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LE MAGAZINE DE L’ACTUALITÉ MUSICALE EN FÉDÉRATION WALLONIE-BRUXELLES N° 37 – MARS / AVRIL 2020

TYPH BARROW LADY SOUL

YELLOWSTRAPS | SUPER SKA | LES HOMMES-BOÎTES | GLASS MUSEUM | BAPTISTE LALIEU | FÉLIX ZURSTRASSEN | HARING | PLASTIC BERTRAND | LE PUNK EN 2020 | TIKTOK | JACQUES PELZER JAZZ CLUB | LE DISQUE CONTRE-ATTAQUE

LARSEN • MARS, AVRIL–2020 TH EDITION 14 WWW.BALKANTRAFIK.COM LE PALACE × VK × LA MADELEINE × GRAND PLACE

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GORAN BREGOVIĆ & HIS WEDDING AND FUNERAL BIG BAND ◆ ZDOB ȘI ZDUB ◆ GIPSY GROOVE ◆ NAKED ◆ KERMESZ À L’EST ◆ STEREO BANANA ◆ AND MANY MORE ◆ 23 - 26 APRIL 2020

CINEMA × MUSIC × DANCE × STREET ART × DEBATES × URBAN CHAPTER III × GIANT HORO ×

MARS, AVRIL–2020 • LARSEN TH EDITION 14 WWW.BALKANTRAFIK.COM LE PALACE × VK × LA MADELEINE × GRAND PLACE

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GORAN BREGOVIĆ & HIS WEDDING AND FUNERAL BIG BAND CONSEIL ◆ DE LA MUSIQUE Quai au Bois de Construc- tion, 10 - 1000 Bruxelles 13 2012 Édito ZDOB ȘI ZDUB www.conseildelamusique.be Contact par mail : Cela fait déjà plus de ans que le magazine [email protected] 7 a changé de maquette, de contenu et, à ◆ Contactez la rédaction : première lettre du l'époque... de nom (heureusement, il n’y a que GIPSY GROOVE ◆ NAKED ◆ KERMESZ À L’EST ◆ STEREO BANANA prénom.nom@conseil- l’équipe de rédaction pour se souvenir de sa delamusique.be ◆ AND MANY MORE ◆ précédente dénomination). 23 - 26 APRIL 2020 RÉDACTION Directrice de la rédaction 37 numéros, plus de 400 rencontres avec des Claire Monville artistes et personnalités du monde musical Comité de rédaction tellement diversifiés qu’il est impossible d’en CINEMA × MUSIC × DANCE × STREET ART × DEBATES Nicolas Alsteen × URBAN CHAPTER III × GIANT HORO × Denise Caels extraire quelques noms, près de 420 chro- François-Xavier Descamps niques d’albums ou encore environ 250 thé- Christophe Hars Claire Monville 14 8 matiques abordées. Coordinateur de la rédaction Ce numéro ne déroge pas à la règle : il fait à François-Xavier Descamps nouveau le super grand écart entre la pop soul Rédacteurs Nicolas Alsteen de Typh Barrow, l’anniversaire de la naissance François-Xavier Descamps de Beethoven, la soul jazz des deux frères de

Collaborateurs YellowStraps, le point sur le mouvement punk Nicolas Capart ou encore la rencontre avec Baptiste Lalieu Serge Coosemans Louise Hermant qui, il y a 7 ans, nous a fait confiance en accep- Véronique Laurent tant d’être en couverture du premier numéro Jean-Philippe Lejeune du magazine. Luc Lorfèvre 16 Jean-Marc Panis Jacques Prouvost Stéphane Renard C’est donc la dernière fois que Larsen appa- Dominique Simonet raît sous cette forme. Pour le prochain numéro, Didier Stiers 20 il va s’offrir une légère cure de jouvence. Si le Correcteurs Christine Lafontaine nom reste cette fois inchangé, son look va Nicolas Lommers évoluer : changement de style, avec des pages Couverture supplémentaires, des nouvelles rubriques. Et Typh Barrow © François Leboutte avec un seul but avoué : celui d’encore mieux vous faire connaître la vitalité créative de PROMOTION notre petit territoire. Rendez-vous est pris & DIFFUSION avec le Larsen°38… et bonne lecture ! François-Xavier Descamps Claire Monville ABONNEMENT 20 19 Vous pouvez vous abonner gratuitement à Larsen. [email protected] Tél. : 02 550 13 20 CONCOURS Sommaire CONCEPTION Suivez nos pages OUVERTURE ARTICLES GRAPHIQUE Facebook (Larsen / Mikan 4X4 APERÇUS Conseil de la Musique) Haring P.4 JauneOrange / VKRS#2 P.27 EN VRAC LE.COM Impression et tentez votre chance P.5 TikTok P.28 Graphius DÉCRYPTAGE afin de gagner des Le disque contre-attaque P.30 Prochain numéro IN SITU places pour les RENCONTRES Jacques Pelzer Jazz Club P.32 Mai 2020 POURQUOI ? différents concours que ENTRETIEN Typh Barrow P.8 Écouter Beethoven tout au long nous organisons. RENCONTRE Sages Comme des Sauvages P.11 de cette année ? P.36 RENCONTRE YellowStraps P.12 VUE DE FLANDRE Les paradoxes des MIA’s P.37 www.facebook.com/ RENCONTRE Zoé McPherson P.13 ConseildelaMusique RENCONTRE Les Hommes-Boîtes P.14 LES SORTIES www.facebook.com/ RENCONTRE Super Ska P.15 EN FÉDÉRATION WALLONIE-BRUXELLES P.34 magazinelarsen RENCONTRE Annabel Lee P.16 LISTE DES SORTIES P.36 RENCONTRE Endz P.17 RENCONTRE Glass Museum P.18 BONUS RENCONTRE CRÉDITS Félix Zurstrassen P.19 L’INTERVIEW INDISCRÈTE Chez Plastic Bertrand P.38 TRAJECTOIRE Kasia Zacharko - Baud- Baptiste Lalieu P.20 C’ÉTAIT EN… mars 1978 P.39 ouin Willemart - Mathieu Golinvaux - François ZOOM Leboutte - Simon Vanrie - Variations sur le même thème P.22 Delphine Gilson Que reste-il du punk ? P.24

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4X4 4X4 Haring

Ce disque a changé mon rapport à la musique. À sa sortie, j’ai eu l’occasion de voir Gold Panda en concert lors des Nuits Botanique. J’ai vécu ce moment comme une révélation. Le lendemain, je n’avais qu’une idée en tête : composer de la musique électronique. Jusque-là, je vivotais dans des groupes en occupant les postes vacants : guitare, batterie ou piano. Mais je n’avais aucun projet fixe. Après avoir vu l’animal sur scène, je me suis procuré des machines. Mes premiers morceaux étaient très influencés par la patte Gold Panda. C’est un mec qui fonctionne encore à l’ancienne, en se détachant le plus possible des ordinateurs. Depuis Lucky Shiner, je m’intéresse à sa carrière. Gold Panda D’un album à l’autre, il diversifie sa proposition et renouvelle son approche Lucky Shiner créative. Sans parler de son label et des projets satellites qu’il mène en marge (Ghostly International - 2010) de sa propre discographie. C’est vraiment un artiste complet. Sans le vouloir, je marche sans doute sur ses traces. Que ce soit via mon label City Tracks, ma musique, mon agence de management ou les collaborations avec le collectif GANGUE, je reproduis inconsciemment un schéma multifacette

© Maria Baoli induit par Gold Panda. Musicalement, je me suis détaché de son influence au contact des synthétiseurs... Après les réjouissances communautaires avec le collectif Grâce à Gold Panda, j’ai commencé à me pencher sérieusement sur les sorties GANGUE et des productions du label Ghostly International. Je me suis passionné pour les productions de Tycho, Com Truise ou Shigeto. Puis, j’ai découvert la musique de Christopher personnelles façonnées entre Willits. Pour moi, son album OPENING correspond à une prise de conscience. Bruxelles et Istanbul, Haring Jusque-là, j’introduisais régulièrement de longues nappes synthétiques dans mes compos, mais sans jamais rattacher mon travail à un courant précis. adopte un mode de vie sédentaire. En quelque sorte, Christopher Willits a validé mon adhésion à l’ambient. Fermement installé dans la Quand son disque est sorti, je traversais une période difficile. Alors que ma vie était un peu bordélique, ses morceaux m’ont fait un bien fou. Même si capitale, le producteur belge j’éprouve encore des difficultés à mettre une étiquette sur la musique, je sais Christopher Willits assimile ses différentes influences OPENING désormais qu’il y a forcément une part d’ambient dans mes productions. et les transcende sur un deuxième (Ghostly International -2014) album sans temps mort. En onze titres de qualité supérieure, Blurred À mes yeux, il est l’un des meilleurs producteurs de la planète house. À l’époque où je suis passé derrière les platines pour faire mes premiers DJ infiltre les frontières électroniques sets, la musique de Leon Vynehall a guidé mes sélections et nourrit mon avec un sens renouvelé du groove. inspiration. Lors de mes passages à Pure FM (Pure Trax - ndlr) ou Kiosk Radio, il y a toujours un petit Leon Vynehall qui traîne dans mes sets. Ses sons me De l’ambient à la techno, en permettent d’assembler des influences éclectiques. C’est important car, dans passant par la house et l’IDM, mon esprit, un parcours artistique ne peut être linéaire. Cantonner sa musique à un style, c’est le meilleur moyen de tourner en rond, de s’essouffler après les goûts musicaux de l’artiste quelques productions. Avec Haring, je ne ferme donc aucune porte. se dévoilent à l’aune de quatre Leon Vynehall Si je suis effectivement catalogué techno-house-ambient, il m’apparaît tout Rojus à fait envisageable d’explorer des genres comme le krautrock, le jazz ou le rock disques choisis avec amour. (Running Back - 2016) psychédélique. En tant qu’artiste, il faut toujours être en mesure de déjouer les attentes. NICOLAS ALSTEEN

J’adore la texture des morceaux proposés sur cet album. Rival Consoles représente bien les dernières évolutions de l’IDM, un genre fourre-tout qui intègre des influences expérimentales, techno, breakbeat ou ambient. Mes productions personnelles ne sont pas faciles à cataloguer. Du coup, je me retrouve bien derrière des albums qui brouillent activement les pistes en touchant à tout.

Rival Consoles Persona (Erased Tapes Records - 2018)

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EN VRAC…

LA BELLE

HautHIP les HOP mains !

La Belle Hip Hop est un festival entièrement dédié aux femmes dans le genre Hip Hop et qui aura lieu du 8 au 15 mars 2020. La programmation alternera concerts, débats, événe- ments et performances artistiques avec la pré- sence d’artistes venant des quatre coins du monde. Hands up, Hands off, mettra davantage l’accent sur l’engage- ment et la mise en avant AMMAR 808 d’artistes militantes qui You’re simply the best seront invitées à se pro- duire sur la scène interna- Selon Songlines, le magazine britannique tionale du Botanique lors orienté world / fusion, l’album Maghreb United du concert d’ouverture d’AMMAR 808 est considéré comme le meil- (le 8 mars). Cette année, leur album des cinq dernières années. Si vous pour la première fois en FLORIAN ne connaissez pas encore la musique du Belgique, le festival ac- groupe, c’est le moment de découvrir son ex- cueillera une compétition JeuneNOACK Musicien internationale 100% fémi- ploration des chants traditionnels du Ma- nine de breakdance et de de l’année ghreb à la sauce TR-808, du nom de la my- danse hip-hop qui se dé- thique boîte à rythmes de la marque Roland. roulera le samedi 14 mars Ce prix est donné conjoin- avec un jury international, tement par l’Union de la composé de femmes et Presse Musicale Belge et d’hommes. Bozar Music. Un prix qui vise à promouvoir les jeunes SYLVIA HUANG talents dans les trois com- Prix Caecilia NOUVEAU DIRECTEUR munautés linguistiques de À LA SOWAREX Belgique. Hasard ou aléas Comme chaque année, l’Union de la Presse de la programmation, le Musicale Belge (UPMB) a décerné ses Prix Cae- L’Assemblée générale de récital que le lauréat a eu cilia. Le Prix de la Jeune musicienne de l’an- la SOWAREX – IGLOO RE- l’honneur de pouvoir livrer VIDEO KILLED THE née, remis en partenariat avec Bozar Music, CORDS a désigné son nou- (à Bozar) à l’occasion de a été décerné à la violoniste Sylvia Huang. veau directeur au terme la remise de cette récom- RADIO STARS Cette récompense est alternativement attri- d’une procédure longue et pense n’avait pu avoir lieu rigoureuse : Pierre Villeret. Compétition #2 buée à un musicien néerlandophone et à un qu’en ce mois de février Il prendra ses fonctions le 2020. Le « vidéo-clip » : tout un art… mis à l’honneur musicien francophone, permettant ainsi à 1er avril 2020. par le festival VKRS ! Il est temps d’inscrire vos tous de mieux connaître les nouveaux talents clips à la compétition nationale avant qu’il des deux communautés. POPPUNT IS DOOD, ULTRATOP, LE POINT ne soit trop tard ! Un jury de présélection dé- LEVE VI.BE! SUR 2019 signera les vidéos qui seront projetées durant L’agence réunit désor- le festival VKRS#2, du 4 au 6 juin 2020, au Il y avait eu un nouveau mais toutes les structures Théâtre Les Riches-Claires. Inscriptions ou- PARCOURS record d’établi en 2018 du secteur musical non- avec 18 titres locaux clas- vertes jusqu’au 1er avril (inclus). classique pour devenir le FRANCOFAUNE sés dans le top 100. En grand point de contact www.vkrs.be 111 inscrits… 10 artistes 2019, il n'y en a plus que 14 de la musique en com- sélectionnés (mieux que les 13 de 2016 munauté flamande. Elle et les chiffres nettement s’adresse donc à tous les SPOTIFY & LES AUTEURS-COMPOSITEURS Chaque année, le festival se mue en « Par- inférieurs des années pré- artistes de tous les genres cédentes). À côté des 8 cours » et accompagne trois groupes belges via musicaux, débutants ou Spotify a lancé ce qu’il appelle des pages d’au- chansons de Roméo Elvis professionnels, du local à teurs-compositeurs. Les utilisateurs peuvent des résidences de coaching scénique, musical, et Angèle (!), on retrouve l’international. ainsi utiliser ces pages pour trouver des titres vocal, et autres outils permettant de nourrir et également Todiefor, Kid écrits par leurs auteurs-compositeurs préfé- façonner leur projet artistique. 10 artistes, sé- Noize (n°1 du classement https ://vi.be rés. Un peu de lumière sur tous ceux qui lectionnés parmi les 111 candidatures, partici- annuel dance avec Wal- king To The Jungle), Loïc écrivent des chansons... pour les autres! peront aux auditions qui se tiendront le 29 mars à la Maison de la Création à Laeken. Nottet, Typh Barrow, Axelle Red et Mustii.

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EN VRAC…

URBAN NouveauMALOCA label du Motel PIANO Le producteur bruxellois a fondé son propre QUARTET label de disques, en commençant par un EP Lauréat du sous son « nom », son premier en trois ans. A Nordic Strings new chapter in my career, comme il le décla- Competition rait récemment, avec l’envie de faire les ROCK’S COOL choses soi-même et de proposer des sorties GOES ELECTRONIC Après avoir été lauréat du Concours Supernova où chaque artiste aurait vraiment sa chance La Rock’s Cool ne donnait 2019, l’ensemble com- avec sa propre histoire à raconter. pas encore de formation posé par Nicolas Dupont À QUOI SERVENT www.facebook.com/malocaofficial dans ce type de produc- (violon), Clément Holvoet tion. Plusieurs modules (alto), Kacper Nowak ENCORE LES RADIOS sont dorénavant propo- (violoncelle) et Monika sés au studio du Delta à Darzinkeviciute (piano) a TRADITIONNELLES ? Namur. remporté le Nordic Strings Vous vous posiez la question, sourdoreille.net Competition, un concours 2020 www.rockscool.be a essayé d’y répondre… Désormais, une fois Ils fêteront un anniversaire avec à la clé comme prix cette année une prestigieuse tournée que la chanson est un carton sur les plate- en Chine. Être lauréat du formes et dans les cours de récréation, que Cette année, ils seront mis à l’honneur et vous Nordic Strings Competi- le succès s’est construit par les réseaux, ils PRIX tion nous assure une tour- proposeront des événements spéciaux. Tan- enfoncent le clou. Avant, les radios étaient née d’une vingtaine de dis que l’Opéra Royal de Wallonie fête ses 200 MOUSTAKI les lanceurs et les orbiteurs. Maintenant, elles jours en Chine dans des ne sont plus que les orbiteurs, peut-on très ans d’existence et que le Centre Henri Pous- grandes voire très grandes 2020 justement y lire. À découvrir dans son entiè- seur déclare ses 50 printemps, UBU fêtera salles à Pékin, Shangai et Dalton Telegramme et reté sur www.sourdoreille.net quant à lui ses 35 ans de vie, 35 ans à dé- RIVE sont repris parmi j’en passe, expliquait ré- fendre des artistes comme Thomas Fersen, les finalistes au Prix cemment le violoncelliste à la RTBF. Daniel Darc, Sages Comme des Sauvages, Georges Moustaki 2020. GARRETT LIST, MARC MORGAN, ANNE HISLAIRE, Chance et à les placer sur toutes les scènes Les finalistes se seront PATCHOULI ET ÉRIC LAFORGE de Belgique… JauneOrange (voir en p.27) et produits en live le jeudi 20 février 2020, lors d’une RONQUIÈRES-SUR- De grandes personnalités du milieu musical ou qui ont Choux de Bruxelles (la maison d’accueil de soirée dans le cadre de SAMBRE contribué à son essor ont disparu ces dernières se- Jaune Toujours ou encore Mec Yek) rentrent « Chanson française en Scène-sur-Sambre, le maines. Larsen leur rend hommage et adresse ses plus dans leur vingtième année de bons et loyaux Sorbonne », au Centre «festival des barges», sincères condoléances à leurs familles et à leurs proches. services. Le label « classique » Cypres souffle- Malesherbes de la Faculté vient d’être repris par les Le tromboniste, chanteur et compositeur d’origine des Lettres de Sorbonne ra ses 15 bougies (des surprises sont à prévoir) organisateurs du Festival américaine Garrett List, qui enseigna durant de nom- - Université de Paris. Trop et il devance de 5 ans son cousin éloigné Vlek : de Ronquières. Créé en breuses années l’improvisation au Conservatoire Royal tard pour nos colonnes 10 ans d’electro déjà. Joyeux anniversaire à 2011, ce rendez-vous sur de Liège, nous a quittés en décembre. Il aura croisé de donc et pour vous donner tous. le site de l’Abbaye d’Aulne nombreuses personnalités tout au long de sa prolifique déjà les résultats. Le Prix de la fin de l’été, fêtera carrière (de John Cage à LaMonte Young en passant par Georges Moustaki a été e ainsi son 10 anniversaire Fabrizio Cassol ou Michel Massot qu’il aura contribué fondé en 2011 par Thierry avec une nouvelle équipe à former). Nous regrettons aussi la disparition de Marc Cadet et Matthias Vince- à la barre. Morgan (Marc Wathieu), auteur-compositeur-interprète LOUS, ASCENDANT not. Il récompense et met avec quelques jolis tubes à son actif. On ne compte plus en lumière chaque année le nombre de groupes et artistes aux côtés desquels il a VIERGE des artistes francophones LES INOUÏS officié en tant que guitariste. Il était aussi enseignant au Selon le site Manifesto XXI, quels sont les ar- autoproduits et indépen- DU PRINTEMPS sein de diverses écoles artistiques et très impliqué dans dants sans distinction de tistes à suivre en 2020 ? Puisque les Victoires la gestion du label Freaksville et de la webradio Rec- style. Le comité de sélection de la Musique sont plus que jamais sourdes belge des « Inouïs », piloté tangle… il nous manquera beaucoup. La liste ne s’arrête et aveugles à ce qui se passe de neuf dans ce par le Botanique, a reçu pas ici car la RTBF est elle aussi endeuillée avec le départ pays, rendons un vrai hommage à celles et une soixantaine de propo- d’une grande figure culturelle de la télé, la productrice ceux qui font bouger le son en , peut- HUGHES MARÉCHAL sitions dont ont été sélec- Anne Hislaire dont le nom restera associé à des émis- sions culte telles que Cargo de Nuit, Hep Taxi ou encore on lire sur les pages du site d’actu culturelle Le pianiste Hughes tionnés trois projets: Yel- LGBT+ français. Et, comme d’habitude, des lowStraps, Moka Boka et Génération 80. C’est aussi un pilier de la scène metal Maréchal remporte le bruxelloise qui s’en est allé : Patchouli, le comparse de compatriotes font bouger nos amis français Atome, tous trois présen- Prix du Public Cinéwa tés en shortlist aux Inouïs Jacques de Pierpont dans l’émission Rock à Gogo de donc. On y retrouve le projet belge (mais pour 2019 pour la séance du Printemps de Bourges feu Radio 21, est décédé. Tout récemment encore, c’est combien de temps encore ?) Lous & The Ya- Au tout début du ci- qui se tiendra qui se tien- Classic21 qui s’est paré de noir, avec la disparition d’une kuza et également la plus française des néma belge. CinéWa dra du 24 au 29 avril 2020. de ses figures de proue, l’animateur Éric Laforge, éga- Bruxelloises (ou l’inverse ?), Mathilde Fernan- propose des ren- lement auteur de plusieurs ouvrages sur la musique. So long ! dez, au sein d’un nouveau projet intitulé As- contres avec des per- cendant Vierge. Artistes à suivre assurément. sonnalités du cinéma belge dans les salles obscures de Water- loo.

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EN VRAC…

LA PARI FOU DE SNAFU

Une intelligence artifi- THE BUTTERFLY cielle pour dénicher les talents de demain ? C’est EFFECT le fonds de commerce de Vers la disparition Snafu Records, un nou- du disque vinyle ? veau label qui mise sur des algorithmes pour trouver Aux États-Unis, une usine qui produisait 80% de LES artistes à signer… et la laque permettant de fabriquer les vinyles a ainsi révolutionner l’indus- trie de la musique. A-t-on été ravagée par un incendie. L’industrie musi- vraiment envie de leur cale est paniquée : en effet Apollo Masters Corp souhaiter bonne chance ? était l’une des deux seules entreprises dans le Boarf… UNESCO monde à produire la laque utilisée pour les mas- La culture Un article à lire ici : ters audio. Plan B… peut-être pas. Un désastre https ://siecledigital.fr/ et les conditions qui semble toutefois annoncer une pénurie et de travail l’impossibilité de presser certains vinyles… Time des artistes will tell. VOISEY Cette étude de l’UNESCO JérômeICMA Lejeune 2020 Fini TikTok ? met en lumière les défis persistants et émergents L’application propose une et Pacal Dusapin à l’honneur auxquels font face les ar- SUPERNOVA 2020 expérience similaire à celle Le Trio Aries et le Quatuor Desguin tistes et les professionnels de TikTok : des jeunes gens Le jury des International Classical Music de la culture, et examine la (beaucoup) qui chantent Awards a publié le 21 janvier dernier les noms Chaque année, des programmateurs chevron- manière dont les pays du sur une boucle musicale des lauréats 2020. nés issus du monde de la musique classique dé- monde entier traitent ces mais à la différence que problématiques à travers cernent à deux ensembles de musique de chaque chanson est « nou- À l’occasion des 40 ans du label Ricercar (au- l’élaboration de politiques. chambre le titre de Supernova. Il s’agit d’un prix velle », du moins ce qui y jourd’hui au sein du groupe Outhere), le jury a dé- Cette étude se fonde sur d’encouragement offrant aux jeunes artistes est chanté sur ces boucles cerné un prix spécial à son fondateur, Jérôme Le- une enquête mondiale musicales proposées par une visibilité auprès des deux communautés du quadriennale menée en jeune. Dans la catégorie Musique contemporaine, l’application. Tremble Tik- pays. Après une présélection sur la base de ma- 2018 sur l’impact de la Re- Penthesilea de Pascal Dusapin est également ré- Tok ! Enfin, quand ce sera tériel vidéo, une demi-finale au Beeldenstorm commandation de 1980 re- compensée. Un prix qui permet de mettre en lu- disponible sur Android… d’Anderlecht et une finale dans la salle de mu- lative à la condition de l’ar- mière l’un des plus grands compositeurs de notre pour l’instant l’app n’est sique de chambre de BOZAR, ce sont le Trio tiste, conçue pour suivre époque via cette brillante production du Théâtre disponible que sous iOS. Aries et le Quatuor Desguin qui ont été sélec- l’évolution de la condition Royal de La Monnaie de Bruxelles et via une édi- Découvrez sur www. des artistes et identifier tionnés comme Supernova 2020. Le Trio Aries tion du label bruxellois Cypres. musically.com les tendances émergentes remporte également un enregistrement CD et y étant liées : plus de 90 le Quatuor Desguin le prix du public. Le jury a réponses d’États membres motivé sa décision en ces termes : La qualité DECIBELS MUSIC et d’organisations non- des ensembles étaient particulièrement élevée AWARDS #5 gouvernementales ont été e reçues. CommentRAP BUSINESS le rap est devenu n°1 cette année. Le Trio Aries et le Quatuor Desguin La 5 cérémonie des DMA ont été les plus convaincants : le Trio Aries avec s’est déroulée le mer- À découvrir et lire : Le Monde a produit Rap Business, une mini- son interprétation extrêmement sensible du credi 19 février, en direct à https ://fr.unesco.org Liège. La soirée, rythmée série explicative sur les coulisses du genre mu- Premier trio pour piano de Chostakovitch et le Quatuor Desguin avec les Trois pièces pour qua- par des prestations live, sical aujourd’hui le plus puissant de la pla- a plébiscité les artistes tuor à cordes de Stravinsky ainsi que le Molto nète. Comment le rap est-il devenu, en moins de la Fédération Wallo- DES PRIX, de trente ans, le numéro 1 des ventes et des adagio sempre cantante doloroso de Lekeu in- nie-Bruxelles qui étaient écoutes ? De l’année 1991, qui a tout changé terprétés avec beaucoup de plaisir. répartis au sein de 15 ca- TOU- aux États-Unis, aux débats sur la France tégories. Angèle et Roméo « deuxième terre du rap », la mini-série du Elvis se sont taillés la part JOURS du lion (Artiste solo fémi- Monde tente de percer les mystères d’une MÉTAMORPHOSES nine, Concert, Chanson EncoreDES desPRIX prix musique qui a pris d’assaut l’industrie cultu- Concours de composition française, Clip et pour le relle. frangin, Artiste solo mas- Le 11e concours biennal de composition acous- Chaque année, l’Union À découvrir aussi sur YouTube culin, Album, Musiques des Compositeurs Belges matique Métamorphoses organisé par Musiques Urbaines). Glauque est (U.C.B ) présente 2 tro- & Recherches est lancé ! Le concours propose reparti avec le trophée de phées « Fuga » à des musi- deux catégories, l’une ouverte aux compositeurs Révélation de l'année tan- ciens ou des ensembles qui de 28 ans ou moins en 2020 et étudiants en dis que Arno, Henri PFR ou apportent une contribu- composition électroacoustique ; l’autre ouverte encore Loïc Nottet mon- tion significative au réper- taient également sur le toire belge. Cette année, aux compositeurs souhaitant concourir dans podium pour recevoir leurs cette catégorie et qui auront 50 ans ou moins Alexander Debrus (violon- prix issus d'autres caté- celle) de Waterloo et l’en- en 2020. Date limite d’inscription et de renvoi gories. Le prix d’honneur semble Ataneres (cordes) des documents à concours@musiques-re- a quant à lui été décerné de Louvain ont l’honneur cherches.be : 29 avril 2020. par le jury à Lio. d’être couronnés.

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ENTRETIEN © François Leboutte Typh Barrow LADY SOUL

Hors des tendances du moment mais plébiscitée par le tout grand public, la pianiste bruxelloise à la voix de velours élargit sa palette sonore sur l’ensoleilléAloha . Numéro un à l’Ultratop dès sa sortie, son deuxième album est le fruit d’un travail artistique mûri et construit autour d’une petite équipe parfaitement autonome de fidèles. Un mode de fonctionnement atypique pour une femme pas comme les autres.

LUC LORFÈVRE

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ENTRETIEN

« J’ai toujours du mal à me définir comme une artiste solo. »

La chanson Very First Morning évoque le des voix des 7.000 personnes présentes lors premier jour où on se retrouve seule et aus- de mes concerts donnés en 2019 au Cirque si ceux qui suivent. Ça m’interpelle. Pour Royal, au Forum de Liège et au Palais des moi, la rupture reste une source d’inspira- Beaux-Arts de Charleroi. C’est une façon de tion inépuisable. Une rupture, c’est pire leur rendre hommage. qu’un décès. Quand la mort surgit, c’est un point de non-retour, mais vous pouvez com- Vous rendez-vous compte rapidement du mencer à faire votre deuil et il y a un che- potentiel d’une chanson que vous avez minement pour l’accepter. Une séparation, écrite ? c’est plus compliqué. L’autre est toujours Non. Je n’ai aucune certitude quand je com- ouvel album, nouvelle Typh là. Vous restez dans une forme d’espoir, mais pose. Lorsque je joue mes chansons avec Barrow ? ça vous torture parce que vous savez que, mon groupe ou que je les interprète en public, Je ne le pense pas, même si je quoiqu’il arrive, ce ne sera plus jamais je commence à mieux « sentir » s’il se passe ne suis plus la même qu’à comme avant. quelque chose. Avec le recul, je me dis que l’époque de Raw. Le projet a le bon indicateur est la durée du processus évolué. J’ai aussi l’impression Ce sont les mêmes musiciens qu’on re- de création. Étrangement, quand une de d’aller vers quelque chose de plus lumineux trouve sur vos deux albums et qui vous ac- mes chansons a été écrite très vite, elle est avec Aloha et de me permettre plus de liber- compagnent sur scène depuis vos débuts. généralement bonne. Nté. L’ADN est le même : des sonorités orga- Typh Barrow, c’est une personne ou un niques, du piano, ma voix, de la pop, de la groupe ? À partir de quel moment vous êtes-vous soul. Mais il y aussi de la folk sur cet album, Bonne réflexion. Quand on me pose la ques- rendue compte que votre voix pouvait de- du blues, des intonations reggae. J’ai tou- tion, j’ai toujours du mal à me définir venir l’un de vos principaux atouts ? jours eu une base musicale très éclectique. comme une artiste solo. L’une des forces du Petite, je rêvais déjà d’être chanteuse. Arri- Je me laisse guider par les mélodies plus projet réside dans le son. C’est un son orga- vée au Conservatoire, je remarque très vite que par un style bien spécifique et je n’ai nique et authentique qui a évolué depuis qu’on se moque de ma voix. Je le ressens pas envie que l’auditeur ait l’impression l’enregistrement de Raw. Mais ce son, c’est comme une forme d’exclusion naturelle. d’écouter dix fois la même chanson de suite. à tous les musiciens qu’on le doit. C’est une Sans m’en parler, ma prof décide de me alchimie. À la base, quand je compose, c’est mettre dans la classe de chant des garçons. Longue de sept minutes, la chanson Aloha, piano/voix. C’est une phase créative en so- Ça part d’une bonne intention, car elle sait sur laquelle on retrouve le chanteur kanak litaire et puis ça devient un travail d’équipe. que je vais être en difficulté chez les filles, de Nouvelle-Calédonie Gulaan, ouvre l’al- Je n’aurais pas pu imaginer enregistrer mais elle ne se rend pas compte du mal psy- bum et lui donne également son titre. Com- Aloha avec d’autres musiciens que ceux qui chologique que ça me fait. Dans ma tête, ça ment faut-il comprendre ce terme ? me suivent depuis mes débuts car ils font se cristallise dès lors comme un complexe, En nengone, une des langues parlées par les partie intégrante du processus. Je les ai plus voire comme une honte. Je passe ensuite Kanaks, Aloha signifie “Bienvenue à vous, tels vus ces deux dernières années que certains par un long travail d’acceptation de moi et que vous êtes”. Dans mon propre chemin per- membres de ma famille. je parviens à transformer cette « anomalie » sonnel et dans celui suivi par beaucoup de en différence positive. Puisqu’on me dit que mes proches, j’ai réalisé que l’être humain a Chose rare pour un album studio, le public je ne pourrai jamais chanter comme les Cé- trop souvent tendance à lutter contre ses dif- a été intégré dans l’enregistrement d’Aloha. line, Mariah ou Beyoncé, je vais écrire mes férences alors que ce sont justement ces par- Pour quelle raison ? propres morceaux. Finalement, c’est cette ticularités qui font sa beauté. Cette chanson Pendant ma dernière tournée, je me suis voix qui m’a permis d’arriver là où j’en suis d’accueil, c’est ma façon de donner le ton de aménagée des pauses pour écrire. En aujourd’hui. Mais ça ne reste pas simple à cet album qui est empreint de messages po- quelques jours, je composais plusieurs ma- gérer. J’ai un kyste sur mes cordes vocales sitifs et d’ouvertures, même s’il y a aussi des quettes que je soumettais ensuite à mon -ma et j’ai choisi de le garder. morceaux assez sombres comme Very First nager François Leboutte. Nous procédions Morning ou The Other Woman. à un premier tri. Quasi toutes les chansons Le thème du respect de l’autre est évoqué retenues étaient testées ensuite en live. Je dans les chansons Aloha et Colour. Depuis Ces deux chansons évoquent des relations me devais de garder une trace de l’impli- que vous faites ce métier, avez-vous déjà amoureuses qui se brisent, un thème déjà cation du public, car c’est lui qui a validé en été confrontée à l’une ou l’autre forme d’in- présent sur Raw. La rupture, reste le sujet quelque sorte les morceaux qu’on retrouve tolérance ? incontournable pour des chansons décli- sur l’album. Les chœurs qu’on entend sur J’ai le souvenir qu’on me surnommait « la pe- nées sur mode blues/soul ? le refrain de la chanson Aloha, sont formés tite Polak » à l’école (son papa est Polonais -ndlr).

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ENTRETIEN

Mais c’était un truc d’ado. Si ce n’était pas ça, en sorte de les utiliser de manière cohérente tique et dans une énergie à la fois positive et c’était une remarque parce que j’avais un bou- par rapport à mon projet artistique. créative pour faire avancer les choses. ton sur le front ! La chanson Colour est notam- ment inspirée d’insultes sexistes subies par Est-ce que vous pensez à exporter votre pro- À la veille de la sortie de vos deux albums, certaines de mes copines. Personnellement, jet artistique ? vous êtes partie en retraite méditative. depuis que je fais ce métier, j’ai la chance d’être Nous faisons plus qu’y penser. François Le- Qu’est-ce que ça vous a apporté ? épargnée par ces remarques. Le monde de la boutte y travaille. Nous avons donné des Avant Raw, j’ai fait une retraite Vipassana musique est pourtant très masculin, d’ailleurs concerts en Croatie et en Pologne, mais ça dans les montagnes au Venezuela. Le régime il n’y a que des mecs dans mon équipe. reste encore anecdotique. Quand vous vous était particulièrement draconien. Soit dix lancez dans la musique avec votre propre ré- jours où vous dormez peu, vous êtes mal assis On lit partout que vous vous êtes une ar- pertoire, vous rêvez toujours d’une carrière « à et vous méditez sans aucune forme de com- tiste atypique, hors des tendances musi- l’américaine ». Mais en pratique, ça prend du munication extérieure. Je ne pouvais pas par- cales du moment et des grosses structures temps. Ces deux dernières années, j’étais le nez ler, pas lire, pas regarder les autres partici- de l’industrie du disque. Vous confirmez ? dans le guidon pour défendre Raw, remplir pants dans les yeux. Mon cerveau s’est Je ne me pose pas la question. Je fais la mu- des salles, trouver des dates de festivals en Fé- complètement vidé et j’en suis sortie apaisée. sique comme je la ressens. J’ai plein d’in- dération Bruxelles-Wallonie et composer de Cette expérience m’a profondément marquée. fluences, mais c’est vrai que je n’ai pas été nouvelles chansons pour Aloha. Durant cette En décembre dernier, je sentais que j’avais baignée dans les sons urbains du moment. période, je n’ai pas eu le temps de me poser des encore besoin de m’isoler, mais de manière Je ne vais pas jouer avec ces codes, car ça questions sur l’export. Il y a d’autres personnes plus « soft ». Le réveillon, je j’ai passée seule à ne me correspond pas, le public n’y croirait dans mon équipe qui prennent les contacts et méditer dans un monastère dans les Ar- pas et d’autres font ça bien mieux que moi. avancent. Ce qui doit arriver arrivera. Ce n’est dennes et ça m’a fait un bien fou. C’était ma Pour le reste, c’est vrai, je fonctionne avec pas encore une obsession pour moi. façon à moi de nettoyer et de gérer tout ce que une petite structure, mon disque sort sur le j’ai pu absorber dans ce métier durant ces label de mon manager Doo Wap Records, Bien avant la sortie commerciale d’Aloha, deux dernières années. À force d’être dans je travaille avec le même attaché de presse plusieurs de vos concerts prévus en 2020 af- l’agitation constante, le cœur, le corps et l’es- indépendant depuis mes débuts. C’est mon fichaient déjà complet. Pour une artiste qui prit ne sont plus alignés. Une retraite, ce n’est parcours, tout simplement, et ça me publie son deuxième album, c’est rassurant pas parce qu’on est malheureux ou dépressif. convient. Je ne sais pas si c’est atypique. ou ça met de la pression supplémentaire ? C’est parce qu’il faut se reconnecter. J’essaye de ne pas y penser. J’ai toujours Après Abbey Road où a été enregistré Raw, cette petite voix au fond de moi qui me rap- Typh Barrow vous avez capturé les chansons d’Aloha dans pelle que tout passe. C’est comme ça dans le Aloha Doo Wap Records les studios bruxellois ICP de renommée in- monde de la musique en 2020. Tous les ar- ternationale. Votre nouveau CD est proposé tistes de ma génération doivent penser la dans un format Digipack qui se déplie en 3D. même chose. Vous remplissez des grandes Il y a aussi un clip tourné en Nouvelle-Calé- salles et peut-être que l’année prochaine, les donie à 35 heures de vol de Bruxelles. Des gens ne seront plus là. La meilleure manière gros moyens pour une petite structure… de ne pas décevoir toutes ces personnes qui Il faut poser la question à mon manager. ont déjà acheté leur place pour l’un de mes François et moi, nous fonctionnons en bi- concerts est de rester dans ma bulle artis- www.facebook.com/typhbarrow nôme. Je me contente d’écrire mes chan- sons et de les interpréter. Le reste, tout ce que vous évoquez, les suggestions de studio, la Nouvelle-Calédonie, le clip, c’est François Leboutte. Il déborde d’idées.

Dans votre biographie de presse et sur vos réseaux sociaux, vous ne mentionnez pas votre âge et ne vous étendez pas sur votre background social ou familial. Vous êtes dans le contrôle absolu ? Vous trouvez ? Cela tient de la pudeur et il y a aussi une carapace que je me suis construite. Je suis une femme particulièrement per- méable. Je suis sensible, j’ai beaucoup de mal à faire confiance. D’un autre côté, quand vous êtes auteure-compositrice, vous vous foutez vachement à poil. J’en dis déjà beaucoup dans mes chansons, j’évacue beaucoup de res- senti par rapport à ce que je vis ou ce que d’autres vivent autour de moi. Mais n’atten- dez pas de moi que je donne le mode d’em- ploi. Quant aux réseaux sociaux, ils sont de- venus incontournables. Je m’adapte et je fais © François Leboutte

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RENCONTRE

RENCONTRE CHANSON Sages Sous les traits colorés de sa pochette, Luxe Misère met aussi en lumière l’autre passion Comme du groupe : la peinture et, en particulier, celle du Douanier Rousseau. Nous aimons son caractère populaire, sa façon d’aborder l’art des avec une fausse naïveté. En plus, son travail pré- sente plusieurs degrés de lecture : l’enfant s’at- tarde sur la nature luxuriante et les animaux. Sauvages L’adulte y voit forcément des références existen- tialistes. Car au-delà des notes, les chansons RÉUNION AU SOMMET parlent d’instants précis et de moments vé- cus. Le morceau Inattendu, par exemple, re- Selon les prescriptions de Charles vient sur l’histoire d’une rencontre avec deux Soudanais en partance pour l’Angle-

Aznavour, la misère serait moins © Claire Delfino terre. Pendant huit mois, ceux-ci ont vécu pénible au soleil. Parti enregistrer sous le toit du couple. À plusieurs reprises, son deuxième album sur l’île de La nous avions évoqué la possibilité d’accueillir des migrants chez nous. Nous étions en contact avec Réunion, le groupe Sages Comme une plateforme citoyenne d’hébergement. Mais Des Sauvages revient à Bruxelles duo. Petits concerts et tournées à l’étranger nos actes ne suivaient pas la parole. Puis, un avec une analyse autrement installent le nom de Sages Comme des Sau- jour, Theo Francken a invité des officiels sou- vages dans le paysage. danais afin d’organiser des identifications dans mieux argumentée. Bordées de le parc Maximilien. Cela ressemblait vraiment mélopées solaires, de luxuriantes Aujourd’hui, le groupe revient avec Luxe à des rafles. Face à l’urgence de la situation, harmonies vocales et de véritables Misère. Le titre de ce deuxième album nous sommes passés à l’action... Entre eux et confronte deux mots qui, à eux seuls, nous, il y avait peu de mots mais énormément réflexions politiques, les chansons semblent résumer une profonde fracture de compréhension. C’est ce que l’on raconte dans du nouveau Luxe Misère explorent sociale. Le luxe génère de la misère, insiste la chanson. De son côté, le morceau Yassou les fissures d’un mode en crise. Sur Ava Carrère. C’est un fait. Un exemple ? De Evropi évoque le naufrage européen. Person- nos jours, les valeurs écologiques sont défen- nellement, l’état de l’Union m’inquiète, confie un air créole et sans prise de tête. dues par des vedettes habillées en Dior. Cette Ava Carrère. J’ai grandi en Grèce. J’étais aux marque est une propriété du groupe LVMH et premières loges pendant la période d’austérité. NICOLAS ALSTEEN de son directeur Bernard Arnault, un mec qui Alors, forcément, ça fait réfléchir…Sous des fabrique de la misère dans le nord de la France, airs décontractés et une certaine naïveté, les et un peu partout ailleurs, sans jamais tenir couplets de Garçon partent à l’assaut d’une compte de l’environnement ou du climat. Dans robuste forteresse patriarcale. Dans nos so- l’album, nous mettons ce genre de paradoxe en ciétés, la virilité est standardisée. Les petits évidence, mais avec le sourire et sans drama- gars essaient de s’en tenir à une image sté- tiser. C’est juste une piqûre de rappel : une fa- réotypée. Pour se construire, ils doivent faire n duo au quotidien, en couple sur çon de rappeler que nous, musiciens, sommes semblant. Cette attitude de loser était idéale scène, Ava Carrère et Ismaël Co- bien conscients de la situation. pour un slow. Une danse de couple et des ré- lombani échangent leurs consen- flexions pour tous : Sages Comme des Sau- tements à travers les mélodies de Produit par Jean Lamoot (Salif Keita, Noir vages a, bel et bien, choisi de partager son Sages Comme des Sauvages. De- Désir, Alain Bashung), Luxe Misère dévoile amour en musique. puis Bruxelles, les amoureux des ritournelles bercées par le folklore de La fantasment la chanson française sous le so- Réunion. Au-delà de l’influence du regretté leil de La Réunion. C’était déjà une destina- Alain Péters, un grand nom du pays parti- Etion de prédilection avant la formation du cipe à la fête. Présent dans les couplets d’une groupe, explique Ismaël. Nos premières dé- chanson (Le Goût de la fumée), Danyèl Waro Sages Comme mos sont d’ailleurs nées là-bas. Puis, nous y enveloppe en effet les mots de son accent des Sauvages avons enregistré un clip qui a suscité un en- créole. L’autre invitée de marque est Kate Luxe Misère gouement inattendu. En cela, l’île est vraiment Stables, la chanteuse de This Is The Kit. Son Zamora à l’origine de notre projet. En 2015, le tandem anglais enchante De l’ea u , un morceau folk publie l’album Largue La Peau. Ce premier tout doux et chaloupé. Comme chez Beirut essai était la somme de deux expériences soli- ou Emily Loizeau, la musique de Sage taires : un assemblage maladroit d’envies com- Comme des Sauvages abolit les frontières, munes. Malgré sa fabrication artisanale, le voyageant à l’autre bout du monde pour pui- disque offre une incroyable exposition au ser ses plus belles inspirations. https ://sagescommedessauvages.org

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RENCONTRE

mis sa passion musicale. Quand nous étions petits, il jouait dans un groupe appelé Le Mo- tel avec notre voisin, Fabien Leclercq. Quand Christian a arrêté de jouer de la musique, Fa- bien a poursuivi en solo sous ce nom de scène.

Pouvez-vous revenir sur votre collaboration avec Le Motel ? Alban Murenzi : Nous le connaissons depuis près de vingt ans. C’est notre meilleur pote. Sur un plan artistique, notre association est à l’origine de l’évolution de notre son. Quand il est devenu Le Motel en solo, il s’est intéres- sé aux synthés et à l’usage des machines. La rencontre entre ses influences électroniques et nos arrangements acoustiques a fortement façonné l’identité de notre projet. En cela, le titre Pollen est fondamental. Aussi bien pour Le Motel que pour YellowStraps.

L’alliance YellowStraps x Le Motel se maté- rialise avec l’album Mellow. Après cet effort collectif, avez-vous songé à changer de nom ? Y.M. : À l’origine, il était surtout question de © Baudouin© Willemart former un groupe appelé Mellow : une RENCONTRE SOUL HIP-HOP contraction entre Le Motel et YellowStraps. Mais ce nom était déjà pris. Nous avons donc mis ce mot sur la pochette du disque, tout en conservant nos identités respectives. YellowStraps Au final, c’était le bon choix.

GÉNÉRATION DORÉE Au printemps 2018, vous publiez les quatre morceaux de Blame. Sur cet EP, vous avez Longtemps planqués à l’ombre des succès de Roméo Elvis travaillé avec le beatmaker hollandais et L’Or du Commun, les frères Murenzi s’exposent aujourd’hui VYNK. Comment l’avez-vous rencontré ? A.M. : Après l’album avec Le Motel, nous avons en pleine lumière avec un disque soul-jazz, enrichi en vitamines enregistré une vingtaine de compos. Mais rien D. Point de ralliement entre Jordan Rakei et Bill Evans, le nouveau de bien original. C’était un peu de la redite. Au même moment, nous étions programmés au YellowStraps s’intitule Goldress. Brillant ? C’est évident. Horst Festival. Là-bas, juste avant notre concert, il y avait le groupe Day Fly : des gars NICOLAS ALSTEEN de Rotterdam qui mélangeaient hip-hop, élec- tro et R&B. C’était vraiment impressionnant. unettes sur le nez et dreadlocks à mat, sert de rampe de lancement aux plus Une fois en backstage, nous avons discuté avec la XXXTentacion, Yvan s’installe belles étoiles de la constellation urbaine. leur claviériste, Lennard Vink alias VYNCK. à côté de son frangin, le guitariste Nous avons évoqué l’éventualité d’une collabo- Alban Murenzi. Les garçons ont En 2015, votre association avec Le Motel ac- ration. Quelques semaines plus tard, il débar- le sourire. C’est que leur nouvel couche du morceau Pollen. S’agit-il des dé- quait à Bruxelles pour enregistrer un morceau EP vient de taper dans l’oreille buts officiels de l’aventure YellowStraps ? avec nous. C’est la genèse de Blame. Ce titre a d’un gros label anglais (Believe UK), susci- Yvan Murenzi : Cette chanson correspond à la donné une nouvelle impulsion à notre projet. tant au passage l’intérêt instantané de la mise en place d’une esthétique. C’est le début LBBC. Imprégnées de soul et d’une passion d’un truc. Mais nos premiers morceaux re- Par la suite, VYNCK et Le Motel ont travail- sans fond pour le jazz, les chansons de montent à 2011. À l’époque, nous avions 16 et lé avec Roméo Elvis, Lomepal ou Zwangere YellowStraps rafraîchissent l’héritage de 18 ans. Nous habitions encore chez nos pa- Guy. Peut-on voir YellowStraps comme une Bill Evans avec le flegme d’un King Krule rents, à Braine-l’Alleud. YellowStraps était plaque tournante de la scène urbaine ? enrôlé au Club Med. Depuis le pavé bruxel- alors un trio, plutôt orienté pop-folk. Les chan- A.M. : Dans l’instant, nous ne calculons jamais lois, les deux frères tissent des liens so- sons tenaient sur les cordes d’une guitare nos faits et gestes. Nous travaillons avec des laires entre l’Angleterre vaporeuse d’Alfa acoustique. C’était du Arctic Monkeys en ver- gens que nous apprécions. Comme notre ami Mist et le Canada sophistiqué de Daniel sion bucolique. Christian, notre grand-frère, François Dubois qui a mis en boîte notre pre- Caesar. Totalement dans l’air du temps, a joué un rôle déterminant dans notre déve- mier clip. Par la suite, il a réalisé des vidéos Goldress expose – enfin – les bonnes idées loppement artistique. C’est grâce à lui que pour Alpha Wann, Roméo Elvis, Caballero & du duo à l’étranger. Un juste retour des nous avons écouté des nouveautés, sans nous JeanJass, L’Or du Commun ou Lomepal. Ré- choses pour un groupe qui, dans l’anony- arrêter à un genre particulier. Il nous a trans- cemment, VYNCK nous a fait remarquer que

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RENCONTRE

tout ce qui arrive aujourd’hui est forcément passé par YellowStraps. C’est un compliment, évidemment, mais aussi le point de départ Zoë Mc Pherson d’une réflexion sur notre positionnement. De- puis peu, nous envisageons en effet la musique L’ART DE LA FUGUE sous un angle professionnel. Avant, c’était juste un hobby. Ivan travaillait comme gra- RENCONTRE ELECTRO phiste. Pour ma part, je me prédestinais à la approche anthropologique de l’expérience comptabilité. Mais là, nous lâchons tout pour électronique. Au contact des rites de la la musique. À force de voir nos potes réussir culture inuite ou d’autres traditions exo- dans le métier, nous avons commencé à réflé- tiques, elle prend ainsi possession des ma- chir autrement. Cette prise de conscience chines pour imaginer une trame techno, tri- passe par une nouvelle discipline dans le tra- bale et trippante. Perforé de drones et autres vail. Aujourd’hui, notre état d’esprit est diffé- beats azimutés, son premier essai (String Fi- rent. Nous sommes plus productifs et mieux gures, 2018) pose les fondations d’une œuvre organisés. sans concession.

En juin 2019, vous enregistrez une session Épaulée par la réalisatrice Alessandra Leone, Colors. Quelles sont les retombées de cette Zoë Mc Pherson envisage ses fresques so- vidéo ? nores sous un angle pluridisciplinaire. Danse, Y.M. : Nous avons gagné une visibilité à l’éche- vidéos, musique et mise en scène se ré- lon international. C’était notre objectif. Pour pondent ainsi dans un va-et-vient innovant. élargir notre audience et se développer au-de- Depuis mes débuts, mes compos intègrent un che- là des frontières belges, c’était l’idéal. Nous minement cross-média, précise-t-elle. Cette ap- avons également renforcé notre crédibilité. proche se cristallise désormais à travers les

C’est bien simple : dès que la capsule vidéo a © Kasia Zacharko activités de SFX. Imaginé par la paire Leone- été diffusée sur les réseaux sociaux, nous Mc Pherson, ce nouveau label se veut hybride. avons reçu des propositions de dates à Expérience transcendantale Nous voulons développer des projets collaboratifs l’étranger et de nombreuses portes se sont et supersonique, la musique et ouvrir les portes de SFX à des artistes venus de miraculeusement ouvertes. En ce sens, Colors tous horizons. Aujourd’hui, toutefois, la struc- s’apparente à une excellente carte de visite. électronique de Zoë Mc Pherson ture sert les seuls intérêts de son architecte mise sur une approche d’intérieur en publiant les dix morceaux du Vous revenez dans l’actu avec les huit mor- pluridisciplinaire. Élaboré au nouveau State of Fugues. Sous les nappes syn- ceaux de Goldress. Que vous évoque ce titre ? thétiques soigneusement dressées par Zoë Mc Y.M. : Une matière précieuse et scintillante, contact d’artistes multimédias, Pherson surgissent une floppée de sons orga- quelque chose de rare. C’est un drapé doré, l’album States of Fugue souligne niques : instruments joués à la main et objets scintillant, ultra sensuel. Le titre de cet EP les talents protéiformes de cette frappés à coups de poing s’immiscent en effet est volontairement onirique et difficilement entre beats et crépitements digitaux. Saillies palpable. Il est vraiment en phase avec les insatiable exploratrice du son. polyrythmiques et gros kicks (Kada) côtoient mélodies des chansons et les paroles propo- ici d’étranges harmonies vocales. Sur Bug, par sées sur Goldress. NICOLAS ALSTEEN exemple, le chant de la Hollandaise Greetje Bijma esquisse un dub mutant, vraiment in- Avez-vous changé votre façon de travailler e deuxième album de Zoë Mc Pher- triguant. C’est une reine de l’improvisation, à l’heure d’enregistrer ce nouvel EP ? son est là. Pour sa part, la musi- confie Zoë Mc Pherson. Nous avons passé deux Y.M. : Avant, notre but était d’installer une at- cienne est ailleurs : elle vient de quit- jours ensemble, dans un studio, à Amsterdam. mosphère musicale. Avec Goldress, nous avons ter Bruxelles pour Berlin. Je me sens Dans ce morceau, il y a de la batterie, du piano cherché à structurer les compos, à les rendre aussi bien en Belgique qu’en Alle- Rhodes et beaucoup de réverbération. Greetje est plus lisibles pour le grand public. En ce sens, magne, dit-elle. Depuis toute petite, incroyable : elle utilise sa voix comme un oiseau. les huit morceaux proposés ici sont mieux j’abandonne des endroits pour en retrouver De cris stridents en chuchotements apaisants, construits. Ils respectent l’enchaînement cou- d’autres. Je suis libre, constamment en mouve- State of Fugues séduit et surprend constam- plet-refrains. C’est plus académique, mais aus- Lment. Née en Angleterre, élevée entre Londres ment. C’est qu’en reine de l’évasion, Miss Mc si beaucoup plus efficace que par le passé. et la Drôme, l’artiste a étudié à Lyon, avant de Pherson n’est jamais là où on l’attend. poser ses instruments dans la capitale euro- YellowStraps péenne. À Bruxelles, cette batteuse et violo- Zoë Mc Pherson Goldress niste de formation se métamorphose en élec- States of Fugue SFX Records Believe UK tronicienne sous l’alias Empty Taxi. J’a i plusieurs projets dans différents styles musicaux, mais aussi différentes disciplines artistiques. Dé- sormais, pour éviter de brouiller les pistes, je ras- semble toutes ces initiatives sous mon propre nom.

En immersion au cœur de ses créations, Zoë www.facebook.com/Yellowstraps Mc Pherson assimile la matière et prône une www.facebook.com/zoemcphersonn

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RENCONTRE

RENCONTRE VARIÉTÉ PUNK Les Hommes- Boîtes LA VIE PAR LA FENTE D’UNE BOÎTE Avec un troisième album parfait, les Hommes-Boîtes racontent la brutalité de l’expérience qu’est la vie. Ça fait du bien / du mal par où ça passe. © Alice Khol

JEAN-MARC PANIS

errière ce nom de scène qui donne Le mot est lâché. Et c’est sans doute la clé de heures du rock (on pourrait citer Nirvana, envie de l’ouvrir (la boîte) se dé- la magie des sept mini-récits qui constituent Police ou encore Diablogum époque #3), il balle le projet de Carl Roosen, un La copie d’un autre. Cet autre qui nous renvoie, faut souligner le travail de la quatrième et musicien chanteur qui n’hésite à travers un miroir qui n’en déforme que la indispensable roue de ce tricycle… peu banal. pas à prendre le crayon quand facture, le (non) sens de nos existences. Si on En effet, les arrangements de Noza, complice l’envie y est. Inspiré d’un roman les reçoit avec joie, c’est qu’ils ont été offerts de la première heure (et qui fait par ailleurs de l’écrivain japonais Kõbõ Abe, une histoire avec plaisir, un peu comme des cadeaux vio- aussi des merveilles chez Veence Hanao), où le protagoniste finit par observer le monde lents, mais bienveillants. Pascal Matthey, font ici des miracles. Dà travers la fente pratiquée dans le carton qu’il Homme-Boîte de son état, confirme : Nous ne habite, le nom de ce collectif résume bien la sommes pas du tout cyniques. On n’a pas envie On voulait un troisième album qui ne ressemble- dynamique de leur musique. Depuis une d’aller sur ce terrain. rait en rien à ce qu’on faisait avant, complète bonne quinzaine d’année, Carl (et ses hommes- Carl Roosen. Noza est devenu arrangeur. Il ar- boîtes) Roosen, fait tomber ses auditeurs de On a tendance à le en écoutant Jean rive après, fout le boxon, c’est un vrai bras de fer leur chaise en assénant quelques vérités sur Reno (si !), un morceau dans lequel Carl avoue et c’est génial. l’absurdité de la vie, l’amour et son usure, la une ressemblance lointaine avec l’acteur des On s’est amenés chez lui, Carl, Manu (Emma- chair qui fait pareil, la belle cruauté de l’exis- Visiteurs, mais aussi et surtout lors duquel il nuel Coenen, le troisième Homme-Boîte - tence… et le temps qui n’arrange rien à l’affaire. reprend le refrain de Pour que tu m’aimes en- ndlr) et moi-même, renchérit Pascal Mattey, Et ce, observé depuis l’intérieur d’une tête qui core. C’eut pû tourner en foutage de gueule ri- avec l’impression que le disque était fini… et en tente de comprendre ce qui se passe dehors. À golo et stérile : il n’en est rien. C’est vrai que fait, non ! Mes morceaux préférés sont ceux sur l’instar de cette chanson aussi belle que terri- quand Carl nous a parlé de son idée de chanter lesquels il y a eu plein de soucis. Avec Noza, on fiante,Voie s, dans laquelle le chanteur raconte un extrait de Céline Dion (paroles et musique y bosse, on s’engueule, on discute, et au final, c’est que des êtres aimés lui échappent, filent sur le de Jean-Jacques Goldman - ndlr), on a bien ri- tellement mieux ! quai d’une gare et finissent sur les rails à l’ap- golé, explique Pascal Matthey. Puis il l’a fait… proche d’un train, sans qu’il ne fasse rien pour et c’est devenu quelque chose de beau. Les Hommes-Boîtes les en empêcher. Ambiance. Le pire, c’est que La copie d’un autre c’est beau à en crever. Tout comme à l’occasion de leur reprise du Gnignignignigni Chanteur de Balavoine, exécutée il y a quelques Carl s’explique : Quand j’écris, je ne fais pas années avec beaucoup d’élégance par le trio trop intervenir le cerveau, j’écris sans filtre. Il pour une compilation du label La Souterraine. s’agit souvent de cauchemars que je retranscris. Ça pourrait sentir la moquerie gratuite, mais Le premier jet s’approche d’une écriture auto- au final, c’est juste beau. Il y a plein de chansons matique. Par après, je passe beaucoup de temps d’amour qui, si tu enlèves les arrangements un peu sur le travail de texte autour de ces idées jetées pourris, sont très belles, assène Carl. Un triso- de manière quasi inconscientes. C’est bien plus mique qui chante Céline Dion, ça me file des fris- tard que je me rends compte de la violence qui sons. Au premier degré. s’y trouve. Une chose est sûre, ce que je cherche, Si la formule de ce troisième album évoque c’est la sincérité. la magie triangulaire qui fit les grandes www.leshommesboites.be

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RENCONTRE © Olivier© Laval

RENCONTRE SKA JAZZ dans la musique jamaïcaine des années 50- vitation à venir se poser sur notre son, tendue à 60… Le ska, mais aussi le jazz, le funk, le des complices musiciens, croisés au hasard des reggae et le rocksteady. Prolifique, le groupe trajectoires ou au sein de projets-copains. Cette enregistre beaucoup, aidé du fait que leur fois, le travail réalisé avant d’entrer en studio projet ne comporte aucune partie chantée est plus conséquent. Quentin Nguyen, le cla- Super et demande peu d’arrangements. viériste, chapeaute le gros œuvre en amont. Antoine Dawans endosse quant à lui la cas- Tout cela débouche sur un 1er album en 2014, quette de directeur artistique et coordonne God Bless Barcenal, clin d’œil au village du cette grosse équipe. Ska pays namurois où Super Ska connut ses pre- miers émois. On fonctionne de cette manière : Supernova, enregistré l’été dernier à l’habituel pas vraiment de répétition, mais plutôt une rési- Koko Studio (transformé en plateau de tour- dence de 3 jours durant laquelle on compose tout nage pour les clips) et mixé au Studio5 lié- VERS L’INFINI ce qui vient. Puis, on passe en studio et on enre- geois, verra le jour ce 4 mars. On y retrouve gistre dans les conditions du live, en faisant très l’imagerie de la conquête de l’espace et des ET AU-DELÀ peu de retouches. En 2017, toujours selon la titres scandés en français ou en anglais, au e même méthode de travail, Super Ska met en gré du jardin des conviés. Un voyage interga- Sur son 3 album, Super Ska explore boîte Pow Wow, un 2e album – double cette lactique à la découverte de leurs univers res- de nouvelles terres musicales fois – à bord duquel ses huit membres convient pectifs mais à bord d’une fusée à l’âme ska. avec des invités de marque. le guitariste jazz liégeois Jacques Pirotton. Au menu : la touche pop de Konoba, la patte singulière de Sacha Toorop, les jeunes voix NICOLAS CAPART MISE EN ORBITE de l’Anglaise Leonie Evans et de Muriel d’Ail- Aujourd’hui, la moyenne d’âge au sein du leurs, de la chanson sous influence latine aux groupe avoisine les 30 ans. Et, pour ce nou- bons soins de Greg Houben, des vents hip-hop uit musiciens chevronnés, ac- vel album, le carnet de route comportait des avec les R’tardataires ou encore la plume de compagnés de 10 chanteurs et envies différentes. Les invités qui ont pris Melon Coke, chanteur d’origine bulgare qui chanteuses aux univers singu- part à l’équipée ont chacun apporté leur ba- aida le groupe pour l’écriture de plusieurs liers : c’est la promesse de Su- gage, amenant des couleurs inédites au pro- morceaux… Et la liste n’est pas exhaustive. pernova, le nouvel album du jet. Un défi pour Super Ska, certes moins collectif Super Ska. Treize ska, mais qui n’en délaisse pas pour autant Super Ska titres en collaboration du brass band éclec- ses racines et tient à rester cohérent. L’in- Supernova tique wallon dont Fonky Road, première d’une fluence de la musique jamaïcaine est toujours Autoproduction Hsérie de cinq vidéos, vient d’être clippé. bien là. Des lignes de basse très présentes, une cellule rythmique puissante et des cuivres par- Super Ska naît en 2012 du côté de Ciney, dessus… Mais nous avions ce désir d’intégrer sous l’impulsion de celui qui en deviendra le chant. le saxo alto, Antoine Lissoir. L’idée, c’était de S’ensuit la quête des voix à qui Super Ska of- rassembler une belle section de cuivres, une cel- frira une carte blanche, proposant des com- lule rythmique et de se faire plaisir en puisant pos et ses services de backing-band. Une in- www.facebook.com/superskamusic

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RENCONTRE

RENCONTRE ROCK Annabel Lee BACK TO THE 90’S Né en 2016 et fort de 3 EP’s (Wallflowers, Black Pudding et Little sad and not so sad songs) le trio bruxellois revient sur le devant de la scène avec un premier album Let the kid go, qui sortira le 20 mars prochain. Le single éponyme, disponible sur YouTube depuis novembre 2019, donne le ton du disque à venir et vous replongera certainement dans vos années grunge. Entre rock garage et indie pop, Annabel Lee livre un rock efficace et mélodique

sublimé par une voix féminine, Mathieu© Golinvaux douce et mélancolique. 3 ans après leur premier titre Best good friend, rencontre avec Audrey Nada Surf ou de Nirvana : L’anglais est plus ressentir encore plus le côté 90’s comme le évident pour moi, précise Audrey. Je n’ai pas confirme Vankou : Sur notre premier EP, on Marot, chanteuse et guitariste un assez bon niveau de français pour jouer avec nous qualifiait plus de rock garage en nous com- et Vankou, bassiste du groupe, les mots. Et Vankou d’ajouter : Quand tu écris parant à Courtney Barnett. Maintenant, nous dans leur QG, un bar à vin, situé en anglais, il y a potentiellement une part de toi sommes dans l’indie pop 90’s mais toujours avec qui te dit que tu vas toucher un plus grand cette influence garage. Un album décrit par le dans le quartier de Saint-Gilles. nombre de personnes. Pourtant ce ne sont pas duo comme plutôt nostalgique ce qui ne l’em- les stars du rock 90’s qui leur ont donné le pêche pas d’être dansant. J’avais envie que JEAN-PHILIPPE LEJEUNE virus mais plutôt des groupes locaux. Ner- l’auditeur écoute l’album en entier, ajoute Au- vous Chillin’ pour Audrey, un groupe punk drey, mais que les morceaux ne soient pas dans gaumais et Radiolina, pour Vankou, dans une continuité, qu’ils soient bien distincts avec son Hainaut natal : Si eux le font, nous aussi des mélodies différentes. L’album sortira le 20 l est un peu plus de 17H30 quand 2 on peut le faire ! La rencontre avec Damien mars en digital et dans les bacs en format membres d’Annabel Lee s’installent dans Aresta, guitariste de It It Anita et patron du vinyle car comme le soulignent Audrey et un bar qui se prépare à l’apéro du jeudi. label Luik Records (Alaska Gold Rush, Mo- Vankou : Quand on a travaillé sur un projet Le duo, tout sourire, revient sur les débuts nolithe Noir, The Brums…) va radicalement pendant un an, on a envie d’avoir plus que des du groupe. Audrey et Vankou ont pas mal changer leur parcours. Séduit, il signe le données sur internet, on a envie d’un bel objet. gravité dans le milieu punk. La chanteuse groupe pour leur 1er EP Wallflowers et s’oc- Rendez-vous est pris au printemps ! avait son propre projet guitare/voix, Auud, cupe de leur management. Pour nous, la mu- qu’elle a fait écouter à Vankou : À l’époque, sique a toujours été un milieu « do it yourself ». Annabel Lee j’étais pris par d’autres choses, mais 2 ans plus On organise les concerts, on invite les copains et Let the kid go I Luik Records tard elle est revenue avec de nouvelles compos et ils nous invitent en retour… Avec Damien, c’est nous a proposé, à Charles-Antoine (du groupe beaucoup plus pro. Mais le côté famille est tou- « en pause » Mountain Bike - ndlr) et à moi de jours là. Leur dernier clip, tourné avec une la rejoindre. Le groupe est né ! Après quelques caméra et un spot, a été co-réalisé par Au- changements de line up, c’est Hugo Claudel drey et leur ancien batteur. De même que qui officiera à la batterie. Le choix de la l’album à paraître enregistré par leur ami langue était naturel pour ce groupe qui a Baptiste, du groupe électro Oton. Cela donne grandi au son des Smashing Pumpkins, de un LP 10 titres plus mature, sur lequel on va www.facebook.com/AnnabelLeeBand

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RENCONTRE

Après onze jours de travail intensif, le disque est bouclé. Le dernier soir, nous avions besoin de souffler. Alors, nous sommes sortis, indique Kevin Guillaume. Pour décompresser, Endz ne fait pas les choses à moitié : nous avons pas- sé la soirée dans les sous-sols d’une église désa- cralisée. Là, les gens faisaient la fête en glissant sur un revêtement en granito : une véritable pati- noire. À un moment, sans trop savoir comment, j’ai dérapé et ma tête a percuté le sol. Arcade sourcilière ouverte et clavicule cassée, le bat- teur de Endz gît dans une mare de sang. Il est resté inconscient pendant vingt minutes, se sou- vient Fabrice Detry. J’étais à genoux à côté de lui tandis que Loïc négociait une exfiltration d’ur- gence avec un agent de la sécurité. Finalement, une ambulance est arrivée et nous avons passé près de huit heures à l’hôpital…

De retour en Belgique avec un disque enre- gistré et des os fracturés, Endz remet ses idées en place et pose un titre définitif sur la © Seppe Segers pochette de l’album. Harmed, littéralement Blessé, est un clin d’œil à l’incident. Le thème RENCONTRE INDIE POP veau Harmed est effectivement bien plus de la blessure revient également dans plusieurs rentre-dedans que son prédécesseur. Plus morceaux. De plus, ce titre prolonge les plaisirs concis, mieux écrit, cet album s’est dessiné à d’un jeu de mots douteux. « Hands/Endz » pour Endz l’ombre de la feuille d’érable. Après un concert les mains, Harms/Arms pour les bras : le champ à Courtrai en première partie du groupe The Bes- sémantique est parfaitement respecté. nard Lakes, nous avons parlé avec son chanteur, KIT MAINS LIBRES Jace Lasek, de la possibilité de venir enregistrer Concoctées en vase clos, les chansons de Endz chez lui. Le gaillard vit à Montréal. C’est là qu’il ne sont pas pour autant déconnectées du Fabriqué au pays d’, a réalisé les disques de Suuns, mais aussi ceux monde extérieur. Tous nos textes sont inspirés le nouvel album du trio bruxellois de Wolf Parade, ou Land of Talk. par des faits d’actualité, explique Loïc Bodson. Bien décidés à saisir l’opportunité qui s’offre Dans les paroles, il est question du « bashing » sur s’imprègne des couleurs locales à eux, les Belges embarquent maquettes, les réseaux sociaux, des bombardements en Sy- pour dessiner des chansons textes et instruments à bord d’un avion. Une rie, de la disparition d’Yvette Horner ou de John- inspirées de faits réels. Entre fois au Canada, Endz s’immerge dans l’objet ny Hallyday, mais aussi de Kim Kardashian et de sa création. Nous étions loin de nos familles, Donald Trump. Ailleurs, sous d’épaisses géopolitique et guitare électrique, de notre quotidien et des distractions habituelles, couches de distorsion, le morceau Mighty shoegaze et nuit à l’hôpital, Endz explique Fabrice Detry, le bassiste. Enregis- Whitey ose une étrange contorsion pour se se penche sur des questions trer à Montréal, c’était l’occasion de nous concen- glisser dans la peau d’un prédateur sexuel. trer à fond sur les chansons. Enfermé dans un Depuis l’affaire Harvey Weinstein, les voix de société avec des mélodies studio de midi à minuit, le trio laisse libre s’élèvent et les consciences s’éveillent, remarque offensives et un groove irrésistible. cours à ses inspirations. Nos morceaux dé- le bassiste. Un jour ou l’autre, nous avons tous coulent d’improvisations, souligne le guitariste été confrontés à un cas de figure gênant : amitiés, NICOLAS ALSTEEN Loïc Bodson. À l’origine, nous travaillons sans connaissances proches ou lointaines, ont joué carte ni boussole. Pour trouver son chemin, avec le feu. En tant que témoin, quel est notre Endz maintient le cap sur un son typique- responsabilité face à des faits de prédations n 2017, Endz publiait un disque in- ment nord-américain. Nous sommes partis là- sexuelles ? Écrire une chanson sur ce sujet, c’est titulé Shake. Sur la pochette, deux bas pour nous imprégner d’une esthétique. C’est le point de départ d’une vaste réflexion. Des cou- mains se frôlaient. Trois ans plus aussi pour cette raison que l’album a été finalisé plets pour cogiter, des mélodies pour cicatri- tard, les doigts profitent d’un nou- en compagnie de l’ingé-son Ryan Morey (Arcade ser les plaies : Endz porte secours au rock avec vel essai pour s’enlacer à la vue de Fire, Patrick Watson - ndlr). Tripartite soudée amour et bienveillance. tous. Ces visuels sont signés par Ty- et bienveillante, la troupe met ses idéaux en ler Spangler, un collagiste digital super actif sur musique. Complémentaires, les voix de Loïc Endz les réseaux sociaux, explique le batteur Kevin Bodson et Fabrice Detry s’entrecroisent dans Harmed (Finalistes/Luik Records) EGuillaume. La thématique des mains est un fil un va-et-vient de bonnes vibrations. Intermit- rouge. Sur notre premier disque, elles étaient sé- tent du chant, Kevin Guillaume se pose, lui parées. Cette fois, elles se touchent dans un rap- aussi, derrière le micro le temps d’un mor- port de force : ces mains sont dans le combat. ceau. Océan shoegaze traversé de vagues élec- L’image est en phase avec l’évolution de notre son triques, la musique de Endz flirte avec l’ur- et les sujets abordés dans nos chansons. Le nou- gence du rock et l’évidence de la pop.

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RENCONTRE

RENCONTRE JAZZ ELECTRO Glass Museum DUO COMPLÉMENTAIRE ET ÉLÉMENTAIRE Au départ, ils sont deux, dans une formule piano-batterie peu courante. Deux, c’est d’ailleurs le titre de leur premier album, paru en 2018. Entre-temps, Glass Museum a fait du chemin, puisque leur deuxième album, © Bathélemy Decobecq Bathélemy © qui paraît en mars, s’appelle Reykjavik. Le duo a bien sûr gagné en maturité et, avec une petite aide de l’électronique, déploie Glass Museum, ça peut aussi être perçu La nature est-elle une source d’inspiration maintenant des ailes orchestrales. comme une référence à Philip Glass… pour vous ? Martin Grégoire : C’est marrant parce que, A.F. : Oui, ça c’est sûr, on ne fait pas une mu- à la base, on ne pensait pas du tout à lui. La sique à paroles, mais à paysages. On pose le DOMINIQUE SIMONET consonance du nom nous plaisait, notam- cadre d’un décor dans chaque composition ment pour l’aspect « glass », le verre à la fois qu’on réalise. Ici, pour l’album, il y a une puissant et fragile. Une espèce d’hommage sorte de concept général, c’est celui du nord, ’un côté, Antoine Flipo, pianiste, à Philip Glass ? Son approche néoclassique du froid, un rappel aussi de la glace, de par a fait dix ans d’académie de mu- répétitive est intéressante en tout cas. notre nom. Mais chaque morceau en tant sique à Tournai. J’ai étudié les Antoine Flipo : En fait, le nom Glass Mu- que tel évoque un lieu naturel. On compare grands compositeurs, dit-il, j’ai seum a pris du sens au fur et à mesure du souvent notre musique à de la musique de beaucoup aimé ça, donc ça se développement du groupe, de la compré- film, ce qui n’est pas vraiment le cas, mais, ressent très fort dans notre mu- hension de notre musique. On joue face à par contre, on peut dire que c’est une mu- sique, notamment l’aspect romantique. Ses com- face, il y un jeu de partage entre nous deux, sique où l’auditeur va pouvoir imaginer positeurs favoris ? Rachmaninov, Chopin, un jeu de miroir. Du coup, cet aspect esthé- vraiment ce paysage que nous avons dessi- DSchubert. Puis, Antoine a fait bien d’autres tique du verre collait bien au projet. Ce sont né en composant. choses, musique festive, jazz, d’autres influences toutes des réflexions faites a posteriori, M.G. : Reykjavik, c’est vraiment cette idée qui sont venues s’accrocher à notre projet, Martin après le choix du nom. des grands espaces, ça peut être quelque et moi. Martin Grégoire donc, batteur, a com- chose de très aérien, mais aussi de sous-ma- mencé à l’âge de neuf ans en autodidacte. Paradoxalement, la vidéo du titre Colo- rin. Il y a des ambiances un peu roman- Après ses études secondaires, il a passé un an phane vous montre tous les deux, piano droit tiques de paysages, parfois calmes, parfois dans une école de musique en Angleterre, et batterie, dos à dos, au milieu d’un pré… rassurants, parfois plus déchaînés. l’Academy of Contemporary Music (ACM) à M.G. : C’est la seule session acoustique qu’on Guildford, dans le Surrey. Son univers pop a faite réellement, en vidéo, alors que toutes Nimbus, c’est en référence au nuage asso- rock initial s’est ouvert au rock progressif et les compos partent de cela, à la base. On ra- cié à la pluie et au vent, comme à la por- mathématique, à la musique instrumentale joute de l’electro en studio et en concert. tance ? et expérimentale. En s’associant avec An- A.F. : Vu qu’en live, on joue tout le temps face à M.G. : Oui, c’est un nuage. Chaque titre de toine, il a développé son attrait pour des ar- face, là, justement, l’idée était de changer, de l’album fait référence à un élément. Par tistes de jazz modernes comme Tigran Ha- faire l’opposé. On se retrouvait dans un plaine, exemple, Sirocco est un vent du sud, Nim- masyan ou GoGo Penguin, Marc Moulin ou juste à côté de chez moi, de la maison de mes bus Part 1 et 2 c’est un nuage, quelque chose Aka Moon. Quant au nom Glass Museum, ils parents ; on avait déplacé le piano en plein mi- de plus sombre, de plus dramatique. l’ont trouvé sur Millions Now Living Will Ne- lieu de ce champ. En fait, c’est une histoire d’ou- A.F. : Pour Nimbus, on a une fin très aérienne, ver Die (1996), le deuxième album de Tortoise, verture vers l’espace immense autour de nous. sur laquelle on se sent soulevé, porté, avec groupe de Chicago inclassable, passionnant, On trouvait cela beau de faire l’opposé du live des temps forts très éloignés les uns des instrumental également. pour contempler la nature autour de nous. autres. On a vraiment l’impression de rebon-

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RENCONTRE dir et de prendre son envol. Sirocco est plutôt RENCONTRE JAZZ une chanson du sud, qui a quelque chose de ternaire, avec le côté granulaire du sable. Félix Zurstrassen Dans votre musique, vous êtes à deux et on a vraiment l’impression d’une dimension orchestrale. NOVA A.F. : C’est toute la complexité de la mise en live de notre projet. Il faut jouer avec toutes Bassiste réputé et sideman très demandé (Typh Barrow, Antoine Pierre ces sonorités autres que le piano pour pou- Urbex, Pierre de Surgères, Tree-Ho!…), Félix Zurstrassen publie Nova, voir ajouter de la profondeur au son. Je ra- joute des sons de violons, des sons électro- son premier album en leader avec Antoine Pierre à la batterie, niques, des basses, qui permettent de Nelson Veras à la guitare et le saxophoniste Ben van Gelder en invité. prendre l’auditeur un peu par la main. C’est Un projet mûrement réfléchi pour un résultat à la hauteur des attentes. ça l’idée. M.G. : L’idée est aussi de partir de quelque JACQUES PROUVOST chose de très épuré, de très simple, vers quelque chose de plus complet et plus in- uand on apprend la musique tense. c’est, au départ, pour jouer celle des autres. À quel mo- En même temps, cela ne sonne pas « arti- ment avez-vous eu le besoin ficiel ». d’écrire pour vous ? A.F. : Pour le nouvel album, on a voulu faire Quand j’étais au Conserva- quelque chose de plus travaillé. Mais effec- toire de Bruxelles, à 22 ans, je travaillais énor- tivement, il faut que l’ajout de sons exté- mément la basse électrique et parfois je me rieurs ne soit pas perçu comme tel. C’est la Qlassais. Je me mettais alors au piano et cela recherche du bon équilibre entre les deux m’ouvrait d’autres perspectives, cela me per- sons qui sortent du piano et de la batterie, mettait de découvrir l’harmonie et les mélo- et des ajouts qui puissent juste soutenir ce dies différemment. J’ai composé spontané- que l’on joue, pas beaucoup plus. ment à ce moment-là des titres comme Ymack © Delphine Gilson Delphine © ou Aurora, qui figurent d’ailleurs sur l’album. Votre album est signé sur le label gantois dix ans là-bas. Il a un son magnifique qui s’in- Sdban/News, comme STUFF, TaxiWars de D’où viennent vos inspirations ? tègre à la perfection à l’esprit de ma musique. Tom Barman... À cette époque j’écoutais beaucoup Brad Mehl- A.F. : Je crois que ça fait sens car il n’y a pas dau. On retrouve sans doute son influence Vous avez mis beaucoup de temps pour ré- de label équivalent en Wallonie. En Flandre, dans ma musique. Mais j’étais assez fan aussi aliser cet album. il y a quelques labels de jazz moderne, parce de Steve Coleman et de toutes les musiques Les compos devaient être travaillées. Le fond qu’il y a plein d’artistes dans le style là-bas. conceptuelles. Il y a de ça aussi dans ma façon devait être riche. Je voulais que ce soit une Pour nous c’était logique. On joue dans des d’écrire, un rapport avec la musique contem- musique qui vive et qui se réécoute. Je vou- réseaux un peu plus niche, plus jazz, un peu poraine et les polyrythmies. La manière dont lais pouvoir faire évoluer mon langage à tra- moins en Belgique et un peu plus à l’étran- je traite la mélodie et l’harmonie est cependant vers ces morceaux. J’ai pris le temps de pen- ger. On s’adresse à un public plus ciblé que moins abstraite, c’est plus « chantant ». ser la pochette, de trouver des dates (une le public généraliste du début. Le jazz est tournée en mars) et de bien enregistrer. un langage assez universel, et c’est autant L’écriture était destinée à un trio avec gui- la mode en Wallonie qu’en Flandre, voire tare ? Avec l’ingé-son Philippe Teissier du Cros ! un peu plus en Flandre. C’est un public de Lors d’une résidence avec d’autres musi- Oui, il a un sens de l’acoustique incroyable. mélomanes qui va se déplacer, et on s’ins- ciens, dans un tout autre contexte, j’avais Cela me permettait de rencontrer quelqu’un crit là-dedans de plus en plus. amené Songe d’Or et Clair Nocturne. Cela m’a d’autre et d’avoir un autre point de vue. Il a donné envie de diriger mon propre projet. Je participé aux prises de décisions et son avis Glass Museum compose au piano mais je ne voulais pas de était important. Il a fait des remarques tota- Reykjavic piano dans le groupe. J’ai demandé à Nelson lement justifiées qui m’ont fait réfléchir. C’est Sdban Records Veras, de nous rejoindre, Antoine et moi. un album que je veux pouvoir réécouter dans C’est un guitariste qui a beaucoup d’expé- quelques années sans avoir de regrets. rience, qui sait se défaire des contraintes rythmiques et qui sublime la musique. Félix Zurstrassen Nova Igloo Records Du trio, vous êtes passé au quartette en in- vitant le saxophoniste Ben van Gelder. Il s’est dégagé au fil des concerts, qu’il y avait de l’homogénéité mais qu’il fallait parfois trou- ver un relief sonore plus marqué. D’où le fait de jouer en duo ou d’amener de la diversité www.facebook.com/glassmuseum avec un invité. Ben revenait des States après www.felixzurstrassen.com

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TRAJECTOIRE © Simon Vanrie Baptiste Lalieu LE MOMENT PRÉSENT

Chanteur, comédien, auteur, dessinateur… Le Montois de 42 ans multiplie les activités et les défis pour ne pas s’ennuyer. Sans jamais tirer des plans sur la comète, il préfère s’ancrer dans le sol et vivre au jour le jour. Celui qui répond au nom de Saule s’apprête à publier son cinquième album dans quelques mois, pour lequel il a décidé d’être plus exigeant que par le passé.

LOUISE HERMANT

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TRAJECTOIRE

son de disques me dit que je vais devoir arrêter La suite, on la connait. Après un premier al- de donner mes cours car je vais être fort deman- bum acclamé, l’artiste de 42 ans publie Wes - dé. Après plus de quinze remplacements, il tern en 2009, Géant en 2012 et L’ Éclaircie en se rend finalement compte que oui, elle 2016. Je ne regrette aucun disque, je les ai tous avait raison. faits de manière sincère et j’en suis très heureux. Mais rétrospectivement, je me dis que ça manque Son rêve ultime se réalise, sortir un album. peut-être un peu de cohérence, j’aurais dû prendre Depuis tout petit, il baigne dans la musique plus de recul. Aujourd’hui, c’est la première fois uinze ans, déjà ! Plus d’une grâce à sa mère qui est fan de bonnes chan- que je me dis que je ne sors rien tant que je ne suis décennie que Baptiste Lalieu sons italiennes, des Beatles et de Janis Joplin pas 100% satisfait. Peut-être que cela vient avec roule sa bosse dans le milieu mais aussi à son père qui écoute plutôt les une certaine forme de maturité… Son troisième artistique. Sous son nom de Who, Frank Zappa et Led Zeppelin. Il prend album produit par l’artiste britannique Char- scène Saule, il s’apprête à la première fois le micro à neuf ans lors lie Winston va davantage pousser sa carrière sortir son cinquième album d’une fête de famille avec son cousin qui et lui ouvrir les portes de la France. Leur dans quelques mois et vient tout juste de avait un groupe de musique. Ils reprennent single Dusty Men devient un tube inoubliable, sortir un EP, Ve rso, pour faire patienter son Hélène de Roch Voisine, un choix qui le fait un titre qui lui a rapidement échappé. Ce qui Qpublic. Lorsqu’on le rencontre tôt le matin beaucoup rire maintenant. Je vois toute ma est paradoxal avec ce titre, c’est que les gens ne dans un petit café à Uccle, le Montois confie famille avec une gueule jusque par terre. Il y a m’ont pas du tout identifié. En France, les gens trouver sa situation et son succès surréa- dix secondes de silence et puis tout le monde me pensaient que c’était Mathieu Chedid ou Julien liste. Je me réveille tous les jours en me disant, dit que je chante bien. J’étais très surpris. Doré qui chantait avec Charlie Winston. La purée ! Mais quel bol ! Ses disques d’or et ses chanson est plus connue que son auteur, mais c’est tournées à guichet fermé ne lui ont jamais Vers la fin de l’adolescence, il intègre un souvent ce qui arrive avec les tubes. Pour son fait tourner la tête, bien au contraire. Ses groupe de rock dur et s’inscrit au Conser- prochain album, il admet vouloir désormais remises en questions lui servent de guide. vatoire de théâtre après avoir joué dans enfoncer le clou outre-quiévrain, mais que quelques pièces lorsqu’il était à l’internat. cela se fera au jour le jour, tranquillement. Alors qu’il venait de terminer l’enregistre- Je n’avais pas trop réfléchi au fait que je n’avais ment de nouvelles chansons après des mois jamais pris de cours, que je ne savais pas lire Si ces derniers temps Baptiste Lalieu est for- passés en studio, Saule décide de tout ba- en alexandrin, que j’avais une mauvaise dic- cément concentré sur Saule, il a également zarder. Je suis sorti de là et je n’étais pas heu- tion, que je me tenais tout voûté comme je suis plein d’autres projets sur le feu. Si je ne tra- reux de ce que j’avais fait, je n’étais pas content grand. Je pense que j’ai fait le pire examen vaille que sur une seule chose, j’ai l’impression de moi. J’ai eu l’impression de faire un copier- qu’ils aient jamais vu de leur vie et c’est pour de m’enfermer. J’ai toujours besoin d’être sur plu- coller de ce que j’avais fait jusqu’ici. Je me suis ça que j’ai été pris ! Je suis arrivé un peu par la sieurs projets à la fois, c’est comme des vases imaginé en train de m’ennuyer sur scène. fenêtre, je ne prends jamais les grandes portes communicants : l’énergie de l’un m’en donne pour L’amusement est le curseur central de sa d’entrée, moi. À ce moment-là, le gaillard un autre. Pour ces raisons, il va recommen- carrière. Si le plaisir n’est pas au rendez- d’1,97m se laisse porter, heureux de réciter cer des concerts avec son groupe de rock vous, c’est sans doute qu’il n’est pas dans la du Baudelaire l’après-midi et de hurler dans Gonzo, s’attaquer à une comédie musicale bonne direction. Pour vaincre l’ennui, il a un micro le soir. Il travaille aussi à la Mé- pour adulte après en avoir créé une pour en- contacté plein de copains musiciens comme diathèque, où il découvre le jazz, la musique fant en 2015, travailler à nouveau avec le met- les Puggy, Girls in Hawaii ou encore Bal- tzigane, le folk indé… À l’époque, je bouffais teur en scène Franco Dragone, mais aussi thazar. Je leur ai simplement dit : on va jouer tout et j’ai gardé cette boulimie musicale. Pour publier un livre qui rassemble ses dessins et de la musique, on ne va pas chercher la finalité, me dire « on va voir cet artiste en concert » et plein de petites lettres qu’il s’est écrites. Éga- on va juste s’amuser. Ils étaient tous ok. L’au- que je dise ensuite que ce n’est pas trop ma tasse lement au programme : l’écriture d’un film teur-compositeur estime que les artistes ont de thé, il faut vraiment aller loin. dans lequel il suivrait toutes les étapes, du beaucoup à réapprendre de quand ils scénario à la musique en post-production. étaient enfant. On est dans l’instant, on joue, Lors du spectacle de fin d’année au Conser- on s’amuse. Et si on ne s’amuse pas, on s’arrête vatoire, plusieurs scénettes sont présentées. Le papa de deux enfants avait déjà touché tout simplement. Baptiste Lalieu et un de ses camarades se au cinéma en 2018 dans le long-métrage de chargent de faire des petites chansons en Samuel Tilman, Une part d’ombre. Il est Baptiste Lalieu observe un rapport intense guise d’intermède. Ça a super bien marché, même nommé par la suite aux Magrittes avec le temps. La lecture du livre Le pouvoir les gens sont venus me dire que ça m’irait bien comme Meilleur espoir masculin. Une ex- du moment présent d’Eckhart Tolle l’a d’ail- d’écrire des chansons en français. J’étais éton- périence qu’il a trouvée totalement dingue. leurs beaucoup inspiré. Depuis le début, il né. J’ai commencé chez moi à prendre une gui- C’était une grande frustration pour moi d’avoir préfère regarder le jour présent et ne pas tare et à composer. Cela a ouvert quelque chose fait le Conservatoire il y a 15 ans et de n’avoir trop réfléchir au lendemain, il viendra de que je n’avais pas du tout prévu. Madame Pipi jamais tourné dans un film. Je me disais que toute façon bien assez tôt. J’ai toujours tra- est la première chanson qu’il écrit, un titre je n’allais pas être à la hauteur, je n’avais pas de vaillé de manière intuitive. Je ne savais jamais qu’il chante toujours aujourd’hui. Dans son bouteille, pas d’expérience. Comme d’habitude, trop où les choses allaient me mener. Lorsqu’il carnet, il griffonne sans arrêt des textes, je me sens toujours illégitime, mais j’y suis allé publie son premier opus, Vous êtes ici, en cela devient rapidement un besoin vital. Si malgré tout. Une leçon dont chacun devrait 2006, il donne encore des cours de théâtre je n’écris pas, je deviens super chiant et dépres- sans doute prendre de la graine, paraît qu’il à des enfants. À ce moment-là, je n’y crois tou- sif. C’est mon mode de fonctionnement pour me n’y a pas mieux pour faire pousser un saule. jours pas, je me dis : C’est ça oui, bien sûr, je sentir en équilibre avec moi-même. Résultat : vais sortir un disque et ça va marcher ! Ce pour chaque disque, Saule a toujours au n’était pas du tout crédible pour moi. Ma mai- moins 60 chansons en stock.

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ZOOM ZOOM DR Variations sur le même thème Signe du dynamisme de notre scène, les collaborations entre artistes issus des musiques actuelles et ceux du monde classique se multiplient. Lorsque qu’elles dépassent le coup marketing ou la simple juxtaposition des genres, ces expériences ouvrent les espaces de la création et font voyager le public loin de ses repères. Explications.

LUC LORFÈVRE

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S’ils suscitent l’intérêt, ces projets n’ont pas toujours le retentisse- ment qu’ils méritent. Ils motivent moins le public qu’un concert formaté et coûtent plus cher. Ils doivent aussi faire face à des men- talités conservatrices, voire élitistes de certains acteurs. En Alle- magne, l’opéra est beaucoup plus populaire qu’en Belgique parce que les tarifs sont plus accessibles, constate Paul-Henri Wauters. En Belgique, ingt-quatre septembre 1969. C’est le branle-bas de com- les lieux où on diffuse de la musique sont encore trop cloisonnés, bat au vénérable Royal Albert Hall de Londres. Deep ajoutent les filles de Juicy. Pour les puristes, un groupe jazz qui ne Purple enregistre Concerto For Group and Orchestra. joue pas dans un club spécialisé n’est pas vraiment considéré comme Composé par le claviériste John Lord, cet album mêle un projet jazz. Le classique a aussi du mal à sortir de sa boîte alors que les cordes des guitares électriques hurlantes de la for- les musiciens issus de ce milieu sont toujours excités de se frotter à mation hard-rock anglaise à celles plus convention- d’autres styles. Dans les gros festivals populaires d’été, on met l’accent nelles des violons du London Philharmonic Orchestra. Et sans être exclusivement sur les tendances musicales du moment. Pourtant, si on pour autant le premier projet à réunir pop et musique classique programmait un ensemble classique sous un chapiteau à Dour à 1h du V(Eleanor Rigby des Beatles date de 1966, Nights In White Satin de The matin, il y aurait des réactions étonnantes. Moody Blues de 1967), ce disque ouvre définitivement une brèche dans laquelle plusieurs générations d’artistes vont s’engouffrer. UN LANGAGE COMMUN Avec le quatuor à cordes Echo Collective qu’elle a créé avec l’Amé- Cinquante ans plus tard, le monde classique et celui des musiques ricain Neil Leiter, la violoniste Margaret Hermann, qui a été for- actuelles (pop, rock, hip-hop, électro) sont plus que jamais unis par mée au Conservatoire, a l’opportunité de tourner dans l’Europe les liens du mariage. Et comme tout mariage, c’est pour le meil- entière dans des clubs rock, mais aussi des églises et des théâtres. leur et aussi pour le pire. De Metallica à Florent Pagny, en passant Son répertoire ? Plus vraiment du classique, certainement pas de par Kayne West (Late Orchestration en 2005 avec un orchestre à la pop. Pour définir notre style, on parle parfois de drone ambient et cordes féminin) ou le récent album posthume de Johnny en mode même de post-gothique, dit-elle en rigolant. Mais le terme néoclassique symphonique, ces unions font trop souvent passer le coup « mar- me convient parfaitement. Après Plays Amnesiac (2009), projet ini- keting » avant la dimension artistique. Mais s’il est vrai que les mai- tié par l’Ancienne Belgique où le quatuor réarrangeait l’intégralité sons de disques peuvent y voir un simple outil servant à refourguer de l’album Amnesiac de Radiohead, Echo Collective vient de rendre du back catalogue, relancer une carrière, ressusciter des morts ou hommage au compositeur islandais Jóhann Jóhannsson (disparu faire patienter les fans, ces collaborations débouchent aussi sur en 2018) sur 12 Conversations with Thilo Heinzmann, disque paru des projets à haute valeur ajoutée qui ont du sens. En musique, il sur Deutsche Grammophon, le label de référence en matière clas- est toujours question d’héritage, rappelle Paul-Henri Wauters, direc- sique. Lorsque nous présentons ces deux projets en concert, l’audience teur du Botanique qui s’est fait depuis longtemps l’ambassadeur est mixte, l’âge moyen situé entre 35 et 45 ans. Le public ne vient pas de ces rencontres entre le monde classique et celui des musiques pour se défouler ou pour danser, mais pour écouter. L’offre s’adresse à actuelles. Tant le rock, que le hip-hop ou l’électro reposent sur des codes tout le monde. Il n’y a pas de frontière. Avec Echo Collective, nous gar- qui existent depuis des centaines d’années. L’écriture rythmique, l’har- dons le son de la musique classique et de nos instruments acoustiques monie, les mesures à quatre temps, la répétition d’un thème pour capter mais on expérimente sur la texture et les arrangements. l’attention… Vous trouvez ces éléments aussi bien dans des lieders de Franz Schubert que chez les Beatles. Lorsque nous proposons au Bota- Parallèlement à Echo Collective, Margaret Herman met aussi régu- nique une création où des instrumentistes de l’Ensemble Musiques Nou- lièrement son bagage classique au service de la chanson française velles dirigés par Jean-Paul Dessy travaillent avec le rappeur Pitcho, (Dominique A, Samir Barris, Ivan Tirtiaux), voire de la pop (River nous ne faisons que perpétuer cet héritage. Into Lake). Si c’est fait avec cœur et qu’il y a du sens à collaborer ensemble, l’expérience peut s’avérer particulièrement intéressante. Quand vous jouez SORTIR DE SA ZONE DE CONFORT avec un musicien d’un autre background, vous ne théorisez pas. La mu- Pour qu’elles portent leurs fruits, ces collaborations doivent être sique fonctionne comme un langage. Vous communiquez, vous essayez mûries en amont et se doter d’une dimension humaine. C’est un de vous comprendre et vous partagez. Le son et les émotions priment tou- investissement. Il faut susciter les rencontres, fixer un cadre, écrire de jours sur la technique. De manière générale, des musiciens autodidactes nouveaux arrangements, organiser des répétitions. Cela nécessite un ont une liberté qui leur permet de s’exprimer différemment que ceux évo- enthousiasme mutuel et beaucoup d’empathie des artistes, précise en- luant dans le monde classique. Ma formation me permet, par contre, d’être core Paul-Henri Wauters. Un message reçu cinq sur cinq par le plus rapide pour retranscrire la musique. Nous avons appris la musique duo féminin urbain Juicy. Le 29 avril, Julie Rens et Sasha Vovk de manière différente mais ça se complète. présenteront aux Nuits Botanique leur création « Juicy Orches- tra », où elles interprèteront leur répertoire avec un ensemble riche Le parcours d’Echo Collective montre que ces mariages entre mu- de quatorze cordes et sept flûtes. À la sortie de notre second EP en siques classique et musiques « d’aujourd’hui » peuvent se prolonger 2019, nous avons eu l’envie d’offrir une autre manière d’écouter notre au-delà d’une création, d’un « side project » ou d’une commande musique, expliquent-elles. Nous avions joué au VK, à Bruxelles, avec d’un centre culturel. Après avoir réinventé le répertoire de Radio- un quintette à cordes et deux flûtes. À Dour, l’été dernier, nous étions head et celui de Johann Jóhannsson, Echo Collective prépare ac- entourées de cuivres. Cette nouvelle création au Botanique répond à la tuellement un album de compositions originales. La création Juicy même démarche. On a toujours rêvé de ça. Nous avons toutes les deux Orchestra nous donne plein d’idées pour notre premier album que nous étudié la musique classique. Jean-Marie Rens, le papa de Julie, est com- enregistrons actuellement, déclarent Julie et Sasha. Jean-Marie Rens positeur. Il signe tous les arrangements de Juicy Orchestra . C’est tou- va nous écrire des arrangements, nous inviterons d’autres musiciens jours du Juicy, mais la proposition est différente. Ce n’est pas la même sur le disque, il y aura des cordes. Et Paul-Henri Wauters de conclure. énergie qu’en duo. Le public peut découvrir plus de nuances dans nos Il n’y a pas, d’un côté, la musique classique et, de l’autre, les musiques chansons et ça nous permet d’emmener le projet encore plus loin. actuelles. Il y a de la musique. Point.

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Que reste-t-il du punk ? À la manière du Monstre du Loch Ness et de l’allocation universelle, le « punk » revient régulièrement dans l’actualité. Pour l’heure, c’est au Design Museum (ADAM, jusqu’au 26 avril) avec une expo intitulée Punk Graphics. Le terme est depuis belle lurette entré dans le langage commun, au point d’en oublier parfois ce qu’il signifiait à l’origine. D’où la question posée ci-dessus : une question quasiment existentielle pour certains !

DIDIER STIERS

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l en va de l’expo au Brussels Design Museum comme des fro- rine et Digital Dance, il sera aussi le fondateur en 2007 du label mages belges : c’est un peu de tout ! Ce fameux graphisme punk numérique Off Records. Les Mad Virgins, « les Mad V » comme si influent s’y montre sous la forme de pochettes de disques, de disent les anciens, sont toujours actifs même s’il y a de l’eau dans flyers, d’affiches, de pubs, de magazines, de fanzines et autres le gaz avec leur batteur. On appelle ça des divergences artistiques : artefacts. Un peu de tout donc et le visiteur se retrouve parfois Ils veulent se diriger vers du punk basique et uniquement du punk ba- même fort éloigné du sujet. Dans l’une des salles, on trouve un mil- sique, déplore-t-il quant à ses camarades. lion de bazars où, à mon avis, il y a tout et n’importe quoi, et plein de ré- férences qui n’ont rien à voir avec le punk. Ensuite, tu as la salle belge, CONCOURS ET BRICOLAGE Iavec les Kids, les Kids, les Kids… Et puis les Mad V, deux ou trois autres, Bruxelles, qui compte une poignée de lieux, est alors le théâtre de et point à la ligne. Si Yves Kengen a visité l’expo en question et mal- concerts improvisés, dixit le communiqué de presse accompagnant gré tout découvert l’une ou l’autre chose qu’il ne connaissait pas, la compile de Sub Rosa. La scène compte un petit millier d’acteurs comme certains détournements d’images d’actualité et de titres de et de fans, certains se retrouvant le temps d’un festival : The First journaux, la rigueur avec laquelle le sujet a été traité sur le plateau Belgian Punk Contest, organisé le 18 mars 1978 dans l’arrière-salle du Heysel le laisse dubitatif. Le chanteur et guitariste de Raxola du resto Le Vieux Saint-Job à Uccle (voir notre rubrique « C’était (dans le civil, frère d’Odieu) n’en a pas moins profité de sa visite le… » - ndlr). Quarante ans plus tard, le Barlok est le théâtre d’une pour glisser dans cette même salle belge la pochette du premier seconde édition à laquelle participent notamment Mad Virgin et album de son groupe ! Après tout, elles ne sont pas légion, les for- Raxola. Le jury comptait tous les vieux croûtons qu’on aime bien, mations de la première vague punk made in le Plat Pays à avoir s’amuse Yves Kengen. Il y avait Pompon que j’adore, Alan Ward qui alors existé sur vinyle ! Clin d’œil provoc’, geste revendicatif, auto- a été chanteur de Bastard, avec qui j’ai joué tout comme Brian James dérision comme on l’aime par chez nous ? C’est comme on veut, des Damned… Et on a vu défiler une vingtaine de groupes sur deux mais on a surtout envie de se dire un truc : punk un jour, punk tou- jours, c’était bien rigolo. jours ! Que reste-t-il de tout cela aujourd’hui, alors que les outils informa- D’ABORD AMÉRICAIN ET ANGLAIS tiques ont mis le « do it yourself » à la portée du premier venu ? Bon, reprenons… On prête à l’Américain Roderick Edward « Legs » Tout, d’après Yves Kengen. L’histoire, les disques, des festivals, les McNeil d’avoir popularisé le terme en lançant, avec deux cama- témoignages… La preuve : on en fait même des expositions ! Il reste rades, un magazine chroniquant dans les années 70 la scène punk aussi l’esprit, il reste du public pour ce genre de musique. Des groupes new-yorkaise. Punk était donc le titre de la dite publication, un titre qui se disent punk, mais qui n’ont plus rien à voir avec ce qu’était le punk imaginé par ses soins. Certes, le mot lui-même n’est pas de son cru à l’époque. En même temps, qui suis-je pour juger de ce qui est punk et mais il n’avait encore jamais servi pour être une telle étiquette, et de ce qui ne l’est pas ? Mais voilà, il reste plein de choses du punk. Une pas seulement musicale. De nombreux acteurs vont, pendant la influence, aussi, sur la musique qui a suivi… Et donc, ce n’est pas deuxième moitié des années 70, le décliner en musique et visuel(s), qu’un truc de musée ou d’expo ! Ça reste vivant, tout à fait ! Après, en faire une culture et même un état d’esprit… ou une philosophie les définitions varient. La musique punk qu’on entend aujourd’hui de vie. La chose s’illustre notamment dans l’indispensable lecture ressemble plutôt à une espèce de thrash metal hurlant ou alors à ce qu’est Please kill me, un gros et savoureux bouquin coécrit juste- que font des groupes de l’époque qui se reforment, comme les Buzzcocks ment par McNeil. ou les Bollock Brothers… et qui sont un peu les tenants de la ligne, de l’esprit. C’était quand même des chansons ! La vague punk (ou « les » vagues en considérant que l’Angleterre cuisina l’appellation à sa sauce très british) finit forcément par at- PAS QUE DU ONE, TWO, THREE, FOUR teindre nos contrées. Le son de l’époque s’écoute désormais sur des J’ai aimé les Ramones, en ayant bu de la vodka et pris du speed, avoue compiles comme Everything is shit : Punk in Brussels 1977-79 (sorti en rigolant Renaud Mayeur alias Dario Mars. J’ai adoré ça, mais je en 2016 chez Sub Rosa), Bloody ou encore les trois volumes ne prends plus de speed ! Et le punk, ce n’est pas que les Ramones ! Je de Bloodstains across Belgium (Atomium Records). Les groupes s’ap- préférais les Damned ou les Pistols qui ont fait des putains d’albums. pellent alors The Kids (d’Anvers), X-Pulsion, Contingent, Raxola C’est de la musique : Never Mind the Bollocks, c’est un putain d’album et Hubble Bubble qui compte en ses rangs un certain Roger Jou- de rock ! Les grattes, c’est Chris Spedding en partie,c’est joué… Yves ret pas encore connu sous le pseudo Plastic Bertrand. Du côté de Kengen ne dit pas autre chose, quand il évoque ceux qu’il a vu pas- Chainsaw, on retrouve Dan McRoll qui, comme nous le rappelait ser lors de ces deux « contests » ou dans les festivals à l’affiche des- Serge Coosemans à l’occasion d’un podcast pour le Focus/Vif, fut quels Raxola s’est également produit. Tu as pas mal de bons groupes aussi journaliste chez « More », le premier rockzine belge, et animateur qui sont bien au point, qui jouent bien mais qui n’ont pas de morceaux sur Radio Bruxsel, la première radio pirate (pas libre, pirate !) de la ca- vraiment « épastrouillants ». Pour moi, c’est la différence. La qualité pitale. Phallus Band, avec Jean-Claude Doppée alias « le Dop » à la des morceaux. Si tu prends les groupes punk de la fin des années 70, guitare, chante en français (J’ai perdu mon phallus). Spermicide ceux qui ont percé, Clash, Pistols, Damned, ils avaient de bonnes chan- lâche Belgique, brûlot devenu mythique. Thrills compte en ses sons ! New Rose, c’est vraiment une bonne chanson ! London Calling, rangs Xavier Ess, Stephan Barbery et Alain Lefebvre : le premier qu’on le veuille ou non, et je ne sais pas si eux le voulaient, mais c’est un se manifestera plus tard dans Intérieur nuit et Hep taxi ! du côté de hit ! Et de citer encore I Don’t Like Mondays des Boomtown Rats, la RTBF, le second avec Digital Dance, Snowy Red, Marine, Kid The Adverts avec Gary Gilmore’s Eyes, les Slits, Generation X… Montana et puis Babils, quant au troisième, également dans Ma- C’étaient des chansons, il y avait de la compo, des idées. Je trouve que

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Nous sommes clairement issus du punk ! Pas question de ne pas croire Aurélie de Cocaine Piss, même si le son agressif du groupe liégeois a aussi quelque chose de noise. Et de « power grunge », dixit sa « lea- deuse ». Attitude et contenu : tout colle, chez Cocaine Piss ! On a tous grandi depuis l’adolescence avec la scène punk. Mais on a fonction- né de manière assez intuitive. C’est mon premier vrai groupe, c’est le premier groupe avec lequel j’ai fait un concert. Et naturellement, au premier concert, j’ai voulu aller vers les gens, les inclure dans le spec- tacle. C’est probablement assez punk, mais c’est ce qu’on aime. On a ce naturel sur scène, on fait ce qu’on a appris, probablement en baignant dans le punk depuis un moment. Le groupe, adepte du DIY, autre ca- ractéristique du genre, s’est aussi fait un nom pour ses sets ultra- courts et rentre-dedans : Mais au fond, on est des gentils, qui prônent l’amour et l’acceptation de soi. Les quatre de Cocaine Piss abordent à leur manière des thèmes peu anodins. Sur leur album The Dan- cer, il est par exemple question de différence, de masturbation ou encore, de l’adolescence.

COOLTITUDE BELGE Comme le racontait dans un antique reportage de la RTBF le dé- funt Bert Bertrand, collaborateur aux revues rock More! et En at- tendant (quelques exemplaires sont exposés au Brussels Design Museum et vous pouvez aussi parfois en lire des articles extraits dans notre rubrique C’était le… - ndlr) : Le phénomène punk est né à cause de la crise économique. Les gens sont tellement pauvres qu’ils n’ont pas les moyens de se payer des beaux vêtements ou des beaux ins- truments. Le punk, ce n’est pas uniquement de la musique, c’est surtout une manière de s’habiller, de se comporter, de vivre. Que résume « ze » slogan bien connu : « No future ! ». Pour Yves Kengen, qui a main- tenant définitivement mis un terme à l’aventure Raxola, c’est plus © Vincent© Everarts encore une manière d’envisager le quotidien : On vivait le moment présent, sans se préoccuper de savoir si on allait être vivants le lende- main. En même temps, en Belgique, je ne pense pas que c’était, comme en Angleterre, l’expression d’une révolte, d’un mal-être social. On n’avait pas Maggie Thatcher, on vivait le cul dans le beurre à Bruxelles et même en Belgique. L’Angleterre dans les années 70 connaissait une vraie mi- sère, une pauvreté endémique terrible. Dans le punk tel qu’il est né là- bas, il y a une vraie composante sociale. Quand ça a débarqué en Bel- gique, on était plutôt dans un mouvement artistique, avec une forme de ce que j’ai vu là, c’était un peu pauvre au niveau de la créativité. En hype, qui allait de pair avec une école graphique. Le fun avant la révolte, d’autres termes, si l’énergie est indéniable : Il ne suffit pas de venir quoi… Et ça s’est aggravé encore en passant en France. Là, c’est devenu avec une crête et de bouger pour faire un bon groupe punk. Il faut aussi un phénomène très rapidement récupéré par la mode. qu’il y ait un peu de contenu, et des paroles si possible… Comme nous le disait Pompon : Chaque nouvelle génération essaie Militant de gauche dans l’âme, Yves Kengen dénonce dans ses textes en de retrouver la magie de la précédente. Pourquoi ? Parce que la généra- anglais les turpitudes du monde, écrit à propos de Raxola Jean-Marc tion précédente s’est enlisée quelque part, n’a pas su garder le feu sacré Quintana dans Voix de garage : pépites oubliées du 1977- des origines. À l’heure où le rap a tout raflé, où les guitares sont re- 1978 (Ed. Camion Blanc). Si la musique a changé, s’est « métissée », l’es- tournées dans les garages et où « punk » est mis à toutes les sauces, prit, lui, n’a pas pris une ride. Après tout, le monde d’aujourd’hui ne res- on attend la prochaine révolution. Punk ? semble pas plus à un paradis que celui de 1977. L’esprit, c’est quand même la critique de l’ordre établi, rappelle l’intéressé. Pour moi, c’est fonda- mental, et je suis toujours là-dedans. Il suffit de lire mes articles sur Entre Les Lignes (www.entreleslignes.be - ndlr). L’esprit punk, c’est refuser les artefacts, les modes, les modèles tout faits, le modèle domi- nant, tout ce qui provient d’une marchandisation de la créativité. En quelque sorte, c’est une liberté d’esprit.

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APERÇUS APERÇUS JauneOrange LA VIE EN ROSE Fondé par des passionnés de musique et pour des passionnés de musique, le dynamique collectif liégeois souffle ses vingt bougies et élargit son champ d’activités. Label, agence de booking et éditeur, l’asbl organise en avril le 3e Festival, un nouvel événement dans la Cité Ardente qui s’ouvre à toutes les disciplines.

LUC LORFÈVRE

Wallonie-Bruxelles). Le rock indépendant ex- pôle événementiel (avec e.a. historiquement plosait et il y avait un manque d’offre à ce ni- le Micro Festival qui fête son dixième anni- veau dans le paysage liégeois. Les musiciens versaire). Des groupes de JauneOrange ont galéraient pour jouer, les music lovers devaient explosé, d’autres ont disparu, des chevilles aller à Bruxelles pour voir des concerts. Le but ouvrières ont quitté le collectif, d’autres l’ont ’année 2000, dans un magasin de initial de JauneOrange était de mettre nos vo- rejoint, comme Anthony Sinatra (Piano disques situé au-dessus du club lontés en commun, pour organiser des concerts, Club) responsable des éditions JO depuis l’Escalier, dans le Carré. Entre une sortir des compilations et publier un fanzine. deux ans ou Yannick Tönnes (batteur de tournée de Jupiler en canettes, la C’était du pur bénévolat. Trois cent concerts Cocaine Piss) qui s’occupe du booking. Mais face B d’un maxi de Mogwai écou- de groupes internationaux (Kevin Morby, le meilleur reste encore à venir. Du 16 au 18 té à fond les pistons et le tradition- Ty Segall, Beach House…), quarante-cinq avril, JauneOrange lance Le 3e Festival, qui nel débat sur la méforme du Standard, des albums (Dan San, Piano Club, Pale Grey, s’annonce comme un marathon liégeois potes musiciens décident de prendre leur The Experimental Tropic BB, The K., Glass pluriculturel (concerts, débats, films, expos) Ldestin de rockers alternatifs en main. Jau- Museum…) et vingt ans plus tard, JauneO- et annonce de belles sorties discographies neOrange est né. Au départ, c’est venu d’une range est incontournable. Érigé en asbl, le (Elefan, Marcia Mela XXL, Kowari, Sau- idée toute simple, se souvient Michael Lari- collectif s’est adapté au marché et a déve- dade…). vière (MLCD, Hollywood PornStars et di- loppé une stratégie à 360° avec un label, une recteur artistique du Studio des Variétés agence de booking, un pôle édition et un www.jauneorange.be

VKRS, clap deuxième! deux milieux qui n’ont pas trop l’habitude jet de son existence : la création d’un espace de se croiser. Après une première édition favorisant les connexions entre réseaux, la au succès de dingue, commente Fanny De rencontre de publics hétérogènes, en vue de Marco (productrice de l’événement, elle collisions créatives et plus si affinités. Suite gage sur cette double mise en valeur des à la première édition, une collaboration s’est musiciens et des vidéastes), la seconde mou- d’ailleurs concrétisée, une amorce encoura- ture reprendra ce qui a marché, mais en geante de la nécessité d’un tel espace. Outre mieux. Dont le gros morceau de la « Com- les projections, rencontres professionnelles, pétition nationale du meilleur clip » (ins- concerts, soirées vidjing, masterclass… quoi cription possible jusqu’au 1er avril). Y’a u ra de neuf cette année ? Tout n’est pas bouclé, du cash à gagner, précise Fanny De Marco, mais s’annonce déjà un focus sur les clips et le jury rassemble, comme l’année der- belges cultes (attention aux Benny B, Sandra nière, des professionnels des deux réseaux. Kim, Plastic Bertrand et compagnie…), tota- lement dans l’esprit décalé pop punk que VÉRONIQUE LAURENT Autre « marque de fabrique », déjà, le défi Maxime Pistorio et Fanny De Marco, fonda- Speed-Clipping. Le principe : 5 équipes, 5 teurs faussement foireux -ce sont eux qui le ébut juin, le festival «dédié à l’art groupes musicaux et 5 clips réalisés pendant disent, veulent imprimer au VKRS. du clip», VKRS (Video Killed les trois jours du festival. Seule contrainte : The Radio Star), signe son re- mettre Bruxelles en valeur. On a eu pas mal tour ! Un weekend de confluence de bonnes surprises, poursuit Fanny. Les can- Festival VKRS, du 4 au 6 juin entre deux milieux profession- didatures seront ouvertes à partir de la mi- Théâtre Les Riches-Claires nels, musique et audiovisuel… avril. Pour le reste, le festival réaffirme l’ob- www.vkrs.be

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LE.COM DR TikTok SES BUZZ RAPIDES ET SES CÔTÉS BLACK MIRROR Entre karaoké, chorégraphies filmées et Vidéo-Gag, TikTok est une application qui cartonne chez les enfants et les adolescents. C’est aussi un outil de promotion artistique pris très au sérieux par l’industrie musicale. Ainsi qu’un modèle économique controversé et la propriété d’une grosse entreprise chinoise qui nous fabrique peut-être bien un avenir à la Black Mirror. Aurait-on enfin trouvé le lien manquant entre le grand divertissement musical et la surveillance de masse ?

SERGE COOSEMANS

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LE.COM

un public qui a plus tendance à écouter la musique qu’à jouer avec. Il va aussi falloir se plier à certaines contraintes légales, parmi les- quelles la protection de la jeunesse. Non seulement parce que Tik- Tok est actuellement un terrain de chasse notoire pour les pédo- philes mais aussi parce que les États-Unis l’ont poursuivi pour avoir collecté les données personnelles d’utilisateurs de moins de l était une fois en Chine, un grand pays où le karaoké est plus 13 ans. Il y a potentiellement plus inquiétant encore : si officielle- aimé que les fricadelles chez nous, une application du nom de ment, TikTok fait son beurre suite à des deals avec des éditeurs et Musical.ly. Son principe : partager des vidéos sous forme de pe- des labels lui permettant l’utilisation de musiques sous copyrights, tites saynètes et autres chorégraphies, sur de la musique tirée certains, dont l’US Navy, qui interdit l’utilisation de l’app à ses sol- d’une immense bibliothèque virtuelle. Fin 2017, cette sorte de dats, se demandent tout de même ce que ByteDance, une société Vine comptait déjà 500 millions d’utilisateurs et fut alors rache- chinoise de premier ordre, donc forcément proche du pouvoir com- tée par ByteDance, la « start-up la plus valorisée au monde », une so- muniste autocrate, et de surcroît spécialisée dans l’intelligence ar- ciété chinoise spécialisée dans l’intelligence artificielle. Aujourd’hui, tificielle, peut bien faire de millions de vidéos d’humains en mou- IMusical.ly existe toujours, parallèlement à sa version améliorée du vements ? Parfaire la reconnaissance faciale ? Nous mitonner le nom de TikTok et c’est surtout cette dernière qui cartonne désor- meilleur des systèmes de surveillance massive ? mais : on en serait à 1,3 milliards d’utilisateurs dans le monde. Le principe est relativement le même que Musical.ly : des vidéos de 15 Autre souci : si les utilisateurs n’ont pas à payer l’usage qu’ils font secondes, accompagnées d'un extrait musical puisé dans un énorme de la musique disponible sur TikTok, celle-ci s’acquitte bel et bien catalogue. Ce qui a permis la mise en orbite de tubes, comme Old des droits de performance publique et de reproduction mécanique. Town Road de Lil Nas X, Uno de Ambjaay et Good as Hell de Lizzo. Y compris en Belgique, nous a-t-on confirmé à la SABAM. L’en- Dans une interview accordée en août 2019 au magazine Rolling nui, c’est que ces deals et ces royalties sont la plupart du temps ba- Stone, un ponte de l’Artist Partner Group, grosse association profes- sés sur une rétribution au prorata, comme pour beaucoup d’autres sionnelle américaine, avançait carrément qu’en termes de consomma- applications, YouTube et la plupart des services de streaming. On tion de musique, sur la tranche des 11-24 ans, vous atteignez 50% de l’au- se retrouve donc une fois de plus dans le cas de figure où les gros dience totale via deux plateformes : YouTube et TikTok. Autant dire que artistes sont avantagés au moment de la redistribution des gains. malgré ses côtés Vidéo-Gag et ses tranches musicales de seulement TikTok ne communiquant pas sur son modèle économique, sinon 15 secondes, TikTok est en fait prise très au sérieux par l’industrie. pour fanfaronner, on ne sait par ailleurs rien du tarif pratiqué. Vu ce qu’un artiste peut espérer toucher grâce à une chanson écoutée En Belgique, on croise sur l’app ceux qu’on s’attend à y croiser : entre en entier sur Spotify, on se doute toutefois bien que 15 secondes autres, Alice on the Roof, Roméo Elvis, Angèle, Laura Tesoro, sur TikTok pèsent certainement moins lourd encore. Interviewé Dimitri Vegas & Like Mike et aussi Loïc Nottet, qui y passe pour un à ce sujet par Pitchfork, Brett Gurewitz, le fondateur du label punk pionnier. Son compte date déjà de 2016, de l’époque Musical.ly, nous ex- Epitaph, par ailleurs membre du groupe Bad Religion, a fort bien plique-t-on chez Sony Belgium, son label. Loïc était l’un des premiers résumé la controverse par une petite pique assez définitive. Pour artistes à lancer un défi #Millioneyeschallenge pour son single. Ça a été lui, les deals entre TikTok, les labels et les ayant-droits appar- un immense succès puisque plus de 5.500 fans ont tenté de gagner un Meet tiennent tout simplement à la longue et triste histoire des escroque- & Greet avec lui. L’année dernière, il a continué à créer du contenu sur ries de l’industrie musicale ; le même cas de figure que celui où Chuck TikTok avec le challenge #ScaryCandy, autour d’Halloween. TikTok, c’est Berry se voit offrir une Cadillac plutôt que ses royalties. du fun, de la musique, de la danse... C’est probablement pourquoi ses chan- sons fonctionnent si bien sur l’application. Chez Sony Belgium, on pense TikTok a ses avantages, cela dit, dont celui d’être une plateforme dès lors que beaucoup d’autres artistes vont suivre et on fait aussi assez ouverte où le buzz peut être plus rapide que l’éclair. Même si mine de prendre les choses à la cool : Dans certains cas, le label peut leur programmation est également un secret bien gardé, les algo- suggérer des idées et même une sorte de direction artistique mais en ce qui rithmes de TikTok sont en effet réputés encourager « la mobilité concerne Loïc, c’est surtout son équipe qui décide de son contenu sur Tik- sociale » et donc faire en sorte que les tendances ne soient pas sys- Tok. Sur ce genre de plateforme, c’est très important que l’artiste se sente à tématiquement lancées par les utilisateurs les plus populaires. Sur l’aise et reste authentique. Qu’il prenne le temps de s’habituer à l’applica- Twitter et Instagram, il est très difficile pour un nouveau venu de tion, d’y trouver son propre ton. Avant d’y lancer de véritables campagnes cartonner en quelques heures grâce à ce qu’il y publie. Ce n’est pas marketing, c’est bien de laisser naturellement grandir la fanbase. le cas sur TikTok, qui permet une célébrité parfois instantanée. On peut y cartonner en déconnant. On peut y oser des choses qui ne Bref, on laisse faire, on observe, on attend même que TikTok s’im- passeraient jamais dans une publicité plus traditionnelle. TikTok plante encore davantage dans les habitudes de consommation. est donc surtout à prendre pour ce qu’il est : un outil de marketing L’app n’est en effet pas du tout considérée comme un énième (et de personal branling) pouvant se montrer très efficace. TikTok MySpace, un feu de paille appelé à vite s’éteindre. Très bientôt, il n’a d’ailleurs aucun souci à « aider » du contenu à se distinguer. En semble d’ailleurs qu’il y aura TikTok et la concurrence de TikTok. payant des sous-traitants, par exemple, qui utilisent tous une même Triller, par exemple, à la fois réseau social et outil de « découverte chanson dans leurs vidéos faussement spontanées. Bref, si on peut musicale », une app qui collabore déjà avec les plus grandes stars trouver cela fantastique, ça peut aussi surtout donner envie de s’en du hip-hop américain. Bref, il semble bien que l’avenir soit à la pro- retourner aux vinyles de Chuck Berry et de Bad Religion. motion artistique basée sur des vidéos ultracourtes via des appli- cations surtout destinées aux enfants et aux préadolescents.

Ce qui n’est évidemment pas sans poser quelques problèmes. Déjà, il en est un assez cocasse : si TikTok veut continuer de grandir, il va lui falloir rapidement vieillir son audience. Toucher les adultes,

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DÉCRYPTAGE DR Le disque contre-attaque Le vinyle a retrouvé des couleurs : depuis un moment maintenant, il s’en vend chaque année toujours un peu plus. Rien de folichon par rapport au streaming ou aux achats numériques, bien sûr, mais assez cependant pour pousser les firmes de disques à soutenir le support physique.

DIDIER STIERS

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DÉCRYPTAGE

min Schoos, un stand de merchandising au neurs, reprend Damien Waselle. Il n’est pas concert, le développement du commerce en ligne rare que le vinyle de tel ou tel artiste fasse l’ob- n juillet 2019, la Belgian Entertain- ou la vente d’objets suscitant l’intérêt comme des jet de trois pressages différents. Un vinyle ment Association, qui représente rééditions, des séries limitées ou du packaging de « standard », un deuxième réservé au pop-up les intérêts des différentes luxe sont des possibilités, mais il n’y a pas de recette store ou au « d to c » (« direct to consumer » - branches de l’industrie du diver- miracle. Ce que Damien Aresta résume ndlr) et un troisième qu’on appelle « indie only » tissement, communiquait le résul- comme suit : On gesticule dans tous les sens pour et qu’on ne va vendre en Belgique qu’à Caroline, tat des ventes de musique en Bel- essayer de se faire voir. Dernière « gesticulation » Music Mania, Fat Cat et ce genre de magasins. gique pour le premier semestre alors tout en date pour l’homme de Luik Records et It It Ces deux derniers sont souvent colorés, ou ont juste écoulé. De janvier à juin, elles étaient de Anita : www.luikstories.com, entre le blog et une pochette un peu particulière, et sont des ti- E10% plus élevées que pour la même période le carnet de bord. Il nous donne la possibilité de rages quand même limités, plutôt de l’ordre de en 2018, avec un chiffre d’affaires de 29,1 mil- raconter différemment des trucs sur nos musiques 500 copies. lions d’euros. Évidemment, le streaming et nos histoires. Peut-être qu’en suscitant un inté- payant, en progression de 35%, s’y taillait la rêt par un autre angle, un autre biais, ça donnera RE-RE-RE… SORTIE part du lion. En y ajoutant les bénéfices du éventuellement envie de soutenir les projets au-de- Il y a un renforcement clair de l’importance téléchargement, les ventes digitales avaient là du stream (presque) gratuit. Quid du contenu ? de l’objet, lequel doit être beau et rare ou tout généré 20,6 millions d’euros. Alors forcément, Ce sont des histoires qui, d’habitude, restent en in- au moins difficile à trouver. Didier Gosset les 8,5 millions d’euros ramenés par celles des terne, entre nous. Là, partager une partie de ces met cependant un bémol : On touche aussi des supports physiques faisaient pâle figure, per- aventures intéressera qui sait d’autres personnes, groupes démographiques différents. Les « vieux » dant encore 15% par rapport au premier se- et nous permettra de toucher un public différent… ont un pouvoir d’achat important et seront ten- mestre 2018. Étonnant cependant : les ventes ou de toucher le même public mais autrement. tés par l’objet physique, les plus jeunes perdent de vinyles, elles, grimpaient de 3% par rapport tout simplement l’habitude d’acheter du phy- à l’année précédente, avec un chiffre d’affaires Chez Black Basset Records non plus, on n’a sique. Encore que… Urban PIAS (Swing, Le de 2 millions d’euros. Bien sûr, il ne s’en vend pas de solution clé en main. Il y a autant de 77, Scylla…) a ouvert sa boutique en ligne : on toujours pas plus que de CD, mais cette ten- stratégies que de labels, estime Didier Gosset. y trouve du CD et de la galette d’acétate. Et, dance à la hausse semble constamment se En vrac : tirages limités, éditions spéciales, pac- comme le rappelle Damien Waselle : Même confirmer. Y compris quand c’est minime : kages goodies avec du merch’, ventes différentes un projet comme Angèle est sorti en vinyle. C’est selon l’Institut de Statistiques du Québec, en en magasin ou en concert, variation de couleurs quand même surprenant. C’était à l’occasion de 2019, on en a vendu là-bas 181.100 unités, soit… pour les disques vinyles… Chez Exag’ Records, sa réédition mais n’empêche. 200 de plus que les douze mois précédents. où il entretient le contact avec les disquaires qui soutiennent son label, Greg Noël parle À chaque nouvelle tendance touchant un type Même si l’on va vers « le tout numérique », également de créativité. On remarque que pro- de support, un petit coup de frais souffle sur comme le dit Benjamin Schoos, le boss du la- poser à nos clients directs des éditions spéciales l’exploitation du back catalogue. Au début des bel Freaksville, certains retrouvent de l’inté- fonctionne bien. Les collectionneurs savent se années 90, le vinyle s’est fait manger par le rêt pour les supports physiques. Une nouvelle faire plaisir sur des disques comme ça. Je pense CD : Les majors ont connu une décennie de gloire, usine de pressage s’est ainsi ouverte à Chatel- que les labels qui arrivent à offrir des éditions spé- ajoute Damien Waselle. Tout le monde voulait lerault en France : Vinyle Record Makers, ciales à leurs fans et des versions plus classiques ses Neil Young en CD parce qu’à de rares excep- c’est le nom de la boîte, compte Luik Music pour les tournées et le merch’ ont trouvé un moyen tions, plus personne ne les écoutait en vinyle, que parmi ses clients. Et puis, c’est à l’automne d’encore vendre des disques. le CD, c’était pratique, tu l’avais dans ta bagnole, 2019 qu’a vu le jour Vinyl Alliance (vinylal- etc. Aujourd’hui que le CD est dit condamné, on liance.org), un groupement de « profession- L’objet, ce « graal » du fan accro, est bien sûr exploite le back catalogue en vinyle. Témoin : nels du vinyle », des pros concernés aussi bien un maillon de la chaîne. Certains collection- dans le Top 10 des meilleures ventes pour ce par le mastering et la fabrication que les ap- neurs achètent le même disque autant de fois support aux États-Unis, on trouve, en 2019, pareils, les programmes, la distribution ou en- qu’il y a de couleurs différentes, rappelle Didier Fleetwood Mac, Queen, les Beatles, Pink core, la vente. Parmi la dizaine de membres Gosset ! Damien Waselle, directeur de PIAS, Floyd, Oasis, Joy Division et David Bowie ! Et qu’il compte actuellement, on trouve notam- surenchérit : Je pense même qu’une sorte de dé- chez PIAS, on fêtera l’anniversaire du pre- ment GZ Media (Tchéquie) et MPO (France), clic s’est fait chez pas mal d’amateurs de mu- mier album de Miossec (Boire, sorti en 1995) deux des plus grands fabricants de vinyles au sique, qui veut que, bien qu’ayant accès à l’album avec une belle réédition… vinyle ! monde, mais aussi Universal et . via le digital et en l’occurrence le streaming, ils Quant au plan de sensibilisation… Chez Vinyl attendent le concert pour acheter le disque. Je On le voit, soutenir la vente de supports phy- Alliance, on prévoit de convaincre des « am- suis sûr qu’Andy Shauf, pour citer un chouette siques ne se fait pas juste pour l’anecdote ou bassadeurs » parmi les peoples et les influen- singer-songwriter, va cartonner en vinyle au le clin d’œil. Tout le monde y trouve son ceurs, on planche sur des campagnes de Bota où il va jouer. Il est distribué, promotionné compte. Ah mais bien sûr, s’exclame Damien presse ciblées, et on parle product placement et supporté par PIAS, il est dans les bacs, mais Waselle ! On ne se le cache pas, notre objectif est à la télé comme au ciné. Si c’est pour nous re- je sais qu’il y a plein de gens qui ne vont juste- de vendre des disques. Les fans sont contents. Pour faire des scènes comme celle où Ben Stiller ment plus dans les bacs et se disent qu’ils l’achè- nous, c’est aussi une manière de continuer à sou- passe The chauffeur de Duran Duran à des teront au concert. tenir les magasins encore dynamiques et indépen- ados dans Greenberg, on est pour ! dants. C’est de ça aussi que souffre la musique au- Au concert… ou alors dans un des ces pop- jourd’hui : le tissu des magasins qui étaient des PAS DE RECETTE À UN MILLION DE DOLLARS up stores comme on en voit éclore un peu faiseurs de tendance ou qui permettaient de pous- De leur côté, nombre de firmes de disques et partout ces derniers temps. On fabrique de ser des choses différentes a un peu disparu. Alors de labels cherchent à soutenir, voire à booster plus en plus d’objets uniques et particuliers qui ceux qui ont survécu, on a envie de les soutenir. les ventes de supports physiques. Selon Benja- s’adressent vraiment aux fans et aux collection- Parce qu’ils nous soutiennent aussi !

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IN SITU IN SITU… Jacques Pelzer Jazz Club © Robert Hansenne

Le saxophoniste-flûtiste Jacques Pelzer disparaissait en 1994. Aujourd’hui, sa maison accueille depuis quinze ans le meilleur du jazz belge et des grands noms européens et américains. Grâce à la volonté et l’énergie de quelques mordus, le Jacques Pelzer Jazz Club - le « JP’s » - est devenu un incontournable de la scène belge.

JEAN-PIERRE GOFFIN

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IN SITU

En plus d’autres grands noms qui ont performé dans le club, tels Peter King, Denise King, Don Menza, Ralph Moore, Dave Pike, David Schnitter, la scène a eu droit au gratin belge dans toute sa splendeur, tous sont venus, trop nombreux à énumérer : Leurs fils aussi, dit Catherine, une des chevilles ouvrières du club, je pense à Greg Houben et toute sa clique qui ont apporté un souffle de fraîcheur, le simple bonheur de jouer ensemble. Ils ont rajeuni la scène jazz, la maintiennent vivante et bien en forme. Plus récemment, on a eu le plai- sir de voir éclore une nouvelle génération de talents : Antoine Pierre, Igor a Maison Pelzer, c’est une histoire, une aventure qu’il est Gehenot avec Metropolitan Quartet, Bram de Looze et Basile Peuvion impossible de ne pas évoquer lorsqu’on parle de jazz à Liège avec Momentum sortaient de l’adolescence lors de leurs premiers concerts et en Belgique. Petit retour en arrière : dans la seconde par- au Pelzer’s Jazz Club. L’occasion est belle aussi de découvrir des mu- tie des années 40, trois musiciens d’envergure internatio- siciens totalement inconnus en Belgique : Cordoba Reunion (Ar- nale vivent et jouent à Liège : Bobby Jaspar et Jacques Pel- gentine), Corpo (Suède), Edgar Van Asselt (Pays-Bas), Max Mantis zer font partie des Bob Shots – the most famous jazz combo in (Suisse) et tout récemment le quartet italien des frères Concettini. Europe selon la revue américaine Down Beat – groupe auquel se joint à l’occasion le guitariste René Thomas. Si Jaspar et Thomas Le club n’est pas grand – maximum 72 places – et cette proximité est Lsont très souvent à Paris, puis outre-Atlantique où ils rencontrent appréciée par un public très mélomane et sensible à une acoustique et jouent avec Miles Davis, Stan Getz, Sonny Rollins…, Pelzer, alors naturelle de grande qualité. Si un soir il y eut une visite de la police jeune marié, ouvre sa pharmacie au Thier-à-Liège. La renommée pour tapage nocturne, elle a vite viré à la bonne blague liégeoise : les du Festival international de Comblain-la-Tour amène chez Pelzer policiers se sont en effet présentés un soir de concert de… Mélanie de grands noms du jazz comme Bill Evans, Stan Getz, John Col- de Biasio ! Et parlant à voix haute en entrant dans la salle, les poli- trane, Elvin Jones, Archie Shepp, Don Cherry, Lee Konitz… et le ciers se sont vus accueillis par les « chuuut ! » des spectateurs ! trompettiste Chet Baker qui fera du lieu son QG en Europe. La jam du dernier dimanche du mois est une nouveauté appréciée Aujourd’hui, au-dessus du salon/salle-à-manger qui fait office de pour la qualité des intervenants et pour l’heure des concerts, à 18h : salle de concert, se trouve la chambre de Chet comme on l’appelle Elle contribue également à faire découvrir l’endroit à des personnes qui encore affectueusement aujourd’hui, quasi inchangée depuis son ne sont pas disponibles en semaine, on y vit chaque fois des beaux mo- dernier passage à Liège en 1988. Alors dire que le lieu est un en- ments, dit Catherine. Le club entretient d’excellents rapports avec droit mythique du jazz en Belgique est bien plus qu’une expres- d’autres endroits qui jazzent à Liège : la Maison du Jazz y organise sion, c’est une réalité. Micheline Pelzer, fille de Jacques et batteuse, des concerts Jazz and More cinq fois par an et en matière de pro- aujourd’hui disparue, l’avait promis à son père : la maison serait grammation, l’entente est excellente avec d’autres salles : être col- occupée par un musicien. C’est le batteur Marc Bienfait qui depuis lègues plutôt que concurrents ! occupe les lieux : Je suis arrivé en 1999. Après l’arrêt de la pharmacie, Jacques avait reloué une partie de l’espace à un épicier. Après son dé- Après quinze années, le club est définitivement sur les rails : Nous cès, pour Micheline qui était toujours à Paris, c’était compliqué de s’oc- sommes reconnus par Art&Vie et recevons une aide appréciable de la cuper de la maison et elle m’a proposé d’y habiter. J’y ai alors organisé Province de Liège pour le budget artistique, de la Fédération Wallonie- quelques petites soirées avec des copains comme Jacques Pirotton ou Bruxelles pour le fonctionnement et de la Région par le biais d’emploi David Timsit. Et c’est fin 2003 qu’on s’est lancé dans l’aventure du club. APE. Nous pouvons donc fonctionner avec une sérénité relative. Il a fallu un an de travaux pour tout refaire, électricité etc. tout en gar- dant l’âme de l’endroit. Et on a ouvert en avril 2005.

Quand on met un pied dans le Club, impossible de passer à côté de l’histoire du lieu : des dizaines de photos du saxophoniste-flû- tiste, parfois entouré d’invités prestigieux, couvrent les murs, on y découvre aussi toutes les pochettes des albums auxquels le « Hips- ter » a participé, aussi les affiches qui étaient collées à l’origine au mur de la cage d’escalier : Micheline était très sentimentale, elle gar- dait tout, on a des collectors pas possible. Ce fond documentaire et le lieu ont joué dans la pérennité du club. Si ça avait été ailleurs, ça se serait sûrement arrêté depuis longtemps.

Plus de 650 concerts plus tard, le « JP’s » propose toujours une pro- grammation qui allie grands noms et vraies découvertes, l’occa- sion d’intenses souvenirs pour un fidèle comme Claude Loxhay, J’ai le souvenir de concerts mémorables d’Amé- chroniqueur de jazz : © Robert Hansenne ricains comme Steve Grossman ou Gary Smulyan, d’Européens avec le quintet de Mauro Gargano avec l’Italien Francesco Bearzatti, de Serge Lazarévitch en quintet avec Airelle Besson et Sylvain Beuf, des Fran- çais Yoann Loustalot et Fred Borey venus y enregistrer «live» un album pour un label espagnol.

Le « Jacques Pelzer Jazz Club », Boulevard Ernest Solvay, 493 - 4000 Liège. www.jacquespelzerjazzclub.com

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ment. À cheval sur les 17e e submerge. Il faut dire que si l’univers de la et 18 siècles, le voyage jeune belge capte notre attention avec ses commence avec Corelli et son célèbre Concerto clips tournés au milieu de bichons ou fatto per la Notte di d’amants aux mains en forme de pince de Natale. Anne-Catherine homard (si si), c’est pour mieux nous pré- Gosselé (flûte à bec), parer à recevoir le travail de cette artiste Rachel Heymans (flûte protéiforme. Et il va au-delà de la bonne et hautbois), Leonor blague. Comédienne de formation, dan- Eddy Ape Palazo (violoncelle à seuse à ses heures, la bruxelloise sait faire Apeworld 5 cordes) et Paul Van den LMI Records Driessche (clavecin) en- de tout, avec une devise qu’elle résume chaînent ensuite avec la comme suit : La chose que je préfère dans la Un an après un joli Chaconne de Morel pour vie, c’est de rire et de pleurer en même temps… coup médiatique suite flûte et basse de viole, Pour moi, l’expression artistique est un tout. à la reprise des Filles célébrée ici par le violon- du bord du mer en duo Avec du chant, mais pas que… La musique, celle. Ils nous régalent avec Adamo, Eddy Ape c’est un peu comme un nouveau métier pour avec le Concerto « a refait parler de lui en moi, je découvre tout. Un nouveau métier quattro » en ré mineur Judith Kiddo ce début d’année. C’est de Haendel, qui serait qu’elle prend très à cœur. Son premier EP à la barre du collectif en fait de Telemann. Petit chien sous le bras, elle s’apprête à défendre sa pop indépendant La Mesure Font un détour par le AUTOPRODUCTION joyeuse et bienfaisante aux Nuits Bota- Inversée, et surtout aux trop rare Jean-Joseph nique. Avec une excitation un chouïa tein- côtés de son complice- Mouret, élève de Marais. producteur Ekany, a méthode Kiddo est imparable : tée d’anxiété : Je panique un peu car j’ai légè- Et concluent avec le que le jeune rappeur nous capter avec un sourire, pour rement exagéré mon CV. Par exemple, même lumineux Concerto RV – Congolais d’origine, mieux nous choper et, au final, si c’est vrai que je compose quasi tout à la gui- 103 de Vivaldi, ultime Bruxellois d’adoption – démonstration de leur nous toucher. Petit chien, ne te perds tare, je suis très feignasse quand il s’agit de doucement grandit. fascination pour les pas, car nous serions perdus sans toi. faire les exercices, du coup, sur scène, je n’ose- Sans lui, Eddy Ape couleurs solaires. – SR À l’écoute de cette chanson fraîche rais jamais en jouer ! Un bel aveu pour une sort d’abord Smooth et enlevée, on a un petit sourire et puis, artiste qui dit avoir horreur du cynisme, et Radio en 2017. Avec lui, il monte le projet Tweny force est de constater qu’une émotion nous qui le prouve. Go Kiddo ! – JMP Tweny en 2019. Et voici L donc publié aujourd’hui un 3e chapitre de sa discographie. Apeworld est bardé de cinq titres listes d’artistes comme album New England plutôt réussis, oscillant Terry Riley ou Philip Digital, le Bruxellois entre rap doux et Glass. Lunaire, unique imagine en effet une chant nu-soul, loin des et magnétique, la bande-son inspirée par O.R.A. sempiternelles sirènes musique du composi- les premières heures Of Paint and Gold trap de nombreux collè- teur bruxellois suspend de la colonisation de Autoproduction gues. Plusieurs compos le temps et étire ses la Nouvelle-Angle- charmes infinis vers terre. Entre passion convoquent l’œuvre Nouveaux venus sur la l’au-delà. En apesan- historique et pulsations d’Hamza et certains scène bruxelloise, les Lemon Straw teur, la voix céleste de rythmiques, son disque gimmicks évoquent le bien nommés O.R.A. Ben Bertrand Puzzle Claire Vailler (Midget!) dévoile des plages style du petit prince de (pour Organic Random Manes Autoproduction STROOM/Les Ateliers Claus se pose en douceur sur infusées de clavecins Bockstael par endroits Atmosphere) délivrent The Manmaipo, ultime électromagnétiques et L’album s’ouvre avec An- (Level, Jacket). Citons une pop electro très Explorateur du son, éclat de cet album de flûtes synthétiques. gels never die, single aux également Drama que planante et bien ancrée Ben Bertrand façonne lumineux. Collision frontale, mais accents nostalgiques, ne renierait pas PLK. dans son époque. Bien – NA une passionnante jamais brutale, entre diffusé sur les ondes – NC nommés car le groupe collection de mélodies fantasmes musicaux du depuis septembre der- est effectivement for- oniriques à l’aide d’une 18e siècle et inspirations nier. Ensuite vient I can’t tiche pour installer des clarinette basse et futuristes, l’œuvre de blame you puis le très ambiances oniriques, d’un arsenal de pédales Christoph Waelkens groovy I never do, appuyées par des ins- d’effets. À la veille du gravite aux confins de deuxième simple paru truments acoustiques printemps, le musicien la musique classique et en janvier. Puzzle, c’est comme par exemple le sort du bois avec son d’envies techno à peine un panaché de 11 plages violoncelle, sans oublier deuxième album sous voilées. À l’heure où le qui alternent ballades la voix toute en réverb. le bras. Enregistré du label Vlek Records (Law- (Rider) et chansons pop Un peu comme une côté de Saint-Gilles, Christoph Waelkens rence Le Doux, Aymeric « up tempo » (Like a Ensemble Brada- dream pop qui aurait ou- au cœur des Ateliers New England Digital de Tapol, Cupp Cave, soldier), des ambiances mante blié les guitares pour se Claus, Manes est un trip Vlek Records Sagat, etc.) souffle ses et des mélodies qui Concerti a quattro tourner résolument vers abyssal et apaisant. dix premières bougies, restent dans le creux muso les envolées digitales. Le Dénuée de mots, la Relaxant et extraordi- ce nouvel objet est un de l’oreille (Head in the tout agrémenté par de musique électronique Pour son premier CD, nairement flottant, le magnifique cadeau clouds, Puzzle). Mention très beaux visuels et des possède un pouvoir l’Ensemble Bradamante voyage organisé par Ben d’anniversaire. particulière à Magic clips soignés (le single évocateur à nul autre – NA s’est fait plaisir avec des Bertrand emprunte les World qui renoue avec Sending Signals et son pareil. Christoph « concerti a quattro » chemins de traverse le côté folk des débuts. petit côté 80’s). Jolie Waelkens peut en taillés pour célébrer le de Jon Hassell et Brian À noter la collaboration surprise. – FXD témoigner. À travers timbre de chaque instru- Eno, tout en suivant les de Dada (Suarez) à la trajectoires minima- les six morceaux de son

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composition de plu- Ysaïe fut l’un des instigateurs, sort un en- sieurs titres. 5 ans après semble de 5 CD en l’honneur de ce virtuose avoir produit Running Home, Lemon Straw et compositeur d’exception. Il ne s’agit pas confirme donc sa place d’une intégrale – on n’y trouve pas les 6 so- dans le monde de la pop nates pour violon seul maintes fois enregis- belge avec une pièce trées –, mais d’un ensemble de pièces témoi- de plus à son « Puzzle ». gnant autant de son art que de son époque et – JPL des œuvres qu’il défendit avec passion. Le Daniel Romeo coffret s’ouvre par deux inédits : le er1 mou- The Black Days Session #1 vement du Concerto en mi, confié à l’archet CQDF/L’autre Distribution de Yossiv Ivanov, et celui du Concerto en ré (avec Nikita Boriso-Glebsky) accompagnés De James Brown à Yael par l’OPRL et Jean-Jacques Kantorow. La Naim, en passant par Manu Katché, Felix Da phalange liégeoise est également présente Housecat, Axelle Red avec la réédition de deux morceaux de choix : ou la dernière tournée le Poème élégiaque (avec Papavrami), dont les de Bernard Lavilliers, la accents fauréens offrent une introduction Løyd A Tribute to Ysaÿe basse électrique du Ca- idéale à l’univers d’Ysaÿe, ainsi que le Ca- A Post-Apocalyptic FUGA LIBERA Modern Art Gallery rolo Daniel Romeo s’est price d’après l’Étude en forme de valse de Saint- invitée partout. Mais Autoproduction Saëns (Maria Milstein). Rendez-vous encore cette fois, elle sublime Nouveau visage de la un projet personnel. on nom ne parle plus guère avec la superbe Sonate de Franck (par Gatto scène electro, Loyd est Enregistrée en trois qu’aux mélomanes. Eugène et Libeer) et celle de Lekeu (par Leong et le projet du producteur jours, cette session des Ysaÿe (1855-1931) fut cependant Vanden Eynde). Sélection haut de gamme bruxellois Maxence jours sombres est celle à son époque une star mondiale également en musique de chambre avec, Lemaire. Après plusieurs des amis, de la famille du violon, exportant la fameuse entres autres bonheurs, le concert de Chaus- escales dans les boîtes (Onika sur la femme qui « école belge » jusqu’aux États- son op.21 (par Buksha, Kolesnikov et le Qua- de nuit de la capi- a partagé vingt de sa Unis, où il fut surnommé « The king of the tuor Hermès) et le quatuor à cordes de De- tale, l’artiste délaisse vie et Vincent, qui est ses platines pour se dédiée à son fils aîné) violin ». Pour fêter les 80 ans de son existence, bussy (par Dumay, Cho, da Silva et consacrer pleinement à et du groove. Directeur Sla Chapelle Musicale Reine Élisabeth, dont Demarquette). Du très beau monde !– SR la composition de son musical pour la RTBF premier album. Comme où il collabore aux la série Black Mirror, le émissions Bel- disque de Loyd tourne gium, The Voice Kids et minimale. En 2013, le duo publie Stories, pre- autour du concept de Decibels Music Awards, mier album ouvert aux expériences sonores dystopie. A Post-Apo- Daniel Romeo rappelle calyptic Modern Art ici aux travers de en tout genre. Devenu prof de musique à la Gallery imagine en effet compositions originales SAE, Brice Deloose enseigne les méthodes un monde dépassé par sa volonté de casser les de production à ses élèves. Parmi ceux-ci, un l’ampleur des réseaux frontières. Sans rien certain Gary Celnik met son amour du jazz sociaux et l’emprise des perdre de son homogé- au service d’une trame électronique multi- cyborgs. À la lisière du néité, cet album s’ouvre directionnelle. Je lui ai proposé de nous re- présent, aux frontières ainsi au soundtrack joindre en studio et, de fil en aiguille, Sparkling du futur, le produc- contemplatif (Serenity), teur s’appuie sur les au funk (Fat Cat, en Bits s’est métamorphosé en trio. Aujourd’hui, nouvelles technologies hommage au chat de le groupe rassemble les six épisodes d’une pour confectionner son pote Éric Legnini) série baptisée Rust. Ce projet est parti d’un des rouleaux com- et à la fusion sensuelle constat. En termes de visibilité, il est désormais presseurs electro-pop (Vincent, Onika). On Sparkling Bits plus intéressant de sortir des singles que de pu- profilés pour circuler y retrouve la crème du blier un album. À raison d’un morceau diffu- sur la bande FM. Entre jazz belge d’aujourd’hui Rust grandeur et décadence, et d’hier, notamment sé toutes les deux semaines, Sparkling Bits mélancolie et excès de par le biais d’un solo AUTOPRODUCTION explore le spectre de ses influences. Réfé- confiance, Loyd ratisse d’harmonica inédit rences jazz, UK garage, future bass et hip- large : hip-hop (en que lui a légué Toots ans un monde rythmé par des hop s’agitent ainsi dans des morceaux à ran- compagnie du rappeur Thielemans. Comme dit fils d’actualité toujours plus ten- ger entre ceux d’Odesza, Flume et Petit OD Temper), « French le slogan, du jazz pour dus, l’apparition de Sparkling Biscuit. Les six titres de cette série coha- touch » à la Kavinsky, ceux qui écoutent aussi Bits s’apparente à l’éclosion d’un bitent à présent sous une pochette illustrée clin d’œil industriel à autre chose que du jazz. Nine Inch Nails, voix Et surtout un grand jeune diplodocus. Le groupe est par une photo de François-Xavier Defosse. invitées (Annie Sama, disque. – LL né en 2004 sur un forum de dis- Cette image de rouille définit bien notre rapport Okamy) et EDM façon cussion dédié à la scène électronique, retrace à la création. Quand l’eau, l’air et le fer se ren- Kid Noize alimentent Brice Deloose, membre fondateur du projet. contrent, cela donne lieu à de nouvelles textures un premier essai fran- Mon ami Jeremy Janssens y postait régulière- et de multiples couleurs. En manipulant ses chement décousu, mais D ment ses démos. Fascinés par les mêmes sons, machines, le trio transforme lui aussi la ma- vraiment efficace. – NA les deux garçons se retrouvent en dehors de tière, révélant au passage toutes les nuances la sphère virtuelle pour façonner un pana- d’une musique aussi poétique que synthé- ché de kicks techno et de house à tendance tique. – NA

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Le Motel (EP), Transiro (Maloca) LISTE Monolithe Noir, POURQUOI ? Moira (Kowtow Records) Sparkling Bits, DES Rust Serie (Autoproduction) Zoë Mc Pherson, Pourquoi écouter SORTIES States of Fugue (SFX) JAN. - FÉV. 2020 JAZZ Beethoven tout ENVOYEZ-NOUS LA Alexandre Cavalière, DATE DE SORTIE DE Manouche Moderne (Homerecords) VOS PRODUCTIONS. Commander Spoon, au long de de cette Nous relaierons dans ces colonnes : [email protected] Spooning (W.E.R.F. Records) Daniel Romeo, The Black Days Session #1 CHANSON (Autoproduction) année ? Flavio Spampinato, Alain Verdier, Nascente (Alfa Music) Évidences (Starman Records) Giovanni Di Domeni- Aucun compositeur classique n’a atteint la notoriété Antoine Hénaut, co, Isasolo (Canti Magnetici) de Ludwig van B. Cette année 2020 en sera une nouvelle Par Défaut (30 Février) Hermia - Mohy - e Ciao Kennedy (EP), Gerstmans, The Love preuve éclatante, qui commémore le 250 anniversaire de sa naissance Les Vacances Songs (Back to the Heart (Autoproduction) of Jazz) (Jazz Avatars) à Bonn, en 1770, avec une déferlante de concerts et de manifestations Karine Germaix Houben & Son, 7/7 (EP), Incandescence (Igloo Records) tous azimuts. Sans même parler de l’actualité (Autoproduction) Igor Gehenot, Rec. discographique d’une abondance vertigineuse. Malika M, Cursiv (Igloo/Jazz) Oscillation (Autoproduction) Pauline Leblond Mathilde Fernandez Double Quartet (EP), STÉPHANE RENARD (EP), Final Vegas Suites de danses (bORDEL Records) (Autoproduction) Saule (EP), Verso Pentadox, Fragments times retranchements, souvent dramatiques (62TV Records) of Expansion Tresor (W.E.R.F. d’ailleurs, il se révèle tout aussi démoniaque Tresor, Records) (dear.deer.records) dans la gestion du temps musical. Mozart ex- pédiait une symphonie en 20 minutes, le temps POP-ROCK CLASSIQUE - que Beethoven accorde au seul premier mou- Alaska Gold Rush, e CONTEMPORAIN vement de sa 3 symphonie, l’Héroïque. La- Camouflage (Luik Records) quelle, soit dit en passant, aura été l’œuvre la Charpentier, Orphée ASupernaut (EP), Aux Enfers, Vox Lumi- Morsure (Autoproduction) plus jouée en concert dans le monde en 2019 nis, A Nocte Temporis, Cabane, Grande est selon le site classique bachtrack.com. Reinoud Van Mechel- la maison (Autoproduction) Guillaume Maupin/ en, Lionel Meunier Son époque jugera certaines de ses œuvres (Outhere/Alpha) Marceau Portron/ Corelli, Morel, Hän- Valentin Portron, trop difficiles à interpréter - la 9e symphonie, la del, Mouret, Vivaldi, Rock’n roll is a Folklore Missa Solemnis, ses derniers quatuors… La vé- Concerti A Quattro, Vol II (Fougères/Poil Records/ rité est qu’elles étaient en avance sur leur Ensemble Bradamante Saintonge Records) (muso) Jane Døe (EP), temps. Comme le fut leur auteur, affirmant Dutilleux-Ledoux, Artifact (Autoproduction) qu’on le comprendrait « plus tard ». Alors que D’ombres, Élodie la poudre (EP), onsécration suprême de cette po- Haydn et Mozart étaient au service de leurs Vignon (Cypres) la poudre (Autoproduction) Eugène Ysaÿe, Er- Le Loup, Private Joke pularité universelle, le nom de employeurs, Beethoven sera le premier com- nest Chausson, César (Fade In) Beethoven est devenu syno- positeur indépendant à exiger de ses mécènes Franck, Guillaume Lemon Straw, nyme du génie musical absolu, les moyens matériels lui permettant de se Lekeu & Claude Puzzle (Autoproduction) Debussy (5 CD), Leo Nocta, Higher inspirant aussi bien Gide, Tols- consacrer à son art. Lequel n’avait pas pour A Tribute to Ysaÿe, Than Here (Autoproduction) toï et Kubrick… que les Peanuts. objet de divertir les aristos fortunés mais de Brussels Philarmonic, Lyenn, Adrift Parfois considéré comme le précurseur du ro- « soulager la pauvre humanité souffrante ». Orchestre Philharmo- (Waste My Records) mantisme qui va inonder le 19e siècle, plus Beethoven écrivait pour la postérité. Elle le lui nique Royal de Liège Marc Ysaye, Back to Avalon (Outhere/Fuga Libera) (Autoproduction) proche du classicisme de Haydn et Mozart dont a bien rendu. Naked Form, People C Komitas, Eugénie il est l’héritier, Beethoven est en fait inclassable, Alécian, Légende (Ragtime distribution/Believe) Quelques concerts à Bruxelles (Bozar) O.R.A., Of Paint sauf à le considérer comme le premier des mo- Le 26/4 : Nelson Freire jouera le 4e Concerto, arménienne, Akhtamar e Quartet and Gold (Autoproduction) dernes. Il y a en effet du démiurge en lui, créa- suivi de la 7 Symphonie par le Belgian National Orchestra (BNO) (Cypres) Le 9/5 : Lieder par le baryton Matthias Goerne, teur d’un univers qu’il revendique – à juste accompagné au piano par Jan Lisiecki. titre ! – à nul autre pareil. Les musicologues ont Le 21/6 : les 9 symphonies jouées dans 9 villes européennes. ELECTRO Retrouvez À Bruxelles, le BNO dirigé par Maxim Emelyanychev la liste complète largement décortiqué son œuvre, qui ose des interprètera la 4e Symphonie et l’Ouverture d’Egmont. Bil&Gin, Let’s Dance des sorties sur séquences musicales hérétiques, des enchaîne- (Autoproduction) ments improbables, des trouvailles insensées Quelques concerts à Liège (OPRL) Cabasa (EP), www.conseil Le 15/3 : Josef Moog jouera la transcription de Liszt e Excess (Boogie Box Records) delamusique.be – le « Pop, po, po, pom ! » de la 5 –, dont l’impact de la Symphonie Pastorale. Clemix (EP), immédiat doit tout à la rigueur exemplaire de À Bonn (Allemagne) – Jusqu’au 26/4 : « Beethoven. World. Citizen. Music » a la Bundeskunsthalle. Cette imposante exposition viendra Non merci (Autoproduction) son écriture. Poussant la forme dans ses ul- en automne a Bozar, à partir du 13/10.

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VUE DE FLANDRE

VUE DE FLANDRE Les paradoxes des Mia’s

Tout en plébiscitant « leurs » vedettes populaires qui sont inconnues hors des frontières linguistiques, le public et l’industrie musicale flamande récompensent aussi des artistes s’exprimant en français. Retour sur une cérémonie des prix 2020 qui a créé la polémique.

LUC LORFÈVRE

est reparti bredouille… et passablement re- monté. La même mésaventure est arrivée à Brihang, artiste urbain de Knokke, nommé à six reprises. Si les Mia’s étaient moins le reflet d’un vote du public que de celui des professionnels du secteur (médias, labels, bookers, salles de concerts - ndlr), le palma- rès aurait peut-être été différent, concède Gerrit Kerremans, coordinateur musical et co-organisateur des Mia’s. Le secteur a nommé et poussé de nombreux artistes ur- bains mais le grand public n’a pas validé cette option. Or, dans la plupart des catégo- ries reines, c’est le public qui choisit aux Mia’s. Conséquence : un décalage extrême au palmarès entre les artistes catalogués « indés », pour la plupart connus en Wallo- nie, comme Balthazar qui a reçu deux prix ou Charlotte Adigéry (1 prix) et les vedettes DR de variétés flamandes dont l’immense po- pularité ne dépasse pas la frontière linguis- tique. On pense au « gendre idéal » Niels Destadbader qui a rempli cinq Sportpaleis es téléspectateurs de la cérémonie 2020 des Mia’s. Voilà une cérémonie « très d’Anvers fin 2019, à l’inusable Willy Som- des MIA’s (Music Industry Awards, flamande » (incluant toutefois, comme les mers (lauréat dans la catégorie « Vlaams po- les prix flamands de la musique), Décibels Music Awards, des artistes issus pulair », cela veut tout dire) ou encore les re- qui s’est déroulée le 6 février au Pa- de la Région bruxelloise) dont le recordman venants Clouseau. lais 12 de Bruxelles, n’oublieront ja- absolu des trophées est pourtant Stromae mais cette séquence improbable en (17 récompenses). Après avoir plébiscité ces Mais plutôt que de s’étonner de ce mariage toute fin d’émission. On vous fait le pitch. Jan dernières années le créateur de Formidable, improbable entre deux univers qui ne se Jambon, Ministre-président flamand (NV-A) mais aussi l’Uccloise Blanche ou la Carolo croisent jamais pendant le reste de l’année, Len charge de la Culture monte sur l’estrade (domicilée alors à Saint-Gilles) Mélanie De la question à se poser est peut-être celle de sous une volée de huées. Cible impassible des Biasio, les Mia’s ont fait un triomphe cette l’opportunité de proposer le même écart des acteurs du secteur culturel depuis qu’il a im- année à Angèle. Absente de la cérémonie, styles aux Décibels Music Awards ou aux posé des coupes draconiennes dans les sub- «la reine de Belgique », comme le titrait Octaves. À quand des artistes bruxellois sides, « meneer » Jambon est chargé de re- vingt-quatre heures plus tard le quotidien chantant en flamand dans le palmarès ou mettre le prix du « Hit de l’Année ». Le nom Het Laaste Nieuws, a remporté les prix des stars populaires wallonnes comme Fré- sorti de l’enveloppe ? La francophone Angèle, dans les cinq catégories dans lesquelles elle déric François ou Frank Michael aux côtés citoyenne issue de la commune à facilités fla- était nommée : « Pop », « Artiste féminine », de Roméo Elvis ? mande de Linkebeek chantant en français « Hit de l’année », « Concert » et « Clip vidéo ». avec son frangin Roméo Elvis Tout oublier. Si les médias flamands n’ont pas remis en « Jambon, meilleure prestation des Mia’s » se question le sacre d’Angèle (qui a joué en sont moqués les internautes. Il y a de quoi… 2019 au Lotto Arena d’Anvers et à Rock Werchter), ils ont été unanimes pour Ce grand moment de télé, qui figurera à constater d’autres incohérences du palma- coup sûr dans le Bêtisier de la VRT, n’a fait rès. Favori de la presse avec sept nomina- qu’ajouter au surréalisme de cette édition tions, le rappeur de Laeken Zwangere Guy

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L’INTERVIEW INDISCRÈTE L’INTERVIEW INDISCRÈTE Chez Plastic Bertrand Légende vivante d’une Belgique surréaliste, Plastic Bertrand vient de finaliser son 10e album aux côtés du mélodiste Alec Mansion et du Telex , pionnier de l’électro européenne. Enregistré en français et en anglais, L’Expérience Humaine est une ode à l’humanité sur fond de synthés et d’ondes digitales. Concerné par l’état de la planète et son futur, Plastic Bertrand laisse Ça plane pour moi à et Metallica. Tandis que les reprises lui assurent la reconnaissance éternelle, le chanteur fait du tri chez lui. L’occasion d’évoquer ses plus belles trouvailles.

NICOLAS ALSTEEN

UNE EXCELLENTE CUVÉE UNE PIÈCE D’OR UN CADRE PHOTO

En 1982, une galerie bruxelloise a organisé À Bruxelles, mon monument préféré reste, Après Ça plane pour moi, j’ai connu un autre une expo consacrée à . Juste de loin, l’Atomium. Une des boules porte le succès aux USA avec le titre Stop ou encore. avant de débarquer en Belgique, ce dernier nom de Marcel Broodthaers. Il se trouve Partant de là, mon label a eu l’idée de sortir avait déclaré qu’il en profiterait pour rencon- que je suis un fan absolu. J’ai toujours été un nouveau disque : Face A, un remix de DR DR trer – qui étaitDR décédé –, Tintin attiré par la poésie, la peinture et les expres- Stop ou encore. Face B, le morceau Cat et… Plastic Bertrand. J’ai donc passé trois sions graphiques. Le travail de Broodthaers People de David Bowie. Pour en assurer la jours délirants avec lui. Nous n’avons pas fer- se situe justement au carrefour de ces tra- promo, je me suis promené pendant deux mé l’œil. C’était la fête 24h/24. Warhol avait un ditions. Après Magritte, il est l’artiste belge mois avec David Bowie aux États-Unis. humour incroyable : il était odieux, méchant le plus important de tous les temps. J’ai cou- C’était improbable. Bien plus tard, nous comme une teigne, mais toujours très drôle. ru le monde entier pour visiter ses exposi- nous sommes revus au Montreux Jazz Fes- À l’époque, je ne lui ai rien demandé. Pas une tions. De Moscou à New York en passant tival. Les choses auraient pu en rester là. photo ni même une dédicace. Il faut se repla- par Paris, où je me suis procuré cette pièce Mais l’année dernière, à l’occasion de mon cer dans le contexte : en 1982, je surfais sur le frappée à l’occasion d’une rétrospective qui anniversaire, j’ai reçu un ouvrage consacré succès de Ça plane pour moi. J’allais d’entre- lui été consacrée à la Monnaie. Cet un objet à la carrière de David Bowie. C’est dans ce vues improbables en rencontres extraordi- que je ne quitte jamais. Je l’ai toujours sur livre que j’ai découvert la photo de gauche. naires. Au bout d’un temps, je m’y étais habi- moi. C’est un porte-bonheur qui, à chaque Je ne la connaissais pas. Pourtant, elle m’a tué. Tout me semblait normal. Si bien que, fois, me fait réfléchir sur le sens de ma dé- tout de suite semblé familière... Depuis dans l’instant, je n’ai pas réalisé l’importance marche artistique. Car, à travers ses œuvres, quelque temps, je participe à la tournée de ces trois jours passés avec Andy Warhol. Broodthaers interrogeait les fonctions et les Stars 80. Pendant le spectacle, je reprends L’image qui se trouve dans la bouteille a été finalités de l’art. Et puis, il se fait que j’ai Jean Genie de David Bowie. Je porte une prise par le Belge André Cromphout. Il était croisé la route de Pierrette, une de ses filles, combinaison dorée, du maquillage et des l’un des seuls photographes habilités à tirer le avec qui je collabore étroitement depuis plateforme boots. J’y vais à fond. Il y a deux portrait de l’artiste américain. On retrouve ce près de 30 ans. À un moment, nous avons ans, quelqu’un a pris une photo de moi dans cliché dans USA, Ladies & Gentlemen, un su- même ouvert une galerie d’art ensemble. les loges. Aidé par une habilleuse, je me perbe ouvrage enrichit par des textes de Hen- J’avais mis ma carrière musicale entre pa- change entre deux morceaux... En décou- ry Miller. Il existe 25 bouteilles comme celle- renthèses pour me consacrer à cette activi- vrant le cliché de David Bowie, j’ai donc fait ci. Elles ont été créées autour du concept de té. Après cinq ans et beaucoup d’argent per- le rapprochement : l’énergie, l’attitude, le « bouteille à la mer » : une réflexion sur l’art et du, je suis revenu derrière le micro. stress, tout est là. À l’identique. Comme si ses perspectives d’avenir. La photo qui se ces images se répondaient. trouve à l’intérieur est un tirage original, en argentique.

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C’ÉTAIT LE…

Le présent article est reproduit MARS 1978 avec l’autorisation de l’Éditeur, tous C’était en droits réservés.

Le punk ? Qu’en mêmes pages. En Les groupes qui d’ailleurs été groupe Ablasnief montaient le Second reste-il en 2020… 1978, le courant punk feront par la suite les enregistrée, elle est Krugzz (si si), Belgian Punk Contest, vaste question à débarquait à beaux jours (belges) aujourd’hui un vinyle toujours en activité revival qui aura pris laquelle Larsen aura Bruxelles, du côté du genre y ont foulé très recherché. Yves avec un tout récent ses quartiers cette essayé de donner d’Uccle, dans la salle la scène : Mad Kengen, interviewé single disponible. En fois-ci au Barlok… quelques pistes de du Vieux St-Job sur la Virgins, Passengers… dans notre dossier, y 2019, les mêmes qui avait dit réponse en ces place du même nom. Une compilation y a était déjà avec son protagonistes « No future » ?

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Ebbène Alternatif/Indé Me 04.03.2020 - 20h30

The Blue Chevys Cycle Blues on the dance fl oor Boogie Beasts Sa 07.03.2020 - 20h30 Cycle Blues on the dance fl oor Sa 07.03.2020 - 20h30 Julien Brocal Musique classique (piano) Lou-Adriane Cassidy Je 12.03.2020 - 20h30 Chanson française Pop/Rock Ve 13.03.2020 - 20h30 Sly Johnson Jazz/Funk/Rock & Rap sur des poèmes de Boris Vian Ma 17.03.2020 - 20h30

Damien Robitaille Pop/Funk/Groovy Ve 20.03.2020 - 20h30 Éd.responsable: R. van Breugel – 93, av. Thielemans – 1150 Bruxelles Thielemans – 1150 Éd.responsable: R. van Breugel – 93, av.

Centre culturel de Woluwe-Saint-Pierre - Av. Charles Thielemans, 93 - 1150 BXL MARS, AVRIL–2020 • LARSEN Réservation : Tél. : 02/773.05.88 - whalll.be