Le Peuplement Français En Algérie De 1830 À 1900
Total Page:16
File Type:pdf, Size:1020Kb
LE PEUPLEMENT FRANÇAIS EN ALGÉRIE DE 1830 à 1900 LES RAISONS DE SON ÉCHEC Au professeur Xavier Yacono, en hommage à son œuvre sur l'Algérie, et en témoignage de ma profonde reconnaissance pour ses conseils et ses encouragements. Imprimé en France © Éditions de l'Atlanthrope 1992 ISBN 2-86442-024-4 ALAIN LARDILLIER LE PEUPLEMENT FRANÇAIS EN ALGÉRIE DE 1830 À 1900 LES RAISONS DE SON ÉCHEC ÉDITIONS DE L'ATLANTHROPE B. P. 165 78001 VERSAILLES Cedex En couverture « BOUFARIQ » - dessin de Gaildrau INTRODUCTION Un chiffre, des questions Les Français sont arrivés en Algérie en 1830, et en sont repartis dans les conditions que l'on connait en 1962. A cette date, le retour en Métropole a concerné 1 200 000 personnes en comptant au plus large. Ce chiffre dérisoi- re a quelque chose de choquant, si on considère que la France est restée 132 ans en Algérie, et que cette terre avait vocation, en théorie du moins, de colonie de peuplement. Une seule comparaison suffira à situer une faiblesse qui finira par être tragique : — 46 ans après le début de la colonisation anglaise en Australie- Nouvelle-Zélande, la population d'origine européenne, en cette année 1861, comptait 1 100 000 personnes. (1) — 46 ans après le début de la présence française en Algérie, il n'y avait que 244 749 Européens, dont 155 727 Français d'origine, sur le sol de la colonie. (Sources : Recensement de 1876). D'autre part, l'examen de la courbe de progression de la population fran- çaise, montre que cette faible augmentation a été d'une régularité constante pour arriver au chiffre de 620 000 en 1900. (2) Cette courbe figure en annexe, à la fin de l'exposé. Ce sont ces données qui m'ont frappé et incité à entreprendre cette étude. (1) Louis Vignon (Ancien chef du Cabinet du Ministre du Commerce, ancien sous-chef de Cabinet du sous-secrétaire d'État aux Colonies) - La France dans l'Afrique du Nord - 1887. (2) René Lespes (Professeur agrégé au lycée d'Alger) - Atlas Historique Géographique Économique de l'Algérie - Horizons de France - 1934. Il me faut cependant, dès maintenant, faire quelques remarques : J'ai délibérément fixé le terme de mon investigation à l'année 1900, pour au moins deux raisons : — 1900 marque, à peu près sûrement, la fin de la période où l'Algérie eût la chance de voir venir se fixer d'importants groupes humains (Parisiens en 1848, Alsaciens-Lorrains en 1871, vignerons du Midi en 1880-81) qui, bien que d'effectifs limités, ont constitué, par leur installation, des apports remarquables dans le peuplement de l'Algérie. La population n'allait plus dès lors évoluer qu'en fonction de sa démographie interne. — en 1900, les lois et les décrets sur les naturalisations avaient été promulgués, et les statistiques ne comptabiliseront plus, à partir de cette époque, que des Français (à quelques exceptions près). Par conséquent, après cette date, on ne pourra plus parler de peuple- ment, mais de variations démographiques. La deuxième remarque portera sur le fait que mon intention est de traiter le peuplement — ou si l'on préfère le « non-peuplement » — de l'Algérie sur un plan général. Le propos de ce travail n'est pas de faire une chronolo- gie de la création des villes et des villages de notre contrée. Elle n'aurait constitué qu'une « redite » du tableau qui figure dans l'excellent ouvrage du Professeur Goinard : « L'œuvre française en Algérie » (1). Enfin, je dois faire l'aveu de ma crainte d'être incomplet, et d'avoir laissé échapper certains aspects du problème. Néanmoins, cette étude aura atteint son objectif, si elle suscite quelque curiosité chez le lecteur et l'incite à entreprendre une approche plus fine et plus complète du sujet. Cette entrée en matière terminée, prenons quelques points de repère chiffrés, tirés de sources officielles. Un tableau plus complet figure en annexe. 1831 : 3 228 personnes 1852 : 124 401 - (avec les Colons de 1848) 1864 : 235 000 1871 : 245 000 - (avec les Alsaciens-Lorrains) 1886 : 489 774 - (Crise du Phylloxéra) 1896 : 578 000 1900 : 620 000 Les chiffres parlent d'eux-mêmes, la faiblesse est évidente. Une ques- tion se pose aussitôt : POURQUOI ? Oui, pourquoi la population européenne d 'abord, française ensuite est- elle restée aussi faible ? ( 1 ) Pierre Goinard - Algérie, l'œuvre française - Robert Laffont 1984. Je me propose, de dégager quelques éléments de réponse. D'autres exis- tent sûrement qui pourront compléter ce développement. J'ai divisé mon exposé en deux parties : La première, dans laquelle, en m'appuyant autant que possible sur la chronologie, j'ai tenté de dégager les facteurs du non-peuplement de l'Algérie. L'insuffisance des arrivées, la trop grande importance des sous- tractions d'effectifs, en même temps que leurs causes et leurs conséquences. La deuxième constitue une analyse des raisons politiques qui semblent avoir été génératrices des actes et des décisions qui devaient déboucher sur cette insuffisance du peuplement. Nous aurons ainsi l'occasion de retrouver des noms, des faits que la mémoire collective a conservés comme remarquables, mais qui souvent, s'estompent dans le souvenir de chacun. Enfin, j'ai fait précéder l'étude proprement dite d'un préambule consacré au statut des terres en Algérie avant notre arrivée. La terre joua en effet un rôle essentiel dans l'histoire de l'implantation des Français. Elle fut le support même de cette installation et les mesures qu'elle sus- cita, tirèrent toujours à conséquence. PRÉAMBULE Répartition des terres en Algérie jusqu'en 1830 « Un sol fertile, de belles eaux, un climat très doux, juste assez d'hiver pour aider les cultures européennes, un été qui semble propice aux tropicales ; un air salubre et pour horizon, trois cent mille hectares de terre qui attendent la charrue ». Quelles perspectives émerveillées, négligeant quelque peu les réalités d'un assainissement précaire et les ravages du paludisme, dans ces lignes d'Eugène Fromentin, contemplant la plaine de la Mitidja, depuis Blidah, en 1853. Pourtant, de tels enthousiasmes resteront sans écho ; les arrivées en Algérie se maintiendront toujours à un faible niveau. Mais cette terre, célébrée par Fromentin et qui devait jouer, du fait de la vocation de l'Algérie à être une colonie agricole, un rôle primordial dans le peuplement européen, avait, avant 1830, toute une histoire et une organisation. C'est pourquoi, il m'a paru utile, pour comprendre la portée de certaines décisions se rapportant à la terre, de rappeler dès maintenant le statut de ces étendues sur une partie desquelles des colons allaient s'installer, vivre, pei- ner et mourir. — La première notion à avoir à l'esprit, est que dans l'Algérie de droit musulman, la propriété individuelle est exceptionnelle. Les propriétés parti- culières sont le plus souvent maintenues dans l'indivision. En règle généra- le, les terres appartiennent à des communautés (douars ou tribus) ou à l'État. Les propriétés individuelles étaient représentées par les haouch, appar- tenant à des notables turcs ou Kouloughlis (1). Ces domaines, situés sou- vent aux alentours des villes importantes, constituaient à la fois des terres de rapport exploitées par des ouvriers agricoles, et des résidences secon- daires. Ils se révélaient également bien utiles quand la prudence conseillait de s'éloigner un peu de la proximité du Dey. C'est ainsi que, dans la région d'Alger, à Chéragas, se trouvait le Haouch el Khaznadji (le khaznadji étant le trésorier du Dey) et le Haouch el Khodja (propriété du secrétaire du Dey). — La deuxième notion dont il faut tenir compte et qui explique ce manque de propriétés individuelles, est basée sur une distinction entre les terres, fondamentale en droit musulman. Les terres mortes qui ne produisent rien et ne sont la propriété de per- sonne. Les terres vivantes qui produisent et qui appartiennent à des particuliers, mais souvent dans l'indivision. Si quelqu'un vivifie une terre morte en la défrichant et en la cultivant, il en devient propriétaire. En fait, la mise en valeur du sol est un moyen de l'acquérir ; inverse- ment, la terre redevenant morte par défaut de soins, peut être rendue à la culture par quelqu'un d'autre qui en devient à son tour propriétaire. Donc, pas de propriété définitive basée sur des actes écrits. Ces particularités signalées, voyons les différents types de terres com- munautaires existant en Algérie sous l'administration turque, à l'arrivée des Français. Les terres melk Ces terres sont liées à la propriété foncière individuelle : c'est le régime normal en Algérie. ( 1 ) Les Kouloughlis étant les enfants nés de père turc et de mère algérienne. Cette propriété individuelle n'est cependant pas toujours évidente, car, si en Kabylie les héritiers partagent immédiatement les terres du défunt, — ce qui donne une propriété individualisée, mais très morcelée — dans d'autres régions, l'indivision se prolonge ; on ne partage pas : c'est simplement un partage de jouissance. Il arrive que l'héritier lui-même meure avant le parta- ge ; les indivisions se succèdent et se superposent : la situation devient inex- tricable. A titre d'exemple, le même arbre peut appartenir à plusieurs personnes. Ces biens Melk ont historiquement deux origines : — Les biens d'origine romaine d'une part, couvrant environ 3 millions d'hectares, représentant les propriétés des familles kabyles. — Les biens d'origine musulmane d'autre part, couvrant 2,5 millions d'hectares, représentant les propriétés des familles arabes (1). Ces propriétés indivises sont distribuées par parcelles aux membres de la famille. La superficie dont chaque personne aura l'usage et la jouissance est constituée à partir d'une unité de base, le Drahem. Cette unité représente le 1/192e de la superficie totale du bien Melk.