Imagologie Bretonne François Labbe
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Imagologie bretonne François Labbe To cite this version: François Labbe. Imagologie bretonne : La représentation de la Bretagne et des Bretons. 2020. hal- 02560231 HAL Id: hal-02560231 https://hal.univ-brest.fr/hal-02560231 Preprint submitted on 1 May 2020 HAL is a multi-disciplinary open access L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, est archive for the deposit and dissemination of sci- destinée au dépôt et à la diffusion de documents entific research documents, whether they are pub- scientifiques de niveau recherche, publiés ou non, lished or not. The documents may come from émanant des établissements d’enseignement et de teaching and research institutions in France or recherche français ou étrangers, des laboratoires abroad, or from public or private research centers. publics ou privés. Imagologie : la représentation de la Bretagne et des Bretons Par François Labbé Avant-propos Dans cet exposé relativement succinct, il ne s’est pas agi de présenter une étude, complète, exhaustive de « l’image du Breton à travers les siècles » mais plutôt de tenter d’en comprendre la genèse et les évolutions. En ce sens, les études dites scientifiques contemporaines ont été laissées de côté car, par le peu d’impact sur le public qu’elles ont pu avoir, leur influence reste plus que mesurée. Ainsi les conclusions du IVe congrès internationales des Sciences Anthropologiques (Vienne, 1954) fournissent –moins de dix ans après la chute des fascismes et l’abandon apparent des théories raciales – des « Données récentes sur l’Anthropologie de la Bretagne » (Actes, p. 214), qui, si elles n’étaient assez sinistres, feraient sourire, mais n’apporteraient rien à notre propos : « […] le long du littoral breton, les habitants possèdent une assez grande uniformité somatologique, ce qui les oppose souvent aux gens de l’intérieur […] Dans le Centre et l’Est, il semble y avoir prédominance d’une composante alpine caractérisée par sa brachycéphalie et sa structure sous-moyenne, tandis que vers l’Ouest et tout le long des côtes, il y a davantage de mésocéphales de taille sur-moyenne. » Et les auteurs d’ajouter avec un humour involontaire : « mélanger telle et telle proportions d’individus de tels ou tels types raciaux […], ce serait une cuisine (sic) détestable. » L’image qui nous intéresse est celle qui est véhiculée dans sa diversité évolutive à travers les siècles par les témoignages écrits (lettres par exemples), par les textes officiels (lois, règlements…), par les récits (historiens, voyageurs…), par la fiction (poésie, théâtre, roman), puis par les représentations iconographiques, la presse etc.1 Imagologie Ce concept utilisé particulièrement en littérature comparée a été forgé à partir du mot latin Imago (image) et du suffixe logie du grec logos, discours, raisonnement », ou encore argumentation. Il s’agit donc d’un discours sur les images, d’une science, d’une étude de l’Image conçue ici comme représentation de l’ « étranger », de celui qui appartient apparemment à une communauté différente de celle de l’observateur. Ce terme est également à rapprocher de celui utilisé en psychanalyse pour désigner les images intégrées à l‘inconscient : schèmes, archétypes etc. L’imagologie dont il va être question est ce que la littérature comparée appelle « l’image de l’autre (pays), autre civilisation, voire individu ». Ce sont ces images qui surgissent en premier dans les communications interculturelles en prenant la forme de poncifs, de stéréotypes ou de clichés, d’a priori. Ces images proviennent d’une histoire, d’une tradition ancrée dans la réalité historique et déclinée par la littérature (Histoire, récits de voyages, romans, bande dessinée, caricature …), les films, les musiques, les chansons, les beaux-arts, en bref de toutes les formes d’art considérées comme moyens d’expression ainsi que les médias. Elles font aussi l’objet d’un consensus « national », pourrait-on dire, en ce sens qu’un certain nombre de traits caractéristiques prêtés à une population observée le sont par quasiment l’ensemble de la population observatrice. Ainsi, après Madame de Staël (préparée, il est vrai, par les traductions de Gessner, certains textes de voyageurs, des historiens), pour tous les Français qui lisent, l’Allemand est un personnage rêveur, sensible, religieux et amoureux de la nature, un doux illuminé. Il faudra attendre le milieu du siècle pour voir la tendance s’inverser en raison de la politique prussienne, puis de la défaite de 1871, de la perte de l’Alsace et de la Lorraine. 8 Cliché François Labbé L’Allemand devient alors ce que Barrès présente dans Colette Baudoche par exemple, un être primitif dans ses actions et pensées, lourd, ridicule, brutal même quand il veut être bon, sans culture même s’il est instruit, sans finesse, d’une naïveté imbécile, tous caractères que résume le personnage du professeur Asmus, ce « barbare » que jamais la fine, douce, intelligente et patriote Colette ne pourra aimer. Vercors redonnera de ce roman une version actualisée et plus étudiée dans son Silence de la mer, laissant entrevoir un avenir de réconciliation possible entre une France, pays de la littérature et l’Allemagne, terre de musiciens, une sublimation de la réalité et une courageuse projection vers l’avenir dans une communion esthétique située après le drame de la guerre. Jeanne et Werner von Ebrenac sont d’une psychologie plus complexe que les personnages de Barrès. Le cœur et la raison ne chantent pas la même partition et si la jeune française de 1942 est aussi patriote que l’Alsacienne Colette, elle ne peut s’empêcher de ressentir un amour impossible pour un ennemi qui, sans uniforme, serait un être aussi sensible qu’elle. Il est vrai que ce jeune homme est officier, noble et d’origine française, ses ancêtres étant des aristocrates français immigrés, huguenots ! Vercors ne veut ni ne peut aller plus loin ! Ces « images » donc entrent en contact avec la réalité observée, la dirigent, la « formatent » et, la connaissance de l‘ « autre » apparaît comme le résultat de cette interaction, ou plutôt la résultante d’un « savoir » préalable et d’une expérience (réelle ou livresque), sachant que ce savoir vient souvent occulter, influencer l’expérience directe quand elle existe allant parfois jusqu’à fournir le logos, les mots permettant de décrypter l’inattendu, le nouveau, l’incompréhensible. La représentation inculquée venant en quelque sorte parasiter l’expérience. Ainsi, pour ne donner qu’un exemple qui m’a particulièrement frappé, lorsque j’ai eu l’honneur de codiriger un lycée franco-allemand à Fribourg, j’ai pu accueillir une envoyée du ministère des affaires étrangères, responsables des établissements français à l’étranger, venue en inspection. Lorsque je lui proposai de visiter la très jolie ville où se trouvait mon établissement, cette personne refusa arguant du fait qu’elle connaissait bien l’Allemagne « avec son architecture un peu lourde et ses façades wilhelmiennes ». Dans le taxi qui la conduisait au lycée, elle avait entraperçu la Schwaben Tor, une des anciennes portes de la cité, et avait pu se rendre « une fois plus compte du mauvais goût allemand, de ce 9 moyen-âge de pacotille en honneur ici un peu partout » ! J’osais lui demander où elle avait séjourné en Allemagne. Elle me répondit vivement que ce qu’elle savait lui suffisait et qu’elle n’avait ni besoin de visiter ce pays ni de s’y rendre si ce n’est pour ses obligations professionnelles ! En quelque sorte, sa religion était faite. Il est vrai qu’on était encore au siècle passé, en 1999 ! L’imagologie cherche à étudier comment ces images leur structure, leur origine influent par exemple sur la compréhension entre les peuples, comment elles sont aussi à la base des racismes et de toutes les théories plus extravagantes les unes que les autres cherchant à classifier les hommes. « Extravagantes » sans doute, quand on sait prendre un peu de distance, mais ce n’est pas toujours le cas. Tout lycéen a étudié le passage de l’Esprit des lois où Montesquieu ironise sur les clichés véhiculés par ses contemporains sur les Africains et je me souviens de la difficulté qu’il y avait parfois à faire saisir cette ironie. L’accumulation des clichés, le passage à la caricature n’était pas ressenti par tous et quelquefois des élèves en sont restés á leur idée : « Montesquieu a raison : les Noirs sont…. » ! L’histoire récente fournit par ailleurs assez d’exemples terribles de ce que les clichés peuvent provoquer … Il en résulte au moins une question essentielle : dans quelle mesure ces images reflètent-elles la réalité et cette réalité perçue, elle- même, résultat d’une interaction entre un savoir et une expérience (parfois une intention !) n’influence-t-elle pas le sujet observé ? Montaigne le remarquait déjà : les Français, par exemple, ne sont jamais autant « français » que quand ils séjournent à l’étranger, allant jusqu’à s’approprier les clichés véhiculés par la société dans laquelle ils se trouvent, ou, ce qui revient au même, à tout faire pour en prendre le contrepied2. Ainsi, dans les années 1780, dans les pays allemands, le Français apparaît comme un « petit-maître », vaniteux et assez ridicule. Lessing dans son théâtre daube sur lui et, quand le public des lettrés allemands critiquera le choix de Rivarol pour le prix qui lui est attribué par l’Académie de Berlin, ce sera moins pour un discours qui n’est pas à la hauteur des exigences que les philologues et les grammairiens du temps sont en droit de poser, que parce qu’il est l’œuvre d’un Français, d’un (pseudo) comte de surcroît et que ce discours, assez dénué de toute scientificité, cadre parfaitement avec l’image du Français petit-maître, léger et infatué de lui-même3. Un grammairien de talent, Jean-Charles Laveaux4 (dont la famille est originaire de Vitré), se trouvant alors à Berlin fera pour sa part tout pour prouver qu’il existe des Français qui échappent à ces clichés et il s’efforcera de démontrer aux Allemands à son exemple qu’il est effectivement des Français qui, comme lui, peuvent être aussi profonds et scientifiques que les Allemands (nouveau cliché !), des Français qui échappent à la superficialité qu’on leur reproche, avec raison pensera-t-il.