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La musique en : Intégration d’une contre-culture et processus de légitimation

Vincent Orinel

Séminaire : « Histoire : La Fabrique culturelle » Sous la direction de Claire Toupin-Guyot

2014-2015

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Remerciements

Je tiens avant tout à remercier Mme Claire Toupin-Guyot pour son suivi et ses précieux conseils tout au long de cette année. Rien n’aurait non plus été possible sans Maxime et ses conseils avisés ainsi que l’attention qu’il a pu porter à la relecture de ce mémoire. Merci aussi à tous mes amis et à ma famille qui me supportent au quotidien.

Enfin, j’adresse mes remerciements les plus chaleureux à Franck, Thomas, Fabien et aux 1028 personnes qui ont répondu à mes questionnaires.

La musique techno a encore de beaux jours devant elle avec de tels passionnés.

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Sommaire

Remerciements ...... 2

Table des sigles ...... 5

Lexique ...... 5

Introduction ...... 6

Partie 1. Les débuts de la techno en France : un phénomène incompris ...... 15 Chapitre 1. Les liens originels de la techno avec la marginalité sociale ...... 15 Chapitre 2. Les première mesures répressives ...... 26

Partie 2. Les espoirs déçus du succès commercial de la French Touch...... 38 Chapitre 1. Musique techno et sphère commerciale : des débuts timides ...... 38 Chapitre 2. La ringardisation de la techno ? ...... 58 Chapitre 3. La fin des parties ? ...... 65

Partie 3. Le retour de la techno : une musique intégrée ? ...... 79 Chapitre 1. Le retour en force de la techno ...... 79 Chapitre 2. Le renouveau des activités revendicatives ...... 87 Chapitre 3. Le futur des processus de légitimation ...... 94

Conclusion ...... 103

Annexes ...... 109

Sources ...... 118

Bibliographie ...... 127

Index ...... 130

Tables des illustrations ...... 132

Table des matières ...... 133

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Summary

Despite its recent nature, techno music has already had quite a dense history. It first appeared during the 1990’s in the ghettos of industrial cities of the United States such as Chicago or Detroit, it is nowadays ubiquitous in our lives, in the advertising or in the clubs. In France, techno music finds its roots in the rave parties, these spontaneous musical meetings that happened to do less noise in the fields than in the newspapers and in the ministries. Largely mocked or denounced at its beginning, it seems that techno does no longer shock anyone today. To get room amongst the other musical genres, it has changed its public, its shape or its name many times, often by getting rid of its particularities. Its history is the one of a progressive integration of what used to be a cultural anomaly and which has earned its acceptation at the cost of erasing its most embarrassing aspects. Now that it seems this genre has lost its exceptional character, it is needed to come back on its legitimation process and to question it.

Key words: Techno / / Legitimation / Integration / Marginality

Résumé

En dépit de sa nature récente, la musique techno a déjà une histoire très dense à son actif. Apparue au cours des années 1990 dans les ghettos des villes industrielles des Etats-Unis, elle est aujourd’hui omniprésente dans nos vies, que ce soit dans la publicité ou dans les clubs. En France, elle trouve ses racines dans les , ces rassemblements musicaux spontanés tenus en marge du reste de la société, qui firent autant de bruit dans les champs que dans les colonnes des journaux ou dans les couloirs des ministères. Largement brimée ou dénoncée à ses débuts par ses détracteurs, il semble que la techno ne choque aujourd’hui plus grand monde. Pour se faire une place parmi les autres genres musicaux, elle a changé de mains, de forme ou de nom à plusieurs reprises, se délestant bien souvent au passage de ses particularités. Son histoire, c’est celle de l’intégration progressive de ce qui faisait au départ figure d’anomalie culturelle et qui à l’épreuve de la société a gagné son acceptation au prix du polissage de ses plus dérangeantes aspérités. A l’heure où son caractère exceptionnel semble avoir cessé d’exister, il convient pourtant de remonter le fil et de faire l’état des lieux de cette légitimation.

Mots-clés : Techno / Musique électronique / Légitimation / Intégration / Marginalité

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Table des sigles

DRAC : Direction Régionale des Affaires Culturelles.

FNSEA : Fédération Nationale des Syndicats d’Exploitants Agricoles.

LSQ : Loi sur la Sécurité Quotidienne.

MILAD : Mission de Lutte Anti-Drogue, rattachée au ministère de l’Intérieur.

NIMBY : Not In My Back Yard

SACEM : Société des Auteurs, Compositeurs et Editeurs de Musique

TAZ : Zone autonome temporaire.

Lexique

Bad trip : Traumatisme, perte de repères liée à une prise de stupéfiant.

Infoline : Boîte vocale sur laquelle les organisateurs de raves donnent le lieu de la fête.

Free party : Fête techno hors discothèque clandestine et illégale.

Rave party : Fête techno hors discothèque. Terme générique.

Sound-system : Désigne à la fois le matériel sonore utilisé pour diffuser la musique et le petit groupe de personnes qui le possède et l’utilise en organisant des raves. Synonyme : son.

Teufeur : Amateur de .

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Introduction

« Techno », « électro », « musique électronique », etc. La question de l’appellation de ce genre musical a toujours fait l’objet de débats houleux. Il peut s’avérer que le choix de tel ou tel terme soit politique ou qu’il corresponde à une « air du temps », mais les divergences établies d’un nom à un autre ne sont pas toujours pertinentes et relèvent bien souvent d’une acception individuelle. Par exemple, l’expression « musique électronique » a pour principal vice d’être ‘signifiante’ en soi et va dès lors au-delà du simple rôle d’étiquette qu’on souhaiterait lui confier en provoquant des confusions quant à ses limites. Ce déficit d’appellation franche est lié entre autres à l’hyperactivité et à l’incessante ramification qui ont traversé ce courant musical tout au long de son histoire. Il n’est pas étranger non plus à une certaine logique mercantile. Il faut rappeler que les limites des genres électroniques sont on ne peut plus perméables et la plupart des morceaux relèvent en réalité de styles divers. Les emprunts sont courants et se font sans difficulté théorique, la musique électronique étant finalement très peu conventionnée. Cette ouverture permanente à l’innovation musicale fait qu’il existe un renouvellement constant voire un foisonnement des genres. Il n’est ainsi pas rare que l’identification d’un morceau pose problème, voire qu’elle devienne un objet de débats. Le vocabulaire lui aussi foisonne, et il arrive que de nouvelles expressions - bien souvent venues de l’anglais - fassent leur apparition, pouvant là encore offrir matière à empoigne. Au cours de ce mémoire seront donc abordés des termes, parfois synonymes, parfois différents, comme « techno », « electro », « musiques électroniques », « soirées légales », « rave », « free »… Selon les contextes, nous nous pencherons sur ces termes en tâchant de voir s’ils peuvent nous signifier autre chose que ce qu’ils désignent.

Les chercheurs s’étant penchés sur la techno ne se sont pas laissés bloqués par cette impasse définitionnelle, aussi la présente démonstration ne saurait elle non plus pâtir des difficultés de l’identification stylistique, et ce pour plusieurs raisons. Il faut tout d’abord voir qu’au regard des institutions auprès desquelles nous interrogerons la légitimé de ce genre (grand public, hommes politiques, etc.), elle demeure tout à fait ésotérique. Risquer la pertinence de l'analyse pour des soucis de catégorisation musicale semble ici un mal non- nécessaire. De plus, la « techno » restera le fil d’Ariane de notre démonstration, ce qui ne nous empêchera pas d’aborder des genres annexes. Il est par exemple remarquable qu’en presque trois décennies, la part de l’instrumentation dite électronique a considérablement

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progressé au sein des productions affiliées à des genres tels que la pop, le rock ou le hip-hop. Enfin, pour des raisons historiques, parler de ‘musique électronique’ ou 'd'électro' pour ce qui concerne la fin des années 1980 et les années 1990 relèverait de l’anachronisme pur et simple.

On définit volontiers la techno comme une contre-culture, non pas de manière péjorative, mais comme une culture propre partagée par un groupe d’individus au sein des cultures plus larges auxquelles ils appartiennent.

Tout d’abord, la techno comme genre musical tranche radicalement avec le reste de la production sonore qui lui est contemporaine. Lorsqu’on l’évoque, c’est généralement pour citer son caractère nouveau, inédit dans sa forme, exceptionnel dans ses fins. Pourtant, comme Gabriel Tarde l’aura démontré dans les Lois de l’imitation1, il est presque impossible de ne pas naître de quelque chose, la création artistique ex nihilo est un fantasme. Tout le génie consiste à réagencer les différents flux imitatifs de manière à en créer un nouveau et ce qui semble caractériser finalement. Car la techno n’est pas née de rien, mais trouve ses origines dans le disco et dans le progrès technique des machines. On distingue l’influence disco sur la structure en 4/4 (au statut quasiment monopolistique dans la musique populaire) et le marquage des temps à la caisse lourde (qu’on a plutôt tendance à appeler kick). Toutefois, quand on écoute un morceau des ou des Heretik2, la première référence musicale à laquelle on est tentés de penser n’est pas forcément les Bee Gees. Ceci est dû au fait que peu de sons utilisés dans la techno sont d’origine acoustique et la plupart du temps les instruments utilisés sont des synthétiseurs ou des boîtes à rythmes.

Il est délicat de rendre compte des particularismes musicaux de cette musique, mais on peut toujours essayer de le faire, de manière succincte. Pour faire simple, il faut voir qu’un morceau de techno se découpe en patterns (ou boucles). Ces derniers sont générés à partir de samples (d’échantillons musicaux) ou de synthétiseurs physiques ou virtuels. Ils se répètent de manière linéaire et s’étalent de façon plus ou moins longue, un même pattern pouvant aisément être répété sur la durée entière d’un morceau. Un pattern peut subir des modifications subtiles qui n’en affectent pas l’essence mais peuvent jouer sur la présence ou l’intensité de celui-ci. A ce temps long et répété, cherchant à provoquer la transe et l’oubli du temps, peuvent s’ajouter des nappes de son qui s’inscrivent dans un temps plus long et permettent de marquer l’évolution du morceau dans le temps ainsi que des perturbations

1 TARDE Gabriel, Les lois de l’imitation, Paris, ed. Les empêcheurs de penser en rond, 2001, 442 p. 2 Sound-Systems fameux qui seront abordés dans ce mémoire.

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musicales occasionnelles qui viennent plutôt faire office d’agréments sonores. De façon plus générale, le morceau techno repose « fondamentalement sur une alternance entre périodes de tension (arsis) et de détente (thésis)1 ».

Il est évident que cette définition ne satisfera pas nombre d’érudits, et en même temps, elle est déjà suffisamment ésotérique pour qu’on s’y perde à la comprendre lorsque l’on n’est pas spécialiste. Il est toutefois difficile de faire plus simple et l’on ne serait que conseiller l’écoute effective à quiconque cherche à comprendre la singularité de ce genre.

Une des caractéristiques principales de la musique techno est qu’elle se passe de tubes planétaires. Contrairement à un concert de rock par exemple, on vient à une soirée techno sans savoir ce que le DJ va bien pouvoir jouer. Le paysage de la production sonore est par ailleurs atomisé et marqué par la multitude des productions et des artistes. La valeur en techno est moins l’affaire des qualités objectives et des propriétés musicales d’un seul morceau en tant qu’individualité que de la pertinence de l’assemblage de ces dits morceaux réalisés par le DJ. De fait, les tentatives de filiation à l’ordre artistique postmoderne sont nombreuses, leur démonstration s’appuyant sur des éléments plus ou moins tangibles, au premier rang desquels on trouve ce fameux « assemblage ». Ainsi, comme dans une œuvre de Jiří Kolář, on copie, colle des fragments d’œuvres préexistantes sans véritable limite théorique.

La musique techno n’est pas séparable de son contexte, la rave (aujourd’hui la soirée). Mais, « contrairement à l’usage dans les concerts, la figure entrale ne se trouve pas sur la scène, mais sur la piste de danse. Les participants font pendant toute une nuit, et parfois davantage, l’expérience commune d’une transe provoquée par l’abandon à un puissant rythme répétitif2». Contrairement à d’autres types de musique, elle s’inscrit aussi dans un lieu et possède dès lors une dimension géographique et physique. La question du succès ou non de sa pratique auditoire ne se limite donc pas à ses seuls passages en radio ou ses ventes de CDs, mais relève aussi de la possibilité de tenir ou non les évènements dans lesquels on l’écoute.

La musique techno apparait en France pour la première fois sous la forme des rave parties, ces évènements spontanés où l’on se rassemble pour écouter et faire la fête pendant toute la nuit :

1 GUILLIEN Matthieu, Jeff Mills, Evolution stylistique d’un compositeur techno, Université de Paris-Sorbonne (Paris IV), mémoire sous la direction de Marc Battier, 2005 2 POURTEAU (Lionel), Techno, une en marge 2, Paris, ed. CNRS Editions, p.16

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« Ce qui frappe tout d'abord, c'est l'aspect apparemment très "spontané" de ces rassemblements : une lieu habituellement vide de toute présence humaine est susceptible de se transformer en quelques heures en une fête gigantesque, avec des participants qui semblent surgis de nulle part, mais qui ont parfois parcouru plusieurs centaines de kilomètres. Les téléphones portables et autres "infolines1" ont permis de guider les véhicules. Il n'y a pas, à proprement parler, d'organisation, ni d'organisateurs : quelques-uns se sont mis d'accord pour trouver un endroit propice à une rave, mais une fois sur place, il est très difficile de repérer une quelconque organisation et personne ne se revendique comme organisateur. [...] La fête bat son plein la nuit, toute la nuit. Alcool, drogues diverses... de nombreux produits sont consommés pour faire de la rave une expérience sensorielle maximale, et une expérience collective.2 »

Le simple fait d’organiser une fête sans rien demander à personne, d’avoir plus ou moins conscience que se réunir à plusieurs centaines voire plusieurs milliers sur un espace non autorisé est une « infraction à une cinquantaine de lois et règlementations, allant du tapage au travail clandestin, en passant par la perturbation du cycle de reproduction de petits mammifères, le montage sans certification d’un chapiteau, fût-il de taille très réduite, la non-déclaration des droits à la SACEM […], etc. devient un acte de liberté et de transgression d’une intensité presque inouïe, plus ou moins consciemment ressenti par les participants ». De fait, ce qui est exceptionnel avec ces rassemblements c’est qu’ils se déroulent dans des espaces tout à fait inédits. Ils permettent une fête en dehors des lieux normatifs de soirées habituels comme les discothèques. C’est aussi l’une des raisons qui motive un traitement politique de ces rassemblements : le tapage et le bruit qu’ils engendrent dérangent les riverains de la fête et ce, même en campagne. Ainsi, si ces rassemblements se veulent des odes au partage, à l’amour et à la communion, ils sont très loin d’être exempts d’ennemis.

Si l’Etat reconnait les raves, il doit dès lors les faire rentrer dans la légalité car l’organisation d’une rave revient toujours à un certain nombre d’infractions de droit commun. L’inconvénient de légiférer sur cette question est qu’il est problématique pour les autorités de créer un régime d’exception pour ces rassemblements et qu’elles rechignent à penser la loi en dehors de ses des outils habituels, et c’est là que le bât blesse : les free-parties sont complètement inadaptées au cadre législatif « normal » qu’on leur impose.

1 Boîte vocale sur laquelle les organisateurs de raves donnent le lieu de la fête. 2 LAFARGUE DE GRANGENEUVE (Loïc), L’Etat face aux rave-parties, les enjeux politiques du mouvement techno, Toulouse, ed. Socio-Logiques, Presses Universitaires du Mirail, 2010, p. 9.

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Une des caractéristiques les plus problématiques des raves est que « la drogue est massivement présente dans ces rassemblements » ce qui lui donne parfois l’allure d’une « zone de non-droit1 ». Dès lors, alliée aux questions de tapage, c’est cette consommation, certes pas généralisée mais bien présente, qui va justifier d’un traitement légal et politique. C’est aussi ce qui explique que ce mémoire s’intéresse aux évolutions de la musique techno au travers du prisme national. La France n’est pas le seul pays à avoir connu des rave parties, mais chaque nation semble avoir eu sa manière à elle de s’occuper de ce problème public.

Il est aisé de comprendre qu'au moment de l'éclosion de ce phénomène, de tels rassemblements festifs ont pu susciter l'intérêt de la communauté scientifique. Cependant, à mesure que le mystère les entourant s'est désépaissi et que les tentatives d'encadrement se sont succédées, la question semble avoir perdu de son attractivité. Le nombre d'ouvrages s'intéressant à la techno a diminué, à l'exception de quelques-uns se concentrant par exemple sur les trajectoires individuelles de teufeurs radicaux de retour à la société et à un mode de vie « normal »2. Les rares ouvrages s’intéressant à la techno après la seconde moitié des années 2000 sont des ouvrages à vocation historico-musicales3, ce qui n’a pas été d’une grande aide par rapport aux problématiques d’intégration qui sont en jeu ici. D’une manière générale, il n’existe d’ailleurs pas d’ouvrage historique au sens large s’intéressant à la techno, il est donc vrai que la recherche qui a été faîte en amont de ce mémoire l’a été à tâtons, au gré d’un nombre de lectures diverses et souvent peu pertinentes. Du reste, cela a tout de même permis une compréhension d’ensemble du mouvement et de vérifier que la problématique qu’on lui a rattachée n’était ni inadaptée, ni sur-interprétée.

Finalement, il semble qu’au gré de la banalisation de la présence des raves et des free parties dans le débat public, les chercheurs se soient globalement désintéressés de la question techno, laissant les interrogations et les enjeux restants aux seuls acteurs du mouvement. Un pic d'attention a pu exister au moment où le phénomène des free-parties est rentré véritablement dans le débat public avec ministre de l'Intérieur au début des années 20004. Ce dernier avait souhaité mettre en avant une approche teintée de pragmatisme et de dialogue face à un mouvement alors considéré par nombre d'hommes politiques comme

1 MOREAU Christophe, « La jeunesse à travers ses raves : la singularité juvénile accentuée et la négociation intergénérationnelle compromise », Sociétés, n°90, mai 2005, p.48 2 POURTEAU (Lionel), Techno, une subculture en marge 2, Paris, ed. CNRS Editions, 191 p. 3 KOSMICKI (Guillaume), Musiques électroniques, des avant-gardes aux dance floors, Marseille, ed. Le mot et le reste, 2010, 406 p. GARNIER (Laurent), BRUN-LAMBERT (David), Electrochoc, L’intégrale 1987-2013, Paris, ed. Flammarion, 2013, 435 p. 4 L’ouvrage de Loïc Lafargue de Grangeneuve (op.cit.) s’intéresse beaucoup à cette période par exemple.

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un problème public absolument indésirable. En montrant qu'il était capable de gérer avec une certaine empathie un problème jugé inacceptable pour de nombreuses personnes et de trouver un compromis plutôt que d'utiliser la force brute, il avait ainsi pu montrer aux médias sa capacité à adopter une approche concertée, capacité largement mise en doute à cette époque. Seulement, peu après les premières mesures et l'adoption du régime de déclaration préalable sur lequel nous reviendrons, il semble que la question ait peu à peu disparu des écrans.

Pourtant, ces quelques mesures n'ont pas mis fin à aux problèmes posés par les raves et à quelques égards, elles ont même pu les aggraver. Les porteurs de cause issus du mouvement techno n'ont pas cessé de revendiquer la fin de la répression et du régime d'exception que subissait leur musique mais les intérêts publics se sont portés ailleurs et la question est restée en suspens pendant de nombreuses années. En dépit de cette activité revendicative qui, nous le verrons pourtant, n'a pas non plus toujours su conserver sa vigueur des origines, il existe un certain vide de la recherche quant à l'évolution des rapports entre teuffeurs et autorités passée cette période de forte attention publique.

Ceci explique aussi que les ressources employées pour rendre compte de cette histoire changent sensiblement au gré de son avancement dans ce mémoire, les premières parties faisant plutôt appel au travail d’auteurs scientifiques quand les suivantes reposent plus sur un travail de recherche dans la presse et dans les discours. Une étude de la presse dans son ensemble a été faîte avec une tendance à privilégier la recherche dans la presse locale et régionale pour ce qui concerne les rave parties et la presse nationale et magazine pour les succès musicaux populaires. Dans la mesure où la techno reste un genre musical étendu et particulièrement bien intégré dans la sphère numérique, il a été possible de bénéficier de nombreuses ressources telles que des interviews, reportages vidéos, émissions de radio, captations vidéos de conférences, simples articles ou éditos… Ainsi, ce changement progressif de moyens justificatifs permet aussi de dire pourquoi les premières conjectures de ce mémoire semblent plus affirmées que celles qui s’intéressent à la contemporanéité de la techno par exemple, plus hypothétiques et relevant plutôt d’interprétations personnelles découlant des témoignages divers. Trois entretiens ont été réalisés pour ce mémoire avec Franck de Villeneuve, co-fondateur du SPAME (le Syndicat Professionnel des Acteurs des Musiques Electroniques), Fabien Thomas, administrateur à Technopol (groupe d’intérêt défendant les cultures électroniques) et Florian Gaudu, de l’association Midi-Deux qui est un collectif rennais organisant des soirées techno. De même, deux questionnaires (réunissant respectivement 593 et 435 réponses) ont été réalisés par le biais d’Internet et des réseaux

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sociaux pour recueillir des témoignages et permettre d’établir des permanences à travers le mouvant afin d’éviter que certains témoignages moins objectifs viennent induire en erreur la recherche. Les questionnaires, bien qu’ils n’apparaissent pas particulièrement dans la démonstration, se sont avérés très instructifs et il est possible de consulter une sélection personnelle de commentaires issue de leur partie « expression libre » en annexe.

A travers l’intégration de parcours et de dynamiques multiples, il semble qu’on puisse dégager les grands mouvements et les grandes permanences d’une histoire globale de la musique techno, l’analyse se veut donc dans une conception quasiment holistique assumée. D’ailleurs, il semble qu’il existe une histoire trop contingentée dans les représentations populaires, divisée en deux entre ce qui aurait toujours été une population de free party et une population intégrée qui en écouterait de la techno dans sa chambre et en boîte. On sait bien que ce ne sont pas toujours les mêmes populations qui sont concernées par la techno de free ou de boîte mais on cherche ici à émanciper l’objet techno des carcans des destinées personnelles. En outre, et ce mémoire le montrera, cette division qui demeure dans les représentations n’est pas toujours pertinente à l’épreuve des faits.

La légitimation telle que nous l’entendons n’est pas la transformation en culture légitime au sens de Bourdieu c’est-à-dire entendue comme l’apanage des classes sociales dominantes. Nous la définirions plutôt comme l’évolution progressive et partielle d’une pratique culturelle jusque-là marginalisée (y compris par certaines ‘classes dominées’ du point de vue bourdieusien) vers un état de relative acceptation générale. Par ailleurs, Bernard Lahire a largement démontré1 qu’aujourd’hui la scission opérée pour distinguer culture légitime et dominée n’était plus d’actualité, en ce que la plupart des individus façonnent aujourd’hui leurs pratiques culturelles en fonction d’influences diverses et qu’elles piochent dans différents univers culturels pour se façonner une identité propre et personnalisée aux antipodes de la « culture de classe » voulue par Bourdieu. Notre réflexion nous amènera, de plus, à traiter la légitimation tant du point de vue des autorités publiques (et notamment en ce qui concerne le traitement légal de cette musique et des rassemblements s’y afférant) que du point de vue populaire, les sociétés étant articulées à un pouvoir plus fort encore que la loi, celui de la norme. Ce n’est pas vraiment la reconnaissance au sens qualitatif du terme (même

1 LAHIRE (Bernard), La Culture des individus. Dissonances culturelles et distinction de soi, Paris, ed. La Découverte, 2004, 778 p.

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si bien sûr elle participe à la légitimation) mais bien la simple considération, la reconnaissance en tant que courant musical, la critique la plus courante chez les détracteurs de ce genre étant : « ce n’est pas de la musique », « c’est du bruit ». Interroger la légitimation d’un genre musical comme la techno, c’est se demander en quoi elle devient progressivement acceptable aux yeux des acteurs qui préexistaient à l’apparition de celle-ci et qui dictent les règles du monde dans lequel elle souhaite évoluer. Du point de vue de la société en générale, des institutions qui la représentent, des acteurs qui régissent les domaines particuliers dans lesquels elle souhaite (ou non) s’immiscer comme les circuits marchands de la musique.

Par ailleurs, la musique techno possède un caractère contre-culturel indéniable, pas tant dans sa férocité ou dans sa critique des institutions que dans le mode de vie alternatif, la manière de penser et de s’organiser qu’elle propose. Si à l’origine, même son écoute était marquée du fer de la déviance, on va progressivement assister à une popularisation d’un côté, par la voie musicale, commerciale ou légale, et à des crispations de l’autre, certaines entités techno refusant de se plier aux règles et de jouer le jeu de la société. Tout l’enjeu de ce mémoire est donc de fournir une exploration de l’articulation entre intégration et maintien de la singularité. Il existe une dialectique de l’intégration et de la résistance, des ajustements au coup par coup, et il faut montrer au prix de quoi l’insertion dans un ordre sociétal préexistant a été rendu possible. Assiste-t-on à la reconnaissance d’un statut à part ou à l’abattage progressif de ce qui fait la singularité de la techno ? Dans quelle mesure l’intégration de la musique techno et de ses pratiques à la société s’est-elle faîte au prix du polissage de ses plus dérangeantes aspérités ?

Il faut tout d’abord rendre compte de l’état marginal, à part du reste de la société, dans lequel la techno voit le jour. Si elle était née au sein même des circuits traditionnels, on n’aurait d’ailleurs pas eu à poser la question de son intégration. Il s’agit de mettre en lumière les premières inadaptations, les premiers chocs qui résultent de cette confrontation entre « l’ovni » techno et la norme établie, le cadre légal et politique préexistant et les représentations populaires.

Par rapport à notre problématique, qui s’intéresse à l’épreuve de la norme et de la société, il faut distinguer une période charnière dans les premiers succès commerciaux que connait le genre autour des années 2000. Ceux-ci sont porteurs à la fois de significations fortes du point de vue musical mais aussi d’espoirs en ce qui concerne le combat politique. Cette rencontre d’une musique marginale avec la reconnaissance populaire est inédite à bien

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des égards et ceci explique que son analyse dans ce mémoire occupe une place particulière et certainement plus importante que son poids musical réel.

Enfin, il est assez surprenant d’observer en cette première moitié des années 2010, un retour fulgurant de la musique techno. Les soirées se multiplient, dans des lieux normatifs tels que les boîtes de nuit. Certains crient à la perte des valeurs de ce qui faisait l’identité techno, d’autres au contraire se réjouissent de la résurgence cet état d’esprit hédoniste qui vient trancher avec le contexte morose dans lequel il s’installe. Quoi qu’il en soit, il parait important de questionner ce retour : y a-t-il eu passage en force ou phagocytage par les organes commerciaux ? La réponse n’est pas évidente, il s’agit donc de mettre en lumière l’état des processus d’insertion mais aussi de se demander en quoi cette dernière phase est l’aboutissement d’un long processus de gestation.

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Partie 1. Les débuts de la techno en France : un phénomène incompris

« La marginalité ne peut être le lot que d’une poignée d’élus »

Gabriel Matzneff

Chapitre 1. Les liens originels de la techno avec la marginalité sociale

I) La naissance de la techno aux Etats-Unis

Il n’existe pas une histoire unique de la musique techno. Philippe Birgy dans son livre Mouvement techno et transit culturel (2001) démontre que son apparition résulte d’un croisement de cultures diverses et de coïncidences créatives. Selon lui, « tout nous conduit à penser que l’hypothèse des foyers apparaissant à plusieurs endroits à la fois est plus plausible 1» qu’une origine unique et facilement identifiable. Il est tout de même courant de distinguer deux foyers majeurs qui font l’unanimité chez les amateurs de techno. Une région en particulier, à savoir les grandes métropoles industrielles du Nord des Etats-Unis, semble avoir été le ferment du mouvement.

La naissance de la club culture aux Etats-Unis s’explique principalement par le fait qu’aux débuts des années 1970, les jeunes issus des classes moyennes blanches désertent les établissements de nuit, attirés par le mouvement hippie et son idéalisme. Les communautés noires et latinos, auparavant refoulées de ces lieux, saisissent cette opportunité pour envahir les pistes de danse laissées vacantes. Vers le milieu des années 1970, alors que le mouvement du flower power bat de l’aile, les jeunes opèrent un retour en masse et rapidement, c’est une jeunesse entière que les boîtes de nuits se retrouvent à accueillir. Le succès est phénoménal et

1 BIRGY (Philippe), Mouvement techno et transit culturel, Paris, ed. L’Harmattan, 2001, 224 p. cité par TESSIER (Laurent), « Musiques et fêtes techno : l'exception franco-britannique des free parties », Revue française de Sociologie, vol. 44, no 1, janvier -mars 2003, pp. 63-91.

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coïncide avec l’arrivée du disco, musique facile à danser dont l’esthétique tapageuse et clinquante séduit par son caractère hédoniste. On assiste alors à l’apparition d’une véritable « culture des boîtes de nuit » qui se propage aussitôt dans les grandes capitales européennes. Du fait du succès et de la multiplication de ces lieux de fêtes s’opère alors une partition par genre musical et par communauté.

C’est dans les boîtes noires homosexuelles de Chicago, développée principalement par un Dj pionner, Franckie Knuckles, à l’époque résident du club Warehouse, que va naître la house aux alentours de 19831. Le succès de cette musique dansante s’explique assez facilement. Elle reprend en effet les codes de la funk et du disco en vogue à cette époque, tout en en modifiant l’essence et la finalité de par son caractère exclusivement instrumental (à l’exception de quelques gimmicks vocaux ou couplets à fond hédoniste ou tendancieux jetés en spoken word) et répétitif. Comme l’écrit Guillaume Bara, journaliste spécialisé dans la musique électronique, « la communauté gay s’y plonge avec le plaisir d’échapper, au moins dans les lieux de fête, aux interdits sociaux et aux regards voyeurs ou inquisiteurs d’une majorité silencieuse et répressive 2». Dans les quelques rares paroles distillées en boucle sur ces pistes, on évoque pêle-mêle la liberté, l’union, la joie de vivre comme autant de boucliers face à un ordre social accusateur. Ce sont d’ailleurs dans ces boîtes gays qu’apparaissent les fameuses backrooms, pièces attenantes à ces boîtes de nuit où les participants peuvent se livrer avec de parfaits inconnus à une orgie sexuelle non symbolique.

La nature de la house se veut plus joyeuse que sa comparse techno, plus dure, plus futuriste, mais aussi plus mélodieuse, et qui voit le jour à peu près au même moment dans les boîtes de Détroit. Si la datation est rendue délicate du fait de la gestation de morceaux encore plus ou moins hybrides vis-à-vis de la musique préexistante tels que Techno City de Cybotron -qui baptisera le genre-, il est probable que la techno apparaisse de manière progressive entre 1981 et 19843. Là encore, elle est le fait d’une minorité noire mais pas uniquement, car les personnes se rendant dans les établissements de nuit sont avant tout issues des jeunesses ouvrières. Capitale de l’industrie automobile, la Motor City est l’endroit rêvé pour le développement de cette musique tapageuse, prolongement naturel nocturne du son des machines en marche le jour. Bien que sans parole, cette musique est voulue comme une expression communautaire et le parallèle est vite établi avec les groupes de rap de l’époque,

1 KOSMICKI (Guillaume), Musiques électroniques, des avant-gardes aux dance floors, Marseille, ed. Le mot et le reste, 2010, p. 262 2 BARA Guillaume, « Fini le DJ pirate », Télérama, 29 octobre 1997 3 KOSMICKI (Guillaume), op.cit., p.272

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très tournés vers la revendication et le militantisme à l’instar de Public Enemy. Comme l’explique le DJ Robert Hood, pionnier du genre, « Leur leader Chuck D était un exemple pour nous. Notre musique a beau être instrumentale, nous faisions passer un message militant très clair via les titres de nos morceaux, nos pochettes de disques et notre discours1 ». Le groupe phare du mouvement, Underground Resistance, développe ainsi une esthétique à mi- chemin entre le militantisme et le futurisme sombre2.

Figure 1 : Des membres d’Underground Resistance

La techno – le destin fera que ce premier genre devienne le vocable général englobant tous les autres genres électroniques répétitifs et dansants – est ainsi à son origine le fait exclusif de poches de marginalité, concentrée dans les lieux de fête et de vie de minorités ethniques, sexuelles et économiques. Elle est encore logiquement peu connue et reste confinée à ces groupes. Ce n’est d’ailleurs pas aux Etats-Unis que le genre connaîtra ses premiers succès populaires, mais en Europe où elle débarque véritablement au cours de l’été 1988 au Royaume-Uni, très loin des ghettos qui l’ont vue naître.

1 CALVINO Antoine, « Pulsations technos », Le Monde Diplomatique, juin 2014, p. 24 2 KOSMICKI, op.cit., p. 251

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II) Le « Summer of Love » britannique de 1988

L’arrivée de la techno au Royaume-Uni coïncide avec la découverte de la MDMA, substance active de l’ecstasy qui provoque « un effet euphorisant proche de celui des amphétamines, dont il est voisin, accompagné d’un sentiment de bien-être (il libère la sérotonine) et d’une forte empathie (se retrouver noyé dans une foule dansante peut se révéler très agréable)1 ». Très rapidement, cette substance bien souvent ingérée sous la forme de comprimés d’ecstasy inonde les dance-floors britanniques. C’est une « double révélation ». La combinaison est consacrée (et pour longtemps) sans qu’il soit véritablement possible de dire laquelle de la house ou de la drogue a précédé l’autre.

« Des disques furent importés par cartons entiers de Chicago2 ». Alors DJ à Manchester, Laurent Garnier raconte :

« L’ecstasy balaya tout sur son passage. Son arrivée à Manchester fut fracassante, abattant toutes les barrières sociales. Tandis que Manchester trainait depuis ses origines une réputation de violence, cette drogue fit vivre à plusieurs milliers de danseurs, dans les murs de l’Hacienda comme au beau milieu de la campagne anglaise, une expérience collective dont l’écho nous parvient toujours aujourd’hui comme porteur d’une denrée rare… de magie, d’unité et d’énergie3 ».

Pendant tout un été, les jeunes britanniques vont se rendre en club pour danser au son des boucles. La musique techno, et en particulier l’« acid-house », sous-genre caractérisé par l’usage d’arpèges rapides, est un véritable raz-de-marée et très rapidement tous les clubs se mettent à en jouer. « Les supporters se gavaient de pilules et, plutôt que de se taper sur la gueule, s’étreignaient les uns les autres et se couvraient de baisers pendant les matchs ». A une époque pourtant déchirée par les tribus, il faut en effet noter le caractère incroyablement fédérateur de cette musique : punks, rockers, rastas et hooligans se joignent à ces grands rendez-vous des déclassés pour partager cette nouvelle passion et à mesure que l’été progresse, le phénomène ratissant de plus en plus large, c’est toute une jeunesse qui finira bientôt par danser sur ces hymnes électroniques. Toute une esthétique hédoniste et colorée se met en place autour de ce nouvel univers : des smileys, ces souriants petits visages jaunes, des bobs et tout un arsenal d’objets fluo fleurissent un peu partout. Le « Summer of Love », en

1 Idem, p. 256 2 GARNIER (Laurent), BRUN-LAMBERT (David), Electrochoc, L’intégrale 1987-2013, Paris, ed. Flammarion, 2013, 435 p. 3 Idem.

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référence au mouvement hippie qui frappa San Francisco en 1967, marquera de manière durable par sa singularité et sa spontanéité les jeunes britanniques 1 »

Mais cet engouement commence à se voir. Les medias britanniques, ratant rarement une occasion de donner libre cours à leurs penchants sensationnalistes, vont s’emparer du phénomène et chercher à provoquer une panique morale. De nombreux tabloïds tels que le Sun font alors paraître des unes alarmantes, s’insurgeant contre l’absence d’intervention des pouvoirs publics face à ce qu’ils considèrent être une décadence morale totale.

Il n’en faut pas plus pour provoquer le scandale et Margaret Thatcher est prompte à s’emparer de l’affaire au nom de la lutte contre la drogue. « Fouilles, arrestations, tracasseries en tout genre, obligation à tous les établissements de nuit de fermer à deux heures du matin : tout un arsenal répressif est mis en branle pour calmer et même museler le mouvement.2 »

L’acid house : un style coloré Or, il s’avère qu’une des propriétés principales de l’ecstasy est de rendre l’individu capable de danser des heures durant sans ressentir la moindre fatigue. La jeunesse britannique, frustrée par cette interdiction ne tarde pas à prendre la clé des champs. Apparaissent rapidement des fêtes clandestines organisées dans des lieux désaffectés, souvent des usines laissées en ruines par la désindustrialisation du pays, ou dans la campagne profonde : les rave parties. On s’y rassemble pour écouter de la musique techno pendant des heures, le mouvement prenant de facto une tournure libertaire.

1 Le magazine Vice s’est intéressé aux commentaires Youtube écrits de nos jours sur les musiques de cette époque par les gens qui l’ont vécue et il ressort une unanimité nostalgique tout à fait édifiante en ce qui concerne l’ambiance fusionnelle qui régnait alors. MARTIN Clive, « Les commentaires YouTube des classiques rave vous redonneront foi en l'humanité », Vice.com, 27 mai 2013 2 BARA Guillaume, « Fini le DJ pirate », Télérama, 29 octobre 1997

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Figure 2 : Dessin caricatural paru dans le Sun

Figure 3 : Dessin caricatural paru dans le Sun #2

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Bien plus qu’une « démarche originelle », ces fêtes sont surtout « une conséquence des contraintes administratives et économiques1 qui pèsent sur l’organisation des fêtes techno2 ». En quelque sorte, c’est ainsi Margaret Thatcher qui crée la rave.

Des flyers3 sont distribués dans les rues pendant la semaine pour faire la promotion de telle ou telle warehouse party prévue le week-end. Des radios pirates telles que Kiss FM à Londres s’emploient à jouer cette musique underground de plus belle, ne tombant pas sous le coup des interdictions du gouvernement. La résistance s’organise.

On assiste alors à la formation de Sound-systems techno sur le modèle des Sound- systems punks qui organisaient des concerts de rock gratuits pour dénoncer la marchandisation de leur propre mouvement à travers les gigantesques festivals payants propres au Royaume-Uni. Ces derniers ne manqueront d’ailleurs pas de remarquer la potentialité contestatrice de la techno et se joindront progressivement à ces jeunes fêtards, d’autant que le mouvement punk semble lui-même s’essouffler. Comme le résume Loïc Lafargue de Grangeneuve, « le lien entre techno et marginalité est renoué, sous la forme d’engagement d’acteurs issus d’un mouvement qui prône l’autogestion et se revendique des théories anarchistes4 ». Pour Laurent Tessier, il s’agit déjà d’une « une sorte de deuxième génération par rapport à l’esprit du « Summer of love »5 ». Des soirées appelées acid-house parties vont ainsi avoir lieu tous les week-ends pendant quelques années dans des entrepôts, des squats ou des champs grâce à ces groupes de nomades, ce qui ne sera toléré qu’un temps. Un de ces Sound-systems, les Spiral Tribe, co-organise avec d’autres bandes, un gigantesque rassemblement techno de plus de 50000 personnes à Castlemorton et c’est la goutte d’eau pour le gouvernement britannique. En 1994, il fait adopter le Criminal Justice Bill qui interdit tout simplement les rassemblements festifs associés à une musique « répétitive ». La loi connait un succès certain et si l’on avait déjà assisté à l’exil d’une poignée de Sound-systems vers les terres jugées moins hostiles de la France dès 1992, c’est véritablement à ce moment qu’une partie d’entre eux choisit d’émigrer. Le gouvernement britannique réussit donc dans une certaine mesure à se débarrasser de ces indésirables en en déplaçant une bonne partie vers le territoire français.

1 Au Royaume-Uni, les consommations se vendent en discothèques à des tarifs assez élevés comparés aux autres pays européens et il faut rappeler que la jeunesse de l’époque Thatcher ne roule pas nécessairement sur l’or. 2 TESSIER (Laurent), art.cit. 3 Littéralement, tract. Utilisé pour faire la promotion d’une soirée. 4 LAFARGUE DE GRANGENEUVE (Loïc), op.cit., p.130 5 TESSIER (Laurent), art.cit.

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Si d’ordinaire le Royaume-Uni a toujours joué un rôle de découvreur et de précurseur musical vis-à-vis du continent européen, le débarquement de la techno en France sort des logiques d’imitation habituelles et relève in fine du domaine politique.

III) Le débarquement en France des rave parties

La musique techno n’est pas complètement inconnue en France avant l’arrivée des Sound-systems anglais. Simplement son succès est encore loin d’avoir eu la même ampleur et reste relativement confiné. Dès 1992, certaines boîtes de nuit diffusent ce genre de sons et ça et là on peut assister à quelques rave-parties, souvent payantes, un peu partout en France et particulièrement dans la banlieue parisienne. A l’époque, ce terme de rave est utilisé pour désigner de manière générique toutes les fêtes techno ayant lieu à l’air libre ou dans des endroits inutilisés tels que des entrepôts ou d’anciennes usines désaffectées. Ce n’est qu’après le déferlement vers 1994 des bandes anglaises et de leur culture de la free-party que ce mot désignera souvent, par opposition à cette dernière, une soirée payante ou légale.1

Les premières raves se passent quasiment de manière clandestine, souvent sans accrocs, en louant des salles municipales ou en s’arrangeant avec des agriculteurs pour leur louer un terrain inutilisé. On dénombre relativement peu d’incidents dans la mesure où le mouvement a encore peu de couverture médiatique.

C’est au contact des Sound-systems anglais, venus vivre sur le sol de l’Hexagone un mode d’existence nomade et festif comme les Spiral Tribe, que le mouvement français des raves va commencer à se développer. La plupart de ces organisateurs de soirées informelles vivent dans des camions, sans attachement territorial, et trimballent leur puissant matériel sonore de ville en ville, ou plutôt de village en village. Le mouvement prend beaucoup dans certaines régions comme en Bretagne2. Les deux formes de raves coexistent, n’étant généralement pas exclusives et leur nature dépendant souvent des circonstances.

Le mouvement attire de plus en plus d’adeptes, séduits par l’idée qu’il ne faut finalement pas grand-chose pour faire la fête et être heureux si ce n’est une sono et un endroit

1 Le problème des définitions est classique dans l’univers techno. Ceci est donc à tout le moins l’acception que nous utiliserons au cours de cet ouvrage. 2 Beaucoup de raisons parmi lesquelles la proximité avec le Royaume-Uni ou alors l’héritage du Fest-noz, fête traditionnelle bretonne se prolongeant tard dans la nuit, seront avancées pour expliquer le succès de cette sous- culture.

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adapté. C’est cette simplicité, alliée à la promesse d’un mode de vie non-consumériste, d’une sorte de mélange d’ascétisme et d’hédonisme, qui fait son succès. Politiquement, il n’y a pas de véritable dimension idéologique libertarienne dans leur discours ; il y règne surtout l’idée qu’il n’est de richesse que sociale. Cette forme de vie radicale, en marge de la société, rappelle alors à certains des épisodes passés : « À l’image d’un cours d’eau qui se perd dans les roches pour resurgir plus loin, la jeune génération, à travers les raves, vit aujourd’hui les valeurs de mai 68 : un hédonisme festif 1 ».

Toutefois, il ne faudrait pas croire non plus qu’il y ait une dépolitisation totale. Elle est simplement réduite aux yeux de ce qui définit la pensée politique pour la société, c’est-à-dire que les penseurs de la free party n’inscrivent pas leurs idées dans le temps présent, en approuvant ou dénonçant telle ou telle mesure, mais rejettent plutôt l’ensemble du système politique et de son fonctionnement. Ils sont des idéalistes avant tout. L’idée de la TAZ2, très populaire dans ce milieu, est conceptualisée par le penseur américain Hakim Bey et est inspiré par les éphémères communautés pirates du XVIIIe siècle :

« Au XVIIIe siècle, les pirates et les corsaires créèrent un ‘réseau d’information’ à l’échelle du globe : bien que primitif et conçu essentiellement pour le commerce, ce réseau fonctionna toutefois admirablement. Il était constellé d’îles et de caches lointaines où les bateaux pouvaient s’approvisionner en eau et en nourriture et échanger leur butin contre des produits de luxe ou de première nécessité. Certaines de ces îles abritaient des « communautés intentionnelles », des micro-sociétés vivant délibérément hors-la-loi et bien déterminées à la rester, ne fût-ce que pour une vie brève, mais joyeuse3 »

Il est important de noter que ces soirées ratissent là encore large d’un point de vue sociologique4. Il n’est pas possible de brosser un portrait type du teufeur moyen tant c’est le mélange des genres qui prédomine5. La radicalité vestimentaire, par exemple, n’est pas encore de mise et ne viendra qu’avec le durcissement du phénomène. Au contraire, les personnes s’habillant de manière à exprimer leur marginalité (par le triptyque treillis, sweat à capuche, casquette) sont souvent gentiment moquées par les autres teufeurs, rapidement affublés du

1 MAFFESOLI Michel (Artpress, 1998, p. 159) cité par TESSIER (Laurent), art.cit. 2 Temporary autonomous zone. 3 LELOUP (Jean-Yves), Digital Magma, De l’utopie des rave-parties à la génération MP3, Marseille, ed. Le mot et le reste, 2013, p. 22 4 POURTEAU (Lionel), Techno, une subculture en marge 2, Paris, ed. CNRS Editions, p. 5 Pour se rendre compte de l’esprit rave de l’époque, voir le clip de Maud Geffray – 1994, tourné avec des images amateures de l’époque.

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sobriquet « petit pois »1, en référence à la couleur de leurs vêtements. Les premières raves françaises, bien qu’elles soient aussi marquées par la pratique déviante de la consommation de drogue, ratissent large d’un point de vue sociologique et on ne peut pas non plus parler de marginalité forte et répandue. Beaucoup des personnes qui s’y rendent sont des jeunes issus des classes moyennes qui ont simplement envie d’écouter une musique qui n’est présente nulle part ailleurs et de faire la fête.

Mais là encore la médiatisation du phénomène va venir mettre un terme à la tranquillité et au relatif laisser-faire dont pouvaient profiter les jeunes fêtards. En particulier, c’est avant tout la consommation de drogue qui a cours dans ces soirées qui pose problème aux bonnes consciences. Magali Jauffret, journaliste à l’Humanité, dénonce ainsi le 15 juin 1993 les « milliers de jeunes qui se droguent à l’acide, qui se détruisent » et l’absence d’intervention publique : « personne ne le dit et personne ne le sait, et personne ne fait rien ?2 ». De nombreux autres journaux tiendront ce type de discours culpabilisateurs et atterrés, au premier rang desquels on trouve Le Parisien. Mais tous les journalistes n’adoptent pas cette approche soucieuse et s’intéressent plutôt au potentiel culturel de tels rassemblements, et notamment à leur facette musicale, alors très largement occultée et passée au second plan par la plupart des commentateurs. Alexis Bernier et Matthieu Ecoiffier, respectivement responsables des pages culture et toxicomanie3 à Libération se partagent le sujet à tour de rôle : « si notre regard était positif tout en étant critique, j’ai vite réalisé qu’on ne leur rendait pas service4 ».

En effet, les Français se montrent plutôt circonspects face à un tel phénomène et il ne se dégage pas une véritable opposition de fond, mais plutôt un certain scepticisme. Pourteau relate : « La société globale adoptait vis-à-vis des technoïdes une attitude ambiguë : elle en reconnaissait et admirait l’innovation et la radicalité et en même temps les désapprouvait et imposait leur réintégration dans la normalité, fût-ce au prix de la disparition de ce qu’elle appréciait en eux5 ». Du côté des politiques, le phénomène commence à faire débat.

Au travers de cette passation de la techno de groupes sociaux en groupe sociaux, de ce relais musical finalement, on passe de l’affirmation communautaire spécifique à la volonté de

1 Damien Raclot-Dauliac, “Heretik – We had a dream”, 2013 2 JAUFFRET Magali, « Le phénomène rave, mélange de solitude et de drogue », L'Humanité, Saint-Denis, 15 juin 1993. 3 Ceci illustre assez bien la circonspection qui existe dans la société intégrée pour ce qui est de qualifier le phénomène. 4 POURTEAU (Lionel), op.cit., p. 112 5 POURTEAU, op.cit., p. 75

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démonstration d’un vivre-ensemble sincère, sans jamais se départir de cette exhortation constante à profiter de la vie. La nature du message, porté par des groupes finalement très divers, se veut moins une revendication que l’affirmation d’un « droit à être », un droit au respect de sa singularité. Elle est avant tout la démonstration qu’un certain hédonisme est à portée de mains, qu’il est possible de vivre et pas seulement de rêver.

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Chapitre 2. Les première mesures répressives

I) « Les soirées raves, des situations à hauts risques »

La presse n’est pas la seule à s’exprimer sur le phénomène. Certains élus locaux, échaudés par les dégradations et/ou les nuisances sonores engendrées par ces rassemblements vont demander à ce que des dispositions soient prises à l’égard de ces fêtards intempestifs. 1 Il existe en effet un certain vide juridique dans la manière de réagir face à ce type de rassemblement et le manque d’informations concernant la conduite à tenir n’est pas exempt de responsabilité dans l’origine de certains accrochages ayant eu lieu au cours de cette première période entre autorités locales et amateurs de techno.

Le ton est donné lorsque Jean-Louis Debré, alors ministre de l’Intérieur décide de prendre en main ce qui pourrait être appelé à devenir un problème public. Une première circulaire est publiée par la Mission de lutte antidrogue (Milad) de la Direction Générale de la Police Nationale à toutes les mairies de France. Celle-ci dénonce une situation « extrêmement préoccupante au plan de l'ordre, de la sécurité et de la santé publique ». Son intitulé est on ne peut plus clair : « Les soirées raves, des situations à hauts risques ». A l’intérieur est détaillé tout l’arsenal juridique dont disposent les élus locaux pour lutter contre ce phénomène. On enjoint ces derniers à tout mettre en œuvre pour faire cesser ces raves parties (légales ou non), et on trouve en annexe des modèles d’arrêtés d’interdiction destinés aux élus. « Le but est de mettre les organisateurs dos au mur pour qu'ils se civilisent2 », affirme alors Michel Bouchet, patron de la Milad, mais, comme le fait remarquer Loïc Lafargue de Grangeneuve, ce sont principalement les raves légales qui pâtiront de ces dispositions :

« Les raves légales sont plus faciles à contrôler parce qu’il est possible d’intervenir en amont : ces soirées sont les plus visibles, elles sont annoncées et bénéficient d’une certaine publicité ; or, le maire – qui possède le pouvoir de police administrative sur sa commune – peut assez aisément annuler ce type d’évènements, même au dernier moment, notamment en invoquant un trouble à l’ordre public ou un manque de garanties en matière de sécurité. »3

1 On assiste ainsi, dès les ferments du mouvement, à la formation de deux catégories de problèmes ou du moins d’entraves à une intégration facile dans la société, qui demeureront jusqu’à nos jours à savoir la drogue et le bruit. 2 BERNIER Alexis, « Des raves à la réalité. Après le boom des grands rendez-vous officiels, la scène techno se replie sur les fêtes et l’underground », Libération n°5893, 27 avril 2000, pp. 33-34 3 LAFARGUE DE GRANGENEUVE (Loïc), op.cit., p.40

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A contrario, les free parties (raves clandestines et illégales) sont bien plus difficiles à réprimer. Etant cachées, il faut d’abord faire des recherches pour en connaître le lieu, s’informer à l’avance, ce qui a un coût. Il est très rare que les forces de l’ordre arrivent avant le début de la fête ; or, il est quasiment impossible pour elles d’intervenir une fois celle-ci commencée. En effet, les forces de police sont à chaque fois largement dépassées en nombre, et elles ne peuvent courir le risque de provoquer une émeute en interdisant une soirée qui a déjà cours. « Pour les organisateurs, il suffisait donc de rester discrets jusqu’à ce que la fête ait vraiment démarré1 ».

On remarque effectivement une première conséquence imprévue de cette mesure répressive : au lieu d’endiguer le phénomène des raves, elle va avoir pour effet de la radicaliser et surtout de la plonger dans la clandestinité. Beaucoup d’adeptes des soirées raves vont vivre ce texte comme une injustice, notamment parce qu’il interdit ces rassemblements sous le prétexte de l’usage de drogue généralisé sans chercher à faire de distinction (tout le monde n’est pas sous ecstasy), cette circulaire fait donc pour eux figure d’éteignoir maintenu sur la globalité d’un mouvement culturel. Toute une rhétorique justificative basée sur la comparaison avec d’autres genres musicaux (du type « est-ce qu’on a interdit le rock à cause de l’héroïne ? ») se met alors en place (et demeure encore aujourd’hui2) chez les amateurs du genre. En toute logique, le succès populaire de ces soirées les rendant incompressibles, le nombre de free parties s’accroit fortement en réaction. Michel Bouchet reconnait d’ailleurs aujourd’hui que la circulaire était « Un texte d’inspiration assez prohibitionniste » et qu’elle a indirectement fait la promotion des circuits de raves clandestines et incontrôlables.3

Une seconde conséquence intéressante est qu’au lieu de s’attaquer au problème de la drogue comme elle l’entendait, c’est plutôt la question du bruit (bien que non-prioritaire pour la Milad) que la circulaire va résoudre - dans une certaine mesure - car il incombe dorénavant aux organisateurs de trouver des endroits à distance de tout voisinage pour ne pas éveiller les soupçons de la police. Bien entendu, cela est à nuancer car une fois la free lancée, ces derniers ont souvent tout loisir d’augmenter le nombre de décibels.

C’est donc une sorte de jeu du chat et de la souris qui se met en place entre les forces de gendarmerie et les raveurs. La circulaire est écrite dans l’optique de mettre fin au mouvement dans son ensemble et à la consommation potentielle de drogues s’y rattachant,

1 TESSIER (Laurent), art.cit. 2 Présent dans tous les entretiens. 3 THIBAUD Cécile, « Faut-il avoir peur des raves ? », L’Express n°2450, 18 juin 1998, p. 98

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que ce soit les soirées légales ou clandestines. Dans les faits, cette mesure fait beaucoup plus de mal à la partie du mouvement qui avait des velléités légales, voire commerciales.

A contrario, les free explosent en réaction au refus systématique des autorités locales de leur accorder la permission d’exister. Là encore il y a quelque chose de contradictoire entre ce qui motive l’intervention juridico-politique et ses conséquences puisque l’un des problèmes des fêtes illégales est qu’elles ne sont tenues par rien et qu’on assiste donc à des dégradations plus importantes, notamment en termes de pollution et d’atteinte au droit de propriété. De nombreux Sound-systems, free « par défaut », tiennent toutefois un discours responsabilisateur auprès de leurs participants et échangent par exemple un sac-poubelle plein contre une bière1 ou des « coupures solidaires des sons » sont faîtes pendant lesquelles tout le monde est invité à ranger. Au final, le basculement général vers la forme free est assez palpable au sein du mouvement. En 1997, on estime ainsi à 800 leur nombre 2.

II) L’amendement Mariani et la Loi sur la Sécurité Quotidienne

La situation reste figée dans cette configuration jusqu’en 2001, les rave parties ne sont pas encore illégales à proprement parler. Les moyens d’action des élus sont limités au refus de donner l’accès aux installations publiques et au fait d’arriver avant la fête quand c’est possible mais il n’existe pas encore de véritable moyen coercitif pour mettre fin aux rassemblements ayant déjà commencé. Comme le souligne Lionel Pourteau : « Jusqu’à la loi Mariani-Vaillant, les rapports avec la police ou la gendarmerie étaient bon enfant. Si elles le pouvaient, celles-ci essayaient d’empêcher l’installation. Sinon, elles laissaient faire jusqu’au dimanche midi en devenant peu à peu de plus en plus menaçantes. Il fallait alors négocier une heure d’arrêt. »3 Les interruptions violentes ou ses velléités existent, à l’image du député-maire UDF Charles Amédée de Courçon qui, « face à cette figure radicale de l’altérité » qu’était pour lui le jeune teufeur, exhorta à l’occasion d’une free party le préfet à ordonner à la police de disperser la foule en lui tirant dessus4. Mais elles demeurent toutefois très exceptionnelles.

1 Ce qui semble assez ironiquement marchand pour des rassemblements qui prônent souvent les bienfaits d’une économie du don et de la gratuité. 2 THIBAUD Cécile, « Faut-il avoir peur des raves ? », L’Express n°2450, 18 juin 1998, p. 98 3 POURTEAU (Lionel), op.cit., p.68 4 Idem, p. 43

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Au printemps 2001, sans qu’il y ait eu un évènement particulier pour justifier de son intervention, le député RPR Thierry Mariani dépose un projet de loi visant à encadrer les raves en général (mais ce sont bien les free parties qui sont visées car il existe déjà un levier d’action efficace sur les raves légales). Le texte vise en théorie simplement à imposer un régime de déclaration préalable à l’organisation des rassemblements techno, mais il s’avère en réalité qu’il vise à donner les moyens légaux de pouvoir interrompre ces derniers par la force, en les mettant hors-la-loi par défaut et légalisant des recours pragmatiques pour les faire cesser.

En bon entrepreneur de morale, il ne lésine pas sur les constatations dramatiques : « Il y a régulièrement des morts dus à des accidents ou à des overdoses. Nous devons protéger notre jeunesse, malgré elle, de ce danger. ». Cela sera abordé un peu plus tard mais il s’avère en réalité que le danger dénoncé est loin d’être si évident. La protection de la jeunesse contre elle-même n’est d’ailleurs pas seule à rentrer en compte et, comme le soulignent Renaud Epstein et Astrid Fontaine, il est vrai que « ce député s’était signalé au cours de la législature par le dépôt de plusieurs propositions de loi et amendements particulièrement favorables aux établissements de nuit (bars et clubs)1 ». Il faut savoir que Thierry Mariani est très lié au milieu des boîtes de nuits du Sud-Est de la France (il se défendra d’ailleurs dans une interview à Valeurs Actuelles d’être contre la liberté culturelle, lui-même ayant été disc-jockey en boîtes de nuit à Aix2), or ces dernières se plaignent beaucoup de la concurrence déloyale que constituent ces rassemblements, si bien que beaucoup d’observateurs voient en cette initiative une action clientéliste. Toutefois pour le juriste Jean-Christophe Videlin, ce projet de loi était malgré tout une nécessité : « les attributions du maire étaient juridiquement suffisantes mais concrètement insuffisantes pour empêcher ou encadrer une rave-party3 ». Son pouvoir de police administrative ne permet donc pas à cette époque d’interdire une manifestation dont il n’est pas informé préalablement.

L’amendement fait débat à l’assemblée. La question semble transcender les clivages politiques dans la mesure où elle sort quelque peu des problématiques habituelles et quotidiennes. Il y a l’idée pour ses partisans de protéger les citoyens du tapage comme les jeunes d’eux-mêmes quand pour ses détracteurs ce n’est rien d’autre qu’une disposition sécuritaire qui n’a pas lieu d’être pour traiter d’un mouvement qui est avant tout festif. On en

1 LAFARGUE DE GRANGENEUVE (Loïc), op.cit.,p. 2 POCHAT Josée, « Mariani le rebelle », Valeursactuelles.fr, 11 octobre 2007 3 LAFARGUE DE GRANGENEUVE (Loïc), op.cit.,p.

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rajoute ou on dédramatise, mais l’amendement laisse assez peu indifférent. Bien entendu, il faut aussi voir la dimension électoraliste des discussions, selon que l’on cherche à plaire aux parents ou aux jeunes, aux populations des campagnes ou des villes.

Quelques manifestations ont alors lieu dans les grandes villes de France, mais elles n’attirent tout au plus que quelques milliers de personnes (ce qui est très peu en comparaison au nombre de participants à des raves à cette époque)1. Le gouvernement tâchera tout de même d’apaiser la situation et l’amendement est retiré par Lionel Jospin à la fin du mois de juin 2001. Toutefois, la médiatisation entraînée par ces débats perdure et le contexte politique déjà assez sécuritaire le devient de plus belle après l’attentat du 11 septembre. Dès lors, l’amendement Mariani sera discrètement réintégré à l’article 53 d’un projet de loi plus global nommé Loi de Sécurité Quotidienne (LSQ) traitant de sujets aussi divers que les rassemblements dans les cages d’escaliers. Il s’intéresse aux « rassemblements festifs à caractère musical » et demande à ce que ces derniers fassent l’objet d’une déclaration auprès du préfet responsable. Le Conseil d’Etat fixe cependant une limite « plancher » de sorte que seuls les rassemblements au-dessus de 250 personnes soient concernés, le cas contraire ayant été liberticide, en allant notamment à l’encontre du droit de réunion2.

La légitimité de cet article 53 est assez contestable pour au moins deux raisons. Tout d’abord, il s’avère que cette loi a été produite sans qu’il y ait eu la moindre consultation de la part de fonctionnaires d’éventuels organisateurs de free party ou d’un quelconque acteur du mouvement.3 Or, a posteriori, on peut penser que certaines incompatibilités légales sur lesquelles il faudra revenir auraient pu être évitées si ça avait été le cas. Ceci étant, rien n’oblige le législateur à s’entretenir avec les individus dont la loi est l’objet.

Deuxièmement, certains juristes constatent à l’époque que cette disposition s’apparente plutôt à un régime d’autorisation dans la mesure où le préfet doit délivrer un récépissé s’il juge qu’il n’y a pas de problème de sécurité ou de trouble à l’ordre public et que la manifestation peut se dérouler sans encombre. A défaut, celle-ci est illégale si elle se maintient contre l’avis négatif ou l’absence de réponse du préfet. Sauf qu’il est dans les faits

1 La réticence des amateurs de techno à se mettre en étant de revendication et à manifester des opinions politiques demeurera une constante du mouvement techno, preuve aussi d’une certaine incompatibilité de moyens entre ces derniers et la société. 2 Pour qu’il n’y ait pas de confusion avec d’autres types de manifestations. Les maires, circonspects, demanderont un amendement pour exclure les « fêtes de village » du champ d’action de la loi. 3 POURTEAU (Lionel), op.cit., p.80

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presque toujours possible de trouver un prétexte à la non-tenue d’un évènement festif, que ce soit une question d’ordre public, d’infrastructure, de sécurité ou de quoi que ce soit d’autre.

Emmanuelle Mignon, alors conseillère juridique du ministre de l’Intérieur confiera plus tard que ce texte permettait effectivement surtout d’interdire1. Cette technique de la « déclaration préalable » sera d’ailleurs jugée si efficace qu’elle sera réemployée dans des contextes complètement différents de celui des rave parties2. De fait, entre le moment où la LSQ prend acte en octobre 2001 et le premier organisé conjointement avec l’Etat en mai 2003, aucune autorisation pour une soirée techno n’est accordée sur l’ensemble du territoire français.

III) La répression des free parties

Si jusqu’alors, il n’existait pas de confrontation directe entre autorités et teufeurs, le LSQ marque l’avènement d’une période nouvelle qui voit tout type de rassemblement techno frappé par défaut du sceau de l’illégalité. Si les dispositions légales adoptées par le gouvernement français ne sont en façade pas aussi prohibitionnistes que celles entreprises par son équivalent britannique, elles ne sont dans les faits pas moins redoutables pour les amateurs de techno. En particulier, elles mettent à disposition des forces de gendarmerie qui souhaiteraient interrompre une soirée un nouveau levier d’action en autorisant la saisie du « son », c’est-à-dire du matériel sonore qui diffuse la musique. Cette nouvelle possibilité frappe le mouvement directement à son capital économique, ce qui aura des effets ravageurs.

A) Des épisodes de répression accrue

Dans la pratique, la LSQ a pour conséquence directe de rendre systématique l’interruption par les forces de l’ordre des soirées en cours de déroulement. Là où auparavant, les gendarmes laissait la fête se dérouler et négociaient un arrêt de la musique pour l’aube, ils se fraient dorénavant d’emblée un chemin vers les enceintes et font, sinon saisir, au moins interrompre le son. Toute l’efficacité de cette technique réside dans le fait que le rassemblement techno n’a alors plus d’objet et les participants quittent les lieux assez rapidement.

1 Idem. 2 Ibid.

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Ces arrêts brusques de la fête peuvent pourtant être dangereux pour les participants. Lionel Pourteau précise que cet arrêt imprévu de la musique et la fin précipitée de la fête peuvent provoquer des bad trips chez les participants ayant consommé de la drogue, car elles empêchent la descente de s’effectuer de façon « normale », c’est-à-dire de manière lente et progressive1. Bien entendu, on ne parle même pas ici de la dangerosité de devoir reprendre la route sous l’effet de psychotropes à une heure bien souvent tardive, les forces de l’ordre sommant les teufeurs de quitter l’emplacement de la fête. Lorsque les états d’ébriété ou de défonce sont vraiment manifestes, ces derniers sont invités à rester dans leur voiture le temps de récupérer mais généralement ce genre de décisions relèvent du cas par cas et est à l’appréciation des forces de gendarmerie locales.

Les répressions, si elles se font rarement dans la joie et la bonne humeur, sont toutefois dans leur grande majorité non-violentes. Quelques épisodes vont cependant avoir un retentissement plus grand et contribuer à l’abandon ou à la radicalisation d’un certain nombre de teufeurs.

Le collectif Voodoo’Z Cyrkle, originaire du Sud-Ouest, connu pour avoir organisé une quarantaine de soirées free parties entre 1996 et 1999 jouit d’un certain prestige au sein du mouvement free, d’autant plus que le collectif est connu dans le milieu pour proscrire la « défonce »2 et privilégier l’aspect musical. En organisant presque une soirée clandestine par mois, il échaude toutefois les autorités qui décident de tout mettre en œuvre pour qu’il soit mis au pas. Une unité de 6 hommes est spécialement constituée et après 8 mois d’enquêtes et d’infiltrations, la police perquisitionne les domiciles des membres du collectif. 11 personnes sont interpellées. Les chefs d’accusation retenus sont : travail dissimulé, usage et détention de stupéfiants3, délit d'agression sonore, infraction à la SACEM, et exploitation de débit de boissons sans autorisation. Au final, si l’accusation d’infraction à la SACEM n’est pas retenue4 les 11 membres sont condamnés à 10000 francs d’amende chacun, dont 5000 avec sursis, ainsi qu’interdits de se rendre à des évènements type rave party et dans l’obligation de pointer au commissariat chaque dimanche matin. La nouvelle se répand au sein du milieu techno et cet épisode devient, dans les représentations des teufeurs, l’exemple même de la

1 POURTEAU (Lionel), op.cit., p. 85 2 C’est-à-dire l’usage d’ecstasy. 3 25g de cannabis sont retrouvés lors des perquisitions, ce qui exclut l’accusation de revente 4 C’eût été la plus coûteuse puisqu’elle aurait entrainé la saisie définitive de tout le matériel sonore, or ce groupe était connu pour posséder du matériel de qualité. Ce qui est assez ironique avec cette infraction à la SACEM, c’est qu’une bonne partie de la musique techno passée en rave n’est pas couverte par le droit d’auteur, pouvant être improvisée en live par exemple.

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répression aveugle de l’Etat. La criminalisation d’emblée entraîne aussi, comme déjà auparavant, une politique du pire chez les organisateurs car il faut désormais chercher à être suffisamment caché pour empêcher la découverte et l’intervention des forces de l’ordre ; le jeune Ben Lagren, informaticien de 29 ans, se verra ainsi condamné à 191 000€ d’amende pour avoir organisé une free party dans une grotte sans avoir tenu compte des risques d’éboulements ou d’intoxications au monoxyde de carbone1. Quelques autres épisodes marquants vont de même contribuer à la mise en récit et au partage d’une histoire commune de la répression. Ils vont fournir une base tangible au discours victimaire qui se développe chez les organisateurs.

La LSQ a donc des effets dévastateurs pour les organisateurs de free-parties, de nombreux « sons », c’est-à-dire les systèmes d’enceintes, les platines ou les vinyles, sont confisqués et la peur de subir ce sort va considérablement ralentir l’enthousiasme originel. Il faut bien voir que ces « sons » constituent bien souvent l’essentiel du patrimoine de ces Sound-systems et représentent pour eux quelque chose de central, la base du mouvement étant la musique. Ils sont par ailleurs rarement restitués par la suite et sont gardés suffisamment de temps pour s’assurer que la leçon soit retenue.2 C’est une arme économique redoutable, ce matériel étant assez coûteux et compliqué à racheter3, les saisies mettent souvent un coup d’arrêt définitif à l’activité d’organisateur du Sound System et à son existence même en tant que groupe social.

Les conditions d’intervention des forces de l’ordre sont aussi loin d’être évidentes, ces dernières étant généralement largement dépassées en nombre, et leur arrivée au sein de la fête provoquant généralement une certaine animosité. Il préexiste un certain rejet réciproque originel entre ces deux groupes sociaux et s’il était rare que les négociations ayant cours durant les soirées avant la LSQ se déroulent de manière courtoise, elles se font désormais dans une tension accrue.

B) La radicalisation des free parties

1 POURTEAU (Lionel), op.cit., p.94 2 Le Collectif des Sound-system met ainsi à jour sur son site une liste de sons confisqués par les forces de l’ordre. 3 Il provient parfois d’une entreprise de location, ce qui n’est pas mieux puisqu’il faut bien sûr rembourser le matériel.

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On voit bien ici que la clandestinité est avant tout une conséquence de la répression entreprise par l’Etat, qui touche d’abord les fêtes légales. Il existe certes un lien récurrent entre techno et marginalité en ce que les premières populations à se l’être appropriée étaient des populations marginales. Mais au-delà de sa nature sous-culturelle et alternative de la techno, l’illégalité dont on drape son expression la plus élémentaire fait qu’elle draine aussi de plus en plus une population préalablement en rupture avec la société : « A partir du moment où une opposition institutionnelle s’est créée et où la fête techno a cherché à se maintenir contre les pressions, elle a bénéficié de l’aura de la transgression et de la dimension libertaire 1».

On est là face à un cercle vicieux assez classique dans le sens où plus les raves vont être réprimées, plus elles revêtent une allure contestataire et politique et s’enfoncent dans la clandestinité, plus elles vont attirer des populations idéologiquement marginalisées comme les travellers, ces voyageurs qu’on appelle parfois « punks à chiens ». Au contraire, les personnes issues de groupes sociaux plus intégrés et ayant par conséquent plus à perdre vont progressivement la délaisser2.

Figure 4 : Une Free Party

On assiste à une politisation partielle du mouvement. Le Sound-System Heretik se lance ainsi dans des actions « coups de poings » et plutôt que de choisir des lieux de soirées sur des

1 POURTEAU (Lionel), op.cit., p.85 2 Sur le concept de radicalisation, voir COLLOVALD Annie, GAÏTI Brigitte (dir.), La démocratie aux extrêmes. Sur la radicalisation politique, Paris, La Dispute, 2006.

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critères pratiques et esthétiques, ils le font de manière idéologique en s’attaquant à des symboles. Ils organisent ainsi une rave clandestine dans les sous-sols de Bercy, se voulant un pied de nez à l’establishment. Mais leur plus gros coup est certainement l’invasion de la piscine Molitor en plein cœur du tranquille et fortuné XVIe arrondissement de Paris. Presque 5000 teufeurs s’y rendent sans que la police puisse intervenir ou faire quoi que ce soit, par mesure de sécurité au vu du risque d’émeute1.

Les saisies possèdent par ailleurs une portée symbolique en ce qu’elles visent la raison même du mouvement. Ces confiscations vont donc contribuer à le miner fortement. Ironiquement, si le mouvement rave s’est développé facilement grâce à l’apport de la technologie comme l’a fait remarquer Renaud Esptein2, il en a aussi fait une faiblesse, en ce que les saisies sont faciles à entreprendre.

Figure 5 : Scène de liesse en free party

Pour Lionel Pourteau, le succès de la répression tient du fait que la culture free s’appuyait sociologiquement sur une population jeune à la fois assez intégrée pour avoir trop à perdre à une opposition violente mais pas assez intégrée pour pouvoir s’organiser afin de défendre son espace culturel, d’autant qu’elle n’a aucun pouvoir économique à mettre dans la balance3. La répression a donc été en mesure d’en détruire une grande partie. Loïc Lafargue de

1 Damien Raclot-Dauliac, “Heretik – We had a dream”, 2013 2 EPSTEIN (Renaud), « Villes défaites », Vacarme 3/2004 (n° 28), pp. 15-19 3 POURTEAU (Lionel), op.cit., p.136.

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Grangeneuve fait à cet égard une distinction nette entre la période pré-LSQ, marquée par une répression faible des évènements illégaux et celle qui suit dans laquelle la consigne de répression devient une constante. En 2000, 582 free-parties sont répertoriées, 712 en 2001, 372 en 2002 (1ere année d’application de la LSQ), 275 en 20031.

Figure 6 : Heretik envahit Molitor

Ainsi, si d’ordinaire, l’Etat fait face dans la gestion des problèmes publics à des revendications concernant le réagencement du cadre légal, on peut remarquer que celle qui a trait au simple droit d’exister –de par son caractère fondamentalement libertaire- ne peut être véritablement entendue par les autorités publiques tant il sort justement de ce cadre. Il y a là non seulement la réclamation d’un droit à la fête mais aussi en partie d’un droit à exister en dehors de la légalité. « Ils n’ont pas d’attente messianique du type : « un jour viendra où nous serons reconnus ». Ils ne veulent pas plus détruire l’ordre existant. Pas d’attentat, pas de

1 POURTEAU (Lionel), op.cit., p. 90

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violence contre l’ordre ou l’Etat. En fait, ils font ou souhaiteraient pouvoir faire comme si ce dernier n’existait pas1 ».

Ainsi, bien qu’elle réussisse pendant un petit nombre d’années à vivre sans être inquiétée par la sphère politique, la fête techno va tout de même être assez rapidement prise à parti par cette dernière. Pour faire face aux problèmes causés par ces rassemblements tels que le bruit ou la drogue, elle opte pour la manière forte et choisit de faire rentrer le phénomène dans les carcans de la légalité en le détruisant, tout simplement. Avec un raisonnement du type « S’il n’y a pas de rave, il n’y a pas d’illégalité », les autorités politiques rencontrent un succès global mais attirent aussi une frange incompressible d’adeptes vers la radicalisation et des prises de risques accentuées. C’est donc le contact avec la sphère politique qui pose problème au mouvement. Même si elle l’aimerait probablement l’éviter pour une bonne partie, elle va tout de même porter ses espoirs vers les circuits économiques.

1 POURTEAU (Lionel), op.cit., p. 91

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Partie 2. Les espoirs déçus du succès commercial de la French Touch

« Around the world » Daft Punk

Chapitre 1. Musique techno et sphère commerciale : des débuts timides

I) La techno en dehors des circuits classiques

Un autre aspect de la singularité de la musique techno réside dans la manière dont est organisée sa distribution. Il existe une certaine similitude entre la façon dont est gérée l’organisation d’une rave party, à l’aide de moyens de technologie tels que les infolines et par l’intermédiaire de connaissances et de bouche-à-oreille, et celle dont est organisée la répartition des ventes de supports musicaux.

Au début des années 1990, la musique techno est avant tout une musique de niche, bien qu’on ait pu voir qu’elle commençait à connaître de plus en en plus d’adeptes. Elle doit par conséquent organiser la distribution de ses supports de manière différente que les musiques plus populaires, présentes dans les radios et dans les grandes surfaces. Comme le fait remarquer Jean-Yves Leloup :

« Dès son origine au début des années 1990, elle est parvenue à mettre en place une micro-économie vivace qui dans sa grande majorité s’est construite en dehors des multinationales et du marché institué du disque. Le flux continuel des productions, les incessants mouvements d’import-export, les influences mutuelles exercées entre les différentes scènes, ont fini par créer une forme d’utopie globale et internationale qui, depuis n’a cessé de croître1 »

Il peut arriver que la musique qui passe en rave soit une musique jouée live, un certain nombre d’artistes préférant la composer directement à partir des machines ou à l’aide

1 LELOUP (Jean-Yves), Digital Magma, De l’utopie des rave-parties à la génération MP3, Marseille, ed. Le mot et le reste, 2013, p. 32

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d’instruments. Sinon, ce sont des DJs qui passent leurs propres morceaux ou d’autres compositeurs la plupart du temps. Ces derniers jouent exclusivement sur des platines, le vinyle étant le principal support de la musique techno.

Il est vrai que l’achat de vinyles ne concerne pas la majorité du public techno. Cela représente un poids économique pour un public qui est en majorité jeune et dont le pouvoir d’achat est en conséquence plutôt réduit. A une époque où la numérisation des musiques sur Internet est encore loin d’être une réalité, il faut se rendre chez un disquaire, souvent spécialisé, pour pouvoir écouter de la musique techno.

Il est bon de rappeler que le mix ne permet pas une différenciation des morceaux aussi aisée que dans d’autres genres. Aussi, beaucoup d’amateurs de rave s’y rendent pour de la techno « en général » et ne s’attendant pas à voir certains artistes jouer des morceaux en particulier. Tout au plus, un DJ peut être reconnu par la qualité de ses choix et par sa capacité à passer de la bonne techno. C’est un genre musical qui se conçoit - surtout à l’époque - de manière moins compartimentée et qui s’écoute plutôt comme un flux, comme une évolution, qu’en décomptant les morceaux et observant des pauses lorsque ces derniers s’achèvent. Le son ne s’arrête jamais.

C’est aussi ce qui explique que les majors ne voient pas la chose venir. Cette nature éparpillée de la production et le fait qu’elle ne soit pas taillée pour être une musique à tubes lui vaut le dédain de ces dernières. Pascal Nègre qui dirige alors Barclay, refuse d’investir dans un tel secteur et se montre plutôt désintéressé par le mouvement.1

Seule Fnac Music créée en 1991 tente de s’organiser tant bien que mal pour pouvoir tirer profit de cette nouvelle mode avec sa branche Fnac Music Dance Division. « Mon patron de l’époque n’était pas passionné par cette musique mais au moins il comprenait ce qui se passait, se souvient Eric Morand. »2. Toutefois, et preuve d’une nature finalement assez incompatible avec les grands circuits commerciaux, l’aventure du label se solde par des pertes financières catastrophiques en 1994 et celle-ci dépose le bilan la même année. « Même les disques de Warp Record, notamment le premier album de LFO devenu mythique aujourd’hui

1 GIGNOUX Sabine, « Voyage au cœur des rave parties. La techno se veut une vraie musique », La Croix, 26 juin 1998, p. 26 2 Idem.

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et que Fnac Music Dance Division sort en France à l’époque, font des ventes catastrophiques1 ».

D’une manière générale, les réseaux de distribution sont peu professionnalisés même si l’on assiste à l’apparition de grosses structures – bien d’indépendantes - en dehors du territoire français. Les labels sont encore dans leur quasi-totalité de petite taille et tirent généralement peu de revenus de leur activité. Ils assurent eux-mêmes leur distribution, et parviennent à rentrer dans leurs objectifs non pas grâce au soutien des scènes locales mais surtout par le biais de l’export.

« L’émergence et l’existence de nombreux sous-genres ne semblent pas obéir à une logique territoriale, mais plutôt à une dynamique de flux et de réseaux (au sens où l’on peut explorer, à Copenhague comme à ou à Paris, une même niche d’expression musicale)2 ». L’absence de paroles ou de place pour l’expression d’une nationalité globalise fortement la scène techno. « Cet exercice de l’emprunt et de la digestion [impose] une sorte de patrimoine globalisé et deterritorialisé3 ». Cette assertion doit être nuancée du fait bien sûr qu’aucune musique n’échappe véritablement à l’impératif de contextualisation pouvant exister dans notre société, et il est vrai que quelques sous-genres sont plus présents à certains endroits qu’ailleurs mais si ce n’est dans le « classique » (qui n’est pas un genre mais une perfide construction intellectuelle rappelons-le), jamais on ne retrouvera un tel effacement de la question nationale vis-à-vis de la qualité pure de l’œuvre dans un autre genre4. Un DJ, lorsqu’il joue, n’a que faire de la provenance géographique de ses morceaux.

L’amateur de techno se rend justement en raves pour en écouter cette musique qui ne passe pas en radio et ne connait pas de tubes internationaux5. La scène techno est pourtant caractérisée par l’abondance de ses productions. Bien que le matériel nécessaire pour composer s’avère dans la plupart des cas assez onéreux, on assiste tout de même à la multiplication des petits studios personnels. Ce « patrimoine globalisé » la différencie d’autres musiques marginales à implantation nationales ou locales qui souffrent plus d’un manque de vivacité.

1 Ibid. 2 LELOUP (Jean-Yves), op.cit.,p. 13 3 Idem. 4 Ceci tenant aussi de l’hégémonie incontestée des pays anglophones sur la musique populaire mondiale. 5 Même si certains connaissent un fort succès commercial comme les tubes issus de la fin des années 1980 de Chicago, tels que French Kiss de Lil Louis.

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Internet de fait s’insère de manière complètement naturelle dans les usages des auditeurs et permettra pour une bonne partie au développement du réseau. « La techno est indissociable d’Internet et a trouvé dans le réseau des réseaux un excellent vecteur de communication. Sur le moteur de recherche Google, les mots « musique techno » renvoient à plus de 91 000 références. C’est dire les liens existant entre le Web et la techno1 ». Si ces mots sonnent aujourd’hui à nos yeux comme caractéristiques d’une époque tâtonnante, la techno entretiendra dans la réalité, et ce tout du long de son histoire, une relation privilégiée avec les réseaux de communication numériques. Elle est aussi l’une des premières musiques à se servir de ce canal pour diffuser des informations à propos des évènements tels que des soirées ou des sorties de maxis2.

A ses débuts, la techno est absolument inexistante en radio. La radio Fréquence Gaie (qui deviendra par la suite FG radio), radio explicitement communautaire, existe depuis 1981 mais c’est au début des années 1990 qu’elle amorce, avec l’arrivée à la direction d’Henri Maurel, militant homosexuel à l’origine du partenariat civil qui deviendra plus tard le PACS, un tournant électronique. A l’époque, la radio est en proie à des difficultés financières et peine à se renouveler. Elle se jette donc à corps perdu dans ce nouveau courant musical, au doux parfum de scandale. Cela tient aussi du fait que les seuls rares établissements de nuit à passer de la techno en France sont les clubs homosexuels et la radio cherche donc par ce biais à reconquérir son auditoire fétiche. Mais en devenant la première chaîne à passer ce style de musique, elle finit par séduire bien plus que cette frange de la population. On assiste de même à l’émergence d’une presse spécialisée avec le magazine Coda, « le magazine techno house », qui est créé en 1993.

II) La vague de la French Touch, un succès techno mondial

La French Touch est une période qui voit le succès d’un certain nombre de musiciens français techno, portée en grâce par cette nouvelle musique qui leur permet une reconnaissance internationale. C’est ce que Jean-Yves Leloup qualifie de « période d’accès au mainstream »3. C’est aussi la période où l’on assiste à l’émergence de tubes internationaux

1 DAVET Stéphane, « L’engouement pour la techno ne se retrouve pas dans les ventes de disques », Le Monde, 20 octobre 1998, p. 31 2 Vinyle contenant entre 1 et 3 morceaux de techno. 3 « 25 ans d'histoire de la techno », avec Jean-Yves Leloup, Electroline, 22 octobre 2013

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presque « grand public » dans le sens où leur écoute se décloisonne de la seule frange des amateurs du genre. Il existe une mémoire collective assez simple sur la French Touch, qui se résume à considérer cette période uniquement sous l’angle du succès accompli et à ne voir que les chiffres de ventes et le nombre d’albums écoulés sans chercher à comprendre les mécanismes qui sont en jeu. Même au regard de la presse de l’époque, il semble que la fierté, ou bien la critique parfois, ait empêché de faire plus que gratter la surface d’une véritable réflexion sur les raisons de cette réussite.

A) Les origines des premiers succès

1. Les prémices du mouvement

Certains observateurs voient dans la French Touch, un mouvement qui dès son origine aurait été commercial et bâti pour « truster les charts », ce n’est toutefois pas vrai et il s’avère que nombre d’artistes issus de ce courant ont débuté dans les raves. Souvent Parisiens, ces derniers partagent généralement le point commun d’avoir découvert cette musique dans les quelques raves légales que la banlieue accueille au début des années 1990. Ce qu’il serait plutôt pertinent d’observer en revanche, c’est de voir que c’est au moment où les raves commencent à pâtir d’une forme de répression organisée, avec la circulaire de 1995 par exemple, que le circuit commercial se présente tel un recours. Les premiers gros succès musicaux de la French Touch étant produits aux alentours de 1995, on remarque que c’est à peu près aussi à la même période que les raves disparaissent de la banlieue parisienne. Les autorisations ne pleuvent pas et ce ne sont pas les investisseurs qui se précipitent1. On va donc opérer un repli vers les lieux normatifs de fête, c’est-à-dire les boîtes de nuit, et finalement vers les lieux normatifs d’écoute : « Le mouvement était irrésistible et, grâce à lui, la musique électronique pénétra les foyers. La techno était partout : dans les clubs, à la radio, dans la presse, à la télé, au cinéma, etc2 ».

Ces premiers morceaux vont connaître un certain succès, non pas en France mais d’abord au Royaume-Uni où ils sont tout de suite remarqués par le public britannique. Dans la tradition de l’export et de la distribution en contexte internationalisé, la techno française

1 « La teuf est finie ? », Technikart n°77, 01 novembre 2003 2 SABATIER Benoit, « Techno Soldier », Technikart n°77, 01 novembre 2003

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s’intègre très facilement au circuit commercial du Royaume-Uni qui jouit déjà d’une forte assise techno.

Un soir de 1993, lors d'une rave organisée dans le parc de Disneyland Paris, les deux futurs membres du duo Daft Punk font la rencontre des responsables d'un label écossais de techno, Soma. Après avoir fait connaissance, les premiers décident de signer chez les seconds et sortent l’année suivante un premier maxi, qui bénéficie d’une première critique favorable mais n’augure pas non plus du carton planétaire que deviendra leur musique. C’est véritablement avec leur seconde sortie, le deuxième maxi Da Funk, qu’ils accèdent à la reconnaissance en 1995. C’est encore le label Soma qui en assure la distribution mais le succès est tel qu’ils viennent rapidement à manquer des ressources nécessaires pour continuer à gérer les ventes. C’est donc Virgin, major anglaise, qui republie le vinyle qui devient finalement le premier tube de la musique techno française. D’autres artistes tels que St Germain qui sort Boulevard en 1995 lui aussi ou Etienne de Crécy leur emboîteront le pas.

Alors que la musique techno avait été évincée d’office de la plupart des clubs de la capitale, on commence à voir quelques établissements s’ouvrir à ce genre, notamment les clubs homosexuels tels que Le Boy ou La Luna et quelques clubs dits « mixtes » comme Le Rex ou Le Palace. L’essor de la French Touch – qui n’est pas encore appelée ainsi – va permettre une ouverture de ces établissements principalement dans la perspective d’accueillir des DJs français issus de cette école. A contrario ce style, moins tapageur, peine à trouver sa place en raves, où on leur préfère une musique plus brute.

Les soirées Respect, organisées au sein du Queen, club notoirement gay, deviennent le rendez-vous hebdomadaire des amateurs de techno parisiens. S’il semble que le patron de l’établissement ait simplement émis le souhait de diversifier sa programmation et disposait d’un créneau sur la soirée du mercredi, le succès est tel que celui-ci affiche complet à chaque fois. Plus que sa musique, c’est aussi la promesse d’un esprit ‘authentique’ qui attire les foules. On croise en effet dans ces soirées des homosexuels et des hétéros, des blancs d’ascendance bourgeoise comme des jeunes issus des minorités immigrées. Le but affiché est de promouvoir l’esprit des raves au sein même des boîtes de nuit. Dans cette optique, la sélection à l’entrée est adoucie, ce qui contraste avec les autres établissements de nuit parisiens, réputés pour leur exigence.

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2. L’altération de la forme musicale

Il faut bien distinguer musicalement les productions issues du courant French Touch de celles qui passent en rave. Elles ne sont pas fondamentalement moins rapide mais il est vrai qu’à divers égards elles apparaissent moins brutes que ces dernières1.

En effet, bien qu’elle n’inaugure pas cette tradition, notamment dans le monde de la house, elle s’articule souvent autour d’emprunts à des productions passées provenues de styles musicaux divers, les samples2. Ces artistes vont adopter une autre approche dans la création artistique en s’aidant, à l’instar du hip-hop, de ces derniers et en ne se contentant pas d’utiliser les synthétiseurs et les boîtes à rythmes.

St Germain, par exemple, puise son inspiration dans l’univers jazz qu’il connait bien, ce qui va contribuer à alléger cette musique rythmée et la rendant plus simple d’accès et faciles à écouter. C’est aujourd’hui typiquement la musique que l’on retrouve dans les grandes franchises de cafés branchés. Les musiques afro-américaines telles que la funk et le disco sont les fournisseurs favoris de cette génération. En se servant de nombreux filtres sonores, ils créent une house très compressée et efficace dont le succès repose sur la présence d’une basse généralement dynamique et rebondie. Daft Punk, Stardust, ou encore Etienne de Crécy, avec son projet Super Discount, utilisent cette recette simple mais néanmoins très efficace pour donner un aspect plus groovy à une musique qui demeurait jusque-là assez mécanique.

Pour certains amateurs de la techno des origines, cette nouvelle musique fait donc figure de version édulcorée, « pour les enfants » en quelque sorte. De la même manière, plus de libertés sont prises à l’égard du tempo3, celui-ci peut être considérablement ralenti dans certaines productions ce qui lui fait parfois perdre sa nature instinctivement dansante4. Enfin, il arrive aussi qu’on perde une des caractéristiques pourtant fondatrices du genre musical en la présence d’un marquage à la caisse lourde (aussi appelée kick) de chaque temps de la mesure

1 Toutefois, les raves n’ont pas encore généralisé l’écoute de styles musicaux les plus brutes, tels que la -tek ou le speed core, qui sont à l’origine de bien des tentatives de comparaison de cette musique avec du « boom – boom ». Simplement, nombre de raveurs ne se retrouvent pas dans certaines de ces productions léchées, parfois chantées. 2 Littéralement, « échantillons ». 3 Qu’on nomme rarement ainsi dans l’univers techno, mais qu’on préfère chiffrer à l’aide d’unités de mesure comme le BPM (battements par minute). 4 Beaucoup de DJs parlent du caractère profondément naturel de la musique techno, laquelle se joue souvent entre 120 et 130 BPM, ce qui serait l’exact équivalent du rythme du cœur et aurait donc une propension naturel à inviter à la danse.

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(le fameux « boum –boum » à intervalles réguliers). La perte de ce « four on the floor » contribue aussi à intellectualiser une musique qui se veut pourtant jusqu’ici presque tribale dans son approche de la cadence. Toutefois, ce sont des observations générales qui correspondent à une analyse d’ensemble. Rares sont les productions qui cumulent par exemple toutes ces exceptions, l’appartenance au genre techno reste définitif et indéniable.

Ce mélange va permettre de déradicaliser le genre et donc la vision qu’en ont la plupart des gens. Cette approche hybride qui rappelle à l’auditeur des sons qui lui sont familiers et qui ne perdure pas dans un tout-novateur in fine perturbant pour de nombreuses personnes, va lui permettre de s’intégrer et de se légitimer en tant qu’objet vendable au sein de la sphère commerciale. La techno cesse petit à petit d’être une musique exclusive, les productions électroniques rejoignent les paniers de consommations musicales, à côté d’autres styles comme le rock ou le rap. Toutefois, il est difficile de dire si le succès musical de cette branche a pu permettre une ouverture globale et commerciale pour la musique de rave.

B) Le contact avec les circuits professionnels de la musique

« Le rôle des majors fut crucial dans l’explosion de ce courant. On peut même affirmer que ce sont elles, relayées dans cette entreprise par la presse, qui ont créé de toutes pièces la French Touch1 ». Effectivement, à regarder de plus près l’histoire de cette période musicale, on remarque de nombreuses relations entre labels indépendants et grands groupes musicaux. Cela pose aussi la question de savoir s’il est possible de connaître un succès de forte échelle sans se ‘compromettre’ dans l’accord de ses droits de distribution à des majors. Toutefois, ces dernières sont loin d’être étrangères à ce premier succès, notamment du fait de leur pouvoir promotionnel. Pour résumer la situation :

« le succès des musiques rap et électroniques, dans les années 90, a confirmé le lien entre l'arrivée de nouveaux genres dans les bacs des disquaires non spécialisés et l'intensification des coopération entre majors et labels indépendants -les premières cherchant à garder un certain contrôle sur la production artistique et les seconds à accéder à un niveau supérieur de développement économique2 »

1 GARNIER (Laurent), BRUN-LAMBERT (David), Electrochoc, L’intégrale 1987-2013, Paris, ed. Flammarion, 2013, p. 320 2 JOUVENET (Morgan), Rap, techno, électro... Le musicien entre travail artistique et critique sociale, Paris, Éditions de la Maison des Sciences de l'Homme, 2006, p. 169

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Bien entendu, le retentissement de ce succès va faire des émules et susciter des vocations et une multitude de labels indépendants se créent1 autour de ce nouvel essor. Généralement, ces derniers sont guidés par de plus grosses entités déjà présentes depuis quelques années, tels que F Communications, le label de Laurent Garnier et d’Eric Morand, qui est certes fondé en 1994 mais qui est le descendant direct – et indépendant- de la Fnac Music Dance Division. Ce dernier label, s’il n’est pas seul, va beaucoup aider pour faire la relation avec les majors.

C’est d’ailleurs à partir de 1993, suite aux demandes conjointes des labels indépendants et des grandes entités commerciales, que le Bureau Export, destiné à accompagner et à promouvoir les artistes français à l’étranger, est fondé avec l’aide de la Sacem, du Ministère de la Culture et celui des Affaires Etrangères. Au regard de la date de création, on est en droit de supposer qu’il existait une demande en amont du succès de la French Touch, toutefois cette dernière va largement occuper l’activité du Bureau. Eric Morand, qui dirigera d’ailleurs cette structure entre 2000 et 2006 :

« La création du bureau export est contemporaine de l’explosion de la French Touch. Au milieu des années 90, toutes les maisons de disques françaises ont réalisé qu’elles pouvaient vendre beaucoup plus en travaillant l’export. Le succès de la French Touch a été un accélérateur de cette prise de conscience. Et quand le bureau a enfin pu naître, grâce aux efforts de Jean-François Michel, son premier directeur, il a largement surfé sur le succès à l’étranger de la scène électro, qui confirmait de manière étincelante qu’il existait bien un marché à l’étranger pour la musique française2 »

Le mouvement commence à prendre une véritable ampleur au moment de la sortie de Homework, le second album de Daft Punk en 1997. Le disque est une onde de choc mondiale tant il surprend par la qualité de sa production et met tout le monde d’accord. En particulier, il tend à faire le consensus parmi plusieurs générations, chose tout à fait inédite pour le genre. Ce son incroyablement jeune et novateur (alors qu’il est paradoxalement tiré d’échantillons de styles musicaux passés) défraie la chronique des magazines spécialisés à travers la planète et lui donne une audience nouvelle. Sans revenir complètement sur les propriétés musicales établies avant lui (« Rollin’ & Scratchin’ » est suffisamment dur pour passer en rave, « Burnin’ » lui fournit une belle illustration du mélange des genres), le duo propose une

1 Une cinquantaine sont présentées au Mix Move, « Le salon du deejaying ». « Comment un mouvement haut en couleur a déteint sur toutes les musiques », Les Échos, 15 septembre 2000, p. 104 2 GIGNOUX Sabine, « Voyage au cœur des rave parties. La techno se veut une vraie musique », La Croix, 26 juin 1998, p. 26

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lecture originale du style et livre un album incroyablement référencé et éclectique. Michel Gondry réalise un clip vidéo qui restera une référence historique de l’histoire de la discipline pour le morceau « Around the world » (lui-même devenue une légende de l’histoire de la musique avec son gimmick vocal éponyme répété 144 fois). Au final, l’album se vend à 2 millions d’exemplaires, dont une bonne partie à l’export. St Germain et Laurent Garnier (qui lui n’est pas vraiment dans le mouvement car il était déjà connu auparavant) ne sont pas en reste. De plus en plus d’artistes tentent alors de se raccrocher au mouvement.

1. L’adaptation aux majors : dans la distribution

Bien entendu, ces nouvelles relations entre indépendants et majors vont impliquer des adaptations structurelles de part et d’autres. Jusque-là peu habituées à travailler ensemble et les organes de distribution techno étant relativement juvéniles, on aurait pu présupposer que le mouvement soit complètement phagocyté d’emblée par les grosses structures. Toutefois, ce n’est pas si évident, notamment parce que l’univers techno possède ses propres codes et dynamiques et qu’il n’est pas simple « d’adapter la pesanteur » des majors « à la rapidité du milieu techno1 ».

Comme en témoigne à l’époque, Philippe Laugier, ancien journaliste spécialisé, passé chez PolyGram :

« Le maxi est un élément essentiel de cette culture. C’est avec cela que se déclenche le buzz [le début d’un bouche à oreille favorable]. Les indépendants savent l’utiliser mieux que nous qui préférons le format album CD. L’autre prise de conscience doit se faire au niveau de l’export. Pour ces musiques, c’est une priorité. PolyGram doit investir dans ce sens2».

D’une manière générale, il y aussi le blocage de la connaissance du genre musical. La techno possède ses propres codes et le succès de tel ou tel morceau ne répond pas des critères utilisés dans d’autres genres. Les majors ne voient ainsi pas d’inconvénients à laisser le choix des artistes à produire ou des maxis à sortir aux labels indépendants. La réalité est donc plus proche d’une adaptation convergente, avec d’une part des majors qui se mettent à la hauteur des petits labels et leur laissent une marge de manœuvre, et d’autre part des artistes techno qui

1 BRUNNER Vincent, « Techno. Longtemps restreint, le marché français a aujourd’hui rattrapé son retard tout en continuant à exporter ces nouveaux rois des dance floors », L’Humanité, 20 octobre 2000 2 Idem.

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entreprennent de s’intégrer au circuit commercial mondial, par la mise en œuvre de moyens généralement actionnés par les majors.

On sent déjà poindre dans le discours la nécessité d’un changement de mode opératoire : « En France, les gens ont de moins en moins de platine disque. Nos meilleures ventes de maxis atteignent ici à peine 2000 exemplaires, soit pas plus de 10% de nos ventes dans le monde1 » Et bien qu’avec le recul, on peut aujourd’hui s’amuser de l’alarme lancée par certains journalistes de l’époque (« Objet symbole de la culture techno, le maxi cède de plus en plus de terrain à l’album CD, surtout lorsqu’il s’agit de compilations2 »), ce genre d’assertion est avant tout le symbole de l’emprise des majors sur un courant jusqu’alors réfractaire au « pour vendre ». On parle de nécessité de s’adapter, comme si le succès commercial avait été un but en soi et surtout un but préexistant à ce succès quelque peu accidentel finalement.

Fort du soutien des grandes compagnies musicales, on voit aussi apparaître dans les surfaces généralistes des rayons spécialement dédiés à la musique techno. L’émulation fait qu’on embauche rapidement des vendeurs spécialisés et qu’on ménage une place au sein des bacs de vente pour ce genre. On assiste ainsi à une sorte d’ « indépendentisation » des comportements et des esprits dans la manière de fonctionner et de vendre, à une sorte d’ésotérisme entretenu au sein même de surfaces de structures par ailleurs largement « mainstream »3. Cette manière d’être, finalement assez typique des petites structures qui jouent sur la qualité plutôt que sur la vente de masse (même dans des domaines autres que musicaux, comme on peut voir dans la mode ou dans le secteur) s’invite dans les grandes surfaces à l’image de ce vendeur au discours digne du maraîcher le plus bio du quartier : « Le rayon techno est quasiment le seul endroit de la Fnac où l’on trouve du vinyle. Ce genre de rayon ne fonctionne que grâce à la compétence des vendeurs. Tout dépend de la pertinence de l’assortiment de nos produits frais. Un disque sur deux est importé4 ».

Les majors vont aussi bien entendu essayer de signer leurs propres artistes estampillés ‘French Touch’, mais pas avec autant de succès que les labels indépendants, bien que l’on puisse citer les succès notables des Supermen Lovers (chez BMG), Modjo (Universal) ou

1 « La France des bacs », Technikart, n°77, 01 novembre 2003 2 Idem. 3 Littéralement, courant dominant. 4 « Comment un mouvement haut en couleur a déteint sur toutes les musiques », Les Échos, 15 septembre 2000, p. 104

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Demon (Sony). Prédicateurs, certains professionnels annoncent : « Pour réussir les artistes devront retravailler l’accessibilité de leurs morceaux et leurs performances scéniques.1 »

2. Adaptation aux majors : dans la portée symbolique

Finalement, tant que le genre connait un certain succès populaire, il n’y a pas vraiment de souci majeur posé par son intégration aux circuits de distribution classiques. Tant qu’il y a la qualité musicale et un public pour la suivre, le véritable ennemi des majors n’est pas la forme particulière de la techno. Ce qui pose en revanche un problème, c’est l’image dérangeante qu’elle véhicule. Les grandes structures musicales sont caractérisées, non pas par leur aversion pour les problématiques politiques par nature, mais plutôt par leur connaissance du risque qui peut peser sur les ventes lorsqu’un artiste ou un mouvement prend une position politique controversée. Parfois, elles peuvent utiliser à leur profit les images sulfureuses de certaines de leurs signatures, mais c’est plus souvent lorsque les idées véhiculées par ces dernières sont convenues et établies, à l’image du discours rock rebelle plus connu comme « la société est injuste, les profs à l’école sont vraiment méchants et la publicité partout aliène ma singularité existentielle en me faisant croire que je n’existe que pour consommer2 ». Ce qui semble un peu plus caractéristique d’une classe d’âge ou d’intellect et relève finalement d’un discours parfaitement habituel, voire structurel. Ce type de dénonciation apparaît en effet un peu plus consensuelle et moins polémique que de poser des questions du type « comment se fait-il, alors que l’histoire est censée avancer vers le ‘‘progrès’’ et l’émancipation des hommes et des esprits, qu’il ne soit pas possible de faire des choses aussi simples que d’abuser librement de son corps ou d’écouter de la musique à volume fort ? ». C’est ce qui explique que certaines majors vont chercher à se départir du versant finalement politique du mouvement techno.

Pour reprendre l’expression d’Alexis Bernier du quotidien Libération, « Des Gipsy Kings aux Nègresses Vertes, de Maurice Chevalier à Dimitri From Paris, il ne faut pas se leurrer: quand nos chanteurs hexagonaux ont vendu quelques disques à l'étranger, c'est en jouant d'«une certaine idée de la France», ancrée au coeur de l'imaginaire de nos voisins

1 Idem. 2 Peu ou prou le discours véhiculé par le courant grunge qui connaît un certain succès à la même époque. Du reste, une bonne partie des groupes de ce mouvement sont signés chez SubPop, label indépendant, ce qui atteste d’une certaine mauvaise foi de ma part.

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plus ou moins éloignés1 ». Aussi, puisque les ventes relèvent de l’ordre international, il semble de bon ton pour les grosses structures d’essayer de tirer de cette image de bon goût à la française, laquelle contraste fortement avec l’esprit techno par ailleurs. Il s’agit donc de la parer des codes légitimes de la culture dominante. Dans cette optique, nul doute que de s’appeler DimitriFromParis, Etienne De Crecy ou St Germain (par rapport à sa ville de naissance, St Germain en Laye, banlieue plutôt située vers le bas du classement des émeutes annuelles et des bavures policières) véhicule en effet une image un peu plus glamour que des pseudonymes comme AK-47, Heretik Crew, Foetus, ou Lunatic Assylum (aussi connu comme Dr.Macabre). « C’est d’ailleurs ce bon goût et cette élégance mêlés d’invention formelle, loin de la techno des raves, qui séduit la presse anglo-saxonne pour qui cette école fait écho à la manière dont est perçue notre culture française outre-Manche2 ».

Il convient donc de jouer de cette image idéalisée et polie pour faire vendre. De même, un changement dans la terminologie apparaît nécessaire. Les cadres dirigeants des majors se mettent donc au travail et débarquent avec une appellation qui ne révolutionne pas le monde du concept musical par sa précision mais elle a le mérite d’être absolument neutre du point de vue politique: la catégorie des « musiques électroniques ». Cette appellation fait école, notamment parce qu’elle est assez pratique pour distinguer un mouvement qui se caractérise par une diversification musicale pour le moins luxuriante. De même le magazine Trax, « musique et culture électronique » fait son apparition en 1997.

Ainsi, on délaisse progressivement cette image de « cyberculture » (qui perdurera finalement à peu près autant de temps que l’usage d’un tel préfixe), on troque une esthétique presque steam punk, c’est-à-dire centrée sur un mélange de débrouille et de technologie industrielle. Les flyers, noir et blancs par nécessité3, laissent la place à des affiches publicitaires bien plus proprettes.

III) A l’épreuve de l’exposition publique :

Pour la première fois de son existence, la techno connaît une exposition médiatique du fait de ses propriétés musicales, sortant des sempiternelles questions d’ordre public. Il est

1 BERNIER Alexis, « Avec «Around the World», le duo français Daft Punk, en concert ce soir à l'Elysée- Montmartre, s'est imposé dans les hit- parades internationaux. », Libération, 17 octobre 1997 2 « L’histoire secrète de la French Touch », greenroom.fr 3 Faibles coûts d’impression.

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intéressant de voir comment se fait l’arrivée dans la place publique, d’une scène d’ordinaire anonyme, voire évoluant dans la clandestinité.

A) Adaptation des artistes techno à la procédure normale

Il existe d’ordinaire une procédure promotionnelle normale dans les circuits établis de commercialisation de la musique. Pour simplifier, et du reste cela est valable pour les années 1990 mais l’est un peu moins maintenant, on peut dire qu’elle s’articule autour du triptyque « album – tubes – promotion & clips vidéos ». On a vu que dans sa forme de distribution, l’univers professionnel ou du moins « en place » a eu un impact sur la sphère techno retrouvé dans l’apparition des premiers albums, remplaçants partiels des maxis, et que certaines chansons sont effectivement devenus des succès planétaires. Il est donc assez intéressant d’observer le rapport à l’image bousculé des artistes techno.

Un exemple flagrant est celui des Daft Punk, qui se retrouvent projetés du jour au lendemain sous les feux de la rampe. Le duo, qui apparaissait à visage découvert de manière normale lors de ses premières soirées, va cesser de le faire et chercher à dissimuler leur identité. Ils se mettent donc à refuser les photos. Pourtant, il faut bien illustrer « les innombrables articles que leur consacre la presse. Alors durant toute la promotion du premier album, les Daft Punk vont faire le choix étrange d’autoriser les photos à condition qu’on ne puisse pas les reconnaitre et que leurs visages soient cachés, déformés, maquillés ou même floutés. Il va sans dire que le résultat n’est pas toujours heureux, loin de là1 ». On pose donc la question : « Est-ce pour se protéger ou pour rester fidèle à l’éthique anti star-system de la techno des origines ?2 ». Ces derniers ne répondent jamais à cette question mais comme ils le confieront à Libération : « C'est excitant de découvrir que la musique peut être populaire sans avoir de visage3 ». Dans une interview au magazine Tracks diffusé sur Arte, ils évoqueront aussi le fait de souligner qu’à la base, le DJ est avant tout un pousse-disques. Il est certes mis en avant lors des soirées techno mais le travail réalisé est surtout celui des producteurs, le fait d’avoir bon goût dans l’enchaînement des morceaux et de le faire avec une

1 « L’histoire secrète de la French Touch », greenroom.fr 2 Idem. 3 BERNIER Alexis, « Avec «Around the World», le duo français Daft Punk, en concert ce soir à l'Elysée- Montmartre, s'est imposé dans les hit- parades internationaux. », Libération, 17 octobre 1997

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technique est certes primordial mais il ne légitime pas une telle mise en avant par les médias1. Ce comportement atteste d’un maintien de la singularité techno sur le plan du caractère anecdotique des personnalités et sur l’importance de la collectivité sur la réalisation individuelle. On le verra, cette donne ne sera pas toujours maintenue par la suite.

Bien entendu, il y a aussi l’obligation d’accompagner la sortie d’une production à succès potentiel par un videoclip afin de profiter au maximum du vecteur audiovisuel pour favoriser la diffusion des morceaux. A cet égard, on commence donc à contextualiser le morceau2 et à le considérer pour autre chose que ce qui a trait à ses propriétés musicales pures. Les Daft Punk s’en sortiront particulièrement bien en allant jusqu’à doter l’un de leurs albums d’un film animé (réalisé par le maître japonais Leiji Matsumoto, créateur d’Albator) racontant l’histoire d’un groupe de musique d’une autre planète capturé par les producteurs véreux de ce qui semble être la Terre. Ce derniers lavent alors le cerveau de ces musiciens extraterrestres et leur donnent apparence humaine afin de profiter de leur talent pour se faire de l’argent. D’une manière générale, leurs clips tournent souvent autour des thèmes du rejet par la majorité et de la difficulté de s’intégrer à un ordre qui ne les comprend pas, les protagonistes pouvant être des robots muets ou un homme-chien mal dans sa peau, ce qui pourrait constituer une sorte de mise en abyme de leur histoire personnelle. D’une manière générale, les clips de la French Touch mettent rarement les producteurs en scène. Au contraire, ils vont servir à déverser une originalité jusque-là inédite dans ces vidéos, ce qui fera d’ailleurs école3.

B) Une nouvelle image médiatique et politique

1. La légitimation politique de la techno

1 « Les Daft Punk à visage (presque) découvert », Tracks, Arte.fr, 24 juillet 2014 2 Ceci est à nuancer car ce n’est pas généralisé mais il est vrai qu’un certain nombre d’artistes techno ont poussé le fait de dénuer leurs créations de sens jusqu’à refuser de donner un titre signifiant à leurs morceaux. Bien que compliqué parce qu’il n’est pas vraiment possible d’exister sans un nom, on peut trouver des parades comme l’emploi de numéro (mention spéciale au producteur 19.454.18.5.25.5.18 et ses morceaux tels que Untitled A ou Untitled B qui deviendra par la suite The Artist Formerly Known As 19.454.18.5.25.5.18, ce que l’on imagine être un clin d’oeil à Prince), simplement répéter les mots distillés par quelque sample vocal ou encore donner le nom de l’artiste (note : Marcel Dettmann 1, 2, …), certains évoquant parfois la volonté de ne pas orienter l’auditeur dans l’interprétation. 3 Flat Beat, Cassius – My Feeling For You, Etienne de Crecy – Am I Wrong.

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Plus que de permettre un autre regard sur la musique techno, les succès de la French Touch donnent aussi à voir une facette présentable et soutenable de cette dernière. Or, l’époque n’est pas à la minoration du caractère culturel des activités artistiques ‘mineures’1 et finalement, il est assez étonnant d’observer qu’il doit être presque frustrant pour les personnalités politiques de ne pas pouvoir s’approprier le soutien de ce mouvement du fait de ses liens avec les rave parties. En effet, il n’est pas d’électorat négligeable, d’autant que l’essor musical du moment s’invite fortement chez les classes moyennes, certes pas adeptes des rave parties, mais qui prend de plus en plus de plaisir à en écouter et qui ne saurait que s’offusquer de l’étouffement d’un mouvement artistique. A ce petit jeu du « c’est moi qui, le premier, ai soutenu… », il s’agit donc pour les politiques de tâcher de ne soutenir que l’aspect culturel du mouvement sans avoir l’air de soutenir les rassemblements qui s’y rattachent.

Les politiques vont donc chercher à trouver des interlocuteurs présentables au sein du mouvement et vont en trouver un bon en la personne (morale) de l’association Technopol, premier groupement d’intérêt du genre. Cette dernière est née en 1996 à la suite de l’annulation de la rave Polaris, rave pourtant préalablement autorisée, légale et tout ce qu’il y a de plus présentable, mais qui sur pression des exploitants de discothèques lyonnais va être écourtée par les autorités à minuit (alors même qu’il était prévu que ce soit l’heure de son commencement). Il faut rappeler que la circulaire rave et la mauvaise presse qui a en découlé ne sont pas étrangères à cette donne. C’est une association un peu particulière du fait qu’elle cherche à défendre la professionnalisation du milieu techno et sa bonne insertion à la société civile comme marchande. Dans ce sens, elle n’est pas prioritairement tournée vers la défense des free parties, ce qui lui sera constamment reproché. Du reste, il pourrait paraître quelque peu ambivalent qu’une même association soutienne le droit d’exister hors-légalité dans un « tout - gratuit » et le droit de pouvoir vivre de l’organisation de soirées. Le lobby s’insurge plutôt contre le fait qu’organiser une rave légale est concrètement bien plus difficile et réprimé que de faire le choix de l’illégalité. On se rapproche largement, par rapport aux revendications des free parties, de ce qui semble être une demande recevable, dans le sens où elle n’exige qu’un réajustement social et légal du cadre politique, un changement incrémental et pas une repensée complète de ce qui est fondamentalement acceptable ou pas. Les voies se rapprochent, et pour ainsi dire les deux acteurs que sont l’Etat et Technopol parlent le même langage. Preuve en est le descriptif de l’association qui lutte pour « la défense, la

1 Jack Lang cesse d’être ministre de la culture en 1993.

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reconnaissance et la promotion des cultures, des arts et des musiques électroniques1 ». Très rapidement, Technopol bénéficie d’ailleurs tôt d’une forme de reconnaissance institutionnelle, en effet elle bénéficie rapidement de subventions du ministère de la Culture, bien heureux d’avoir enfin son mot à dire sur le mouvement.

« Le positionnement de Technopol, il est très clair : Technopol défend prioritairement, et même presque uniquement (parce qu’il n’y a que ça qui est possible) les organisateurs qui font le choix de la légalité. Donc avant tout, on travaille avec la loi, on travaille dans le cadre de la loi, on travaille pour ceux qui tentent de respecter la loi ou en tout cas qui font la démarche d’aller dans cette voie-là.2 »

Elle bénéficie dont inévitablement d’une meilleure écoute dans le cercle politique. En 1998, Technopol est à l’origine d’une circulaire intitulée « Instruction sur les manifestations rave et techno » signée par les ministres de la Culture, de l’Intérieur et de la Défense. A l’intérieur les parties de l’Etat reconnaissent le caractère culturel des manifestations techno, Technopol elle s’insurge contre la discrimination faîte à l’égard des soirées se voulant légales en appelant finalement à trier le bon grain de l’ivraie. La circulaire n’aura pas d’effets tangibles en ce qui concerne cette discrimination, en revanche elle sera très clairement perçue comme une trahison par les membres de la free. Ces derniers vont pour la plupart ne pas reconnaître cette association, quand ils la connaissent, et n’y voient qu’un groupement servant à protéger les intérêts des puissants3. Dans un sens, il est vrai qu’on peut questionner la légitimité de l’association à l’époque pour parler au nom de l’ensemble du mouvement quand on voit qu’elle ne possède tout au plus qu’une cinquantaine d’adhérents4 à jour de leur cotisation dans les premières années de son existence5 mais au vu de l’irrecevabilité globale d’une partie non-négligeable des arguments avancés par les organisateurs et de leur absence d’expression formelle, on est en droit de se dire qu’il y là un bon début pour la défense culturelle de la musique techno.

Certains politiques, au premier rang desquels on trouve bien évidemment Jack Lang - grand gourou du relativisme culturel et artistique -, vont se prononcer pour le soutien et le

1 Propos recueillis lors de l’entretien réalisé avec Fabien Thomas, le 9 avril 2015. 2LAFARGUE DE GRANGENEUVE (Loïc), L’Etat face aux rave-parties, les enjeux politiques du mouvement techno, Toulouse, ed. Socio-Logiques, Presses Universitaires du Mirail, 2010, p. 145 3 Fait a priori paradoxal, c’est l’association Technopol qui, la seule, portera un recours en justice contre la LSQ (sans succès, puisque le Conseil d’Etat le rejette en 2004 - les mauvaises langues diront que d’ici là il n’y avait presque plus de free parties de toute façon). En effet, les free ont beau être les principales cibles de ce texte ; la forme et les motivations de cette mesure empêchent l’association de ne pas s’insurger. 4 La particularité du réseau Technopol est de regrouper les organisateurs d’évènements et de soirées électroniques au sens large : personnes physiques, associations et Sarl avec ou sans licence d’entrepreneurs du spectacle ainsi que celles et ceux qui souhaitent le devenir. 5 POURTEAU (Lionel), Techno, une subculture en marge 2, Paris, ed. CNRS Editions, p. 125

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droit à l’expression du mouvement techno ce qui, lorsque l’on ne soutient pas ouvertement les rassemblements techno, ne revient pas à dire grand-chose puisqu’on vient bien de voir qu’il n’existait pas particulièrement de discrimination de la part des structures commerciales à l’égard de la techno. En 1998, l’association Technopol aidée par Jack Lang, organise cependant la Techno Parade, manifestation diurne dans les rues de Paris sur le modèle de la allemande1. Elle se veut avant tout un moyen de pression médiatique et ne cherche pas exclusivement à défendre de la profitabilité économique de la musique techno, mais bien à dénoncer d’une manière générale la discrimination globale qui existe à l’égard de cette culture2. Dans la même optique que les autres rassemblements techno, elle cherche aussi à démontrer que l’on peut faire passer un message au travers de la fête.

Toutefois, il n’est pas si facile de se débarrasser du versant tapageur de la musique techno et lorsque Laurent Garnier3 reçoit une Victoire de la Musique en 20014, il en profite pour faire un discours qui restera dans les mémoires sur la répression que subit cette culture en insistant sur l’hypocrisie dont relève le double jeu des politiques, chose qu’il continuera d’ailleurs de dénoncer lors de ses divers passages télés.

2. Le changement de focalisation de la presse

Comme l’écrit l’Humanité à l’époque, « La techno française a fait le tour du monde avant de revenir dans son pays5 », sans voir que la majeure partie de cette scène était restée au bercail et sans se souvenir qu’une de ses journalistes voyait quelques années auparavant dans la fête techno l’incarnation même de la dépravation.

Après le succès de la French Touch, il est possible de mettre en avant un changement dans les représentations populaires de la techno. Ce n’est pas tant que les free disparaissent peu à peu pour laisser la place à la musique techno comme intégrée au circuit marchand classique de la musique et aux établissements normatifs de concert que de mettre en avant le fait que

1 Technikart titre d’ailleurs narquoisement à l’époque : « Alors que Jack Lang signe des autographes sur un semi-remorque, la musique électronique devient la bande-son officielle d’une France en pleine croissance » Technikart. 2 Propos recueillis lors de l’entretien avec Fabien Thomas, entretien cit. 3 On n’a pas évoqué Laurent Garnier dans la partie descriptive de la French Touch, pour la simple et bonne raison qu’il la dépasse largement en dimension. Il commence en effet à officier comme DJ à Manchester dès 1987, et encore aujourd’hui « Papa » est l’un des producteurs-artistes les plus courtisés et reconnu de l’univers techno. Il n’est pas tant que ça affiliable au mouvement bien qu’il participe aussi de cet essor. 4 « La belle affaire » selon Technikart, décidemment bien narquois. 5 BRUNNER Vincent, « Le boom de la techno made in France », L’Humanité, 20 octobre 2000

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cette dernière donne va progressivement se substituer à l’image de la scène rave dans les imageries populaires suscitées par l’évocation du mot ‘techno’. Bien sûr, les raves sont réprimées et dans le même temps, la techno trouve un recours dans ses succès commerciaux, mais il s’agit là avant tout d’un simple déplacement de focalisation. Les regards semblent se déporter lentement vers ces success stories tout en s’éloignant de la figure tapageuse des raves. C’est aussi le début d’une légitimation populaire : plus de gens ont conscience de l’existence de cette musique et plus de gens l’apprécient.

C’est aussi le début d’une potentielle interprétation géographique assez classique en France avec d’un côté une scène parisienne proposant une musique élégante et racée, et de l’autre la perpétuation archaïque d’un son primitif et impensé. La beauté des choses existe dans l’œil de celui qui les contemple, or la parole est à l’oeil d’une presse presque exclusivement parisienne. Dans ses mémoires, Laurent Garnier, raconte :

« La presse française s’empara de cette scène, qui incarnait une facette présentable et pop de la musique électronique. Tandis qu’au même moment en France, les scènes trance goa, hardcore ou techno se développaient, qu’on trouvait des artistes passionnants à Lyon, Grenoble ou Bordeaux, la presse allait choisir de se focaliser sur un petit microcosme, la nouvelle scène house parisienne1 ».

Pour simplifier, on peut aussi dire qu’avec ces succès, la techno cesse d’être l’apanage des raves et se départie progressivement de la question des drogues2 On commence à envisager cette musique comme telle et moins comme une sous-culture de drogués marginaux. D’aucuns, tels que Jean-Yves Leloup, verront effectivement dans ce succès médiatique la reconnaissance d’un genre, la fin des articles de presse uniquement centrés sur les drogues et les raves, « occultant tout discours sur les œuvres et les artistes ». Mais si l’on peut certes déplorer ce sensationnalisme premier, on peut aussi se demander si la techno avait pour autant vraiment besoin d’artistes phares. Fallait-il à tout prix instaurer une médiatisation sur le modèle des autres musiques, c’est-à-dire sur celui de la contextualisation et de l’individualisation de la production artistique ? On sent déjà se déliter l’utopie d’un mouvement anarcho-musical où la contribution artistique de chacun se voulait plutôt comme l’apport d’une pierre à l’édifice mondial que comme la tentative d’une reconnaissance qualitative individuelle.

1 GARNIER (Laurent), BRUN-LAMBERT (David), Electrochoc, L’intégrale 1987-2013, Paris, ed. Flammarion, 2013, p. 230 2 Ce qui est franchement ironique puisque, à l’image du clubbing parisien dans son ensemble, il est assez notoire qu’il n’y avait pas que de l’eau dans les soirées Respect.

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Pour conclure, il convient de préciser que cette précédente démonstration relève avant tout d’une interprétation personnelle qui se conçoit sans jugement de valeur : il ne s’agit pas ici de livrer une interprétation marxiste de l’histoire musicale de la techno mais bien de souligner par quels moyens a pu se faire la légitimation et il semble à bien des égards que l’intégration aux circuits commerciaux « classiques » relève de ce processus. Ainsi, il convient de répéter qu’il ne s’agit pas ici de dire que les artistes de la French Touch ont souillé la philosophie originelle de la techno alors qu’au contraire, ils ont réussi à en maintenir certaines spécificités malgré le succès commercial mais bien de comprendre par quels moyens l’insertion réussie au monde de la distribution marchande a pu être possible. Il semble en effet qu’on ait assisté à une sorte d’adaptation convergente entre le milieu techno indépendant et les grandes organisations musicales, qu’on ait repensé le champ symbolique affilié à une telle musique ou encore qu’on ait adoucit cette dernière. Il serait profondément stérile que de penser que ce sont les gens qui d’eux-mêmes se sont habitués tout naturellement à cette musique. Tous ces changements, sensibles comme incrémentaux, participent évidemment à l’intégration sociétale qu’on cherche à mettre en avant. On « rentre dans les clous1 » pour ainsi dire. Dès lors, il est intéressant de remarquer que c’est cette conformation à l’ordre existant qui est à l’origine du processus de légitimation populaire. Sans ses aspects les plus inacceptables – ou du moins dans une moindre visibilité de ceux-ci -, la techno finalement n’est peut-être pas si mal que ça, peut-être n’est-ce pas que du bruit.

Bien entendu, on pourrait avoir tendance à croire que ce sont les mêmes personnes suffisamment intégrées pour avoir quelque chose à perdre qui, ayant quitté les raves du fait de la répression, se sont réfugiées dans le circuit commercial. Mais ce n’est pas simplement le changement dans le medium d’écoute de cette musique qui est patent, bien que celui-ci soit aussi vrai et important ; ce qui est surtout remarquable c’est le fait que la techno ait considérablement gagné en ampleur. On rentre dans ce qu’Edgar Morin qualifie ni plus ni moins de culture de masse. Celle-ci est en effet définie comme un processus de production, de diffusion et de réception spécifique et est « produite selon les normes massives de la fabrication industrielle ; répandue par des techniques de diffusion massive (les mass-media) ; s’adressant à une masse sociale2 », ce qui correspond en tout point de vue aux processus, bien que partiellement achevés du fait du maintien de certaines particularités, que nous venons de mettre en lumière.

1 Pour reprendre une expression souvent utilisée dans les entretiens. 2 MORIN (Edgar), L’esprit du temps, Paris, Grasset, 1988.

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Chapitre 2. La ringardisation de la techno ?

Ainsi, il semble que la techno et plus particulièrement la house, portés sur le devant de la scène par ce succès de la French Touch connaissent finalement, après une bonne dizaine d’années d’existence, le succès commercial. Pourtant, ce ne sont pas là les prémices d’une audience perpétuelle mais bien le chant du cygne d’une période qui bien qu’intense sur le plan de la production ne résistera pas à la crise du disque. La French Touch aura duré environ 5 à 7 ans avant de mourir, remplacée par d’autres tendances musicales qui lui volent la vedette et par une conjoncture économique qui l’évince des circuits de distribution classiques.

I) Avec la crise du disque, le secteur musical rejette et phagocyte la techno

A) Les effets dévastateurs de la crise du disque

Si l’on a vu que les relations entre labels indépendants et majors s’étaient déroulées plutôt de bonne manière pendant la seconde partie des années 1990, il faut en revanche voir que la période suivante va être tout à fait catastrophique pour les producteurs de techno. Le phénomène plus large qu’est la crise du disque met en effet un point final au mouvement de collaboration et va plutôt prendre la forme d’une absorption pure et dure. En effet, la crise fait se resserrer les conditions d’exploitation et de distribution des œuvres en diminuant quantitativement les marges des majors. En vendant moins du fait du téléchargement, ces dernières opèrent un repli vers des supports purement commerciaux, tels que ceux qui possèdent une forte valeur ajoutée et qui ratissent un public large.

De fait, le vinyle est le premier soldat à tomber. En effet, il a des coûts de fabrication supérieurs à ceux du CDs, plus en vogue, qui est considéré, de l’avis de tout le monde, comme sa suite logique1. C’est donc le format maxi, industriellement moins intéressant du fait qu’il soit supporté sur vinyle, qui est progressivement écarté des bacs des disquaires. Cela change tout pour les producteurs, qui préfèrent généralement sortir leurs œuvres dans des ensembles cohérents au nombre de morceaux réduits plutôt que sur 11 plages réparties sur un unique CD. Les disquaires, vecteurs principaux de la distribution des vinyles techno ferment

1 Il aurait en effet fallu être particulièrement clairvoyant pour dire que le vinyle allait survivre au CD en 2000.

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un à un leurs portes. De même, peu des nombreux labels créés au cours de l’époque dorée précédente survivront.

« Lorsqu’on sonde musiciens, promoteurs, producteurs ou observateurs du milieu sur cette dégringolade, tous pointent l’inaptitude des cinq majors à commercialiser une musique fine, éclectique et polymorphe qui fonctionne sur des petits volumes de vente. Les majors travaillent l’électronique comme de la variété1 ».

La techno ne rentre plus dans ces nouveaux impératifs commerciaux. La réorganisation des exigences de l’acceptable commercialement n’empêche cependant pas de rechercher des alternatives pour continuer à la vendre. Ainsi, une vague de compilations font leur apparition dans les bacs des disquaires. C’est la meilleure parade qu’ont trouvé les grands groupes de distribution. De fait, elle correspond assez au caractère atomisé du paysage sonore techno, il est assez aisé de prendre un morceau par-ci, un morceau par là et d’en faire ce qui n’est in fine rien d’autre qu’une playlist physique. Toutefois, les majors vont très peu se servir de ce format compilatoire pour distribuer la techno telle qu’elle était connue en tant que forme musicale dans la décennie précédente. Il faut aussi voir que l’esprit French Touch s’essouffle, certains s’épanchant sur la vacuité conceptuelle d’un tel regroupement, d’autres se retirant tout simplement des affaires : St Germain ou Daft Punk se désengagent par exemple de la production au début des années 2000.

Les compilations toutefois ne servent pas vraiment les artistes techno : « Au lieu de développer de nouvelles signatures, en baisse de 11% cette année, les majors rassemblent les morceaux préférés d’un DJ en vogue sur un CD2. Le succès des compiles Hotel Costes et Bouddha bar, plusieurs fois disques d’or en 2001-02 en est la parfaite illustration3 ». relève un vendeur interrogé par Technikart. « Le problème – en plus du fait que le moindre troquet passent ces compilations – c’est que les musiciens se retrouvent noyés dans la masse : on ne connait plus leur nom mais leur numéro de plage sur le CD. D’où la phrase : « Moi, j’aime bien la 3, beaucoup moins la 8.»

Des opinions défaitistes font, dès lors, leur apparition dans la presse : « ces derniers temps, la techno s’est embourgeoisée et recherche peut-être un successeur4 ». En 2005, c’est- à-dire à peu près 3 ans après l’extinction définitive du mouvement French Touch, le ministre

1 « La France des bacs », Technikart, n°77, 01 novembre 2003 2 A comprendre comme les morceaux d’autres producteurs choisis par ce DJ, en l’occurrence Stéphane Pompougnac, responsable des compilations Hotel Costes. 3 « La France des bacs », Technikart, n°77, 01 novembre 2003

4 HIRTZMANN Ludovic, « Eh bien ! Dansez, maintenant », La presse, 10 août 2001

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de la Culture, Renaud Donnedieu de Vabres, décore ses principaux acteurs (à l’instar de Philippe Zdar ou DimitriFromParis) de l’Ordre National des Arts et des Lettres, ce qui au regard de l’insuccès des compositions technos à l’époque prend la couleur d’une oraison funèbre. On est désormais convaincu que la période est bel et bien terminée et on se demande s’il n’est pas temps qu’un nouveau genre fasse son apparition.

B) Le développement d’autres musiques

L’apparition de nouveaux genres musicaux issus de la techno mais qui n’en sont pas véritablement va permettre de supplanter ce type de musique dans les réseaux commerciaux.

Au vu des morceaux ayant connu le succès au cours des années 1990, il est possible que les gens se soient progressivement habitués aux sonorités électroniques. De même, le progrès technique fait que l’emploi de machines en studio devient de plus en plus courant. Les tentations d’aller vers des musiques hybrides se font donc plus nombreuses. On ne cherche pas à maintenir l’essence musicale de la techno, qui n’est pas tant due aux instruments employés qu’à sa nature dansante et inscrite dans la durée. Philippe Laugier, directeur artistique de Sounds of Barclay, résume ainsi la situation en évoquant Gotan Project1 : « Ils utilisent les outils de la musique électronique pour faire un son que tout le monde comprend. » De fait, ce type de combinaison marche effectivement très bien. L’album qu’il évoque se vend par exemple à 450 000 exemplaires.

D’ailleurs, et de manière quelque peu surprenante si l’on tient compte de la morbidité du paysage productif français en matière de techno2, une poignée de DJs français réussit à bien s’exporter : Martin Solveig ou David Guetta, avec leurs productions dance, font des cartons planétaires. Mais leur musique est là encore très hybride et s’ils ont pour la plupart débuté comme DJs house, ce qu’ils jouent désormais n’a de commun à cette musique des origines que le fait de pouvoir danser dessus. Ils se mettent en scène, font les amuseurs à la télé, invite des chanteuses de R’n’B à venir chanter par-dessus leurs compositions. Le lucre et la lubricité s’immiscent au sein de leurs clips vidéos et le caractère répétitif se perd complètement au profit de l’adaptation d’une structure musicale plus convenue sous la forme « couplet A – refrain – couplet A – refrain – refrain ».

1 BRUNNER Vincent, « Techno. Longtemps restreint, le marché français a aujourd’hui rattrapé son retard tout en continuant à exporter ces nouveaux rois des dance floors », L’Humanité, 20 octobre 2000 2 C’est un jugement certes un peu dur mais plutôt réaliste.

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Cependant, on observe tout de même le maintien d’une des spécificités techno en ce que le contexte dans lequel sort les morceaux de ces producteurs est tout à fait déterritorialisé. Simplement, là où le Royaume-Uni et l’Allemagne s’illustrent particulièrement pour ce qui est de la production techno, d’autres pays s’activent en ce qui concerne la dance. Comme ils l’avaient fait avec Abba pour le disco, les énormes franchises de studios suédois vont ramasser les restes et reprendre à leur compte certains codes de la techno pour livrer une certaine conception du genre avec des DJs plus connus pour la haine qu’on leur voue que pour leurs productions1. Les Italiens, marchant sur les pas de Dante, proposeront à leur tour leur vision de l’Enfer à travers l’œuvre de producteurs à succès comme Gigi d’Agostino ou Benny Bennassi.

Bien entendu, il faut bien voir que beaucoup d’œuvres électroniques de qualité connaissent aussi un certain succès pendant cette décennie ; simplement la techno, elle, semble progressivement mise à l’écart.

II) La techno rejetée de la société ?

A) Une image dégradée

D’une manière générale, la musique électronique devient beaucoup trop diverse, tant dans sa forme que dans ses fins pour qu’on puisse continuer à parler de techno pour la qualifier en général. Les années 2000 verront la disparition progressive de ce mot en tant que catégorie incluant tous les autres sous-genres électroniques. Le genre spécifique en lui-même connait une décote certaine. Devenue ringarde pour beaucoup de gens, on la laisse volontiers aux « punks à chiens » qui peuplent les free. On avalise des substituts nominatifs pour éviter d’être confondu avec cette musique de peu de finesse : David Guetta fait de la dance, Justice fait de l’électro, Miss Kittin fait de l’electro-clash et personne ne sait vraiment ce que fait Bob Sinclar mais toujours est-il qu’il ne fait pas de techno.

1 Du reste, cela se maintiendra jusqu’à nos jours et il y a fort à parier que la communauté techno mondiale ne se sente pas particulièrement redevable de la contribution historique de ce genre et de cette patrie au mouvement. On se retrouve parfois face à un niveau de violence verbale assez élevé pour ce qui reste malgré tout de la musique. Ce n’est d’ailleurs pas tant l’appartenance de la dance à la musique techno qui va poser problème à ses adeptes. Ils sont assez unanimes dans la négation de celle-ci quoiqu’il leur semble insupportable qu’il puisse y avoir une confusion de la part de personnes extérieures. C’est plutôt l’appartenance à une histoire commune qui semble titiller les egos et la bonne conscience de la communauté.

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De fait, lorsque l’on se réfère au genre spécifique, on l’emploie souvent de manière péjorative. Sans vouloir trop rentrer dans une approche « sociologie de la mode », il semble qu’après être devenu mainstream1 pendant un temps, l’objet social qu’est la techno se soit dévalué de manière rapide pour finalement devenir l’apanage des classes sociales inférieures.

Ainsi cette musique qui fut pendant quelques années le summum de la hype2, ce qui se faisait de mieux en matière de bon goût devient petit à petit son jumeau maléfique, une musique ringarde dont plus personne ne veut à part une poignée d’amateurs de tuning dans quelques salons du Nord de la France3. Autre exemple, la Tecktonik, qui est à l’origine une marque déposée et ouvertement commerciale, va même créer son propre mouvement ‘culturel’ à succès en inventant un mélange de danse, de mode et d’« electro house ». La techno en tant que terme prend la forme d’une peau de chagrin désignative et ne montre plus que ce qu’on lui a laissé à montrer, des musiques trop inconsistantes pour qu’elles se dotent d’un véritable nom4.

B) Le rejet des boîtes

Bien entendu les boîtes étant dans leur grande majorité des établissements généralistes, elles passent un peu de tout ce qui compose les classements des meilleures ventes. La techno est progressivement ostracisée de ces lieux de fête, d’autant que du temps où elle y avait sa place c’était principalement sous la forme de soirées dédiées à cette musique. Elle est donc progressivement remplacée par la dance, plus en vogue et surtout qui s’insère mieux dans une soirée généraliste.

Un autre genre dit mineur va de plus supplanter la techno en tant que musique ‘nouvelle’. Pour Jean-Yves Leloup, le hip-hop et la techno ont toujours été frères ennemis. Les années 2000 marquent le succès fort de courant, qui a su lui aussi s’adapter au milieu de la nuit en prenant pour une partie des contours plus dansants, le hip-hop originel comme celui des deux côtes américaines devenant aussi moins populaire. Fait surprenant, le rap français s’immisce lui aussi dans les boîtes à partir de la seconde moitié du XXe. Pour Jean-Yves Leloup, on

1 Littéralement, le «courant dominant ». 2 Le bon goût, la tendance. 3 On pense bien sûr aux compilations Techno Tuning 1, 2, 3 et 4. 4 Il est assez compliqué de trouver de la littérature sur cette dévaluation. Pour preuves tangibles, on peut penser à Salut C’est Cool, sorte de « groupe-concept » qui fait de l’imitation des « beaufs » et de leur musique sa ligne artistique. De même, le producteur Ringard a choisi ce pseudonyme en raison des réactions autour de lui lorsqu’il a commencé à faire de la house en 2008.

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pourrait dire que le hip-hop et la techno ont toujours été un peu frères ennemis1, en ce qu’ils sont tous des musiques « marginales » et se sont souvent volés la vedette. Eden, film de Mia Hansen-Love, sorti en 2014, narre ainsi la gueule de bois dont est victime un DJ issu de la French Touch et qui ne parvient pas à réinventer sa vie dans un monde qui n’a plus rien à faire de son style de musique. Ses anciens amis DJs se marient, passent à autre chose quand lui n’arrive pas à sortir la tête du gouffre.

De fait, il va subsister un nombre très réduit de clubs orientés techno, et ils se trouveront tous exclusivement dans la capitale parisienne. Certains clubs tels que le Rex vont ainsi réussir à développer des business stables grâce une clientèle de passionnés, les soirées Wake Up par exemple auront un certain succès2. Mais cela concerne une petite minorité d’entre eux. Même le Pulp, club lesbien lui aussi emblématique des nuits parisiennes ferme en 2007, la soirée de clôture se tenant « au profit du PNPN : le parti national des patrons nécessiteux3 ».

On observe ainsi un rejet global de la techno des lieux de fêtes normatifs, ce qui fait, dans la mesure où les free demeurent réprimées et où le désintérêt populaire aurait fait perdre tout son sens aux potentielles raves de nature commerciale qui existaient auparavant dans la banlieue parisienne. Il ne reste plus qu’aux amateurs de techno que le choix de partir. Et c’est vers l’Allemagne que se tournent en priorité ; à en particulier.

« Depuis les années deux mille enfin, c’est surtout à Berlin que convergent désormais les fans de techno, profitant des tarifs attractifs de la compagnie aérienne low cost, Easy Jet, et de la réputation libertaire et festive de la ville. Ces clubbers venus des quatre coins de l’Europe, que l’on désigne parfois sous le terme péjoratif d’« Easyjet Set », envahissent chaque week-end des discothèques comme le Watergate, le Weekend, le Golden Gate ou bien sûr le Berghain et son Panorama Bar. Certains de ces touristes, tout comme de nombreux musiciens européens et nord-américains, s’établissent même définitivement dans la ville, désormais capitale d’une culture numérique contemporaine, dont la musique constitue la référence et l’identité fondatrice.4 »

Il faut voir en effet qu’en Allemagne, le phénomène techno a toujours joui de la sympathie des autorités comme des promoteurs, préférant se concentrer sur les possibilités

1 Le retour de la techno n’y étant certainement pas pour rien. 2 Conférence : « Culture Techno: de l'ombre à la lumière? », B2B Music, Sciences Po Paris, KUMA Pictures, 03 décembre 2014 3 GARNIER (Laurent), BRUN-LAMBERT (David), Electrochoc, L’intégrale 1987-2013, Paris, ed. Flammarion, 2013, 435 p.

4 LELOUP (Jean-Yves), Digital Magma, De l’utopie des rave-parties à la génération MP3, Marseille, ed. Le mot et le reste, 2013, p.33-34

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mercantiles d’un tel phénomène plutôt que de s’apitoyer sur la consommation de drogue ou sur les problèmes de tapage1.

Pour ce qui est de Berlin, il faut voir qu’il existe un contexte historique particulier à la ville : « La réunification de l’Est et de l’Ouest […] avait réellement lieu dans l’underground. Dans les clubs. Mais nulle part ailleurs2/ » En effet, à la chute du Mur, les gigantesques bâtiments laissés vacants par la fin du communisme offrent d’incroyables possibilités de soirées raves, de nombreux entrepôts ou garages sont ainsi transformés en boîtes en très peu de temps et la techno devient finalement un acteur de la réunification des deux peuples berlinois. La ville gardera cette empreinte musicale jusqu’à aujourd’hui. Il est d’ailleurs assez intéressant de remarquer que la minimale3 allemande connait dans les années 2000 un succès certain dans les clubs technos de toute la planète4 et on peut que cette attraction ne soit pas non plus étrangère au succès de la scène artistique nationale.

Vers la fin des années 2010, on voit tout de même apparaître un renouveau musical autour du label Ed Banger, mené par Busy P, ancien manager des Daft Punk, mais il est encore compliqué de les classer musicalement dans la techno et si l’on observe bien des similarités avec cette musique, notamment dans l’esthétique qui rappelle celle de la French Touch à certains égards, elle reste différente. « Les mixes ne sont plus des aventures musicales franchissant les frontières et offrant différents état d’écoute au travers de leurs phases distinctes, mais ils s’orientent vers la continuité sonore et écrasante5 ». De même, le nombre réduit de clubs à passer cette musique comme le Social Club fait qu’il s’y pratique une sélection accrue et des tarifs assez prohibitifs.

Il faut quand même préciser que l’état de la production techno n’est pas si catastrophique et qu’il reste une musique de niche. L’internationalité du mouvement fait qu’il garde un public et des producteurs qui continuent d’innover. La scène n’est pas statique.

1 A l’instar de , gigantesque rave « grand-messe techno à l’allemande des années 90 » ou encore de la Love Parade, rassemblement spontané en 1989 qui trois plus tard attire un million de personnes, qui montrent bien l’attachement du pays à cette musique. 2 Raveuse allemande interrogée par CALVINO Antoine, « Pulsations technos ». Le récent documentaire d’Arte « Berlin, le mur des sons » s’est intéressé à la manière dont la techno a pu jouer dans la réunification. 3 Sous-genre techno. 4 Car ailleurs qu’en France, il en subsiste encore un certain nombre, notamment aux Pays-Bas, au Royaume-Unis et bien sûr en Allemagne pour ce qui est de l’Europe. 5 KOSMICKI (Guillaume), Musiques électroniques, des avant-gardes aux dance floors, Marseille, ed. Le mot et le reste, 2010, p.354

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Chapitre 3. La fin des rave parties ?

I) Les raves à bout de souffle

Si la techno a bien du mal se maintenir dans le circuit commercial, le constat n’est pas nécessairement meilleur pour le monde des raves. Alors qu’on avait cru que l’acceptation de la musique techno par la société, poussée par ce phénomène populaire qu’a été la French Touch, aurait pu permettre un dégel politique, notamment parce que certains personnages ont semblé afficher leur soutien, il n’en est rien. Du côté des teufeurs, c’est donc le même son de cloche : l’heure n’est pas à la joie et à l’abondance des premières années. L’avant-propos d’un document fourni par la Direction Générale de la Gendarmerie Nationale intitulé « Les raves, un phénomène en forte baisse en zone gendarmerie1 » précise qu’environ 150 raves en 2006, dont 43 seulement avec une autorisation. L’époque des teufs tous les week-ends semble belle et bien révolue.

A) Les raves légales en voie d’extinction

Il faut rappeler que du côté des raves légales, on partait de quasiment aucune autorisation à partir de la seconde moitié des années 1990. L’essor de la French Touch aurait pu permettre une certaine ouverture au mouvement de la part des autorités et professionnels mais le problème est que ces rassemblements, plus exposés que ceux qui ont lieu en discothèque, dans les lieux normatifs de fête, ont toujours mauvaise presse. Il est, dans les faits, quasiment impossible de trouver une salle ou un lieu municipal pour organiser un évènement de type techno.

L’association Unis-Sons, qui lutte contre la discrimination existante à l’égard des rave parties sort, en 2007, un rapport sur le rejet assumé des municipalités. Après avoir posé la question « Est-il possible d’organiser une soirée techno dans la salle X dont vous avez la gestion ?» auprès de 106 mairies, elle publie des résultats assez édifiants :

11 LAFARGUE DE GRANGENEUVE (Loïc), L’Etat face aux rave-parties, les enjeux politiques du mouvement techno, Toulouse, ed. Socio-Logiques, Presses Universitaires du Mirail, 2010, p. 84

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Extrait de l’enquête d’Unis-Sons, 2007

On obtient près de 80% de de refus, ce qui souligne le caractère problématique de l’organisation légale. De plus, « Une fois passé ce premier barrage, la pression des forces de l’ordre et les réactions virulentes des riverains feront souvent revenir les mairies sur leur décision et dans les faits, seul un pourcentage infime de soirées pourra avoir lieu1 ».

Parfois de guerre lasse : « Nous avons un idéal, nous investissons de l’argent, nous sommes en couple avec des enfants et on continue à nous prendre pour des sauvages, regrette-t-il. Aucune autre musique n’est autant brimée que la techno. Il y a eu un collectif des Sound bretons. Il a arrêté car au bout de 10 ans d’effort, il y a eu seulement trois autorisations officielles2 ». Comme le notent les responsables d’Unis-Sons : « En Allemagne, en Italie ou en Belgique, la techno a pu prendre une place dans le paysage culturel, mais en France, elle reste la victime collatérale de la guerre aveugle à la drogue que mènent les autorités3 ».

De fait, il subsiste quand même quelques rendez-vous, mais il est préférable que ceux- ci soient bien institués. C’est le cas d’Astropolis, festival brestois créé en 1995 ; d’abord rave clandestine puis rave légale puis enfin festival, cette évènement a réussi à se légitimer progressivement auprès des autorités locales jusqu’à devenir un festival culturel comme un autre dans la région. « Les pouvoirs publics ne comprenaient pas cette culture qui n’avait rien

1 Enquête Unis-Sons sur les discriminations en mairies, 2007. Voir annexe. 2 « Multison, deux jours ‘free’ et encadrés », Le Télégramme, 29 juin 2010 3 Voir l’enquête en annexe.

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à voir avec le rock. On a fini par faire appel au syndicat des producteurs de spectacles pour se faire entendre ». Un courrier de Jean-Claude Camus plus tard, alors président du syndicat national des éditeurs phonographiques mais d’abord tout-puissant manager de Johnny Hallyday, et Astropolis sortait de la case free parties pour entrer dans la famille des festivals. «On a été le premier rendez-vous reconnu de musiques électroniques1 ».

D’une manière générale, on ne peut effectivement pas vraiment nier qu’il y ait eu reconnaissance du caractère culturel d’un tel mouvement de la part du gouvernement comme en atteste en partie la circulaire commune de 1998, simplement le Ministère de la Culture s’est illustré par son incapacité à aider les organisateurs de rave parties, dans ce qui semble être un mélange de manque de passion pour la question et surtout d’inadéquation des moyens employés quand il ne s’agit pas d’impuissance totale. Il faut voir de plus qu’au niveau national, ce ministère ne manque pas d’occupations (crise des intermittents en 2003). Il ressort principalement des entretiens menés par Loic Lafargue de Grangeneuve que les acteurs officiels de la Culture déplorent qu’il y ait eu confusion des genres, c’est-à-dire que le ministère de l’Intérieur se soit emparé de ce problème mais en même temps soulignent leur impuissance à pouvoir traiter cette question. Pour reprendre l’expression d’un membre de Sound-system qui souhaite organiser des soirées légales : « Ils ne servent à rien du tout, c’est impressionnant2 ». Cela est dans une certaine mesure logique puisqu’il n’y a du point de vue des autorités locales pas vraiment de dissociation analytique entre ces rassemblements musicaux et les troubles qu’ils engendrent, les seconds étant considérés comme inhérents aux premiers. Les organes culturels ont donc beau jeu de pointer la nature artistique du mouvement, ce sont l’usage de drogue et le tapage qui sont incrustés dans les consciences. Une des plus grosses initiatives imputables au Ministère de la Culture est d’ailleurs d’origine locale, puisque c’est la DRAC de Bretagne qui en est l’instigatrice, et prend la forme d’un « Livret à l’usage des démarches de concertation » réalisé en 2006 avec le Collectif des Sound-Systems bretons3 qui a pour objectif de mettre en avant la non-évidence de criminalité des rassemblements techno.

Ainsi, au cours des années 2000, l’étau ne se desserre pas autour des raves officielles4. De plus, en ce qui concerne les évènements à objectif commercial, ces rassemblements ont

1 FANEN Sophian, « Astropolis, 20 ans et déjà des enfants », Libération, 05 juillet 2014, p. 41 2 POURTEAU (Lionel), Techno, une subculture en marge 2, Paris, ed. CNRS Editions, p.160. 3 Idem. 4 Propos recueillis lors de l’entretien réalisé avec Franck de Villeneuve le 10 mars 2015.

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perdu de leur attractivité pour les organisateurs, les raves qui subsistent font face à des coûts prohibitifs :

« Le seuil de rentabilité est tellement élevé que cela ne vaut pas la peine de courir le risque1 ». A la différence d’une tournée, sur laquelle on a le temps d’amortir les frais, ces investissements sont concentrés sur une seule nuit. « Organiser une soirée techno coute pratiquement plus cher qu’un festival rock. Les premiers organisateurs réglaient de la main à la main […] Aujourd’hui, les soirées sont officielles, ces pratiques sont impossibles et les coûts ont flambé. On n’y arrive plus. » Ou alors comme le dit Yamina Arras, une organisatrice interrogée par Libération : « il faut faire comme en Angleterre, où l’entrée est à 400 francs, les programmes à 50 et chaque scène est financée par une marque d’alcool2 ». Mais la culture des sponsors3 a encore du mal à passer en France, encore plus dans une scène techno toujours soucieuse d’éthique.

A propos des producteurs de soirées4, l’organisatrice confie : « je les ai tous vu venir et repartir. C’est quand la techno était sulfureuse que les sponsors venaient le plus facilement. […] Franchement en termes de production, c’est de l’inconscience de se lancer dans la techno. Les gens qui font ces soirées le font par passion5 »

La désaffection dont souffre le genre fait, enfin, probablement encore plus de mal que la discrimination et la nature bancale des modèles économiques. Or, il faut pouvoir être sûr d’attirer du public si l’on veut rentrer dans ses objectifs. Ce qui n’est pas évident au regard de la popularité du genre, les jeunes étant attirés par d’autres musiques. Il se pose le problème d’un renouvellement du public :

« « La house nation a vieilli. A 30 ans, on n’a plus envie de sortir autant. » On est sans doute entre deux vagues. A l’évidence, les ravers du début des années 90 ne sont plus là. […] Même chez les organisateurs, on avoue une certaine lassitude

1 BERNIER Alexis, « Des raves à la réalité. Après le boom des grands rendez-vous officiels, la scène techno se replie sur les fêtes et l’underground », Libération n°5893, 27 avril 2000, pp. 33-34 2 Idem. 3 Une plainte récurrente dans le discours des organisateurs d’évènements de type soirée est celle qui va à l’encore de la loi Evin, loi de 1991 interdisant le sponsoring par des marques d’alcool et de tabac. Or, ce sont ces dernières qui se proposent le plus généralement pour les festivals, les soirées en boîtes ou les raves. Cela pousse parfois à des contournements comme la structure Greenroom, qui sponsorise de nombreux festivals « jeunes » alors qu’elle est une émanation de la Heinekein et qu’elle en reprend ostensiblement les couleurs. 4 Ici dans le sens financeurs 5 BERNIER Alexis, « Des raves à la réalité. Après le boom des grands rendez-vous officiels, la scène techno se replie sur les fêtes et l’underground », Libération n°5893, 27 avril 2000, pp. 33-34

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« Quand on a 18 ans, plaide Yamina Arras, on accepte de travailler bénévolement. En vieillissant, la foi s’amenuise1 » »

Et même parmi ceux qui restent amateurs de ce type de musique et de ces rassemblements :

« On a assisté à une scission profonde entre un courant « légaliste », soucieux d’être reconnu comme un mouvement culturel à part entière, et la nébuleuse des free, toujours plus anarchiques et radicales. Même si certains anciens de la scène free, effarés par le nihilisme de la nouvelle génération, s’en détournent, la relève est permanente. Sans doute, parce qu’en devenant légales les soirées techno sont devenues banales. Toute une frange du public qui en aimait le côté marginal et rebelle les a désertées au profit des free parties. « Si les gens retournent en free c’est de notre faute, reconnait Yamina Arras. « La Techno Parade a accéléré le phénomène. L’ambition, légitime, de faire entrer notre musique dans les mœurs lui a fait du tort. La scène officielle est devenue tellement respectable qu’elle ne séduit plus personne. » Chez Alias2, on va jusqu’à se demander si l’action de gens comme Jack Lang n’a pas finalement fait plus de mal que de bien3 ».

B) La radicalisation des free

« A partir du décret4, la free, c’est fini. L’époque où il se passe plein de trucs, où il y a des free tous les week-ends, plusieurs free par week-end c’est complètement fini (…). Le problème c’était la saisie du matériel5 ».

Effectivement, ce n’est pas parce que les raves ne fonctionnent pas au cours des années 2000 que les free s’en sortent mieux. A partir de l’adoption de la LSQ, les interruptions et saisies sont comme on l’a vu courantes, elles contribuent fortement à mettre le mouvement à terre. Si « la techno semble être retournée à l’underground d’où elle est issue.»6, ce n’est certainement pas pour un underground riche et dynamique. Le nombre de free a progressivement diminué : En 2000, 582 free-parties sont répertoriées, 712 en 2001, 372 en 2002 (1ere année d’application de la LSQ), 275 en 20037.

1 Idem. 2 Entreprise de production de soirées interrogée dans l’article. Idem. 3 BERNIER Alexis, « Des raves à la réalité. Après le boom des grands rendez-vous officiels, la scène techno se replie sur les fêtes et l’underground », Libération n°5893, 27 avril 2000, pp. 33-34 4 LSQ. 5 LAFARGUE DE GRANGENEUVE (Loïc), L’Etat face aux rave-parties, les enjeux politiques du mouvement techno, Toulouse, ed. Socio-Logiques, Presses Universitaires du Mirail, 2010, 159 p. 6 BERNIER Alexis, art.cit. 7 POURTEAU (Lionel), op.cit., p.123.

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Il faut toutefois nuancer le succès de cette politique répressive, certes indubitable mais qui omet le déroulement catastrophique de certains épisodes de grands rassemblements techno illégaux parfois nommés teknivals1 (en raison de leur taille). Très minoritaires par rapport au nombre d’évènements plus réduits, ces derniers vont connaître un regain de popularité du fait de leur implacabilité. Il apparait en effet qu’à quelques occasions, les amateurs de techno se donnent le mot pour organiser des rassemblements festifs de très grande taille de manière illégale (« Quelques-uns par an2 »), ce qui rend délicate une intervention par la force des autorités. « La massivité de l’assistance est en effet une forme de protection3 ».

On distingue plusieurs épisodes, qui attestent tous d’une certaine radicalisation des teufeurs subsistants4. Une première rave géante, a lieu en 2002 sur le col de Larche, à la frontière franco-italienne. Des cars de CRS barrent d’abord la route aux teufeurs mais devant le nombre (plus de 15 000), ils sont contraints d’abandonner et de laisser passer les participants, quand bien même l’endroit de la fête rend particulièrement compliqué l’accès pour les secours. C’est la dangerosité potentielle de cet évènement qui va d’ailleurs convaincre les autorités d’entamer un dialogue léger avec les Sound-Systems5. En Juillet 2003, des émeutes éclatent après l’intervention des forces de l’ordre pour faire cesser un rassemblement conséquent en marge des Vieilles Charrues de Carhaix. Pendant 3 jours, les forces de l’ordre et les jeunes teufeurs vont s’affronter. Bilan des courses : 28 blessés dont un jeune homme qui aura la main amputée6. A Rennes, l’interdiction en 2005 de la rave organisée annuellement en marge des Transmusicales soulève une révolte qui finit dans le centre-ville et qui voit là encore des affrontements avec la police7. Ainsi, comme le fait remarquer Lionel Pourteau, « la société se prend à déployer et utiliser une force de répression sans commune mesure avec la nature mineure du désordre8 ».

Ces débordements illustrent bien la « force » de cette arrivée en masse. Comme le soulignent Renaud Epstein et Astrid Fontaine, plus il y a massivité, plus il y a des risques d’émeutes et plus on ne peut que déplacer le problème, la foule devenant impossible à

1 De fait, ils ne sont pas une création du ministère de l’Intérieur comme on a souvent tendance à le penser. 2 LAFARGUE DE GRANGENEUVE (Loïc), op.cit., p. 3 EPSTEIN (Renaud), FONTAINE (Astrid), « De l'utilité des raves : consommation de psychotropes et action publique », Mouvements 5/2005 (no 42), pp. 11-21 4 Du fait de la répression et du désintérêt musical, la population totale des free a elle aussi considérablement diminué. 5 Sarkozy dira d’ailleurs que c’est cet épisode qui l’a convaincu d’entamer un dialogue. 6 POURTEAU (Lionel), op.cit., p. 140 7 LAFARGUE DE GRANGENEUVE (Loïc), op.cit., p. 8 POURTEAU (Lionel), op.cit., p. 142

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disperser. Il arrive par exemple, lorsqu’on les empêche de s’installer à un endroit, que les teufeurs se suivent en cortège jusqu’à ce qu’on les laisse se poser quelque part. C’est donc véritablement le nombre qui leur permet de faire face.

II) Les débuts d’une collaboration : les co-organisés

A) Les teknivals co-organisés, symbole d’un renouvellement du dialogue

Les politiques, alertés par ces épisodes violents ou potentiellement dangereux, vont alors se rendre compte qu’il existe une poche incompressible de teufeurs qu’il vaut peut-être mieux amadouer que tenter de réprimer. Concrètement, on se demande s’il ne vaudrait pas mieux que l’Etat fasse en sorte qu’une poignée de rassemblements se passent bien, de sorte de calmer les ardeurs de ces amateurs de techno. En outre, pour des considérations plus politiques, le recours à une approche concertée plutôt que répressive est vu par certains comme l’occasion de la démonstration d’une certaine bonne volonté. Au début des années 2000, c’est alors Nicolas Sarkozy qui est ministre de l’intérieur. Comme le note Loïc Lafargue de Grangeneuve, « le ministre, d’ailleurs n’a pas souhaité cacher ses motivations (y compris électorales), bien au contraire : il voulait donner une leçon à la gauche, montrer qu’il savait parler aux jeunes, et rééquilibrer une image répressive en autorisant la tenue de teknivals encadrés. 1 » Le but premier est bien entendu de canaliser les expressions vindicatives des teufeurs, en leur permettant une fois de temps en temps, de pouvoir faire la fête librement. Mais dans un second temps, ce qui est voulu c’est aussi permettre la dédiabolisation du mouvement et favoriser l’obtention d’autorisations pour les raves. En effet, face aux dangers des manifestations précédemment évoquées, il semble que l’Etat préfèrerait finalement qu’elles se passent de meilleure manière et dans la légalité, ce qui permettrait d’éviter ou de limiter les débordements. Seulement, comme nous l’avons vu les raves sont encore largement déconsidérées par les élus locaux, il y a donc une très forte dimension communicative dans ces rassemblements co-organisés (en ce qu’ils relèvent d’une certaine instrumentalisation certes, mais qu’ils visent aussi à jouer un rôle de vitrine culturelle).

1 LAFARGUE DE GRANGENEUVE (Loïc), op.cit., p.115

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Dans les faits, il est prévu que les Sound systems (chaque teknival co-organisé en rassemble plusieurs) « doivent faire une donation, la verser à l’Etat, signer une charte de bonne conduite en leur nom, être en contact avec les pouvoirs publics pendant l’évènement et nettoyer autant qu’ils le pourront (la question des déchets étant une critique récurrente des raves). L’Etat réquisitionnera le terrain de force pour l’évènement et paiera l’éventuel déficit1 ». Autant d’activités qui mobilisent non seulement l’Etat, mais aussi les collectivités locales, voire également des associations2 par exemple.

Le premier teknival officiel à être organisé de cette manière a lieu à Marigny, dans la Marne, en mai 2003. Il constitue la première « autorisation » de rave légale depuis la LSQ et réunit environ 40 000 personnes. L’idée est que, quitte à ce que ça se fasse, autant éviter qu’il y ait des incidents, l’Etat apporte donc une assistance sur la recherche du terrain3, généralement des aérodromes, privilégiés pour leur éloignement des habitations et leur accessibilité, sur la gestion des flux – tout le monde arrivant généralement la même heure - , sur les potentiels troubles à l’ordre public et enfin sur les secours aux personnes. Les premières collaborations sont de fait plutôt des succès, comme en témoigne le retour du préfet en charge de l’organisation du teknival de Marigny :

« Mes craintes a priori étaient de ne pas avoir assez de contacts avec les raveurs. Leurs discours étaient extrêmement surprenants et me laissaient perplexe : « Nous sommes des individualités, nous n’appartenons à aucune organisation, nous n’avons aucune responsabilités ». De notre côté, cela nous déstabilisait : ni organisateurs, ni organisations. C’était un choc des civilisations. A posteriori, je fus surpris d’avoir une équipe intellectuellement séduisante et avec des ressources. Juridiquement et administrativement, ils étaient inexistants. Pratiquement, ils étaient efficaces et pédagogues4. »

B) De nombreuses critiques

Du point de vue de la fréquentation, ces teknivals co-organisés sont de francs succès, trop peut-être, les forces de police et les organisateurs ont du mal à gérer les affluences générées

1 Selon un document des archives de la DLAPJ du ministère de l’Intérieur, le coût moyen d’un teknival est d’environ 200 000 euros, ce qui va quand même au-delà d’un « éventuel déficit ». La question est donc de savoir si l’Etat a vocation à payer de tels évènements. Loic, p.75 2 Des associations qui viennent apporter leur aide ou simplement de riverains et de défense du voisinage. 3 On assiste ainsi à des épisodes assez surprenants, avec par exemple des raveurs qui montent dans des hélicoptères de la police pour faire du repérage de terrain 4 POURTEAU (Lionel), op.cit., p.78

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par la promesse d’un évènement certain de ne pas être interrompu et réprimé. Leur couverture médiatique est elle aussi un franc succès pour les autorités politiques qui en sont à l’origine, preuve en images que par la concertation et la bonne intelligence, on est capable de venir à bout de toutes les crispations. Des images filtrent, où l’on voit Nicolas Sarkozy, chamailleur, signifier à des responsables de police qu’au même âge, ils ne buvaient pas que de l’eau. Les reportages de TF1 font état, non plus d’évènements inquiétants et de jeunesse perdue, mais de « réussite » se passant dans « la joie et la bonne humeur1 ».

Toutefois, ces teknivals vont faire l’objet de nombreuses critiques. A vrai dire, il semble que personne si ce n’est Nicolas Sarkozy et les teufeurs à qui ces évènements rappellent une période révolue, n’y ait trouvé son compte.

Dans un premier temps, ce sont bien sûr les autorités locales qui manifestent le plus leur mécontentement à l’égard de ces rassemblements chapeautés par l’Etat. Il faut se souvenir que moins d’une décennie auparavant, l’Etat faisait circuler dans toutes les collectivités locales des mises en garde alarmistes sur la nature quasiment décadente de ces rassemblements et il se retrouve là à participer à leur mise en œuvre. Pour des élus, qui ne suivent pas nécessairement l’actualité de l’univers techno de très près, il y a, à tout le moins, une circonspection palpable, d’autant que c’est un ministère de droite, réputé dur, qui est à l’origine de ces initiatives.

On voit donc s’enclencher un mécanisme assez classique en politique publique qu’on désigne généralement comme le syndrome NIMBY (Not In My Back Yard ; littéralement, Pas Dans Mon Arrière-Cour), concept apparu dans les années 1960 et qui caractérise l’opposition des riverains à l’installation d’équipements ou de tout type de projets imposés au nom de l’intérêt général, mais considérés comme porteurs de nuisances par les locaux qui eux–mêmes n’en retirent pas d’avantage direct. Concrètement, il s’agit de tout ce qui relève des refus du type « on n’a rien contre, mais on n’en veut pas chez nous2 ». Dans les faits, ce refus de voir une telle manifestation s’installer chez soi va parfois donner lieu à des confrontations assez tendues entre responsables locaux et gouvernement national. Le député du Morbihan François Goulard lancera ainsi plusieurs invectives à l’égard du teknival breton au début de l’été 2006. Il affiche aussi son incompréhension indignée, alors même qu’il est du même parti, quand le ministre de l’Intérieur explique à la presse à l’occasion de ce teknival que la drogue circule

1 POURTEAU (Lionel), op.cit., p.81 2 LAFARGUE DE GRANGENEUVE (Loïc), op.cit., p.70

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dans d’autres espaces que les raves et donc que si l’on devait fermer tous les lieux où elle est présente, alors il faudrait fermer des lycées, par exemple ce que personne n’envisage de faire.1 D’un point de vue cohérence dans l’action et dans les idées avancées, les élus locaux ont vu mieux. Autre forme de mécontentement, les agriculteurs qui s’expriment au travers de la FNSEA manifestent aussi d’une manière générale leur mécontentement contre les réquisitions de terrain, quand bien même ces dernières sont souvent l’objet de dédommagements généreux2.

Ainsi l’effet recherché de dédiabolisation est loin de fonctionner et il ne permet pas une meilleure acceptation des élus locaux. Bien au contraire :

« Autant les teknivals passent, autant l’image qu’ils donnent de la techno, elle reste permanente dans l’esprit des gens. C’est ça le problème. […] Moi j’ai plein de retours d’organisateurs qui me disent : « on en a vraiment marre, parce que là où il y a eu un teknival, le département, il est ruiné ! C’est terre brûlée ». Parce que plus personne ne veut entendre parler de techno ! […] Ca pourrit vraiment l’ensemble du mouvement3 »

Technopol prend aussi pour cible les teknivals officiels de l’Etat, qui relève pour eux d’une politique complètement schizophrène d’« une part, en raison de la persistance d’une concurrence déloyale, mais cette fois cautionnée par l’Etat : et d’autre part, à cause des controverses que suscitent ces rassemblements de masse4 ». En effet, ces derniers attirent l’attention populaire et médiatique tout en donnant lieu à davantage de débordements que pour les petites raves légales payantes, ce qui met fin à tout espoir d’organiser un évènement légal sur ces lieux. Par ailleurs, l’association souligne l’incohérence de l’Etat, « qui d’un côté soutient la professionnalisation des acteurs du mouvement (via Technopol aidé par le ministère de la Culture), et de l’autre, cautionne des rassemblements qui donnent lieu à nombre d’activités illégales (travail au noir notamment).

1 LAFARGUE DE GRANGENEUVE (Loïc), op.cit., p.133 2 Idem, p. 69 3 Ibid, p.147 4 Ibid, p.147

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C) Le retour des petits rassemblements

Enfin, ce sont surtout les Sound-systems eux-mêmes qui ne se satisfont pas de ces gigantesques évènements, plus propices aux débordements et aux tracasseries qu’à l’esprit originel de simplicité et de communion dans la musique du mouvement.

Une seconde organisation va progressivement supplanter Technopol en tant qu’organe représentatif du mouvement techno1, le Collectif des Sound-Systems, représentant lui plutôt les free et réclamant le droit de faire la fête sans cadre imposé. Celui-ci est le fruit d’une très longue gestation, car le mouvement free étant par nature libertaire et opposé à toute forme de conception triangulaire du pouvoir, il est extrêmement délicat de prétendre le représenter. La manière dont il s’organise est assez novatrice en ce qu’il rend public la totalité de ses interactions avec les autorités : échanges de mails, discussions, compte-rendu de réunion… A la fois las de voir leur mouvement réprimé et intrigués par ces premières tentatives de concertations, les organisateurs vont de manière inédite chercher à rentrer en contact en tant que groupement politique « représentatif » avec la sphère politique. Bien entendu, la formation d’une entité comme le Collectif n’est pas exempt de difficultés tant il est, par nature, contraire à l’esprit des origines :

« On s’est réunis en se disant : il faut qu’on fasse quelque chose. Il y avait plein de monde, c’était le bordel. Et à la fin de cette réunion, il y a eu la création d’une liste de diffusion par mail. Et en fait le collectif, c’était que ça. C’est-à-dire que c’était une mailing list avec des gens qui pouvaient être au courant en temps réel de plein de trucs et débattre […]. Tout partait d’une espèce de débat complètement anarchique […], c’est-à- dire qu’en quatre mois, il y a dû y avoir quatre réunions au ministère de l’Intérieur, et à chaque fois c’était des gens différents qui y allaient. Au ministère, ils étaient là : « c’est pas possible ! Ils ne savent pas de quoi on a parlé la dernière fois »2 »

Concrètement, leur principale demande est que les teknivals consentis par le gouvernement laissent la place à de plus petits rassemblements, légaux si cela est possible, tolérés sinon. De fait, la mise à disposition de terrains, sur le modèle de ce qui a été fait avec les teknivals co-gérés, a particulièrement séduit ces organisateurs, ils réclament donc une approche semblable mais à plus petite échelle, de sorte que les terrains soient bien choisis et qu’ils évitent au minimum l’écueil du tapage. Mais du côté du ministère de l’Intérieur, on se montre sceptique. En effet, si la « privatisation » d’un aérodrome ou d’un grand champ une

1 Subsiste-t-il aussi un circuit commercial à défendre ? 2 LAFARGUE DE GRANGENEUVE (Loïc),

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fois de temps en temps est envisageable, cela parait plus compliqué à mettre en œuvre de manière formalisée à plus petite échelle. Les négociations sont donc assez peu fructueuses.

Le collectif demanda à être reçu par le ministère de la Culture, ce qui ne donna pas lieu à des relations moins inadaptées. En effet, ce ministère est, malgré une approche globale du champ culturel, le ministère des professionnels de la culture avant tout, et ses leviers d’action demeurent principalement inscrits dans cet ordre :

« C’est une institution qui finance des organismes privés ou publics et qui subventionne des projets artistiques. Or les Sound Systems, les free party, les teknivals ne sont pas des objets administrativement identifiés. Le cas le plus caractéristique de cette incompréhension fut le face-à-face entre des membres du Collectif et le ministre de la Culture du moment, Jean-Jacques Aillagon, le 14 janviers 2004, lorsque vint le temps des négociations. A trois reprises, le ministre leur proposa des aides financières. A chaque fois, ils les refusèrent, lui rétorquant qu’ils n’avaient pas besoin d’argent mais d’autorisations pour faire des soirées et de terrains pour les faire. Conclusion du ministre : « Nous allons voir ce que nous allons faire bien que nous soyons assez dépourvus en terrains. Par contre, nous allons quand même essayer de vous financer »1 »

Bien évidemment, cette forme de relation normale avec le ministère va faire des sceptiques au sein du mouvement free. Apparait donc un nouveau clivage entre « ceux qui veulent négocier et ceux qui prônent l’illégalité à tout prix2 ». Au final, le Collectif restera malgré tout une initiative assez peu fructueuse en termes de réalisations concrètes, d’autant qu’il connaîtra par la suite « régulièrement des poussées de paranoïa paralysantes3 », mais qui va quand même déboucher sur des petites mesures permettant l’organisation de petits rassemblements plus faciles : ainsi le rehaussement du seuil de déclaration de la manifestation à 500 personnes4 et la nomination de médiateurs (qui sera dans l’ensemble inefficace) participe d’une volonté de faciliter les petites manifestations et sont surtout la preuve qu’un dialogue est possible. Dans cette optique, et face à leur impopularité, le gouvernement fait à l’inverse passer le nombre de teknivals annuels de trois en 2004 à un en 20105.

Dès lors, on va observer une tendance (mesurée) à la banalisation (mais pas à la reconnaissance) d’un petit nombre de free parties de petite taille, qui organisées de manière occasionnelle vont pouvoir se faire sans l’intervention des forces de police, soit parce qu’elles

1 POURTEAU (Lionel), op.cit., p. 139 2 LAFARGUE DE GRANGENEUVE (Loïc), op.cit., p. 153 3 D’un point de vue interne mais aussi externe, beaucoup des ‘représentants’ s’imaginant être espionnés par les Renseignements Généraux par exemple. 4 « Pour mieux cibler les évènements qui préoccupaient les pouvoirs publics », Rapport du Sénat « Rassemblements festifs et ordre public », 31 octobre 2012 5 POURTEAU (Lionel), op.cit.,

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ne dérangent personne ou ne sont pas repérées, soit parce que la ligne politique locale est plus laxiste. « Les seuls trucs qui subsistent aujourd’hui, c’est des petites fêtes de deux, trois, quatre cent personnes, super à l’écart, vraiment « underground1 »

C’est un adoucissement global de la répression qui se fait de manière très progressive (qui n’est d’ailleurs pas exempt d’épisodes plus tendus) et si en 2003, on ne compte plus qu’une centaine de free-parties, on en dénombre un petit millier en 2009. Fait plus surprenant et qui atteste d’un adoucissement des rapports, « moins de vingt procédures de saisie de matériel ont été engagées2 » sur cette dernière année.

Fait ironique, ces rassemblements « tolérés »3 ne sont pas totalement répartis sur le territoire mais ce sont plutôt dans les régions réputées les moins répressives que se tournent le plus les organisateurs de soirées, illustrant en cela la théorie de la « fenêtre cassée » selon laquelle une infraction non sanctionnée constitue une sorte d’incitation à la délinquance4. A contrario, il existe aussi des territoires où ne serait-ce que penser organiser un évènement5 est complètement impossible du fait de l’absence de modération du côté des autorités locales : « la fermeté est toujours difficile dans un premier temps, mais paye toujours dans la durée. C’est l’expérience qui me le dit6 ». Il est donc tout de même même assez important de voir que la répression a des effets dissuasifs et qu’au contraire la tolérance a des conséquences incitatives.

Ainsi, pour reprendre la catégorisation de Loïc Lafargue de Grangeneuve, on peut distinguer trois objectifs prioritaires pour le ministère de l’Intérieur dans les années 2000 : il affiche d’abord l’objectif (en grande partie atteint) de lutter contre les raves illégales puis à partir de 2003 il se met à encadrer les teknivals par peur des débordements, toutefois cette politique n’étant pas concluantes, il tente alors d’assouplir à partir de 2005 les conditions d’organisation des petites rave parties, qui apparaissent finalement plus faciles à gérer,

1 LAFARGUE DE GRANGENEUVE (Loïc), op.cit., p.42. 2 POURTEAU (Lionel), op.cit., 3 Idem. 4 LAFARGUE DE GRANGENEUVE (Loïc), op.cit., p.38 5 La seine et marne, par exemple, a cette réputation. 6 LAFARGUE DE GRANGENEUVE (Loïc), op.cit., p.39

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d’autant qu’elles sont désormais résiduelles1. En 2008, un rapport est commandé au député Jean-Louis Dumont2 dans lequel celui-ci fournit nombre de préconisations, mais preuve du désintérêt gouvernemental, il est enterré dans la foulée. Il y a une sorte de ‘devenir structurel’ du problème public techno, il se normalise et fait de plus en plus partie des meubles. Il devient un problème comme un autre, persistant et banal, à l’image du chômage ou de la dette.

Les années 2000 voient ainsi la techno assagie, canalisée, déclinée sous toutes ses formes. Elle a perdu en revanche beaucoup de son énergie primaire. Les teufeurs de la première heure crient à la trahison et estiment que le mouvement rebelle et festif est mort avec sa reconnaissance. Il flotte un parfum de fin de siècle chez les amateurs de techno de tout type, le sentiment d’être arrivé au bout de quelque chose. « On ne va pas chialer. La techno a suivi la même trajectoire que tout élément de pop culture – rock, disco, punk, hip hop, tous ces mouvements ont eu leur âge d’or (des vies en ont été transcendées, tous ont été avalés par l’industrie). On reste maintenant à l’affut d’un nouveau genre musical qui enverra tout valser3 »

1 Télégramme adressé aux préfets du 7 juillet 2005 (NOR INTD0530040J : « Vous apprécierez à leur juste mesure les nécessités de l’ordre public, au cas par cas et de façon circonstanciée. Dans l’immédiat et s’agissant des rassemblements qui n’excèdent pas 500 personnes, il n’y a pas lieu d’imposer des prescriptions excessives. »). Extrait de LAFARGUE DE GRANGENEUVE (Loïc), L’Etat face aux rave-parties, les enjeux politiques du mouvement techno, Toulouse, ed. Socio-Logiques, Presses Universitaires du Mirail, 2010, p. 2 LAFARGUE DE GRANGENEUVE (Loïc), op.cit., 3 « La teuf est finie ? », Technikart n°77, 01 novembre 2003

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Partie 3. Le retour de la techno : une musique intégrée ?

« A l’époque où nous vivons, qui est en fait une époque révolutionnaire, la structure de la société tout entière comme les processus de changement deviennent non-linéaires. Et je crois que la non-linéarité est contenue presque complètement dans le postulat : « les petites causes peuvent avoir de très grandes conséquences »

Alvin Toffler

Fait très surprenant, la techno est de retour en cette première moitié des années 2010. On la croise partout, les évènements qu’on appelle dorénavant ‘soirées technos’, appellation moins sulfureuse que celle de rave party, se multiplient peu à peu. Comment expliquer un tel entrain alors que seulement quelques années plus tôt, on pensait la techno morte et enterrée ? Est-ce une récupération commerciale, qui viserait à reprendre les codes nostalgiques d’un temps révolu pour faire du profit ? Ou assiste-t-on véritablement au retour de l’esprit techno ?

Chapitre 1. Le retour en force de la techno

I) La techno regagne les villes

La techno a opéré un retour en force impressionnant et en très peu de temps. De fait, si ce n’est dans la presse en ligne, on retrouve encore très peu de littérature se penchant sur les origines de ce regain de popularité. Dans la mesure où il n’y a pas eu de bouleversement profond dans les conditions d’existence attenant à l’organisation de soirées, il y a fort à parier, qu’au-delà d’un simple phénomène de mode « retro », il y ait eu un renouvellement de la scène productive :

« C’est par la conjonction de plusieurs facteurs que la transition s’est faite. Le premier étant le retour d’une techno plus extrême à travers l’émergence de labels et d’artistes d’inspiration et d’ampleur diverses, qu’il s’agisse d’une machine de guerre comme Marcel Dettmann, d’un réseau de punks comme le label américain L.I.E.S. ou de la scène

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industrielle et UK bass. Sous bien des aspects, ce renouveau rappelle le premier boum techno des années 90, dont on voit d’ailleurs les têtes de file réapparaître (Derrick May, Underground Resistance, Surgeon) ou gagner une notoriété sans précédent (Drexciya, Bunker Records)1 »

L’auteur de l’article, avant d’ajouter qu’une scène française semble aussi se faire jour, voit donc dans ce regain de popularité une origine artistique.

S’il fallait vraiment chercher des preuves allant au-delà de la simple conjecture, on peut facilement en trouver du côté de l’affluence des festivals spécialisés2 et de la modification substantielle des programmations de festivals généralistes3. Cette musique qui « semblait ne plus exister et ne plus intéresser personne depuis un moment » est en passe de devenir un des genres les plus en vogue.

Comme le fait remarquer, Jean-Yves Leloup : « Il existe dorénavant un réseau économique très solide et très fort, on n’est plus du tout dans l’underground, mais dans un univers très professionnalisé et très structuré. C’est devenu une musique mainstream, ce qu’elle n’a jamais été auparavant.4 »

Avis en parti repris par Rémy Baiget, programmateur du Rex :

« Underground, la techno ne l’est plus du tout, et c’est tant mieux. Elle n’est plus une affaire de puristes, et appartient désormais à un plus large public qui s’en est emparé pour créer un phénomène dont les anciens qui ont vécu l’explosion des raves dans les 90’s disent qu’il est d’une dimension bien plus importante. “La techno est sortie de la marge et accède désormais à la même légitimité que la musique pop par exemple, assure Rémy Baiget. Ce n’est plus une niche dans la niche, c’est ouvert à tout le monde désormais. C’est une musique légitime, qui s’est professionnalisée, avec des artistes, des sons, des identités qui ont été développées et défendues avec talent.”5 »

1 « La techno underground fait de la résistance ! », Tsugi.fr, 05 juin 2014 2 (Lyon) : - 103 000 personnes en 2013, +26% par rapport à 2012 (Clément Camenen, Nouveau record d’affluence pour les Nuits sonore, lyoncapitale.fr, 14 mai 2013) - 130 000 personnes en 2014, +26% par rapport à 2013 (Record de fréquentation explosé pour les Nuits Sonores 2014 à Lyon, concertlive.fr, 2 juin 2014) Weather (Paris) : - 14 000 personnes pour la 1ere édition (Fronde chez les clients de la halle de Montreuil, LeParisien.fr, 23 août 2013) - 60 000 personnes attendues pour la 3e édition, +428% par rapport à 2013(LECARPENTIER Charline, « La nuit, Paris rave encore », NextLibération.fr, 27 février 2015) 3 « La techno underground fait de la résistance ! », Tsugi.fr, 05 juin 2014 4 « 25 ans d'histoire de la techno », avec Jean-Yves Leloup, Electroline, 22 octobre 2013 5 « La techno underground fait de la résistance ! », Tsugi.fr, 05 juin 2014

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Il parait toutefois important de noter que s’il y a résurgence dans l’écoute de la musique techno, cela tient aussi du fait que les soirées ont repris, cette musique demeurant encore très largement affiliée à la fête.

II) Un retour qui se fait par la résurgence des soirées techno

« Et c’est là l’autre élément qui a fait la différence : le renouvellement du business, l’arrivée de jeunes hors réseaux1 […] qui ont fait les choses autrement, avec leurs moyens, avant d’infiltrer le système avec un son pas forcément accessible. “On a vu de nombreux petits collectifs se monter, prendre des risques simultanément, raconte Maxime DeBonton, qui a fait venir sous différents noms de soirée des artistes comme Lee Gamble ou Stellar OM Source à Paris. Et d’un seul coup toute une scène s’est tissée.” »

Effectivement, il semble que le retour des soirées soit un facteur d’explication essentiel de ce regain de popularité. Dans la restitution de l’enquête Technopol sur les organisateurs de soirées techno2, on constate qu’un nombre conséquent d’entre elles ont été créées récemment :

Figure 7 : Année de début de l’activité d’organisation d’évènements électroniques « En province, le rythme est également bien installé : les rendez-vous dominicaux Goûtez électronique à Nantes, le disquaire touche à tout Groovedge à Lyon ou les soirées Midi Deux à Rennes rendent indéniable la résurgence d’une communauté agrégée à la

1 Fait référence aux précédents réseaux de la nuit et aux acteurs non-techno qui en faisaient partie. 2 « Enquête sur les organisateurs électroniques par Technopol – Techno Parade », 2014

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culture electro.1 ». Au-delà de l’existence d’une association unique et fédératrice par ville, on voit vraiment survenir tout un réseau de collectifs. Ne serait-ce que pour le cas de la métropole rennaise, on dénombre une bonne douzaine d’entre eux, créés depuis 2010, avec Krone, Midweek, Crab Cake, Texture ou Vielspass par exemple.

La question est donc de savoir dans quelle mesure ces collectifs renouent avec la tradition des Sound-Systems des origines, en quoi ils se sont professionnalisés et pliés aux réglementations et surtout lesquelles des caractéristiques particulières qui faisaient le mouvement ont pu être maintenues dans la légalisation de la pratique. Tout l’enjeu ici est de questionner la pertinence de cette filiation.

Il faut voir que cette explosion de l’offre s’accorde très bien avec la demande et si l’expansion est assez remarquable du point de vue de la fréquence et du nombre de soirées, c’est aussi car le public est très demandeur. Les sur-demandes sont très courantes et il devient parfois difficile de pouvoir obtenir une place pour une soirée. Par exemple, pour la version hivernale du festival Weather, sur Facebook « 40 000 personnes se disaient partantes […]. Cela, bien que la totalité des 10 000 sésames se soient vendus avant même que la programmation n’ait été dévoilée dans son intégralité.2 ». Il semble en conséquence que s’institue une sorte de marché de la place, tant l’offre ne peut subvenir à tous les besoins. Il est donc arrivé qu’on assiste à un phénomène de spéculation sur les places, certaines se revendant parfois plus du double du prix original. Evidemment, cela ne manque pas de faire débat et il est courant de voir des accrochages sur le réseau social lorsque des personnes cherchent à revendre leurs tickets plus chers que leur prix d’achat.

Il semble y avoir de plus une certaine formalisation juridique des regroupements techno. Selon le rapport de Technopol, 83,3% des organisateurs d’évènements électroniques sont ainsi regroupés en associations de loi 1901. Le côté polyvalence, on retrouve toutefois un maintien du côté « touche-à-tout »: «53,5% des structures (99 sur les 185 personnes répondant à la question) ont également une activité autre que l’organisation d’évènements. Ce taux monte à 71,4% quand il concerne les professionnels, tandis qu’il est de 46,2% chez les amateurs. Les activités les plus répandues dans ces structures sont le booking pour 47% d’entre-elles, et la production musicale puisque 41% sont également des labels.3 »

1 LECARPENTIER Charline, « La nuit, Paris rave encore », NextLibération.fr, 27 février 2015 2 « Enquête sur les organisateurs électroniques par Technopol – Techno Parade », 3 Idem.

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Pour ce qui est de l’esprit d’ouverture, bien entendu, statuer de quoi que ce soit serait hautement subjectif et si l’on trouve des personnes qui se plaignent (ou pas) d’une certaine gentrification au sein de ces soirées, les avis divergent : « on est tous là, des jeunes et moins jeunes, teuffeurs, rockeurs, hipsters, bourgeois, chômeurs, ... 1 ». A tout le moins, il est indéniable que toutes les problématiques d’habillement particulier qui pouvaient exister dans le circuit des boîtes de nuit ne se reportent pas sur ces soirées, et il est très rare que soit demandé un quelconque dress-code.

Finalement là où ces associations tranchent le plus par rapport à leurs ancêtres des raves, c’est dans leur intégration au circuit légal et commercial mais nous y reviendrons2.

« Il y a toujours des personnes qui ont leurs passions, des personnes comme nous et un jour, ces personnes réussissent à faire émerger le mouvement et à convaincre d'autres personnes de venir les rejoindre en soirée. Il y en a toujours eu mais sans les réseaux sociaux, c'était difficile pour ces crews de se faire connaître. Depuis 2010, de nombreux crews se font connaître et montre au grand public, l'euphorie que provoque une soirée techno. Ça donne envie à certains et ainsi de suite.3 »

III) La nouvelle organisation du mouvement

A) Un mouvement qui s’inscrit toujours dans une logique réticulaire

« La musique électronique est toujours dédaignée par les grands médias mais on peut dire qu’aujourd’hui elle n’en a plus vraiment besoin parce qu’elle a monté ses propres réseaux, profité de la puissance d’Internet. Elle est aussi soutenue par des grandes marques : avec Vice, avec Heinekein, avec les boissons énergétiques. Donc elle est peut- être méprisée par un certain type de médias, mais c’est peut-être un fossé de générations entre ceux qui tiennent les grands réseaux télévisés et les grands médias mais de toute façon ces réseaux ne s’adressent plus vraiment au public qui est conquis par la musique électronique. La situation est très différente des années 1990 où là effectivement la presse rock était très méprisante. Ce qui est inédit c’est que c’est que cette musique est

1 Propos recueillis lors de l’entretien réalisé avec avec Florian Gaudu, membre du collectif Midi-Deux, réalisé le 20 avril. 2 « On ne veut pas faire d'événements sans avoir d'autorisations » Idem. 3 Propos recueillis lors de l’entretien réalisé avec Florian Gaudu, entretien cit.

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mainstream mais qu’elle n’a plus besoin des médias de l’ancien monde. Les gens de la techno n’ont pas beaucoup de regrets à avoir sur cette situation1 ».

Cela pose évidemment énormément de questions. Est-il possible d’être une culture dominante sans avoir recours aux medias dominants ? Sont-ce ces derniers qui sont à côté de la plaque (ce qu’on pourrait dès lors qualifier de fossé générationnel) ou bien ont-ils compris que le champ médiatique s’était largement autonomisé et qu’il devient dorénavant le fait des individus et non plus des organes prétendant les représenter ou les informer ?

Il est assez délicat de se prononcer là-dessus. Simplement, on peut souligner le fait que notre rapport aux contenus informationnels tels que les morceaux de musique, les prochaines sorties musicales ou soirées, s’empreint fortement des médias numériques et des réseaux qui les composent.

« Les réseaux sociaux et YouTube permettent de découvrir à nouveau cette culture à ses origines, c’est intergénérationnel : ceux qui ont entre 30 et 50 ans retrouvent ce qu’ils ont connu et défendu, et les gamins apprennent, ce qui crée cette rencontre intersociétale […]. La jeunesse qui vient aux soirées, c’est un héritage qui se renouvelle. » C’est d’ailleurs peut-être ce public en grande partie renouvelé et plus jeune qui est au centre de ce gros retour de manivelle techno. « C’est une génération qui n’a peut-être jamais écouté de rock, mais qui connaît tout en techno, à la fois les classiques et le dernier truc chaud, elle est née avec Discogs et YouTube, elle est beaucoup plus pointue et curieuse »2»

De fait, et tout en étant un phénomène largement populaire, il semble qu’on renoue avec la tradition participative des origines du mouvement, l’information continue de transiter par des moyens spécifiques, qui ne s’offrent à voir qu’à ceux qui le souhaitent. L’acteur techno ne subit pas l’information, il y participe. Il y a donc ce curieux mélange entre clandestinité entretenue et culture dominante. Il existe une communauté virtuelle qui semble bien mieux établie qu’auparavant, du temps des mails collectifs et autres boîtes vocales. On trouve pléthore de groupements réunissant les passionnés, lesquels ne manquent d’ailleurs pas de mettre en oeuvre des stratégies de différenciation internes3 entre des groupes plus grand

1 LELOUP (Jean-Yves), Digital Magma, De l’utopie des rave-parties à la génération MP3, Marseille, ed. Le mot et le reste, 2013, p. 32 2 Témoignage d’un patron de label. LECARPENTIER Charline, art.cit. 3 LEBART (Christian), « Stratégies identitaires de fans », Revue française de sociologie 2/2004 (Vol. 45), pp. 283-306

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public comme la page non-officielle du Weather1 et d’autres aux velléités plus claniques et se voulant plus érudits. Quoi qu’il en soit, sur ces pages on s’échange les musiques ou les informations, il demeure donc le maintien d’un réseau informationnel à l’écart du monde visible.

B) Un mouvement qui voit apparaître de nouvelles pratiques

Toutefois, cette mise à disposition des informations induit aussi un rapport à la musique quelque peu différencié. Pratique particulièrement répandue, la demande d’identification de morceaux est ainsi devenue une pratique courante. A l’aide de fragments de vidéos prises au cours de soirées, les participants peuvent se faire aider par la communauté pour trouver le nom d’un artiste ou d’un morceau en train d’être joué. Il pourra dès lors l’ajouter à sa collection.

De manière paradoxale parce que c’est avant tout une résultante de la gratuité, il existe donc un certain penchant consumériste chez l’auditeur en ce qu’il est en permanence dans la recherche d’une nouvelle « pépite ». En même temps, il subsiste cette spécificité du genre techno à ne considérer que la qualité du morceau seule, sans généralement s’intéresser à l’histoire de son producteur, au contexte de sa sortie, ou à sa date. Là où le rock et le rap aiment à sacraliser certains morceaux, en entretenant par exemple une mythologie autour de la création, l’intégrer dans un tout (un album mythique), bref le penser en dehors de sa simple essence musicale, les amateurs des morceaux technos se désintéressent généralement de ce type de légendes. Cela se comprend aussi parce que les sorties sont noyées dans la masse et que la nature très atomisée de la scène fait qu’il est compliqué de chercher à pousser plus loin. Ce qui change principalement par rapport à l’ancienne génération dans ce côté « collectionneur de pin’s » de l’auditeur techno, c’est surtout qu’il semble passer moins de temps à admirer sa propre collection. La disparition de la propriété d’un support musical induit en effet souvent aussi un intéressement moindre, ou en tout cas probablement moins maintenu, ce qui pourrait expliquer dans une certaine mesure, le retour du vinyle2.

1 SALHI Sophia, « Trackidpliz », les perles du groupe facebook du Weather Festival, Traxmag.fr, 16 septembre 2014 2 Qu’on peut tout autant analyser comme un élément de la résurgence techno, la tradition de mixer sur platines s’étant maintenue, que comme cette réaction à la dématérialisation des supports. ROCH Jean-Baptiste, « Sortez vos platines, le vinyle revient ! », Télérama.fr, 6 juin

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Autre constat impliqué par cette nouvelle accessibilité des œuvres, il semblerait qu’il y ait une tendance (à nuancer bien entendu) à se départir peu à peu des sets de DJs, c’est-à-dire de l’œuvre en temps qu’assemblage de différents morceaux écoutée dans la durée, les bonnes compositions étant censées faire connaître l’état de transe à son auditeur. Cette œuvre éphémère et post-moderne semble de plus en plus laisser la place aux morceaux eux-mêmes, aux œuvres individualisées1. Ceci peut d’ailleurs paraître un peu paradoxal au vu du phénomène de « starisation » des DJs, entendue comme la notoriété accrue de certains d’entre eux, mais il est probable qu’on assiste dans le même temps à une valorisation relative de son côté producteur par rapport à sa capacité « d’assembleur ».

Ainsi, il semble qu’on observe à la fois des permanences de caractéristiques proprement technos mais aussi des pratiques nouvelles, dues à l’univers dans lequel cette musique évolue dorénavant. Il est donc franchement très compliqué de se prononcer sur la filiation spirituelle et pratique qui peut exister entre anciens et nouveaux acteurs de la techno. On tâchera de fournir dans la conclusion d’hypothétiques éléments de réponses.

Figure 8 : Weather Festival

1 Ceci est à nuancer car on trouve beaucoup de mix (sets de DJ) sur Internet. Ce n’est toutefois pas la majorité des œuvres qui sont téléchargées et écoutées. Par ailleurs, on commence à observer l’éradication de ce type de format des réseaux hébergeurs en raison du problème qu’ils posent pour l’identification des auteurs et donc de la répartition des droits s’y afférant.

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Chapitre 2. Le renouveau des activités revendicatives

Pourtant, en dépit du succès que semble connaître la techno ces dernières années, on assiste à une remontée indubitable des activités revendicatives. Comment se fait-il donc, dans un tel contexte d’émulation, que les acteurs techno continuent à jouer la carte de la victimisation ? Cela peut s’expliquer par le fait que les revendications ont en partie changé. Du fait de ce renouveau des soirées et de cet essor de l’activité économique, le discours semble avoir changé de nature et semble se déporter progressivement du thème de la discrimination populaire à celle de l’inadaptation du cadre légal aux velléités lucratives et professionnelles des acteurs. Ceci marque donc un tournant significatif dans la rhétorique utilisée par ces derniers et met en lumière un changement certain des mentalités.

I) La « professionnalisation » du discours revendicatif

« On est un des derniers pays où l’on a dû contester. Quand on voit l’économie qui s’est développé autour des musiques électroniques dans les autres pays, on est en retard. En France on a toujours des annulations, ce n’est pas possible d’avoir des autorisations. Il y a toujours un rejet malgré l’implantation médiatique et le grand public. En France, on nous met beaucoup de bâtons dans les roues, si tu veux faire de ta profession l’organisation de soirée et qu’on te plante deux évènements tu mets la clé sous la porte1 ».

Il est important de faire remarquer qu’il existe en France un certain nombre de dispositions légales qu’il convient de respecter si l’on souhaite organiser une manifestation culturelle ou artistique. Ainsi la France est-elle le seul État au monde, parmi les 196 états déclarés, à encadrer la profession d'entrepreneur de spectacle. Ces particularités légales sont justement voulues pour protéger les artistes, en empêchant la concurrence déloyale, le travail sans contrat ou sans rémunération. Mais elle est de fait assez inadaptée à la pratique amateure qui concerne une majorité d’organisateurs techno. Le rapport de Technopol rajoute d’ailleurs : « Comme l’Union Européenne impose une libre concurrence, l’existence de la licence d’entrepreneur de spectacle en France est condamnée à terme. ». On peut observer qu’avec la mondialisation, le rapport à la culture entre les pays n’échappent à une certaine logique

1 « Tommy Vaudecrane à propos de la 15ème Techno Parade », Intruders TV, 09 septembre 2013

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concurrentielle ; de fait c’est aussi ce qui ressort du discours des acteurs comme Technopol qui dénoncent le manque de compétitivité du cadre français par rapport aux autres pays comme l’Allemagne ou les Pays-Bas. 1 Aujourd’hui le discours que l’on retrouve le plus souvent chez les acteurs de type groupement d’intérêt comme Technopol ou le SPAME (Syndicat Professionnel des Acteurs de Musiques Electroniques)2, dont l’objectif est de limiter les pratiques informelles, qui en se maintenant, tirent le niveau vers le bas et empêchent le milieu d’avoir une véritable reconnaissance professionnelle. En effet, la restitution de l’enquête sur les organisateurs techno de 2014 montre bien à quel point le milieu continue d’évoluer dans le flou administratif :

- Les amateurs sont 33,8% des associations non-professionnelles passent des accords informels avec les lieux qui les accueillent3. - Le salariat de l’artiste et le mode de contractualisation montrent une méconnaissance de la présomption de salariat de l’artiste, 51,7% des organisateurs ayant recours au moins occasionnellement au bénévolat, alors que cette pratique est interdite par la loi4. - 54,5% des répondants (104 sur 191) paient la redevance Sacem sur les droits d’auteurs. 32,6% des organisateurs s’acquittent de la taxe fiscale sur la billetterie du CNV (Centre National des Variétés)5. - Sur les 196 participants ayant répondu à cette question, 56 sont détenteurs d’une licence entrepreneur du spectacle, soit 28,6% des organisateurs. Dans le détail; 13,8% des amateurs sont titulaires d’une licence, contre 66,7% des professionnels.6

Par ailleurs, on remarque aussi que les acteurs du mouvement techno ont du mal à comprendre le mode de fonctionnement classique du monde du spectacle. Est dénoncé le fait

1 Conférence : « Culture Techno: de l'ombre à la lumière? », B2B Music, Sciences Po Paris, KUMA Pictures, 03 décembre 2014 2 Il convient de préciser que ce syndicat n’est pas reconnu en tant que tel, ce qui au regard de Franck de Villeneuve, est aussi dû à cette désaffection que connaissent les métiers de la techno. 3 « Restitution d’enquête sur les organisateurs électroniques en France », Technopol, 2014 4 Selon l’article L7121-3 du code du travail un artiste peut choisir de reverser sa rémunération à l’organisateur de l’évènement, mais ce dernier aura tout de même l’obligation de s’acquitter des charges sociales relatives à son salaire. 5 « Restitution d’enquête sur les organisateurs électroniques en France », Technopol, 2014 6 « La licence d’entrepreneur du spectacle vivant est obligatoire pour toute structure privée ou publique, à but lucratif ou non, dont l'activité principale est la production ou la diffusion de spectacle ou l'exploitation de lieu de spectacle. Si l'activité principale de l'entreprise n'est pas d'organiser des spectacles, la licence est obligatoire uniquement à partir de 7 représentations annuelles. » Idem.

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qu’il y ait trop de règlementation et que cette dernière soit très floue, ce qui ne facilite pas la tâche des organisateurs1 :

Figure 9 : Règlementation en vigueur De fait, c’est aussi parce qu’elle ne propose aucune solution claire pour la spécificité des soirées techno, il suffit de regarder la multiplicité des modes de rémunération pour un service qui reste finalement le même, c’est-à-dire un DJ qui joue de la musique :

Figure 10 : Mode de rémunération des artistes

1 De fait, ses associations proposent ainsi des ateliers ou des fiches à destination des organisateurs pour apprendre les spécificités du contexte légal.

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Pour ce qui concerne notre sujet, ce ne sont pas vraiment les anicroches légales qui sont fondamentales ici, mais plutôt de constater leur existence, et de voir qu’il y a de fait un basculement complet dans la rhétorique :

« Ce que l’on réclame c’est que les DJs soient autre chose que de simples faire-valoir pour les vendeurs de bières. L’objectif c’est la professionnalisation parce qu’on est un milieu qui doit travailler à 80% au noir donc il y a un vrai problème. Tant qu’on ne rentre pas dans un cadre professionnel, on ne sera jamais reconnu comme une vraie culture. On a beaucoup de problèmes de droits d’auteurs aussi : le contexte numérique allié à la législation est très floue à l’international, donc les gens ne savent pas comment récupérer leurs droits d’auteurs1.»

Du reste, « Sur les 129 amateurs répondants à la question « comptez‐vous développer votre activité d’organisateur dans le but de devenir professionnel ? », 35,7% ont répondu par l’affirmative, et 37,2% sont indécis à ce sujet2 ».

Tout ceci ressemble donc à une certaine normalisation des revendications, pour ainsi dire on sort du « droit à exister » pour aller vers des discours plus habituels chez les porteurs de cause tels que la modification du cadre légal (et pas sa non-application). De plus, on trouve dans le discours l’idée que ceci est une évolution progressive, sans évoquer la possibilité que cette demande de professionnalisation puisse être un simple tournant particulier plus qu’une continuation logique.

Une revendication générale se maintient toutefois3. Si l’on pouvait supposer que le regain des soirées technos se soit fait en partie grâce à l’acceptation du genre et de la culture, il semble que la discrimination n’ait en fait pas véritablement diminuée. N’ayant pas vraiment de moyen de confirmer ceci, il faudra se contenter de dire qu’a minima elle n’a pas disparu du discours revendicatif4. Il semble cependant qu’une majorité de soirées technos qui sont organisées aujourd’hui avec succès le sont parce qu’elles ont cessé de se revendiquer comme telles lorsqu’elles se déclarent, devenant des soirées « pluriculturelles », « musiques

1 Propos recueillis lors de l’entretien avec Franck de Villeneuve, fondateur du SPAME, (Syndicat Professionnel des Acteurs des Musiques Electroniques), réalisé le 10 mars 2015. Le combat du SPAME vise lui aussi à professionnaliser les acteurs du mouvement techno. Notamment les producteurs qui sont bien souvent peu informés sur leurs droits et leurs devoirs. 2 « Restitution d’enquête sur les organisateurs électroniques en France », Technopol, 2014 3 Attention, il ne s’agit pas de dire que le discours revendicatif des périodes précédentes excluait la facilitation de la professionnalisation, il se trouve juste qu’aujourd’hui cette réclamation est celle qui domine. 4 Voir en annexe le communiqué conjoint entre Technopol et Technoplus, publié le 26 février 2013.

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actuelles », etc. Pour Florian Gaudu, de Midi-Deux : « Définir une soirée par "techno" ou "électro", ce n'est juste pas possible pour les autorités.1 »

II) Légaliser les free parties ?

Le 31 janvier 2015, pour la première fois depuis des années, les acteurs de la free party sont descendus dans la rue pour manifester dans 42 villes de France, réunissant en moyenne une centaine de participants par ville. Cette action conjointe visait à « inviter la population et les élus à les rejoindre pour un temps de rencontres et de revendications 2 » à savoir l’augmentation de déclaration à 1500 personnes, l’arrêt des saisies abusives, une écoute respectueuse des municipalités, etc.

Ainsi, on a pu voir que les petits rassemblements, avec le temps, avaient tendance à mieux passer et à n’être pas nécessairement réprimés d’office. Ces petits rassemblements sont traités de cette manière car ils se situent généralement en dessous du seuil de 500 personnes qui exige une déclaration –puis une interdiction quasiment automatique-. Ces free parties n’ont donc pas besoin d’être déclarées et ne sont pas interdites, elles se trouvent dans une zone d’interprétation de la loi ; il y aura intervention si nécessaire. La revendication majeure des membres de free party est le relèvement de ce taux, ce qui ferait entrer un nombre plus important de free parties dans cette zone de flou légal et contribuerait à ce que le mouvement soit moins réprimé.

Le problème ici pour l’Etat est de faire en sorte qu’il y ait un tout cohérent. Si les organisateurs de soirées légales et commerciales (car non-gratuites : elles payent des DJs, des infrastructures, etc…) sont sous le coup d’un régime juridique qui implique de déclarer ses gains ou ses artistes, de payer des taxes, de se mettre aux normes, de faire appel à un service de sécurité, etc… Il va être pour lui compliqué d’autoriser des manifestations qui ne respecteraient pas ces mêmes obligations. Les revendications du mouvement free quant à sa volonté de se légaliser et de « rentrer dans les clous » en passant par la hausse du seuil de déclaration, ce qui ferait de toutes les manifestations techno spontanées inférieures à 1500 personnes des rassemblements légaux « par défaut », sont aux antipodes de celles qui sont avancées par le circuit commercial. Cela reste d’ailleurs moins une question de concurrence

1 Propos recueillis lors de l’entretien avec Florian Gaudu, membre du collectif Midi-Deux, op.cit. 2 Technoplus,

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déloyale1 que de cohérence globale : du point de vue de l’Etat, il est compliqué d’exiger d’un côté que certaines personnes se plient à une certain nombre de formalités administratives et de créer un « régime d’exception » de l’autre. Si les free deviennent légales, alors il faudra qu’elles se plient aux mêmes formalités2 ou alors que l’Etat instaure une politique à deux vitesses (ce qui n’est pas fondamentalement inconcevable) en étant moins regardant sur la manière dont elles se déroulent.

En même temps, les fins recherchées par ces deux types de rassemblements sont loin d’être les mêmes, l’une cherchant à se professionnaliser quant au contraire l’autre se veut une ode à la gratuité. De fait, les associations défendant les free parties comme TechnoPlus ou Freeform pointent le fait que l’Etat se soit renfermé dans son mutisme :

« Il y a un refus clair de dialoguer du ministère de l’intérieur. Là où il y avait une ligne ouverte depuis 10 ans, on trouve aujourd’hui une porte fermée3 ».

On voit bien, en définitive, que le paradigme commercial prend le pas sur le paradigme libertaire. Au cours de l’histoire de la techno en France, il semble que l’Etat ait tour à tour pris pour interlocuteur des membres de free party ou du circuit professionnel selon l’ampleur que connaissait leur phénomène respectif à l’époque. En toute logique donc, et suite au renouveau des soirées techno légales, on pourrait donc supposer qu’il se concentre désormais sur le côté mercantile.

Rien n'empêche toutefois qu’il prenne en considération les deux pratiques car une seconde revendication des free parties, peut-être finalement plus réaliste en ce qui concerne la possibilité de sa réalisation est la fin des violences policières lors des interruptions de soirées :

« Le fond du combat, ce n’est pas de légaliser4, mais plutôt de remettre les choses à un juste niveau de valeurs. Même si on est hors-cadre, ça ne justifie pas qu’on se fasse taper dessus, gazer, confisquer notre matériel… Faire la fête, c’est pas un crime5 ».

1 Cela serait un peu exagéré, au vu de la différence de public, d’offre, de position géographique, etc. on ne peut pas vraiment dire qu’on ait affaire au même ‘marché’. 2 Voir en annexe le texte d’Ötonöm, qui résume très bien ces incompatibilités. 3 « Au teknival, une « transe » musicale collective et encadrée », Libération.fr, 2 mai 2015 4 Tout le monde, au sein de la free, ne souhaite pas rentrer dans la légalité. 5 DIAO Camille, « Ce week-end, les organisateurs de rave descendent dans la rue », StreetPress.fr, 30 janvier 2015

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Figure 11 : Pourquoi organiser des free parties On peut proposer trois raisons à ce début de sortie du mutisme. Le premier est que la free profite du regain d’attention que connait la musique techno pour interpeller la société sur les problèmes qu’elle connait. Deuxièmement, les réseaux sociaux et surtout leur propagation permettent une structuration du mouvement facilitée par rapport aux moyens des années 2000. Il s’avère que les appels à manifester sur ces derniers y ont d’ailleurs été bien relayés et bien couverts1. Enfin, il est en effet possible que ces dernières années aient été le fait d’une recrudescence de la répression et qu’elle ait donné lieu à plusieurs épisodes violents23.

Figure 12 : Flyer pour la Manifestive du 31 janvier

1 Technoplus, 2 Un décès, trois saisies : week-end noir pour les free parties, Traxmag.fr, 28 avril 2015 3 Forfait Free Party : le tweet honteux de la Gendarmerie Nationale, Traxmag.fr, 28 avril 2015

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Chapitre 3. Le futur des processus de légitimation

I) Faire fi du lien avec la drogue ?

Il ne s’agit pas ici d’aborder cette question sous tous les angles car elle pose de très nombreuses questions et d’autres personnes ont déjà très bien fait ce travail1. En revanche, il est permis de dresser un rapide état des lieux des idées répandues autour de cette question. On peut de plus observer que la consommation de drogue vient se poser comme un obstacle direct à la légitimation de cette musique. Elle est souvent invoquée dans les discours des personnes qui la renient comme l’un des facteurs de sa non-valeur artistique. En outre, elle a été l’une des motivations principales de la répression. Alors que la techno connait de nouveau un succès important, et que la pratique de la consommation semble se maintenir2, il faut donc se référer aux moyens politiques existants pour tâcher de savoir si cet état de fait est un obstacle insurmontable ou non dans la quête d’intégration à la société et de reconnaissance que mènent les acteurs techno.

Principale justification invoquée lorsqu’on les met face à cette consommation répandue : la comparaison avec d’autres genres musicaux. Du reste, cela ne signifie pas que l’héroïne ou le LSD ait été légalisés pendant les années rock mais plutôt que les gens à l’époque observait une dissociation analytique : il y avait le rock d’un côté et le problème de la drogue de l’autre, les deux ayant bien sûr des liens (artistes maudits, etc.) mais aucun de nature consubstantielle. On peut faire du rock ou l’apprécier sans témoigner du même attrait pour l’héroïne. C’est donc en substance cette dissociation que les amateurs de techno aimeraient voir appliquer. Après une vie passée à se justifier sur cette question, Garnier confie « j’ai renoncé à m’énerver contre ces raccourcis ridicules. La drogue a toujours été liée au monde de la nuit et de la fête. Pourquoi stigmatiser la techno ? Est-ce que, pendant le Festival de Cannes, on parle de la consommation de cocaïne ? Non, on parle de cinéma3 ». Ce type de comparaison est omniprésent dans les discours légitimaires des acteurs de la techno. Certes, il y a de la drogue, mais cela est-il dû au fait de la techno ou du milieu festif ? Il ne nous appartient pas

1 Comme l’ouvrage de Loïc Lafargue de Grangeneuve, op.cit. 2 Les résultats des questionnaires l’ont largement confirmé. Ils ne sont pas divulgués car leur mise en œuvre n’a pas été faite de manière scientifique (ils ont été postés sur des pages de festivals, sur ces groupes communautaires qu’on a abordés, par le biais de Facebook) et la valeur de leur résultats se veut plus indicative. 3 BORDIER Julien, « Laurent Garnier: “La musique est devenue un produit jetable”», L’Express.fr, 15 avril 2014

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de répondre à cette question. En revanche, on pourra faire remarquer que si l’on a tendance, du fait de leur exposition médiatique, à lier plus facilement la consommation de stupéfiants aux free parties qu’aux soirées techno légales, ceci n’est pas nécessairement vrai :

« Il serait difficile d’affirmer que les jeunes se droguent « plus » en free party qu’en boîte de nuit, puisque dans ces dernières, l’achat et la consommation de drogues sont au contraire complètement masqués : on ne les montre pas, on n’en parle pas, tout le monde fait comme si elles n’existaient pas, les organisateurs les premiers, dans la mesure où la reconnaissance de leur existence dans la boîte signifierait bien sûr sa fermeture immédiate1 ».

Bien entendu, face aux nouveaux moyens de communications, ces établissements se sont adaptés en conséquence et on en voit de plus en plus qui interdisent les photos, à l’instar de Concrete2.

A) Une politique de répression inefficace ?

En termes de politiques publiques, on peut distinguer 2 paradigmes distincts dans la manière de gérer cette problématique de la drogue3. En premier lieu, un volet répressif : c’est celui qui est majoritairement en cours actuellement, et qui est utilisé depuis le début de l’expression des rassemblements techno :

« Au départ, ce sont les Sound-systems eux-mêmes qui assuraient la revente des stupéfiants4 de sorte d’obtenir des prix plus avantageux pour l’ensemble de la communauté5 mais étant « dans le collimateur de la police », cette pratique s’est arrêtée d’elle-même. En revanche, elle a laissé une place vacante pour le libre exercice du marché de la drogue et a donc ramené en conséquence des dealers plus professionnels, généralement assez peu appréciés des teufeurs eux-mêmes6 ». « C’est en partie à cause de la répression que « les racailles débarquent avec leur drogues frelatées7».

Le paradigme répressif vise à l’élimination de la consommation de drogue par l’application de la loi dans le lieu de la fête. En ce qui concerne le milieu de la techno, la forte

1 TESSIER (Laurent), « Musiques et fêtes techno : l'exception franco-britannique des free parties », Revue française de Sociologie, vol. 44, no 1, janvier -mars 2003, pp. 63-91. 2 LECARPENTIER Charline, « La nuit, Paris rave encore », NextLibération.fr, 27 février 2015 3 LAFARGUE DE GRANGENEUVE (Loïc), L’Etat face aux rave-parties, les enjeux politiques du mouvement techno, Toulouse, ed. Socio-Logiques, Presses Universitaires du Mirail, 2010, p. 114 4 TESSIER (Laurent), art.cit. 5 Et aussi souvent d’en vivre, les fêtes étant la plupart du temps gratuites. 6 POURTEAU (Lionel), Techno, une subculture en marge 2, Paris, ed. CNRS Editions, p. 84 7 TESSIER (Laurent), art.cit.

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consommation fait que dans la pratique, les forces de police y appliquent généralement une politique pragmatique, et vise en priorité le trafic. La consommation relativement endémique est très difficilement répressible au cas par cas, cela est tout de même parfois tentée (pas dans la majorité des cas)1. De fait, la stratégie des forces de police se résume souvent à faire des contrôles en amont et à cibler les trafiquants.

B) La réduction des risques

Une des particularités de la France par rapport à d’autres pays où la techno est aussi fortement présente réside dans son rejet global de la « réduction des risques », qui incarne le second paradigme de gestion de la drogue. Elle n’est pas une notion récente mais elle est encore mal connue des professionnels français. Pour la mission rave de Médecins du Monde qui est justement l’un des principaux acteurs de cette réduction des risques en France, elle vise à « limiter dans la mesure du possible, les risques et les dommages sanitaires liés à l’usage de drogue2 ».

« Au premier abord, cette idée pourrait paraître banale et évidente. Pourtant, elle engage toute une série d’autres propositions qui lui sont indissolublement liées, notamment :

- D’une part, cela implique de briser le tabou de la loi de 1970 qui, en France, réprime le trafic, mais aussi le simple usage de drogue. […] Les défenseurs de la réduction des risques insistent bien entendu sur ce point : ils dénoncent l’hypocrisie française qui consiste à s’accrocher à tout prix à cette loi de prohibition pour nier l’existence d’une consommation massive. - D’autre part, une des voies essentielles de réduction des risques sanitaires est l’information : la prévention commence par la connaissance des effets, souhaités ou indésirables, des différents produits stupéfiants. Dans cette optique, le consommateur est considéré comme un acteur rationnel et responsable, capable d’anticiper les conséquences de ses actes et de maîtriser son rapport aux drogues, et non comme un malade ou un délinquant.

1 LAFARGUE DE GRANGENEUVE (Loïc), L’Etat face aux rave-parties, les enjeux politiques du mouvement techno, Toulouse, ed. Socio-Logiques, Presses Universitaires du Mirail, 2010, p. 116 2 POURTEAU (Lionel), op.cit., p.115

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Reconnaître l’existence de l’usage de drogues, informer sur les produits : on comprend aisément pourquoi la réduction des risques n’a pas été initiée par l’Etat, mais par le secteur associatif.1 »

Les deux principales associations de réduction des risques en France sont TechnoPlus, créée en 1995 et la mission rave de Médecins du Monde, initiée en 1997. Leur installation au sein des raves n’a pas été des plus évidentes, mais désormais leur présence est dans l’ensemble tolérée par les autorités et ils servent même très souvent de médiateurs entre les teufeurs et ces dernières2. Si aux débuts de l’association, Jean-Marc Priez, son fondateur, a d’abord été poursuivi pour provocation et facilitation à l’usage de stupéfiants (puis relaxé), c’est qu’il existe tout de même une certaine réticence3.

La réduction des risques de manière informative n’est la seule de leur mission : ils pratiquent aussi le « testing » qui consiste comme son nom l’indique à tester chimiquement les drogues des participants pour détecter d’éventuels produits néfastes et /ou évaluer la pureté de la drogue en question et sa potentielle dangerosité. De même, ils assurent un rôle plus pragmatique de soin et d’assistance aux personnes qui se sentent ou se sont faites mal. De manière assez surprenante, et de l’aveu de Jean-Marc Priez : « 80% des problèmes concernés proviennent de l’alcool ». Il existe de fait un autre de type de comparaison dans le discours des acteurs techno qui consiste à s’insurger de la division de la « bonne » et de la « mauvaise » drogue et à souligner qu’une nuit de festival breton ou de feria bayonnaise fait largement autant de dégâts qu’un teknival.4

Concrètement, des entretiens que j’ai pu mener, ce qui est souhaité par la majorité des acteurs du mouvement techno est qu’on passe à l’application de ce second paradigme plutôt que de rester dans une approche répressive, qui serait néfaste pour tout le monde. Il y a donc de deux choses l’une, et le discours généralement tenu est ceci : « la drogue est certes présente dans les rassemblements, elle n’est toutefois pas généralisée et n’est pas lié à la nature musicale mais bien à la nature festive de ces derniers. La question de son traitement ne relève pas de notre culture en particulier mais bien du monde de la fête et de la nuit en

1 LAFARGUE DE GRANGENEUVE (Loïc), op.cit., p.116 2cIdem. 3 Ibid.. 4 Comparaison qui nous ramène justement à l’aspect culturel et à la légitimé de telle ou telle pratique sous couvert qu’elle soit issue d’une culture reconnue ou non. Ce type de réflexion – sans que l’on se prononce sur sa pertinence - est assez intéressante en ce qui concerne la manière dont fonctionne la législation d’un pays pour décider de ce qui est bon ou mauvais.

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général1 ». De fait, « La répression ne résout rien, se voiler la face non plus. Il y a des gens qui prennent de la drogue. Faisons en sorte que ça se passe le moins mal possible2 ».

Dès lors, et sans que l’on se prononce sur ce qu’il convient de faire ou non, il parait tout de même important du point de vue de la santé publique, et au regard de la popularité toujours grimpante des manifestations techno, d’entamer a minima une réflexion sur la manière dont est organisée la gestion de la drogue en espace festif.

II) Le problème des nuisances sonores

C’est un peu la seconde « tare » de la musique techno. Musique amplifiée par excellence, il est vrai qu’elle s’écoute généralement à fort volume en soirées. Or, cette puissance sonore est aussi partiellement à l’origine du phénomène de répression.

Ce problème, contrairement à la consommation de drogue, a été résolu dans une certaine mesure du fait de la réintégration des espaces normatifs de fête, qui sont pour une bonne partie pensés pour éviter les nuisances sonores, qu’il s’agisse de salles de fêtes, de boîtes de nuits, de Maisons de la Jeunesse et de la Culture (MJC) ou simplement de salles de concerts. Simplement, le format particulier des soirées techno fait qu’elles se déroulent généralement entre 23h-00h et 6h du matin, ce qui est plus à même de causer des problèmes de tapages qu’un simple concert de 20h à 23h.

La ville de Paris est assez muselée par les projets de la municipalité et par les associations de riverains comme « Vivre le Marais »3 et a entrepris une politique d’assainissement sonore sur le long terme. Par exemple, les Pierrots de la Nuit4 qui existent depuis 2010, sont des acteurs grimés en mimes qui font signe aux passants de faire moins de

1 Propos recueillis lors de l’entretien avec Franck de Villeneuve, fondateur du SPAME, (Syndicat Professionnel des Acteurs des Musiques Electroniques), op.cit. 2 Jean-Marc Priez, cité dans THIBAUD Cécile, « Faut-il avoir peur des raves ? », L’Express n°2450, 18 juin 1998, p. 98 3 La présidence de l’association livre du reste un point de vue intéressant sur la question du bruit en ville : « On est inféodé à une concurrence mondiale quand on nous dit que Paris n’est pas assez attractif par rapport à Berlin. » « Mais pourquoi les riverains sont-ils si méchants ? », Streetpress.com, 13 février 2013 4 Ou aussi « brigades artistiques d’intervention nocturne » (246 000€ l’année) « Mieux vaut un pierrot qu’une techno parade », Vixgras.com

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bruit. Un baromètre de l’environnement sonore, reposant sur une enquête de ressenti tous les deux ans auprès des Parisiens, a aussi récemment été mis en place.1

Figure 13 : Des Pierrots de la nuit en action Un recours suffisamment remarquable pour être souligner a été initié avec les soirées Concrète qui sont en réalité des manifestations diurnes. En effet, comme le raconte Brice Coudert, co-fondateur du club, « Ce n’est pas vraiment un after car ça supposerait que les gens viennent sans avoir dormi. Or 80% de notre clientèle arrive à partir de 12h et a dormi la veille. On préfère donc appeler ça des "all day long". L'idée nous est venue du fait que le bateau de Concrete n'avait pas l'autorisation de nuit. Du coup on s'est adaptés et on s'est dit qu'on allait ouvrir à 7h du mat et fermer 19h plus tard, tout simplement. » De fait, l’établissement étant en partie découvert, il semble faisable de jouer de la musique à fort volume sans déranger quiconque, ou du moins sans tomber sous le coup des demandes d’autorisations. Ce n’est bien entendu pas une idée originale en soi et de nombreuses manifestations techno diurnes ont déjà eu lieu depuis longtemps, simplement il semble que ces dernières se démocratisent. Elles sont aujourd’hui au programme de 21% des organisateurs de soirées techno en France.2

Plusieurs collectifs et établissement comme le 6B à Saint-Denis, OTTO10 à Saint- Ouen ou la Ferme du bonheur, à Nanterre, ont d’ailleurs décidé d’aller s’installer en banlieue face au verrouillage des possibilités festives au sein des centre-villes, L’énorme festival

1 Le retour des raves à Paris, gqmagazine.com, 21 mars 2013 2 « Restitution d’enquête sur les organisateurs électroniques en France », Technopol, 2014

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Weather Music y trouve lui aussi sa place. La techno semble d’ailleurs être un facteur d’activité 1 et ne peut être reniée par les tenants d’une redynamisation des infrastructures. Ainsi, pour le cas de la métropole rennaise, Midi-Deux et les autres collectifs techno de la ville se sont joints à la demande de redynamisation des infrastructures publiques2 et viennent ainsi apporter leur soutien à d’autres associations préexistantes et qui déjà réclamaient la construction d’un nouveau lieu pour accueillir les évènements culturels.3

Bien entendu, ce n’est donc pas parce que l’on prend là le cas de la capitale parisienne pour des raisons d’analyse, que c’est une problématique qui ne se retrouve pas dans de nombreuses villes et il s’avère que la question du tapage se pose aussi bien en métropole qu’en campagne. Un des avantages des rassemblements techno est la facilité avec laquelle une scène peut-être mise en place, requérant peu de matériel par rapport à d’autres manifestations. De fait, certains collectifs ont décidé de faire redécouvrir la ville en investissant des lieux atypiques pour des soirées, comme l’association La Petite à Toulouse4. Dans le même ordre, Les Nuits Sonores à Lyon ou Astropolis à Brest sont devenus sont éléments de marketing territorial absolument incontournables pour ces villes et ils contribuent ainsi les faire redécouvrir sous un nouvel angle.

Une fois de plus, la techno s’immisce donc au travers des mailles, elle s’adapte. On voit émerger de nouvelles pratiques festives, d’ailleurs pas nécessairement pensées au préalable comme les concepts qu’elles sont en train de devenir, mais bien comme des réactions pragmatiques à un ordre impossible à changer et au sein duquel il faut bien s’intégrer. Malgré les alternatives, il y a tout de même fort à parier que les rassemblements techno perdurent principalement sous leur forme nocturne, les rapports entre fête et la nuit étant profondément ancrés dans les pratiques sociales. Il y a donc dans la question des nuisances sonores et son traitement, un levier de légitimation évident.

III) Légitimer culturellement la techno

1 Resident Advisor, Real Scenes : Paris, 2012 2 Propos recueillis lors de l’entretien avec Florian Gaudu, membre du collectif Midi-Deux, op.cit. 3 Collectif Le Jour et La Nuit, pas encore de site. 4 MEERSCHART Mathilda, « C’est quoi ton crew ? La Petite (Toulouse) », Traxmag.fr, 18 février 2015

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Pour Franck de Villeneuve, il s’agit de faire reconnaître ce versant culturel des manifestations technos :

« Il y a une professionnalisation marchande certes, mais on reste dans le non-culturel […] on a affaire à un milieu qui est pas professionnalisé dans le sens culturel du terme, qui commence à l’être dans un sens commercial uniquement. Il faut donner un nouvel axe à ces personnes. On a le rock qui depuis 30 ans quand même puise sur la Culture d’état, sur les structures publiques, qui profite de tout un système qui est très bien fait et j’aimerais que la musique électronique en profite. Il faut chercher à devenir de vrais entrepreneurs du spectacle et pas simplement des aides pour les vendeurs d’alcool. »1

Pour continuer le parallèle avec d’autres musiques comme le rock, afin de bénéficier des subventions, d’intégrer des programmes culturels publics. Ceci marque une étape de plus dans le processus d’intégration de la musique électronique, le simple fait d’être perçu comme un courant musical acceptable n’étant désormais plus suffisant. Il s’agit ici de sortir de la lutte pour être considéré comme « normal » pour exiger en plus une reconnaissance qualitative du genre en tant que telle et une reconnaissance des propriétés culturelles de ce mouvement.

Concrètement, il semble qu’une voie se profile par le biais des arts numériques, en vogue ces dernières années. Pour Franck de Villeneuve, il s’agit de s’accrocher à leur wagon : « il faut montrer qu’on fait de l’art 2.02 ».

Pour ce faire, nul doute qu’une reconnaissance des artistes déjà établis peut être un catalyseur. Or, les occasions mêlant des projets technos à des institutions dont la légitimité, plus qu’incontestable, est prescriptrice ont fait foison en ce début de décennie. Pêle-mêle, on distinguera parmi les plus remarquables les collaborations suivantes : l’exposition Jeff Mills au Louvre3s, ses concerts donnés à la Philharmonie de Paris4, Francesco Tristano, pianiste italien classique, qui réinterprète des hymnes techno pour les Folles Journées de Nantes5, l’exposition « French Touch » aux arts Décoratifs de Paris6, l’Institut du Monde Arabe qui

1 Propos recueillis lors de l’entretien avec Franck de Villeneuve, fondateur du SPAME, (Syndicat Professionnel des Acteurs des Musiques Electroniques), op.cit. 2 Idem. 3 Carte blanche à Jeff Mills, http://www.louvre.fr/cycles/carte-blanche-jeff-mills 4 http://philharmoniedeparis.fr/fr/activite/spectacle/14534-jeff-mills 5 Francesco Tristano : l'âme classique et le cœur électro, Site du Conseil régional des Pays de la Loire, http://www.culture.paysdelaloire.fr/actualites/detail-de-lactu/n/francesco-tristano-lame-classique-et-le-coeur- electro/ 6 FRENCH TOUCH. GRAPHISME / VIDÉO / ÉLECTRO, http://www.lesartsdecoratifs.fr/francais/musees/musee-des-arts-decoratifs/actualites/archives/publicite-et- graphisme/french-touch-graphisme-video

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accueille des soirées « Arabic Sound System »1, la signature de maxis de Carl Craig, Moritz Von Oswald et Ricardo Villalobos chez Deutsche Grammophon2, une poignée de programmes dédiés au monde de la techno sur Arte en 20143, les Siestes électroniques au Quai Branly4, etc…

Cette liste est évidemment loin d’être exhaustive. Toutefois on peut déjà voir là qu’il existe un intérêt réel porté à l’aspect culturel de la musique techno.

Dans les conceptions des amateurs de techno, il semble qu’il y ait par ailleurs un certains déplacement d’univers en ce que les références à l’industriel laissent progressivement la place aux faits numériques. On passe des invocations multiples à l’univers des usines et des machines volumineuses à la sollicitation de codes plus proches du champ technologique.

Par ailleurs, et c’est une observation personnelle qui demande à être vérifiée, mais il semble qu’on assiste à une sorte de retour sur soi du public techno, à la formalisation de son histoire et de ses classiques au travers de récits propagés par un retour de la reconnaissance de sa valeur artistique et d’une réactivation de la réflexion autour de celle-ci. Dans un des questionnaires distribués, à la réponse

« Oui, et elle l'est déjà. Il suffit de voir tous les livres, émissions de télé (notamment sur Arte) qui sont consacrées à la techno, son histoire, à Chicago, Détroit, ... »

La réédition de l’autobiographie de Laurent Garnier en 2013, la multiplication des reportages à visée historique et non plus sociologique, la sortie de films et d’éléments de culture de masse se rapportant à l’histoire du mouvement5 tels que les sorties d’albums très médiatisées d’acteurs mythiques disparus : Daft Punk, Aphex Twin, St Germain, Giorgio Moroder6,7etc. Bien entendu, toute cette émulation réflexive autour de l’univers culturel techno plus encore qu’autour de ses musiques est aussi largement catalysée par les moyens numériques qu’on a déjà abordés. La réactivation de certains épisodes n’est pas sans rappeler

1 http://www.imarabe.org/actualite/arabic-sound-system, Et devinez qui on retrouve à la tête de l’Institut aujourd’hui ? Jack Lang. 2 Carl Craig & Moritz von Oswald - ReComposed Remixes, http://www.residentadvisor.net/review- view.aspx?id=5764 3 « Bienvenue au club, 25 ans de musique électronique » de Dimitri Pailhe, « Berlin, le mur des sons »de Rolf Lambert, « Masse : un ballet techno à Berlin» de Nicolas Graef, rediffusion du set de Laurent Garnier Weather Festival 2014 sur Arte Live. 4 http://www.les-siestes-electroniques.com/ 5 Voir le film « Eden » de Mia Hansen-Love. 6 Qui n’est certes pas le plus « techno » des acteurs tant sa musique est issue du disco. 7 Ce mémoire n’échappe pas non plus à cette tendance, évidemment.

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une certaine mise en récit de « l’épopée techno ». Ainsi, des phases qui relèvent au final plus de l’anecdotique1 qu’autre chose deviennent à l’égard du mouvement fondamentales et prennent la forme de véritables Chansons de Roland modernes et contribuent à former une légende de la techno.

Conclusion

Née musique de niche par excellence, la musique techno est finalement rapidement sortie des ghettos qui l’ont vue naître. D’abord présente en des lieux bien précis, elle a fini par se propager partout sur la planète, connaissant des périodes de flux et de reflux de popularité. Elle est aujourd’hui partout. On la croise à la radio, et même dans les publicités2. Ces caractéristiques, sa modernité comme son absence de message, en font une musique de la contemporanéité qui prend facilement le sens qu’on lui donne et appellent l’auditeur à sortir de sa seule fonction de réceptacle. Jadis dérangeante, elle a parcouru un long chemin de légitimation aux yeux de la société.

A bien des égards, elle a surpassé en durée et en succès, des musiques qui occupent pourtant plus de place dans l’imaginaire collectif comme le disco ou la funk ou d’autres branches du rock qu’on ne citera pas pour ne vexer personne. D’ailleurs, comme pour toute musique, la démocratisation est allée de pair avec une diversification musicale. Bien des logiques commerciales et lucratives se sont emparées de son âme. Il est assez ironique parfois de voir le voyage entrepris, depuis la marginalité totale de sa condition aux États-Unis, prendre un virage plus punk en Europe et notamment en France puis revenir sur sa terre natale pour devenir le parangon de l’industrie musicale à destination des masses3. Le tournant capitaliste est opéré à 100%.

La France, en particulier, a adopté une logique de légitimation empreinte de mercantilisme, marquée de ses liens avec le secteur très marchand. Sans parler de l’aspect qualitatif, les premiers succès, malgré une carcasse techno indéniable, sont par leur attachement à une musique déjà établie et par leurs multiples références passées, une forme

1 Dans le sens où ce sont moins quelques épisodes particuliers qu’une quantité abondante de faits plus ordinaires qui ont fait l’histoire de la techno. 2 N’ayant pas de message à porter ni de valeurs explicites, sa nature apolitique et donc non-clivante en fait en effet une cible très prisée des annonceurs. Dans l’univers des médias, les « jingles » et autres agréments sonores vont eux aussi progressivement passer d’une base ‘rock’ à un son plus électronique, tiré des machines. 3 Cf. la musique « EDM ».

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d’effacement de la singularité musicale techno. Doit-on s’en plaindre ? Non, si vous appréciez ce style, oui si vous le détestez, car en réalité il est bien probable qu’il n’ait jamais été porté à votre connaissance s’il n’était pas passé par là. Il ne faut pas trop sacraliser le cadre musical et dans les faits, c’est d’ailleurs très loin d’être ce qui se passe vu l’émulation créative qui environne un tel genre. Il ne faut pas non plus exagérer la singularité de cette musique, on ne peut naître de rien. Elle est à penser de manière relative. Comme on l’a évoqué en introduction, la musique celtique bretonne fest-noz par exemple prenait la forme de rassemblements musicaux nocturnes. Il faudrait être un peu fou pour établir une filiation directe mais on retrouve bien des similitudes entre musique techno et musiques du monde1, que ce soit dans « impératif de danse »2 ou la « transe » ou encore de par l’absence de début et de fin.

La techno se veut moderne et novatrice par des aspects bien autres que ses seules propriétés musicales. En conséquence, son histoire ne relève pas de ce seul domaine. De tous les côtés, on a pu voir des interlocuteurs mouvants, que ce soit les ministères (Intérieur ou Culture) ou les groupements d’intérêts (Technopol, le Collectif, les manifestants) entre autres. Leur succession est signifiante. Par exemple, si l’attitude du ministère de la Culture n’a bien souvent été que «velléitaire3», maintenant que ce genre est en quelque sorte devenu acceptable, on constate que 17,6% des associations techno sont aujourd’hui subventionnées4. Ces mêmes interlocuteurs connaissent aussi une actualité interne ce qui, en conséquence, n’exclue pas le poids des personnages. Ainsi Jack Lang a-t-il participé quelque peu à la dédiabolisation de cette musique. L’enjeu techno n’a pas été exempt parfois d’une certaine récupération politique, comme l’illustre tout autant le phénomène des teknivals co-organisés. La techno en France a été un enjeu politique et a été traitée comme tel, avec la prise en compte du poids d’acteurs divers, des populations rurales aux grands distributeurs de musique, d’un public de niche ou de masse.

En ce qui concerne l’analyse de la manière dont a été traité ce problème public, il convient de souligner les conséquences de choix irréfléchis en amont sur l’évolution de tout

1 Appellation bien pratique pour qualifier « le reste ». 2 Notion volontairement utilisée par Matthieu Guillien pour désigner les liens parfois jugés trop forts entre danse et techno (dans le sens où ils desserviraient la possibilité d’une écoute hors contexte festif. 3 EPSTEIN (Renaud), « Les raves ou la mise à l'épreuve underground de la centralité parisienne », Mouvements 1/2001 (no13), pp. 73-80 4 Ce qui ne signifie certes pas que c’est le ministère qui en est à l’origine mais qu’on arrive à une forme de reconnaissance culturelle de la part des pouvoirs publics. Résultats pour 2012, « Restitution d’enquête sur les organisateurs électroniques en France », Technopol, 2014

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un mouvement, ces derniers ayant finalement abouti à des conséquences désastreuses pour toutes les parties. On remarque aussi une certaine lenteur dans sa gestion, étouffante pour les acteurs techno mais que l’on peut aussi voir comme une forme de précaution politique. Il semble que le temps culturel et le temps politique n’ont pas vraiment coïncidé. Toujours est-il que lorsque l’on ramène la manière dont a été traitée cette musique en France à celle dont elle s’est faite chez ses voisins (Royaume-Uni, Allemagne), cela nous dit bien des choses de notre système et de notre culture politiques.

On pourrait reprocher à cette analyse d’avoir voulu faire une histoire de deux trajets bien différents entre une histoire des tops de ventes et une histoire du combat politique des raves mais la techno telle qu’elle se donne à voir aujourd’hui est bien le résultat et l’addition de ces deux évolutions, marquées tout du long par ces tensions continues entre gratuité et marchandisation, entre liberté et organisation. De fait, que reste-t-il aujourd’hui des spécificités originelles de la techno ?

La « dépersonnalisation de l’artiste électroniste, à travers son occultation physique ou sa dissolution identitaire1 » est belle et bien révolue, et il semble que soit venu le temps d’une « idolâtrie centrée sur un individu producteur2 » comme cela peut l’être dans les autres genres musicaux. Toutefois, il ne semble pas que cette donne ait nuit à l’auto-célébration de son public lors des soirées. En outre, la technologie a bel et bien été un rempart de la spécificité techno et il semble que du point de vue de la singularité de son paysage sonore, marqué par sa densité, sa vivacité et sa nature pléthorique, il y ait une forme de subsistance de l’esprit originel, entretenu par l’accessibilité permise par l’usage généralisé d’Internet.

La subsistance de la question des drogues montre toutefois que le polissage de des aspérités de la techno n’est pas achevé. En presque trente ans d’histoire, au malheur ou à l’indifférence de ses fans, elle ne s’en est jamais vraiment départie. Encore aujourd’hui, la consommation demeure. Verra-t-on un phénomène de normalisation de la chose, comme avec le cannabis dans le rap3, ou assistera-t-on plutôt à une épuration et à un renforcement de la répression ? Certaines boîtes à Londres réalisent désormais des tests à l’entrée pour s’assurer de la sobriété de leurs clients. Cela pose plusieurs questions, la musique techno associée au cadre festif peut-elle se concevoir sans les drogues ? Au regard du nombre de personnes n’en

1 POURTEAU (Lionel), op.cit., p. 23 2 Idem. 3 Rap, qui par ailleurs, semble n’avoir jamais autant évoqué la question de la drogue (autre que le cannabis). Notamment aux Etats-Unis.

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consommant pas et se rendant dans ce type de soirées, il est évident que oui. Mais peut-être pas avec le même succès populaire. Paradoxalement, il semble que la présence de produits ait aussi participé à repopulariser le mouvement et à attirer un public en soif de déviance réduite. On a vu au cours de ce mémoire que les approches répressives étaient des succès en demi- teinte. Il semble que la meilleure façon que la techno ait de se débarrasser de la question des stupéfiants qu’on lui affilie est encore que ce soit ses amateurs eux-mêmes qui choisissent de rompre avec. On connait la puissance des phénomènes de modes, et peut-être qu’un rejet des consommateurs eux-mêmes, la drogue devenant ringarde par exemple, serait finalement le meilleur recours. Une autre solution serait aussi qu’on cesse de diaboliser son usage et qu’on cherche plutôt à l’encadrer et à responsabiliser ses consommateurs, mais à l’heure où même la suggestion d’un débat semble être taboue, il semble que nous en soyons encore loin.

Ce n’est pas simplement le charcutage en pratiques et en lois de la singularité techno. C’est aussi une adaptation voulue, voir proactive des acteurs du mouvement eux-mêmes. On se lasse des raves, on souhaite devenir Dj professionnel ou « rentrer dans les clous »,… Tout ce qui tombe sous la bannière de «l’avancement » finalement. Il est assez intéressant de remarquer qu’à leurs époques respectives, les acteurs se sont vus comme héritiers et continuateurs, comme un simple relai de l’école précédente en adaptant une sorte de vision linéaire de l’histoire musicale. Ainsi les musiciens de la French Touch, pour des raisons musicales (le côté brutal, moins fin, de la techno précédente), pragmatiques (raves légales empêchées) et sociales/pratiques (réticence à donner dans la free party) ont-ils pensé être l’aboutissement du processus de gestation rave, quand bien même ces dernières continuent d’exister aujourd’hui sous la forme des free. Il en va de même pour l’EDM à l’égard de la house, et quand on questionne son public sur ce qu’il pense de cette dernière, il n’y voit souvent qu’un reflux du passé, une résurgence empêchant d’aller de l’avant, « pas assez si » ou « pas assez ça ». On a aujourd’hui encore des constats sans appel : pour Brice Coudert, à l’origine de la boîte de nuit Concrète, par exemple, la professionnalisation d’aujourd’hui est voulue car «l’idéal de la rave des années 90 n’a pas marché, donc on est plus terre à terre, plus averti, plus cadré»1, comme si elle ne relevait que de ça.

Nous avons étudié l’histoire de la techno sous l’angle de la normalisation et de la légitimation mais il ne semble pas vraiment y avoir de schéma explicatif qui convienne plus qu’un autre pour en rendre compte dans un grand paradigme général. Pour ce qui est de son

1 LECARPENTIER Charline, « La nuit, Paris rave encore », NextLibération.fr, 27 février 2015

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évolution, analyser en ligne ne convient pas, car on a vu trop de phases de flux et de reflux ; en arborescence non plus, comme en atteste le retour du genre. D’autres personnes voient la musique comme un cycle. Cela ne répond pas à toutes les questions posées par ce nouvel avènement mais il mérite sa considération. Simon Reynolds dans Retromania écrit ainsi que nous vivons désormais dans une « retropolis spongéiforme » dans laquelle cohabitent tous nos passés « pop » culturels. En particulier, cette explication tend à fournir un paradigme explicatif intéressant pour rendre compte de cette fameuse connaissance de l’histoire du genre chez les nouveaux amateurs.

D’ailleurs encore cataloguée dans un sens comme une musique de niche par de nombreuses personnes qui ne suivent pas de près les évolutions de la musique populaire alors même qu’elle existe depuis une trentaine d’années (même si la tendance semble s’inverser, il est vrai). Elle demeure marquée par le sceau du jeunisme, ce qui n’est peut-être pas appelé à changer au vu de ses liens intrinsèques avec la fête. Si l’on suit les théories de Bourdieu d’ailleurs, l’ancrage dans la jeunesse d’une musique permettrait aux personnes plus âgées, détentrice du pouvoir symbolique, de maintenir une forme de coercition symbolique sur son public en le renvoyant à sa condition de jeune premier et d’inexpérimenté de la vie. C’est en partie vrai, les vieux briscards de la free party ne diront certainement pas le contraire, mais c’est aussi assez discutable en ce que la techno, à plusieurs égards d’ailleurs, est peut-être l’une des musiques qui transcende le plus les classes et les âges. Il y a de la techno d’intellectuel et de la techno accessible, de la techno de hangar et de la techno de salon. Plus récemment, du fait de la nouvelle intergénérationnalité du genre, il y a même de la « techno de vieux ».

Là où bien des penseurs ont vu dans la diffusion de la culture de masse, une sorte de standardisation des esprits, on est aussi en droit de penser, comme Edgar Morin, qu’elle tend au contraire à l’individualisation de l’œuvre et sort de son carcan de simple récepteur l’individu. Dans un contexte où la plupart des gens comprennent les spécificités d’un genre et s’en approprient les usages, un langage commun se met en place, ce qui est justement propice à la remise en cause artistique ; chacun pouvant se faire artiste et apporter sa pierre à cette édifice musical global. Il ne faut pas voir la diffusion de « produits » culturels standardisés comme un moyen d’atrophie artistique mais au contraire comme la généralisation de codes communs. C’est aussi une propagation de l’esprit critique et nul doute qu’avant de penser à élever l’âme par d’occultes théories de solfège prenant le parti de l’absolutisme musical, il faudrait peut-être commencer par ça. On danse mieux avec des chaînes.

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Une dernière chose, qu’il ne faut surtout pas oublier, est que les acteurs techno ne sont pas exclusivement définis et structurés par cette appartenance, ne se sentent pas forcément appartenir à une communauté, et n’ont donc pas de conscience politique en tant que telle. Leur relation à la techno est rarement exclusive d’un point de vue artistique et culturel et il est possible qu’on ait eu tendance à présenter une version misérabiliste de son public. Or celui-ci est avant tout dépolitisé (en tant qu’acteur techno) et ne se limite pas à la plainte permanente ; au contraire ses objectifs sont festifs et portés vers la communion, pas vers la revendication. Les mécanismes de légitimation tels que les négociations sont l’affaire d’une minorité, une plus grande masse se laisse porter par des fluctuations qui lui échappent largement et dont elle n’a rien à faire. Sans même parler du nombre chaque jour croissant d’auditeurs qui l’écoutent sans se sentir concernés, la majorité sont des auditeurs ‘en-soi’ et pas ‘pour-soi’, c’est-à-dire qu’ils n’exercent pas de véritable retour réflexif sur leur place dans ce mouvement et se contentent d’une approche finalement assez utilitariste de cette musique. Le péril du traitement du spontané, l’écueil finalement généralisable à toute histoire survient plus encore lorsqu’on en dit trop que lorsque l’on dit faux. Les choses sont avant d’être parce que. Certaines actions pâtissent de leur mise en interprétations et il semble parfois dommageable que le penser prenne le pas sur le faire. Il y a quelque chose d’indicible dans l’irruption du phénomène techno et du mouvement qu’il a engendré. Il ne faut pas chercher à trop l’intellectualiser, à rationnaliser ce qui n’est autre qu’une addition de subjectivités, de recherches individuelles de plaisir. Il est important de ne pas en circonscrire le sens dans des interprétations de phénomènes passés ou de son évolution future qui en font obligatoirement autre chose que ce qu’est l’évènement au moment de son apparition. Plus trivialement, le but est de profiter et puis c’est tout, il faut savoir préserver l’innocence de l’acte. Lui seul se pose en rempart contre cette cage d’acier de la rationalité qui se referme lentement sur nos existences.

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Annexes

Annexe 1

Manisfeste d’Ötonöm1 dans lequel ils exposent leur vision de la fête

1 Sound-System

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Annexe 2

Manifeste de Technoplus contre la répression

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Annexe 3

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Annexe 4

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Sélection subjective et partielle de commentaires issus de la partie « Expression libre » des questionnaires1

Sur la drogue :

« La musique classique permet généralement de transporter l'esprit, la musique le corps, la musique électronique permet les deux. Ainsi l'usage modéré de psychotropes par un individu réfléchi, lui permet une expérience sensorielle beaucoup plus intense et transcendante, sans pour autant être néfaste pour ce dernier. »

« Le mélange techno et drogue ouvre des frontières, dans un sens, mais pour certains (ceux qui sont déjà sujets au stress) ça peut rendre complètement ouf et faire perdre le sens du chill. Honnêtement, la plupart des sons en soirée type weather (surtout à partir d'une certaine heure) sont absolument INECOUTABLES sans drogue ou sans avoir été initié à la drogue. Au-delà de 120 bpm c'est même trop rapide pour danser ça te met en transe si tu connais déjà les états de transe, et autrement c'est juste l'enfer. Bonne journée ma poule, bon courage pour ton mémoire. Je t'envoie des bonnes vibes sens les parcourir ton corps et te donner l'énergie de continuer à lire tout ça.»

« Le mouvement de popularisation de la techno et de la house depuis 5 ans pose à mon sens un problème de santé publique important dans la mesure où cela a démocratisé l'usage de drogues dures chez une population de plus en plus jeune (lycéens) qui n'a pas la maturité suffisante. Le danger est que la musique ne soit plus au centre de la fête mais soit juste une excuse ou un cadre pour les excès. »

« je trouve que la question sur la consommation de drogue est un peu déplacé, essayer de rejoindre une consommation a un style de musique est faire les choses de travers. Il y a des endroits propices a la consommation de drogue (alcool ou autres) et il s'agit plus d'un facteur culturel en mon sens que d'une corrélation avec la musique. »

« Trop de drogués »

« La drogue existe depuis des décennies voir siècles, arrêtons de faire chier. »

« Je voudrais mourir jeune le plus tard possible. »

« Je pense qu'actuellement, le gros problème qui risques de nuire au développement de la techno, c'est son nouveau publique. En effet, celui-ci écoute de la techno la plupart du temps pour deux raisons: les drogues ou la hype. Mais généralement ils n'écoutent pas la techno pour son essence même, à savoir la musicalité. Et c'est pas comme ça que l'on risquera de diminuer les amalgames, qui sont, bien évidemment, en parti fondés. »

« Beaucoup de drogues dans les lycées, dans les "soirées festives", dans les "grandes écoles" comme l'IEP de RENNES. Etes-vous vous-même addict aux drogues, pour traiter un tel sujet? »

« Ça peut paraître comme un discours de vieux con et de vieux puriste mais il y a clairement une différence entre consommer des stupéfiants pour profiter encore plus de la musique (bien entendu cela ne doit pas être un besoin et une nécessite sinon c'est très malsain, il faut que ça reste occasionnel et à petites doses)

1 Orthographe laissé tel quel.

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et en consommer dans l'objectif pur et simple de rechercher une certaine défonce. J'espère que mon commentaire pourra t'être utile :) »

« Amalgame entre musique et drogue car la drogue a depuis longtemps été utilisée pour accéder à des états de réceptivité de la que les non initiés sont probablement moins -pas?- aptes à découvrir sans. Pour le grand public. Pour le reste je suppose que ça fait juste partie du trip. mais bon, parti comme ça autant aller jusque Echoes... »

« 60' hyppies / LSD

80' rock'n'roll / Cocaïne

2015 techno / mdma ? »

Sur l’EDM :

« il faudrait faire une pétition pour rendre l'EDM illégale »

« Le second problème vient du fait que la musique électronique en France est très mal représentée, la majeure partie des gens qui écoute de l'électro l'écoutent à la radio.. Non pas qu'un genre particulier soit mieux que l'autre mais bordel, y'a autre chose que Guetta ou Sinclar... Ce qui fait que les genres un peu plus "underground" conservent leur portée beaufiesque et toxicomaniesque dans l'imaginaire collectif. »

« Il faut bien faire une distinction entre la musique électronique populaire (ex. à la Martin Garrix et le Big Room) et la musique électronique (techno, house, house tech). ces 2 genres attirent 2 différentes clientèles. L'une qui cherche à se défoncer (d'ou l'association avec les drogues) et à dire qu'''ils'' y étaient. L'autre est une culture beaucoup plus discrète qui sait attirer un public qui aime réellement le son, qui se fout des effets visuels et qui partage un sens de communauté.»

« La musique électronique est un type de musique aussi large que varié et composé de tout autant de genres musicaux qu'il faut dissocier, à commencer par le mainstream commercial EDM et le reste. Je pense que c'est surtout la recherche de la qualité musicale qui a évolué ces dernières années, une prise de conscience et la découverte de styles souvent méconnus qui explique le rassemblement autours de la techno, house, tech-house... »

Sur la mode :

« Au risque de passer pour une "vieille conne" (et j'assume complètement !!), je trouve que l'engouement d'aujourd'hui pour la techno est une excellente chose au vu de la qualité musicale des soirées et le choix pléthorique, mais je regrette un peu le public plus initié et "éduqué" d'il y a une dizaine d'années.... ;) J'espère simplement que ce nouveau public dont l'objectif principal en soirée est de se retourner la tête ne causera pas la perte de ce mouvement. (s'ils pouvaient plutôt aller exhiber leur vulgarité dans les festivals EDM ça nous ferait des vacances, mais c'est un peu trop cher pour eux). »

« Les clubs qui passent du son techno/house sont de plus en plus nombreux. J'ai l'impression d'un effet phénomène de mode avec tous les genres EDM + les chaînes types "Majestic casual" qui ont fait mettre à pas mal de monde un pied dans la musique électronique qui ont ensuite commencer à s'y intéresser et écouter peu à peu de la techno et de la house. »

« Je crois que ce style musical est effectivement en plein essor mais que ça peut lui nuire car elle a une vocation underground, il y a un état d'esprit, une forme de respect a comprendre pour préserver la

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vocation rassembleuse de la house et de la techno. Cette conotation n'est pas toujours comprise ... Cela dit en tant que technophile je ne peux qu'espérer que cette musique puisse faire vibrer le plus de personnes possible!»

« Techno, nouveau phénomène de mode? »

« Vraiment dommage que Paris n’ait pas fait renaître la techno avant ... »

« C'est très contrasté, d'un côté il ya de plus en plus de monde qui s'y mettent (moi y compris étant donné que je suis "réellement" tombé dedans il a un peu moins d'un an). De l'autre le style est toujours très mal connoté pour énormément de personnes. »

« Vive les teuf a la campagne où il n'y a pas encore de tarlouzes à bandanas. »

« De plus en plus de personnes jeunes vont en boite et à la concrete (par exemple) sans même connaître le nom de l'artiste de la soirée.... Et qui se défoncent la gueule, et ne savent pas se comporter car trop d'abus.... Les soirées parisienne étaient mieux avant. MOINS CHERE ET SURTOUT MOINS FREQUENTER DE BOLOSSES. »

« C'est maintenant compris comme étant un genre et une culture à part entière, ça c'est bien, le problème est qu'en France cela à pris une proportion mercantiliste qui gâche le mouvement qui à la base se veut de protestation et de lutte (ça vient pas de Détroit (entre autre) pour rien). »

« Alllllllléééééé Laaaaaaa !!!! »

« je dis que c'est mal aimé du grand public c'est parcs que les gens ne savent pas apprécier cette musique à ça juste valeur, ils s'en emparent comme une mode et que la plupart ne comprenne pas la véritable portée qu'à eu ce mouvement musical rassembleur qui a su faire tomber les barrières »

« J'ai commencé avec de la hardtek, je recommande pour le show de lumière , defqon1 pour tout les types de hardtek et dominator pour du harcore. Maintenant avec l'âge je me suis assagie, le weather festival est sympathique »

« Effectivement j'ai l'impression qu'on assiste à une démocratisation de cette musique, ce qui me divise un peu. À la fois c'est bien sûr bénéfique (plus d'artistes, d'évènements, de qualité, de reconnaissance, etc...), d'un autre côté, ça me gêne de voir certaines personnes se joindre au troupeau sous l'effet de la mode (après, c'est peut-être une forme de snobisme de ma part). J'imagine que c'est toujours le problème quand une subculture finit inévitablement par se populariser et perdre de son essence »

Sur la techno en général :

« PARTAGE RASSEMBLEMENT TOLÉRANCE ÉGALITÉ INDÉPENDANCE RÉVOLUTION »

« rappel moi la dernière sorti ROCK bien burné ?, l'élèctro c'est le miroir d'une société très complexe mais qui fait tout pour facilité la tache aux moutons ! Pourquoi faire 15ans d'étude musical pour jouer dans un orchestre à 70 et voir le premier rang dormir alors qu'aujourd'hui tu cliques et tu niques le dancefloor. »

« Malgré le caractère très intéressant de ce type de son mon pote, il est indéniable que le genre soit complètement lié a l'absorbtion de psychotrope. L'aspect inculte du public est aussi a noter (ignorance du matériel utilisé, absence de réel intérêt pour une piste précise, gobage d'un set qui pourrait être composé de n'importe quel rythme associé a 2-3 launch répétitifs. Enfin l'ennui de la performance live (1seul

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protagoniste aux actions très limitées) est également préjudiciable. Bref tout ça est sympathique mais on attend encore que ça remplisse des stades. »

« Hipster »

« Merci de faire une étude sur ce sujet afin de démystifier la situation et redonner de la fierté à cette musique et plus important à la culture qui y est associée. »

« L'été arrive, chantons et dansons avec ce bougre de Henrik Schwarz! »

« Quand tu entends ce genre de track à 6h du mat à Astropolis lors de ta 3e soirée techno, comment ne pas tomber amoureux ? »

« la techno est un style particulier qui va chercher au fin fond de notre âme, au meme titre que la musique classique. »

« Je suis sceptique sur les musiques électroniques car je trouve que la dimension non matérielle des instruments éloigne de la création artistique. »

« Le risque aujourd'hui pour moi est de perdre les valeurs de la techno qu'elle se "capitalise", un peu à l'image de la société. C'est primordiale pour moi qu'elle garde son côté underground (ça passe aussi par l'acceptation des pouvoirs publics du mouvement).»

« A mon sens, on observe un réel engouement de la jeunesse branchée et festive pour la techno depuis environ 3 ans, ce qui lui permet d'être largement démocratisée et de sortir de son image marginalisée à travers la participation de masse à des events de plus en plus pointus et l'encensement de figures pionnières. Evidemment ça reste largement un phénomène de mode et toutes les merdes qui en découlent, donc la culture techno reste relative, voire de surface (tout le monde connait garnier, la concrète et la weather mais lorsqu'il s'agit de creuser un peu..). Par contre je suis assez impressionnée, je pensais que le mouvement allait montrer des signes d'essoufflement plus rapidement même si les gens commencent à pas mal se lasser de la techno pure, d'où un nouvel engouement pour la house, l'alternatif un peu moins hardcore pour celui qui n'est pas un fan de base. »

« Est ce qu'on peut vraiment parler de démocratisation de la techno? Je dirai plus que c'est des soirées techno... »

« Je me suis pris d'un tel engouement pour ce genre musical que j'ai rapidement investi dans du matériel pour en produire et pour mixer, et ce en moins d'un an de découverte et écoute intensive du genre et des soirées. »

« La Techno n'est pas qu'un genre musical , c'est un art de vivre , une religion , un état d'esprit " telle est ma devise quand je parle techno... »

« Tu connais Laurent Garnier? »

« je voulais râler puis j'ai eu la flemme »

« Tout être humain devrait faire de la musique. De toutes les formes d'art c'est celle qui élève le plus. La musique électronique permet d'autant plus cette élévation qu'elle unit l'homme à la machine. »

« Restons ouverts aux autres styles de musique! »

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« Je n'ai que 19 ans, et mon seul regret c'est de ne pas avoir connu les année 90, le summer of love etc.. Je trouve ça genial que le mouvement techno reprenne de l'ampleur, cependant je pense que l'etat d'esprit n'est pas le meme. Je trouve que ma generation a un comportement individualiste et ne cherche pas le coté hedoniste festif en communauté... La culture de l'ego, les , le chacun pour soi n'est pas l'esprit Techno. »

« avant de penser que l'on va en teuf que pour se percher, il faut d'abord savoir qu'on y va pour s'amuser, rencontré, partager et passer une soirée en liberté. beaucoup de personne (qui ne connaissent pas le plus souvent) pense que c'est une simple réunion de drogué qui danse devant des "caisson" mais c'est bien plus que sa!!!! »

« Je trouve dommage qu'il y est un manque de coordination entre tous les acteurs du mouvement techno, si on s'unissait tous correctement pour défendre de vraies valeurs et partagés par tout le monde, je pense qu'on arriverait mieux à démocratiser ce mouvement. et je pense qu'il y a beaucoup de préjugés fait aux sujet des personnes faisant partie du public de free party, à écouter Mme "Michu" les "teuffeurs" sont des jeunes perdus, drogués qui n'ont aucun respect pour quoi que se soit et mal poli... j'en passe, et oui il y a des gens comme ça, comme les jeunes clubbers de boite de nuit, comme les habitués du comptoir, comme dans tous les domaines ... et pour finir, ça me fait plaisir de voir des questionnaires de cette sorte, c'est un début de démocratisation, de la part des étudiants mais aussi pour les profs, c'est un début, Merci et bon courage »

« La techno house est vraiment un art. Les free party sont de vraix endroit de rencontre dechange et de libereter »

« Avec rien on Envoie tout ! »

« Vive la fête libre ! Allez faire un tour en Rave party, Free party, teuf, tawa (Ya plein de noms c'est pratique), parler à des mineurs et des vieux, vous découvrirez qu'au sein même du mouvement il y a un certain conflit générationel. Et les points de vue sont tres tres divergents d'une personne à une autre sur la nature du problème et sur ce qu'il faut faire pour le régler. »

« la rave party n'est pas un crime, aimons la, adoptons la, elle est notre amie !!! »

« La musique techno/house se dévellope énormément, mais ce n'est pas cette musique que j'écoute, je vais en free party et c'est ce type de soirée qui m'interesse, le coté sauvage, autogéré et conviviale qui n'existe pas en club. »

« je vous envoies tous mes encouragements et espère que nos enfants auront le plaisir de trouver à leur tour ringard l'electro et que réciproquement nous aurons la tâche de nous ouvrir aux futurs évolutions musicales! »

« L'expérience que j'ai des musiques électroniques est très chronologique, dans le sens où mes goûts au sein de ce courant ont évolués avec l'age et l'apparition de nouveaux courants au fil des années. »

« Arrêtez de nous saigner les oreilles avec cette daube musicale, par pitié. »

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Sources

1. Sources imprimées

 Rapports & Enquêtes

« Le marché de la musique enregistrée bilan 2013 », Syndicat National de l’Edition Phonographique, 2014

« Restitution d’enquête sur les organisateurs électroniques en France », Technopol, 2014

« Les grands rassemblements festifs techno », Rapport de Jean-Louis Dumont remis au Premier Ministre, mai 2008

« Soirées techno, une discrimination assumée par les municipalités », Unis-Sons

« Politiques de jeunesse et musiques électroniques. Entre rave-party et Teknival, quelle évolution des grands rassemblements ? » Etude pour la Direction Départementale de la Jeunesse et des Sports du Cher, Sous la direction de Jean Pierre Halter, octobre 2008

 Sources officielles

Télégramme du Ministère de l’Intérieur : informations complémentaires relatives au phénomène des raves parties et free-parties, 13 septembre 2002

Télégramme du Ministère de l’Intérieur : Télégramme aux préfets sur les rave parties et les free (modification du seuil), 14 novembre 2003

Circulaire sur les dispositions de la loi sur la sécurité quotidienne relative aux « rave-parties » et sur les dispositions réglementaires d’application, 24 juillet 2002

Circulaire : Instruction sur les manifestations rave et techno, 29 décembre 1998

Circulaire : Rassemblements festifs à caractère musical, 22 avril 2014

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Rapport du Sénat « Rassemblements festifs et ordre public », 31 octobre 2012

 Communiqués

« Le HADRA, plus grand festival de musique Trance en France, cherche un terrain pour sa prochaine édition durant l’été 2015 », Association Hadra, février 2015

« Technopol s’inquiète de l’amalgame qui est fait entre soirées techno légales, free parties et teknival », Technopol, 6 juin 2006

Communiqué de presse sans titre – Technopol, 18 février 2005

« Rave-party : Technopol et Techno+ dénoncent la stigmatisation »,Technopol & Techno+, 26 février 2013

« Droits d’auteur et gestion collective : la Commission européenne rate une opportunité historique ! », Technopol, 17 juillet 2012

« La volonté politique manque encore », Arts et Cultures, Freeform, Techno+, 12 mars 2015

 Presse o Presse nationale

« 30000 fans fêtent les 20 ans du Teknival », Le Monde, 7 mai 2013

« Comment un mouvement haut en couleur a déteint sur toutes les musiques », Les Échos, 15 septembre 2000, p. 104

BERNIER Alexis, « Des raves à la réalité. Après le boom des grands rendez-vous officiels, la scène techno se replie sur les fêtes et l’underground », Libération n°5893, 27 avril 2000, pp. 33-34

BRUNNER Vincent, « Techno. Longtemps restreint, le marché français a aujourd’hui rattrapé son retard tout en continuant à exporter ces nouveaux rois des dance floors », L’Humanité, 20 octobre 2000

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BRUNNER Vincent, « Le boom de la techno made in France », L’Humanité, 20 mars 2000

CALVINO Antoine, « Pulsations technos », Le Monde Diplomatique, juin 2014, p. 24

DAVET Stéphane, « L’engouement pour la techno ne se retrouve pas dans les ventes de disques », Le Monde, 20 octobre 1998, p. 31

FANEN Sophian, « Et Berlin fut mûr pour la techno… », Libération Cahiers d’Été, 26 juillet 2014

FANEN Sophian, « Astropolis, 20 ans et déjà des enfants », Libération, 05 juillet 2014, p. 41

JAUFFRET Magali, « Le phénomène rave, mélange de solitude et de drogue », L'Humanité, Saint-Denis, 15 juin 1993.

GIGNOUX Sabine, « Voyage au cœur des rave parties. La techno se veut une vraie musique », La Croix, 26 juin 1998, p. 26

HERVIEU-LEGER Benoit, « Voyage au cœur des rave parties. Olivier raconte son parcours de raveur professionnel », La Croix, 26 juin 1998, p. 27

o Presse régionale

« Quatre nouveaux artistes techno pour Garorock », Sud Ouest, 12 mars 2014

« Etienne de Crecy : le quadra des platines bien au fait de la nouvelle génération », Le Journal de Saône-et-Loire, 22 mars 2013

« Multison, deux jours ‘free’ et encadrés », Le Télégramme, 29 juin 2010

« Les DJs, les nouvelles rockstars », Nord Éclair, 19 septembre 2014

« Teknival : le conseil général veut faire payer l'Etat ! », L’Union, 05 mars 2015

« Pour ses 15 ans, la Techno Parade balaie les derniers préjugés », La République des Pyrénées, 14 septembre 2014

« Nathalie Kosciusko-Morizet et Jack Lang en mode techno », La Voix du Nord, 15 septembre 2013

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GRASLAND Antoine, « Main Square : Il n’y a pas que Stromae à l’affiche », La Voix du Nord, 01 juillet 2014

LEMAIRE Jérémy, « On en parle : Teknival 2013, l’association Techno+, “Pour que la consommation se fasse le moins mal possible”», La Voix du Nord, 04 mai 2013

PHILLIPPONNAT Yannick, « « Montpellier : “On ne m’a pas demandé d’annuler ”», 15 décembre 2014

o Presse magazine

« L’envoûtement brisé de la musique techno, musiques de barbares », Manière de voir, 01 juin 2010, p. 90

« Le retour de la rave », Technikart n°73, 01 juin 2003

« 2013, Le Revival », Technikart n°77, 01 novembre 2003

« La teuf est finie ? », Technikart n°77, 01 novembre 2003

« La France des bacs », Technikart, n°77, 01 novembre 2003

SABATIER Benoit, « Techno Soldier », Technikart n°77, 01 novembre 2003

THIBAUD Cécile, « Faut-il avoir peur des raves ? », L’Express n°2450, 18 juin 1998, p. 98

« Gros plan : “Ça ne fait rien, j’aurai essayé” », Télérama, n°3395, 07 février 2015

BARA Guillaume, « Fini le DJ pirate », Télérama, 29 octobre 1997

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2. Documents numériques

 Presse en ligne

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« Techno Parade : «Allons enfants de la Party» », Libération Next, 13 septembre 2014

« La techno underground fait de la résistance ! », Tsugi.fr, 05 juin 2014

« Le retour des raves à Paris », gqmagazine.com, 21 mars 2013

« Record de fréquentation explosé pour les Nuits Sonores 2014 à Lyon », concertlive.fr, 2 juin 2014

« Fronde chez les clients de la halle de Montreux », LeParisien.fr, 23 août 2013

« Mais pourquoi les riverains sont-ils si méchants ? », Streetpress.com, 13 février 2013

« Au teknival, une « transe » musicale collective et encadrée », Libération.fr, 2 mai 2015

ANDRILLON Laure, « Un été raté pour l'électro », Le Monde.fr, 13 août 2014

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BARDOT Patrice, « Annulation de I Love Techno France : A qui la faute ? », Tsugi.fr, 14 décembre 2014

BORDIER Julien, « Laurent Garnier: “La musique est devenue un produit jetable”», L’Express.fr, 15 avril 2014

CAMENEN Clément, « Nouveau record d’affluence pour les Nuits sonores », lyoncapitale.fr, 14 mai 2013

DAVET Stéphane, « Le jour au secours de la nuit parisienne », LeMonde.fr, 14 mai 2014

DIAO Camille, « Ce week-end, les organisateurs de rave descendent dans la rue », StreetPress.fr, 30 janvier 2015

GINTZ Roxanne, « URGENT : le Hadra Trance Festival cherche un lieu », Traxmag.fr, 19 septembre 2015 < http://www.traxmag.fr/urgent-hadra-trance-festival-lieu/>

LE GALL Pauline, « Annulation de festivals techno : Family Piknik menacé », LeFigaro.fr, 11 août 2014

LECARPENTIER Charline, « La nuit, Paris rave encore », NextLibération.fr, 27 février 2015

MARTIN Clive, « Les commentaires YouTube des classiques rave vous redonneront foi en l'humanité », Vice.com, 27 mai 2013

MEERSCHART Mathilda, « C’est quoi ton crew ? La Petite (Toulouse) », Traxmag.fr, 18 février 2015,

MORIO Joël, « Radio FG garde le tempo », LeMonde.fr, 19 juin 2014

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POCHAT Josée, « Mariani le rebelle », Valeursactuelles.fr, 11 octobre 2007

ROCH Jean-Baptiste, « Sortez vos platines, le vinyle revient ! », Télérama.fr, 6 juin 2013

ROUSSET Julien, « L'I.Boat rouvre à Bordeaux : les dirigeants “touchés mais pas coulés” », SudOuest.fr, 07 août 2014

SALHI Sophia, « Trackidpliz », les perles du groupe facebook du Weather Festival, Traxmag.fr, 16 septembre 2014, http://www.traxmag.fr/trackidpliz-perles-facebook-weather/

SALHI Sophia, « Rave’olt : les teufeurs manifestent samedi dans 44 villes », Traxmag.fr, 30 janvier 2015,

SALHI Sophia, « Le Louvre donne carte blanche à Jeff Mills », Traxmag.fr, 20 janvier 2015

 Articles divers

Dossier de presse : « Répression des free-parties », Techno+, document fréquemment mis à jour.

« 31 janvier 2015 : Manif Nationale pour la Fête Libre dans 41 villes en France », TechnoPlus.org, février 2015

« Comment les nouvelles expérimentations de la musique techno à Paris ont transformé l’image de la ville ? », Babel Collectif, 10 avril 2013

« Entretien avec Guillaume Kosmicki, spécialiste des musiques électroniques », Agents d’Entretiens, 27 mai 2011

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« Le Spame, un syndicat pour les musiques électroniques », Irma.asso.fr, 07 septembre 2011

« L’histoire secrète de la French Touch », greenroom.fr

« Mieux vaut un Pierrot qu’une Techno Parade », Vixgras.com, 26 mars 2012

« Manifeste contre la répression des amateurs de Techno », TechnoPlus.org,

 Documents Audiovisuels o Documentaires

Resident Advisor, Real Scenes : Paris, 2012

BBC, « The Summer of Rave 1989 », 2006 < https://www.youtube.com/watch?v=A-XrlMpwEuM>

Damien Raclot-Dauliac, “Heretik – We had a dream”, 2013

o Conférences & Débats

Conférence : « Culture Techno: de l'ombre à la lumière? », B2B Music, Sciences Po Paris, KUMA Pictures, 03 décembre 2014

Débat : « Débat des candidats Paris », Technopol , 2014

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Table ronde : « Quels leviers pour le développement des musiques électro en Ile-de-France ? », Technopol, 2014 < https://soundcloud.com/technopol-asso/quels-leviers-pour-le- developpement-des-musiques-electro-en-idf>

o Entretiens

« Tommy Vaudecrane à propos de la 15ème Techno Parade », Intruders TV, 09 septembre 2013

« Le né-DJ Agoria convaincu par le concept d’art global », Intruders TV, 24 avril 2013

« Naissance d’un concept syndical dans les musiques électroniques avec le S.P.A.M.E.», Intruders TV, 15 novembre 2011, < http://intruders.tv/fr-music/2011/12/15/spame-concept/>

« Technopol », B2B music, 2014

« 25 ans d'histoire de la techno », avec Jean-Yves Leloup, Electroline, 22 octobre 2013

3. Sources orales

Entretien avec Franck de Villeneuve, fondateur du SPAME (Syndicat Professionnel des Acteurs des Musiques Electroniques), réalisé le 10 mars 2015 (58 minutes)

Entretien avec Fabien Thomas, Administrateur de Technopol, réalisé le 9 avril 2015 (53 minutes)

Entretien avec Florian Gaudu, membre du collectif Midi-Deux, réalisé le 20 avril (32 minutes)

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Bibliographie

Ouvrages généraux

Les Rave et les Free Parties

LAFARGUE DE GRANGENEUVE (Loïc), L’Etat face aux rave-parties, les enjeux politiques du mouvement techno, Toulouse, ed. Socio-Logiques, Presses Universitaires du Mirail, 2010, 159 p.

POURTEAU (Lionel), Techno, une subculture en marge 2, Paris, ed. CNRS Editions, 191 p.

RACINE (Etienne), Le phénomène techno : Clubs, raves, free-parties, Paris, ed. Imago, 2004, 237 p.

BIRGY (Philippe), Mouvement techno et transit culturel, Paris, ed. L’Harmattan, 2001, 224 p.

Histoire de la musique électronique

LELOUP (Jean-Yves), Digital Magma, De l’utopie des rave-parties à la génération MP3, Marseille, ed. Le mot et le reste, 2013, 214 p.

KOSMICKI (Guillaume), Musiques électroniques, des avant-gardes aux dance floors, Marseille, ed. Le mot et le reste, 2010, 406 p.

GARNIER (Laurent), BRUN-LAMBERT (David), Electrochoc, L’intégrale 1987-2013, Paris, ed. Flammarion, 2013, 435 p.

Identités culturelles

LAHIRE (Bernard), La Culture des individus. Dissonances culturelles et distinction de soi, Paris, ed. La Découverte, 2004, 778 p.

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Essai sur la musique

REYNOLDS (Simon), Rétromania, Comment la culture pop recycle son passé pour s’inventer un futur, Marseille, ed. Le mot et le reste, 2012, 480 p.

JOUVENET (Morgan), Rap, techno, électro... Le musicien entre travail artistique et critique sociale, Paris, Éditions de la Maison des Sciences de l'Homme, 2006, 290 p.

Ouvrages généraux

BEY (Hakim), T.A.Z., Paris, Editions de l’Éclat, 1997, 32 p.

COLLOVALD Annie, GAÏTI Brigitte (dir.), La démocratie aux extrêmes. Sur la radicalisation politique, Paris, La Dispute, 2006.

MORIN (Edgar), L’esprit du temps, Paris, Grasset, 1988.

TARDE Gabriel, Les lois de l’imitation, Paris, ed. Les empêcheurs de penser en rond, 2001, 442 p.

Etudes particulières

Mémoire

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Articles

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EPSTEIN (Renaud), FONTAINE (Astrid), « De l'utilité des raves : consommation de psychotropes et action publique », Mouvements 5/2005 (no 42), pp. 11-21

EPSTEIN (Renaud), « Les raves ou la mise à l'épreuve underground de la centralité parisienne », Mouvements 1/2001 (no13), pp. 73-80

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129

Index Fnac Music · 39 A Fontaine · 29 Fréquence Gaie · 41 arsis · 8 Arte · 52 Astropolis · 67, 101 G

Garnier · 18, 55 B Gaudu · 11 Gotan · 61 backrooms · 16 Bara · 16 Barclay · 39 H Bercy · 35 Bernier · 24, 50 Hacienda · 18 Bey · 23 Heretik · 7 Birgy · 15 Homework · 46 Bouchet · 26 Hood · 17 Bourdieu · 12 Bureau Export · 46 I

C infolines · 9

Castlemorton · 21 club culture · 15 J Concrete · 100 Coudert · 100 Jauffret · 24 Courçon · 28 Criminal Justice Bill · 21 Cybotron · 16 K

Kiss FM · 21 D Knuckles · 16 Kolář · 8 Daft Punk · 43 de Crécy · 43 de Villeneuve · 11, 101 L Debré · 26 La Petite · 101 Lahire · 12 E Lang · 55 Leloup · 38, 42, 57, 63 Ecoiffier · 24 ecstasy · 18 Epstein · 29 M Esptein · 35 Manchester · 18 Mariani · 28, 29 F Matsumoto · 52 Maurel · 41 F Communications · 46 MDMA · 18 flower power · 15 Midi-Deux · 11

130

Mignon · 31 Summer of Love · 18 Milad · 26 Molitor · 35 Morand · 39 T Motor City · 16 Technopol · 11, 53 teuffeurs · 10 N thatcher · 21 Thatcher · 19, 21 Nègre · 39 thésis · 8 Nuits Sonores · 101 Thomas · 11 Tracks · 52 P U Polaris · 53 Public Enemy · 17 Underground Resistance · 17

R V

Respect · 43 Videlin · 29 Voodoo’Z Cyrkle · 32 S W SACEM · 9 Sarkozy · 10, 72 Warehouse · 16 SPAME · 11 Warp · 40 Spiral Tribe · 7, 21, 22 spoken word · 16 St Germain · 43

131

Tables des illustrations

Figure 1 : Des membres d’Underground Resistance, source : Novaplanet.fr ...... 17

Figure 2 : Dessin caricatural paru dans le Sun, source : factmag.fr ...... 20

Figure 3 : Dessin caricatural paru dans le Sun #2, source : inlog.org ...... 20

Figure 4 : Une Free Party, source : confortmoderne.fr ...... 34

Figure 5 : Scène de liesse en free party, source : mewfree.free.fr ...... 35

Figure 6 : Heretik envahit Molitor, source : brainmagazine.fr ...... 36

Figure 7 : Année de début de l’organisation d’évènements électroniques, rapport Technopol ...... 81

Figure 8 : Weather Festival, source : directmatin.fr ...... 86

Figure 9 : Règlementation en vigueur, rapport Technopol ...... 89

Figure 10 : Mode de rémunération des artistes, rapport Technopol ...... 89

Figure 11 : Pourquoi organiser des free parties, rapport Technopol ...... 93

Figure 12 : Flyer pour la Manifestive du 31 janvier, source : Technoplus.org ...... 93

Figure 13 : Des Pierrots de la nuit en action, source : contrepoints.org ...... 99

132

Table des matières

Remerciements ...... 2

Table des sigles ...... 5

Lexique ...... 5

Introduction ...... 6

Partie 1. Les débuts de la techno en France : un phénomène incompris ...... 15 Chapitre 1. Les liens originels de la techno avec la marginalité sociale ...... 15 I) La naissance de la techno aux Etats-Unis ...... 15 II) Le « Summer of Love » britannique de 1988 ...... 18 III) Le débarquement en France des rave parties ...... 22 Chapitre 2. Les première mesures répressives ...... 26 I) « Les soirées raves, des situations à hauts risques » ...... 26 II) L’amendement Mariani et la Loi sur la Sécurité Quotidienne ...... 28 III) La répression des free parties ...... 31

Partie 2. Les espoirs déçus du succès commercial de la French Touch...... 38 Chapitre 1. Musique techno et sphère commerciale : des débuts timides ...... 38 I) La techno en dehors des circuits classiques ...... 38 II) La vague de la French Touch, un succès techno mondial ...... 41 A) Les origines des premiers succès ...... 42 B) Le contact avec les circuits professionnels de la musique ...... 45 III) A l’épreuve de l’exposition publique :...... 50 A) Adaptation des artistes techno à la procédure normale ...... 51 B) Une nouvelle image médiatique et politique ...... 52 Chapitre 2. La ringardisation de la techno ? ...... 58 I) Avec la crise du disque, le secteur musical rejette et phagocyte la techno...... 58 A) Les effets dévastateurs de la crise du disque ...... 58 B) Le développement d’autres musiques ...... 60 II) La techno rejetée de la société ? ...... 61 A) Une image dégradée ...... 61 B) Le rejet des boîtes ...... 62 Chapitre 3. La fin des rave parties ? ...... 65

133

I) Les raves à bout de souffle ...... 65 A) Les raves légales en voie d’extinction...... 65 B) La radicalisation des free ...... 69 II) Les débuts d’une collaboration : les teknivals co-organisés ...... 71 A) Les teknivals co-organisés, symbole d’un renouvellement du dialogue ...... 71 B) De nombreuses critiques ...... 72 C) Le retour des petits rassemblements...... 75

Partie 3. Le retour de la techno : une musique intégrée ? ...... 79 Chapitre 1. Le retour en force de la techno ...... 79 I) La techno regagne les villes ...... 79 II) Un retour qui se fait par la résurgence des soirées techno ...... 81 III) La nouvelle organisation du mouvement ...... 83 A) Un mouvement qui s’inscrit toujours dans une logique réticulaire ...... 83 B) Un mouvement qui voit apparaître de nouvelles pratiques ...... 85 Chapitre 2. Le renouveau des activités revendicatives ...... 87 I) La « professionnalisation » du discours revendicatif ...... 87 II) Légaliser les free parties ? ...... 91 Chapitre 3. Le futur des processus de légitimation ...... 94 I) Faire fi du lien avec la drogue ? ...... 94 A) Une politique de répression inefficace ? ...... 95 B) La réduction des risques ...... 96 II) Le problème des nuisances sonores ...... 98 III) Légitimer culturellement la techno ...... 100

Conclusion ...... 103

Annexes ...... 109

Sources ...... 118

Bibliographie ...... 127

Index ...... 130

Tables des illustrations ...... 132

Table des matières ...... 133

134