Introduction générale

En adoptant le Cadre stratégique décennal (2005-2014) lors du Xe Sommet de la Francophonie en 2004 à Ouagadougou (Burkina Faso), les chefs d’État et de gouvernement des pays francophones ont donné à cette organisation une vision à long terme et ont confirmé leur volonté de faire d’elle « un acteur des relations internationales et un espace de coopération », « une organisation moderne au service d’une communauté mobilisée pour la réalisation des grands idéaux qui l’animent »4. Six ans plus tard, lors du dernier Sommet de Montreux en octobre 2010 en Suisse, ils se sont engagés à « consolider la place et la visibilité de la Francophonie dans la gouvernance mondiale, conscients de sa valeur ajoutée comme acteur des relations internationales »5.

Cette volonté affichée et l’évolution de la Francophonie sur la scène internationale dans ce sens peuvent pourtant surprendre. D’autant plus qu’au début du mouvement francophone dans les années 1960 et 1970, l’idée même de la création d’une Francophonie internationale a été plusieurs fois repoussée, à la fois par le manque d’enthousiasme français, le souci canadien de contrôler l’émancipation internationale du Québec et le soupçon du chef d’État guinéen Sékou Touré d’une « trahison des intérêts africains » par rapport au projet francophone des présidents Léopold Sédar Senghor, Habib Bourguiba et Hamani Diori, projet qu’il a qualifié de « francofolie »6.

Or, la Francophonie regroupe aujourd’hui 75 États et gouvernements venant des quatre coins du monde (53 membres de plein droit, 3 associés et 19 observateurs), soit plus d’un tiers des membres de l’Organisation des Nations Unies (ONU). Elle s’occupe des questions de coopération, mais aussi des questions politiques mondiales. Depuis 2004, les orientations stratégiques de la Francophonie sont axées sur quatre piliers : la promotion de la langue française, de la diversité culturelle et linguistique ; l’appui à l’éducation, à la formation, à l’enseignement supérieur et à la recherche ; la promotion de la paix, de la démocratie et des droits de l’homme ; le développement durable et la solidarité. Dans les actes, elle est un des premiers promoteurs de la Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles, adoptée par

4 Préambule du Cadre stratégique décennal de la Francophonie (2005-2014). 5 « La Déclaration de Montreux », in OIF, Actes de la treizième Conférence des chefs d’État et de gouvernement des pays ayant le français en partage (Montreux, 23-24 octobre 2010), p. 91. 6 François-Pierre Le Scouarnec, La Francophonie, Québec, Éditions du Boréal, 1997, p. 51.

18

Introduction générale l’UNESCO en 2005. Elle intervient dans les crises internationales, en amont, pendant et en aval, notamment dans les pays membres de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF). Cette dernière dépasse aujourd’hui, tant sur la forme que sur le fond, toutes les limites de sa première version - l’Agence de coopération culturelle et technique (ACCT) - qui était une simple Agence de coopération culturelle et technique intergouvernementale. L’OIF est aujourd’hui reconnue comme un interlocuteur crédible dans des questions politiques par des organisations internationales comme l’ONU ou régionales comme l’Union africaine entre autres.

Comment expliquer ces évolutions rapides de la Francophonie depuis 1986 ? Avec ces évolutions, dans quelle mesure la Francophonie joue-t-elle aujourd’hui un rôle d’acteur des relations internationales ? Et enfin, quels sont les vrais enjeux et perspectives d’une telle ambition ? Nous chercherons à répondre à ces questions dans le cadre de cette thèse de doctorat.

Avant de formuler nos hypothèses et notre problématique de recherche, nous essayerons dans un premier temps de bien expliciter ce que nous entendons par « Francophonie », « acteur » et « relations internationales », termes clefs qui nous permettront d’avancer ensuite dans notre analyse et qui ne sont pas pourtant clairement définis aujourd’hui.

19

I. LE CADRE CONCEPTUEL : L’ACTEUR FRANCOPHONIE DANS LES RELATIONS INTERNATIONALES

A. Les relations internationales et les acteurs

Il faut d’abord distinguer les « Relations internationales » (avec un R majuscule) des « relations internationales » (avec un r minuscule). Le premier terme désigne une discipline scientifique, tandis que le deuxième désigne le phénomène des interactions entre différents acteurs de la scène internationale.

En tant que discipline7, c’est dans le souci d’étudier les causes de la guerre et éventuellement les mesures pour l’empêcher qu’a été instaurée la première chaire d’études des relations internationales à l’Université du Pays de Galles en 1919, au lendemain de la Première Guerre mondiale. Cette initiative a été rapidement reprise partout dans le monde occidental. Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, les études des relations internationales deviennent abondantes, notamment dans les pays anglo-saxons et en particulier aux États-Unis.

Une des questions centrales de cette discipline de « Relations internationales » est de définir son objet, le phénomène de « relations internationales ». La définition de ce dernier ne fait pas consensus. Longtemps, les « relations internationales » ont été définies comme essentiellement des relations interétatiques, « un ensemble de liens, de rapports et de contacts qui s’établissent entre les États et relèvent de la politique étrangère de ces derniers »8. Selon cette vision dite « réaliste », l’absence d’une autorité supra- étatique fait que règne une situation anarchique (mais pas chaotique) dans les relations internationales. Les États sont obligés de pratiquer une politique de self-help – une protection fondée essentiellement sur sa propre puissance. Ils cherchent à maximiser leurs intérêts nationaux, définis en termes de « puissance » ou en termes de « sécurité ». Ils se préparent toujours à une guerre qui pourrait survenir à n’importe quel moment.

7 Même dans ce premier sens, le débat est en cours entre ceux qui considèrent que les Relations internationales est une science sociale à part et ceux pour qui elles sont uniquement une discipline de la science politique. 8 Philippe Braillard et Mohammad-Reza Djalili, Les relations internationales, 8e éd., Paris, PUF, 2006, p. 3.

21

Introduction générale

Selon l’approche réaliste, dans l’analyse des relations internationales, les États et les relations militaires, diplomatiques et stratégiques, qualifiées de high politics (hautes politiques), sont de premier ordre. Par contre, le rôle des acteurs non étatiques est limité et les relations autres que les relations militaires, diplomatiques et stratégiques, qualifiées de low politics (basses politiques), sont minimisées. Ainsi, remarque Chris Brown : « d'autres organismes sont secondaires à l'État, et d'autres activités qui ont lieu à travers les frontières étatiques, comme des activités économiques, sociales, culturelles, etc., sont également secondaires à des relations diplomatico-stratégiques entre des États »9.

En France, Raymond Aron est un des représentants de ce courant de pensée. Pour lui, le terme de « relations internationales » ne peut être exprimé autrement que comme des relations entre « les collectivités politiquement organisées », et plus précisément comme des relations « interétatiques ». Ces relations interétatiques ont des traits spécifiques : « absence de tribunal et de police, droit de recours à la force, pluralité des centres de décisions autonomes, alternance et continuité de la paix et de la guerre »10. Les diplomates et les soldats sont pour cette raison des représentants principaux de l’État sur la scène internationale.

Aujourd’hui, cette conception des relations internationales est dépassée. En effet, l’étude des phénomènes des relations internationales ne peut plus ignorer ou minimiser les multiples interactions entre les différents acteurs, y compris des acteurs non gouvernementaux (les OING, les firmes multinationales, les médias, les populations, voire les réseaux terroristes). En plus, elle ne doit plus privilégier uniquement les relations militaires, diplomatiques et stratégiques ; d’autres dimensions comme les progrès technologiques, l’économie, la culture, l’environnement gagnent de l’importance sur la scène internationale. La crise économique actuelle et ses conséquences sur les activités politiques nationales et internationales illustrent ce propos.

9 Chris Brown, Understanding International Relations, 3e éd., New York, Palgrave Macmillan, 2005, p. 4. 10 Raymond Aron, « Qu'est-ce qu'une théorie des relations internationales ? », Revue française de science politique 17, no. 5 (1967), p. 845.

22

I. Le cadre conceptuel

La prise en compte de la pluralité d’acteurs des relations internationales

Le basculement dans la conception des « relations internationales » s’est opéré peu à peu à partir des années 1960, notamment avec la guerre du Vietnam. Quand les peuples de l’Europe, du monde entier et surtout des États-Unis ont été bien informés des faces cachées de cette guerre grâce aux médias nouvellement développés, ils se sont fortement mobilisés pour la contester et ont contribué au retrait de l’armée américaine du Vietnam. L’opinion publique et les médias sont alors entrés en force dans ces relations jusque-là « réservées » aux acteurs étatiques.

Avec l’augmentation du volume et de l’importance des acteurs non étatiques sur la scène internationale à partir des années 1950 (voir Graphique 1), l’intérêt porté à ces nouveaux acteurs dans l’analyse des relations internationales a aussi augmenté.

Graphique 1: L'augmentation du nombre des OING et des multinationales (1950-2005)11

11 Selon Edward A. L. Turner, « Why Has the Number of International Non-Governmental Organizations Exploded since 1960? », Cliodynamics: the Journal of Theoretical and Mathematical History, n° 1, 2010, p. 82.

23

Introduction générale

Depuis début des années 1960, l’auteur réaliste Arnold Wolfers reconnait l’existence de ces nouveaux acteurs non étatiques et leur capacité d’influencer de façon occasionnelle les affaires internationales12. Pourtant, pour lui et pour d’autres auteurs réalistes, les relations internationales restent principalement interétatiques et dans lesquelles les autres acteurs non étatiques demeurent marginaux.

Contrairement à cette approche stato-centrée, et suite à des travaux de John W. Burton, James Rosenau, Karl Kaiser et Horst Menderhausen vers la fin des années 196013, les auteurs d’un numéro de la Revue International Organization publié en 1971, dirigé par Robert Keohane et Joseph Nye, mettent l’accent sur les relations transnationales, définies comme des « contacts, coalitions et interactions à travers les frontières étatiques qui ne sont pas contrôlés par les organismes de politique étrangère centraux des gouvernements »14. Selon ces auteurs, pour comprendre la politique mondiale contemporaine, il est primordial d’examiner les effets réciproques entre les relations transnationales et le système interétatique. Ainsi, au lieu de se concentrer seulement sur les relations interétatiques (graphique 2), les études des relations internationales doivent aussi prendre en compte dans leurs analyses ces nouvelles interactions transnationales (graphique 3)15.

12 Arnold Wolfers, « The Actors in World Politics », in Arnold Wolfers (éd.), Discord and Collaboration: Essays on International Politics, Baltimore, Johns Hopkins Press, 1962, p. 23. 13 Voir John W. Burton, Systems, States, Diplomacy and Rules, Cambridge University Press, 1968; James N. Rosenau (éd.), Linkage Politics: Essays on the Convergence of National and International Systems, New York, Free Press, 1969; Karl Kaiser, « Transnational Politics: Toward a theory of multinational politics », International Organization (1971), vol. 25, n° 4, pp. 790-817; Horst Menderhausen, « Transnational Society vs. State Sovereignty », Kyklos (1969), volume 22, n° 2, pp. 251-275. 14 Robert Keohane, Joseph Nye, « Transnational Relations and World Politics: An Introduction », International Organization (1971), vol. 25, n° 3 (Transnational Relations and World Politics), p. 331. 15 Ibid., pp. 333-334.

24

I. Le cadre conceptuel

OIG : Organisation intergouvernementale G : Gouvernement S : Société

Politique interne Interactions interétatiques Interactions transnationales

Graphique 2 : Interactions Graphique 3 : Interactions transnationales interétatiques et interétatiques

L’ouvrage de Robert Keohane et Joseph Nye, Power and Interdependance (1977), confirme cette nécessité de « la prise en compte de la multiplicité des acteurs »16. Puis l’ouvrage After Hegemony : Cooperation and Discord in the World Political Economy (1984) de Robert Keohane met l’accent sur le rôle des institutions internationales dans la facilitation des coopérations internationales17.

À la fin des années 1980, des auteurs de plus en plus nombreux abandonnent les approches stato-centrées des relations internationales pour adopter des approches non stato-centrées. Le transnationalisme, par exemple, prend un nouveau souffle avec la publication d’un ouvrage de James Rosenau en 1990, Turbulence in world politics : A theory of change and continuity. Le monde contemporain, écrit Rosenau, entre dans une nouvelle période de turbulence. Cette dernière est créée par le fait de la multiplication

16 Jean-Jacques Roche, Théories des relations internationales, 6e éd., Paris, Montchrestien, 2006, p. 85. 17 Voir Stephen D. Krasner (éd.), International Regimes, Cornell University Press, 1983; Robert O. Keohane, After Hegemony: Cooperation and Discord in the World Political Economy, Princeton University Press, 1984.

25

Introduction générale des acteurs non étatiques agissant hors du cadre de la souveraineté18. Dans cette nouvelle turbulence l’État ne disparaît pas, mais sa capacité de contrôle est fortement réduite. Le système interétatique ne constitue plus le seul pivot de la vie internationale. Il doit désormais coexister avec un système « multi-centré », constitué des acteurs non étatiques.

Suite à ce travail de James Rosenau, les études des phénomènes transnationaux sont multipliées. Il s’agit notamment en France des recherches de Bertrand Badie, de Marie-Claude Smouts et de Josepha Laroche ; dans le monde anglophone, de celles de Susan Strange et de Risse-Kappen Thomas parmi d’autres19. Le point commun de ces études, c’est, comme le remarque Marie-Claude Smouts, « de considérer que l’objet des Relations internationales n’est plus le fonctionnement du système interétatique, mais le fonctionnement du monde structuré par des réseaux d’action sociale qu’il convient d’étudier »20.

Enfin, les analyses du processus de la mondialisation actuelle refusent à l’État le monopole dans la conduite des relations internationales contemporaines. Plusieurs auteurs comme Kenichi Ohmae ou Thomas Friedman parlent même d’un monde sans frontière et plat21. La mondialisation, définie par d’autres auteurs plus modérés, comme « un processus (ou un ensemble de processus) qui transforme l’organisation spatiale des relations sociales et des transactions – leur extension, leur intensité, leur rapidité et leur impact – et qui génère des flux et des réseaux transcontinentaux et inter-régionaux

18 Ce sont par exemple des firmes multinationales, des groupes ethniques, des agences bureaucratiques, des partis politiques, des organisations internationales, etc. Voir James Rosenau, Turbulence in world politics: a theory of change and continuity, Princeton University Press, 1990, p. 36. 19 Bertrand Badie, Marie-Claude Smouts, Le retournement du monde. Sociologie de la scène internationale, Paris, Presses de et Dalloz, 1992 ; Thomas Risse-Kappen (dir.), Bringing transnational relations back in. Non-State actors, domestic structures and international institutions, Cambridge, Cambridge University Press, 1996 ; Susan Strange, The retreat of the State, Cambridge University Press, 1996 ; Josepha Laroche, La politique internationale, Paris, Montchrestien, 2000. 20 Marie-Claude Smouts et al., Dictionnaire des relations internationales. Approches, concepts, doctrines, 2e éd., Paris, Dalloz, p. 531. 21 Voir Kenichi Ohmae, The Borderless World : Power and Strategy in the Global Marketplace, London, Harper Collins, 1992 ; Thomas Friedman, La terre est plate : Une brève histoire du XXIe siècle, Paris, Saint-Simon, 2006.

26

I. Le cadre conceptuel d’activités, d’interactions et d’exercice du pouvoir »22, est considérée comme le phénomène majeur de la scène internationale actuelle. Cette mondialisation est en train de modifier profondément non seulement l’économie mondiale, mais aussi la nature des relations internationales. On parle davantage des enjeux mondiaux comme le réchauffement climatique, la gouvernance mondiale, le terrorisme, etc.

Bien que les acteurs non-gouvernementaux n’aient pas toujours pu jouer le rôle qu’ils souhaitent dans les affaires internationales23, et que les frontières territoriales soient encore loin d’être effacées dans la mondialisation comme le décrivent Kenichi Ohmae et Thomas Friedman24, les États ne sont plus néanmoins seuls sur la scène internationale. Ils doivent partager leur rôle d’acteur avec les autres forces. La pluralité des acteurs est aujourd’hui acceptée par la majorité des chercheurs en Relations internationales.

Par acteur, nous désignons une personne (physique ou morale) qui prend une part active et joue un rôle important dans les relations qu’elle entreprend avec les autres. L’acteur peut être un protagoniste ou un auteur d’une action. L’acteur doit donc non seulement participer, mais aussi jouer un rôle important dans ses relations avec les autres. Pour le sociologue Marcel Merle, jouer un rôle « peut consister à prendre une décision, à entreprendre une action ou même, tout simplement, à exercer une influence sur les détenteurs du pouvoir de décision et de la force matérielle »25.

22 David Held et al., Global Transformations : Politics, Economics and Culture, Stanford University Press, 1999, cité par Marie-Claude Smouts et al., Dictionnaire des relations internationales. Approches, concepts, doctrines, op. cit., p. 348. 23 Voir par exemple l’analyse de Frédéric Ramel du rôle assez « conditionné et limité » de la Coalition internationale en faveur de la CPI (CCPI) dans le processus d’incorporation du Statut de Rome dans les législatives nationales des États parties de ce Statut de Rome. Frédéric Ramel, « Diplomatie de catalyse et création normative : le rôle des ONG dans l’émergence de la Cours pénale internationale », AFRI 2004, volume V, p. 887. Disponible sur http://www.afri-ct.org/IMG/pdf/afri2004_ramel.pdf 24 Pankaj Ghemawat, dans son livre World 3.0 : Global Prosperity and How to Achieve It, publié chez Harvard Business Press Books en 2011, souligne que la mondialisation actuelle est en fait une demi- mondialisation. Les frontières territoriales et les différences culturelles jouent encore un rôle très important sur la scène internationale. 25 Marcel Merle, Sociologie des relations internationales, Paris, Dalloz, 1988, p. 317.

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Introduction générale

Dans les études des relations internationales, Stanley Hoffmann définit les acteurs comme « ceux dont les décisions affectent ressources et valeurs et dont l'action les uns sur les autres s'exerce par-delà les frontières »26. Le Dictionnaire des relations internationales définit l’acteur des relations internationales comme « toute entité dont les actions transfrontalières affectent la distribution des ressources et la définition des valeurs à l’échelle planétaire »27. Quant à Marcel Merle, sont considérées comme acteurs des relations internationales « les personnes, physiques ou morales, privées ou publiques, individuelles ou collectives, qui apportent leur contribution aux différents aspects de l’activité internationale »28. Ces différentes définitions soulignent toutes le caractère transfrontalier des acteurs des relations internationales.

Pour nous, les acteurs des relations internationales sont ceux (personnes physiques et morales) qui participent activement aux activités de la vie internationale et exercent une influence sur l’évolution des relations internationales. Sont acteurs des relations internationales aujourd’hui les États, les organisations intergouvernementales, les grandes organisations internationales non-gouvernementales, les firmes multinationales, certains groupes terroristes et de plus en plus des grandes collectivités locales et leurs associations, etc.

La prise en compte de la pluralité de dimensions des relations internationales

L’acceptation de la pluralité d’acteurs signifie aussi que les relations internationales ne peuvent plus être analysées sous les seules dimensions diplomatiques, militaires et stratégiques. Dans la mondialisation actuelle, les relations internationales dépassent ces dimensions et comprennent les autres domaines : culturel, environnemental, économique, etc. Ces relations sont complexes et multifacettes. Ainsi, la distinction entre le high politics et le low politics, mentionnée ci-dessus, n’a plus vraiment de sens.

26 Stanley Hoffmann, Le dilemme américain : suprématie ou ordre mondial, Paris, Économica, 1982, p. 145. 27 Marie-Claude Smouts et al., Dictionnaire des relations internationales. Approches, concepts, doctrines, op. cit., p. 01. 28 Marcel Merle, Bilan des relations internationales, Paris, Économica, 1995, p. 16.

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I. Le cadre conceptuel

Parmi ces nouvelles dimensions, la culture occupe une place importante depuis la fin des années 1980 et début des années 1990 dans les études des relations internationales. La culture est analysée comme un facteur de développement économique et politique29, de conflit global ou régional30. La dimension culturelle, jusque-là oubliée, a refait surface, surtout dans les analyses du phénomène de la mondialisation31. Samuel Huntington, par exemple, est un référent dans ce domaine avec ses analyses du risque des « chocs des civilisations » au XXIe siècle, surtout entre le monde occidental et le monde musulman32. Cette prédiction brutale a fait que les antithèses de Huntington ont été publiées partout dans le monde. Les termes de diversité culturelle, de dialogue des cultures, de cohabitation pacifique entre les civilisations réapparaissent aussi à côté du celui de choc des civilisations et occupent une place de plus en plus importante dans l’analyse des phénomènes de relations internationales contemporaines.

La Francophonie n’est pas restée en dehors de toutes ces mutations. Depuis le début, surtout depuis les attentats terroristes du 11 septembre 2001 aux États-Unis dont les origines culturelles et religieuses sont soulignées, elle agit prioritairement pour la diversité culturelle et pour un dialogue des cultures entre les différents peuples. Le dialogue des cultures était d’ailleurs le thème central du IXe Sommet des chefs d’États et de gouvernement des pays francophones à Beyrouth en 2002, organisé juste après les attentats de 2001 pour affirmer qu’il existe bien des alternatives aux extrémistes.

En plus, depuis longtemps, un des pères fondateurs de la Francophonie, l’ancien Président du Sénégal Léopold Sédar Senghor, parle de Civilisation de l’Universel qui est une symbiose des cultures du monde et qui représente l’unité dans la diversité, ce qui est exactement le contraire des chocs de civilisations. La culture, comme les autres domaines de low politics, est réintroduite dans les relations internationales, et redevient

29 Voir Lawrence E. Harrison et Peter L. Berger, Developing Cultures: Case Studies, London, Routledge, 2006. 30 Voir Stephen J. Blank et al., Conflict, culture, and history: Regional dimensions, 7e éd., Alabama, Air University Press, 2002. 31 Voir Jean Tardif et Joëlle Farchy, Les enjeux de la mondialisation culturelle, Paris, Hors Commerce, 2006. 32 Samuel Huntington, Le choc des civilisations, Paris, Odile Jacob, 2009.

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Introduction générale un des facteurs non négligeables dans les analyses actuelles des questions de l’immigration, du commerce international33, du terrorisme, etc.

Avec cette prise en compte de la pluralité à la fois des acteurs et de leurs dimensions, les relations internationales peuvent être comprises aujourd’hui, en plus des relations interétatiques au sens classique, comme « l’ensemble des relations qui se déroulent au-delà de l’espace contrôlé par les États pris individuellement, quel que soit l’acteur – étatique ou non – concerné par ces relations, et quelle que soit la nature – politique ou autre – de ces relations »34.

Cette conception large des relations internationales reflète la réalité internationale contemporaine et nous permet de mieux apprécier le rôle et la place des organisations comme la Francophonie. Cette dernière est en effet un mouvement dans lequel interviennent à la fois des acteurs étatiques et des acteurs non étatiques (comme Agence universitaire de la Francophonie (AUF), Université Senghor d’Alexandrie, TV5Monde et Association internationale des Maires francophone (AIMF)), dans les domaines à la fois de high politics comme la prévention des conflits et le maintien de la paix et de low politics comme la diversité culturelle et linguistique, l’éducation et le développement durable. Elle est un espace linguistique de finalité culturelle, et veut jouer aujourd’hui un rôle de nouvel acteur des relations internationales contemporaines.

Cette Francophonie n’est pourtant pas encore totalement conceptualisée. En plus, elle est encore largement ignorée des analyses des internationalistes. C’est pourquoi les sections suivantes identifieront les différents sens du concept de Francophonie avant d’analyser les approches de cet objet en Relations internationales depuis sa création à nos jours.

33 Voir par exemple l’analyse de Pankaj Ghemawat dans son livre World 3.0 : Global Prosperity and How to Achieve It sur le rôle des différences culturelles dans le business international. 34 Dario Battistella, Théories des relations internationales, 2e éd. (revue et augmentée), Paris, Presses de Sciences Po, 2006, p. 26.

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B. Le concept de Francophonie

Identifier l’objet « Francophonie » en Relations internationales est un travail difficile, comme le remarquent Frédéric Ramel et Trang Phan-Labays dans leur article consacré à l’analyse de l’objet « Francophonie » dans les théories des relations internationales : « La Francophonie ne correspond pas à un objet monolithique. Elle comprend différentes dimensions dont chacune alimente plusieurs problématiques »35.

En effet, la Francophonie est aujourd’hui une réalité vue de façons très diverses.

Elle s’est inscrite d’abord dans la logique de l’Empire colonial français à la fin du XIXe siècle. Quand le géographe français Onésime Reclus utilise le terme « francophone » en 1880 dans son ouvrage géographique, il parlait des parlants-français dans le vaste territoire du Deuxième Empire français. Selon lui, sont francophones « tous ceux qui sont ou semblent destinés à rester ou à devenir participants de notre langue [le français] : Bretons et Basques de France, Arabes et Berbères du Tell dont nous sommes déjà les maîtres »36. La Francophonie avait, avec cette conception, un sens linguistique (langue française) et un lien très fort avec la colonisation française.

Tombée dans l’oubli depuis cette première apparition, le terme de Francophonie est réapparu ensuite dans sa nouvelle forme, plus dynamique avec le mouvement associatif francophone des années 1950 et 1960. En effet, de nombreuses associations professionnelles des parlants-français (les francophones) sont nées pendant cette période37. Il s’agit d’association de journalistes, d’universités, d’écrivains, de parlementaires, etc. Elles nouent des liens entre les individus sur la base de l’usage d’une langue commune, le français. Elles sont portées non seulement par les Français de France, mais surtout par des d’autres francophones, notamment des Québécois, des Belges, des Luxembourgeois et plus tard, avec la décolonisation, des Africains. Avec ce

35 Frédéric Ramel, Trang Phan-Labays, « La Francophonie au prisme des théories : état des lieux et perspectives », in Michel Guillou, Trang Phan-Labays (dir.), La Francophonie sous l’angle des théories des relations internationales, Université Jean Moulin Lyon 3, 2007, p. 106. 36 Onésime Reclus, France, Algérie et colonies, Paris, Hachette, 1883, p. 422. Onésime Reclus est considéré comme le premier auteur qui utilise le terme « francophone » et « francophonie ». 37 Ce qui correspond avec la tendance mondiale pendant cette période, voir le Graphique 1.

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Introduction générale mouvement associatif, la Francophonie a dépassé sa première dimension linguistique, démographique et coloniale décrite par Onésime Reclus. Elle est devenue une partie des sociétés civiles, bien qu’elle reste encore très élitique.

C’est la décolonisation dans cette même période qui a transformé le visage de la Francophonie et lui a donné une nouvelle naissance. En effet, beaucoup de pays nouvellement indépendants de la France et de la Belgique ont choisi le français comme langue officielle. Le français est devenu non seulement la langue partagée par plusieurs individus dans le cadre des associations professionnelles, mais aussi une langue partagée de plusieurs États indépendants. Ces derniers, surtout ceux du Sud, se mobilisent pour créer une organisation internationale francophone sur la base du partage de cette langue commune afin de renforcer les coopérations entre eux. Les efforts des présidents de ces pays comme Léopold Sédar Senghor du Sénégal, Hamani Diori du Niger, Habib Bourguiba de Tunisie ou Norodom Sihanouk du Cambodge pendant les années 1960 se sont concrétisés en partie avec la création de l’ACCT en mars 1970. Certes, cette création de l’ACCT est encore une entreprise modeste, selon les termes de son premier Secrétaire général Jean-Marc Léger, la Francophonie avec cette nouvelle agence de coopération a dépassé le fait linguistique et associatif pour devenir intergouvernementale.

Depuis cette date, elle ne cesse d’évoluer. Elle s’institutionnalise peu à peu pour parvenir à créer un système institutionnel francophone assez solide de nos jours, surtout après l’adoption de la Charte de la Francophonie à Antananarivo (Madagascar) en 2005. Par ailleurs, elle s’élargit à d’autres pays où le français n’est ni langue officielle ni langue de travail mais qui partagent volontairement ses valeurs, ce qui illustre sa capacité d’attraction. Elle s’intéresse aujourd’hui non seulement à la coopération culturelle et technique (les domaines traditionnels de l’ACCT) mais aussi aux autres grands chantiers comme la démocratie, l’éducation, le développement durable, etc.

Bien que devenue intergouvernementale, la Francophonie garde toujours un lien très étroit avec le monde associatif. Dans la réalisation de ses objectifs, elle les associe comme des opérateurs directs et reconnus du Sommet des chefs d’État et de gouvernement francophone. C’est le cas notamment de l’Agence universitaire de la Francophonie (AUF) pour l’enseignement supérieur et la recherche, de l’Université Senghor d’Alexandrie dans la formation des cadres et des fonctionnaires pour le 32

I. Le cadre conceptuel développement africain, de l’Association internationale des Maires francophones (AIMF) dans la coopération décentralisée, ou de TV5Monde dans la télévision internationale francophone. En dehors de ces quatre opérateurs, beaucoup d’autres associations francophones participent aux programmes de coopération intergouvernementale, notamment dans le cadre de la Conférence biannuelle des OING (organisation internationale non gouvernementale) francophones. C’est ce lien très étroit avec le monde associatif qui fait de la Francophonie une organisation singulière.

Une des conséquences de cette évolution progressive de la Francophonie et de la réalité très diverse qu’elle incarne aujourd’hui est que la tâche de définir cet objet est devenue complexe.

En effet, dans les années 1960, la Francophonie, terme redécouvert, est encore une idée peu précise et plus ou moins idéaliste, comme témoigne la définition de Léopold Sédar Senghor dans un numéro spécial de la Revue Esprit en 1962 : la Francophonie, c’est, selon lui, « cet Humanisme intégral, qui se tisse autour de la terre ; cette symbiose des énergies dormantes de tous les continents, de toutes les races, qui se réveillent à leur chaleur complémentaire »38. Ce poète et écrivain, francophile convaincu et un des pères fondateurs de la Francophonie intergouvernementale nous livre ici une définition certes poétique mais peu précise sur la Francophonie.

Jean Marc Léger, l’un des fondateurs de l’Agence universitaire de la Francophonie (AUF, 1961) et premier Secrétaire général de l’ACCT, parle de la Francophonie comme d’une « entreprise généreuse et ambiguë, nécessaire mais incertaine »39. C’est une entreprise que, selon lui, faute d’un terme plus adéquat, on appelle la « Francophonie ». Pour lui, la Francophonie est quelque chose d’une version contemporaine de l’auberge espagnole : « Chacun y trouve ou croit y trouver ce qu’il y a apporté. Qui l’exalte, parce qu’il l’a conçu comme une communauté novatrice et généreuse de peuples très divers ; qui la stigmatise car il a décidé qu’elle ne pouvait être qu’une nouvelle manifestation, particulièrement insidieuse, de néo-colonialisme ; qui en sourit avec un aimable

38 Léopold Sédar Senghor, « Le français, langue de culture », Esprit, novembre 1962, n° 311, « Le français, langue vivante », Paris, p. 844. 39 Jean Marc Léger, Préface du livre de Michel Tétu, La Francophonie. Histoire, problématique, perspectives, 3e éd., Paris, Guérin, 1992.

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Introduction générale scepticisme parce qu’il l’a, d’avance associée à une entreprise nostalgique ou folklorique, selon le cas, ou parce qu’il a décrété qu’une langue commune n’est point un terreau suffisamment riche pour y faire germer une formule originale et durable de coopération »40.

En 1983, trois ans avant la tenue du premier Sommet francophone à Versailles (1986), Xavier Deniau distingue les différents sens du mot « francophonie » :

« Un sens linguistique : le substantif correspondant à l’objectif francophone : qui parle français ; Un sens géographique : l’ensemble des peuples et des hommes, dont la langue (maternelle, officielle, courante ou administrative) est le français ; Un sens spirituel et mystique41 : le sentiment d’appartenir à une même communauté : cette solidarité naît du partage de valeurs communes aux divers individus et communautés francophones ; Un sens institutionnel : l’ensemble des associations et organisations publiques et privées, éventuellement une communauté plus vaste de concertation et de coopération »42.

Le travail de Michel Tétu prend la suite de ces efforts. Dans son livre La Francophonie. Histoire, problématique, perspectives, publié la première fois en 1987, l’auteur souligne que le mot « francophone » n’est plus utilisé pour désigner seulement celui « qui parle français », mais aussi ce « qui est relatif à la francophonie »43. Dans un autre ouvrage publié en 1997, Qu’est-ce que la Francophonie ?, il distingue trois expressions - francophonie, Francophonie et espace francophone :

40 Jean-Marc Léger, « La francophonie, une grande aventure spirituelle », in Jacomy-Lillette (dir.), Francophonie et Commonwealth : Mythe ou réalité ?, (Actes du colloque organisé au printemps 1977 par le Centre québécois des relations internationales, Université Laval), Québec, 1978, p. 19. 41 Michel Tétu mis en garde les lecteurs sur ce sens « spirituel et mystique » du terme « francophonie ». Selon lui, « la générosité de certains pionniers de la francophonie [dont Xavier Deniau] a entrainé une idéologie unitaire et centralisatrice aujourd’hui récusée. Elle correspondait souvent à la nostalgie de l’empire colonial français disparu, que l’on souhaitait voir renaître, au moins sur le plan intellectuel et spirituel, dans une solidarité fondée sur une pratique commune de la langue française ». Voir Michel Tétu, Qu’est-ce que la Francophonie ?, Paris, Hachette, 1997, p. 15. 42 Xavier Deniau, La Francophonie, Coll. Que sais-je ?, Paris, PUF, 1983, cité par Michel Tétu, La Francophonie. Histoire, problématique, perspectives, op. cit., p. 48. 43 Michel Tétu, La Francophonie. Histoire, problématique, perspectives, op. cit., p. 50.

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I. Le cadre conceptuel

« La francophonie, avec un petit f, désigne généralement l’ensemble des peuples ou des groupes de locuteurs qui utilisent partiellement ou entièrement la langue française dans leur vie quotidienne ou dans leurs communications ; La Francophonie, avec un grand F, désigne le regroupement des gouvernements, des pays ou des instances officielles qui ont en commun l’usage du français dans leurs travaux ou leurs échanges ; L’espace francophone représente une réalité non exclusivement géographique ni même linguistique, mais aussi culturelle ; elle réunit tous ceux qui, de près ou de loin, éprouvent ou expriment une certaine appartenance à la langue française ou aux cultures francophones – qu’ils soient de souche slave, latine ou créole, par exemple. Cette dénomination d’espace francophone est la plus floue, mais aussi peut-être la plus féconde »44.

Quant à eux, Michel Guillou et Trang Phan-Labays situent la Francophonie dans les différentes périodes de son histoire en utilisant les termes de première, deuxième et troisième Francophonie qui correspondent à ses différentes évolutions dans le temps.

La première Francophonie est datée de la première apparition de ce terme vers la fin du XIXe siècle jusqu’à des années 1950. Cette Francophonie est linguistique (regroupement des parlants-français) et essentiellement coloniale45 (les Empires coloniaux français et belge).

La deuxième Francophonie est la Francophonie senghorienne, compte tenu du rôle du président sénégalais dans la création de la Francophonie intergouvernementale après les indépendances des années 1960 avec son projet de « Commonwealth à la française » et plus tard de « Communauté organique francophone ». C’est une francophonie qui dépasse la dimension linguistique et coloniale de la première. Elle est postcoloniale et se situe « dans le cadre plus vaste de la construction, sur les débris des empires coloniaux, de communautés culturelles de métissage et de solidarité »46.

44 Michel Tétu, Qu’est-ce que la Francophonie ?, op. cit., p. 14. 45 Trang Phan-Labays et Michel Guillou, Francophonie et mondialisation : Histoire et institutions des origines à nos jours, Paris, Belin, 2011, p. 13. 46 Ibid., p. 14.

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Introduction générale

La troisième Francophonie commence au Sommet de Beyrouth en 2002. Michel Guillou et Trang Phan-Labays la situent dans la mondialisation actuelle, là où elle est « un pôle d’équilibre et de régulation, un acteur de la mondialisation culturelle » et « une union géoculturelle, c’est-à-dire un ensemble culturel, organisé et transversal, d’États et de gouvernements ayant en partage une langue, voué au troisième dialogue, celui des cultures, antidote pacifique au choc des civilisations »47.

Du point de vue officiel, l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) donne sa définition : « La Francophonie est le dispositif institutionnel qui organise les relations politiques et de coopération entre les États et gouvernements de l’OIF, ayant en partage l’usage de la langue française et le respect des valeurs universelles. Le dispositif institutionnel de la Francophonie comprend des instances politiques décisionnelles dont la plus haute est le Sommet des chefs d’État et de gouvernement qui se réunit tous les deux ans, et le Secrétaire général de la Francophonie, clé de voûte de ce système »48. Cette définition se penche directement sur le volet intergouvernemental et exclut les acteurs non gouvernementaux francophones qui font pourtant partie des institutions de la Francophonie selon la Charte d’Antananarivo et qui en réalité ont joué et continuent de jouer un rôle essentiel dans le renforcement du projet francophone.

Aujourd’hui, plus de quarante ans après la création de l’ACCT, au sein même des acteurs de la Francophonie, les universitaires, les praticiens, les diplomates, les dirigeants de la Francophonie intergouvernementale, la conception de la Francophonie demeure assez variée. En effet, lors de nos entretiens avec ces différentes personnalités dans le cadre de ce doctorat, pour la question « quelle est aujourd’hui votre conception de la Francophonie ? », les réponses varient de l’un à l’autre. Certains désignent rapidement l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) comme la Francophonie. Beaucoup retracent les étapes historiques pour expliciter leur conception de la Francophonie. D’autres encore soulignent le rôle des associations francophones dans le développement de la Francophonie, hier et aujourd’hui, etc. Chacun a donc livré sa propre conception de la Francophonie.

47 Ibid., p. 15. 48 Organisation internationale de la Francophonie, « Qui sommes-nous ? », http://www.francophonie.org/Qui-sommes-nous.html

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I. Le cadre conceptuel

De même, notre enquête auprès des étudiants au Vietnam et en France a confirmé cette diversité de la conception de la Francophonie. A la question « quels sont les termes qui correspondent mieux à votre conception de la Francophonie ? », les réponses sont aussi très variées. Parfois, les termes choisis par les uns et les autres pour désigner la « Francophonie » vont même dans des sens opposés (par exemple la Francophonie égale le néo-colonialisme et la solidarité, la coopération).

La diversité de la réalité francophone aujourd’hui, ainsi que les différents sens attribués à ce terme font qu’« il est impossible de réduire la Francophonie à une définition unique »49. En bref, la Francophonie reste encore de nos jours, comme disait Jean-Marc Léger, « une idée neuve et une réalité encore largement inconnue, ou méconnue selon le cas, malgré son demi-siècle d’existence »50. On peut néanmoins, comme le remarque Michel Tétu, « finir par savoir approximativement de quoi il s’agit »51. Cela est dû au fait que la Francophonie n’est plus un mythe, elle est devenue aujourd’hui une réalité.

A ce stade, il est important de préciser la conception de la Francophonie retenue dans ce travail afin d’écarter au mieux possible toute compréhension approximative de la Francophonie dans la suite de l’analyse.

Une des remarques importantes à noter est que depuis l’adoption de la Charte de la Francophonie à Hanoi en 1997, et surtout depuis son amendement en 2005 à Antananarivo, on a déjà un aperçu assez clair de la Francophonie au niveau institutionnel. D’après le titre II de cette Charte (2005), le système institutionnel francophone est organisé de façon assez cohérente : les décisions prises par les instances politiques (Sommet, CMF, CPF) sont mises en œuvre à la fois par une organisation intergouvernementale (OIF comme opérateur principal) et par des organisations non gouvernementales (les opérateurs directs et reconnus des Sommets). Le Secrétaire général de la Francophonie, qui est élu par les chefs d’États et qui dirige l’OIF, convoque assez régulièrement l’Administrateur de l’OIF, les responsables des opérateurs directs et de l’Assemblée parlementaire de la Francophonie (APF, qui joue un rôle consultatif) dans un Conseil de coopération pour essayer d’assurer la cohérence et

49 Trang Phan-Labays et Michel Guillou, op. cit., p. 16. 50 Jean Marc Léger, Préface du livre de Michel Tétu, Qu’est-ce que la Francophonie ?, op. cit., p. 7. 51 Michel Tétu, La Francophonie. Histoire, problématique, perspectives, op. cit., p. 49.

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Introduction générale la synergie dans les activités de ces institutions francophones. Par ailleurs, depuis 2004, les programmations de ces institutions sont fixées à quatre ans et leurs contenus sont axés prioritairement dans les quatre grandes orientations retenues par les chefs d’État et de gouvernement des pays francophones dans le Cadre stratégique décennal de la Francophonie adopté au Sommet de Ouagadougou. Autrement dit, il y a une certaine cohérence dans les activités de l’ensemble de ces institutions francophones.

Si nous tenons à préciser ces points c’est parce que jusqu’à aujourd’hui, il n’existe pas encore juridiquement d’organisation appelée « la Francophonie ». Une organisation internationale est définie comme « un ensemble structuré de participants appartenant à des pays différents coordonnant leur action en vue d’atteindre des objectifs communs »52. La seule organisation intergouvernementale francophone aujourd’hui fondée par un traité international est l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF, dont l’ancien nom est l’Agence de coopération culturelle et technique)53. Et pourtant, l’OIF n’est qu’une partie de l’ensemble du système institutionnel francophone. Elle ne représente pas à elle seule la réalité très diverse de la Francophonie actuelle. Le terme « Francophonie » est pour cette raison mieux adapté pour couvrir la réalité francophone que le terme « Organisation internationale de la Francophonie ».

Dans le cadre de ce travail, nous utilisons le terme « Francophonie » pour désigner ce système institutionnel francophone décrit dans l’article 2 de la Charte de la Francophonie de 2005. La Francophonie comprend à cet effet :

- trois instances politiques décisionnelles (Conférence des chefs d’État et de gouvernement des pays ayant le français en partage (Sommet), la Conférence ministérielle de la Francophonie (CMF), le Conseil permanent de la Francophonie (CPF)) ;

- le Secrétaire général de la Francophonie ;

52 Marie-Claude Smouts, Les organisations internationales, Paris, Armand Colin, 1995, p. 12. 53 Il faut souligner aussi que si un nouveau traité international pour créer la « Francophonie » n’est pas à l’ordre du jour, c’est davantage une question de difficulté politique qu’une question fonctionnelle. Pour une analyse plus profonde de cette question, voir la thèse de Marcelin Somé, Le statut juridique de l'Organisation Internationale de la Francophonie, Paris, ANRT, 2008.

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I. Le cadre conceptuel

- l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF, ancienne ACCT) ;

- quatre opérateurs directs et reconnus des Sommets (Agence universitaire de la Francophonie (AUF), l’Université Senghor d’Alexandrie ; la chaine TV5Monde ; l’Association internationale des Maires francophones (AIMF)) ;

- l’Assemblée parlementaire de la Francophonie (APF), organe consultatif ;

- et deux conférences ministérielles permanentes (CONFEMEN – Conférence des ministres de l’Éducation nationale des pays ayant le français en partage et CONFEJES – Conférence des ministres de la Jeunesse et du Sport des pays ayant le français en partage).

C’est la transformation de cette Francophonie et surtout son ambition de devenir un acteur des relations internationales qui font l’objet de notre recherche. Une grande partie des sujets traités dans la thèse touchent directement les activités de l’Organisation internationale de la Francophonie en sa qualité d’unique organisation intergouvernementale francophone. Les activités de quatre autres opérateurs directs vont aussi être abordées dans ce travail étant donné qu’ils font partie intégrante du système institutionnel francophone et sans eux la Francophonie n’aurait pas son visage actuel.

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II. LA FRANCOPHONIE, UN OBJET PEU ETUDIE EN RELATIONS INTERNATIONALES

A. Le manque d’études sur la Francophonie pendant une longue période et un regain d’intérêt pour cet objet depuis ces dernières années

En 1997, Françoise Massart-Piérard a déjà constaté que « les politologues comme les spécialistes des relations internationales ne se sont encore que peu penchés sur cette question [l’étude de la Francophonie institutionnelle], laissant la place aux essayistes, aux militants, ou encore aux linguistes et aux représentants du monde culturel »54. Dix ans plus tard, lors du colloque co-organisé à Hanoi en 2007 par les Chaires Senghor de la Francophonie de Hanoi et de Lyon sur le thème La Francophonie sous l’angle des théories des relations internationales, Frédéric Ramel et Trang Phan-Labays, en investiguant deux grandes sources d’articles en Science politique, la Documentation politique internationale (DPI) et l’ESoP55, confirment cette conclusion.

Selon eux, de 1970 à 2006, il n’y a eu au total que 25 articles (dont quatre en anglais) qui ont un sujet en lien avec la Francophonie dans les index de la DPI ; quant aux bases de données de l’ESoP, un nombre plus important d’articles de ce type est recensé (58 au total) mais c’est en partie parce qu’ils sont publiés dans les revues généralistes en Sciences sociales ou en géopolitique56. Un autre fait marquant est que la quasi-totalité des chercheurs qui s’intéressent à l’objet « Francophonie » se trouvent dans les pays francophones du Nord, notamment le Canada, la France, la Belgique et la Suisse. Dans le résumé du colloque de Hanoi, Michel-Louis Martin parle donc de la

54 Françoise Massart-Piérard, « Présentation du numéro », in Politique et sociétés (1997), vol. 16, n° 1 (Prismes nationaux de la Francophonie), p. 6. 55 Publié tous les deux mois par l'Association Internationale de Science Politique, la DPI recense des articles de science politique publiés dans les annuaires et plus de 900 périodiques du monde entier. L’ESoP est une base de données élaborée des notices biographiques et résumés d’articles publiés dans les revues françaises et étrangères dans les domaines de l’économie, de la science sociale et de la science politique. 56 Frédéric Ramel, Trang Phan-Labays, op. cit., pp. 96-98.

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Introduction générale

Francophonie comme un objet « sinon non identifié des relations internationales, du moins nettement situé à la périphérie des problématiques de ce champ »57.

En élargissant le recensement vers d’autres formes de productions scientifiques dans ce champ des Relations internationales sur la Francophonie, nous constatons que le résultat n’est guère meilleur. En effet, entre 1970 et 2006, le mouvement francophone n’a fait l’objet que de quelques mémoires de recherche et thèses de doctorat58. Peu de colloques sur la Francophonie dans les relations internationales ont été organisés avant celui de Hanoi en 200759. Pendant cette période, certains ouvrages qui traitent de la Francophonie sur la scène internationale ont été publiés. Il s’agit des publications de Jean-Marc Léger60, de Michel Guillou61, de Jean-Louis Roy62, de Jacques Barrat63 ou de

57 Michel Louis Martin, « La Francophonie, objet de la théorie des relations internationales : brèves remarques de synthèse », in Michel Guillou, Trang Phan-Labays (dir.), La Francophonie sous l’angle des théories des relations internationales, op. cit., p. 242. 58 Jean-Claude Couture, Recherche d’une définition de la Francophonie ou principes élémentaires de la Francophonie, Université de Strasbourg, 1968 ; Jeffrey Rosner, « Francophonie » as a Pan-Movement : The politics of culture affinity, Baltimore (Md.), The Johns Hopkins University, 1969 ; Christine Dessouches, L‘Organisation de la Francophonie, Université de Paris I, 1971 ; Mark Malone, La Francophonie (1965 – 1971). Un cadre institutionnel—Reflet des réalités Francophones, Paris, Fondation Nationale des Sciences Politiques, 1971. Ces références sont citées par Brian Weinstein, « Francophonie : a language-based movement in world politics », in International Organization (1976), vol. 30, n° 3. 59 Il s’agit notamment des colloques Francophonie et Commonwealth : mythe ou réalité ? (1978) et Les Sommets francophones : nouvel instrument de relations internationales (1988) organisés par le Centre québécois des relations internationales et le colloque La francophonie et le Canada (1990) organisé par le Centre d’études canadiennes des Universités de Grenoble. 60 Jean-Marc Léger, La Francophonie : grand dessein, grande ambiguïté, Montréal, Hurtubise HMH, 1987 ; Jean-Marc Léger, Le temps dissipé : souvenirs, Montréal, Hurtubise HMH, 1999. 61 Michel Guillou et Arnaud Littardi, La Francophonie s’éveille, op. cit., 1988 ; Michel Guillou, La Francophonie, nouvel enjeu mondial, Paris, Hatier, 1993 ; Michel Guillou, La mangue et la pomme, Paris, John Libbey Eurotext, 1995 ; Michel Guillou, Serge Arnaud, Albert Salon, Les défis de la Francophonie. Pour une mondialisation humaniste, Paris, Alpharès, 2002 ; Michel Guillou, Francophonie - Puissance : L'équilibre multipolaire, Paris, Ellipses, 2005. 62 Jean-Louis Roy, La francophonie : l'émergence d'une alliance ?, op. cit., 1989 ; Jean-Louis Roy, La francophonie : le projet communautaire, Montréal, Hurtubise HMH, 1993 ; Jean-Louis Roy, Quel avenir pour la langue française ? : Francophonie et concurrence culturelle au XXIe siècle, Montréal, Hurtubise HMH, 2008.

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II. La Francophonie, un objet peu étudié en Relations internationales

Jean Tardif64, entre autres. Mais ces ouvrages viennent soit d’acteurs s’impliquant directement dans le processus de construction de la Francophonie soit de géographes et d’anthropologues et non de spécialistes des relations internationales.

Le colloque de Hanoi en 2007 peut être considéré comme une nouvelle relance de la recherche sur la Francophonie en Relations internationales. En effet, depuis cette date, un regain d’intérêt à l’objet « Francophonie » en Relations internationales est constaté. Il s’agit notamment d’un numéro spécial de la Revue Politique comparée de l’Université de Laval (Belgique) en 2007 consacré à l’analyse des espaces linguistiques comme les nouveaux intervenants des relations internationales; de la thèse de Marion Julia sur La Francophonie, acteur de la politique internationale en 2008; de l’ouvrage collectif Francophonie et relations internationales publié en 2009 ; de l’ouvrage de Maxime Lefèvre Le soutien américain à la Francophonie. Enjeux africains 1960-1970 en 2010 ; et de l’ouvrage de l’Académie diplomatique du Vietnam sur la politique étrangère du Vietnam à l’égard de la Francophonie depuis 198665 ou plus récemment, d’un numéro de la revue Géostratégiques dédié à la Francophonie en 201266.

Les actions de la Francophonie dans la prévention des conflits et la promotion de la démocratie font aussi l’objet d’un ouvrage collectif Prévention des crises et promotion de la paix, divisé en deux volumes et publiés en 2010 chez l’éditeur Bruylant67. Le manuel d’enseignement, Francophonie et mondialisation. Tome 1 - Histoire et institutions depuis l’origine à nos jours, et Tome 2 – Les grandes dates de la construction de la Francophonie institutionnelle, coécrits par Michel Guillou et Trang Phan-Labays, a consacré une de ses parties pour traiter la question de la Francophonie sur la scène internationale et sa place

63 Jacques Barrat, Géopolitique de la Francophonie (éd. PUF, 1997) et sa révision en 2004 avec Claudia Moisei chez La Documentation française : Géopolitique de la Francophonie. Un nouveau souffle ? 64 Jean Tardif et Joëlle Farchy, Les enjeux de la mondialisation culturelle, op. cit., et sa révision publiée chez l’éditeur Le Bord de l’eau en 2011. 65 Cet ouvrage, publié en 2008, est réalisé sous la direction de Pham Sanh Chau, ancien Ambassadeur du Vietnam auprès de l’Unesco et Représentant personnel du Président de la République socialiste du Vietnam auprès de la Francophonie. 66 Institut international d’études stratégiques, « La Francophonie : Une Géopolitique », Revue Géostratégiques, n°36, deuxième semestre 2012. 67 Collectif, Tome 1 - Médiation et facilitation dans l'espace francophone. Théorie et pratique et Tome 2 - Démocratie et élections dans l'espace francophone, Paris, Bruylant, 2010.

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Introduction générale dans la mondialisation. Dans le cadre des recherches de l’Institut pour l’Étude de la Francophonie et de la Mondialisation (IFRAMOND, Lyon 3), des thèses de doctorat en sciences politiques sont soutenues depuis cette date. Il s’agit des thèses portant sur les questions d’identité francophone68, de diplomatie francophone69, du rôle de l’OIF en matière de prévention, de gestion et de règlement des conflits en Afrique70, ou encore de la place de la Francophonie dans la mondialisation et dans la promotion du développement durable71.

Par ailleurs, depuis 2011, une équipe d’accueil, Francophonie – Mondialisation et Relations internationales (EA 4585), a été agréée par le Ministère français de l'Enseignement supérieur et de la Recherche. Cette unité a cinq principaux pôles de recherche : Francophonie-Science politique et Relations internationales, Francophonie- Droit comparé des pays francophones, Francophonie-Économie et développement durable, Francophonie-Cultures, langues et diversités, Francophonie-histoire et représentations culturelles. Notre thèse de doctorat s’inscrit dans le pôle Francophonie- Science politique et Relations internationales de cette unité de recherche.

Les thématiques abordées dans les publications sur la Francophonie sont assez diverses.

Avec la lancée du débat théorique en Relations internationales entre les approches stato-centrées et les approches non stato-centrées vers la fin des années 1960 et début des années 1970, le mouvement associatif francophone et ses capacités d’influence

68 Trang-Phan Labays, La francophonie au Vietnam du fait colonial à la mondialisation : un enjeu identitaire (2005) ; Alioune Dramé, La Francophonie au Sénégal, de la colonisation à la mondialisation : un enjeu identitaire (2011) ; Aurore Sudre, L’efficacité des outils de rapprochement dans les espaces francophone et européen (2011). 69 Ngouaka-Tsoumou André Ludovic, La Diplomatie francophone, Université Jean Moulin Lyon 3, 2010. 70 Amevi Agbobly-Atayi, L'organisation internationale de la francophonie en matière de prévention de gestion et de règlement de crises et conflits en Afrique subsaharienne francophone : Cas de la république démocratique du Congo, du Tchad, de la Côte d'Ivoire et du Togo, Université Jean Moulin Lyon 3, 2011. 71 Nar Gueye, Le développement durable et la mondialisation — Le rôle de la Francophonie, Université Jean Moulin Lyon 3, 2010.

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II. La Francophonie, un objet peu étudié en Relations internationales sur les affaires internationales a fait un nouvel objet de recherche. Dans son article « Francophonie : a language-based movement in world politics » publié dans la revue International Organization en 1976, Brian Weinstein analyse l’influence de ce nouveau regroupement non-gouvernemental sur les relations interétatiques francophones, notamment sa capacité de renforcer ces relations interétatiques. En plus, il le voit comme une tentative de promouvoir l’utilisation de la langue française au niveau international et de construire une nouvelle force alternative à l’Américanisation72.

La Francophonie dans la politique étrangère des pays membres est un thème assez exploité. La politique étrangère du Canada à l’égard de la Francophonie a fait l’objet d’étude de Jean-Philippe Thérien lors d’un colloque organisé en 1992. Il voit cette politique comme « étant le produit d’une combinaison de facteurs politiques internes et externes ». D’abord, la participation du Canada à la Francophonie « a largement été une réaction aux initiatives internationales prises par le gouvernement du Québec »73. Elle a été ensuite « façonnée par des déterminants externes »74. En effet, au-delà des réactions aux initiatives du Québec, la participation du Canada à la Francophonie internationale répond à d’autres besoins canadiens : cette organisation peut être servie comme un instrument de rayonnement international du Canada, surtout en Afrique, et un moyen pour renforcer l’influence canadienne dans le dialogue Nord-Sud.

Les études de cas de la Belgique et de la Suisse dans un numéro spécial de la revue Politique et Sociétés publié en 1997 ont confirmé ce lien entre le facteur interne et le facteur externe de ces États fédéraux dans leur politique à l’égard de la Francophonie75. D’autres études de cas dans ce même numéro ont montré que pour les autres pays notamment ceux de l’Asie du Sud-est et de l’Europe de l’Est, la participation à la

72 Brian Weinstein, « Francophonie: a language-based movement in world politics », op. cit., pp. 485-507. 73 Jean-Philippe Thérien, « Francophonie et politique extérieur », in André Bernard et Jean Tournon (dir.), La Francophonie et le Canada, Actes du colloque organisé par le Centre d’Études canadiennes des Universités de Grenoble les 2 et 3 mai 1990, Association française d’Études canadiennes, 1992, p. 16. Le Québec aspire en effet depuis les années 1960 à une participation aux affaires internationales. 74 Jean-Philippe Thérien, « Francophonie et politique extérieur », op. cit., p. 11. 75 Françoise Massart-Piérard, « Présentation du numéro », in Politique et sociétés, Volume 16, numéro 1, Prismes nationaux de la francophonie, 1997.

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Introduction générale

Francophonie est souvent considérée comme un moyen de diversifier leurs relations internationales.

La politique étrangère du Vietnam à l’égard de la Francophonie a par ailleurs fait l’objet d’un livre publié en 2008 par l’Académie diplomatique du Vietnam76. Selon les auteurs de ce livre, la Francophonie a été une des portes prioritaires d’accès à la vie internationale pour le Vietnam qui était sous l’embargo américain et l’isolation diplomatique régionale depuis la fin de la guerre (1975). Le symbole de cette ouverture est l’organisation du VIIe Sommet de la Francophonie à Hanoi (1997), le tout premier Sommet international organisé par le Vietnam depuis la réunification du pays (1975). Sorti de cette situation difficile à partir du milieu des années 1990, le Vietnam a, pour le besoin de reconstruction du pays, développé davantage ses relations avec l’ASEAN (Association des Nations de l’Asie du Sud-est), l’APEC (Coopération économique pour l'Asie-Pacifique) et l’ASEM (Dialogue Asie-Europe). Ces organisations lui offrent plus d’opportunités économiques que la Francophonie, fidèle à ses coopérations culturelles et politiques et pour qui la coopération économique est encore assez dérisoire. Cette situation semble assez inquiétante pour la Francophonie au Vietnam. Pourtant, toujours selon ces auteurs, avec le retour progressif de la diplomatie culturelle parmi ses priorités, le Vietnam doit continuer de maintenir de bonnes et constructives relations avec la Francophonie car elle reste le lieu le plus approprié pour déployer la diplomatie culturelle vietnamienne77.

Dans son livre sur la politique étrangère de la France, Marie-Christine Kessler a constaté que pour la France, « la francophonie est un instrument de politique étrangère. Un peu réticente, au départ, face à la francophonie multilatérale, la France souhaite

76 Académie diplomatique du Vietnam, L’Organisation internationale de la Francophonie et ses relations avec le Vietnam depuis 1986, Hanoi, Edition Politique nationale, 2008. Ce livre est publié uniquement en vietnamien. Le titre original en vietnamien est Tổ chức quốc tế Pháp ngữ và quan hệ với Việt Nam từ 1986 đến nay. 77 Ibid., p. 179.

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II. La Francophonie, un objet peu étudié en Relations internationales cependant en tirer des avantages. On espère de la langue française qu’elle assure une présence idéologique, politique, scientifique, juridique et littéraire… »78.

En dehors de l’espace francophone, l’étude historique basée sur les archives diplomatiques de Marine Lefèvre relève que la Francophonie a aussi fait partie des calculs de la politique étrangère des États-Unis dans les années 1960 et 1970. Selon elle, les États-Unis ont d’abord suivi de près l’évolution du mouvement francophone pendant cette période. Ils ont ensuite porté un « soutien » à la Francophonie, en tant que médiateur et facilitateur des discussions entre la France, le Canada et les pays africains, notamment la participation de la délégation canadienne à la conférence des ministres de l’Éducation de Kinshasa en 1969. Ce soutien américain à la Francophonie a, selon l’auteur, des raisons stratégiques : « à l’instar du Commonwealth dans les années 1950 la Francophonie apparaît aux yeux des Américains comme un moyen de maintenir une influence occidentale en Afrique francophone à partir des années 1960 »79. Dans le calcul des États-Unis, la France et le Canada sont mieux placés que ces derniers pour exercer cette influence occidentale sur le continent africain.

Selon certaines études, les relations entre les pays francophones, et surtout entre le Canada et la France, deux des grands pays francophones, ne sont pas toujours paisibles, et cela depuis le début de l’organisation. En effet, Jean-Philippe Thérien, cité par Frédéric Ramel et Trang Phan-Labays, a montré que même dans une organisation de « solidarité » « aucune décision importante ne peut être prise sans l’accord du Canada et de la France (les plus grands contributeurs financiers) » et que « l’espace de la Francophonie ne s’apparente pas à une parfaite harmonie entre ses membres mais plutôt à un lieu affecté par la divergence d’intérêts entre les deux États dominants cités »80.

Un autre auteur, Michel Guillou, a en partie examiné cette question dans son livre La mangue et la pomme - Voyages en Francophonie, publié en 1995. Selon lui, vers la fin

78 Marie-Christine Kessler, La politique étrangère de la France. Acteurs et processus, Paris, Presses de Sciences Po, 1999, pp. 420-421. 79 Marine Lefèvre, Le soutien américain à la Francophonie. Enjeux africains, 1960-1970, Paris, Les Presses de Sciences Po, 2010, p. 257. 80 Voir Jean-Philippe Thérien, « Cooperaion and conflict in the Francophonie », International Journal, Summer 48, 3, 1993, pp. 492-526. Cité par Frédéric Ramel, Trang Phan-Labays, op. cit., p. 106.

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Introduction générale des années 1980 et début des années 1990, des divergences ont augmenté entre d’un côté les partisans de la logique de « tout Agence » et de l’autre côté les partisans de « tout Sommet »81. Selon la logique de « tout Sommet », l’Agence n’est qu’un opérateur entre autres pour mettre en œuvre les projets de coopérations francophones décidés par les Sommets. L’Agence et les autres opérateurs sont placés sous l’autorité politique de l’instance de suivi des Sommets, le Comité international de suivi (CIS). La France était pour ce schéma et a apporté son soutien à des opérateurs distincts de l’ACCT, notamment l’AUPELF, porteur du projet UREF (Université des réseaux d’expression française). Selon la logique de « tout Agence », l’Agence est appelée à jouer un rôle politique plus important au sein de la Francophonie. Elle a vocation à « assurer le secrétariat de la Francophonie » et « son secrétaire général est secrétaire général de la Francophonie »82. Elle peut jouer un « double rôle d’instance politique et d’opérateur unique des Sommets »83. Le Canada était pour ce deuxième schéma, illustré à travers ses réserves sur l’AUPELF, un des opérateurs directs et reconnu du Sommet. Un compromis a été retrouvé entre les deux côtés avec l’adoption d’une résolution sur la simplification des institutions francophones lors du Sommet de Chaillot en 199184.

Marine Lefèvre dans son ouvrage cité plus haut a aussi traité en partie cette question. Selon elle, dès la fin des années 1960 dans la perspective de création de la nouvelle organisation francophone internationale, ces deux grands pays se sont déjà livrés à une course d’influence. Le Canada, sortie de l’expérience difficile de la Conférence des ministres de l’Éducation à Libreville où participait seulement la délégation québécoise, a lancé une campagne de séduction et d’influence auprès des États hôtes d’autres conférences francophones : d’abord à l’égard du Congo pour la Conférence des ministres en janvier 1969, puis à l’égard du Niger dans la perspective des conférences de Niamey I et Niamey II. La France, dans une logique de garder son

81 Michel Guillou, La mangue et la pomme. Voyages en Francophonie, Paris, John Libbey Eurotext, 1995, pp. 39-46. 82 Ibid., p. 42. 83 Ibid., p. 40. 84 Nous entrons plus en détail de cette résolution et de ce compromis dans la première partie de cette thèse, chapitre III, section 1.

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II. La Francophonie, un objet peu étudié en Relations internationales influence en Afrique francophone, voyait ces différentes démarches canadiennes d’un mauvais œil85.

Ces dernières années, la question de l’utilité de la Francophonie dans la mondialisation devient un autre sujet de recherche. Les auteurs du manuel Francophonie et Mondialisation. Histoire et institutions depuis l’origine à nos jours voient dans ce processus de mondialisation une chance pour la Francophonie de dépasser sa dimension coloniale et d’affirmer son rôle et sa place comme une union géoculturelle, un nouveau pôle d’équilibre dans le système international multipolaire et un nouveau regroupement de force pour contrer les conséquences de la mondialisation libérale. Deux autres auteurs, Jean Tardif et Joëlle Farchy, soulignent la nécessité pour la Francophonie face aux défis de la mondialisation culturelle de revenir sur son cœur de métier, à savoir la coopération culturelle, et de définir clairement son projet politique commun pour être utile. Pour eux, la question principale est de savoir que peuvent faire ensemble de façon efficace les parlants-français dans cette mondialisation ? Dominique Wolton, parle, lui, de la Francophonie comme d’un laboratoire d’une autre mondialisation plus humaniste, alternative à la mondialisation libérale actuelle.

Enfin, depuis 2007, le thème de la Francophonie comme un nouvel intervenant des relations internationales est directement exploité. Les participants du colloque de Hanoi ont abordé entre autres les questions de la place de la Francophonie dans le système international en recomposition (Jean-Paul Joubert), dans les jeux de pouvoirs (Nguyen Quang Chien et Pham Sanh Chau), mais aussi celles de ses relations avec l’ONU et les autres organisations régionales (Marion Julia) ou encore la question des enjeux géostratégiques de la Francophonie en Afrique. La Francophonie est vue comme un projet utopique avec les redimensionnements successifs et ouverture vers la « grande politique » dont l’objectif final est la paix, une utopie-mère (Françoise Massart-Piérard). Elle est vue, dans une autre perception, comme une vraie nouvelle union géoculturelle capable de répondre aux défis de la mondialisation libérale (Michel Guillou).

85 Ses démarches sont l’engagement de prolonger les projets de coopérations canadiennes avec le Congo, les aides de 3 millions de dollars et un don de 20000 tonnes de blés pour le Niger sont avancés comme des moyens pour exercer les influences canadiennes sur ces pays. Voir plus en détail dans le livre de Marine Lefèvre.

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Introduction générale

Ce bref panorama des études réalisées sur la Francophonie montre qu’il existe déjà quelques explorations de l’objet de la Francophonie en Relations internationales. Notre thèse de doctorat s’inscrit dans la continuité de cette piste. Nous voudrions approfondir les réflexions sur cet objet « Francophonie » et sa nouvelle place dans les relations internationales contemporaines. Par-là, nous voudrions contribuer aux débats actuels sur les nouvelles orientations à prendre pour la Francophonie à la veille de l’adoption de son deuxième Cadre stratégique décennal (2015-2024).

B. Les différentes approches théoriques de l’objet Francophonie

Objet relativement peu étudié en Relations internationales, la Francophonie est pourtant très riche en thématique des recherches et elle peut être abordée sous plusieurs angles théoriques des relations internationales. Des études mentionnées ci- dessus clarifient cette affirmation.

Selon Frédéric Ramel et Trang Phan-Labays, avec son caractère polymorphe, la Francophonie peut devenir un « giron pour la théorie empirique »86. Elle peut être en effet abordée selon les différentes approches théoriques des relations internationales (néo-libérale, néo-réaliste (des approches rationalistes), constructiviste) ou même des approches non positivistes inspirées des philosophies des relations internationales87.

La possibilité de mobiliser plusieurs théories dans l’analyse des organisations internationales comme l’OIF est aussi confirmée par Franck Petiteville88 et par Guillaume Devin et Marie-Claude Smouts89.

Pour ces derniers, deux questions principales reviennent souvent dans l’analyse des organisations internationales (OI). Pour la première question concernant l’autonomie ou la dépendance des organisations internationales vis-à-vis des États, deux

86 Frédéric Ramel, Trang Phan-Labays, op. cit., p. 109. 87 Ibid., p. 111. 88 Voir Franck Petiteville, Le multilatéralisme, Paris, Montchrestien, 2009. 89 Ces auteurs n’ont pas traité directement l’objet francophone dans leurs livres.

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II. La Francophonie, un objet peu étudié en Relations internationales principaux courants théoriques s’opposent. D’un côté, les libéraux, qu’ils soient « classiques » (comme Léon Bourgois, Albert Thomas, Norman Angell et Leonard Woolf), « fonctionnalistes » (David Mitrany) ou « néofonctionnalistes » (Ernst Haas, Leo Lindberg et Joseph Nye), estiment que « les organisations internationales sont des acteurs dotés d’une relative autonomie vis-à-vis des États, susceptibles de transformer leurs relations et leurs attentes réciproques »90. Ces organisations, « répondent à des besoins communs et jouent un rôle actif dans le développement de la coopération et de la paix. »91

De l’autre côté, les réalistes (comme Edward H. Carr, Reinhold Niebuhr et Hans Morgenthau) soulignent que « les organisations internationales ne sont que des arènes dans lesquelles se prolonge la compétition interétatique. Leurs caractéristiques, leur action, leur influence sont soumises au jeu des rapports de force entre États. Elles n’ont qu’un rôle mineur sur la scène internationale, et lorsqu’elles disposent d’une certaine visibilité, ce n’est pas comme acteurs s’exprimant au nom d’une communauté, mais comme instrument au service de politiques égoïstes »92. Le néoréaliste Kenneth Waltz, quant à lui, arrive même à affirmer la « totale subordination des organisations internationales vis-à- vis des États les plus puissants »93. Nous avons ici deux visions très différentes sur la capacité d’action des organisations internationales.

Pour la deuxième question sur la nature des organisations internationales (les OI comme un agencement particulier d’intérêts ou d’un foyer de valeurs communes), deux autres approches majeures s’opposent. D’un côté, les institutionnalistes néolibéraux (comme Robert Keohane) estiment que les OI sont des « créations intéressées des États, destinées à servir leurs intérêts « convergents », c’est-à-dire plus ou moins partagés »94. De l’autre côté, les constructivistes soulignent que les OI ne peuvent pas être considérées comme « le simple reflet passif des intérêts des États, mais [aussi] comme des constructions orientées par des valeurs et des normes communes qui, à leur tour, influent et transforment les perceptions et les conduites des États »95. Pour les constructivistes, les OI ont la capacité d’affecter, même si occasionnellement et à la marge, « la façon dont les

90 Guillaume Devin, Marie-Claude Smouts, Les organisations internationales, Paris, Armand Colin, 2011, p. 63. 91 Idem. 92 Ibid., p. 64. 93 Idem. 94 Ibid., p. 66. 95 Ibid., p. 68.

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Introduction générale

États définissent et redéfinissent [leurs intérêts et leurs préférences] »96. Elles jouent un rôle important à la fois « régulatrice » des relations entre les États et « constitutive » des préférences et des intérêts de ses États membres97.

Selon Guillaume Devin et Marie-Claude Smouts, mise à part les points aveugles et les faiblesses de chacune de ces approches théoriques98, ces dernières se ressemblent à des tentatives d’explications dans le temps présent et partielles des organisations internationales. Elles ne sont donc pertinentes que dans les études empiriques des OI.

Pour saisir l’évolution des OI et avoir une interprétation plus globale de ce fait social international, ces deux auteurs proposent une nouvelle approche dite « évolutionnelle », inspirée de la sociologie « évolutionnelle » de Norbert Elias et des observations d’Émile Durkheim sur le « milieu social ». Pour eux, « l’évolution sociale internationale se caractérise par un maillage de plus en plus serré des relations entre tous les acteurs (États, sociétés, individus)… La création et les transformations des OI en constituent le principal révélateur »99. Les OI sont donc pensées comme « un moment particulier dans le processus plus général d’intégration croissante de l’humanité »100. Et ce processus, ils sont d’accords avec Norbert Elias, peut prendre plusieurs siècles.

Si l’approche « évolutionnelle » que proposent Guillaume Devin et Marie-Claude Smouts permet de voir plus clairement dans la durée l’évolution et la transformation des OI en général, il semble qu’elle est trop large pour pouvoir être utile dans l’analyse de l’évolution dans une période fixée des organisations internationales, notamment l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF). Un retour vers les approches théoriques « traditionnelles » des OI s’impose pour notre thèse.

Pourtant, nous n’utiliserons pas exclusivement une approche en particulier dans ce travail. Une combinaison de ces approches semble nécessaire pour mieux analyser la Francophonie, compte tenu des insuffisances de chacune des approches et de la

96 John Gerard Ruggie, Constructing the world polity. Essays on international institutionalization, London and New York, Routledge, 1998, p. xii, cité par Guillaume Devin, Marie-Claude Smouts, op. cit., p. 68. 97 Guillaume Devin, Marie-Claude Smouts, op. cit., p. 69. 98 Idem. 99 Ibid., p. 72. 100 Ibid., p. 74.

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II. La Francophonie, un objet peu étudié en Relations internationales diversité de la réalité francophone. En choisissant de ne pas utiliser exclusivement une théorie pour notre thèse, nous avons à l’esprit ce que K. J. Holsti a parfaitement décrit : « Notre monde est de plus en plus complexe. Il est donc peu probable qu’une simple théorie pourrait bien identifier toutes ses principales caractéristiques, les expliquer, et en même temps tenir compte de ses changements ... Le pluralisme théorique est la seule réponse possible aux multiples réalités d'un monde complexe »101.

101 Kalevi Jaakko Holsti, Change in the international system. Essays on the Theory and Practice of international Relations, Hants, Edward Elgar, 1991, pp. 239-240.

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III. LA DELIMITATION DU SUJET ET LA DEMARCHE METHODOLOGIQUE

A. La délimitation du sujet de recherche : la Francophonie internationale depuis 1986

Conformément à la conception de l’objet « Francophonie » en tant qu’un système institutionnel (supra I. B – Le concept de Francophonie), dans le cadre de cette thèse, nous analyserons la Francophonie à partir de 1986, c’est-à-dire du premier Sommet francophone à nos jours.

Ce choix est justifié par le fait que c’est seulement à partir de cette date que la Francophonie commence vraiment à s’institutionnaliser, à s’organiser de façon de plus en plus cohérente autour des décisions de son instance suprême qui est le Sommet. Par ailleurs, avec l’organisation de ce premier Sommet des chefs d’État et de gouvernement, la Francophonie a entamé le processus de transformation d’un espace linguistique et d’une organisation de coopération culturelle vers une organisation de plus en plus politique, soucieuse de porter une voix francophone commune sur la scène internationale, et qui affiche plus clairement son ambition de devenir un acteur des relations internationales.

Au long de l’analyse, nous pourrons revenir à une période antérieure à 1986, notamment lorsque nous abordons la question de la langue française ou la création de l’ACCT. Mais ce retour a seulement pour objectif d’expliciter les fondements de la Francophonie et les différentes étapes de son évolution.

Traitant d’un sujet avec des connotations politiques évidentes, il est apparu logique de considérer plus particulièrement des questions politiques au sein de la Francophonie, compte tenu de la prédominance encore de ces questions de « high politics » dans les relations internationales contemporaines. Les activités politiques de l’Organisation internationale de la Francophonie sont pour cette raison mises en avant dans l’analyse.

Cependant, il faut noter que depuis le début, les deux volets coopération et politique se complètent dans les activités de l’OIF. Et comme précisé dans la partie portant sur la conception (voir I. Le cadre conceptuel), les autres dimensions de la vie

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Introduction générale internationale (économique, culturelle, linguistique, etc., dites de low politics) et les autres acteurs non étatiques (notamment les opérateurs de la Francophonie102) comptent de plus en plus sur la scène internationale. Il nous arrive donc d’aborder dans cette thèse, et de façon transversale, les différentes activités de coopération de l’OIF et d’autres opérateurs de la Francophonie.

B. La démarche méthodologique

Comme l’a remarqué François Dieu, la science politique ne dispose pas de méthode(s) de recherche spécifique(s)103, il y a pourtant des techniques qui nous aident à réaliser notre travail. Nous avons appliqué ces techniques de recherches dans le cadre de cette thèse de doctorat en Sciences politiques.

L’analyse des documents

Avec des documents fondamentaux comme la Charte, le Cadre stratégique décennal de la Francophonie, les actes des Sommets et des conférences ministérielles, des recueils des décisions du Conseil permanent de la Francophonie et de ses différentes commissions constituent notre premier groupe de document exploité. Il s’agit ici des documents produits par les différentes délégations des pays membres participants de trois instances politiques décisionnelles de la Francophonie. La lecture de ces documents nous fournit non seulement des informations importantes sur le processus d’institutionnalisation de la Francophonie, mais aussi sur les différents points de vue des délégations francophones à travers leurs discussions pendant les réunions.

Les rapports d’activités, les rapports d’évaluations internes et externes des programmes mises en place par l’OIF et par les opérateurs directs constituent notre deuxième source de documents utilisés dans cette thèse. Ce sont des documents

102 La décision de créer l’Université Senghor d’Alexandrie, par exemple, a été d’abord une décision politique des chefs d’État et de gouvernement des pays francophones dans le souci de former à l’excellence des cadres des pays africains. 103 François Dieu, Introduction à la méthode de la Science politique, Paris, L'Harmattan, 2008, p. 49.

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III. La délimitation du sujet et la démarche méthodologique produits par les institutions francophones elles-mêmes ou par les bureaux d’évaluation indépendants sollicités par la Francophonie pour évaluer ses différents programmes de coopération dans un souci de transparence. Ces documents donnent un regard plus en détail sur les activités de la Francophonie et leur efficacité.

La troisième source documentaire exploitée est les livres, les mémoires des personnalités qui sont ou qui étaient des acteurs directs du processus de construction de la Francophonie. Il s’agit des publications sur la Francophonie de Léopold Sédar Senghor, ancien Président du Sénégal et un des premiers promoteurs de la Francophonie institutionnelle, de Jean-Marc Léger, le premier Secrétaire général de l’ACCT, de son successeur québécois Jean-Louis Roy, secrétaire général de l’ACCT de 1991 à 1998, du premier Secrétaire général de la Francophonie Boutros Boutros-Ghali de 1998 à 2002, de l’actuel Secrétaire général de la Francophonie . D’autres publications d’auteurs importants de la vie francophone sont entre autres celles de Michel Guillou, ancien Recteur de l’Agence universitaire de la Francophonie dans les années 1990, de Michel Tétu, ancien secrétaire général adjoint de l'AUPELF, de Xavier Deniau, ancien Secrétaire général parlementaire de l’Assemblée parlementaire de la Francophonie (APF). La lecture de ces différentes publications permet d’avoir une vue plus fouillée des activités de la Francophonie, d’accéder à des informations en coulisse qui ne sont pas mentionnées dans les autres publications et qui illustrent parfois des tensions au sein de la Francophonie. L’exploitation de ces documents impose pourtant une certaine prudence car la majorité des auteurs sont des acteurs directs de la Francophonie, des sympathisants et parfois qualifiés des « militants » de la Francophonie.

À côté de ces trois principales sources documentaires, nous utilisons tout au long de ce travail de recherche de différents publications en sciences politiques, qu’il s’agit des livres de nature théoriques ou des études de cas sur la Francophonie et les autres organisations internationales, les organisations non gouvernementales, la mondialisation, etc. Ces documents ont d’une façon ou d’une autre un lien avec notre objet de recherche. La liste complète des documents consultés est reprise dans la bibliographie.

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Introduction générale

Enquêtes de terrain

Toutefois, la finalité et le large champ couvert par ce travail imposent d’aller plus loin dans la recherche des informations de premières mains.

Ainsi, nous avons participé à deux reprises (en mars et en juin 2012) aux réunions du Conseil permanent de la Francophonie (CPF). Cette participation a été rendue possible grâce au soutien de son Excellence Monsieur l’Ambassadeur du Vietnam auprès du CPF et de l’Unesco, M. Duong Van Quang, et de son assistante, Mme. Nguyen Thi Van Anh. Elle nous a permis d’observer directement les activités de l’une des trois instances décisionnelles de la Francophonie.

Nous avons en outre réalisé dix-sept entretiens avec des personnalités différentes (des représentants personnels des chefs d’États et de gouvernement des pays francophones, des représentants des différentes institutions de la Francophonie (OIF et les opérateurs), des enseignants-chercheurs)104. Ces entretiens se sont passés à Lyon, à Hanoi, à Paris et à Genève. Les rencontres avec ces différentes personnes nous ont permis de voir au plus près la vie institutionnelle de la Francophonie, d’avoir des sentiments, des remarques, et parfois des informations mises à jour sur les différentes activités de la Francophonie, et enfin de pouvoir recueillir des points de vue, des jugements de personnalités qui observent la Francophonie de l’extérieur et par-là de mieux mesurer l’ampleur des activités de cette organisation.

Enfin, nous avons mené une enquête par questionnaire auprès une centaine d’étudiants en sciences politiques au Vietnam et en France sur les enjeux de la Francophonie et de la mondialisation.

Si l’analyse des documents produits par et sur la Francophonie donne une vue sur le passé de cette organisation, les enquêtes de terrain auprès différents acteurs et institutions francophones permettent d’avoir une vue présente de ce qui est en train de se passer, de jeter des regards intérieurs et extérieurs sur notre objet de recherche. Ces techniques d’observation ont dans ce sens des valeurs complémentaires.

104 La liste complète de ces personnes rencontrées se trouve en annexe.

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IV. LES HYPOTHESES ET LA PROBLEMATIQUE DE RECHERCHE

Dans les pages précédentes, nous avons déjà plus ou moins évoqué certaines des hypothèses de notre recherche. Il est important maintenant dans un souci de clarté de les formuler et de présenter notre problématique.

Tout au long de ce travail, nous chercherons à savoir comment expliquer les évolutions rapides de la Francophonie politique depuis 1986 et aussi dans quelle mesure la Francophonie joue aujourd’hui un rôle d’acteur des relations internationales. Il s’agira enfin de cerner les vrais enjeux et perspectives d’une telle ambition.

Plus précisément, il faut répondre aux questions suivantes : quels sont les facteurs qui provoquent cette transformation de la Francophonie vers une organisation plus politique ? S’agit-il de facteurs internes (besoins des États membres, évolutions inhérentes d’une organisation internationale) ou de facteurs externes (contexte de la politique internationale, pressions et enjeux de la mondialisation) ? Sur quelle scène la Francophonie a-t-elle voulu jouer ce nouveau rôle d’acteur international, la scène interne (espace francophone) ou la scène internationale (espace mondiale) ? Quelles sont les marges de manœuvre de la Francophonie (ou son autonomie vis-à-vis des États membres) pour exercer ce rôle d’un acteur effectif des relations internationales ?

Dans une première hypothèse, nous pouvons suggérer que les mutations internationales et régionales vers la fin des années 1980 et début des années 1990, notamment la disparition de l’équilibre bipolaire, le processus de recomposition du système international et l’accélération de la mondialisation libérale ont fortement contribué à faire évoluer la Francophonie vers une organisation plus politique et qu’en particulier, ce sont les changements au sein de l’espace francophone, en lien avec ce contexte international, qui ont joué un rôle décisif dans ces évolutions rapides de la Francophonie. D’un côté, les pays francophones du Sud, face aux nouveaux défis économiques, politiques et culturels depuis la fin de la Guerre froide, ont jugé souhaitable de soutenir les évolutions politiques de la Francophonie. Ils l’ont considérée comme une voie de plus (et parmi d’autres) pour soutenir leur développement et leur

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Introduction générale transition démocratique. Ils ont dès lors multiplié les demandes et cherché à assigner à cette organisation des missions qui dépassent en réalité sa capacité de tout réaliser avec succès. De l’autre côté, les pays du Nord, notamment les deux plus grands bailleurs de fonds, la France et le Canada, ont vu dans la Francophonie des apports possibles pour renforcer leur influence et soutenir leur quête d’un nouveau monde multipolaire.

Notre seconde hypothèse consiste à penser que c’est l’ambition de la Francophonie de devenir acteur des relations internationales qui explique cette évolution vers le politique. Il est certain qu’aujourd’hui, la Francophonie se réjouit en effet, et de plus en plus de ce nouveau rôle, illustré sur deux scènes principales.

D’abord, sur la scène internationale (rapports avec l’extérieur), la Francophonie s’affirme de plus en plus comme un laboratoire du système international multilatéral en formation. La vision francophone des relations internationales est aujourd’hui certes « idéaliste » car elle veut construire un monde plus juste fondé sur la solidarité internationale et rendre la mondialisation plus humaniste. Mais cette vision n’est pas utopique. La Francophonie est, en effet, un exemple de cette solidarité internationale. Elle est souvent sollicitée par d’autres organisations et pays (comme l’ONU ou les pays hôtes du G8 et G20) dans leurs activités. Elle organise de façon régulière des concertations dans de différentes négociations internationales où les pays francophones cherchent à se rapprocher, avec des succès comme dans le cas de l’adoption de la Convention de l’UNESCO sur la promotion et la protection de la diversité des expressions culturelles (2005). En permettant de satisfaire des intérêts à la fois particuliers des pays membres et communs de l’ensemble de l’organisation, la Francophonie est devenue peu à peu un des « attracteurs » de ce nouveau système international multilatéral. Les demandes d’adhésion à la Francophonie illustrent en partie cette attractivité.

Ensuite, au niveau interne (rapports avec l’espace francophone), la Francophonie tente, avec une certaine réussite, surtout depuis une dizaine d’années de devenir un interlocuteur crédible des pays membres dans les questions politiques comme la promotion de la démocratie, la prévention des conflits, la consolidation de l’État de droit, etc. Elle dispose à cet effet les mécanismes d’action importants comme la Déclaration de

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IV. Les hypothèses et la problématique de recherche

Bamako et la Déclaration de Saint-Boniface. Elle remplit une mission de veille, d’accompagnement des processus de transition démocratique dans l’espace francophone. Les engagements pris par les États dans la Déclaration de Bamako et la Déclaration de Saint-Boniface, et surtout les mécanismes de suivi de ces déclarations donnent à la Francophonie une certaine crédibilité dans ses actions. Elle est de plus en plus sollicitée par les pays membres pour jouer ce rôle politique.

Sur ces deux scènes (internationale et interne), la Francophonie se réjouit visiblement d’une certaine autonomie d’action : dans la prise des initiatives, dans la flexibilité des réactions. Le fait d’avoir un poste de Secrétaire général, représentant unique de la Francophonie sur la scène internationale, renforce cette visibilité des activités de la Francophonie. Le prestige des personnages comme Boutros Boutros-Ghali et puis Abdou Diouf (le premier est l’ancien Secrétaire général de l’ONU et premier Secrétaire général de l’OIF, le deuxième est l’ancien Président du Sénégal et l’actuel occupant de ce poste) joue un rôle non négligeable dans la réussite des actions politiques de l’organisation.

Cependant, bien des défis restent à résoudre pour que la Francophonie soit un acteur influent de la scène internationale.

En effet, malgré l’apparence d’une réussite revendiquée des actions de la Francophonie, la différence trop importante entre les pays membres de l’OIF fait que toute ambition de faire émerger une voix commune de la Francophonie qui compte sur la scène internationale ou de faire avancer différents dossiers internationaux est loin d’être satisfaite. Même la réussite de la Francophonie dans l’adoption de la Convention de l’UNESCO sur la promotion et la protection de la diversité des expressions culturelles est très vite devenue relative pour la majorité de ses pays membres. Le rôle de la Francophonie en tant qu’organisation internationale a été très important dans la mobilisation pour l’adoption de cette Convention. Mais après cette étape, son rôle se limite à une incitation des pays membres de ratifier ce nouvel instrument. Elle n’a pas de moyens nécessaires pour faire davantage et, de plus, s’exercent à son encontre de nombreuses pressions venant de l’extérieur, notamment des États-Unis. C’est pourquoi cette Convention est presque inutilisable pour la majorité des pays pauvres de la Francophonie. La « victoire » collective francophone dans l’adoption de cet instrument

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Introduction générale est en train de devenir très rapidement la victoire de seulement quelques pays francophones qui ont les moyens et les bases nécessaires pour le mettre en œuvre.

Sur la scène interne de l’espace francophone, les crises démocratiques depuis ces vingt dernières années, en Afrique francophone tout particulièrement, persistent, malgré les efforts d’accompagnement de la communauté internationale et bien entendu de la Francophonie. Cette situation met en cause l’efficacité des actions d’appui et d’assistance des processus de transition dans plusieurs pays membres, actions mises en place par la Francophonie depuis début des années 1990.

En définitive, ces deux hypothèses sont à retenir, elles se complètent. L’une d’entre elles ne peut expliquer seule l’évolution constatée vers la Francophonie politique. On peut ajouter à ce stade une troisième hypothèse : la nécessité de « l’utilité francophone ». Les États et gouvernements ont eu conscience que le développement et même la pérennité de la Francophonie de solidarité acquise en 1970 avec la création de l’ACCT supposaient la mise en place de la Francophonie politique. En même temps, pour avoir un avenir, la Francophonie se doit d’être utile et en particulier aux peuples des États membres.

Ce constat suggère que le moment est venu aujourd’hui, dans la perspective d’un nouveau Cadre stratégique décennal 2015-2024, de redéfinir la stratégie d’action de la Francophonie pour qu’elle soit un acteur plus utile et efficace. Cette stratégie devrait partir des principes suivants : la démocratie ne peut pas être séparée du développement et un développement durable ne peut pas se baser sur une population avec 50%, 60%, voire près de 80% d’analphabètes. Autrement dit, la consolidation de la démocratie devrait se baser prioritairement sur les hommes et non pas seulement sur les institutions, car ce sont les hommes qui font fonctionner les institutions et non l’inverse. Ce qui veut dire en particulier que tout en consolidant ses acquis actuels, la nouvelle stratégie d’action de la Francophonie devrait mettre davantage d’efforts sur l’éducation dans l’espace francophone. Les initiatives comme l’IFADEM (Initiative francophone pour la formation à distance des maîtres) sont encourageantes et devraient être multipliées.

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IV. Les hypothèses et la problématique de recherche

En même temps, pour les populations des pays francophones du Sud, dont la majorité reste encore très pauvre, le droit de sortir de la pauvreté est aussi important et peut-être plus urgent que le droit d’aller au bureau de vote avec un ventre vide. Autrement dit, pour eux, la satisfaction des droits fondamentaux devrait être une priorité tout autant que la satisfaction des droits politiques. Des efforts en matière de développement économique devraient pour cette raison devenir une priorité francophone, ce qui n’est pas encore le cas aujourd’hui. Les réflexions actuelles au sein de la Francophonie sur le renforcement de la coopération tripartite105 dans l’espace francophone sont un signe encourageant. Une stratégie d’accompagnement du développement économique devrait être clairement définie dans le prochain Cadre stratégique décennal. Elle devra permettre d’une part de pérenniser des initiatives comme la coopération tripartite, et d’autre part, de constituer un cadre pour le lancement d’autres initiatives dans les années à venir, comme par exemple un grand programme pour soutenir les industries culturelles des pays francophones du Sud, projet qui donnera le vrai sens à la « victoire » francophone dans sa mobilisation pour l’adoption de la Convention de l’UNESCO sur la diversité des expressions culturelles en 2005. Si la Francophonie est culture par essence, politique par nécessité, elle devrait aujourd’hui devenir économique par « survie »106.

Renforcer le système éducatif et favoriser les coopérations économiques entre les pays francophones au service du développement de ces derniers, ce sont les priorités des priorités que la Francophonie devrait mettre en place dans les dix années à venir dans son nouveau Cadre stratégique décennal.

105 Coopération tripartite est comprise comme une coopération entre trois parties. Au moins deux parties appartiennent au Sud (États ou organisations régionales) et la troisième vient du Nord (État, organisation internationale ou OING). 106 Terme utilisé par l’Ambassadeur Duong Van Quang, Représentant personnel du Président de la République socialiste du Vietnam auprès du CPF pendant l’entretien qu’il nous a accordé dans le cadre de cette thèse. La nécessité d’une Francophonie économique a été aussi très fortement soulignée par la majorité des personnalités avec lesquelles nous avons eu l’occasion de réaliser un entretien. Il s’agit entre autres de Michel Guillou, de Joëlle Le Morzellec, d’Albert Lourde, de Nguyen Ngoc Son, de Trinh Van Minh et de Roger Dehaybe (la liste complète des entretiens se trouve en annexe 8).

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Introduction générale

Aujourd’hui, ces deux missions ont les plus petits postes budgétaire de l’OIF, or c’est exactement le contraire qu’il faut faire pour pérenniser la Francophonie à la fois sur le plan linguistique et sur le plan politique. La promotion de la langue française est plus efficace et durable si elle est fondée sur un système éducatif renforcé et si elle est un outil efficace pour travailler. Un système éducatif renforcé et une économie développée constituent une base bien plus solide pour la démocratie que les textes et les institutions « démocratiques » qui ne cessent d’être modifiés ou d’être interprétés au profit seulement de quelques acteurs.

C’est évidemment illusoire de demander à la Francophonie de remédier à toutes les difficultés actuelles des pays francophones. Pourtant, même avec ses moyens réduits, c’est en choisissant de bonnes approches, en concentrant ses efforts sur les causes des problèmes et en essayant de relier plus efficacement ses différentes activités, que la Francophonie pourra mieux contribuer à faire vraiment avancer des choses. Une Francophonie influente de façon durable devrait être une Francophonie utile dans le long terme. En devenant plus utile, sa revendication d’être un acteur influent des relations internationales aura plus de sens et plus de pertinence qu’elle ne l’a actuellement.

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V. LA PRESENTATION DU PLAN

Notre recherche s’organise en deux grandes parties.

La première partie traite de l’évolution de la Francophonie depuis 1986 et de son ambition de devenir un acteur important des relations internationales contemporaines.

Dans un premier temps, nous analysons le contexte international et les évolutions internes dans l’espace francophone depuis la fin de la Guerre froide, en particulier la fin du système bipolaire, la reconfiguration du nouveau système international et l’accélération de la mondialisation libérale. Nous cherchons à voir le lien interactif entre ces différents contextes et les transformations des missions de la Francophonie vers une organisation plus politique.

Dans un deuxième temps, nous nous attachons à étudier la Francophonie en tant qu’espace linguistique de langue française. Nous essayons d’expliciter la diversité inhérente de cet espace linguistique, diversité qui est à la fois un avantage et un inconvénient pour la Francophonie.

Le dernier chapitre de la première partie traite de la Francophonie institutionnelle. Il met l’accent sur le processus d’institutionnalisation de la Francophonie et le fonctionnement actuel de ses institutions.

La deuxième partie s’intéresse directement au projet ambitieux de la Francophonie de devenir un acteur influent des relations internationales et la mise en place de cette ambition francophone, tout en cherchant à analyser ses limites.

Dans un premier temps, nous nous attachons à étudier le projet francophone et ses fondements normatifs. En même temps, nous analysons la perception des étudiants sondés et des personnalités interviewées sur le rôle et la place de la Francophonie dans les relations internationales contemporaines.

Dans un deuxième temps, nous analysons la Francophonie comme un nouveau laboratoire d’un système multilatéral en formation. Nous essayons de montrer à quel

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Introduction générale point la Francophonie, en tant qu’espace de solidarité sur la base du partage d’une langue commune, devient aujourd’hui un lieu de rencontre, un forum de discussion et de dialogue, une force de proposition et un acteur de concertation sur la scène internationale. Nous montrons aussi que malgré le fait que cette formule francophone attire de plus en plus d’autres États à participer à ce forum, la diversité trop grande au sein de cet espace francophone l’empêche de pouvoir trancher sur plusieurs questions internationales et la limite à un forum supplémentaire et non décisif pour faire avancer différents dossiers internationaux.

Dans le dernier chapitre, nous nous intéressons plus particulièrement aux activités de la Francophonie dans l’accompagnement des pays membres, surtout ceux du Sud, dans leurs transitions démocratiques. Nous concentrons nos analyses sur leur mise en place depuis ces vingt dernières années et essayons de retirer des résultats positifs mais aussi des enjeux et défis de la Francophonie dans ce sentier.

Les conclusions partielles de chaque partie font le bilan par étapes de notre démonstration du sujet. Tout en retirant des principales conclusions, la conclusion générale se concentre sur les enjeux d’avenir de la Francophonie. Elle vise en particulier à ouvrir une réflexion sur les nouvelles stratégies à prendre par la Francophonie pour devenir un acteur effectif des relations internationales, dans la perspective de l’adoption d’un nouveau Cadre stratégique décennal au Sommet de 2014.

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PREMIERE PARTIE : L’EMERGENCE DE LA FRANCOPHONIE SUR LA SCENE INTERNATIONALE

Depuis la fin de la Guerre froide, le monde entre dans une période de transition où les mutations de la scène internationale tant sur le plan politique, militaire, économique que culturelle ont des impacts sur l’évolution de différents acteurs des relations internationales. Ces mutations et ces enjeux ont favorisé l’émergence sur la scène internationale d’espaces linguistiques comme la Francophonie (chapitre I). Cette dernière est un espace de solidarité et de dialogue fondé sur le partage de la langue française. Elle est pourtant très caractérisée par la diversité en son sein (chapitre II). Depuis 1986, elle s’institutionnalise progressivement et se dote aujourd’hui d’une structure institutionnelle suffisamment cohérente, avec la participation de plusieurs acteurs (étatiques et non étatiques) dans la mise en œuvre des projets de coopération (chapitre III).

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CHAPITRE I. LA FRANCOPHONIE DANS LES NOUVELLES RELATIONS INTERNATIONALES DEPUIS LA FIN DE LA GUERRE FROIDE

Le monde vers la fin des années 1980 et début des années 1990 est caractérisé par deux phénomènes majeurs : d’une part, le système politique international bipolaire s’est effondré avec la chute de l’URSS et une recomposition encore inachevée du nouveau système ; d’autre part, l’accélération de la mondialisation libérale, facilitée par le premier événement. Avec ces deux phénomènes majeurs, très liés l’un à l’autre, de nouveaux défis émergent dans la vie internationale (section1).

Parties intégrantes de ce nouveau système et acteurs directs de la mondialisation, les pays francophones, du Nord comme du Sud, de l’Est comme de l’Ouest, n’échappent pas à ces mutations. Face aux différents défis qui émergent dans ce contexte et riche de leur partage d’une même langue commune, ils favorisent l’émergence d’une nouvelle force d’action commune sur la scène internationale : la Francophonie (section 2).

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SECTION 1. LE « CONTEXTE TEMPOREL MONDIAL » ET SES ENJEUX

§1. La recomposition du système international, vers un nouveau système multilatéral

Longtemps, la scène de la politique internationale a été caractérisée par le terme de « système international ». Même si c’est un concept encore peu clair107 et même « sous-développé »108, son avantage est de permettre d’avoir « une vue d’ensemble » sur les relations internationales109. Hedley Bull le définit comme un ensemble d’acteurs dont les interactions sont suffisamment régulières pour que « le comportement de tout un chacun soit un facteur nécessaire dans le calcul présidant au comportement de tous les autres »110.

Le système international est aussi perçu le plus souvent sous l’angle interétatique. La typologie aujourd’hui acceptée par la majorité des spécialistes des relations internationales est de le voir selon les perspectives unipolaire (un seul pôle de puissance dominant), bipolaire (deux États dominent leurs rivaux à ce point qu’ils deviennent chacun le centre d’une alliance) et multipolaire (présence d’au moins trois puissances aux forces relativement égales entre elles)111. La polarité est reconnue comme une variable pertinente pour concevoir le système international.

Selon cette typologie, le système international pendant la Guerre froide est un système bipolaire dans lequel les États-Unis et l’Union soviétique sont les deux superpuissances en tête de chaque camp.

Ce système bipolaire est caractérisé par des traits spécifiques : tout d’abord, c’est la domination totale de la politique internationale par les deux superpuissances. Cette

107 Jean-Paul Joubert, « Francophonie et système international », in Michel Guillou, Trang Phan-Labays (dir.), La Francophonie sous l’angle des théories des relations internationales, op. cit., p. 113. 108 Barry Buzan et Richard Little, International Systems in World History. Remaking the Study of International Relations, New York, Oxford, 2000, p. 18. 109 Jean-François Guilhaudis, Relations internationales contemporaines, Paris, Litec, 2005, p. 330. 110 Marie-Claude Smouts et al., Dictionnaire des relations internationales. Approches, concepts, doctrines, op. cit., pp. 519-520. 111 Idem.

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domination est sur plusieurs domaines : militaire, politique, culturel et économique112. Ensuite, c’est une séparation très marquée des idéologies : le capitalisme libéral du côté américain et le communisme du côté soviétique. En plus, chaque superpuissance rassemble autour d’elle des alliés113.

Une des conséquences de cette bipolarisation du système international et surtout de sa séparation idéologique est que les questions ethniques, nationalistes, religieuses ont longtemps été relayées au second rang des préoccupations.

Autre conséquence de cette séparation idéologique : si dans chaque camp, l’interdépendance économique depuis 1945 est un phénomène important, il est pourtant difficile de parler d’une économie mondiale intégrée pendant cette période. La différence dans les modèles de développement, dans la conception de l’économie, les difficultés de rapprochement économique entre deux côtés font que l’économie mondiale est pratiquement séparée.

La chute brutale de l’un des deux protagonistes (l’URSS) et la fin du système bipolaire, sans une guerre majeure, ont conduit à de nouvelles questions. D’abord, dans quel système international vivons-nous depuis cette date ? Ensuite, quels sont les grands enjeux auxquels nous faisons face dans ce nouveau système ?

Avec la fin de la Guerre froide, s’agit-il de l’émergence d’un système unipolaire, multipolaire, de nouveau bipolaire, d’un système oligopolaire, ou simplement une continuité du système de l’après 1945 ? La difficulté d’identification de ce nouveau système est illustrée à travers le fait que depuis les années 1990, différents termes ont été utilisés par qualifier ce nouveau système : « chaos », « turbulence », « îlots de stabilité »114.

112 La domination économique est comprise ici non pas dans le terme de PIB (produit intérieur brut) mais en termes de modèle économique. 113 Malgré cette séparation idéologique, les deux superpuissances collaborent de temps en temps quand leurs intérêts le justifient. 114 Bertrand Badie, Marie-Claude Smouts (dir.), Le retournement du monde. Sociologie de la scène internationale, op. cit., p. 11.

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Section 1. Le « contexte temporel mondial » et ses enjeux

Pour certains, c’est la continuité qui l’emporte et l’importance de la fin de la Guerre froide doit être relativisée. Jean-Jacques Roche, par exemple, estime que les changements survenus vers la fin des années 1980 ne sont pas assez importants pour pouvoir parler d’un changement de système. Selon lui, le système international établi depuis 1945 se maintient. Ce système se présente comme un « ensemble de deux configurations – bipolaire puis unipolaire – qui se situent dans le prolongement l’une de l’autre »115 ; la période d’après la Guerre froide est la deuxième configuration de ce système qu’il qualifie d'« unipolaire assisté ».

Les néoréalistes sont parmi les premiers à confirmer le changement de structure du système bipolaire vers un système unipolaire après la Guerre froide116. Ils ont pourtant fortement souligné le caractère instable de ce système unipolaire117 qui, selon eux, va tôt ou tard vers une configuration multipolaire118.

L’ancien Président de la République française Jacques Chirac se trouve parmi les promoteurs d’un nouveau système multipolaire qui, pour lui, se composera des États- Unis, de l’Union européenne, de la Chine, de la Russie, de l’Inde, du Japon et d’autres puissances émergentes. Dans son discours à l’Institut français des relations internationales en novembre 1999, il estime que ce système multipolaire est « souhaitable », car il permet de faire face aux tentations de l’unilatéralisme et l’isolationnisme américain ou encore à une nouvelle tension bipolaire américano-

115 Jean-Jacques Roche, Le système international contemporain, 3e éd., Paris, Montchrestien, 1998, p. 10. 116 Voir, par exemple, Kenneth Waltz, « Structural realism after the Cold War », International Security, vol. 25, n° 1 (Summer 2000); John Mearsheimer, The Tragedy of Great Power Politics, New York, Norton, 2001. 117 Il y a deux raisons principales à cette instabilité : d’abord, la puissance dominante a tendance d’assumer trop de responsabilités au-delà de sa frontière et va s’affaiblir elle-même au long terme ; ensuite, même si la puissance dominante se comporte avec modération et l'abstention, des États plus faibles seront soucieux de son comportement futur. Certains d’entre eux (notamment l’Union européenne ou une coalition dirigée par l’Allemagne, la Chine, le Japon ou la Russie) vont chercher à renforcer leur puissance ou s’allier avec les autres pour avoir une nouvelle balance de pouvoir. Kenneth Waltz, « Structural realism after the Cold War », op.cit., pp. 27-28. 118 Ewan Harrison, The Post-Cold War International System. Strategies, institutions and reflexivity, London, Routledge, 2004, p. 51.

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chinoise dans l’avenir119. Ce système sera aussi un « progrès », car selon lui, le monde aura une « répartition du pouvoir plus équilibrée et donc mieux acceptée »120.

Jean-Paul Joubert, quant à lui, préfère utiliser le terme « oligopolaire »121 pour qualifier le système en formation (car ce nouveau système n’est pas encore en place). Ce système oligopolaire se composera d’un nombre limité de pôles (entre 5 à 12 acteurs122). Dans ce système, « il est assez facile de fixer des règles du jeu et de les faire respecter en punissant les tricheurs par des coalitions ad hoc »123. Dans ce jeu oligopolaire, « les acteurs sont contraints d’adopter des stratégies prudentes et mesurées » et « l’objectif ne peut pas être de gagner, c’est impossible… Le but est simplement de continuer à exister et de profiter au mieux, dans des jeux coopératifs, d’avantages qui deviennent autant de biens communs »124. Même si « l’oligopolarité peut être considérée comme l’attracteur du système » et « le puits vers lequel il se dirige inexorablement », il reconnaît qu’actuellement « ce qui retarde l’évolution dans cette direction, c’est encore l’hétérogénéité, le manque de maturité et de stabilité des principaux pôles »125 de ce nouveau système.

L’émergence d’autres acteurs non étatiques sur la scène internationale et la fin de la Guerre froide ont amené d’autres auteurs à voir le système international dans une autre optique qui dépasse le cadre étatique. James Rosenau parle d’une ère post- Westphalien (interétatique) où existent actuellement en parallèle deux mondes : stato-

119 « Un nouveau monde multipolaire », in Jacques Chirac, Mon combat pour la paix : textes et interventions, 1995-2007, Paris, Odile Jacob, 2007, p. 60. 120 Ibid., p. 62. 121 Pour Jean-Paul Joubert, ce terme d’ « oligopolaire » est plus précis pour désigner le futur système que le terme « multipolaire », car celui-ci peut servir à nommer le système oligopolaire mais aussi une autre réalité très différente - un système polypolaire avec un très grand nombre d’acteurs hétérogènes (plus de 15) avec des logiques de jeux sauvages, or le monde actuel ne se dirigera pas vers un tel système polypolaire. 122 Ces pôles seront les États-Unis, la Chine, l’Inde, l’Europe (ou l’Allemagne), le Japon, la Russie. Quelques autres acteurs peuvent joindre le club, notamment la France, la Grande Bretagne, le Brésil, l’Indonésie ; mais le nombre ne dépasse pas une dizaine d’États. 123 Jean-Paul Joubert, op. cit., p. 121. 124 Ibid., p. 122. 125 Idem.

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Section 1. Le « contexte temporel mondial » et ses enjeux centré et multi-centré (avec des acteurs non étatiques). Tandis que Bertrand Badie voit le monde actuel dans une phase de transition et les règles du jeu restent encore largement à définir126. Il arrive même à mettre en cause la logique de polarité, qui est pour lui, un accident de l’histoire127. Dans la même logique, la vision de chocs des civilisations de Samuel Huntington peut aussi être classée dans cette catégorie, car elle dépasse en quelque sorte le cadre étatique traditionnel pour aborder une nouvelle préférence des relations internationales fondées sur l’appartenance à différentes religions et civilisations.

Dans une autre logique, Richard Haas, dans un article de 2008, a conclu que si un « moment unipolaire »128 existait après la Guerre froide, il est maintenant terminé. Le monde actuel se trouve selon lui dans un système non polaire129 dans lequel le pouvoir est dispersé et partagé par un nombre assez important d’acteurs, étatiques ou non- étatiques capables d’exercer une influence certaine. Il y a trois raisons principales à ce phénomène. D’abord, c’est l’émergence des acteurs non étatiques capables d’exercer une influence importante au niveau régional et international (en partie grâce à la mondialisation). Ensuite, de différentes politiques américaines réduisent la propre puissance relative (notamment économique) des États-Unis et favorisent l’émergence d’autres centres de pouvoir (comme les pays pétroliers, les pays émergents). Et enfin, la mondialisation réduit la possibilité de contrôle des grandes puissances et en même temps augmente le pouvoir d’action d’autres acteurs comme en particulier les réseaux terroristes.

En définitive, le désaccord entre les observateurs sur la nature du nouveau système international est encore très marqué. Alors, dans quel monde vivons-nous aujourd’hui ? Dans quel contexte international se trouve notre objet de recherche, la Francophonie ?

126 Bertrand Badie, « Avant-propos », in Bertrand Badie et al., Qui a peur du XXIe siècle ? Le nouveau système international, Paris, La Découverte, 2006, p. 9. 127 Bertrand Badie, « Dans quel système vivons-nous ? », in Ibid., p. 14. 128 Qui dure de quinze à vingt ans après la Guerre froide. 129 Richard Haas, « The age of nonpolarity: What Will Follow U.S. Dominance », in Foreign Affairs, vol. 87, n° 3 (May - Jun., 2008), p. 44.

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Une observation attentive de l’évolution de la scène internationale depuis ces dix dernières années montre qu’il existe une tendance du développement vers un système multilatéral. De nombreux signes sont à l’appui de cette remarque : l’intensification des rencontres internationales pour résoudre des enjeux communs, la sollicitation d’autres pays par les États-Unis dans la reconstruction de l’Irak, le recours presque systématique à des réunions du G20 ces dernières années pour résoudre la crise économique, etc.

Pourtant, ce nouveau système multipolaire ne sera pas celui prévu par les réalistes. Autrement dit, il ne sera pas le résultat des alliances entre différents pays pour balancer la puissance américaine, c’est presque inimaginable aujourd’hui. Il ne sera pas non plus un système multipolaire avec une répartition équitable de pouvoirs entre les principales puissances comme souhaite la France, car la puissance totale des États-Unis est loin d’être égalée par d’autres pays ou d’autres alliances, y compris la Chine et l’Union européenne.

Ce système multilatéral inédit sera en effet l’issue d’une situation plus complexe. D’une part, le besoin réel de recourir aux pratiques multilatérales pour résoudre de nouveaux enjeux mondiaux, que ce soit des questions militaires (guerres en Irak et en Afghanistan), économiques (crise financière actuelle), environnementales (changement climatique) ou criminelles (piraterie, blanchissement d’argent). Ces questions ne peuvent plus être résolues sans une concertation multilatérale.

D’autre part, tous les grands acteurs internationaux acceptent de plus en plus le jeu multilatéral. En premier, les États-Unis, qui, malgré leur position de la plus grande puissance mondiale, sont aujourd’hui incapables de réagir tout seuls et d’imposer leur volonté aux autres comme c’est le cas dans un système unipolaire. Ensuite, d’autres puissances mondiales qui sont dans l’impossibilité de créer une alliance pour balancer le pouvoir américain, à cause des divergences entre elles mais aussi à cause d’une interdépendance politique, économique, militaire croissante avec les États-Unis.

Dans la situation internationale actuelle, le chemin vers cette nouvelle configuration du système international multilatéral n’est pas tranquille. Plusieurs enjeux internationaux se confrontent :

Selon Bertrand Badie, si la violence interétatique est mieux contenue « sous l’effet combiné de la dissuasion, des jeux d’équilibre et des progrès du multilatéralisme », elle est

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Section 1. Le « contexte temporel mondial » et ses enjeux aujourd’hui surclassée par une nouvelle violence internationale de nature sociale. Cette dernière est « la conséquence logique du défaut d’intégration sociale internationale, des échecs du développement, des insatisfactions matérielles qui en dérivent, comme des humiliations subies dans les zones de fracture de l’espace mondial. Elle est renforcée par la faiblesse ou l’effondrement des États périphériques et leur incapacité de contenir ce qui constitue en fait de véritables demandes de violence »130. Elle s’est incarnée dans des formes émeutières, des guerres civiles, des actes de violence ciblée, et conduit à une banalisation des « attaques terroristes »131.

Le fait que des pays dits « émergents » comme la Chine, le Brésil, l’Inde, la Russie, l’Afrique du Sud (ou le groupe BRICS), ne se comportent pas comme des États « révisionnistes », mais comme de nouveaux compétiteurs, a pour conséquence que la quête d’influence et de nouvelle place dans ce nouveau système devient de plus en plus rude. Les tensions montent non pas au niveau mondial mais plutôt régional. Par exemple, la recherche très active des ressources naturelles menée par la Chine provoque actuellement de nouvelles tensions en Afrique entre ce pays et des puissances traditionnelles d’influence dans la région comme la France, la Grande-Bretagne, ou de nouvelles tensions dans les mers de Chine orientale et du Sud (mer de l’Est en vietnamien) entre elle et les pays de l’Asie du Sud-est, le Japon et les États-Unis.

D’ailleurs, cette compétition internationale n’est pas simplement politique, militaire, économique, mais elle est aussi culturelle et linguistique comme notent Frédéric Martel et Jean-Louis Roy, Jean Tardif et Joëlle Farchy, Trang Phan et Michel Guillou dans leurs ouvrages respectifs publiés récemment132. Dans cette nouvelle compétition culturelle et linguistique, les protagonistes ne sont plus simplement des pays européens comme pendant la colonisation, les deux superpuissances pendant la Guerre froide, mais une multitude d’acteurs, d’Europe, d’Amérique, d’Asie, d’Afrique ;

130 Bertrand Badie, « Dans quel système vivons-nous ? », in Bertrand Badie et al., op. cit., p. 15. 131 Ibid., p. 16. 132 Voir à ce propos le livre de Frédéric Martel, Mainstream – Enquête sur cette culture qui plaît à tout le monde, Paris, Flammarion, 2010, celui de Jean-Louis Roy, Quel avenir pour la langue française ? Francophonie et concurrence culturelle au XXIe siècle, op. cit., 2008, celui de Jean Tardif et Joëlle Farchy, Les enjeux de la mondialisation culturelle, Paris, Bord de l’eau, 2011 et celui de Trang Phan-Labays et Michel Guillou, Francophonie et mondialisation : Histoire et institutions des origines à nos jours, op. cit.

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des pays riches du nord, mais aussi des pays émergents et leurs regroupements sur une base régionale ou linguistique.

Trang Phan-Labays et Michel Guillou voient par exemple dans ce processus de transition vers un système internationale multilatérale une chance pour les espaces linguistiques comme la Francophonie d’affirmer leur rôle et leur place comme une union géoculturelle, un nouveau pôle d’équilibre et un nouveau regroupement de force pour contrer les conséquences de la mondialisation libérale133.

Dans toutes ces mutations de la scène internationale, dans une période où la politique internationale entre dans une phase encore incertaine, l’accélération de la mondialisation libérale depuis les années 1980 est un autre phénomène majeur de cette fin du XXe siècle et début du XXIe siècle. Et, si la tendance d’une évolution vers un système multilatéral favorise l’émergence d’acteurs multilatéraux comme les espaces linguistiques, la mondialisation libérale et surtout les enjeux de sa dimension culturelle et linguistique vont être à l’origine d’un renforcement du rôle de ces nouveaux espaces linguistiques comme la Francophonie.

§2. L’accélération de la mondialisation libérale et ses enjeux

Terme clef dans les débats depuis les années 1980, la mondialisation fait l’objet d’interprétations différentes, avec des consensus, mais aussi et surtout des controverses134.

Mis à part quelques exagérations dans les interprétations de ce phénomène chez les globalistes135 et les sceptiques136, la mondialisation est aujourd’hui acceptée comme

133 Trang Phan-Labays et Michel Guillou, Francophonie et mondialisation : Histoire et institutions des origines à nos jours, op. cit. 134 Jan Nederveen Pieterse, Globalization and Culture: Global Melange, Rowman & Littlefield Publishers, 2003, p. 03. 135 Les auteurs comme Kenichi Ohmae (spécialiste de stratégie économique des entreprises) et Thomas Friedman (journaliste et éditorialiste au New York times) sont qualifiés comme des « globalistes » puisqu’ils parlent de la mondialisation comme un phénomène majeur sans précédente. Selon ces auteurs, avec cette mondialisation, les frontières étatiques disparaissent peu à peu. Les progrès technologiques actuels rendent le monde plat. Voir parmi les livres de Kenichi Ohmae, The Borderless World: Power and

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Section 1. Le « contexte temporel mondial » et ses enjeux une réalité. Concept utilisé pour la première fois dans les années 1960137, la mondialisation est définie comme « un processus (ou un ensemble de processus) qui transforme l’organisation spatiale des relations sociales et des transactions – leur extension, leur intensité, leur rapidité et leur impact – et qui génère des flux et des réseaux transcontinentaux et interrégionaux d’activités, d’interactions et d’exercice du pouvoir »138. Cette définition de David Held est aujourd’hui largement acceptée et citée.

Plusieurs autres conceptions de la mondialisation peuvent pourtant être avancées : la mondialisation est une « intégration croissante des économies et des sociétés à travers le monde » pour la Banque mondiale139 ; une « domination croissante des économies nationales par les marchés financiers mondiaux et les entreprises multinationales » pour le financier Georges Soros140 ; une « transformation fondamentale des sociétés liée à la

Strategy in the Global Marketplace, London, HarperCollins, 1992; Next Global Stage: Challenges and Opportunities in Our Borderless World, Wharton School Publishing, 2005. Parmi les publications de Thomas Friedman, voir The Lexus and the Oliver Tree, Anchor, 2000; The world is flat, Picador, 2007; That used to be us, Farrar, 2011. 136 Contrairement à des « globalistes », les « sceptiques » comme Paul Hirst (sociologue) et Grahame Thompson (professeur de l’économie politique) voient que la mondialisation actuelle n’est rien un nouveau phénomène et préfèrent de parler à l’internationalisation que de la mondialisation. D’autres auteurs sceptiques comme Tony Schirato et Jen Webb interrogent même sur le concept de mondialisation. Pour eux, il s’agit là seulement d’un discours, une idéologie, une couverture pour couvrir d’autres réalités derrière elle. Voir Paul Hirst et Grahame Thompson, Globalization in question: The International Economy and the Possibilities of Governance, Polity, 2001; Tony Schirato et Jen Webb, Understanding Globalization, Sage Publications, 2003. 137 Notamment dans l’ouvrage du sociologue Marshall McLuhan, intitulé The Medium is the Message (1967), dans lequel il utilise le terme de « village global » pour désigner le phénomène de connectivité mondiale grâce à des nouveaux moyens de communications audiovisuels modernes (télévision, radio). 138 David Held et al., Global Transformations: Politics, Economics and Culture, Stanford University Press, 1999. David Held (politologue) est considéré comme un des transformalistes qui se trouvent au milieu des globalistes et des sceptiques dans l’interprétation du phénomène de la mondialisation. « Globalistes », « sceptiques » et « transformalistes » sont des formules utilisées par David Held et Anthony McGrew (politologue) pour classifier les différentes approches de la mondialisation. 139 The World Bank Group, 2001, voir http://www1.worldbank.org/economicpolicy/globalization 140 George Soros, On globalization, Public Affairs, 2002, p. 1.

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récente révolution technologique » pour le Directeur général de l’OMC Pascal Lamy141. La mondialisation désigne « l'apparition d'un monde sans frontière »142, et « la libéralisation de l'individu, des consommateurs, des entreprises et des régions de l'héritage de l'État- nation dans lequel ils appartiennent » pour le stratégiste économique Kenichi Ohmae143 ; une « tendance de la croissance des flux transnationaux et des réseaux de plus en plus épaisse de l'interdépendance » pour le politologue Robert Keohane144 ; « l’intensification des relations sociales planétaires » pour le sociologue Anthony Giddens145. Elle désigne « à la fois la compression du monde et de l'intensification de la conscience du monde dans son ensemble » pour le sociologue Roland Robertson146. Voir la mondialisation comme un phénomène pluridimensionnel, Manfred B. Steger (professeur des études de la mondialisation) la définit comme « un ensemble multidimensionnel des processus sociaux qui créent, se multiplient, s'étendent et intensifient les interdépendances sociales dans le monde entier, tout en même temps favorisant chez les citoyens du monde une prise de conscience croissante de connexions approfondies entre eux »147.

En France, Bernard Cassen, ancien Directeur général du journal Le Monde diplomatique, oppose le terme de « mondialisation libérale » (ou « globalisation » en anglais) à l’« internationalisation ». L’internationalisation suppose l’existence des nations coopérant entre elles. Elle fait référence à la nation, « seul véritable espace public à l’horizon historiquement prévisible, et seul périmètre collectif où peut se mettre en place une solidarité permanente – ce qui n’exclut évidemment pas d’autres solidarités internationales ». Tandis que la globalisation « est conçue et réalisée pour l’optimisation des marchés » et elle « contourne toutes les constructions collectives : elle ne connaît que

141 Pascal Lamy, “Humaniser la mondialisation”, texte prononcé à Santiago de Chile, Chile le 30 janvier 2006, http://www.wto.org/french/news_f/sppl_f/sppl16_f.htm, page consultée le 27/11/2011. 142 Kenichi Ohmae, The Borderless World: Power and Strategy in the Global Marketplace, op. cit. 143 Kenichi Ohmae, Next Global Stage: The: Challenges and Opportunities in Our Borderless World, op. cit., p. 122. 144 Robert O. Keohane, Power and Governance in a Partially Globalized World, London, Routledge, 2002, p. 15. 145 Anthony Giddens, Les conséquences de la modernité, Paris, L’Harmattan, 1994, p. 70. 146 Roland Robertson, Globalization: Social Theory and Global Culture, SAGE, 1992, p. 8. 147 Manfred B. Steger, Globalization. A very short introduction, Oxford University Press, 2003, p. 13.

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Section 1. Le « contexte temporel mondial » et ses enjeux des individus »148. Bernard Cassen est rejoint par un autre auteur, Dominique Wolton, pour qui la globalisation « renvoie à l’économie et au rêve d’un capitalisme sans entrave de 6,5 milliards de consommateurs »149. Quant à Michel Guillou et Trang Phan, le terme de mondialisation renvoie à « une réalité incontestable, fruit des progrès technologiques… C’est une mondialisation « intégrale », en ce sens qu’elle touche tous les secteurs de l’activité humaine ; elle concerne les hommes, les capitaux, les marchandises et aussi les services. Elle est irréversible et s’accélère sans cesse, et transforme la planète en un « village global » »150.

Ce rapide panorama des définitions de la mondialisation montre que ce phénomène est aujourd’hui largement analysé et commenté dans plusieurs disciplines. Le point commun de ces interprétations de la mondialisation est qu’elle est avant tout comprise en termes d’intégration économique et sociale mondiale.

Comme processus économique, la mondialisation n’est pas nouvelle. Puisqu’elle a commencé au moins depuis le XVIe siècle avec la découverte du Nouveau Monde, l’accélération des échanges économiques intercontinentaux, l’expansion du capitalisme et enfin l’apparition d’une économie-monde151. Cette mondialisation économique connait pourtant des évolutions dans le temps, avec des périodes favorables et des périodes non favorables.

La Guerre froide, caractérisée par la séparation du monde en deux blocs avec des modèles économiques très différents, a constitué une période difficile, un frein pour la mondialisation au niveau mondial, dans le sens où il y avait une faible connectivité entre les économies de deux camps.

148 Bernard Cassen, « Reconquérir les espaces démocratiques confisqués par la mondialisation libérale », p. 14, in Comprendre la mondialisation, Paris, Éditions de la Bibliothèque publique d’information/Centre Pompidou, 2008. 149 Dominique Wolton, L’autre mondialisation, Paris, Flammarion, 2003, p. 81. 150 Trang Phan-Labays et Michel Guillou, Francophonie et mondialisation : Histoire et institutions des origines à nos jours, op. cit., p. 26. 151 Pour l’analyse de l’économie-monde, voir Fernand Braudel, La Méditerranée et le monde méditerranéen à l'époque de Philippe II (tome I-III), 9e éd., Paris, Le Livre de Poche, 1993 ; Immanuel Wallerstein, The Modern World-System (volume I-IV), University of California Press, 2011.

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Depuis la fin de la Guerre froide, le processus de mondialisation économique a été facilité par deux facteurs principaux : d’une part, la disparition du modèle économique planifié du camp communiste et l’adoption par les anciens pays communistes (et même des pays communistes actuels comme la Chine et le Vietnam) de l’économie de marché152 ; d’autre part, les avancées très rapides des technologies de communication (notamment l’internet) et de transport.

La disparition de l’économie planifiée et l’ouverture économique des anciens pays communistes a eu deux impacts économiques importants. D’abord, elles ont facilité les mouvements d’intégration économique régionale à l’image de l’Union européenne (adhésion dans cette organisation des anciens pays communistes de l’Europe de l’Est), de l’Asean (adhésion des pays comme le Vietnam, le Laos et le Cambodge), ou encore de l’Asean+3 (Chine, Corée du Sud, Japon). Ensuite, elles ont permis l’émergence d’un marché mondial intégré, à l’image de la création de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) en 1995 et l’adhésion des pays de l’Europe de l’Est, de la Chine, du Vietnam et plus récemment de la Russie à cette organisation.

Les progrès technologiques constituent un autre facteur déterminant de cette mondialisation économique actuelle. C’est même selon certains auteurs le facteur le plus important qui permet la mondialisation actuelle d’avoir un nouveau visage par rapport aux périodes précédentes, avec une intensification de plus en plus importante des échanges économiques mondiaux153. Il émerge aujourd’hui au niveau mondial une nouvelle économie que Manuel Castells qualifie « d’économie informationnelle globale ». Cette dernière est différente de l’économie-monde décrite par Fernand Braudel et Immanuel Wallerstein. L’économie-monde existe au moins depuis le XVIe siècle, et c’est une économie dans laquelle l’accumulation progressive du capital se fait à travers le monde avec le temps. L’économie informationnelle globale, grâce aux progrès technologiques, notamment l’Internet, est quelque chose de différent : il s'agit d'une

152 Pour le cas du Vietnam, la formule officielle est l’économie de marché à l’orientation socialiste. 153 Voir par exemple, Robert Keohane, Joseph Nye, « Globalization, what’s new, what’s not ? (and so what ?) », Foreign Policy, n° 118 (spring, 2000), pp. 104-119.

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Section 1. Le « contexte temporel mondial » et ses enjeux

économie qui fonctionne en temps réel, en instantané sur une échelle planétaire154, à l’image des marchés financiers ou des marchés des matières premières, etc.

Mais il est erroné de réduire le phénomène de mondialisation actuelle à sa seule dimension économique. Les dimensions culturelles et linguistiques occupent aussi une place de plus en plus importante et particulière dans cette mondialisation.

Contrairement à la période de colonisation où la rencontre avec d’autres cultures et d’autres langues (notamment celles des colonisateurs) s’est passée presque dans un sens unique par la force et les règlements, la culture et la langue des colonisateurs imposées aux colonisés, et dépassant les limites de l’idéologie politique de la Guerre froide, les échanges culturels dans la mondialisation actuelle se font dans les sens multiples. Jamais l’accès aux autres cultures n’est aussi simple, rapide et riche, grâce au tourisme, aux échanges internationaux, aux activités des organisations non gouvernementales, à la télévision, au cinéma et surtout à l’Internet.

Mais la mondialisation culturelle n’est pas simplement une l’intensification des échanges culturels. Le lien étroit entre la culture et l’économie, la culture et la langue, la culture et l’identité, la culture et la capacité de séduction ou la puissance douce155 fait que la promotion de la culture et de la langue d’un pays dans le monde aujourd’hui devient une vraie bataille ouverte, voire une « guerre » comme disait Frédéric Martel.

Dans la conclusion de son livre, Mainstream – Enquête sur cette culture qui plaît à tout le monde, résultat d’une enquête sur cinq ans dans 30 pays et avec plus de 1200 personnes interviewées, Frédéric Martel a écrit :

« La guerre mondiale des contenus156 est déclarée. C’est une bataille qui se déroule à travers les médias pour le contrôle de l’information ; dans les télévisions, pour la

154 Manuel Castells, The rise of network society: The Information Age, 2e éd., Wiley-Blackwell, 2009, p. 101. 155 Le soft power, concept utilisé par le politologue Joseph Nye depuis début des années 1990 pour désigner entre autres la capacité de la culture d’un pays d’exercer une puissance d’influence à l’étranger. 156 L’auteur tient à préciser le sens du terme « contenus » : « Je parlerai d’« industries créatives » ou d’« industries de contenus », expressions qui incluent les médias et le numérique, et que je préfère à celle, trop connotée, datée et aujourd’hui imparfaite d’« industries culturelles ». Car il ne s’agit plus simplement de produits culturels, il s’agit aussi de services. Pas seulement de culture, mais aussi de contenus et de formats.

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domination des formats audiovisuels, des séries et des talk-shows ; dans la culture, pour la conquête de nouveaux marchés à travers le cinéma, la musique et le livre ; enfin, c’est une bataille internationale des échanges de contenus sur Internet. Cette guerre pour le soft power met en présence des forces très inégales. C’est d’abord une guerre de position entre des pays dominants, peu nombreux et qui concentrent la plupart des échanges commerciaux ; c’est ensuite une guerre de conquête entre ces pays dominants et des pays émergents, pour s’assurer le contrôle des images et des rêves des habitants de nombreux pays dominés qui produisent peu, ou pas, de biens et de services culturels. Enfin, ce sont également des batailles régionales pour gagner une nouvelle influence par la culture et l’information »157.

Dans cette guerre, les rapports de forces ne sont pas symétriques. Les chiffres collectés de Frédéric Martel montrent que « dans les flux de contenus internationaux, un géant exporte massivement partout ses contenus : les États-Unis avec environ 50% des exportations mondiales. Si on ajoute le Canada et le Mexique, l’Amérique du Nord domine ces échanges sans concurrent sérieux (avec près de 60% des exportations mondiales). Derrière se trouve un concurrent potentiel, mais possiblement en déclin : l’Union européenne à vingt-sept, avec un tiers des exportations »158. Autrement dit, si nous calculons le chiffre pour deux régions, près de 90% des exportations des contenus sont contrôlés par les pays des deux côtés de l’Atlantique.

Pourtant, depuis ces dernières années, ces pays du Nord ne sont plus les seuls dans la course. Certains pays déploient aujourd’hui des efforts considérables pour rejoindre la liste des leaders, surtout les pays émergents. Toujours selon Frédéric Martel, « une petite dizaine de pays suivent ce peloton de tête, à bonne distance, sans pour l’instant arriver à peser massivement dans les échanges mondiaux de contenus : le Japon, leader des challengers, la Chine et notamment Hong Kong, la Corée du Sud, la Russie et l’Australie. Pour l’heure, le Brésil, l’Inde, l’Afrique du Sud, les pays du Golf n’apparaissent pas de

Pas seulement d’industries, mais aussi de gouvernements en quête de soft power et de micro-entreprises en recherche d’innovations dans les médias et la création dématérialisés », in Frédéric Martel, op. cit., p. 11. 157 Ibid., p. 417. 158 Ibid., pp. 417-418.

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Section 1. Le « contexte temporel mondial » et ses enjeux manière significative comme pays exportateurs de contenus, bien qu’ils accroissent fortement leurs exportations et développent de solides industries créatives à domicile »159.

Reste maintenant la majorité des pays en voie de développement, les pays pauvres qui se trouvent majoritairement dans les organisations internationales comme l’Organisation internationale de la Francophonie. Daniel Cohen affirme que la mondialisation actuelle « rend difficile d’en devenir acteur, et facile d’en être spectateur »160. Ceci est vrai pour la mondialisation économique, c’est aussi vrai pour la mondialisation culturelle. Dans cette guerre des contenus, les pays du Sud sont presque totalement écartés des dynamiques d’échanges culturels mondiaux. Ils sont devenus essentiellement des spectateurs ou en terme économique, des consommateurs.

Sur le plan linguistique, la mondialisation actuelle est aussi largement favorable à l’anglais, devenu langue des échanges commerciaux, des sciences, des communications, etc.

Tout en soulignant l’importance de la concurrence culturelle actuelle dans le monde, dans son récent livre sur l’avenir de la langue française, l’ancien Secrétaire général de l’ACCT, Jean-Louis Roy, insiste sur l’émergence d’une autre bataille, une autre compétition, celle des langues161. Il est rejoint dans cette analyse par Claude Hagège162 et Michel Guillou163. Comme dans la bataille culturelle, les pays occidentaux ne sont plus les seuls combattants, d’autres langues venues de la Chine, de la Russie, du Brésil et d’autres encore entrent en force dans cette compétition.

159 Idem. 160 Daniel Cohen, La mondialisation et ses ennemis, Paris, Grasset, 2004, p. 17. 161 Jean-Louis Roy, Quel avenir pour la langue française ? : Francophonie et concurrence culturelle au XXIe siècle, op. cit., 2008. 162 Claude Hagège, Contre la pensée unique, Paris, Odile Jacob, 2012. 163 Michel Guillou, « Oui au multilinguisme, non à l'anglais langue unique », du 30 juin 2012.

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§3. Les approches théoriques sur les impacts des changements du contexte international

Comme nous venons de le voir, la recomposition du système international et l’accélération de la mondialisation sont les changements les plus significatifs du contexte international depuis la fin de la Guerre froide. Ces changements, que ce soit dans le système ou de système164, ont des effets sur les « agents » (ou les acteurs) des relations internationales.

Sur le plan théorique, deux approches, entre autres, peuvent être mobilisées pour expliquer les changements après la Guerre froide. D’un côté, les néo-réalistes comme Kenneth Waltz soulignent que ces nouvelles évolutions du système international créent des pressions et des contraintes sur les États et d’autres acteurs. Les choix de ces derniers sont limités et pliés aux nouvelles règles du jeu du système. De l’autre côté, les constructivistes soulignent des interactions intersubjectives entre la structure (le système) et les agents (les acteurs, par exemple les États). Ce qui veut dire que le système exerce une pression et des contraintes sur les agents, et contribue à formuler les intérêts de ces derniers, mais qu’à l’inverse, les agents peuvent aussi, dans leurs réactions aux contraintes du système, contribuer à faire évoluer ce dernier.

Nous pouvons utiliser le concept de « contexte temporel mondial » de Martha Finnemore165 et Kathryn Sikkink pour tenter d’expliquer les effets de la fin de la Guerre froide et les évolutions de la scène internationale depuis cette date sur les États dans le monde. Selon ces auteurs, le « contexte temporel mondial », compris comme un ensemble d’événements historiques mondiaux à caractère dramatique (dépressions économiques, conflits majeurs entre grandes puissances) ou non (la fin de la Guerre

164 Le néo-réaliste Kenneth Waltz considère que le système international établi depuis les Traités de Westphalie n’est pas changé. Les évènements qui marquent la fin de la Guerre froide restent des évolutions dans le système, ils ne changent pas le système qui reste fondamentalement interétatique. Tandis que le transnationaliste James Rosenau parle d’un changement de système. Le système interétatique créé à Westphalie est tombé et à sa place est né en parallèle un système stato-centré et un système multi-centré, marqué par le rôle croissant des acteurs non-étatiques. 165 Martha Finnemore est un auteur de l’approche constructiviste des relations internationales.

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Section 1. Le « contexte temporel mondial » et ses enjeux froide à titre d’exemple)166, exerce une influence sur la formulation de nouvelles idées et/ou de normes. Après ces évènements historiques, dans notre cas la fin de la Guerre froide, la tendance mondiale est de rejeter les idées, les normes, les modèles des vaincus et d’adopter ceux des vainqueurs. Depuis la fin de la Guerre froide, nous constatons cette tendance partout dans le monde. Ces normes des « vainqueurs » sont la démocratie libérale et l’économie de marché. Enthousiasmé par cette victoire, Francis Fukuyama réclame même une fin de l’Histoire où la guerre des idéologies est terminée avec la victoire totale de la démocratie libérale167.

Les pays francophones, les « agents » et parties intégrantes de la structure internationale, n’échappent pas à ces évolutions. Partout dans l’espace francophone, l’adoption de ces deux valeurs a été constatée.

Pourtant, la diversité des réalités politiques, économiques, culturelles dans l’espace francophone fait que la mise en place réelle de ces nouvelles règles du jeu dans ces pays varie de l’un à l’autre. Il n’y a pas de modèle politique ou économique unique.

166 Martha Finnemore, Kathryn Sikkink, « International norm dynamics and political change », International Organization, 52, 4, Autumn, 1998, p. 909, cité par Frédéric Ramel, « Les États-Unis face à la Cour pénale internationale : un Hégémon de plus en plus inconsistant », in Michelle Bacot-Décriaud (dir.), Le multilatéralisme : Mythe ou réalité, Paris, Bruylant, 2008, p. 57. 167 Francis Fukuyama, La fin de l’Histoire et le dernier homme, Paris, Flammarion, 1993. Pour une critique de cette thèse de Francis Fukuyama, voir Hubert Védrine, Histoire continue, Paris, Flammarion, 2008.

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SECTION 2. L’ESPACE FRANCOPHONE FACE AUX NOUVEAUX DEFIS

§1. Les évolutions dans l’espace francophone depuis la fin de la Guerre froide

Pour traiter de l’espace francophone face à la mondialisation, il faut au préalable rappeler quels ont été les évolutions constatées dans les pays qui le composent depuis la fin de la Guerre froide.

Avec la fin du système bipolaire et l’accélération de la mondialisation libérale (voir section 1), plusieurs pays de l’espace francophone connaissent une transformation radicale au niveau politique et économique. Il s’agit d’une part des transitions démocratiques des régimes communistes (essentiellement en Europe de l’Est et en Asie), ou des régimes dictatoriaux et autoritaires (pour la plupart des pays africains)) et de la consolidation de ces nouvelles démocraties et d’autre part, l’adoption par ces pays francophones de l’économie de marché. Dans ces pays, ces processus sont différents les uns des autres, avec les calendriers et les approches distincts. Rien n’est pourtant plus comme avant.

La transition démocratique est un processus qui désigne le passage d’un ancien régime politique vers un nouveau régime démocratique en adoptant ses nouvelles règles du jeu. Selon Juan José Linz et Alfred C. Stepan168, une transition démocratique est terminée « lorsqu’un accord est trouvé sur les procédures politiques afin de créer un gouvernement élu, quand un gouvernement arrive au pouvoir comme le résultat direct du suffrage libre et populaire, quand ce gouvernement de facto a le pouvoir de créer de nouvelles politiques, et quand les pouvoirs exécutifs, législatifs et judiciaires nés de la nouvelle démocratie n'ont pas à partager le pouvoir avec d'autres corps de droit »169.

Dans la plupart des cas, même si la transition démocratique est terminée, il y a encore toujours beaucoup de choses à faire pour la consolider. Une démocratie est

168 Ils sont parmi les premiers auteurs qui théorisent le processus de transition démocratique. 169 Juan José Linz et Alfred C. Stepan, Problems of Democratic Transition and Consolidation: Southern Europe, South America, and Post-Communist Europe, JHU Press, 1996, p. 3.

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consolidée quand la démocratie est devenue « le seul jeu sur le terrain ». Elle a différentes caractéristiques :

Sur le plan des comportements, un régime démocratique est consolidé dans un territoire « lorsqu’aucun acteur national, social, économique, politique ou institutionnel ne dépense de ressources importantes pour essayer d’atteindre ses objectifs en créant un régime non démocratique ou en utilisant la violence ou une intervention étrangère pour se séparer de l’État ».

Au niveau des attitudes, un régime démocratique est consolidé « lorsqu’une grande majorité de l’opinion publique considère que les procédures et institutions démocratiques constituent le mode le plus approprié de gouverner la vie collective et quand le soutien à des alternatives opposées au système en vigueur est faible ou se trouve plus ou moins isolé des forces démocratiques ».

Enfin, d’un point de vue constitutionnel, un régime démocratique est consolidé « lorsque les forces gouvernementales et non gouvernementales, dans tout le territoire, se soumettent et s’habituent à une résolution des conflits à travers des lois, des procédures et des institutions spécifiques créés dans le cadre du nouveau système démocratique »170.

Selon Juan José Linz et Alfred C. Stepan, une démocratie déjà consolidée peut toujours être brisée. Il y a plusieurs types de démocraties consolidées.

Aujourd’hui, les élections, la création d’un nouveau gouvernement, l’adoption d’une nouvelle Constitution, l’adoption d’une économie de marché, etc. sont le plus souvent considérées comme des signes de réussite du processus de transition démocratique. Ce ne sont pourtant pas la garantie automatique d’une transition réussie. Comme le souligne Juan José Linz et Alfred C. Stepan, la consolidation démocratique demande plus que les élections et l’économie de marché171.

Dans les pays francophones, une première période de transition a commencé pour la plupart d’entre eux dès la chute du Mur de Berlin et qui s’est terminée à une date variable selon les pays.

170 Ibid., p. 6. 171 Ibid., p. 7.

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Section 2. L’espace francophone face aux nouveaux défis

En Europe de l’Est, vingt ans après la chute du Mur de Berlin, certain pays ont même commencé, avec des démocraties occidentales, à chercher une nouvelle dynamique pour leur modèle démocratique actuel déjà « fatigué » comme remarque Jacques Rupnik172. Par contre, beaucoup d’autres pays francophones (des pays africains essentiellement) restent encore aujourd’hui dans le cycle transition-consolidation- transition de la démocratie. On peut même dire que le processus de transition n’est pas encore terminé dans certains pays francophones, avec notamment le maintien au pouvoir des dirigeants depuis des décennies, le non-respect de l’autorité des institutions démocratiques et refus des résultats des urnes173.

Plus précisément, en Europe centrale et orientale, où se trouve actuellement la majorité des pays observateurs de la Francophonie (14 sur 19174), la transition démocratique s’est passée dans de bonnes conditions, à l’exception de certains pays qui ont connu de vraies difficultés et même des conflits sanglants comme dans les Balkans.

En générale, de nouvelles Constitutions ont été adoptées dans cette région et la pluralité politique reconnue. Depuis 1990, des élections pluralistes sont organisées et maintiennent leur rythme. Dans la majorité des cas, les partis non communistes ont pris le pouvoir après ces élections, sauf en Moldavie où le Parti des communistes est resté

172 Jacques Rupnik, « L'Europe de l'Est, vingt ans après », in Le Monde, publié le 9 septembre 2009, disponible sur http://www.lemonde.fr/idees/article/2009/11/09/l-europe-de-l-est-vingt-ans-apres-par- jacques-rupnik_1264709_3232.html. Jacques Rupnik est directeur de recherche à l'Institut d'études politiques de Paris et spécialiste des problématiques de l'Europe centrale et orientale. L’un des enjeux les plus grands de la démocratie représentative actuelle est le taux de participation des électeurs aux différentes élections, rarement élevé dans plusieurs pays. Dans les pays comme la France, un débat sur une nouvelle forme de démocratie dite « participative » est de retour sur scène, notamment lors de l’élection présidentielle en 2007. L’échec de la candidate Ségolène Royal, porteuse de ce débat, et la crise économique en cours avec une intervention plus important de l’État depuis ont pourtant repoussé pour l’instant ce débat au deuxième rang des préoccupations. 173 Nous discuterons davantage ce point dans la deuxième partie lorsque nous examinerons les activités de la Francophonie dans l’accompagnement de ses pays membres dans ce processus de transition et de consolidation de la démocratie. 174 Dans cette région, la Francophonie a trois membres de plein droit (Bulgarie, Moldavie, Roumanie), un associé (Arménie) et quatorze observateurs (Pologne, Lituanie, Slovaquie, Slovénie, Tchèque, Autriche, Croatie, Hongrie, Géorgie, Serbie, Ukraine, Lettonie, Monténégro, Bosnie-Herzégovine).

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une des plus grandes forces politiques du pays et qui a même dominé nettement la scène politique moldave de 2001 à 2009175. Par ailleurs, l’économie de marché a été largement adoptée par ces anciens pays communistes en Europe.

En Afrique subsaharienne et dans l’océan indien, où se trouve la majorité des membres de plein droit et associés de la Francophonie176, une combinaison de facteurs a poussé les différents pays vers une transition démocratique. Il s’agit notamment des facteurs comme « la crise économique, la conjugaison des pressions des bailleurs de fonds et des populations »177. Les chemins parcourus par ces pays africains sont par ailleurs ainsi spécifiques à chacun d’entre eux.

Francis Akindès distingue quatre types de transitions178 :

- La démocratisation par la voie des Conférences nationales

Initiée par le Bénin en 1990, les Conférences nationales ont été organisées dans six autres pays d’Afrique francophones entre 1990 et 1993 : au Gabon, au Congo, au Niger, au Togo, au Zaïre (actuelle République Démocratique du Congo) et au Tchad. Ces conférences ont regroupé le plus souvent les différentes forces vives des pays, divisées entre d’un côté des détenteurs du pouvoir et leurs agents et de l’autre les administrés ou la société civile. Leur durée et leurs pouvoirs ont varié d’un pays à l’autre. Ainsi, au Bénin, la Conférence était « souveraine » et détenait le pouvoir constituant. Dans

175 Après les élections législatives de 2009, le Parti des communistes perd sa majorité absolue pour pouvoir élire un nouveau Président à la tête de la Moldavie. Après trois ans de mutations politiques, un nouveau Président non communiste, Nicolae Timofti, est élu le 16 mars 2012. Le Parti des communistes reste pourtant le plus grand parti représenté au Parlement. 176 Vingt-cinq membres de plein droit (Bénin, Burkina Faso, Burundi, Cameroun, Centrafrique, Comores, Côte d’Ivoire, Djibouti, Gabon, Madagascar, Mali, Maurice, Niger, Rwanda, Sénégal, Seychelles, Tchad, Togo, République démocratique du Congo, République du Congo, Guinée-Bissau, Guinée, Guinée équatoriale, Sao Tomé et Principe, Cap Vert), un associé (Ghana) et un observateur (Mozambique). 177 Francis Akindès, « Les transitions démocratiques à l’épreuve des faits. Réflexions à partir des expériences des pays d’Afrique noire francophone », in Francophonie et démocratie – Symposium international sur le bilan des pratiques de la démocratie, des droits et des libertés dans l’espace francophone (Bamako, 1er-3 novembre 2000), Paris, Éditions Pedone, 2001, p. 614. Francis Akindès est professeur de sociologie à l’Université de Bouaké, Côte d’Ivoire. 178 Ibid., pp. 610-611.

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Section 2. L’espace francophone face aux nouveaux défis d’autres pays comme le Gabon et le Togo, la Conférence s’est limitée simplement à son rôle de suggérer des réformes.

De nouvelles Constitutions ont été adoptées et des élections plurielles ont été organisées à la suite de certaines Conférences. L’issue de ces différentes élections est la défaite des anciens dirigeants comme au Bénin et au Niger, mais aussi le maintien au pouvoir des dirigeants sortants comme au Gabon.

- La démocratisation par évitement d’une conférence nationale

Dans des pays comme la Côte d’Ivoire et le Burkina Faso, la reconnaissance du multipartisme et l’organisation rapide des élections présidentielles (en 1990 en Côte d’Ivoire et en 1991 au Burkina Faso) ont permis aux pouvoirs en place de court-circuiter la réclamation de la tenue d’une Conférence nationale. Ainsi, face à des oppositions divisées et mal organisées, les anciens dirigeants comme Félix Houphouët Boigny et Blaise Compaoré ont pu se maintenir au pouvoir à l’issue de ces élections. Le premier est resté au pouvoir jusqu’à sa mort en 1993 et le deuxième est encore à la tête du Burkina Faso aujourd’hui (depuis 1987).

- La démocratisation par « à coups »

Opposée à la tenue des Conférences nationales, elle consiste à une ouverture politique progressive sous le contrôle des pouvoirs en place. Cette voie de démocratisation en Afrique est perçue comme la plus lente. Si elle est relativement maîtrisée au Cameroun, son issue dans les autres pays a été tragique avec des guerres civiles (au Burundi, en Centrafrique) et même un génocide (au Rwanda).

- La démocratisation par les armes

C’est le cas au Mali où le militaire Amadou Toumani Touré a mené un coup d’État en 1991 pour renverser le Président en place Moussa Traoré. Après une brève période de préparation de transition, avec notamment l’organisation d’une Conférence nationale, Amadou Toumani Touré a, dans un geste rarement constaté en Afrique, transféré le pouvoir aux civils après une élection présidentielle en 1992. Retour au pouvoir en 2002 par voie électorale, il a été renversé au mois de mars 2012 par un autre coup d’État. Le « modèle » de transition est repris par les auteurs du coup d’État actuel, mais les issues

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de cet événement sont encore incertaines, notamment à cause des problèmes de sécession au nord du Mali.

Cette période de transition démocratique en Afrique francophone est selon Francis Akindès marquée dans un premier temps par un vent d’espoir de renouveau et dans un deuxième temps par une déception suite à la multitude des problèmes sécuritaires, politiques et économiques engendrés par ces processus et le maintien au pouvoir de plusieurs chefs d’État pendant des décennies grâce à des élections « plurielles » après des modifications de Constitution.

Sur le plan économique, la mise en place de différents plans d’ajustement structurel en Afrique subsaharienne, imposé par les institutions internationales comme le FMI et la Banque mondiale, et les conséquences néfastes des crises politiques récurrentes n’ont pas permis à ces pays de mettre en place d’une économie de marché efficace. La plupart de ces pays restent dans la catégorie des pays pauvres, voire très pauvres (voir le paragraphe §2 de cette même section).

Enfin, en Asie-Pacifique179, depuis 1986, les pays communistes comme le Laos et le Vietnam ont adopté une politique d’ouverture, bien avant la chute du Mur de Berlin. Au Vietnam, le Doi moi (le Renouveau) est une politique adoptée au VIe Congrès du Parti communiste en 1986. Il consiste à une ouverture progressive du pays sur plusieurs plans, surtout et d’abord au niveau économique (contrairement à ce qui s’est passé en Afrique).

En effet, l’adoption de cette politique de Renouveau a été essentiellement le résultat direct du souci des dirigeants vietnamiens de sortir le pays de la crise économique, donc une pression interne plutôt qu’externe. Néanmoins, à l’extérieur, l’issue de différentes réformes en Chine (réussite) depuis 1978 et en URSS (échec) depuis l’arrivée de Mikhaïl Gorbatchev en 1985 a influencé le Vietnam180.

179 Quatre membres de plein droit (Cambodge, Laos, Vietnam, Vanuatu), et un observateur (Thaïlande). 180 Tous ces deux pays communistes ont confronté les grandes difficultés économiques comme le Vietnam pendant cette période. La réforme en Chine depuis 1978 consiste à une ouverture économique combinée à

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Section 2. L’espace francophone face aux nouveaux défis

Cette politique consiste d’abord à la construction d’une économie de marché à orientation socialiste181. Ensuite, l’ouverture politique interne est maîtrisée pour assurer un environnement politique relativement stable et favorable au développement économique, tandis que l’ouverture politique externe a été largement développée à travers l’établissement de relations diplomatiques avec tous les pays du monde et la participation à des organisations internationales182 sans distinction idéologique, afin de recueillir au maximum le soutien extérieur (aide publique au développement) et de bénéficier des investissements directs étrangers (IDE).

Différentes étapes importantes dans cette ouverture doivent être soulignée : l’adoption de la loi des investissements directs étrangers (dès 1988), l’adhésion à l’Association des Nations de l’Asie du Sud-est (ASEAN) et à sa zone de libre-échange (1995), la normalisation des relations avec les États-Unis (1994) et la signature avec eux un accord de commerce bilatéral (2001), la signature d’un accord-cadre de coopération avec l’Union européenne (1995, remplacé par l’Accord-cadre de partenariat et de coopération intégrale en juin 2012) et l’organisation du Sommet francophone à Hanoi

un contrôle plus strict au niveau politique. Tandis que la réforme en URSS a poussé en même temps les deux dimensions économique et politique. L’ouverture politique a précipité la chute de l’URSS, tombée seulement six ans après l’arrivée de Mikhaïl Gorbatchev. 181 Cette une sorte de troisième voie économique : l’économie fonctionne sous les mécanismes du marché, mais régulée en même temps par d’autres mécanismes étatiques pour limiter des excès du marché et mieux distribuer les bénéfices. Ces mécanismes étatiques comprennent notamment un contrôle des domaines importants et stratégiques comme l’électricité, la communication ; un renforcement des capacités des entreprises étatiques, etc. La théorisation de cette nouvelle forme d’économie est pourtant toujours en cours. 182 Y compris la participation active du Vietnam à la Francophonie. Par ailleurs, la première grande conférence internationale organisée par le Vietnam depuis la fin de la Guerre froide était le Sommet de la Francophonie à Hanoi en 1997. Et c’est lors de ce Sommet que la question du renforcement de coopération économique au sein de la Francophonie a été fortement soulignée par le Vietnam. Le Vietnam reste jusqu’à aujourd’hui le pays qui insiste le plus sur cette nécessité d’avoir un espace de coopération économique francophone (c’est ce que le Représentant personnel du Président de la République socialiste du Vietnam auprès du CPF nous a confirmé lors de notre entretien avec lui pour la rédaction de cette thèse de doctorat). Le pays a par ailleurs participé activement à un groupe de travail créé récemment au sein du CPF sur la coopération tripartite en Francophonie. Le résultat de ce travail va être présenté au Sommet de Kinshasa en octobre 2012.

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(1997), puis plus récemment l’adhésion à l’OMC (2007). Le résultat positif de cette politique d’ouverture se lit pour partie à travers les données du développement économique du pays. Le PIB du Vietnam a en effet triplé tous les dix ans depuis 1991 (voir le tableau 1).

Pour leur part, les pays du Nord comme la France et le Canada, les plus gros bailleurs de fonds de la Francophonie, ne sont pas restés en dehors de ces évolutions. Ils se sont même parfois impliqués même directement dans ces processus de transition, bilatéralement ou à travers des institutions internationales comme l’Union européenne et la Francophonie.

Dans le cas de la France, sa politique extérieure pendant la Guerre froide a été très marquée par un refus de l’ordre bipolaire au niveau mondial, de la direction du camp occidental par les États-Unis et la Grande-Bretagne et par une quête pour retrouver la « grandeur » française. La fin de la Guerre froide et la recomposition du système international sur un vide de pouvoir laissé par la chute de l’URSS ont offert à la France une opportunité de renforcer son influence. Cependant, par manque de moyens suffisants pour sa nouvelle ambition, elle s’est tournée vers le multilatéralisme et a renforcé son soutien aux institutions internationales183.

Pour caractériser ce changement de la politique extérieure française, Alex McLeod constate que : « Les institutions internationales sont désormais devenues un lieu de choix pour exercer l’influence française, au point que le multilatéralisme (et tout ce qui le promeut) est intégré dans la conception de l’identité nationale de la France. Ce penchant pour le multilatéral répond en partie au désir français d’équilibrer « l’hyperpuissance » américaine. Mais il reflète aussi une reconnaissance implicite des limites d’une politique fondée sur la notion de « tradition républicaine » »184.

183 Pour voir le changement, il faut noter ici que pendant la Guerre froide, le Général de Gaulles n’a pas vraiment apprécié le rôle des organisations internationales, qualifiées par lui comme des « machins » soumis au contrôle de deux superpuissances. 184 Alex McLeod, « L’approche constructiviste de la politique étrangère », in Frédéric Charillon (dir.), Politique étrangère. Nouveaux regards, Paris, Presses de Sciences Po, 2002, pp. 81-82.

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Section 2. L’espace francophone face aux nouveaux défis

En Europe centrale et orientale, la France soutient activement la participation des anciens pays communistes à la Francophonie, tout en espérant que lorsqu’ils deviendront membres de l’Union européenne, un rapprochement avec la France sera plus facile. Ainsi, la Roumanie et la Bulgarie ont participé au Sommet francophone de Chaillot dès 1991 en tant qu’observateurs et sont admis dès 1993 au Sommet de Grand- Baie (Maurice) comme membres de plein droit. Depuis 1995, douze sur quinze nouveaux membres de l’Union européenne sont aussi membres et observateurs de la Francophonie185. L’adhésion de ces pays à la Francophonie a permis de créer au sein de la Francophonie depuis 2002 un grand projet de formation au et en français des diplomates et fonctionnaires de ces États186.

En Asie, l’ouverture économique et diplomatique des pays comme le Vietnam et le Laos et la disparition de l’influence soviétique dans cette région ont favorisé le retour de la France dans sa recherche d’influence. Les trois pays de l’ancienne Indochine, le Cambodge, le Laos et le Vietnam, ont pu ainsi bénéficier depuis 1994 d’un vaste programme d’enseignement bilingue du primaire au supérieur (le français et la langue nationale), financé largement par la France et réalisé par un des opérateurs directs de la Francophonie, l’Agence universitaire de la Francophonie (AUF)187. La France est aussi un des premiers pays occidentaux sollicité par le Vietnam pour soutenir sa demande de financement auprès des grandes institutions internationales vers la fin des années 1980 et au début des années 1990.

Pourtant, c’est en Afrique francophone que l’implication de la France dans le processus de transition a été la plus forte et visible. Un des exemples de cette

185 Il s’agit de deux membres (Roumanie et Bulgarie), d’un associé (Chypre) et neuf observateurs (Autriche, Estonie, Lettonie, Lituanie, Pologne, République tchèque, Slovaquie, Hongrie, Slovénie). Si nous ajoutons les quatre autres pays (France, Belgique, Luxembourg, Grèce) dans la liste, 16 sur 27 membres de l’Union européenne sont en même temps membres et observateurs de la Francophonie. En outre, la Croatie, le prochain pays membre de l’Union européenne (adhésion programmée en mars 2013), est aussi un observateur de la Francophonie. 186 Organisation internationale de la Francophonie, « Formation de diplomates et fonctionnaires », disponible sur http://www.francophonie.org/Formation-de-diplomates-et.html. 187 Ce programme a été interrompu en 2006 et remplacé par le projet Valofrase (Valorisation du français en Asie du Sud-Est).

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implication française est le discours du Président François Mitterrand devant les chefs d’État des pays africains lors du XIIIe Sommet France-Afrique à la Baule en juin 1990. Il a encouragé alors les pays africains à suivre les exemples de démocratisation en Europe centrale. Selon lui, la France n’impose pas son modèle démocratique. Mais quand il parle de la démocratie, il a déjà avec lui « un schéma tout prêt : système représentatif, élections libres, multipartisme, liberté de la presse, indépendance de la magistrature, refus de la censure », et pour lui, « c'est la direction qu'il faut suivre »188.

Durant la conférence de presse à l’issue de ce Sommet, lorsqu’il lui est demandé de préciser le lien qu’il établit entre l’aide française et les évolutions de la démocratisation en Afrique, François Mitterrand répond : « Il y aura une aide normale de la France à l'égard des pays d'Afrique. C'est évident que cette aide traditionnelle, déjà ancienne, sera plus tiède en face de régimes qui se comporteraient de façon autoritaire, sans accepter l'évolution vers la démocratie, et qu'elle sera enthousiaste pour ceux qui franchiront ce pas avec courage et autant qu'il leur sera possible »189.

L’implication directe de la France dans ce processus de transition en Afrique francophone est visible lors de ses interventions dans différents pays durant cette période, notamment en Centrafrique, au Tchad, et plus récemment en Côte d’Ivoire.

Un autre pays francophone du Nord et deuxième grand bailleur de fonds, le Canada a, comme le remarque André Donneur, une longue tradition multilatéraliste190. Depuis la fin de la Guerre froide, les domaines privilégiés de sa politique extérieure sont ainsi « la

188 « Allocution de M. François Mitterrand, Président de la République française, sur la situation économique de l'Afrique, les possibilités d'aide des pays les plus riches et la position française en matière de coopération et d'aide financière », la Baule le 20 juin 1990. Disponible sur http://discours.vie- publique.fr/notices/907015400.html 189 « Conférence de presse de M. François Mitterrand, Président de la République, notamment sur l'aide française à l'Afrique en matière économique, militaire, financière et la démocratisation de l'Afrique », La Baule, le 21 juin 1990. Disponible sur http://discours.vie-publique.fr/notices/907015600.html 190 Voir Tom Keating, Canada and World Order: The Multilateral Tradition in Canadian Foreign Policy, Toronto, McClelland and Stewart, 1993; et Tom Keating, Multilateralism and Canadian Foreign Policy: A Reassessment, disponible sur http://www.cdfai.org/PDF/Multilateralism%20and%20Canadian%20Foreign%20Policy%20- A%20Reassessment.pdf

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Section 2. L’espace francophone face aux nouveaux défis protection des droits humains, la consolidation de la paix et la protection des ressources naturelles, qui donnent à la sécurité un sens plus large »191. Dès le Sommet de Québec en 1987, le Canada a affirmé la priorité qu’elle donne à la promotion des droits de la personne dans sa politique étrangère192. Porteur engagé du concept de « sécurité humaine »193 et de « responsabilité de protéger », au sein de la Francophonie, le Canada va contribuer activement à introduire ces notions dans une déclaration de niveau ministériel : la Déclaration de Saint-Boniface (2006)194.

Compte tenu du soutien français aux nouveaux processus de transition démocratique et de la sensibilité canadienne aux questions de droits humains dans les pays francophones, il est logique de trouver que ces deux gouvernements aient soutenu une implication progressive de la Francophonie depuis 1989 dans plusieurs questions politiques : de la coopération juridique et judiciaire à la consolidation de l’État de droit, de l’alerte précoce et de la prévention des conflits à la protection des droits de l’homme, de l’accompagnement des processus électoraux à la médiation dans les conflits, etc. Comme ils sont les plus grands bailleurs de fonds de la Francophonie195, leur position a pesé incontestablement sur les choix politiques de l’organisation196.

191 André Donneur, « Le Canada entre multilatéralisme et bilatéralisme », in Michelle Bacot-Décriaud (dir.), Le multilatéralisme : Mythe ou réalité, op. cit., p. 206. 192 Comme le souligne son Premier Ministre Brian Mulroney dans une déclaration à ce Sommet intitulé « Appel au respect des droits de la personne », in ACCT, Actes de la deuxième Conférence des chefs d’État et de gouvernement des pays ayant en commun l’usage du français (Québec, 2-4 septembre 1987), Paris, 1988, p. 298. 193 Avec deux autres pays qui sont le Japon et le Danemark. 194 Lors du Sommet de Ouagadougou en 2004, le Premier ministre canadien Paul Martin a proposé d’organiser une Conférence ministérielle sur ce sujet de sécurité humaine et sur la responsabilité de protéger avant le Sommet de Bucarest. Cette conférence a été effectivement organisée au Canada en mai 2006 avec l’adoption de la Déclaration de Saint-Boniface. Voir « Discours du Très Honorable Paul Martin, Premier ministre du Canada à la séance solennelle inaugurale du Sommet », in OIF, Actes de la dixième Conférence des chefs d’État et de gouvernement des pays ayant le français en partage (Ouagadougou, 26-27 novembre 2004), op. cit., p. 200. 195 En 2012, les deux pays occupent 62,8% des contributions statutaires (25,5 pour le Canada et 37,3% pour la France, sur 36,6 millions d’Euros) et 84,4% des contributions volontaires au FMU (29% pour le Canada et 55,4% pour la France, sur 21,6 millions d’Euros). Données tirées des documents internes de l’OIF sur l’état intermédiaire des contributions statutaires et volontaires.

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L’accompagnement des pays francophones (essentiellement des pays africains) par la Francophonie dans ces évolutions depuis la fin de la Guerre froide s’est cependant heurté à diverses difficultés d’ordre économique et politique.

§2. De nouveaux enjeux pour les pays francophones et la Francophonie

Un des premiers enjeux des pays francophones aujourd’hui est d’ordre économique. La Francophonie regroupe en son sein la majorité des pays les plus pauvres de la planète. La crise pétrolière vers la fin des années 1970 et début des années 1980 a même aggravé la situation économique de ces pays. Le fardeau de la dette publique197, la baisse des cours des matières premières (principaux produits d’exportation de ces pays), le manque d’investissement privé, la pauvreté sont parmi les plus gros problèmes récurrents dans ces pays.

Depuis le premier Sommet organisé en 1986 à Versailles, la question de la dette publique constitue un sujet important de discussion. Dans un rapport sur la situation économique mondiale présenté lors du Sommet de Dakar en 1989, il est indiqué que « la dette totale des pays en développement a atteint 1300 milliards de dollars en 1989. De 1981 à 1985, les recettes d'exportation des matières premières des pays du Sud ont baissé de 104 à 87 milliards de dollars. Dans le même temps, le paiement des intérêts et des amortissements est passé de 78 à 114 milliards de dollars. Le service de la dette, calculé en pourcentage des recettes d’exportation des matières premières, a augmenté, passant de 75 % en 1980 à 132 % en 1985 »198. Le service de la dette est la somme que l'emprunteur doit payer chaque année. Cette somme comprend deux parties : les intérêts au capital restant dû et la part du capital à rembourser chaque année. Ce qui veut dire qu’en 1985, les recettes d’exportations des matières premières dans les pays en développement ne sont pas suffisantes pour payer seulement le service de la dette.

196 Jean-Philippe Thérien, « Cooperation and conflict in the Francophonie », International Journal, Summer 48, 3, 1993, p. 494. 197 La dette publique est l'ensemble des engagements financiers pris sous formes d'emprunts par l'État, les collectivités publiques et les organismes qui en dépendent directement. 198 ACCT, Actes de la troisième Conférence des chefs d’État et de gouvernement des pays ayant en commun l’usage du français (Dakar, 24-26 mai 1989), op. cit., p. 114.

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Section 2. L’espace francophone face aux nouveaux défis

Devant cette situation, les efforts des pays créanciers francophones comme le Canada et la France dans l’annulation de la dette ont été très appréciés par les pays du Sud. Au Sommet de Québec (1987), le Canada annonce sa décision d’annuler complètement des dettes à l’aide publique de sept pays francophones qui sont le Sénégal, le Zaïre, Madagascar, le Cameroun, le Congo, la Côte-d’Ivoire et le Gabon, pour un total de 324,9 millions de dollars canadiens199. Quant à la France, dès le début de la séance plénière du Sommet de Dakar (1989), le Président François Mitterrand a annoncé une annulation de la dette publique pour 35 pays les plus pauvres. Selon lui, « la dette est le principal problème politique d’aujourd’hui ». Il indique que « pour les trente- cinq pays les plus pauvres et les plus endettés (35 pays d’Afrique), (il a) décidé de demander au Gouvernement de soumettre au Parlement un projet de loi annulant purement et simplement la totalité de notre créance d’aide publique au développement et cela, inconditionnellement »200. Au Sommet France-Afrique à la Baule en 1990, il a ajouté des mesures d’allègement de dette publique pour 4 autres pays dits intermédiaires (le Cameroun, la Côte d'Ivoire, le Congo et le Gabon). Pourtant, ces efforts n’ont pas été suffisants pour pouvoir résoudre la question de la dette des pays en développement dans l’espace francophone.

De plus, aujourd’hui ces mêmes pays du Nord sont aussi très endettés. La dette publique de la France au premier trimestre de 2012 est de 1789,4 milliards d’euros, soit 89,3% du PIB du pays201. Quant au Canada, cette somme est de 550,3 milliards de dollars canadiens au 31 mars 2011, soit 33,9 % du PIB du pays202.

199 ACCT, Actes de la deuxième Conférence des chefs d’État et de gouvernement des pays ayant en commun l’usage du français (Québec, 2-4 septembre 1987), Paris, 1988, p. 115. 200 ACCT, Actes de la troisième Conférence des chefs d’État et de gouvernement des pays ayant en commun l’usage du français (Dakar, 24-26 mai 1989), op. cit., p. 396. Il s’agit des 35 pays suivants : Bénin, Botswana, Burkina Faso, Burundi, Cap-Vert, Comores, Djibouti, Éthiopie, Gambie, Ghana, Guinée, Guinée Bissau, Guinée Équatoriale, Kenya, Lesotho, Libéria, Madagascar, Malawi, Mali, Mauritanie, Mozambique, Niger, Ouganda, Rwanda, République Centrafricaine, Sao Tomé et Principe, Sénégal, Sierra Leone, Somalie, Soudan, Tanzanie, Tchad, Togo, Zaïre, Zambie. 201 Chiffre officiel publié par l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE), disponible sur http://www.insee.fr/fr/themes/theme.asp?theme=16&sous_theme=3 202 Chiffre officiel du gouvernement canadien, « Rapport financier annuel du gouvernement du Canada. Exercice 2010-2011 », disponible sur http://www.fin.gc.ca/afr-rfa/2011/report-rapport-fra.asp#a5

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Les chiffres ne peuvent pas tout exprimer et offrent parfois des images erronées de la réalité, mais le tableau ci-après confirme en partie le constat sur la situation économique et les conditions de vie difficiles dans plusieurs pays membres de l’espace francophone. Il doit évidemment être interprété avec prudence.

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Section 2. L’espace francophone face aux nouveaux défis

Tableau 1 : Données du développement économique et humain dans l’espace francophone203

Produit intérieur brut (PIB) PIB par Indice de Taux d'alphabétisation habitant204 développement des adultes (en % d’âges (En milliards de dollars américains courants) humain (IDH)205 de 15 ans et plus)206

Membres de 1991 1995 2000 2005 2010 2010 2010 2009 plein droit/Année

Albanie 1,14 2,42 3,69 8,38 11,79 3 677 0.737 95 (2008)

Andorre 1,11 1,18 1,13 2,54 n.d207 n.d 0.838 n.d

Belgique 207,95 284,52 232,67 377,25 469,37 43 078 0.885 n.d

Bénin 1,88 2,01 2,25 4,29 6,63 749 0.425 41.7

Bulgarie 10,94 13,07 12,90 28,90 47,71 6 333 0.768 98.3

203 Sources pour le PIB et le PIB par habitant : Banque mondiale, disponible sur http://databank.worldbank.org 204 En millier dollars américains courants. 205 Sources : PNUD, « Indicateurs internationaux de développement humain », disponible sur http://hdrstats.undp.org/fr/tableaux/. L'indice de développement humain (IDH) est un indice statistique composite, créé par le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) en 1990 pour évaluer le niveau de développement humain des pays du monde. L'IDH se fonde sur quatre indicateurs (espérance de vie à la naissance, durée moyenne de scolarisation, durée attendue de la scolarisation et revenu national brut par habitant) et trois dimensions (santé, éducation, niveau de vie). 206 Sources : PNUD, « Indicateurs internationaux de développement humain », disponible sur http://hdrstats.undp.org/fr/tableaux/. Le taux d'alphabétisation est le pourcentage des personnes âgées de 15 ans et plus qui peuvent comprendre, lire et écrire de courts énoncés au sujet de leur vie quotidienne. 207 Données non disponibles.

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Produit intérieur brut (PIB) PIB par Indice de Taux d'alphabétisation habitant204 développement des adultes (en % d’âges (En milliards de dollars américains courants) humain (IDH)205 de 15 ans et plus)206

Membres de 1991 1995 2000 2005 2010 2010 2010 2009 plein droit/Année

Burkina Faso 3,14 2,38 2,61 5,43 8,82 536 0.329 28,7 (2007)

Burundi 1,17 1,00 0,71 0,80 1,61 192 0.313 66.6

Cambodge n.d 3,44 3,65 6,29 11,24 795 0.518 77,6 (2008)

Cameroun 12,43 8,73 10,08 16,59 22,48 1 147 0.479 70,7 (2007)

Canada 598,21 590,52 724,92 1133,76 1577,04 46 212 0.907 n.d

Cap-Vert 0,35 0,49 0,54 0,97 1,65 3 323 0.566 84.8

Centrafrique 1,40 1,12 0,96 1,35 2,01 457 0.339 55.2

Tchad 1,88 1,45 1,39 5,30 7,59 676 0.326 33.6

Comores 0,25 0,23 0,20 0,39 0,54 736 0.431 74.2

Congo (RD) 9,09 5,64 4,31 7,10 13,14 199 0.528 n.d

Congo (Rép.) 2,72 2,12 3,22 6,09 12,01 2 970 0.282 66.8

Côte d'Ivoire 10,49 11,00 10,42 16,36 22,78 1 154 0.401 55.3

Djibouti 0,46 0,50 0,55 0,71 1,05 0.427 n.d (2009) 1 202 (2009)

Section 2. L’espace francophone face aux nouveaux défis

Produit intérieur brut (PIB) PIB par Indice de Taux d'alphabétisation habitant204 développement des adultes (en % d’âges (En milliards de dollars américains courants) humain (IDH)205 de 15 ans et plus)206

Membres de 1991 1995 2000 2005 2010 2010 2010 2009 plein droit/Année

Dominique 0,18 0,22 0,33 0,37 0,47 6 859 0.723 n.d

Égypte 36,97 60,16 99,84 89,69 218,89 2 698 0.644 66,4 (2006)

Guinée 0,13 0,16 1,25 8,22 14,01 0.534 93.3 équatoriale 20 009

France 1245,41 1572,06 1326,33 2136,56 2560,00 39 448 0.883 n.d

Gabon 5,40 4,96 5,07 8,67 13,14 8 729 0.670 87.7

Grèce 100,26 130,52 124,42 240,08 301,08 26 607 0.862 97.2

Guinée 3,01 3,69 3,11 2,94 4,51 452 0.342 39.5

Guinée-Bissau 0,26 0,25 0,22 0,57 0,88 580 0.351 52.2

Haïti 3,48 2,70 3,66 4,15 6,71 671 0.449 48,7 (2006)

Laos 1,03 1,76 1,74 2,72 7,30 1 177 0.520 72,7 (2005)

Liban 4,45 11,72 17,26 21,86 39,01 9 228 0.737 89,6 (2007)

Luxembourg 13,72 20,68 20,27 37,66 53,33 105 195 0.865 n.d

Macédoine 4,69 4,45 3,59 5,99 9,19 4 461 0.726 97.1

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Produit intérieur brut (PIB) PIB par Indice de Taux d'alphabétisation habitant204 développement des adultes (en % d’âges (En milliards de dollars américains courants) humain (IDH)205 de 15 ans et plus)206

Membres de 1991 1995 2000 2005 2010 2010 2010 2009 plein droit/Année

Madagascar 2,65 3,16 3,88 5,04 8,72 421 0.481 64.5

Mali 2,42 2,47 2,42 5,31 9,25 602 0.356 26,2 (2006)

Mauritanie 1,44 1,42 1,29 2,18 3,61 1 044 0.451 57.5

Maurice 2,86 4,04 4,58 6,28 9,72 7 591 0.726 87.9

Moldavie 3,09 1,75 1,29 2,99 5,81 1 631 0.644 98.5

Monaco 2,48 3,13 2,65 4,28 n.d n.d n.d n.d

Maroc 27,84 32,99 37,02 59,52 90,80 2 796 0.579 56.1

Niger 2,33 1,88 1,80 3,41 5,55 358 0.293 28,7 (2005)

Roumanie 28,85 35,48 37,05 98,91 161,62 7 539 0.779 97.7

Rwanda 1,91 1,29 1,73 2,58 5,63 530 0.425 70.7

St Lucie 0,43 0,56 0,72 0,88 1,20 6 884 0.720 n.d

Sao Tomé et n.d n.d n.d 0,11 0,20 0.506 88.8 Principe 1 193

Sénégal 5,62 4,88 4,69 8,69 12,86 1 034 0.457 49.7

Section 2. L’espace francophone face aux nouveaux défis

Produit intérieur brut (PIB) PIB par Indice de Taux d'alphabétisation habitant204 développement des adultes (en % d’âges (En milliards de dollars américains courants) humain (IDH)205 de 15 ans et plus)206

Membres de 1991 1995 2000 2005 2010 2010 2010 2009 plein droit/Année

Seychelles 0,38 0,51 0,61 0,88 0,94 10 766 0.771 91.8

Suisse 241,00 315,94 249,92 372,48 527,92 67 457 0.901 n.d

Togo 1,60 1,31 1,33 2,12 3,15 523 0.433 56,9 (2006)

Tunisie 13,07 18,03 21,47 32,28 44,29 4 199 0.698 77,6 (2008)

Vanuatu 0,19 0,23 0,27 0,39 0,70 2 911 0.615 82.0

Vietnam 9,61 20,74 31,17 52,92 106,43 1 224 0.590 92.8

Produit Intérieur Brut (PIB) PIB par Indice de Taux d'alphabétisation habitant développement des adultes (en % d’âges (En milliards de dollars américains courants) humain (IDH) de 15 ans et plus)

Membres 1991 1995 2000 2005 2010 2010 2010 2009 associés/Année

Arménie 2,07 1,47 1,91 4,90 9,37 3 031 0.714 99.5

Chypres 5,77 9,25 9,31 17,00 23,13 28 779 0.839 97.9

Ghana 6,60 6,46 4,98 10,72 32,31 1 325 0.533 66.6

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Produit Intérieur Brut (PIB) PIB par Indice de Taux d'alphabétisation habitant développement des adultes (en % d’âges (En milliards de dollars américains courants) humain (IDH) de 15 ans et plus)

Observateurs 1991 1995 2000 2005 2010 2010 2010 2009 /Année

Autriche 172,17 238,56 192,07 304,98 379,07 45 181 0.883 n.d

Bosnie- n.d 1,87 5,51 10,76 16,58 4 409 0.731 97.8 Herzégovine

Croatie 18,16 22,05 21,52 44,82 60,85 13 774 0.794 98.8

Émirats arabes 51,55 65,74 104,34 180,62 297,65 39 623 0.845 90 (2005) unis

Estonie 4,78 4,35 5,68 13,90 19,22 14 341 0.832 99.8

Géorgie 6,34 2,69 3,06 6,41 11,67 2 621 0.729 99.7

Hongrie 34,11 45,56 46,39 110,32 128,63 12 863 0.814 99.4

Lettonie 6,76 5,24 7,83 16,04 24,01 10 723 0.802 99.8

Lituanie 10,29 7,90 11,43 25,96 36,31 11 045 0.805 99.7

Monténégro n.d n.d 0,98 2,26 4,11 6 505 0.769 n.d

Mozambique 2,70 2,25 4,25 6,58 9,59 410 0.317 55.1

Pologne 83,65 139,06 171,28 303,91 469,44 12 294 0.811 99.5

Section 2. L’espace francophone face aux nouveaux défis

Produit Intérieur Brut (PIB) PIB par Indice de Taux d'alphabétisation habitant développement des adultes (en % d’âges (En milliards de dollars américains courants) humain (IDH) de 15 ans et plus)

Observateurs 1991 1995 2000 2005 2010 2010 2010 2009 /Année

République 9,72 16,36 24,00 34,00 51,77 5 215 0.686 n.d dominicaine

République 25,57 55,26 56,72 124,55 192,03 18 254 0.863 n.d tchèque

Serbie n.d n.d 6,08 25,23 38,42 5 270 0.764 97.8

Slovaquie 13,12 25,25 28,72 61,33 87,27 16 071 0.832 n.d

Slovénie 12,67 20,94 19,98 35,72 46,91 22 893 0.882 99.7

Thaïlande 98,23 168,02 122,73 176,35 318,52 4 608 0.680 93.5 (2005)

Ukraine 77,46 48,21 31,26 86,14 137,93 3 007 0.725 99.7

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Selon la méthode de classement des économies de la Banque mondiale, en 2010 dans l’espace francophone : 17 pays sont dans le groupe des économies à faible revenu (PIB moyen par habitant de 1 005 dollars ou moins) ; 19 pays dans le groupe des économies à revenu intermédiaire de la tranche inférieure (entre 1 006 et 3 975 dollars) ; 17 pays dans le groupe des économies à revenu intermédiaire de la tranche supérieure (entre 3 976 et 12 275 dollars)208. C’est donc au total 53 sur 72 pays qui sont dans le groupe des économies en développement209.

Le tableau illustre aussi une certaine « corrélation » entre le taux d’alphabétisation des adultes et le faible niveau de développement économique dans plusieurs pays (par exemple le Burkina Faso, le Mali ou le Niger). Au Vietnam, le taux d’alphabétisation élevé, combiné avec la politique d’ouverture économique et la stabilité politique sont des facteurs importants qui permettent une croissance économique élevée depuis 1990. Le tableau montre que le PIB du Vietnam a été multiplié par dix en vingt ans.

Au contraire, le cas du Burundi met en évidence une autre réalité. Les efforts considérables pour l’éducation ces vingt dernières années dans ce pays ont fait accroître rapidement le taux d’alphabétisation des adultes (37,4% en 1990, 59,3% en 2000 et 66,6% en 2009). Pourtant, en 2010, le PIB par habitant du pays n’est que 192 dollars et l’indice de développement humain (IDH) est au-dessous de la moyenne (0.313). La crise politique et la guerre civile peuvent être évoquées comme des causes possibles de cette situation difficile.

Non seulement au Burundi, mais dans plusieurs autres pays africains, les difficultés économiques trouvent souvent son origine dans l’instabilité politique que connaissent ses pays depuis les indépendances. Et ces instabilités politiques trouvent souvent leur origine dans des processus de transitions démocratiques.

208 Ce classement est fait selon les derniers critères de la Banque mondiale. Disponible sur http://donnees.banquemondiale.org/actualites/classification_pays_2011 209 Le tableau illustre seulement la situation dans 72 États membres de la Francophonie car les trois autres membres sont des gouvernements participants et les données les concernant sont comprises dans celles des membres fédéraux auxquels ils appartiennent (le Canada pour le Québec et le Nouveau- Brunswick et la Belgique pour la Communauté française de Belgique).

110

Section 2. L’espace francophone face aux nouveaux défis

Si en Europe de l’Est, les transitions démocratiques sont plutôt réussies et peuvent être considérées comme terminées et consolidées210, par contre dans plusieurs pays africains francophones, ce processus est encore en cours. En plus, ces transitions démocratiques sont souvent la source d’instabilité, de crise politique dans ces pays. Plusieurs de ces crises commencent notamment par une contestation de l'issue des urnes (très souvent) par des vaincus. L’exemple le plus récent est la Côte d’Ivoire. Après l’élection présidentielle en 2010 où le Président sortant Laurent Gbagbo a refusé de reconnaître le résultat des urnes, une guerre civile a été déclenchée et qui a ruiné l’économie ivoirienne.

Le tableau ci-après retrace en partie ces difficultés de transitions en Afrique francophones, caractérisées notamment par des coups d’État récurrents. Ainsi, sur 24 coups d’État survenus en Afrique depuis 1990, 20 se sont passés dans l’espace francophone. Les 4 autres concernaient le Libéria (1990), l’Algérie (1992), le Nigéria (1993) et la Gambie (1994).

Tableau 2 : Les changements anticonstitutionnels dans l’espace francophone (1990-2012)

N° Pays Date Auteur Chef d’État renversé

1 Tchad 1990 Idriss Déby Itno Hissène Habré

2 Mali 1991 Amadou Toumani Touré Moussa Traoré

3 2012 Amadou Haya Sanogo Amadou Toumani Touré

4 Comores 1995 Ayouba Combo Said Mohamed Djohar

5 Burundi 1996 Pierre Buyoya Sylvestre Ntibantunganya

6 Niger 1996 Ibrahim Baré Maïnassara Mahamane Ousmane

210 Sauf quelques cas de crise, de conflits et de guerre civile, notamment dans les pays du Balkan, le bilan de Bamako + 10 de l’OIF parle d’un effet positif de l’Union européenne dans la réussite de transition en Europe de l’Est. C’est en effet souvent les exigences démocratiques de la part de l’Union européenne comme des conditions d’adhésion à cette organisation qui font avancer ces transitions dans cette région.

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N° Pays Date Auteur Chef d’État renversé

7 RDC 1997 Laurent-Désiré Kabila Mobutu Sese Seko

8 Comores 1999 Azali Assoumani Tadjidine Ben Said Massounde

9 Côte d'Ivoire 1999 Robert Guéï Henri Konan Bédié

10 Guinée-Bissau 1999 Ansumane Mané João Bernardo Vieira

11 2003 Verissimo Correia Seabra Kumba Yala

12 2012 Mamadu Ture Kuruma Carlos Gomes Júnior

13 Niger 1999 Daouda Malam Wanké Ibrahim Baré Maïnassara

14 Centrafrique 2003 François Bozizé Ange-Félix Patassé

15 Mauritanie 2005 Ely Ould Mohamed Vall Maaouiya Ould Taya

16 2008 Mohamed Ould Abdel Aziz Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdallahi

17 Togo 2005 Faure Gnassingbé Fambaré Ouattara Natchaba

18 Guinée 2008 Moussa Dadis Camara Coup d’État survenu suite à la mort du Président Lansana Conté

19 Madagascar 2009 Andry Rajoelina Marc Ravalomanana

20 Niger 2010 Salou Djibo Mamadou Tandja

Ce tableau n’est pas complet, car il fait l’état seulement des coups d’État « réussis ». La liste serait encore plus longue si étaient prises en compte aussi des tentatives de coup d’État déjouées. La situation serait aussi plus grave si étaient ajoutées à ce tableau des guerres civiles (Côte d’Ivoire, Burundi, Tchad, Centrafrique) ou le génocide du Rwanda pendant cette période.

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Section 2. L’espace francophone face aux nouveaux défis

En complément de ce tableau, la liste des opérations de maintien de la paix de l’ONU dans les différents pays francophones (membres et observateurs) (tableau ci- après) illustre aussi la situation d’insécurité dans ces pays depuis 1990.

Tableau 3 : Les opérations de maintien de la paix de l’ONU dans l’espace francophone

N° Opération Pays francophones Période concernés dans l’opération 1 MIPRENUC (Mission préparatoire des Cambodge 10/1991- Nations Unies au Cambodge) 3/1992 2 FORPRONU (Force de protection des Croatie (observateur), 2/1992- Nations unies) Macédoine 12/1995

3 APRONUC (Autorité provisoire des Nations Cambodge 3/1992- Unies au Cambodge) 9/1993 4 ONUMOZ (Opération des Nations Unies au Mozambique 12/1992- Mozambique) (observateur) 12-1994 5 MONUOR (Mission d'observation des Rwanda 6/1993- Nations unies Ouganda-Rwanda) 9/1994 6 MONUG (Mission d'observation des Nations Géorgie 8-1993- unies en Géorgie) (observateur) 6/2009 7 MINUHA (Mission des Nations unies en Haïti 9/1993- Haïti) 6/1997 8 MINUAR (Mission des Nations unies pour Rwanda 10/1993- l'assistance au Rwanda) 3/1996 9 GONUBA (Groupe d'observation des Tchad 5/1996- Nations unies dans la bande d'Aouzou) 6/1996 10 ONURC (Opération des Nations unies pour Croatie 5/1995- le rétablissement de la confiance en (observateur) 1/1996 Croatie) 11 FORDEPRENU (Force de déploiement Macédoine 3/1995- préventif des Nations unies) 2/1999 12 MINUBH (Mission des Nations unies en Bosnie-Herzégovine 12/1995- Bosnie-Herzégovine) (observateur) 12/2002 13 ATNUSO (Administration Transitoire des Croatie 1/1996-

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N° Opération Pays francophones Période concernés dans l’opération Nations unies pour la Slavonie orientale, la (observateur) 1/1998 Baranja et le Srem occidental) 14 MONUP (Mission d'observation des Nations Croatie 1/1996- unies à Prevlaka) (observateur) 12-2002 15 MANUH (Mission d'appui des Nations unies Haïti 7/1996- en Haïti) 7/1997 16 MITNUH (Mission de transition des Nations Haïti 8/1997- unies en Haïti) 11/1997 17 MIPONUH (Mission de police civile des Haïti 12/1997- Nations unies en Haïti) 3/2000 18 UNPSG (Groupe de support de la police Croatie 1/1998- civile des Nations unies) (observateur) 10/1998 19 MINURCA (Mission des Nations unies en République centrafricaine 4/1998- République centrafricaine) 2/2000 20 ONUB (Opération des Nations unies au Burundi 6/2004- Burundi) 12/2006 21 MINURCAT (Mission des Nations unies en République centrafricaine 9/2007- République centrafricaine et au Tchad) et Tchad 12/2010 22 ONUST (Organisme des Nations unies Égypte, Liban Depuis chargé de la surveillance de la trêve) 5/1948 23 FINUL (Force Intérimaire des Nations unies Liban Depuis au Liban) 3/1978 24 MONUG (Mission d'Observation des Géorgie (observateur) Depuis Nations unies en Géorgie) 8/1993 25 MONUC (Mission des Nations unies en RDC Depuis République démocratique du Congo) 11/1999 26 ONUCI (Opération des Nations unies en Côte d’Ivoire Depuis Côte d'Ivoire) 4/2004 27 MINUSTAH (Mission des Nations unies Haïti Depuis pour la stabilisation en Haïti) 6/2004 28 MONUSCO (Mission d'organisation de RDC Depuis Nations unies pour la stabilisation du 7/2010 Congo)

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Section 2. L’espace francophone face aux nouveaux défis

Ces tableaux, évidemment encore incomplets, offrent une vue plus claire sur les défis auxquels les organisations internationales comme la Francophonie doivent et devront faire face dans leur accompagnement des pays francophones ces dernières années et dans l’avenir.

§3. L’émergence de la Francophonie comme une voie possible pour répondre aux nouveaux enjeux des pays francophones

Depuis la fin du système bipolaire, les institutions régionales et internationales sont de plus en plus considérées comme des outils appropriés par les États pour tenter de résoudre de différents défis mondiaux. Cette sollicitation des institutions multilatérales a plusieurs raisons :

En premier, l’interdépendance croissante entre les pays concernant plusieurs questions politiques, économiques, culturelles et environnementales leur permet aujourd’hui difficilement de les résoudre séparément par les États et nécessite systématiquement une action collective.

Deuxièmement, les institutions internationales peuvent offrir aux États participants des avantages et des intérêts. Elles peuvent en particulier « réduire les coûts de transaction en vue de favoriser la conclusion des accords et de garantir leur respect ; favoriser la transparence et la confiance ; fournir les instruments adéquats de résolution des différends et offrir une aide à la décision »211. Dans le calcul d’intérêts, Guillaume Devin et Marie-Claude Smouts précisent que dans le jeu du multilatéralisme « aucun ne peut prétendre gagner chaque fois dans tous les domaines, mais dans la longue durée et selon les dossiers, chacun peut espérer un jour gagner quelque chose. La pratique multilatérale introduit entre les participants ce que Robert Keohane a appelé une « réciprocité diffuse ». Elle donne en quelque sorte plus d’importances à l’avenir qu’au

211 Ce sont des fonctions des institutions internationales que Robert Keohane a décrites dans son livre publié en 1984, After Hegemony : Cooperation and Discord in the World Political Economy, Princeton University Press, 1984, cité par Jean-Jacques Roche, Théories des relations internationales, op.cit., p. 87.

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présent »212. Les institutions internationales, dans ce sens, peuvent être considérées comme des « instruments placés à la disposition des États »213.

Enfin, en participant à ces institutions multilatérales, les pays en voie de développement peuvent toujours espérer profiter des nouvelles ressources pour leur développement. Quant aux pays riches, en finançant les différentes activités de ces institutions, ils renforcent leur influence sur les pays bénéficiaires en cas de succès de la coopération (par exemple des projets de réduction de pauvreté, de protection de l’environnement), tout en laissant ces institutions assumer la responsabilité en cas d’échec de certains programmes (comme les plans d’ajustement structurel imposés par le FMI et la Banque mondiale depuis des années 1980).

Dans ce contexte, la Francophonie, en sa qualité d’organisation internationale et de communauté de solidarité, a été logiquement sollicitée comme un des moyens appropriés pour répondre aux différents besoins des pays francophones. Devant les enjeux existant dans l’espace francophone depuis la fin de la Guerre froide (voir §2 de cette section), l’évolution de la Francophonie vers un acteur politique est devenue une « nécessité » comme l’a dit Jean-Louis Roy, l’ancien Secrétaire général de l’ACCT. D’un côté, pour les pays francophones du Sud, les besoins d’accompagnement dans leur processus de transition sont presque infinis dans tous les domaines214, notamment dans le domaine de la coopération juridique et judiciaire comme l’a rapporté le ministre de la Justice du Grand-Duché de Luxembourg, Robert Krieps, au Sommet de Dakar215. De l’autre côté, pour les pays du Nord comme la France, le financement des programmes de coopération dans le cadre d’une Francophonie internationale élargie aide à dépasser le cadre traditionnel de coopération France-Afrique et en même temps, permet de profiter

212 Guillaume Devin, Marie-Claude Smouts, op. cit., p. 34. 213 Jean-Jacques Roche, Théories des relations internationales. op. cit., p. 87. 214 D’où vient le risque de voir la Francophonie devenir une autre caisse enregistrant trop de demandes qu’elle ne peut pas tous satisfaire par manque de moyens nécessaires. Ce risque est réel si nous regardons le nombre de demandes d’accompagnement des pays du Sud depuis le premier Sommet. L’adoption d’un cadre stratégique décennal en 2004 a pu limiter en partie ce risque. Mais ce document stratégique qui définit les orientations de la Francophonie reste encore à améliorer. 215 ACCT, Actes de la troisième Conférence des chefs d’État et de gouvernement des pays ayant en commun l’usage du français (Dakar, 24-26 mai 1989), op. cit., p. 95.

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Section 2. L’espace francophone face aux nouveaux défis de l’influence francophone pour faire avancer de différents dossiers internationaux, notamment le compromis sur l’exception culturelle lors des négociations sur la création de l’OMC, ou celle de la Convention de l’UNESCO sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles (en 2005). Ceci d’autant plus qu’aujourd’hui les accusations de néo-colonialisme sont dépassées et que depuis la fin de la Guerre froide les considérations idéologiques comme fondements des coopérations internationales semblent appartenir au passé. Dans cette logique, on peut dire que la Francophonie est un instrument, un outil à la disposition de tous les États francophones. C’est aussi ce que nous ont confirmé les anciens et actuels dirigeants de la Francophonie216 dans leurs discours et aussi lors de nos entretiens217 avec eux pour la rédaction de cette thèse.

Instrument des États et responsable devant eux, dans la réalisation de ses différentes activités, la Francophonie dispose pourtant une certaine autonomie nécessaire pour prétendre devenir un acteur à part entière des relations internationales. Ce point sera développé dans la deuxième partie de notre travail.

Mais il faut aussi dire que la coopération au sein de la Francophonie ne peut pas être réduite seulement au cadre interétatique et en sa qualité d’instrument des États membres. Le partage d’une langue commune, le français, fait que la Francophonie est depuis le début une organisation de solidarité, portée par de différentes associations non gouvernementales. Les activités de l’Agence universitaire de la Francophonie, de l’Université Senghor d’Alexandrie, de l‘Association internationale des Maires francophones ou encore d’autres associations francophones illustrent cette dimension solidaire de la Francophonie. Leurs actions constituent un socle solide pour la coopération intergouvernementale francophone. Cette Francophonie non gouvernementale est le second moteur de la coopération francophone. Par ailleurs, il faut aussi prendre en compte la spécificité de la Francophonie en tant qu’union géoculturelle et les valeurs de liberté, de solidarité, de diversité et de dialogue qui la fondent.

216 Clément Duhaime, intervention à la 24e CMF au Québec (2008), in Actes de la 24e session de la CMF, Paris, 2008, pp. 139-140. Il affirme clairement que « notre organisation est dès lors votre instrument ». 217 Il s’agit de M. Jean-Louis Roy (ancien Secrétaire général de l’ACCT (1990-1997)), de M. Roger Dehaybe (ancien Administrateur général de l’AIF (1998-2005)), et de M. Clément Duhaime (actuel Administrateur de l’OIF (depuis 2006)).

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CHAPITRE II. LA FRANCOPHONIE, UN ESPACE LINGUISTIQUE DE LANGUE FRANÇAISE MARQUE PAR LA DIVERSITE

Quand le premier Sommet de la Francophonie est organisé à Versailles en 1986, son titre exact est la « Conférence des chefs d’État et de gouvernement des pays ayant en commun l’usage du français ». Au cinquième Sommet en île Maurice (1993), cette conférence a changé de nom pour devenir la « Conférence des chefs d’État et de gouvernement des pays ayant le français en partage ». Aujourd’hui, cette langue constitue un lien entre 75 pays dans le monde. Elle est un outil des coopérations entre les pays membres de l’Organisation internationale de la Francophonie. Son renforcement est depuis le Sommet de Québec en 2008 une des priorités de la communauté francophone.

Si, comme le disait le Président sénégalais Léopold Sédar Senghor « dans les décombres du colonialisme, nous avons trouvé cet outil merveilleux – la langue française », cette langue a fait un long parcours, de son foyer origine à son expansion sur les cinq continents dans le monde pour devenir plus tard une langue partagée. Elle est à la base d’une communauté émergente, dans un premier temps portée par les associations privées et publiques, et plus tard par les gouvernements francophones eux-mêmes. Cette communauté, la Francophonie, devient aujourd’hui de plus en plus la garante de sa pérennité en tant que langue internationale (section 1).

Portée par plusieurs acteurs, gouvernementaux et non gouvernementaux, sur la base du partage de la langue française, la Francophonie est par ailleurs très marquée par la diversité culturelle, politique, économique en son sein. Cette diversité représente pour la Francophonie à la fois une richesse, une force d’influence, mais aussi un défi pour l’efficacité de ses actions (section 2).

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SECTION 1. LE FRANÇAIS, LE CIMENT DU PROJET FRANCOPHONE

§1. La naissance du français en France

Jusqu’au début de la deuxième moitié du XIXe siècle (1863) le français n’était pas encore la langue de tous les Français. Cela parait paradoxal, mais selon une étude de cette époque218 elle est alors encore ignorée par 7,5 millions de Français, soit environ 20% de la population totale de la France (38 millions). Pour arriver à son statut aujourd’hui de langue nationale inscrite dans la Constitution, le français a parcouru une « incroyable aventure », comme l’a dit Jean Forest219 et survécu à plusieurs combats politiques et militaires importants, comme l’a remarqué le linguiste Claude Hagège220.

D’origine latine, le français est aussi très influencé par d’autres langues qui existaient sur le territoire de la Gaule, notamment le gaulois et les langues germaniques. L’histoire du français est marquée par trois grandes étapes qui correspondent à l'arrivée sur le territoire de la Gaule de trois peuples différents : les Gaulois, les Romains et les Germaniques.

« Les Gaulois, nos ancêtres », disaient les Français pendant un certain temps. Mais si on remonte dans le temps, on constate que les Gaulois ne sont pas les premiers habitants du territoire de la Gaule ou de la France actuelle. Avant eux, y habitaient déjà des peuples aquitains, ibères, ligures. Pourtant, leurs langues ont restées pratiquement inconnues et n’ont pas laissé beaucoup de traces dans le français221.

C'est seulement vers le VIIIe siècle avant J.-C. que les Gaulois ont commencé la conquête de ce territoire. Si les Gaulois ont pu marquer l’histoire de la France, c’est parce qu’ils ont créé sur ce territoire des royaumes puissants et en sont devenus les

218 Jacques Leclerc, « Le français contemporain », dans L’aménagement linguistique dans le monde, Québec, TLFQ, Université Laval, 29 avril 2011, [http://www.tlfq.ulaval.ca/axl/francophonie/HIST_FR_s9_Fr- contemporain.htm], (13 décembre 2011). 219 Jean Forest, L'incroyable aventure de la langue française, Québec, Triptyque, 2002. 220 Claude Hagège, Combat pour le français : Au nom de la diversité des langues et des cultures, Paris, Odile Jacob, 2006. 221 Walter, Henriette. L’aventure des mots français venus par ailleurs, Paris, Robert Laffont, 1997, p. 35.

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vrais maîtres avant l’invasion des Romains en 53 avant J.-C. Leur langue, le gaulois, malgré le peu de traces écrites222, a marqué néanmoins l’histoire du français. Ainsi, la linguiste Henriette Walter estime que « l’ensem ble des mots français sûrement venus du gaulois pourrait composer une petite liste de plusieurs dizaines d’unités »223.

Langue parlée et non écrite, le gaulois a peu à peu disparu sur le territoire de la Gaule au profit d’une autre langue écrite, le latin de l’Empire romain, après l’invasion romaine224. Si la romanisation225 des Gaulois avait déjà commencé avant cette invasion notamment via des contacts économiques, commerciaux, politiques entre ces deux peuples, l’occupation de la Gaule par les Romains va accélérer encore ce processus et en même temps celui de la latinisation226.

La langue des envahisseurs, langue écrite, le latin s’impose dans la Gaule et remplace peu à peu le gaulois dans les activités politiques, économiques, éducatives, militaires, culturelles et même dans la vie de tous les jours, selon « des rythmes différents d’une région à l’autre »227. Durant ce processus, une sorte de bilinguisme gaulois-latin s’installe en Gaulle. Vers la fin du VIe siècle de notre ère, c'est-à-dire plus de six siècles après l’invasion romaine, la latinisation s’achève. Le gaulois « avait lentement disparu de l’usage pour laisser la place au latin, tout d’abord chez les nobles et les marchands, surtout

222 Car selon Henriette Walter, « les druides, qui détenaient la science, la religion et la justice, ne diffusaient leur savoir que par voie orale », in Henriette Walter, L’aventure des mots français venus par ailleurs, Paris, Robert Laffont, 1997, p. 45. Sur les raisons du manque d’une écriture du gaulois, voir aussi Alain Rey et al., Mille ans de langue française, histoire d’une passion, Paris, Librairie Académique Perrin, 2007, pp. 20-21. 223 Henriette Walter, L’aventure des mots français venus par ailleurs, op. cit., p. 46. Sur le nombre de mots français d’origine gauloise, l’auteur Pierre-Yves Lambert a fait une liste d’environ cent cinquante mots, in Pierre-Yves Lambert, La langue gauloise, pp. 204-205, cité par Alain Rey et al., op. cit., p. 38. 224 Pourtant, il faut remarquer que « la situation linguistique préromaine de la Gaule ne se résume pas au gaulois. Même si l’élément celtique était de loin le plus important, quatre autres langues ou familles de langues principales se partageaient une partie du territoire : le grec, l’ibère et l’élément aquitain, le ligure et le germain. » in Alain Rey et al., op. cit., pp. 13-14. 225 La romanisation fait référence au processus de l’assimilation culturelle. 226 La latinisation fait référence au processus de l’imposition du latin comme langue pratiquée des Gaulois. 227 Alain Rey et al., op. cit., p. 22.

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Section 1. Le français, le ciment du projet francophone dans les villes, et finalement dans les campagnes à l’époque de l’expansion du christianisme »228.

Parallèlement à la disparition graduelle de la langue gauloise dans la Gaule, le troisième tournant dans l’histoire du français est marqué par l'arrivée des peuples germaniques durant la période des « grandes invasions » au IVe et VIe siècle. En fait, ces peuples sont déjà présents dans la Gaule depuis le IIe et IIIe siècle, surtout dans l'armée romaine comme mercenaires. Mais c’est avec les grandes invasions que l’installation de ces peuples dans la Gaule devient définitive. Ils fondent sur ce territoire les différents royaumes, notamment ceux des Francs, des Burgondes, des Alamans ou des Wisigoths229. Le Royaume des Francs, fondé en 481 par Clovis Ier, deviendra de plus en plus puissant et est aujourd’hui considéré comme à l’origine de la France moderne.

Sur le plan linguistique, l'arrivée des Germaniques dans la Gaule est, pour les linguistes, très signifiante. Le processus d’échange linguistique se passe dans les deux sens : d’une part, la latinisation (et la romanisation) des nouveaux venus ; d’autre part, l’apport de la langue de ces derniers, tant au niveau phonétique que lexical230, à la langue latine pratiquée dans la Gaule.

Comme la période du bilinguisme gaulois-latin, un bilinguisme germanique-latin existe alors sur le territoire de la Gaule. Et selon Alain Rey et ses coauteurs, « ce bilinguisme a été vivace, parce qu’il était étayé par une dualité juridique (droit franc

228 Henriette Walter. Honni soit qui mal y pense. Paris, Robert Laffont, 2001, p. 53. 229 Selon Henriette Walter, « parmi les multiples tribus germaniques qui se sont déplacées dans toute l’Europe bien avant la naissance de l’Empire romain, seuls certains groupes, les Wisigoths, les Burgondes, les Alamans et les Francs, ont été en rapport avec les populations de la langue romaine qui allait devenir le français ». Et parmi ces quatre groupes de germaniques, c’est la langue des Francs qui laisse le plus de traces dans le français. Voir Henriette Walter, L’aventure des mots français venus par ailleurs, Paris, Robert Laffont, 1997, p. 103. 230 Au niveau lexical, la linguiste Henriette Walter note notamment l’abondance des mots d’origine germanique relatif à la forêt en général et en particulier aux arbres et aux productions qui en dérivent (par exemple : le houx, le gui, l’osier, le roseau, le troène, le saule, l’aulne et le hêtre) voir Henriette Walter, L’aventure des mots français venus par ailleurs, op. cit., pp. 105-112. Selon Alain Rey et ses coauteurs, « au total, on compte aujourd’hui en français courant 600 à 700 mots empruntés au francique » in Alain Rey et al., op. cit., p. 66.

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versus droit romain) et par une hiérarchisation fonctionnelle des usages linguistiques. Ainsi, au plan politique, dominait largement l’élément germanique, alors qu’au plan culturel et religieux, l’élément latin l’emportait sans conteste. »231

Le francique, langue des Francs, les nouveaux occupants de la Gaule, n’a pas échappé au sort du gaulois face au latin. Ainsi, notent Alain Rey, Frédéric Duval et Gilles Siouffi : « Au milieu du VIIIe siècle, la plupart des Francs romanisés ont oublié leur langue germanique et au IXe siècle l’aristocratie carolingienne du nord de la France doit envoyer ses enfants apprendre la langue franque là où elle était encore parlée »232. Cette latinisation atteint un niveau symbolique, comme note Bernard Cerquiglini, en 987 « Hugues Capet est le premier roi franc à ne plus parler que la langue romane ; un interprète lui est nécessaire quand on s’adresse à lui en langue germanique »233.

Cette situation peut être expliquée par le fait que la population germanique234 installée dans la Gaule après l’invasion de ce territoire était moins nombreuse que celle des Gallo-Romains, des habitants romanisés et latinisés en place. En outre, pour Henriette Walter, « il faut … souligner l’importance de l’Église, dont la langue liturgique était le latin et qui avait gardé son influence intacte après la conquête franque. Le baptême de Clovis n’avait fait que renforcer la position de ce latin dont le prestige était séculaire et qui était depuis longtemps la langue de l’administration et de l’armée »235.

D’autres raisons peuvent être avancées, notamment le fait que les envahisseurs ont tendance à adopter la culture, la civilisation et aussi la langue d’un peuple où le niveau de développement est plus haut que le leur. C’est le cas non seulement en Europe, mais aussi en Asie. L’exemple de différents peuples (les Mongols, les Mandchous) qui ont conquis la Chine des Hans et ont fini par adopter la civilisation, la langue de ces derniers illustre ce propos.

Il faut pourtant préciser ici que le « latin » pratiqué sur le territoire de la Gaule à l’époque mérovingienne (début du VIe siècle - milieu du VIIIe siècle) n’est plus identique

231 Alain Rey et al., op. cit., p. 61. 232 Ibid., p. 63. 233 Bernard Cerquiglini, La naissance du français, P.U.F. « Que sais-je ? », 2007, p. 32. 234 Environ 5% de la population totale, selon Henriette Walter, Honni soit qui mal y pense, op. cit., p. 57. 235 Idem.

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Section 1. Le français, le ciment du projet francophone

à celui des lointains modèles, antiques ou même chrétiens, et cela à l’écrit comme et à l’oral236. Cette situation est expliquée en partie à la fois par un déclin de l’enseignement du latin classique durant cette époque et par une évolution rapide du latin parlé, notamment au niveau lexical et phonétique237.

En plus, une différence croissante entre le latin correct, le latin écrit - sermo politus, et le « mauvais » latin, le latin parlé - sermo rusticus, est né. L’intercompréhension relative entre ceux qui pratiquent ces deux latin est assurée pendant un certain temps. Mais elle touche à sa fin relative selon le linguiste Michel Banniard vers le milieu du VIIIe siècle, après une période de « mutation langagière » entre 650 et 750. La réforme carolingienne vers la fin du VIIIe siècle et au début du IXe siècle qui appelle à un retour au latin classique est l’illustration de cette situation linguistique particulière dans la Gaule238.

Pendant cette période, les habitants de la Gaule qui parlent le latin oral des illettrés ont de plus en plus du mal à comprendre ceux qui pratiquent le latin parlé et écrit des milieux cultivés, notamment les prêtres. Le Concile de Tours en 813 est un exemple significatif et important de cette incompréhension entre ces deux milieux. En effet, ce Concile de Tours recommande aux prêtres de « traduire (transferre) clairement [leurs] homélies en latin des illettrés (in rusticam romanam linguam) ou en germanique (thiosticam), afin que tous puissent comprendre plus facilement ce qui est dit (Tours, canon 17) »239. Le fait de l’utilisation de « traduction » en « latin d’illettré » pour faire

236 Alain Rey et al., op. cit., p. 72. 237 À ce niveau, note Henriette Walter, « les langues germaniques ont joué un rôle de premier plan dans l’élaboration du français qui était en train de se construire une personnalité à partir des formes évoluées du latin ». Au niveau lexical, on trouve l’influence des langues germaniques surtout sur la façon de nommer les personnes (avec des noms plus courts), sur les noms de lieux, les noms communs (les couleurs : bleu, brun, blanc, … ; les vêtements : robe, gant, … ; etc), sur le corpus des verbes comme garder, marcher, tomber, soigner et des adjectifs comme frais, riche, laid, etc. Au niveau phonétique, l’influence germanique se trouve dans la prononciation, « en particulier dans le cas des mots en h-, comme huche, haie, hameau, haine où la non-liaison et la non-élision témoignent encore aujourd’hui de la présence ancienne d’un véritable h prononcé, comme c’était le cas dans la langue des Francs. », voir Henriette Walter. Honni soit qui mal y pense, op.cit, pp. 57-62. 238 Voir Alain Rey et al., op. cit., pp. 74-75. 239 Ibid., p. 80.

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comprendre les auditeurs suppose que ce « latin » des illettrés n’était plus le latin, mais il s’agissait bien d’une autre langue.

Après le Concile de Tours, en l'année 842 sont écrits les Serments de Strasbourg. Cet accord d’entente entre les deux frères Louis le Germanique et Charles le Chauve a marqué l’histoire de la France et de l’Europe. Cette date coïncide pratiquement avec celle de 843 qui est considérée par les historiens comme date de naissance de la France avec le Traité de Verdun partageant l'Empire carolingien en trois Royaumes dont la Francie occidentale, devenue aujourd'hui la France moderne. Premier document politique important qui n’est pas écrit en latin, le Serment de Strasbourg prononcé par Louis le Germanique est souvent considéré comme l’acte de naissance du français240.

Acte fondateur et symbolique de la naissance du français, les Serments de Strasbourg marquent une étape importante dans l’histoire du français. Depuis cette date, ce « nouveau système d’écriture » du latin n’a cessé d'évoluer pour devenir le français moderne d'aujourd'hui. C'est aussi depuis cette date que le français entame son long processus d'expansion d'abord dans toute la France, puis en Europe et enfin dans le monde avec un statut de langue internationale.

En France, tout au long de ce parcours, il existe parallèlement d’autres langues, qu’il s’agisse du latin, d’autres dialectes ou de langues venant ailleurs, mais il s’imposera finalement sur tout le territoire français.

« Enfant » du latin, le français n’a pas cessé de grandir, de se développer pour finalement d’entrer en concurrence avec le latin sur le territoire français dans tous les domaines.

240 Notamment les linguistes comme Bernard Cerquiglini, Claude Hagège, Henriette Walter. Pourtant, certains autres linguistes comme Alain Rey, Frédéric Duval et Gilles Siouffi, en analysant ces textes ont arrivé à la conclusion qu’au lieu de parler des Serments de Strasbourg comme l’acte de naissance du français, il est plus exact de parler de la « scissiparité » ou de la « séparation progressive et graduelle entre un latin des lettrés et un latin vernaculaire ». Cette analyse est partagée par d’autres auteurs, notamment le linguiste Jacques Leclerc pour qui : « plutôt que de voir dans les Serments de Strasbourg l'acte de naissance du français, il conviendrait de les considérer comme la marque d'un nouveau système d'écriture pour une même langue. Cette langue des Serments n'est pas celle parlée par le peuple, mais plutôt une langue intermédiaire entre le «latin des lettrés» et le « latin parlé des illettrés », et qui pouvait être néanmoins comprise par le peuple ».

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Section 1. Le français, le ciment du projet francophone

Dans un premier lieu, le français a peu à peu pris la place du latin comme langue de la religion chrétienne en France. Paradoxalement, la montée en influence du français dans ce domaine est assurée, facilitée dans un premier temps par les prédicateurs, des clercs et des prêtres. Comme dit plus haut, ces derniers dans le souci de faire comprendre aux illettrés le message du Dieu ont construit des outils, des recommandations qui servent de bases pour l’accouchement du français écrit. Il s’agit des textes comme les Gloses de Reichenau au milieu du VIIIe siècle, la Cantilène de sainte Eulalie au début du IXe siècle, le Sermon sur Jonas au Xe siècle ou le Concile de Tours au début du IXe siècle.

Une autre étape dans cette concurrence est la publication de premières traductions en partie de la Bible en français à partir du XIIe siècle. La multiplication des traductions de la Bible en langue française a lieu au XIIIe siècle et la première version complète de la Bible en français, appelée Bible du XIIIe siècle, a été réalisée dans le troisième quart ou au début du quatrième quart du XIIIe siècle241. L’avantage pour le français dans cette période, c’est que ces traductions sont encouragées, soutenues et défendues par la monarchie française de l’époque qui y trouve plusieurs intérêts : « une indépendance plus grande de l’Église de France par rapport à Rome ; un avantage à prendre sur l’Italie, avec laquelle la France était en guerre et où la langue vernaculaire réhabilitée était devenue un instrument de culture ; la promotion de la centralisation politique grâce à un rôle accru confié au français »242.

Ce soutien de la monarchie à cette langue marque ainsi une autre réalité : le français devient de plus en plus une langue de la cour, du pouvoir politique, son expansion en France est aussi un fait politique. Elle prend pied dans les domaines jusque-là réservés au latin et réduit l’influence de ce dernier à sa dimension restreinte de la langue de l’Église et du pouvoir spirituel.

Au-delà du domaine religieux et politique, la concurrence entre le latin et le français se passe aussi dans beaucoup d’autres domaines de la vie économique, académique et culturelle de la société française. Ainsi, le français prend peu à peu la place du latin dans tous ces domaines de littérature, des sciences, du droit, de la

241 Alain Rey et al., op. cit., p. 241. 242 Ibid., p. 242.

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connaissance, de l’éducation, etc. Dans le domaine de la littérature, par exemple, l’arrivée de l’imprimerie favorise l’expansion du français en France, note le linguiste Jacques Leclerc : « Avant 1550, près de 80 % des livres imprimés en France étaient en latin, cette proportion était passée à 50 % en 1575… L'imprimerie favorisa la diffusion du français : il parut plus rentable aux imprimeurs de publier en français plutôt qu'en latin en raison du nombre plus important des lecteurs dans cette langue [le français]»243.

L’un des événements les plus significatifs de l’histoire du français reste l’édit Villers-Cotterêts promulgué par le Roi de France, François Ier, en 1539. Ce document oblige à utiliser français dans les actes juridiques. Pour François Ier, cette ordonnance était une façon de réduire le pouvoir de l'Église, qui utilisait le latin, tout en augmentant celui de la monarchie. Dorénavant, le roi s'attribuait de plus grands pouvoirs administratifs et limitait ceux de l'Église aux affaires religieuses, notamment pour les registres de naissance, de mariage ou de décès, lesquels devaient être contresignés par un notaire. Pour le français, c’est le début d’une reconnaissance importante de son statut en France. Devenu la langue du Roi, il commence son expansion en Europe et partout dans le monde avec la création plus tard des deux Empires français.

Il faut noter que depuis sa naissance jusqu’à cette date symbolique de l’édit Villers- Cotterêts, le français a su s’imposer peu à peu face au latin comme une langue incontournable dans les différents domaines d’activités en France. Une des raisons de cette « victoire » du français peut être trouvée dans le fait que le latin était devenu depuis longtemps une langue morte, pratiquée seulement par une petite classe d’élite en France et en Europe. Face à une langue vivante comme le français, la défaite du latin dans cette bataille linguistique est raisonnable.

À partir du XVIe siècle, le français affronte de nouvelles langues en France, cette fois-ci des langues vivantes : les dialectes régionaux. Cependant, avec son statut de la langue des Rois de France, puis de la langue de la Révolution, le français s’imposera peu à peu en France à partir du XVIIe siècle en dépit de la vitalité de ces langues régionales.

243 Jacques Leclerc, « La Renaissance – l’affirmation du français », in L’aménagement linguistique dans le monde, Québec, TLFQ, Université Laval, 29 avril 2011, disponible sur [http://www.tlfq.ulaval.ca/axl/francophonie/hist_fr_s5_renaissance.htm]

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Section 1. Le français, le ciment du projet francophone

Devenu langue officielle en France, le français se répand rapidement en Europe, en Amérique et plus tard dans les autres continents africain et asiatique, du fait du Siècle des Lumières, de la Révolution française et de la colonisation. Utilisé dans la diplomatie, langue de culture, langue des sciences et techniques, le français devient une langue internationale. Aujourd’hui au sein de la Francophonie, elle est une langue partagée par soixante-quinze États et gouvernements dans le monde.

§2. Le français en partage dans la Francophonie

Comment une langue née en Europe est-elle aujourd’hui partagée par d’autres pays de quatre coins du monde ? Que signifie le partage d’une langue commune dans la Francophonie ?

Au Siècle des Lumières, le français s’est répandu rapidement en Europe, surtout dans les milieux bourgeois et royaux. Vers la fin de ce siècle et juste avant la Révolution, cette universalité de la langue française en Europe atteint un tel point qu’elle a fait l’objet d’un concours organisé par l'Académie royale des Sciences et Belles-Lettres de Berlin en 1784. Les questions posées aux candidats sont les suivantes : Qu’est-ce qui a rendu la langue française universelle ? Pourquoi mérite-t-elle cette prérogative ? Est-il à présumer qu’elle la conserve ? Le lauréat de ce concours est un écrivain français, Antoine de Rivarol (1753-1801).

Selon Rivarol, l’universalité du français est due aux qualités inhérentes de cette langue : « la position de la France, sa constitution politique, l'influence de son climat, le génie de ses écrivains, le caractère de ses habitants, et l'opinion qu'elle a su donner d'elle au reste du monde »244.

Pour lui, le français peut conserver cette position universelle grâce à son propre génie, car « ce qui distingue la langue française des langues anciennes et modernes, c'est l'ordre et la construction de la phrase. Cet ordre doit toujours être direct et nécessairement clair. Le français nomme d'abord le sujet du discours, ensuite le verbe qui est l'action, et enfin l'objet de cette action : voilà la logique naturelle à tous les hommes ; voilà ce qui

244 Antoine de Rivarol, « Discours sur l'universalité de la langue française », disponible sur http://www.tlfq.ulaval.ca/axl/francophonie/Rivarol-Discours-universalite_fr.htm

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constitue le sens commun ». Il arrive même à déclarer que « ce qui n'est pas clair n'est pas français ; ce qui n'est pas clair est encore anglais, italien, grec ou latin »245.

Quant à l’avenir de l’universalité du français, sa réponse est très brève et indirecte : « J'aurais pu examiner jusqu'à quel point et par combien de nuances les langues passent et se dégradent en suivant le déclin des empires ; mais il suffit de dire qu'après s'être élevées d'époque en époque jusqu'à la perfection, c'est en vain qu'elles en descendent : elles y sont fixées par les bons livres, et c'est en devenant langues mortes qu'elles se font réellement immortelles »246. Pour lui, une fois que le français a acquis son statut, il n’est plus nécessaire de faire des guerres pour promouvoir l’expansion de cette langue : « Il faut donc que la France craigne de détourner par la guerre l'heureux penchant de tous les peuples pour elle : quand on règne par l'opinion, a-t-on besoin d'un autre empire ? »247.

L’analyse de Rivarol semble aujourd’hui exagérée. L’histoire a donné raison à son concurrent, celui qui a gagné le deuxième prix de ce concours, Johann Christoph Schwab. Dans sa Dissertation sur les causes de l'universalité de la langue française et la durée vraisemblable de son empire, comme Rivarol, Schwab fait le lien entre l’universalité de la langue française avec ses qualités inhérentes, mais il ajoute des raisons politiques : « La propagation d’une langue dépend de la nature de cette langue, des qualités du peuple qui la parle, et des rapports politiques de ce peuple avec les autres nations »248. Et c’est le principe de supériorité politique qui « est décisif pour la langue française ». Par rapport aux autres pays dans le monde, la France à cette époque est supérieure en population, en richesses, en puissance249, ce qui explique l’expansion de sa langue. Il appuie son argument sur les preuves historiques : « l’époque de la paix de Nimègue, époque des triomphes de la France sur ses nombreux ennemis, époque du plus haut degré de sa puissance, est précisément, et sans contredit, celle où sa langue devient la langue la plus

245 Idem. 246 Idem. 247 Idem. 248 Johann Christoph Schwab, Le grand concours : dissertation sur les causes de l'universalité de la langue française et la durée vraisemblable de son empire, Amsterdam, Faux Titre, 2005, p. 78. 249 Ibid., pp. 92-93.

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Section 1. Le français, le ciment du projet francophone commune parmi les classes supérieures »250. Pour Schwab, l’expansion de la langue française est très directement liée à la montée en puissance de la France.

La constitution du Deuxième Empire français aux XIXe et XXe siècles, empire qui s’étend sur les continents africain et asiatique, a confirmé cette analyse de Schwab. Si le français est pratiqué dans ces différents pays lointains, c’est d’abord et surtout parce qu’il est la langue du colonisateur. C’est aussi ce que souligne Michel Guillou : le français est « la langue de la conquête, de la colonisation, la langue en somme imposée de l’extérieur, subi beaucoup plus qu’accepté […], une langue de la puissance »251. Les qualités inhérentes de cette langue, les écrivains français et les valeurs de la Révolution française viennent ensuite et de plus renforcer le prestige de cette langue dans ces pays.

En Afrique comme en Asie, les colons français vont créer des écoles pour enseigner le français, et cela moins pour remplir sa mission civilisatrice, dont Jules Ferry (1832- 1893) a vantée le mérite, que pour répondre à des besoins pratiques : la formation des cadres, des fonctionnaires de l’administration coloniale. C’est aussi pour cette raison que le français dans ces colonies est resté une langue d’élite durant toute la période de colonisation.

Le principe de scolarisation posé en 1902 par le gouverneur général de l’Indochine, Paul Doumer, illustre ce propos : « Si la substitution générale de l’enseignement français à l’enseignement indigène, impossible dans le présent paraît dangereuse dans un avenir prochain, il n’en est pas de même de la superposition de l’un à l’autre, non pour la masse des enfants, mais pour l’élite, pour ceux qui sont appelés à occuper les emplois publics, à servir sur les chantiers, dans l’industrie et le commerce »252.

L’exemple de l’avenir professionnel des diplômés du Collège d’interprètes de Yen Phu (Hanoi, Vietnam) confirme cette orientation : de 1887 à 1890, « sur 309 sortants, 217 soit les deux tiers sont employés dans les services du Protectorat ou chez les particuliers… L’armée, les résidences des capitales et chefs-lieux de provinces et

250 Ibid., p. 94. 251 Michel Guillou, « Progrès ou déclin de la Francophonie : les enjeux de la langue seconde », dans Sélim Abou et Katia Haddad, Une francophonie différentielle, Paris, L’Harmattan, 1994, p. 11. 252 Alain Rey et al., op. cit., p. 1090.

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l’instruction publique captent ainsi plus de 70% des sortants ayant choisi la fonction publique… La vocation initiale de l’école franco-indigène même à ce niveau est réduite à une fonction quasi unique, celle de pourvoir l’administration coloniale des cadres intermédiaires dont elle a besoin »253.

Toujours dans le cas du Vietnam, si à partir de l’adoption du Règlement général de l’instruction publique (1918), le français est imposé « comme langue véhiculaire obligatoire dans l’enseignement primaire franco-indigène »254, il reste une langue de l’élite. Un rapport officiel publié six ans après l’adoption de ce document a reconnu que « l’enseignement primaire public, malgré ses progrès, est encore très loin de suffire et de répondre à notre estimation. Les écoles primaires d’Indochine réunissent environ 180 000 élèves pour une population 100 fois plus forte… Dans les régions les mieux fournies d’écoles, nous instruisons à peine un garçon sur douze et une fille sur cent. Ailleurs, nous ne recevions pas même la vingtième partie de la population masculine d’âge scolaire »255. Un deuxième rapport réalisé par un ancien directeur de l’enseignement (rapport Gourdon, 1927) trois ans plus tard a aussi reconnu que l’action scolaire de la colonie (Indochine) est « trop sélective, car seul un tiers au plus des élèves continuent au-delà des cours élémentaires… notoirement insuffisante, car elle ne touche qu’un quart de la population d’âge scolaire et médiocre en partie à cause du « tout français » et de la formation insuffisante des maîtres »256.

Cette situation est aussi présente dans beaucoup d’autres colonies africaines. En Algérie, par exemple, en 1916, seulement 42000 écoliers musulmans sont scolarisés, soit environ 5% des enfants en âge scolaire, un pourcentage qui atteint seulement 6% en 1929257. Au Sénégal, « la scolarisation en français ne dépassait pas quelques points de la côte et ne s’adressait qu’à une petite minorité de Sénégalais… et le mobile du gouverneur [Faidherbe] pour enseigner en français cette minorité était clairement politique : préparer des administrateurs et des cadres pour une armée utile à la France. Les écoles de langue

253 Trinh Van Thao, L’école française en Indochine, Paris, Karthala, 1995, p. 121. 254 Ibid., p. 52. 255 Archives nationales d’outre-mer (CAOM, Aix-en-Provence), n°2471, 1924, pp. 42-43, cité par Trinh Van Thao, Ibid., p. 57. 256 Ibid., p. 59. 257 Alain Rey et al., op. cit., p. 1087.

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Section 1. Le français, le ciment du projet francophone française, étendues en 1903 à la nouvelle « Afrique-Occidentale française » (AOF) ne scolarisaient en 1912 que 13 500 garçons et 1 700 filles, soit moins de 1% de la population »258. En 1936, seulement 4% des enfants sont scolarisés en AOF259. Une enquête réalisée en 1964 a fait apparaître que « dans trois circonscriptions de Dakar-ville où le français a la plus grande influence, 0,68% des élèves des classes d’initiation parle français à la maison, contre 75% pour le wolof, 8,43% pour le toucouleur, 2,95% pour le sérer, 2,86% pour le bambara, etc. »260.

À l’issue de la colonisation, la majorité des dirigeants des nouveaux États indépendants sont des gens formés dans les écoles françaises, que ce soit dans leur pays ou en France. Ils adoptent tous le modèle français dans l’administration, dans le droit et dans beaucoup d’autres domaines. L’élaboration de la Constitution donne un exemple, comme l’a remarqué Pierre François Gonidec : « Pour les territoires français, le modèle constitutionnel ne fut pas imposé par la France, sauf peut-être pour le Togo et le Cameroun. Mais tout naturellement les hommes politiques africains, formés à l’école politique française, se tournèrent vers le modèle français lorsqu’ils élaborent les premières Constitutions à partir de 1958. Il y avait une constitution mère (la constitution gaullienne de 1958) et des filles qui lui ressemblaient étrangement (les constitutions africaines)261.

Sur le plan linguistique, sauf dans les pays où la fin de la colonisation fut douloureuse comme dans le cas des pays indochinois et de l’Algérie, le français est retenu comme langue officielle dans la plupart des autres anciennes colonies.

Au Sénégal, l’un des « pères » fondateurs de la Francophonie, le Président Senghor a écrit dans la Revue Esprit dès 1961 : « Au moment que, par totalisation et socialisation, se construit la Civilisation de l’Universel, il est, d’un mot, question de nous servir de ce merveilleux outil, trouvé dans les décombres du régime colonial. De cet outil qu’est la

258 Ibid., p. 1088. 259 Ibid., p. 1181. 260 Thiriet A. Le Sénégal – population, langue, programme scolaire, cité par Jacques Champion, Les langues africaines et la francophonie, Mouton, 1974, p. 30. 261 Il est professeur au Département de science politique et directeur du Centre d’études des problèmes politiques et juridiques du Tiers-Monde, de l’Université de Paris-Sorbonne.

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langue française »262. Pour lui, il n’est pas question de tourner le dos au français. Au contraire, cet héritage du colonialisme peut devenir un outil pour le développement des pays nouvellement indépendants. C’est clair, il ne faut pas confondre le colonisateur avec sa langue.

Officiellement, la raison du choix du français comme langue officielle dans ces pays africains est d‘ordre pratique et politique. Pour le Président de la République togolaise, Gnassingbé Eyadema « la langue française constitue aujourd’hui pour les pays africains qui l’ont adoptée, un moyen de surmonter les barrières linguistiques que pose la grande diversité des groupes ethniques que forment nos populations »263. Au Togo, le français est la seule langue officielle. Les deux langues nationales reconnues en 1975 sont l’éwé (20% de la population) et le kabiyé (16% de la population). Dans ce pays, il existe une cinquantaine ethnies et 39 langues dont aucune n’est majoritaire264.

D’autres raisons sont ainsi avancées, l’auteur d’un des premiers livres sur la Francophonie dans les années 1960, Auguste Viatte note que le choix du français tient au caractère purement oral des langues africaines. Il ajoute, « sans doute n’est-il nullement inconcevable qu’elles [les langues africaines] finissent par s’écrire, comme on l’avait tenté au moyen des alphabets arabe ou latin dès avant les efforts de l’UNESCO, et qu’il en émerge une langue « classique ». Mais ce processus, en Europe, a pris des siècles, durant lesquels le latin restait l’instrument de la pensée ; il risquerait d’enfermer indéfiniment les Africains dans un folklore à l’écart de la vie contemporaine. Tout cela nous explique qu’ils aient opté pour une langue capable de les relier au monde extérieur. Ils y voient aussi la meilleure façon, actuellement, de communiquer entre eux en dépit des distances et des antagonismes, et de cheminer vers l’harmonie continentale dont ils rêvent »265. Si nous regardons d’autres pays qui n’ont pas gardé le français comme langue officielle, il y existe une ethnie majoritaire et plus important, ce groupe majoritaire possède d’une langue

262 Senghor (Léopold Sédar), « Le français, langue de culture », Esprit, novembre 1962, n°311, « Le français, langue vivante », p. 844. 263 « Allocution du général Gnassingbé Eyadema, Président de la République togolaise », in ACCT, Actes de la deuxième Conférence des chefs d’État et de gouvernement des pays ayant en commun l’usage du français (Québec, 2-4 septembre 1987), op. cit., p. 199. 264 « Languages of Togo », disponible sur http://www.ethnologue.com/show_country.asp?name=TG 265 Auguste Viatte, La francophonie, Paris, Larousse, 1969, pp. 107-108.

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Section 1. Le français, le ciment du projet francophone

écrite, c’est la condition qui permet à ces pays de remplacer le français par cette langue locale sans de vraies difficultés. Il s’agit de l’arabe dans les pays au Maghreb ou du vietnamien au Vietnam, du khmer au Cambodge, etc.

Rappelons que cette situation de l’adoption de la langue du colonisateur après les indépendances existe aussi dans les colonies anglaises en Afrique, dans les pays aujourd’hui membres du Commonwealth. L’ancien Secrétaire général du Commonwealth, Arnold Smith, affirme que plusieurs chefs d’États ou de gouvernements des pays africains lui ont avoué qu’après l’indépendance « la tâche la plus difficile et la plus importante était d’édifier la nation… En somme, il s’agit d’amener les Kényans à penser et à agir politiquement comme Kényans plutôt que comme Kikouyous, Luos ou Masaïs, et à convaincre les Nigérians de penser et d’agir comme Nigérians plutôt que comme Haoussas, Yoroubas ou Ibos, et ce sans qu’aucun groupe ne perde son identité culturelle, son riche héritage sur le plan de l’art, de la langue et d’autres domaines, et en donnant à chacun l’occasion de s’initier à l’héritage culturel et artistique de ses voisins »266. L’anglais, comme le français dans les pays francophones avec les situations semblables, permet de faciliter cette tâche.

Il y a aujourd’hui vingt-neuf pays dans le monde qui ont le français comme langue officielle ou co-officielle.

Tableau 4 : Pays où le français est langue officielle ou co-officielle267

N° Pays Langues officielles

1 Belgique français, néerlandais, allemand

2 Bénin français

3 Burkina Faso français

4 Burundi français, kirundi

266 Arnold Smith, « Le Commonwealth, instrument de consultation et de collaboration », in Jacomy-Lillette (dir.), Francophonie et Commonwealth : Mythe ou réalité ?, op. cit., p. 51. 267 Selon Jacques Leclerc, « Les États où le français est langue officielle ou co-officielle », in L’aménagement linguistique dans le monde, Québec, TLFQ, Université Laval, 29 avril 2011, disponible sur http://www.tlfq.ulaval.ca/axl/Langues/2vital_inter_francaisTABLO.htm

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5 Cameroun français, anglais

6 Canada français, anglais

7 Centrafrique français, sango

8 Comores français, arabe

9 Congo Brazzaville français

10 Congo Kinshasa français

11 Côte d’Ivoire français

12 Djibouti français, arabe

13 France français

14 Gabon français

15 Guinée français

16 Guinée équatoriale français, espagnol

17 Haïti français, créole

18 Luxembourg français, allemand, luxembourgeois

19 Madagascar français, malgache

20 Mali français

21 Monaco français

22 Niger français

23 Rwanda français, anglais, kinyarwanda

24 Sénégal français

25 Seychelles français, anglais, créole

26 Suisse français, allemand, italien, romanche

27 Tchad français, arabe

28 Togo français

29 Vanuatu français, anglais, bichlamar

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Section 1. Le français, le ciment du projet francophone

Dans d‘autres anciennes colonies françaises et aussi membres de la Francophonie actuelle, le français devient aujourd’hui une langue d’enseignement, une langue seconde ou simplement une langue étrangère enseignée dans le système éducatif. En Mauritanie, par exemple, le français est une langue d’enseignement dès le primaire. Au Maroc, le français est une langue seconde, et l’enseignement du français est obligatoire à partir de la troisième année du primaire. Dans les pays de l’ancienne Indochine, le français est une langue étrangère. Depuis la création des classes bilingues268 en 1994 dans cette région, un enseignement en français existe dès la première année du primaire269.

Langue élitiste pendant la colonisation, le français depuis les indépendances gagne du terrain dans ces anciennes colonies avec une scolarisation généralisée. Selon Auguste Viatte, la progression était rapide les premières années après les indépendances : « 1 600 000 élèves des écoles primaires en 1960 dans les anciens territoires français, près de 3 500 000 aujourd’hui [en 1969] ; 67 000 élèves du secondaire en 1959-1960, 215 000 en 1965-1966 »270. La décolonisation, avec l’adoption du français comme langue d’enseignement, est un avantage pour la diffusion de cette langue dans ces nouveaux pays indépendants. Cette situation a suscité un enthousiasme chez certains Français : « Une chance extraordinaire se tient aujourd’hui à notre portée. Pour la première fois dans l’histoire, 40 millions d’hommes demandent, de leur plein gré, à partager notre patrimoine linguistique et culturel. Il ne s’agit pas à lutter, nous n’avons qu’à répondre. Il ne s’agit pas de substituer une langue à une autre, ni d’offrir un instrument complémentaire de culture, une nouvelle ouverture sur le monde ou un enrichissement de l’esprit. Il ne s’agit pas d’un apport extérieur, mais d’une contribution souhaitée, ardemment souhaitée souvent, par des gens qui entendent édifier, par le moyen de notre langue, leur propre culture et leurs civilisations originales. »271 Aujourd’hui, cinquante ans après les indépendances et

268 Les classes bilingues ont été mises en place par l’AUF, un des quatre opérateurs directs des Sommets de la Francophonie. Elles étaient financées pour majoritairement par la France. Depuis 2006, ce projet des classes bilingues est remplacé par le projet Valofrase (Valorisation du français en Asie du Sud-Est) avec plus de partenaires : AUF, OIF, trois Ministères de l’éducation (Vietnam, Laos, Cambodge), France, Québec, Communauté française de Belgique. 269 Voir Trang Phan-Labays et Michel Guillou, op.cit, pp. 127-130. 270 Auguste Viatte, La francophonie, op. cit., p. 110. 271 Marc Blancpain, Lumières de la France, le français dans le monde, Paris, 1967, p. 64. Cité par Auguste Viatte, La francophonie, op. cit., p. 114.

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quarante ans après la création de l’ACCT, l’OIF estime qu’il y a environ 220 millions de francophones dans le monde, ce qui était impossible et impensable avec la colonisation.

Cette situation fait que le sort du français aujourd’hui comme langue internationale n’est plus porté seulement par la puissance de la France, car si c’était le cas, le français ne serait plus une langue internationale depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale avec la chute de l’Empire français. Cette langue est aujourd’hui portée par la Francophonie. Cette dernière est une chance pour la langue française et dans un sens plus large, pour le multilinguisme dans le monde aujourd’hui. Une des premières missions de la Francophonie aujourd’hui, inscrite dans son Cadre stratégique décennal est de promouvoir la langue française et la diversité culturelle et linguistique. Cette mission est aussi le poste budgétaire le plus important de l’OIF actuellement272.

L’exemple le plus récent de la mobilisation francophone pour la promotion de la langue française est le premier Forum mondial de la langue française, organisé au Québec du 2 au 6 juillet 2012. Issu d’une décision du Sommet de Montreux (2010), ce forum a réuni plus de 1300 participants dont beaucoup de jeunes venant de 104 pays dans le monde, dépassant même le cadre des pays membres de la Francophonie. Il a été un lieu de débats sur la langue française, sa réalité et son avenir. Le Forum a dégagé quinze propositions concrètes pour l’avenir du français en vue du Sommet de Kinshasa en octobre 2012 et au-delà, notamment une proposition sur le renforcement de l‘espace économique francophone, plus visible et plus attractif, qui favorisera et encouragera la maîtrise du français. On notera parmi les autres propositions retenues la demande expresse faite auprès des États de mesures favorisant la mobilité des étudiants, des artistes, des chercheurs, des entrepreneurs, des professionnels, des gens d’affaires et des travailleurs au sein de l’espace francophone.

Une autre proposition phare retenue par le Forum et qui marque la modernité du combat de la Francophonie pour la langue française est le lien entre la promotion de cette langue et la promotion du multilinguisme. Selon les termes retenus, « la promotion

272 Selon le rapport du Commissaire aux comptes de l’OIF, en 2011, le budget de programme de cette mission s’élève à 15 millions d’euros, devant la mission de la promotion de la paix, de la démocratie et des droits de l’Homme (10 millions d’euros). Les deux autres missions (l’éducation et le développement économique) ont chacune un budget d’environ 6,5 millions d’euros.

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Section 1. Le français, le ciment du projet francophone du français comme langue internationale doit être envisagée dans le cadre de la promotion du multilinguisme »273. Cette proposition a été faite après des débats au Forum sur la base d’un rapport rédigé par le Groupe de travail sur le multilinguisme présidé par Christian Philip274. Selon ce rapport275, dans un monde devenu multipolaire, il existe une alternative à la langue unique (l’anglais), c’est le multilinguisme généralisé, c’est-à-dire la maîtrise d’au moins deux langues étrangères à côté de sa langue maternelle. Ce multilinguisme donne accès à toutes les possibilités qu’offre aujourd’hui l’anglais en matière d’échanges, de commerce et de progrès. Mais au-delà de cela, il offre une « autre manière de vivre la mondialisation » ; c’est un « outil essentiel pour le dialogue des cultures »276.

Nous avons déjà évoqué depuis le début de notre thèse et de façon indirecte la diversité au sein de la Francophonie. Cette diversité est illustrée à travers la participation de différents acteurs dans le mouvement francophone : les États, les collectivités locales, les associations, les militants. Au sein même de ces catégories, les acteurs sont aussi très divers. Cette diversité peut être perçue comme une richesse mais aussi comme un point faible pour la Francophonie selon différents points de vue.

273 « Les 15 priorités du premier Forum mondial de la langue française », disponible sur http://www.forumfrancophonie2012.org/wordpress/wp- content/uploads/2012/07/propositions_FMLF.pdf 274 Ce Groupe de travail, créé par le Secrétaire général de la Francophonie en 2011, a pour mission de réfléchir sur l’avenir de la langue française dans un contexte du multilinguisme. Le Groupe est présidé par Christian Philip, ancien Représentant personnel du Président français Nicolas Sarkozy auprès de la Francophonie. Il réunissait les personnalités suivantes : Michel Guillou, Joëlle Le Morzellec, Albert Lourde, Khalil Karam, Samin Kassab Chafri, Arayik Navoyan, Eni Orlandi, Madani Seydou Sy, Jean Tabi Manga, Trinh Van Minh, Daniel Turp. 275 Voir le texte de ce rapport sur http://www.forumfrancophonie2012.org/wordpress/wp- content/uploads/2012/06/Philip-propositions.pdf 276 Michel Guillou, « Le multilinguisme, bien commun de l’Humanité », in Revue internationale des mondes francophones, n° 4, Printemps-Hiver 2012.

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SECTION 2. LA DIVERSITE EN FRANCOPHONIE

§1. La Francophonie de proximité

La Francophonie est très diverse par la nature des acteurs agissant sous son étiquette. Ses activités ne dépendent pas exclusivement d’une participation étatique. Dès le début, elle a été portée et animée par les activités des organisations non étatiques. D’ailleurs, ce sont des associations de la société civile qui, dans les années 1950 et 1960, ont très largement inspiré l’idée d’une organisation intergouvernementale francophone.

La société civile est toujours au cœur de la Francophonie. Actuellement, son lien avec la Francophonie intergouvernementale est illustré de plusieurs façons :

D’une part, par les opérateurs directs et reconnus par le Sommet et par l’Assemblée parlementaire de la Francophonie (APF). Les opérateurs représentent le monde universitaire à travers l’Agence universitaire de la Francophonie (AUF) et l’Université Senghor d’Alexandrie, les collectivités locales à travers l’Association internationale des maires et responsables des capitales et des métropoles partiellement ou entièrement francophones (AIMF) et le secteur de l’audiovisuel et de la communication à travers TV5Monde. L’APF joue un rôle consultatif pour les instances de la Francophonie.

D’autre part, ce lien est assuré par l’intermédiaire des organisations internationales non gouvernementales (OING) et d’autres organismes de la société civile (OSC) accrédités auprès des instances de la Francophonie. Les dernières Directives portant sur les relations entre les institutions de la Francophonie et les OING, ONG et autres organisations de la société civile adoptées par la CMF en 2011 en donnent les définitions.

- Est considérée comme organisation internationale non gouvernementale (OING) toute organisation régulièrement créée par un acte de droit privé interne qui exerce ses activités sur le territoire d’au moins deux États ou gouvernements membres de l’Organisation internationale de la Francophonie soit directement soit indirectement par l’intermédiaire d’un réseau, d’une fédération ou

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confédération. Les OING sont un regroupement volontaire de personnes physiques et/ou morales qui agissent sans but lucratif ;

- Est considérée comme ONG toute organisation régulièrement créée par un acte de droit privé interne sur le territoire d’un État ou d’un gouvernement membre qui exerce ses activités dans un seul État ou gouvernement membre ou une partie du territoire d’un État ou gouvernement membre. Les ONG sont un regroupement volontaire de personnes physiques et/ou morales qui n’ont pas été créées par un accord gouvernemental et dont les buts, le rôle et le fonctionnement ont un caractère non gouvernemental et non lucratif.

- Une OSC est une structure juridiquement formalisée, indépendante de l’État, qui agit pour défendre et promouvoir des intérêts sociaux, économiques et culturels, dans l’intérêt de ses membres et de la société. Une OSC agit sur les plans local, régional, national et international. Une OSC agissant au plan international doit faire partie d’un réseau international clairement identifié. »277

Soixante-sept OING sont aujourd’hui accréditées auprès de l’OIF avec un statut consultatif pour les activités de la Francophonie institutionnelle. Ces 67 OING accréditées sont classées dans quatre groupes qui correspondent aux quatre missions stratégiques de la Francophonie : la promotion de la langue française, de la diversité culturelle et linguistique (mission A) ; la promotion de la paix, de la démocratie et des droits de l’Homme (mission B) ; l’appui à l’éducation, à la formation et à l’enseignement supérieur et à la recherche (mission C) ; le développement de la coopération au service du développement durable et de la solidarité (mission D).

Une conférence bisannuelle regroupant toutes les associations accréditées et l’OIF est organisée avant chaque Sommet francophone depuis 1994. Par ailleurs, le Président du Comité de suivi de ces Conférences est invité par le Secrétaire général de la Francophonie à participer aux réunions du Conseil permanent de la Francophonie en qualité d’observateur. Il présente le compte rendu de la Conférence au Conseil permanent de la Francophonie précédant le Sommet de la Francophonie. Il transmet au

277 Directives portant sur les relations entre les institutions de la Francophonie et les OING, ONG et autres OSC (2011), Titres II. A, II. C, II. D.

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Section 2. La diversité en Francophonie

Secrétaire général les observations qu’il formule dans la perspective du Sommet au nom des OING et OSC ayant un statut consultatif auprès de la Francophonie278. Les OING accréditées jouissent d'un rôle d’acteurs pour la mise en œuvre des projets de la Francophonie (notamment le rôle de veille et d’alerte dans le système d’alerte précoce des conflits mis en place par l’OIF depuis l’adoption de la Déclaration de Bamako).

En dehors de ces deux canaux principaux, une multitude d’associations francophones dans le monde nouent des contacts avec la Francophonie et créent par ce moyen la dynamique de la francophonie du terrain.

Les contextes politiques, économiques et culturels des trente années suivant la Seconde Guerre mondiale vont favoriser cette émergence des associations internationales. Les principales associations francophones créées pendant cette période sont citées dans le tableau suivant :

Tableau 5 : Certaines grandes associations francophones créées dans les années 1950 et 1960

1952 Association internationale des journalistes de langue française (AIJLF)

1953 Union culturelle française

1961 Association internationale des universités partiellement ou entièrement de langue française (AUPELF)

1963 - Association internationale des sociologues de langue française (AISLF) - Biennale de la langue française

1964 Institut international de droit d’expression française (IDEF)

1967 Association internationale des parlementaires de langue française (AIPLF)

1968 - Conseil international de la langue française (CILF) - Union des éditeurs de langue française (UELF)

1969 Fédération internationale des professeurs de français (FIPF)

278 Directives portant sur les relations entre les institutions de la Francophonie et les OING, ONG et autres OSC (2011), Titre VI.5 et VI.6.

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Deux associations créées pendant cette période feront partie plus tard du système institutionnel de la Francophonie. C’est le cas de l’Association internationale des universités partiellement ou entièrement de langue française (AUPELF), devenue l’Agence universitaire de la Francophonie, opérateur direct de la Francophonie en 1989 pour l’enseignement supérieur et de la recherche et puis le cas de l’Association internationale des parlementaires de langue française (AIPLF), devenue l’assemblée parlementaire consultative de la Francophonie.

Avec trois autres opérateurs reconnus de la Francophonie, l’Association internationale des Maires francophones (AIMF, créée en 1979), l’Université Senghor d’Alexandrie (créée en 1989) et la chaîne télévision TV5Monde (créée en 1984), ces organismes constituent la particularité du système institutionnel francophone actuel dans lequel ils impliquent directement dans la mise en œuvre des projets de coopérations d’une organisation intergouvernementale sous la forme d’opérateurs directs.

Par ailleurs, les activités au quotidien des organisations francophones de la société civile, accréditées auprès de la Francophonie ou non, renforcent le lien de solidarité entre les francophones partout dans le monde. Elles font vivre à la base, au niveau des populations, le projet francophone depuis le premier jour du mouvement jusqu’à aujourd’hui et sans doute dans les années à venir. Elles représentent aujourd’hui la Francophonie de proximité.

§2. La Francophonie intergouvernementale – l’élargissement et ses enjeux

La Francophonie intergouvernementale est un regroupement assez restreint au moment de la création de l’Agence de coopération culturelle et technique (ACCT) en mars 1970. La plupart des vingt et un pays fondateurs de cette Agence sont des pays ayant le français comme langue maternelle ou des anciennes colonies de la France et de la Belgique. Aujourd’hui, la Francophonie intergouvernementale regroupe en son sein 53 membres de plein droit, 3 associés et 19 observateurs (voir le graphique 4). Le nombre important de membres de la Francophonie actuelle est le résultat d’un processus d’élargissement presque constant depuis le début jusqu’à aujourd’hui.

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Section 2. La diversité en Francophonie

L’adhésion à la Francophonie se fait sur plusieurs critères, notamment la situation du français dans les pays candidats, la situation politique, la volonté de partager des valeurs de la Francophonie, etc. Les premiers documents de réflexions sur les critères d’adhésion à la Francophonie ont été adoptés lors du Sommet de Cotonou (1995) et de Hanoi (1997). En 2002, lors du Sommet de Beyrouth, le document intitulé Statuts et modalités d’adhésion à la Conférence des chefs d’État et de gouvernement ayant le français en partage a été adopté. Ce document a été amendé en 2006 lors du Sommet de Bucarest et est le document en vigueur actuellement. De plus, depuis le Sommet de Québec en 2008, le Comité ad hoc sur les demandes d’adhésion ou de modification de statuts du CPF dispose d’un tableau des indicateurs destinés à préciser les critères sur les adhésions279. Depuis cette date, l’examen des demandes d’adhésion ou de modification de statut se fait sur la base de ces deux documents.

Le processus d’adhésion à la Francophonie en vigueur actuellement peut être résumé comme suit :

Tableau 6 : Le processus d’adhésion à la Francophonie ou de modification de statut

Période Procédures

Pour une nouvelle demande d’adhésion en tant qu’observateur ou d’associé : Au plus tard six mois avant le - L’envoi d’une lettre du chef de l’État ou du gouvernement prochain Sommet intéressé au Président en exercice du dernier Sommet, et en copie au Secrétaire général de la Francophonie. Cette demande doit être accompagnée d’un dossier circonstancié de candidature.

279 Ce tableau des indicateurs n’est pas accessible au public. Le comité ad hoc a précisé que « les indicateurs proposés ne constituent pas une liste exhaustive, pas plus qu’ils ne doivent être analysés comme de nouveaux critères qu’un candidat à l’adhésion devrait à tout prix remplir pour adhérer à la Francophonie. Leur objectif est de faciliter l’analyse des futurs dossiers de candidature sur la base d’une compréhension commune des critères d’adhésion existants ».

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Pour une demande de modification de statut :

- L’envoi d’une lettre du chef de l’État ou du gouvernement intéressé au Secrétaire général de la Francophonie, en sa qualité de Président du Conseil permanent de la Francophonie. Cette demande doit être accompagnée d’un dossier circonstancié de candidature.

Lors de la réunion Le Secrétaire général soumet les demandes au CPF. du CPF suivant le CPF crée un Comité ad hoc intitulé « Comité sur les demandes dépôt de la d’adhésion ou de modification de statut », constitué seulement les demande membres de plein droit. Le Comité ad hoc se réunit plusieurs fois pour examiner les dossiers.

Lors de la réunion Le comité ad hoc établit un rapport détaillé qu’il soumet au CPF. du CPF juste Celui-ci, après examen, adopte un avis destiné à la Conférence avant le Sommet ministérielle.

Lors de la CMF La Conférence ministérielle formule une recommandation destinée avant le prochain au Sommet, qui est déposée par son Président. Sommet

Pendant le À l’ouverture de ses travaux, le Sommet, sur la base des Sommet recommandations de la Conférence ministérielle, délibérant à huis clos (avec seulement les membres de plein droit) et à l’unanimité, décide d’accueillir ou non le nouveau requérant.

Aucun État ou gouvernement ne peut accéder au statut de membre de plein droit sans avoir été au préalable membre associé.

Dans le cadre de la préparation du Sommet de Kinshasa en octobre 2012, l’Arménie, actuellement membre associé, a demandé de devenir membre de plein droit et deux autres pays, le Qatar et l’Uruguay, ont demandé de devenir membres associés ou observateurs de la Francophonie. Si ces demandes sont retenues lors du prochain

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Section 2. La diversité en Francophonie

Sommet à Kinshasa (RDC), la Francophonie deviendra un nouveau groupe G77, avec la participation non seulement des pays en voie de développement (comme le G77 à l’ONU) mais aussi des pays très développés.

Avec l’adhésion de pays peu francophones, la Francophonie a connu un élargissement rapide (voir le graphique 5 et le tableau 7 ci-après), et ceci, surtout depuis le Sommet de Hanoi (1997). Cet élargissement reflète d’une part la volonté des pays membres de dépasser le cadre postcolonial280 et d’autre part de constituer un nouveau regroupement d’influence dans le monde.

Dans cette Francophonie élargie actuelle, les pays n’ont évidemment pas le même statut. Le tableau 8 résume les principaux droits et obligations de ces trois différentes catégories de membres de la Francophonie (membre de plein droit, associé, observateur). Les pays membres d’une même catégorie ont par ailleurs les mêmes droits et obligations.

La Francophonie n’a donc pas évolué dans le sens que préconisait l’avant-projet de l’ACCT présenté dans les années 1960 par des pays africains. En effet, cet avant-projet suggérait « une Francophonie à trois niveaux, en cercles qui décrivaient des orbites concentriques. La Francophonie « A » aurait compris la France, les États d’Afrique noire, Madagascar et le Mali… [plus] des anciennes colonies belges et Haïti, où la coopération était plus intense. Dans la Francophonie « B », étendue au Maghreb, au Liban et aux États de l’ancienne Indochine, les liens auraient été limités principalement à des consultations. La Francophonie « C », au mandat essentiellement culturel, aurait englobé les niveaux « A », « B » et le Canada, la Belgique, le Luxembourg et la Suisse. Il était également prévu que les chefs d’État et de gouvernement des niveaux « A » et « B » se rencontrent pour mettre en œuvre le projet »281.

280 Trang Phan-Labays et Michel Guillou, op. cit., p. 209. 281 François-Pierre Le Scouarnec, La Francophonie, op. cit., pp. 51-52.

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Graphique 4 : La répartition des membres de la Francophonie selon les zones géographiques en 2012

Graphique 5 : L’élargissement de la Francophonie depuis le Sommet de Versailles (1986-2010)

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Tableau 7: L'élargissement de la Francophonie (adhésion à l'OIF et participation au Sommet)282

Indications : X pour indiquer qu’un pays participe au Sommet en tant que membre de plein droit Obs pour indiquer qu’un pays participe au Sommet en tant qu’observateur Asso pour indiquer qu’un pays participe au Sommet en tant que membre associé Abs pour indiquer qu’un pays est absent au Sommet Sus pour indiquer qu’un pays ne participe pas au Sommet à cause de sa suspension par la Francophonie suite à un évènement particulier (comme les coups d’État)

Pays/Année du Sommet 1986 1987 1989 1991 1993 1995 1997 1999 2002 2004 2006 2008 2010 Année d'adhésion à l'OIF Belgique X X X X X X X X X X X X X 1970 Burkina Faso X X X X X X X X X X X X X 1970 Burundi X X X X X X X X X X X X X 1970 Bénin X X X X X X X X X X X X X 1970 Canada X X X X X X X X X X X X X 1970 Côte d’Ivoire X X X X X X X X X X X X X 1970 France X X X X X X X X X X X X X 1970 Gabon X X X X X X X X X X X X X 1970 Haïti X X X X X X X X X X X X X 1970 Luxembourg X X X X X X X X X X X X X 1970 Madagascar X X X X X X X X X X X X Sus 1970283

282 Avant 2005, un pays admis à participer au Sommet ne devient pas automatiquement membre de l’ACCT (comme le cas de la Macédoine et de la Suisse). L’adhésion d’un pays à cette dernière est décidée par la Conférence ministérielle de la Francophonie agissant comme la Conférence générale de l’ACCT. Par souci de cohérence, depuis 2005, avec la nouvelle Charte, un pays admis à participer au Sommet devient automatiquement membre de l’Organisation internationale de la Francophonie.

149

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Pays/Année du Sommet 1986 1987 1989 1991 1993 1995 1997 1999 2002 2004 2006 2008 2010 Année d'adhésion à l'OIF Mali X X X X X X X X X X X X X 1970 Maurice X X X X X X X X X X X X X 1970 Monaco X X X X X X X X X X X X X 1970 Niger X X X X X X X X X X X X X 1970 Rwanda X X X X X X X X X X X X X 1970 Sénégal X X X X X X X X X X X X X 1970 Tchad X X X X X X X X X X X X X 1970 Togo X X X X X X X X X X X X X 1970 Tunisie X X X X X X X X X X X X X 1970 Vietnam Obs X X X X X X X X X X X X 1970 Canada-Québec X X X X X X X X X X X X X 1971 Laos Obs Obs X X X X X X X X X X X 1972 Centrafrique X X X X X X X X X X X X X 1973 Liban X X X X X X X X X X X X X 1973 Cameroun Obs X X X X X X X X X X 1975 Seychelles X X X X X X X X X X X X X 1976

Canada-Nouveau-Brunswick X X X X X X X X X X X X X 1977

Comores X X X X X X X X X X X X X 1977 Congo RD X X X X X X Abs X X X X X X 1977 Djibouti X X X X X X X X X X X X X 1977 Dominique X X X Abs X X X X Abs Abs Abs Abs X 1979

283 Le Madagascar est un membre fondateur de l’ACCT en 1970. Il quitte cette organisation en 1977 et puis y revient en 1989. Entre temps, il participe à tous les Sommets francophones depuis le début, sauf le Sommet de Montreux à laquelle sa participation est suspendue à cause du coup d’État survenu en 2009.

Pays/Année du Sommet 1986 1987 1989 1991 1993 1995 1997 1999 2002 2004 2006 2008 2010 Année d'adhésion à l'OIF

Guinée-Bissau X X X X X X X X X X X X X 1979

Vanuatu X Abs Abs X X X X X X Abs X X X 1979 Communauté française X X X X X X X X X X X X X 1980 de Belgique Mauritanie X X Abs X X X X X X Abs X Sus X 1980 Congo X X X X X X X X X X X X X 1981 Guinée X X X X X X X X X X X X Sus 1981 Maroc X X X X X X X X X X X X X 1981 Sainte-Lucie X X Abs Abs X Abs Abs X X Abs X X X 1981 Égypte X X X X X X X X X X X X X 1983 Guinée équatoriale Obs Obs X X X X X X X X X 1989 Bulgarie Obs X X X X X X X X X 1991 Cambodge Obs X X X X Abs X X X X 1991 Roumanie Obs X X X X X X X X X 1991 Cap-Vert Obs Obs X X X X X X X X X 1996 Moldavie Asso X X X X X X X 1996 Suisse Obs Obs X X X X X X X X X X X 1996 Pologne Obs Obs Obs Obs Obs Obs Obs 1997 Albanie Obs Asso Asso Asso X X X 1999 Lituanie Obs Obs Obs Obs Obs Obs 1999 République tchèque Obs Obs Obs Obs Obs Obs 1999 Sao Tomé-et-Principe Asso X X X X X Abs X 1999 Slovénie Obs Obs Obs Obs Obs Obs 1999 Macédoine Obs Asso Asso Asso X X X 2001 Slovaquie Obs Obs Obs Obs Obs 2002

151

152

Pays/Année du Sommet 1986 1987 1989 1991 1993 1995 1997 1999 2002 2004 2006 2008 2010 Année d'adhésion à l'OIF Andorre Asso X X X 2004 Autriche Obs Obs Obs Obs 2004 Croatie Obs Obs Obs Obs 2004 Grèce Asso X X X 2004 Géorgie Obs Obs Obs Obs 2004 Hongrie Obs Obs Obs Obs 2004 Chypre Asso Asso Asso 2006 Ghana Asso Asso Asso 2006 Mozambique Obs Obs Obs 2006 Serbie Obs Obs Obs 2006 Ukraine Obs Obs Obs 2006 Arménie Obs Obs Asso Asso 2008 Lettonie Obs Obs 2008 Thaïlande Obs Obs 2008 Bosnie-Herzégovine Obs 2010 Émirats arabes unis Obs 2010 Estonie Obs 2010 Monténégro Obs 2010 République dominicaine Obs 2010 Nombre total des participants au Sommet 37 40 41 45 47 48 50 55 54 59 67 67 73284

284 Le nombre d’États et de gouvernement participant à un Sommets ne correspond pas nécessairement au nombre de membres de l’OIF à cause des absences et des suspensions. C’est le cas notamment du Sommet de Montreux (2010) qui a réuni 72 participants et non 75 du fait de la suspension de la Guinée et de Madagascar suite aux coups d’États survenus dans ces pays.

Tableau 8: Récapitulatif des droits et des obligations des membres de la Francophonie

Activités/Droits et obligations Membre de plein Membre associé Observateur droit

Conférence des chefs Assister à l’assemblée générale Oui Oui Oui d’État et de gouvernement des Intervenir dans les débats Oui Non, mais ils peuvent faire une communication pays ayant le français après l’autorisation de la présidence du Sommet en partage (Sommet) Participer aux séances à huis clos Oui Non Non

Assister à l’assemblée générale Oui Oui Oui Conférence ministérielle de la Intervenir dans les débats Oui Non, mais ils peuvent faire une communication Francophonie (CMF) après l’autorisation de la présidence de la CMF

Participer aux séances à huis clos Oui Non Non

Assister à l’assemblée générale Oui Oui Oui

Intervenir dans les débats Oui Oui Non Conseil permanent de la Francophonie (CPF) Assister aux travaux des Oui Oui Non commissions

153

154

Activités/Droits et obligations Membre de plein Membre associé Observateur droit

Intervenir dans les débats aux Oui Oui Non commissions

Participer aux séances à huis clos Oui Non Non

Présenter des candidatures aux Oui Non Non

postes à pourvoir dans les institutions de la Francophonie

Se porter candidats pour accueillir Oui Non Non les réunions des instances Autres droits et (Sommet, CMF et CPF) obligations Prendre part à un vote au sein des Oui Oui, mais seulement à la Non instances politiques (Sommet, session plénière et aux CMF, CPF) commissions du CPF

Recevoir l’information et la Oui Oui, mais seulement l’information et la documentation diffusées par le documentation non confidentielles Secrétariat

Contribution statutaire au budget Obligatoire Obligatoire Non (sauf les frais de document)

Section 2. La diversité en Francophonie

Comme le montre le tableau 8, les membres de plein droit (au nombre de 53) ont les plus de droits et d’obligations par rapport aux autres membres, notamment le droit de vote et de bénéficier directement des projets de coopération. Les membres associés (au nombre de 3) ont moins de droits mais participent assez pleinement aux activités de la Francophonie. Les droits accordés aux observateurs (au nombre de 19 observateurs en 2012) sont pourtant très limités. Ils peuvent assister à certaines réunions plénières des instances politiques mais ne peuvent pas participer aux débats, prendre part à la prise de décision285 et bénéficier des projets de coopérations francophones286.

Cette remarque peut aider à expliciter le débat actuel sur le rapport entre l’élargissement et l’approfondissement de la Francophonie. En effet, aujourd’hui, l'élargissement de la Francophonie vers les pays où le français n’est pas une langue officielle, une langue seconde, ni une langue d’enseignement ou une langue étrangère privilégiée suscite des inquiétudes et même des critiques chez certains acteurs et observateurs de la Francophonie.

Ainsi, selon l’ancien Administrateur général de l’OIF, Roger Dehaybe, le fondement spécifique de la Francophonie reste la langue française et l’usage que l’on peut faire de cette langue comme outil de coopération. Pour que la Francophonie garde cette spécificité, il faut que le français ne s’affaiblisse pas dans les pays qui constituent le « noyau dur » de l’organisation. Pour cela, il prône pour la création au sein de la Francophonie d’une instance politique, composée des 32 États et gouvernements dont le français est langue officielle287. Il ne s’agit pas ici de nier le rôle d’autres pays membres de la Francophonie, ni de créer une Francophonie à deux vitesses. Tous les pays européens ne sont pas membres de l’euro groupe et l’espace Schengen regroupe des

285 C’est la raison pour laquelle Christian Philip, ancien Représentant personnel du président de la République française auprès de la Francophonie, a prôné dans un entretien avec nous, une révision du statut de ces observateurs. Les limites actuelles qui leurs sont imposées, ne les encouragent pas à participer à la vie de l’OIF. Un statut plus actif pour les observateurs serait plus valorisant à la fois pour l’OIF et pour ces pays. 286 Sauf le cas du projet de formation des fonctionnaires et des diplomates des pays de l’Europe de l’Est membres observateurs de l’OIF. La possibilité de bénéficier des projets de coopération multilatérale francophone pour ces pays est très limitée. 287 Pour la liste de ces pays, voir le tableau 4 dans la section 1, §2 de ce chapitre.

155

pays extérieurs à l’Union. Au Conseil de l’Europe, plusieurs conventions ou programmes sont gérés par des groupes d’États. En Francophonie, tous les États membres ne participent pas aux décisions du « Fonds des inforoutes », créé en 1998. Il s’agit de renforcer une coopération plus dense, plus efficace, surtout pour la promotion du français dans ces 32 pays où le français joue un rôle essentiel pour toutes leurs activités. Pour rassurer les pays du deuxième groupe (des pays qui ont des liens historiques avec la langue française mais qui ne l’ont pas comme langue officielle) et du troisième groupe (des pays qui ont un intérêt pour la langue française comme langue d’enseignement), d’autres projets de renforcement du français et de coopération pourraient être créés.288.

Pourtant, en regardant de près le graphique 5 et le tableau 7, on constate que depuis le Sommet de Hanoi, le nombre de membres de plein droit et associés a très peu évolué, de 49 (dont 0 associé) en 1997 à 56 (dont 3 associés) en 2010. Tandis que le nombre d’observateurs a augmenté d’un seul en 1997 à 19 en 2010. Vu peu de droits accordés aux observateurs actuellement (tableau 8), l’élargissement de la Francophonie depuis 1997 n’a pas vraiment d’incidence sur les prises de décisions au sein des instances francophones depuis cette date. Au contraire, l’évolution des institutions francophones et de leurs programmes de coopérations depuis 1997, qu’il s’agisse de l’adoption de la Charte de Hanoi et puis de son amendement à Antananarivo en 2005, ou de l’adoption de la Déclaration de Bamako, du Cadre stratégique décennal, ou encore de la Déclaration de Saint-Boniface289, montre qu’il y a eu un vrai approfondissement depuis cette date.

Ce constat ne veut pas dire que la Francophonie peut s’élargir sans limites et sans risques de susciter des inquiétudes chez certains pays du « noyau dur ». Une Francophonie avec trop de pays membres qui n’ont pas vraiment de lien étroit avec le français peut nuire à l’image d’un regroupement spécifique fondé sur cette langue de la Francophonie, à son efficacité d’action et de réaction. Actuellement, avec 56 pays membres et associés et 19 observateurs, une pause apparaît nécessaire à beaucoup quant à l’élargissement pour consolider la place du français dans les pays actuellement membres et pour répondre plus efficacement aux besoins de ces pays dans

288 Propos recueillis lors de notre entretien avec Roger Dehaybe pour la rédaction de cette thèse. 289 Nous analysons ces documents dans la seconde partie de cette thèse.

156

Section 2. La diversité en Francophonie l’enseignement du et en français, besoins encore largement non satisfaits vu la situation du système éducatif de ces pays (voir le taux d’alphabétisation des adultes dans le tableau 1).

Suite à une décision du Sommet de Montreux (2010), un groupe de travail ad hoc sur les règles d’appartenances à la Francophonie a été créé au sein de CPF en mai 2011. Le mandat de ce groupe de travail n’est pas, comme l’a remarqué son président, « de remettre en cause les statuts et modalités d’adhésion adoptés par le Sommet qui relèvent d’un autre groupe de travail, mais d’actualiser l’attachement des pays membres à la Francophonie et de se pencher sur les paramètres qui les définissent en tant que tels et qui les motivent à mener des actions communes sur la base d’engagements concrets »290. Les recommandations de ce groupe vont être présentées au prochain Sommet de Kinshasa en octobre 2012.

Dans la même logique et aussi suite à une décision du Sommet de Montreux (2010), trois réunions thématiques ont été organisées depuis 11 juillet 2011 entre l’OIF et les États observateurs de la Francophonie. Ces réunions ont pour but de « mieux ancrer les États observateurs dans la Francophonie institutionnelle et de permettre un approfondissement de leurs relations avec l’Organisation »291. La première réunion a eu le thème de « la langue française ». La coopération avec l’APF et les opérateurs de la Francophonie, ainsi que la démocratie, les droits de l’Homme, l’État de droit et le statut des femmes ont fait respectivement l’objet des échanges dans les deux autres réunions.

À côté des réflexions actuelles sur l’élargissement, le processus d’approfondissement des coopérations francophones nécessite aussi une révision profonde. Malgré l’adoption du Cadre stratégique décennal en 2004, la liste des missions prioritaires de la Francophonie est encore assez longue et il manque d’indicateurs précis pour mesurer effectivement leur mise en œuvre comme l’a remarqué une évaluation interne de l’OIF sur le Cadre stratégique décennal de la Francophonie en avril 2012.

290 OIF, Rapport de la première réunion du Groupe de travail ad hoc sur les règles d’appartenance à la Francophonie, Paris, le 19 mai 2011. 291 OIF, Rapport de la première réunion thématique avec les États observateurs – la langue française, Paris, le 11 juillet 2011.

157

En portant un autre regard, il faut souligner que la Francophonie aujourd’hui représente une grande diversité en son sein.

Diversité d’appartenance géographique d’abord, car avec ses 75 membres et observateurs, la Francophonie est aujourd’hui présente sur tous les continents.

Sur le plan économique ensuite, le tableau 1 sur les données du développement économique et humain dans l’espace francophone (chapitre I) montre le niveau de développement très divers des pays francophones. En effet, sont présents dans la Francophonie des pays les plus pauvres de la planète comme le Bénin, le Burundi, la RDC ou le Haïti, mais aussi des pays les plus riches comme la France, le Canada, la Belgique et la Suisse.

Sur le plan politique, la Francophonie regroupe des démocraties occidentales comme la France, le Canada et des pays communistes comme le Laos et le Vietnam ; des États fédéraux (Belgique, Canada, Suisse) et des États unitaires (la plupart des pays francophones) ; des régimes présidentiels, parlementaires et des monarchies parlementaires ; des pays politiquement stables (comme la France) et des pays politiquement instables comme beaucoup pays africains francophones (la RDC, le Mali, le Madagascar, la Guinée-Bissau entre autres), etc.

Sur le plan culturel et linguistique, le français joue le rôle de ciment entre les pays membres, mais il reste encore une langue d’élite dans la majorité des pays francophones (24% de la population au Sénégal, 12 au Niger, 3% au Rwanda, 5% au Burundi, 0,4% en Égypte, 0,7% au Vietnam, 4% en Bulgarie292). Les pays membres de la Francophonie sont très marqués par la diversité des langues en son sein (voir tableau 9). Au Cameroun, par exemple, il y a 279 langues différentes. Ce nombre est de 217 en République démocratique du Congo, de 169 au Canada, de 133 au Tchad et de 114 au Vanuatu. Avec chaque langue, c’est une culture particulière qui existe.

292 Organisation internationale de la Francophonie, La langue française dans le monde 2010, Paris, Nathan, 2010, pp. 11-15.

158

Section 2. La diversité en Francophonie

Tableau 9 : La diversité linguistique dans l’espace francophone293

Membres de Langues vivantes dans le pays294 plein droit Total Indigènes Immigrantes

Albanie 7 7 0

Andorre 5 3 2

Belgique 29 10 19

Bénin 56 54 2

Bulgarie 16 11 5

Burkina Faso 70 68 2

Burundi 4 3 1

Cambodge 25 23 2

Cameroun 279 278 1

Canada 169 86 83

Cap-Vert 2 2 0

Centrafrique 82 71 11

Tchad 133 131 2

Comores 7 6 1

293 Selon Ethnologue, Languages of the World, 16e éd., 2009, disponible sur http://www.ethnologue.com/ethno_docs/distribution.asp?by=country. Nous n’avons pas de données sur la diversité linguistique dans les trois gouvernements-participants de la Francophonie (le Canada-Québec, le Canada-Nouveau-Brunswick et la Communauté française de Belgique). Elle a été cependant prise en compte dans les données relatives aux États fédéraux (le Canada et la Belgique) auxquels ces trois gouvernements appartiennent. 294 Les langues indigènes indiquent celles qui sont pratiquées par les communautés existantes dans ces pays (exemple les Bretons, les Basques). Les langues immigrantes sont apportées par les communautés immigrantes venant de l’extérieur de ces pays.

159

Membres de Langues vivantes dans le pays294 plein droit Total Indigènes Immigrantes

Congo 66 62 4

Côte d’Ivoire 93 77 16

Congo (RD) 217 215 2

Djibouti 10 5 5

Dominique 3 3 0

Égypte 27 11 16

Guinée équatoriale 14 14 0

France 62 23 39

Gabon 43 42 1

Grèce 24 14 10

Guinée 38 34 4

Guinée-Bissau 25 21 4

Haïti 2 2 0

Laos 89 84 5

Liban 9 6 3

Luxembourg 6 3 3

Macédoine 10 9 1

Madagascar 20 17 3

Mali 60 56 4

Mauritanie 10 6 4

Maurice 13 6 7

160

Section 2. La diversité en Francophonie

Membres de Langues vivantes dans le pays294 plein droit Total Indigènes Immigrantes

Moldavie 13 5 8

Monaco 3 3 0

Maroc 10 9 1

Niger 21 21 0

Romanie 23 15 8

Rwanda 5 3 2

Sainte Lucie 2 2 0

São Tomé et Príncipe 5 4 1

Sénégal 46 37 9

Seychelles 3 3 0

Suisse 26 12 14

Togo 43 39 4

Tunisie 10 6 4

Vanuatu 114 108 6

Vietnam 108 106 2

Membres associés Langues vivantes

Total Indigènes Immigrants

Arménie 12 7 5

Chypres 6 4 2

Ghana 84 79 5

161

Langues vivantes Observateurs Total Indigènes Immigrants

Autriche 20 9 11

Bosnie-Herzégovine 8 4 4

Croatie 22 7 15

Émirats arabes unis 36 7 29

Estonie 18 2 16

Géorgie 25 13 12

Hongrie 17 9 8

Lettonie 13 5 8

Lituanie 12 4 8

Monténégro 6 5 1

Mozambique 53 43 10

Pologne 20 14 6

Rép. tchèque 20 10 10

Rép. dominicaine 8 4 4

Serbie 21 14 7

Slovaquie 13 10 3

Slovénie 10 4 6

Thaïlande 85 74 11

Ukraine 42 13 29

Ces diversités au sein de la Francophonie sont un facteur important à considérer lors des analyses sur la place de la Francophonie sur la scène internationale contemporaine. Une Francophonie qui regroupe 75 pays et gouvernements de

162

Section 2. La diversité en Francophonie différentes régions pèse plus lourd qu’une Francophonie de 21 au début des années 1970, surtout lorsqu’il y a une convergence des intérêts des pays membres (par exemple dans le dossier de l’exception culturelle à l’OMC ou dans celui de l’adoption de la Convention de l’UNESCO sur la diversité des expressions culturelles en 2005).

Pourtant, cette diversité au sein de la Francophonie ne facilite pas la recherche des intérêts convergents lors des grandes négociations internationales dans les domaines où les intérêts des membres sont très divisés comme le commerce, le réchauffement climatique. Dans ces négociations, les pays membres privilégient la prise de positions communes avec les autres pays de la même organisation régionale, comme l’Union européenne (pour la France, la Belgique, Monaco, le Luxembourg) ou l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (pour le Vietnam, le Laos et le Cambodge). Elle ne favorise non plus la création d’un acteur géoculturel fort295 sur la base du rapprochement culturel et linguistique et dont le souci premier est la définition d’objectifs linguistico culturels communs, comme interroge souvent Jean Tardif : « que devons-nous, que pouvons-nous, que voulons-nous faire ensemble, comme francophones ? »296.

Par ailleurs, les besoins en matière de coopération ne sont pas les mêmes selon les pays. Ils obéissent à des logiques plutôt essentiellement régionales ou sous régionales. Ainsi par exemple les besoins en matière d’enseignement du français des pays d’Afrique subsaharienne où le français est langue d’enseignement pour tous les enfants scolarisés, ne sont pas les mêmes que ceux des pays d’Asie du Sud-Est ou encore d’Europe centrale et orientale où le français est une langue choisie par les familles. Des remarques similaires peuvent être faites en matière économique, culturelle ou encore de Francophonie politique. Reste que certains fondamentaux transcendent ces regroupements tels le développement, le multilinguisme, la langue française et le dialogue interculturel entre autres.

Le chapitre suivant analyse le dispositif institutionnel de la Francophonie, son processus d’institutionnalisation et son fonctionnement et offre une vision plus claire des différentes institutions francophones. Ces dernières contribuent à réaliser l’ambition d’acteur international de la Francophonie.

295 Jacques Crête, « De la difficulté pour une organisation internationale de devenir un acteur géoculturel », disponible sur http://www.planetagora.org/montreal/crete.html. Jacques Crête est ancien Directeur du Cabinet du Secrétaire général de la Francophonie (Abdou Diouf). 296 Voir Jean Tardif et Joëlle Farchy, Les enjeux de la mondialisation culturelle, op. cit., 2006.

163

CHAPITRE III. LA CONSOLIDATION ET LE FONCTIONNEMENT DU SYSTEME INSTITUTIONNEL DE LA FRANCOPHONIE

Espace associatif de solidarité des parlants-français dans les années 1950 et 1960, la Francophonie devient intergouvernementale en 1970 avec la création de l’ACCT, l’Agence de coopération culturelle et technique. Pourtant, il faut attendre jusqu’au Sommet de Versailles en 1986 pour que la Francophonie poursuive des objectifs politiques et connaisse une nouvelle dynamique qui implique à la fois les acteurs gouvernementaux et les acteurs non gouvernementaux (les opérateurs) dans la création d’un nouveau dispositif institutionnel. Le processus d’institutionnalisation qui démarre à cette date s’achève en 1997 et puis est renforcé en 2005 par l’adoption de la Charte de la Francophonie d’Antananarivo (section 1). Résultat direct de son évolution institutionnelle historique, la Francophonie est désormais organisée selon les dispositions d’une Charte. Les différentes institutions francophones (instances, Secrétaire général, opérateurs, institutions consultatives) fonctionnent avec une certaine cohérence entre eux dans cet ensemble institutionnel (section 2).

165

SECTION 1. L’INSTITUTIONNALISATION DE LA FRANCOPHONIE

Selon Robert Cox, l’institutionnalisation est « le mode par lequel des pratiques sociales développées en réponse à des problèmes particuliers se pérennisent dans des ensembles de règles spécifiques »297. Le principal avantage des institutions « est de procurer un cadre pour l’action à partir d’une rationalité commune »298 et comme l’a remarqué Marie-Claude Smouts, « l’institutionnalisation ne suppose ni l’égalité des acteurs ni leur sympathie mutuelle »299.

La Francophonie, comme nous l’avons vu, est portée dans un premier temps par des associations professionnelles ou non des parlants-français. Les États et gouvernements francophones ne commencent vraiment à s’approprier ce mouvement qu’à partir de 1970 avec la création de l’ACCT. Les Sommets francophones organisés depuis 1986 marquent une étape importante dans l’évolution de la Francophonie car depuis cette date et à travers des Sommets successifs, la Francophonie s’institutionnalise progressivement. Elle dispose aujourd’hui un système institutionnel, certes incomplet, mais assez solide pour pouvoir mettre en place de façon efficace des programmes de coopération francophones.

§1. La lenteur du processus d’institutionnalisation francophone

Le processus d’institutionnalisation de la Francophonie est un processus long et continu. Pour des besoins de l’analyse, on peut le diviser en trois périodes différentes : période de premières organisations francophones (1960-1985) ; période d’institutionnalisation du fait francophone (1986-1997) et période de consolidation du système institutionnel (1997-2005).

Le tableau suivant retrace ces étapes du processus d’institutionnalisation de la Francophonie :

297 Cité par Marie-Claude Smouts, Les organisations internationales, Paris, Armand Colin, 1995, p. 15. 298 Ibid., p. 16. 299 Idem.

167

Tableau 10 : Le processus d’institutionnalisation de la Francophonie

Date Événements

Premières organisations francophones (1960-1985)

1960 Création de la CONFEMEN (Conférence des ministres de l’Éducation nationale)

1961 Création de l’AUPELF (Association internationale des universités partiellement ou entièrement de langue française)

1967 Création de l’AIPLF (Association internationale des parlementaires de langue française)

1969 Création de la CONFEJES (Conférence des ministres de la Jeunesse et du Sport)

1970 Création de l’ACCT (Agence de coopération culturelle et technique) par la Convention et de la Charte de Niamey. Principaux organes de l’ACCT : Conférence générale, Conseil d’administration, Comité des programmes, Conseil consultatif, Secrétariat

1979 Création de l’AIMF (Association internationale des maires francophones)

1984 Création de la chaîne de télévision francophone TV5

Institutionnalisation du fait francophone (1986-1997)

1986 Organisation du premier Sommet francophone (Conférence des chefs d’État et de gouvernement des pays ayant en commun l’usage du français) à Versailles (France)

- Création du Comité international du suivi (CIS) et du Comité international de préparation (CIP), organismes indépendants de l’ACCT

- Création de cinq réseaux de coopérations francophones, indépendants de l’ACCT

- L’ACCT devient l’opérateur principal des Sommets

1987 Au Sommet de Québec (Canada-Québec)

- Création de l’Institut de l'Énergie et de l'Environnement de la Francophonie (IEPF). L’IEPF est l’organe subsidiaire de l’ACCT.

168

Section 1. L’institutionnalisation de la Francophonie

- Création de l’Université des Réseaux d’Expression française (UREF) gérée par l’AUPELF.

1989 Au Sommet de Dakar (Sénégal)

- Création de l’Université Senghor d’Alexandrie, reconnu comme opérateur direct des Sommets

- L’AUPELF est reconnue comme opérateur direct des Sommets. Elle devient en 1990 l’AUPELF-UREF.

- Organisation des premiers Jeux de la Francophonie. Le secrétariat de ces derniers est aujourd’hui un organe subsidiaire de l’OIF.

1991 Au Sommet de Chaillot (France)

- Création de la Conférence ministérielle de la Francophonie (CMF), devenue à la fois conférence ministérielle de suivi et de préparation des Sommets et Conférence générale de l’ACCT.

- Création du Conseil permanent de la Francophonie (CPF) qui remplace le CIS et le CIP pour le suivi et la préparation des Sommets

- TV5 est reconnue comme opérateur direct des Sommets

1995 L’AIMF est reconnue comme opérateur direct des Sommets

1996- - Adoption de la Charte de la Francophonie à Marrakech (1996) par la CMF et 1997 modifiée par les chefs d’États et de gouvernement au Sommet de Hanoi (1997)

- L’ACCT devient l’AIF (Agence intergouvernementale de la Francophonie)

- Création du poste de Secrétaire général de la Francophonie. Boutros Boutros- Ghali, ancien Secrétaire général de l’ONU, est élu à ce poste.

- Problème de dyarchie entre le Secrétaire général de la Francophonie et l’Administrateur général de l’AIF.

Consolidation du système institutionnel (1997-2010)

1998 - L’AUPELF-UREF est devenue l’Agence universitaire de la Francophonie (AUF)

- L’AIPLF devient l’Assemblée parlementaire de la Francophonie (APF)

- L’adoption non officielle l’Organisation internationale de la Francophonie

169

2004 Au Sommet de Ouagadougou (Burkina Faso)

- Adoption du Cadre stratégique décennal de la Francophonie (2005-2014) et décision prise d’une réforme du système institutionnel de la Francophonie pour mettre fin à la dyarchie Secrétaire général de la Francophonie/Administrateur général de l’AIF.

2005 - Amendement de la Charte de la Francophonie à Antananarivo

- L’AIF devient officiellement l’OIF (Organisation internationale de la Francophonie)

- Fin de la dyarchie entre le Secrétaire général et l’Administrateur général.

- Le Secrétaire général de la Francophonie dirige l’OIF. Il nomme un Administrateur chargé en particulier de mettre en œuvre la coopération intergouvernementale francophone.

- La CONFEMEN et la CONFEJES sont reconnues comme des conférences ministérielles permanentes de la Francophonie

Tout au long de ce processus d’institutionnalisation, les Sommets francophones, instance suprême de la Francophonie, ont joué un rôle déterminant. Plusieurs organisations non gouvernementales (comme l’AUF, l’AIMF) et la chaîne de télévision TV5, créées avant 1986, la date du premier Sommet, ont été ensuite reconnues comme les opérateurs directs des Sommets. Un opérateur direct de la Francophonie a été créé directement par les États et gouvernements en 1989 : l’Université Senghor d’Alexandrie.

Si l’institutionnalisation de la Francophonie entre 1960 et 1986 a été particulièrement lente, elle a connu depuis le Sommet de Versailles (1986) une certaine accélération.

En effet, pendant cette deuxième période de 1986 à 1997, il n’y a pas eu un seul Sommet qui n’ait pas abordé la question de l’institutionnalisation du fait francophone. Que ce soit pour l’association de certaines organisations non gouvernementales (AUPELF, AIMF, TV5) au projet institutionnel, la création de nouvelles institutions ou la mise en place de comités de réflexion sur le processus d’institutionnalisation, les chefs

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Section 1. L’institutionnalisation de la Francophonie d’État et de gouvernement francophones se sont montrés engagés. Ils ont voulu résolument le renforcement du système institutionnel francophone.

L’adoption de la Charte de la Francophonie au Sommet de Hanoi en 1997 était un point tournant, comme en 1986 la tenue du premier Sommet, dans le sens où pour la première fois, les différentes institutions francophones ont été organisées au sein d’un système institutionnel. Les liens entre ces différentes institutions sont alors assez clairement définis, que ce soit les instances décisionnelles, les organes exécutifs (l’opérateur principal et les opérateurs directs) et l’organe consultatif (l’Assemblée parlementaire de la Francophonie).

La troisième période de ce processus d’institutionnalisation, depuis 1997 à nos jours, est plutôt marquée par la consolidation du système institutionnel instauré à Hanoi. Dirigée dans un premier temps par l’ancien Secrétaire général de l’ONU, Boutros Boutros-Ghali, et dans un deuxième temps par l’ancien Président du Sénégal, Abdou Diouf, la Francophonie pendant cette période s’est occupée avec succès de son image internationale en adoptant le nouveau nom de l’Organisation internationale de la Francophonie. Elle a résolu ensuite la question de la dyarchie à la tête de la Francophonie qu’avait créée la Charte de Hanoi.

Il faut vingt-six ans après la création de la CONFEMEN (1960), seize ans après la naissance de l’ACCT (1970) pour organiser un premier Sommet (1986), onze ans pour adopter la Charte de Hanoi (1997) et puis huit ans de plus pour terminer le processus d’institutionnalisation à Antananarivo (2005). C’est donc un processus long et laborieux. Aujourd’hui, le système institutionnel fait consensus.

§2. L’institutionnalisation de la Francophonie, un processus marqué par des questions politiques

Pendant cette longue période, l’institutionnalisation de la Francophonie ne s’est pas pourtant déroulé sans heurtes ni entraves. Au contraire, c’est le résultat des négociations continues entre les pays membres, parfois très difficiles.

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La lenteur de ce processus dans la première période, outre l’hésitation française dans un premier temps sous le Général de Gaulle, est largement due aux questions de la participation du gouvernement du Québec à cette Francophonie intergouvernementale.

La France des années 1960 n’a pas voulu soutenir fortement l’initiative venante des chefs d’État africains (notamment Léopold Sédar Senghor, Hamani Diori, Habib Bourguiba) d’organiser une Francophonie intergouvernementale. L’échec de la Communauté, créée en 1958 et dissoute peu après, était encore trop récent pour que la France veuille revivre cette expérience avec une nouvelle organisation francophone, surtout quand les propositions des chefs d’État africain se concentraient sur la création d’un « Commonwealth à la française », un regroupement avec de niveaux différents dont le noyau serait une coopération étroite entre la France et ses anciennes colonies d’Afrique subsaharienne300. La peur d’un nouvel échec et le manque d’enthousiasme au projet multilatéral de l’ACCT, limité à la coopération culturelle et technique301, expliquent en partie une dotation française aux activités de l’ACCT, qualifiés par l’ancien Secrétaire général de l’ACCT, Jean-Marc léger, comme dérisoires302.

« En partie » car un autre grand bailleur de fonds de la Francophonie, le Canada, n’a pas voulu non plus doter de moyens importants cette nouvelle Agence de coopération, considérée comme un symbole de l’émancipation du Québec sur la scène internationale. La participation du Québec à la Francophonie intergouvernementale a

300 François-Pierre Le Scouarnec, La Francophonie, op. cit., pp. 51-52. 301 Il nous semble important ici de nuancer certaines analyses qui affirment que l’hésitation française à ce projet francophone dans les années 1960 était due à la peur d’être taxé de néo-colonialisme. Or, nous savons que justement pendant cette période, la France n’a pas cessé de multiplier des accords de coopérations bilatérales (plus de 200) avec ses anciennes colonies africaines dans tous les domaines (les ententes militaires, la coopération technique, les accords culturels, économiques et financiers), gérés par un nouveau ministère de la Coopération créé dès 1961 (voir François-Pierre Le Scouarnec, La Francophonie, op.cit, p. 45). Apparemment, la France sous le général de Gaulles n’a pas eu vraiment peur d’être taxé de néo-colonialisme, son principal souci était de garder l’influence française dans ses anciennes colonies comme illustrent les multiples accords bilatéraux avec ces dernières. 302 Le budget de l’ACCT, selon son premier Secrétaire général, Jean-Marc Léger, était de « 1 300 000 francs pour 1970, 4 500 000 pour 1971, soit 350 000 puis 1 100 000 de dollars canadiens ». Pour une organisation de coopération dont la majorité de ses membres sont des pays pauvres, ces moyens financiers étaient visiblement dérisoires. Jean-Marc Léger, Le temps dissipé. Souvenirs, op. cit., p. 354.

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Section 1. L’institutionnalisation de la Francophonie

été fortement soutenue par la France du Général de Gaulle, et marquée par la fameuse phrase de ce dernier « vive le Québec libre ! ». Après l’épisode de Niamey en 1970 où un accord a été difficilement atteint seulement aux dernières minutes sur la qualité de « gouvernements participants » du Québec à l’ACCT, l’institutionnalisation de la Francophonie a été en panne pendant seize ans.

Malgré les relances du Président sénégalais, Léopold Sédar Senghor, pour l’organisation d’un Sommet francophone, d’abord en 1975303, puis en 1979304, l’impossibilité de conclure un accord entre le Canada fédéral et le Québec sur la participation de ce dernier à un Sommet francophone constituait le principal obstacle de l’organisation de cet événement. Ce blocage canado-québécois-français305 n’a été levé qu’après l’arrivée au pouvoir de deux nouveaux dirigeants au gouvernement fédéral, Brian Mulroney, et au gouvernement québécois, Robert Bourassa. Ces deux derniers sont parvenus à s’entendre sur la participation du Québec au Sommet francophone, via notamment une entente signée en 1985.

Pendant la deuxième période, de 1986 à 1997, si la question québécoise a été « mise de côté », les visions différentes de la Francophonie des pays membres ont causé des fluctuations dans l’évolution institutionnelle de la Francophonie. Plus précisément, depuis le premier Sommet, sur le plan institutionnel, deux conceptions s’opposent, la première milite pour une organisation sous la logique de « tout Sommet », et la deuxième sous la logique de « tout ACCT »306.

303 La proposition du Président Senghor en août 1975 sur l’organisation d’un Sommet des chefs d’État des pays membres de l’ACCT a reçu une réponse positive de principe par le Président français de l’époque Valéry Giscard D’Estaing. Ce dernier a pourtant imposé comme condition, l’extension de ce Sommet aux chefs de gouvernement, faisant allusion à une participation du Premier ministre du Québec. Voir Jean Marc Léger, La Francophonie. Grand dessein, grande ambiguïté, op. cit., p. 139. 304 Lors du Sommet France-Afrique en 1979, le Président Senghor relance cette idée d’un Sommet francophone, relance qui n’a pas eu de suite pour la même raison. Voir Jean-Marc Léger, Le temps dissipé. Souvenirs, op. cit., p. 267. 305 Car le soutien français au Québec à travers son refus d’un Sommet sans le Québec a été aussi un facteur important du retard dans l’organisation du premier Sommet francophone. 306 Voir Michel Guillou, La mangue et la pomme, op. cit., pp. 39-46. Michel Guillou appelle cette situation « une bataille de point de vue ».

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Pays hôte du premier Sommet de la Francophonie à Versailles en 1986, la France a eu une grande influence sur l’évolution des institutions francophones. Le premier Sommet a créé un Comité international de Suivi (CIS) chargé de suivre la mise en œuvre des projets, un Comité international de préparation (CIP), chargé de préparer les prochains sommets, ainsi que cinq réseaux correspondant à cinq domaines privilégiés de coopération arrêtés par le Sommet. L’ACCT, totalement écartée de la préparation de ce Sommet, n’était à l’issue de ce Sommet qu’un opérateur parmi d’autres sous l’autorité politique du CIS307.

L’évolution institutionnelle de la Francophonie a changé de direction en faveur de l’ACCT lorsque le Canada et le Québec, coorganisateurs du Sommet de Québec en 1987, ont assumé respectivement le rôle de président (l’ambassadeur canadien Jean-Paul Hubert) et de vice-président (délégué général du Québec à Paris Jean-Louis Roy) du CIS. Un Comité de réflexion sur l’avenir des institutions francophones a été créé et placé sous la présidence de Jean-Louis Roy308. Sur la base du rapport de ce Comité, le Sommet de Dakar (1989) a adopté une nouvelle résolution sur les institutions francophones. L’ACCT est sortie de ce Sommet renforcée à la fois sur le plan de coopération (réintégration des réseaux à l’ACCT309, gestion par l’ACCT du Fonds multilatéral unique (FMU) créé à Dakar), et sur le plan politique (nouveau rôle pour l’ACCT de secrétariat de toutes les conférences ministérielles thématiques convoquées par les Sommets, participation de plein droit du secrétaire général de l’ACCT aux réunions du CIS, du CIP et au volet coopération des Conférences ministérielles préparatoires)310. Selon Michel Guillou, la participation du Secrétaire général de l’ACCT aux séances du CIS fait que ce dernier, déjà privé du rôle de gestionnaire des réseaux, ne peut « remplir dans toute indépendance ses

307 Voir « Annexe 11 - Orientations retenues pour l'avenir des institutions multilatérales de la francophonie », in Ministère des Affaires étrangères, Actes de la première Conférence des chefs d’État et de gouvernement des pays ayant en commun l’usage du français, op. cit., pp. 326-328. 308 Jean-Louis Roy a été ensuite élu au poste de secrétaire général de l’ACCT dès fin 1989. 309 Avec cette intégration des réseaux en son sein, l’ACCT a désormais le mandat de proposition de programmation et de suggestion d’affectation budgétaire au CIS et au CIP. 310 Voir « Résolution n°10 relative à l'avenir des institutions francophones et aux mécanismes du Suivi du Sommet de Dakar », in ACCT, Actes de la troisième Conférence des chefs d’État et de gouvernement des pays ayant en commun l’usage du français (Dakar, 24-26 mai 1989), op. cit., pp. 499-501.

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Section 1. L’institutionnalisation de la Francophonie missions de suivi, d’évaluation, de contrôle à l’égard de l’Agence »311. Le CIS a été pour ces raisons visiblement affaiblie à l’issue du Sommet de Dakar312.

Mais dès que la France a eu la charge de préparer un nouveau Sommet en 1991 à Chaillot313, le Président de la République française a demandé à son représentant personnel, en sa qualité du président du CIP, de remettre sur la table la question de réforme institutionnelle. Le CIP du Sommet de Chaillot a constitué un sous-groupe de travail sur la réforme institutionnelle314. Un des objectifs de cette nouvelle réforme était, selon le Président du CIP, de « rétablir l'autorité politique des instances émanant du Sommet en leur donnant les moyens de contrôle nécessaires à l'exercice de leur mandat de suivi des actions décidées par les Chefs d'État et de Gouvernement et d'évaluation des programmes confiés aux opérateurs »315. Cet objectif a été traduit en réalité par l’adoption de la résolution sur la simplification des institutions de la Francophonie adoptée à Chaillot316.

Selon cette résolution, le CIP et le CIS sont réunis pour former le Conseil permanent de la Francophonie (CPF). Ce CPF devient le Bureau élargi de l’ACCT. Il

311 Michel Guillou, La mangue et la pomme, op. cit., p. 40. 312 Lors des discussions sur cette réforme dans le cadre de la première conférence ministérielle préparatoire, le délégué de la Côte d’Ivoire a même dit qu’il faut aller plus loin et rêvé du jour où l'Agence absorbera le CIS et où le CIS rejoindra l’Agence et du jour où la Francophonie s'organisera à la façon du Commonwealth à la française. Voir ACCT, Actes de la troisième Conférence des chefs d’État et de gouvernement des pays ayant en commun l’usage du français (Dakar, 24-26 mai 1989), op. cit., p. 37. 313 Suite à la crise politique au Zaïre qui empêchait l’organisation prévue du Sommet dans ce pays, la France a pris la responsabilité de l’organisation du IVe Sommet. 314 Ce sous-groupe sur la réforme institutionnelle s’est réuni 24 fois en 7 mois (entre avril et novembre 1991), ce qui reflète l’importance et la difficulté de cette question institutionnelle. Pour comparaison, le sous-groupe de travail sur le volet politique a tenu seulement 11 réunions et le sous-groupe sur l'économie 10. Selon « Rapport général », in ACCT, Actes de la quatrième Conférence des chefs d’État et de gouvernement des pays ayant en commun l’usage du français (Chaillot, 19-21 novembre 1991), op. cit., p. 69. 315 « Rapport du Président du Comité international de préparation », in ACCT, Actes de la quatrième Conférence des chefs d’État et de gouvernement des pays ayant en commun l’usage du français (Chaillot, 19- 21 novembre 1991), op. cit., p. 123. 316 Voir « Résolution n°11 relative à la simplification et à la consolidation des institutions de la Francophonie », in ACCT, Actes de la quatrième Conférence des chefs d’État et de gouvernement des pays ayant en commun l’usage du français (Chaillot, 19-21 novembre 1991), op. cit., pp. 281-284.

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exerce un rôle d’orientation, de contrôle et d’évaluation des projets via les Comités de programmes317. Le rôle politique du CPF, organe issu du Sommet, a été ainsi renforcé. Pourtant, la résolution sur les institutions adoptée à Chaillot a été aussi souvent considérée comme un compromis, car avec cette résolution, l’ACCT a été aussi renforcée. Elle prend désormais la nouvelle responsabilité de secrétariat de toutes les instances (Sommet, CMF, CPF). Ce compromis a pourtant empêché les institutions francophones de fonctionner plus efficacement. Une compétition dommageable entre le Secrétaire général de l’ACCT et les présidents du CPF318 pour la représentation politique de la Francophonie sur la scène internationale a été constatée319.

Devant cette situation, le Sommet de Maurice en 1993 a décidé de créer un Comité de réflexion sur le renforcement des institutions francophones320. Ce Comité a présenté un rapport final au Sommet de Cotonou en 1995. Sur la base des recommandations de ce rapport, les chefs d’État et de gouvernement francophones ont décidé de créer au Sommet à Hanoi (1997) un Secrétariat général de la Francophonie. Le Secrétaire général, élu par les chefs d’État et de gouvernement, sera à la fois le plus haut responsable de l’AIF et le président du CPF. Il est le représentant unique de la Francophonie sur la scène internationale. Par cette décision, le Sommet de Cotonou a voulu fixer le cadre nécessaire à « une action politique plus visuelle, plus crédible et plus respectée de la Francophonie »321.

317 Le Sommet de Chaillot a instauré 9 Comités de programmes, composés d’experts désignés par les gouvernements. Il s’agissait de comités consultatifs qui avaient pour objet de dégager des orientations à moyen et long termes pour la Francophonie. 8 étaient présidés par l’ACCT et le neuvième par l’AUPELF- UREF. Le président de chaque Comité de programme faisait rapport au CPF. 318 Car le président du CPF depuis sa création jusqu’au Sommet de Hanoi est changé tous les deux ans suivant le rythme des Sommets. 319 Michel Guillou, La mangue et la pomme, op. cit., p. 44. 320 Ce Comité était présidé par le Représentant de la Communauté française de Belgique, Roger Dehaybe. 321 « Résolution relative aux institutions francophones », in ACCT, Actes de la sixième Conférence des chefs d’État et de gouvernement des pays ayant le français en partage (Cotonou, 2-4 décembre 1995), Paris, 1996, p. 113.

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Section 1. L’institutionnalisation de la Francophonie

Ce nouveau visage institutionnel était en réalité, selon Roger Dehaybe322, le résultat d’un long processus de négociation entre ceux qui ont voulu renforcer le volet politique de la Francophonie (France, Canada, Suisse entre autres) et ceux qui ont voulu garder, voire renforcer la Francophonie de coopération à travers l’ACCT (Québec, Communauté française de Belgique, les pays africains entre autres)323. Le compromis final était de créer ce nouveau Secrétariat général et de lui donner un mandat politique. Par contre, le mandat de coopération continuait d’être assumé par le Secrétaire général de l’ACCT, rebaptisé l’Administrateur général de l’ACCT.

Selon cette configuration, le Secrétaire général de la Francophonie dirigeait seulement le nouveau secrétariat général, son personnel et ses services. La responsabilité, la direction et la gestion du personnel de l’Agence de la Francophonie étaient assumées par l’Administrateur général. Si le Secrétaire général signait des accords politiques avec les autres partenaires, c’était toujours l’Administrateur général qui signait « des accords de coopération dans les domaines de compétence de l’Agence »324. Il existait donc après ce compromis une « dyarchie » au plus haut niveau de la Francophonie : un Secrétaire général élu par les chefs d’État et de gouvernement pour assumer un mandat politique et un Administrateur général de l’ACCT, élu par la CMF pour conduire la coopération multilatérale325.

322 Ces propos ont été recueillis lors de l’entretien que Roger Dehaybe nous a accordé pour la rédaction de cette thèse. 323 Au fil du temps, c’est la vision soutenue par les plus grands bailleurs de fonds qui l’emportera. Un exemple pour illustrer ce propos : selon la première version de la Charte adoptée à Marrakech en décembre 1996, la CMF devait jouer le rôle de Conseil d’administration de l’ACCT. La France a déposé une demande d’amendement à ce sujet à la CMF de Hanoi visant à donner ce rôle au CPF, demande rejetée par les pays africains (les tenants de la deuxième vision). Mais finalement, la France a parvenu à faire adopter cet amendement lors du Sommet par les chefs d’État et de gouvernement. Le nouveau Secrétaire général de la Francophonie, en sa qualité de président du CPF, est devenu par cet amendement le président du Conseil d’administration de l’ACCT. Cette fonction lui donnait un certain contrôle sur la coopération multilatérale mise en œuvre par l’ACCT. 324 L’article 6 de la Charte de la Francophonie (Hanoi, 1997). 325 Malgré cette situation de dyarchie au plus haut niveau, l’ancien Administrateur général de l’OIF de 1998 à 2005, Roger Dehaybe, nous a dit qu’il n’y a pas eu de problèmes entre lui et le Secrétaire général de la Francophonie (M. Boutros Boutros-Ghali et puis M. Abdou Diouf). Rétrospectivement, il reconnait qu’il y

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La période de 1997 à nos jours est celle de consolidation de ce nouveau système institutionnel créé à Hanoi. Nouvellement élu Secrétaire général de la Francophonie en 2002 à Beyrouth, l’ancien Président sénégalais, Abdou Diouf, s’est mobilisé pour réformer ce système. Il a obtenu des chefs d’État et de gouvernement lors du Sommet de Ouagadougou en 2004 le mandat de « parachever la réforme institutionnelle ». Il lui est demandé de « formuler, dans la perspective de la Conférence ministérielle de décembre 2005, des propositions les conduisant à prendre toutes décisions appropriées »326. Lors de cette CMF à Antananarivo en 2005, la nouvelle Charte a été adoptée. Elle met fin à la dyarchie à la tête de la Francophonie. Depuis cette date, même si une division du travail existe entre le Secrétaire général, qui s’occupe des questions politiques, et l’Administrateur, qui s’occupe des questions de coopération, ce dernier est nommé par le premier et agit sous son autorité et par sa délégation de pouvoirs. Il n’y a aujourd’hui qu’un seul patron de la Francophonie en la personne du Secrétaire général.

Après Antananarivo, il reste aujourd’hui la question de fonder ou non la personnalité juridique la Francophonie sur la base d’un nouveau traité international. En effet, les Chartes de Hanoi et d’Antananarivo ne sont que des amendements de la Charte de Niamey qui est elle-même une annexe à la Convention de Niamey, document fondateur de l’ACCT et ratifié par les États membres. Ce qui veut dire qu’aujourd’hui, seule l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) bénéficie d’une personnalité juridique internationale en tant qu’unique organisation intergouvernementale francophone créée par une Convention. Il n’existe pas encore juridiquement d’organisation intergouvernementale intitulée « la Francophonie ». L’adoption et puis la ratification d’un nouveau traité international pour mieux fonder la personnalité juridique de la Francophonie et lui rendre plus visible, responsable et efficace327 serait la bienvenue. Pourtant, aujourd’hui, cette adoption n’est pas envisagée.

a eu quelques difficultés entre les fonctionnaires de deux équipes, mais cela n’a pas empêché le bon fonctionnement de l’organisation. Pour éviter de nouveaux problèmes causés par cette situation, il a proposé de réformer le système instauré à Hanoi, ce qui a été fait lors de la CMF d’Antananarivo en 2005. 326 OIF, Actes de la dixième Conférence des chefs d’État et de gouvernement des pays ayant le français en partage (Ouagadougou, 2004), Paris, 2005, p. 110. 327 Voir la thèse de Marcelin Somé, Le statut juridique de l'Organisation Internationale de la Francophonie, op. cit.

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Section 1. L’institutionnalisation de la Francophonie

Un nouveau traité nécessiterait beaucoup de temps pour les négociations et la ratification. Il risquerait ensuite de faire revivre les tensions internes au sein des pays membres comme le Canada avec toujours la question de la participation du Québec. Selon Michel Guillou, d’autres pays pourraient aussi rejeter la proposition, qui dans la logique de la Déclaration de Bamako, pourrait être faite d’introduire dans le futur traité la question du multipartisme. De plus, il ne paraissait pas possible de faire ratifier un tel traité par certains parlements, en particulier ceux des pays du Maghreb. Or, comme le remarque Marcelin Somé dans sa thèse sur le statut juridique de l’OIF, la situation actuelle du système institutionnel francophone est suffisante pour un fonctionnement efficace.

Ainsi, après une longue période d’institutionnalisation, la Francophonie possède aujourd’hui un système institutionnel assez solide et équilibré. Ce système fait consensus. Depuis 2005, l’organigramme du système institutionnel de la Francophonie est le suivant328 :

328 Selon l’Organisation internationale de la Francophonie : www.francophonie.org

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Graphique 6 : Organigramme de la Francophonie d’après la Charte d’Antananarivo (2005)

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SECTION 2. LE FONCTIONNEMENT DU SYSTEME INSTITUTIONNEL FRANCOPHONE

§1. La particularité du dispositif institutionnel de la Francophonie

L’évolution de la Francophonie fait qu’aujourd’hui, elle dispose un dispositif institutionnel assez particulier par rapport aux autres organisations internationales et régionales. Elle regroupe, en effet, à la fois des institutions gouvernementales et des organisations non gouvernementales. Les liens entre eux sont inscrits dans un document normatif qu’est la Charte de la Francophonie. Les organisations non gouvernementales francophones, tout en gardant leur caractère associatif, sont des exécutifs des décisions des instances politiques (des opérateurs directs), et un organe consultatif auprès de ces instances (l’APF). Aucune organisation internationale et régionale, à notre connaissance, n’a de mécanisme de fonctionnement semblable.

Comme indiqué plus haut (I. Le cadre conceptuel, B. Le concept de Francophonie), selon l’article 2 de la Charte de la Francophonie (2005), le système institutionnel de la Francophonie se compose des institutions intergouvernementales :

- trois instances politiques (Conférence des chefs d’État et de gouvernement des pays ayant le français en partage (Sommet), la Conférence ministérielle de la Francophonie (CMF), le Conseil permanent de la Francophonie (CPF)) ;

- le Secrétaire général de la Francophonie ;

- l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF, ancienne ACCT) ;

- deux conférences ministérielles permanentes (CONFEMEN – Conférence des ministres de l’Éducation nationale des pays ayant le français en partage et CONFEJES – Conférence des ministres de la Jeunesse et du Sport des pays ayant le français en partage) ; et des institutions non gouvernementales :

- quatre opérateurs directs et reconnus des Sommets (Agence universitaire de la Francophonie (AUF), l’Université Senghor d’Alexandrie ; la chaine TV5Monde ; l’Association internationale des Maires francophones (AIMF)) ;

- l’Assemblée parlementaire de la Francophonie (APF) ;

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Parmi ces institutions, si le statut et le fonctionnement du Sommet, de la CMF, du CPF, du Secrétaire général et de l’OIF sont très étroitement liés à la Charte de Niamey (et à ses versions modifiées à Hanoi et à Antananarivo), les autres institutions ont toutes leur propre statut juridique, que ce soit les organisations intergouvernementales comme la CONFEMEN et la CONFEJES ; les OING comme l’AUF, l’AIMF, l’Université Senghor d’Alexandrie, l’APF ou la chaîne de télévision TV5Monde.

Ce qui relie toutes ces institutions, c’est la Charte de la Francophonie adoptée en 1997 à Hanoi et amendée à Antananarivo en 2005. Son mérite réside dans la création d’un lien de fait, politique et opérationnel, entre ces différentes institutions francophones. Elle donne plus de clarté au système institutionnel et coordonne leurs efforts pour mieux mettre en œuvre les différents programmes de coopération francophones. Le fonctionnement de ce système institutionnel est décrit ci-dessous :

 Les instances décisionnelles

Dans l’ensemble des dispositifs institutionnels de la Francophonie, les instances (Sommet, CMF, CPF) sont des institutions intergouvernementales et des lieux de prise de décision politique. Elles fixent des orientations de la Francophonie, assignent la mise en œuvre des projets de coopération aux opérateurs, surveillent et évaluent les activités de ceux-ci.

 La Conférence des chefs d’État et de gouvernement des pays ayant le français en partage (Sommet)

Institué en 1986, le Sommet est organisé tous les deux ans (sauf le deuxième Sommet à Québec en 1987 et le neuvième Sommet à Beyrouth en 2002). Il réunit non seulement des chefs d’État mais aussi des chefs de gouvernement (notamment des gouvernements du Québec, du Nouveau-Brunswick, de la Communauté française de Belgique) des pays membres de la Francophonie.

En tant qu’instance suprême de la Francophonie, le Sommet remplit plusieurs fonctions. Il élit le Secrétaire général de la Francophonie (depuis 1997), adopte les grandes orientations de la Francophonie en matière de coopération (par exemple le Cadre stratégique décennal (CSD) en 2004) et statue sur l’adhésion de nouveaux

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Section 2. Le fonctionnement du système institutionnel francophone membres. Sur le plan politique, le Sommet sert de forum de discussion, de prise de décision commune sur plusieurs sujets communautaires et internationaux importants (comme l’exception culturelle (Maurice, 1993), la diversité culturelle et le dialogue des cultures (Beyrouth, 2002), le changement climatique et le développement durable (Ouagadougou, 2004), la langue française (Québec, 2008), etc.).

L’idée de l’organisation d’un Sommet des chefs d’État et de gouvernement des pays francophones est abordée depuis très tôt, dans les années 1960 et tout au long des années 1970329, par des personnalités politiques comme Léopold Sédar Senghor du Sénégal, Habib Bourguiba de la Tunisie, Hamani Diori du Niger et Norodom Sihanouk du Cambodge. Pourtant, il faut attendre seize ans après la création de l’ACCT (1970) pour que le premier Sommet soit organisé en 1986 à Versailles.

Depuis cette date, en tant qu’instance regroupant de plus hauts responsables des pays francophones, les Sommets deviennent très vite le lieu par excellence pour faire avancer le projet francophone. Ils associent dans un premier temps les associations de la société civile dans la mise en œuvre de ses programmes de coopérations, sous la forme d’opérateurs directs (AUF pour projets de l’enseignement supérieur et la recherche, AIMF pour projets de coopérations décentralisées, Université Senghor d’Alexandrie pour la formation des cadres africains, TV5Monde pour la communication internationale) ou sous forme d’organe consultatif (APF). Ils réforment l’ACCT, devenue Agence intergouvernementale de la Francophonie (AIF) en 1997 et puis l’OIF en 2005, qui est de facto l’opérateur principal des Sommets. Enfin, le Sommet de Hanoi a créé un poste de Secrétaire général de la Francophonie, et lui a confié le rôle de clef de voûte de l’ensemble institutionnel francophone. De ces faits, les Sommets francophones sont devenus incontestablement le moteur principal du processus d’institutionnalisation de la Francophonie.

329 Ministère des Affaires étrangères, Actes de la Conférence des chefs d’État et de gouvernement des pays ayant en commun l’usage du français, Paris, La Documentation française, 1986, p. 5. L’idée a été suggérée par le président sénégalais Senghor en 1962 à Bangui, reprise par le président mauritanien Ould Daddah en 1964, puis par le président Habib Bourguiba en 1965 et précisée par Senghor en 1966 au Sommet de l’OCAM (Organisation commune africaine et malgache). Senghor a relancé cette idée tout au long des années 1970 et au début des années 1980, jusqu’à sa mise en place effective en février 1986.

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Tableau 11: Les Sommets de la Francophonie

1986 Versailles (France) 1999 : Moncton (Canada)

1987 : Québec (Canada) 2002 : Beyrouth (Liban)

1989 : Dakar (Sénégal) 2004 : Ouagadougou (Burkina Faso)

1991 : Chaillot (France) 2006 : Bucarest (Roumanie)

1993 : Grand-Baie (ile Maurice) 2008 : Québec (Canada)

1995 : Cotonou (Bénin) 2010 : Montreux (Suisse)

1997 : Hanoï (Vietnam) 2012 : Prévu à Kinshasa (RDC) (du 12 au 14 octobre 2012).

Depuis le premier Sommet, les modalités d’organisation de chaque Sommet dépendent beaucoup de la créativité des pays hôtes. Depuis 2008 à Québec, les pays membres ont adopté un document officiel portant sur les différentes parties du déroulement d’un Sommet francophone330.

 La Conférence ministérielle de la Francophonie (CMF)

Créée en 1991 lors du Sommet de Chaillot, la CMF réunit les ministres des Affaires étrangères ou les ministres chargés de la Francophonie des pays membres de la Francophonie. Elle a été instituée dans le contexte où une simplification331 des institutions francophones, celles créées par les Sommets à côté des organes de l’ACCT depuis 1970, s’est imposée pour donner plus de clarté de l’ensemble du système. La

330 « Vade-mecum sur les modalités de fonctionnement des Sommets », in OIF, Actes de la douzième Conférence des chefs d’État et de gouvernement des pays ayant le français en partage (Québec, 17-19 octobre 2008), Paris, 2009, pp. 137-147. 331 En réalité, cette « simplification » n’a pas simplifié les institutions car depuis sa première réunion en 1992 jusqu’à 2005, chaque session de CMF est divisée deux séances : la première pour s’occuper des questions des Sommets ; la deuxième pour s’occuper des questions de l’ACCT. Les participants de ces deux séances ne sont pas les mêmes car les membres du Sommet ne sont pas nécessairement les membres du l’ACCT. C’est seulement après la réforme de 2005 que cette situation s’arrête.

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Section 2. Le fonctionnement du système institutionnel francophone nouvelle CMF remplace en effet à la fois les Conférences ministérielles préparatoires des Sommets (commencées en novembre 1985 pour préparer le Sommet de Versailles) et la Conférence générale de l’ACCT (organe suprême de l’ACCT qui réunit les ministres de la coopération ou de la culture depuis 1970)332.

Réunie tous les ans, la CMF est présidée par le ministre des Affaires étrangères ou le ministre chargé de la Francophonie du pays hôte du Sommet, un an avant et un an après celui-ci. Parmi ses attributions, elle prépare le Sommet et veille à l’exécution des décisions arrêtées par ce dernier. Elle adopte le budget et les rapports financiers de l’OIF ainsi que la répartition du Fonds multilatéral unique (FMU)333. La CMF recommande au Sommet l’admission de nouveaux membres de plein droit, associés ou observateurs. Elle crée tout organe subsidiaire nécessaire au bon fonctionnement de l’OIF (par exemple l’Institut de l’Énergie et de l’Environnement de la Francophonie, créé en 1987 ; ou l’Institut de la Francophonie numérique, créé en 1998).

 Le Conseil permanent de la Francophonie (CPF)

Le CPF est une instance chargée de la préparation et du suivi du Sommet, sous l’autorité de la CMF.

Composé de tous les représentants personnels des chefs d’État ou de gouvernement des pays francophones, le CPF se réunit au moins quatre fois par an. Il est présidé dans un premier temps (entre 1991 et 1997) par le représentant du chef d’État du pays hôte du Sommet, un an avant et un an après celui-ci ; puis depuis 1997 par le Secrétaire général de la Francophonie334.

332 De 1991 à 1997, la CMF remplace aussi le Conseil d’administration de l’ACCT. Mais depuis l’adoption de la Charte de la Francophonie à Hanoi, les fonctions de ce Conseil d’administration sont transférées au Conseil permanent de la Francophonie (CPF). 333 Le Fonds multilatéral unique a été créé en 1989 lors du Sommet de Dakar. Il est géré par l’ACCT (devenue l’OIF). Ce fonds reçoit les contributions statutaires, des contributions spécifiques et des contributions volontaires des pays membres. 334 En effet, entre 1991 et 1997, l’existence du poste de président tournant du CPF parallèlement avec le poste du Secrétaire général de l’ACCT a rendu floue l’image de la Francophonie sur la scène internationale puisque l’on ne savait pas qui était le vrai représentant international de la Francophonie. Ce problème est

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Parmi ses fonctions, le CPF examine les propositions de répartition du FMU et l’exécution des décisions d’affectation. Il examine les rapports financiers et les prévisions budgétaires de l’OIF et fait rapport à la Conférence ministérielle sur l’instruction des demandes d’adhésion ou de modification de statut des membres. Le CPF joue le rôle d’animateur, de coordonnateur et d’arbitre de l’ensemble des activités de la Francophonie. En tant qu’instance de suivi du Sommet, le CPF procède aux évaluations des programmes des opérateurs directs et de l’OIF. Il examine et approuve les projets de programmation de l’OIF.

Depuis l’adoption de la Déclaration de Bamako en 2000 sur les pratiques de la démocratie, de l’État de droit et des droits de l’homme dans l’espace francophone, le CPF joue le rôle du garant du respect des engagements des pays membres dans cette déclaration. Il peut par exemple être convoqué en session extraordinaire lorsqu’une crise démocratique (comme un coup d’État) est survenue dans un pays francophone et décider de suspendre la participation de ce pays aux activités de la Francophonie (c’est le cas actuellement du Madagascar, du Mali et de la Guinée-Bissau suite à des coups d’État dans ces pays).

Le CPF dispose de quatre commissions : la commission politique, la commission économique, la commission de coopération et de programmation, et la commission administrative et financière335.

résolu quand le Secrétaire général de la Francophonie (poste créé au Sommet de Hanoi (1997), et occupé par Boutros Boutros-Ghali et puis par Abdou Diouf) devient à la fois le plus haut responsable de l’AIF (le poste du Secrétaire général de l’ACCT est supprimé, la gestion de l’AIF, nouveau nom de l’ACCT, est assurée par un Administrateur général en la personne de Roger Dehaybe et puis de Clément Duhaime) et le président du CPF. Les deux fonctions sont donc placées sous la responsabilité d’une seule personne qui devient alors l’unique représentant de la Francophonie sur la scène internationale. 335 Les réunions de ces commissions ne se basent pas sur un calendrier régulier et la densité des réunions de différentes commissions est très variée. La Commission politique se réunit le plus souvent à un rythme d’une fois par mois. Les réunions des autres commissions sont moins fréquentes, à un rythme de tous les trois mois en moyenne. Selon Christian Philip, ancien membre français du CPF, ce sont les réunions de la Commission politique qui suscitent le plus la participation des délégations, souvent au plus haut niveau (ambassadeurs). Les autres commissions n’attirent pas la même attention (ces propos sont recueillis lors de notre entretien avec Christian Philip dans le cadre de cette thèse).

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Section 2. Le fonctionnement du système institutionnel francophone

 L’Organisation internationale de la Francophonie (OIF)

Unique organisation intergouvernementale de la Francophonie bénéficiant d’une personnalité juridique internationale, l’OIF se compose aujourd’hui de 53 membres de plein droit, 3 associés et 19 observateurs.

Depuis 1986 à Versailles, elle est opérateur principal des Sommets de la Francophonie. De ce fait, l’OIF « remplit toutes tâches d’étude, d’information, de coordination et d’action » et peut « faire tout acte nécessaire à la poursuite de ses objectifs »336.

Sa programmation actuelle est calquée sur la base de quatre missions fixées dans le Cadre stratégique décennal de la Francophonie adopté en 2004. Son organisation interne correspond aussi à ces quatre missions stratégiques.

Le Secrétaire général de la Francophonie dirige l’OIF et prend la responsabilité directe de la Délégation aux droits de l’Homme, à la paix et à la démocratie (DDHDP). Les projets de coopération multilatérale de l’OIF et sa gestion des affaires administratives et financières sont gérés par l’Administrateur qui agit sous la délégation du Secrétaire général. L’Administrateur gère à cet effet trois directions de programmes : Direction langue française, diversité culturelle et linguistique (DLC), Direction éducation et formation (DEF), Direction de la solidarité et du développement durable (DDS), et d’autres directions d’appui de l’OIF comme la Direction à la planification stratégique (aide à la programmation et évaluation), la Direction de l’administration et des finances, la Division des ressources humaines, le Service de communication de la Francophonie et le Service des conférences internationales.

L’OIF a quatre représentations permanentes dont deux auprès des Nations Unies à New York et à Genève, une auprès de l'Union africaine et de la Commission économique pour l’Afrique des Nations Unies à Addis Abeba et une auprès de l’Union européenne à Bruxelles. Elle dispose de trois bureaux régionaux (Asie Pacifique, Afrique centrale et océan indien, Afrique de l’Ouest) et de deux antennes (Europe centrale et orientale, Caraïbe).

336 L’article 9 de la Charte de la Francophonie (Antananarivo, 2005).

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Trois organes subsidiaires lui sont rattachés : l’IEPF (Institution de l’énergie et de l’environnement de la Francophonie), le Comité international des Jeux de la Francophonie (CIJF), et l’Institut de la Francophonie numérique (IFN).

En 2008, selon l’Administrateur de l’OIF, trois cent trente personnes, de quarante nationalités, travaillent au siège à Paris et dans les autres implantations situées sur quatre continents. Ces agents gèrent différents projets de coopération dans près de cinquante pays337.

 Le Secrétaire général de la Francophonie

Poste créé à Hanoi et occupé par Boutros Boutros-Ghali (1997-2002) et puis par Abdou Diouf (depuis 2002), le Secrétaire général de la Francophonie est aujourd’hui au cœur des activités de la Francophonie.

Il est élu par les chefs d’État et de gouvernement membres et placé sous l’autorité des instances politiques auxquelles il fait rapport de ses activités. Il préside le Conseil permanent et le saisit en session extraordinaire en cas de besoin (par exemple lors des coups d’État survenus dans l’espace francophone).

En tant que le plus haut responsable de l’OIF, il a deux groupes de fonctions principales : les fonctions politiques qu’il assume directement avec l’aide de la Délégation aux droits de l’Homme, à la paix et à la démocratie (DDHDP) et les fonctions de coopérations dont il délègue la gestion à l’Administrateur de l’OIF, qu’il nomme après la consultation du CPF.

Le Secrétaire général est chargé de veiller à l’harmonisation des programmes et des actions de l’ensemble des opérateurs directs reconnus. À cette fin, il préside un Conseil de coopération, qui réunit l’Administrateur de l’OIF, les responsables des opérateurs ainsi que de l’APF. Le Conseil de coopération qui se réunit pratiquement à un rythme d’une réunion tous les deux mois vise à assurer la cohérence, la complémentarité et la synergie des programmes de coopération des opérateurs.

337 Clément Duhaime, intervention à la 24e CMF au Québec (2008), in Actes de la 24e session de la CMF, Paris, 2008, p. 135.

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Section 2. Le fonctionnement du système institutionnel francophone

 Les opérateurs directs et reconnus des Sommets de la Francophonie

À côté de l'Organisation internationale de la Francophonie qui est l'opérateur principal, quatre institutions non gouvernementales travaillent pour la Francophonie comme opérateurs directs. Il s'agit de l'Université Senghor d'Alexandrie, de l'Agence universitaire de la Francophonie (AUF), de l’Association internationale des maires francophones (AIMF) et de TV5Monde. Trois d'entre eux ont été créés avant 1986 (AUF, AIMF, TV5Monde).

Pour certains observateurs, c’est la décision prise par le premier Sommet de la Francophonie organisé en 1986 de ne pas créer de nouvelles institutions francophones intergouvernementales qui a amené la Francophonie à confier à ces institutions non gouvernementales les fonctions d’opérateurs afin de pouvoir profiter de leurs services. Pour Michel Guillou, au-delà la création des réseaux, c’est l’AUPELF qui a contribué à mettre fin au monopole de l’ACCT en matière de coopération en se présentant dès le premier sommet à Versailles comme un acteur incontournable de la coopération universitaire francophone, avec l’appui du Président sénégalais Abdou Diouf338. L’argument premier de l’AUPELF pour être opérateur était de dire que, dans tous les pays francophones comme d’ailleurs plus généralement quasiment dans le monde entier, les États ont confié la responsabilité de l’enseignement supérieur à leurs universités et que, par conséquent, dans la même logique, il fallait confier la coopération universitaire entre elles, à leur rassemblement associatif339.

Le Comité international de suivi (CIS) a choisi de confier en 1989 à l'Agence universitaire de la Francophonie les coopérations interuniversitaires et à TV5Monde le volet de communication de télévision se de télévision. Plus tard en 1995, il a été confié à l’AIMF le rôle d’opérateur des projets de coopérations entre les villes francophones et plus généralement de l’ensemble de la coopération décentralisée. Le cas de l'Université Senghor d'Alexandrie est un peu particulier. C’est au Sommet de Dakar au Sénégal en

338 Abdou Diouf, « Allocution prononcée lors de la séance d’ouverture », Ministère des Affaires étrangères, Actes de la Conférence des chefs d’État et de gouvernement des pays ayant en commun l’usage du français, op. cit., p. 276. 339 Ces propos ont été recueillis lors d’un entretien avec Michel Guillou dans le cadre de la préparation de cette thèse.

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1989 que les chefs d'État et de gouvernement des pays francophones ont décidé de créer cet opérateur de la Francophonie pour la formation des cadres, des fonctionnaires des pays francophones pour le développement de l’Afrique340.

Aujourd’hui, les quatre opérateurs directs peuvent participer aux travaux du Conseil permanent, de la CMF et du Sommet, sans voix délibérative. Ils participent aux réunions des commissions du CPF, excepté celles de la commission administrative et financière341. Les représentants des opérateurs directs et reconnus du Sommet peuvent être autorisés par le président de ces instances à prendre la parole sur les questions relevant de leurs compétences, en fonction de l’ordre du jour des sessions du CPF et de la CMF342. Leurs programmes sont évalués par le CPF. Lors des réunions du CPF, les opérateurs font le point d’information sur la conduite de leurs programmes de coopération.

 L’Agence universitaire de la Francophonie (AUF)

Le premier Secrétaire général de l’Association des universités partiellement ou entièrement de langue française (AUPELF), devenue aujourd’hui l’Agence universitaire de la Francophonie (AUF), Jean Marc Léger, dans un livre sur la Francophonie publié en 1987, a pu remarquer que : l’AUPELF est « l’une des plus éloquentes et des plus heureuses réalisations de l’idée francophone »343.

L’idée de création d’une association internationale des universités de langue française a été évoquée pour la première fois en 1957, au sein du Comité québécois de

340 Il revient à l’Egypte, représenté par son Ministre d’État aux Affaires Étrangères, Boutros Boutros-Ghali, le rôle d’initiateur de ce projet. A la demande de l’Égypte, René Jean Dupuy, Professeur au Collège de France, a constitué un groupe de 15 experts internationaux pour préparer un projet d’Université Senghor à Alexandrie. Pour permettre le fonctionnement de ce groupe d'études, l'Académie Française a décerné, en 1988, au Professeur Dupuy la Sphère du Mécénat, honorée d'un don de un million de francs versés par la Fondation FIAT FRANCE/INSTITUT DE FRANCE, présidée par M. Giovanni Agnelli. Source ACCT, Actes de la troisième Conférence des chefs d’État et de gouvernement des pays ayant en commun l’usage du français (Dakar, 24-26 mai 1989), op. cit., p. 339. 341 L’article 2.8 du règlement intérieur du CPF. 342 L’article 8 du règlement intérieur du CPF et l’article 8 du règlement intérieur de la CMF. 343 Jean Marc Léger, La Francophonie. Grand dessein, grande ambiguïté, op. cit., p. 94.

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Section 2. Le fonctionnement du système institutionnel francophone l’Union culturelle française344. Secrétaire général de ce Comité à cette époque, Jean Marc Léger a été chargé de la mettre en œuvre. Elle est accueillie avec enthousiasme par les universités comme celle de Montréal dirigé par le Recteur Irénée Lussier et de Dakar, une université nouvellement créée et dirigée par le Recteur Lucien Paye. Ce dernier a d’ailleurs jugé ce projet relevait de « quelque chose de l’ordre de la nécessité »345.

La première rencontre a été organisée du 8 au 13 septembre 1961 à l’Université de Montréal à l’invitation du Recteur de cette université québécoise. Le 13 septembre, 33 sur 37 universités participantes à cette rencontre adoptent les statuts d’une nouvelle association internationale, l’Association internationale des universités partiellement ou entièrement de langue française (AUPELF).

Cette association est, comme remarque dans la conclusion des actes de la conférence constitutive, « essentiellement un organisme de liaison, d’échanges, et de coopération dans tous les domaines entre universités utilisant la langue française , afin de faciliter à ces institutions la poursuite des grands objectifs que sont ceux de toutes les universités dignes de ce nom »346. Elle est, par son nom et par sa nature comme une nouvelle plateforme de coopération interuniversitaire, très ouverte. Elle adopte, dès son origine, à la demande du Recteur El Fassi, Recteur de l’Université de Rabat, le partiellement de langue française. Cette appellation lui permet d’accueillir des universités qui ont à côté du français d’autres langues d’enseignement. Ce choix du multilinguisme explique pour une large part son indéniable succès. Elle a, par ailleurs, « inventé » » la coopération Sud-Sud et s’est dotée dès 1967 d’un Fonds de coopération universitaire, le FICU pour financer ses actions de coopération.

En 1986, dès le premier Sommet, son Président, Michel Guillou, a proposé aux chefs d’État et de gouvernement de confier à l’AUPELF le mandat d’opérateur universitaire de la Francophonie et pour ce faire de créer l’Université des Réseaux

344 Ibid., p. 85. L’Union culturelle française, créée en 1953, est une association qui avait pour but d’entamer des discussions de toute sorte entre les francophones. Cette union regroupait en son sein des Comités nationaux et ces Comités nationaux comprenant des personnes morales et non des individus : les ONG, les universités, etc. 345 Ibid., p. 86. 346 Cité par Jean Marc Léger, Ibid., p. 90.

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d’Expression française (UREF). Le Sommet de Québec (1987) a effectivement créé l’UREF, puis le Sommet de Dakar (1989) et celui de Chaillot (1991) lui ont donné le mandat d’opérateur de la Francophonie pour l’enseignement supérieur347.

Aujourd’hui, l’Agence universitaire de la Francophonie (le nouveau nom de l’AUPELF depuis 1998) regroupe en son sein 786 membres venants de 98 pays membres et non membres de la Francophonie (par exemple des universités du Japon, de la Chine, du Chili, de la Bolivie).

Le fonctionnement de l’AUF est très décentralisé, avec dix bureaux régionaux à Port-au-Prince, à Dakar, à Bruxelles, à Yaoundé, à Antananarivo, à Hanoi, à Beyrouth, à Bucarest, à Montréal et à Rabat. Parmi ses activités, elle soutient actuellement des équipes de chercheurs (au nombre de 99), et attribue des bourses d’études de niveau master et doctorat (en 2011, l’AUF a attribué près de 850 bourses de doctorat).

Avec ce nombre de membres, l’Agence universitaire de la Francophonie est devenue aujourd'hui la plus grande association des universités dans le monde. Opérateur direct et reconnu des Sommets de la Francophonie depuis le Sommet de Dakar (1989), elle a joué un rôle essentiel dans le renforcement des coopérations entre les universités depuis plus de 50 ans et demeure aujourd'hui un des opérateurs les plus importants de la Francophonie.

 L’Université Senghor d’Alexandrie

L’Université Senghor d’Alexandrie348 est une création du Sommet de Dakar (1989) et bénéficie du statut d’opérateur direct et reconnu des Sommets. C’est un établissement privé reconnu d'utilité publique internationale. Établissement de 3e cycle, elle forme des cadres africains, du secteur public et du secteur privé, susceptibles d’engendrer le développement et de l’accompagner. Elle réalise cette mission tout en essayant d’éviter le double emploi avec les activités des universités africaines349.

347 Propos recueillis lors de l’entretien avec Michel Guillou dans le cadre de la préparation de cette thèse. 348 Le nom complet est l’Université internationale de langue française au service du développement africain 349 ACCT, Actes de la troisième Conférence des chefs d’État et de gouvernement des pays ayant en commun l’usage du français (Dakar, 24-26 mai 1989), op. cit., p. 340.

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Section 2. Le fonctionnement du système institutionnel francophone

Pendant ses premières années, l’Université a mis en place deux départements : l'un consacré aux questions de nutrition et de santé, l'autre à l'administration et à la gestion350. Les objectifs de ces formations étaient très orientés vers le développement. Le premier département visait à former des dirigeants de coopératives agricoles, de services ou d’entreprises de transport frigorifique, des ingénieurs, des spécialistes pour les industries de l'emballage, des aliments et des conserveries et des responsables de politique de santé et d’hygiène. Tandis que le deuxième département formait des responsables de projets de développement, des cadres d’institutions financières (banques, banques de développement, sociétés à capital-risque, compagnies d'assurance, caisses d’épargne, fonds de placement, etc.) et de consultants en gestion financière. Le double emploi avec les universités africaines était évité car l’Afrique manquait encore gravement de ces cadres de haut niveau dans ces domaines351.

Par rapport à ce stade initial, l’Université Senghor s’est beaucoup développée ces dernières années. Deux nouveaux départements ont été créés : celui de la culture et celui de l’environnement. Aujourd’hui, outre sept spécialités du master de Développement (formation de 2 ans) dans les domaines de la gouvernance, de la santé, de l’environnement, du patrimoine, des industries culturelles, de l’éducation, elle offre aussi depuis 2006 des formations continues (de 1 à 9 semaines) et un master à distance, spécialisé dans la gestion des systèmes éducatifs, en collaboration avec l’AUF, l'OIF, la CONFEMEN et l'AFIDES (Association francophone internationale des directeurs d’établissements scolaires).

Selon son Recteur actuel, Albert Lourde, l’Université Senghor va maintenant mettre l’accent sur la décentralisation de ses formations pour mieux répondre aux besoins croissants des étudiants des pays francophones, en organisant des Campus Senghor dans des universités de ces pays. Cette politique permettra de récupérer des milliers de candidatures rejetées actuellement par l’Université chaque année à cause de manque de place à Alexandrie, et aussi d’offrir une formation de qualité aux étudiants qui ne peuvent pas ou ne souhaitent pas pour des diverses raisons venir à Alexandrie. Au moment de notre entretien avec le Recteur Albert Lourde (décembre 2011), des accords

350 Ibid., p. 211. 351 Ibid., p. 343.

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avaient déjà été signés pour la création de quatre Campus Senghor dans les universités au Burkina Faso, au Gabon, en Algérie et au Maroc.

Par ailleurs, un programme de doctorat délivré par l’Université Senghor et une autre université francophone dans le cadre de cotutelle est aussi en cours de mise en place pour permettre aux étudiants de l’Université de compléter leur formation au plus haut niveau352.

Parmi les activités de la Francophonie, les projets de l’AUF et les formations offertes par l’Université Senghor sont parmi des plus utiles car elles permettent de préparer des acteurs directs du développement africains. Selon son Recteur actuel, le professeur Albert Lourde, l’Université Senghor a rempli la mission confiée par les chefs d’État et de gouvernements au Sommet de Dakar et elle continuera de contribuer au développement africain dans les années à venir. Elle pourra ainsi être un modèle pour d’autres universités francophones pour le développement qui pourraient être créées dans d’autres régions du monde, notamment en Asie du Sud-Est353.

 L’Association Internationale des Maires francophones (AIMF)

L'association internationale des maires francophones a été créée en 1979 à l'initiative des maires des villes de Paris et de Montréal. En tant qu’association des élus locaux, elle est associée à la réalisation des projets francophones dès le premier Sommet à Versailles en 1986.

En 1993, la résolution n°6 adoptée au Sommet de Maurice a reconnu l'AIMF comme l'opérateur associé de l’ACCT. Une autre résolution n°19 adoptée par les chefs d’État et de gouvernement au Sommet de Cotonou en 1995 a fait de l’AIMF l’opérateur direct et reconnu des Sommets dans la coopération décentralisée354.

352 Programmation 2010-2013, Université Senghor d’Alexandrie, p. 8. 353 Propos recueillis lors de notre entretien avec le Recteur Albert Lourde dans le cadre des préparations de cette thèse. 354 Il faut souligner ici que l’AIMF n'est pas la seule association internationale qui développe des coopérations décentralisées dans l'espace francophone. Depuis 2002, une autre association internationale, celle des régions francophones (AIRF) a été créée avec un siège social à la région Rhône-Alpes. La création

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Section 2. Le fonctionnement du système institutionnel francophone

L’association regroupe aujourd’hui plus de 250 membres venant de près de 50 pays dans le monde. Sont membres de l’AIMF des villes mais aussi des associations de communes ou de municipalités des pays francophones.

Les projets de coopérations coordonnées par l’AIMF se concentrent sur les infrastructures de base comme la construction des écoles, l’alimentation en eau potable, les équipements informatiques, l’assainissement des quartiers, etc.

Le fonctionnement de l’AIMF est assuré à la fois par les cotisations statutaires des membres, une contribution volontaire de la Ville de Paris et aussi par des subventions de la France.

Ainsi, les opérations d’investissement d’équipements collectifs au niveau des quartiers peuvent bénéficier d’une participation au maximum de 80% du coût total du projet venant du Fonds de coopération de l’AIMF (20% restant sont à la charge des villes bénéficiaires). Ce fonds de coopération, créé en 1991, est alimenté par les subventions des villes et des organismes publics comme l’Agence canadienne de Développement International, la Communauté française de Belgique ou privés comme la Fondation Veolia355, la Fondation Ensemble356.

D’autres projets qui concourent à la réalisation des objectifs fixés dans le cadre stratégique décennal de la Francophonie sont financés par les subventions des États et gouvernements membres de la Francophonie à travers le FMU. L’AIMF mobilise aussi les financements d’autres bailleurs de fonds multilatéraux comme l’Union européenne pour

de cette Association internationale des Régions francophones (AIRF), qui n’est pas pour le moment un opérateur reconnu des Sommets, illustre le besoin de plus en plus important de coopération entre les peuples francophones, non seulement au niveau intergouvernemental mais aussi au niveau interrégional et intercommunal. Le travail accompli jusqu'à aujourd'hui par ces deux associations des élus locaux est particulièrement utile dans la mesure où il touche directement la vie au quotidien des habitants et renforce par-là la solidarité entre les collectivités locales francophones et le sentiment d’appartenance à la Francophonie. 355 Parmi ses activités, cette fondation privée soutient des projets d’accès à l’eau et à l’assainissement, de protection de l’environnement, de formation, de réinsertion sociale et professionnelle, etc. 356 Reconnue utilité publique, elle agit dans les domaines d’eau et d’assainissement, de développement durable et de biodiversité animale.

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la réalisation des projets. Par ailleurs, l’AIMF dispose d’un fonds d’urgence financé en faveur des villes victimes d'une catastrophe ou d'une crise grave.357

 TV5Monde

Créée en 1984 à la suite de l'accord signé entre les cinq médias publics des pays francophones du Nord (TF1, Antenne 2, FR3 de France ; TSR de Suisse et RTBF de Communauté française de Belgique), la chaîne de télévision de langue française TV5 a été reconnue comme opérateur direct des sommets de la Francophonie dans le domaine de communication internationale en 1989 lors du sommet de Dakar. Elle devient TV5Monde en 2006.

Basée en Europe dans un premier temps, elle développe progressivement ses signaux en Amérique, en Afrique, en Asie. Actuellement, huit signaux de TV5Monde sont émis depuis Paris, avec des grilles de programmes adaptés à chaque région358. Elle a aujourd’hui dix chaînes partenaires francophones : France 2, France 3, France 5, ARTE France, RTBF (la Radio-Télévision Belge de la Communauté Française), TSR (la Télévision Suisse Romande), Radio Canada, Télé Québec, RFO (Réseau France Outremer) et le CIRTEF (Conseil International des Radios-Télévisions d’Expression Française). Depuis 2008, le holding de l'Audiovisuel Extérieur de la France qui regroupe France 24 et RFI détient 49% du capital de TV5Monde359.

Chaîne de télévision multilatérale, la programmation de TV5Monde est alimentée d’une part par des émissions produites par la chaîne (19%) dont la majorité sont des magazines d’information, et d’autre part par la rediffusion d’émissions des chaînes partenaires (45%) ou des achats à d’autres fournisseurs (36%)360. Chaîne généraliste, TV5Monde fournit des émissions exclusivement de langue française (avec des sous-

357 « Données financières », disponible sur http://www.aimf.asso.fr/default.asp?id=104 358 TV5 Québec-Canada, créé en 1988 par le Consortium de télévision Québec-Canada, est diffusé depuis Montréal. Le TV5 Québec-Canada est pourtant une chaîne de télévision indépendante de TV5Monde. 359 http://www.tv5.org/cms/chaine-francophone/tv5monde/La-chaine/p-5857-Presentation.htm 360 « Partout avec vous – TV5Monde », p. 23, disponible sur http://www.tv5.org/cms/userdata/c_bloc_file/0/760/760_fichier_DP-TV5MONDE-2010.pdf

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Section 2. Le fonctionnement du système institutionnel francophone titrages dans 12 autres langues) de tous les genres : information, magazine, fiction, divertissement, jeunesse, documentaire, sport, cinéma, etc.

L’activité la plus visible de TV5Monde en tant qu’opérateur de la Francophonie ce sont ses émissions en faveur de la promotion de la langue française. Des rubriques spécifiques pour cette mission sont développées sur son site internet, la rubrique « langue française ». Le site fournit aux étudiants et enseignants un ensemble d'outils, de services et de ressources pour exploiter les émissions de la chaîne. Ainsi, selon la chaîne, en 2010, il y a 4 millions de visites mensuelles pour les rubriques « langue française ». Toutes les 12 secondes un exercice fait en ligne par un apprenant. Toutes les 50 secondes une fiche pédagogique téléchargée par un enseignant361.

 D’autres institutions francophones

 L’Assemblée parlementaire de la Francophonie (APF)

Créée en 1967 sous l’impulsion du Président sénégalais Léopold Sédar Senghor362, l’Association internationale des parlementaires de langue française (AIPLF) devient l’Assemblée parlementaire de la Francophonie (APF) en 1998. Elle regroupe aujourd’hui 48 sections membres (dont 2 sections non reconstituées (l’Égypte et la Tunisie)), 17 sections associées et 13 observateurs. Une section membre peut être composée de plusieurs députés ou sénateurs.

L’APF dispose d’une Assemblée générale qui se tient tous les ans en session ordinaire. Le Bureau de l’APF qui se compose de 12 à 18 membres élus se réunit au moins deux fois par an. Les quatre commissions de l’APF (commission politique, la commission de l’éducation, de la communication et des affaires culturelles, la commission des affaires parlementaires et la commission de la coopération et du développement) se réunissent deux fois par an et discutent de différents sujets en lien avec les priorités des Sommets de la Francophonie. Les activités de l’APF bénéficient du

361 Ibid., p. 41. 362 Le Président Senghor a ainsi déclaré en février 1966 que : « Ce sont les peuples qui, par l'intermédiaire de leurs élus, pousseront les gouvernements à aller de l'avant. Il faudrait réunir dans une association interparlementaire les parlements de tous les pays où l'on parle le français. »

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soutien d’un Secrétariat général qui comprend un Secrétaire général parlementaire et un Secrétaire général administratif, assistés d’un ou de plusieurs conseillers ou adjoints administratifs363.

Dans la résolution n°10 relative à l’avenir des institutions francophones et aux mécanismes du suivi du Sommet de Dakar (1989), les Chefs d’État et de gouvernement ont reconnu solennellement « le rôle éminent que l'AIPLF, seule organisation interparlementaire des pays francophones, joue dans la construction et le développement de la francophonie… Aussi demandent-ils au CIS d'organiser la consultation et l'information réciproques »364. Cette demande a été répétée en 1991, dans la résolution n°17 adoptée par le Sommet de Chaillot365. Ensuite, la résolution n°5 sur l’AIPLF du Sommet de Maurice en 1993 a décidé de reconnaître l'AIPLF comme l’Assemblée consultative de la Francophonie366. Le Sommet de Cotonou en 1995 a réaffirmé ce rôle d’assemblée consultative de l’AIPLF. Enfin, le Sommet de Hanoi en 1997 avec la nouvelle Charte de la Francophonie a reconnu dans ce document officiel ce rôle consultatif de l’AIPLF dans le dispositif institutionnel de la Francophonie. En outre, la Charte a précisé que la consultation et l’information réciproques seront mises en œuvre par : « la transmission réciproque des informations, des décisions, des rapports et autres documents de l’AIPLF, des Sommets et de toutes les instances de la Francophonie ; la participation de représentants de l’AIPLF, sur des sujets précis, aux travaux des Sommets, de la CMF et du CPF ; la participation de représentants de la CMF et du CPF aux travaux de l’AIPLF et de ses commissions »367.

363 « Règlement de l’Assemblée parlementaire de la Francophonie », disponible sur http://apf.francophonie.org/spip.php?article140#11 364 « Résolution n°10 relative à l’avenir des institutions francophones et aux mécanismes du suivi du Sommet de Dakar », in ACCT, Actes de la troisième Conférence des chefs d’État et de gouvernement des pays ayant en commun l’usage du français (Dakar, 24-26 mai 1989), op. cit., p. 501. 365 « Résolution n°17 relative à l’avenir des institutions de la Francophonie, passage relatif à l’AIPLF », in ACCT, Actes de la quatrième Conférence des chefs d’État et de gouvernement des pays ayant en commun l’usage du français (Chaillot, 19-21 novembre 1991), op. cit., p.302. 366 « Résolution n° 5 sur l’AIPLF », in ACCT, Actes de la cinquième Conférence des chefs d’État et de gouvernement des pays ayant le français en partage (Maurice, 16-18 octobre 1993), Paris, 1994, p. 79. 367 Charte de la Francophonie (Hanoi, 1997), annexe 2.b – AIPLF.

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Section 2. Le fonctionnement du système institutionnel francophone

Outre ces relations de consultations précisées par la Charte de Hanoi, l’APF participe conjointement avec l’OIF à l’organisation des missions d’observations électorales dans l’espace francophone.

 La CONFEMEN et la CONFEJES

La Conférence des ministres de l'Éducation des pays ayant le français en partage (CONFEMEN), créée en 1960, peut être considérée comme la plus ancienne institution intergouvernementale francophone. Lors de sa création, la CONFEMEN regroupait seulement la France et ses anciennes colonies (15 membres) dans le souci de concertation entre ces pays pour le fonctionnement des systèmes éducatifs des nouveaux pays indépendants.

En 1968, lors de sa session annuelle à Libreville au Gabon, l’invitation gabonaise envoyée au ministère de l’Éducation du Québec sans passer préalablement par le gouvernement fédéral canadien a marqué l’histoire de cette institution368. Cet événement a largement contribué à la solution trouvée à Niamey de « gouvernement participant » qui a permis la création de l’ACCT en 1970 et la participation du Québec à cette Agence un an plus tard.

La CONFEMEN s’est élargie peu à peu. Aujourd’hui, elle regroupe 44 États et gouvernements membres. Elle n’est plus limitée aux pays africains mais aussi élargie aux pays asiatiques (comme le Vietnam, le Laos) ou aux pays de l’Europe de l’Est (comme la Roumanie, la Macédoine). Elle offre un cadre d’échange et de concertation entre ses États et gouvernements membres sur leurs systèmes éducatifs.

Depuis 2005, lors de l’adoption de la Charte de la Francophonie à Antananarivo, la CONFEMEN est reconnue comme conférence ministérielle permanente de la Francophonie.

La Conférence des ministres de la Jeunesse et des Sports des pays ayant le français en partage (CONFEJES) a été créée en 1969. Elle a pour objectif de la promotion de la

368 C’était la première fois le Québec participait à une réunion internationale au niveau ministériel avec une délégation indépendante. Le Canada, après plusieurs essais pour empêcher cette participation, a rompu des relations diplomatiques avec le Gabon.

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jeunesse, du sport et des loisirs au sein de l’espace francophone. Lors du Sommet de Québec en 1987, les chefs d’État et de gouvernement ont décidé de créer les Jeux de la Francophonie et de confier la gestion de ces jeux à la CONFEJES. Depuis 2005, la gestion du Comité international des Jeux de la Francophonie est transférée à l’OIF. Pourtant, la CONFEJES continue d’être sollicitée dans l’organisation de ces événements.

La Charte d’Antananarivo en 2005 a aussi reconnu le statut de Conférence ministérielle permanente de la CONFEJES. Elle participe à ce titre aux différents travaux du CPF, de la CMF et du Sommet de la Francophonie.

 Le Conseil de coopération de la Francophonie

Actuellement, en sa qualité de Président du CPF et de « responsable de l’animation de la coopération multilatérale francophone financé par le FMU », le Secrétaire général de la Francophonie préside un Conseil de coopération de la Francophonie.

La première version de ce Conseil est le Comité consultatif conjoint (CCC), créé par le Sommet de Québec (1987) et qui était composé, d'une part, des membres du Comité du suivi assisté des chefs de réseau et, d'autre part, du Secrétaire général de l’ACCT, assisté de ses directeurs généraux et du contrôleur financier. Ce Comité était chargé de « donner des avis sur la programmation des décisions du Sommet ; il verrait aussi à établir les modalités d'un appui technique que l'ACCT pourrait fournir au Comité du suivi pour l'accomplissement de son mandat »369. Lors du Sommet de Dakar en 1989, le CCC est élargi aux autres opérateurs directs afin de favoriser la concertation et l'information réciproques. Ce CCC élargi se réunissait une fois par an370. La Charte de Hanoi (1997) supprime le CCC et le remplace par un Conseil de coopération qui réunit l’Agence et les opérateurs directs reconnus. Depuis la modification de la Charte à Antananarivo en 2005, le Conseil se compose de l’OIF, des opérateurs, et aussi de l’APF en sa qualité d’organe consultatif.

369 « Résolution relative aux mécanismes de mise en œuvre des décisions du Sommet », in ACCT, Actes de la deuxième Conférence des chefs d’État et de gouvernement des pays ayant en commun l’usage du français (Québec, 2-4 septembre 1987), op. cit., p. 295. 370 « Résolution relative à l’avenir des institutions francophones et aux mécanismes du suivi du Sommet de Dakar », in ACCT, Actes de la troisième Conférence des chefs d’État et de gouvernement des pays ayant en commun l’usage du français (Dakar, 24-26 mai 1989), op. cit., p. 501.

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Section 2. Le fonctionnement du système institutionnel francophone

Actuellement, le Conseil de coopération se réunit pratiquement chaque deux mois. Ces réunions permettent à assurer, de manière permanente, « la cohérence, la complémentarité et la synergie des programmes de coopérations des opérateurs »371.

§2. Un fonctionnement assez hiérarchique mais flexible

Comme nous venons de le voir, la Francophonie a un mécanisme de fonctionnement assez hiérarchique.

Les Sommets jouent un rôle de l’instance suprême. Ce sont les chefs d’État et de gouvernement qui décident lors de leur réunion les grandes orientations ou projets de la Francophonie. C’est le cas notamment de l’adoption des résolutions sur la programmation (entre 1986 et 1995), des plans d’actions (entre 1997 et 2002) et du Cadre stratégique décennal de la Francophonie (depuis 2004). La CMF joue un rôle d’organe de suivi du Sommet. À cet effet, elle adopte le budget de l’OIF et propose la répartition du Fonds multilatéral unique. Enfin, le CPF joue un rôle d’animateur, de contrôle et d’arbitre. Il assure de façon permanente le respect des orientations politiques décidées par les Sommets.

Depuis l’adoption du Cadre stratégique décennal de la Francophonie en 2004, comme l’OIF, les opérateurs directs établissent leur programmation quadriennale selon les orientations prises dans ce document. Ces programmations des opérateurs sont financées en partie par le Fonds multilatéral unique de la Francophonie (FMU).

Ce mécanisme institutionnel est pourtant assez flexible car même si les programmations quadriennales sont un cadre d’action pour l’OIF et les opérateurs, les Sommets peuvent toujours ajouter de nouveaux projets qu’ils jugent prioritaires. Ainsi, trois projets qui n’étaient pas prévus dans la programmation 2006 -2009 ont pu voir le jour lors du Sommet de Bucarest : l’IFADEM (Initiative francophone pour la formation à distance des maîtres), les Maisons des savoirs et les Jeunes volontaires. Ces projets, surtout les deux premiers, ont permis d’attirer de nouveaux financements et en même temps de faire travailler ensemble et en concertation les opérateurs de la Francophonie.

371 Article 8 de la Charte de la Francophonie (Antananarivo, 2005).

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CONCLUSION DE LA PREMIERE PARTIE

À l’issue de cette analyse, il apparait clairement que depuis la fin des années 1980, deux facteurs principaux ont poussé la Francophonie, une organisation de coopération culturelle et technique, dans la voie de devenir acteur actif des relations internationales.

Le facteur externe d’abord. Avec la chute du Mur de Berlin et la fin de la Guerre froide, le monde est entré dans une nouvelle période avec beaucoup d’incertitudes et de nouveaux enjeux. La recomposition du système international n’est pas encore terminée. Son nouveau visage est encore inconnu, malgré la confirmation progressive d’une tendance vers un nouveau système multipolaire. Cette incertitude du système contribue à amplifier les enjeux politiques mondiaux : une intensification des conflits internes dans plusieurs pays dans le monde ; la montée des nouvelles tensions due à l’émergence de nouvelles puissances régionales et mondiales. De nouvelles concurrences d’influence apparaissent, non seulement politiques, économiques, militaires, mais aussi culturelles et linguistiques. Par ailleurs, on constate une accélération de la mondialisation libérale depuis des années 1980. Issue principalement d’un phénomène économique, cette mondialisation libérale affecte de plus en plus les relations culturelles et linguistiques mondiales. Elle constitue un enjeu majeur pour la diversité culturelle et linguistique dans le monde actuel. Et comme dans le domaine politique, une concurrence, voire une « guerre » culturelle et linguistique, a émergé entre les principales puissances du monde.

Ce « contexte temporel mondial » favorise l’émergence d’une Francophonie politique, conçue comme un nouveau rassemblement de forces, une nouvelle sorte d’alliance fondée sur le partage d’une langue, de valeurs et d’intérêts communs au niveau culturel et linguistique.

Le facteur interne à l’espace francophone ensuite. Depuis la fin des années 1980, plusieurs pays francophones du Sud ont rencontré de grandes difficultés au niveau à la fois politique (la transition démocratique) et économique (l’intégration à l’économie mondiale). Ces difficultés sont différentes selon les régions. Si la transition démocratique est relativement réussie dans les pays francophones de l’Europe de l’Est, elle ne connait pas le même succès en Afrique francophone. Plusieurs crises et instabilités sont 203

récurrentes dans cette région. De même, l’ouverture économique n’a pas donné des résultats escomptés pour tous. Si dans certains pays, l’adoption de l’économie de marché a favorisé une croissance économique importante, dans d’autres pays, la situation économique n’est pas beaucoup améliorée et parfois même détériorée, à cause des crises politiques récurrentes et de la faible performance du système éducatif. Pour les pays francophones du Nord comme la France et le Canada, deux principaux bailleurs de fonds de la Francophonie et puissances de tailles moyennes dans le monde, la fin du système bipolaire accentue leurs orientations vers la création d’un nouveau système multilatéral plus proche de leurs intérêts. Ils cherchent à consolider ou à étendre leur zone d’influence partout dans le monde. Par ailleurs, tous ces deux pays mettent désormais l’accent sur la promotion de la démocratie et des droits de l’Homme.

Ce contexte interne de l’espace francophone favorise aussi à son tour l’émergence d’une Francophonie politique. Cette dernière répond aux nouveaux besoins de ses États et gouvernements membres. Elle devient pour les uns un nouveau canal pour diversifier leurs relations internationales (les pays asiatiques et ceux de l’Europe de l’Est), pour les autres un nouveau soutien aux processus de transitions démocratique et économique (les pays africains), enfin pour certains (les pays du Nord), elle devient un nouveau moyen d’influence, un forum supplémentaire pour favoriser l’émergence d’un monde multipolaire. Enfin, pour tous les pays francophones, du Nord comme du Sud, la Francophonie peut offrir une alternative à la mondialisation libérale actuelle.

Pour remplir cette nouvelle ambition internationale que ses pays membres lui ont assignée, la Francophonie possède plusieurs avantages :

Elle est d’abord un espace spécifique fondé sur le partage d’une langue commune et caractérisée par la diversité en son sein. Le partage d’une langue commune favorise les échanges entre ses membres, la culture du dialogue et un sentiment d’appartenance à une même famille. La diversité en son sein fait d’elle aujourd’hui non pas une organisation mondiale de plus et non pas non plus une organisation régionale. Elle est une organisation interrégionale qui connait, certes, ses limites, mais qui peut devenir aussi une nouvelle force fédératrice dans les mobilisations internationales.

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Conclusion de la première partie

La Francophonie s’est ensuite progressivement institutionnalisée. Après plusieurs réformes, elle dispose aujourd’hui d’un système institutionnel suffisamment cohérent. Malgré certaines limites, le système institutionnel actuel de la Francophonie lui permet de remplir assez adéquatement ses différentes missions. En plus, sa particularité réside dans le fait qu’elle sait mobiliser aussi d’autres acteurs non étatiques dans la réalisation de ses projets. Ces acteurs non étatiques offrent à la Francophonie une dynamique certaine que les autres organisations interrégionales ou régionales n’ont pas.

La réalisation de cette ambition internationale de la Francophonie ne se fait pourtant pas toujours dans des conditions favorables. Si la Francophonie s’affirme peu à peu comme un nouvel intervenant crédible de la scène internationale, elle a aussi des faiblesses et doit faire face à plusieurs enjeux et défis. La seconde partie analysera en profondeur ces différents points.

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SECONDE PARTIE : LES ENJEUX DE L’ACTEUR INTERNATIONAL FRANCOPHONE

Depuis 1986, la Francophonie affiche une ambition de plus en plus claire de devenir acteur influent des relations internationales. La politisation de la Francophonie s’est faite de façon progressive. Aujourd’hui, elle s’est dotée de fondements normatifs assez bien établis pour porter cette ambition (chapitre IV). La réalisation de cette ambition internationale de la Francophonie se fait sur deux scènes.

Sur la scène internationale d’abord, avec la diversité en son sein, la Francophonie apparaît dans un premier temps comme un laboratoire d’un nouveau système international multilatéral. Le discours « idéaliste » de la Francophonie d’un monde multipolaire et d’une mondialisation plus humaniste fondé sur la diversité culturelle et linguistique séduit. Elle devient peu à peu un « attracteur » du nouveau système international multipolaire en formation. Possédant une « diplomatie » francophone, elle exerce une certaine influence dans les grands débats internationaux, notamment sur la diversité culturelle (chapitre V).

Sur le plan interne de l’espace francophone ensuite, les différentes missions politiques qu’elle reçoit depuis 1986 font de la Francophonie un nouvel interlocuteur important des pays membres dans ce domaine. Elle est sollicitée depuis ces vingt dernières années dans l’accompagnement des pays francophones dans leurs processus de transition démocratique. Ses actions font d’elle aujourd’hui un partenaire de plus en plus crédible (chapitre VI).

Pourtant, dans la réalisation de son ambition internationale, la Francophonie doit encore résoudre plusieurs défis importants pour pouvoir peser plus lourd.

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CHAPITRE IV. L’AMBITION DE LA FRANCOPHONIE INTERNATIONALE ET SES FONDEMENTS

L’émergence de la dimension politique a renforcé la visibilité de la Francophonie comme un nouvel intervenant de la scène internationale ces vingt dernières années. Mais la Francophonie politique n’existe pas à part. Elle est très étroitement liée à la Francophonie de coopération et de solidarité. Ces deux dimensions ont des liens dialectiques et forment aujourd’hui ce que nous appelons la Francophonie internationale. Cette dernière nourrit une ambition de devenir un acteur plus influent des relations internationales. Elle dispose à ce propos de fondements normatifs importants (section 1).

Pourtant, le résultat des enquêtes de terrain montre que vu de l’intérieur et de l’extérieur, cette ambition internationale ne fait pas de consensus et que la place accordé à cette Francophonie internationale par les étudiants et les personnalités interviewées est assez variée (section 2).

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SECTION 1. LA FRANCOPHONIE INTERNATIONALE ET L’AMBITION D’ETRE ACTEUR INFLUENT DES RELATIONS INTERNATIONALES

§1. L’émergence de l’acteur Francophonie politique

Si le mouvement francophone est enraciné dans la création des premières organisations non gouvernementales depuis des années 1950 et la création de la première organisation intergouvernementale francophone date de 1970 (avec l’ACCT), la Francophonie ne devient un acteur poursuivant des objectifs politiques qu’à partir de 1986, date du premier Sommet organisé à Versailles (France).

Depuis cette date, la Francophonie émerge peu à peu comme un nouvel intervenant de la scène internationale. Sa visibilité internationale est de plus en plus claire surtout avec l’évolution de sa dimension politique. Cette dernière a effectivement émergé dans quatre temps : très timide dans une première période (1986-1990), accélérée dans un deuxième temps (1991-1996), confirmée et amplifiée par la suite (1997-2003), et actuellement, elle est en train d’être consolidée (2001-à nos jours).

 La timidité du projet politique de la Francophonie dans un premier temps

Pendant la première période (1986-1990), l’engagement politique de la Francophonie a été assez timide. Certes, l’organisation d’un Sommet francophone à partir de 1986 a permis la naissance d’un nouveau forum international. De questions politiques et économiques internationales ont été abordées lors de ces rencontres comme le problème d’apartheid, le problème de dette extérieure, la baisse du prix des matières premières, la crise au Liban, le conflit israélo-palestinien, etc. Mais les deux premiers Sommets (Paris et Québec), toujours dans un contexte de la Guerre froide, se sont limités à des discussions générales.

Les premiers pas vers une coopération francophone dans les domaines plus politiques et sensibles ont commencé en 1989 avec le projet de coopération juridique et judiciaire. Une Conférence des ministres de la Justice des pays ayant en commun l’usage du français a été organisée à Paris du 5 au 7 janvier 1989 (suite à la proposition de la

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France lors du Sommet de Québec). Cette Conférence a identifié deux défis majeurs pour les pays francophones du Sud : d’une part, la formation des magistrats et des personnels judiciaires et d’autre part, la mise à disposition des pays membres des informations juridiques et judiciaires et les moyens de les diffuser et utiliser372. Suite à cette conférence, lors du troisième Sommet organisé à Dakar en 1989, la France a proposé la création d’un projet de coopération juridique et judiciaire pour relever les défis identifiés, projet qu’elle finance alors à hauteur de 70%373. La mise en place de ce projet est particulièrement saluée par le président sénégalais, Abdou Diouf, pour qui l’évolution de la Francophonie dans cette nouvelle coopération est de l’ordre « naturel » car la Francophonie est « à la fois espace de solidarité et de développement, espace d’épanouissement et de liberté, devant être en mesure d’apporter des réponses positives et concrètes aux besoins et priorités exprimés par les États membres »374. Par ailleurs, le Sommet de Dakar a adopté une résolution (n°6) sur les droits fondamentaux, appelant au respect des droits de la personne et du droit au développement, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de l’espace francophone.

La période entre ce Sommet de Dakar (1989) et le Sommet de Chaillot (1991) est essentiellement consacrée à la réflexion sur ce nouveau terrain d’action de la Francophonie. Ainsi, une Délégation (Délégation à la Coopération juridique et judiciaire - DCJJ) a été créée au sein de l’ACCT pour gérer le programme de coopération juridique et judiciaire, nouvellement créé à Dakar. Cette Délégation a organisé un colloque intitulé L’État de droit au quotidien du 11 au 14 septembre 1991 à Cotonou (Bénin) afin d’identifier les pistes d’actions francophones dans les années à venir.

372 ACCT, Actes de la troisième Conférence des chefs d’État et de gouvernement des pays ayant en commun l’usage du français (Dakar, 24-26 mai 1989), op. cit., p. 363. 373 Roland Dumas, Ministre français des Affaires étrangères, « Intervention sur le droit au service du développement et de la démocratie », in ACCT, Actes de la quatrième Conférence des chefs d’État et de gouvernement des pays ayant en commun l’usage du français (Chaillot, 19-21 novembre 1991), op. cit., p. 220. 374 ACCT, Actes de la troisième Conférence des chefs d’État et de gouvernement des pays ayant en commun l’usage du français (Dakar, 24-26 mai 1989), op. cit., p. 369.

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 L’accélération de la Francophonie politique depuis le Sommet de Chaillot (1991)

La Francophonie politique, amorcée depuis 1986, poursuivie aux Sommets de Québec et de Dakar, va être accélérée à partir du Sommet de Chaillot en 1991. La fin de la Guerre froide et la perspective d’un renouvellement du multilatéralisme ont apporté un nouveau vent optimiste pour le nouveau rôle politique de la Francophonie. Le Premier ministre canadien Brian Mulroney a ainsi déclaré à Chaillot : « les pays en développement doivent également veiller à ne pas se marginaliser eux-mêmes, à ne pas s'écarter de la tendance qui se dessine à l'échelle mondiale, et où s'imposent les droits de la personne, le pluralisme politique et l’économie de marché. Dans cette perspective, la Francophonie aura un rôle important à jouer en tant que catalyseur des changements et des espoirs des peuples »375. Les termes de « démocratie », de « libertés », « droits de la personne » sont présents partout dans les discours des chefs d’État et de gouvernement francophones lors de ce Sommet.

Dans leur Déclaration finale lors du quatrième Sommet francophone à Chaillot (1991), les chefs d’État et de gouvernement des pays francophones ont pris l’engagement « de faire avancer le processus de démocratisation, de consolider les institutions démocratiques » et ont décidé de « développer des programmes appropriés dans ce sens »376. Ainsi, le programme de coopération juridique et judiciaire, instauré à Dakar, est devenu le programme « Droit au service du développement et de la démocratie ». Les périmètres d’intervention de la Francophonie ont été élargis et comportent désormais cinq volets :

- Amélioration des conditions d’exercice de la justice dans les États de l’espace francophone ;

375 « Intervention du Premier ministre du Canada », in ACCT, Actes de la quatrième Conférence des chefs d’État et de gouvernement des pays ayant en commun l’usage du français (Chaillot, 19-21 novembre 1991), op. cit., p. 188. 376 ACCT, Actes de la quatrième Conférence des chefs d’État et de gouvernement des pays ayant en commun l’usage du français (Chaillot, 19-21 novembre 1991), op. cit., p. 85.

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- Appui aux activités des institutions spécialisées en matière de promotion du droit et de protection des droits de la personne et d’aide à la démocratisation ;

- Mise en place de services d’information et d’expertise en matière de droit et de droits de la personne, au siège de l’ACCT ;

- Coopération interparlementaire (restructuration des services documentaires des Parlements du Sud ; organisation et fonctionnement des Parlements)

- Promotion des droits de l’homme et appui aux processus démocratiques377.

Les Sommets suivant celui de Chaillot ont confirmé ce nouvel engagement de la Francophonie vers une organisation plus politique.

La déclaration finale du sommet de Maurice (1993) a affirmé pour la première fois « la nécessité de faire entendre la voix de la Francophonie dans les grands débats internationaux »378. À cet effet, les chefs d’État et de gouvernement des pays francophones ont adopté une résolution sur l’exception culturelle dans la pleine période des négociations au sein du GATT en vue de création de la nouvelle organisation mondiale du commerce (OMC). Du côté de la coopération, outre le renforcement des principaux axes de coopération en matière de démocratie, des droits de l’homme et de la paix définis à Chaillot, les questions de prévention, de résolution des crises et de maintien de la paix dans le cadre de l’ONU ont commencé à entrer dans les discussions, avec notamment l’adoption d’une résolution n°1 sur ces questions. Le Sommet de Maurice a par ailleurs décidé de convoquer une deuxième Conférence des ministres de la Justice en novembre 1995 au Caire sur le thème « Justice, État de droit et droits de l’Homme en lien avec le développement » pour approfondir davantage leur coopération dans ces domaines.

Deux ans plus tard, au Sommet de Cotonou (1995), une réorganisation des programmes de coopération de la Francophonie a été entamée. Les activités politiques

377 « Résolution sur la programmation, Annexe 1 - Projet de programmation générale et affectation budgétaire », in ACCT, Actes de la quatrième Conférence des chefs d’État et de gouvernement des pays ayant en commun l’usage du français (Chaillot, 19-21 novembre 1991), op. cit., p. 291. 378 « La Déclaration de Maurice », in ACCT, Actes de la cinquième Conférence des chefs d’État et de gouvernement des pays ayant le français en partage (Maurice, 16-18 octobre 1993), op. cit., p. 8.

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Section 1. La Francophonie internationale et l’ambition d’être acteur influent des relations internationales francophones sont regroupées désormais dans un programme mobilisateur intitulé « espace de liberté, de démocratie et de développement ». Par ailleurs, consternés par le génocide au Rwanda, membre de la Francophonie, les chefs d’État et de gouvernement des pays francophones ont adopté lors de ce sommet de Cotonou une nouvelle résolution (n°5) sur la prévention des conflits. Cette résolution va plus loin qu’en 1993 à Maurice en déclarant la volonté des pays francophones « de consolider l’espace francophone par une action concertée visant à prévenir les conflits, apaiser les tensions et ménager des issues pacifiques aux crises déclarées, dans le respect de la souveraineté des États membres » et « de renforcer la capacité de réaction de la Francophonie par une consultation rapide de ses instances politiques pour définir, le cas échéant, les mesures à prendre »379. Cette résolution servira de base pour les actions de prévention de conflits et de l’alerte précoce, partie intégrante de la Déclaration de Bamako adoptée en 2000.

C’est d’ailleurs ce Sommet de Cotonou (1995) qui adoptera une résolution sur les institutions francophones, demandant notamment la création d’un Secrétariat général de la Francophonie au Sommet de Hanoi (1997).

 Le tournant de Hanoi (1997) et l’amplification de la dimension politique de la Francophonie avec la Déclaration de Bamako (2000)

Le Sommet de Hanoi (1997) a été effectivement un grand tournant dans l’évolution de la Francophonie politique. En effet, lors de ce sommet, les chefs d’État et de gouvernement des pays francophones ont adopté une Charte de la Francophonie, qui affirme clairement que l’objectif de la Francophonie est entre autres d’aider « à l’instauration et au développement de la démocratie, la prévention des conflits et le soutien à l’État de droit et aux droits de l’Homme »380. En même temps, ils ont élu un Secrétaire général de la Francophonie en la personne de Boutros Boutros-Ghali, ancien Secrétaire général de l’ONU. Selon l’article 4 du Plan d’action de Hanoi, le Secrétaire général de la Francophonie a le mandat « de développer les initiatives politiques susceptibles de contribuer au règlement pacifique des conflits en cours ». Il lui est aussi demandé « de

379 ACCT, Actes de la sixième Conférence des chefs d’État et de gouvernement des pays ayant le français en partage (Cotonou, 2-4 décembre 1995), op. cit., p. 146. 380 L’article 1 de la Charte de la Francophonie (Hanoi, 1997).

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contribuer, en tant que de besoin, par l’entremise des instruments de l’Agence mis à sa disposition à cet effet, à la consolidation de l’État de droit et du processus démocratique »381.

Désormais, l’action politique de la Francophonie est pilotée par ce nouveau Secrétaire général. Il la représente sur la scène internationale et lui donne plus de visibilité en mettant fin à la situation assez « dispersée » de l’action politique de la Francophonie. En effet, avant cette création en 1997, l’action politique de la Francophonie était exercée d’une part par le Secrétaire général de l’ACCT et d’autre part par les présidents382 du CPF. Leur concurrence pour représenter la Francophonie sur la scène internationale383 a nui à la visibilité et la crédibilité internationale de cette organisation. Le Rapport final du Comité de réflexion pour le renforcement de la Francophonie384 au Sommet de Cotonou en 1995 a même précisé que : « La communauté francophone n'a pas, à l'heure actuelle, de porte-parole qui puisse s'exprimer en son nom sur la scène internationale… La multiplicité des intervenants et la confusion des responsabilités entre les instances politiques et les opérateurs exigent de plus en plus de fortifier les centres de décisions de la Francophonie. L'absence d'une personnalité investie d'une autorité politique incontestable conduit à une faiblesse des contrôles qui s'exercent sur tous les opérateurs »385. Le nouveau poste de Secrétaire général de la Francophonie créé à Hanoi (1997), qui est à la fois le plus haut responsable de l’ACCT et le Président du CPF, a résolu cette question. Par ailleurs, le prestige des personnalités occupant ce poste, l’ancien Secrétaire général de l’ONU Boutros Boutros-Ghali et l’ancien Président sénégalais Abdou Diouf, joue aussi un rôle très important dans son succès.

381 L’article 4 du Plan d’action de Hanoi (Hanoi, 1997). 382 Les présidents au pluriel car avant la réforme de 1997, le Président du CPF était un poste tournant, assumé par le représentant du pays hôte du Sommet de la Francophonie. 383 Michel Guillou, La mangue et la pomme, op. cit., p. 44. 384 Ce Comité a été instauré par le Sommet de Maurice en 1993. Il est présidé par le Représentant de la Communauté française de Belgique, M. Roger Dehaybe. 385 « Rapport final du Comité de réflexion pour le renforcement de la Francophonie », in Actes de la sixième Conférence des chefs d’État et de gouvernement des pays ayant le français en partage (Cotonou, 2- 4 décembre 1995), op. cit., p. 89.

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Section 1. La Francophonie internationale et l’ambition d’être acteur influent des relations internationales Deux ans plus tard, le Sommet de Moncton en 1999 au Nouveau-Brunswick (Canada) a poursuivi les engagements politiques de Hanoi. Par ailleurs, suite à la proposition de la Conférence ministérielle de la Francophonie de Bucarest en 1998, le Sommet de Moncton a décidé l’organisation d’un Symposium international sur le bilan des pratiques de la démocratie, des droits et des libertés dans l’espace francophone à Bamako en 2000.

Si le Sommet de Hanoi est un tournant dans l’engagement politique de la Francophonie avec la création du poste de Secrétaire général et lui donnant la responsabilité de conduire l’action politique de la Francophonie, l’adoption de la Déclaration de Bamako en novembre 2000 est pour sa part un autre tournant sur le plan normatif. En effet, avec cette Déclaration, la Francophonie dispose pour la première fois non seulement d’une synthèse des engagements pris par les États depuis début des années 1990, mais aussi, et surtout, d’un mécanisme de suivi inédit avec notamment des mesures de réaction en cas de non-respect de ces engagements de la part des pays membres (chapitre V de cette Déclaration).

Pour le Secrétaire général de la Francophonie de l’époque, Boutros Boutros-Ghali, le Symposium de Bamako avait trois objectifs principaux : « dresser un état des lieux exigeant des pratiques de la démocratie, des droits et des libertés dans les pays membres de l’espace francophone ; identifier les pratiques positives mises en œuvre pour répondre aux grands principes de la démocratie ; recommander, enfin, les adaptations nécessaires des actions de coopération conduites depuis de nombreuses années par la Francophonie en accompagnement des processus de démocratisation »386.

Cette Déclaration de Bamako se compose de cinq chapitres.

Le premier chapitre porte sur le bilan des pratiques de la démocratie, des droits et des libertés dans l’espace francophone depuis début des années 1990. Ce bilan est assez bref, voire sommaire. La Déclaration de Bamako constate en effet qu’à côté des acquis qui sont indéniables, des insuffisances et des échecs dans ces domaines restent

386 OIF, Francophonie et démocratie, Symposium international sur le bilan des pratiques de la démocratie, des droits et des libertés dans l’espace francophone (Bamako, 1er-3 novembre 2000), Paris, Éditions Pedone, p. V.

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présents : récurrence de conflits, interruption de processus démocratiques, génocide et massacres, violations graves des droits de l’homme, etc.

Le deuxième chapitre porte sur les principes fondamentaux de la démocratie, de l’État de droit et des droits de l’homme (au nombre de six). Par exemple, l’État de droit « implique la soumission de l’ensemble des institutions à la loi, la séparation des pouvoirs, le libre exercice des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, ainsi que l’égalité devant la loi des citoyens, femmes et hommes, représentent autant d’éléments constitutifs du régime démocratique »387. Un autre principe est aussi mis en avant, selon lequel « la démocratie est incompatible avec toute modification substantielle du régime électoral introduite de façon arbitraire ou subreptice, un délai raisonnable devant toujours séparer l’adoption de la modification de son entrée en vigueur »388. Certains principes ont pourtant suscité des réserves de la part de certains pays membres, notamment le principe selon lequel « la démocratie va de pair avec le multipartisme ». Pour le Laos et le Vietnam, deux pays qui ont mis une réserve sur ce principe, « la démocratie et le multipartisme sont deux notions différentes et ne peuvent s’identifier. La démocratie est une finalité alors que le multipartisme n’est qu’un chemin. Le chemin pour y parvenir décidé par chaque pays doit être défini par son peuple en fonction de ses spécificités culturelles, historiques, économiques et sociales »389.

Cette réserve a été ensuite prise en compte dans le troisième chapitre quand les pays francophones proclament que « pour la Francophonie, il n’y a pas de mode d’organisation unique de la démocratie et que, dans le respect des principes universels, les formes d’expression de la démocratie doivent s’inscrire dans les réalités et spécificités historiques, culturelles et sociales de chaque peuple »390. D’autres proclamations soulignent par exemple que « la Francophonie et la démocratie sont indissociables » et

387 L’article II.2 de la Déclaration de Bamako (2000). 388 L’article II.4 de la Déclaration de Bamako (2000). Malgré la reconnaissance de ce principe, depuis 2000, la pratique de modification de Constitution a été souvent utilisée dans l’espace francophone pour permettre aux chefs d’État au pouvoir de participer à plusieurs reprises à l’élection présidentielle et de rester au pouvoir. La Francophonie ne dispose pas de mécanisme de réaction dans une telle situation. Nous développons davantage ce point dans la deuxième section de ce chapitre. 389 Le motif de la réserve du Laos et du Vietnam sur l’article II.5 de la Déclaration de Bamako (2000). 390 L’article III.2 de la Déclaration de Bamako (2000).

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Section 1. La Francophonie internationale et l’ambition d’être acteur influent des relations internationales que « pour préserver la démocratie, la Francophonie condamne les coups d’État et toute autre prise de pouvoir par la violence, les armes ou quelque autre moyen illégal »391. Ce sont des proclamations fortes et lourdes de conséquences car elles sous-entendent deux choses : d’une part, les pays francophones actuellement membres peuvent être suspendus suite à des événements antidémocratiques comme les coups d’État ; d’autre part, les pays qui souhaitent devenir membre de la Francophonie doivent respecter ces valeurs. Le respect de la démocratie devient dès lors un des critères d’adhésion à la Francophonie392.

L’adhésion à ces principes fondamentaux conduit les pays francophones à prendre des engagements politiques qui sont regroupés dans quatre grandes catégories dans le quatrième chapitre : la consolidation de l’État de droit ; la tenue d’élections libres, fiables et transparentes ; la vie politique apaisée ; la promotion d’une culture démocratique intériorisée et le plein respect des droits de l’Homme.

Ces engagements sont assez précis. Dans la catégorie de la consolidation de l’État de droit, c’est par l’encouragement d’un « renouveau de l’institution parlementaire, en facilitant matériellement le travail des élus, en veillant au respect de leurs immunités et en favorisant leur formation » ; ou l’assurance de « l’indépendance de la magistrature, la liberté du Barreau et la promotion d’une justice efficace et accessible ». Dans la catégorie de la tenue d’élections libres, fiables et transparentes, les engagements sont entre autres de « s’assurer que l’organisation des élections… s’effectue dans une transparence totale et relève de la compétence d’organes crédibles dont l’indépendance est reconnue par tous » ; ou de « s’attacher au renforcement des capacités de l’ensemble des acteurs et des structures impliqués dans le processus électoral, en mettant l’accent sur l’établissement d’un état civil et de listes électorales fiables ». Dans la catégorie d’une vie politique apaisée, il s’agit de « prévenir, et le cas échéant régler de manière pacifique, les contentieux et les tensions entre groupes politiques et sociaux, en recherchant tout mécanisme et dispositif approprié, comme l’aménagement d’un statut pour les anciens hauts dirigeants, sans préjudice de leur responsabilité pénale selon les normes nationales et internationales » ; ou

391 L’article III.1 et l’article III.5 de la Déclaration de Bamako (2000). 392 La candidature de la Thaïlande en 2006 a été justement refusée à cause du coup d’État survenu dans ce pays quelques mois avant le Sommet de Bucarest.

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de « veiller au respect effectif de la liberté de la presse et assurer l’accès équitable des différentes forces politiques aux médias publics et privés, écrits et audiovisuels, selon un mode de régulation conforme aux principes démocratiques ». Dans la catégorie de la promotion d’une culture démocratique intériorisée et le plein respect des droits de l’Homme, il faut entre autres « développer l’esprit de tolérance et promouvoir la culture démocratique dans toutes ses dimensions, afin de sensibiliser, par l’éducation et la formation, les responsables publics, l’ensemble des acteurs de la vie politique et tous les citoyens aux exigences éthiques de la démocratie et des droits de l’homme ». Il s’agit aussi de « créer, généraliser et renforcer les institutions nationales, consultatives ou non, de promotions des droits de l’Homme et soutenir la création dans les administrations nationales de structures consacrées aux droits de l’Homme, ainsi que l’action des défenseurs des droits de l’Homme ».

Au total, vingt-cinq engagements politiques sont pris dans ces quatre différentes catégories. Ce sont des engagements forts de la part des pays membres de la Francophonie. Même si cette Déclaration de Bamako n’a ni de valeur de traité international ni de valeur contraignante et que la mise en place des engagements réside dans la « bonne volonté » des pays membres, sa force vient de ses mécanismes de suivi que nous analyserons dans le VIe chapitre de cette partie.

 La consolidation de la Francophonie politique (de 2001 à nos jours)

Pour effectivement mettre en œuvre le suivi de la Déclaration de Bamako, le Conseil permanent de la Francophonie (CPF) en sa 42e session le 24 septembre 2001, soit près d’un an après l’adoption de la Déclaration, a adopté une Note fixant les modalités pratiques de mise en œuvre des procédures du chapitre 5 de la Déclaration de Bamako. Le Sommet de Beyrouth (Liban) en octobre 2002 a ensuite adopté un Programme d’action de Bamako qui définit les actions concrètes que la Francophonie va mettre en place dans ces domaines.

Depuis 2004, les engagements de la Francophonie dans l’accompagnement des processus de transition dans les pays francophones se sont consolidés. Les activités politiques de la Francophonie sont regroupées désormais dans une des quatre grandes missions stratégiques de la Francophonie, inscrites dans le Cadre stratégique décennal (2005-2014), document adopté au Sommet de Ouagadougou. Il s’agit de la mission B,

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Section 1. La Francophonie internationale et l’ambition d’être acteur influent des relations internationales « Promouvoir la paix, la démocratie et les droits de l'Homme ». Cette mission a deux objectifs stratégiques : « Consolider la démocratie, les droits de l'Homme et l’État de droit » et « Contribuer à prévenir les conflits et accompagner les processus de sortie de crise, de transition démocratique et de consolidation de la paix ».

La dimension politique de la Francophonie a été ensuite consolidée par la réforme de la Charte à Antananarivo en 2005. Le Secrétaire général de la Francophonie renforce son autorité comme l’unique patron de la Francophonie et dirige désormais l’action politique de la Francophonie (supra - Chapitre III, section 1. Institutionnalisation de la Francophonie).

Ces dernières années, la Francophonie politique a cherché à s’approprier de nouveaux concepts sous l’impulsion de deux plus grands bailleurs de fonds : le Canada et la France.

Le Canada cherche, en effet, depuis 2004, d’introduire dans la Francophonie des concepts nouveaux et assez sensibles pour beaucoup pays francophones comme celui de « responsabilité de protéger » et « la sécurité humaine ». La Francophonie, sous l’impulsion de ce pays, a introduit depuis le Sommet de Ouagadougou en 2004 le concept de « responsabilité de protéger »393 dans sa Déclaration finale (sans essayer pourtant de

393 Ce concept a été popularisé par le travail de la Commission internationale sur l’intervention et la souveraineté des États (CIISE), créée et soutenue par le gouvernement canadien en septembre 2000. Selon le rapport de cette Commission publié en décembre 2001 « les États souverains ont la responsabilité de protéger leurs propres citoyens contre les catastrophes qu’il est possible de prévenir – meurtres à grande échelle, viols systématiques, famine. S’ils ne sont pas disposés à le faire ou n’en sont pas capables, cette responsabilité doit être assumée par l’ensemble de la communauté des États ». En septembre 2005, le Sommet mondial des Nations Unis a adopté un document final dans lequel le terme de « responsabilité de protéger » a été mentionné dans les paragraphes 138, 139 et 140. Selon ce document, « c’est à chaque État qu’il incombe de protéger ses populations du génocide, des crimes de guerre, du nettoyage ethnique et des crimes contre l’humanité ». La communauté internationale peut également, dans le cadre de l’ONU, « de mettre en œuvre les moyens diplomatiques, humanitaires et autres moyens pacifiques appropriés, conformément aux Chapitres VI et VIII de la Charte, afin d’aider à protéger les populations de ces crimes ». Et lorsque ces moyens pacifiques se révèlent inadéquats et que les autorités nationales n’assurent manifestement pas la protection de leurs populations contre ces crimes, peut être aussi envisagé « une action collective résolue par l’entremise du Conseil de sécurité, conformément à la Charte, notamment son

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le définir) : « Nous marquons notre préoccupation face à la situation qui règne au Darfour… Nous soulignons l’urgence de trouver, sous l’égide des Nations unies, de l’Union africaine et des organisations régionales, une solution pacifique à ce conflit, qui entraîne une grave crise humanitaire, et rappelons au gouvernement du Soudan sa responsabilité de protéger sa population civile »394.

Pendant ce Sommet de Ouagadougou, le Premier ministre canadien Paul Martin a proposé d’organiser une Conférence ministérielle de la Francophonie sur le sujet de sécurité humaine et la prévention de conflit. Selon ses termes : « La crise du Darfour est liée à la « responsabilité de protéger », concept humanitaire à l’étude aux Nations unies. Nous devons nous donner les moyens d’agir. À cette fin, je propose que nos ministres responsables se réunissent le plus tôt possible avant le prochain sommet et se penchent sur les problèmes de prévention des conflits et de sécurité humaine dans l’espace francophone »395. Cette conférence a été ensuite organisée au Canada en mai 2006 avec comme résultat l’adoption de la Déclaration finale de Saint-Boniface.

Après la Déclaration de Bamako, cette Déclaration de Saint-Boniface est le document de référence le plus important de la Francophonie dans le domaine politique. D’une part, elle réitère les engagements sur la démocratie, l’État de droit et les droits de l’homme pris dans la Déclaration de Bamako (2000), ainsi que les actions francophones pour la prévention de conflit. D’autre part, elle intègre dans le corpus des concepts politiques de la Francophonie le nouveau terme de « sécurité humaine », très lié d’ailleurs au concept de « responsabilité de protéger ». Ce concept de « sécurité humaine » était pourtant toujours en discussion à l’Assemblée générale de l’ONU au moment de l’adoption de la Déclaration de Saint-Boniface. Cette dernière a seulement incité les pays membres à y participer. Elle a par ailleurs mentionné des sujets en lien avec ce concept comme : l’enfant-soldat, l’abus sexuel des femmes pendant les conflits,

Chapitre VII, au cas par cas et en coopération, le cas échéant, avec les organisations régionales compétentes ». Il faut noter que ce concept est toujours en discussion à l’Assemblée générale de l’ONU. 394 « Déclaration de Ouagadougou », in OIF, Actes de la dixième Conférence des chefs d’État et de gouvernement des pays ayant le français en partage (Ouagadougou, 26-27 novembre 2004), op. cit., p. 75. 395 « Discours du Très Honorable Paul Martin, Premier ministre du Canada à la séance solennelle inaugurale du Sommet », in OIF, Actes de la dixième Conférence des chefs d’État et de gouvernement des pays ayant le français en partage (Ouagadougou, 26-27 novembre 2004), op. cit., p. 200.

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Section 1. La Francophonie internationale et l’ambition d’être acteur influent des relations internationales l’élimination de mines antipersonnel, le trafic des ressources naturelles, le commerce illicite des armes légères, la protection des réfugiés, etc. Contrairement à la Déclaration de Bamako, celle de Saint-Boniface n’a pas fait l’objet d’un suivi systématique mais a été considérée comme un élargissement des champs d’intervention de la Francophonie.

La France, elle aussi, cherche depuis ces dernières années à intégrer dans les champs d’action politiques de la Francophonie le concept de maintien de la paix. En effet, c’est un sujet que la Francophonie a déjà abordé depuis le Sommet de Maurice (1993). Ce dernier a adopté une résolution sur le maintien de la paix qui confirme le désir des pays francophones « de renforcer la contribution des pays ayant le français en partage aux opérations de maintien de la paix de l’ONU ». Ils se sont par ailleurs déclarés « prêts à s'associer selon leurs possibilités aux opérations de maintien de la paix ou humanitaires décidées par le système des Nations unies »396. Pourtant, cette résolution n’a pas donné à la Francophonie le mandat d’agir dans ce domaine. Les Sommets suivant celui de Maurice ont tous abordé cette question mais sous l’angle de déclaration de principe du soutien aux efforts de l’ONU et d’autres organisations régionales dans ce domaine.

C’est seulement à la CMF d’Antananarivo en 2005 que l’engagement francophone s’est précisé dans ce domaine. L’inscription à l’ordre du jour des discussions sur la participation de la Francophonie à des opérations de maintien de la paix a été proposée par la France397. C’était la première fois que les ministres francophones discutaient sur un éventuel mandat de la Francophonie dans ce domaine. Par sa décision CMF- 21/2005/D36, la CMF d’Antananarivo a d’une part lancé un appel invitant les États et gouvernements membres à s’impliquer et à s’investir davantage dans les opérations de maintien de la paix. Elle a d’autre part invité l’OIF, en coopération avec d’autres partenaires bilatéraux et multilatéraux, à développer des programmes visant à renforcer

396 « Résolution sur le maintien de la paix et la sécurité internationale », in ACCT, Actes de la cinquième Conférence des chefs d’État et de gouvernement des pays ayant le français en partage (Maurice, 16-18 octobre 1993), op. cit., p. 72. 397 Organisation internationale de la Francophonie, Rapport général de la 21e session de la CMF siégeant comme instance du Sommet, (Antananarivo, les 22 et 23 novembre 2005), p. 11.

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la capacité des États membres à participer à ces opérations398. Autrement dit, la Francophonie a commencé à recevoir un mandat clair dans ce domaine.

La Conférence ministérielle à Saint-Boniface en mai 2006 a poursuit les discussions sur cette nouvelle mission de la Francophonie. Dans la déclaration finale de cette conférence, les ministres ont demandé au Secrétaire général de la Francophonie « d’examiner les possibilités pour l'Organisation internationale de la Francophonie d’être associée aux différents programmes de renforcement de capacités en maintien de la paix,… notamment en ce qui concerne la sensibilisation et la formation ainsi que l'assistance technique dans les domaines des droits de l'Homme, des institutions, des textes fondamentaux et des élections ». Ils ont en plus appelé l’OIF à « examiner la possibilité de participer activement, en qualité d'observateur, aux travaux du Comité spécial sur les Opérations de maintien de la paix des Nations Unies »399.

Les Sommets suivant ces deux conférences ministérielles ont confirmé ce nouveau mandat de la Francophonie en matière de maintien de la paix. Au sommet de Québec (2008), les pays francophones se sont engagés à « renforcer les capacités des États francophones en matière de maintien de la paix »400. Dans le suivi de ce Sommet de Québec, la 25e session de la CMF (décembre 2009) a adopté une résolution, dont le projet a été conjointement soumis par la France et le Canada401, soulignant l’importance de prendre des mesures concrètes en vue de favoriser une participation active des États francophones aux opérations de maintien de la paix (comme la mise en place d'un réseau structuré d'experts compétents sur les questions relatives aux opérations de maintien de la paix, la mise en place des formations techniques, etc.). Au sommet de Montreux (2010), les chefs d’État et de gouvernement francophones se sont félicités « de l’impulsion nouvelle donnée à la participation de pays francophones aux opérations de

398 « Décision CMF-21/2005/D36 : Opérations de maintien de la paix », in Organisation internationale de la Francophonie, Relevé des décisions de la 21e session de la CMF (Antananarivo, les 22 et 23 novembre 2005). 399 Les paragraphes 18 et 21 de la Déclaration de saint-Boniface (2006). 400 « Déclaration de Québec », in OIF, Actes de la douzième Conférence des chefs d’État et de gouvernement des pays ayant le français en partage (Québec, 17-19 octobre 2008) op. cit., p. 110. 401 OIF, Actes de la 25e session de la CMF (15-16 décembre 2009), Paris, 2010, p. 16.

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Section 1. La Francophonie internationale et l’ambition d’être acteur influent des relations internationales maintien de la paix (OMP) depuis le Sommet de Québec de 2008, notamment dans le cadre de l’ONU »402.

Cette nouvelle implication de la Francophonie dans les opérations de maintien de la paix ne consiste pas à la participation des contingents de la Francophonie. Ces derniers n’existent pas. Le mandat que la Francophonie a reçu des pays membres consiste à déployer des programmes de renforcement des capacités des pays francophones qui participent à ces opérations de maintien de la paix, via les moyens appropriés comme la formation.

En retraçant les différentes étapes de l’évolution de la Francophonie politique, on constate que cette dimension n’a vraiment été développée qu’à partir de 1991, au lendemain de la Guerre froide et avec le nouveau vent de démocratisation dans le monde. Cette dimension politique a été ensuite confirmée, amplifiée et consolidée peu à peu à travers les Sommets mais aussi à travers des conférences ministérielles thématiques (Bamako et Saint-Boniface).

Ainsi, organisation de coopération culturelle et technique dans un premier temps, illustrée par l’image d’une salle de lecture dans un petit village au Tchad ou en Haïti, la Francophonie s’est dotée ensuite d’une dimension politique forte, illustrée par l’image de grandes réunions de diplomates, de ministres, de chefs d’État et de gouvernement en train de discuter de la crise politique en Côte d’Ivoire, en République démocratique du Congo ou de la crise financière mondiale. Aucune organisation internationale et régionale et aucun espace linguistique n’ont connu une pareille évolution.

Il est aujourd’hui sans risque de parler de la Francophonie comme une organisation politique. L’émergence de cette dimension a largement contribué à rehausser l’image de la Francophonie sur la scène internationale ces vingt dernières années. Elle n’est pas pourtant la seule dimension à considérer lorsqu’on parle de la Francophonie comme acteur des relations internationales, car la Francophonie culturelle ou plus largement la Francophonie de coopération et de solidarité contribue aussi à conforter ce nouveau rôle de la Francophonie. Elle constitue même une base solide qui donne sens à l’action politique de la Francophonie.

402 « Déclaration de Montreux », op. cit., p. 93

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§2. Les liens dialectiques entre la « Francophonie politique » et la « Francophonie de coopération et de solidarité »

Que signifie pourtant aujourd’hui la « Francophonie politique », terme souvent utilisé ? À partir de quand pouvons-nous qualifier une organisation intergouvernementale de « politique » ? Est-ce qu’elle est politique par nature, car son fonctionnement nécessite des démarches politiques internationales (adoption du budget, négociations intergouvernementales pour fixer des projets de coopération, projets qui ne sont pas nécessairement de finalités politiques) ? Ou est-ce seulement quand elle poursuit des objectifs de caractères politiques (promotion de la démocratie, prévention de conflit, consolidation de la paix, etc.) ? Malgré la présence abondante dans les débats et dans les discours, il n’y a pas aujourd’hui, à notre connaissance, de définition de la « Francophonie politique ». Deux visions de la Francophonie politique coexistent.

D’un côté, Michel Guillou, ancien Recteur de l’AUF, et Trang Phan-Labays considèrent que la création de l’ACCT, une organisation intergouvernementale francophone, en 1970 n’a pas encore donné à la Francophonie sa dimension politique. La convention de Niamey a donné vie au multilatéral francophone mais « a minima, sous la forme d’une souris frileuse et non d’un lion conquérant »403. Pour eux, la Francophonie n’a acquis une dimension politique qu’en 1986, lorsque les chefs d’État et de gouvernement francophones se sont réunis et ont commencé à prendre position sur différents dossiers politiques internationaux comme l’apartheid, la crise au Liban, la guerre en Irak, etc. Autrement dit, la Francophonie est devenue politique seulement lorsqu’elle poursuit des objectifs de cette nature. Selon ces deux auteurs, jusqu’à 1997, la dimension politique de la Francophonie n’a pas été organisée. C’est l’adoption de la Charte de Hanoi en 1997 et son amendement à Antananarivo en 2005 qui ont finalement donné à la Francophonie politique ses institutions nécessaires. En définitive, selon ce point de vue, la Francophonie n’est devenue politique que progressivement : « la langue a été la première, la culture et la solidarité ont suivi, la politique est venue après »404.

403 Trang Phan-Labays et Michel Guillou, op. cit., p. 229. 404 Ibid., p. 249.

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Section 1. La Francophonie internationale et l’ambition d’être acteur influent des relations internationales De l’autre côté, certains auteurs considèrent que par nature, la Francophonie internationale est dès le début un projet politique, c’est-à-dire dès la création de l’ACCT en 1970. Cette dernière est en effet une organisation intergouvernementale, créée par des gouvernements pour but de renforcer leurs coopérations sur la base du partage d’une langue commune, le français. Pour Roger Dehaybe, ancien Administrateur général de l’AIF, quand l’ACCT met en place des projets de coopération culturels ou éducatifs au niveau intergouvernemental, elle fait de la politique. Autrement dit, la politique n’est pas simplement la promotion des droits de l’Homme, de la démocratie, ou la prévention des conflits. Elle est aussi tout ce qui fait la gestion de l’État. Selon ce point de vue, certes, le Sommet de Hanoi a été un tournant dans l’évolution de la Francophonie avec la création du poste de Secrétaire général et l’affirmation de la poursuite des objectifs de nature politique, mais ce Sommet n’a pas marqué pas le passage de la Francophonie culturelle à la Francophonie politique, car la démarche politique a déjà commencé depuis 1970. Le sommet de Hanoi est simplement une autre étape dans l’évolution de la Francophonie dans laquelle le politique et la coopération coexistent depuis le début405.

Il est pourtant intéressant de remarquer qu’elle est politique depuis le début ou seulement à partir de 1986, le niveau d’implication (une insuffisance ou un excès) dans les questions politiques internationales de la Francophonie fait toujours l’objet des critiques.

Dans un colloque organisé en 1977, Louis Sabourin, directeur de l’Institut de coopération internationale de l’Université d’Ottawa, a critiqué le projet francophone de cette époque, qui selon lui « devient apolitique là où les problèmes cruciaux qui hantent et divisent le monde exigeraient qu’elle soit pleinement engagée, et trop politisée là où la vanité des sujets voudrait qu’elle ne le soit point. En d’autres mots, la problématique de la francophonie est trop politique et sa dynamique vis-à-vis des grands problèmes contemporains ne l’est pas assez »406. Ici, c’est le manque d’objectifs de nature politique qui est critiqué.

405 Propos recueillis lors de notre entretien avec M. Roger Dehaybe pendant la rédaction de cette thèse. 406 Louis Sabourin, « Dimensions politiques de la francophonie : de la problématique culturelle à la dynamique internationale », in Jacomy-Lillette (dir.), Francophonie et Commonwealth : Mythe ou réalité ?, op. cit., p. 222.

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Cependant, depuis que la Francophonie a affiché plus clairement son ambition politique et a fait la poursuite de ces objectifs comme une de ses priorités, certains ont critiqué qu’elle s’en occupe trop et qu’il faille qu’elle revienne à son cœur de métier, à savoir la coopération culturelle et linguistique, la promotion de la langue française. C’est entre autres la position de Pierre-André Wiltzer, ancien ministre français délégué à la Coopération et à la Francophonie. Selon lui, « parallèlement à l’accroissement du nombre des États membres non francophones, le nombre des domaines d’intervention que la Francophonie fait entrer dans son champ de compétences s’est régulièrement élargi lui aussi. Si bien que la Francophonie se trouve aujourd’hui confrontée à une redoutable contradiction entre élargissement et approfondissement. De grandes ambitions affichées, des conférences internationales spectaculaires (et dispendieuses...), mais des moyens financiers modestes, une certaine dispersion des centres d’intérêt et une dilution du message politique »407. Pour lui, la priorité des priorités de la Francophonie aujourd’hui est de « gagner la bataille de la langue française »408.

Pour nous, il est actuellement impossible de parler de la Francophonie sans mentionner sa qualité d’organisation de coopération fondée sur le partage des valeurs et d’une langue commune et qui poursuit des objectifs culturels, linguistiques et éducatifs. De même, il est aujourd’hui difficile d’envisager une Francophonie sans objectifs politiques. Ces deux volets de la Francophonie coexistent et se renforcent mutuellement.

En effet, lorsqu’un projet de coopération francophone culturelle ou éducative a été arrêté, il n’est pas simplement le résultat d’un processus administratif. Il est aussi le résultat d’un processus politique (négociation de budget, choix de pays bénéficiaires, considération des impacts politiques ou d’influence, etc.). Les orientations stratégiques sur les domaines de coopérations de la Francophonie et tous ses grands projets de coopération actuels (comme les projets IFADEM, Maisons des Savoirs, VALOFRASE, etc.) sont décidées par les États membres qui donnent des moyens et des soutiens politiques nécessaires pour leur mise en place.

407 Wiltzer Pierre-André, « Recentrer la Francophonie sur sa mission centrale : la promotion de la langue française », Revue internationale et stratégique, 2008/3, n° 71, p. 132. 408 Ibid., p. 133.

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Section 1. La Francophonie internationale et l’ambition d’être acteur influent des relations internationales Par ailleurs, la culture n’est pas par définition un domaine de la haute politique. La coopération culturelle n’est souvent pas considérée comme une coopération dans le champ politique. Et pourtant, lorsque la Francophonie s’est mobilisée pour faire adopter la convention sur la promotion et la protection de la diversité des expressions culturelles par l’UNESCO en 2005, elle a certainement fait de la politique. Car cette mobilisation implique des plaidoyers, des sensibilisations, des groupes de pression, la création d’alliances, etc. La culture n’est plus simplement une question culturelle, elle est aussi une question politique comme affirme l’actuel Secrétaire général de la Francophonie, Abdou Diouf. À l’inverse, pour les activités du champ politique comme la prévention des conflits et la consolidation de l’État de droit, la mise en place de projets de coopération (formation, dotation des fournitures) est indispensable pour le bon fonctionnement du projet politique.

En définitive, ces deux volets n’existent pas de façon séparée, l’une est présente dans l’autre409. Elles forment ensemble ce que nous appelons la « Francophonie internationale », terme plus adéquat pour désigner le projet francophone actuel.

Cette Francophonie internationale affiche aujourd’hui clairement son ambition d’être acteur influent de la scène internationale. Lors du Sommet de Montreux (2010), dont l’un des principaux thèmes était « La Francophonie acteur des relations internationales et sa place dans la gouvernance mondiale », on peut lire les lignes suivantes :

« Nous décidons de consolider la place et la visibilité de la Francophonie dans la gouvernance mondiale, conscients de sa valeur ajoutée comme acteur des relations internationales. Nous nous accordons sur l’importance d’un système multilatéral équilibré, efficace et représentatif du monde d’aujourd’hui, fondé sur une Organisation des Nations Unies (ONU) à la fois forte et rénovée. À cet effet, nous affirmons notre engagement à dynamiser la concertation francophone dans les enceintes internationales et à y participer de manière active, en particulier sur les questions de gouvernance politique et économique

409 L’Ambassadeur vietnamien et le Représentant du Président de la République socialiste du Vietnam auprès de la Francophonie, Duong Van Quang, ajoute notamment un troisième volet que la Francophonie doit renforcer aujourd’hui, c’est la Francophonie économique. Nous abordons ce volet dans la conclusion dans la partie des nouvelles perspectives pour l’acteur francophone.

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au sein de l’ONU, en nous appuyant sur des consultations menées avec la société civile. Nous appelons à une réforme urgente du Conseil de sécurité des Nations Unies »410.

C’est la première fois que le thème de la Francophonie comme acteur des relations internationales a été officiellement discuté lors d’un Sommet. C’est le signe d’une grande considération pour les actions menées par la Francophonie depuis ces vingt dernières années. Les chapitres suivants seront consacrés à l’analyse de ces actions francophones.

Mais comment cette ambition internationale de la Francophonie est-elle vue de l’intérieur et de l’extérieur ? Est-elle réaliste ? Comment l’action internationale de la Francophonie est-elle perçue aujourd’hui par ses acteurs et ses observateurs ? Le résultat de nos enquêtes de terrain apporte quelques éléments de réponse à ces questions.

410 « Déclaration de Montreux », op. cit., p. 91.

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SECTION 2. LA FRANCOPHONIE COMME ACTEUR DES RELATIONS INTERNATIONALES, REGARDS D’INTERIEUR ET D’EXTERIEUR

Deux enquêtes de terrain ont été réalisées durant la recherche pour cette thèse. Il s’agit d’une part d’un questionnaire auprès des étudiants en science politique au Vietnam et en France et d’autre part d’une quinzaine d’entretiens semi-directifs auprès de différentes personnalités francophones. L’objectif principal de ces enquêtes de terrain est de voir comment la Francophonie internationale est perçue par ces différents acteurs.

§1. Le questionnaire sur la Francophonie et la mondialisation auprès des étudiants en sciences politiques au Vietnam et en France

 La méthodologie

L’objectif de cette enquête est de connaître la perception des étudiants en science politique, considérés comme de futurs décideurs politiques, sur la mondialisation et la Francophonie.

L’enquête a été réalisée au Vietnam et en France, auprès des étudiants en science politique de l’Académie diplomatique du Vietnam (ADV), de l’Université des sciences sociales et humaines de Ho Chi Minh ville (USSH-HCM) et de l’Université Jean Moulin Lyon 3 (Lyon 3). Les questions et les réponses sont en français dans les cas de l’ADV et de Lyon 3. Tandis que celles-ci sont en anglais dans le cas des étudiants de l’USSH-HCM.

Le questionnaire comporte trois grandes parties : la première sur le profil des sondés, la deuxième sur la mondialisation et la troisième sur la Francophonie.

Au total, quatre-vingt-onze questionnaires (version papier) ont été distribués aux étudiants du Master 1 (bac+4) de l’Université Lyon 3. Trente-sept d’entre eux ont redonné leurs réponses, soit un taux de réponse de 40,65%. Trois cent neuf autres questionnaires ont été envoyés par le courriel. Quatre-vingt-et-un étudiants ont répondu, soit un taux de réponse de 38,18%.

231

Le résultat recueilli est traité d’une part par le logiciel Excel 2010 pour les réponses aux questions fermées et d’autre part par le logiciel Tropes (version 8.2)411 pour les réponses aux questions ouvertes.

 Les profils des sondés

Sexe ADV USSH-HCM Lyon 3 Total

Homme 5 11 29 45

Femme 20 27 26 73

Bac+1 3 0 0 3

Bac+2 0 8 0 8

Bac+3 6 3 0 9 Niveau d’études Bac+4 15 27 37 79

Bac+5 1 0 18 19

Total des sondés 25 38 55 118

La totalité des sondés est des étudiants en science politique au Vietnam et en France. La majorité d’entre eux sont dans la tranche d’âge de 21 à 23 ans.

Il n’y a pas de grand écart entre les sexes pour les étudiants de l’Université Lyon 3, 53% sont des hommes et 47% sont des femmes. Par contre, dans les deux autres universités vietnamiennes, l’écart est assez grand, 25,4% sont des hommes et 64,6% sont des femmes. Dans l’ensemble, 62% des sondés sont des femmes et 38% d’entre eux sont des hommes.

La capacité de pratiquer couramment plusieurs langues est assez différente entre les étudiants de ces trois universités comme illustre le tableau ci-après.

411 Tropes est un logiciel gratuit d’équivalent de celui d’Alceste. Il offre des fonctionnalités comparables à ce dernier et peut-être utilisé pour l’analyse des réponses libres aux questions ouvertes.

232

Section 2. La Francophonie comme acteur des relations internationales, regards d’intérieur et d’extérieur

Langues pratiquées ADV USSH-HCM Lyon 3 Total % des sondés

Arabe 0 0 4 4 3%

Anglais 10 38 45 93 79%

Chinois 0 5 0 5 4%

Espagnol 1 1 19 21 18%

Français 25 5 55 85 72%

Russe 0 0 3 3 3%

Vietnamien 25 38 1 64 54%

Autres (wolof, peul, 0 4 19 23 19% malgache, allemand, italien, swahili, créole, japonais, portugais)

 L’analyse des résultats de l’enquête412

La perception de la mondialisation

Pour connaître la perception des étudiants de la mondialisation, une liste des termes clefs ayant un lien direct ou indirect avec ce phénomène a été proposée aux étudiants. Ces derniers peuvent choisir plusieurs termes et ont en même temps la possibilité d’en ajouter d’autres.

La majorité d’entre eux considèrent que la mondialisation est avant tout un phénomène économique. Ainsi, 78% des sondés ont choisi le terme « marché mondial » et 74% ont choisi celui d’« ouverture économique ». Cette mondialisation, selon ces étudiants, est aussi très liée aux technologies avec le choix de « progrès techniques » par 51% des sondés et celui d’ « internet » par 62% d’entre eux.

412 Le résultat complet avec les données de l’enquête peut être trouvé dans l’annexe.

233

Quels sont les termes clefs qui ADV USSH-HCM Lyon 3 Total % des correspondent à votre sondés conception de la mondialisation ?

Américanisation 8 11 23 42 36%

Occidentalisation 6 16 27 49 42%

Idéologie 1 2 8 11 9%

Marché mondial 21 28 43 92 78%

Uniformisation culturelle 7 19 28 54 46%

Délocalisation 5 8 25 38 32%

Progrès techniques 15 28 17 60 51%

Discours politique 4 9 8 21 18%

Altermondialisation 6 2 13 21 18%

Pollution environnementale 14 24 18 56 47%

Ouverture économique 23 31 33 87 74%

Internet 16 28 29 73 62%

Écart entre riches et pauvres 10 18 26 54 46%

Opportunité 15 27 14 56 47%

Menace 10 22 19 51 43%

Irréversibilité 5 7 12 24 20%

Régulation 3 3 5 11 9%

Autres 1 0 2 3 3%

234

Section 2. La Francophonie comme acteur des relations internationales, regards d’intérieur et d’extérieur Par ailleurs, les deux faces (positives et négatives) de ce phénomène ont été reflétées assez clairement dans le choix des étudiants. Si la mondialisation comme une opportunité a été choisie par 47% des sondés, presque le même nombre d’entre eux l’ont vue comme une menace (43%). En plus, près de la moitié d’entre eux estiment qu’il y a un lien entre la mondialisation et l’uniformisation culturelle (46%), entre ce phénomène et la pollution environnementale (47%) ou encore entre la mondialisation et l’écarte entre riches et pauvres (46%).

Même si l’objectif de cette enquête n’est pas de comparer la perception de la mondialisation par les étudiants au Vietnam et en France, il est pourtant marquant de voir que 100% des étudiants au Vietnam se déclarent plutôt favorables (90%) et tout à fait favorables (10%) à la mondialisation. Ils sont aussi à 82,5% qui estiment que la mondialisation constitue une opportunité pour l’emploi et les entreprises de leur pays. La croissante rapide de l’économie du Vietnam grâce à l’ouverture du marché depuis ces vingt dernières années peut être évoquée comme une des raisons de cette opinion. Du côté des étudiants en France413, ils sont près de 31,4% qui disent plutôt opposés (27,5%) ou tout à fait opposés (3,9%) à la mondialisation. Par ailleurs, 52% d’entre eux estiment que la mondialisation constitue une menace pour l’emploi et les entreprises de leur pays.

Quel est votre point de vue sur le ADV USSH- Lyon Total % des développement de la mondialisation ? HCM 3 sondés

Tout à fait favorable 3 3 2 8 7%

Plutôt favorable 21 33 33 87 74%

Plutôt opposé 0 0 14 14 12%

Tout à fait opposé 0 0 2 2 2%

Sans réponses 1 2 4 7 6%

413 Parmi 55 étudiants de l’Université Lyon 3 qui ont répondu à notre questionnaire auprès des étudiants, il y a aussi certains étudiants venant de l’extérieur de la France (une Malgache, trois Ivoiriens, un Sénégalais, un Vietnamien, un Guinéen (Conakry), une Guinéenne (Bissau), un Mexicain, une Brésilienne et une portugaise.

235

Parmi les deux phrases suivantes, quelle ADV USSH- Lyon Total % des est celle qui se rapproche le plus de votre HCM 3 sondés opinion à l'égard de la mondialisation ?

La mondialisation constitue une 23 24 25 72 61% opportunité pour l'emploi et les entreprises de mon pays

La mondialisation constitue une menace 2 8 27 37 31% pour l'emploi et les entreprises de mon pays

Pas de réponse 0 6 3 9 8%

Dans l’ensemble, il n’y a que 20% des étudiants sondés jugent que la mondialisation actuelle est un phénomène irréversible. Tandis que 58% d’entre eux pensent que cette mondialisation peut être mieux réglementée et contrôlée. C’est peut- être la raison qui leur amène à penser majoritairement (71% des répondants) qu’une mondialisation plus humaniste est possible.

Selon vous, le processus de ADV USSH- Lyon Total % des mondialisation peut-il être efficacement HCM 3 sondés contrôlé et réglementé ?

Oui, certainement 5 8 11 24 20%

Oui, probablement 14 16 15 45 38%

Non probablement pas 6 11 19 36 31%

Non, certainement pas 0 3 10 13 11%

Pour vous, une autre mondialisation ADV USSH Lyon Total % des % des plus humaniste (plus équitable, plus -HCM 3 sondés répond respectueuse de l'environnement et ants de la diversité culturelle et linguistique, etc.) est-elle possible ?

236

Section 2. La Francophonie comme acteur des relations internationales, regards d’intérieur et d’extérieur

Oui 9 7 34 50 42% 71%

Non 4 3 13 20 17% 29%

Pas de réponse 12 28 8 48 41%

Pour ceux qui pensent qu’une mondialisation plus humaniste est possible (50/70 des répondants), 44 ont donné une explication pour leur réponse. Il est marquant de noter que beaucoup de ces 44 étudiants posent des conditions pour que la mondialisation humaniste soit possible, en utilisant des termes comme « si », « à condition que », « pour peu que ». L’analyse des réponses par le logiciel Tropes a relevé que les connecteurs de condition ont été utilisés 14 fois, par exemple :

La mondialisation s’il y a une diversité culturelle et non pas une accentuation de humaniste est l’hyper-culture dominante possible s’il y a une moralisation et une régularisation des marchés

à condition d’y mettre plus d’efforts et de volonté politique

à condition de ne pas exploiter les ressources à leur maximum et de ne pas avoir de gaspillage possible.

pour peu que les acteurs ne trichent pas

Beaucoup mettent en évidence un contraste avec la réalité actuelle en utilisant des termes comme « mais », « or », « cependant ». L’utilisation de logiciel Tropes a permis de repérer ces connexions (16 fois), par exemple :

La mondialisation mais elle ne sera pas partout humaniste est mais elle se heurte à la mondialisation actuelle où règnent les lois possible du marché

mais ce sera difficile

or l’économie dirige le monde, les idées ne font que rêver

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L’analyse de ces réponses a montré que si la majorité des répondants à cette question pensent qu’une mondialisation plus humaniste est possible, les contrastes avec la réalité sèment quelques doutes sur la réelle possibilité d’avoir cette autre mondialisation.

Il est enfin intéressant de voir que certains répondants mentionnent les efforts de la Francophonie (3 fois) et de l’UNESCO (2 fois) pour favoriser l’émergence de cette mondialisation humaniste, tout en demandant de donner plus de moyens à ces organisations pour réaliser cette tâche.

La perception de la Francophonie

Comme pour la partie de l’enquête sur la mondialisation, une liste de termes clefs qui ont un lien avec la Francophonie a été proposée aux étudiants. Les étudiants avaient aussi la possibilité d’ajouter d’autres termes.

Le résultat a montré que la marque d’identité de la Francophonie comme un mouvement des parlant-français a été reconnue par 75% des sondés. Ils sont aussi assez nombreux de choisir de lier la Francophonie avec des termes comme « diversité culturelle et linguistique » (59%), « valeurs-partagées » (47%), « enseignement supérieur et la recherche » (45), « dialogue » et « coopération » (43%).

Quels sont les termes clefs qui ADV USSH Lyon 3 Total % des correspondent à votre conception de la -HCM sondés Francophonie ?

Valeurs partagées 16 5 35 56 47%

Parlant-français 21 21 47 89 75%

Dialogue 8 10 33 51 43%

Néocolonialisme 2 1 11 14 12%

Enseignement supérieur et la recherche 14 7 32 53 45%

Françafrique 6 8 11 25 21%

Coopération décentralisée 5 4 16 25 21%

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Section 2. La Francophonie comme acteur des relations internationales, regards d’intérieur et d’extérieur

Développement durable 13 2 33 48 41%

Aide publique 5 6 7 18 15%

Puissance d'influence 2 7 7 16 14%

Organisation intergouvernementale 12 7 27 46 39%

Utopie 0 4 23 27 23%

Espace économique 6 3 5 14 12%

Diversité culturelle et linguistique 18 13 39 70 59%

Solidarité 9 1 28 38 32%

Démocratie et droits de l'Homme 12 4 31 47 40%

Multilatéralisme 5 3 21 29 25%

Mondialisation humaniste 7 5 26 38 32%

Coopération 19 7 25 51 43%

Par ailleurs, une très grande majorité des étudiants estiment que la Francophonie joue un rôle très important (75%) et assez important (17%) dans la promotion de la langue française.

Quel est, selon vous, le rôle de la ADV USSH Lyon Total % des % des Francophonie aujourd'hui dans -HCM 3 sondés répondants la promotion de la langue française ?

Très important 22 18 36 76 64% 75%

Assez important 2 6 9 17 14% 17%

Pas assez important 0 0 8 8 7% 8%

Pas important 0 0 1 1 1% 1%

Pas de réponse 1 14 1 16 14%

239

Ils sont pourtant peu nombreux de voir un lien entre la Francophonie et le « multilatéralisme » (25%) et de la considérer comme une « puissance d’influence » (14%). Leur réponse à une autre question portant sur le rôle actuel de la Francophonie sur la scène internationale semble confirmer cette première perception. En effet, 66% des répondants à cette question trouvent que la Francophonie a un rôle pas assez important (50%) ou pas du tout important (16%) sur la scène internationale.

Selon vous, dans l'ensemble, ADV USSH Lyon Total % des % des quelle est l'importance du rôle -HCM 3 sondés répondants de la Francophonie sur la scène internationale actuelle ?

Très important 1 1 3 5 4% 5%

Assez important 12 11 7 30 25% 29%

Pas assez important 11 11 30 52 44% 50%

Pas du tout important 1 1 14 16 14% 16%

Pas de réponse 0 14 1 15 13%

 Les conclusions de l’enquête

L’analyse des résultats de l’enquête auprès des étudiants en science politique a permis de retirer un constat important. C’est que malgré les efforts déployés par la Francophonie depuis ces vingt dernières années pour s’affirmer à la fois comme une autre mondialisation plus humaniste et comme un nouvel intervenant de la scène internationale, ses idées, son ambition et ses activités sont encore largement ignorées par les jeunes étudiants. Il y a là un vrai problème d’information et de visibilité des activités internationales de la Francophonie auprès de ce public.

240

§2. Les entretiens auprès des personnalités francophones

 La méthodologie

La Francophonie depuis sa création dans les années 1950 et 1960 a très fortement évolué. Son visage a beaucoup changé. D’une organisation culturelle et linguistique, elle est devenue aujourd’hui une organisation politique qui veut jouer un rôle plus important sur la scène internationale. Par ailleurs, sa dimension économique devient maintenant une des préoccupations de l’organisation. Comment cette Francophonie est-elle aujourd’hui perçue par ses acteurs et ses observateurs ?

Pour répondre à cette question, nous avons conduit au total dix-sept entretiens avec de différentes personnalités dans le cadre de cette thèse414. Les entretiens ont eu lieu à Lyon, à Paris, à Genève et à Hanoi et se sont déroulés en moyenne entre 45 minutes et une heure et demie.

Un guide de question a été préparé pour chaque entretien, mais l’approche de la discussion a été informelle, laissant place aux commentaires spontanés et aux anecdotes. Les personnes interviewées ont fait preuve d’une remarquable liberté de parole, rendue possible grâce au format semi-directif de nos entretiens. Seulement deux d’entre eux ont demandé explicitement que certains de leurs propos ne soient pas cités.

Dans tous ces entretiens, il y a deux catégories de questions. La première catégorie contient des questions spécifiques adaptées à chaque personnalité en fonction de leurs expériences, leurs professions, leurs situations au moment de l’entretien (par exemple, des questions sur les relations entre le Vietnam et la Francophonie dans les entretiens avec les personnalités vietnamiennes, des questions spécifiques sur l’AUF dans les entretiens avec son ancien Recteur et l’actuel directeur du Bureau Asie-Pacifique, des questions sur l’Université Senghor, l’Université française en Arménie dans les entretiens avec les Recteurs de ces deux universités). La deuxième catégorie comprend des questions communes à tous les interviewé(e)s.

414 Voir l’annexe « Liste des entretiens ».

241

La première catégorie de questions permet de recueillir des informations et des points de vue sur les différents sujets en lien avec les activités des personnes interviewés. Il n’y a pas de comparaison possible des réponses, car les questions ne sont pas identiques. Les questions et réponses dans cette catégorie ne font donc pas l’objet de cette analyse. Les propos recueillis sont pourtant utilisés dans la thèse, souvent sous la forme de citations, pour illustrer les différents points de vue sur les sujets traités par cette thèse.

La deuxième catégorie de questions contient trois questions principales :

- Quelle est aujourd’hui votre conception de la Francophonie ?

- Pour vous, quels sont les plus grands enjeux de la Francophonie dans la mondialisation actuelle ?

- Comment appréciez-vous le rôle actuel de la Francophonie sur la scène internationale ?

Tous les entretiens sont enregistrés sauf certains passages où l’enregistrement a été coupé à la demande de l’interviewé pour cause de propos confidentiels. Les enregistrements ont été ensuite retranscrits pour l’analyse.

 Les profils des personnes interviewées

Une liste des personnes interviewées avec leur fonction au moment de l’entretien est jointe dans l’annexe de cette thèse. Dans ces dix-sept personnes interviewées, il y a au total quatorze hommes et trois femmes.

La majorité de ces personnes ont eu ou ont des liens directs avec les activités de la Francophonie. Il y a quatre catégories distinctes de personnes interviewées :

Des représentants actuels des institutions de la Francophonie 3 personnes (OIF, AUF, Université Senghor)

Des représentants des États membres de la Francophonie 4 personnes

242

Section 2. La Francophonie comme acteur des relations internationales, regards d’intérieur et d’extérieur

Des anciens représentants des institutions de la Francophonie 5 personnes ou des États membres de la Francophonie

Des professeurs et autres observateurs 5 personnes

Certains anciens représentants des institutions de la Francophonie ou des États membres de cette organisation occupent aujourd’hui d’autres fonctions, mais ils sont toujours très liés aux activités de la Francophonie d’une manière ou d’une autre (enseignement sur la Francophonie, groupe de travail, réseau des Chaires Senghor de la Francophonie, etc.).

 L’analyse des résultats des entretiens

Question 1. Quelle est aujourd’hui votre conception de la Francophonie ?

Pour cette question, il est nécessaire d’expliciter la méthode utilisée. C’est une question concernant le point de vue de différentes personnes interviewées sur la Francophonie. C’est la première question que nous leur avons posée dans nos entretiens. Cette considération de temps est importante, car ces personnes sont mises devant une question ouverte, et avant elle, il n’y a aucune discussion sur la Francophonie. Il est donc intéressant de voir les thèmes en liens avec la Francophonie qu’ils vont aborder eux- mêmes dans leur réponse. Ces thèmes vont avoir une valeur interprétative, car ils reflètent le plus fidèlement les différentes images et points de vue sur la Francophonie de ces personnes. Si nous avions posé cette question à la fin de l’entretien, leur réponse aurait vraisemblablement été sensiblement différente, car presque tous les thèmes sur la Francophonie auraient été déjà abordés tout au long de l’entretien.

Seize personnes ont répondu à cette question. Tout le monde n’a pas abordé tous les thèmes en lien avec la Francophonie. Mais la combinaison des thèmes abordés dans ces réponses donne une image assez large de la Francophonie. On y retrouve presque tous les sujets actuels la concernant. Il y a des thèmes très largement abordés, mais il y a aussi des thèmes moins évoqués.

Le tableau suivant illustre ces différentes représentations de la Francophonie tirées des réponses à cette première question. Les thèmes abordés sont classées dans

243

l’ordre décroissant de fréquence. Les chiffres illustrent le nombre de personnes qui ont mentionné ces thèmes dans leurs réponses.

Les thèmes abordés Nombre de fois % du nombre où les thèmes de personnes sont cités interviewées

La dimension linguistique 13 81%

Une communauté ayant des valeurs partagées 8 50%

La dimension politique 8 50%

Le rôle international de la Francophonie 7 44%

La dimension culturelle et dialogue des cultures 6 38%

Rassemblement de force dans la mondialisation 5 31%

L’élargissement de la Francophonie 5 31%

Une communauté des États ayant le français en 5 partage 31%

La Francophonie de coopération et de solidarité 4 25%

L’institutionnalisation de la Francophonie 4 25%

La Francophonie économique 3 19%

L’autorité politique du Secrétaire général de la 3 Francophonie 19%

Une comparaison avec le Commonwealth 3 19%

Un regroupement des acteurs non étatiques 3 19%

Les moyens financiers de la Francophonie 3 19%

244

Section 2. La Francophonie comme acteur des relations internationales, regards d’intérieur et d’extérieur

La mondialisation et ses conséquences 2 13%

Le français comme un outil, un moyen pour 2 renforcer la coopération entre les pays ayant le français en partage 13%

Les industries culturelles 1 6%

Les pactes linguistiques 1 6%

Le partenariat avec les autres acteurs (organisations 1 internationales, entreprises privées) 6%

Pour la grande majorité des personnes interviewées (81% des réponses), la Francophonie est d’abord une communauté de personnes ayant le français en partage. C’est ensuite une communauté ayant des valeurs partagées (50%). La dimension politique (50%) et le rôle de la Francophonie sur la scène internationale (44%) sont des thèmes qui gagnent de l’importance dans la perception des interviewés. Ce qui reflète parfaitement l’émergence de ces deux thèmes ces dernières années. Ils ont été même plus mentionnés que la dimension culturelle de la Francophonie et son rôle dans le dialogue des cultures (38%).

Un point marquant tiré de ce tableau est que la dimension politique de la Francophonie est deux fois plus citée que la dimension de coopération et de solidarité (4 fois). Ce manque d’intérêt concernant la Francophonie de coopération et de solidarité qui constitue une valeur fondamentale de la Francophonie depuis sa création est une source d’inquiétude pour le projet francophone actuelle. Il peut expliquer en partie le souci de certain pays francophones, surtout ceux du Sud, qui craignent un déséquilibre croissant entre le volet de coopération et le volet politique.

D’autres thèmes qui ont un lien avec les États membres sont aussi très présents sous plusieurs formes : un rassemblement de force dans la mondialisation (31%), une communauté des États ayant le français en partage (31%), l’élargissement de la Francophonie (31%) ou encore le processus d’institutionnalisation francophone (25%).

245

Tandis que d’autres formes de la Francophonie comme la dimension associative et le caractère non étatique sont très peu mentionnées (19%).

La dimension économique de la Francophonie, les moyens financiers de l’organisation, l’autorité politique du Secrétaire général et une comparaison avec le Commonwealth sont tous mentionnés par 19% des interviewés. D’autres thèmes sont moins abordés comme la mondialisation et ses conséquences (13%), le français comme un outil de coopération (13%), les industries culturelles (6%), les pactes linguistiques (6%) ou la nécessité de renforcer le partenariat entre la Francophonie et les autres acteurs (6%).

Pourtant, il est important de souligner ici que concernant plusieurs grands thèmes cités ci-dessous, les personnes interviewées ont souvent des points de vue et des approches différentes. Si certains thèmes ont pu dégager des consensus sur leur contenu (le partage du français, le partage des valeurs, l’émergence de la dimension politique), d’autres thèmes n’ont pas pu avoir le même consensus. Par exemple, sur le rôle de la Francophonie sur la scène internationale, certains l’ont mentionné de façon générale (la Francophonie a un rôle à jouer sur la scène internationale) d’autres ont précisé ce rôle (un antidote de la mondialisation libérale, un lieu de concertation dans les grandes négociations internationales). Une personne a souligné l’émergence de ce nouveau rôle de la Francophonie, mais a posé des conditions pour que ce rôle se renforce dans les années à venir (comme la confirmation de la volonté politique des États membres). Et enfin, une personne a posé la question du rôle international réel que la Francophonie peut jouer et de la portée de ses déclarations communes.

Un autre exemple de ces différences de point de vue concerne l’élargissement de la Francophonie. Certains l’ont mentionné en lien avec la limite des moyens financiers et le manque de volonté politique de nouveaux pays membres dans la promotion de la langue française. Une personne a parlé des raisons historiques qui ont poussé cet élargissement de la Francophonie depuis le début des années 1990 et a regretté que la Francophonie ne fût pas assez exigeante au niveau des engagements pour la promotion de la langue française dans ces pays. Une autre personne a vu l’élargissement comme une sorte de rassemblement de force dans un nouveau système inconnu. Deux personnes ont vu l’élargissement comme une « illusion dangereuse ». A l’inverse, d’autres personnes l’ont considéré comme une chose positive. 246

Section 2. La Francophonie comme acteur des relations internationales, regards d’intérieur et d’extérieur D’autres sujets peuvent aussi être évoqués pour illustrer la différence dans les points de vue des interviewés. Ces exemples montrent que si la majorité des interviewés sont d’accord sur la forme et les principes de la Francophonie (le partage de la langue française, le partage des valeurs), il n’y a pas de consensus sur ses ambitions, et ses projets de coopération.

Question 2. Quels sont selon vous les plus grands enjeux de la Francophonie dans la mondialisation actuelle ?

Neuf personnes ont répondu à cette question. Pour eux, les plus grands enjeux de la Francophonie sont les suivants :

- Continuer d'exister. Dans la mondialisation multilingue qui sera la mondialisation de demain, il faut que la Francophonie existe à côté d’autres espaces linguistiques comme l'Arabophonie, la Russophonie, l’Hispanophonie, la Lusophonie, la Chinophonie, etc. Il faut, pour ce faire, proposer une alternative, une autre mondialisation plus humaniste, plus solidaire et jouer pleinement un rôle de prometteur dans les combats humanistes à l’échelle mondiale. Il s’agit donc non seulement d’exister, mais aussi de faire rêver en défendant une vision humaniste du monde.

- Combattre l’uniformisation, le modèle unique et la pensée unique et promouvoir la diversité culturelle et linguistique. Un dossier est absolument prioritaire : le multilinguisme. Comme pour la diversité culturelle, une Convention internationale pour la diversité linguistique est nécessaire. L’important, c’est la pluralité d’expression, la diversité culturelle, la façon d’accepter l’autre tel qu’il est et de le reconnaître donc différent, et de considérer que ce qu’il est a la même valeur. Il est indispensable de reconnaître ces expressions diverses avec, en même temps, la volonté et le souci d’avoir des liens de solidarité, des liens de coopérations, des liens d’aides dans les moments difficiles où il faut des réactions immédiates, comme dans le cas d’Haïti. Ces liens de solidarité doivent devenir quelque chose de plus quotidien et de plus naturel.

- Faire en sorte que chaque pays membre de la Francophonie se fasse connaître de l’autre, de son voisin, par le biais de ses produits culturels.

247

- Mettre fin au recul de la langue française dans les institutions internationales et être en mesure de répondre au désir de français qui existe fortement dans le monde ; développer l’enseignement de la langue française dans les pays membres, mais aussi en dehors de l’espace francophone, notamment dans les pays émergents comme la Chine, l’Inde, le Brésil.

- Valoriser la Francophonie économique et la Francophonie de solidarité pour améliorer le sort des populations francophones. Il faut veiller en particulier à ce que les jeunes qui apprennent le français puissent trouver un emploi avec cette langue. En définitive, la Francophonie doit avoir la volonté d’être utile, à la fois de l’intérieur et de l’extérieur.

La façon d’aborder ces enjeux est différente selon les personnalités interviewées. Mais nous pouvons retirer quelques remarques sur la nature de ces grands thèmes. D’abord, il y a un souci de défendre la langue française, la langue partagée et le socle de la Francophonie ; puis, un souci de défendre la diversité culturelle et linguistique, la diversité d’expression, la multipolarité et une alternative plus humaniste au modèle unique et à la langue unique. Ensuite, c’est le souci de vivre ensemble, de se faire connaître et de reconnaître la différence et en même temps de développer une réelle solidarité francophone. Enfin, c’est de répondre aux besoins réels des pays membres, des jeunes en particulier, d’avoir la volonté d’être utile aux populations.

La comparaison entre le contenu de ces réponses et les activités actuelles de la Francophonie montre que ces grands enjeux ont déjà été pris en compte à des degrés divers, sauf la dimension économique qui n’est pas encore réellement développée. Ces différents enjeux exprimés par les interviewés montrent également que l’espoir et les attentes qu’ils mettent en la Francophonie sont aussi très grands.

Question 3. - Comment appréciez-vous le rôle actuel de la Francophonie sur la scène internationale ?

Treize personnes ont répondu à cette question. La majorité des personnes interviewées pensent qu’une Francophonie politique de 75 États et gouvernements peut peser sur la scène internationale (10 personnes). Ce rôle s’illustre notamment dans :

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Section 2. La Francophonie comme acteur des relations internationales, regards d’intérieur et d’extérieur o les négociations internationales et la prise de position commune (6 personnes dont 5 ont cité l’exemple de la mobilisation francophone pour l’adoption de la Convention de l’UNESCO sur la diversité des expressions culturelles)

o le poids politique de l’actuel Secrétaire général de la Francophonie (4 personnes)

o la reconnaissance par d’autres partenaires (3 personnes)

o la présence dans les activités politiques des pays membres comme les observations d’élection (2 personnes)

o la solidarité francophone vis-à-vis des candidatures des pays membres aux postes électifs dans les autres organisations internationales (1 personne)

o le rôle dynamique des groupes d’ambassadeurs francophones dans les organisations internationales (1 personne)

o la présence comme une organisation non menaçante (1 personne)

o son pouvoir de mobilisateur et de rassembleur d’autres groupes linguistiques pour des intérêts communs (1 personne)

Mais dans l’exercice de ce rôle, il y a des limites, notamment :

o la faible portée de plusieurs déclarations communes (1 personne)

o le faible degré de cohésion entre les pays membres, à cause de l’écart très important entre les pays riches et pauvres au sein de la Francophonie (1 personne)

o la grande différence entre l’ambition affichée et les moyens dont la Francophonie dispose (1 personne)

Selon les personnes interviewées, la Francophonie peut et doit faire davantage pour assurer pleinement son rôle :

o être plus active et plus exigeante en ce qui concerne la promotion de la langue française, notamment dans les pays observateurs (2 personnes)

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o demander à tous les membres d’avoir une vraie volonté politique d’aller au bout de leur participation à la Francophonie (2 personnes)

o se mobiliser pour faire adopter une convention internationale sur le multilinguisme (2 personnes)

o être plus opérationnelle et plus active dans la mise en place des programmes de coopération (1 personne)

o susciter un rapprochement plus important entre les pays francophones lorsqu’il y a des négociations internationales, des textes à adopter pour faire en sorte qu’il y a un vote francophone. Il faut valoriser les exemples de mobilisations réussies pour l’adoption de la Convention de l’UNESCO en 2005 et de l’exception culturelle dans le cadre de l’OMC dans les années 1990 (1 personne)

o Il s’armer de patience et dialoguer (1 personne) le plus possible tout en acceptant le recours à la « guerre » dans le cadre de la « responsabilité de protéger » (1 personne)

Deux autres personnes ont un avis moins favorable sur le rôle international de la Francophonie pour plusieurs raisons :

o le poids politique de la Francophonie actuelle réside beaucoup plus dans le poids politique personnel de son Secrétaire général que dans les institutions francophones elles-mêmes (2 personnes).

o l’appartenance de ses pays membres à de différentes organisations régionales fait que la Francophonie ne peut pas avoir des positions communes fortes et originales, car lorsqu’elle défend une position politique commune, c’est souvent le plus petit commun dénominateur (1 personne).

o le manque d’impact des mesures de sanction de la Francophonie dans les cas de violation de ses principes démocratiques comme le cas de Madagascar (1 personne). Quelle que soit sa bonne volonté, la Francophonie ne peut pas très souvent faire réellement avancer les situations politiques dans ses pays membres en difficulté (1 personne).

o la faible portée de ses déclarations communes (1 personne)

250

Section 2. La Francophonie comme acteur des relations internationales, regards d’intérieur et d’extérieur Pour ces deux interviewés, la Francophonie peut et doit faire autrement :

o s’attaquer politiquement à des enjeux sur lesquels différents groupes régionaux peuvent se retrouver comme dans les domaines de la diversité culturelle (elle l’a fait avec l’adoption de la Convention de l’UNESCO), de l’éducation, ou dans beaucoup d’autres domaines dans son champ de compétence (1). Dans le domaine proprement politique, elle devrait axer son action sur la formation à la politique (1)

o il faut se poser de façon constante la question « que voulons-nous faire ensemble dans ce cadre de la Francophonie autour du fondement (le français) qui nous réunit ? » (1)

Pour une autre personne, la réponse à cette question sur le rôle international de la Francophonie s’inscrit dans un cadre beaucoup plus large. Pour elle, il y a un grand problème dans la coopération internationale en général et la Francophonie n’échappe pas à cette règle. Ce problème est que les pays bénéficiaires du Sud n’ont pas su définir clairement leur propre politique de coopération, qu’ils acceptent trop facilement les projets et en même temps qu’il y a beaucoup de corruption. Quant aux bailleurs de fonds, il n’y a pas de rénovation dans la méthode de mise en place des projets. La Francophonie a plusieurs avantages par rapport aux autres organisations mais elle n’a pas su rénover sa méthode de coopération.

Une lecture transversale de ces points de vue fait ressortir que contrairement au résultat de l’enquête auprès des étudiants dans laquelle 66% des étudiants ont dit que la Francophonie n’a pas un rôle important sur la scène internationale, 77% des personnes interviewées ont vu un rôle croissant de la Francophonie politique, illustré à travers ses concertations dans les grandes négociations internationales, la reconnaissance d’autres partenaires de son rôle, sa présence dans le processus de transition démocratique dans ses pays membres, etc.

Il est pourtant intéressant de souligner le nombre important des « recommandations » et des « conditions » posées par ses interviewés pour que la Francophonie puisse jouer pleinement son rôle international. Autrement dit, la Francophonie a des potentialités pour peser plus dans les affaires internationales, mais elle devrait faire davantage et approfondir ses activités.

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L’analyse ci-dessus montre aussi que le rôle politique que la Francophonie joue actuellement sur la scène internationale ne fait pas de consensus. Les critiques sur l’approche francophone des questions internationales ou sur son implication dans le domaine politique ne manquent pas.

 Les conclusions des résultats des entretiens

L’analyse transversale de l’ensemble des entretiens conduit à certaines conclusions :

Premièrement, la promotion du français en tant que langue partagée et le fondement de la communauté francophone reste la première préoccupation des interviewées. Qu’il s’agisse de leur conception de la Francophonie, de ses enjeux dans la mondialisation ou de sa place sur la scène internationale, la question de promouvoir cette langue commune revient avec une forte intensité. Émerge ensuite une nouvelle thématique, une nouvelle stratégie liée à la promotion du français qui est la question de promouvoir le multilinguisme.

Deuxièmement, à côté de la langue française, la Francophonie est très largement perçue comme une communauté qui représente la diversité et qui défend la diversité, une certaine idée humaniste et une alternative au modèle unique et à la pensée unique. Le succès de la mobilisation francophone pour l’adoption de la Convention de l’UNESCO sur la promotion et la protection de la diversité des expressions culturelles en 2005 a sans doute fortifié cette image, car cette action de la Francophonie a été très souvent citée comme un exemple.

Troisièmement, la nécessité du développement du volet économique, ou dans un cadre plus large d’une Francophonie utile est largement partagée par les interviewés. Il est pourtant important de noter que peu d’idées concrètes ont été mentionnées dans les entretiens pour renforcer ce volet économique de la Francophonie. Cela illustre aussi la difficulté que la Francophonie rencontre actuellement dans la définition d’une stratégique d’action pour ce volet.

Quatrièmement, il est frappant de voir que la dimension de la solidarité francophone est très peu mentionnée par les interviewés, notamment lors de leur réponse à la question sur la conception de la Francophonie. Le vivre ensemble solidaire,

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Section 2. La Francophonie comme acteur des relations internationales, regards d’intérieur et d’extérieur une des valeurs fondamentales du projet francophone, est aujourd’hui occulté par la prise en compte des questions politiques et stratégiques. Il y a là une source d’inquiétude.

Et finalement, malgré quelques critiques, l’ambition de la Francophonie de devenir acteur influent des relations internationales est vue par une grande majorité des personnes interviewées comme quelque chose d’ordre naturel et légitime, vu le développement de sa dimension politique ces dernières années et son rapide élargissement. Pourtant, le sentiment commun est que pour jouer pleinement son nouveau rôle, la Francophonie devrait d’une part ne pas concentrer seulement sur sa dimension politique (mais elle devrait aussi renforcer la cohésion interne par le biais de promotion de la langue partagée, développer sa dimension économique, renforcer la pertinence de ses programmes de coopération), et d’autre part rénover son approche des questions politiques et de coopération.

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CHAPITRE V. LA FRANCOPHONIE, UN LABORATOIRE DU NOUVEAU SYSTEME MULTIPOLAIRE EN FORMATION

Sur la scène internationale, la Francophonie apparaît aujourd’hui comme un laboratoire d’un nouveau système multilatéral en formation.

Le discours francophone d’un monde multipolaire, d’une mondialisation plus humaniste fondée sur le dialogue des cultures et la diversité séduit. Par l’adoption des positions communes sur les différents dossiers internationaux, la Francophonie permet à ses pays membres, mêmes les plus petits, de faire entendre leur voix sur la scène internationale (section 1).

Par ailleurs, du fait de la diversité des membres en son sein, la Francophonie devient aujourd’hui un véritable terrain d’essai du nouveau multilatéralisme. Certes, de façon non officielle, elle est un relais des intérêts particuliers de ses États et gouvernements membres comme dans le cas de toutes les autres organisations internationales. Elle dépasse pourtant cette « fonction » et se montre aussi efficace dans la défense des intérêts communs de ses membres. Sa « diplomatie » exerce aujourd’hui une certaine puissance d’influence dans les grands débats internationaux, notamment sur la diversité culturelle (section 2).

Néanmoins, l’affirmation de ce nouveau rôle de la Francophonie sur la scène internationale n’enlève rien aux différents enjeux auxquels elle doit faire face aujourd’hui pour conforter sa place.

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SECTION 1. L’« IDEAL » FRANCOPHONE

§1. La vision « idéale » des relations internationales de la Francophonie

La Francophonie, avant d’être un acteur de la scène internationale, est perçue comme un rêve. Elle représente pour ceux qui croient à cette entreprise un idéal, un modèle de la solidarité internationale, fondé sur le partage d’une langue et des valeurs communes. Elle devient une union géoculturelle, un espace de dialogue interculturel, ou autrement dit un espace du troisième dialogue, à côté des dialogues politiques et économiques415. Elle peut, selon ces personnes, devenir un antidote de la guerre et un moyen pour parvenir à une paix internationale durable. Cette vision est très proche à des idées défendues par les idéalistes de l’entre-deux-guerres ou encore de la thèse développée par les constructivistes de la paix dans la culture kantienne.

Cette vision de la paix du monde à travers des liens de solidarité internationale est très présente dès le début du projet francophone. Elle est exprimée par des premières organisations non gouvernementales (par nature des organisations de solidarité), des pères fondateurs et d’autres artisans francophones et enfin par les institutions francophones actuelles.

Il suffit dans un premier temps de se référer aux objectifs des premières organisations non gouvernementales francophones pour voir plus clairement cette vision. Ainsi, l’association internationale des journalistes de langue française (AIJLF) a pour objet « d’établir des liens de confraternité entre les journalistes professionnels de culture et d’expression française »416.

L’association des universités, l’AUPELF, a, quant à elle, inscrit dans le préambule de son statut les termes suivants : les universités participantes sont « persuadées que l’usage d’une même langue, et la participation à la culture dont elle ouvre l’accès invitent les universités où le français est utilisé comme langue d’enseignement et où la culture française est largement représentée, à entretenir et à resserrer les liens qui les approchent afin de mieux se connaître, de s‘entraider, de mettre en commun leurs ressources et de se

415 Trang Phan-Labays et Michel Guillou, op. cit. 416 Jean Marc Léger, La Francophonie. Grand dessein, grande ambiguïté, op. cit., p. 76.

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communiquer leur expérience »417. L’AUPELF, devenue l’AUF et opérateur direct de la Francophonie, est aujourd’hui le plus grand regroupement d’universités francophones dans le monde. Ses activités contribuent indéniablement à renforcer les liens entre les universités dans le monde, donc les esprits, et par là une compréhension mutuelle plus solide.

Les objectifs et les activités de ces associations offrent les premiers exemples de cette vision francophone de la solidarité internationale. Avec elles, les partisans de la Francophonie, qu’il s’agisse des hommes politiques, des journalistes, des universitaires ou des diplomates, sont les plus grands promoteurs de cette vision francophone.

Parmi les pères fondateurs de la Francophonie, l’ancien Président sénégalais Léopold Sédar Senghor peut être considéré comme le visionnaire le plus idéaliste de la Francophonie internationale. Dès 1962, dans un article pour la revue Esprit, il a déjà livré une définition très poétique et idéale de la Francophonie. Selon lui, la Francophonie c’est « cet Humanisme intégral, qui se tisse autour de la terre ; cette symbiose des énergies dormantes de tous les continents, de toutes les races, qui se réveillent à leur chaleur complémentaire »418. Le rêve de Senghor, qu’illustre cette définition, est de voir se concrétiser l’idée de la solidarité internationale via le projet francophone.

De cet humanisme francophone, Senghor voyait plus tard la Francophonie comme « le modèle et le moteur de la Civilisation de l’Universel »419. Cette idée, qui prend sa source chez Pierre Teilhard de Chardin, présente « les différentes civilisations humaines (comme) multipliant leurs échanges dans un dialogue réciproquement fécondant, pour aboutir à la « Civilisation de l’Universel » »420. Pour lui, la construction du projet francophone, c’est « préparer, pour notre ensemble francophone, voire latinophone, une communauté de peuples différents, mais solidement complémentaires. Et donc, une communauté solide pour la réalisation de la Civilisation de l’Universel, qui sera celle du troisième millénaire »421.

417 Ibid., p. 87. 418 Léopold Sédar Senghor, « Le français, langue de culture », Esprit, novembre 1962, n° 311, « Le français, langue vivante », Paris, p. 844. 419 Léopold Sédar Senghor, Ce que je crois, Bernard Grasset, Paris, 1988, p. 180. 420 Ibid., pp. 176-177. 421 Ibid., p. 179.

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Section 1. L’« idéal » francophone

Cette Civilisation de l’Universel dont rêvait Senghor est encore loin d’être aujourd’hui une réalité. Mais, ses valeurs, ses idées sur les échanges et les dialogues de différentes cultures sont aujourd’hui à l’heure au sein de la Francophonie. Et dans ces échanges, dans ces « rendez-vous du donner et du recevoir » que constitue la Francophonie », comme disait Senghor, « les peuples des quatre continents, non européens, ne viendront pas les mains vides »422, car ils viendront avec leur diversité, leurs valeurs et leurs idées.

Jean-Marc Léger, une autre figure de la Francophonie dès le début de ce mouvement, voyait la Francophonie comme quelque chose d’une version contemporaine de l’auberge espagnole : « Chacun y trouve ou croit y trouver ce qu’il y a apporté. Qui l’exalte, parce qu’il l’a conçu comme une communauté novatrice et généreuse de peuples très divers ; qui la stigmatise car il a décidé qu’elle ne pouvait être qu’une nouvelle manifestation, particulièrement insidieuse, de néo-colonialisme ; qui en sourit avec un aimable scepticisme parce qu’il l’a, d’avance associée à une entreprise nostalgique ou folklorique, selon le cas, ou parce qu’il a décrété qu’une langue commune n’est point un terreau suffisamment riche pour y faire germer une formule originale et durable de coopération »423. Cette entreprise francophone pour Jean-Marc Léger, est certes ambiguë, mais représente un grand dessein, un idéal pour la paix internationale.

Quant à Bernard Dorin, dans la préface qu’il a écrite pour le livre de Jean-Marc Léger, La Francophonie. Grand dessein, grande ambiguïté (1987), souligne la solidarité francophone. Pour lui, la Francophonie « perdrait une grande part de son « ardente nécessité » si elle n’aboutissait pas à promouvoir, sinon une véritable redistribution des richesses entre ses membres, idéal sans doute inaccessible, du moins la prise de conscience d’un devoir de soutien de la part des nantis en faveur des déshérités »424. Autrement dit, la solidarité internationale fait partie même de l’idée de la Francophonie.

422 Ibid., pp. 176-177. 423 Jean-Marc Léger, « La francophonie, une grande aventure spirituelle », in Jacomy-Lillette (dir.), Francophonie et Commonwealth : Mythe ou réalité ?, op. cit., p. 19. 424 Bernard Dorin, « Préface », in Jean-Marc Léger, La Francophonie. Grand dessein, grande ambiguïté, op. cit., p. 12. Bernard Dorin est ambassadeur de France. Il a été le premier directeur du service des

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Pour d’autres auteurs et artisans de la Francophonie comme Michel Guillou, la Francophonie représente aujourd’hui une idée neuve, non pas du passé mais d’avenir. Dans la mondialisation libérale actuelle, la Francophonie « constitue un contrepoids tant aux intégrismes qu’aux volontés impériales des plus puissants ». En plus, en prônant le troisième dialogue, le dialogue interculturel, et la diversité culturelle, elle apparaît comme « un laboratoire de l’autre mondialisation », une mondialisation plus humaniste425. Par les valeurs universelles qu’elle porte et par le dialogue interculturel qu’elle permet, la Francophonie a aujourd’hui, selon Michel Guillou, « vocation à être une puissance d’influence » sur la scène internationale426.

Ces idées de la Francophonie « idéale » des associations et des militants francophones sont reprises par les institutions de la Francophonie et ceci d’autant plus que ce sont des idées qui soulignent les plus-values des activités de la Francophonie.

Ainsi, l’’article premier de la Convention de Niamey, acte fondateur de l’ACCT, a précisé que « l’agence doit être l’expression d’une nouvelle solidarité et un facteur supplémentaire du rapprochement des peuples par le dialogue permanent des civilisations »427.

Les participants du premier Sommet francophone à Versailles en 1986 ont, quant à eux, souligné le caractère original de cette rencontre qui représente pour eux comme un « effort de concertation permanent sur les grandes questions contemporaines » et qui apporte par-là « une contribution significative à l’instauration d’un nouvel équilibre mondial »428.

D’autres documents fondamentaux de la Francophonie, tels la Charte de Hanoi (1997) et sa version révisée à Antananarivo (2005), réaffirment cette vocation internationale de la Francophonie : « La Francophonie, consciente des liens que crée entre affaires francophones au ministère français des Affaires étrangères. Il est parmi les artisans les plus actifs de la diffusion de l’idéal francophone. 425 Trang Phan-Labays et Michel Guillou, op. cit., p. 32. 426 Michel Guillou, Francophonie-Puissance. L’équilibre multipolaire, Paris, Ellipses, 2005, p. 131. 427 Article 1 de la Convention de Niamey, 20 mars 1970. 428 Ministère des Affaires étrangères, Actes de la première Conférence des chefs d’État et de gouvernement des pays ayant en commun l’usage du français, op. cit., p. 243.

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Section 1. L’« idéal » francophone ses membres le partage de la langue française et des valeurs universelles, et souhaitant les utiliser au service de la paix, de la coopération, de la solidarité et du développement durable, a pour objectifs d’aider : à l’instauration et au développement de la démocratie, à la prévention, à la gestion et au règlement des conflits, et au soutien à l’État de droit et aux droits de l’Homme ; à l’intensification du dialogue des cultures et des civilisations ; au rapprochement des peuples par leur connaissance mutuelle ; au renforcement de leur solidarité par des actions de coopération multilatérale en vue de favoriser l’essor de leurs économies ; à la promotion de l’éducation et de la formation »429.

En 2002, les chefs d’État et de gouvernement des pays francophones réunis à Beyrouth ont consacré ce Sommet au « Dialogue des cultures », signe du refus de la confrontation des cultures tant commentée depuis les attentats terroristes du 11 septembre 2001 aux États-Unis. Dans leur déclaration commune, ils ont réaffirmé « le rôle majeur du dialogue des cultures dans la promotion de la paix et la démocratisation des relations internationales » et leur « attachement à la coopération multilatérale dans la recherche de solutions aux grands problèmes internationaux ». Ils sont en plus « déterminés à approfondir les champs de concertation et de coopération francophones afin de lutter contre la pauvreté et de contribuer à l’émergence d’une mondialisation plus équitable … »430.

Plus récemment, dans la Déclaration de Saint-Boniface en 2006, les pays francophones ont réitéré leur « attachement à un système multilatéral actif, efficace et imprégné des valeurs démocratiques, fondé sur le respect de l’intégrité territoriale, l’indépendance politique, la souveraineté des États et le principe de non-ingérence dans les affaires intérieures, et favorisant le règlement pacifique des différends et la renonciation à la menace ou à l’emploi de la force dans les relations internationales, conformément au droit international »431.

En souhaitant faire se rapprocher des peuples par le dialogue et par des actions de coopérations multilatérales, les pays francophones livrent à travers la Francophonie une vision idéaliste des relations internationales.

429 Article 1 de la Charte de la Francophonie d’Antananarivo (2005). 430 « Déclaration de Beyrouth », op. cit., p. 3. 431 « Déclaration de Saint-Boniface », 14 mai 2006.

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La solidarité internationale, la Civilisation de l’Universel, l’autre mondialisation ou encore le dialogue des cultures et le rapprochement des différents peuples, etc., tels sont les questions que la Francophonie souhaite prendre en compte aujourd’hui par ses activités.

Certes, c’est une vision idéaliste des réalités internationales aujourd’hui, mais elle n’est pas utopique, au sens irréaliste ou irréalisable. La Francophonie se mobilise depuis le début de son mouvement pour rendre cet idéal réel. Si ses actions ne portent pas toujours de fruits escomptés, car c’est difficile, au moins, la Francophonie a rendu possible un dialogue permanent entre les peuples différents sur la base du partage d’une langue commune. Elle permet en plus de faire entendre la voix des plus petits pays sur des questions des plus importantes de la politique internationale.

§2. La voix commune de la Francophonie sur la scène internationale

Un des moyens de faire entendre la voix francophone est l’adoption des déclarations finales et des résolutions communes sur non seulement des questions touchant directement les pays membres, mais aussi sur des dossiers internationaux importants. Ces déclarations et résolutions, comme celles de l’Assemblée générale de l’Organisation des Nations Unies, n’ont pas de caractère contraignant. Elles ne sont que des recommandations, souvent passées sous silence et qui n’attirent pas l’attention, mais parfois avec de conséquences politiques importantes. Les résolutions adoptées par la Francophonie viennent aussi souvent apporter un appui à des résolutions adoptées par l’ONU (du Conseil de sécurité ou de l’Assemblée générale).

Dès le premier Sommet organisé à Versailles en 1986, les chefs d’État et de gouvernement des pays francophones ont déjà commencé à utiliser cette pratique. C'est à l'unanimité qu'a été approuvé le projet de résolution sur l’Afrique du Sud, élaboré par le Canada en concertation avec le président de la République du Sénégal, président en exercice de l’organisation de l’unité africaine, et condamnant l’apartheid : « Nous, les chefs d’État, de gouvernement et de délégation des pays francophones, condamnons sans réserve la politique d’apartheid pratiquée en Afrique du Sud… Nous exigeons du Gouvernement de l’Afrique du Sud d’abroger la législation sur l’apartheid ; de libérer les prisonniers politiques, y compris Nelson Mandela ; … ; d’entamer un dialogue avec les

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Section 1. L’« idéal » francophone représentants authentiques de la population noire, en vue d’établir un gouvernement non racial et représentatif ; d'appliquer sans délai la résolution 435 sous les auspices des Nations unies »432. C’était la première fois que plus de quarante pays francophones exprimaient ensemble leur position dans une rencontre internationale.

À partir de cette date, il n’y a aucun Sommet où la Francophonie n’a pas adopté de résolutions sur de différents dossiers importants de la vie politique et économique internationale. Ainsi, le Sommet de Québec en 1987 a adopté des résolutions sur l’Afrique du Sud et son régime d’apartheid ; sur le Liban et la nécessité de rétablir la paix dans ce pays qui est en outre membre de la Francophonie ; sur le conflit Irano-Irakien où la Francophonie a apporté son appui à la résolution n°598 du Conseil de sécurité, etc.

Les Sommets francophones ont abordé des questions très diverses : de la crise au Rwanda au conflit en Haïti, de la lutte contre le trafic et l’usage illicite des stupéfiants au processus de démocratisation en Afrique, de la place du français dans les organisations internationales à la lutte contre le terrorisme et la piraterie, de la protection des droits des enfants à la lutte contre les faux médicaments, de la promotion du tourisme dans les pays du Sud à la nécessité de réagir au phénomène d’inondations récurrentes dans de nombreux pays francophones, etc.

Il est illusoire pourtant de croire que la Francophonie arrive toujours à adopter des résolutions sur les différentes questions internationales. En effet, l’élaboration de ces déclarations et résolutions est négociée par les États membres avant même la tenue du Sommet francophone. Il est arrivé qu’une question internationale soit discutée à l’Assemblée mais qu’aucune résolution ne soit adoptée par la suite. On peut noter l’exemple du projet de résolution sur le Moyen-Orient au Sommet de Versailles, projet appuyé par un grand nombre de délégations mais non adopté à cause des désaccords de certains pays membres (notamment le Canada). Il est arrivé aussi qu’une résolution soit adoptée avec la majorité des membres avec des réserves. Il s’agit par exemple d’une

432 « Résolution sur l’Afrique du Sud et l’apartheid », in Ministère des Affaires étrangères, Actes de la première Conférence des chefs d’État et de gouvernement des pays ayant en commun l’usage du français, op. cit., p. 312.

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autre résolution sur le Moyen-Orient au Sommet de Québec (1987) qui reconnait le « droit élémentaire et légitime » du peuple palestinien à « l’autodétermination »433.

Les résolutions adoptées par la Francophonie sont souvent tombées dans l’oubli et n’ont eu aucun impact sur la suite des dossiers considérés. L’exemple des résolutions sur le Moyen-Orient et le droit légitime du peuple palestinien à l’autodétermination illustre ce propos. Jusqu’à aujourd’hui, le conflit israélo-palestinien persiste et l’État de Palestine n’est pas toujours admis à l’ONU.

Pourtant, il y a eu aussi des déclarations et résolutions qui ont laissé beaucoup d’échos et qui ont affirmé la place de la Francophonie sur la scène internationale. Ces résolutions ont souvent été adoptées dans des circonstances particulières de la vie internationale nécessitant une mobilisation de masse.

Il s’agit par exemple de la résolution sur l’exception culturelle adoptée en 1993 au Sommet de Maurice, en pleine négociation de la GATT sur la création de la future Organisation mondiale du commerce (OMC). Les 45 États francophones, dont plusieurs étaient aussi membres du GATT (Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce), reconnaissaient dans cette résolution « le rôle de l’État, des gouvernements et des collectivités publiques et territoriales dans la promotion, la protection et le rayonnement des industries culturelles nationales et régionales à l’intérieur de leur pays respectif mais aussi au niveau international ». Ils convenaient ensuite « d'adopter ensemble, au sein du GATT, la même exception culturelle pour toutes les industries culturelles, cette disposition constituant un moyen efficace pour maintenir une forte production culturelle francophone »434. Nous savons par la suite qu’un compromis au sein du GATT en 1993 a permis à plusieurs pays de ne pas souscrire d'engagement de

433 « Résolution sur le Moyen-Orient », in ACCT, Actes de la deuxième Conférence des chefs d’État et de gouvernement des pays ayant en commun l’usage du français (Québec, 2-4 septembre 1987), op. cit., p. 232. C’est le Canada qui a mis une réserve sur cette résolution, notamment sur la notion de l’autodétermination. Voir le « Rapport général » du Sommet de Québec (1987), in ACCT, Actes de la deuxième Conférence des chefs d’État et de gouvernement des pays ayant en commun l’usage du français (Québec, 2-4 septembre 1987), op. cit., p. 164. 434 « Résolution sur l’exception culturelle au GATT », in ACCT, Actes de la cinquième Conférence des chefs d’État et de gouvernement des pays ayant le français en partage (Maurice, 16-18 octobre 1993), op. cit., p. 77.

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Section 1. L’« idéal » francophone libéralisation des échanges audiovisuels435. S’il faut certainement tenir compte du rôle de l’Europe, de la France et du Canada dans ce dossier, la mobilisation de la Francophonie a au moins contribué à faire évoluer ce dossier dans le sens escompté.

L’évolution du concept d’exception culturelle vers le concept de diversité culturelle a illustré aussi la pertinence des prises de positions communes des pays francophones. Au Sommet de Moncton en 1999, la Déclaration finale de 55 chefs d’État et de gouvernement francophones contient un article précisant que :

« convaincus que les biens culturels ne sont en aucune façon réductibles à leur seule dimension économique, nous affirmons le droit pour nos États et gouvernements de définir librement leur politique culturelle et les instruments d’intervention qui y concourent; nous entendons favoriser l’émergence d’un rassemblement le plus large possible à l’appui de cette diversité et œuvrer à la mobilisation de l’ensemble des gouvernements en sa faveur. Cette question de la diversité et toutes autres qui suscitent des débats internationaux auxquels la Francophonie doit apporter sa contribution originale feront l’objet de concertations au sein de la Francophonie mobilisant l’ensemble des États et gouvernements membres »436.

435 Joëlle Farchy a noté que « présenté comme une victoire politique pour les Européens, le compromis final de 1993 aboutit à une situation complexe. Les secteurs de l'audiovisuel et du cinéma n'ont pas été exclus du champ des négociations multilatérales mais restent régis par l'accord général sur le commerce et les services, un des piliers de l'OMC. Contrairement à ce qui a souvent été repris par la presse, les Européens n'ont pas obtenu - ni même demandé - que l'audiovisuel soit exclu de l'accord ; il n’existe aucune clause l'exception culturelle ou audiovisuelle au titre de l’article 14 de l'Accord général sur le commerce des services (GATS) relative aux exceptions générales. Mais, à la différence du commerce des marchandises, en matière de services, chaque État ou groupe (comme l'Union européenne) peut choisir le degré d'ouverture qu'il souhaite. Les négociations de l'Uruguay Round ont abouti à ne prendre aucune décision sur l'ouverture de nouveaux marchés. En l'absence de tout offre de libéralisation, les Européens ont obtenu provisoirement de préserver l'existence de leurs mécanismes de soutien, les professionnels américains ne pouvant exiger, au nom de la réciprocité, de bénéficier des mêmes avantages ». Voir Joëlle Farchy, « L'exception culturelle, combat d'arrière-garde ? », in Quaderni, n° 54, Printemps 2004 (Cinéma français et État : un modèle en question), p. 74. 436 « La Déclaration de Moncton », in OIF, Actes de la huitième Conférence des chefs d’État et de gouvernement des pays ayant le français en partage (Moncton, 3-5 septembre 1999), Paris, 2000, p. 5.

265

Cette Déclaration a eu pour suite l’organisation d’une Conférence des ministres de la Culture des pays francophones en 2001 à Cotonou dont la déclaration finale et le plan d’action ont guidé la mobilisation francophone pour l’adoption en octobre 2005 une Convention sur la promotion et la protection de la diversité des expressions culturelles437. Encore une fois, le rôle de la France a été déterminant dans ce dossier, mais la mobilisation francophone issue des prises de positions communes a indéniablement contribué à faire avancer le dossier et à l’adoption finale de la Convention de l’UNESCO en 2005.

La place de la Francophonie dans le nouveau système international multipolaire en formation ne s’est pas limitée à un discours idéal supplémentaire des relations internationales, à son souhait de voir venir un monde meilleur. En plus, la Francophonie n’est pas une simple observatrice de ce nouveau système. Elle s’implique, au contraire, directement dans la création de ce nouveau système en tant qu’un nouvel « attracteur ». Avec la diversité des représentations en son sein, elle joue le rôle d’un terrain d’essai d’un nouveau multilatéralisme et s’efforce de devenir un acteur d’influence par la multiplication des concertations francophones sur différents dossiers dans les différentes enceintes internationales et par la défense des intérêts communs de ses membres lorsque ces intérêts sont identifiés. Ces points seront traités dans la section suivante.

437 Nous analysons les démarches francophones pour l’adoption de cette Convention dans la deuxième section de ce chapitre.

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SECTION 2. LA FRANCOPHONIE COMME UN « ATTRACTEUR » DU SYSTEME MULTIPOLAIRE

§1. La Francophonie, un terrain d’essai du multilatéralisme

La Francophonie, comme nous avons vu dans la première partie (voir chapitre II, section 2), est un espace de diversité. Ses membres sont liés par le partage d’une langue commune – le français, mais très différents par leurs cultures, leurs langues, leurs systèmes politiques, leurs appartenances régionales, leur niveau de développement et leur sensibilité politique. Les membres de la Francophonie aujourd’hui sont des pays de l’Europe, de l’Afrique, de l’Asie, de l’Océan indien, de l’Amérique du Nord. Ils appartiennent ensuite à des organisations régionales différentes : l’Union européenne (UE), l’Association des nations de l’Asie du Sud-est (ASEAN), l’Union africaine (UA), la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO), l'Accord de libre- échange nord-américain (ALENA), etc.

La Francophonie constitue, par cette diversité, pour certains pays membres comme le Vietnam (et sans doute pour beaucoup d’autres pays), la seule enceinte internationale, en dehors du cadre des Assemblées générales des Nations Unies, où il peut établir un contact direct avec plusieurs pays de l’Afrique, de l’Amérique du Nord, de l’Europe de l’Est et où il discute en profondeur de questions aussi variées que la diversité culturelle et linguistique, la réduction de pauvreté, la prévention de conflit ou encore la consolidation de l’État de droit.

Sur le plan politique international, cette diversité constitue un atout important pour la Francophonie. Elle devient en fait un terrain d’essai du multilatéralisme dans un nouveau système multipolaire en formation. Pour Jean-Paul Joubert, la Francophonie devient sans doute « un moyen, parmi d’autres, de hâter, même si ses partisans n’en sont pas toujours clairement conscients, la venue à terme d’un monde oligopolaire438 ». Et

438 Le système oligopolaire est en fait un système multipolaire mais avec un nombre assez limité de grands acteurs homogènes (au maximum une dizaine d’États), c’est-à-dire de taille et de puissance à peu près comparables. Voir son explication plus en détail dans Jean-Paul Joubert, « La Francophonie et le système international », op. cit., p. 121.

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« c’est un levier d’autant plus efficace que les règles de fonctionnement d’un système oligopolaire mondial sont celles-là même que la Francophonie a adopté dans ses sommets : État de droit, droits individuels, démocratie, respect des institutions internationales et du droit international, sécurité, résolution non violente des conflits, diversité culturelle »439.

Dans la pratique, la Francophonie est devenue depuis le début un lieu pour les pays membres (du Nord comme du Sud, riches comme pauvres) de faire entendre leur voix et ensuite un lieu pour chercher un soutien de la « famille » francophone dans de différents dossiers les concernant.

 La Francophonie, un relais d’intérêt des États et gouvernements membres

Le cas du Québec est souvent cité pour illustrer ce point. Jean-Marc Léger a même dit que « pour le Québec, la participation au mouvement francophone n'est pas seulement dans la nature des choses : elle est de l'ordre de la nécessité. Il y va non pas uniquement de son enrichissement et de son rayonnement, mais de sa survivance même »440. En effet, les institutions francophones constituent les premières enceintes internationales auxquelles le Québec a participé. Sa participation à la conférence des ministres de l’Éducation francophone, CONFEMEN, en 1968 à Libreville en fut la première étape441 et sa participation aux deux conférences de Niamey en 1969 et 1970, et puis son adhésion à l’ACCT en 1971 la deuxième étape de son « émancipation » internationale. C’est à travers la Francophonie que le Québec a pu porter sa voix sur la scène internationale, dans un concert des États souverains442.

Mais le Québec n’est pas le seul gouvernement qui tente de se faire entendre à travers la Francophonie. D’autres pays comme le Vietnam ont compris depuis très tôt que la Francophonie pouvait constituer un moyen adéquat pour faire passer son message.

439 Jean-Paul Joubert, op. cit., p. 127. 440 Jean-Marc Léger, La Francophonie : grand dessein, grande ambiguïté, op. cit., p. 127. 441 Comme déjà dit, le Canada a multiplié des démarches pour empêcher puis contenir cette participation internationale du Québec. 442 Pour davantage de détails sur cette question, voir par exemple Marine Lefèvre, Le soutien américain à la Francophonie. Enjeux africains, 1960-1970, op. cit.

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Section 2. La Francophonie comme un « attracteur » du système multipolaire

Pour le Vietnam, par exemple, après avoir adopté la politique de Renouveau en 1986, une des priorités de sa diplomatie était de débloquer l’isolation diplomatique régionale et internationale imposée depuis le début des années 1980 à cause en partie de la question cambodgienne. Réunissant des pays venant de quatre coins du monde, surtout avec de principales puissances occidentales comme la France et le Canada, la Francophonie devenait une voie possible pour le Vietnam dans cette nouvelle diplomatie d’ouverture.

Membres des Sommets francophones dès le début, le Vietnam a saisi l’occasion du Sommet de Dakar en 1989 pour annoncer aux autres pays francophones qu’« une solution politique sur le problème du Cambodge est en effet sur la voie de réalisation à travers le retrait total des troupes vietnamiennes achevé en septembre de cette année [1989] ». Il souhaite que la communauté francophone « soutienne cette solution juste et raisonnable d'autant plus que le Cambodge est un pays faisant usage du français »443.

Cette demande de soutien francophone a été répétée par le chef de la Délégation du Vietnam deux ans plus tard au Sommet de Chaillot (1991). En annonçant la signature de l’Accord de paix sur le Cambodge en octobre 1991, le Vietnam a souhaité que la Francophonie soutienne tous les efforts visant à rétablir la paix en Asie du Sud-Est444.

Évidemment, la Francophonie n’était pas la seule voie que le Vietnam a saisie pour solliciter un soutien international dans la résolution pacifique du problème cambodgien. Mais elle a offert au Vietnam l’occasion d’exprimer et de défendre sa position devant la communauté internationale. Les Sommets francophones pendant cette période étaient le seul forum international (à côté de l’Assemblée générale de l’ONU) auquel participait le Vietnam. Nous savons par la suite que la France, un des pays membres de la

443 « Intervention de S.E. M. Nguyen Huu Tho, Vice-Président du Conseil d'État de la République Socialiste du Vietnam sur la Situation Politique Internationale », in ACCT, Actes de la troisième Conférence des chefs d’État et de gouvernement des pays ayant en commun l’usage du français (Dakar, 24-26 mai 1989), op. cit., p. 406. 444 « Allocution de S.E. M. Nguyen Huu Tho, Vice-Président du Conseil d'État de la République Socialiste du Vietnam », in ACCT, Actes de la quatrième Conférence des chefs d’État et de gouvernement des pays ayant en commun l’usage du français (Chaillot, 19-21 novembre 1991), op. cit., p. 256.

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Francophonie, a été très active dans la recherche d’une solution politique de cette crise. D’ailleurs, l’Accord de paix sur le Cambodge a été signé à Paris en octobre 1991.

Parmi les pays membres, la France est peut-être le pays le plus concerné par l’utilité de la Francophonie. D’une part, sa langue, le français, fait partie intégrée de la Francophonie. Le français est le socle de l’organisation et le lien le plus visible entre ses membres (au moins pour les 32 État et gouvernements membres de la Francophonie qui ont le français comme langue officielle ou co-officielle, voir le tableau 4). L’action de la Francophonie en faveur de la langue française, dans les pays membres ainsi que dans les organisations internationales et régionales, concerne directement l’intérêt national de la France. On peut même dire aujourd’hui que c’est largement grâce à la Francophonie que le français reste une langue internationale influente.

Dans un autre regard sur la politique internationale, il est naturel que la France, le plus grand bailleur de fonds de la Francophonie, se serve de cette organisation pour faire avancer ses dossiers. Sur le plan des théories des relations internationales, les réalistes sont parmi les plus clairs sur ce point. Une organisation internationale est créée, maintenue et développée par le plus fort du groupe, l’hégémon ou le plus grand bailleur de fonds. Elle sert l’intérêt des plus forts. La majorité des autres théoriciens ne disent pas le contraire. Ils ont pourtant souligné que les organisations internationales peuvent exister, même avec quelques difficultés, sans hégémonie d’un ou de plusieurs pays et peuvent servir aussi l’intérêt d’autres membres, pas seulement celui de ceux qui sont hégémoniques445. Les cas du Québec, du Vietnam cités ci-dessus illustrent ce propos.

Revenons au cas de la France. Il y a eu bien des cas où la France a pu profiter du soutien francophone dans des dossiers de son intérêt. Nous pouvons citer le dossier de l’exception culturelle au début des années 1990 dans lequel la France (mais aussi le Canada) était parmi les plus actifs pour faire exclure les produits et services culturels des négociations du GATT (puis de l’OMC)446. Sous l’impulsion française, les pays

445 Voir Robert O. Keohane, After Hegemony: Cooperation and Discord in the World Political Economy, Princeton University Press, 1984. 446 Voir Serge Regourd, L’exception culturelle, Paris, PUF (Coll. Que sais-je ?), 2004 ; Joëlle Farchy, « L'exception culturelle, combat d'arrière-garde ? », op. cit.

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Section 2. La Francophonie comme un « attracteur » du système multipolaire francophones réunis au Sommet de Maurice en octobre 1993 ont adopté une résolution sur ce sujet (voir chapitre III, section 1, §2). De même, dans un autre dossier de fort intérêt français, à savoir la Convention de l’UNESCO sur la promotion et la protection de la diversité des expressions culturelles, la mobilisation francophone depuis le Sommet de Moncton (1999) et surtout depuis la conférence des ministres de la Culture à Cotonou en 2001 a certainement contribué à cette « victoire »447 lors du vote de ce document en 2005.

Sur le plan politique international, Jean-Paul Joubert a marqué à juste titre que « l’action de la France au Conseil de sécurité de l’ONU contre la politique américaine en Irak n’a eu d’échos qu’en raison, évidemment, de l’appui de l’Allemagne, mais aussi de celui massif de pays francophone entrainant par exemple tous les pays africains »448. En effet, réunis à Beyrouth en octobre 2002, dans une période où la France menait de facto une « alliance » internationale contre l’intervention militaire prônée par les États-Unis en Irak, les chefs d’État et de gouvernement francophones ont adopté une déclaration commune défendant « la primauté du droit international et le rôle primordial de l’ONU et en appelons à la responsabilité collective pour résoudre la crise irakienne, et à l’Irak pour respecter pleinement toutes ses obligations »449. Cinquante-six États et gouvernements ont signé ensemble cette Déclaration à Beyrouth. C’était un soutien politique de poids pour l’action diplomatique menée par la France.

 Le soutien mutuel francophone sur la scène internationale

Dans un autre regard sur la Francophonie comme un terrain d’essai du multilatéralisme, on constate que les rencontres francophones sont souvent le lieu où les pays membres sollicitent le soutien de la communauté francophone pour leurs candidatures aux postes électifs de toute nature dans les autres enceintes internationales. Cette pratique est courante dans les organisations internationales.

447 Nous mesurons dans le paragraphe suivant de l’ampleur de l’adoption de cette Convention, et surtout de sa mise en œuvre dans la réalité. Nous préférons pour cette raison de mettre le mot « victoire » entre les guillemets. 448 Jean-Paul Joubert, « La Francophonie et le système international », op. cit., p. 126. 449 « La Déclaration de Beyrouth », in OIF, Actes de la neuvième Conférence des chefs d’État et de gouvernement des pays ayant le français en partage (Beyrouth, 18-20 octobre 2002), Paris, 2003, p. 4.

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Pour citer quelques exemples, lors de la 73e session du CPF en juillet 2009, dans le point « Questions diverses » de l’ordre du jour, la Belgique, le Vietnam, le Monaco ont sollicité le soutien de la communauté francophone à leurs candidatures au Conseil exécutif de l’UNESCO (mandat 2009-2013). Lors de la 83e session du CPF en mars 2012, le Liban a souhaité un soutien francophone pour la candidature d’un Libanais au poste de membre réservé à l’Asie de la Cour internationale de Justice de La Haye ; la Suisse a fait la même demande de soutien pour un candidat suisse au poste de vice-directeur général du Bureau international de l’Union postale universelle et la Communauté française de Belgique pour la candidature de la ville de Liège pour l’accueil de l’Exposition universelle de 2017. Plus récemment, lors de la 85e session du CPF en juin 2012, le Luxembourg et le Cambodge ont annoncé leurs candidatures pour devenir membres non permanents du Conseil de sécurité de l’ONU en 2013-2014, et ont souhaité le soutien des pays membres de la Francophonie.

Le soutien des pays francophones à telle ou telle candidature d’un autre État francophone dans une organisation internationale n’est pas automatique. La solidarité francophone est très difficilement prouvée dans ce genre d’activité. À titre d’exemple, si on sait aujourd’hui que le Vietnam, la Belgique et le Monaco, trois pays qui ont sollicité le soutien de la communauté francophone pour leurs candidatures au Conseil exécutif de l’UNESCO, ont été élus à cet organe de l’UNESCO, il est très difficile de vérifier si c’était le résultat direct de leur demande de soutien au sein de la Francophonie ou non. En plus, l’appui d’un pays à la candidature d’un autre pays pour des postes électifs dans les organisations internationales dépend de beaucoup de facteurs, notamment ses relations avec ce pays ou l’appartenance des deux pays concernés à un même regroupement régional (comme l’Union européenne, l’ASEAN, etc.).

Pourtant, on peut dire que la Francophonie constitue dans ce genre de démarches un lieu supplémentaire pour faire campagne. En plus, le Secrétariat général de la Francophonie assume le rôle de facilitateur ou en quelque sorte de « coordinateur » de ces demandes. Très souvent, le Secrétaire général de la Francophonie transmet ces demandes de soutien aux représentions permanentes de la Francophonie auprès de l’ONU à New York ou à Genève pour qu’elles mobilisent ensuite les Groupes des ambassadeurs francophones (GAF) dans ces organisations et assurent le suivi effectif des dossiers.

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Section 2. La Francophonie comme un « attracteur » du système multipolaire

Par ailleurs, dans les documents officiels de ces GAF auprès de l’ONU, on peut constater que leurs objectifs vont dans ce sens de la solidarité francophone. Ainsi, selon l’article 4 du Règlement intérieur du GAF à Genève, « le Groupe assure aussi, en liaison avec les groupes régionaux et dans toute la mesure du possible, la promotion des candidatures francophones à des emplois de fonctionnaires internationaux et, notamment, à des postes électifs au sein des organisations et institutions internationales ayant leur siège en Suisse »450. Le GAF à New York, quant à lui, souligne indirectement ce soutien à travers l’aspect linguistique (notamment la connaissance du français) des candidats aux postes de fonctionnaires de l’ONU. Un des objectifs du GAF à New York, est, en effet, d’insister auprès des Nations Unies, en matière de recrutement, « sur une prise en compte équilibrée de la notion des langues de travail du Secrétariat et sur la connaissance du français pour les agents civils et militaires des Nations unies situés en zone francophone »451.

Ces activités de la Francophonie nous rappellent les remarques de Guillaume Devin et Marie-Claude Smouts dans leur livre sur les organisations internationales. Selon eux, dans le jeu du multilatéralisme « aucun ne peut prétendre gagner chaque fois dans tous les domaines, mais dans la longue durée et selon les dossiers, chacun peut espérer un jour gagner quelque chose. La pratique multilatérale introduit entre les participants ce que Robert Keohane a appelé une « réciprocité diffuse ». Elle donne en quelque sorte plus d’importances à l’avenir qu’au présent »452. Au sein de la Francophonie, en soutenant les autres pays membres dans leur sollicitation de soutien francophone, chaque pays membre peut toujours espérer qu’il aura le soutien réciproque dans l’avenir.

450 « Règlement intérieur du Groupe des Ambassadeurs francophones à Genève (amendé le 26 janvier 2009) », in Organisation internationale de la Francophonie, Guide pratique de la mise en œuvre du Vade- mecum relatif à l’utilisation de la langue française dans les organisations internationales, Paris, Nathan, 2011, p. 85 (voir l’annexe 2). 451 « Les dix objectifs du GAF de New York », in Organisation internationale de la Francophonie, Guide pratique de la mise en œuvre du Vade-mecum relatif à l’utilisation de la langue française dans les organisations internationales, op. cit., p. 84 (voir l’annexe 1). 452 Guillaume Devin, Marie-Claude Smouts, Les organisations internationales, op. cit., p. 34.

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Ainsi, souligne Jean-Paul Joubert lors du colloque d’Hanoi en 2007 : « que la Francophonie réponde à des intérêts, et pas seulement à de grands idéaux serait plutôt une raison d’espérer… parce que ce qui fait la force des grands idéaux, l’égalité, le pluralisme, le règne de la loi, etc., ce sont les intérêts qu’ils expriment »453.

Avec la diversité des membres en son sein et en facilitant toutes ces démarches d’intérêt, la Francophonie constitue selon le temps un terrain d’essai du multilatéralisme de plus en plus sollicité par les pays membres pour faire avancer leurs intérêts. C’est d’ailleurs une des fonctions classiques des organisations internationales.

Mais la Francophonie ne se limite pas seulement au rôle d’un relais des intérêts particuliers de tel ou tel État membre. En tant qu’organisation internationale, elle sert d’abord aux causes collectives. C’est ainsi sa première fonction et sa raison d’être. Sur la scène internationale, elle joue le rôle de porte-parole de la communauté (à l’ONU, au G8 ou au G20). Elle coopère avec d’autres organisations internationales et organise des concertations francophones afin de faire avancer de différents dossiers internationaux dans l’intérêt des pays membres.

§2. La « diplomatie » francophone et ses capacités d’influence

Forte de la diversité en son sein, mais solidaire par le partage d’une même langue et des valeurs partagées, la Francophonie constitue depuis ces vingt dernières années une nouvelle force diplomatique influente, surtout depuis qu’elle s’est dotée d’un Secrétaire général, poste occupé par des personnalités de fortes influences sur la scène internationale.

Il faut comprendre la « diplomatie » comme « la conduite pacifique des relations entre entités politiques »454 pour pouvoir parler de la « diplomatie francophone ». La définition citée ci-dessus dépasse le cadre de la diplomatie étatique dans lequel la diplomatie publique dépend d’un ministère des affaires étrangères et d’une politique extérieure.

453 Jean-Paul Joubert, « La Francophonie et le système international », op. cit., p. 126. 454 Définition de Hamilton et Langhorne, cité par Marie-Claude Smouts et al., op. cit., p. 138.

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Section 2. La Francophonie comme un « attracteur » du système multipolaire

La Francophonie ne possède pas ces instruments, ni service des affaires extérieures, ni politique internationale clairement définie. Mais ses activités visent, comme l’a remarqué André Ludovic Ngouaka-Tsoumou, à favoriser le dialogue des cultures qui est « la toile de fond d’une diplomatie de l’ouverture, de la tolérance et de la solidarité pour le développement »455. La pratique francophone est « tout sauf la guerre »456. L’illustration la plus remarquable de cette pratique francophone est sa prise de position lors du Sommet de Beyrouth en 2002 contre le projet de guerre américaine en Irak et pour le dialogue des cultures et le recours au droit international pour régler les crises. Il est donc légitime de parler aujourd’hui d’une « diplomatie francophone » et de souligner que sa spécificité résulte des valeurs de dialogue interculturel et de solidarité qui caractérisent la Francophonie.

La Francophonie dispose d’un corps diplomatique assez important : un Secrétaire général qui est le représentant officiel et le porte-parole de la Francophonie sur la scène internationale457 ; les représentations permanentes de la Francophonie auprès de l’ONU et d’autres organisations régionales dont les responsables ont le rang d’ambassadeur ; des envoyés spéciaux, des médiateurs, des experts qui vont réagir de façon temporaire lors des crises dans l’espace francophone (beaucoup de ces médiateurs sont d'anciens présidents, premiers ministres, ministres des pays africains) ; et d’une certaine manière, les Groupes informels des Ambassadeurs francophones (GAF) constitués au sein des institutions de l’ONU.

Le Secrétaire général de la Francophonie est au centre de ce corps diplomatique. Il nomme le personnel des représentations permanentes de l’OIF ; il envoie des envoyés spéciaux et des médiateurs dans les crises ; il coordonne des concertations francophones à travers ses représentations permanentes et ses institutions spécialisées comme l’IEPF (Institut de l’Énergie et de l’Environnement de la Francophonie), etc. En considérant tous ces acteurs et ses activités sur la scène internationale, l’actuel Secrétaire général de

455 Ngouaka-Tsoumou André Ludovic, La diplomatie francophone, Thèse de doctorat en Science politique, Institut pour l’Étude de la Francophonie et de la Mondialisation, Université Jean Moulin Lyon 3, p. 293. Cette thèse est rédigée sous la direction de Jean-Paul Joubert et de Michel Guillou. Elle a été soutenue en 2010. 456 Ibid., p. 298. 457 Article 7 de la Charte de la Francophonie d’Antananarivo (2005).

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la Francophonie, Abdou Diouf, parle déjà d’une certaine « magistrature d’influence francophone »458, en quelque sorte une nouvelle force d’influence internationale.

Dans la pratique, les démarches diplomatiques, et donc d’influence, de la Francophonie sont illustrées à travers deux principaux aspects : le renforcement des coopérations avec les Nations Unies et les autres organisations internationales et régionales d’une part ; les concertations francophones dans les autres enceintes internationales, d’autre part.

 La coopération avec les organisations internationales et régionales : la nécessité de renouveau dans les partenariats internationaux

Les coopérations entre la Francophonie et les autres organisations internationales ont commencé très tôt. Dès novembre 1978, l’Assemblée générale de l’ONU a adopté une résolution numéro A/RES/33/18, reconnaissant le statut d’observateur de l’ACCT auprès de cet organe de l’ONU459. Ce statut a permis l’ACCT de participer depuis cette date aux différents travaux de l’Assemblée générale. Ainsi depuis 1995, cette dernière adopte à un rythme bisannuel une résolution460 faisant l’état de ses coopérations avec l’OIF461.

458 Organisation internationale de la Francophonie, Rapport du Secrétaire général, de Québec à Montreux 2008-2010, Paris, 2010, p. 98. 459 Mario Julia, « L’évolution de la coopération entre l’ONU et les organisations régionales : l’exemple de l’OIF », », in Michel Guillou, Trang Phan-Labays (dir.), La Francophonie sous l’angle des théories des relations internationales, op. cit., p. 189. 460 Ces résolutions sont aujourd’hui au nombre de dix. La dernière résolution date du 17 décembre 2010. 461 Par exemple, dans sa résolution du 17 décembre 2010, l’Assemblée générale de l’ONU s’est félicitée de la contribution réelle que l’OIF apporte, en collaboration avec l’ONU, en Haïti, aux Comores, en Côte d’Ivoire, au Burundi, à Madagascar, au Niger, en République démocratique du Congo, en Guinée, en République centrafricaine et au Tchad. Elle s’est aussi félicitée de l’impulsion nouvelle donnée à la participation d’États membres de l’OIF aux opérations de maintien de la paix… et a souligné la coopération accrue entre l’Organisation internationale de la Francophonie et le Département des opérations de

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Section 2. La Francophonie comme un « attracteur » du système multipolaire

Par ailleurs, pour renforcer les coopérations entre les deux organisations, un accord de coopération entre l’ONU et l’ACCT a été signé en juin 1997. Cet accord prévoit notamment des consultations mutuelles sur toutes les questions d’intérêt commun, une représentation mutuelle dans les réunions et conférences de chaque organisation en qualité d’observateur, des échanges d’informations et de documents sur les plusieurs questions et même une participation conjointe à l’exécution des projets d’intérêt commun462.

Depuis début des années 1990, l’ACCT, puis l’OIF commence à conclure des accords de coopération avec plusieurs organisations du système onusien. Elle a signé des accords avec l’UNESCO (2000)463, le Fonds des Nations unies pour l’enfance (UNICEF, 10/1995), le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD, 10/1996), le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l'homme (HCDH, 9/1997)464, la Conférence des Nations unies pour le commerce et le développement (CNUCED, 4/1999), l’Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO, 8/1999), la Commission économique des Nations Unies pour l'Afrique (CEA, 10/2000)465, l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI, 7/2000), l’Organisation météorologique mondiale (9/2001), l’Organisation internationale du Travail (OIT, 2/2002), l’Alliance des civilisations (4/2009), le Programme commun des Nations unies sur le VIH/SIDA (ONUSIDA, 12/2009), l’ONU Femmes (5/2012).

maintien de la paix du Secrétariat en vue de renforcer les effectifs francophones dans les opérations de maintien de la paix des Nations Unies. 462 « Accord de coopération entre l’Organisation des Nations Unies et l’Agence de coopération culturelle et technique », signé à New York le 25 juin 1997, disponible sur http://www.francophonie.org/IMG/pdf/ONU.pdf 463 Par un accord de coopération en 1976, puis un protocole additionnel en 1990. Ces deux premiers documents ont été ensuite remplacés par un accord de coopération en 2000. 464 Pour la mise en œuvre de cet accord, une commission mixte de deux organisations a été créée et réunit une fois par an. Elle est chargée de coordonner et d'harmoniser les interventions des deux parties, d'assurer le suivi et l'évaluation des programmes conjoints en cours. 465 Cet accord est destiné à apporter un appui technique à la mise en œuvre du programme de travail 2000-2001 du Centre africain des Femmes de la CEA. L’OIF joue ici le rôle de bailleur de fonds en apportant son soutien financier dans le recrutement des experts francophones pour ce programme.

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L’ACCT (puis l’OIF) a aussi signé plusieurs accords de coopération avec d’autres organisations internationales et régionales. Il s’agit des accords avec l’Organisation islamique pour l’éducation, les sciences et la culture (ISESCO, 11/1990), le Groupe des États d’Afrique, des Caraïbe et du Pacifique (ACP, 9/1997), la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO, 2/1999), l’Union africaine (2000), l’Organisation arabe pour l’éducation, la culture et les sciences (ALECSO, 12/2001), l’Association des États de la Caraïbe (AEC, 12/2001), la Communauté des États sahélo- sahariens (CEN-SAD, 11/2001), l’Organisation des États Ibéro-américains pour la science, l’éducation et la culture (OEI, 4/2002), le Marché commun pour l’Afrique orientale et australe (COMESA, 5/2003), la Commission européenne (8/2006), la Commission de l’Océan indien (COI, 11/2011).

D’autres démarches sont en cours pour renforcer les coopérations entre l’OIF et l’ASEAN ou le Conseil de l’Europe. La signature d’un accord avec la Cour pénale internationale (CPI) est aussi prévue en septembre 2012.

Tous ces accords prévoient une coopération classique entre organisations internationales et régionales : l’échange d’information et de documents, la représentation mutuelle dans les travaux de chaque organisation, la consultation mutuelle sur des programmes d'intérêt commun. Certains accords prévoient la possibilité de réaliser conjointement des projets avec un cofinancement, la création d’une commission mixte composée des représentants de l’OIF et de l’organisation partenaire (accords avec le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l'homme (HCDH) et la Conférence des Nations unies pour le commerce et le développement (CNUCED)) ou encore l’établissement d’un point de contact permanent (avec la Commission européenne) pour le suivi des actions.

Si la majorité de ces accords ne sont pas effectivement mis en œuvre466, certains ont pu permettre d’aboutir à des coopérations concrètes. Nous pouvons citer l’exemple

466 L’ancien Administrateur général de l’AIF, M. Roger Dehaybe, a reconnu cette réalité du manque de coopérations concrètes avec les autres organisations. Selon lui, cette situation tient « principalement à trois facteurs : l’incompatibilité des règles financières ; la taille relativement modeste de l’OIF face à certains de ses partenaires qui réduit sensiblement la visibilité de la Francophonie ; la langue française qui n’est pas toujours utilisée par le partenaire et qui nécessite dès lors la mise en place de traduction et de documents en

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Section 2. La Francophonie comme un « attracteur » du système multipolaire des coopérations entre l’OIF et le HCDH, liés par un accord depuis 1997. Depuis 2007, les deux organisations réaniment leurs coopérations à travers la création d’une Commission mixte et la mise en place des actions d’intérêt commun comme le plaidoyer conjoint pour la ratification des instruments internationaux dans les pays membres de la Francophonie (Mali, Sénégal), l’organisation des séminaires sur l’examen Périodique Universel (EPU, en 2009 et 2010), l’organisation d’autres séminaires sur les organes de traités et le rôle des institutions nationales des droits de l’homme sur les questions de migration (2009), ou sur la justiciabilité des droits économiques, sociaux et culturels (2011), etc. Ces activités sont cofinancées par les deux organisations467.

Un autre exemple de projet concret est l’accord avec le Programme commun des Nations unies sur le VIH/SIDA (ONUSIDA), le seul accord qui prévoit non seulement une coopération avec l’OIF mais aussi avec l’APF et les quatre opérateurs de la Francophonie. Ainsi, l’un de ces opérateurs, l’Université Senghor d’Alexandrie a signé avec l’ONUSIDA un accord de coopération en octobre 2010 visant notamment à intégrer un module de 25 heures dédié au SIDA dans le programme universitaire du Master Santé de cette université468.

Par ailleurs, l’OIF noue des liens avec d’autres espaces linguistiques (espagnol, portugais et anglophone). Avec les deux premiers espaces, les coopérations se déroulent notamment dans le cadre du dialogue de Trois espaces linguistiques (TEL), institué en 2000. Les concertations avec ces espaces ont permis de mobiliser plus fortement leurs pays membres dans l’adoption de la Convention de l’UNESCO sur la promotion et la protection de la diversité des expressions culturelles en 2005.

français ». Voir, Roger Dehaybe, « Bilan de la coopération de l’OIF avec les organisations internationales », in Rapport de la 54e session du CPF (08/04/2005), p. 16. 467 Le montant estimé de ce cofinancement pour la période de fin 2007 à fin 2009 est de près deux millions d’euros. Source : « Relevé des conclusions sur le renforcement de la coopération entre l’OIF et le HCDH », Genève, 25 septembre 2007, disponible sur http://www.ohchr.org/Documents/AboutUs/Francophonie/HCDH- OIF_Commission_mixte25septembre2007.pdf 468 L’accord prévoit également la sélection d’un groupe d’étudiants en seconde année de ce Master pour effectuer un stage d’une durée de trois mois dans différents bureaux nationaux de l’ONUSIDA, en Afrique de l’Ouest et du Centre, en Afrique du Nord et au Moyen-Orient.

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Quant à la coopération avec le Commonwealth, les rencontres de haut niveau (celles des Secrétaires généraux) entre les deux organisations sont organisées régulièrement depuis ces dernières années à Paris et à Londres. D’ailleurs, dans une démarche commune, depuis 2010, les deux organisations entament ensemble un plaidoyer au profit d’un financement du développement des pays pauvres lors des réunions du G8 et G20469.

La prudence est nécessaire dans l’interprétation de ces démarches francophones dans les coopérations avec les autres organisations internationales et régionales. Car si le nombre d’accords signés est important, leur mise en place effective est encore très limitée. Par ailleurs, l’analyse de ces accords montre que presque les mêmes formules (échanges d’information, consultation, représentation mutuelle dans les réunions, etc.) ont été reprises dans plusieurs accords. Aussi, dans la majorité des accords, il manque des modalités concrètes et personnalisées qui permettent une mise en œuvre efficace.

Ceci ne veut pas dire que ces accords signés n’ont pas de valeurs. Au contraire, c’est une reconnaissance croissante de la communauté internationale vis-à-vis des activités de la Francophonie. En plus, par le renforcement des coopérations avec les autres organisations internationales et en participant aux travaux de ces organisations, la Francophonie remplit la fonction de la voix commune des pays francophones. Elle fait entendre et défend les intérêts des pays francophones, notamment dans le cadre des réunions du Groupe G20.

Il faudrait cependant concrétiser ces accords de coopération et les mettre en œuvre de façon plus efficace. C’est ainsi ce que la Francophonie a commencé à faire depuis 2007 dans ses coopérations avec le Haut-commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme (HCDH).

469 Les rencontres entre la présidence du G20 et les deux secrétaires généraux ont été commencées en 2010 à l’initiative du premier ministre canadien Stephen Harper, et puis reprise par le président français Nicolas Sarkozy en 2011 et par le président mexicain Felipe Calderon en 2012.

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Section 2. La Francophonie comme un « attracteur » du système multipolaire

 Les concertations francophones sur la scène internationale ou la « magistrature d’influence francophone »

Parmi les activités internationales de la Francophonie, les concertations francophones sont une des activités les plus visibles, d’une part parce qu’elles mobilisent des participants du plus haut niveau de plusieurs pays francophones (les chefs d’État, les ministres, les experts) et d’autre part, car elles sont souvent organisées en marge de grandes négociations multilatérales (comme le Sommet de la Terre à Rio et Rio+20). Elles sont parfois considérées comme l’expression la plus claire de ce que l’actuel Secrétaire général de la Francophonie qualifie « la magistrature d’influence francophone ».

Dans la pratique francophone, le terme « concertation » désigne plusieurs activités de nature différente depuis début des années 1990 : réunions de concertation, rencontres francophones, ateliers de concertation, actions de concertation francophones, etc. Ces activités ne visent pas explicitement à aboutir à un accord entre les participants sur les questions concertées, mais peuvent être simplement des rencontres, des échanges de vue ou d’information sur les négociations internationales en cours.

Les concertations font l’objet d’une politique officielle de la Francophonie. L’article 10 de la Charte de Hanoi précise que l’Agence de la Francophonie « encourage la connaissance mutuelle entre les peuples et la francophonie et favorise le dialogue des cultures et des civilisations. À ce titre, elle est un lieu d’échange et de concertation »470. Les chefs d’État et de gouvernement francophones ont en plus confirmé cette politique lors du Sommet de Beyrouth en 2002 : « Nous insistons particulièrement sur le nécessaire approfondissement des concertations entre les États et gouvernements francophones sur les thèmes débattus dans les enceintes internationales et qui sont prioritaires pour la Francophonie. Nous entendons veiller à ce que les prises de position communes et les déclarations officielles de la francophonie issues de ces concertations soient arrêtées dans le cadre de ses instances »471. Par ailleurs, une des conditions pour devenir observateur

470 L’article 10 de la Charte de la Francophonie (Hanoi, 1997). 471 « Plan d’action de Beyrouth », in OIF, Actes de la neuvième Conférence des chefs d’État et de gouvernement des pays ayant le français en partage (Beyrouth, 18-20 octobre 2002), op. cit.

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de la Francophonie ou pour changer de statut (d’observateur à associé ou d’associé à membre de plein droit) est d’avoir « un intérêt réel pour les efforts développés en faveur de la concertation francophone dans les organisations intergouvernementales et les grandes manifestations internationales »472.

Le rapport d’évaluation externe de la démarche de concertation francophone en environnement en 2004 a ainsi défini ce concept de « concertation » comme suivant : « Les activités de concertation francophones… regroupent l’ensemble des rencontres entre représentants de pays membres de la Francophonie… en marge des sessions formelles de négociations multilatérales »473.

La dernière grande concertation francophone a eu lieu à Rio de Janeiro en juin 2012, en marge de la Conférence des Nations unies sur le Développement durable - « Rio +20 », regroupant plus de 150 participants venant des pays francophones et la présence de hautes personnalités comme le Président du Bénin, le Premier ministre québécois, le Vice-premier ministre chargé de l’Environnement de la Région Wallonne, le Coordinateur exécutif de Rio+20, le Secrétaire général du Groupe ACP, et plusieurs ministres francophones.

Cette rencontre fait partie de multiples activités de concertation que la Francophonie a organisées depuis début des années 1990 dans plusieurs domaines : réchauffement climatique, désertification, biodiversité, énergie, commerce international, diversité culturelle, jeunesse, tourisme, lutte contre la violence aux femmes, etc. Parmi ces concertations, celles sur l’environnement et sur la diversité culturelles sont les plus visibles et significatives. Nous avons concentré notre analyse sur ces deux domaines.

Mais une considération importante reste préalablement à évoquer. Comme la Francophonie représente une très grande diversité en son sein, dans les négociations multilatérales (sur l’environnement, sur la diversité culturelle ou sur le commerce international), elle ne constitue pas de groupe de négociation de façon formelle ou informelle, comme c’est le cas pour les groupes de l’Union européenne, de l’ASEAN, du

472 Modalités d’adhésion adoptées au Sommet de Beyrouth (2002). 473 Organisation internationale de la Francophonie, Rapport d’évaluation externe de la démarche de concertation francophone en environnement, Paris, 2004, p. 31.

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Section 2. La Francophonie comme un « attracteur » du système multipolaire

G77, de l’ACP (groupe des États d’Afrique, des Caraïbe et du Pacifique), etc. À côté de ces groupes, il y a, d’ailleurs, des alliances de circonstance fondées sur les intérêts convergents. La solidarité au sein de ces groupes est très variée (par exemple assez solidaire le groupe de l’Union européenne, moins solidaire pour le groupe G77) selon leur nature et selon les négociations. Mais lors de chaque négociation, ils sont relativement identifiables.

Les pays francophones appartiennent à ces différents groupes. Et dans les négociations, les pays membres de la Francophonie vont le plus souvent d’abord défendre leurs intérêts nationaux et puis les intérêts de leurs groupes et non pas les intérêts de la Francophonie. Par ailleurs, la Francophonie ne définit pas en général un « intérêt » francophone à défendre dans ces négociations.

Cette remarque relativise l’importance politique des activités de concertation francophone. En effet, lorsque les intérêts des uns et des autres diffèrent, surtout dans les négociations sur l’environnement ou le commerce international, il est très difficile de parvenir à une prise de position commune francophone qui aurait pourtant un impact important. Lorsqu’il existe une certaine convergence d’intérêt de la majorité des pays francophones, comme dans les négociations sur la diversité culturelle à l’UNESCO, les efforts de concertation menés par la Francophonie sont non négligeables et le travail de recherche d’une voix commune « moins difficile ». Regardons maintenant plus près ces efforts francophones de concertation.

Les négociations multilatérales en matière d’environnement sont effectivement le premier domaine de concertation francophone et restent jusqu’à aujourd’hui un des domaines où la Francophonie est la plus active. Dans ce domaine, l’IEPF, un des organes subsidiaires de la Francophonie spécialisée dans la coopération énergétique et environnementale, est le chef de file qui organise les concertations francophones. Il le fait en étroite coopération avec plusieurs autres acteurs francophones : les représentations permanentes de la Francophonie auprès de l’ONU et d’autres organisations régionales, les Groupes des Ambassadeurs francophones (GAF), les gouvernements qui assurent la présidence du Sommet et de la CMF.

Ce fut durant les préparations pour le Sommet de la Terre à Rio de Janeiro en 1992 que les premières concertations francophones dans ce domaine ont été organisées.

283

Depuis cette date, la pratique est multipliée. Rien que la période de 1991 à 2003, la Francophonie a organisé 15 concertations (entre 1991 et 1995474) et 81 concertations (entre 1996 et 2003) dans le cadre des négociations multilatérales formelles sur l’environnement475.

L’analyse des comptes rendus de ces concertations a permis les évaluateurs externes de définir les six principales fonctions avec leurs objectifs de cette activité de la Francophonie, résumés dans le tableau ci-après476 :

Tableau 12 : Les six fonctions des actions de concertation francophone

Fonctions Objectifs

Fonction de mobilisation (contacts Favoriser la solidarité par le partenariat bilatéraux, réseautage, partenariat de entre pays francophones coopération et de solidarité)

Fonction de médiation (mise en • Rechercher un consensus au sein de la commun des positions des pays et Francophonie ou tout du moins des « création des conditions-cadres facilitant zones » de partage possibles

des rapprochements ultérieurs) • Identifier les acteurs et les alliances possibles

Fonction politique (convergence des • Identifier les défis et les enjeux positions francophones sous forme de

474 Pendant cette période, les concertations francophones en environnement ont été organisées par la Direction générale de la coopération technique et du développement économique (DGCTDE) de l’ACCT. Les données sur le nombre de concertations pendant cette période sont une estimation, car il n’y a pas de documents vérifiables. 475 Organisation internationale de la Francophonie, Rapport d’évaluation externe de la démarche de concertation francophone en environnement, op. cit., p. 47. Depuis 2004, ces concertations francophones en environnement continuent d’être organisées. Mais comme nous n’avons pas toutes les données nécessaires pour procéder une analyse profonde (les comptes rendus, les listes de participants, etc.), nous nous contentons d’utiliser les éléments fournis par le rapport d’évaluation d’externe sur les concertations francophones pendant la période 1991-2003. 476 Ibid., p. 62.

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Section 2. La Francophonie comme un « attracteur » du système multipolaire

déclaration, de positions communes à • Défendre la Francophonie en tant que défendre, de représentation mutuelle telle d'intérêts communs, etc.)

Fonction de diagnostic (recensement • Adapter l’offre (en lien avec les autres des besoins et attentes des participants) fonctions) à la demande

Fonction de service (information, • Renforcer les capacités

formation, traduction, etc.) pour soutenir • Mise à niveau de tous les acteurs les pays francophones dans leurs • Acquérir « un langage minimum négociations commun » (compréhension commune des enjeux)

Fonction contributive (formulation de Valoriser et amplifier les réflexions issues contributions de fond liées aux enjeux d’experts et de cercles francophones dans des négociations et leur contexte) le débat international

La fonction politique (convergence des positions francophones sous forme de déclaration, de positions communes à défendre, de représentation mutuelle d'intérêts communs, etc.) de ces concertations est importante car le « produit » de ces concertations (les déclarations francophones communes) permet de voir le plus clairement la capacité de la Francophonie de se positionner dans ces différentes négociations.

Cependant, force est de constater que pendant cette période (1991-2003), il n’y a eu que six concertations francophones qui ont débouché sur l’adoption d’une déclaration francophone commune477. Et la majorité de ces déclarations communes ont été prises dans le cadre des concertations en marge des négociations au sein de la CDD- ONU (la Commission du Développement durable des Nations-Unies). Cette arène de négociation traite surtout des principes généraux à caractère non contraignant, ce qui simplifie la prise de positions francophones convergentes478.

477 Ibid., p. 53. 478 Ibid., p. 43.

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Par ailleurs, les effets des déclarations francophones sur les questions considérées dans ces négociations sont difficilement estimables. Les termes utilisés dans ces déclarations éminemment politiques sont assez généraux pour qu’aucun paramètre ne soit fiable pour une évaluation479.

Cette remarque n’a pas pour finalité de sous-estimer l’utilité des concertations francophones par rapports aux autres fonctions qui sont toujours assez pertinentes, notamment les fonctions de mobilisation, de médiation et de service (voir le tableau plus haut). Elle souligne pourtant le fait que dans des négociations « difficiles » comme celles dans le domaine environnemental, où les États francophones sont des acteurs aux intérêts très divergents, l’impact politique de la Francophonie, en tant que force d’influence et de voix politique est assez limitée.

Au contraire, lorsque les intérêts des pays membres sont assez convergents, la Francophonie peut plus facilement exploiter tous ses atouts pour faire valoir sa position et sa place. C’est le cas notamment des concertations francophones en vue d’adoption de la Convention de l’UNESCO sur la promotion et la protection de la diversité des expressions culturelles en 2005.

Dans ce dossier, la mobilisation francophone a été générale, engagée et forte depuis le début du projet jusqu’à l’adoption de la Convention mais aussi après l’adoption.

C’est dès le Sommet de Hanoi (1997) que les chefs d’État et de gouvernement francophones ont donné leur aval au principe d’une Convention intergouvernementale sur la culture entre les pays membres de la Francophonie480. Le projet de cette

479 À ce propos, voir l’exemple d’une déclaration francophone commune adoptée lors d’une concertation ministérielle francophone en marge de la Conférence de Copenhague en 2009 (voir l’annexe 3). 480 « Déclaration de Hanoi », in OIF, Actes de la septième Conférence des chefs d’État et de gouvernement des pays ayant le français en partage (Hanoi, 14-16 novembre 1997), Paris, 1998, p. 64. C’est le Sommet de Cotonou qui a décidé dans la programmation biennum 1996-1997 qui a donné mandat à l’Agence de la Francophonie (ACCT) de réunir des experts chargés d’élaborer un projet de convention intergouvernementale sur la culture. Ce dossier est repris par le CPF lors de sa 26e session des 9, 10 et 11 juillet 1997. Un Groupe ad hoc a été créé par le CPF lors de cette session. Le premier président du comité d’experts était l’Ambassadeur français Bernard Dorin.

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Section 2. La Francophonie comme un « attracteur » du système multipolaire

Convention a été présenté au Sommet de Hanoi. Il précisait que la nouvelle Convention aurait pour objet « de promouvoir la création et de faciliter la circulation des créateurs, des produits et des services culturels au sein d’un espace francophone conformément aux principes définis dans la Charte de la Francophonie (Marrakech, 1996) »481.

Le suivi de cette décision n’a pas abouti à une telle Convention entre pays francophones, mais la priorité donnée par la Francophonie à la diversité culturelle a continué d’être affirmée. La Déclaration de la Conférence ministérielle sur la culture à Cotonou (2001) et le Sommet de Beyrouth (2002) dont le thème était le « dialogue des cultures » ont illustré cet engagement francophone sur ce sujet.

À partir de Beyrouth, le dossier de la Convention intergouvernementale sur la culture dépasse le cadre francophone. Les chefs d’État et de gouvernement ont en effet demandé au Secrétaire général de l’OIF « de mettre en place, dans le cadre du Conseil permanent, un groupe de travail chargé de contribuer au débat international, notamment à l’UNESCO et dans d’autres enceintes comme le Réseau international de la politique culturelle (RIPC), en vue de l’élaboration d’une convention internationale sur la diversité culturelle »482.

Ce Groupe de travail a été effectivement créé lors de la 46e session du CPF le 11/12/2002483. Au sein de ce Groupe, trois sous-groupes ont été instaurés : le premier est chargé de l’élaboration des documents (argumentaire et recueil documentaire), le second coordonne l’action à l’intention d’autres partenaires, et le troisième s’attache aux actions de sensibilisation notamment à l’intention des groupes réunissant les membres votants à l’UNESCO484.

Depuis cette date, plusieurs acteurs francophones ont impliqué dans cette mobilisation : le Groupe de travail du CPF, le Secrétaire général de la Francophonie,

481 « Rapport général et propositions du Groupe ad hoc sur le projet de Convention intergouvernementale sur la culture », in OIF, Actes de la septième Conférence des chefs d’État et de gouvernement des pays ayant le français en partage (Hanoi, 14-16 novembre 1997), op. cit., p. 103. 482 « Déclaration de Beyrouth », op. cit., p. 8. 483 La présidence de ce Groupe a été assurée par le Vietnam, en la personne de l’ambassadeur Pham Sanh Chau. Suite au départ de ce dernier pour d’autres missions, la présidence du Groupe a été reprise par le Liban, pays hôte du Sommet de Beyrouth. 484 Rapport de la 47e session du CPF (27/03/2003), p. 8.

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l’AIF, le groupe des ambassadeurs francophones à l’UNESCO, les pays francophones membres du Conseil exécutif de l’UNESCO, les experts francophones, les émissaires francophones, etc.

La mobilisation francophone a d’abord été multiforme : consultation de l’avis des experts sur la faisabilité d’un instrument juridique international ; correspondance du Secrétaire général aux Chefs d‘États et de gouvernement ainsi qu’aux ministres concernés par cette problématique ; envoi par l’AIF d’émissaires francophones pour la sensibilisation des pays francophones ; organisation de conférences thématiques sur le dossier ; sensibilisation d’autres groupes et d’autres organisations (groupe G77 à l’UNESCO, Union africaine, Groupe ACP, autres espaces linguistiques) ; mise à disposition des délégations des pays francophones des documents et des études sur le dossier par l’AIF485 ; appui à la participation des experts des pays francophones aux négociations à l’UNESCO486, etc.

Cette mobilisation a été ensuite très forte à toutes les étapes de l’avancement de ce dossier à l’UNESCO487 : pour l’inscription de la problématique de l’élaboration d’un instrument international à l’ordre du jour du Conseil exécutif de l’UNESCO (31 mars au 16 avril 2003) ; pour l’inscription de ce dossier à l’ordre du jour de la 32e Conférence générale de l’UNESCO (29/09 au 18/10/2003) ; pendant les réunions des experts indépendants et pendant les négociations au sein des réunions d’experts intergouvernementaux ; et puis avant le vote final (23/10/2005) (appel de vigilance, incitation à la présence aux réunions, à la prise de parole et à la participation des pays francophones aux débats488, etc.).

485 Par exemple des notes sur l’état de ce dossier à l’OMC et à la CNUCED, des études sur les enjeux économiques et juridiques de la future Convention, etc. 486 L’OIF a par exemple apporté son appui à la participation de cinq experts spécialisés de pays membres (Bulgarie, Bénin, Burkina Faso, Cameroun, Côte d’Ivoire) à plusieurs sessions de négociations sur l’avant- projet de convention à Paris (20-25 septembre 2004 ; 31 janvier-12 février 2005 ; et 25 mai-4 juin 2005). Voir OIF, Rapport du Secrétaire général de la Francophonie. De Ouagadougou à Bucarest (2004-2006), Paris, 2006, p. 46. 487 Voir l’annexe 4. 488 Par exemple, lors de la 57e session du CPF au 12/10/2005, c’est-à-dire à quelques jours de la 33e Conférence générale de l’UNESCO, la présidente du Groupe de travail du CPF sur ce dossier a appelé les pays d’être vigilant, « d’être présent en salle, d’exprimer sa position, de voter et, enfin, de demeurer en salle

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Section 2. La Francophonie comme un « attracteur » du système multipolaire

La Convention de l’UNESCO sur la promotion et la protection489 de la diversité des expressions culturelles a été effectivement adoptée le 20 octobre 2005 lors de la 33e session de la Conférence générale de cette organisation, avec 148 pays pour, 2 pays contre (États-Unis et Israël), et 4 abstentions (Honduras, Nicaragua, Liberia, Australie). L’adoption de cette Convention est une confirmation des engagements de la communauté internationale en faveur de la diversité culturelle. La Convention reconnait notamment « la nature spécifique des activités, biens et services culturels en tant que porteurs d’identité, de valeurs et de sens »490. Elle réaffirme en plus « le droit souverain des États de conserver, d’adopter et de mettre en œuvre les politiques et mesures qu’ils jugent appropriées pour la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles sur leur territoire »491.

Avec toutes les activités francophones de mobilisation, d’accompagnement et de documentation, l’adoption finale de la Convention de l’UNESCO en 2005 peut être légitimement considérée comme une victoire de la diplomatie francophone492. La Francophonie a su mobiliser les ressources, les atouts dont elle dispose pour faire avancer ce dossier important. Cette « victoire » reflète en quelque sorte la capacité d’influence de la Francophonie. Grâce à ce résultat, elle peut être légitimement considérée comme un nouvel acteur influent des relations internationales.

après le vote dans l’hypothèse où un nouveau débat interviendrait », voir Rapport de la 57e session du CPF, p. 12. 489 Selon les termes de l’article 4 de la Convention, la « protection » signifie « l’adoption de mesures visant à la préservation, la sauvegarde et la mise en valeur de la diversité des expressions culturelles ». 490 Article premier – Objectifs de la Convention de l’UNESCO sur la promotion et la protection de la diversité des expressions culturelles (2005). 491 Idem. 492 Il faut noter ici que la Francophonie n’est pas le seul acteur qui a fortement mobilisé pour l’adoption de cette Convention. D’autres acteurs ont aussi très fortement impliqué dans le processus. Il s’agit d’abord des pays du Nord comme la France, le Canada (et le Québec) ; des organisations comme la Fédération internationale des coalitions pour la diversité culturelle (FICDC), le Réseau international sur la politique culturelle (RIPC), ou d’autres espaces linguistiques. Ces acteurs peuvent aussi réclamer cette adoption comme « leur victoire ».

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Pourtant, il faut dire que si la première étape a été une réussite, le plus grand défi actuel reste la mise en œuvre effective de cette Convention493. Deux grands enjeux sont constatés pour les pays francophones. Le premier concerne la ratification de cette Convention pour renforcer sa légitimité et sa portée, le deuxième concerne le soutien aux pays membres en voie de développement pour développer leurs industries culturelles et élaborer les politiques culturelles efficaces afin de « promouvoir et protéger » la diversité de leurs cultures.

Sur le premier enjeu, la mobilisation francophone pour la ratification de la Convention est assez forte depuis le début. Un des atouts de la Francophonie est justement la mobilisation de l’Assemblée parlementaire de la Francophonie (APF) pour cette question. Cette dernière, qui regroupe des parlements des pays francophones, acteurs principaux de cette phase de ratification, a appelé, lors de sa XVIIIe Assemblée régionale européenne du 19 au 23 octobre 2005, les gouvernements membres de la Francophonie européenne « à déposer, dans les meilleurs délais, auprès de leur parlement respectif, cette convention pour ratification, acceptation, approbation ou adhésion »494. D’autres acteurs francophones comme le Secrétaire général de la Francophonie, le CPF, la CMF, renouvellent assez régulièrement les appels de ratification de cette Convention par les pays francophones. Aujourd’hui, 123 pays et une organisation d’intégration

493 Pour les analyses de la portée juridique de cette Convention, voir Ivan Bernier, « Les relations entre la Convention de l’UNESCO sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles et les autres instruments internationaux : l’émergence d’un nouvel équilibre dans l’interface entre le commerce et la culture », 2009. Disponible sur http://www.diversite- culturelle.qc.ca/fileadmin/documents/pdf/FR_Relations_entre_Convention_Unesco_instruments_internati onaux.pdf. Pour une analyse sur la mise en œuvre de cette Convention, voir Ivan Bernier, « Un aspect important de la mise en œuvre de la Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles : le fonds international pour la diversité culturelle », 2007, disponible sur http://www.diversite-culturelle.qc.ca/fileadmin/documents/pdf/fonds-diversite-culturelle.pdf; et un article plus récent de Antonios Vlassis, « La mise en œuvre de la Convention sur la diversité des expressions culturelles : portée et enjeux de l’interface entre le commerce et la culture », Études internationales, vol. 42, n° 4, 2011, pp. 493-510. 494 Assemblée parlementaire de la Francophonie, « Appel de Monaco sur l’adoption par la Conférence générale de l’UNESCO de la Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles », disponible sur http://apf.francophonie.org/IMG/pdf/appel_de_monaco_unesco-2.pdf

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Section 2. La Francophonie comme un « attracteur » du système multipolaire

économique régionale (Union européenne) sont Parties de cette Convention, dont 58 pays francophones (38 membres de plein droit, 2 associés, 18 observateurs)495. C’est un succès de mobilisation francophone, mais il y a encore 14 (12 membres de plein droit, 1 associé, 1 observateur) pays francophones à sensibiliser.

Sur le deuxième enjeu, il est important de souligner que la création par l’UNESCO d’un Fonds international pour la diversité culturelle a fait l’un des enjeux majeurs pour les pays en développement lors des négociations sur la Convention de l’UNESCO. Beaucoup de pays en développement, faute de moyens financiers et d’expertise, ont besoin du soutien d’un tel Fonds pourrait les aider à mieux soutenir leurs industries culturelles ou au moins mieux protéger leur diversité culturelle.

Or, la mise en place de ce Fonds au sein de l’UNESCO est un échec. Après cinq ans de mise en vigueur de la Convention, les ressources du Fonds ne s’élèvent qu’à environ 5 millions de dollars américains. Actuellement, le Fonds soutient 48 projets dans 35 pays en développement avec un financement total de 2,8 millions de dollars496. C’est très peu par rapport aux attentes des pays en développement. Cette situation est due au fait que la contribution des Parties à ce Fonds n’est pas obligatoire, mais seulement sur une base volontaire.

Au sein de la Francophonie, la diversité culturelle, certes, reste une priorité de l’organisation et une extension au projet « développer les politiques et des industries culturelles » a été faite après l’adoption de la Convention de l’UNESCO pour permettre le soutien aux politiques culturelles des pays membres. Mais, aucun projet de grande envergure sur la diversité culturelle ou sur le soutien aux industries culturelles des pays en développement membres de la Francophonie n’a vu le jour depuis l’adoption de cette Convention. Autrement dit, cette dernière n’a pas créé une nouvelle dynamique francophone dans la coopération culturelle.

495 Selon les données de l’UNESCO, disponible sur http://www.unesco.org/eri/la/convention.asp?language=F&KO=31038 496 « Accords bilatéraux et diversité culturelle », Bulletin d’information, vol. 7, no 3, 2 avril 2012, p. 3. Disponible sur http://www.ieim.uqam.ca/IMG//pdf/Bulletinavril2012CEIM.pdf

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Ce constat semble confirmer la remarque d’Antonios Vlassis : « la préoccupation des promoteurs d’un instrument international sur la diversité des expressions culturelles, comme la France et le Canada [qui sont tous les deux les plus grands bailleurs de fonds de la Francophonie], portait moins sur le renforcement de la coopération culturelle internationale que sur la reconnaissance de l’importance des politiques culturelles et de la spécificité des produits culturels »497. Cette reconnaissance internationale est évidemment importante pour les industries culturelles de ces deux pays, disposant les moyens nécessaires pour mettre en place la Convention498. Elle traduit moins un avantage concret pour les autres pays francophones en voie de développement, privés de moyens et devant, pour certains d’entre eux, faire face à des pressions continues de la part des États-Unis dans le cadre des négociations bilatérales sur le commerce499.

Si la Francophonie pouvait mettre en place au moins un grand programme important pour soutenir les industries culturelles des pays francophones après l’entrée en vigueur de la Convention de l’UNESCO, sa « victoire » dans la mobilisation pour l’adoption de cette dernière serait plus crédible et plus plausible. Autrement, la Convention apparaît de plus en plus comme un leurre.

497 Antonios Vlassis, « La mise en œuvre de la Convention sur la diversité des expressions culturelles : portée et enjeux de l’interface entre le commerce et la culture », Études internationales, vol. 42, n° 4, 2011, p. 498. 498 La situation semble plus complexe, car même la Chine, Partie de la Convention de l’UNESCO, a été condamnée par l’OMC en août 2009 pour ses règlementations concernant l’importation des films étrangers. La Chine semble plier devant cette condamnation en annonçant en février 2012 une augmentation prochaine des quotas (14 films hollywoodiens en plus de 20 films auparavant) et une augmentation de la part des recettes reversée aux distributeurs étrangers, de 13 à 25%. Voir http://www.inaglobal.fr/cinema/article/la-chine-s-ouvre-hollywood-au-detriment-de-la-diversite- culturelle 499 L’OIF apporte un soutien au bulletin d’information mensuel « Accords bilatéraux et diversité culturelle » qui assure une veille sur les accords bilatéraux signés ou en cours de négociations entre les États-Unis et les autres pays dans le monde.

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CHAPITRE VI. LA FRANCOPHONIE COMME UN NOUVEL ACTEUR ET INTERLOCUTEUR POLITIQUE DES ÉTATS ET GOUVERNEMENTS MEMBRES

L’acteur Francophonie ne se limite pas à être un forum de discussion et un promoteur du système multipolaire. Elle ne reste pas en dehors des changements du contexte international et du contexte de l’espace francophone et commence à intervenir dans les questions politiques des pays membres depuis ces vingt dernières années. Son approche de ce sentier politique est une approche globale et ses actions y apportent certaines valeurs ajoutées (section 1).

Pourtant, la mise en œuvre de ces différentes actions politiques de la Francophonie montre aussi qu’elle doit affronter aujourd’hui de vrais défis, notamment dans le resserrement de ses champs d’action et la rénovation de son approche des questions politiques. La résolution de ces enjeux constitue une nécessité absolue pour que la Francophonie puisse jouer pleinement son rôle d’un interlocuteur pour ses membres et jouir d’une crédibilité renforcée de ses actions sur la scène internationale (section 2).

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SECTION 1. LA FRANCOPHONIE, UN ACTEUR DE PLUS EN PLUS SOLLICITE, MAIS QUI MANQUE DE RESULTATS CONCRETS

§1. L’approche globale des questions politiques de la Francophonie

On a vu ci-dessus comment les missions politiques de la Francophonie ont évolué depuis le Sommet de Dakar (1989) jusqu’à aujourd’hui (supra chapitre I, section 1). Les champs d’action de la Francophonie politique ne cessent d’augmenter au fil du temps. D’un modeste programme de coopération juridique et judiciaire instauré au Sommet de Dakar et axé sur la formation et les documentations, la Francophonie intervient aujourd’hui dans des chantiers politiques très vastes. Le mandat que les pays membres ont donné à la Francophonie est fixé dans les documents normatifs comme la Charte de la Francophonie, la Déclaration de Bamako et la Déclaration et Saint-Boniface (voir les annexes). Le Cadre stratégique décennal de la Francophonie (2004) et puis les programmations quadriennales de l’OIF donnent forme aux actions de la Francophonie dans ce domaine.

On y voit notamment que la Francophonie a aujourd’hui une mission de « promouvoir la paix, la démocratie et les droits de l’Homme », décliné en deux objectifs stratégiques : « consolider la démocratie, les droits de l’Homme et l’État de droit » (objectif A), et « contribuer à prévenir les conflits et accompagner le processus de sortie de crise, de transition démocratique et de consolidation de la paix » (objectif B) (selon le Cadre stratégique décennal de 2004). Avec la combinaison de ces deux objectifs stratégiques, elle devient présente dans toutes les étapes de la vie politique d’un État francophone, en période stable ou en période de crise. Apparemment, l’approche francophone dans ce domaine se veut globale, comme l’a souligné le dernier rapport de la Délégation à la Paix, à la Démocratie et aux droits de l’Homme (DDHDP) sur l’état des pratiques de la démocratie, des droits et des libertés dans l’espace francophone500.

La Déclaration de Bamako (2000) constitue le fondement de l’objectif stratégique A et les pays francophones ont pris vingt-cinq engagements politiques, décrits dans le

500 OIF, Rapport sur l’état des pratiques de la démocratie, des droits et des libertés dans l’espace francophone. Bamako, dix ans après (2000-2010), Paris, 2010, p. 191.

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chapitre IV de cette Déclaration. Ces engagements sont regroupés dans 4 grands piliers : pour la consolidation de l’État de droit ; pour la tenue d’élections libres, fiables et transparentes ; pour une vie politique apaisée ; et pour la promotion d’une culture démocratique intériorisée et le plein respect des droits de l’Homme. Ces quatre piliers constituent le « périmètre de Bamako »501. Dans le chapitre V de la même Déclaration, les États et gouvernements membres invitent la Francophonie, sous l’autorité de son Secrétaire général, de les accompagner dans la mise en œuvre de ces engagements. Quant à l’objectif stratégique B, il s’appuie sur la Charte de la Francophonie, une partie de la Déclaration de Bamako, des résolutions des Sommets des chefs d’État et de gouvernement et aussi naturellement la Déclaration de Saint-Boniface (2006) qui a été consacrée spécifiquement à la question de prévention de conflits et de la sécurité humaine.

La mise en œuvre de ces objectifs reflète assez fidèlement cette approche globale de la Francophonie. Le Secrétaire général de la Francophonie est au centre de cette pratique. Il est assisté par la Délégation à la Paix, à la Démocratie et aux droits de l’Homme (DDHDP) de l’OIF.

La première pratique consiste à une observation attentive de la situation politique des pays francophones (chapitre V, alinéa 1 de la Déclaration de Bamako). Ce travail est assuré essentiellement par la DDHDP, sous l’autorité directe du Secrétaire général de la Francophonie. Pourtant, les autres partenaires de l’OIF y apportent leurs concours. La note du CPF de septembre 2001 sur les modalités de mise en œuvre de la Déclaration de Bamako précise que : « le Secrétaire général dispose également des informations transmises par les Représentations permanentes de l’OIF auprès des Organisations internationales et régionales (New York, Genève, Bruxelles et Addis-Abeba), de même que par l’APF et les Opérateurs, qui en adressent une copie à la Délégation aux droits de l’Homme et à la démocratie ». Les OING accréditées auprès de la Francophonie et les réseaux institutionnels de la Francophonie constituent aussi des sources d’information pour la DDHDP. Ces différents informateurs constituent d’un Réseau d'information et de

501 Joseph Maïla, « La notion de crise en Francophonie : entre dispositif normatif et traitement politique », in Revue internationale des mondes francophones, n°2, printemps-été 2010, L’OIF et la gestion de crise (sous la direction de Frédéric Ramel), p. 20.

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Section 1. La Francophonie, un acteur de plus en plus sollicité, mais qui manque de résultats concrets concertation, coordonné par la Délégation. En outre, les rapports des missions de la Francophonie sur le terrain et des contacts informels à tous les niveaux de l’OIF, du Secrétaire général aux analystes, constituent aussi des sources d’informations importantes pour l’observation et l’analyse.

Cette observation donne lieu à une évaluation permanente de ces pratiques sous forme de rapports. La DDHDP a depuis 2004 produit quatre rapports bisannuels sur l’état des pratiques de la démocratie, des droits et des libertés dans l’espace francophone (2004, 2006, 2008, 2010). Les activités politiques du Secrétaire général font aussi l’objet des rapports devant le CPF, la CMF et le Sommet (lors de leurs sessions plénières). Le Secrétaire général prépare502 aussi des rapports d’activités politiques et diplomatiques déposés auprès de la Commission politique du CPF (qui se réunit pratiquement à un rythme mensuel).

Ces observations et évaluations permanentes par la Francophonie constituent une base nécessaire pour déterminer les mesures appropriées en matière d’appui à l’enracinement de la démocratie, des droits et des libertés, ainsi que l’assistance nécessaire dans ces domaines aux pays membres qui le souhaitent (chapitre V, alinéa 1). Ces mesures d’appui et d’assistance sont entre autres :

- la formation d’experts, de praticiens, de gestionnaires et de dirigeants des secteurs publics et privés dans différents aspects de la vie démocratique (médias, médiation, parlement, etc.) ;

- l’organisation de conférences, des colloques, d’échanges d’expériences dans ces domaines ;

- l’appui technique et d’expertise aux pays membres ou aux organisations régionales dans les questions comme la résolution des contentieux électoraux, l’harmonisation du droit des affaires en Afrique (dans le cadre de l'Organisation pour l'Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires (OHADA)), l’élaboration ou la révision de la Constitution, l’élaboration de plans nationaux de formation juridique, etc. ;

502 Ces rapports sont préparés sur la base des notes sur l’évaluation de la situation des pays francophones. Ces notes sont rédigées par les responsables de projet de la DDHDP.

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- l’appui matériel aux pays membres dans les domaines comme l’élaboration des plans de modernisation ou de réforme de la justice, le renforcement des moyens techniques aux ministères de la Justice, etc. ;

- l’appui aux activités des réseaux institutionnels francophones (Association africaine des Hautes Juridictions francophones (AAHJF), Association des Cours constitutionnelles ayant en partage l’usage du français (ACCPUF), Association francophone des Commissions nationales de promotion et de protection des droits de l’Homme (AFCNDH), Association des ombudsmans-médiateurs de la Francophonie (AOMF), etc.) ;

- la diffusion de l’information législative (en collaboration avec l’APF) ;

- le financement des initiatives démocratiques via le Fonds francophone d’initiatives pour la démocratie, les droits de l’Homme et la paix (FFIDDHOP).

La prévention des conflits constitue un des principaux volets des actions politiques de la Francophonie. L’approche francophone de la prévention de conflit est double. Les mesures d’appui et d’assistance citées ci-dessus sont considérées comme la prévention structurelle, puisqu’elles visent « à provoquer des modifications durables des modes de gouvernance et des façons de faire afin, de manière ultime, d’induire un ancrage de la culture démocratique à moyen et à long terme »503. Tandis que l’alerte précoce et la diplomatie préventive sont des mesures de prévention opérationnelle qui « nécessite des accompagnements constants tant en amont qu’en aval de la crise immédiate »504.

Les observations et évaluations permanentes par la Francophonie constituent un élément clef du système d’alerte précoce francophone (chapitre V, alinéa 1 de la Déclaration de Bamako). Ce dernier consiste à « la collecte systématique et l’analyse d’informations sur des régions en crise et dont la vocation est a) d’anticiper le processus d’escalade dans l’intensité du conflit, b) de développer des réponses stratégiques à ces crises, et c) de présenter des actions aux acteurs concernés afin de faciliter la prise de

503 OIF, Francophonie : agir pour prévenir. Rapport du Panel d’experts de haut niveau sur la problématique du passage de l’alerte précoce à la réaction rapide, Paris, 2010, p. 15. 504 Idem.

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Section 1. La Francophonie, un acteur de plus en plus sollicité, mais qui manque de résultats concrets décision »505. Il a un objectif majeur, celui « d’informer suffisamment à l’avance afin de pouvoir mener une action à temps : si l’appréhension des faits est claire, il sera plus aisé de prendre les décisions qui s’imposent »506. Après l’alerte précoce, le mécanisme de réaction rapide constitue une étape importante et décisive dans la prévention des conflits, car il donne sens à l’alerte précoce. Le passage de l’alerte précoce à la réaction rapide a fait l’objet d’un rapport du Panel d’experts de haut niveau de la Francophonie en septembre 2010.

Au sein de la Francophonie, le Secrétaire général se positionne au cœur de ce mécanisme de réaction rapide. Il dispose des moyens de réagir, notamment des outils relatifs à la diplomatie préventive507 ou à la diplomatie secrète et à la diplomatie publique. Il peut ainsi « envoyer des représentants personnels ou déployer des envoyés spéciaux via des missions d’information, de contacts, d’écoute, de bons offices, de facilitation ou de médiation »508. Dans la pratique, le recours à ces missions est très souvent utilisé par le Secrétaire général de la Francophonie. Au niveau interne de l’OIF, le Secrétaire général peut aussi saisir des Comités ad hoc consultatifs restreints, composés des représentants de certains pays membres de la Francophonie à Paris, pour pouvoir fournir un avis consultatif sur les mesures appropriées à mettre en œuvre. De 2000 à 2010, le Secrétaire général a réuni à huit reprises ces Comités ad hoc509.

Le chapitre V de la Déclaration de Bamako prévoit à côté des mécanismes de prévention une participation active de la Francophonie à la gestion des crises et à l’accompagnement des transitions (chapitre V, alinéa 2 et 3). Le Secrétaire général est aussi au cœur de cette action francophone. Il peut s’appuyer sur les dispositifs de

505 OIF, Rapport sur l’état des pratiques de la démocratie, des droits et des libertés dans l’espace francophone. Bamako, dix ans après (2000-2010), Paris, 2010, p. 155. 506 Idem. 507 Le lien entre l’alerte précoce et la diplomatie préventive est souligné dans Michael Lund, Preventive Diplomacy and American Foreign Policy: A Guide for the Post-Cold War Era. Bibliothèque du Congrès, 1994, cité par Centre de recherche sur la paix, Mécanismes des systèmes d’alerte : Contribution à une comparaison internationale, Paris, 2004, p. 6. 508 OIF, Francophonie : agir pour prévenir. Rapport du Panel d’experts de haut niveau sur la problématique du passage de l’alerte précoce à la réaction rapide, op. cit., p. 30. 509 OIF, Rapport sur l’état des pratiques de la démocratie, des droits et des libertés dans l’espace francophone. Bamako, dix ans après (2000-2010), op. cit., p. 195.

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Bamako, mais aussi de l’article 7 de la Charte de la Francophonie, selon lequel en cas d’urgence (des crises ou des conflits) le Secrétaire général « propose les mesures spécifiques pour la prévention, la gestion et le règlement »510 de ces crises et de ces conflits.

La gestion de crises par la Francophonie consiste à jouer un rôle dans la médiation menée pour y mettre fin. Comme dans la phase de prévention des conflits, le Secrétaire général peut envoyer des missions de bonne volonté, d’évaluation, de facilitation, d’information et de contacts.

La mission de bonne volonté est dépêchée par le Secrétaire général dans le pays en crise pour exprimer la volonté et la disponibilité de la Francophonie à s’impliquer dans l’action de médiation. La mission d’évaluation consiste à recueillir des informations susceptibles d’aider le Secrétaire général de prendre des mesures appropriées face à la crise en cours. Ces deux types de missions ne sont pas explicitement prévus dans les documents normatifs de la Francophonie. Elles sont en réalité une interprétation large d’une disposition du plan d’action du Sommet de Hanoi (1997) selon laquelle le Secrétaire général a le mandat de « développer des initiatives politiques susceptibles de contribuer au règlement pacifique des conflits en cours »511.

La Déclaration de Bamako a prévu les deux autres types de mission, celle de facilitation (chapitre V, alinéa 2), celle d’information et de contacts (chapitre V, alinéa 3). Les missions de facilitation sont envoyées par le Secrétaire général en cas d’une « crise de la démocratie » ou en cas de « violations graves des droits de l’Homme ». Dans ce genre de mission, la Francophonie « évite d’apparaître comme le porteur de solutions, le donneur de leçons et le messager rédempteur. C’est en écoutant les protagonistes et en les encourageant à trouver eux-mêmes des solutions aux différends qui les opposent que la Francophonie fait jouer à plein sa vocation consensualiste »512. Les premières missions francophones de facilitation ont été déployées même avant la Déclaration de Bamako

510 L’article 7 « Fonctions politiques » du Secrétaire général de la Francophonie, de la Charte de la Francophonie (2005). 511 Le principe n°4 du Plan d’action du Sommet de Hanoi (1997). 512 OIF, Rapport sur l’état des pratiques de la démocratie, des droits et des libertés dans l’espace francophone. Bamako, dix ans après (2000-2010), op. cit., p. 206.

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Section 1. La Francophonie, un acteur de plus en plus sollicité, mais qui manque de résultats concrets par le premier Secrétaire général de la Francophonie, Boutros Boutros-Ghali, notamment au Togo (1998), en République démocratique du Congo (1998)513. Quant aux missions d’information et de contacts, elles sont déployées par le Secrétaire général en cas de « rupture de la démocratie » ou en cas de « violations massives des droits de l’Homme ». Le rapport issu de ces missions d’information et de contacts constitue un élément important pour aider le CPF à prendre des mesures et des sanctions appropriées (comme le refus de soutenir les candidatures du pays concerné à des postes électifs au sein d’organisations internationales, la suspension de la participation des représentants du pays concerné aux réunions des instances, la suspension du pays à la Francophonie, etc.).

Parmi les quatre événements déclencheurs (crise de la démocratie, violations graves des droits de l’Homme, rupture de la démocratie, violations massives des droits de l’Homme) du mécanisme de réaction de la Francophonie, seul le terme « rupture de la démocratie » a une définition indirecte dans la Déclaration de Beyrouth (2002) selon laquelle le Sommet condamne toutes les formes de « coups d’État et [d]’attentes graves à l’ordre constitutionnel en ce qu’ils rompent la démocratie »514. Les autres termes n’ont pas de définition claire. En ce qui la concerne, la Tunisie qui a mis une réserve pour expliquer directement sa compréhension, ainsi, pour ce pays, par « rupture de la démocratie », il faut entendre « coup d’État », et par « violations massives des droits de l’Homme », entendre « génocide »515. Ce manque de clarification des événements déclencheurs laisse au Secrétaire général de la Francophonie une marge de main-œuvre assez importante dans l’interprétation des événements politiques survenus dans l’espace francophone. Pourtant, cela va entraîner dans plusieurs cas des lenteurs de réaction francophone face à des situations importantes, mais non décrites par les documents normatifs comme le cas des modifications dans des périodes sensibles (proches des élections) des Constitutions dans les pays francophones ou celui du Printemps arabe au Maghreb.

513 OIF, Rapport du Secrétaire général de la Francophonie, de Hanoi à Moncton (1997-1999), Paris, 1999, pp. 8-9. 514 Citée par OIF, Rapport sur l’état des pratiques de la démocratie, des droits et des libertés dans l’espace francophone. Bamako, dix ans après (2000-2010), op. cit., p. 208. 515 La réserve de la Tunisie sur le chapitre V, alinéa 3 de la Déclaration de Bamako.

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À côté de la prévention et de la gestion des conflits comme décrite ci-dessus, la Francophonie accompagne les pays en crise dans le processus de transitions, même au cas de suspension du pays de la Francophonie suite à un coup d’État. En effet, selon la Déclaration de Bamako, le CPF détermine les mesures d’accompagnement du processus de retour au fonctionnement régulier des institutions dans les pays concernés. Ces mesures sont multiformes, notamment le soutien aux initiatives nationales à promouvoir le dialogue et la réconciliation (par les conseils des personnalités francophones) ; les actions d’assistance au renforcement des capacités des structures et des agents engagés dans le processus de reconstruction de l’État (comme l’assistance en matière d’élaboration des textes relatifs à l’organisation de la justice et de la juridiction constitutionnelle, l’organisation des séminaires d’échanges d’expériences, le renforcement des capacités en matériel et en encadrement humain des médias). Il s’agit aussi du soutien aux processus électoraux (comme la mise à disposition d’experts francophones en matière d’organisation et de préparation des élections, l’appui à la mise à jour des listes électorales, l’assistance à l’élaboration du cadre juridique régissant le processus électoral)516. Concernant les élections dans les pays en sortie de crise (élections présidentielles, législatives, municipales), la Francophonie met en place depuis 1992 des missions d’information et d’observation, souvent en collaboration avec l’APF.

Comme mentionnée plus haut, la consolidation de la paix fait partie du deuxième objectif stratégique de la Francophonie, inscrit dans le cadre stratégique décennal (2004). Depuis 2005, la Francophonie commence à recevoir un mandat plus clair d’agir dans le domaine du maintien de la paix517. Son action vise dans un premier temps à sensibiliser les États francophones à une participation plus active aux opérations de

516 Dans la gestion des conflits et l’accompagnement des transitions, il y a l’implication d’une multitude d’acteurs régionaux et internationaux. Mais, ces acteurs ne se sont pas assez concertés dans leurs actions. C’est seulement à partir de 2008, dans la gestion de la crise en Mauritanie qu’ils ont commencé à établir un cadre commun de concertation, les Groupes internationaux de contact (GIC). La Francophonie participe depuis le début aux travaux de ces GIC. 517 Pour une analyse de la nécessité d’une participation francophone plus active aux opérations de maintien de la paix, voir Dominique Trinquand, « La contribution de la Francophonie aux opérations de maintien de la paix », in Revue internationale des mondes francophones, n°2, printemps-été 2010, op. cit., pp. 25-35.

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Section 1. La Francophonie, un acteur de plus en plus sollicité, mais qui manque de résultats concrets maintien de la paix (via notamment des séminaires organisés à Bamako et à Yaoundé en 2009). Dans un second temps, la Francophonie apporte son soutien aux initiatives régionales de formation menées par l’École de maintien de la paix Alioune Blondin Beye de Bamako, au Mali, et l’École internationale des forces de sécurité d’Awaé, au Cameroun518.

En définitive, dans ce sentier politique, la Francophonie intervient dans presque toutes les étapes importantes, de la consolidation de la démocratie à la prévention des conflits, de la gestion des crises et l’accompagnement des transitions à la consolidation de la paix. Dans la résolution des conflits, elle n’y participe pourtant pas directement en tant que force armée. Son activité consiste à un règlement pacifique des conflits, via ce que son Secrétaire général appelle « une magistrature d’influence », fondée essentiellement sur le dialogue. Son approche de ces questions politiques, comme nous l’avons vu, est une approche globale.

Dans toutes ces étapes d’intervention francophone, l’accord préalable des États membres est obligatoire dans un souci de respect de la souveraineté de ces derniers (chapitre V de la Déclaration de Bamako). Le fait que la Francophonie participe de plus en plus activement à ces activités politiques montre qu’elle devient aujourd’hui un interlocuteur privilégié de ses États membres. Elle peut être légitimement aujourd’hui considérée comme un nouvel acteur politique de l’espace francophone.

Pourtant, comment peut-on mesurer les impacts des actions de l’acteur Francophonie dans ce domaine ? Quels sont les vrais apports de la Francophonie, ou ses valeurs ajoutées par rapport aux autres acteurs agissant dans ce même sentier ? Le paragraphe suivant apporte quelques éléments de réponse à ces questions.

§2. Les résultats mitigés dans le sentier politique

Depuis la fin des années 1990 et début des années 2000, la Francophonie commence à recourir aux instruments d’évaluation pour mesurer l’efficacité de ses différents projets de coopération. Ces évaluations se basent sur plusieurs éléments,

518 OIF, Rapport du Secrétaire général de la Francophonie. De Québec à Montreux (2008-2010), op.cit., p. 41.

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notamment les indicateurs qui permettent de mesurer les résultats des projets et d’en évaluer les effets.

Ce fut d’ailleurs le souci premier de plusieurs délégations francophones lors de la 20e session de la CMF en novembre 2004, juste avant l’adoption par les chefs d’État et de gouvernement du Cadre stratégique décennal (2005-2014) (CSD). Ainsi, le ministre des Relations intergouvernementales et internationales du Nouveau-Brunswick souligna « la nécessité de prévoir, dès le début, les outils et les moyens pour rendre compte des actions… et de pousser plus loin la réflexion sur les indicateurs de rendement »519. Par ailleurs, pour le ministre des Relations internationales du Gouvernement de la Communauté française de Belgique, la Francophonie devra « rester vigilante lorsqu’il s’agira de traduire les objectifs stratégiques en objectifs opérationnels et mesurables… Sur la mesurabilité, le document [le CSD] est en deçà de nos attentes. Les indicateurs devraient être la règle générale et pas l’exception »520. Autrement dit, si le CSD est un document d’orientation de portée générale, les différentes activités de la Francophonie devraient être traduites dans des programmations désormais quadriennales et leur mise en place devrait être mesurable grâce à des indicateurs clairs.

Cependant, il est frappant de constater que malgré ces mises en garde, les projets francophones dans le sentier politique (paix, démocratie, État de droit et droits de l’Homme) inscrits dans les différentes programmations de l’OIF avant et après cette date de 2004 ne comportent pas d’indicateurs clairs pour permettre mesurer leurs impacts521. Faute de ces indicateurs, on peut tenter de « mesurer » l’ampleur des actions de la Francophonie dans ce sentier politique d’une autre façon, par le biais notamment

519 « Intervention de l’Honorable Percy Mockler, ministre des Relations intergouvernementales et internationales du Nouveau-Brunswick », in Actes de la 20e session de la CMF (novembre 2004), p. 125. 520 « Intervention de Son Excellence Madame Marie-Dominique Simonet, ministre des Relations internationales du Gouvernement de la Communauté française de Belgique », in Actes de la 20e session de la CMF (novembre 2004), p. 127. 521 Le même constat a été fait par dans le Bilan sur de la contribution de l’OIF dans la mise en œuvre du Cadre stratégique décennal de la Francophonie 2005-2014 (document d’évaluation commandé par l’OIF et déposé à la réunion de la Commission de coopération et de programmation du CPF en juin 2012). D’autres projets dans les autres domaines ont pourtant des indicateurs chiffrés très concrets.

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Section 1. La Francophonie, un acteur de plus en plus sollicité, mais qui manque de résultats concrets du nombre de sollicitations des interventions francophones comme le montre l’exemple qui suit qui concerne le soutien aux processus électoraux.

Ce soutien électoral est une des activités les plus visibles en ce qui concerne l’objectif stratégique A de la mission B du CSD « consolider la démocratie, les droits de l’Homme et l’État de droit », avec comme condition préalable à toute mission électorale l’accord du pays concerné qui sollicite la Francophonie. On peut constater que depuis 1992, la Francophonie a été systématiquement sollicitée par les pays membres pour soutenir leurs processus électoraux, sauf des cas particuliers où son offre de soutien n’a pas été acceptée522. Entre 1992 et 2010, cent soixante-dix-huit missions à caractère électoral (missions d’identification des besoins, missions d’information et missions d’observation) ont été déployées par l’OIF dans trente-deux pays francophones dont la plupart sont des pays africains, qui sont ceux qui ont connu le plus des mutations électorales ces vingt dernières années523. Le nombre de membres des délégations francophones a varié selon les missions, et sont compris en moyenne entre cinq et dix personnes. Il y a des cas particuliers comme la mission d’observation de l’élection présidentielle en Mauritanie en juillet 2009 où la Francophonie a déployé une délégation importante de soixante-dix observateurs524.

En même temps avec ces missions, la Francophonie apporte aussi souvent une assistance électorale sous plusieurs formes (dotation de matériel, formation des journalistes, expertise juridique, etc.). Depuis ces dernières années, la majorité des missions à caractère électoral déployées par la Francophonie sont des missions d’identification des besoins, d’information et de contact et non pas de missions

522 Par exemple, l’ancien Secrétaire général de la Francophonie, Boutros Boutros-Ghali, lors de la 44e session du CPF en septembre 2002, a déploré qu’« en dépit de sa disponibilité, la Francophonie ne soit pas nécessairement sollicitée. Dans le cas de Madagascar, les parties en conflit n’ont pas demandé à la Francophonie d’intervenir ». 523 Il y a eu une seule mission d’observation déployée en dehors de l’espace francophone sous l’égide des Nations Unies. Il s’agit de la mission d’observation de l’élection présidentielle au Nigéria en 1999. 524 La liste complète de ces missions est disponible sur http://democratie.francophonie.org/IMG/pdf/tableau_de_missions.pdf

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d’observation525 et elles ont mis un accent sur le soutien à la gestion des contentieux électoraux. Selon le dernier rapport de la DDHDP en 2010, cette forme d’assistance électorale « constitue une part majeure de la spécificité francophone au regard de la pratique des autres organisations internationales dont les actions tendent, en général, au renforcement matériel et/ou logistique des acteurs ou des institutions impliqués dans le processus électoral »526. Ainsi, depuis 2000, les cours constitutionnelles de huit pays africains et d’un pays européen ont reçu une assistance axée surtout sur les contentieux électoraux527.

Une des fonctions des missions d’observations électorales des organisations internationales comme la Francophonie est de se porter garante de la régularité des opérations de vote et le cas échéant, de la campagne qui les précède immédiatement528. Si le nombre impressionnant de missions à caractère électoral déployées par la Francophonie peuvent être considérées comme un signe de reconnaissance de l’influence francophone, l’efficacité de ces opérations n’est pourtant pas toujours garantie. Le rapport sur l’état des pratiques de la démocratie, des droits et des libertés dans l’espace francophone faisant bilan de dix ans de suivi de la Déclaration de Bamako reconnaît que : « le bilan en matière de gestion des élections dans les différentes régions de l’espace francophone reste mitigé. Dans certains cas, les progrès réalisés par les États dans le processus démocratique sont considérables et les placent dans une phase de consolidation. Dans d’autres, la mise en œuvre de ces processus se heurte encore à des difficultés, à la fois nouvelles et récurrentes. Pis, nombre d’élections organisées au cours de

525 Pour assurer une vraie efficacité, les missions d’observation demandent beaucoup de ressources financières et humaines. Le peu de moyens financiers dont dispose la Francophonie ne lui permet pas de déployer trop souvent des missions d’observations. Elle n’abandonne pourtant pas ce genre de mission (par exemple, elle a déployé une mission d’observation lors des élections présidentielles et législatives en Centrafrique en janvier 2011). 526 OIF, Rapport sur l’état des pratiques de la démocratie, des droits et des libertés dans l’espace francophone. Bamako, dix ans après (2000-2010), op. cit., p. 70. 527 OIF, Bilan sur de la contribution de l’OIF dans la mise en œuvre du Cadre stratégique décennal de la Francophonie 2005-2014, op. cit., p. 81. Ces pays sont le Bénin, le Burkina Faso, la Centrafrique, les Comores, le Djibouti, la Mauritanie, le Madagascar, le Niger et la Moldavie. 528 Jean-Claude Masclet, « De l’observation à l’assistance juridique électorale », in Bernard Owen (dir.), Le processus électoral : permanences et évolutions, Paris, Éditions Studyrama, 2005, p. 177.

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Section 1. La Francophonie, un acteur de plus en plus sollicité, mais qui manque de résultats concrets la période considérée, loin de consolider la démocratie, constituent une source génératrice de conflits et de violence politique »529. Les progrès et les limites liées à cette question électorale ne peuvent pas être imputés évidemment seulement aux actions de la Francophonie, car plusieurs autres acteurs interviennent dans cette question. Pourtant, après vingt ans d’activités d’accompagnement des processus électoraux dans l’espace francophone, ce bilan mitigé invite la Francophonie à une réflexion approfondie sur son apport réel.

Outre les activités d’accompagnement des processus électoraux analysés ci-dessus, la Francophonie a également réalisé plusieurs projets en vue de consolider la démocratie, l’État de droit et les droits de l’Homme dans l’espace francophone. Ces projets sont multiformes : participation à des réunions, conférences, ateliers, formation de courte durée, concertations sectorielles et régionales, expertises de courte durée, etc.

Une des spécificités de l’action francophone dans ce cadre d’activité est sa capacité de mobiliser les différents réseaux institutionnels francophones. Ces derniers qui regroupent de différents types d’institutions des pays francophones (Conférence internationale des Barreaux de tradition juridique commune, Association des Cours constitutionnelles ayant en partage l’usage du français, Association des Ombudsmans et Médiateurs de la Francophonie, Réseau francophone de diffusion du droit, Réseau des compétences électorales francophones, etc.) favorisent les échanges d’expériences au sein de l’espace francophone en matière de l’État de droit, de la démocratie et des droits de l’Homme530. Les quinze réseaux institutionnels actuels de la Francophonie sont, et depuis le début, les principaux partenaires de la Francophonie dans la mise en œuvre de la Déclaration de Bamako.

Pourtant, le manque d’un suivi systématique des impacts des réalisations francophones dans ce sentier politique a été très fortement souligné par le rapport sur le bilan de la contribution de l’OIF dans la mise en œuvre du CSD531. Comme dans le cadre

529 OIF, Rapport sur l’état des pratiques de la démocratie, des droits et des libertés dans l’espace francophone. Bamako, dix ans après (2000-2010), op. cit., p. 54. 530 Voir la liste complète des quinze réseaux institutionnels de la Francophonie sur http://www.francophonie.org/15-reseaux-institutionnels-crees.html 531 OIF, Bilan sur de la contribution de l’OIF dans la mise en œuvre du Cadre stratégique décennal de la Francophonie 2005-2014, op. cit. Voir particulièrement les pages de 80 à 101.

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de son accompagnement des processus électoraux, une réflexion approfondie sur les apports francophones et leurs réels impacts devrait être inscrite à l’ordre du jour des réunions de préparation du prochain Cadre stratégique décennal (2015-2024), notamment une réflexion sur l’élaboration d’indicateurs clairs et un mécanisme de suivi plus efficace.

Par contre, en ce qui concerne l’objectif stratégique B de la mission B de l’actuel Cadre stratégique décennal, à savoir « contribuer à prévenir les conflits et accompagner le processus de sortie de crise, de transition démocratique et de consolidation de la paix », la nature des actions de la Francophonie peut en partie expliquer le manque d’indicateurs.

En effet, les missions de médiation déployées par le Secrétaire général de la Francophonie dans le cadre de la prévention et de la gestion des crises et des conflits sont difficilement mesurables, car elles relèvent pour beaucoup de la diplomatie secrète, et leur déploiement nécessite d’ailleurs l’accord préalable des pays concernés. Il est donc impossible de prévenir préalablement le nombre de missions que la Francophonie va conduire ainsi que le succès de ces dernières.

Dans les rapports d’activités bisannuels du Secrétaire général, on doit se contenter de lire des jugements comme « au Bénin, l’OIF a contribué de façon significative à faire surmonter les divergences entre les parties » ou « au Tchad, l’envoyé spécial du Secrétaire général, Mohamed El Hacen Ould Lebatt, a contribué au renforcement du dialogue entre les acteurs politiques et sociaux tchadiens »532. Aucun autre détail n’est disponible permettant ainsi de juger l’influence réelle, la contribution réelle des envoyés spéciaux du Secrétaire général.

D’une façon générale, ce que l’on peut faire c’est donc de juger indirectement l’influence francophone à travers notamment le nombre de sollicitations par les pays membres à la médiation de la Francophonie et les personnalités sollicitées par la Francophonie pour ce genre de missions. Depuis la première mission de conciliation déployée au Togo en 1998, ce nombre de sollicitations à la Francophonie ne cesse

532 OIF, Rapport du Secrétaire général de la Francophonie. De Québec à Montreux (2008-2010), op. cit., p. 34.

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Section 1. La Francophonie, un acteur de plus en plus sollicité, mais qui manque de résultats concrets d’augmenter533. Les personnes impliquées dans ces missions, souvent des hautes personnalités comme des anciens Présidents, des anciens Premiers ministres ou des Ambassadeurs534, ce qui constitue un atout important pour la Francophonie. La flexibilité et la rapidité dans le déploiement de ces missions constituent aussi un autre avantage de la Francophonie par rapport aux autres organisations internationales535.

Mais une question reste posée : c’est de savoir si ces sollicitations de la médiation francophone sont liées au poids politique du Président Abdou Diouf, en tant qu’ancien Président du Sénégal, ou liées à l’influence politique de la Francophonie en tant qu’organisation internationale. Certes, l’OIF peut bénéficier le poids politique de son Secrétaire général et l’action du Président Abdou Diouf peut être renforcé avec l’appui de l’équipe de l’OIF. Mais la question mérite d’être soulevée, car le mandat de l’actuel Secrétaire général prendra sans doute fin dans deux ans. Son successeur assurerait-il la même influence francophone dans ses pays membres ? Durant les entretiens avec les différentes personnalités francophones (voir chapitre IV, section 2, §2), répondant à la question sur le rôle international de la Francophonie, dix sur treize ont vu que la Francophonie a un rôle important sur la scène internationale, et quatre d’entre eux ont cité le poids politique de l’actuel Secrétaire général de la Francophonie pour illustrer leur argument536.

Par ailleurs, l’action de la Francophonie en matière de prévention des conflits fait face aux mêmes difficultés que celles d’autres intervenants internationaux et régionaux. Ainsi, le passage réussi de l’alerte précoce à la réaction rapide est une condition primordiale de la réussite de la prévention des conflits pour la Francophonie comme

533 Il faut noter que la Francophonie n’est pas la seule organisation sollicitée par les pays concernés. Par exemple, une mission de médiation est souvent composée de plusieurs médiateurs de différentes organisations internationales et régionales pour mieux garantir l’impartialité de ces médiateurs. 534 Par exemple l’ancien Président de la République du Burundi, Pierre Buyoya, l’ancien ministre des Affaires étrangères de Mauritanie, Mohamed El Hacen Ould Lebatt, l’ancien Premier ministre du Togo Edem Kodjo, etc. Le poids politique de ces personnalités est un élément important dans ce genre d’activité. 535 OIF, Francophonie : agir pour prévenir. Rapport du Panel d’experts de haut niveau sur la problématique du passage de l’alerte précoce à la réaction rapide, op. cit., p. 5. 536 Lors de nos discussions informelles avec les responsables de projets à la DDHDP (OIF), le même argument a aussi été développé par ces derniers pour souligner le rôle politique de la Francophonie actuelle.

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pour l’ONU. Le Secrétaire général de l’ONU, dans un rapport en 2009 portant sur la mise en œuvre de la responsabilité de protéger, a souligné la difficulté de traduire l’alerte en réaction rapide dans un cas donné537.

Pour la Francophonie, l’alerte précoce est, en effet, une partie essentielle de ses activités depuis l’adoption de la Déclaration de Bamako, notamment dans la collecte et l’analyse des informations sur les pratiques de la démocratie, des libertés et des droits dans l’espace francophone (chapitre V, alinéa 1 de la Déclaration de Bamako). Pour renforcer l’efficacité de ses actions dans ce domaine, le Secrétaire général de la Francophonie a décidé, en mai 2010, de mettre en place un panel d’experts de haut niveau538. Le rapport déposé par ce panel en septembre de la même année a formulé justement des recommandations sur une sensibilisation renforcée des États membres sur cette problématique de la réaction rapide et sur la nécessité d’une meilleure coordination avec les autres organisations internationales agissant dans ce même domaine.

Force est de constater que l’application des recommandations n’est pas toujours facile et la difficulté dans les actions préventives persiste. Ainsi, exemple le plus récent, lors de la 83e session du CPF à Paris le 30 mars 2012539, le Secrétaire général de la Francophonie, Abdou Diouf, a souligné les tensions constatées en Guinée-Bissau dans le contexte d’un appel de plusieurs candidats d’annuler le scrutin du premier tour de l’élection présidentielle du 18 mars et celui de l’assassinat d’un ancien haut responsable militaire le même jour. Il s’agissait donc de deux éléments déclencheurs très importants d’une crise éminente dans ce pays. Dans la même réunion, le Secrétaire général Abdou

537 Ce document est disponible sur http://www.un.org/french/documents/view_doc.asp?symbol=A/63/677 538 Avec des personnalités comme Pierre Buyoya, l’ancien Président de la République du Burundi ; Louise Fréchette, ancienne vice-secrétaire générale des Nations unies ; Mohamed El Hacen Ould Lebatt, ancien ministre des Affaires étrangères de Mauritanie ; Soumeylou Boubeye Maïga, ancien ministre de la Défense et ancien Conseiller spécial du chef de l’État du Mali ; Fred Tanner, Directeur du Centre de politique de sécurité de Genève ; Jacques Frémont, Vice-recteur et Provost de l’Université de Montréal agissant à titre de Secrétaire du Panel ; Fabienne Hara, Vice-présidente pour les affaires multilatérales de l’International Crisis Group et directrice de son bureau de New York. 539 Nous avons eu l’occasion d’assister à cette réunion ainsi que celle de la 85e session du CPF au 28 juin 2012.

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Section 1. La Francophonie, un acteur de plus en plus sollicité, mais qui manque de résultats concrets Diouf a assuré que la Francophonie « restera attentive à l’évolution de la situation et du processus électoral dans cet État membre particulièrement fragile »540. Pourtant, cette alerte du président Diouf et l’attention particulière portée à la situation politique de ce pays n’ont pas pu traduire en une réaction rapide de la part de la Francophonie pour empêcher le coup d’État survenu dans ce pays, seulement deux semaines après la réunion du CPF, le 13 avril 2012. Ceci étant dit, l’efficacité des actions francophones dans ce sentier politique ne peut être jugée qu’au cas par cas. On voit que dans le cas de la Guinée-Bissau, l’alerte précoce a été une « réussite », mais la prévention de crise dans son ensemble a été apparemment un échec.

La persistance des difficultés politiques dans plusieurs pays africains (voir supra : chapitre I, section 2, §2) en dépit de multiples activités de soutien et d’accompagnement de la communauté internationale, dont la Francophonie, depuis ces vingt dernières années, invite ces dernières à une mise en cause de leurs actions. Pour la Francophonie, a-t-elle suffisamment mis en valeur ses avantages dans ses actions, notamment le partage d’une langue commune et sa culture de dialogue ? A-t-elle suffisamment resserré ses champs d’action pour privilégier les résultats concrets au lieu de réaliser d’un catalogue des actions dispersées ? Son approche globale des questions politiques est-elle adaptée aux faibles moyens dont elle dispose ? Plusieurs enjeux restent à résoudre pour renforcer le rôle de la Francophonie dans ce sentier politique, un sentier où elle a plusieurs avantages comparatifs pas encore suffisamment exploités. La section suivante analysera ces différents points et proposera de nouvelles pistes pour les actions de la Francophonie.

540 OIF, Rapport de la 83e session du CPF (Paris, le 30 mars 2012), p. 3.

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SECTION 2. LES GRANDS ENJEUX DES ACTIONS POLITIQUES FRANCOPHONES

§1. Le resserrement des missions et la valorisation des atouts de la Francophonie

Il faut se situer dans le contexte international et dans celui des pays francophones depuis le début des années 1990 pour comprendre l’évolution de la Francophonie politique et son implication progressive dans les questions politiques des pays membres (voir supra chapitre I).

Les besoins des pays francophones en développement, surtout africains, sont réels en ce qui concerne la construction d’un État fort, capable de gérer le pays et résoudre des problèmes économiques, politiques, sociaux. Ces besoins concernent tous les aspects de la vie politique : le renforcement du système juridique et judiciaire541, le renforcement des institutions électorales et de leurs capacités d’organisation des élections, la prévention des crises et des conflits qui deviennent de plus en plus infra- étatiques542, etc. Sur le plan des droits de l’Homme et des libertés, partout, les peuples francophones aspirent la possibilité de jouir des droits fondamentaux de liberté, d’égalité, de ne pas être opprimés, et ceci sans exception.

La Francophonie, une organisation fondée sur les valeurs de solidarité et de dialogue, ne pouvait évidemment pas rester indifférente de ces besoins exprimés. Elle s’est donc engagée de plus en plus dans l’accompagnement de ses pays membres dans leurs processus de transition démocratique. Ceci, dans un premier temps à travers des actions ponctuelles, sommet après sommet, dans les années 1990, puis de façon plus systématique depuis l’adoption de la Déclaration de Bamako en 2000. Cette dernière lui a donné le mandat d’accompagnement des pays membres dans la réalisation de leurs engagements regroupés dans quatre principaux groupes : la consolidation de l’État de droit, la tenue des élections libres et transparentes, la promotion d’une vie politique

541 La première Conférence des ministres de la Justice des pays francophones en 1989 a déjà clairement identifié ces besoins multiformes des systèmes juridiques et judiciaires dans les pays francophones (voir chapitre IV, section 1). 542 Christophe Réveillard, « Les conflits de type infra-étatique en Afrique », in Géostratégiques, n° 25 (octobre 2009), p. 193.

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apaisée et la promotion d’une culture démocratique intériorisée et le respect des droits de l’Homme. Depuis 2000, son implication politique est consolidée et même élargi vers une action plus active dans la prévention de conflit et le maintien de la paix (voir chapitre IV, section 1). Pour beaucoup d’acteurs et d’observateurs de la Francophonie, cet accompagnement francophone est une vraie « nécessité ».

Mais, force est de constater qu’il existe un grand écart entre le souhait de remédier les difficultés des pays francophones dans ce sentier politique et les capacités réelles de la Francophonie de le faire. Le manque de moyens consacrés aux actions politiques se trouve à la fois au niveau humain et financier.

Sur le plan des ressources humaines, l’équipe de l’OIF est trop « maigre » pour assumer objectivement de façon efficace toutes les tâches que les pays membres lui ont confiées. Le panel d’experts de haut niveau instauré par le Secrétaire général de la Francophonie en mai 2010 a fait un constat dans son rapport qu’« au sein de la DDHDP, seuls cinq « responsables de projets » sont chargés de l’analyse des situations, y compris de la collecte de l’information et de la préparation de documents de toutes sortes portant sur le suivi de l’observation. Chaque membre de l’équipe est plus particulièrement chargé de suivre une région ou une sous-région de l’espace francophone et de préparer les documents relatifs à cette région ou à cette sous-région ; il assure par ailleurs la coordination des activités de coopération avec le ou les pays dont il assure le suivi »543. Pour une comparaison, l’OING International Crisis Group (ICG), spécialisée dans la prévention des conflits et mondialement reconnue544, dispose d’une équipe de 130 analystes à travers le monde, soutenus par une autre équipe de 20 consultants et de 40 stagiaires. Ces analystes couvrent 73 pays (dont 26 pays francophones). Une partie de cette équipe est sur le terrain et une autre partie se trouve dans les grands bureaux de plaidoyer à Bruxelles, à New York et à Washington et dans les autres bureaux de liaison545.

543 OIF, Francophonie : agir pour prévenir. Rapport du Panel d’experts de haut niveau sur la problématique du passage de l’alerte précoce à la réaction rapide, op. cit., p. 23. 544 La Vice-présidente de cette ONG fait partie du panel d’experts de haut niveau de la Francophonie cité ci-dessus. 545 International Crisis Group, « À propos de nous », disponible sur http://www.crisisgroup.org/fr/apropos.aspx

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Section 2. Les grands enjeux des actions politiques francophones

Une des recommandations du panel d’experts de haut niveau cité ci-dessus est de renforcer l’équipe de la DDHDP. Mais la Francophonie est confrontée à une autre difficulté : ses faibles ressources financières. En 2011, le budget de programme réservé à la mission B « promouvoir la paix, la démocratie et les droits de l’Homme » de l’OIF n’a été que d’environ 10,5 millions d’Euros546. Vu la quantité des actions que la Francophonie mène actuellement dans ce domaine, c’est évidemment très faible. Donner à la Francophonie les moyens nécessaires était d’ailleurs un des premiers soucis de plusieurs délégations francophones lors des discussions au sein du CPF sur le futur plan d’action de Bamako tout au long de l’année 2001547.

Si la comparaison n’est pas raison, elle invite néanmoins à une réflexion de fond sur l’implication francophone dans ce sentier politique.

Tout d’abord, la Francophonie doit-elle, dans ces conditions, abandonner ce champ politique, comme le recommandent de façon indirecte certains observateurs, pour revenir à son cœur de métier qui est la promotion de la diversité culturelle et linguistique, la solidarité et la promotion de la langue française ? Mais aujourd’hui, la Francophonie de 75 États et gouvernements membres trop profondément engagée dans le renforcement de la Francophonie politique et d’influence, un tel scénario n’est plus envisageable. Par ailleurs, les besoins des pays francophones du Sud dans ces domaines politiques sont réels et un accompagnement de la Francophonie est plus que nécessaire.

Toutefois, la Francophonie dispose-t-elle des moyens adéquats pour mettre en œuvre de façon efficace tous les programmes d’accompagnement actuels ? Le constat ci- dessus sur les moyens et les résultats assez mitigés des réalisations francophones ces vingt dernières années (voir section 1 de ce chapitre) amène à donner une réponse négative à cette question. La Francophonie ne peut, avec les moyens dont elle dispose actuellement, faire des réalisations importantes dans toutes ses implications. En dispersant ses ressources sur tous les fronts en même temps, elle n’a pu obtenir que peu de réussites marquantes et durables dans ce domaine politique ces vingt dernières années. Par ailleurs, ses « acquis » dans le renforcement des institutions sont très fragiles et retombent chaque fois que de nouvelles crises surviennent dans ses pays

546 OIF, Rapport du Contrôleur financier – Année financière 2011, p. 12. 547 Notamment les délégations de l’Égypte, de la Suisse, de la France, du Québec, du Gabon et du Mali.

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membres. Les exemples de la Mauritanie, de la Côte d’Ivoire, de Madagascar, du Mali, de la Guinée-Bissau illustrent ces propos.

Les réponses aux questions ci-dessus amènent au constat suivant : pour que la Francophonie puisse jouer un rôle plus important et durable, il lui faut à la fois resserrer ses actions pour mieux correspondre à ses moyens et valoriser ses différents atouts dans ce sentier politique. Le resserrement des actions nécessite une forte volonté politique pour décider de l’abandon des activités inefficaces n’ayant pas vraiment de valeurs ajoutées par rapport aux actions d’autres acteurs. La valorisation des atouts de la Francophonie impose, par ailleurs, de retirer des leçons des expériences de ses vingt années d’implication dans ce domaine.

En réalité, au sein de la Francophonie, la volonté politique existe déjà sur la nécessité d’un resserrement des programmes de coopération en général et des activités politiques en particulier.

Lors des discussions au sein de la 20e session de la CMF (24 novembre 2004) avant l’adoption du Cadre stratégique décennal (2004), la ministre des Relations internationales du gouvernement de la Communauté française de Belgique a souligné que « les quatre binômes d’objectifs stratégiques sont consensuels, car conformes aux quatre sphères d’activité traditionnelles de la Francophonie. Mais je dois vous dire que nous ne sommes pas entièrement rassurés par le grand nombre d’actions possibles qui leur sont associées. Elles ne nous protègent pas encore totalement contre le risque constant auquel la Francophonie fait face : le piège de la dispersion, du saupoudrage, surtout dans les secteurs où la spécificité francophone est moins marquée »548. Son sentiment est partagé à la même réunion par le représentant de la Délégation suisse qui était regret « de voir que l’objectif qui était assigné [à la CMF] par le Sommet de Beyrouth, à savoir de procéder à un resserrement des actions, n’a été que très partiellement rempli. Nous sommes un peu mal à l’aise pour dire ce sur quoi devrait porter notre effort de resserrement. Le Cadre stratégique n’est vraiment pas très spécifique sur ce point. Au fond, nous n’avons pas pu y lire véritablement, au-delà de nos quatre axes, ce sur quoi la

548 « Intervention de Son Excellence Madame Marie-Dominique Simonet, ministre des Relations internationales du Gouvernement de la Communauté française de Belgique », in Actes de la 20e session de la CMF (24 novembre 2004), op. cit., p. 127.

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Section 2. Les grands enjeux des actions politiques francophones

Francophonie devra concentrer ses moyens ou son action de façon à en accroître l’impact et à créer des synergies »549. Le document final issu de ces discussions, le Cadre stratégique décennal (2004), reconnait que confrontée aux multiples défis et besoins, « la Francophonie ne peut pas intervenir sur tous les fronts. Elle doit impérativement faire des choix afin d’agir dans les domaines où son expérience et son savoir-faire ainsi que ses capacités réelles peuvent faire la différence et apporter des progrès décisifs grâce à une masse critique suffisante »550.

Enfin, lors des discussions sur les missions politiques de la Francophonie au Sommet de Bucarest (2006), le Gouverneur général de Sainte-Lucie a estimé qu’« il sera nécessaire d’évaluer certaines de nos activités politiques actuelles, notamment l’observation des élections, afin de déterminer la plus-value apportée par l’OIF. Cela devra nous mener à modifier la programmation de la Délégation à la paix, aux droits de l’Homme et à la démocratie, voire même à éliminer certaines activités. Dans le contexte budgétaire critique de l’organisation, nous pensons qu’il n’est pas opportun pour l’OIF d’élaborer des programmes de formation pour les Forces de la paix des Nations unies »551.

Apparemment donc, la volonté politique existe quant au resserrement des activités de la Francophonie pour mieux la faire correspondre à ses moyens limités. Il faut maintenant élargir cette volonté, dégager un nouveau consensus entre les États membres et le traduire en politique et en action. Il s’agit surtout de convaincre les deux plus grands bailleurs de fonds, la France et le Canada. Ces derniers (et aussi certains autres pays) n’ont pas voulu non seulement réduire le mandat de la Francophonie politique, mais ont en plus cherché à étendre ses champs d’action ces dernières années, dans le cadre, en particulier, de la Déclaration de Saint-Boniface et plus récemment dans

549 « Intervention de Son Excellence Monsieur Jean-Pierre Vettovaglia, Ambassadeur auprès de la France, Représentant personnel du Président de la Confédération suisse au CPF », in Actes de la 20e session de la CMF, op. cit., p. 129. 550 « Cadre stratégique décennal de la Francophonie (2005-2014) », in OIF, Actes de la dixième Conférence des chefs d’État et de gouvernement des pays ayant le français en partage (Ouagadougou, 26-27 novembre 2004), Paris, 2005, p. 101. 551 « Intervention de Son Excellence Dame Pearlette Louisy, Gouverneur général de Sainte-Lucie », in OIF, Actes de la onzième Conférence des chefs d’État et de gouvernement des pays ayant le français en partage (Bucarest, 28-29 septembre 2006), Paris, 2007, p. 297.

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celui du renforcement de l’implication de la Francophonie dans les opérations de maintien de la paix (voir supra, chapitre IV, section 1). Aujourd’hui, il est temps de revoir les limites de la Francophonie et de s’occuper de sa capacité réelle de répondre à tous ces enjeux politiques dans l’espace francophone.

Le resserrement des activités de la Francophonie dans ce sentier politique est très étroitement lié à la valorisation de ses atouts, car c’est sur la base de ces derniers que la Francophonie pourra décider quels projets à préserver et quels projets à abandonner. C’est aussi à travers cette opération que la Francophonie pourra apporter une nouvelle contribution aux efforts communs de plusieurs acteurs déployés dans ce domaine. Pour le faire, il est indispensable de procéder à l’évaluation des projets de la Francophonie politique552, à l’instar des évaluations d’autres projets de coopération comme l’IFADEM, les Maisons des Savoirs ces dernières années.

Dans les activités d’accompagnement des processus électoraux, il est important, par exemple, de s’interroger sur les valeurs ajoutées des missions d’observation électorales déployées par la Francophonie depuis 1992. Quels sont aujourd’hui les vrais intérêts pour la Francophonie et pour les pays concernés d’envoyer une dizaine d’observateurs francophones pour observer les élections ou pour des missions d’information et de contacts ? Les résultats les plus visibles de ces missions sont les recommandations formulées pour les futures actions de l’OIF et des pays concernés553. Parmi ces recommandations, on constate une demande constante de l’amélioration des listes électorales pour renforcer la fiabilité des résultats des urnes et réduire les risques de leur contestation par les différents partis politiques. Le renforcement de la fiabilité des listes électorales est d’ailleurs le premier engagement en matière électoral pris par les États membres à Bamako en 2000. Or, en examinant les assistances électorales de la Francophonie depuis 1992, on constate que seulement dans trois fois sur les cent soixante-dix-huit missions à caractère électoral, la Francophonie a apporté une assistance concernant le renforcement des listes électorales (Togo en 1998, Bénin en

552 Sauf peut-être des actions politiques sensibles comme les médiations, très liées à la diplomatie préventive. Cela n’empêche pas pourtant d’y apporter un regard critique interne. 553 On peut trouver une partie de ces recommandations (des missions d’observations et d’information entre 2001 et 2006) sur le site de la DDHDP, http://democratie.francophonie.org/IMG/pdf/tableau_des_recommandations__2006.pdf

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Section 2. Les grands enjeux des actions politiques francophones

2001 et Haïti en 2004)554. Cette question n’est pas alors apparemment une priorité de l’assistance électorale francophone.

Si le resserrement dans ce sentier est absolument nécessaire en ce qui concerne des actions inefficaces et qui apportent peu ou pas du tout de valeurs ajoutées, il est important de noter que le choix des actions de coopération stratégiques doit aller de pair avec une augmentation des moyens mis à disposition de la Francophonie. Car même si la Francophonie arrive à faire des choix stratégiques, les moyens humains et financiers actuels restent encore trop faibles pour pouvoir répondre aux grands besoins de coopération dans l’espace francophone actuellement.

Une augmentation des moyens n’empêche pas de rénover parallèlement l’approche francophone. Mais la rénovation sans moyens n’est pas non plus la solution.

§2. La rénovation de l’approche francophone : vers une meilleure mutualisation des efforts avec la communauté internationale et la mise en place d’une culture d’évaluation des projets du sentier politique

L’accompagnement des processus de transitions, la prévention et la gestion pacifique des conflits, la promotion de la démocratie et des droits de l’Homme, etc. sont des domaines où la Francophonie n’est pas le seul intervenant, de nombreux d’acteurs publics (les organisations internationales et régionales) ou privés (les ONG) y interviennent.

Sur le champ politique africain, le champ d’opération essentiel de la Francophonie depuis ces vingt dernières années, d’autres organisations, régionales ou internationales, ont des atouts que la Francophonie n’a pas, que ce soit sur le plan de la proximité du terrain (pour les organisations régionales comme la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO), l’Union africaine) ou sur le plan des ressources (l’ONU, l’Union européenne) ou encore sur le plan de la dynamisme d’engagement (les grandes ONG). À l’inverse, la Francophonie a des atouts et des valeurs ajoutées qu’elle peut faire valoir dans sa participation aux efforts communs, à savoir le partage d’une langue

554 La liste complète de ces missions et la nature des assistances électorales de la Francophonie sont disponibles sur http://democratie.francophonie.org/IMG/pdf/tableau_de_missions.pdf

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commune, la Francophonie de solidarité, sa culture de dialogue, l’expérience multiple de ses membres, la flexibilité de ses actions, etc.

Un des plus grands enjeux pour la Francophonie est donc, à côté d’un nécessaire resserrement des activités analysé ci-dessus, sa capacité de conjuguer ses efforts communs avec la communauté internationale pour le profit de ses pays membres. La Déclaration de Bamako a d’ailleurs demandé à l’OIF d’« intensifier la coopération avec les organisations internationales et régionales, [de] développer la concertation en vue de la démocratisation des relations internationales et [de] soutenir, dans ce cadre, les initiatives qui visent à promouvoir la démocratie ».

Ce défi n’est pas facile à relever, car chaque acteur impliqué dans ces activités a sa propre politique, sa feuille de route, ses priorités et ses mécanismes de réaction.

Une concurrence d’influence entre ces différents acteurs est inévitable. L’ancien Secrétaire général de la Francophonie, Boutros Boutros-Ghali, lors de la 44e session du CPF en septembre 2002, a déploré que « dans le cas de Madagascar,… les Organisations chargées de conduire une action de médiation ou de facilitation voient parfois nos offres de collaboration comme un facteur de complication ou de concurrence inutile »555. Une telle situation est dommageable pour les pays concernés, ici Madagascar.

En ce qui concerne les missions d’observation électorales déployées par la Francophonie depuis ces vingt dernières années, il n’y a pas eu non plus de concertation renforcée avec les autres organisations. Ainsi, sur les 178 missions déployées entre 1992 et 2010, seules 50 missions ont été faites en partenariat avec d’autres organisations, soit 28% du total556.

Cependant, dans des situations précises, une concertation entre plusieurs intervenants, dont la Francophonie, dans la gestion multilatéralisée des crises et des conflits a eu lieu. Sur le continent africain, des Groupes internationaux de contacts (GIC),

555 « Intervention du Secrétaire général au point 4 : Pratiques de la démocratie, des droits et des libertés dans l’espace francophone : suivi de Bamako », in Rapport général du 44e CPF (10 septembre 2002), p. 5. 556 Presque la totalité de ces partenariats (49 sur 50) a eu lieu durant les missions après 1997. Entre 1992 et 1997, il y a eu une seule mission d’observation dans laquelle la Francophonie a eu un partenariat avec le Commonwealth dans les élections législatives au Cameroun en mai 1997.

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Section 2. Les grands enjeux des actions politiques francophones auxquels participe la Francophonie, ont été créés depuis 2009 pour gérer les crises en Mauritanie, en Guinée et au Madagascar. Ces GIC, malgré les limites, ont pu contribuer à concerter des efforts communs de plusieurs acteurs intervenants dans le suivi et le règlement pacifique de ces crises.

D’autres pistes sont à explorer, notamment en ce qui concerne le fonctionnement du système d’alerte précoce. Depuis début des années 1990, l’ACCT (puis l’OIF) a signé beaucoup d’accords de coopération avec les autres organisations internationales, régionales et celles du système onusien (voir supra chapitre V, section 2). Ces accords prévoient toujours des dispositions concernant le partage des informations et de la documentation. Or, comme déjà évoqués plus haut, la plupart de ces accords ne sont pas effectivement mis en œuvre. Autrement dit, des possibilités de renforcer les concertations francophones avec les autres organisations internationales ne sont pas encore suffisamment explorées.

Toujours sur cette question de l’alerte précoce, outre la coopération avec les organisations intergouvernementales, une coopération renforcée avec l’OING International Crisis Group (groupe international de crises), spécialisée dans la prévention des conflits, bénéficierait aux efforts de la Francophonie dans ce domaine. Avec ses capacités humaines et financières (mentionnées plus haut) et surtout ses champs d’action qui couvrent vingt-six pays francophones, majoritairement en Afrique, cette OING pourrait contribuer, à travers un partenariat ou une autre forme de coopération, à remédier certaines difficultés de l’équipe des chargés de projets de la DDHDP. Pour améliorer la situation politique dans les pays membres, la recherche d’une concertation des efforts avec les autres intervenants (publics et privés) sera toujours beaucoup plus bénéfique que la recherche d’une influence francophone lointaine.

Un autre enjeu essentiel pour la Francophonie dans la rénovation de son approche d’accompagnement politique des pays membres est la création des indicateurs et d’un mécanisme de suivi plus précis pour permettre d’évaluer l’efficacité et les impacts réels de ses projets. On ne peut que constater que dans l’actuelle programmation de l’OIF (2010-2013), presque tous les autres projets ont des indicateurs clairs et chiffrés, et qu’il n’en a aucun pour la mission B « Promouvoir la paix, la démocratie, l’État de droit et

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les droits de l’Homme »557. Certes, les activités touchant des questions politiques sensibles comme la prévention, la gestion et le règlement pacifique des crises sont difficilement mesurables, mais il y a beaucoup d’autres actions francophones dans le cadre de cette mission B qui peuvent faire l’objet d’évaluations. Ainsi, la Francophonie a, par exemple, consacré beaucoup d’efforts depuis début des années 2000 pour la formation de différents acteurs de la vie politique dans les pays membres : les responsables gouvernementaux, les journalistes, les observateurs nationaux, les ONG, les avocats, etc., mais faute d’évaluations et de suivi, on ne peut pas juger les vrais impacts concrets de ces formations.

Le prochain Cadre stratégique décennal (2015-2024) et la prochaine Programmation quadriennale de l’OIF (2015-2018)558 offrent une occasion à la Francophonie pour resserrer ses activités politiques autour des projets ayant vraiment une valeur ajoutée, pour rénover dans le même temps son approche d’accompagnement des pays membres, axée sur un renforcement des coopérations avec les autres intervenants et de se doter d’une culture d’évaluation effective.

557 Dans un document interne de l’OIF en 2010 intitulé Cadre de planification et de suivi des résultats 2010- 2013 de l’OIF, l’organisation a essayé d’introduire des indicateurs et des mécanismes de suivi des projets dans cette mission B. Pourtant, ces indicateurs sont encore trop généraux et le suivi des réalisations n’est pas encore assuré de façon efficace. 558 Pour que la nouvelle programmation de l’OIF corresponde à la période de l’élaboration du nouveau Cadre stratégique décennal (2015-2024), la dernière session du CPF en juin 2012 a donné son accord pour la demande de l’Administrateur de l’OIF de prolonger la programmation actuelle une année de plus.

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CONCLUSION DE LA SECONDE PARTIE

À l’issue de cette analyse, il est devenu clair que la Francophonie ne se limite plus à une organisation de coopération culturelle et technique. L’ambition internationale de la Francophonie s’est progressivement et constamment confirmée depuis la fin des années 1980. Elle a été poussée principalement par l’émergence de sa dimension politique, à travers notamment la création du poste de Secrétaire général de la Francophonie et l’adoption des documents normatifs (la Charte, les Déclarations de Bamako et de Saint- Boniface).

Avec cette poussée politique en même temps avec l’élargissement vers des pays traditionnellement non francophones, la Francophonie commence à avoir sa place reconnue dans les relations internationales contemporaines, et ce, sur deux niveaux :

Au niveau international, l’avantage du partage d’une langue commune et en même temps d’un espace de diversité et de solidarité fait que la Francophonie devient aujourd’hui à la fois un idéal type d’un nouvel ordre mondial multipolaire et une nouvelle force de rassemblement pour la création de ce dernier. Autrement dit, elle représente de nos jours la vision idéale d’un monde multipolaire en formation et d’une mondialisation plus humaniste, basés sur la culture de dialogue, la solidarité et le partage des valeurs communes. En même temps, elle devient un terrain d’essai, un laboratoire de ce nouveau système multipolaire et de cette mondialisation humaniste dans lesquels les pays membres essaient de défendre à la fois leurs propres intérêts et les intérêts communs, sans pour autant utiliser la force, mais plutôt sa « magistrature d’influence », une sorte de puissance douce. La mobilisation réussite de la Francophonie pour l’adoption de la Convention de l’UNESCO sur la promotion et la protection de la diversité des expressions culturelles en 2005 est un exemple clair de sa capacité et de sa force d’influence.

Au niveau interne de l’espace francophone, la Francophonie cherche à s’imposer depuis ces vingt dernières années comme un nouvel acteur et médiateur dans les processus de transitions politiques des pays membres. Dans cette quête, elle dispose de plusieurs atouts dont un engagement politique clair de ces derniers, un suivi systématique de ces engagements, le poids politique important de ses Secrétaires

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généraux et la flexibilité de sa démarche. Mais l’ampleur des problèmes rencontrés par les pays membres, surtout africains, fait que la Francophonie n’a pas de réussites escomptées. Elle commence à avoir des reconnaissances de son implication dans ces questions, mais ses résultats concrets restent encore assez mitigés.

En même temps, l’analyse a permis aussi de souligner des faiblesses et les grands défis actuels de la Francophonie dans sa quête d’une reconnaissance internationale.

Au niveau international d’abord, si la Francophonie a réussi sa mobilisation pour l’adoption de la Convention de l’UNESCO en 2005, c’est largement grâce à un intérêt commun trouvé entre ses membres sur cette question. L’appartenance de ses membres à plusieurs regroupements régionaux et plusieurs espaces linguistiques a eu ensuite un effet de multiplicateur et permis une mobilisation de masse. La Francophonie est alors devenue une fédératrice de forces pour la défense d’une cause commune. Pourtant, la diversité des identités en son sein a constitué et constitue un obstacle pour ses efforts de concertations dans les autres enceintes internationales, notamment dans les négociations sur l’environnement ou sur le commerce international. Dans ces deux domaines, la Francophonie, malgré ses efforts déployés depuis ces vingt dernières années, est apparue très vite comme un acteur de second plan, car ses membres privilégient la défense de leurs intérêts très divers au sein d’autres regroupements de forces, notamment des regroupements régionaux (comme l’ASEAN, l’UE, l’UA) ou des alliances de circonstances. Ces exemples contrastes illustrent la fragilité de la puissance francophone. Sa quête pour devenir un acteur de premier plan est encore loin d’être acquise. Dans ce contexte, un élargissement continu creusera encore cette faiblesse de la Francophonie. Une pause à ce processus s’impose si la Francophonie veut vraiment approfondir son projet et avoir une voix qui compte sur la scène internationale.

Un autre défi de taille pour la Francophonie est sa capacité de donner une suite adéquate à ses efforts de mobilisation. Le combat qu’elle mène pour la diversité culturelle a trouvé une réussite avec l’adoption de la Convention de l’UNESCO en 2005. Mais ce n’était qu’une première étape. L’étape la plus importante reste l’application de cette Convention. Or, la Francophonie n’a pas su créer une nouvelle dynamique sur la base de cette adoption pour renforcer les coopérations francophones, notamment dans

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Conclusion de la seconde partie le renforcement des capacités des pays membres du Sud dans l’élaboration de leurs politiques culturelles et le développement de leurs industries culturelles, condition indispensable pour jouir pleinement des possibilités offertes par la Convention de l’UNESCO.

Quant au niveau interne, l’approche globale actuelle des questions politiques de la Francophonie semble inadéquate avec ses capacités réelles. Avec ses faibles moyens, à la fois humains et financiers, la Francophonie ne peut pas espérer d’avoir un rôle significatif si elle continue de disperser ses actions sur tous les fronts comme actuellement (la prévention, la gestion, le règlement des conflits, la consolidation de la paix et de la démocratie, etc.). Dans un sentier politique aussi vaste, il importe pour la Francophonie aujourd’hui de se concentrer seulement sur les actions dans lesquelles elle a vraiment une valeur ajoutée comme la médiation ou la formation à la politique. Un resserrement des programmes s’impose donc avec parallèlement, une mise en valeur des accords de coopération qu’elle a signés avec les autres organisations pour avoir un effort concerté avec ces dernières. Il faudrait aussi instaurer une culture d’évaluation des projets menés dans ce sentier politique pour pouvoir mesurer les impacts réels de ces derniers. Toutes ces mesures n’empêchent pourtant pas les pays francophones d’augmenter leurs ressources mises à disposition de la Francophonie, car les besoins tant pour la coopération politique que pour la coopération de solidarité dans l’espace francophone sont très loin d’être satisfaits.

Enfin, parallèlement à l’affirmation de cette ambition internationale de la Francophonie et les efforts déployés pour ses réalisations, il est frappant de trouver que la majorité des étudiants des pays francophones (66%), notamment dans le cadre de notre enquête en France et au Vietnam, n’ont pas vu émerger la Francophonie comme un acteur important des relations internationales. Si on considère seulement les réponses des étudiants en France, ce pourcentage atteint 81% des répondants. Cette remarque invite à une réflexion à la fois sur les vrais impacts des actions actuelles de la Francophonie sur la scène internationale, notamment en ce qui concerne les jeunes, mais aussi sur les efforts qu’elle déploie pour faire connaître ses actions.

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Dans un autre regard, les réponses de différentes personnalités francophones lors de nos entretiens montrent une autre réalité. La dimension politique s’affirme tellement dans la conception actuelle de la Francophonie qu’elle prend le pas sur les dimensions traditionnelles de cette organisation, à savoir la solidarité, la diversité culturelle et le dialogue des cultures. Si une Francophonie politique influente est bénéfique pour tous, le constat de sa place prédominante appelle un rééquilibre des actions de la Francophonie pour qu’elle garde toujours sa spécificité, ses fondements, car sans eux, la Francophonie n’est plus elle-même. Elle doit marcher sur ses deux jambes, le volet solidarité ne peut pas être sacrifié au volet politique.

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CONCLUSION GENERALE

L’acteur Francophonie dans les relations internationales contemporaines

La Francophonie a et a eu un parcours atypique. De linguistique et largement coloniale à l’époque d’Onésime Reclus, elle est devenue associative dans les années 1950 et 1960 avec la création de plusieurs associations professionnelles et de solidarité entre les francophones et aussi leurs institutions partout dans le monde. En 1970, les gouvernements francophones ont pris le relais de ce mouvement en créant l’Agence de coopération culturelle et technique (ACCT), un organe de coopération intergouvernementale, marquant ainsi la création de la Francophonie de solidarité. Depuis 1986, la Francophonie poursuit des objectifs politiques avec l’organisation tous les deux ans d’un Sommet des chefs d’État et de gouvernement. Elle a aujourd’hui l’ambition de jouer un rôle d’acteur influent des relations internationales. À chaque étape importante de cette évolution, la Francophonie a su adapter sa structure pour être en phase avec son projet et avec son temps.

Ce travail de recherche s’intéresse à cette dernière étape d’évolution de la Francophonie, c’est-à-dire à son ambition internationale. Nous avons cherché à savoir les raisons et les facteurs qui ont poussé la Francophonie dans cette voie. Nous nous sommes interrogés sur la place réelle qu’elle y occupe aujourd’hui. Il s’est agi enfin de cerner les vrais enjeux et défis de ce rôle d’acteur international et puis de dégager des perspectives et des priorités pour les années à venir.

À l’issue de cette analyse, trois conclusions principales peuvent être dégagées :

Premièrement, la transformation progressive de la Francophonie depuis la fin des années 1980, vers une organisation politique et plus engagée dans les questions politiques internationales est une évolution d’ordre logique, qui répond à la fois au contexte international et surtout aux besoins exprimés par la majorité des pays membres, du Nord comme du Sud.

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Conclusion générale

Le contexte international du début des années 1990 est très marqué par la chute du Mur de Berlin et la fin de la Guerre froide. Le monde est alors entré dans une nouvelle période caractérisée par deux grands phénomènes : la recomposition du système international et l’accélération de la mondialisation libérale.

Certes, la recomposition du système international n’est pas encore terminée même si une tendance vers un nouveau système multipolaire se confirme progressivement, mais plusieurs enjeux mondiaux nécessitent aujourd’hui des solutions multilatérales. Parallèlement à ce phénomène politique, on constate depuis des années 1980, une accélération de la mondialisation libérale. Processus principalement économique dans un premier temps, la mondialisation libérale affecte maintenant de plus en plus d’autres domaines et constitue un défi majeur pour la diversité culturelle et linguistique. Dans ces mutations internationales, de nouvelles concurrences d’influence apparaissent, non seulement politiques, économiques, militaires, mais aussi culturelles et linguistiques.

Par ailleurs, au sein de l’espace francophone, depuis début des années 1990, beaucoup de pays membres du Sud sont entrés dans une nouvelle période de transitions politique (la démocratisation politique) et économique (l’intégration au marché mondial). Les contextes et les difficultés sont différents pour chaque pays, mais ils éprouvent tous un besoin d’accompagnement dans leur démarche. Dans le même temps, dans les pays francophones du Nord comme la France et le Canada, les deux principaux bailleurs de fonds de la Francophonie, un accent particulier a été mis sur l’émergence du nouvel ordre mondial multipolaire dans lequel ils peuvent trouver leur place. Par ailleurs, ces deux pays ont accordé une place importante dans leur politique extérieure à la nouvelle « idéologie » mondiale : la promotion de la démocratie et des droits de l’Homme.

Dans ces nouveaux contextes internes et internationaux, les pays francophones ont logiquement voulu favoriser l’émergence d’une Francophonie politique, plus engagée dans les questions politiques tant à l’international qu’au sein des membres. Chaque pays a vu naturellement dans l’émergence de la Francophonie politique un moyen pour satisfaire ses propres intérêts d’ailleurs très divers, mais aussi un levier pour défendre les intérêts communs, à savoir, l’émergence d’un monde multipolaire et d’une alternative à la mondialisation libérale, plus humaniste et plus soucieuse des valeurs de diversité et de solidarité. 328

L’acteur Francophonie dans les relations internationales contemporaines

Deuxièmement, cette évolution vers la Francophonie politique a changé profondément la nature du projet francophone. À force de jouer le jeu politique international, au cours de vingt dernières années, la Francophonie a accéléré son élargissement vers des pays qui ne sont pas ou peu francophones. Simultanément, elle est devenue plus exigeante en ce qui concerne les questions politiques internes des pays membres, surtout depuis l’adoption de la Déclaration de Bamako en 2000 et de la Déclaration de Saint-Boniface en 2006. Ces évolutions ne sont pas sans conséquence. Elles ont créé de nouvelles « tensions » au sein de la Francophonie et constituent un risque pour la cohérence interne de l’organisation.

Certes, officiellement la Francophonie est toujours aujourd’hui une organisation des pays « ayant le français en partage », mais en réalité, l’affirmation n’est réellement vraie que pour une partie seulement des pays membres. Les préoccupations de chacun ne sont plus les mêmes en ce qui concerne la langue française. Si les pays ayant le français comme langue officielle ou d’usage ont un vrai intérêt à promouvoir l’utilisation de cette langue aux différents niveaux, pour les autres pays « moins francophones », cela n’est pas et de loin leur première priorité, cette dernière réside plutôt dans des questions politiques et stratégiques.

Ainsi, quand il s’agit de l’adoption des déclarations ou de l’organisation des événements en faveur de la langue française au sein de la Francophonie, il n’y a pas de problème de consensus. Mais quand il s’agit de mettre en œuvre une politique de promotion de cette langue, c’est autre chose. On le voit bien à travers l’application du Vade-Mecum sur l’usage du français dans les organisations internationales. En 2011, dans un guide pratique de mise en œuvre du Vade-mecum, l’OIF a constaté que : « quatre ans après l’adoption du Vade-mecum, au Sommet de Bucarest (2006), le bilan de son impact reste en demi-teinte… Aucun État ne s’est, jusqu’à présent, doté de réels moyens de mise en œuvre des principes du Vade-mecum. Aucune nouvelle circulaire, instruction ou recommandation spécifiquement dédiée au Vade-mecum n’a été signalée depuis l’adoption de ce dernier, et son existence même est souvent ignorée par les représentants des États et gouvernements censés l’appliquer »559. Si la promotion du français n’est plus la priorité de

559 Organisation internationale de la Francophonie, Guide pratique de mise en œuvre du Vade-mecum, Paris, Nathan, 2011, pp. 5-6.

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Conclusion générale tous ses États membres, la Francophonie n’est plus vraiment un « espace linguistique » dans le sens initial du terme. Autrement dit, le projet francophone semble avoir changé sa nature, qu’on veuille le reconnaître ou non, pour devenir une autre réalité.

Par ailleurs, avec l’accélération de sa dimension politique, la Francophonie est devenue plus exigeante vis-à-vis des États membres dans leurs différentes questions politiques internes. Elle va même à appliquer des « sanctions » en cas du non-respect de certains de ses principes démocratiques. Elle est, par conséquent, sortie de son cadre traditionnel d’un espace de coopération et de solidarité fondée sur la concertation et le consensus.

L’adoption des Déclarations de Bamako, par exemple, n’a pas fait l’objet d’un consensus francophone560. Plusieurs pays ont mis des réserves sur certains articles de cette Déclaration561, et les négociations au sein de la Francophonie pour la mettre en œuvre n’ont pas été faciles562.

Les discussions en vue de l’organisation de la Conférence de Saint-Boniface (2006) sont un autre exemple. Cette conférence a mis l’accent sur la prévention des conflits et la sécurité humaine et s’est intéressée, en particulier, à la notion de « responsabilité de protéger », une notion qui était toujours en cours de débat à l’ONU au moment de la tenue de cette conférence. A la veille de cette conférence, plusieurs délégations francophones avaient d’ailleurs souligné leur inquiétude sur certains sujets, notamment

560 La Tunisie, par exemple, s’est interrogée sur la légitimité de la Francophonie d’émettre des « sanctions » contre ses États membres. 561 C’est le cas du Laos, de la Tunisie et du Vietnam. 562 Voir notamment les discussions difficiles au sein du CPF entre 2000 et 2002 pour l’élaboration de la note fixant les modalités de la mise en œuvre de la Déclaration de Bamako (adopté par la 42e session du CPF en septembre 2001) et puis le plan d’action de cette déclaration (adopté par le Sommet de Beyrouth en octobre 2002). On peut citer parmi les sujets qui n’ont pas eu de consensus la proposition de la mise en place d’un Comité consultatif restreint au sein du CPF dans le cadre du suivi de la mise en œuvre du chapitre V de la Déclaration de Bamako. La solution finale a été de donner au Secrétaire général de la Francophonie la possibilité de créer s’il l’estime nécessaire, en cas d’urgence (comme après les coups d’État), un Comité consultatif restreint ad hoc. Ce n’est donc pas d’un organe permanent.

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L’acteur Francophonie dans les relations internationales contemporaines sur l’impossibilité d’avoir à leur égard un consensus francophone ou sur le risque de la création de tensions au sein de la Francophonie563.

Certes, l’affirmation des principes universels est nécessaire pour montrer la volonté politique des États membres, mais cette affirmation met obligatoirement à mal le caractère consensuel et solidaire francophone qui est un des fondements de l’organisation. On constate ensuite que malgré la reconnaissance de ces principes, leur mise en place est souvent particulièrement difficile.

Troisièmement, la Francophonie commence néanmoins à être reconnue aujourd’hui comme un nouvel acteur des relations internationales. Cette reconnaissance est réelle tant sur la scène internationale qu’au niveau interne de l’espace francophone. Cependant, elle ne joue pas un rôle de premier plan sur ces deux scènes. De plus, elle doit aujourd’hui, relever plusieurs défis qui, pour beaucoup, conditionnent son action future dans ce sentier politique.

Sur la scène internationale, la Francophonie représente aujourd’hui une vision idéale des relations internationales, celle d’un monde multipolaire, d’une mondialisation plus humaniste et d’un monde dans lequel la résolution des conflits se fait par le dialogue et la solidarité ou d’autres voies pacifiques. Cette vision séduit, comme le montrent notamment les demandes d’adhésion à la Francophonie sommet après sommet depuis début des années 1990.

563 Lors de la 59e session du CPF (06/04/2006), l’Egypte a souligné l’impossibilité d’arriver à un consensus francophone sur un sujet comme la sécurité humaine et a mis en garde contre le risque de créer des divisions au sein de la Francophonie. La France a aussi exprimé quelques craintes s’agissant d’aborder des sujets traités dans le cadre onusien, en particulier dans la perspective de les intégrer dans le programme d’action de la Conférence. La Suisse, quant à elle, a souligné la nécessité de ne pas donner plus de mandats à la Francophonie, surtout dans le contexte où le dispositif de Bamako n’a pas encore été entièrement exploité et compte tenu du manque de ressources financières. Devant ces mises en garde, la Déclaration de Saint-Boniface n’a pas fait l’objet d’un plan d’action spécifique, donc pas de suivi systématique comme la Déclaration de Bamako. Elle reconnait certains principes quant à la responsabilité de protéger mais ce sont des principes qui été exprimés à l’ONU en 2005.

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Conclusion générale

Il est clair que dans la pratique, la Francophonie commence à exercer une sorte de puissance douce que son Secrétaire général appelle une « magistrature d’influence ». L’exemple le plus souvent cité est sa mobilisation réussie pour l’adoption de la Convention de l’UNESCO sur la promotion et la protection de la diversité des expressions culturelles en 2005. Par ses pratiques diplomatiques (canal de diversification des relations internationales des pays membres, de demande de soutien pour les candidatures nationales dans les autres enceintes internationales, de concertation dans les grandes négociations internationales, etc.), la Francophonie est devenue aujourd’hui en quelque sorte un laboratoire du nouveau système multilatéral en formation.

Au niveau interne de l’espace francophone, la Francophonie s’impose de plus en plus comme un acteur et un interlocuteur important dans la prévention, la gestion et le règlement pacifique des crises et des conflits. Elle a su développer une approche francophone fondée sur le dialogue, la capacité d’écoute et la flexibilité de la démarche. Les interventions de médiation de son Secrétaire général dans le cadre de différents crises et conflits dans l’espace francophone sont appréciées par les pays membres. Mais, face à l’ampleur des questions politiques en Afrique, champ d’action essentiel de la Francophonie, force est de constater que les résultats obtenus par la Francophonie dans ce sentier politique restent encore assez mitigés, des exemples concrets manquent pour appuyer et étayer le bilan de ses actions.

Cependant, malgré cette reconnaissance de son rôle, la Francophonie n’occupe pas encore le devant de la scène politique, que ce soit interne ou internationale. Certes, comme déjà dit, son rôle est indéniable dans la mobilisation pour l’adoption de la Convention de l’UNESCO en 2005. Mais elle a réussi cette mission largement grâce à un consensus relativement « acquis » au sein de ses pays membres ainsi qu’au sein de la communauté internationale sur la promotion et la défense de la diversité des expressions culturelles. Elle s’est servie de ce consensus comme d’un moyen pour fédérer les efforts de ses membres564. Sa tâche était donc dans ce cas « moins difficile »

564 Avant la saisie par la Francophonie du dossier de la Convention de l’UNESCO sur la protection et de la promotion de la diversité culturelle, la France et le Québec ont déjà commandé une étude sur la faisabilité d’un tel instrument juridique, dans le cadre de leur coopération bilatérale sur la diversité culturelle depuis

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L’acteur Francophonie dans les relations internationales contemporaines comparée aux activités de concertation qu’elle organise au sein d’autres organisations internationales, notamment celles sur l’environnement. Dans ce cadre des négociations environnementales, malgré les efforts de la Francophonie depuis début des années 1990, un rapport d’évaluation externe en 2004565 a souligné que la Francophonie, compte tenu d’une très grande diversité d’appartenance régionale en son sein, ne peut pas constituer un groupe de négociation, qu’il soit formel ou informel. Elle ne peut, en aucun cas, définir un « intérêt francophone » à défendre dans ces négociations, contrairement à d’autres groupes régionaux (comme l’Union européenne, l’ASEAN ou l’Union africaine) ou d’autres alliances de circonstance. Sa place dans ce cadre de négociation est très clairement secondaire. Elle joue davantage un rôle de soutien, d’accompagnement des délégations francophones qu’un rôle d’acteur ou de mobilisateur.

Au niveau interne à l’espace francophone, une des mesures essentielles de la Déclaration de Bamako est la capacité de la Francophonie d’appliquer des « sanctions » contre les pays membres qui ont violé les principes démocratiques. Plus de dix ans après l’adoption de cette Déclaration, force est de constater que la mise en place de ces « sanctions » francophones est presque sans effets sur les États concernés, notamment dans les cas de coup d’État, car la Francophonie n’a pas le pouvoir du Conseil de Sécurité et les impacts économiques de ses « sanctions » n’ont que peu de conséquences. Ces mesures ne peuvent avoir un certain poids politique qu’au cas où d’autres organisations régionales et internationales appliquent la même sanction, ce qui réduit relativement l’importance de la décision francophone.

Aujourd’hui, plusieurs défis restent donc à résoudre pour renforcer le rôle et la place de la Francophonie en tant qu’acteur des relations internationales.

1998. L’étude a été réalisée en avril 2002 par Ivan Bernier de l’Université de Laval (Québec), en collaboration avec Hélène Ruiz Fabri de l'Université de Paris I –Panthéon Sorbonne (France). 565 Organisation internationale de la Francophonie, Rapport d’évaluation externe de la démarche de concertation francophone en environnement, op. cit.

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Conclusion générale

Il s’agit d’abord d’un défi de resserrement de ses actions politiques et de valorisation de ses atouts. En effet, depuis ces vingt dernières années, la Francophonie aborde les questions politiques dans l’espace francophone avec une approche globale. Elle s’intéresse à la fois à la prévention, à la gestion et au règlement des conflits. Elle intervient en même temps dans la consolidation et le maintien de la paix. Elle accompagne ses États membres dans la consolidation de la démocratie, de l’État de droit, et dans la protection des droits de l’Homme. Autrement dit, elle s’attaque plusieurs problèmes en même temps de façon assez dispersée. En plus, ses priorités ne sont pas vraiment bien ciblées. Elle envoie très souvent des missions à caractère électoral (missions d’information et de contacts, missions d’observation) qui ont très peu de valeurs ajoutées par rapport à celles d’autres organisations comme l’ONU ou l’Union européenne. Ceci, alors qu’elle tarde à intervenir dans une question essentielle comme le soutien à l’établissement des listes électorales fiables, le premier engagement pris par les États francophones à Bamako en ce qui concerne les élections566. Au-delà de ses interventions dans les médiations pour prévenir ou régler des conflits, c’est justement en apportant son soutien dans cette question des listes électorales qu’elle pourra valoriser ses valeurs ajoutées par rapport aux autres acteurs.

Il s’agit ensuite d’un défi de rénovation de l’approche francophone dans ce sentier politique. Dans un sentier aussi vaste et complexe comme la consolidation de l’État de droit, la promotion de la démocratie ou la prévention et le règlement pacifique des conflits, la concertation des efforts francophones avec les autres intervenants publics et privés devient un enjeu essentiel. La Francophonie a signé avec beaucoup d’autres organisations internationales et régionales des accords de coopération. Ces accords prévoient notamment le partage des informations et de la documentation. Or, aujourd’hui ils ne sont pas encore suffisamment exploités, sauf l’accord avec le Haut- Commissariat des Nations Unies aux droits de l'homme (HCDH) qui a fait récemment

566 Cent soixante-dix-sept missions à caractère électoral ont été déployées par la Francophonie entre 1992 et 2010. Trois seulement de ces missions ont apporté une assistance concernant le renforcement des listes électorales. Après chaque mission d’observation électorale, les délégations de la Francophonie font un rapport avec notamment des recommandations pour améliorer la qualité des futures élections dans les pays concernés. Une des recommandations les plus souvent formulées par ces différentes missions d’observation de la Francophonie est justement le renforcement de la fiabilité des listes électorales.

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L’acteur Francophonie dans les relations internationales contemporaines l’objet d’une coopération renforcée. Parallèlement, un renforcement des coopérations avec d’autres OING travaillant dans le domaine de prévention des conflits comme le International Crisis Group (ICG) contribuerait à pallier certaines difficultés de l’OIF dans cette question, notamment dans la collecte et l’analyse des informations.

Un autre grand défi dans l’approche francophone des questions politiques concerne sa capacité d’élaborer des projets mesurables avec des indicateurs clairs afin d’en évaluer les résultats et les impacts réels. Aujourd’hui, malgré une introduction progressive de la culture d’évaluation dans les projets de coopération de la Francophonie depuis la fin des années 1990, aucun projet francophone dans la mission B « Promouvoir la paix, la démocratie et les droits de l'Homme » du Cadre stratégique décennal n’a fait l’objet d’une évaluation. Faute d’indicateurs précis, il est aujourd’hui impossible d’évaluer objectivement des actions importantes que la Francophonie a mises en place depuis ces dernières années dans l’espace francophone comme la formation à la démocratie et aux droits de l’Homme ou l’assistance électorale.

Le dernier grand défi de la Francophonie politique aujourd’hui, c’est d’avoir plus de moyens à ses actions. En 2011, le budget de programme de l’ensemble de la mission B « Promouvoir la paix, la démocratie et les droits de l'Homme » n’est que de 10,5 millions d’euros, c’est apparemment très peu par rapport aux actions menées par l’OIF dans ce domaine. La même situation est constatée dans la mission A « Promouvoir la langue française, la diversité culturelle et linguistique » où faute de moyens suffisants, la Francophonie n’a pas pu mettre en place un projet important pour soutenir les politiques culturelles et les industries culturelles des pays francophones du Sud après l’entrée en vigueur en 2007 de la Convention de l’UNESCO sur la promotion et la protection de la diversité des expressions culturelles. La « victoire » francophone dans l’adoption de cette Convention n’est donc qu’une demi-victoire, car l’aspect le plus important d’une Convention internationale est justement sa mise en œuvre. Or, la majorité des pays francophones n’ont pas de moyens adéquats pour jouir pleinement des possibilités offertes par cette Convention, surtout lorsque les pressions de l’extérieur sur leur politique culturelle sont fortes et constantes567.

567 Voir par exemple les analyses du bulletin « Accords bilatéraux et diversité culturelle », disponible sur http://www.ieim.uqam.ca/spip.php?page=mot-ceim&id_mot=199. C’est un bulletin d’information

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Conclusion générale

Plus généralement d’ailleurs, la Francophonie qu’elle soit politique ou de solidarité n’a pas de moyens de mener une action visible, levier et efficace. Certes, le resserrement des activités est indispensable en ce qui concerne des projets n’ayant pas une valeur ajoutée claire, et la rénovation de l’approche francophone permettra de mieux apprécier ses actions, mais ce n’est pas une raison de plus pour resserrer sans cesse le budget francophone. Au contraire, une augmentation des moyens mis à disposition de la Francophonie est plus que nécessaire, vu l’importance des besoins.

Face aux différents défis analysés ci-dessus, des questions se posent aujourd’hui quant à l’avenir et aux nouvelles perspectives de la Francophonie en tant qu’acteur des relations internationales. L’élaboration en cours du prochain Cadre stratégique décennal de la Francophonie (2015-2024) lui offre une occasion unique pour le faire.

mensuel soutenu par l’OIF pour assurer une veille informationnelle portant sur les initiatives états- uniennes en matière de négociation d’accords commerciaux bilatéraux.

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Les nouvelles perspectives pour l’acteur Francophonie de demain

« Comment voulez-vous engendrer la démocratie, un principe de représentation nationale avec la participation de nombreux partis, organiser le choc des idées, les moyens de la presse, tandis que les deux tiers d'un peuple vivent dans la misère »568. Plus de vingt ans après le discours de la Baule qui a marqué le processus de la démocratisation en Afrique, cette remarque de l’ancien Président de la République française, François Mitterrand, sur le lien entre la démocratie et le développement garde toujours sa pertinence. De même, pour l’ancien Président du Sénégal et actuel Secrétaire général de la Francophonie, Abdou Diouf, cité par le Président français dans le même discours, « il n’y a pas trente-six chemins vers la démocratie : il faut un État, il faut le développement et il faut l'apprentissage des libertés »569.

Pour la Francophonie aussi, l’action pour la consolidation de la démocratie et de l’État de droit doit se baser sur le développement et l’apprentissage des libertés, ce qui implique un renforcement de l’économie des pays membres et de leur système éducatif. Car, c’est l’économie équitable qui permet d’assurer au mieux les droits fondamentaux des citoyens et c’est l’éducation qui les permet d’approprier effectivement la démocratie et, plus important, de contribuer à la construire. Avec ces deux dimensions, la démocratie devient « utile » pour toute la population et non pas seulement pour la classe d’élite au pouvoir.

C’est à partir de ces deux chantiers de l’économie et de l’éducation qu’il faut envisager les perspectives nouvelles de la Francophonie en tant qu’acteur effectif des relations internationales. Il faut ajouter que plus généralement la Francophonie ne doit pas négliger son volet solidarité, car c’est celui-ci qui donne sa spécificité et sa force au volet politique francophone.

En ce qui concerne le volet éducatif, il s’agit ici d’une des premières préoccupations de la Francophonie depuis le début de son projet. La Conférence des ministres de l’Éducation nationale (CONFEMEN) qui est la première organisation

568 François Mitterrand, « Discours de La Baule » (La Baule, le 20 juin 1990). 569 Idem.

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Conclusion générale intergouvernementale francophone a été mise en place dès 1960. Par ailleurs, deux opérateurs directs de la Francophonie travaillent exclusivement sur le domaine de l’enseignement supérieur et de la recherche. Il s’agit d’une part de l’Université Senghor d’Alexandrie dans l’offre des formations de troisième cycle pour le développement de l’Afrique ; et d’autre part, de l’Agence universitaire de la Francophonie (AUF) qui depuis 1961 travaille pour l’excellence et le renforcement des coopérations interuniversitaires francophones. Pour l’éducation de base et la formation professionnelle, c’est l’OIF qui, à travers sa Direction de l’Éducation et de la formation (DEF), met en place les programmes de coopération.

Dans l’ensemble, l’éducation, la formation, l’enseignement supérieur et la recherche constituent le poste budgétaire le plus important de la Francophonie avec près de 50 millions d’euros par an570. Mais cette somme vient essentiellement du budget de l’AUF qui est de plus de 40 millions d’euros en 2008. La part gérée par l’OIF pour l’ensemble de ses programmes de coopération dans l’éducation de base et la formation professionnelle est donc inférieure à dix millions d’euros. C’est évidemment notoirement insuffisant vu les besoins de coopération dans ce domaine.

Le tableau 1 (supra chapitre I, section 2) montre que malgré les efforts de plusieurs acteurs (publics et privés) depuis ces dernières décennies, le taux d’alphabétisation des adultes (le pourcentage des personnes âgées de 15 ans et plus qui peuvent comprendre, lire et écrire de courts énoncés au sujet de leur vie quotidienne) ne dépasse pas 50 % dans nombre de pays francophones ; ce qui implique de faire un effort supplémentaire pour améliorer le système éducatif dans ces pays.

Depuis 2007, l’OIF copilote avec l’AUF, en partenariat avec d’autres acteurs, le programme IFADEM (Initiative francophone pour la formation à distance des maîtres). Il s’agit d’un programme qui vise à améliorer les compétences des enseignants du primaire via un dispositif de formation continue innovant, combinant des séances de formation à distance et des regroupements des enseignants pendant les vacances scolaires. Testé dans une première phase dans quatre pays (Bénin, Burundi, Haïti et Madagascar), le programme va maintenant s’étendre à d’autres pays francophones dans

570 À côté de TV5Monde qui a un budget de plus de 90 millions d’euros.

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Les nouvelles perspectives pour l’acteur Francophonie de demain une deuxième phase, notamment la République démocratique du Congo, le Liban et le Niger.

Les évaluations favorables de la période d’expérimentation de ce projet sont encourageantes pour une généralisation dans les autres pays où les besoins sont clairement exprimés. Ainsi, aujourd’hui dix-huit pays francophones souhaitent faire partie de ce programme.

Mais le frein principal à l’extension d’IFADEM est avant tout ses moyens financiers. Il faut donc trouver d’autres sources de financement pour consolider et étendre le projet, vu les ressources limitées de la Francophonie. À ce propos, la subvention obtenue en 2011 de l’Agence française de Développement (AFD) d’un montant de quatre millions d’euros à ce programme est à souligner, et c’est un exemple à multiplier.

Dans une perspective plus large, le groupe travail sur le multilinguisme mis en place par le Secrétaire général de la Francophonie, le Président Abdou Diouf et dirigé par Christian Philip a proposé de créer dans les années à venir au sein de la Francophonie un opérateur pour l’éducation, une Agence francophone de l’Éducation (AFE) ou pour le moins une Fondation francophone pour l’éducation donc le capital serait fourni par les Entreprises francophones et les États et gouvernements, relayant ainsi la proposition de Michel Guillou571. Il s’agit par cette ou ces créations d’affirmer la priorité de la Francophonie pour l’éducation.

Concernant le développement économique, le tableau 1 (supra chapitre I, section 2) montre clairement la situation économique actuelle des pays francophones. En 2010, dans l’espace francophone, cinquante-trois sur soixante-douze pays membres sont dans le groupe des économies en développement. La Francophonie est donc majoritairement composée de pays pauvres.

Devant cette situation, la nécessité de renforcer le volet économique de la Francophonie a été plusieurs fois soulignée572. Les réflexions sur les potentialités

571 Michel Guillou, Francophonie-Puissance, op. cit. 572 Dans les discours officiels des États et gouvernements membres, dans les différents colloques organisés depuis ces vingt dernières années, notamment ceux dans le cadre des activités de l’IFRAMOND, dans les publications anciennes et récentes sur la Francophonie, etc. Au cours même de nos entretiens

339

Conclusion générale

économiques de l’espace francophone ont été menées très tôt573. Et, les propositions concrètes pour renforcer le volet économique francophone ne manquent pas574.

Dans la pratique, la Francophonie s’intéresse à cette problématique de développement quasiment depuis son origine. On peut noter, par exemple, la création du Programme spécial de développement (PSD) en 1975 ou la création du Forum Francophone des Affaires (FFA) en 1987. Le Sommet de Maurice en 1993 soulignait le lien essentiel entre la démocratisation et le développement, tandis que le thème principal du Sommet de Hanoi de 1997 a été le renforcement de la coopération économique dans l’espace francophone. Ce Sommet de Hanoi a décidé de réunir une première conférence des ministres francophones de l'Économie en 1999 à Monaco, malheureusement restée sans suite. Plus récemment, depuis début 2012, l’OIF a développé un Programme francophone d’appui au développement local (PROFADEL) qui remplace les différents projets de développement précédents575.

Mais jusqu’aujourd’hui, la majorité des propositions en vue de renforcer la Francophonie économique n’ont pas été mises en œuvre, et les réalisations de l’OIF restent dispersées dans de petits projets de développement576. Cette situation est en partie due au fait que les pays francophones n’ont pas donné suite aux diverses propositions et n’ont pas affirmé une volonté claire sur le volet économique. Depuis le Sommet de Hanoi, aucun autre Sommet n’a été consacré à cette question fondamentale.

avec les différentes personnalités francophones, tous ont souligné cette nécessité du volet économique, même si l’approche de chacun est différente. 573 , L’espace économique francophone, Paris, Ellipses, 1996. 574 Voir par exemple le dernier ouvrage de Trang Phan-Labays et Michel Guillou, op. cit., pp. 280-290, qui propose la création d’un outil comparable à la SODEC (Société de développement des entreprises culturelles) pour soutenir les industries culturelles des pays francophones, et ainsi donner sens à la victoire de la Francophonie dans la mobilisation pour l’adoption de la Convention de l’UNESCO sur la diversité culturelle en 2005. Deux premières Rencontres internationales de la Francophonie économique (RIFE en 2008 et 2012) ont émis aussi des propositions, notamment la création d’un pôle de développement et d’animation économique en tant qu’organe subsidiaire de l’OIF. 575 Il s’agit du Programme spécial de développement (PSD, 1975), du Programme d’appui au développement local (PADL, 2000) et du projet Économie de proximité (2002). 576 OIF, Bilan sur de la contribution de l’OIF dans la mise en œuvre du Cadre stratégique décennal de la Francophonie 2005-2014, op. cit. p. 133.

340

Les nouvelles perspectives pour l’acteur Francophonie de demain

Ces derniers temps, un regain progressif d’intérêt à cette question économique a été constaté. Le Conseil permanent de la Francophonie vient d’adopter en juin 2012 un document portant sur les « Éléments d’une démarche francophone de développement de la coopération tripartite »577 en vue d’une adoption au Sommet de Kinshasa (octobre 2012)578. Il s’agit d’un document élaboré sous l’impulsion de différents pays (le Vietnam, la Centrafrique, la Tunisie, le Maroc, le Sénégal) et aussi de membres du bureau de la Commission économique du CPF (le Burundi, la Mauritanie et la France).

Ce document définit certains principes pour la démarche francophone, notamment une appropriation par le pays bénéficiaire du programme (à travers par exemple une stratégie nationale de coopération tripartite) ou l’harmonisation et la convergence des cadres d’intervention dans un souci d’efficacité d’action. Les principaux axes d’intervention de l’OIF sont aussi fixés. Il s’agit notamment de mettre l’accent sur l’information et la sensibilisation des pays membres de cette problématique de coopération tripartite, la facilitation de la mise en relation et l’accompagnement de la mise en réseau, la mobilisation des partenaires, la formation et le renforcement des capacités des acteurs impliqués dans cette coopération et enfin la mobilisation des opérateurs de la Francophonie et de l’APF sur cette question.

Ce nouveau pas de la Francophonie pour renforcer la coopération économique entre les pays membres constitue un bon signe. Il faudrait maintenant dans la perspective du prochain Cadre stratégique décennal (2015-2024), saisir les deux prochains Sommets (Kinshasa 2012 et le Sommet de 2014) pour entériner cette nouvelle volonté francophone et pour élaborer une vraie stratégie économique pour la Francophonie fédérant les différents acteurs francophones publics et privés. Dans cette

577 CPF, « Éléments d’une démarche francophone de développement de la coopération tripartite », document adopté à la 85e session du CPF le 28 juin 2012. 578 Selon la définition du document du CPF cité ci-dessus, le concept de coopération tripartite renvoie à plusieurs formes de coopération : intergouvernementale (entre trois États Nord-Sud-Sud ou Sud-Sud- Sud) ; régionale (entre une organisation régionale du Nord et une organisation régionale du Sud par l’intermédiaire d’un pays du Nord ou du Sud) ; mixte Nord-Sud (entre un État du Nord et un ou plusieurs États du Sud et un organisme international) ; mixte Sud-Sud (entre deux pays du Sud et un organisme international ou non gouvernemental) ; décentralisée (entre les collectivités locales des trois pays du Nord et du Sud).

341

Conclusion générale démarche, on peut prévoir par exemple la création d’une Agence francophone de développement ou d’une Banque francophone de développement579, chargées de la mise en place de la Francophonie économique.

Il s’agit ici d’une démarche primordiale de la Francophonie, car comme l’ont remarqué Duong Van Quang et Michel Guillou, la construction d’une francophonie économique est directement liée à la « survie » de la Francophonie dans son ensemble580.

La Francophonie émerge donc aujourd’hui comme un nouvel acteur des relations internationales. Mais cette reconnaissance n’est qu’un début, car elle a encore beaucoup de défis à relever pour s’affirmer davantage sur la scène internationale. Et un de ses grands défis est d’être utile pour les peuples des pays membres. Pour ce faire, rien ne sera possible sans un effort fort, ciblé sur l’éducation et l’économie.

Mais, plus généralement, c’est l’avenir de la Francophonie dans son ensemble en tant qu’union géoculturelle et pôle d’influence dans la mondialisation multipolaire qui est en cause581. Trois traits essentiels la caractérisent : une langue partagée, le français qui fonde son aptitude au dialogue ; des valeurs en commun dont tout particulièrement la solidarité ; et le codéveloppement. Les trois volets de la Francophonie, politique, solidarité, développement, ne peuvent être séparés sans prendre le risque d’affaiblir l’ensemble, voire de le faire mourir. Autrement dit, vouloir que la Francophonie évolue vers une organisation seulement politique, c’est-à-dire vers une vraie organisation politique, en abandonnant les autres volets est dangereux. Le risque d’explosion, de mort brutale serait alors réel. Les pays francophones se rallieraient à leurs ensembles régionaux : les pays européens à l’UE, les pays africains entièrement à l’UA et les pays asiatiques à l’ASEAN. Ceci, même si la Francophonie se voyait dans le même temps confier des missions précises par l’ONU. Encore faudrait-il aussi que les autres volets ne soient pas marginalisés au profit du volet politique, ce qui suppose de la part de l’OIF une réflexion quant à son organisation et ses modes d’action.

579 Michel Guillou, Francophonie-Puissance, op. cit. 580 Propos recueillis lors de nos entretiens avec ces deux professeurs dans le cadre de cette thèse. 581 Le texte qui suit doit beaucoup aux discussions sur ce sujet avec les Professeurs Duong Van Quang et Michel Guillou.

342

Les nouvelles perspectives pour l’acteur Francophonie de demain

Un autre scénario est celui de la mort lente de la Francophonie. Dans ce cas, d’ailleurs le plus probable, la Francophonie reste en l’état avec quelques réadaptations exigées par le contexte international et interne de l’espace francophone. Ambiguë, sans ambition ni moteur politique de la part des États membres et sans moyens et pire encore avec des moyens qui s’effilochent de Sommet en Sommet, la Francophonie continue d’être comme aujourd’hui, certes, une communauté organisée, mais sans force, sans âme, sans rôle de premier plan et incapable de générer un quelconque sentiment d’appartenance ni de créer du vivre ensemble politique, social, médiatique, économique ou encore éducatif. Ce scénario a l’avantage de donner du temps à la Francophonie pour redevenir conquérante avec le risque néanmoins d’un enlisement irréversible. Il faut donc tout faire pour rompre, si possible au Sommet de Kinshasa en octobre prochain et en tout cas, au plus tard, au Sommet de 2014, avec le consensus mou actuel qui semble accepter la lente descente vers l’inutile, et qui conduit à une banalisation et à la mort lente de la Francophonie en tant que puissance d’influence.

Le scénario qu’il s’agit maintenant de faire émerger c’est celui d’une Francophonie conquérante qui, valorisant ses acquis en termes à la fois d’organisation et de réflexion, assume pleinement, en s’en donnant l’ambition et les moyens, son rôle de pôle géoculturel dans la mondialisation. C’est une rupture en termes de vision et d’action qui est proposée. Il s’agit, certes, de conforter la Francophonie politique en lui donnant de la part de l’ONU des missions spécifiques et en approfondissant son engagement pour la diversité culturelle et linguistique en particulier par un combat acharné, sans retour pour le multilinguisme, mais aussi, parallèlement, en apportant un soutien renouvelé et sans précédent à ses volets solidarité et développement. Osons dire que la Francophonie politique n’a un avenir que si les chantiers de solidarité et de développement la portent. Que les politiques gardent aussi en mémoire la nécessité pour maintenir la Communauté francophone rassemblée de la rendre utile aux populations et de faire en sorte qu’elle soit le lieu où se développent des niches de vivre ensemble qui suscitent l’appartenance. Osons dire, dans cette optique, que l’affirmation de la Francophonie comme acteur des relations internationales implique la réussite des chantiers de l’éducation et de la Francophonie économique.

343

ANNEXES

Annexe 1 : Les dix objectifs de principe des délégations des États membres et observateurs de l’OIF auprès des Nations Unies à New York ...... 347

Annexe 2 : Extrait du Règlement intérieur du Groupe des Ambassadeurs francophones à Genève ...... 349

Annexe 3 : Concertation ministérielle de la Francophonie à 15e Conférence des parties (COP 15) de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (Copenhague, décembre 2009) ...... 351

Annexe 4 : La Convention de l’UNESCO sur la promotion et la protection de la diversité des expressions culturelles ...... 357

Annexe 5 : La Déclaration de Bamako (2000) ...... 383

Annexe 6 : La Déclaration de Saint-Boniface (2006) ...... 393

Annexe 7 : Résultats de l’enquête auprès des étudiants en Science politique en France et au Vietnam sur la Francophonie et la mondialisation ...... 407

Annexe 8 : Liste des entretiens ...... 421

345

Annexe 1 : Les dix objectifs de principe des délégations des États membres et observateurs de l’OIF auprès des Nations Unies à New York

Les délégations auprès des Nations unies à New York des États ayant le français en partage, réunies sous les auspices de l’OIF, réaffirment leur attachement à la promotion de la langue française à l’ONU autour des dix objectifs suivants :

Objectif 1 : Promouvoir la mise en œuvre des résolutions qui fixent le régime linguistique des deux langues de travail des Nations Unies ;

Objectif 2 : Veiller dans la mesure du possible à la rédaction des notes verbales, discours, communiqués, correspondances diplomatiques en langue française ;

Objectif 3 : Inciter les délégations francophones dans toute la mesure du possible à faire un usage habituel de la langue française dans toutes les réunions ;

Objectif 4 : S'assurer notamment auprès des services de traduction et d'interprétation que toutes les documentations et les publications soient systématiquement disponibles en français ;

Objectif 5 : Attirer l'attention du Secrétariat (coordinateur multilinguisme et services compétents) sur les manquements aux règles de parité linguistique ;

Objectif 6 : Soutenir résolument l'accès aux offres d'emploi de l'ONU dans les deux langues de travail de l'Organisation (Galaxy, OMP, Fonds et programmes) ;

Objectif 7 : Sensibiliser les fonctionnaires francophones des Nations Unies à leurs droits et devoirs en matière d'utilisation du français dans l'Organisation et sur le site Internet de l'ONU ;

Objectif 8 : Insister auprès des Nations Unies, en matière de recrutement, sur une prise en compte équilibrée de la notion de langues de travail au Secrétariat et sur la connaissance du français pour les agents civils et militaires des Nations unies situés en zone francophone ;

347

Annexes

Objectif 9 : Favoriser l'émergence de nouveaux partenariats entre francophones de l'ONU et délégations francophones dans le cadre de la promotion du français ;

Objectif 10 : Continuer de susciter une dynamique de groupe, dans le suivi des différents travaux à l'ordre du jour des Nations unies.

Document adopté par consensus par le groupe des ambassadeurs francophones,

New York, le 20 juin 2006

348

Annexe 2 : Extrait du Règlement intérieur du Groupe des Ambassadeurs francophones à Genève

Amendé ce 26 janvier 2009

ARTICLE PREMIER

Sans préjudice des dispositions internes régissant l’activité et la représentation internationale des États et gouvernements, le groupe des ambassadeurs francophones à Genève, ci-après dénommé le Groupe», est composé des représentants des États et gouvernements membres et observateurs, accrédités auprès de l’Office des Nations unies à Genève et des autres organisations internationales en Suisse, ayant le français en partage.

Celui-ci inscrit son action dans le respect des objectifs et des principes de la Charte des Nations unies et des résolutions sur le français dans les organisations internationales adoptées par les conférences des chefs d’État et de gouvernement des pays ayant le français en partage depuis 1989.

ARTICLE 2

Afin de promouvoir l’usage du français, langue officielle et de travail, le Groupe veille à la stricte application des résolutions et des décisions pertinentes de l’Assemblée générale des Nations unies et des autres organisations internationales ayant leur siège en Suisse, ainsi qu’à la mise en œuvre du Vade-mecum relatif à l’usage de la langue française dans les organisations internationales adopté par la XXII session de la Conférence ministérielle de la Francophonie à Bucarest en 2006.

ARTICLE 3

Le Groupe favorise et organise, en tant que de besoin, les concertations francophones à l’occasion des réunions et conférences tenues par les organisations et institutions internationales ayant leur siège en Suisse.

349

Annexes

ARTICLE 4

Le Groupe assure aussi, en liaison avec les groupes régionaux et dans toute la mesure du possible, la promotion des candidatures francophones à des emplois de fonctionnaires internationaux et, notamment, à des postes électifs au sein des organisations et institutions internationales ayant leur siège en Suisse.

ARTICLE 5

Le Groupe appuie toute initiative utile du pays hôte visant à soutenir et à renforcer le caractère francophone du siège des organisations internationales qu’il accueille.

350

Annexe 3 : Concertation ministérielle de la Francophonie à 15e Conférence des parties (COP 15) de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (Copenhague, décembre 2009)

Conférence de Copenhague : la Francophonie adopte une Déclaration sur la lutte contre les changements climatiques582

Les ministres et chefs de délégations représentant les États et gouvernements membres de la Francophonie, réunis à Copenhague le 16 décembre 2009 par l’Organisation internationale de la Francophonie, ont réaffirmé leur engagement pour une forte mobilisation en faveur de la lutte contre les changements climatiques et souligné le rôle de la coopération pour renforcer les capacités d’action et l’expertise des pays de l’espace francophone pour s’adapter aux changements climatiques.

Conscients de l’importance de la concertation francophone dans les négociations multilatérales et désireux de jouer un rôle mobilisateur auprès des grandes économies afin que des engagements définitifs soient pris pour ralentir et arrêter la croissance mondiale des émissions de gaz à effet de serre et enfin les réduire au niveau indiqué par le GIEC*, les représentants francophones ont adopté à l’issue de la concertation ministérielle une Déclaration qui appelle plusieurs actions :

582 Source : http://www.francophonie.org/Conference-de-Copenhague-la.html

351

Annexes

 La mobilisation de tous leurs atouts politiques pour la ratification des instruments internationaux relatifs à l’environnement et pour mener à bien les négociations dans le cadre de la CCNUCC* ;

 L’exploitation de toutes les opportunités techniques et financières offertes par la communauté des partenaires au développement, notamment francophones, pour accompagner et assister les pays en développement dans la prise en charge des changements climatiques ;

 La mobilisation de chacun pour inclure les changements climatiques dans ses stratégies de développement et dans tous les processus pertinents de prise de décision ;

 Le renforcement des capacités et l’expertise des pays de l’espace francophone, particulièrement celles des pays en développement, en poursuivant le transfert de savoir-faire et de technologies propres, ainsi que l’appui à la concertation et à la mise en place de plans nationaux d’adaptation aux changements climatiques ;

 Le développement de programmes de réduction des émissions des gaz à effet de serre en renforçant, dans la mesure du possible, la participation des pays francophones intéressés aux projets utilisant les mécanismes de développement propres (MDP) du protocole de Kyoto ;

 La coordination des actions avec les différents acteurs et partenaires de développement, entre autres, les fonds multilatéraux et les opérateurs de la Francophonie. L’Organisation internationale de la Francophonie, via son Institut de l’Énergie et de l’Environnement (IEPF) pourrait faciliter cette coordination dans le cadre de son mandat touchant au changement climatique.

Cette concertation ministérielle a également donné lieu à la signature d’un protocole d’accord pour la production en langue française du Bulletin des négociations de la terre, entre l’Institut international du développement durable (IISD), la France, la région Wallonne de Belgique, le Canada-Québec et l’Organisation internationale de la Francophonie.

Sous la présidence de l’Honorable Jim Prentice, ministre de l’Environnement du Canada, les participants ont suivi les débats et les interventions de Monique Barbut, Présidente et Directrice générale du Fonds mondial pour l’Environnement, Chantal

352

Annexe 3 : Concertation ministérielle de la Francophonie à la COP 15 de la CCNUCC (Copenhague, 2009) Jouanno, Secrétaire d’État chargée de l’Écologie (France), Line Beauchamp, ministre de l’Environnement (Québec), Bruno Ituoua, ministre de l’Énergie et de l’Hydraulique (Congo) et Clément Duhaime, Administrateur de l’Organisation internationale de la Francophonie.

La Francophonie, qui réunit des pays allant des plus riches aux plus pauvres de la planète, s’est mobilisée pour la pleine participation des pays francophones du Sud aux négociations sur les principaux enjeux de la conférence de Copenhague. Lors des séances plénières les 16 et 17 décembre, 51 pays francophones se sont inscrits pour prendre la parole dont 19 Chefs d’État, 4 Vice-Présidents, 10 Premiers Ministres et 18 Ministres.

*GIEC : Groupe international d’experts sur l’évolution du climat

*CCNUCC : Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques

Copenhague, 16 de cembre 2009

Déclaration ministérielle francophone sur la lutte contre les changements climatiques583

Nous, Ministres et Chefs de délégations représentant les États et gouvernement ayant le français en partage, affirmons que les changements climatiques constituent l'un des enjeux majeurs du XXIème siècle, et que notre participation concertée à la conférence de Copenhague peut contribuer à mener à bien les négociations dans le cadre de la Convention Cadre des Nations Unies sur les Changements Climatiques.

583 Source : http://www.francophonie.org/IMG/pdf/Declaration_Francophone_Copenhague__5___3_.pdf

353

Annexes

Considérant la déclaration de la XIIème Conférence des chefs d'État et de gouvernement des pays ayant le français en partage qui s'est tenue à Québec (Canada), 17-19 octobre 2008 ;

Conscients de la gravité des défis environnementaux à l'échelle de la planète et particulièrement préoccupés par le danger que représentent les changements climatiques et l'appauvrissement de la diversité biologique ;

Constatant que les changements climatiques menacent tous les membres de la Francophonie et surtout parmi les plus vulnérables à ce phénomène, les petits États insulaires en développement (PEID), les pays les moins développés, les pays ayant des zones côtières de faible élévation et ceux menacés par la sécheresse et la désertification, et que cette situation interpelle la solidarité de l'espace francophone ;

Réaffirmant notre appui à la Convention Cadre des Nations Unies sur les Changements Climatiques (CCNUCC), à la mise en œuvre du Protocole de Kyoto et du Plan d'action de Bali et notre détermination d'aboutir, ici à Copenhague, à un accord international sur le régime applicable en matière de lutte contre les changements climatiques après 2012 ;

Notant que l'impact des changements climatiques pose des défis supplémentaires aux membres de la Francophonie en matière de lutte contre l'érosion côtière, de gestion responsable et durable des forêts, et d'accès à l'eau potable et aux services d'assainissement de base ;

Conscients de l'importance de la concertation francophone dans les négociations multilatérales et désireux de jouer un rôle mobilisateur auprès des grandes économies afin que des engagements définitifs soient pris pour ralentir et arrêter la croissance mondiale des émissions de gaz à effet de serre et enfin les réduire au niveau indiqué dans la Convention Cadre des Nations Unies sur les Changements Climatiques ;

Convaincus du rôle de la coopération pour renforcer les capacités d'action et l'expertise des pays de l'espace francophone pour s'adapter aux changements climatiques ;

Affirmant que tous les pays doivent assumer leur juste part de responsabilité pour limiter les émissions de gaz à effet de serre, conformément aux principes inscrits dans la

354

Annexe 3 : Concertation ministérielle de la Francophonie à la COP 15 de la CCNUCC (Copenhague, 2009) Convention, d'équité, de responsabilités communes mais différenciées et des capacités respectives ;

Conformément aux engagements de la conférence de Québec, nous réaffirmons notre volonté de :

 Mobiliser tous nos atouts politiques pour la ratification des instruments internationaux relatifs à l'environnement et pour mener à bien les négociations dans le cadre de la Convention Cadre des Nations Unies sur les Changements Climatiques ;

 Saisir et d'exploiter toutes les opportunités techniques et financières offertes par la communauté des partenaires au développement, notamment francophones (solidarité), pour accompagner et assister les pays en développement dans la prise en charge des changements climatiques dans les politiques de développement durable par la formulation de projets d'adaptation et d'atténuation;

 Nous mobiliser pour inclure les changements climatiques dans nos stratégies de développement et dans tous les processus pertinents de prise de décision et ce, à tous les niveaux ;

 Renforcer les capacités et l'expertise des pays de l'espace francophone, particulièrement celles des petits États insulaires en développement, en poursuivant le transfert de savoir-faire et de technologies propres, ainsi que l'appui à la concertation et à la mise en place de plans nationaux d'adaptation aux changements climatiques ;

 Développer nos programmes de réduction des émissions des gaz à effet de serre en renforçant ; dans la mesure du possible, la participation des pays francophones intéressés aux projets utilisant le mécanisme de développement propre (MDP) du protocole de Kyoto ;

 Coordonner notre action avec les différents acteurs et partenaires de développement, entre autres, les fonds multilatéraux. L'Institut de l'Énergie et de l'Environnement de la Francophonie pourrait faciliter cette coordination dans le cadre de son mandat touchant au changement climatique.

355

Annexe 4 : La Convention de l’UNESCO sur la promotion et la protection de la diversité des expressions culturelles

A. Les étapes d’élaboration de la Convention584

Les travaux préparatoires de l’avant-projet de convention ont duré deux ans. Le lancement des négociations a débuté suite à l’adoption de la Résolution 32C/34, lors de la 32e session de la Conférence générale (octobre 2003). Conformément à cette résolution et aux procédures en vigueur à l’UNESCO pour l’élaboration et l’adoption des instruments internationaux, le Directeur général a d’abord confié à quinze experts indépendants le mandat d’entamer une réflexion préliminaire et de lui adresser des recommandations pour l’élaboration d’un avant-projet de convention sur la protection de la diversité des contenus culturels et des expressions artistiques. Les trois réunions des experts indépendants ont ainsi permis à ces derniers d’élaborer un texte détaillé.

Suite à ces réunions, M. Koïchiro Matsuura, Directeur général de l’UNESCO, a adressé aux États membres un rapport préliminaire accompagné d’un premier avant- projet de convention à la mi-juillet 2004 afin de recueillir leurs commentaires et observations écrits pour la mi-novembre 2004. Par la même occasion, il a entrepris des consultations avec d’autres organisations internationales gouvernementales : l’Organisation mondiale du commerce (OMC), la Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement (CNUCED) et l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI) ont fourni leurs commentaires sur l’avant-projet de convention en novembre 2004.

Les trois sessions de la réunion intergouvernementale d’experts ont eu lieu entre septembre 2004 et juin 2005 afin de permettre aux représentants des États membres de l’UNESCO de débattre et d’améliorer le texte élaboré par le groupe d’experts indépendants. Quant aux réunions du Comité de rédaction, créé lors de la première session intergouvernementale, elles ont permis de finaliser le texte de l’avant-projet de

584 Unesco, « Quelles étapes ont conduit à l’adoption de la Convention ? », disponible sur http://www.unesco.org/new/fr/culture/themes/cultural-diversity/diversity-of-cultural- expressions/the-convention/historical-background/what-were-the-stages-that-led-to-the-adoption-of- the-convention/

357

Annexes convention. Ces différentes étapes ont mené à l’adoption de la Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles, le 20 octobre 2005, par la Conférence générale, lors de sa 33e session (148 États ont voté pour, 2 États ont voté contre et 4 États se sont abstenus).

B. Le texte de la Convention

Paris, le 20 octobre 2005

La Conférence générale de l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture, réunie à Paris du 3 au 21 octobre 2005 pour sa 33e session,

Affirmant que la diversité culturelle est une caractéristique inhérente à l’humanité,

Consciente que la diversité culturelle constitue un patrimoine commun de l’humanité et qu’elle devrait être célébrée et préservée au profit de tous,

Sachant que la diversité culturelle crée un monde riche et varié qui élargit les choix possibles, nourrit les capacités et les valeurs humaines, et qu’elle est donc un ressort fondamental du développement durable des communautés, des peuples et des nations,

Rappelant que la diversité culturelle, qui s’épanouit dans un cadre de démocratie, de tolérance, de justice sociale et de respect mutuel entre les peuples et les cultures, est indispensable à la paix et à la sécurité aux plans local, national et international,

Célébrant l’importance de la diversité culturelle pour la pleine réalisation des droits de l’homme et des libertés fondamentales proclamés dans la Déclaration universelle des droits de l’homme et dans d’autres instruments universellement reconnus,

Soulignant la nécessité d’intégrer la culture en tant qu’élément stratégique dans les politiques nationales et internationales de développement, ainsi que dans la coopération internationale pour le développement, en tenant également compte de la Déclaration du Millénaire de l’ONU (2000) qui met l’accent sur l’éradication de la pauvreté,

Considérant que la culture prend diverses formes dans le temps et dans l’espace et que cette diversité s’incarne dans l’originalité et la pluralité des identités ainsi que dans les expressions culturelles des peuples et des sociétés qui constituent l’humanité, 358

Annexe 4 : Convention de l’Unesco sur la promotion et la protection de la diversité des expressions culturelles (2005) Reconnaissant l’importance des savoirs traditionnels en tant que source de richesse immatérielle et matérielle, et en particulier des systèmes de connaissance des peuples autochtones, et leur contribution positive au développement durable, ainsi que la nécessité d’assurer leur protection et promotion de façon adéquate,

Reconnaissant la nécessité de prendre des mesures pour protéger la diversité des expressions culturelles, y compris de leurs contenus, en particulier dans des situations où les expressions culturelles peuvent être menacées d’extinction ou de graves altérations,

Soulignant l’importance de la culture pour la cohésion sociale en général, et en particulier sa contribution à l’amélioration du statut et du rôle des femmes dans la société,

Consciente que la diversité culturelle est renforcée par la libre circulation des idées, et qu’elle se nourrit d’échanges constants et d’interactions entre les cultures,

Réaffirmant que la liberté de pensée, d’expression et d’information, ainsi que la diversité des médias, permettent l’épanouissement des expressions culturelles au sein des sociétés,

Reconnaissant que la diversité des expressions culturelles, y compris des expressions culturelles traditionnelles, est un facteur important qui permet aux individus et aux peuples d’exprimer et de partager avec d’autres leurs idées et leurs valeurs,

Rappelant que la diversité linguistique est un élément fondamental de la diversité culturelle, et réaffirmant le rôle fondamental que joue l’éducation dans la protection et la promotion des expressions culturelles,

Considérant l’importance de la vitalité des cultures pour tous, y compris pour les personnes appartenant aux minorités et pour les peuples autochtones, telle qu’elle se manifeste par leur liberté de créer, diffuser et distribuer leurs expressions culturelles traditionnelles et d’y avoir accès de manière à favoriser leur propre développement,

Soulignant le rôle essentiel de l’interaction et de la créativité culturelles, qui nourrissent et renouvellent les expressions culturelles, et renforcent le rôle de ceux qui œuvrent au développement de la culture pour le progrès de la société dans son ensemble,

359

Annexes

Reconnaissant l’importance des droits de propriété intellectuelle pour soutenir les personnes qui participent à la créativité culturelle,

Convaincue que les activités, biens et services culturels ont une double nature, économique et culturelle, parce qu’ils sont porteurs d’identités, de valeurs et de sens et qu’ils ne doivent donc pas être traités comme ayant exclusivement une valeur commerciale,

Constatant que les processus de mondialisation, facilités par l’évolution rapide des technologies de l’information et de la communication, s’ils créent les conditions inédites d’une interaction renforcée entre les cultures, représentent aussi un défi pour la diversité culturelle, notamment au regard des risques de déséquilibres entre pays riches et pays pauvres,

Consciente du mandat spécifique confié à l’UNESCO d’assurer le respect de la diversité des cultures et de recommander les accords internationaux qu’elle juge utiles pour faciliter la libre circulation des idées par le mot et par l’image,

Se référant aux dispositions des instruments internationaux adoptés par l’UNESCO ayant trait à la diversité culturelle et à l’exercice des droits culturels, et en particulier à la Déclaration universelle sur la diversité culturelle de 2001.

Adopte, le 20 octobre 2005, la présente Convention.

I. Objectifs et principes directeurs

Article premier – Objectifs

Les objectifs de la présente Convention sont :

(a) de protéger et promouvoir la diversité des expressions culturelles ;

(b) de créer les conditions permettant aux cultures de s’épanouir et interagir librement de manière à s’enrichir mutuellement ;

(c) d’encourager le dialogue entre les cultures afin d’assurer des échanges culturels plus intenses et équilibrés dans le monde en faveur du respect interculturel et d’une culture de la paix ;

360

Annexe 4 : Convention de l’Unesco sur la promotion et la protection de la diversité des expressions culturelles (2005) (d) de stimuler l’interculturalité afin de développer l’interaction culturelle dans l’esprit de bâtir des passerelles entre les peuples ;

(e) de promouvoir le respect de la diversité des expressions culturelles et la prise de conscience de sa valeur aux niveaux local, national et international ;

(f) de réaffirmer l’importance du lien entre culture et développement pour tous les pays, en particulier les pays en développement, et d’encourager les actions menées aux plans national et international pour que soit reconnue la véritable valeur de ce lien ;

(g) de reconnaître la nature spécifique des activités, biens et services culturels en tant que porteurs d’identité, de valeurs et de sens ;

(h) de réaffirmer le droit souverain des États de conserver, d’adopter et de mettre en œuvre les politiques et mesures qu’ils jugent appropriées pour la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles sur leur territoire ;

(i) de renforcer la coopération et la solidarité internationales dans un esprit de partenariat afin, notamment, d’accroître les capacités des pays en développement de protéger et promouvoir la diversité des expressions culturelles.

Article 2 - Principes directeurs

1. Principe du respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales

La diversité culturelle ne peut être protégée et promue que si les droits de l’homme et les libertés fondamentales telles que la liberté d’expression, d’information et de communication, ainsi que la possibilité pour les individus de choisir les expressions culturelles, sont garantis. Nul ne peut invoquer les dispositions de la présente Convention pour porter atteinte aux droits de l’homme et aux libertés fondamentales tels que consacrés par la Déclaration universelle des droits de l’homme ou garantis par le droit international, ou pour en limiter la portée.

2. Principe de souveraineté

Les États ont, conformément à la Charte des Nations Unies et aux principes du droit international, le droit souverain d’adopter des mesures et des politiques pour protéger et promouvoir la diversité des expressions culturelles sur leur territoire.

361

Annexes

3. Principe de l’égale dignité et du respect de toutes les cultures

La protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles impliquent la reconnaissance de l’égale dignité et du respect de toutes les cultures, y compris celles des personnes appartenant aux minorités et celles des peuples autochtones.

4. Principe de solidarité et de coopération internationales

La coopération et la solidarité internationales devraient permettre à tous les pays, particulièrement aux pays en développement, de créer et renforcer les moyens nécessaires à leur expression culturelle, y compris leurs industries culturelles, qu’elles soient naissantes ou établies, aux niveaux local, national et international.

5. Principe de la complémentarité des aspects économiques et culturels du développement La culture étant un des ressorts fondamentaux du développement, les aspects culturels du développement sont aussi importants que ses aspects économiques, et les individus et les peuples ont le droit fondamental d’y participer et d’en jouir.

6. Principe de développement durable

La diversité culturelle est une grande richesse pour les individus et les sociétés. La protection, la promotion et le maintien de la diversité culturelle sont une condition essentielle pour un développement durable au bénéfice des générations présentes et futures.

7. Principe d’accès équitable

L’accès équitable à une gamme riche et diversifiée d’expressions culturelles provenant du monde entier et l’accès des cultures aux moyens d’expression et de diffusion constituent des éléments importants pour mettre en valeur la diversité culturelle et encourager la compréhension mutuelle.

8. Principe d’ouverture et d’équilibre

Quand les États adoptent des mesures pour favoriser la diversité des expressions culturelles, ils devraient veiller à promouvoir, de façon appropriée, l’ouverture aux autres cultures du monde et à s’assurer que ces mesures sont conformes aux objectifs poursuivis par la présente Convention.

362

Annexe 4 : Convention de l’Unesco sur la promotion et la protection de la diversité des expressions culturelles (2005) II. CHAMP D’APPLICATION Article 3 - Champ d’application

La présente Convention s’applique aux politiques et aux mesures adoptées par les Parties relatives à la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles.

III. DEFINITIONS Article 4 – Définitions

Aux fins de la présente Convention, il est entendu que :

1. Diversité culturelle

« Diversité culturelle » renvoie à la multiplicité des formes par lesquelles les cultures des groupes et des sociétés trouvent leur expression. Ces expressions se transmettent au sein des groupes et des sociétés et entre eux.

La diversité culturelle se manifeste non seulement dans les formes variées à travers lesquelles le patrimoine culturel de l’humanité est exprimé, enrichi et transmis grâce à la variété des expressions culturelles, mais aussi à travers divers modes de création artistique, de production, de diffusion, de distribution et de jouissance des expressions culturelles, quels que soient les moyens et les technologies utilisés.

2. Contenu culturel

« Contenu culturel » renvoie au sens symbolique, à la dimension artistique et aux valeurs culturelles qui ont pour origine ou expriment des identités culturelles.

3. Expressions culturelles

« Expressions culturelles » sont les expressions qui résultent de la créativité des individus, des groupes et des sociétés, et qui ont un contenu culturel.

4. Activités, biens et services culturels

« Activités, biens et services culturels » renvoie aux activités, biens et services qui, dès lors qu’ils sont considérés du point de vue de leur qualité, de leur usage ou de leur finalité spécifiques, incarnent ou transmettent des expressions culturelles, indépendamment de la valeur commerciale qu’ils peuvent avoir. Les activités culturelles

363

Annexes peuvent être une fin en elles-mêmes, ou bien contribuer à la production de biens et services culturels.

5. Industries culturelles

« Industries culturelles » renvoie aux industries produisant et distribuant des biens ou services culturels tels que définis au paragraphe 4 ci-dessus.

6. Politiques et mesures culturelles

« Politiques et mesures culturelles » renvoie aux politiques et mesures relatives à la culture, à un niveau local, national, régional ou international, qu’elles soient centrées sur la culture en tant que telle, ou destinées à avoir un effet direct sur les expressions culturelles des individus, groupes ou sociétés, y compris sur la création, la production, la diffusion et la distribution d’activités, de biens et de services culturels et sur l’accès à ceux-ci.

7. Protection

« Protection » signifie l’adoption de mesures visant à la préservation, la sauvegarde et la mise en valeur de la diversité des expressions culturelles.

« Protéger » signifie adopter de telles mesures.

8. Interculturalité

« Interculturalité » renvoie à l’existence et à l’interaction équitable de diverses cultures ainsi qu’à la possibilité de générer des expressions culturelles partagées par le dialogue et le respect mutuel.

IV. DROITS ET OBLIGATIONS DES PARTIES

Article 5 - Règle générale concernant les droits et obligations

1. Les Parties réaffirment, conformément à la Charte des Nations Unies, aux principes du droit international et aux instruments universellement reconnus en matière de droits de l’homme, leur droit souverain de formuler et mettre en œuvre leurs politiques culturelles et d’adopter des mesures pour protéger et promouvoir la diversité des expressions culturelles ainsi que pour renforcer la coopération internationale afin d’atteindre les objectifs de la présente Convention.

364

Annexe 4 : Convention de l’Unesco sur la promotion et la protection de la diversité des expressions culturelles (2005) 2. Lorsqu’une Partie met en œuvre des politiques et prend des mesures pour protéger et promouvoir la diversité des expressions culturelles sur son territoire, ses politiques et mesures doivent être compatibles avec les dispositions de la présente Convention.

Article 6 - Droits des parties au niveau national

1. Dans le cadre de ses politiques et mesures culturelles telles que décrites à l’article 4.6, et compte tenu des circonstances et des besoins qui lui sont propres, chaque Partie peut adopter des mesures destinées à protéger et promouvoir la diversité des expressions culturelles sur son territoire.

2. Ces mesures peuvent inclure :

(a) les mesures réglementaires qui visent à protéger et promouvoir la diversité des expressions culturelles ;

(b) les mesures qui, d'une manière appropriée, offrent des opportunités aux activités, biens et services culturels nationaux, de trouver leur place parmi l’ensemble des activités, biens et services culturels disponibles sur son territoire, pour ce qui est de leur création, production, diffusion, distribution et jouissance, y compris les dispositions relatives à la langue utilisée pour lesdits activités, biens et services ;

(c) les mesures qui visent à fournir aux industries culturelles nationales indépendantes et aux activités du secteur informel un accès véritable aux moyens de production, de diffusion et de distribution d’activités, biens et services culturels ;

(d) les mesures qui visent à accorder des aides financières publiques ;

(e) les mesures qui visent à encourager les organismes à but non lucratif, ainsi que les institutions publiques et privées, les artistes et les autres professionnels de la culture, à développer et promouvoir le libre-échange et la libre circulation des idées et des expressions culturelles ainsi que des activités, biens et services culturels, et à stimuler la création et l’esprit d’entreprise dans leurs activités ;

(f) les mesures qui visent à établir et soutenir, de façon appropriée, les institutions de service public ;

365

Annexes

(g) les mesures qui visent à encourager et soutenir les artistes ainsi que tous ceux qui sont impliqués dans la création d’expressions culturelles ;

(h) les mesures qui visent à promouvoir la diversité des médias, y compris au moyen du service public de radiodiffusion.

Article 7 - Mesures destinées à promouvoir les expressions culturelles

1. Les Parties s’efforcent de créer sur leur territoire un environnement encourageant les individus et les groupes sociaux :

a. à créer, produire, diffuser et distribuer leurs propres expressions culturelles et à y avoir accès, en tenant dûment compte des conditions et besoins particuliers des femmes, ainsi que de divers groupes sociaux, y compris les personnes appartenant aux minorités et les peuples autochtones ;

b. à avoir accès aux diverses expressions culturelles provenant de leur territoire ainsi que des autres pays du monde.

2. Les Parties s’efforcent également de reconnaître l’importante contribution des artistes et de tous ceux qui sont impliqués dans le processus créateur, des communautés culturelles et des organisations qui les soutiennent dans leur travail, ainsi que leur rôle central qui est de nourrir la diversité des expressions culturelles.

Article 8 - Mesures destinées à protéger les expressions culturelles

1. Sans préjudice des dispositions des articles 5 et 6, une Partie peut diagnostiquer l’existence de situations spéciales où les expressions culturelles, sur son territoire, sont soumises à un risque d’extinction, à une grave menace, ou nécessitent de quelque façon que ce soit une sauvegarde urgente.

2. Les Parties peuvent prendre toutes les mesures appropriées pour protéger et préserver les expressions culturelles dans les situations mentionnées au paragraphe 1 conformément aux dispositions de la présente Convention.

3. Les Parties font rapport au Comité intergouvernemental visé à l’article 23 sur toutes les mesures prises pour faire face aux exigences de la situation, et le Comité peut formuler des recommandations appropriées. 366

Annexe 4 : Convention de l’Unesco sur la promotion et la protection de la diversité des expressions culturelles (2005) Article 9 - Partage de l’information et transparence

Les Parties :

a) fournissent tous les quatre ans, dans leurs rapports à l’UNESCO, l’information appropriée sur les mesures prises en vue de protéger et promouvoir la diversité des expressions culturelles sur leur territoire et au niveau international ;

b) désignent un point de contact chargé du partage de l’information relative à la présente Convention ;

c) partagent et échangent l’information relative à la protection et à la promotion de la diversité des expressions culturelles.

Article 10 - Éducation et sensibilisation du public

Les Parties :

a) favorisent et développent la compréhension de l’importance de la protection et de la promotion de la diversité des expressions culturelles, notamment par le biais de programmes d’éducation et de sensibilisation accrue du public ;

b) coopèrent avec les autres Parties et les organisations internationales et régionales pour atteindre l’objectif du présent article ;

c) s’emploient à encourager la créativité et à renforcer les capacités de production par la mise en place de programmes d’éducation, de formation et d’échanges dans le domaine des industries culturelles. Ces mesures devraient être appliquées de manière à ne pas avoir d’impact négatif sur les formes de production traditionnelles.

Article 11 - Participation de la société civile

Les Parties reconnaissent le rôle fondamental de la société civile dans la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles. Les Parties encouragent la participation active de la société civile à leurs efforts en vue d’atteindre les objectifs de la présente Convention.

367

Annexes

Article 12 - Promotion de la coopération internationale

Les Parties s’emploient à renforcer leur coopération bilatérale, régionale et internationale afin de créer des conditions propices à la promotion de la diversité des expressions culturelles, en tenant particulièrement compte des situations mentionnées aux articles 8 et 17, en vue notamment de :

a) faciliter le dialogue entre elles sur la politique culturelle ;

b) renforcer les capacités stratégiques et de gestion du secteur public dans les institutions culturelles publiques, grâce aux échanges culturels professionnels et internationaux, ainsi qu’au partage des meilleures pratiques ;

c) renforcer les partenariats avec la société civile, les organisations non gouvernementales et le secteur privé, et entre ces entités, pour favoriser et promouvoir la diversité des expressions culturelles ;

d) promouvoir l’utilisation des nouvelles technologies et encourager les partenariats afin de renforcer le partage de l’information et la compréhension culturelle, et de favoriser la diversité des expressions culturelles ;

e) encourager la conclusion d’accords de coproduction et de codistribution.

Article 13 - Intégration de la culture dans le développement durable

Les Parties s’emploient à intégrer la culture dans leurs politiques de développement, à tous les niveaux, en vue de créer des conditions propices au développement durable et, dans ce cadre, de favoriser les aspects liés à la protection et à la promotion de la diversité des expressions culturelles.

Article 14 - Coopération pour le développement

Les Parties s’attachent à soutenir la coopération pour le développement durable et la réduction de la pauvreté, particulièrement pour ce qui est des besoins spécifiques des pays en développement, en vue de favoriser l’émergence d’un secteur culturel dynamique, entre autres par les moyens suivants :

a. Le renforcement des industries culturelles des pays en développement :

368

Annexe 4 : Convention de l’Unesco sur la promotion et la protection de la diversité des expressions culturelles (2005) i. en créant et en renforçant les capacités de production et de distribution culturelles dans les pays en développement ;

ii. en facilitant l’accès plus large de leurs activités, biens et services culturels au marché mondial et aux circuits de distribution internationaux ;

iii. en permettant l’émergence de marchés locaux et régionaux viables ;

iv. en adoptant, chaque fois que possible, des mesures appropriées dans les pays développés en vue de faciliter l’accès à leur territoire des activités, biens et services culturels des pays en développement ;

v. en soutenant le travail créatif et en facilitant, dans la mesure du possible, la mobilité des artistes des pays en développement ;

vi. en encourageant une collaboration appropriée entre pays développés et pays en développement, notamment dans les domaines de la musique et du film ; b. le renforcement des capacités par l’échange d’information, d’expérience et d’expertise, ainsi que la formation des ressources humaines dans les pays en développement dans les secteurs public et privé concernant notamment les capacités stratégiques et de gestion, l’élaboration et la mise en œuvre des politiques, la promotion et la distribution des expressions culturelles, le développement des moyennes, petites et micro-entreprises, l’utilisation des technologies ainsi que le développement et le transfert des compétences ; c. Le transfert de technologies et de savoir-faire par la mise en place de mesures incitatives appropriées, en particulier dans le domaine des industries et des entreprises culturelles ; d. Le soutien financier par :

i. l’établissement d’un Fonds international pour la diversité culturelle, comme prévu à l’article 18 ;

ii. l’octroi d’une aide publique au développement, en tant que de besoin, y compris une assistance technique destinée à stimuler et soutenir la créativité ;

iii. d’autres formes d’aide financière telles que des prêts à faible taux d’intérêt, des subventions et d’autres mécanismes de financement.

369

Annexes

Article 15 - Modalités de collaboration

Les Parties encouragent le développement de partenariats, entre les secteurs public et privé et les organisations à but non lucratif et en leur sein, afin de coopérer avec les pays en développement au renforcement de leur capacité de protéger et promouvoir la diversité des expressions culturelles. Ces partenariats novateurs mettront l’accent, en réponse aux besoins concrets des pays en développement, sur le développement des infrastructures, des ressources humaines et des politiques ainsi que sur les échanges d’activités, biens et services culturels.

Article 16 - Traitement préférentiel pour les pays en développement

Les pays développés facilitent les échanges culturels avec les pays en développement en accordant, au moyen de cadres institutionnels et juridiques appropriés, un traitement préférentiel à leurs artistes et autres professionnels et praticiens de la culture, ainsi qu’à leurs biens et services culturels.

Article 17 - Coopération internationale dans les situations de menace grave contre les expressions culturelles

Les Parties coopèrent pour se porter mutuellement assistance, en veillant en particulier aux pays en développement, dans les situations mentionnées à l’article 8.

Article 18 - Fonds international pour la diversité culturelle

1. Il est créé un Fonds international pour la diversité culturelle, ci-après dénommé « le Fonds ».

2. Le Fonds est constitué en fonds-en-dépôt conformément au Règlement financier de l’UNESCO.

3. Les ressources du Fonds sont constituées par :

(a) les contributions volontaires des Parties ;

(b) les fonds alloués à cette fin par la Conférence générale de l’UNESCO ;

370

Annexe 4 : Convention de l’Unesco sur la promotion et la protection de la diversité des expressions culturelles (2005) (c) les versements, dons ou legs que pourront faire d’autres États, des organisations et programmes du système des Nations Unies, d’autres organisations régionales ou internationales, et des organismes publics ou privés ou des personnes privées ;

(d) tout intérêt dû sur les ressources du Fonds ;

(e) le produit des collectes et les recettes des manifestations organisées au profit du Fonds ;

(f) toutes autres ressources autorisées par le règlement du Fonds.

4. L’utilisation des ressources du Fonds est décidée par le Comité intergouvernemental sur la base des orientations de la Conférence des Parties visée à l’article 22.

5. Le Comité intergouvernemental peut accepter des contributions et autres formes d’assistance à des fins générales ou spécifiques se rapportant à des projets déterminés, pourvu que ces projets soient approuvés par lui.

6. Les contributions au Fonds ne peuvent être assorties d’aucune condition politique, économique ou autre qui soit incompatible avec les objectifs de la présente Convention.

7. Les Parties s’attachent à verser des contributions volontaires sur une base régulière pour la mise en œuvre de la présente Convention.

Article 19 - Échange, analyse et diffusion de l’information

1. Les Parties s’accordent pour échanger l’information et l’expertise relatives à la collecte des données et aux statistiques concernant la diversité des expressions culturelles, ainsi qu’aux meilleures pratiques pour la protection et la promotion de celle- ci.

2. L’UNESCO facilite, grâce aux mécanismes existant au sein du Secrétariat, la collecte, l’analyse et la diffusion de toutes les informations, statistiques et meilleures pratiques en la matière.

3. Par ailleurs, l’UNESCO constitue et tient à jour une banque de données concernant les différents secteurs et organismes gouvernementaux, privés et à but non lucratif, œuvrant dans le domaine des expressions culturelles.

371

Annexes

4. En vue de faciliter la collecte des données, l’UNESCO accorde une attention particulière au renforcement des capacités et de l’expertise des Parties qui formulent la demande d’une assistance en la matière.

5. La collecte de l’information définie dans le présent article complète l’information visée par les dispositions de l’article 9.

V. RELATIONS AVEC LES AUTRES INSTRUMENTS

Article 20 - Relations avec les autres instruments : soutien mutuel, complémentarité et non-subordination

1. Les Parties reconnaissent qu’elles doivent remplir de bonne foi leurs obligations en vertu de la présente Convention et de tous les autres traités auxquels elles sont parties. Ainsi, sans subordonner cette Convention aux autres traités,

a) elles encouragent le soutien mutuel entre cette Convention et les autres traités auxquels elles sont parties ; et

b) lorsqu’elles interprètent et appliquent les autres traités auxquels elles sont parties ou lorsqu’elles souscrivent à d’autres obligations internationales, les Parties prennent en compte les dispositions pertinentes de la présente Convention.

2. Rien dans la présente Convention ne peut être interprété comme modifiant les droits et obligations des Parties au titre d’autres traités auxquels elles sont parties.

Article 21 - Concertation et coordination internationales

Les Parties s’engagent à promouvoir les objectifs et principes de la présente Convention dans d’autres enceintes internationales. À cette fin, les Parties se consultent, s’il y a lieu, en gardant à l’esprit ces objectifs et ces principes.

372

Annexe 4 : Convention de l’Unesco sur la promotion et la protection de la diversité des expressions culturelles (2005) VI. ORGANES DE LA CONVENTION

Article 22 - Conférence des Parties

1. Il est établi une Conférence des Parties. La Conférence des Parties est l’organe plénier et suprême de la présente Convention.

2. La Conférence des Parties se réunit en session ordinaire tous les deux ans, dans la mesure du possible dans le cadre de la Conférence générale de l’UNESCO. Elle peut se réunir en session extraordinaire si elle en décide ainsi ou si une demande est adressée au Comité intergouvernemental par au moins un tiers des Parties.

3. La Conférence des Parties adopte son règlement intérieur.

4. Les fonctions de la Conférence des Parties sont, entre autres :

a) d’élire les membres du Comité intergouvernemental ;

b) de recevoir et d’examiner les rapports des Parties à la présente Convention transmis par le Comité intergouvernemental ;

c) d’approuver les directives opérationnelles préparées, à sa demande, par le Comité intergouvernemental ;

d) de prendre toute autre mesure qu’elle juge nécessaire pour promouvoir les objectifs de la présente Convention.

Article 23 - Comité intergouvernemental

1. Il est institué auprès de l’UNESCO un Comité intergouvernemental pour la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles, ci-après dénommé « le Comité intergouvernemental ». Il est composé de représentants de 18 États Parties à la Convention, élus pour quatre ans par la Conférence des Parties dès que la présente Convention entrera en vigueur conformément à l’article 29.

2. Le Comité intergouvernemental se réunit une fois par an.

3. Le Comité intergouvernemental fonctionne sous l’autorité et conformément aux directives de la Conférence des Parties et lui rend compte.

4. Le nombre des membres du Comité intergouvernemental sera porté à 24 dès lors que le nombre de Parties à la Convention atteindra 50.

373

Annexes

5. L’élection des membres du Comité intergouvernemental est basée sur les principes de la répartition géographique équitable et de la rotation.

6. Sans préjudice des autres attributions qui lui sont conférées par la présente Convention, les fonctions du Comité intergouvernemental sont les suivantes :

(a) promouvoir les objectifs de la présente Convention, encourager et assurer le suivi de sa mise en œuvre ;

(b) préparer et soumettre à l’approbation de la Conférence des Parties, à sa demande, des directives opérationnelles relatives à la mise en œuvre et à l’application des dispositions de la Convention ;

(c) transmettre à la Conférence des Parties les rapports des Parties à la Convention, accompagnés de ses observations et d’un résumé de leur contenu ; (d) faire des recommandations appropriées dans les situations portées à son attention par les Parties à la Convention conformément aux dispositions pertinentes de la Convention, en particulier l’article 8 ;

(e) établir des procédures et autres mécanismes de consultation afin de promouvoir les objectifs et principes de la présente Convention dans d’autres enceintes internationales ;

(f) accomplir toute autre tâche dont il peut être chargé par la Conférence des Parties.

7. Le Comité intergouvernemental, conformément à son Règlement intérieur, peut inviter à tout moment des organismes publics ou privés ou des personnes physiques à participer à ses réunions en vue de les consulter sur des questions spécifiques.

8. Le Comité intergouvernemental établit et soumet son Règlement intérieur à l’approbation de la Conférence des Parties.

Article 24 - Secrétariat de l’UNESCO

1. Les organes de la Convention sont assistés par le Secrétariat de l’UNESCO.

2. Le Secrétariat prépare la documentation de la Conférence des Parties et du Comité intergouvernemental ainsi que le projet d’ordre du jour de leurs réunions, aide à l’application de leurs décisions et fait rapport sur celle-ci. 374

Annexe 4 : Convention de l’Unesco sur la promotion et la protection de la diversité des expressions culturelles (2005) VII. DISPOSITIONS FINALES

Article 25 - Règlement des différends

1. En cas de différend entre les Parties à la présente Convention sur l’interprétation ou l’application de la Convention, les Parties recherchent une solution par voie de négociation.

2. Si les Parties concernées ne peuvent parvenir à un accord par voie de négociation, elles peuvent recourir d’un commun accord aux bons offices ou demander la médiation d’un tiers.

3. S’il n’y a pas eu de bons offices ou de médiation ou si le différend n’a pu être réglé par négociation, bons offices ou médiation, une Partie peut avoir recours à la conciliation conformément à la procédure figurant en Annexe à la présente Convention. Les Parties examinent de bonne foi la proposition de résolution du différend rendue par la Commission de conciliation.

4. Chaque Partie peut, au moment de la ratification, de l’acceptation, de l’approbation ou de l’adhésion, déclarer qu’elle ne reconnaît pas la procédure de conciliation prévue ci- dessus. Toute Partie ayant fait une telle déclaration, peut, à tout moment, retirer cette déclaration par une notification au Directeur général de l’UNESCO.

Article 26 - Ratification, acceptation, approbation ou adhésion par les États membres

1. La présente Convention est soumise à la ratification, à l’acceptation, à l’approbation ou à l’adhésion des États membres de l’UNESCO, conformément à leurs procédures constitutionnelles respectives.

2. Les instruments de ratification, d’acceptation, d’approbation ou d’adhésion sont déposés auprès du Directeur général de l’UNESCO.

Article 27 – Adhésion

1. La présente Convention est ouverte à l’adhésion de tout État non membre de l’UNESCO mais membre de l’Organisation des Nations Unies ou de l’une de ses institutions spécialisées, invité à y adhérer par la Conférence générale de l’Organisation. 375

Annexes

2. La présente Convention est également ouverte à l’adhésion des territoires qui jouissent d’une complète autonomie interne, reconnue comme telle par l’Organisation des Nations Unies, mais qui n’ont pas accédé à la pleine indépendance conformément à la résolution 1514 (XV) de l’Assemblée générale et qui ont compétence pour les matières dont traite la présente Convention, y compris la compétence pour conclure des traités sur ces matières.

3. Les dispositions suivantes s’appliquent aux organisations d’intégration économique régionale :

(a) la présente Convention est aussi ouverte à l’adhésion de toute organisation d’intégration économique régionale, qui, sous réserve des paragraphes suivants, est pleinement liée par les dispositions de la Convention au même titre que les États parties ;

(b) lorsqu’un ou plusieurs États membres d’une telle organisation sont également Parties à la présente Convention, cette organisation et cet ou ces États membres conviennent de leur responsabilité dans l’exécution de leurs obligations en vertu de la présente Convention. Ce partage des responsabilités prend effet une fois achevée la procédure de notification décrite à l’alinéa (c). L’organisation et les États membres ne sont pas habilités à exercer concurremment les droits découlant de la présente Convention. En outre, dans les domaines relevant de leur compétence, les organisations d’intégration économique disposent pour exercer leur droit de vote d’un nombre de voix égal au nombre de leurs États membres qui sont Parties à la présente Convention. Ces organisations n’exercent pas leur droit de vote si les États membres exercent le leur et inversement ;

(c) une organisation d’intégration économique régionale et son État ou ses États membres qui ont convenu d’un partage des responsabilités tel que prévu à l’alinéa (b) informent les Parties du partage ainsi proposé de la façon suivante :

(i) dans son instrument d’adhésion, cette organisation indique de façon précise le partage des responsabilités en ce qui concerne les questions régies par la Convention ;

(ii) en cas de modification ultérieure des responsabilités respectives, l’organisation d’intégration économique régionale informe le dépositaire de toute proposition de

376

Annexe 4 : Convention de l’Unesco sur la promotion et la protection de la diversité des expressions culturelles (2005) modification de ces responsabilités ; le dépositaire informe à son tour les Parties de cette modification ;

(e) les États membres d’une organisation d’intégration économique régionale qui deviennent Parties à la Convention sont présumés demeurer compétents pour tous les domaines n’ayant pas fait l’objet d’un transfert de compétence à l’organisation expressément déclaré ou signalé au dépositaire ;

(f) on entend par « organisation d’intégration économique régionale » une organisation constituée par des États souverains membres de l’Organisation des Nations Unies ou de l’une de ses institutions spécialisées, à laquelle ces États ont transféré leur compétence dans des domaines régis par la présente Convention et qui a été dûment autorisée, selon ses procédures internes, à en devenir Partie.

4. L’instrument d’adhésion est déposé auprès du Directeur général de l’UNESCO.

Article 28 - Point de contact

Lorsqu’elle devient Partie à la présente Convention, chaque Partie désigne le point de contact visé à l’article 9.

Article 29 - Entrée en vigueur

1. La présente Convention entrera en vigueur trois mois après la date du dépôt du trentième instrument de ratification, d’acceptation, d’approbation ou d’adhésion, mais uniquement à l’égard des États ou des organisations d’intégration économique régionale qui auront déposé leurs instruments respectifs de ratification, d’acceptation, d’approbation ou d’adhésion à cette date ou antérieurement. Elle entrera en vigueur pour toute autre Partie trois mois après le dépôt de son instrument de ratification, d’acceptation, d’approbation ou d’adhésion.

2. Aux fins du présent article, aucun des instruments déposés par une organisation d’intégration économique régionale ne doit être considéré comme venant s’ajouter aux instruments déjà déposés par les États membres de ladite organisation.

377

Annexes

Article 30 - Régimes constitutionnels fédéraux ou non unitaires

Reconnaissant que les accords internationaux lient également les Parties indépendamment de leurs systèmes constitutionnels, les dispositions ci-après s’appliquent aux Parties ayant un régime constitutionnel fédéral ou non unitaire :

(a) en ce qui concerne les dispositions de la présente Convention dont l’application relève de la compétence du pouvoir législatif fédéral ou central, les obligations du gouvernement fédéral ou central seront les mêmes que celles des Parties qui ne sont pas des États fédéraux

(b) en ce qui concerne les dispositions de la présente Convention dont l’application relève de la compétence de chacune des unités constituantes telles que États, comtés, provinces ou cantons, qui ne sont pas, en vertu du régime constitutionnel de la fédération, tenus de prendre des mesures législatives, le gouvernement fédéral portera, si nécessaire, lesdites dispositions à la connaissance des autorités compétentes des unités constituantes telles qu’États, comtés, provinces ou cantons avec son avis favorable pour adoption.

Article 31 – Dénonciation

1. Chacune des Parties a la faculté de dénoncer la présente Convention.

2. La dénonciation est notifiée par un instrument écrit déposé auprès du Directeur général de l’UNESCO.

3. La dénonciation prend effet douze mois après réception de l’instrument de dénonciation. Elle ne modifie en rien les obligations financières dont la Partie dénonciatrice est tenue de s’acquitter jusqu’à la date à laquelle le retrait prend effet.

Article 32 - Fonctions du dépositaire

Le Directeur général de l’UNESCO, en sa qualité de dépositaire de la présente Convention, informe les États membres de l’Organisation, les États non membres et les organisations d’intégration économique régionale visés à l’article 27, ainsi que l’Organisation des Nations Unies, du dépôt de tous les instruments de ratification,

378

Annexe 4 : Convention de l’Unesco sur la promotion et la protection de la diversité des expressions culturelles (2005) d’acceptation, d’approbation ou d’adhésion mentionnés aux articles 26 et 27, de même que des dénonciations prévues à l’article 31.

Article 33 – Amendements

1. Toute Partie peut, par voie de communication écrite adressée au Directeur général, proposer des amendements à la présente Convention. Le Directeur général transmet cette communication à toutes les Parties. Si, dans les six mois qui suivent la date de transmission de la communication, la moitié au moins des Parties donne une réponse favorable à cette demande, le Directeur général présente cette proposition à la prochaine session de la Conférence des Parties pour discussion et éventuelle adoption.

2. Les amendements sont adoptés à la majorité des deux tiers des Parties présentes et votantes.

3. Les amendements à la présente Convention, une fois adoptés, sont soumis aux Parties pour ratification, acceptation, approbation ou adhésion.

4. Pour les Parties qui les ont ratifiés, acceptés, approuvés ou y ont adhéré, les amendements à la présente Convention entrent en vigueur trois mois après le dépôt des instruments visés au paragraphe 3 du présent article par les deux tiers des Parties. Par la suite, pour chaque Partie qui ratifie, accepte, approuve un amendement ou y adhère, cet amendement entre en vigueur trois mois après la date de dépôt par la Partie de son instrument de ratification, d’acceptation, d’approbation ou d’adhésion.

5. La procédure établie aux paragraphes 3 et 4 ne s’applique pas aux amendements apportés à l’article 23 concernant le nombre des membres du Comité intergouvernemental. Ces amendements entrent en vigueur au moment de leur adoption.

6. Un État ou une organisation d’intégration économique régionale au sens de l’article 27 qui devient Partie à la présente Convention après l’entrée en vigueur d’amendements conformément au paragraphe 4 du présent article est, faute d’avoir exprimé une intention différente, considéré comme étant :

(a) Partie à la présente Convention ainsi amendée ; et

379

Annexes

(b) Partie à la présente Convention non amendée à l’égard de toute Partie qui n’est pas liée par ces amendements.

Article 34 - Textes faisant foi

La présente Convention est établie en anglais, arabe, chinois, espagnol, français et russe, les six textes faisant également foi.

Article 35 – Enregistrement

Conformément à l’article 102 de la Charte des Nations Unies, la présente Convention sera enregistrée au Secrétariat de l’Organisation des Nations Unies à la requête du Directeur général de l’UNESCO.

Annexe à la Convention - Procédure de conciliation

Article premier - Commission de conciliation

Une Commission de conciliation est créée à la demande de l’une des Parties au différend. À moins que les Parties n’en conviennent autrement, la Commission se compose de cinq membres, chaque Partie concernée en désignant deux et le Président étant choisi d’un commun accord par les membres ainsi désignés.

Article 2 - Membres de la commission

En cas de différend entre plus de deux Parties, les parties ayant le même intérêt désignent leurs membres de la Commission d’un commun accord. Lorsque deux Parties au moins ont des intérêts indépendants ou lorsqu’elles sont en désaccord sur la question de savoir si elles ont le même intérêt, elles nomment leurs membres séparément.

Article 3 - Nomination

Si, dans un délai de deux mois après la demande de création d’une commission de conciliation, tous les membres de la Commission n’ont pas été nommés par les Parties, le

380

Annexe 4 : Convention de l’Unesco sur la promotion et la protection de la diversité des expressions culturelles (2005) Directeur général de l’UNESCO procède, à la requête de la Partie qui a fait la demande, aux nominations nécessaires dans un nouveau délai de deux mois.

Article 4 - Président de la commission

Si, dans un délai de deux mois après la nomination du dernier des membres de la Commission, celle-ci n’a pas choisi son Président, le Directeur général procède, à la requête d’une Partie, à la désignation du Président dans un nouveau délai de deux mois.

Article 5 – Décisions

La Commission de conciliation prend ses décisions à la majorité des voix de ses membres. À moins que les Parties au différend n’en conviennent autrement, elle établit sa propre procédure. Elle rend une proposition de résolution du différend que les Parties examinent de bonne foi.

Article 6 – Désaccords

En cas de désaccord au sujet de la compétence de la Commission de conciliation, celle-ci décide si elle est ou non compétente.

Entrée en vigueur :

18 mars 2007, conformément à son article 29.

381

Annexe 5 : La Déclaration de Bamako (2000)

Bamako, le 3 novembre 2000

Nous, Ministres et Chefs de délégation des États et gouvernements des pays ayant le français en partage, réunis à Bamako pour le Symposium international sur le bilan des pratiques de la démocratie, des droits et des libertés dans l'espace francophone ;

Nous fondant sur les dispositions de la Charte de la Francophonie, qui consacrent comme objectifs prioritaires l'aide à l'instauration et au développement de la démocratie, la prévention des conflits et le soutien à l'État de droit et aux droits de l’Homme ;

Rappelant l'attachement de la Francophonie à la Déclaration universelle des droits de l'Homme et aux Chartes régionales, ainsi que les engagements des Sommets de Dakar (1989), de Chaillot (1991), de Maurice (1993), de Cotonou (1995), de Hanoi (1997) et de Moncton (1999) ;

Inscrivant notre action dans le cadre de la Décennie des Nations unies pour l'éducation aux Droits de l'Homme (1995-2004);

Considérant l'action d'accompagnement des processus démocratiques menée par la Francophonie ces dix dernières années ;

Soucieux de progresser vers la démocratie par le développement économique et social et une juste répartition des ressources nationales pour un accès égal à l'éducation, à la formation, à la santé et à l’emploi ;

Souhaitant répondre à l'objectif fixé au Sommet de Moncton, de tenir un Symposium International sur le bilan des pratiques de la démocratie, des droits et des libertés dans l'espace francophone, pour approfondir la concertation et la coopération en faveur de l'État de droit et de la culture démocratique, et d'engager ainsi une étape nouvelle dans le dialogue des États et gouvernements des pays ayant le français en partage, pour mieux faire ressortir les axes principaux tant de leur expérience récente que de leur spécificité ;

383

Annexes

I – Constatons

- que le bilan des pratiques de la démocratie, des droits et des libertés dans l'espace francophone, au cours de ces dix dernières années, comporte des acquis indéniables : consécration constitutionnelle des droits de l'Homme, mise en place des Institutions de la démocratie et de l'État de droit, existence de contre-pouvoirs, progrès dans l'instauration du multipartisme dans nombre de pays francophones et dans la tenue d'élections libres, fiables et transparentes, contribution de l'opposition au fonctionnement de la démocratie, promotion de la démocratie locale par la décentralisation ;

- que ce bilan présente, aussi, des insuffisances et des échecs : récurrence de conflits, interruption de processus démocratiques, génocide et massacres, violations graves des droits de l'Homme, persistance de comportements freinant le développement d'une culture démocratique, manque d'indépendance de certaines institutions et contraintes de nature économique, financière et sociale, suscitant la désaffection du citoyen à l'égard du fait démocratique ;

II- Confirmons notre adhésion aux principes fondamentaux suivants :

1. La démocratie, système de valeurs universelles, est fondée sur la reconnaissance du caractère inaliénable de la dignité et de l'égale valeur de tous les êtres humains ; chacun a le droit d'influer sur la vie sociale, professionnelle et politique et de bénéficier du droit au développement ;

2. L'État de droit qui implique la soumission de l'ensemble des institutions à la loi, la séparation des pouvoirs, le libre exercice des droits de l'Homme et des libertés fondamentales, ainsi que l'égalité devant la loi des citoyens, femmes et hommes, représentent autant d'éléments constitutifs du régime démocratique ;

3. La démocratie exige, en particulier, la tenue, à intervalles réguliers, d'élections libres, fiables et transparentes, fondées sur le respect et l'exercice, sans aucun empêchement ni aucune discrimination, du droit à la liberté et à l'intégrité physique de tout électeur et de tout candidat, du droit à la liberté d'opinion et d'expression, notamment par voie de presse et autre moyen de communication, de la liberté de réunion et de manifestation, et de la liberté d'association ;

384

Annexe 5 : La Déclaration de Bamako (2000)

4. La démocratie est incompatible avec toute modification substantielle du régime électoral introduite de façon arbitraire ou subreptice, un délai raisonnable devant toujours séparer l'adoption de la modification de son entrée en vigueur ;

5. La démocratie suppose l'existence de partis politiques égaux en droits, libres de s'organiser et de s'exprimer, pour autant que leur programme et leurs actions ne remettent pas en cause les valeurs fondamentales de la démocratie et des droits de l'Homme. Ainsi, la démocratie va de pair avec le multipartisme. Elle doit assurer à l'opposition un statut clairement défini, exclusif de tout ostracisme585 ;

6. La démocratie requiert la pratique du dialogue à tous les niveaux aussi bien entre les citoyens, entre les partenaires sociaux, entre les partis politiques, qu'entre l'État et la société civile. La démocratie implique la participation des citoyens à la vie politique et leur permet d'exercer leur droit de contrôle ;

III - Proclamons

1. que Francophonie et démocratie sont indissociables : il ne saurait y avoir d'approfondissement du projet francophone sans une progression constante vers la démocratie et son incarnation dans les faits ; c'est pourquoi la Francophonie fait de l'engagement démocratique une priorité qui doit se traduire par des propositions et des réalisations concrètes ;

2. que, pour la Francophonie, il n'y a pas de mode d'organisation unique de la démocratie et que, dans le respect des principes universels, les formes d'expression de la démocratie doivent s'inscrire dans les réalités et spécificités historiques, culturelles et sociales de chaque peuple ;

3. que la démocratie, cadre politique de l'État de droit et de la protection des droits de l'Homme, est le régime qui favorise le mieux la stabilité à long terme et la sécurité juridique ; par le climat de liberté qu'elle suscite, la démocratie crée aussi les conditions

585 Réserve du Laos et du Vietnam sur l’article II (5) – motif : la démocratie et le multipartisme sont deux notions différentes et ne peuvent s’identifier. La démocratie est une finalité alors que le multipartisme n’est qu’un chemin. Le chemin pour y parvenir décidé par chaque pays doit être défini par son peuple en fonction de ses spécificités culturelles, historiques, économiques et sociales.

385

Annexes d'une mobilisation librement acceptée par la population pour le développement ; la démocratie et le développement sont indissociables : ce sont là les facteurs d'une paix durable ;

4. que la démocratie, pour les citoyens - y compris, parmi eux, les plus pauvres et les plus défavorisés - se juge, avant tout, à l'aune du respect scrupuleux et de la pleine jouissance de tous leurs droits, civils et politiques, économiques, sociaux et culturels, assortis de mécanismes de garanties. Il s'agit là de conditions essentielles à leur adhésion aux institutions et à leur motivation à devenir des acteurs à part entière de la vie politique et sociale ;

5. que, pour préserver la Démocratie, la Francophonie condamne les coups d'État et toute autre prise de pouvoir par la violence, les armes ou quelque autre moyen illégal ;

6. que, pour consolider la démocratie, l'action de la Francophonie doit reposer sur une coopération internationale qui s'inspire des pratiques et des expériences positives de chaque État et gouvernement membre ;

7. que les principes démocratiques, dans toutes leurs dimensions, politique, économique, sociale, culturelle et juridique, doivent également imprégner les relations internationales ;

IV - Prenons les engagements suivants :

A. Pour la consolidation de l'État de droit

1. Renforcer les capacités des institutions de l'État de droit, classiques ou nouvelles, et œuvrer en vue de les faire bénéficier de toute l'indépendance nécessaire à l'exercice impartial de leur mission ;

2. Encourager le renouveau de l'institution parlementaire, en facilitant matériellement le travail des élus, en veillant au respect de leurs immunités et en favorisant leur formation ;

3. Assurer l'indépendance de la magistrature, la liberté du Barreau et la promotion d'une justice efficace et accessible, garante de l'État de droit, conformément à la Déclaration et au Plan d'action décennal du Caire adoptés par la IIIe Conférence des Ministres francophones de la justice ;

386

Annexe 5 : La Déclaration de Bamako (2000)

4. Mettre en œuvre le principe de transparence comme règle de fonctionnement des institutions ;

5. Généraliser et accroître la portée du contrôle, par des instances impartiales, sur tous les organes et institutions, ainsi que sur tous les établissements, publics ou privés, maniant des fonds publics ;

6. Soutenir l'action des institutions mises en place dans le cadre de l'intégration et de la coopération régionales, de manière à faire émerger, à ce niveau, une conscience citoyenne tournée vers le développement, le progrès et la solidarité ;

B. Pour la tenue d'élections libres, fiables et transparentes

7. S'attacher au renforcement des capacités nationales de l'ensemble des acteurs et des structures impliqués dans le processus électoral, en mettant l'accent sur l'établissement d'un état-civil et de listes électorales fiables ;

8. S'assurer que l'organisation des élections, depuis les opérations préparatoires et la campagne électorale jusqu'au dépouillement des votes et à la proclamation des résultats, y inclus, le cas échéant, le contentieux, s'effectue dans une transparence totale et relève de la compétence d'organes crédibles dont l'indépendance est reconnue par tous ;

9. Garantir la pleine participation des citoyens au scrutin, ainsi que le traitement égal des candidats tout au long des opérations électorales ;

10. Impliquer l'ensemble des partis politiques légalement constitués, tant de la majorité que de l'opposition, à toutes les étapes du processus électoral, dans le respect des principes démocratiques consacrés par les textes fondamentaux et les institutions, et leur permettre de bénéficier de financements du budget de l'État ;

11. Prendre les mesures nécessaires pour s'orienter vers un financement national, sur fonds public, des élections ;

12. Se soumettre aux résultats d'élections libres, fiables et transparentes ;

387

Annexes

C. Pour une vie politique apaisée

13. Faire en sorte que les textes fondamentaux régissant la vie démocratique résultent d'un large consensus national, tout en étant conformes aux normes internationales, et soient l'objet d'une adaptation et d'une évaluation régulières ;

14. Faire participer tous les partis politiques, tant de l'opposition que de la majorité, à la vie politique nationale, régionale et locale, conformément à la légalité, de manière à régler pacifiquement les conflits d'intérêts ;

15. Favoriser la participation des citoyens à la vie publique en progressant dans la mise en place d'une démocratie locale, condition essentielle de l'approfondissement de la démocratie ;

16. Prévenir, et le cas échéant régler de manière pacifique, les contentieux et les tensions entre groupes politiques et sociaux, en recherchant tout mécanisme et dispositif appropriés, comme l'aménagement d'un statut pour les anciens hauts dirigeants, sans préjudice de leur responsabilité pénale selon les normes nationales et internationales ;

17. Reconnaître la place et faciliter l'implication constante de la société civile, y compris les ONG, les médias, les autorités morales traditionnelles, pour leur permettre d'exercer, dans l'intérêt collectif, leur rôle d'acteurs d'une vie politique équilibrée ;

18. Veiller au respect effectif de la liberté de la presse et assurer l'accès équitable des différentes forces politiques aux médias publics et privés, écrits et audiovisuels, selon un mode de régulation conforme aux principes démocratiques ;

D. Pour la promotion d'une culture démocratique intériorisée et le plein respect des droits de l'Homme

19. Développer l'esprit de tolérance et promouvoir la culture démocratique dans toutes ses dimensions, afin de sensibiliser, par l'éducation et la formation, les responsables publics, l'ensemble des acteurs de la vie politique et tous les citoyens aux exigences éthiques de la démocratie et des droits de l'Homme ;

388

Annexe 5 : La Déclaration de Bamako (2000)

20. Favoriser, à cet effet, l'émergence de nouveaux partenariats entre initiatives publiques et privées, mobilisant tous les acteurs engagés pour la démocratie et les droits de l'Homme ;

21. Ratifier les principaux instruments internationaux et régionaux relatifs aux droits de l'Homme, honorer et parfaire les engagements ainsi contractés, s'assurer de leur pleine mise en œuvre et former tous ceux qui sont chargés de leur application effective ;

22. Adopter en particulier, afin de lutter contre l'impunité, toutes les mesures permettant de poursuivre et sanctionner les auteurs de violations graves des droits de l'Homme, telles que prévues par plusieurs instruments juridiques internationaux et régionaux, dont le Statut de Rome portant création d'une Cour Pénale Internationale ; appeler à sa ratification rapide par le plus grand nombre ;

23. Créer, généraliser et renforcer les institutions nationales, consultatives ou non, de promotion des droits de l'Homme et soutenir la création dans les administrations nationales de structures consacrées aux droits de l'Homme, ainsi que l'action des défenseurs des droits de l'Homme ;

24. Prendre les mesures appropriées afin d'accorder le bénéfice aux membres des groupes minoritaires, qu'ils soient ethniques, philosophiques, religieux ou linguistiques, de la liberté de pratiquer ou non une religion, du droit de parler leur langue et d'avoir une vie culturelle propre ;

25. Veiller au respect de la dignité des personnes immigrées et à l'application des dispositions pertinentes contenues dans les instruments internationaux les concernant.

À ces fins, et dans un souci de partenariat rénové, nous entendons :

- Intensifier la coopération entre l'OIF et les organisations internationales et régionales, développer la concertation en vue de la démocratisation des relations internationales, et soutenir, dans ce cadre, les initiatives qui visent à promouvoir la démocratie ;

- Renforcer le mécanisme de concertation et de dialogue permanents avec les OING reconnues par la Francophonie, particulièrement avec celles qui poursuivent les mêmes objectifs dans les domaines de la démocratie et des droits de l'Homme ;

389

Annexes

V - Décidons de recommander la mise en œuvre des procédures ci-après pour le suivi des pratiques de la démocratie, des droits et des libertés dans l'espace francophone :

1- Le Secrétaire général se tient informé en permanence de la situation de la démocratie, des droits et des libertés dans l'espace francophone, en s'appuyant notamment sur la Délégation à la Démocratie et aux Droits de l'Homme, chargée de l'observation du respect de la démocratie et des droits de l'Homme dans les pays membres de la Francophonie ;

Une évaluation permanente des pratiques de la démocratie, des droits et des libertés dans l'espace francophone sera conduite, à des fins de prévention, dans le cadre de l'Organisation internationale de la Francophonie, sur la base des principes constitutifs énoncés précédemment. Cette évaluation doit permettre :

- de définir les mesures les plus appropriées en matière d'appui à l'enracinement de la démocratie, des droits et des libertés,

- d'apporter aux États et gouvernements qui le souhaitent l'assistance nécessaire en ces domaines,

- de contribuer à la mise en place d'un système d'alerte précoce ;

2- Face à une crise de la démocratie ou en cas de violations graves des droits de l'Homme, les instances de la Francophonie se saisissent, conformément aux dispositions de la Charte, de la question afin de prendre toute initiative destinée à prévenir leur aggravation et à contribuer à un règlement. À cet effet, le Secrétaire général propose des mesures spécifiques :

- il peut procéder à l'envoi d'un facilitateur susceptible de contribuer à la recherche de solutions consensuelles. L'acceptation préalable du processus de facilitation par les autorités du pays concerné constitue une condition du succès de toute action. Le facilitateur est choisi par le Secrétaire général après consultation du Président de la Conférence ministérielle, en accord avec l'ensemble des protagonistes. La facilitation s'effectue en liaison étroite avec le CPF ;

- il peut décider, dans le cas de procès suscitant la préoccupation de la communauté francophone, de l'envoi, en accord avec le CPF, d'observateurs judiciaires dans un pays en accord avec celui-ci.

390

Annexe 5 : La Déclaration de Bamako (2000)

3- En cas de rupture de la démocratie ou de violations massives des droits de l'Homme586, les actions suivantes sont mises en œuvre :

- Le Secrétaire général saisit immédiatement le Président de la Conférence ministérielle de la Francophonie à des fins de consultation ;

- La question fait l'objet d'une inscription immédiate et automatique à l'ordre du jour du CPF, qui peut être convoqué d'urgence en session extraordinaire, et, le cas échéant :

o confirme la rupture de la démocratie ou l'existence de violations massives des droits de l'Homme,

o les condamne publiquement,

o exige le rétablissement de l'ordre constitutionnel ou l'arrêt immédiat de ces violations,

Le CPF signifie sa décision aux parties concernées.

Le Secrétaire général se met en rapport avec les autorités de fait. Il peut envoyer sur place une mission d'information et de contacts. Le rapport établi dans les plus brefs délais par cette mission est communiqué aux autorités nationales pour commentaires. Le rapport de la mission, ainsi que les commentaires des autorités nationales, sont soumis au CPF, pour toute suite jugée pertinente.

Le CPF peut prendre certaines des mesures suivantes :

- refus de soutenir les candidatures présentées par le pays concerné, à des postes électifs au sein d'organisations internationales,

- refus de la tenue de manifestations ou conférences de la Francophonie dans le pays concerné,

- recommandations en matière d'octroi de visas aux autorités de fait du pays concerné et réduction des contacts intergouvernementaux,

- suspension de la participation des représentants du pays concerné aux réunions des instances,

586 Interprétation de la Tunisie : par « rupture de la démocratie », entendre « coup d’Etat » et par « violations massives des droits de l’Homme », entendre « génocide ».

391

Annexes

- suspension de la coopération multilatérale francophone, à l'exception des programmes qui bénéficient directement aux populations civiles et de ceux qui peuvent concourir au rétablissement de la démocratie,

- proposition de suspension du pays concerné de la Francophonie. En cas de coup d'État militaire contre un régime issu d'élections démocratiques, la suspension est décidée.

Lorsque des dispositions sont prises en vue de restaurer l'ordre constitutionnel ou de faire cesser les violations massives des droits de l'Homme, le CPF se prononce sur le processus de retour au fonctionnement régulier des institutions, assorti de garanties pour le respect des droits de l'Homme et des libertés fondamentales. Il détermine les mesures d'accompagnement de ce processus par la Francophonie en partenariat avec d'autres organisations internationales et régionales.

Si besoin est, le CPF saisit la Conférence ministérielle de la Francophonie par le canal de son Président.

La question de la rupture de la démocratie ou des violations massives des droits de l'Homme dans un pays et des mesures prises, reste inscrite à l'ordre du jour du CPF aussi longtemps que subsistent cette rupture ou ces violations587.

Nous, Ministres et Chefs de délégation des États et gouvernements des pays ayant le français en partage,

Adoptons la présente Déclaration ;

Demandons au Secrétaire général de l'Organisation internationale de la Francophonie d'en assurer la mise en œuvre ;

Transmettons, à l'intention des Chefs d'État et de gouvernement, en vue de leur IXe Sommet à Beyrouth, le projet de Programme d'action ci-joint en annexe.

587 Réserve du Laos et du Vietnam sur l’article V (3).

392

Annexe 6 : La Déclaration de Saint-Boniface - Prévention des conflits et Sécurité humaine (2006)

Nous, Ministres et Chefs de délégation des États et gouvernements ayant le français en partage, réunis à Saint-Boniface les 13 et 14 mai 2006, dans le cadre de la Conférence ministérielle de la Francophonie sur la prévention des conflits et la sécurité humaine ;

Nous fondant sur les dispositions de la Charte de la Francophonie adoptée à Antananarivo en novembre 2005 ainsi que sur les orientations définies par nos Chefs d'État et de gouvernement dans le Cadre stratégique décennal de la Francophonie, adopté lors du Sommet de Ouagadougou, en novembre 2004, et Rappelant en particulier les objectifs stratégiques arrêtés dans ce dernier, portant sur la consolidation de la démocratie, des droits de l'Homme et de l'État de droit, ainsi que sur la prévention des conflits et l'accompagnement des processus de sortie de crises, de transition démocratique et de consolidation de la paix ;

Convaincus que, dans un monde plus que jamais interdépendant, confronté à des dangers communs et à des menaces transnationales, le multilatéralisme demeure le cadre privilégié de la coopération internationale ; que la construction de la paix, le renforcement de la sécurité collective et le développement durable à l’échelle mondiale sont une tâche commune qui doit se réaliser dans le respect de la souveraineté des États, de l’égalité des droits des peuples et de leur droit à disposer d’eux-mêmes, et que le recours à la force est du ressort ultime du Conseil de sécurité, qui l’exerce dans le respect de la Charte des Nations Unies et des règles du droit international ;

Persuadés que l'instauration du dialogue des cultures et des civilisations, comme l’affermissement de la solidarité entre les nations, sont de nature à réduire les tensions, à prévenir les conflits et à renforcer la lutte contre le terrorisme ;

Convaincus également que la prévention des crises et des conflits repose aussi sur la sécurité de l’individu, la satisfaction de ses besoins vitaux, notamment celui de vivre en paix, le respect de tous ses droits, y compris le droit au développement, toutes exigences conditionnées par l’existence d’un État de droit démocratique ; Convaincus

393

Annexes enfin que la sécurité, la paix, le respect de tous les droits de l’Homme - assortis de mécanismes de garantie -, la démocratie et le développement, composantes essentielles de la sécurité humaine, sont indissociables et constituent des objectifs liés et interdépendants ;

Conscients de l'étape majeure que représente l'adoption de la Déclaration de Bamako de novembre 2000, pour l'affirmation de la Francophonie politique et l'approfondissement du dialogue et de la coopération entre nos États et gouvernements autour de l'État de droit, de la démocratie et des droits de l'Homme, et Reconnaissant la contribution significative de la mise en œuvre du dispositif de Bamako aux progrès accomplis dans la promotion de la paix au sein de l’espace francophone, dans une démarche tant de prévention structurelle que d’accompagnement des sorties de crises et des transitions ;

Faisant nôtres les conclusions du Symposium international sur les pratiques de la démocratie, des droits et des libertés dans l’espace francophone (Bamako +5) de novembre 2005, telles qu’exprimées dans l’Acte final qui a confirmé l’adhésion unanime aux engagements et au mécanisme de suivi consignés dans la Déclaration de Bamako, ainsi que la portée de celle-ci comme instrument normatif et d’action au service de la paix, sous l’impulsion du Secrétaire général, et qui a invité l’Organisation internationale de la Francophonie à accroître ses efforts en faveur de la prévention des conflits, grâce à l’alerte précoce et à la diplomatie préventive, ainsi qu’à renforcer son interaction avec les États et gouvernements membres ;

Rappelant les engagements souscrits par nos chefs d’État et de gouvernement lors de leurs Conférences au Sommet, notamment dans les Déclarations de Moncton (1999) et de Beyrouth (2002), en lien avec la prévention des conflits, la paix et la sécurité internationales ;

Rappelant en particulier le rôle précurseur joué par la Francophonie dans la Déclaration de Ouagadougou (2004) sur la responsabilité de protéger et notamment en ce qui concerne celle des États de protéger les populations sur leurs territoires et la responsabilité de la communauté internationale, lorsqu’un État n’est pas en mesure ou n’est pas disposé à exercer cette responsabilité, de réagir, dans le cadre d’un mandat du Conseil de sécurité des Nations Unies et sous son égide, pour protéger

394

Annexe 6 : La Déclaration de Saint-Boniface (2006) les populations victimes de violations massives des droits de l’Homme et du droit international humanitaire;

Prenant acte avec satisfaction de la reconnaissance unanime par les membres de l'Organisation des Nations Unies au titre des dispositions des alinéas 138 et 139 du Document final du Sommet mondial qui s’est tenu à New York en septembre 2005, du principe de la responsabilité de protéger les populations contre le génocide, les crimes de guerre, l’épuration ethnique et les crimes contre l'humanité ; Prenant acte, à cet égard, de la Résolution 1674 du Conseil de sécurité concernant le renforcement des efforts de protection des civils, en période de conflit armé, particulièrement les femmes et les enfants, ainsi que la responsabilité et le rôle d'accompagnement de la communauté internationale ;

Prenant acte également des conclusions du même Sommet, appelant à l’instauration d’un ordre international plus juste, fondé sur le caractère universel, indivisible et interdépendant des droits de l’Homme, de la sécurité et du développement, et sur les droits de tout être humain de vivre à l’abri du besoin, de la peur et dans la dignité ; et Rappelant qu’à cette occasion, les États se sont engagés à définir la notion de sécurité humaine à l’Assemblée générale des Nations Unies ;

Déterminés à concrétiser l'ambition d'une Francophonie qui, au cours de la décennie 2005-2014, entend valoriser son approche et ses acquis au service de la prévention et du règlement des conflits, tout en accompagnant résolument les efforts de la communauté internationale visant à construire un système international plus efficace, rénové dans ses structures, ses mécanismes et ses normes ;

1. Réitérons notre attachement à un système multilatéral actif, efficace et imprégné des valeurs démocratiques, fondé sur le respect de l’intégrité territoriale, l’indépendance politique, la souveraineté des États et le principe de non-ingérence dans les affaires intérieures, et favorisant le règlement pacifique des différends et la renonciation au recours à la menace ou à l’emploi de la force dans les relations internationales, conformément au droit international ; Soutenons avec intérêt, dans ce contexte, les réflexions à venir aux Nations Unies visant l’établissement de principes directeurs du recours à la force ;

2. Soulignons la responsabilité qui incombe à chaque État de protéger les civils sur son territoire ou sur un territoire qu’il contrôle ; Réaffirmons que cette 395

Annexes

responsabilité exige la protection des populations contre le génocide, les crimes de guerre, l’épuration ethnique, et les crimes contre l’humanité, ainsi que la poursuite en justice des auteurs de tels actes ; Confirmons la coopération pleine et entière de la Francophonie à l'égard de ses membres qui le souhaitent, pour qu’ils s’acquittent de cette responsabilité ;

3. Soulignons la responsabilité de la communauté internationale de réagir d'une façon opportune et décisive, et en conformité avec la légalité internationale, les principes de la Charte des Nations Unies et les prérogatives dévolues au Conseil de sécurité pour protéger les civils contre le génocide, les crimes de guerre, l’épuration ethnique et les crimes contre l’humanité, au cas où les moyens pacifiques s’avéreraient insuffisants et où il serait manifeste que les autorités nationales ne protègent pas leurs populations contre de tels actes ;

4. Réaffirmons notre volonté de conforter l’action préventive de l’Organisation internationale de la Francophonie, telle que prévue par la Déclaration de Bamako et dans le Programme d’action annexé à celle-ci, par une utilisation optimale de ses capacités, afin de lui permettre de jouer pleinement son rôle spécifique dans l’observation, l’alerte précoce, la diplomatie préventive, la gestion des crises, l’accompagnement des transitions et la consolidation de la paix, et ce, dans le cadre d’une coopération systématique et rationalisée avec les Organisations internationales et régionales ;

5. Confirmons notre volonté politique d’agir et d’exercer pleinement notre responsabilité de prévenir l’éclatement des crises et des conflits dans l’espace francophone, limiter leur propagation, faciliter leur règlement pacifique et hâter le retour à une situation de paix durable par la mise en œuvre des dispositions librement consenties au titre de la Déclaration de Bamako et des instruments internationaux auxquels nos États sont parties ;

6. Soutenons les efforts que déploie le Secrétaire général de la Francophonie dans l'exercice de son mandat politique et dans la mise en œuvre du dispositif francophone d'alerte précoce, de prévention et de règlement des conflits, fondé sur la consolidation de l’État de droit, la tenue d’élections libres, fiables et transparentes, la promotion d’une vie politique apaisée, d’une culture démocratique intériorisée et du plein respect des droits de l’Homme ; Confirmons, à cet égard, notre

396

Annexe 6 : La Déclaration de Saint-Boniface (2006)

disponibilité à appuyer pleinement ses initiatives destinées à engager, aux fins de prévention, le dialogue avec nos États et gouvernements, par des actions politiques ou de coopération adaptées, allant de pair ; Nous engageons, dans ce sens, à fournir régulièrement des informations sur l’état de mise en œuvre des engagements que nous avons pris à Bamako ;

7. Invitons le Secrétaire général, dans cette perspective, à rendre pleinement opérationnel le mécanisme d’observation et d’évaluation permanentes des pratiques de la démocratie, des droits et des libertés dans l’espace francophone ;

8. Invitons l’Organisation internationale de la Francophonie à consolider ses capacités d’analyse, en collaboration avec ses États et gouvernements membres et les Organisations internationales et régionales, en s’appuyant sur le Réseau d’information et de concertation, ainsi que sur les réseaux de l’Agence universitaire de la Francophonie ; il s’agira notamment de poursuivre, comme elle l’a fait lors des Rencontres de Cotonou de septembre 2005, organisées conjointement avec l’Union africaine, la réflexion sur les causes et les facteurs de conflictualité, les indicateurs sous-tendant la fonction d’observation et de veille, et les faits considérés comme déclencheurs des mécanismes de sauvegarde et de réaction ;

9. Encourageons aussi le Secrétaire général à recourir, aux fins de concertation et de consultation, à tous les instruments dont il dispose, tels les Comités ad hoc consultatifs restreints ou les sessions extraordinaires du Conseil permanent de la Francophonie, ainsi qu’à l’envoi, en liaison avec l’Assemblée parlementaire de la Francophonie, de missions d’information, de facilitation et d’observation électorale ; de même que la désignation d’Envoyés ou de Représentants spéciaux ;

10. Entendons mettre à profit l’expérience acquise et le savoir-faire développé par l’Organisation internationale de la Francophonie en matière d’accompagnement des processus de sortie de crises et de transition, notamment dans les domaines de l’identification et de la mise en place de mécanismes favorisant le consensus et d’institutions de contrôle, de régulation et de médiation ; L’appelons à systématiser sa démarche, caractérisée par l’échange des expériences et par le souci de ne pas imposer de l’extérieur des processus inadaptés ;

397

Annexes

11. Soulignons l’importance de renforcer les capacités et l’expertise francophones en matière de facilitation et de médiation, notamment par l’identification et la mobilisation des compétences et des acteurs engagés, ainsi que par l’échange d’expériences et la mise en œuvre de programmes de formation ;

12. Réaffirmons que le développement économique et social est un élément clé de la prévention structurelle des crises et des conflits, et Soulignons à cet égard l’importance d’une coopération internationale solidaire, concertée et agissante ;

13. Sommes résolus à participer de façon active et concertée à la mise en place et aux travaux des nouveaux organes institués dans le cadre des Nations Unies, à savoir le Conseil des droits de l’Homme et la Commission de consolidation de la paix, qui seront appelés à jouer, chacun dans leurs domaines, un rôle de premier plan dans la promotion et la protection des droits de l'homme, la prévention des conflits et la sauvegarde de la sécurité humaine ; Demandons à l’Organisation internationale de la Francophonie de développer, dans ce cadre, ses actions d’appui à la présence et aux concertations de nos délégués ;

14. Nous engageons à promouvoir et à défendre, au sein du Conseil des droits de l'Homme, le respect intégral des droits de l'Homme, conformément aux engagements pris notamment à Bamako et aux instruments régionaux et internationaux que nous avons ratifiés ; Appuyons, à cet égard, les travaux en cours portant sur un projet de Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels ; Veillerons à ce que le Conseil remplisse son mandat de manière efficace afin de lui permettre de traiter de toutes les questions et situations qui méritent son attention ;

15. Encourageons l’Organisation internationale de la Francophonie à établir des liens utiles avec la Commission de consolidation de la paix ; Sommes résolus à poursuivre notre plaidoyer, notamment au sein de cet organe, en faveur des pays en situation de sortie de crises pour conforter leurs processus de réconciliation nationale et leurs efforts visant à assurer la gouvernance démocratique, en favorisant par exemple l’accès de ces pays aux financements internationaux ;

16. Entendons mettre en œuvre notre décision d’Antananarivo visant à assurer une plus forte participation de nos pays aux Opérations de maintien de la paix, en étroite coopération avec l’Organisation des Nations Unies et les Organisations 398

Annexe 6 : La Déclaration de Saint-Boniface (2006)

régionales compétentes ; Entendons également intensifier, à cette fin, les coopérations entre États membres afin de renforcer les capacités des États dont les moyens sont insuffisants ;

17. Demandons à l’Organisation internationale de la Francophonie de soutenir cet effort des États membres, en développant, en partenariat avec les coopérations bilatérales et multilatérales, des programmes de formation et en favorisant les échanges d’expériences et de bonnes pratiques ;

18. Demandons également au Secrétaire général d’examiner les possibilités pour l'Organisation internationale de la Francophonie d’être associée aux différents programmes de renforcement de capacités en maintien de la paix, tels RECAMP, programme de renforcement des capacités africaines de maintien de la paix, POSPM, programme des opérations de soutien de la paix dans le monde, et PAIM, programme d'aide à l'instruction militaire du Canada, notamment en ce qui concerne la sensibilisation et la formation ainsi que l'assistance technique dans les domaines des droits de l'Homme, des institutions, des textes fondamentaux et des élections ;

19. Nous engageons à renforcer nos actions de sensibilisation sur la nécessité d’une maîtrise de la langue de communication en usage dans le pays de déploiement, par les personnels civils et militaires engagés dans les Opérations de maintien de la paix, et encourager les Nations Unies à prendre pleinement en compte cette dimension dans leurs politiques de recrutement et de formation ;

20. Nous engageons également à renforcer ces actions pour une meilleure formation des personnels civils et militaires, dans les Opérations de maintien de la paix, à la protection des civils, tout particulièrement en ce qui concerne les abus sexuels, incluant ceux commis par les personnels de ces opérations, et la formation sur l’égalité entre les hommes et les femmes ;

21. Appelons l'Organisation internationale de la Francophonie à examiner la possibilité de participer activement, en qualité d'observateur, aux travaux du Comité spécial sur les Opérations de maintien de la paix des Nations Unies, et Décidons de nous concerter au sein de ce Comité et d'organiser à l'avenir, dans le cadre de la Commission politique du Conseil permanent de la Francophonie, une séance d'information à l'issue des sessions de ce Comité;

399

Annexes

22. Réaffirmons notre appui au Programme d’action pour prévenir, combattre et éradiquer le commerce illicite des armes légères et de petit calibre dans tous ses aspects ; Nous engageons à renforcer la coopération entre nos États et gouvernements pour sa mise en œuvre complète et pour l’harmonisation de nos législations nationales en la matière ; Confirmons la coopération pleine et entière de nos États et gouvernements à l’application des dispositions du droit international relatives à l’exportation ou au transfert d’armes légères et de petit calibre et d’autre matériel militaire, et Entendons participer activement à la Conférence d'examen du Programme d'action des Nations Unies sur le commerce illicite des armes légères et de petit calibre dans tous ses aspects, qui se tiendra en juin 2006 à New York ;

23. Nous engageons à collaborer à la réalisation des initiatives prises notamment par les Nations Unies pour surveiller et empêcher l'exploitation et le transfert international illégal de ressources naturelles, ainsi qu’à appuyer les mesures de contrôle volontaires, comme le Processus de Kimberley et les Principes directeurs pour les entreprises multinationales de l’Organisation de coopération et de développement économiques, et à encourager l'adoption volontaire des principes de responsabilité sociale des entreprises par ceux qui participent à l'exploitation des ressources naturelles ; Incitons en outre à plus de responsabilité et de transparence ceux qui participent à l'importation ou à l'exportation de ressources naturelles provenant de zones de conflit ;

24. Nous engageons également à poursuivre notre mobilisation et à renforcer la coopération entre nos États et gouvernements pour l’élimination des mines antipersonnel ; Encourageons, à cette fin, les États qui ne l’ont pas encore fait à adhérer à la Convention d’Ottawa sur l’interdiction de l’emploi, du stockage, de la production et des transferts des mines antipersonnel et sur leur destruction ; Soutenons la mise en œuvre par les pays signataires du Plan d'action de Nairobi 2005-2009, afin de respecter les délais impartis par la Convention d'Ottawa pour la destruction des stocks et le nettoyage des zones minées ;

25. Encourageons également tous les États qui ne l’ont pas encore fait à adhérer à la Convention de 1980 sur certaines armes classiques « qui peuvent être considérées comme ayant des effets traumatiques excessifs ou comme frappant sans

400

Annexe 6 : La Déclaration de Saint-Boniface (2006)

discrimination » et à l’ensemble de ses Protocoles, dont en particulier le Protocole V relatif aux restes explosifs de guerre ; Nous engageons, dès l’entrée en vigueur du Protocole V, à renforcer notre mobilisation, ainsi que la coopération entre nos États et gouvernements, contre les restes explosifs de guerre ;

26. Soulignons, dans cette perspective, l’importance qui s’attache à une participation active des États membres directement affectés par des problèmes tels que l’enrôlement des enfants dans les conflits armés, les mines antipersonnel ou la prolifération des armes légères et de petit calibre aux débats consacrés à ces questions au sein des instances multilatérales ; Appelons l’Organisation internationale de la Francophonie à explorer les moyens de favoriser une participation active de ces États ;

27. Réitérons notre engagement à respecter et à faire respecter le droit international humanitaire, notamment dans les situations de conflits armés, et à appliquer les résolutions 1265, 1296, 1325, 1612, 1674 du Conseil de sécurité ; Recommandons que la nécessité de protéger les civils en cas de menace imminente de danger physique soit pleinement prise en compte dans les mandats des Opérations de maintien de la paix dotées d’une composante militaire et que celles-ci disposent de ressources nécessaires à cet effet ; Soulignons, dans ce contexte, la nécessité d’assurer la sûreté, la sécurité et la liberté de circulation du personnel humanitaire, du personnel des Nations Unies et autres Organisations internationales dûment mandatées, ainsi que du personnel associé, qui doivent avoir un accès sans entrave aux populations civiles, comme le prescrit le droit international humanitaire ;

28. Réaffirmons notre obligation de protéger les réfugiés, notamment par le respect du principe de non refoulement et la mise en œuvre des dispositions du droit international en leur faveur, et en soutenant toute action visant les causes de déplacements forcés, pour faire en sorte que ces populations regagnent leurs lieux d’origine en toute sécurité ; Nous engageons à trouver des solutions durables au problème des réfugiés, à commencer par l’accès aux trois solutions durables - rapatriement, intégration sur place ou réinstallation dans un pays tiers - ainsi qu’en soutenant toute action visant la prévention des conflits et favorisant le partage des charges, afin d’empêcher que des mouvements de réfugiés ne suscitent des

401

Annexes

tensions accrues entre États ; Soulignons l’importance de l’enregistrement et du recensement des réfugiés ;

29. Réaffirmons également la responsabilité de nos États de protéger et d'assister les personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays et de faciliter les efforts des Organisations et Agences internationales, régionales et humanitaires à cet égard, notamment afin de faciliter l’accès aux personnes déplacées ;

30. Soulignons que les Principes directeurs relatifs au déplacement de personnes à l’intérieur de leur propre pays, approuvés par l’Assemblée générale des Nations Unies, constituent un cadre international important pour la protection des personnes déplacées, et Sommes résolus à prendre des mesures concrètes pour renforcer cette protection ;

31. Soulignons l’importance de promouvoir le respect de tous les droits de l’Homme et du droit international humanitaire, de prévenir et de sanctionner les violations graves ou massives de ces droits, et de traduire en justice les auteurs de telles violations ; Nous engageons à promouvoir l'action des Défenseurs des droits de l’Homme et à garantir leur protection ; dans ce contexte, Appelons solennellement à la ratification de tous les instruments internationaux et régionaux de lutte contre l’impunité, tels ceux relatifs à la Cour pénale internationale ou à la Cour africaine des droits de l’Homme et des peuples, et Invitons l'Organisation internationale de la Francophonie à renforcer, en tant que de besoin, son assistance aux États pour leur permettre d'assumer les engagements prévus par le Statut de Rome ;

32. Condamnons l’enrôlement des enfants dans les combats et leur implication dans les conflits armés et Appelons les États qui ne l’auraient pas encore fait à ratifier et à mettre en œuvre les principaux instruments internationaux et régionaux relatifs à la protection des enfants dans les conflits armés, incluant la Convention relative aux droits de l’enfant et son Protocole facultatif concernant l’implication d’enfants dans les conflits armés ;

33. Appuyons la création d’un mécanisme de suivi pour assurer la protection des enfants dans les conflits armés, tel que spécifié dans la résolution 1612 du Conseil de sécurité, et Confirmons le soutien plein et entier de la Francophonie dans ce domaine ; 402

Annexe 6 : La Déclaration de Saint-Boniface (2006)

34. Nous engageons, dans le souci d’une paix durable, à faciliter, dans les pays sortant de crises et de conflits, le désarmement, la démobilisation et la réinsertion (DDR) de tous les combattants et particulièrement des enfants soldats ;

35. Renouvelons notre volonté de mettre en œuvre les engagements pris lors de la Conférence des femmes de la Francophonie qui s’est tenue au Luxembourg en 2000, ainsi que les recommandations formulées par le Conseil de sécurité dans sa résolution 1325 sur le rôle et la participation des femmes dans les mécanismes de prévention, de gestion et de règlement des conflits, et les Opérations de maintien de la paix ; Appelons à la ratification universelle de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes et à la pleine réalisation des engagements souscrits lors des Conférences du Caire, de Pékin et Pékin +5 ;

36. Condamnons, à cet égard, les violences, les exploitations et les abus sexuels perpétrés contre les femmes et les enfants, notamment pendant les conflits armés, et Nous engageons à agir pour les prévenir et les réprimer en mettant fin à l’impunité ;

37. Sommes déterminés à promouvoir le rôle des femmes et des jeunes dans la prévention des conflits, de manière à conforter, par des formations spécialement conçues à leur intention, leur apport essentiel à toute culture de paix ; mus par le même souci et prenant note des recommandations du Séminaire d’échanges sur la prévention des conflits et la sécurité humaine, organisé à Paris en mars 2006, avec les Instituts et Centres de recherche sur la paix, la démocratie et les droits de l’Homme, les Organisations de la société civile et les réseaux institutionnels de la Francophonie, Nous engageons à renforcer aussi les capacités de la société civile, de ses associations, de ses syndicats et de ses partis ;

38. Soulignons aussi le rôle fondamental des médias dans la diffusion des valeurs de liberté, de tolérance et de paix propres à pacifier la vie politique et à enraciner la culture démocratique ; Reconnaissons la nécessité de garantir la liberté d’expression et la liberté de la presse, et Affirmons le droit à la protection des journalistes, y compris en temps de guerre ; Condamnons la désinformation et toute forme d’incitation, par les médias, à la haine et à la violence ; Appelons en conséquence à une plus grande participation des médias à la prévention des conflits, notamment aux processus d’observation, d’évaluation et d’alerte précoce, ainsi qu’à la réconciliation ;

403

Annexes

39. Sommes déterminés, dans l’esprit de la Déclaration de Bamako, à donner leur pleine efficacité à toutes les institutions et à tous les mécanismes propres à faciliter, au plan national, la prévention, la médiation, le règlement des crises et la réconciliation, en nous attachant notamment à développer des politiques éducatives, judiciaires, institutionnelles et d’intégration des minorités ;

40. Invitons l’Organisation internationale de la Francophonie, conformément au Programme d’action de Bamako, à porter une attention soutenue à l’éducation, la formation et la sensibilisation aux droits de l’Homme, à la démocratie et à la paix, et notamment aux formations en droit international humanitaire à l’intention de l’ensemble des acteurs et protagonistes concernés ;

41. Prenons la résolution d’amplifier nos concertations, dans le cadre du Conseil permanent de la Francophonie et de sa Commission politique, de la Conférence ministérielle de la Francophonie, ou encore de Conférences ministérielles thématiques, et de participer activement aux débats en cours dans les enceintes internationales et régionales sur la prévention des conflits, le maintien et la consolidation de la paix, ainsi que sur la sécurité humaine, et d’y défendre les principes et dispositions énoncés dans la présente Déclaration ;

42. Soulignons de même le rôle que jouent, dans le développement de nos concertations, les Représentations permanentes de la Francophonie et les Groupes des Ambassadeurs francophones auprès des Organisations internationales, et Rappelons la place qu’occupent ces Représentations dans la mise en œuvre du processus d’observation, d’évaluation et d’alerte précoce ; Invitons le Secrétaire général à proposer des modalités propres à conforter ce dispositif ;

43. Soulignons encore l'intérêt de notions et normes relatives à la sécurité humaine et à la responsabilité de protéger, et Convenons d'approfondir notre dialogue sur ces questions, au sein de la Francophonie, en ayant à l’esprit les principes de la Charte des Nations Unies et du droit international, afin de favoriser une compréhension commune et une contribution concertée des francophones dans le cadre des travaux de l'Assemblée générale des Nations Unies ;

44. Entendons également développer nos échanges et notre concertation aux niveaux régional et international sur d’autres problématiques liées à la sécurité

404

Annexe 6 : La Déclaration de Saint-Boniface (2006)

humaine − comme celle très importante des flux migratoires − et aux questions de développement de portée internationale ;

45. Invitons le Secrétaire général de la Francophonie à favoriser la pleine utilisation des potentialités du dispositif de Bamako en matière de prévention des conflits et de promotion de la paix, en s’assurant, notamment par des évaluations adéquates, de l’efficacité des actions entreprises, et à coopérer avec les États et gouvernements dans la mise en œuvre et le suivi des engagements consignés dans la présente Déclaration ;

46. Transmettons la présente Déclaration aux Chefs d’État et de gouvernement en vue du XIe Sommet.

Saint-Boniface, le 14 mai 2006.

405

Annexe 7 : Résultats de l’enquête auprès des étudiants en Science politique en France et au Vietnam sur la Francophonie et la mondialisation

L’enquête a été réalisée auprès des étudiants en science politique de l’Académie diplomatique du Vietnam (ADV), de l’Université des sciences sociales et humaines de Ho Chi Minh ville (USSH-HCM) et de l’Université Jean Moulin Lyon 3 (Lyon 3). Les questions et les réponses sont en français dans les cas de l’ADV et de Lyon 3. Tandis que celles-ci sont en anglais dans le cas des étudiants de l’USSH- HCM.

Au total, quatre-vingt-et-un questionnaires (version papier) ont été distrobués aux étudiants du Master 1 (bac+4) de l’Université Lyon 3. Trente-sept d’entre eux ont redonné leurs réponses, soit un taux de réponse de 40,65%. Trois cent neuf autres questionnaires ont été envoyés par le courriel. Quantre-vingt-et-un étudiants ont répondu, soit un taux de réponse de 38,18%.

I. Profil des sondés Sexe ADV USSH-HCM Lyon 3 Total

Nombre de questionnaires envoyés

98 145 157

Nombre de réponses reçues

Homme 5 11 29

Femme 20 27 26

407

408

Bac+1 3 0 0 3

Bac+2 0 8 0 8

Niveau d’études Bac+3 6 3 0 9

Bac+4 15 27 37 79

Bac+5 1 0 18 19

Total 25 38 55 118

Langues pratiquées ADV USSH-HCM Lyon 3 Total % des sondés

Arabe 0 0 4 4 3%

Anglais 10 38 45 93 79%

Chinois 0 5 0 5 4%

Espagnol 1 1 19 21 18%

Français 25 5 55 85 72%

Russe 0 0 3 3 3%

Vietnamien 25 38 1 64 54%

Autres (wolof, malgache, peul, allemand, italien, swahili, 0 4 19 23 19% japonais, créole, portugais)

II. La mondialisation 1. Quels sont les termes clefs qui correspondent à votre ADV USSH-HCM Lyon 3 Total % des conception de la mondialisation ? sondés

Américanisation 8 11 23 42 36%

Occidentalisation 6 16 27 49 42%

Idéologie 1 2 8 11 9%

Marché mondial 21 28 43 92 78%

Uniformisation culturelle 7 19 28 54 46%

Délocalisation 5 8 25 38 32%

Progrès techniques 15 28 17 60 51%

Discours politique 4 9 8 21 18%

Altermondialisation 6 2 13 21 18%

Pollution environnementale 14 24 18 56 47%

Ouverture économique 23 31 33 87 74%

Internet 16 28 29 73 62%

Écart entre riches et pauvres 10 18 26 54 46%

Opportunité 15 27 14 56 47%

Menace 10 22 19 51 43%

409

410

Irréversibilité 5 7 12 24 20%

Régulation 3 3 5 11 9%

Autres 1 0 2 3 3%

2. Quel est votre point de vue sur le développement de la ADV USSH-HCM Lyon 3 Total % des % des mondialisation ? sondés répondants

Tout à fait favorable 3 3 2 8 7% 7%

Plutôt favorable 21 33 33 87 74% 78%

Plutôt opposé 0 0 14 14 12% 13%

Tout à fait opposé 0 0 2 2 2% 2%

Sans réponses 1 2 4 7 6%

3. Selon vous, le processus de mondialisation peut-il être ADV USSH-HCM Lyon 3 Total % des efficacement contrôlé et réglementé ? sondés

Oui, certainement 5 8 11 24 20%

Oui, probablement 14 16 15 45 38%

Non probablement pas 6 11 19 36 31%

Non, certainement pas 0 3 10 13 11%

4. Parmi les deux phrases suivantes, quelle est celle qui ADV USSH-HCM Lyon 3 Total % des % des se rapproche le plus de votre opinion à l'égard de la sondés répondants mondialisation ?

La mondialisation constitue une bonne opportunité pour 23 24 25 72 61% 66% l'emploi et les entreprises de mon pays

La mondialisation constitue une menace pour l'emploi et 2 8 27 37 31% 34% les entreprises de mon pays

Pas de réponse 0 6 3 9 8%

5. Selon vous, quel est l'effet de la mondialisation sur la ADV USSH-HCM Lyon 3 Total % des % des diversité culturelle au niveau mondial ? sondés répondants

Un effet plutôt positif 14 26 20 60 51% 52%

Un effet plutôt négatif 7 9 30 46 39% 40%

Aucun effet 3 1 5 9 8% 8%

Pas de réponse 1 2 0 3 3%

6. Selon vous, quel est l'effet de la mondialisation sur la ADV USSH-HCM Lyon 3 Total % des % des diversité linguistique au niveau mondial ? sondés répondants

Un effet plutôt positif 16 25 18 59 50% 51%

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Un effet plutôt négatif 6 9 28 43 36% 37%

Aucun effet 3 2 8 13 11% 11%

Pas de réponse 0 2 1 3 3%

7. Selon vous, quel est l'effet de la mondialisation sur les ADV USSH-HCM Lyon 3 Total % des % des échanges culturels dans le monde ? sondés répondants

Un effet plutôt positif 10 26 37 73 62% 63%

Un effet plutôt négatif 12 8 15 35 30% 30%

Aucun effet 3 1 3 7 6% 6%

Pas de réponse 0 3 0 3 3%

8. Pour vous, une autre mondialisation plus humaniste ADV USSH-HCM Lyon 3 Total % des % des (plus équitable, plus respectueuse de l'environnement et sondés répondants de la diversité culturelle et linguistique, etc.) est-elle possible ?

Oui 9 7 34 50 42% 71%

Non 4 3 13 20 17% 29%

Pas de réponse 12 28 8 48 41%

III. La Francophonie

1. Quels sont les termes clefs qui correspondent à votre ADV USSH -HCM Lyon 3 Total % des conception de la Francophonie ? sondés

Valeurs partagées 16 5 35 56 47% Parlant-français 21 21 47 89 75% Dialogue 8 10 33 51 43% Néocolonialisme 2 1 11 14 12% Enseignement supérieur et la recherche 14 7 32 53 45% Françafrique 6 8 11 25 21% Coopération décentralisée 5 4 16 25 21% Développement durable 13 2 33 48 41% Aide publique 5 6 7 18 15% Puissance d'influence 2 7 7 16 14% Organisation intergouvernementale 12 7 27 46 39% Utopie 0 4 23 27 23% Espace économique 6 3 5 14 12% Diversité culturelle et linguistique 18 13 39 70 59% Solidarité 9 1 28 38 32% Démocratie et droits de l'Homme 12 4 31 47 40%

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Multilatéralisme 5 3 21 29 25% Mondialisation humaniste 7 5 26 38 32% Coopération 19 7 25 51 43%

2. Les activités de la Francophonie sont aujourd'hui rassemblées dans 4 grandes missions : promouvoir la langue française et de la diversité culturelle et linguistique ; promouvoir la paix, la démocratie et les droits de l’Homme ; appuyer l'éducation, la formation, l'enseignement supérieur et la recherche ; développer la coopération au service du développement durable et de la solidarité. Êtes-vous d'accord ou pas d'accord avec les affirmations suivantes :

- La diversification des programmes de coopération ADV USSH-HCM Lyon 3 Total % des % des multilatérale francophone est une évolution naturelle et sondés répondants nécessaire

D'accord 21 21 42 84 71% 82%

Pas d'accord 2 3 13 18 15% 18%

Pas de réponse 2 14 0 16 14%

- En s'occupant de tous ces domaines de coopération, la ADV USSH-HCM Lyon 3 Total % des % des Francophonie risque de devenir une sorte d'ONU bis sondés répondants

D'accord 8 8 16 32 27% 32%

Pas d'accord 14 16 38 68 58% 68%

Pas de réponse 3 14 1 18 15%

- La Francophonie n'a pas assez de moyens financiers ADV USSH-HCM Lyon 3 Total % des % des pour mettre en place de façon efficace tous ces sondés répondants programmes de coopération D'accord 17 13 48 78 66% 77%

Pas d'accord 6 11 6 23 19% 23%

Pas de réponse 2 14 1 17 14%

- La Francophonie doit concentrer ses efforts seulement ADV USSH-HCM Lyon 3 Total % des % des sur quelques domaines dans lesquels elle a l'expérience sondés répondants et l'expertise D'accord 14 19 43 76 64% 76% Pas d'accord 9 5 10 24 20% 24% Pas de réponse 2 14 2 18 15%

3. Quel est, selon vous, le rôle de la Francophonie aujourd'hui dans chacun des domaines suivants ? La promotion de la langue française ADV USSH-HCM Lyon 3 Total % des % des sondés répondants Très important 22 18 36 76 64% 75% Assez important 2 6 9 17 14% 17% Pas assez important 0 0 8 8 7% 8% Pas important 0 0 1 1 1% 1% Pas de réponse 1 14 1 16 14%

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- La promotion de la diversité linguistique ADV USSH-HCM Lyon 3 Total % des % des sondés répondants Très important 9 9 24 42 36% 41% Assez important 13 13 19 45 38% 44% Pas assez important 2 2 9 13 11% 13% Pas important 0 0 2 2 2% 2% Pas de réponse 1 14 1 16 14%

- La promotion de la diversité culturelle ADV USSH-HCM Lyon 3 Total % des % des sondés répondants Très important 10 8 31 49 42% 49% Assez important 12 12 12 36 31% 36% Pas assez important 1 4 9 14 12% 14% Pas important 0 0 2 2 2% 2% Pas de réponse 2 14 1 17 14% 17%

- La prévention et la gestion des conflits dans l'espace ADV USSH-HCM Lyon 3 Total % des % des francophone sondés répondants Très important 8 6 6 20 17% 20% Assez important 7 10 14 31 26% 31% Pas assez important 7 6 21 34 29% 34% Pas important 2 2 12 16 14% 16% Pas de réponse 1 14 2 17 14%

- La promotion de la démocratie, de l'État de droit et des ADV USSH-HCM Lyon 3 Total % des % des droits de l'Homme dans l'espace francophone sondés répondants Très important 10 3 10 23 19% 23% Assez important 13 11 16 40 34% 39% Pas assez important 1 9 21 31 26% 30% Pas important 0 1 7 8 7% 8% Pas de réponse 1 14 1 16 14%

- L'appui à l'éducation et à la formation professionnelle ADV USSH-HCM Lyon 3 Total % des % des sondés répondants Très important 16 13 17 46 39% 46% Assez important 5 8 26 39 33% 39% Pas assez important 2 2 10 14 12% 14% Pas important 1 0 1 2 2% 2% Pas de réponse 1 15 1 17 14%

- L'appui à l'enseignement supérieur et à la recherche ADV USSH-HCM Lyon 3 Total % des % des sondés répondants Très important 12 10 19 41 35% 40% Assez important 8 11 25 44 37% 43% Pas assez important 4 3 10 17 14% 17% Pas important 0 0 0 0 0% 0% Pas de réponse 1 14 1 16 14%

417

418

- La promotion du développement durable ADV USSH-HCM Lyon 3 Total % des % des sondés répondants Très important 10 7 10 27 23% 26% Assez important 9 8 16 33 28% 32% Pas assez important 5 9 23 37 31% 36% Pas important 0 0 5 5 4% 5% Pas de réponse 1 14 1 16 14%

- Le renforcement des coopérations économiques entre ADV USSH-HCM Lyon 3 Total % des % des les pays francophones sondés répondants Très important 13 3 5 21 18% 21% Assez important 7 13 18 38 32% 37% Pas assez important 4 6 23 33 28% 32% Pas important 0 2 8 10 8% 10% Pas de réponse 1 14 1 16 14%

- L'appui aux industries culturelles des pays ADV USSH-HCM Lyon 3 Total % des % des francophones sondés répondants Très important 5 4 17 26 22% 26% Assez important 12 10 16 38 32% 38% Pas assez important 6 10 19 35 30% 35% Pas important 0 0 2 2 2% 2% Pas de réponse 2 14 1 17 14%

4. Selon vous, comment la Francophonie peut-elle ADV USSH-HCM Lyon 3 Total % des contribuer à rendre la mondialisation plus humaniste ? sondés En favorisant les dialogues des cultures 13 16 34 63 53% En contribuant à renforcer le système d'éducation, 21 16 31 68 58% d'enseignement supérieur et de recherche des pays francophones En luttant pour la diversité culturelle et linguistique 5 4 34 43 36% En contribuant à la promotion de la paix, de la 11 16 30 57 48% démocratie, de l'État de droit et des droits de l'Homme En favorisant les coopérations Nord-Sud et Sud-Sud 13 7 35 55 47%

5. Pensez-vous que la Francophonie est utile pour les ADV USSH-HCM Lyon 3 Total % des % des peuples des pays francophones ? sondés répondants Oui 14 9 36 59 50% 77% Non 4 3 11 18 15% 23% Pas de réponse 7 26 8 41 35%

6. Selon vous, dans l'ensemble, quelle est l'importance du ADV USSH-HCM Lyon 3 Total % des % des rôle de la Francophonie sur la scène internationale sondés répondants actuelle ? Très important 1 1 3 5 4% 5% Assez important 12 11 7 30 25% 29% Pas assez important 11 11 30 52 44% 50% Pas du tout important 1 1 14 16 14% 16% Pas de réponse 0 14 1 15 13%

419

Annexe 8 : Liste des entretiens

Nous avons mené dix-sept entretiens à Lyon, à Paris, à Hanoi, à Genève dans le cadre de cette thèse. Les échanges avec ces personnalités ont considérablement nourri notre réflexion.

M. Roger Dehaybe, ancien Administrateur général de l’Agence intergouvernementale de la Francophonie (AIF)

M. Clément Duhaime, Administrateur de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF)

M. Olivier Garro, Directeur du Bureau Asie-Pacifique de l’Agence universitaire de la Francophonie (AUF)

M. Michel Guillou, Directeur de l’Institut pour l’Etude de la Francophonie et de la Mondialisation (IFRAMOND), ancien Recteur de l’Agence universitaire de la Francophonie (AUF)

M. Khalil Karam, Ambassadeur, Représentant personnel du Président de la République du Liban auprès de la Francophonie

M. Guy Lavorel, Professeur, Directeur de l’équipe d'Accueil n°4586 « Francophonie, Mondialisation et Relations internationales », Université Jean Moulin Lyon 3

Mme. Joëlle Le Morzellec, Recteur de l’Université française en Arménie (UFAR)

M. Albert Lourde, Recteur de l’Université Senghor d’Alexandrie

M. Duong Van Quang, Ambassadeur, Représentant personnel du Président de la République socialiste du Vietnam auprès de la Francophonie

Mme. Nguyen Thi Van Anh, Premier Secrétaire, représentation permanente du Vietnam auprès de la Francophonie

M. Jean Tardif, Délégué général de PlanetAgora

421

M. Trinh Van Minh, Professeur à la Faculté des Sciences de l'Éducation, Université nationale du Vietnam à Hanoi

Mme. Leila Rezk, Maître de conférences associé à l’Université Jean Moulin Lyon 3, Directeur d'un bureau d'études « Dialogue XXI »

M. Jean-Louis Roy, Président de Partenariat International, ancien Secrétaire général de l’Agence de coopération culturelle et technique (ACCT)

M. Nguyen Ngoc Son, Assistant au Ministre vietnamien des Affaires étrangères, Correspondant national du Vietnam auprès de l'OIF

M. Christian Philip, Recteur de l'Académie de Montpellier, ancien Représentant personnel du Président de la République française auprès de la Francophonie.

M. Christian Valantin, ancien Président du Comité international de Suivi du Sommet de la Francophonie de Dakar (1989), ancien Représentant du Président de la République du Sénégal auprès de la Francophonie.

422

BIBLIOGRAPHIE GENERALE

Documents officiels de la Francophonie

 Actes des Conférences ministérielles de la Francophonie (CMF) (tous les ans de 1991 à 2011)

 Actes des Conférences des chefs d’État et de gouvernement des pays ayant le français en partage (tous les deux ans de 1986 à 2010)

 Cadre stratégique décennal de la Francophonie (2004)

 Charte de la Francophonie (Hanoi, 1997 et Antananarivo, 2005)

 Déclaration de Bamako (2000)

 Déclaration de Beyrouth (2002)

 Déclaration de Saint-Boniface (2006)

 Déclaration de Montreux (2010)

 Francophonie et démocratie. Symposium international sur le bilan des pratiques de la démocratie, des droits et des libertés dans l’espace francophone (Bamako, 1er-3 novembre 2000), Paris, Éditions Pedone, 2001.

 Organisation internationale de la Francophonie :

- Guide pratique de la mise en œuvre du Vade-mecum relatif à l’utilisation de la langue française dans les organisations internationales, Paris, Nathan, 2011.

- La Francophonie dans le monde 2002-2003, Paris, Larousse, 2003.

- La Francophonie dans le monde 2004-2005, Paris, Larousse, 2005.

- La Francophonie dans le monde 2006-2007, Paris, Nathan, 2007.

- La langue française dans le monde 2010, Paris, Nathan, 2010.

 Rapports des sessions du Conseil permanent de la Francophonie (quatre fois par an de 1991 à 2012)

 Rapports du Secrétaire général de la Francophonie (tous les deux ans de 1999 à 2010)

423

 Rapports de la Délégation à la paix, à la démocratie et aux droits de l’Homme (DDHDP) sur les pratiques de la démocratie, des libertés et des droits dans l’espace francophone (2004, 2006, 2008 et 2010)

 Autres documents internes

- Bilan de la contribution de l’OIF dans la mise en œuvre du Cadre stratégique décennal de la Francophonie 2005-2014, Paris, avril 2012.

- Francophonie : agir pour prévenir. Rapport du Panel d’experts de haut niveau sur la problématique du passage de l’alerte précoce à la réaction rapide, Paris, septembre 2010 (rapport du Panel d’experts sur l’alerte pre coce).

- Rapport d’évaluation externe de la démarche de concertation francophone en environnement, Paris, 2004

- Rapport de la première réunion du Groupe de travail ad hoc sur les règles d’appartenance à la Francophonie, Paris, le 19 mai 2011.

- Rapport de la première réunion thématique avec les États observateurs – la langue française, Paris, le 11 juillet 2011.

- Rapport du Contrôleur financier – Année financière 2011.

Ouvrages

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Organisation internationale de la Francophonie (OIF) : http://www.francophonie.org/

Les opérateurs directs et reconnus des Sommets de la Francophonie : o Agence universitaire de la Francophonie (AUF) : http://www.auf.org o Association Internationale des Maires Francophones (AIMF) : http://www.aimf.asso.fr o Université Senghor d’Alexandrie : http://www.usenghor-francophonie.org o TV5Monde : http://www.tv5.org

Les organes consultatifs de la Francophonie : o Assemblée parlementaire de la Francophonie (APF) : http://apf.francophonie.org o Conférence des ministres de l'Éducation des pays ayant le français en partage (CONFEMEN) : http://www.confemen.org/ o Conférence des ministres de la Jeunesse et des Sports de la Francophonie(CONFEJES) : http://www.confejes.org/

435

Autres sites internet :

Certains sites spécialisés de la Francophonie :

o Bulletin d’information mensuel « Accords bilatéraux et diversité culturelle » : http://www.ieim.uqam.ca/spip.php?page=mot-ceim&id_mot=199 o Délégation à la Paix, à la Démocratie et aux Droits de l’Homme (DDHDP) de l’OIF : http://democratie.francophonie.org/ o Forum mondial de la langue française Québec 2012 : http://www.forumfrancophonie2012.org o Initiative francophone pour la formation à distance des maîtres (IFADEM) : http://www.ifadem.org/

Banques de données :

o Aménagement linguistique dans le monde : http://www.tlfq.ulaval.ca/axl/ o Banque mondiale : http://databank.worldbank.org/ o Ethnologue - Languages of the World : http://www.ethnologue.com/ o Programme de développement de l’ONU : http://hdrstats.undp.org/fr/tableaux/

Autres:

o Documents publiques de la France : http://www.vie-publique.fr/ o Institut pour l’Etude de la Francophonie et de la Mondialisation (IFRAMOND) : http://www.iframond.com/ o Journal Le Monde : http://www.lemonde.fr/ o Organisation des Nations Unies pour l’Education, la Science et la Culture : http://www.unesco.org/

436

INDEX GENERAL

Accord général sur les tarifs douaniers Association des universités et le commerce, 11, 214, 264, 270 partiellement ou entièrement de

Acteur des relations internationales, 17, langue française, 10, 168, 169, 189, 18, 19, 23, 28, 30, 39, 55, 59, 60, 67, 190, 191, 192 225, 229, 230, 231, 331, 333, 336, Association internationale des Maires 342, 343 francophones, 9, 33, 39, 117, 144, 168,

Agence de coopération culturelle et 169, 181, 183, 189, 194, 195 technique, 9, 17, 19, 32, 33, 36, 38, 39, Association internationale des 48, 55, 57, 62, 85, 99, 100, 101, 116, parlementaires de langue française, 9, 117, 134, 138, 144, 147, 149, 150, 143, 144, 168, 169, 197, 198 165, 167, 168, 169, 171, 172, 173, Association internationale des Régions 174, 175, 176, 177, 178, 181, 183, francophones, 9, 194 184, 185, 189, 190, 192, 194, 198, Badie (Bertrand), 26, 72, 75, 76, 77 199, 200, 211, 212, 213, 214, 215, 216, 223,226, 227, 260, 264, 268, 269, Bien commun de l’Humanité, 139, 432

276, 277, 278, 284, 286, 321, 327, 422 Bourguiba (Habib), 18, 32, 172, 183

Agence universitaire de la Cadre stratégique décennal, 18, 38, 50, Francophonie, 10, 17, 30, 32, 33, 39, 56, 62, 63, 66, 116, 138, 156, 157, 170, 57, 97, 117, 137, 141, 144, 169, 170, 182, 187, 195, 201, 220, 295, 302, 181, 182, 183, 189, 190, 192, 193, 304, 306, 307, 308, 316, 317, 322, 194, 226, 241, 242, 258, 338, 421 335, 336, 340, 341, 393, 423, 424

Arabophonie, 247 Chaire Senghor de la Francophonie, 41, Aron (Raymond), 22 243

Assemblée parlementaire de la Charte d’Antananarivo (2005), 36, 180, Francophonie, 9, 37, 39, 57, 141, 143, 200 144, 157, 168, 169, 181, 182, 183, Charte de Hanoi (1997), 156, 171, 199, 188, 197, 198, 199, 200, 279, 290, 200, 226, 260, 281 296, 298, 302, 341 Chirac (Jacques), 73, 74, 425 Association des nations de l’Asie du Sud- Choc des civilisations, 29, 36, 427 Est (ASEAN), 10, 46, 95, 163, 267, 272, 278, 282, 324, 333, 342

437

Index général

Colonisation, 31, 44, 77, 83, 129, 131, Convention sur la protection et la 133, 137, 431 promotion de la diversité des

Comité international du suivi, 10, 168, expressions culturelles (2005), 18, 60, 169, 174, 175, 198 61, 63, 117, 163, 249, 250, 251, 252, 266, 271, 279, 286, 289, 290, 291, Comité international préparatoire, 10, 292, 323, 324, 332, 335, 340, 345, 168, 169, 174, 175 357, 358, 432 Commonwealth, 34, 35, 42, 47, 135, 172, Coopération décentralisée, 238, 413 175, 227, 244, 246, 259, 280, 320, 433, 434 De Gaulle (Charles), 96, 172, 173

Communauté française, 12, 110, 137, Déclaration de Bamako (2000), 61, 92, 151, 159, 176, 177, 182, 195, 196, 143, 156, 179, 186, 215, 217, 218, 216, 272, 304, 316 219, 220, 222, 295, 296, 298, 299, 300, 301, 302, 303, 306, 307, 310, Conférence des ministres de l’Éducation 313, 320, 329, 330, 331, 333, 345, nationale, 10, 39, 168, 170, 171, 181, 383, 394, 396, 404, 423 182, 193, 199, 337 Déclaration de Saint-Boniface (2006), Conférence des ministres de la Jeunesse 61, 99, 156, 222, 224, 225, 261, 295, et des Sports, 10, 39, 168, 170, 181, 296, 317, 323, 329, 330, 331, 345, 182, 199, 200 393, 405, 423 Conférence ministérielle de la Décolonisation, 31, 32, 137 Francophonie, 10, 38, 117, 141, 146, 149, 153, 154, 169, 177, 178, 181, Délégation à la paix, à la démocratie et 184, 185, 188, 190, 198, 200, 201, aux droits de l'Homme, 10, 187, 188, 217, 222, 223, 224, 297, 304, 316, 295, 296, 297, 306, 309, 314, 315, 349, 391, 392, 393 318, 321, 424

Conseil permanent de la Francophonie, Démocratie, 11, 18, 32, 43, 60, 62, 64, 10, 37, 38, 56, 58, 63, 95, 142, 145, 87, 89, 90, 91, 92, 98, 138, 142, 157, 146, 153, 154, 157, 169, 175, 176, 186, 187, 188, 204, 212, 213, 214, 177, 181, 182, 185, 186, 188, 190, 215, 217, 218, 220, 221, 222, 226, 227, 261, 268, 295, 296, 297, 298, 198, 200, 201, 216, 220, 272, 279, 286, 287, 288, 290, 296, 297, 301, 299, 300, 301, 303, 304, 305, 306, 302, 304, 305, 310, 311, 315, 317, 307, 310, 315, 317, 319, 320, 321, 320, 322, 330, 331, 341, 390, 391, 325, 328, 334, 335, 337, 358, 383, 392, 404, 423 384, 385, 386, 388, 389, 390, 391, 392, 393, 394, 397, 403, 404, 414, Convention de Niamey (1970), 178, 260 417, 419, 423, 424

438

Deniau (Xavier), 34, 57, 426 Dupuy (René Jean), 190

Dialogue des cultures, 29, 139, 183, 244, Élargissement de la Francophonie, 144, 245, 255, 261, 262, 275, 281, 287, 147, 148, 149, 155, 156, 157, 223, 326, 393, 430 228, 244, 245, 246, 253, 323, 324, 329

Diori (Hamani), 32, 172, 183 État de droit, 60, 99, 157, 186, 212, 214,

Diouf (Abdou), 57, 61, 163, 171, 177, 215, 218, 219, 221, 222, 229, 261, 178, 186, 188, 189, 212, 216, 229, 267, 268, 295, 296, 304, 305, 307, 276, 309, 310, 337, 339, 426 313, 321, 334, 337, 383, 384, 385, 386, 393, 394, 396, 417, 419 Diplomatie francophone, 44, 274, 275, 289 États-Unis, 21, 23, 29, 47, 61, 71, 73, 74, 75, 76, 77, 84, 87, 95, 96, 261, 271, Diversité culturelle, 18, 29, 30, 119, 138, 289, 292 142, 183, 187, 203, 207, 236, 237, 238, 247, 248, 251, 255, 260, 265, Farchy (Joëlle), 29, 43, 49, 77, 163, 265, 267, 268, 282, 283, 287, 289, 290, 430, 432 291, 292, 315, 324, 326, 328, 332, Fédération internationale des coalitions 335, 340, 343, 358, 359, 360, 361, pour la diversité culturelle (FICDC), 362, 363, 369, 370, 411, 412, 414, 11, 289 416, 419, 432 Fonds international de coopération Diversité linguistique, 159, 247, 359, universitaire, 11, 191 411, 416 Fonds multilatéral unique, 11, 99, 174, Dominique Wolton, 49, 81 185, 186, 195, 200, 201

Dorin (Bernard), 259, 286 Forum francophone des affaires, 11, 340

Droits de l’Homme, 9, 11, 18, 99, 138, Forum mondial de la langue française, 142, 157, 186, 187, 188, 204, 214, 138, 139 215, 218, 219, 220, 222, 227, 261, France 24, 196 279, 280, 295, 296, 298, 300, 301, Francis Fukuyama, 87 304, 305, 307, 313, 314, 315, 317, 319, 322, 328, 334, 335, 358, 361, Francophonie culturelle, 225, 227

364, 383, 391, 394, 395, 396, 398, Francophonie de coopération et de 402, 403, 404, 414, 424 solidarité, 62, 177, 209, 225, 226, 244, Droits fondamentaux, 63, 212, 313, 337 245, 248, 320, 327

Dumas (Roland), 212 Francophonie de proximité, 141, 144

Duong (Van Quang), 7, 58, 63, 229, 342, Francophonie économique, 63, 229, 244, 421 248, 252, 339, 340, 343

439

Index général

Francophonie éducative, 9, 11, 13, 18, Hispanophonie, 247 30, 32, 62, 103, 110, 128, 137, 138, Huntington (Samuel), 29, 75, 427 142, 187, 193, 197, 220, 251, 261, Industries culturelles, 63, 83, 193, 245, 278, 337, 338, 339, 342, 343, 358, 246, 264, 290, 291, 292, 325, 335, 359, 367, 383, 388, 404, 414, 417, 419 340, 362, 365, 367, 368, 418 Francophonie institutionnelle, 41, 43, Initiative francophone pour la formation 57, 65, 142, 157 à distance des maîtres, 11, 62, 201, Francophonie internationale, 18, 45, 338, 339 116, 209, 211, 227, 229, 231, 258 Institut pour l’Étude de la Francophonie Francophonie politique, 59, 62, 163, et de la Mondialisation, 7, 11, 44, 339, 175, 177, 203, 204, 209, 211, 213, 421 215, 220, 221, 225, 226, 227, 245, Institutionnalisation de la Francophonie, 248, 251, 295, 313, 315, 317, 318, 56, 65, 163, 165, 167, 168, 170, 171, 326, 328, 329, 335, 337, 342, 343, 394 173, 179, 183, 244, 245 G20, 11, 60, 76, 274, 280 Jeux de la Francophonie, 169, 188, 200 G77, 147, 283, 288 Joubert (Jean-Paul), 49, 71, 74, 267, 268, G8, 60, 274, 280 271, 274, 275 Groupe des Ambassadeurs Keohane (Robert O.), 24, 25, 51, 80, 82, francophones, 11, 272, 273, 275, 283, 115, 270, 273, 427, 433 349 Langue française, 9, 10, 12, 13, 18, 31, Guerre froide, 59, 65, 67, 69, 71, 72, 73, 34, 35, 36, 42, 45, 47, 55, 64, 65, 67, 74, 75, 77, 81, 82, 83, 86, 89, 95, 96, 77, 85, 119, 121, 122, 127, 129, 130, 98, 100, 116, 203, 211, 213, 225, 328 133, 134, 138, 139, 142, 143, 144, Guillaume Devin, 50, 51, 52, 115, 116, 155, 157, 158, 163, 168, 183, 187, 273 190, 191, 192, 196, 197, 228, 239,

Guillou (Michel), 7, 17, 31, 35, 36, 37, 42, 246, 247, 248, 249, 252, 257, 261, 43, 47, 48, 49, 57, 63, 71, 77, 78, 81, 270, 273, 278, 315, 329, 335, 347, 85, 131, 137, 139, 147, 173, 174, 175, 349, 352, 414, 415, 423, 424, 426, 176, 179, 189, 191, 192, 216, 226, 429, 434, 435 257, 260, 275, 276, 339, 340, 342, Langue unique, 85, 139, 248 421, 434 Le Morzellec (Joëlle), 63, 139, 421 Haas (Richard), 75 Léger (Jean-Marc), 32, 34, 37, 42, 57, Hagège (Claude), 85, 121, 126 172, 173, 259, 268

Harper (Stephen), 26, 280, 428 Lourde (Albert), 63, 139, 193, 194, 421

440

Lusophonie, 247 OMC, 12, 80, 82, 96, 117, 163, 214, 250,

Maïla (Joseph), 296, 434 264, 265, 270, 288, 292, 357

Marie-Claude Smouts, 26, 27, 28, 38, 50, Opérateur direct, 32, 37, 39, 48, 56, 97, 51, 52, 71, 72, 115, 116, 167, 273, 274 137, 141, 144, 169, 170, 171, 181, 183, 186, 188, 189, 190, 192, 194, Membres associés, 18, 92, 107, 144, 146, 196, 200, 201, 258, 338 155, 156, 161, 185, 187, 291 Organisation commune africaine et Membres de plein droit, 18, 91, 92, 94, malgache, 11, 183 97, 103, 144, 146, 147, 149, 153, 155, 156, 174, 185, 187, 282, 291 Organisation des Nations Unies, 11, 12, 18, 49, 60, 61, 113, 214, 216, 222, 223, Membres observateurs, 18, 75, 91, 97, 225, 229, 262, 271, 272, 275, 276, 113, 144, 146, 155, 156, 157, 158, 277, 283, 285, 330, 331, 334, 343, 185, 187, 189, 197, 230, 241, 243, 347, 348, 358, 375, 376, 377, 378, 249, 291, 305, 314, 315, 318, 322, 380, 395, 398, 414, 433 345, 347, 349, 390, 424 Organisation des Nations Unies pour Mitterrand (François), 98, 101, 337 l’éducation, la science et la culture, 13, Mondialisation, 3, 7, 11, 26, 27, 28, 29, 19, 229, 238, 272, 277, 287, 288, 290, 35, 36, 42, 43, 44, 49, 57, 58, 59, 60, 291, 357, 360, 370, 371, 372, 373, 65, 69, 75, 77, 78, 79, 80, 81, 82, 83, 374, 375, 381 85, 86, 89, 139, 163, 203, 204, 207, Organisation internationale de la 231, 233, 234, 235, 236, 237, 238, Francophonie, 12, 19, 36, 37, 38, 39, 239, 240, 242, 244, 245, 246, 247, 44, 46, 50, 52, 55, 56, 58, 61, 85, 97, 252, 255, 260, 261, 262, 275, 323, 99, 111, 117, 119, 138, 141, 142, 149, 328, 331, 342, 343, 345, 360, 407, 152, 155, 157, 158, 169, 170, 171, 409, 410, 411, 412, 414, 419, 421, 177, 178, 179, 181, 182, 183, 185, 425, 426, 427, 429, 430, 431, 434 186, 187, 189, 199, 201, 223, 224, Mondialisation culturelle, 29, 36, 43, 49, 273, 275, 276, 277, 278, 279, 282, 77, 83, 85, 163, 430 284, 287, 288, 292, 295, 296, 304, Mulroney (Brian), 99, 173, 213 305, 306, 307, 308, 309, 314, 315, 317, 318, 320, 321, 322, 329, 333, Multilatéralisme, 50, 76, 87, 96, 99, 115, 335, 336, 338, 340, 341, 342, 345, 213, 240, 255, 266, 267, 271, 273, 347, 351, 352, 353, 389, 390, 392, 274, 393, 424, 428 394, 397, 398, 399, 402, 404, 421, Mur de Berlin, 90, 91, 94, 203, 328 423, 424, 430, 433, 434

Négritude, 429, 430 Organisation internationale non Nye (Joseph), 24, 25, 51, 82, 83, 428, 433 gouvernementale, 12, 22, 23, 33, 63,

441

Index général

141, 142, 143, 182, 296, 314, 321, Rey (Alain), 122, 123, 124, 125, 126, 335, 389 127, 131, 132

Organisation mondiale du commerce, Roche (Jean-Jacques), 25, 73, 115, 116 12, 80, 82, 96, 117, 163, 214, 250, 264, Rosenau (James N.), 24, 25, 26, 74, 86 265, 270, 288, 292, 357 Roy (Jean-Louis), 17, 42, 57, 77, 85, 116, Organisation non gouvernementale, 12, 117, 174, 422 27, 141, 142, 143, 191, 314, 319, 322, Senghor (Léopold Sédar), 18, 29, 32, 33, 388, 434 57, 119, 133, 134, 172, 173, 183, 193, Philip (Christian), 139, 155, 186, 339, 194, 197, 258, 259, 429, 430, 433 422 Sihanouk (Norodom), 32, 183 Programme francophone d’appui au Société de développement des développement local (PROFADEL), 12, entreprises culturelles, 12, 340 340 Société de développement des Radio France internationale, 196 entreprises culturelles (SODEC), 12, Radio-télévision belge de la 340 Communauté française, 12, 196 Sommet de Beyrouth (2002), 36, 145, Ramel (Frédéric), 27, 31, 41, 47, 50, 87, 220, 275, 281, 282, 287, 316, 330 296, 429, 434 Sommet de Bucarest (2006), 99, 145, Reclus (Onésime), 31, 32, 327, 429 201, 219, 317, 329

Relations internationales, 18, 19, 21, 22, Sommet de Chaillot (1991), 48, 169, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 34, 175, 176, 184, 198, 212, 213, 269 41, 42, 43, 44, 46, 49, 50, 55, 59, 60, Sommet de Cotonou (1995), 145, 176, 64, 65, 66, 69, 71, 73, 75, 86, 115, 116, 194, 198, 214, 215, 216, 286 117, 203, 204, 207, 209, 211, 253, 257, 261, 266, 270, 276, 289, 304, Sommet de Dakar (1989), 100, 101, 116, 316, 320, 323, 325, 327, 331, 332, 169, 174, 185, 189, 192, 194, 198, 337, 386, 389, 395, 421, 425, 426, 200, 212, 269, 295 428, 429, 430, 432, 433, 434 Sommet de Hanoi (1997), 147, 156, 169, Rencontres internationales de la 171, 176, 183, 186, 198, 215, 217, Francophonie économique (RIFE), 12, 227, 286, 300, 340 340 Sommet de Kinshasa (2012), 95, 138, Réseau international sur la politique 146, 157, 341, 343 culturelle (RIPC), 289 Sommet de Maurice (1993), 176, 194, 198, 214, 216, 223, 264, 271, 340

442

Sommet de Moncton (1999), 217, 265, Union Africaine, 13, 267, 324, 342 271, 383 Union africaine et malgache, 12 Sommet de Montreux (2010), 18, 138, Union européenne, 13, 73, 76, 82, 84, 95, 150, 152, 157, 229 96, 97, 111, 163, 187, 195, 265, 267, Sommet de Ouagadougou (2004), 38, 99, 272, 282, 291, 319, 324, 333, 334, 342 170, 178, 220, 221, 222, 393 Union géoculturelle, 36, 49, 78, 117, 257, Sommet de Québec (1987, 2008), 99, 342 101, 119, 145, 168, 174, 192, 200, Université des Réseaux d'expression 212, 224, 263, 264 française, 13, 48, 168, 169, 176, 192 Sommet de Versailles (1986), 148, 165, Université Senghor d’Alexandrie, 1, 3, 170, 185, 263 30, 32, 39, 56, 117, 141, 144, 169, 170, Système multipolaire, 73, 76, 203, 267, 181, 182, 183, 189, 190, 192, 193, 293, 323, 328 194, 241, 242, 279, 338, 421

Tardif (Jean), 29, 43, 49, 77, 163, 421 Vade-mecum, 184, 273, 329, 349, 423

Teilhard de Chardin (Pierre), 258 Védrine (Hubert), 87

Télévision Suisse Romande, 12, 196 Vietnam, 1, 3, 23, 37, 43, 44, 46, 58, 63,

Tétu (Michel), 33, 34, 35, 37, 57 82, 94, 95, 96, 97, 107, 110, 131, 132, 135, 137, 150, 158, 161, 163, 184, Touré (Sékou), 18, 93, 111 199, 218, 229, 231, 232, 235, 241, TV5Monde, 30, 33, 39, 141, 144, 168, 267, 268, 269, 270, 272, 287, 325, 169, 170, 181, 182, 183, 189, 196, 330, 341, 345, 385, 392, 407, 421, 197, 338 422, 424, 431

Uniformisation culturelle, 235 Walter (Henriette), 122, 123, 124, 125, 126

443

LISTE DES TABLEAUX

Tableau 1 : Données du développement économique et humain dans l’espace francophone ...... 103

Tableau 2 : Les changements anticonstitutionnels dans l’espace francophone (1990-2012) ...... 111

Tableau 3 : Les opérations de maintien de la paix de l’ONU dans l’espace francophone ...... 113

Tableau 4 : Pays où le français est langue officielle ou co-officielle ...... 135

Tableau 5 : Certaines grandes associations francophones créées dans les années 1950 et 1960 ...... 143

Tableau 6 : Le processus d’adhésion à la Francophonie ou de modification de statut ...... 145

Tableau 7: L'élargissement de la Francophonie (adhésion à l'OIF et participation au Sommet) ...... 149

Tableau 8: Récapitulatif des droits et des obligations des membres de la Francophonie ...... 153

Tableau 9 : La diversité linguistique dans l’espace francophone ...... 159

Tableau 10 : Le processus d’institutionnalisation de la Francophonie ...... 168

Tableau 11: Les Sommets de la Francophonie ...... 184

Tableau 12 : Les six fonctions des actions de concertation francophone ...... 284

445

LISTE DES GRAPHIQUES

Graphique 1: L'augmentation du nombre des OING et des multinationales (1950-2005) ...... 23

Graphique 2 : Interactions interétatiques ...... 25

Graphique 3 : Interactions transnationales et interétatiques ...... 25

Graphique 4 : La répartition des membres de la Francophonie selon les zones géographiques en 2012 ...... 148

Graphique 5 : L’élargissement de la Francophonie depuis le Sommet de Versailles (1986-2010) ...... 148

Graphique 6 : Organigramme de la Francophonie d’après la Charte d’Antananarivo (2005) ...... 180

447

TABLE DES MATIERES

Remerciements ...... 7

Sigles et abréviations ...... 9

Sommaire ...... 15

Introduction générale ...... 17

I. Le cadre conceptuel : l’acteur Francophonie dans les relations internationales ...... 21

A. Les relations internationales et les acteurs ...... 21 B. Le concept de Francophonie ...... 31

II. La Francophonie, un objet peu étudié en Relations internationales ...... 41

A. Le manque d’études sur la Francophonie pendant une longue période et un regain d’intérêt pour cet objet depuis ces dernières années ...... 41 B. Les différentes approches théoriques de l’objet Francophonie ...... 50

III. La délimitation du sujet et la démarche méthodologique ...... 55

A. La délimitation du sujet de recherche : la Francophonie internationale depuis 1986 ...... 55 B. La démarche méthodologique ...... 56

IV. Les hypothèses et la problématique de recherche ...... 59

V. La présentation du plan ...... 65

Première partie : L’émergence de la Francophonie sur la scène internationale ...... 67

Chapitre I. La Francophonie dans les nouvelles relations internationales depuis la fin de la Guerre froide ...... 69

Section 1. Le « contexte temporel mondial » et ses enjeux ...... 71

§1. La recomposition du système international, vers un nouveau système multilatéral ...... 71 §2. L’accélération de la mondialisation libérale et ses enjeux ...... 78

449

§3. Les approches théoriques sur les impacts des changements du contexte international ...... 86

Section 2. L’espace francophone face aux nouveaux défis ...... 89

§1. Les évolutions dans l’espace francophone depuis la fin de la Guerre froide...... 89 §2. De nouveaux enjeux pour les pays francophones et la Francophonie ...... 100 §3. L’émergence de la Francophonie comme une voie possible pour répondre aux nouveaux enjeux des pays francophones...... 115

Chapitre II. La Francophonie, un espace linguistique de langue française marqué par la diversité ...... 119

Section 1. Le français, le ciment du projet francophone ...... 121

§1. La naissance du français en France ...... 121 §2. Le français en partage dans la Francophonie ...... 129

Section 2. La diversité en Francophonie ...... 141

§1. La Francophonie de proximité ...... 141 §2. La Francophonie intergouvernementale – l’élargissement et ses enjeux ...... 144

Chapitre III. La consolidation et le fonctionnement du système institutionnel de la Francophonie ...... 165

Section 1. L’institutionnalisation de la Francophonie ...... 167

§1. La lenteur du processus d’institutionnalisation francophone ...... 167 §2. L’institutionnalisation de la Francophonie, un processus marqué par des questions politiques ...... 171

Section 2. Le fonctionnement du système institutionnel francophone...... 181

§1. La particularité du dispositif institutionnel de la Francophonie ...... 181  Les instances décisionnelles ...... 182  La Conférence des chefs d’État et de gouvernement des pays ayant le français en partage (Sommet) ...... 182  La Conférence ministérielle de la Francophonie (CMF) ...... 184  Le Conseil permanent de la Francophonie (CPF) ...... 185  L’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) ...... 187  Le Secrétaire général de la Francophonie ...... 188

450

 Les opérateurs directs et reconnus des Sommets de la Francophonie ...... 189  L’Agence universitaire de la Francophonie (AUF) ...... 190  L’Université Senghor d’Alexandrie ...... 192  L’Association Internationale des Maires francophones (AIMF) ...... 194  TV5Monde ...... 196  D’autres institutions francophones ...... 197  L’Assemblée parlementaire de la Francophonie (APF)...... 197  La CONFEMEN et la CONFEJES ...... 199  Le Conseil de coopération de la Francophonie ...... 200 §2. Un fonctionnement assez hiérarchique mais flexible ...... 201

Conclusion de la première partie ...... 203

Seconde partie : Les enjeux de l’acteur international francophone ...... 207

Chapitre IV. L’ambition de la Francophonie internationale et ses fondements ...... 209

Section 1. La Francophonie internationale et l’ambition d’être acteur influent des relations internationales ...... 211

§1. L’émergence de l’acteur Francophonie politique ...... 211  La timidité du projet politique de la Francophonie dans un premier temps ...... 211  L’accélération de la Francophonie politique depuis le Sommet de Chaillot (1991) ...... 213  Le tournant de Hanoi (1997) et l’amplification de la dimension politique de la Francophonie avec la Déclaration de Bamako (2000) ...... 215  La consolidation de la Francophonie politique (de 2001 à nos jours) ...... 220 §2. Les liens dialectiques entre la « Francophonie politique » et la « Francophonie de coopération et de solidarité » ...... 226

Section 2. La Francophonie comme acteur des relations internationales, regards d’intérieur et d’extérieur ...... 231

§1. Le questionnaire sur la Francophonie et la mondialisation auprès des étudiants en sciences politiques au Vietnam et en France ...... 231  La méthodologie ...... 231  Les profils des sondés ...... 232  L’analyse des résultats de l’enquête ...... 233  Les conclusions de l’enquête ...... 240 §2. Les entretiens auprès des personnalités francophones ...... 241

451

 La méthodologie ...... 241  Les profils des personnes interviewées ...... 242  L’analyse des résultats des entretiens ...... 243  Les conclusions des résultats des entretiens ...... 252

Chapitre V. La Francophonie, un laboratoire du nouveau système multipolaire en formation ...... 255

Section 1. L’« idéal » francophone ...... 257

§1. La vision « idéale » des relations internationales de la Francophonie ...... 257 §2. La voix commune de la Francophonie sur la scène internationale ...... 262

Section 2. La Francophonie comme un « attracteur » du système multipolaire ...... 267

§1. La Francophonie, un terrain d’essai du multilatéralisme ...... 267  La Francophonie, un relais d’intérêt des États et gouvernements membres ...... 268  Le soutien mutuel francophone sur la scène internationale ...... 271 §2. La « diplomatie » francophone et ses capacités d’influence ...... 274  La coopération avec les organisations internationales et régionales : la nécessité de renouveau dans les partenariats internationaux ...... 276  Les concertations francophones sur la scène internationale ou la « magistrature d’influence francophone » ...... 281

Chapitre VI. La Francophonie comme un nouvel acteur et interlocuteur politique des États et gouvernements membres ...... 293

Section 1. La Francophonie, un acteur de plus en plus sollicité, mais qui manque de résultats concrets ...... 295

§1. L’approche globale des questions politiques de la Francophonie ...... 295 §2. Les résultats mitigés dans le sentier politique ...... 303

Section 2. Les grands enjeux des actions politiques francophones ...... 313

§1. Le resserrement des missions et la valorisation des atouts de la Francophonie ...... 313 §2. La rénovation de l’approche francophone : vers une meilleure mutualisation des efforts avec la communauté internationale et la mise en place d’une culture d’évaluation des projets du sentier politique ...... 319

Conclusion de la seconde partie ...... 323

452

Conclusion générale ...... 327

L’acteur Francophonie dans les relations internationales contemporaines ...... 327 Les nouvelles perspectives pour l’acteur Francophonie de demain...... 337

Annexes ...... 345

Bibliographie générale ...... 423

Index général ...... 437

Liste des tableaux ...... 445

Liste des graphiques ...... 447

Table des matières ...... 449

453